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in 2009 with funding from
University of Ottawa
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RÉPERTOIRE
DES
CONNAISSANCES USUELLES
USTE DES AUTEURS QUI ONT CONTRIBUÉ A LA REDACTION
DU 16^ VOLUME DE CETTE ÉDITiON.
MM.
Almé-IUartin.
Artand, ancien insp. général des éludes.
Aabert de Vitry.
Andiffret (H.).
Bardin (le général).
Barré.
Barreswil.
Baadement (T.).
Bécbem (Charles).
Belfield-LefèvTe.
Bertbelot (Sabin).
BervîUe (S. -A.), président à la Cour impé-
riale de Paris.
Billot.
BoîsteKJ. M. ).
Bordas-Dcmoulin.
B©ry de Saint-Vincent, de l'Académie
des Sciences.
Boncbitté (H.), recteur de l'Acadéirtie «le
Chartres.
Bonlllet.
BonlIée(A.}
Bourdon (D-'Isid.j, de l'Académie impé-
riale de Médecine.
Bradl (comtesse de).
Breton, de la Gazelle des Tribunaux.
Briffanlt (Eugène).
Brnnet (Gustave) , à Bordeaux.
Barette (Théodose).
Capeflgae.
Castil-Blaze.
Cbampagnac.
Cbampollion-Flgeac.
Gbarbonnier (D^.
Cbasles (Philarète), professeur au Collège
de France.
Cbevaller (Michel), de l'Institut.
Colombat (D^ , de l'Isère.
Coqnerel (Charles).
Corbière (Edouard ) , au Havre.
CoHpin(P.-A).
Ceiu>tets del'Isie (P.).
Cuvier ( Georges ) , de l'Académie des
Sciences.
D'Alembert.
Danjon (F.).
David ( Pierre ), ancien consul général.
David (Jules-A.).
BcJaslanve (D'), médecin de l'hospice
de Bicétre.
Delbarrc.
Démezli.
Denne-Barou.
MM.
Desclozeaax ( Ernest ) , ancien secrétaire
général du ministère de la justice.
Dubois (A.), à Valenciennes.
Dm Bols ( Louis ).
Ducbesoe aine, l'un des conservateurs de
la Bibliothèque impériale.
Dafey fde l'Yonne) .
Dm Mège (Ch.-Alexandre).
Duniersan , l'un des conservateurs de la
Bibliothèque impériale.
Dnpouy (Charles).
Du Bozoir (Charles).
Duval (Georges).
Duval (D'' V.).
Favrot.
Fayot (Frédéric).
Ferry, ancien examinateur à l'École Poly-
technique.
Flilioux (A.l.
Forget (D--), professeur à la Faculté de
Médecine de Strasbourg.
Fessatl (D"").
Foucault (D').
Français de Nantes (comte ).
Gall(Fr.).
Gallois (Napoléon).
Gauberf(Paul).
Gaultier de Claubry.
Gérazez.
Golbéry (Ph. de).
Grellet du Peyrat.
Guizot (F.), de l'Académie Française.
Henneqnln.
Hérean (Edmel.
Hugue ( J.-P. ) , pasteur.
Hululer (D'), chirurg. del'hôp. Beaujon.
Musson (Auguste).
Janin (Jules).
Jaucourt ( chevalier de ).
3ay , de l'Académie Française.
Julla de Fontenelle.
Labat (D-^). l
Lacretelle , de l'Académie Française.
Lain«, anc. généalogiste des ordres du roi.
Laurent (C), ancien chirurgien en chef
de la marine.
Laureutie.
LavigMC (E.).
Leglay (D'), archiviste à Lille.
Lcgoyt (Alfred).
LcHsoine ( Théodore ).
Lcnionnier (Charles).
MM.
Lenoir (Ch". -Alexandre)
L'Espinasse (Fonmartin de).
îiOuvet (L.).
Lnndblad (T. -F. de).
Mac-Carthy (Oscar).
Manno (baron) , de l'Académie des Sciences
de Turin.
Martin (Henri).
Matter.
Merlieux (Ed.).
Mlcbeletjdellnstitat.
iMsiiin , de l'Institut.
Moléon (V. de).
lUouisse (F. de
Nisard (Désiré), de l'Académie Française
Og ( A. ). ^
Ourry.
Paffe(C.-M.).
Pages, de l'Ariége.
Pariset, ancien secrétaire perpétuel de
l'Académie de Médecine.
Passot (F.).
Pantet (Jules).
Pelouze père.
Pevicault (Antoine).
Picbot (Anjédée).
Pilliwuyt (Emmanuel).
Beiffenberg (baron de).
Rœlle ( Hippolyte) , bibliothécaire en chef
de la ville de Paris.
Saint-Prosper.
ftiaint-Prosper jeune.
Salvandy (T.-A de), de l'Académie Frai..
çaise.
Salvei-te (Eusèbe),de l'Institut.
bandeau (Jules) , de l'Acad. Française.
Saucerotte (D').
Savagner (A.).
Say (J.-B. ), de ITnstitut.
Sédillot.
Teyssèdre.
TIssot , de l'Académie Française.
Tellard aîné.
Tournai.
TQurreil (L. de).
Vaucher , de Genève.
Vaudoncourt { le général G. de ;.
Vauibier (L.-L.).
Veuillot (Louis).
Vieiniei, de l'Académie Française.
Vio3lei-Lf<luc.
Virey (J.-J.), de l'Acadéraii; de .Médecine.
Paris. — Tjpogrdphie de Firiiiin Didol fiéreï, fils cl Cie, rue Jacob, 86.
DICTIONNAIRE
DE LA
CONVERSATION
ET DE LA LECTURE
INVENTAIRE RAISONNÉ DES NOTIONS GÉNÉRALES LES PLUS INDISPENSABLES A TOUS
PAR II^E SOCIÉTÉ DE SAVANTS ET DE GENS DE LETTRES
sous LA DIRECTION DE M. W. DUGKEÏT
Seconde édition
ENTIEREMENT REFONDUE
CORRIGÉE , ET AUGMENTÉE DE PLUSIEURS MILLIERS d'aRÏICLES TOUT d'aCTUADITÉ
Celui qui voit tout abrège tout.
MONTESQUIEU.
TOME SEIZIÈME
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PARIS
LIBUAIIIIE DE FIIIMIN DIDOT FRÈKES, FILS ET C'=
IMPRIMEURS DE l'iNSTITUI', RUE JACOB , '66
M DGCC LXVIII
Les lecteurs sont prévenus que tous les mots espacés dans le texte courant (par
exemple : TranssubstanViaiion, Immortalité, César) sont l'objet d'articles
spéciaux dans le Dictionnaire, et constituent dès lors autant de renvois à consulter.
DICTIONNAIRE
DE
LA CONVERSATION
ET DE LA LECTURE.
Hg <g> &-
SAXOPHONE 9 instrument de cuivre , ainsi nonamé
du nom de son inventeur, M. Sax , facteur d'instruments à
Paris. C'est un instrument doux, et non d'une sonorité vio-
lente comme on le croit communément, et qui se joue avec
un bec à anclie simple , comme la clarinette. Le corps du
saxophone est un cône parabolique en cuivre , armé d'un
système de clefs. Ces voix nouvelles données à l'orchestre
possèdent des qualités rares et précieuses. Douces et péné-
trantes dans le haut, pleines et onctueuses dans le grave,
leur médium a quelque chose de profondément expressif.
C'est un timbre stii generis , offrant de vagues analogies
avec les sons du violoncelle , de la clarinette et du cor an-
glais , et revêtu d'une demi-teinte cuivrée, qui lui donne
un accent particulier. Agiles, propres aux mouvements d'une
certaine rapidité presque autant qu'aux cantilènes gracieuses
et aux effets d'harmonie religieux et rêveurs , les saxo-
phones peuvent figurer avec un grand avantage dans tous
les genres de musique , mais surtout dans les morceaux
leais, et doux. Cet instrument se joue avec une grande fa-
cilité, le doigté procédant du doigté de la llùte et de celui
du hautbois. Les clarinettistes, déjà familiarisés avec l'em-
bouchure, se rendent maîtres de son mécanisme en très-peu
de temps.
On doit au même facteur de nouveaux instruments de
cuivre à bocal (à embouchure évasée) avec un mécanisme
de trois , quatre ou cinq cylindres , en usage aujourd'hui
dans la plupart des musiques militaires de France, et aux-
quels leur inventeur adonné les noms de saxhorn , de saxo-
tromba et de saxotuba. Leur son est rond , pur, plein ,
égal, retentissant et d'une homogénéité parfaite dans toute
l'étendue de leur échelle. Les saxhorns suraigus et ceux
dits con^re-?*assesd'/iarmonie sont appelés à prendre place
très-prochainement dans tous les grands orchestres de
symphonie.
SAY (Jean-Baptiste) fut l'un des économistes les
plus renommés, et pendant longtemps le plus populaire, ou
du moins le plus connu de l'école économique moderne.
Né à Lyon, le 5 janvier 1767, il se consacra d'abord à la
carrière commerciale ; mais venu à Paris au début de la
révolution, il l'abandonna pour se vouer à l'étude des
sciences et des lettres. Il fut employé par Mirabeau à la
rédaction de son Courrier de Provence, et devint en-
suite secrétaire de Clavière , alors ministre des finances.
Avec quelques amis, comme lui partisans des réformes
utiles, Champ fort et Ginguené, puis And ri eux et
Amaury Duval , il fonda un recueil périodique consacré
à la propagation des doctrines philosophiques et littéraires
DICT. DE LA CONVEKS. — T. XVI.
alors professées par le plus grand nombre des patriotes
éclairés. La Décade philosophique, politique et littéraire
remplaça avec succès l'ancien Mercure de France. Say
avait beaucoup étudié le système économique de l'Angle-
terre , et surtout l'ouvrage célèbre d'Adam Smith , les Re-
cherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations. A peine le connaissait-on en France, rebutés
qu'étaient les lecteurs par de mauvaises traductions. Say en-
treprit de populariser la doctrine de Smith par une habile
refonte de son livre, et il y réussit. Voilà le service rendu
par Say aux études économiques et son vrai titre à la re-
nommée.Ce titre est assez éminent. Son Traité d'' Économie
politique n'est en effet autre chose qu'une très-bonne mise
en œuvre des recherches de l'économiste anglais. Les faits
et les conséquences de ces faits y sont résumés avec ordre,
avec netteté. L'écrivain français sait les resserrer sans nuire
à la lucidité de son exposition. Son style, toujours clair, ne
manque ni de fermeté ni de la sorte d'élégance que com-
porte le sujet. Il obtint en France et à l'étranger tout le
succès compatible avec le genre de l'ouvrage.
La vie de J.-B. Say, comme celle de presque tous les
hommes livrés à une science ou à un art, est à peu près
tout entière dans les ouvrages où il a professé les doctrine»
qu'il avait adoptées, et dans l'enseignement public de ces
doctrines au Conservatoire des Arts et Métiers. Il y occupa,
avec autant d'honneur que de zèle, la chaire créée pour cet
enseignement. Après la révolution du 18 brumaire an vu,
Say avait été appelé au Tribunal. Persuadé que le pouvoir
avait toujours besoin de conseils libres et même de con-
trcMe, il y avait pris rang parmi ceux de ses collègues qui,
comme Andrieux et Benjamin Constant , croyaient utile
d'exercer sur les lois présentées par le gouvernement con-
sulaire une critique sévère. « On ne s'appuie que sur ce
qui résiste, » disait Andrieux au premier consul ; mot pro-
fond, dont la chute d'une puissance empressée de s'affranchir
de tout contrôle n'attesta que trop la justesse. Say subit
avec ses collègues l'élimination dont fut frappé le Tri-
bunal. Resté depuis cette disgrâce étranger aux fonctions
publiques , il s'honora par l'abstinence de toute vue am-
bitieuse, et n'eut plus d'autre souci que sa science et sa
renommée. Ses principaux ouvrages sont : 1° Traité d'É-
conomie politique , oii simple exposition de la manière
dont se forment, se distribuent et se consomment les ri-
chesses. C'est son meilleur ouvrage. Traduit dans toutes
les langues de l'Europe, l'original a eu cinq éditions de 1803
à 1826. 2* Catéchisme d'Économie politique (1815). La
cinquième édition est aussi de 1826. 3° Lettres à Malthu$
SAY — SCALIGER
sur différents sujets d'économie politique ( Paris, 1820).
4° Et enfin, Cours complet d' Économie politique pratique
(6 vol. in-8° , Paris , 1829). Say mourut à Paris, le 16 no-
vembre 1832. AUBERT DE VlTRY.
SAY ( Horace-Émile ), fils du précédent , né à Noisy-le-
Sec, le 11 mars 1794, s'est fait connaître par de solides ar-
ticles d'économie politique fournis au Journal des Débats,
et par des travaux particuliers sur cette science. Ses
Études sur l'administration de la ville de Paris et du
département de la Seine ( Paris, 1845), lui assignent un
rang distingué parmi les économistes contemporains. An-
cien iiégociant, juge au tribunal de commerce et membre
de la chambre de commerce , il est connu comme l'un des
plus chauds partisans du libre échange. Avant I84S il
s'était à diverses reprises, mais toujours sans succès, mis
sur les rangs pour la députation aux élections du départe-
ment de la Seine. Après la révolution de Février, il échoua
aussi dans sa candidature à l'Assemblée nationale. Il est
depuis longues années membre du conseil municipal de
Paris.
SAYIV - WITTGEIVSTEIIV ( Famille ). L'ancien
comté immédiat do l'Empire, Sayn , situé dans le Wesler-
wald et dépendant du cercle de Westphalie, comprenait
un territoire d'environ 16 myriamètres carrés, et se com-
posait de deux divisions principales, l'une appelée Hachen-
bourg , aujourd'hui dépendance du duché de Nassau , et
l'autre Altenkirchen , qui depuis 1815 fait partie de la pro-
vince rhénane des États prussiens. Ce comté appartenait à
la famille de Sayn, qui en avait pris le nom et dont le cas-
tel originaire , aujourd'hui en ruines et situé près du vil-
lage du même nom, se trouve dans l'arrondissement de
Cobientz. Cette maison s'éteignit dès l'an 1246 dans sa des-
cendance mâle, et le comté passa alors à Adélaïde, sœur
du dernier comte, Henri II, laquelle avait épousé le comte
de Sponheim. En 1264 les deux fils issus de ce mariage
se partagèrent l'héritage paternel et maternel, et formèrent
deux nouvelles lignes. Quand , en 1606, la ligne aînée vint
à s'éteindre, le comté de Sayn fit retour à la ligne cadette,
représentée par le comte Louis V Ancien. A sa mort, arri-
vée en 1607, celui-ci, par son testament, distribua ses
biens entre ses trois fils, qui fondèrent alors les trois lignes
àeSayn- Wittgenstein-Berleburg , de Sayn- Wittgenstein-
Sayn, et de Saijn-Witigenstein-Hohenstein. La première
et la dernière subsistent encore.
SAYON. Voyez Cotte d'Armes.
SBIRRES. On appelait ainsi autrefois en Italie, et sur-
tout dans les États de l'Église, les employés de justice et
de police. Ils étaient organisés militairement, et furent sup-
primés en 1809. Leur chef portait le titre de barigello.
SCAB5EUSE, genre de plantes de la famille des dip-
sacées, de la tétrandrie-monogynie du système s«xuel, qui
croissent naturellement dans les prés secs, les montagnes et
les forêts des parties moyennes de l'Europe et de l'Asie.
Ce sont des plantes herbacées, à feuilles entières, à fleurs
groupées en capitules terminaux , entourés d'un involucre
pplyphylle, et dont le réceptacle est garni de paillettes ; le
tube du calice est adhérent à l'ovaire , et son limbe, al-
longé, se termine par cinq espèces de soies ; la corolle est
épigyne et à quatre ou cinq lobes.
La scabieuse fleur de veuve {scabiosa atropurpurea,
L.), cultivée dans nos jardins, doit son nom spécifique à
la couleur brun-pourpre très-foncé de ses fleurs, qui à la
vérité dans certaines variétés deviennent aussi purpurines,
rose-clair ou panachées. On cultive également la scabieuse
du Caucase, dont les grands capitules sont d'un bleu de
ciel délicat et un peu pâle , et la scabieuse de Crète, dont
les fleurs, presque blanches, se succèdent pendant tout l'été.
Ce nom de scabieuse vient de scabies, gale, à cause des
propriétés que l'on attribuait autrefois à la scabieuse tron-
quée de guérir diverses maladies de la peau. La scabieuse
tronquée {scabiosa succisa, L. ), vulgairement «<ccJ5e,
mors (ou morsure) du diable, doit ces diverses dénomi-
nations à ce que sa souche est brusquement tronquée à son
extrémité inférieure, comme si elle eût été morduf> ou ron-
gée sous terre. Ceux qui lui attribuaient des ve-rlus si ef-
ficaces prétendaient que c'était la suite des morsures faites
par le diable pour détruire une plante si précieuse pour
l'homme.
SCABINl. Voyez Échevins.
SCABIIVS. Voyez Ecclési arques.
SCyïVOLA. Voyez Mucius.
SCALA (Théâtre délia), nom du grand théâtre de
Milan.
SCALA SANTA (La). Voyez Latran (Saint- Jean-de-).
SCALDE dérive du vieux mot islandais sAa/W, qui
signifie poète. On donnait surtout le nom de scaldes aux
poètes qui exerçaient la poésie {skalldskrap) comme une
vocation exigeant une éducation savante, à cause de la cons-
truction du verset surtout à cause de la langue poétique, habi-
tuée à déguiser les choses ordinaires, et aussi riche en allusions
qu'en images. Cette langue poétique, savante, énigmalique,
provenait en partie d'antiques traditions, dont l'emploi est
enseigné dans la seconde Edda par la skalda composée ex-
pressément à cet usage, et passait pour l'une des conditions
essentielles des chants des scaldes. Elle servait d'ornement
aux faits historiques qu'ils célébraient. En effet, célébrer par
des chants les hauts faits des vivants et des ancêtres était le
véritable but de la poésie des scaldes , quoique ce ne fût
pas le seul. Aussi les princes appelaient-ils les scaldes à leur
cour, pour qu'ils célébrassent leurs exploits; et ceux dont
les scaldes cliantaient la gloire les récompensaient magnifi-
quement, parce que c'était à qui se ferait célébrer par les
scaldes les plus habiles. Il ne s'est conservé qu'un très-petit
nombrede chants complets des scaldes; en revanche on en
a une foule de fragments dispersés partie dans la seconde
Edda, partie dans les sagas et partie dans VHeimskrigla
de Snorri- On trouve dans un manuscrit d'Upsal de la se-
conde Edda, qui a été imprimée dans VHistoria literaria
Islandica d'Einarsen , une liste des plus célèbres scaldes
islandais et norvégiens du treizième siècle, sous le nom de
Skaldatal. Les chants relatifs aux traditions religieuses et
héroïques qui sont réunis dans l'Edda proviennent d'une
époque où une classe spéciale de scaldes ne s'était pas en-
core constituée , ainsi qu'il arriva plus fard. On ne cite pas
les noms de ceux par qui ils furent composés. Le contenu
en est mythique , et le style simple , quoique grandiose ;
aussi sous le nom de Chants de l'Edda les distingue-t-on de
ceux qu'on appelle de préférence chants des scaldes, et qui
proviennent de scaldes connus, quoiqu'il faille, à bien dire ,
les considérer comme la source première de ce que plus
tard on finit par appeler la poésie des scaldes.
SCALIGER (Jules-César) l'un des savants les plus
célèbres du commencement du seizième siècle, prétendait
descendre des Scala, princes souverains de Vérone de l'an
1260 à l'an 1367, et racontait avec de grands détaii.s com-
ment, après avoir été page de l'empereur Maximilien, il
avait fait la guerre en Italie et s'était distingué à la bataille
deRavennes, où il avait perdu son père et son frère aîné;
comment il s'était fait cordelier, dans l'espoir de devenir
un jour pape et de recouvrer ainsi sa principauté; comment,
enfin , il avait quitté cet ordre pour exercer la médecine.
Mais les recherches de Scioppius, de Bayle, celles surtout
de Scipion Maffei, dans la Verona illustrata, etdeTira-
boschi, ÙAns V Histoire de la Littérature italienne,onXûé-
truit tout cet échafaudage , et constaté que le père de Sca-
liger était un peintre en miniature de Padoue, qui se nommait
Benoît Bordoni ; que le jeune savant étudia à Padoue sous
Cœlius Rhodiginus; qu'il s'adonna en particulier à la mé-
decine; qu'il fut choisi en qualité de médecin par l'évêque
.\ntoine de La Rovère, qui l'amena avec lui à Agen, en 1 525.
11 épousa, en 1529, Audiette de Roques- Lobejac, âgée de
seize ans, et dont il eut beaucoup d'enfants, et passa àAgen
le reste de ses jours. C'est là qu'il composa les ouvrages
qui le placèrent en peu de temps à la tête des érudits de son
SCALIGER — SCAMMONÉE
3
siècle. Il cultiva la poésie avec quelque succès, et écrivit
en latin avec une clarté et une élégance qui servirent de
modèles à ses contemporains. Il fit sentir aux botanistes la
nécessité de classer les plantes d'après leurs formes et leurs
caractères distinctifs, plutôt que d'après leurs propriétés.
On lui doit des notes sur le Traité des Plantes de Théo-
plirasle, et sur celui qui est attribué à Aristote ; il a traduit
en latin l'Histoire des Animaux de ce dernier auteur, et
le livre des Insomnies d'Hippocrate. Mais les deux ouvra-
ges qui contribuèrent le plus à établir sa réputation furent :
1° le traité De Causis Lingiise Latines, (\a\ est encore estimé
de nos jours; 2° Poetices libri VII , traité rempli d'érudi-
tion, mais qui fait peu d'honneur au goût de Scaliger. En
effet, on y voit qu'il préférait les tragédies de Sénèque à
celles du théâtre grec , les satires de Juvénal à celles d'Ho-
race, qu'il attribuait à Virgile plus d'invention qu'à Homère,
et qu'il ne trouvait rien d'admirable dans les poésies de
Catulle. La renommée de Scaliger attirait à Agen une foule
de gens de lettres de toutes les parties de la France, des
Pays-Bas et de l'Allemagne ; il avait un caractère généreux,
et se montrait aussi libéral que le permettait la médiocrité
de sa fortune ; mais sa vanité était extrême. Il mourut le
21 octobre 1558, âgé de soixante-quinze ans.
SCALIGER (Joseph-Juste), l'un des plus savants phi-
lologues du seizième siècle, était le dixième fils de Jules-
César Scaliger, et naquit à Agen, le 4 août 1540. Il commença
ses études à Bordeaux, puis il les continua sous la direction
de son père, jusqu'à la mort de celui-ci. Il se rendit en-
suite à Paris, où il reçut des leçons de grec du savant
Turnèbe ; mais le zèle du maître ne répondant pas à l'ar-
deur du disciple, celui-ci entreprit et acheva seul en deux
années la lecture des poètes, des orateurs , des historiens et
des auteurs classiques grecs. H appritde même, sans secours
étranger, l'hébreu, l'arabe, le syriaque, le persan et la
plupart des langues de l'Europe, Sa mémoire était prodi-
gieuse et sa pénétration remarquable. En 1562 il embrassa
la religion réformée. L'année suivante, il fut choisi pour ser-
vir d'instituteur aux enfants de Louis de La Rocheposay ,
qui fut plus tard ambassadeur de France à Rome. Grâce à
la générosité de son patron , il put visiter les principaux pays
de l'Europe, et se mettre ainsi en rapport avec les savants
ses contemporains. En 1578 il professait la philosophie à
Genève ; mais il n'y séjourna pas longtemps , et vint se fixer
dans la belle terre de La Rocheposay , à Preuilly , près de
Tours. Ce fut là que , dans un espace de douze années , il
composa la plupart de ses ouvrages, jouissant en paix
de sa renommée. En 1593 il céda aux instances des états
de Hollande, qui le pressaient de venir occuper à Leyde la
chaire devenue vacante par la retraite de Juste Lipse. Rien
n'aurait troublé le bonheur et la gloire de Scaliger, qui était
placé par l'opinion générale sur la même ligne que Juste
Lipse et Casaubon, s'il n'avait pas voulu, dans une lettre
à Jean Donsa . établir l'ancienneté de sa famille et ren-
chérir encore à cet égard sur les vaniteuses prétentions de
son père. Il prêta ainsi le flanc à des attaques, qui l'irritè-
rent d'autant plus qu'elles parurent fondées, en particulier
à celles de Scioppius, qui dans son Scaliger hypobolimœus,
prouve jusqu'à l'évidence la fausseté de cette généalogie,
Scaliger ne put répondre que par des injures, et mourut
bientôt après, d'une hydropisie, en 1609.
Ses travaux sur la chronologie, Opus de Emendatione
Temporum (Paris, 1583), et son Thésaurus Temporum,
complectens Eusebeii Chronicon, etc. (Genève, 1609), le
recommandent particulièrement à la reconnaissance des amis
des lettres. i\ul n'avait encore porté le (lambeau de la cri-
tique dans cette étude si importante ; et s'il a commis des
erreurs, on doit convenir qu'il a fourni lui-même les moyens
de les relever. Comme philologue, il a commenté Varion ,
"Veriius Flaccus, Festus, César, Sénèque, Tertullien, Catulle,
Tibulle, Properce, Perse, Ausone , Manilius, Théocrite,
Nonnus , Hippocrate ; il a traduit en vers latins la Cassan-
dre de Lycophron, YAjax de Sophocle, les épigrammes
d'Agathias, et en vers grecs quelques-unes des épigrammes
de Martial , et les sentences de Publius Syrus. On a recueilli
ses dissertations , ses poésies , ses lettres , et même ses con-
versations. Celles-ci ont donné naissance à deux recueils
intitulés : Scaiigerana prima et Scaligerana secunda,
dans lesquels, parmi une foule de trivialités et de jugements
incomplets ou hasardés , ou rencontre çà et là quelques
observations utiles ou curieuses et quelques renseignements
précieux pour l'histoire httéraire.
Vaucher, de Genève.
SCALPEL(du latin scaZpei/M5,dérivéde5caZ/îo,jegralte,
j'incise) , instrument tranchant, mis en usage par les anato-
mistes pour inciser et isoler les tissus. 11 est composé d'rine
lame, fixée à un manche droit, et qui varie de forme selon
les tissus sur lesquels on veut agir. Il y a des scalpels à
lame droite, à lame convexe, à lame étroite, à un ou à
deux tranchants. Ces diverses espèces de scalpels néces-
saires à l'anatomiste sont ordinairement rangés dans une
boîte, qui contient, en outre, des ciseaux, des érignes, des
pinces, etc. , et qu'on désigne sous le nom de boîte à dis-
section.
SCALPER. C'est pratiquer l'opération à l'aide de la-
quelle les sauvages de l'Amérique septentrionale arrachent
la peau de la tête à leurs ennemis morts ou gravement bles-
sés , afin de conserver cette peau ainsi arrachée, et qu'ils
appellent scalpe, comme témoignage de leur valeur. Pour
ce faire, ils enroulent les cheveux de leur ennemi autour de
leur main gauche , et plaçant un pied sur le cou de la vic-
time , il déchiquètent à l'aide de quelques coups de couteau
la peau ainsi tendue. Il en résulte pour le patient des souf-
frances au delà de toute expression.
SCAMANDRE, aujourd'hui Scamandro ou Men-
dere-su, lleuve de la Troade, fameux dans l'histoire du siège
de Troie et auquel , suivant Homère , les dieux donnaient le
nom de Xantos. « Ses sources , nous apprend encore ce
poêle , sont au nombre de deux : l'une verse des eaux tièdes
d'où s'élève une épaisse fumée ; l'autre , pendant l'été , roule
des flots aussi froids que la neige. Là sont de larges et ma-
gnifiques bassins revêtus de pierres, où les femmes troyennes
allaient laver leurs tuniques pendant la paix, avant l'ar-
rivée des Grecs. » Ces sources, situées à l'est du mont
Ida , subsistent encore , ainsi que l'ont constaté divers voya-
geurs modernes, entre autres l'auteur du Voyage pittores-
que de la Grèce , M. de Choiseul-Gouffier. Le Scaraandre
se dirige vers la mer, dans la direction du sud-ouest : avant
d'y verser le tribut de ses ondes calmes et abondantes au
cap Sigée, il reçoit le torrent Simois. Tandis que le Si-
mois était jadis une divinité redoutée , le Scamandre , bien-
faiteur de la contrée , recevait un culte assidu : il avait ses
fêtes et ses pontifes. Par un usage antique, on lui offrait avec
des chants d'allégresse ce tribut de l'innocence et de-la
jeunesse qui n'appartient qu'à l'amour. F. Gail.
SCAMMOIVEE , suc gommo-résineux, que l'on obtient
par incision de plusieurs racines, et dont on fait usage en
médecine comme d'un bon purgatif. La scammonée la plus
estimée est celle qui provient du liseron scammonée de Sy-
rie , et se recueille particulièrement aux environs d'Alep. Le
commerce apporte ce produit de Smyrnej mais il est
alors mêlé à d'autres substances, et présente des morceaux
plus compactes. La scammonée est légère , tendre, friable ,
d'un gris brun désagréable. Le suc du liseron des haies ,
qui croît dans nos haies vives, se vend sous les noms de
scammonée d'Europe et de scammonée d'Allemagne; celui
du liseron bryone prend dans le commerce les noms de
scammonée d'Amérique : ces deux produits sont faiblement
purgatifs. La scammonée de Montpellier, ou en galettes ,
est le suc concret et noirâtre extrait des racines blanches
ducynanchummonspeliacum (t'oj/e-AscLÉPiADÉEs). C'est
un purgatif énergique et dangereux, que la fraude substitue
trop souvent à la véritable scammonée. Deux espèces de
périploque, le periploca scammona, et le periploca mauri-
tiana, fournissent aussi une sorte de scammonée. Ceil^
1.
SCAMMONÉE — SCANDINAVES
que donnfi le premier de ces arbres est usitée en Egypte.
SCAIVDEP (du latin scandere, monter lentement).
Cest, en termes de poésie ancienne, mesurer un vers, on
compter combien il a de pieds ou de syllabes , en indiquant
dans la prononciation les longues et les brèves, d'où résulte
une espèce de progression harmonique, depuis le premier
pied jusqu'au dernier. Chaque espèce de vers se scande
d'une façon différente, suivant \î nombre et la nature des
pieds dont il <^«l composé.
SCAINlDERBEG. Ce héros de l'Albanie, dont le véri-
table nom était Georges Kastriota, naquit en 1414. Il était le
plus jeune fils de Jean Kastriota, seigneur d'^matie en
Albanie, et de la princesse servienne Woisawa. Quand, en
1423, le sultan Amurath envahit pour la première fois l'Épire,
il n'avait encore que neuf ans, et fut ainsi que ses frères
livré comme otage au sultan, qui l'emmena dans son sérail.
Remarquable par sa beauté physique et par son intelligence,
il fut circoncis et élevé dans l'islamisme. A l'âge de dix-neuf
ans il reçut le commandement d'un sandjak. Ses hauts faits
lui méritèrent le surnom de à' Iskenderbeg , c'est-à-dire de
prince Alexandre. Mais à la mort de son père , arrivée en
1432, le sultan ayant confisqué sa propriété, l'ûme du jeune
homme ne respira plus que la vengeance. Déjà ses trois
frères étaient morts des effets lents du poison , et un sort
pareil lui était réservé. Il s'échappa donc un jour, à l'âge
de vingt-neuf ans, du camp impérial, après avoir contraint
le secrétaire d'État du sultan à lui délivrer un ordre adressé
au commandant de Kroja (aujourd'hui Akhissar) en Al-
banie, et lui enjoignant de reconnaître le porteur comme
.son successeur dans le commandement de cette place. Une
fois muni de l'ordre, il massacra ce secrétaire, puis s'enfuit,
le 10 novembre 1443, dans les montagnes boisées qui avoi-
sinent le Drino. Il y réunit COO fugitifs et montagnards , aux-
quels il ouvrit les portes de Kroja quand il en eut pris le
commandement. La garnison turque fut égorgée pendant
qu'elle était plongée sans défiance dans le sommeil. Il ap-
pela ensuiteses parents et tous les braves Albanais à Kroja,
pour prendre part à la délivrance de leur pays. Les diverses
places fortes lui ouviirent leurs portes l'une après l'auke
sans résistance ; et au bout de trente jours il se trouvait
maître de toute l'Albanie. Il convoqua alors à Lissus [Aile-
sio, à l'embouchure du Drino) les princes d'Albanie les plus
voisins. Il le reconnurent pour leur chef, et consentirent
à lui payer tribut. Puis, à la tète de 7,000 cavaliers et de
8,000 hommes de pied, il marcha à la rencontre d'une armée
de 40,000 Turcs aux ordres d'Ali-Pacha, et la mit complète-
ment en déroute. Trois autres pachas envoyés contre lui
essuyèrent de semblables défaites. Enfin , au mois de mai
1449, Amurath vint l'attaquer en personne , à la tête d'une
armée de 100,000 hommes, mais ne fut pas plus heureux.
L'année d'après, Amurath vint encore mettre le siège de-
vant Kroja ; mais Scanderbeg le força à le lever. Après la
mort d'Ainurath, Scanderbeg, quoique battu à diverses re-
prises et affaibli par la défection de quelques-uns de ses ca-
pitaines, se maintint en possession de l'Albanie, malgré les
armées de Mahomet II, qui dut finir par lui abandonner ce
pays, aux termes d'un traité de paix conclu en 1461. Trois
ans p'.us tard, quand le pape Pie II prêcha une nouvelle
croisade, Scanderbeg, cédant aux suggestions des envoyés
de Venise et aux exhortations du pape, rompit le traité, et
battit successivement deux des généraux les plus distingués
du sultan. Enfin, Mahomet II envahit lui-môme l'Albanie
avec une armée de 100,000 hommes; mais il échoua dans
tous ses efforts contre Kroja. Battu à diverses reprises par
Scanderbeg , il dut évacuer le pays. Scanderbeg mourut
peu de temps après, en li66 , à Alisso , et y fut enterré. Il
laissait un fils mineur, Jean, qu'il recommanda à la protection
de la république de Venise. La guerre dura encore douze
années; les Turcs s'emparèrent de Kroja: et tout le pays,
après avoir été horriblement dévasté, se so;imit à la Porte.
Barlesio, son compatriote et son contemporain, a écrit l'his-
toire de Scanderbeg (Rome, 1537). Il dit qu'il était d"une
sobriété et d'une pureté de mieurs exemplaires ; que , rigide
observateur de ses devoirs religieux , il ne donna jamais dans
sa vie publique et privée que de salutaires exemples.
SCAA'DLROUiV. Foye- Alexandrette.
se AXDL\ A VE ( Mythologie). Voyez ^onn (Mytholo-
gie du).
SCA1VDI\AVES( Langue et Littérature). Vàr lan-
gues Scandinaves on désigne les langues parlées dans la
presqu'île Scandinave et dans les pays et les Iles qui en dé-
pendent : les langues danoise , suédoise, norvégienne et is-
landaise. Très-proches parentes entre elles et de même
origine, elles le sont aussi avec la langue allemande, avec
laquelle, de même qu'avec la langue depuis longtemps
éteinte des Goths, elles constituent la grande famille des
langues germaniques. En raison de la situation géogra-
phique des peuples qui les parlaient, on peut dire que les
langues allemandes sont les langues germaniques du sud,
et les langues Scandinaves les langues germaniques du nord.
Chez tous ces peuples il faut nécessairement supposer
l'existence d'une langue primitive, de laquelle sont prove-
nues les langues particulières. On croyait autrefois trouver
cette langue primitive Scandinave dans la langue des
Edd^s et des Sagas; et en conséquence, dans la sup-
position que la même langue avait autrefois été répandue
dans tout le nord Scandinave, on l'appelait Vancien scan'
dinave. A cet effet, on s'appuyait en partie sur la facilité
avec laquelle les formes des langues suédoise et danoise
peuvent être dérivées de cette langue, et en partie sur cer-
tains témoignages d'écrivains islandais du treizième siècle,
d'après lesquels la Scandinavie aurait été peuplée par un
certain peupledes Ases venu duSud,sousla conduite d'Odin,
qui lui aurait donné sa langue. A la place de cette donnée,
qui a été démontrée insoutenable , on en a accepté mainte-
nant une autre. Il ressort en effet des plus récentes inves-
tigations que dans leur ancienne patrie , qu'ils habitaient
après s'être séparés déjà depuis longtemps au nord de la
Russie de leurs frères les Germains du sud, les Germains du
nord s'étaient déjà divisés en deux hordes , dont l'une , se
dirigeant par mer à l'ouest, s'était rendue, en traversant les
îles d'Aland, en Suède, où elle s'était d'abord fixée, aux en-
virons du lac Mœlar, puis de là s'était répandue au sud , à
l'est et à l'ouest, dans les plaines de la côte orientale; tandis
que l'autre, au contraire, se dirigeant partie par mer et partie
par terre, du golfe de Bothnie au nord-ouest et sur les côtes
de la mer Glaciale, avait gagné le nord de la Norvège, par
la Finlande et la Laponie, et s'était établie d'abord dans la
contrée appelée aujourd'hui Ilelgeland, d'où elle se ré-
pandit ensuite au sud, tandis que la partie méridionale de
la Norvège recevait également sa population du sud-est
par les Gaules, autre tribu d'origine germanique. On com-
prend dès lors comment la langue , d'abord commune , des
Germains du nord , quand ceux-ci se furent divisés et eu-
rent longtemps vécu dans leur nouvelle patrie, séparés
les uns des autres par de vastes étendues de forêts impéné-
trables, dut prendre un caractère différent sur un sol si
différent, ici dans les plaines du pays plat de la Suède, là
dans les vallées et \es fjords du plateau de la Norvège. Et
en elfet, si loin qu'on puisse remonter à l'aide des monu-
ments qu'on possède, il est impossible d'aller au delà de
l'existence d'une double langue Scandinave, une à l'est et
l'autre à l'ouest. Leur différence, qui à l'origine devait être
minime et pouvait même ne consister que dans l'accent, ne
saurait être que faiblement indiquée dans les plus anciens
monuments de la langue Scandinave que nous possédons, les
quels remontent au dixième siècle, c'est-à-dire dans les
inscriptions runiques {voyez Runes ), en raison des moyens
très-bornés que nous avons d'en déterminer la valeur
vocale. En revanche, pour ce qui est du trésor de mots
comme pour ce qui est des analogies vocales, c'est un fait
bien caractéristique comment à la longue les deux langues
se sont de plus en plus séparées , et comment le Scandinave
de l'ouest est devenu la langue norvégienne, et le scandi-
SCANDINAVES
nave de l'est les langues suédoise et danoise. Sans parler
(le la différence de certaines expressions, les plus anciens
débris de la littérature, de même que les noms de personnes
et de lieux qui sont parvenus jusqu'à nous , font voir que
les diphtliongues caractérisent l'ancien norvégien , et sont
remplacées par des voyelles longues dans Tancien suédois ,
qui se rapproche peut-être davantage de la langue primitive
{voyez Suédoise [Langue]). La langue danoise, dont l'ancien
état n'est attesté par aucun monument écrit et est dès
lors aussi énigmatique que celui du peuple qui la parlait ,
paraît être provenue d'une base gothique, profondément mo-
difiée sous l'influence diverse et persistante des dialectes
Scandinaves de l'est. Tandis donc que les langues suédoise
et danoise arrivaient à prendre une forme répondant aux
conditions physiques et politiques où se trouvaient les peuples
qui les parlaient, il en fut tout autrement du norvégien.
C'est de cette langue seule et de sa littérature qu'il sera ici
question.
Lorsque vers la fin du neuvième siècle (à partir de l'an 874)
l'Islande fut peuplée par des émigrés venus de Norvège,
la langue de la mère patrie, sa foi religieuse et ses mœurs
s'y firent une patrie nouvelle. Son perfectionnement , fruit
de la culture soignée de la poésie et du récit, s'y continua
favorisé encore par les conditions physiques de l'île et par
sa constitution politique, qui fit surgir une nouvelle épo-
que de formation des fréquentes discussions auxquelles
donnait lieu l'état de république où se trouvait le pays.
Quand l'introduction du christianisme en Islande (an 1000)
y fitconnaître la langue latine, celle-ci donna bien son écri-
ture à la langue nationale, qui jusque alors en avait été dé-
pourvue; mais elle ne put point exercer une influence per-
turbatrice sur celte langue, à laquelle une riche poésie et
les sagas avaient déjà imprimé un caractère dislinctif, ni
même en restreindre l'usage, comme il arriva ailleurs. Les
choses ne se passèrent point ainsi en Norvège. Là, livrée
déjà par la situation géographique môme du pays, à diverses
influences de nature à la transformer, la langue fut entravée
dans sou développement littéraire, puis dépossédée, comme
langue écrite, lorsque le pays se trouva réuni au Danemark,
à partir de la fin du quatorzième siècle, en même temps que
la langue danoise était introduite dans l'Église, la politique
et la littérature. Elle ne s'y est donc conservée, sans perdre
toutefois son caractère original pour ce qui est de son
trésor de mots et de sa prononciation, que dans de nom-
breux dialectes étrangers à la langue des villes, chez les ha-
bitants des vallées et des fjords. Elle éprouva le même sort
dans les contrées où elle avait été introduite, soit par des
Normands, soit par des Islandais. Tandis qu'elle a complè-
tement disparu des côtes septentrionales de la France et
des îles Britanniques, de même que du Groenland, elle ne
s'est conservée qu'aux îles Faroë, dans un dialecte parti-
culier. Elle n'en trouva qu'un asile plus sûr en Islande.
Elle nous y présente le phénomène d'une langue dont les
monuments écrits remontent jusqu'au onzième siècle, et qui
se parle et s'écrit encore aujourd'hui à peu près de môme
qu'à cette époque; phénomène suffisamment expliqué par
une littérature qui jamais ne subit d'interruption dans sa
culture, de même que par la position isolée de cette île,
perdue tout au fond du Nord. L'Islandais de nos jours lit
facilemeiil les sagas des époques les plus reculées, et il écrit
dans leur langue pour l'homme vulgaire comme pour l'homme
instruit.
En ce qui est du nom môme de cette langue , les anciens
la nommaient les uns dœnsh tunga (langue danoise), les
autres norrœna tunga (langue norvégienne). La première
de ces dénominations, autrefois la plus répandue, mais
non indigène, est empruntée à l'expression des pays du sud :
danica lingua, et appartient à l'époque de la suprématie
politique du Danemark, alors que sa langue, comme la plus
connue, paraissait commune à tout le nord Scandinave.
La dénomination de langue islandaise, trop restreinte
your le moyen âge, convient tout aussi peu que celle, beau-
coup plus large, a'ancleii Scandinave; la seule qui nous pa-
raisse rationnelle, c'est celle d'ancien norvégien-islandais .
L'ancienne langue norvégienne-islandaise produit la même
impression générale que celle que peut produire sur l'étran-
ger l'aspect des côtes déchirées et escarpées de la Norvège.
L'accent en est dur et rude, la construction roide et gênée;
son style est un style lapidaire particulier. Son système de
prononciation, celui des voyelle^, enrichi par diverses com-
binaisons des sons simples et par le remplacement tout
particulier de l'a par l'« (exemple : saga au singulier,
sœgur au pluriel), celui des consonnes augmenté d'un rf
et d'un t aspirés , qui la mettent sur la même ligne que la
langue des Golhs et celle des Anglo-Saxons ; enfin, sa flexi-
bilité, qui la fait ressembler à la richesse de formes des an-
ciennes langues classiques ; tout cela lui donne un carac-
tère de régularité et de rigoureuse conséquence qui n'a
pas son pareil dans les autres langues germaniques. Sa
composition de phrases est des plus simples en prose, et
dans la poésie des scaldes au contraire elle subit les déplace-
ments de mots les plus arbitraires.
La grammaire de l'ancienne langue norvégienne-islan-
daise, devenue de bonne heure l'objet de savantes études,
ainsi qu'en témoignent quatre traités de grammaire du troi-
sième siècle ajoutés à la seconde Edda , a été pour la pre-
mière fois scientifiquement exposée par Ra?k, qui a ouvert la
voie aux travaux de J. Grimm, et tout récemment à ceux de
Munch et d'autres Norvégiens. Après hLexicon Islandico-
Lati7io-Damciim de Bjorn Ilaldorsen ( Copenhague, 1814)
est venu l'ouvrage de Hoimboe, Dei Norslce Sprogs vee-
sentligste Ordforaad ,fttc. (Vienne, 1832), où l'on trouve
un parallèle des mots de l'ancien norvégien avec les mots
corespondants des langues indo-germaniques. On annonce
comme prochaine la publication d'un Dictionnaire de la
langue poétique par Sveinbjœrn Egilsson, mort en 1853. Ivar
Aasen a traité des divers dialectes norvégiens dans une
grammaire ( Christiania, 1848 ) et dans un Dictionnaire
(Christiania, 1850).
De môme que la langue dans laquelle elle est composée,
la littérature appartient exclusivement aux Norvégiens et aux
Islandais, et la dénomination d'ancienne littérature Scan-
dinave , puisque les Suédois et les Danois n'y ont aucune
part, se justifie tout aussi peu que celle de littérature is-
landaise, du moins pourl'époqne antérieure au quatorzième
siècle. Si la part de la Norvège à ce qui reste de cette litté-
rature est beaucoup moins considérable que celle de l'Is-
lande, la situation géographique de la Norvège et son his-
toire, si on les compare à celles de l'Islande, permettent de
conclure qu'on a fait en cela des pertes bien importantes ,
et que tous les ouvrages poétiques qui ne nous sont connu»
que par la tradition islandaise sont d'origine norvégienne.
Dès le huitième siècle il s'y était développé une riche littéra-
ture ayant pour base les dieux et les héros. Dès leneuvièoM
siècle l'art des scaldes y était parvenu à un haut degré de
perfection lorsqu'on découvrit, à la fin de ce même siècle, l'Is-
lande.où on le transporta. L'ancienne liltéralure norvégienne
islandaise comprend une période d'environ trois cent cin-
quante ans , limitée d'une part par l'introduction de l'écriture
latine et son application à la langue indigène , dans la se-
conde moitié du onzième siècle, et de l'autre par la perte de
la liberté politique de l'Islande , vers la fin du quatorzième
siècle, et la diminution de l'activité littéraire, qui en fut peu
à peu la suite. Toutefois , comme elle ne fut jamais complè-
tement interrompue en Islande , la poésie et les Sagas vont
fort au delà de ce début. Ce qui semble constituer le ca-
ractère bien distinctif de l'ancienne littérature norvégienne-
islandaise, c'est que là aussi comme ailleurs la poésie na-
quit avant l'écriture et se conserva fidèlement pendant des
siècles jusqu'à ce qu'on eut inventé l'art de la fixer ; que
la composition en prose précéda l'écriture; qu'elle ne fut
pas créée après elle et par son moyen , et qu'elle ne fut
transmise à l'écriture que par la voie du récit oral {voyez
Saga),
SCANDINAVES
La littérature poétique, dont li p'ius grande partie
n'existe qu'en fragments, présente un vif contraste, rarement
sauvé et adouci , entre la simplicité antique et la rcciierclie
postérieure de la poésie ; la première, représentée parles
poèmes de l'ancienne Edda, et la seconde, par les poèmes
des scaldes. Ceux-là, qui à beaucoup d'égards sont pour
nous les plus importants monuments de la poésie du Nord ,
et qui nous font si bien comprendre tout ce qu'il y avait de
sévère inspiration , de puissante énergie et de grandeur
hardie dans les anciens temps du paganisme, appartiennent
à l'époque nationale. Ce sont les chants ( Hljod , Quida) de
la tradition des dieux et des héros, et ils peuvent en toute
assurance être assignés au liuitième siècle, dans la forme où
ils ont été recueillis, à ce qu'on prétend, par Saemund dans
l'ancienne Edda. A la tradition des dieux se rapportent les
prophéties relatives au sort de l'univers et des dieux con-
tenues dans la Vœluspa et dans VHyndluliod , les chants
relatifs aux luttes de Tlior avec les géants dans VHyms-
quîda,\A Thnjmsquida et VHarbardsliod,\A Vegtams-
quida (le cliant du voyageur, Odin, sur la destinée de
Balder ) et la Hra/nagaldr Odin's ( le cri du corbeau d'O-
din sur la mort de Balder). A la tradition héroïque appar-
tiennent le poëme de Yœlund (Wieland le forgeron), et les
poèmes provenant des traditions des Nibehmgen, ceux de
Sigurd, de Brynhild et de Gudrun, auxquels on en ajouta
encore un autre au onzième siècle, la lamentation d'Oddrun,
et les poèmes un peu postérieurs du frère d'Atli Brynhild
(Atlamal et Atlaquida), dits grœnlandais, du lieu où ils
furent composés , au sud de la Norvège. Lorsque le poëme
épique populaire, auquel on peut encore rattacher, à cause
de sa simplicité, le Biarkamal du neuvième siècle, se perdit
peu à peu, la poésie savante des scaldes se forma, dans le
courant du neuvième siècle, et emprunta encore, mais rare-
ment, ses sujets à la mythologie (comme en témoignent les
fragments de chants des scaldes du neuvième et du dixième
siècle contenus dans la seconde Edda de Snoni, le Haus-
tlceng et le Thorsdrapa, poème en l'honneur de Thor),
mais dont le vcnitable objet fui le poème historique, surtout
l'hymne de louange ( Drapa), pour le riche développement
duquel le poète eut aussi recours à la mythologie. On
nomme comme le plus ancien des scaldes Brage, qui au-
rait déjà vécu avant l'époque de Harald aux beaux cheveux ;
cependant, la drapa de Ragnar Lodbrok, qu'on lui attribue
généralement, est d'une éi)oque postérieure. Mais à la cour de
Harald vivait, dans la dernière partie du neuvième siècle,
Thiodolf de Hvin , qui transforma les dieux en rois. A la
même époque les récits de batailles de Thorbiœrn Horn-
klofi étaient en grande réputation. Le dixième siècle est à
bien dire la belle époque de la poésie des scaldes en Norvège
«t en Islande. Deux de leurs principaux ouvrages, écrits en-
core dans l'ancienne mesure de vers, Y Eïriksmat, composé
par un Norvégien inconnu sur l'arrivée dans le VValhalla du
roi Erick à la hache sanglante, qui mourut en l'an 952, et
VHakonarmal, poëme sur la chute d'Hakon le bon (mort
en 963), composé par le Norvégien Eyvind, surnommé
Skaldaspillr ( le destructeur des skaldes) à cause de la puis-
sance de son œuvre , datent de ce temps-là. A cette époque
vivait aussi l'Islandais Einar Skalagmann , à qui le jarl
Hakon (978-996), le même qui fit assassine! un autre scalde,
appelé Thorluf, à cause de sa satire Jarlsnid , fit don d'un
bouclier d'or pour récompenser son hymne de louanges
Vellekla; et Égill Skalagrimsson , qui se fit une immense
réputation en Islande , et dont on a trois grands poèmes :
Hcrfudlazisn, en considération duquel Erick à la hache
sanglante lui fit grâce de la vie , en 938 , et les deux poèmes
funèbres sur la mort de son fils (le Sonar torrek [perte de
fils]) et de son ami Arinbiœrn, Arinbiœrnadrapa. On at-
tribue aussi à Égill l'usage de parcourir les cours étrangères
et d'y séjourner, qui s'établit parmi les skaldes islandais ,
dont beaucoup sont nommés. Dès le onzième siècle, auquel
appartient le Krakumal , dont Ragnar Lodbrok est le sujet,
,1a poésie des scaldes ne dégénère pas seulement pour ce ((ui
est de la foiiïie , mais encore pour ce qui est des sujets. En
raison de l'exactitude et de la multiplicité de détails qu'on
exige maintenant , l'hymne de louange se rapproche de plus
en plus du récit en prose. Toutefois, la poésie des scaldes
ne garda complètement le silence qu'à partir de la seconde
moitié du treizième siècle, lorsqu'à l'avéneraent de Hakon VI
les scaldes cessèrent d'être protégés et favorisés comme
poètes de cour. La poésie gnomique, le proverbe, apparaît
aussi à côté du poëme épique dans la première époque de
la poésie Scandinave; tels sont le Havamal (Discours du
Haut, c'est-à-dire d'Odin), le Fafnirsmal contenu dans le
second chant de Sigurd , le Rigsmal , sur l'origiue des
classes sociales , et les sentences magiques des chants ru-
niques; de même que la Sagesse en énigmes (Getspeki)
d'Heidrek est beaucoup plus ancienne que ÏHervarasaga ,
qui la contient. C'est de l'imitation des anciens que provien-
nent les deux poèmes du onzième et du douzième siècle
intitulés Grougaldr et Solarljod, et qui contiennent des
règles de vie , le premier au point de vue païen , le second au
point de vue chrétien. Au quatorzième siècle naquit aussi
en Islande une poésie ecclésiastique et chrétienne, consis-
tant en hymnes et imitations d'histoires bibliques et de lé-
gendes de saints. L'hymne en l'honneur de la Trinité et de
la Vierge Marie intitulé Lilium , composé vers le milieu de
ce siècle en cent strophes par Eystein Algrimson, était sur-
tout célèbre. Il est probable que le chant populaire propre-
ment dit existait déjà longtemps auparavant, et on en trouve
des traces avant le treizième siècle même; mais il semble
n'avoir pris de plus larges développements que plus tard ,
après le déclin de la poésie d'art. Dans le grand nombre de
rimur islandais qui existent encore, il en est peu qui re-
montent au-delà du quinzième siècle; et les beaux Kiœm-
peviser danois, quoique répandus déjà au quatorzième siècle,
ne datent, dans la forme sous laquelle nous les possédons
aujourd'hui, que du quinzième et du seizième siècle; il
en est de même des chants populaires suédois et norvégiens
encore existants dans la bouche du peuple. Ces derniers ont
été pour la première fois recueillis par Landstad ( Norske
Folkevieser, Christiania, 1853). Les chants qui se sont con-
servés aux îles Faroë dans un dialecte islandais particulier,
et qui , recueillis d'abord par Lyngby ( Fxrœiske Quseder,
Randers, 1822), l'ont encore été par Hammershaimb {Sjur-
dar Kvaedi, Copenhague, 1351), appartiennent à la même
catégorie.
La prose date en Islande du commencement du douzième
siècle, époque où Ari , dit le Sage, écrivit d'abord briève-
ment l'histoire de son île et de ses populations successives
dans Y Islendigabok , puis d'une manière plus étendue dans
le Landnamabok , terminé dans la seconde moitié du
treizième siècle par Sturla Thordsson , l'auteur de l'excel-
lente Sturlungasaga. A ces premiers essais succédèrent au
treizième, au quatorzième et au quinzième siècle un grand
nombre de récits en prose traitant de l'ancienne tradition
héroïque , ou bien des hauts faits des rois et autres hommes
illustres, ou encore des familles célèbres, et désignés tous
par le mot septentrional saga, au pluriel sœgur. Ce» sœgur,
qui constituent une des parties les plus précieuses de' l'an-
cienne littérature norvégienne-islandaise , aussi bien sous le
rapport de la forme que sous celui du récit même , les plus
anciennes surtout, font partie avec les chants des scaldes des
sources auxquelles Snorri Sturluson puisa, dans la première
moitié du treizième siècle, les matériaux de son histoire du
Nord, sous le titre de Heimskringla. Indépendamment des
traditions indigènes , la littérature islandaise s'enrichit aussi,
au moyen de traductions, vers la fin du treizième siècle
surtout, d'un grand nombre de légendes du midi de l'Europe ;
telles que celles d'Arthur, de Merlin, de Tristan, d'Alexandre,
de Charles et des sept Maîtres sages , auxquelles dans le
quatorzième siècle et plus tard encore des ecclésiastiques
ajoutèrent des chroniques bibliques et historiques, ainsi
que des récits en forme de légendes. L'érudition puisée à
l'étranger occupait alors un grand nombre d'Islandais ; mais
SCANDINAVES — SCANDINAVIE
fls traitèrent théoriquement aussi la langue et la poésie in-
digènes. Sous ce rapport il faut citer toute la Nouvelle Edda ,
attribuée à Snorri Sturiuson , qui , dans une seconde partie,
intitulée Skalda, contient un assemblage de descriptions,
de dénominations et de synonymes poétiques, ainsi qu'une
prosodie , et à laquelle on ajouta plus tard une troisième
partie , contenant des dissertations sur la grammaire et la
rhétorique. Enfin, il faut encore mentionner la collection de
notices relatives à l'histoire naturelle et à la géographie, et
de règles pour la vie à la cour et pour le roi lui-même , in-
titulée Konungsskuggssaia {^ïnoxï du Roi), datant vrai-
semblablement du douzième siècle , et publiée d'abord par
Halfdan Einarson (Soroë, 1708), puis par Keyser, Muncii
et Unger (Christiania, 1848).
Le plus ancien code islandais est celui auquel on donna
plus tard le titre de Gragas , peut-être pour le distinguer
comme droit ancien des lois postérieures des rois. Il fut coni-
posé à la demande du légiste Eergthor, et tiré de l'ancien
droit, puis approuvé, vers l'an 1118, par VAlUing ( puoho
par Sveinbiœrnsen, avec une introduction par Schlege! , Co-
penhague, 1829; nouvelle édition , parFinsen, 1850). L'é-
vêque Thorlak réunit en 1123 le droit canon chrétien, Kris-
^«nre^fr (publié par Thorkelin, Copenhague, 1755). Après
la conquête de l'Islande, on appliqua d'abord le code rédigé
par le roi Hakon le Vieux, et appelé par le peuple larnsida
(côte de fer ), à cause de son extrême sévérité, puis, .sous
le roi Magnus, en 1281, une refonte de ce code, appelée
lonsbok, du nom de son auteur. Ion (Copenhague, 1763 ),
ainsi qu'un nouveau Kristinrettr (publié par Thorkelin,
Copenliague, \ni). Stephenson et Sigurdson ont entrepris
la publication d'une collection des lois islandaises encore en
vigueur aujourd'hui ( Lagasofn handa Islandi ; Copen-
hague, 1853). En Norvège le roi Magnus Lagbœtir (qui
améliora les lois) recueillit, en 12C7, dans son Gulathings-
lœg (Copenhague, 1817), l'ancien droit, dont la plus an-
cienne loi provient d'Hakon le Bon, qui régnait au dixième
siècle; il réunit aussi dans son Hlrdskra des préceptes sur
les rapports des hommes de cour avec le roi. Toutes les an-
ciennes lois de Norvège ont été réunies dans une édition cri-
tique ( A'oj'jes garnie Love; 3 vol., Christiania, 1843-1846).
L'étude de l'ancienne littérature norvégienne-islandaise
fut d'abord cultivée par les Islandais du dix-septième siècle,
qui bientôt trouvèrent des collaborateurs pleins de mérite et
de zèle parmi les Danois et ensuite parmi les Suédois. Toute-
fois, dès le commencement du siècle dernier on commença à
s'occuper beaucoup moins en Suède de l'ancienne littérature
nationale. En Danemark , au contraire, on n'a pas cessé jus-
qu'à ce jour de consacrer une extrême activité à ces sortes
de travaux ; et il nous suftira de citer ici les Danois Worm,
Resenius, Bartholin, Rask, Muller, Thorlacius, Werlauff,
Rafn , ainsi que les Islandais Ame, Magnacus, TorCeeus,
Olavsen, Finn Magnussen, Egilson, Sigurdson, etc., dont
les recherches ont jeté les plus vives lumières sur ce sujet.
Il faut aussi reconnaître les services rendus sous ce rapport
par la Société d'Archéologie du Nord, fondée en 1826, à Co-
penhague, et par le Nordiske LUteratur Samfiind (1817).
Depuis une quinzaine d'années on s'est mis aussi en Norvège
à s'occuper avec ardeur de l'antique littérature nationale ;
étude à laquelle les travaux de Keyser, de Munch , d'Unger
et de Lange ont rendu des services essentiels.
SCANDINAVIE , presqu'île du nord de l'Europe,
confinant au nord-ouest à la Russie, sur une étendue
d'environ 50 myriamètres, située, du 22° SO' au 40'' de
longitude orientale, et du 55° 20' au 71° 10' de latitude
septentrionale, entre la mer Glaciale, l'océan Atlantique,
la mer du Nord , le Skager-Rack , le Cattegat et le Snnd
au nord et à l'ouest d'une part, et le golfe de Bothnie
et la Baltique à l'est et au sud de l'autre, et s'éten-
dant sur une longueur d'environ 190 myriamètres et une
largeur variant entre 35 et 70. Elle comprend les deux
royaumes de Norvège et de Suède, et présente une .su-
perficie d'environ 9,800 myr., et avec la partie dépendant
aujourd'hui de la Russie , de 1,120 myr. carrés. La configu-
ration de son sol est surtout déterminée par les montagnes
qui la traversent; configuration qui, à l'ouest, par conséquent,
surtout en Norvège , en fait tout à fait un pays de monta-
gnes , tandis que sa moitié orientale , c'est-à-dire la Suède,
appartient en grande partie à la catégorie des pays de
vallées.
Les montagnes de la Scandinavie , sans relation avec
aucun autre système de l'Europe, s'étendent depuis Waran-
gerfjord, au nord-est, jusqu'au cap Lindesnaes, au sud-ouest,
ou du 71" au 53" de long, sept., sur une longueur d'envi-
ron 170 myriamètres et une largeur moyenne de 28 myr.
de l'est à Touest, en couvrant une superficie de 500 à 600
myriam. carrés , par conséquent plus de la moitié de la pres-
qu'île. Elles sont beaucoup plus uniformes , et présentent
bien moins de ramifications que les montagnes de l'Europe
centrale , et , au lieu de former des chaînes , ne constituent
qu'un massif dont les crêtes ne sont nulle part vivement
découpées, mais dont le sommet se compose généralement
de hautes plaines onduleuses [Fjelden), qui, plus étroites
au nord , arrivent vers le sud à présenter une largeur de 6
à 8 myriamètres, et au-dessus desquelles quelques pics
.s'élèvent de loin en loin et fort irrégulièrement. On dis-
tingue dans les montagnes de la Scandinavie quatre
masses principales : les montagnes de la Laponie , au
nord, s'étendant depuis le Wa ranger fjord jusqu^au 67° de
long, septentr., avec une hauteur moyenne de 350 à 700
mètres; les Kjœlen, jusqu'au 67° longit. nord, avec une
hauteur moyenne de 500 à 850 mètres ; le Dovrefjeld
(ce que nous appelons les Do/rines), s'étendant jusqu'au
cap Stattnœs et à la source du Lougen , d'une hauteur
moyenne de 850 à 1,180 mètres, enfin, les Fjelden du sud,
qui occupent l'extrémité sud-ouest de la péninsule, s'éten-
dent entre le Stavangerfjord et le Skager-Rack, et qui au
Hardangerfjeld, au Lemgefjeld et au Sognefjeld attei-
gnent une élévation moyenne de 1,300 à 1,800 mètres,
mais qui au sud , au Jœgle/jeld, et au Byke/jeld, s'abais-
sent de 1,000 jusqu'à âOO mètres. On voit par là que la
hauteur du massif va en s'élevant du nord au sud , puis
diminue brusquement au sud. Les mêmes rapports existent
pour l'élévation des pics qui dans les montagnes de La-
ponie atteignent 1,000 mètres d'altitude , dans les Kjœlen
1,940 mètres, dans le Dovre/jeld, à SnehasCten, 2,366 mè-
tres et dans le Hardangerfjeld, au Skagestœllinde, 2,550
mètres. Le massif augmente de largeur du nord au sud
dans les mêmes rapports que pour l'altitude ; de telle
sorte que sa plus grande largeur est de l'ouest à l'est, où il
a aussi sa plus grande élévation. Quoique les montagne»
de la Scandinavie n'atteignent même pas l'élévation des
monts Karpathes , en raison de leur situation polaire elles
ont tout à fait le caractère et la nature d'un plateau , avec
une foule de glaciers et de champs de neige incommensu-
rables, surpassant encore les Alpes pour ce qui est de la ru-
desse sauvage des formes. Un trait particulier à ces mon-
tagnes, c'est la forme diverse des versants qu'elles affectent
de l'ouest à l'est, où elles atteignent leur point extrême
d'altitude. En effet , tandis qu'à l'est elles .s'élèvent par
pentes insensibles jusqu'à leur crête , leur versant occiden-
tal, toujours escarpé, s'abaisse abruptement vers la mer,
avec des parois perpendiculaires qui ont souvent plusde 600
mètres de hauteur, et se continue dans la mer par une
multitude d'îles rocheuses , qu'on prendrait pour des ruines
détachées du continent, et parmi lesquelles les sauvages
Lof /ode n forment dans la mer Glaciale un groupe d'îles
considérables. La différence de formation des vallées cor-
respond des deux côtés à cette diversité des versants. Tan-
dis que sur le versant oriental et méridional le massif se
divise en de nombreuses vallées parallèles, arrosées par des
cours d'eau et courant dans la direction du sud au sud-est,
on n'en rencontre que très-peu sur le versant occidental ;
et encore sont-elles de minime importance. Elles y sont
remplacées par les nombreux fjords, golfes étroits, entouré*
e
SCANDINAVIE
de parois de rochers à pic, pénétrant profondément, quel-
quefois jusqu'à 7 et même 10 myriamètres, dans l'intérievjr
du massif; d'où résultent des moyens de communication
avec des localités qui sans cela seraient presque inabordables
et par suite inhabitables. Les lacs intérieurs correspondent
jusqu'à un certain point à ces fjords, qui forment comme une
ceinture du côté de l'est, au pied du massif. Presque tous
sont des bassins longs et étroits, où se répandent les (leuvea
descendant du massif, et tous sont situés à une hauteur
de 200 à 350 mètres dans la zone des premières mon-
tagnes qui , à l'est du plateau Scandinave , s'étendent avec
une largeur de 7 à 14 myriamètres et une élévation de 250
à 350 mètres et servent de transition aux terres basses
proprement dites. Celles-ci , qui forment le côté oriental de
la péninsule et s'élargissent du sud au nord relativement
aux hautes terres dans la proportion directement opposée
à celle où ces hautes terres vont toujours en se rétrécis-
sant, occupent une surface de 4,000 à 4,500 myr. carrés.
Quoiqu'on puisse les nommer terres basses relativement
aux hautes terres, elles ne se composent nulle part de ter-
rain d'alluvion; au contraire, un roc solide (orme partout
la base des plaines comme des montagnes ; et s'il parait ici
nu et désolé , tandis que là il est couvert de prairies , de
terres arables ou de forêts, cela tient uniquement à la
couche d'humus qui le recouvre. Quant aux conditions
géognostiques de la presqu'île Scandinave, ses montagnes
se composent principalement de gneiss et de schiste mi-
cacé, moins souvent de porphyre, de syénite, de granit et
de chaux primitive. Au contraire, les gangues volcaniques
y sont tout à fait inconnues , et les couches détachées ren-
fermant des pétrifications y sont très-rares. C'est ce qui
explique l'infécondité du sol , qui ne se compose guère le
plus généralement que de roches primitives en efllores-
cence , de même que le fait que le sel y manque complè-
tement et que la houille ne s'y rencontre qu'en très-faible
quantité et seulement à l'extrémité méridionale, alors que
le pays est riche en minerai d'argent , de cuivre et surtout
de fer. Quant à la division du sol entre les deux royaumes
de la Scandinavie , la crête de la montagne au nord , par
conséquent dans les montagnes do la Laponie et dans les
Kjœlen, forme la ligne de séparation entre la Suède et la
Norvège; au sud , au contraire, cette ligne se trouve tout
à fait du côté de la Norvège , et la frontière du côté de la
Suède traverse les prolongements orientaux du massif. La
Suède renferme donc toutes les terres basses du côté orien-
tal de la presqu'île , au nord tout le versant oriental du
massif, et au sud ses prolongements orientaux, tandis que la
Korvège comprend tout le versant occidental et méridional
du massif et au sud de celui-ci tout le terrain plat qui en
forme la crête avec les hautes vallées du versant oriental.
Le climat de la presqu'île Scandinave , en raison de sa
situation maritime à l'ouest d'un continent, est beaucoup
plus tempéré que dans les contrées situées plus à l'est sous
[a même latitude. Une différence tout aussi remarquable
existe entre les différentes parties de la presqu'île, suivant
qu'elles sont situées plus au nord ou plus au sud , mais du
côté oriental ou bien du côté occidental du massif. En
effet , tandis que le côté occidental , par suite des vents
chauds et humides de l'ouest, qui y dominent, et des cou-
rants maritimes , possède un climat maritime , c'est-à-dire
très-humide , avec des vents proportionnellement doux et
des étés frais, le climat du côté oriental se rapproche déjà
davantage du climat continental de la Russie, et, avec
plus de sécheresse, a des (lés plus chauds et des hivers
plus froids. L'été diminue de longueur à mesure qu'on s'a-
vance vers le nord, jusqu'à ce qu'au delà du cercle polaire il
finisse par neplusêtrequede56jours, printemps et automne
compris. On observe pour la chute des pluies la mômft
différence qu'à l'égard de la chaleur et du froid. Tandis que
la côte occidentale de la presqu'île, par suite de la quan-
tité de nuages qu'y amènent de la mer les vents doufst-
et qui crèvent sur les hautes montagnes , est fa contrée la
plus pluvieuse de l'Europe, il ne tombe pas du côté de
l'est le quart autant d'eau , et principalement en été, tandis
que sur l'autre côté la pluie est de toutes les saisons. La
limite des neiges éternelles varie dans le massif, suivant
la situation méridionale ou septentrionale. Sur le côté
oriental , à cause de la plus grande chaleur de l'été, elle
s'élève au total un peu plus que sur le côté occidental, où
des étés plus frais ne favorisent pas tant la fonte des
neiges.
Peu de contrées sont aussi bien arrosées que la pres-
qu'île Scandinave. .Les montagnes, l'abondance des pluies,
la situation septentrionale et l'immense quantité de sol
couverte de bois , voilà les causes de cette richesse en eau.
Malgré cela, les fleuves de la Scandinavie sont peu pro-
pres à la navigation, surtout parce qu'ils proviennent bien
rarement de la réunion de plusieurs grands cours d'eau ,
puis en raison de leur lit rocheux ; circonstance qui rend
la Scandinavie d'une richesse extrême en cataractes de
l'effet le plus pittoresque. Tout le côté oriental de la pres-
qu'île est sillonné par une innombrable quantité de fleuves
et de ruisseaux, qui portent presque tous le nom d^Elf.
Ils prennent pour la plupart leur source dans le massif,
d'où ils vont se jeter dans le golfe de Bothnie , dans la
Baltique, dans le Cattegat ou le Skager-Rack, en suivant
une direction qui pour ceux du nord va du nord-ouest
au sud-est, mais qui au sud tourne pour quelques cours
d'eau toujours plus au sud, jusqu'à ce que pour les cours
d'eau les plus méridionaux elle soit complètement du nord
au sud. Les plus importants en partant du nord sont le
Torneo-Elf, le Luleo-Elf, le Piteo-Elf, VUmeo-Elf,
ï AngermannaElf, Y Indals-Elf, le Ljiusno-Elf, le Dal-
El/el \e Motala-Elf, qui se jettent dans le golfe de Bothnie
et dans la Baltique ; le Gœta-EI/tl le Glommen avec son
affluent le Lougen , qui se jettent dans le SKager-Rack. Du
versant si escarpé de l'ouest il n'y a au contraire qu'un
petit nombre de cours d'eau, et de peu importants, qui
gagnent la mer. Outre les fleuves , il faut aussi mention-
ner les nombreux lacs , qui tous sont des lacs de fleuves
et sont situés les uns dans le massif même, et les au-
tres, surtout à son pied oriental, dans les terres basses,
où , entre autres , les lacs ^Yener, Wetter, Hjelmar et
Miilar, les plus grands de la Scandinavie, occupent en-
semble une superficie de 119 myriamètres carrés. Ils for-
ment dans le sol de la Suède un abaissement qui , sépa-
rant la province de Gotland de celle de Svealand , va
d'une mer à l'autre ; et au moyen des canaux qu'on a
construits, ils établissent aujourd'hui une communication
intérieure par eau entre la mer du Nord et la Baltique. On
évalue à 931 myriamètres carrés la surface totale qu'occu-
pent les différents lacs et marais de la Scandinavie. Sur le
massif et son versant occidental , des neiges éternelles et
des glaciers occupent d'immenses espaces, surtout dans le
nord et au voisinage de la mer Glaciale. Une partie du
massif, quoiqu'un court été le dépouille de son manteau
de neige , ne se couvre jamais que de mousses misérables
et de lichens; et les pâturages de montagnes ou bien y man-
quent tout à fait, ou sont sans importance. Les forêts , com-
posées presque uniquement d'arbres à feuilles aciculaires,
couvrent rarement les crêtes, mais seulement les flancs
du massif ou les cimes de ses prolongements; et dans le
massif il n'y a d'agriculture que dans les vallées qui s'ou-
vrent vers le sud , et dans les fonds , au voisinage des
fjords , dans quelques localités bien abritées. Dans les
basses terres, les forêts, composées surtout d'arbres à feuilles
aciculaires, puis de bouleaux , occupent les neuf dixièmes
du sol. Par conséquent l'agriculture y est aussi, sinon nulle
comme dans le massif, du moins généralement limitée à un
sol où l'on a commencé par détruire les forêts.
Dans l'usage ordinaire ou emploie le mot Scandinavie
pour désigner l'ensemble des trois royaumes du Nord : le
Danemark , la Norvège et la Suède. Les anciens n'y com-
prenaient point la presqu'île danoise, Je Jutland, que, sohs
SCANDINAVIE — SCARABÉE
le nom de Ckersonèse des Cimbres , ils rattachaient à la
Germanie. La Norvège leur était encore inconnue; à moins
que l'ile de Nérigon , que mentionne Pline comme située
près de la Scandinavie, et d'où l'on s'embarquait pour
Iliulé, ne soit la Norvège, et non pas, comme le veulent
quelques auteurs, VHibernie, l'Irlande actuelle. Jacob
Grimm pense que Nerigon et Norvège sont identiques.
Ainsi donc les anciens employaient ce mot de Scandinavie,
qu'on rencontre pour la première fois dans Pline, et qui peut-
être provient du suédois Skoneij (c'est-à-dire ilede Scanie )
ou de Scandia (dont se sert Ptolémée), pour désigner les
îles de la Baltique, c'est-à-dire les Iles danoises et la
partie méridionale de la Suède (la Scanie), au sujet de la-
quelle ils avaient quelques renseignements, et qu'ils se
représentaient comme une île. C'est à la Scanie, d'après
Ptolémée, qui la désigne comme la plus grande et la plus
orientale des quatre îles Scandinaves, qu'appartenait surtout
le nom de Scandia; et ce pays est aussi l'île de Scandia
de Jornandès , d'où les Gotlis se disaient originaires , ainsi
que l'île de Scandinavia de Paul Diacre , d'où les Lom-
bards, suivant leurs traditions, prétendaient provenir. Pro-
cope donne à la Scandinavie la dénomination de Thulé.
Les anciens considéraient déjà les habitants de la Scandina-
vie comme un rameau de la grande race germanique (voyez
Scandinaves [ Langue et littérature]). Consultez Skœldberg,
Beskrifning œfver Skandinaviska Halfœni topografiskt,
statistiskt och historiskt /^^n^eede ( Stockholm , 1846).
SCANDINAVISME, mot créé il y a une vingtaine
d'années pour désigner le mouvement des esprits qui, en
Danemark et en Suède, tendrait dans un avenir plus ou
moins prochain à réunir sous une même loi les trois
royaumes du Nord, et à rétablir l'union de Calmar. Les
événements dont le Danemark a été le théâtre dans ces
derniers temps , en jetant de l'incertitude et môme de l'in-
sécurité sur l'avenir, n'ont pu que donner plus de force à
des idées qui ne tendent à rien moins qu'à triompher des
haines du genre le plus vivace, les haines nationales. Mais
dans l'état actuel de l'Europe, il est évident qu'en espérer
la réalisation est une chimère. Le rétablissement de l'union
de Calmar serait une grave atteinte portée à cet équilibre
politique des nations du continent que tous les bons es-
prits doivent chercher à consolider.
SCAIVIE, en suédois Skone , provmce du Gotland
suédois, confinant au nord aux provinces suédoises de Ble-
kingen, Smoland et Halland, à l'est, au sud et à l'ouest à
la Baltique, et renfermant le bailliage de Cbristianstadt
( 80 myriam. car. et 180,000 liab.) et le bailliage de Malmœhus
(59 myriam. car. et 240,000 hab. ). C'est, surtout en ce qui
'touche sa partie méridionale, l'une des plus belles et des
plus ferliles contrées de la Suède; généralement plate , elle
ne présente que vers le nord quelques crêtes couvertes de
forêts peu élevées. Ses habitants diffèrent de ceux du reste
du royaume par leur dialecte de même que par leurs cou-
tumes. Elle appartenait autrefois eu effet aux Danois, qui
durent la céder à la Suède par la paix signée à Rœskilde en
1658, ainsi que les provinces de Blekingen, de Halland et de
Bohus. Mais toute celte contrée fut longtemps encore danoise
de cœur, et dans la guerre de 1675 entre le Danemark et
la Suède, la population, nobles et paysans , donna de nom-
breuses preuves de son attachement à son ancienne patrie.
L'agriculture forme la principale occupation de la popu-
lation, et la Scanie est surnommée le grenier de la Suède,
parce que de toutes ses provinces c'est celle qui produit le
plus de céréales. La distillation des eaux-de-vie de grains
y constitue aussi une importante industrie. Les eaux-de-
vie et les grains forment donc les deux principaux articles
d'exportation. Une grande partie du sol se trouve aux
mains d'une noblesse riche, qui a beaucoup amélioré ses
domaines; mais les paysans et les journaliers sont plus
pauvres dans cette riche province que dans le nord de la
Suède, à cause de l'extrême division des grandes métairies
en petites exploitations, du fardeau des corvées et de la sur-
abondance de la population. Le règne minéral fournit de
l'ardoise alumineuse (à Andrarum), de la houille (àHœ-
genœs ; la seule mine de ce genre qu'on trouve dans toute
la Scandinavie), etc. La Scanie est la seule province de
Suède où l'on rencontre des rossignols et des cigognes. La
plus grande ville est Malmoe; viennent ensuite Z/Mnd
et Helsingborg .
SCAPHOÏDE. Voyez Cakpe.
SCAPIN (de l'italien icoppino, chausson), l'un des per-
sonnages du théâtre italien appelés zanni (bouffons). En
Italie, il parle les idiomes bergamasque et lombard : ce
rôle est toujours celui d'un fourbe, et forme contraste avec
celui de l'arlequin balourd. Le caractère du Scapin rap-
pelle celui des esclaves dans les comédies de Plante et de
Térence : c'est un intrigant, un fripon, qui , par inclination
et par intérêt, sert les passions des jeunes libertins. Il porte
la livrée avec le manteau court, est coiffé d'une toque et
armé d'une dague. Ce personnage , quoique ancien en Italie,
ne figura point dans la troupe de comédiens italiens qui vinrent
en France en 1645, ni dans celle qui se fixa à Paris en 1653 ;
il y fut successivement confondu avec les rôles de Trivelin, de
Mezzetin, etc. ; et l'on ne cite aucun acteur dans celte troupe,
jusqu'à son renvoi, en 1697, qui ait joué le Scapin. Mais
Molière avait introduit ce rôle sur la scène française , et en
avait offert le type dans ses Fourberies de Scapin. On ne
vit point figurer ce personnage au théâtre de la Foire , mais
il reparut avec la nouvelle troupe italienne, en 1716, sous
les traits de Bissoni, opérateur bolonais, qui s'y montra
médiocre jusqu'à sa mort, en 1723. Ciavarelli, Napolitain,
qui y débuta en 1739 avec succès , y acquit une grande ré-
putation jusqu'à sa retraite, en 1769 , et mourut quatre ans
après. Camerani, qui le doublait depuis 1707, joua en
1779 le Scapin des Deux Billets , comédie de Florian.
II. AUDIFFRET.
SCAPULAIRE. (du latin scapularium , dérivé de
scapula, omoplate). On appelle ainsi la partie du vêlement
des moines qui se compose de deux morceaux de drap ,
dont l'un couvre la poitrine et l'autre le dos. Chez les frères
lais le scapulaire ne descend que jusqu'aux genoux; mais
chez les autres religieux il va jusqu'aux pieds. Dans l'histoire
du raonachisme, l'histoire du saint scapulaire des carmé-
lites joue un grand rôle. En 1251 le supérieur général de cet
ordre, Simon Stock, raconta que la sainte Vierge lui était ap-
parue et lui avait annoncé que celui qui mourrait enveloppé
de ce scapulaire échapperait aux peines éternelles ; et cette
tradition était pour l'ordre une abondante source de revenus.
Au reste, le scapulaire , lui aussi, eut à subir les variations
de la mode : à diverses époques on le vit s'élargir ou s'a-
moindrir. Mais saint Benoît l'avait prescrit dans sa règle;
et les moines, tout en en changeant la forme et la figure, le
considérèrent toujours comme la partie la plus essentielle
de leur habit, comme l'expresjion matérielle d'une pensée
venue d'en liant.
SCARABEE ( du latin scarabxus ), genre d'insectes de
la première section de l'ordre des coléoptères et de la
famille des scarabéides. La plupart des naturalistes anciens
ont désigné presque tous les coléoptères sous le nom géné-
rique àe scarabée. Les modernes, en conservant ce nom,
ne l'ont plus assigné qu'à un seul genre. Les scarabées avaient
été confondus par Linné avec les hannetons, les cétoi-
nes, les trox.
On rencontre ces insectes courant sur la terre, ou volant
d'un endroit à l'autre : on les trouve , en général , dans les
lieux gras et humides , dans les champs , vers la racine des
vieux arbres. Ils fréquentent surtout les fumiers et les terres
grasses et humides ; ils y déposent leurs œufs : on n'en aper-
çoit point dans les boues et les fientes d'animaux. La larve
se montre dans les terreaux , les fumiers, les terres grasses;
elle ressemble à un ver mou, gros, courbé en arc, à tête
dure, écailleuse, munie de deux antennes filiformes, courtes.
Le corps est composé de treize anneaux , assez distincts,
dont neuf sont pourvus d'un stigmate de chaque côté. La
10 1 SCARABEE —
nymphe est enfoncée dans la terre, et enfermée dans une
espèce de coque que la larve a construite avant sa trans-
formation ; la peau qui recouvre son corps laisse voir toutes
les parties que l'insecte parfait doit avoir : leur forme se
dessine assez bien sous la peau , qui les tient comme em-
fliaillottées.
Nous ne répéterons point ici toutes les puérilités que les
plus grands hommes de l'antiquité , Homère, Aristophane,
Théocrite, Isidore , Aristote, LucienetPline, ont écrites sur
ces insectes , leur origine , leurs habitudes, leur sexe. Les
Égyptiens, croyant tous les scarabées mâles, les sculptaient
au bas des images des héros pour exprimer la vertu, mâle et
guerrière, exempte de faiblesse ( î;o2/e3 Bousier).
SCARABÉE À RESSORT. Voyez Élatérides.
SCARABÉE SACRÉ. Votjez Bousier.
SCARABÉES-TORTUES. Voyez Cassides.
SCARAMOUCHE , personnage comique, venu origi-
nairement d'Espagne , puis de Naples , ainsi que son nom ,
Scaramucci ou Scaramugio , qui signifie escarmouche.
Son caractère, assez semblable à celui du capitan , était
un mélange de fanfaronnerie et de poltronnerie. La moitié
de son rôle consistait en postures et en grimaces , et il
finissait toujours par recevoir des coups de bâton de la main
d'A r I e q u i n. Lâche et vantard , il portait d'épaisses mous-
taches avec le costume espagnol , noir de la tête aux pieds ,
et semblable à celui de l'acteur qui jouait ce rôle dans la
troupe de comédiens qui suivit Charles Quint en Italie. Le
plus célèbre Scaramouche fut Tiberio Fiurelli, né à Naples,
en 1608. Venu à Paris en 1640, il était reçu, ainsi que sa
femme , à la cour de Louis XIII. Un jour qu'il se trouvait
dans la chambre du dauphin enfant, il le prit dans ses bras
pour apaiser ses cris , et le fit tellement rire par ses contor-
sions et ses singeries , que le prince commit une incongruité
sur les mains et l'habit de Scaramouche. A quoi tiennent les
faveurs et la réputation ! Louis XIV se souvint de lui, le
prit en amitié, et le fit venir à Paris toutes les fois qu'il y
appela des comédiensitaliens. Fiurelli joua le Scaramouche
depuis 1670 jusqu'à sa retraite, en 1691 , et mourut en 1696.
Telle était sa souplesse qu'à l'âge de plus de quatre-vingts
ans il donnait sur la scène un soufflet avec son pied. On avait
dit avec trop d'exagération dans son épitaphe :
Il fut le maître de Molière,
Et la nature fut le sien.
Après le licenciement du Théâtre-Italien, en 1697, le Sca-
ramouche, dont le nom figure sur le titre de quelques pièces,
passa au théâtre de la Foire. Gandin ou Gandini, qui dé-
buta en 1745 , fit presque oublier Fiurelli , et continua de se
faire applaudir comme Scaramouche et comme auteur,
jusqu'à la mise en retraite forcée de tous les comédiens ita-
liens, en 1780. Le personnage de Scaramouche a disparu
entièrement de nos théâtres, et son nom ne s'emploie guère
plus que proverbialement , pour désigner un homme fort
laid : C'est un vilain Scaramouche. Il est assez vraisem-
blable que ce personnage italien a pu fournir au célèbre Rai-
niond Poisson le costume et quelques nuances du carac-
tère du rôle de Crispin, dont l'apparition sur le théâtre
français ne date que de l'année 1664 au plus tard.
H. AUDIFFERT.
SCARIFICATECJRjinstrument d'agriculture, d'inven-
tion anglaise, consistant en une herse qui , au lieu de dents
droites, est munie de contres ou longues dents quelque peu
recourbés en avant, et disposées de telle sorte que chacune
d'elles agit separément.Lescari^ca^ewrsertsurtoutà péné-
trer plus profondément dans les terres fortes et à les diviser
plus complètement qu'on ne saurait le faire avec une sim-
ple herse, à ameublir la première couche de terre toujours
plus ferme que les autres et à mettre ainsi celles-ci en com-
fuimication avec l'atmosphère.
En termes de chirurgie, on appelle aussi scarificateur
nn instrument dont l'usage est presque abandonné, et qui
consiste en une petite boîte en cuivre ou en argent, dont
SCARLATINE
une des faces est percée d'un certain nombre d'ouvertures
longitudinales, par lesquelles sortent toutes à la fois, au moyen
d'un ressort que l'on presse, autant de pointes de lancette
qui sont disposées dans l'intérieur de la boîte sur un pivot
commun, et qui font autant de scarifications.
SCARIFICATION, SCARIFIER (du grecffxaptçàotJiai,
inciser), petite opération chirurgicale, qui consiste à piquer
ou inciser superficiellement la peau avec une lancette, un
•. bistouri ou nn scarificateur, afin d'en faire sortir le sang,
et de produire soit un dégorgement local dans une partie
enflammée, soit l'écoulement d'une humeur épanchée ou in-
filtrée.
Les scarifications très-superficielles sont nommées mou-
chetures. Les ventouses scarifiées sont celles que l'on
applique sur un endroit de la peau où l'on a fait des scarifi-
cations ou des mouchetures.
SCARLATINE (dérivé d'un mot de la basse latinité,
scarlata, écarlate), maladie de la peau, vulgairement ap-
pelée jfîèwerowg'e, exanthème caractérisé par de larges
taches irrégulières, d'un rouge d'écarlate ou de framboise,
s'étendant à presque toute la surface du corps, accompagné
de fièvre et d'irritation des muqueuses. Sa durée ordinaire
est de huit à douze jours. Elle se transmet par contagion.
On la distingue en scarlatine simple ou bénigne, scarlatine
angineuse, scarlatine maligne, scarlatine sans éruption.
La scarlatine simple est caractérisée par du malaise ac-
compagné de frisson, suivi de chaleur, céphalalgie, soif,
nausées, etc. Bientôt de petites taches apparaissent en grand
nombre au visage, puis sur le tronc, les membres, même
l'intérieur de la bouche. Dès le lendemain cette éruption
est devenue con/luente, c'est-à-dire que les taches se sont
réunies de manière à former de larges plaques rouges, unies
ou pointillées, et parsemées de quelques élevures miliaires ou
papuleuses, avec tension, chaletir, sécheresse et démangeaison
de la peau. Le visage, les pieds et les mains deviennent
enflésetdouloureux, lesyeux larmoyants, la langue est rouge,
la gorge plus ou moins enflammée et douloureuse ; le som-
meil est agité. Quelquefois, surtout chez les enfants, il y a
stupeur ou convulsions. Lorsque l'éruption est terminée, le
corps est comme barbouillé de jus de framboises. Ordinai-
rement alors la fièvre diminue d'intensité, ce qui a lieu vers
le quatrième jour de l'invasion , troisième de l'éruption. Le
cinquième jour, la rougeur et le gonflement de la peau di-
minuent dans l'ordre de leur apparition; puis la desquam-
mation commence, et vers le huitième ou neuvième jour de
larges lambeaux d'épiderme se détachent des mains, des
pieds et autres parties du corps, avec sensation de prurit
plus ou moins considérable.
Dans la scarlatine angineuse , les symptômes sont plus
prononcés : un mal de gorge intense se déclare , et paraît
constituer le phénomène principal de la maladie. Une
exsudation comme caséeuse revêt l'arrière-gorge (angine
couenneuse), la salive coule en abondance, l'haleine est
fétide. Alors l'éruption marche moins régulièrement que
dans la scarlatine simple; en un mot, la maladie est plus
grave , et les complications , les suites fâcheuses sont phis
communes, ivU
La scarlatine maligne est constituée par un développe-
ment de symptômes plus formidables encore ; au début,
fièvre intense, vomissements, diarrhée, coma ou délire, an-
gine violente. L'éruption est tardive, irrégulière, de mau-
vais aspect; bouche fuligineuse, écoulement fétide de sa-
live et de mucus nasal, complications graves du côté des
organes abdominaux, pectoraux ou cérébraux, éruption
pourprée, héraorrhagique, etc. Si le malade échappe à ces
terribles accidents, il est menacé d'escarres gangreneuses,
de phlegmasies chroniques, qui, si elles ne causent pas
toujours la mort, prolongent du moins beaucoup la conva-
lescence.
La fièvre dite scarlatineuse existe quelquefois sans
exanthème ; et ce qu'il y a de remarquable alors, c'est que
le plus souvent , sans que la peau devienne rouge , elle est
SCARLATINE — SCARPA
11
le siège d'une démangeaison et d'une desquamniation plus ou
moins appréciables.
Manifestement contagieuse, bien qu'on ignore la nature
du principe qui la propage, la scarlatine règne le plus sou-
vent d'une manière épidémique, principalement dans les
saisons froides et humides. Elle attaque de préférence les
enfants, les jeunes gens et les femmes.
Le traitement de la scarlatine bénigne exige simplement
une température douce et uniforme, la diète, l'usage des
boissons délayantes ; mais si la maladie se présente avec des
symptômes graves!, s'il survient des complications, l'inter-
vention d'une médecine active devient indispensable : les sai-
gnées, les vésicatoires, les vomitifs et les purgatifs, les affu-
sions d'eau froide, les bains médicamenteux, etc., peuvent
être indiqués ; mais les cas qui les nécessitent ne sauraient
être appréciés que par un médecin habile. Quant aux
moyens préservatifs, il paraît certain que les compositions
de belladone, administrées journellement aux personnes
qui vivent dans le foyer de l'épidémie, peuvent les en af-
franchir. FORGET.
SCARLATTI (Alexandre) , l'un des plus grands mu-
siciens qu'ait produits l'Italie, naquit àNaples, en 1650.
Il étudia sous la directiondu célèbre Carissimi, alors
maître de la chapelle pontificale. La musique dramatique,
qui venait de naître , est redevable à Scarlatti de ses pre-
miers progrès. Appelé successivement dans plusieurs cours
d'Allemagne, il y écrivit des opéras qui obtinrent beaucoup
de succès. Vers la fin du dix-septième siècle, Scarlatti vint
se fixer à Naples, où il mourut , en 1725. Les Italiens ap-
pelaient ce grand maître la gloire de l'art; en effet, aucun
compositeur n'a poussé plus loin que Scarlatti la science
d'écrire pour les voix , science qui se perd aujourd'hui , et
qui a valu à l'ancienne école d'Italie toute sa célébrité. Ce
fut lui qui jeta les bases de cet admirable enseignement des
conservatoires de Naples et de Venise, d'où sont sorlis les
Hasse, les J 0 m e il i , les Durante, les S ace h in i, etc. On
a de lui environ vingt opéras, dont La Principessa fidèle
passe généralement pour le meilleur, plusieurs oratorios ,
deux cents messes , et une foule de cantates à une ou deux
voix.
Choron a publié , dans ses Principes de Composition y\&
madrigal Cor mio , à cinq voix de soprani. Ce dernier mor-
ceau.suffit seul pour donner une idée du talent inimitable
et du génie d'Alexandre Scarlatti.
Son fils , Domenico Scarlatti, né en 1683 , mort à Madrid,
vers 1757, est célèbre par ses morceaux pour clavecin,
notamment ses sonates. F. Danjou.
SCARLETT ( Sir James). Voyez Abincer (Lord), et
Campbell.
SCAROLE ou SCARIOLE. Voyez Chicorée.
SCARPA (Antoine) naquit le 13 juin 1747 , à Motta,
petite ville de la marche de Trévise. Sa famille était dans le
commerce. Il avait un oncle , ecclésiastique fort éclairé,
qui, charmé de son intelligence et de sa vivacité naturelle,
prit soin de son enfance, lui enseigna les belles-lettres, et
lui donna une teinture des mathémathiques. A quatorze ans
Scarpa avait achevé ses humanités, et il fut envoyé par son
oncle à l'université de Padoue. Là florissaient huit célèbres
professeurs, et au milieu d'eu x le grand M o r g a g n i , alors âgé
de quatre-vingts ans. Morgagni avait perdu les yeux. Charmé
de l'esprit et de l'activité du jeune élève, il en fit son lecteur
et son secrétaire. Tous les ouvrages et toutes les consultations
qu'il recevait des diverses parties de l'Europe, Scarpa les
lui lisait; il écrivait sous sa dictée les jugements, les ré-
flexions, les réponses; et, ce travail terminé , le vieillard
et l'enfant se délassaient par la lecture des classiques latins,
et surtout par la lecture de Plaute , qui faisait les délices
de Morgagni. Jamais élève au début de ses études ne re-
çut des leçons plus profondes , et ne fut mieux fait pour les
entendre et pour en profiter. Il alla ensuite passer deux
années à Bologne , pour y suivre la clinique de l'habile chi-
rurgien Riviera, disciple de Molinelli. De retour à Padoue ,
il fut promu au doctorat , et reçut des mains de Morgagni
les insignes de son nouveau grade.
Peu de temps après , Morgagni mourut, d'apoplexie, dans
les bras de Scarpa. Séparé de son maître et de son ami ,
Scarpa songeait à se fixer à Venise : sur ces entrefaites , on
lui offre, de la part du duc de Modène, et dans l'université
de cette même ville, une chaire d'anatomie et d'institutions
chirurgicales. Scarpa , encouragé par ses amis , accepte :
il prend possession de sa chaire , et fait admirer son savoir ,
sa méthode , la pureté de son langage et la beauté de ses
préparations. Bientôt il est nommé premier cliirurgien de
l'hôpital militaire , et fait succéder à ses leçons un cours
d'opérations sur le cadavre.
Vers 1749 et 1750, Meckel cherchait quel pouvait être,
dans réconomie, l'usage de ces renflements nerveux que
l'on appelle ganglions.il ne proposait sur cette difficulté
que des vues anatomiques, et ne disait guère que ce que
pourrait dire un scalpel. Trente ans plus tard, en 1779,
Scarpa reprit cette question , et fit paraître le premier li-
vre en latin de ses Annotations sur les Ganglions et les
Plexus nerveux. Après en avoir exposé la structure et les
distributions, U conclut modestement, comme Meckel, que
l'usage des ganglions est de disjoindre, de mêler, de recom-
poser les nerfs , de les raviver dans leur marche , et de les
répartir plus favorablement dans les organes qu'ils doivent
animer ; conclusion qui n'est que le fait lui-môme, et sur
les éléments de laquelle Scarpa a singulièrement varié,
particulièrement sur l'origine et le caractère du grand-sym-
pathique, dont Scarpa fait tantôt un instrument sensitif et
moteur tout ensemble , et tantôt un agent purement sen-
sitif. 11 faut l'avouer : ces points si profonds et si délicats
de physiologie sont encore enveloppés d'épaisses ténèbres;
et , quelque effort que l'on tente pour séparer les nerfs
du sentiment d'avec ceux du mouvement, on sera tou-
jours contraint, pour expliquer les phénomènes de la vie,
d'admettre un intermédiaire qui rattache l'un à l'autre ces
deux ordres de nerfs, et produise cette sympathie qui em-
brasse la totalité des organes, et les fait conspirer aux
mêmes fins : abîmes de rapports et d'harmonies , dont
Scarpa expose en partie les merveilles dans la dernière moi-
tié de son ouvrage.
Scarpa enseignait depuis huit années , lorsque Modène
perdit le duc François. Son successeur. Hercule, entreprit
des réformes, et les étendit jusque sur les écoles. Pendant
toutes ces mutations, Scarpa obtint la permission de
voyager. Il visita la France et l'Angleterre ; il vit à Paris
le savant et éloquent Vicq-d'Azyr, le célèbre oculiste
Wenzel, l'habile et modeste lithotomiste frère Côme.
Vicq-d'Azyr lui ménagea les moyens de continuer, dans
l'amphithéâtre de La Charité, le beau travail qu'il prépa-
rait sur l'odorat. A Londres, Scarpa se fit l'élève de Pott,
des deuxHnnter, de Cruickshank, de Sheldon. Sur la
fin de 1782, il revint à Modène. Joseph II venait de créer
à Pavie une chaire d'anatomie , de clinique chirurgicale et
d'opérations. Cette chaire lui fut offerte; et ce fut le
duc de Modène lui-même qui lui ordonna de l'accep-
ler. Scarpa fit en 1783 l'ouverture de ses cours. L'année
suivante , il se rendit de Pavie à Vienne avec son ami
Alexandre V o 1 ta. Il lui tardait de témoigner sa reconnais-
sance à Joseph II. L'empereur accueillit à merveille les deux
savants, et les fit voyager. Ils parcoururent la Bohême, la
Saxe, la Prusse, etc., et rentrèrent en Italie par la Bavière
et le Tjrol. A Berlin , il eut avec le marquis de Luchesini,
avec le général Pinto et Denina , l'honneur de s'asseoir à la
table du grand Frédéric.
Pavie n'avait point d'amphithéâtre. Pendant l'absence de
Scarpa, un magnifique amphithéâtre fut élevé par l'ordre de
l'empereur. Ce prince fit de plus remettre à Scarpa un ar-
senal complet de chirurgie, d'un travail supérieur, et si
heureusement distribué , qu'on y pouvait lire toute l'his-
toire de l'art. L'inauguration de ce bel établissement eut
lieu en novembre 1785. Scarpa fut alors dans la plénitude
12
SCARPA — SCARRON
de ses travaux; en peu d'années , et animé par le souvenir
des deux Hunter, au milieu des fatigues de l'enseignement,
il peupla le musée de Pavie d'une multitude de préparations
anatomiques, entre autres sur le système nerveux et les
organes des sens. Il mit la dernière main au cinquième livre
de ses Annotations sur l'odorat, et sur les nerfs que ce
sens emprunte à la cinquième paire. Chose étrange! après
deux mille ans d'essais imparfaits , il achève enfin la des-
cription des nerfs olfactifs. 11 fait voir que l'organisation
qui leur est propre est analogue à celle de la vue et de
l'ouïe ; et sans s'expliquer sur l'intime structure qui don-
nerait à quelques-uns de ces nerfs la propriété de sentir à
l'exclusion de tous les autres, Scarpa s'attache surtout à dé-
crire entre eux le nerf naso-palatin , qu'il avait découvert,
mais que connaissait Cotugno.
Ces deux livres n'étaient que le prélude du grand ou-
vrage qui parut en 1790 , et fut réimprimé en 1794 sous le
titre de Recherches anatomiques sur l'Ouïe et VOdorat.
Il y expose surtout, relativement à l'ouïe, le résultat de
ses études sur les poissons, les reptiles, les oiseaux, les
mammifères et l'homme : résultats qui n'ont été complétés
que par les travaux tout récents de M. Breschet. A cette
époque la guerre était partout , l'Italie était envahie. En
1796 fut créée la République Transpadane. Pavie y était
comprise. On imposait aux fonctionnaires un serment que
refusa Scarpa. Il s'ouvrit alors une carrière nouvelle. Il
se livra à la pratique. Il écrivit des traités sur des mala-
dies importantes. Le premier fut son livre sur les maladies
des yeux, qui parut en 1801, que traduisirent l'Angleterre,
l'Allemagne et la France, et qui a fait créer des chaires
d'ophlhalmiatrie à Naples, à Pavie, à Londres, à Vienne,
à Berlin, et dans quelques villes du Nouveau Monde. En
1803 parut un ouvrage ing(^nieux de Scarpa sur les pieds-
bots; puis son grand ouvrage sur les anévrismes. Jamais
sujet plus important ne fut traité dans toutes ses parties
avec plus d'originalité et de profondeur. Celte même année
1804 Scarpa, qui sentait sa vue s'affaiblir, prit sa retraite. Mais
en 1805 Napoléon vint en Italie. Il visita l'université de
Pavie, se fit présenter les professeurs, et manda Scarpa :
« Quels que soient vos sentiments , lui dit l'empereur, je
les respecte : mais je ne puis souffrir que vous restiez séparé
d'une institution dont vous êtes l'ornement. Un homme
tel que vous doit, comme un brave soldat, mourir au
champ d'honneur. » Scarpa, ému, reprit sa chaire. Napoléon
lui donna le titre de son chirurgien, avec une pension de
4,000 francs. Il le fit chevalier de la Couronne de Fer et de
la Légion d'Honneur.
Après six ans de travaux , Scarpa fit paraître en 1809 et
1810 une suite de mémoires, dont la réunion forma le
meilleur traité que l'art eût possédé jusque là sur les her-
nies, il en a été de ce livre comme des livres précédents.
Il a excité le génie des anatomistes et des praticiens , et
conduit à la découverte de beaucoup de vérités inconnues
et à l'invention de procédés et d'instruments tout nouveaux.
Ce traité mit le sceau à la réputation de Scarpa. L'auteur
devint l'oracle de la chirurgie, et cet oracle était consulté
de toute l'Europe. En 1812, et à l'âge de soixante-cinq ans, il
quitta l'enseignement public; mais en 1814 il eut à Pavie la
suprême direction des études médicales et au milieu des
embarras de ses (onctions nouvelles il composa, d'année
en année, jusqu'à la fin de sa vie, des mémoires , dont la
collection forme aujourd'hui 3 vol. grand in-4'' , qui pa-
rurent à Pavie, de 1825 à 1832, sous le titre d'OpM5CM/c5
de Chirurgie. Ces mémoires , entremêlés de notes , d'éclair-
cissements et de lettres particulières , portent sur une grande
variété d'objets. Partout, dans ce recueil , même érudition,
même profondeur, même sagesse ; ou si , revenant sur d'an-
ciennes opinions, il les modifie, ou même les contredit,
par exemple , sur les ganglions, l'anévrisme, etc. , c'est
qu'il est sincère contre lui-même, et qu'il sacrifie l'amour-
propre à la vérité.
Ce qui relève le mérite de tant de travaux , c'est qu'il
les a conçus , suivis, achevés , dans un hôpital qui ne reçoit
jamais plus de trois cents malades ; et ces malades , répartis
en cinq cliniques, donnent à peine pour chacune d'elles une
trentaine de sujets. Scarpa suppléait au petit nombre d'obser-
vations par une extrême sagacité, et par un art merveilleux
d'en tirer des inductions. Versé dans toutes les langues de
l'Europe et dans toute la littérature des modernes , il re-
venait de préférence à la lecture des classiques latins. L'é-
lévation de ses goiits répondait à la gravité de ses mœurs
et de son langage. A l'âme la plus ferme et la plus loyale il
joignait une constitution robuste , une haute taille , une
physionomie imposante et solennelle, où étincelait le.teu
de ses grands yeux noirs. Sa démarche , ses actions, ses moin-
dres gestes , avaient pour ainsi dire toute la vivacité de
son jugement; peu tendre du reste, et portant dans son
commerce avec les hommes un air de hauteur, et même
quelque âpreté. Quoi qu'il en soit , à la faiblesse de ses yeux
près, il conserva jusqu'au delà de quatre-vingts ans cette
singulière vigueur de corps et d'esprit. A cette époque ses
forces s'affaiblirent et tombèrent par degrés ; des douleurs
s'éveillèrent, et après cinq ans de vives souffrances il s'étei-
gnit, dans la nuit du 30 octobre 1832, laissant après lui un
exemple touchant de soumission à la religion de ses pères ,
une fortune considérable, due à ses talents, des monuments
de génie, qui ne périront jamais, et une nombreuse colonie
d'élèves animés de son esprit et qui perpétueront sa gloire
par la leur.
Notre Académie des Sciences et notre Académie de Méde-
cine avaient l'honneur de compter Scarpa au nombre de
leurs associés étrangers. Pariset.
SCARPE ( Fort de ) , nom delà citadelle de D o u a y.
SCARRON ( Pall), né en 1610 ou 1611 , mort le 16
octobre 1660 , a été fort goûté de ses contemporains , et con-
serve encore des admirateurs. U mérite donc d'être étudié
avec soin. Son nom ne se sépare pas de l'idée du burlesque,
car seul en France , quoique les imitateurs ne lui aient pas
manqué , il a réussi dans ce gerrre, que le goût réprouve et
qui peut seulement passer à force d'esprit. Son succès est
donc plus qu'une présomption favorable.
Occupons-nous d'abord de l'homme, et nous jugerons
après le genre et l'écrivain,
Scarron était appelé par sa naissance et par les qualités
naturelles de l'esprit et du corps à mener une existence
brillante, et à faire le charme des cercles de beaux esprits
par ses grâces et son enjouement. Sa destinée travailla contre
l'ordre de la nature. La faiblesse de son père le ruina; les
désordres de sa jeunesse transformèrent en objet hideux le
brillant abbé , et clouèrent sur un fauteuil de douleur son
humeur inconstante et voyageuse. Quel contraste! c'est
celte déchéance physique et financière qui a fait de Scarron
un auteur, et un auteur burlesque , car la forme de son corps
a déterminé celle de son esprit.
Le père de Scarron était conseiller au parlement, et pos-
sédait une fortune considérable , vingt mille livres de rente.
Telle était la perspective de Scarron au moment de sa nais-
sance. Mais il perdit sa mère , et son père se remaria. Ce
fut la source de toutes les disgrâces de leur fils. Encore
enfant, il fut assez clairvoyant pour reconnaître que sa
belle-mère dénaturait les biens de son mari et tendait à les
détourner. U n'eut pas la discrétion de se taire , et son bon
homme de père , pour avoir la paix du ménage , l'envoya
à Charlevilie , où il passa chez un parent sa treizième et sa
quatorzième année. Scarron prit le petit collet sans s'en-
gager dans les ordres. Il voyagea en Italie , et mena joyeuse
vie. Son père fournissait à ses dépenses ; mais lorsque ce-
lui-ci mourut, il lui légua pour tout héritage un procès.
Pour comble de malheur, Scarron devint infirme. La Beau-
melle a imaginé ou recueilli sur cette infirmité une anec-
dote qu'on a répétée depuis , et qui n'en est pas mieux éta-
blie. La mascarade du Mans est une fable. Ce sont les
drogues des charlatans, et non l'eau fraîche de la Sarthe,
qui ont fait de Scarron un cul-dc-jatte.
SCARRON
13
Scarron avait alors vingt-lmit ans. Avant cet accident ,
il n'avait rien écrit. Voilà notre brillant abbé, notre cou-
reur d'aventures arrêté dans sa course ; il est pris par les
jambes. Ses cuisses commencent à former avec son corps
un angle obtus qui devient droit et finit par être aigu ; la
ligne droite de son corps s'était repliée en lorme de Z. C'est
de ce jeu cruel de la nature qu'est née en France la poésie
burlesque. Scarron voulut se venger en riant du tour que
lui avait joué la maladie. Comme elle avait laissé vivre un
esprit brillant et enjoué dans ce corps difforme , l'esprit
s'attaqua au dehors à tout ce qui était noble et régulier
pour le mettre en barmonie avec la disgrâce de son corps.
Il s'attaqua d'abord aux dieux de l'Olympe , puis aux béros
de l'antiquité ; il fit grimacer toutes ces nobles figures , et
ramena ces belles créations du génie antique aux proportions
mesquines et ridicules de la bourgeoisie et de la populace.
11 leur donna les mœurs du Marais et le langage de la lue
Saint-Denis. Ce travestissement opéré par un esprit naïf
dans son affectation , délicat sous sa grossièreté d'emprunt,
surprit, charma le public, et fit fortune. Ce fut une fureur
et comme une épidémie. Le burlesque se prit à tout : d'As-
souci parodia Ovide, et B rébœuf, cédant à la conta-
gion, travestit Lucain, qu'il avait noblement traduit.
Scarron resta vingt-deux ans sur sa
chaise , ne conser-
vant que l'usage de ses doigts, de sa langue et de son es-
tomac ; il usa et abusa de ce qui lui restait. La médisance
et la gloutonnerie furent les seules compensations de son
long martyre. Il le mena gaiement. Sa chambre fut un bu-
reau d'esprit et un réfectoire où chacun apportait son con-
tingent de saillies et de victuailles. Ce salon de malade fut
le plus gai de tous les cercles de Paris. Le cardinal de
Retz, la belle Nino n , Sara si n, venaient s'asseoir et
causer sur son petit lit de damas jaune ; le comte de Lude
et Yillarceaux apportaientleur souper, et les grands sei-
gneurs venaient voir le plaisant malade comme on va voir
l'éléphant.
Scarron fut obligé pour vivre de travailler comme un
artisan; il faisait argent de tout. Quelques amis généreux
vinrent en aide à sa misère. L'évêque du Mans , Lavardin,
lui donna un bénéfice ; il obtint en outre une pension et
le brevet de malade de la reine, charge qu'il remplit avec
intégrité. Il avait en outre le produit de la vente de ses
livres et de leurs dédicaces. Ses comédies lui rapportaient
quelque argent par le succès de la représentation et par
l'impression. Somme toute, la prébende, sa muse, sa pen-
sion de la reine, et ce qu'il appelait son marquisat de
Quinet, fournissaient à ses besoins. La Fronde dérangea l'é-
conomie de ses finances; il attaqua le cardinal, et sa pension
lut supprimée.
En 1652 il épousa Anne-Françoise d'Aubigné, fille de Cons-
tant et petite-fille de Théodore Agrippa. Ce fut à la même
époque qu'il forma le projet d'un voyage en Amérique; il pen-
sait y faire sa fortune et y rétablir sa santé. Mais la compa-
gnie dans laquelle il s'était intéressé ne réussit pas , et sa
santé, toujours pire, le cloua plus que jamais à son fauteuil.
Les dernières années de sa vie furent adoucies par la société
deM^^ScarronetparlesbienfaitsdeFouquet; la présence
d'une femme aimable et spirituelle attira chez lui de nom-
breux visiteurs; la conversation y fut plus décente, sans être
moins piquante. Enfin, il mourut âgé de cinquante ans,
laissant ses amis dans la douleur et sa veuve dans la misère.
On sait comment celle-ci .s'en tira (voyez Maintenon).
Il faut beaucoup pardonner à un malade. Il y aurait de
l'injustice à juger le caractère de Scarron au point de vue
d'une morale rigoureuse. Scarron, surpris par la maladie au
milieu d'une vie oisive, ne fut guère qu'un grand enfant; il
en eut les passions , la convoitise , la gourmandise, les ca.
priées. Il toléra la vie peu édifiante de ses sœurs , se plai-
gnant seulement qu'elles ne fussent pas bien payées de leurs
locataires ; il mendiait de tous côtés , recevait de toutes
mains , s'emportait à tort et à travers , insultait ses bien-
faiteurs et demandait humblement pardon. Mais il ne gardait
rancune à personne; il s'apaisait comme il s'irritait, et fai-
sait le bien avec empressement. Il tira de peine une jeune
fille noble. Céleste de Palaiseau , qu'il avait aimée et qu'un
amant plus favorisé avait trompée. Il recueillit Françoise
d'Aubigné, et lui donna un asile et un nom.
Comme écrivain , Scarron n'est pas à dédaigner. C'est
l'un de nos meilleurs prosateurs. Son Roman comique et
ses Nouvelles seront toujours lus ; ses comédies , écrites
négligemment , renferment des traits beureux et de la verve
comique. On ne les joue plus, et on a grande raison , mais
on peut les lire encore par curiosité. Scarron est le pre-
mier qui ait fait rire sur la scène comique. La comédie de
mœurs introduite par Molière a relégué sur les tréteaux le
genre bouffon; mais c'était quelque chose d'avoir banni du
théâtre ces pièces équivoques qui, sous le nom àecomédies,
n'avaient ni gaieté ni vérité morale. La gaieté vint avec
Scarron ; Molière la conserva en l'épurant , et il y ajouta
la peinture des mœurs , qui rend ses ouvrages aussi durables
que l'humanité.
Bon Japhet d'Arménie est une bouffonnerie assez plai-
sante; elle est restée longlenjps au théâtre, et avec quel-
que bonne volonté on peut rire des tribulations de ce fou,
espèce de matamore, qui tombe dans tous les pièges qu'on
tend à sa vanité crédule. On rencontre çà et là dans cette
pièce des traits vraiment comiques. C'est de Don Japhet
que sont tirés ces vers que La Harpe a cités .
Don Zapata Pascal.
Ou Pascal Zapata , car il n'importe guère
Que Pascal soit devaut ou Pascal soit derrière.
Dans une scène où Japhet se fait connaître au bailli de son
village, il parle un langage phébus que le pauvre villageois
n'entend pas. Les efforts qu'il fait pour s'abaisser au niveau
de son interlocuteur et l'embarras de ce brave homme sont
assez plaisants :
— Entcndcz-vous, liailli , mon sublime langage? — -
Je u'entends pas , monsieur , la langue de la cour.
Japhet essaye de se démétaphoriser ; mais l'habitude l'em-
porte :
L'empereur donc de qui je suis le parallèle :
M'enlcndez-vous , bailli? — Nenni. — Le parangon? —
Encore moins. — Comment! altérer mon jargon,
Ce serait déroger à ma noblesse antique.
A mes noces le grand César rien n'oublia ,
Et fit le bon parent; même il trépudia :
E.nicnAcz-\ons \e fao\. trépudier , compère? /
— Non, par ma foi, monsieur. — C'est danser en vulgaire.
Plus loin , on rencontre le trait suivant :
Votre nom ? —
Je m'appelle Alonzo Gil-Blas-Pcdro-Ramon. —
Tant de noms de baptême ? — Autant. — Mais , mon compère,
On vous soupçonnera d'avoir eu plus d'un père.
On pourrait multiplier les citations de ce genre, car les co-
médies de Scarron fourmillent de traits semblables; mais il
est temps d'arriver au burlesque, genre de comique dont
Scarron est l'inventeur et le modèle.
Le burlesque est la transformation des caractères et des
sentiments nobles en figures et en passions vulgaires, opé-
rée de telle sorte que la ressemblance subsiste sous le tra-
vestissement et que le rapport soit sensible dans le contraste.
Cette définition est celle de la parodie ; mais la parodie n'est
que l'application du burlesque aux sujets dramatiques. Pour
en sentir le sel , s'il y en a , il faut avoir sous les yeux ou dans
l'esprit le modèle qui a été travesti. Pour ceux qui n'ont pas lu
Virgile, V Enéide travestie n'est qu'une bouflonnerie; pour
les connaisseurs , c'est une critique fine et un plaisant tra-
vestissement. L'art de Scarron consiste à prendre dans les
conditions vulgaires les traits analogues à ceux des divinités
et des héros du poëme. Avec un peu de bonne volonté et
de m^iice, le pieux et sensible Énée, si souvent en pleurs
14
SCARRON — SCEAU
et en oraisons, devient facilement un Nicaise bigot et lar-
moyant; Jupiter, en querelle avec sa femme, n'est plus
qu'un mari brutal , et Junon une ménagère acariâtre ; Cas-
sandre, la proplîétesse, une diseuse de bonne aventure , au-
teur d'almanachs ; de Vénus à une fille de joie il n'y a de
distance que le séjour et la naissailce ; le débonnaire Priam
n'est pas plus malaisé à convertir en bon bomme crédule
et curieux. C'est ainsi que Scarron procède à la métamor-
phose de ses personnages , et il leur prête un langage con-
forme à leur abaissement. Pour rendre sa parodie plus pi-
quante , il confond les temps et les lieux , et transporte les
usages modernes dans l'antiquité. De là naissent maintes
surprises qui donnent aux nerfs de fortes secousses et
désopilent la rate. En outre , toutes les fois que son auteur
est en défaut , il ne perd pas l'occasion de mordre en riant.
En voici quelques exemples : on sait que dans le premier
livre de l'£^néide Virgile introduit Énée et le fidèle Achate
dans une galerie de tableaux représentant les malheurs de
Troie ; Scarron fait sentir en passant l'anachronisme par ces
vers :
11 y voit plusieurs grands tableaux ,
Mais qui n'étaient pas peints à l'Iiuilet
Et il relève l'invraisemblance par ceux-ci :
£t qui l'aurait jamais pensé
Que de tout ce qui s'est passé
Dans les affaires de Phrygie
On eût nouvelle en la Libye ?
L'anachronisme est un des moyens favoris de notre poète.
Ainsi Énée veut voir
Si de ce rivage
Le peuple est civil ou sauvage ,
£t savoir si les habitants
Sont chrétiens ou raahouiétans.
Didon dit son benedicite , elle rend la justice sans prendre
d'épices; Énée met ses habits en gage; Junon rebâtit les
murailles de Samos, la fait exempter de tailles, et elle y
fonde deux ou trois collèges , avec de forts beaux privilèges ;
quant à la nymphe Déjopée, que Junon promet à Éole pour
prix de ses services , voici ce qu'elle sait faire :
Elle entend et parle fort bien
L'espagnol et l'italien ,
Le Cid du poète Corneille,
Elle le récite à merveille , •
Coud le linge en perfection
Et sonne du psaltérion.
Je ne pousserai pas plus loin ces citations ; elles montrent
les différentes sources du comique employé par Scarron.
D'ailleurs les curieux trouveront facilement VÉnéide tra-
vestie. Au reste , les sept chants parodiés par Scarron ne
doivent pas être lus d'une seule haleine ; quels que soient
la gaieté et l'esprit du poète, la parodie lasse bien vite ; on
se fatigue de rire de ce qu'on devrait admirer; et la surprise
de plaisir arrachée à la malignité de notre cœur cesse bientôt
par le retour et le triomphe des nobles sentiments , qui sont
la vraie nourriture et le nerf de l'intelligence humaine.
J'ai déjà ditque Scarron a pris une meilleure place comme
prosateur. Le style aussi bien que les caractères , la vérité
des moeurs et le comique des situations, feront vivre son
Roman Comique , malheureusement inachevé , mais dont
les premiers livres nous ont fait connaître des physiono-
mies qu'on n'oublie pas : Destin et L'Étoile , ce couple gra-
cieux et digne dans une vile condition; Ragotin, avec ses
lisibles colères , sa petite taille et ses hautes visions ; La
Rancune, issu de Panurge en ligne directe, et enfin, le
grand et phlegmatique La Baguenodière. Les nouvelles de
Sjcarron sont aossi pleines d'intérêt ; et ce n'est pas une
médiocre gloire pour l'auteur des Hypocrites que son Mon-
tufar ait donné des leçons à Tartufe, et que l'héroïne delà
Précaution inutile ait fourni quelques traits à la naïve
figure de VÀgnès de Molière. Géruzez.
SCAURUS ( Marcis jEmilius ) , né à Rome , vers l'an
163 av. J.-C, d'une famille pauvre, mais d'origine patri-
cienne , s'éleva , par ses talents et l'énergie de son carac-
tère, jusqu'aux premières dignités delà république, et acquit
de grandes richesses. Après avoir abandonné le commerce
du change et de la banque, et avoir servi pendant quelque
temps en Espagne ainsi qu'en Sardaigne, il parvint en
l'an 123 à l'édilité , et en l'an 120 à la préture. Habile à
dissimuler son ambition et son avarice, il demeura pur des
corruptions que Jugurlha pratiqua à Rome quand il y fut
dénoncé par Adherbal. Nommé consul en l'an 115, il fit la
guerre avec succès en Gaule, et figura dès lors en qualité
de princeps senatus parmi les chefs du parti sénatorial ,
tout en conservant un grand crédit parmi le peuple , qui le
renvoya absous de différentes accusations. En 109 il fut
nommé censeur, et deux ans après, en 107, pour la deuxième
fois, consul, en remplacement de Lucius Cassius, mort en
combattant les Tiguriens. En l'an 100 il figura au nombre
de ceux qui prirent les armes contre Saturninus. Peu
de temps avant sa mort , en l'an 90 , le tribun Varius l'ac^
cusa d'avoir excité les alliés à déclarer la guerre à Rome ;'
mais Scaurus s'entendit avec lui, et il retira son accusa-
tion.
Scaurus est un des premiers Romains qui aient eu l'idée
de composer leur autobiographie. Un de ses fils, qui avait eu
le malheur de prendre la fuite devant les Cimbres, se suicida
de désespoir par suite des reproches sanglants que lui adressa
son père. L'autre, appelé Marcus comme lui, se trouva le
beau-fils de Sylla, quand sa mère, devenue veuve en l'an 88,
épousa le dictateur en secondes noces. Questeur dans l'ar-
mée de Pompée pendant son expédition contre Mithridate,
il accrut encore la fortune immense dont il avait hérité de
son père, puis la dissipa, pendant ses fonctions d'édile en
l'an 58, par le luxe avec lequel il traita le peuple. Pour cér
lébrer des jeux scéniques qui ne devaient.durer qu'un mois,
il fit construire en boisun théâtre capable de contenir 80,000
spectateurs. La scène en était décorée de 360 colonnes de
marbre et de 3,000 statues d'airain ; les murailles étaient
ornées de marbre, d'incrustations en mosaïque et de tables
en bois doré , et décorées de peintures de Sicyone et de ta-
pisseries précieuses. Dans le cirque , il fit paraître devant
le peuple 150 panthères, 5 crocodiles et 1 hippopotame.
Après sa préture, en l'an 56, il s'enrichit de nouveau ea
Sardaigne. Mais s'étant mis sur les rangs pour obtenir le
consulat, il fut accusé de concussion parTriarius. Défendu
par divers orateurs , notamment par Hortensius et par Ci-
céron, dont le plaidoyer est en partie parvenu jusqu'à nous,
et acquitté sur ce chef, il fut condamné à l'exil sur celui
à''ambitus, quoique défendu encore sur ce point par Cir
céron et que le peuple réclamât son acquittement. La mai-
son qu'il possédait sur le mont Palatin était célèbre par la
magnificence de son architecture et la richesse de son ameu-
blement; aussi M. Mazois a-t-il intitulé Palais de Scau-
rus ses intéressantes recherches sur une maison romaine.
SCAZON. Voyez Choliambe.
SCEAU (du latin sigillum, dont on a fait d'abord par
contraction scel) , lame de métal, à face plate et ordinai-
rement de figure ronde ou ovale, sur laquelle sont gravées
en creux la figure, les armoiries, la devise d'un roi, d'un
État, d'une ville, d'une corporation, et dont, au moyen de
la cire ou de toute autre matière, d'abord molle, et acqué-
rant ensuite une consistance qui les rend ineffaçables, on
reproduit des empreintes , sur des documents, des actes ou
des lettres , en papier ou en parchemin, afin de leur don-
ner un caractère plus authentique. Cet usage remonte à une
haute antiquité; il en est déjà fait mention dans la Genèse.
Les Égyptiens gravaient d'ordinaire leurs sceaux sur des
pierres précieuses ; et ils y représentaient tantôt la figure
du prince, tantôt des symboles. Quoique l'usage des sceaux
existât parmi les Romains , il ne parait pas qu'ils aient eu
des sceaux publics. Seulement, les empereurs employaient
pour signer leurs rescrits une encre particulière , dont
SCEAU — SCÈNE
leurs sujets ne pouvaient se servir sans encourir J& peine
du crime de lèse-majesté au second ctief. A l'origine , les
matières employées pour recevoir l'empreinte des sceaux
variaient suivant la différence des classes. A la cire , telle
qu'elle provient de la ruche , on substitua , avec le temps,
la cire colorée. On se servit aussi de plomb , puis des mé-
taux même les plus précieux. Les empereurs de Byzance
employaient pour leurs sceaux l'or et l'argent; les papes
et les grands-maîtres des ordres religieux et de chevalerie
se servaient de plomb. Plus tard, les empereurs et les rois
scellèrent leurs actes avec de la cire rouge et concédèrent
le même droit à d'autres princes et seigneurs. Les abbayes
et couvents employaient la cire verte ; les villes libres im-
périales, la cire blanche; le patriarche de Jérusalem et les
grands-maîtres d'ordres religieux , pour le courant des af-
faires, la cire noire.
Les rois de France de la première race, à l'exception de
Childéric l*"" et de Childéric III , avaient pour sceaux des
anneaux orbiculaires. Charlemagne n'en avait point d'autre
que le pommeau de son épée, où était gravé son sceau. Sous
Philippe-Auguste le sceau tenait encore lieu de signature,
parce qu'alors il n'y avait que les clercs qui sussent écrire.
Les objets représentés sur les sceaux varient à l'infini.
Dans les temps les plus reculés , ils reproduisent les traits
de celui à qui ils appartenaient. C'est ainsi que sur les sceaux
des empereurs d'Allemagne , pendant la première partie du
moyen âge , on trouve leur tête, le plus souvent gravée sur
un anneau et d'un fini remarquable. A cette époque, déjà ,
les sceaux ne représentaient pas toujours uniquecnent des
figures , mais quelquefois aussi d'autres objets ou symbo-
les; ce ne fut guère d'ailleurs que vers le milieu du quator-
zième siècle que s'introduisit l'usage de graver des armoiries
sur les sceaux. Celui d'y marquer le nombre qui dislingue
les princes de même nom ne date que du dixième siècle;
cependant François F"" est le premier de nos rois qui l'ait
suivi.
Les sceaux servirent ensuite à fermer des lettres et à em-
pêcher les tiers d'en prendre connaissance. Quand le sceau
était renfermé dans une capsule , pour le mettre à l'abri
des accidents, ou bien lorsqu'il était apposé sur un métal,
il recevait le nom de ô m iie; expression employée plus tard
pour désigner l'acte même.
Pour garantir les sceaux d'être contrefaits, on imprimait
souvent un sceau particulier au revers du grand sceau ;
c'est ce qu'on appelait contra-sigillum, d'où nous avons
fait notre mot contre-scel , encore en usage aujourd'hui
comme terme de chancellerie.
Le pape a deux sortes de sceaux. Le premier, dit anneau
(lu pêcheiir, est un gros anneau où l'on voit la figure de saint
Pierre qui tire ses filets remplis de poissons. Il sert pour
les brefs apostoliques et les lettres secrètes. L'autre , qu'il
emploie pour les bulles , a la tête de saint Pierre à droite
et celle.de saint Paul à gauche, avec une croix entre les
deux figures d'apôtres; et, de l'autre côté, le nom du pape,
quelquefois avec ses armes , mais rarement. Le sceau des
brefs s'imprime sur de la cire rouge, et celui des bulles
sur du plomb.
Le soin de garder les sceaux de l'État ou du prince était
o.vdinairement confié à un des premiers fonctionnaires de
l'État, ou bien était commis à des employés spéciaux,
sous les empereurs grecs de Byzance, par exemple, aux
logothètes, sous les Mérovingiens aux référendaires, sous
les Carlovingiens, de même que sous les empereurs et les
rois depuis cette époque, aux chanceliers.' En France, le
chancelier exerçait à l'origine ces fonctions ; mais comme
sa charge était inamovible, les rois, lorsqu'il venait à
tomber en disgrâce , nommaient un garde des sceaux qui
jouissait du même rang, des mêmes honneurs que lui. Par
la suite, et sous le régime constitutionnel, le titre de garde
des sceaux devint affecté aux fonctions de ministre de la
justice
En Angleterre, depuis le règne d'Elisabeth, les (onctions
15
de lord chancelier et celles de lord garde des sceaux ( lord
keeper ofthe great seul), jadis distinctes, sont ordinaire-
ment réunies. Toutefois , il existe pour le petit sceau royal
un fonctionnaire particulier, dit lord keeper o/the priv y
seal, et dans l'usage ordinaire, par abréviation, lord privy
seal, par les mains duquel doivent passer tous les actes et
documents avant de recevoir le grand sceau de l'État.
SCEAU DE SALOMON (Botanique). Voyez Mo-
GUET ( Botanique ).
SCEAUX, ville de France, chef-lieu d'arrondissement,
dans le département de la Seine, à 11 kilomètrts au sud
de Paris, avec 2,035 habitants, un marché à bestiaux pour
l'approvisionnement de Paris, quelques maisons de cam-
pagne, un parc public, qui faisait autrefois partie du do-
maine de Sceaux, et où se tient un bal d'été renommé : c'était
le jardin de la Ménagerie. Colbert , qui acheta la terre de
Sceaux et bâtit le château, y reçut deux fois son souverain;
la célèbre duchesse du Maine en fil plus tard un séjour dé-
licieux , où les fêtes se succédaient sans interruption, et qui
appartint ensuite au comte d'Eu et au duc de Penthièvre. Une
belle pièce d'eau , une superbe avenue , une orangerie trans-
formée en grange et quelques statues éparses dans des terres
labourées , sont tout ce qui subsiste aujourd'hui de cette
belle résidence princière, détruite à la révolution comme
Marly et Choisy. Sa superficie était d'environ 280 hec-
tares. Rien qu'avec la revente des bois du parc , des pierres ,.
des fers, des plombs , des glaces, etc., du château , l'acqué-
reur, un nommé Lecomte, solda son prix d'acquisition, et eut
pour bénéfice net les 280 hectares clos de murs. Trente ans
plus tard il les donnait en dot à sa fille , aujourd'hui M""* la
duchesse de Trévise.
Sceaux est relié à Paris par un chemin de fer construit
suivant le système de trains articulés de M. Arnoux, qui
permet aux yvagons de décrire des courbes.
SCELLÉ (dérivé de sceau). On appelle ainsi un acte par
lequel un magistrat constate qu'il a apposé son sceau sur
les entrées d'un logement ou les ouvertiires d'un meuble
pour empêcher d'y pénétrer et pour conserver ce qu'il ren-
ferme, et où il décrit sommairement tout ce qui peut ou doit
être renfermé dans un lieu ou meuble fermant à clef.
Vapposition des scellés sur les effets mobiliers d'une
personne est prescrite pour leur conservation dans l'inté-
rêt des tiers. Elle a lieu dans les cas d'absence, de séparation
de biens, de séparation de corps, d'interdiction, de faillite,
enfin dans le cas de mort civile ou naturelle. Le Code de
Procédure ne s'occupe avec détail que de Vapposition des
scellés après décès ; mais les formalités qu'il prescrit pour
ce cas doivent s'appliquer à tous les autres. C'est toujours
le juge de paix qui procède à cette formalité de justice. Tous
ceux qui ont le droit de faire apposer les scellés sont auto-
risés à en requérir la levée.
SCELLÉS ( Bris de ). Voyez Bris.
SCÈiVE (du latin sce«a, dérivé du grec oxyivri), partie
d'un théâtre où les acteurs représentent devant le public des
ouvrages dramatiques (voyez Art dramatique et Théâtre),
Vavant-scène est la partie antérieure du théâtre la plus
rapprochée des spectateurs.
C'est contre le mur de séparation de l'orchestre et de l'a-
vant-scène que sont placés le trou du souffleur et l'appareil
d'éclairage appelé rampe- Chez les anciens il n'y avait point
d'avant-scène, comme on l'entend de nos jours. Le Ttpoa-
x'ôvtov des Grecs et le proscenium des Romains contenaient
tout ce que nous appelons aujourd'hui la scène. Chez eux
elle se résumait dans le mur ou la toile du fond, presque
toujours décorée avec magnificence et représentant d'or-
dinaire un portique de temple ou de palais , donnant sur
une place publique. Notre avant-scène, qui n'est qu'une
minime partie de ce proscenium , commence à la chute
du rideau et vient mourir en pente douce aux quinquets de
la rampe. Lorsque le rideau est levé, cette paille se con-
fond avec la scène proprement dite : c'est là que souvent
les acteurs s'avancent pour remplir certaines parties de leur
16
SCÈNE — SCEPTICISME
rôle , notamment les a parte , et pour lancer ce qu'on ap-
pelle le couplet au public. Figurément, on appelle avant-
scène ce qui est raconté dans l'exposition d'une pièce,
comme s'élant passé avant l'action.
Mettre un ouvrage en scène, c'est régler la manière
dont les acteurs doivent le représenter. On dit dans le
même sens, au figuré : Briller sur la «cène du monde.
L'homme toujours en scène est celui dont le maintien est
apprêté.
Scène indique aussi la décoration du théâtre : La scène
représente de palais d'Auguste. C'est encore l'action elle-
même : La scène esta Rome, à Babylone, à Paris.
Scène se prend en général pour l'ensemble de l'art dra-
matique : Les plaisirs, les jeux, les chefs-d'œuvre, les
maîtres de la scène; l'entente de la scène.
Scène désigne encore chaque division d'un acte de poëme
dramatique, division oii l'entretien des acteurs n'est inter-
rompu ni par l'arrivée d'un nouvel acteur, ni par la sortie
d'un de ceux qui sont sur le théâtre. Le poëme dramatique
se divise en actes , et les actes se subdivisent en scènes :
Scène languissante, scène bien filée, scène muette.
Scène se dit, par extension, d'un ensemble d'objets qui
s^offrent à la vue : Les glaciers de la Suisse forment une
scène imposante; Dans les Pyrénées la scène change à
chaque pas. C'est également toute action qui offre quelque
chose de vif, d'animé, d'intéressant, d'extraordinaire : Je
Tiens d'être témoin d'une scène attendrissante. Faire une
scène à quelqu'un, c'est l'attaquer violemment de paroles.
SCÉIVIQUES (Jeux). On appelait ainsi à Rome les
divertissements , fort simples dans l'origine , qu'on exécutait
sur un théâtre (.scène) et consistant en danses de caractère
exécutées au son de la flûte , sans aucun accompagnement,
soit de chant, soit de mimique. Suivant la tradition, l'usage
s'en établit vers l'an de Rome 361 , à l'occasion d'une peste
qui décima la ville. Alors, entre autres moyens curatifs em-
ployés pour combafre le fléau , on imagina de faire venir
d'Étr\irie des acteurs ou histrions, afin d'apaiser la colère
des dieux par les représentations qu'ils donneraient en pu-
blic. Plus tard, on y ajouta des chants et dps représentations
mimiques; puis on finit par désigner sous la dénomination
de jeux scénïques , en opposition aux exercices des lut-
teurs , aux courses, etc. , toutes les représentations théâ-
trales.
On sait qu'au temps de la décadence de la république
les premiers magistrats et les ambitieux chefs de parti
déployaient à l'envi une extrême magnificence dans la cé-
lébration des jeux scéniques , afin de se concilier de la sorte
la faveur dn populaire. Auguste et les autres empereurs
après lui persévérèrent dans cette politique , et par leurs
profusions incessantes effacèrent le souvenir des munifi-
cences du passé. Ces solennités se perpétuèrent jusqu'à la
chute de l'empire romain.
SCÉNOGRAPHIE (du grec (txyivyj, scène, et Ypà<pw,
je décris). C'est, en termes de perspective, la représenta-
tion d'un corps en perspective sur un plan, c'est-à-dire la
représentation de ce corps dans toutes ses dimensions, tel
qu'il paraît à l'œil.
La scénographie diffère de Vichnographie et de
Vorthographie. Supposons qu'il s'agisse de représenter
un bâtiment : Vichnographie en sera le plan ou la cou[ie
par en bas, Vorthographie la représentation de sa façade,
enfin la scénographie sa représentation dans son entier,
c'est-à-dire de ses faces, de sa hauteur et de toutes ses di-
mensions.
SCEPTICISME, SCEPTIQUES (du grec <jxé|iç, obser-
Wition , examen ). Par ces expressions : idées , opinions
sceptiques , on désigne celles qui révoquent en doute la
vérité de certains principes généralement admis , de cer-
taines autorités dominantes. Les philosophes grecs auxquels
on a donné le nom de sceptiques sont aussi appelés pijrrho-
niens, de Py rr h on d'Élide, qui fut chez les Grecs le pre-
mier sceptique de quelque célébrité , ou bien aporétiques ,
c'est-à-dire incertains, ou encore ^pAec^j^îtes, c'est-à-dire
abstenants, parce qu'ils s'abstenaient de tout jugement dé-
cisif. Timon , disciple et ami de Pyrrhon, développa da-
vantage les opinions sceptiques, et les appliqua aux idées
émises par les anciens philosophes. A proprement parler,
les sceptiques ne formèrent point d'école, puisqu'ils ne
transmirent pas de dogmes, mais seulement un procédé
de raisonnement appelé CTxl|t;, oh le doute. Quant à eux,
ils se défendirent toujours de vouloir faire école , et n'annon-
cèrent d'autre prétention que celle de poser les principes
d'après lesquels il était raisonnable de baser la conduite
de l'homme. Toutefois, il.s paraissent avoir successivement
précisé leurs objections contre le dogmatisme.
Le scepticisme ancien attaquait et niait surtout la certi •
tude des notions qui nous sont transmises par les sens,
c'est-à-dire mettait en doute que les choses fussent réelle-
ment telles que nous les voyons; tandis que le scepticisme
moderne s'attache surtout à révoquer en doute que nous
percevions réellement tout ce que nous croyons percevoir,
et prétend qu'il est possible que les idées que nous nous
faisons à l'égard de la constitution extérieure du monde ne
soient que le résultat de notre imagination. .Mais le doute
s'est aussi trouvé maintes fois en lutte avec des systèmes
philosophiques arrêtés et bien complets. A cet égard , on
peut dire avec justesse qu'il est l'ombre que projettent les
systèmes ; il remplit alors le rôle de la critique philosophique
et sert de contre-poids salutaire au dogmatisme. Le critique
est sceptique à l'égard de l'objet de sa critique , car il n'ad-
met la justesse des assertions d'autrui que lorsqu'elle lui
a été démontrée par des preuves irrésistibles. Aussi le doute
ne disparaîtra-t-il de l'histoire de la philosophie que le jour
où la philosophie elle-même sera parvenue à résoudre son
problème d'une manière irréfragable. Comme négation di-
recte de la pensée, jamais le doute ne pourra d'ailleurs
avoir d'importance en lui-même. La maxime qu'il n'est pas
de proposition qui ne puisse être l'objet d'un doute, et
celle-ci toute la première, se réfutent d'elles-mêmes; c'est
là ce qui prouve combien étaient conséquents les anciens
sceptiques quand ils déclaraient ne trouver de point d'ap-
pui solide que dans une complète indifférence à l'égard de
toute distinction à établir entre le vrai et le faux. Recon-
naissons cependant qu'un doute qui conduit à l'indifférence
ne laisse pas que de différer du doute provenant de l'in-
différence, et que le doute n'est alors en définitive que la
paresse de l'esprit reculant devant le travail et la fatigue
de la pensée et de l'invcsugation. Enfin, il va de soi que le
scepticisme ne se limite point au domaine de la philosoph'ie,
qu'il peut tout aussi bien aborder ceux de la religion , de
la théologie , de la médecine ou de l'histoire , et qu'il re-
vêt des formes différentes suivant l'origine, l'objet et la
nature des notions qu'il soumet au doute.
[Le scepticisme ou pyrrhonisme peut être donné comme
fin ou comme moyen de la philosophie. Comme moyen, il
servit à la fonder, et sert toujours à la renouveler. Pour
philosopher ou se rendre compte des choses , il ne suffit pas
à l'esprit d'avoir beaucoup d'aperçus sur chacune d'elles, et
par conséquent sur lui-m<-me, il faut de plus que, rentrant
en soi jusqu'aux idées primitives qui le constituent , il y
cherche la raison de ces aperçus , qu'il les voie à la lumière
naturelle dont elles sont la source. Pour appliquer ceci à
l'esprit même, en vain aurait-il remarqué qu'il a un enten-
dement et une voionlé, considéré leur action dans les
moindres détails : il ne se serait point rendu compte de soi.
Or ce compte rendu de soi , par où l'esprit humain devrait
commencer, est ce qu'il aborde le dernier. Jeté hors de lui-
même, il n'y rentre qu'à l'extrémité, et lorsqu'il y est poussé
par ses écarts. Voyez-le à l'origine : pendant deux siècles,
il n'y a rien qu'il ne travaille à connaître : que d'efforts,
que de notions même acquises dans les écoles d'Ionie et
d'Italie, tant sur ce qui échappe aux sens que sur ce qui
tombe sous leur prise l Comme dans l'école d'Élée,il les
tourne et les retourne , afin de les asseoir et de les coordon-
SCEPTICISME
ner! Et où cela le conduit-il? Ou'à s'embarrasser et se con-
fondre dans d'incroyables subtilités, et à ne jamais songer
au principe du savoir, qu'il porte si intimement et dans sa
propre constitution. Mais lorsque le sophisme , ne connais-
sant plus de frein, ose supplanter la sagesse et se poser le
maître de la pensée , l'esprit ne peut tenir dans cet état vio-
lent et contre nature, et pour en sortir il est forcé de tout
révoquer en doute; ce qui, de procheen proche, le mène en
lui-même, c'est-à-dire à ses idées essentielles, où le doute ne
saurait mordre, puisque pour douter il faut penser, et que
sans elles la pensée serait impossible. Avec ces idées-là, il con-
fond , terrasse l'erretir et le mensonge , éclaircit , développe
les vérités connues, en découvre une foule de nouvelles ,
les enchaîne les unes les autres , et les établit sur leurs
fondements. Qui ne se rappelle ici Socrate et Platon,
et cette ignorance feinte, railleuse , insidieusement question-
neuse , « qui ne sait autre chose sinon qu'elle ne sait rien , »
dont ils foudroient l'armée des sophistes que l'école d'Élce
a versés sur la Grèce? Par cette révolution ils créent la
philosophie , qui produit aussitôt un ensemble régulier et
lumineux de connaissances et des écrits sublimes. Cepen-
dant, l'esprit, en suivant les dernières conséquences des
principes établis et les plus minimes circonstances de chaque
conception , s'éloigne insensiblement de soi , perd de vue
les idées premières , et se trouve surtout attiré et attaché au
dehors parla science demotsd' A ristote. Afmde le rentrer
en lui-même et de ranimer la philosophie expirante, P 1 o t i n
et saint Augustin sont également obligés d'employer le scep-
ticisme. S'il n'est point prononcé dans leurs ouvrages comme
dans ceux de Socrate et de Platon, il existe plus actif dans
leur âme, ainsi que l'attestent les anxiétés auxquelles ils sont
en proie à l'égard du vrai et les tourments qu'ils se donnent
pour le démêler. Mais où le scepticisme a été le plus néces-
saire, c'est après la longue et tyrannique domination de
l'aristotélisme au moyen âge. Aussi , avec quelle audacieuse
détermination l'applique Descartes! avec quelle inexorable
rigueur il sépare de l'esprit tout ce que le doute peut y at-
teindre ! Il ne lui laisse que de savoir qu'ii est une chose
qui pense. Mais comme de ce point unique, qui parait si
faible, quoiqu'il soit la force même, étant la substance
pure de l'esprit, comme de ce point unique il tire puissam-
ment la nouvelle et incomparable chaîne des sciences ! Ce
que le génie est obligé de faire aux époques de restauration,
chacun doit ensuite le répéter pour soi , et nul ne parvient
à la connaissance raisonnée ou philosophique de la vérité
qu'en se suspendant à l'incertitude.
Au contraire, le scepticisme, donné comme fin de la
philosophie , comme ce à quoi elle aboutit , et où elle de-
meure avec l'insurmontable impuissance d'en sortir, la tue
ou plutôt en est la mort, puisqu'il récuse les principes du
savoir, et que la philosophie consiste à les manifester avec
une évidence saisissante. De là vient qu'il éclate lorsque
cette évidence se dérobe à l'esprit éloigné de la vue intime
de ces principes ou de lui-même, et tombé dans les notions
confuses, les arguties ou l'érudition , c'est-à-dire au déclin
de la philosophie. Il ne paraît point encore systématique-
ment à la ruine des écoles d'Ionie, d'Italie et d'Élée.qui
n'ont pu fonder la philosophie : Protagoras , Euthydème ,
Gorgias et les autres sophistes n'offrent qu'un mélange in-
cobéreutde doute etdenégation. Mais dès le commencement
du quatrièjne siècle avant Jésus-Christ, on le voit constitué
par Py rrhon et son disciple Timon de Phlionte, dans les
écoles d'Élée , d'Érétrie et de Mégare , toutes les trois si vite
CA décadence. Après les avoir dissoutes , il se traîne obscu-
réipent pendant près de trois cents ans jusqu'à Énésidème ,
qui le relève , l'affermit et lui donne la vogue , ainsi que ses
successeurs Zeuty ppe ,Zeuxis, Ménodote, Hérodote, Sextus
l'Empirique, pour ne parler que des plus renommés. Plotin
et saint Augustin le chassent pour douze siècles. Reproduit
par Montaigne, Charron, Le Vayer, il tombe devant
Descartes. Ainsi , le scepticisme qui est but précède immé-
diatement le scepticisme qui est moyen ; et si la philosophie
DICT. DE LA CONVERS. « T. XVI .
17
périt dans l'un , elle renaît aussitôt par l'emploi de l'autre.
Le premier est aussi absurde et funeste que le dernier est
évidemment raisonnable et utile.
Douter pour rester dans le doute ne se peut. Rester dans
le doute, c'est assurer qu'on doute , par conséquent ne point
douter qu'on doute, et sur ce point sortir du doute est entrer
dans ta certitude. Voudrait-on douter qu'on doute ? Eh bien
la certitude, au lieu de se lever au premier doute, se lève
au second, à moins qu'on doute aussi de ce doute; ce qui
la recule au troisième, ainsi de suite. Mais toujours elle se
montre invinciblement au doute où l'on s'arrête , et il faut
bien s'arrêter sur quelqu'un , ne pouvant entasser doute sur
doute à l'infini. Impossible avec la pensée comme sans la
pensée, le doute n'estdonc qu'une monstruosité, qu'un délire
incompréhensible. Dissimulons un instant cette inéliidable
nécessité où sont les sectateurs du doute de l'anéantir dans
l'acte même par lequeJ ils prétendent l'enfanter; supposons-
le en soi possible , et voyons un peu comment hors de ce
point ruineux , où il se brise éternellement contre lui-même ,
ses sectateurs le fondent et lui donnent l'empire. S'agit-il
d'objets sur lesquels tout le monde est d'accord, ils s'é-
vertuent à établir le contraire du sentiment universel , afin
de l'ébranler et de le rendre problématique. Qui , par
exemple, n'est convaincu que de deux nombres inégaux
le plus petit est contenu dans le plus grand? qui n'est con-
vaincu que Socrate est mort? Là-dessus est-il quelque con-
testation supportable? Mais nos gens .sont d'un autre avis :
« Si 5, disent-ils, est contenu dans 6 comme le plus petit
nombre dans le plus grand , par la môme raison 4 est con-
tenu dans 5, et 3 dans 4, 'et 2 dans 3, et 1 dans 2 : ainsi,
il arrivera que 5, 4, 3, 2 et 1, seront contenus dans 6; or,
1, 2, 3, 4, 5, ajoutés ensemble faisant 15, il en résultera
que 15 sera contenu dans 6 , si on accorde que le plus petit"'
nombre est contenu dans le plus grand (Sextus l'Empi-
rique, Institut, pyrrhon., liv. III, ch. 10). Si Socrate
est mort, ou bien il est mort quand il vivait, ou bien il est '
mort quand il était mort. Mais lorsqu'il vivait, il n'était
pas mort, autrement le même vivrait et serait mort. 11 n'est
pas mort non plus lorsqu'il était mort, autrement il serait
mort deux fois. Donc Socrate n'est pas mort {ibid., ch.
10). » Ce serait (aire injure au lecteur le moins attentif
que de s'arrêter à montrer la puérile absurdité de ces rai-
sonnements. Les pyrrhoniens pourtant n'en offrent point
d'autres. S'agit-il d'objets sur lesquels on est partagé , ils
arguent triomphalement de cette diversité. Ainsi , qiJ'ils en-
tendent le plus borné et le plus ignorant des mortels nier
l'existence de Dieu et de l'âme, ils n'en demandent pas da-
vantage pour prétendre que cette étourderie balance l'en-
seignement du génie et de la science et la persuasion dn
genre humain. Même force d'argumentation à l'égard du
vrai, du faux, du bien, du mal, du juste, de l'injuste, du
vice, de la vertu, de l'espace, du temps, du mouvement,
du repos, de la réalité des corps, de l'unité et de la multi-
plicité des choses, enfin de tout ce qui a trouvé contradic-
tion sur la terre. Les voyez-vous fouiller dans les moeurs
des peuples, et lorsqu'ils ont déterré quelques oppositions
ou quelques différences entre leurs lois, leurs coutumes,
leurs pratiques, s'armer de ces variations pour attaquer
dans leur immuable essence le droit et le devoir? A qui dans
ridée de perfection infinie contemple Dieu , qu'importe l'a-
théisme de quelques individus, qu'importerait même l'a-
théisme du genre humain, s'il était possible que le genre
humain entier fût athée? A qui dans l'idée de rectitude
immuable contemple le droit, qu'importe la diversité des
coutumes et des lois? Bien plus, du haut des idées , il com-
prend comment des esprits , même cultivés, mais qu'avefl-
glent les doctrines sensuelles, peuvent méconnaître la sou-
veraine intelligence ; comment le droit , quoique immuable
en soi, peut subir des applications diverses selon le carac-r
tère des temps , l'humeur des peuples et la situation des
pays, et ne s'étonne point de voir le mariage entre frère et
sœur, nécessité des premières familles, se prolonger dans-
l
18
SCEPTJGISME — SCHADOW
nn peuple dont l'origine est si reculée, et qui se plaît dans
l'immobilité des usages.
Ainsi , le scepticisme est détruit par la seule conversion
de l'esprit à lui-même, et ne saurait l'être par le raisonne-
ment. N'étant point l'erreur d'un esprit qui raisonne, mais
l'état d'un esprit qui s'est éloigné des principes de la raison ,
le raisonnement ne lui est pas môme applicable. Lorsque le
génie entreprend de nous retirer de cette lamentable situa-
tion, il se garde bien de nous argumenter; il feint, au con-
traire, d'entrer dans notre incertitude: oui, nous dit-il,
tout est douteux; vous ne pouvez rien affirmer sur le té-
moignage des sens, qui vous trompent si souvent, rien sur
celui du raisonnement , qui si souvent aussi vous égare. En
cheminant avec nous d'incertitude en incertitude, il noiis
attire insensiblement au fond de notre être, dont la réalité
propre , déclarée par les idées primitives qui le constituent
et par l'acte même de penser, met terme au doute et com-
mence ia certitude. Encore un coup , le scepticisme ne meurt
que par une révolution intime, qui du dehors nous reporte
en nous-mêmes, comme il ne naît que par une révolution
contraire, qui de nous-mêmes nous entraîne au deliors.
L'une témoigne de l'extrême force de la pensée, et l'autre de
son extrême faiblesse.
Ce système n'est pas moins funeste dans ses effets qu'ab-
surde en lui-même. S'il n'y a ni vrai ni faux, ni bien ni
ma], ni juste ni injuste, ni vertu ni vice, il n'y a ni raison,
ni volonté, ni conscience. Les puissances del'àme sont abo-
lies, et l'homme ravalé au rang des animaux. Vous croyez
que cette dégradation fait peur aux sceptiques? C'est juste-
ment ce qu'ils ambitionnent. Ayant remarqué, disent-ils,
que les hommes ne se donnent tant de mouvement et de
peine que parce qu'ils jugent certaines choses meilleures
que les autres et les préfèrent, ils ont arrêté de les tenir
toutes dans l'indifférence, afin de s'épargner les soucis du
choix et de se laisser doucement coulera l'aventure sur le
fleuve de la vie. C'est pour eux le chef-d'œuvre de la sa-
gesse , le souverain bien. Qu'ils coulent donc le fleuve de
la vie sans les ressources nécessaires aux besoins de la na-
ture, ou qu'ils obtiennent ces ressources avec leur stupide
que m'importe' Lesressources, fruit de la civiHsation et
proportionnées aux progrès de la philosophia, de la religion
et de la morale, aussi bien que de l'industrie et des arts,
n'arrivent que parce qu'on ne tient rien dans l'indifférence
et qu'on se livre à des soins et à un labeur continuels. Mal-
heureusement, l'esprit humain , aux époques de sa faiblesse,
se prête à ces dispositions fatales du scepticisme. S'il s'y
prêtait longtemps , il finirait par périr, et entraînerait dans
sa ruine la civilisation et ses bienfaits. Mais cet oubli de sa
puissance et de sa dignité ne dure qu'un instant; bientôt il
sfi réveille plus actif que jamais, avec la soif du vrai et de
l'utile, et se remet à poursuivre leur règne sur la terre.
Croirait-on que ce système est proposé par Montaigne, et
après lui par Le Vayer, Huet, évêque d'Avranches, et de nos
jours par M. de LaMennaiscommele seul conforme au chris-
tianisme ! Pourquoi?, Parce que, établissant l'impuissance de
la raison à se rien assurer, et l'indifférence absolue, il nous
dispose à nous soumettre humblement et sans restriction à
l'autorité divine, et à nous laisser détacher des objets d'ici-
bas, pour être eni portés tout entiers vers les biens du ciel.
Sans doute, reconnaître que nous n'avons en ce monde ni
lumières suffisantes ni satisfaction solide et durable est une
disposition essentielle pour devenir et rester chrétien ; car
comme le christianisme s'offre pour suppléer ce qui nous
manque, et qu'il nous impose des obligations pénibles, il
est clair que pour l'accepter il faut que nous en sentions
îe besoin. Mais qu'a ceci de commun avec une opinion qui
nous interdit de rien connaître et de prendre intérêt à quoi
que ce soit? Si le cb.ristianisme enseigne quelques vérités qui
nous passent, telle=que la reunion en Jésus-Christ des deux
natures divine et humaine , les sacrements , il permet , il re-
commande d'examiner l'autorité qui les prescrit, de peser
188 motifs qui peuvent déterminer à les croire, et ainsi il fait
intervenir la raison dans la foi. Cependant, le plus granl
nombre de ses dogmes nous étant accessibles et revenant
aux principes mêmes de la philosophie, il livre donc pour
l'ordinaire notre raison à son exercice le plus sublime. Quant
aux choses du temps, il ne veut pas sans doute que notre
amour s'y concentre, parce qu'elles sont secondaires et fu- .
gitives;mais il ne reconnaît pas moins le prix qu'elles ont
dans cette vie transitoire, puisqu'il est si attentif à en régler
l'usage. Est-ce là cette foi aveugle, cette insouciance stu- ,
pide dont on voudrait faire la condition du chrétien? Les
insensés ou les perfides ! ils ne voient pas ou ils feignent de
ne pas voir que le christianisme, en relevant l'homme déchu,
a rétabli ses puissances naturelles, l'a rendu plus intelligent
que jamais, et capable de tirer pour la première fois des
biens de la terre la jouissance véritable, en d'autres termes,
qu'il lui a fait produire la civilisation moderne, fille de la
raison et de la liberté. Le scepticisme va donc au christia-
nisme comme l'obscurité à la lumière, comme la mort à la
vie. On en veut faire un bouclier pour la religion, alors
qu'il la livre sans défense à l'incrédulité et à l'épicuréisme.
Tous ces soi-disant beaux esprits, hommes et femmes, qui
ne croient et n'aiment que les plaisirs, qui ont souillé notre
civilisation, d'elle-même si morale, et l'ont déconsidérée aux
yeux de beaucoup d'âmes honnêtes, ne prennent-ils pas
Montaigne pour idole? Oui, quiconque, au nom du chris-
tianisme , prêche l'abdication de la raison , l'anéantissement
de la nature, n'est qu'un fourbe ou un fou; et ces décla-
mations contre la faiblesse de l'esprit humain ne prouvent
que la faiblesse d'esprit des déclamateurs. Qui d'entre eux a
mérité du monde par une invention ou une vue utile? qui a
entendu son nom, je ne dis pas bénir, mais seulement pro-
noncer parles générationsreconnaissantes? Les plus stériles
et les plus nuls des humains, ils ne sont bons que pour s'at-
taquer aux œuvres des autres ; ils ne savent produire que
pour détruire, et se montrer que pour dégrader notre espèce.'
Bordas-Demoulin. ]
SCEPTRE (du grec ffXYJnTpov, bàlon d'appui). A l'ori-'
gine, le scep^/e n'était que le bâton d'appui avec lequel
marchaient les chefs et les rois. Par la suite, oa en fit l'at-
tribut du commandement et du pouvoir royal; et il en fut
ainsi chez les Hébreux comme chyles Grecs. Dans Homère,
les chefs ligués contre Troie portent tous des sceptres d'or.
Celui d'.\gamemnon, ouvrage incomparable de Vulcain, qui
l'avait donné au fils de Saturne, passa <^e Jupiter à Mercure,
puis successivement à Pélops, à Atrée, à Thyeste et à Aga-
iiiemnon. Au temps où chantait le poète, on le conservait
encore religieusement à Chéronée, où pourtant on n'en mon-
trait plus que le bois, les Phocéens ayant pris la liberté grande
d'enlever longtemps auparavairi les lames d'or dont il était
recouvert. Tarquin le Superbe introduisit le premier à Rome
l'usage de porter le sceptre, comme attribut de la puissance
souveraine. Plus tard il n'y eut que Vimperafor trium-
phans , le chef d'armée vainqueur et admis aux honneurs
du triomphe, qui eut le droit de le porter. Jurer par le
sceptre était encore une autre pratique de l'antiquité.
Au moyen âge le sceptre était l'attribut inséparable et
nécessaire de la puissance souveraine ; et des officiers spé-
ciaux étaient institués pour le présenter au souverain dans
certaines solennités. Il était, dans l'usage, surmonté ou dis-
tingué par quelque pièce de leur blason. Ainsi celui des rois
de France était surmonté d'une fleur de lis double; celui
de l'empereur, d'un aigle à deux têtes. Toucher ou baiser
le sceptre était une marque de soumission.
SCHABRAQUE, espèce d'ornement de selle, dont l'u-
sage était étranger à la cavalerie françaiseavantlafindurègne
de Louis XIY. Les hussards hongrois, enrégimentés par
ordre de ce monarque, l'importèrent en France, en 1692.
Cet ornement remplaça plus tard les riches caparaçons,
les housses, et autres parties de l'armure «îu cheval, en
usage parmi les hommes d'armes et dans l'ancienne che-
valerie. ..
se H ADOVV ( FiiÉDÉRic-GuaiADME), peintre d'histoire
SCHADOW — SCIÎAMANES
et de porirail, directeur de l'Académiedes Beaux-Arfsde Dus-
seldorf, est né à Berlin, le 6 septembre 1789. 11 est le fils du
sculpteur Jean Schadow, né en 1764 , mort en 1S50 , au-
quel la capitale de la Prusse doit quelques-unes de ses plus
î)elles statues. Bien qu'on eût pris grand soin d'inspirer
au jeune Frédéric-Guillaume, dès sa plus tendre enfance,
iogoùt des arts, il ne fit que des progrès très-lents, et ne
donna que de médiocres espérances : on était loin de pré-
voir qu'un jour il serait l'émule des plus grands peintres de
son paySjd'Overbeck et de Corneliu s, qui tout enfant
annonça des dispositions d'une précocité extraordinaire. Le
vieux Schadow avait résolu de faire de son fils un artiste
malgré lui , et il vint à bout de son entreprise. Après lui
avoir fait continuer ses études à l'Académie des Arts et des
Sciences, dont il était professeur et directeur , il l'envoya
en Italie; c'était en 1811 : Guillaume Schadow avait alors
vingt-deux ans. Ce voyage produisit sur lui un merveil-
leux effet : il travailla avec zèle, et parvint bientôt à dessi-
ner avec une rare correction , à peindre avec une habileté
remarquable. Après sept ans de séjour à Rome , où il em-
ïrrassa le catholicisme et où il peignit quelques fresques avec
ses condisciples, il revint à Berlin, en 1818. La position fa-
vorable de sa famille lui facilita l'entrée de l'académie , et
il en fut nommé professeur. Comme il était à peine connu
i)3r deux ou trois tableaux , qui avaient eu les honneurs
«l'une exposition publique, on n'approuva pas l'avancement
rapide qu'il venait d'obtenir ; mais il sut imposer silence à
l'envie pr.r son incontestable supériorité. Ses élèves se distin-
guèrent, et mirent en vogue sa méthode d'enseignement; si
bien qu'on ne douta plus de ses talents pour le professorat ;
ft il sut donner une preuve éclatante de sa profonde con-
naissance des théories de l'art, de son habileté pratique,
en peignant une Adoration des Mages pour l'église de la
garnison à Potsdam , un tableau d'autel pour l'église de
Schulpforte, etune foule de portraits remarquables. En 1826 il
lut appelé à la direction de l'académie de Dusseldorf , que
Cornélius venait de quitter, et où lesuivirent en masse tous
ses élèves de Berlin. Bientôt de toutes 'les parties de l'Alle-
magne tes artistes affluèrent dans son atelier. Parmi ses nom-
breux disciples, qui furentel sont encore au nombre de deux
cents,ilfautdistinguer Hubner, Lessing,John, liildcbrandf,
Scliirraer, Scheuren, Preyer, Schrsedler, Reinick, Stilke,
Daege, Gœtting, Relhel, Kretschmar. Le roi de Prusse a donné
des titres de noblesse et des décorations à Schadow , qui jouit
d'unegrande fortune. Devenu catholique par conviction, il a
épousé une dame russe, alliée aux premières familles de la
Conrlande. Sa taille est au-dessous de la moyenne; ses
traits bien caractérisés , ses yeux vifs, lui donnent une phy-
sionomie qui n'a rien de germanique : il a une conversa-
tion très-animée, facile et spirituelle. Sa santé débile le rend
parfois un peu morose , mais d'ordinaire il est très-affable,
il mène à Dusseldorf une vie calme et laborieuse, et ne
va guère chercher ses distractions dans le monde ; bien
(ju'îl porte dans certaines occasions la sévérité du pro-
fesseur jusqu'à employer des formes un peu rudes , il est
l'ami autant que le maître de ses élèves , et il n'est pas
rare de le voir faire avec eux une partie aux boules ou aux
quilles , jeux simples , toujours nouveaux pour les honnêtes
bourgeois de Dusseldorf, et auxquels s'exercèrent avec plai-
sir deux grands musiciens, Joseph Haydn et Wolfgang
Mozart. Antoine Fillioux.
SCHAFFHOUSE, ScAa^/ia«se?a, ledouzième des can-
tons dont se compose la Confédération helvétique , est situé
à l'extrémité septentrionale de la Suisse, sur la rive droite
du Rhin, entouré en grande partie par le territoire du grand-
duché de Bade, et séparé au midi par le Rhin des cantons
de Zurich et de Thurgovie. 11 n'a guère que 38 kilomètres
carrés de superficie, et compte 35,300 habitants, qui, à
l'exception de 1,100 catholiques, professent la religion pro-
testante. Ce canton est l'un des plus fertiles de la Suisse.
Les derniers prolongements du Jura suisse en couvrent les
parties nord et est , et y forment encore un plateau sauvage
19
de 933 mètres d'élévation. Le reste du sol est montagneux '
et entrecoupe de grandes vallées , jiarmi lesquelles le Klet-
gau est justement célèbre par sa prodigieuse fertilité et
par un vin d'un bouquet particulier et des plus agréables
^ Sauf le Rhm , on n'y trouve que des ruisseaux ; et à l'ouest '
la Wutach forme sur quelques points ses limites. L'agricul- '
ture, source première de la prospérité de pays, est prati-
quée avec une remarquable intelligence. Sur les 48,000 ar-
pents déterre en culture, on ne compte pas moins dé il ooo
pièces de gros bétail. La culture de la vigne et des arbres
fruitiers est très-productive, et il se fait au loin des expédi,
tions de kirsch de Schaffhouse. Sauf les usines établies à
la chute du Rhin, on n'y rencontre pas d'établissements in-
dustriels. Le bourg de SchleU/ieim (avec plus de 2,000
hab.) exporte annuellement plus de 400,000 quintaux* de
plâtre. Le commerce d'expédition et de transit ne laisse pas
que d'avoir une certaine importance. L'accession du grand-
duché de Bade, en 1836 , au zollverein a à peu près anéanti
le commerce des vins, et c'est tout récemment seulement
que de nouveaux débouchés trouvés en Suisse môme l'ont
un peu relevé. La constitution de 1834 fut soumise en 1851
à une nouvelle révision. Un grand conseil , directement élu
par le peuple, à raison d'un membre par 600 habitants,
exerce le pouvoir législatif et de surveillance, et est soumis
régulièrement à des renouvellements partiels, mais ne sau-
rait être révoqué par le peuple par des moyens extraordi-
naires. Un conseil de gouvernement est chargé de la puis-
sance executive, et un tribunal supérieur j«ge en dernière
instance. Les délibérations de ces diverses autorités consti-
tuées sont publiques. Chaque commune choisit elle-même
le prêtre qui lui convient.
Le chef-lieu, Schaffiiouse , sur la rive droite du Rhin et
le versant d'une colline entourée de petites montagnes, est
une ville dont les constructions sont presque toutes à la
vieille mode. Ou y trouve trois faubourgs et 7,700 habitants
et on y passe le Rhin sur un pont de bois de 121 mètres dé
long. Le beau pont de bois , de cent vingt pas de long ,
construit de 1754 à 1758, véritable chef-d'œuvre en sou
genre, fut détruit en 1799, par le général Oudinot. Schaff-
house possède un gymnase et une bibliothèque publi-
que , accrue considérablement par le legs de celle de Jean
de iVIùller,quiétait né à Schaffhouse, et à qui les habitants
ont élevé un beau monumenL A l'extrémité delà ville, sur
l'Eimersberg, s'élève le vieux fort d'Unnoth ou Munoth.
La célèbre chute du Rhin se trouve à quelques kilomè-
tres plus loin. Jusqu'en 1336, époque où elle fut engagée à
l'Autriche par Louis le Bavarois , Schaffhouse avait été une
ville libre impériale. Elle devint alors une ville municipale
autrichienne; mais en 1415 le roi Sigismond la déclara de
nouveau ville impériale. Elle maintint ensuite son indépen-
dance contre tous les essais d'absorption de l'Autriche,'
accéda à la Confédération Helvétique en 1501, et embrassa'
la réformation en 1530.
SCIÏAH. Voyez. Chah.
SCHAKOS ( du hongrois czaho ). C'est au propre le'
nom du bonnet particulier dont sont coiffés les hussards
hongrois. On s'en sert aujourd'hui dans la plupart des ar-
mées pour distinguer la coiffure du soldat, tant dans l'in-
fanterie que dans la cavalerie. Cette coiffure, plus com-
mode que le chapeau, fut d'abord en usage en France,
dans les régiments de hussards, et s'introduisit ensuite
dans ceux de chasseurs à cheval. Au commencement du,
premier empire tous les corps d'infanterie de ligne et d'in-'
fanferie légère quittèrent le chapeau pour prendre le schakos,
qu'ils n'ont plus abandonné.
SCHALE ou SCHAWL. Voyez Chale.
SCHALL DE BELL. Voyez Bell. ,';, .^
SCHAMÂNES. C'est le nom qu'on donné iîans la
Grande-Tatarie et la Mongolie, ainsi que dans une partiede
la Chine, de la Sibérie et du Kamtchatka, aux individus en
possession de conjurer les mauvais esprits , et qui servent
en même temps aux populations de ces contrées de prètr<es
2.
iO
SCHAMANES — SCHEEREN
et de médecins. C'est à la suite de la propagation du boud-
dhisme , que ces prêtres ont pris ce nom de schamânes , dé-
rivé du sanscrit schama, qui signifie « compassion pour
ceux qui se trompent et attention sur soi-même ". La doc-
trine des schamânes ne forme point un système complet. En
voici les points principaux : li y a un nombre infini de dieux,
les uns créés, les autres incréés, existant tantôt dans des
corps célestes, tantôt dans d'autres êtres vivants ou privés
dévie, ou bien représentés par les hommes suivant des
formes arbitraires. 11 y a aussi de bons et de mauvais esprits.
Après leur mort , les hommes subsistent encore dans un
état d'affliction qui ne saurait être modifié , pas plus par de
bonnes que par de mauvaises actions, sans que les dieux
s'en préoccupent. Le culte des schamânes consiste en sa-
crifices, en prières et en chants; les riches présents et les sa-
crifices de leurs croyants constituent leurs revenus.
SCHAMANISME. Voyez Schamânes.
SCHAiVIYL. Voyez Chamil et Caucase.
SCHAOUÏAS ou SHOVIAH. Foyei Kabyles.
SCHATT-EL-ARAB. Voyez Euphrate.
SCIlAUiVIBOURG ou plutôt SCHAUENBURG, ancien
comté du cercle de Westplialie , sur leWeser, borné par la
principauté de Kalenberg , les comtés de Lippe et de Ravens-
berg et la principauté de Minden. Il tire son nom du château
de Schauenburg, situé entre Rinteln et Oldehdorf, et que
l'aïeul des anciens comtes de Schaumbourg, Adolphe /e»",
construisit , en l'an 1033, dans cette contrée, que l'empereur
Conrad II lui avait concédée à titre de fief. Son petit-fils ,
Adolphe II I, reçut de l'empereur Lothaire II les pays de
Stormarn et de Holstein, sauf la contrée des Dilhmarses,
à titre de fief, et comme com^e de Holstein; ses descendants
achetèrent le comtédeSternberget la seigneurie de Gehmen.
En 1619 l'empereur Ferdinand accorda au comte Ernest III
le titre de prince de l'Empire. Il eut pour successeurs son
frère Jobst Hermann et son cousin Othon,en qui la maison
princière s'éteignit, en l'an 1640. Sa mère, Elisabeth, épouse
du comte Georges Hermann de Schaumbourg-Gehmen, et
filleducomteSunondela Lippe, se mit aussitôt en possession
des domaines de Schaumbourg, et désigna ensuite son frère,
le comte Philippe de la Lippe, pour son successeur et hé-
ritier. Mais le duc de Brunswick- Lunebourg, en vertu d'un
traité remontant à l'an 1 565 , et en qualité de suzerain , s'était
déjà emparé d'une partie des possessions de Schaumbourg,
aujourd'hui dépendant des bailliages hanovriens deLauenau
et de Hameln, et il eu demeura en possession, aux termes
d'un compromis intervenu en 1645. Le landgrave de Ilesse-
Cassel réclama aussi à titre de suzerain certaines parties du
comté de la Lippe. Un mariage conclu entre le comte
Philippe de la Lippe et une princesse de Hesse mit fin à la
contestation. Mais à la suite de nouvelles prétentions élevées
au nom de la principauté de Minden , le landgrave de Hesse
provoqua un compromis, en vertu duquel lui et le comte Phi-
lippe se partagèrent le territoire en litige , resté depuis lors
jusqu'à nos jours partie au grand-duché de Hesse et partie
à la principauté de Schaumbourg-Lippe.
SCHAUAIBOURG-LIPPE , principauté souveraine
allemande, d'environ sept myriamètres carrés de superficie,
avec une population de 30,226 habitants, comprenant la
partie occidentale de l'ancien comté de Schaumbourg située
entre le Hanovre, la Prusse et la partie de l'ancien comté
de Schaumbourg aujourd'hui dépendante du grand-duché
de Hesse. Le sol en est très-fertile : le bois et la houille y
abondent, et les habitants, à l'exception de trois mille cal-
vinistes , d'une centaine de catholiques et de trois à quatre
cents juifs, professent la religion luthérienne. L'exploitation
des mines de houille , l'agriculture , la filature du lin et du
chanvre, constituent les principales ressources de la po-
pulation.
Celte petite principauté reçut en 1816 une constitution
représentative, octroyée par son souverain. Les revenus de
l'État s'élèvent à environ 130,000 thalers, et il n'y a point
de dette publique, La maison de Schaumbourg-Lippe est
liée par des traités de famille à la maison de la Lippe; mais
si la branche mâle vient à s'éteindre, le comté de Schaum-
bourg doit faire retour à la Hesse.
SCHEDONE. Voyez Schiedone.
SCHCELE (Charles-Guillaume), célèbre chimiste,
né le 19 décembre 1742, à Straisund, où son père faisait le
commerce, s'initia à la connaissance des sciences chimiques
dans l'officine d'un apothicaire de Gothenbourg, chez lequel
il fut mis en apprentissage à quatorze ans. En 1765 il ob-
tint un emploi chez un apothicaire de Malmœ, et deux ans^
plus tard à Stockholm même. Dès cette époque il fitdiverses
découvertes d'une haute importance, par exemple celles de la
véritable nature du tartre, de la composition des os des ani-
maux, etc., etc. A Upsal, oii en 1773 il vint remplir des
fonctions analogues dans une autre officine , il eut occasion
de se lier avec Linné , Bergmann et autres savants célèbres ;
et dès lors ses progrès dans la voie des découvertes furent
de plus en plus remarquables. Il nous suffira de mention-
ner ici celle du chlore. Schéele obtii>t l'autorisation de
travailler dans le laboratoire de chimie de l'université,
et eut ainsi occasion de faire plusieurs expériences curieuses
en présence du prince Henri de Prusse et du duc de Suder-
manie. En 1777 il acheta une officine, et plus libre désormais
dans .ses travaux , il découvrit successivement plusieurs des
plus importantes combinaisons chimiques. La recommanda-
tion de Bergmann lui ouvrit les portes de l'Académie des
Sciences de Stockholm , dont les Mémoires ainsi que les
Acta chiniico-physica et les écrits de la Société des Amis
des Sciences naturelles de Berlin contiennent la plupart de
ses découvertes. Ses travaux incessants finirent par ruiner
sa santé. Plus particulièrement affecté de douleurs arthri-
tiques, il mourut le 21 mai 1786, deux jours après s'être
marié.
Malgré sa mort prématurée , Schéele rendit d'immenses
services aux progrès de la chimie; à lui la gloire de la dé-
couverte de la baryt e , du gaz oxygène, etc., et d'avoir
mieux fait connaître l'acide carbonique, le manganèse,
le m 0 1 y b d è n e , l'hydrogène arséniqué, l'hydru re de soufre,^
le principe doux des huiles, les acides arséniqué, urique,
lactique, mucique, gallique, oxalique, hydrocyanique et
malique. En 1777 il avait publié son célèbre traité Sur
l'Air et le Feu, qui eut les honneurs de nombreuses éditions
et qui fut traduit dans la plupart des langues de l'Europe.
Une circonstance curieuse , c'est que le hasard seul apprit à
Gustave III qu'il comptait un homme illustre de plus parmi
ses sujets. De passage à Turin dans ses voyages en Europe,
il fit à l'Académie la gracieuseté d'assister à l'une de ses
séances. Sa surprise fut grande en s'apercevant que la docte
oompagnie profitait de cette faveur pour donner plus d'éclat
encore au résultat de l'une de ses précédentes délibérations ;
elle décernait au savant chimiste d'Upsal le titre de membre
étranger. Gustave III en écrivit bien vite à Stockholm,
donnant ordre de réparer l'oubli involontaire dans lequel il
avait jusque alors laissé un talent trop modeste, et de lui
expédier, en attendant mieux sans doute, le brevet de che-
valier de l'ordre de Wasa. La chancellerie exécuta ses ins-
tructions eu grande bâte, mais avec si peu d'intelligence
que la récompense accordée au mérite inconnu alla trouver...
un homonyme parfaitement obscurci n'ayant pas lemoindre
titre à cette faveur. Schéele n'eut donc pas le plus petit bout
de ruban; heureusement il s'était arrangé de façon à aller
à l'immortalité sans cela.
SCHÉELE (Vert de). Voyez Arsenic.
SCUEEUEN , nom qu'on donne aux récifs qui existent
le long des côles de la Suède et de la Finlande, et surtout
devant Stockholm. Ils se prolongent dans la mer sur une
étenduede 10 à 12 myriamètres, et rendent l'entrée des ports
très-dangereuse.
Il a été construit, tant en Suède qu'en Russie, une flotte
spéciale, appelée scheeren/lotte , et composée de petites
chaloupes à rames ou à vapeur qui peuvent passer facile-
ment dans les endroits où l'eau a le moins de profondeur
SCHEFFER — SCHELLING
2t
SCHEFFER ( Ary ) , célèbre peintre de l'école française
moderne, Hollandais d'origine, est né en 1 795, à La Haye, mais
fut élevé à Paris, où G u é r i n l'admit dans son atelier. Ses plus
anciennes compositions : La Mort de saint Louis ( 1817 ),
La Sortie des cinq premiers Notables de Calais pris par
Edouard 1 1 1 ii8\9), La Mort de GastondeFoix{i82i},elc.,
sont encore dans le style de l'ancienne école. Doué à un haut
degré par la nature de vérité et de chaleur de sentiment ,
possédant une connaissance parfaite de la langue et de la
littérature allemandes , pouvant dès lors mieux comprendi-e
que les autres artistes français les œuvres de Schiller et de
Goethe, il dut plus tôt que tout autre être frappé de ce
qu'il y avait de faux, de creux et de maniéré dans la direc-
tion suivie par l'école classique , et se sentir appelé à com-
battre ses formes insipides. Il ne tarda donc pas à secouer
les chaînes énervantes du classicisme et à devenir l'un
des créateurs et des chefs de l'école romantique en peinture,
en s'appliquant surtout à traiter d'une manière pleine de
vie et d'esprit des sujets tirés de poèmes allemands , qui
firent sa réputation, et que depuis lors son pinceau aima
toujours à traiter. Parmi les tableaux de cet artiste peints
dans cette direction nouvelle , et qui à une composition poé-
tique et à un sentiment vrai unissent une exécution gracieuse,
un coloris harmonieux et un effet pittoresque, il faut men-
tionner : Les Femmes souliotes (1829); Marguerite et
Faust (1831 ); Lénore, d'après la ballade de Biirger; Mar-
guerite dans l'église (1832) ; Eberhard (1834); Françoise
de Rimini et Paolo de Malatesta passant dans les en-
fers devant le Dante et Virgile (1833), gravé par Cala-
mata ; la figure d'après le poëme de Schiller : « La forêt de
chênes mugit »; Jésus-Christ consolant les affligés
(1837); ses deux représentalions de la Mignon deWilhelm
Meister (gravées par Aristide Louis) ; Marguerite revenant
de Véglise, et Le Roi de Thulé{i&Z9). Les grandes toiles
qu'il a exécutées pendant ce même temps pour le musée
historique de Versailles : La bataille de Tolbiac, La Sou-
mission des Saxons par Charlemagne , Pierre d'Amiens
prêchant la croisade , n'appartiennent d'ailleurs pas à ses
meilleurs travaux. Il y vise beaucoup trop à l'effet total , et y
tombe dans ces empâtements, dans ces effets de niasses,
où se voit le parti pris d'imposer. Plus tard M. Ary Schiffer a
non-seulement tout à fait renoncé à cette manière empâtée,
mais encore à ce qu'il y avait de moelleux dans sa manière
pour en adopter une toute différente, où, négligeant complète-
ment la couleur et l'effet , il s'attache uniquement à produire
une vive impression sur l'âme par le dessin et par la com-
position. Saint Augustin etsa mère sainte Monique , Mar-
guerite et Faust dans le jardin, Faust et Méphisto-
phélès sur le Blocksberg , Jésus portant sa croix , La
Tentation duChrist, et quelques autres toiles , sont le pro-
duit de cette direction nouvelle adoptée par l'artiste à par-
tir de 1846, et dans laquelle il est difficile de voir un progrès.
M. Ary Scheffer est aussi un portraitiste distingué. Ses por-
traits brillent par la vérilé , par ce qu'il y a de vivant dans
la conception de l'ensemble et par d'heureux effets de In-
mière; mais on peut leur reprocher souvent de la négli-
gence dans les accessoires.
SCHEFFER ( Henki ), frère cadet du précédent , né à La
Haye, en i799 , se consacra comme son aîné à la peinture ,
et eut également Guérin pour maître, quoiqu'il faille plutôt
le considérer comme l'élève de son frère, sur les traces du-
quel il s'est efforcé de marcher. Sa Charlotte Corday est
une toile pleine de vie. On en peut dire autant de La Leçon
du grand-père de Jeanne d'Arc sur la place du Mar-
ché, àRouen, de la Prédication protestante après la Ré-
vocation de VÉditde Nantes { 1838 ) , Ae Madame Roland
allant à l'échajaud (1845), etc. Quoique ses meilleures
productions appartiennent au genre, il ne laisse pas que de
li-aitcr aussi assez heureusement les grands sujets histori-
ques, mais avec une imitation froide et unie du style de son
frère , comme on peut le remarquer dans les sujets qu'il
a exécutés pour le musée de Versailles. Dans ces derniers
temps il s'est surtout occupé de portraits , et s'est acqniff
dans ce çenre une grande réputation.
SCHEIKH. Voyez Cheikh.
SCIIÉIKII-UL-ISLAM. Voyez Mufti.
SCHELESTADT , ville de France , chef-lieu d'arron-
dissement dans le département du Bas-Rhin, à 42 kilomè*
très au sud-est de Strasbourg , sur la rive gauche de l'IU ,
avec une population de 10,368 habitants , un tribunal civil
un collège, des fabriques de calicot, de bonneterie en laine
et en coton , de toile et gaze métalliques , de boissellerie ,
de savon, d'huile, de chaudières à bière; on y trouve «ne
scierie et un moulin à tan , des tanneries , des teintureries,
de nombreuses brasseries , une féculerie à Holzheim. On
récolte dans ses environs des céréales , des fruits et de
bon vin d'ordinaire. C'est une ville bien bâtie et dans
une belle situation. On y remarque la caserne de cavalerie
et l'aqueduc qui distribue l'eau dans les quartiers. Sche-
lestadt est une station du chemin de fer de Strasbourg à.
Bâ!e. C'est dans cette ville que fut inventé, au treizième
siècle, l'art de vernir la poterie. Elle occupe l'emplacement
de l'ancienne Elsebus, détruite par Attila ; elle fut repeuplée
au treizième siècle , devint une des dix villes impériales
de l'Alsace , fut assiégée et prise en 1632 par les Suédois, et
cédée à la France par le traité de Westphalie. Louis XIV la
fit fortifier par Vauban.
SCHELFHOUT( Andries), paysagiste distingué , est
né en 1787, à La Haye, et n'eut d'autre maître que la nature.
Une toile qu'il exposa en 1817 excita une surprise générale,
et fonda tout aussitôt sa réputation. En 1819 l'Académie
d'Anvers lui décerna à l'unanimité le prix pour une Vue des
environs d'Arnheim au soleil couchant. A peu de temps
de là , il obtint aussi un prix à Gand. Ses toiles faisaient
l'ornement de chaque exposition, et passaient aussitôt après
dans les collections et les galeries d'amateurs. On vante à
bon droit ses paysages d'hiver; cependant, il ne réussit ja-
mais mieux que lorsqu'il traite la nature revêtue de sa verte
parure. Il excelle aussi dans les marines et dans les vues de
ports. Le plus souvent ses sujets, qu'il travaille avec un fini
extrême , sont exécutés dans les plus petites dimensions ;
cependant, il a aussi fait sur commande de grandes toiles.
SCHELLING (Frédéric-Guillaome-Joseph de) , l'un
des plus éminents penseurs qu'ait produits l'Allemagne, né en
1775, à Leonberg, en Wurtemberg , reçut d'abord, au sortir
des écoles élémentaires , l'instruction classique qu'on puise
ordinairement dans les gymnases de l'Allemagne, et qui
donne aux savants de ce pays cet esprit de critique sérieuse
et de haute impartialité qui les distingue. U fit ensuite à l'uni-
versité de Tubingue des études de théologie et de philo-
sophie, car en Allemagne comme en Ecosse la plupart des
philosophes les plus distingués ont coutume de débuter par
de fortes études de religion. A la même époque, Hegel,
plus âgé que lui de cinq ans, se livrait à Tubingue aux mômes
études. Schelling et Hegel appartenaient à des systèmes re-
ligieux différents ; mais ceux qui s'élèvent aux hauteurs de
la science savent que des différences qui tiennent à l'édu-
cation ou à la naissance , loin d'éloigner, rapprochent les es-
prits curieux. U en fut ainsi pour les deux étudiants de Tu-
bingue : ils se comprirent et se lièrent d'intimité. Bientôt le
plus âgé des deux alla se charger en Suisse d'une éducation
particulière. Le plus jeune, déjà docteur en philosophie,
continua ses études à Leipzig, où il suivit principalement
Plattner, l'auteur des Aphorismes, et à iéna, où il s'attacha
à Fie h te, le premier réformateur du kantisme, s'il est
permi« d'assimiler par ce terme , un peu ambitieux , le phi-
losophe deKœnigsberg à l'auteur du Cartésianisme. C'est
la coutume des jeunes savants d'Allemagne d'aller résider
quelque temps dans d'autres académies, quand ils ont reçu
les grades dans celle où ils ont achevé leurs éludes. A cette
époque, vers 1796, Kant régnait déjà généralement dans
les écoles d'Allemagne, etFichte, qui avait fait un grand
pas sur son maître , commençait à son tour à jouir d'une
haute célébrité. Ce fut la doctrine de Kant , profondément
it
.J'.U.
SCHELLING
niortfilliéé- par Fiehte'j que Sc!ielling parut adopter, qnand
il fut arrivé à léna. Cependant, il ne fut pas longtemps
simple disciple. Dès l'an 1798 il essaya de l'enseignement
à titre de professeur privé ( privât- doceni), c'est-à-dire
aûtolilsé par le sénat académique à faire des cours publics
et gratuits. Pour un jeune homme de vingt-trois ans , c'é-
tait une entreprise téméraire que de professer à côté de
Flclite, dont la parole était brillante. Slielling débuta d'une
fljanière distinguée, quoiqu'en général les Allemands du
midi aient peu de succès dans les écoles du nord, soit à
cause de leur accent, si peu gracieux , soit à cause de leur
phrase, généralement lourde et traînante. En effet , s'il y
a quelques exceptions à cette règle, celles de Schiller et
d'Eichhorn, par exemple, cette règle n'en est pas moins
générale, et jamais H aller, Miiller, Spittler, Plank et
Hegel, originaires du midi, n'ont pu s'élever, quel que fiU
d'ailleurs leur mérite, niau style classique de Herder et de
Gœtlie, ni à l'éloquente parole deHeyne,de Heeren et
de R au mer, professeurs ou écrivains du nord. Schelling
dès ses premières leçons s'annonça comme une de ces ex-
ceptions dont la rareté étonne. Cependant, il sentit bientôt
lui-même le besoin d'acquérir une instruction plus étendue
que celle que donnent d'ordinaire les études de philologie',
d'histoire et de philosophie, et il résolut de joindre la con-
naissance de la nature physique à celle de la nature morale.
H redevint alors étudiant, suivit des cours de sciences et
de médecine, et (ut reçu docteur en médecine en 1802. 11
avait à peine obtenu cette distinction , qui annonçait des
vues nouvelles dans un homme de son ordre, qu'il reçut
le titre de professseur extraordinaire ( c'est-à-dire incom-
plètement payé) de philosophie (1803). On s'aperçut dès
lors, en l'écoutant exposer la science , que ses derniers tra-
vaux avaient donné à son esprit une direction très-différenle
de celle qu'il avait suivie jusque là, et de son auditoire
sa réputation passa dans les autres universités d'Allemagne.
Dès qu'un savant se distingue dans ce pays par des leçons
ou ses ouvrages, on lui adresse, sans qu'il ait besoin de
les solliciter, des propositions d'avancement, ce qu'on ap-
pelle des vocations , chose si digne et si flatteuse à la fois,
qu'il faudrait l'imiter ailleurs et en faire une institution, s'il
était possible de donner des institutions aussi simples et aussi
vieilles à des pays où dominent des lois et des mœurs d'un
esprit si nouveau. Schelling fut appelé à l'université de
Wurtibourg dès 1803. Il y professa pendant quatre ans les
diverses branches de la philosophie. Jusque là il ne s'était
ttccupé encore que d'études morales et physiques : les tra-
vaux littéraires et artistiques lui étaient demeurés étrangers.
Nommé en 1807 membre île l'Académie des Sciences de Mu-
nich, et appelé sur un théâtre à la fois nouveau et plus
vaste, il appliqua ses puissantes facultés à de nouvelles
études. Ses goûts pour la poésie, les arts, l'antiquité et toute
cette séduisante région de monuments et de chefs-d'œuvre
qu'elle nous a laissés, prirent alors le plus brillant essor.
Dès 1808 on lui confia les fonctions de secrétaire général de
la classe des beaux-arts {Akademie der hildenden Kilnste).
Cependant, un philosophe qui appartenait à la fois à d'au-
tres doctrines que les siennes et à une autre catégorie de
capacités , Jacobi, présidaitl'Académie, et bientôt il éclata
entre les deux philosophes des collisions assez fâcheuses
pour déterminer Schelling à quitter Munich pour Er-
langen (1820). Il reprit dans cette université, après dix ans
d'interruption, le cours de ses leçons philosophiques, et y
retrouva ces jouissances que seul l'enseignement donne au
savant , et auxquelles le professeur ne renonce jamais sans
regret. La vie de cabinet et les travaux d'administration
littéraire n'avaient pu suffire à l'active intelligence de Schel-
ling, et il conserva depuis cette époque le professorat
qu'on lui avait rendu. Seulement, à la translation de l'uni-
versité de Landshut dans la capitale de la Bavière, il ac-
cepta dans cette école une chaire, devenue bientôt l'une
des plus célèbres de l'Allemagne. Berlin l'envia à Munich;
et en 1841 Schelling finit par céder aux instantes sollicita-
tions qui lui étaient faites pour qu'il consentît à se ftxer en
Prusse. En août 1854 il se rendit pour cause de santé aux
eaux de Ragaz, en Suisse; et c'est là que la mort le (rappa.
En 1829 il avait été anobli par le roi Louis de B»vière,
L'Allemagne entière et les adversaires de Schelling eujt-
mèraes avaient applaudi aux distinctions dont il avait été
l'objet. D'autres pays auraient fait plus; ils eussent entraîné
le philosophe dans ces régions où les travaux de la science
sont sacrifiés à la politique, et la haute méditation immolée
à la question du jour. Il faut déplorer que telle ait été chez
nous pendant la durée du régime parlementaire la destinée
des hommes les plus éminents. Quant à Schelling, sauf les
moments qu'il adonnés aux soins d'une administration litté-
raire, il a consacré ses jours et ses facultés à l'investigation
philosophique , à l'étude de l'art et du symbolisme de la
pensée chez les anciens. Ses principaux ouvrages sont : De
la Possibilité d'une forme de la Philosophie en général
( 1795) ; Du Moi comme Principe de Philosophie (1795);
Idées sur une Philosophie de la Nature (1797) ; Le VAme
du Monde , hypothèse de haute physique pour l'explica-^
lion de l'organisme universel ( 1798) ; Système de l'Idéa-
lisme transcendental (1800); Bruno, ou du principe
divin et naturel des choses (1802); Philosophie et Re-
ligion ( 1804); Recherches philosophiques sur l'essence
de la liberté humaine et les objets qui s'y rattachent
(1809); Sur les Divinités de la Samofhrace (1816). On
lui reproche, et on reproche à ses disciples, de n'avon- pas
su exposer avec une clarté suffisante leur doctrine , qui est
connue en philosophie somhnomde doctrine de f identité.
Ce reproche est fondé, mais il n'est pas très-nouveau, et
Schelling n'est évidemment pas le dernier philosophe qui en
sera l'objet. Avant lui tous les philosophes qui se sont élevés
le plus haut, Platon et Aristote, Descartes et Spinosa,
Leibnitz et Kant , ont encouru le même reprpche d'obscurité.
Cependant , la critique est allée , à l'égard de Schelling , plus
loin qu'à l'ordinaire. Ce qu'on n'a reproché à aucun des
penseurs que nous venons de nommer, ['incapacité même
d'exposer sa doctrine, on l'a dit à son sujet, et pourtant
personne n'a contesté ni la beauté ni l'élévation de son génie.
C'était donc une hostilité gratuite. On peut être l'adversaire
de la doctrine de Schelling , comme nous le sommes , et
convenir qu'elle est saisissable. Il serait toutefois impossible
de l'exposer sans adopter la terminologie même de l'auteur ;
et employer les locutions particulières à la doctrine de Schel-
ling ne serait pas le moyen de la rendre plus intelligible
pour ceux qui craindraient de remonter au delà de Fichte,
et jusqu'à Kant, pour la prendre à son point de départ,
c'est-à-dire à l'état général où se trouvait la philosopliie
allemande quand le jeune philosophe passa de l'auditoire
de Plattner, qui était kantien, dans celui de Fichte. Nous
nous bornerons donc à résumer ici les trois reproches prin-
cipaux dont cette doctrine a été l'objet. 1° Ne distinguant
pas de Dieu ce qui n'est pas Dieu, elle identifie Dieu et le
Tout. C'est le panthéisme sous une forme nouvelle. 2° En
déclarant l'homme une simple manifestation de Dieu, elle
lui ôte, avec l'indépendance, la liberté et la moralité. 3° En
s'affranchissant de la voie d'une déduction logique, elle
change la philosophie en une sorte de mysticisme antiphi-
losophique, mythologique ou religieux chez les uns , poé-
tique ou artistique chez les autres , mais également inaccep-
table à tout penseur sous chacune de ces formes. Schellirtg
a répondu. Mais d'abord il n'a pas fait à tous ses adversaires
l'honneur de les combattre; ensuite il n'a réfuté complète-
ment les objections d'aucun de ceux qu'il a combattus ; enfin,
il a gardé le silence, soit qu'il ait voulu abandonner à sa
doctrine et à ses disciples le soin de se défendre; soit qu'il
ait désespéré de prévaloir contre Hegel; soit, enfin, qu'il ait
voulu faire entendre qu'à ses yeux l'intelligence humaine
était arrivée à son entier développement dans ce qu'il avait
fait. 11 en est résulté que son système, le plus remarquable
de tous ceux qu'on a vus se succéder depuis Spinosa, n'a
pas eu de destinée complèle. Annoncée avec plus d'enîhou-
SCHELLING — SGHÉREMÉTIEF
■liasme et repoussée avec plus d'hostilité que nulle autre, la
Philosophie de la Nature a eu bientôt un singulier temps
il'arrét, Schelling et ses disciples les plus éminents l'ayant
abandonnée dans ses détails et dans ses expressions, tout
en en conservant le fond et les principes. Quoiqu'il en soit,
cette théorie est une des solutions les phis instructives qu'on
ait jusque ici tentées de l'insoluble énigme qui est donnée à
l'intelligence. Sans doute elle n'est pas aussi nouvelle
que l'a cru son auteur : non-seulement Kant et Fichte l'a-
vaient préparée indirectement ; elle était préparée plus di-
rectement et depuis plus longtemps par Spinosa, parles
gnostiques et par Platon , puisqu'à Spinosa est emprunté
le principe de l'unité, l'absolu ou la substance qui est en
tout, et dont tout n'est que mode ou partie; à Platon, le
principe de l'idée ou du type que chaque chose porte en
elle et suit dans son développement individuel; aux gnos-
tiques les idées de chute, de dissémination, de retour, d'a-
napausis. 11 faut convenir toutefois que si Schelling a suivi
des maîtres, il a fait de leurs doctrines combinées une
théorie d'une conséquence et d'une puissance dont n'appro-
chait jusque là aucune forme du panthéisme. Aussi cette
conception si complète, embrassant avec une é^ale supé-
riorité ['absolu et le moi, les deux mondes , l'un intellectuel ,
l'autre physique , la philosophie et la religion, la mytho-
logie et l'histoire, la poésie et les arts, a-t-elle fortement
^isi les esprits , et a-t-elle exercé sur toutes les étuiles de la
savante nation qui a pu le lire l'inlluence la plus profonde.
Théologie, médecine, droit, littérature, sciences et arts,
tout a reçu de cette philosophie une vie et des formes nou-
velles; c'est à tel point que quiconque n'a pas suivi les ou-
vrages de Schelling ne comprend rien à l'Allemagne , par
la raison qu'il n'entend pas l'idiome que parle ce pays , tant
la pensée et le langage du philosophe ont passé dans les
habitudes générales. Matter.
SCHEMA ou SCHÈME (oïx prononce skème ) , du grec
(Tx^jAa ou y.y)[LCi, forme, figure. Ce mot, introduit dans le lan-
gage de diverses sciences, signifie en général tout ce qui a trait
à des formes abstraites ou idéales. 1° Leibnitz a désigné sous
ce nom un principe qui est essentiel à chacune de nos idées et
qui les distingue entre elles; 2° pour Kant, c'est l'objet qui
existe dans l'entendement indépendamment de la matière ;
3° en littérature , on appelait autrefois schème toute figure
de rhétorique ; 4° en musique ancienne, ce sont les varia-
tions résultant de la position des demi-tons. La nécessité
de schématiser ou de considérer les objets comme des abs-
tractions ou des schèmes , ou de faire des schématismes ,
c'est-à-dire des actes résultant de l'application des formes
de l'entendement pur à celles de la sensibilité physique
pure , s'est fait sentir non-seulement dans la philosophie
métaphysique eu général , mais encore dans toutes les bran-
ches des sciences naturelles. L. LaureiNt.
SCHEMACHA, le plus oriental des quatre gouverne-
ments de Transcaucasie créés par l'ouUase du 26 décembre
1846, compte, sur une superficie d'environ 740 myriamètrc;
carrés, à peu près 500,000 habitants et est divisé en quatre
cercles: Sc/iemacAa (dans le Schir van), Schusha(âànsie
Karabagh), Nuka (dans le Scheki) et Leukoran (dans le
Talyscli). Montagneux au nord et au nord-est du Caucase,
et au sud-ouest, où l'on rencontre les premières assises du
plateau de l'Arménie et de l'Aderbeidjan , uni à son centre ,
où il est arrosé par le Kour grossi par l'Aras , et bas au sud-
ouest, où se trouve le delta formé par l'embouchure de
ce fleuve , très-fertile en cet endroit ainsi que dans les val-
lées , en raison de la chaleur du climat, il n'est encore que
fort peu cultivé. La plus grande partie en est toujours à l'é-
tat de steppes parcourues par de grossiers nomades mahc-
métans. Que si dans le petit nombre de villes et de ports ,
comme Bakou et Leukoran , de même que dans les villages
qui les avoisinent, on trouve une population agricole et
s'occupant aussi d'industrie, les montagnes sont habitées
par des peuplades grossières et belliqueuses , qui conti-
nuent toujours à repousser la domination russe. Le chef-
2.8
lieu du gouvernement, comme autrefois du Schirvan, est
Schemacha ou Schemahhie, appelé encore Schamaeka
ou Schamakhi , siège d'un gouverneur militaire chargé en
même temps de l'administration civile. Celte ville fut fon-
dée en 1824 par les Russes, aux approches du cours d'eau
appelé Pissagat, tout près du vieux ou Stara-Schemacha,
et compte aujourd'hui, y compris la vieille ville , de 15,000 à
20.000 habitants. Le vieux Schemacha était célèbre comme
principal lieu de culture et comme entrepôt de la soie de
Schirvan. Ses riches négociants étaient autrefois en relations
suivies avec Venise et avec Gênes, de môme qu'avec les
marchands de l'Inde. Des circonstances malheureuses et la
rapacité de ses dominateurs amenèrent la décadence de son
commerce et de sa manufacture de soie.
SCHEMIVITZ, en hongrois Selmecz-Banya, en slave
Stiavnica, dans le comitat hongrois de Honth, la plus grande
et la plus importante de celles des villes qu'on désigne sous
le nom de villes de montagnes, est située dans une profonde
vallée entourée de montagnes nues, et , avec ses six fau-
bourgs, compte 14,000 habitants. Ses édifices les plus
remarquables sont : l'ancien château , aujourd'hui presque
en ruines , trois églises catholiques , le collège des piaristes ,
la chapelle et le lycée des protestants, le tribunal et le non-
veau bâtiment de la direction. Le bâtiment de l'école des
mines, dont la construction a été commencée en 1854, sera
le plus bel ornement de la ville. A l'ouest , sur une remar-
quable masse basaltique, s'élève l'église du Calvaire, cons-
truite par les jésuites, de 1744 à 1751. Schemnitz est le siège
d'une direction des mines , des forêts et des domaines pour
e district delà basse Hongrie, d'un tribunal des mines
et d'une école des mines , fondée en 1760, par Marie-Thé-
rèse, où l'on comptait en 1854 six professeurs et deux cents
élèves etqui possède une riche bibliothèque, enfin d'une école
forestière.
Celte ville fut fondée au douzième siècle, et, comme
tout le district de montagnes du nord de la Hongrie , elle fut
peuplée par des colons venus de la Flandre et de la basse
Saxe, qui remplacèrent complètement la population primi-
tive ; et l'usage d'affermer l'exploitation des mines à des
Allemands, par exemple sous le règne de Ferdinand l" aux
Fugger, contribua à germaniser toute cette contrée. Mais
plus tard des Slovaques vinrent se mêle." à cette population,
qu'ils accrurent dans une proportion telle, qu'à la suite de
la longue période de paix du dix-huitièmo siècle la ville
et tout le district de mines étaient devenus presque entière-
ment slovaques. En t090 l'exploitation des mines de Schem-
nitz produisait encore, année moyenne, 1,872 marcs d'or
(in , ou 132,428 ducats. On évalue à 70 millions de florins
les produits qu'elles ont donnés en métaux précieux de 1740
à 1773. Aujourd'hui tout ce district ne fournit plus guère,
année commune , que 1,800 marcs d'or et 60 à 80,000 marcs
d'argent. La mine royale occupe à elle seule 5,000 ouvriers.
Il ne faut pas confondre Schemnitz avec Chemnitz, ville
de Saxe.
SCHEMSHIS, nom d'une espèce de derviches.
SCHÉRÉMÉTIEF (Famille), l'une des plus distin-
guées qu'il y ait en Russie , remonte au quatorzième siècle,
et eut pour fondateur André Kabyla ou Kambyla.
Iwan Wassiliéwiisch Schérémétief, boyard, acquit un
grand renom , sous le règne du czar Iwan Wassiliéwitsch le
Terrible , par les nombreuses victoires qu'il remporta sur
les Tatares de la Crimée , et en 1552 par la prise de Kasan.
Cependant , il encourut la disgrâce du tyran , et n'échappa
à la mort qu'en se faisant moine.
Féodor îwanoivitsch Schérémétief, boyard , jouit de la
confiance particulière du czar Michel Féodorowilsch, et, le
r'' décembre 1618, conclut avec la Pologne, à Deulin, un
armistice aux termes duquel le père du czar, le métropo-
htain Philarète, recouvra sa liberté. Il conclut aussi pos-
térieurement le traité de Wiesma, en vertu duquel le czar
Michel Féodorowilsch fut reconnu par la Pologne comme
souverain de la Russie.
^4
Boris Petrowitsch , comfe Schérémétief , feld-maréchal,
compagnon d'armes de Pierre le Grand, né le 25 avril
1632, fit preuve d'une bravoure peu commune et de
grands talents militaires à ia bataille de Pultawa, où il
commandait le centie de l'armée russe. Créé comte en
1706 par Pierre le Grand, il mourut le 17 février 1719,
objet des regrets universels , surtout parmi les pauvres de
Saint-Pétersbourg et de Moscou.
Michel Borissowitsch , comte ScnÉRÉMÉTiEF, fils aîné du
précédent, général major, né le 1" septembre 1672, signa
avec Schafirof les traités conclus avec la Porte, le 12 juillet
1712, sur les bords du Pruth, et le 13 juillet 1713, à Andri-
nople.
Pierre Borissowitsch, comte Schérémétief, second fils du
feld-maréchal et issu d'un second lit , né en 1713 , est de-
meuré célèbre , non pas tant par ses richesses que par sa
rare instruction , son amour éclairé pour les arts et sa noble
hospitalité.
Nicolas Petrowitsch , comte Schérémétief, fils du précé-
dent, né eu 1751, fonda à Moscou l'hôpital qui porte
son nom, et dont la destination est d'offrir un asile et des
secours aux étrangers dans le besoin. Il affecta à l'entretien
de cet établissement , construit avec un luxe vraiment
impérial, un revenu annuel de 75,000 roubles d'argent
(375,000 fr. ). Il mourut le 2 janvier 1809, à Moscou.
Dmitri Nicolajewitsch , comie Schérémétief, fils unique
du précédent, conseiller d'État et chambellan , né en 1803,
avait été fiancé à la comtesse Romanow , fille naturelle de
l'empereur Alexandre ; mais elle mourut avant le mariage.
C'est peut-être le particulier le plus riche de l'Europe; et,
comme tous les membres de sa famille, il est célèbre par
•sa bienfaisance.
SCIIERER (Barthélemy-Louis- Joseph), général des
armées de la république, naquit en 1747, à Délie, près Po-
rentruy , et était fils d'un boucher. Abandonnant un beau
jour la maison paternelle, il alla s'engager dans les troupes
autrichiennes, où il fit onze ans de service sans pouvoir
arriver au grade d'officier. Il déserta alors de Mantoue, et i
vint à Paris. A la révolution, il entra dans l'armée fran-
çaise avec le grade d'officier ; mais accusé de royalisme , il
dut donner sa démission. Toutefois, on le vit revenir peu de
temps après sur les bords du Rhin avec le grade de géné-
ral de brigade, et dès 1794 il passait général de division.
En cette qualité il prit le commandement d'une des divi-
sions de l'armée de Sainbre et Meuse , assista à la bataille
de Fleuius , s'empara de Mons, et assiégea Landreoies. Cette
place ayant capitulé, il se rendit successivement maître du
Quesnoy, de Condé et de Valenciennes. Vers la mi-septembre,
il fut chargé du commandement de l'aile droite de l'armée
aux ordres de Jourdan , et avec les 15,000 hommes dont il
disposait il contribua au succès des affaires livrées sur les
bords de l'Ourthe et à Aldenhoven, Au mois de mai 1795,
il fut nommé, en remplacement de Pérignon , au comman-
dement en chef de l'armée des Pyrénées orientales. Mais
l'état de désorganisation complète de cette armée et son
extrême pénurie de tout ce qui est nécessaire pour des
opérations actives le réduisirent à garder la défensive. Le
13 et le 14 juin, il réussit cependant à remporter quelques
avantages sur les bords de la Fluvia. Après la paix de
Bàle, il fut nommé par le Directoire au commandement
de l'armée d'Italie. D'abord heureux dans ses opérations
contre les Autrichiens, il ne put conserver ses succès non
plus qu'arrêter la désorganisation et la démoralisation de
son armée. C'est dans ces circonstances critiques que le
Directoire se décida à le destituer (23 février 1796) pour
confier son commandement à un jeune général jus(|ue alors
à peu près inconnu, à Bonaparte. Appelé en juillet 1797
au ministère de la guerre , il perdit ce porteleuille le 21 fé-
vrier 1799, à cause de la désorganisation complète oii il je-
tait tous les services. Le Directoire ne l'en jugea pas moins
digne d'aller remplacer Joubert dans le commandement en
chef de l'armée d'Italie. Il échoua alors dans ses efforts pour (
SCHÉRÉMÉTIEF — SCHIEDONE
s'emparer de Vérone , et dut se replier sur le Mincio et l'O-
glio. Sa position devint extrêmement critique lorsque, le
17 août suivant , les Russes , aux ordres de Souvarof, eu-
rent opéré leur jonction avec les Autrichiens de Kray. Des-
titué à ce moment , il se déroba par la fuite à un décret
d'accusation, dont la révolution du 18 brumaire eut pour
résultat de l'exonérer. Il se retira alors aux environs de
Chauny, et y mourut, le 19 août 1804. On a de lui :
Précis des Opérations de l'Armée d'Italie depuis le 21
ventôse jusqu'au 7 floréal de l'an VII (Paris, 1799).
SCHERG ou SEVREJA. Fo^es Esturgeon.
SCHÉRIF. FoyesCHÉRiF.
SCHERMAUS , petit mammifère du genre campa-
gnol. Le sc.hermaus (mus paludosus , L. ), découvert
par Hermann dans les environs de Strasbourg , n'a encore
été retrouvé nulle autre part. Il se distingue du rat d'eau
par la taille , qui est moindre, par la couleur plus noire de
son poil , mais surtout par la brièveté et la forme ramassée
de la tête.
SCHERZO. Voyez Menuet.
SCIlETLiV\^D. Voyez Shetland.
SCUE VEi\li\GEi\ , village de pêcheurs, dans la Hol-
lande méridionale, célèbre par ses bains de mer, est situé à
environ trois kilomètres de La Haye, d'où l'on y arrive par une
large et belle avenue ainsi que par un canal. On y trouve
6,000 habitants, qui ont conservé le costume et les habi-
tudes des vieux temps , et qui vivent presque uniquement de
la pêche.
En 1830 le conseil municipal de La Haye y fitconstruire,
à l'usage des baigneurs , un vaste édifice , répondant dans
l'ensemble de ses détails, de même que par le goût de son
ornementation , à toutes les exigences de l'aristocratie eu-
ropéenne, qui avait décidément pris sous son patronage les
bains demerdeScheveningen. Ce qui contribue surfout à les
faire recommander d'une manière toute particulière, c'est l'air
pur qu'on y respire , la facilité de s'y baigner à toute heure
sans attendre le moment des marées, la forte lame que les
baigneurs peuvent être sûrs d'y toujours rencontrer, enfin
les distractions sans nombre que leur offre le voisinage
d'une capitale.
SCHIAVONE ( Andréa, ), peintre remarquable de l'é-
cole vénitienne, dont le véritable nom était Andréa Me-
dola, naquit en 1522, à Sebenico, en Daimatie, et emprunta
vraisemblablement à cette ville le surnom sous lequel il est
connu dans l'histoire de l'art. Il fit ses premières études d'a-
près les gravures du Parmegianino , étudia ensuite les œu-
vres du Giorgione et du Titien , et s'efforça de réunir les
grâces du premier au coloris du second. Ce qui lui est parti-
culier, c'est l'art de manier les grandes masses de demi-
teintes malgré une exécution molle et indécise. Ses tableaux
les plus animés pèchent d'ailleurs sous le rapport de l'exac-
titude du dessin. Il mourutà Venise, en 1582. La plupart de
ses toiles se trouvent à Venise, dans le reste de l'Italie et en
France. Il en existe cependant aussi dans quelques galeries
de l'Allemagne.
SCHIBBOLETH, mot hébreu, qui signifiait épi, et
qu'on emploie dans la conversation à propos d'un homme
qui , par un mot ou par une manière de s'exprimer, trahit
qu'il n'appartient pas réellement au parti dans lequel il se
range.
On lit dans le livre des Juges que les habitants de Giléad,
après avoir vaincu les Éphraimites en bataille rangée , s'em-
parèreutdes gués du Jourdain. Alors, à mesure qu'un homme
de la tribu d'Épliraim s'y présentait, on lui demandait d'où
il était, et on l'obligeait à prononcf r le mot schibboleth.
L'Éphraïmite se trahissait tout aussitôt, en prononçant sib-
boleth, comme ceux de sa tribu, habitués à ne point faire
entendre le son de notre lettre h. Reconnu à cette marque,
il était immédiatement mis à mort.
SCIIIEDOME ou SCHEDONE (Bartolommeo), pehitre
de Modène, est compris dans l'école des Carrache, bien que
ses premières œuvres surtout trahissent une étude appro-
SCHIEDONE
fondie du Corrége. 11 naquit en 1559, et mourut en 1615,
avec le litre de peintre de la cour du duc Ranuzio de Parme.
Dans ses premiers tableaux, exécutés sous l'influence dont
nous venons de parler, il n'a ni la mollesse ni la délicatesse
de son modèle ; mais il y mit assez de grâce et de charme
pour que ses contemporains eussent la plus haute estime de
son talent. Les toiles qu'il composa plus tard témoignent
d'une élude plus approfondie de la nature , et la conception
en est aussi plus vigoureuse. Ce sont incontestablement celles
qui offrent le plus d intérêt. Le musée de Naples en possède
la plus grande partie; et on en trouve d'autres dans les
églises d'Italie. Toutefois, l'étranger n'en manque pas non
plus ; et on en voit aussi dans les galeries de Paris , de Munich,
«le Vienne, de Berlin, de Dresde et de Saint- Péfersbourg.
En 1604 il peignit en concurrence avec Ahati, dans la salle
des séances du palais municipal de Modène, une suite de
fresques d'une remarquable richesse de coloris. On dit que
cet artiste était joueur, et que cette passion abrégea ses
.ours.
SCHIEDAM, ville de la Hollande méridionale, à 5 ki-
?ûmètres à l'est de Rotterdam, à l'embouchure de la
Schie dans la Meuse, avec 12,000 habitants, deux grandes
distilleries de genièvre, des fabriques de céruse et de cor-
dages, et un important commerce de porcs , de beurre et de
fromage. On y pêche aussi le hareng.
SCHIKANEDER (Emmanuel), auteur du libretlo de
La Flûte enchantée, né à Ralisbonne, en 1751, fut d'a-
bord comédien , et écrivit ensuite des poèmes d'opéras dont
le succès fut proportionné au talent du musicien qui se char-
geait d'en composer la musique. Son opéra de La Flûte en-
chantée, que la partition de Mozart a immortalisé, a été
beaucoup trop sévèrement jugé par la critique. Sans doute
la coupe des vers et le dialogue n'en sont pas heureux ;
mais le caractère général de cette pièce ne laisse pas que
d'être éminemment poétique. L'immense succès de cet opéra,
joint à la connaissance approfondie que possédait Scliikane-
der de toutes les ressources du théâtre el de ce qui peut
impressionner le public, lui permit d'amasser une belle for-
tune, qu'il accrut encore dans l'exploitation d'abord du
théâtre de Prague, puis de celui de la LC-opoldstadt, k
Vienne. Il l'employa à construire dans cette ville une salle
nouvelle (le Theater an der Wien), réunissant sous le
rapport architectural comme sous celui des exigences de
l'art toutes les conditions voulues pour en faire une scène
vraiment modèle, et dont l'ouverture eut lieu en juin 1801.
Schikaneder, passionné pour les plaisirs, dépensant l'argent
avec autant de facilité qu'il le gagnait, finit par se ruiner, et
dut abdiquer le sceptre directorial de son propre théâtre.
Il mourut à Vienne , le 21 septembre 1812 , dans un état
voisin de l'indigence.
SCHI-KING ou CHI-KING, l'un des plus curieux mo-
numents de l'antique littérature chinoise. C'est une es-
pèce de couronne poétique. Dès le douzième siècle avant
notre ère, les empereurs de la Chine donnèrent l'ordre de
l'ecueillir et de conserver par écrit les meilleurs chants
parmi ceux qui étaient le plus répandus dans la bouche du
peuple. Dans ces collections , qui contenaient, dit-on , plus
de 3,000 chants, Confuciusen choisit les 311 plus beaux,
qui composent le Schi-King. Beaucoup sont d'une extrême
antiquité , et remontent peut-être au treizième siècle avant
J.-C. ; les plus récents sont encore du septième siècle avant
notre ère. Les sujets en sont très-variés. A côté de poèmes
moraux, qui enseignent la morale la plus pure, on trouve
des chants qui roulent sur les occupations journalières de
la vie, des lamentations d'amoureux, de joyeuses descriptions
des plaisirs de la table , du vin, etc. ; d'autres sont des poé-
sies politiques. En général, il y règne beaucoup de délicatesse
et de naturel ; ce qui y domine , c'est l'aspiration à un état
de vie plus pur, plus moral , tel qu'était celui d'autrefois.
Lacharme en adonné une traduction latine (Paris, 1830).
SCHILDERBEIMT, association de peintres flamands,
qui existait déjà, dil-on, à Rome à l'époque de Raphaël,
— SCHILL 2S
et qui florissait surtout au dix -septième siècle. Cette so-
ciété ou confrérie de peintres avait pour but d'entretenir
entre compatriotes le goût pour l'étude et de se prêter une
mutuelle assistance dans les choses ordinaires de la vie. On
se réunissait dans une auberge située au voisinage des bains
de Dioclétien, el l'usage était de donner à chaque membre
un nom particulier dans l'association. Cela se pratiquait ,
lors de la réception , au milieu de diverses cérémonies où
l'on imitait celle du baptême , el mêlées d'une foule de pra-
tiques bizarres, dans lesquelles on n'oubliait pas de chopiner
et de banqueter. Avec le temps , la confrérie dégénéra en vé-
ritables bacchanales, contre Jesquelles le clergé finit par
élever des réclamations: et en 1720 le pape Clément IX
supprima une association dans les réunions de laquelle la
morale publique était audacieusement outragée.
SCHILL ( Ferdinand de ), audacieux partisan de l'époque
de la guerre de 1809 entre Napoléon et l'Autriche, était né
en 1773, à Sothof près de Pless, en Silésie. Il prit part ep
1806, avec le grade de lieutenant, à la bataille d'Auerstaedt,
où il reçut une blessure grave à la tête; et il eut beaucoup
de peine à se traîner jusqu'à Kolberg, en Poméranie.
Une fois guéri , il y conçut le projet d'organiser un corps
franc. Quand il en eut reçu l'autorisation , il vit sa petite
bande, qui à l'origine ne se composait que de quelques dra-
gons et de quelques volontaires, arriver à présenter un
effectif de plus d'un millier d'hommes. Posté avec son monde
dans le petit bois fortifié de Maikuhie, il contribua beau-
coup alors au succès de la défense de Kolberg par Gnei-
senau. De vastes projets, qui devaient lui permettre de com-
battre à côté de Blucher, furent interrompus par la paix de
Tilsitt ; mais alors le roi de Prusse nomma Sciiill major,
en même temps que sa troupe de hussards, transformée en
régiment de la garde , était appelée à tenir garnison à Ber-
lin, où on lui fit l'accueil le plus sympathique.
Affilié au Tugendbtind , Schill savait quelle fermentation
régnait alors dans les esprits , et n'attendait qu'une occasion
favorable pour en provoquer l'éruption. Le moment lui
sembla venu lorsqu'en 1809 Napoléon déclara la guerre à
l'Autriche. Le 28 avril, à la tête de son régiment, et sous
prétexte de le conduire au champ de manœuvres, il sortit de
Berlin pour n'y plus rentrer. Arrivé au champ de manœu-
vres, il harangua ses officiers et sa troupe en leur exposant
son plan. Pas un homme ne refusa de le suivre, et on .se mit
eiî marche vers l'Elbe, dont on effectua le passage à Wit-
temberg. Mais au lieu de trouver de l'appui en Saxe, on y
apprit que Napoléon venait déjà de battre l'armée autri-
chienne, de sorte que la levée de boucliers tentée en même
temps en Hesse par Darnberg avait été comprimée. Schill ré-
solut donc de traverser la Westphalie avec sa petite troupe,
afin de gagner la Frise orientale et de s'y embarquer pour
l'Angleterre. Mais attaqué le 5 mai, au village de Doden-
dorf, par une partie de la garnison de Magdebourg, foi ce lui
fut de se diriger vers la vieille Marche, au lieu de continuer
sa route sur Brunswick, tandis qu'un corps hollandais com-
mandé par le général Gratien , et un corps danois sous les
ordres du général Ewald, s'apprêtaient à lui barrer le pas-
sage d'un autre côté. Schill espérait d'abord trouver un point
d'appui à Domilz , petit fort mecklembourgeois situé sur
l'Elbe; mais ayant reconnu qu'il était inabordable, il se
retira sur Wismar et Rostock , puis quand les Hollandais
et les Danois le pressèrent plus vivement , sur Slralsund ;
il en rétablit en toute hâte les fortifications ruinées, et
porta l'effectif de son corps à 2,000 hommes, en y incorpo-
rant la landwehr suédo-poméranienne. Mais, le 31 mai, il
se vit attaqué avec des forces trois fois plus considérables
par l'ennemi , qui , en dépit de la plus héroïque résistance ,
pénétra dans la ville. La lutte continua dans les rues ; et
Schill, déjà blessé, périt d'un coup de feu, après que
lui-même eut tué de sa propre main le général hollan-
dais Carteret. Environ 150 cavaliers et quelques chasseurs
parvinrent à se frayer passage à travers les rangs de l'eu-
nemi et à gagner le territoire prussien, où leurs officiers
26
SCHILL — SCHILLEB
furent traduits devant un conseil de guerre, qui les déj^rada
et les condamna à quelques années de forteresse. Les douze
officiers qui avaient été pris h Dodendorf et à Straisund
furent conduits par les Français à Wesel, où on les fusilla.
Le cadavre de Schill , qu'on eut de la peine à reconnaître ,
fut enterré à Straisund. On en sépara d'abord la tête, qui ,
conservée dans de l'esprit de viu, fut donnée au célèbre
Brugman de Leyde, quoique le roi Jérôme en eût offert
10,000 fr. A la mort de Brugman, cette tête passa an musée
anatomique de l'université de Leyde, qui, en 1837, la
donna à la villb de Brunswick, où elle a été placée à côté
des restes de quelques officiers du régiment de Schill fusillés
en cet endroit , et où peu de temps auparavant on venait de
leur élever un raomument.
SCHILLER (Jean-Cbristophe-Frédéricde), l'un des
plus grands génies poétiques de l'Allemagne, naquit le 11 no-
vembre 1759, à Marbacb, petite ville du Wurtemberg ri-
veraine du Neckar. Il commença ses études élémentaires au
village de Lorch , sous la direction du pasteur Moser. Ses
parents quittèrent Lorch pour aller s'établir à Ludwigsbourg;
Schiller n'était encore qu'un enfant. C'était un enfant assez
ordinaire, timide, faible de complexion, rêveur et cherchant
la solitude; détestant, du reste, toute contrainte et toute
discipline. Sa taille était élancée, ses cheveux étaient roux,
son 'teint couvert de taches, sa figure pâle, mais d'une
expression noble et caractéristique. Il continuait depuis
quelques années l'étude du latin, à Ludwigsbourg, sous le
professeur Jahn , homme froid , qui, malgré son humeur
rude et morose , n'avait pas laissé de s'attacher à Schiller.
Lorsqu'il lui fallut se décider à choisir une profession , s'il
avait été libre, il serait entré dans les ordres. Son esprit
rêveur et exalté l'entraînait vers les méditations religieuses,
et cette tendance mystique de son âme se révéla plus tard
dans ses ouvrages. La carrière qu'on lui fit embrasser ne
répondait en rien à ses goûts naturels.
Le père de Schiller avait servi et était parvenu au grade
de capitaine; ensuite le duc de Wurtemberg lui avait confié
l'inspection d'un château appelé La Solitude, situé aune
lieue de Stuttgard. Le duc l'estimait parce que c'était un
honnête homme, et ne négligeait en aucune circonstance de
lui manifester ses bonnes intentions. Il venait de former
une école militaire, qu'il ir'efforçait de rendre célèbre en y
appelant des professeurs distingués auxquels il confiait des
élèves intelligents et pleins d'amour pour l'étude. Le pro-
fesseur Jahn lui parla de Schiller, qui se disposait alor.s à
commencer ses études théologiques. Ce qu'il lui dit intéressa
le prince, et il fut décidé que Schiller serait admis dans le
nouvel institut. Mais cette faveur, loin de charmer le jeune
homme , l'affligea douloureusement. Comment renoncer à
ses plus chères espérances, à ses douces et pieuses rêve-
ries? Et pourtant il le fallait : c'eût été encourir une disgrâce
que de refuser les bienfaits du souverain. Celui là serait
assez mal venu qui se livrerait à l'élude de la théologie dans
une école militaire; Schiller ne dut pas y songer. Il lui fal-
lait néanmoins une profession pour l'avenir. Le duc de
Wurtemberg promit à son père de le faire instruire dans la
jurisprudence. Quelle que fût sa répugnance, Schiller s'était
résigné à étudier le droit, lorsque le duc déclara qu'un trop
grand nombre de jeunes gens se destinaient à cette car-
rière, et que Schi/ler devait se consacrer à la médecine.
La nécessité est une rude conseillère; cette fois encore il fut
forcé d'obéir.
La contrainte qui lui était imposée, la discipline qu'il
lui fallait subir, la subordination, les règles qu'il avait, en
aversion, exercèrent sur son esprit une triste influence. Il
crut que l'univers entier était semblable à son collège; il
imagina que c'était une sanglante arène, où le cri de l'op-
primé protestait sans cesse contre la tyrannie de l'oppres-
seur. Dans ces dispositions fâcheuses, il continuait ses étu-
des. Son goût pour la poésie était alors très-prononcé ; les
sciences positives qu'on enseignait à l'école n'étaient guère
propres à le favoriser. Il fit à cette époque quelques essais
dramatiques, dont il n'est rien resté; il se livrait en mênae
temps à la poésie lyrique , et redisait dans des vers tristes
et touchants les doutes pénibles qui l'assiégeaient alors.
Cependant, il continuait ses études médicales, et se dispo
sait à se faire recevoir médecin. Il publia en 1780, comme
thèse inaugurale, une dissertation Sur les rapports du
physique et du moral de l'homme. On le nommait vers
le même temps chirurgien dans un régiment ; mais il n'étaiv
pas dans sa sphère: c'était à contre-cœur qu'il s'était soumis
aux volontés du duc de Wurtemberg; son âme poétique rê-
vait une tout autre existence.
En 1781 il fit paraître sa première œuvre dramatique,
son fameux drame des Brigands, œuvre déjeune homme,
pleine d'exagération et d'inexpérience, mais aiinonçant déjà
un talent remarquable , de l'énergie et de la puissance dra-
matique. Dans Les Brigands , presque tous les caractères
sont faux : Charles Moor est un être impossible dans la ci-
vilisation qui l'entoure; son père, un vieillard sans carac-
tère , et François Moor, un coquin trop vulgaire. Quant à
la morale de la pièce, il ne faut pas en parler; on doit user
d'indulgence envers cette âme mélancolique et tendre , qui
produisit sans le vouloir une œuvre pernicieuse. Un doute
affreux pesait sur elle : ayant mal vu le monde , Schiller le
peignait d'après ses impressions; son ardent amour de la
justice se déchaînait contre des maux imaginaires , et tandis
qu'il déchirait la société sans la connaître , les replis secrets
du cœur humain restaient cachés pour lui.
Les Brigands obtinrent un succès prodigieux. La pièce
n'était pas destinée à la représentation, l'action s'y trouvait
étouffée sous les développements ; c'était une forme arbi-
traire que le poète avait adoptée pour rendre la situation de
son âme. Cependant le baron de Dalberg, ministre de l'élec-
teur palatin , désira que Les Brigands fussent représentés
au théâtre de Manheim, qu'il avait établi lui-même. Schiller
y consentit, mais tout en y faisant les coupures et les chan-
gements convenables. Les scènes de brigands au milieu des
forêts charmèrent le public : les étudiants prirent la chose au
sérieux; et dans quelques villes d'Allemagne plusieurs jeunes
genf s'associèrent dans le but de parcourir le monde en anges
exterminateurs.
Schiller voulut assister à la représentation de sa pièce,
ce qui était bien naturel. Il en demanda la permission à ses
chefs; et, ne l'ayant pas obtenue, il se rendit secrètement à
Manheim. Cette désobéissance fut punie de quinze jours
d'arrêts.
Une circonstance assez bizarre , et qui devait décider de
toute la vie de Schiller, vint enfin le soustraire à la con-
trainte insupportable qu'il endurait depuis si longtemps.
Un membre de la famille de Salis s'étant cru outragé dans
une phrase des Brigands , où le climat de son pays était
désigné comme le plus propre à la friponnerie, porta plainte
au duc de Wurtemberg. Le duc, qui jusque alors n'avait
point comprimé les élans de cette jeune muse, concevant
de tardifs scrupules, fit intimer l'ordre à Schiller de se li-
vrer exclusivement aux études relatives à sa profession de
médecin. Le poète se révolta contre une pareille tyrannie.
La réception du grand-duc Paul de Russie occupait alors la
cour de Stuttgard ; on avait trop à faire pour s'occuper de la
disparition d'un écolier.Schiller, au mois d'octobre 1782, aban-
donna furtivement la ville, accompagné d'un musicien de ses
amis. Réfugié sous un nom supposé près de Meiningen, chez
la mère d'un de ses camarades , il écrivit à ses chefs pour
les prier de lever la défense que son altesse lui avait fait
signifier* Le duc lui fit répondre qu'il oublierait tout s'il vou-
lait revenir; mais comme il ne parlait nullement de rétrac-
ter ses ordres, Schiller ne songea plus au retour.
Les angoisses qu'il ressentit seraient trop longues à ra-
conter. Son compagnon de voyage assure dans son récit
qu'un libraire lui offrit 20 fr. de La Conjuration de Fiesque,
et que les acteurs devant lesquels il lut celle pièce s'en-
dormirent tous avant la fin du troisième acte. Il parait
que la mauvaise déclamation de Schiller contribua beau-
SCHILLER
.'*oup à cette indifférence, et qu'aune seconde lecture, qti'cn
fit un acteur, la pièce fut reçue avec acclamations. Il l'avait
achevée dans sa retraite de Meiningen; ce fut là aussi
•qu'il écrivit Intrigue et Amour, et qu'il entreprit Don
• Carlos.
Le baron de Dalt)erg le fit venir à Manheim. On a beau-
coup loué la nnmiricence de ce baron de Dalberg; il parait,
id'après les nombreux témoignages apportés par le musicien
ami de Schiller, qu'elle ne s'exerça envers ce dernier que
d'une façon excessivement problématique. Quoi qu'il en soit,
Schiller s'occupa de faire représenter ses deux nouvelles
pièces; et lorsqu'on les joua à Munich, elles furent cou-
ronnées d'ufl succès éclatant. Ces deux pièces sont loin
d'être les meilleures qu'il ait produites; elles pèchent toutes
deux par les mômes défauts qu'on remarque dans Les Bri-
gands, sans en avoir toutes les qualités. Il y a des scènes
fort belles dans La Conjuration de Fiesque , de louchantes
situations dans Intrigue et ^mowr. Les personnages vivent,
mais d'une vie factice; ils déclament au lieu de parler, et
ce défaut existe dans les plus beaux drames de Scliiller. La
partie lyrique de ses pièces est fort belle, mais souvent l'al-
lure pompeuse de sa phrase entrave la vivacité de l'action.
Son style est parfois sentencieux, et tombe dans la mono-
tonie. Mais pour l'agencement du drame, mais pour l'intérêt
des situations, il réussit à merveille, et presque toujours son
plan est habilement combiné. C'est là ce qui séduit surtout
le spectateur; aussi ces deux pièces furent-elles très-favora-
blement accueillies. Sa réputation commençait à s'étendre
en Allemagne. On attendait un nouvel ouvrage avec une vive
impatience; Schiller, pour répondre à l'empressement du
public, fit paraître les trois premiers actes de son Don Carlos.
C'était en 1785.
Il se rendit alors à Weimar.Herder etWiela n délaient
déjà fixés à lacour du duc deSaxe-Weimar. Gœthe y tenait
le premier rang. Schiller, à qui le duc avait donné deux
ans auparavant le titre de co«5eif/er intime, ne voulut pas
encore se fixer à Weimar. Il n'y passa que quelques mois.
Après y avoir publié ses premiers ouvrages historiques, il
fit diverses excursions en Saxe et en Franconio. Ce fut alors
qu'il fit paraître l'Histoire de la Révolte des Pays-Bas et
le premier volume du Recueil des Rebellions et Conjura-
tions célèbres. Le Visionnaii-e et l'Histoire de la Guerre
de trente ans datent de la même époque. Schiller semblait
avoir abandonné le théâtre pour les travaux historiques : il
s'y livrait avec une ardeur infatigable. Outre ces grands ou-
vrages, il insérait dans des journaux une foule de morceaux
d'histoire et de critique. L'Histoire de la Guerre de trente
ans lui assigne une place parmi les historiens distingués.
Le Visionnaire, qui parut vers le même temps, est un ro-
man inachevé.
Schiller avait fait connaissance avec Gœthe. Dès lors avait
commencé entre les deux grands hommes une intimité qui
ne se démentit jamais. L'existence précaire de Schiller se
trouva fixée et assurée par les soins de son illustre ami, qui
fit créer pour lui une nouvelle chaire de philosophie à l'u-
niversité d'Iéna. Entouré des hommes les plus savants de
son pays, il voulait marcher leur égal, et il reprit ses
études avec une ardeur funeste; car en 1791 il tomba gra-
vement malade, et le bruit de sa mort se répandit même
en Allemagne. Ce fut une douleur universelle; de nombreux
témoignages d'intérêt lui arrivèrent de toutes parts. Leduc
de Holstein-Augusten bourg, beau-frère du roi de Dane-
marck, et l'une des plus généreuses et des meilleures âmes
de cette époque , lui fit accepter une pension, qui lui permit
de vivre sans être forcé de se livrer avec excès au travail.
Un voyage qu'il fit aux lieux de sa naissance et le plaisir
qu'ileut d'embrasser son vieux père contribuèrent beaucoup
à rétablir sa santé.
Douze ans s'étaient passés sans que Schiller écrivît rien
pour le théâtre. Mais depuis longtemps il avait conçu le plan de
Wallenstein. Ce fut vers la fin de 179S qu'il fit représenter
IK)ur la première fois cette pièce sur le théùtie de Weimar.
27
Le talent du poëte avait grandi î ce n'est plas le jeune en-
thousiaste qui s'est fait de la société une idée monstrueuse.
L'observateur mûri par les années , le misanthrope éclairé,
retrace simplement ce qu'il à vu : tableau mélancolique et
fidèle. Cependant Schiller n'est pas un génie complet. Cer-
taines particularités de la vie lui échappent ; il ne sait bien
en saisir que les traits principaux. A force d'éviter les dé-
tails , son style devient vague ; ses personnages emploient
des phrases sonores pour exprimer les choses les plus sim-
ples; ils parlent un langage de convenance Uniforme. Le
poëte assurément ne doit jamais être trivial , il doit trans-
former la vie réelle, et non pas la calquer; mais dans Schil-
ler cette transformation touche à l'emphase. Schiller,
pour éviter d'appeler les choses par leur nom , emploie de
longs détours; aussi ses personnages secondaires .sont-ils
rarement dans la vérité. Mais la noblesse du style et l'élé-
vation des pensées donnent naissance chez lui à de grandes
beautés. Ce sont des qualités qui ne l'abandonnent jamais.
On assure que Gœthe mit la main à Wallenstein ; c'est
à lui qu'il faudrait attribuer le discours du moine dans le
prologue : cette allure vive et plaisante rentre peu dans la
manière de Schiller. Toujours est-il que le patriarche de
Weimar fit représenter cette pièce sur le théâtre qu'il gou-
vernait en maître , et apporta dans la mise en scène les
soins les plus minutieux.
Peu de temps après, Schiller vint se fixer à Weimar, et sa
liaison avec Gœthe devint plus intime que jamais. L'auteur
de Werther avait pour son ami tous les égards imaginables.
Il le savait d'un caractère sombre, maladif, inégal. Lorsqu'il
le voyait en proie à son humeur chagrine , il ne négligeait
aucun moyen de l'en tirer. La conversation venait-elle à
languir, son esprit souple et varié savait bienl'ôt la ranimer.
Il lui soumettait ses idées et les plans de ses ouvrages ;
Schiller en faisait autant, et les deux amis s'aidaient mu-
tuellement de leurs conseils. Dans cette douce intimité,
Schiller se livrait avec délices au travail. Il fit paraître suc-
cessivement La Pucelle d'Orléans , La Fiancée de Mes-
sine et Marie Stuart. 11 entreprenait en même temps di-
verses traductions. C'est ainsi qu'il fit passer dans la langue
allemande l'Iphigénie en ^iM^ide d'Euripide. Il traduisit en-
core Macbeth , de Shakspeare ; Ttirandot , féerie italienne
de Gozzi, et deux comédies françaises de Picard : Encore
des Ménechmes et Médiocre et Rampant. C'était un exer-
cice qu'il s'imposait afin de comparer des formes variées
et de tirer de cette étude de nouveaux éléments et de nou-
velles combinaisons pour ses propres ouvrages. Aussi La
Pucelle d'Orléans marque vme seconde période de son ta-
lent. La fiction y est substituée systématiquement à l'his-
toire. Tous les moyens dramatiques qu'elle lui présentait
naturellement, il les a rejetés de plein gré pour des créa-
tions arbitraires. Il a su toutefois produire des scènes ad-
mirables; et si ce n'était point un défaut de transgresser la
vérité dans l'art, on ne pourrait guère blâmer celte nouvelle
manière d'envisager son sujet. La Fiancée de Messine s'é-
carte encore plus des règles qu'il avait suivies jusque alors.
Malgré l'éloquente justification qui la précède , ce n'est pas.
moins l'erreur d'un homme de génie , un brillant essai sans
succès. L'emploi des chœurs est inadmissible dans le drame
actuel. Dans la tragédie antique, ils forment un élément
constitutif, qu'on ne peut pas en retrancher : c'est l'expression
cosmogonique de la civilisation païenne. Les chœurs étaient
des hymnes aux dieux , liés intimement à l'action , dont le
fond était presque toujours emprunté à la mythologie. Les
jeux de tliéi^tre étaient alors revêtus d'un caractère so-
lennel , qu'ilii perdirent lorsque les chants sacrés se réfu-
gièrent dans les églises , et que le drame ne servit plus à
exprimer l'esprit refigieux d'une société tout entière, mais
à développer des sentiments et des passions individuelles.
Aussi , malgré le talent merveilleux que Schiller a déployé
dans La Fiancée de Messine, ses chœurs ne font qu em-
barrasser l'action et nuire à l'intérêt de l'ensemble. Marie
Stuart est une des plus belles pièces de Schiller, si tous
98
SCHILLER — SCH IMMELPENNINCK
les caractères ne sont pas absolument vrais , ils sont tracés
avec finesse et vraisemblance. Celui de Marie Stnart est
plein de dignité; le portrait d'Elisabeth est peint sous de
sombres, mais vives et fortes couleurs. Ainsi que Waîter
Sco tt, Schiller a singulièrement poétisé la reine d'Ecosse
aux dépens de sa rivale. Mais le but moral est atteint; c'est
le point le plus important.
La muse de Scliiller était lyrique, et même éminemment
trop lyrique pour le drame. Souvent il se délassait de ses tra-
vaux dramatiques par quelques chants intimes , dans lesquels
son âme rêveuse pouvait s'épancher librement. Ces poésies
sont toutes fort remarquables. Le Chant de la Cloche, Le
Chant de Cassandre , La Fête de la Victoire , ou le dé-
part de la flotte des Grecs, traduits par M""*^ de Staël,
doivent être rapportés à cette époque.
Malgré ses préjugés invincibles contre la littérature fran-
çaise et la colère qu'il exhala contre Gœlhe , en beaux vers,
à l'occasion de sa traduction du Mahomet de Voltaire ,
Schiller se vit engagé presque malgré lui à traduire la
Phèdre àe Racine. La tâche une fois entreprise , il y apporta
tout le soin dont il était capable. Il reproduisit fidèlement
les beautés de notre grand poète , et sans doute il abiliqjia
ses préventions en admirant cette tendre sensibilité qu'il pos-
sédait lui-même à un si haut degré. Toutefois , cette traduc-
tion ne parut qu'après Guillaume Tell , le dernier, le plus
«plendide fleuron de sa couronne dramatique.
Les Brigands annonçaient une intelligence d'élite, un ta-
lent remarquable; mais quelle distance de ce drame à
Guillaume Tell! L'enfant s'est fait homme; l'expérience a
tait tomber de ses yeux le voile des préjugés. Assez puis-
sant pour juger les passions et leurs tortures, il contemple
le monde d'un point de vue élevé. Il se transporte, par la
puissance de son génie , au milieu des liommes et du siècle
qu'il veut dépeindre; il saisit avec une délicatesse infinie
les nuances des caractères qu'il veut opposer l'un à l'autre.
Le drame de Guillaume Tell est sublime de simplicité. Les
situations naissent sans effort, sans contrainte, poui
arriver à l'effet. La poésie s'allie merveilleusement à l'ac-
tion , et les paysages de la Suisse sont décrits avec une
fidélité étonnante; étonnante , car Schiller ne visita jamais
cette contrée.
Il n'avait plus rien à demander à la gloire , plus rien à
désirer de la fortune. Tous ses vœux étaient comblés. Il vi-
vait heureux au sein du bonheur domestique, environné du
respect et de l'admiration de ses contemporains. Mais sa
santé déclinait de jour en jour. Cependant, il travaillait avec
ardeur; l'étude continuait de faire ses délices. Les nom-
breuses ébauches qu'il a laissées prouvent que ses concep-
tions dramatiques étaient loin d'être épuisées. Quelques
palmes marquèrent la fin de sa carrière. Mais atteint d'une
fièvre catarrhale , qui prit un caractère pernicieux , il y suc-
comba, le 9 mai 1805. Il n'était âgé que de quarante-cinq
ans. Il s'éteignit doucement. Ses dernières paroles sont re-
marquables et consolantes. « Comment vous trouvez-vous ? »
lui demandait une dame de ses amies. — « Toujours plus
tranquille, » répondit-il, et il expira. Ainsi celle paix ,
qu'il avait tant cherchée, il l'avait enfin obtenue. Les an-
goisses de l'incertitude avaient troublé ses jeunes années ;
mais à cette heure suprême il s'endormait du sommeil
éternel plein de calme et de confiance. Une vie d'abord
agitée s'achevait paisiblement, semblable à une lyre dont
les notes bruyantes expirent en sons mélodieux.
Philarète Cuasles.
SCIIILLERSPACH. Voyez Diallage.
SCHILLING, nom d'une monnaie allemande, moitié
monnaie de compte et moitié monnaie réelle. Il provient très-
vraisemblablement àusolidus des Romains, transplanté
en Allemagne avec d'autres débris d'institutions romaines.
Le Romains donnaient le nom de solidus à cette monnaie,
parcequ'elle était le tout par opposition aux fractions, après
l'ancien as. Le solidus -schillinrj était aussi en Allemagne
la monnaie la plus grande, en opposition au pfennig. D'au-
tres veulent que ce mot vienne de schellen, résonner , parce
que les schillinge rendaient un son plus clair que les
pfennige ; d'autres, de saint Kilian, qui figure sur les schil-
lings de Wurtzbourg; mais ces étymologies et d'autres en-
core tiennent évidemment de la fable. Le solidus du
moyen âge fut successivement amoindri, et se transforma
en monnaie décompte , jusqu'à ce que dans les temps mo-
dernes il en résulta une monnaie à laquelle chaque pays qui
l'adopta donna la valeur qui lui convenait. Ainsi l'Angle-
terre a un shilling d'argent de 1/20 liv. st.; le Danemark ,
le shilling àti cuivre, de 1/96 de rigsdale ; la Suède, le shil-
ling àe. 1/48 de rigsdale. Plusieurs États du Nord de l'Al-
lemagne, le Mecklembourg , le Schleswig-Holstein , Ham-
bourg, Lubeck, ont le schilling comme fraction de compte
( 1/10 de marc, 1/48 de thaler) et comme monnaie de
billon.
SCHIMMELMAIVN (Henri-Charles , comte de) , ha-
bile financier au service du Danemark, né en 1724, à Demmin,
enPoméranie, était le fils d'un marchand, et très-jeune
encore établit à Dresde un commerce de droguerie. Plus
tard il devint l'un des fermiers de l'accise générale de la Saxe
Électorale. Dans la guerre de sept ans il entreprit la fourni-
ture des grains pour l'armée prussienne , fit de bonnes af-
faires, et était déjà riche de plusieurs millions de marcs de
banque en 1760. Il alla alors s'établir avec sa famille à Ham-
bourg, où il fonda une maison de commerce. En môme temps
il fit l'acquisition du domaine d'Ahrensburg en Holstein,
afferma l'hôtel des monnaies de Holstein-Ploen , entra au
service du Danemark et fut nommé, en 1761, intendant du
commerce en même temps qu'envoyé danois près les cer-
cles de la basse Saxe. A très-peu de temps de là il fit encore
l'acquisition de la terre de Wandsbeck en Holstein et de la ba-
ronnie de Lindenborg en Jutland, puis plus tard d'une fabrique
de fusils en Séelande.En 1762 il fut nommé baron, deux ans
après trésorier général de la couronne de Danemark , titre
avec lequel il dirigea depuis lors l'administration générale des
contributions. En 17C8 il prit part à la conclusion d'un
traité de commerce avec Hambourg , et accompagna en-
suite le jeune roi Christian VII dans ses voyages à l'étran-
ger. Pendant le court mini.stère de Struensée (1770-
1772), il habita presque toujours Hambourg. Il reprit ses
fonctions après la chute de ceminislie, en même temps que
la direction de toutes les opérations financières du Dane-
mark. Il mita exécution divers plans financiers, et contri-
bua beaucoup à la construction du canal de Iloistein, en
1777. Créé comte en 1779, il laissa à sa mort , arrivée en
1782 , une fortune évaluée à plus de huit millions de rigs-
dales (30 millions de francs).
Son fils, Ernest-IIenri, comte de Scuimmelmann, né
à Dresde, en 1747, étudia à Genève et perfectionna son édu-
cation par des voyages. Il entra de bonne heure dans la vie
publique, et remplit en Danemark les fonctions de ministre
des finances depuis 1784 jusqu'en 1814. En 1824 il prit
le portefeuille des affaires étrangères. Il est mort à Copen-
hague, le 9 février 183 1. Avec le célèbre Bernslorffil
avait beaucoup contribué à la sage neutralité gardée par le
Danemark à l'éjjoque de la révolution française.
SCinMi\IELPEiVi\L\CK (Rutger Jan), homme d'É-
tat hollandais, né en 1761, à Deventer. Avocat à Amster-
dam , il figura, dans les troubles qui signalèrent les années
1785 et 1787, au nombre de ceux qui réclamaient l'intro-
duction du système représentatif. Après l'invasion de la
Hollande par Pichegru , il lit partie du conseil municipal
institué à Aiiisterdam, puis de l'assemblée nationale batave.
En 1798 il fut nonmié ambassadeur à Paris, et à la paix
d'Amiens ambassadeur à Londres. Au début de la guerre
de 1803 il essaya de maintenir la neutralité de la Hollande,
et, sur le refus du premier consul d'y consentir, il se retira
de la politique. Une lettre de Bonaparte et les vœux de ses
concitoyens ne tardèrent pas à le rappeler aux affaires. Il
accepta donc alors de nouveau les fonctions d'ambassadeur
à Paris , et gagna complètement la confiance de Napoléon.
SCHIMMELPENNINCK — SCHISTE
3«>
Quand il fut question de mettre plus d'unité dans le gouver-
nement de la Hollande, Schimmelpenninck fut placé, en 1805,
au timon des affaires, avec le titre de gran d-p ension-
naire ; et en cette qualité il introduisit de nombreuses et
utiles améliorations dans l'administration. Mais en 1806 il
perdit presque complètement l'usage de la vue ; et Napo-
léon nomma alors son frère Louis roi de Hollande. Les ef-
forts tentés par Schimmelpenninck pour s'y opposer furent
inutiles. Lors de la réunion de la Hollande à l'empire
français, Napoléon le créa comte et sénateur. Après les
événements de I8l4, Schimmelpenninck se retira dans ses
biens; mais lors de l'érection du royaume des Pays-Bas,
il fut nommé membre de la première chambre des états
généraux. Il mourut à Amsterdam, le 15 février 1825.
SCHIIVDERIIANNES, chef d'une bande de voleurs
qui vers la fin du siècle dernier exploitait les bords du Rhin,
et dont le nom véritable était Jean BtCKLF.R. Né de parents
pauvres , et entré fort jeune au service d'un bourreau ,
il vola à son maître quelques bardes, et s'enfuit ; mais il fut
pris et condamné à vingt-cinq coups de bâton. Cette peine,
qu'il subit publiquement, décida, dit-il, de .son avenir. 11
erra alors à droite et à gauche sans trop savoir que faire, et
.finit par voler. Arrêté une seconde fois, il s'évada et s'as-
socia à Fink à la barbcrousse, chefd'une bande de voleurs.
Arrêté à diverses reprises, il réussit toujours à s'évader et
à rejoindre ses compagnons. Enfin, il ré.soliit de se mettre
voleur de grands chemins, et forma à cet eKet une grande
bande, qui ne tarda point à répandre au loin la terreur.
Traqué parla police, il passa sur la rive droite du Rhin, où il
épousa une certaine Juliette Blasius. Vers celte époque ses
brigandages prirent une autre direction ; sa bande pénétra par
effraction dans les habitations, et se livra si publiquement
à ses méfaits, que les juifs, qui étaient plus particulière-
ment l'objet de ses déprédations, envoyèrent une députation
à notre chef de brigands pour composer avec lui. Pris à la
suite d'explorations faites avec autant d'intelligence que de
persévérance, il fut conduit à Francfort et traduit devant
le tribunal de Mayence. Dans les débats de son procès il fit
preuve d'une grande sincérité, parce que n'ayant jamais
commis de meurtre il espérait obtenir une commutation de
peine. Mais condamné à mort, il fut guillotiné, le 20 novembre
1803, avec plusieurs de ses complices.
SCHIN-SENG. Voyez Chinseng.
SCHIRAS. Voyez Cnm.vs.
SCHIUWAÎV. Foj/es Chirvan.
SCHISCHKOFF (Alexandre Ssemenowitscu), amiral
russe , ministre et écrivain distingué, naquit en 1754, d'une
ancienne famille noble, et fut élevé à l'école des cadets de
la marine. Lesdiiférentsvoyagesqu'il exécuta, tantsurlerre
que sur mer, lui firent voir la Suède , le Danemark, l'An-
gleterre, l'Allemagne, la Prusse, l'Italie, la Turquie, etc.
Il était encore cadet de marine que déjà il débutait dans
les lettres par des traductions de l'allemand et par la pu-
blication de quelques poésies lyriques. Ses différents poèmes
sont depuis longtemps oubliés, mais on estime encore ses
ouvrages scientifiques, entre autres sa Science de la Ma-
rine (2 vol., Pétersbourg, 1795), son Dictionnaire de
Marine anglo-franco-russe (1795), sa Collection de Jour-
naux de bord (1800), et surtout ses Considérations sur
l'ancien et le nouveau style dans la langue russe (1802 ;
3" édit., 1818). En 1812 il fut nommé secrétaire de l'empire.
Les manifestes, proclamations , oukases et rescrits rédigés
par lui en cette qualité jusqu'en 1814 se distinguent autant
par la noblesse du style que par le patriotisme de la pensée.
Dès 1816 il avait été appelé à présider l'Académie de la
Langue Russe. En 1820 il fut nommé membre du sénat , en
1824 ministre de l'instruction publique et directeur général
des affaires ecclésiastiques de toutes les confessions non
grecques existant en Russie. En celte qualité il fit beaucoup
de bien, et il en aurait (ait encore davantage s'il n'avait
pas été dominé par ce préjugé que pour leur bonheur les
classes inférieures doivent demeurer exclues de toute cul-
ture scientifique. En 1823 il résigna ce portefeuille, et ne
s'occupa plus dans les dernières années de sa vie que de la
publication de son Dictionnaire comparé en 200 langues
(2 parties, Pétersbourg, 1838) et d'une nouvelle édition de
son Dictionnaire de Marine. Il mourut en avril 1841. Une
édition de ses Œuvres complètes avait paru en 14 volumes.
SCHISME,SCHISMAT1QUE (du grec «rxîit?, séparation).
En droit canon on entend par schisme la rupture de l'unité
de l'Église par suite de l'élection simultanée de plusieurs an-
tipapes. Le plus long schisme de ce genre dont fasse men-
tion l'histoire est connu sous le nom de grand schisme ,
ou deschisme d'Occiden t, et dura de 1378 à 1417.
Dans une acception plus restreinte on entend par schisme
l'acte de se séparer de la constitution ecclésiastique et de
la discipline de l'Eglise orthodoxe. Dans tous les temps le
christianisme a vu des esprits indépendants ou ambitieux
lui reprocher soit des erreurs , soit des abus , et qui , entraî-
nant une plus ou moins grande partie de ses enfants , en ont
constitué une société nouvelle. Les apôtres eux-mêmes fu-
rent témoins de pareilles scissions. Les principaux schismes
dont parle l'histoire de l'Église sont ceux des ariens, des
novatiens, des donatistes, etc., qui ont cessé depuis long-
temps, et ceux des grecs et des protestants, qui durent
encore.
Quelques théologiens ont distingué le schisme actif da
schisme passif. Par le premier ils entendent la séparation
volontaire de l'Égli.se et la résolution de n'en plus faire
partie. Le second , suivant eux, est la séparation involontaire
de ceux que l'Église a rejetés de son sein par l'excommuni-
cation.
Les schismatiques sont ceux qui, sur certains dogmes ou-
sur certains points de discipline , professent des opinions
autres que celles de l'Église orthodoxe.
On appelle proposition schismatique celle qui tend k
porter les fidèles à secouer le joug de l'Église, et à introduire
la division entre les Églises particulières et celle de Rome,
qui est le centre de l'unité catholique.
SCHISME D'ANGLETERRE. Voyez Anglicane
(Église).
SCHISME D'OCCIDENT ou GRAND SCHISME.
On désigne généralement ainsi le schisme qui éclata dans
l'Église, en 1378, par suite de la double élection d'Urbain VI
et de Clément VII, antipape , à la chaire pontificale lais-
sée vacante par la mort de Grégoire XI. Les graves irré-
gularités qui avaient signalé l'élection d'Urbain VI por-
tèrent les cardinaux de la minorité à protester contre sa
validité et à procéder à une élection nouvelle, de laquelle
sortit pape Robert de Genève , évèque de Thérouane , qui
prit le nom de Clément VU, et alla tenir .sa cour à Avi-
gnon ; son autorité fut acceptée par Naples , l'Aragon ,
la Castilie, la France , et une partie de l'Allemagne , tan-
dis qu'Urbain VI, reconnu par le reste de la chrétienté,
résidait à Rome. Ce schisme, qui partagea l'Église en deux
obédiences , dura trente-neuf ans , prolongé qu'il fut par
les doubles élections faites successivement à Rome et à
Avignon pour donner des successeurs à Urbain VI et à Clé-
ment VII, et ne se termina que par l'élection de Martin V,
faite à la suile du concile de l'Église tenu à Constance.
Cette assemblée déposa JeanXXHI (Rome) et Benoit XIII
(Avignon), et élut pour pape Othon Colonna, qui l'avait
présidée pendant toute sa durée , et qui , en ceignant la
tiare, prit le nom de Martin V. Ces déplorables divi-
sions excitèrent des troubles religieux sur plusieurs points
de l'Europe, et provoquèrent la tentative de réforme
faite par Jean Huss, ce prédécesseur de Luther et de
Cal vin.
SCHISME D'ORIENT. Voyez Grecque (Église),
SCHISTE (du grec oyJCw , je fends, je divise), nom
donné à des roches argiloïdes, tendres, qui peuvent aisé-
ment se diviser en lames ou en feuilles ; roches dont
l'aspect est mat et que l'eau ne rend point pâteuses. Le
schiste est composé d'argile mélangée de matières phyl-
30
ladicnnes ; il s'y joint aussi quelques parties impalpables
de leldspatli, de quartz, et quelquefois des paillettes
de mica (schiste viicacé). La contexture particulière
de cette roche est désignée par l'épilliète schistoïde. Les
teintes du scliiste sont généralement ternes ; ce sont le gri-
sâtre, le verdàtre, le rougeàtre ou le noirâtre quand le
schiste contient accidentellement quelques parties de houille
ou d'anthracite. Cette roche, fusible au chalumeau, forme
des couches à la partie supérieure des terrains delà période
phylladienne, et se présente surtout avec une grande puis-
sance dans l'étage houillier , où elle renferme souvent un
grand nombre de débris végétaux. /
SCHITOMIR, chef-lieu du gouvernement de Volhynie,
(Russie d'Europe), dépendait au temps de la splendeur de
la monarchie polonaise de la voïvodie de Kief , on , sous le
nom de Zylormierz, cette ville était la capitale du dis-
trict du même nom. Elle est bâtie sur le Tetereff , qui y
reçoit les eaux de la Kamenka ; rivière profondément en-
caissée entre des rochers, et offrant par conséquent une foule
de points de vue aussi pittoresques que romantiques. Elle
est le siège d'un gouverneur militaire, d'un archevêque grec
ainsi que d'un évoque catholique; on y trouve neuf
églises, un séminaire, un gymnase, et plusieurs autres
écoles. Sa population s'élève à 20,000 âmes, et était jadis
bien autrement considérable.
On trouve à Schitomir quelques bonnes fabriques de
drap, et elle est le centre d'un commerce des plus actifs,
tarit avec la Turquie et l'Autriche qu'avec l'intérieur de la
Russie. Aux environs on cultive la vigne sur une très-large
échelle, et cette culture constitue une des principales res-
sources de la population.
C'est dans le cercle de Schitomir qu'est située la ville de
Berdiczew, centre d'un commerce fort important, d'ail-
leurs très-mal construite, avec plus de 20,000 habitants, juifs
pour la plupart, quelques fabriques et divers établissements
d'instruction publique.
SCHIYTES.Fo^/es Chyites.
SCHLACHTSCHITZ , Slachcic C'est ainsi qu'on ap-
pelait autrefois en Pologne les gentilshommes , par opposi-
tion aux bourgeois et aux paysans. Les nobles étaient, à
bien prendre, les seuls citoyens qu'il y eût en Pologne, et
ils ne reconnaissaient entre eux aucune distinction ni diffé-
rence. Le roi n'avait pas le droit de conférer des titres de
prince, de comte ou de baron; et les nobles qui s'en faisaient
donner par des souverains étrangers n'étaient point admis
à les prendre dans leurs rapports avec leurs compatriotes.
Il n'y avait qu'un très-petit nombre de familles, comme les
Ostrog, les Czartoryiski, les Radzivnll , etc., qu5, étant
déjà princes avant la réunion de la Volhynie et de la Li-
thuanie à la Pologne, fissent exception à cette rè^le. les
nobles étaient en jouissance d'une foule de privil^es. Eux
seuls pouvaient posséder des terres. Us ne pouvaient être
astreints à loger des soldats , et en temps de gugrre aucun
camp ne pouvait être établi sur leurs domaines. Il n'y
avait qu'eux d'admissibles aux hautes dignités ecclésias-
tiques, aux fonctions de sénateurs, d'employés de la coii-
•ronne et de juges; il n'y avait non plus qu'eux qui eussent
le droit de siéger comme nonces dans le Se i m. Ils étaient
exempts de toute espèce d'impôt; et ce ne fut que dans
les derniers temps de l'existence de la Pologne qu'ils con-
sentirent à contribuer pour une très-faible part aux dépenses
publiques. Le noble était admis au bénéfice de la compo-
sition pour toute espèce d'assassinat qu'il pouvait com-
mettre, tandis que le bourgeois payait de sa vie le meurtre
d'un noble. Lors de l'élection des rois, tout gentilhomme
avait le droit de se mettre sur les rangs comme candidat. En
revanche, le service militaire était obligatoire pour tous les
nobles. Jusqu'en 1578 les rois eurent le droit d'octroyer
des titres de noblesse; mais depuis lors ce droit n'ap
partint plus qu'aux diètes ; et l'impétrant dut professer la
religion catholique. Parfois tous les bourgeois d'une ville
éûU«nt anoblis en masse; le nonvbredes geDtilshommes.était
SCHISTE — SCflLAîNGENBAD
donc très-considérable. Aujourd'hui encore il existe un grand
nombre de villages habités par des gentilshommes qui con-
duisent bravement leur charrue et ne se distinguent des
paysans, leurs voisins, que par leur orgueil. Aussi, aux
époques de troubles , les magnats polonais ont-ils toujours
employé, pour assurer la réussite de leurs égoïstes projets,
tous les moyens possibles afin de rattacher à leurs intérêts
la petite noblesse, qui partout avait le droit de voler. Dans
ces derniers temps des mesures ont été prises pour éclaircir
quelque peu les rangs de cette noblesse souffreteuse. ,
SCHLAGUE , mot qui a commencé à circuler dans l'i-
diome vulgaire des troupes françaises pendant la guerre de
1756. Celles qui combattaient en Allemagne l'empruntèrent
de l'infinitif allemand schlagen, qui signifie battre, et em-
ployèrent le substantif 5c/jZa<jfMe dans le sens de bastonnade
militaire. La schlague n'est pas chose nouvelle; ce qui l'est,
c'est de désarmer, en campagne, le pouvoir militaire vis-à-
vis des maraudeurs, des fuyards, ou des sujets incorrigibles}
car les arrêts à la garde du camp sont une dérision. Les
hommes libres de Rome et d'Athènes qui portaient les armes
étaient fustigés à la moindre faute. Marins avait eu les
épaules déchirées par les gymnastes de son temps, et l'em-
pereur Ma x imi n, qui avait , à ce quedisent les historiens,
huit pieds romains, avait manié le fouet de campigène,
c'est-à-dire d'instructeur, avec toute la puissance de sa co-
lossale stature. Les serfs , les gastadours , qui étaient l'in-
fanterie de la féodalité, marciiaienl, comme un vil bétail,
sous le jalon des piqueurs ou des varlets ; mais les cavaliers
ou gens d'armes, qui étaient gentilshommes ou censée
l'être, jusqu'au r^ne de Louis XIII inclusivement, avaient
l'agrément et le privilège de n'être battus qu'à coups de lame
d'épée ou de sabre. Sous Henri IV , la hallebarde faisait
justice des fantassins fautifs. Sous Louis XIV et Louis XV ,
le grand-prévôt faisait, sans formes de procès, brancher ^
c'est-à-dire pendre, les hommes reconnus ou supposés fau-
tifs. Brancher était bien autrement dur et cruel que battre!
L'injustice et l'irréllexion ont voué à toute l'animadversion
des écrivains et de la postérité le ministre de la guerre
Saint-Germain, pour avoir rétabli dans l'armée française
les coups de bâton , et avoir institué les coups de plat de
sabre, sans distinction de caste; eh bien, Saint-Germain,
quand il commandait en Allemagne , ne faisait battre les
déserteurs que pour les soustraire à la mort, qui jusque là
leur était appliquée sans miséricorde. Ministre, il avait eu,
il faut le dire , quoique la chose ne paraisse pas sérieuse ,
une pensée qui était un respect des lois de l'égalité. Il rou-
lait que l'infanterie, jusque là réputée non noble, participât
à la faveur des coups d'épée; il ne voulait pas que la cava-
lerie jouît seule de cet avantage. La guerre d'Amérique
n'offre pas de pareils souvenirs , et de nos jours la com-
position de l'armée, infiniment améliorée, et le généreux élan
d'une armée citoyenne ont rendu inutile, impossible même,
le retour aux exécutions du vieux bâton classique. Disons
cependant que l'entière perfection n'est pas de ce monde,
et que nous avons vu, au feu, des cannes se lever, et des
officiers tuer de leur main des soldats désobéissants ou in:
surgés. Turin et l'armée de Sambre et Meuse ont pu .se le
rappeler. G"' Babdw.
SCHLAIVGEIVBAD, littéralement Bains des Cou-
leuvres , eaux minérales situées dans le duché de >'assau.
à 21)9 mètres au-dessus du niveau de la mer , à Ip kilomè-
tres de Wiesbaden, à 10 kilomètres de Schwalbach, et
tirant leur nom de la grande quantité de couleuvres , d'ail-
leurs non dangereuses , qu'on rencontre aux environs.
On y compte huit sources. A l'exception de lAWiesenquelle,
qui est acidulée et dont la température est de 13° Réîiumur,
elles appartiennent toutes à la catégorie des eaux alcalines
et terreuses, et leur température varie de 21 à 22* Réau-
mur. Elles ont pour vertu de calmer les nerfs et d'exercer
la même action sur le système vasculaire; mais elles sont
particulièrement excitantes, émollientes, et produisent eu
réalité à l'extérieur, sur la peau, les effets que la fable
SCHLANGENBAD — SCHLEGEL
31
attribuait autrefois à la fontaine de Jourence. On les prend
sous toutes les formes possibles , ou bien mêlées à des bains
de boue comme enveloppes , dans les maladies chroniques
des nerfs et de la peau , pour les faiblesses des organes
ciiez la femme , pour des paralysies de nature arthritique
et rhumatismale, et pour les inflammations chroniques des
organes intérieurs. L'établissement est parfaiment organisé,
fit on n'a rien négligé pour en rendre le séjour agréable aux
malades, dont le nombre est d'environ sept cents par an , et
qui pour la plus grande partie sont des dames.
SCHLEGEL (Augcste-Guillalme), poète, critique,
philologue, traducteur et écrivain politique, naquit à Ha-
novre, le 5 septembre 1767. AGœttingue, il étudia les lan-
gues anciennes et l'histoire sous le célèbre Heyne ; et bientôt
il publia un excellent mémoire sur la géographie d'Homère.
C'est lui qui rédigeal'/ndejîdu Virgile de Heyne, travail in-
grat et rebutant, qui prouve jusqu'à quel point la patience
peut s'allier avec le génie le plus actif. La liaison contractée
à Gœttinguc par Schlegel avec B ii r g e r exerça une grande
inlluence sur sa vocation ; toutefois , il lui fallut d'abord se
charger de l'éducation du fils d'un banquier d'Amsterdam,
et il était dans cette ville quand les Français y entrèrent
après la belle campagne de Pichegru. Lorsque, après trois
ans de séjour à Amsterdam, il put aller à léna, il y prit
part à la rédaction des Heures de Schiller, et y fit paraître
de magnifiques imitations du Dante. Il devait être plus
grand encore dans sa lutte avec le génie de Shakspeare ;
sa traduction (9 volumes, Berlin, 1797-1810), reflet brillant
de l'original , en reproduit toutes les beautés avec tant de
vérité et de naturel que l'on pourrait douter auquel des
deux appartient le mérite de la création, ainsi qu*en pein-
ture on voit parfois des copies si bien exécutées qu'elles
trompent de très-habiles connaisseurs. Malheureusement,
il n'a traduit que Roméo et Juliette, Le Songe d'tme Nuit
d'été , Jules César, Ce que vous voudrez , La Tempête],
Hamlet, Le Marchand de Venise, Commeil vous plaira.
Le Roi Jean , Richard II, Henri IV, Ifenri V, Henri VI,
Richard II I. Autant il y a d'élévation dans cette traduction ,
autant il y a de grâce et d'inspiration dans les poésies fugiti-
ves de l'auteur. La première édition en paruten 1800. L'année
suivante, il fit à Bedin des cours de littérature très-fréquentés
par la bonne compagnie. Kotzebue , alors le dictateur de la
scène allemande, eut une querelle littéraire avec Schlegel ,
qui le maltraita fort dans une sorte de parade dramatique.
Bientôt, Guillaume Schlegel donna droit de bourgeoisie dans
la littérature allemande au poète Calderon ; et il ne fut
pas moins habile dans cette entreprise que dans sa tra-
duction de Shakspeare. Cependant, sur quarante pièces,
il n'en a traduit que cinq : La Dévotion à la croix, L'A-
mour est le plus grand enchantement , L'Écharpe et
la Fleur, Le Prince constant et Pont de Mantible. Sou-
vent on croirait entendre la romance de l'Arabe sous la
brûlante atmosphère du Midi. Après cette incomparable
publication , l'auteur fit encore une autre excursion dans
le domaine de la littérature méridionale : il donna une
Anthologie italienne, espagnole, portugaise, et enrichit le
Parnasse allemand de beaucoup de chefs-d'œuvre du Tasse,
de Pétrarque , de Guarini , de Cervantes , de Camoëns. Les
poésies orginales de Schlegel ont une couleur antique et une
simplicité ravissante; telle est la jolie romance intitulée
Arion, où l'intérêt croît à chaque strophe. Pygmalion est
une seconde épreuve de la manière grecque. Le feu sacré
descend dans la pierre à la voix de l'amant, ;Dans cette char-
mante cx)mposition , tout est brûlant , et cependant tout est
chaste ; elle pourra subsister à côté du Monologue de Rous-
seau. M"® de Staèl , dans un voyage entrepris pour étudier
l'Allemagne , lia d'intimes relations avec Guillaume Schlegel
et son frère Frédéric. Ils la suivirent plus tard en France e|,
en Italie; Guillaume la quitta rarement. Celui à celte
époque qu'il jeta l'alarme parmi nos classiques en publiant
Hà Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d'Eu-
ripide. On ne pourrait plus aujourd'hui comprendre l'ex-
plosion de malédictions que lui valut celte brochure : toute
la littérature quotidienne se jeta sur Schlegel encriant au sa-
crilège.
En 1803 il fit à Vienne un cours de littérature en quinze
leçons; elles ont été imprimées et traduites dans toutes les
langues : la partie de ce cours qui traite de l'antiquité est
universellement considérée comme, un chef-d'œuvre. Les
caractères des tragiques grecs sont tracés de main de maître.
Le recueil de ces leçons, intitulé Dramaturgie , examine à
fond la question des unités et la poétique d'Aristote. Il y a
d'admirables vues sur l'illusion théâtrale ; et loin d'être un
livre de théories sèches et arides, c'est une délicieuse inspi-
ration ; aussi M"'^ de Staël dit-elle : " Je fus confondue d'en-
tendre un critique éloquent comme un orateur, etc. » Schle-
gel fit un voyage à Hanovre et à Cassel , où il vit l'illustre
historien de la Suisse, Jean de Mû lier, qui sous l'habit
doré de la cour de Westphalie gardait un cœur allemand
profondément affligédes malheurs delà patrie.Peu de temps
après , la police impériale ouvrit les yeux sur les notes de
M™^ de Staël à Coppet; il fallut partir. Bientôt Schlegel la
suivit en Suède; il venait de publier ses belles recherches sur
le poëme national des Niebelungen , composition originale
et antique, qui jusque là était restée pour ainsi dire inaper-
çue. Dans les guerres de 1813 et 1814 il accompagna aux
armées le prince royal de Suède ; et c'est lui qui rédigea les
proclamations de Bernadotte contre la France. En 1815 il
fit un second voyage en Italie, où il s'occupa principalement
des antiquités romaines et étrusques. En 1813 il donna un
Essai sur la langue et la littérature provençales , pro-
duction qui prouve jusqu'à quel point il s'était initié à la
connaissance de notre langue, et qui fut l'occasion d'une po-
lémique assez vive entre lui et, R aynouard. Nommé vers
cette époque professeur à l'université de Bonn , il se fixa
difinitivement dans cette ville, où il mourut, le 12 mai
1845. En 1819 , à l'âge de cinquante-deux ans , il s'y était
marié pour la seconde fois ; mais il avait fait rompre dès
l'année suivante cette union , assez mal assortie , ainsi
qu'il lui était déjà arrivé pour la première, en 1801. Dans
les dernières années de sa vie il s'occupa surtout de l'his-
toire des beaux-arts et de l'étude des langues orientales.
Il fut notamment l'un des premiers qui en Allemagne en-
treprirent des travaux sur le sanscrit. A cet effet il établit
une imprimerie hindoue. Dès 1823 il fit paraître, comme
échantillon de ses travaux, le texte sanscritduiî/ia^arad^î7<î,
épisode de l'épopée intitulée Mahâbhârâta , avec traduc-
tion latine en regard (2^ édition, 1846). Plus tard, il com-
mença une édition du poëme é'giqadRamâyûnâ (tomes I
et II ; Bonn, 1829-1843).
On lui reproche à bon droit la vanité excessive qui perce
dans quelques poésies publiées par lui dans divers recueils à
partir de 1832, de même que le peu d'égards avec lequel il a
traite dans des appréciations critiques des hommes dont il
s'était honoré jadis d'être l'ami, et pour les talents desquels
il avait précédemment montré le plus grand respect.
SCHLEGEL (.Frédéric), frère du précédent, poète,
philologue, critique, philosophe, naquit à Hanovre, le 12
mars 1772, fit d'abord de bonnes études à Gœttingue, ou
son frère avait déjà de la célébrité, et passa ensuite à l'u-
niversité de Leipzig. Après avoir débuté par plusieurs mor-
ceaux de critique, il donna un livre qui devait être le
premier volume d'un grand ouvrage intitulé : Les Grecs et
les Romains. En même temps il s'occupait avec S ch 1 e i er-
mâcher d'une traduction de Platon. En 1797 parut Lu-
cinde, production étrange, éloquent délire d'imagination,
roman licencieux , et cependant moral ; jamais il ne l'a ter-
miné , et il est aujourd'hui presque impossible de s'en pro-
curer des exemplaires. Frédéric Schlegel ne se sentit poète
qu'à vingt-huit ans. Il séjourna à différentes reprises à
Dresde, où il s'occupa surtout de beaux-arts. Il avait épousé
la fille du célèbre docteur juif Mendelsohn, qui se con-
vertit au protestantisme à Paris, où il amena son gendre
avec lui; et plus tard, tous deux se firent catholiques à
32
SCHLEGEL— SCHLESWIG
Cologne. Les arts , la littérature du sud , les poésies du
moyen âge, les légendes populaires , les langues orientales,
occupèrent Frédéric Schlegel pendant son séjour à Paris. De
retour de l'autre coté du Rhin, il y publia des chants natio-
naux, qui le (irent surnommer le Tyrtée de V Allemagne.
11 ne négligeait d'ailleurs pas pour cela ses travaux d'éru-
dition ; et c'est à celte époque qu'il fit paraître son Traité
sur la Langue et la Sagesse des Indiens. En politique , il
devint bientôt l'utile auxiliaire de M. de Metternich,
en fondant L'Observateur autrichien, la Concordia, etc.
Il suivit l'archiduc Charles pendant la guerre de 1809. En
1811 et 1812 il fit imprimer son célèbre Cours de Litté-
rature : nulle part on n'apprend comme dans cet ouvrage
à bien connaître la littérature du Nord et les troubadours
du Midi ; car l'auteur excelle dans l'art des rapprochements.
Schlegel a donné aussi un Cours d'Histoire moderne. Il
alla ensuite à Francfort avec le titre de conseiller de léga-
tion, que M. de Metternich lui conféra au nom de l'Autriche.
Quand il revint à Vienne, il y fit paraître, en 1827, son
Cours de Philosophie; beau travail sur la philosophie de
l'histoire dirigée par la pensée chrétienne. Plus tard il
entreprit d'expliquer les nombres de l'Apocalypse, les vi-
sions magnétiques , etc. Enfin , il fil à Dresde un Coicrs
sur la vie de l'âme et son élévation progressive, auquel
accouraient en foule les dames et les prélats. Au milieu de
ces occupations si variées , il fut frappé d'une apoplexie
foudroyante, le 11 janvier 1829. De Golbérï.
SCIILEIERMACHER ( Frédéric-Ernest-Daniel),
célèbre théologien et philosophe allemand, né à Breslau,
en 1768. Après avoir terminé à Halle ses études théologi-
ques, il se chargea d'ime éducation particulière. Plus tard
il obtint une place de prédicateur en province, et ensuite
à Berlin. Il traduisit alors les sermons de Blair et ceux de
Fawcett, et publia ensuite divers ouvrages de religion.
Puis il entreprit une traduction de Platon ( 5 vol., 2'' édi-
tion, 1817-1827), qu'on regarde comme la meilleure de
celles qui existent. Il est mort à Berlin, en 1831. On a de
lui un grand nombre de dissertations philosophiques, de
traités de philosophie et de recueils de sermons.
SCIILEIZ, capitale de l'ancienne principauté deReuss-
Schleiz, et depuis la réunion des deux principautés de Reuss
en un seul État la seconde ville et la seconde résidence
du pays , est une jolie petite ville, de 6,000 habitants, bâtie
sur un petit ruisseau appelé le Wiesenthal, et le centre
d'un commerce assez actif. Détruite par un incendie en 1837,
elle a été presque entièrement reconstruite à neuf. Tout
près on trouve le château de Heinrichsruhe et le lieu de
plaisance appelé Ermitage.
SCHLESWIG, duché souverain , demeuré jusqu'en
1852 en union réeiie avec le Holstein, mais qui n'est en
union personnelle avec le Danemark que par la lîgne
mâle de la (dynastie aujourd'hui régnante ( voyez, Schles-
wic -Holstein), borné au sud par le Holstein, au nord par
le Jutland, à l'est par la Baltique et à l'ouest par la mer du
Nord, qu'on appelle ici mer de VOuest. Il comprend la
partie méridionale de la presqu'île cimbrique, sur une lon-
gueur d'environ 13 myriamèttes et une largeur variant de 5
à 8 myriamètres , avec une superficie totale de 115 rayriam.
carrés. Par sa constitution physique il forme un tout avec
le Jutland et avec le Holstein. Là aussi le sol a pour
base la craie et une roche calcaire , à laquelle s'est ajoutée
à l'ouest une contrée marécageuse d'une largeur variant
entre 10 et 20 kilomètres , produit des accrues de la mer.
La côte orientale, au contraire, où cette roche calcaire a
été diversement échancrée par les flots, qui , en pénétrant
profondément dans les terres , y forment des fjords, est
moins plate; et au centre on trouve la crête qui partant
du Holstein s'étend à travers toute la presqu'île jusqu'au
fond du Jutland , mais en formant ici parfois de très-jolies
contrées , sans offrir la masse de landes et de marécages
qu'elle présente en Jutland. Tout ce pays , à son centre
et à l'est, est donc une plaine onduleuse, interrompue par
de douces collines , avec des paysages de la nature la plu»
gracieuse sur les bords de la Baltique , tandis qu'à l'ouest
on ne trouve que des terres basses et plates. Là le plus sou-
vent on est obligé de recourir à de dispendieuses digues de six
à sept mètres d'élévation , qu'il faut parfois construire doubles
et même triples, pour mettre le solà l'abri de la fureur de la
mer,laquelled'ailleursformeincessammentde nouveaux ma-
récages ou koog dans les anses situées en avant des digues
extérieures. Ce pays de marais se divise en marche septen-
trionale, s'étendant depuis la Schottburger jusqu'aux côtes
plus élevées de Ballum, et la marche méridionale, allant
depuis Hoyer jusqu'à l'Eider. 11 est à présumer qu'à l'ori-
gine toute la côte occidentale du Schleswig, comme celle
du Jutland, s'étendait beaucoup plus avant dans la mer, et
qu'elle était bordée du côté de la mer par une suite
de dunes, continuation de la ligne de dunes du Jutland.
Mais déjà à une époque dont il n'existe plus de souvenirs ^
et quelquefois aussi dans les temps historiques, d'effroya-
bles tempêtes rompirent cette ligne de dunes. L'œuvre de
destruction fut continuée au moyen âge et même dans les
temps modernes par des tempêtes du même genre , de sorte
que peu à peu la plus grande partie de la côte occidentale
primitive disparut dans les flots de la mer, alors que quel-
ques points plus élevés restaient seuls épargnés. Ce sont
les îles de Romœe, de Sylt , de Fœhr, de Pelworm , de
Nordstrand, et quelques autres encore de moindre étendue,
au nombre d'une vingtaine. Les débris de l'ancienne rangée
de dunes s'aperçoivent encore au-dessus des plus grandes
dunes hautes de sept à vingt mètres , et protègent souvent
pendant plusieurs kilomètres les Iles contre la fureur de la
mer. Cependant, il y a aussi une grande partie des îles en
question, consistant les unes en sol sablonneux, les autres
en marécages , qui sont si basses que la marée haute les
recouvre en partie. Aussi est-on obligé d'y construire les
maisons sur des monticules artificiels , appelés war/len ,
comme c'est d'ailleurs aussi le cas dans les marches de la
terre ferme derrière les digues. Les quatorze petites lies ap-
pelées Halligen sont à cet égard les plus mal partagées.
N'étant abritées ni par des dunes ni par des digues, il ar-
rive souvent qu'à marée haute les flots y envahissent tout
et viennent battre jusqu'aux fenêtres des huttes des misé-
rables habitants ; quelquefois même ils les renversent et les
entraînent complètement, comme il arriva à la marée haute
du 3 au 4 février 1825, qui fit périr uu grand nombre dïn-
dividus et rendit inhabitables la plupart des maisons existant
dans les Halligen.
Sur la côte orientale du Schleswig , qui est plus élevée ,
on trouve aussi plusieurs îles dépendant de ce duché et
qui partagent complètement la conformation physique des
îles danoises. Les plus grandes s,Qni Al sen, oh sont situées
les montagnes les plus élevées du duché (200 mètres),
Arrœ et Femern sur la côte du Holstein. Le cours d'eau
le plus important est VEider, qui prend sa source en
Holstein. A l'exception d'une certaine étendue sur sa rive
droite en avant de Rendsbourg, il forme , avec le canal de
Schleswig-Holstein', qu'il alimente et qui va se jeter dans
le golfe de Kiel, la frontière méridionale du pays. Il faut
encore mentionner la Treene, qui se jette dans l'Eider, la
Soholmau , la Widau, la Bridau, la Ribe ou Ripsau, la
Schottburger-au (appelée aussi Kcenigs-au), qui toutes
se jettent dans la mer du Nord, et dont la dernière forme
la frontière du duché du côté du Jutland. Aucun de ces
cours d'eau, à l'exception de l'Eider, n'est navigable. Le
Schleswig possède aussi quelques lacs : les plus considé-
rables sont celui de Witten, au nord-est de Rendsbourg,
et celui de Gotteskoon, au sud -ouest de Tondern. Les plus
importants des^orrfs dont nous avons déjà parlé sont , sur
la côte orientale , ce\mà' Eckernfœrde , laSchley, celui de
Flensburg et celui à^Apenrade. Il résulte de l'existence
de ces golfes que la côte orientale est aussi riche en bons
ports et en rades sûres que la côte occidentale , plate et
entourée d'une mer unie et de grands bancs de sable, en
SCHLESWIG — SCHLESWIG-HOLSTEIN
S3
est dépourvue. Pour ce qui regarde le sol , qui est d'une
grande fécondité dans les marches et dans la contrée ondu
leuse des côtes orientales , et stérile seulement dans les
landes et les marais de la crête qui se prolonge à travers
tout le pays, le Schleswig offre la plus complète ressem-
blance avecle Holstein. Cependant, le bois y manque sur
plusieurs points ; et dans les tics de la côte occidentale on
n'a d'autre combustible que de mauvaise tourbe; encore
ne la rencontre t-on pas partout en quantité suffisante.
D'après la recensement de 1850 les habitants étaient au
nombre de 375,700. Allemands bas-saxons, ou Allemands
frisons, ou bien encore d'origine danoise, ils présentent
par la diversité qui existe dans leur langage . leurs mœurs
et leurs lieux, d'habitation , le spectacle de l'agrégation la
plus bizarre. Les Frisons occupent les îles et les marches
delà côte occidentale , où l'on continue encore en grande
partie de parler leur vieux dialecte, quoique dans beau-
coup de localités on ait fini par adopter plus ou moins l'u-
sage du bas saxon. Les Bas-Saxons parlant le plat-allemand
habitent la partie sud du pays à partir de l'Eider jusqu'à une
ligne qu'on peut tirer depuis Husum , sur la mer dn Nord,
dans la direction est-nord-cst , à travers le pays d'AngeIn
par Satrup, jusqu'à la mer Baltique. Les Danois, au con-
traire, qui parlent ici un dialecte danois très-corrompu, dit
dannoïs de corbeau, forment la population des campagnes
dans la partie septentrionale du pays, depuis la (routière
nord jusqu'à une ligne au sud, qu'on peut tirer transversa-
lement depuis l'embouchure de la Widau dans la mer du
PJord, par ïondern, jusqu'à Apejirade sur la Baltique. La
contrée intermédiaire, située entre le pays où l'on ne parle
qu'allemand et celui où l'on parle danois, pré.sente une
population mixte, où l'élément allemand domine au sud
et l'élément danois au nord. Toutes les villes sont alle-
mandes , et même dans celles de la partie danoise du duché
l'élément allemand et la langue allemande l'emportent de
beaucoup.
Ou compte dans le pays 1,125 villages, 15 bourgs et 13
villes, dont les plus importantes sont Schleswig, le
chef-lieu, et F lensb ourg. 11 est en outre divisé en
15 bailliage, 4 provinces, et plusieurs koege octroyés et
districts nobles. La religion de l'État est le protestantisme,
professé aussi par toute la population , sauf un petit nombre
de catholiques émigrés, de mennoniles, de remontrants, de
réformés et d'Israélites. Les écoles supérieures sont bien orga-
nisées; mais il a été peu fait pour les écoles élémentaires.
De toute antiquité le Schleswig avait non seulement été
uni au Holstein sous le rapport administratif, mais encore
avait eu la môme assemblée d'états , dont la convocation
était d'ailleurs tombée en désuétude au siècle dernier. Ce
fut seulement lorsque le roi de Danemark Frédéric VI,
à la suite de la révolution de Juillet, se décida à accorder
à tous ses états des assemblées provinciales avec voix con-
sultative , que les duchés de Schleswig et de Holstein eurent
de nouveau une représentation d'états ; mais alors chaque
duché eut son assemblée particulière, tandis que l'adminis-
tration des deux duchés continua à rester commune. Cet
état de choses subsista jusqu'à la révolution de 1848.
Par suite du traité deLondresduSmai 1852, qui a supprimé
la succession agnatique dans les duchés de Schleswig-Hol-
stein {voyez Oldenbourg [Maison d] et Aucustenbourg ),
ainsi que de la nouvelle organisation octroyée à ses états
par le roiduc , le 28 janvier 1852, le Schleswig aaussi reçu
une constitution nouvelle, qui n'a jamais pu obtenir l'accep-
tation des états de Schleswig, mis en demeure d'avoir à se
prononcer à ce sujet, mais qui n'en a pas moins été procla-
mée loi fondamentale du duché, en octobre 1853. Aux ter-
mes de celte constitution, le duché de Schle.swig est une
dépendance inséparable de la couronne de Danemark ;
et relativement à la succcession, c'est l'ordre de succession
déterminé par la conférence de Londres qui y fait également
loi. L'administration du duché est présidée par un minis-
tre particulier, responsable uniquement vis-à-avis du roi-
DICT. DE LA CONVERS. — SUPPL. — T. XVI.
duc, à l'exception des affaires étrangères, des finances, de
la guerre et de la marine, quatre départements qui relè-
vent de l'administration et de la législation générale du
royaume de Danemark. Les états provinciaux sont composés
de quarante trois députés , à savoir : cinq élus pas le clergé,
quatre par la noblesse, cinq par les propriétaires de grands
domaines, dix parles districts électoraux des villes, dix-sept
parles districts électoraux des petits propriétaires, deux par
les districts électoraux confondus Toute modification aux lois
du pays pour être valable doit préalablement avoir été votée
par l'assemblée des états. Les conditions du droit électoral
sont l'indigénat, trente ans révolus, l'exercice entier des
droits civils, une réputation sans tache, etc., et en outre,
pour les catégories de propriétaires, fonciers, un cens assez
élevé. Les états doivent être convoqués tous les trois ans.
Pour l'histoire du Schleswig , ses rapports avec ie Holstein et
avec le Danemark, voyez ci-après Schleswic-Holstein.
ScncEswiG, depuis un temps immémorial la capitale du
duché de Schleswig, à l'extrémité occidentate delà grande
et belle vallée de laScliley, brasde mer très-poissonneux,
se compose de trois parties : la vieille ville, le Lolljuss
(cest à-dire le sentier conduisant à la chapelle de saint
Lollo), et le Friedricftsberg (ainsi nommée d'après le roi
Frédéric III); et suivant le dernier recensement (1845) elle
comptait 11,551 habitants. Cette ville ne se compose guère
que d'une seule rue, d'environ un inyriainètre de long,
presque toutes les maisons étant séparées par des cours et
jardins, et bien peu ayant plus d'un étage. Parmi les édi-
fices pidilics, on remarque la cathédrale, édifice gothique,
et le château de Gottorp, autrefois résidence des ducs de la
maison des HolsUin-Gottorp, puis siège de l'administration
commune des duchés de Schleswig-Holstein . et transformé
maintenant en caserne. Cette ville, autrefois le centre
de l'activité intellectuelle du pays, est bien déchue depuis le
triomphe de la contre révolution.
SCHLESWIG-HOLSTEIN. Les événements dont les
duchés de Schleswig et de Holstein ont été le théâtre dans
cesdernièn-s années, et les graves questions de droit public
qu'ils ont soulevées, nécessitaient la réunion dans un même
article des faits dont se compose l'histoire de deux pays qui
jusqu'à nos jours n'avaient pas cessé deconstihier un seul et
même État politique, placé sous la souveraineté personnelle
des rois de Danerifiark, en tant que représentant la branche
mâle aînée de la maison d'Oldenbourg.
L'iiistoiredes deux duchés date de l'expédition deCharle-
magne en Holstein, contrée qu'il réunit à son immense em-
pire. A celte époque déjà la plus grande partie du Schleswig
n'était point habitée par des Danois, mais bien par des Angles
et des Frisons. Aussi, dès qu'on possède des documents au-
thentiques on trouve le Schleswig formant un duché indé-
pendant , gouverné par Kund-Laward, prince révéré par les
habitants. Lorsqu'il eut été traîtreusement assassiné par le
roi de Danemark Magnus ( 1 1 31 ), les Schleswigeois vengèrent,
trois ans après, la mort de leur souverain dans le sang du
roi Niels, père de Magnus. De ce moment date la haine in-
vétérée des populations schleswigeoises pour les Danois. Dès
lors le duché de Schleswig se montra toujours fermement
attaché à son indépendance, et mit un grand prix à avoir ses
propresducs. Mais Waldemar, fils de Knud,ducdeSchleswig,
ayant vaincu et tué Svend, roi des Danois, devint roi de
Danemark. Par suite de cette victoire le Danemark et le
Schleswig obéirent au même souverain, et leur union parut
désormais assurée. Cet accroissement de territoire inspira
de l'orgueil et de l'ambition au Danemark, qui ne tarda point
à attaquer ie Holstein, Waldemar le Victorieux conquit ce
duché tout entier, et remplit le Nord de sa gloire. C'est alors
seulement que les Holsteinois s'aperçurent que la réunion
du Schieswig au Danemark était leur perte, que sa réunion
au Holstein était au contraire leur salut; et à partir de ce
moment tous leurs efforts tendirent continuellement à faire
du duché de Schleswig et du duché de Holstein un tout- in-
dissoluble. De la victoire remportée à Bomhœved par s«s
3
u
SCHLESWIG-HOLSTEIN
Ilolsteinois, victoire qui mit fin à la domination des Danois,
date une longue lutte, qui dès lors se rattache constamment
aux destinées des maisons princières dans lesquelles les deux
pays durent reconnaître les représentants de leur indépendance
politique. On voit déjà le liuc Abel de Sclileswig épouser une
fille du vainqueur de Bornliœved, du comte Adolphe IV
de Holstein, et devenir en conséquence le tuteur de ses
cnlants. Aussi, quand les fils d'Abel furent attaqués en
Sclileswig par le roi Christophe de Danemark, les Holstei-
nois prirent-ils les armes pour défendre l'indépendance du
Schleswig. Les troupes du Schleswig-Holstein battirent le
roi de Danemark près de la ville de Schleswig, et le con-
traignirent (1261 ) à reconnaître l'indépendance du Schleswig.
Ce fut là un (ait important, non pas seulement pour l'indé-
pendance du Schleswig, mais encore pour son union avec
le Holstein, car à partir de ce moment le sort du premier de
ces duchés se trouva étroitement uni à celui du second. Par
contre, à partir de l'année f26l, le Danemark, lui aussi,
fit de constants efforts pour s'emparer du Schleswig. A la
mort du duc Erich de Schleswig, le roi de Danemark en-
vahit le pays, à l'effet de l'incorporer pour |a première fois à
ses États. C'est alors qu'on voit apparaître sur la scène l'un
des hommes les plus remarquables de l'histoire du Nord , le
comte Gerhard le Grand deHolstein, qui battit leroi de Dane-
mark et le força à rendre ladéclaralion connue sous le nom de
Constïtutio Waldemariana, de 1326, dont la clause prin-
cipale porte que jamais le duché de Schleswig ne sera réuni
au Danemark sous l'autorité du même souverain. Telle est la
première base légale de l'union politique du Schleswig et du
Holstein. Christophe ayant plus tard recommencé la guerre,
ie comte Gerhard le contraignit encoreà reconnaître, en 1330,
que les comtes de Holstein hériteraient du Schleswig si la
maison d'Abel venait à s'éteindre. Celte prévision se réalisa
dans le courant du même siècle. Le dernier duc de Schleswig
de la maison d'Abel mourut en 1375. Il est vrai qu'en vio-
lation évidente du droit le roi de Danemark Waldemar 111
voulut alors réunir le duché de Schleswig à la couronne de
Pfanemark; mais il mourut subitement, et alors, conlormé-
niément aux traités, les Schaumbourg prirent possession
du Schleswig , comme (eudataires du Danemark , de sorte
que le Schleswig et le Holstein ne formèrent plus qu'une
lïiême principauté, obéissant au même souverain. Naturelle-
ment cela ne se passa pas sans provoquer la plus vive ré-
sistance de la part du Danemark. Obligé d'abord de lutter
seul contre l'union des deux duchés, il eut le dessous, et dut
.souscrire le traité de 1386. Mais quand Marguerite eut
réuni sur sa tête les trois couronnes du Nord, son succes-
seur, Eric de Poméranie, réunit toutes les forces de la Scan-
dinavie pour combattre le Schleswig-Holstein , ayant à sa
tête les braves comtes de Schaumbourg. Une guerre acharnée
éclata et se continua de part et d'autre avec la plus grande fu-
reur pendant vingt ans , de 1415 à 1435. Mais les armées des
trois royaumes Scandinaves furent battues par les Schleswig-
Holsteinois, qui en 1431 s'emparèrent même de la citadelle
de Flensbourg. Pour réduire le Schleswig-Holstein, Erich
joua l'union des trois royaumes, et la perdit. La Suède se
sépara du Danemark. Dès lors le Schleswig se trouva plus
intimement uni que jamais au Holstein, et le comte Adolphe
de Schaumliourg, reconnu par le traité de 1435 duc de
Schleswig, fut le premier souverain incontesté du Schleswig-
Holstein. Si le comte Adolphe avait laissé des héritiers, la
destinée des deux duchés eût dès lors été très-certainement
tout autre; mais il mourut sans enfants, le4juin 1459. Par
conséquent la question des rapports du Schleswig avec le
Holstein n'eut pas été plus tôt réglée qu'elle se trouva de
nouveau abandonnée à tous les caprices de la destinée.
Le comte Adolphe, le dernier rejeton de la mai.son de
Schaumbourg, avait conseillé aux Danois d'élire pour roi
son cousin, le comte Christian d'Oldenbourg, regardé en
même temps comme le plus proche héritier des duchés de
Schleswig et de Holstein; et cette élection avait effective-
ment eu lieu en 1448. A la mort du comte Adolphe, le roi
Christian P"" de Danemark fit valoir ses droits d'hérédité
sur les duchés de Schleswig-Holstein. Mais il ne lui vint pas
le moins du monde à l'idée de recourir pour cela à la force
des armes. Tout au contraire, les notables des deux duchés
se réunirent, et conclurent en 1460 un traité avec le roi de Da-
nemark et son conseil d'État; traité aux termesduquelleroi
de Danemark fut élu duc de Schleswig-Holstein, sous la con-
dition qu'il reconnaîtrait ce qu'on appelait les privilèges du
pays, à savoir que les deux duchés resteraient éternelle-
ment etindissolublementunis, mdépenàammentdes, autres
droits appartenant à la représentation du pays. Le roi signa
le traité d'élection, comme firent aussi tous les membres du
sénat de Danemark ; et de part et d'autre on pensa avoir at-
teint le but qu'on se proposait: l'indépendance, l'unité et la
représentation réunie des deux duchés à l'égard du Dane-
maik, et d'autre part la connexion pacifique du Schleswig-
Holstein avec le Danemark dans l'intérêt de celui-ci. Mais
déjà le roi ChristranF"" porta atteinte aux privilèges du pays
en partageant à sa mort les duchés entre ses deux fils. 11
est vrai que le prétexte mis en avant pour justifier cette at-
teinte fut qu'on ne partageait pas en deux parties indépen-
dantes la souveraineté politique, mais seulement les re-
venus attachés à la souveraineté. Mais au fond il y avait là
contradiction ; aussi arriva-t-il que les princes opérèrent tou-
jours de nouveaux partages des duchés, tandis que les états
réunis de Schleswig-Holstein restaient toujours les mêmes.
Le plus important de ces partages fut celui qui eut lieu entre
la ligne aînée ou royale, ayant pour souche Christian III,
roi de Danemark, et le duc Adolphe de Schleswig-Holstein-
Gottorp. Ce partage du pays en deux grands territoires se
maintint, et devint la source de discordes continuelles entre
les deux branches. En effet, la ligne aînée, ou royale, des
ducs de Schleswig-Holstein représentait tout naturellement
l'intérêt particulier du royaume de Danemark, et dès lors
elle visa constamment à réunir la partie des duchés demeurée
indépendante sous les ducs de Gottorp, d'abord il est vrai à
la partie royale, mais par le fait au royaume de Danemark
même. Tout naturellement aussi les ducs de Gottorp résis-
tèrent du mieux qu'ils purent à ces projets d'absorption. La
querelle prit un caractère toujours plus sérieux, quand la
rivalité du Danemark et de la Suède produisit entre ces deux
États des guerres sans cesse renaissantes. En effet, pour ne
passe voir entièrement absorbés par le Danemark, qui dispo-
sait de forces de beaucoup supérieures, les ducs de Gottorp
s'adressèrent à la Suède; et par là ils ne firent qu'exciter
davantage les rois de Danemark à désirer plus vivement
l'anéantissement de la maison de Gottorp. Après de nombreu-
ses querelles, la question parut enlin décidée au dix-septième
siècle. Le roi de Suède Charles X vainquit le Danemark, et
par le traité de paix signé à Rœskild en 1658 le roi de Da-
nemark Frédéric III dut reconnaître la complète indépen-
dance du duché de Schleswig, et consentir à la suppression
de tous rapports de vassalité. Ainsi , le principe de l'indépen-
dance complète du Schleswig à l'égard de la couronne de
Danemark l'emportait; mais on avait oublié l'essentiel,
c'est-à-dire de donner au duc de Gottorp, par le rétablisse-
ment de l'unité des duchés , les moyens de conserver cette
souveraineté. La guerre avec Charles X ne fut donc pas
plus tôt finie que la lutte du Danemark contre la maison
de Gottorp recommença. Le duc Christian-Albert fut chassé
des deux duchés (1684). Il fut bien rétabli dans la jouis-
sance de ses domaines, de telle sorte que la diète de Schleswig-
Holstein put même être convoquée pour la dernière fois en
1711; mais quand la guerre contre Charies XII de Suède
toucha à sa fin, le roi Frédéric IV envahit la partie ducale
du Schleswig, et convoqua la diète de cette partie qu'il in-
corpora à la partie royale. Il en résulta que le duché de
Schleswig ne forma plus maintenant qu'un tout , mais à la
vérité conune un pays soumis au roi de Danemark unique-
ment en sa qualité de duc de Schleswig ; et la maison de
Gottorp fut contrainte d'y consentir, puisque la Suède se
trouvait maintenant hors d'état de lui venir en aide. Il s'en
SCHLESWIG-HOLSTEIN
35
niivit que désormais le roi de Danemark, comme duc de
.Schleswig-Holstein, posséda d'abord tout le duché de
Sclileswig, puis la moitié du Holstein. Ce que les ducliés
perdirent ainsi en indépendance par la suppression de la
diète de Scliieswig-Holstt'in qu'opéra le souverain, ils le
regagnèrent de l'autre côté en unité sous le rapport.de
la puissance souveraine. Pour que crtte unité fût complète,
il ne restait plus qu'à unir à la partie royale du Holstein
la partie de ce pays appartenant à la maison de Gottorp.
Cette partie, dont le point le plus important était la ville
et le bailliage de Kiel, s'appelait, depuis 1739, la partie
grand-diicale , parce que Charles-Frédéric de Scldeswig-
Hoistein-Gotlorp, qui avait épousé Anne, lille de Pierre le
Grand de Russie (1725), avait laissé un (ils, créé en 1742
grand-duc de Russie, en sa qualité de descendant de cet
empereur. C'était le malheureux Pierre-Ulrich, qui comme
empereur de Russie porta le nom de Pierre I II. Compre-
nant les dangers résultant pour lui d'une position qui per-
mettait à la Russie de l'attaquer quand bon lui semblerait
au sud de ses États, le roi de Danemark commença dès le
milieu du dix-huitième siècle avec le cabinet de Saint-Pé-
tersbourg des néiiociations ayant pour but d'obtenir la ces-
sion de cette partie grand-ducale du Holstein : cession qui eut
effectivement lieu en 1703 et 1773, en vertu de traités par
lesquels le Danemark abandonna à la Russie tous ses droits
d'hérédité sur Oldenbourg, contrée originaire des différentes
lignes de la maison. Les duchés se retrouvèrent alors, au bout
de plus de trois cents ans, exactement dans la même situa-
tion qu'en 14C0, c'est-à-dire qu'ils n'eurent plus qu'un seul
et même souverain, lequel était en même temps roi de Da-
nemark. Si les rois de Danemark, ducs de Scldeswig-Hol-
stein, s'abstinrent dès lors de convoquer la diète des duchés,
du moins ils leur laissèrent leur droit particulier, leur admi-
nistration propre, etcontinuèrentàles regarderet à les traiter
comme un même tout, comme une agrégation politique sur
laquelle ils exerçaient un droit de souveraineté tout à fait
distinct de celui dont ils jouissaient en Danemark. C'est ce
qui explique comment les duchés, tout en ayant le même sou-
verain que le Danemark, demeurèrent toujours si complè-
tement étrangers à ce royaume.
Dès le commencement du siècle actuel on s'aperçut à
Copenhague que la consolidation de la monarchie danoise
exigeait qu'on (it tout pour gagner les duchés à la nationa-
lité danoise ; et on s'efforça de daniser tout au moins le
Schleswig. C'est ainsi qu'en 1814 une ordonnance royale y
prescrivit l'enseignement de la langue danoise dans les
écoles. Ensuite, on essaya de séparer l'administration des
deux duchés. La noblesse {Ritterschaft) combattit ces
tendances, et fit même en 1816 des démarches pour obte-
nir le rétablissement d'une diète commune aux deux ducliés
et ayant pour mission de voter l'impôt et d'en surveiller
l'emploi ; mais le gouvernement étouffa ces manifestations
de l'opinion. La noblesse et les prélats réclamèrent alors
auprès de la Confédération Germanique, qui traita cette dé-
marche d'illégaleet de quasi-révolutionnaire. C'était en 1823,
époque peu tàvorable à la revendication des droits des
nationalités. Les choses en restèrent là jusqu'à la révolution
de 1830; mais cet événement provoqua dans les duchés une
telle agitation , que l'année suivante le gouvernement danois
se voyait contraint de promettre solennellement l'octj'oi
d'une constitution représentative. Le 15 mai 1834 il publia
en effet une consiiiuiion d'états; mais cette constitution
donnait à chacun des duchés une diète distincte. Malgré
cette précaution du pouvoir, la lutte recommença tout aus-
sitôt sur le terrain parlementaire ; et l'une et l'autre assem-
blée réclamèrent constamment leur fusion en une seule et
même assemblée représentative. De son côté, le pouvoir
redoubla d'efforts pour daniser le Schleswig et le séparer
du Holstein; mais la population du nord du Schleswig, au
sein de laquelle domine pourtant l'idiome danois , montra
toujours une répulsion manifeste à se laisser incorporer au
Danemark. La mort de Frédéric Vf, l'avènement de Chris-
tian VIII firent surgir une question qui depuis l'assassinat
de Knud-Laward avait toujours été le nœud des discussions
et des querelles entre le Schleswig-Holstein et le Danemark,
la question de succession.
En Danemark, aux termes de la loi du roi, «.\ la des-
cendance-md^e de Christian VIH venait à s'éteindre, les
droits d'hérédité passaient à la ligne féminine. Dans les
duchés, au contraire, où le droit allemand avait toujours
été en vigueur, les lignes mâles devaient avoir la préférence
sur les lignes féminines. La descendance mâle de Chris-
tian VHI venant donc à s'éteindre, la souveraineté en Da-
nemark passait à des princes de Hesse, tandis que dans les
duchés elle passait à la ligne mâle cadette de la maison
royale , représentée par la maison d'A ugustenboiirg. La
réalisation de ces éventualités promettant de rendre aux
duchés leur complète indépendance sous l'autorité d'un '
souverain à eux, il était naturel qu'on s'en préoccupât
vivement dans le pays. Jusqu'en 1848 ce Ait sur le terrain
des discussions historiques qu'on se plaça soit pour défendre
les droits évidents des duchés, soit pour appuyer les pré-
tentions du Danemark à faire déclarer les deux ducliés
partie intégrante de la monarchie danoise, et soumis dès
lors aux prescriptions de la loi du roi en matière de droit
desuccession. Maisà la suite de la révolution février de 1848
un mouvement révolutionnaire éclata à Copenhague, et mit
le pouvoir aux mains des hommes du parti extrême, du
parti ultra-danois, qui résolut alors d'en finir avec les
réclamations des duchés et de les absorber purement et
simplement. La lutte se transforma tout aussitôt en lutte
armée (23 mars 1848). A l'article Accustenburc on trou-
vera rapportés les premiers faits qui la signalèrent , et sur
lesquels nous ne reviendrons pas ici.
Le gouvernement provisoire qui s'était constitué dans
les duchés s'occupa tout aussitôt du soin d'organiser une
armée; mais dès le 9 avril les 7,000 hommes qu'il était
parvenu à armer et à éqiiipper en toute bâte furent atta-
qués par 15,000 Danois bien organisés, qui les forcèrent
à battre en retraite, et occupèrent le 10 avril la ville de
Schleswig. A ce moment un corps d'armée prussien entra
dans les duchés pour y défendre les droits de la nationa-
lité allemande attaqués, et en même temps la diplomatie
européenne s'occupa de la solution à donner à la question
des duchés. Dès la fin du mois d'avril l'armée nationale,
secondée par les Prussiens, reprenait l'offensive et repous-
sait les forces danoises en Jutland. Elle fut alors arrêtée
dans sa marche vi(;torieuse par les intrigues de la diplo-
matie européenne , qui amenèrent la conclusion de l'ar-
mistice de Malmob. H fut dénoncé à la lin de février 1849,' et
l'armée des duchés aux ordres du général Bonin recommença
les hostilités. Le 25 avril l'armée danoise, forte de 22,000
hommes, fut battue à l'affaire de Colding par l'armée des
duchés, qui ne présentait qu'un effectif de 15 à 16,000
hommes. Après un nouvel avantage remporté à Gudsœ ,
l'armée des duchés alla assiéger Friedericia; mais elle dut y
renoncer, en présence des forces supérieures que lui opposa
le Danemark ; et le 10 juillet, à la suite d'une déroute que
les Danois lui firent essuyer à Idstedt, entre Friedericia et
Apenrade, on conclut de part et d'autre un nouvel armis-
tice, aux termes duquel les troupes schieswig-bolsteinoisés
et prussiennes durent avoir évacué le Schleswig quinze jours
après. Le duché de Schleswig dut être administré par un
gouvernement intérimaire, composé d'un commissaire da-
nois, d'un commissaire prussien et d'un commissaire an-
glais. L'assemblée nationale des duchés abandonna alors la
ville de Schleswig, où elle n'eût plus été libre, pour venir
s'établir à Kiel , en Holstein. Tout le reste de l'année 1849
s'écoula dans cette situation, qui n'était ni la paix ni la
guerre. Réduit désormais aux seules ressources du duché
de Holstein, le gouvernement national des duchés ne dé-
sespéra pas pour cela du triomphe final de la bonne cause.
Le patriotisme des populations du duché de Schleswig lui
vint d'ailleurs puissamment en aide. Grûce au dévouement
3.
se
SCHLESWIG-HOLSTEIN — SCHMALKALDE
de tous les citoyens, il put faire face aux dépenses considé-
rables résultant de la nécessité où il se trouvait d'augmenter
de plus en plus l'effectif de son aruiée et de réparer les vides
causés dans les cadres par le désastre d'istedt. Mais il avait
à lutter contre quelque cliose de plus redoutable que les
Danois : contre les trabisons de la diplomatie , bien décidée
désormais à comprimer dans les duchés de Scbleswig-Hol-
stein ces idées de nationalité et d'indépendance qu'elle dé-
clarait dangereuses et criminelles en Pologne, en Hongrie et
en Italie. Après l'armislice conclu en août 1849, des notes et
des memornnda étaient encore impuissants à désarmer une
armée de 30,000 liommes , appuyée sur une forteresse de
premier ordre (Rendsbuurg), endamniéc de patriotisme el
annonçant l'intention de défendre résolument l'indépendance
et les droits de son pays. En raison du rôle qu'il avait joué
dans les affaires des ducbés en 1848 et 1841), et après avoir
tant de fois et si solennellement reconnu et proclamé la justice
de leur cause, il était diflicileque le gouvernement prussien
consentît à se faire à leur égard le gendarme de la nou-
velle Sainte-Alliance. Ce rôle appartenait de droit à l'Autri-
che. En conséquence , un corps de 30,000 Autrichiens tra-
versa toute l'Allemagne, vers la (in de 1 8.50, pour venir en aide
anx Danois et mettre à la raison les révoltés desducbés. Quand
les bandes autrichiennes entrèrent sur le sol holsteinois , le
gouvernement national des duchés dut céder et résigner ses
f)ouvoirs , mais non sans protester contre l'abus de la force
dont il était la victime.
Est-ce à dire pour cela que tout soit fini et que le triom-
phe de la di|>lomatie soit durable? Nous ne pouvons le croire.
On est bien parvenu à rétablir le status qno ante bellum,
l'état de choses existant avant les événements de 1848 ;
mais la solution du problème reste encore à trouver. C'est
en vain que la diplomatie a cru la rencontrer en abolissant en
Danemark la loi du roi, et en dépossédant les princes de
Hesse de leurs droits éventuels d'hérédité pour en investir
un cadet de la maison de Ilolstein-Beck, leur allié, en même
temps que les princes du la maison d'Augustenbourg étaient
exilés du pays et qu'on confisquait toutes leurs propriétés.
L'autorité de Frédéric Vlll a été restaurée dan^ les ducbés ,
qui ne s'y étaient jamais soustraits et avaient toujours dé-
claré le reconnaître pour leur souverain , mais combattre
seulement les prétentions d'absorption du parti ultra danois;
on a exilé les hommes en ((ni l'on prétendait voir les uni-
ques instigateurs du mouvement national ; et cependant,
après huit années de restauration , les efforts du gouverne-
ment danois pour daniser les duchés rencontrent toujours
la même résistance de la part des populations et jusqu'au
sein même des assemblées représeniatives distinctes accor-
dées au Schleswig comme au Holstein par la nouvelle cons-
titution. Le temps nous apprendra ce qui en sortira.
SCHLEY (La), nom d'une baie de la Baltique, de
35 kilomètres de long , mais fort étroite et avec seulement
3 à 4 mètres de profondeur, située sur la côte orientale du
Schleswig. Elle se dirige au sud-ouest, s'élargit au delà de
Missunde pour former une espèce de lac s'étendant à
l'ouest jusqu'à la ville de Schleswig. Cette baie était au-
trefois un port célèbre; de nos jours elle est encore renom-
mée pour sa richesse en poissons. Avec la Baltique et la baie
d'Eckernfœrde elle borne le bailliage de Schwansen.
SCHLOSSER (FKÉDÉRic-CnKisTOPHE), célèbre histo-
rien allemand et professeur à Heidelberg , naquit à lever,
en 1776 , et étudia d'abord la théologie tout en faisant mar-
cher de front avec cette science l'étude des mathématiques
et de la physique, ainsi que celle des littératures étran-
gères. Choisi par le comte de Bentinck pour précepteur de
ses enfants, puis successivement chargé de diverses autres
éducations particulières, il mit à profit les loisirs que lui
laissait cette position pour s'initier à la connaissance intime
de Platon, de Kant, ctd'Aristote. En 1807 parut son. A bai-
lard et Dulcin, puis en 1809 sa Vie de Th. de Bèzeet de
Pierre-Martyr Vermili. Fixé en 1809 à Francfort, il y
ctitreorit .son Histoire des Empereurs iconoclastes d'O-
rient (Francfort, 18t2). Le prince-primat le nomma, en
1812, professeur d'histoire au lycée qu'on venait de créer
à Francfort; et en 1817 il accepta une chaire d'histoire à
Heidelberg. Ses principaux ouvrages ont pour titres : His-
toire universelle en récits continus (1817-1841); His-
toire du dix-huitième siècle ( 1823) ; Aperçu de l'histoire
de l'ancien monde et de sa civilisation (3 vol., 1834 ) ; Ju-
gement sur Napoléon (1832-1835); enfin, Histoire uni-
verselle à l'usage du peuple allemand, tomes 1 à 14,
1844-1853). 11 a aussi publié en société avec Bercht, Ar-
chives d' Histoire et de Littérature.
SCHLUSSELBOURG, place forte et ville de cercle dans
le gouvernement de l'étersboiirg (Russie), est .situé dans
une position très- favorable au commerce, à environ six
myriamètres de la capitale, sur la Néwa, à l'endroit où ce
fleuve SOI t du Ladoga et où se trouve l'embouchure du canal du
même nom, servant de communication entre le Wolchofet
le lac, de telle sorte que toutes les embarcations qui de la ca-
pitale snnt expédiées vers les contrées du Volga sont obli-
gées d'y passer. La forteresse qui se trouve dans l'île Cathe-
rine fut construite en 1323, par le grand-prince Georges III
Danilowitscb , pour protéger le territoire de Novgorod
contre les Suédois, et reçut alors le nom (VOrechowetZf
c'est-à-dire Petite Noix ; de même que l'Ile fut appelée Ore-
cho/f-Ostroff, ou Ile aux Noix. Prise le 6 août 1348 par
le roi de Suède Magnus, elle resta désormais un constant ob-
jet de dispute entre la Suède et la Russie. Pierre le Grand»
qui enleva aux Suédois cette forteresse, en 1702, reconnut
bien vite l'importance de la position. Il fit creuser le canal,
augmenta les ouvrages de défense, et y fit construire des
églises, des fabriques, des casernes et un hôpital. La fa-
brique de toiles perses de Schiusselbourg est aujourd'hui
encore la plus importante de ce genre qu'il y ait en Russie.
La pêche et la navigation ont aussi beaucoup d'importance à
Schiusselbourg. En 1839 on y comptait 1,700 habitants et
trois églises; depuis lors cette population a plus que triplé.
C'est à Schiusselbourg que l'infortuné Iwan V resta détenu
dans un étroit cachot, de 1756 à 1764.
SCHMALKALDE , ville de la Hesse électorale, siège
de la commission de gouvernement pour le cercle du même
nom, dans le Thuringerwald, située dans une étroite vallée
et entourée d'une double muraille, compte environ 6,000 ha-
bitants. On y trouve deux châteaux , le Wilhelmsburg et le
Hessenhof, une école des arts et métiers , de nombreuses
fabriques d'articles métalliques en tous genres et d'ustensiles
en bois. C'était autrefois le chef-lieu d'une seigneurie du
même nom, qui .sur environ 4 myriamètres carrés comptait
28,000 habitants.
SCHMALKALDE ( Articles de ). C'est le nom qu'on
donne aux articles rédigés, en décembre 1536, à Willem-
berg par Luther, et qui devaient servir de base aux discus-
sions du concile convoqué à Mantoue par le pape Paulin.
Les États protestants, lors des délibérations préalables te-
nues à Schmalkalde en février 1537, ayant repoussé la
proposition de concile, ces articles ne furent souscrits que
par les théologiens présents, mais acquirent plus tard force
de symbole par leur admission dans le Livre de Concorde.
L'opposition contre l'Église catholique et surtout contre la
papauté y est bien plus fortement accusée que dans la Con-
fession d'Augsbourg. Marheinecke en a publié (Berlin, 1817)
le manuscrit, de la main même de Luther, qu'on conserve
dans la bibliothèque de Heidelberg. On trouve dans les
collections de Symboles, comme annexe aux articles de
Schmalkalde, la savante dissertation sur la suprématie du
pape et sur la juridiction des évêques, composée à la même
époque par Mélanchfhon.
SCHMALKALDE (Ligue de). On appelle ainsi l'alliance
conclue provisoirement pour neuf ans à Schmalkalde,
le 27 février 1531, entre neuf princes et comtes protestants
et onze villes impériales pour la commune défense de leur foi
et de leur indépendance politique contre l'empereur Charles
Quint et les États catholiques; alliance confirmée dans
SCHMALKALDE
les assemblées tenues à Francfort en juillet et en décembre
de la même année, avec une clause additionnelle portant que
l'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse dirigeraient les
affaires communes en qualité de cliefs delà ligue. Les par-
ties contractantes étaient l'électeur Jean de Saxe et son iils
Jean-Frédéric le Magnanime, les ducs Pliilippe, Ernest et
Franz de Brunswick et de Lunebourg, le landgrave Plii-
lippe de Hesse, le prince WoUgang d'Anlialt, les comtes
Gebhardt et Albert de Mansleld, les villes de Strasbourg,
Ulm, Constance, Reullingen, Memmingen, Liudau, Bibe-
racli, Isny (en Wurtemberg), Lubeck , iMagdebourg et Bre-
men. La paix de religion de ^Nuremberg de 15:52 n'uyant pas
rendu la ligue inutile, et sur le bruit qui se ropaudil en 1535
que l'empereur méditait de nouveaux projets liosliles contre
les protestants, elle fut prolongée de dix années, dans une as-
semblée tenue à Sdimalkalde, le 24 décembre 1535, eu même
temps qu'on y décidait qu'elle entretiendrait une armée per-
manente de 10,000 liommes d'infanterie et de 2,000
cavaliers. Les villes d'Esslingen, de Brunswick, de Goslar, de
Gœttingue et d'Eimbeck y avaient déjà adhéré; maintenant
(1536) elle reçut encore l'adbésion des ducs Barnim et Phi-
lippe de Poméranie, des princes Jean, Georges et Joachim
d'Anlialt , et des villes d'Augsbourg, de Francfort , de Kemp-
ten, de Hanovre et de Minden. La confédération lut encore
consolidée parles articles de garantie rédigés par Luther,
souscrits par les théologiens présents à l'assemblée tenue en
1537 à Scbmalkalde, et qui reçurent le nom à'articles de
Schmal kalde. A partir de ce moment la confédération
prit une attitude de plus en plus hostile à l'égard des catho-
liques. Plus de la moitié des forces de l'Allemagne étaient
à ce moment de son côté. Toute la Saxe (la Misnie, à la mort
de Georges, étant échueau duc Henri, protestant), la Hesse,
le Wurtemberg, Lunebourg, le Danemark, la Poméranie,
le Brandebourg, les pays d'Anhalt et de Mansfeld, unis aux
■villes du nord de l'Allemagne, de la Souabe, de la Fran-
conie, du Rhin, de la Westphalie et de la basse Saxe, qui
presque toutes étaient dévouées à la ligue , présentaient une
force contre laquelle pas plus la Sainte-Ligue ( Liga ) des
princes catholiques, conclue en 1538, que l'empereur, occupé
alors contre les Turcs et de ses incessantes guerres contre
la France, ne se sentirent en état de lutter. C'est ce qui ex-
plique l'impunité où resta pour le moment l'audacieuse dé-
marche tentée en 1542 par l'électeur Jean-Frédéric de Saxe
et le landgrave Philippe, dans une campagne entreprise au
profit des villes de Goslar et de Brunswick, par l'expulsion
du duc Henri le Jeune de Brunswick, des États duquel ils
osèrent prendre complète possession. L'empereur eut re-
cours à toutes les ressources de la ruse pour déterminer par
ses négociations les princes prolestants à rester tranquilles.
En tentant alors une attaque commune , ils auraient obtenu
tout ce qu'ils désiraient; mais la désunion qui se glissa dans
leurs rangs, les embarras dans lesquels son double mariage
entraîna Philippe , et l'entêtement de Jean-Frédéric paraly-
sèrent leurs forces. C'est ainsi qu'ils restèrent inactifs en
présence de l'irrésolution et de l'humiliation du ducdeClèves,
qui penchait pour eux, et du peu de succès de la réformation
de l'électeur de Cologne, abandonné par eux. Par orgueil
princier, ils refusèrent d'admettre dans leur ligue des cheva-
liers de l'Empire, aussi braves qu'importants, par exemple
Franz de Sickingen. En même temps, ils se liaient tantôt
trop, tantôt pas assez aux offres de secours maintes fois
répétées par le roi de France; et ils consentaient à secourir
le roi des Romains, Ferdinand, contre les Turcs, alors que
ce prince menaçait de devenir le plus implacable de leurs
ennemis. Cependant, lorsque ce qu'on appelle la guerre de
Schmalkalde commença enfin en Souabe, en juillet 1546, par
l'armée des villes du nord de l'Allemagne aux ordres de Sé-
bastien Schaertlin et par les deu» chefs de la ligue , ils étaient
assez forts pour causer de grav«s embarras à l'empereur, dont
les armements étaient insullisants. Schaertlin pénétra avec
assez de succès jusqu'aux rives du Danube, à l'effet de barrer
le passage à l'armée impériale arrivant d'Italie, Mais la mi-
— SCHMERLING 3T
sérable jalousie de l'électeur Jean-Frédéric et du landgrave
Frédéric paralysa également ce grand capitaine. En outre, à
la suite de la proclamation de l'empereur, en date du 20
juillet 1546, qui avait mis les deux chefs de la ligue au ban
de l'Empire, l'électeur Maurice de Saxe ayant pris possession
de l'éleclorat à titre d'exécution de ce décret impérial, l'é-
lecteur se vit contraint de battre en retraite. Jean-Frédéric re-
conquit encore,il est vrai, son électoral dans l'automne de 1546;
mais pendant l'hiver Cliarles Quint et son frère Ferdinand
envahirent la Franconie à la tête d'une armée bienéquippée et
aguerrie, qui déjà leur avait soumis les différents membres
de la ligue ap|)artenant au nord de l'Allemagne; et au mo-
ment du danger, Jean-Frédéric et Philippe se trouvèrent
bientôtseuls, abandonnés par tous les autres membres de la
ligue. La déroute de M uhlbe rg ( 24 avril 1547 ) les fit
tomber tous les deux entre les mains de l'empereur. Ce dé-
sastre, qui peut-être fut aussi bien le résultat de la trahison
que de la faiblesse, termina la guerre de Schmalkalde et
acheva de dissoudre complètement la ligue, déjà toute dé.sor-
ganisée. Mais le but de la ligue, la garantie de la liberté re-
ligieuse , pour laquelle les protestants avaient pris les «trmes,
fut atteint par l'audacieux trait de l'électeur Maurice, qui
eut pour résultat la conclusion du traité de Passau (31 juil-
let 1552). Voyez Paix de Religion.
SCllÂlKRLlKG (Antoine, chevalier de), homme d'État
autrichien, né à Vienne, le 23 août J805 , était connu non-
seulement comme un bon jurisconsu'te, mais encore p;ir son
active participation aux travaux des états de la basse Au-
triche, auxquels il appartenait par sa naissance, lorsque les
événements de 1848 lui ouvrirent une carrière plus vaste.
Mêlé au mouvement des journées de mars comme adver-
saire de la politique de M. de Mellernich, il fut envoyé alors
par le gouvernement autrichien à Francfort à l'effet d'y as-
sister (à partir d'avril 1848 ) comme son homme de con-
fiance aux délibérations qui y avaient lieu relativement à un
projet de constitution pour l'Allemagne. En cette qualité il
exerça une iniluence notable sur la rédaction du projet des
dix-sept. A ce moment, la direction qu'il suivait à l'égard de
la question delà con-'titution de l'Empire semblait être favo-
rable à l'unitarisme, parce qu'il comptait sans doute que l'hégé-
monie serait àl'Autiiche, et non à la Prusse. Après la retraite
de Colloredo, il reçut, le 19 mai 1848, pour les dernières
semaines la présidence de la diète, dissoute en juin par l'élec-
tion du vicaire de l'Empire Élu député à l'assemblée natio-
nale de l'Emiiire par la ville de Tulln, il y prit une position
influente. H se rattacha au parti do la monarchie constitu-
tionnelle, participa aux travaux de différents comités, et prit
en mains les intérêts de rAulricheavec prudence et habileté.
Quand l'archiduc Jean eut été élu vicaire de l'Empire, ce
prince nomma Sclimerling ministre de l'Euipire (15 juillet);
et celui-ci réunit d'abord l'intérieur et les affaires élrangères ;
mais ensuite il ne conserva que le premier de ces départe-
ments. La conclusion de l'armistice de Malmœ et son rejet
par l'assemblée nationale amenèrent la retraite de Sclimer-
ling et des autres ministres. Cependant, la constitution d'un
nouveau cabinet a\ant rencontré des diflicultés, il garda la
direction des affaires, et montra une grande énergie au milieu
des troubles du 18 septembre. La prompte répression de l'é-
meute fut en grande partie son œuvre. Nommé de nouveau
et définitivement ministre de l'Empire, le 24 .septembre,
non-seulement il se vit exposé aux violentes attaques de la
gauche, mais encore dès le commencement des délil)érations
sur la constitution il se brouilla avec la plupart des hommes
qui avaient été jusque alors ses amis, attendu qu'il combattit
avec toujours plus d'énergie les tendances de l'assemblée à
investir la Prusse de l'hégémonie. En conséquence, le 15 dé-
cembre 1848, il donna sa déiîiission et se rendit à Olmûtz,
puis à Vienne , où déjà il avait été élu député à l'assemblée
nationale autrichienne ; et on ne saurait douter que ses avis,
ses renseignements, n'aient beaucoup contribué à modifier
la politique autrichienne sur la question allemande. Le gou-
vernement autrichien le nomma ensuite son pUnipotentiairg
Î58
SCHMERLING — SCHNEIDER
auprès du pouvoir central, c'est-à-dire le cliargea de défendre
les intérêts autrichiens à Francfort. Ciief du parti autrichien
et l'un des organisaleurs les plus actifs du grand parti alie-
inand , il travailla alors vigoureusement contre le projet de
faire décerner le gouvernement de l'Empire «Ma Prusse. Ce
ne fut que lorsque , à la seconde lecture, les tendances prus-
siennes l'eurent emporté, qu'il se sépara ( fin d'avril 1849) de
l'assemblée pour s'en retourner à Vienne, où en juillet il entra
dans le cabinet comme ministre de la justice. Son indivi-
dualité s'elfaça alors peu à peu , parce qu'il ne se trouva pas
tout -A fait d'accord avec la politique suivie par le ministère
Scbwarzeuberg. En 1851 il donna sa démission, et depuis
lors il habite Vienne, où il remplit les fonctions de président
de la cour de cassation.
SCIIMID (Curistophe), chanoine du chapitre d'Ângs-
bourg, (pic ses ouvrages à l'usage de l'enfance ont à bon
droit rendu célèbre, né le 15 août 1768, à Dinkelsbulh en
Bavière, remplit pendant quelque temps les fonctions de
vicaire, puis entra dans l'instruction publique. 11 com-
mença tout aussitôt à écrire pour l'enlance, et en 1801 ii fit
paraître son Histoire de la Bible à l'usage des Enfants
(6 petits volumes), qui fut adoptée dans les écoles catholi-
ques de Bavière. Après avoir dirigé pendant vingt ans l'é-
cole de Thaunhauseu , il obtint une cure en Wurtemberg.
Plus tard il fut appelé à occuper la chaire de théologie mo-
rale à la faculté de théologie nouvellement créée à Tubingue,
puis nommé directeur du séminaire de l^othenbourg; mais,
quoiqu'on lui offrît l'autorisation de se faire suppléer dans
sa cure par un vicaire, jamais il ne put se décider à s'é-
loigner de ses ouailles. Enfin, en l?,'?J, le roi Louis de Ba-
vière le nomma chanoine de la cathédrale d'Augsbourg, et
plus tard il le créa chevalier de l'ordre du Mérite de Bavière.
Il mourut à Aiigsbourg, le 3 août 1854.
Le chanoine Schmid a popularisé son nom parla publica-
tion d'un grand nombre de contes qui respirent le sentiment
religieux le plus pur, et depuis longtemps traduits à ce titre
dans toutes les langues de l'Europe. Dans celte foule d'in-
génieux et attendrissants récits, nous citerons plus par-
ticulièrement Les Œvfs de Pâques, Geneviève^ Henri
d'Eichenfels , La Corbeille de fleurs, Le bon Fridolinet
le méchant Thierry,
SCHM IDT ( Georgks-Frédéric), dessinateur et graveur,
l'un des artistes les plus remarquables du dix-huitième
siècle, naquità Berlin, en 1712, et était destiné au métier de
son père, pauvre drapier. Mais l'enfant avait un tel pen-
chant pour l'art, qu'il parvint à obtenir la permission de
continuer de suivre les leçons de l'académie des beaux-arts.
Une série d'obstacles et de contrariétés , entre autres six
années de service dans l'artillerie, ne purent le faire renoncer
à ses études. En 1736 il se rendit à Paris, léger d'argent et
dépourvu de toutes recommandations ; mais il y fut parfaite-
ment accueilli par Lancret, ami de Pesne, peintre delà
cour de Prusse, lequel le recommanda chaleureusement au
graveur Larmusin, qui lui donna ses leçons gratuitement. Il
travailla d'abord pour ce maître ; mais ses portraits du comte
d'EvreuA et de l'archevêque de Cambray ne tardèrent pas
à le mettre tant en réputation , qu'il fut nommé presque en
mime tem|)s membre des Académies de Paris et de Berlin.
Quoiqu'on lui fît à Paris des offres bien propres à l'y re-
tenir il donna la préférence à celles qui le rappelaient dans
sa patrie. Il arriva à Bénin en 1744, et fut reçu avec la plus
grande distinction par le roi et par la cour. Ensuite, il alla
passer cinq années à Saint-Pétersbourg, où il grava le por-
trait de l'impératriceel de divers autres grands personnages, et
oùillonda l'école degravure. En 17G2 il était de retour à Ber-
lin, où il ?e mita travailler avec une activité nouvelle. On doit
à cette (lornière époque de sa vie de remarquables planches
gravées à la pointe, dans la manière de Rembrandt. Lorsqu'il
mourut, en 1775, il était considéré comme un des graveurs
les plus distingués de son époque. Il n'avait pas moins de ré-
putation comme dessinateur. Il ne travaillait pas seulement
de la manière la plus sévère au burin, notamment les por-
tstrai, parmi lesquels on cite ceux du peintre Lafour, de Pierre
Mignard , des comtes Rasoumoffsky et Esterbazy, de l'im-
pératrice Elisabeth de Russie, mais il savait encore manier
la pointe de la façon la plus libre et la plus ingénieuse.
Ses feuilles gravées reproduisent tout le charme pittoresque
d'un Rembrandtetd'unCastiglione, sans avoir cependani rien
de l'imitation servile.
SCIIMIDT (Isaac-Jacques), linguiste profondément
versé dans la connaissance des langues et des littératures
des Mongols et des Thibétains, né en 1779, en Allemagne,
mort en 1847, à Pétersbourg, conseiller d'État et membre
de l'Académie. Au nombre de ses écrits (dans lesquels il
combat le plus souvent les assertions émises parKIaproth,
Abel Rémusat et Hammer),nous citerons les suivants :
Recherches sur Vhistoire des peuples de VAsie australe,
notamment des M&ngols et des Thibétains ( Pétersbourg,
1824 ) ; Addition philologique et critique aux Lettres ori-
ginales mongoles de Rémusat (1824), ouvrage où il tra-
duit et commente les deux lettres adressées au roi de France
Philippe le Bel par des khans mongols de la Perse, et publiées
par Rémusat. On lui doit également une remarquable tra-
duction de V Histoire des Mongols orientaux et de leurs
princes, écrite en 1662, par le khan mongol Ssanang Sselsen
Chungtaidschi , de la race de Djingis-Khan (1829). Il a
aussi le mérite d'avoir publié la première Grammaire de la
Langue Mongole (1830); et le premier Dictionnaire Mongol
(1832); plus tard, il donna une édition du poëme héroïque
mongol Faits et Gestes deGesser-Khan ( 1836). Dans sa
Grammaire{ 1839) et son Dictionnaire de la Langue Thi-
hétaine (1841 ), il s'est surtout appuyé sur les travaux de
Csoma de Kœrœs. En 1843 il publia une édition originale,
avec traduction allemande, d'un ouvrage extrêmement im-
portant pour l'étude de la langue thibétaine, intitulé : Le
Sage et le Fou (Pétersbourg, 2 vol.). C'est le premier livre
en langue thibétaine imprimé en Europe. Il était aussi
très-versé dans la connaissance de la langue kalmoucke.
SCIIIVEIBERG, jolie ville de Saxe, arrondissement de
Zwickau, située au milieu des montagnes et à peu de dis-
tance de la Mulde, compte environ 8,000 habitants, dont
le plus grand nombre vit du travail des mines, et dont !a
partie féminine fabrique des blondes et de la dentelle. La
principale église, l'une des plus belles de VErzgebirge et
des plus grandes qu'il y ait en Saxe, contient quelques ta-
bleaux de Lucas Cranach. La ville, qui possède un grand
nombre d'établissements de bienfaisance et d'instruction
publique, doit son origine à l'exploitation des mines qui l'avoi-
sinent, et dont la découverte remonte à l'année 1471 . Le 23
avril 1477 un repas fut offert au duc Albert dans la fosse Saint-
Georges, et ce prince y mangea sur un bloc d'argent dont la
fonte produisit ensuite 80,000 thalers. En 1478 on ne vint
pas à bout de monnayer tout l'argent qu'on en lira. L'ar-
gent, quoique moins abomlant que jadis, le cobalt, le bis-
muth et le nickel , le fer et le manganèse , le soufre , et autres
pyrites, le quartz et la terre à porcelaine, sont les principaux
produits des montagnes de ce district ; et en 1853 leur exploi-
tation avait produit une somme de 153,800 thalers.
SCHMEIDER ou SCHiNITTER. Voyez AGRicoi.A(Jean).
SCHNEIDER ( EuLOGius ) , poète allemand , fumeux par
les excès qu'il commit à l'époque de la révolution française,
était né le 20 octobre 1756, à "Wipfeld,dansle pays de"Wurtz-
bourg. Il se consacra à l'état ecclésiastique, entra dans l'ordre
des Franciscains, et devint en 1786 prédicateur delà cour du
duc de Wurtemberg ; mais il perdit cette charge à la suite
d'un sermon très-libéral sur la tolérance. L'électeur de Co-
logne, l'archiduc Maximilien d'Autriche , qui faisait cas de
ses talents comme poète, l'appela ensuite comme professeur
de littérature grecque à Bonn. C'est à cette époque qu'il
donna une traduction en vers allemands des odes d'Anacf^on.
Mais bientôt les événements de la révolution surexcitèrent
tellement son imagination , qu'il abandonna sa chaire pour
aller se fixera Strasbourg. En 1791 il yfut nommé vicaire de
l'évêque constitutionnel ; en 1792 on l'élut maire de Hague-
SCHNEIDER — SCHCELL
39
naii. Puis on l'envoya à l'armée en qualité de commissaire
civil ; enfin, il fut appelé à remplir les fonctions d'accusateur
public près le tribunal révolutionnaire en Alsace. En celte
qualité il promena la guillotine en lou.-; lieux, et se montra
encore plus impitoyable que les plus cruels terroristes de la
Convention. Une foule d'individus de tout sexe, de tout âi;e
et de tous rangs périrent sur une simple dénonciation de
ses acolytes. La manière insolente dont il se comporta avec
S ai n t- J u s t, envoyé par la Convention comme commissaire,
causa enfin sa perte. Le 21 décembre 1793, Saint-Just, d'ac-
cord avec Le Bas, le fit arrêter et conduire à Paris , oii il tut
guillotiné, le 1*"^ avril 1794, comme fonctionnaire prévarica-
teur. Outre plusieurs ouvrages de piété, il a laissé un re-
cueil de Poèmes (Francfort, 1790 ; maintes fois réiinprin)é)
et une dissertation intitulée ; Les premiers Principes des
Beaux- Arts ( Bonn , 1790 )
SCHNEIDER (JEAN-CniusTiAN-FRÉDÉRic), célèbre com-
positeur de musique sacrée, et l'un des plus savants contre-
pointistes de l'Allemagne moderne, né le 23 janvier i~HG,
à Wattersdorf, près de Zittau, mort à Dessau, le 27 no-
vembre 1853, fut successivement organiste de l'église de
l'université de Leipzig et chef d'orchestre du théàtie de la
même ville, puis du théâtre royal de l'opéra allemand à
Dresde. En 1843 le duc d'Anhalt-Dessau le nomma son
maître de chapelle ; fonctions qu'il remitlit jusqu'à sa mort.
OnadeScImeider plus de 200 compositions musicales, dont
105 ont élé imprimées, et parmi lesquelles on remarque plu-
sieurs symphonies, un Requiem et trois oratorios, Le Dé-
luge , Le Paradis perdu, et Le Jugemenô dernier, qui
jouissent d'une grande et juste célébrité. Dans une école de
musique fondée parlai en 1831 , mais à laquelle il avait re-
noncé en 1846, il n'avait pas formé moins de cent cinquante-
cinq élèves, tant allemands qu'étranf^-ers. Il est aussi l'auteur
de plusieurs ouvrages théoriques sur son art.
SCHiVElDER (Jean-Gottlob), philologue éminent, né
en 1750, à Colrnen, prèsWur/en, en Saxe, fut recommandé,
quand il eut aclievé ses études , à B r u n c k , à Strasbourg ,
pour le seconder dans la publication de son édition des poètes
grecs. En 1776 il obtint la chaire de langues anciennes et
d'éloquence à l'université de Francfort-sur-l'Oder, qui lut
transférée en 1811 à Breslau , où il mourut, en 1822, après
avoir professé pendant quarante-six années sans interrup-
tion. Dans ce long intervalle il fit paraître un grand nom-
bre d'ouvrages et de dissertations relatifs à la littérature
antique, ainsi qu'à l'histoire naturelle. Il mérita surtout de
l'étude de la langue grecque parla publication de son Grand
Dictionnaire critique Gréco-Allemand (2 vol., 1798,
ZuUich; 3" édition, Leipzig, 1321 ), le premier de ce genre
qui ait paru eu Allemagne.
SClli\EIDEWI!V (Fkédéric-Guillaume), l'un des
philologues les plus éminents de notre époque, né eu 1810,
à Helmstaedt, est un élève de l'université de Gœttingue, qui
lui décerna le titre de docteur en 1832. Attaché successive-
ment à divers établissements d'instruction publique du nord
de r.\l!emagne, il est depuis 1850 professeur à Gœttingue.
On ade lui : Delectus Grxcorum elegiacœ, iambicae , me-
licœ (1839); une édition des Épigrammes de Martial
(1842) et des deux discours d'Hypéride récemment dé-
couverts (1853) ; Exercitationes criticx in poetas Graccos
minores (1836), etc. Pendant quelque temps il fit aussi
paraître un recueil périodique sous le titre de Philologus.
SCHNETZ (Jean -Victor), peintre d'histoire et de genre,
membre de l'Institut, né en 1787, à Versailles, fut un des
élèves distingués de David, mais sutse soustraire à l'influence
de son école et se créer un genre àlui. En 1819 il donna Le
Bon Samaritain, que suivirent diverses autres toiles, entre
autres Jérémie et les Ruines de Jérusalem, Il fut ensuite
chargé de peindre pour la salle des Maréchaux, aux Tuileries,
Le Grand Condéà la bataille deSenef, un Saint Martin
pour la cathédrale de Tours, et une Sainte Geneviève. C'e'it
alors seulement qu'il put se rendre en Italie et y compléter
ses étude*. Beaucoup de ses meilleures toiles datent de son
séjour sur la terre classique des beaux-arts, entre autres
Le Vieux Berger dans la Campagne de Rome, La Diseuse
de bonne aventure, La Femme du Brigand, Le Vœu et
la Prière à la Madone, deux tableaux remarquables
surtout par leur caractère élégiaque. Jusqu'en 1830 il traita
un grand nombre de sujets analogues, par exemple La
Grande Inondation, scène pleine de vigueur etd'elfet ; in-
dépendamment de différents tableaux historiques, entre
autres Jeanne d'Arc( 1835), Le Connétable de Montmo-
rency à la bataille de Saint- Déni s (1836), Mazarin à son
lit de mort, La bataille devant V Hôtel de Ville le 28 juillet
1830. On vante beaucoup sa Sainte Elisabeth ainsi que
les sujets rehgieux qu'il a peints dans l'église de La Madeleine
et à Notre-Dame-de-Loretle, et les tableaux qu'il a fournis
au musée de Versailles. En 1840 il fut nommé directeur de
l'École française à Rome, où il réside depuis lors.
SCHOEFFER (Pierre). Voyez Imprimerie.
SCIIOELCHER (Victor), ancien représentant du
peuple, né à Paris, en 1804 , est le fils d'un riche marchand
de porcelaines et de cristaux, dont le magasin était situé au
coin du boulevard et de la rue Grange-Batelière. La mort
de son père venait de le rendre maître d'une belle fortune,
lorsque éclata la révolution de Juillet. Affilié déjà depuis
quelque temps à la société Aide-toi , le ciel t'aidera, son
nom figure depuis cette époque parmi ceux des coryphées
du parti républicain; et toute son ambition fut d'être le
Santhonax de la démocratie nouvelle. Successivement
actionnaire et rédacteur de la Revïie républicaine , du
Journal du Peuple, de la Revue indépendante et de La
Ré/orme, il adopta donc de bonne heure pour spécialité l'a-
bolition de l'esclavage dans les colonies; question qui lui
fournit le sujet d'une suite de brochures et d'articles où il
fait preuve de plus de bonne volonté que de talent , et qui
ont été réimprimés en 1847 sous le titre de Histoire de fEs-
clavage (2 vol.). Au retour d'un voyage au Sénégal, il
trouva la république proclamée en France, et fut tout aus-
sitôt nommé sous-secrétaire d'État au ministère de la marine
et des colonies. Pendant son court passage aux affaires,
ileutdu moins la satisfaction devoirenfin accomplir le grand
acte de justice auquel il avait voué sa vie. Nommé par les
nègres de la Guadeloupe leur représentant à l'Assemblée
législative, il y siégea sur la crête de la montagne. Compris
dans le décret du 9 janvier 1 852 qui bannit de France soixante-
cinq représentants du peuple, il habite depuis lors Bruxelles,
au notable détriment des intérêts importants qu'il possède
comme commanditaire dans une des grandes maisons de
lingerie de Paris.
SCHOELL (Maxime-Samson-Frédéric) naquit en I7GC,
à Harskirchen , dans le pays de Nassau- Saarbruck, et fut
élevé à Strasbourg. Ses études terminées , il entra comme
précepteur dans une famille livonieune, avec laquelle il par-
courut, en 1788 et 1789, l'Italie et le midi de la France.
Il se trouvait à Paris quand éclata la révolution , et il suivit
à peu de temps de la ses élèves à Saint-Pétersbourg. Mais
il se décida, dès 1790, à revenir à Strasbourg, tant les scènes
grandioses dont il avait été témoin l'année précédente lui
avaient inspiré d'enthousiasme pour la cause de la liberté.
A l'époque du règne de la terreur, il se retira à Bàle. En
1794 un libraire de Berlin lui confia la direction d'une
maison qu'il avait fondée à Bàle, et dont le siège fut trans-
féré à Paris au bout de quelques années. Après l'entrée des
alliés à Paris, en 1814 , la recommandation de M. de Hum-
boldt lui valut une place de secrétaire dans le cabinet du roi
de Prusse ; et quand ce monarque s'en retourna dans ses
États, il demeura à Paris avec le titre d'attaché à la léga-
tion de Prusse. A peu de temps de là , M. de Hardenberg
appela Scliœll auprès de lui, à Vienne, où il resta pendant
toute la durée du congrès. Attaché alors de nouveau à la
légation prussienne à Paris , il assista ensuite au congrès
d'Aix la-Chapelle, et en 1819 il fut appelé avec le titre de
conseiller intime à Berlin. Hardenberg se lit encore accom-
pagner par lui aux congrès de Teplitz , de Troppau et de
40
SCHŒLL — SCHONEN
Laybach. Après la mort de cet homme d'Etat, dont il avait
obtenu la protection toute spéciale, il cessa de prendre
une part active aux affaires , et ne s'occupa plus guère que
de littérature. En 1830 il se trouvait à Paris quand éclata
la révolution de Juillet, et il mourut dans celte capitale, le
6 juillet 1833. Parmi ses nombreux ouvrages, nous cite-
rons : Histoire abrégée de la Littérature Grecque (9.'' édi-
tion, 1824); Histoire de la Littérature Romaine ( 1815,';
Histoire abrégée des Traités de Paix (15 vol., Paris, 1817-
1818 ) et surtout son Cours d' Histoire des États européens
depuis la chute de l'Empire Romain d'Occident jusqu'en
1789 (46 volumes, Paris, 1830-1836).
SCHOEN (Martin), le plus remarquable des peintres
de l'école allemande du quinzième siècle, naquit à Kalern-
bacli ou Kolinbach , et est beaucoup mieux connu par ses
œuvres que par les circonstances de sa vie. On indique Fr.
Stoss et Lupert Rust comme ayant été ses premiers maî-
tres; mais on ne saurait méconnaître dans son style et sa
manière l'influence de l'ancienne école flamaniie , dont vrai-
semblablement il avait eu occasion d'étudier les principales
productions. Établi à Colmar à partir du milieu du quin-
zième siècle, il devint célèbre au loin par ses tableaux et par
ses gravures , et fonda dans celte ville une nombreuse école,
à laquelle appartinrent ses frères et. plusieurs de ses parents.
Il mourut à Colmar, en 1346. Il était aussi connu en Italie,
où on l'appelait Buonmartino. On dit que le Pérugin en-
tretint avec lui des rapports d'amitié; et dans sa jeunesse
Micbel-Ange copia la gravure de Martin Schœn , qui repré-
sente le Rêve de suint Antoine. La plupart de ses tableaux
ornent aujourd'hui la Pinacothèque dt» Munich, la chapelle de
Saint-Maurice à Nuremberg, et la bibliothèque de Colmar.
La galerie impériale de Vienne possède aussi quelques re-
marquables toiles de cet ancien maître. Son chef-d'œuvre
est une Vierge Marie, qu'on voit dans la cathédrale de Col-
mar. Comme graveur, Schœn occupe également une place
distinguée dans l'histoire de l'art.
SClIOEiXBRUIVN, célèbre château impérial, dans la
basse Autriche , à environ 4 kilomètres de Vienne , station
du chemin de fer de Vienne à Grœl/, était déjà un château de
chasse sous l'empereur Matthias C'est Mai ie-Thèrèse qui, en
1744', le fit construire par Pacassi, tel qu'il existe aujour-
d'hui, d'après les plans de Valmagini. Entouré d'un parc
immense , il sert depuis lors de résidence à la cour pendant
une partie de la belle saison. Dans les appartements on re-
marque surtout le cabinet bleu , où Marie-Thérèse se tenait
de préférence, et la chambre habitée par Napoléon en 1809,
où son fils le duc de Reichstadt mourut, en 1832.
Les curieux devront en outre visiter la belle chapelle du châ-
teau , le magnifique salon tout en glaces , avec un plafond
admirablement peint, et la salle des armoiries. Près du châ-
teau se trouve une vaste orangerie. Le partorre qui s'étend
devant le château est orné de trente-deux statues et groupes
en marbre. Le parc contient de magnifiques allées, de belles
pièces d'eau, une faisanderie, une inénageiie, un célèbre
jardin botanique et un grand nombre de fabriques dans
tous les styles. C'est à Schœnbrun que fut ratifiée, le 5 dé-
cembre 1805, la paix signée à Presbourg; c'est là que
Napoléon lança, le 27 décembre suivant, la proclamation i)ar
laquelle il notifiait à l'Europe que la dynastie des Bourbons
de Naples avait cessé de régner, et le 15 mai 1809 son
appel aux Hongrois. Enfin, le 14 octobre 1809, il y signala
paix dite de Vienne.
SCHOEIXOBATES. Voyez Danseurs de Corde.
SCFIOL ASTIQUE. Voyez Scolastique.
SCHOLASTIQUE (Sainte). Voyez Benoit (Saint).
SCIIOLIES , SCHOLIASTES. Voyez Scolies et Sco-
MASTES.
; SCHOMBERG. Il y a eu plusieurs maréchaux de France
de ce nom :
Henri, comte de Schomberg , né à Paris, en 1583, issu
d'une famille originaire de Misnie, était fils de Gaspard de
ScHOMBKRG, ntiort en 1599, maréchal de camp général des
troupes allemandes au service de France, dont le frère puîné
était mort en 1578, dans le fameux duel de Maugiron, Quélus,
Rihérac, etc. Henri de Schomberg, désigné d'abord sous le
nom de comte de Nanteuil, fit ses premières armes en
Hongrie, sous le duc de Mercœur, dans les armées de l'em-
pereur Rodolphe II. Il fut ensuite embassadeur de France en
Angleterre, puis devint surintendant des finances en 1619.
Un instant hostile au cardinal de Richelieu, celui-ci se récon-
cilia avec lui en 1625, et lui fit accorder le bâton de maré-
chal de France avec le titre âeduc. Schomberg s'en montra
digne en chassant, en 1627, les Anglais de l'île de Ré. Après
s être signalé dans la campagne de Piémont, il fut placé à,
la tôle des forces envoyées contre les rebelles du Languedoc,
et les battit devant Casteinaudary, dans une affaire où Mont-
mo'ency, leur chef, fut fait prisonnier. Ces succès furent ré-
compensés pa>; le (iouvernement du Languedoc (1632);
niais il mourut la même îjnnée, à Bordeaux. '.
Chartes, duc de Schomberg, fils du précèdent, et qui du
vivant de son père porta le titre de dnc d'Hallvyn, qu'il
tenait du chef de sa femme, Anne, duchesse d'Halluyn,,
dont il prit le titre et le rang parmi les pairs du royaume,
était né en 1601, obtint le bâton de maréchal en 1636,
comme récompense de ses succès sur les Espagnols , et
mourut à Paris, en 1656. Marié à deux reprises, il avait
épousé en secondes noces la belle Marie de Ilautefort, l'une
de ces filles d'honneur d'Anne d'Autriche pour lesquelles le
chaste Louis XIII s'éprit parfois d'une tendre alfeclion,
demeurée toujours à l'état de contemplation platonique, par
conséquent sans que la réputation de celles qui en étaient
l'objet en souffrît jamais.
Henri de Schomperg , l'un des plus vaillants capitaines
du dix-septième siècle, issu d'une autre famille que les pré-
cédents, naquit à Heidelbcrg, en 1616. Il fit ses premières
armes sous les ordres du prince Frédéric-Henri d'Orange,
et servit ensuite sous Guillaume sou fils. Il avait acquis la
plus brillante réputation, quand il accepta en 1650 les
offres qui lui furent faites pour entrer au service de France;
et on le nomma alors gouverneur de Gravelines. En 1661
il fut envoyé en Portugal par Louis XIV, et y commanda
avec tant de succès les forces mises à sa disposition , qu'en
1668 l'Espagne se vit réduite à faire la paix et à recon-
naître la maison de Bragance. Quoique protestant, les écla-
tants services qu'il rendit en 1672, pendant la campagne de
Catalogne, furent récompensés, après la prise de Belle-
garde, par le bâton de maréchal de France. Dans la cam-
pagne des Pays-Bas, en 1676, il fut chargé de l'investisse-
ment de Maestricht. La révocation de l'édit de Nantes, en
1685, le contraignit à abandonner la France et à entrer au
service de l'électeur de Brandebourg, qui le nomma son mi-
nistre de la guerre et en même temps généralissime de ses
armées. Plus tard , il passa au service du roi de Portugal,
qui le créa comte de Mertola. Entré ensuite au service des
Provinces-Unies , il eut ainsi occasion d'accompagner le
prince d'Orange dans son expédition en Angleterre. En 1689
il suivit encore ce prince en Irlande, où Jacques II avait
tenté un débarquement. Le 20 juillet 1690 il franchit la
Boyne à la tète de la cavalerie anglaise pour attaquer les
troupes du beau-père de Guillaume III , et les mit en dé-
route complète. Mais il paya de sa vie ce dernier et décisif
triomphe, et fut tué dans la mêlée.
SCHOÎ\El\ (Al'custin-Jean-Marie de), ancien procu-
reur général près la cour des comptes et pair de France,
né en 1782, à Saint-Denis près Paris, d'une bonne et an-
cienne famille originairede la Suisse, suivit à partir de 1799
les cours de législation des écoles centrales, et y remporta
un premier prix. En 1808 il obtint la place de juge audi-
teur à la cour d'appel de Paris, puis en 1811 celle de sub-
stitut du procureur général. Eu 1819 il fut nommé conseiller
à la cour royale de Paris ; position inamovible, et qui lui
permit de rendre de nombreux services à la cause libérale
dans diflérents procès politiques de l'époque. On dit même
qu'il se fit affilier à une vente de carbonari; accusation quo
SCHONEN — SCHOREEL
41
plus tard on lui jeta maintes fois à la face, sans qu'il ait
jamais osé la démentir. Aux cleclions de 1827, il fut élu dé-
puté par le déparlement delà Seine, et alla prendre place sur
les bancs de l'extrême gauche. A près la révolution de Juillet,
il fut promu aux fonctions de procureur général près la cour
des comptes; plus lard encore le pouvoir le comprit dans une
de ses fournées de pairs , et ceux de ses anciens amis poli-
tiques que le nouveau gouvernement n'avait pas jugé h
propos de nantir de gros traitements et de sinécures lui re-
prochèrent alors amèrement ce qu'ils appelèrent son apos-
tasie. Schonen mourut peu avant la révolution ie 1848.
SCHOOLCRAFT ( Henky-Rowe ), écrivahi américain,
qui s'est spécialement occupé de l'étude des tribus indiennes
disséminées sur le territoire de l'Union, est né en 1793, à
Guilderland, près d'Albany. En 1818 il s'embarqua surl'Al-
léghany pour aller explorer la vallée du Mississipi; expé-
dition qu'il a racontée dans ses Scènes and Adventures in
the semi-alpin région of (fie Ozark Mountains of Mis
souri and Arkansas (nouv. édition, 1853). Le premier il
fournit au monde savant des renseignements positifs sur les
mines du Missouri ( Vietv of the lead Mines of Missouri
[New-York, 1.S19J), dp UKMiiennp s^ur les eaux de la grande
mer intérieure de l'Amérique du Nord et sur les sources du
Mississipi {Journal oj Travels from Détroit throiujh the
grand Chain of Américain Laites to the sources of the
Mississipi [ Albany, 1821 ] ; Travels in the central portion
of the Mississipi Vale/j [New -York, 1325 ] ; Narrative of
an Expédition through the upper Mississipi to Itaslta
ZaAe [New-York, 1834]). En ISlDlegouvernementle nomma
agent indien sur le lac Supérieur, et l'adjoignit en môme
temps au général Cass pour explorer et mesurer la contrée ap-
pelée aujourd'hui le i^Iinnesota. Par son mariage avec la
petite-lille d'im ancien chef des Chippeways, il acquit l'en-
tière confiance des Indiens, qui dès lors le regardèrent comme
un des leurs ; et grâce à cela il put acquérir une connaissance
parfaite de la langue, de l'histoire, des mci^urs et des usa-
ges de ces peuples. Ses récits de voyages offrent donc sous
ce rapport un intérêt tout particulier. Nous mentionnerons
encore ses Algie liesearches , son Ilistonj of the Iroquois
et ses Oral Legends. Il a aussi donné un grand nombre
d'articles curieux au North-American Review. Toutefois,
son plus grand ouvrage est le livre national composé eu vertu
d'un acte du congrès, et publié en 1847 aux frais du gouver-
nement : Information respecting the histori/, condition
and prospects of theindian T'-ibes of the Uniled-Statcs
of America (tomes I à III; Pliiladelpbie, 1851-1853), où
l'on trouve les renseignements les plus complets sur l'his-
toire, la géographie et la mythologie des Indiens, et qui
conservera le souvenir d'une race fatalement condamnée à
disparaître avant peu.
SCHOOIVER. C'est le nom que les nations du Nord
donnent à l'espèce de bâtiment que nous appelons goélette.
SCHOOREIV ou SCHOREN. Voyez Poldeks.
SCHOPEA'IIAUER (JoHANNA TROSINA), connue
en Allemagne par quelques bons romanset par d'ingénieux
récits de voyages, naquit à Dant/ig, en 1770, et annonça de
bonne heure de rares dispositions pour la peinture et pour
l'étude des langues étrangères. Mariée au banquier F. Scho-
penhauer, elle accompagna son mari dans des voyages en
Allemagne , eu France et en Angleterre, puis revint habiter
Dantzig jusqu'à la prise de possession de cette ville par les
Prussiens , en 1793. Elle alla alors se fixer à Hambourg
avec son mari, qu'elle accompagna encore en 1803 dans un
grand voyage en Hollande, en France, en Allemagne, en
Angleterre, etc., qui ne dura pas moins de trois années. Elle
était de retour à Hambourg, lorsqu'elle devint veuve. Elle
alla alors s'établir à Weimar, où bientôt sa maison réunit un
cercle habituel d'hommes éminents dans les sciences et les
lettres, et que Gœthe, entre autres, fréquenta assidûment.
De 1832 à 1837 elle habita Bonn, puis léna, où elle mou-
rut, en 1838. Eu 1810, à la demande du libraire Cotta, elle
écrivit une Vie de Fernoiv; puis elledonra des /ieci75 rfe
Voyages, où l'on remarque une grande finesse d'observa-
tion, des Nouvelles , ainsi que les romans Gabrielle (1819),
regardé comme son chef-d'œuvre, La ran^e( 1823 ), Sydoni»
( 1828), etc. La plupart de ces ouvrages ont obtenu les hon-
neurs de nombreuses éditions.
i- SCHOREEL ou SCHOREL ( Jan van ), célèbre peintre
hollandais, né en 1495, fut ainsi appelé du lieu de sa nais-
sance, Schoorl, village aux environs d'Alkmar. Orphelin
de bonne heure, comme il faisait preuve de grandes dispo-
sitions pour la peinture , ceux de ses parents qui l'avaient
recueilli le mirent à quatorze ans en apprentissage chez le
peintre Willem Corne lis d'ïiaT\em , maître qui n'était pas
sans quelque talent, mais homme grossier, égoïste et adonné
à l'ivrognerie, qui rendit son élève très-malheureux. A l'âge
de dix-huit ans il entra dans l'atelier de Jacques Cornelis
d'Amsterdam, l'un des peintres et des graveurs sur bois les
plus célèbres de son siècle, de la fille duquel il devint amou-
reux. Visant toujours à s'élever davantage vers la perfec-
tion , il se rendit ensuite à Utrecht , à l'effet d'y entrer dans
l'atelier du premier de tous les maîtres alors existants, Jean
de M abuse. Mais la vie désordonnée de cet artiste s'ac-
cordait mal avec les sentiments honnêtes de Schoreel , qui
ne tarda pas à l'abandonner pour s'en aller visiter succes-
sivement toutes les grandes villes de la Hollande où rési-
daient alors des artistes en renom, Cologne et Spire, où il
étudia la perspective et l'architecture, puis Nuremberg, où
Albert Durer l'accueillit parfaitement. Mais l'attachement de
ce grand artiste pour Luther et ses doctrines détermina
bientôt Schoreel à s'éloigner de lui et à se rendre en Carin-
thie. Il avait alors vingt-deux ans. Fidèle au culte qu'il avait
voué dans son cœur à la (ille de Jacques Cornelis, il refusa
la main d'une tort jolie femme, tille d'un riche gentilhomme,
qui, par amour de l'art, voulait à toute force avoir pour
gen<lre le peintre dont le talent l'avait charmé. Il alla ensuite
à Venise, où il rencontra un moine de ses compatriotes,
qui le détermina à entreprendre le pèlerinage de la Palestine.
11 séjourna trois ans à Jérusalem , et il est possible que la
grande toile qu'on voil dans l'église de cette ville, à l'en-
droit où naquit, dit-on, Jésus-Christ, soit de lui. A son
retour en Europe , Schoreel passa par Rome, et traversa ra-
pidement la France, où François V^ lui fit faire, mais inu-
tilement , les offres les plus brillantes [lour l'altacher à son
service, tant il avait hâte de revoir la terre natale, pour de-
mander la main de sa bien-aimée. Malheureusement la fille
de Cornelis n'avait point eu la patience de l'allendre. 11 la
retrouva donc mariée et déjà mère de plusieurs enfants.
De dépit, notre artisle jura alors de ne plus vivre que pour
l'art; et il tint religieusement .son serment. Quelques années
après , des troubles ayant éclaté à Utrecht , Schoreel alla
s'établir à Harlem. 11 y exécuta pour l'église Notre-Dame
im grand tableau d'aulel composé de quatre compartiments
à charnières, que Philippe II acheta , en 1549, à cette église,
et qu'il fit passer en Espagne.
La réputation de Schoreel parvint jusqu'au fond du
nord de l'Europe. Le roi de Suéde , qui l'avait prié de^lui
recommander un architecte , et à qui à cette occasion il
avait offert un de ses tableaux, représentant une sainte
Vierge, hù envoya en retour de ce présent une bague d'un
certain prix, une magnifique fourrure en martre, son propre
traîneau, avec tout l'attirail en dépendant, et deux cents li-
vres pesant du meilleur fromage qu'on fabriquât alors en
Suèile. C'était là assurément un cadeau solide et substantiel ;
cependant , nous ne craignons pas dire que bien peu de nos
artistes contemporains le trouveraient de leur goût. Le
moindre bout de ruban ferait bien mieux leur affaire !
Schoreel mourut le 6 décembre 1509. On l'a comparé
avec raison à Jean van Ey c k, qu'il égale effectivement sous
le rapport de l'incomparable richesse des couleurs, de la
vérité du coloris, de l'expression et de la chaleur du des-
sin, et à qui il n'est inférieur tout au plus que dans l'exécu-
tion des détails. La |)lus grande partie de ses œuvres péri-
rent dès l'an 15C6, dans les fureurs iconoclastes auxquclha
42
se livrèrent les fanatiques de cette époque ; de là vient qu'il
n'en exisie plus qu'un très-petit nombre dans les diverses
grandes collections.
SCHORL, nom collectif d'un grand nombre de miné-
raux qui sont fusibles au clialumeau.
SCHORL BLANC. Voyez Albitte, Béril, Feldspath.
SCHORL BLEU. Voyez Disthène.
SCHORL 'VIOLET. Voyez Axinite.
SCHOTEL ( JoHANNEs Christianus ), l'un des plus cé-
lèbres peintres de marines qu'ait produits la Hollande,
né en 1787, àDordreclit, îut d'abord destiné au commerce,
et à la mort de son père prit même la direction de sa fa
brique. Mais bientôt le goût qu'il avait toujours eu pour le
dessin, et qu'il n'avait pu satisfaire qu'à ses heures de
loisir, prit une force telle qu'il s'y abandonna exclusive-
ment à partir de 1810. 11 suivit pendant deux ans l'atelier
de Martin Sclioumann , et ne dut plus ensuite qu'à son
propre travail les rapides progrès qu'il fit dans l'art. Avec
son maître Sclioumann il peignit une toile représentant
Y Évacuation de Dordecht par les Fiançais en 1814,puis le
Bombardement d'Alger par les Anglais en 1816. Plus
tard il quitta Dordrecht pour aller s'établir à La Haye , où
il mourut, en 1839. Outre neuf livres de croquis, on trouva
chez lui quatre cents esquisses de tableaux. Peu de temps
avant sa mort il avait encore parcouru les côtes de la Flan-
dre et de la France. Cou/me peintre de marines, il dépassa
non-seulement tous ses contemporains, mais on peut à bon
droit le comparer aux plus grands maîtres en ce genre. Ses
toiles les plus remarquables sont au musée de La Haye,
dans les colleclions de l'empereur de Russie , du baron Na-
gell à La Haye, et d'autres amis des arts à Amsterdam , à
Dordrecht et à Bruxelles. Dans les ventes publiques elles at-
teignent des prix extrêmement élevés. En 1840 un monu-
ment lui a été élevé dans la cathédrale de sa ville natale.
Son fils cadet , P.-J. Schotel, professeur à l'école de
marine de Medemblyck sur le Zuyderzée, est aussi un
peintre de marines fort distingué. Élève de son père, n
accompagna en 1843 le prince Henri des Pays-Bas dans son
vovage dans la Méditerranée. Sa fécondité est remarquable.
SCHOTTISCH. Voyez Shottish.
SCHOU-KING ou CHOU-KING, c'est-à-dire Livre
des Annales , l'un des plus anciens et plus intéressants
monuments de l'ancienne littérature chinois e, contenant
les seuls renseignements authentiques qu'on possède sur
riiistoire de la Chine depuis les temps de Yao ( environ
2,000 av. J.-C. ) jusqu'au septième siècle av. J.-C. Outre
les documents purement historiques , géographiques et
statistiques qu'on y trouve , cet ouvrage abonde en ré-
llexions morales et politiques, de sorte qu'il est devenu la
vrsie base de la vie pratique des Chinois, parmi lesquels il
est encore aujourd'hui en grande estime. Il fut composé par
Cou fu ci us, avec les archives de l'empire; mais il ne
s'en est conservé que la moitié. Haubel en donna une tra-
duction française (Paris, 1770), qui a' été réimprimée dans
l'édition des Livres sacrés de l'Orient de M. Pauthier ( Paris,
1841). W. H. Madhursten a aussi publié ime traduction an-
glaise avec le texte chinois en regard (Schanghaï, 1846).
SCHOUiVlLA ou SCHOUMNA, place forte de l'eyalet
de Silistria, en Boulgarie, est située à une élévation de 233
mètres au-dessus du niveau de la mer, dans le petit B a 1 k a n
ou Balkan du Nord , à environ 11 myriamètres au sud de
Silistria , à 8 myriamètres à l'ouest de Varna, et à égale
distance au nord du défilé de Karnabat , le plus rappro-
ché de ceux qui conduisent à Andrinople à travers la crête
du Balkan. Elle est entourée au sud et à l'ouest par des
montagnes, mais au nord et à l'est par une plaine ondu-
leuse , entrecoupée de vallées et s'étendant jusqu'au Da-
nube. Les rues de la ville vont en montant, et forment deux
longues rangées de maisons en amphithéâtre, au milieu des-
quelles se prolonge une ^vallée où l'on trouve des eaux
courantes et des ponts. Une foule de minarets et la granae
mosquée, construite dans le style byzantin, lui donnent
SCHOREEL — SCHOUWALOFF
un aspect agréable , et quelques édifices grandioses, cons-
truits sur des hauteurs entourées de jardins, prêtent à ce
gracieux paysage un charme tout particulier. La popula-
tion, forte de trente mille âmes, se compose de Turcs,
qui habitent la haute ville , et d'Arméniens ainsi que de
Juif» (jusqu'en 1854 elle comprenait aussi des Grecs), fixés
dans la ville basse. La culture de la soie, de la vigne et des
céréales constitue sa principale ressource. On y confectionne
aussi des cuirs, et il y existe un bazar assez actif. Cette
ville possédait autrefois d'importantes manufactures de
soie; et aujourd'hui encore elle est célèbre en Turquie
par ses fabriques de tôle et sa chaudronnerie. C'est à
Sclioumla que convergent les routes qui des forteresses
du Danube conduisent en Roumélie à travers le Balkan;
Aussi est-elle un point stratégique de la plus haute impor-
tance, et forme-t-eile depuis longtemps le principal boulevard
de la Turquie contre la Russie. Elle renferme un arsenal ,
un hôpital militaire, de grandes casernes, une citadelle
entourée de hautes et épaisses murailles et bâtie sur une
hauteur; et depuis l'été de 1853 son système de défense a
encore été considérablement accru par une suite d'ouvrages.
On trouve en outre dans son voisinage un camp retranché
pouvant contenir de 40 à 60,000 hommes , et dont la na-
ture ainsi que la disposition du terrain ont également fait
un point stratégique d'une haute importance. H est ques-
tion de cette localité dès le neuvième siècle, sous le nom
boulgare de Schuméa {àér'wé de Schuma, forêt), et dans les
historiens byzantins sous le nom de Siège de Krummus
(un des khans des Boulgares) ou de Montagne de Siméon.
Elle fut incendiée en 811 par l'empereur Nicéphore, as-
.siégée en l'an 1087 par l'-empereur Alexis, prise à la suite
d'une capitulation en 1387 par les Turcs aux ordres du
grand-vizir Ali-Pacha, agrandie et fortifiée en 1689, de
même que plus tard par le grand-vizir Hasséin, Pacha d'Al-
ger, déposé en 1768, et dont le tombeau est le monument le
plus remarquable de la ville. Dans toutes les guerres suivantes
entre la Russie et la Turquie, Sclioumla a été le quartier
général ordinaire des grands-vizirs et a formé le point de
concentration de l'armée turque; et il en a encore été ainsi
dans la dernière guerre, en 1854.
Les armées russes ont été à trois reprises arrêtées devant
ce boulevard de l'empire turc : sous les ordres de Roumjan-
tzoff en 1774, sous ceux de Kamenskoï en 1810, et sous
ceux de Wittgenstein en 1828, où il fut défendu par Hus-
séin-Pacha. La bataille dans laquelle Diébitsch vainquit le
grand-vizir Reschid, le 11 juin 1839, fut livrée à quatorze
kilomètres au sud de Schoumla , au village de Kouleff-
tscha, de l'autre côté des défilés de Madara et de Koparaffa.
Le village de Madara ou Marda, sur le Paravadi, n'avait
autrefois qu'une population féminine, et était le refuge de
toutes les belles turques aimables et persécutées par des
maris jaloux. Quand éclata le conflit russo-turc de 1828-
1829 il y avait là près de deux mille victimes du mariage et
de l'amour, d'ailleurs exemptes de toutes espèces d'impôts,
qui ne souffraient pas de femmes laides ou vieilles parmi
elles, qui ne portaient pas de voile comme les autres ma-
honiétanes, et qui traitaient les voyageurs avec l'hospitalité
la plus gracieuse sous tous les rapports.
SCHOUWAX-OFF, famille de comtes russes, dont
la noblesse ne remonte bien autlientiquement qu'au com.
mencement du seizième siècle, et qui a produit plusieurs
hommes remarquables. Le premier qui fit parler de lui fut
le général Iwan Sc.houwaloff, commandant de Wiborg,
sous Pierre le Grand, dont il posséda au plus haut de-
gré la confiance et l'amitié. Ses deux fils, Alexandre et
Pierre, admis dans l'intimité de l'impératrice Elisabeth,
furent créés comtes par cette princesse en 1746, et plus
lard Pierre IH les nomma feld-maréehaux. Le comte
Pierre, aussi dur et aussi avaricieux que son frère , était en
revanche plus spirituel et plus instruit que lui. Ministre de
la guerre, il introduisit d'importantes améliorations dans 1«
service de l'artillerie. Il mourut le 15 janvier 1762.
SCHOUWALOFF^ SCHUBERT
43
Iivan Sf.nouw ALOFF, qui passa également pour un des ado-
rateurs de l'iinpératrice Elisabeth, laquelle en fit son grand-
chaniljellan, était un cousin des précédents. Ce Schouwaloff,
né en 1727, se montra l'un des plus zélés protecteurs des
sciences et desUettres en Russie, sous les règnes d'Elisa-
beth et de Catherine IJ. H fonda en 1755 l'université de
Moscou avec deux collèges en dépendant , en 1758 l'Aca-
démie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg, et mourut
dans cette capitale, le 25 novembre 1798-
Le comte Paul AndréjéivUsch Schouwalofv , né vers
1775, qui servit sous Souwaroff en Pologne, où il assista à
l'assaut de Praga, puis en 1799 en Italie, appartenait à une
ligne collatérale. Dès l'âge de vingt-cinq ans il avait obtenu le
grade de général. Il se distingua dans la campagne de 1807,
et davantage encore en Finlande, dans la guerre de 1809,
où il fut le premier Russe qui pénétra en Suède par Tornéo.
Par une marche rapide sur la glace il s'empara de Sche-
lefla, fit prisonniers 8,000 Suédois et se rendit maître de 120
canons; aciions d'éclat qui lurent récompensées par le
grade de lieutenant général et le titre d'aide de camp de
l'empereur. Ses talents diplomatiques furent aussi mis à
l'épreuve, notamment en 1813, où il assista aux côtés de
l'empereur à toutes les batailles de la campagne. C'est lui
qui, le 26 juillet, signa l'armistice de iSeumark. Après la
prise de Paris, il fut chargé de conduire l'impératrice
Marie-Louise en Autriche, puis d'accompagner Napoléon
jusqu'à Fréjus. Il mourut à Pétersbourg, le l'"'' décembre
1825, après avoir constamment joui de toute la faveur de
l'empereur Alexandre.
SCHRAPNELS. Voyez Surapnels.
SCHREVELICS (Cornélius), auteur d'un diction-
naire grec-latin, qui parut à Leyde, en 1647, était néà Har-
lem au commencement du dix-.septième siècle, et mourut
en 1667, à Leyde, où il professait les humanités. Outre des
éditions de divers classiques grecs et latins, on a de lui des
éditions des Colloques d'Érasme, des Antiquilates Romance
de Rosin, du Lexicon de Scapula et de celui d'Hesychius.
Son propre dictionnaire, intitulé Lexicon manicale Grxco-
Lalïnum, était un progrès sur ce qui existait alors, et a eu
de nombreuses édilions. Toutefois, les travaux des hellé-
nistes postérieurs l'ont bien dépassé et fait justement tom-
ber dans l'oubli, quoiqu'on l'ait encore réimprimé à Paris
en 1820, avec les nombreuses additions qu'y avaient succes-
sivement faites les divei's éditeurs du dix-septième et du (iix-
huitièrne siècle.
SCHBOEDER (Frédéric-Louis), célèbre comédien et
dramaturge allemand, naquit en 1744, à Schwerin, et était
fils de comédiens. Son père mourut jeune, et sa mère se
remaria en 1749, à Moscou, avecAckermann. Abandonné
ensuite à Kœnigsberg, il fut recueilli par un pauvre save-
tier, qui lui fit apprendi-e son état. Un danseur de corde
alors célèbre, appelé Stuart, s'intéres.sa à lui , et lui lit
donner quelques éléments d'instruction. Ce fut en 1759 seu-
lement qu'il entendit reparler de sa mère, qui voulut alors
faire de lui un commis-marchand. Comme son pati'on n'en
pouvait rien faire , celui-ci le renvoya à ses parents, qui se
trouvaient alors en Suisse; et bientôt il débuta à Solothurn
comme acteur et danseur de corde, en même temps que
comme auteur dramatique, parla traduction d'une petite
pièce fi'ançaise. Il passa ensuite plusieurs années à par-
courir l'Allemagne comme comédien nomade. A Hambourg,
où la troupe d'Ackermann finit par se fixer, il obtint du succès
comme maître de ballets et comme comique. Plus tard, il
embrassa le genre tragique, où il acquit la réputation du plus
grand artiste de son siècle. En 1771, à la mort de son beau-
père, il prit avec sa mère la direction du théâtre de Ham-
bourg, où son administi-ation habile et prospère a laissé
de durables souvenirs. C'est lui qui popularisa en Alle-
magne le théâtre de Shakspeare. En 1781 il accepta un
engagement des plus avantageux pour le théâtre de Vienne;
mais il ne tarda pas à venir reprendre la direction du
théâtre de Hambourg, qu'il garda jusqu'en 1798, où il se re-
tira dans un petit domaine qu'il avait acheté aux envi-
rons. Alors il ne s'occupa plus de théàti'e que comme au-
teur. En 1811 il se laissa déterminer à accepter encore
une l'ois la direction du théâtre de Hambourg; mais ses
efforts pour relever cet établissement, alors complètement
tombé, ne réussirent pas, et il y perdit la fortune qu'il avait
acquise par l'exercice de son art. Il mourut en 1816. Comme
dramaturge, ses pièces ont le mérite d'une grande moralité;
le style en est pur et élevé. Tieck a donné une édition de ses
œuvres dramatiques, précédée d'une préface (4 vol., Ber-
lin. 1831).
SCIIROEDER-DEVRIEiXT ( Wilhelmine), l'une
des plus célèbres cantatrices de notre époque, fille de So-
phie ScHROEDER,éminente tragédienne qui fit longtemps la
gloii'e des grandes scènes de l'Alleniagne , où elle a laissé
d'impérissables souvenirs dans les rôles de Phèdre, de Médée,
de lady Macbeth, de Mérope, de Sapho, de Jeanne de
Monlfaucon, et d'Isabelle dans La Fiancée de Messine, est
née à Hambourg, le 6 octobi-e 1805. Aux talents mimiques
de sa mèi'e elle unit une voix magnifique. Dès l'âge de cinq
ans, on lui fit remplir des rôles d'enfant ou d"amour sur
le théâtre de Hambourg,'auquel sa mère était alors attachée.
Elle avait quinze ans à peine qu'elle débutait avec un raie
succès sur le grand théâtre de Vienne, dans le rôle d'Aricie
de la Phèdre de Racine. L'année suivante, en 1821 , elle
joua à l'improvista le rôle deParainade La Flùle enchantée
de Mozart; et chacun put alors apprécier son beau talent
comme cantatrice. Quand elle eut joué Léonore dansFidelio,
et éclipsé dans ce rôle toutes celles qui l'avaient tenu avant
elle, elle commença des tournées artistiques en Allemagne.
En 1823 elle épousa, à Berlin, Charles Z>e!;ï- je ;j if, artiste dri
Ihéâtre de Dresde, et ne tarda pas à faire partiedcla même
troupe; mais ce mariage ne fut pas longtemps heureux, et
dut même être rompu judiciairement , en 1822. Elle re-
parut cette même année sur la scène de Berlin , où Spon-
tini lui témoigna d'abord beaucoup d'antipathie et de mau-
vais vouloir ; ce qui ne l'empêcha pas d'obtenir dans ses der-
nières représentations, notamment dans le rôled'Euryanthe_,
le succès le plus étoui'dissant. En 1830 elle se fit entendre
pour la première fois à Paris, et y reçut l'accueil le plus
distingué. A son retour en Allemagne, son passage dans les
grandes villes fut un véritable triomphe. L'année survante
elle traita pour une saison avec le Théâtre-Italien de
Paris ; mais elle n'y réussit cette fois que médiocrement.
Engagée pour la saison suivante (1832) à Londres, elle y
obtint en revanche tous les suffrages, et ses succès y fu-
rent tels qu'on voulut encore la revoir en 1833 et en 1837.
Les rôles qu'elle a joués avec le plus de succès sont ceux
des opéras de Fidelio, d'Euryanthe , de donna Anna, de la
Vestale, de Desdémone, d'Emmeline, de Romeo, de la Som-
nambule, deNormaet de Valentine. Sa voix est belle, pleine
de foixc et d'étendue, quoiqu'elle manque d'éclat métallique^
Mais jamais actrice n'eut à un plus haut degré le don de
l'expression et nesuten tirer un meilleur parti; aussi peut-on
hardiment dire que souslerappoi-f de la mimique comme de
la plastique elle est demeurée sans rivale. En 1849 elle était
attachée au théâtre de Dresde, lorsqu'elle épousa un riche
propriétaire iivonien, qu'elle a suivi en Livonie.
SCHUBERT (Frainz), l'un des plus grands musiciens
des temps modernes, naquit à Vienne, le 31 janvier 1797,
et en 1808 l'ut admis, en raison de la beauté de sa voix, au
nombre des enfants de chœur de la chapelle impériale. Au
bout de cinq ans de séjour dans la manécanterie, il apprit
avec tant de rapidité à jouer du piano et des instruments à
archet, qu'après quelques essais en qualité de premier violon
il ne tarda pas à être appelé à diriger l'orchestre de la cha-
pelle. 11 eut pour professeur de composition Salieri. Ses
études musicales terminées , il rentra dans la maison pater-
nelle, où il partagea son temps entre quelques leçons don-
nées en ville et la composition, attiré qu'il était dans cette
direction par la conscience de son génie en même temps que
oar sa remarquable facilité de production. Il s'essaya d'ail-
44
SCHUBERT — SCHWARZ
leurs dans (ous les genres; de sorte que ce qu'il composa
en fait d'opéras, de symphonies, de chœurs, d'ouvertures,
de cantates, de psaumes, de messes, de graduels, d'offer-
toires , de stabat matera d^allelida , de sonates, de trios,
de variations , de fantaisies , de rondeaux , de danses , de
marches, de quatuors, etc., dépasse presque toute croyance,
et prouve combien il y avait chez lui de puissance d'ima-
gination, en môme temps que d'infatigable ardeur pour
le travail. Ajoutons que c'est seulement dans ces derniers
temps que de consciencieux critiques ont signalé à l'at'ention
du monde musical étonné ce qu'il y avait d'original et de
tout à fait hors ligne dans les productions de ce véritable
génie, décédé à la fleur de l'âge , le 28 mars 1828, sans que
personne y eût pris garde. Dans sa célèbre symphonie en
fa diè-e,dans ses principaux morceaux pour instruments à
cordes et pour piano, Schubert s'est complètement iden-
tifié avec la manière de Beethoven. Il a son originalité, son
esprit poétique , son étonnante vérité d'expression , son
charme ravissant de mélodie, sa richesse d'imagination; et
s'il reste inférieur en quelques points à son immortel mo-
dèle , ce ne peut être que sous le rapport de la profondeur
de la pensée.
SCHUMACHER (Henhi-Christian), astronome cé-
lèbre, né en 1780, à Bramstœdt, en Holstein , fut nommé
en 1810 professeur agrégea Copenhague, en 1813 directeur
de l'observatoire de Mannheim, puis en 1815 professeur
titulaire d'astronomie et directeur de l'observatoire de Copen-
hague. En 1817 le roi de Danemark le cliargea de déter-
miner l'arc du méridien compris depuis le Lauembourg
jusqu'à Skagen, et depuis Copenhague jusqu'à la côte oc-
cidentale du Jutland, opération qui fut continuée en Hanovre
par Gauss. En 1821 la Société royale des Sciences de Co-
penhague le chargea de diriger les opérations nécessaires
pour dresser la carte du Holstein et du Lauembourg. Depuis
lors il résida toujours à Altona, où le roi Frédéric VI lui
avait fait con.struire un observatoire, petit, mais pourvu
d'excellents instruments. En 1824, d'accord avec le board
of longitude (bureau des longitudes) d'Angleterre, il mit
en rapport les mesures anglaises avec celles de Danemark,
en déterminant d'une manière précise la différence de lon-
gitude existant entre l'observatoire d' Altona et celui de
Greenwich. A cet effet un bâtiment à vapeur de l'amirauté
anglaise, à bord duquel se trouvaient vingt-huit chronomè-
tres anglais et huit danois, lut mis à sa disposition. Ses
Tables astronomiques (1820-1829) sont un remarquable
exemple d'éphémérides calculées avec précision. H a aussi
publié, depuis 1822, les distances très-précises qui séparent
les quatre planètes, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, de
la Lune. On doit surtout mentionner ici ses Nouvelles as-
tronomïques ( I8t3 et années suivantes ), recueil dont la pu-
blication se continue, qui est le seul mojen de communica-
tion existant entre les astronomes des différents pays, et qui
contient une foule de dissertations du plus haut intérêt.
Il avait également commencé, avec- la collaboration des
astronomes les plus distingués, notamment de Bes sel, la
publication d'un /lnnMaireas^rono?nJ7?te (Stuttgard, 1836).
Frédéric VII lui supprima le traitement considérable que
lui avaient assuré les rois Frédéric VI et Chrétien VIII ;
et le célèbre astronome se serait trouvé en proie à de grands
embarras si, à la demande de M. Struve, directeur de
l'observatoire de Pultava, l'empereur Nicolas ne lui avait
pas accordé une forte pension pour le restant de ses jours.
Schumacher ne put malheureusement pas profiter longtemps
de la noble générosité de l'empereur. Il niouiut le 28 dé-
cembre 1850.
SCHUMLA. Voyez Schoumla.
SCHUTT, nom de deux Iles que le Danube, par l'ac-
cumulation successive de son fertile limon, a formées dans
la basse plaine de la haute Hongrie, entre Fresbourg et Ko-
morn.
La Grande Schûtt (appelée en hongrois, Czallo Kœz,
c'i-'st-à dire la trompeuse, àcause de l'incessante mobilité du
fleuve), entourée par le bras du Danube qu'on appelle caa
Noire ou bras de Neuhaeusl, et par le bras dit le Grand Da-
nube (Ocrerj Duna), a 80 kilomètres de long, avec une lar-
geur moyenne de 15 à 30 kilomètres. Elle est parfaitement
plate, et, sauf de minimes exceptions, se compose d'un
terreau d'une fécondité sans pareille ; aussi l'a-t-on sur-
nommée le Jardin d'Or (Arany Kert) de la Hongrie. Elle
abonde en céréales , en fruits et en légumes de toutes es-
pèces, en oiseaux aquatiques et en oiseaux chanteurs, no-
tamment en rossignols de nuit. Les habitants se livrent aussi
à l'éducation du bétail et à la pèche. L'île dépend pour la
plus grande partie du comitatde Presbourg, pour une petite
partie de celui de Komorn, et pour une moindre encon; de
ceux de Raab et de Wieselburg, et contient deux cents villages
de population magyare. A son extrémité sud-est se trouve
la ville de Komorn, du comitatde laquelle dépendent
les bourgs de Guta, avec 5,600 habitants, et de Nagy-Megyer,
avec 1,800 habitants. Dans le comitat de Presbourg on
trouve le bourg de Sommerein ou Somorja, qui au quin-
zième siècle était une ville libre royale, aujourd'hui encore
centre d'un actif commerce, notamment en grains, avec
3,600 habitants; le village de lia's , célèbre par la victoire
que le général Reischach y remporta le 16 juin 1849 sur les
insurgés; le bourg de Ragy-Magyar ou Grossmngendorf,
siège d'un tribunal, avec 1,400 habitants, dont un tiers juifs;
le bourg iv. Szerhadely , aussi siège d'un tribunal, avec 700
habitants et de grands marchés à bestiaux, et le village de
BischdorJ {Puschdorfow Puspœki),!i\ec l,à00 habitants,
où en ilOà les Autrichiens battirent lesinsurgés de R a k ocz y.
La Petite Schiitt (en hongrois Sziget Kœz), située
entre le grand et le petit Danube {Kis Duna) ou Danube
de Wisselburg , en face et au sud-ouest de la Grande Schiitt,
est encore plus étroite, et n'a que la moitié de longueur.
Elle est également d'une extrême fertilité, et dépend des
comitats de Wiesselburg et de Raab, Dans ce dernier est situé
le bourg de Hedervar, avec 1,300 habitants, un beau châ-
teau, propriété des comtes Viczay, où l'on trouve une riche
bibliothèque, une précieuse collection d'armes, un jardin
botanique, etc.
SCHUTTERY, c'est-à-dire Soci(^;/^ de V Arquebuse, da
plat-allemand scutlhen, tirer. C'est le nom sous lequel,
dans les Pays-Bas , on désigne la milice nationale. Son ori-
gine est complètement la même que celle des sociétés de
Varquebuse qui au moyen âge s'établirent dans presque
toutes les contrées de l'Europe. L'état d'hostilité dans lequel,
à la suite des événements de 1830, le royaume des Pays-
Bas resta pendant plusieurs années à l'égard de la Belgique,
et qui nécessita un service constant et régulier des scfiut-
tery fonctionnant comme gardes nationales, donna un nouvel
essor à cette institution, et ne contribua pas peu à la déve-
lopper et à la perfectionner.
SCHUVVALOFF. Voyez Scnouw/VLOFF.
SCHWARZ (Berthold), moine franciscain allemand,
natif de Fribourg en Brisgau, qui s'occupait beaucoup de
chimie. Quoique en prison , à ce que rapporte la tradition,
pour de prétendus actes de sorcellerie, il n'en continua pas
moins ses travaux chimiques, et fut ainsi conduit à décou-
vrir la poudre à canon. Son nom véritable était, dit-on,
Constantin Ancklitzen ; le nom de Berthold était celui qu'il
avait pris en entrant en religion, et Schwarz (mot qui en
allemand veut dire noir ) n'était qu'un sobriquet qu'on lui
avait donné parce qu'il s'occupait de travaux chimiques.
Suivant quelques auteurs, c'était un franciscain de Mayence,
et suivant d'autres de Nuremberg. Les uns veulent qu'il ail
fait sa découverte à Cologne, et les autres à Goslar. On la fait
dater de 1330 environ; mais il en est qui la font remont(r
plus haut ou qui la placent plus tard. Il n'est cependant pas
douteux que la poudre était connue avant ce temps-là : le
mérite de Schwarz consista peut-être à en faire l'application
à la guerre et à la chasse. A la fin de 1853 un monument a
été élevé par la ville de Fribourg à la mémoire de BertboM
Schwarz.
SGHWARZBOURG — SCHWARZENBERG
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SGHWARZBOURG (Maison princière et souveraine
(to), l'iinedes familles les plus anciennes et les plus illustres
de l'Allemagne. Ce n'est toutefois que vers le milieu du
douzième siècle qu'on peut établir sa généalogie avec quel-
que certitude. Les documents historiques de cette époque
commencent avec Sizzo , comte de Schwarzbourg et de
Kœlernburg. L'aîné de ses fils, Henri, succéda à son père
comme comtedeScbwarzbourg; le second, Gunther, comme
comte de Ksefernburg. Henri étant mort en 1184, sans laisser
d'enfants, Guntlier hérita de Schwarzbourg. Il laissa deux
fils, dont l'un, GH«</<er, fut la souche de la maison des comtes
de Kaefernburg, éteinte en 1385, |)endant que l'autre, Henri,
continuait la ligne de la maison comtale de Schwarzbourg. Le
fds puîné de Henri XII , G uni her, fut en r3')9 élu roi des
Allemands ; maisil mourut la môme année. Son frère, Henri,
mort en 1335, continua la maison. L'un de ses descendants
à la septièmegénération, le comte Gunther XL de Schwarz-
bourg et d'Arnsladt, mort en 1552 et surnommé la Gueule
Grasse, à cause de ses richesses, est la souche des deux
lignes aujourd'hui encore existantes de la maison de
Schwarzbourg. Ses quatre fds, Gunther XLl, Jean Gun-
ther, Albert ai G2nZZaM??îe, établirent en I57t un règlement
de partage dans les successions de leur maison. Jean Gunther
devint le fondateur de la ligne de Schwarzbourg -Sonder-
hauscn, qui s'appela d'abord ligne d'y! rws/arfi ; et Albert,
la souche de la ligne de Schwarzbourg- Rudolstadt .
SCHWARZBOURG - RUDOLSTADT , princi-
pauté souveraine située enThuringe, et dont la superficie
est d'environ 12 myriamètrcs carrés. Les lieux les plus
remarquables sont Rudolstadt, résidence du prince souve-
rain, Kœnigssee, Frankenhausen, Blankenburg (1,381
hab.), Stadthelm (2,k(i7 hab.), et enûn Schwarzbourg,
berceau de la maison , vieux château (codai bâti sur un
rocher dominant le cours de la Schwarza. En 1852 la popu-
lation totale delà principauté était de 69,038 habitants,
qui, sauf un petit nombre de catholiques et quelques juifs,
appartiennent à la religion protestante. Le prince, qui exerce
une voix dans le petit conseil de la Confédération Ger-
manique de concert avec les princes d'Anhalt, de Sonder-
liausen et le grand-duc d'Oldenbourg, et qui jouit d'une
voix dans les assemblées plénières de la diète, est tenu de
fournira la Confédération un contingent de 539 hommes , et
avec la réserve de 809 hommes. Dès 181G la principauté ob-
tint des institutions constilutionnelles, basées sur le régime
représentatif; elles ont été modifiées parla loi de 1854, aux
termes de laquelle la diète du pays se compose de seize dé-
putés , dont trois nommés par les grands propriétaires, cinq
par les grandes villes et huit par les petites villes et les com-
munes. Leur mandat dure huit ans. Le budget soumis à la
diète en 1854 accusait un chiffre de 720,698 florins pour les
recettes, et les dépenses publiques, comprenant 100,000 flo-
rins de liste civile et 38,647 florins d'apanages, étaient cou
vertes.
SCHWARZBOURG-SOi\DERSHAUSEN, prin-
cipauté souveraine allemande, dont la superficie est d'en-
viron 12 myriamètres carrés. Les endroits les plus remar-
quables sont: S o?i de j'sAaMS e;i , résidence du prince;
ilrnstod^ , la plus grande ville du pays (6,000 habitants),
et Greussen (2,753 habitants). D'après le recensement de
1852,1a population totale s'élevait à 57,909 habitants. Le
prince de Schwarzbourg-Sondershausen , membre de la Con-
fédération Germanique, dans les assemblées plénières de la-
quelle il jouit d'une voix, tandis que dans le petit-conseil il
en exerce une autre en commun avec Schwarzbourg-Ru-
dolstadt, Oldenbourg et les principautés d'Anhalt, fournit à
l'armée fédérale un contingent de 500 hommes. La princi-
pauté jouit depuis 1841 d'institutions constitutionnelles, ba-
sées sur le régime représentatif. L'assemblée des états, aux
termes de la loi de 1854, se compose de dix-neuf députés, dont
quatre nommés à vie sur une liste de douze candidats pré-
sentés par l'assemblée. Le budget de 1852-1855 fixait la re-
cette à 510,000 florins, soaime moyennant laquelle les dé-
penses étaient couvertes. La dette publique portant intérêt
s'élevait à la fin 1852 à 347,278 florins. La liste civile du
prince est fixée à 120,000 florins.
SCHWARZENBERG , ancienne famille originaire de
la Franconie, et qui possède aujourd'hui le titre de prince ,
qui lui fut conféré en 1670, par l'empereur Léopold 1".
Adam deSchwarzenberg futcréé en \11^ duc de Krumau,
en Bohême, titre que porte depuis lors l'aîné de la famille.
Depuis 1703 cette maison se divise en deux lignes : l'une ,
qui possède les seigneuries de Schwarzenberg et dellohen-
landsberg, de Wilhelmsdorf et de Markbreit, sous la sou-
veraineté du roi de Bavière, plus le duché de Krumau en
Bohême, et d'autres domaines en Bohême et en Slyrie, en-
semble d'une superficie de plus de 40 myr. carrés , avec une
population de 262,000 âmes ; l'autre, qui est propriétaire de
la seigneurie de Worlick et de Klingenberg en Bohème, et
de divers autres domaines situés en Hongrie. La première
ligne a aujourd'hui pour chef le prince Joseph de Schwar-
zenberg, né le 22 mai 1799, marié en 1830, à Éléonore,
fille du prince Maurice de Liechtenstein. Il succéda en 1833
à son père, dont la femme, Pauline, fille du duc d'Arenberg,
périt dans l'incendie de la salle de bal, au milieu d'une fête
donnée à Paris par son beau-frère, le prince Charles de
Schwarzenberg, à l'occasion du mariage de Napoléon avec
Marie-Louise. Son frère cadet était le prince Félix de
Schwarzenberg, né le 2 octobre 1800, homme d'État autri-
chien des plus remarquables , qui joua un grand rôle dans
les événements de 1848 et 1849, mort d'apoplexie, le 5 avril
1852. Un troisième frère, JeanJoseph-Célestin de Schwar-
zenberg, né le 6 avril 1809, promu cardinal-prêtre le 24
janvier 1842, est depuis 1849 prince-archevêque de Prague.
La seconde ligne a pour chef le prince Frédéric-Charles
DE Schwarzenberg, né en 1800; il a succédé en 1820 à son
père le feUl-maréchal Schwarzenberg, qui prit une si grande
part aux diverses guerres de l'Autriche contre Napoléon, et
mourut à Leipzig, en 1820, en se rendant aux eaux. Une at-
taque d'apoplexie l'avait en partie paralysé depuis 1817. Le
prince Frédéric-Charles n'est pas marié, et a toujours mené
une vie assez agitée. Il a fait imprimer, d'après un manu.s-
crit, un ouvrage intitulé : Extrait du Journal d'' un lanz-
knecht co«5redie(4 vol.. Vienne, 1844; 2" édition, 1846).
Son frère cadet, Charles- Philippe de Schwarzenberg, né
en 1802,est feld-maréchal-lieutenantet gouverneur civil et
militaire de la Transylvanie. Un troisième frère , Edmond
deSchwarzenberg, est également feld maréchal-lieutenant,
SCHWARZENBERG (CHAKLES.PniLiPCE, prince de),
duc de Kriimau, et feld-maréchal des armées autrichiennes,
naquit à Vienne, le 15 avril 1771. Il commandait en 1793
une partie de l'avant-garde du prince de Cobourg, et il se
distingua, le 26 avril 1794, à l'affaire du Càteau-Cambrésis.
En 1796 il fut nommé colonel, et après la victoire de
Wurzbourg major général. En 1799 il passa feld-maréchal
lieutenant, et le 3 décembre 1800 il sauva, à la bataille de
Hohenlinden, le corps auquel il était attaché. Dans la mal-
heureuse campagne de 1805 il avait une division sous ses
ordres, et commandait à Ulm l'aile droite de l'arujée autri-
chienne. Ce fut contre son avis que la bataille d'Austerlitz
fut livrée avant l'arrivée de Bennigsen et du corps com-
mandé par l'archiduc Charles. D'après le vœu de l'empe-
reur Alexandre, il fut nommé ambassadeur auprès de ce
monarque en 1808. Son poste devint extrêmement délicat
dans le courant de 1809, lorsque la guerre fut de nouveau
déclarée à la France par l'Autriche, Schwarzenberg quitta
Saint-Pétersbourg, assista à la bataille de Wagram , et com-
manda l'arrière-garde dans la retraite de Znaïm. 11 fut alors
nommé général de cavalerie. Après la paix de Vienne, il fut
nommé ambassadeur à Paris, et dirigea en cette qualité les
négociations qui aboutirent au mariage de l'archiduchesse
Marie- Louise avec Napoléon. Les contemporains ont gardé
le souvenir d'une fête magnifique donnée par lui à cette
occasion, fête troublée par un effroyable incendie, qui con-
suma en quelques minutes une salle de bal improvisée dans
46 SCHWARZENBERG
le jardin de son hôte!, situe rue du Mont-Blanc. Sa cousine,
la princesse Pauline de Schwarzenberg , périt au milieu de
cet incendie; et ce ne tut pas sans peine que Napoléon parvint
à arracher Marie-Louise aux flammes qui déjà l'entouraient
de toutes parts. C'est à la demande expresse de Napoléon
que le gouvernement autrichien lui confia, en 1812, le com-
mandement du corps d'armée de 30,000 hommes qu'il s'était
obligé à mettre à la disposition de la France contre la Russie.
Ces forces se rassemblèrent en Gallicie , passèrent le liiig
dans les premiers jours de juillet, et s'emparèrent de la
formidable position de Pinsk. Au mois d'août , il remporta
quelques avantages sur Tormassoff; mais au mois d'octo-
bie, après la jonction de ce dernier avec Tschitschakoff ,
il fut obligé de se retirer sur le territoire du grand-duché
de Varsovie. Il est présumable que des instructions secrètes
rendirent dès lors sa coopération négative. Son armée
resta jusqu'en février 1813 dans la position de Pultusk , et
l'armistice qu'il conclut alors assura la retraite des Français.
C'est à cette campagne que Schwarzenberg dut son bâton
de feld-maréchal , que l'empereur d'Autriche lui donna, à
la demande expresse de Napoléon. Il vint au mois d'avril
à Paris , et à son retour on lui confia le commandement
de l'armée d'observation qui se concentrait dans les
montagnes de la Bohème, et qui, après la déclaration de
guerre de l'Autriche, se réunit aux forces prussiennes et
russes. Schwarzenberg fut alors nommé généralissime des
armées coalisées. Quoiqu'il fût numériquement supérieur
aux masses que la France pouvait opposer à ses ennemis,
l'issue de la guerre n'en fut pas moins pendant quelque
temps douteuse. La première opération contre Dresde ne
fut pas heureuse , et , sans la catastrophe de Vandamme à
K u 1 m , il est probable que la campagneeùt eu un tout autre
résultat. C'est sous les ordres de Schwarzenberg que l'ar-
mée autrichienne franchit le Rhin et viola la neutralité de
la Suisse pour envahir la France. Au retour de Napo-
léon de l'ile d'Elbe , Schwarzenberg passa de nouveau le
Rhin à la tête des Russes et des Autricluens. La même
année il reçut la présidence du conseil supérieur de la
guerre , plusieurs terres en Hongrie , et l'autorisation de
porter les armes d'Autriche sur sou écusson. En 1817 il
éprouva une attaque de paralysie , des suites de laquelle il
mourut, à Leipzig, en 1820. En 1799, il avait épousé la prin-
cesse douairière d'Esterhazy, née comtesse de Hohenfeld.
Ses talents militaires ont été mis en doute par plusieurs
hommes de guerre. Napoléon disait qu'il n'était pas capable
décommander 6,000 hommes. On lui a adressé bien des
reproches sur les dispositions qu'il prit à la bataille de Leip-
zig ; on a dit qu'il manqua d'énergie et de sang-froid dans
les plaines de Champagne , en 1814; mais pour bien le juger
il faudrait connaître à fond tous les motifs diplomatiques
auxquels il était contraint de conformer sa conduite.
SCHVVARZWALD. Voyez Forêt Noire.
SCIIVVEIGILEUSER (Jean), l'un des philologues les
plus savants et les plus laborieux des temps modernes, né à
Strasbourg, en 1742, étudia pendant quelque temps les langues
orientales à Paris, puis entreprit des voyages à l'étranger à
l'effet de perfectionner ses connaissances. A son retour à
Strasbourg, il y enseigna la logique et la philosophie. Nommé,
en 1778 , professeur des langues grecque et orientale, il se
voua dès lors exclusivement à l'étude de la littérature an-
cienne. Toutefois, la révolution vint interrompre ses tra-
vaux pendant quelque temps. Plus tard, il obtint une chaire
à l'école centrale du département du Bas-Rhin, et en 1816
il fut nommé membre de l'Académie des Inscriptions. Son
grand âge et la faiblesse de sa vue le forcèrent de renoncer
au professorat en 1824, et il mourut à Strasbourg, le 19
janvier 1830. Il s'est fait un nom durable dans le monde
savant passes excellentes éditions d'Appien (Leipzig, 1785),
de Polybe ( 1789-1795), du Manuel d'Epictète et des Tables
de Cébès ( 1798); des Epictetcx Philosophiae Monumenta
( 1799-1800), d'Athénée ( Strasbourg, 1801-1807 ), des Epis-
tolas de Sénèque (Deux-Ponts et Strasbourg, 1809), et
— SCHWEINICHEN
surtout d'Hérodote ( Strasbourg et Paris , 1816 ), suivi d^in
Lexicon Herodoteum (Paris, 1824). On a réuni, sous le
titre d'Opiiscula academica, quelques-unes de ses plus
intéressantes dissertations (Strasbourg, 1806, 2 vol.).
Son fils, Jean -Geoffroy SciiwEicn.cusEB, né à Stras-
bourg, en 1776 , remplit à l'époque de la révolution divers
emplois administratifs, et s'occupa plus tard , à Paris, de
travaux littéraires. En 1810 il fut adjoint à son père comme
professeur à la faculté des lettres de Strasbourg. U a publié
en société avec Petit-Radel les Monuments antiques du
Mxisée Napoléon (Paris, 1806), et avec M. de Golbéry
les Antiquités de V Alsace ( 1823).
SCHWEINGRABEIV. Foyes Diable (Mur du).
SCHWEIIV'ICHEN ( Hans, chevalier de), gentil-
homme silésien, qui, par suite de ses rapports avec les ducs
Henri et Frédéric de Silésie-Liegnitz, parcourut la plus
grande partie de l'Empire, et participa à une foule d'aven-
tures du duc Henri. Il a laissé un curieux journal, où il
tient un compte exact, jour par jour, de ce qui lui arrive et
de ce qui se passe sous ses yeux. Ce journal contient de pré-
cieux matériaux pour l'histoire des mœurs en Allemagne au
seizième siècle. Né le 25 juin 1552, au château de Grœ-
disberg, on l'envoya à l'âge de neuf ans, selon la coutume
de l'époque, apprendre à lire et à écrire chez le sacristain
de son village : et en même temps il gardait les oies pater-
nelles. A dix ans son père le conduisit à la petite cour de
Liegnitz, où il fut élevé avec le fils du duc , que l'empereur
dut plus tard faire interdire et enfermer comme prodigue.
Quatre ans plus tard on le plaça au collège de Goldberg, où
il apprit tant bien que mal à baragouiner un peu de latin.
En 1567 il entra au service du duc Henri XI de Liegnitz ,
qui avait succédé à son père Frédéric. Il entreprit avec ce
prince écervelé divers voyages en Pologne et autres lieux.
Enfin, il l'accompagna en qualité de gentilhomme de la
chambre dans ses pérégrinations à travers l'empire, acqué-
rant, dit-il, dans cette tournée, /orce connaissances pra-
tiques , attendu qu'il se fit un grand renom comme intrépide
buveur. Ils gagnèrent d'abord le pays de Mecklembourg,
puis de là le Luiieboiirg et Dresde, d'où ils s'en retournè-
rent en Silésie. Après cela ils partirent pour la Pologne,
puis gagnèrent par la Bohême et Prague le sud de l'Alle-
magne , où ils séjournèrent pendant longtemps à Augs-
bourg , à Heidelberg , à Strasbourg et autres villes , jouissant
avec son maître d'une foule de plaisirs bien bruyants , mais
suivis de quarts d'heure de Rabelais plus désagréables les
uns que les autres, parce que le duc Henri n'avait jamais
su calculer avec lui-même quand il s'agissait de dépenses.
Le père de Schweinichen ayant répondu personnellement de
certaines dettes du duc de Liegnitz, les créanciers de ce
prince firent saisir et vendre son manoir. Le duc lui-même
se vit un beau jour appréhendé au corps comme un vilain
et mis en prison pour dettes. Quant à Hans de Schweinichen,
il dut s'estimer encore trop heureux de pouvoir s'échapper
et de regagner pédestrement son village, en 1577. Il trouva
son père mort, et le domaine paternel vendu. Le frère du
duc, qui avait pris les rênes du gouvernement, voyait de
fort mauvais œil un homme qui avait été le compagnon de
vagabondage de son frère. Mais en vertu d'un ordre de l'em-
pereur il fut enfin permis au duc Henri de revenir en Silésie;
et Schweinichen de recommencer alors auprès de lui sa vie
d'abnégation et de dévouement, le suivant en tous lieux, exé-
cutant avec une scrupuleuse ponctualité toutes les commis-
sions dont il le charge , et surtout lui tenant bravement tête
quand il s'agit de vider pintes et brocs. Son maître et sei-
gneur ayant de nouveau été privé de sa liberté , mais cette
fois par décision de l'empereur, Schweinichen se trouva sur
le pavé; pour vivre il se mit fermier. Le duc Frédéric,
touché, finit par lui pardonner le passé, et le nomma son
grand-maréchal. Il accompagna ce prince en Holstein,
et mourut en 1616. Busching a publié son journal, sous le
titre de : Vie et Aventures de Hans de Schweinichen ^
chevalier silésien (3 vol., Leipzig, 1823).
SCHWEIUN — SCIATÉRIQIIE
SCH-WERIIV, principauté qui fait aujourd'iiui partie
du grand -duché dcMecklembourg-Scliwerin, avec
lequel il faut aussi peu la confondre qu'avec l'ancien comté
de Schwerin, qui fait également partie du grand-duclié.
C'était autrefois un desévôcliés fondes parH en ri le Lion,
qui fut supprimé par la paix de Westpiialie et adjugé comme
principauté séculière au duc de Mecklembourg à titre d'in-
demnité pour la seigneurie de Wismar, qu'on lui faisait
céder à la Suède. Sa surface était de 56 kilomètres carrés,
et elle avait pour chef-lieu Dutzow, résidence de l'évêque.
SCIlWERIiV, capitale du grand-duché de Mecklem-
bourg-Schwerin, siège des diverses autorités supérieures du
pays , est située dans une très-belle contrée , sur les bords
du grand et poissonneux lac de Schwerin, et est divisée en
vieille ville , ville neuve, et faubourg. La ville neuve
forme, à bien dire, une ville à part, et dépend de la principauté
de Schwerin, mais elle ne fait plus aujourd'hui avec la
vieille ville qu'une même commune. Schwerin est une ville
bien bâtie, et compte 18,000 habitants. On y trouve une
catliédrale , un collège, deux églises protestantes , une église
catholique, un théâtre et un arsenal. Le château, résidence
du grand-duc , est bâti dans une île au milieu du lac. On le
reconstruit en ce moment, sur un plan plus grandiose. Les
étrangers doivent visiter la galerie de tableaux du grand-
duc , le cabinet de médailles et d'antiquités, et le beau parc
du château.
SCHWERIN (Famille de), l'une des plus anciennes
et des plus riches de la Pomcranie, dont il est question dans
l'histoire de cette province dès les premiers temps de l'in-
troduction du christianisme, aujourd'hui répandue en Meck-
lembourg, en Prusse, en Pologne, en Suède et en Cour-
lande, où elle jouit partout de la plus haute considération.
Au dix-septième siècle elle ne formait pas moins de vingt-deux
lignes , dont quatre seulement subsistent aujourd'hui , celles
de Walsleben , de Wildenhoff, de Schwerinsburg et de
Willmersdorf. La ligne de Schwerinsburg, qui date du
seizième siècle, a aujourd'hui pour chef le comte Maximilien
de Schwerin.
SCHWERIN (Maximilien, comte de), homme d'État
prussien, né le 30 décembre 1804, à Boldekow , manoir de
sa famille, situé en Poméranie, entra dans l'administration
après avoir étudié aux universités de Berlin et de Heidel-
berg. Mais il abandonna bientôt cette carrière pour vivre
dans ses terres. En 1847 il fit partie de la diète provinciale, où,
malgré le ministère, il fit décider que la capacité électorale
appartiendrait à tous les chrétiens, sans distinction de com-
munion. Appelé le 19 mars 1848 à faire partie du ministère
Arnim, il y prit le portefeuille des cultes. Mais à la suite d'un
conflit provoqué au sein même du ministère par la proposi-
tion Wachsmuth-Waldeck relative au projet de constitution,
il donna sa démission, le 17 juin suivant. Membre de la
seconde chambre, il a pris depuis lors la part la plus active
aux délibérations de cette assemblée , qui à chaque session
lui défère les honneurs de la présidence.
SCHWERTHALER. Voyez Couronne.
SCHWYZ, l'un des trois cantons primitifs et l'une des
quatre villes dites forestières , d'où tout le territoire de la
Confédération Helvétique a reçu le nom de Suisse, et
dans l'ordre des rangs le cinquième canton de la Confédéra-
tion. H est situé entre Uri, Glaris, Saint-Gall, Zug, Lucerne
et Unterwald; et sur une surface de 12 niyriamètres carrés,
divisée en 6 arrondissements et ?.9 communes, compte
44,168 habitants, tous catholiques, à l'exception de 135
protestants. Le sol est montagneux , mais on n'y trouve ni
glaciers ni cimes couvertes <le neige (voyez Rici). C'est
dans ce canton qu'est situé le lac de-Lowerz. L'agriculture
alpestre est la principale occupation de cette population de
pasteurs qui habite les arrondissements anciens et inté-
rieurs, qui pendant longtemps repoussa les innovations
même les plus salutaires , et qui était demeurée au degré le
plus infime de la culture intellectuelle. A côté des anciens
habitants privilégiés (altgefreilen Schwyzein ) demeuraient
47
dans les arrondissements extérieurs les nouveaux paysans,
appelés hommes liges ]u9,qu en 1798. Des 1831 il éclata des
troubles dans cette partie du canton, |)arce que les habitants,
s'appuyaut sur l'acte fédéral, prétendaient à l'égalité de
droits politiques avec les anciens habitants. A la suite d'une
crise extrêmement prolongée, qui nécessita môme pendant
quelque temps l'occupation des arrondissements intérieurs
parles forces fédérales , la constitution du 13 octobre 1833
fut enfin acceptée pour régir le canton tout entier. Mais les
élections donnèrent une majorité décidée aux anciens habi-
tants privilégiés, et dès lors les réclamations élevées par les
arrondissements extérieurs contre les violations de la consti-
tution dont ils étaient victimes furent incessantes. Il surgit
en outre alors dans les arrondissements intérieurs la querelle
des cornes et des griffes, c'est-à dire l'éternelle inimitié des
riches et des pauvres. C'est ainsi que, le 8 mai 1838, des
voies de fait eurent lieu dans une assemblée tenue à Rothen-
thurm, les griffes et les habitants des arrondissements exté-
rieurs s'étant vus obHgés d'y jouer du couteau. Ce ne tut
(lu'à grand'peine que les commissaires de la Confédération
parvinrent à opérer le désarmement des deux partis , et à
convoquer une nouvelle assemblée, dans laquelle les anciens
habitants conservèrent la majorité. A partir de ce moment
le canton de Schwyz, où retentissaient des plaintes conti-
nuelles sur la mauvaise administration de la justice et sur
un vaste système de corruption, fit décidément partie des
cantons ultramontains. La constitution fut une démocratie
absolue, et le pouvoir suprême appartint à l'assemblée qui
se réunissait tous les deux ans. Schwyz lut un des membres
les plus zélés du Sonderbund. Après la dissolution de cette
ligue, le canton reçut, le 18 février 1848, une nouvelle cons-
titution , qui le fit entrer dans les rangs des démocraties
représentatives. L'assemblée générale (landgemeind) dis-
parut, mais il subsiste encore des assemblées d'arrondisse-
ment et de cercle. A la tête du pouvoir législatif est un conseil
cantonnai de quatre-vingt-un membres élus par le peuple dans
treize assemblées de cercle ,dont les pouvoirs durent quatre
ans, mais qui se renouvelle tous les deux ans par moitié.
Le pouvoir exécutif et administratif est exercé par un con-
seil de gouvernement de sept membres, présidé par un land-
amman. La justice est rendue en dernière instance par un
tribunal de canton et un tribunal criminel, composés l'un de
treize membres et l'autre de cinq, chacun avec autant de sup-
pléants. Depuis l'établissement de la nouvelle constitution,
Schwyz est à tous égards en voie de progrès. Sous le rapport
religieux, ia canton, avec une abbaye, cinq couvents et
trente cures, dépend de l'évêché de Coire. Les localités les
plus importantes sont: 1° Schwyz, bourg de 5,432 habi-
tants , dont les maisons sont toutes dispersées, bâti au pied
du Mythen (haut de 1,957 mètres), siège du gouvernement
et où de 1838 à 1847 les jésuites eurent un collège, où l'on
comptait plusieurs centaines d'élèves. Tout près de là on
trouve le village de Steinen, qu'habitait Werner Stauffa-
cher, et les bains de Sewen , pittoresquement situés au pied
du Rigi; 2° Gersau ; 3° Lachen , sur le lac de Zurich;
4° Einsiedeln; 5° Kussnacht; 6° Brunnen, bourg sur le
lac des quatre villes forestières, grand entrepôt du commerce
qui se fait par le mont Gothard. C'est là qu'après la journée
de Morgailen Ury , Schwyz et Unterwalden se jurèrent une
alliance éternelle.
SCI AGRAPHIE (du grec (Txtdt, ombre, et ypàçto , j'é-
cris, je trace). Les Grecs employaient le mot sciagraphie ,
ou peinture des ombres, dans le sens que nous donnons aux
mots clair-obscur.
En termes d'architecture, ce mot est quelquefois employé
pour désigner la représentation de l'intérieur ou la coupe
d'un édifice ; et alors il signifie littéralement description avec
les ornbres.^
SCIATÉRIQUE (du grec axid, ombre, et -rripàv ,
observer). On a autrefois donné ce nom à la gnomonique
ou science des cadrans solaires, parce qu'elle enseigne à
déterminer l'heure par le moyen de l'ombre d'un style. Mo*
48
lineux s'e^t servi de ce mot, pris adjectivement, ponr dé-
signer une espèce de télescope ou cadran horizontal garni
d'une lunette, qu'on emploie pour observer le temps vrai,
soit pendant le jour, soit pendant la nuit, et pour régler les
horloges.
SCIATIQUE (du latin ischialicus, dérivé du grec
la^io^ , iianc"he), mot formé par contraction de ixchiati-
que, dont on se sert encore dans plusieurs cas. 11 désigne
tout ce qui a rapport à la hanche, à l'os ischion, aux nerfs,
artères , veines , tubérosités sciati(iues ( voyez Cuisse ).
SCIATIQUE KER YEUSE , GOUTTE SCIATIQUE
ou NÉVRALGIE SCIATIQUE. Voyez Névralgie.
SCIE ( Ichthyologie), poisson de la famille des sélaciens,
présentant un corps allongé, aplati et sans écailles, et un
long museau déprimé, armé de chaque côté de fortes
épines osseuses, pointues et tranciiantes, implantées comme
des dents. C'est cette arme puissante qui lui a valu son
nom.
SCIENCE (du latin scie«iia, dérivé descire , savoir).
L'Académie défmit ce mot « savoir qu'on acquiert par la
lecture et la méditalion » ; nous croyons qu'il eût fallu
ajouter, pour compléter la définition, « et dont les seules
bases solides sont dans l'observation consciencieuse des
faits. »
Dût-on nous reprocher de ne pas comprendre la science
comme quarante de nos illustres conirères, nous ne croyons
pas que la lecture et la méditation suffisent podr la donner.
Qui n'aurait lu que certains livres et médité seulement sur
ce que ces livres contiennent pourrait savoir beaucoup, mais
ne pas avoir la science ; et qui n'ayant jamais lu aurait
beaucoup observé et cultivé son entendement par l'observa-
tion et la comparaison d'un grand nombre de faits pourrait
être un véritable savant, sans avoir beaucoup de lecture. On
peut donc savoir beaucoup et n'avoir pas la science , mais
on n'a pas la science sans beaucoup desavoir : ce sont deux
choses qui s'acquièrent conjointement, mais qui n'en demeu-
rent pas moins fort différentes. L'une s'entend de tout ce
qu'on peut entasser dans sa mémoire, l'autre seulement de ce
que l'on y admet méthodiquement après examen. Le savoir
peut être vain, quoique immense. La science, de sa nature, est
nécessairement réelle et solide ; où cesse la démonstration et la
certitude, elle cesse également ; fruit de l'expérience, elle n'a-
vance qu'autant qu'elle est guidée parle flambeau de la vérité.
L'évidence est ce miroir allégorique placé dans ses mains
par l'ingénieuse antiquité , et dans lequel se regarde un ser-
pent, antique emblème de la sagesse. Tout corps de doctrine
qui n'a pas l'irréfragable positif pour point de départ, avec
le plus rigoureux raisonnement pour guide dans l'examen
des faits, ne saurait être considéré comme science : celui qui
le posséderailà fund serait un hommedocte, mais neserait pas
un savant. On a souvent abusé du nom de science en l'éten-
dant à des amas d'erreurs, que les bons esprits repoussent, et
dont conséquemment nous n'occuperons point des lecteurs
que nous respectons trop pour nous entretenir avec eux de
choses vides {voyez Ignorance).
BORY DE Saint-Yincent, de l'Acadcmie des Science*.
C'est de la raison commune que nous avons reçu les con-
naissances mises en ordre par l'esprit d'analyse. L'esprit
d'analyse est essentiellement juste et nullement aventureux ;
il s'arrête aux limites de la vision distincte. Quoiqu'il évalue
scrupuleusement les degrés de vraisemblance qui portent le
nom très-peu convenable de probabdilé ( comme le vrai
seul peut être proî<yd , il est réellement seul probable), \\
ne suit point celte lueur trop souvent insidieuse, et n'est
satisfait que de ce qui réunit tous les caractères des vérités
constatées. La définition des sciences se trouve préparée
dans ce qu'on vient de dire ; elles sont en effet des systè-
mes de connaissances mises dans l'ordre déterminé par leurs
analogies et leur dépendance mutuelle. Il y a donc autant
de sciences diverses que l'on peut former de systèmes ou
groupes dont l'ensemble et les détails soient intimement
liés. On doit même en compter quelques-unes de plus, car
SCIATÉRIQUE — SCIENCE
il en est qui échappent à nos classifications, mais qui se.
révèlent par les effets qu'elle produisent, et qu'on ne peut at-
tribuer à nul autre ensemble de connaissances. Telle est ,
par exemple, la science du inonde, que certaines person-
nes possèdent très-bien, et qui les dirige avec sûreté du-
rant tout le cours de leur vie , quelles que soient leurs re-
lations avec les sociétés qu'elles fréquentent. On ne peut
douter que, par une suite d'observations très-délicates, cha-
cune de ces personnes n'ait acquis et coordonné des con-
naissances exactes, dont l'ensemble constitue réellement une
science, et dont on voit l'application dans leur conduite.
Vhistoire naturelle est certainement une science, quoi-
qu'elle ne soit pas complète, et que nous ne soyons pas
même en état de comparer, quant à leur importance, ses
possessions actuelles à ses futures acquisitions. Si elle ap-
prochait du terme où elle doit s'arrêter, les naturalistes se-
raient aussi parvenus à ranger les faits connus suivant l'or-
dre de leurs analogies, et cette disposition fait une partie
importante de la science. Outre les secours qu'elle offre à
la mémoire , elle seconde les opérations du jugement en
signalant d'avance des relations qu'elle dispense d'étudier.
Mais si les laits n'étaient qu'en petit nombre , très-divers ,
remarquables en raison de leurs différences essentielles et
caractéristiques , plutôt que par des analogies fondées sur
des subtilités métaphysiques , il serait au moins inutile de
les classer méthodiquement, de créer des mots pour cette
classification, dont l'intelligence ne peut tirer aucun parti.
Ce simulacre de savoir a pourtant usurpé une place dans
l'enseignement public; une méthode analogue à celle des
naturalistes a distribué les sciences avec une habileté digne
d'un meilleur emploi ; la mémoire des auditeurs a pu se
charger de cette sorte d'instruction , mais leur intelligence
était dispensée d'y prendre part, car elle ne leur offrait
rien qui méritât le nom de connaissances.
Cependant, quelques divisions des sciences se présentent eu
quelque sorte spontanément, et seront admises sans récla-
mation : on sait, par exemple , que , malgré quelque res-
semblance de noms , les sciences historiques et chronolo-
giques sont soumises à d'autres lois que l'histoire naturelle
et l'ordre des révolutions éprouvées par notre globe ; on
ne comparera point les monuments géologiques à ceux que
les peuples ont construits.
Les mathématiques donnent beaucoup aux autres
sciences, et n'en reçoivent rien en échange; elles marchent
seules, et, quel que soit l'espace qu'elles ont encore à par
courir dans leur carrière, elles arriveront au terme par leurs
propres forces.
Les sciences physiques ne jouissent point de cette indé-
pendance; le secours des mathématiques leur est indispen-
sable , et des relations intimes et fréquentes avec les scien-
ces chimiques sont également profitables aux unes et aux
autres. D'ailleurs , point de contestations au sujet des li-
mites et des droits respectifs; les attributions sont claire-
ment désignées, et chaque section scientifique est satisfaite
de son lot.
Entre Xa politique et la «loraZe, il faudra peut-être pro-
noncer le divorce, et tracer fortement la ligne de séparation
entre les domaines de l'une et de l'autre. La morale déiive
de la nature de l'homme et de ses facultés ; elle est donc
immuable, indé[iendante des lieux et des temps. La poli-
tique n'a point cette fixité; science des gouvernements, elle
adopte comme principes des intérêts qui ne sont ni unifor-
mes ni constants , et peut passer des doctrines de Platon à
celles de Machiavel. Cependant, les travaux de législation
exigent le concours de l'une et de l'autre, quoique la mo-
rale y prenne la plus grande part. Dans le cas où elle ne
s'accorde pas avec la politique , les débats sont terminés à
l'amiable , au moyen de concessions réciproques.
Pour débrouiller le chaos des sciences philologiques , il
faudrait que l'on eût fait assez de progrès dans la connais-
sance des facultés intellectuelles de l'homme. En attendant
que nous soyons éclairés par ce foyer de lumières , les éru'
SCIENCE — SCIENCES
49
dits continueront leurs dissertations philoiogiq\ies , encom-
breront de plus en plus l'espace à déblayer, et rendront plus
pénible l'extraction des matériaux scientiliques renfermés
dans cette mine. D'autres exploitations non moins produc-
tives trouveront sans doute des savants assez courageux
pour les entreprendre et les continuer avec persévérance.
Presque toutes les sciences sollicitent ces travaux d'épura-
tion , qui les feront paraître dans tout leur éclat, hâteront
leurs progrès , et surtout leur propagation. Surchargées d'un
énorme bagage, comme elles le sont actuellement, l«ur
marche se ralentirait de plus en plus si l'on ne prenait soin
de les alléger. Il s'agit de les débarrasser de ce qui leur est
étranger, et non de les tronquer pour les emprisonner dans
de petits volumes : la révision que l'on demande ne peut
être faite que par des esprits éminemment analytiques; elle
conserverait tout, corrigerait seulen>ent les déplacements,
les défauts d'organisation, et rendrait ainsi le corps plus ro-
buste et plus agile ; les mouvements seraient exécutés avec
aisance, et ne paraîtraient plus difficiles; les sciences se pro-
pageraient alors avec une rapidité dont nos livres et nos mé-
thodes d'enseignement ne peuvent nous donner une idée.
Quant aux sciences purement spéculatives , s'il faut en
admettre, elles ne peuvent être qu'un luxe intellectuel, ser-
vant tout au plus à déguiser sous une apparence décevante
une disette trop réelle du simple nécessaire. Les bons es-
prits ne sont pas séduits par ces illusions, et ils vont tout
droit à Vutile , qui n'est pas non plus sans quelques charmes.
Tous ceux qui ont cultivé les sciences avec quelque succès
sont réputés savant s ; mais ce titre est décerné plus spé-
cialement à ceux que recommande une profonde érudition.
L'Allemagne est peut-être la contrée de l'Kurope qui en
compte le plus, en comparant des populations égales; le
second rang paraît occupé par l'Italie , et la France ne se-
rait tout au plus qu'au troisième. Ferry.
L'histoire des sciences se lie à tous les temps , et quand
on voit l'intérêt que nous mettons à réclamer pour nous-
mêmes la priorité de certaines découvertes contre les pré-
tentions d'une nation voisine, notre rivale de gloire, avec
quelle sollicitude ne suit-on pas ces recherches actives et
fécondes sur des peuples longtemps méconnus , qui reparais-
sent peu à peu avec leur brillant cortège de conquêtes intel-
lectuelles, et qui reprennent leur véritable rang dans les
annales du monde I A chaque instant nous sommes obligés
de reconnaître, devant les preuves irrécusables que l'éru-
dition nous oppose, que les inventions même les plus bril-
lantes n'appartiennent pas toujours aux auteurs auxquels
on en faisait honneur. Combien dans ces derniers temps
n'a-t-on pas révélé de faits nouveaux puisés dans les tra-
vaux de l'école arabe , et dont on n'avait aucune idée ! Ici
des progrès dans les sciences mathématiques que l'on s'é-
tait accordé à lui dénier, là- une détermination exacte d'une
inégalité de la lune (la variation), qui foruiaitl'un des plus
beaux titres de gloire de l'un des astronomes les plus célè-
bres de l'école moderne, et qui six cents ansauparavant avait
été obtenue pour la première fois à Bagdad. C'est assurément
par de tels résultats que les études philologiques se recom-
mandent à l'attention des hommes sérieux , et la science
s'honore elle-même en les enregistrant.
Déjà {'histoire des sciences a eu de nobles interprètes ;
nous ne les énumérerons pas : qu'il nous suffise de dire
que les ouvrages immortels des Lalande, des Delambre et
des Montucla ; le livre, si complet, de l'Italien Andrès, les
études nouvelles de M. Chasles, le géomètre, sur l'histoire
des mathématiques , sont des monuments que l'on consulte
sans cesse, et qui prouvent incontestablement que les dé-
couvertes scientifiques qui font la gloire d'un pays ont be-
soin , pour conserver leur éclat, d'avoir leur historien.
SÉDILLOT.
SCIE^'CE MILITAIRE. FoyesMiLiTAmE (Science).
SCIEINCES (Académie des). Elle fut fondée en 16GG,
par Colbert, et soumise à la même organisation que l'Acadé-
ude des Inscriptions. Ses membres furent d'abord partagés
nier. DE LA CONVERS. — T. XVI.
en quatre classes : les membres honoraires, les membres
effectifs , qui recevaient des émoluments, les associés et les
élèves ; la première se composait de dix membres , et les
trois autres de vingt chacune Le roi choisissait le président
dans la première classe; le secrétaire et le trésorier étaient
pris dans la seconde. Le régent supprima les élèves , et créa
deux nouvelles classes, l'une de douze adjoints, l'.iutre de
six associés. Ces derniers n'avaient pas besoin de se vouer
à l'étude spéciale des sciences. On établit un vice-président,
choisi parmi les membres honoraires, un directeur et un
sous-directeur, qui devaient être membres effectifs. En 1785
on ajouta de nouvelles classes, et le total en tut alors de
huit. Les nouvelles étaient en faveur de l'histoire naturelle,
de l'agriculture , delà minéralogie et de la physique. Cette
Académie a rendu de grands services, surtout par ses tra-
vaux pour mesurer le méridien. De 1669 à 1793, elle a
publié des Mémoires qui forment cent trente-neuf volumes.
Le conseiller au parlement Rouillé de Meslan fonda deux
prix que l'Académie distribuait chaque année : l'un de
2,500 fr., pour l'astronomie physique, l'autre de 2,000 fr.,
pour la navigation et le commerce. Cette Académie, suppri-
mée en 1793, reparut modifiée dans l'Institut national;
mais Louis XVIII la rétablit, divisée en onze sections et
composée de soixante-cinq membres. C'est incontestable-
ment aujourd'hui le premier corps savant de l'Europe.
[On s'étonne quelquefois de l'inlluence toute- puissante
que l'Académie des Sciences exerce en tous lieux : c'est un
tort irréfléchi. Comment concevoir, effectivement, quand on
a compétence, qu'on pilt laisser sans crédit une compagnie
de soixante-cinq savants qui sans cesse traduit à sa barre
toute innovation matérielle, tout progrès positif; un corps que
le gouvernement même consulte incessamment, tantôt sur le
mérite des hommes spéciaux, et tantôt sur la valeur réelle
des inventions, sur le choix des procédés et des méthodes,
aujourd'hui sur les chemins de fer, demain sur les véhicules,
sur les canaux et la navigation intérieure; un autre jour
sur la vapeur, sur les projectiles et les armes de guerre,
sur les fers galvanisés ou sur les bitumes? D'autres fois on
lui demande avis surdes machines restreintes, mais précises,
qu'il s'agisse d'un télescope ou d'une boussole, d'ime lampe
à mineur, d'un aérostat ou d'un paratonnerre, d'un phare
ou d'un télégraphe, d'un thermomètre ou d'une horloge,
d'une balance ou même d'une charrue. Rien ne s'entreprend
avec quelque chance de réussite et de durée sans que l'A-
cadémie des Sciences n'ait donné son approbation , ou du
moins son avis. Encre indélébile pour déjouer l'improbité
ingénieuse; gaz qui éclairent, qui échauffent ou qui as-
phyxient ; gélatine de." os pour sustenter l'indigence et pour
occuper la faim sans la satisfaire; sucre pour la sensualité
des riches, indigo pour un luxe économe; quinine contre les
fièvres ou des attaques périodiques , salpêtre pour la défense
et la sécurité des peuples ou pour l'ambition des rois; ins-
truments exacts pour mesurer le poids ou le volume, le
temps ou l'espace, la périodicité ou une constante succes-
sion, l'éventualité ou la certitude, l'Académie donne avis
sur toutes ces choses aux intéressés ou aux gouvernants
qui la consultent. Sa compétence s'étend même aux chan-
ceuses probabilités du hasard. Elle décide également des
rangs parmi les hommes cultivant les sciences qu'elle gou-
verne. L'École Polytechnique est sous sa tutelle immédiate,
et nul ne professe au Collège de France, au Muséum d'His-
toire Naturelle, ni même aux écoles de pharmacie, nul
n'obtient de mission officielle ni de voyage patroné, s'il n'a
reçu d'elle sa présentation , son investiture ou ses lettres de
créance. Tout ce qui n'est pas du ressort des facultés est
déféré à son tribunal : encore est-ce elle qui gouverne presque
seule la faculté des sciences. Si le corps législatif décide
de l'impôt , c'est l'Académie des Sciences qui a enseigné à
en répartir les charges, en prenant pour triple base la po
pulation , la richesse et le cadastre ; et si l'Académie ne bat
point monnaie, du moins est-ce elle qui établit à quel titre
1 il faut monnayer le cuivre et l'argent, et quel carat l'or doit
50
SCIENCES — SCILLE
avoir. Un de ses membres évalue la pureté de nos bijoux
en les éprouvant dans des creusets de pbospliate, tandis
qu'un autre préside à la fabrication des médailles et à la re-
fonte des monnaies; enfin, nos billets de banque, c'est un
académicien qui les grave , et l'encre et le papier même en
ont été prescrits par l'Académie. Elle n'a pas encore fabriqué
de vrais diamants, mais elle en a déjà menacé le commerce,
et en attendant elle les a du moins imités. Ce n'est pas elle
qui a inventé la poste, mais elle en a amélioré les véhicules,
accéléré les services; si même il s'est ouvert illicifement
quelques lettres chargées ou mystérieuses sans qu'il y parût,
on n'y est parvenu qu'en recourant à des procédés contrô-
lés par l'Académie. D'autres circonstances accroissent encore
l'influence de ce corps célèbre. Ses commissions improvisées
et ses sections permanentes sont omnipotentes comme le
jury, chacune dans ses attributions et sa spécialité. Ajou-
tons qu'elles sont ordinairement impartiales , et cela môme
augmente leur puissance et la fait respecter. Les millions
dont M. de Montyon a doté l'Académie, la décoration im-
médiate de ceux de ses membres qui ne l'auraient pas ob-
tenue avant de lui appartenir, son uniforme officiel et po-
pulaire, le haut rang que lui assigne l'étiquette légale, ses
justes prérogatives politiques, le souvenir des grands hommes
qui lui ont appartenu et de Bonaparte qui la présida, telles
sont pour elle de puissantes causes d'nn crédit persévérant.
Isidore Bourdon. ]
SCIENCES (Faculté des). Voyez Facultés (Enseigne-
ment).
SCIEIXCES EXACTES. Parmi les caractères nom-
breux qu'on peut assigner aux sciences, on a dû remarquer
1° leur étendue, 1° leur certitude et 3° leur exactitude.
Il est également digne de remarque que les sciences signa-
lées parmi toutes les autres comme exactes ou comme plus
exactes sont aussi celles qui se présentent comme plus cer*
laines et plus étendues. En effet, les sciences que Descartes
a eu raison de nommer préliminaires , parce qu'elles sont
indispensables pour étudier toutes les autres , sembleraient
devoir toutes prétendre à ce titre d'exactitude auquel elles
aspirent. Mais d'abord les sciences grammaticales , linguis-
tiqii.es et littéraires o{{r&aï des allures et un certain laxum
de principes qui empêchent de les regarder comme exactes.
Quoique plus graves et plus fixes dans leurs procédés et
\è\ix^mêi\ioAe.s,\Q?, sciences philosophiques, laissant en-
core à l'esprit humain un libre essor, l'exposent si fréquem-
ment à s'élancer dans les régions nuageuses de la métaphy-
sique et à se perdre dans les labyrinthes de la dialectique,
qu'il faut s'attacher à y bien discerner les parties dont la
pratique démontre la certitude et l'exactitude. C'est à tort et
gratuitement qu'on a considéré les mathématiques pures
ou appliquées comme formant à elles seules le groupe des
sciences exactes. Sans nul doute, les faits dont elles s'oc-
cupent, les sujets qu'elles traitent exigent la plus grande
exactitude et même la rigueur la plus forte dans les raisonne-
ments elles démonstrations fondées sur des principes certains
<ît les plus invariables; mais cette exactitude rigoureuse ne
peut pas toujours être obtenue dans les mathématiques
pures , et a fortiori dans les mathématiques appliquées.
Celles-ci même ne sont autre chose que des sciences d'obser-
vation, telles que la physique, la chimie, l'astronomie, l'op-
tique, l'acoustique, la mécanique, etc., dans lesquelles on
a recours aux procédés , c'est-à-dire au raisonnement et
au calcul des mathématiques pures. Mais toutes les autres
sciences d'observation , au fur et à mesure qu'elles s'éten-
dent, qu'elles augmentent leur certidude, se voient égale-
ment forcées de recourir au raisonnement, à des formules
schématiques ou géométriques d'abord, puis numériques
ou algébriques, lorsque les faits qui constituent leur domaine
sont susceptibles d'être exprimés exactement en évaluations
d'étendue, dénombre et de rapports généraux, soit de
degrés de connaissance ou de constance. Ainsi , tontes les
autres sciences dites d'observation et d'application étant
appelées à progresser au fur et à mesure qu'on découvre de
nouveaux faits ou de nouveaux rapports, tendent par cela
même à acquérir le degré d'exactitude que doivent leur
donner les procédés logiques de la piiilosophie d'abord , puis
ceux des mathématiques, selon les convenances que nous
venons d'indiquer. Pour constater comparativement les di-
vers degrés d'exactitude auxquels peuvent prétendre les
sciences , il suffit d'examiner avec soin les divers degrés
de perfectionnement qu'elles offrent : l°dans la certitude
de leurs principes et la marche régulière de l'esprit dans
l'application des principes aux faits; 2° dans l'observation
expérimentale des faits étudiés dans toutes les conditions
nécessaires pour pouvoir leur assigner un caractère scien-
tifique constant ou variable dans les limites connues; et
3° dans leur langajie ou leur nomenclature, et enfin dans
le choix des formules qui sont indispensables pour exprimer
exactement les divers degrés de généralité, de particula-
rité, des conceptions scientifiques, pour se prêter à toutes
les convenances de leur démonstration verbale ou de leur
exposition dans des traités généraux ou dans des monogra-
phies. Laurent.
SCIENCES MORALES ET POLITIQUES (Aca-
démie des). En fondant Vins titut national, en 1795,1a
Convention y avait établi, sous la dénomination de Classe des
Sciences Morales et Politiques, une académie dont les tra-
vaux devaient particulièrement embrasser l'analyse des sen-
sations et des idées, la morale, la science sociale et la législa-
tion, l'économie politique, l'histoire et la géographie. Parmi
les membres les plus célèbres qu'on y compta à l'origine,
on remarque les noms de Volney, de Garât, deGinguené, de
Cabanis, de Bernardin de Saint-Pierre, de Rœderer, de Dau-
nou,de Pastoret, de Sieyès et de Talleyrand. Supprimée en
1803, cette classe fut rétablie en 1832, sous le nom (V Acadé-
mie des Sciences Morales et Politiques, et le nombre de
ses membres fut fixé à quarante. Elle est aujourd'hui divi-
sée en six sections : philosophie; morale; législation, droit
public et jurisprudence ; histoire générale et philosophique;
politique, administration, finances. La géographie, à laquelle
une section spéciale a été consacrée dans l'Académie des
Sciences, ne fait plus partie, comme on voit, de ses attri-
butions.
SCIENCES OCCULTES. Voyez Occulte.
SCIÈNE, famille de poissons qui renferme un grand
nombre d'espèces, pour la plupart propres aux eaux douces
de l'Inde. Ce sont des poissons d'une taille assez grande;
quelques-uns atteignent jusqu'à plus de deux mètres de
longueur; les autres ont toujours près d'un mètre. Leur
chair est agréable, et les anciens en faisaient un cas parti-
culier. On les caractérise par une tête bombée , que sou-
tiennent des os caverneux. Ils ont deux dorsales ou une
seule, profondément échancrée et dont la partie molle est
beaucoup plus échancrée que l'épineuse ; une anale courte,
terminée par des pointes ; sept rayons aux branchies. Leur
tête est entièrement écailleuse et leur museau plus ou moins
proéminent au-devant des mâchoires . ce qui , joint à l'ab-
sence de dents au palais, les distingue suffisamment. Le
groupe des sciènesou sciénoïdes se divise en huit branches,
qui sont : les sciènes proprement dites, ou maigres d'Eu-
rope,\es ou'lithes, les ancylodons , les corôs, les johnius,
les omhrinei , les tambours et les lécostomes.
SCIERIE. On donne ce nom à des usines où l'on divise
en feuilles déplus ou moins d'épaisseur, le bois, la pierre,
le marbre, etc. On utilise à cet effet soit des chutes d'eau,
soit la force du vent et plus généralement aujourd'hui celle de
la vapeur, grâce à laquelle il n'y a jamais de temps d'arrêt
forcé dans le travail.
SCILITZÈS (Jean), historien byzantin du neuvième
siècle, continuateur de l'Histoire de Théophane, de l'an
811 à l'an 881, remplit à Constantinople les fonctions de curo-
palate ou gouverneur du palais. Son ouvrage a été servilement
copié par Cedrenus dans sa Chronique.
SCILLE (Sci/Za, L. ), genre de liliacées caractérisé
comme suit : Fleurs petites, la plupart d'un beau bleu,
SCILLE — SCIPION
5i
quelques-unes d'un bleu lirant sur le jaune, ouvertes en
étoiles, disposées en un épi simple plus ou moins long; tiges
nues; feuilles, toutes radicales, étalées en rosette. Les espèces
les |)lus remarquables de ce genre sont la scille maritime,
grande et superbe plante qui croît en Europe, en Italie et même
en France, dans les sols sablonneux des côtes maritimes : plus
commune en Berbérie, elle y occupe souvent de vastes
plaines et forme une ricbe et brillante décoration par ses
beaux épis coniques ; la scille du Pérou , qu'on rencontre
également en Espagne, en Portugal et sur les côtes d'Afri-
que; \a. scille agréable, qui croît en France, dans les landes
de Cordeaux, en Allemagne, en Autriche, etc.; la scille à
deux feuilles et la scille d''mi(omne , qui croissent pres-
que partout en Europe , excepté dans le nord. Les oignons
de scille sont les uns blancs, les antres rouges. Ils ont l'o-
deur piquante de l'oignon commun, mais n'en ont pas la sa-
lubrité. Hachés, broyés et mélangés avec du pain, on s'en
sert pour donner la mort aux rats, aux sonris et autres
animaux malfaisants. C'est cependant un des médicaments
les plus anciennement connus, et on fait sous le nom d'oxi-
mel scilUtïque une préparation composée de miel , de vi-
naigre et de scille, qu'on emploie avantageusement dans
les bydropisies. Il excite puissamment les urines ; mais il ne
faut le prendre qu'à faibles doses, et pendant peu de temps,
car il affaiblirait l'estomac et détruirait la digestion , comme
il arrive des amers et des toniques pris immodérément.
SCINDE. Voyez Sindh.
SCINDIAH. Voyez Mahrattes.
se INQUE, genre de reptiles sauriens , famille des scin-
coïdiens, dont le corps est fusiforme, ou presque cylin-
drique, et couvert d'écaillés uniformes, imbriquées et lui-
santes; leur tête est petite, leurs dents sont serrées et leurs
pieds sont courts. Les scinqnes se distinguent particulière-
ment do tous les autres sauriens par leurs écailles, assez sem-
blables à celles de la carpe. Le scinque des pharmaciens
est long de seize à vingt centimètres. Son corps est d'une
teinte jaunâtre argentée, avec sept ou huit bandes transver-
.sales noires. Le bout du museau est pointu et un peu re-
levé; la queue, gros.se à sa base, mince et comprimée à
l'extrémité, comme cunéiforme, est plus courte que le
corps. Le .scinque habite la Nubie, l'Abyssinie, r?!;gypte et
l'Arabie. 11 est assez difficile à prendre ; car lorsqu'il est
poursuivi , il s'enfonce dans la terre avec une promptitude
extraordinaire; cependant, les habitants du désert du midi
de l'Egypte en attrapent une grande quantité, les font des-
sécher, et les envoient au Caire et à Alexandrie, d'où on
les expédie en Europe et en Asie. Les médecins arabes re-
gardaient le scinque commeun remède souverain dans un
grand nombre de maladies. Sa chair, principalement celle
des lombes, était regardée comme dépurative, excitante,
analeptique, anthelmintique, antisyphilitique , et par des-
sus tout aphrodisiaque. On n'emploie plus guère ce femède
en Europe; mais les médecins orientaux le recommandent
encore contre l'élépbantiasis , les maladies cutanées et contre
certaines o[)bthalmies.
SCINTILLATIOIV (du latin scintillatio, étincelle-
ment , pétillement). En astronomie, on dé.signe ainsi le vif
mouvement d'agitation qui se fait remarquer dans la lu-
mière des étoiles , surtout quand l'atmosphère est tran-
quille. Ce phénomène suffit à faire distinguer les étoiles
fixes des phmètes, dont la lumière est toujours uniforme,
tandis que celle des étoiles est vacillante , et par la rapidité
de .ses variations produit l'illusion de véritables étincelles :
lorsque cette lumièie est trèséclatante, elle offre toutes les
couleurs du prisme. La scintillation ne tient en aucune
manière à des variations dans la couleur propre des astres.
Dans le système des ondulations de la lumière, on explique
ce iphénomène par les interférences, c'est-à-dire par
la cessation ou l'augmentation des vibrations que donne
chaque couleur, changements produits par la différence dans
la densité des couches atmosphériques. M. Biot admet une
autre cause : il pense que l'atmosphère étant très-agitée.
éprouve dans ses couches successives des changements
brusques de densité , et qu'il résulte de là mille rétractions
accidentelles. Francœur pensait que la scintillation était
un phénomène dont notre œil est affecté par la vivacité de
l'éclat des astres au milieu de la nuit. Quoi qu'il en soit ,
la transparence du ciel est nécessaire à la production du phé-
nomène de la scintillation. Ainsi , dans la basse Ecosse et
en Angleterre, où la combustion de la houille répand dans
l'air des vapeurs brumeuses, les étoiles, même de pre-
mière grandeur, ne scintillent presque jamais. Les étoiles
scintillent plus dans les régions du Nord que dans nos
climats. L. Louvet.
SCIO. Voyez Cnio.
SCÏOPPIUS (Gaspard), érudit du seizième siècle, dont
le véritable nom était Schoppen, qu'il latinisa, .suivant l'u-
sage du temps. Né en 1576, dans le Palatinat, il abandonna
le protestantisme pour se convertira la foi catholique, dans
l'espoir d'assurer ainsi le succès de ses plans d'ambition. Il
réussit en effet par là à se faire octroyer en Espagne force
titres et honneurs, notamment le titre de comte de Clara-
Valle, mais n'obtint pas de pension ni de position fixe. Le
succès de ses premiers ouvrages de critique et de philologie
accrut à tel point son orgueil et son esprit de vantardise,
qu'ilenvintàtrouverdes barbarismes dans Cicéron lui-môme.
Ses anciens coreligionnaires furent surtout l'objet de ses li-
belles, et il s'efforça d'exciter les princes catholiques à les per-
sécuter, ménageant d'ailleurs dans ses satires aussi peu les
têtes couronnées que les jésuites. En 1614 l'ambassadeur
d'Angleterre à Madrid lui fit administrer publiquement une
volée de coups de bâton; et à la suite de cette exécution,
Scioppius, ne se trouvant plus en sûreté dans le royaume
très-catholique, se retira à Padoue. C'est là qu'il mourut,
le 16 novembre 1649. Dans les quatorze dernières années
de sa vie, il n'avait pas une seule fois quitté sa chambre, de
crainte de tomber dans quelque embûche dressée par ses
ennemis. Ses oeuvres philologiques ne laissent pas que de
contenir quelques observations justes sur la manière inin-
telligente d'interpréter les classiques alors en usage , et sur
l'abominable latin dans lequel étaient rédigés les notes et
commentaires dont on croyait devoir les enrichir; mais le
ton général en est trop grossier. Outre ses Verisimilium
Libri IV ( Nuremberg, 1596 ), ses Suspectarum Lectionum
Libri F (Nuremberg, 1597; Amsterdam, 1604), sa Co/n-
mentatio de Arte Critica (Nuremberg, 1597), il existe de
lui un grand nombre d'autres écrits, qui tiennent tout à fait
de la nature du libelle, par exemple Infamia Famiani, etc.,
et publiés sous les pseudonymes de Nicodemus Macer, Opo~
rinus Grubimis, Aspasius Grosippus, Philoxenus Mi-
lander, etc.
SCIPION, Sc/pio, nom d'une famillepafricienne romaine,
qui appartenait à la gens Cornelia. 11 en est pour la première
fois fait mention dans l'histoire à propos de Publius Cor-
nélius SciPio,que les Fastes citent parmi les tribuns militaires
consulaires en exercice dans les années 395 et 394 av. J.-C.
Un autre Publius Cornélius Scipio fut, en l'an 366 av.
J.-C, l'un des deux premiers édiles enrôles.
Le premier membre de la famille des Scipions qui
parvint au consulat fut Lucius Cornélius Scipio (an 350
av. J.-C).
Lucius Cornélius Scipio Barbatcs revêtit le consulat en
l'an 298 av. J.-C, puis la censure, et se distingua dans la
guerre contre les Étrusques, les Samnites et les Lucaniens.
Son épitapbe et celle de son fils, Lucius Cornélius Scipio,
qui, consul en l'an 259 av. J.-C, expulsa les Carthaginois
de la Corse, et qui revêtit la censure en l'an 258, rédigées
envers saturnins, sont les plus anciennes des inscriptions
trouvées dans le tombeau delà famille des Scipions, décou-
vert en 1780, en avant de la Porta Capena, à Rome. Ce
dernier eut pour fils Publius et Cneius Cornelitis Sctpio,
dont le premier, consul en l'an 218 av. J.-C. (première an-
née de la seconde guerre punique), chercha vainement à
empêcher Annibal d'effectuer le passage du Rhône , et fut
52
5CIPI0N
ensuite battu par lui en Italie, dans un combat de cavalerie
sur les bords du Ticinus , puis sur ceux de la Trébie avec
son collègue Tiberius Sempronius Gracclius. En Tan 517 il
alla en Espagne, où son frère Cneius, qui, consul en l'an 222
avec Marcellus, avait glorieusement fait la guerre dans les
Gaules, s'était rendu dès l'an 218 et avait enlevé aux Car-
tliaginois le territoire situé entre l'Èbre et les Pyrénées, puis
la domination des côtes. Les deux frères vainquirent à di-
verses reprises les Carthaginois dans les années suivantes,
mais périrent en l'an 2i2, Publius à la bataille d'Anitorgis,
Cneius à celle d'Urso. Le chevalier Lucius Marcus sauva les
débris de l'armé romaine.
Le grand Scipion l'Africain l'ancien ( Publhis Cornelms
SciPio Africanus [n\ajor]) vengea bientôt la mort de son
père, Publius, et celle de son oncle. En l'an 212 il fut élu
édile curule par le peuple. L'année suivante, quand il fut
question d'envoyer un proconsul en Espagne, où le préteur
Caius Claudius Nero n'avait pu rien faire, Scipion lut le seul
qui brigua cette périlleuse mission. Le peuple, sur qui toute
sa personne ainsi que sa mystérieuse religiosité exerçaient
un charme particulier, l'élut, quoique jusque alors il n'eût
point encore rempli de hautes fonctions militaires. Dès le
printemps de l'an 210, secondé par son ami Caius Lœlius,
qui commandait sa Hotte, il s'empara de la nouvelle Car-
tilage, la plus importante place d'armes et de commerce des
Carthaginois en Espagne. Par sa générosité et son humanité
il s'attacha les populations espagnoles, qui voulurent le pro-
clamer roi, lorsqu'en l'an 209 il eut batlu à Bœcula Asdrubal,
de la famille Barcine, sans pouvoir toutefois l'empêcher
de se replier sur l'Italie. En 208 Hannon et Magon tu-
rent battus, et Asdrubal, fils de Gisgon, forcé rie se réfugier
dans les places fortes. En l'an 207 Asdrubal, uni à Magon,
étant venu défier de nouveau Scipion dans les plaines de
Baccula, celui-ci iMt vainqueur, et conclut ensuite un traité
d'alliance avec le Numide Syphax , qu'il alla lui-même, et
n»n sans danger, trouver en Afrique. Après avoir achevé
par la prise de Gades la soumission de l'Espagne carthagi-
noise, il revintà Rome, où il futélu consul pour l'an 205.
Mais le .sénat et surtout le vieux Fabius Cunctalor com-
battirent le projet qu'il avait conçu de transporter immé-
diatement le théâtre de la guerre en Afrique. Enlin, on lui
assigna la Sicile pour province, et il lui fut permis alors de
passer en Afrique. En dépit des diflicultés sans nombre
que ses adversaires lui suscitèrent à Rome, il débarqua
en 204 , à la tête de 20,000 hommes, aux environs dU-
lique, en qualité de proconsul. La résistance que lui op-
posa cette ville le contraignit à hiverner dans un camp re-
tranché. Asdrubal, fils de Gisgon, et Syphax, qui s'était allié
auxCartliaginois, l'y attaquèrent, mais furentdenx fois battus
dans le courant de l'année 203, et Syphax lut même fait
prisonnier. Dans l'automne de l'an 203, Annibal revint en
Afrique, et, après d'inutiles négociations de paix, lut complè-
tement mis en déroute par Sci|)ion, le i9 octobre 202, dans
les plaines de Zama. Après avoir signé une paix qui détrui-
sait la puissance de Carthage, Scipion revint triompher à
Rome, où on lui décerna le surnom honorilique ^V Africanus.
En l'an 199 il fut élu censeur, en 194 consul pour la se-
conde fois , et à trois reprises les censeurs le i)roclamèrent
prince du sénat. En l'an 193 il fut envoyé en Afrique pour
être arbitre entre les Carthaginois et Massinissa. Dans la
guerre contre Antiochus il accompagna son cousin Lucius en
qualité de légat. Excités par le parti ennemi des Scipion ,
ayant à sa tête Caton, les tribuns du peuple l'accusèrent,
en l'an 187, devant l'assemblée du peuple de s'être laissé
corrompre par Antiochus. Sans daigner .se défendre, Scipion
se borna à rappeler au peuple que ce jour était l'anniver-
saire de celui où il avait vaincu Carthage, en l'engageant à
l'accompagner au eapitole pour rendre grâce aux dieux. On
comprit alors qu'on était ingrat envers le grand homme, et
l'accusation fut abandonnée. Une autre fois, en plein sénat,
Caton calomniait sa conduite dans la négociation de la paix
avee Antiochus, et voulait le forcer à rendre des comptes.
« Ces comptes, s'écria Scipion en montrant ses tablettes, les
voilà ; ils sont clairs et évidents, mais vous ne ferez ni à moi ni
à vous l'injure de les exiger ! » Et le sénat passa outre. Quelques
gens lui reprocliaient de ne s'être jamais sérieusement exposé
dans les batailles. « Ma mère, répondit Scipion, m'a fait pour
commander, et non pour me battre ! » « Vous n'êtes pas sol-
dat, lui objectait-on aussi. — « Non, répliqua-t-il , mais capi-
taine! » Cette vie si glorieuse, si éclatante dès son début, s'en,
veloppe d'ombres et de mystères dans ses dernières années
Les historiens tombent dans les plus graves contradictions
sur l'emploi de son temps quand l'ingratitude de Rome le
força à la retraite. Il paraît certain néanmoins que, comme
les anciens Romains , il s'occupa d'agriculture; que celui
qui avait dirigé tant d'armées, conduisit la charrue comme
Cincinnatus, et que le goût des lettres grecques qu'il avait
manifesté dès son jeune âge fut la consolation el la joie d'une
vieillesse que l'ingratitude de Rome laissait dans l'obscurité
et l'oubli. Sa colère contre ses concitoyens n'éclata que par
ces mots : « Ingrate patrie, tu n'auras pas mes os ! » Scipion
mourut en 183, et suivant d'autres en 185 ou 184, à peu près
à la même époque qu'Annibal, dans son domaine situé près
de Lilernum, en Campanie. De son épouse, jî^milia, fille
d'yEmilius Paulus, tué à la bataille de Cannes, il laissa deux
fils, Pïiblius , célèbre par .ses lalents et son instruction,
mais que la faiblesse de sa constitution physique empêcha
de jouer un rôle actif dans les affaires publiques, et Licciïis,
qui fit prisonnier Antiochus, et que les censeurs expulsèrent
du sénat, en l'an 174, où il avait obtenu la préture, comme
indigne. L'une de ses filles fut Cornélie, la mère des
Gracques; l'autre épousa Publius Cornélius Scipio Nasica
Corculum.
Lucius Cornélius SciPio était le frère du grand Scipion
l'Africain, qu'il accompagna en Espagne. En l'an 193 il revêtit
la préture, et fut chargé en l'an 190 de diriger comme consul
les opérations de la guerre contre Antiochus lit. Quand la
victoire de Magnesia eut mis un terme à cette guerre, il cé-
lébra un triomphe magnifique, et s'attribua le surnom à'A-
siaticus. Lui aussi, il fut accusé de s'être laissé corrompre
par Antiochus et d'avoir trompé l'État. Moins heureux que
son frère, il fut condamné à une amende, pour le payement de
laquelle il fut forcé de vendre ses biens. Lucius Cornélius
SciPio, consul l'an 83 av. J.-C, et que son armée abandonna
à l'approche de Sylla, était un de ses descendants.
Scipion-limilien, appelé aussi Scipion l'Africain le jeune
{PubliusCornelius /EmJZiawzw Scu-io Africanus [/««nior]),
fils germain de Lucius .(Emilius Paulus , était à peine âgé de
dix-sept ans lorsqu'il fit la guerre sous les ordres de celui-ci
contre Persée, en l'an 168 , et fut adopté par Publius, fils
de Scipion l'Africain l'ancien. Sans se départir de l'antique
sévérité de mœurs des Romains , il chercha à l'allier avec la
connaissance des lettres grecques, à laquelle il s'initia par ses
relations d'amitiéavecPolybe, puis avec le .stoïcien Panaetius,
et eut une part importante au développement de la littérature
romaine. En l'an 151 il alla volontairement remplacer en
Espagne l'un des tribuns militaires. Il y prouva sa bravoure,
en tuant dans un combat singulier un chef espagnol et en
montant le premier à l'assaut d'Intercatia. Dans la pre-
mière année de la troisième guerre punique (149 av. J.-C.)
il ne servit encore qu'avec le grade de tribun, mais sa bra-
voure , sa loyauté et son habileté stratégique lui méritèrent
l'admiration de tous. Il fut ensuite élu consul, en l'an 147,
et chargé de terminer la guerre contre Cart liage. Accom-
pagné de Polyhe et de Lœlius, il passa en AIrique, rétablit
la discipline dans l'armée, et accula les Carthaginois dans les
murs de leur ville, qu'ils défendirent avec le courage du dé-
sespoir, et qui ne fut prise qu'en l'an I4G. On rapporte que
Scipion pleura sur les ruines de Carthage, dont la destruction
était moins son œuvre que celle de la nécessité, et que dans
le pressentiment que le jour viendrait où Rome périrait
à son tour, il récitait, en se promenant avec Polybe à la lueur
de l'incendie, ces vers d'Homère : « Un jour viendra que la
ville sacrée d'Ilion , et Prfam. et le peuple du belliqueux Hec-
SCIPION —
tor, seront anéantis. » Scipion revint triompher à Rome, et dès
lors il ne porta plus seulement à titre d'héritage son surnom
â'Afrïcanus. Censeur en l'an 142 avecMummius,'il s'acquitta
des devoirs de sa charge d'une façon aussi sévère que conscien-
cieuse. En l'an 134 on le nomma consul pour la seconde fois,
afin de le charger de terminer la guerre contre N u m a n c e .
Là aussi il commença par rétablir la discipline dans les
rangs de l'armée ; mais ce ne fut qu'au bout de quinze mois de
sanglants efforts, en l'an 133, qu'il se rendit maître de celte
héroïque cité; et depuis lors il fut aussi surnommé Numan-
tinus. Cette campagne fut la dernière que fit Scipion. Rentré
dans la vie civile, il se livra tout entier à la politique, et
celui qui dans sa jeunesse avait été nourri des lettres grec-
ques se trouva tout d'un coup un orateur distingué. U unit à
ses travaux politiques cet amour des lettres qui avait com-
mencé la gloire de sa jeunesse, et l'on sait que T é r e n c e se
glorifiait souvent de la supposition gratuite qui attribuait au
grand Scipion et à son ami Lœlius ses diverses comédies. Il y
voyait un témoignage du goût exquisdans lequel elles étaient
écrites. U entra avec passion dans le parti aristocratique.
Cicéroa prétend qu'il avait émis publiquement des idées
sur une monarchie tempérée, qu'il aurait modifiée à sa façon.
Beau-frère des Gracques, il rencontra dès lors chez eux et
chez sa femme, Sempronia, ses adversaires les plus ardents.
Le sénat accueillait avec sympathie les idées de Scipion;
on parlait de lui conférer une dictature suprême. Le len-
demain d'un jour où il avait été reconduit chez lui par tout
le sénat, on le trouva mort dans son lit. Son corps portait
des traces de violence; évidemment il avait été assassiné :
mais par qui .' C'est ce que l'histoire n'a pas éclaiici. Le
meurtre eut lieu l'an de Rome G25 : Scipion n'avait que
cinquante-six ans. La nouvelle de sa mort fut reçue avec
consternation par Rome tout entière. Ce fut alors ([u'on se
rappela les nobles vertus, le génie éminentde Scipion. Me-
tellus , un de ses ennemis les plus violents, lui rendit un
éclatant hommage après sa mort : « Allez, dit-il à ses en-
fants, en les envoyant aux funérailles, car jamais vous ne
pleurerez sur un plus grand homme. » Fabius, son neveu, qui
lit son éloge funèbre, s'écria : « Rejouissez-vous , Rome,
d'avoir donné le jour à Scipion, car où il devait naître, là
devait être l'empire du monde! » Quand on visita sa maison,
après sa mort, on eut une grande preuve de son desinté-
ressement et de sa probité ; on ne trouva chez celui par les
mains duquel avaient passé les richesses de Carthage et celles
de Numance que 30 livres d'argent et une demi-livre d'or.
La ligne des Scipion qui portaient le surnom de Nasica
provenait de l'oncle de Scipion l'Africain l'ancien, Cneius,
dont nous avons parlé. Le premier qui le porta fut le fils
de ce Cneius, Publius Cornélius Scipio Nasica, qui tut
vainqueur en l'an 194 et en l'an 193 en Espagne , où il com-
mandait en qualité de préteur, puis de propréteur, et en 191
comme consul dans la Gaule Cisalpine, contre les Doyens.
Son fils , qui portait les mômes noms, marié à une fille de
Scipion l'Africain l'ancien, reçut le surnom de Corculum à
cause de sa capacité et de son habileté. 11 fut deux fois
consul , en l'an 162 et en l'an 155, et censeur en l'an 159.
En 150 il fut nommé j90«^;/ea;7W«X!??!î/s (souverain pontife).
U se prononça, contre l'avis de Caton, en faveurde la conser-
vation de Cartilage, parce qu'il y voyait un moyen de tenir
en respect l'arrogance toujours croissante de la multitude.
Son fils, nommé comme lui, et qu'un tribun du peuple af-
fubla un jour du sobriquet dti Serapio, nom d'esclave, homme
sévère et dur, en outre zélé pour la défense des intérêts
aristo.cratiques, mena en l'an 133 l'attaque dirigée contre l'aîné
des Gracques, et se rendit par la tellement odieux au peuple,
que, tout /;o;;^i/e:c 7?taj:ù?ms qu'il (ùt, le sénat l'éloigna
d'Italie en lui confiant une mission en Asie, où il mourut, à
Pergame. Le fils de ce dernier, appelé comme son père et
son grand-père, se distingua à l'époque de Jugurtha autant
par son incorruptibilité et sa sévère probité , que par son
humanité, en, môme temps que comme orateur par ses spi-
rituelles saillies. U mourut consul , en l'an 111. Son petit-
SCOLASTIQUE 53
fils fut le Quintus Caecilius Metellus Pins Scii'io adopté
par Metellus, et l'adversaire acharné de César.
La maison des Scipion subsistait encore du temps des
empereurs; il est fait mention d'un descendant de Scipion
l'Africain consul l'an 68 de J.-C, et d'un certain Servius
Cornélius Scipio Ohsitus consul en l'an 149. Il y eut aussi
sous Claude et Néron un Scipio Nasica , lâche courtisan,
qui passa de l'adulation la plus basse pourlimbécile Claude
à l'adoration de Néron. Il fut l'époux de l'impudique Poppée,
et ne la pleura pas lorsque Messaline frappa en elle
une rivale en débauche et aussi en beauté. C'est lui qui re-
mercia en plein sénat Pal las, dont l'origine d'esclave était
chose notoirement connue, de ce qu'étant issu des rois d'Ar-
cadie il sacrifiait une ancienne noblesse à l'utilité publique.
Cette famille, pen<lant les quatre cents ans qu'elle dura, fut
un miroir fi lèle de Rome à cette époque. D'abord brave et
pauvre, elle combat, elle meurt en Espagne. Puis, étendant
ses bras jusqu'en AIrique, elle soumet une première fois Car-
tilage , et la seconde lois jette sa cendre au vent. Elle pé-
nètre en Asie, remporte de nombreuses victoires , et revient
labourer la terre. Puis la corruption arrive , ses entants dégé-
nèrent, et elle finit par ramper avec Rome aux pieds d'un
Claude ou d'un Nfron, quand elle ne rampe pas à ceux d'un
affranchi tel que Pal las.
SCITAMIIXÉES. Voyez Amomées.
SClURIEiXS. Voyez Écukeuil.
SCLEREUX (Système), du grec av.lriçôz,dur. Quoique
toutes les parties dures des diverses natures qui entrent dans la
composition des corps organisés en général soient suscep-
tibles d'être réunies systématiquement sous ces deux noms
très-significatifs au point de vue usuel , les naturalistes se
servent le plus souvent du mot ligneux, synonyme de bois,
pour désigner les parties solides des végétaux , et ont été
conduits naturellement à comprendre dans le système solide
général des animaux trois principales sortes départies dures,
les unes dénature cornée, les autres de substance mucoso-
calcaire , et les troisièmes offrant les trois degrés de con-
sistance connus sous les noms d'état fibreux , cartilagineux
ou chondreux, et osseux ; et c'est à cette troisième sorte
de parties qu'on a été conduit, par les nécessités du langage
anatomique, à réserver le nom de système scléreux, sous
lequel on groupe naturellement les trois sortes de tissus vi-
vants appelés fibreux , cartilagineux et osseux en ana-
tomie humaine , dans celle des vertébrés et rarement dans
celle des invertébrés.
En effet, tes anciens anatomistes ont imposé le nom de
sclérotique à la membrane externe du globe del'œil, et ce
nom très-significatif se prête à merveille à exprimer les trois
degrésde nature fibreuse, cartilagineuse et même o.sseuse que
présente cette membrane, lorsqu'on l'étudié successivement
dans la série des vertébrés depuis l'homme jusqu'aux der-
nières espèces de poissons. L. Laurent.
SCLÉROGÉIMIE ( Physiologie), du grec <ry.Xr)pô;, et
de yéwzaii;, formation , c'est-à-dire développement des tissus
s c l éretix. C'est dans le feuillet séreux du blastoderme
des embryons des vertébrés qu'on a placé le siège du déve-
loppement des tissus fibreux, des cartilages et des os.
Mais , attendu que chacun de ces divers organes est plus ou
moins nettement circonscrit et séparé de ceux qui l'entou-
rent, on a été conduit à admettre pour chacun un blastème
particulier. Toutefois, les tissus fibreux ont paru être une
sorte de gangue organique pour la formation descartilages
ef des os, et on a pu croire à une véritable transformation;
mais des observations plus exactes portent à croire que
dans le cas où certains organes fibreux passest à l'état de
cartilages ou à celui d'os, ce travail organique se fait non
par l'addition de substance cartilagineuse ou osseuse au tissu
fibreux , mais par une véritable substitution,
L. Laurent.
SCLÉROTIQUE. Voyez Scléreux.
SCOLARS. Voyez Écolatre.
SCOLASTIQÙE ( du latin schola, école). Ce mot
54
SCOLASTIQUE
est tout à la fois adjectif et substantif. Dans le premier
cas il s'applique à tout ce qui a rapport aux écoles; dans
le second il désigne la philosophie particulière du moyen
âge , alliance de la dialectique et de la théologie , recher-
che de la vérité circonscrite par la foi. Cette pliilosophie
naquit au milieu des écoles fondées , au sortir de la barbarie
qui régna en Europe du sixième au huitième siècle, dans
les abbayes et les sièges épiscopaux à paitir de l'époque de
Charlemagne : écoles devenues le centre d'une culture des
sciences nouvelles,notamment celles de Paris et d'Oxford. Le
caractère actuel de cette philosophie, conforme en cela à
l'esprit de l'époque , c'est la limitation des investigations
philosophiques aux questions relatives à la théologie. La
théologie, à laquelle on donnait pour source, indépen-
damment de la philosophie , la foi en la révélation, devint
alors de plus en plus non-seulement l'objet presque exclusif,
mais encore la règle et le guide de la philosophie, et cela
littéralement, dans la forme où elle avait été constituée à
l'état de dogme par les Pères de l'Église, par les décisions
des conciles et par les décrets des papes. La philosoi)liie
n'eut donc pas le droit rie toucher à la teneur des dog-
mes de l'Église, mais seulement mission de les présenter
sous forme de systèmes. C'est l'application au dogme de
l'usage formel de la raison ; de là cette expression : la
philosophie est la servante de la théologie , Philosop/iia
théologiœ ancilla. Les travaux des scolastiques eurent donc
pour principal objet les problèmes qui se trouvent dans les
dogmes de l'Église, ou bien qu'on y introduisait; il en ré-
sulta que la scolastique s'égara dans une foule de subtilités
et de distinctions , les unes inévitables , les autres inven-
tées à plaisir. En même temps on traitait avec un soin
extrême tout ce qui avait rapport aux formes de la logique
el de la dialectique. La méthode scolastique ne succomba
que très-lentement en France et en Allemagne : elle trouva
en effet parmi les peuples demeurés catholiques un puis-
sant appui dans les écoles des jésuites, et de nos jours même
elle n'est pas encore complètement tombée en désuétude.
[La scolastique a été l'objet de beaucoup de dédains.
Son origine coïncide pourtant avec celle des croisades, l'une
des grandes ères de l'émancipation moderne. Il est très-vrai
que la scolastique, malgré les travaux de Scot, d'Hildebert
et d'Anselme , porte encore profondément empreint le ca-
chet de la théologie , sa maîtresse ; en l'étudiant dans toutes
sesallares, on y découvre néanmoins les signes précur-
seurs de la future indépendance des philosophes; et la sco-
lastique est elle-même un des titres de gloire de notre pays.
Lts scolastiques ont connu Platon , c'est-à-dire Socrate
et ses contemporains, les sophistes et ses prédécesseurs , les
philosophes de la grande Grèce et de l'ionie, car loutcela était
dans Platon ; ils ont connu Lucrèce, c'est-à-dire toute la
philosophie d'Epicure, qui estdans ce poète; ilsontconnu Ci-
cér on, c'est-à-dire toute la philosophie «recque, qui est
dans cet encyclopédiste de la Grèce; ils ont connu Denys
l'Aréopagite , c'est-à-dire les écoles d'Alexandrie et les der-
niers enseignements d'Athènes , (jue résume ce compilateur
mystique ; ils ont connu P h i 1 o n et J o s è p h e , c'cst-à-dire
l'Orient judaïque des derniers siècles ; ils ont connu, enfin,
les doctrines de Bassora et de Cordoue, c'est-à-dire l'O-
rient mabométan depuis le septième jusqu'au douzième
siècle de l'ère chrétienne. Aussi, loin de se borner à une
stérile répétition de saint Augustin et d'Aristote, les
scolastiques ont étudié ce vaste ensemble d'opinions et de
doctrines, el dans ces études cosmopolites ils ont non-seu-
lement imprimé leur cachet à ce qu'ils ont accueilli, mais
ils ont déployé dans le maniement des questions une
puissance de sagacité et souvent une audace de liberté su-
périeures à ce qu'on admire le plus dans les anciens. Les
scolastiques, il est vrai, n'ont rien produit qui puisse se
comparer ni aux systèmes anciens ni aux systèmes moder-
nes, et cela par la raison que les doctrines de l'époque,
objet d'une foi imiverselle , ne permettaient pas de créa-
tions de cette nature, n'en laissaient naître ni le désir ni le
besoin ; mais ces docteurs n'en ont pas moins exercé sur
les générations qui les entouraient une action plus salutaire
à la fois et plus profonde que ne le fut celle des philoso-
phes de l'antiquité et celle des penseurs modernes. Je ne
sache pas que Platon et Aristote, ni Bacon et Leibnitz, aient
été les oracles de leurs contemporains au même degré que les
Abailardet les saint Bernard , les d'Ai 11 y elles Gerson
le furent des leurs. Quoiqu'ils n'eussent point de langue na-
tionale à leur disposition , parlant un idiome que leur avait
légué la décadence romaine , qu'avait altéré la barbarie
germanique, et que, dans le temps de sa plus grande pu-
reté, l'écrivain ([ui l'illustra le plus, Cicéron , avait trouvé
peu propre aux débats de la philosophie, ils ont néanmoins
donné à plusieurs branches de la philosophie et aux deux
systèmes qu'ils ont plus particulièrement débattus, j'entends
le réalisme et le nominalisme, des développements
auxquels n'avaient songé ni le génie de Platon ni le génie
d'Ari.stote. La logique et la dialectique, ces hautes gymnas-
tiques de l'intellijjence , ne les ont-ils pas portées à un degré
de subtilité où depuis longtemps personne ne se flatte plus
d'atteindre? Le sensualisme et Vidéalisme, ou, pour
parler leur langage, le réalisme elle nominalisme, n'ont-
ils pas reçu dans leurs écoles des lumières entièrement
nouvelles? Enlin, s'est-il vu ailleurs , dans une philosophie
quelconque , un mysticisme comparable à l'enseignement
de .«;aiut Bonaventure ou de Thomas de Kempten? Avouons-
le, la scolastique a bien sa gloire, et pourtant la scolas-
tique n'est presque plus connue de personne.
Au début de celte nouvelle philosophie régnait le réa-
lisme d'Aristote. Dans toutes les écoles latines d'Occident,
et surtout en France , ce système avait pris la place que
l'Église d'Orient avait paru d'abord devoir accorder à l'idéa-
lisme de Platon. On le sait, Aristote avait remarqué avec
raison que tous les objets de la connaissance se rapportent
à un certain nombre de genres ou de classes ; il avait éta-
bli dix classes ou dix catégories qui épuisaient la cou-
naissance humaine : c'étaient le sujet et ses attributs, en
d'autres mots la substance et les neuf genres de modifica'
lions dont elle est susceptible. Tout ce que nous pouvons
connaître des choses rentre en elfet dans Tidée de sub-
stance et dans celles de quantité, de qualité, de relation,
d'action, de passion, de Heu, de temps, de situation et de
possession. Ce grand fait fut le point de départ des scolas-
tiques.
Puisque tout rentre sous ces idées générales, dirent-ils
avec une précipitation de novices, toute la philosophie est
en elles, et la philosophie se borne par conséquent à bien
catégoriser toutes choses et puis à bien exprimer de cha-
que catégorie, comme d'un fruit plein de suc , toutes les
vérités qu'elle renferme. Dans la précipitation avec laquelle ils
procédaient, ils ne considérèrent pas que pour bien classer
il faut bien co«wo<Yre; que pour tirer quelque chose d'une syn-
thèse il faut que la synthèse contienne une analyse bien faite.
Aveugle de confiance, l'enthousiasme des scolastiques pour
les notions générales, ou, comme ils disaient, les universaux,
fut d'autant plus funeste qu'il fut plus exclusif. Si quelque
chose était propre à renchérir sur celle erreur, c'était l'em-
ploi également exclusif de cette méthode syllogislique au
moyen de laquelle ils prétendaient faire jaillir la vérité du
rapprochement du genre et de l'espèce. Eh bien , le syllo-
gisme fut précisément leur instrument favori, et le syllo-
gisme mécanisa davantage encore une science qui de sa
nature est vie , intelligence et liberté , et à qui il n'est rien
de plus antipathique que ce mécanisme qui tue. Si, malgré
sa double aberration , la nouvelle phase où venait d'entrer
la spéculation française eut de la vie et môme une grande
vigueur, c'est grâce à la controverse que provoqua une pre-
mière exagération. En effet, plusieurs scolastiques étant
venus affirmerensemble que dans les idées générales se trou-
vaient toute vérité et toute réalité ; que hors d'elles il n'y
avait rien d'exact ni rien de complet, <l'autres opposèrent à
cette exagération une.thèse non moins exagérée, celle que
dans les i^.ées générales II n'y avait rien du tout, pas même
des irtées; que ces prétendues idées n'étaient que des mots,
de vains sons. Sous ce feu croisé, la question devenait
sérieuse; car il était évident que si de l'individuel au géné-
ral, de l'espèce au genre, nulle conclusion n'était valable,
il n'y avait plus de science , il ne restait plus à la raison
que la connaissance isolée de mille objets de détail que ne
liait aucune vue d'ensemble. Or, une société qui croit à
ses doctrines ne supporte pas sans émoi une attaque qui la
menace d'une telle détaite. Le premier qui jeta dans les
croyantes écoles du moyen âge cette thèse d'alarme renou-
velée de Stilpon de Mégare, c'est-à-dire qu'il n'y a dans le
monde rien qui réponde aux idées générales, vaines abs-
tractions de l'intelligence, fut'le chanoine R os celi ndeCom-
piègne. La religion étant alors la grande affaire et la science
unique de tous, mille voix s'élevèrent aussitôt pour objecter
que si cela était, s'il n'y avait plus que des individus, il
y aurait bien encore trois personnes divines , mais il n'y
aurait plus de Trinité ; et celte objection, dont Anselme
de Cantorbéry lui-même se fit l'écho , Anselme , le pré-
curseur de Descartes dans la démonstration de Dieu , fut
pour le système de Roscelin un coup de mort. Mandé au
concile de Soissons , le professeur de philosophie fut obligé
de rétracter sa doctrine.
Cependant , une rétractation individuelle ne vide pas un
débat auquel s'est attachée toute une génération et qu'elle
prétend épuiser. La lutte du réalisme et du nominalisiue se
prolongea, et s'anima en se prolongeant. Un disciple de
Roscelin, Gui l la u me de C h am peaux, la rendit piquante
en soutenant la thèse contraire à celle de son maître , en
venant affirmer que les idées générales , loin de présenter
de vaines abstractions, étaient au contraire les seules entités
existantes. On le voit, il était temps qu'un espritplus impar-
tial, s'élevant plus haut , apportât des paroles de concilia-
tion au milieu de ces partis extrêmes, et révélât aux uns
et aux autres l'erreur où ils tombaient en exagérant un fait
exact. Un disciple de Guillaume, A bai lard, vint remplir
cette tâche. U montra aux nominalistes que les idées gé-
nérales n'étaient pas des mots seulement , aux réalistes
qu'elles n'étaient ni des choses ni les choses , aux uns et
aux autres qu'elles étaient des notions sans doute, formées
par l'entendement, mais participant à toute la réalité des
objets qu'elles (eprésentent. Pour rendre sa pensée plus
claire, pour bien montrer le rapport et la valeur des idées
et des choses, il ajoutait qu'on peut parfaitement affirmer
une idée d'iuie chose , mais non pas une chose d'une autre;
qu'on peut dire : l'homme est bon, Caius est bon, mais non
pas Caius est Titus.
L'autorité d'Abailard mit fm au débat que venaient d'a-
giter trois générations ; mais si les hommes supérieurs ont
la mission de pacifier les esprits sur les questions anciennes,
ils ont celle de leur apporter des questions nouvelles; clore
une ère , c'est en ouvrir une autre. En essayant de s'élever
plus haut encore et de concilier deux ordres de sciences,
aprè-; avoir concilié deux partis , Abailard suscita plus de
troubles qu'il n'en avait apaisés. Jean Se o t avait éprouvé
le besoin de dire que la religion et la philosophie étaient
une seule et même science. Abailard éprouva le même be-
soin. Mais en cherchant à mettre d'accord la révélation et
la raison , à mesurer avec la seconde le dogme fondamental
de la première, celui de la Trinité , il se prépara le sort de
Jean Scot. Deux conciles condamnèrent l'enseignement du
philosoplie, et sa vie fut aussi abreuvée d'amertumes que
sa doctrine était pleine d'erreurs. Mais les fautes personnelles
d'Abailard furent plus grandes que celles de ses ennemis.
Son début fut une ingratitude, car à vingt-deux ans toute
son ambition semblait se réduire à humilier le maître qui
l'avait formé, et longtemps sa vie fut un scandale pour la
jeunesse, qui applaudissait à son génie. L'admiration que
lui vouèrent ses conlemporains , en dépit de ses mœurs et
(le son caracli'ie, est un des traits de tolérance les plus écla-
tants ; c'est le panégyrique de ce siècle. Abailard méritait ce
SCOL AS TIQUE 65
panégyrique. Créateur d'un enseignement à la fois brillant
et rationnel , il fut pour ainsi dire le fondateur de l'uni-
versité de Paris. C'est à partir de cette époque qu'elle éclipse
les autres écoles d'Europe, qu'elle leur sert d'école-modèle
et de tribunal suprême. Tout en se gardant de ses erreurs,
les disciples et les successeurs d'Abailard, Hugues de Saint-
Victor, Gilbert de La Porée, Robert de Melun et Pierre Lom-
bard, s'appliquèrent, dans des voies diverses, à donner
au dogme une valeur philosophique. Dès ce moment les
livres qui jusque là avaient offert le moins de péri' et les
autorités qu'on avait suivies avec le plus de confiance de-
vinrent des guides d'opposition. Saint Bernar f avait signalé
avec raison le mal que la dialectique d'Aristole ferait infail-
liblement au dogme chrétien , chose de puie foi ; on avait
dédaigné ses avis; bientôt, quand la métaphysique d'Aris-
tote, apportée de Constantinople par les croisés, fut venue
rejoindre sa dialectique, et que deux docteurs célèbres,
Amalric de Tournay et David de Dinant, à force de chercher
la fusion impossible du sensualisme aristotélique et du spi-
ritualisme chrétien, furent retombés dans ce |)antliéisnie
que l'Église avait déjà censuré dans Jean Scot, elle se vit
otiligée de condamner et le séducteur et les victimes. En
effet , pour couper le mal dans sa racine , un décret de l'au-
torité ecclésiastique , de l'an 1209, ordonna de brûler les
œuvres d'Aristote. On a pu , un siècle plus tard , brûler en
personne l'apostasie réelle ou prétendue des t e m p l i e rs ; les
templiers avaient déplu aux rois , à la chevalerie , aux or-
dres; les livres d'Aristote, au contraire, étaient devenus
chers à tout le monde , et l'on eut beau répéter en 1215 et
en 1231 le décret de 1209, ces livres restèrent le manuel des
hommes les plus éminents. Un des plus illustres évêques de
Paris, Guillaume d'Auvergne; le grand encyclopédiste du
treizième siècle , Vincent de Beauvais ; le plus célèbre des
professeurs qui dans le cours de ce siècle enseignèrent
dans nos écoles, Albert le Grand, lisaient Aristote expli-
qué par les Latins et Aristote commenté par les Arabes ; et
bientôt , par suite d'une de ces réactions qui sont aussi fré-
quentes en philosophie qu'en politique , l'unique résultat de
la proscription du Stagyrile fut un empire plus absolu que
le premier. Telle fut cette réaction qu'elle ressuscita jusqu'à
la vieille querelle du nominalisme et du réalisme , que l'é-
loquence d'Abailard avait si heureusement apaisée, et qui
reparut avec une puissance de subtilité toute nouvelle. Mais
cette fois on ne se borna pas à de pures questions de dia-
lectique et de logique , on aborda les plus hautes doctrines
de psychologie, de métaphysique, de théologie. Quand on
eut bien distingué l'essence elle-même de l'existence, la
qulddlté ou le esse essentias du esse existenlix, la hœc-
céité et tout ce qui s'y rattachait, on passa aux questions
de la liberté divine et humaine, de l'existence de Dieu, de
la création , etc.
La France ne fut pas seule le théâtre de ces joutes savantes,
dont l'Angleterre, l'Italie et l'Allemagne eurent aussi leur
part ; mais un élève de l'école de Paris , saint T h o m a s d'A
quin, et un professeur de Paris, D uns Scot, lurent, aprè:
Albert le Grand , que nous enleva l'Allemagne , les princi-
paux champions de cette grande lutte. D'accord sur la ques-
tion générale du réalisme, et admettant tous les deux que
les objets de l'entendement ou les notions des ( lioses en
constituent l'essence primitive, ils se combattirent néanmoins
sur toutes les questions secondaires. Ils appartenaient a deux
ordres différents; et les cartésiens et les anti-cariésiens, les
kantistes et les anli-kantistes sont demeurés depuis, dans
leurs discussions et dans leurs haines, bien en deçà des
antipathies et des disputes des scotistes et des llion)isfe> ,
qui constituèrent deux camps ennemis, d'une hostilité
extrême, dans l'Europe, inondée des produits de leur puis-
sante fécondité. Les seules œuvres complètes de saint Thomas
forment, dans l'édition de Paris, 1636 à 1641, vingt-trois
volumes in-folio. Et pourtant, toutes ces œuvres, tous ces
docteurs subtils , angéliques et séraphiques , qui travail-
lèrent au triomphe du réalisme, et qui faillirent canoniser
65 SCOLASTIQUE — SCOPELISME
Aristote , échouèrent contre le nominalisme, ou plutôt contre
l'idéalisme et le mysticisme, qui se cachaient sous ce nom.
Plusieurs fois on persécuta les nominalistes, comme ou les
avait frappés à leur première apparition. On les croyait en-
nemis du dogme de la Trinité surtout, nous l'avons déjà
dit. Ce tut inutilement qu'on essaya de les opprimer. Un
instant il semblait qu'ils auraient le sort des chevaliers du
Temple ; quand fut terminé le procès de ceux-ci , on alla à
eux, on les expulsa de leurs chaires, on brûla leurs ou-
vrages en 1 339, 1341, 1409, et môme en 1473. Ils firent néan-
moins des progrès partout, à Paris, dans toute la France,
en Allemagne , en Italie. C'est qu'avec l'esprit du temps, ils
étaient devenus les libres penseurs du moyen âge.
L'idéalisme pur et rationnel frappa les premiers coups par
l'organe de D u r a n d de Saint-Pourçain, évêque de Meaux,
qui montra avec beaucoup plus de clarté que ne l'avait fait
jadis Abailard , que ne l'avait fait dans l'antiquité Arcésilas
lui-même, ce qui dans nos coBnaissances appartient ou au
sujet ou à l'objet.
Vint la liberté dans la personne de Guillaume Occam,
le penseur le plus indépendant de l'époque, penseur qui lit
si grande la part de la subjectivité, qu'en tout autre temps
il allait jeter la philosophie dans le scepticisme Mais aucune
sympathie n'existait alors pour le s cep ti ci s me; toutes les
affections , au contraire, étaient acquises à un autre système
qui vint achever la défaite du réalisme et de la dialectique.
C'était le mysticisme.
L'avènement du mysticisme était préparé de longue main.
Le mysticisme , inséparable de toute religion qui repose sur
des mystères , et il n'y a pas de religion sans ce fondement,
était préparé dans l'école de Paris , depuis fépoque d'Abai-
lard, par Hugues, de l'abbaye de Saint-Victor, et surtout
par Richard, son disciple. Ce dernier l'enseignait même
de la manière la plus complète, c'est-à-dire qu'il conduisait
à l'intuition immédiate de l'Etre Suprême par six degrés.
Au premier «iegré, disait-il, les sens et l'imagination,
touchés de la grandeur, de la richesse et de la beauté des
choses , sont conduits à la surprise , et de la surprise à l'ad-
miration ; au second , l'esprit médite sur le but de la créa-
tion; au troisième, la raison conclut du visible à l'invisible;
au quatrième , elle examine le monde des esprits , et ici finit
la raison ; au cinquième degré, la révélation nous fait con-
naître les attributs de l'Être Suprême ; au sixième , arrive
l'irradiation de la lumière céleste et l'intuition des choses
les plus secrètes. Tf 1 avait été le point de départ du siècle
d'Abailard. Peu de signes extérieurs signalèrent au treizième
siècle le progrès de cette doctrine ; au quatorzième siècle,
saint Bona V en tu re enseigna le mysticisme en Italie,
Thomas a Kempisen Allemagne, Gerson en France, ces deux
derniers avec un tel accord de langage et d'idées qu'on attri-
Due encore de nos jours à l'un et à l'autre le plus beau
livre qu'après l'Évangile le christianisme ait jamais inspiré,
^Imitation de Jésus- Christ.
Attaqué ainsi de tous côtés, même par la théologie na-
turelle de Raimond de Se bonde, professeur de Toulouse,
le réalisme vit sa fin approcher et l'empire d'Aristote expirer
en France. Mais déjà un changement bien plus grand était
pré[iaré ; avec le règne d'Aristote celui de la scolastique
elle même était arrivé à son terme, et un philosophe , que
ses <;onteuiporains ont surnommé avec orgueil l'aigle de
la France, le cardinal d' Ai 11 y, demanda la séparation de la
théologie et de la [jhilosopliie dans l'intérêt de l'une et de
l'autre. Pour la philosophie, l'ère de l'émancipation était
arrivée par toutes les voies. Les croisades et le mouvement
intellectuel qui les avait suivies ; la découverte d'un nou-
veau monde, cet autre élargissement de l'horizon humain;
le rapide développement de plusieurs langues et de plusieurs
littératures modernes ; la résurrection des études classiques,
préparée par les Boccace et les Pétrarque avant d'être effec-
tuée par les Grecs répandus sur l'Occident à la chute de
Byzance; l'invention du plus ingénieux et du plus fécond de
tous les arts, de cette typographie, qui, rapide comme la lu-
mière du ciel, des pensées de l'un fait la commune pensée
de tous : ces grands faits, en jetant dans les esprits une exci-
tation immense , inspirèrent à tous le désir d'en tirer parti
avec une indépendance complète. Matter. ]
SCOL ASTIQUES. On appelait scolasiiques , chez les
Romains, les maîtres d'éloquence attachés aux écoles im-
périales ( voyez ÉcoLATREs). Mais d'ordinaire on ne dési-
gne plus aujourd'hui sous ce nom que les philosophes du
moyen âge. Voyez Scolastique.
SCOLI ASTES, SCO LIES (du grecaxo^, loisir). On écri-
vait autrefois 5c/io/Jai<e5, scholie, conformémentà l'élymo-
logie. Les scolies étaient des notules, des explications ap-
posées sur les marges des manuscrits grecs, par leurs pos-
sesseurs, dans les loisirs d'une lecture assidue et réitérée;
et ceux qui avaient l'habitude de les consigner prirent le
nom de scoliastes. Ainsi le mot qui renfermait l'idée de
loisir s'appliqua à des hommes doctes et laborieux , et finit
par exprimer le résultat d'une existence toute littéraire,
d'une persévérance infatigable au travail.
Deux causes principales ont concouru à établir le règne
des scoliasteset des commentateurs; d'abord l'altération du
langage , qui croissait avec le temps , et ensuite l'appauvris-
sement graduel du génie littéraire. La dépravation inces-
sante delà langue rendait comme nécessaire d'expliquer et
de justifier dans les grands auteurs tout ce qui s'écartait
des innovations. Le sens des mots, leur étymologie , l'anti-
que prononciation , les traditions qui devenaient nécessaires
à l'intelligence de certains passages , des règles grammati-
cales à rappeler ou à établir dans l'occasion , des notions
géographiques à donner, des faits d'histoire naturelle ; en
un mol, tout l'appareil d'une érudition qui n'avait guère de
limites, parce que les recueils de scoZies étaient alors le
principal et presque l'unique répertoire d'instruction; tels
sont les éléments principaux sur lesquels s'exerçaient la
patience infatigable , la critique plus ou moins docte , plus
ou moins éclairée des scoliastes. Il est fort heureux que le
respect traditionnel pour les grands ouvrages et leur célé-
brité consacrée ait fait adopter en général les chefs-d'œuvre
pour texte des commentaires. C'était sur les œuvres d'Ho-
mère qu'on s'exerçait surtout ; la mine était riche, l'intérêt
tout national ; elles offraient à l'étude le langage de la Grèce
antique pris à sa source. Aussi les principaux scoliastes ont-
ils été presque tous commentateurs d'Homère.
C'est à Alexandrie surtout que l'armée des scoliastes prit
naissance ;.le goût des lettres s'y était maintenu plus qu'ail-
leurs , et le riche dépôt d'une immense bibliothèque favo-
risait les recherches et les comparaisons sur les textes an-
ciens. Ensuite, le règne des premiers empereurs fit fleurir
dans certaines villes de l'Asie et de la Grèce l'érudition des
scoliastes. Quant au mérite des scoliastes, il diffère en raison
des individus et des quahtés diverses des esprits ; mais
en général le côté solide et grave de leurs travaux est
une profonde connaissance des antiquités grammaticales,
une vaste érudition de détails; ils ont peu de critique,
manquent d'idées générales, et entassent souvent des con-
jectures puériles, des étymologies forcées, des futilités qui
se res!>entent de l'affaissement intellectuel de leur époque.
Mais avec toutes leurs subtilités et leur mauvais goût, les
scoliastes nous ont laissé une foule de documents précieux
pour la grammaire , la prononciation , la prosodie , l'his-
toire du langage , documents qui ne nous seraient pas ar-
rivés par d'autres voies : ou leur doit de nombreux frag-
ments d'auteurs perdus; enfin , ils sont un objet de médita-
tion pour tout homme désireux d'étudier la langue grecque
d'une manière approfondie. F. Gail.
SCOLOPEI\DRES. Voyez Myriapodes.
SCO.MBRE. Voyez Bonite.
SCOPÉLISAIE. (du grec ctxôtceXoç, pierre), .sortilège qui
consistait à rassembler une pile de cailloux au milieu d'un
champ, dans les formes et dans les proportions indiquées
parla science magique, en accompagnant cette cérémonie de
certaines paroles mystérieuses. On attribuait à cet enchante-
SCOPELISME — SCORPION
5T
ment l'effet de paralyser le principe fécondant de la terre , de
faire émigrer les grains et les semences qui allaient enrichir
un champ désigné du voisinage et de livrer le cultivateur
scopelisé au danger d'une mort prompte et violente s'il
osait contrarier, par quelques travaux , i'arrêt de ruine
prononcé contre lui. Le malheureux laboureur qui aperce-
vait dans son champ cette pile funeste était tout à coup
glacé d'effroi et de terreur. Il n'osait plus mettre le pied
sur une terre frappée de malédiction, elparcetle désertion il
causait cette même stérilité dont il était menacé et don-
nait du crédita celte misérable illusion. Cette pratique, ori-
ginaire d'Arabie, s'était naturalisée en Egypte, puis répandue
chez les Grecs et les Romains. Celui qui s'en rendait cou-
pable était immolé à Cérès d'après la loi des Douze Tables.
On retrouve celte crédulité aux siècles les plus brillants
de Rome. Virgile, Ovide la consacrent dans leurs poèmes ;
saint Augustin s'exprime avec indignation sur cette science
infernale et scélérate. Knfin, les Pandectes de Justinien pro-
nonçai nt encore contre ce crime la peine capitale.
SCOPS. Cet oiseau , que Buffon nommait petit-duc , et
que Linné range parmi les chouettes, forme pour les
ornithologistes modernes un genre dont on ne connaît qu'une
seule espèce , le scops europxus , ainsi caractérisé : Plu-
mage brun, mêlé de gris, glacé de roux et de noirâtre,
brun cendré en dessus , mêlé de roux en dessous : tige des
plumes noirâtre; quelques taches blanches sur les bords
des grandes couvertures et des rémiges.
Le scops , commun en France , en Hollande, en Suisse ,
en Allemagne , en Italie et dans la Russie méridionale , ha-
bite aussi l'Afrique. Nous ne le possédons que depuis avril
jusqu'en octobre, époque où s'exécutent ses migrations vers
le Sud. Cet oiseau est très-doux et se familiarise aisément.
Quoiqu'il ne puisse soutenir longtemps l'éclat d'une vive
lumière , il voit très-bien pendant le jour , comme le ro-
marque Spallanzani ; c'est à tort qu'on le regarde comme
crépusculaire.
SCORBUT (mot emprunté aux Hollandais, qui l'ont
eux-mêmes tiré du danois). Les anciens, qui ne connais-
saient pas cette maladie , probablement parce qu'ils n'en-
treprirent pas ces grandes navigations dans le cours des-
quelles elle se développe le plus fréquemment, n'en ont pas
parlé. Hâtons-nous <le dire que, grâce aux progrès del'liy-
giène pubhque et privée, le scorbut devient de plus en plus
rare. Parmi les souvenirs désastreux qui se rattachent à sou
histoire , on peut surtout rappeler les ravages qu'il lit dans
l'armée de saint Louis, campée devant Damielte. Depuis
lors, on le voit fréquemment décimer les trou[)es établies
dans des lieux malsains , ou les équipages des vaisseaux
employés à des voyages de long cours. Au nombre des
causes les plus piopres à développer cette funeste maladie,
il faut mettre au premier rang l'action prolongée d'un air
froid, humide et altéré par l'agglomération d'un grand nom-
bre d'individus. On fait jouer aussi un rôle important à la
nature des aliments , et notamment à l'usage exclusif des
viandes salées , joint à la privation de légumes frais. Ce-
pendant, on voit le scorbut se développer aussi au milieu
de conditions alimentaires entièrement opposées.
Ls pâleur des traits , l'affaiblissement et la fatigue au
moindre exercice, le gonflement douloureux des gencives,
la faiblesse du pouls, sont les symptômes qui apparaissent
le plus souvent au début de la maladie. Ils prennent succes-
sivement plus d'intensité ; les gencives laissent suinter du
sang, les dents s'ébranlent, l'affaiblissement augmente; il
s'y joint de l'essoufflement au moindre exercice; le teint
se plombe , la peau perd sa chaleur habituelle , des douleurs
se font sentir dans les muscles, dans les os. Aux varices
succèdent des ulcères fongueux, qui exhalent une grande
quantité de sang ; des taches pourprées ou de larges ecchy-
moses apparaissent sur la peau ; quelquefois des hémorrha-
gies nasales , pulmonaires , intestinales , se déclarent. Le
pouls devient de plus en plus petit, la respiration de plus
en plus gênée. Enfin , si l'on n'a rien tenté pour enrayer la
' marche du fléau , le malade succombe en pleine connais-
sance, après plusieurs mois de souffrance, ou plus tôt s'il
se jointà la maladie primitive quelque complication, comme
le typhus, qui en accélère le développement.
Soustraire le malade aux circonstances sous l'influence
desquelles s'est développé le mal, telle est la plus pressante
des indications curatives. Le traitement se modifie ensuite
suivant les complications de la maladie. Il a ordinairement
pour base les médicaments dits anti-scorbutiques, Icsqueisse
composent principalement de filantes crucifères acres (cres-
son, raifort, cochléaria, etc. ). On y joint une alimentation
tonique. Dans les cas de complications inflammatoires (scor-
but chaud ) , on ne permet que le régime végétal et les bois-
sons acidulés. On prescrit aussi des gargarismes appropriés
à l'état des gencives. Saucerotte.
SCORIE, substance terreuse ou pierreuse vilritiée, qui
surnage comme une écumeà la surface des métaux en fusion.
De nos jours on a trouvé le moyen d'utiliser les scories,
naguère encore perdues dans les fondeiies. De ces scories ,
prises avant qu'ellessoient refroidies et jetés à l'instant dans
un moule , on forme des tablettes de toutes dimensions et
de toutes couleurs. Ces tablettes , dont le poli est le même
que celui du marbre le mieux travaillé, sont cependant
d'une résistance telle qu'on peut les attaquer avec un poin-
çon de fer sans enlever le poli, ou pour ainsi dire l'émail
de la surface. Une autre propriété de cette nouvelle compo-
sition , c'est qu'elle peut recevoir et conserver l'inaltérable
empreinte de tous les dessins que l'on veut joindre à la
matière en la jetant dans le moule.
On appelle scories vulcaniqnes certains produits des vol-
cans, offrant de la ressemblance avec les scories des métaux.
SCORODITE. Voyez Néoctèse.
SCORI*IOi\ {Zoologie). Dans la classification de Cu-
vier et Latreille, les scorpions appartiennent, ainsi que les
tarentules, à l'ordre des arachni des pulmonaires et à
la famille des pédipalpes. Cette famille des pédipalpes est
rangée par Blainville dans l'ordre des entomozoaires oc-
topodes ; quant â Leach , il érige les scorpions en une fa-
mille distincte, la famille des scorpionides , et il la sous-
divise en deux tribus, l'une renfermant les buthes , qui
ont huit veux, et l'autre les scorpions proprement dits,
qi'i n'en ont que six.
Les scorpions présentent un corps allongé et formé de
segments distincts : leur abdomen , intimement uni au tronc
dans toute sa largeur, présente à sa base inférieure deux
appendices mobiles et en forme de peigne, dont l'usage
n'est pas encore bien déterminé : cet abdomen est terminé
brusquement par une queue longue, grêle, composée de six
articles , dont le dernier s'effile en une pointe arquée et
extrêmement aiguë; à la base de cette espèce de dard se
trouvent deux orifices, qui laissent suinter une liqueur veni-
meuse sécrétée par un appareil particulier. Des stigmates,
au nombre de huit, sont symétriquement distribués, quatre
lie chaque côté de l'abdomen. Les scorpions ont huit pattes,
de taille médiocre : leurs palpes, qui sont très-dé veioppées,
se terminent par une serre en tonne de main ; leurs man-
dibules sont en pince. Les scorpions sont vivipares. La fe-
melle fait a diverses reprises de vingt à quarante petits,
qu'elle porte sur son dos pendant un mois environ, c'est-à-
dire jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour pourvoir à leur
subsistance.
Les scorpions forment une famille passablement nombreuse,
et qui est assez largement distribuée dans les pays méridio-
naux des deux hémisphères. Ils vivent à terre, et choisissent
de préférence les terres sablonneuses ; ils se cachent sous
les pierres, dans les lieux sombres et frais, dans les crevasses
des vieu\ murs, et jusque dans les plafou'is et les planchers
des maisons. Ils se nourrissent le plus ordinairement de cara-
bes, de charançons , de cloportes et de divers insectes coléop-
tères et orthoptères, qu'ils saisissent avec leurs pinces,
qu'ils frappent avec leur dard, et qu'ils font ensuite passer
entre leurs mandibules et leurs mâchoires; ils sont aussi
58
SCORPION — SCOTT
extrêmement friands de larves d'insectes et d'oeufs d'ara-
ciinides. Effrayés , les scorpions courent avec une grande
vitesse, en agitant violemment leur queue, qu'ils recour-
bent en tous sens, comme pour en frapper l'ennemi qui les
poursuit de quelque part que puisse venir l'attaque.
Les scorpions varient beaucoup pour la taille. Nos scor-
pions d'Europe ont rarement plus de cinq à iiuit centimè-
tres de longueur, el leur piqrtre est comparativement peu
grave ; mais les scorpions de l'Afrique et de l'Inde ont une
longueur moyenne de douze à seize centimèties : Batavia
en possède, dit-on, qui mesurent trente centimètres de long;
et Bosman raconte en avoir vu, sur la Côte-d'Or, dont la
taille égalait celle d'un homard : la piqûre de ceux-ci est fré-
quenunent et pioinpteuient mortelle. Rcdi , Maupertuis,
Seba, Maccare , Bosman, Léon Diifour et plusieurs autres
naturalistes ont fait bon nombre d'expériences dans le but
de constater la létlialité comparative des didérentes espèces
de scorpions. Le résultat général de leurs recliercbes a été:
1° que la piqûre du scorpion d'Europe, qui est assez com-
luun dans le midi de la France, est rarement suivie d'acci-
dents graves; 2° que la piqûre du scorpion roussàtre , qui
est assez répandu en Espagne, dans la Berbérie, etc., peut
quelquefois devenir extrêmement dangereuse ; 3" que la
piqûre du scorpion africain , qui vit dans les trous et dans
les fentes des arbres, détermine quelquefois la mort au bout
de deux heures; et 4° que le venin du scorpion est en gé-
néral d'autant plus à craindre que l'animal lui-même est
plus âgé, et que le pays qu'il habite est plus voisin des tro-
piques.
Les remèdes qui ont été préconisés contre la piqûre des
scorpions sont nombreux. Des médecins persans, qui font
autorité en ces choses, conseillent de panser la plaie avec
une huile dans laquelle bon nombre de scorpions ont long-
temps macéré : d'autres y appliquent une espèce de cata-"
plasmefait avec des scorpions écrasés et réduits en bouillie.
Kos médecins d'Europe ont recours à une thérapeutique
plus rationnelle : ils conseillent la ligature du membre piqué,
la succion delà plaie, la cautérisation par le fer ou par un
alcali caustique quelconque, et enfin l'application de ven-
touses. Ce mode de traitement nous paraît mieux approprié
à la piqûre des scorpions européens que la méthode usitée
en Asie. Belfield-Lefèvre
SC0RP30IV {Art militaire). Foyes Baliste.
SCOllPIOIV ( /ls(;ro»oj?iif!), nom que l'on donne au
huitième signe du zodiaq ue; le grand cercle, ou la ligne
qui passe par Réguliis et l'Épi de la Vierge (c'est presque l'é-
cliptique ), rencontre plus à l'est la constellation du Scorpion,
qui se compose de cinq étoiles, dont la plus remarquable se
nomme Antarès , ou le cœur du Scorpion. Elle est de pre-
mière grandeur; les quatre autres forment un arc du nord
au sud.
Les anciens appelaient le Scorpion Nepa, Martis sldus ,
Fera magna. Chez les Romains, ce signe était consacré à
Mars; pugnax Mavorti scorpius hxrct; et Plutarque dit
que les Égyptiens y avaient placé l'empire de Ty[ihon. Le
lever du Scorpion coïncide avec le coucher du cocher cé-
leste, nommé parles astronomes Phaéton. Ainsi s'explique
la fable d'Ovide :
Hune puer ut nigri madiduia sudorc 'vencni
Vuliicra curvata riiinitantem cii.s|ii(Je vidit.
Mentis ino|)s , gelida l'oriuidine lora rcnjisit.
SCORPIOIV DE MER. Voyez Chabot.
SCORP!OI\S (Faux). Voyez Aiucunides.
SCOT ou SCOTT (Jean). Voyez Éuigène,
SCOTARO (F\\uLus). Voyez Clément III, pape.
SCOT-ÉRI(;ÈNE. Voyez ÉniciiNE.
SCOTIE {Architecture) , nom que les ouvriers don-
nent à une moulure creuse, terminée par deux filets, qui
est entre les tores dans les bases attiques , corinthiennes et
composites. Lorsqu'il y en a deux dans une même base
comme à la base corinthienne , on les nomme scotie supé-
rieure et scotie inférieure.
SCOTISTES ou SCOTTISTES. Voyez Duns Scot et
CORDEUEItS.
SCOÏS(Les), peuple d'Hibernie (Irlande), qui vint
s'établir en Calédonie , d'où ce pays a reçu depuis le nom
d'Ecosse.
SCOTT ( Michel ) , appelé aussi Scotus , écrivain du
treizième siècle, né dans le comté de Fité , en Ecosse, sous
le règne d'Alexandre II, séjourna en France, en Allemagne,
en Angleterre, et alla ensuite chercher en Norvège une prin-
cesse destinée à partager le trône d'Ecosse, laquelle mourut
en route ( 1290 ). Scott était alors fort âgé. il mourut l'année
suivante, dans une abbaye, avec la réputation d'un homme
de grand savoir, ayant étudié les langues, les mathémati-
ques, la médecine, la chimie, et s'étant beaucoup occupé
de sciences occulles. Nous citerons de lui deux ouvrages :
Physiognomia et De Hominis Procreatione , lesquels ont
été réimprimés avec les œuvres d'Albert le Grand. Quelques
auteurs lui attribuent une traduction latine d'Arîstote.
SCOTT (Récinald), né dans le comté de Kent , vers le
commencement du seizième siècle , mort en 1599 , fit preuve
d'un courage et d'une force d'esprit au-dessus de son temps
en publiant un livre intitulé : La Sorcellerie et la Magie
dévoilées.
SCOTT (Samuel) , un des peintres les plus célèbres de
l'Angleterre, qui en compte si peu, né dans les premières
années du dix-huitième siècle, mort en 1772 , s'e-;t fait sur-
tout un nom par ses marines el ses vues du port de Londres.
SCOTT (Sir Walter) , le plus grand romancier du
dix-neuvième siècle, né à Edimbourg, le 15 août 1771,
mourut le 20 septembre 1832, à Abbotsford. C'est un des
noms les plus populaires de la littérature. Les œuvres du ro-
mancier écossais charment toutes les classes de la société;
ses pages ravissantes pénètrent dans la boutique et dans les
salons, dans le boudoir et dans la niansarde. La simplicité
qui caractérise les récits de Walter Scott les met à la portée
de toutes les intelligences; et la forme attrayante sous la-
quelle ils .se produisent insinue aisément dans les cœurs la
douce et .saine morale qu'ils renferment ; car le grand écrivain
a travaillé à l'amélioration de ses lecteurs en contribuant
à leurs plaisirs. Insoucieux de la triste célébrité de ces
génies qui passent comme des météores, sans éclairer le
monde qu'ils éblouissent, il a cherché une gloire moins
brillante peut-être, mais plus solide et plus pure. Et d'ail-
leurs, son blason littéraire ne pâlirait devant aucun autre :
bien qu'il relève de Shakspeare, d'une part, pour l'obser-
vation des hommes et, de l'autre, pour l'étude des anti-
quités, sa manière s'est développée avec une riche origina-
lité. Il a le premier annoncé la résurrection du moyen
âge ; sa main la première a reconstruit les vieux manoirs
féodaux, tiré delà poussière les généalogies des clans, et
ressuscité les peuples disparus. A la voix de l'enciianteiu',
à l'apparition du génie qu'il avait évoqué, les lairds ont re-
vêtu leur armure rouillée, ils ont repris leur physionomie
sévère, et leurs pas ont retenti , comme aux jours passés,
dans la salle des aïeux. Il les fait revivre avec leurs supersti-
tions, leurs préjugés, leurs mœurs idolâtres du passé ; il s'y
transporte avec amour ; il semble que le bonheur ne se trouve
pour lui qu'au milieu des clans de l'Ecosse, tels qu'ils existaient
il y a trois cents ans. Le grand plaisir de Walter Scott
à l'école était de faire des contes de fée à ses camarades,
et il trouvait déjà le secret de charmer son petit auditoire.
D'ailleurs, il ne montrait pas encore de brillantes disposi-
tions pour l'étude ; car lorsqu'en 1783 il quitta son école,
il n'occupait que la onzième place de sa classe. 11 entra vers
cette époque à l'université d'Edimbourg; mais au uiouient
où il se préparait à l'étude de la jurisprudence, une maladie
dont il iùt atteint le cloua pour longtemps au lit de dou-
leur. Les médecins lui interdirent l'usage de la parole jus-
qu'à son entier rétablissement. Pour tromper l'ennui qui
devait résulter d'une semblable privation, il mit à contribu-
SCOTT
69
tion la bibliothèque de son père ; il dévorait tous les ou-
vrages qui lui tombaient entre les mains : on pense bien
que les livres de droit n'étaient pas du nombre. C'étaient
de vieilles légendes, des romans, des ballades, qui déve-
loppaient sa jeune et poétique imagination. Cependant, lors-
qu'il fut rétabli, il s'appliqua sérieusement à l'étude du droit.
Reçu avocat eu 1792 , il remplit avec zèle les devoirs de sa
profession.
Le moment était favorable pour entrer dans la carrière
des lettres. Cowper, poète d'une imagination brillante et
d'une sensibilité profonde, venait de mourir; Samuel Ro-
ger s sommeillait sur ses lauriers; des noms fameux aujour-
d'hui, comme ceux de Southey, de Word svvorth,
commençaient à peine à être cités. Ces circonstances enga-
gèrent Walter Scott à se produire dans l'arène littéraire, et
ses premiers essais furent un poème, intitulé La Chasse, et
quelques ballades traduites de l'allemand. Ses liaisons avec
Lew i s , l'auteur du Moine, contribuèrent aie fortifier dans
sa vocation , et, après avoir traduit Goetz de Berlichingen,
en 17'.'3, il lit paraître l'ouvrage qui jeta les fondements de
sa réputation , les C/irt/i/s des Bardes Écossais, enrichis
de notes plus précieuses et plus amusantes que les ballades
elles-mêmes. Par bonheur, il avait obtenu, en 1800, par
l'inlîuence de sa famille , la place de sheiiff du comté de
Seikirk, avec 300 liv. st. ( 7,500 fr ) d'appointements. La
mort de son père lui apporta une grande augmentation d'ai-
sance ; en sorte que rien ne l'empêchait de se livrer à ses
goûts naturels.
Le poète ne s'était pas trompé sur sa véritable vocation ;
les lettres le réclamaient à la jurisprudence. Tl entra digne-
ment dans sa nouvelle carrière en publiant Le Lai du der-
nier Ménestrel. La faveur publique accueillit ce poème,
tout plein de ce charme et de cette fraîcheur qui caractéri-
sent les premières productions d'une jeune muse. Marmion
suivit de près Le Lai du dernier Ménestrel. Marmion ,
ie moindre de ses poèmes, sous le rapport historique, se
distingue, en revanche, par de grandes et énergiques des-
criptions. Celle de la bataille de Fladden est une des plus
admirahles que Walter Scott ait tracées. La renommée du
poète commençait à s'étendre; Pitt et Fox s'intéressèrent
aux débuts de sa muse. La place de premier clerc étant
devenue vacante à la cour des sessions, Pitt la fit offrir
à Walter Scott. Le grand diplomate mourut avant la con-
clusion de cette affaire, mais son but fut atteint par son
successeur. Après six années de travail gratuit, Walter Scott
fut nanti des honoraires de sa charge, et sa position devint
alors des plus belles. Cependant il avait donné, en 1809,
une édition des Œuvres de Dryden. Cette édition , pré-
cédée de la Vie de Dryden et enrichie de notes judicieuses,
fut achevée dans l'espace d'une année, et en ISlo il publia
La Dame du Lac, le plus brillant de ses poèmes. Trois ans
s'étaient écoulés depuis la publication de La Dame du Lac,
lorsque parut Rockeby. Ce dernier poème ne fut pas accueilli
aussi favorablement que ses aînés. Le Lord des Iles, qui
lui succéda, excita moins d'empressement encore. Ce fut vers
ce temps-là que Walter Scott résolut d'abandonner la poésie
pour la prose. Élégante, aimable, cette muse si féconde, qui
produisait en deux ans six volumes in-4", méritait sous quel-
ques rapports la popularité dont elle-a joui; mais c'était unepo-
pularilé de mode, une vogue passagère. Ces romans rimes
avaient quelque chose de factice, de faux, de frivole, qui
se faisait sentir à travers leur mérite môme et la grâce de
l'exécution ; des caractères à peine indiqués , des épithètes
de convention, des ornements choisis avec goût, mais qui
trahissaient l'art, une facilité brillante et un peu diffuse,
qui donnaient à ces poésies un caractère de légèreté aimable
et éphémère qui ne pouvait pas leur assurer une longue exis-
tence. On peut douter que le génie de Walter Scott soit es-
sentiellement et réellement poétique. Une tirade du Ciel et
la Terre de lord Byron , une ballade de Burns , renfer-
ment plus (le poésie que toutes les poésies de Walter Scott.
Dans les romans et les nouvelles qui lui sont attribués,
c'est tout autre chose. Libre de toute dépendance, débar-
rassé des entraves poétiques, l'auteur de Waverley n'a
plus d'épithètes à choisir, de rimes à chercher, de chants à
disposer; les événements marchent, les personnages se de-
vinent, tout prend une physionomie naïve et franche. On
ne voit plus l'auteur dans ses récits en prose; et c'est la
cause principale de leur succès. Comme le personnage de
Swift, qui détache le galon ridicule dont on avait couvert
son habit, Walter Scott, dans sa |)rose, rejette tous les
ornements factices, et s'enrichit de ce qu'il perd. Ses
poèmes étaient artificiels , frivoles; sa prose est naturelle et
vraie ; elle est parée de sa naïveté même, comme la nymphe
des bois qui , sans vêtements et sans recherche , s'étonne
elle-même de sa beauté sauvage, quand le ruisseau lui révèle
les attraits qu'elle ignore.
En choisissant pour lieu de la scène une région isolée,
agreste , et pour époque de son action un ou deux siècles
antérieurs au temps où nous sommes, il a trouvé moyen
de donner à ses narrations antiques le caractère le plus
piquant de fraîcheur et d'originalité. Tout semble neuf dans
les romans écossais ; le paysage , les coutumes , les carac-
tères, le dialecte, les costumes , tout nous charme par une
singularité sauvage; et les ralïmemenls de la civilisation mo-
derne rendent plus curieux pour nous ces tableaux de la
vie nomade , agricole et guerrière d'une civilisation impar-
Caite.
C'est par de telles qualités que les romans de Walter Scott
ont acquis leur vogue immense. On se ferait difficilement
une idée de l'enthousiasme excité dans le public par l'appa-
rition de Waverley. L'auteur avait évité de se nommer, et
le mystère dont il semblait s'envelopper ne lit que piquer
plus vivement la curiosité. L'admiration ne diminua pas en
présence de Guy Mannering, j^ui suivit VFflfer /<??/, de L'An-
tiquaire , de Rob-Roy, des Puritains d'Ecosse, etc. Bien
que l'auteur de ces charmantes fictions eût mis une vingt-
taine de personnes dans sa confidence, le secret fut reli-
gieusement gardé. Pour déjouer encore mieux toutes les
suppositions, Walter Scott continua d'écrire en vers, et pu-
blia un poème sur la Bataille de Waterloo, qui essuya des
critiques assez vives. Décidément, il avait raison de quitter
la poésie pour la prose : tandis que ses poèmes étaient froi-
dement accueillis, le plus brillant succès couronnait ses ro-
mans, bien que l'auteur persistât à se cacher sous le voile
de l'anonyme. Ces ouvrages furent encore plus admirés en
Angleterre qu'en Ecosse. Maître d'une brillante fortime, il
acquit en 1813 , à Abbotsford , sur les rives de la Tweed ,
une belle terre, où il fit construire une habitation et créer
des jardins d'après ses propres idées. La maison d'Ahhots-
ford est une espèce de château gothique, encadrée, comme
un diamant parmi des émeraudes , dans les bois touflus
plantés par les mains du grand écrivain. Il plantait, dessi-
nait les jardins , dirigeait les constructions ; et en même
temps sa plume rapide enfantait volume sur volume : il
remplissait dans tous leurs détails , et avec beaucoup d'ac-
tivité, ses devoirs de père, d'ami, de propriétaire. 11 s'occu-
pait avec zèle de sa place de sheriff , et trouvait le temps de
publier la Vie et les ouvrages de Swift, les Antiquités
d'Ecosse, et plusieurs autres ouvrages. Cependant personne
n'avait l'air moins occupé que lui : il était toujours acces-
sible aux nombreuses visites qui arrivaient à Abbotsford ;
et, d'après le témoignage sincère et positif de Hogg, il
montrait en général lapins grande politesse aux étrangers.
Walter Scott était, comme Gœtbe, d'une âme assez indif.
férente, mais bonne et loyale. Une délicatesse à toute
épreuve formait le fond de son caractère , et il y avait chez
lui une énergie, une puissance de volonté peu communes.
Le courage qu'il déploya dans sa lutte contre l'adversité est
vraiment admirable.
En 1825 il commençait à se faire vieux; et tout le
monde, en raison du débit immense qu'avaient obtenu ses
romans, le croyait riche, lorsque la faillite des maisons
Ballantyne et Constable, dans lesquelles il avait un intérêt,
60
Tint taire peser surluî , en vertu de la loi qui règle les sociétés
de commerce, une dette de ll7,000liv.st.( 2,8000,000). Une
âme moins ferme se serait laissée aller au désespoir : WaUer
Scott supporta ce malheur avec résignation. Dès lors il con-
sacra sa vie tout entière à s'acquitter. 11 écrivait pour gagner
de l'argent , et il ne faut pas s'étonner que de sa plume
soient sorties maintenant diverses productions médiocres. Sa
Vie de Napoléon (9 vol., 1827) est un livre commandé par
la spéculation et écrit sans critique, bien que renfermant
quelques belles pages. C'est alors qu'il fit paraître en trois
séries les Contes d'un Grand- Père {i'è28-\830), et qu'il
écrivit une Histoire d'Ecosse pour la Cijclopecdia du
D"" Lardner, ainsi que des Lettres surin Déinonologie, pour
la Bibliothèque de Murray. Le manuscrit des romans déjà
publiés fut vendu pour 8,400 liv. sterl. (210,000 francs);
et l'acquéreur en fil paraître une nouvelle édition, corrigée
et enrichie de notes par l'auleur, dont le ciiiffre de vente s'é-
leva à 23,000 exemplaires. Environ un millier de personnes
furent enjployées à cette entreprise.
On ne saurait nier les nombreux services, positifs et ma-
tériels , (pie Walter Scott a rendus à la société de notre
temps d'une manière directe ou indirecte. Si un calcul de
chilires était nécessaire, on montrerait d'abord , comme in-
fluence directe, la valeur conniierciale jetée dans la circu-
lation par les romans de Scott; valeur doublée par le luxe
des éditions et ks embellissements progressifs dont elles se
iiont ornées, accrue par les traductions faites dans toutes les
langues de l'Europe, augmentée p:ir le nombre des inn'ta-
tions que ces romans ont lait naître , par les pièces de
théâtre qui .se sont modelées sur .ses ouvrages, par le goût
nouveau qu'ils ont répandu dans les mode-, lians les tableaux,
dans les ameublements. Le plus grand mouvement qui se soit
fait dans le commerce de la librairie depuis trente années,
c'esta-dire depuis l'époque de Voltaire, est dû assurément à
Walter Scott. Et cepenilant Walter Scott, un des plu.> grands
bienfaiteurs de son siècle, est mort accablé des travaux qu'il
s'était imposés pour réparer la ruine de sa fortune! Ses com-
patriotes ont laissé le vieillard relever lui-même, dci^es mains
tremblantes et débiles , l'édifice de son patrimoine ! Quand
l'étoile de l'adversité s'est levée sur les tourelles d'Abbots-
ford, nul ne s'est offert pour les garantir et les protéger!
Sans murmurer de cette indifférence, le grand écrivain
travaillait avec plus d'ardeur que jamais. L'Histoire d'E-
cosse, les Lettres sur la démonologie , La Jolie fille de
Perth, cette magnifique épopée, etc., parurent successive-
ment en peu d'années ; et avec le produit de leur vente l'au-
teur était d(\jà parvenu, vers la fin de 1830, à réduire sa
dette à 40,000 liv. st. Pris alors d'un beau mouvement d'hu-
manité, qui toutefois venait un puu tard, ses créanciers ré-
solurent de lui offrir tous les livres, les manuscrits, les anti-
quités qui lui avaient appartenu , comme témoignage des
sentiments que leur inspirait sa belle conduite. Pauvre grand
écrivain! Seulement alors on commençait à s'apercevoir de
sa résignation et de sa constance héroïque. Mais le grand
génie de l'Ecosse allait bientôt s'éteindre. Épuisé par les
veilles et l'excès du travail qu'il s'était imposé pour accom-
plir cette honorable tâche, chaque jour il voyait sa santé
dépérir. Au commencement de 1831 , il fut saisi d'une at-
taque de paralysie qui se porta .sur la langue et sur la main,
au point de l'empêcher presque d'écrire. Sans doute, si
l'illu-stre écrivain eût fait un appel à ses concitoyens , les .se-
cours ne lui auraient pas manqué. Il comi>tail le roi Geor-
ges IV parmi ses plus chauds admirateurs; plus d'une fois
ce prince lui avait donné des marques particulières d'es-
time et de bienveillance. Mais il avait l'âme trop fière i)our
condescendre à la prière; et la générosité anglaise n'était
pas assez ingénieuse pour venir le trouver d'elle-même.
Quand on apprit le dépérissement de sa santé , il se ma-
nifesta dans toutes les classes une extrême sollicitude. Un
voyage en Italie lui fut ordonné par les médecins. A peine
le bruit de ce projet fut-il répandu que le gouvernement lui
offrit un vaisseau. 11 s'éloigna tristement d'Abbolsford, car,
SCOTT
il n'espérait plus le revoir, et partit pour Londrcfl II y fut
reçu avec enthousiasme ; et après avoir écrit un adieu au
monde, qu'il publia avec son dernier roman, il fit voile
pour l'Italie. Sa santé chancelante parut un moment se réta-
blir; mais celte amélioration fut de courte durée. Sous le ciel
si pur de l'Italie, au milieu des ruines imposantes de l'anti-
quité , le mal du pays le saisit au cœur ; il se prit à regretter
les brumes de sa patrie et les vieilles tourelles féodales
où se cache le génie rêveur des ballades et des légendes.
Une dernière fois encore il voulut revoir sa calme habita-
tion d'Abbolsford, écouter le gémissement mélancolique des
arbres qu'il avait plantés; il voulut mourir dans ses foyers
comme il y avait vécu, au milieu d'une douce atmosphère
de paix et d'innocence. Il elfectua ce retour avec une pré-
cipitation fatale. Lorsqu'il arriva à Londres, il était épuisé.
Dès qu'il fut un peu remis , il s'empressa de continuer son
voyage , et s'embarqua pour l'Ecosse. Arrivé enfin à Ab-
botsford, il sembla revivre ; mais c'était le dernier éclat de
la lampe qui va s'éteindre. Il succomba le 20 septembre 1832,
au milieu de sa famille, sans donner aucun signe de dou-
leur, et sans que la mort dérangeât les traits nobles et
calmes de son visage.
Philarète Chasles.
Walter Scott fut enterré à Dryburgh-Abbey. Une sous-
cription ouverte en Ecosse, et à laquelle le pays tout entier
voulut prendre part, eut pour résultat de conserver le do-
maine d'Abbolsford dans la famille de l'illustre romancier.
Il laissait en mourant deux fils et deux filles. L'aîné, sir
Walter Scott, né en 1801 , lieutenant-colonel dans l'armée,
mourut le 8 février 1847, en revenant des Grandes Indes
en Angleterre. Le titre de baronet s'éteignit avec lui,
parce que son frère cadet l'avait déjà précédé dans la
tombe. Des deux filles de Walter Scott, l'une avait épousé un
M'' Lockhardt, auteur d'une vie de son beau-père , qui a ob-
tenu de nombreuses éditions (7 volumes, 1838).
Le domaine d'Abbolsford est habité aujourd'hui par
M. Hope, célèbre avocat de Londres, marié à la dernière
petite-fille de Walter Scott, et qui en 1853 a embrassé avec
sa femme le catholicisme.
SCOTT ( Winfield), général américain, né en 178C, en
Virginie, oii s'était retiré son grand-père, Écossais et jaco-
bite, après la bataille de Culloden. Il .se consacra d'abord à
l'étude du droit, et débuta comme avocat en 1806. L'irrita-
tion générale produite par l'attaque dont la frégate améri-
caine The Chesapeake fut l'objet de la part d'un vaisseau
de ligne anglais le décida à prendre les armes. En mai 1808
il reçut le brevet de capitaine d'artillerie, et en 1809 il fut
attaché au camp de la Nouvelle-Orléans. Suspendu pendant
un an, a cause de quelques expressions trop libres qu'il s'é-
tait permises au sujet de son général, il en profita pour ac-
quérir les connaissances militaires qui lui manquaient. Quand
laguerre éclata avec l'Angleterre, en 1812, il fut nommé lieu-
tenant-colonel et envoyé sur les frontières du Canada ; mais
il fut fait prisonnier à l'affaire de Queen's Toivn , où il dé-
ploya vainement un courage héroïque. Échangé au bout de
quelques mois, il accourut de nouveau dans les rangs de
l'armée ; le 27 janvier 1813 il s'empara du fort Georges, et
il repoussa ensuite toutes les tentatives faites par l'ennemi
pour le reprendre. En récompense, il fut nommé général
de brigade, à l'âge de vingt-huit ans seulement. Le 5 juin
1814 il battit à Chippewa le général anglais Real; à la ba-
taille du Niagara, il fit des prodiges de valeur, et fut em-
porté du champ de bataille gravement blessé. Il refusa les
fonctions de secrétaire de la guerre que lui offrit le prési-
dent Madison , pour se rendre en Europe et y rétablir sa
santé. Il vécut alors longtemps à Paris, où il étudia le sys-
tème militaire français ; et à son retour aux États-Unis il fit
des cours publics sur les sciences militaires. En 1832 on lui
confia la direction des opérations contre le chef d'Indiens
Black- Hawck, et il les eut bientôt menées heureusement à
terme. En 1833 il réprima un soulèvement des Seminoles,
et en 1838 il soumit les Creeks. A l'époque de l'insurrection
du Canad a, il concentra un corps de troupes sur la fron-
SCOTT — SCRIBE
61
Hère pour faire respecter la neutralité du territoire des Etals-
Unis ; et ensuite il fut envoyé à l'autre extrémité de la répu-
blique pour conduire les Clierokies dans le nouveau ter-
ritoire qui leur avait été assigné sur la rive occidentale du
Mississipi. il s'acquitta de cette mission délicate avec au-
tant de tact que de prudence, et en 1841 , à la mort du gé-
néral Macomb, il fut nommé général en chef de l'armée
américaine. En cette quidité il avait son quartier général à
Washington, où, comme wliig zélé, il prit une part active aux
affaires politiques, et visa à la préi^idence. La guerre du
Mexique vint alors lui fournir l'occasion de cueillir les plus
glorieux de ses lauriers. En mars 1847 il parut devant la
Vera-Cruz, qui capitula après un siège de courte durée.
Ensuite il marcha sur Jalapa; le 18 avril il batlit le général
Santa-Annaà Cerro-Gordo, puis de nouveau, le 19 et le 20
août, à Contreras et à Churubasco ; et le 15 septembre la ville
de Mexico tomba en son pouvoir. Ces victoires amenèrent
la conclusion de la paix de Guadalupe-Hidalgo , qu'il signa
le 2 février 1848, et qui accrut le territoire des États-Unis
de 21,000 myriamètres carrés. Malgré tous ces brillants ser-
vices rendus à son pays , le général Scott échoua dans ses
efforts pour se faire nommer président. Après s'être déjà vu
préférer en 18481e général Taylor, il réussit en 1852 à se faire
adopter comme candidat par le parti vvîiig ; mais lors des
élections qui eurent lieu en novembre ses espérances furent
détruites par l'élection inattendue de Pierce, le candidat
démocratique.
Le général Scott possède de remarquables talents eu stra-
tégie, son caractère privé est des plus honorables ; mais .son
ambition trop franche et un certain orgueil aristocratique
et militaire, qui choque les républicains , l'ont toujours em-
pêché de parvenir à la popularité si bien due à ses éclatants
services. Consultez Manslield, Life and services of générât
Winfield Scott (New-York, 1852).
SCRIBE (Eugène) est né à Paris, le 24 décembre 1791.
11 a fait ses études au colli^geSai nte-Ba rbe; elles ont été
intelligentes, sans être des plus distinguées. De bonne
heure , il a laissé voir une grande facilité et de l'abondance
dans le travail plutôt qu'une habileté directe dans la pa-
role; mais il n'a jamais été, dit- on, brillant causeur. Ses
premiers essais correspondent à ceux de Casimir D e 1 a v i g n e
dont il lut toujours l'ami. C'est au Vaudeville, sous la direc-
tion de Desfontaines, que l'on joua sa première pièce, com-
posée en socii''té avec Saint-Marcellin, fils naturel de Fon-
tanes, qui faisait alors la campagne de Russie parmi les
officiers d'ordonnance d'Eugène Beauharnais. Elle était in-
titulée ^/"'' Scudéry, ou les brigands sans le savoir :
c'étaient des scènes gaies, remplies d'esprit, mais sans
drame , l'œuvre assez vive déjeunes gens si)irituels. En 181G
il donna sur la môme scène Le comte Onj. Plus tard , une
ou deux autres pièces de M. Scribe obtinrent un succès po-
pulaire aux Variétés; l'une d'elles , Les Calicots , fit courir
tout Paris , et fomenta à ce théâtre une véritable émeute
d'étourdis. Le public n'épargna pas ce jour-là les commis
voyageurs, qui prenaient depuis quelque temps des allures
belliqueuses en opposition avec les habitudes pacifiques de
leur profession. La pièce ne survécut pas d'ailleurs à la fu-
tile circonstance qui l'avait fait naître. C'est vers ce temps
que M. Scribe composa Une visite à Bedlam, et, en col-
laboration avec M. Saintine, L'Ours et le Pacha, l'une
des bouffonneries les plus spirituelles que nous ayons , un
diamant enchâssé dans des charges et des quolibets pleins
de grâce.
M. Scribe, lorsque sa gloire commença, voyait s'élever
un théâtre qui allait être consacré exclusivement à l'exploi-
tation du genre contemporain et expressif, dont le premier
il ouvrait largement la voie, le Gytnnase dramatique.
M. Scribe y fit jouer, comme pièce de début, un des ou-
vrages les plus comiques, les plus empreints de verve et
de bonne plaisanterie qu'il ait composés, Le Nouvemi
Pourceaugnac. Une fois fixé au Gymnase, il éleva très-
liaut cette petite comédie , tantôt sentimentale , tantôt mo-
queuse avec esprit, cette peinture des mœurs nouvelles dont
nul écrivain n'a surpassé la délicatesse et la liberté décentes.
Des défauts se mêlent sans doute à sa première manière: il
est souvent négligé; ses caractères, rapidement conçus, sont
justes, mais superficiellement tracés. Ses pièces sont i)lutôt
des esquisses qu'autre chose. On voit seulement qu'une main
habile s'y joue des difficultés et les soumet. Le Irait est bril-
lant, a de la finesse dans le contour, mais il manque de
liaison solide ; une conception intime ne s'y fait pas sentir.
Plus tard, M. Scribe écrivit mieux, et sa disposition dra-
matique amena de temps en temps des effets plus forts; il
fut animé, judicieux, riche en ressources; son u'uvre, qui
n'était pas toujours fortement tissue, était agréable, et mar-
chait à travers les fusées d'un esprit charmant. Elle peint de
main de maître les salons modestes, agités, de la bourgeoisie
polie et instruite de la Restauration. L'auteur excelle surtout
dans la reproduction de deux caractères , les militaires de
l'empire et les jeunes femmes de la Restauration. Le goût,
la verve, l'arrangement, une intention fine comme pivot,
étaient les principales qualités de l'écrivain. M. Scribe eut
en outre le bonheur de rencontrer dès ses commencements
quelques acteurs d'im mérite consommé, Perl et, Gonthier
et Legrand , devenu un acteur si original, après avoir été
longtemps détestable ; plusieurs actrices, femmes de goflt
el d'imagination : M"'' Flenriet, qui était jolie, jouait avec
grâce et sentiment ; M""" Déj a zet élait alors au Gymnase
un spirituel petit gamin, dont le jeu animait La Famille
normande , pièce où le talent de Gonthier se révélait dans
toute sa sûreté; M""" Dormeuil était jeune, et entendait très-
bien les rôles les plus gracieux de M. Scribe ; bien plus
tard. M'"" Théodore, qui arriva sur la scène du Gymnase
avec un jeu naturel, du goût, d'heureux moments, une
inspiration passionnée; Léontine Fay, aujourd'hui M""' Vol-
nys, el bien d'autres encore. Par la suite, essayant de
changer de genre, et de transporter la comédie de mœurs
dans de petits romans, M. Scribe a écrit des morceaux
brillants, sans réussir au même degré. Là, son style a dis
langueurs, quelque chose de négligé qui n'est pas sauvé
par l'intérêt et le mouvement du dialogue.
Il faut dire de M. Scribe qu'il n'a pas été seulement un
habile écrivain comique», un habile (locte , mais (ju'il a
été un homme intelligent suivant l'esprit du temps, et
qu'il a donné l'exemple d'une belle fortune honorablement
et rapidement acquise. Il peut l'étendre , car sa verve
n'est pas éteinte. Il est le dernier venu de cette école
délicate d'écrivains dramatiques qui part de Le Sage,
et arrive par générations à Picard, qu'il a perfectionné
au théâtre. C'est un ingénieux talent, avec toutes les qua-
lités supérieures de l'esprit, qualités qui ne soiît infé-
rieures qu'au génie. Il est heureux dans sa gloire, puisque
beaucoup de ses pièces sont encore les plus courues des
meilleurs théâtres de Paris. Il a écrit d'habiles librctti pour
l'Opéra; de jolis opéras-comiques pour l'eydeau; il a créé
des comédies jouées au Théâtre Français avec un succès
prodigieux, composé des romans, improvisé de jolis vers.
S'il n'a pas les vues perçantes, les traits ingénieux, la gaieté
réfléchie de Marivaux; ni le comique profond, facile, la
connaissance des hommes de Destouches; ni les brillantes
et gaies ébauches de Regnard, on peut dire qu'il est delà
famille, comme auteur comique, deColind'Har le ville
quand il est bon , d'A n d r i e u x dans les scènes légères , de
Picard dans le drame bourgeois. Dans ses joiu's brillants, on
croit voir entre ses doigts les crayons affaiblis de Bea u mar-
chais. Il a d'ailleurs ses qualités à lui : lajustes.se de l'obser-
vation, la flexibilité et l'élégance de style, une vraie fécondité
de mots frappants que personne ne possède à moins de prix
et d'efforts. Dans l'art des nuances , il arrête les plus fugi-
tives, les plus effacées, et rentre facilement dans une dessein
clair, dans une pensée dont on saisit tout de suite le sens.
C'est un homme d'esprit , quelle que soit la dose des em-
prunts qu'il ait faits en composant ; et il a véritablement
d'autant plus d'esprit, qu'il est piquant et frappant dans
62
SCRIBE ^ SCROFULES
toutes ses pièces. A une époque marchande et prosaïque, il
a été un des plus liabiles écrivains , et il eût été habile à
toutes les époques ; à toutes on l'eût remarqué comme un
de ces esprits penseurs, osés, mobiles, qui se placent çà et
là, par intervalles , au-dessous , mais à côté des maîtres.
Nous ne donnerons pas ici la liste de tous les ouvrages aux-
quels M. Scrihe doit son nom, et nous ne serons que juste en
rappelant les obligations qu'il a à ses nombreux collabora-
teurs, parmi lesquels nous mentionnerons surtout MM. Ger-
main Delavigne, Dupin,Delestrc-Poirson, Mélesville.Varner,
Bayard, Mazère et Francis Cornu.
M. Scribe a été reçu à l'AcaiIémie Française le 28 jan-
vier 1836. Il existe plusieurs éditions de son Théâtre, pu-
bliées en divers formats, mais toutes nécessairement incom-
plèfes, puisque chaque année il continue à faire jouer au
moins deux pièces nouvelles. Frédéric Favot.
SCRIBE (du latin scribere, écrire), homme chargé
de copier, de transcrire des livres, des manuscrits, etc. ;
l'homme, enfin, qui /"ait le métier de copiste. Eu ce sens, il se
piend généralement en mauvaise part. C'est un terme très-
usité dans l'Écriture Sainte, où il a diverses significations.
A la cour des rois de Juda, il désignait un haut personnage,
faisant l'office de secrétaire : ainsi , Saraia fut le scribe de
David ; Elioreph et Ahia furent ceux de Salomon. Dans Jé-
m?iieet /.es MflcAaWe5,5cri&e désigne quelquefois un com-
missaire d'armée, chargé de faire la revue, le dénombre-
ment des troupes; mais ce mot dans l'ancienne loi désigne
le plus ordinaiiementun homme habile, un docteur chargé
d'interpréter la loi , de cojjier et d'expliquer les livres saints.
Ces docteurs, très-estimés chez les Juifs, tenaient le même
rang que les prêtres el les sacrificateurs. 11 y en avait de
trois espèces : 1" les scribes de la loi, dont on recevait les
décisions avec le plus grand respect; 2° \e^ scribes du
peuple, qui étaient des magistrats; 3" \ef, scribes com-
muns, remplissant les fonctions de notaires publics ou
de secrétaires du sanhédrin.
C'est à tort que quelques auteurs ont regardé les scribes
comme constituant une secte particulière chez les Juifs ;
ils formaient tout au plus un corps, dont l'ignorance était
un peu moindre que celle du reste la nation , à qui ils
expliquaient l'Écriture au moyen des traditions pliarisien-
nes, dont l'étude faisait la science principale des Juifs :
aussi la plupart d'entre eux étaient-ils pharisiens; et leurs
noms sont presque toujours joints ensemble dans l'Évangile,
oîi Jésus-Christ les appelle des sépulcres blanchis, in-
diquant par là combien leurs mœurs étaient vicieuses.
SCRIP. Voije:. Bourse, tome III. p. 605.
SCRIPTORES lîlSTORIiï: AUGUSTE, ou
écrivains de rilistoire Auguste. Voyez Auguste (Titre).
SCROFULAIRE ( Petite). Voijez Éclaire.
SCROFULES (du latin scrofula , dérivé de scrofa,
truie). Cette maladie, ainsi nommée sans doute parce qu'on
a remarqué que les porcs sont assez souvent atteints d'en-
gorgements glanduleux analogues à ceux des individus qui
en sont attaqués , est encore désignée sous les noms d'hu-
meurs ou tumeurs froides, à'écrouelles , A'ewjorge-
ment blanc, d'inflammation lymphatique , de maladie
strumease , etc. La constitution ou prédisposition scrofu-
leuse est due à l'augmentation de l'action organique du
système lymphatique et des autres tissus blancs, et à la fai-
blesse relative du système vasculaire rouge. Elle est carac-
térisée par la blancheur, la finesse et la transparence de la
peau, qni laisse voir au-dessous d'elle une grande (piantité
de veines bleuâtres; par un grand développement du tissu
cellulaire sous-cutané et intermusculaire , gorgé de liquides
blancs, qui environne les muscles de toutes parts, efface
leurs saillies, et simule une espèce d'embonpoint ; les chairs
sont molles , peu élastiques; la face est pleine, arrondie,
presque bouffie, et les joues, principalement les pommettes,
sont souvent colorées, ce qui contraste très-agréablement
avec la peau du reste du visage , habituellement remarquable
par une grande blancheur. Les yeux sont ordinairement
largement ouverts, saillants , humides , avec les pupilles di-
latées ; ils sont bleus , gris ou bruns , etc. , selon les pays
oîj l'on examine les individus de la constitution scrofu-
leuse. Dans le nord delà France, en Angleterre, en Hol-
lande, en Allemagne, etc., ils sont plutôt bleus que de toute
autre couleur, tandis que dans les pays méridionaux, et
même à Paris, les individus scrofuleux ou disposés aux
scrofules présentent plus souvent des yeux bruns ou noirs
que des yeux bleus. La même remarque peut s'appliquer
à la couleur des cheveux, blonds ou roux chez les sujets
des pays brumeux, humides, froids, tandis que dans les
contrées chaudes ils sont châtains ou bruns plutôt que
blonds. La tête est en général grosse , large; les épaules
sont un peu hautes; la poitrine est aplatie latéralement; le
ventre est gros , etc.
Les enfants disposés aux scrofules ou déjà scrofuleux ,
quand ils appaitiennent aux classes riches ou aisées de la
société, ayant des distractions de tous les instants et des
sensations variées, qui exercent continuellement leurs facultés
intellectuelles , sont le plus souvent doués de beaucoup
d'esprit et d'une grande sensibilité; ils sont gais, ont des
reparties et des idées heureuses; mais, avec cette précocité
d'esprit, ils sont nonchalants, fuient l'exercice, et ne peu-
vent supporter une application soutenue. Au contraire, les
enfants des pauvres ouvriers, qui vivent dans des cham-
bres étroites, encombrées , dans des vallées marécageuses,
dans desgorges de montagnes, qui sont délaissés des journées
entières pendant que leurs parents se livrent au dehors à
leurs travaux, sont pâles, bouffis, étiolés; leur peau est
blafarde, sèche, écailleuse; ils paraissent dépourvus de
sensibilité et d'intelligence, parce que leur cerveau n'est
pas exercé.
Tels sont les principaux caractères de la constitution
scrofuleuse. De cette constitution au premier degré des
srrofules il n'y a (ju'un pas : il suffit d'un séjour prolongé
pendant quelques mois dans un endroit bas et humide, mal
aéré, privé des rayons vivifiants du soleil et d'une vive lu-
mière; d'une mauvaise alimentation, d'une maladie longue,
pour développer l'état scrofuleux.
Les premiers symptômes par lesquels cet état s'annonce
sont ordinairement le gonflement de la lèvre supérieure,
surtout vers son milieu; ce gonflement s'étend souvent jus-
qu'au nez et à la membrane pituitaire , qui devient alors le
siège d'un catarrhe interminable ; il en résulte une grande
quantité d'un mucus acre, altéré, qui irrite à son tour la
lèvre supérieure, et y détermine de nombreuses gerçures.
Après le gonflement de la lèvre supérieure et du nez, les ir-
ritations du bord des paupières et des conjonctives se ma-
nifestent ; des ophthalmies qui durent souvent plusieurs an-
nées se déclarent. Après les yeux , ce sont les oreilles et la
peau environnante, qui deviennent rouges, gercées etsup-
[uirantes ; le conduit auditif souvent en même temps est
le siège dun écoulement d'une odeur particulière.
Les scrofules se développent à toutes les époques de la
vie, mais particulièrement lors des dentitions , et peuvent
attaquer successivement toutes les parties du corps, car les
vaisseaux lymphatiques se rencontrent dans tous nos or-
ganes.
Les causes qui développent la constitution scrofuleuse et
les scrofules sont nombreuses ; mais les plus actives sont
l'habitation dans des lieux bas et humides , dans des vallées
marécageuses , dans les quartiers encombrés des grandes
villes, où les rues sont tortueuses et étroites, constamment
humides et boueuses, les maisons élevées , et où les rayons
vivifiants du soleil ne pénètrent presque jamais. Dans de pa-
reils lieux, l'air est chargé d'émanations putrides, peu riche
en oxygène; l'assimilation ne peut y être qu'imparfaite , et
le sang, surchargé de lymphe, ne fournit aux organes que
des matériaux sans consistance. Les poumons sont les pre-
miers organes qui éprouvent l'action débilitante de l'air at-
mosphérique; aussi restent-ils au-dessous de leur dévelop-
pement normal, et l'imperfection de la coloration du sang
SCROFULES — SCUDÉRY
63
et de la respiration entraîne-t-elle bientôt le dépérissement
de la santé , et rend les jeunes sujets de plus en plus aptes
an d(^veloppement des scrofules. La misère, la malpropreté,
des vêtements trop légers , l'habitation dans des chambres où
restent le jour et la nuit plusieurs individus , et qui servent
d'atelier de travail , de cuisine; le froid, surtout le froid hu-
mide, sont aussi des causes très-actives des scrofules. On
doit encore ranger parmi ces causes la mauvaise alimenta-
tion, le lait d'une nourrice malsaine, malade, trop âgée,
adonnée au libertinage, aux liqueurs spirilueuses, et sur-
tout scrofuleuse ; l'excès de soins que les personnes riches
prodiguent à leurs enfants , surtout quand ils sont cliétifs :
ces enfants sont bourrés d'aliments trop succulents pour
leurs faibles organes; ils sont tenus renfermés dans des ap-
partements trop chauffés ; on craint de les exposer aux rayons
du soleil, au froid, à la pluie , de manière que les trois quarts
du temps ils manquent d'air libre, d'une vive lumière et
d'exercice, choses si nécessaires pour développer leurs frêles
organes.
Dans le traitement des scrofules il faut d'abord commencer
par éloigner les causes qui les ont développées , car sans
cette sage précaution il est impossible d'obtenir une cure
radicale. Ensuite, comme la maladie consiste dans la prédo-
minance d'action et dans la trop grande irritabilité du
système lymphatique et des autres tissus blancs, il faut agir
sur le système sanguin pour lui rendre l'action qu'il a perdue.
Il faut d'abord faire respirer aux malades un air pur, sou-
vent renouvelé; les faire habiter, s'il est possible, à la cam-
pagne, dans des endroits élevés, secs; les faire coucher
dans des chambres spacieuses , exposées au midi ou au
levant, et sur des sommiers de feuilles de fougère, de
noyer, de serpolet , de thym , etc. On leur prescrira tous les
jours quelques heures d'exercice au grand air: ils seront
vêtus avec des habits en étoffe de laine. Il faut aussi que
leur nourriture soit succulente, et proportionnée à l'état et
à la force de leurs organes digestifs.
Il n'est pas de maladie pour laquelle on ait conseillé un
aussi grand nombre de moyens médicinaux que pour l'af-
fection scrofuleuse ; mais, après avoir joui pendant quelque
temps d'une vogue plus ou moins grande , ils ont tous fini
par tomber en désuétude. Le sulfure noir de mercure, les
sels de baryte, et même l'iode et ses composés à l'intérieur,
dont on a fait un si grand bruit , sont ou seront bientôt
placés à côté des formules compliquées de Faive , de Char-
meton, de Lalouette, etc. Le mieux est d'agir à l'extérieur
au moyen de frictions et de bains; de faire frictionner,
matin et soir, les membres et l'épine du dos avec un mor-
ceau de flanelle imbibé de bamne de Fioravanti, de suc
alcoolique, de ciguë; avec une pommade composée d'axonge,
de bromure de fer, d'extrait de ciguë ou de ju.squiame,
selon l'indication , etc. On peut aussi toutes les semaines
administrer aux malades trois bains salés , froids pendant
l'été , et très-chauds pendant l'hiver. Lorsque les organes
de la digestion sont en bon état , et que la maladie semble
cédei- difficilement, on ajoute aux moyens précités ime
tisane amère , mais de préférence l'infusion de houblon,
à laquelle on fait ajouter du bicarbonate de soude ou de po-
tasse, etc. D"" V. DuvAL.
SCROFULEUX. Voyei Scrofules.
SCROTUM , mot latin qui signifie sac, bourse, et qui
sert dans l'anatomie à désigner l'enveloppe cutanée com-
mune aux deux testicules.
SCRUPULE (du latin scrupulus, peine d'esprit, doute
d'avoir manqué). C'est le jugement incertain d'une action,
en conséquence duquel nous craignons qu'elle ne soit blâ-
mable et nous hésitons à la faire. Les gens à scrupules sont
insup|)ortables à eux-mêmes et aux autres ; ils se tourmen-
tent sans cesse, et s'alarment de tout. Ce vice est la suite du
peu de lumières, du peu de sens, de la pusillanimité, de l'i-
gnorance, et d'une fausse opinion de la religion et de Dieu.
Ce mot signifie aussi une grande exactitude à observer
U règle, à remplir ses devoirs; une grande délicatesse en ma-
tière de procédés, de mœurs ; un reste de difficulté, un nuage
qui reste dans l'esprit après l'éclaircissement d'une ques-
tion , d'une affaire ; enfin, la grande sévérité d'un auteur,
d'un artiste, dans la correction de ses œuvres. Un écrivain
scrupuleux modifie presque toutes ses propositions ; il craint
toujours d'affirmer ou de nier trop généralement, et il écrit
froidement ; il n'est pas content tant qu'il n'a pas rencon-
tré l'expression et le tour de phrase qui conviennent le mieux
à la chose qu'il veut exprimer ; il ne se permet aucune ex-
pression hardie ; il nivelle tout, et d'ordinaine tout sous
son niveau devient égal et plat.
SCRUPULE {Métrologie), le plus petit des poids
dont se servaient les anciens. Voyez Denier et Gros.
SCRUTIN (du latin scrutari, rechercher). On appelle
ainsi , dans les assemblés délibérantes , une mritiière de re-
cueillir les suffrages. Il y a le scrutin secret et le scrutin
public {voyez Vote). Dans le scrutin secret, chaque vo-
tant dépose une boule blanche ou noire, qui exprime son
vote, dans l'urne placée d'ordinaire sur la tribune (corps
législatif et sénat) ou bien sur la table du président. La boule
blanche exprime l'adoption, la boule noire la non-adop-
tion de la proposition, du projet sur lequel on délibère. Dans
le scrutin public , la boule blanche ou noire est remplacée
par un morceau de papier sur lequel chaque votant écrit
oî«ou non, et inscrit son nom. C'est ainsi que sous le ré-
gime parlementaire, dans toutes les discussions de quelque
importance, les journaux pouvaient publier la liste des vo-
tanfspowr et contre; liste qui leur était communiquée offi-
cieusement par le bureau.
On appelle scrutin de liste le vote qui a lieu lorsqu'il
s'agit d'élire à la fois plusieurs candidats sur une liste plus
ou moins nombreuse, au moyen d'un seul b ul letin conte-
nant à la fois les noms de tous ceux que celui qui est appelé
à voter juge dignes de la mission, de l'emploi, qu'il s'agit de
conférer. Dans les élections qui eurent lieu en 1848 pour
l'Assemblée nationale constituante, les meneurs , au lieu de
diviser les élections et de les localiser, décidèrent que dans
chaque département , appelé à élire un certain nombre de
représentants, on voterait par scrutin de liste; procédé
qu'ils jugeaient avec raison plus favorable aux candidatures
de leurs créatures, et grâce auquel, sous prétexte de la sous-
traire aux influences de clocher, la France eut alors pour lé-
gislateurs une foule d'inconnus et surtout d'intrigants.
SCUDÉRY (Georges de), né au Hâvre-de-Grâce, en
1601, fui dans son tem|»s le rival de Corneille comme Pra-
don fut celui de Racine. L'histoire littéraire fourmille de
semblables rivalités, que les passions contemporaines n'ex-
pliquent pas suffisaniment. Les coteries n'ont pas la puis-
sance qu'on leur suppose; et lorsque le public épouse leurs
passions, il est de bonne foi dans ses illusions; le succès
tient à l'éclat et au mouvement des compositions; la raison
est dupe du cœur et des yeux , et tant que dure cette sur-
prise, le charme subsiste. Le Timocrate de Thomas Cor-
neille a fait fureur pendant quatre-vingts représentations
consécutives; et maintenant il n'a pas un lecteur. Racine a
donné le mot de ces contradictions entre l'opinion contem-
poraine et celle de la postérité. «■ La différence, disait-il,
entre Pradon et moi, c'est que je sais écrire. « Les œuvres»
de l'intelligence en effet vivent moins par le plan et par
les idées que par le style. Pour bien écrire il ne suffit pas
d'exprimer sa pensée, il faut lui donner du relief et la gra-
ver; c'est là le secret des grands écrivains, et il n'y a pas
de recette pour le leur enlever. Le style a tant de puissance
qu'il survit même à la langue; la langue de Rabelais, d'A-
myot et de Montaigne est morte , mais le style fait vivre
leurs ouvrages. Maintenant, si l'on nous demande pourquoi
Scudéry fut célèbre et pourquoi il est oublié , nous répon-
drons qu'il avait les qualités qui plaisent et qui entraînent,
mais qu'il ne savait pas écrire.
Quoiqu'il n'y ait pas lieu de réviser l'arrêt qui condamne
Scudéry, il importe cependant de l'étudier, parce qu'il est
le type de certains esprits qui forment dans la famille liltiJ-
64
SCUDERY
raire une espèce distincte et nombreuse, esprits pleins
d'ardeur et de fécondité, premières dupes d'eux-mêmes,
mais dupes incurables, dont l'illusion est contagieuse, quoi-
que les dupes qu'ils font après eux puissent être désabusées.
Je les appellerais volontiers, par une métaphore empruntée
à la physiologie, esprits sanguins, parce que la chaleur ne
leur vient pas de l'àme , mais du corps. Il y a des intelli-
gences qui ont en elles le principe de la chaleur, et d'autres
qui la tirent du tempérament. Cette complexion littéraire
est fort heureuse : ceux qui en sont doués vivent sous un
charme que rien ne peut détruire ; la surabondance et l'ac-
tivité du sang leur donnent à chaque instant delà vie le sen-
timent de la force et de la plénitude de leur existence; de
sorte qu'il ne leur survient jamais de doute, jamais d'hé-
sitation sur eux-mêmes ; point de malaise, point de décou-
ragement, point d'amertume : tout est pour le mieux avec
la meilleure des organisations possibles. Tout ce qui leur
vient à l'esprit, et il leur vient beaucoup de choses, grâce
au rapide mouvement des esprits animaux , les charme et
les transporte. Ce qui leur vient ainsi sans peine ils l'ac-
cueillent avec plaisir. N'essayez pas de les désabuser, vous
n'y parviendriez pas; leur amour-propre les cuirasse contre
l'ironie qu'ils prennent au sérieux et contre la critique di
recte qu'ils attribuent à l'ignorance et à l'envie. Comment
les détromper dans la conscience de leur bien-être et de leur
bien-faire intellectuel? comment porter la lumière dans ce
sanctuaire impénétrable : « Je sens, donc je suis. » C'est
l'axiome de la conscience philosophique ; la conscience poé-
tique leur dit : « Je sens que cela est beau ; » et ils con-
cluent rigoureusement de leur sentiment a la réalité. C'est
dans ce sens que je voudrais accepter l'exclamation de Boi-
leau : « Bienlieureux Scudéry ! »
1 Scudéry est Normand de naissance, mais Provençal et
peut-être Sicilien d'origine : il a conservé les traits de cette
race méridionale que d'Aubigné a caractérisée dans Le Ba-
ron de Fœneste. Scudéry a quelque chose du soldat fanfa-
ron, mais chez lui c'est l'exagération et non la feinte d'une
qualité : il se conduisit bravement au Pas-de-Siize , et le
vicomte de Turenne lui rendit témoiguagi' en pleine cour.
Scudéry quitta de bonne luure le métier des armes , et se
mit à écrire pour le théâtre. Dans la préface de Lygdamon,
il se donne pour un poète de sa nature, et parle de hii-
même avec la vanité qui ne le quitta jamais : « Ne me croyant
que soldat, je me suis encore trouvé poète... J'ai passé plus
d'années parmi les armes que d'heuies dans mon cabinet,
et j'ai usé beaucoup plus de mèches en arquebuses qu'en
chandelles. « Il di.sait avec autant d'aplomb : « Si je me
connais en vers , et je pense m'y connaître. » Il fit mettre
son portrait en tête du Lygdamon avec cette épigraphe :
Et poëte et guerrier, — il aura du laurier.
Un plaisant y substitua :
Et poëte et gascon, — il aura du bàlon.
Pour concilier ses goûts littéraires et ses souvenirs guerriers,
on lui donna le gouvernement de Notre-Dame-de-la-Garde,
petit fort bâti sur un rocher, près de Marseille. Madame de
Rambouillet disait à cette occasion : « Cet homme-là n'au-
rait pas voulu im gouvernement dans ime plaine; je pense
le voir sur le donjon de Notre-Dame-<le-la-Garde, la tête
dans les nues, regarder avec mépris tout ce qui e.st au-des-
.sous do lui. » Il n'y demeura pas longtemps : en 1056,
)orr>que Chapelle etBachaumont voulurent visiter ce
donjon , quelqu'un leur dit :
Là dedans
On n'entre plus depuis iongleinps.
Le gouverneur de cette roclic.
Retournant en cour par le coche,
A depuis environ quinze ans
Emporte ta clef daus sa poche.
Si Scudéry abandonna son poste de gouverneur, c'est qu'il
croyait que son absence mettrait en péril les affaires de l'É-
tat. Il n'épargnait pas les conseils aux ministres ; il en donna
même aux rois dans un factum qui a été publié. Sa manie
était de se croire propre à tout et supérieur en tout. Ces
prétentions , qui dépassaient de beaucoup son mérite , le
rendirent ridicule; mais de nobles qualités de l'âme com-
pensaient ces travers de l'esprit et du caractère. Il se montra
fidèle à la disgrâce de son ami Théophile, que d'autres
abandonnèrent lâchement. Il fut avec sa sœur l'un des cour-
ti.sansde la captivité du prince deCondé pendant la Fronde,
quoiqu'il ne fftt rien moins que frondeur. Mais il gardait le
souvenir des bienfaits du prince et de la duche.sse de Lon-
gueville. Il fit mieux encore : Christine de Suède, pour la-
quelle il composa son Alaric, lui demanda d'effacer du
poème des vers en l'honneur du comte de La Gardie, qu'elle
avait disgracié : elle promettait une chaîne d'or pour prix
de ce sacrifice. Scudéry répondit : « Quand la chaîne serait
aussi grosse et aussi pesante que celle dont il est fait men-
tion dans Y Histoire des A?7ffls , je ne Hc^truirais jamais l'au-
tel oij j'ai sacrifié. » Toutefois, Scudéry démentit la noblesse
de son caractère lorsque la gloire de Corneille inquiéta sa
vanité. Il avait accueilli ses premiers trioujphes en confrère
bienveillant ; et môme , à l'occasion de La Veuve, médiocre
comédie delà jeunesse de Corneille, il s'était écrié :
Le soleil est levé, di/sparaisscz étoiles !
Ce lever n'était qu'un faible crépuscule, mais lorsque le
soleil se leva réellement, lorsque sa splendeur éclipsa tous
les feux delà nuit ; en un mot, lorsque Le Cid eut paru, Scu-
déry rompit brusquement avec son ami, et [irêcha la croi-
sade contre cehù dont il avait salué les débuts avec enthou-
siasme. Corneille répondit à cette attaque par un rondeau
fort spirituel , dont on a retenu ce vers, qui fait image et
peint tout Scudéry :
Chacun le montre au doigt comme un fou solennel.
Scudéry aurait drt se montrer moins ardent contre un rival
heureux, car le succès de ses propres ouvrages pouvait le
consoler. Ln 1636 l'ailmiration du public se partageait entre
Le Cid et V Amour tyrannique. La postérité n'a pas admis
ce partage, car on sait Le Cid par cœur, et l'on ne songe
pas à retirer de L'Amour tyrannique quelques beaux vers
tels que celui-ci :
La Victoire me suit, et tout suit la Victoire.
Scudéry passa longtemps pour l'auteur des romans de sa
sœur (il est vrai qu'il y mit la main pour les descriptions
de batailles et les déilicaces); il ne faisait rien pour désa-
buser le public, et il profila de la boime renommée qu'ils
lui donnaii'nt pour épouser une femme d'esprit, qui .s'était
éprise de lui à la lecture du Cyrus et de la Clélie publiés
sous son nom. Mailcmoiselle de Martin-Wast devint par là
madatne de Scudéry : elle est connue par un recueil de
lettres fort ingénieuses.
II est temps de dire quelque chose de la valeur littéraire
de Scudéry. On ne saurait refuser à ses tragédies le mou-
vement de l'action et la facilité du style. L'éclat et la vi-
gueur s'y rencontrent quelquefois; et elles sont supérieures
sans contredit à celles de iMairet, de ïri.stan et de Boisro-
bert, qu'on admirait à la même époque. Il y a des scènes
bien faites dans Lygdamon, La Mort de César et L'Amour
tyranniqiie , quoique cette pièce ne soit point, comme le
voulait Sarasi n, le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Mais
comme, dans la confiance que lui inspirait son génie, il
ne savait ni attendre ni choisir, les beautés qui lui sont
échappées ont été ensevelies dans le fatras qu'engendre for-
cément l'improvisation appliquée à la poésie. Dans une
notice fort ingénieuse sur Scudéry, M. Théophile Gautier a
cité une assez grande partie de la description de ce palais
auquel Boileau fait allusion dans ces vers de VArt poé-
tique :
Je santé vingt feuillets pour en trouver la fin.
Et 'C me sauve à peine au travers du jardin.
SCUDERY
Si Boileau n'eût pas sauté ce* vingt feuillets , il y aurait
trouvé des détails d'architecture rendus avec une merveil-
leuse industrie. Ce poëme à^Alaric, si décrié, ce poënae
fait à la course, n'est cependant pas illisible, comme Ln
Pucelle de Chapelain et le Clovis de Desmarets, et Vol-
taire en a tiré quelques traits qui ne déparent pas La Hen-
riade. En le lisant on déplore l'abus du talent , mais on y
rencontre des étincelles de poésie. Il est rare que Scudéry
ne débute pas heureusement; mais son incurable négligence
gâte tout : aussi à côté d'expressions élevées et vraiment
poétiques trouve-t-on d'incroyables platitudes, qu'un écolier
effacerait avec indignation , s'il ne les avait pas arrêtées
au passage.
La fortune de Scudéry ne fut jamais bien brillante; tou-
tefois, sa destinée fut heureuse. Sa réputation de poêle dura
autant que sa vie, sa vanité ne baissa point, et il resta
toujours en deçà de la misère; de plus, il fut académicien :
on peut dire que justice lui a été rendue et qu'il a été ré-
tribué suivant ses œuvres par une célébrité viagère et par
l'immortalité du ridicule. Géuuzez.
SCUDÉRY ( Madeleine de ). Il y a peu de noms plus
connus dans les lettres que celui de M"" de Scudéiy ; il y a
peu d'ouvrages moins lus que les siens. Depuis longtemps la
critique vit sur l'anathème lancé par Boileau contre l'auteur
de la Clélie et du grand Cyrus. On prend au mot son per-
siflage spirituel et de bon goCit , et l'on s'endort sans in-
quiétude , peu soucieux qu'on est d'aller voir à travers les
volumineuses productions de M"^ de Scudéry s'il n'y a pas
quelques démentis à donner à un écrivain aussi peu accou-
tumé que Boileau à être démenti. Voltaire et La Harpe,
qui, de leur propre aveu, n'ont jamais pu lire jusqu'au bout
un seul roman de la Saplio du dix-septième siècle, se sont
rangés à son opinion; les autres ont suivi. De là ces épi-
grammes banales , ces plaisanteries usées qu'on colporte
avec mauvaise grâce sur les bancs du collège et dans le
monde. Certes, mon intention n'est pas de viser à l'origina-
lité par une réhabilitation complète du talent littéraire de
M"' de Scudéry; mais j'ai lu en entier ses nombreux ro-
mans (c'est un acte de courage assez peu commun pour
qu'on puisse s'en vanter) , et cette patiente lecture m'a
rendu plus indulgent qu'on ne l'est généralement envers
elle.
Lorsque, forcée par des revers de fortune de chercher
dans des travaux littéraires une existence honorable, M"^ de
Scudéry commença à écrire, sous le nom de son frère,
examinez en quel état se trouvait alors le roman. A quel-
ques exceptions près {VAstrée de d'Urfc) , on peut dire qu'il
n'existait pour ainsi dire pas : les chroniques en tenaient
lieu. Mais dans ces chroniques, arrangées en vers ou en
prose, quelle place pouvait avoir l'analyse du cœur et des
passions? Aucune. Point de nuances variées, point de distinc-
tions tranchées. La passion a toujours la même pose, et cette
pose vous la connaissez : c'est celle de la châtelaine qui
se penche, dans un tournoi , pour suivre des yeux la lance
de son chevalier, ou sur le balcon de la fenêtre pour entendre
la ballade amoureuse. Ne feuilletez pas plus avant : vous
verrez les faits se succéder jusqu'à la cata.strophe ; mais pour
vous la passion ne changera pas; elle restera dans l'ombre,
étouffée par cette masse d'événements. Le premier mérite
de m"" de Scudéry fut de faire mouvoir les événements par
la passion, tandis qu'avant elle on avait fait mouvoir la
passion parles événements. Son tort, le premier aussi, fut
de ne pas savoir s'arrêter dans cette tâche difficile. A force
de chercher à connaître le cœur humain et ses nom-
breuses variétés, elle arriva à lui créer un langage et des
sentiments étranges; puis, à une très -grande imagina-
tion M"*^ de Scudéry joignait un esprit excessif; c'est l'es-
prit, cet écueil si attrayant, mais si dangereux, qui l'a
perdue. Son travers le plus imi)ardonnable fut âe faire de
l'esprit avec de l'esprit, ce qui est bien la chose la plus
pitoyable, après celle toutefois, plus commune, de faire
de l'esprit avec de la sottise. Elle avait donc mille chances
DICT. DE L\ CONVERS. — T. XVI.
65
plus que tout autre pour s'égarer. Dans chacun de ses ro-
mans, elle invente toujours quelque nouveau dédale pour
s'y fourvoyer, jamais assez contente de ses erreurs pour ne
pas s'en créer de nouvelles , se frayant sans cesse des sentiers
là où la route manque, reculant au gré de son imagination
les limites du cœur.
Li.sez ses romans, C/dZ/e, Cyrus, Ibrahim, Mathilde
d''Aguilar, Almahidc,ow, pour ne pas vous conseiller per-
fidement , relisez seulement , dans les notes de Boileau,
cette fameuse description de la carte du Tendre , la seule
chose qu'on lise aujourd'hui de M"^ de Scudéry. Tout cela
est affecté, guindé, imaginé avec une nonchalance préten-
tieuse : d'accord ! mais soyez justes : quel gaspillage d'esprit,
quflle profusion de recherches ingénieuses, quels rappro-
chements spirituels ! Voilà toute une société créée d'un trait
de plume, une société jetée par une imagination folle sur
des routes nouvelles. Despréaux soufda dessus sans pitié
pour montrer combien les soutiens en étaient fragiles. Qui en
doutait? Personne, pas même celle qui l'avait élevée. L'idée
de cette charade amoureuse sortit probablement de l'hôtel
Rambouillet, où l'on jouait les proverbes de Voiture.
Ce logogriphe géographique fut sans doute inventé dans cette
chambre bleue de la marquise de Rambouillet, cette chambre
si méprisée de nos jours, et à qui nous devons, sans nous
en douter, tant de bonnes choses. M""" de Scudéry posa la
première pierre, ou plutôt la première carte, et chacun
approcha la main pour ajouter les autres. Qui sait si nous
ne devons pas le village des Petits-Soins au grand Condé,
celui des Jolis-Vers à M"'* de Sévigné, et le hameau des
Billets-Doux à Fléchier?
Il est facile, je crois, d'expliquer l'immense réputation
de m"" de Scudéry : l'esprit et l'imagination ne firent pas
seuls le succès de ses romans. Sous le casque de certains
Romains, et dans la salle de bains des plus jolies dames per-
sanes , il était facile de reconnaître les principaux habitués
de l'hôtel Rambouillet et la plupart des personnages les plus
distingués de l'époque. M"" de Scudéry avait surtout la pré-
tention d'amuser les ruelles et les réduits les mieux fré-
quentés. C'est à ce soin qu'il faut attribuer les nombreuses
histoires qu'elle lie tant bien que mal à l'intrigue principale
de ses ouvrages. Ainsi , les aventures de Clelie n'occupent
pas la moitié des dix volumes de ce roman; celles des
personnages secondaires en remplissent la majeure partie.
M"*" de Scudéry ne composait pas tout d'une haleine ; elle di-
visait ses romans en plusieurs parties, et ne publiait qu'un ou
deux volumes par an. Cela explique la variété des histoires
qu'elle insérait dans ses écrits ; c'étaient autant de nouvelles
séparées qu'elle rattachait à la nouvelle la plus importante
pour former un roman du tout. Cette espèce d'arrangement
devait nécessairement nuire à l'unité et apporter beaucoup
de confusion et de lassitude. Ajoutez à cela les hors-d'œuvre
qu'elle introduisait, tels que les questions débattues dans les
salons, et vous aurez une idée du désordre inévitable de sa
narration. Elle se rendait l'écho de toutes les bagatelles, de
toutes les futilités à l'ordre du jour; et la société élégante de
l'époque applaudissait à la fidèle peinture de ses mœurs, de
ses idées et de ses occupations frivoles. Aussi quel concours
d'éloges ! La robe, l'épée et le clergé s'unissent pour exalter
le mérite de Cijruset de Mathilde. Il n'est pas jusqu'à Port-
Royal qui ne dévore avec avidité les pages de la Clélie.
On fit venir au désert, dit Racine, ce roman où M"^ de
Scudéry avait fait une peinture avantageuse de Port-Royal;
il y courut de main en main , et tous les solitaires voulu-
rent voir l'euflroit où ils étaient trailé.s d'itlus/res. La foule
des beaux esprits al'lluait aux samedi.^ de l'immorlelle
Sapho. « Je ne fais pas difficulté, lui écrit Mascaron, de
vous avouer que dan^ les sermons que je prépare pour la
cour vous serez très-souvent à .côlé de saint Augustin et
de saint Bernarl. «Godeau, Rapin, Couhours, Charpentier,
l'abbé Genest, l^échier, le savant lluet, célèbrent à l'envi
l'admirable talent de M"'= de Scudéry, et, loin de se mon-
trer jalouses, les femmes les plus distinguées par leur esprit.
86
SCUDÉRY — SCULPTEUR
M="" Dacier, de .Sévigné, de Plat-Buisson, Descartes,
Delavigne , renchérissent encore sur ces louanges prodi-
gieuses. Pendant toute sa vie, qui dura près d'un siècle
(elle naquit au Havre, en 1607, et mourut à Paris, en
1701 ), m"'' de Scudéry fut l'objet de cet empressement gé-
néral. La critique de Boiieau ne put , malgré sa malignité ,
porter la plus légère atteinte à sa réputation , et lorsqu'elle
mourut, plusieurs paroisses se disputèrent l'honneur de lui
donner la sépulture. Peut-être l'affabilité de ses manières ,
son commerce aimable et poli, ne contribuèrent-ils pas mé-
diocrement à rehausser son talent littéraire. Elle faisait
facilement accepter sa royauté dans ces salons élégants du
dix-septième siècle où s'agitaient, en manière de passe-temps,
des subtilités amoureuses , telles que celle-ci : « Un véri-
table amant doit-il être plus occupé de son amour que des
sentiments qu'il (ait naître? » Malgré sa laideur, elle inspira
plusieurs passions violentes ; et Pellisson , qu'elle a peint
sous le nom d'Alcante , ne fut pas, dit-on, indifférent à son
meri/e, comme on disait alors. Mais elle voulut toujours
rester étrangère au sentiment sur lequel elle avait passé sa
vie entière à parler et à écrire. Lorsqu'on lit les auteurs
contemporains, on est vraiment étonné du rang que M"^ de
Scudéry a tenu dans les lettres et du rôle qu'elle a joué dans
le monde. On peut dire qu'elle a reçu plus d'hommages que
j^jme de Sévigné elle-même. La cour et la ville s'occupaient
de ses moindres actions et de ses moindres paroles. Il n'était
pas jusqu'à la fauvette, hôtesse habituelle de son jardin,
qui ne lût célébrée par les poètes. La mort de deux camé-
léons qu'elle prenait plaisir à nourrir dans son salon mit
Paris en rumeur. Un auteur inconnu aujourd'hui, Bétoulaud,
composa à ce sujet un poëme entier. Louis Le Laboureur,
frère de l'historien, M™^ de Plat-Buisson, Genest, Pellisson,
adressèrent à Sapho des compliments de condoléance en
vers.
Ces suffrages presque unanimes n'ont pu , quoi qu'on en
ait dit, être inspirés par l'esprit d'une coterie. Certes, si
l'on examine les ouvrages de M"" de Scudéry hors de la so-
ciété et des mœurs au milieu desquelles et pour lesquelles
ils ont été faits, on tombe d'accord que de pareilles com-
positions ( j'excepte toutefois les Conversations morales )
.sont tout à fait misérables et plutôt dignes d'une littérature qui
se perd que d'une littérature qui se fonde. Mais tous leurs
défauts appartiennent à la société dont elle était le peintre
fidèle. Ce qui lui appartient en propre, au milieu de ces
amphigouris de mauvais goût, de ces fadaises sentimentales
et nauséabondes , c'est un style assez pur, une politesse ex -
quise , une grande propension à l'esprit, et bon nombre de
pages détachées qu'on trouverait excellentes si elles n'avaient
pas un aussi triste entourage. Joncières.
SCUDO, scudo d'argento , monnaie d'Italie, ainsi nom-
mée parce qu'elle porte l'écu armorié du prince qui la fait
frapper, et dont la vaUur varie suivant les pays d'où elle
provient. A Rome le scudo , qui est de la grandeur d'une de
nos pièces de cinq francs , vaut un peu moins de 5 francs
40 centimes. 11 est divisé en 10 paoli , ou 100 bajoccfii, et
frappé à 9/10 d'argent fin. En Sardaigne, il circule encore
quelques scudi frappés avant l'adoption du système déci-
mal. Le scudo de Turin, frappé depuis 1755, vaut 7 fr.
07 c; celui de Gènes vaut 6 fr. 37 c. Le scudo actuel vaut
exactement 5 fr. Il en est de même du scudo de Modène.
Il y a aussi des scudi d'or. Le scudo d''oro de Rome vaut
17 fr. 28 cent.
SCULPTEUll, SCULPTURE (du latin sculpo, je gra-
Te , je taille au ciseau). On appelle sculpteur celui qui en
modelant , ou à l'aide du ciseau , fait des figures de ronde-
bosse ou en bas-relief, avec des substances plus ou moins
dures. La sculpture est l'art de tailler le bois, la pierre , le
marbre, les minéraux, les métaux, de couler le bronze,
enfin d'ôter ou d'ajouter à la matière , pour la plier à di-
verses représentations. Ce grand art a commencé par les
procédés les plus simples, par le modelé, par le plastique.
Un enfant pétrit une masse molle et lui fait prendre les
formes les plus capricieuses sans qu'il ait la moindre con-
naissance du dessin. Ainsi se révèle partout la sculpture. Ce
sont d'abord des figures roides, droites , sans mouvement ;
voyez les premières ébauches égyptiennes , étrusques ,
grecques, les statues en albâtre de Bouddha et de Brahina,
qui ont tant d'analogie avec les premières ; celles du Mexique
en pierre volcanique; voyez même les idoles grossières du
Japon et de la Chine , si exactes dans leur imitation de la
nature. On sait que les anciennes statues, à peine ébauchées,
ressemblaient aux hideux fétiches des sauvages, et que
sous le nom A'' Hermès les anciens adorèrent d'abord une
grande figure carrée en pierre , sans pieds ni jambes , et
offrant dans le centre l'indication du sexe. Quelle distance
de ces premiers essais de l'ignorance et de la barbarie à ce
divin Apollon Pythien qui reçut l'adoration de tout un
peuple ! comme la science divine se révèle là dans toute sa
pureté.
Partout , on peut le dire, la sculpture marche avec la ci-
vilisation. Suivez-la en Egypte , depuis le règne de Boc-
choris, où je fixe l'exécution du zodiaque de Denderah,
jusqu'à celui de Psammetichus , qui le premier permit
aux Grecs de s'établir dans ses États. Étudiez ce qu'enfante
le gouvernement de ce prince jusqu'à l'invasion de l'Egypte
parCambyse. Des colosses, des figures de moindre dimen-
sion se dressent sur les bords du Nil, en pierre calcaire,
en basalte, en granit, en albâtre. Voyez dans les galeries
\ du Louvre, à la salle de Melpo.mène , la grande statue de
granit noir apportée en France par le comte de Forbin,
et représentant Osiris-Léontocéphale ou à tête de lion.
' Le dieu est assis tenant le tau mystérieux , ou la croix an-
j sée , emblème du solstice d'été et de l'inondation du Nil.
i Sur le siège se dessine un demi-relief figurant rsis et Saté,
' serrant le lien qui unit les deux hémisphères. Dans la môme
\ galerie vous trouverez une statue colossale en albâtre , re-
! présentant également OsirJ5, mais à la tête humaine, assis
I comme l'autre , et un prêtre égyptien sculpté du temps de
I l'empereur Adrien. Il paraît que les artistes égyptiens
! n'exécutèrent en bronze , en or ou en argent , que de pe-
j tites idoles (voir la précieuse collection de figurines du
Musée).
Mais nulle part la statuaire ne fut portée à un aussi haut
degré de perfection que dans l'ancienne Grèce. A aucune
époque , dans aucun pays, la conception d'une statue , d'un
bas-ielief, ne se manifesta plus sage , mieux entendue. Ja-
mais l'étude du nu ne fut poussée aussi loin , l'art du des-
sin mieux compris dans ses détails , le modelé aussi rigou-
reusement observé, sans toutefois que la moindre prétention
se décèle; jamais enfin le travail du marbre, la fonte, la
ciselure du bronze, n'annoncèrent plus de conscience, plus
de correction. L'étude affectée de l'anatomie, telle que nous
la montrent quelques ouvrages de Michel- A nge, est
l'erreur d'un grand artiste emporté par un amour exagéré de
la perfection. Jamais sculpteur grec ne commit erreur sem-
blable; et si les muscles et les formes se prononcent avec
tant d'énergie dans les statues de Laocoon et à^ Hercule ,
œuvres d'Agisandre et de Glycon , c'est qu'il s'agissait de ma-
térialiser dans l'une l'excès de la douleur, dans l'autre l'excès
de la force. Mais pour arriver là, à combien de tâtonnements,
d'essais , d'efforts , les sculpteurs d'Athènes et de Sicyone
n'ont-ils pas dû se soumettre avant de poser comme ils l'ont
fait les dernières limites du beau? Ce fut sous Périclès et
sous Alexandre que la sculpture reçut son plus grand déve-
loppement. C'était l'époque où fiorissaient Ph id las et
Praxitèle. A l'un l'antiquité est redevable de sa plus
belle statue, de ce Jupiter Olympien, haut de vingt mè-
tres , sculpté en or et en ivoire , et qui passa pour une des
merveilles du monde. L'autre vantait lui-même son Satyre
et son Cupidon. Les grâces conduisaient son ciseau; son
génie donnait la vie à la matière. Il décora le temple de
Gnide d'une Ventes si parfaite que sa vue embrasait d'a-
mour tous ceux qui l'approchaient. A ce chef-d'œuvre il
joignit un Apollon Saurocione ( laypoxiov o;, futur de lé-
SCULPTEUR
67
zards)en brony.e, objetdes élogesde tous ses contemporains.
Une foule d'autres sculpteurs ont illustré la Grèce. Nous ne
citerons qutî Caicostliène, Démophile, Gorsanus, Polyclèle
de Sicyone, Myron, Lysippe, Scopas, Brianis, Timothée,
Léocliarès, Céphisodorus, Canachus, Dédale, Ruthiœus,
élève de Myron, Niceratus Euphranor, Théodore, Xéno-
trate, Phiromaclius, Slratonicus , Antigone, qui avait écrit
nn traité de son art, et Carétès de Lindos, disciple de Ly-
sippe, auteur du fameux colosse de Rhodes.
La beauté et le charme de la sculpture ne consistent pas
seulement dans la pureté du dessin et dans le choix des
formes que l'artiste découvre dans l'immense tableau que
la nature déroule autour de lui, mais encore, et pliis en-
core, dans un concours de rapports et de perfections, que
sa pensée créatrice ménage ingénieusement dans l'ensemble
et les détails de ces mêmes formes. La statuaire grecque,
outre l'expression interne de l'âme, exprimait sa manifes-
tation extérieure , le geste, le sentiment. Le sculpteur sa-
vait en outre toujours bien saisir le caractère précis du
personnage qu'il avait à reproduire. Si vous lui demandiez
une Vénus , bientôt , sous l'effort de son habile ciseau , le
marbre ravissait le spectateur par sa pose, par son atti-
tude , par un charme inconnu qui l'attirait malgré lui. S'a-
gissait-il d'Anadyoraène ou de la Vierge, la matière se mo-
delait sous un autre aspect, et des formes pures et suaves
vous rappelaient à un autre ordrede beauté. Quand Praxitèle
eut sculpté sa Vémis de Cos , il la drapa d'une main si
légère, que son voile de marbre fut transparent, et qu'à
travers le tissu aucun des délicieux contours de ce beau
corps n'échappait à l'œil attentif. Il représenta la Vernis de
Gnide, dont nous parlions tout à l'heure, dans une nudité
complète. C'était Phryné , c'était l'attrayante courtisane
avec tous ses charmes. La Grèce fut émerveillée. Poètes ,
historiens, orateurs, de la mer Egée aux bords du Tibre,
célébraient l'enchanteresse. Ouvrez V Anthologie , vous y
lirez :
Cypris passait à Gnide , elle y trouva Cypris.
O ciel ! dit la déesse émue ,
Quel objet se présente à mes regards surpris ?
Aux yeux de trois mortels je parus toute nue :
Adonis, Anchisc et Paris ;
Mais Praxitèle où in'a-t-il vue ?
Cette traduction est de l'abbé Arnaud, et elle me semble
meilleure que celle de Voltaire.
Demaratus, père du premier Tarquin, transporta la sta-
tuaire en Italie : deux sculpteurs célèbres qui l'y avaient
suivi, Eucisape et Eutigrarame, enseignèrent cet art aux Tos-
cans, qui s'y appliquèrent et y obtinrent de brillants suc-
cès. Mais Rome dans cette carrière ne moissonna jamais
les lauriers qui avaient illustré la Grèce. A peine trouve-
t-on à citer dans ses annales quelques artistes estimables,
entre autres Zénodore , qui florissait sous Néron. ,
Pour se faire une idée de la sculpture grecque, il suffit
de parcourir les salles basses de notre musée du Louvre ,
et d'y contempler les statues du Gladiateur combattant,
par Agasias d'Éphèse, le Mercure, surnommé Germanicus,
par Cléoniène, auteur de la Vénus de Médicis ; et la Diane
chasseresse , attribuée par quelques écrivains à l'auteur de
['Apollon du Belvédère. Voyez-y les diverses autres sta-
tues de Vénus , quoique leur perfection soit loin de celle de
la Vénus de Gnide, et de la Vénus Anadijomène de Cléo-
niène. Voyez surtout la Vénus dite du Capitale et la Vétms
victorieuse, découverte à Milo, et offerte à Louis XVIII
par le marquis de Rivière; c'est un chef-d'œuvre de grâce
et de perfection. Mais, en passant, ne négligez pas de jeter
un regard sur Y Hermaphrodite. Si comme type de la
perfection dans l'homme vous admettez l'adolescence avec
ses formes douces , virginales, gracieuses, avec son allure
nonchalante et efféminée , arrêtez-vous devant V Apolline
ou V Apollon Androgine, que je soupçonne être Adonis.
Contemplez aussi l'Apollon Sauroctone, traduit du bronze
de Praxitèle. Puis, pour vous faire une idée du style athlé-
tique , que parfois les Grecs développaient avec tant do
bonheur dans leurs compositions, saluez V Achille, le Ja»m,
qualifié Cincinnatus , et le Héros grec combattant, qu'on
a nommé Le Gladiateur. Voyez encore celte figure tron-
quée d'Hercule au repos et déifié, désignée par les artistes
sous l'appellation du Torse, et que Pline attribue au célèbre
sculpteur Apollonius d'Athènes, qui florissait cent quatre-
vingt-quatorze ans avant l'ère cliiétienne. Michel-Ange,
aveugle dans sa vieillesse, se faisait porter devant cette
statue pour avoir le plaisir de promener ses mains sur ses
mâles contours. Les Jeunes Enfants de Niobé s'exerçant
à la lutte, groupe connu sous le nom des Lutteurs, méri-
tent aussi d'attirer votre attention. Nous n'en possédons
pas l'original. Mais on en voit une bonne traduction au jar-
din du Luxembourg. Placée primitivement à Marly, elle
avait été commandée par Louis XIV, qui a fait ainsi repro-
duire, par Pierre Le Gros et Nicolas Coustou, un grand
nombre de statues et de groupes antiques. N'oubliez pas
enfin, au jardin des Tuileries, Le Silence, Le Nil, et Le
Tibre ; l'original de ce dernier est maintenant au Musée.
C'est surtout dans la sculpture des enfants que les Grecs
ont été admirables. Le Musée vous en fournira un double
exemple dans le Groupe du Centaure, et dans celui de
Bacchus. C'est que (les artistes le savent) ce n'est pas chose
facile de rendre en sculpture, avec du marbre, de la pierre
ou du bronze, des formes aussi naïves, aussi rondes, aussi
suaves que celles de l'enfance! Quand Michel-Ange et Ra-
phaël peignent des enfants , ils en font de petits Hercules.
Les statuaires grecs eux-mêmes ont souvent échoué dans
cette représentation du premier âge. Mais on retrouve tou-
jours en eux ce sentiment du beau idéal, cette pureté de
ciseau qui fait le charme de leurs productions.
Si de la statue nous passons au bas-relief, ici encore notre
admiration sera excitée au plus haut point par tout ce que
notre Musée renferme de riclies débris arrachés au naufrage
de l'antique Grèce. En lisant les poèmes d'Homère, ses
descriptions du bouclier d'Achille et du cratère d'Hélène,
l'esprit se prend à réfléchir sur les progrès vraiment extraor-
dinaires qu'avaient déjà dû faiie dans l'Hellénie l'art du
modelé, celui de la fonte et de la ciselure des statues et des
bas-reliefs. On cite comme bronzes remarquables l'an-
cienne Junon de Samos, la Minerve assise de l'Acropolis
d'Athènes, et le Combat d'Hercule et de l'amazone An-
tiope, œuvre d'Aristoclès de Crète, et qui faisait la gloire
d'Olympie.
Un volume ne suffirait pas pour énumérer seulement
tout ce qui parut de grand et de beau sous Périclès et sous
Alexandre. Du règne de ce dernier part une nouvelle période,
qui s'étend jusqu'à la conquête de la Grèce par les Romains.
On sait combien étaient belles les sculptures du Parlhénon,
attribuées sans preuves à Phidias. L'Angleterre s'enorgueillit
de ces chefs-d'œuvre; notre Louvre n'en possède que les
plâtres, et ce qui reste du célèbre groupe d'Alexandre domp-
tant Buccphale.
En général, les sculpteurs grecs excellaient non-seule-
ment dans l'artd'extraire une statue du marbre, mais encore
dans celui de la couler en bronze. Combien nos artistes mo-
dernes sont loin de cette perfection ! Leurs productions ne
se distinguent par aucune des qualités de ces grands maîtres.
Cependant, ensuivant d'autres principes, en adoptant une
autre méthode, Michel-Ange et quelques peintres célèbres sont
arrivés à un système différent d'exécution, système qui a.
produit aussi ses chefs-d'œuvre.
La France n'a eu, à proprement parler, des sculpteurs
qu'à partir de François 1" et d'Henri II. Avant cette époque,
tout l'art des découpeurs d'images se bornait à enfanter
des figures en pierre ou en bois, dont le visage était peint
de diverses couleurs, et dont on décorait le portail et l'in-
térieur des églises. Les sujets qu'elles représentaient étaient
empruntés à l'Ancien ou au Nouveau Testament. L'en-
semble se dessinait roide, sans mouvement, sans élasticité,
empreint souvent du cachet de l'idiotisme. Il n'y a là que
5.
68 SCULPTEUR
bras maigres et jambes grêles. Les draperies seules sont pas-
sables. Ce n'est pas sans raison que ce genre a été qualifié
de gothique.
'f Enfin, Jean Cousin et Jean Goujon parurent, et la
sculpture française fut trouvée. Mais c'est surtout le règne de
Louis XIV qui a produit leplusdestatuaires habiles ; avouons
toutefois que bien peu ontraontrédii génie, si nousen excep-
tons Desjardin, Le Pautre et Puget. On admire dans le jardin
des Tuileries les groupes (TÉriée et Anchise, de Petus
et Aria, et au Louvre la statue Ae Milon de Crotone, et le
bas-relief en marbre à^ Alexandre devant Diogène. Ce sont,
nous ue craignons pas de le dire, les chefs-d'œuvre de la
sculpture moderne.
Quant aux Coustou, aux Coyzevox,aux Girardon,
aux Marsy, aux frères Anguier, il est à regretter qu'ils
aient été forcés d'assouplir leur talent aux caprices de
Charles Lebrun, qui, usant des prérogatives de premier
peintre du roi, exerçait sur les arts une autorité despotique.
Tous ces artistes ont été employés à la décoration du châ-
teau de Versailles. Dans les moindres détails de leurs œuvres
se révèlent l'idée, le style, la manière de Lebrun. Contem-
plez les Portes Saint-Denis et Saint-Martin des frères An-
guier, le Faune jouant de la Jlilte, par Coyzevox, au jar-
din des Tuileries ; les Nijpmhes, la Flore de la terrasse du
château, etle Berger, àe Coustou, le Tombeau ducardinal
de Richelieu, par Girardon, à la Sorbonne, et vous relrou-
Terez partout le niveau de Charles Lebrun, partout son reflet
plus empreint d'élégance que de génie.
Les plus habiles sculpteurs du règne de Louis XV sont
Bouchard on, Falconnetet Pigalle. Quant à Jean-
Laptiste Lemoine, que le monarque affectionnait particu-
lièrement, lui aussi faisait de la sculpture dans le gofil de
la peinture de François Boucher, l'Apelle maniéré du
Parc-aux-Cerfs. Enfin, vint le restaurateur de l'art en France,
le grand peintre David; et à sa voix tout rebroussa che-
min, tout rentra dans la route trop longtemps délaissée de
lanature et du beau. Les sculpteurs, électrisés par son exemple,
ne rêvèrent plus que statues grecques. Malheureusement, leur
ciseau indécis ne produisit que des ouvrages froids, sans
grâce, bien inférieurs sous tous les rapports à leurs su-
blimes modèles. Les plus habiles d'entreeux lurent Chaudet,
Roland, Cartelier, Moitte. Nous ne pousserons pas notre
revue plus loin. Si l'on ne doit que la vérité aux artistes qui
ne sont plus, les égards dont on ne peut pas se départir en-
vers les artistes vivants mettent le critique mal à l'aise, et
lui font craindre également de s'aventurer dans l'éloge ou
dans le hlàme, dans l'indulgence ou dans la sévérité.
Ch*' Alexandre LENom.
SCURRxV. On appelait ainsi à l'origine chez les Ro-
mains uncitoyenpauvre, dénué de toute espècede propriété,
qui s'attachait à un riche et se faisait nourrir par lui. Mais
bientôt ces scurrw, pour gagner leur pain , devinrent des
amuseurs de profession à la table des riches et des grands ,
ainsi qu'à la cour des empereurs, dont ils cherchèrent à
capter les bonnes grâces par toutes sortes de bassesses et
de flatteries, de même qu'en faisant toutes sortes de farces.
Aussi le mot scurra devint-il synonyme d'écornifleur et de
bouffon.
SCUTALE. Vorjez Polycraphie.
SCÙTAUi (en slave Skadar ou Schkodra , en turc
Iskendérieh), le Scodra des anciens, ville de la partie
septentrionale de l'Albanie (Turquie d'Europe) , est située à
l'endroit où le Bojana s'échappe du lac de Scutari, et à deux
myriamètres de la mer. Elle est le siège d'un pacha et d'un
évoque grec ; elle possède une citadelle, et compte 20,000 ha-
bitants, qui font un commerce très-actif, construisent beau-
coup de navires et ont d'importantes fabriques d'armes.
Il y a une autre Scutaui (en turc Uskudar ou Iskudar,
c'est-à-dire poste), dans la Turquie d'Asie, sur les rives du
Bosphore, en face deConstantinople, dont elle est con-
sidérée comme l'un des faubourgs. Les anciens l'appelaient
Chrijsopolis; et aujourd'hui on n'y compte pas moins de
— SCYMNUS
100,000 habitants, de même qu'on y trouve une foule da
palais, de mosquées et de bazars, une grande caserne, plu-
sieurs établissements d'utilité publique , beaucoup de tom-
beaux de familles des riches Turcs demeurant à Constanti-
nople, parce qu'ils préfèrent rej^oser sur la terre d'Asie, qu'ils
considèrent comme leur véritable patrie ; de nombreuses
manufactures de soie, et un commerce très-actif par suite de
la masse de marchandises que les caravanes de l'Asie y ap-
portent pour Constantinople. Aux environs de Scutari, du
côté de la pointe du sérail de la capitale , s'élève sur im ro-
cher isolé dans Je Bosphore une tour d'environ vingt-cinq
mètres d'élévation, appelée par les Turcs Kiskoulessi ou Kis-
Aa/esJ,c'est-à-direTourdes Vierges, et que par une singulière
confusion les Européens désignent souvent sous le nom de
Tour de Héro et de Léandre,
SCUTELLE {Cryptographie). Voyez Conceptacle.
SCUTIFORME (Cartilage). Foye:: Larynx.
SCYLAX, géographe grec , originaire suivant quelques
auteurs de Caryande, en Carie (Asie Mineure), et du-
quel il reste un Périple; description conçue et écrite d'une
manière assez succincte et assez aride, qui commence par
la nomenclature des contrées et des cités littorales du détroit
de Gadès, suit les côtes de l'Ibérie (Espagne), remonte
tout le vaste golfe qui s'étend entre l'Espagne et l'Italie ,
longe le contour de cette péninsule et les sinuosités de l'A-
driatique, le littoral delà Grèce, de la Macédoine, de la Tlirace,
en franchissant l'Hellesponl et le Bosphore, fait le tour du
Pont-Euxin ( mer Noire), de l'Asie Mineure, côtoie enfin
la Syrie, la Phénicie, l'Egypte, et toute la rive septentrio-
nale de l'Afrique. Aussi le Périple de Scylax porte-t-il
pour complément de son titre : le long de la mer qui bai-
gne V Europe , V.isie et la Lybie , c'est-à-dire le long de
toute la mer intérieure. L'auteur de cet ouvrage donne aussi
quelques détails géographiques sur les établissements des
Carthaginois au revers occidental de la Libye, baigné par
l'Océan extérieur; mais il ne s'étend pas assez loin au sud
pour que ce supplément géographique ait mérité d'être an-
noncé dans le litre du livre, pas plus que la mention de
certains intervalles entre des îles et des points éloignés;
détails très-convenablement placés dans un ^m^Ze ou cir-
cumnavigation , mais qui cessent d'être une description du
littoral proprement dit.
La question de savoir quel est le Scylax auteur de ce
Périple, l'époque où il a vécu, est restée indécise. L'en-
semble du livre donne à penser qu'il a été rédigé du temps
d'Alexandre le Grand , ou même du temps de Polybe. Quel-
ques auteurs prétendent que ce fut en l'an 508 av. J.-C.
que Scylax entreprit son voyage par ordre de Darius Hys-
taspe.
SCYLITZES. Votjez Scilitzès.
SCYXLA, Scyllseum, rocher situé dans le détroit de
Sicile ou de Messine, sur un promontoire {Rhigeum pro-
monlorium), en face de C ha rybde, que les anciens dépei-
gnent comme extrêmement dangereux pour les navigateurs,
parce que celui qui voulait éviter les brisants de Scylla tom-
bait ordinairement dans le gouffre de Cbarybde. Cet écueil
de la côte deCalabre, qui n'offre plus aucun danger en raison
des progrès qu'a faits l'art de la navigation, s'appelle au-
jourd'hui La Rima. Dans la fable, Scylla est représenté
comme un monstre adreux à plusieurs têtes.
SCYLLA, nymphe .sicilienne, qui fut aimée de Glaucus,
et que Circé , sa rivale, changea en un rocher qui avait la
forme d'une femme , dont le buste et la tête s'élevaient au-
dessus des eaux , et dont les hanches étaient couvertes
par les têtes de six chiens horribles, ouvrant de larges gueules
et faisant sans cesse retentir l'air de leurs aboyements. C'est
le monstre dont il est question dans l'article précédent.
SCYMMUS, géographe grec , né à Chio, composa vers
l'an 88 av. J.-C. sous le titre de Periagesis un poème géo-
graphique en vers iambiques , qui est eu partie parvenu
jusqu'à nous. M. Letronne en a donné une édition dans
ses Fraginenls des poèmes géographiques de Scymnus de
SCYMNUS — SEBASTIANl
Chio, etc. (Paris, 1840). On les trouvera aussi dans les Geo-
graphi Grxci Minores de Hudson (Oxford, 1703), et dans
ceux deGail (Paris, 1838).
SCYROS, ile de la Grèce , située au nord-est de l'Eu-
bée, dans la mer Egée. D'origine volcanique, elle est entourée
de rochers nus et escarpés ; mais on y trouve de fertiles
vallées, où l'on récolte beaucoup de grain, d'huile, de vin ,
et toutes sortes de fruits. Sur 21 kilomèties carrés de su-
perhcie,elle contient 2,000 habitants, dont l'élèvedu bétail
est la grande occupation après la culture du sol. La fable veut
qu'elle ait été le séjour d'Achille, et que ce soit là qu'Ulysse
vint le chercher pour le conduire au siège de Troie. Elle
avait aussi été le séjour deNéoplolème. Thésée y était mort,
et c'est de là que Cimon avait rapporté ses restes mortels
à Athènes.
SCYTHES. C'est le nom commun sous lequel on dé-
signait dans l'antiquité les peuplades nomades qui s'étaient
répandues, depuis les montagnes de l'Asie centrale, à tra-
vers le pays plat qu'arrosent le lac Aral et la mer Caspienne,
«n franchissant le Volga et le Don , dans les plaines de la
Russie méridionale riveraines de la mer ]\'oire, jusqu'aux
bords du Danube , et que les Perses appelaient ,SaAt. Hé-
rodote cite parmi les peuples qui en faisaient partie, en
Asie : les Amyrgiens, soumis aux Perses, qui habitaient dans
la Sogdiane, au nord de l'Oxus; les Massagètes, dans une
expédition contre lesquels périt Cyrus , et qui habitaient
au nord de l'iaxarte; sur les bords du Volga et du Bon,
les Sarmates; sur le versant sud du Caucase , les Bondini,
qui peut-être étaient les mêmes que ceux qu'on appela plus
tard les Alains ; et en Europe, notamment en Tauiide et sur
les rives de la mer JNoire, les tribus de Scolotes, auxquelles
il donne plus spécialement le nom de Scythes , et parmi
lesquelles la plus puissante était celle qu'on appelait les
Scythes royaux. Faisaient encore partie des Scythes plu-
sieurs peuplades mentionnées également par Hérodote,
telles que les Agathyrses, qui habitaient plus loin, dans l'in-
térieur des terres, enTransylvanie; lesSigynnes, lixés dans les
plaines de la Hongrie, les uns et les autres remplacés plus
tard par les Daces , les Gètes et autres tribus , comme les
Neures, les Mélanchlœnes ( hommes noirs), les Andropha-
ges (mangeurs d'hommes), qui, au nord, touchaient au ter-
ritoiie des peuplades (innoises. Le nom des Scythes ne se
perdit pas complètement en Europe à la suite de l'exten-
sion des Sarmates au delà du Don et de l'asservissement
des Scolotes ,car au temps d'Antonin il est encore question
de Tauro-Scythes ; mais le nom des Sarmates et ce peuple lui
même finirent par dominer dans ces contrées ; et c'est ainsi que
Ptolémée donne le nom de Sarmatic à la Scythie d'Europe
jusqu'au Volga. De là la Scythie en deçà de l'imaus s'étendait
jusqu'aux Belor-Dag, et la Scythie au delà de rtmaus(la
haute Tatarie) jusqu'aux Sereri. C'est abusivement qu'à
partir du troisième siècle de notre ère le nom de Scythes
est aussi employé parfois pour désigner les nouveaux
habitants des bords de la mer Noire de races germaines et
autres.
Vers la fin du septième siècle av. J.-C, en poursuivant,
dit-on, les Cimméricns, les nouveaux venus parcoururent la
Médie, la basse Asie et la Syrie jusqu'aux frontières de l'E-
gypte, en y portant le fer et le leu.Le roi Psammétichus les
détermina alors à se retirer ; et: en l'an 600 av. J.-C. le
roi des Mèdes Cyaxaris s'en débarrassa à l'aide d'un cruel
stratagème. De nouvelles incursions qu'ils commirent dans
la basse Asie déterminèrent, en l'an 515, le roi des Perses
DariuBl" à entreprendre contre eux une inutile expédition,
dans laquelle il pénétra depuis le Danube jusqu'au Volga. En
Pan 340 le roi Phili|)pe de Macédoine combattit avec succès
les Scythes qui avoisinaient le Danube. En l'an 127 avant
J.-C. les Saki-Scythes détruisirent en Asie le royaume de
Bactriane, et étendirent ensuite leur domination jusqu'à
l'Indus. Les Scythes de la mer Noire étaient tantôt en guerre,
tantôt en paix avec les colonies grecques fondées sur les
bords de cette môme mer, notamment avec Olbia , Tanaïs,
69
Panticapée et Phanagoria; et, comme elles, ils reconnurent
la souveraineté du grand Mithridate.
SCYTHSE (Petite), la Scythia Minor des anciens.
Voyez DoBiiouDscHA.
SÉBADILLE. Voyez Cévadille.
SEBASiVllA. Voyez Augustales.
SEBASTIANl ( Horace , comte) , maréchal de France,
naquit le 11 novembre 1775, dans un petit village delà
Corse situé à peu de distance de Bastia , et appelé la Porta.
Quelques biographes ont à tort avancé que son père y exer-
çait la profession de tonnelier ; il était tailleur de son état,
et avait un frère prêtre. Ce fut cet oncle du jeune Horace
qui se chargea de son éducation ; et il le destina de bonne
heure à suivre la carrière ecclésiastique. Mais, comme
tant d'autres, Horace Sebastiani échangea dès 1792 la
soutane contre un uniforme. Attaché d'abord en qualité
de secrétaire au général Casablanca , il passa ensuite à l'ar-
mée d'Italie , et fut fait chef de bataillon après la journée
d'Arcole. En 1799 Moreau le nomma colonel sur le champ
de bataille de Vérone. A la journée du 18 brumaire il com-
mandait un régiment de dragons en garnison à Paris ; Bo-
naparte sut gré à son compatriote du dévouement qu'il lui
avait montré dans cette circonstance décisive, et se char-
gea de sa fortune. Sebastiani l'accompagna, en 1800 , dans
sa seconde campagne d'Italie, et assista à la bataille de
Marengo. Après la paix d'Amiens , Bonaparte lui confia une
mission diplomatique pour Constantinople , et récompensa
l'habileté avec laquelle il s'en acquitta par le grade de géné-
ral de brigade. En 1804 Sebastiani eut ordre de surveiller
les mouvements de l'armée autrichienne en Allemagne , et
les rapports qu'il adressa à l'empereur ne contribuèrent pas
peu à décider celui-ci à entreprendre son immortelle cam-
pagne de 1805. Il commandait l'avant-garde du corps d'ar-
mée aux ordres de Murât , quand celui-ci entra à Vienne,
Grièvement blessé à la bataille d'Austerlitz , il fut alors
promu au grade de général de division; et au mois de mai
180C l'empereur lui confia de nouveau une mission pour
Constantinople. Dans ce poste difficile , le général fit preuve
d'une rare habileté. Il réussit à complètement gagner le
sultan Se 1 i m III aux intérêts de la France, et à lui faire dé-
clarer la guerre à la Russie. Le rôle joué dans cette cir-
constance par Sebastiani est resté la page la plus brillante
de sa vie. Il s'y montra diplomate habile autant qu'homme
d'action énergique. C'est aussi pendant son séjour à Cons-
tantinople qu'il eut la douleur de perdre sa première femme,
née de Coigny, et héritière d'une des plus grandes fortunes
de France , que Napoléon lui avait fait épouser en même
temps qu'il le créait comte de l'empire. IM""' Sebastiani
mourut en donnant le jour à une fille, qui fut depuis l'infor-
tunée duchesse de Praslin.
Peu de temps après la révolution de palais qui coûta à
Selim 111 le trône et la vie, Sebastiani fut rappelé par l'em-
pereur, qui l'envoya en Espagne commander une division
du premier corps d'armée. Il y obtint de brillants succès ;
mais en 1811, croyant ses services mal appréciés, il pria
l'empereur de lui donner un successeur , et revint en France
prendre quelque repos. L'année suivante eut lieu la célèbre
expédition de Russie; le général sollicita et obtint alors
un commandement à l'avant-garde de la grande armée. Il
assista aux batailles de Smolensk et de la Moskowa , et
entra le premier à Moscou à la tête du deuxième corps.
Quand ce fut le tour des Russes à prendre l'offensive,
Sebastiani partagea les fatigues et les dangers de la dé-
sastreuse retraite par laquelle se termina cette gigantesque
expédition. Dans la campagne de 1813 il fut blessé, à la
bataille de Leipzig, et contribua à la défaite du prince de
"Wrède, à Hanau. L'empereur le chargea ensuite de couvrir
avec le cinquième corps la rive gauche du Rhin ; mais il
se vit bientôt contraint de se replier sur la Champagne,
oii il eut encore occasion de se distinguer d'une manière
toute particulière, aux affaires de Reims, d'Arcis-sur-Aabe et
de Saint-Dizier.
70
SEBASTlAlNI — SÉBASTIEN
Laissé sans emploi par Louis XVIII , bien qu'il eût adhéré
à l'acte de déchéance de Napoléon , il se tint sur la réserve
pendant les cent jours, ne sollicita point de commandement
et n'accepta que le mandat de représentant , que lui con-
fièrent les électeurs de l'Aisne. Après Waterloo, il fut du
nombre des représentants que la chambre envoya au quar-
tier général des alliés pour y négocier. L'insuccès com-
plet de cette démarche le détermina à passer en Angleterre,
où il jugea prudent de rester jusqu'en 1816, Élu, en 1819 ,
député de la Corse , il siégea à l'extrême gauche, et s'y fit
remarquer par la fermeté de ses doctrines constitutionnelles.
Il prit alors une part importante à la lutte soutenue par
l'opposition contre une administration dont toute la sol-
licitude avait pour objet d'escamoter à la nation les droits
que lui avait reconnus la charte de Louis XVIII. Lors des
réélections de 1824 , le ministère Villèle mil tout en œuvre
pour se débarrasser d'un député qui le gênait beaucoup, et.
y réussit ; mais deux ans après les électeurs de l'Aisne le
choisirent pour mandataire en remplacement de Foy. De-
puis cette époque jusqu'en 1848 Sehastiani continua de
faire partie de la chambre élective. Il ne sympathisa pour-
tant d'abord que médiocrement avec la révolution de
juillet 1830, et n'hésita même pas, en présence des pre-
miers essais de résistance aux fatales ordonnances, à dé-
clarer qu'à ses yeux il n'y avait de drapeau national que
le drapeau blanc. Mais une fois que le mouvement prit dé-
cidément une couleur orléaniste, les étroites relations exis-
tant depuis longtemps entre lui et M. le duc d'Orléans
firent cesser ses scrupules constitutionnels.
Le 11 août 1830 le nouveau roi lui confia le portefeuille
de la marine, et en novembre suivant il l'appela à rem-
placer M. Mole au ministère des affaires étrangères , qu'il
garda jusqu'en 1832. C'est en cette qualité qu'il vint , en
septembre 1831 , annoncer à la chambre des députés que
la Pologne avait vécu et que Vordre régnait désormais à
Varsovie; expression malheureuse , que les partis hostiles à
l'établissement de juillet exploitèrent à l'envi. En mars 1833
ii reprit encore une fois le portefeuille des affaires étran-
gères; mais dans la session de 1834 il subit un échec dé-
cisif devant la chambre des députés, qui rejeta à une forle
majorité le projet de loi ayant pour but d'ouvris un crédit
de vingt-cinq millions pour l'indemnité accordée aux États-
Unis par un traité dont il avait été le négociateur. Force
lui fut alors de donner sa démission ; mais Louis-Philippe
l'en dédommagea par l'ambassade de Naples. En 1835 il fut
envoyé en la môme qualité à Londres, et en 1840 le bâton
de maréchal devenu vacant par la mort de Mais on lui fut
accordé. En 1840, malgré ses soixante-cinq ans, il épousa en
secondes noces une Gramont. Ce mariage le mit en assez
proches relations de parenté avec M. de Polignac ; mais
la mort de sa seconde femme vint encore une fois , après
six ans d'union , délruire l'avenir de bonheur qu'il avait
pu rêver, et enlever à sa verte vieillesse la compagne qui
eût sans doute adouci les cruelles épreuves qui devaient
bientôt l'atteiadre ( voyez Praslin [Affaire^). Ami per-
sonnel du roi Louis-Philippe, la révolution de 1848 lui
enleva ses dernières illusions. Jl mourut le 21 juillet 1851.
Son frère, le vicomte Tiburcc Sebastiani , né en 178G,
sorti en 1806 de l'École Militaire avec le grade de sous-lieu-
tenant, colonel en 1813, maréchal de camp en I828,heute-
nant gi^néral en 1830, remplit de 1840 à 1848 les fonctions
de commandant de la première division militaire.
SÉBA.ST1EN (Saint), martyr de l'Église catholique ,
néà Narbonne, en Gaule , était sous Dioctétien capitaine
dans la garde prétorienne. Comme depuis longtemps il appar-
tenait à Jésus-Christ, la position qu'il occupait à Rome
lui fournissait les moyens de contribuer à propager la foi
chrétienne et de secourir ses frères persécutés. Mais ayant
reçu de ses chefs l'ordre d'abandonner sa religion, il s'y
refusa courageusement ; et en punition de son insubordina-
tion , il fut livré aux archers de Mauritanie, qui l'attachè-
rent à un arbre et le percèrent, dit-on, de plus de mille
flèches. Une chrétienne, Irène, qui vint la nuit chercher
son corps pour l'ensevelir, le trouva encore vivant, et le
sauva. Mais Sébastien fut arrêté de nouveau , et alors il
fut battu de verges, le 20 janvier de l'an 288, jusqu'à ce que
mort s'en suivît, puis jeté dans une écluse. Une pieuse
chrétienne, Lucine, l'en retira, et l'enterra aux pieds des
apôtres saint Pierre et saint Paul. Le pape Damase cons-
truisit une église en l'honneur de ce saint , dont les reliques,
considérées comme un remède contre la peste, furent dis-
tribuées entre tous les pays de la chrétienté. Aujourd'hui
encore saint Sébastien est le patron des Sociétés de l'Arba-
lète et de l'Arquebuse. Son premier martyre a été chanté par
un grand nombre de poètes du moyen âge.
SÉBASTIEIV {?>d.mi-[Géographie]). Voyez Saint-Sé-
bastien.
SËBASTIEIV (Dom ) , roi de Portugal, de 1557 à 1578,
fils posthume de l'infant Jean et de Jeanne , fille de l'em-
pereur Charles Quint, naquit en 1554, et succéda sur le
trône à son grand-père Jean III, sous latutèle de son on-
cle, le cardinal Henri , qui gouverna le royaume jusqu'à
l'époque de sa majorité. Dom Sébastien montra dès l'âge le
plus tendre d'heureuses dispositions pour les sciences ; mais
la mauvaise éducation que lui fit donner sa tutrice, Cathe-
rine d'Autriche, femme de Jean III et sœur de Charles
Quint, les rendit inutiles. Sa piété dégénéra en fanatisme,
et sa valeur en donquîchotisme. A l'âge de vingt-et-un ans son
esprit aventureux le porta à entreprendre, à la tête de huit à
neuf cents Portugais, une expédition contre Tanger et dans
les montagnes de la côte septentrionale de l'Afrique. Le
succès dont fut couronnée cette entreprise l'encouragea à
en tenter de plus importantes. La guerre qui éclata entre
le chérif Muléi-Moloch et son neveu Muléi • Méhemmed ,
qui visait à s'emparer de son trône, lui en fournit l'occa-
sion. Dom Sébastien, embrassant la cause de ce dernier,
mitàla voile pour l'Afrique, le 24 juin 1578, en dépit de
tous les avertis.sements. Sa flotte se composait de mille bâ-
timents de toutes grandeurs, et portait à bord neuf mille Por-
tugais , trois mille Allemands , sept cents Anglais et deux
mille trois cents Espagnols. Le débarquement s'effectua
sans obstacle, à Alzera, et Muléi-Méhemmed remit son fils
comme otage à dom Sébastien. Mais le chérif de Maroc
avait rassemblé sous ses drapeaux plus de cent mille hom-
mes, et dès le 3 août 1578 les deux armées se trouvèrent
en présence , séparées seulement par une rivière. La disette
régnait dans le camp du roi de Portugal. L'ennemi occupait
toutes les hauteurs. Muléi-Méhemmed lui-même était d'a-
vis qu'on battît en retraite et qu'on regagnât la côte , at-
tendu qu'en cas d'échec la flotte eût toujours pu offrir à l'ar-
mée un refuge assuré. Mais rien ne put faire revenir le roi
de sa détermination de livrer bataille. Elle s'engagea le 4
août 1578 , et devint tout aussitôt une mêlée générale. Sé-
bastien réussit à briser la première et la seconde ligne de
l'armée ennemie , pendant que MuIéi-Moloch, en proie à
une maladie violente, était obligé de s'éloigner du champ
de bataille et expirait dans sa litière , sans que son ar-
mée en sût rien. La folle témérité du roi finit par l'entraî-
ner au milieu des rangs de l'ennemi, qui déjà décimait les
derrières de son armée. On présume que c'est là que dom
Sébastien tomba mortellement frappé ; mais aucun des
siens n'avait été témoin de sa mort. On ne retrouva pas, ou
du moins on ne reconnut pas son cadavre parmi ceux
qui jonchaient le champ de bataille. Toute son armée fut
massacrée ou faite prisonnière; et Muléi-Méhemmed se
noya en fuyant. La fleur de la noblesse portugaise avait
péri dans cette expédition , en même temps que les dépen-
ses immenses faites pour l'armement de cette flotte avaient
épuisé les ressources du royaume. Comme il n'existait
plus d'héritier direct delà couronne, les maisons de Par-
me et de Bragance élevèrent des piétentions à en hériter,
et se trouvèrent en concurrence avec l'Espagne , qui de-
vait nécessairement l'emporter sur des rivaux si peu redou-
tables.
SÉBASTIEN — SEBASTOPOL
71
L'incertitude dont resta entourée la mort du roi doin
Sébastien fut cause , lorsque le Poi tugal eut passé sous
les lois du roi d'Espagne Philippe H , qu'il se produisit
plusieurs aventuriers prétendant tous être le prince laissé
pour mort en Afrique. De tous ces pseudo-Sébastien, ce-
lui qui joua le rôle le plus brillant (ut un individu qui
Tingt-ans plus tard ,prit à Venise le titre de roi de Portu-
gal. Il prétendait qu'après être longtemps resté sur le champ
de bataille caché parmi les morts et les blessés, il s'était
décidé à demeurer en Afrique, lorsqu'il avait appris que le
bruit de sa mort était généralement accrédité en Portugal,
de peur d'y provoquer des tioubles. Il ajoutait qu'après
ivoir vécu ensuite pendant quelque temps comme ermite
en Sicile, il avait fini par prendre la résolution d'aller ré-
véler au pape le secret de son existence; qu'en se rendant
à Rome , il avait été dépouillé en route par des brigands ,
mais que reconnu alors par quelques Portugais que le ha-
sard lui avait fait rencontrer, ceux-ci l'avaient amené avec
eux à Venise. Le sénat lui fit donner l'ordre d'avoir à quit-
ter le terriloire de la république; mais à quelque temps
de là notre homme n'en étant pas moins revenu à Ve-
nise, on le mit en prison. Le vif intérêt qu'on prit partout en
Europe à cet aventurier détermina le sénat de Venise à le
mettre en Uberté, en lui interdisant d'ailleurs de nouveau
tout séjour dan?, les possessions de la république. Le pré-
tendu dom Sébastien se rendit alois à Florence ; mais là en-
core on le jeta en prison, et bientôt après même on le livra
aux autorités napolitaines. Comme il persistait à se pré-
tendre le roi dom Sébastien, on le condamna aux galères;
et jusqu'à la fin de sa vie il fut employé comme les autres
galériens aux travaux du port de Naples. Il paraît qu'on
aurait cependant fini par l'envoyer en Castille, où il serait
mort de sa belle mort.
SÉBASTIONIQUE et SÉBASTOPHONES. Voyez
AUGUSTALES.
SEBASTOPOL ou SÉ'WASTOPOL, ville nouvelle du
gouvernement de la Tauride ( Russie d'Europe ), fondée en
1786 par Catherine II, sur l'emplacement du village tatare
d'Achtjar ou Akhtjar, dans une contrée aride et déserte, à
l'extrémité sud-ouest de la Crimée , et bâtie en amphithéâtre
sur une hauteur. Sa baie, qui du sud-ouest pénètre à plus
de 8 kilomètres de profondeur dans l'intérieur des terres,
forme l'un des ports les plus vastes et les plus sûrs du monde.
Aussi l'a-t-on choisie pour en faire le port militaire et la sta-
tion de toute la Hotte russe de la mer Noire. Sa position
et les immenses fortifications qui le protègent du côté de la
mar, le firent longtemps regarder comme imprenable. Le
port ou la baie a 7 kilomètres de long sur 1 kilomètre 1/2
environ de large, avec une profondeur de 20 à 23 mètres,
et un fond excellent pour les ancres ; à l'entrée il forme un
chenal très-étroit. La baie se divise, dans diverses direc-
tions, en cinq baies plus petites, déterminées par des pro-
montoires et formantautant de ports naturels d'une sécurité
complète. Les deux premières de ces baies intérieures cons-
tituent le port marchand, et sont protégées par les batteries
des deux forts Alexandre et Constantin, armés chacun de
IGO bouches à feu. Vient ensuite le port militaire, composé
de deux parties : le grand port, pour les vaisseaux de guerre
armés, et le petit port, pour les vaisseaux dégréés. L'un et
l'autre sont abrités contre toutes les tempêtes possibles par
une enceinte immédiate de hauts rochers calcaires, et, comme
la ville elle-même, protégés contre toute attaque ennemie par
le fort Nicolas , de construction récente, qui, avec ses co-
lossales dimensions et ses 240 bouches à feu , forme une
citadelle particulière , ainsi que par de nombreuses batteries
de terre et redoutes. Une langue de terre sépare le bassin
de la flotte des Docks , constructions gigantesques, qui ont
coûté des sommes immenses , exécutées d'après les plans
et sous la direction de l'ingénieur anglais John Huplon,
et alimentées par un bassin de dock dans lequel est amenée,
au moyen d'un canal long de dix wersles, à travers une
Bjoutagae et une vallée étroite , l'eau d'un petit ruisseau ap-
pelé Tschernaja Ratschka (ruisseau noir), qui se jette
dans la baie de Sébastopol. Cette alimentation a encore lieu
au moyeji d'un réservoir où l'eau est élevée par une machine
à vapeur. A l'est des docks, au delà d'une autre langue de
terre et du fort Saint-Paul, se trouve un quatrième petit
port, qui sert pour armer les bâtiments de guerre légers.
Quant à la ville même, elle est très-régulièrement bâtie;
mais à l'exception des grandes rues et du magnifique escalier
qui borde le quai , elle ne contient qu'une (ouïe de petites
places et de ruelles sans importance; de même que, saut
les casernes et les autres édifices appartenant à la couronne,
on n'y trouve que des maisons de construction très-mesquine.
Au moment où éclata la guerre d'Orient, on y comptait, y
compris le nombreux personnel de la flotte et de la garnison,
environ 45,000 âmes. Cette ville est le siège d'une amirauté.
On y trouve des bâtiments de l'amirauté construits dans les
|)lus vastes proportions , un arsenal maritime , un établisse-
ment de quarantaine, deux phares, d'immenses magasins,
des casernes, des hôpitaux et autres édifices de la couronne,
à l'usage des officiers supérieurs et des soldats de marine ;
une belle cathédrale grecque, plusieurs autres églises,
une bibUothèque montée avec le plus grand luxe, etc.
Les quais sont magnifiques ; ils n'ont pa^ moins de quatre
kilomètres de développement ; leur base , qui plonge dans
l'eau , est en pierre de taille calcaire , la partie supérieure en
porphyre, les parapets, piliers, etc., en granit. Quoique par
elle-même Sébastopol n'ait pas d'antiquités à montrer, elle
est cependant située au milieu d'intéressantes ruines histo-
riques. Les carrières voisines d'Inkermann fournissent en
abondance des matériaux pour les constructions qu'on
peut avoir à élever à Sébastopol, une excellente pierre cal-
caire, qui, composée surtout d'animaux marins pétrifiés, et
d'abord molle comme de la craie, devient d'une dureté extra-
ordinaire quand elle a été exposée à l'air. La vallée à'In-
kermann , ancien château fort génois , aujourd'hui bourg ,
est désolée , mais couverte de débris remarquables de l'an-
cienne ville, dont les matériaux avaient été taillés dans
le roc vif. Dans le voisinage on trouve Kosloff ou Jeffpa-
torija, VEupatoria des anciens , et au fond d'une baie svire
Balaklava, sur l'emplacement de l'ancien port grec Sijm-
bolôn , au moyen âge florissante ville de commerce des Gé-
nois , appelée Cembalo , habitée aujourd'hui pour la plus
grande partie par des Grecs, qui s'occupent de la pêche, de
la culture de la vigne et des melons , et composent un ba-
taillon particulier, chargé jusque dans ces derniers temps de
la surveillance et de la garde de tout le littoral du siui-
ouest. La baie de Sébastopol était connue des anciens,
qui lui avaient donné le nom de Klenus, c'est-à-dire port
qui s'étend en longueur. Le promontoire qui sépare la baie
de Sébastopol de celle de Balaklava est le Chersonescs
Herakleoiicos , avec la très-importante ville de commerce
Chersonesos Heraklea, fondée au cinquième siècle av. J.-C.
par des colons venus d'Héracléa sur le Pont, qui avait plus
de six kilomètres de circuit, une citadelle et un temple de
Diane. A l'époque des empereurs romains elle avait encore
conservé son indépendance; elle dominait la Tauride mé-
ridionale, et elle devint ensuite la capitale d'une province
byzantine et le siège d'un archevêché. Dès l'an 988 elle fut
temporairement conquise par les Russes aux ordres de Wla
dimir le Grand , qui reçut ici le baptême , à Korsoum.
Plus tard elle fut éclipsée par la Kaffa des Génois. En
1363 elle fut dévastée par Olgerd de Lithuanie , puis com-
plètement détruite au quatorzième et au quinzième siècle
par les Turcs. Lors de la conquête de la Crimée par les Turcs,
on y voyait encore d'importantes ruines , qui aujourd'hui
ont à peu près complètement disparu. L'extrémité de ce
promontoire, appelée maintenant cap Fanari, était le pro-
montoire Parthenium , où les Grecs plaçaient la Diane de
Tauride et Iphigénie, Consultez Polsberfl, De Rébus Cher-
sonesitarum et Callatianorum ( Berlin, 1838).
SÉBASTOPOL (Siège de). Encore une glorieuse page de
plus à ajouter à notre histoire militaire !
72
SÉBASTOPOL
L'éternelle question d'Orient, qui pesait sur l'Europe
depuis plus d'un quart de siècle comme une menace cons-
tante à sa tranquillité et à la stabilité de son assiette poli-
tique, semble avoir été provisoirement résolue dans l'intérêt
du statu quo par le résultat de la querelle entre les grandes
puissances de l'Ouest et la Russie, dont l'affaire des lieux
saints fut le prétexte, en 1853. La prise de Sébastopol et
Ja destruction de l'immense matériel de guerre que les Russes
y avaient réuni ont évidemment retardé pour bien long-
temps la réalisation des projets que, depuis le règne de Pierre
le Grand, le cabinet de Saint-Pétersbourg n'a jamais cessé
d'entretenir relativement à la Turquie ; projets conçus avec
beaucoup d'habileté , poursuivis avec la constance qu'un
gouvernement fort et intelligent apporte toujours dans l'exé-
cution d'une pensée juste et féconde , et dont la réalisation
n'a échoué cette fois que parce que l'on s'est trompé sur le
moment. Qui oserait dire en effet que si la Russie avait su
attendre une couple d'années de plus seulement, et si par
exemple elle n'avait songé à en finir avec cet empire mu-
sulman , la honte de l'Europe civihsée, que lorsque l'Angle-
terre aurait eu (1857) l'insurrection des Indes sur les bras ,
et que lorsqu'elle eût été en mesure d'offiir à la France ce
remaniement complet de la carte de l'Europe, qui est une
des inévitables nécessités de l'époque , lui adjuger l'Egypte et
lui rendre ses frontières naturelles pour prix de sou concours,
la question d'Orient n'eût pas reçu dès à présent et définiti-
vement une tout autre solution? Mais sans nous jeter à ce
propos fort inutilement dans le champ si vaste des conjec-
tures, bornons-nous à indiquer les faits principaux qui pré-
cédèrent un siège, qui à lui seul fut toute une guerre , dont
nous ne pouvons avoir la prétention de raconter ici en détail
les phases diverses, et qui a eu tout au moins pour résultat
incontesté et incontestable de rendre enfin à la France parmi
les grandes puissances de l'Europe le rang et le prestige
qu'elle avait perdus depuis 1814.
C'est au mois de mai 1853 , peu de temps après le départ
du prince Menschiko ff de Constanlinople, que les flottes
combinées de la France et de l'Angleterie vinrent prendre à
rentrée des Dardanelles, dans la baie de Bésika, une posi-
tion d'observation et de surveillance qui était une réponse
indirecte aux menaces adressées par h Russie à la Porte.
Le cabinet de Saint-Pétersbourg n'en tint aucun compte.
Au contraire , une nombreuse armée russe envahit les
principautés de Moldavie et de Valachie; et peu de temps
après une partie de la flotte de Sébastopol attaquait dans la
rade Sinope , sur la côte açiatique de la mer Noire, une
escadre turque qui transportait des troupes à Trébizonde,
en coulait bas les quatre cinquièmes et réduisait en cendres
une grande partie de la ville. Cette agression sauvage, avant
toute déclaration de guerre, souleva en Europe un cri de ré-
probation unanime contre la politique du cabinet de Saint-Pé-
tersbourg, et acheva de dessiller les yeux des hommes d'État
qui jusque alors avaient cru à la sincérité de ses déclara-
tions. Les deux flottes reçurent en conséquence l'ordre de
franchir les Dardanelles et d'aller mouiller devant Cons-
tanfinople. Mais maintenant la France et l'Angleterre ne pou-
vaient plus espérer qu'une simple démonstration de leurs
flottes suffirait pour imposer à la Russie. C'est seulement
par l'envoi d'une armée que la Porte pouvait être pro-
tégée contre les forces, évidemment supérieures, de cette
puissance. Plusieurs mois se passèrent en négociations et en
préparatifs, délai mis à profit par les Russes pour compléter
l'occupation des Principautés. Mais vers la fin d'août 1854
tout se trouva prêt, tant en France qu'en Angleterre, pour
pouvoir agir enfin avec vigueur; et le 10 mai suivant une
armée anglo-française, à l'origine forte seulement de 40,000
hommes, débarquait à Gallipoli, point d'où il lui était facile
en quelques jours de marche de se porter à Andrinople pour
couvrir Constanlinople, si Paskjéwitsch se décidait, comme
Diébitsch en 18!'0, à faire franchir le Bnlkan à son armée.
Tous les jours des engagements meurtriers avaient lieu sur
les bords du Danube entre les troupes turques et les troupes
russes, qui vinrent mettre le siège devant Silistria
(juin 1834). L'immense matériel dont elles disposaient et
leurs efforts acharnés annonçaient la ferme détermination de
s'en emparera tout prix, pour avoir ainsi une tête de pont
sur le territoire turc. Le maréchal Saint-Arnaud fit préva-
loir son idée de transporter l'armée alliée de Gallipoli sur le
théâtre même de la guerre, à Varna, d'où, si l'armée russe
franchissait définitivement le Ralkan et se décidait à mar-
cher sur Constautinople, on pourrait la prendre à revers. Les
moments étaient précieux, carOmer-Pacha, général en
chef de l'armée turque concentrée dans le camp retranché
de Schoumia, ne se sentant pas assez fort pour aller attaquer
l'armée assiégeante, retranchée elle-même devant Silistria,
désespérait déjà du salut de cette place; et il n'y avait pas
de temps à perdre pour que l'armée alliée, grossie par
l'armée turque, allât offrir la bataille aux Russes. Mais
soit qu'il ne se sentît pas en mesure de résister aux forces
combinées des trois puissances, soit qu'il obéît aux ordres
de son gouvernement, désireux de donner à ce prix au
gouvernement autrichien une preuve de la sincérité de ses
déclarations, Paskjéwitsch se décidait toute coup à lever
le siège de Silistria au moment même où l'armée aUiée dé-
barquait à Varna ( 25 juin). Comme on était instruit que
des négociations se suivaient pour l'évacuation des Princi-
pautés entre la Russie et l'Autriche , qui mettait à ce prix
sa neutralité, il n'y avait plus lieu de songer à entrer en
Valachie et à y suivre les Russes. Le choléra se déclara
bientôt dans l'armée réunie à Varna , et y exerça de grands
ravages. Pour donner de l'occupation à leurs troupes, et en
même temps tromper les Russes sur leurs véritables inten-
tions, les alliés résolurent de tenter dans la Dobroudscha une
expédition aux ordres du général Canrobert; expédition qui
d'ailleurs ne fut qu'un désastre, et qui donna lieu à de graves
récriminations entre les chefs. Mais la Crimée étaitenréalitéle
point qu'on avait en vue; c'est là qu'on voulait transporter le
véritable théâtre des opérations ; c'est la flotte de Sébastopol
qu'on voulait anéantir, comme quinze mois auparavant elle
avait elle-même anéanti une escadre turque dans les eaux
de Sinope; c'est cette menace incessante contre Constauti-
nople qu'il fallait détruire. Les préparatifs de cette opération
nouvelle furent poussés avec une énergie extraordinaire, et
terminés avec une rapidité que peuvent seuls expliquer les
immenses moyens d'exécution dont disposaient les deux
plus grandes puissances maritimes de l'Europe. Le 14 sep-
tembre l'armée anglo-française, présentant un effectif d'en-
viron 120,000 hommes, débarquait sans obstacles sur la plage
d'Eiipatoria, etsix joursaprès elle se rencontrait avccl'armée
russe dans les plaines de l'Aima. On trouvera à l'article L\-
KERM.VN.N le détail de cette journée, si glorieuse pour les
armées alliées , mais postérieure à l'époque où paraissaient
les premiers volumes de ce hvre, que nous ne pouvions donc
enregistrer à son ordre alphabétique, et qui était l'heureux
présage du succès définitif de l'entreprise. A ce même article
l.NKERMANN l'uu de uos coUaboratcurs a raconté le débar-
quement de l'armée alliée, l'investissement de Sébastopol
et le résultat de la revanche que l'armée russe, encouragée
par la présence des grands-ducs, comptait prendre, le 3 no-
vembre 1854, de la défaite de l'Aima. Revenir ici là-dessus
serait faire double emploi.
On pense généralement aujourd'hui que si, après sa vic-
toire de l'Aima , l'armée alliée avait marché droit sur Sé-
bastopol , alors défendue par un simple mur d'enceinte dont
les angles saillants n'étaient protégés que par des bastions
d'un faible profil, il lui eût suffi d'un vigoureux coup de
main pour s'en rendre maîtresse. C'était l'avis de lord Ra-
glan, commandant en chef de l'armée anglaise ; mais le ma-
réchal Saint-Arnaud ne le partagea pas, et il ne manque
pas de juges très-compétents qui aujourd'hui encore lui don-
nent raison. Un fait certain, pourtant, c'est qu'à ce moment
ia garnison était encore peu nombreuse et composée en
grande paitie de marins, dont on n'avait pu disposer qu'en
coulant bas leurs vaisseaux à l'entrée de la baie pour eji
SÉBASTOPOL ■- SEBONDE
7^
intercepter le passage à la flotte combinée , et qui se trou-
■vaiciit tout à coup employés k un service dont il leur fallait
nécessairement (aire un apprentissage plus ou moins long.
Mais les alliés , mal renseignés en partant de Varna sur le
véritable état des choses, durent en arrivant installer d'abord
leur camp, ouvrir la tranchée, construire des batteries. Il
leur fallut ensuite charrier à grand'peine leur matériel de
siège depuis le lieu du débarquement jusqu'aux tranchées
et le mettre en batterie. Ce dur travail exigea quinze jours;
et ce répit, qui ne fut rien moins que de l'inaction, les
Russes surent l'utiliser pour élever avec une rapidité qui
tient du prodige de nouveaux retranchements sur- toutes
les parties faibles de leur ligne de défense. Dans ces tra-
vaux gigantesques ils furent dirigés par un officier du pre-
mier mérite, jusque alors complètement inconnu, et dont le
nom appartient désormais à l'histoire, Tottleben. En
même temps les différents corps russes disséminés dans
la péninsule eurent le temps de se concentrer autour de
la place menacée, dont la garnison, quand les opérations du
siège commencèrent, se trouva ainsi appuyée par une armée
au moins aussi forte que l'armée assiégeante. C'est le 9 oc-
tobre seulement, c'est-à-dire un mois après le débarquement
des alliés en Crimée, que la tranchée avait été ouverte ; et tout
de suite on avait compris que Sébastopol exigerait un siège
en règle, accompagné nécessairement d'opérations straté-
giques plus ou moins compliquées, puisque ce n'était plus
une simple garnison ordinaire qu'on avait en face, mais qu'il
s'agissait de combattre et de vaincre une armée tout entière,
appuyée sur des positions formidables, avant de la refouler
dans la place. On a vu que la bataille d'inkermann avait été
la suite des efforts faits par les Russes pour contraindre les
aUiés à abandonner leurs positions. L hiver vint bientôt ra-
lentir de part et d'autre les opérations; mais c'était déjà un
grand point pour les assiégeants que d'avoir réussi à garder
des positions grâce auxquelles ils continuaient, en dépit d'ob-
stacles dont les rigueurs de la saison n'étaient pas les moin-
dres, à se rapprocher, lentement il est vrai, mais chaque
jour davantage, du corps de la place ; prenant souvent d'assaut
plusieurs fois de suite un même point, parce que les Russes
réussissaient dans leurs sortiesà détruire leurs approches, et
lançant jour et nuit des bombes contre la ville assiégée.
Le vainqueur de l'Aima, on se le rappelle aussi sans
doute, n'avait pu poursuivre son œuvre; miné par la ma-
ladie, il avait dû remettie le commandement de l'armée au
général Canrobert, et s'en était allé mourir dans la traversée
de Balaklavaà Constantinople, où il avail esjiéré guérir à l'aide
de quelque repos.
Cinq mois s'écoulèrent pendant lesquels les yeux de toute
l'Europe lurent constamment fixés sur les deux armées en
présence, à la valeur héroïque desquelles chacun rendait
un juste hommage. Au mois de mars 1855, quand le moment
fut venu de reprendre les opérations actives avec un redou-
blement de vigueur, le généial Canrobert, avec une modestie
■et urt désintéressement patriotique qu'on ne saurait trop
admirer, pria son gouvernement de lui donner un successeur
et de lui accorder comme faveur spéciale la permission de
continuer à servir son pays au second rang. Le général Pé-
lissier fut alors appelé à le remplacer. Dès le 28 mars l'armée
assiégeante, alors forte de 150,000 hommes, tentait contre
la place un bombardement qui dura huit jours et huit nuits
«onsécutifs , pendant lesquels 3.')0 bouches à feu tonnèrent
sans discontinuer contre Sébastopol, et qui fut suivi d'une in-
fructueuse tentative d'assaut. Mais l'heure fatale n'avait pas
encore sonné, et si les eiforts tentés par les assiégeants
étaient prodigieux , il faut reconnaître aussi que l'armée
russe déployait dans la défense de la place une vigueur et
une énergie dont les annales de la guerre n'avaient peut-être
pas encore offert l'exemple.
Toutefois, la constance et la résolution des assiégeants
eurent enlin leur récompense. Le 8 septembre 1855, à midi,
à la suite d'un vigoureux assaut, à l'énergie duquel rien ne
putrésister, la tour Malukoff tombait entre leurs mains; etie
lendemain le général Gortschakoff , après avoir brûlé ou
coulé bas ce qui lui restait encore de bâtiments à vapeur,
après avoir ruiné et fait sauter par la mine presque tous ses
ouvrages, se voyait obligé d'abandonner aux vainqueurs la
partie méridionale de la ville, c'est-à-dire Sébastopol propre-
ment dit, pour se retirer dans la partie septentrionale, dont
la baie la sépare. L'œuvre de destruction qu'on avait eue en
vue en entreprenant l'expédition de Crimée était enfin ac-
complie, à la suite d'un siège qui avait duré onze mois et de-
mi, et auquel on n'a rien à comparer dans l'histoire moderne.
La fameuse flotte de Sébastopol, forte de 108 voiles et armée
de plus de 2,200 bouches à feu, c'étaient les Russes eux-
mêmes qui au début du siège avaient dû la brûler ou la
couler bas à l'entrée de la baie; ces chantiers de construc-
tion, ces arsenaux, ces magasins, etc., dont la création avait
tant coûté à la Russie, n'existaient plus; et l'armée assiégeante,
dans le monceau de ruines qu'on lui abandonnait, trouvait
encore un énorme matériel et d'immenses approvisionnements
que les assiégés n'avaient pas eu le temps d'anéantir.
La mort del'empereur Nicolas, survenue six mois aupa-
ravant, rendait plus facile la réconciliation de la Russie avec
l'Europe occidentale; la chute de Sébastopol la hâta , car de
part et d'autre on sentait la nécessité de ne pas éterniser une
querelle qui avait déjà coûté à la France, en dix-huit mois
de temps , plus de 80,000 hommes, tués encore plus par la
maladie que par le feu de l'ennemi, et environ deux milliards ;
somme équivalant à tout ce qu'elle avait dépensé pendant les
vingt annéesde guerre delà révolution et du premier empire
contre l'Europe coalisée. La paix de Par is, en .neutralisant
la mer Noire, en décidant que la Russie ne pourra plus y entre-
tenir que le nombre de bâtiments de guerre strictement néces-
saire pour taire la police de ses côtes, semble donc avoir
garanti pour longtemps le statu quo en Orient.
SEBKHA , nom qui s'applique en Afrique à des lacs
formés au milieu de montagnns sans issue par les eaux qui
viennent s'y réunir. Ces eaux sont en général chargées d'une
grande quantité de sel , dont le sol qui les environne est
imprégné. En s'évaporant pendant les chaleurs de l'été, elles
diminuent beaucoup, et finissent quelquefois par disparaître
complètement. Dans la scbkha d'Oran , le sel n'existant
qu'en petite quantité, il ne reste après l'évaporation que
quelques légers sédiments salins, qui deviennent, ainsi qu'un
sable fin , le jouet des vents. Au contraire , le sol est tel-
lement saturé de sel dans les lagunes d'.\rzew , que les eaux
venant à s'évaporer, on en extrait cette substance à coups
de pioche et dans un état assez pur. L. Louvet.
SEBOXDE ( Raymond), philosophe du quinzième siècle,
qui doit quelque célébrité à l'attention que lui accorda un des
écrivains les plus éminents dont s'honore la littérature fran-
çaise. Né àBarcelonne, mort, en 1432, à Toulouse, où il pro-
fessait la médecine, la théologie et la scolaslique, ce docteur
composa un gros volume latin, dans lequel il se proposait
la tâche délicate d'ex[)liquer par les lumières de la seule
raison les mystères du christianisme. L'immortel auteur
des Essais, Michel de Montaigne, ne dédaigna point de
faire passer dans notre langue l'œuvre du théologien espa-
gnol ; sa traduction tut réimprimée sept ou huit fois dans
un intervalle de soixante-dix années, de 1570 à 1640. Elle
souleva de vives critiques ; Montaigne y répondit dans le cha-
pitre le plus long et le plus important des Essais , dans
celui qu'il intitula : Apologie de Raijmond Sebonde ; il y
manifeste d'une façon remarquable ses doctrines sceptiques.
Une femme assise sur le trône, M"^ Éléonore de France,
s'occupa de son côté de traduire également la Théologie na-
turelle de Sebonde. Il est permis de douter qu'il y ait main-
tenant dans l'Europe entière une princesse assez versée dans
la connaissance du latin pour accomplir un pareil travail et
assez dévouée aux études sérieuses pour avoir le courage de
l'entreprendre. Sebonde fut en outre l'objet des travaux de
quelques autres traducteurs obcurs ; des éditions multipliées
de son texte original démontrent à quel point il s'empara
sérieusement de l'attention publique. Les historiens modernes
74 SEBONDE •
de la philosophie ont porté sur lui des jugements favorables.
Ce docteur fut en effet une des fortes têtes de son époque;
mais c'est à l'auteur des Essais qu'il est redevable de la re-
nommée qu'il a acquise dans le monde littéraire.
SÉBULOIV , fils de Jacob et de Lia , dont In nom de-
vint celui de la nombreuse tribu d'Israël qui habitait la partie
nord-est de la Palestine , qui se livrait au commerce mari-
time et qui vivait mêlée avec les habitants de Canaan et les
Phéniciens, sur le territoire desquels existait aussi une ville
du nom de Sébulon.
SÉCANTE ( du latin secans, participe présent du verbe
secare, couper). En géométrie, ce nom, qui convient à
toute ligne qui en rencontre une autre , s'applique plus par-
ticulièrement à une droite qui coupe un cercle. Si d'un même
point pris hors d'un cercle, on mène à celui-ci une tangente
et une sécante, la tangente est moyenne proportionnelle entre
la sécante et sa partie extérieure.
En trigonométrie, la sécante d'un arc est la droite menée
du centre à l'une des extrémités de cet arc et terminée à la
tangente à l'autre extrémité de l'arc, ou plutôt le rapport de
cette droite au rayon. La sécante est l'inverse du cosinus.
La cosécante d'un arc est la si'cante de son complément.
La cosécante est l'inverse du sinus. E. MERLrEux.
SECEDERS, secte dissidente de l'Église d'Ecosse. Plu-
sieurs ministres presbytériens, mécontents du patronage et
de la suprématie exercée par l'Église dominante, s'en sépa-
rèrent formellement en 1733 pour former, sous le nom de
presbytère uni , une secte particulière, dans laquelle ne
tardèrent pas à venir se fondre diverses autres sectes , et qui
acquit ainsi une certaine importance. Eu ce qui touche leurs
doctrines, les seceders sont restés d'accoid avec l'Église
presbytérienne; ils n'en diffèrent que par leur constitution,
essentiellement démocratique. Tous les membres de la com-
munauté concourent à l'élection des prêtres , qui ne sont
soumis à aucune hiérarchie et qui se gouvernent eux-mêmes
au moyen de leurs synodes. En 1744, à l'occasion du ser-
ment civil à prêter devant les membres de l'Église domi-
nante, les seceders se divisèrent en burghcrs, reconnais-
sant pour chef spirituel Erskine (mort en 1755 ) et ayant
consenti à prêter ce serment, et en une minorité qualifiée
à^anti-burghers , groupée .autour d'un nommé Gibb (mort
en 17S8 ), et qui se refusa à la formalité qu'on exigeait d'elle.
Toutefois, les dissidents consentirent plus tard à prêter un
serment de fidélité et d'obéissance en matières purement ci-
Tiles. En 1820 il s'opéra, sous le nom de synode tcni de
V Église séparée, une fusion des deux partis.
SÉCESPITE ( Archéologie), en latin secespita, espèce
de couperet dont ou se servait cliez les anciens dans les sa-
crifices.
SÈCHE ou SEICHE (en latin sepia ), genre de mollus-
ques céphalopodes , dont le corps peut se diviser en deux
parties , l'une antérieure et l'autre po.stérieure. La partie
antérieure, que l'on nomme aussi la tête, et que Blain ville
appelle céphalothorax , est séparée du corps ou de la partie
postérieure par un col court, libre dans toute sa cii confé-
rence ; elle est surmontée tout à fait antérieurement par huit
appendices de médiocre longueur, que l'on nomme bras ou
pieds, lesquels sont charnus, musculeux, très-forts et dis-
posés symétriquement autour d'un point central occupé par
l'ouverture buccale. Ces quatre paires de bras ne sont pas
d'égale force : la paire inférieure est la plus grosse , les autres
vont en diminuant. Lorsqu'ils sont contractés , ces bras sont
à peine aussi longs que la tête ; leur forme est celle d'un
cylindre un peu aplati. Ils sont couverts à leur face interne
de ventouses très-petites, irrégulièrement disposées en fleur
de muguet et garnies par un rebord corné. Entre les racines
des premières et secondes paires d'appendices, il existe deux
ouvertures assez profondes, d'où partent deux autres bras,
beaucoup plus longs, auxquels on a donné à tort le nom de
trompes, car ils sont entièrement pleins, contractiles, et
formés par un long pédicule garni aussi de suçoirs. La lête
est assez fortement aplatie; elle présente sur les côtés deux
SECOURS A DOMICILE
gros yeux. Le corps est ordinairement ovale , allongé. Sur
les côtés, et dans toute la longueur, à l'endroit où les faces
dorsales et ventrales se réunissent, est un angle aigu où .se
voit un appendice cutané aplati, qui fait l'office de nageoire.
La peau des sèches est mince, muqueuse ; elle est générale-
ment plus foncée sur le dos que sur le ventre, et présente le
singulier phénomène d'avoir des aréoles remplies d'un liquide
coloré , qui parait et disparaît régulièrement , comme si son
mouvement dépendait de celui du cœur. Sur le dos , la peau
de ces animaux forme un vaste sac, sans ouverture exté-
rieure, qui contient une plaque osseuse, que l'on nomme vul-
gairement os de sèche, et que de Blainville appelle sf'piosifajre.
Cet os, ovale et allongé, est placé dans le dos de lanimal,
et se termine postérieurement par une partie plus solide,
ordinairement calcaire, en forme d'épine ou d'apophyse
droite ou courbée.
Comme presque tous les céphalopodes , les sèches ont la
faculté de répandre au moment du danger une liqueur
noire pour troubler l'eau. Cette liqueur est sécrétée par un
organe celluleux en dedans. Cette bourse au noir se termine
par un canal excréteur, qui s'ouvre dans l'entonnoir à côté
de l'anus. Les sexes sont parfaitement distincts dans les sè-
ches , mais on n'est pas d'accord sur le mode de reproduction
de ces animaux.
Les sèches sont des animaux carnassiers ; elles se nour-
rissent de poissons et de crustacés. Elles ne vivent ni en
troupes ni en société. On les prend quelquefois en attachant
une femelle à une corde qu'on laisse tomber à la mer ; le
mâle accourt, se prend fortement à la femelle par ses ven-
touses , et le pêcheur ramène le mâle avec la femelle.
Dans certains pays on mange la chair des sèches, qui
u'est cependant pas délicate. Les imprimeurs font usage des
os de sèche pour nettoyer le papier ; on en met dans les cages
de petits oiseaux pour qu'ils puissent user l'extrémité de
leur bec ; réduits en poussière ils entrent dans la composition
des poudres, dites de corail, qui servent à nettoyer les dents.
La sèche est surtout un objet de recherche pour son encre,
que l'on nomme se pi a, et qui est d'un grand usage dans
le dessin.
On trouve des sèches dans toutes les mers, mais à quel-
que distance des côtes. La sèche officinale, qui est la plus
commune, se trouve dans la Méditerranée, l'Océan et la
Manche. Elle est caractérisée par un corps ovale, large,
déprimé, bariolé en dessus de lignes onduleuses blanches,
sur un fond grisâtre ou plombé , tacheté de petits points
pourprés.
SÉCHELLES (Hérault de). Voyez Hérault de Sé-
CHELLES.
SÉCHELLES (Iles). Votjez Se'ychelles.
SkCIlE-TERRÏlXE. Voyez E.ncoulevent.
SÉCH03US. Voyez Étuve.
SECOND ( Jean). Voyez Jex^ Second,
SECONDE [Géométrie et Astronomie), soixantième
partie d'un degré ou d'une minute, soit dans la division
des cercles, soit dans la mesure du temps. Un degré ou une
heure sont divisés chacun en soixante minutes, qu'on dé-
signe par ce signe '; une minute est divisée en soixante se-
condes, qu'on marque ainsi "; une seconde est divisée en
soixante tierces, qu'on marque ainsi "' {voyez Degré). Une
seconde de temps dans le mouvement diurne de la terre
équivaut à quinze secondes de degré, c'est-à-dire que la
terre par son mouvement diurne parcourt quinze secondes
de degré dans une seconde de temps ; d'où l'on voit qu'une
erreur d'iojc seconde de temps duna l'observation de quelque
phénomène céleste , par exemple d'une éclipse , doit en pro-
duire une de quinze secondes de degré dans l'estimation de
la position ihi lieu de la terre où l'on est.
SECONDE {Musique). Voyez Intervalle.
SECONDINES. Vozjcz Dentéries.
SECOURS À DOMICILE. C'est sous cette dénomi-
nation qu'en 1853 l'administration des hôpitaux de Paris a
créé et organisé un service de traitement à domicile pour
SECOURS A DOMICILE — SECOUSSE
75
les malades pauvres de la grande ville. Jusque alors, lorsqu'un
indigent tombait malade, il n'avait guère d'autre ressource
que de se faire porter dans un hôpital ; encoie n'élait-il pas
toujours sûr d'y trouver place, en raison de l'affluence des
malades étrangers à la ville de Paris, qui, grâce à la facilité
des communications, viennent chaque jour de tous les points
de la France, et même de l'étranger, amenés par les che-
mins de fer, occuper dans les hôpitaux de Paris les lits des-
tinés aux pauvres de la ville . Pour obvier à cet état de choses,
le nombre des médecins attachés aux bureaux de bienfaisance
a été porté à 169, en proportion de la population indigente
des divers arrondissements. Un local est affecté dans chaque
quartier, pour que les malades puissent y venir consulter
les médecins , qui visitent ceux qui ne peuvent se rendre à
la consultation. Une commission, qui se réunit toutes les se-
maines, statue sur les secours qui doivent être accordés tant
en médicaments qu'en aliments, en linge ou autres effets,
et même en argent, s'il y a lieu. Pour les malades non ins-
crits au contrôle des pauvres, c'est-à-dire pour les ouvriers
nécessiteux, pour les personnes chargées de famille, en un
mot pour tous les individus notoirement dépourvus de res-
sources, le traitement à domicile commence soit sur leur
demande, soit sur la réquisition du maire ou de l'un des ad-
ministrateurs du bureau de bienfaisance. Ainsi le père ou la
mère de famille malade n'est plus forcée aujourd'imi , pour
se faire traiter, de quitter le foyer domestique et souvent de
laisser à l'abandon ses enfants en bas âge ou de jeunes filles
exposées aux dangereuses suggestions de la misère.
SECOURS MUTUELS (Sociétés de), institutions d'o-
rigine toute récente et qui tendent à alléger des souffrances ,
à diminuer des misères trop réelles , bien qu'elles ne se pro-
duisent pas au grand jour. L'organisation en a été régularisée
par un décret du 26 mars 1852. Les premières associations
de ce genre remontent d'ailleurs à une époque de beaucoup
antérieure, et la pensée première, la création, en sont dues,
hâtons-nous de le dire , à M. le baron Taylor : ce sont les
quatre associations des artistes dramatiques (fondée en 1840),
des musiciens (fondée en 1843), des artistes du dessin
C fondée en 1844 ) et des inventeurs et artistes industriels ,
(fondée en 1849). Les ressources de ces quatre sociétés con-
sistent dans une cotisation mensuelle de 50 centimes que
s'imposent leurs membres, dans les dons et legs particuliers,
dans les recettes de tous genres qu'elles peuvent réaliser,
enfin dans l'excédant des intérêts des capitaux sur les dé-
penses annuelles. Toutes ces recettes sont converties en rentes
sur l'État; les intérêts ou arrérages de ces fonds sont seuls
affectés aux secours et aux pensions. Depuis qu'elles existent,
ces quatre associations ont fait plus de deux millions de re-
cettes, et payé plus de 500,000 fr. de secours ou de pensions.
Elles possèdent en ce moment plus de 60,000 fr. de rente.
Dans ce chiffre la première figure à elle seule pour 27,000 fr.
de rente. Ellecompte environ 2,500 sociétaires, secourt un très-
grand nombre d'artistes, et sert 90 pensions de 120 fr. à300 fr.
à des vieillards , à des veuves , à des orphelins. La seconde
est plus nombreuse et moins riche; ellecompte près de 5,000
sociétaires, et n'a que 15,000 fr. de rente ; toutes les pensions
qu'elle accorde sont de 300 fr. Aujourd'hui le nombre des
sociétés de secours mutuels existant dans l'étendue du ter-
ritoire dépasse 3,000. En 1854 elles avaient tait une recette
de 4,312,444 fr. 12 c, et dépensé 3,732,452 fr. 31 c, à
savoir -.1,495,434 fr. 82 c. en indemnités pécuniaires aux
malades, 782,767 fr. en visites de médecins et en médica-
ments , 419,553 fr. en pensions accordées à des vieillards,
110,944 fr. 22 c. en secours aux veuves et aux orphelins,
124,751 fr. 50 c. en frais funéraires. L'excédant des recettes
sur les dépenses avait été de 1,219,552 fr. 90 c. Au l^' jan-
vier 1854 les diverses sociétés de secours mutuels existant
en France possédaient 12,089,561 fr. La ville de Paris a
dans tous ses arrondissements des sociétés municipales de
secours mutuels; le nombre en est aujourd'hui de vingt-huit.
Les statuts des diverses sociétés de secours mutuels exis-
tant en France révèlent de profondes différences dans leur
mode d'organisation et dans leurs conditions d'existence.
Le plus grand nombre assurent à leurs membres, en échange
dune cotisation en argent , les soins du médecin , les mé-
dicaments et une indemnité pendant la maladie; mais le taux
de la cotisation et le montant de l'indemnité varient suivant
le prix des denrées et la valeur des salaires dans chaque lo-
calité. Quelques associations , ne voulant ou ne pouvant
exiger qu'une très-faible cotisation , ne promettent que l'in-
demnité sans le médecin et les médicaments ; d'autres, les
secours médicaux sans l'indemnité. Dans plusieurs dépar-
tements (Côte-d'Or, Saône-et-Loire, etc.), les secours con-
sistent dans la culture et la récolte des terres du sociétaire
malade par les soins de ses coassociés. Presque toutes les
nouvelles sociétés, sortant du principe injuste et égoïste qui
dans beaucoup de localités excluait autrefois les femmes des
associations de secours mutuels, les admettent avec une
cotisation et une indemnité moins forte que celles des hommes
et fixées d'après la différence des salaires. Plusieurs sociétés
ont une double caisse : l'une pour faire soigner et indem-
niser les malades, l'autre pour prêter aux valides de quoi
acheter des outils ou pourvoir à une dépense imprévue; et
l'état de la caisse constate que ces prêts sans intérêt ont
presque toujours été fidèlement rendus. L'étendue des cir-
conscriptions a dû se modifier aussi d'après les habitudes,
les facilités, les ressources des localités. A Paris, les sociétés
se sont organisées par quartier ou par arrondissement, sui-
vant qu'elles rencontraient plus ou moins d'ateliers ou une
plus grande concurrence de la part d'associations libres,
comme il en existait déjà depuis longtemps dans de grands
établissements industriels, par exemple depuis plus de trente
ans dans les ateliers de MM. Firmin Didot. Dans les départe-
ments, une société embrasse ordinairement une commuue;
quelquefois elle s'étend , par exception , à un canton tout
entier, tandis que dans certains pays manufacturiers elle a pu
se concentrer dans une seule usine.
En Angleterre, où elles ont aussi pris de larges dévelop-
pements, les associations de secours mutuels sont désignées
sous le nom de friendbj societies, c'est-à-dire sociétés
d'amis.
SECOURS PUBLICS. Voyez Assistance publique.
Bienfaisance (Bureau de), Bienfaisance publique. Hôpi-
taux, AspiiYxiiîs, Noyés, Police, Incendie, etc.
SECOUSSE ( Denis-Fiïançois) , né à Paris, le 8 janvier
1691, fut l'un des premiers disciples de R o 1 1 i n , et prit sous
cet habile maître l'heureuse et salutaire habitude d'un tra-
vail opiniâtre. Reçu avocat en 1710, il s'occupait de droit
par devoir et d'histoire par goût. La première cause qu'il
plaida offrait bien de l'intérêt : il s'agissait de décider si un
avocat doit exiger des honoraires. Le débutant soutint la
négative avec un sentiment de dignité qui ne lui fit pas ga-
gner sa cause, mais qui lui valut l'estime publique, et le
suffrage même des juges qui le condamnèrent. Nonobstant
ce succès et d'autres encore. Secousse abandonna le barreau
quand la mort de son père lui permit de se livrer exclusi-
vement à sa passion pour l'histoire. Dès lors les dépôts
d'archives et les bibliothèques furent son séjour de prédilec-
tion. A force de compulser, déchiffrer, transcrire, il parvint
à se faire un cabinet historique plus riche que nul dépôt
particulier de cette époque; et, ce qui est plus rare, a dit
l'un de .ses panégyristes, c'est que son esprit possédait tout
ce que renfermait son cabinet. Il était de l'Académie des
Inscriptions depuis cinq ans, lorsque le chancelier d'Agues-
seau, en 1728, jeta les yeux sur lui pour remplacer de
Laurière dans l'utile et grande compilation des Ordonnances
du royaume : c'est à lui que sont dus les tomes II à IX de
ce beau recueih En 1742 il publia les Mémoires de Condé,
ou recueil potir servir à r histoire de Fravce, conte-
nant ce qui s'est passé de plus mémorable dans ce
royaume sous les rùynes de François 11 et de Char-
les IX, 5 vol. in-4'', ouvrage auquel Lenglet-Dufresnoy
ajouta un supplément. Chargé, en 1746, de dresser, avec
Foncemagne et La Curne de Sainte-Palaye, une table chro-
76
nologiqiie des chartes et diplômes imprimés concernant l'Iiis-
toire de France , il s'occupa avec un grand zèle de ce tra-
vail , dont il ne lui fut pas donné de voir la publication. On
a aussi de lui des Mémoires sur Charles le Mauvais , roi
de Navarre, qui furent imprimés à Paris, en 1758 (2 vol.
10-4° ). Dans les deux dernières années de sa vie , il avait
perdu la vue. Il mourut le 15 mars 1754. Le Glay.
SECRET (du latin 5ecre^Mm, {allde secernere, mettre
à part). On appelle ainsi toute chose dont on donne ou dont
on reçoit confidence, à la condition de ne la communiquer
à qui que ce soit, ni directement ni indirectement. Les Ro-
mains avaient fait du secret une divinité sous le nom de
Tacita, et les pythagoriciens une vertu. A nos yeux, c'est
un des devoirs qui incombent à l'iionnôte homme. Si l'on
ne doit pas dire imprudemment son secret , on doit bien
moins encore révéler celui d'autrui , car c'est une faute
inexcusable quand ce n'est pas une perfidie. Ce n'est pas tout,
il faut se méfier de soi-même dans la vie : on peut surprendre
nos secrets dans des moments de faiblesse ou dans la cha-
leur de la haine, ou encore dans l'emportement du plaisir.
On confie son secret dans Pamilié, mais il échappe dans
l'amour; les hommes sont curieux et adroits : ils vous fe-
ront mille questions captieuses auxquelles yous aurez de la
peine à échapper autrement que par un détour , ou par un
silence obstiné; et ce silence même leur suffit quelquefois
pour deviner \Q\.v&secret. Ch'^'' de Jalcourt.
En termes de procédure criminelle mettre un prison-
nier nu secret, c'est l'isoler et l'empêcher d'avoir aucune
communication, même avec ses codétenus. Cette interdic-
tion de communiquer constitue non-seulement une aggra-
vation de peine, mais , à ce qu'assurent les hommes qui ont
été en position d'étudier l'intérieur des prisons et leur po-
pulation habituelle, un affreux supplice. C'est donc là une
mesure qui, utile en quelques circonstances, ne doit être
employée qu'avec beaucoup de réserve, c'est-à-dire seule-
ment quand elle est indispensable pour arriver à la mani-
festation de la vérité et uniquement pendant le temps rigou-
reusement nécessaire pour atteindre ce but, sans jamais
ajouter àla rigueur de ce moyen d'instructionaucune rigueur
accessoire. D'ailleurs, la mise au, secret ne peut jamais
avoir lieu qu'en vertu d'une ordonnance du juge d'instruction
ou du président des assises.
SECRÉTAGE. Voyez Feutrage.
SECRETAIRE (du U\\{\ secretum , secret), celui qui
éciit des lettres, qui rédige des actes pour celui ou ceux
dont il dépend. Ce sont là d'humbles fonctions, mais elles
ne laissent pas que de donner quelquefois une grande im-
portance aux individus qui les exercent auprès d'un haut et
puissant personnage, d'un ministre par exemple. Aussi en
pareils cas les titulaires en sont-ils venus aujourd'hui à répu-
dier cette qualification, comme trop vulgaire, et à prendre le
titre, bien autrement ronflant et prétentieux, île chef de cabi-
net. Les secrétaires des souverains s'intitulent secrétaires
du cabinet; et ceux des princes et princesses de maison sou-
veraine prennent le titrede.';' c?"e7flires rfes comniflnrfe??2e?2/5.
SECRÉTxlIRE D'ÉTAT. Au commencement de
la troisième race des rois de France, le chancelier réunis-
sait toutes les fonctions des secrétaires et des notaires.
Frère Guérin, évêque de Senlis, étant devenu chancelier
de France en 1223, et ayant infiniment relevé la dignité de
cette charge, abandonna l'expédition des simples lettres aux
clercs ou notaires du roi. Ceux-ci ayant alors l'honneur
d'approcher du monarque , devinrent des personnages plus
considérables. 11 y en eut trois que le roi distingua des au-
tres, et qui furent nommés clercs du secret ; car ancien-
nement, suivant la remarque de Pasquier, le cabinet du roi
s'appelait secrelum ou secretarium , pour exprimer que
c'était le lieu où l'on parlait des affaiies les plus secrètes.
Les clercs du secret lurent donc ainsi dénommés parce
qu'ils étaient employés à l'expédition des alfaires les plus
.secrètes. Le titre et les fonctions de secrétaire d'' État n'ont
pas d'autre origine. Toutefois , ce ne fut que depuis Char-
SECOUSSE — SECRET DES LETTRES
les IX que les secrétaires d'État signèrent pour le roi. En
1560 ce prince, rapporte le président Hénault , pressé par
Yilleroy de signer des dépêches au moment où il voulait
aller jouer à la paume, lui dit : « Signez, mon père, signez
pour moi! » A quoi Yilleroy répondit : « lié bien, mon
maître, puisque vous me le commandez, je signerai. »
Les secrétaires d'État avaient chacun leur département : celui
des afiaires étrangères , celui des finances , celui de la
marine, celui de la guerre et celui de la maison du roi. Les
affaires qui ressortissent aujourd'hui au département de
l'intérieur étaient partagées entre ces quatre secrétaires
d'État; et tout ce qui avait trait à l'administration de la
justice rentrait dans les attiibutions du chancelier.
Depuis 1S14 les ministres prennent la qualification de »ii-
nistre secrétaire d'État au département de...
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL. Dans notre hiérarchie
administrative, aux rouages si nombreux et si compliqués ,
on désigne ainsi un fonctionnaire attaché à la plupart des
ministères et des grandes administrations , ayant pour mis-
sion de surveiller et de diriger le travail général des bu-
reaux. Il y avait autrefois des secrétaires généraux dans
toutes les préfectures; mais une loi de 1832 supprima
ces fonctionnaires dans quatre-vingt-trois départements,
en transportant leurs fonctions à un conseiller de préfecture
désigné à cet effet par le ministre. Les départements des
Bouches-du-Rhône, de la Gironde, du Nord, du Rhône,
de la Seine et de la Seine-Inférieure furent seuls exceptés.
Dans les administrations particulières', où l'on cherche
toujours à singer l'organisation bureaucratique des admi-
nistrations publiques, le titre de secrétaire général se
donne d'ordinaire à un employé jouant dans leur méca-
nisme intérieur un rôle à peu près identique à celui des
secrétaires généraux attachés aux ministères. Il n'y a pas
jusqu'à nos journaux, où cette pompeuse qualification ne
se donne aujourd'hui au modeste rédacteur qu'on avait au-
trefois l'impertinence d'appeler le cul- de-plomb ; homme
d'ailleurs précieux, découpant d'instinct dans les autres
journaux, tant de la capitale que des départements, les
faits- Paris et les nouvelles diverses qu'il convient de leur
emprunter, donnant la co/j/e aux compositeurs, corrigeant
les épreuves et ne quittant guère qu'à deux heures du
matin la boutique, où on peut être sûr de le rencontrer
tous les jours bien avant midi. Sumn cuique! C'est l'an-
cien rédacteur en chef de la Presse , M. Emile G i r ar d i n,
■ a inventé le secrétaire de la rédaction ; mais ses
qui
distancé en créant des
contrefacteurs l'ont fout aussitôt
secrétaires qénéraux.
SECRÉTAIRERf E D'ÉTAT (Ministère de la). 11 fut
créé en 1804, et était chargé de l'expédition et contre-seing
des décrets impériaux, et de la garde des archives impé-
riales. Maret, duc de Bassano, occupa ce ministère depuis sa
création jusqu'à la chute de l'empire. Il est aujourd'hui
remplacé par le ministère d'Etat.
SECRET DES LETTRES. Un des premiers usages
de l'écriture a dû être d'établir une conversation suivie,
soit entre des amis séparés par une distance difficile à
franchir, soit entre des personnes que liaient, malgré un
Ion" éloignement, des intérêts communs. Mais ce commerce
si doux , si utile, doit rester la propriété de ceux qui l'en-
tretiennent. Une parfaite sécurité sur le secret est la pre-
mière condition de son existence; et cette sécurité n'est pas
facile à obtenir. La violation habituelle de ce secret semble
n'avoir pu commencer que du jour où, par une invention
heureuse , les administrateurs de la chose publique trou-
vèrent de l'avantage à se rendre les intermédiaires de la
correspondance des particuliers; tandis que pour ceux-ci
l'assurance et la célérité du transport des lettres compen-
sèrent la crainte de l'espionnage d'un subalterne ou de la
curfosifé d'un gouvernant. En ce genre, le premier essai
connu remonte a Alexandre le Grand. Après l'assassinat de
Parménion, se déliant de ses officiers, il les invita, rap-
porte Quinte Cuice, à écrire aux parents, aux amis qu'i'ls
SECRET DES LETTRES — SECRETIONS
77
avaient laissés en Macédoine , promettant de faire parvenir
toutes leurs lettres à destination. Mais préalablement il les
fit toutes ouvrir, et alors malheur à ceux qui avaient plaint
le sort de Parménion ! A Rome, sous la république, le se-
cret des lettres n'était rien moins que respecté. Peu de ci-
toyens jouissaient d'assez d'opulence pour pouvoir, dans
toutes les circonstances , envoyer souvent à une distance
considérable un esclave cliargé d'une lettre d'affaire, d'a-
mitié ou de politesse. On se servait donc à'occasions ,
comme nous le faisons encore , quand le privilège de la
poste ne rend pas ce moyen de communication dange-
reux ou impraticable. Un voyageur se chargeait d'un grand
nombre de lettres pour des personnes qu'il ne connaissait
pas. A son arrivée, il se débarrassait du dépôt qui lui avait
été confié entre les mains des portitores (péagers, doua-
niers ), laissant à la bonne volonté de ceux-ci ou au bruit
public le soin d'avertir les intéressés et de les inviter à
venir retirer leurs lettres. Ces portitores respectaient-ils
scrupuleusement le secret des lettres ? On peut en douter,
surtout si l'on songe au parti que le gouvernement devait
tirer de leur action pour obtenir des renseignements sur
les voyageurs qui afiluaient chaque jour dans les ports, et
sur les nouvelles extérieures que chacun d'eux avait pu
rapporter. Cette conjecture est d'autant plus plausible que
tous les étrangers qui arrivaient dans les ports ou à Rome
même étaient obligés de se prése.iter devant un magistrat
assermenté (jurator), et de répondre à ses interrogations
sur leur nom , leur patrie, les motifs de leur voyage , etc.
Un personnage comique, pressé de questions, s'en débarrasse
en affirmant qu'il a paru devant le jurator, et qu'il lui a
rendu un compte satisfaisant de tout ce qui le concerne
(Plaut. Trinummus, ac. IV, se. II, v. 30). On n'objectera
pas sans doute qu'aucun écrivain n'a parlé de ce droit
étrange. Combien d'usages anciens ne nous sont révélés que
par un passage unique , quelquefois même par une obscure
allusion! Combien sont oubliés sans retour! Plus une
chose se répète communément, plus il devient inutile et
fastidieux de la rappeler en écrivant : c'est redire ce que
tout le monde sait. Nous avons mille usages dont on trou-
verait difficilement dans nos livres une exposition ex-
plicite : la même chose a dû arriver chez les Grecs et les
Romains. On peut donc regarder comme constant le droit
que nous attribuons aux portitores, on à un magistrat placé
au milieu d'eux, de recevoir et quelquefois même de récla-
mer les lettres apportées par des voyageurs, et d'en violer
le secret. Et cela explique d'une manière plausible l'obscu-
rité volontairement répandue par le plusclaircommeleplus
éloquent des écrivains de Rome sur une partie de sa cor-
respondance. Lorsque Montgault entreprit la traduction des
leltres de Cicéron à Atticus, « Voulez-vous, après dix-sept
ou dix-huit siècles, lui disait l'abbé de Longuerue, entendre
un homme qui écrivait en chiffres, et ne voulait pas même
être entendu de ceux avec qui il vivait ? » ( Longueruana,
tome I, pag. 28-29.) Dans sa correspondance avec d'au-
tres amis , nous voyons également Cicéron exprimer la
crainte que le secret de ses lettres ne soit pas respecté
(Epist. ad Famil., lib. I,ep. 7 ; lib. II, ep. 5.... epist. 12).
Si un personnage tel que Cicéron concevait de pareilles
inquiétudes ; si en conséquence il semait ses lettres d'é-
nigmes, dont le mot n'a pas toujours été trouvé par les sco-
liastes et les traducteurs; s'il s'est efforcé seulement d'élu-
der le danger au heu de s'en plaindre hautement, ne faut il
pas en conclure que les Romains étaient depuis longtemps
familiarisés avec la violation du secret des lettres.?
Cette violation ne dut pas être moins habituelle sous le
règne d'empereurs despotiques. Adrien, par exemple, se
faisait un plaisir de surprendre les moindres détails de la
vie privée de ses courtisans. Un d'eux reçoit de sa femme
une lettre de reproches : entendant l'empereur lui adresser
littéralement des reproches semblables, il ne put s'empê-
cher do lui dire : «Est-ce que ma femme vous a écrit aussi? «
(iïl. Spartian., in Adrian.) il paraît que sous le bas-
empire des hommes qu'une énorme opulence semblait au-
toriser à tout se permettre satisfaisaient volontiers une cu-
riosité analogue à celle d'Adrien : Symmaque exprime la
crainte que quelqu'un d'entre eux n'ait fait intercepter sur
la route les lettres qu'il a écrites, {Sijmmach. Epist., lib. II,
epist. 48. )
Dans l'Europe moderne, et surtout depuis l'établissement
du service régulier des postes, la violation du secret des
leltres a presque partout été considérée comme un droit
du gouvernement : il s'exerçait avec peu de mystère sous
Louis XIV (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 78-79).
Plus tard , indépendamment des renseignements utiles
que l'on prétendait en tirer, elle servit à composer un jour-
nal de scandale destiné à l'amusement de Louis XV. Dans
notre révolution même , les lettres furent ouvertes, mais
on ne s'en cachait pas : avec cette rude franchise qui ca-
ractérisait le parti exalté , on y imprimait, en les recache-
tant, un sceau facile à reconnaître. En juin 1793 le cachet
portait les mots : Révolution du 31 mai.
Le consulat, et surtout l'empire, durent s'approprier les
usages de l'ancienne monarcliie. Lqc abinct noir faisait
une partie avouée de l'administration des postes; et dans
le même temps on promulguait le Code Pénal, où est signa-
lée comme criminelle la violation du secret des lettres, où
est indiquée la peine qvii doit la punir ! On peut reprocher
à Napoléon des actes plus nuisibles , mais aucun de plus
contraire à la morale et au respect qui doit environner la
législation. La défense était écrite dans la loi ; le délit figu-
rait dans les attributions du gouvernement.
La Restauration poussa l'abus encore plus loin. En 1815
une peine dut atteindre le voyageur qui se chargeait de let-
tres pour les pays étrangers , à moins que les lettres ne
fussent pas cachetées. Cette exception prouve que la pro-
hibition n'avait point un but fiscal, mais politique; il s'a-
gissait, non d'empêcher qu'on fraudât les droits du trésor,
mais de saisir toutes les lettres que leurs auteurs avaient
voulu soustraire à l'inquisition gouvernementale. Cette in-
quisition fut d'abord poussée si loin que les lettres amon-
celées au cabinet noir éprouvaient, pour leur distribution,
des relards très-préjudiciables aux affaires particulières.
Les plaintes nombreuses du commerce et de la banque fi-
rent modifier cet état de choses. La poste reprit son cours
ordinaire. Mais le cabinet noir, largement rétribué , sub-
.sista, quoiqu'on n'en voulut pas convenir, jtisqu'en 1830.
La chambre des députés retentit plus d'une fois de plaintes
contre cette odieuse violation de la loi : à des faits évidents
les conseillers de la couronne opposaient des dénégations
formelles, avec un aplomb qui affligeait tous les bons ci-
toyens persuadés que le mensonge est un moyen funeste de
gouvernement.
Qu'en guerre on cherche, dans les correspondances
comme ailleurs , à surprendre le secret de l'ennemi , c'est
un droit incontesté; mais ce droit, un gouvernement doit-
il se l'arroger envers des hommes privés dont les intentions
lui sont suspectes? Hors de conjectiu'es tout à fait excep-
tionnelles, je répondrai négativement. Je conçois la vio-
lation du secret des lettres sous le despotisme : là le gou-
vernement est en état de guerre avec la nation ; mais dans
un État légalement constitué cette violation ne vaudra ja-
mais au gouvernement une instruction aussi profitable que
lui seront nuisibles l'irritation et le mépris qu'elle amènera
infailliblement à sa suite.
Eusèbe Salverte, de l'Institut.
SÉCRÉTEURS ou SÉCRÉTOIRES (Vaisseaux), du
latin secernere, mettre à part. On appelle ainsi les vais-
seaux du corps humain qui servent à séparer de la masse du
sang certaines humeurs, comme la bilo, la salive, l'urine, etc.
SÉCRÉTIOiXS (du latin secernere, séparer), fonctions
communes à tous les corps organisés, et remplies par des
vaisseaux et des appareils spéciaux , chargés de séparer de
la sève dans le règne végétal, et du sang dans le règne ani-
mal , des liquides, des humeurs , des substances molles, et
78
même des agrégats inorganiques acquérant une dureté re-
marquable. Les sécrétions s'opèrent chez les végétaux-
sous l'influence immédiate des agents physiques , tels que
l'âir, l'humidité et la lumière; tandis que chez les ani-
maux ces causes extérieures n'agissent sur les organes que
par l'intermédiaire du système nerveux. Les principes ,
ou plutôt les matériaux immédiats des végétaux , tels
que le sucre, la gomme, l'amidon , les huiles, les résines,
le camphre, les baumes , les poisons, le caoutchouc ou la
gomme élastique , etc., peuvent être rangés parmi les pro-
duits sécrétés. Les matériaux immédiats extraits du sang
par les organes sécréteurs des animaux ne sont pas moins
remarquables par la diversité de leurs propriétés, de leur
composition et d leurs usages. Ainsi , entre les humeurs
proprement dites, on peut encore classer parmi les pro-
duits sécrétés, chez les mammifères, le musc, la civette,
le castoréum , le blanc de baleine, la graisse, les besoards
et les autres concrétions. Les mollusques sécrètent la perle
6t la nacre de perle; les reptiles, des poisons très-actifs;
les insectes , de la cire, du miel, la matière filamenteuse
destinée à tisser la soie; les coquilles, le test des crustacés.
Les madrépores, substances calcaires produites par les ani-
maux inférieurs , sont aussi des matériaux résultant de l'ac-
tion sécrétoire.
Les humeurs extraites du sang de l'homme en vertu de
cette action sont caractérisées par des propriétés physiques
et chimiques qui diffèrent entièrement de celles de ce
fluide. Plusieurs de ces humeurs, qui ne sont qu'une trans-
formation ou le résultat d'une série de combinaisons nou-
velles de ses éléments, deviendraient des poisons si elles
étaient introduites dans le torrent de la circulation.
Les sécrétions sont relatives à la vie de l'individu ou à
la vie de l'espèce : les premières forment les humeurs a'^,-
"pélées récrémentitielles , pouvant être absorbées et rentrer
dans le torrent de la circulation ; les autres, excrémcntitielles ,
devenues étrangères à l'organisme , sont éliminées par
divers émonctoires. Enfin, on a admis des humeurs récré-
mento-exerémentitielles , comme la bile, par exemple ,
dont certains principes rentrent dans le torrent de la cir-
culation, tandis que Jes autres sont expulsés. Cette dernière
remarque est applicable aux liquides destinés à la vie de
l'espèce , tels que le lait et le sperme. On voit que l'homnie
et les animaux sont le produit d'une double sécrétion , et
par conséquent d'une série de combinaisons moléculaires.
La chimie offre les bases d'une autre classification ; elle
distingue les humeurs , d'après leur nature, en acides el
en alcalines. La salive, la bile, la lymphe, la synovie,
jouissent des propriétés alcalines; la sueur, le lait, l'urine,
le suc gastrique , sont acides.
Les végétaux, privés d'un véritable système nerveux , sé-
crètent cependant des matières acides et des substances al-
calines; mais tout annonce que le soleil, au moyen du fluide
lumineux qu'il dégage, agit sur ces aimants organisés à la
manière d'un corps électro-moteur (voyez Soleil).
FOURCAULT.
SECTE , SECTAIRE. Ces deux mots, dérivés du latin
sec^a et scctarius, s'emploient chez nous dans un autre
sens que chez les Romains. Le premier, secta , ils l'appli-
quaient à la politique et à la philosophie ( stoïca secta ,
secta Cxsaris), tandis que nous ne l'appliquons guère qu'à
la religion , rarement à la philosophie et pins rarement en-
core à la politique. Le second, qui signiliait chez eux un
chef , un guide que suivaient d'autres, signifie chez nous
un individu qui suit un chef de parti. Quant à l'étymo-
logie de secta et de sectarhis, il y a doute : viennent-ils
de secare (couper ou retrancber), de manière à ré-
pondre au grec aipodiç (hérésie, séparation, scission),
ou de sequi et de sectari (suivre) ? La première de ces
hypothèses plairait mieux à la polémique, mais la seconde
semble plus naturelle; et dès lors il ne peut pas môme y
avoir hésitation. Une secte n'est donc pas une minorité re-
tranchée d'une majorité constituée en étal social , c'est seu-
SÉCRÉTIONS — SECTE
iement une minorité qui , pour de bonnes ou de mauvaises
raisons, suit d'autres principes et un autre chef que la ma-
•orité. Toutefois , en religion , le mot secte emporte , d'a-
près l'Académie Française et l'opinion générale, une idée
de plus que celle-là; c'est celle d'une minorité qui est dans
l'erreur, et dont l'erreur est condamnée , déclarée sépara-
tiste, hérétique. C'est dans ce sens qu'on disait, dans
l'antiquité chrétienne, la secte des ariens, et qu'on di-
sait encore au seizième siècle la secte des anabaptistes.
Et tant que la religion fut la grande affaire de la civilisa-
tion moderne, tout ce qui s'y rapportait , dans le langage
comme dans les mœurs , portait le même cachet ; les mots
de secte, âe sectaire, renfermaient donc non-seulement
une pensée de censure, mais encore une sorte de sentence
d'excommunication. Quand la philosophie et la politique
sont venues, l'une pour partager avec la religion l'attention
publique, l'autre pour l'absorber, les discussions de la
polémique ont à tel point perdu leur valeur et les mots
leur sens, que, pour exprimer des idées analogues à celles
de nos pères , c'est à peine si nous risquerions , dans le
monde philosophique où nous vivons maintenant, le mot
de dissidents pour désigner ceux qui en religion se sont sé-
parés de l'opinion de la majorité. En philosophie , on a
remplacé le mot «ec^e par ceux d'école, de doctrine, de
système; en politique, par ceux départi, d'' opposition ,
de faction, de minor ité. Ce^endini, la manière dont se
débattent non plus les questions de religion, qui sont épui-
sées , mais les questions de philosophie et de politique, qui
ne le seront jamais , est parfaitement analogue à celle qu'on
suivait autrefois pour le débat religieux. Il y a une majo-
rsié et une minorité; majorité qui domine et qui veut le
statu quo, c'est-à-dire l'immobilité ; il y a une minorité
qui aspire à la domination , et qui veut le progrès , ou du
moins tout changement qui la conduise au pouvoir. A
peine une doctrine philosophique est-elle établie à force
d'innovations qu'elle prétend à l'empire et qu'elle décrie
l'innovation; à peine un parti politique s'est-il élevé aux
affaires par voie de réforme, ou même de simple manœu-
vre d'opposition, qu'il se proclame légitime, et combat
la révolution, la reforme, ['opposition. En philosophie et
en politique , comme en religion , il y a des papes , une
infaillibilité, une orthodoxie, des hérésies, de Vinto-
lérance et du fanatisme. Si la philosophie n'a pas versé
de sang, la politique a les mains moins pures; elle ne
prend pas même la peine de nier qu'elle a fait plus de
victimes que la religion , et je crois pouvoir affirmer que
dans son for intérieur elle n'en est pas à rougir de celles
qu'elle fait encore. Quand la religion avait toute sa foi,
son enthousiasme et son fanatisme, elle mettait au moins
à côté de sa polémique une irénique, une science de con-
ciliation ; et telle était la valeur idéale de cette sainte utopia
que les hommes du plus grand génie ne dédaignèrent pas de
travailler à ce désirable rapprochement des esprits. La poli-
tique suit des allures moins sublimes; elle ne conpaît pas
àHrénique. Son irénique, si elle pouvait en avoir une, au-
rait dû naître, je crois, entre le vieux système de la persé-
cution et le système plus moderne de la corruption; elle
eût expié l'une et prévenu l'autre. Elle n'est pas née dans
s^n '.emps, et il est dans l'apparition successive des sys-
tèmes politiques un ordre fatal qui laisse peu d'espoir aux.
utopistes assez niais pour attendre encore.
On l'a souvent dit, le moyen d'en finir avec toutes les
sectes en politique, en philosophie, en religion, ce serait
de donner la vérité tout entière à tous les esprits. Mais la
vérité n'est qu'en Dieu, et peu de gens veulent îa lui de^
mande»- Ceux qui ont l'air de la solliciter d'en haut, à Tins
tar de Pilate, sont, comme Pilate, décidés d'avance à
écouter leur intérêt , c'est-à-dire le vœu du peuple ou ce-
lui de César plutôt que la voix de Dieu. Aussi la voix
(le Dieu dédaigne de se faire entendre à des gens dont les
oieilles se sont bouchées et dont l'entendement s'est épaissi.
S'il y a tant de divisions dans les doctrines et de. schismes
SECTE —
parmi les Siommes, ce n'est pas qu'il soit si difficile de i
leur laire connaître tout ce qu'il leur faut de vérité, mais
c'est qu'il est presque impossible de les amener à en vou-
loir tant soit peu.
Nous pourrions citer quelques bons livres à ceux qui aime-
raient l'étude des sectes; mais, en philosophie et en poli-
tique, tous tant que nous sommes, nous savons tout, et
en religion personne ne veut plus rien apprendre. Le seul
homme de nos jours qui se soit occupé spécialement des
sectes, l'abbé Grégoi re, n'a pensé aux partis religieux
qu'au commencement et qu'à la fin de sa carrière : la
fleur de son âge, il l'a donnée aux questions politiques.
Matter.
SECTEUR (du Min sectus, participe passé du verbe
secare, couper), portion de la surface du cercle comprise
entre deux rayons et l'arc intercepté. La surface du secteur
circulaire est égale à l'arc qui lui sert de base multiplié par
la moitié du rayon.
On nomme secteur sphérique le solide engendré par un
secteur de cercle, tournant autour d'un diamètre. Son volume
est égal à la zone qui lui sert de base multipliée par le tiers
du rayon.
Le secteur astronomique est un instrument qui sert à
prendre les différences d'ascension droite et de déclinaison
de deux astres , qui sont trop grandes pour être observées
av.ec le télescope immobile : cet instrument a été inventé,
en 1725, par Georges Graham.
SECTEUR ZÉNITHAL. Votjez Cercle azimutal.
SECTION (du latin seco, je coupe). On appelle ainsi
en géométrie l'endroit où des lignes, des plans, etc., s'entre-
coupent. La commune section de deux plans est toujours
une ligne droite. On appelle aussi section la ligne ou la
surface formée par la rencontre de deux lignes ou de deux
surfaces, ou d'une ligne et d'une surface, ou d'une surface
et d'un solide, etc. Si l'on coupe une sphère d'une manière
quelconque, le plan de la section sera un cercle, dont le
centre est dans le diamètre de la sphère. Il y a cinq sections
du cône :\e triangle, \e cer cl e,laipar abole,l''hy-
perbole et Véllipse.
SECTIONS CONIQUES. Voyez Coniques (Sections).
SECTIONS DE PARIS. En 1789, à l'ancienne divi-
sion de Paris en quartiers, qui remontait à la plus haute an-
tiquité, on substitua la division en districts. A sou tour
cette division fut remplacée, aux termes de la loi du 2 juin
1790 relative à l'organisation municipale de Paris, par la
division en quaranf c-lmit sections, répondant à peu près à nos
quarante-huit quartiers actuels, et qui pour la plupart con-
servèrent les noms des districts auxquels elles succédaient.
Mais à ces dénominations furent substitués, après le 10 août
1792, desnoms nouveaux, empruntés an régime révolution-
naire : sections des Piques, de la Fraternité, de l'Égalité,
de V Unité, de Brutus, de Marat, etc. Les assemblées des an-
ciens districts n'étaient point permanentes : on ne s'y occupait
que des affaires locales ; mais ces réunions étaient fréquentes,
pour que les citoyens ne restassent pas isoles. Au premier
signal ils se trouvaient rassemblés, et cette facilité de réunir
dans un instant tous les citoyens de la capitale n'eut dans le
principe que d'heureux et salutaiies résultats. Quoique le
nom de district n'eût plus à Paris d'existence légale depuis
cette loi de juin 1790, cette expression avait survécu à la
loi qui avait consacré la division par sections : ainsi en parlant
de la section des Cordeliers , qui embrassait une grande
partie du quartier récemment démoli pour le percement du
boulevard Sébastopol , on continua de dire le district des
Cordeliers. On sait que l'influence de ce disli ict ou de cette
section détermina le choix de la majorité des députés de
Paris à la Convention , et qu'elle prit l'initiative de tous les
mouvements insurrectionnels pendant le cours orageux de
la longue session de cette assemblée. Cette section, de()uis
son origine, s'était fait constamment remarquer parla har-
diesse de ses opinions.
A la journée du 13 vendémiaire, sur les quarante-huit
SEDAINE 79
' sections, il y en avait trente-deux d'hostiles à la Convention;
les autres étaient ou neutres ( et c'était le plus grand nombre)
ou favorablement disposées. Ces dernières avaient fourni
leur contingent au bataillon, dit des patriotes de 89, qui
défendit l'assemblée sous les ordres de Barras et de Bo-
naparte.
SECULAIRE ( du latin secularis , fait de seculum
siècle), ce qui a un siècle, ce qui se rapporte au siècle ce
qui se fait tous les cent ans. Par extension, il se dit de ce
qui a beaucoup d'années, de ce qui paraît avoir un ou plu-
sieurs siècles : Un arbre séculaire^, un monument sécu-
laire.
En astronomie, on nomme variations séculaires des
inégalités dans les mouvements célestes dont les effets ne se
font guère sentir qu'au bout d'un siècle, ou dont les périodes
embrassent plusieurs siècles.
Vannée séculaire est celle qui termine chaque siècle,
comme 1800, 1900, etc.
Les jeux séculaires étaient des fêtes qui se célébraient
à Rome avec beaucoup de pompe, pendant trois jours et
troisnuits, et qui avaient été institués par Valeriu s Publicola,
le premier consul créé après la chute des rois (an de Rome
245), pour obtenir la cessation d'une peste violente. Soixante
ansaprèson réitéra les mêmes sacrifices, parordredes prêtres
des sibylles, et il fut réglé que ces fêtes se feraient toujours
dans la suite, à la fin de chaque siècle; d'où leur nom de
jeux séculaires. L'appareil en était fort imposant. On distri-
buait au peuple différentes graines lustrales; on sacrifiait la
nuit à Pluton, à Proserpine , aux Parques, àTellus-, et le
jour à Jupiter, à Apollon, à Latone, à Diane et aux Génies.
On faisait des veilles et des supplications; on chantait
trois hymnes différents , et l'on donnait au peuple divers
spectacles. La scène de la fête changeait de lieu chaque jour.
Cependant , la célébration de ces jeux ne fut pas régu-
lière ; tantôt on la retarda, tantôt on l'avança. La sixième
eut lieu sous le règne d'Auguste, l'an de Rome 737, et ce
fut à cette occasion qu'Horace composa son Carmen saxu-
lare. L'empereur Claude répéta ces jeux l'an 800 de Rome;
quarante-et-un ans après, Domitien en célébra encore, de
même que, plus tard, Antonin le Pieux, Sévère, Philippe et
Maximien. Honorius, en apprenant la victoire de Stilicon sur
Alaric, permit à tous les païens de célébrer des jeux sécu-
laires. Ce fut pour la dernière fois.
Les poèmes séculaires étaient des pièces de vers qui se
chantaient ou récitaient aux jeux séculaires.
SÉCULARISATION (du latin seculum, siècle). On
appelle ainsi l'acte par lequel on fait rentrer dans le monde,
dans l'ordre sdcM^îcr, une propriété, une institution, un
État qui jusque là avait appartenu à l'Église. Lors de la ré-
formation, un des premiers soins des princes qui adoptèrent
les principes de Luther fut de séculariser les biens des
évêques, des abbés et des moines qui étaient situés dans
leurs États, c'est-à-dire de les confisquer à leur profit. A la
suite de la guerre de trente ans, on sécularisa encore bon
nombre d'évêchés et d'abbayes en faveur des princes pro-
testants. Les dernières sécularisations sont celles qui eurent
lieu en 1803, lors de la suppression formelle des évêchés
souverains de Cologne , de Mayence , de Trêves , etc.
SÉCULIER (du latin seculum, siècle), ce qui appar-
tient au siècle, c'est-à-dire au monde, à l'état civil et po-
litique. On dit le clergé séculier, par opposition au clergé
régulier, c'est-à-dire aux moines, qui vivent séquestrés du
monde et soumis à une règle. Le bras séculier, c'est la
puissance temporelle, par opposition à la puissance ecclésias-
tique.
SEDAINE (Michel -Jean), auteur dramatique, né à
Paris, en 1719, mort en 1797. Jeté par des revers de fortune
et presque en naissant dans un état voisin de l'indigence ,
Sedaine reçut une éducation fort mcomplète; livré dans sa
première jeunesse à des travaux manuels et grossiers (il
était tailleur de pierres ) , il suivit, en se livrant à la litté-
rature , la seule impulsion de son esprit , et eut le droit
80
SEDAINE
d'être original. Il se fit connaître d'abord par quelques pièces ]
fugitives : des épîtres, des contes, des fables, puis des églo-
gues et un poëme en quatre chants. Ses vers sont d'autant
plus faibles que le genre dans lequel il s'exerçait est élevé
et poétique : l'Épitre à mon habit est spirituelle et pi-
quante ; ses églogues sont détestables , ou du moins paru-
rent telles. Il ne croyait guère faire école en commençant
ainsi l'une d'elles :
Ed tournant vers la gauche , à l'entrée du liaraeau
On remarque un vieux chcne à côté d'un ormeau.
En 1756, encouragé par son ami Monnet, directeur de l'O-
péra-Comique, Sedaine composa Le Diable à quatre, et le
succès de celte petite pièce détermina sa vocation. L'Opéra-
Comique se souvenait encore des canevas italiens qui avaient
été son origine. Sedaine se livra librement à l'irrégularité
de ces premiers modèles, et les licences qu'il prit indique-
raient peut-être en lui un imitateur plutôt qu'un novateur ;
mais il formait son talent , et dix ans après son premier es-
sai il obtint au Théâtre-Français un succès mérité dans Le
Philosophe sans le savoir et La Gageure imprévue.
L'Opéra-Comique reçut bientôt une nouvelle impulsion :
Le Roi et le Fermier, Le Déserteur, Félix , Richard
Cœur de iio«, restés longtemps au théâtre, et vingt autres
pièces , prouvent la fécondité de son esprit et la variété
de ses conceptions , une connaissance approfondie des ef-
fets de la scène et l'art encore nouveau d'exposer un sujet
et de le développer par une action vive , bien enchaînée et
intéressante. Encouragé par tant de succès, Sedaine osa
tenter une tragédie en prose. Cette tentative excita la colère
de Voltaire, et Lekain se refusa « à prostituer son talent à
faire valoir de la prose ! » L'ouvrage ne put être représenté.
Ce n'est pas que dans cette tragédie , intitulée Marcel, épi-
sode de la Jacquerie , Sedaine n'eiit manifesté son talent
scénique : il ne lui a manqué peut-être pour opérer la ré-
forme, si souvent tentée et si désirée de nos jours, qu'une
connaissance plus exacte des mœurs du temps qu'il a voulu
peindre, et surtout un dialogue plus naturel et plus varié :
il avait la prétention de faire une tragi^die, et il a voulu con-
server à sa prose une dignité à laquelle il ne lui était pas
donné d'atteindre. Nonobstant ce que son style a de trivial
et même d'incorrect , Sedaine n'en fut pas moins nonmié
membre de l'Académie Française, eu 178G.
En 1853 le ministre d'État et de la maison de l'empereur
accordait une pension de 1,200 francs à M""^ Sedaine, dernier
rejeton de l'auteur du Philosophe sans le savoir.
VioLLET Le Duc.
SEDAN, chef-lieu d'arrondissement dans le département
des Ardennes, à20 kilomètres au sud-est deMézières,
sur la rive droite de la Meuse , avec une population de
17,027 habitants. C'est une ville fortifiée et une place de
guerre de troisième classe. Elle possède un tribunal civil ,
un tribunal de commerce , un conseil de prudhommes , une
chambre consultative des manufactures, une église con-
sistoriale calviniste, un collège, des cours de géométrie et
de mécanique industrielles, une bibliothè(]ue publique de
5,600 volumes , une typographie. Outre ses nombreuses fa-
briques de drap, cuir de laine, Casimir, alpaga, casio-
rine , on y trouve d'importantes teintureries, des fabriques
de machines à brosser et à battre la laine, des fabriques de
cardes, de plaques et rubans pour filatures ; d'enclumes,
d'étaux, fléaux, marteaux , outils de guene, de ferronne-
rie; des tanneries, des corroieries, des pelleteries, des
mégisseries , de nombreuses brasseries. 11 s'y fait un grand
commerce de commission , un commerce de laine, de fer
et de quincaillerie. La ville est en général bien bâtie ; les rues
sont larges , propres et décorées de plusieurs beaux hôtels.
On y remarque la citadelle, avec un bel arsenal, qui est l'an-
cien château fort, et ou l'on conserve les armures de plu-
sieurs chevaliers célèbres ; un beau pont sur la Meuse , les
casernes et l'hôpital militaire.
Sedan est très-ancienne; elle fut prise par Charles le
SEDWIGK
Chauve ; mais Louis de Germanie la lui enleva, en 880. EH«
forma de bonne heure une petite souveraineté indépendante;
cette principauté fut acquise par la maison de Bouillon, an
commencement du seizième siècle, et fut possédée, entre
autres seigneurs, par le célèbre Robert de La Marck. Char-
lotte, sa sœur et son héritière, la porta en dot à Henri de la
Tour d'Auvergne, comte de Turenne ( 1591 ). Richelieu força;
en 1641, après la bataille de La Marfée, Frédéric-Mau-
rice à s'en dessaisir, et la réunit à la couronne. L'industrie
de Sedan souffrit beaucoup de cette réunion ; mais Colbert
la releva en y faisant confectionner en grande quantité un
drap léger, que Louis XIV affecta de trouver joli, et qui
par conséquent obtint la plus grande vogue. Aujourd'hui
c'est principalement dans les draps noirs qu'elle excelle. Cette
ville avait jadis une célèbre université protestante, qui fut
supprimée à la révocation de l'édit de Nantes.
SEDANOISE (Typographie). Voyez Caractère et
Parisienne.
SÉDATIFS (du latin sedare, apaiser). Foyes Cal-
mants. Le froid est un des sédaUfs les plus puissants ( voyez
Echal'ffement).
SÉDATIVE (Eau). Foz/es Eau sédative.
SÉDITION (du latin 5edi/io, dérivé àcsedis exitio ,
action de sortir du repos). On appelle ainsi, en droit cri-
minel, la révolte contre l'action légale des agents du pouvoir.
Tout ce qui tend à compromettre la sûreté intérieure ou ex-
térieure de l'État , la résistance avec attroupement aux or-
dres légaux de ceux qui sont revêtus de l'autorité publique;
la dévastation et le pillage publics ; les violences commises
par plusieurs individus réunis dans la vue d'empêcher un ou
plusieurs citoyens d'exercer leurs droits civils ou politiques ;
les provocations à la révolte au moyen de discours tenus
dans des réunions ou des lieux publics, par des placards af-
fichés, par des écrits imprimés ou non imprimés, constituent
le crime de sédition, que les articles 60 et 82 du Code Pénal
punissent de peines plus ou moins graves, selon les circons-
tances qui l'ont accompagné et les effets dont il a été suivi.
L'Académie, dans son Dictionnaire, ne voit guère de dif-
férence entre les mots sédition, émeute, révolte, soulève-
ment, et les fait à peu près synonymes les uns des autres.
L'histoire de notre temps nous a appris cependant l'impor-
tance des nuances qui les séparent et qui forment comme une
gamme ascendante, que nous noterons ainsi : attroupement,
émeute, sédition, soulèvement, révolte, insurrection, ré-
volution, gamme qui a toujours pour clefs ou dominantes
misère et despotisme.
SEDLITZ. Voyez Seidschetz.
SEDLXIUS (CoELiLS), poète chrétien du cinquième
siècle, qui florissait sous Honorius et Théodose, est l'auteur
de plusieurs poèmes religieux, qui se distinguent par une
latinité encore assez pure et assez élégante pour l'époque.
Le premier et le plus important, intitulé Mirabilium divi-
no7-îim sive operis paschalis Librï quinque , que le gram-
mairien Tuicius Rufus Apronianus Asterius corrigea et fit
connaître plus tard, contient en vers hexamètres rhistoire
delà vie et de la passion de Jésus-Christ jusqu'à son ascension
au ciel. Parmi les autres, l'hymne De Incarnatione Verbi
est entièrement composé à l'aide de vers empruntés à Vir-
gile. La dernière édition est celle d'Arevali ( Rome, 1794).
SEDWIGK (Catherine), romancière américaine, est
née vers 1790, à Stockbridge, dans l'État de Massachusetts.
Elle se fit connaître d'abord dans le monde littéraire par un
livre intitulé ISew-Ennland Taies (New-York, 1822; nouv.
édition, 1852) , contenant des peintures des mœurs puri-
taines, qui produisirent une vive impression. L'ouvrage
qu'elle lit paraître ensuite, Redivood (1824), obtint l'ac-
cueil le plus favorable et fut mis à côté des romans de Coo-
per. En 1827 elle donna Hope Lcslie, or early timcs in
Massachusetts, qu'on regarde comme ce qu'elle a fait de
mieux , de même que Clarence (1830) passe pour son ou-
vrage le plus faible. Vinrent ensuite Le Bossu (1832) et
The Lendwoods (1835). En 1839 miss Sedwigk entreprit
SEDWIGK — SEGHERS
81
un voyage sur notre continent, et parcourut l'Angleterre ,
l'Allemagne, l'Italie et la France. On a publié à Londres,
en 1841 , un récit de cette tournée artistique , sous le titre
de Lettersfrom Ahroad to Kendrcd at Home. L'ouvrage,
quoique agréable à lire , ne contient rien de bien neuf, mais
n'en obtint pas moins un immense succès aux États-Unis.
Miss Sedwigk est encore l'auteur de plusieurs bons livres
d'éducation , tels que The Poor rich Man and the Rich
poor Mail (1836), Li/e and led L[fe (1837), Morals
and Manners ( 1846 ) et The Boy ofmount iViighi ( 1848) .
On a aussi d'elle une édition des poésies de Lucretia Da-
vidson, avec une biographie de l'auteur, qui fut prématuré-
ment enlevée aux muses. Les tendances de tous les ouvrages
de miss Sedwigk sont éminemment religieuses et chrétien-
nes; la pensée en est claire, le style simple, et cependant
plein de force et de grâce. L'auteur excelle à peindre les
scènes, les mœurs et les traditions de l'Amérique.
SÉELANDE ou SÉLANDE, en danois SJaeland, la
plus grande et la plus importante des îles du Danemark,
située entre le Katlégat et la Baltique, séparée de la Suède
par le S u n d et de la Fionie par le grand B e 1 1. D'une lon-
gueur d'environ 13 myriamètres et d'une largeur de 10 à U,
elle contient une population de 500,000 âmes, sur une su-
perficie de 90 niyr. carrés. C'est un pays presque entière-
ment plat, et elle n'est bordée de roches calcaires que sur
quelques points de sa partie sud-est. Ses côtes sont échan-
crées par un grand nombre de golfes ou fjords , dont le
plus grand est le Roeskilde- Isejjord, sur la côte septen-
trionale. De tous les cours d'eau assez insignifiants qu'elle
renferme , le plus grand est la Sunsaa , au sud , qui a huit
myriamètres de parcours. Parmi les lacs , les plus impor-
tants sont ceux d'Esrom, à'Arre et de Fure. Toutes ces
eaux sont poissonneuses. L'île, qui contient de belles forêls
de hêtres et beaucoup d'endroits extrêmement pittoresques,
«st d'une grande fertihté, à l'exception de quelques districts
sablonneux au nord; et on y élève beaucoup de chevaux
et de bestiaux. Outre plusieurs villes, tant moyennes que
petites , de différents châteaux de plaisance appartenant au
■roi, etde la forteresse de Kronborg, près de la ville d'Else-
n e u r, on y trouve la capitale de toute la monarchie danoise,
Copenhague, et la ville de Roeskilde, reliées toutes
deux par un chemin de fer. Une autre voie ferrée , section
du chemin de Roeskilde, met, depuis 1856, Copenhague en
communication avec Korsoer, petite ville bâtie sur le grand
Beit, avec un port où existe un service régulier de communi-
cations à vapeur avec Kiel en Holstein.
L'évêché de Séelande comprend , indépendamment de
cette île , celles de M o e n et de B o r n h o 1 m , et est divisé
en six bailliages : Copenhague, Fredericksborg, Holbeck,
Soroe, Precstoe et Bornholm.
SÉEZ. Vogez Or.NE ( Département de 1').
SEFSAF ou ZEFZAF ( Oued ), rivière de l'Algérie, qui
prend sa source sur le versant nord-est du Djebel-Ouache ,
et se perd , après un cours d'environ cinq myriamètres , dans
le golfe de Stora , auprès de Skikida. Après s'être réunie à
l'Oued-Legenil , elle prend le nom, assez commun, d'Oued-
el-KéJDir.
SÉGALAS ( M'"'^ An.vïs), l'une de nos plus gracieuses
muses contemporaines, est née en 1810, dans le quartier le
moins poétique et le plus positif de Paris , dans le quartier
Saint-Martin, où son père possédait une importante maison
de commerce de toiles et rouenneries en gros. Fille unique ,
et annonçant dès sa plus tendre enfance les plus heureuses
dispositions , son père se plut à lui faire donner une éduca-
tion aussi brillante que solide, et telle qu'en reçoivent de nos
jours bien peu de jeunes personnes. Orpheline de bonne heure,
m"* Anaïs Ménard épousa à dix -sept ans M. Victor Ségalas ,
qui alors était encore sur les bancs de l'école de droit, à qui
elle apporta une grande et belle fortune , et qui s'est (ait
depuis un nom parmi nos agronomes et nos sylviculteurs.
C'est Le Cabinet de Zec^wre, journal reproducteur, qui eut
ies prémices du talent de M"'* Anais Ségalas. Bientôt dans
I>!CT. UE L\ CONVEKS. — T. XVI.
tous les bureaux d'esprit d'alors on sollicita de notre jeune
muse la faveur d'une lecture; et les vers qu'elle consentait
à y lire excitaient toujours les plus vifs applaudissements. Un
grand nombre de ces pièces ont été publiées en 1837, sous
le titre de Les Oiseaux de Passage; les plus remarquables
sont : Le Prêtre, La Jeune Fille mourante, La pauvre
Femme, Une Mère à son Enfant, La Petite Anna et VÉ-
ducation de V Enfant de Chœur. Devenue mère assez tard
M"" Anaïs Ségalas, assise au berceau de sa fille, composa Les
Enfantines, recueil où on lit avec plaisirles pièces intitulées
V Aumône, Les Fées, Les Mages et la Bible, Le Bal d'En-
fants , etc. Pendant plus de dix ans notre poète fut chargée
dans le journal ie Corsaire d'une partie de la critique lit-
téraire et théâtrale; et elle s'acquitta de cette tâche avec une
remarquable distinction. Elle a fait représenter à lOdéon La
Loge de l'Opéra, drame en trois actes et en prose, et Le
Trembleur, comédie; à la Porte-Saint-Martin, Les Deux
Amoureux de la Grand' Mère ; h la Gaîté,Ze5 Inconvé-
nients de la Sympathie et Les Absents ont raison. On a
encore de M™* Ségalas un troisième recueil de vers, intitulé
Les Femmes. Hâtons-nous d'ajouter qu'on ne l'a jamais
confondue avec ces bas-bleus qui aiment à se poser en fu-
ries révolutionnaires ; que sa plume n'a jamais traité que de
chastes sujets, et que chacun honore en elle l'épouse et
la mère de famille; ce qui malheureusement n'est guère
le cas pour telles ou telles autres muses que nous nous
abstiendrons de nommer, car besoin n'est.
Le beau-frère de M"*" Anais Ségalas , M. le docteur Sé-
galas, membre de l'Académie de Médecine, né près de Pau
( département des Basses-Pyrénées ) , en 1 792, est depuis
longtemps compté parmi les plus habiles chirurgiens de
Paris. H a fait faire de notables progrès à lithotritie.
SEGERS. Voyez Seghers.
SÉGESTE , Segesta, VEgesta des Grecs , ville de la
partie occidentale de la Sicile, à peu de distance de la côte
septentrionale , et qui vraisemblablement est aujourd'hui la
ville de Castellamare, avait été, comme la ville iVEryx, si-
tuée plus loin à l'ouest, bâtie par des Troyens fugitifs, qui
s'étaient confondus avec une peuplade aborigène, les
Élymiens. A la suite de longues guerres soutenues contre
Sélinonte, Ségeste invoqua l'appui des Carthaginois, qui
finirent par s'emparer eux-mêmes de la ville. Ils en furent
expulsés par Agathoclès; mais à la fin de sa domination
tyrannique, Ségeste tomba de nouveau au pouvoir des
Carthaginois , qui y mirent une garnison. A l'époque de la
première guerre punique, cette garnison fut massacrée par
les habitants de Ségeste, qui livrèrent leur ville aux Ro-
mains ; et ceux-ci, en considération de leurcommunautéd'ori-
giae troyennc , les déclarèrent libres à la fin de la guerre ,
en même temps qu'ils leur donnèrent des terres. C'est à
la garde des habitants de Ségeste et d'Eryx qu'était confié
le célèbre temple d'Aphrodite, bâti sur le mont Eryx ; temple
qui a donné lieu a bien des discussions parmi les archéologues.
Comme il était demeuré inachevé lors de la catastrophe de
Ségeste, arrivée en l'an 400 av. J.-C, et que les savants
prétendaient le contraire, les archéologues tiraient de ce
prétendu état d'achèvement les plus singulières inductions.
SEGHERS ou SEGERS (Daniel) , peintre distingué
de Ileurs et de fruits , né à Anvers, en 1590 , eut pour maître
JeanBreughel, celui qu'on appelle Z(ret<Ê?/<e^ de velours,
entra de bonne heure dans l'ordre des Jésuites, et orna
diverses églises de paysages et de sujets tirés de la vie des
saints de son ordre. Plus tard il obtint de ses supérieurs l'au-
torisation de se rendre à Rome, où il se consacra avec ar-
deur à la pratique de la peinture. A son retour en Flandre,
il obtint des commandes considérables, et jouit bientôt de la
réputation d'être l'un des plus grands artistes de son époque.
Les fleurs de son jardin, avec leurs insectes , étaient les
modèles qui lui servaient pour ses créations, demeurées à
bien des égards au premier rang des productions de l'art.
Rubens et d'autres peintres d'histoire flamands le prié-
85
SEGHERS — SEGKATS
rent souvent d'orner leurs tableaux de sainteté d'encadré-
mtiifs en lornie de guirlandes, de bouquets de fleurs, etc.
II mourui à Anvers, en 1660. Le plus remarquable de
ses élèves fut Ottmar Elliger. On trouve des tableaux de lui
non-seulement dans les musées de son pays , mais encore
au Belvédère , à Yienne , au musée de Berlin , dans la Pina-
cothèque, à Munich, et dans la galerie de Dresde. Il n'existe
que très-peu de dessins de lui et de gravures d'après lui.
SEGHERS (Geraart), frère du précédent, peintre d'his-
toire et de sainteté, naquit à Anvers , en 1589 , et fut l'élève
de Henri de Baien et d'Abraham Janssens. Lui aussi il alla
fort jeune à Rome, où il travailla avec ardeur; et il imita
la manière de Michel-Ange, de Caravaggio , de Manl'redi
et de Cigoli dans leurs tableaux sombres et leurs effets
de lumière. Plus tard il se rendit en Espagne, où il tra-
vailla pour la cour. A son retour à Anvers, il vécut dans
des rapports d'amitié avec Rubens et Van Dyck, dont il
réussit bientôt à fondre habilement la manière avec celle
qu'il avait jusque alors adoptée ; et il fut littéralement acca-
blé de demandes par les églises et par les amateurs. Dans
la dernière partie de sa vie , il séjourna pendant quelque
temps en Angleterre. Il mourut à Anvers, en 1651. Hors
de son pays, il y a de lui des tableaux au Belvédère, à
Vienne, et au musée du Louvre, à Paris. Ses dessins sont
rares; mais les planches gravées sur cuivre par lui-même,
telles qu'un Diogène, une sainte Catherine et le portrait
du prince moscovite Godefridus Chodkiewicz, sont encore
bien autrement rares. P. Pontius, lesVorstermann, les Bols-
wert, Lauwers, etc., ont gravé d'après lui.
SEGMENT. En géométrie, ce mot désigne les parties
en lesquelles une droite est divisée. On appelle encore se;;-
mentde cercle, ou simplement s^gimeH^, la surface com-
prise entre une corde et l'arc qu'elle sous-tend. Comme une
corde sous-tend toujours deux arcs , il faut distinguer le
petit segment , qui correspond au jylus petit de ces deux
arcs, et lé grand segment , qui correspond au plus grand.
La mesure du petit segment s'obtient en retranchant du
secteur dont il fait partie le triangle isocèle formé par
la corde et les deux rayons qui aboutissent à ses extrémités ;
dans la mesure du grand segment, la soustraction est rem-
placée par une addition.
Lorsqu'un segment circulaire tourne autour de l'un des
diamètres du cercle auquel il appartient, il engendre un
corps dont le volume est égal au sixième de celui d'un cy-
lindre qui aurait pour rayon de base la corde du segment et
pour hauteur la projection de cette corde sur l'axe de rota-
tion.
A l'aide de ce volume , on obtient celui du segment sphé-
riqiie , c'est-à-dire du solide que déterminent deux plans
parallèles coupant une sphère. Le volume du segment
si)hérique est égal à celui d'un cylindre ayant pour base la
demi-somme des bases du segment et même hauteur, plus
celui d'une sphère dont le diamètre est égal à la hauteur
du segment. E. Merlieux.
SÉGOVIE, Segovia, province de la Vieille-Caslille
( Espagne), située entre celles de Valladolid , Burgos , Soria ,
Guadalaxara, Madrid, Tolède etAvila, présente une supt.'-
ficie de 114 myr. carrés, et compte 155,000 habitants. Elle est
montagneuse, arrosée par la Riaza, le Duranton , laCiga,etc.,
rivières qui se jettent dans le Douro, et jouit d'un climat
doux , sauf dans la montagnte. On y cultive les céréales ,
le chanvre et le lin , la garance et le bois ; on y élève beau-
coup de moutons, mais on ne tire aucun parti des métaux
que contiennent ses montagnes. L'industrie s'y borne à la
production de la potasse, à la fabrication des draps, de la
poterie et du savon, et à la tannerie.
SÉGOVIE , son chef-lieu , bâtie au pied et sur le versant
du mont Guadarama , est située dans la vallée de l'Eresma.
Sifge d'évéché, elle compte 6.600 habitants, et 7,850 en
y comprenant sa banlieue, ou 23,530 son avec ressort. La
ville est entourée de tours et de créneaux, et possède vingt-
quatre éjglises et autant de couvents. Sa magnifique cathé-
drale, son vieux cbâteau mauresque, qui sert aujourd'hui
d'arsenal et de prison, et un aqueduc romam en état de par-
faite conservation, composé de 159 arcades formant sur
plusieurs points trois rangées surperposées , long de 3,000
pas et haut de 34 mètres , sont des édifices célèbres. Les
industries les plus importantes de la population sont le blan-
chiment des laines, qui donne la belle laine de Ségovie, et
la fabrication des draps , quoique ces deux industries soient
aujourd'hui bien déchues de la prospérité qu'elles avaient
atteinte sous la domination des Maures, époque où elles oc-
cupaient, dit-on, plus de dix mille ouvriers.
SEGRAlS(JEANREGi\AULD de) naquit le 22 août
1624, à Caen, où il fit ses études au collège des jésuites.
Après avoir terminé sa philosophie , il s'appliqua à la poé-
sie , bien que sa famille le destinât à l'état ecclésiastique.
Cette étude fut loin d'être aussi infructueuse pour lui qu'elle
le fut pour la plupart des gens de lettres de l'époque , puis-
qu'elle lui permit de relever son patrimoine, celui de ses
quatre frères et de ses deux sœurs, que la bonté ruineuse
d'un père avait singulièrement compromis. Son talent poé-
tique se manifesta d'abord par de petites pièces de vers
agréablement rimées. A ces bagatelles succéda un poème
pastoral intitulé Athis , et une tragédie sur la mort d'Hip-
polyte. Il n'avait encore que vingt ans lorsqu'il fut produit
il la cour par le comte deFiesque, qui l'avait distingué
pendant un séjour qu'il fit à Caen. Entré d'abord , en 1648,
au service de Mademoiselle ( la duchesse de Montpensier)
en qualité de secrétaire, il fut plus tard pourvu par elle
d'une charge de gentilhomme ordinaire. Lorsque après les
troubles de la Fronde la duchesse se retira à Saint-Fargeau,
Segrais l'accompagna dans cette retraite, où il composa sa
traduction de V Enéide, ainsi qu'un recueil de Nouvelles
destinées à égayer l'exil volontaire de sa protectrice, et qu'il
intitula Divertissement de la princesse Aurélie. Il était
attaché depuis plus de vingt ans à son service, quand il se
vit rayer, en 1 672 , de l'état de sa maison. La cause de cette
disgrâce eut un motif honorable , et que la princesse elle-
même nous apprend dans ses Mémoires : « Il ne voulait
pas, dit-elle, qu'elle se mariât avec M. de Lauzun, et ai-
mait mieux que ce fût avec M. le duc de Longueville. »■
M""" de La Fayette s'empressa de lui donner une retraite
dans sa maison. Les conseils de Segrais furent mieux ac-
cueillis par M™'' de La Fayette qu'ils ne l'avaient été par
la duchesse de Montpensier. Il la dirigea dans la composi-
tion de Zdide, et revit le style de La princesse de Clèves
avec le duc de La Rochefoucauld. Le premier de ces ro-
mans lui fut même longtemps attribué : on sait qu'il parut
d'abord sous son nom , ce qui ne contribua pas peu à ac-
créditer cette opinion. Aujourd'hui toute incertitude à cet
égard a cessé. Le témoignage de Segrais , celui de Huet , à qui
M™" de La Fayette envoyait les feuilles de son mamiscrit
à mesure q^i'ellc les composait, ont depuis longtemps
tranché la question en faveur de l'ingénieuse romancière.
En 1676 Segrais , las du grand monde, se retira à Caen,
où il épousa une riche héritière. Sa maison devint le ren-
dez-vous de tous les beaux esprits de cette ville, attirés par
les agréments de sa conversation et ses récits spirituels. Il
mettait une sorte d'amour-propre aimable à raconter tout
ce qu'il avait vu de brillant et de curieux à la cour; il con-
tait bien, avec esprit, mais longuement, ce qui faisait
dire : « Il n'y a qu'à monter Segrais et à le laisser aller. »
Segrais mourut à Caen d'une hydropisie, le 25 mars 1701, à
l'âge de soixante-dix-sept ans.
La réputation de Segrais, considérable de son vivant, et
qui trouva grâce devant la sévérité de Boileau , est singu-
lièrement déchue de nos jours. On ne lit plus ses poésies,
pas même ses églogues, quoiqu'elles ne manquent pas d'une
certaine simplicité aimable. Sa traduction de VÉnéidc eut
un immense succès; mais elle était oubliée depuis longtemps
quand parut celle de Dclille. Segrais a aussi traduit les Géor-
gigues dans sa vieillesse; mais cette traduction est de
beaucoup inférieure à la première. Jo.xciiiRES.
SEGRÉ — SEGUIER
89
SEGRÉ. Voyez Maine-et-Loire (Département de).
' SEtiUJDILLA, l'orme de vers particulière à la poésie
espagnole, et consistant en quatre vers où alternent des lignes
assonnantes de cinq et de sept syllabes. On y joint ordinaire-
ment, comme complément, un couplet dit estribilla , com-
posé de trois vers , dont le premier et le dernier ritaent.
SÉGUIER, nom d'une famille originaire du Languedoc,
qui a fourni à la magistrature française un grand nombre de
membres distingués. Dès le quatorzième siècle le parlement
de Toulouse avait compté plus d'un conseiller et plus d'un
avocat de ce nom; et ver.s le milieu du quinzième siècle on
trouve déjà des Séguicr établis à Paris.
Pierre Séguier , l'un des plus savants jurisconsultes de
son temps, né à Paris, en t504, fut d'abord simple avocat
au parlement. En 1535 François l*"' le nomma avocat gé-
néra! à la cour des aides, et bientôt après chancelier de la
reine Éléonore. Sous Henri II il devint avocat général, et
en 1554 président à mortier au parlement de l^aris. En
celte qualité, il protesta, l'année suivante, au nom de sa
compagnie, contre un édit qui établissait l'inquisition en
France. Les remontrances qu'à cette occasion il fut chargé
de déposer aux pieds du trône émurent le roi , déconcer-
tèrent le zèle papiste des ministres , et épargnèrent à la
France l'ignominie de subir le joug de ce tribunal de sang.
Il mourut en 1580, laissant six fils, qui tous se distinguèrent
au service de l'État.
Antoine Séguier, cinquième fils du précédent, né à Paris,
en 1552, fut d'abord avocat général, puis, à partir de 1597,
président à mortier au parlement de Paris , et enfin ambas-
sadeur de France à Venise. Il avait constamment figuré
dans sa compagnie au nombre des plus zélés défen.seurs des
droits de la couronne à l'égard du pape ainsi que des libertés
de l'Église gallicane ; etcefut surun réquisiloirequ'il prononça
en 1591 qu'un arrêt du parlement condamna une bulle de
Grégoire XIV , se disant pape , à être lacérée et brûlée par
la main du bourreau. Il mourut en 1626, laissant son bien
aux pauvres et sa charge à son neveu,
Pierre Séguier, né en 1588, devint, à la mort de son
oncle, président à mortier au parlement de Paris. Louis XIII
faisait grand cas de lui, et récompensa son dévouement en
lui accordant les honneurs de la pairie et le titre de duc
de Villemcr. En 1633 il fut nommé garde des sceaux, et
deux ans après chancelier. L'attachement dont il ne cessa
pas do faire preuve pour la cour pendant les troubles de la
Fronde lui fit perdre sa charge, dont le gouvernement in-
vestit Chàteauneuf quand il se crut obligéde faire de lacon-
cilialion. 11 lui rendit les sceaux à quelque temps de là,
mais pour les lui reprendre encore une fois et les confier
à Mole, qui les garda jusqu'à sa mort, arrivée en 1658.
Louis XIV le rétablit alors dans ses fonctions de garde
sceaux. Il les exerçait encore quand il mourut, en 1672. Il
avait été l'un des premiers fondateurs de l'Académie Fran-
çaise , dont il avait donné l'idée et le plan à Richelieu , et
après la mort du cardinal il en devint le protecteur. Pendant
près de trente ans, ce fut dans son hôtel que les membres
de cette docte compagnie tinrent leurs réunions. Il ne laissa
que deux filles; l'une épousa d'abord le duc de Coislin, et
ensuite le marquis de Laval ; l'autre se maria également deux
fois, en premier lieu avec le duc de Sully , et en second lieu
avec le prince Henri de Bourbon, duc de Vèrneuil. En 1844,
la Société de l'Histoire de France a publié le Diaire ou
Journal du chancelier Séguier en Normandie , pendant
les années 1639 et 1640.
Les Séguier d'aujourd'hui descendent d'une ligne collaté-
rale fondée au quinzième siècle par Nicolas Séguiep., sei-
gneur de Saint-Cyr.
Antoine- Louis SÉcurER, né à Paris, en 1726, était fils
d'un conseiller au parlement de Paris. Doué de remarquables
facultés oratoires et d'une mémoire proditzieuse, favorisé en
outre par Louis XV, il parvint bientôt aux fonctions
d'avocat général au parlement de Paris. En 1757 l'Aca-
démie Française l'admit dans son sein , en remplacement
de Fontenelle. L'espèce de croisade qu'il entreprit en 1770
contre les philosophes et leurs doctrines attacJia une
grande impopularité à son nom. Dans un discours de ren-
trée , il attaqua hardiment la puissance du jour, et fulmina
à cette occasion un véritable réquisitoire contre les tendances
subversives de la littérature. Les événements justifièrent
vingt ansplus tard cette ca<(iin«ire; mais elle nevalutalors
au courageux magistrat que des railleries ou des haines.
Le parlement lui-même hésitait à en ordonner l'impression,
et il fallut un ordre exprès de Louis XV pour triompher
de ses irrésolutions. Dans le grave contlit qui ne tarda pas
à éclater entre la cour et le parlement , Ségrder donna sa
démission. On sait que le soulèvement général de l'opinion
contre le parlement Maupeou força le pouvoir à rétablir,
dès 1774, les choses en leur ancien état. Séguier reprit alors
son siège d'avocat général , et il le conserva jusqu'au jour
où l'Assemblée constituante supprima les anciennes cours
souveraines. Il émigra alors, et se retira à Tournay, où il
mourut, en 1792.
Antoine-Jean-Matthieu , baron Séguier, fils du précé-
dent , ancien premier président de la cour royale de Paris,
et vice-président de la chambre des pairs, né à Paris,
en 1768 , suivit son père dans l'émigration, mais revint en
France aussitôt qu'un gouvernement régulier y fut rétabli.
La révolution l'avait surpris remplissant les fonctions de
substitut du procureur général ; cependant, loin de songer
à rentrer dans la magistrature, il fit alors des démarches
auprès du gouvernement consulaire pour obtenir un grade
dans l'armée. Mais Bonaparte, qui savait apprécier la valeur
relative des anciens noms, comprit qu'un Séguier lui serait
raille (ois plus utile dans un prétoire qu'en tête d'un régi-
ment, et l'appela en conséquence à remplir près le tribunal
de première instance de la Seine des fonctions analogues
à celles qu'il avait exercées dix ans auparavant au parle-
ment. Son avancement dans la nouvelle magistrature fut
d'ailleurs des plus rapides. En 1810 il obtenait la première
présidence de la cour impériale de Paris; et peu de temps
après Napoléon le créait baron de l'empire.
Séguier, dans toutes les occasions où il lui fut donné
d'exprimer à l'empereur les sentiments de dévouement inal-
térable et iV admiration de sa compagnie , se fit remarquer
par la chaleur de ses protestations. A cet égard il ne se
surpassa lui-même que lorsqu'en 1814 il eut le bonheur de
déposer aux pieds de Louis XVIIl l'hommage de Infidélité
à toute épreuve que la magistrature française vouait dé-
sormais à l'auguste race de nos rois , restaurée par la Pro-
vidence sur un trône vieux de dix siècles. La Restauration
l'en récompensa par la pairie.
Si d'abord Séguier sacrifia aux idées dominantes et
chercha à faire parade de ses sentiments monarchiques, il
faut reconnaître qu'il prit au série\ix le gouvernement cons-
titutionnel. Les empiétements du clergé et les tendances
envahissantes du parti prêtre n'eurent pas d'adversaire plus
constant; et digne héritier de la tradition des anciens par-
lements , il défendit en toutes occasions les libertés de l'É-
glise gallicane. Dans les procès politiques, multipliés à l'infini
par un pouvoir réactionnaire, il fit preuve de la plus com-
plète impaitialité et de la plus noble indépendance. Le
garde des sceaux Peyronnet, à propos d'un procès de
ce genre , lui ayant un jour envoyé un de ses affidés pour
l'engager à prendre en mains lesintérôts de l'accusation, ajou-
tant que c'était là un service que le ministre lui demandait
au nom du roi , La cour, répondit Séguier, rend des arrêts
et non pas des services. Il était naturel dès lors qu'il ap-
plaudit à la révolution de Juillet; mais l'opinion ne lui par-
donna pas l'empressement qu'il mil à reporter au nouveau
roi cet inaltérable dévouement qu'il avait déjà juré à Na-
poléon, à Loin's XVII î et à Charles X. Le zèle quelquefois
outré qu'il dé[)loyait pour faire revivre au barreau et dans
la magistrature les vieilles traditions parlementaires lui fii
en outre des ennemis parmi ceux de ses justiciables qui ss
montraient trop enclins à oublier la gravité qui sieii à leur
C.
84
état. Il mourut le 6 août 1848, laissant la réputation d'un
magistrat intègre entre tous.
SÉGUIN (Armand), né à Paris, en 1768, devint à l'é-
poque de la révolution tantôt le concurrent, tantôt l'associé
de Desprez, de Destillières, des fi ères M i c li e 1, d' O u v ra rd
et de Vanlerberglie pour la fourniture des vivres, munitions
et effets de campement nécessaires au service des armées
de la république et de l'empire. C'est assez dire qu'il était
lancé dans les grandes affaires et la haute spéculation de
l'époque. U y fit, lui aussi, une fortune immense; mais plus
heureux que ses coassociés , il trouva moyen de la mettre à
l'abri des liquidations à la turque que Napoléon faisait quel-
quefois avec les fournisseurs, race qu'il haïssait d'instinct
presque autant que celle des idéologues. Le grand homme ne
le ménagea d'ailleurs pas plus qu'un autre , et le fit arrêter à
diverses reprises; mais Séguin, voyant que sa fortune tout
entière y passerait, s'il se prêtait à ce système d'avanies
en payant rançon, préféra rester en prison; et c'est de
guerre lasse, chaque fois, que l'empereur le fit remettre en
liberté. Pendant toute la Restauration les tribunaux reten-
tirent des réclamations que Séguin élevait contre Ouvrard,
lequel finit par être reconnu et déclaré son débiteur d'une
somme de cinq millions et quelques centaines de mille
francs. Nous avons déjà dit à l'article Ouvrard ce que Sé-
guin put tirer de sa créance.
Séguin, qui s'était d'abord fait connaître par quelques tra-
vaux utiles sur la chimie appliquée aux arts, qui avait été
le collaborateur de Fourcroy et de Berthollet , était sans con-
tredit un esprit distingué; et il a publié sur des questions
de finances un grand nombre de brochures, pour la plu-
part de circonstance, mais oii il faisait toujours preuve d'i-
dées fort avancées en économie politique. Cependant, dans
les dernières années de sa vie, il était devenu d'une bizarrerie
d'humeur louchant à la monomanie et môme à la folie. Il
possédait dans la rue de Varennes un hôtel magnifique avec
un parc de plus de cinq hectares. Dès qu'il en avait eu fait
l'acquisition, son premier soin avait été d'élever, au moyen
de terres rapportées , un talus de plus de dix mètres de
haut et ceignant tout son parc. Sur ce talus, il avait ensuite
fait planter des arbres de rapide croissance , de sorte qu'en
peu de temps sa propriété se trouva complètement à l'abri de
toute vue indiscrète. Grand amateur de chevaux , il achetait
autant que possible ceux qui avaient gagné des prix aux
courses, puis il les abandonnait dans son parc, d'où ces ani-
maux ne sortaient plus et vivaient désormais à l'état sau-
vage. Cette magnifique et princière habitation, il la laissait,
vers la fin de sa vie, dans le dernier état d'abandon et de dé-
gradation. C'est sur l'emplacement de l'hôtel Séguin qu'a
été ouverte la rue Barbet de Jouy. Séguin mourut en 1835.
Il n'avait jamais été marié; et ses héritiers du sang, pour
ne pas être complètement dépouillés , eurent à soutenir un
procès scandaleux contre une lemuie qu'il entretenait, et
dont le complaisant mari portait un nom bien connu dans la
littérature, mais que, par égard [)0ur quelques hommes ho-
norables qui le portent aussi, nous nous abstiendrons de
rapporter ici. Pour les détails de cette sale affaire, nous ren-
verrons tout naturellement les curieuxàla Gazelle des Tri-
buneux de l'époque.
SÉGUIM DE RADEFOL. Voyez Compagmes (Gran-
des).
SEGUR, nom d'une noble et ancienne famille française,
qui se partageait autrefois en dix lignes différentes, pour
la plupart éteintes aujourd'hui. Originaire de la Guyenne,
elle avait embrassé le protestantisme; et à l'époque des
guerres de religion, elle fut presque ruinée par les con-
fiscations. Les lignes de Ségur-Pardatllan , de Scgur-
Bouzely, et de Sëgur-Ponchat sont celles qui coyiptent
le plus d'hommes dislinizués. Jacques de Si';cur, mar-
quis de Pardaillan, surintendant de la maison du roi de
Navarre (depuis Hemi iV), fut chargé par ce [)rince de
diverses ambassades. Son frère, Ségur, baron de Pardaillan,
compagnon d'enfance de Henri IV, tut assassiné à la Sainl-
SÉGUIER — SÉGUR
Barthélémy dans les bras de ce prince. Depuis la itiort de
Henri IV toute faveur s'éloigna de celte ligne , dont Tune
des branches, celle de Ségur- Bouzely, resta protestante,
même après la révocation de l'édit de Nantes. Etienne de
Ségur-Bouzely, né en 1731, mort sans postérité dans l'é-
migratioa , avait été nommé maréchal de camp en 1788.
Son frère Isaac s'était retiré du service, après avoir fait
huit campagnes et étant criblé de blessures. Le second fils
de celui'Ci, Henri- Philippe, marquis de Ségur-Bouzely,
né en 1770, entra au service à l'âge de seize ans, émigra
ensuite, et servit pendant quelque temps dans les rangs de
l'armée de Coudé. Mais dès qu'il put rentrer dans sa pa-
trie, en 1800, il y reprit du service et fut attaché avec le
grade de (lapitaine à l'état-major du général Leclerc. Plus
tard, il suivit Murât à Naples, où il se distingua dans di-
vers combats, et fut nommé successivement chef d'escadron,
major, colonel en i8I0,et enfin adjudant général. Il se
coupa la gorge, en 1829, dans un accès d'aliénation mentale.
SÉGUR (Henri-Philippe, marquis de), de la ligne des
Sëgur-Ponchat , né en 1724, parvint dans les guerres du
règne de Louis XV au grade de lieutenant général, et ob-
tint plus lard le commandement de la Franciie-Comté. A la
bataille de Rocoux , il avait eu la poitrine traversée de part
en part d'une balle qu'on lui enleva par l'épine du dos. A la
bataille de Laufeldt, il avait eu le bras fracassé. En 1780
Louis XYI le nomma ministre de la guerre. U rétablit la
discipline dans les corps et l'ordre dans l'administration.
Jusque alors nos soldats couchaient trois dans un même
lit; ce fut lui qui ordonna que désormais ils n^y seraient
plus que deux. Par ses soins l'instruction des officiers fit de
grands progrès. Ce fut lui qui créa le corps de l'artillerie
légère et celui de l'état-major de l'armée. On lui a reproché
avec raison la fameuse ordonnance qui attribuait à la no-
blesse seule les emplois d'officiers dans l'armée, et l'on a
déploré les résultats de cette mesure , qui mécontenta pro-
fondément les sous-officiers ; ils ne s'en souvinrent que trop
bien lors des premiers troubles de la révolution. Mais il pa-
raît certain que Ségur eut à cet égard la main forcée. On
cite d'ailleurs de lui , comme ministre , des traits qui lui
font honneur. Plusieurs fois il résista aux plus pressantes
sollicitations, à celles même de Marie-Antoinette, qui était
aussi ardente à proléger que légère à accorder sa protection.
Dans une de ces occasions , la reine l'emporta sur la sévère
fermeté du ministre, qui après avoir obéi à l'ordre du roi
offrit sa démission ; mais elle ne fut point acceptée. L'offi-
cier ainsi nommé inspecteur général vint, suivant l'usage,
remercier le ministre. « Vous ne me devez aucune recon-
naissance, répondit Ségur; je me suis au contraire opposé
de toutes mes forces à une faveur que vous ne méritiez pas,
et c'est à la reine seule que vous devez cette préférence. »
Une autre fois, il avait refusé un régiment aux instances de
la vicomtesse de Laval , qui sollicitait pour un parent. Cette
dame, piquée, lui écrivit le billet suivant : « Si vous avez
lu riiistoire, monsieur le marquis , vous avez dû »'oir qu'il
était plus aisé autrefois aux Montmorency d'obtenir la charge
de connétable qu'aujourd'hui un chélif régiment.» — » J'ai lu
l'histoire, madame, lui répondit spirituellement Ségur, et j'ai
vu que les Montmorency ont autrefois, comme aujourd'hui,
été mis à leur place. » Lorsque le traité de paix de 1783 mit
fin à la guerre d'Amérique, dont il avait été dans le conseil
l'un des plus chauds partisans, Ségur reçut le bâton de maré-
chal de France. Quelques années après, quand Louis XVI,
cédant aux avis de Calonnc, songea ii la convocation des no-
tables, le maréchal dissuada vivement ce prince de recourir
à l'emploi d'une mesure dont il était difficile de peser toutes
les consé(iueuccs , les notables pouvant fort bien n^être
que la graine d'étals généraux. On sait si l'événement jus-
tifia celle prédiction du vieux ministre, qui donna sa dé-
mission lorsque, avec le cardinal de Loménie deBrienne,
l'intrigue vint s'emparer des conseils. Pendant la terreur il
resta six. mois en prison à La Force , où sa pauvreté le fit
s^ani doute oublier, car, suivant l'expression terrible des
SEGUR
85
dominateurs de l'époque , la guillotine ne devait fonc-
tionner que pour battre monnaie. Or, la révolution, en
enlevant au maréchal ses traitements et pensions, en lui
faisant perdre en outre la belle forlune que lui avait appor-
tée sa feiîHiie, fortune consistant tout entière en propriétés
situées à Saint-Domingue , l'avait réduit à la misère. Mais
ses derniers moments furent du moins rendus moins péni-
bles par une pension de 4,000 (r. que lui fit accorder Bona-
parte, premier consul, qui avait été informé de sa triste po-
sition. Quand le maréchal , tout mutilé , vint le remercier
aux Tuileries, le premier consul fit battre aux champs et
donner l'ordre à la garde consulaire de former la haie sur
son passage. Le maréchal de Ségur mourut à Paris , âgé de
soixante-dix-huil ans, le 8 octobre 1801.
SÉGUR ( Louis-PniLiPi'E , comte de), connu comme poëte
et comme historien, liis aîné du maréchal, naquit à Paris,
en 1753. Après avoir reçu une éducation .sévère et fait de
brillantes études, il embrassa la carrière des armes , et alla
avec le grade de colonel faire la guerre d'Amérique. L'amitié
du premier chef de la république américaine fut le premier
titre d'honneur acquis au jeune officier. Revenu en France
avec un nom qu'il commençait à ne devoir qu'à lui-même,
il ne tarda pas à être envoyé en Russie avec le titre d'am-
bassadeur. Catherine II apprécia M. de Ségur, qui bientôt
rétablit la bonne intelligence entre les cours de Versailles
et de Pétersbourg, et qui parvint même à conclure un avan-
tageux traité de commerce (1787). Il avait eu le singulier
honneur d'accompagner l'impératrice dans le fameux voyage
de Crimée, promenade de luxe, véritable féerie , où tout
l'or demandé à la sueur des peuples servit à cacher aux
yeux de Catherine les maux dont ils étaient accablés. II re-
vint en France au moment où se formait l'orage politique
qui devait changer la face du monde , et ne tarda pas à
être promu au grade de maréchal de camp. Ségur ne pensa
pas, comme tant d'autres privilégiés, que son devoir fût de-
migrer et d'aller ameuter les souverains étrangers contre .son
pays. Sympathisant avec l'idée de rénovation , de progrès
et de liberté , mais déplorant les excès qui se commettaient
en son nom, il attendit le péril dans ses foyers et n'aban-
donna pas ce qu'il devait défendre. Nommé ministre plé-
nipotentiaire près du pape Pie VI, ce prince refusa de le
recevoir. En 1792 Louis XVI l'envoya à Berlin, pour tâcher
d'obtenir de la Prusse qu'elle s'abstînt de déclarer la guerre
à la France; et au retour de cette infructueuse mission, il
lui offrit le portefeuille des affaires étrangères. Ségur, touché
de la position personnelle de la famille royale , était disposé
à l'accepter , lorsqu'un ancien premier commis des affaires
étrangères, qui était attaché à sa famille, vint le prévenir que
ce ministère dont on voiilait le charger n'était qu'une dé-
ception, quel'accepter serait inutilement se compromettre,
puisque toutes les mesures qu'il croirait devoir prendre,
toutes ses actions , seraient déjouées par un personnage
occulte établi dans les cours étrangères et chargé confiden-
tiellement des véritables intentions du roi et de la reine.
Quand donc il revit le roi, il s'excusa avec douleur et respect.
Peu de temps après éclatait la catastrophe du 10 août,
sinistre précurseur des massacres de septembre. Pen-
dant le procès de Louis XVI, Ségur tenta tous les moyens
de le servir dans l'esprit des conventionnels, la plupart des
girondins influents étant ses amis. Durant la terreur ii so
retira avec sa famille au village de Chatcnay, près de Sceaux,
où il demanda à la culture des lettres tout à la fois des dis-
tractions pour oublier autant que possible les malheurs des
temps et des ressources pour soutenir sa famille. Le Direc-
toire lui offrit à diverses reprises les moyens de se créer
une fortune nouvelle. Il refusa sans balancer. Il était pauvre,
cependant, mais il était joyeux et fier d'obtenir de ses ta-
lents des secours qu'il n'aurait demandés à personne. Il
composa des pièces de théâtre d'un genre léger, mais étin-
celantes de verve et d'esprit, qui furent réunies à celles
qu'il avait déjà composées en Russie pour Catherine II, et
Imprimées sous le titre de Théâtre de VErmitage ( Paris,
1798). C'est aussi à cette époque qu'il publia la Décade
historique , espèce de miroir où lous les cabinets de l'Eu-
rope se représentent avec leurs qualités et leurs défauts,
et son excellent Tableati historique et politique de l'Eu-
rope de 17 9,G a 1796 (3 vol., 1800), suivi bientôt après d'un
agréable recueil de Contes, Fables, Chansons et Vers
( 1801 ). Aussi Ségur joignit-il bientôt à la réputation acquise
par ses services publics la célébrité des lettres qui repre-
naient alors une vie nouvelle. Le bouillonnement des partis
était presque calmé. L'Institut naissant recueillait les illus-
trations littéraires, artistiques et scientifiques, momentané-
ment écartées du sol natal. La France se retrouvait dans ses
hommes d'élite, et le calme lui rendait une vie nouvelle. Le
18 brumaire était consommé, et le déserteur de l'Egypte,
à force de sagesse et de talent , de patriotisme et de gloire,
ennoblissait son attentat, le faisait admirer à ses partisans,
et contraignait ses adversaires à le lui pardonner. Le pré-
voyant consul ralliait autour de lui les hommes influents par
leur naissance, leur fortune ou leur renommée; il se forti-
fiait de tous les débris des partis, les rapprochait, les concen-
tiaU dans un intérêt commun dont il se faisait le représentant.
Ségur fut appelé à faire partie du conseil d'État, dans la sec-
tion de l'intérieur. Son expérience, ses lumières lui permirent
de concourir à la rédaction de nos codes, les plus belles, les
plus durables de nos conquêtes, puisque ces codes régissent
encore les peuples affranchis de notre domination. L'Académie
Française admit aussi alors (1803) dans ses rangs Ségur,
que de nombreux succès et la voix publique désignaient à
son choix. Le consulat se transforma en empire; et dans
la cour improvisée par Napoléon, Ségur occupa l'une des
plus hautes charges, celle de grand-maître de cérémonies.
L'empereur avait sans doute pensé que les manières élégantes
d'un grand seigneur de la vieille cour donneraient d'utiles
leçons aux apprentis courtisans , qui , tout empreints de la
glorieuse poussière des batailles, échangeaient gauchement
leur fracrépublicain contre des oripeaux monarchiques. Cha-
que acteur se façonna bientôt à son rôle, et le ridicule fut
presque entièrement caché par l'éclat de hautes illustrations.
Ségur alliait avec une merveilleuse facilité les devoirs de sa
charge et les occupations littéraires C'est alors qu'il composa
presque entièrement son Histoire universelle, ancienne
et moderne (44 vol., Paris, 1817; souvent réimprimée de-
puis ), sa Galerie morale et politique (18 17), compilation
à l'usage de la jeunesse, le beau poëme Les Quatre Ages de
la Vie ( 1819) et ses remarquables Mémoires, ou souvenirs
et anecdotes ( 1825). En 1813 Ségur, déjà depuis longtemps
créé comte de l'empire, fut appelé à faire partie du sénat
conservateur : c'était là une recrue utile pour un corps qui
avait tant besoin de s'adjoindre, des hommes propres à le
sauver du mépris public. A la première restauration ,
Louis XVIII le comprit au nombre des membres de la pairie
instituée par la charte ; mais Ségur perdit cette dignité l'année
suivante, pour avoir acceidé des fonctions publiques de l'em-
pereur pendant les cent jours. Elle ne lui fut rendue qu'en
1819. Dans la chambre des pairs, on le vit toujours prêter
l'appui de son talent aux défenseurs du pays et de ses droits ;
et il n'y eut point de mesure sage qu'il ne soutînt, d'injustice
qu'il ne combattit. Il mourut le 27 août 1830, deux ans
après sa vénérable compagne, fille du chancelier d'Agues-
seau , qui pendant longtemps lui avait servi de secrétaire,
sans que l'âge ralentît son zèle. La douleur d'une perte si
cruelle acheva d'user une vie si bien remplie. Une douce
consolation charma du moins ses derniers jours. Il avait vu
l'Académie Française récompenser le beau succès qu'avait
obtenu l'ouvrage de Philippe de Ségur intitulé Histoire de
la Campagne de Eussie, en l'appelant dans son sein, et
donner ainsi au père le fils pour collègue. Une édition de
ses Qiuvres complètes a paru, de 1824 à 1830, en 30 volumes
in-S".
Son fils aîné, Octave, comte de Ségur, né en 1779, suivit
les cours de l'École Polytechnique et entra d'abord dans la
carrière administrative; mais plus tard il prit part aux cam-
86
SÉGUR
pagnes de l'empire, et il mourut en 1818, officier supérieur
de la garde royale. 11 a traduit de l'anglais les romans Ethel-
vina{i vol.. 1802) et Belinde (1802), et une Flore des
jeunes personnes, ou lettres familières sur la botanique.
On a en oulre de lui des Lettres élémentaires sur la Chimie,
d'après les cours donnés par les professeurs à l'École
Polytechnique (1803). 11 avait épousé, lui aussi, une d'A-
guesseau : nom que sa ligne a depuis ajouté à celui de Ségur.
Raijmond-Joseph-Paul , comte de Séglr-d'Aguesseau,
fils du précédent, né en 1803, élait substitut du procureur
du roi, à Paris, lorsqu'il fut nommé préfet des Hautes-Py-
rénées, eu 1833. Destitué en 1838, pour excès d'indépen-
dance électorale pendant les élections de 1837, il fut, en
1849 , élu par le même département membre de l'assem-
blée législative. C'est lui qui, dès la seconde séance, déter-
mina la majorité à répéter, ensemble, le cri de Vive la Ré-
publique f dans un sens opposé à celui des montagnards.
En 1851, voyant le péril social s'accroître de jour en jour,
il se prononça énergiquement pour le coup d'État du 2 dé-
cembre; et il est sénateur depuis le 26 janvier 1852.
SÈGUR (Josepu-Alexandue, vicomte de), (ils cadet du
maréchal, né à Paris, en 1756, fut successivement colonel des
régiments de Xoaiiles, de Royal-Lorraine, enfin des dragons
de Ségur, en 1784, sur la démission de son frère; puis, le
9 mars 1788, maréchal de camp. Mais là n'était pas sa
grande affaire : les lettres et les plaisirs , voilà ce qui l'oc-
cupait exclusivement. Il faisait par son esprit le charme
des cercles particuliers de la reine Marie-Antoinette , et resta
toujours attaché aux idées ou plutôt aux habitudes de l'an-
cien régime. Auteur déjà de deux proverbes dramatiques qui
avaient réussi dans les salons , il lit représenter au Théâtre-
Français, en 1787, Rosaline et Floricourt, comédie en
cinq actes, qui eut assez de succès pour engager l'auteur à
se laisser deviner. Comme les Champcenetz, lesRivarol
et d'autres hommes d'esprit et de talent , il crut qu'avec des
épigrammes et des quolibets on pouvait prévenir le grand
cataclysme social qui se préparait. Les premiers symptômes
de la révolution que le vieux maréchal de Ségur réprou-
vait dans le rigorisme de ses principes , le vicomte son
fils les condamnait par attachement pour l'existence volup-
tueuse , brillante et insoucieuse que lui procurait l'ancien
régime. « Je ne puis souffrir cette révolution, disait-il, elle
m'a gâté mon Paris ; elle a changé la capitale des plaisirs en
un foyer de disputes et d'ennui ; et tandis qu'elle se vante
d'une philosopiiie chimérique , d'un grand amour du bien
public , d'une abnégation absolue de tout intérêt privé , elle
ne fait qu'étendre à tous l'ambition de quelques-uns. On
pourrait la peindre en deux mots : Ote-toi de là que je m'y
mette. » Ce qui fait l'éloge du vicomte de Ségur comme de
son frère aîné, c'est qu'ils n'eurent pas besoin qu'un commun
malheur les réunît plus tard,, et que, malgré la dissidence de
leurs opinions , ils ne cessèrent jamais de vivre dans l'union
la plus intime. Malgré ses principes politiques, il n'émigra
point, et resta lui aussi en France pour partager les dangers
de son père et de sa famille. Quand la révolution leur eut
tout enlevé, il supporta son malheur avec résignation , avec
gaieté même; et, sous le nom du citoyen Ségur jeune, il sut,
comme son frère aîné, trouver dans sa plume les ressources
d'une noble indépendance. Incarcéré pendant huit mois à l'é-
poque de la tirreur, il publia, après sa délivrance, une petite
brochure intitulée : Ma prison depuis le 23 vendémiaire
jusqu'au 10 thermidor (Paris, an m). Depuis cette époque
jusqu'en 1804 il donna un grand nombre de pièces à dif-
férents théâtres ; ces bluettes, étincelantes d'esprit, eurent
presque toutes cette vogue du moment à laquelle seule elles
pouvaient prétendre. L'une de .ses pièces , Le Retour du
Mari, aurait dil rester au répertoire. Ségur ne s'enorgueil-
lissait pas plus de ses succès qu'il ne se désolait de quelques
chutes. Il venait de donner à l'Opéra-Comique Le Cabriolet
jaune, qui se traîna pendant sept ou huit représentations. Au
sortir de l'une d'elles , il dit à un de ses confrères qui ve-
nait d'éprouver un cchec plus marqué : « Il [ileut; je vous
offre une place dans mon Cabriolet jaune. » La dernière
production de cet aimable littérateur. Les Femmes, leur
condition et leur influence dans l'ordre social et chez
les différents peuples anciens et modernes (1803, 3 vol.
in-12 ) est un ouvrage agréable, qui a été souvent réimprimé
depuis, et en dernier lieu avec un supplément par Ch.
Nodier ( 1825 ). On lui a reproché la publication des mémoires
du baron deBezenval, dont il avait été le légataire uni-
versel. Il est certain que s'il supprima beaucoup, il ne sup-
prima pas encore assez. Lorsque l'avènement de Bonaparte
à l'empire rouvrit à la famille de Ségur le chemin des hon-
neurs, le vicomte, qui avait recouvré quelques débris de
sa fortune , et qui chérissait l'indépendance , ne voulut rien
accepter du nouveau maître de la France. Il ne manqua pas
de railler ces nobles et ces dignitaires de fraîche date qui
se groupaient dans les salons des Tuileries ; il affectait quel-
quefois de signer Ségur sans cérémonie, plaisanterie qui fit
fortune dans le public, sans altérer la tendre union des deux
frères. Il mourut à Bagnères, en 1825. Outre les publications
que nous avons déjà mentionnées, on a de lui un roman, La
Femme jalouse, et la Correspondance secrète de Ninon
de V Enclos, correspondance supposée, mais imitée de ma-
nière à faire illusion , et dans laquelle il inséra , dit-on ,
beaucoup de billets qui lui avaient été adressés à lui-même
dans son jeune temps par de grandes dames.
SÉGUR (Philippe-Paul, comte de), lieutenant général,
un des quarante de l'Académie Française, né en 1780, est
le second des fils du comte de Ségur, le grand -maître des
cérémonies. Il passa une partie de sa jeunesse en Angleterre,
et termina ensuite son éducation dans le sein de sa famille,
à Châtenay. Après la révolution du 18 brumaire , il entra
dans l'armée comme enrôlé volontaire. Le vieux maréchal,
son grand-père , lui dit à cette occasion : « Tu vas servir îin
parti qui n'est pas le mien ; mais sers ton pays , et une fois
sous son drapeau, ne l'abandonne jamais.» Le petit-fils s'est
souvenu toute sa vie de cette recommandation. Nommé im-
médiatement sous-lieutenant, il fit en celte qualité la cam-
pagne de la seconde armée de réserve, puis celle de Bavière
sous Moreau, et assista à la bataille de Hohenlinden. Ensuite,
aide de campdeMacdonald, il fit avec lui la rude campagne
d'hiver dans le canton des Grisons, qu'il a racontée sous
le titre de Campagne du général Macdonald dans les
Grisons ( 1802). La même anme le premier consul l'admit
dans son état-major particulier, et lui confia la surveil-
lance du quartier général et de sa personne. Une nuit le
général commandant les Tuileries vint le réveiller sur son
lit de camp en lui recommandant de changer sur-le-champ
les mots d'ordre et de ralliement, et d'organiser toute
la garde du château comme en présence et à poitée de
l'ennemi : un quart d'heure après , et depuis ce moment
jusqu'à l'arrestation de Georges et de Pichegru, ce
service fut réglé de manière à ce que toute surprise devînt
impossible.
En 1805 ce fut le capitaine de Ségur qu'on envoya dans
Ulmau feld-maréchal Mack pour le sommer de se rendre.
Dans la campagne de Pologne, en 1807, il remplit au-
près de Napoléon les fonctions d'officier d'ordonnance;
mais il eut le malheur d'être fait prisonnier par les Russes,
et il ne recouvra sa liberté qu'après la paix de Tilsitt. Il
commanda ensuite provisoirement un régiment de hus-
sards en Espagne, et enleva avec des lanciers polonais la
crête de la Somo-Sierra ; fait d'armes qui lui valut sa
nomination définitive au grade decoloneL Promu en 1812
général de brigade, il fit en cette qualité la campagne de
Russie, dont il a été depuis l'éloquent historien. A la fin de
cette même année 1812 l'empereur le nomma gouverneur
des pages. Pendant la campagne de 1813 il fut chargé de
former et de commander le cinquième régiment des gardes
d'honneur, qui devait se composer de 2,700 cavaliers, élite
de la jeunesse languedocienne, bretonne et vendéenne, el dont
les dispositions inspiraient à bon droit quelque inquiétude;
mais le général réussit bientôt à se rendre complétemeni
SÉGUR — SEIGNEUR
maitre de l'esprit «Je ses jeunes soldats, et le cinquième régi-
ment des gardes d'honneur mérita d'être cité à la bataille
de Hanau comme un des corps qui avaient le plus contribué
au s.alut de l'armée. Dans la campagne de 1814 le corps
qu'il commandait se distingua aux combats de Montmirail,
de Château-Thierry, de Gui à Trème, et surtout aux deux
affaires de Reims. Blessé gravement dans la dernière et
transporté à Paris , il quitta cette capitale quand l'ennemi
y entra. Il se retira à Tours, qu'il contint jusqu'au 11 avril
avec les dépôts du quatrième et du cinquième régiment des
gardes d'honneur. Après l'abdication de Napoléon , il
adhéra au gouvernement royal, et reçut de Louis XVIII le
commandement du corps de cavalerie formé avec les débris
de la vieille garde.
A la fin des cent jours il fut chef d'état-major du corps
d'armée chargé de la défense de la rive gauche de la Seine ,
dont le quartier général était à Montrouge. Il s'opposa vai-
nement, devant le prince d'Eckmuhl (Davout) et les gé-
néraux Grenier et Carnot, à la capitulation de Saint-Cloud,
en proposant pour le lendemain l'attaque de l'armée prus-
sienne, qui , témérairement compromise sur la rive gauche
de la Seine, aurait pu être écrasée ; mais il était trop fard :
les intrigues de F o u c h é , ses ténébreuses négociations avec
les alliés et avec les Bourbons avaient décidé du sort de
Paris et de la France. Dès lors le général Philippe de Ségur
se relira avec ses enfants et le comte de Luçay , son beau-
père, dans la vallée de Montmorency, à Saint-Gratien.
C'est là que, revenu tout entier, dans la maturité de l'âge,
à la culture des lettres qui avait marqué le début de sa
carrière, et qu'il avait toujours aimées et cultivées, il en-
treprit V Histoire de Napoléon et de la grande armée
en 1812. L'intérêt tout palpitant du sujet, la sincérité de
l'historien, ses révélations piquantes, ses réflexions pro-
fondes, et outre cela la couleur pittoresque, animée,
de son style, placèrent tout d'un coup Philippe de Ségur
au rang des premiers écrivains de l'époque. Cet ouvrage
excita d'ailleurs quelques-unes de ces réclamations , de ces
critiques, qui ne font que confirmer le succès d'un livre,
en lui donnant plus d'éclat. Il fallut même que le comte
de Ségur mit l'épée à la main pour protéger ce qu'avait écrit
sa plume. Encouiagé par ce succès, il fit paraître, quatre
ans après , en 1829 , ['Histoire de Eussie et de Pierre le
Grand. Même éclat de style, iiiême force de pensées que
dans son prcuiier ouvrage. L'Académie Française récompensa
ce double succès de Philippe de Ségur en l'appelant à l'u-
nanimité dans son sein, le 25 mars 1830 ; et ce fut la pre-
mière fois qu'on vit le i)ère et le fils siéger ensemble dans
ce corps littéraire. En i8.î5 Philippe de Ségur publia VHis-
toirc de Charles VIII ; on y trouve , sur l'expédition de ce
priiy;e en Italie , et sur les intérêts des divers États de cette
péninsule, des documents qui n'avaient pas encore été pré-
sentés.
Le maréchal Gouvion Saint-Cyr l'avait rappelé à l'activité
en 1819 ; et les services nouveaux qu'il rendit alors fiuent
récompensés par sa nomination au grade de grand-officier
de la Légion d'Honneur. La révolution de Juillet ne l'en re-
trouva pas moins sans emploi depuis près de deux ans.
Rappelé à l'activité parle gouvernement de Louis-Philippe,
Ségur fut promu, le 27 février 1831, au grade de lieutenant
général. 11 vit aujourd'hui complètement étranger aux af-
faires publiques.
SEI DOUZE. Voijez Seybolze.
SEICHE. Voyez Sèche.
SEID , titre arabe. Voyez Chérif.
SÉIDE, et mieux ZAID, esclave de Mahomet, fut un
des premiers qui le reconnurent en qualité de prophète ; et
celui-ci l'en récompensa en lui accordant la liberté. Depuis
lors , disciple fidèle de Mahomet , Séide fut adopté pour fils
par son maître ^ qui lui donna en mariage Zéinab, l'une
des filles de sa tante. Mais Mahomet étant ensuite devenu
amoureux de sa cousine, la femme de Séide, celui-ci dut
'a lui céder, le prophète ayanteu soin de prévenir tout scan-
87
dale par un chapitre qu'il avait auparavant placé à cette
intention dans son Koran.
Voltaire , dans son Mahomet , a peint avec une telle supé-
riorité le dévouement fanatique de Séide pour le prophète
que ce nom est depuis lors employé i)our désigner un homme
aveuglément dévoué à un chef quelconque et prêt à com-
mettre tous les crimes sur un simple ordre de sa part.
SEIDSCHUTZ ou SAIDSCHITZ (Zajeczice), PULL-
NA ou PiL^x {Bylany) el SEDLITZ, trois villages de la
capitainerie de Briix, dans le cercle d'Egra (Bohême); le
premier dépendant de la seigneurie de Bilin, et situé k en
viron six kilomètres de la ville de Bilin; le dernier, à six
kilomètres de Briix. Ils sont célèbres par leurs sources d'eau
saline purgative , qui doit sa propriété à la forte quantité
de sulfate de magnésie qu'elle contient, et dont il s'expédie
chaque année plus de 500,000 cruchons dans les différentes
contrées de l'Europe.
SEIGLE [secale céréale), genre de la triandrie-digynie
et de la famille des graminées. Le seigle est originaire de
l'Asie Mineure. Il est annuel, et diffère du froment cultivé
en ce que ses épillets ne se composent que de deux fleurs,
tandis que le froment en a au moins trois. La valve externe
de chaque fleur, terminée par une arête longue et rude au
toucher, est couverte, sur son angle externe, de poils courts
et résistants ; sou grain est plus mince et plus allongé que
celui du froment. Le seigle n'a point éprouvé, par la cul-
ture , les altérations et les modifications qui pour les au-
tres plantes créent les espèces nouvelles et les variétés.
« Celui qu'on appelle petit seigle , seigle du printemps ,
seigle marsais, seigle trémois , etc., dit Tessier, revient
à la grosseur du commun lorsqu'on le sème plusieurs an-
nées de suite en automne; ce n'est qu'une variété de saison,
et non une variété réelle.» Le seigle donne la meilleure farine
après le froment : il prospère dans des terres où ce dernier
ne réussirait pas , et il mûrit plus tôt ; ces divers avantages
lui assurent un rang distingué parmi les céréales. Les ter-
rains secs, peu riches en humus, sablonneux, crajeux ou
argileux ; le versant des montagnes , toutes localités où le
froment ne pourrait être cultivé , produisent des récoltes
de seigle assez abondantes. Le seigle se sème seul ou mêlé
au froment , et donne ainsi un mélange a|)pelé viéteil ou
méture, qui fait du pain de bonne qualité et plus frais que
le pain de froment pur. Il se cultive pour son grain, pour
sa paille , et aussi pour fourrages et pour engrais; il n'exige
jamais guère plus de deux labours. Le seigle d'hiver est de
beaucoup le plus usité; confié a la terre dans le courant de
septembre, il a le temps de se fortifier avant le froid, et
mûrit plus hâtivement. Cent vingt-cinq kilogrammes de se-
mence sont, terme moyen, la quantité nécessaire par hec-
tare : elle doit être d'ailleurs peu recouverte; un hersage
léger suffit à cet effet.
Le temps que le seigle met à lever, l'époque de sa florai-
son et de sa maturité varient selon les lieux et les années;
l'ensemble de son développement est toutefois plus rapide
que celui du froment; il rapporte environ un sixième de
plus en volume. Tout le monde connaît ses emplois dans
la confection de la bierre et de l'eau-de-vie de grains : son
gruau offre une tisane et des bouillies rafraîchissantes; sa
paille sert à faire des liens, des couvertures pour les toits
rustiques, des paillassons de jardinage, des nattes, des
chapeaux communs et des empaillages pour les chaises.
Le seigle ergoté {voyez Ergot (Botanique)], considéré
par les uns comme une maladie de la semence , par les
autres comme une espèce particulière de champignon , a été
quant a sa nature et à son origine l'objet de nombreuses
discussions. Enfin, M. Léveillé a fait voir qu'il n'était que
l'ovaire non fécondé , surmonté d'une esptce de champi-
gnon d'une nature particulière [sphacclia segetum).
P. Galbekt.
SEÏGi\ELAY (Les marquis de). Voyez Coluebt.
SEIGNEUR (du latin 5eHio/-, ancien). C'est le titre
qu'on donnait jadis en France à celui qui possédait à titre
88
SEIGNEUR — SEINE
de fief ou de franc-alleu un territoire héréditaire, ou qui du
moins y exerçait le droit de haute et basse justice {seigneur
justicier). On désignait un territoire de cette espèce par
le nom de seigneurie, et l'ensemble des droits qui y étaient
altacliés par celui de seigneuriage. Par la suite ce dernier
terme servit plus parliculièremeiit à désigner la prérogative
royale consistant dans le droit de battre monnaie.
Sous la-Restauration, on avait introduit l'usage officiel de
qualifier de seigneurie les pairs de France : c'était la tra-
duction du titre de lordship, qu'on donne aux pairs anglais.
Dans le langage liturgique, en s'adressant à Dieu, on
l'appelle Seig'weza-; mot par lequel on rend celui de Do-
minus , au vocatif Domine , qu'emploie la liturgie latine.
Dans le discours direct, en s'adressant à un prince issu
de maison souveraine, on le qualifie de M on s eigneur ;
et l'usage veut qu'on donne aussi par courtoisie aux arche-
vêques et aux évêques la même qualification, qui n'est alors
que la traduction du titre de Monsignor, auquel ils ont droit
en Italie.
Sous l'ancien régime , sous le premier empire et sous la
Restauration, il y avait obligation de monseigneuriser les
ministres. Depuis la révolution de 1830, ces messieurs ont
la modestie de n'exiger que le titre à^Mxcellence. Grand
bien leur fasse !
SElGrMEURIAUX (Droits). Voijez Droits féodaux.
SEIM. C'était le nom que portait autrefois la diète de
Pologne. Indépendamment du 5ei»i oïdinaire, qui, aux
termes d'une résolution prise en 1575, devait être convoqué
par ordre du roi tous les deux ans, pour six semaines, il
y avait dans tous les cas pressants des seim extraordinaires.
Ainsi , après la mort d'un roi , il y avait le seim de convo-
cation, à l'effet de délibérer sur la prochaine élection;
c'est le seim d'élection qui élisait le nouveau roi, et dans
le seim du couronnement , réuni à l'occasion de cetle céré-
monie, on confirmait toutes les mesures prises pendant l'in-
terrègne. Dans le seim de pacification , on délibérait sur
les questions au sujet desquelles on n'avait pu s'entendre
au jour du couronnement. On appelait récès toutes les me-
sures qui étaient renvoyées d'un seim à un autre. Suivant
un antique usage , c'est à Petrikau que les diètes se rassem-
blaient le plus ordinairement; mais par suite de la réunion
de la Lithuanie à la Pologne , il fut expressément décidé, en
loG9, qu'à l'avenir les seim se réuniraient à Varsovie. En
1073 on modifia ce règlement en ordonnant, par égard pour
les habitants de la Litliuanie, que pour deux diètes convo-
quées à Varsovie , il y en aurait une qui se réuniraità Grodno.
A partir de 1573 les seim, pour procéder à l'élection des
rois , se réunirent entre le bourg de W'ola et Varsovie , dans
un champ entouré d'un fossé et d'un rempart. Au milieu , on
dressait un petit bâtiment en bois pour les sénateurs seule-
ment. Le seim se composait de la réunion de l'assemblée
des sénateurs et de celle des nonces ou députés. Le sénat
était présidé par l'archevêque de Gnesen. En faisaient en
outre partie l'achevêque de Lemherg, tous les évêques de
Pologne, les voïvodes, les ministres du roi, dont le premier
était legrand-maréclial de la couronne, et les castellans. Les
nonces étaient des députés élus en plus ou moins grand
nombre, par la noblesse, dans les diètes particulières des
voivodies. Légalement, il devait y avoir cent quatre-vingt-
deux nonces. La chambre des nonces était présidée par le
maréchal de la diète, lequel avait mission de soumettre aux
députés les propositions de loi, de diriger les discussions,
d'ouvrir les séances et de les lever, enfin de transmettre au
roi et au sénat les résolutions prises. Il était élu par les nonces
dès la première séance du seim, qui avait lieu sous la pré-
sidence du précédent maréchal, lequel rie pouvait pas être
réélu pendant toute la durée de la diète suivante. A l'ori-
gine , les questions se décidaient dans le seim à ia majorité
des voix; mais à partir de 1652 toute loi, pour devenir
obligatoire, dut réunir l'unanimilé. Il suffit dès lors qu'un
seul parmi les membres du seim s'écriât : sisto activitatem,
ou hi%n veto, ou, encore, en langue polonaise, 7?iepoziva-
lam (c'est-à-dire, je proteste), pour dissoudre laj diète.
Cette loi stupide fut la cause de l'anéantissement de la
Pologne. Pour conjurer les maux résultant de l'exercièe
de ce droit, on inventa les confédérations. Le parti
mécontent formait une association armée , et pour mettre
ses projets à exécution , s'attribuait les pouvoirs du seim.
On voyait quelquefois deux confédérations surgir à la fois,
et il en résultait des guerres civiles à la suite desquelles le
pays était mis à feu et à sang. Le rokosz constituait un
abus bien plus déplorable encore.
SEIIX (du latin simis ) se dit en anatomie, particulière-
ment à légard des femmes, de leurs mamelles. Les ma-
ladies du sein sont très-nombreuses. Bon nombre d'entre
elles ne sont pas graves; quelques autres ont une marche
sans cesse envahissante, mènent fatalement à la destruction
des tissus, et enfin n'entraînent que trop souvent la mort.
Les plus implacables de toutes sont le cancer et le
squ ir re.
En géographie , sein se dit quelquefois d'une ouverture de
la terre qui reçoit la mer dans sa capacité : tels sont le sein
arabique ou mer Rouge, le sein persique, qui s'étend de-
puis Ormuz jusqu'à Bassora. Ce terme n'est que la traduc-
tion littérale du mot sinus, que les latins employaient dans
le même sens.
SEI!\E, fleuve de France, qui se jette dans la mer de
la Manche, entre le Havre et Honfleur, et qui prend sa
source dans les montagnes de la Côte-d'Or, près de Clian-
ceaux. Elle a un cours d'environ 780 kilomètres, par Châ-
tillon-sur-Seine , Bar-sur-Seine, Troyes, Nogent-sur-Seine ,
Montereau, Melun, Corbeil, Paris, Saint-Denis, Saint-
Germain-en-Laye, Maisons, Poissy , Mculan, Mantes, Ver-
non, Elbeuf, Rouen, Quillebœuf, Honfleur et le Havre.
Elle est flottable à bûclics perdues depuis Billy ( Côte-d'Or),
pendant 132 kilomètres, et navigable à partir de Méry au-
dessus de ïroyes. La pente du fleuve donne à Clianceaux
une altitude de 435 mètres, à Troyes de 101 mètres, à
l'embouchure du canal du Loing de 56 mètres , à Corbeil de
45 mètres, à Paris de 34 mètres, à Rouen de 8 mètres.
Ses principaux affluents sont à droite l'Aube, la Marne,
l'Oise, l'Epie; à gauche l'Yonne, le Loing, l'Essonne,
l'Eure , la Rille. Des canaux la mettent en rapport avec les
provinces situées au delà du bassin. Le canal du Loing liù
amène les produits des bords de la Loire et de la Saône
par le canal du Centre; le canal de Bourgogne l'unit au
Rhône par l'Yonne et la Saône; celui de Saint-Quentin lui
ouvre les départements du Nord par l'Oise; le canal de
l'Ourcq a moins pour objet le commerce que les besoins et
l'embellissement de la capitale. La marée remonte la Seine
jusqu'à Rouen ; en cet endroit la profondeur du fleuve est
de 10 mètres; sa largeur au Havre est de 9 kilomètres. Les
principaux obstacles à la navigation sont les bancs de sable
qui changent fréquemnient de place, et quelques écueils
entre Quillebœuf et Rouen. Dans cette partie se fait sentir
la barre, phénomène produit par l'entrée de la marée
dans le fleuve ; c'est un flot terrible qui , occupant toute sa
largeur, le remonte jusqu'au-dessus de Rouen; en petit,
c'est le mascaret de la Gironde elle pororoca de l'A-
mazone.
SEINE (Pêche), sorte de filet qui a souvent un sac dar^s
son milieu et que l'on traîne sur les grèves.
SEINE (Département de la). 11 est enclavé dans celui
de Seine-et-OlbC, et a été formé d'une partie de ce qu'on
appelait autrefois V Ile-de-France.
Divisé en 3 arrondissements, 8 cantons, 81 communes,
sa population est de 1,331,783 habitants. 11 envoie dix dé-
putés au corps législatif, est compris dans la première di-
vision militaire, ressortit à la cour impériale, à l'académie
et à l'archevêché de Paris. L'administration du département
est partagée entre un préfetdu département et un préfet de
police. Sa superficie est de 63,453 hectares, dont 29,295 en
terres labourables; 3,502 en vergers, pépinières et jardins;
2,784 en vignes ; 2,226 en propiiétés bâties ; 1,544 en prés ;
SEINE — SEINE-ET-MARNE
89
1,854 en bois; 249 en landes, pâtis, bruyères; 2,650 en
routes, cliemins, places publiques, rues, etc.
Envisagé comme renfermant la capitale de l'État, comme
ne faisant qu'un tout avec cette giande individualité , c'est
le plus important des départements ; tandis que si on l'en
isole , il n'offre plus qu'une simple lisière de terrain , d'une
largeur moyenne de luiit kilomètres, ménagée pour son
utilité immédiate, et dont l'importance est toute relative ; il
devient alors l'une des dernières divisions territoriales du
pays, égale à peine au plus petit arrondissement communal.
Excepté dans les environs de Saint-Denis , les rives de la
Seine sont partout dominées par un plateau, sur le bord
duquel Paris est assis , et qui offre des plaines assez éten-
dues, telles que celles de Longboyau et de Montrouge. La
plaine de Grenelle fait partie de la vallée môme. Les points
les plus élevés du sol méritent à peine quelque attention, et
n'ont d'importance qu'au milieu d'un pays de plaine; les
buttes de Montmartre et de Cliaumont ne sont que de
80 à 90 mètres au-dessus des bords du fleuve. La butte que
l'on a décorée du nom fastueux de mont Valérïen n'est qu'à
136 mètres au-dessus de la mer. Le dé|)artement est bien
arrosé. Dans le peu d'espace qu'il présente, la Seine a
trouve moyen de parcourir 56 kilomètres, et la Marne 22 ;
au midi, il est traversé par la petite rivière de liièvre,
dont les eaux inférieures appartiennent à Paris; au nord,
il est arrosé par le Crould , qui baigne la ville de Saint-
Denis ; enfin, on y remarque plusieurs canaux -. celui de la
Seine à la Seine, dont la première partie porte le nom de
canal Saint-Martin , et qui aboutit à Saint-Denis ; le ca-
nal de VOurcq, qui s'embranche avec le précédent au beau
bassin de la Villette, et le petit canal creusé pour épargner
aux bateaux le trajet d'une circonvolution de la Marne :
on le nomme canal Saint-Maur, du village oîi il passe; il
n'a que 1,100 mètres de développement. Le canal de la
Seine à la Seine a 6,600 mètres hors de Paris , et le canal
de rOurcq 7,000. L'immense quantité d'engrais fournie par
la capitale au sol du département , et dont l'influence se
fait d'ailleurs sentir dans un rayon plus étendu, l'appât du
gain que présente le débouché si sûr de la capitale, qui
est la seule cause de la supériorité de la culture , ont donné
au sol une ferlilité bien supérieure à celle qu'il avait natu-
rellement. L'objet principal de la culture est la production
des légumes et des fruits pour la consommation de Paris,
production qui n'est qu'une très-insigni liante partie de
l'alimentation de ses marchés. Les vins du territoire sont
tous de la qualité la plus commune, et consommés seule-
ment par les cultivateurs ou dans les cabarets des barrières.
La betterave y est cultivée pour la fabrication du sucre.
Une foule de pépinières , situées dans Paris même et dans
toutes les communes environnantes, fournissent une pro-
digieuse quantité de fleurs d'espèces les plus variées. Les
deux seuls produits remarquables de l'élève sont les vaches
laitières et les moutons. Le produit en lait n'est aussi qu'une
très-minime partie de la consommation de la capitale. Les
environs de Paris possèdent plusieurs des troupeaux les
plus précieux du royaume en moutons de race mérinos, de
race saxonne-anglaise, etc.; les espèces communes y ont
toutes été améliorées. On y trouve aussi des troupeaux de
chèvres du Tbibet. Le règne minéral n'offre que la pierre
de taille, exploitée en vastes carrières, le moellon et les
plâtrières. Parmi plusieurs sources minérales, les seules
exploitées sont celles de Passy, qui sont assez renommées.
L'industrie du département de la Seine se résume tout
entière dans l'immense industrie de Paris et de ses faubourgs,
et ses produits constituent à eux seuls toute l'exportation du
territoire,
Paris est la tête de tous les chemins de fer de grande
communication. Les lignes actuellement en exploitation sont
celles de Versailles, rive droite et rive gauche; de Saint-
Germain, de Rouen, du ?*ord , de Corbeil, d'Orléans, de
Sceaux, du bois de Boulogne etde Ceinture.
Le chef-lieu du département est P a ?"i 5, les villes et endroits
principaux : Saint-Denis , Sceaux , Boulogne , M on-
treuil-sous-Bois, Bagnolet, où il y eut un château des
ducs d'Orléans : Collé y jouait la comédie; C lichy-la-Ga-
renne, Auteuil , C hoisy-lc-Roi , Vincennes et
Saint-Mandé; Puteaux , village sur un coteau au pied
duquel coule la Seine, un peu au-dessus du pont de Neuilly: la
plus remarquable de ses maisons de campagne est celle dite
le Château : c'est une station du chemin de fer de Paris à
Versailles (rive droite); Nanterre , un des plus anciens
lieux habités des environs de Paris : son nom primitif pa-
raît avoir été ISemetodurtim, altéré ensuite jusqu'à en faire
Nanterre ; c'est là que naquit au cinquième siècle cette jeune
fille que l'Église a depuis honorée sous le nom de sainte
Geneviève, et qui est devenue la patronne de Paris : en 591
Chlotaire II, fils de Chilpéric, y fut baptisé, et tenu sur les
fonts par Gontran , roi de Bourgogne, qui lui adressa ces
paroles : !■ Croissez, mon enfant, rendez-vous digne du grand
nom que vous portez, et devenez aussi puissant que Chlo-
taire. » Nanterre tait un commerce considérable de porcs.
Tout le monde connaît la renommée de ses gâteaux. On y
compte 2,270 habitants. C'est une station du chemin de fer
de Paris à Versailles (rive droite) etde Saint-Germain; C^a-
r en ^oH , Con/7 a ?js, et auprès de ces deux villages Cha-
renton proprementditet5ain/-/VflMr?ce. Auboul de celui-ci
est l'ancien couvent de La Charité, transformé aujourd'hui
en une vaste maison d'aliénés, l'une des plus belles qui
existent ; Ivry, sur la pente des collines qui couvrent la rive
gauche de la Seine', au sud de Paris, avec de belles caves
à vin et des silos : 3,959 habitants; Coitrbevoie , sur une
élévation d'oîi l'on jouit d'une vue très-étendue. On y voit
une superbe caserne : 2,488 habitants; Vanvres , Fon-
tenaij-aux-Roses, Surênes , Arcueil. Les autres
lieux importants du déparlement sont, à proprement
parler, des faubourgs de Paris; tels que les Datïgnolles,
Belleville, Vaugirard,La Villette, bâtie au-
tour d'un superbe bassin où se réunissent les canaux de
Saint-Denis , de Saint-Martin et de l'Ourcq. On y compte
30,000 habitants; Charonne, qui touche aux barrières de
l'Est du faubourg Saint-Antoine, les Ternes, Mont-
martre ,Menilmonta nt , Bercy, La Chapelle, pro-
longement de la rue du faubourg Saint-Denis, et qui borde
la route de Paris à cette ville. On y compte 32,500 habitants.
Passy, Neuilly, Pantin, Mon t rouge, Gentilly.
Oscar Wac-Cautuy.
SEL\E-ET-MARXE (Département de). Il est borné
au nord par les départements de l'Oise et de l'Aisne, à
l'est par ceux de la Marne et de l'Aube , au sud par ceux de
l'Yonne et du Loiret , à l'ouest par celui de Seine-et-Oise.
Il a été formé de la Brie française, du G â t i n a i s français,
et de quelques communes du Val o i s, tous pays de l'Ile-
d e-France et de la Brie champenoise. Divisé en 5 arron-
dissements, 29 cantons, 527 commîmes, sa population est
de 345,076 habitants. 11 envoie trois députés au corps légis-
latif, est compris dans la première division militaire, ressortit
à la cour impériale et à l'académie de Paris et forme le
diocèse de Meaux.
Sa superficie est de 595,980 hectares , dont 307,824 en
terres labourables ; 79,362 en bois; 33,292 en prés; 18,972
en vignes; 9,285 en landes, pâtis, bruyères, etc.; 6,607 en
vergers , pépinières et jardins ; 2,988 en propriétés bâties ; 798
en étangs , abreuvoirs , mares , canaux d'irrigation; 560 en
oseraies, aulnaies, saussaies; 194 en cultures diverses;
23,667 en forêts, domaines non productifs ; 16,657 en routes,
chemins, places publiques, rues, etc.; 2,585 en rivières, lacs,
ruisseaux; 6S9en cimetières, églises, presbytères, bâtiments
publics, etc. 11 paye 2.869,891 francs d'impôt foncier. H
occupe le prolongement occidental du vaste plateau de la
Champagne, qui s'y dessine souvent en vastes plaines, sur-
tout h l'estet au midi, et au milieu duquel les eaux ont creusé
dans toutes les directions une multitude de vallées, quel-
quefois assez longues, mais toujours peu profondes. Sa par-
tie méridionale est traversée par la Seine , et sa partie sep-
90
SEINE-ET-MARNE SEINE-ET-OISE
tentrionale par la Marne. Ses autres rivières sont le Loing,
l'Yères, afllueuts de la première; le Grand-Morin, grossi
de l'Aubertiu; le Petit-Moriii et i'Ourcq. Les bois sont
semés sur sa surface dans toutes les directions , et d'une
manière assez égale. Au midi , on remarque la belle et
grande (orêt de Fontainebleau, et celle de Sordnn, au sud-
est de Provins; au centre et à l'ouest, celles de Crécy et
d'Armainvillers. Le sol est généralement (ertile et cullivé avec
soin, surtout dans les parties septentrionale et centrale , là où
se fait sentir plus immédiatement l'inlluence de la capitale.
Aussi riiabitant est-il plutôt agriculteur que manufacturier.
Il fait d'abondantes moissons de blé, d'orge, d'avoine, de
chanvre, de lin , de pommes de terre et de fourrages. L'é-
ducation du bétail sullit à peine aux besoins locaux , mais
on élève beaucoup de vaches laitières et de nombreux trou-
peaux de moutons mérinos et anglais à longue laine. Un
des produits les plus importants du gros bétail sont ce.s
fromages de Brie si recherchés., et dont le débit est consi-
dérable. L'éducation des chevaux y est assez développée ,
mais l'espèce est peu remarquable. Malgré le voisinage des
riches vignobles de la Champagne, qui touchent pour ainsi
dire à ce département , et quoi(|ue placé sous la môme lati-
tude, les vins que l'on y recueille sont de qualité très-mé-
diocre; les marchands recherchent pourtant ceux de Moret
pour leur couleur. Quelques localités sont renommées pour
leurs productions, telles que Fontainebleau, dont le territoire
donne d'excellents raisins, connus sous le nom de chasselas
de Fontainebleau. Ce département n'a pas de métaux
exploités, mais il surpasse tous ceux de l'empire parie
produit de ses carrières. Elles fournissent l'excellente pieire
de taille des environs de Cliàteau-Landon et de Nemours ;
le grès à paver de ia forêt de iontainebleau; des pierres
meulières, regardées comme les meilleures de l'Europe, près
<ie La Ferté-sous-Jouarre; la terre à faïence de Montereau;
du sable pour les verreries et cristalleries, du gypse, de l'al-
bâtre gris , de la pierre à chaux et de l'aryle à poterie com-
mune. Quelques tourbières peu importantes sont exploitées.
Provins a un établissement d'eaux ferrugineuses froides.
L'industrie manufacturière est peu considérable, et les
principaux produits sont les tils et les tissus de laine et de
coton, les papiers , les cuirs , la porcelaine , la faïence , les
verres, les bri(iues et les tuiles , la bijoulerie et les outils d'a-
cier, le sucre de betterave. Les produits de lindustrie
agricole, les grains, les farines, les vins, les bois, les lé-
gumes , les fruits, les fourrages, les laines, les fromages de
Brie sont avec les produits des carrières et quelques-uns
de ceux fahri(iués , les grands articles d'exportation.
Les voies de communication du dé|)artement sont : les
chemins de fer de Paris à Lyon et de Paris à Strasho-urg;
5 rivières, la Seine, l'Yonne, la Marne, I'Ourcq et le
Grand-Morin; 3 canaux, ceux de Coruillon, de Loing et
I'Ourcq; 10 routes impériales, 27 routes départementales,
9,651 chemins vicinaux.
Le chef-lieu du département est Me i m n; les villes et
endroits principaux -. Fon taineblea u ; 31e a ux ;
Provins; Mon tere aux-FauU-Y o nue ; Coulom-
miers , sur le Grand-Morin, paraît devoir son origine à
une église dédiée à saint Denis. L"ile formée par ia rivière
renferme l'église d'un ancien couvent de capucins, d'une
architecture élégante. On y compte 4,527 habilanls ; Z,a
Fert é-s o a s-Jou arre; I\ e m o u rs, Chdteau-Lan-
don; Brie- Comte- Jiober t , au milieu d'un pays ferlile,
près de l'Yères , et qui était autrefois fortifiée et défendue
par un chûteau dont la dernière tour a élé démolie en 1830;
l'église est élégamment bâtie et date du treizième siècle :
on y compte 2,7IC habitants; Lagnij ; Lu-Chapelle-sur-
Créctj, village où l'on voit une des plus belles églises du dé-
partement a|)rès celle de Meaux, et un vieux château de
Sully; Chelles , bourg où les rois de la première race
possédaient un manoir, dans lequel Chilpcric fut assassiné,
en 584 : il possédait aussi une des plus riches abbayes du
royaume, suppriujée et vendue en 1790; Fresne, où Man-
sard a construit une chapelle sur le modèle de celle du Val-
de-Grâce, et qui passe pour un chef-d'œuvre en ce genre;
Jouarre , bourg dans une situation délicieuse , sur une
érainence d'où l'on jouit d'une vue unique : il est célèbre
dans le pays par sa chapelle souterraine , dite sainte cha-
pelle de Jouarre; Juilly; Courpalais , village près du
quel s'élève le château de La Grange-Bléneau , séjour du gé-
néral La Fayette ; Moret , ville très-ancienne, où il se tint
un concile en 850 : elle est près de l'embouchure du canal
du Loing dans la Seine. Son vieux château et ses fortifica-
tions n'offrent plus que des ruines : l'église est un joli édi-
fice du quinzième siècle. On y compte 1,816 habitants.
C'est une station du chemin de fer de Paris à Lyon.
Oscar Mac-Carthy.
SEIIVE-ET-OISE ( Département de). Au nord , il est
borné par celui de l'Oise, à l'est par celui de Seine-et-Marne,
au sud par celui du Loiret , à l'ouest par ceux d'Eure-et-
Loir et de l'Eure. Il a été (orme du Hurepoix, du Mantois ,
du Parisis, du Vexin français et d'une partie de la Brie
française, pays de l'Ile-de-France. Divisé en 0 arrondis-
sements , 36 cantons , 684 communes , sa population est de
471,882 habitants. Il envoie quatre d('putés au corps légis-
latif, est compris dans la première division mihtaire, ressortit
à la cour impériale et à l'académie de Paris, et forme le diocèse
de l'évêché de Versailles.
Sa superficie est de 560,382 hectares, dont 367,824 en
terres labourables; 79,362 en bois ; 33,593 en prés; 18,972
en vignes; 9,285 en landes, pâtis, bruyères, etc.; 6,607 en
vergers, péi)inières et jardins ; 2,988 en propriétés bâties ;
798 en étangs , abreuvoirs, mares, canaux d'irrigation; 560
en oseraies, aulnaies, saussaies; 194 en cultures diverses;
23,667 en forêts , domaines non productifs ; 16,657 en rou-
tes, chemins , places publiques, rues , etc. ; 2,585 en rivièies,
lacs, ruisseaux ; 089 en cimetières, églises , presbytères , bâ-
timents publics, il paye 3,448,057 francs d'impôt foncier.
La partie méridionale de ce département participe de la
nature plate de la Beauce et du Gâtinais, et on y voit de
grandes et vastes plaines ; mais vers le nord le pays est
plus accidenté , et offre un mélange continuel de vallons
pittoresques et de grandes forêts. Les parties centrales,
au midi et à l'ouest de Versailles , jusqu'à Rambouillet et
Houdan , présentent même des mouvements de terrain très-
prononcés. Là s'étend cette jolie vallée deCbevreuse, par-
courue par l'Yvette , et dont les aspects sont quelquefois en-
chanteurs. La partie septentrionale est arrosée |)ar l'Oise et
parla Seine, qui parcourt aussi la partie orientale; dans
tout le reste coulent divers petits affluents de ce Ueuve, tels
que l'Orge , grossie de l'Yvette , l'Étampes , qui reçoit la
Juisne, la Mauldre et laBièvre. A l'ouest, on remarque de
nombreux étangs, dont les plus considérables sont ceux de
Samt-Qiieutin et de Trappes. Loin de là, près de Montmo-
rency , on voit le charmant étang d'Enghieu. Le sol de ce
département n'est pas en général très-fertile , mais les avan-
tages de tous genres qu'olfre à l'agriculteur le voisinage de
la capitale ont donné à l'aménagement des terres une perfec-
tion qui les fait rivaliser avec les terrains les plus produc-
tifs. Un établissement qui a eu une notable influence sur
cet état de choses est l'institut agronomique de Grignon,
près Versailles. Outre les grains, on y recueille une grande
quantité de fruits de toutes espèces , des légumes en abon-
dance, du chanvre , des fourrages. Les vins sont plus que
médiocres. Les deux cinquièmes sont livrés au commerce.
Les forêts sont disposées en plusieuis niasses considérables
connues sous les noms de forêts de Rambouillet, de Senart,
de Bondy , de i\!ontmorency et de Saint-Germain-en-Laye.
Les principales essences sont le chêne, le châtaignier, le
charme, le bouleau, le noisetier; le hêtre est assez rare. Ce
pays possède un assez grand nombre de pépinières, plusieurs
établissements pour la culture , la propagation du mûrier et
l'éducation des vers à soie. On y élève de bonnes espèces
de chevaux et du gros bétail , des moutons de race amé-
I liorée, ce qui est dû principalement aux ventes de bélier»
SEINE-ET-OISE ~ SEÏINE-INFÉRIEURE
et de brebis faites chaque année par la bergerie de Ram-
bouillet. Le gibier est devenu assez rare. Daus les étangs ,
on nourrit la truite, l'anguille, la carpe, le brochet et la
perche, que l'on pêche aussi dans les cours d'eau , avec
la tanche , le barbeau , la brème , le meunier , le gardon ,
le goujon et l'ablette, dont l'écaillé donne ce que l'on
appelle Vessence à'Orient, qui sert à la fabrication des
perles imitées. L'alose , le saumon et l'estiirgeon remon-
tent quelquefois la Seine jusque ici. En fait d'espèces vo-
latiles , cette contrée offre la buse , l'épervier, le chat-
huantjla chouette, le corbeau, la pie, le geai ; une grande
quantité de petits oiseaux , le bec-croisé, qui ne vient qu'en
hiver, des râles de genêt très-rares , et des oiseaux aquati-
ques en automne. L'exploitation minérale se borne à celle
des carrières et des tourbières. Parmi les produits très-con-
sidérables des carrières nous citerons : le grès , la pierre
meulière, de très-belle pierre de taille , la pierre à chaux ,
le gypse, la marne , la craie pour blanc de Meudon, le kaolin
et l'argile à poterie. On trouve des sources minérales à
Montlignon , à Orgeval ( dans une salle de l'ancienne abbaye
d'Abhecourt) et à Enghien, qui possède un établissement
très-commode et très- favorablement situé. L'industrie manu-
facturière dans ce département est très- importante et très-
variée. Ses principaux produits sont les fils de coton et
de laine , la bonneterie de coton , les tissus de coton , les
toiles peintes si renommées de la manufacture de Jouy, les
tulles , gazes et blondes , les porcelaines et les verres peints
delà célèbre manufacture impérialede Sèvres, les produits
chimiques de toutes espèces, les verres, les briques et tuiles,
l'huile de colza et le savon vert , le sucre de betterave ,
l'eau-de-vie, la bière et les farines. Les produits de l'indus-
trie métallurgique sont des limes et râpes, de la coutelle-
rie fine, de l'horlogerie de la manufacture de Versailles , des
cardes et des clous. Le mouvement commercial qui anime
ce département se rattache tout entier à celui dont Paris
est le centre; il n'y participe que pour l'approvisionnement
général decett^ capitale, où les produits de son agriculture
trouvent un débit aussi prompt que sur. Ses communica-
tions sont facilitées par les chemins de fer qui rayonnent
de Paris aux extrémités du territoire de la France , 3 ri-
vières, la Seine , la Marne et l'Oise, 26 roules impériales ,
52 routes départementales , 15,354 chemins vicinaux.
Le chef-lieu du département de Seine-et-Oise est Ver-
sailles; les villes et endroits principaux : Saint-Ger-
main-en- Laye; É lampes; Ponloise, Argen-
texiil; Sèvres; Mantes; Corbeil; Rueil, remar-
quable par sa belle situation , et dont l'église renferme
un monument élevé à Joséphine, première femme de
Napoléon, qui habita pendant longtemps le château de la
Malmaison, situé près de là, et où tlle mourut; Ram-
bouillet; Poissy ; Saint-Gloucl; Dourdun , duns,
ia riante et spacieuse vallée de l'Orge, s'annonce de loin par
les deux flèches de son église , semblables à celles de Char-
tres ; le château , construit dans le sixième siècle , existe
encore en partie, ce lieu a vu naître La Bruyère; Arpa-
jon, jolie petite ville, avec une halle très-vaste ; Gonesse ,
bourg fameux avant la révolution par son pain, et dont
l'église est d'un gotliique fort beau ; Hoiulan , sur la li-
mite du département de l'Eure : l'église, bâtie par Robert
le Pieux , est un des plus beaux monuments gothiques du
département; jVe«toi , au milieu de prairies et de coteaux,
sur la Seine ; Mon(fort-l' Amaury , bâti en amphithéâtre,
est dominé par les ruines pittoresques d'un vieux château :
on y remarque l'église; Montmorency ; Duc, village
dans un des sites les plus gracieux des environs de Paris,
et dont l'aspect est encore embelli par un bel aquebuc des-
tiné à conduire à Versailles les eaux de plusieurs étangs;
Sain l-C y r ; Marly ; Maisons-sur-Seine; Tliuer-
val , village près duquel se trouve la belle ferme expérimen-
tale de Grignon ; Tne^, bourg très-commerçant , dont
l'église est regardée comme un chef-d'œuvre d'architecture
gothique. Il est dans une des situations les plus pittoresques
91
ùiicomsdeAàSeine, Beaumont -sur-Oise ; Ecotien-
Enghien; Fr anconville , \o\\ homg dans la partie la
plus agréable de la vallée de Montmorency ; Saint- Gratien,
village remarquable par son château , où mourut le maré-
chal de Catinat : l'église renlérme son tombeau; Livry, vil-
lage fort ancien , sur le territoire duquel se trouve le do-
maine du Raincy ; Crosne , dans un petit vallon arrosé par
VYèves; Mont Ihér y; Champ- Moteux : YégWi^e parois-
siale renferme la tombe de l'illustre chanceUer de l'Hospital
et une statue de saint Michel, par M. Marochetti; Rosny ,
lieu natal de Sully : dans une Ile de la Seine s'élève le châ-
teau , qui devint à l'époque de ia restauration le séjour
favori de la duchesse de Berry ; Chevreuse , petite ville
célèbre par son antique château, ses barons et ses ducs. Il n'y
a pas de villages ou de localités de ce département, surtout
dans les parties centrales et septentrionales, qui n'oifrent un
château , une maison de plaisance ou une église dignes de
remarque. Leur énumération seule nous entraînerait beau-
coup trop loin. Oscar Mac- Cartuy.
SEINE-INFÉRIEURE (Département delà). Au nord,
il est baigné par la Manche; à l'est, il touche aux départe
ments de la Somme et de l'Oise ; au sud , à celui de l'Eure
et à celui du Calvados , dont il est séparé par la large em-
bouchure de la Seine, qui l'en isole tout à fait. L'un des cinq
formés de l'ancienne Normandie (partie orientale), il tire son
nom de sa position sur le cours inférieur de la Seine. La
surface de ce département est d'un aspect fort agréable.
Divisé en 5 arrondissements, 50 cantons, 761 com-
munes, sa population est de 762,039 habitants. Il envoie six
députés au corps législatif, est compris dans la deuxième di-
vision militaire, possède une cour impériale et un arche-
vêché, et ressortit à l'académie de Caen.
Sa supeificie est de 603,463 hectares, dont 378,017 en
terres labourables; 68,845 en bois; 61,173 en vergers, pé-
pinières, jardins; 28,024 en prés ; 18,273 en landes, pâtis,
bruyères, etc., etc.; 328 en étangs, abreuvoirs, mares,
canaux d'irrigation; 156 eu oseraies, aulnaies, saussaies;
24,876 en forêts, domaines non productifs; 14,143 en routes,
chemins, places publiques, rues; 5, 223 en rivières, lacs, ruis-
seaux; 737 en cimetières, églises, presbytères, bâtiments
publics. Il paye4,983,032 francs d'impôt foncier. En général,
la base du sol est un plateau, dans lequel trente à quarante
petites rivières se sont creusé des vallons et des vallées, sé-
parés par des plaines, souvent fort étendues. Au fond de la
vallée, partout où l'eau peut être amenée sans tra^iil, l'œil
n'aperçoit que des prairies ; sur des pentes, jusqu'à l'endroit
où la charrue ne peut plus agir, on ne voit que des terres
arables, des champs cultivés: au-dessus de ces lieux, sur
les crêtes , des bois qui cessent dès que le plateau devient
cultivable. La Seine, qui arrose la partie méridionale du
département, est son courant principal; une partie des autres
rivières vient lui apporter le tribut de ses eaux , le reste
coule vers la Manche. Celles-ci sont les plus importantes;
quoiqu'elles aient un cours assez long , elles sont cependant
peu larges, parce que leurs affluents sont fort peu nombreux
et que quelquefois elles n'en ont même pas; du reste, elles
s'harmonisent parfaitement avec ce qui les entoure par leur
cours compassé et symétrique. Les plus importantes sont la
Bresle, l'Arques et son affluent la Béthune, la Saane. Parmi
celles qui se jettent dans ia Seine, nous citerons la Lézarde,
qui passe à Harfleur, la Cailly, l'Andelle et l'Epte, pour
leur cours , et la Cailly , TAubette et la Robec passant à
Rouen, pour l'utilité de leurs eaux, qui mettent en mouve-
ment un grand nombre d'usines, surtout la dernière. La
constitution atmosphérique du département est plutôt froide
que tempérée , soumise à des variations brusques et fré-
quentes, et à des intempéries plus ou moins longues, qui don-
nent souvent à une saison la température d'une autre. Le
territoire est très-varié et en général très-fertile : il permet
de tenter tous les genres de culture. L'histoire fait môme men-
tion de vignobles dans ces cantons. C'est un pays à grains cJ
à i)rairies. Cependant, toutes les parties n'en sont pas éga-
92
SEINE-INFÉRIEURE — SEING
lement productives. Les contrées du centre et de l'est sont
celles que l'agriculture exploite avec le plus d'avantages.
La première (ournit la majeuie partie du (romeut, de l'orge,
du seigle et de l'avoine, récoltés dans le département ; la se-
conde est connue par ses riches prairies et ses gras pâtu-
rages. Les cantons maritimes, quoique inférieurs aux autres,
dédommagent cependant le cultivateur de ses travaux par
les lins, les rabeltes et les colzas que l'on y récolte. La
contréedes bords de la Seineest la moins productive de toutes,
soit à cause de la nature sablonneuse de son sol, soit parce
que l'agriculture y est en quelque sorte subordonnée à l'in-
dustrie, qui lui dispute pour ainsi dire pied à pied le terrain
et lui enlève bon nombre de bras nécessaires à la culture.
Toutes les fermes sont tenues sur le meilleur pied ; des cein-
tures de hautes futaies, d'épais rideaux de beaux arbres,
les annoncent de loin au voyageur, mettent à l'abri des
Tents les bâtiments et les terres , et fournissent abondam-
ment au chauffage du fermier. Le parcage des moutons,
les fumiers, les marnes et la poudrette, le plâtre pour les
prairies, sont généralement employés comme engrais; et,
selon que les lieux le permettent, les vases de mer, les
algues, les varechs, et autres plantes marines. Le cidre est
la boisson généralement en usage; aussi les pâturages sont-
ils presque toujours plantés en pommiers , que l'on a placés
à l'abri du ravage des vaches et des bœufs en mettant
ceux-ci dans l'impossibilité de lever la tête assez haut pour
y atteindre, au moyen d'un joug ■c\\)[}e\é martingale. On cul-
tive aussi dans quelques cantons le pommier à fruits man-
geables , et le pays de Caux, entre autres, donne une espèce
de pommes très- recherchée pour la table et pour la con-
fection de ces excellentes gelées dont Rouen est en posses-
sion. Les massifs de bois les plus remarquables sont les
bois de Rouvray, l^oumard, Brolonne, Bray, Eu, Eawy et
la forêt de Lyons, dont une partie est dans le département
de l'Eure; toutes sont sur les bordsde la Seine. Les prairies
artificielles suppléent dans quelques cantons au défaut de
prairies naturelles, ou à leur insuffisance dans les lieux où
l'éducation du bétail demande beaucoup de fourrages. Il
se fait dans le département une élève très-considérable de
chevaux, de gros bétail et de moulons; on y trouve de nom-
breux troupeaux de mérinos et un plus grand nombre en-
core de race améliorée ; des volailles en grande quantité.
Outre les poissons communs dans la Seine, comme la carpe,
la tanche, le barbeau, l'anguille, la lamproie, le brochet, on
trouve dans la Seine-Inférieure l'alose, la brome, la feinte,
l'éperlan, la loche, le saumon, les truites, etc. Les pois-
sons les i^Jus communs sur les côtes sont les diverses espèces
de raies, le turbot, la barbue, la sole, le maquereau, le
merlan et le hareng. On y pêche aussi des crabes, des écre-
Tisses de mer, grandes et petites, des huîtres et des moules.
La minéralogie de ce département est celle d'un pays re-
posant entièrement sur des roches calcaires. La seule bran-
che considérable de l'exploitation minérale est celle des
carrières, dont les produits consistent en marbres , grès à
paver, pierre à bâtir, marne, craie, argile à poterie et sable
pour verreries; exploitation de tourbe et de terres pyri-
teuses. Les eaux minérales ferrugineuses et salines sont
abondantes , elles surgissent en treize endroits différents; les
plus renommées sont celles de Forges, assez fréquentées.
Son industrie assigne au département de la Seine-Inférieure
une des premières places parmi ceux de l'empire. L'habitant
y est en même temps agriculteur et fabricant, surtout aux
environs de Rouen, où la même main qui vient de tracer un
sillon achève une étoffe aux mille couleurs. Les deux prin-
cipales branches de l'industrie sont la pêche et la salaison du
poisson, la filature, et le tissage du coton et de la laine. De
nombreuses fabriques livrent au commerce des quantités
de ces tissus si connus sous le nom de rouennerïes , et
qui s'exportent dans le monde entier, des toiles peintes, des
calicots; viennent ensuite les ci-lèhres draps d'Eibcuf et
d'autres tissus fabriqués, tulles, foulards et velours de soie.
Des étabUssements très-nombreux aussi sont les fabritiues
de couleurs et de produits chimiques divers, de machines et
mécaniques, de cardes servant à préparer la laine et le co-
ton, demouvementsdependule, de diverses espèces de col-
les, etc.; et on y voit en outre de nombreuses blanchisseries,
des teintureries de coton , laine et fil ; tanneries , raffineries
d'huile et de sucre, briqueteries, faïenceries, fonderies de
métaux, foursà plâtre et à chaux, poteries, taillanderies, tui-
leries et verreries, moulins à ahzari, à huile, à indigo, à tan;
des papeteries, des tanneries, etc. Les ports de pêche sont ceux
de Dieppe, Fée amp, Saint-Val eryet le Tréport. On ré-
colte sur quelques points de la côte du varech pour soude et
surtout pour engrais. H y a peu de contrées plus favorable-
ment situées que le département de la Seine-Inférieure pour
le commerce, à l'embouchure d'un fleuve navigable qui lui
apporte toutes les productions de son riche bassin , baigné
par la mer, qui lui ouvre de nombreux débouchés, et à peu
de distance d'une grande capitale où il trouve la consom-
mation d'une partie des nombreux produits de son industrie.
Son commerce intérieur est favorisé par le chemin de fer de
Paris à Rouen, au Havre et à Dieppe, douze routes impériales
et seize dépaitementales. Le centre de ses relations loin-
taines est Le Havre, devenu l'une des premières villes ma-
ritimes de France. Le chef-lieu du département est Rouen;
les villes et endroits principaux. Le Havre, Dieppe, El-
bevf, Bolbec, Neufchâtel et Yvetot, Fée amp,
Ingouville, bâti en amphithéâtre sur la côte qui domine Le
Havre , dont ce lieu est regardé comme un faubourg ; il ne
se compose en grande partie que de maisons de plaisance
des habitants de cette ville ; Varnetal, petite ville, très-ma-
nufacturière, située dans le voisinage de Rouen, sur les deux
rivières de Robec et d'Aubette ; l'une de ses églises est
d'architecture moderne et a un clocher isolé comme les
cnmpanillps italiennes; Saint-Valery -en~Caux,
Eu, Caudebec ; Le Tréport , bourg maritime à l'einbou-
chure de la Bresle, et dont la décadence date de l'accrois-
sement de Dieppe et de Saint- Valéry ; Aumale, Forges-
les-Eaux, Harjleur, Lillebonne; Belbcuf, près de
Rouen , ancien et magnifique château, dont le parc est très-
fréquenté dans la belle saison ; Blosseville- Bon-Secours ,
célèbre en Normandie par sa jolie chapelle gothique; La
Bouille, auquel se rattache la chronique merveilleuse de
Robert le Diable ; Jumiéges, où l'on voit les ruines de l'an-
cienne et splendide abbaye de Jumiéges; Salnt-Martin-de-
Bosckerville , qui n'a conservé de son ancienne abbaye de
bénédictins qu'ime église d'architectnre à plein cintre, d'un
aspect tout particulier; le Grand- Quevilly, avec une église
du môme style très-bien conservée; Arques; Varangeville,
où l'on voit les restes du manoir d'An go, l'illustre et puis-
sant marchand de"Dieppe; Sainte- Adresse, près duquel
s'élèvent les deux beaux phares du cap de La Hève ; Tan-
carville, àommé par les ruines pittoresques de l'ancien châ-
teau des barons de Tancarville; Saint-Saens,boiiTg(]iû passe,
dans un pays où les femmes sont généralement belles, pour
la terre classique des beautés de la contrée; Allouville, cé-
lèbre par un chêne de huit à neuf cents ans, qui a huit
mètres de circonférence à hauteur d'homme, et dont l'inté-
rieur renferme une petite chapelle dédiée à la Vierge; Saint-
Vandrille, qui doit son origine à une abbaye, aujourd'hui
en ruines, et qui était jadis l'une des plus considérables de
la Normandie. Oscar Mac-Carthy.
SEIXG, du latin signum, signe. On appelait ainsi au-
trefois un signe, une marque, apposés au bas d'un acte,
et consistant le plus souvent en une croix, symbole du
serment d'observer ce à quoi orf s'engageait. Plus tard , au
signe de la croix on substitua des monogrammes qui ser-
vaient tout à la fois de signature et de sceau. Aujourd'hui
encore plusieurs millions de Français, ne sachant ni lire ni
écrire , sont réduits à apposer, au lieu de leur nom , un«
simple croix au bas de leurs lettres, actes ou promesses, etc.,
pour les certifier et les rendre valables. On appelle blanc
seing un papier signé d'avance et qu'on confie à un tiers
pour le remplira volonté. Malgré les inconvénients auxauels
SEING — SEL
93
ils peuvent donner lieu, ils n'ont point été proliibés par le
Code Civil ; et le Code Pénal en punissant ceux qui en abu-
sent suppose nécessairement qu'ils sont permis en eux-
mêmes. Par actes sous seing privé on entend ceux qui ne
sont pas passés en présence d'officiers publics. En général,
toutes les transactions de la vie civile peuvent être faites
sous seing privé. 11 en est pourtant qui ne peuvent être
faites que par acte autlientiqiie : ce sont les contrats de ma-
riage , les donations , les actes respectueux, les constitutions
d'hypothèques, les sociétés anonymes, les emprunts avec
subrogation , etc., lesquels ne sont pas valables quand ils
sont laits uniquement sous seing privé. Les actes sous seing
privé ne sont assujettis à aucune forme léf^aie , à aucune des
règles qu'on doit observer pour les actes notariés. Un arrêt
de la cour de cassation a même décidé qu'on ne devait pas
leur appliquer la disjjosition qui ordonne d'approuver les
ratures. Les parties peuvent charger des tiers de rédiger
leurs actes sous seing privé ; seulement il est d'usage, lors-
qu'elles en ont confié la rédaction à une main étrangère,
qu'elles mettent au bas : Approuvé l'écriture ci-dessus.
Ces actes doivent porter la signature des parties qui s'y
obligent. Les personnes qui ne savent signer ne peuvent
y apposer de croix en guise de signature, les officiers pu-
blics ayant seul pouvoir de recevoir les actes des parties qui
ne savent ou ne peuvent pas signer. Tout acte sous seing
privé contenant des conventions synallagmatiques n'est va-
lable qu'autant qu'il contient la mention expresse qu'il en a
été fait autant d'originaux qu'il existe d'intérêts distincts.
Comme tous autres , ces actes sont soumis an timbre ; et
il n'y a que la formalité de l'enregistrement qui puisse leur
donner une date certaine et authentique. Les tiibunaux
doivent même rejeter d'un procès les actes qui ne seraient
pas enregistiés.
SEIZE ( Faction des ). Voyez Ligue, tome XII, page 328.
SÉJAN, jElius Sejanus, natif de Yolsinii, chevalier
romain et préfet du prétoire, le favori du soupçonneux
Tibère. Pour accroître sa propre puissance, il détermina
l'empereur à réunir à Rome même les cohortes prétoriennes
dans un camp retranché; mesure qui exerça une si puis-
sante influence sur les destinées ultérieures de l'empire ro-
main. Amant de Livie, femme de Drusus, fils délibère,
il se débarrassa de ce prince par le poison. Plus tard, Agrip-
pine, veuve de Germanicus , et deux de ses fils, Néron et
Drusus , périrent aussi à son instigation. En l'an 26 Tibère,
d'après ses conseils , se retira dans l'île de Capri , pour
pouvoir se livrer sans contrainte à ses débauches. Alors ce
fut lui qui régna à Rome comme représentant de l'empereur,
lâchement adulé par le sénat et poursuivant cruellement
ceux qui paraissaient jouir de quelque popularité. Il était à
la veille de se faire proclamer empereur lui-même, quand
Tibère conçut quelques soupçons contre lui et donna l'ordre
de l'arrêter et de le mettre à mort. Ses parents, ses en-
fants, ses amis, et jusqu'à Livie, dont il avait vainement
demandé la main à l'empereur, furent enveloppés dans sa
catastrophe.
SÉJAIV (Nicolas), organiste célèbre, né à Paris, en
1745, mort en 1819, étudia sous la direction de Focqueray,
organiste de Saint-Merry, et annonça de bonne heure des
dispositions rares pour l'improvisation. Le succès qu'il ob-
tint à la réception de l'orgue de Saint-Sulpice, en 1781, lui
valut, quelques années après , sa nomination à la place d'or-
ganiste de celte église. A la formation du Conservatoire il
fut choisi pour professeur d'orgue, et en 1815 il fut nom-
mé organiste de la chapelle royale. iSIalgré son talent et ses
succès, il mourut dans un état voisin de l'indigence. Bien
que cet artiste eût un talent très-remarquable et une ima-
gination féconde, il était loin cependant de posséder au
même degré que les grands organistes allemands la science
de la composition. Ce qui reste de lui est même médiocre ,
et quelques fugues gravées sous son nom sont au-dessous
de sa réputation. Séjan fut le dernier et peut-être le plus
habile représentant de cette école d'orgue qui brilla dans le
dix-huitième siècle, et qui, en transportant sur cet instru-
ment le style léger et le goût de la musique de clavecin , a
soumis aux caprices de la mode et anéanti progressivement
celte branche importante de l'art musical.
F. Danjou.
SEL, dans son acception vulgaire, est le nom donné au
chlorure de sodium; on l'appelle aussi sel marin, gros
sel, sel de cuisine, sel gemme, etc. On l'extrait par l'éva-
poiation de l'eau de la mer et des sources salées , et aussi
de la terre , où il se trouve en grandes masses solides. La
première manière d'obtenir le sel ( par l'évaporation natu-
relle des eaux de la mer ) a fourni longtemps en France la
presque totalité du sel consommé, qui est donc du sel ma-
rin (vogep Salines). Quelques sources salées, la plupart
faibles en salure, n'approvisionnant qu'un étroit rayon, et
presque toutes, assujetties à des conditions onéreuses de fa-
brication , méritent à peine de fixer l'attention des produc-
teurs, des consommateurs et du gouvernement. Il n'en est
pas de même des mines de sel, d'une richesse inépuisable ,
découvertes dans l'est et dans les Basses- Pyrénées.
Le sel de cuisine est un objet de première nécessité; il
entre dans presque toutes les préparations faites pour la
nourriture de l'homme. Le pauvre, qui ne peut le rem-
placer par aucun autre condiment, en a besoin plus que les
classes aisées : la plupart des viandes et des racines dont il
se nourrit seraient à peine comestibles sans l'addition d'une
certaine quantité de sel. L'agriculture, de son côté, le ré-
clame. Comme amendement dans les terres , il est d'une
utilité incontestable : la mauvaise qualité des fourrages dans
une partie de la France serait avantageusement modifiée par
le mélange du .sel ; partout il deviendrait d'une grande utilité
pour la santé et l'engrais des bestiaux. Malheureusement le
droit de consommation , qui est une charge énorme pour
les classes laborieuses , ne permet pas au cultivateur d'ap-
pliquer le sel aux divers besoins agricoles.
Ce condiment, que nous venons de voir si nécessaire à
la vie animale de l'homme , si utile dans une foule de cir-
constances, paye au trésor chaque année un droit de con-
sommation qui varie de 55 à 60 millions. Pris dans les
marais salants , il coûte à l'acquéreur moins de deux cen-
times le kilogramme ; l'acquittement des droits et le béné-
fice des intermédiaires élèvent ce prix à cinquante centimes
(dans le commerce de détail). Et encore l'impôt était-il
bien plus considérable avant 1848. Aboli à cette époque
par un décret du gouvernement provisoire, cet impôt a été
rétabli par une loi du 28 décembre 1848.
L'exiiloitation des mines de sel et des marais salants est ré-
glementée par la loi du 26 juin 1840, dont les dispositions
générales soumettent ces exploitations à l'obtention préalable
d'une concession et à l'observation des conditions appliquées
aux mines. Les concessionnaires et fabricants sont tenus
de livrer annuellement à la consommation un minimum de
cinq cent mille kilogrammes de sel. La loi du 17 juin 1850
et le décret du 17 mars 1852 complètent cette législation :
le raffinage du sel s'y trouve réglementé.
Sel , dans l'acception scientifique , a un sens beaucoup
plus étendu; il désigne tous les composés dans lesquels en-
trent un ou deux acides, et une ou plusieurs bases. Est sel ,
selon Berzelius , tout composé dont les éléments , quel que
soit leur nombre , anéantissent réciproquement, d'une ma-
nière complète, leurs propriétés électro-chimiques. Un sel
qui contient deux bases est appelé sel double; un sel où la
base et l'acide se neutralisent exactement, sel neutre; un
sel ou la base est en excès, sous-sel; un sel où l'acide est
en excès , sur -sel. Lei sur-sels rougissent la teinture de
tournesol ; les soM5-se/.5 alcalins verdissent le sirop de vio-
lette , et ramènent au bleu l'infusion de tournesol rougie
par un acide. La noinenclatu re chim i q ue a ramené
à des dénominations uniformes tous les sels produits natu-
rellement ou dans les laboratoires.
Le mot sel s'emploie aussi dans une acception figurée ,
Ou dit : « 11 Y a du sel dans cet ouvrage, » c'est-à-dire , On
94
SEL — SELÉMUM
y trouve une i)laisanteriefineet un peu satirique. Le sel at-
tique est le sens droit et fin , le goût délicat qui ont fait ad-
mirer les productions littéraires de l'antiquité grecque. Le
sel est le symbole de la sagesse. Dans l'Écriture , Jésus-
Christ dit à ses apôtres : « Qu'ils sont le s&l de la terre , «
pour signifier que c'est à eux de préserver les hommes de la
corruption du siècle. P. Gaubert.
SEL (Esprit de).Foyc2 Chlorhydrique (Acide).
SEL ADMIRABLE. Votjez Glauber (Sel de).
SÉLAGITE. Voye::. Diorite et Épidote.
SEL ALCAL1-ML\É1\AL. Voyez Borax.
SELÂM signifie en arabe la paix. Les mots Selâm
Aleika ! ( que la paix soit sur vous ) sont la façon OTtlinaire
de s'aborder des musulmans; et c'est de laque provient l'i-
dée de salut et d'envoi de salut k un absent, qui y est gé-
néralement attachée. En raison de l'extrême jalousie avec
laquelle les Orientaux surveillent leurs femmes et leurs filles,
il était dangereux d'envoyer directement des salutations à
une maîtresse renfermée dans un harem. On se servit donc
de bonne heure à cet effet des fleurs et d'autres objets en-
core, auxquels on attacha conventionneilement un certain
sens, afin d'exprimer ses sentiments et ses vœux. De là vient
que nous employons le mot selam comme synonyme de
langage des fleurs. M. de Hammer a donné un catalogue
de fleurs, etc., avec leur sens le plus profond, en vers turcs.
Voyez Fleurs ;( Langage des).
SELAMLIK. Voyez Harem.
SEL AMMONIAC. Voyez Am!\ioniaque„
SELAIVDE. Voyez Séelande.
SEL DECARLSBAD. C'est du sulfate de sonde (foz/es
Carlsbad, t. IV, p. 491).
SEL DE CUISINE. Voyez Sel.
SEL DE GLAUBER. Voyez Glauber (Sel de).
SEL DE PERSE. Voyez Borax.
SEL D'ETAIN , nom vulgaire du protochlorure d'é-
lain ( voyez Chlorure ).
SEL DE TARTRE. Voyez Potasse et Tartre.
SELDJOUCÎDES (Les), famille turque, originaire de
la Boukharie, et qui aux onzième et douzième siècles fonda
diverses dynasties en Mésopotamie, en Perse, en Syrie et
dans l'Asie Mineure. Dans le nombre, on distingue surtout
les suivantes : 1" la dynastie des Seldjoucides d'Irdn ou
de Bagdad, qui régna à Bagdad et à Ispahan. Ce fut la plus
puissante de toutes et celle qui produisit les princes seld-
joucides les plus célèbres. Elle eut pour fondateur Togroul-
Beg, prince belliqueux, petit-fils de Seldjouk , qui, en l'an
1038 de notre ère, s'empara de la province persane de
Khoraçan, prit le titre de sultan, obtint du Khalife de
Bagdad la dignité de gouverneur général ou à'émir-al~
omrah, et épousa la fille de ce khalife. Il mourut en 10G3,
et parmi ses successeurs on distingue: Alp-Arslan
(1063-1073), qui vainquit l'empereur grec Romain, et le
fit prisonnier; il/e/e/î-S/m/« ( 1073-1093 ), qui eut pour mi-
nistre Nisam-el-jMoiilk , homme qui rendit des services
essentiels aux études scientifiques ; Mohammed-Shah ,
(1105-1118), qui fit la guerre avec succès dans les Indeset
contre les croisés ; Sandshar , qui régna de 1 118 à 1 1 58 , et
fut l'un des plus célèbres princes mahométans. Cette dy-
nastie s'éteignit en 1 194, avec Togroul-Shah , qui fut vaincu
par Tekesch, sultan de Kbarizm. 2° La dynastie des Seld-
joucides de Kennân (Caramanie), qui régna dans les trois
provinces de Kermân , et qui eut moins d'importance que
la précédente. Fondée par Kaderd, neveu de Togroul-Beg,
à qui celui-ci confia, en l'an 1039, l'administration de ces
provinces, elle subsista jusqu'en 1091. 3° La dynastie des
Seldjoucides d'yl^cp en Syrie, fondée en 1079, parToutoush,
frère de Malek-Shah, et à qui celui-ci confia l'administration
de la Syrie ; elle s'éteignit en 1114. 4° La dynastie des Seld-
joucides de Damas en Syrie , fondée en 1096, par Dekkâk ,
fils de ïoutoush , qui s'empara de la ville de Damas, et dont
les successeurs régnèrent jusqu'en 1155. h" La dynastie des
Seldjoucides d' Iconium, ou de l'Asie Mineure, qui établit
son siège à Iconium ou Konieh,dans l'Asie Mineure. Elle
fut fondée par Soliman-ben-Koutouimisch, l'un des petits-
fils de Seldjouck , à qui le sultan Kaiek-Shah abandonna,
en 1075, un territoire dans l'Asie Mineure; et ce hitcellequi
se maintint le plus longtemps. Sous le règne d'Alla-ed-Din II,
l'un des derniers princes de cette dynastie , le Turc Osman
se distingua comme grand capitaine. Ce lurent ses descen-
dants qui fondèrent la dynastie d'Osman en Asie Mineure,
dans la contrée même où avaient jusque alors régné les Seld-
joucides. Consultez [' Histoire des Seldjoucides , écrite en
persan par Mirchond. Vullers l'a traduite en allemand (Gies-
sen, 1838).
SEL D'OSEILLE, nom vulgaire du bioxalate de potasse
(voyez Oxalate).
SELENE, la déesse delà lune chez les Grecs, la Luna
des Latins, était fille d'Hypérion et de Théia , et sœur d'Hé-
lios; c'est pourquoi on l'appelait aussi Phcbé. Comme à son
frère, on lui attribuait un char attelé de deux chevaux blanc» ^
ou de vaches marines blanches , ou encore de mulets
blancs. Plus tard , elle fut identifiée avec Artémise (Diane) ,
laquelle toutefois différait de Selênê par sa virginité. Elle eut
d'En dy mi on cinquante filles, et de Zeus Pandia et Ersê(la
Rosée ). Au point de vue de l'art, Selênê ne se distinguait d'Ar-
témise que par un vêtement plus complet et le voile eu
forme d'arc qu'elle portait sur la tète. Elle est surtout con-
nue par les reliefs d'Endymion.
SÉLÉNHYDRIQUE (Acide). Il se compose d'hydro-
gène et de sélénium ; il est sans couleur. Respiré à une
très-petite dose, il produit des effets extraordinaires; les
yeux deviennent rouges, et l'odorat disparaît; un rhume
très-fort se déclare en même temps , accompagné d'une
toux sèche et pénible. L'acide sélénhydrique se prépare
comme Wacide sulfhydrique.
SÉLENIATE, sel composé d'acide sélé nique et
d'une base. Les séléniates se préparent comme les sulfates ,
auxquels ils ressemblent autant par leur composition que
par leurs propriétés physiques et chimiques.
SÉLÉNIEUX (Acide). Formé d'un équivalent de sé-
lénium et de deux équivalents d'oxygène , cet acide est
un corps solide , cristallisant sous forme de longues aiguilles
tétraèdes. Sa saveur est caustique , son odeur nulle. Il est
très-soluble dans l'eau et ralcool. Soumis à l'action de la
chalpjir,,il fond et se volatilise sans se décomposer.
SÉLÉNIQUE (Acide). Cet acide, formé d'un équiva-
lent de sélénium et de trois équivalents d'oxygène, est
liquide, caustique, inodore, et contient toujours de l'eau.
Il est analogue à l'acide sulfurique.
SÉLÉNITE, sel formé d'acide sélénieux et d'une
base. Les sélénites sont un peu plus stables que les sulfites,
avec lesquels ils sont isomorphes.
SÉLÉNIUM. La découverte de ce corps date de la fin
de 1816; elle est due au célèbre Berzelius, qui le rangea
parmi les métaux , à cause de quelques caractères physiques
qui semblent l'en rapprocher; mais les chimistes français
n'ont pas partagé cette opinion, et l'ont placé immédiatement
après le souire, métalloïde avec lequel il a la plus grande
analogie.
Le sélénium est extrêmement rare : on ne l'a trouvé qu'à
l'état de combinaison avec le cuivre dans la pyrite de Fahlun ,
avec le cuivre et l'argent dans un minerai nommé par Berze ■
lius eiikairile ; enfin, avec le cobalt et le plomb, le plomb
et le cuivre, le plomb et le mercure, dans la partie orientale
du Hartz, près de Zorge et de Tilzerode. Stromeyer paraît
l'avoir rencontré également dans une variété de soufre rou-
geâtre de Lipari , qu'il a appelée soufre sélénifère.
Ce corps a une couleur gris noirâtre; il est dur, cassant,
sans odeur ni saveur. Quand il est frotté, il acquiert le bril-
lant métallique, mais ne s'élcctrise pas. Si on le fond et le
refroidit rapidement, il se prend en une masse polie, bril-
lante, dont la cassure a l'aspect de celle du plond); c'est
ce caractère qui l'avait l'ait placer par Berzelius au rang des
métaux. Ce que ce corps présente de singulier, c'est que cet
SELENIUM — SELEUCUS
95
éclat métallique semble tenir au mode de refroidissement
emplojé; car si, au lieu de le refroidir rapidement, on le laisse
se solidifier avec lenteur, il ne présente plus les mêmes ca-
ractères; sa surface, de brillante qu'elle était, devient ra-
boteuse et grenue.
Le sélénium ne cristallise qu'avec une extrême difficiiUé,
et Berzelius lui-même n'a pu déterminer sa forme cristal-
line. Lorsqu'on le réduit en poudre, il a d'abord une couleur
grise; mais si l'on en fait une poudre encore plus ténue , il
prend une couleur rouge foncé. Soumis à l'action du feu , il
se ramollit, puis entre en fusion un peu au-dessus de 100°.
Si on le laisse refroidir, il redevient mou , et si on le prend
dans cet état, il peut se pétrir entre les doigts comme de la
cire d'Espagne et se tirer en lils translucides , élastiques ,
d'un aspect rouge vus par transmission , et gris avec le
brillant métallique quand on les examine par réflexion. Si ,
lorsque le sélénium est fondu, on élève davantage sa tempé-
ratuie , on peut le faire entrer en ébullition au-dessous de la
chaleur rouge, et le transformer en un gaz jaune foncé, qui
se condensera dans le récipient sous la forme de goutte-
lettes noires si l'on a employé un appareil distillatoire ; mais
si l'on vient à adapter un récipient d'une grande capacité,
qui par conséquent refroidisse rapidement les vapeurs de
sélénium , ce dernier se déposera alors sous forme d'une
poudre d'un rouge vif et d'une ténuité extrême.
Le sélénium en se combinant avecl'oxygène forme l'acide
se léni eux et l'acide se lé ni que. Quant à sa combinaison
avec les métalloïdes et les métaux , elle a été peu étudiée ;
on sait seulement qu'il se rapproche beaucoup du soufre
pour son affinité chimique, et que toutes les fois que le
soufre pourra se combiner avec un corps le sélénium s'y
combinera également.
La préparation du sélénium se fait avec les séléniures mé-
talliques, que l'on transforme en chlorures de sélénium :
ceux-ci, mis en contact avec l'eau, sont transformés en
acides chlorhydrique et sélénieux; puis en ajoutant à cette
liqueur un peu d'acide chlorhjdrique, pour en augmenter la
proportion , et du sulfate d'ammoniaque , on voit bientôt le
sélénium se déposer sous fonne pulvérulente. Dans ce cas
l'acide chlorhydrique décompose le sulfate d'ammoniaque et
s'empare de la base, tandis que l'acide sulfureux, mis en
liberté, s'empare de l'oxygène, de l'acide sélénieux, et pré-
cipite le^sélénium. C. Favrot.
SÉLÉNOGRAPIIIE (du grec SeXi^v/), Lune, et vpàçw,
je décris, description delà Lune). On appelle ainsi les traités
spéciaux relatifs aux mouvements de la Lune, aux taches ou
points remarquables qu'on y distingue, et à l'égard desquels
les savants sont naturellement réduits à ne présenter que des
hypothèses plus ou moins vraisemblables ( voyez Luxe). Ne-
velius a fait des taches de la Lune le sujet d'un grand ouvrage
intitulé : Selenog raphia, et imprimé en 1647.
SELEUCIDES ( Les ). On désigne sous ce nom une
famille de souverains de la Syrie, descendants de Seleu-
cus Nicator, qui régnèrent de l'an 3i2 à l'an 64 av. J.-C.
Elle fournit à l'histoiie une longue succession de rois, mais
pour la plupart plongés dans la mollesse et la volupté, et qui
ne surent pas conserver la grande puissance qu'ils tenaient
de leur ancêtre. Les successeurs immédiats de Seleucus Ni-
cator, An (iochu s leroaSoler, Antiochus II, Seleucus II
et Seleucus III , commirent une faute immense en voulant
établir avec l'Europe des relations trop intimes et fonder un
État gréco-macédonien dans des villes d'origine nouvelle, au
lieu de se concilier l'attachement des populations asiatiques
en les gouvernant du centre de leur empire et d'après les
formes qui conviennent aux mœurs de l'Orient. 11 en résulta
qu'une grande partie de ces populations finirent par se ré-
volter.
En vain Antiochus III, dit Ze Grand (del'an 287 à l'an
224 av. J.-G.), s'efforça d'arrêter de sa main vigoureuse
la chute de cet empire si vaste; bientôt survinrent des
circonstances moins favorables, qui, à partir du règne
d'Antiochus IV, surnommé i?p?p/ia/?e, accélérèrent de
plus en plus la chute des Séleucides. Ce qui y contribua sur-
tout, ce fut l'invasion victorieuse des Parthes et des Bac-
triens d'une part, et de l'autre la politique romaine, toujours
attentive à soigneusement nourrir les liaines et les guerres
intestines entre les Ptolémées , les Séleucides et les rois de
l'Asie Mineure. Les habitudes voluptueuses d'une cour cons-
tamment plongée dans les plaisirs énervèrent d'abord l'ar-
mée; puis les extorsions de tous genres auxquelles les po-
pulations furent en proie pour fournir au luxe désordonné
des princes finirent par épuiser toutes les forces vitales de
l'État. On vit alors se produire sans cesse de sanglantes con-
testations entre les divers prétendants- au trône, et l'empire
des Séleucides en fut à la longue tellement affaibli, qu'il finit
par se trouver réduit à la Syrie proprement dite. Dès lors il
ne fut pas difficile à Cneius Pompée d'en faire définitivement
une province romaine , l'an 64 avant J. C.
La dynastie des Séleucides a donné son nom à une ère
qui date de la victoire remportée à Gaza par Seleucus Ni-
cator, et de la prise de Babylone, c'est-à-dire du 1^'' octobre
del'an 212 av. J.-C, et qui fut extrêmement répandue en
Orient, notamment parmi les Juifs. De nos jours encore, elle
est en usage parmi les chrétiens de la Syrie et parmi les
Arabes sous la dénomination de/a?iA Roiimi ou tarik Dhyl-
karnaïm.
SÉLEUCiE , nom commun à i)liisieurs villes fondées
en Asie par Seleucus Nicator, et dont deux furent par-
ticulièrement célèbres. La plus importante était située en
Babylonie, au voisinage du Tigris, sur les bords d'un canal
qui reliait l'Euphrate au Tigris. Celte position, éminemment
favorable, en fit le centre du commerce de la Babylonie; et
à l'époque de sa grande prospérité on y comptait plus de
600,000 habitants. Sous Adrien, elle fut pillée et en partie ré-
duite en cendres par l'un des généraux romains. Elle souffrit
encore davantage sous les règnes postérieurs; et au temps
de l'empereur Sévère ce n'était plus, comme Babylone, qu'un
amas démines. Ces ruines, qui existent encore, sont con-
nues sous le nom û'El-Madaùi, et sont situées à environ
35 kilomètres de Bagdad.
SÉLEUCIE en Syrie , surnommée Pieria, située à peu do
distance de la mer, au nord de l'embouchure de l'Orontes,
et sur les ruines de laquelle s'élève aujourd'hui le bourg dy
Kepse , était presque aussi con.sidérable que la Séleucie de
Babylonie. Elle possédait un bon port; et lesSéleucides
l'avaient si bien fortifiée, qu'on la jugeait imprenable.
SELEUCUS , nom de plusieurs rois de Syrie qui eurent
pour ancêtre :
SELEUCUS iN'ica^r, fils d'Antiochu s : il parvint à une
gloire et à une considération toutes particulières, par la fon-
dation du royaume de Syrie. Comme l'un des plus habiles
généraux d'Alexandre le Grand, il reçut du conquérant la
satrapie de Babylonie, et plus tard, quand Antigone pré-
tendit lui demander complede son administration, il seréfngia
en Asie. Mais en l'an 312 av. J.-C. il revint avec le secours
de troupes égyptiennes en Babylonie, où il se défendit très-
heureusement contre Démétrius, fils d'Antigone; et par sa
douceur, sa sagesse et son esprit de justice, il réussit à se
maintenir en pos.ses.sion de la Babylonie, de la Médie , de la
Susiane et de quelques contrées voisines. A peu de temps de
là, en l'an 301 av. J.-C., la victoire d'ipsus agrandit à l'ouest
son royaume de la plus grande partie des Étals d'Antigone;
et après avoir battu, en l'an 282, à Kunipédion, en Phrygie,
Lysimaque, qui ne survécut point à sa défaite, il s'empara
encore des pays que celui-ci possédait en Asie; dételle sorte
que le royaume de Syrie comprit dès lors la presque totalité
des contrées asiatiques qui avaient fait partie de l'empire
d'Alexandre. Toutefois, Seleucus Nicator n'en jouit pas long-
temps. Il périt en l'an 280, assassiné, à l'âge de soixante-
dix-lniit ans, par un de ses courtisans, appelé Ptolémée Ce-
raimris, au moment où il se disposait à entreprendre une
expédition contre la Thrace et la Macédoine. Seleucus pos-
sédait toutes les vertus qui font les bons princes. 11 faisait
aussi un cas tout particulier des arts et des sciences; il
96
SELEUCUS — SELKIRK
fonda plusieurs villes , et reovoya en Grèce les trésors ar-
tistiques que Xerxès en avait autrefois enlevés.
Ses descendants, lesSéleucides, abandonnés à toutes les
voluptés, ne conservèrent pas longtemps cet immense empire.
SEL GEMME. Voyez Sel.
SëLIM 1", sultan des Ottomans, né en 1467, détrôna,
le 25 avril 1512 , à l'aide des janissaires gagnés à sa cause,
Bajazet II, vieux et infirme, qui mourut empoisonné, à
quelque temps de là, le 26 mai. Pour se mettre à l'abri des
révoltes , Sélim fit égorger ses cinq neveux et ses deux frères ;
et en général quiconque lui déplaisait ou lui inspirait des
soupçons était irrémissiblement mis à mort. 11 humilia le
ciiah de Perse, anéantit, en 1514, le sultan des mamelouks ,
conquit le Kourdistan,en 1516 la Syrie, en 1517 l'Egypte, et
soumit La Mecque, à la Porte. Sélim jeta les bases d'une ma-
rine régulière, construisit l'arsenal de Péra, châtia avec une
sanglante sévérité l'insolence des janissaires, et améliora
la situation des pays conquis par d'intelligentes institutions.
11 s'occupait volontiers de poésie, et était l'ami des poètes
et des savants. 11 se préparait à entreprendre une expédi-
tion contre la Perse, lorsqu'il mourut, le 22 septembre 1520,
en se rendant de Constantinople à Andrinople. Sélim était
un capitaine distingué, un prince actif et habile, mais cruel.
Il eut pour successeur son fi Is S o 1 i m a n II.
SÉLIM II, sultan des Ottomans, petit-fils du précédent,
fils de Soliman II et deRoxelane, né en 1522, monta sur
le trône après la mort de son père, arrivée au camp de Szi-
geth , le 6 septembre 1566. Ce fut le premier sultan qui
s'abstint de prendre personnellement part à aucune expédi-
tion guerrière et qui abandonna le commandement des ar-
mées et la direction des affaires à son grand-vizir, pour vi-
vre dans l'intérieur de son harem, tout entier à la volupté.
En 1568 il conclut un armistice avec la Hongrie et un
autre l'année d'après avec la Perse; et en 1571 ses généraux
lui conquirent l'ile de Chypre. Son amiral Ali perdit, il est
vrai, le 8 octobre 1571, la grande et célèbre bataille de Lé-
pan te: mais les puissances chrétiennes ne surent point
mettre à profit leur victoire. L'actif grand-vizir Sokolli pour-
vut à la sûreté de l'empire pendant le règne de cet insou-
ciant sultan , qui vivait dans un état d'ivresse presque
continuel, et qui mourut le 12 décembre 1574', au milieu
d'une guerre inutile entreprise en Moldavie et en Valachie.
Il eut pour successeur son fils Amurath III.
SÉLIM Ilf, sultan des Ottomans , né le 23 octobre 1761,
était fils de Mustapha III , à la mort duquel, arrivée le 28
janvier 1774, son frère Abd-ul-Hamid monta sur le trône.
Sélim, qui pendant ce temps-là vivait dans le sérail, parmi
les femmes et les eunuques, y étudia le Coran et l'histoire
turque. Animé de la pensée de devenir un jour le réforma-
teur de l'empire , il se mit en communication avec des
liommes d'État et même, à partir de 1786, avec le comte de
Choiseul , alors ambassadeur de France à Constantinople.
11 envoya aussi son confident Isaak-Bey en France à l'effet
d'y étudier les rouages de l'administration. Il monta sur
le trône le 7 avril 1789, à la mort d'Abd-ul-Hamid. La
Porte se trouvait à ce moment engagée dans une guerre
très-malheureuse contre l'Autriche et la Russie, guerre qui
se termina, sans de trop grandes pertes avec la première de
ces puissances, en 1791, mais à laquelle un traité désastreux
mit fin avec la seconde, en 1792 (raye:; Ottoman [Empire]).
Sélim se trouva du moins libre dès lors de songer à réta-
blir l'ordre à l'intérieur ; mais à peine la Syrie et l'Egypte, en
état de révolte ouverte depuis 1786, eurent-elles été rédui-
tes , qu'éclata en Europe la levée de boucliers de Passw"an-
Oglou,qui ne reconnut la souveraineté de la Porte qu'en
1803, comme pacha de Widdin. Eu même temps, à la suite
de l'expédition de ISonaparte en Egypte, Sélim se trouva
entraîné par l'Angleterre à déclarer la guerre à la France.
Ce fut seulement après le rétablissement de la paix qu'il put
' songer à la réalisation de ses réformes dans l'administration
et à créer une armée à l'européenne (nizam-djédid)- Ces
diverses mesures provoquèrent dans des populations dégé-
nérées uneprofonde irritation, et diverses révoltes, auxquelles
vinrent se joindre l'insurrection delà Serbie et en 1807 une
nouvelle guerre avec la Russie et l'Angleterre. Au milieu
de ces périls, Sélim ayant résolu d'étendre l'organisation
militaire de l'Europe même aux anciennes troupes, les ja-
nissaires , les topdchis et les yermaks révoltés s'emparèrent
de l'arsenal de Constantinople, le 28 mai 1807, en même
temps que la population de la capitale se soulevait. Le
mufti lui-même se mit à la tête du mouvement, et tous
exigèrent la déposition du sultan. Suivant l'usage, Sélim
commença bien par taire périr les fonctionnaires réforma-
teurs et par supprimer les corps d'organisation nouvelle :
toutes ces concessions furent inutiles. Il fut déposé ; et le
29 mai son neveu Mustapha IV, fils d'Abd-ul-Hamid, monta
sur le trône. Sélim fut renfermé dans un kiosque du sérail,
mais traité avec égards. Dans sa prison il s'occupait de poésie
et de l'instruction de son neveu Mahmoud. L'année suivante
JMustapha Baïraktar, pacha de Routschouck , zélé partisan
de Sélim et de ses réformes, prit les armes pour rétablir son
autorité ; et le 28 juillet 1808 il entrait à Constantinople à la
tête d'une armée. Mustapha demanda pour réfléchir un
délai qui lui fut accordé sous la condition qu'il respecterait
la vie de Sélim. Mais, d'après les conseils du mufti , il fit
égorger Sélim , dont on jeta le cadavre par-dessus les murs
du sérail. Bairaktar précipita aussitôt du trône le sultan, qui
fut jeté en prison , tandis que son frère Mahmoud II était
proclamé à sa place. Sélim était un prince instruit, humain
et animé des meilleures intentions, mais qui manquait de l'é-
nergie nécessaire pour entreprendre la réforme de l'empire,
dans l'état de désorganisation où il se trouvait.
SELIIVONTE (Se^iHMS), ville grecque, située dans la par-
tie occidentale de la Sicile, non loin de la côte méridionale,
fut fondée vers l'an 652 av. J.-C. par des Siciliens de Mé-
gare, sur les bords d'une petite rivière appelée Selinus, à
cause du persil, en grec fflXtvov, qui y croissait en abondance
(d'où le nom antique de celte ville, nommée aujourd'hui Ma-
diuni), et dont l'embouchure se trouvait à l'ouest de l'Hip-
sas (aujourd'hui Bélice). Elle devint bientôt riche et puis-
sante, et jouit d'une grande prospérité jusqu'au moment où
les habitantsde Se geste, en danger d'être subjugués parceux
de Sélinonte, invoquèrent l'appui des Carthaginois. Ceux-
ci envoyèrent en Sicile, en l'an 410, une armée nombreuse,
aux ordres d'Hannon, qui s'empara de Sélinonte. Dans la
première guerre punique, vers l'an 249 av. J.-C, les Car-
thaginois transportèrent ce qui restait d'habitants de Sélinonte
à Lily bœum, et abandonnèrent la ville. Alors elle ne fut bien-
tôt plus qu'iui monceau de ruines , mais ces ruines ont une
grande importance pour l'architecture. On en trouvera une
description exacte dans l'ouvrage de Serradifalco, intitulé :
La Anlichità rfeWa .Sic;^i« (5 vol., Palerme, 1834-1842).
SELKIRK, comté du sud de l'Ecosse, situé entre ceux
d'Edimbourg, de Rossburgh,de Dumfries et de Peebles, qui
compte sur une surface d'environ 10 myriamètres carrés
une population de près de 10,000 âmes , répartie dans trois
bourgs et douze paroisses. C'est une pittoresque contrée de
montagnes. Le mont Cheviot, qui atteint une altitude de
686 mètres au Windlestraw-Laiv , de 700 au Whinfell, et
de 738 aux Blackhone-lleiyhts, y forme une foule d'étroites
vallées. La Tweed, grossie par l'Etterick et le Yarow, se
jette dans la mer du Nord, en suivant la direcîion orientale
du versant principal. Le climat est rude , le sol peu fertile ,
l'agriculture bornée à la production de l'avoine et des pom-
mes de terre, et l'industrie sans importance. Autrefois toute
cette contrée était couverte de forêts , et le comté ne for-^
niait pour ainsi dire qu'un immense parc des rois d'Ecosse.
Il y a longtemps que ces forêts ont disparu , et de nombreux
troupeaux de vaches, de ponics et surtout de moutons
paissent sur un sol onduleux et sur les versants de la mon-
lagne. Les moutons de la race de Seikirk et de Cheviot sont
renommés pour la finesse et la longueur de leur laine qui,
avec les moutons et les agneaux, constitue le principal
article d'exportation de ce petit pays. II a pour chef-lieu le
SELKIRK — SEMAILLES
97
bourg (le Selkirk, sur l'Etterick, non loin de la Tweed, avec
3,313 habitants et quelques rnaniilactures de bonneterie et
de rubans de fil, ainsi que des manufactures de laine.
SELKIRK (Alexandre), matelot écossais dont les aven-
tures ont servi de sujet à l'Anglais D e f o e pour composer son
Robinson-Crusoé.
SELLE (sella), mot de la basse latinité signifiant petit
siège. On appelle ainsi une espèce de siège rembourré, qu'on
place sur le dos d'un cheval, d'une mule, etc. , pour la
commodité de la personne qui monte l'animal. L'origine de
cet usage n'est pas bien connue. G. Decan en attribue l'in-
ventionaux Saliens, ancien peuple de la Franconie. Ce qu'il y
a d'incontestable , c'est qu'aux temps les plus reculés de
l'histoire les Romains ne se servaient ni de selles ni d'é-
triers. Galien fait plus d'une fois cette remarque que la
cavalerie romaine était sujette à plusieurs maladies des han-
ches et des jambes, faute d'avoir les pieds soutenus à cheval.
Hippocrate avait déjà fait une observation analogue à l'é-
gard des Scythes. Par la suite, pour être moins durement
assis, les Romains placèrent sur leurs chevaux un panneau
carré, une espèce de couverture, comme on en voit à la
statue d'Antonin au Capitole. C'est ce qu'ils appelaient un
ephippiuvi, mot dérivé du grec et signiliant ce qu'on place
sur le cheval. Dion Cassius (irétend à tort que l'usage de
l'ephippium ne s'introduisit que sous Néron, puisqu'il en
est déjà question dans un passage des Commentaires de Cé-
sar, où il est dit que les Germains auraient rougi de se ser-
vir de l'ephippium. Ce n'est qu'en l'an 340 de notre ère
qu'il est positivement fait mention de selles dans l'histoire.
Zonaras, lorsqu'il parle du combat de Constance contre son
frère Constantin pour lui enlever l'empire, rapporte qu'il
péné^a jusqu'à l'escadron où il était en personne et qu'il le
renversa de de.^sus sa selle.
La selle arabe, outre le développement des arçons qui
permet au cavalier de porter son corps en avant , diffère
surtout de la selle française en ce qu'elle fait reposer tout
le poids du corps sur les étriers. Ces étriers eux-mêmes sont
faits de telle sorte qu'ils font porter les talons du cavalier
sous le ventre, au lieu de le faire porter sur ses lianes. L'é-
peron arabe, aigu comme un poinçon, au lieu d'être à ro-
settes, peut ainsi labourer le ventre du cheval par de lon-
gues raies sanglantes sans jamais attaquer ses œuvres vives.
Les médecins appellent selle un siège propre à mettre
un bassin de chambre où l'on se décharge le ventre , et
par extension la décharge elle-même. Ils jugent des mala-
dies parles selles. C'est là un détail de leur art dont Mo-
lière a peut-être trop abusé ; et on ne risquerait plus aujour-
d'hui, même sur les scènes les plus infimes du boulevart,
la centième partie des allusions, des quolibets et des jeux
de mots dont il y trouve la matière.
SELLE POLONAISE ( Conchyliologie ). Voyez
Placune.
SELLES-SUR-CHER. Voyez Loir-et-Cher (Dépar-
tement de).
SELLIER, ouvrier qui fait des selles, des carrosses ,
et qui à cette industrie joint d'ordinaire celle du bour-
rel ier .
SEL MARIX. Voyez Sel.
SEL SÉDATIF DE HOMBERG. Foyes Bouique
(Acide).
SELTERS (Eau de), improprement appelée eau de
Seltz, car elle provient d'un village situé près de Limbourg,
dans le duché de Nassau , et nommé Nieder-Selters, où
cette eau minérale sort claire et hmpide, en perlant et en
écumant, de quatre sources comprises dans un puits et
fournissant 16C6 mètres cubes d'eau par minute. L'eau de
Setters, une des plus célèbres, et sans contredit la plus usitée
de l'Europe, est froide et limpide, d'une saveur piquante,
aigrelette et salée, mais sans odeur. Elle pétille et fume ,
et pique le palais à la manière des vins mousseux. Elle
renferme des carbonates de soude , de chaux et de ma-
gnésie, un peu de fer et de silice, presqu'un grain par once
DICT, DE LA CONYERS. — T. X\I.
de sel de cuisine, et beaucoup d'acide carbonique L'eau
de Selters est digestive et diurétique , et sert à désalté-
rer dans les temps chauds ; elle excite salutairement l'es-
tomac, rend l'appétit plus vif et les digestions plus faciles
et plus promptes. On la prescrit aux personnes hypochondres
et à celles en qui l'oisiveté ou des habitudes trop sédentai-
res éteignent ou émoussent l'appétit. Elle convient dans la
gravelle et a souvent fait rendre des graviers ; elle calme les
maux de cœur, apaise les vomissements nerveux, remédie
aux aigreurs et aux tiraillements de l'estomac. On [leul la
prendre pure ou édulcorée a^'ec des sirops acides ou mêlée à
du vin, à des tisanes, et même à du lait de chèvre ou d'ànesse,
suivant le but qu'on se propose. Il n'est pas rare de voir
des buveurs d'eau de Selters s'enivrer, à cause du gaz car-
bonique, jusqu'à perdre la tramontane et presque la raison.
La découverte de cette eau mousseuse remonte environ
à l'année 1525; mais la source se trouva comblée durant la
guerre de trente ans. Elle était encore si peu connue vers
le milieu du siècle dernier, qu'on l'avait affermée au prix
ÛQ deux florins \)air an. Elle rapporte aujourd'hui à l'Etal
80,000 florins; et il s'en expédie plus de 1,500,000 cru-
chons par an dans toutes les contrées de l'Europe. Do
reste , il ne s'en boit que fort (»eu à la source même.
Si l'eau de Selters ar/ijicielleiw renferme pasexactemeiit
tous les principes de celle qui jaillit de la source , au moins
est-il vrai de dire que l'art possède les moyens de rendre
l'eau fabriquée plus gazeuse et plus agaçante quo l'eau na-
turelle. Il en existe au reste de plusieurs degrés , et la per-
fection des unes et des autres dépend du degré de pres>ion
qu'on a fait subir au mélange de gaz et d'eau.
SELTZ, petit village aux environs de Friedherg, dans le
grand-duché de Messe, avecune source d'eau acide et alcalino
qu'on boit siu' place et qui s'expédie au loin, mais (ju'il ne
faut pas confondre avec l'eau gazeuse de Se I ters.
SELTZ (Eau de) naturelle et arlilicielle. Voyez Selteks
(Edu de).
SEL VOLATIL D'ANGLETERRE , sous-c a r b o-
n a t e d'ammoniaque.
SEM, Chum et Japhet sont les noms des trois (ils A'?.
Noé, desquels, d'après la tradition mosaïque, sont d.scen-
dus à la suite du déluge tous les peuples de la terre. Sen»,
en hébreu .Sc/iem , c'est-à-dire gloire, l'aîné des trois frères,
fut la souche des peuples du sud -ouest de l'Asie, des Assy-
riens, des Babyloniens, des Syriens, des Hébreux, des Phé-
niciens et des Arabes , qu'on désigne en conséquence sous le
nom de races sémitiques, de même que leurs langues sous
celui de langues sémitiques. De Cham, ce qui en hébreu
veut dire chaud, proviennent les peuples habitant les ( hau-
des régionsdu sud, les Egyptiens, etc. Japhet, en hébreu J(^/e^,
c'est-à-dire étendu, fut la souche des peuples qui vivent dis-
persés à l'est et au nord de la Palestine.
SEMAILLES se dit rarement au singulier. C'est le nom
donné aux semis des céréales. Plus tôt on fait \es. semailles ,
et plus le cultivateur a de chances heureuses : c'est un pro-
verbe assez vrai que les pare.sseux , en pareil cas , ne ga-
gnent que tous les neuf ans. Mettez les blés en terre, en
automne; les orges, les avoines et autres menus grains a\i
printemps. Cependant, il est bien des pays où ces derniers
se sèment avant l'iiiver, et se récoltent bien avant ceux qui
ont été faits au printemps ; mais ils sont plus sujets à manquer.
Il y a une sorte de froment qui se sème au printemps : on
le nomme blé de mars.
Dans tous les pays agricoles, les semis se (ont après la
récolte , si l'on en excepte les contrées où la chute précoce
des neiges nécessite la façon des blés avant la récolte. En
général, on sème plus tôt les terres légères que les terres
fortes, ce qui est conforme a la bonne pratique. Générale-
ment, on sème le blé et le seigle sur |ilus d'un labour, sur
trois, et même sur sept, suivant Tespèce de charrue dont
on se sert. Tantôt on sème avant, tantôt après le dernier
de ces labours , suivant qu'on se sert de la charrue ou de
la herse pour enterrer; mais généralement ce dernier nuidâ
7
98
est préférable. On jette quelquefois la semence du froment
au fond du sillon , et on la fait recouvrir par la terre en-
levée du sillon suivant ; mais ce procédé serait impraticable
dans les pays de grande culture.
Le blé, dit-on, se sème dans la poussière, et l'avoine
dans l'eau ; mais cela dépend de la nature du terrain ; j'en
connais une espèce en Touraine dont la semence ne réussit
que quand elle est confiée à la terre dans l'eau.
La manière la plus générale de répandre la semence sur
la terre est de la jeter à poignée en marchant à pas bien
comptés, et en lui faisant décrire un arc de cercle. 11 n'y a
pas de règle à prescrire pour cela, il faut de l'habitude et
lie l'intelligence. Généralement on prend la semence dans
un sac peu profond , que le semeur porte attaché autour de
ses reins. Dans les pays où le labour est par larges plan-
ches , le semeur se règle sur elles ; dans les pays à planches
de deux ou trois sillons, il se règle sur des espèces de ja-
lons qu'il plante à des distances convenables.
On a beaucoup parlé du mode de semer le blé à l'aide
du plantoir ; mais ce procédé ne convient point aux pays
de grande culture, et ne paraît guère praticable. Gardez-
vous de semer trop épais dans quelque espèce de terre que
ce soit; semez plus épais dans les terres légères que dans
les terres fortes : ces dernières conservent mieux leurs semen-
ces , et les légères ou.les maigres gardent leur humidité sous
leurs touffes en automne et au printemps. P. Gaubert.
SEMAINE. La division du temps en semaines est en-
tièrement arbitraire ; cependant on la trouve chez les peu-
ples les plus anciens. Le plus grand nombre avait des se-
maines de sept jours (hebdomades), quelques-uns de huit
(o(?rfoades), d'autres de dix jours {décades). On regarde
les Chaldéens comme les inventeurs des semaines de sept
jours, et on leur attribue la dénomination des sept jours
d'après les sept planètes: ils désignaient, dit-on, chaque heure
du jour par une des sept planètes, en commençant par Sa-
turne, Jupiter, iMars , le Soleil, et lern)inant par Vénus,
Mercure et la Lune. Ils donnèrent en conséquence à chaque
jour le nom de la planète qui correspondait à la première
heure de ce jour. Or, le jour ayant 24 heures , on compta
trois fois les sept planètes, plus les trois premières, 7 -{-
~ -[-7-\-3, et la quatrième planète, ou le Soleil, se trouva
repondre à la première heure du second jour, et ainsi de
suite. Il en résulta que
le l*^' jour fut appelé Saturne ou samedi;
le 2* — Soleil, du soleil ;
le 3* — Lune, lundi;
le 4* — Mars , mardi ;
le 5® — Mercure, mercredi;
le 6" — Jupiter, jeudi;
SEMAILLES — SEMBLABLE
le 7^
Vénus
vendredi.
La loi mosaïque conserva cet ordre ; les chrétiens mirent le
jour de Saturne à la fin de leur semaine, et changèrent le
nom du jour du Soleil eu celui de dimanche; les mahomé-
tans commencèrent la leur par celui de Vénus ou vendredi,
parce qu'il est dit que Gabriel remit le Coran à Mahomet
un vendredi.
La division du temps par semaines de sept jours tire pro-
bablement son origine des sept jours de la Genèse. Les
Juifs comptaient aussi les jours de la semaine selon leur
ordre et leur rang à l'égard du sabbat : le lendemain du
sabbat s'appelait le premier sabbat , et ainsi pour les jours
suivants, excepté le sixième, qu'ils nommaient autrement,
parasasve ou préparation au sabbat. L'usage des Orientaux
pourrait bien être un reste de la tradition de la création ;
on suppose néanmoins que la division en semaines a été
imaginée par un peuple ayant des années et des mois lu-
naires. En effet , les quatre phases que la Lune présente en 29
jours pouvaient bien faire naître l'idée de partager le mois en
quatre sections ; mais que des peuplesqui, comme nous, ont
des années et des mois solaires aient adopté des semaines
de sept jours, voilà, dit Schœll,ce que l'on comprend dif-
Uciicmcnt; car il>en résulte un inconvénient qui nous parai-
trait fort grave si nous n'y étions accoutumés dès notre jeu-
nesse : c'est que le nombre des jours qui composent l'année
solaire ne se divisant pas par sept, notre année n'a pas un
nombre rond de semaines , mais un excédant d'un ou deux
jours, et que nos mois de 29, 30 et 31 jours n'étant pas
également divisibles par quatre, ils ont un, deux ou trois
jours au-delà de quatre semaines. Nous avons dit que les
chrétiens n'avaient point adopté les dénominations païennes
pour le premier jour de leur semaine, dont le nom est la
corruption du dies dominica. Les Allemands ont traduit
dans leur langue ces noms des jours, ou les ont remplacés
par d'autres, tirés de l'ancienne mythologie du Nord. Voici
ces noms : dimanche, sonntag , de Sonne, Soleil (chez les
Anglais sunday); lundi, montag, de Mond, Lune; mardi,
dienstag , mot dont la signification est incertaine ; dans l'Al-
lemagne supérieure, on disait anciennement erichtag ou
ertag , nom tcutonique du dieu Mars; m&TQ.reA\,mitlwoche,
c'est-à-dire milieu de la semaine; jeudi, donnerstag , de
Thor, le Jupiter des anciens Germains, dont les Anglais
ont fait thursday; \endredi,freytag , de Friga, la Vénus
du Nord; samedi, 5o«na&eHf/, c'est-à-dire la veille du di-
manche. Les Anglais se servent du mot saturday : plusieurs
étymologistes ont fait cependant dériver samedi de sabbat,
aussi bien que le mot allemand samstag. Sédillot.
SEMAINE DE LA PASSION. C'est celle qui pré-
cède la semaine sainte et finit au dimanche des Ra-
meaux.
SEMAINE DES TROIS JEUDIS. Voyez Jeudi.
SEMAINE SAINTE. On appelle ainsi la semaine
qui commence au dimanche des Rameaux et qui précède
immédiatement la fête de Pâques. On la nomme aussi la
grande semaine , à cause des grands mystères qu'on y cé-
lèbre. Elle est spécialement consacrée parmi les catholiques
à honorer les mystères de la mort et de la passion de Jésus-
Christ. Dans la primitive Église, outre les jeûnes rigoureux
qu'on observait pendant cette semaine , on s'y interdisait
les plaisirs les plus innocents. Les fidèles ne s'y donnaient
point le baiser do paix à l'église; tout travail était défendu;
les tribunaux restaient fermés ; on délivrait les prisonniers;
enfin, on pratiquait diverses mortifications, dont les princes
et les empereurs eux-mêmes n'étaient pas exempts.
Le vendredi de la semaine sainte , spécialement consacré
à la commémoration de la mort de Jésus-Christ, est à cause
de cela appelé vendredi saint. Les protestants en ont fait
la plus importante de leurs grandes solennités religieuses.
Il est cependant douteux que Notre-Seigneur soit mort pré-
cisément un vendredi , de même qu'il serait difficile de pré-
ciser à quelle époque l'Église commença de célébrer cette
fête. Toutefois, il est vraisemblable que Constantin, qui
institua la célébration légale du dimanche , institua égale-
ment la célébration du vendredi saint. Dans la primitive
Église, toutes les cérémonies du culte étaient interrompues
ce jour-là, et on observait un silence universel à partir de
six heures du soir jusqu'au lendemain matin, intervalle dans
lequel on plaçait la résurrection de Jésus-Christ. En Es-
pagne on alla jusqu'à fermer les églises le jour du ven-
dredi saint; mais le quatrième concile tenu à Tolède, en
l'an 643, condamna formellement cette pratique.
SEMAINIER. C'est au théâtre le comédien chargé
pendant une semaine de tous les détails relatifs à l'exécution
du répertoire.
SEMBLABLE se dit de toutes choses entre lesquelles
il y a simili tude. En géométrie , on appelle angles sem-
blables ct[i\ qui sont égaux. Les angles solides sont semWfl-
bles , par conséquent égaux, quand les plans sous lesquels
ils sont contenus sont égaux en nombre et en grandeur,
et arrangés dans le même ordre. On nomme rectangles
semblables ceux dont les côtés, qui forment des angles
égaux, sont proportionnels. On entend par triangles sem-
blables ceux qui ont trois angles respectivement égaux; et
par polygones semblables ceux dont les angles sont égaux ,
et dont les côtés autour des angles égaux sont proportion-
SEMBLABLE — SÉMINOLES
99
nels. Il en est de même des autres figures rectilignes sem-
blables. Les arcs semblables sont ceux qui contiennent des
parties semblables, ou égales de leurs circonférences res-
pectives. Les segments semblables de cercle sont ceux qui
contiennent des angles égaux. Les sections coniques sem-
blables sont celles dont les ordonnées à un diamètre dans
l'une sont proportionnelles aux ordonnées correspondantes
à un diamètre semblable dans l'autre , tt dont les parties
de diamètres semblables qui sont entre le sommet et les
ordonnées dans chaque section sont semblables.
En arithmétique , on appelle nombres, plans sembla-
bles , ceux qui sont composés d'un même nombre de pyra-
mides semblables et semblablement disposées ; c'est-à-dire
en rectangles dont les côtés sont proportionnels , comme 6
multiplié par 2, et 12 par 4. Le produit de l'un , qui est 12,
et celui de l'autre, qui est 48 , sont des nombres sembla-
bles.
SEMBLANÇAY. Voyez Samblançay.
SÉMÉIOLOGIE (du grec <tïi(A£ïov , signe, et Xôyo;,
discours), partie de la médecine qui traite des signes in-
dicatifs des maladies et de la santé , et de l'usage qu'on en
doit faire^
SÉMÉIOTIQUE (du grec oYKieïottxoç, fait de (jYi|xeïov,
signe), synonyme de séméiologie.
SÉMÊLÉ, fille de Cadmus et d'Harmonia , de Thèbes ,
sœur d'Ino, d'Autonoé et de Polydore, était si belle, que
Zeus s'éprit d'amour pour elle. Héra , jalouse , vint traîtreu-
sement trouver Sémêlo sous la foriue de sa nourrice Ber oé,
et lui conseilla de prier Zeus de se montrer à elle dans tout
l'éclat de sa gloire. Le dieu , qui lui avait promis de lui ac-
corder tout ce qu'elle lui demanderait , se présenta à elle
armé de la foudre, et son amante fut consumée par l'éclat
de ses feux. Zeus, toutefois , .sauva Dionysos ou Baccliu s,
que l'infortunée portait dans son sein. Plus tard , son (ils
alla la chercher aux enfers, et la plaça dans l'Olympe sous
le nom de Tliyonê. On explique ce mythe en disant que
Sémêlé n'est autre que la Terre, qui fécondée par les pluies
du printemps et les clialeuis de l'été engendra Dionysos,
c'est-à-dire celui qui donne la joie.
SEMEI\CE. C'est le grain que l'on sème. Quoique ce
mot ne se dise proprement que du froment, du seigle , de
l'orge, de l'avoine et de quelques autres plantes céréales,
on l'emploie aussi généralement pour désigner tout ce qui
se sème par la main de l'homme, grains, graines, noyaux,
pépins, etc. Il n'est pas nécessaire, comme on le croit,
de changer de temps en temps les semences d'une exploita-
tion rurale, sous prétexte qu'elles dégénèrent. On peut se
contenter de choisir la plus belle de sa récolte. Le préjugé
qui règne contre les semences anciennes vient du peu de
soin qu'on prend de la conservation des grains. Cependant,
une vieille semence lève plus lentement qu'une fraîche : pour
lui rendre son humidité primitive, il suffit de la mettre dans
l'eau , quelques jours à l'avance.
Le mot «eme/zce s'emploie aussi au ligure : La mauvaise
éducation est une semence de vices ; Un article d'un traité
de paix peut ètr une 5e?wc«ce de guerre. P. Gaubert.
SEMENCES CHAUDES. On appelle ainsi les graines
d'anis, de fenouil, de cumin et de carvi.
SEMENCES FROIDES. Sous cette dénomination on
comprend les graines de concombre, de melon, de citrouille,
de courge, de laitue, de pourpier, d'endive et de chicorée
sauvage).
On les distingue en majeures (graines de concombre
commun, de melon, de citrouille et de courge) et en mi-
neures ( graines de laitue , de pourpier, d'endive et de chi-
corée sauvage). L. Laukent.
SEMEN COIVTRA, abréviation de semen contra
vermes , graine contre les vers. Dans les pharmacies on
donne ce nom à une pondre vermifuge quç le commerce
nous apporte d'Alep, d'Alexandrie , etc., et qui ne se com-
pose pas seulement , < ornme semblerait l'indiquer le mot
semen , de graines et de fruits épurés , mais de capitules
plus ou moins écrasés , au milieu desquels on rencontre
des fragments de feuilles, d'involucres , qui probablement
agissent plus directement que ne le feraient les fruits eux-
mêmes. Ces débris végétaux proviennent de diverses espèces
du genre armoise. Leur action médicinale est attribuée
à une huile volatile de couleur jaunâtre, de saveur acre et
amère, qui en a été extraite par Bouillon- Lagrange. D'a-
près M. Wackensoder, l'analyse du semen contra donne :
Principe amer, 20,15 ; substance brune, résineuse, amère,
4,45 ; résine balsamique, veite, acre et aromatique, 6,65 ;
cérine, 0,35; extractif gommeux, 15,50; ulmine, H,60 ;
malate acide de chaux et silice, 2,00; ligneux, 35,45;
parties terreuses, 6,70. Kahler et Alms y ont en outre
trouvé un alcaloïde particulier, qui a reçu le nom de son-
tonine, et auquel M. Etlling assigne la formule C''H^O.
SEMENDRIA ou S.^IEDEREWO , chef-lieu et place
forte du cercle du même nom, dans la principauté de
Serbie, sur les bords du Danube et de la Jesava, nom
qu'on donne au bras occidental d'embouchure de la Morawa,
à 42 Kilomètres au sud-est de Belgrade, et à environ 20 kilo-
mètres de Passarowitz, dans une contrée romantique et
riche en vignobles, compte 8,000 habitants, et est le centre
d'un commerce actif. C'était autrefois la résidence des rois
de Serbie, ainsi que le siège du sénat et du primat.
Construite en 1435 par le despote Georges Brankourtsch,
la forteresse fut prise par les Turcs en 1439, en 1459 et en
1690. Le prince Eugène la leur enleva en 1717; mais les
Turcs s'en rendirent de nouveau maîtres eu 1738. Les Au-
trichiens s'en emparèrent encore eu 1789. En 1805 les
Turcs y battirent le voivode Gyuscha Wulitschewitz , après
quoi la place fut bombardée et prise par les Serbes.
SEMGALLEN. Voyez Courlande.
SEMI, mot^ emprunté aux Latins et qui signifie demi.
SEliiS-BRÈVES (Musique). Voyez Brève.
SEP.liDULITES. Voyez Barsaniens.
SEMI-LUNAIRE (Os). Voyez Carpe.
SÉMINAIRE (du latin seminarium, pépinière).
C'est le plus ordinairement le nom qu'on donne aux éta-
blissements d'instruction publique consacrés à former des
prêtres catholiques, et il en existe dans la plupart des dio-
cèses. En France, on distingue les grands et les petits sé-
minaires. Les premiers renlerment des sujets déjà tonsurés
ou du moins parvenus à l'âge de raison ; les seconds re-
çoivent des adolescents que leurs parents destinent à l'état
ecclésiastique. Pendant longtemps on a reproché, et avec
raison, aux petits séminaires de n'être en réalité que des
collèges soustraits à la surveillance de l'université et exemptés
de la rétribution qu'elle exige de tous les enfants qui fré-
quentent des écoles du second degré. Mais la nouvelle loi
sur l'enseignement, en en proclamant la liberté, a rendu
désormais légal ce qui ne l'était pas sous le régime parle-
mentaire; et nos .seigneurs les évèques n'ont plus aujour-
d'hui à défendre chaque matin l'existence menacée de leurs
chers petits séminaires contre les attaques de la mauvaise
presse et les dénonciations de la tribune.
SÉMINOLES, l'une des peuplades de l'Amérique du
'Nord qu'on désigne sous le nom de peuplades de la Flo-
ride (voyez Indiens), branche de la tribu des Chocfaw-
Muskoghee. Ils habitaient autrefois les bords du Choc-
tawliatchee en Géorgie, et faisaient originairement partie de
la conlédération des Creeks. A la suite de longues dissen-
sions entre les chefs, cette peuplade s'en sépara. En 1750
un chef influent, appelé SecoJ/i , partit des anciens foyers
de la tribu à la tète d'une bande nombreuse, et gagna la
presqu'île de la Floride, au centre de laquelle il prit posses-
sion du fertile territoire d'Alachua. Guerrier courageux .
orateur entraînant, c'était un ennemi des Espagnols aussi
habile qu'acharné. Il fut le fondateur de la confédération
des Sdmi noies , c'est-à-dire des évadés on des fugitifs, et
mourut en 1784. Une antre bande arriva en I8C8 en Floride
sous la conduite de Miko-Uudjo, et s'établit au voi.sinage
de Talahassee. Juscjue alors les véritables propriétaires «lu
7.
100 SÊMINOLES
8ol occupé par les Séiiiinoles avalent été les Meckasufiis ,
faillie tribu, qui se vit forcée de faire cause conmnine avec
les envahisseurs. En 1822 le nombre total "de ces Indiens
de la Floride s'élevait à 3,899 , dont 1,594 guerriers. Pen-
dant dix ans cette poignée de braves, protégée par les
Everglades, marais situés au sud du lac d'Okiecliobee,
repoussa toutes les attaques d'une armée américaine, jus-
qu'au moment où elle finit par succomber sous le nombre.
I.a plus grande partie des Séminoles furent alors trans-
férés sur l'autre rive du Mississipi , dans ce qu'on appelle
aujourd'hui Vindian /e rrUorî/; il n'en est resté qu'un
petit nombre dans la Floride, où ils soutiennent encore
contre les Américains la lutle la plus acharnée.
Le nouveau territoire des Séminoles dans Vindian Ter-
ritory est situé sur les bords du bas Canadian ou Rio-Co-
lorado, affluent de l'Arkansas. Au nombre d'environ 4 à
5,000 tête^, ils vivent dans vingt-cinq villages, dont chacun
a son chef et obéit à ses lois particulières , mais auxquels un
conseil national, un chef suprême et un comité exécutif
doiment le caractère d'une confédération. Toutefois, ils dé-
pendent des Creeks, leurs voisins et forts d'environ 25,000
tôtes; leur conseil national ne pouvant prendre aucune ré-
solution contraire à ce qui a été décidé dans le conseil na-
tional des Creeks.
SÉMIl\ULE, diminutif de semen , semence, l^etite
semé nce.
SEI\1I-PÉLAGIE:\S. Maigre l'universelle réprobation
du pélagianisine, quelques docteurs n'approuvaient pas en-
tièrement la doctrine de saint Augustin sur la gr;'ice ; et ,
cherchant un milieu entre deux sentiments qu'ils regar-
daient comme extrêmes, ils (iroposèrent un système au-
quel les scolastiquesont donné le nom de semi-pélacjianisme.
En effet, tandis que l'évêqued'Hippone enseigne que la grâce
divine est nécessaire dans toutes les circonstances de la vie,
les semi-pélagiens , d'ailleurs pleins de respect pour le
dogme du|iéchéoriginel, professent que « la grâce inté-
rieure prévenante , c'est-à-dire le premier secours de Dieu,
n'est point nécessaire pour amener le repentir ; mais qu'on
ne saurait persévérer ni avancer dans la carrière sainte,
que par soi-même on avait eu la force de commencer, sans
le secours continuel et l'assistance soutenue de Dieu ».
Celui qui présenta dans son jour le plus favorable la doc-
trine semi-pélagienne fut Jean Cassien, fondateur de la
célèbre abbaye de Saint- Victor, à Marseille. Ses idées furent
goûtées dans les Gaules, et surtout à Marseille ; ce qui fil
aussi donner à ces sectaires le surnom de massiliens, em-
ployé d'ailleurs beaucoup moins fréquemment que celui
de semi-pélagiens. Parmi leurs docteurs, on a distingué
Faustus de P.iez, Vincent de Lérins, Gennadius de Mar-
seille, Hilaire d'Arles, Arnobe le jeune, et, d'après quel-
ques historiens, Sulpice Sévère, disciple de saint Martin.
Saint Augustin écrivit contre cette hérésie son Traité de la
Prédestination et de la l'ersévérance Elle se prolongea
jusqu'au second concile d'Orange (f>29), où la doctrine de
saint Augustin lut consacrée, et dès lors le semi-pélagia-
nisme s'éteignit insensiblement sans avoir causé de schis-
me, parce que les personnages respectables qui l'avaient
professé ne s'étaient jamais séparés de l'unité.
E. Lavigne.
SÉMIRAMIS, reine d'Assyrie, est l'uu des personnages
de l'antiquité dans l'histoire desquels la fable se trouve
mêlée à la vérité Elle était, dit-on, la femme de P h u 1 u k h ,
l'un des généraux du roi d'Assyrie Ninus, que l'on fait
vivre tantôt vers l'an 2000 , tantôt vers l'an 1200 av. J.-C.
Ninus, qui depuis longtemps assiégeait Bactres, était au mo-
ment de voir complètement échouer ses efforts, quand
Sémiramis lui indiqua les moyens de |)énétrer dans cette
ville. Les heureuses suites de son conseil lui valurent l'amour
Iw roi, (|ui la prit pour lémme , après que son premier
mari se fut ôté la vie par jalousie. A la mort de Ninus
elle prit les rênes du gouvernement coumie tutrice de son
lilâ Ninyas , dont la tradition fait le type de l'-^ domination
— SEMITIQUES
] d'un hermaphrodite. L'antiquité se représentait Sémiramis
comme une femme née pour le commandement, enfrepre-
nante et belliqueuse, et conformément à cette idée lui at-
tribuait une foule d'œuvres et d'actions dont il est démontré
par des raisonnements historiques que la plus grande partie
ne peuvent point avoir été accomplies. On lui fait étendre
ses conquêtes d'une part jusqu'à l'Inde, et de l'autre jusque
dans l'intérieur de l'Afrique, fonder Babylone, qu'elle orna
des édifices les plus magnifiques , construire dans ses États
une foule de routes et de canaux , et laisser partout dans
ses expéditions de semblables monuments. Dans l'antiquité
l'usage était, dans une grande quantité de localités de l'Asie,
d'attribuer à Sémiramis tous les monuments dont on igno-
rait l'origine. C'est ainsi , notamment, qu'on lui attribuait
la construction des jardins suspendus de Babylone , rangés
au nombre des sept merveilles du monde. La tradi-
tion veut encore qu'après avoir tenu pendant longtemps
son fils Ninyas éloigné du gouvernement, elle se soit vue
forcée de recourir à une conspiration pour le détrôner ;
suivant d'autres, celle conspiration lui aurait coulé ia vie
à elle-même.
SEMIS. C'est, en termes d'agriculture et de jardinage,
un plant d'arbrisseaux, de plantes, de fleurs, venant de grai-
nes , et qui ont été semés , ou bien la mise en terre de grains
dont on veut obtenir des productions. Les plantes annuelles
peuvent être rarement multipliées autrement que par voie
de semis. Il faut faire les semis, autant que possible, par
un temps humide, ou mettre tremper les grains dans l'eau.
On sème en pleine terre , sur couche , en caisse , en terrine,
ou en pot; on sème à la volée , en planche, en auget, en
rayons ou rangées ; enfin, on sème seul à seul , c'est-à-dire
qu'on place à la main, ordinairement en lignes et à dis-
tances égales : ce qui se pratique principalement pour les
arbres fruitiers destinés à rester dans un lieu : c'est ce
qu'on appelle^emjs à demeure.
Dans les terres sèches et exposées au midi, qu'elles soient
argileuses, sablonneuses ou calcaires, les semis de l'au-
tomne sont toujours préférables à ceux du printemps.
P. Gaubert.
SEMIS DES BOIS. Voyez Bois.
SÉMITES , descendants de S e m. En philologie on se sert
aujourd'hui de ce terme pour désigner le groupe de races qui
parlent les différentes langues sémitiques. On distingue
les sémites monothéistes, c'est-à-dire les Hébreux et les
Arabes , et les sémites païens , c'est-à-dire les Babyloniens,
les Phéniciens, etc.
SÉMITIQUES (Langues). C'est Eichhorn qui le pre-
mier introduisit cette expression; celle de langues orientales
qui jusque alors avait été le nom spécial employé pour dési-
gner celte famille de langues, ayant été reconnue insuffisante
et ne pas répondre à la connaissance, toujours plus grande
et plus approfondie, qu'on acquérait des langues de l'Orient.
Dans les divers idiomes composant celle famille de lan-
gués , qui à lorigine comprenait les contrées situées à l'est
de l'Euphrate jusqu'aux côtes de la Méditerranée et de
l'Arabie , régnent les mêmes lois phonétiques , i)armi les-
quelles il faut remarquer la prédominance des sons gutturaux ,
les mômes bases élémentaires des mots consistant presque
toujours en racines composées de trois lettres, le même sys-
tème grammatical suivi avec beaucoup de conséquence, où
domine surtout la roideur de l'élément consonnant et la
fluidité de l'élément vocal, ainsi que le même système or-
thographique d'après lequel il n'y a que les consonnes qui
s'écrivent comme base véritable du mot, tandis que les
voyelles n'y sont qu'accessoirement indiquées lorsqu'elles
ne sont pas le plus ordinairement tout à fait suppri-
mées dans l'écriture. C'est là ce qui (ait que celte famille
particulière de langues diffère essentiellemept des langues
i ndo-germaijiques, qui l'entourent ae tous les cotés.
Les tentatives faites jusqu'à [)ré.sent pour ramener ces deux
familles à une origine conmiune «'ont pas produit de ré-
sultats convaincants.
SÉMITIQUES — SÉMONVILLE
La famillf des langues sémitiques en Rendrai se divise
en trois l)ianches principales : 1" L'araméen, qui dans l'an-
tiquité était parlé en Syrie, en Babyionie et en Mésopotamie,
et qui se subdivisait : a, en araméen occidental on syriaque
(voyez S\R\xqvE [Langue]); b, en arainéen oriental on
clialdéen ( voyez Cn aldée ). Nous en avons encore des docu -
ments dans les dialectes des Samaritains et des Sai)éens et
dans les inscriptions de Palmyre, qui appartiennent éga-
lement à la branche araméenue. 2" ha canannitique,fAr\é
en l'alestine et en Pliénicie. En font partie : a,l'bébreu
(voyez HÉBRAÏQUE [ Langue]),, et le nouvel hébreu , qui
en est dérivé, ou langue du talni ud et des ra bbi ns, mais
qui déjà est mêlé d'araméen ; b, le phénicien ( voyez Phéni-
r.iE). 3" L'arabe (voyez Arabes [Langue et littérature] de
l'Arabie septentrionale, dont Mahomet et le Coran ont fait
la langue dominante des États niahométans, et duquel se
sont formés divers dialectes, t^ls que le syriaque, l'égyptien
et le dialecte, extrêmement corroni[)u, qui se paile dans les
États Barbaresques et dans le Maroc. Enfin, il faut encore y
comprendie la langue des habitants de Malte. Parmi les dia-
lectes arabes du Sud, c'est tout récemment seulement qu'on
a découvert dans des inscriiitions l'hinijarilique , qui forme
la transition à la langue éthiopienne. Consultez Ernest
Renan, Histoire générale des Langues sémitiques (Paris ,
1855).
SEMI-TON, le moindre de tous les intervalles admis
dans la musique moderne ; il vaut à peu près la moitié
d'un ton. Il y en a de plusieurs espèces. On en peut dis-
tinguer deux dans la piatique : le semi-ton majeur et le
semi-ton mineur. Trois autres sont connus dans les calculs
harmoniques, à savoir : le semi-ton maxime, le minime
et le moyen.
SEMLER (Jean Salomon), l'un des plus célèbres théo-
logiens protestants du dix-huitième siècle, naquit en 1 723, à
SaaKeld, et mourut en 1794. Il s'est beaucoup occupé de dé-
monologie. Ainsi on a de lui : De Dœmoniacis (Halle,
4'' édition, 1779) ; Essai d'une Démonologie biblique (en
aili-mand; Halle, 1776). Il écrivit aussi son autobiographie ;
ce ipii ne lais.se pas que d'indiquer de .sa part une grande
coiiliance en sa propre importance.
SEMLIlX, en hongrois Zimony, en serbe Semun, ville
forliliée des Frontières Militaires slavonnes-serbes, qui jus-
qu'en 1849 firent fiartiedu territoire hongrois. Elle est située
au continent de la Save dans le Danube, sur la pointe de
terre qui sépare ces deux cours d'eau , en face deBelgrade,
dont elle n'est séparée que par la Save, au pied d'une hau-
teur sur laquelle on voit encore les ruines du manoir de
Jean H uny ade. La ville, qui est 'e siège d'(m commandant
militaire des Frontières, de directions des salines et des
postes, se compose de la ville intérieure et du faubourg de
Franzcnsthale , el comple ^,700 habitants. On y trouve
(livcrses écoles, un lazaret, un théâtre allemand, un hôpital.
Les habitants sont pour la plupart des Serbes, qui s'y éta-
blirent lorsqu'en 1739 Belgrade tomba au pouvoir des Turcs ;
aussi la langue serbe y est-elle l'idiome dominant. Après
elle vient la langue allemande. Comme principal point de
passage pour aller en Turquie, cette ville est le centre d'un
commerce fort actif, et entretient des communications régu-
lières avec Belgrade. L'introduction de la navigation à va-
peur n'a fait qu'ajouter à l'importance de son couunerco
de transit. Les principaux articles de ce commerce sont
le coton, le fil, le safran, le miel, les peaux de lièvre, les
peaux de mouton et les têtes de pipe. On exporte surtout
des draps, de la porcelaine, de la verroterie, etc.
SEIVli\OPlTHÈQUES, genre de singes de l'ancien
continent et de l'archipel des Indes , qui pendant longtemps
avaient été placés dans le genre guenon , mais que F. Cu-
vier en a distingués. Ils appartiennent à la tribu des cynoi-
pithéciens , et peuvent être caractérisés comme suit : Mu-
seau très-court; nez à peine saillant; ongles des pouces
a;)lati8, les autres très-convexes ; membres longs, corps grêle
et très-allongé; mains antérieures étroites et très-lonj^ies ;
101
pouces antérieurs extrêmement wurts; queue très-longue;
point d'abajoues, ou seulement des abajoues rudimentaires;
des callosités aux fesses; poils abondants et ordinairement
longs. Cette espèce de singes se fait remarquer par leur
intelligence et, par la douceur de leur caractère. Ils n'ont
rien de la pétulance des autres singes; au contraire, ils
paraissent habituellement calmes et circonspects. Quand ils
sont jeunes , on les apprivoise facilement. On en connaît
plus de vingt espèces.
SEM.XOTIIÉES. Voyez Druides.
SExMOIR. instrument à l'aide duquel on exécute des
semailles. L'ancienne méthode laissant perdre le quart
et quelquefois le tiers des graines, on a compris de quelle im-
portance serait un semoir mécanique (jui donnerait des résul-
tats constants et certains. Mais jusque ici les semoirs ne peu-
vent guère s'appliquer qu'aux semailles en lignes. Le plus sina-
pie deces semoirs est une bouteille, dont l'orifice est ferraéau
moyen d'un bouchon traversé par un tuyau de plume, efqui
sert à répandre de petites graines sur une seule ligne à la
fois. Depuis, différents inventeurs ont donné leur nom à
des instruments perfectionnés sur ce type. Compaiativemenl
à la semaine à la volée, le travail du semoir est plus lent,
mais plus régulier, plus économe de la semence, et plus fa-
vorable à l'exécution des travaux ultérieurs de la culture.
SÉMONVILLE ( CiiAULES-Louis HUGUET, marquis
de), né en 1759 , était conseiller au parlement de Paris au
moment où éclata la révolution, dont il embrassa tout aus-
sitôt les principes et les intérêts. Élu député suppléant du
comte de Beauharnais à l'Assemblée nationale, il n'y siégea
point ; mais il mit au service du nouvel ordre de choses
ses dispositions innées pour la diplomatie, et lut d'abord
chargé de repré.senter la France nouvelle auprès de la ré-
publique deGênes. La manière dont il s'acquitta de cette mis-
sion fut récompensée par l'ambassade de Constantinople. La
frégate qui devait l'y transporter avait ordrede relâcher d'a-
bord en Corse ; c'est là que Sémonville eut occasion de
connaître le capitaine Bonaparte, et dans leurs courtes
relations celui-ci put apprécier ce qu'il y avait d'esprit pra-
tique chez riiomme qu'on venait de charger de représenter
la France près de Sélim III. Sémonville se trouvait encore
en Corse lor.squ'il lut l'objet d'une dénonciation. Bravant
la guillotine de la terreur, il se rendit sur-le-champ à Paris
pour se justifier, et y réussit si bien que Danton, alors
l'un des arbitres des destinées de la France, lui confia une
mission secrète qui avait pour but de sauver la reine et le
Dauphin, alors encore détenus au Temple. Le cabinet de
Vienne ne répondit à ces avances qu'en faisant enlever sur
le territoire des Gri.sons, où il se trouvait alors, le négo-
ciateur qui en était chargé, et en le faisant jeter dans les ca-
chots de Mantoue, puis de Kufstein. 11 ne dut sa liberté
qu'aux victoires des armées républicaines, et eut l'honneur
d'être échangé, en 1795 , contre la malheureuse fille de
Louis XVI. Sémonville ne lut pas employé par le Directoire.;
mais à la suite de la journée du 18 brumaire Bonaparte l'ap-
pela à faire partie du conseil d'Etat. A peu de temps de là
il fut nommé sénateur; et en 1809 Napoléon le pourvut de
la sénatorerie de Bourges. C'est lui qui en 1809 fut chargé
de proposer au sénat la réunion de la Toscane, puis celle de
la Hollande à la France. Nommé à la fin de 1813 commis-
saire extraordinaire dans la treizième division militaire
(Bourges), il y prit les mesures de sûreté publique exigées par
la situation critique de la France, que les armées étrangères
envahissaient sur plusieurs points à la fois. Après la prise
dé Paris , en 1814, il se hâta d'adhérer avec tous ses collè-
gues à la déchéance de Napoléon. Il faut cependant lui savoir
gré d'avoir à ce moment fait adopter par le sénat l'ordre
du jour pur et simple sur une lettre par laquelle l'empereur
Alexandre notifiait à ce corps d'avoir à réhabiliter solen-
nellement la mémoire de Moreau. Cet acte de haute mo-
ralité était en même temps, dans de telles circonstances, un
acte de courage.Louis XVIIl comprit Sémonville au nombre
des membres de la chambre des pairs instituée par la Charte,
102
et il le gratifia en outre de laplace de grand-référendaire
{très cette assemblée; fonctions auxquelles était attaclu; un
tiaitenient de 80,000 tr., et qui consistaient à administrer le
budget iniéiieur de la chaMd)re. fendant les cent jours, Se-
inonvillo re|ioussa les avances qui lui furent faites par Na-
poléon, et demeura dans ses terres jusqu'au moment où la
seconde occupation de Paris par les coalisés lui permit de
revenir se réinstaller au Luxembourg. De 1815 à 1830 il
fut peu question de lui autrement que lorsque les écrivains
de l'opposition voulaient attaquer les serviteurs du régime
royal qui avaient été employés par les différents gouverne-
ments que la France avait vus se succéder jusqu'à la révolu-
tion; et alors son nom se retrouvait invariablement sous
leur plume, car il jouissait d'une trop magnilique sinécure
pour ne pas être en butte à bien des envies. Toutefois, l'o-
pinion publique lui sut gré alors d'avoir renvoyé avec éclat
une invitation de M. d'Appony , l'ambassadeur d'Autricbe,
qui venait d'essayer d'enlever à quelques maréchaux de
France les noms et les titres italiens que la victoire leur
avait donnés. Après la publication des ordonnances de Juil-
let , Sémonville tenta d'éclairer Charles X sur l'état où se
trouvait la capitale et sur les dangers que courait le trône.
Il gagna Saint-Cloud , en compagnie de M. d'Argoul, à tra-
vers les barricades et au milieu du feu des combattants ; mais
toutes leurs instances pour obtenir le retrait immédiat de ces
fatales mesures furent inutiles. Cène fut que le lendemain
que le roi s'y décida ; il était trop tard. On sait le reste.
Sémonville conserva sous le gouvernement de Juillet sa
place de grand-référendaire de la chambre des pairs ;
mais en 1834 il s'en démit, à la suite d'un ordre venu des
Tuileries, en faveur de M. Deçà z es, qui partagea avec hn
les émoluments y attachés. Sémonville se retira alors à Ver-
sailles, où il mourut , en 1839. Il avait épousé le veuve du
président de Montholon, mère du général Mon tholon.
SEMOULE (de l'italien semo^«na, formé du latin semi,
demi, et mola , moulu à demi). Gruau à très-petits grains,
presque réguliers et sphériques , obtenu surtout avec le
froment amidonnier, et dont le mode de fabrication nous
est venu d'Italie. La meilleure semoule est celle de Gênes.
On fait aussi de la semoule, dite semoule de pâte, avec
une pâte (orniég en petits globules , comme des grains de
riz cassé. On nomme semoule blanche celle qui se fait
avec de la farine de riz, et semoule jaune ceWe qui se fait
avec de la fleur de froment à laquelle on ajoute de la tein-
ture de safran , de la coriandre et des jaunes d'œuf.
SEMPACH , bourg du canton de Lucerne, sur le lac
du même nom , avec 1,100 habitants, endroit dont les cons-
tructions occupent un vaste emplacement et entouré de riui-
railles en ruines, est célèbre par la victoire complète que
1,.300 Suisses y remportèrent, le 9 juillet 1386, sur le duc
Léopold d'Autriche, parti à la tête d'environ 6,000 hom-
mes du lac de Sour pour combattre les confédérés de
Lucerne, des villes forestières, de Glaris et de Zug. Le duc
péxit dans la mêlée, et avec lui 1,400 gentilshommes de la
Souabe , de l'Alsace et d'Argovie. Il n'y eut en général qu'un
très-petit nombre des siens qui parvint à échapper au car-
nage. La chapelle élevée sur le champ de bataille, et qui
date vraisemblablement du quinzième siècle , mais qui a été
souvent réparée depuis, fut construite, dit-on, à l'endroit
même où l'on letrouva le cadavre de Léopold.
SEMPROMA (Famille). Voyez Sempromos.
SEMPRO.MA (Loi). Voyez Agraires ( Lois).
SEMPftOiMUS, gens Sempronia, nom d'une race ro-
maine a laquelle ?e rattachaient une famille patricienne et
plusieurs fnmilles plébéiennes. 11 est poiu- la première fois
fait mention de la première, qui ajoutait à son nom celui
d'j4irfl<inM5 , dans les fastes de la magistrature, à propos
iV Aulus Sempronius Atratinus, consul l'an 497 et l'an 491
av. J.-C. En faisaient partie Aulus Sempronius Atrati-
nus que l'on trouve en l'an 4'»4 parmi les premiers tribuns
militaires consulaires, et Lucius Sempronius Atratinus,
qui, en l'an 443, revêtit le premier, avec LuciusPapiriusMu-
SEMONVILLE — SÉNAT
gillanus,lachargedi; censeur, alors d'institution foute récente.
Parmi les ijiuiillcs plébéiennes, la plus célèbre *;>t celle
qui ajoutait à son nom celui de Gracchus. 11 en est pour la
première fois question à propos de Tiberius Scvipronius
Gracchvs, consul l'an 238, qui enleva la Sardaigne et la
Corse aux Carthaginois. Son petit-fils, qui portait le même
nom que lui , fils de Publius, fut l'époux de Cornélie, fille
du premier Scipion l'Africain. Sa fille Sempronia épousa
Scipion r.\fricain le jeune. Ses fils furent Tiberius et Sem-
pronius Gracchus , les deux hommes les plus célèbres qn'ait
produits cette famille , et dont les lois portent encore le nom
de leges Semproniœ. Voyez Gracqces.
Parmi les personnages ayant appartenu à d'autres familles
plébéiennes du nom de Sempronius, nous citerons Til>erius
Sempronius Longus , consul dans la première année de la
seconde guerre punique, et qui perdit contre Annibal la
bataille de la Tréhie ; Marcus Sempronius Tudilamcs ,
consul en l'an 240 : c'est pendant sa magistrature que Li-
vius An dronicus fit représenter à Rome le premier
drame régulier ; enfin, Caius Sempronius Tuditanus, consul
en l'an 129, l'un des principaux annalistes de Rome, mais
dont l'ouviage n'est pas parvenu jusqu'à nous.
SEMUR. On compte en France deux villes de ce nom,
et toutes deux se trouvent dans la partie du territoire dé-
signée autrefois sous le nom de Bon rgog'ne.
SEMUR EN AUXOIS, chef-lieu d'arrondissement du dé-
partement de la Côte-d'Or , est bâtie près de l'Armançon et
située d'une manière pittoresque, sur le sommet d'un rocher
escarpé, au pied duquel coule la rivière. Cette ville, centre
d'un commerce assez actil en grains, chevaux, bêtes à laine,
beurre et miel, avec quelques fabriques de serge, de droguet,
et des tanneries , possède une bibliothèque publique de
12,000 volumes, une belle église paroissiale, un collège
communal, et deux ponts, dont l'un , d'une seule arche, est
remarquable par la hardiesse de sa construction. Patrie de
Saumaise,ony compte 3,980 habitants. C'était autrefois
une place forte , où le parlement de Dijon fut transféré, en
1690, pendant les troubles de la iJgue, par ordre de Henri IV.
SEMUR EN BRIONNAIS, chef-lieu de canton, dans le dé-
partement de Saône-et-Loire , est une petite ville de 1,600
habitants, qui était aussi autrefois une place forte. En 1483,
pendant la guerre des Armagnacs, elle fut brûlée par l'armée
royale. A l'époque des guerres de religion , un incendie la
détruisit de nouveau.
SÉNAT (du latin senatus, dérivé àe senior, ancien).
On nonmiait ainsi , dans les républiques anciennes , une as-
semblée dont les membres étaient appelés ou par droit de
nais.sance, ou par leurs .services, ou par élection, à constituer
le premier corps de l'État, le corps modérateur des as-
semblées du peuple. Durant l'enfance des peuples, c'était
l'âge qui faisait les sénateurs, sans qu'on eût encore songé à
donner à cette réunion des anciens ( seniores ) de la ville ou
de la tribu une organisation quelconque.
Au temps de Moïse, les Hébreux eurent à leur tête un corps
de soixante-dix anciens, auxquels ce législateur donna une
organisation définitive. « Pour maintenir la loi dans .«a vi-
gueuf, ditBossuet, .Moïse eut ordre de former une as.sem-
blée de septante conseillers , qui pouvait être appelée le se'
nat du peuple de Dieu et le conseil perpétuel de la nation. »
Des versets de l'Écriture qui indiquent la formation du sénat
des Juifs {Nombres, ch. xi , v. 16 , 24 , 26) , il résidte que
pour être admis dans ce corps il fallait être ancien du peuple,
et avoir été élevé à quelques fonctions publiques. L'usage
fit durer les fondions des sénateurs foute leur vie, bien
que la loi ne l'ordonnât point. Le sénat , grand conseil
ou grand s an hé dr in , restait en permanence; ses dé-
libérations avaient lieu en présence du peuple, d'abord dans
le désert , devant le tabernacle ; plus tard, sous l'un des
portiques du temple de Jérusalem. Dans le temps même
où les Hébreux demandèrent un roi , aucune atteinte ne fut
portée à ses attributions. De concert avec l'assemblée gé-
nérale , il faisait la paix ou déclarait la guerre , désignai; el
SENAT
insfitnnit lo granfl-pi<!tre. Tout décret sur les taxes venait
de lui (loi que les rois violèrent plus d'une fois); par ses
ordres, le trésor de l'État, renfermé dans le temple, rece-
vait sa destination. Comme interprète politique de la loi,
il décidait, après avoir consulté le grand-prêtre et ses asses-
seurs, de toutes les questions de droit piil)lic, des différends
de tribu à tribu ; enfin, comme conseil suprême de jus-
tice criminelle , il connaissait de tous les crimes contraires
à la loi ; de sorte que les propliètes , les prêtres , les chefs
militaires, et les sénateurs eux-mêmes, pouvaient être ap-
pelés devant lui et jugés en présence de l'assemblée du
peuple. Malgré ces nombreuses et hautes attributions , les
sénateurs, chez les Hébreux, ne iormaicnt pas une classe à
part; hors du sié^e de la mngistrature, ils redevenaient
simples citoyens.
A Sparte , la constitution de Lycurgue tempéra la royauté
par un sénat , qui formait un pouvoir intermédiaire entre les
rois et le peuple. Il était composé de vin«l-huit membres.
Les deux rois se joignant aux sénateurs, et n'ayant,
comme eux, qu'une voix, formaient le conseil des trente..
I! n'appartenait qu'à ce conseil de convoquer les citoyens;
et ceux-ci n'avaient la faculté de rien pro|)Oser ni de discuter
les propositions du sénat : ils ne faisaient que les admettre
ou les rejeter. Comme les sénateurs ne pouvaient être élus
qu'à soixante ans, et que leur place était viagère, « il n'é-
tait pas rare , dit Aristote, qu'ils la conservassent longtemps
dans un état d'iuibécillité; ils étaient d'ailleurs d'autant plus
faciles à gagner par des présents qu'ils n'avaient aucun
compte à rendre. »
A Athènes, le sénat ou conseil des quatre-cents, qu'on
appelait aussi le co),seil (Ven liant , fut institué par Solon,
([ui le forma de cent citoyens de chacune des quatre tribus.
Pour entrer dans ce conseil , il fallait avoir Vâge sénato-
rial; mais aucun texte ne nous indique quel était cet âge.
Les quatre cents étaient tirés au sort dans leurs tribus avec
des fèves : ce qui les faisait nommer les sénateurs de la fève.
Le sénat se renouvelait en entier à la fin de chaque année ,
3t devait rendre compte de sa conduite. Lorsqu'en 510 Clis-
thène eut porté les tribus au nombre dedix, chacune d'elles
fournit cinquante sénateurs , et le conseil qu'ils composaient
devint celui des cinq cents. Le sénat avait la haute direc-
tion de l'administration publique , mais il n'exerçait ses
fonctions que par prytanies. Chaque tribu formait une
prytanie, qui pendant trente-cinq jours était investie de
tous les pouvoirs et de la présidence du sénat. Comme cha-
cune des dix tribus avait successivement cet honneur, elles
occupaient ensemble trois cent cinquante jours de l'année
iunaire, qui était celle des Athéniens , laquLlle en avait trois
cent cinquante-quatre. Pendant les quatre jours restant la
présidence appartenait successivement aux quatre tribus
qui étaient sorties les premières. Le président de la prytanie
en exercice était ctiaque jour désigné par le .sort, et s'ap-
pelait épistate. Ce roi éphémère de la république avait les
clefs du trésor, celles des archives et de la citadelle. Les
prytanes en exercice hebdomadaire convoquaient le sénat et
faisaient le rapport des affaires. .Aucun décret ne pouvait
être présenté au peuple qu'il n'eût d'abord été discuté dans
le sénat. Les sénateurs recevaient une indemnité d'une
drachme par jour (90 cen<;me,ç). Malgré toutes les précau-
tions de la loi pour la bonne composition et la sage admi-
nistration dii sénat, Démoslhène a.ssure que certains hom-
mes, et surtout des orateurs, parvenaient quelquefois à
mener ce conseil , et qu'ils le menaient fort mal. Montes-
quieu ne veut voir de sénat à Athènes que dans l'aréo-
page. Des sénateurs qui changeaient tous les ans ne lui
paraissent pas de véritables sénateurs.
En Crète , chaque ville avait son sénat , à la fête duquel
étaient dix inspecteurs, ou suprêmes magistrats, pris parmi
des familles privilégiées, et qui devaient commander les
troupes pendant la guerre. Dans les colonies grecques de l'I-
tf.iie ménilionale , on trouve un sénat h Tarenle , à 'i hurium,
à Locres, à Rhegium, etc.
103
A Carthage existait un sénat, que l'on a souvent com-
pare à celui de Venise; j'en ai suffisamment parlé dans l'ar-
ticle que j'ai consacré à cette république.
Le plus illustre des sénats dont l'histoire fasse mention
est celui de R o m e ; on en faisait remonter la création à Ro-
miilus. Il fut d'abord composé décent sénateurs, nombre
correspondant suivant toute apparence à celui des génies,
par conséquent aux cent ramnes latines. On les appela
patres , à cause de leur âge ou des soins paternels qu'ils
donnaient à l'État, et on nomma leurs enfants patriciens.
Tullus Hostilius porta le nombre des sénateurs à deux cents,
nombre correspondant aux tilies sabines. Tarquin l'ancien
enfin en créa cent autres , pour la troisième des tribus,
celle des luceres, et qui (ure.nl Ap[)n\éf, patres mitwrum gen-
tlian. Ceux qui avaient été créés sous Romuius hirent
alors appelés patres 7najorum gcntium. Lors de rex|)ulsion
des rois, Biutus ayant nommé quel(|ues nouveaux s('nateurs
pour remplacer ceux i|ue Tarquin avait fait mourir, ces uia-
gislrats de nouvelle création lurent appelés pfl^re.ç conscripti,
c'est-à-dire inscrits avec les anciens sénateurs. l'ar l.i suite ,
quand on ne reconnut ou qu'on n'ob.serva plus de différence
originelle, le terme de patres conscripti devint la qualifi-
cation générale dont on se servait en s'adressunt au sénat.
Au temps de Sylla, le nombre des membres du sénat s'éle-
vait à plus de quatre cents. 11 fut porté à neuf cents par
Jules César, qui admit jusqu'à des barbares dans ce premier
corps de l'Étal. Après sa mort il y eut jusqu'à mille .séna-
teurs : on appela ces nouveaux venus orcini{ ab o?co[ l'en-
fer]), parce que pour établir leur qualité ils eurent re-
cours aux actes laissés dans les papiers du dictateur défunt.
Les sénateurs étaient choisis d'abord par les rois , ensuilc par
les consuls et les tribuns militaires, enfin par les censeurs,
auxquels demeura définitivement cette importante attribu-
tion. D'abord les sénateurs ne furent pris que parmi les pa-
triciens ; plus tard , le choix s'étendit aux plébéiens ; cepen-
dant, il fut restreint à l'ordre équestre, qu'on appelait pour
cette raison seminarium senatus. L'âge nécessaire pour
être admis au .sénat était de trente à trente-cinq ans. Au-
guste fixa même l'âge de vingt-cinci ans. Anciennement on
n'avait pas égard à la fortune pour l'admission au .sénat;
mais à l'époque florissante de la république chaque séna-
teur devait posséder au moins 800,000 sesterces ( environ
140,000 k. de notre monnaie). Auguste porta plus tard ce
chiffre à 1,200,000 sesterces, qui à cette époque représen-
taient environ 500,000 fr. de notre monnaie actuelle. A
chaque lustre, un des censeurs faisait la revue du sénat;
et si quelqu'un s'était rendu indigne de ce haut rang, ce
magistrat n'avait besoin, pour l'exclure, que de ne pas
appeler son nom en lisant le rôle des membres du sénat-
désignés dès lors sous la dénomination de lecti. Les sénateurs
avaient pour marque distinctive : 1" le laficlave, tunique
bordée d'une large bande de pourpre; V une chaussure
particulière (calcei) , sur laquelle était attaché un croissant
en ivoire; 3° enfin, depuis le second consulat de Scipion
l'ancien (an de Rome 558), une place particulière aux
spectacles (orchestra). En l'an 219 la loi Claudia interdit
formellement aux sénateurs de se mêler d'affaires de com-
merce. Pour désigner les pouvoirs du sénat, on employait
ordinairement le mot auctoritas ; on lui donnait , ainsi
qu'à chacun de ses membres, la qualification honorifique
tVamplissimus. Le sénat était convoqué par les consuls, et
en leur absence par les préteurs , par le dictateur, par le
maître de la cavalerie, par les décemvirs, par l'inter-roi ,
par le préfet de la ville. Les tribuns du peuple avaient ob-
tenu le droit de le convoquer, même lorsque les consuls
étaient présents. Plus tard , les empereurs ne présidaient
le sénat qu'autant qu'ils étaient revêtus de la dignité con-
sulaire. Le sénateur qui sans motifs légitimes se dispen-
sait d'assister aux séances était puni d'une amende. Le
sénat se réunissait toujours dans un temple, pour rendre ses
délibérations plus solennelles. 11 était convoqué hors de lô
ville, dans les temples de Bellone ou d'Apollon, <l"abord
104
SÉiNAT
pour la réception des ambassadeurs étrangers, ensuite pour
donner audience aux généraux romains qui revenaient de
l'année. Les séances ordinaires du sénat, fixées à certai-
nes époques du mois, notamment au 1"" janvier, lors de
l'entrée en charge des consuls , s'appelaient senatus legi-
thnus; les séances extraordinaires s'appelaient sena^îw in-
dicius ou edictus. Avant le temps de Sylla, la présence
(le cent membres était nécessaire pour rendre un décret. Au-
guste, sous prétexte de soulager les sénateurs, mais en effet
pour être maître des décisions du sénat, fixa à deux séances
par mois ses réunions; il se choisit dans le sénat un con-
seil particulier, renouvelé tous les six mois, et qui délibé-
rait d'avance sur ce qui devait être présenté à la discussion
de l'assemlblée.
Les consuls, en prenant l'avis des sénateurs, commen-
çaient ordinairement par \q prince du sénat (titre donné
d'abord à celui des sénateurs qui avait le plus anciennement
exercé les fonctions de la censure, mais depuis l'an de
Rome 544 à celui que les censeurs en crurent le plus digne) ;
ils consultaient ensuite les autres sénateurs suivant leurs di-
gnités , les consulaires , les anciens préteurs, édiles , tribuns,
questeurs, etc. Les sénateurs développaient leur opinion en
se tenant debout. Les consuls n'avaient pas ledroit d'inter-
romprecelui qui parlait, môme lorsqu'il s'écartait delaques-
tion proposée , ce qui était souvent une tactique pour ab-
sorber le temps de la séance. J'en citerai pour exemple
Caton d'Utiiine, qui discourut un jour entier pour empêcher
l'adoption d'un décret; car on ne pouvait plus rien proposer
après la dixième heure (c'est-àdire quatre heures après
midi ) , ni voler un décret après le coucher du soleil. 11 ar-
rivait souvent que ceux qui abusaient de la parole étaient
interrompus par les murmures et les clameurs des autres sé-
nateurs. La môme chose arrivait lorsqu'un orateur adressait
à un de ses collègues des paroles injurieuses. Pour rendre
un décret du sénat , le président faisait passer d'nn côté
de la salle ceux qui étaient pour l'adoption et de l'autre côté
ceux qui étaient pour le rejet. De là ces expressions sacra-
mentelles : ire pedibiis in sententiam alicujus ( se ranger
de l'avis de quelqu'un), et transire ou discedere in alia
omnia (passer à l'avis contraire). Les sénateurs qui vo-
taient sans avoir rien dit, ou, selon d'autres, ceux qui avaient
le droit de voter sans avoir celui de parler, s'appelaient
pedaril. C'étaient des patriciens qui n'avaient pas encore
eu de magistrature curiile. Souvent les délibérations restaient
secrètes ; et <lans les beaux temps de la république ce secret
fut admirablement gardé. César, pendant son consulat , or-
donna la publication quotidienne des actes du sénat. Les
décisions prises par le sénat étaient appelées auctoritas.
Quand elles ne rencontraient pas d'opposition, conmie par
exemple par suite de ['intercession des tribuns, elles deve-
naient un décret formel , et recevaient la dénomination
de sénatus-consultes. Les sénatus-consultes n'étaient pas,
k proprement dire , des lois ; mais ils en avaient la force. La
minute des d^cre/5 et sénatus-consultes était déposée dans
le trésor : avant ce dépôt, ils n'avaient aucune autorité.
Quelquefois ils étaient gravés sur des tables d'airain. Con-
servées encore aujourd'hui , ces tables sont des monuments
précieux d'antiquité.
L'autorité du sénat, déjà grande sous les rois, devint
absolue après leur expulsion ; les magistrats n'étaient en
quelque sorte que ses ministres : mais le sénat devenant
oppresseur, le peuple se retira sur le Mont-Sacré, et obtint
des tribun s. En peu d'années ces magistrats plébéiens réus-
sirent à affaiblir l'autorité des patriciens et par conséquent
du sénat; mais alors le sénat se défendit contre la rivalité et
les prétentions <lu peuple par sa sagesse, sa justice et l'amour
qu'il inspirait pour la patrie; par l'opposition d'untribimà
un autre, par la création d'un dictateur, par les occupations
d'une nouvelle guerre ou les malheurs (]ui réunissaient tous
les intérêts, par une condescendance paternelle à accorder
au peuple une partie de ses demandes pour lui faire aban-
donner les autres. C'est ainsi qu'il linit par accorder l'ad-
mission aes plébéiens au consulat, puis aux différentes
magistratures curules;et quede la sorte lise recruta perpé-
tuellement de l'élite des familles plébéiennes. Le sénat dis-
posait des deniers publics ; il était l'arbitre des affaires des
alliés; il décidait de la guerre ou de la paix , distribuait les
provinces et les armées aux consuls ou aux préteurs; il dé-
cernait les triomphes, il nommait les rois étrangers, les ré-
compensait, les punissait, les jugeait, leur donnait ou leur
fai.sait perdre le titre d'alliés du peuple romain. Voilà les
beaux temps du sénat. Sa maxime constante était de ne
jamais faire la paix que vainqueur : il agit avec Annibal
comme il avait agi avec Pyrrhus, à qui il avait refusé de faire
aucun accommodement tant qu'il serait en Italie. Quel
admirable spectacle il présente alors qu'après le désastre
de Cannes il va au-devant de Varron pour le remercier
de n'avoir pas désespéré de la république !
La puissance sans bornes du sénat fut attaquée par les
Gracques; et quand ces tribuns dépouillèrent les s^
Dateurs du pouvoir de juger, le sénat cessa d'être le mo-
dérateur de la république. De là des désordres qui ame-
nèrent la guerre sociale, durant laquelle les italiens
révoltés opposèrent au sénat de Rome le sénat de Corfinium.
Bientôt commence la .sanglante lutte de Marius et de
Sylla. Marius , vainqueur, décima le sénat. Sylla , triom-
phant à son tour, rétablit l'aristocratie dusénat, lecompléta
en y introduisant des chevaliers, et lui rendit le pouvoir
judiciaire. Héritier du parti de Marius, Sertorius eut
son sénat en Espagne. Dans la lutte entre César et Pom-
pée, le sénat soutint le parti républicain. César s'en vengea
en avilissant cette compagnie autant par ses procédés mépri-
sants que par sa dédaigneuse clémence. Il alla jusqu'à rédiger
lui-même des sénatus-consultes, en les souscrivant du nom
des premiers qui lui venaient dans l'esprit. Lorsque Auguste
n'eut plus d'ennemis , il chercha à relever le sénat par une
épuration qu'il ht en sa qualité de censeur. 11 partagea avec
lui l'administration des provinces , en se réservant les pro-
vinces frontières, et ne laissant que l'autorité civile aux gou-
verneurs {proconsules) désignés par le sénat. Enfin, il se
fit nommer prince du sénat; mais en môme temps qu'il
rétablissait la dignitcde ce corps respectable, il en détruisait
l'indépendance. Tibère, pour première mesure de son règne,
transporta au sénat le droit d'élection aux magistratures,
qu'Auguste n'avait pas osé retirer au peuple.
Comme conseil de TËtat, et comme cour de justice, cette
compagnie jouissait de prérogatives considérables, tandis
qu'en sa qualité de corps législatif elle était censée repré-
senter le peuple, et paraissait avoir conservé les droits de
la souveraineté. Le sénat s'assemblait régulièrement trois
fois par mois, aux calendes, aux nones et aux ides. On dis-
cutait les affaires avec liberté, et les empereurs, qui se glo-
rifiaient du titre de sénateur, prenaient séance, donnaient
leur voix, et .se contondaient avec ceux qu'ils appelaient
leurs égaux. Soigneux de dérober aux yeux des Romains
leur force irrésistible, ils faisaient profession d'être les mi-
nistres du sénat : ils obéissaient aux décrets siiprêmes
qu'ils avaient eux-mêmes dictés. Ainsi le sénat devint l'ins-
trument commode d'un despotisme dont ses plus illustres
membres furent les victimes; car ce fut par des sénatus-
consultes et des sentences sénatoriales que Tibère et ses
successeurs firent périr tant de sénateurs. Pourquoi cette
lutte entre le prince et le sénat.? D'abord le besoin de battre
monnaie en confisquant les immenses richesses des con-
damnés ; en second lieu, malgré sa complaisance poussée
jusqu'à la servilité, il existait dans le .sénat une opposition
chez laquelle s'étaient réfugiés l'amour de la liberté et les
traditions républicaines. Les sénateurs savaient mourir avec
assez décourage pour se dérober à l'infamie, mais ils le
savaient ou ne pouvaient pas résister. Le peuple, presqje
uniquement nourri des largesses de l'empereur, regardait
avec indifférence les tragiques catastrophes des grands.
Après la mort de C a l i g u 1 a , le sénat , rompant un silence
de soixante-dix ans, éleva tout à coup une voix indépcu-.
SENAT
dante. Convoqué dans le Capitole par les consuls, il condamna
la mémoire des Césars , et pendant quarante-huit heures il
agit comme le souverain de la république. Mais les gardes
prétoriennes proclamèrent l'imbécile C 1 a u d e ; et le sénat ,
abandonné par le peuple, reprit ses fers. Après le court
règne du vieux Galba, en vain 0 t h o n harangue-t-il ses
soldats pour leur parler de la dignité du sénat, qui venait de
le reconnaître , on ne rend pointdans un moment aux ordres
de l'État le respect qui leur a été été si longtemps. Vaine-
ment Vitellius envoie- t-il les principaux sénateurs pour
taire la paix avec Vespasi en; les armées ne regardèrent
ces députés que comme les plus lâches esclaves d'un maître
qu'elles avaient déjà réprouvé. Toutefois, le sénat n'abandonna
jamais la prérogative de confirmer par une élection l'éléva-
tion des empereurs qu'avaient proclamés les soldats. Sous
Vespasien et T i t u s , ce corps illustre reprit quelque consi-
dération ; mais sous le lâche tyran D o m i t i e n , toute son
histoire est renfermée dans ces vers si connus :
105
Le sénat mil aux voix celle affaire importante;
El le turbot fut mis à la sauce piquaule.
SousTrajan, il recouvra l'entière liberté des suffrages;
puis, après l'heureuse période des deux premiers Anto-
n in s, il lui fallut de nouveau s'avilir sous le despotisme
de Commode, l'indigne fils de Mar c Aur èle. Ce prince
gladiateur ayant été assassiné, le sénat déclara infâme la
mt-moire de celui à qui peu d'heures auparavant il prostituait
un vil encens.
Plus tard, convoqué par le consul , il reconnut unanime-
ment Septime Sévère comme le seulempereur légitime,
décréta les honneurs divins à Pertinax, et prononça une
sentence de déposition et de mort contre le sénateur Di-
dius Julianus, qui avait aciieté l'empire à beaux deniers
comptants. Hmnilié sous le despotisme militaire de Septime
Sévère, qui fit périr quarante-et-un de ses membres, forcé
par les soldats de mettre au rang des dieux le fratricide
Caracalla, le sénat tomba dans l'excès de la dégrada-
lion sous Héliogabale, qui introduisit sa mère au
sein de cette compagnie , avec le titre de clarissime. Cet
empereur débauché forma ensuite un sénat composé de
femmes, et qui rendait des décrets sur les habillements,
les parures , les préséances des matrones romaines , etc. Le
successeur d'Héliogabale, Alexandre Sévère, releva la
dignité du sénat, au sein duquel il choisit son conseil d'État,
en lui rendant une partie de ses anciennes prérogatives; et
il en usa sous les trois Gordiens, sousValérien et Gallien.
Après l'assassinat d'Aurélien , ce fut lui qui disposa du trône
en faveur de Claude Tacite, qui pendant un règne trop
court gouverna pour le sénat. A dater du règne de Diocié-
tien, son influence politique ne fait que déchoir. L'abandon
de l'Italie parles empereurs fut le coup le plus décisif qui
put être porté à l'inlluence du sénat. Tant qu'ils avaient
résidé à Rome, cette assemblée, souvent opprimée, n'avait
pu être négligée. 11 n'en fut plus dç même lorsque Dioclé-
tien et ses collègues alfectèrent d'éviter le séjour de ce siège
antique de la puissance romaine. La révolution fut consom-
mée par Constantin , qui, voulant avoir une capitale plus
moderne que le pouvoir royal , un sénat plus jeune que
son autorité, transporta définitivement le siège de l'empire
à Dyzance, et acheva de substituer au despotisme militaire
le despotisme de la cour. Le nouveau sénat que Constantin
érig'^a dans sa métropole n'obtint d'ailleurs jamais une
grande considération, quelque soin que prirent ce prince
et ses successeurs pour lui en donner. Dès ce moment fut
abandonnée à l'égard du sénat de Rome la dissimulation
qu'Auguste avait recommandée à ses successeurs. Le nom
de cet antique sénat fut cependant cité avec honneur
jusqu'à la destruction totale de l'empire : ses membres,
ainsi qu'on peut en juger par le code théodosien , jouissaient
de plusieurs distinctions honorables qui flattaient leur vanité.
Avec l'autorité du sénat périrent les privilèges de l'Italie.
Ron»e (ut soumise à l'impôt qu'elle avait cessé de payer
depuis ia conquête de la Macédoine; et dans toutes les cir-
constances le sénat partagea et favorisa le mécontentement
public contreles empereurs. CepenJant , malgré la propaga-
tion du christianisme, les plus illustres sénateurs conser-
vaient les anciens sacerdoces, les dignités d'augure et les
amples revenus qui de temps immémorial fournissaient
au faste de la prêtrise et à tous les frais du culte idolàtrique.
Les empereurs chrétiens eux-mêmes, sans excepter Cons-
tant in, ne dédaignaient pas la robe et les ornements de
pontife suprême. Les sénateurs faisaient encore, sur l'autel
de la Victoire, serment d'obéir aux lois de l'empereur et
de l'empire; dans toutes les délibérations publiques, ils
commençaient par présenter à cette déesse une offrande de
vin et d'encens. Plus scrupuleux ou plus éclairé , l'empereur
Gratien rejeta sévèrement ces profanes symboles : il or-
donna la démolition de l'autel de la Victoire ; et nous avons
encore la requête inutile que Symmaque présenta à l'em-
pereur au nom du sénat pour en obtenir le rétablissement.
Théodose acheva l'ouvrage de Gratien. Le sénat, averti de
l'exil de Symmaque , fit taire sa prédilection pour le paga-
nisme, et marqua sa conversion précipitée par la condam-
nation de Jupiter et des autres dieux du Capitole (381 après
J.-C. ). Alors le paganisme fut aboli dans Rome. On peut
dire que depuis cette époque, s'il y eut encore longtemps
des sénateurs, il n'y eut plus de sénat. Cependant, l'histoire
signale encore quelques actes de ce corps déchu. Quand
Odoacre, roi des Hérules, abolit l'empire d'Occident, il
respecta le sénat. Théod oric, qui après Odoacre conquit
l'Italie, s'attacha d'abord à rendre à ce corps son ancien
lustre ; à la fin de son règne , les sénateurs , trompés par
les ménagements qu'on avait pour eux, se crurent plus
importants et plus redoutables qu'ils ne l'étaient réelle-
ment ; mais comme ils étaient sans forte, tout se borna
de leur part à des complots obscurs. Tliéodoric punit plutôt
sur des soupçons que sur des preuves ceux dont les pro-
jets lui parurent des trahisons , et souilla sa gloire par la
condamnation et la mort de Roëce et de Symmaque. Le
rè^^ne de Justinien, marqué d'abord par l'abolition du
consulat, en 541, vit finir, en 5.^?. , le sénat de Rome. L'an-
cienne capitale du mon<le, prise et reprise cinq fois pendant
ce règne, se trouva tellement ruinée, les familles sénato-
riales furent tellement moissonnées par le glaive, la misère
et les supplices, qu'elles renoncèrent à soutenir la dignité
de ce nom antique. Plusieurs allèrent s'établir à Constanti-
nople, et se confondirent avec les familles .sénatoriales de
celte métropole.
Le moyen âge vit naître un grand nombre de répu-
bliques, qui toutes avaient un sénat. A Venise, le sénat
représentait l'aristocratie, comme le grand conseil repré-
sentait la démocratie. Pour être sénateur, il fallait être
noble et avoir vingt-cinq ans. Les sénateurs lurent appelés
pregadi (les priés), parce que dans l'origine les nobles,
voulant persuader aux bourgeois qu'ils ne recherchaient pas
les emplois , se faisaient prier pour les accepter. Le nombre
des sénateurs , qui était d'abord de soixante , fut augmenté
dans la suite jusqu'à trois cents. Le sénat déclarait la guerre,
traitait de la paix, concluait les alliances; il pouvait môme
faire des cessions de territoire, mais il ne lui était pas permis
d'introduire le moindre changement dans les lois sans la par-
ticipation du grand conseil. 11 ne disposait d'aucun emploi ;
seulement, les ambassadeurs étaient à sanomination. Il avait
pour maxime d'éviter toute liaison intime avec ses voisins
immétiiats ,et de ne contracter d'alliance qu'avec les princes
dont les États touchaient à ceux de ses voisins. On sait com-
bien lapolitique du sénat de Venise était exclusive, immorale
éternelle.
La république de Raguse eut aussi son sénat, qui la gou'
vernait avec sagesse. U était composé de quarante-cinq pr»
gadl; il fallait être noble, et avoir plus dequarante ans, pour
être sénateur. Le sénat se recrutait de membres .sortant du
grand conseil de la république. Le pouvoir exécutif était confié
au petit conseil, composé de sept séuatçurs. Trois séna-
106
teurs, sous le llirede proveditori, veillaient à la bonne
administration de la justice.
A l'instar de Rome , les assemblées municipales de plu-
sieurs grandes villes impériales d'Allemagne, notamment
celles des villesJianséatiques, prirent à partir du moyen âge la
qualification de sénat. Aujourd'hui encore Bre m en, Franc-
fort, Lubeck et Hambourg ont leur s^i/jo^. En Prusse
et dans quelques autres États allemands les cours de jus-
tice se divisent en sénat civil et sénat criminel.
Dans quelques constitutions représentatives on a souvent
donné le nom de .sénat à des corps politiques composés
d'éléments aristocratiques et destinés à faire contre-poids à
la chambre élective , composée d'éléments démocratiques, à
l'instar du rôle joué dans la constitution anglaise par la
chambre haute et naguère dans la France constitution-
nelle par la chambre des p airs. C'est ainsi que dans le
seim ( la diète de Pologne) il y avait une chambre du sénat
comprenant les prélats, lesvoïvodes, les castellans et les
ministres.
En Suède, le souverain avait un conseil composé de
laïques et de douze ecclésiastiques; ces conseillers, dans le
quatorzième siècle, se donnèrenf le titre de sénateurs du
royaume. Ce sénat fut aboli en 1772, lors de la révolution
opérée par Gustave III; mais les sénateurs conservèrent
leur titre jusqu'à leur décès. En 1809 ce sénat a été rétabli
sous le nom (le conseil d'État. Il se compose de neuf person-
nes, dont cinii sont chefs d'un département ministériel.
Dans le royaume de B e I g i q u e , le sénat partage la puis-
sance législative avec la chambre des représentants. Les
sénateurs comme les députés sont soumis à l'élection. Les
constitutions actuelles de l'Espagne, delà Sardaigne', du
Portugal, du Brésil, d'Haïîi et de quelques républiques
de l'Amérique consacrent l'existence d'un sénat.
Aux États-Unis , le séna^ait partie intégrante du con-
grès américain. Les sénateurs sont nommés pour six ans,
à raison de deux par chacun des États dont se compose
l'Union, et se renouvellent par tiers tous les deux ans. C'est
le sénat, qui, de concert avec le président, conclut les trai-
tés, nomme les ministres et les magistrats de la cour su-
prême. Il est présidé par le vice-président des États-Unis.
En France, il y eut sous le gouvernement issu de la
journée du 18 brumaire un sénat conservateur, institué par la
constitution de l'an vin. Il se composait de quatre-vingt-huit
membres, inamovibles, à vie, et âgés de quarante ans au
moins. La nomination aune place de sénateur se faisait par
le sénat , qui choisissait entre trois candidats présentés, le pre-
mier par le corps législatif, le second par le tribunal, le troi-
sième par le premier consul. Le sénat élisait, d'après les listes
faites dans les départements , les législateurs , les tribuns,
les consuls, les juges de cassation et les commissaires à la
comptabilité. Il avait mission de maintenir ou annuler tous
les actes qui lui étaient déférés comme inconstitutionnels
par le tribunal ou par le gouvernement. A cette même
époque, les républiques //j^wne/iric. Italienne, Batave,
avaient aussi des sénats. Mais lorsque ces divers États fu-
rent successivement réunis à l'empire par Napoléon, le sénat
de son royaume d'Italie subsista seul. L'empereur avait éga-
lement maintenu le sénat conservateur. Ce corps se com-
posait en 1811 de cent-trente-sept membres, non compris
les princes français et les grands dignatairesde l'empire. Il y
avait dans cette assemblée deux commissions composées
chacune de sept membres , l'une pour la liberté indivi-
duelle, l'autre pour la liberté de la presse. On sait ce que
le despotisme im[)érial fit de ces deux libertés, et les com-
missions n'y trouvèrent jamais le plus petit mot à redire.
L'histoire flétrira ces sénatus-consultes qui chaque année
décimaient la France en anticipant sur les conscriptions.
Ceux qui ont vécu à cette époque se rappellent que la servi-
lité du sénat était passée en proverbe. Toutelois, comme le
sénat de Rome sous les empereurs , le sénat français comp-
tait une minorité indépendante; mais elle se composait à
peine (le cinq à six membres, parmi lesquels on a tonicirs
SÉNAT — SÉNÉ
cité Grégoire, Garât, Lanjui nais. Chaque sénateur
avait 36,000 francs d'appointements. De plus, par le sénatus*
consulte du 22 nivôse an xi, on avait créé trente-cinq senato-
reries (une par cour d'appel). Chaque i^Jiatorerie était
dotée d'un revenu de 25,000 fr., et devait être possédée à
vie par un sénateur, choisi par l'empereur sur une liste de
trois candidats présentés par le sénat. Les sénateurs pourvus
d'une sénatorerie étaient tenus d'y résider au moins trois
mois chaque année. Lors des événements de 1814, lesénat
conservateur, par son empressement à prononcer la dé-
chéance de Napoléon et à se mettre aux pieds des souve-
rains alliés, parvint à conserver, sinon ses sénatoreries,
du moins ses traitements. La plupart des sénateurs passèrent
dans la chambre des pairs , et continuèrent à jouir de leur
36,000 (r. : ceux que Louis XVIII n'adopta point pour ses
pairs ne touchèrent plus que 24,000 fr. Telle est l'histoire
de ce corps, qui fournira sans doute à quelque Tacite futur
une de ces pages éloquentes dans lesquelles le grand histo-
rien a flétri la dégradation du sénat de Tibère.
On sait que la constitution qui régit la France depuis 1852
a aussi institué un sénat; mais elle n'a eu garde de l'affu-
bler du sobriquet de conservateur. Ses membres ne jouis-
sent non plus que d'un traitement de 30,000 fr. ; et il n'a
point encore été créé de sénatoreries.
En Russie, un des trois grands corps de l'État estle.çdna^
djn^eaw^, considéré comme le premier de tous. L'auto-
crate en est le président, et les sénateurs sont nommés
par lui en nombre illimité. Toutefois, ils ne sont jamais plus
de cent. Le sénat veille à l 'exécution des lois, surveille la
rentrée et l'emploi des deniers publics , promulgue les lois
et les édits rendus par l'empereur, nomme à la plupart des
emplois, juge en dernière instance toutes les causes, etc. Il se
divise en huit départements , dont les cinq premiers rési-
dent à Pétersbourg et les trois autres à Moscou.
Charles Du Rozom.
SÉNATORERIE. Voyez ci-dessus, à l'article Sénat,
le paragraphe consacré au sénat conservateur.
SÉNATUS-CONSULTES, senatus-consulta. C'est
le nom qu'on donnait à Rome aux décisions prises par le
sénat sur des questions, des points de droit, des faits ou
quelque règlement concernant l'État. En France, .sous la
constitution de l'an viii et sous le premier empire, la même
dénomination fut employée pour désigner les décisions prises
par le sénat, dit conservateur.
SENDOMIR, en polonais Sandomierz, ville de cer-
cle du gouvernement de Radom (Pologne), sur les bords
de la Vistule, est située dans une belle et fertile contrée,
et compte environ 5,000 habitants. C'était sous les Jagellons
une des villes les plus considérables de la Pologne, avec
de nombreuses fabriques et un commerce florissant; et il
en fut ainsi jusqu'à l'aii 1656, qu'elle fut prise et détruite
parles Suédois. Du 9 au 14 avril 1570 les dissidents
y tinrent un synode mémorable, à l'effet de s'entendre sur les
questions de dogme. Le 14 avril , plusieurs ecclésiastiques
protestants, réformés et bussites, ainsi que divers laïcs
appartenant à l'ordre de la noblesse, y souscrivirent une
déclaration de foi où le dogme de la transsubstantiation
est traité avec une grande réserve. Cependant, les dissensions
Ihéologiques n'en continuèrent pas avec moins d'acharne-
ment qu'auparavant.
SÉNÉ. Parmi les substances que le règne végétal four-
nit à la matière médicale, on distingue, sous le nom de
séné, des feuilles et des follicules doués de propriétés pur-
gatives. Suivant les uns, c'est la valeur médicale de ces pro-
duits végétaux qui les a fait appeler ainsi , par allusion au
verbe latin sanare (guérir) : suivant d'autres, et selon une
probabilité plus rationnelle, ce nom provient de- Sennaar,
pays voisin de l'Egypte, et d'où le médicament qui nous oc-
cupe nous arrive en grande partie par le commerce du Le-
vant. On considéra longtemps le séné comme étant fourni
par une seule et même plante; mais les feuilles , qui présen-
taient entres elles des différences remarquables, nnnonçaicn}
SÉNÉ — SÉNÉCHAL
nrnnr.Nir.s des origines diff(^rentes, qui aujonni'liui sont con- ■
nues : ou sait que en uiédicament provient de deux plantes
du genre cassïa , et d'une aulre du genre cijnunchum , qui |
toute? croissent dans la liante Egypte et les pays circonvoi- |
sins.
La propriété médicale du séné , surtout des feuilles , en
fit faire une consommation considérable en France, au temps '
où les purgatifs étaient en aussi grande vogue que la saignée,
époque que rappelle Boileau , en disant :
L'un meurt vide de sang, l'autre plein de smé.
Aujourd'hui , on emploie moins fréquemment ce purgatif
par égard pour le t^oût, cette sentinelle vigilante de l'esto-
mac, que l'invention assez récente des capsules gélatineuses
permettrait cependant <le tromper avec succès. C'est en ef-
fet surtout le séné qui communiiiue au\ potions purgatives
vulgairement appelées médecines noires l'horrible saveur
qui les distingue. L'abandon absolu du séné serait regret-
table ; il procure un purgatif siir, fidèle, énergique, dé-
terminant peu de douleurs intestinales, et il serait difficile
de le remplacer complètement. Les eaux minérales douées
de propriétés purgatives et l'huile de ricin, dont on fait
principalement usage aujourd'hui , sont comparativement
moins actives; le jalap et l'aloès, plus puissants, ont des
inconvénients assez graves.
Les feuilles et les follicules compris sous le nom général
de séné onl une grande analogie avec le baguenaudie r :
aussi cet arbrisseau, commun dans nos jardins, aide-t-il
souvent à frauder les provenances commerciales.
Plusieurs plantes de notre pays ont aussi reçu le nom de
5én<^; la coro ni 1 le (coronilla emerus), douée de quali-
tés purgatives, mais faibles , est appelée se'n^ bâtard; la
casse de Maryland , bel arbrisseau , peu rare maintenant
dans les jardins d'élite, porte le nom de séné d'Amérique;
et ses feuilles fournissent en effet un purgatif qui se rap-
proche du séné légitime.
Passez-moi la casse ou la rhubarbe, je vous passerai
le séné ; arrangement devenu proverbial pour désigner des
capitulations peu importantes, semblables à celles que l'a-
mour-propre dicte aux médecins dans leurs consultations.
Charbonnier.
SÉNEBIER (Jean), naturaliste et bibliographe, né à
Genève, en 1742, étudia la théologie, et fut nommé, en 1765,
pasteur attaché à l'une des églises de sa ville natale. Il pu-
blia d'abord des Contes moraux, dans le goût de Mar-
montel , qui n'obtinrent aucun succès. Doué d'une instruc-
tion variée , il publia, à l'occasion d'une question mise au
concours par l'Académie de Harlem , son Fessai sur les ob-
servations en histoire naturelle, ouvrage demeuré clas-
sique. Il traduisit ensuite divers ouvrages de son ami Spal-
lanzani, et rédigea pour VEn cyc lopédie méthodique la
partie relative à la physiologie végétale. Après avoir été
pendant plusieurs années ministre à Chancy, il fut nommé
en 1773 bibliothécaire en chef de la ville de Genève, et eut
de la sorte occasion de s'occuper de recherches biblïbgra-
phiques et de travaux sur l'histoire et la littérature. A l'é-
poque des troubles de Genève , il la quitta pour le pays de
Vaud; mais il y revint en 1799, et c'est là qu'il mourut,
en 1809.
Les travaux les plus remarquables de Sénebier sont ceux
qu'il entreprit pour appliquer les lois de la chimie et de la
physique à l'explication des phénomènes de la vie des ani-
maux et des plantes , par exemple sur la lumière solaire
(Mémoires sur l'influence de la lumière solaire , etc.
[3 vol., Genève, 1782]), et sur l'air atmosphérique {Rap-
ports de Vair atmosphérique avec les êtres organisés
[3 vol, 1807]). Dans ce dernier livre il prouva que ce n'est
pas seulement de l'atmosphère que les végétaux retirent
le carbone qui leur est nécessaire , mais qu'ils en puisent
sans cesse dans le sol au moyen de leurs racines , et qu'ils
le décomposent ensuite. Pour s'assurer de ce fait, il prit
deux tranches aussi semblables que possible, plaça !a li^;c
107
de l'une d'elles dans de l'acide carbonique; l'autre futlai.<;see
à l'air ; la première était encore pleine de fraîcheur , que la
seconde était complètement fanée. Il avait déjà indiqué ou
formellement exprimé ces idées dans son Traité de Physio-
logie végétale (3 vol., 1800). Il s'occupa aussi de météo-
rologie et de bibliographie , mais sans produire rien de re-
marquable en ce genre. Il refondit son célèbre Essai sur les
observations en histoire naturelle sous le titre de Essai
sur l'art d'observer et de faire des expériences (Genève,
1775; 3^ édit., 1802).
SEiVECÉ ou SÉNKÇAY (Antoine BAUDERON de),
poëte agréable, mais peu connu, du règne de Louis XIV,
naquit à Mâcon, en 1643, et était petit-fils et arrière-petit-fils
de médecins fort considérés. Ce nom de Sénecé était celui
d'une terre acquise par son père, qui était magistrat. Il reçut
une éducation très-littéraire, et débuta dans le monde comme
un fils de famille riche, élégant et spirituel , auquel la né-
cessité , cette terrible déesse aux mains armées de coins de
fer, n'est pas là pour commander un travail sérieux et inces-
sant. Des aventures romanesques signalèrent au contraire sa
jeunesse. Un duel de quatre contre quatre, auquel, dit-on, il
assista et où il y eut mort d'homme, le contraignit à se ré-
fugier RU Savoie, où sa bonne mine et son esprit le firent
parfaitement accueillir par le duc, qui voulut même le ma-
rier richement. Sénecé trouva moyen de se soustraire au
bonheur que son protecteur voulait lui imposer, et après
quelques autres aventures passa en Espagne. Ce n'est qu'en
1669 qu'il put reparaître en France sans craindre qu'il lui
fût fait application des peines sévères édictées contre les
duels. Un mariage avec la fille de l'intendant d'une princesse,
la duchesse d'Angoulême, lui donna bientôt une espèce de
pied à Versailles , et il se trouva tout à fait de la cour quand
il eut acheté la charge de premier valet de chaniDre de la
reine. Être de la cour avait constamment été le plus cher
de ses vœux, il avait donc désormais tout ce qu'il faut pour
être heureux suivant ses goûts; et à en juger par l'âge ex-
trêmement avancé auquel il parvint (il ne mourut qu'en 1737),
on peut encore croire qu'il le fut en réalité. Mais aussi, hâtons-
nous de le dire, c'est qu'il fut avant tout philosophe; et que
lorsque la mort de la reine, arrivée en 1683, lui eut fait [)er-
dre sa charge, indépendamment de la .somme assez ronde
qu'il avait consenti à payer à de Vizé, son prédécesseur,
il sut, à l'âge de quarante ans, se résigner à devenir bourgeois
et provincial comme devant et à s'enterrer dans son Maçon-
nais. C'est là qu'il composa la plus grande partie de ses œu-
vres en vers et en prose, publiées par Auger en 1805 , et
dont une nouvelle édition a été récemment donnée en 2 vol.
dans la Bibliothèque elzévirienne. Sénecé mourut en 1737,
à Maçon. On a de lui des Nouvelles en vers ( 1695 ) , des
Satires { 1695 ), des Épigrammes et une critique des Mé-
moires du cardinal de Retz, dont il a fort inutilement es-
sayé de contester l'authenticité.
"SÉlVÊCHiVL ou SÉNESCHALK {voir, pour l'étymo-
logie, Chevalier, tome V, p. 428). Ce fut en F'rance, à
partir de l'époque des Mérovingiens, le titre d'un des princi-
paux fonctionnaires de la cour, chargé de l'administration in-
térieure de la maison royale, et, de même qu'aujourd hui en-
core è la cour d'Angleterre le lord high siewart, cumulant
avec ses attributions quelques fonctions judiciaires. Les his-
toriens du moyen âge , qui écrivaient en latin, emploient pour
donner l'équivalent dece titre tantôt le mot de dapifer, tantôt
ceux âe prsepnsitus mensas, parce qu'à l'origine son office
consistait à placer les mets sur la table royale. Les rois de la
première et de la seconde race s'étaient donné des maîtres
dans la personne de leurs premiers domestiques ; et de
même que \esmaires du pa lais, sous la première race,
les grands-sénéchaux ou grands-maitres de France gou-
vernèrent sous la seconde. Finances, justice, commande-
ment et administration des armées, le sénéchal réunissait
entre ses mains toutes les branches de l'autorité royale.
Cette charge était encore héréditaire, sous Louis le Gros,
dans la famille do Foulques , comte d'Anjou, et depuis roi
'SÉNÉCHAL — SÉNÉGAMBIE
108
de Jcriisalem. Depuis , cette charge fut presque toujours i
conliée au plus proche parent du roi. Si sous les rois de la
troisième race les connétables arrivèrent à jouer le
même rôle que les sénéchaux sous les rois de la seconde |
race , la charge de sénéchal n'en subsistait pas moins encore
sons les Valois. Le dernier titulaire tut le comte de Brézé ,
dont la femme , Diane de Poiliers , conservait à la cour le
litre de madame la grande- sènéchale, et est souve.Mt dési-
gnée ainsi dans les mémoires du temps.
Les ducs de Bourgogne et de Bretagne, de Guienne et de
Normandie, les comtes de Champagne, de Flandre, de
Toulouse, etc., tous les grands vassaux de la couronne eu-
rent aussi leurs sénéchaux.
Dans l'administration des provinces, les sénéchaux étaient
à l'origine des commissaires délégués par le roi pour exa-
miner et réformer les actes d'administration des comtes ; et
quelques auteurs pensent qu'ils remplacèrent les missi do-
minià. Comme les baillis, ils étaient officiers d'cpée,el ils
ne perdirent rien quand le roi se fut substitué aux différents
chefs féodaux auxquels ils avaient jusque alors obéi. Mais
comme leurs pouvoirs , quoique enfermés dans des terri-
toires peu étendus, élaient encore considérables, les rois s'at-
tachèrent à les réduire de plus en plus, notamment par
l'institution des baillis. La création d'une milice perpé-
tuelle et soldée réduisit leur droit de conduire à la guerre la
noblesse de leurs circonscriptions respectives, aux cas de
plus en plus rares de convocation du ban et de l'arrière-ban.
On leur relira aussi les finances. Quant à leur jiuidictiou
contentieuse, on leur donna des lieutenants de 7-obe longue
( c'est-à-dire des magistrats), qui rendirent la justice à leur
place. Sous iMançois I" ils ne purent plus que siéger à
l'audience comme officiers militaires , mais sans pou-
voir y juger : toutefois, ils conservèrent encore le privilège
d'intituler de leurs noms les sentences rendues et les con-
trats passés sons le scel de la sénéchaussée. Ils disparais-
sent ensuite d'entre les rouages de l'administration et de
l'ordre judiciaire, sans qu'on sache trop quand ni comment.
Si en 1789 leur autorité et leur juridiction n'existaient plus
depuis longtemps, cej)endant on donnait encore alors leur
nom à des officiers de justice subalterne, qui étaient de
deux sortes : les sénéchaux royaux et les sénéchaux
seigneuriaux. Les fonctions des premiers répondaientà celles
des lieutenants généraux des bailliages, et les fonctions des
seconds à celles des baillis de justice seigneuriale.
SÉlXÉCHAUSSÉE. Ce mot désignait et l'office dont
étaient revêtus les sénéchaux , et l'étendue territoriale sur
laquelle ils avaient juridiction. Les députés aux états géné-
raux de 1789, connue aux précédents, furent élus par bail-
linr/p et par sénéchaussée.
SÉXEÇOiV EIV ARBRE. Voyez Bacchante.
SEXEE ou SENEFFE, ville de la province de Hainaut
( Belgique ), près de Nivelle et ii deux myriamètres de Char-
leroy, centre d'une fabrication assez importante de poteries
et de verreries , avec près de 4,000 habitants et un très-beau
château , est célèbre par la victoire que l'armée française,
commandée par le grand Coudé, y remporta le 11 août 1674
sur les coalisés aux ordres du prince d'Orange , qui au
nombre de ses lieutenants comptait Montecuculi, le jeune
•lue de Lorraine, le prince de Vaudemont et le prince de
Waldeck. La perte des Hollandais fut de 5 à 6,000 hommes
tués; celle des Espagnols de 3,000 et celle des Impériaux de
GOO ; sans compter environ 6,000 prisonniers. Espagnols pour
la [)lupart. Les coalisés avaient 60,000 hommes en ligne ;
l'aimée française présentait à peine un effectif de 30,000
hommes.
En 1794, les Français, commandés par Marceau, batti-
rent encore sous les murs de Senef les Autrichiens.
SENEFELDER. Voyez Lithogk.vpiiie.
SÉNÉGAL ( Le) , un des plus grands fleuves de \\K-
(rique, provient, dans la terrasse septentrionale du plateau
de Kong, de la réunion d'un grand nombre de rivières cou-
vrant une surface d'environ 30 myriam. carrés dans la direc-
tion du nord-ouest. Les plus importantes sont le Bafing
à l'ouest et le Kokoro à l'est. Le Bafing, appelé aussi Baleo,
c'esl-à-dire rivière Noire , a sa source principale située entre
le 10'' et le 12" degré de latitude septentrionale, et le 7* et
le 9"= degré de longitude orientale, dans les âpres monts Fal-
lonkadou, à 16 myr. seulement à l'ouest de la source du
Tankissé, l'une des principales rivières formant la source
du Niger, et à 14 myriamètres seulement de la source de
la Gambie. Le Kokoro a sa source situi'e à peu près entre
le ta'^/tegré de latitude nord et le lî" degré de longitude est
au voisinage d'un pays appelé Manding. L'une et l'autre tra-
versent dans la direction du nord-ouest le pays de montagnes
habité par les Mandingps. A peu de distance de leur
point de jonction, environ par 15° de lat. nord et 8" 30' de
longit. est, le fleuve forme les grandes cataractes de Got'ina,
et 4 myriamètres plus loin les cataractes de Felouh. Au-
dessous de ces dernières, le Sénégal entredans la valléede Sé-
négambie, et reçoit au-dessous du fort Bakel le plus grand de
ses alfluents, le Faleîué , volumineux cours d'eau qui arrive
du sud et du pays de Baniboub. A partir de Bakel le Sénégal
devient enlin un fleuve beau, limpide etcalme, qui coule dans
le direction du nord-ouest sur un fond de sable et de gravier,
et est navigable |iendant la saison des eaux pour les plus
grands vaisseaux et bâtiments à vapeur jusqu'aux cataractes
de Felouh. Au-dessous de Bakel, il décrit une infinité de
détours, en formant de grandes îles d'une extrême fertihté,
entre autres Vile d' Ivoire ou Mor/il. A environ 26 myria-
mètres de son embouchure ( par 15" 55' de lat. nord, et 1" 7'
de long, est) dans l'océan Atlantique, le Sénégal se divise
en bras nombreux, qui forment un immense delta. De redou-
tables brisants et une barre, qui dans la saison sèche n'a
guère plus de trois mètres de profondeur, rendent d'une
difficulté extrême pendant plusieurs mois l'entrée du fleuve.
En avant de son embouchure se trouvent situées plusieurs
lies, parmi lesquelles on remarque Sainl-Louis, avec un
grand établissement français. Les inondatious périodiques
du fleuve en rendent la vallée d'une fertilité extraordinaire
en raison du limon qu'elles y déposent, mais sont cause en
même temps de son insalubrité.
Quand il s'agit de possessions coloniales et de commerce,
on donna aussi le nom de Sénégal à la contrée que les
géographes désignent sous celui de Sénégambie .
SÉNÉGAMBIE ou NIGRITIE OCCIDENTALE. On
appelle ainsi le pays de côtes et de montagnes de l'Afrique
occidentale, qui s'étend sur les bords de l'océan Atlantique
depuis le cap Verga jusqu'à la baie de Porlendic , c'est-à-
dire du 10' au 18"^ degré de latitude septentrionale, sur une
longueur de 84 myriamètres , qui à l'intérieur se prolonge
jusqu'aux limites du Sahara avec une largeur moyenne de
60 myriamètres, et à l'est jusqu'aux plaines du pays qu'ar-
rose le Niger, sur une longueur de 175 myriamètres, et qui
comprend une superficie d'environ 12,600 myriamètres
carrés. Cette contrée tire son nom de ses deux principaux
cours d'eau, le Sénégal et la Gam bie. On ne trouve pas
du tout d'autres cours d'eau entre eux , et au sud jusqu'au
Nunez on n'en rencontre que d'insignifiants. La plupart se
jettent dans de larges bras de mer, qui échancrent profondé-
ment la côte et qu'on prenait autrefois pour autant d'em-
bouchures de grands fleuves; bras de mer reliés entre eux
par des bras latéraux , et constituant de la sorte comme un
archipel de côtes. L'intérieur du pays forme le versant occi-
dental et septentrional du plateau de Kong, et est encore
en i)artie inconnu. Le .sol .se compose, suivant .son élévation,
de deux parties : la région des côtes, tantôt terrain d'allu-
vion complètement plat, tantôt pays de collines, qui va
toujours en s'elargissant du sud au nord et qui sur sa fron-
tière septentrionale devient tout à fait le désert; et le pla-
teau de l'intérieur, qui de la plaine s'élève en chaînes de
montagnes jusqu'au plateau des montagnes de Kong, n'at-
teignant pas plus de 1,000 mètres d'élévation , et à travers
lesquelles conduisent des défilés escarpés. Dans la haute
Sénégambie , comprenant le pays situé au nord du Sénégal,
SEINEGAMBIE
habitent des Arabes ou Maures, professant l'islamisme. La
vioyenne Sénégambie comprend les contrées riveraines du
Sénégal à partir de la côle en amont , et mesure une su-
perticie d'environ 35 myr. carrés. Elle est liabitée par des
nègres, qui se divisent en un grand nombre de peuplades,
dont les plus remarquables sont les Fellatahs, les Djalof/s
(ou Jclqf/s) et les Mandingos. Le climat est très-cbaud ,
et malsain dans les parties marécageuses. Le sol, uni dans
sa partie occidentale, est généralement fertile et donne les
produits ordinaires de la zone torride en Afrique. La basse
Sénégambie comprend les contrées riveraines de la Gambie
et s'étendant au sud jusqu'au Nunez.
Les Européens possèdent en Sénégambie divers terri-
toires, forts et postes de commerce.
Ainsi, les Français y ont le gouvernement du Sénégal, dont
fait partie Saint-Louis, île basse et sablonneuse du Sénégal,
à environ 3 myriamètres de l'emboucliure du fleuve; I île
de Corée, située en mer, la factorerie iVAlbreda, sur la
Gambie, et diverses petiies îles dans le Casamansa.lis élè-
vent en outre des prétentions à la souveraineté du royaume
de Wallo, sur le territoire des Djalof/s , dans le delta du
Sénégal ; mais leurs colonnes ne le parcourent que périodi-
quement pour le maintenir dans un certain état de dépen-
dance. On évalue à environ 40 myriamètres carrés la super-
ficie totale des possessions françaises. En 184G le chiffre
de la population était de 17,97C bonuues de couleur, et
seulement de 282 blancs, non compris une garnison fran-
çaise de 750 hommes et 139 fonctionnaires publics. Dans
cette colonie française les hommes de couleur avaient tou-
jours joui des mêmes droits que les blancs, et avaient toujours
été admissibles comme eux à toutes les fonctions adminis-
tratives et même judiciaires. En 1852 le gouvernement fran-
çais a fondé sur les bords du Sénégal une colonie libre de
nègres. Sain t' Louis , dans l'île du même nom, est le chef-
lieu de la colonie, et en même temps une place de com-
merce dont l'importance et la prospérité vont toujours
croissant, mais un endroit fort malsain. C'est le siège du gou-
verneur et d'un tribunal. 11 faut encore mentionner G orée,
dans l'île du même nom, non loin du cap Vert, avec 7,000
habitants, et Albreda , située au nord, sur les bords de lu
Gambie, poste de commerce , avec 3,000 habitants. Le coton
est le principal article de commerce.
Le gouvernement de Gam bia, appartenant aux Anglais,
est moins important.
Les Portugais possèdent aussi , sous le nom de Guinée
Portugaise, quelques forts en ruines dans la partie sud de
la Sénégambie. Consultez Raffenel , Voyage da)is V Afrique
occïdeji^aZe (Paris, 1846); Dray et Dochard, Travels in
Westerri Africa (Londres, 182S).
SÉNÈQUE le rhéteur (M kRcvs Ann/eus SElNECA),
père du philosophe (voyez l'article suivant) , était né à Cor-
doue, vers l'an 58 av. J.-C. Quoiqu'il lût coutemporain de
Cicéron, on voit déjà dans ses écrits les premiers symptômes
de décadence littéraire , c'est-à-dire le penchant à la décla-
mation et le goùldes subtilités qu'on rencontre aussi dans
Sénèque le philosophe , mais corrigés du moins par les qua-
lités d'un esprit supérieur. 11 vint à Rome sous le règne
d',\uguste, et y enseigna la rhétorique. Son école fut une
(les plus célèbres de sou temps. Il parait (ju'il se rendit re-
doutable à ses rivaux par son esprit mordant et caustique,
et qu'il était doué d'une mémoire prodigieuse. Il nous reste
de lui deux ouvrages , sous les titres suivants : Suasoriarum
Liber 1 et Controversiarum Libri X. Ce sont de ces exer-
cices de rhétorique que dans les écoles on appellait décla-
mations. On peut y reconnaître déjà les traces de ce faux
goût et de cette entlure qu'on a justement reprochés à l'é-
cole espagnole. On lui a attribué aussi les tragédies qui por-
tent le nom de Sénèque, et il est vrai qu'on y remarque
précisément le genre de défauts que nous venons de signaler ;
mais elles se distinguent aussi par les signes d'un talent
plus ferme et plus élevé , et les rapprochements qu'il est
possible de faire entre plusieurs de ces tragédies et certains
— SÉNÈQUE 109
passages des livres de Sénèque le philosophe permettent de
les attribuer, avec quelque probabilité, à ce dernier.
Sénèque le rhéteur se maria en Espagne à Helvia , femme
remarquable par son esprit, ses qualités morales et sa
beauté; é'est à elle qu'est adressée la Consolation à Helvia
de Sénèque le philosophe , qui était son lils. Ils eurent deux
autres enfants , l'un, MarcusNovatus, qui prit dans la suite
le nom de son père adoptif, Junius Gallio, et qui lut pro-
consul d'Acbaie; l'autre, AiHiœus Mêla, père du poète Lu-
cain.
Sénèque (Marcus Annœus) mourut à Rome, l'an 32 de
J.-C, dans un âge avancé. Artadd.
SÉNÈQUE le philosophe ( Lucius AnN/Eus SENECA)
naquit à Cordoue, l'an 2 ou 3 de l'ère chrétienne. 11 fut,
encore enfant , conduit à Rome par sa famille , qui vint s'y
établir. Son père le destinait au barreau , et , dans cette vue,
il cultiva de bonne heure en lui l'art de la parole. Sénèque
plaida en effet deux ou trois fois. Ses succès donnèrent de
l'ombrage à Caligula, qui avait des prétentions à l'éloquence,
et faillirent lui coûter la vie. Ses goûts, d'accord avec son
amour de la tranquillité, le retirèrent du barreau et le plon-
gèrent dans l'étude de la philosophie, dont son père l'avait
toujours plus ou moins détourné. 11 lut d'abord le disciple
de Sotion le pythagoricien; plus tard il se rattacha au
stoïcisme , mais avec une certaine indépendance d'esprit,
qui lui faisait convenir qu'il y avait aussi du bon dans les
autres écoles philosophiques , môme dans celle d'Épicure.
Il parvint d'ailleurs aux plus hautes fonctions publiques , et
acquit de grandes richesses ; mais en l'an 41 , sous le règne
de Claude , impliqué à la cour dans les intrigues de la trop
fameuse Messaline, il fut exilé dans la Corse, et rappelé
en 48 par Agrippine, qui l'éleva à la préture et le chargea
de l'éducation de son fds Néron. Privé de l'énergie nécessaire
pour dompter et refondre le naturel monstrueux de son élève,
il composa avec ses inclinations perverses, et se borna à
sauver tant qu'il put les apparences , lui mettant dans la
bouche de belles maximes. Avait-il eu connaissance de l'at-
tentat de Néron contre sa mère? On ne sait, dit Tacite. Ce
qui n'est pas douteux, c'est que le parricide consommé, S -
nèque, dans une lettre au sénat , qu'il lit écrire par Néron,
entreprit de le justilier et le qualifia de coup du ciel, qui
délivrait la république. Ce qui n'est pas douteux non
plus, c'est que pour arracher son royal élève à l'inceste il
trouva bon de le tourner vers l'adultère. Un certain Suillius,
son ennemi, l'accusait d'avoir, en quatre années de fa-
veur, amassé 300 millions de sesterces (58,395,075 livres
de notre monnaie), d'épier les testaments, d'investir les
vieillards sans enfants, de pressurer l'Italie et les provinces
par d'énormes usures. Tacite rapporte ces accusations sans
les accepter ni les rejeter. Cependant, il appelle Sénèque
l'un des défenseurs de la vertu ,et lui accorde l'honneur de
s'être concerté avec Rurrhus pour mettre un terme aux
vengeances sanglantes dont Agrippine souillait les commen-
cements si beaux du règne de son fils. Dénoncé comiue
attirant seul l'opinion publique par sa magnificence et par
ses talents, en vain il supplia Néron de reprendre les ri-
chesses dont il l'avait comblé, en vain il se retira d.ms la
simplicité et dans la solitude ; il y fut poursuivi par l'iiccu-
sation d'avoir trempé dans le complot de Pison ( an (iô de
notre ère). Il reçut l'ordre de mourir, se fit ouvrir les veines
dans un bain chaud, puis le moyen n'agissant pas avec
promptitude, il prit du poison : et, à l'âge de soixante-trois
ans, il termina avec courage une vie sur laquelle pèsent
d'inexcusables lâchetés.
L'écrivain en lui est supérieur à l'homme. S'il tombe quel-
quefois dans la trivialité, ordinairement il s'élève plus haut;
et quoiqu'il lui arrive de pécher gravement contre la pensée
et contre l'expression, le plus souvent il est admirable. A
son âme ardente et mélancolique plaisent les maximes su-
perbes et sombres du stoïcisme , d'ailleurs en harmonie
avec les maux qu'il a sous les yeux. Quand la réputation,
la fortune , la liberté , la vie , sont à la merci d'une tyrannie
110 SÉNÊQUE
forceni'C et délirante , et que le monde se roule dans la dé-
gradation des voluptés ou des misères , il semble beau de
pouvoir dire à l'homme : « Comprends donc que tu es une
portion de Dieu, c'est-à-dire de la raison qui anime et gou-
verne l'univers, ou plutôt que tu es pour toi cette raison
même ici-bas ; qu'elle est tout ton être réel, et que seule elle
te suffit; que le plaisir n'est point un bien, ni la douleur
un mal, puisqu'ils ne sauraient la toucher; que tu es maître
absolu de toi et hors des atteintes de l'injure. Eli bienl que
t'importent la calomnie et les jugements humains, si tu t'ap-
prouves? que t'importe la perte des biens, si tu ne recon-
nais ni jouissances ni privations^ que t'importent les fers,
si tu ne sais d'autre servitude que celle de l'âme? que l'im-
porte la mort, si elle achève ce seul affrancliisseaient qui
puisse te manquer ?quet'importent, enfin, les calamités et les
vices, quels qu'ils soient? Leur est-il donné de t'alfecter ? Et,
après tout, si l'existence te fatigue, arbitre de ton sort, ne
peux-tu la secouer? » Oui, cela parait beau et séduisant.
Quelque cliose cependant qui est encore plus beau et qui
doit séduire davantage, c'est de ne point bercer l'homme
de chimères, de ne point l'exhausser à une hauteur fantas-
tique, de ne point le fausser en le faisant raison souveraine,
de ne point le mutiler en le dépouillant de sa puissance
d'aimer et de sentir, pour ne lui laisser que celle de com-
prendre : c'est de lui présenter la vérité , de sa nature assez
riche, assez grande pour le consoler et l'élever ; de ne point
lui dérober la vue du mal trop effectif qui l'afflige, et de lui
en donner le remède ; c'est, lorsqu'il tombe, de l'aider à se
relever, en le convaincant delà force de sa vertu; de ne point
lui couler un cœur de bronze ni l'armer d'insolence et de
dédain, mais de lui créer des entrailles où retentissent toutes
les misères , et lui mettre la douce affabilité sur les lèvres
et la bienfaisance à la main. Ce genre de beauté , Sénèque
l'a aussi compris. Les traités De la Clémence , Des Bien-
faits, De la Colère, la lettre sur la manière de traiter les
esclaves, et une foule d'endroits de ses autres ouvrages le
témoignent heureusement. Sans doute les germes en sont
dans Platon ; mais combien ils se montrent ici développés!
On croit entendre un pliilanthrope chrétien. Aussi attribue-
t-on cette teinte évangélique à des rapports qui auraient
existé entre Sénèqne et saint Paul. Schœil , dans son His-
toire de la Littérature romaine , cite beaucoup de pas-
sages de Sénèque qui semblent imités de l'apôtre des Gen-
tils ; il ne voit rien d'invraisemblable dans la tradition qui
le met en rapport avec le philosophe romain. Cette thèse,
soutenue tout récemment encore par M. Amédée Fleury
dans son ouvrage intitulé Saint Paul et Sénèque ( 2 vol.,
Paris , 18â3), a été l'objet de nombreuses objections, puisées
dans les ouvrages mêmes de Sénèque. Mais que ce soit dans
saint Paul ou dans Platon qu'ait été puisé cet esprit de
vérité, il se mêle presque continuellement dans Sénèque
à l'esprit mensonger de son école pour le tempérer ou l'ab-
sorber, et n'échoue guère que contre la doctrine du suicide
et celle de la destinée de l'âme, que Sénèque fait périr
tantôt avec le corps , tantôt avec le monde. Aucun de ses
écrits, excepté La Constance du Sage, et peut-être quelques
lettres, ne respire le stoïcisme pur. Nous ne pouvons qu'in-
diquer rapidement l'idée principale des plus importants.
De Vita beata ( de la vie heureuse ). Le bonheur est dans
le souverain bien, le souverain bien dans la vertu, dont
l'essence est de vivre conformément à notre nature ou dans
une obéissance entière à la raison , et de nous placer au-
dessus de l'affection et du désir. Elle n'exclut point précisé-
ment les richesses qui ont une origine pure, qui sont toujours
à la disposition de l'infortune, et dont on use soi-même
avec sévérité : elle n'exclut que l'attachement qu'on pour-
rait leur donner et la mollesse qu'elles engendrent dans une
ânie qui ne sait se durcir contre. Ceci, longuement déve-
loppé , forme Vapologie de l'auteur, où il prétend que ses
immenses biens sont légitimement acquis , et n'ont coûté de
souffrance à personne: ce qui s'accorde peu avec les repro-
ches rapportés et non démentis par Tacite.
De Brevitate Vitx (de la brièveté de la vie). Pourquoi
se plaint-on sans cesse de ce que la vie est courte? Parce
qu'on la consume dans de vaines ou criminelles occupations :
elle est assez longue pour le sage. Instructions pressantes et
persuasives sur l'emploi du temps.
DeAnimi Tranquillitate ( de la tranquillité de l'âme ). D'où
viendra la tranquillité à une âme troublée par ses pensées,
que tout attire et que rien ne repose ? D'une application ré-
solue aux affaires, soit publiques, soit privées, ou à l'étude.
Sur la fin, Sénèque, se faisant épicurien, propose le sin-
gulier remède de manger et de boire avec excès, même jus-
qu'à l'ivresse. C'est probablement une distraction.
De Conslantia Sapientis ( de la constance du sage ). C'est
la peinture du stoïcien étalé ou plutôt enseveli dans son or-
gueilleuse et inflexible indépendance , bravant le monde qui
s'agite incessamment autour de lui et qui s'y brise sans
l'émouvoir.
De Providentia (de la Providence). S'il y a une Provi-
dence, pourquoi les gens de bien sont-ils criblés de maux?
C'est afin de les éjirouver et de faire briller leur vertu. Au
surplus , si la vie leur devient intolérable , ils ont la per-
mission d'en sortir.
De Consolatione, ad ^eZviam ( consolation , à Helvie-}.
C'est un écrit que, du fond de la Corse, il adresse à sa mère,
qui en peu de temps avait vu mourir un oncle plein de
tendresse et de bonté, son mari, trois petits-fils, et exiler
Sénèque lui-môme.
De Consolatione, ad Marciam (coQ&o\at\on, àMarcia). Ce
livre est dans le genre du précédent. Marcia était fille de
Cremutius Cordus, qui, dans son Histoire des Guerres ci-
viles et du Règne d'Auguste, appelait Brutus et Cassius les
derniers Romains. Il paya ce mot de la vie sous Tibère ,
et ses écrits furent biûlés. Marcia en avait sauvé un exem-
plaire. Elle pleurait depuis trois ans la mort de son fils.
De Consolatione, ad Polybium (consolation, à Polybe;
les dix-neuf premiers chapitres manquent ). Polybe est un af-
franchi de Claude et son secrétaire pour les belles- lettres.
Il avait perdu son frère. Cette composition est de beaucoup
inférieure aux deux autres, et pour le style et pour les sen-
ments.
De Clementia (de la clémence; il ne reste que le premier
livre et une partie du second ). Combien la clémence est
belle et avantageuse, et combien la cruauté est horrible et
funeste.
De Beneficiis Libri septem (des bienfaits [ 7 livres ] ). Ma-
nière de les répandre et de les recevoir; examen d'une foule
de questions assez inutiles relatives au sujet.
Quœstionumnaturalium Libri septem ( Questions natu-
relles [ 7 livres ] ). Elles se réduisent à la pliysique. Il y est
traité du feu , de l'eau , du Nil , des vents , des tremblements
de terre, du tonnerre, des éclairs, de la grêle, de la ueige,
de l'arc-en-ciel , des étoiles tombantes, des globes de feu,
des comètes et autres faits analogues , le tout entremêlé de
réflexions morales.
Epistolœ ad Lucilium ( lettres à Lucilius [au nombre de
124 ]). Elles roulent sur les mêmes objets que les ouvrages
dont nous venons de parler. Quant aux quatorze adressées
à saint Paul , l'authenticité en est aujourd'hui plus que
douteuse. Celle de VApokolokynthosis ( métamorphose en
citrouille) ne l'est guère moins. Cette satire contre l'em-
pereur Claude, qu'il classe parmi les citrouilles ou les sots,
au lieu de le mettre , suivant l'usage, au nombre des dieux,
dépourvue d'esprit et quelquefois de décence , est indigne
de l'écrivain à qui on l'attribue.
Qu'il veuille exposer uu devoir, ou peindre un caractère,
ou essuyer des larmes, ou apitoyer des cœurs, ou décrire
un phénomène du monde, ou s'entretenir familièrement avec
un ami , Sénèque, dont l'esprit est naturellement ambitieux,
n'a qu'un ton , celui de l'orateur. De là une tendance à exa-
gérer, laquelle s'accroît encore chez lui de l'influLnce du
stoïcisme, qui n'est qu'un système d'exagération. Il cherche
à frapper et à étonner, et il déclame. Cependant , il lui <u-.
SENEQUE
Hviî aussi de rencontrer la grandeur, l'éclat , l'énergie , les
tours vifs et sentencieux qu'il poursuit, et alors il est
vraiment éloquent. Telle est la qualité, tel est le vice qui
dominent en lui et qu'il porte partout, quoique dans des
proportions très-différentes. Mettez de côté ses expansions
enthousiastes sur l'omnipotence du pouvoir absolu, dans
lequel il voyait, comme Tacite, le repos de Rome épuisée
de discordes civiles, et la distinction stoïcienne entre le
pardon et la clémence, et le traité De la Clémence n'offre
point de déclamation , mais d'un bout à l'autre une noble
et touchante éloquence. Dans le livre De la Providence ,
grand lorsqu'il peint l'homme vertueux s'épurant et s'éle-
vant dans l'adversité, il tombe quand il le place au-dessus
de Dieu, par la faculté qu'il a de souflrir; comme si cette
faculté étAit une perfection ! Dans la Consolation à Marcia,
dont la (in, sur les luttes de l'âme avec le corps, sur ses
élans vers le ciel et sur la félicité dont elle y jouit , est su-
blime, avec quelle force il parle du néant de la vie! vous
diriez Bossuet. Mais il présente de telle manière les avantages
de la mort que la vie paraît absurde. A peu près étranger à
la connaissance de la pensée , il a profondément scruté le
(;œur humain, dont il saisit les dispositions les plus cachées.
II dit à Marcia qu'elle relient et conserve la douleur de la
mort de son fils, comme lui tenant lieu de ce fils même. Ne
semble-t-il pas étrange que la douleur d'avoir pei'du un objet
dit ri le remplace dans l'âme? Rien de plus vrai néanmoins
pour l'âme mélancolique et d'une sensibilité excessive. De pa-
reils traits, assez communs chez lui, décèlent un observateur
profond el exercé. Comme Tacite , c'est le moraliste de l'an-
tiquité païenne qui est le moins Romain ou Grec, et le plus
homme. Bokdas-Demoulin
SÉNESTROCHÈRE (Blason). Voyez Meubles.
SÉi\EVÉ. Voyez Moctaude.
SEiXlOR ou SÉiMEUR, litre qu'où donnait autrefois
dans quelques communautés au plus ancien, au doyen. Voyez
CUANOINE.
SEi\'LJS»villede France, chef-lieu d'arrondissement, dans
le département de l'Oise, à 52 kilomètres au sud-est de
Beauvais, sur la Nonette, avec 5,802 habitants, un tribunal
civil, une bibliothèque publique de 8,200 volumes, une so-
ciété d'agriculture, une caisse d'épargne, deux typogra-
phies, un théâtre, une fabrique d'éloftes de crin, une blan-
chisserie de toile et de nombreuses cressonnières artificielles.
Il s'y fait un commerce de toile, de grains, de farine, de
laine, de bois de charpente, de sable pour cristaux , de grès
à paver pour Paris. Sentis est située sur le penchant d'une
colline et environnée des forêts d'Hallate, de Chantilly et
d'Ermenonville. Sa catliédrale est remarquable par l'éléva-
tion de sa flèche , travaillée à jour. Elle a été bâtie par
Louis XII, avec le produit d'un denier retenu sur chaque
mesure de sel vendue dans le royaume , sur l'emplacement
d'une vieille basilique dont on attribuait la fondation à Char-
lemagne. Senlis est l'ancienne capitale des Silvanecles ; elle
fut fortifiée plus tard par les Romains, qui lui donnèrent le
nom (ï Augustomagus . Elle faisait alors partie de la Seconde
Belgique. Comprise plus tard par sa position géographique
dansleYalois, elle dépendait cependant du gouvernement de
rUe-de-France. Senlis avait jadis un évêcbé, un prési-
liial, etc. Les Carlovingiensy eurent un palais, et longtemps
ce fut une place forte.
SENNAAR, pays soumis au pacha d'Egypte et situé
au sud de la Nubie, à l'est du K or dofan, au nord d'une
contrée appelée Fassokl et au nord-ouest de l'Abyssinie,
entre le Nil Blanc et le Nil Bleu et à l'est de ce dernier jus-
qu'au Takazzé supérieur. Conune leKordofan, la plus grande
partie du Sennaar n'est qu'une immense savanne|, au sud-
est de laquelle on rencontre les premières chaînes du pla-
teau de l'Abyssinie. L'impression produite par la vaste
plaine qui s'étend le long du Nil Bleu jusqu'à Rosserrès dans
le Fassokl, est au total assez triste. Tantôt on a devant soi
une savanne s'étendant à perte de vue ; tantôt on s'y trouve
au milieu de bois de mimeuses , ou encore dans une espèce
SENS
111
de désert couvert de misérables broussailles de mimeuseu;
et partout, à cause du manque d'eau , on remarque l'em-
preinte de la stérilité. Le pays haut, dans les prolongements
des montagnes de l'Abyssinie, est mieux partagé : on y trouva
de véritables forêts et de fertiles vallées. La constitution phy-
sique de ce pays est d'ailleurs complètement analogue à
celle du Kordofan. Dans le règne végétal on remarque les
adansonias , les premiers qu'on rencontre sur les bords du
Nil en venant du Nord , de nombreuses variétés de mimeu-
ses, de tamarins, etc. Le règne animal offre le gedenko, es-
pèce de chien volant, diverses espèces de singes, et une
foule d'oiseaux aquatiques de la nature la plus intéressante.
Les montagnes renferment du minerai de fer et d'argent. La
population consiste en une race de nègres , les Scliilloiiks ,
qui habitaient autrefois les rives du Nil Blanc, mais qui, au
seizième siècle, vinrent s'établir dans le Sennaar, où ils con-
traignirent les trii)us de Bédouins nomades (jui y étaient
fixées à les accueillir et à leur payer tribut de leurs trou-
peaux ; c'est pourquoi ils s'appelèrent dès lors Fungi,
c'est-à-dire vainqueurs. Ils fondèrent le royaume de Sennaar,
qui, après avoir duré trois cents ans, lïit subjugué et ré-
duit à l'état de vasselage, en 1820, par Méhémet-Ali, pacha
d'Egypte. Toute la population , les Schillouks comme les
Arabes bédouins, professe l'islamisme.
La capitale, Sennaar, la plus grande ville de la Nubie, et
qui contient, dit-on, environ 10,000 habitants, située sur
le Nil Bleu , est le centre d'un coumierce assez important.
SENOiXCHES. Voyez Eure-et-Loir.
SEMOA'ES. Voyez Gaule et Sens.
SEIVS, ville de France, chef-lieu d'arrondissement du
département de l'Yonne, à 58 kilomètres au nord-ouest
d'Auxerre,à 111 kilomètres de Paris, sur la rive droite
de l'Yonne , un peu au-dessous de son confluent avec la
Yanne, station du chemin de fer de Paris à Lyon, siège d'un
archevêché dont le titulaire portait autrefois le titre de pri-
mat des Gaules et de Germanie , et qui a pour suffraganls
les évèchés de Troyes, de Nevers et de Mouhns. Sa popu-
lation est de 10,645 habitants.
Cette ville était autrefois la capitale des Senones , peu-
ple gaulois, un des plus puissants de la confédération qui,
sous la coniluite de Brennus, saccagea Rome. Elle joue un
rôle important dans les Commentaires de César, qui rend
ju.stice à la valeur de ses habitants. Cette valeur ne se dé-
mentit pas dans les nombreux sièges qu'ils eurent à sou-
tenir aux différentes époques de notre histoire. La ville
actuelle esten grande partie entourée de murailles, de cons-
truction romaine le pins souvent. On trouve aux environs,
et dans presque tout le département, des débris de voies
antiques et des traces de camps romains. Des neuf portes
par lesquelles on arrive à Sens, trois sont antérieures au
quatorzième siècle; plusieurs forment des espèces d'arcs de
triomphe de belle apparence, surtout celle qui avoisine
l'Yonne, au couchant. La cathédrale est le plus beau des
édifices de Sens. C'est un monument gothique et spacieux,
dont l'intérieur est orné de vitraux peints par Jean Cousin ,
et bien conservés. Le chœur est d'une grande richesse. Un
superbe baldaquin, supporté par quatre colonnes de marbre
rouge, couronne le maître autel. On vante surtout le mau-
soléedu dauphin père de Louis XVI, de Louis XYIII et de
Charles X, et de sa femme , la princesse Marie-Josèphe de
Saxe. Ce mausolée, mutilé à l'époque de la révolution, a été
restauré depuis. Cette église renferme aussi le tombeau du
chanceher D u prat.
On trouve à Sens un lycée , un tribunal de commerce ,
une chambre consultative des arts et manufactures, une bi-
bliothèque publique de 10,000 volumes, un théâtre, deux
typographies. Elle est le centre d'un commerce assez actif
en grams, vin , bois flotté, charbon, chanvre, laine,
tuiles et briques, merrain , feuillettes et cuirs.
SENS (du latin sensus, dérivé de sentire, sentir), or-
ganes doués de la faculté de percevoir des impressions, à 1 aide
de nerfs. Ils sont au nombre de cinq: '.e tact, ou toucher
lis
SENS
le goût, l'odorat, la vue et l'ouïe. Sentir est le plus
nohle attribut de l'animalité ; car les plantes , même celles
qui manifestent quelques actes d'excitabilité à l'occasion d'un
contact, d'un choc ou d'un attouchement, comme le feuillage de
lasensitive, lesétamines de l'épine-vinette, ne sont pas sen-
sibles apparemment au plaisir et à la douleur, comme parais-
sent l'être au contraire tous les animaux , jusque dans les
classes les plus inférieures des zoophytes (voyez Amual).
En effet , pour veiller à son existence, satisfaire aux nécessi-
tés de se nourrir, de se reproduire, l'animal avait besoin
d'entrer en communication avec le monde extérieur, d'ou-
vrir des portes par lesquelles son moi intérieur pût appren-
dre à fuir le mal et à trouver l'utile ou son bien. La nature
lui donna, outre des sens, un instinct primitif pour les
diriger, ou même une intelligence élevée, comme un
phare lumineux, dans l'homme, pour accomplir les plus
importantes fonctions dévolues à son espèce. De là suit que
chez la plupart des animaux les organes extérieurs des
sens correspondent, par des cordons nerveux ou sensitifs,
avec un ou plusieurs centres d'action ( cerveau , gan-
glions), soit afin de recevoir les impressions sensoriales
externes et internes, de les coordonner entre elles, soit alin
de transmettre ensuite à ces sens et aux membres les déter-
minations de la volonté ou de l'instinct , dans l'intérêt de la
conservation de l'animal et de sa race.
11 y a beaucoup de variété dans le nombre et la disposi-
tion des organes sensoriaux du règne animal. Généralement
le tact est le plus universel ; il ne manque jamais, et il doit
être le fondement nécessaire de l'animalité, le premier qui
donne à l'être le sentiment de son existence individuelle.
Ensuite le goût, qui n'est qu'un tact plus intime , en quel-
que sorte chimique , paraît indispensable pour le choix des
aliments ou pour rejeter ce qui est contraire à la nutrition.
Il semble donc inhérent aussi à l'animalité. La vue ou vi-
sion est ensuite le sens réparti dans le plus grand nombre
d'animaux ; elle manque toutefois chez les espèces dépour-
vues de sexe ou hermaphrodites, qui n'ont pas besoin de
rechercher d'autres individus pour se reproduire (comme
les conchifères , bivalves, annélides, les animaux rayonnes
et zoophytes, etc.). L'oMie et Vodo7-at sont les sens qui
manquent le plus souvent dans le règne animal (on sait que
ce qu'on nomme ouïes, chez les poissons, est l'organe res-
piratoire ou les branchies). Mais comme nous remarquons
le tact fort développé chez les races aveugles, de même plu-
sieurs animaux présentent parfois une supériorité de certains
sens sur d'autres. Ainsi, les espèces nocturnes ou nyctalo-
pes, voyant de nuit, presque aveuglés par la lumière du jour,
trop éclatante pour la sensibilité de leur rétine, ont souvent
l'ouie très-fine. La plupart des carnassiers présentent un
odorat très-exalté, comme le chien et d'autres espèces chas-
seresses. On dit qu'il en est ainsi des vautours et des cor-
beaux. Cependant, la vue prédomine chez les oiseaux, surtout
dans ceux de haut vol , qui ont besoin d'yeux presbytes
pour découvrir de très-loin leur proie; puis cette longue
vue est susceptible de se raccourcir ou de se proportionner
aux objets plus voisins. Les poissons voyageurs, et géné-
ralement tous les animaux à locomotion rapide , devaient
avoir une vue très-étendue. 11 n'y a plus de paupières dans
les poissons et dans toutes les classes inférieures ayant des
yeux. Les oiseaux munis d'un bec corné, ainsi que leur
langue, paraissent peu sensibles au goût; toutefois, ils per-
çoivent les saveurs à l'arnère-bouche, comme les animaux
puceurs, les insectes , les parasites, etc. La vue est per-
çante chez plusieurs reptiles, les crocodiles, les sauriens
nocturnes. Ils possèdent, comme les oiseaux de nuit, autour
de leur cornée un cercle de lames osseuses capable de se
resserrer et de se dilater à la volonté de l'animal, pour allon-
ger ou raccourcir le globe oculaire, afin d'opérer, comme
dans les lunettes à longue vue, un champ visuel variable
selon les distances des objets. L'œil des cétacés est inter-
médiaire entre celui des mammifères et celui des poissons.
J^s insectes , ayant des yeux fixes, immobiles sur leur léte,
devaient obtenir ces organes à cornées multiples on à facet-
tes (outre les yeux supplémentaires, stemmala), afin d'a-
percevoir de tous côtés les objets sans se mouvoir; de même,
le caméléon a la faculté de tourner chaque œil à volonté en
un sens autre que celui du côté opposé.
Chaque espèce possède ainsi, dans la disposition de ses
sens et leur intensité , les attributions les plus favorables au
genre de vie qui lui a été dévolu; car les races souterraines
sont aveugles, les nocturnes ont l'ouïe fine, les espèces ra-
paces un odorat subtil , les espèces lentes , comme les tor-
tues, sont revêtues de carapaces, de tests, de coquilles, etc.,
pour garantir leur tact , exposé aux chocs douloureux , etc.
D'autres retirent leurs tentacules , qui se ferment ou s'épa-
nouissent au besoin. Ainsi, les sens ont leur obturation et
leur exaltation dans les chats , les squales, les seiches, dont
les yeux luisent de nuit , etc. En effet , les sens peuvent ac-
quérir divers degrés de sensibilité. Personne n'ignore qu'en
habituant ses yeux à une longue obscurité, comme dans les
cavernes ou les cachots, ils finissent par s'accoutumer aux
ténèbres et apercevoir les objets environnants à la plus faible
lueur; puis le grand jour soudain les aveugle, les éblouit en
les inondant de ses rayons. C'est que la sensibilité de la ré-
tine, non épuisée dans cette obscurité, accumule en excès
sa faculté de voir. De même , par suite de l'usage d'aliments
fades , insipides, le goût acquiert une vive impressionnabilité
à des saveurs légères , qui ne frappent plus un palais blasé
par le poivre, les épices, l'alcool, etc. Donc, le moyen
d'exalter la sensibilité d'un sens, de tout organe, est d'en
user le moins possible , sans toutefois le laisser engourdir
dans une complète inaction. C'est pour cela que la jeunesse,
neuve de sensibilité et inaccoutumée, aspire si avidement,
si ardemment à toute impression ; les douleurs même ne
sont pas toujours pour elle de trop vives souffrances, dans
la guerre , la chasse, les fatigues, etc. Mais la vieillesse,
par tous les actes répétés de sa vie, semble avoir épuisé la
coupe des plaisirs et peut-être aussi celle des peines. Ses
nerfs sont devenus calleux , inertes , ses sens amortis. Le
moyen de rester longtemps jeune et sensible consiste à mé-
nager ainsi toutes ses sensations pour l'arrière-saison de notre
existence. Qui dit vie courte et bonne se prépare de longs
regrets , à moins qu'il n'abrège ses jours et ne cesse de vivre
quand il cessera de jouir.
Pour que les sens aperçoivent les objets ou leurs impres-
sions, il ne suffit pas qu'ils soient mécaniquement frappés,
ébranlés, il faut encore qu'ils soient attentifs, comme l'a
fait remarquer La Romiguière, car toute distraction plus
ou moins forte, l'état de sommeil par exemple, des souf-
frances aiguës, des méditations laborieuses, empêchent de
sentir ces impressions. Pareillement , les impressions sur
une partie d'animal séparée récemment du corps vivant,
comme les cuisses de grenouilles, y exciteront sans doute
des contractions; néanmoins, toute correspondance avec le
cerveau étant tranchée , il ne peut y avoir de sensation*,
non plus que dans le tronc d'un supplicié décapité; la fêle
seule, dans ce dernier cas, pourrait ressentir de la douleur,
ainsi qu'en témoigna celle de Charlotte Corday souifletée
parle bourreau. Ce sont donc les cordons nerveux qui trans-
mettent l'impression pour qu'elle soit perçue ; car la para-
lysie , la compression des nerfs , arrêtent cette communi-
cation comme elles s'opposent à tout acte volontaire.
En considérant l'organisme humain, le plus sensible de
tout le règne animal , il présente comme la lyre normale ou
le module du diapason général de la sensibilité. Ainsi, le
senxori'um commun est situé au sommet, à l'organe encé-
plialique; après vient l'œil , le sens le plus étendu, puisqu'il
perce jusqu'aux astres; ensuite l'oreille, qui peut entendre
des bruits de plusieurs lieues. Ces deux sens, les plus intel-
lectuels aussi, possèdent seuls l'appréciation du beau dans
les arts (peinture, mimique, architecture, etc., pour la
vue; musique, poésie, éloquence, etc., pour l'oreille).
Viennent ensuite les sens plus appropriés aux voluptés sen-
suelles : l'odorat , qui s'applique , chez les animaux prin-
SE
cipalement, aux objets de la nourriture, comme un avant-
goût, mais qui exalte cependant cliez l'homme l'imagination
el l'intelligence, puisqu'il perçoit les parfums des fleurs et
les arômes de toutes espèces, qui intéressent fort peu les
brutes. Ce sens excite encore des affections voluptueuses,
car il y a des odeurs génitales ou très-stimulantes môme
pour les cliats, telles que le marum , la cataire, la valériane.
Le goût, uniquement approprié à la nutrition chez les ani-
maux, généralement imparfait chez les animaux aquatiques
et les oiseaux , développe des modifications plus délicates
chez l'homme , omnivore cherchant des saveurs agréables
dans toute la nature, et les diversifiant encore par la coc-
tion, par les raffinements des boissons fermentées, par l'art
culinaire, etc. Le tact, le plus constant, le plus solide, le
plus matérialiste dans ses appréhensions, toutes physiques ,
s'étend à toute la périphérie de notre peau, nue, souple, im-
pressionnable sous divers degrés modérés de température. Il
devient plus subtil par une douce chaleur, mais s'engourdit
par le froid. La main, à cause de sa merveilleuse structure,
en est le plus parfait instrnmeut, la main que remplacent
grossièrement, soit la trompe dans l'éléphant, soit les ten-
tacules des mollusques, des zoophytes, les barbillons de
quelques poissons, les antennes des insectes, etc. Enfin, on
peut admettre, avec l'.uffon et d'autres auteurs, comme
dernier sens , le plus opposé au cérébral ou l'antagoniste
inférieur du sensorhuii commune , le tact vénérien, ce
prurit voluptueux, tout brut, absorbant les autres facultés,
comme l'extase intellectuelle les absorbe par le pôle con-
traire. Ainsi , les fonctions des cinq sens forment une série
descendante placée entre le cerveau , dans la région supé-
rieure , et l'organe sexuel , qui termine la région inférieure;
ces deux extrémités composent, avec leurs intermédiaires,
cette lyre de sept cordes vibrantes de la sensibilité géné-
rale.
Les impressions sensoriales sont transmises généralement
vers l'origine des nerfs, à la protubérance de la moelle
allongée , au lieu où naissent les branches pneumo-gastri-
ques, soit que là réside le sensormm commune, selon Le
Gallois, soit que l'intellect fonctionne surtout dans le centre
ovale de Vieussens , ou dans le corps calleux , d'après La-
peyronie, ou dans les ventricules cérébraux, selon Sœm-
mering , etc. Toutes ces suppositions, outre celle de la
glande pinéale proposée par Descartes et celle de diverses
protubérances cérébrales d'après Gall et Spurzheim, n'ont
pu être vérifiées, mais elles importent peu ici. Seulement, il
est manifeste que l'appareil ganglionnaire trisplanchnique
n'est pas étranger à l'énergie des organes des sens externes
et internes. C'est ainsi que des aliments el des boissons,
ingérés dans les viscères, stimulent la sensibilité générale;
que des aromates, des spiritueux à dose modérée, aiguisent
certains sens, irradient leur excitation au centre cérébral;
c'est ainsi que, de même que les passions, des impressions
instinctives, la peur, la tristesse, par exemple, exaltent ou
compriment cette sensibilité à l'égal de l'opium et des nar-
cotiques. Pareillement, quelques sens tirent une plus grande
activité des nerfs auxiliaires qui s'y distribuent. Ainsi des
oranches de la cinquième paire ajoutent leur puissance à
celle des nerfs optiques, olfactifs, gustatifs, dans les or-
ganes où ils se ramifient. On peut dire encore que des ra-
meaux du trisplanchnique qui se rendent avec de petits
plexus à l'oreille interne, à l'œil, au nez, au pharynx, im-
priment à ces parties des modifications spéciales. Ainsi , la
berlue et la diplopie peuvent être produites par l'inges-
tion dans l'estomac de certains poisons végétaux , champi-
gnons, belladone, napel, tandisque le poivre aiguise la
vision. Le tintouin d'oreilles ou h paracousie peut dépendre
d'un embarras gastrique; les vers causent des nausées;
les personnes hypochondriaques ou hystériques éprouvent
des sensations ou hallucinations de saveurs , tantôt acides ,
tantôt putrides, des odeurs fétides, des impressions d'un
contact glacial ou lanugineux, velouté, pénible, comme
aans des frissons de fièvre d'accès , etc. La plupart de ces
DICT. OK L4 CONVERS. — T. XVI.
états sensorianx sont occasionnés par le désordre fonctionnel
de l'appareil ganglionnaire transmettant des filets nerveux
à ces organes. Tout le monde connaît aussi les lueurs causées
par un choc violent sur l'œil ( lequel fait voir trente-six
chandelles, selon le terme vulgaire); c'est le phénomène
décrit sous le nom de phosphènc , si fréquent dans l'amau-
rose ou la cécité résultant de l'excès d'action de la rétine.
De môme que les animaux très-sensitifs ne manifestent
pas la plus riche intelligence , pareillement ce n'est ni la
vivacité ni l'intensité des impressions qui font l'énergie in-
tellectuelle. Au contraire, la jeunesse, les coinpiexions
expansives , joyeuses , épanouies à toutes les jouissances de
la vie, sont pour ainsi dire en proie à leurs sensations;
elles épuisent tout à l'extérieur ces précieuses facultés. Cha-
cune prodigue le trésor qui devrait être réservé pour la
pensée. Celte multiplicité des sensations diminue d'autant
leur somme totale :
Pluribus intentus , minor est ad singula sensus.
La mobilité, la variété des sensations chez l'enfant, la
femme, tout en multipliant les idées de détail, affaiblissent
leur réflexion. 11. en résulte divers degrés d'impiessionna-
bilité ou de susceptibilité, suivant les âges, les sexes, les
climats , les habitudes , le genre de vie , enfin selon l'idio-
syncrasie propre de chaque individu.
Sans s'étendre ici sur ces modes de la sensibilité , il suffit
de constater qu'au contraire, moins on en fait de déperdition
au dehors , pour la concentrer au cerveau , plus on peut ac-
croître ses facultés intellectuelles. Il est évident que tel est
le procédé de la méditation renfermant la pensée, la sépa-
rant des sens extérieurs et intérieurs par le silence des pas-
sions ou de toute excitation viscérale ou génitale. Anssi la
solitude , la nuit , le repos , sont des conditions nécessaires
à tout ami des muses et des études profondes , à tel point
que l'abstraction , l'extase , peuvent seules atteindre la so-
lution des questions ardues, exigeant toutes les forces de
l'âme. Aussi les tempéraments mélancoliques, concentrés
et penseurs , deviennent d'autant plus profondément habiles
qu'ils sont moins sensuels. De même la moralisation et la
sanctification de l'homme s'obtiennent surtout par la mor-
tification de ses sens les plus charnels, tels que le tact vé-
nérien, le goût , qui entraînent à toutes les intempérances.
Aussi la sobriété est-elle la mère de la prudence ou de la sa-
gesse dans la conduite.
Telle est toute la théorie de l'éducation de la jeunesse ;
elle consiste à réfréner le plus qu'on peut cette exubérance
de vitalité joyeuse qui s'écliappe de tous nos pores dès l'en-
fance , et à recueillir de bonne heure au cerveau tous les
trésors de science, toutes ces impressions neuves et pures
que prodigue la nature. De là résulte cette différence entre
l'état sauvage et la civilisation , que l'homme social et ins-
truit possède un cerveau prédominant d'activité ou de
puissance intelligente , tandis que les sens extérieurs préva-
lent chez le sauvage ou Tentralnent facilement dans tous les
abus de la sensualité. J,-J. Virey.
Sens se dit encore pour signification : Cette phrase a
tel sens ou exprime telle idée, etc. Le sens absolu est celui
qui est achevé, complet. Le sens littéral est celui qui ré-
sulte de la force naturelle des termes. Il se divise en sens
propre fticn sens figuré ou métaphorique. Le sens propre
d'un mot est sa première signification; \q sens figuré , c'est
lorsqu'on change la signification pour lui en donner une
qu'on emprunte à un autre ordre de laits. Quand on dit : Une
imagination qui brille, l'esprit qui s'obscurcit , les mots
brille, obscurcit sont employés dans le sens figuré , parce
qu'on semble donner aux facultés invisibles de l'âme la
propriété physique du (eu et de la lumière.
Il y a des expressions à double sens , soit au propre , soit
au figuré. Les Saintes Écritures ont un sens littéral et un
sens mystique , car on dit communément que la lettre tue
et que l'esprit vivifie. De même , il y a le sens allégorique,
le sens moral d'une fable.
114
SE>S -- SENSATION
On dit : A votre sens, pour signifier : A votre sentiment,
opinion , avis : Cliacun abonde en son sens.
Le sens d'un meuble est le côté selon lequel il doit être
placé ou saisi ; de même on dit le sens d'un drap , d'une
étoffe : Prenez-la dans ce sens , etc.
SENS (Bon). Le bon sens, qu'il ne faut pas confondre
avec le sens commun, est cette voix instinctive de la
raison, qui se fait entendre au fond de toutes les intelli-
gences, celte lumière naturelle qui nous fait discerner la
vérité dans toutes les questions dont nous i»ossédons les
éléments sans les avoir cherchés, et nous fait porter un
jugement droit et impartial sur tous les faits que nous avons
pu connaître sans le secours de la science. Ainsi , nous ne
pourrions pas, aidés seulement du bon sens, expliquer les
phénomènes de l'électricité, parce que cette explication
exige la connaissance de faits que la nature ne nous présente
pas habituellement et que les recherches de la science sont
seules parvenues à découvrir; mais le bon sens nous suffira
pour nous prémunir contre certains dangers, pour nous
avertir, par exemple, de ne point nous conlier à de la glace
dont nous ne connaissons point l'épaisseur, de ne point ad-
mettre dans notre intimité un médisant ou un hypocrite, etc. ,
parce que nous pouvons prévoir les résultats à l'aide de lois
dont nous avons acquis spontanément et malgré nous la con-
naissance.
Le bon sens est-ce qui supplée à la science pour le com-
mun des hommes. Les sciences pliysiques ont sur lui un
incontestable avantage , parce qu'elles s'appuient sur des
faits qui ne sont point du ressort du vulgaire, et qu'elles
peuvent alors établir sur ces faits des théories certaines , fé-
condes en vastes développements et en conséquences impor-
tantes, théories qui se déroberaient éternellement aux re-
gards de l'homme borné à sa naïve expérience. Il n'en est
pas de même des sciences morales. Comme les données de
la conscience et de l'expérience journalière suffisent pour
révéler les faits sur lesquels elles s'appuient, le bon sens
pourra suggérer sur tous ces faits des jugements aussi sains,
aussi vrais, aussi profonds que la science elle-même; voilà
pourquoi, quand on lit les écrits des philosophes, il semble
qu'on sait déjà tout ce qu'on vient de lire , et qu'ils n'ont rien
dit de nouveau. Voilà pourquoi ils peuvent être compris du
premier venu , à moins qu'ils ne se soient fait une langue à
eux , ce qui n'est point nécessaire , puisque la langue vul-
gaire, qui est l'œuvre du bon sens , renferme des mots pour
toutes les idées qu'ils ont à rendre.
Les sciences philosophiques ont cet avantage sur le bon
sens , qu'à l'aide de la réflexion , qui n'est autre chose que
l'observation appliquée aux faits de conscience , elles seules
peuvent développer des théories, construire des systèmes,
et étaler sous les yeux tout le spectacle de la nature morale.
Elles mettent aussi l'esprit humain plus à l'abri des nom-
breuses chances d'erreur auxquelles il est exposé , en ce que
le contrôle exercé par la rétlexion sur les révélations instinc-
tives de la conscience arrête davantage les croyances , les
fortifie et les épure en les séparant de toutes celles que la ré-
flexion n'a pas ipprouvées. Le bon sens, à son tour, a sur
les sciences philosophiques un avantage réel, en ce qu'il est
moins exclusif et que sa base est plus large. La réflexion
pour s'exercer est obligée de se concentrer sur un point ; elle
ne peut embrasser à la fois tous les faits qui doivent com-
poser le domaine de la science ; elle les analyse , c'est-à-dire
les prend et les regarde un à un, et malheur à ceux qui
échappent à ses regards , car alors elle les nie , et quoique
la connaissance de ces faits repose réellement au fond de la
conscience, ils sont pour la réflexion , c'est-à-dire pour la
science, comme s'ils n'existaient pas : de là tant de systèmes
erronés, en d'autres termes, exclusifs et incomplets, aux-
quels la philosophie a donné naissance. Le bon sens n'arrête
ses regards sur rien , parce qu'il n'analyse pas comme la
réflexion, mais il dit tout ce que la conscience lui révèle, et
la conscience embrasse tout à la fois. C'est à elle seule ([u'il
■va puiser ses ir.'^[iirations, et la source où il puise est tou-
jours pure. Dans l'homme de bon sens, en un mot, c'est la
conscience qui parle, et la conscience renferme toutes {es
vérités du monde intellectuel et moral ; son langage doit donc
être vrai, ne rien exagérer, comme ne rien omettre. Dans
le philosophe, ce n'est plus la conscience qui parle, mais
la réflexion ; et comme la réflexion n"a point une aussi vaste
portée, sa langue, quoique plus nette, plus concise, plus
systématique, est plus oulDlieuse, plus étroite et plus incom-
plète; le plus souvent elle s'arrête en deçà du vrai. Si donc
la philosophie veut avoir sur le bon sens l'avantage auquel
elle prétend , si elle veut que sa voix ait plus d'autorité et
soit écoutée avec plus de confiance , il faut qu'elle se méfie
des vues limitées et exclusives de la réflexion ; il faut qu'elle
consulte toujours le bon sens, qui a parlé avant elle, et qui
en sait plus qu'elle; qu'elle se contente souvent d'en, vérifier
les données, de les développer, de les éclaircir, et de les con-
vertir en théories complètes et applicables. Ce n'est que lors-
qu'elle aura su accorder les résultats de son analyse avec les
inspirations du bon sens qu'elle pourra espérer jouir de quel-
que crédit auprès du vulgaire.
Le bon sens diffère de la raison en ce qu'il est considéré
comme faculté en exercice, et s'exerçant avec bonheur,
tandis qu'on entend plutôt par raison une faculté en puis-
sance, qui s'exerce ou ne s'exerce pas, et qui est au fond
de toutes les âmes en principe et comme en germe. Ainsi la
raison existe dans tout homme venant en ce monde, mais
il est beaucoup d'hommes qui ne parlent ou n'agissent pas
avec bon sens. En effet, il ne suffit pas pour qu'on dise d'un
homme qu'il a du bon sens, qu'il ait reçu en partage la
raison ; il faut encore qu'il en fasse usage, et bon usage.
Le bon sens diffère àa jugement en ce que le rôle de
celui-ci est spéculatif, et se borne à la théorie, tandis que
celui du bon sens s'étend aussi à la pratique. Ainsi, on dira
d'un homme qu'il a du jugement s'il discerne facilement
la vérité dans une cause un peu obscuie , s'il comprend la
portée d'un événement , et s'il en prévoit toutes les consé-
quences; maison dira moins bien d'une personne qu'elle se
conduit avec jugement, tandis qu'on pourra dire qu'elle
agit et parle avec bon sens, ({u'elle s'est conduite avec bon
sens dans une affaire , etc. Le jugement , c'est le bon sens
qui donne son avis. C.-M. Paffe.
SENSATION. La sensation est une modification agréa-
ble ou désagréable , un sentiment de plaisir ou àe peine,
qui naît en nous à la suite et à l'occasion d'un phénomène
organique. Les caractères essentiels et constitutifs de la sen-
sation sont donc : 1° d'être un plaisir ou une douleur, une
modification affective; 1" de se produire à la suite d'un fait
de l'organisme. Pour que les limites de son domaine soient
nettement tracées , il laut la distinguer, 1° du phénomène
organique qui la précède et l'éveille , 2" des phénomènes
intellectuels qui naissent aussi à la suite de certains états de
l'organisme, 3" des autres modifications affectives qui ont
de commun avec elle d'être des états agréables ou pénibles
de l'àme , et le développement d'un môme principe , la sen-
sibilité.
1" La sensation est par sa nature entièrement distincte
du fait matériel qui l'accompagne, et qui n'a d'autre rapport
avec elle que d'en être la condition et de déterminer son
apparition dans la conscience. Prenons la sensation d'odeur
pour exemple. Des molécules odorantes s'échappent du ca-
lice d'une fleur; elles arrivent, transportées par les oscilla-
tions de l'air, jusqu'à la membrane qu'on appelle l'organe
de l'odorat : les nerfs qui tapissent cette membrane reçoi-
vent alors comme un chatouillement, un ébranlement léger,
qu'ils communiquent au cerveau. Voilà la part du fait orga-
nique. Cet ébranlement nerveux est aussitôt suivi d'une mo-
dification de l'ûme, qui consiste dans un sentiment de plaisir
ou de douleur, selon la nature des molécules odorantes, ou
selon l'espèce d'impression que les nerfs ont reçue. Voilà la
part du fait psychologique. Ce dernier se distingue d'abord
du phénomène matériel, en ce qu'il apparaît à la conscience,
qui en acquiert la notion , tandis qu'elle reste dans une iguo-
SENSATION
115
rance absolue à l'égard du phénomène organique qui a pré-
cédé la sensation. Le seul côté par lequel se rapprochent les
deux faits , c'est leur concomitance , ou , si l'on veut , leur
succession, et cette loi de la nature qui veut que l'un soit
la condition de l'autre. En effet , des esprits irréfléchis ver-
ront facilement dans ce rapport de succession obligée un
rapport de génération et d'iiomogénéité. « La sensation ,
diront-ils, naît à la suite de l'impression, elle ne peut
naître s&ns V impression , elle en est donc le produit; la
nature des deux faits est donc la même. » Il n'est pas be-
soin d'avoir réfléchi longtemps sur les phénomènes et sur
leurs lois pour savoir, qu'ils peuvent se succéder sans
être identiques, et qu'un phénomène peut en déterminer
un autre à se produire sans pour cela l'engendrer, le tirer
de son sein et être de la même nature que lui. Ainsi, de
ce qu'un acte de ma volonté imprime à mon pied un mou-
vement tel qu'il froisse et écrase un corps , il ne suit pas de
là que l'acte qui a dirigé le mouvement soit de la même na-
ture que le phénomène auquel il a donné lieu. Il est certain
qu'il y a un grand mystère dans cette succession de phéno-
mènes, dans l'action d'une force physique sur une force d'une
nature toute différente; mais ce mystère, qui existe même
pour la production des phénomènes du monde physique l'un
par l'autre, ne nous oblige nullement à confondre ce qui est
évidemment distinct , et à prononcer l'identité des faits qui
présentent des caractères essentiellement différents. Cette
différence de nature, nous pouvons, nous devons la pro-
clamer, parce qu'elle est manifeste. Et s'il nous est clairement
démontré que V impression et la sensation n'ont aucun rap-
port de nature, si l'abstraction est parvenue à isoler com-
plètement ces deux faits, leur succession obligée ne détruit
nullement l'évidence que nous avons acquise ; nous les con-
naissons en eux-mêmes, cela nous suflit.
2° La sensation est distincte des phénomènes intellectuels
ou perceptions qui naissent comme elle à la suite de phé-
nomènes organiques. Cette distinction a d'autant plus d'in-
térêt que depuis qu'il existe des philosophes on a toujours
confondu avec les sensations ces faits intellectuels qui se
produisent dans les mêmes circonstances, et que cette con-
fusion a eu les conséquences les plus graves. Ainsi , les per-
ceptions de son, de couleur, de forme, etc., ont presque
toujours été placées au nombre des sensations, et assimilées
à l'odeur, la saveur, etc. Il y a pourtant entre ces deux sortes
de faits une différence essentielle, et l'analyse psychologique
est parvenue à les séparer nettement : mais l'erreur a duré
bien des siècles, et il s'en faut qu'elle soit encore dissipée
pour tous les esprits. Voici par quelle voie on est arrivé à
cette importante distinction. L'âme est douée de trois attri-
buts différents et irréductibles l'un à l'autre : la faculté de
jouir ou de souffrir, la faculté de connaître ou de penser, la
faculté de vouloir ou d'agir. On a de tout temps reconnu,
par les seules lumières du sens commun, ces trois grands
principes du moi , la sensibilité, l'intelligence, et l'activité,
comme formellement distincts l'un de l'autre , quoiqu'ils
consistent dans le même être. En effet, il est évident, par
exemple , qu'un plaisir ou qu'une douleur n'est pas une idée,
une connaissance, et par conséquent que le pouvoir dejoïiir
ou desouffrir n'est pas le pouvoir de connaître. En ne per-
dant pas de vue ce point de départ important, si on classe
les phénomènes du moi d'après les caractères qui leur sont
propres , et qu'on range par exemple dans les phénomènes
affectifs tout ce qui est plaisir ou peine, dans les phénomènes
intellectuels tout ce qui est notion , idée, on sera conduit na-
turellement à établir une distinction formelle entre les sen'
sations (c'est-à-dire les plaisirs et les peines éprouvés à la
suite d'une modification organique) et les perceptions (c'est-
à-dire les notions acquises pareillement à la suite d'un phé-
nomène de l'organisme). En effet, une analyse attentive dé-
montrera jusqu'à l'évidence que parmi tous ces faits que l'on
confondait sous la dénomination commune de sensation il
y en a qui présentent tous les caractères , et rien que les carac-
tères, de l'élément affectif; qu'il y en a d'autres, au contraire,
qui présentent fous les caractères de l'élément infellectiie!.
Mais avant de poursuivre cette analyse, il faudra déterminer
avec soin les caractères de l'élément intellectuel et ceux de
l'élément affectif. Or, ce qui caractérise l'élément intel-
lectuel ou la notion, c'est avant tout d'être un fait repré-
sentatif, c'est-à-dire d'êtie la représentation, l'image, le
reflet dans l'esprit d'un objet quelconque. L'élément affectif,
au contraire , ne représente rien ; son caractère propre et
constitutif est de nous affecter d'une manière agréable ou
pénible , d'être un plaisir ou une douleur, un état de bien-être
ou de souffrance. On voit qu'il n'y a là rien qui ressemble à
la représentation d'un objet dans l'esprit. Un autre caractère
propre à la notion, c'est qu'une fois acquise (je parle ici
d'une idée simple), elle ne varie pas et ne peut varier; car
si elle venait à ne plus être la même, nous croirions que
c'est son objet qui a changé. Ainsi, la notion d'une ligne
droite, d'une forme quelconque, est toujours la même. Nous
passerons cent fois devant un édifice, et cent fois (pourvu
que nos organes soient en bon état) il se présentera sous la
même forme à nos yeux. Nous pourrons apercevoir plus de
choses, mais ce que nous verrons de nouveau ne fera que
s'ajouter à ce que nous connaissions , et ne le changera pas.
La notion a donc pour propriété d'être permanente et uni-
forme. L'élément affectif, au contraire, est de sa nature fu-
gitif et variable. Les mêmes objets, sans changer à nos yeux
des qualités qui les constituent, peuvent nous affecter dif-
féremment, selon les circonstances où nous nous trouverons
placés à leur égard. Ils nous plairont moins, ou cesseront
de nous plaire , ou d'agréables qu'ils étaient pourront nous
affecter péniblement. Un autre caractère distinctif de la no-
tion et du sentiment, c'est que l'habitude fortifie l'une et
affaiblit l'autre. Ainsi, plus un objet se sera trouvé de fois
en notre présence, plus la notion s'en gravera profondément
dans notre esprit; mais plus nous aurons éprouvé le même
plaisir, plus il perdra de sa force , et décroîtra pour ainsi
dire en raison directe du nombre de fois qu'il aura été
ressenti. Ce n'est pas tout. La notion a le privilège de se
conserver dans le moi par la mémoire, d'y revivre par la
conception en l'absence de son objet , et de reparaître à l'oc-
casion d'autres notions auxquelles elle aura été associée. Il
n'en est pas de même de l'élément affectif. La mémoire con-
servera la notion du plaisir, mais non le plaisir lui-même.
Le plaisir pourra revivre en nous, il est vrai , mais au luoyc^n
des idées qui le font naître. Quant au plaisir en lui-même,
il ne saurait renaître seul et s'associer d'autres plaisirs
comme les idées s'associent l'une à l'autre. Enfin, un autre
caractère différentiel de l'élément intellectuel et de l'élément
affectif, c'est que ce dernier se produit par deux faits op-
posés l'im à l'autre, le plaisir et la douleur ; tandis que le
principe intellectuel se produit par un fait unique, la notion,
qui n'a de contraire qu'une négation : or, la douleur n'est
rien moins qu'un phénomène négatif.
Le domaine de la sensation comprend l'odeur, la saveur,
la chaleur, le froid, le plaisir ou la peine qui résultent du
coulact de notre corps avec une substance âpre ou polie,
corrosive ou caustique, etc.; la douleur plus ou moins pé-
nible que nous occasionne la résistance que les objets peu-
vent opposer à nos efforts ; la faim, la soif, et en général
toutes ces sensations que l'on peut désigner sous le nom
(^internes , et qui résultent de l'état normal ou de l'altéra-
tion de nos organes, de l'accomplissement régulier des fonc-
tions organiques ou du désordre qui vient troubler ces fonc-
tions. Nous appelons tous ces- faits sensations, parce que
ce sont des plaisirs ou des peines naissant immédiatement
à la suite d'un phénomène de l'organisme , ne représentant
rien , et étant seulement pour la raison une occasion de
conclure à l'existence d'une cause de ces sensations, cause
que nous connaissons plus tard et à l'aide de tout autres
moyens que les sensations elles-mêmes. La couleur, le son ,
l'étendue, la forme, le mouvement, voilà le domaine de
\a perception. La perception a de commun avec la sen-
sation d'être un fait psychologique qui se produit en nous à
8.
116
SENSATION — SENSIBILITE
la suite d'un fait de l'organisme. Mais ce seul rapport n'éta-
blit aucune homogénéité entre deux ordres de faits qui se
distinguent par des caractères essentiellement opposés.
3" La sensatio7i distinguée du sentiment. La sensation
a de commun avec le sentiment d'être un des développe-
ments du principe affectif, une certaine espèce de plaisir
ou de douleur. Elle a donc avec le sentiment une commu-
nauté de nature; mais ce qui l'en distingue, c'est qu'elle
naît immédiatement à la suite d'un phénomène organique,
d'un fait tout matériel , tandis que les faits affectifs , qu'on
appelle du nom de sentiments, ont cela de propre qu'ils
naissent à la suite de phénomènes intellectuels. Ainsi le
plaisir que nous éprouverons en percevant des objets d'une
forme régulière, noble ou gracieuse, sera désigné du nom
àc sentiment an beau (considéré dans la forme). Un har-
monieux concert excitera dans notre âme des sentiments
délicieux ; la vue d'un beau dévouement nous pénétrera d'un
vif sentiment d'admiration ; la découverte d'une vérité im-
portante fera naître en nous un sentiment de joie inex-
])rimable , etc. Ce premier caractère , différentiel entre le
sentiment et la sensation, en entraîne d'autres avec lui. j
Ainsi le propre de la sensation étant d'être provoquée par j
un fait de l'organisme, les plaisirs de cette espèce sont dits
grossiers ou sensuels : l'usage que nous pouvons en faire |
n'est d'aucun secours pour le développement de notre in-
telligence; il peut, au contraire, le comprimer, puisqu'il
n'appelle notre intérêt que sur les objets propres à satis-
faire les exigences de la sensualité, et qu'en cela il nous
place au-dessous des animaux , qui ne cherchent qu'à satis-
faire leurs besoins. L'abus de ces plaisirs aura pour résul-
tat l'affaiblissement ou l'altération de nos organes, puisque
c'est l'action seule des organes qui nous les procure, et que
pour les faire renaître fréquemment il nous faudra fatiguer
l'appareil nerveux chargé de nous les transmettre. Les plai-
sirs qui naissent à la suite des faits intellectuels ont des ca-
ractères tout différents : ils sont dits nobles, purs, élevés.
En effet, ce sont eux qui ont enfanté les arts ; ce sont eux
qui élèvent et épurent l'àme en appelant son intérêt sur les
objets les plus dignes de notre contemplation, le beau , le
vrai et le bien. Ils agrandissent la sphère de notre pen-
sée et de notre imagination en sollicitant sans cesse notre
esprit à acquérir des connaissances nouvelles. Ces plaisirs ont
encore cela de particulier que nous appelons beauté la pro-
priété qu'ont les objets intellectuels de les exciter en nous.
En effet, nous disons une belle couleur, une belle forme,
un beau son, une belle action , un beau poëme, lorsque
cette couleur, cette forme, ce son, cette action, ce poëme,
nous agréent, nous causent du plaisir; mais nous ne di-
rons pas ime belle odeur, une belle saveur, parce que l'ob-
jet qui a excité ce plaisir dans le moi n'est point un objet
intellectuel, mais un état de nos organes que nous n'avons
pas besoin de connaître pour être agréablement affectés.
L'impossibilité de qualifier ainsi les objets de nos sensa-
tions est une nouvelle preuve que ces faits affectifs nais-
sent immédiatement à la suite d'un fait matériel , qu'ils
commencent à eux-mêmes, pour ainsi dire, et que les per-
ceptions sont réellement des faits intellectuels , puisque la
beauté est un de leurs attributs. C.-M. Paffe.
SEiVS COMMUM. Le sens commun , conmie le bon
sens, emporte avec lui l'idée de faculté que la nature déve-
loppe en nous sans l'aide de la réflexion , et au moyen de
laquelle l'homme entre en possession de vérités dont l'ac-
quisition est indépendante des découvertes et des leçons de
la science; mais il diffère du bon sens en ce qu'il implique
nécessairement l'idée de faculté commune à tous les indi-
vidus de notre espèce, comme l'indique le mot lui même,
et qu'il désigne une faculté qui nous révèle seulement les
vérités premières, sans se mêler de leur application à tel
cas particulier. Le bon sens va plus loin : il se sert des vé-
rités premières déposées par le sens commun au fond de
la conscience , pour juger des faits particuliers qui se pré-
sentent à lui. Le sens commun fournit les principes du
raisonnement, le bon sens les applique et raisonne. Ainsi
le sens commun nous apprend que tout ce qui commence
d'exister a une cause; le bon sens nous l'ait conclure que
les êtres qui peuplent l'univers sont l'ouvrage d'un Dieu.
Tous les hommes ont reçu lese«s commun, c'est-à-dire
qu'ils possèdent tous un certain nombre de vérités géné-
rales , de premiers principes , qui reposent au sein de leur
entendement; mais le bon sens n'est point le partage de
tous les hommes, parce que tous ne font pas une applica-
tion juste des vérités que la nature leur a révélées.
SENSIBILITÉ (Philosophie). Lorsque le Créateur
forma l'homme et constitua les facultés de son être , il lui
donna d'abord l'intelligence, qui devait lui révéler l'u-
nivers et l'élever ju.squ'à son divin auteur. Il le pourvut
aussi, en le douant d'activité, de la force dont il avait be-
soin pour atteindre le but que la raison lui montrait et tra-
vailler à l'accomplissement de sa destinée. Mais son œuvre
eût été imparfaite, et l'homme eût été ime ciéature insi-
gnifiante et sans intérêt, si à ces deux attributs de l'âme il
n'en avait ajouté un troisième, non moins important, non
moins sublime , le pouvoir d'être accessible au plaisir ou à
la douleur. C'est ainsi que nous définirons cette puissance
merveilleuse de l'àme humaine , qu'on appelle sensibilité.
Et en effet, qu'y a-t-il, dans la vie de l'homme de plus
important que la joie ou la souffrance ? Quel serait le mo-
bile et le but de ses pensées, de ses actions, si ce n'est le
bonheur ou le plaisir, qui en est ici-bas la fugitive image?
Qu'on se figure un instant le sentiment banni du cœur de
l'homme , et qu'on lui laisse seulement l'intelligence glacée,
l'activité poursuivant froidement un but sans espoir de bon-
heur : que devient l'homme , sinon un être vide de sens ,
une création stérile en qui la raison se trouve inutile et dé-
placée, et qui peut vivre et mourir sans que son passage
sur la terre excite beaucoup plus d'intérêt que le végétal ou
la pierre insensible. Le sentiment est aussi nécessaire à
l'âme que l'air respirable à la vie du corps. La sensibilité
est donc un attribut essentiel de l'humanité, constitutif de
sa nature , et qu'on ne pourrait lui enlever sans l'anéantir.
Eh bien, le croirait-on ? la philosophie, qui se décore du
nom pompeux de science de Dieu et de l'homme, ne s'est
point occupée de la sensibilité, ou bien en a usurpé le nom
pour le donner à des abstractions qui ne sont point elle;
usurpation d'où il est résulté que la sensibilité, dépouillée
de son nom , a été oubliée et méconnue. Écoutez la langue,
cet écho fidèle du sens commun ; elle vous parlera de la
sensibilité , du sentiment , des émotions , des affections de
toutes espèces, qu'elle distinguera des états de l'intelligence
ou de l'activité. Demandez à l'homme qui n'a d'autres lu-
mières que celles du bon sens si l'état de l'être qui jouit
ou qui souffre est le même que celui du savant qui passe
en revue une longue suite de connaissances et en examine
les rapports : il vous répondra, sans aucun doute, que la
différence de ces deux états est d'une irrécusable évidence.
Mais demandez aux philosophes ce que c'est que la sensibi-
lité : les uns vous diront que c'est le pouvoir d'être en re-
lation avec le monde extérieur par l'intermédiaire des sens;
les autres , donnant au même mot une acception plus large,
mais tout aussi fausse, définiront la sensibilité le pouvoir
d'être modifié passivement de quelque manière que ce soit.
Ainsi, par les premiers la sensibilité est confondue avec
l'extériorité , elle l'est par les seconds avec la passivité. Or,
de quel droit d'aboid les phénomènes de l'extériorité sont-
ils identifiés avec les phénomènes affectifs? Si l'on avait
analysé tous les faits qui se produisent en nous à la suite de
l'action des organes , on aurait vu , au contraire , qu'un
grand nombre de (es faits sont des perceptions, des notions,
et n'appartiennent par conséquent en aucune manière à l'é-
lément affectif (voyez Sensation). Mais quand tous les
faits de l'extériorité seraient des phénomènes de la sensi-
bilité, n'e>istet-il donc pas pour l'âme d'autres phénomènes
affectifs que les plaisirs ouïes douleurs physiques? Con-
•fondra-l-onles sensations grossières du gastronome avec le
SENSIBILITÉ — SENSIBLE
plaisir qui transportait Arcliimède , possesseur d'une vérité
nouvelle? Et je pourrais citer bien d'autres faits de la sen-
sibilité qu'il serait impossible de rapporter à l'action des
organes.
D'un autre côté , de quel droit confond-on les faits de la
passivité avec les phénomènes affectifs? La passivité, il est
vrai, contient les phénomènes affectifs, mais elle renferme
aussi tous les faits intellectuels à leur origine; et c'est sous
ce point de vue seul qu'on l'a considérée , en commettant
l'impardonnable erreur de la confondre dans ce cas avec la
sensibilité, en avançant que la sensibilité c'est l'intelligence
à l'état passif. Qu'est-il résulté de tout cela ? Que les uns ,
en identifiant les phénomènes de l'extériorité avec les phé-
nomènes affectifs pour ramener, tant bien que mal, toutes
nos connaissances à la sensation, n'ont point dit un mot de
la sensibilité elle-même, et que les autres n'en ont pas parlé
davantage, et l'ont passée sous silence tout en la nommant,
par la raison qu'ils l'ont confondue avec un des états de l'in-
telligence.
Quelle étude était plus digne pourtant de préoccuper les
esprits sérieux jaloux de connaître les lois de notre na-
ture? Comme elle est intéressante observée sous ce point
de vue ! Quelle richesse de faits, que d'aperçus nouveaux ,
et quelle poésie dans cette analyse ! Quels résultats féconds
aurait cette théorie pour l'estliétique, puisque le beau nous
est révélé par le sentiment plutôt que par la pensée 1 Quel
secours la science morale n'en rciirerait-elle pas, puisque la
sensibilité est à la fois notre écueil et notre mobile !
Nous n'avons pas , ni ne pouvons avoir la prétention de
donner ici l'esquisse même la plus légère d'une théorie qui
n'existe pas; et quand nos forces auraient pu suffire à cette
tâche, l'espace, h coup sftr, nous manquerait. Tout ce que
nous pourrions faire, ce serait dénommer les points prin-
cipaux dont cette théorie doit s'occuper et de dresser tout
au plus une table des chapitres.
L'étude de la sensibilité se diviserait d'abord en deux
parties. Dans la première on s'occuperait de tous les phé-
nomènes affectifs par lesquels l'âme peut être modifiée sans
sortir de 1 état passif, c'est-à-dire de tous les plaisirs et
de toutes les douleurs , de toutes les joies et de toutes les
soiifî'rances. Ces phénomènes seraient distribués en autant
de classes qu'ils ont de sources différentes. La première
embrasserait tous ceux qui n'ont besoin pour apparaître
que d'un phénomène organique, c'est-à-dire les sensa-
tion s. On comprendrait dans la seconde tous les sentiments
qui se produisent à la suite d'un fait intellectuel , comme
les plaisirs que lait naître la vue des formes ou des couleurs,
la mélodie ou l'harmonie; ceux qu'excitent en nous les rap-
ports , la connaissance des lois de la nature , c'est-à-dire la
vérité ; ceux que procure la vue d'une bonne action, c'est-
à-dire de laccomplissement de la loi par une créature li-
bre, etc. La troisième classe renfermerait les plaisirs et les
peines qui naissent du développement de notre activité, con-
sidérée ou comme force exercée dans un but intéressé , ou
comme force agissant dans un but moral ; ce seraient alors les
sentiments moraux proprement dits. Enfin, l'on s'occuperait
dans une quatrième division des sentiments combinés avec
des faits intellectuels ; combinaison qui donne lieu à des
modifications affectives d'une nature particulièie, comme
l'espoir, la crainte, le désespoir, les jouissances du souve-
nir, la mélancolie , la tristesse , le regret ( voyez SENtr-
ment). Dans la seconde partie de cette théorie, on envisa
gérait la sensibilité à l'ctat actif. De même que l'esprit
cherche, compare, raisonne, en un mot, devient attentif;
de même le cœur désire, aime, se passionne. L'un veut
connaître f l'autre veut ^oMir. Dans les deux cas l'activité
intervient donc pour jouer son rôle, pour animer le prin-
cipe auquel elle s'associe , pour en développer l'action et en
multiplier les richesses. La seconde partie aurait donc pour
objet l'étude des passions. L'étude des passions se divi-
serait elle-même en deux parties, parce que nos affections
«ont de deux sortes : intéressées, égoïstes, ou désintéres-
117
sées et bienveillantes. Les passions intéressées , ou qui ont
le 7noi pour objet, seraient d'autant d'espèces qu'il y a dans
le moi humain de faces différentes qui peuvent devenir
l'objet de son amour. Ainsi, en considérant l'homme s'ai-
mant comme intelligence , on découvrirait en lui l'orgueil,
la vanité, et tous les sentiments qui en dérivent, tels que
le mépris, l'envie, etc. L'amour de 50) comme force, comme
puissance, nous révélerait d'abord l'amour de la liberté,
puis l'ambition, la cupidité , et tout le cortège de ces pas-
sions, telles que la présomption, l'avarice, l'ostentation,
la haine. Dans l'homme qui s'aime comme être sensible
nous trouverions l'amour du plaisir sous toutes ses formes.
Enfin, nous présenterions l'homme s'aimant dans son propre
corps , et nous signalerions comme une espèce d'égoïsme la
fatuité et la coquetterie {voyez Égoïsme). Quant aux pas-
sions désintéressées qui ont le non-moi pour objet, il y en
aurait d'autant de sortes que le non-moi renferme d'objets
différents capables d'exciter notre sympathie. Ainsi le vrai,
le beau, le bien, donneraient lieu à autant d'affections, dont
chacune se présenterait sous des traits distincts. Dieu , la
substance du vrai, du beau , du bien, serait lui-même l'ob-
jet d'une affection d'une nature particulière : viendraient
ensuite les affections sociales, la philanthropie, l'amour
proprement dit, l'amitié, la tendresse maternelle, etc.; et
enfin celle qui semble les réunir toutes , l'amour de la pa-
trie, pour laquelle on vit et l'on meurt. Après cette analyse
de nos diverses passions, on s'élèverait à des considérations
du plus haut intérêt, en les comparant entre elles, puis en
les suivant dans leurs résultats ; en étalant au grand jour
toute la laideur des passions égoïstes ; en signalant néan-
moins celles qui, contenues dans de justes limites, aident
puissamment l'homme à l'accomplissement de sa fin ; en si-
gnalant également les dangers et les excès où peuvent nous
entraîner les passions désintéressées et les plus nobles élans
de l'âme , quand leur fougue est trop impétueuse, quand la
raison vaincue n'est plus capable de les maîtriser. C'est dar>s
de pareilles théories que la morale trouverait ses enseigne-
ments les plus applicables et les plus efficaces. C'est là ce
qui révélerait véritablement l'homme à lui-même, ce qui
lui montrerait sa force et sa fiiblesse, ce qui lui appren-
drait à faire usage de ces armes puissantes que la nature a
mises entre ses mains, et avec lesquelles il se blesse et ee
tue, faute de les connaître. C.-M. Paffe.
SEIXSIBILITÉ (Morale). On appelle ainsi la disposi-
tion tendre et délicate de l'âme, qui la rend facile à être
émue, touchée.
La sensibilité d'âme, dit Duclos, donne une sorte de
sagacité sur les choses honnêtes, et va plus loin que la
pénétration de l'esprit seul. Les âmes sensibles peuvent
par vivacité tomber dans des fautes que les hommes à procé
dés ne commettraient pas, mais elles l'emportent de beau-
coup par la quantité des biens qu'elles produisent. Les
âmes sensibles ont plus d'existence que les autres : les
biens et les maux se multiplient à leur égard. La réflexion
peut faire l'homme de probité , mais la sensibilité fait
l'homme vertueux. La sensibilité est la mère de l'huma-
nité, de la générosité ; elle sert le mérite, secourt l'esprit et
entraîne la persuasion à la suite.
La sensibilité tient plus à la sensation, la tendresse au
sentiment : la chaleur du sang nous porte à la tendresse , la
délicatesse des organes entre dans la sensibilité.
Il y aune espèce de senhibilité vague, qui n'est que l'effet
d'une faiblesse d'organes, plus digne de compassion que de
reconnaissance. La vraie .sensibilité serait celle qui naîtrait
de nos jugements et qui ne les formerait pas.
Il est assez ordinaire de voir des gens se plaindre et se
blâmer d'être trop sensibles; c'est un tour qu'ils prennent
pour vous dire : J'ai le cœur excellent.
SEi\SIBLE (Accord). C'est celui qu'on appelle autre-
ment accord dominant. Il se pratique uniquement sur la
domi nante du ton ; de là lui vient le nom à' accord do-
minant , qu'on lui donne aussi , et il porte toujours la note
118
sensible pour tierce de celle doiminante , d'où lui vient ce
nom iVaccord sensible.
SE^^SIBLERIE. Voyez Sentimestalité.
SENS INTIME. Voyez Conscience et Facultés
(Psi/c/iologie [tome IX, p. 246]).
SENS MORAL, sentiment du bon, de l'honnête, du
beau. On dit d'un liomme peu scrupuleux que le sens moral
lui manque. Hutcheson a écrit un traité du sens moral.
SENSITIVE, nom vulgaire du mimosa pudica de
Linné, plante de la classe des légumineuses particulière à
l'Amérique centrale, et comprenant une soixantaine d'es-
pèces différentes, dont la plus remarquable est la sensilive
commune , mimosa pudica. Elle est douée d'une remar-
quable irritabilité , et ses feuilles se contractent au moindre
attouchement et même à la moindre commotion. Le vent,
l'ombre d'un nuage, l'électricité, la chaleur, le froid, les
vapeurs irritantes suffisent pour produire ces effets. Dès
que l'action cesse, les parties reprennent leur position ha-
bituelle. Mais l'habitude émou?se, pour ainsi dire, la .sen-
sibilité de cette plante. Desfontaines en fit l'expérience. Il
transporta en voiture, pendant plusieurs jours, une sen-
silive, et peu à peu, s'habituant au mouvement, elle finit
par rester dans son état normal. Soumise à l'action du
chloroforme , la sensilive subit pendant son sommeil des
attouchements réitérés sans éprouver la moindre sensation.
On a beau la froisser, la fleur endormie est comme morte
et ne se ferme plus. Au contraire, au bout de quelques
minutes, dès que le sommeil a cessé , la plante reprend sa
sensibilité délicate. En un mot, sous l'action du chloro-
forme , la sensilive éprouve absolument les mêmes phéno-
mènes et les mêmes symptômes que l'animal.
SENSORIUM. Quelques anatomistes désignent ainsi
l'endroit du corps de l'homme où ils placent le siège de
l'âme, et qu'ils supposent être la partie du cerveau où vien-
nent aboutir tous les nerfs organes du sentiment, s'accor-
dant assez généralement à dire que c'est vers le commen-
cement de la moelle allongée. Descartes pensait que le siège
de l'âme est dans la glande pinéale ou conarion. Newton
appelait l'univers le sensorium de la Divinité.
SENSUALISME. L'idée qu'éveille ce mot est com-
plexe. H désigne en effet d'une part la doctrine suivant
laquelle toutes les notions que nous possédons ont les sens
pour base , conformément à cet adage : Nihil est in in-
iellechi quod non fuerit in sensu ; et de l'autre ce prin-
cipe, que toute notion vraie repose uniquement sur ce qui
est ou peut devenir l'objet d'une perception par les sens.
Dans la première de ces acceptions, le sensualisme est une
doctrine psychologique, n'excluant pas (bien que cela soit
souvent arrivé) la pos*;ibilité que des matières premières et
encore grossières de la vie intellectuelle, comme c'est le
cas dans les perceptions par les sens, se développent des
idées plus élevées qui semblent n'avoir que peu ou point de
rapports avec les matières premières, et que l'on présente
(lès lors ordinairement comme des arguments à l'appui des
idées innées, soit métaphysiques, soit esthétiques, soit mo-
rales. Dans la seconde acception, le sensualisme est une
<loctrine ayant trait à la puissance et aux limites du savoir
humain, et ne voyant que des illusions dans tout ce qui
franchit le grossier empirisme de l'expérience intime et
externe. Le plus souvent on a confondu cette double signi-
fication du mot sensualisme ; confu.sion qui a donné lieu
à bien des erreurs et à bien des accu.sations. Le sensualisme
qui donne pour limites à la science l'empirisme compromet
tous les grands intérêts moraux, rehgieux et spéculatifs;
«t c'est ce qui lui est effectivement arrivé toutes les fois
sju'il a dégénéré en matérialisme. Il n'en est pas moins
complètement faux de voir du sensualisme dans certaines
doctrines de la philosophie naturelle, par exemple dans celle
de l'atomisme ; car il n'y a pas d'afomiste qui voulût con-
venir que les atomes sont des objets perceptibles par les sens.
En morale, on appelle se?2.ç«flH5me la doctrine suivant
laquelle il n'y .aurait d'autre mesure pour l'appréciation
SENSIBLE — SENTIMENT
du bien et du mal que la jouissance sensuelle, le senti-
ment de plaisir ou de déplaisir sensuel , ne durât-il qu'un
instant. C'est là le sensualisme dont firent profession Aris-
tippe, Épicure et son école, Hobbes et l'école française du
dix-huitième siècle. En tant que théorie , et à part toute
considération philosophique, le sensualisme trouve sa réfu-
tation dans l'existence des sciences, telles que les mathé-
matiques. On cesserait bientôt d'attaquer le sensualisme
comme doctrine psychologique autrement qu'à l'aide d'ar-
guments théoriques, si l'on ne perdait pas de vue que la
démonstration de l'origine d'une idée ne prouve rien à l'é-
gard de sa valeur ou de son importance. Royer-Collard
est un des hommes qui contribuèrent le plus à détrôner en
France les théories du sensualisme.
SENSUALITÉ , attachement aux plaisirs des sensT""
SENTENCE , SENTENCIEUX. Il y a cette différence
entre.lesmots w aximee,\. sentence, qui tous deux expri-
ment cependant une vérité palpable, incontestable, que le
premier s'applique plus particulièrement à celles de ces vé-
rités qu'il faut regarder en morale comme règles de con-
duite, tandis que le second désigne uniquement, mais en
dehors de l'ordre scientifique, une proposition évidente, une
vérité qui tombe immédiatement sous le sens, comme l'in-
dique l'étymologie du mot, qui dérive évidemment de sew^ire.
Que celte proposition ou vérité, d'ailleurs, soit une règle
de conduite, comme dans le fameux Connais-toi toi-même,
qui est en même temps une maxime t\, xrn^ sentence , ou
que ce soit simplement l'expression d'une vérité qui n'ait
pas de rapport direct avec une règle de conduite, comme
dans cette autre proposition : Dieu est souverainement bon .
il en résulte que, rigoureusement parlant , une viaxime est
toujours une sentence , mais que la sentence n'est pas tou-
jours une maxime.
Le mot sentence a , dans la juridiction commerciale, une
autre acception ; il désigne un jugement rendu par un tri-
bunal arbitral. Dans le langage ordinaire, sentence s'em-
ploie souvent pour désigner la décision d'un'tribunal empor-
tant la peine capitale.
C'est peut-être de l'extrême difficulté qu'il y a à réunir avec
goût dans une œuvre littéraire un grand nombre de maximes
et de sentences , et de la rareté des succès obtenus en ce
genre, que sera venue l'idée défavorable qui s'attache géné-
ralement à V&A]tcW{ sentencieux qu'on applique à des ora-
teurs inhabiles , ou qu'on fait servir à désigner une affec-
tation de bien dire sans en avoir le talent, une gravité
intempestive de langage , un dévergondage enfin de sen-
tences hors de propos, sans choix et sans tact.
SENTENCES (Le maître des). Voyez LoMBA.Rn'(Pierre).
SENTE et mieux SENTIER , chemin étroit entre deux
héritages ou bien à travers des champs, des bois. Ce mot
s'emploie aussi au figuré : Suivre les sentiers de la vertu ;
Fuir les sentiers battus; Le sentier de l'honneur est étroit.
SENTEUR. Voyez Odeur.
SENT5MENT ( Philosophie ). Pris dans son acception
philosophique , ce mot s'applique à tous les phénomènes
affectifs , c'est-à-dire à tous les plaisirs et à toutes les
peines , qui naissent immédiatement d'un phénomène intel-
lectuel ou d'un phénomène d'activité, ou, si l'on veut,
qui résultent du développement de l'intelligence ou du prin-
cipe actif. Ainsi, le sentiment diffère de la sensation, en
ce que celle-ci, bien que phénomène affectif, nait immé-
diatement à la suite d'une modification de l'organisme, et a
un fait matériel pour condilion d'existence. Le sentiment, v
dans le sens rigoureux du mot, diffère encore des phéno-
mènes complexes de la sensibilité qu'on désigne sous les
noms à'amour, de haine, à'af/eclion, de passion, en ce
qu'il ne consi.ste que dans un simple fait de plaisir ou de
peine , et qu'il laisse l'àme encore passive à l'égard de l'objet
qui excite en elle le phénomène affectif; tandis que l'amour,
qu'on qualifie aussi de sentiment dans la langue usuelle,
est un fait complexe, qui comprend et le phénomène af-
fectif, et le fait d'activité qui se développe en nous , quand
SEiNTIMElNT
119
Fâme, par un mouvement qui lui est propre, se porte au-
devant de l'objet de ses sympathies.
On a confondu aussi le sentiment avec l'idée obscure , la
notion à son origine. Plusieurs causes ont amené cette con-
fusion grave. Nous signalerons d'abord le langage, qui auto-
rise à faire usage du mot sentir dans deux acceptions bien
différentes; en effet, on emploie souvent ce mot dans le
sens de comprendre : ainsi , l'on dira -. Je sens la force de
vos raisons , au lieu de : Je comprends, je saisis la force
de vos raisons; Avoir le sentiment de sa faiblesse, au lieu
de ; Avoir la conscience de sa faiblesse , etc. Puis l'on dira,
Cil donnant un tout autre sens à ce mot , Je sens ( c'est-à-
dire f éprouve) de l'amitié pour vous; la vue de ma patrie
m'a causé un sentiment inexprimable de joie, etc. Il suflit
des lumières naïves du sens commun pour n'ùtre point la
dupe de cet abus de langage, d'une expression figurée, dont il
est si facile de démêler la signification propre. Mais, profitant
«le cette confusion de mots, les philosophes n'ont vu dans
le sentiment que les premières lueurs de l'intelligence, les
notions confuses par lesquelles elle débute, et ils ont com-
plètement négligé de considérer le fait de plaisir ou de peine.
Ainsi , ils ont distingué le sentiment-sensation , le senti-
ment des rapports , le sentiment des facultés de l'âme et
;e sentiment moral , et ils ont assigné ces différentes sortes
de sentiments pour origine à toutes nos idées. La réfutation
de ce système se trouve dans la distinction que nous avons
déjà faite de la perception et de la sensation ( voyez la se-
conde partie de l'article Sensation ).
Passons nous-môme rapidement en revue les principales
sortes de sentiments dont l'âme peut être affectée. Nous
aurons d'abord à signaler tous ceux qui naissent du dévelop-
pement de l'intelligence; nous examinerons ensuite ceux
auxquels donne lieu le développement de l'activité.
Les perceptions de couleur, de forme et de mouvement
sont pour nous des sources intarissables de jouissances ;
témoins l'azur des cieux, la parure des vertes campagnes,
le brillant émail d'un parterre, et ces mille nuances, ces
mille combinaisons de couleurs que la nature ou l'art pla-
cent tous les jours sous nos yeux. Mais les couleurs som-
bres, ternes ou livides , nous déplaisent et nous attristent.
La pexception des formes n'excite pas en nous des senti-
ments moins variés ni moins nombreux; et depuis le co-
quillage qui se cache dans le sable des mers jusqu'au peu-
plier qui s'élance dans la nue, jusqu'au temple majestueux
qui domine nos cités, que d'objets qui charment nos regards
et commandent notre admiration ! Mais que d'objets aussi
dont les formes anguleuses , incorrectes, nous choquent et
nous font détourner les yeux ! Nous aimons à voir des mou-
vements vifs, gracieux, faciles : les mouvements lents,
heurtes, pénibles, nous font souffrir. Que dirai-je des sons,
du ravissement où nous jette une douce mélodie , de la
blessure qui semble nous déchirer quand des notes discor-
dantes ou trop aiguës se font entendre? Les plaisirs qui
naissent des perceptions ont donné naissance à tous les arts,
car c'est à les reproduire que s'évertuent le peintre, le
sculpteur, l'architecte, le danseur, le musicien.
Si les qualités de la matière sont des trésors toujours ou-
verts pour la sensibilité, les phénomènes de l'àme sont aussi
des sources fécondes où elle va puiser tous les jours. Quoi
de plus flatteur pour nous que l'action heureuse et facile
de l'intelligence, qu'une succession d'idées qui se déroulent
naturellement et sans effort, soit que nous-môme nous
soyons le théâtre de ces phénomènes, soit que ce spectacle
s'offre à nous dans autrui , par le miroir du langage! De là
le plaisir qu'on trouve dans la rêverie et dans toutes les
scènes que l'imagination nous présente ; de là aussi le plai-
sir que nous éprouvons à entendre parler avec abondance,
méthode et clarté, plaisir indépendant de celui qui peut
naître des objets mêmes que les idées rappellent. L'activité
nous présente un spectacle non moins intéressant : nous
applaudissons à la force qui surmonte les obstacles et at-
teint avec facilité le but de ses efforts ; nous plaignons , au
contraire, celui qui lutte en vain , et nous souffrons pres-
que autant que lui à la vue de son impuissance : quanta
celui qui agit pour accomplir le bien , ses efforts sont pour
nous l'objet de l'admiration la plus vive, de même que
notre indignation poursuit l'homme qui agit librement pour
détruire l'ordre établi par la nature. Mais quoi de plus
propre à remuer notre âme que les scènes qui nous sont
offertes par la sensibilité! Être averti de la joie ou de la
souffrance d'autrui , c'est jouir ou souffrir soi-même. Et
qu'on ne croie pas que les sentiments que nous éprouvons
alors ne sont que la répétition de ce qui se passe dans une
autre âme. Ce qui prouve que le spectacle des phénomènes
de la sensibilité est pour nous la source de peines ou de
plaisirs qui ont leur nature propre , c'est que souvent la
vue de souffrances et d'angoisses cruelles excite en nous
des émotions dont nous sommes avides, et auxquelles nous
attachons le plus grand prix. Cette action , ce reflet de la
sensibilité sur elle-même, est ce qui éveille les sentiments
les plus vifs : au.ssi les poètes sont-ils sûrs de ne pouvoir
nous plaire davantage que lorsqu'ils nous présentent la pein-
ture des émotions et des passions de toutes sortes qui font
battre le cœur humain.
La troisième espèce des sentiments qui sont dus aux
phénomènes intellectuels comprend tous ceux auxquels
donne naissance la perception des rapports. Les rapports de
convenance et de disconvenance, considérés en eux-mêmes,
sont pour nous la source de sentiments aussi énergiques
que variés. Ainsi , nous aimons à remarquer de la ressem-
blance entre deux objets qui au premier abord nous pa-
raissaient différents. De là le plaisir que nous trouvons dans
les comparaisons que les poètes ont soin de multiplier dans
leurs œuvres. De là aussi l'intérêt qu'ont pour nous ces jeux
de mots qui nous présentent une relation de ressemblance
et même d'identité sous le rapport de l'expression entre
deux idées entièrement disparates, et ces jeux d'esprit qui
nous présentent au contraire deux id(>es comme incompa-
tibles et qui nous en laissent apercevoir la convenance sous
l'incohérence de l'expression [voyez Calejicolr, Rire).
Les rapportsde différence ou de disconvenance excitent en
général un sentiment pénible. Cependant, quand la dtflé-
rence est fortement tranchée , quand elle donne lieu à un
contraste, elle nous affecte tout autrement; car les con-
trastes ont souvent fourni aux poètes leurs plus grandes
beautés. Si nous considérons maintenant , non plus les
rapports simples, mais les rapports généralisés, c'est-à-dire
les lois de la nature (car une loi n'est autre chose qu'un
rapport généralisé par l'esprit et envisagé comme per-
manent et invariable), nous allons voir apparaître des
senliuients d'une autre espèce, les plaisirs que procure la
connaissance de la vérité, ou l'inquiétude, la souffrance
de l'esprit, quand sa faiblesse lui en dérobe le flambeau.
Remarquons que parmi les vérités celles qui nous agréent
davantage et nous affectent le plus vivement sont les véri-
tés relatives à la nature humaine. C'est pour cela que l'his-
toire des peuples et des individus a pour nous plus d'inté-
rêt que celle des oiseaux ou des quadrupèdes ; c'est pour
cela que le drame , qui a pour but de nous retracer les prin-
cipaux traits de la nature humaine, a tant de charmes pour
nous , et que l'œuvre dramatique qui a le plus de succès et
d'avenir est celle où l'auteur s'est moins attaché à exciter
eu nous des émotions vives qu'à exprimer fidèlement les lois
de notre nature.
Il est encore une idée qui est pour nous la source d'un
sentiment à part, c'est celle de Yinlini. Quelque accablante
qu'elle soit pour la faible raison de l'homme , elle ne laisse
pas de remuer son âme par les plus profondes émotions ,
et le sentiment qu'elle fait naître est l'origine du sentiment
religieux, sentiment dont la puissance ne saurait être com-
parée à aucune autre. Il est vrai qu'il a de nombreux auxi-
liaires; mais ce qui lui donne sa principale force, c'est que
l'homme applique l'idée d'jn/î/iià la puissance, àl'amour,à
la sagesse de son Créateur.
320 SENTIMENT — SEPARATION
Nous n'avons présenté ici que les faits élémentaires de la
sensibilité. Que serait-ce si nous les suivions dans toutes
leurs combinaisons? Il nous faudrait plusieurs volumes.
Nous ne pouvons cependant passer sous silence les senti-
ments qui donnent naissance aux alfections sociales, et
qui consistent principalement dans les plaisirs que nous
fait éprouver la vue d'êtres semblables à nous, et qui nous
agréent par tous les pbénomènes de sensibilité, d'activité
eu d'intelligence qu'ils nous manifestent. Ces sentiments ont
reçu à bon droit le nom de sympathiques. On appelle par
opposition antipathie le sentiment pénible que nous éprou-
vons à la vue des défectuosités de notre nature. Nous si-
gnalerons également parmi les sentiments complexes ce-
lui que nous éprouvons en quittant ou en retrouvant le lieu
qui nous a vus naître et grandir, et dont la vue nous rap-
pelle tant d'objets, tant d'événements auxquels se rattacbent
tant de douces émotions. Nous serions aussi par trop in-
complet si nous ne nommions au moins C espérance, la
crainte, le regret , le désespoir, sentiments qui naissent à
la pensée d'un bien ou d'un mal à venir, ou d'un bien perdu,
et perdu sans retour (voyez Douleur morale).
Quant aux sentiments qui naissent à la suite du déve-
loppement de l'activité, ils sont de deux sortes. Comme
nous pouvons en agissant nous proposer deux buts diffé-
rents, ou un but intéressé , ou un but moral, les sentiments
différeront selon qu'ils naîtront à la suite du développement
de notre activité dans l'un ou dans l'autre sens. D'une part,
nous aurons les plaisirs qui résulteront de l'action facile et
heureuse de notre force, les joies du succès; puis les plai-
sirs qui résultent de la liberté , de la puissance , de la pos-
session; puis aussi les souffrances de l'activité arrêtée dans
ses efforts, impuissante à atteindre son but, les douleurs de
l'esclavage, de l'abaissement, de la misère. D'un autre côté ,
nous aurons les plaisirs que procure la conscience à celui
qui a déployé son activité pour concourir autant qu'il était
en lui, à l'accomplissement du bien, de la loi établie par la
sagesse éternelle, puis les peines de la conscience, c'est-à-
dire les remords qu'éprouve l'bornme qui a travaillé sciem-
ment à détruire l'ordre, le bien, et qui s'est mis en opposi-
tion et en état de révolte contre le principe de tout bien,
de tout ordre. Les joies et les remords de la conscience ,
ces sentiments que nous signalons les derniers , sont à
coup sûr les premiers de tous par leur importance, car ils
réalisent ce que l'bomme poursuit avec tant d'ardeur, ce
qu'il fuit avec tant d'effroi , le bonlieur et le malheur.
C.-M. Paffe.
SENTIMENT ( Beaux-Arts). En parlant des ouvrages
de l'art, ce mot peut s'employer dans un des sens qu'on
lui donne dans le langage ordinaire, où il se prend souvent
pour l'effet de la sensibilité. Ainsi on peut dire qu'il y a du
sen^ànen^ dans l'ouvrage d'un artiste , comme l'on dirait
qu'il y en a dans l'ouvrage d'un poète. Un peintre, un sculpteur
qui réussit dans la partie de l'expression montre du sen-
timent, puisque l'expression dans l'art ne peut être
produite que par une sensibilité exquise.
Le mot sentiment s'applique aussi quelquefois à une
partie de l'art qui tient à l'exécution. On dit d'un contour,
qu'il y a du sentiment, ou de quelque partie d'une (iguie,
qu'elle est faite avec sentiment; et dans celle acception
ce mot désigne un résultat de la sensibilité. C'est parce
qu'un artiste sent fortement ce qui sert à bien exprimer les
formes de la nature qu'il les rend par un trait ressenti, et
qu'il donne à son trait ce qu'on appelle du sentiment. C'est
parce qu'il s'est bien rendu compte de ce qu'il y a de prin-
cipal dans une partie qui fait l'objet de son étude, c'est
parce que ce caractère principal excite en son âme une sen-
sation vive , qu'il exprime ce caractère avec sentiment.
Lorsque l'artiste n'a qu'un sentiment incertain sur l'objet
qu'il imite, il le rend avec mollesse; son trait, sa louche
parlagenl l'indécision de sa pensée. L'indécision , la mol-
lesse, sont le contraire de ce que dans l'art on exprime par
le mot sentiment. Le sentiment est toujours accompagné de
DE BIENS
fermeté ; mais la fermeté ne sert qu'à dissimuler l'ignoranc*
quand elle n'est pas le résultat d une sensation juste im-
primée par l'objet imité et d'ime connaissance parfaite de
cet objet, sans laquelle il ne peut exciter que des sensations
incertaines. MiLLiN,de l'Insiitut.
SENTIMENTALITÉ. On a donné ce nom à la nuance
qui sépare la sensibilité de la sensiblerie, laquelle n'en est
que la ridicule affectation, tandis que la sentimentalité est
l'exagération de ce sentiment. La sentimentalité a long-
temps constitué en littérature un genre dont VObermann
de Sénancour peut être considéré comme le type le plus
achevé. L'école du sentiment a tant abusé des larmes, des
soupirs, des regrets, des imprécations contre la fatalité
qui préside aux destinées humaines, qu'elle a fini par de-
venir souverainement ridicule. Dès lors elle avait vécu.
SENTINELLE (de l'italien sentinella), soldat à pied
qui fait le guet pour la garde d'un camp, d'une place,
d'un palais, etc., et qui est détaché pour cela d'un corps,
d'un poste de gens de guerre.
La France est inconlebtablement l'un des pays du monde
où l'on a toujours déployé le plus grand luxe en sentinelles;
l'autorité en fourre partout où elle trouve le moindre pré-
texte pour en placer. Sous le règne de Louis-Philippe, un
orateur, à propos des économies réalisables sur le budget de
la guerre, fit éclater de rire tous les côtés de la chambre en
demandant au ministre si la sentinelle qui jour et nuit se
promenait silencieusement autour de l'obélisque de Luxor
avait pour consigne d'empêcher les malfaiteurs d'enlever ce
vénérable monument. On en pourrait dire encore autant des
soldats qui font le guet auprès de la statue de Henri IV, de
celle du maréchal Ney , et de tant d'autres monuments, tant
à Paris que dans nos départements , qui se garderaient fort
bien tout seuls.
[ Il était admis en principe dans les armées modernes
que tout officier trouvant une sentinelle endormie lui pou-
vait passer son épée au travers du corps : cela se disait,
mais ne se faisait pas; c'était une loi de tradition, non de
droit écrit, car droit militaire et jurisprudence militaire
sont choses tout idéales et à créer. La plus ancienne disposition
que nous retrouvions à l'égard de celte espèce de désertion
d'un factionnaire endormi était insérée dans l'ordonnance
du 1'^'' août 1733; elle voulait que les sentinelles endormies
fussent passées par les armes, mais il ne reste pas trace que
des jugements de ce genre soient intervenus.
0=»' Bardin. ]
SÉOGOUN. Voyez Kolbo et Japon.
SEl*. Foy^^sCHARUCE.
SÉPARATION (du latin separare), action de mettre
à part , de disposer autrement , de séparer.
SÉPARATION DE BIENS. Il y a deux espèces de
séparations de biens entre époux. L'une est stipulée avant
le mariage, et résulte des clauses expresses intervenues à cet
égard au contrat. C'est ce qu'on appelle la séparation de
biens contractuelle. On appelle l'autre séparation judi-
ciaire , parce qu'elle ne peut régulièrement avoir lieu qu'en
vertu d'un jugement rendu dans les formes voulues par
la loi.
Dans la séparation contractuelle, la femme conserve
la libre disposition de ses revenus ; mais elle ne peut aliéner
ses immeubles sans le consentement de son mari , ou , à sou
relus , sans celui de la justice. La simple exclusion de la
communauté n'enlève au mari ni l'administration des biens
ni la jouissance des revenus de sa femme. Il n'y a que l'in-
sertion au contrat de la clause formelle portant séparation
de biens qui les lui fasse perdre. La femme mariée sous
le régime de la communauté, ou sous le régime dotal , peut
obtenir de la justice la séparation de biens lorsque le dé-
sordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les
biens de celui-ci ne soient pas suffisants pour remplir les
droits et reprises de la femme. Les causes de séparations
judiciaires sont indiquées aux articles 1443 et 1563 du Code
Civil. Les effets de cette séparation consistent à rendre à la
SEPARATION DE BIENS — SEPT
121
femme la libre administration de ses biens ; elle ne lui con-
fère pas toutefois le droit de les aliéner, lorsqu'elle est ma-
riée sous le régime dotal. Aux termes de l'article 1449, elle
peut disposer de son mobilier et l'aliéner; mais elle ne sau-
rait aliéner ses immeubles sans le consentement de son mari ,
ou, à défaut, sans autorisation de justice. L'article 1443
déclare que la séparation de biens ne peut être poursuivie
qu'en justice, et que toute séparation volontaire est nulle.
La femme qui a volontairement déserté le domicile conju-
gal n'est pas recevable à demander la séparation de biens tant
qu'elle no l'a pas réintégré .
SÉPARATION DE CORPS. La loi , à défaut du di-
Torce , aboli en 1816, donne le moyen de se soustraire à la
cohabitation conjugale, parla séparation de cprps , à celui
des deux époux dont l'honneur et l'existence se trouvent
gravement compromis par le fait de l'autre époux. H y a
en effet des peines qui rendent la vie commune insuppor-
table; ce sont celles qui autorisent et justifient la séparation
demandée par une femme que son mari rend volontairement
et constamment malheureuse.
Les mêmes motifs qui donnaient lieu au divorce, pour
■ causes déterminées, autorisent aussi la demande en séparation
de corps. Ces causes sont : 1" l'adultère de la femme; 2° l'a-
dultère du mari, lorsqu'il tient sa concubine dans la mai-
son commune, lors môme que la femme n'habite pas celte
maison commune, expression par laquelle la loi ne désigne
que le domicile marital; 3° les excès , sévices ou injures
graves de l'un des époux envers l'autre ; 4° la condamnation
de l'un des époux aune peine infamante, par un jugement
définitif et non susceptible d'être légalement réformé. Par
excès le législateur a entendu des actes de violence qui
excèdent toute mesure, qui mettent la santé ou la vie de l'un
des époux en danger; et par sévices des actes de cruauté
commis sur la personne, qui ne mettent pas la vie en danger.
Viujure, pour devenir une cause suffisante de séparation,
doit être grave; et c'est au juge qu'il appartient d'apprécier
la gravité de l'injure ou de l'outrage. Ce caractère dépend
de la position et des habitudes sociales des parties intéres-
sées. Évidemment tel mot sans importance dans une classe
où les expressions ont en général beaucoup moins de
convenance et de mesure devient une injure grave pour la
femme appartenant à une classe où l'éducation aiguise la sen-
sibilité.
Lorsque la séparation de corps est prononcée pour cause
de l'adultère de la (emme, celle-ci est condamnée, et sur la
réquisition du ministère public, à la réclusion dans une
maison de correction , pendant trois mois au moins et deux
ans au plus.
La séparation de corps entraîne toujours celle des biens.
Ses effets s'étendent à la personne des époux , à leurs en-
fants, à leurs biens. Toutefois , elle n'opère pas la dissolu-
tion du mariage, dont les liens ne sont que relâchés. Elle
laisse par conséquent subsister la présomption légale de
paternité, établie en faveur des enfants contre le mari de la
mère. Puisque le mariage n'est pas rompu, les époux con-
tinuent à se devoir muiutWemenl fidéiité , secours et as-
sistance. En conséquence, le Code Pénal prononce des peines
contre la femme convaincue d'adullè're postérieurement à
la séparation , de même que contre le mari qui après la
séparation de corps prononcée a entretenu une concubine
dans la maison conjugale. L'époux contre lequel la sépara-
tion a été prononcée a le droit de demander <les aliments
à l'autre, s'il est dans le besoin. Pendant ['instance en sé-
paration de corps, les enfants restent sous la garde du
mari défendeur ou demandeur, à moins qu'il n'en soit autre-
ment ordonné par le tribunal, à la demande de la mère ou
de la famille. Après la séparation prononcée , ils restent à
l'époux qui l'a obtenue, à moins que, sur la demande de la
famille ou du ministère public, le tribunal n'ordonne que
tous ou quelques-uns d'entre eux seront confiés au soin de
l'autre époux, ou d'un tiers. Mais quelle que soit la per-
sonne à laquelle ils sont confiés, le père et la mère conservent
respectivement le droit de surveiller leur éducation et leur
entretien, de même qu'ils restent tenus d'y contribuer en rai-
son de leurs facultés. La séparation de corps cesse quant
aux personnes par la volonté des époux ; mais quant aux
biens elle ne peut cesser qu'en vertu d'un acte authen-
tique.
SÉPARATION DE DETTES. Les dettes d'un
défunt se divisent entre ses héritiers, et chacun d'eux y
contribue dans la proportion de la part qu'il a dans la suc-
cession. Le légataire à titre universel contribue avec les
héritiers , au prorata de son émolument. Mais le légataire
particulier n'est pas tenu des dettes et charges, sauf, tou-
tefois , l'action hypothécaire.
SÉPARATION DE PATRIMOINES. Tous les
créanciers d'une succession ont, sans distinction , aux termes
de l'article 878 du Code Civil, la faculté de demander la
séparation des patrimoines. Le législateur a eu en vue en
cela d'accorder aux créanciers du défunt sur les biens de
la succession un privilège qui les fasse payer de préférence
aux créanciers personnels de V héritier. La loi a prescrit , d^ns
l'intérêt des tiers, un délai dans lequel le créancier doit s'ins-
crire, sous peine de perdre ce privilège. Ce délai est de six
mois quand il s'agit de créances hypothéquées sur immeubles.
Le droit d'invoquer la 5fp«ra<ion des patrimoines se pres-
crit par trois ans quand il s'agit de meubles. A l'égard des
immeubles, l'action peut être exercée tant qu'ils existent
entre les mains de l'héritier. L'action en séparation des
patriynoines à l'égard des immeubles ne se prescrit qu'avec
et comme la créance elle-même, si d'ailleurs les choses sont
encore entières.
SÉPHIROTH. Foyes Cabale.
SÉPIA, espèce d'encreemployée particulièrement pour
les lavis. On la retire d'une vessie que les sèchesontauprès
du cœur. Assez semblable à l'encre de Chine, dont elle ne
diffère que par une couleur plus rougeâfre, on l'extrait du
tissu cellulaire qui la contient dans un état de bouillie assez
épaisse. Mise dans l'eau, elle s'y délaye, et en teint une très-
grande quantité. Reçue dans un vase, elle s'y dessèche en
peu d'heures, et s'en détache en écailles pareilles à celle de
l'encre de Chine.
Dans les dessins à la sépia les couleurs s'appliquent par
teintes superposées et plus ou moins foncées. On commence
généralement par établir les masses au moyen de teintes
plates et claires, puis on ajoute des teintes plus foncées pour
produire les ombres et les jeux de lumière. Il faut attendre
qu'une couche soit sèche pour la couvrir d'une autre. Les
teintes doivent être couchées avec promptitude, afin que la
couleur n'ait pas le temps de sécher pendant qu'on l'applique.
Après avoir établi les masses, on s'occupe des détails. Avec
le pinceau détrempé dans l'eau pure, on fond, on adoucit les
teintes; puis on donne les touches aux endroits qui ont be-
soin de vigueur. Quelquefois ces dernières touches se font
à la plume. Parfois on suit une marche inverse; on établit
d'abord les détails, et on glace ensuite les masses. Les des-
sins à la sépia demandent une grande dextérité de pinceau.
Ils rendent d'un autre côté avec une extrême promptitude
les idées de l'artiste. De grands peintres ont jeté ainsi les
esquissesde leurs travaux. C'est, dit-on, un Allemand, le pro-
fesseur Seydelmann, qui pendant son séjour en Italie, vers
1780, eut le premier l'idée de se servir pour ses dessins de
la matière colorante contenue dans la vessie de la sèche ,
avec du bistre ; procédé dans lequelil acquit bientôt une rare
habileté, et dont l'invention lui fit une grande réputation.
SEPT, un des nombres premiers de l'arithmétique, en
ce qu'il n'a pas d'autre diviseur exact que lui-même ou
l'unité; un de ceux aussi qui ont joué le plus grand rôJe
dans l'antiquité judaïque et paiienne. On le retrouve à
chaque instant dans l'Écriture, où il est parlé de 5ep^ chan-
deliers, de sept branches au chandelier d'or, de sept lampes,
de sept étoiles, de sept sceaux, de sept anges, de sept trom-
pettes, etc. Le nombre 5e/î< s'est perpétué dans les dogmes
et les cérémonies du christianisme, où il y a sept sacrements,
122
SEPT
sept psaumes de la pénitence , sept pécliés capitaux , etc.
!1 ne paraît pas avoir été moins lionoré dans les cérémonies
païennes , où les autels , les victimes, etc., se comptaient
aussi par sept. Cet usage dérivait évidemment chez les Juifs
de la tradition primitive de la création du monde. On a sup-
posé que c'était en l'honneur des sept planètes, alors connues,
que les païens vénéraient le nombre sept, et comptaient
comme les Juifs, et comme nous le faisons encore aujourd'hui,
par semaines de sept jours : mais cette semaine ainsi
comptée fut anciennement usitée chez des peuples qui n'a-
vaient pas la moindre notion d'astronomie, et il est plus vrai-
semblable de croire que ce respect pour le nombre sept a
été chez toutes les nations un reste de la tradition primitive
qui a stuvécu à toutes les altérations.
SEPT ANS (Guerre de [1756-1762]). L'impératrice
Marie-Thé rèse ne pouvait se consoler d'avoir été con-
trainte par l'issue malheureuse des deux premières guerres
de Silésie, d'abandonner la Silésie à Frédéric II. Dans
l'espoir de la reconquérir, elle avait utilisé un intervalle de
paix de plusieurs années pour renforcer son armée ; en môme
temps elle chercha à se créer des alliés. Cela ne lui fut pas
diflicile avec l'impératrice Elisabeth de Russie, que Fré-
déric Il avait blessée par quelques mots piquants , de même
qu'avec la cour de Saxe, encore aigrie des humiliations que
lui avait values la guerre précédente. Elle eut plus de peine
avec la France , qui tout récemment encore s'était montrée
l'ennemie acharnée de l'Autriche, et qui toujours s'était
montrée jalouse de tout agrandissement de puissance qui
pourrait résulter des événements pour sa rivale. Mais le roi
d'Angleterre Georges II ayant conclu, le 16 janvier 175G,
un traité d'alliance défensive avec la Prusse , et l'impératrice
Marie-Thérèse, suivant en cela les conseils de son ministre
Kaunitz, s'étant abaissée jusqu'à écrire à la marquise de
Pompadour, un traité d'alliance fut enfin conclu aussi à Ver-
sailles, le 1*" mai 1756, entre l'Autriche et la France. Le
plan secret était d'exciter le roi de Prusse à commettre
quelque acte d'hostilité. On voulait l'attirer en Bohême; et
alors l'électeur de Saxe, feignant de vouloir garder la neu-
tralité, lui aurait permis de traverser ses États pour gagner
la Bohême. Mais ensuite l'électeur aurait déclaré la guerre
au roi , l'aurait attaqué sur ses derrières , et la guerre eût été
ainsi finie d'un seul coup. Frédéric avait trop de pénétration
pour ne pas voir le danger; mais il ne le croyait pas si
proche, et il ignorait les menées de la coalition. Un employé
infidèle de la chancellerie saxonne, appelé Menzel, lui vendit
alors le plan des alliés ; et aussitôt le roi résolut de prévenir
ses ennemis par la rapidité de ses opérations. Sur la réponse
évasive faite par la cour de "Vienne à sa demande d'explica-
tions au sujet de grands rassemblements de troupes qui
avaientlieuenBohême.ilenvahitlaSaxe, aumoisd'aoùtl756,
à la tête de 60,000 hommes. Dans l'espace de quelques se-
maines il occupa, sans tirer l'épée du fourreau, ce pays laissé
sans défense; le 10 septembre il se rendit maître de Dresde,
où il établit une administration prussienne, en même temps
qu'un commissariat des guerres àTorgau , et il se hâta en-
suite d'aller cerner l'armée saxonne, forte au plus de 17,000
hommes, et qui occupait un camp retranché entre Pirna et
Kœnigstein, pour la contraindre à mettre bas les armes.
Pendant ce temps-là le feld-maréchal Browne s'avançait
lentement de la Bohème avec une armée autrichienne
pour délivrer les Saxons. Par là le roi se vit contraint de
laisser un fort corps d'armée devant le camp de Pirna , et
d'aller en Bohême au-devant de l'armée autrichienne avec le
restant de ses forces. Une bataille eut lieu le l*"^ octobre à
Lowositz; elle ne fut point, il est vrai, décisive, mais elle
força les Autrichiens de battre en retraite; et le 14 octobre
suivant l'armée saxonne , manquant de vivres , et après
avoir fait d'inutiles efforts pour s'ouvrir la route de la Bo-
hème, réduite maintenant à un effectif de 14,000 hommes,
«e vit forcée de mettre bas les armes. Ainsi finit la première
campagne. Les Autrichiens prirent leurs quartiers d'hiver
en Bohême, les Prussiens en Saxe et en Silésie. Frédéric II
SEPT ANS
resta de sa personne même à Dresde, et traita la Saxe avec
une extrême rigueur.
C'est en 1757 seulement que la guerre devait prendre tous
sesdéveloppements. Marie-Thérèse n'apporta pas seulement
la plus grande activité dans ses propres armements en Bo-
hême; elle chercha encore à susciter de toutes parts de nou-
veaux ennemis au roi de Prusse. D'abord, à son instigation,
la diète de l'Empire réunie à Ratisbonne déclara que l'en-
treprise de Frédéric II était un attentat à la tranquillité de
l'Empire, et le 17 janvier elle ordonna la levée d'une armée
de l'Empire forte de 60,000 hommes, qui serait chargée de
le punir. Ensuite la France et la Suède intervinrent comme
garants de la paix de Westphalie, afin de protéger la cons-
titution de l'Empire, qu'on prétendait en péril. Tandis que la
Suède, espérant ainsi regagner la partie delà Poméranie qu'elle
avait perdue depuis 1730, déclarait formellement la guerre
à la Prusse, le 21 mai 1757, la France s'engageait à envoyer
en Allemagne une armée forte de 80,000 à 100,000 hommes
et à payer des subsides à la Suède. À toutes ces puissances
réunies Frédéric II n'avait à opposer que 200,000 hommes
de ses propres troupes, et l'armée auxiliaire anglaise, com-
posée de troupes du Hanovre , de Brunswick , de Saxe-
Gotha, et forte d'environ 40,000 hommes, aux ordres de
l'inhabile duc de Cumberland ; armée qui n'était destinée qu'à
protéger le Hanovre. Frédéric n'avait donc d'espoir de succès
que dans la rapidité , la hardiesse et l'habileté de ses opéra-
tions. Laissant le général Lewald à la tête de 24,000 hommes
pour défendre la Prusse et la Poméranie contre les Suédois
et les Russes, il entra en Bohême dès le mois d'avril 1757.
Les corps avancés autrichiens furent culbutés sur tous les
points, l'important camp de Reicheraberg fut enlevé, et
le 6 mai les différents corps de l'armée prussienne opéraient
leur jonction à Prague. Le même jour Frédéric attaquait
les Autrichiens, qui au nombre de 76,000 hommes, com-
mandés par Browne et par le prince Charles de Lorraine,
occupaient un camp retranché dans les environs de Prague ;
et à la suite d'efforts acharnés, après avoir eu 18,000 hommes
hors de combat , il remporta la victoire quand Schwerin , sa-
crifiant héroïquement sa vie, eut enfoncé les lignes enne-
mies. Browne fut mortellement blessé; l'aile droite de l'armée
prussienne enleva les hauteurs qui lui faisaient face, rompit
le centre des Autrichiens et se réunit avec l'aile gauche. Les
Autrichiens avaient perdu 10,000 hommes, tués ou blessés ,
9,000 prisonniers, et 60 pièces de canon. Une partie de
leur armée se replia sur le feld-maréchal Daun , qui arri-
vait de la Moravie; mais le reste, au nombre de 46,000 hom-
mes, commandés par le pr^ince Charles de Lorraine, se jeta
dans Prague, dont Frédéric II commença le siège immédia-
tement. Cependant Daun, envoyé au secours des assiégés,
s'étant approché de Prague à latêtede 60,000 hommes, Frédé-
ric II marcha à sa rencontre avec 12,000 hommes de l'armée
assiégeante et avec le corps du duc de Bevern , et l'attaqua
le 18 juin à KoUin. Mais alors il fut si complètement battu
qu'il lui fallut lever le siège de Prague et évacuer la Bohême.
Il opéra sa retraite en Saxe et en Lusace, sans pertes plus
grandes. Daun le suivit lentement, prudemment, et incendia
chemin faisant Ziltau, où se trouvait un magasin prussien.
Pendant ce temps-là le maréchal d'Estrées, à la tête d'une
armée française de 100,000 hommes, s'était emparé de la
place forte de Wesel, des principautés de Clèves et de la
Frise orientale, des territoires de Hesse-Cassel et du Ha-
novre, avait battu le 26 juillet à Hastenbeck le duc de
Cumberland , commandant l'armée auxiliaire , l'avait re-
poussé jusqu'à Stade et l'avait contraint à signer, le 8 sep-
tembre , la capitulation de Kloster-Seven, aux termes de
laquell» ces troupes, à l'exception des Hanovriens, de-
vaient être licenciées. Tandis que maintenant Richelieu,
successeur de d'Estrées, épuisait le Hanovre, le Brunswick et
la Hesse, une autre armée française aux ordres du prince de
Soubise et réunie à l'armée de l'Empire, commandée par le
prince d'Hildburghauscn , s'avançait vers la Thuringe, pour
délivrer la Saxe. Mais plus ta possession de la Saxe avail
SEPT ANS
123
d'importance pour Frédéric, plus il devait attacher de prix à
déjouer ce projet. Il confia donc au duc de Bevern etau général
"Winterfeldt le soin d'observer les Autrichiens enLusaceeten
Silésie, et accourut lui-même en Thuringe. Le 13 septembre
il s'empara d'Erfurt; le 19 septembre il fit chasser de Gotha
(voT/ez, pour cet incident, la fin de l'article Rossbach
[Bataille de]) par 1,500 hommes aux ordres de Seidlitz un
corps français de 8,000 hommes commandé par Soubise
lui-même, et, après être revenu d'une diversion dans la
Marche pour en expulser le général des Croates Hadik , qui
avait surpris et mis h contribution Berlin , il remporta, le 5
novembre, sur l'armée française et sur les troupes de l'Em-
pire la fameuse bataille de Rossbach. La fuite précipitée
des Français vers le Rhin livra de nouveau toute la Saxe
aux mains de Frédéric IL En môme temps Georges II dé-
clarait, le 26 novembre, nulle et non avenue la capitulation de
Kloster-Seven , et consentait à la complète réorganisation
de son ancienne armée auxiliaire, renforcée de troupes
prussiennes et placée maintenant sous les ordres du duc de
Brunswick, général éprouvé. Assuré de la sorte de ce côté, le
roi revint avec la rapidité de l'aigle en Silésie, où pendant
ce temps-là le général autrichien Radasdy avait battu, le 7
septembre, à Moys près de Gœrlitz (non loin des frontières
de la Silésie), le corps prussien aux ordres de Winterfeldt,
et s'était emparé le 19. novembre de Schweidnitz. Après la
relraite précipitée du duc de Bevern, le 24 novembre, la
ville fortifiée de Breslau avait en outre été forcée de capituler.
A ce moment toute la Silésie paraissait perdue pour Frédé-
ric II, et les Autrichiens, que la bonne fortune avait rendus in-
solents, nommaient avec dérision la petite armée qu'il avait
amenée devant Gœrlitz la garde montante de Potsdam.
Mais à peine arrivé en Silésie, le roi groupa autour de lui le
corps commandé par le général Kyau depuis que Bevern
avait été fait prisonnier, et le 5 décembre avec sa petite ar-
mée, affaiblie encore par une longue marche, il battait com-
plètement àLeuthen l'armée ennemie, deux fois plus forte
que la sienne et commandée par Daun. Breslau capitula
quinze jours plus tard avec une nombreuse garnison et d'im-
menses approvisionnements , et Liegnitz bientôt après. Dans
ces déroutes successives les Autrichiens avaient perdu plus
de 40,000 hommes, et la Silésie leur avait été enlevée encore
une fois. La Saxe était ouverte pour offrir des quartiers
d'hiver à l'armée prussienne , et à la fin de cette remarquable
année Frédéric II se voyait plus redouté que jamais. Dans
l'est aussi, où 100,000 Russes aux ordres d'Apraxine avaient
envahi le territoire prussien à la fin de juin, pris la forte-
resse de Memel, horriblement ravagé le pays et enfin
battu le général Lehwald à Grossjaîgerudorf, non loin de
Wehiau, le .30 août, les affaires prirent inopinément une tour-
nure favorable. En effet, l'impératrice Elisabeth étant tombée
vers ce temps-là dangereusement malade , l'armée russe
reçut du feld-maréchal Bestouscheff-Rjoumine , qui par là
voulait se rendre agréable au futur empereur Pierre III,
grand admirateur de Frédéric II, l'ordre de se retirer en
toute hâte. Toutes les villes, à l'exception de Memel, furent
donc évacuées, et Lehwald put maintenant rejeter dans
Straisund et l'île de Rugen les Suédois, qui, forts de 22,0o0
hommes, avaient franchi laPeene, le 13 septembre, et s'é-
taient emparés d'Anklam, de Demmen et de Pasewalk.
La troisième campagne , celle de 1758, fut ouverte dès le
mois de février par le duc Ferdinand de Brunswick contre
l'armée française dans la basse Saxe et en Westphalie. Déjà
l'année précédente il avait chassé les Français des bords de
l'Elbe et s'était emparé de Harbourg , de Stade et de Lime-
bourg. Maintenant il les chassa de la basse Saxe, de la Hesse
et de la We.stphalie ; le 23 juin il remporta sur eux la ba-
taille de Krefeld , et franchissant le Rhin , il pénétra dans les
Pays-Bas autrichiens. Puis lorsque le marée liai de Contades
eut été nommé au commandement du principal corps de
l'armée française, en remplacement de l'incapable comte de
Clermont,et lorsque Soubise eut ordre d'entrer en Hesse
avec son armée, à laquelle étaient parvenus de notables ren-
forts , Ferdinand de Bevern se vit forcé de repasser le Rhin ,
le 10 août, et de se borner à défendre le Hanovre et la West-
phalie; mais, renforcé par 12,000 Anglais, il finit encore par
réussir à rejeter dans leurs quartiers d'hiver Contades entre
la Meuse et le Rhin , et Soubise entre le Rhin et le Main.
Frédéric II, lui aussi, entra de bonne heure en campagne.
Après avoir repris Schweidnitz, le 16 avril, il envahit la
Moravie. Mais à l'approche de Daun , en juillet , il dut lever
le siège d'Olmùtz et se retirer en Silésie, où il établit un
camp à Lansdhut. 11 y apprit qu'après la guérison de l'impé-
ratrice les Russes .s'étaientde nouveau emparés de la Prusse,
qu'ils s'étaient avancés jusqu'à Kustrin et avaient ainsi en-
hardi les Suédois à tenter une nouvelle attaque. Il marcha
donc de ce côté à la tête de sa principale armée , et ren-
contra les Russes occupés à bombarder Kustrin. Le 26 août,
ai)rès avoir rallié le corps du général Dohna, il attaqua à
Zorndorf, avec 30,000 hommes, l'armée russe aux ordres de
Fernor et forte de 50,000 hommes, la battit et la força de
se retirer en Pologne. Confiant alors à Dohna le soin de sur-
veiller les mouvements des Russes et de soutenir la lutte
contre les Suédois, il accourut aussitôt en Saxe pour venir
en aide à son frère le prince Henri contre les forces numéri-
quement supérieures des Autrichiens. A son approche, Daun,
qui menaçait Dre.«de, se retira dans un camp retranché à
Stolpen ; position quil quitta précipitamment lorsqu'il vit
le roi marcher sur Zittau, où étaient situés les magasins des
Autrichiens; et il s'établit de nouveau dans un camp retranché
à Lœbau. Frédéric le suivit , et établit son camp près de lui à
Hochkirch. Mais le 14 octobre, à quatre heures du matin, il
s'y vit attaqué à l'improviste et battu avec des pertes consi-
dérables. Toutefois, avant que Daun eût eu le temps de lui
barrer le passage, le roi, après avoir reçu d'importants ren-
forts, était parti pour Dresde et entré en Silésie, où il avait mis
garnison dans les places fortes de Neisse ( 6 novembre ) et
de Kosel (15 nov.). Il revint alors bien vite à Dresde pour
déjouer le projet de conquérir la Saxe qu'avait conçu
Daim ; et après que Dohna eut chassé de Leii)zig l'armée de
l'Empire, qui venait de faire sa réapparition, il contraignit
Daun à se retirer en Bohême. C'est ainsi qu'à la fin de cette
campagne Frédéric II se trouvait avoir réussi tout au moins
à délivrer ses États, sauf la province de Prusse, de la pré-
sence de l'ennemi. La France, en dépit des répugnances de
l'opinion, mais obéi.«sant à la volonté despotique de Louis XV,
avait , il est vrai , conclu le 30 décembre t758 un nouveau
traité d'alliance avec l'Autriche ; mais de son côté Fré-
déric II, grâce à l'influence du ministre Pitt, avait obtenu
de l'Angleterre un nouveau traité qui lui assurait un subside
de 16 millions de francs. Néanmoins le roi, qui avait tou-
jours compté sur l'assistance de la Turquie pour se défendre
contre les Russes , résolut de se borner autant que possible
à garder la défensive avec sa principale armée; mais ses gé-
néraux n'en déployèrent que plus d'activité.
Le prince Henri ayant envahi la Bohême dès le mois de
mars 1759, et s'y étant rendu maître d'immenses approvision-
nements, se dirigea ensuite au mois de mai vers la Fran-
conie , d'où il chassa l'armée de l'Empire et les Autri-
chiens qui appuyaient ses opérations; puis il occupa Bamberg
et détruisit tous les magasins existant en Franconie et dans
le haut Palatinat. En même temps le général j)russien
Sclineckendorf réussit à battre un corps autrichien à Wolken-
stein, et Dohna à rejeter de nouveau les Suédois dans
Straisund et à tenir pendant quelque temps les Russes en
échec. Mais lorsque, au printemi)S de 1759, les Russes aux
ordres de Soltikoff , après avoir reçu d'importants renforts,
abandonnèrent la Pologne et se rapprochèrent de l'Oder, dans
le dessein d'opérer leur jonction avec l'armée autrichienne ,
Dohna se vit obligé de battre en retraite. Frédéric le rem-
plaça par le générai Wedel, qui eut l'ordre exprès d'empOcher
à tout prix la jonction des Russes et des Autrichiens. Confor-
mément à cet ordre, Wedel attaqua les Russes le 23 juillet
à Kay, non lom de Zulhchan , mais fut battu avec une perte
de 5,000 hommes; ensuite de qud les Russes s'avancèrent
124
SEPT ANS
jusqu'à Francfort-sur-l'Oder, et opérèrent leur jonction avec
les 18,000 Autrichiens de L o u d o n. Pour sauver son éleclorat,
Frédéric II abandonna en toute hâte son camp de Schmott-
seifen pour aller à la rencontre de Daun dans la Marche; et
le 12 août il attaqua les Russes à Kunersdorf. Il les avait
déjà battus, lorsque Loudon vint lui arracher la victoire et
lui infliger une défaite telle qu'il n'en avait encore jamais es-
suyé. Si le lendemain de la bataille Frédéric put à peine
réunir autour de lui 5,000 hommes, Soltikoff de son côté,
qui avait perdu 24,000 hommes, ne se montra pas dis-
posé à poursuivre sa victoire. Frédéric n'en apporta que
plus d'ardeur à mettre à profit le répit qu'on lui accordait.
Il repassa l'Oder, rassembla ses troupes dispersées, en ap-
pela d'autres de la Poméranie et du Brandenburg, tira des
bouches à feu de ses places fortes, et peu de jours après se
retrouva à la tête d'une armée de 28,000 hommes. Alors il
essaya d'abord de couvrir Berlin, puis il alla à la rencontre
des Russes marchant sur la Silésie, et par l'habileté de ses
manœuvres, de même qu'en leur enlevant leurs convois, il les
contraignit à s'en retourner en Pologne, tandis que son
frère Henri occupait habilement en Lusace Daun et la grande
armée. Le général Fouqué réussit également à défendre la Silé-
sie avec une grande habileté , et força le général autrichien
de Ville à battre en retraite en Bohême. Les généraux Man-
teuffel et Platen rejetèrent dans Stralsund les Suédois, qui
étaient de nouveau entrés sur le territoire prussien , et, faute
de vivres , Daun , lui aussi , fut contraint de se retirer en Bo-
hême. Néanmoins, pendant ce temps-là l'armée de l'Empire
unie à un corps autrichien s'était emparée de Leipzig, de
Wittemherg et de Torgau , et môme de Dresde après vingt-
sept jours de blocus. De son côté, Daun était aussi revenu
en Saxe. Frédéric II, malade de la goutte à Glogau, envoya
donc les généraux Turk et Wedell en Saxe, fit reprendre
Wittemberg et Torgau par le général Wunscli, et s'y rendit
lui-même, le 13 novembre. Mais au moment où il se disposait
à chasser Daun de son camp retranché du Val de Plauen, le
général Finck, chargé de prendre Daun à revers, fut pris
parles Autrichiens avec les 11,000 hommes qu'il comman-
dait, àMaxen, ainsi que le général Turk avec 1,400 hommes,
sans que le roi eût pu atteindre son but. Le duc de Brunswick
fut plus heureux. Il ne réussit point , il est vrai, à reprendre
Francfort-sur-le-Main aux Français, qui sous les oidres de
Soubise s'en étaient emparés par surprise ; de même il fut
encore battu le 13 avril au village de Bergen, et par suite
de cet échec Cassel, Minden et Munster tombèrent au pou-
voir des Français commandés par Contades : mais le l'"" août
suivant il réussit à battre complètement à Minden Broglie et
Contades, et à la suite d'une seconde victoire remportée
par le prince héréditaire de Brunswick, Charles-Guillaume-
IFerdinand, à Gohfeld, sur le corps français du duc de Brissac,
à reprendre non seulement Osnabruck, Paderborn et Biele-
feld , mais encore Marbourg, Munster et Fulda.
La campagne de 1760 parut d'abord tout aussi malheu-
reuse pour Frédéric II. Ses caisses étaient vides, ses États
épuisés, et son armée ne présentait plus qu'un effectif d'à
peine 90,000 hommes, pour la plupart étrangers ou recrues.
Les tentatives nouvelles faites pour détacher la France
et la Russie de la coalition formée contre lui avaient encore
une fois échoué. En outre, Loudon fit prisonnier le brave
Fouqué avec 8,000 hommes, à Landshut (23 juin); échec
par suite duquel Glatz tomba au pouvoir des Autrichiens,
le 26 juillet. Malgré cela le roi ne perdit pas courage. Après
avoir inutilement assiégé Dresde du 14 au 26 juillet, il se
porta à marches forcées à travers la haute Lusace en Silésie,
battit en chemin une partie du corps de Lascy, et remporta,
le 15 août, la victoire de Liegnilz sur Loudon, qui était au
moment d'opérer sa jonction avec Daun; cette victoire, qui fit
perdre aux Autrichiens 1 0,000 hommes et quatre-vingts pièces
decanon, tandis qu'elle ne coûta à Frédéricque 1,800 homme";,
mit de nouveau la Silésie en son pouvoir. A ce moment il
opérait à Breslau sa jonction avec son frère Henri; puis par
ses démonstrations il forçait la principale armée russe à re-
passer roder, tandis que ses manœuvres rejetaient en Bo*
iiême Daun , qui s'était mis à le suivre. Pendant ce temps-là
les troupes prussiennes s'étaient vu chasser de la Saxe par
les Autrichiens , les Wurtembergeois et l'armée de l'Empire ;
Torgau et Wittemberg leur avaientété enlevés, et Berlin avait
été pris le 3 octobre par les Russes aux ordres de Tottleben,
puis six jour$ après par le général autrichien Lascy, qui y
avaient levé des contributions. A la nouvelle de l'approche
du roi les ennemis évacuèrent la capitale, et Frédéric se
rendit aussitôt en Saxe, où il prit Duben, Leipzig et "Wit-
temberg et attaqua le 3 novembre dans leur camp retranché,
sous les murs de Torgau, les Autrichiens aux ordres de Daun
et de Lascy. La bataille fut sanglante : elle coûta aux Prus
siens 13,000 hommes, aux Autrichiens 20,000 hommes; et
déjà le soir Daun croyait avoir battu Frédéric, quand les
généraux Ziethen et Saldern lui arrachèrent la victoire. C'est,
ainsi que la Saxe offrit encore une lois des quartiers d'hiver
assurés à l'armée prussienne; et que la Silésie, sauf Glatz où
Loudon avait pris position, se trouva débarrassée de la pré-
sence de l'ennemi. Les Suédois s'étaient retirés à Stralsund,
et les Russes en Pologne. 11 n'y a pas jusqu'aux Français
pour lesquels cette campagne n'ait eu une issue assez
malheureuse. En effet , tandis que le prince héréditaire de
Brunswick battait le 13 juillet un de leurs corps à Einsdorf,
puis tandis que pour rapprocher le théâtre de la guerre du
sol français, il marchait sur Clèves, assiégeait Wesel et fran-
chissait le Rhin , sur la rive droite duquel il ne revint qu'à
l'approche d'un autre corps d'armée, de beaucoup supé-
rieur aux forces dont il disposait, le duc Ferdinand de
Brunswick avait battu les Français à Marbourg, sur les bords
de la Diemel, en leur faisant essuyer une perte de 5,000
hommes, et avait réussi à se maintenir à peu près dans ses
anciennes positions.
Au commencement de l'année 1761, les choses prirent
encore une meilleure tournure pour Ferdinand de Bruns-
wick. Le 11 février il attaqua toutes les places occupées par
les Français, les en chassa, et s'empara ainsi d'approvision-
nements considérables. En même temps le général hanovrien
de Spœrken battait, le l4 février, à Langensalza un corps
composé de troupes françaises et saxonnes; et de son camp
retranché de Villingshausen le prince de Brunswick faisait
essuyer, le 1 5 juillet,ime perte de 5,000 hommes aux Français.
Mais bientôt les alliés, faiblement soutenus par l'Angleterre
depuis la mort de Georges II, arrivée le 25 octobre 1760,
étaient obligés décéder aux forces supérieures de Soubise
et de Broglie, de lever les sièges du Zugenhain, de Marbourg
et de Cassel, et d'abandonner de nouveau aux Français la
Hesse et la route du Hanovre. La mort de Georges II plaça
aussi Frédéric H dans une position très-critique. Il était parti
pour la Silésie, le 1" mai 1761, à l'effet de protéger cette
province contre les Russes et les Autrichiens ; mais il échoua
dans tous ses efforts pour empêcher leur jonction, qui eut lieu
le 12 août, entre lauer et Striegau, où ils présentèrent alors
un effectif de 130,000 hommes. Déjà il courait risque d'être
chassé de son camp retranché, établi à Bunzeiwitz, non
loin de Striegau, où il était à la tête de 50,000 hommes ; mais
la désunion de ses adversaires et la difficulté qu'ils éprou-
vaient à se procurerdes subsistances lesauvèrent. Les Russes,
aux ordres de Boutourline, se séparèrent des Autrichiens,
le 10 septembre, et s'en retournèrent en Pologne, ne lais-
sant en SiléMeaux Autrichiens qu'un corps de 20,000 hommes
commandés par CzerniczefT. Loudon ne resta pas longtemps
alors dans sa position, et se retira dans les montagnes, mais
après s'être emparé d'abord, le 1" octobre, de Schweidnitz.
Maintenant, il est vrai, Frédéric II se trouvait libre de
quitter son camp ; mais il reconnut bien vite combien sa si-
tuation était périlleuse , attendu que Loudon se trouvait à
Freibourg et Czerniczeff à Glatz , et que ses adversaires
étaient maîtres de toute la haute Silésie. En Saxe le prince
Henri eut aussi beaucoup de peine à se défendre contre
l'armée de l'Empire et contre les Autrichiens aux ordres de
Daun; en Poméranie les Prussiens commandés par le
SEPT ANS — SEPT DORMANTS
135
prince de Wurtemberg furent battus en détail par les Russes,
et, après une vive résistance, se virent enlever, le 16 dé-
cembre, la place forte de Kolberg. A ce moment Frédéric II
paraissait perdu.
Tout à coup, le 5 janvier 17C2 , l'impératrice Elisabeth
mourut; et son successeur, Pierre III, conclut aussitôt,
le 16 mars 1762, avec le roi un armistice, que suivit un
traité de paix, signé à Pétersbourg le 5 mai suivant. La Suède
se trouva alors également forcée de conclure la paix avec
la Prusse, le 22 mai. Sur le refus par la France et l'Autriche
de ses offres de médiation , Pierre III envoya môme , au
mois de juin , au secours du roi de Prusse une armée de
200,000 hommes aux ordres de Czerniczeff. La mort préma-
turée de l'empereur ( 14 juillet 1762) rompit cette alliance ;
et Catherine II, qui succéda à Pierre III, rappela aussitôt les
troupes russes de la Silésie. Mais comme cette princesse
confirma la paix conclue le 5 mai avec la Prusse et déclara
qu'elle observerait une stricte neutralité , Frédéric se trouva
libre d'attaquer ses autres ennemis avec toutes ses forces
réunies. Tandis que, le 16 août, il battait à Reichenbach
Daun lui-même, que le 21 juillet, à Burkersdorf, il avait
déjà forcé de se retirer devant lui ; tandis que bientôt après,
le 9 octobre, il s'emparait deSchweidnitz, le prince Henri,
à la suite d'une série d'affaires heureuses en Saxe, s'était
ouvert l'entrée de l'Erzgebirge, et à l'ouest le duc de Bruns-
wick non-seulement avait réussi à se maintenir dans la
basse Saxe et en Westphalie , mais encore , après avoir à
diverses reprises battu les Français (par exemple à Wil-
helmsthal , le 24 juin , et à Luternberg , le 23 juillet), il avait
délivré la Hesse et repris Cassel. Le prince Henri , secondé
par le général Seidiitz, ayant en outre remporté, le 29 octobre
àFreiberg, une victoire décisive sur les troupes de l'Empire,
et les Autrichiens aux ordres de Hadik , victoire qui leur fit
perdre 9,000 hommes et vingt-huit pièces de canon, tandis
qu'elle ne coiîta aux Prussiens que i,400 hommes, un ar-
mistice fut conclu, le 24 novembre, entre les Prussiens et les
Autrichiens. Cet armistice, qui devait durer tout l'hiver, ne
se rapportait d'ailleurs qu'à la Saxe et à la Silésie. La guerre
maritime entre la France et l'Angleterre ayant en outre été
terminée par les préliminaires de paix signés le 3 novembre
et suivis de la paix conclueà Paris, le 10 février 1 763 , et quand
préalablement Frédéric II, par l'expédition qu'entreprit le
corps de Kleisten Franconie et en Bavière, eut forcé les plus
importants États de l'Empire à observer la neutralité, la paix
de Hubertsbourg fut signée le 15 février 1763, après
de courtes négocialions et sans médiation étrangère. Celte
paix remit toutes les parties contractantes en possession des
divers territoires qu'elles possédaient respectivement avant la
guerre.
Par l'énergie de son caractère et par la supériorité de ses
talents militaires, Frédéric II s'était de nouveau assuré la
possession de la Silésie. Roi d'une monarchie de 4 millions
d'âmes , il avait lutté pendant sept ans contre les trois plus
grandes puissances de l'Europe, commandant à plus de 86
millions de sujets ; résultat qui serait miraculeux, si le génie
d'un grand homme n'avait été dans la balance prussienne
pour profiter de tous les accidents politiques et de guerre.
Sept années de combats continuels ne changèrent d'ailleurs
rien aux divisions territoriales de l'Allemagne; mais la puis-
sance morale de la Prusse décupla, et son roi, son armée,
restèrent aux yeux de l'Europe, étonnée de tant de gloire ,
comme un colosse menaçant. Frédéric avait livré pendant
cette guerre dix batailles en personne : il en avait gagné
sept, et perdu trois. Ses lieutenants eu avaient perdu cinq, et
gagné une. D'où il résulte que la Prusse en avait gagné huit,
et perdu huit.
Il est à remarquer d'ailleurs que Frédéric II n'avait rien fait
dans aucune de ces dix batailles qui n'eût été fait par les
généraux anciens et modernes , ses devanciers. Son ordre
oblique, si vanté, est tout simplement la manœuvre que
Cyrus fit à la bataille de Thymbrée, que les Gaulois-Belges
firent contre César à la bataille de la Sambre , que le ma*
réchal de Luxembourg fit à Fleurus, que Marlborough fit à
Hochstedt, le prince Eugène à Ramilles, enfin Charles XII
à Pultawa; c'est-à-dire un mouvement pour réunir au mo-
ment de l'attaque un surcroit de forces sur une de ses ailes
ou sur son centre, et en faire l'instrument de la victoire.
Consultez Frédéric II, Histoire de la Guerre de Sept Ans.
SEPTAIVTE, adjectif numéral désignant un nom-
bre composé de sept dixaines. On dit plus ordinairement
soixante-et-dix.
SEPTAKTE (Les). C'est le nom sous lequel on désigne
la traduction grecque de l'Ancien Testament. Suivant le récit
de Josèphe, le roi d'Egypte Ptolémée Philadelphe aurait
été déterminé par son bibliothécaire Démétrius Philarète à
envoyer le Juif Aristée à Jérusalem pour demander au grand-
prêtre un code hébreu et soixante douze savants (on les
appelle les septante interprètes) pour le traduire. Sui-
vant une autre version , cette traduction aurait été faite
dans l'Ile de Pharos; mais de telle sorte que chacun de
ceux qui y prirent part en fit une complète , et que toutes se
trouvèrent littéralement d'accord. On donne aussi à cet ou-
vrage le nom de traduction d'Alexandrie , de la ville d'A-
lexandrie, où elle aurait é!é faite. Il est vraisemblable qu'on
en est redevable aux Juifs qui vivaient parmi les Grecs, et
qui, pour le plus grand nombre, ne sachant plus l'hébreu ,
firent rédiger, vers l'an 285 av. J.-C, cette traduction de
leurs livres saints, à l'usage de leurs synagogues, par des co-
religionnaires savants et versés dans la connaissance des
deux langues. Il serait cependant possible que ce travail se
fût d'abord borné aux livres de Moïse; car pour les autres
livres de l'Ancien Testament, tout ce que l'on peut prouver,
c'est qu'on les avait déjà en grec au deuxième siècle av. J.-C.
Les traductions les mieux réussies sont celles du Penta-
teuque, du Livre de Job et des Proverbes de Salomon. Les
traductions des Psaumes, d'Isaie et des Petits Prophètes sont
moins satisfaisantes , et celle du livre de Daniel l'est encore
moins. Cette traduction obtint bientôt une grande réputation,
et servit de modèle à d'autres traductions entreprises dans
le deuxième siècle av. J.-C, mais de la plupart desquelles
il ne subsiste plus aujourd'hui que des fragments. Les plus
célèbres sont : la traduction d'Aquila ; celle de ThéodolioD
d'Éphèse , partisan de Marcion et devenu plus tard ébionite ;
et enfin celle de Symmaque. Les fautes qui s'étaient glissées
dans les traductions et dans leurs copies déterminèrent
Origène à améliorer par la critique le texte grec des Septante.
Il intitula son ouvrage Hexaples; mais nous n'en pos-
sédons plus que des fragments. 11 composa aussi une Té-
traple, comprenant le texte des Septante, d'Aquila, de
Théodolion et de Symmaque , et qui n'existe plus que dans
une traduction syriaque faite d'après les deux ouvrages.
Lucien, Hesychius, Basile, s'occupèrent aussi plus tard à
diverses reprises de la correction des Septante. Nos éditions
actuelles auraient aussi bien besoin d'être l'objet d'un pareil
travail. Les manuscrits les plus importants qu'on en ait sont
le Codex Vaticanus et le Codex Alexandrinus ; mais tous
deux offrent de nombreuses différences.
On appelle Chronologie des Septante un calcul des années
du monde fort différent de celui du texte hébreu et de la Vu!-
gate. Il donne à notre globe 1466 années de plus que le texte
hébreu. Baronius a préféré la supputation des Septante.
SEPT CHEFS ( Les ). On désigne ainsi , dans l'histoire
mythologique des Grecs, sept héros appelés Adraste, Poly-
nice, Tydée, Amphiaraus, Capanée, Bippomédon et Par-
thénopée, lesquels prirent part à la première guerre contre
Thèbes, entreprise pour rétablir Polynicesur le trône de cette
ville, que son frère jumeau, Étéocle, avait gardé au delà de
l'année convenue entre eux , lors de la mort de leur père,
Œdipe, pour la durée alternative de leur règne. Les deux
frères périrent d'ailleurs dans cette guerre; et tous les autres
chefs , à l'exception d'Adraste , y trouvèrent également la
mort. Nous avons encore une tragédie d'Eschyle sur ce sujet:
elle est intitulée : Les sept Chefs devant Thèbes.
SEPT DORMA!\TS (Les). Fo^w Dormants (LesSepl).
126
SEPTEMBRE
SEPTEMBRE. Le nom'de paophi , que ce mois portait
chez les Égyptiens , et celui de prœdromion, que les Grecs
lui donnèrent , étaient l'un et l'autre une allégorie de la sta-
tion du Soleil en ce tenips de l'année , c'est-à-dire qu'ils dé-
signaient requin oxe. Ce mois était le second de l'année
égyptienne et le troisième du calendrier athénien. Romulus
lui assigna une autre place dans son calendrier ; il en fit le
septième mois des Romains, et lui donna le nom numérique
de septembre, que César lui conserva après avoir réformé
le calendrier. 11 est le neuvième depuis que l'année commence
au mois de janvier.
SEPTEMBRE (Journées ou Massacres de). Un trône de
quatorze siècles, occupé parle plus vertueuv peut-être des
soixante-six rois qui y étaient montés, venait de s'écrouler
en quelques minutes sous les coups de la foudre populaire
(voyez Août [Journée du 10 ] ). La session de l'Assemblée
législative touchait à son terme. Déjà MM. Delaporle, Du-
rosoy, Dangremont et quelques autres avaient payé de leur
tête , sur l'échafaud de la place du Carrousel , leur dévoue-
ment obstiné à Louis XVI. Jlais une victime seulement
tous les trois ou quatre jours , qu'était cela en comparaison
de cette foule de conspirateurs qui méritaient la mort et
attendaient dans les cachots que leur tour vînt de paraître
devant le tribunal ayant mission de les condamner ! Il de-
venait urgent d'aviser à un moyen plus expéditif d'en finir
avec les ennemis de la révolution. On le troitva. Le 28 août
des visites domiciliaires furent ordonnées et eurent lieu dans
*out Paris. Commencées à six heures du soir, elles avaient
produit à minuit une récolte déjà si abondante que toutes
les prisons se trouvèrent remplies ; en sorte qu'à compter de
ce moment on se vit obligé d'entasser les nouveaux venus ,
qui dans les couvents , qui dans les séminaires , qui dans
les églises. Tout cela regorgeait à cinq heures du matin , le
mercredi 29 aoiit, moment auquel les visites domiciliaires
furent terminées. C'était fini : l'arrestation de tous ceux
dont on voulait se défaire était opérée ; plus de victimes à
espérer. Le soir de ce même jour, Danton se fait apporter
les listes. Le lendemain , un officier municipal va faire un
appel nominal dans les prisons ; le 30 , M anuel se rend au
couvent des Carmes , uniquement peuplé de ces prêtres fi-
dèles à leur foi que l'on appelait alors prêtres ré/rac-
taires, et leur adresse des paroles pleines de douceur. Et
le même jour, Ta 1 lien disait à la barre de l'Assemblée
législative que le sol de la liberté allait être tout à l'heure
purgé de leur présence. En même temps Panis , beau-
frère deSanterre, se rendait au comité de surveillance de
la commune, dont il faisait partie , le cassait de son autorité
privée , et le recomposait d'hommes entièrement à sa dévo-
tion. Quoique les noms des misérables composant l'horrible
comité qui dirigea les massacres de septembre et tint un
compte courant avec les massacreurs se trouvent partout ,
on ne croit pas devoir se dispenser de les reproduire ici. Ce
furent Panis d'abord , ensuite Sergent, Leclerc, Lenfant,
Duplain, Celly , Jourdenès , Marat et Deforgas. C'est ce
Deforgas qui disait qu'on n'était pas un bon patriote quand
on ne savait pas avaler un verre de sang. Panis , subalterne
et obscur scélérat, agissait ici sous l'inspiration de quelqu'un,
et ce quelqu'un c'était le ministre de la justice, Danton.
Du 31 août au soir, jour de l'installation du comité régénéré
par Panis , jusqu'au 2 septembre, à midi, les prisons, sé-
minaires et couvents ne cessèrent de recevoir de nouveaux
hôtes, presque tous ennemis particuliers des décemvirs de
la façon de Panis.
Il a lui enfin ce jour à jamais exécrable, ce jour écrit en ca-
ractères de sang dans nos annales , le dimancbe deux sep-
tembre 1792 ! Dès le matin le bruit de la prise de Verdun
par les Prussiens circulait dans Paris. A l'effroi peint sur
tous les visages, à la stupeur générale, il est aisé de s'a-
percevoir que Paris est dans l'attente de quelque grand et
terrible événement. L'incertitude ne sera pas longue. A
raidi, les barrières sont fermées; le canon d'alarme tonne
sur le Pont-Neuf; Danton se rend à l'Assemblée, demande et
obtient un décret de mort contre ^juiconque refusera de mar-
cher aux frontières ou de remettre ses armes. Il revient à
la chancellerie rejoindre ses familiers, Camille-Desmou-
lins et Fabre d'Églantine, armé de ce terrible ca-
veant consules 1 qui lui met le pouvoir en main, et il envoie
le mot d'ordre au comité de surveillance , présidé par Marat.
Les égorgeurs y sont mandés, reçoivent leurs instructions,
conviennent de leur salaire et se rendent à leur poste ; les
victimes sont au complet , le carnage va commencer.
Cinq voitures escortées par un détachement des compa-
gnons de laGlacière, ces fameux égorgeurs d'Avignon,
cheminaient, entre trois et quatre heures du soir, dans la
rue Dauphine , conduisant une vingtaine de prêtres à la
prison de l'Abbaye. Le triste cortège , parvenu au carrefour
Bussy , se trouva arrêté par la foule assemblée autour d'un
théâtre en forme de tréteaux , sur lequel deux agents de la
commune recevaient des enrôlements pour l'armée. Ace
moment , un des hommes de l'escorte , le sabre nu à la main,
monte sur le marchepied de l'une des voitures, et enfonce
à plusieurs reprises son sabre dans le sein d'un des prêtres
qu'elle renferme ; et voilà qu'aussitôt le sang jaillit à gros
bouillons. Ce spectacle horrihie excite la férocité des hommes
de l'escorte , qui se partagent les autres voitures , et y con-
tinuent à l'envi le massacre dont leur camarade vient de
donner le signal. Les voitures arrivées à l'Abbaye , ce qui
est devenu cadavre en route est jeté sur le pavé; on achève
les mourants à la porte de la prison. A cinq heures, Billaud-
Varennes se présente, contemple les vingt-six cadavres
qui rougissent le pavé, monte sur une chaise et harangue
la multitude. « Peuple, dit-il, tu immoles tes plus grands
ennemis, tu fais ton devoir! peuple...! « On ne lui donne
pas le temps d'en dire davantage. Le peuple de tueurs, animé
par cette encourageante exhortation , se précipite vers l'Ab-
baye sous la cond uite de M a i 1 1 a r d , surnommé Tape-dur,
le protégé et l'ami de Danton, ancien laquais et ex-huissier
chassé de son corps pour faits d'escroquerie, l'un de ceux
qui avaient marché à la tête des héroïnes du 5 octobre.
Maillard s'est étàh\i juge populaire , assisté de deux collè-
gues de son espèce ; il va faire exécuter les jugements ins-
crits sur les listes de proscription qui lui ont été remises par
Danton. Les égorgeurs exigent alors qu'on leur ouvre les
portes du cloître qui recèle les prêtres arrêtés les jours pré-
cédents. Ils sont au nombre de quatre-vingts. Tous ces
prêtres, voyant que leur dernière heure a sonné, se met-
tent à genoux et baisent la terre. Le municipal fait placer
ses hommes sur deux haies , au milieu desquelles il ordonne
aux prêtres de passer. Ce fut dans ce moment suprême que
l'abbé Lenfant , du haut d'une galerie qui dominait la salle ,
donna l'absolution à tous ses compagnons d'infortune. Ceux-
ci, après l'avoir reçue, défilèrent un à un au milieu des
assassins, qui ne firent pas grâce à un seul. Dans l'intervalle,
une députation de l'Assemblée législative s'était enfin pré-
sentée à la porte de la prison de l'Abbaye. Dussault, Fau-
chet, Bazire, Chabot, en faisaient partie. Ils parurent vou-
loir haranguer les tueurs, qui avaient bien autre chose à faire
vraiment que de les écouter, et au bout de dix minutes il»
se retirèrent pour aller dire à l'Assemblée que leur voix
n'avait pas été entendue. Eux partis, ce fut le tour des
malheureux Suisses échappés au massacre du 10 août. Les
bas officiers furent massacrés d'abord, sans interrogatoire
et sans apparence de jugement, quoique Maillard siégeât sur
son tribunal, à quatre pas de là ; il en fut de même des simples
soldats. Restait le capitaine Reding, qui avait reçu un coup
de feu à la journée du 10. On lui scia la gorge avec un sabre,
jusqu'à ce qu'il cessât de respirer. M. de Montmorin fut
égorgé ensuite ; puis Thierry de Ville-d'Avré , premier valet
de chambre de Louis XVI. Déjà percé de plusieurs coups de
pique, dont une lui traversait le corps en entier, il conti-
nuait à crier : Vive le roi ! Les assassins , dans leur rage,
lui brûlèrent la figure avec deux torches enflammées.
Sortons au plus vite du cloaque sanglant de l'Abbaye,
où l'on continue d'égorger sans pitié, pour nous transporter
SEPTEMBRE
13T
au couvent des Carmes. Ici nous ne trouvon"; que des prê-
tres , présidés par l'archevêque d'Arles, Jean-Marie Dulau ,
ancien député aux états généraux, liomme dont la piété
égalait le savoir. Le respect de ses compagnons d'infortune
l'avait rendu comme le patiarche de cette petite colonie. Il
y avait là aussi deux évêques de l'iirustre famille de La Ro-
chefoucauld, deux frères, l'évêque de Beauvais, l'évêque
de Saintes, et l'abbé Hébert, supérieur delà congrégation
des Eudistes , célèbre dans le clergé de France par ses lu-
mières et sa piété. Depuis midi les trente assassins (car
il n'y en avait pas davantage) étaient cachés dans une
maison attenant à l'église , attendant l'ordre de commencer.
èet ordre leur arriva vers trois heures : ils entrèrent dans
le couvent par la grande porte donnant sur la rue de Vau-
girard, et la fermèrent derrière eux; en sorte qu'à la dif-
férence du massacre des autres prisons, qui eut lieu dans la
rue et à !a face des curieux , celui des Carmes fut opéré en
entier à huis clos. Les assassins, dès qu'ils furent entrés , se
répandirent dans le jardin , et , faisant briller leurs piques
et leurs sabres aux yeux des prêties qui les apercevaient de
leurs croisées : '<■ Calotins, leur criaient-ils, voici votre der-
nier jour; vous allez tous danser la Carmagnole. » A quatre
heures , on les fit tous sortir de l'église pour entrer dans le
jardin. Ils étaient au nombre de cent quatre-ving-cinq. Fi-
gurez-vous maintenant les égorgeurs donnant la chasse à ces
tremblantes victimes comme à des bêles fauves, les poursui-
vant à coups de fusil dans les allées, sur les arbres, derrière
lescliarrailles; et quand ils en ont tué ou blessé quelques-uns,
poussant des éclats de rire atroces, et chantant à tue-lète
la Carmagnole. Cependant la tuerie n'avançait pas au gré
de leurs désirs. Quarante prêtres au plus avaient péri. Il
fallait en finir. On prend le parti de rabattre le gibier,
c'est-à-dire de faire rentrer tous ces malheureux dans l'é-
glise. Ceux qui respirent encore y sont reconduits à coups
de sabre. H peut rester encore une centaine de prisonniers
a exécuter. L'ordre est alors donné par le directeur du mas-
sacre de les faire redescendre deux à deux de l'église dans
le jardin d'où ils viennent; et à mesure qu'ils passent, les as-
sassins apostés au bas de l'escalier les égorgent sans pitié. Le
massacre du couvent des Carmes était terminé à huit heures
du soir. On ouvrit alors les portes au peuple pour imprimer
à cette boucherie une sorte de légalisation populaire. Deux
cent quarante-quatre victimes avaient péri. Une heure après,
une longue traînée de sang rougissait la rue de Vaugirard ,
courant jusqu'à la barrière Saint-Jacques et au delà. Elle
s'égouttait d'une douzaine de chariots d'écurie volés dans
les hôtels du faubourg Saint-Germain , et dans lesquels les
reliques des vénérables martyrs étaient transportées aux ca-
tacombes de Montrouge. Sur ces piles de cadavres encore
palpitants se dressaient des femmes, des enfants, riant,
mangeant, trépignant de joie , avec du sang à la figure, aux
mains, sur leurs vêtements, sur leur pain, partout. Ils
montraient aux passants épouvantés des lambeaux de chair
humaine, et chantaient en chœur la Marseillaise! !! Nous
avons entendu répéter bien des fois que les paroles de cet
hymne patriotique sont sublimes , que la musique en est
admirable. Nous ne le contestons pas ; mais il ne nous a ja-
mais été possible de l'enlendre sans horreur au souvenir
des scènes atroces encore présentes à nos yeux et dont il fut
le prélude ou l'accompagnement.
Quand les vénérables restes des prêtres du Seigneur eu-
rent été lancés dans la profondeur des catacombes , les cha-
riots revinrent charger sur la place de l'Abbaye de nouveaux
cadavres, qui attendaient leur tour ; car on continuait d'y
tuer, longtemps après que le massacre des Carmes était !ini.
11 n'y avait cependant pas beaucoup plus de conspirateurs
enfermés dans une prison que dans l'autre; mais il paraît
que les travailleurs (1) de l'Abbaye y allaient plus lente-
(1) Si nous nous servons de cette expression en parlant des assas-
sins de septembre, c'est qu'ils sont ainsi désignés sur leurs états de
service dressés dans les boréaux de la commune, et constatant les
payements qui leur ont été fait
ment ; ils égorgeaient en détail. D'ailleurs, ils avaient perdu
un teu)ps précieux à manger devant la porte de la prison la
soupe que leurs femmes avaient eu la délicatesse de leur ap-
porter, et à boire le vin mêlé de poudre à canon que la
commune leur avait fait distribuer. Le massacre de l'Ab-
baye, qui coûta la vie à cent-quatre-vingts personnes, n'ar-
riva à sa fin qu'assez avant dans la matinée du lundi 3.
A la conciergerie du Palais avaient été transférés les of-
ficiers suisses, d'abord enfermés à l'Abbaye. Cette prison,
destinée de tous temps aux prévenus traduits devant les tri-
bunaux criminels, contenait beaucoup d'autres prisonniers,
écroués la plupart sous inculpation de vol ou d'assassinat.
On en comptait deux cents et au delà , parmi lesquels un
certain nombre de femmes. Cent cinquante environ furent
égorgés. Trente-six, objet de la prédilection particulière des
massacreurs, en obtinrent leur liberté, et s'associèrent à
leurs fonctions, particulièrement les femmes, qui devinrent
dans la suite le noyau des tricoteuses de la Société des Ja-
cobins et des furies de guillotine.
Deux cent quatorze personnes périrent à la prison du
grand Châtelet. Aucune, cependant, n'était détenue pour
crime politique. On y tenait enfermés principalement les
prévenus de fabrication ou de distribution de faux assignats,
ceux môme qui en ayant reçu par surprise avaient essayé
de les rejeter dans la circulation.
Tous les cadavres fournis par la Conciergerie et le grand
Cliâtelet furent entassés en forme de pyramide sur le pont
au Change. Quand la nuit vint, à la lueur des lampions ,
des femmes et des enfants organisèrent tout autour des
danses infernales , en attendant les chariots qui devaient
venir les prendre pour les précipiter dans les carrières de
Montrouge. Nous regrettons de n'avoir trouvé dans aucun
mémoire du temps les noms des massacreurs des Carmes,
de la Conciergerie et du Châtelet. Ils méritaient de passer
à la postérité.
Nous n'avons pas une semblable lacune à déplorer pour
le séminaire de Saint-Firmin. Nous savons de science cer-
taine que Henriot y dirigea personnellement les massa-
cres. Soixante-quinze prêtres y reçurent la couronne du
martyre. La plupart de ceux qui périrent furent précipités
par les fenêtres, et reçus dans la cour sur la pointe des pi-
ques et des baïonnettes. Henriot avait choisi , pour écono-
miser le temps , ce genre de supplice, renouvelé du baron
des Adrets. . l 'i : -'
Soixante-treize forçats étaient en dépôt au cloître des
Bernardins, attendant leur départ pour le bagne de Toulon.
Les égorgeurs vinrent à eux, altérés de sang. Les forçats dé-
fendirent quelque temps leurs chaînes avec courage, mais
ils furent massacrés jusqu'au dernier le lundi 3 septembre,
à neuf heures du matin. Alors, du cloître des Bernardins
les tueurs se dirigèrent vers l'hôpital de la Salpêtrière. Nous
les y retrouverons tout à l'heure.
iMais auparavant allons à l'hôtel de La Force. Le carnage
y dura plus longtemps que dans toutes les autres prisons,
quoique le nombre de personnes massacrées y soit moindre,
puisqu'on n'en compta que cent cinquante à peu près. Cela
vient de ce que Mamin , qui était là le chef des assommeurs,
y mit plus d'ordre et de régularité que ses collègues des
Carmes, de l'Abbaye, etc. Il n'y fut pas en effet tué un seul
prisonnier qui n'eût au préalable subi un interrogatoire ,
pour quelques-uns même assez long. De tous les meurtres
commis à La Force, celui qui a eu le plus de retentissement
est l'assassinat odieux de la princesse deLamballe. Ce
qu'on ignore généralement, c'est que Ma n uel , qui avait
promis à la reine de la sauver ainsi que M""* de Tonrzel
et Pauline, sa fille. Manuel, qui était, après tout, assez
exact observateur de sa parole, ne put arracher au massacre
que les deux dernières.
On enfermait à la Salpêtrière les femmes de mauvaise vie
ou celles à qui la police correctionnelle infligeait une peine
plus ou moins grave. Il y avait là , comme aujourd'hui, une
division pour les folles, une autre où un certain nombre
138
de femmes indigentes étaient recueillies. Les brigands s'y
présentent le 3 septembre , pénètrent dans la maison , en
font sortir cent quatre-vingt-trois femmes flétries par la
justice, et les massacrent; puis ils reviennent le lendemain à
cinq heures du matin , et massacrent quarante-cinq autres
femmes également flétries , mais toutes fort âgées , parmi
lesquelles on remarquait la veuve de Desrues. Cette
malheureuse , après avoir été fouettée, marquée, condamnée
à une détention perpétuelle , venait d'être réclamée par un
de ses oncles, qui était parvenu à démontrer son innocence.
11 nous reste à dépeindre de tous ces massacres le plus long,
le plus atroce. Nous parlons de B i ce t r e. Cette prison était le
repaire de tous les vices, l'hôpital où Ton traitait les mala-
dies les plus dégoûtantes, la sentineet l'égoutde Paris. Tout
y fut tué : cette affreuse boucherie dura cinq jours et cinq
nuits. 11 a été impossible , dans le temps , et il le serait en-
core plus aujourd'hui, de préciser le nombre des victimes.
Nous ne pensons cependant pas qu'il y ait beaucoup d'exa-
gération à le porter six mille ; et cela se conçoit d'après la
population immense que recelait ce cloaque. Les piques, les
sabres, les haches, les fusils ne suffisant plus à la férocité
des assassins, ils demandèrent à la section des sans-cu-
lottes les deux canons qui lui avaient été confiés pour pro-
téger la tranquillité publique ; ces canons arrivés, on parqua
dans une cour quelques centaines de prisonniers, on posa à
toutes les issues des sentinelles qui repoussaient à coups de
fusil les malheureux qui cherchaient à fuir; puis on sem-
blait pointer un canon vers l'angle où il y avait foule, et
quand la multitude fuyait d'un autre côté pour éviter la di-
rection de la pièce , on la changeait vivement de position ,
et l'on tirait à mitraille et presque à bout portant sur cette
masse inoffensive de chair humaine. 11 fallait entendre alors
les éclats de rire des bourreaux à la vue des contorsions de
ceux qui n'avaient été que blessés ; il fallait les voir se ruer
sur eux, et les achever à coups de pique, de sabre, de
hache ou de baïonnette! On y tua de bons pauvres; on
massacra jusque dans le quartier des fous. Le quatrième
jour, vers le soir, le maire de Paris, Pétion, qui n'avait
paru ni aux Carmes , ni à l'Abbaye , ni à La Force , se trans-
porta à Bicêtre; la cinonnade était terminée, et l'on n'égor-
geait môme plus à l'arme blanche : les prisonniers qui res-
taient à mettre à mort s'étaient réfugiés dans les cabanons
souterrains, où les canons ni les fusils ne pouvaient les at-
teindre; on s'occupait donc à les noyer, à l'aide de pompes ,
au moment où Pétion se présenta. Il parla à ces tigres fiic-
manité, philosophie.'!! Us ne comprenaient pas. Voyant qu'il
n'en obtiendrait rien , il les quitta en leur disant : « Eh bien,
mes enfants, achevez! » Ils achevèrent en effet, et le len-
demain matin, vendredi 7, quand ils partirent, Bicêtre
était vide. Cette affreuse boucherie avait clos la série des
massacres de Paris ; ils avaient duré cinq jours et cinq
nuits, pendant lesquels deux cents hommes au plus en égor-
gèrent dix mille au moins , et cela en présence d'une popu-
lation de huit cent mille âmes, qui les regarda faire.
Les villes de Lyon, de Meaux , de Reims, d'Orléans, de
Versailles, furent le théâtre de semblables scènes. Excidat
illa dies ! disait le chancelier de l'Hospital en parlant de la
Saint-Barthélémy. Excidant illas dies! dirons-nous
à plus forte raison, en terminant ce récit succinct des lugu-
bres journées de septembre 1792. Georges Duval.
SEPTEiMBRE(Loisde). Elles furent rendues, en 183.i,
à la suite de l'attentat Fieschi. Dès le 4 août la chambre
des députés fut saisie de trois projets de loi présentés par
M. Persil, et dont l'exposé des motifs fut fait par M. de
Broglie. Le projet de loi relatif à la presse élevait le cau-
tionnement des journaux , la peine corporelle et l'amende,
qualifiait d'fl^/e«<fl< l'offense à la pers^onne du roi, et la dé-
clarait punissable de la détention et d'une amende de 10,000
à 50,000 francs, défendait de faire intervenir le nom du roi
dans la discussion des actes du pouvoir, interdisait de prendre
la qualification de républicain, d'exprimer le vœu ou l'espoir
de la destruction de l'ordre monarchique et constitutionnel
SEPTEMBRE — SEPTEINNALITÉ
d'exprimer le vœu ou l'espoir de la restauration du gouverne-
ment déchu, d'attribuer des droits au trône à quelqu'un des
membres de la famille bannie, de publier les noms des jurés
avant ou après la condamnation, de rendre compte des déli-
bérations intérieures du jury, d'organiser des souscriptions
en faveur des journaux condamnés; enfin, il établissait la
censure préalable pour les dessins, gravures et pièces de
théâtre.
Un second projet, relatif au jury, réduisit de huit voix à
sept la majorité nécessaire pour la condamnation, et établit
le vote secret, par bulletin écrit, au lieu du vcte oral.
Un troisième projet, sur les cours d'assises, donna au
président le droit de faire emmener de force les accusés qui
troubleraient l'audience et de juger sur pièces en l'absence
des accusés.
La commission chargée de l'examen de ces projets aggrava
les rigueurs contre la presse; elle avait élevé le cautionne-
nement des journaux jusqu'à 200,000 fr. La chambre s'ar-
rêta à 100,000 fr. Un orateur révéré de la chambre, connu
de la nation, Pxoyer-Co llard, rompit à cette occasion
le silence qu'il gardait depuis 1831, pour attaquer la dis-
position qui retirait au jury la connaissance des délits de la
presse ; il vint défendre encore une fois à la tribune le prin-
cipe qu'il avait victorieusement établi sous la Restauration.
Forcé de combattre les hommes qui avaient autrefois partagé
ses convictions , il déplora ce qu'il appelait Verreur d'un
homme de bien irrité (M. de Broglie). M. de Rémusat
le seconda dans cet honorable effort contre une loi qui dé-
pouillait les accusés de leurs garanties et qui rendait la presse
populaire impossible.
Les dispositions relatives à la censure théâtrale rencon-
trèrent au contraire un assentiment à peu près général. La
littérature, ou plutôt l'indaw^rje dramatique, était tombée
dans un tel débordement de licence, elle se complaisait telle-
ment dans un dévergondage qui blessait les mœurs autant
que le bon goût, que les esprits les plus libéraux en étaient
venus à reconnaître la nécessité d'une censure. Le bagne et
les mauvais lieux fournissaient au drame moderne ses épi-
sodes les plus habituels. Et pour ne citer en ce genre de litté-
rature que les noms les plus élevés, peut-on nier que des
pièces telles qu'^n^ony. Le Roi s'amuse elClotilde ne soient
une véritable école d'immoralité? M. de Lamartine, qui
n'avait point encore déserté le parti légitimiste pour se faire
républicain , et qui s'honorait alors de la qualification de
poète religieux et monarchique, appuya vivement le réta-
blissement de la censure dramatique, et s'exprima ainsi dans
la discussion : « Le théâtre a manqué à sa mission ; il s'est
« prostitué à l'or et aux bas intérêts de la population, il s'est
« fait le mauvais lieu des imaginations; de maître il s'est
« fait esclave; il a été le coupable adulateur du peuple. Ne
« fermons pas les yeux : il sort tous les soirs du vice, du
« délire, du crime, de vos théâtres; il faut y remédier.
« Honte à un peuple qui abandonnerait ainsi ses mœurs, la
« chasteté des femmes , l'âme de ses enfants ! Il faut une
« censure. » Certes, nul homme sensé ne protestera contre
la censure des théâtres : mais il serait à souhaiter qu'elle fût
exercée par des hommes supérieurs, et non par le rebut de
la littérature.
Les lois de septembre tirent mourir immédiatement une
trentaine de feuilles démagogiques ou légitimistes ; elles sou-
levèrent une vive animosité contre les ministres qu'on ap-
pelait doctrinaires ; et pourtant, en dépit de leurs rigueurs
draconiennes , elles furent impuissantes à protéger le trône
de Juillet contre ses ennemis.
SEPTEMBRISEURS, mot créé pour désigner les égor-
geurs auteurs des massacres de septembre.
SEPTEN1\AIRE (Nombre). Voyez Décxlogve.
SEPTENAIRE (Système), système de numération
dont la basp est sept.
SEPTENIVALITÉ. A l'origine, ce mot fut employé
pour désigner la durée de la chambre des communes d'An-
gleterre, fixée à sept ans ; ensuite on l'a appliqué à la ques-
SEPTENNALITÉ — SEPTIME SÉVÈRE
tlon du plus ou rooios de durée des assemblées représenta-
tives. Jadis le renouvellement de la chambre des communes,
au moyen d'élections nouvelles, dépendait uniquement du
bon plaisir du roi. Mais après que Charles \" eut gouverné,
de 1G29 à 1640, sans convoquer le parlement, celui-ci rendit
une loi, dite triennial bill, en vertu de laquelle le roi était
tenu de convoquer tous les trois ans un nouveau parlement.
Charles I" adopta cette loi, le 16 février 1641 ; mais elle ne
fut pas mise à exécution, parce que, le 3 mai, le parlement
en rendit une autre, qui enlevait au roi le droit de proroger
les sessions suivant son bon plaisir. L'assemblée alors réunie,
et à laquelle est demeuré dans l'histoire le surnom de lori'j
parlement, siégea pendant toute la durée de la révolution,
jusqu'au moment où Cromwell eut recours à la violence
pour la disperser, le 8 mai 1653. Après la mort du protec-
teur, elle fut rétablie par les généraux; et la restauration
des Stuarts s'accomplit en 1660, grâce à son concours.
Le 8 mai 1661 Charles II réunit pour la première fois un
nouveau parlement, dont, aux termes du triennial bill rendu
sous le règne de Charles l", les pouvoirs devaient expirer
avec la session de 1664. Mais d'après le désir qu'en exprima
Charles II, ce bill fut rapporté en mars 1664; et le parlement
resta alors en fonctions pendant dix-huit ans, c'est-à-dire
jusqu'en 1679, sans se renouveler. Après la révolution de
1688, on songea à mettre des limites à la prérogative delà
couronne relative à la convocation des parlements. En 1694
un nouveau bill triennal fut rendu, et reçut la sanction de
Guillaume III.
Mais il ne demeura en vigueur que jusqu'en 17(6, épo-
que où Georges 1*"" y fit faire une importante modification.
La chambre des communes d'alors, où dominait le parti
whig , se montrait si favorable aux intérêts de la dynastie
nouvelle et si hostile aux tendances jacobites, que le mi-
nistre Walpole, pour affermir la couronne et consolider son
propre pouvoir, proposa de fixer à sept années la durée des
parlements. Après de violents débats sur cette question, le
parti de la cour finit par l'emporter, et Georges l" sanc-
tionna, le7 juillet 1716, le bill de septennalité, encore en vi-
gueur aujourd'hui. La couronne s'étant réservé le droit de
dissoudre le parlement quand il lui plaît , et cette dissolu-
tion ayant lieu de plein droit à chaque changement de règne,
il est bien rare qu'un parlement ait atteint les dernières li-
mites de sa durée légale. Le bill qui a établi le principe de
la septennalité, de même que le droit de dissoudre le parle-
ment, réservé à la couronne, ont souvent été attaqués comme
propres à favoriser le despotisme ministériel. Dès 1734 il
était de la part de Bolingbroke l'objet des plus vives critiques
dans le parlement; en 1783 les efforts de Fox pour le faire
abolir ne furent ni moins violents ni plus utiles. Depuis la
réforme parlementaire , la substitution des parlements an-
nuels aux parlements septennaux est devenue le but de tous
les efforts du parti radical et du parti chartiste.
En France , la question de la septennalité souleva sous la
Restauration les discussions les plus vives. La constitution
de l'an m avait ordonné le renouvellement annuel du corps
législatif par tiers; celle de l'an vu, par cinquièmes. L'article
37 de la charte de Louis XVIil conserva le principe du re-
nouvellement par cinquièmes. Mais le ministère Villèle, ju-
geant que l'agitation produite chaque année dans le pays
par le renouvellement partiel de la chambre des députés,
était périlleuse pour la monarchie, fit proposer, en 1824, un
projet de loi qui supprimait le renouvellement annuel de
la chambre élective par cinquièmes, et y substituait un re-
nouvellement intégral , s'opérant tous les sept ans. En dépit
des efforts de l'opposition dans les deux chambres, le projet
ministériel reçut la sanction législative, et eut force de loi à
partir du 9 mai 1824. La charte de 1830 avait substitué la
quiuquennalilé à la septennalité.
SEPTENTRION. Voyez Cardinaux (Points), Cons-
tellation, Nord, Ourse.
SEPTipi. Voyez Calendrier répcrlicain,
SEPTIÈME I Musique). Voyez Intervalle.
DICT. DE LA CONVERS. — T. XVI.
199
SEPT ILES (Groupe des). FoycsCÔTES-DC-NoRD (Dé-
partement des).
SEPT ILES (République des). Fo^e; Ioniennes (Iles).
SEPTIMANIE. Ainsi s'appelait, surtout au temps de la
domination des Visigollis, la partie de leurs possessions dans
les Gaules qu'ils avaient enlevée, sous le commandement
de Wallia, en l'an 419 de l'ère chrétienne, aux Romains,
qui la désignaient sous le nom de Provincia Narbonensis
Prima. Elle comprenait la contrée située entre les Pyrénées
et le midi des Cévennes, la Garonne et le Rhône, par con-
séquent la plus grande partie du pays appelé depuis Lan-
guedoc et Roussillon. Ce nom lui venait, suivant les
uns, de la colonie fondée par la septième légion ( Septimani)
à Biterrœ (aujourd'hui Béziers) , et qui comme colonie-
romaine s'appelait en conséquence Biterrœ Septimanorum.
Selon d'autres elle était ainsi nommée à cause des sept
grandes cités qui s'y trouvaient. Sous le roi franc Chlodwig
la partie occidentale, avec son chef-lieu, Jo/osa (aujourd'hui
Toulouse), en fut enlevée aux Goths, en l'an 511 ; mais ils
demeurèrent eu possession de la partie orientale, avec
Narboei Carcasso, jusqu'à la chute de leur empire. A cette
époque, c'est-à-dire vers l'an 720, cette contrée tomba au
pouvoir des Arabes; mais elle leur fut ensuite enlevée, ea
738 et en 759, par les Franks commandés par Charles-Mar-
tel et par Pépin le Bref.
Charlemagne l'unit au royaume d'Aquitaine , et Louis le
Débonnaire l'en sépara, en 817, ainsi que la Marche d'Es-
pagne. Il fit de ces deux provinces un duché, dont Barce-
lone devint la capitale. En 820 Bernard, fils de Saint-
Guillaume, duc de Toulouse, fut substitué à Béra, d'origine
gothique , dans le duché de Septimanie. L'empereur le dé-
pouilla de son duché, en 832, dans la diète de Joac. Son fils
aîné Guillaume, réfugié d'abord en Espagne , lui succéda
dans le duché de Septimanie et d'Aquitaine, dont il fut rede-
vable à Pépin II.
SEPTIiAIE SÉVÈRE (LuciusSEPTIMlUS SEVERUS),
empereur romain (de l'an 193 à l'an 21 1 de notre ère), né à
Leptis, en Afrique, en l'an 146. Son père se nommait Sep-
timius Geta, et ses ancêtres étaient depuis longtemps che-
valiers romains. Dès sa plus tendre jeunesse, divers prodi-
ges, si l'on en croit les historiens , annoncèrent sa haute
destinée. Instruit à fond de la littérature grecque et latine,
il putàdix-huit ans parler en public. A son arrivée à Rome,
sous le règne de Marc- Aurèle, la protection de son on-
cle Septime Sévère , qui fut deux fois consul , lui procura le
laticlave. Il exerça successivement le tribunal du peuple
à Rome, la questure en Bétique et enSardaigne, la préture
en Espagne , et le proconsulat en Afrique. Dans ces diver-
ses fonctions, Sévère montra beaucoup d'exactitude, d'in-
telligence et de rigidité. Il commanda ensuite dans la Mé-
die la quatrième légion scythique. Nommé au gouvernement
de la Lyonnaise, il se fit aimer des Gaulois, à cause de sa
sévérité, de sa probité et de sa modération. Il obtint ensuite
le proconsulat des deux Pannonies et celui de la Sicile. A
cotte époque d&sa vie, il fut en butte à deux accusations,
l'une d'adultère, l'autre de magie. Dans le premier de ces
procès, il fut absous par le proconsul Didius Julianus , au-
quel il succéda dans le proconsulat, puis , par la suite, sur
le trône impérial. Il ne se tira pas moins heureusement de
l'accusation d'avoir consulté des magiciens pour savoir s'il
obtiendrait l'empire. Mais il n'en est pas moins certain que
Sévère était passionné pour l'astrologie , et que partout il
s'entourait de devins et de diseurs d'horoscopes. Après son
premier consulat , la faveur de Laetus , ministre de Com-
mode, le fit mettre à la tête de l'armée de Germanie ; et il
se conduisit dans ce pays de manière à augmenter sa haute
renommée.
Après le meurtre dePertinax,le sénateur Didius Ju-
lianus ayant acheté l'empire aux prétoriens, les légions ne
voulurent point obéir à ce lâche empereur. Tandis qu'elles
proclamaient Pescennius Niger en Orient, Clodias et
Albinus dans la Grande-Bretagne, l'armée de Gernaanie
130
SEPTIME SÉVÈRE
élut Sévère, le 13 aofit 193. Pour payer le suffrage de ses
troupes , Sévère leur donna « ce qu'aucun prince n'avait
donné jusque là , dit Spartien , 50,000 sesterces par soldat, »
somme que Casaubon évalue à près de 100,000 fr.; c'était le
double de ce qu'avait donné Didius Julianus. Après avoir
assuré la tranquillité des provinces qu'il laissait derrière lui.
Sévère s'avança vers Rome : rien ne l'arrêta dans sa mar-
che rapide, bien que le sénat , à l'instigation de Didius Ju-
lianus, l'eût àéchré enne77U public. A quelques jours de là
la même assemblée proclamait Sévère seul légitime empereur
et condamnait Didius Julianus, qui eut la tête tranchée. Sé-
vère, en entrant à Rome, soixante-dix jours après le meurtre
<le Pertinax, lit rendre à ce vertueux empereur les honneurs
divins, et cassa la garde prétorienne, qui, sur le corps san-
i;lant de Pertinax , avait mis l'empire à l'encan. Après s'ê-
i recréé une garde particulière de 50,000 liommes, recrutés
lians les diverses légions, il marcha contre Pescennius Niger,
qu'il battit dans trois rencontres successives, et cnlin d'une ma-
Hière complète à Issus, en Cilicie, en l'an 104. Les partisans de
Pescennius, qui péritdans sa fuite, s'étaient rassembltis dans
Byzance et autres villes d'Orient. Septime Sévère soumit
successivement ces diverses cités, qu'il châtia plus ou moins
sévèrement, suivant le degré de résistance qu'elles lui oppo-
sèrent. Quant à Byzance, il (it détruire les fortifications de
cette place importante, la réduisit à l'état de bourgade, et ,
par cette imprudente vengeance, priva l'empire du plus fort
rempart contre les barbares de l'Asie. Yint ensuite le tour
de Clodius Albinus , qu'il avait jusque alors ménagé et à
qui il avait môme fait conférer par le sénat le titre de césar.
Dans la lettre où il lui apprenait la défaite de Niger, il allait
jusqu'à l'appeler son frère et son collrgue ; mais les porteurs
de ce messages! amical étaient chargés d'assassiner le césar.
Le complot fut découvert; alors Albinus passa en Gaule,
îésolu de combattre son perfide rival. Ils en vinrent aux
mains près de Lyon. Une partie des troupes de Sévère fut
mise en déroute ; mais , ralliées par Lsetus , elles finirent
par remporter la victoire. Albinus, défait, se tua , et ses par-
tisans furent égorgés. Sévère ordonna de mettre eu pièces
les cadavres des sénateurs qui avaient été tués dans l'armée
de son rival. On lui apporta le corps d' Albinus. Il lui fit
couper la tête, et força son cheval à fouler aux pieds ce
tronc défiguré, qu'il fit précipiter dans le Rhône. A son re-
tour, s'il pardonna à trente-cinq sénateurs accusés d'avoir
favorisé le parti d'Albinus, il en (it périr quarante-et-un en
même temps, sans articuler leurs crimes. A en croire Aure-
lius Victor, il déplorait la condition d'un souverain , qui
pour être humain devait, selon lui, commencer par être
cruel. On peut douter que ce sentiment fût sincère chez
ce prince, car il y eut sous son règne bien d'autres victimes
moins illustres , et qui n'avaient aucune importance politi-
que. Comme ses fils étaient encore en bas âge, quiconque
était propre à l'empire lui paraissait suspect. C'est ainsi
qu'après son expédition contre les Parlhes il fit mourir Cris-
pus et Lœtns, ses deux plus braves officiers, mais dont il
avait pris ombrage; Lsetus, qui à la bataille de Lyon lui
avait, en ralliant ses troupes, conservé l'empire. Toujours
cruel d'ailleurs dans sa justice, il exposa aux lions Narcisse,
qui avait étranglé Commode.
Dès qu'il se vit possesseur paisible de l'empire, il établit
le despotisme militaire , et posa en principe que la volonté
de l'empereur était la loi de l'Etat. Il eut soin de ses sujets
comme un maître intéressé de ses esclaves. En assurant la
tranquilitéde l'Afrique par la défaite de nations belliqueuses,
il procura aux Romains de l'huile et des blés en abondance.
Sa justice rigoureuse se faisait sentir dans les provinces
comme au sein de Rome. Habile à faire choix de bons et
fidèles administrateurs, il fit construire de superbes ouvrages
dans quantité de villes. Ses f.rincipaux monuments à Rome
furent le Septizone et les Thermes de Sévère. Ces divers tra-
vaux, des spectacles, des distributions régulières, lui valurent
l'affection du peuple de Rome. Quoique terrible aux soldats
par sa fermeté, il mit l'émulation dans l'armée, en ordonnant
que la garde prétorienne fût toujours recrutée de l'élite de
troupes; mais en élevant la paye et en favorisant leurs vices,
il accrut la licence. On lui a attribué cette maxime , « qu'il
fallait bien traiter les gens de guerre, et ne pas s'inquiéter du
reste ». En réunissant à la préfecture du prétoire la juridic-
tion civile, criminelle et mihtaire, il en fit une puissance
dangereuse pour le prince ; il l'éprouva bientôt lui-même.'
Il avait donné cette charge à Plaulien, son compatriote, son
parent et son ancien ami. Celui-ci s'était si bien emparé
de la confiance de Sévère, que pendant dix ans il pnt
abuser de sa puissance à l'iiisu de l'empereur. Le mariage
delà fille de Plautien avec Bassianus Caracalla fils aîné de
l'empereur, mariage qui semblait devoir assurer la fortune
du favori , devint la cause de sa perte. Caracalla , qui n'avait
consenti à cette union que par force, menaça le père et la
fille de les faire périr dès qu'il régnerait. Pour prévenir l'effet
de cette menace, le ministre conspira. Sévère, qui chérissait
toujours son ancien ami, se vit forcé, quoique à regret, de
consentir à sa mort; et il fut massacré en sa présence ( 204).
Sévère fut heureux dans le choix du successeur de Plautien;
ce fut le célèbre jurisconsulte P api ni en. '"
Ce prince semblait au comble du bonheur ; mais il n'en
était pas plus heureux : « J'ai été tout , disait-il , et rien ne
me satisfait (omniafui, et nihil expedit). » Rongé par la;
goutte , c'était du fond d'une litière qu'il commandait ses av-
mées, et il ne put, après ses victoires sur les Parthes, sup-
porter le mouvement du char de triomphe.
De sa famille devaient lui venir ses plus cuisants chagrins.
Époux en secondes noces de la belle et spirituelle Julia Domna,
il ne pouvait ignorer ses débordements. Mais lui qui ne par-
donnait rien comme prince, il fut un mari commode, soit
par faiblesse, soit par superstition ; car il n'avait épousé Julia
Domna (en l'an 186) que parce que les devins avaient prédit
à cette jeune Syrienne et la royauté et les plus brillantes des-
tinées. Les deux fils qui naquirent de ce mariage, Bassianus
Caracalla et Geta , désolèrent cruellement leur père par l'a-
version qui éclata entre eux presque dès le berceau. En vain
pour tenir la balance égale entre eux, leur donna-t-il le titre
d'az<.^î/5^e et le nom vénéré A''Antonin. Cette distribution
égale de faveurs ne servit qu'à éveiller les ressentiments de
Geta, qui faisait sonner bien haut son titre d'aîné; et Sé-
vère, dans la douleur d'un père affligé, prédit que Geta tom-
berait un jour sous les coups de son frère. Un soulèvement
des peuples de la Bretagne lui fournit l'occasion d'arracher
ses fils aux intrigues que faisait naîlre leur inimitié. Malgré
son âge avancé et ses cruelles infirmités, il se rendit en
personne dans cette île éloignée, entra dans le pays des
Calédoniens, et pénétra jusqu'à l'extrémité septentrionale
de l'île sans rencontrer aucune armée ; mais les embus-
cades incessantes d'invisibles ennemis, la rigueur du cli-
m.at et les fatigues firent perdre aux Romains plus de
cinquante mille hommes. Durant cette expédition, Cara-
calla, dévoré du désir de régner, médita le noir projet
d'abréger les jours de son père. Comme il marchait à
cheval derrière lui, il leva le bras pour frapper Sévère
de son épée. Les cris des officiers qui formaient le coiv
tége empêchèrent ce fils ingrat de porter le coup. Ce cruel
incident aggrava les maux du vieil empereur, qui resta ma-
lade à York, pendant que les Calédoniens se soulevaient de
nouveau. La goutte l'enipêchait d'agir, les opérations de
l'armée étaient arrêtées : les troupes, fatiguées de ce délai,
proclamèrent auguste Caracalla. Sévère ordonna que tous
les officiers qui avaient pris part à la rébellion eussent,
la tête tranchée. Dans cette occasion , il hésita s'il ne com-
prendrait pas le parricide Caracalla parmi les victimes : il
avait souvent blâmé l'indulgence aveugle de Marc Aurèle
envers Commode , son indigne fils. Placé dans les mêmes
circonstances , il sentit avec quelle facilité la tendresse du
père étouffe dans le cœur des souverains la sévérité du juge.
Son âme s'ouvrit alors pour la première fois à la pitié; il
hésitait. Dans celte situation d'esprit , qu'irritaient les dou-
leurs de sa maladie, il appelait la mort; elle ne se iit pas atten-
SEPTIME SÉVÈRE — SÉPULCRE
131
drc : il expira le 4 février 4 1 1 , à York, dans la soixante-sixième
année de sa vie et la dix-huitième de son règne. Aucun
prince n'avait su mieux profiter pour lui et pour l'État des
confiscations et des supplices ; aucun ne sut mieux employer
ses richesses et ne laissa plus d'argent dans le trésor. A sa
mort , il y avait dans les greniers publics une provision de
blé suffisante pour la nourriture du peuple de Rome et de
l'Italie pendant sept ans. Il était beau et d'une taille haute,
avait une grande barbe , la tête blanche et crépue , le visage
imposant, la voix sonore; mais il conserva jusque dans sa
vieillesse un accent particulier aux AIricains. Il fut regretté
après sa mort , soit parce que l'envie qu'on lui portait s'é-
teignit, soit parce qu'on ne le craignait plus. Le nouveau
monde chrétien ne partagea pas sous son règne la prospérité
du reste de l'empire. Un rescrit de Sévère , qui déférait au
préfet de Rome ceux qui tiendraient des assemblées illicites,
donna lieu contre le nouveau culte à une persécution , à
laquelle il ne paraît pas que cet empereur ait pris une part
directe, mais qu'il ne fit rien pour empêcher, et qui s'éten-
dit dans toutes les provinces. Charles Du Rozoïit.
SEPT MAITRES SAGES (Les). C'est le titre que
porte une collection de nouvelles de forme épique, qui date
du moyen âge, et qui était autrefois fort répandue. Un fils
de prince, à qui sept maîtres ont enseigné toute la sagesse ,
est menacé de mort, d'après les indications des astres, s'il
prononce une seide parole dans l'intervalle de sept jours. Sa
belle-mère, dont il a repoussé l'amour, détermine chaque
foislepère, parim rapport très-circonstancié, à ordonner la
Biort de son fils ; mais à chaque fois l'un des maîtres , en
r.icontant au prince une nouvelle bien intéressante, obtient
tin'jourde répit pour l'exécution de la terrible sentence, jus-
qu'à ce qu'enfin le jeune prince, libre de parler, révèle les
projets coupables que sa marâtre a eus sur lui.
Cet ouvrage est originaire de l'OriL-nt; mais jusqu'à pré-
■"^ent on n'a pas pu indiquer d'une manière satisfaisante l'é-
;)Oque précise où il fut composé, non plus que suivre la
niarche de sa propagation en Orient. Suivant Masudi, il au-
rait été déjà traduit avant le milieu du dixième siècle de
l'hindou en arabe; mais de toutes les imitations orientales
qu'on en possède, il n'y en a pas une qui remonte à une é[)oque
si reculée. La huitième , qui vient de l'imitation persane in
Tutinamé hindou par iNakhschcbi (publiée par lîrockhaus,
Leipzig, 1845), semble être celle qui se rapproche le plus de
la forme primitive. Une imitation turque s'en éloigne déjà
beaucoup ; une autre, en languesyriaque, ne présente plus que
de douteuses analogies ; et des nombreuses imitations arabes
<|ui en avaient été faites, il n'y en a qu'une seule qui se soit
ijonservée. C'est une imitation hébraïque, qui, au onzième
ou au douzième siècle, la transporta dans la littérature de
l'Occident; et le premier ouvrage qui s'y rattache est une imi-
tation grecque sous le litre deSpUipas, par Andreopoulos
( Le Livre des Sept Maîtres Sages, traduit de l'hébreu et
du grec en allemand par Sengolmann [Halle, 1842];
^wci-zoLi;, publié par Boissonade [Paris, 1838]). L'ouvrage
se répandit alors successivement dans les diverses littéra-
tures de l'Occident, tantôt en entier, tantôt partiellement,
mais en subissant les transformations et en recevant les dé-
nominations les plus diverses, tantôt en vers et tantôt en
prose. 11 est probable qu'il en existait déjà des imitations la-
tines au commencement du treizième siècle. Keller en a pu-
blié une imitation française rimée, d'après un manuscrit de
1284 {Li Romans des Sept Sages, Tubingue, 1836), et Henry
Weberune imitation anglaise, pareillement nmée, dans le
troisième volume de ses Metrical jRomances (Edimbourg,
1812). Keller a en outre publié (Leipzig, 1841 ) une imita-
tion en vers , composée par Hans de Buhel en 1412, sous le
titre de Vie de Dyocletiamts, d'après une version en prose
allemande. Un livre populaire allemand en prose fut déjà im-
primé à plusieurs reprises au quinzième siècle sous ce titre :
Des Sept Maîtres Sages ( la première édition datée porte
l'indication d'Augsbourg, 1473) ; et Simrok l'a tout récem-
ment comnris dans sa collection de livres populaires. Con-
sidtez Loiseleur Delongchamps , Essai sur les Fables in-
diennes (Paris, 18.38).
SEPT MERVEILLES (Les). Voijez Merveilles db
Monde,
SEPT OEILS. Voyez BnANcniALE.
SEPT SAGES (Les). On désigne ainsi sept philo-
sophes grecs, qui vécurent à peu près dans la période com-
prise entre l'an 620 et l'an 548 av. J.-C, qui s'occupèrent
spécialement des applications pratiques de la sagesse aux
choses de la vie, et qui résumèrent leurs idées et leurs expé-
riences personnelles dans le domaine de la politique et de la
législation en gnomes ou maximes courtes et ingénieuses ,
d'un style tantôt simple et tantôt plus châtié. On y comprend
ordinairement So Ion, Thaïes, IMttac us, Bias.Chilon,
Cléobule et Périandre. Toutelois, les anciens ne .sont pas
plus d'accord sur leurs noms et leur nombre que sur leur
histoire, ou sur leurs sentences. En effet, beaucoup d auteurs
au nom de Périandre substituent celui d'un certain Myson
de Clienae. Les sentences qui leur sont attribuées ont été
recueillies par Orelli , dans ses Optiscula Graecorum ve-
ternm senîentiosa et moralia (Leipzig, 1819).
SEPT TOURS (Château des). Voyez Constantinople.
SEPTUAGESIME (du latin septuagesima). Onnomm^
ainsi dans le calendrierecclésiastique (pour prendre unnombre
j rond) les soixante-dix jours qui précèdent Pâques , à bien
dire le troisième dimanche avant le premier dimanche de
I carême, ou bien le neuvième dimanche avant Pâques, jour
î où on faisait commencer l'époque pendant laquelle il fallait
! s'abstenir de la jouissance de toutes les joies temporelles.
j Dans l'église primitive cette époque comprenait l'interv?JIe
I entre l'avent et la fête des trois saints rois , le carême ordi-
naire, et enfin l'intervalle du dimanche des Rogations à la
Fêle-Dieu. Mais depuis le concile de Trente elle a été réduite
à l'avent et au carême. Dans beaucoup d'églises, on faisait
commencer le \cm\>?,àe.qxiadragésime du dimanche àtsep-
tuagdsime , \>arce qu'elles étaient obligées , en raison des
dispenses de jeijne, de le commencer plus tôt pour atteindre
le nombre obligatoire de quarante jours d'abstinence. Dans
d'autres églises, suivant la durée des dispenses de jeûne,
on faisait dater ce temps soit de soixante, soit de cinquante
jours avant Pâques: de\A\esBoms ôesexagésime etde^rrdw-
qnagésime donnés à ce temps déjeune et d'abstinence.
SEPTUM, mot latin qui signifie cloison. Voyez Dlre-
Mî:re et Nez.
SÉPULCRE, SÉPULTURE (du latin sepulcrum).Le
mot sépitlcre, assez peu usité, au moins dans le langage
ordinaire, esta peu près synonyme de ^omôeaM , et sert à
désigner un lieu destiné à recevoir un mort. Sépulture, qui
dans un sens général désigne aussi le tombeau, est ce-
pendant plus particulièrement affecté, au moins suivant son
étymologie, à désigner l'acte d'e?i5ei;e/ir, d'en yeZopper d'un
linceul, et de déposer dans le tombeau. La plupart des peuples
anciens n'avaient ni sépulcre ni sépulture proprement
dits : ils brûlaient les morts, dont les cendres étaient confiées
à une urne qui pouvait facilement se tranporter d'un lieu à
im autre. Chez les nations qui ont enseveli leurs morts et
les ont confiés à la terre, la forme des sépultures a beau-
coup varié. Les Hébreux creusaient ordinairement les leurs
dans le roc : c'est ce qui fit qu'Abraham acheta une mon-
tagne, dans laquelle il fit pratiquer une caverne pour servir
de sépulture à sa famille. Quand les tombeaux des Juifs
étaient en plein champ, ils les couvraient d'une pierre taillée,
afin que les passants ne se souillassent pas en y touchant.
C'est à cette coutume que Jésus fait allusion quand il codq-
pare les pharisiens et les scribes à des sépulcres cachés sur
lesquels, quand on passe, on contracte une souillure invo-
lontaire. Le Christ fait encore allusion à une autre habitude
qu'avaient les Juifs d'enduire leurs sépulcres de chaux pour
les rendre plus apparents , quand il compare les mêmes
hommes à des sépulcres blanchis.
Le mot sepulcrum servait chez les Romains à désigner
aussi le lieu où l'on plaçait un cadavre , et même seulemeai
132
ses cendres, quand il avait été brûlé. Rien n'a plus varié
d'ailleurs, suivant les temps et les lieux, que la forme, le
caractère et la matière des sépultures.
Le sépulcre est pour chacun de nous la fin de toutes choses :
il faut toujours en arriver à un hic jacet. On ne saurait
croire combien cette réflexion peut être parfois salutaire à
celui qui la fait à propos.
SEPULVEDA (Juan Ginez), littérateur et historien
espagnol, né vers 1490, à l'ozo Blanco, aux environs de Cor-
doue, fit ses premières études à Cordoue, à Alcala de He-
narez et surtout au collège espagnol à Bologne, oii il se con-
sacra avec ardeur à la littérature classique. Plus tard il passa
quelques années à Rome, au milieu des littérateurs dont le
prince Carpi était le Mécène , et se fit particulièrement es-
timer dans cette société. En 1536, lors du séjour de Charles
Quint en Itahe, il eut occasion de faire la connaissance de
ce prince, qui le nomma son historiographe ; et pour exercer
ces fonctions, il revint dans sa patrie, oii il resta jusqu'à la
lin de ses jours, uniquement occupé des devoirs de sa charge
et de travaux littéraires. Après l'abdication de Charles
Quint, il se retira à Valladolid, puis aux lieux qui l'avaient
vu naître. Tous ses ouvrages sont écrits en latin ; et dans
le nombre , les écrits polémiques qu'il composa contre le
défenseur des Indiens, Las Casas, s'ils attirèrent peut-êlre
pour la première fois sur lui l'attention , ne sont pas préci-
sément aux yeux de la postérité ce qui recommande le plus
son nom au souvenir des hommes. Parmi ses ouvrages histo-
riques (par exemple. De Rébus Hispanorum gestis ad
IVovum Orbem Mexicumque Libri VII; De Rébus gestis
PhiUppi II Libri III; De Vita,et rébus gestis yEgidii
Albernotii Libri III, etc. ), celui qui fut la grande œuvre
de sa vie (ses Uistorix Caroli V imperatoris Libri XXX)
demeura pendant longtemps manuscrit, et finit par être à peu
près oublié de tous. Il ne futretrouvé qu'en 1775^ et l'Académie
de l'Histoire, de Madrid, le publia alors par ordre dugouver-
neraent, en même temps qu'elle donnait une édition de ses
œuvres complètes, précédée de sa biographie (4 vol., 1780).
On avait antérieurement imprimé de lui des Opéra varia
(Paris, 1541) et des Opéra omnia (Cologne, 1602). A bien
dire, cette histoire du grand empereur est plutôt un pané-
gyrique complet de Charles Quint , et s'attache surtout à
décrire ses campagnes et les actes de sa poliliq\ie extérieure ;
toutefois, on ne peut refuser à l'auteur l'esprit d'investiga-
tion et l'amour de la vérité. Il donne lui-même la preuve
qu'il n'a pas manqué de prendre les renseignements les plus
précis, et qu'il a même souvent deinandé des éclaircisse-
ments à l'empereur, qui n'a pas refusé de les lui donner.
D'ailleurs, cette liistoire de Charles Quint est, comme tous
ses autres ouvrages , écrite dans une élégante latinité, dont
les anciens auteurs classiques et Tite-Live surtout ont été
les modèles. Quelques-unes de ses Lettres (Paris, 1581) of-
frent un intérêt tout particulier.
SÉQUENCE, terme de rituel. Foyes Prose (Liturgie).
SEQUESTRATION (du \a\\n sequestrum , dépôt).
On donne ce nom, en droit criminel, à un acte de violence
et d'illégalité dont le résultat est d'enlever une personne à
ses affaires , à ses affections, à sa famille, pour la tenir en
c h & r t r e p r i vé e. Ce crime, l'un des plusgraves qui puissent
être commis contre les personnes, est puni de la peine des
travaux forcés à temps si la séquestration n'a duré qu'un
mois ; et quiconque sans y avoir participé de fait s'en est
rendu complice en prêtant un lieu pour l'exécuter doit
subir la même peine. Mais le crime prend une gravité nou-
velle si Ja séqueslralion se prolonge plus d'un mois ; la peine
alora e.st celle des travaux forcés à perpétuité; elle est, au
contraire, réduite à un emprisonnement de deux à cinq ans
si les coupables, venant à repentance avant toutes poursuites,
rendent spontanément la liberté à leur victime dans les dix
premiers jours de la séquestration. 11 est d'autres circons-
tances encore dans lesquelles la peine doit être aggravée.
Ainsi, elle est celle des travaux forcés à perpétuité, si l'ar-
restation a été exécutée avec le faux costume, sous un faux
SÉPULCRE — SÉQUESTRE
nom ou sous un faux ordre de l'autorité publique; si
l'individu séquestré a été menacé de mort, s'il a été sou-
mis à des tortures corporelles, la peine de mort doit être
prononcée.
SÉQUESTRE (du latin sequestrum, dépôt). Le mot
séquestre s'applique spécialement à la consignation d'une
chose litigieuse en main tierce pour la conserver ii qui elle
appartient Suivant rarticie 1955 du Code Civil, on en dis-
tingue de deux espèces , le séquestre judiciaire et le sé-
questre conventionnel. Le séquestre judiciaire est le dé-
pôt ordonné par la justice entre les mains d'un tiers d'un
objet litigieux : « La justice, dit l'art. 1961 du Code Civil,
peut ordonner le séquestre : 1° des meubles saisis sur uit
débiteur ; 2° d'un immeuble , ou d'une chose mobilière dont
la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou
plusieurs personnes; 3° des choses qu'un débiteur offre
pour sa libération. » Du reste, les obligations qui naissent
du séquestre judiciaire sont réglées par les art. 1962 et
1963 du Code Civil, d'après lesquels le gardien doit ap-
porter pour la conservation des effets saisis les soins d'un
bon père de famille. 11 doit les représenter, soit à la dé-
charge du saisissant, pour la vente , soit à la partie contre
laquelle les exécutions sont faites , en cas de mainlevée de
la saisie. Le séquestre judiciaire est donné, soit à une per-
sonne dont les parties intéressées sont convenues entre
elles, soit à une personne nommée d'office par le juge. Il
est un cas particulier dans lequel la main de justice inter-
vient et procède encore [lar la voie du séquestre : c'est
celui de poursuites dirigées contre un accusé contumace.
Par l'art. 465 du Code d'Instruction criminelle, il est dit que
si l'accusé ne se représente pas ou ne peut pas être saisi
dans les dix jours qui suivent la notification faite à son do-
micile de l'arrêt de mise en état d'accusation, on rendra
une ordonnance portant qu'il sera tenu de se représenter
dans un nouveau délai de dix jours, sinon que ses
biens seront séquestrés pendant l'instruction de la con-
tumace. Et par l'article 471 : si le contumace est con-
damné, ses biens seront, à partir de l'exécution (par con-
tumace) de l'arrêt, considérés et régis comme biens
d'absent; et le compte du séquestre sera rendu à qui il
appartiendra, après que la condamnation sera devenue ir-
révocable par l'expiration du délai pour purger la contumace
(c'est-à-dire après vingt ans). Ainsi, avant la condamna-
tion par contumace, les fruits qui tombent dans le séquestre
appartiennent à l'État; après la condamnation, ils sont mis
en réserve pour être rendus, soit à l'accusé contumace,
s'il se représente dans les vingt ans, soit à ses héritiers,
s'il ne se représente pas dans ce délai. Mais après comme
avant la condamnation, \di main de justice est repré-
sentée par l'administration de l'enregistrement; et c'est cette
administration qui fait les fonctions de séquestre.
Le séquestre conventionnel , suivant la définition qu'en
donne le Code Civil , est le dépôt fait par une ou plusieurs
personnes à\mechosecontenlieuseenUe les main&d'un tiers,
qui s'oblige de la rendre, après la contestation terminée , à la
personne qui sera jugée devoir l'obtenir. Le caractère spécial
de ce contrat est qu'il porte sur un objet litigieux ; c'est le dé-
pôt, non plus volontaire, comme dans le cas du dépôt pro-
prement dit; non pas nécessaire, comme dans le cas d'in-
cendie, de naufrage, de tumulte, etc.; mais, pour ainsi dire,
préjudiciel, afin d'éviter toute contestation sur le fait même
de la possession que chacune des parties aurait le droit de
revendiquer pendant le procès au fond , puisque chacune
d'elles se prétend propriétaire. Au reste , comme ce dépôt
d'une espèce particulière repose néanmoins sur une con-
vention toute volontaire, on lui applique généralement les
règles du dépôt ; sauf qu'il peut n'être pas gratuit , qu'il peut
s'appliquer à des immeubles tout aussi bien qu'à des meubles,
et que le dépositaire ne peut être déchargé avant la contes-
tation terminée, que du consentement de toutes les parties
intéressées , ou pour une cause jugée légitime.
Par un abus de mots dont ii n'est guère facile de se rendre
SÉQUESTRE — SÉRAPHINS
133
compte, le gardien lui-même prend le nom de séquestre;
en sorte que la même expression s'applique et au fait même
du àépôl et à celui entre les mains de qui il a lieu.
SÉQUESTRE (Chirurgie). Voyez Morose.
SEQUIIV (en italien zecchino). C'est le nom qu'on
donne à une monnaie d'or frappée d'abord à Venise à partir
de la fin du treizième siècle ; il est dérivé du mot zecca ,
nom de tout édifice où l'on bat monnaie. Cette pièce , de la
grandeur d'un ducat, représente saint Marc remettant
l'étendard de la croix au doge. Au revers se trouve un saint
dans un ovale entouré d'étoiles, avec cette légende : Sit
tlbi , Christe, datas , qucm tu régis , iste ducatus. C'est
de cette même légende inscrite sur des pièces d'or siciliennes
d'égale valeur que provient le nom de ducat. Autrefois
les sequins étaient tout à fait d'or fin, et valaient 22 lire; plus
tard l'Autricbe en fit frapper à 23 carats 10 grains de fin.
Us ne portaient jamais de date. Jusqu'en 1822 cette puissance
frappa des sequins comme monnaie commerciale; mais elle
a cessé de le faire depuis. On y avait conservé dans la lé-
gende le nom du dernier doge de Venise ,Ludovico Manin.
H a aussi été frappé des demi et des quarts de sequin pour
le commerce du Levant, où on en rencontre encore beau-
coup.
A l'exemple de Venise , différents États d'Italie frappèrent
également des sequins , que le commerce du Levant a fait en-
trer dans la circulation générale.
SERAGLIO ou SARAJEWO, clief-lieu de la Bosnie.
SÉRAIL, en turc serai, c'est-à-dire grand édifice,
palais. C'est sous ce nom qu'on désigne de préférence la
demeure du sultan, à Constantinople. Le sérail est situé
sur un promontoire, entre la mer de Marmara, le Bos-
phore et le port de Constantinople. Ses murs forment un
circuit de plus de 12 kilomètres, et renferment une foule
de mosquées , de jardins et de grands édifices qui pourraient
contenir plus de 20,000 personnes. Mais le nombre de ceux
qui habitent le sérail ne dépasse pas 10,000, y compris
la garde et la domesticité. Rien de plus pittoresque du côté
de la mer que l'aspect de cette masse de constructions ; mais
le charme s'évanouit dès qu'on touche la terre, car alors
on n'aperçoit plus que les hautes murailles fortifiées qui
renferment le tout. Le harem , demeure des femmes, forme
une partie distincte du sérail. Il contient les habitations des
femmes légitimes du sultan , dont chacune a sa maison à
elle avec des jardins et une foule de jeunes filles (odalisques)
pour la servir, ainsi que les habitations des concubines et
des autres esclaves du grand-seigneur. Le harem est placé
sous la surveillance de la kiaja-chatun, c'est-à-dire ins-
pectrice des femmes , chargée de maintenir la paix dans
le harem , et qui ne reçoit que du sultan lui-même les ordres
relatifs à son service. Pour tout ce qui a trait à l'extérieur
de même qu'à l'entretien du harem , elle est en rapport avec
le kislar-aga, le chef des eunuques noirs. Les portes exté-
rieures du harem sont gardées par des eunuques noirs. Après
les eunuques noirs viennent les eunuques blancs, placés sous
les ordres du kapou-agassy, et chargés en seconde ligne du
service extérieur du harem. Les itsch-oglans (icogians) ou
itsch-agassy font le service auprès du sultan, et sont d'or-
dinaire des Asiatiques de basse extraction. C'est encore au
sérail que demeurent les muets (bisebân ou dilssis) qui
étaient jadis chargés d'exécuter sur tous les points de l'em-
pire les arrêts de mort prononcés par le sultan ainsi que
toutes les commissions exigeant une discrétion absolue.
Les bostandjis, qui font le service intérieur du sérail, étaient
à l'origine des jardiniers ; aujourd'hui ils sont sous les ordres
immédiats du bostandji-baschi , le second personnage du
sérail après le kislar-aga. Les baltadjis , ou tendeurs de
bois, forment aussi une partie de la garde et de la domesticité
dans l'intérieur du sérail. Les sœurs du sultan n'habitent pas
le sérail, mais la sultane validé y c'est-à-dire la mère du
sultan, n'a point d'autre demeure. Remarquons encore qu'on
peut bien obtenir l'accès du sérail , mais qu'on ne pénètre
jamais dans le harem.
L'Eski-Séraï ou Vieux Sérail est un autre édifice de Cons-
tantinople , qu'habitent les sultanes veuves des sultans dé-
funts.
SERAING, village de la province de Liège (Belgique),
à environ 4 kilomètres au-dessus de Liège, dans une
contrée charmante , et relié depuis 1843 par un magnifique
pont en fil de fer au village de Jemmappes, a acquis une
grande célébrité industrielle par les immenses ateliers de
construction de machines , les hauts fourneaux et les mines
de houille de John Cockerill. En 1817 les frères Cocke-
rill achetèrent du gouvernement belge le château de Se-
raing, ancienne résidence d'été des princes-évêques de Liège,
et qui à partir de 1820 devint le centre d'un ensemble d'u-
sines couvrant un espace de soixante hectares. On se fera une
idée de l'importance de ces divers établissements, d'où le
fer, après y être entré à l'état du minerai le plus grossier,
sort sous la forme d'une élégante machine à Tapeur, quand
on saura qu'ils consomment en moyenne 118 millions de
kilogrammes de houille, qu'ils peuvent fabriquer quarante
locomotives par an, indépendamment d'un grand nombre de
machines à vapeur et autres articles en fer, qu'ils occupent
plus de quatre mille ouvriers, et que leurs recettes dépassent
quelquefois 17 millions par an. A la mort de Cockerill , et
par suite d'une grande crise industrielle , ses créanciers se
constituèrent en société anonyme, au capital de 12 millions de
francs, pour prendre la continuation de ses usines de Liège
etdeSeraing; et grâce à une excellente direction, elles
ont toujours été depuis lors en progrès. En 1853 la popu-
lation du village et des hameaux qui en dépendent était de
12,167 habitants; elle n'était que de 2,000 âmes en 1820, à
l'époque où Cockerill fonda ce colossal établissement.
SÉRAMPORE ou SÉRAMPOUR, ville de l'Inde an-
glaise, jadis factorerie danoise sous le nom de Frédérics-
nagor, bâtie sur le Hugly , à environ 2 myriamètres de Cal-
cutta, est surtout remarquable comme centre d'une mission
d'anabaptistes anglais, qui y prospère depuis 1799, et qui
est la maison-mère de vingt autres missions répandues dans
les diverses parties du Bengale. Objets de la protection toute
particulière du gouvernement anglais, quelques-uns de ces
missionnaires, entre autres M. Carey, J. Marshman et
M. Ward, ont traduit tout le Nouveau Testament et quel-
ques livres de l'Ancien dans plus de vingt-cinq langues de
l'Inde; ils ont également rédigé des grammaires , des dic-
tionnaires et des livres d'école, et ont imprimé eux-mêmes
les uns et les autres. Us n'entretiennent pas seulement des
écoles à l'usage des enfants des Hindous , mais encore un sé-
minaire où sont élevés de jeunes Hindous destinés à remplir
les fonctions du sacerdoce. A cet établissement est joint un
collège pour l'enseignement des langues asiatiques et euro-
péennes, des mathémaliques et des sciences naturelles. C'est
le 26 février 1845 que le gouvernement danois s'est décidé
à vendre Sérampour à la Compagnie anglaise des Indes
orientales.
SÉRAXÇAGE, action de sérancer, c'est-à-dire de
diviser la filasse du c ha n v re et du lin avec une espèce de
peigne appelé sérançoir.
SÉRAPHIN, SÉRAPHIQUE (de l'hébreu zeraph, au
pluriel zeraphim). C'est le nom que dans l'Ancien Tes-
tament les prophètes donnent aux êtres célestes , à figure
humaine, mais pourvus de six ailes, qui se tiennent près
du trône de Dieu et célèbrent sa gloire. Le mol jiébreu si-
gnifie au propre nobles, seigneurs , ceux qui entourent le
trône royal. En tous cas, les séraphins, que plus tard on
a identifiés avec les chérubins, doivent être regardés
comme les serviteurs célestes de Jéhovah.
Les moines franciscains donnaient au fondateur de leur
ordre le nom de père séraphique, et qualifiaient leur con-
grégation du titre d'ordre séraphique.
SÉRAPHIN (Théâtre de). Foyei Ombres Chinoises.
SÉRAPHINS (Ordre des), le plus ancien des ordres
de chevalerie existant en Suède, fut institué en 1334, par
le roi Magnus IV. On prétend que ce fut pour conserver 14
m
SÉRAPHINS — SERBES
souvenir du fameux siège d'Upsal qu'il dédia cet ordre à
Jésus-Ciirist, et qu'il y plaça le nom du fils de Dieu dans
un ovale qui pendait au bas du collier composé alternative-
ment de tdtes de séraphin et de croix patriarcales. La déco-
ration, consistant en une croix romaine en forme d'étoile,
émaillée de blanc avec les lettres J. H. S., se porte suspendue
à un ruban bleu.
SÉRAPIS ou SARAPIS, dieu égyptien dont l'image
ftït apportée de Sinope à Alexandrie sous le règne de Pto-
lémée Lagus. C'est dans cette capitale , théâtre d'une pros-
périté nouvelle, qu'était le grand centre du culte rendu à
ce dieu. Les Égyptiens , que cette importation étrangère
avait d'abord choqués, pour faire taire leurs scrupules, ima-
ginèrent de voir en lui, grâce à une consonnance de noms,
une forme d'Osiris comme Apis ; et dès lors ils se crurent
autorisés à déférer au nouveau dieu les honneurs suprêmes
rendus depuis un temps immémorial dans Memphis à
Osiris-Apis, qu'on y adorait représenté avec une fôte de
taureau. Le sanctuaire d'Apis à Memphis prit alors le nom
de Sarapieion {Serapeum). Comme dieu principal de la
résidence du roi , il devint bientôt identifié sous le nom de
Sarapis Hélios, avec le dieu suprême de l'Egypte, le Soleil; il
en résulta qu'il se trouva en quelque sorte placé à la tôte
du système (le dieuxdes Égyptiens, ainsi qu'il était préccdem-
mentarrivé dudieu local de Memphis, Pht/ia-Béphaistos,et
de celui d&'£hèbes, Amon- Z eus . D'Alexandrie lecultedeSé-
rapis , presque toujours uni à celui d'Isis , se répandit plus
tard en Italie et en Grèce. A Rome le gouvernement dut
plusieurs fois prendre des mesures pour entraver les déve-
loppements toujours plus grands de ce culte nouveau. Il y
conserva le caractère du dieu des enfers , et on le compara
généralement à Pluton; soit que ce fût là l'idée qu'on y
attachait à Sinope même, soit qu'elle ne fût venue qu'en
Egypte, de son identilication avec Osiris.
SÉRASKiER, ou plutôt SÉRI-ASKER, c'est-à-dire
chef de l'armue. C'est le nom qu'on donne en Turquie au
général en chef de toute l'ai mée. 11 est choisi parmi les pachas
àdeux et à trois queues, et exerce une autorité très-étendue,
tout en restant le subordonné du grand-vizir.
SERBE (Voivodie). Voyez Voïvodie de Serbie et Temes
(Banatde).
SERBES (Langue et littérature). La langue serbe forme,
en commun avec la langue croate et la langue wendo-
carniole, l'un des quatre principaux dialectes de la langue
slave; et en raison de ses nombreuses ramifications pro-
vinciales on la désigne aussi sous le nom de langue illy-
rienne, nom générique arbitrairement adopté, qui n'est
en réalité que géographique, admis seulement par les catho-
liques et rejeté par les grecs. On la compte aussi parmi les
dialectes orientaux-slaves. Elle se rapproche plus du russe
que du polonais et du bohème. Comme , à la différence de
ses sœurs, les voyelles y dominent, elle occupe parmi elles
le premier rang pour ce qui est de la douceur et de la mélo-
die. Elle doit en partie cet avantage à rinfluence delà langue
des Italiens et de celle des Grecs, dont la première fut pendant
longtemps très-répandue en Serbie, à cause du commerce ,
et la seconde à cause de la communauté de foi religieuse.
On ne saurait non plus méconnaître l'influence postérieu-
rement exercée sur elle par la langue turque. Cependant,
cette langue a conservé un véritable caractère slave. Elle a
de commun avec les autres langues slaves une déclinaison et
une conjugaison complètes, ainsi que la liberté de la construc-
tion; elle se prête facilement aussi à reproduire les locutions-
des anciennes langues classiques et même la mesure de leurs
vers. Suivant Scliafarik, elle est parlée par environ 7,500,000
individus, dont plus de 4,500,000 sous la souveraineté
de l'Autriche, 2,500,000 souscellede la Turquie.el 100,000
.-ous la domination russe. Wouk Stéphanowitsch distingue
daus la langue serbe proprement dite trois sous-genres :
Vherzégovique y parlé en Herzégovine et en Bosnie; le ra-
zavique, parlé sur les bords de laRazawa; etle syrmique,
parlé en Syrmie et en Slavonie. Tous les Serbes se servent
de l'aphabet cyrillien, tandis que les Croates et les Wendes
écrivent avec les caractères latins; une partie des Dalmates
employaient autrefois l'alphabet glagolitique {voyez Glk-
GOL ). Wouk Stéphanowitsch a donné une Grammaire Serbe
(Vienne, 1815; traduite en allemand, avec un excellent
avant-propos philologique et littéraire, par J. Grimm ;
Berlin, 1824 ) , ainsi qu'un Dictionnaire de la Langue
Serbe, avec une explication des mots en latin et en allemand
(Vienne, 1824). Berlic a publié une excellente Grammaire
Serbe à l'usage des Allemands ( Agram, 1842), et Ba-
bukic une grammaire moins étendue ( traduite en allemand
par Frrehlich, Vienne, 1344), Les dictionnaires les plus
nouveaux sont le Dictionnaire Allemand-lllyrien, et It-
lyrien-Allemand de Richter et Ballemann (2 vol.. Vienne
1839-lS40);le meWleur de lovis,\e Dictionnai7-eAUe7nand-
Illyrien de Mazouranic et d'Ovzarewic (Agram, 1842); le
le plus étendu, le Dictionnaire Ilhjrien- Italien- Latin de
Slulli (2 vol., Raguse, 1S06). Consultez Schafarik, Choix
de Lectures Serbes , ou examen historique et critique du
dialecte serbe (en allemand ; Pesth, 1833 ).
Chez les Serbes comme chez les Russes, l'ancienne langue
slave ecclésiastique {voyez Ecclésiastico-Slave [ Langue],
avait acquis une si grande influence à la suite de l'intro-
duction du christianisme, que les plus anciens débris de la
langue serbe, qui remontent au treizième siècle, sont
tous rédigés dans l'ancien ecclésiastico-slave , ou dans un
mélange de cette langue avec la langue populaire serbe.
En général, avant l'introduction du christianisme, les Serbes
et les Bulgares semblent avoir parlé un seul et même dia-
lecte, dont la langue dite ecclésiastique est une forme plus
noble. En tous cas , à partir du onzième siècle il exista deux
manières de l'employer, le style d'église etle style de chan-
cellerie; le premier se rapprochant davantage du bulgare,
et le second du serbe proprement dit. Il est resté de ce der-
nier, comme plus anciens monuments écrits, des documents,
des diplômes, des lettres de donation et des actes de gouver-
nement qui remontent au onzième siècle , et dont une
partie a été publiée à Belgrade, en 1840. Mais le plus im-
portant monument de ce style est le code sei be d'Etienne
Douschàn (1349-1354). Les débris de style d'église sont
beaucoup plus nombreux. Ils ne comprennent pas seulement
des livres d'église et de prières , mais encore des ouvrages
historiques, composés pour la plupart par des prêtres et des
moines. Parmi les écrivains il faut mentionner Etienne, le
premier roi couronné de Serbie ( 1195-1228), qui écrivit
l'histoire de son père Etienne Nemauja ; saint Sava , frère
du précédent, archevêque (1169-1237), qui écrivit des
règles pour les couvents, la vie de son père, et encore
d'autres ouvrages; Dometian ( vers l'an 1263), moine de
Chiljendar, qui écrivit la vie de saint Siméon et celle de
saint Sava ; Daniel ( 1291-1338 ), archevêque, auteur d'une
histoire des rois de Serbie ses' contemporains, Ovrosch Dra-
gutine , Milutine et Detschanski , sous le titre de Rodos-
tow { registre de races), ouvrage qui forme la source prin-
cipale de l'histoire de Serbie. On a aussi de lui des vies
de divers archevêques. La victoire remportée en 1389 par
Amurath l" sur les Serbes, à Kossowoplie, dans le champ
d'Amsel, (ut pendant longtemps un obstacle à tout progrès.
Georges Brankovvitsch, né en 1645, auteur d'uite Histoire
de la Serbie depuis l'origine de la nation jusqu'au règne
de l'empereur Léopold P"", clôt en quelque sorte la pre-
mière période de la littérature serbe. Brankowitsch fut am-
bassadeur de l'empereur Léopold près du sultan ; mais dis-
gracié plus tard, il mourut prisonnier d'État à Égra.
Des efforts tentés à l'effet de séparer la langue ecclésias-
tico-slave de la langue populaire serbe, et pour élever cette
dernière au rang de langue écrite , date une nouvelle période
de la littérature. L'archimandrite Jean Raitsch ( 1726-1801)
contribua beaucoup au perfectionnement de la langue serbe
par son Histoire des Slaves , notamment des Chorwates,
des Bulgares et des Serbes {i vol., Vienne, 1792-1795 ) ,
qu'il écrivit cependant encore dans un style ecclésiastico-
SERBES
135
slave, mélangé de russe et de serbe. Dosithé Obradowitscl» ,
né en 1739, à Cakowo , qui après avoir parcouru pendant
vingt-cinq ans la Turquie , l'Italie , la Russie , l'Allemagne ,
la France et l'Angleterre, mourut en 1811, à Belgrade,
comme sénateur et précepteur des enfants de Georges
Czerny , est le premier qui entreprit d'employer la langue
populaire serbe comme langue écrite. Il laissa un grand
nombre d'ouvrages, relatifs pour la plupart à la morale, et
qui ont paru en neuf volumes, à Belgrade, en 1833. Mais son
innovation ne fut que partiellement adoptée par les écri-
vains serbes, et il en résulta une telle anarchie dans la litté-
rature serbe que sur environ quatre cents ouvrages publiés
depuis 1750 il n'y en aqu'une très-faible portion qui soient
rédigés en vrai ecclésiastico-slave, tandis que le reste (lotte
entre les deux idiomes dans les degrés et avec les modes
d'orthographier les plus divers, Démétrius Davidowitscli ,
qui de 1814 à 1S22 publia une Gazetleserbe, et un Almanach
serbe pendant plusieurs années à Vienne , combattit éner-
giquement ce mélange d'idiomes. Parmi les poètes celui qui
sedistingua le plus avantageusement futLanklan Manscliolzki
(mort en 1837). On peut encore citer WoukStéphanowitsch,
qui, dans sa Grammaire de la Langue Serbe, fixa le premier
les caractères particuliers du dialecte serbe, et qui par la
publication des Citants populaires serbes contribua infini-
ment à faire admettre la langue populaire comme langue
écrite. Mais les poésies du peuple lui-môme surpassent en-
core de beaucoup les efforts tentés par les écrivains que
nous venons de mentionner. Consultez Kapper, Chants
pOjPMZairesrfesSe/'i^es (en allemand; 2 vol., Leipzig, 1852).
« Chez les Serbes, dit M. Laboulaye, l'histoire et la poésie
se tiennent si étroitement qu'il suffit délire leurs chants na-
tionaux pour savoir tout ce qu'ils ont aimé, tout ce qu'ils ont
haï,tout ce qu'ils ont souffert.Leurs annales sont des chansons,
et c'est pour cela peut-être qu'il n'y en eut jamais de plus
populaires ni de plus durables. C'est là un caractère parti-
culier des Slaves, et plus prononcé chez les Serbes que chez
les Grecs mêmes et chez les Espagnols. Chanter est un be-
soin pour eux ; c'est la seule expression de leurs espérances,
de leurs craintes , de leurs passions. Nous avons pour nous
épancher les lettres , les livres , les journaux : un Serbe n'a
que des chansons. Pas de maison, si pauvre qu'elle soit, oii,
pour accompagner et amuser le chanteur, l'on ne trouve la
pMS^G, espèce de mandoline à une seule corde, dont on
joue comme de la basse , avec un archet. Le caloyer, au
fond de son monastère, récite quelque pieuse légende en
faisant suivre chaque vers du son plaintif de la gu:,la ; le
pâtre, perdu dans les forêts et les montagnes, célèbre ainsi
les exploits des lieiduques et des héros du temps passé ; les
femmes à la fontaine, les moissonneurs dans les champs,
^es vendangeurs au temps de la récolte , le soldat revenu de
la guerre, tous improvisent des chansons, un peu rudes
sans doute, mais qui ne sont dépourvues ni de grâce ni de
naïveté; et s'il manque un poète , tous répètent les ballades
traditionnelles qu'ils ont apprises de leur mère et que re-
diront un jour leurs enfants. C'est un goût tout aussi vif
aujourd'hui qu'il y a deux siècles. Quand les Croates sui-
vaient le ban Jellachich contre leurs anciens alliés les
Hongrois, pour s'exciter ils faisaient retentir l'air des
chansous serbes de leur général : et si le dernier prince-
évêque de Monténégro, Pierre-Piétrovitch Niegosch , a
laissé chez son peuple un souvenir profond , c'est qu'il
dépassait tous ses sujets en deux choses, qui, sans être
précisément des qualités épiscopales, faisaient néanmoins
l'admiration et l'envie de tous les siens. C'était le plus habile
tireur et le poète le plus parfait de toute la montagne
noire. Nul ne savait comme lui trouer d'une balle un citron
jeté en l'air, et jamais personne n'a célébré avec plus de pa-
triotisme et de chaleur le courage des Monténégrins dans
des vers qui dureront aussi longtemps que la haine du Turc
et l'amour de la liberté. »
Les belles plaines de la Serbie , où la nature déploie une
richesse peu commune, et la vie simple et libre que les
Serbes mènent dans leurs belles montagnes , leur avaient
déjà inspiré des chants qui réunissent admirablement, dans
leur âpre énergie, la naïveté et la gaieté , l'ardeur orien-
tale et la plastique grecque. Quelques-uns remontent jusqu'à
l'époque antérieure à l'arrivée des Turcs en Europe; d'au-
tres appartiennent à la période oii Andrinople était la rési-
dence des souverains turcs ; d'autres encore datent d'une
époque plus récente. Dans tous la rime est absente, mais
non pas le nombre. Quoique déjà quelques-uns fussent
connus par les fragments qu'en avaient donnés des diction-
naires et en partie par la collection, remplie d ailleurs d'in-
terpolations, qu'en avait publiée le franciscain Kacic Mios-
cbic (Venise, 1759; Vienne, 1839), Wouk Stéphanowitsch
eut le mérite d'en faire paraître une édition critique , re-
cueillie avec intelligence de la bouche même du peuple;
travail dans lequel il fut secondé par les libéralités du prince
Milosch et par le concours de zélés collectionneurs. Wouk
publia aussi l'annuaire serbe intitulé Danica ( Vienne, 1826),
qui provoqua l'apparition des recueils du même genre pu-
bliés par Spiridion Jowitsch à Vienne (1836), par Pavlo-
vie à Pesth, par Nikolic et par Vozarovic à Belgrade, etc.
Parmi les poètes qui se sont servis de l'idiome populaire,
il faut encore mentionner Siméon Miloulinowitsch , qui
sous le litre de Serbianza (4 petits volumes; Leipzig, 1827)
publia une série de chants héroïques. Mais le plus grand
et le plus remarquable d'entre tous les poètes serbes , c'est
incontestablement Loucyàu Mouschicki , archevêque de
Carlovicz, dont les œuvres ont paru sous le titre de Poésies
( 2 vol., Pesth , 1838; Ofcn, 1840). Lui et ses confrères en
poésie ont contribué à exciter un vif mouvement littéraire
serbe, particulièrement eu ; Hongrie. (Prévenons charita-
blement ici le lecteur que la Guzla de M. Mérimée
est une mystification littéraire, qui n'a de serbe que le nom,
un jofi pastiche, une aimable débauche d'esprit, dont a été
dupe d'ailleurs en Allemagne un amateur passionné de la
littérature slave, qui l'a traduite en allemand et insérée de
la meilleure foi du monde dans un choix de poésies serbes).
Les principaux foyers de la littérature hongro-serbe furent
Pesth et Neusatz. Dans la première de ces villes , il existe
déjà depuis une dixaine d'années, sous le nom de Matica
serbska, un capital de fondation destiné à seconder la pu-
blication de livres serbes ; mais en dépit des ressources
considérables dont on disposait, on n'est guère parvenu qu'à
faire paraître pendant quelques années \eLjetopis serbski,
recueil trimestriel assez peu scientifique. Il lut aussi pu-
blié à Pesth jusqu'en 1848 une Gazette politique des Serbes,
et à Neusatz pendant quelques années la Backa VUa par
Stamatovic. Dans la principauté de Serbie, c'est Belgrade
qui est le ceulre de la vie intellectuelle et politique. Il y
sort des presses de l'imprimerie princière , outre des livres
d'école, une gazette politique, les almanachs Avala et Go-
/«ôjca, ainsi quedes ouvrages de littérature, etc. Dans le Mon-
ténégro (Cernagora), Cettigne est devenu le centre de quelque
activité littéraire depuis que le défunt wladika Njegosch ,
poète et savant distingué lui-môme, a appelé son peuple à
une civilisation plus élevée. Les phis importants des poètes
serbes aujourd'hui vivants sont Branco Raditschewitz et
Jovàn Ilitz. D'ailleurs, on peut dire en général que jusqu'à
présent c'est la poésie qui a pris les plus riches dévelop-
pements parmi les populations serbes. La science en est
encore à ses débuts ; mais en raison de la grande activité
intellectuelle qui distingue la race , ces débuts mômes pro-
mettent déjà les fruits les plus brillants dans une avenir
assez rapproché.
Chez les Serbes appartenant à la foi catholique romaine,
et qu'on désigne sous le nom d'illy riens, chez les Dal mates
notamment , la littérature profane , la poésie surtout , se
développa bien plus tôt et d'une manière bien plus gran-
diose que chez les Serbes grecs. Dès le douzième siècle
un prêtre de Doucla (Dioclea) composa dans le dia-
lecte populaire slave une chronique, traduite ensuite en
latin ; il n'existe plus que quelques fragments de l'ouvrage
136 SERBES -^ SERBIE
original, tandis que la traduction a été conservée tout
entière. On a du treizième et du quatorzième siècle plu-
sieurs manuscrits du psautier, et des livres de prières en
pur dialecte populaire. A la fin du quinzième siècle , la
ville et république de Ragiise (en slave Doubrownik),
grâce aux lumières et à l'instruction générale qui y étaient
venues d'Italie et deGrèce, était l'Athènes derjllyrie ; gloire
que cette petite république conserva presque jusqu'à la fin
de son existence. Les lettres, les sciences et les arts fleu-
rissaient aussi à la même époque dans d'autres villes et
îles de la Dalmatie. On peut citer d'excellents ouvrages en
fait de poésie épique , lyrique et dramatique , d'histoire et
de législation. Au quinzième siècle tlorissaient comme
poètes : Darsitz, le vieux Mincelilz, et Wetranitz; aux sei-
zième et dix-septième, Étorowilz, Tschoubranitz , Bou-
nitz, Ranina, Gundulitsch, Ivanischewilz, Palmotitz, etc.
Au dix-huitième ils furent tous éclipsés par Djorditz, et
après lui par Katscliitz. Vers la fin de ce siècle le cercle
de l'activité littéraire se rétrécit au sud , tandis qu'au com-
mencement du dix-neuvième il commença à s'élargir au
noid, notamment en Croatie, à Agram, à OfenPestii et à
Belgrade. Appendini , Voltiggi et Stulli ont fait des travaux
remarquables au commencement de ce siècle sur le dialecte
dalmato-ragusain. Sous le rapport philologique et littéraire,
ce dialecte est aujourd'hui la base du développement de la
littérature moderne chez les Illyrieus catholiques-romains;
mais c'est tout récemment seulement qu'on a commencé à
l'apprécier au point de vue artistique, esthétique et litté-
raire. Agram est le principal foyer de ce mouvement, qui
ne date pas de loin. Voyez Illyriennes ( Langue et litté-
rature ).
SERBIE ou SERVIE , en turc Sirp ou Serf-Viialeti,
principauté placée sous la suzeraineté de l'Empire Ottoman.
Située dans la Turquie d'Europe, entre le 43° et le 45" de la-
titude nord, et le 37» et le 40''delongtitudeest,elle est sépa-
rée au nord par la Save et par le Danube des Frontières
Militaires d'Esclavonie et du Banat de la monarchie
autrichienne, et bornée à l'est par la Valachie et la Boul-
garie, au sud-est par la province turque appelée ancienne
Serbie ou Métohée , au sud-ouest par la Bosnie, et présente
une superficie d'environ 490 myriamètres carrés. Dans ses
délimitations actuelles, cette contrée ne contient ni des por-
tions ni des embranchements immédiats de la chaîne cen-
trale qui traverse la Turquie d'Europe de l'ouest à l'est, et
forme la ligne de partage entre le bassin du Danube et celui
de la mer Egée; elle fait cependant partie du même plateau,
situé en avant vers le nord ; et , à l'exception des vallées
de la Save et du Danube , elle est de nature tout à fait mon-
tagneuse. Ses nombreuses crêtes, qui s'élèvent de "00 à 1,350
mètres en se dirigeant le plus généralement au nord et au nord-
est, et qu'on désigne ici le plus souvent sous le nom de Pla-
nina, traversent le pays, circonscrivent ses frontières occi-
dentales et orientales, et viennent se terminer presque à pic,
au nord, vers la Save et le Danube. A l'intérieur, il faut men-
tionner comme noyau des montagnes de la Serbie centrale le
mont Roudnik, qui, dans la Zrna Gora ( montagne noire),
atteint une élévation de 866 mètres. Traversées sur un grand
nombre de points par les cours d'eau qui descendent de la
chaînecenlraiede la Turquie en se dirigeant au nord, cescrêtes
renferment beaucoup de profondes vallées, plus étroites à
l'ouest, plus spacieuses à l'est, qui s'élèvent insensiblement en
forme de terrasses à partir des marais de la Save etdu Danube
vers le sud. Ces vallées, centres de la culture du pays et le
grand champ de bataille de son histoire, sont couvertes en
partie, comme les montagnes elles-mêmes, d'épaisses forêts, et
reliées ensemble par des défilés étroits et d'un accès difficile.
Les nombreux cours d'eau du pays, parmi lesquels les plus
importants sont la Drina, qui (orme la frontière du côté de
la Bosnie, la Grande Morawa, xésuitant de la réunion de
la Morawa occidentale ei orientale avec l'/ôar et le Ti-
mok, et servant de limites à la principauté du côté de la
Boulgarie , présentent tous les caractères des rivières des
montagnes. Les épaisses forêts qui recouvrent les mon-
tagnes leur assurent un riche approvisionnement deau , de
sotte que dans leur partie basse ils peuvent <léjà porter de
petites embarcations, et qu'ils deviendi aient d'une haute im-
portance pour le commerce pour peu qu'on y exécutât quel-
ques travaux d'art. Toutes ces rivières ( en serbe rjeAa)
coulent dans la direction du nord vers la Save et le Danube,
dont les plaines marécageuses ne sont interrompues que là
où les montagnes s'étendent jusqu'à leurs bords. C'est sur-
tout le cas à l'extrémité nord-est du pays, où les montagnes
de la Serbie, de la Transylvanie et du Banat se rapprochent
tellement, qu'elles ne laissent pour passage au Danube qu'un
lit étroit, rocailleux, parsemé de rapides, et désigné sous
le nom de Porie-de-Fer. Le climat est tempéré et salubre,
mais un peu plus âpre dans les parties hautes. En raison du
sol fécond des vallées et des basses contrées, la principauté
est riche en produits et convient aussi bien à la culture des
céréales et de la vigne qu'à l'élève des bestiaux. Les forêts
consistent généralement en arbres perdant leur feuillage en
automne , notamment en chênes. On y trouve aussi beau-
coup de châtaigniers, d'arbres fruitiers de toutes espèces,
et surtout de poiriers,qui, dans les basses contrées, forment
des forêts tout entières. Les principales productions du pays
sont le maïs et autres grains , le vin , les fruits , le lin et
le chanvre; mais la population se livre encore de préférence à
l'élève du bétail. Les montagnes sont riches en métaux, sur-
tout en cuivre et en argent; mais jusqu'à ce jour l'exploita-
tion des mines est restée à peu près nulle. Les habitants,
au nombre d'environ un million, dont 825,783 Serbes purs
( recensement de 1846), ajipartiennent a la race des Slaves
Illyriensouau rameau sud -est de la grande famille des Slaves.
Ils professent tous la religion grecque. Remarquables par
la vigueur de leur constitution, parleur esprit ardent et poéti-
que, par des mœurs et des coutumes originales, par un goût
prononcé pour la musique, le chant et la liberté, ils forment
l'une des races slaves les plus heureusement douées, et qui
promettent le plus. Outre les Serbes, on trouve aussi dans
la principauté des Valaques , qui se livrent aux travaux de
l'agriculture , un certain nombre d'Arméniens , de Juifs et
de Grecs, qui s'occupent de commerce, environ 5,000 Bo-
hémiens, et à Belgrade une quinzaine de milliers de Turcs,
lesquels sont maîtres delà ville. Sauf Belgrade, l'activité in-
dustrielle se borne généralement à l'économie domestique et
agricole; en revanche , le commerce prend chaque jour plus
d'importance. On construit des routes et des chemins dans
toutes les directions , et tout récemment il s'est constitué
une Société serbe de navigation à vapeur. Belgrade n'est pas
seulement le grand entrepôt de toute la Serbie , c'est encore
le centre d'un important commerce de transit avec la Tur-
quie. On calcule que dans ces dernières années les importa-
tions enTurquie se sont élevéesen moyenne à 3,680,000 fr., et
les exportations à 5,320,000 fr. par an, ce qui donne pour l'en-
semble du mouvement commercial un total de huit millions
de francs. Le pays est divisé en 17 cercles (en serbe.okriig,
en turc nahia) , placés sous les ordres de commandants
de cercle (natschalniks), et en 55 arrondissements obéis-
sant à des kapitanis, dont les fonctions sont avant tout
militaires, mais qui ont aussi dans leurs attributions la po-
lice et l'exercice du pouvoir executif.
La Serbie forme un État placé sous la suzeraineté de la
Porte et astreint à lui payer tribut, mais indépendant à tous
autres égards, avec un prince héréditaire (c'est aujourd'hui
Alexandre Kara Georgeovvitsch [voyez Czerny]), qui négo-
cie directement avec la Porte, perçoit une liste civile de
525,000 fr., et est placé à la tète de l'armée de môme qu'à
celle de l'administration intérieure, laquelle est entièrement
indépendante. 11 la dirige par l'intermédiaire de quatre mi-
nistres (intérieur, finances, extérieur, justice et culte). Tou-
tefois, l'autorité du prince est limitée par la constitution de
1838, qui lui adjoint un sénat consultatif de dix-sept membres,
où les ministres ont voix délibérative , ainsi qu'une assem-
blée nationale. Cette dernière, appelée Skouptschina^ ne se
SERBIE
137
compose anjourd'hui que des autorités supérieures des com-
munes , des arrondissements et des cercles, et n'est convo-
quée que dans les circonstances extraordinaires. Le sénat
se complète lui-même en présentant des candidats au prince.
La Porte n'a pas d'autre droit que d'entretenir à Belgrade
un pacha avec une garnison ; aucun Turc ne peut résider
dans les autres parties de la principauté. Elle prélève en ou-
tre un tribut de deux millions de piastres turques ( environ
460,000 fr. ) ; somme considérable , car les revenus de la
principauté , qui proviennent d'un simple impôt de famille,
de droits d'importation et d'exportation et de droits pré-
levés sur l'industrie, ne montent qu'à 3,750,000 fr. L'or-
ganisation judiciaire comprend des justices de paix établies
dans chaque arrondissement, des tribunaux d'appel existant
dans tous les cercles , et une cour de cassation récemment
instituée à Belgrade. L'administration est aux mains des
hnès, des présidents de district et des chefs de commune;
système où l'organisation, complètement patriarcale, des
grandes agrégations de familles exerce une influence dé-
cisive sur tout ce qui a trait aux communes. Les affaires
ecclésiastiques sont dirigées par l'archevêque métropolitain
de Belgrade et par les trois évêquesd'Ouschietza, de Schabafz
et de Négrotine. Les églises sont au nombre de trois cents, et
il n'existe plus qu'une trentaine de couvents. Le clergé ne
peut être élu que par la nation. L'instruction publique, in-
dépendante du clergé, a lait dans ces derniers temps de re-
marquables progrès. Elle comprend quatre gymnases inter-
médiaires , un gymnase, un lycée pour l'enseignement de
la philosophie et de la jurisprudence, un collège théologique,
une école d'artillerie et une école d'agriculture à Belgrade.
Mais l'instruction populaire est encore très-négligée. La
force armée se compose sur le pied ordinaire d'une milice
nationale, organisée militairement pour le maintien de la
tranquillité publique, et présentant un effectif de 3,000
hommes, avec un peu de cavalerie et d'artillerie. D'ailleurs,
chaque Serbe est armé, et chaque homme apte à porter les
armes est astreint au service militaire. Il entre en cam-
pagne sous les ordres de son natschalnik , et est tenu de
pourvoir lui-même à son équipement et à son entretien. C'est
ainsi que le pays peut au premier appel mettre en ligne 60,000
combattant?. En raison de la situation critique où la Serbie
s'est trouvée à la suite du conflit russo-turc de 1853, le
prince, par une ordonnance en date du 3 mai 1854, a divisé le
pays en cinq districts militaires, à la tête de chacun desquels
il a placé un voïvode, obéissant au général du pays. De la
sorte, l'effectif des troupes régulières s'est élevé à 48,000
hommes d'infanterie, 6,000 hommes de cavalerie et 8,000
hommes d'artillerie avec 150 bouches à feu ; et il pourrait
facilement être porté à 150,000 hommes. Le prince réside
alternativement à Kragoujewatz, ville située au centre du
pays, et dans la capitale, Belgrade, où siègent également
les autorités centrales. Les villes les plus importantes sont
ensuite les places fortes de Schabatz sur la Save, de Se-
nt end ria à l'ouest, de Passarowit z , delà Nouvelle-
Ors o t'a, et de Kladowa et Ouschitza, dans la partie sud-
ouest de la principauté. On comprenait dans l'ancienne
Serbie les villes de Nisch ou Nissa et de Prokasplie ou
Orkoiip à l'est, de Wi'anja, etde Pristina &m le plateau de
Kossowo, de Tt'asc^i/za et de Nowy- Bazar ou Jeni- Bazar
au sud, lesquelles dépendent aujourd'hui immédiatement de
la Turquie.
Histoire. La Serbie eut pour habitants dans les temps
les plus reculés des peuplades thraces ou illyriennes , telles
que les Besses, les Skordisques, les Dardaniens et les Tri-
balles. Peu de temps avant la venue de Jésus-Christ, elle fut
conquise par les Romains, qui, sous le nom de haute Mésie,
l'ajoutèrent à la province appelée Illyrienne, dont elle
partagea les destinées sous la domination romaine. Les habi-
tants furent peu à peu romanisés ; c'est pourquoi on les com-
prend aussi parfois sous la dénomination générale de Va-
laques. A l'époque de la grande migration des peuples,
c« pays devint successivement la proie des Iluns , des
Ostrogoths, des Lombards, etc., après le départ desquels
il retomba, vers le milieu du sixième siècle, sous la domi-
nation des empereurs de Byzance. Au commencement du
septième siècle , les Avares s'en emparèrent. Vers l'an 636,
l'empereur Héraclius appela à son aide contre eux les Serbes
de la Gallicie orientale , qui répondirent à son appel et ex-
pulsèrent les Avares, vers l'an 638. Les Serbes se répandi-
rent alors dans le pays depuis la basse Morawa et l'ibar à
l'ouest jusqu'au Werbas, aux montagnes de la Dalmatie et
à la mer Adriatique , et depuis la Save au sud jusqu'à la
chaîne centrale des montagnes de la Turquie d'Europe et au
lac de Scutari , par conséquent au delà du Monténégro, de
la plus grande partie de la Bosnie actuelle et de la moitié
occidentale de la Serbie actuelle. Le sol fut divisé , d'après
la différence des races , en sept districts : la Serbie propre-
ment dite , la Bosnie, la Neretwa , la Zachlounie , la Tra-
wounie, la Konawlia et la Doukla, obéissant à des zoupans ,
placés à leur tour, mais dans des liens assez relâchés, sous
l'autorité d'un grand-zoupan, qui, comme vassal de l'em-
pire de Byzance , résidait à Desniza, sur la Drina , dans la
Serbie proprement dite : et à diverses reprises ils tentèrent
de se rendre plus ou moins indépendants. Quoique l'empe-
reur Héraclius eût déjà tenté d'introduire le christianisme
en Serbie , les Serbes ne furent complètement convertis à la
foi chrétienne que plus tard, par des prêtres que leur envoya
l'empereur Basile. Toute l'activité des Serbes fut alors et
pendant longtemps encore absorbée par leurs guerres inces-
santes contre les Boulgares, leurs voisins ; guerres qui con-
tinuèrent jusqu'à la destruction du royaume de Boulgarie,
par l'empereur Basile , en 1018 , époque où la Serbie devint
en môme temps une province complètement byzantine. Mais
dès l'an 1043 Etienne Bogislaf parvenait à expulser les com-
mandants byzantins; et Michel, son fils et son successeur
(1050-1080), se rendit, lui aussi, complètement indépen-
dant. 11 prit alors le titre de roi de Serbie, et fut reconnu en
cette qualité par le pape Grégoire VIL Mais une foule de
guerres intérieures et extérieures contre les Byzantins dé-
vastèrent le pays jusqu'à l'année 1165, époque où Etienne
Nemanja , après avoir encore une fois secoué le joug des
empereurs de Byzance , se proclama prince des Serbes. Il
devint le fondateur d'une dynastie, appelée d'après lui, et
d'un royaume qui, du nom de sa résidence, la ville de
Rassa (aujourd'hui ISowy-Bazar), fut nommé grande- Zou-
panie de Rassa, et plus tard royaume serbe ou rascien. Le
nom de sa résidence passa également à la population ; et au-
jourd'hui encore la dénomination de Raitzesou Rasctens
s'est conservée avec celle de Serbes. Le fils aîné d'Etienne,
qui monta sur le trône en 1125, fut couronné czar ou roi
en 1122 avec une couronne envoyée de Rome. Lui et ses
successeurs agrandirent le royaume à diverses reprises , de
sorte que sous le règne à'Édenne Douschûn ( 1336-1356),
fils de Detchanski, neuvième roi de cette dynastie, il com-
prenait toute la Macédoine, l'Albanie, la Thessalie, la Grèce
septentrionale et la Boulgarie. Etienne Douschân , qui donna
un code de lois excellentes et qui favorisa les sciences et le
commerce , prit même le titre d'empereur, et partagea
ses États en divers gouvernements ; mais par là il en prépara
la décadence. Il établit un patriarche serbe, indépendant de
celui de Constantinople , dont la suprématie avait jusque
alors été reconnue dans le pays. Doué d'un génie entre-
prenant , Douschân voulut profiter de l'affaiblissement de
l'empire byzantin pour s'emparer de Constantinople, où
il avait tait son éducation. En 1356 il y conduisit victorieuse-
ment «ne armée de quatre-vingt mille hommes, s'emparant
de toutes les villes importantes qui se trouvaient sur sa
ligne d'opération et même d'Andrinople ; mais à une journée
de marche environ de son but il tomba malade , dans
un petit village appelé Djavoli , et y mourut, le 18 dé-
cembre 1 356. Son fils et successeur, Ourosch V, à la suite de
troubles intérieurs qui livrèrent continuellement la Serbie
en proie à ses ennemis extérieurs, perdit déjà la plus grande
partie des provinces conquises. La dynastie de Nemanja
1S8
SERBIE
s'éteignit en la personne d'Ourosch V. Vers l'an 1374 une
nouvelle dynastie parvint au trône avec Lazare, dont le
règne fut d'abord heureux , mais qui succomba ensuite dans
sa lutte contre les Turcs, etqui périt à la bataille de Kossowo
ou Kossowoplie (13S9). Le sultan Baj a zet partagea alors
la Serbie entre le fils de Lazare , Etienne, et un cousin de
Lazare, Wouk Brankowitsch. Tous deux durent lui payer
tribut et l'accompagner à la guerre. A partir de ce moment
il fut impossible aux Serbes de secouer le joug des Turcs.
Des tentatives ultérieures faites à cet effet eurent les résul-
tats les plus désastreux pour le pays, qui servit constamment
de champ de bataille dans les guerres entre la Hongrie et la
Porte. Enfin, sous le règne de Zozare //, la désorganisa-
tion intérieure étant arrivée à son comble , la Serbie fut en-
vahie, en l'an 1459, par le sultan Mahomet II. Elle fut
alors complètement soumise aux Turcs , qui la traitèrent en
pays conquis, et en séparèrent la Bosnie, pour en former
un paclialik particulier. Les restes de la population qui sur-
vécurent à celte catastrophe tombèrent, sous l'oppres-
sion des Turcs, dans un profond état de misère et un abâ-
tardissement complet. Séparés des vaincus parla langue,
la religion, le mépris, les Turcs ont campé plus qu'ils ne se
sont établis dans les provinces d'Europe. Écraser l'infidèle
que sa foi condamne à la servitude, le maintenir dans l'o-
béissance par la force et la terreur, en tirer le plus d'argent
possible en l'accablant d'avanies , c'était là toute la politique
ottomane. Condamné aux redevances les plus lourdes, me-
nacé dans sa personne et ses enfants, le Serbe se relira des
villes, où l'altendaient la violence, l'injure et, s'il résistait,
ces prisons terribles où, suivant les chants populaires, « il
y a de l'eau jusqu'aux genoux , où les serpents se croisent ,
où les amas d'ossements humains montent jusqu'à l'épaule; »
il s'enfuit dans la montagne. C'est au milieu de forêts inac-
cessibles qu'il plaça sa demeure. De là un partage du sol et
de la population. Tandis que les anciens habitants quittaient
les villes, les conquérants s'y retranchaient. Craignant à leur
tour le désespoir des vaincus, ils leur abandonnèrent la
campagne , et , satisfaits d'en tirer l'impôt , ne se soucièrent
pas delà façon dont s'administraient les malheureuses com-
munautés.
Enfin , les exploits du prince Eugène eurent pour résultat
d'adjuger à l'Autriche, par la paix de Passarowitz ( 1718),
la plus grande partie de la Serbie, à savoir sa partie septen-
trionale, avec son chef-lieu, Belgrade, jusqu'au Timok et aux
monts Boujoukdasch ; mais la désastreuse paix de Belgrade
( 1739 ) enleva tout ce territoire à l'Autriche, et le replaça
sous la souveraineté de la Porte. Les guerres entre les Au-
trichiens et les Turcs n'eurent donc d'autre résultat que de
dévaster le pays de plus en plus , et d'y rendre toujours
plus intolérable le système d'exactions des Turcs. Bien que
ceux-ci eussent laissé aux Serbes leur organisation commu-
nale, suivant leur usage constant dans les pays conquis,
l'arbitraire des pachas et les avanies des janissaires allèrent
toujours croissant. En 1792 ces derniers furent à la vérité
expulsés du pays par le pacha ; mais ils y revinrent dès que
Passwan-Oglou se fut réconcilié avec la Porte ; et ils y
commirent encore plus d'excès que par le passé.
Enfin , la cruauté des commandants turcs et l'insolence
des janissaires provoquèrent, en 1801, en Serbie une in-
surrection à la tête de laquelle se plaça Georges Czerny,
qui fit d'héroïques efforts pour assurer l'indépendance de sa
patrie. Appuyé en dessous-mains par la Russie , il réussit ,
dans l'état de faiblesse et d'impuissance où était tombée la
Porte , à obtenir d'elle des concessions ; de sorte qu'à partir
de 1806 les Serbes se trouvèrent de nouveau maîtres chez
eux, mais placés cependant sous la direction de la Russie.
Élu déjà de bonne heure par le peuple pour son chef su-
prême, Czerny, aux termes de l'armistice qu'il conclut avec
la Porte, le 8 juillet 1808, à Slobosje, fut formellement re-
connu par le sultan en qualité de prince de Serbie, titre
que l'empereur de Russie lui reconnut également. Quand la
guerre éclata de nouveau, en 1809, entre la Russie et la Tur-
quie, Czerny seconda les opérations de l'armée rasse. Par
le traité de paix qui intervint le 28 mai 1812, à Bukharest,
entre la Russie et la Turquie , il fut stipulé que la Porté
accorderait aux Serbes une amnistie complète, que les places
fortes construites par les Serbes pendant la guerre seraient
démantelées, et les anciennes livrées aux Turcs. L'ad-
ministration des affaires intérieures devait être aban-
donnée à la nation , et la perception des impôts avoir lieu
de bon accord entre la Porte et les autorités locales. Mais
ces conditions ne satisfirent point les Serbes , qui rejetè-
rent en même temps l'offre que leur fit la Russie de dé-
fendre à l'avenir leur pays, à la condition qu'ils lui remet-
traient toutes leurs places fortes et incorporeraient dans
l'armée russe toute la population en état de porter les armes.
Au départ des troupes russes en juillet 1812, les Serbes es-
sayèrent en se rapprochant de l'Autriche d'obtenir à Cons-
tantinople de meilleures conditions ; mais ils n'y réussirent
pas, et la lutte contre les Turcs recommença en juillet 1813-
Quatre mois plus tard, les Serbes succombaient sous la
supériorité numérique des Turcs, et Czerny dut alors avec les
autres chefs quitter le pays. Les vainqueurs traitèrent la
population avec la plus effroyable cruauté , et firent de la
Serbie un désert. Diverses explosions de la fureur populaire
furent comprimées dans des torrents de sang. Enfin , après
une lutte désespérée, soutenue sous les ordres de Mil osch
Ob renov itsch , les Serbes réussirent à obtenir, par le
traité du 15 décembre 1813, une espèce d'indépendance ,
qui les plaça plutôt sous la protection que sous la suzerai-
neté de la Porte. Milosch fut ensuite nommé grand-knès
de Roudnik, Mais dès la même année la conduite des Turcs
contraignait les Serbes à se révolter de nouveau, sous la con-
duite de Milosch ; levée de boucliers qui aboutit, en 1816, à
un traité de paix conclu sous la médiation étrangère. Ce
traité accorda aux Serbes des fonctionnaires civils et des
juges à eux , mais laissa les Turcs en possession des places
fortes. Toutefois , il ne fut pas ratifié par la Porte , mais
seulement accepté par le pacha de Belgrade. Le gouverne-
ment de la Serliie reçut un sénat composé d'un président
et de quatre députés serbes. Le président du sénat fut Mi-
losch, que les Serbes élurent ensuite en 1817 pour leur
prince. Dès lors tous les efforts de Milosch tendirent à main-
tenir en paix le pays, épuisé partantde luttes. Il réussit à se
rendre indépendant aussi bien de la Russie que de la Porte
et à se maintenir en bonnes relations avec toutes deux ,
quoique en raison de l'irritation de son peuple et de l'occu-
pation des diverses places fortes de la Serbie (palankes)
par le pacha de Belgrade , qui y entretenait des garnisons
turques , sa position continuât à être des plus difficiles. Dans
une grande assemblée nationale tenue en 1827 à Kragou-
jewatz , il lut élu prince héréditaire. Lors de la guerre qui
éclata en 1828 entre la Russie et la Turquie, la nation le
pressait de se rattacher à la Russie et de secouer complète-
ment la suzeraineté de la Porte ; mais il résista seul à ces
tendances, parce qu'il comprenait fort bien que la souve-
raineté de la Porte une fois détruite , la Serbie était trop
petite pour être quelque chose. Par la paix conclue à An-
drinople, en 1829, la Porte confirma de nouveau de la manière
la plus solennelle les libertés précédemment accordées aux
Serbes, et promit de restituer au pays les districts de Krama,
de Timok , de Parakine , de Krouschewatz , de Staroviaschka
et de Drina, qui en avaient été détachés. Toutefois, cette res-
titution ne fut eflectuée que par le hatti-schériff de 1834 ,
qui détermina en même temps la quotité du tribut, et dé-
cida que les Turcs ne pourraient à l'avenir résider qu'à Bel-
grade. D'accord avec l'assemblée nationale, Milosch s'occupa
alors de rédiger une constitution, qui fut publiée en 1835 ,
mais que la Porte, sur les instances de l'Autriche et de la
Russie, refusa de reconnaître, comme entachée de libéralisme.
Une nouvelle ère commença alors dans le règne de Mi-
losch. L'homme qui jusque alors s'était montré sage dans
sa politique extérieure , et qui avait constamment tendu à se
soustraire à l'influence oppressive de la Russie , se trouva
SERBIE
i;
maintenant placé entre la faiblesse de la Porte et l'inactivité
conservatrice de l'Autriche d'une part, et l'aversion du
peuple de l'autre. Cette aversion , Milosch se l'était attirée en
ce qui était de l'aristocratie des chefs de district comme de
la masse de la nation, par sa rapacité, son arbitraire, sa cruauté
et le dérèglement de ses moeurs , de sorte que sa tyrannie
avait fini par faire oublier les nombreux bienfaits dent
on lui était redevable. Sous l'influence des deux chefs
Woukschitsch et Petroniewitsch, il s'organisa un parti na-
tional , qui se posa hostilement à son égard , tout en ne vou-
lant pas plus que lui entendre parler de la protection de la
Russie. Milosch chercha alors, il est vrai, à s'appuyer sur
l'Angleterre ; mais l'influence de cette puissance était trop
lointaine pour pouvoir le sauver. C'est ainsi qu'en 1838 un
liatti-schériff du grand-seigneur introduisit, sous le nom de
statut organique, une nouvelle loi fondamentale, rédigée
sous l'influence de la Russie , qui adjoignait au prince un
sénat investi du droit de déterminer la quotité de l'impôt ,
de régler la solde des troupes et de nommer les fonction-
naires publics , de contrôler les actes du gouvernement et
d'en rendre les ministres responsables. Milosch , que l'on
accusait de soustraction des deniers publics, se vit telle-
ment menacé de toutes parts, qu'il abdiqua, le 13 mai 1839,
en faveur de son iils aîné. Milan. Celui-ci étant mort dès
le 7 juin suivant , ce fut alors le fils cadet de Milosch ,
Michel, qui fut proclamé prince, et la Porte confirma cette
élection. Mais il ne tarda pas à devenir évident que c'était
l'éloiguement de la dynastie Obrenowitsch qu'on avait en
vue. Les chefs du parti hostile aux Obrenowitsch, le
commandant en chef des troupes, Wouskchitsch, et le séna-
teur Petroniewitsch avaient même su faire insérer dans
le hatti-schériff de la Porte qui transférait le pouvoir à
Michel une clause portant que le prince ne pourrait prendre
aucune mesure sans leur assentiment préalable. La toute-
puissance qui en résulta pour le parti aristocratique et sa
domination arbitraire par le moyen du sénat, placé entière-
ment sous l'influence russe, provoquèrent, il est vrai,
en 1840 , un mouvement populaire en faveur du prince Mi-
chel ; mais celui-ci se montra si incapable et en même temps
si sanguinaire, que le peuple ne tarda point à se prononcer
ouvertement contre lui, et que Woukschitsch et Petro-
niewitsch purent essayer d'opérer une révolution. Elle éclata
au mois de septembre 1842. La troupe s'y associa, et le
prince Michel se vit alors contraint de se réfugier à Semlin.
Le 15 septembre suivant, une assemblée des notables <lu
pays, d'accord avec les autorités turques de Belgrade, dé-
clara la famille Obrenowitsch déchue du pouvoir, et élut
pour prince Alexandre Karadjordjéwicz , fils cadet de
Czerny Georges, digne héritier de l'homme qui, en essayant le
premier d'affranchir sa patrie, avait révélé aux Serbes leur
puissance en leur ouvrant l'avenir. Une tentative de contre-
révolution, faite par les partisans d'Obrenowitsch , échoua
complètement, et n'eut d'autre résultat que d'attirer sur
ses auteurs de sévères représailles. Le 14 novembre le nou-
veau souverain reçut le hatti-schériff de confirmation de la
Porte, et fut installé solennellement, non pas à la vérité
comme prince, mais seulement comme basch-beg, c'est-
à-dire seigneur souverain; et en môme temps on lui imposa
diverses conditions, qui violaient les traités. La Russie lança
alors une protestation contre la révolution et ses consé-
quences, de même qu'en réclamant le rétablissement de l'au-
torité du prince Milosch le cabinet de Pétersbourg voulut
prendre le rôle de défenseur des traités et de la légitimité.
Mais on ne tarda pas à comprendre que, sous ce prétexte ,
il avait en vue de tout autres projets relatifs à la Vala-
chie, notamment l'éloiguement de Woukschitsch et de Pe-
troniewitsch , adversaires aussi prononcés de la Russie que
de Milosch, et qu'il espérait arriver à la défaite du parti
national, à la tête duquel ces deux hommes étaient placés.
Ce résultat une fois obtenu, la Russie consentit à un com-
promis en vertu duquel une nouvelle élection de prince de-
vait avoir lieu suivant les formes légales, en même ten)ps
que Kiamil-Pacha, Woukschitsch et Petroniewitsch se-
raient bannis du pays, comme instigateurs de la dernière ré-
volution. Tout cela fut exécuté; et le 27 juillet Alexandre,
qui dans l'intervalle avait été amené en secret à faire cer-
taines concessions à la Russie, fut élu prince et confirmé en
cette qualité, le 14 août suivant, par un hatti-schériff du
grand-seigneur. De nouvelles tentatives de soulèvement
faites par le parti de Milosch, en 1843 et 1844, échouèrent
et n'amenèrent que des mesures de réaction. Sous l'admi-
nistration intelligente du nouveau prince, la Serbie com-
mença à se relever, et elle a fait depuis lors de visibles pro-
grès dans son développement intérieur. De 184 5 à 1847 les ré-
formes s'y succédèrent sans interruption. Les orages de 1848
ne troublèrent en rien la paix intérieure, bien que les Serbes ne
soient pas restés tout à fait étrangers à la guerre de races
dont la Hongrie devint alors le théâtre. Le piiuce Alexandre
mit à la disposition du gouvernement autrichien contre les
Magyares un corps auxifiaire commandé par Knicanine;
mais dès le mois de février 1849 il le faisait rentrer en Serbie.
Ces troupes, qui avaient fait preuve de bravoure, s'étaient
déshonorées par leurs déprédations et leurs actes de cruauté.
Du reste, cette guerre n'eut d'importance pour le développe-
ment de la vie politique en Serbie qu'en ce que depuis lors
il s'y est nettement dessiné un parti patriote-slave, aspirant
à la guerre contre l'islamisme et à une union intime avec la
Russie, la quelle favorise, comme on peut bien le penser, de pa-
reilles tendances. En effet, la pensée du Serbe va plus loin
que l'indépendance ; il songe à ses frères de la Bosnie, de l'Her-
zégovine et delà Boulgarie; il a l'espoir qu'un jour renaîtra
l'empire d'Etienne Douschân,et cet empire il sait où en sera
le siège : c'est à Constantinople. Par contre, le gouvernement,
comprenant bien tous les dangers de pareils rêves, dont la
réalisation ne saurait être encore que bien lointaine, n'en mit
que plus de soin à rétablir et àconsolider les anciens rapports de
la Serbie avec la Porte. La guerre dans le Monténégro éveil-
la à la vérité en Serbie , surtout parmi les classes inférieures,
des sympathies pour les Monténégrins, race de môme ori-
gine que les Serbes ; mais le gouvernement s'abstint d'y
prendre aucune part , et offrit même à la Porte sa médiation,
qui d'ailleurs ne fut point acceptée. Woukschitsch s'étant
retiré des affaires ^ Elias Gai aszauine , jusque alors ministre
de l'intérieur, homme aussi énergique que prudent , zélé eu
outre pour le progrès et l'indépendance de la Serbie, passa
alors à la tête de l'administration comme ministre des af-
faires étrangères. Mais dès la fin de mars 18.53 il reçut subi-
tement sa démission, parce qu'il ne se montrait pas favo-
rable aux plans de la Russie et qu'il avait même fait pro-
céder à l'arrestation et à l'expulstion d'un agent russe. 11 fut
remplacé par Alexandre Simmitsch, ministre de l'intérieur.
Quand éclata, en 1853, le conflit russo-turc, le gouvernement
serbe, après avoir mûrement et sagement apprécié les cir-
constances, se prononça pour une stricte neutralité. D'après
cette déclaration, le consul russe quitta, dès le 17 novembre
1853 , le territoire serbe. Le gouvernement n'en procéda
qu'avec plus de prudence et d'énergie.lorsque le prince Milosch
se disposa à lever dans ses biens situés enValachie, province
alors occupée par les Russes, un corps franc , qu'il disait
destiné à agir contre les Turcs , mais dont il voulait peut-être
bien se servir pour reconquérir le trône de Serbie. Quoique
les anciens partisans d'Obrenowitsch se montrassent de nou-
veau ouvertement , et que le parti russe intérieur attendît
une irruption de la Serbie par les Russes partant de la
Valachie, la principauté demeura tranquille; résultat au-
quel ne contribuèrent pas peu d'ailleurs les forces imposantes
réunies par la Porte à Widdin et à Kalafat, tout près des
frontières de la Serbie. La concentration des troupes autri-
chiennes sur les bords de la Save et du Danube , com-
mencée au printemps de 1854, détermina le gouvernement
serbe h publier un mémorandum adressé à la Porte sous la
date du 17 avril 1854, et dans lequel il manifestait la crainte
de voir des forces autrichiennes occuper la Serbie. Le 3 mai
suivant parut une ordonnance du prince relative à la mobi-
SERBIE — SERF
140
lisation de Tarmée nationale. Cependant , dans le courant
de l'été on suspendit l'arinemenl du pays , qu'on avait poussé
jusqne alors avec une grande activité, parce qu'à ce moment
les Russes évacuèrent la Valachie occidentale et que l'Au-
triche déclara en même temps que ses troupes n'entre-
raient en Serbie que dans le cas où ce pays se soulèverait
contre l'ordre de choses légitime. Consultez lankovitcli et
Gronitch , Slaves du Sud, ou le peuple serbe, avec les
Croates et les Bulgares; aperçu de leur vie historique,
politique et sociale (Paris, 1853).
SEREIIV. Le 5eret«,dont les causes sont les mêmes
que celles de la rosée, est une précipitation d'eau sous forme
d'une pluie très-fine, sans qu'il y ait apparence de nuage.
Ce phénomène se produit pendant les grandes chaleurs ,
dans les contrées humides , au coucher du soleil , quand
les couches inférieures de l'air se refroidissent au-dessous
de leur point de saturation.
SÉRÉIVADE , en italien notlurno , concert donné la
nuit en plein air; ce qui autorise à penser que le mot séré-
nade vient de l'italien sereno, le serein. Il y a peu de
conditions essentielles pour la composition des morceaux
exécutés en sérénade. On peut cependant dire que l'on a
généralement choisi des mélodies tristes et langoureuses ,
qui laissaient la personne à laquelle on offrait cet hommage
dans un vague demi-sommeil, qui lui permettait à peine
de distinguer en cette occasion la réalité du rêve. Les tons
bémolisés, surtout ceux de mi et de la, dont la douce har-
monie s'accorde bien avec le mystère dont les exécutants
cherchent d'ordinaire à s'environner, seraient heureusement
employés. La véritable patrie de ces concerts nocturnes, c'est
l'Espagne et l'Italie. Voilà où il faut chercher l'origine de
la sérénade. Elle se plaisait surtout dans ces chaudes con-
trées, où la nuit est Finstant de toutes les intrigues d'a-
mour. C'est alors que l'amant timide , conduisant quelques
amis, allait soupirer ses tourments sous les fenêtres de
celle qu'il aimait, heureux s'il voyait un moment au haut
du balcon
Sa mante flotter au vent.
Quelquefois l'amoureuse chanson était interrompue par
le cliquetis des épées. Au lieu de l'œil noir, qui devait ac-
cueillir d'un regard les chanteurs , ils voyaient apparaître
derrière la jalousie l'œil inquiet d'un tuteur ou d'un mari.
Les fenêtres s'éclairaient, les valets arrivaient, et bientôt
les épées rompues, les débris de guitare, couvraient le théâ-
tre du combat. Cervantes , Yicenli Espinel , Maldonado , sont
remplis à chaque page du charmant et joyeux récit de ces
aventures. Le Sage les leur a empruntées avec bonheur. A
Venise, les gondoliers ont conservé les traditions de la séré-
nade dans les barcarolles que la nuit ils font entendre
sur les lagunes.
On n'a guère écrit de musique spécialement destinée aux
sérénades. En Espagne, en Italie, on chantait des roman-
ces, des barcarolles choisies, selon que les paroles conve-
naient le mieux à la situation. Cependant, on a composé
quelques morceaux de chant et de musique instrumentale ré-
servés pour cette occasion. Puis , quand les sérénades per-
dirent de leur faveur, ces morceaux se jouèrent dans toutes
les circonstances , et bientôt ne gardèrent plus que le nom
qui indiquait leur origine, n'en conservant qu'un caractère
éloigné. Ainsi, Beethoven a composé un trio intitulé Sdr<?-
nade, qui n'a peut-être jamais été joué qu'en plein jour
et dans un salon bien chaud. Les poètes et les compositeurs
ont introduit souvent des sérénades dans leurs opéras. Nous
citerons dans ce genre la aanzonettede don Giovanni sous
les fenêtres de laeamériste; la barcarolle du dernier acte
d'Othello ; enfin , la sérénade qui sert d'introduction au
premier acte d'il Barbiere et celle de Stradella.
SERÉNISSIME. Voyez Altesse.
SÉRETH ou SIRETH, VHierasus des anciens, affluent de
la rive gauche du bas Danube , qui prend sa source dans
le duché autrichien de Bukowine, à environ 6 myriamètres
de Czernowitz , son chef-lieu, près de Pursuka , au pied
oriental des Karpathes , parcourt ce pays en décrivant vers
le nord un arc de dix myriamètres, et y baigne les villes
de Seretb et de Suczawa. Il entre ensuite en Moldavie, dont
il forme le principal cours d'eau et qu'il traverse dans la
direction du sud en suivant une ligne à peu près parallèle au
Pruth. Puis, après avoir traversé Roman, il coule dans une
large vallée jusqu'à ce qu'il atteigne tout à fait à Adjoug le
pays de plaines. Alors , après un parcours total d'une cin-
quantaine de myriamètres et après avoir formé la frontière
de la Moldavie du côté de la Valachie, il se jette dans le Da-
nube un peu au-dessus de Galacz. Le Séreth devient déjà flot-
table à Schipot, village peu éloigné de sa source, et navigable
à Kolionesti ; toutefois, sa navigabilité est très-restreinte. Ses
affluents sont à droite le Petit-Séreth, la Suczawa , la Mol-
dawa,h Bistrizza-d' Or , le Totruseh, la Putna et le
Buseo ; et à gauche le Brlad ou Berlad.
SERF et SERVAGE (du latin 5ert;MS, esclave ). La plupart
des historiens etdes jurisconsultes ont soutenu que le servage
féodal était établi dans la Gaule avant l'invasion de la ligue
franke. Ils appuient leur opinion sur des textes de Tacite,
d'Athénée et de César; mais ces textes mêmes ne présentent
aucune analogie entre les serfs et ces solduriers qui com-
posaient la garde spéciale de quelques chefs gaulois. César dit
dans ses Commentaires (liv. III, ch. xxii) : n Si leur chef
périt de mort violente, ils n'hésitent pas ou à partager son
sort ou à se tuer eux-mêmes; et il n'est pas arrivé , de mé-
moire d'homme , qu'aucun soldurier ait refusé de mourir
après avoir vu tomber le chef auquel il s'était dévoué par
amitié. » Cet engagement était volontaire. Les solduriers,
loin d'être esclaves du chef, étaient ses égaux , ses com-
pagnons (comités). Us vivaient comme lui et avec lui. Us
appartenaient aux familles patriciennes , et participaient aux
attributions de la royauté et du généraiat. L'état des per-
sonnes dans les Gaules était resté tel qu'il était sous la domi-
nation théocratique des druides, et ne changea qu'après
la conquête de ces vastes contrées par les Romains. Depuis
lors jusqu'à la chute de l'empire, il n'y eut dans les Gaules,
qui avaient adopté les lois et les usages des vainqueurs , qu«
des patrons et des clients. A l'époque de l'invasion des peu-
plades germaines, le régime dominant était celui des clien-
tèles. Les vainqueurs appliquèrent aux naUons envahies le
droit de la guerre dans sa plus rigoureuse acception. Le ter-
ritoire et les populations furent confondus dans le partage du
butin. Les bénéfices, d'abord viagers et révocables, deve-
nus héréditaires par l'usurpation des titulaires, constituèrent
les fiefs. Ce changement n'eut lieu que sous les faibles suc-
cesseurs de Clovis ; la royauté elle-même ne fut considérée
que comme un grand fief. Chaque bénéficier se constitua
seigneur souverain de la portion de territoire et de population
dont il n'était à l'origine que le chef responsable et l'admi-
nistrateur. Ainsi se forma la féodalité. Il n'y eut plus de
droit reconnu que celui de la force brutale : plus de terre
sans seigneur. Ces mots résument tout le code féodal. Aux
seigneurs laïques et ecclésiastiques toute la puissance; à tous
les autres la sujétion la plus abjecte, la plus absolue. C'é-
tait l'esclavage de la glèbe, plus dur que l'esclavage person-
nel admis chez la plupart des anciennes nations.
Les descendants des anciens légionnaires romains , les
Gaulois d'origine qui jouissaient des mêmes droits , et appe-
lés burgenses et libertini, avaient conservé la libre dispo-
sition de leur personne et de leurs propriétés. La fatneuse
assemblée connue sous le nom à'adnontiation de Mersen
(847), en les forçant de se recommander à un seigneur,
les assujettit au servage commun : il n'y eut plus que des
maîtres et des serfs. Ceux-ci composèrent trois catégories :
!• le servage qui attachait à la glèbe , adscripti glebee -. ces
serfs ne cultivaient que pour le seigneur, ne pouvaient sor-
tir du domaine ni se marier sans sa permission; 2" le ser-
vageréel; tenant à l'habitation même : l'étranger qui venait
s'établir dans le territoire d'une seigneurie devenait, par
le seul fait de sa résidence pendant un an et un jcur, serf
SERF — SERGE
141
du seigneur ; 3° le servage mixte, s'appliquant à la famille
et à l'habitation.
Le seigneur avait le droit de vendre , d'échanger, de
donner ses serfs, de les revendiquer partout, et d'en disposer
comme de ses bêtes de somme. Il pouvait les touruienicr
à son gré, les frapper, les tuer môme; il n'en devait compte
qu'à Dieu. « Anciennement, dit Sauvai, quand les serfs
n'obéissaient pas à leurs maîtres, on leur coupait les oreilles,
et pour en perdre l'engeance on les châtrait sans marchan-
der davantage. A la plus petite faute , on les étendait nus ,
pieds et poings liés, sur une poutre, comme pour leur
donner la question , et avec des houssines de la gro-seur
du petit doigt on leur faisait une distribution de cent vingt
coups. »
L'affranchissement des communes dans les dernières
années du onzième siècle n'eut point pour résultat l'aboli-
tion entière du servage féodal. Les croisades favorisèrent
le développement de ce mouvement émancipaleur. Des
princes, des seigneurs, vendirent la liberté à leurs serfs
pour fournir aux frais de leur pieuse expédition. Alors le
clergé séculier et régulier en acheta une grande partie , et
les habilants de ces seigneuries ne firent que changer de
maître. Louis le Hutin et Philippe le Long proclamèrent par
leurs édits l'affranchissement de toutes les populations de
la France ; toutefois , ce bienfait ne s'étendit pas au delà de
leurs domaines. Leur exemple trouva néanmoins des imita-
teurs dans les seigneurs laïques; mais le clergé, qui aurait
dû [(rendre l'initiative, résista longtemps à cette réforme ré-
clamée par la religion , la justice et l'humanité.
On a dit , en faveur du servage féodal des seigneuries ec-
clésiastiques, que ce servage était volontaire. Glatigny, dans
un mémoire sur le nombre prodigieux des serfs du clergé
et sur la nécessité de leur entier affranchissement , raconte
les cérémonies du rféi;oMeme«^ de ces malheureux abrutis
par l'ignorance et la plus stupide superstition. « Le prosé-
lyte s'approchait de l'autel ; il y plaçait dévotement les mains,
y couchait sa tête, et dans] cette situation prononçait la
formule de sa profession ; il déclarait qu'il offrait à Dieu , à
la sainte Trinité et aux saints patrons de l'église ses biens
et sa personne ; qu'il s'engageait de les servir comme esclave
pendant tout le temps de sa vie. Les plus zélés s'entouraient
le cou d'une corde, pour exprimer le sacrifice entier qu'ils
faisaient de leurs biens et de leur vie. « Pasquier rapporte
le texte entier d'un acte de cette nature, daté du mois d'oc-
tobre 1080. Le texte est en latin, que le prêtre officiant
comprenait peu sans doute, et le prosélyte encore moins.
L'infâme droit àe prélibation accordait au seigneur la
première nuit des nouvelles mariées de condition serve : les
prélats, les abbés, ont longtemps usé de ce privilège. Il
fut plus tard remplacé par une prestation d'un demi-franc
d'argent. Ce nouvel impôt s'appela marbotte. Un arrêt du
parlement de Paris du 19 mai 1409 fit défense à l'évèque
d'Amiens de continuer la perception de cette redevance sur
les époux qui usaient des droits du mariage la première nuit
des noces. Pareilles défenses furent aussi faites aux religieux
de Saint-Étienne de Nevers. Despeisses , D'Olive, tous les
auteurs de jurisprudence, rapportent une foule d'arrêts
semblables.
Les serfs du couvent de Saint-Benoît en Franche-Comté
ne furent affranchis qu'en 1745. Par arrêt du conseil du 18
janvier 1772, le parlement de Besançon fut chargé de pro-
noncer sur la contestation des communes du Jura et des
chanoines de Saint-Claude. La condition de ces serfs était
encore la même en 1789 , et ne cessa qu'à l'époque de la
révolution. Un édit rédigé par Lamoignon avait prononcé
l'abolition du servage dans toute la France. Un nou-
veau droit de lods avait été réservé comme indemnité en fa-
veur des seigneurs pour les titres antérieurs au 1" janvier
1760. DuFEY (de l'Yonne).
Le servage f«t complètement aboli dès 1763 dans le du-
ché de Savoie, en 1778 en Danemark , et à partir de la fin du
dix -huitième siècle dans la plus grande partie des États de
! l'Allemagne, en vertu de lois accordant tanfôt une indemnité
au seigneur pour les droits qu'on lui enlevait, tantôt sup-
primant purement et simplement et sans indemnité les droits
personnels résultant du servage. C'est dans les contrées de
l'Allemagne occupées par des populations d'origine wende
que le servage était le plus rigoureux, par exemple en Lusace,
en Poméranie, en Mecklembourg et en Holstein. Dans cette
dernière contrée, toutefois, l'institution en était d'origine assez
récente; car il n'y avait été établi qu'en 1694, et avec une
rigueur à nulle autre comparable. Les dernières traces du
servage nedisparurentde la haute Lusace qu'en 1832, etdans
les États autrichiens qu'en 1848.
En Russie, l'empereur Alexandre F'' supprima le servage
en Livonie et en Courlande. Si des difficultés presque insur-
montables et de graves considérations s'opposent encore à
l'application générale de cette mesure à toutes les provinces-
doTempire, dumoinsdeslois récentesontde beaucoup adouci
la rigueur du servage et détruit une partie des abus existant
dans un tel régime. Le peuple russe, l'homme du commun,
le cultivateur du sol , l'éleveur de bestiaux, le bûcheron, le
petit marchand, le charpentier, le maçon et les gens de mé-
tier en général , la domesticité à ses nombreux degrés , ko-
saks, coureurs, valets de chambre, valets de pied, etc., etc.,.
tous font partie de la classe des serfs. De l'état de servage
qui pèse sur fes populations russes il faut d'ailleurs se garder
de conclure qu'elles sont en proie à la misère et à la pau-
vreté. Beaucoup de serfs, aussi bien parmi ceux de la cou-
ronne que parmi ceux des particuliers, sont millionnaires
ou du moins possèdent d'importants capitaux. Et cependant
ils se trouvent si heureux dans la position où ils sont,
qu'ils ne songent seulement pas à se prévaloir de leur droit
de se racheter moyennant une indemnité modérée à payer à
leur seigneur. Ils acquittent volontiers l'oôroA annuel comme
on appelle la redevance prélevée sur les serfs, ou bien
ils en effectuent le payement en nature , c'est-à-dire
moyennant un certain nombre de gelinottes des bois , de
poissons, de peaux de mouton, etc. Un décret de l'em-
pereur Nicolas a institué dans chaque cercle un maré-
chal de la noblesse, chargé de défendre leurs droits et de
les protéger contre tous sévices. Toutefois, leur plus ou moins
de dépendance tient toujours à l'humanité ou à la tyrannie
de leurs maîtres , qui n'ont perdu qu'un seul de leurs droits,,
celui de les vendre arbitrairement et de rompre de la sorte
suivant leur bon plaisir des unions matrimoniales. Une terre
peut être vendue ou affermée avec tous ses serfs, mais non le
serf sans la terre.
SERFOUETTE, instrument d'agriculture. Voij.Hove..
SERGE, en latin Sergius. Il y a eu quatre papes de ce
nom.
SERGE l*"", 86* pape dans l'ordre numérique, de l'an 687
à l'an 70 1 , et contemporain de B è d e , né à Palerme, est sur-
tout célèbre pour avoir refusé de souscrire aux décrets d'un
concile convoipié en 692 à Constantinople par l'erapereut
Jusiinien, et appelé concile in Trullo, du nom du palais où
il tint ses séances; décrets qui avaient déjà été acceptés par
ses représentants. Ces décrets renferment des documents^
fort curieux sur les mœurs des prêtres et des moines de ce
temps-là. Certains canons défendent aux cle.'-cs de tenir ca-
baret et de rester à une noce quand les farceurs y entrent.
L'analyse des décrets de ce concile nous mènerait trop loin.
Ce n'est pas d'ailleurs la nature de ces canons qui produisait
la résistance du pape Serge 1". U ne voulut pas même les
lire, et se borna à soutenir la nullité du concile, comme
n'ayant pas été convoqué directement par ses ordres. Dans
un synode tenu en 698 à Aquilée, Serge fit condamner les
ouvrages de Théodore de Mopsueste et de Théodoret ainsi
qu'une lettre de l'évèque Ibas d'Édesse (c'est ce qu'on ap-
pelle les trois chapitres). Rome lui dut la restauration et
rembellissement de plusieurs églises et l'institution de
quatre processions avec quatre fêtes de la Vierge ; c'est à lui
enfin qu'on attribue l'introduction des mots da nobispacem
après le troisième ^?n«5. Dei dans le canon de la messe. Il
142
SERGE — SERIE
momut !e 2S septembre 701 , après un pontificat de quatorze
ans.
SERGE II, dont le véritable nom était Pierre, fut aichi-
prètre à Rome, puis pape de 8'i4 à 847. Il contribua essen-
tiellement à l'accroissement de l'autorité du saint-siége, en
soustrayant son élection comme pape à la confirmation de
l'empereilr Lotbaire, qui régnait alors. Une invasion de Sar-
rasins troubla les derniers jours de ce pape.' Ces barbares
remontèrent le Tibre jusqu'aux portes de Rome, pillèrent les
riches églises qui étaient situées hors des murs, et ravagè-
rent toute la contrée. Une mort subite enleva Serge II, le 15
janvier 847, pendant celte calamité. C'était la troisième année
de son pontificat. Il fut, dans l'ordre numérique, le lOG" pon-
tife de l'Église, et mérita les regrets de la chrétienté , par
la régularité de ses mœurs et par la pureté de sa doc-
trine.
SERGE III, d'abord diacre, puis 17.3" pape dans l'ordre
numérique, dont le pontificat dura de l'an 904 à l'an 911,
était indigne de s'asseoir sur la chaire de Saint-Pierre. Ce
ne fut que grâce aux intrigues de deux femmes perdues de
mœurs, Theodora et Marozia, qu'il obtint la tiare; il vé-
cut en concubinage avec Marozia , dont il eut, entre autres,
un fils qui fut plus tard le pape Jean XI.
SERGE IV, lôS'^pape, de 1009 à 1012, fut d'abord évêque
\icccù d'Albani. Son véritable nom était Pierre Bona di Porco.
On dit que rougissant de ce nom il prit celui de Sergius ,
et qu'il introduisit ainsi l'usage de changer de nom, depuis
lors constamment suivi par les papes. C'était un homme
d'une vertu rigide , d'une grande libéralité envers les pau-
vres et d'une [)ieuse tolérance envers les pécheurs.
SERGE ou SERGIUS, patriarche de Constantinople, de
C08 à 639 , d'abord diacre et partisan secret des doctrines
<]esmonot h élites, seconda l'empereur Héracli us dans ses
efforts pour réunir les monophysites à l'Église ortho-
doxe, et rédigea à cet effet Vecthesis publiée par l'empereur
en (:38 et interdisant toute d iscussion sur la question de savoir
si dans Jésus-Christ il y a deux natures ou seulement une
seule. Mais ayant à ce propos exprimé l'opinion qu'il n'y
avait dans le Christ qu'une seule volonté, il fut condamné
par le pape Jean IV, dans un concile tenu à Rome.
SERGEAI\T AT LAW (du latin servienies ad le-
gem ). Ils forment en Angleterre une classe particulière de ju-
risconsultes, élevée au-dessus des autres par une nomination
royale { voyez Counsel ). Jadis ils étaient inaugurés avec une
pompe extraordinaire, de laquelle s'est conservé jusque au-
jourd'hui l'usage que le récipiendaire fait remettre au roi,
aux juges de la cour et aux fonctionnaires publics présents à
la cérémonie des bagues portant une légende de son choix.
Ils portent une robe violette les jours ordinaires, mais écar-
late dans les grandes solennités. Depuis sir Francis Nortii,
devenu ensuile lord garde des sceaux sous Charles II, tous
les ser géants al law prêtent serment comme fonctionnaires
de la couronne; et jusqu'en 1840 ils touchèrent un traite-
ment fixe. Aujourd'hui ceux-là seuls sont dans ce cas qui
aident véritablement la couronne de leurs conseils, et aux-
quels dès lors on donne la qualification de hing's (ou
queen's) sergeants.
SERGENT. L'armée française royale, les armées
françaises féodales , se sont dans le principe composées de
sergents, c'est-à-dire d'hommes qui servent (servientes).
Le bas latin des premières races appliquait surtout ce terme
aux satellites àe, la couronne. On le trouve employé dès 768.
Charlemagne soldait, pour la guerre, des sergents. Phi-
lippe-Auguste commença à en solder sous forme perma-
nente. Dans les onzième et douzième siècles le roman cor-
rompait .se/Tiens en sergents.
La justice , la police , avaient aussi leurs servientes. De
là cette distinction si tranchée de deux mots si semblables :
sergents d'armée , sergents du palais. Le premier signi-
fiait si bien soldat, qu'un ban que saint Louis faisait sonner
en Afrique par ses trompettes, qu'il faisait proclamer par
son aumônier, et que les Arabes ne comprenaient guère ,
commençait par ces mots : « Je vous dys le ban de Loys,
sergent de Jésus-Christ. »
Le mot féodal sergent a donné naissance à la sergentC'
rie, genre de service de certains fiefs. Du mot chevale-
resque sergent vint l'expression sergent d'armes, sergent
à cheval. Le mot judiciaire sergent s'est reproduit dans
les mots huissiers et recors , espèces de soussergent.
On a appelé sergents des rois d'armes et des hérauts,'
des gardes-chasse et des porteurs de contraintes, des
écuyers et des garnisaires, des estafiers et des laquais. Phi-
lippe de Valois réorganisait les sergents d'armes de la
garde. C'était une compagnie de gardes du corps, qui, sui-
vant les époques , a porté arc , arbalète, javelot, lance,
masse d'armes. De celte dernière circonstance sortait la
locution de sergent à masse. Sous les règnes suivants ,
les sergents d''armes, se réduisant à un petit nombre, en
prirent militairement d'autant plus d'importance, parce
qu'employés à des fonctions spéciales , jusque'<>!à mal ca-
ractérisées, ils devinrent 5er(7en^s de bataille; ionctiona
devenues celles des brigadiers des armées du roi , des ser-
gents majors du dix-septième siècle , et des wia;ors du dix-
huitième siècle. Au besoin, l'un des sergents de bataille
eut le titre de sergent général de bataille. Les châtelains
aussi, les connétables de villes fortes , eurent leur sergent
major, ce qui signifiait officier major de place. A la créa-
tion des bandes, les hallebardiers y furent sergents. Le
capitaine tirait de l'un d'eux un sergent d'affaires, qua-
lification que Choiseul changeait en celle àe sergent four-
rier, et ses successeurs en celle de sergent major.
De nos jours , un sergent est un homme de troupe por-
teur d'un galon -d'or ou d'argent sur l'avant-bras, et le ca-
poral fourrier est redevenu sergent fourrier, ce qui n'est
plus synonyme de sergent major. G*' Bardin.
SERGENT DE VILLE. On appelle ainsi un agent
institué par l'autorité municipale pour le maintien de l'ordre
publicdans les villes. Lacréationdes sergents de ville à Paris
est due à M. de Belleyme, alors qu'il remplissait les fonc-
tions de préfet de police , sous le ministère Martignac. Ils
présentent aujourd'hui un effectif de plus de quatre mille
individus, et l'on rend généralement justice à l'intelligence
et à la modération avec laquelle ils s'acquittent de fonctions
qui les placent souvent dans des positions difficiles.
SERGIPE, province du Brésil , riveraine de l'Océan
Atlantique, d'une superficie de 877 myriam. carrés, avait en-
viron 200,000 habitants, dont 3000 Indiens. Le sol en est
montagneux au centre, et mal arrosé à l'est. Les principaux
articles d'exportation sont le coton, le sucre et le rhum.
Sergipe, son chef-lieu, situé à 145 myriamètres au nord-
est de Buenos-Ayres, sur l'océan Atlantique, compte envi-
ron 10,000 habitants, et possède un port assez actif.
SERGIUS. Voyez Serge.
SÉRICICULTURE ( de sericum, soie). Ce mot
n'existe que depuis que l'éducationdes versàsoie. jusque
afors abandonnée à la routine, a été soumise à des méthodes
dont l'expérience a montré les bons effets. C'est des ma-
gnaneries du nord et du centre que sont parties les amé-
liorations les plus notables : niées d'abord avec hauteur
dans le midi , repoussées longtemps, discutées enfin par
quelques bons esprits , les opiniâtres .s'entêtent seuls dans
la routine, tandis que partout pénètrent les bienfaits de l'é-
ducation rationnelle, vulgarisée, rendue possible par Camille
Beauvais et d'Arcet. Mais à côté de ces premières con-
quêtes, tandis que des variétés nouvelles et profitables de
mûriers se multiplient , et qu'une culture plus intelligente
se répand, on signale encore des imperfections désastreuses
dans la petite éducation, et des fléaux morbides continuent
à la dévaster : jusque ici , malgré de grands sacrifices et
d'intéressantes études, le génie de l'homme est impuissant
à lesvaincre.
SÉFAE (Mathématiques). On nomme série (ou suite)
une suite illimitée de termes soumis à une même loi. La
suite des nombres naturels, les termes d'une progression
SERIE - SEIUIS
143
arithmétique ou géométrique, les nombresfigurés, etc.,
forment autant de séries dont les lois se reconnaissent immé-
diatement; il en est de même des séries de Taylor et de
Maclaurin, dont le binôme de Newton n'est qu'un cas
particulier. Les séries sont fréquemment employées en al-
gèbre pour évaluer approximativement des quantités qu'on
ne peut obtenir exactement, comme le rapport de la circon-
férence au diamètre, la base des logarithmes népé-
riens, etc. De même, dans le calcul intégral, lorsque la
fonction proposée n'est pas directement intégrable par les
procédés connus , on la développe en série suivant les puis-
sances ascendantes ou descendantes de la variable indépen-
/ii oc
■ ■- ; en dé-
1 "Y* OC
• ' , on a
veloppant (1 4-iP*)"
*'^ =dx(l— a;^+a;^ — «^+.
1+j:*
.),
et comme
/i
d X
•\-x
x) = x
= arc(tang = ar),
1 1 1 - ,
arc(tang _., 3 ~ ' 5
Pour qu'une série soit de quelque usage dans les applica-
tions numériques, il faut qu'elle soit convergente , c'esl-à-
dire qu'en prenant un certain nombre de termes à partir du
premier, leur somme se rapproche de plus en plus de la
valeur de l'expression développée, l'erreur pouvant être
rendue plus petite que toute quantité donnée : telles sont les
progressions géométriques décroissantes. Mais pour qu'une
série soit convergente il ne suHit pas que ses termes aillent
en diminuant ; cependant, si cette condition est remplie, et
si en même temps les termes de la série sont alternative-
ment positifs et négatifs , on tombe dans un cas de conver-
gence. Les séries que l'on nomme divergentes, par opposi-
tion aux précédentes, peuvent être transformées en séries
convergentes à l'aide de certains artifices de calcul qu'en-
seignent les traités spéciaux.
Ce qu'il importe de déterminer dans une série dont la loi
est connue, c'est son terme général et son terme somma-
toire, c'est-à-dire l'expression d'un terme de rang quelconque
et la somme d'autant de termes consécutifs que l'on voudra.
Les séries divergentes nous fourniront, quant à leur som-
mation, quelques remarques importantes. Lorsque L e i b n i tz
disait que la série
(a) 1— 1 -1-1 — 1 -|-1 — 1-f
indéfiniment continuée a pour limite {, cette affirmation pou-
vait paraître paradoxale; car, répondait-on, si l'on prend
v.n nombre pair de termes , la somme est 0 , et si l'on en
prend un nombre impair, elle est 1. Cependant, si l'on con-
sidère que la division de 1 par i-\- x donne le quotient
1 — X -\- X'
x
'■\-X^ — Xr>-\-
qui, lorsque l'on fait a;= 1 , se réduit à la série (a) en
môme temps que la fraction - devient - ilnepeutplus
resterde doute. On trouve, par des considérations analogues,
que la série
l_2-f 3 — 4-1-5 — 6-i- =^.
P,our se,, rendre compte de ces contradictions apparentes ,
il faut se rappeler qu'à quelque terme d'une série que l'on
s'arrête , il est toujours nécessaire d'y joindre un terme com-
plémentaire , qui ne peut jamais être négligé dans les séries
divergentes. En un mot, il faut, avec E uler, entendre par
somme des termes d'une série la valeur de l'expression dont
elle est le développement.
Archimède paraît être le premier qui ait trouvé la
somme des termes d'une progression géométrique décrois-
sante continuée à l'infini. Mais ce n'est qu'en 1C82 que les
recherches sur les séries commencent à prendre quelque
importance dans l'écrit que publie Leibnitz sous ce titre :
De prùportione circuit ad quadratum circumscriptiim
in mimer is rationalibus {Actes de Leipzig). L'année
suivante, il donne la sommation de quelques nouvelles séries.
Jacques et Jean Ber no ulli suivent bientôt ses traces;
Nicolas BernouUi , de Monmort et Taylor se livrent à des
travaux analogues. Des recherches sur le calcul des proba-
bilités conduisent Moivre à traiter, dans ses Miscellanea
analytica de seriebus et quadratiiris (Londres, 1730,
in-4'' ) , des séries récurrentes , c'est-à-dire de celles dont
chaque terme est déduit de ceux qui le précèdent , en les
multipliant par des facteurs invariables , dont l'ensemble
forme Véchellede relation de la série. Un des premiers,
S tirling ajoute aux découvertes du géomètre français,
par sa Metfiodus differentialis, seu de summatione et
intcrpolatione seriarum (Londres, t730). Enfin, Euler,
dans son Introductio in analysin infinitorum , jette un
nouveau jour sur la théorie des séries, etLagrange, dans
ses Recherches sur la manière de former des tables des
planètes dPaprès les seules observations (Mémoires de
l'Académie des Sciences , 1772) , donne le moyen de re-
connaître si une série est récurrente. Citons encore les tra-
vaux de Mayer, Thomas Simpson, Landen, Mazères,'
Waring, Hutton, etc. Comme le remarque Montucla,il
est peu de géomètres d'un ordre distingué qui ne se soient
occupés des séries et qui n'aient proposé sur ce sujet quel-
ques nouvelles vues. Grâce à ces nombreux efforts, on est
parvenu à des procédés élégants pour la résolution de la
pluplart des questions importantes , entre antres celle de
la méthode inverse ou du retour des séries, que l'on
énonce ainsi : Étant donné le développement de y en série
ordonnée par rapport à x, trouver l'expression de x en série
ordonnée par rapport ky. E. Meblieux. ,;
SERIE ( Zoologie ), du latin seiies, suite. La première
notion de la série animale semble appartenir à Charles
Bonnet. Sans nul doute, la notion de la hiérarchie effec-
tive de tous les êtres doués à divers degrés de vie et de
forces physico-chimiques semble autoriser logiquement
l'institution de l'ordre unisérial; mais, d'autre part, le fait
de l'iiarmonie universelle, qui entraîne fatalement la coexis-
tence de tous les degrés de rapports des êtres , ne parait
point devoir permettre aux faits de se plier d'une manière
servile à la conception d'une série unique, comparable à
des séries mathématiques. Quelle que soit la transfiguration
schématique sous laquelle on représente la notion de la série
des corps naturels, soit celle d'une échelle (Neme.sius et
Charles Bonnet ) , soit celle d'un triangle allongé , sillonné
par des droites parallèles , depuis son sommet jusqu'à son
côté anti-apicial(deBlainville),soit une série de droites
parallèles qui représentent des séries secondaires (Isidore
Geoffroy Saint-Hilaire), soit une série de faisceaux
de lignes convergentes en un point donné (M. Edwards),
l'esprit humain ne doit jamais s'attendre à formuler exacte-
ment l'enchevêtrement de l'ordre hiérarchique des êtres , de
celui de leur répartition harmonieuse dans l'espace et dans
le temps. On ne doit donc point être étonné qu'un zoologiste
aussi sagaceet aussi laborieux que G. Cu vier ait repoussé
la notion d'une série unique pour tout le règne animal , et
qu'il ait préféré, sans nier la liiérarchie des formes animales,
la projection d'iuie mappemonde, pour y tracer des lignes,
s'entre -croisant et servant à exprimer les rapports nombreux
des espèces des divers groupes naturels dont on ne peut
perfectionner l'étude que graduellement. L. Laurent.
SERIIV ( Carduelis, L.), petit oiseau de l'ordre des pas-
sereaux, famille des conirostres. L'espèce la plus célè-
bre est le serin des Canaries, aujourd'hui si répandu grâce
à sa facilité à multiplier en esclavage. C'est en effet aux îles
Canaries que se trouve le type de ces variétés nombreuses
dues à la domesticité , et dont les plus belles et les plus re-
cherchées sont le serin jaune citron , jonquille, oa doré;
le serin à huppe ou à couronne, et le serin panaché de
noir, jonquille airégulier. Mais ces oiseaux sont trop connus
jiour que la description de leur plumage puisse offrir de
l'intérêt.
144
SERIN — SERLIO
Les serins ont presqtie tous les inclinations et un tempé-
rament différents; observation qu'on peut étendre à beau-
coup d'autres oiseaux. Il est des mâles tristes, rêveurs,
toujours bouffis, ciiantant rarement, ou ne chantant que
d'un ton lugubre. Naturellement malpropres , les pieds tou-
jours sales, le plumage mal peigné , et jamais lisse, ils ne
peuvent plaire aux femelles; en outre, le moindre accident
qui arrive dans le petit ménage les rends taciturnes et les
attriste au point de leur causer la mort. Ces individus ne
sont pas dignes de l'hospitalité de la volière , et doivent être
\»annis sans pitié. D'autres ont un caractère si mal fait qu'ils
tuent la compagne qu'on leur donne; et, chose bizarre ! ces
maris Barbe-Bleue sont toujours les plus doux et les plus
caressants avec leur maître ; la beauté de leur plumage , la
grâce coquette de leurs poses, la mélodie de leur chant,
semblent même augmenter en raison de la brutalité de leurs
manières. Il y a cependant un moyen de mettre à la raison
le moins traitable : pour cela on prend deux fortes femelles
d'un an plus Tieilles que lui ; on met ces femelles durant
quelques mois dans la même cage , afin que , se connaissant
bien , et n'étant pas jalouses l'une de l'autre , elles ne se
battent pas dans le partage d'un seul époux. Le temps de les
accoupler venu , le mâle ne manquera pas de commencer la
guerre; mais elles se coaliseront pour leur défense commune,
et grâce à l'amour, secondé par d'énergiques coups de
bec, leur victoire sera complète. On remarque encore parmi
les serins des individus d'un naturel si barbare qu'ils dé-
truisent les petits et souvent mangent les œufs à mesure que
la femelle les pond ; ou, s'ils les laissent couver, à peine les
petits sont-ils éclos que ces pères dénaturés les saisissent
avec leur bec, et les traînent dans la volière jusqu'à ce
qu'ils soient morts. Mais ces monstrueuses exceptions sont
heureusement fort rares , et ne doivent entacher en rien la
moralité de l'espèce. Les serins en effet sont pour la plu-
part toujours gais , toujours chantants, d'un caractère doux,
d'un naturel charmant ; si familiers qu'ils prennent à la main
et même à la bouche tout ce qu'on leur présente.
Les mêmes différences de caractère et de tempérament
se font remarquer dans les femelles. Les femelles agathes, de
même que les mâles de cette couleur, sont les plus faibles, et
meurent assez souvent sur leurs œufs; elles sont pleines de
caprices et souvent quittent leurs petits pour aller causer d'a-
mour avec leur mâle. Les pa«ac/2ées sont assidues couveuses
et bonnes mères ; mais les mâles sont les plus ardents de tous
les canaris , et la polygamie doit leur être permise. Ceux qui
sont entièrement jonquille , ayant à peu près la même pé-
tulance, devront être aussi traités en sultans; les femelles
de cette nuance se distinguent par leur extrême douceur. 11
est enfin des femelles tellement paresseuses, les grises par
exemple, qu'on est obligé de faire leur nid pour elles; mais,
en revanche, ce sont, pour l'ordinaire, d'excellentes nour-
rices.
Les petits qui proviennent des canaris de couleur uniforme
sont pareils à leurs père et mère ; mais en mêlant les dif-
férentes races , on obtiendra des variétés aussi belles que
rares. Quant à l'appariement des serins avec les oiseaux
d'espèces différentes , nous nous bornerons à dire que les
plus beaux métis sont ceux qui sortent du chardonneret;
les plus curieux et les plus rares proviennent de l'alliance
du bouvreuil, et les plus communs de l'accouplement du
tarin, de la linotte et du verdier; les plus recherchés de
tous par leur ramage et leur beauté sont dus à des mâles
serin» et à des femelles étrangères.
• Dix à douze jours après sa naissance, le serin est ordinai-
rement en état d'être élevé à la brochette ; dès q\i'il mange
seul et qu'il gazouille, son éducation musicale peut com-
mencer. Pendant les huit premiers jours, on lui donne pour
prison une cage couverte d'une toile fort claire ; on le place
dans une chambre isolée, de manière à ce qu'il ne puisse
être distrait par aucun ramage, et ou joue sur la serinette
ou le flageolet l'air qu'on veut lui apprendre. Quinze jours
après, on remplace la toile dont nous avons parlé par une
serge verte ou rouge très -épaisse, et on laisse l'apprenti vir-
tuose ainsi cloîtré jusqu'à ce qu'il sache parfaitement sa
leçon. Un seul air choisi et répété dix fois de suite sans
interruption et à six reprises par jour est suffisant pour sa
mémoire; un plus grand nombre le fatiguerait , et d'ailleurs
il oublie aisément. Tous les serins n'ont pas la même ap-
titude à s'instruire; les uns se déclarent après deux mois,
tandis qu'il en faut à d'autres plus de six. Il est également
prouvé que les leçons du matin et du soir leur sont plus
profitables que les autres. Charles Dopouy.
SERIJXAGOUR. Voyez Kaschmir. "~
SERIXGAPTAM ou SERING.\PTiyAM, l'ancienne
résidence du radjah de Mysore, dans les Indes orientales,,
dépendant aujourd'hui de la province de Mysore, dans la
présidence de Madras (Inde anglaise), située dans une lie
du Kawery, est fortifiée à la manière des Hindous, a des rues
étroites et laides, et compte environ 32,000 habitants. Le
palais d'Hyder-Ali s'élevait à l'extrémité orientale de
l'île; et quoique bâti seulement en torchis, c'était un ma-
gnifique édifice. Aujourd'hui il est partie en ruines, partie
utihsé pour casernes et hôpitaux. Près de là se trouve le
mausolée d'Hyder-Ali, où lui, sa femme et son fils Tippou-
Saïb reposent dans des tombes de marbre noir. C'est le 4
mai 1799 que les Anglais prirent Seringaptam d'assaut.
SERIIVGAT, nom vulgaire de plusieurs arbrisseaux
du genre philadelphus , de la famille des philadelphées.
Le seringat odorant (philadelphus coronarhis, L.) est
l'un des plus recherchés pour l'ornement de nos bosquets ,
que ses beaux bouquets de fleurs blanches parfument par
leur odeur de fleur d'oranger. Cet arbrisseau très-rameux ,
dont la hauteur varie d'un à deux mètres, croît naturelle-
ment dans les Alpes, le Piémont, le Dauphiné, etc. Il a
pour caractères : Feuilles opposées, ovales, acuminées, un
peu dentées ; calice persistant, à quatre , cinq ou quelquefois
six divisions; autant de pétales; étamines nombreuses;
style à quatre stigmates ; capsule à quatre loges, renfermant
plusieurs graines munies d'un arille frangé au sommet.
Le seringat inodore (philadelphus inodorus , L. ) dif-
fère du précédent par ses fleurs, beaucoup plus blanches,
plus grandes, mais sans odeur. Originaire de l'Amérique
centrale, il a été apporté en Europe en 1734.
Le genre philadelphus , ainsi nommé par Linné , por-
tait autrefois le nom de syringa, que l'illustre botaniste à
appliqué au 1 i I a s , et qui , déri vé de aûptvÇ , tuyau , rappelait
que les rameaux remplis de moelle de ces arbrisseaux sont
faciles à creuser.
SERIIVGUE (du grec ffvpiv?, flûte ou corps cylin-
drique). On appelle ainsi en physique une petite pompe
servant à attirer et à repousser l'air et les liquides ; et en
chirurgie, un instrument qu'on emploie pour injecter quelque
Uqueur dans les plaies, les ulcères, les fistules, l'urètre, la
vessie, la poitrine, etc. Depuis Molière la seringue est en
possession de fournir aux loustics de province d'intermi-
nables et grossières plaisanteries à l'adresse des pharma-
ciens, parce qu'en effet leurs prédécesseurs, les classique*
apothicaires , étaient à l'origine en possession d'administrer
eux-mêmes aux malades des lavements à Taide de la se-
ringue, lorsque l'emploi de ce moyen de débarrasser les
entrailles était encore tout récent en thérapeutique. On ne
tarda pas d'ailleurs à construire des seringues qui permet-
taient aux malades de s'administrer eux-mêmes les injec-
tions prescrites par le médecin. De la seringue classique,
dont on ne se sert plus que pour les chevaux et sur la pres-
cription du vétérinaire, au clysoir, au clysopompe de
nos jours, il y a toute la distance qui sépare la grossière
sculpture des nègres de l'art des Phidias et des Praxitèle.
De seringue on a tait le verbe seringuer, qui en marine
prend une acception quelque peu figurée et signifie battre un
vaisseau à coups de canon par son arrière, de manière que
les boulets l'enfilent dans toute sa longueur.
SERLIO (Sébastien), architecte, né en 1475 à Bologne,
mort en 1552, voyagea dans les États de Venise, en Dal-
SERLIO -
tnatie, et fut attiré en France par François l", qui le nomma
arciiitecte «le Fontainebleau et surintendant des bâtiments
de la couronne. Ses œuvres complètes ont été publiées à
Venise (1663, in-folio),
SERMEIXT, acte religieux par lequel celui qui jure
prend Dieu à témoin de la vérité d'un fait , ou de la sin-
cérité d'une promesse, voulant qu'il ven^e l'imposture ou le
manque Je foi. L'imprécation est, ainsi que cela s'aper-
çoit, de l'essence du serment ; elle en est la sanction. C'est
ce qu'enseignent les juristes français, entre autres Domat
et Polhier, qui soutiennent, contre certains canonistes,
que la simple invocation de Dieu comme témoin de la vé-
rité d'un fait, sans le secours de l'imprécation , ne constitue
pas un serment. Cette manière de voir, qui se trouve |>onr-
tanl en opposition avec la doctrine de saint Thomas et de
Suarez, a pour elle le sentiment général des nations. C'est
ainsi que d'effrayantes imprécations accompagnent dans
la Novelle 8 de Juslinien la formule du serment. Le chris-
tianisme a complélemcnt suivi en ce point le sentiment des
anciens. Concevoir le serment abstraction faite de l'impré-
cation exprimée ou sous-entendue, c'est se faire une fausse
idée de cet acte important. En elfet, ce qui donne au ser-
ment sa valeur, c'est moins le nom de celui qui le fait que
la conviction où se trouve celui qui accepte une telle dé-
claration que son auteur se croit exposé aux vengeances cé-
lestes s'il arrivait qu'il se tùt parjuré.
Les canonistes ont fait du serment de nombreuses divi-
sions; la plus généralement admise est celle en serment pro-
missoire et serment a/Jirmati/oa assertorium. Quant à
ce qui est de la forme, le serment est, au dire des docteurs
en droit canon, mental ou exprimé de vive voix, solennel
ou sirnple, explicite ou implicite accompagné d'impré-
cations, de malédictions exprimées ou de simples pro-
testations, judiciaire ou extrajudiciaire. Une dernière
division a été présentée par Suarez , mais elle est générale-
ment repoussée. Ce docteur enseigne qu'il existe un ser-
ment v.éritable ou vrai, et un serment feint on fictif , et
cela suivant qu'on a , lorsqu'on jure , l'intention de se lier,
ce qui peut être évité au moyen de restrictions men-
tales. Il est évident que ce n'est pas là à proprement
parler une division du serment. Admettre que celui qui jure
puisse ne pas avoir l'intention de se lier par serment, c'est
concevoir cet acte abstraction faite de l'intention, ce qui
est destructif de l'essence du serment. Une telle manifesta-
tion est l'abus de la foi jurée, c'est une irrévérence coupable
envers la divinité.
Tandis que chez les anciens l'imprécation était une
partie clairement exprimée de la formule de l'invocation ,
elle est sous-entendue chez plusieurs nations modernes, et
se trouve implicitement comprise dans la déclaration faite.
C'est ainsi qu'en France, soit qu'on dépose d'un fait en
justice, soit qu'on prenne avec la puissance publique un
engagement solennel, les mots Je le jure résument toute la
formule du serment. On ne voit point chez nous, comme
dans l'ancienne Rome , celui qui prend Dieu à témoin de
la sincérité de ses paroles se lier par de terribles impréca-
tions. Des esprits graves regrettent qu'un changement ait
eu lieu à cet égard dans l'ancien ordre de choses. « Peut-
être est-ce une faute, dit Touiller, dans une législation où
l'on emploie le serment comme un critère de vérité , d'a-
voir retranché de la formule l'imprécation explicite. » Cet
auteur donne en conséquence des éloges à la législation du
canton de Genève, laquelle veut que les Saintes Écritures
soient ouvertes devant la partie qui s'apprête à jurer, et
qu'après qu'elle a prononcé les mots Je le jure, le président
lui rappelle l'imprécation contenue dans ces mots, en ajou-
tant ; n Que Dieu, témoin de votre serment, vous punisse
SI vous êtes parjure! » 11 est pourtant permis de douter
que ces mots prononcés par une autre bouche que celle qui
articulerabjuration,etcela une fois le serment pqêté, soient
d'un effet véritablement salutaire ; et c'est se faire illusion
sur les hommes et sur les choses que d'attiibuer à Vimpré-
DiCT. DE LA COSVERS. — T. iVI.
SERMENT
146
cation explicite une grande vertu au temps où nous vivons.
II y aurait peut-être quelque chose de mieux à faire que de
partir du dogme pour fonder de nos jours l'autorité, la
valeur morale du serment. Ce serait de ne pas prodiguer
outre mesure et sans nécessité l'usage de ce genre d'inter-
pellation. Il n'y a en effet que de graves nécessités qui
puissent justifier l'intervention de cet acte sérieux et solennel
dans la vie humaine. C'est en ce sens , et suivant une double
interprétation, que la loi du christianisme dispose fiar son
deuxième commandement : « Dieu en vain tu ne jureras,
ni autre chose pareillement. » De là vient que saint Matlliieu
place dans la bouche de Jésus-Christ ces paroles remar-
quables : n Je vous dis qu'il ne faut nullement jurer, mais
que votre parole soit oui ou non. » Cela est seul conforme
aux lois de la morale , et se concilie parfaitement avec le
respect de la divinité. « Celui, dit le livre de V Ecclésias-
tique, qui jure beaucoup sera rempli d'iniquités. » C'est à
ces principes que se réfère la doctrine des anabaptistes et
des quakers, auxquels leur religion enjoint de se renfermer
dans les bornes d'une affirmation pure et simple.
La politique de nos jours est fort loin de ces ménagements
et de ces sages scrupules. Peu touchés de cette grave con-
sidération , qu'il y a un danger immense à placer, comme le
fait le serment politique , un peuple entre son intérêt et le
respect d'un engagement pris, ou celui de la vérité, nos
modernes législateurs ont soumis la conscience à des épreuves
multipliées et contradictoires , ouvrant ainsi une large issue
au parjm'e. Si le serment, qui consiste à jurer fidélité au
pouvoir établi, diffère d'une affirmation solennelle, c'est
toujours, il ne faut pas l'oublier, la divinité qui dans les
deux cas est prise à témoin de la vérité d'un fait ou de la
sainteté d'une proqiesse ; d'où il suit que celui qui manque
à ses engagements, comme celui qui déclare vrai un fait
qu'il sait être faux , encourent, à des titres divers , la honte
du parjure. Tous deux ont menti à leur conscience, et
profané le nom de Dieu par l'abus qu'ils en ont fait. Ainsi,
soumettre sans nécessité tous les citoyens, comme l'ont fait
certains gouvernements éphémères, à la prestation d'un ser-
ment politique, solennité à laquelle peut succéder dès le len-
demain une démonstration en sens contraire, et non moins
sérieuse, c'est travailler à la démoralisation d'un peuple,
c'est saper par sa base l'autorité du serment. Il en est du
serment comme de tout ce qui s'altère par un usage immo-
déré : semblable à la puissance, semblable au crédit, plus
on en use, moins il vaut.
L'on est allé fort loin en France avec le serment politique,
et l'on est arrivée lui ôleràpeu près toute valeur. S'il est vrai
de dire, avec d'Aguesseau,que c'est leserment du fonctionnaire
qui achève de former le caractère de l'homme public, qu'il lui
imprime le sceau de la puissante publique; il faut reconnaî-
tre que la manière uniforme dont cet acte est formulé est peu
propre à lui donner l'aspect et l'importance d'un engage-
ment sérieux. N'est-il pas évident que leserment exige de-
vrait se rapporter clairement au genre d'investiture octroyé ;
que l'homme du trésor, par exemple, devrait jurer d'être
un comptable scrupuleux et fidèle des deniers publics; que
le magistrat devrait prendre l'engagement de rendre bonne,
équitable et prompte justice , de ]ugQT sans acception de
personnes , ainsi que les lettres de 1400 forçaient les con-
seillers du règne de Cliarles VI à en taire le serment? Qui
ne voit que de semblables interpellations auraient sinon
une iniluence marquée sur le cours des choses, du moins
une toiit autre valeur que la déclaration qu'on impose à
tout venant, sans y changer un mot. A ce propos un rap-
prochement se présente tout naturellement à l'esprit. Les
hommes honorables qui se vouent à l'exercice de la mé-
decine sont tenus , avant de se livrer à la pratique de leur
art , de prêter un serment qui est renouvelé presqu'en entier
de celui, si remarquable, qu'Hippocrate exigeait de ses dis-
ciples. Cette déclaration est ainsi conçue : « En présence
des maîtres de cette école, de mes cliers condisciples , et de-
vant l'effigie d'Hippocrate, je promets et je jure, au nom
10
146 SERMENT — SERMENT DE FIDÉLITÉ
de l'Être suprême, d'être fidèle aux lois de l'honneur et de
la probité dans l'exercice de la riiédecine : je donnerai mes
soins srafuils à l'in ligent et n'exigerai jamais un salaire
au-dessus de mon travail. Admis dans l'intérieur des mai-
sons, mes yeux n'y verront pas ce qui s'y passe, ma langue
taira les secrets qui me seront confiés, et mon état ne ser-
vira pas à corrompre les mœurs ni à favoriser le crime.
Respectueux et reconnaissant envers mes maîtres, je ren-
drai à leurs enfants l'instruction quej'ai reçue de leurs pères.
Que les hommes m'accordent leur estime si je suis liilèle
à mes promesses; que je sois couvert d'opprohre et méprisé
de mes confrères si j'y manque i » Rapprochez de cette
profession de foi, qui exhale un parfum de vertu antique,
et si hien faite pour aller au cœur d'ime jeunesse amie du
travailet accessible à tous les sentiments généreux, la décla-
ration exigée de ceux qui sont chargés de rendre plus sail-
I;mte, plus reconnaissable à tous la limite qui sépare le
juste de l'injuste, et vous serez frappé du caractère mesquin
et vulgaire qui distingue le serment imposé au jeune légiste.
Euipereur, constitution, sûreté de i'iïtnt, paix publique, au-
torités |iul)lii|ues, rien de ce qui touche à la puissance pu-
blique n'y a été oublié ; des devoirs de l'avocat, pas un mot.
Encore, si l'on eiit terminé cette énnmération en reprodui-
sant les mots qui terminent l'art 14 clu décret de IslO, et
que celui qui piête serment pût ajouter : Je jure de ne
conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas
juste en mon âme et conscience, » les convenances eussent
été gardées, et l'avocat serait censé avoir prêté un serment
de quelque valeur.
Parmi les déclarations qui consistent à faire prendre un
engagement pour l'avenir, nous citerons fomme particulière-
ment remarquable le serment imposé aux jures par l'article
312 du Code d Instruction criminelle : !r.s devoirs du juge,
ceux de \'hoir\me probe et libre, sont parfaitement exposés
dans le cours de cette interpellation~adressée aux membres
du jury par le magistrat qui dirige les débats. Nous en di-
rons autant du serment exigé des témoins : ils jurent de
parler « sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité,
et rien que la vérité ». Cet exposé est simple et parfaitement
beau. Les experts, les interprètes, sont .soumis également
à une prestation de serment en justice : ils jurent d'opérer
fidèlement et en toute conscience.
Avant de terminer sur ce point, nous ferons remarquer
qu'on n'est pas obligé, au dire des canonistes, d'exécnter
le serment qu'on a (ail d'accomplir quelque chose de cou-
pable ou de s'ab.stenir d'une bonne action. Les paroles de
Jérémie sont invoquées à l'appuij de cette opinion : « Vous
jurerez, s'écrie le prophète, en toute vérité, en toute raison
et entoa\e. JHSficc. » Tel est le sentiment de saint Thomas,
qui enseigne que celui qui fait une serment iUicift: pèche en
juiant ainsi, et pèche surtout s il observe un semblable ser-
ment. >. Quand on jure de Caire une chose, ajoute le même
docteur, on doit sousentendre cette condition : <; jxiurvu
que la chose soit praticable sans une grande difficulté ».
Cette doctrine a une grande portée.
Parmi les formes qu'affecte le serment, au dire des ca-
nonistes, nous avons cité en commençant celui qui est fait
en justice, et qui, pour cette raison, porte le nom de ser-
ment judiciare. Suivant en cela les errements de l'ancien
droit, le droit nouveau divise cette espècede déclaration, la-
quelle ne doit s'entendre que du serment affirmatif, en ser-
ment décisoire et en serment déféré d'oflice par le juge
ou serment supplétif.
Aux termes des articles I3.ô8 et suivants du Code Civil,
le serment dérisoire peut être déféré en tout état de cause,
siirtoide sorte de conte.-itation, pourvu qu'il porte sur un
fait personnel k la |)artie à laquelle il est déféré; l'héritier
ou la veuve sont toutefois passibles de l'épreuve du serment ;
et s'ils en sont requis, ils doivent s'expliquer sur ce qui
touchant le fait du défunt peut être à leur connaissance.
Si celui auquel le serment est déféré refuse de le prêter ou ne
consent pas à le référer à son adversaire, il doit succomber
dans sa demande ou son exception : c'est le vœu de l'article
1361. Nous expliquerons ici ces termes déférer et référer.
Déférer le serment à son adversaire, c'est offrir de s'en
rapporter à son serment sur quelque espèce de contestation
que ce soit. La partie qui n'est pas suffisamment éclairée
sur son droit, qui craint de se compromettre ou de blesser
sa conscience, peut rejeter sur son adversaire l'embar-
ras de sa position ; elle peut, au lieu de prêter elle-même
le serment, le déférer à sa partie adverse, c'est-à-dire
offrir de s'en rapporter à sa propre affirmation juridique;
et il est naturel en effet que le demandeur qui invoque la
foi jurée soit prêt à engager la sienne. Mais telle est la
force, la sainteté du contrat qui se forme parla délation du
serment, qu'une fois prêté, ni l'une ni l'autre des parties
n'est admissible à en prouver la fausseté. Bien plus, aussitôt
qu'une des parties a déclaré qu'elle est prête à faire son
serment, celle qui l'a déféré ou référé ne peut plus ré-
trarter sa proposition.
Le serment supplétif, ou déféré d'office par le juge, est
de deux sortes, en ce sens qu'il s'applique à deux objets
distincts : il a lieu pour déterminer la décision de la cause,
ou seulement pour établir le montant de la condamnation.
Le serment qui est relatif à ce dernier cas portait dans l'an-
cien droit le nom de serments en plaids.
Le serment déféré par le juge doit être accepté par la
partie interpellée : elle ne peut le référer à son a'iversaire.
Pour que le juge puisse se permettre de recourir à ce moyeu
de décision , quelque peu violent, il faut que la demande
ou l'exception ne soient ni complètement dénuées de
preuves ni pleinement justifiées, ce moyen de décider n'é-
tant adm'S que pour suppléer à ce qui manque de déci-
sif aux arguments pour ou contre. C'est de là qu'est venu
pour ce genre d'épreuve le nom de serment supplétif.
P. Coq.
Une grave question, vivement controversée par les juris-
consultes, et qui a pendant quelque temps embarrassé les
tribunaux, est celle de savoir dans quelle forme le serment
doit être prêté. Pour les Français, en général , point de
difficulté : la forme du serment consiste à dire, en levant
la main droite . Je jure de faire telle chose, ou Je jure
que telle chose existe, etc. Mais il est deux cultes ilont les
rites prescrivent d'antres formes :1e culte juda'ique et celui
des anabaptistes Un juif, pour prêter serment suivant sa loi,
prend de la main gauche une Bible sur laquelle il pose la
jnain droite, et dans cette attitude il répond aux ques-
tions du juge. Quant aux anabaptistes, leur loi ne leur permet
que de répondre oui sur la formule du serment qui leur est
proposée par le juge ; elle leur défend de lever la main,
parce qu'ils croient que ce serait provoquer le Seigneur du
iiaut <les cieux ; ce qui occasionnerait selon eux une im-
piété plus propre à faire suspecter la foi de celui d'entre eux
qui s'en serait rendu coupable qu'à lui mériter croyance.
Doit-on en ces deux cas avoir égard aux prohibitions ou
aux exigences de la loi religieuse, et ne recevoir le serment
des Israélites ou des anabaptistes que dans la forme que cette
loi commande .î*
En ce qui concerne les juifs, un arrêt du 22 décembre
1807 décide que l'affirmation aura lieu conformément aux
lois civiles françaises ; et à l'égard des anabaptistes, il faut
dire que cette secte, quoique parfaitement libre, à l'abri de
toute persécution, n'est point reconnue en France; en sorle
que personne ne peut en se déclarant anabaptiste se re-
fuser à prêter serment dans la forme ordinaire.
SERMEi\T DE FIDÉLITÉ. On appelle ainsi l'en-
gagement solennel que le sujet prend, en présence de Dieu
et des hommes, d'être toujours fidèle à son prince.
Les gouvernements ont si souvent changé en France de-
puis soixante ans, que le serment de fidélité , déclaré par
nos vingt iConstitutions différentes obligatoire pour tous les
fonctionnaires publics, était devenu une cérémonie banale
et ridicule. On citait tel magistrat , tel fonctionnaire admi-
nistratif, à qui il avait été donné de prêter huit et neuf ser-
SERMENT DE FIDÉLITÉ — SERPENTINE
147
raents d'Inébranlable fidélité à tout autant de gouverne-
ments différents. Nos gouvernants de 1848 crurent devoir,
par un décret en date dn 2 mars, confirmé ensuite par l'As-
semblée nationale, supprimer l'obligation du serment poli-
tique ; et on ne saurait nier que par cette résolution ils
n'aient tout au moins évité le scandale de bien des parjures.
Les considérants sur lesquels ce décret était motivé sont
d'ailleurs curieux à conserver : « Considérant, y est-il dit,
« que depuis un demi-siècle chaque nouveau gouvernement
« qui s'est élevé en France a exigé et reçu des serments qui
« ont été successivement remplacés par d'autres à chaque
K changement politique; — Considérant que tout républicain
« a pour premier devoir le dévouement sans réserve à la
« patrie, et que tout citoyen qui sous le gouvernement de
« la république accepte des fonctions ou continue de les
« exercer contracte plus spécialement encore l'obligation
« de la servir et de se dévouer pour elle, etc. » Par une
anomalie singulière, il n'y avait que le président de la ré-
publique qui, aux termes de la constitution, fût tenu de
jurer de demeurer fidèle observateur de ses prescriptions.
Le serment qui lui était imposé était ainsi conçu : « En pré-
« senre de Dieu et devant le peuple français, représenté
« par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la ré-
« publique démocratique, une et indivisible, et de remplir
« tous les devoirs que m'impose la constitution. » Fonction-
naires publics, simples citoyens, représentants du peuple,
cnacun pouvait alors librement faire acte de non-adliésion
à la forme de gouvernement en vigueur, et même en pro-
voquer la modification plus ou moins radicale; le chef du
pouvoir exécutif seul était astreint par son serment à main-
tenir ce qui existait, alors même que l'impossibilité et l'ab-
surdité lui en seraient mille fois démontrées.
L'un des premiers actes du gouvernement issu de la jour-
née du 2 décembre 1851, qui sans doute aura eu de
bonnes raisons pour croire à la vertu obligatoire de cet
acte religieux et politique, a été de rétablir la formalité du
serment de fidélité . qu'on exige aujourd'hui comme autre-
fois de tous les agents du pouvoir aux différents degrés de
la hiérarchie administrative, depuis le garde champêtre jus-
qu'au ministre. Sur environ trois cent mille individus nantis
de places, on ne compta pas alors plus d'une douzaine de
refus de serment : tout le reste de cet immense personnel,
légitimistes, orléanistes ou républicains d'origine, se prêta
avec la plus admirable docilité, parfois même avec le plus
lyrique enthousiasme, à ce qu'on exigeait de lui. Ah! le bon
billet qiCa La Châtre!
SERMEKT DU DRAPEAU. Voyez Drapeau.
SERMOIV, prédication, discours chrétien qui ordi-
nairem.nt se prononce en chaire, dans une église, pour
instruire et pour exhorter le peuple. « Un beau sermon,
dit La Bruyère, est un discours oratoire dans toutes les rè-
gles , conforme aux préceptes de l'éloquence humaine et
paré de tous les ornements de la rhétorique. » « Le minis-
tère de la prédication, ajoute Flécliier, est réservé à l'ex-
plication des mystères ou à la persuasion des préceptes,
et non pas à ces sermons d'éclat où l'imagination a plus de
part que la raison , et où l'orateur songe moins à édifier
qu'à plaire " Sermon paihétique, instructif, édifiant; Ser-
mons ùaCdrème, del'Avent, de l'oclave du saint Sacrement;
Sermon divisé en deux points, en trois points; Sermons de
Bourdaloue, de Massillon {voyez Éloquence, Orateurs
SACRÉS, Oratoire [ Art ] , Prédication ).
Sermon , dans le style familier, se dit d'une remontrance
ennuyeuse, importune. Sermonner, c'est adresser ces remon-
trances hors de propos. Le sertiionneur est celui qui les fait.
SERMONlXAIRE, recueil de sermons, prédicateur
dont a recueilli Jes sermons.
SEROSITE, liquide animal, incolore, légèrement vis-
queux , composé chimiquement d'eau , d'albumine et de di-
vers sels, et qui forme l'une des parties constituantes du sang ,
du lait, etc. C'est le produit de la sécrétion normale des
membrane* séreuses, dont il a pour but de favoriser le
glissment à la surface des organes sur lesquels ces mem-
branes s'étalent. Voyez Sérdm.
SÉRUTI\E. Voyez Chauve-Souris.
SÉROUX D'AGIIVCOURT (Jean-Babtiste-Louis-
Georges) , célèbre archéologue, naquit à Beauvais , en 1730.
Destiné d'aborda à l'état militaire, il renonça à celte car-
rière pour entrer dans les Fermes, où il fit une lortune
considérable, qu'il consacra noblement à la culture des let-
tres et des arts. Son occupation favorite était de colliger
des objets d'antiquité, surtout ceux qui avaient trait à l'his-
toire du moyen âge, de les décrire, de les expliquer; et ce
qui n'était à l'origine que le caprice et la fantaisie d'un
amateur finit par devenir une étude approfondie de l'art.
En 1777 il entreprit un voyage artistique en Angleterre,
dans les Pays-Bas et en Allemagne; et l'année suivante il
alla se fixer pour toujours en Italie. Tous ses travaux eu-
rent dès lors pour but d'exposer les révolutions subies par
l'art dans la période comprise entre les quatorzième et sei-
zième siècles, et de donner une continuation à l'ouvrage de
Winckelmann. La révolution française vint malheureuse-
ment lui enlever la plus grande partie de sa fortune; aussi
son grand ouvrage , Histoire de /'Art par les Momimenls
depuis sa décadence an sixième siècle jusqu'à son re-
nouvellement au seizième siècle (Paris, 6 vol. in-fo,
1810-1823) , ne put-il être terminé qu'après sa mort, arrivée
à Rome , le 24 septembre 1814. On a, en outre, de lui
un Recueil de fragments de sculpture antique en terre
cuite ( Paris, 1814).
SERPE1\T, reptile allonge, cylindrique et sans
pieds, tel que la vipère, la couleuvre, l'aspic, etc. Le
serpents constituent l'ordre des ophidiens.
Le serpent joue un rôle important dans l'Écriture Sainte
{voyez Adam, Eve et Moïse).
Réchauffer un serpent dans son sein, c'est obliger un
ingrat, un méchant, un ennemi. On dit d'une personne
médisante : C'est une langue de serpent.
SERPENT (M<«i(7z<e}, instrument à%ent, dont on
se sert dans les chœurs de musique d'église pour soutenir
les voix , et qui ressemble à un gros serpent. C'est aussi
celui qui joue de cet instrument.
SERPENT (Œil de). En joaillerie, c'est une pierre de
peu de valeur qu'on monte en bague.
SERPENTAIRE, nom vulgaire d'une espèce de cac-
tées à grandes fleurs rouges et à tiges rampantes. La
serpentaire de Virginie est une espèce d'aristoloche
à tige flexueuse et marbrée, dont la racine est employée
comme tonique et stimulante.
SERPENTAIRE ( Astronomie), constellation de l'hé-
misphère boréal qu'on figure nar Escidape tenant un serpent
SERPENT A SONNETTES. Voyez Crotale.
SERPENT D'AIRAIN (Le). Foj/ps Moïse.
SERPENT D'EAU, SERPENT D'ESCULAPE, SER-
PENT NAGEUR. Foye; Couleuvre.
SERPENT DE VERRE. Voyez Orvet.
SERPENTEAU, petit serpent éclos depuis peu.
En termes d'artificier, ce sont de petites fusées enfermées
dans une grosse , d'où elles sortent avec un mouvement
tortueux. Voyez Feu d'ARTiFiCE.
SERPENTIN. Voyez Alambic et, pour la manière
de les fabriquer, l'articleCnAUDRONNiER.
SERPENTINE ou CRAPEAU D'EAU {Artillerie).
Voyez Canon.
SERPENTINE(5o;aMi5'M<>), nomvulgairediicflc^MS
flagelli/ormis de Linné, de la scortonère de nos potagers
et de l'estragon.
SERPENTINE {Minéralogie), roche composée de
silicate de magnésie et d'hydrate de magnésie, et contenant
généralement : Silice , 43; magnésie, 44; eau, 13. C'est
une substance d'un vert variable, à texture compacte,
à cassure cireuse ou écaillense , très-tenace, tendre et douce
au toucher, prenant un poli gras, et offrant quelque analo-
gie avec la sté a tite. On en distingue trois variétés prin-
10.
148
SERPENTINE -- SERRE
cipales : la serpentine lamellaire; h serpentine noble,
que sa couleur uniforme fait reclieiciier pour la confection
de plaques d'ornement, de vases, de tabatières, etc.; et la
serpentine commune, à couleurs mélangées, qui se trouve
en grandes masses dans quelques pays, où on l'emploie à la
fabrication de poteries économiques , particulièrement de
marmites propres à cuire les aliments, usage qui a fait
donner à cette variété le nom de pierre ollaire. La serpiMi-
tine commune est douée de toutes les qualités que l'on
recherche dans les poteries, et est assez tendre pour être
travaillée au tour. Les principaux lieux où l'on exploite
ainsi cette roche sont Zœblitz (Saxe), la Corse, l'Egypte et
la Chine.
SERPENTS (Ile aux), appelée aussi Ficlonisi, la seule
île que se trouve dans la mer Noire, est un roclier aride et
pelé, situé à environ vingt milles marins des bouches du
Danube, presque est et ouest avec la Sulina, embouchure
principale de ce fleuve. Sur cette île est un pliare d'envi-
ron 60 mètres d'élévation au-dessus du niveau de la mer.
SERPILLIERE, nom qu'on donne à une grossière toile
d'emballage, et|)ar extension à ces espèces de tentes que les
marchanils placent au-devant de leurs boutiques pour les ga-
rantir de l'action des rayons du soleil, ainsi qu'aux tabliers
de toile grossière que les garçons de magasin mettent devant
eux en forme de tablier, et qui s'attachent par derrière
avec une agrafe. Jusqu'en 1854 les malheureux qui décé-
daient dans les hôpitaux de Paris étaient emballés pour
Fautre monde dans un morceau de serpillière et enterrés
de la sorte sans plus de frais. Mais cette année-là , le conseil
municipal, dans son inépuisable sollicitude pour les classes
pauvres de la capitale, comme disent les réclames envoyées
aux journaux, décida qu'il serait désormais porté annuel-
lement une somme de 12,000 fr. a son budget pour la con-
fection de bières destinées au service des hospices,
SERPOLET. Voyez Thym.
SERRE , lieu clos et couvert, où pendant l'hiver on
renferme les orangers et autres arbres ou plantes qui ont le
plus besoin d'être à l'abri de la gelée. C'est un bâtiment en
partie vitré, destiné à renfermer les plantes qui croissent
naturellement entre les tropiques et qui demandent une
température très-élevée, non-seulement pour croître, mais
même pour se conserver. Afin de remplir leur objet, les
serres doivent être tenues, par le moyen naturel des rayons
du soleil ou par le feu, dans un degré de chaleur approchant
de celui qui règne habituellement entre les tropiques, c'est-à-
dire, terme moyen, entre 15 ou 20 degri's au-dessus de zéro
du thermomètre de Réaumur. De là deux sortes de serres :
l'une appelée serre tempérée , lorsqu'elle se chauffe par le
moyeu des rayons du soleil seulement ; l'autre appelée serre
chaude, lorsqu'elle se chauffe parles rayons du soleil et par
des poêles à la fois.
Une serre, pour être bonne, doit posséder au plus haut
degré, par sa construction , la faculté de concentrer la cha-
leur des rayons du soleil dans son intérieur et d'y conserver
celle du feu. L'exposition doit être entre l'est et le sud.
Trop à l'est, on reçoit trop obliquement les rayons du soleil ;
au delà du sud, on les perd trop promptement. Tenez lé
sol élevé au-dessous d'elle d'un mètre à un mètre 33 centi-
mètres par le moyen d'un massif de maçonnerie, si vous
voulez éviter le froid et l'humidité de la terre. De la néce.s-
sité de donner le plus de lumière possible à votre .serre il
résulte que son plan horizontal doit avoir la forme d'un
parallélogramme très-allongé.
L'expérience prouve qu'une serre moyenne vaut mieux
que deux petites, et deux serres moyennes qu'une grande.
Une serre moyenne est celle qui a de 10 à 12 mètres de
long. Sa |)roroniieur ne peut être moindre de 3 mètres,
dont les deux tiers seront occupés par les plantes et le reste
servira au service. Le mur du fond doit avoir au moins 1 mè-
tre (i6 centimètres d'élévation. La hauteur du vitrage du coté
du midi doit être telle que les rayons du soleil éclairent tous
00 presque tous les jours de l'année toutes les faces intérieu-
res. La largeur et la hauteurde son vitrage sedéterminent par
la hauteur méridienne du soleil au solstice d'été. La largeur
d'une serre ne doit pas être prolongée audelà de 3 mètres ;
îl peut y en avoir dont le vitrage soit perpendiculaire, comme
il peut y en avoir dont il soit plus ou moins incliné en de-
dans. Ceci est fondé sur le principe constant que le vitrage
d'une serre doit recevoir directement les rayons dû soleil
pendant la plus grande partie de l'année. Cette inclinaison
dans le climat de Paris est celle qui coupe à angles droits
la ligne du solstice d'hiver, laquelle étant de dix-sept degrés
et demi, veut que le vitrage soit de soixante-douze degrés
et demi.
Jusque ici nous n'avons parlé des serres que comme si
elles ne devaient être chauffées que par les rayons du so-
leil, c'est-à-dire comme si ellesétaient toutes des serres tem-
pérées; voyons les serres chaudes. Toutes ces serres ont
leur fourneau dans la terre, au-dessous de leur aire , et la
chaleur se répand dans l'intérieur par des conduits qui cir-
culent autour, ordinairement sous l'espace destiné au pas-
sage des ouvriers pour le servicedes plantes. Les fourneaux
ainsi que les conduits de chaleur sont le plus souvent
construits en briques. Ces derniers ( les conduits) valent
mieux en tuyaux de terre , encore mieux en fonte de fer
ou en cuivre. On chauffe les serres avec du bois, du char-
bon de bois, de la houille ou de la tourbe. Le premier est le
meilleur de tous ; mais comme la température a besoin
d'être diminuée, on peut ne pas se borner à ce seul combus-
tible. On s'est mis depuis quelques années à chauffer les
serres avec la vapeur de l'eau bouillante , surtout en An-
gleterre et en Russie. Les cultivateurs y trouvent sécurité et
économie.
C'est un fruit de serre chaude , se dit des talents pré-
coces dont on a trop hâté la culture.
Serre signifie encore l'action de serrer, de presser les
raisins et autres fruits qu'on met au pressoir. Il se dit
aussi du pied des oiseaux de proie , qui s'appelle main en
termes de fauconnerie : Le milan a les serres bonnes;
L'aigle a les serres très-fortes ; Cet oiseau de proie tient
une perdrix dans ses serres. P. Gaubert.
SERRE ( Hercule , comte de ) fut du petit nombre
d'hommes politiques employés par le gouvernement de la
Restauration qui laissèrent après eux des souvenirs sym-
pathiques. Né en 1777, il avait émigré et était entré dans
les rangs de l'armée de Coudé ; mais dès que le gouverne-
ment de Bonaparte eut rouvert les portes de la patrie com-
mune à ceux de ses enfants égarés qui consentiraient à
vivre désormaisà l'abri de ses lois, il s'empressa de revenir
en France, et s'établit alors comme avocat à Metz. Bien-
tôt il entra dans la magistrature, où il parvint jusqu'au
poste de premier président de la cour impériale de Ham-
bourg. A la restauration, il fut appelé à remplir les mômes
fonctions à Colmar. Envoyé, en ii>ib , h là chambre in-
trouvable, il y lit partie de la minorité modérée qui dé-
fendait le gouvernement contre les fureurs des ultras.
Réélu à la suite des élections nouvelles auxquelles le gou-
vernement se décida à en appeler par la célèbre ordon-
nance du 5 septembre 1816, il fut alors porté à la prési-
dence de la chambre des députés, et fit preuve, dans cette
haute position, d'une noble impartialité. Le même honneur
lui échut encore à la session de 1817; mais dans celle de 1818
il fut écarté par le gouvernement, qui donna la préférence
à M. Ra vez . A la (in de la même année , il fut appelé au
poste de garde des sceaux, à la suite du remaniement de ca-
binet qu'amena la retraite duc de Richelieu. Dans une ad-
ministration qui dura près de deux années, de Serre sut se
concilier l'opinion publique par les mesures libérales <lont
il fit prendre l'initiative au gouvernement En l82l il lui
fut impossible de se maintenir contre la réaction produite
par l'assassinat du duc de Berry,en dépit des efforts
qu'il fit alorspour se disculper des tendances libérales et pro-
gressives qui peu de temps encore auparavant consti-
tuaient son principal titre à l'estime du pays. Louis XVIII,
SERRE — SERTORIUS
149
pour le consoler de la perte de son porteteuille, lui confia
l'ambassade de Naples, et il mourut dans cette ville, en 1824.
SERRE-FILES. Foj/e- File,
SERRES (Olivier de), seigneur du Pradcl, domaine
situé dans le Vivarais, à peu de distance de Villeneuve de
Berg,- né en 1539, mort en 1019, est considéré à bon
droit comme le patriarclie de l'agronomie française. Avant
son Théâtre d'Agriculture, la France ne possédait que
de mauvaises compilations pleines d'erreurs ; car les agri-
culteurs ne pouvaient lire les ouvrages de Columelle, de
Palladius et de Varron. 11 commença par servir dans les
rangs des calvinistes, ses coreligionnaires, et est même ac-
cusé d'avoir montré beaucoup d'acharnement contre les
catholiques. Mais ce n'est ni de l'Iiomme politique, ni du
sectaire, ni même du soldat qu'il s'agit ici. Olivier de Serres
a tiré sa gloire de son très-remarquable traité d'agriculture.
Probablement froissé et las des querelles religieuses et des
persécutions qu'elles entraînent à leur suite, le seigneur du
Pradel avait cherché et rencontré le repos et le bonheur
dans la culture de son domaine et l'étude de l'agronomie.
Eb J J53 il épousa mademoiselle d'Arçons , de Villeneuve
de Berg. En 1599 il avait publié un écrit sur la cueillette
des vers à soie ( Cueillette de la soie par la nourriture
des vers qui /a/on<, échantillon du Théâtre d'Agrimltwe
d'Olivier de Sen-es , &eigneuv du Pradel [Paris, 1599],
écrit auquel il ajouta un supplément en 1603 , et que,
comme dit de Thou, « il avait fait pour seconder le désir
du roi Henri IV de propager en France les versa soie et les
miliriers ». Ce fut en 1600 que parut in-folio le Théâtre
d' Agriculture et ménage des champs d'' Olivier de Serres,
seigneur du Pradel (Paris, chez Mestayer). Cette pre-
mière édition, ornée de gravures, fut suivie dès 1603 d'une
seconde , revue et augmentée par l'auteur. Une troisième
édition ne tarda guère à paraître, en 1605; une quatrième
vit le jour en 1608 : tontes furent imprimées et publiées à
Paris. La cinquième édition fut mise au jour à Genève,
en 1611, la sixième en 1615, el la septième, en 1617, furent
éditées à Paris par Saugrain. Plusieurs autres éditions
furent entreprises encore à Genève , à Rouen et à Lyon.
Depuis longtemps l'ouvrage de de Serres était perdu de
vue et semblait effacé par les Maisons rustiques, lorsqu'il
fut remis en lionneur au commencement de ce siècle. En
1804 la Société d'Agriculture de Paris , qui voulait rendre à
Olivier de Serres les véritables honneurs qu'il méritait, et à
l'agronomie un service de plus, chargea plusieurs de ses
membres de donner une bonne et belle édition du Théâtre
d'Agriculture. L'ouvrage fut accompagné d'excellentes
.notes et d'utiles additions. On a cherché la cause pour laquelle
l'excellent traité géoponique de de Serres avait été oublié
pendant la fin du dix-septième siècle et la presque totalité du
dix-huitième : elle n'est pas difficile à découvrir. Les livres
d'agronomie sont bien plutôt recherchés par les cultiva-
teurs et les propriétaires ruraux que par les savants et les
littérateurs : aussi les premiers, rebutés par le vieux style,
préféraient les Maisons rustiques, plus récentes, et qu'ils
comprenaient mieux que les écrits du seizième siècle.
Ce furent Patullo, Haller, et surtout Rozier et Parmentier,
qui rappelèrent l'attention sur le Théâtre à^Agriculi^tre et
le firent rechercher. Arthur Young, voyageant en France,
s'empressa d'aller visiter avec vénération le Pradel, « la ré-
sidence, dit-il, du père de l'agriculture française qui était
sans doute un des premiers écrivains sur ce sujet qui eût
encore paru dans le monde ». H se fit en outre inscrire par-
mi les souscripteurs pour le monu.ment qui fut, en 1804,
élevé à la mémoire de de Serres, Louis Du Bois.
SERRURE (du latin sei'a , fait de serare, fermer),
machine ordinairement en fer, formée d'une boîte nommée
palustre, de l'intérieur de laquelle sortent un ou plusieurs
pênes, par l'action d'une clef appropriée ou d'un bouton
qui y est fixé , et au moyen de ressorts, gâchettes , garni
tures ou gardes qui ne permettent d'agir qu'à la clef qui
s'y rapporte. On pose des serrures aux portes des appar-
tements , aux armoires , aux coffres et à une foule de
meubles pour arriver à les fermer. Le pêne , chassé hors
du palastre par la clef, va se loger dans une gâche et em-
pêche ainsi la porte de s'ouvrir.
On nomme serrure à ressort celle qui se ferme en ti-
rant seulement la porte, un ressort repoussant le pêne qtiand
il arrive devant l'ouverture libre de la gâche. La serrure à
pêne dormant est celle qui ne peut s'ouvrir et se fermer
qu'au moyen d'une clef , faute de ressort maintenant le
pêne hors du palastre. Les serrures de sûreté sont des ser-
rures à pêne à ressort et à pêne dormant. On appelle ser-
rure à double tour celle qui permet à la clef de tourner
plusieurs fois et de faire sortir davantage le pêne à chaque
tour. La serrure Ireffière est celle qui ne s'ouvre que d'un
côté. La serrure à bosse est celle dont la couverture est
carrée et enfoncée avec le pêne en dehors. Les serrures à
secret s'ouvrent au moyen d'une combinaison qu'il faut con-
naître. Les serrures à combinaisons sont garnies de pièces
qui ne laissent passer la clef que lorsque des lettres ou des
chiffres, placés extérieurement, ont été mis dans une posi-
tion convenue. Enfin, la serrure à pompe est conformée de
telle façon que l'air oppose une résistance à toute clef qui
n'e^ pas la sienne.
Pendant longtemps les anciens se contentèrent de fermer
les portes d'entrée de leurs maisons avec des cordes. Plus
tard, ils imaginèrent les verrous. Par la suite, on eut encore
recours à un meilleur moyen pour fermer les habitations :
à la serrure dite lacédémonienne, dont il est question dans
le second acte de la Mostellaria de Plante; mais ce n'é-
tait là encore qu'une espèce de verrou perfectionné,
SERRURERIE, l'un des arts mécaniques les plus
utiles et les plus répandus. Indépendamment des serru res
dont elle tire son nom , et qui forment un de ses pins im-
portants produits, la serrurerie fournit à peu près la totalité
des ouvrages en 1er qui entrent dans la conslrurlion des
machines et dans celle des édifices de toutes espèces. C'est à
elle encore qu'on doit la plupart des outils , instruments et
ustensiles en fer qui s'emploient dans les arts et métiers.
L'ouvrier qui , sous le nom de serrurier, exeice cette
profession doit joindre à la pratique manuelle de cet art
quelque connaissance du dessin , afin d'être en état d'exé-
cuter une foule d'ouvrages de sa profession destinés à servir
à la fois à la solidité , à la commodité et à l'ornement des
maisons et des appartements. Ce sont les serruriers qui,
outre l'instrument auquel leur profession emi)rimte sa dé-
nomination , confectionnent généralemenrl ces jolis lits en fer
si légers, si propres, si recherchés depuis quelque temps,
ces grilles , ces balustrades , ces rampes d'escalier, ces bal-
cons en fer, qui sont en même temps des objets d'utilité et
de luxe dans les édifices publics ou particuliers.
SERTISSAGE. Voyez Joaillerie.
SERTORIUS (QuiNTUs) , général romain , célèbre par
la résistance qu'il opposa en Espagne au parti de Sylla, na-
quit d'une famille plébéienne, àNursie, au pays des Sabins,
environ cent-vingt-et-un ans avant notre ère. Après avoir
paru au barreau avec distinction, il se voua bientôt tout en-
tier au métier des armes. Il fit sa première campagne en
Gaule, contre les Cimbres , sous le proconsul Cépion , qui
fut entièrement battu par les barl>ares. On le retrouve «n-
core servant contre les mômes Cimbres , sous les ordres de
Marins, qui, peu de temps avant la bataille ô'Aquae Sextix
(en l'an 102 av. J.-C. ), l'envoya comme espion dans le
camp des barbares , et lui décerna à son retour le prix rlu
courage. En l'an 97 il se distingua en Espagne comme tri-
bun militaire, et en l'an 91 pendant la guerre sociale , où il
remplit les fonctions de questeur. Mais la faction de Sylla
le fit échouer dans ses efforts pour être élu Iribiin du
peuple, parce qu'il appartenait au parti de Marins, dont il
n'approuva jamais, du reste, les excès sanguinaires. Chassé
de Rome avec Cinna, quand celui-ci proposa aux officiers
de recevoir Marins, qui revenait d'Afrique, Sertorius senJ
s'y opposa , redoutant , disait-il , l'ambition et la cruauté du
lâO
SERTORIUS — SERVAGE
fameux partisan. Cette noble opposition rtvèle tout le carac-
tère de Sertoriiis; néanmoins, quand l'avis contraire eut
prévalu, il fut le premier à s'y rendre. Après avoir contribué
puissamment aux succès dont la prise de Rome fut le ré-
sultat (87 av. J.-C ), il fut le seul des chefs (lu parti vain-
queur qui ne sacrifia personne à son ressentiment. Plutar-
que raconte même qu'il fit tuer à coups de flèches quatre
mille esclaves, les sicaires de Marius. Apres la mort de ce
dernier, et sous le consulat de son fils, à la candidature du-
quel il s'était toujours opposé, Sertorius , voyant les affaires
désespérées en Italie, se retira en Es|)agne. Là , il s'atfaclia
à gagner les peuples par la douceur et à rompre son armée
à la discipline la plus sévère. Ses premiers essais de résis-
tance contre Sylia furent malheureux. 11 dut se réfugiera
Cartliagène avec 3,000 hommes et gagner la mer. Repoussé
des (êtes d'Afrique et des côtes d'Espagne, il vit encore sa
petite flotte al)îrnée par la tempête. Presque sans troupes et ne
pouvant repasser en Espagne, il débarqua en Afrique et se
joignit aux Maurusiens . révoltés contre leur roi Ascalis.
Sylla, qui poursuivait partout Sertorius, envoya contre lui
Paccianus, qui fut battu et tué Ce lut après cette victoire
que Sertorius reçut les ambassadeurs des Lusitaniens, me-
nacés pas les armes de Rome. Il con.senlit à se mettre à leur
tête. Sur des peuples encore barbares et dominés par la su-
perstition le merveilleuN devait naturellement avoir beau-
coup d'influence. L'exemple de INuma et de la nymphe
Égérie , de Marius lui-même et de la femme syrienne qu'il
traînait toujours a sa suite, était une grande preuve de la
disposition des peuples à adopter la croyance des relations
des dieux avec les hommes par quelque intermédiaire que
ce pût être. Pour Sertorius, cet intermédiaire fut une biche
blanche, qu'il disait être un pré.sent deDane. Parce moyen,
maître absolu de son armée, il put facilement réparer
ses premiers désastres. Avec sept mille honimes environ ,
il Iwttit quatre généraux romains et Metellus lui-môme,
conquit la plus grande partie de l'Espagne, et parcourut
la Gaule narbonnaise jusqu'au pied des Alpes. Alors se
présenta un adversaire plus digne de Sertorius, Pom-
pée, triomphateur, dit Plutarque, avant qu'il eût de la
barbe, décoré par Sylla lui-même du nom de Grand {11
av. J.-C. ). Sertorius évita dès lors toute action générale, et
se contenta de ruiner son ennemi dans de petits engagements
et de lui enlever ses alliés. Cependant, il sut le vaincie aussi
en bataille rangée, à Sucron et à Tutlia. Défait sur le terri-
toire des Sagonlius, il se releva bientôt, et forma une nou-
velle armée, tandis que Metellus mettait sa tête à prix. Le
vieux général était revenu à la charge animé du désir de
vaincre Ze plus redoutable ennemi de Rome, comme il
l'appelait. Cependant, jamais capitaine ne fut |)lus attaché à
sa patrie que Sertorius ; il forma dans son camp un sénat
des sénateurs qui avaient quitté Rome. C'était parmi eux
qu'il choisissait ses officiers : jamais un Espagnol n'eut une
charge de quelque importance. Son traité avec Milhri-
date dit tout. Le roi de Pont, proposait de l'argent et des
vaisseaux si on lui assurait la possession de l'Asie. Sertorius
ne voulut jamais démembrer l'Empire Romain , et consentit
seulement à céder la Cappadoce et la Bithynie, naguère
conquises sur Milbridate. La gloire de Sertorius était de-
venue si grande que ses lieutenants même et les sénateurs
desoncauip prêtèrent l'oreille aux distours dePerpenna,
jaloux de l autorilé de celui qu'il appelait son rival. En
même temps les Espagnols, maltraités exprès par les con-
jurés, se soulevèrent de toutes parts : Sertorius fut sévère
d'abord, puis cruel; les otages d'Osca payèrent pour leurs
familles, devenues rebelles. Perpenna profita de ce soulève-
ment général; Sertorius, occupé à le léprirner, ne pouvait
découvrir le complot : il fut assassiné à table par ses en-
nemis (73 av. J.-C. ), la huitième année de son comman-
dement. Avec lui [léiirenl la république dont il était le fon-
dateur et la liberté espagnole. Théodose Burette.
SÉKUiVl. On donne ce nom à la partie la plus aqueuse
tics humeurs animales, particulièrement du s a n g, et du 1 a i t.
SERURIER (Jean-Mati'hieu-Philibert, comte) na-
quit à Laon, le 2 décembre 1742, et entra fort jeune au
service, car nous le trouvons en 1755 avec le titre de
lieutenant de la milice de Laon , et un peu plus tard
comme enseigne dans le régiment de Beauce. Dès 1760 il
avait reçu le baptême des braves : une balle lui avait fra-
cassé la mâchoire à Warbourg. Sérurier fit les campagnes
de Portugal en 1762 et de Corse en 1771. Mais ce n'est, à
proprement dire, qu'à la révolution que commence la car-
rière du futur maréthal de Fiance. Major eu 1793 , il s'était
prononcé chaleureusement pour les principes d'affranchisse-
ment qui triomphaient alors; aussi dès le 22 août de cette
même année était-il général de brigade, et c'est avec ce
gradequ'ilsirvit sousKellerinannet Se herer. En 1795
il passa général de division. L'année suivante ( 1796), on
le vit battre à plusieurs reprises les Piémontais. C'est à lui
qu'est dû le gain de la bataille de Mondovi, qu'il assura en
s'emparant de la redoute de La Bicoque. Il reçut ensuite de
Bonaparte l'importante mission de bloquer Mantoue : il était
au moment de se rendre maître de la place, lorsque l'ar-
rivée de l'armée de Wurmser le força à ramener ses divi-
sions à Bonaparte , pour rendre moins inégale la différence
du nombre entre les Français et les Aulricbiens. On sait
quel terrible revers essuya Wurm.ser à Castiglione: Séru-
rier y était, et ici encore une grande partie des honneurs
de la journée lui est due. Wurmser, retiré dans Mantoue,
essaya une furieuse sortie pour seconder le mouvement de
l'Autrichien Provera ; mais Sérurier était encore là , et
Wuroiser, épuisé , repoussé avec une bravoure et un sang-
froid inouïs, dut rentrer dans la place, dont Sérurier ne
tarda pas à recevoir et signer la capitulation. Sérurier con-
tribua encore à la reddition de Gradisca et à la délaite de
Bayalislik. Il reçut alors de Bonaparte la flatteuse mi.ssion
de porter au Directoire les drapeaux prisa l'ennemi; le Di-
rectoire, en échange, le gratifia du périlleux gouvernement
de Venise ( 1^97 ), et plus lard de celui de Lucques ( 1798).
On sait combien devint funeste à la France la campagne
d'Italie de l'an vu , et dans quels dangers la placèrent alors
les revers de Scherer. Mis sous les ordres de ce général,
Sérurier, après avoir participé à nos précédents triomphes
dans les champs italiques, eut sa douloureuse part de nos
désastres. Après la perte de la bataille de C a ss an o , il se
trouva isolé, séparé du centre, attaqué en tête et en queue
à "Verderio par des forces infiniment supérieures, et dut
enfin mettre bas les armes après une vive mais inutile ré-
sistance. Souwarow accueillit le général vaincu avec les plus
grands égards. Rentré en France, libre sur parole, Sérurier
y appuya Bonaparte dans son coup d'État du 18 brumaire;
il occupait ce jour-là , avec des troupes, le poste du Point-
du-Jour. Le premier consul n'oublia pas les services
que lui rendit dans cette occasion son vieux compagnon
d'armes , et Sérurier devint successivement sénateur, vice-
président du sénat en 1802, et préteur de ce corps ea 1803.
L'élévation de Bonaparte au trône impérial fit pleuvoir sur
lui de nouvelles faveurs. Il reçut , outre le grand-cordon de
plusieurs ordres, le bûton de maréchal de France, le titre
de comte de l'empire et le gouvernement de l'hôtel des In-
valides. En 1809 il fut de plus nommé commandant de la
garde nationale parisienne. On le voit. Napoléon l'avait en-
vironné, depuis 1799 de tous les honneurs de la carrière
militaire , sans l'exposer de nouveau à ses dangers. Néan-
moins , Sérurier abandonna son maître en 1814 , comme
tant de généraux : il vota sa déchéance au sénat ! Louis XVIII
récomjiensa cette ingratitude en le faisant pair de France.
Mais la seconde Restauration lui retira et ce titre et le gou-
vernement des Invalides : elle ne pouvait pardonner au ma-
réchal septuagénaire d'avoir été, peut-être par remords,
peut-être par faiblesse , saluer une dernière fois la fortune
de Napoléon au champ de mai.
Le maréciial Sérurier mourut le 21 décembre 1819.
Napoléon Gaixois.
SERVAGE. Voyez Seki".
SERVAN — SERVET
151
SERVAJV ( Joseph-Michel- Antoine ) , magistrat, né
en 1737, à Romans, étudia à Paris, où il se lia avec les phi-
losophes, devint à vingt-sept ans avocat général à Grenoble,
publia en 1776 un discours sur la justice criminelle, où il
proposait dans un langage éloquent d'utiles réformes, et excita
pendant quelque temps un enthousiasme universel. Deux
ans après , n'ayant pu faire adopter nar le parlement de Gre-
noble des conclusions qui lui semblaient dictées par la jus-
tice, il donna sa démission. 11 consacra le reste de sa vie
à des écrits d'utilité publique, et mourut en 1807. Parmi
les discours qu'il prononça comme avocat général on re-
marque celui qu'il fit en 1767 pour une femme prolestante,
donton voulait déclarer le mariage nuià cause desa religion.
Son frère, Joseph Servan, suivit la carrière militaire,
adopta les idées révolutionnaires, fut un instant ministre de
la guerre en 1792, déplut par son exagération à Louis XVI,
qui le révoqua, fut rétabli après le lO août, mais se vit
bientôt forcé de se démettre , parce que le parti révolution-
naire le trouvait trop modéré.
SERVA\D0J\3 ( J.-JÉRÔME, ciievalier),né à Florence,
en 1695, mort en 1766, peintre décorateur el arcliitecle, a
travaillé dans presque toute l'Europe; il vint en France
en 1724. 11 avait pour la décoration, l'organisation des léîes
et les bâtiments, un génie particulier, plein d'élévation et de
noblesse, et l'on ne peut croire quelle quantité de plans, de
dessins, de décorations, de tableaux de ruines sortirent de
sa main. On cite surtout de lui, comme œuvre d'archileclure,
la façade de Saint-Sulpice, à Paris. Son nom est resté à l'une
des rues voisines de cette église.
SERVET (Michel), dont les véritables noms étaient
Miguel Servede, célèbre médecin , et savant protestant de
la secte arienne ou antitrinitaire, illustre par sa science et
par sa fin tragique, naquit à Villa Nueva , dans la |)rovince
d'Aragon, en Espagne, en 1509 ou 1511. Il était lils d'un
notaire, qui l'envoya à Toulouse pour étudier le droit. Le
mouvement de la reformation éclatait alors de toutes parts,
et appelait partout l'attention des savants sur les questions
dogmatiques Servet en vint à penser que la Trinité est
un dogme d'invention humaine, qo il faut rejeter du sein
du christianisme. 11 osa concevoir le projet de celle fâ-
che dangereuse, et, dans l'intérêt de la propagation de ses
idées, il se rendit en Allemagne, où il lit imprimer secrète-
ment à Haguenau , en 1531, son premier livre arien : De
Trinitatis errorlbus Libri septem. dans lequel il appelle
les trois personnes divines de la Trinïlé une pure imagi-
nation, une chimère , une deilé métaphysique. L'année sui-
vante, en 1532, il donna ses Dialofjoruni de Trïnilate
Libri duo. 11 y rétracte tout ce qu'il avait avancé jusque
ià contre la Trinité, non coumie faux, mais comme im-
parfait. N'ayant pas lencontré sur les bords du Rhin la
sympathie qu'il avait espérée, il revint en France , et, après
avoir passé quelques années à Lyon, il se rendit à Paris, où
il étudia la médecine sous Sylvius et Fernel. 11 prit le
grade de docteur dans la faculté de cette ville, où , suivant
le témoignage de Bèze , il rencontra pour la première lois
Calvin, et entra avec lui eu dispute théologique. Servet
donna à Paris son premier ouvrage de médecine ou plutôt
de pharmacie : Raiio Syruporum ( Paris, 1537 ). M'ayant
pas tardé à se brouiller avec ses confrères les médecins de
Paris, à cause de sa manie pour les disputes, il alla exercer
la médecine aux environs de Lyon, où il se trouvait en 1552,
et s'établit finalement à Vienne en Danphiné, où il cumulait
la pratique de son art et les fonctions de correcteur dans une
imprimerie. En cette dernière qualité, il revit les épreuves
d'une édition latine de la Bible de Pagnin , corrigée d'a-
près l'hébreu, à la(pielle il ajouta des notes. Plusieurs de
ces notes furent produites contre lui , lors de son procès.
Son édition de la Géographie de Ploléinée, publiée à cette
époque, devint aussi plus tard une arme entre les mains de
ses ennemis, qui lui firent un crime d'avoir affirmé que la
Judée ne fut jamais un pays fertile; ce qui fut considéré
comme contraire à la véracité de Moïse.
Ce fut pendant ce séjour de Servet à Lyon et à Vienne
que commença entre lui et Calvin ce long connnerce énis-
tolaire, qui lit naître entre ces <leux hoinuie.s une profonde
haine mutuelle. Dès i546 Calvin écrivait à son ami Farel
et à Verel que si jamais Servet venait à (;eiiève , il le ferait
punir du dernier supplice. Servet, plutôt irrité que con-
fondu par les arguments de son adversaire, répondit par
son célèbre ouvrage, pièce principale du procès dont il fut
victime : Christiunisnii RestiluHo , etc., Restitution du
Christianisme, ou « toute l'Église apostolique rappelée à son
origine, à la véritable et pure connaissance de Uii'u, de la
foi chietienne, de notre piuilicatiou, de notre régénération,
de notre baptême, el de la cène du Seigneur; enfin la resti-
tution de notre règne céleste, la fin de la captivité impie de
Babylone , et la ruine finale de lAnlccIrrist , » (un vol.
in-8° de 78'i pages, imprimé à Vienne en Darrphiné, au
com.meucement de ir>53). Au milieu de beaucoup didées
très confu.^es el scolastiques, et même de quelques asser-
tions qui semblent être des concessions orthodoxes, Servet
expofcici de nouvciiu les dogmes sociniens; et s'il y combat
l'Église calviniste, il s'y prononce fgalpment avec force
contre l'Église romaine, traitant la messe d'imitation ba-
bylonique et An céréinoiiiede Satan. Calvin ne tarda pas
à apprendre qire Servet était l'aulenr du Resti/utio Chris-
tianismi, et il résolut de le faire pum-suivre môme à
Vienne. Servet y fut en effet incarcéré au mois de juin 1 5.i3 ;
mais comme il était habile médecin, el qu'il avait sans
doute beaucoup d'amis à Vienne, il réussit, parleur se-
cours, à s'évader. Alors intervint, le 17 juin 155.3, par
contumace, une sentence qui le condamnait à être conduit
sur un tombereau avec ses livres, « en la place de Char-
nève, et illec cstre bruslé tout vif à petit feu, tellement
que son corps soit mis en cendres ». C'est ce jugement,
exécuté par C(mtnmace le même jour où cinq ballots du
livre condamné furent brûlés, qin a rendu l'ouvrage de
Servet si l'are que l'on ne connaît aujourd'hui que deux
exem|)lairfsdu Kestitntio, l'un à la bibliothèque «le Vienne
et l'autre à celle de Pans. Après cet éclat, il parait que
Servet voulut se retirer à Naples pour exercer parmi les
Espagnols de celte ville 11 est difficile d'expliquer la haute
imprudence qui le conduisit à Genève , où toutefois il ne
voulait passer qu'une nuit, se proposant le lendemain de
traverser le lac pour gagner Zurich, il est ceitairi qu'il ne fut
arrêté, le 13 août, par les ordres ilu preiiier syndic, que sur
la dénonciation de Calvi.n. Ou le dépouilla de quatre-vingt-
dix-sept pièces d or, de six bagues et d'une lourde chaîne du
même métal. Dès le lendemain on commença la procédure.
On produisit contre l'accusé des lettres de M< lanchthou et
d'Œcolampade, ainsi que ses notes sur la Bible et sur la
Géographie de Ptolémée. On lui reprocha d'avoir, dans
ces dernières, révoqué en douie la fertilité de la Judée; mais
Desmaizeaux a montré que Servet n'avait fait que copier
mot à mol un comiuentaire publié en 1525, à Strasbourg,
par Bilibald Pierkheimer. Enfin, on produisit le Restilulio
Christianismi, el Calvin , accompagné de plusieurs autres
ministres, vint raisonner avec le prisonnier sur le véritable
sens des mots personne et hijpostase. Le 22 août Servet
fit une requête trè.s-sensée , et qiri aurait dû ramener ses
juges; il remontra que c'est une nouvelle invention , igno-
rée des apôtres et disciples, que d'intenter des pi-ocès cri-
minels « pour la doctrine des Écritures ou pour «|ue^lions
procédantes d'icelles ; et que, pour avoir, sans sédition au-
cune, mis en avant certaines questions des anciens doc-
teurs de l'Église, il n'y avait pas lieu à le détenir sous le
coup d'une accusation criminelle ». Mais , selon les con-
clusions du procureur général, les argumentations ihéolo-
giques recommencèrent. Le 28 août le leulenant produisit
trente-huit article> avec préambule du piocureur;iéiiéral, por-
tant que Servet méritait la mort. Le 3i les syndics et couï-eils
reçurent une lettre du vi-bailli de Vienne, pour réclamer
le prisonnier, afin que l'on exécutât contre lui la sentence,
que nous avons rapportée. L'infortuné médecin, p!n;é
1Ô-2 SERVET -
entre deux procès affreux, revendiqua hautement a juridic-
tion genevoise. Sous la date du 15 septembre et du 10 oc-
tobre se trouvent deux requêtes de Servet à ses juges, où
l'on lit avec douleur les passages suivants : « Les poulx
me mangent tout vif; mes chausses sont déchirées , et n'ai
de quoi changer, ni perpoint , ni chemise, que une mé-
chante. Et davantage le froid me tourmente grandement, à
cause de ma colique et rompure , laquelle engendre d'au-
tres pauvretés que j'ai honte de vous écrire. >< Ensuite
commença entre le prisonnier et Calvin un long débat en
langue latine, roulant sur trente-huit articles extraits du
Restitiitio, et Servet, pour toute réponse, se borna à écrire
en marge des articles les plus vives injures contre son
adversaire, qu'il traitait de Simo magus, nebulo, impostor,
cacodemon. Cependant , les magistrats genevois jugèrent à
propos de consulter les cantons protestants. Zurich, Schaff-
house, Bâie et Berne répondirent qu'il était de la plus haute
importance de réprimer cette peste, mais ne conclurent pas
formelleuienlau supplice capital. Le 27 octobre 1553 Servet
demanda une dernière conférence avec Calvin; elle se passa
à peu près tout entière en récriminations théologiques. La
sentence rendue par les syndics et juges des causes crimi-
nelles , après avoir récapitulé tous les faits, et après avoir
énuinéré les épithètes de Démon et de Cerbère à trois
têtes, que le condamné appliquait à la Trinité, se termine
ainsi . « Toy, Michel Servet, condamnons à devoir être lié
et mené au lieu de Champey, et là devoir estre à un pilotis
attaché et bruslé tout vif avec ton livre, tant escrit de ta
main qu'imprimé, jusquesà ce que ton corps soit réduit
en cendres; et ainsi finiront tes jours, pour donner exemple
aux autres qui tel cas voudraient commettre. » Elle fut exé-
cutée en toute sa teneur, le même jour, et Farel, qui ac-
compagna et exhorta Servet , ne put jamais obtenir du
patient une adhésion formelle et claire à la doctrine de
la coélernité hypostatique du Christ. Servet, voyant son
horrible supplice se prolonger, s'écria du milieu des
llammes, « qu'on aurait bien pu lui fournir un peu plus de
bois eu échange de tout l'or qu'on lui avait pris ». Il était
âgé de quarante-quatre ans.
Il est évident que celte affaire occupe une page fort vi-
laine et fort sombre dans la vie du célèbre réformateur de
Genève. Sans doute Calvin ne jugea pas personnellement
Servet, mais son crédit et sa haute influence furent employés
à le faire condamner. Il est vrai que Servet avait un es-
prit violent et exalté ; il est vrai encore qu'il ne craignit
pas d'outrager des dogmes envisagés alors par toutes les
commimions comme hors de toute discussion, et de leur
adresser des qualilications qui aujourd'hui même seraient
jugt'es très-blàmahles; mais la procédure ne tut pas moins
un cliel-d'œuvre d'iniquité.
Il ne faut pas omettre de signaler la grande découverte
physiologique deServet. Dansun passagede son Restitutio,\\
décrit avec une minutieuse fidélité la circulation du sang, au
moins danstoule la région pulmonaire et cardiaque. Georges
Cuvier n'hésitait donc pas à lui attribuer une part importante
dans l'elablissement de ce principe fondamental. C'est un
titre réel à la reconnaissance de la postérité.
Charles Coquerel,
SERVI A BLE. Voyez Obligeant.
SEH VICE ( du latin servira, .servir) désigne au propre
l'étal ou les fonctions d'une personne qui sert en qualité de
domestique : Être au service de quelqu'un. Le service d'tm
domestique est la manière dont ce domestique s'acquitte
de ses fonctions ; La Fleur a le service agréable ; le ser-
vice d''uri maître est la manière dont un maître se fait
servir : Le service d'un tel est pénible , dur.
Service se dit encore de l'emploi , de la fonction de
ceux qui servent l'État dans l'administration , la magis-
trature : H a vingt ans de service ; d'un ensemble d'opé-
rations , do travaux, etc., pour lesquels sont nécessaires
différentes personnes et différentes choses dans certaines
administrations: Le service delaposet; d'un nombre de
SERVITES
plats qu'on sert à la fois sur la table et qu'on ôte de même .•
Diner à trois services; d'un assortiment de vaisselle ou
de linge qui sert à table : Service de vermeil, service da-
massé.
Ce mot signifie encore assistance qu'on donne , bon office
qu'on rend à quelqu'un : Il m'a rendu un grand service.
Au contraire, rendre de mauvais services à quelqu'un, c'est
lui nuire.
Service se dit aussi du culte extérieur qu'on rend à Dieu
(voijez DivrN). Se consacrer au service des autels, c'est
embrasser la profession ecclésiastique.
Pris absolument, ce mot s'entend du service militaire:
il y a le service de l'artillerie, le service du génie, le ser-_
vice de la marine, etc.
SERVICE DE GARiVISON. C'est celui qu'accom-
plit en temps de paix l'armée nationale disséminée sur
les différents point du territoire, et de préférence dans les
places de guerre , aux frontières , dans les grandes villes
pour en contenir les populations, et en général dans les
endroits les plus favorables à son entretien et à son ins-
truction. Il est de règle qu'on les choisisse de manière à
ce que les différentes armes puissent, au besoin, se prêter
facilement un mutuel appui et former très-promptement un
corps d'armée sur tout point menacé par un ennemi exté-
rieur ou intérieur.
On reproche au service de garnison de fatiguer et d'en-
nuyer le soldat par la répétition monotone et journalière
des mêmes exercices et des mêmes devoirs , de rétrécir et
d'amortir les facultés de l'officier : c'est pour éviter une
partie des inconvénients qui en résultent qu'ont été ins-
titués les nombreux et fréquents changements de garnison,
parsuite desquels nos j'égiments parcourent successivement,
de garnison en ganison , la France dans tous les sens. L'An-
nuaire Militaire fait connaître chaque année la manière
dont les garnisons de l'intéreur sont réparties.
SERVIE. Voyez Serbie.
SERVIETTjE. Voyez Couvert et Linge de Table.
SERVILITE. C'est une disposition des idées et des
.sentiments qui fait abdiquer à un homme son libre ar-
bitre pour se conformer scrupuleusement aux volontés et
an goût d'un autre être, personnel ou impersonnel , dont il
reconnaît l'autorité. La servilité dans les actions est tou-
jours accompagnée de bassesse et la plupart du temps sala-
riée par riiumilialion. Rien n'est plus odieux et plus ré-
pugnant qu'un caractère servile, parce qu'il anéantit tout
cequi constitue l'hominf, la liberté, la conscience, la dignité.
La servilité des mœurs chez un peuple corrompu conduit
à la servitude; la chute de la république romaine en est
nne preuve à jamais mémorable. Ailleurs elle e.st seulement
le fait d'un esclavage préexistant , comme chez le motidjick
russe baisant encore la main du seigneur qui le frap|)e. La
servilité est du cortège de toutes les tyrannies, et la morale
ne fait point de différence entre les complaisants lâches et
féroces d'un Louis XI ou d'un Richelieu, et les Olivier Le-
daim, les Laubardemont de carrefour, à plat-ventre devant
leur souverain déguenillé.
Dans le domaine de l'intelligence et de l'art, la servilité des
idées conduit à des résultats non moins déplorables. C'est
un symptôme flagrant de décadence En voulant limiter le
beau à la conception que s'en est faite un grand homme
ou une grande époque, on tombe misérablement dans l'or-
nière académique.
SERVITES (Ordre des) ou des Serviteurs de la
sainte Vierge , des Frères de l'Ave Maria. Ordre reli-
gieux, fondé à Florence, en 1233, par Conliglio Monaldi, en
l'honneur de la mère de Dieu. En 1239 les religieux ser-
viles s'établirent sur le Monte Senario, et reçurent la règle
de Saint-Augustin en même temps que le pape Alexandre IV
confirmait leur institution. Le frère Benizi la propagea ea
France, dans les Pays-Bas et en Allemagne. Il vint aussi
en Pologne et en Hongrie. En France , ces moines portaient
des manteaux blancs : c'est pourquoi ils y étaient désignes
SERVITES — SERVITUDE
153
gous la dénomination de Blancs Manteaux. Le pape \
Martin V accorda aux servîtes les privilèges des ordres
mendiants. En 1592 1e frère Ricciolini rétablit la règle de
l'ordre dans tonte sa rigueur primitive. Le frère Benizi fonda
aussi divers monastères de religieuses servîtes , appelées
sœurs noires, à cause de leur costume.
SERVITUDE (Droit). Vm servitude est une cliarge
imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage
appartenant à un autre propriétaire. Il résulte <le cette dé-
finition que la servitude est une charge qui par sa nature
est essentiellement une chose incorporelle, n'ayant aucune
existence sans la propriété qui s'en trouve grevée. Ainsi la
servitude ne peut être vendue ni louée sans le fonds qui en
profite; celui à qui elle aurait été vendue ou donnée ne
pourrait transcrire et notifier son contrat pour purger les
droits des créanciers du vendeur ; enfin, elle ne peut être
hypothéquée isolément sans l'héritage. La servitude ne
peut exister que sur un fonds et en faveur d'un fonds, et ne
peut être imposée ni à une personne ni en faveur d'une
personne. C'est le caractère qui la distingue essentielle-
ment des droits d'u s u f r u i t et d'usage; lesquels sont
indépendants , pour celui qui les exerce , de la possession
et propriété d'un fonds. Les servitudes se transmettent de
plein ilroit à tous les possesseurs, soit activement, soit
passivement, c'est-à-dire que de même que le nouveau
propriétaire de l'héritage au profit duquel la servitude a
été établie peut en user , quoique son contrat n'en parle
point, de même le nouveau possesseur de l'immenble as-
sujetti doit en souffrir l'exercice. Le vendeur n'est même
tenu d'indemniser l'acquéreur que s'il a vendu l'héritage
libre de toutes charges ou si celles qu'il n a pas déclarées
sont de nature à faire rescinder la vente. De ce que la
servitude est un droit d'un fonds sur un fonds, il résulte né-
cessairement qu'il faut qu'il y ait deux héritages, et de plus
que la servitude s'exerce surun fonds dont on n'est plus pro-
priétaire. C'est à titre de propriété, non de servitude, que le
propriétaire de deux immeubles jouit de l'utilité que l'une
des deux peut retirer de l'autre; la servitude ne commence
que lorsque les deux fonds cessent de se trouver dans la
même main. L'héritage auquel la servitude est dû s'appelle
héritage dominant ; ce\a\ qui [à doW , héritage servant.
Cependant, les servitudes n'établissent aucune prééminence
d'un héritage sur l'autre. Elles déiivent , ou de la situation
naturelle des lieux , ou des obligations imposées par la loi,
ou des conventions entre les propriétaires.
Les servitudes qui dérivent de la situation des lio\ix exis-
tent par la seule position des héritages, sans aucun titre. On
en distingue trois : 1" les obligations qui concernent les
eaux. Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux
qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent
naturellement, sans que la main de l'iiomuie y ait contribué.
Le propriétaire supérieur ne peut point élever de digue qui
aggrave la servitude du fonds inférieur; 2° le droit des
propriétaires voisins de se contraindre réci|iroquement au
bornage de leurs propriétés contiguës ; 3" la faculté de
clore un héritage pour le soustraire à la va i n e p à t u r e
et au parcours.
Les servitudes établies par la loi ont pour objet l'utilité
publique ou communale, ou l'utilité des particuliers. Celles
qui sont établies pour l'utilité publique ou communale ont
pour objet le marchepied le long des rivières navigables
eu flottables, la construction et la réparation des chemins et
autres ouvrages publics ou communaux. Tout ce qui con-
cerne cette espèce de servitude est déterminé par des lois
ou des règlements particuliers. La loi assujettit les proprié-
taires à certaines obligations l'un à l'égard de l'autre, indé-
pendamment de toute convention. Une partie de ces obliga-
tions est réglée parles lois sur la police rurale. Les autres
sont relatives au mur et au fossé mitoyens , au cas où il y
a lieu à contre-mur, aux vues sur la propriété dir voisin, à
l'égout des toits , au di'oit de p a s sage. En outre, ou doit
observer des précautions convenables pour obvier à l'in-
convénient de certaines constructions, les cheminées, les
établissements insalubres , les forges, les fosses d'aisance ,
les fours.
Il est permis aux propriétairesd'établir sur leurs propriétés,
ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon
leur sennble , pourvu néanmoins que les services établis
ne soient imposés ni à la personne ni en faveur de la per-
sonne, mais seulement à un fondset pour un fonds, et pourvu
que ces services n'aient d'ailleurs riende contraire à l'ordre
public. Fj'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies
se règlent par le titre qui les constitire. L'usufruitier n'a
pas le droit d'établir une servitude sur les fonds dont il
jouit. Le nu-propriétaire ne peut établir sur son héritage que
les servitudes qui ne nuisent pas à la jouissance de l'u-
sulruilier. Les administrateurs des biens d'autrui , tels que
tuteurs, curateurs, les envoyés en possession ne peuvent en
cette qualité im|>oser une servitude sur l'héritage qu'ils ad-
ministrent. Il en est de même du mari , qrrant aux biens per-
sonnels de sa femme , sauf les distinctions légales entre le
régime de la comuiuuarrté et le régime dotal , sauf aussi
la diflërence faite, pour le régime de la communauté, entre
les actes onéreux et les actes gratuits. Les propriétaires ne
peuvent consentir de servitudes qu'autant qu'ils ont la faculté
d'aliéner. Ainsi les mineurs, les interdits, les femmes ma-
riées, ceux qui sont pourvus d'un conseil judiciaire ne
peuvent établir des servitudes qu'en observant les forma-
lités prescrites pour l'aliénation des immeubles. Les per-
sonnes qui peuvent acquérir des servitudes sont toutes
celles qui ont le droit d'en établir sur leurs fonds. Celles
même qui n'ont |)as la capacité d'aliéner, comme les mi-
neurs, les interdits, les femmes mariées, peuvent acqrré-
rir des servitudes ; car, s'ils sont incapables de s'obliger
valablement, ils peuvent obliger les autres envers eirx ,
alors surtoirt que l'acquisition de ces servitudes augmente la
valeur ou l'agrément du fonds sur lequel elles reposent»
Plusieurs sortes de litres peuvent contenir établissement de
servitudes. Ce sont les actes gratuits , les actes intéressés ,
les partages, les jugements passés eu force de chose jugée;
ils constituent valablement des servitudes. Dans tous ces
actes, le pro[uiétaiie du fonds asservi a donné son consen-
tement, ou bien la justice l'a suppléé. A défairt de titre, l'rrsage
et l'étendue des servitudes sont déterminés d'après les
règles que nous allons fair-e connaitr'e. Les servitudes sont
établies ou pour l'usage des bâtiments, ou pour celui des
fonds de terre. Celles de la première espèce s'appellent
urbaines, soit que les bâtiments auxquels ellessont dues
soient situés à la ville ou à la campagne; celles de la seconde
es|tèce s'appellent rurales. Les servitudes sont continues
ou discontimies. Les servitiules continues sont celles dont
l'usage peut être continuel, sans avoir besoin du fait actuel
de riiomme: tels sont les conduits d'eair , les égoiits , les
vues et autres de cette espèce. Les servitudes discontinues
sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour
être exercées: tels sont les droits de passage, puisage, pa-
cage et autres semblables. Les servitirdes sont apparentes
oir non apparentes. Les servitudes apparentes sont celles
qiri s'annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu'une
porle,unelenètie, un aqueduc. Les servitudes nonajiparen-
tes sont celles qui n'ont pas de signe extérieur de leur exis-
tence , comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur
un fonds ou de ne bâtir qu'à une hauteur déterminée. Les
servitudes continues et appar-enles s'acquièrent par titres
ou par la possession de trente ans. Les servitudes continues
non apparentes et les servitudes discontinues appai-entes ou
non appar-entes ne peirvent s'établir que par titres. La pos-
session, même immémoriale, ne suffit pas pour les établir,
sans cependant qu'on puisse attaquer aujourd'hui les servi-
tudes de celte nature déjà acquises par la possession, dans
les pays où elles pouvaient jadis s'acquérir de cette manière.
Loi-sque deux héritages appartiennent au même projjné-
taire , les charges existant sur l'un au profit de l'autre ne
sont pas des servitudes ; elles ne sont que Texer-cice du
154
SERVITUDE — SESAME
droit de propriété. Mais lorsque les deux héritages viennent
à appartenir à différents propriétaires, les services peuvent
devenir de verital)ies servitudes en vertu de la destination
du père de famille. On appelle ainsi les arrangements qu'un
propriétaire a faits dans les héritages pour son utilité , son
agrément, son goût. Pour avoir l'effet d'une servitude,
ces arrangements doivent avoir un caractère de perpétuité.
Tels ne seraient pas ceux qui n'auraient pour objet qu'une
commodité passagère et momentanée. La destination du
père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues
et apparentes. Il n'y a destination du père de famille que
lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés
ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que
les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la ser-
vitude. Si le propriétaire des deux héritages entre lesquels
il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des
héritages sans que le contrat contienne aucune convention
relative à la servitude , elle continue d'exister activement
ou passivement en faveur du fonds aliéné, ou sur le fonds
aliéné* Le titre constitutif de la servitude à l'égard de
celles qui ne peuvent s'acquérir par la prescription ne peut
être remplacé que par un titre recognitil de la servitude
et émané du propriétaire du fonds asservi. Quand on établit
une servitude, on est censé accorder tout ce qui est néces-
saire pour en user. Ainsi la servitude de puiser de l'eau
emporte nécessairement le droit de passage. Celui auquel
est due une servitude a le droit de laire tous les ouvrages
nécessaires pour en user et pour la conserver. Ces ouvrages
sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds as-
sujetti , à-moins (jue le titre d'établissement de la servitude
ne dise le contraire. Dans le cas même où le propriétaire
du fonds assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais
les ouvrages nécessaires pour l'usage ou la conservation de
la servitude, il peut toujours s'allranchir de la charge en
abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds au-
quel la servitude est due. Si l'héritage pour lequel la servitude
a été établie vient à être divisé, la servitude reste due
pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du
fonds assujetti soit aggravée. Ainsi , par exemple , s'il s'agit
d'un droit de passage, tous les copropriétaires sont obligés
de l'exercer par le môme endroit. Le propriétaire du fonds
servant ne peut rien faire qui tende à diminuer l'usage de
la servitude ou à le rendre plus incommode. Ainsi il ne
peut changer l'état des lieux , ni transporter l'exercice de
la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été
primitivement assignée. Mais cependant, si cette assignation
primitive "était devenue plus onéreuse au propriét;iire du
fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y faire des répara-
tions avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de
l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de
ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser. De son côté,
celui qui a un droit de servitude ne (leut en user que suivant
son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la ser-
vitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement
qui aggrave la condition du premier.
Les servitudes peuvent s'éteindre de plusieurs manières.
Et d'abord elles cessent lorsque les choses se trouvent en
tel état qu'on ne peut plus en user. Le changement peut
provenir de la ruine totale ou d'événements tels que les deux
héritages ne puissent plus servir à l'usage auquel ils étaient
naturellement destinés. Il en est de même si la cause de
la servitude cesse, bien (]ue les héritages continuent d'exis-
ter dans le même état ; par exemple , si la source où l'on
avait droit de puiser est venue à se tarir, le passage dû
pour y arriver cesse de pouvoir être exigé. Peu importe la
cause du changement, pourvu toutefois qu'il ne provienne pas
de la faute du propriétaire du fonds assujetti. Les servitudes
revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse
en user, à moins qu'il ne se soit déjà écoulé un espace de
temps suffisant pour faire présumer l'evtinction de la servi-
tude. Si les lieux sont rétablis non par la nature seule, mais
par le fait de l'homme, la servitude ne doit être ni moins
commode , ni plus onéreuse. Toute servitude est éteinte '
lorsque le fonds à qui elle est due et celui qui la doit sont
réunis dans la même main. Si celui qui achète l'héritage
sur lequel il exerce une servitude le revend ensuite , il ne
le transmet plus que libre des servitudes, lesquelles se sont
trouvées éteintes irrévocablement par laconf usion; elles
ne pourraient être maintenues que par une clause expresse
du contrat, excepté cependant lorsque la servitude est ap-
parente et que le signe en aurait été laissé jusqu'au moment
de la vente. La servitude est éteinte par le non-usage pen-
dant trente ans. Cette disposition ne s'appliciue ni aux ser-
vitudes naturelles ni aux servitudes légales. Quant aux
servitudes conventionnelles, elles sont toutes susceptibles
de s'éteindre par la prescription. Les trente ans exigés pour
pouvoir prescrire une servitude commencent à courir, selon
les diverses espèces de servitudes, ou du jour où on a
cessé d'en jouir, lorsqu'il s'agit de servitudes discontinues,
ou du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude,
lorsqu'il s'agit de servitudes continues. Le mode de la ser-
vitude peut se prescrire comme la servitude même et de la
même manière. D'après ce principe, toutes les servitudes ,
quelles qu'elles soient, peuvent être diminuées par la pres-
cription. Les servitudes continues et apparentes peuvent
aussi être augmentées par ce moyen; mais celles non appa-
rentes ou discontinues ne peuvent être augmentées que par
titre , parce qu'en ce qui les concerne la possession seule
est inefficace. Si l'héritage en faveur duquel la servitude est
établie appartient à plusieurs par indivis, la jouissance de
l'un empêche la prescription à l'égard de tous. Si parmi les
copropriétaires , il s'en trouve un contre lequel la prescrip-
tion n'ait pu courir, comme un mineur, il aura conservé
le droit de tous les autres.
SERVIUS TULLI US, sixième roi de Rome (de l'an
578 à l'an 533 av. J.-C), d'origine étrusque, s'il faut
s'en rapporter aux annales étrusques, fut accueilli à Rome
avec les débris d'une bande commandée par Ciieles Bibenna,
et changea alors son nom étrusque, qui était Mastarna.
La tr;idition romaine le fait fils d'une servante latine de
Tarquin l'ancien , et d'un dieu ; et sa naissance aurait été
marquée par divers prodiges. Élevé dans la maison de Tar-
quin avec les enfants de ce roi , il gouverna après sa mort,
sans avoir été proposé par Vinter-rex, mais du consente-
ment du peuple. Il remporta diverses victoires sur les Véiens;
mais ce qui fut bien important pour Rome , c'est qu'il la
fit recevoir dans la confédération latine, où il lui procura le
premier rang, en fondant sur le mont Avenlin, comme
sanctuaire commun, le temple de Diane. Les modifications
qu'il apporta dans la constitution eurent encore une tout
autre importance, et devinrent ensuite la base de la cons-
titution républicaine. En instituant les tribus locales, il
donna à la plebs une demeure fixe et l'ordre à l'intérieur.
Par la division en centuries , qui se rattachait au cens,
il réunit les diverses parties de la popidation de Rome, les
patriciens , les plébéiens et les clients, en un seul et même
peuple; et en accordant aux assemblées de ce peuple, aux
comices de centuries, les droits suprêmes qui jusque
alors avaient appartenu aux comices patriciens de curies,
il substitua à l'ancien gouvernement des patriciens celui
d'une bourgeoisie ayant pour base le principe démocr;:tique.
Il agrandit la ville de Rome, et élargit le droit par de bonnes
lois. On dit aussi que ce fut lui qui le premier introduisit
l'usage de l'argent monnayé. Ses deux filles épousèrent les
filsdeTarquin l'ancien. L'une, TuUia.fenuned'Aruns, sédui-
sit son beau- frère, Lucius Tarquinius, surnommé super bus
(Tarquin le Superbe), et l'épousa, après avoir assassiné son
mari, Aruns, et la femme de Tarquin. Elle excita en outre
son second époux à conspirer contre son père. Servius
Tullius fut assassiné, et Tullia fit fouler aux pieds, par les
mules attelées à son char, le cadavre sanglant de son père.
La rue de Rome ilans laquelle ce forfait fut commis porta
des l'irs le nom de vicus sceleruttis.
SÉSAME, plante annuelle qu'on cultive beaucoup aux
SESAME
Indes orientales, en Egypte, dans l'Asie Mineure et en
Morée. Sa graine produit en abondance une liuile grasse,
qui se disliugue par son bon goût et par la qualité qu'elle
possède de se conserver longtemps s;ins rancir L'huile de
sésame servait autrefois à la préparation d'un grand nombre
de médicaments; mais on a cessé de l'employer du moment
où l'on a su qu'on pouvait obtenir les mêmes résultats avec
d'autres huiles. En Orient et aux grandes Indes, où l'on
apprécie beaucoup les qualités nutritives de cette huile,
on s'en sert souvent en guise de beurre. Les femmes, no-
tamment, l'emploient pour l'opération du massage qui suit
d'ordinaire le bain, alin d'acqucrir ainsi cet eud)onpoinl
qui constitue aux yeux des Orientaux le plus puissant at-
trait du beau sexe.
SÉSOSTRIS, nom d'un roi d'Egypte dont parle Héro-
dote, mais qui s'api)liiiuc historiquement à deux rois, ies
deux plus grands pharaons du second royaume d'Egypte,
qui régnèrent au commencement de la dix-neuvième dynastie
manéthouienne : à Se<i/e'"( environ de 1445a 1394 av. J.-C.)
et à Ram ses {de 1394 à 1328), le père et le iils. Celui-ci,
auquel Manéthon donne le nom de SelJws ou Sétliosis, lit
imaginer ce nom mal con)pris de Séso.stris, que Diodore ,
plusHiièle à la vérité, écrivait Sesoosis. L'un et l'autre lu-
rent degrands conquérants, entreprirent de lointaines expé-
ditions en Asie, et, par suite, laissèrent des souvenirs my-
thiques dans un giaml nombre de localités, sans qu'on prît
la peine de distinguer les hauts faits de l'un de ceux de
l'autre. Manétlion attribue à Sethosis des victoires rempor-
tées sur les Cypiiens et les Phéniciens, sur les Assyriens et
ies Mèdes. Tacite rapporte que les prêtres de Thèbes ra-
contèrent à Germanicus qu'indépendamment des Assyriens
et des Mèdes Ramsès avait encore subjugué les Perses, les
Bactriens et les Scythes, et qu'en Afrique il avait vaincu les
Libyens et les Éthiopiens. C'est sous le règne de ce prince,
suivant Lepsius, que Joseph vint en Egypte et introdui-
sit les grandes réformes administratives qu'Hérodote et Dio-
dore attribuent àSésoslris. C'est sous le règne de son lilsque
naquit et fut élevé Moise et que les Israélites furent as-
treints à faire des services de corvées pour la construction
des villes de Pithom et de Ramsès, cette dernière ainsi ap-
pelée du nom du roi régnant, lequel y était honoré dans
un temple spécial. Ces deux villes étaient situées surles bords
du cjinal construit par Ramsès II, qui parlait du Nil au-des-
sus d'Héliopolis et gagnait les lacs salés (Aristote , Diodore,
Strabon et Pline le font construire par Sésostris). Trois
tables qu'on voit encore aujourd'hui aux environs de Bei-
root, à l'embouchure du Nahr-el-Kebb (le Lycos) en Sy-
rie, enfouies suivant Hérodote par Sésostris, et d'après
les inscriptions dont elles sont chargées , par Ramsès , ont
une grande célébrité archéologi(iue {voyez Ramsès).
SESSILE {Botanique ) se dit des feuilles qui n'ont pas
de pétiole, et généralement des organes qui manquent de
supports: une (leur sans pédicelle, une anthère sans
filet, un stigmate sans style, sont dits sessiles.
Ce mot s'emploie quelquefois en zoologie dans un sens
analogue.
SESTERCE {nummus sestercius ), monnaie d'argent
romaine , équivalant à 2 as et demi, d'où le mot sexquUer-
tius (deux et demi). Sa valeur baissa avec celle de l'as.
Le sesterce était la quatrième partie du denier. A l'époque
de la république, on comptait ordinairement par sesleices.
Sestercia (SS) voulait dire 1,000 sesterces, bina SS 2,000
sesterces, dena SS 10,000 sesterces, et centoiaSS 100,000
sesterces. Sesterlium ( surtout le pondus ) désignait au
contraire les centaines de mille, et avec un adverbe les
sommes plus grandes : par exemple decies sesler/nim, un
million , î;«c/65 sestertïum deux millions. En raison de
l'exiguïté de leur module, les sesterces sont devenus d'une
extrême rareté. Consultez Gronov, De Ses ter t lis (Amster-
dam, 1636).
SESTINE, forme de vers lyrique, comprenant six
îtfophes de six hgnes et une strophe de trois lignes. Elle
SETIF
155
est d'origine provençale. On trouve de délicieuses sestincs
dans les poésies de Pétrarque Ce sont d'ailleurs les Italiens
et ensuite les Espagnols qui ont plus particulièrement em-
ployé cette forme de vers, que les Allemands ont récem-
ment essayé dindroihiire dans leur poésie.
SETH, troisième fus d'Adam , est mentionné dans l'É-
critiue Sainte comme ayant été la souche des séthites, qui
pendant longtemps se distinguèrent des cainites par un
culte agréable a Dieu Une secte gnoslique du deuxième siècle
qui avait beaucoup d'analogie avec celle des 0 phi tes, les
sélhianiens, prétendait que Selh reparaîtrait sur la terre
dans la personne du Messie, et se vantait de posséder
plusieurs livres venant de lui.
SÉTHIA. Voyez Candie.
SÉTl , SATI ou SATÉ , nom d'une divinité féminine
des Égyptiens qui dans leur système de dieux appartenait
à la première classe. Elle apparaît ordinairement comme
l'une des deux compagnes de Kneph. Quant à ce nom même,
il signifie rayon. En tous cas, il y a identité entre Séti et
Sot /lis, l'étoile de l'inondation du Nil,
SÉTi, nom de rois égyptiens que Manéthon appelle S^-
thos, ou Sétliosis. 11 y eut deu\ rois ainsi nommés , tous
deux appartenant à la dix-neuvième dynastie manétho-
nienne .
Séti /«»■ fut le puissant pharaon auquel, par corruption,
Hérodote et d'autres donnent le nom de Sésostris, de
même qu'on lui attribue également sous ce nom les exploits
de son (ils Ramsès 11. C'est a lui qu'était consacré le
plus beau des tombeaux tailles à Thèbes dans le roc, et dont
Belzoni fit l'ouverture. Son sarcophage en albâtre se trouve
aujourd'hui à Londres.
Scti II fut le fils de Ménephtes,le pharaon sous le règne
duquel eut lieu la sortie d'Egypte, le petit-fils de Ram-
sès II.
SÉTiF, l'ancienne Sitifis Colonia, ville d'Algérie , ja-"
dis capitale de la Mauritanie Sitijienne, aujourd'hui chef-
lieu de subdivision tt de district dans la province de Cons-
tantine, à 80 kilomètres au sud-est de Bougi e, est
située à 130 kilomètres ouest-sud-ouest de Constanlinc,
et à 220 kilomètres est-sud-est d'Alger, au milieu d'une
vaste et fertile plaine, arrosée par l'Oued-Bou-Sellam.
Grâce à sa position géographique, Sétif joua un rôle con-
sidérable dans la période romaine, et malgré les ravages qui
suivirent les invasions successives des "Vandales et des Ara-
bes, des traces imposantes d'édilices et de fortifications y
subsistent encore aujourd'hui. Au moyen âge, les historiens
arabes font encore mention de sa prospérité, sinon comme
capitale , du moins comme centre de population. Son sol
avait conservé sa vieille réputation de fertilité. Sous le ré-
gime funeste établi par la conquête tuniue, Sétif participa
au mouvement de décadence qui atteignit foules les parties
de la régence. Les guerres d'invasion avaient renversé ses
umrailles et ses monuments , le défaut de sécurité ruina son
agriculture ; mais au milieu de son enceinte déserte on con-
tinua à tenir un marché périodique, où les habitants de
tontes ies parties de la province autrefois comprises dans
le royaume de Bougie venaient échanger leurs denrées.
L'heureux emplacement de cette ville sur la route d'Al-
ger à Constantine, la fécondité de son territoire fertilisé
par des canaux d'irrigation, riche en arbres fruitiers, sur-
tout en noyers, et qui produit en abondance des légumes
d'une qualité supérieure; l'importance de sa position cen-
trale; enfin, jusqu'aux souvenirs qui se rattachaient à son
passé, tout devait porter l'attention des Français sur ce point
capital lorsque Constantine fut conquise par nos armes. Le
caractère pacifique des tribus environnantes, adonnées à la
cultiue des terres et depuis longtemps souudses à une ad-
ministration régulière, promettait d'ailleurs une domination
facile. On y établit d'abord un poste de cinq à six cents hom-
mes. Plus tard, Sétif devint la clef de toutes les opérations
militaires qui devaient faire avorter les tentatives faites par
Abd-el-Kader et ses lieutenants pour soulever les tribus de
SÉTIF — SÉVERIN
156
l'ouest de la provinjce de Constanline. Ensuite, le gouver- i
nemeut fit de Sétif le chef-lieu d'un arrondissement; puis i
cet arrondissement prit le nom de subdivision. \
Les matériaux de construction abondent à Sétif. Un mar- '
elle, où on ne compte pas moins de quatre à cinq mille per-
sonnes , s'y tient tous lesdinianclies. De tous les points que
nous occupons en Afrique, il n'en est peut-être aucun de plus
saiubreque Sétif; l'eau y est excellente. A l'époque de notre
occupation, il n'existait aucune route carrossable arrivante
cette ville. On en compte aujourd'hui deux allant de Sétif à
Constantine : l'une passe par Milah, Maallah et Djemilah ;
la' seconde passe par le pays de Telaghmah, des Ouled-
Abd-el-Nouretdes Eulmah-de-Bazr. Une autre route l'a mise
en communication avec Bougie, et assure ainsi ses appro-
visionnements. Cette ville, où l'on compte aujourd'hui près
de 3,000 habitants, dont un millier d'indigènes, peut être con-
sidérée maintenant comme une des plus importantes de la
colonie. Construite sur un plan très-régulier et excessive-
ment large, elle possède tous les édifices publics d'une cité
de premier ordre : église , théâtre , cercle, bibliothèque,
musée, jardin, etc. Les rues principales n'ont pas moins
de vingt mètres de largeur, en comprenant une double galerie
couverte en avant de chaque maison.
Un décret impérial du 20 avril 1853 a concédé 20,000 hec-
tares aux environs de Sétif à une compagnie genevoise, qui
s'est engagée à y construire dix villages dans l'esiiace de dix
années, mais qui, devançant le terme de ses obligations, en
avait déjà construit cinq au bout de deux ans. Le succès de
cette opération, exécutée avec intelligence, ne peut manquer
d'être d'un bon exemple et d'influer sur le développement de
la colonie.
SÉTOIV (de seta, soie, crin), petite opération chirur-
gicale , par laquelle on introduit dans nos tissus sains ou
malales une bandelette de linge effilée sur ses bords, ou une
mèche coujposée de plusieurs brins de charpie, de coton,
de soie, etc., etc., pour remplir diverses indications théra-
peutiques. Le plus souvent ce moyen est employé comme
révulsif ou dérivatif, c'est-à-dire dans l'intention de détour-
ner l'irritation ou le principe d'une maladie fixée sur un or-
gane important, afin de l'attirer sur un i)oint de l'économie
dont les fondions ont beaucoup moins d'utilité. C'est ainsi
que dans les inilammations chroniques rebelles , telles que
certaines ophthalmies, laryngites, encéphalites, méningites,
gastrites, entérites, métrites, etc., on a recours avec le plus
grand avantage à l'application d'un séton à!a nuque, à l'é-
pigastre ou au bas-ventie. C'est encore pour remplir cette
indication qu'on l'applique dans l'amaurose , la surdité , le
catarrhe chronique de la vessie , et autres alfections dont
le caractère principal est l'indammation. Dans d'autres cir-
constances, c'est pour favoriser la sortie du pus, dans le
cas d'abcès ou de plilegmon profond par exemple, ou bien
la sortie de corps étrangers, comme dans les plaies d'ar-
mes à feu. Dans certains cas on l'emploie pour obtenir une
inflanuuation adhésive, ou encore pour appeler dans la par-
tie sur laquelle on l'applique un surcroit d'activité, une
sorte d'augmentation de nutrition. On a aussi recours à ce
moyen pour rétablir des conduits naturels oblitérés ou ré-
trécis , ou pour pratiquer des conduits artificiels quand il
n'est plus possible de rétablir les voies naturelles dans leur
état primitif. Le séton est donc l'un des moyens les plus
efficaces que l'art possède , et il est loin d'être aussi dou-
loureux qu'on se l'imagine communément. On peut l'ap-
pliquer sur toutes les parties du corps ; mais c'est principa-
lement à la nuque et sur les diverses parties du tronc qu'on
le place.
SETTE. Voyez Cette.
SETUVAL ou SETUBAL, appelée aussi parles étran-
gers Saint-Vbes ou Saint-Yves , ville de Portugal, à trois
myriamètres de Lisbonne, située sur la baie du même nom,
à i'embuuchure d'un petit cours d'eau appelé le Sadao,
et consistant en deux villes distinctes, réunies par un pont.
On y compte une population d'environ 15,000 habitants;
elle est pourvue d'un port assez spacieux, avec un phare
et de beaux quais , et entourée de vieux ouvrages de dé-
fense. Ses rues, petites et étroites, sont garnies de jolies mai-
sons. Elle est le centre d'un commerce considérable en vin
et en sel (qu'on tire de plus de cinq cents fosses), en huile,
en fruits sucs, ainsi que d'un cabotage extrêmement actif.
Il entre annuellement dans son port environ huit cents na-
vires, dont la i)lupart venant du nord de l'Europe.
Setubal est la Cetobriga des anciens Romains ; détruite
par les Arabes, elle fut reconstruite sur l'autre rive du Sadao,
par des pêcheurs.
SEVE. Ou nomme ainsi l'humeur ou le liquide nutritif,
dont Va circulation dans les wg'é^awa; peut être con-
sidérée comme le principal phénomène de la vie. La circu-
lation de la sève fut découverte, en 1667, par le médecin du
pape Innocent XII, M a Ipi ghi, à qui des auteurs attribuent
aussi l'admirable découverte de la circulation du sang. Ces
deux phénomènes paraissent à très-peu près identiques,
chacun dans le règne qui lui est propre. La circulation de la
sève a donné lieu à une foule d'expériences plus ou moins
ingénieuses, mais sur les résultats desquelles nous nous tai-
rons; car, s'il faut s'en rapporter aux théories d'un savant
botaniste moderne, M. Raspail, bien des phénomènes qu'on
pouvait croire résolus dans la physiologie végétale se trouvent
complètement remis en question , surtout en ce qui est re-
latif à la forme des organes circulatoires {voyez Cikculation
DANS LES VÉGÉTAUX).
Sève se dit par extension d'une certaine vigueur qui est
dans le vin et le rend plus agréable. Ce mot s'emploie en-
core figurément et dans un sens analogue lorsque, en parlant
d'un ouvrage d'esprit, on dit qu'il a de ÏAsève, pour dire qu'il
a de la force.
SEVERE (Alexandre). Voyez Alexandre Sévère.
SÉVÈRE (Septime). Voyez Septime Sévère.
SEVKrE (SiiLPiCE). Voyez Sulpice Sévère.
SÉVÉRIE ou SEWÉRIE, ancienne principauté qui était
située au sud de la Russie acUielle, et qui , au temps où flo-
rissait le royaume de Pologne, faisait partie de l'Ukraine. En
1667 elle passa, avec les autres parties de l'Ukraine, sous
la domination de la Russie. En 1782 on l'érigea, sous le nom
de Novgorod-Severski, en gouvernement particulier, placé,
avec les gouvernements de Kief et deTchernigof, sous l'au-
torité d'un gouverneur général, avec un évêque grec en
propre; et en 1802 on l'incorpora définitivement au gouver-
nement deTchernigof (voj/esCRACOviE). Sous la domination
polonaise, Novgorod-Severski, résidence des souverains de
la principauté, compta jusqu'à 20,000 habitants. Devenue
chef-lieu d'un gouvernement russe, cette ville a constam-
ment décru depuis, et contient aujourd'hui à peine 5,000 âmes.
SÉVÉRSENS, hérétiques qui partagèrent les erreurs
d'un certain Sévère au sujet delagrande question de l'origine
du bien et du mal. Ce Sévère, qui commença à dogmatiser
vers la fin du deuxième siècle, expliquait l'origine du bien
et du mal et le mélange de l'un et de l'autre, qui se trouve
partout, par une espèce de convention intervenue entre les
bons et les mauvais principes, et aux termes de laquelle ils
se réservaient d'introduire dans le monde une égale quantité
de biens et de maux. Voyez Eutycuès.
SÉVERIN, soixante-treizième pape, succéda à Ho-
noré 1^"^, en 639, après une vacance de plus d'une année. Il
était Romain de naissance, et son père se nommait La-
bienius. Isacius, évêque de Ravenne , hésita longtemps
à confirmer son élection, pour le forcer par lassitude à si-
gner VEcthèse de l'empereur Héraclius. La résistance de
Séverin lassa au contraire le lieutenant de l'empereur. Le
cartidaire Maurice marcha sur le palais de Latran à la tête de
quelques soldats mutinés, et campa autour de la demeure
pontificale. 11 y entra seulement au bout de trois jours avec
les magistrats de son con.seil ; et, après avoir mis le scellé sur
les trésors du ponlife.il fit demander à l'exarque ce qu'il vou-
lait en faire. Isacius vint sur-le-champ à Rome, comprima
par sa seule présence les projets de rébellion qui fermen-
SÉVERIN — SÉVIGNÉ
taient déjà dans le clergé, et confirma l'éleclion de Séverin;
mais il emporta les richesses accumulées dans le palais de La-
tran parla générosité des lidèlesetpar l'économie des papes.
L'histoire ne dit pas que Séverin ait également cédé sur la
question de l'Ecthèse. Elle est môme incertaine sur la date
précise de son élection. Elle fixe cependant le jour de sa mort
au 2 août 6^0; mais, tandis que les auteurs adoptés par le
père Petau lui donnent un an de pontilicat, Anastase le bi-
bliothécaire et l'abbé Fleury ne le font régner que deux
mois et quatre jours. Il est probable que ceux-ci comptent
du jour où l'exarque consentit à l'ordination. Personne, au
reste, n'a démenti le témoignage de tous les historiens sur
la douceur de son caractère, la pureté de ses mœurs ell'ar-
deur de sa charité. Il fit revêtir de mosaïques l'abside de
Saint-Pierre, qui déjà tombait en ruines.
ViENNET, de rAcjdémie Française.
SEVERUS (Cornélius). Voyez CoRNEL(tJS Severus.
SÉVIGNÉ (Marie de RABUTliVCHANTAL, marquise
de), naquit à Paris , en février 1626. Sa famille, l'une des
plus nobles de la Bourgogne , était propriétaire de la terre
de Bourbilly, entre le bourg d'Époisses et Semur, capitale
de l'Auxois. Son grand-père, Christophe Rabutin de Chantai,
avait servi d'une manière brillante sous Henri IV. Il était
doué d'une valeur calme et modeste : à une époque où les
combats singuliers étaient si fréquents, il n'en refusa aucun,
et se lira de dix-huit duels avec bonheur et générosité. Il
épousa la fille de Bénigne Frémiot , président au pailement
de Dijon. Après sa mort, sa veuve se jeta dans la plus haute
dévotion; elle fonda l'ordre de la Visitation, et fut cano-
nisée sous lenom Ai sainte Chantai. Celse Bénigne de Ka-
butin, son fils, fut le père de Marie. Sa valeur était plus
impétueuse que celle de Christophe : il se livra à la fiueur
des duels; il se battit même le jour de Pâques, en sortant
de l'office. 11 aiipartenait à cette noblesse remuante, qui
inquiétait Kichelien dans ses grands desseins. Ami du mal-
heureux Henri de Talleyrand, prince de Clialais, le baron
de Chantai fut disgracié. Relégué dans ses terres, il apprit
que les Anglais menaçaient les côtes de France ; il alla
comme volontaire s'opposer à leur descente à l'île de Ré,
et tomba mort en combattant. Il avait trente-et-un ans. La
mère de M™" de Sévigné, Marie de Coulanges, était de fa-
mille financière; cette, famille était , au reste, distinguée par
les positions parlementaires de ses membres et par leur es-
prit. Le chansonnier Coulanges, cousin germain de M™* de
Sévigné, du côté de sa mère, fut un des honmies les plus
aimables et lesplusspirituelsdeson temps. Marie de Chantai
vint au monde peu de mois avant la mort de son père; elle ne
conserva pas longtemps sa mère, et se trouva sous la tutelle
de l'abbé de Coulanges, son oncle, qu'elle a immortalisé en
l'appelant le jBien Bon. C'était par excellence un homme de
bien, a dit de lui Bu ssy-Rabu tin , qui ne l'aimait pas. Sous
ce sage tuteur, elle adopta des principes sûrs et religieux. Mais
Jl fallait de l'aliment à cet esprit vif et enjoué; elle apprit
le latin , l'italien , l'espagnol : de ces trois langues , sa cor-
respondance en fait foi , ce fut la seconde qu'elle sut le
mieux et le plus longtemps. Ménage fut son instituteur;
Ménage , qui l'aima trop pour pouvoir se contenter de la re-
connaissance. Chapelain, l'homme de goût du siècle,
forma le sien , et lut l'ami de sa jeunesse. Cette jeunesse,
qui se passa au petit village de Sucy, près de Paris, fut
heureuse et tranquille. Marie de Rabutin chérissait surtout
les gens qui avaient bien de Vesprit, et elle parvint fort gaie-
ment jusqu'au mariage. Elle avait dix-huit ans; elle élait
belle, sa dot était considérable , 100,000 écus; elle épousa
Henri , marquis de Sévigné, issu d'une grande famille de
Bretagne. Cette union ne lut pas heureuse : « Son mari l'es-
timait, et ne l'aimait pas, dit l'académicien Conrard; elle
l'aimait, et ne l'estimait pas. » Il la tint reléguée dans ses
terres de Bretagne -.lui, à Paris, menait diverses galanteries;
il était bien avec M™* de Gondran , femme du fils du cé-
lèbre avocat Galland; il eut une querelle à son sujet, et fut
tué en duel, en I65t. C'était un homme fâcheux, disent les
157
mémoires du temps, que personne ne regretta, excepté sa
femme. Elle passa trois années en Bretagne : la mauvaise
conduite de son mari l'avait perdue de dettes ; l'abbé de Cou-
langes lui gagna ses procès , et arrangea les affaires. En
1654 elle reparut dans le monde, à la cour. Elle y jeta un
vif éclat. L'amour qu'elle portait aux deux enfants que lui
avait laissés M, de Sévigné la décida à ne pas se rema-
rier; et cette jeune femme, entourée d'hommages et de se
ductions, sut contraindre ceux qui auraient voulu être ses
amants à n'être que ses amis. Ce fut ainsi qu'après avoir
refusé l'amour du surintendant Fouquet, ellelui voua une
amitié sincère, et prit courageusement son parti lors de ses
malheurs. Les lettres qu'elle lui avait écrites, et qu'on saisit
dans sa cassette, montrèrent combien ses relations avec lui
avaient été innocentes. Elle sut résister au frère du grand
Condé. Elle dut se défendre aussi du comte de Bussy-Ra-
butin, son cousin. Celui-ci, après avoir tenté delà détourner
de ses devoirs quand elle élait mariée, et avoir été éconduit
par elle, renouvela ses entreprises quand elle revint veuve
de Brelagne : il ne fut pas plus heureux ; elle lui offrait la
solide amitié, et rien de plus. En 1658 il se brouilla avec
elle. La fortune deBussy-Rabutin élait dérangée; dans cette
année, il voulut faire la canipagne avec M. de Turenne, et
demanda 10,000 livres à sa cousine. L'abbé de Coulanges,
qui administrait avec soin une fortune encore mal rétablie,
demanda des sûretés que le comte ne put donner; celui-ci
partit furieux contre M""^ de Sévigné. Plus tard , il inséra
dans \' Histoire amoureuse des Gaules un portrait injurieux
de sa cousine , qui ne retourna à lui que quand il fut dis-
gracié et malheureux. En 1664 , lors de la chute de Fouquet,
elle avait fait, comme elle le dit, ses preuves à l'égard des
disgraciés. Sa correspondance avec M. de Pomponne, heu-
reusement recueillie, montre quel attachement désintéressé
elle avait conçu pour le surintendant. On se plaît à voir
M"'^ de Sévigné et La Fontaine se rapprocher pour
plaindre courageusement leur ami. On aime à sentir quels
cœurs généreux avaient le &oH/iomme, la belle et char-
mante femme, qui ne se doutaient pas qu'on les réputerait
un jour les plus inimitables génies du plus grand siècle lit-
téraire.
En 1663 M™* de Sévigné présenta à la cour sa fille, qm
était née vers 164S ; elle y parut avec éclat. Tréville avait
dit d'elle : Celte beauté brûlera le monde. En 1665 elle
représenta Omphale dans le ballet royal de La Naissance de
Vénus; c'est à ce propos que Benserade fit sur elle les
vers suivants :
Elle verrait mourir le plus fidèle amaot.
Faute de l'assister d'un regard seulement.
Injuste procédé, solle façon de faire,
Que la pucelle lient de madame sa mère,
Et que la bonue dame au courage iiihumaia
Se lassant aussi peu d'être belle que sage.
Encore tous les jours applique à son usage,
Au détriment du genre humain.
M"*^ de Sévigné, que Bussy-Rabutin appelait Za plus jolie fille
de France, fut quelque temps à trouver un mari. En 1669
elle épousa François Adbémar de Monteil, comte de Gri-
gnan, qui avait déjà perdu deux femmes; c'était un homme
de grande qualité, d'esprit, et de belle taille (sa taille valait
mieux que sa figure), mais dont les affaires étaient dé-
rangées , et qui n'était pas excellent pour le commerce :
M"* de Sévigné le sut trop tard. Quinze ou seize mois
après son mariage, M. de Grignan partit pour la Provence ;
il était lieutenant général de cette province , et y comman-
dait pour le duc de Vendôme. Sa femme, retenue à Paris
par une grossesse , le suivit bientôt après, et alors com-
mença cette absence qui désola le cœur de M"* de Sévigné,
et la rendit immortelle. Certes , les lettres qui sont adressées
à d'autres qu'à sa fille, et qu'on a conservées d'elle, sont
très-remarquables; mais elles n'ont pas ce cachet de vérité,
de grâce, de naturel, de tendresse, que portent toutes celles
qu'elle écrivait à M""* de Grignan. Comme on l'a fort biea
«58
dit, dans ses lettres à Biissy-Rabiitin on s'aperçoit qu'elle
écrit à son cousin ; dans ses lettres à M"^ de Grignan on
sent qu'elle parle à sa tille. C'est aussi que pour lui écrire
elle choisit son temps : ce n'est point une affaire, une occu-
pation , elle s'y met avec délices; elle ne quitte la plume
qu'avec regret : ses meilleures pensées sont pour elle; elle
ne lui écrit que lorsque son imagination n'est pas trop fa-
tiguée; elle choisit les plus fraîches images, la fleur de ses
idées; enfin , elle lui donne le dessus de tous ses paniers.
M""^ de Sévigné survécut vingt-sept ans au mariage de
M""" de Grignan. Néanmoins, elles ne furent séparées que
pendant sept ans ; tantôt M™^ de Grignan venait à Paris,
tantôt M""" de Sévigné habitait avec elle la Provence.
On a relevé dans la correspondance de M™" de Sévigné,
qui , comme on le sait , a subi de nombreux retranchements,
quelques traces de mésintelligence entre la mère et la fille.
Vers 1679 particulièrement, M"'" de Grignan était malade.
Son humeur s'altéra ; sa mère en souffrit Ces faits ont été
relevés avec soin par les annotateurs, et on a cherché à les
atténuer. Nous ne faisons pas trop grand cas de cette cri-
tique louangeuse et apologétique, qui veut tirer de la vie
réelle lesbonomes, les femmes c(Mèbres , pour en faire des
personnages parfaits. La vérité estque M"* de Sévigné n'est
point une héroïne de roman, mais une dame du dix-septième
siècle, qui habitait à Paris, hôtel de Car n a val e t, qui
a mené une vie sans grandes aventures, mais nécessairement
«n peu agitée, comme toutes les existences du monde, et
dont l'affection pour sa fille, comme toutes les afiections,
n'a pas toujours été égale, n'a pas toujours résisté à la ma-
ladie , à mille événements de peu d'importance que nous ne
connaissons pas, ce qui n'a pas empêché que ce ne fût un
sentiment profond et vrai : car s'il y avait eu, comme on l'a
dit quelquefois , afféterie, calcul ,d'où pourrait venir le style
de M""^ de Sévigné ? Ce serait une chose par trop singu-
lière qu'un sentiment faux qui aurait fait écrire d'une ma-
nière naturelle.
Si M'"" de Sévigné paraît avoir eu une préférence pour sa
fille, son fils partagea aussi sa tendresse. C'était un homme
spirituel et enjoué, adonné aux bonnes lectures, et qui a
fini dans une grande dévotion. Mais sa jeunesse fut orageuse;
il vécut sous les lois de N in on, comme son père; il avait
un de ces caractères indolents qui ne mènent à rien ; il était
très-brave à la guerre, et n'y fil pas son chemin; mais
retiré (le bonne heure dans sa province, vivant avec une
jeune femme d'une imagination calme, et qui après une
heure de causerie était tout éteinte, il goûta les joies de
l'heureuse médiocrité. Sa mère aimait beaucoup ce guidon
des gendarmes dauphin, qui n'était pas Guidon le sauvage,
et elle se plaisait à l'entendre lire, car il lisait parfaitement,
et avait le don qu'estimait l'esprit sage de M"" de Sévigné ,
de savoir relire. Sa sœur, au contraire, en esprit un peu
dédaigneux, ne s'adressa qu'au sublime; elleétaitcartésienne,
c'est-à-dire qu'elle appartenait à la seconde génération des
préci eus es; M'=^« de Sévigné était de la première. M™*" de
Grignan écrivait en Bretagne à M"*' Descartes, qui par
parenthèse faisait de fort jolis vers; elle lisait peu, et son
style, noble et concis, n'avait ni la grâce ni la mollesse de
celui de sa mère.
Quand M"^ de Sévigné était à Paris, voulez-vous savoir
quelle était sa société, écoulez M. de Pomponne écrivant à
son |)ère : « On me descendit à l'hôtel de Nevers , où le
grand monde que j'appris qui était en haut ne m'empêcha
point (le paraître en habit gris. J'y trouvai seidement M"'" de
Sévigné, M™" de Feu(iuières et M"* de La Fayette; M. de
La R()(hefou(aMl(i, MM de Sens, de Xaintes et de Léon ;
MM. d'Avaux, de Banllon, de ChAtillon , deCaumartin, et
quebiues autres; et, sur le tout, Boileau, que vous con-
naissez, qui y élait venu récitei de ses satires, qui me paru-
rent aduiirables ; et Racine, qui y récita aussi trois actes et
demi d'une comédie de Porus, si célèbre contre Alexandre,
qui est assurément d'une fort grande beauté... » C'est dans
une pareille société que se formait ce goût si noble et si pur.
SÉVIGNÉ — SÉVILLE
Bussy-Rabutin ne pouvait être là ; il était encore b.pouillé
avec .sa cousine.
Bussy, qui s'eslime et qui s'aime
Jusqu'au point d'en être ennuyeux,
a dit Voltaire , avait cependant un rare talent épistolaire; et
dans sa correspondance il luttait souvent avec sa cousine
sans trop de désavantage. Elle avait coutume de dire qu'il
était le fagot dont elle allumait son esprit. Coulanges était
aussi absent , peut-être à Rome, en compagnie d'un duc ou
d'un cardinal , faisant des chansons au conclave. Car le
Tranquille et paresseux Coulanges
courait le monde. Cet autre cousin de M""® de Sévigné était
un des esprits les meilleurs, les plus gais de ce grand siècle.
Corbinelli manquait aussi à cette compagnie; il en est sou-
vent question dans les lettres de M'""^ de Sévigué. Corbinelli
appartenait à une famille italienne, qui était venueen France
avec Marie de Médicis. Il paraît qu'il avait été introduit
auprès de M"= de Sévigné par Bussy. Il avait peu de for-
time, beaucoup d'esprit et de littérature. C'était un carac-
tère noble et généreux. Mandé par le lieutenant de police
pour rendre compte d'un dîner où on accusait des hommes
de cour d'avoir médit de M""* de Maintenon,il dit au ma-
gistrat qu'il ne se rappelait rien de ce qui s'était passé à ce
repas; celui-ci insista, et lui dit : « Un homme comme
vous devrait avoir plus de mémoire. » Corbinelli répondit :
« Devant un homme comme vous, monsieur, je ne suis plus
un homme comme moi. » Sa dévotion, au reste, élait fort
exallée. M"® de Sévigné l'en badinait doucement ; elle nous
représente son âme distillée dans l'oraison. Mais M*"' de
Grignan , quelque peu philosophe ( ses lettres ont été sacri-
fiées à un scrupule de dévotion), et qui par parenthèse
n'aimait pas Corbinelli, l'appelait mystique du diable, et
son frère, esprit simple et droit, applaudissait. Joignez à
ces noms M™" de Coulanges, la bonne M™" de La Trocbe,
d'Hacquevile, si obligeant, le duc, la duchesse de Chaulnes ,
si grands seigneurs et si bons amis, voilà à peu près tous
ceux qu'aima M™* de Sévigné. Mais n'oublions pas l'auteur
de la lettre, le Grand Pomponne, et surtout le cardinal de
Retz, pour lequel M™" de Sévigné professait un grand atta-
chemeul. Elle admira sa retraite, qu'elle ne trouva pas la
plus fausse action de sa vie, et elle ne le quitta pas avec le
monde qu'il voulait quitter. Enfin, c'était au.ssi une dame
de la cour: elle allait à Versailles; elle élait bien placée à
Saint-Cyr pour voir iFs/Zicr; et éloignée par la sévérité de
ses princi|)es et la sagesse de ses mœurs des vices de la cour,
elle y a puisé ce tour noble et pur des idées qu'on ne pou-
vait saisir ailleurs. Mais quelque charme qu'elle dût trouver
dans sa société intime, et bien qu'associée malgré elle à ce
grand siècle littéraire , car son génie avait percé , et avant sa
mort elle élait déjà illustre. M"" de Sévigné, ce qu'elle
préférait à tout, c'était la Provence avec sa fille, ou la
Bretagne , ses bois, l'air frais du soir, et les bonnes lectures
avec son fils. Mais ce fut près de celle qu'elle avait le plus
aimée qu'elle devait mourir. En 1694 elle se rendit en Pro-
vence, et elle soigna M"^ de Grignan dans une grande
maladie. Elle ne succomba pas, comme on l'a d'abord écrit,
aux fatigues que lui avait occasionnées cette maladie, mais
elle mourut de la petite vérole, le 18 avril 1696. La dernière
lettre que nous ayons d'elle est datée du 29 mars de cette
année. Elle fut enterrée dans l'ancienne église collégiale de
Grignan , et sa tombe fut respectée lors des horribles excès
de notre révolution. Consultez Walckenaër, Mémoires
touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal,
dame de Bourbilly, marquise de Sévigné ( Paris, 1852).
Ernest Desclozeaux.
SÉVILLE , Sevilla, ancien royaume d'Espagne, en An-
dalousie, qui comprenait une superficie d'environ 350
myriamètres carrés, et qui, divisé en 1822, servit à cons-
tituer les provinces de Séville , de Cadix et d'Huelva.
La province de Séville, dans laquelle on a compris une
SÉVILLE — SEVRAGE
petite partie de rEstremaduie, compte 420,000 habitants sur
une superficie de 150 myiiam. carrés.
Le ciief-lieu delà province, comme jadis du royaume,
est SÉviLf.E, la plus graniie ville de la péninsule, la se-
condeen rangaprès Madrid, et après Madrid et Barcelone la
plus peuplée qu'il y ait en Espagne. Située dans une plaine,
sur la rive gauche du Guadalquivir, elle est le siège d'un ar-
chevêque, du capitaine général de l'Andalousie, d'une cour
royale { audiencia real ) et d'une université. La ville est
entourée d'une muraille llanquée de cent tours; en y corn-
prenant ses faubourgs, elle a 24 kilomètres .le circuit, et
sa population est de 100,600 habitants. Le sol est maréca-
geux, les rues sont étroites; mais les maisons ont un ca-
ractère grandiose, avec des toits plats et des ornements
mauresques. Parmi les curiosités qu'elle renferme, il faut
citer : la cathédrale, construite de 1401 à 1519 sur les fon-
dations de l'ancienne mosquée de la cour, édifice imposant,
la plus grande et la plus magnifique église qu'il y ait'Cn Es-
pagne , riche en objets précieux et en tableaux des meilleurs
maîtres espagnols , dont le plus célèbre est le Saini Antoine
agenouillé de Murillo, avec de nombreuses chapelles, cinq
nefs , quatre-vingt-dix fenêtres ornées de suberbes vitraux,
un orgue immense, et le tombeau deChristopl;e Colomb ,
contenant aussi les restes de son fils l'^erdinand. Près de là on
voit la belle tour appelée G/raWa, haute de 121 mètres,
construite de telle façon à l'intérieur qu'on peut en gagner le
sommet à cheval. En outre ,1e grand palais de VAlcazar, au-
trefois résidence des rois maures', où , en 1478 , 1 inquisition
établit son premier tribunal, et qui depuis le treizième siècle
jusqu'à nos jours a subi de nombreuses transformations; le
palais archiépiscopal , la Monnaie, le couvent des Capucins,
orné de tableaux de Murillo, l'hôpital de la Caridad ou Ca-
ritas , fondé par Murillo et orné par lui de chefs-d'œuvre,
l'amphithéâtre pour les combats de taureaux, le plus grand
de ce genre qu'il y ait en Espagne; l'aqueduc mauresque
( Cannos de Carmona ) , qui a quatre cents arcades ; l'AlU'
meda, magnifique promenade publique, et la promenade
Paseo, sur le Guadalquivir, appelée Las Delicias; la grande
fabrique royale ou nationale des tabacs, créée en 1757 , en-
tourée de fossés avec ponts-levis, chef-d'œuvre d'architec-
ture; le tribunal de commeice {el Consulado) , appelé
ordinairement la Bourse {la Lonja) , construit à cet effet
sous Philippe II , mais servant aujourd'hui à différents
autres buts et contenant, à son étage supérieur, les archives
d'Amérique. L'universisté de Séville (dans l'ancien collège
des jésuites) fut fondée en 1504; elle possède une bibliothèque
de 20,000 volumes, et compte de 1,000 à 1,200 étudiants.
On remarque encore à Séville : l'école royale de Santelino,
où l'on élève des marins, l'académie des belles-lettres,
de l'architecture, de la sculpture et de la peinture, le
musée et diverses autres collections de tableaux. La fabrica-
tion de la soie, quoique loin d'être aussi florissante qu'au-
trefois, occupe toujours encore un grand nombre de métiers.
Dans le faubourg Trianu , sur la rive droite du Guadal-
quivir, et relié à la ville par un pont, se trouve la grande
fonderie royale de canons. Séville était autrefois l'entrepôt
défont le commerce national, et les plus grands navii es
pouvaient arriver jusqu'à la ville; aujourd'hui le fleuve est
tellement ensablé, qu'il n'y a plus que des bâtiments d'un
faible tirant d'eau qui puissent le remonter, el le commerce
extérieur est allé se fixer à Cadix. Toutefois, Séville ne
laisse pas que d'être encore le centre d'affaires impor-
tantes, tant en produits manufacturés et en denrées colo-
niales, qu'en laine, huile, fruits secs, safran et réglisse.
Séville, VHispalis des anciens, qui était déjà une localité
considérable sous les Romains, était regardée , au temps
des Vandales et des Visigoths , comme la capitale de l'Es-
pagne méridionale. Il s'y tint deux conciles ( Concilia His-
paitensa) , en 590 et en 619. Au huitième siècle cette vills
tomba au pouvoir des Arabes, qui lui donnèrent le nom
à'ischlibilijah, et sous la domination desquels elle de-
vint la plus florissante cité de la Péninsule, et en vint a
lâ9
compter jusqu'à 400,000 habitants. A partir de l'an 1026
elle fut le siège du royaume maure des Abadides ou Begni-
Abad ;en 1091 elle tomba au pouvoir des Almora vides, et
en 1147 des Almohades. Le 22 novembre 1248, à la
suite d'un siège qui avait duré dix- huit mois, elle fut prise
par le roi Ferdinand III de Castilie; et depuis lors elle de-
meura toujours au pouvoir des chrétiens. A celte époque, elle
fut abandonnée par plus de 300,000 de ses habitants, qui al-
lèrent s'établir soit à Grenade,' soit en Afrique. Au dix-
ssptième siècle le chiffre de sa po[)ulation était encore de
130,000 âmes. De 1501 à 1727 Séville eut le monopole ex-
clusif du commerce de l'Amérique. C'est de là que partaient
annuellement les douze galions à la destination de Porto-
Bello et (depuis 1547) les quinze bâtiments expédiés à la
Vera-Cruz; mais depuis que le commerce extérieur s'est
réfugié, en 1726, à Cadix, l'activité industrielle y est en dé-
cadence. C'est à Séville que se forma, le 27 mai 1808, la
junte centrale contre les Français, à l'approche desquels elle
se retira à Cadix, le 1" février 1810. En 1823 les certes se
réfugièrent aussi de Madrid à Séville, et de là emmenèrent
avec elles le roi à Cadix.
SEVILLE (Duc de). Voyez Carlotta de Bourbon.
SEVKAGE (du latin separare, séparer, en vieux fran-
çais sevrer), temps où se termine l'allaitement, soit na-
turel, soit artificiel. L'époque à laquelle les enfants doivent
cesser de puiser exclusivement leur nourriture au sein de
leur nourrice ou au biberon varie selon les sujets et selon
les circonstances. Quand le développement s'est effectué
convenablement, le temps du sevrage est, d'après la rou-
tine commune , l'âge de douze ou quinze mois. Bien qu'on ne
puisse poser une règle absolue à ce sujet, la dentition nous
paraît être l'indice naturel de la modification qu'on doit
apporter à l'alimentation des enfants. L'apparition des pre-
mières dents annonce en effet que la succion va cesser
d'être pour eux l'unique moyen de prendre leurs aliments.
Quand la première dentition .se sera effectuée , on peut , si
la santé de l'enfant se soutient, commencer à lui donner
quelques cuillerées de lait légèrement épaissi avec ces té-
cules dont la liste est maintenant assez variée , ou avec de
la farine de froment, en relevant la fadeur de ces prépara-
tions par du sucre. On gradue insensiblement les quantités
cl les transitions avec l'allaitemenl au sein ou au biberon,
en ayant égard aussi aux individualités. L'évolution des
dents propres à déchirer et à écrasser annonce ensuite que
le temps est venu d'augmenter la consistance des aliments.
Il convient alors d'employer les potages légers, qu'on prépare
avec de la farine de maïs, du gruau, du pain, des biscottes
de Bruxelles, de la crème de riz, etc.. Le lait est encore
le véhicule le plus convenable pour ces préparations , comme
le sucre en est le meilleur assaisonnement. Cette transition
du lait simple à ces mélanges doit toujours s'opérer insen-
siblement, suivant encore en cela l'ordre naturel d'après
lequel la dentition s'effectue. D'après cette loi , il convient
toujours de revenir au lait seul durant les crises suscitées
par le développement des dents , ainsi que dans les autres
cas de maladie. Mais il n'est pas raisonnable alors de pousser
les enfants à prendre le sein ou le biberon quand ils y ré-
pugnent : leur instinct, comme celui des animaux, leur
enseigne l'utilité de la diète. C'est une suggestion naturelle
qu'on nécoiite malheureusement pas assez. Lorsque les en-
fants ne croissent pas bien sous l'influence de l'allaitement
au sein ou au biberon, on est souvent forcé de hâter le
sevrage : il est alors prudent de consulter un médecin; alors
aussi les aliments stimulants, auxquels on a recours dans
les maladies des enfants, presque toujours attribuées à la
faiblesse , ont des inconvénients graves. Cette prétendue dé-
bilité est une illusion des plus décevantes et des plus fu-
nestes; elle est, non une cause, mais très-souvent un effet
des irritations de l'estomac : dans ces occurrences , les for-
tifiants puisés dans les cuisines ou dans les pharmacies ne
font qu'augmenter la faiblesse ; ils allument la fièvre hec-
tique et conduisent au marasme.
160
SEVRAGE •— SÈVRES
Nous n'avons point e\du la bouillie banale de la liste
des aliments dont on fait usage pour sevrer les enfants :
cependant, celte classique pâturt du premier âge est blâmée
par plusieurs médecins ; d'autres , il est vrai , prennent sa
défense : mais qui a raison ? Tous allèguent des faits irré-
cusables pour motiver des opinions contraires. Cette diver-
gence tient au résultat du régime alimentaire de la nourrice
elle-même. A la campagne, il se com|)ose presque exclusi-
vement de substances végétales. Dans les villes, au con-
traire, leur alimentation est surtout animale. Des différences
doivent dès lors exister dans le lait de ces femmes. L'analyse
cilimique ne nous les démontrera pas, mais l'observation
nous les décèle : c'est ainsi que nous voyons la colère ou
toute autre passion véhémente vicier ce liquide. En raison-
nant d'après cette remarque, on ne doit pas s'étonner des
différences qu'on observe dans les effets de la bouillie. A la
campagne cet aliment, différant peu du lait de la nourrice,
la transition est peu sensible pour le nourrisson, à moins
qu'on ne commette des abus dans les quantités; mais à la
ville il n'en est plus de môme : ce passage d'un lait stimu-
lant à du lait qui l'est moins, et auquel on associe une sub-
stance très-douce , produit d'autres résultats. Les inconvé-
nients de la bouillie s'expliquent suflisamment : à la ^il!e
les potages préparés avec de légers bouillons de viande sont
donc prélérables.
L'idée de privation attacbée aux mots sevrage, sevrer,
est prise dans d'autres acceptions, et s'étend à diverses
choses très-étrangères au produit des glandes mammaires.
On dit dans ce sens d'un religieux qu'il est sevré des plai-
sirs du monde. CnAnnoNNiER.
SEVRAGE (Maisons de). Foj^es Crèches.
SEVREJA ou se H ERG. Votjez Esturgeon.
SEVRE JXAIVTAISE, rivière de France, affluent
gauche de la Loire, dans laquelle elle se jette à Nantes.
Elle prend sa source dans le département des Deux-Sèvres,
à l'Arcberie, entre Parthenay et Bressuire, et a un cours d'en-
viron 133 kilomètres. Elle est navigable depuis Monnières,
à 24 kilomètres de Nantes. Ses affluents principaux sont à
droite la Morin et à gauche la Maire.
SEVRE IVIORTAISE, rivière de France qui se jette
dans l'océan Atlantique, à 15 kilomètres de Marans, dans le
département de la Charente-Inférieure. Son embouchure est
dans le pertiiis Breton, en face de la pointe d'Aiguillon,
non loin de l'ile de Hé. Elle prend sa source près de Sepleret,
dans le département des Deux-Sèvres , et a un cours d'en-
viron 170 kilomètres par Saint-Maixent , Niort et Marans.
Elle est navigable pour les bâtiments de mer, jusqu'à Marans,
sur 20 kilomètres, et pour bateaux de rivière jusqu'à Niort.
Les transports à la descente consistent en bois, grains, vin
eau-de-vie, et à la remonte en sel, planches et bois de
sapin du Nord , fer , huile de poisson.
SEVRES, chef-lieu de canton du département de S e i n e-
et-Oise, à 10 kilomètres au nord-est de Versailles, sur la
rive gauche de la Seine, avec 5,750 habitants ; la célèbre ma-
nufacture impériale de porcelaine; des fabriques d'appareils
de chimie, décapsules et d'œillets métalliques, de lunettes
en acier , de cordages, de chaux bydrauli()ue, de carrelage
mosaïque. C'est une station du chemin de fer de Versailles
(rive gauche).
La manufacture de porcelaine existait à Vincennes de-
puis 1740, lorsqu'elle fut transportée à Sèvres, en 1756, dans
un édifice construit sur l'emplacement de la maison de Lulli,
dont une dépendance existe encore et sert de château d'eau.
En 1760 Louis XV remboursa la compagnie qui en était pro-
priétaire, et lit l'acquisition de la manufacture, à laquelle il
assigna un fonds de 96,000 francs. Elle jeta tout d'abord un
grand éclat, et prit un développement considérable après la
découverte du kaolin de Saint-Yrieix , en 1765. Elle
échappa à la tourmente révolutionnaire, et fut dirigée durant
le règne de la Convention par des représentants du peuple
qui avaient sous eux un inspecteur chargé de la direction
des travaux. Alexandre Bron niart en fut nommé di-
recteur sous le consulat. C'est à lui que l'on doit le Musée
céramique de Sèvres, qui comprend deux collections très-
précieuses et très-complètes, l'une de toutes les porcelaines
étrangères , l'autre de toutes les poicelaines et faïences de
France. On y voit encore avec intérêt la collection des mo-
dèles de vases , de services, de statues, etc., confectionnés
dans la manufacture depuis sa fondation. Enlin, la manufac-
tiue de Sèvres a joint depuis plusieurs années à sa fabrica-
tion celle des vitraux peints, des essais de peinture sur
glace, les productions du lavis et l'émaillage.
SÈVRES (Département des DEUX-). Il est borné par
les départements de Maine-et Loire au nord, de la Vienne
à l'est, de la Charente-Inférieure an sud , et de la Vendée à
l'ouest, et doit son nom aux deux rivières qui ont leurs sources
dans son sein; il est formé du Poitou, de l'Aunis, de la
Saintonge et des Marches. Divisé en 4 arrondissements, 31
cantons, 355 commîmes , sa population est de 323,615 habi-
tants. Il envoie deux députés au corps législatif, est com-
pris dans la quinzième division militaire, ressortit à la cour
impériale, le diocèse et l'académie de Poitiers.
Sa superficie est de 007,350 hectares, dont 404,335 en terres
labourables; 74,953 en prés; 36,090 en bois; 22,795 en
landes, pâtis, bruyères, etc. ; 20,894 en vignes; 9,676 en ver-
gers, pépinières et jardins; 4,279 en propriétés bâties; 1,353
en étangs , abreuvoirs, mares, canaux d'irrigation; 625 en
oseraies , aulnaies, saussaies; 406 en cultures diverses;
19,136 en routes, chemins, places publiques, rues, etc. ;9,712
en forêts, domaines non productifs; 2,839 en rivières, lacs,
ruisseaux; 227 en cimetières, églises, presbytères, bâti-
ments publics, etc. Il paye 1,477,041 francs d'impôt foncier.
Le pays est agricole; on y voit des plaines coupées par
des collines pittoresques : les terres, à quelques exceptions
près, sont grasses, fertiles, bien cultivées; elles rapportent
plus de céréales qu'il n'en faut pour nourrir ses habitants;
de belles et nombreuses prairies artificielles et naturelles y
favorisent l'éducation du gros bétail ; le territoire produit ,
en quantité et en e\cellente qualité, le chanvre, le lin , la
moutarde, la betterave, des amandes, des noix, de l'an-
gélique renommée. L'agriculture y suit une marche progrès*
sive, qui la conduit chaque jour à un état plus prospère;
le sol est encore riche en nunerai de fer d'excellente quali-
té, en pierre de grès pour pavés, en pierre de taille, pierres
à fusil, pierre meulière, en antimoine et en salpêtre. Des
eaux minérales salutaires, et trop peu connues, jaillissent à
Biluzais, a 10 kilomètres de Bressuire, près du village d'Oi-
ron. Son commerce est principalement alimenté par les
produits territoriaux que déjà nous avons fait connaître, et
surtout par les chevaux de cavalerie et de trait, que l'on y
élève avec succès, ainsi que par de superbes mulets, presque
tous destinés à être vendus en Espagne. On y élève et en-
graisse beaucoup de breufs d'une qualité supérieure; on y
entretient des troupeaux de moutons nombreux et beaux,
donnant une laine fort recherchée : à toutes ces res$ources
il faut ajouter enlin le commerce de graines de trèfle
et de luzerne, lequel y a une grande importance. L'active
industrie de ce pays s'exerce dans de nombreuses fabriques
de serge et de grosses étotfes de laine, de toiles de chanvre
et de lin, de gants, de mouchoirs dits de Chollet, de sucre
de betterave , dans des raffineries de sucre des colonies ,
des tanneries et papeteiies, des forges, etc. Plus delà moitié
des vins que produit le département est brûlée, et l'eau-de-
vie qu'on en relire, quoique inférieure à celles de Cognac
et d'Armagnac, est d'un débit assez facile.
L'agriculture, le commerce et l'industrie sont favorisés
par six routes impériales, neuf routes départementales,
le canal de iNiort à La Rochelle, le chemin de fer de Paris à
rjiort. Les principales villes de ce département sont: Wiort
chef-lieu du département; firessMire , chef-lieu d'arron-
dissement, avec 2,705 habitants et un tribunal de pre-
mière instance, petite ville bâtie sur une colline, au bas
de laquelle coule l'Argenton, avec des fabriques de tiretaine,
flanelle, serge rasée et drapée, toile et mouchoirs façon-
SÈVRES
nés ; Meîle , clief-lieu d'arrondissement , petite ville Irès-
aiicieniie, située sur une colline escarpée, au pied de laquelle
coule la Béronne, avec un tribunal de première instance
et 2.700 habitants ; Parthenay, chef-lieu d'arrondissement,
avec un tribunal de première instance et 6,046 habitants :
c'est une ancienne ville, bâtie sur leThouet; elle était la ca-
pitale d'un pays appelé /a Gâtine ; Saint- Maixent;
Thouars, sur le ruisseau du Thouet, avec 2,287 habitants :
cette ville, entourée de murs, et fort ancienne, fut érigée en
duché-pairie en faveur de la maison de LaTrémoille,
en l'année 1563; on y voyait un antique château , avec une
sainte chapelle : le siège qu'elle soutint, à l'époque de nos
dernières guerres civiles , contre l'armée vendéenne, qui,
après l'avoir enlevée d'assaut, s'y abandonna à toutes les
horreurs du pillage, ont rendu la ville de Thouars tristement
célèbre; Coulonges, chef-lieu de canton, peuplé de 2,032 ha-
bitants. C'est l'entrepôt des bois de charpente et de merrain
venant de la Gâline et des vins de la Saintonge : il y a une
halle aux blés, qui est la plus belle du département.
SEWASTOPOL. Voyez Sébastopol.
SEWRliV (Charles-Augustin), fécond auteur drama-
tiqueconteniporain,néà Metz,en 177l,mortàI^ans,en 1853,
se fitd'abord connaître par quelques spirituelles bluettes re-
présentées sur les Théâtres Favart et Louvois, à l'époque de la
révolution, et devint dès lors un des fournisseurs habituels
des scènes qui exploitaient le vaudeville. La liste des ouvra-
ges qu'il (itreprésenter, soit seul, soit en collaboration (parmi
ses collaborateurs ordinaires on remarque les noms d'Alis-
sandeChazet, deDumersan, d'Ourry,deBrazier,deGersain,
de Moreau, etc. ), à Feydeau , à Favart, à Louvois , au Vaude-
ville,aux Variétés, à la Porte-Saint-Martin, au Gymnase, à
l'Odéon, et jusqu'au Théâtre-Français, occuperait plus d'une
colonne de ce dictionnaire. Les vieux amateurs ont conservé
le souvenir du succès qu'obtinrent sur la scène du Vau-
deville : La FamiUe des Innocents , La Fêle du Village
voisin , Le Valet Ventriloque, Les Intrigues de lu Ikipée,
Les Habitants des Landes. Une vingtaine de romans con-
plèlent son bagage littéraire. La révolution de 1830 lui en-
leva une agréable sinécure , que la P.estauraliou lui avait
accordée sous le titre de secrétaire archiviste de l'hôtel des
Invalides,
SEXAGÉSIMALE ( Division ).0n appelle ainsi la divi-
sion en soixante [tarUts, à savoir: de l'heure en 60 minutes,
de la minute en 60 secondes , de la seconde en 60 tierces. La
division sexagésimale du cercle, c'est-à-dire celle de ses 360
degrés en 60 secondes, etc. , avait été remplacée en France,
à l'époque de la révolution, par la division décimale ou
plutôt centésimale, qui est beaucoup plus commode; ce-
pendant, on finit plus tard par y renoncer.
SEXAGESIME. On appelle ainsi, en style liturgique,
le dimanche qui précède de quinze jours le premier diman-
che de Carême, ou h qiiadragésinie, nommée encore la
qtiarantaine de jeune. Les Grecs appellent ce jour apo-
creas , parce que c'est la veille de celui où ils s'abstiennent
détinitivement de viande. Pour ce qui est relatif à l'etymo-
logie de ce mot ainsi qu'aux usages du jour qu'il sert à ca-
ractériser, voyez Septuagiîsime.
SEXE (du \iil\n secare , scission ou division, ou suivant
d'autres , du grec Eltç, constitution naturelle). Le sexe
nidle et le sexe femelle constituent les deux grandes divi-
sions du monde organique. Le but des sexes est la procréa-
lion des espèces vivantes. En effet, les minéraux , ou sub-
stances inorganiques , étant inanimés , n'en avaient pas
besoin pour reproduire leur existence, comme les êtres
assujettis à la mort. Dans les corps organisés, aucontruire,
Ja vie n'étant fondée que sur la génération , et les individus
périssant tous successivement, ils avaient besoin sans cesse
d'une création nouvelle pour la perpétuité des espèces.
C'est par les organes sexuels que l'animal et le végétal ap-
partiennent à l'immortalité, ou bien à l'amour, qui en est
l'essence. Aimer, c'est exister de la vie universelle; c'est
porter en soi-même l'élément de l'éternité , rayon céleste
PICT. DE LA C0NVEB8. — T. XVI.
- SEXE ,61
départi aux races mortelles; c'est vivre non-seulement
pour soi, mais pour l'espèce entière; c'est rassembler utie
existence infinie dans un temps très-limité, et accumuler
mille siècles dans un instant.
Origine et. formation des sexes. S'il y a des êtres orga-
nisés naissant réellement par génération spontanée ou
équivoque, comme quelques animacidles infusoires, on
comprend qu'ils ne possèdent aucun organe sexuel; car
aussitôt qu'on observe une disposition à se propager par
quelque structure spéciale, même sans sexe déterminé ,
l'on peut supposer à bon droit une reproduction normale,
même dans les infusoires. D'ailleurs, la propag.ition sans
sexes n'est qu'une continuité de nutrition, ou plutôt sa
surabondance : la iilus simple s'opèie par les bourgeons, ou
par un prolongement du corps d'un individu qui en pro-
duit un autre en se séparant du tronc originel. Les exemples
en sont nombreux dans le règne végétal, comme dans les
rejetons de fraisier, les caïeux, les bulbes, le yrux ou
bourgeons et propagules. De môme, dans le règne animal,
les classes les plus inférieures des /.oo[)hytes, les hydres
ou polypes, les naïades, se multiplient aussi par simple
division : telle est la reproduction fissipare. Moins un
être se trouve composé d'organes dilférents, plus sa struc-
ture est uniforme; puis il devient facile de le propager par
simple scission : il est, pour ainsi dire, tout germe, tout
semence, encore sans sexe apparent.
En suivant les gradations de la composition organique,
le premier terme est donc Varjamip, ou l'absence complète
de sexualilé dans les végétaux et animaux primitifs les
plus simples ou neutres : tels sont les algues, moisissures,
lichens, champignons, et les animalcules infusoires, les
zoophytes. A un degré un peu supérieur apparaissent les
élhxogames , pourvus d'ovules apparents ou de spores :
telles sont les mousses, les fougères, et, parmi les animaux,
les radiaires, les échinodermes , etc. Ensuite, on voit se
déployer V hermo phrodisme dans la grande masse des végé-
taux à fleurs apparentes, comme les diverses combinaisons
monoïques de l'androgynisme, parmi les mollusques acé-
phales , bivalves, multivalves, et la plu|)art des uni valves
céphalés, gastéropodes, qui offrent déjà quelques exemples
de sexes entièrement séparés ou dioïipies.
Le dédoublement complet des amlrogynes et des her-
maphrodites, ou la polarisation en sexe mdle et femelle
sur deux individus opposés, l'un fort ou positif, offrant
des organes saillants ou exsertiles, l'autre faible, négatif,
recelant au dedans ses parties sexuelles, n'appartient qu'aux
animaux symetri(iues. Les végétaux dioiqucs ne sont
souvent tels que par l'avortement de l'un de leurs sexes à
l'avantage de l'autre; car la plupart des plantes dioïqiies
OH changent de sexe réciproquement, ou sont susceptibles
de reprendre celui qui leur manque, et de redevenir mo-
noïques ou môme hermaphrodites. C'est une qualité essen-
tielle au règne végétal comme à tous les zoophytes et ani-
maux rayonnnés : cette forme rayonnante appartient surtout
à l'hermaphrodisme et aux espèces les moins .capables de
locomotion. En effet, il fallait que des êtres immobiles pus-
sent se suffire à eux seuls, et trouvassent leurs sexes réu-
nis : ainsi, l'individu représente lui seul l'espèce entière.
Mais par cela même que les deux sexes sont associés dans
le même individu, ils se neutralisent, restent inertes, sans
amour, puisqu'ils peuvent se satisfaire immédiatement.
Au contraire, les formes symétriques, constituées de
deux moitiés latérales accolées, ap|)artiennent au règne
animal proprement dit, et établissent la séparation sexuelle.
Les individus, n'étant ainsi qu'une moitié d'être, ont besoin
de se rechercher mutuellement pour se compléter. Il leur
faut donc la locomobilité et une vive sensibilité , carac-
tères propres à la vie animale. Ainsi, depu s les céphalo'
podes, les crustacés, en remontant aux vertébrés (pois-
sons, reptiles, oiseaux, mammifères), la diœcie , ou
séparation complète des sexes sur deux individus diffé-
rents, est une loi générale, d'autant plus constante qu'on
U
«62 SEXE
s'tîlève davantage dans iMclielle progressive des organisations
les plus perfectionnées jusqu'il i'homnie.
Les organes sexuels dans l'étal embryonnaire, offrant
des dispositions analogues pour l'état masculin et pour le
féminin, ne sont réellement d'aucun genre : il en résulte
le sexe pour lequel la force organique se prononce le pins.
Kn effet , les parties qui existent à l'intérieur, dans le
sexe femelle , deviennent saillantes et comme retournées
chez le sexe mâle, ainsi que le seraient les doigts d'un
gant rentrés , qu'on ferait ressortir ensuite. De là résultent
les vestiges des parties destinées à l'autre sexe, comme les
mamelons chez les mâles, ou un simulacre d'organe mas-
culin chez les femelles, chez les horamasses surtout. Si cet
effort vital est suspendu, empêché par une cause quel-
conque, il s'ensuit un individu neutre ou hermaphrodite
imparfait. Les animaux vraiment androgynes (parmi les
vers, sangsues, lombrics, bivalves, acépliales, etc. ), tous
les êtres bisexuels obtiennent seuls un hermaphrodisme
complet ou normal , comme les végétaux ; mais parmi les
animaux symétrrques , insectes , crustacés, et les vertébrés
surtout, jamais l'hermaphrodisme ne s'établit complètement.
Lorsqu'il existe sous l'apparence de deux sexes réunis,
presque toujours l'individu ne possède qu'un sexe impar-
fait , car tout deux restent impuissants : il n'y a le plus
.souvent aucune possibilité ni de fécondation ni de gesta-
tion par le même individu.
Polarisation des sexes ou séparation en individus mâles
et femelles. Le sexe féminin , dans lequel prédominent
l'humidité et le froid , est essentiellement destiné à déve-
lopper intérieurement l'œuf, le germe , produit de la con-
ception dans l'ovaire, avant ou après son éclosion. Le sexe
•md/c, chez lequel le principe de la chaleur doit prédominer,
est constitué pour imprimer la vie et le mouvement au
nouvel être : il engendre donc hors de soi , et la femelle
dans soi. Toutes les femelles sont pourvues de Vovaïre, un
ou multiple, principe essentiel de leur sexe , et d'organes
pour le séjour ou la sortie de l'œuf, oviducte, utérus,
orilice externe , etc. : tel est aussi l'ovaire ou les pistils
chez les végétaux. Tous les mâles ont pour caraclères des
corps (jlandiiletix destinés à la sécrétion du fluide fé-
condant,(\a\ est le pollen dans les végétaux , produit de
l'anthère des étamines ; puis des appareils accessoires
pour émettre au dehors l'élément reproducteur, même à
distance aussi chez les plantes : plusieurs exhalent des
odeurs génitales pénétrantes. En général, les organes
mâles des végétaux et des animaux sont placés à l'exté-
rieur pour l'émission de la poussière ou de la liqueur fécon-
dante ; les organes femelles , situés au centre de la fleur
chez les végétaux, et dans l'intérieur chez les animaux,
sont destinés à recevoir dans les ovaires l'imprégnation
vivifiante qui pénètre l'enveloppe de l'œuf ou de la graine.
Quelquefois cette imprégnation s'opère au dehors du
corps , comme chez les poissons , les batraciens , au mo-
ment de la ponte des œufs, et peut aussi se faire artiliciel-
lement; mais chez les autres espèces, même dans les vé-
gétaux dioïques , qui reçoivent de fort loin le pollen du
mâle, la fécondaton a lieu toujours dans l'intérieur de l'o-
vaire. Les végétaux perdent chaque année leurs organes
sexuels de fructification propre au végétal : ceux-ci sont
permanents chez les animaux , mais leur activité ne
s'exerce d'ordinaire qu'à une certaine époque de l'année ,
et qu'on nomme la saison du rut.
Nous négligerons les faits de détail pour ne nous oc-
cuper ici que de la comparaison des sexes dans leurs har-
monies et leurs différences. Le mâle et la femelle présentent
des rapports soit de diversité , soit de consonnances cor-
respondantes pour un but unique : chacun n'est que la
moitié du tout. L'individu neutre ou agame reste indiffé-
rent; l'hermaphrodite végétal surtout, accomplissant l'œuvre
de la reproduction à l'heure marquée par la nature, ne si-
gnale ses désirs et ses jouissances, s'il en existe pour lui,
que par leJ. vriouvements rares et limités de ses étamines ,
ou auelaiipCiis des pistils. Cliacun sait que le célèWo
Système sexuel des Plantes a servi à Linné pour les
classer méthodiquement ; mais plus la sexiialité se pro-
nonce dans les êtres dioïques et les animaux supérieurs
principalement doués d'un sang ardent, tels que les oiseaux,
ou d'une sensibilité énergique , comme les mammifères vi-
vipares et l'homme surtout , plus l'antagonisme des sexes
sollicite la passion de l'amour. L'être en plus , ou masculin,
et l'être en moins, on féminin , aspirent à se compléter
dans une sorte de compensation ou d'équilibre, comme
les pôles contraires de l'électricité et du magnétisme , à se
neutraliser l'un par l'autre pour établir le repos ou l'indif-
férence , d'autant plus qu'ils sont plus divers.
A l'homme, mâle, ardent, fier, robuste, velu, audacieux,
prodigue , dominateur, se trouve oiiposée la femme , déli-
cate , modeste , timide , à peau blanche et lisse , h formes
arrondies , aux mœurs douces , réservées : sa faiblesse la
dispose à la ruse, aux détours; elle est dissimulée et a
beaucoup de finesse, de curiosité, de penchant aux soup-
çons, tandis que la force du mâle produit la confiance, la
franchise, la droiture dans ses actions et ses sentiments ou
ses paioles : sa voix est grave, éclatante. Le caractère mas-
culin doit être expansif, bouillant ; sa texture fibreuse, ses
muscles carrés, anguleux, sa crinière de lion , sa barbe
noire et touffue , sa poitrine hérissée , exhalent le feu qui
l'embrase; son génie sublime, impétueux, s'élance vers les
cieux, aspire à l'immortalité: la femme se complaît , au
contraire , à susciter les tendres affections du cœur; en-
tourée de sa famille, elle ramène tous ses sentiments vers
la vie intime , ou les concentre sur sa progéniture , et trans-
met à ses fils l'énergie de son époux ; elle reçoit et conçoit,
amasse ce qu'il conquiert et l'économise; elle se glorifie
de la supériorité de son vainqueur , qui seul excuse sa
soumission et justifie sa douce défaite. Le mâle est plus
tardif dans sa puberté, parce que sa constitution forte exige
plus de nutrition, de perfectionnement préliminaire que la
molle structure de la femelle, ordinairement précoce. Ce-
pendant, il se consume davantage par ses travaux et ses
combats, ses entreprises périlleuses. La femelle, quoi-
que devenue plus tôt vieille et stérile que le mâle , a été
destinée par la nature à soigner sa Hgnée ou l'enfance,
et même à la nourrir et protéger : ainsi , les plantes fe-
melles survivent jusque après la production parfaite de la
graine, les insectes femelles jusque après la ponle ou même
l'éclosion des larves en quelques espèces, tandis que les
mâles succombent après l'acte de la fécondation ou de l'ac-
couplement.
La nature embellit surtout la saison des jouissances de
tous les attraits dont elle est prodigue. Le temps de l'amour
est celui de la jeunesse, de la force , d'une surabondance
de nutrition et de santé. Le quadrupède se couvre de
riches fourrures , l'oiseau se décore des plus brillantes
couleurs, le reptile semble rajeuni sous un nouvel épidémie,
l'onde admire l'éclat et l'armure écailleuse du poisson ,
l'insecte se revêt des plus éclatantes cuirasses , la plante
étale aux yeux , avec les charmes de sa fraîcheur et ses
doux parfums, toute la pompeuse parure de ses fleurs :
c'est l'époque de la joie, des fêtes et des noces de la nature.
Les mammifères sauvages célèbrent leurs mariages par
des sortes de tournois , où les vainqueurs obtiennent les
faveurs du beau sexe pour récompense; les oiseaux
exhalent leur joyeuse ivresse, et annoncent leurs amoureux
tourments par de bruyants concerts dans les bois ; les
reptiles se jouent sous la verdure , les poissons célèbrent
des naumachies ou des joutes aquatiques, les insectes exé-
cutent des danses aériennes , et la fleur solitaire s'enivre
de ses mystérieuses délices. Partout les mâles resplendissent
plus que les femelles de magnifiques couleurs , principale-
ment les oiseaux, les insectes, les poissons : c'est encore par
des voix, des chants, des stridulations plus ou moins har-
moniques, à l'aide d'appareils musicaux, que le sexe mâle
exprime ses ardeurs , ou charme et attire sa l'emellc au
SEXE — SEXTUS EMPIRICUS
congrès voluptueux. Le mâle ne songe qu'à la fécondation,
qui est son rôle, taudis que la femelle s'inquiète surtout de
sa postérité. Cependant, il est des espèces parmi lesquelles
le sexe féminin prédomine par la taille , comme chez beau-
coup d'insectes , les cochenilles , les termites , la plupart
des reptiles et des poissons, des crustacés et autres, à cause
de l'abondance de leurs œufs. Les oiseaux rapaces ont des
femelles pluS fortes d'un tiers (d'où le nom de tiercelets)
que les mâles, parce qu'elles avaient besoin de vaincre
une proie suffisante pour nourrir leurs petits; les plantes
femelles se montrent aussi plus fortes, plus multipliables
de bouture que leurs mâles. Quoique d'ordinaire ceux-ci
soient provocateurs et aient reçu des appareils pour sou-
mettre leur femelle au joug amoureux, ou la retenir avec
des pouces armés, comme les crapauds , des pinces et ré-
tinacles, comme les insectes , etc. , ce sont les femelles,
parmi les chats, tigres, etc., les araignées et autres carni-
vores, qui sollicitent leurs mâles , de crainte sans doute que
la férocité du naturel ne remplace l'amour : elles sont donc
obligées de faire les avances.
C'est, enfin, le nombre relatif de chaque sexe qui établit
leur genre d'alliance entre eux ; par exemple, la polyandrie
avec ses sérails de mâles existe chez les abeilles, fourmis,
et autres hyménoptères ; au contraire , la y)o/(/(/a)nie (ou
polyginie) a lieu dans les espèces où le nombre des fe-
melles prédomine, comme chez les ruminants, les gallinacés,
les phoques , etc. : on trouve à peine quelques mâles chez
plusieurs poissons anguilliformes et divers animaux inlé-
rieurs. Ils sont, en revanche, plus nombreux parmi les races
supérieures, et dans le genre humain notamment ils surpas-
sent d'un dix-septième le sexe femelle, excepté, peut-être,
dans les nations polygames. Le sexe le plus complètement
organisé, le plus fort, le plus élevé dans ses facultés, de-
vait en effet régner au sommet de l'échelle zoologique,
tandis que la puissance reproductive féminine apparaît
avec une fécondité prodigieuse dans les races les plus infimes
de la création. J.-J. Virey.
SEXTAIVT. Cet instrument à réflexion, principalement
usité dans les observations nautiques qui servent au calcul
des latitudes et des longitudes, est ainsi nommé parce
que sa pièce principale est un secteur circulaire de 60", for-
mant par conséquent la sixièive partie du cercle : de
même, l'octant, qu'il a remplacé, offrait la huitième
partie du cercle. Le limbe du sextant est divisé en 120
parties égales, dont chacune vaut un demi-degré, mais est
marquée comme un degré , parce que la disposition de
l'instrument est telle qu'il n'indique sur le limbe que la
moitié des angles que l'on veut mesurer. Le sextant est
muni d'une alidade pourvue d'un vernier, à l'aide du-
quel ces angles peuvent être évalués à moins d'une minute
près, ce qui sutlit dans la plupart des cas. A l'extrémité
centrale de l'alidade , il y a un miroir entièrement étamé :
c'est le grand miroir. Sur le rayon de droite (en suppo-
sant l'observateur placé au centre de l'instrument ) se trouve
\g petit miroir, dont une moitié seulement, la plus voisine
du plan du sextant, est étamée. Ces deux miroirs sont
perpendiculaires au plan de l'instrument. Sur le rayon de
gauche, il y a une pinnuleou une lunette. Enfin, entre les
deux miroirs on trouve plusieurs verres colorés, que l'on
interpose lorsqu'il est nécessaire de protéger l'œil contre la
lumière de l'astre observé.
Pour observer avec le sextant la distance angulaire de deux
astres, on vise l'un directement, à travers la partie trans-
parente du petit miroir; puis, à l'aide d'une poignée dont
l'instrument est muni , on le maintient dans le plan des
deux astres, pendant que l'on fait mouvoir l'alidade, qui
entraine avec elle le grand miroir ; il arrive un moment où
le second astre, par une double réflexion ,apparaîl dans
la partie étamée du petit miroir; lorsque cette image est
amenée au contact de l'astre vu directement, il ne reste
plus qu'à lire sur le limbe la distance cherchée. Si c'est la
hauteur d'un astre que l'on veut observer, on vise à l'ho-
163
rizon , par la partie transparente du petit miroir, et on
achève comme pour la distance angulaire.
La construction des instruments à réflexion repose sut
un principe d'optique très-simple. Ces instruments rendent
de grands services à la marine ; car l'instabilité de l'obser-
vateur ne lui permet pas d'employer les mômes procédés
qu'à terre. L'invention de l'octant est attribuée au docteur
anglais Hooke, eu 1664 ou 1C05. Quelques auteurs croient
que l'idée de cet instrument est due à Newton , dans les
papiers de qui on en trouva une description après sa mort.
Ce qui est plus certain, c'est que c'est Halley qui a donné,
en 1731, le modèle du premier instrument construit d'après
le principe de la double réflexion, et dont on ait d'abord fait
usage à la mer. E. Meklieux.
SEXTE. Voyez Heures Canoni.\les.
SEXTIDI. Voyez Calenurier républicain.
SEXTiUS, nom d'une famille romaine à laquelle appar-
tenait iMcnts Sextius, qui, après avoir été pendant dix ans
de suite tribun du peuple avec Caïus Licinius, fut le pre
mier plébéien élevé au consulat (an 366 av. J.-C).
Caïus Sextius, consul en l'an 124 avec Caïus Cassius
Longinus, puis proconsul dans la Gaule Transalpine, dont
les Romains commençaient alors la conquête, combattit
avec succès les Arvernes et les Salluviens de Ligurie. En
l'an 122 il fonda, près des sources thermales où il avait
vaincu ces derniers, une ville, qu'on appela d'après lui Aquae
Sextiœ (voyez Aix).
Publius Sextujs, ou plutôt Sestius, agit contre Ca ti-
lina en qualité de questeur du consul Caïus Autonius, qu'il
accompagna ensuite eu Macédoine. Tribun du peuple en
l'an 57, il seconda avec Milon Cicéron dans sa lulle contre
Clodius. Accusé l'année suivante , à l'instigation de celui-ci,
de corruption et d'actes de violence dans les élections , il
fut défendu par Cicéron dans un discours que nous possé-
dons encore, et acquitté. Après avoir été préteur en l'an 53,
il fut chargé de l'administration de la Sicile; plus tard, il
abandonna le parti de Pompée pour celui de César.
SEXTUS EMPIRICUS, philosophe sceptique de la
fin du deuxième siècle. Grec de nation suivant toute appa-
rence, vécut à Alexandrie et à Athènes, et unissait une
puissante intelligence à une érudition d'une rare étendue. Il
reçut ce surnom A' Empiricus ou d'Empirique , parce qu'il
appartenait comme médecin à l'école empirique, qui alors
était florissante. C'est dans ses ouvrages que le scepticisme
développe ses idées de la manière la plus complète et la plus
lumineuse à laquelle il .soit parvenu au temps de l'antiquité.
Le mérite particulier à Sextus Empiricus consiste cependant
bien moins dans l'extension donnée au doute, que dans la
collection complète et la mise en ordre claire et systéma-
tique des maximes et des arguments dont les premiers scep-
tiques s'étaient servis pour combattre le dogmatisme; tâche
dans laquelle il s'étaya surtout des écrits d'Énésidème. Il
s'appliqua à introduire le doute de toutes les manières
possibles dans ce qui a traita l'art, aux phénomènes de la
nature et à la pensée , et de telle sorte que, par l'équipol-
lence des faits qui se contredisent et par les motifs qui
doivent inspirer une grande réserve (èrcoxvi) quand il s'agit
de juger des objets dont l'essence est cachée , on arrivât à
une imperturbable quiétude ( àtapaSta ) en matière d'opi-
nions, et de complète indifférence sur les questions de né-
cessité. Comme il s'appliqua à combattre à l'aide du doute
tous les systèmes philosophiques antérieurs, tâche dans
l'accomplissement de laquelle il lui arrive parfois de procé-
der par voie de sophismes , ses écrits sont d'une haute im-
portance poiu' apprendre à bien connaître la philosophie
des Grecs. Il nous reste de lui deux ouvrages, dont l'un,
intitulé Pyrrhonias ftypotyposes, est un développement du
pyrrhonisrae, et dont l'autre, qui a pour titre Adversus
malhematicos, est une application de la méthode de Pyr-
rhon à tous les systèmes philosophiques alors en renom
et aux autres sciences et notions. Ce dernier est divisé en
deux parties. La première, composée de six livres, cherche
11.
164
à démontror l'incertitude de la grammaire, de la rhéto-
rique, de la géométrie, de l'aritlimélique, de l'astronomie et
de la musique ; la seconde , composée de cinq livres, celle
des sciences philosophiques (logique, physique et morale).
Ces deux ouvrages furent publiés pouf la première fois, avec
traduction latine en regard, par H. Etienne et Hervet
(Amiens, 1569 et 1601), et ont souvent été réimprimés
depuis. La dernière édition est celle de Cekl<er (Berlin,
1842). 11 existe une traduction française des Hijpotyposes,
par Huart (Paris, 1725).
SEYBOUSE, rivière de la province de Constanline, qui
ne porte ce nom que dans la partie inférieure de son cours,
à partir de Medjez-el-Ahmar, point où se réunissent l'Oued-
Zenati et l'Oued-Alligah , deux cours d'eau qui prennent
naissance sur le versant oriental des hauteurs situées à l'est
de Constantine. A partir de Medjez el-Ahmar, la Seybouse
coule du sud-ouest au nord-est, et sort des délilésde l'Atlas
auprès du Djebel-Tarf, entre dans une vaste plaine, en
coulant du sud au nord, et va se jeter dans le golfe de
Bone. A une trentaine de kilomètres de son embouchure,
des gués , formés par des bancs de galets, la barrent com-
plètement dans un espace de 100 à 120 mètres. Comme port
de commerce, ce serait un excellent abri dans la grosse mer
de l'est et du nord-est; mais elle ne peut recevoir que des
bateaux de pèche et des bâtiments calant un mètre 66 cent.
au plus.
SEYCIIELLES (Iles), autrement appelées î7e,s Mahi',
groupe de douze îles situées dans la mer des Indes, au
nord-est de Madagascar, qu'on regarde d'ordinaire
comme une dépendance du continent africain, et qid cons-
tituent les points culminants d'un banc de sable et de corail
long d'environ 30 myriamètres. L'étendue en est très-exiguë
et la fertilité médiocre; en revanche, le climat en est re-
marquablement sain. Depuis 1780 la France y avait formé
trois établissements , dont l'Angleterre s'empara pendant les
guerres de la révolution ; et la possession lui en fut confir-
mée par les traités de 1814. Elles dépendent aujourd'hui du
gouvernement de Maurice. Toutes proportions gardées,
les îles SeychcUes produisent une immense quantité de
coton. C'est, avec le sucre, le seul objet qu'elles fournissent
au commerce d'exportation. Elles possédaient autrefois de
belles forêts, riches en bois de construction, en bois de tein-
ture et en plantes médicinales ; mais l'importance en a été
singulièrement diminuée par les fréquents incendies qui
s'y sont déclarés. Les îles Seychelles sont médiocrement
peuplées. En 1850 on n'y comptait en tout que 5,800 ha-
bitants, dont la plus grande partie appartenaient à la race
nègre. La plus grande s'appelle Mahé. il faut, après cela,
citer Praslin et La Dïyue. Tous ces noms furent , à l'ori-
gine , imposés à ces différentes localités en l'honneur d'of-
ficiers de notre flotte investis de commandements dans ces
mers. Le nom de Seychelles même était celui d'un de nos
compatriotes , qui le premier eut l'idée d'y former un éta-
blissement, longtemps après qu'elles eussent été abandonnées
par les Portugais. Ce furent eux qui les premiers les dé-
couvrirent dans leurs expéditions aux Indes orientales.
SEYMOUU, famille anglaise, qui fait remonter son ori-
gine aux Saint-Maur de Normandie, mais dont il n'est
question pour la première fois dans l'histoire qu'à propos
d'un sir John Sf.ymolk, qui au commencement du seizième
siècleétait sheriff de Somerset etdc Dorset, et qui possédait des
biens assez considérables dans le Wiltsldre. Sa fille Jeanne,
devint, en 1536, la troisième femme de Henri VIll (voyez
Seymour [Jeanne]), et sou fils aîné Edouard fut nommé
duc de Somerset et prolecteur du royaume. Sir Edouard
Seymour, orateur et homme d'État célèbre, qui, membre
de la chambre basse en 1667, fit mettre en accusation le
lord chancelier Clarcndon, était un de ses arrière-petits-fils.
En 1073 il fut élu orateur de la chambre, quoique n'étant
pas jurisconsulte, condition jugée jusque alors indispensable
pour obtenir cette dignité. Quoique tory, il se rattacha à la
révolution de 168^8, et mourut dans un âge fort avancé, en
SEXTUS EMPIRICUS — SEYMOUR
1707. Son fils aîné fut la souche des ducs actuels de Somer-
set. Le cadet, Popham Seymour, hérita des biens immenses
que son cousin, le comte Conway, possédait en Irlande,
et en conséquence prit désormais le nom iieSeymour-Con-
way. 11 fut tué en duel, en 1099, et laissa pour héritier
son frère puîné, Francis Seymour, qui en 1703 fut créé
lord Conway, et mourut en 1732. Le second fils de celui-ci,
/Tenrj/SEYMOUR-CoNWAY, général et homme d'Étet distingué,
commanda en 1761 les troupes anglaises dans l'armée du
prince Ferdinand de Brunswick ; en 1765 il fut nommé
secrétaire d'État, et il mourut en 1795 avec le titre defeld-
marcchal. L'aîné, Francis Seymoul-Conway, remplit éga-
lement d'importantes fonctions publiques, telles que celles de
lord lieutenant d'Irlande et de grand-chambellan. En 1750 il
fut créé co?«/e d'ffcrfford , en 1793 comte d^Yarmouth
et marquis d'Hertford , et mourut en 1S04.
Francis-Cliarles Seymour-Conway, troisième marquis
d'Hertford , né en 1777 , fut d'abord connu sous le nom de
coHi^e de Yarmouth (jusqu'en 1822 ) , et jouissait de la fa-
veur toute particulière de Georges IV. Il avait l'esprit mais
aussi tous les vices d'un grand seigneur de l'ancien régime.
Quoique possesseur d'une très-grande fortune, qui lui ve-
nait tant de son héritage paternel et maternel que de son
mariage avec Maria Fagnani, fille naturelle du duc de Queens-
berry , il ne rougissait pas d'avoir recours aux plus honteux
moyens pour s'enrichir encore. Il habitait ordinairement
Paris ou l'Italie, oïi il s'entourait do toutes les inventions
du luxe le plus raffiné. Son caractère a, dit-on, fourni à
Bulvver quelques traits de son personnage de lord Lilburne
dans Nuit et Matin. Il est mort en 1842. Son fils aîné , Bl-
chard Seymour-Conway , quatrième marquis de Hertford,
né le 22 février 1800, s'est rendu célèbre par son amour
éclairé <les beaux-arts; le second, lord Henry Seymour,
né en 1805, a pendant longues années été le lion de la
société parisienne.
Sir Georges Hamilton-Seymour, diplomate distingué,
est fils de lord Georges Seymour et petit-lils du premier
marquis d'Hertford. Né en 1797 , il fut attaché en 1817 à la
légation anglaise à La Haye. En 1819 il fut nommé rédacteur
au Foreign- Office, et accompagna en 1822 leduc de Wel-
lington au congrès de Vérone. En 1823 il alla en qualité de
seci'étaire de légation à Francfort , en 1826 à Stuttgard et
en 1828 à Bei-lin. En 1829 il fut nommé conseiller d'ambas-
sade à Constantinople , où il acquit une grande connaissance
des affaires d'Orient. A partir de 1831 il remplit les fonctions
d'envoyé à Florence; en 1836 il passa en la même qualité à
Bruxelles, où il prit part à toutes les négociations qui amenè-
rent l'arrangement de la question bollando-belge par le traité
final de 1842. Envoyé en 1840 en Portugal, il échoua, malgré
les hommes prêtés au gouvernement portugais par l'An-
gleterre i)our comprimer l'insurrection d'Oporto , dans ses
efforts afin d'obtenir la conclusion d'un traité de commerce
favorable aux prétentions du cabinet de Saint-James. Il en
résulta entre lui et le ministère Cabrai un conflit, par suite
duqrrel il fut rappelé en 1851. Une révolution nouvelle ayant
éclaté à quelque temps de là en Portugal , révolution qui
amena la chute du ministère et la fuite de Cabrai , il fut ac-
cusé, mais à tort, d'en avoir été l'instigateur. Il obtint alors
l'importante ambassade de Saint-Pétersbourg, où il suivit
personnellement avec l'empereur Nicolas des négociations ,
dont tous les documents furent ensuite publiés par la presse
anglaise. Sir Georges Hamilton-Seymour, qui, dans les cir-
constances les plus difficiles, avait fait preuve de beaucoup
de tact et de prudence et avait tout d'abord prévu les suites
inévitables de la crise d'Orient, sévit enfin forcé , à la suite
du départ de l'ambassadeur russe de Londres, de prendre
également ses passe-ports, et quitta Pétersbourg au mois
de février 1854.
SEYMOUR (Jeanne), femme de H en ri VIII et mère
d'Edouard VI, rois d'Angleterre, était attachée, en qua-
ntité de dame d'honneur, à Anne de B o 1 e y n , lorsque après
l'exécution de cette infortunée elle fut choisie pour la rcra-
SEYMOUR — SFORZA
les
placer dans le lit sanglant du nionarq\ie. Elle mourut deux
jours après la naissance d'Edouard Yl , en 1537. Les frères
de Jeanne, élevés aux premiers honneurs par son crédit,
devinrent la tige des ducs de Somerset et des comtes de
Hertford.
SÉZAIMVE , chef-lieu de canton, dans l'arrondissement
d'Épernay (département de la Marne), est une ancienne et
jolie ville de 4,350 habitants, qui faisait autrefois partie de
la Gallia Comata. Assignée par Auguste à la province Bel-
gique, elle fut longtemps une place forte et importante, et
soutint plusieurs sièges contre les Anglais et les religion-
naires. lin 1632 elle fut la proie d'un horrible incendie,
qui dévora 1250 maisons. Rebâtie sur un plan moderne ,
elle possède une église avec une belle tour carrée , un hos-
pice , une petite salle de spectacle , des manufactures de por-
celaine , de bonneterie, de briques et de tuiles, de vinai-
gre, une typographie, plusieurs tanneries, etc.
SFORCE. Voyez Sforza.
SFORZA, célèbre famille italienne, qui joua un grand
rôle au quinzième et au seizième siècle, donna au duché de
Milan six souverains et s'allia à la plupart des maisons prin-
cières de l'Europe. Elle eut pour fondateur un paysan de
Cotignola , en Romagne , Miizio Attendol\ , devenu par
son intelligence et sa bravoure l'un des chefs d'armée les
plus puissants de l'Italie. Las de la vie de cultivateur et con-
vaincu , dans la conscience de sa force , qu'il était appelé à
déplus hautes destinées, il se iil condot (iere, et ne
tarda pas à réunir sous ses ordres une troupe d'hommes dé-
voués, avec laquelle, après avoir plusieurs fois changé de
maîtres, il entra au service du roi de IN'aples. Sous le règne
de Jeanne II il était déjà considéré comme le plus ferme
appui du trône. Ce fut le comte Alberigo de Barbiano , le
véritable organisateur du coudoliérisme italien , qui lui
donna ce surnom de Sforza, qui signifie dompteur. Le plus
grave reproche fait à la mémoire tle Muzzio Sforza est
l'assassinat , dans une conférence , d'Ottobon Terzi , contre
qui il combattait. Au reste, les crimes de ce dernier semi)lent
ne faire de ce meurtre qu'une hideuse représaille. Muzzio se
noya dans la Pescara; et la plupart des historiens fixent l'é-
poque de sa mort au 14 janvier 1424. Il étaitàgé d'environ
cinquante-quatre ans. Paul Jove a écrit sa vie. Marié trois
fois, il laissa une nombreuse postérité. Le plus illustredeses
rejetons fut un fils naturel , qu'il avait eu d'une maîtresse
appelée Lucia Terzana, ou Lucie deTresciano, François
Sforza, dont nous allons parler.
SFORZA (FkaiNcisco) , fils naturel du précédent, naquit
en 1401. Il se montra de bonne heure l'héritier de la bra-
voure et de l'habileté comme de l'ambition de son père, dont
les bandes, pleines de confiance en sa valeur, n'hésiièrent
point à le reconnaître pour leur chef; et placé dès lors à
leur tète, il sut se rendre redoutable à toutes les puissances.
C'est ainsi qu'après avoir longtemps servi tour à tour le pape.
Milan , Venise et Florence, il acquit la réputation du plus
grand capitaine qu'il y eut en Italie; et devenu le gendre du
duc Filippo Maria Visconti de Milan, le <lernier rejeton de
cette famille , dont il épousa la fille naturelle et l'unique en-
fant, Blanche, il parvint, à la mort de son beau-père, ar-
rivée en 1447, en employant la ruse et la force, à s'emparer
de la souveraineté du Milanais, que lui disputait, entre
autres redoutables compétiteurs, le duc d'Orléans, devenu
ensuite le roi de Fiance Louis XII, du chef de sa mère Va-
let.tine, sœur de Visconti. Prince habile, Francisco Sforza
gouverna les Milanais avec sagesse, écarta les Français de
l'Italie, tout en les servant en France, où son fils Galeas
commandait une armée au service de Louis XI, favorable à
l'ambition de FranciscoSforzapar antipathie pour son compé-
titeur le duc d'Orléans. Sforza n'enleva pas moins Gênes à
la France. Il tenta de former une confédération entre tons
les États de l'Italie , et y réussit pour un moment. Quoique
sans instruction, il était éloquent, aimait et protégeait les
jpltres. Le peuple, qu'il s'était soumis, applaudit à son
réijne. On ne lui reprochait qu'un penchant désordonné pour
les femmes et les injustices que celle faiblesse lui fit con>-
mettre dans un âge avancé. Il fut généralement accusé d'un
meurtre odieux, l'assassinat de Francisco Piccinino, le fils
d'un de ses anciens adversaires , qu'il gagna en feignant
de se réconcilier avec lui et en lui donnant sa fille, et qu'il
envoya au roi de Napics , dont les ordres , sollicités , dit-on ,
par Sforza, le firent arrêter et immoler en prison. Francisco
Sforza mourut le 8 mars 1466.
SFORZA (G aleazzo-Maria ), fils du précédent, se montra
par ses débauches, ses prodigalités et sa férocité comme
duc de Milan , le digne représentant de ses aïeux maternels
Barnabo, Jean Galeas, et Pliilippe-Marie Visconti. Trois
hommes, Charles Visconti, Lampognani et Olgiati , délivrè-
rent le pays de ce tyran, qu'ils poignardèrent au moment
où il entrait dans la cathédrale de Milan. Olgiati avait à
venger sa fille, que Galeazzo Sforza avait fait enterrer vi-
vante, après l'avoir déshonorée.
SFORZA (Giovanni Galeazzo), fils aîné du précédent,
n'avait que huit ans lorsqu'il fut reconnu duc de Milan, sous
la régence de sa mère, Bonne de Savoie, belle-sœur du
roi Louis XI. Ce malheureux enfant fut, connue ou le verra
à l'article suivant, la victime de l'ambition de son oncle Lu-
dovic Sforza.
SFORZA (Ltinovico), que son teint basané fit surnom-
mer// 3/oro (Ludovic le Maure), frère de Francisco et
oncle de Giovanni Galeazzo, ne fut ni moins habile ni moins
ambitieux que ses parents , et ne recula devant aucun acte
de cruauté ou de perfiilie pour atteindre à son but. Exilé
deux fois de Milan, d'abord par son frère Galeazzo Maria,
ensuite par la veuve de celui-ci. Bonne de Savoie, régente
pour son fils Giovanni Galeazzo , Ludovic y lentra, se déli-
vra par l'échafaud de François Simonetta, minislrede Bonne,
qu'il renvoya pour gouverner sous le nom de son neveu. Celui-
ci avait épousé Isabelle d'Aragon, fille d'Alfonse, roi de
Naples; et Ludovic, de concert avec ce prince, avait atta-
qué les Vénitiens. Importuné des instances de son allié en
faveur de son gendre, il se ligua contre lui avec leurs
communs adversaires, ct'le contraignit ainsi à le laisser
maître du pouvoir. Il agissait cependant encore couuiie tu-
teur de Giovanni Galeazzo, lorsque l'ambition de Béalrix
d'Esté, épouse du régent, et sa jalousie contre Isabelle,
hâtèrent l'exécution des projets de Ludovic. Irrité par les
«lenaces du roi de Naples, il appela en Italie le roi de
France Charles VIII, espérant garder le Milanais, en lui
promettant son appui pour la conquête de Naples. Il solli-
citait en môme temps, pour lui-même, de l'emiiereur Maxi-
mi lien Finvestiturc du duché pour prix de la main de
Blanche-Marie Sforza, sa nièce. Il obtint en effet le diplôme
de duc de Milan. Charles VIIl , à son passage , avait été té-
moin de la triste situation de Giovanni Galeazzo et de son
épouse : il en avait été ému. Ils avaient imploré sa protec-
tion. Le lendemain de son départ, Giovanni Galeazzo mou-
rut. Depuis longtemps, ce prince infortuné était consumé
par une maladie de langueur, qu'on attribuait au poison. Lu-
dovic , au préjudice de son petit-neveu , se fit alors recon-
naître duc de Milan. Les succès rapides des Français Fa-
larmaient. Changeant de politique , il se ligua contre eux
avec le pape, les Vénitiens, l'empereur d'Allemagne et les
roi et reine d'Espagne, Ferdinand et Isabelle. La victoire
de Forno ue rouvrit à Charles VIII le chemin de la France,
mais le laissait sans pouvoir en Italie. Ludovic se croyait
donc affermi dans sa principauté. Bientôt, désabusé par la
nouvelle invasion d'une armée française, qui soumit rapi-
dement à Louis XII tout le duché de Milan , il se vit forcé,
après avoir envoyé en Allemagne ses enfants et ses richesses,
de fuir lui-même devant les vainqueurs. Rappelé par les re-
grets des Milanais , qu'irritaient les désordres des Français,
il reprit presque toutes ses possessions à l'aide d'une ar-
mée de Suisses à sa solde, et mit le siège devant la citadelle
de Novarre. Ce fut là qu'il trouva le terme de ses succès et
le prix de ses perfidies : ces troupes étrangères , gagnées
par leurs compatiiotes qui combattaient pour la France
tC6
dans les nombreuses légions accourues à Novare , l'aban-
donnèrent. 11 essaya en vain de se sauver sous l'habit obs-
cur d'un fantassin, d'autres disent d'un aumônier : Iralii
par im soldat suisse, l'usurpateur du Milanais fut livré aux
Français, transféré euTouraine, puis enfermé au château
de Loches, où il vécut encore dix ans, et où il mourut ac-
cablé de chagrin, en 1510.
On le loue d'avoir protégé les lettres et les arts. L'his-
toire doit surtout lui tenir compte de la protection cons-
tante qu'il accorda an plus ancien des grands peintres mo-
dernes , Léonard de Vinci. Il l'appela près de lui , jeune
encore, en 1489, pour élever à son père, le duc François,
une statue équestre. Il fut toujours le bienfaiteur de Léo-
nard, et le nomma directeur de l'Académie de Peinture et
d'Architecture , qu'il venait de fonder. Empressé de recon-
naître ses bienfaits , en lui consacrant tous ses talents, Léo-
nard de Vinci opéra, par les ordres de Ludovic, la jonc-
tion du canal de la Martesana avec celui du Tésin, œuvre
presque miraculeuse. Ce fut, enfin, d'après le désir de son
[irotecleur que Léonard composa, pour le réfectoire des
dominicains à Milan {Santa-Maria délia Grazia), le fa-
meux tableau, de la Cène, son clief-d'œuvre et l'une des
merveilles de la peinture. On cite encore à l'honneur de
Ludovic le théâtre qu'il fit construire a Milan, comme le
premier temple érigé par les modernes à l'art dramatique,
bien faible compensation sans doute pour tous ses crimes.
Ludovic Sforce laissa deux fils, qui régnèrent après lui,
Maximilien et François-Marie Sforce. Le premier se rendit
odieux aux Milanais par ses exactions, se retira en France,
après avoir cédé son duché à François 1"^% reçut une pen-
sion de trente raille ducats, et mouru' à Paris, en juin 1530.
le second, jouet de l'ambition des Espagnols, finit par
n'être que le vassal de Charles Quint, qu'il institua son héritier
et qui resta maître du Milanais, après que François-Marie
fut mort , le 24 octobre 1535, sans laisser d'enfants. Ainsi
finit la domination de la race d'Attendola sur cette belle con-
trée. AUBEKT DE VlTRY.
Il y a eu diverses lignes collatérales de cette maison.
WAlexandro Sforza, l'un des frères de Francisco Sforza
et l'undes fils légitimes de Muzzio, descendaient les seigneurs
de Pesaro, dont la race s'éteignit en 1515.
Les comtes de Santa-Fiora en Toscane, béritiers de
l'antique maison d'Aldobranduclii , descendaient d'un autre
frère de Francisco, Bosio Sfoisza.
La famille des ducs de Sforza Cesarini, qui existe encore
aujourd'hui à Rome, provient d'une alliance matrimoniale
avec la maison de Sforza.
SGRAFFITO. C'est le nom qu'on donneen Italie à une
manière particulière d'orner de peintures l'extérieur des
maisons , qui ne devint en usage qu'au seizième siècle.
C'est une espèce de fresque en blanc et noir, que nous ap-
pelons manière égratignee. Elle est plus simple que la
peinture à fresque, et résiste mieux aux injures de l'air. On
prend de. la chaux avec du sable , et on y ajoute un peu de
paille brûlée; ce qui donne au morlier une teinte grisâtre
plus ou moins forte, suivant la quantité qu'on en a mis. On
enduit avec ce mortier les endroits qu'on veut peindre : lors-
qu'ils sont secs, on les blanchit dans de la chaux délayée dans
de l'eau; on fra<;e les dessins avec des cartons piqués, qu'on
applique sur le mur, en faisant usage d'un petit sac rempli
de poudre de charbon , qui, fiappé sur les traits, fait pas-
ser la poussière à travers les trous piqués et marque ainsi
les traits du dessin en points noirs. Le peintre se sert alors
d'une ou de [)lusieurs pointes de fer luiies ensemble, pour
tracer les objets et leur donner la rondeur nécessaire. Par
le moyen des hachures, le fond noir ou gris qui est sous
la couleur blanche , paraît alors et forme les traits ; dans les
demi-teintes, on met un gris léger, comme celui qu'on forme
avec de 1 encre de chine pour le lavis des plans. Ce procédé
demande à être employé par un dessinateur liabile; car
tout trait, tout contour, toute ligne, une fois tracés ne peu-
vent plus être eflncés. On dit qu'il fut surtout employé
SrOBZA — SHAFTESBURY
à Rome par Polidoro Caldara di Caravaggio de concert
avec le Florentin Maturino, et on lui en attribue même l'ia'
vention.
S'GRAVESAI\DE. Voyez Gravesasde.
SHADVVELL (Thomas), né en 1640, dans le Nor-
folkshiri', futpoëte lauréat et historiographe du roiGuil-
laume III, et remplaça en cette qualité Dryden. £n
fait de poésie, l'usurpateur tenait surtout aux opinions po-
litiques : or, Dryden avait le double tort d'être jacobite et
catholique. Il avait célébré dans X'Annus Mirabilis le fils
de Jacques, Venfant du miracle, l'hercule destiné à étouf-
fer dans son berceau l'hydre des factions. Il fut déposé, et
Shadwell nommé en sa place. C'est à Shadweli que commen-
cent les poètes lauréats de la monarchie constitutionnelle :
il a beaucoup emprunté à Ben Jobnson ; ses seuls titres de
gloire sont d'avoir fourni à Fielding l'idée du squire
Western dans Tom Jones, et à Walter Scott celle du ca-
pitaine Culpepper dans les Aventures de Nigel. Mais les
originaux sont bien inférieurs aux imitations. La fatuité de
Shadweli était incroyable. Il refit L'yti'orc de Molière, comme
Molière avait refait celui de Plante; et dans sa préface il
annonce que ce chef-d'œuvre des deux génies les plus co-
miques qui aient existé depuis Aristophane a beaucoup
gagné à passer par ses mains. Il ne respecta pas davantage
Skakspeare, et refit son Timon d'Athènes. Shadwell pre-
nait habituellement de l'opium, manie qui dans un homme
de lettres prêterait à l'épigrammc. Un jour, en 1692, il
IVjiça la dose, et cette imprudence lui coûta la vie. On a
de lui une traduction en vers des Satires de Juvénal. Il a
surtout travaille pour le Ihéâtre. Ses principales pièces
.sont: Les Amants chagrins, ou les impertinents (1C68),
Les Capricieuses, Le Virtuoso ( 1076), Psyché, Les Eaux
d'Epsom, Les Libertins, Les Sorcières de Luncastrc, etc.
SHAFTESBURY (Antucny ASHLEY-COOPER, pre-
mier comte DE ) , l'un des ministres du roi d'Angleterre
Charles II, né en 1021, dans le comté deJJorset, des-
cendait par sa mère de la famille Asliley, était fds de sir
John Cooper de Rockbourne, et perdit son père à l'âge de
onze ans. Il se consacra à la carrière du barreau, à Londres,
et entra dès 1640 à la chambre des communes, où il exerça
bientôt une grande infinence. Au commencement de la guerre
civile , il s'offrit comme médiateur au parti de la cour, qui
par peur repoussa ses avances. En conséquence, il passa daris
le parti parlementaire et organisa un corps franc à la tête
duquel il livra aux troupes royales quelques engagements
heureux. Après la dissolution du long parlement , il irrita le
protecteur par son opposition , et n'en réussit pas moins à
se faire réélire lors des élections nouvelles. Quand, après la
mort de Cromwell, il eut pu reconnaître combien la nation
était disposée en faveur du rétablissement de la monarchie, il
embrassa le parti des presbytériens, où il aciiuit une grande
infinence et devint l'âme de la réaction dont M o u k fut
l'instrument. A[)rès la restauration , Charles II le combla
de laveurs ; il le nomma lord lieutenant dans le comté de
Dorset , le créa pair du royaume en 1661, sous le titre de
lord Ashley, et bientôt l'appela aux fonctions de chancelier
de réchi<iuier. Quoiqu'il parût favorable à la politique de
la cour, c'était cependant autour de lui que se groupait l'op-
position dans la chambre haute; et il n'hésita point à com-
battre ouvertement le gouvernement à propos du fameux
acte de conformité, de la vente de Dunkerque et de la guerre
avec les Pays-Bas. Mais son caractère inquiet et l'insuffi-
sance de sa fortune le livrèrent bientôt pieds et poings liés
à la politique gouvernementale, dont il devint alors l'un
des plus intrépides soutiens; et en 1669 Charles Illenonuna
premier ministre. Il fit alors partie du cabinet demeuré fa-
meux dans l'iiistoire sous le nom de cabale, et qui , in-
féodé à la politique de Louis XIV, se proposait de rétablir
en Angleterre le calholicisme elle pouvoir absolu. En 1671
il fut créé comte de Shaflesbury. Quand il lui fut démon-
tré que les plans secrets de Charles II ne pouvaient point
réussir, et que ce prince était homme à sacrifier ses con-r
SHAFTESBURY
1G7
seillcrs au parlement, il u'iiésita pas à dévoiler, en 1673, à
la chambre haute toute l'intrigue dont il avait été l'un des
complices; et, avec l'absence complète de pudeur qui le
caractérisait, il passa encore une fois de plus dans les rangs
du parti populaire. Son premier soin alors fut de seconder
la motion par laquelle on introduisit l'acte du Test. Au mois
de novembre 1673, Charles II lui ayant enlevé ses pensions
et ses charges, il rompit sans retour avec la cour, et se mit
à la tête de l'opposition. Traduit en justice à propos d'un de
ses discours prononcés dans la chambre haute , il fut con-
damné à treize mois d'emprisonnement à la Tour. Une fois
rerais en liberté, Shaftesbury combattit avec énergie la théo-
rie de l'obéissance passive. Il éventa la conspiration pa-
piste de 1678, souleva, en 1679, la question relative à l'ex-
clusion du duc d'York, et finit par renverser le ministère du
comte de Danby. Contre l'avis de ses courtisans, Charles II,
qui comprenait jusqu'à un certain point les nécessités du
gouvernement parlementaire, le nomma, en 1679, président
de son conseil privé. Il n'en apporta que plus d'audace en-
core à provoquer l'exclusion du duc d'York, et il fit alors
adopter par le parlement le fameux acte connu sous le nom
iV IJ abeas corpus, qui mettait des limites à l'arbitraire
et aux caprices du pouvoir royal. Le retour à Londres du
duc d'York, qui se trouvait auparavant en Ecosse, inspira
à Charles II le courage de changer .ses ministres; et au
bout de cinq mois Shaftesbury (ut renvoyé. Celui-ci , com-
prenant bien que la lutte qu'il avait engagée contre le duc
d'York était de celles où il faut vaincre ou succomber, com-
parut, en février 1680, avec douze des principaux chefs du
parti anglican, devant le tribunhl du King''sBench, et y dé-
nonça le duc comme papiste relaps. Un bill excluant for-
mellement ce prince de la succession à la couronne ayant
été rejeté par le parlement, Shaftesbury s'unit au duc de
Mo nmou t h et à d'autres seigneurs pour, au cas où Char-
les II viendrait à mourir, s'opposer par la force des armes
à ce que le duc d'York montât sur le trône. L'activité qu'il
apportait dans l'organisation de cette grande intrigue dé-
termina la cour à le laire mettre à la Tour, en juillet 1680,
et aie traduire, au mois de novembre suivant, devant la
justice du pays sous l'accusation de haute trahison. L'allé-
gresse du peuple fut sans bornes, lorsque le Jury, faute de
preuves suffisantes , prononça un verdict d'acquittement ;
et tojit aussitôt après Shaftesbury entra avec Mournouth ,
R u s s e 1 1 et Algernon S i d n e y , dans la conspiration connue
.sous le nom (Je Rye-House plot. Les retards mis par les
conjurés à l'exécution du complot lui ayant paru tout au
moins compromettants , il eut la prudence de se réfugier
en 1682 à Amsterdam, où il mourut, le 2 janvier de l'année
suivante. Martyn a publié, d'après des papiers de famille,
les Mémoires de Shaftesbury (Londres, 1837).
[SHAFTESBURY (Anthony ASHLEY-COOPER , comte
de), petit-fils du précédent, né à Londres, le 26 février
1671 , fut d'abord élevé sous les yeux de son grand-père et
sous la direction de Locke. On imita dans cette éducation
domestique, pour l'étude des langues, la méthode suivie
pour Montaigne : une jeune personne, Miss Birck, la sa-
vante fille d'un professeur, fut choisie pour parler avec l'en-
fant le grec ol le latin. Tel fut le résultat de celle mesure
si simple qu'à l'âge de onze ans Shaftesbiu-y lut en état de
lire les vers d'Homère et de Virgile. Cet avantage conquis ,
ou fit passer le jeune élève dans une école particulière, celle
de Winchester ( 168.3). Mais bientôt Shaftesbury eut à su-
bir, au milieu d'une jeunesse trop familiarisée avec les dé-
bats du pays , tant de reproches et de persécutions au sujet
de la conduite politique de son grand -père, que dès ce
moment il prit en dégoût la carrière d'homme d'État. Il
quitta même l'école de Winchester pour voyager sur le
continent, et visita surtout la France et l'Italie, pays dont
il acquit les langues au point de les parler comme la siecne.
En Italie, il étudia les beaux-arts, et il retourna en Angle-
terre , un an après la grande révolution qui venait d'ex-
pulser Jacques II. U avait alors dix-huit ans. Bientôt on vou-
lut le faire entrer au parlement au moyen d'une de «es
élections qui se faisaient alors si facilement en Angleterre,
et que de nos jours on sait aussi faire ailleurs. On dit qu'il
aima mieux continuer encore ses études et garder sa liberté;
mais nous avons fait entrevoir le motif qui le détermina
sans doute plus que tout autre , et peut-être sans qu'il s'en
rendît compte lui-même. Guillaume III, qui aimait peu les
courtisans , rechercha Shaftesbury , et essaya de l'attirer dans
son conseil. On prétend que celui-ci résista aux offres du
prince, par les mêmes raisons qui l'avaient éloigné du par-
lement. Cependant , à l'âge de vingt-trois ans , il entra dans
la chambre des communes, où , bien résolu à ne jamais en-
courir la haine nationale , il se montra constamment le dé-
fenseur des libertés publiques; et, jaloux de cette popula-
rité qui pour les âmes élevées a plus de charme que nulle
autre grandeur , il remplit ses fonctions de député avec un
tel dévouement que sa santé en fut altérée. A la dissolu-
tion de la chambre de 1698, il renonça aux élections; et,
impatient de reprendre ses travaux littéraires , il se rendit,
quelque temps après, en Hollande, auprès de Bayle et de
Leclerc , et autres savants , dans la société de qui il vécut
pendant plus d'une année. De retour en Angleterre , Shaf-
tesbury ne tarda pas à entrer dans la chambre haute, où
il exerça une grande influence en appuyant la politique du
puissant rival de Louis XW. Guillaume III, qui appréciait
d'autant plus Shallesbury , que ce pliiloso|)lie professait
plus de respect pour la Hollande , lui offrit le poste de se-
crétaire d'État. Mais la résolution du philosophe de ne pas
entrer dans celte carrière qui avait rempli d'amertume la
vie de son grand-père paraissait invariable : il demeura tou-
tefois le conseiller bénévole du prince. A l'avènement delà
reine A une, il se détacha complètement de la cour. Cette
princesse, véritable Stuart , suivait des principes fort diffé-
rents de ceux de son beau-frère Guillaume III , et les mi-
nistres tories qui avaient sa confiance privèrent bientôt
Shaftesbury, pour le punir du rôle qu'il avait joué, de l'u-
nique place qu'on pouvait lui ôter, celle de vice-amiral du
Dorsetshire. Désormais libre , Shaftesbury fut tout entier
aux éludes et à ses relations littéraires avec le continent ,
surtout la Hollande, qu'il alla visiter de nouveau.
L'enthousiasme religieux que firent éclater dans les Cé-
vennes les mesures de rigueur que Louis XIV y employa
contre les calvinistes , enthousiasme qui dans quelques ré-
fugiés, alla jusqu'à l'extase, eut du retentissement en An-
gleterre. Le mouvement y fut d'autant plus grand qu'on
éprouvait plus de sympathie pour ces pauvres exilés de
l'Ardèche, et plus de haine pour le monarque absolu qui
protégeait ces Stuarts, dont on combattait depuis si long-
temps le système d'absolutisme et d'envahissement. Telle
fut en Angleterre l'exaltation des prophètes français et de
leurs partisans, qu'on diil .songer à des mesures d'une vi-
goureuse répression. Shaftesbury avait lui-même combattu
le système de Louis XIV et celui des Stuarts, soit au par-
lement, soit à la cour de Guillaume 111. Cependant, loin
de partager Tenlhousiasme des prophètes, il s'alarma de
ce mouvement religieux , et en fit l'objet d'une lettre pleine
de dérision (Letter concerning Enthusiasm [Londres,
1708 ]), à laquelle on attribue la chute du prophétisme des
réfugiés. On a tort. C'est l'esprit sceptique du temps qui ,
en 1708, dicta la lettre de Shaftesbury : ce n'est pas la
lettre elle-même qui produisit cet effet. En 1709 cet écri-
vain publia un volume intitulé Les Moralistes , compo-
sition qu'il a traitée lui-même de rapsodie philosophique ,
et qui n'est guère autre chose; puis un Essai sur la li-
berté de l'esprit et de l'humeur ( Essai on the freedom
oj wit and humour) , où il traite la raillerie de puissance.
Shaftesbury , âgé de trente-huit ans, n'était pas encore
marié; il contracta cette année même avec une de ses
parentes , une alliance qui ne parait pas avoir occupé son
cœur bien profondément. L'année suivante il publia son
Avis à un auteur (soliloque). C'est un des morceaux les
plus soignés de l'auteur; on y trouve de l'e^jint et de l'érU'
1G8
SHAFTESBURY — SHAKERS
dition , mais il y a beaucoup de rëpélilions ; et ce qu'on y sent
avec le plus de peine , c'est cette absence de toute tendance
forte et précise qui caractérise la plupart des ouvrages
de l'auteur. Sbaftesbury, qui était retourné en Italie en l'an
1711 , y écrivit sa Lettre sur le Dessin ; mais la mort le
surprit à Naples, à l'âge de quarante-deux ans, sans qu'il
eût eu le temps de donner quelque grande composition ni
de rendre à son pays des services proportionnés à sa nais-
sance ou à son génie. Peu de temps apràs sa mort, on pu-
blia ses œuvres en 3 volumes in-8°. Elles portent le titre
de Caracteristics ofMcn, manners and times, et exercè-
rent une grande influence , car elles portaient un grand nom,
et elles répondaient au penchant de l'époque.
Apprécions en quelques mots la valeur de Sbaftesbury
commeécrivain,comniemoralisteetcommepbilosoplie. Con-
sidéré comm^écrivain, il brille par l'élégance, la grâce et la
finesse; mais la recberclie et l'emphase déparent d'ordinaire
ses pages les mieux écrites. Commemoraliste, ilestau-dessns
du médiocre, mais loin du bon. On pourrait dire qu'il est
mauvais. C'est lui qui a posé le premier comme principe et
mobile suprême de nos actions ce sentiment de bienveil-
lance oxx de sympathie qm &\\sM si bien à la mollesse gé-
nérale des mœurs de son temps , et dont on n'a pas tardé à
(aire dans les écoles d'Écossc le souverain principe de toute
morale. Sbaftesbury proposa de faire de ce sentiment si
vague et si incertain la norme , la règle de l'activité hu-
maine. De toutes nos alfectious, il lit trois parts: la pre-
mière , il la forma des affections qui ont pour objet le bien
public, et qu'il appelle nattirelles ; la seconde, il la com-
posa des affections ([u'il appelle égoïstes {self-affections ) ,
parce quelles n'ont pour objet que le bien de l'individu.
il embrasssa dans la troisième toutes les affections qui
n'ont pour objet ni le bien d'un individu ni le bien public ;
et ces alfectioas, il les qualifie de non naturelles (un-na-
tural). Après cela, il déclara que nos actions sont ver-
tueuses quand elles sont déterminées par les affections des
deux premières classes, et vicieuses quand elles sont ins-
pirées par celles de la troisième. Il les taxa des vicieuses
encore quand les affections égoïstes s'y montrent trop
fortes ou les aflections naturelles trop faibles, n La vertu,
dit-il, est l'empire pur de ces dernières. La vertu est en un
mol ce (jui est conforme à la nature, et le bonheur est le
partage de celui en qui les affections naturelles , le désir du
bien public ou la bienveillance, dirigent toutes les affections,
mêmecelles quisont égoïstes. « Suivant lesystème de Sbaftes-
bury , la vertu , c'e^^t donc le bonheur ; le vice , c'est le mal-
heur. Et pourtant Sbaftesbury accusait Locke , son maître ,
d'avoir par sa morale miné l'ordre du monde ! Que dire de la
sienne propre? A la juger avec une grande indulgence, elle
n'était ni vraie ni fausse ; elle n'était que triste et confuse. Mais
Sbaftesbury, écrivain brillant, occupait dans l'aristocratie an-
glaise ce rang qui est une puissance dans les mœurs du pays.
11 fut lu et prôné; il devint le dictateur des gens du mondeet
le chef des écoles. Un juge qui n'est pas suspect, Voltaire,
qui a puisé dans les auteurs anglais ce qu'il y a de fort dans
ses doctrines, et dont l'admiration pour ces écrivains fut en-
core plus grande que la docilité , Voltaire lui-même ne put
s'empticher de repousser le système de Sbaftesbury. « Cet
optimisme, dit-il, n'est au fond qu^une fatalité désespé-
rante. »
A entendre ce moraliste , si nos efforts, si beaux qu'ils
soient, ne nous conduisent pas au bonheur, nous serons
forcés de nous déclarer vicieux en dépit de tout. Dans ce cas,
la vertu n'aura été que l'erreur, que le vice : doctrine af-
freuse, et qui dans d'autres temps eiit soulevé toutes les
âmes pures! Elle prévalut, au contraire, en Angleterre, et
même en Ecosse , sous les formes séduisantes (lu'elle avait
revêtues. Sbaftesbury la prêchait dans des ouvrages dont
personne ne se défiait , si bien que son esprit et les grâces
de son style en déguisaient le sensualisme. Cet au-
teur cachait avec plus d'art encore .sa profonde antipathie
t)Our la religion. On fut même longtemps à découvrir qu'il
n'était que le plus subtil de tous les adversaires du christia-
nisme, et avant cette découverte on se pénétra impru-
demment de ses principes. Dans des temps plus sévères, on
eût fait plus aisément une remarque que Voltaire fit d'un
coup ïœW, et qu'il crut devoir signaler en ces mots : « Le
mépris de Sbaftesbury pour la religion chrétienne, dit-il,
éclate trop ouvertement dans ses livres. « Cela est si vrai
que Sbaftesbury trouvait quelque chose à^agréable, de gai
ou AHronique dans les discours les plus graves et dans les
plus étonnants miracles de Jésus-Christ. Quand l'Angle-
terre fit aussi cette découverte, c'était un peu tard pour com-
battre la contagion du mal. Déjà la doctrine de Sbaftesbury
avait passé dans les écoles.
En résumé , si Sbaftesbury s'abstint des affaires pour ne
pas s'exposer aux destinées de son aïeul, et ne pas léguer à
sa postérité des haines dont il avait eu la douleur d'hériter
avec son nom , il exerça sur les doctrines morales et poli-
tiques de son pays une action mille fois plus fâcheuse que
n'avait été celle du chancelier, dont l'exemple le préoccu-
pait. On a d'abord trop exagéré le mérite de Sbaftesbury;
on l'a trop contesté ensuite. Ce qu'on ne saurait ni contester
ni exagérer, c'est son immense action sur les débats du dernier
siècle. Matter.]
SHAFTESBURY (Anthony ASHLEY-COOPER, septième
comte de), l'un dés descendants du précédent, connu comir>e
philanthrope et comme soutien du parti évangélique dans l'É-
glise anglicane, estnéen 1801 , et jusqu'àlamortdeson père,
arrivéeen 1851, porta le titre de lord Ashley. Envoyé en 1826
à la chambre basse par la ville de Woodstock, il y appuya de
ses voles .silencieux les ministres Liverpool et Canning. Sous
l'administration de Wellington, il fut appelé à faire partie du
conseil supérieur de l'Inde désigné sous le nom de board of
countrol. Sous le court ministère de Robert Peel, en 1825,
il fut nommé lord de l'amirauté ; et à la mort de Sadler il
prit la direction des efforts faits dans le parlement pour
obtenir une loi réduisant à dix heures la journée de tra-
vail dans les ateliers. Quand Peel revint aux affaires, en 1841,
lord Ashiey refusa d'entrer dans son ministère parce qu'ils
n'étaient point d'accord sur cette importante question. En
1846 il vota l'abolition de la législation protectiice créée ea
faveur des céréales produites par le sol anglais. Depuis son
entrée dans la chambre haute, il s'est constamment montré
l'avocat du principe protestant ; et tous ses efforts, comme
homme privé et comme homme public, ont eu pour but l'amé-
lioration sociale et morale des classes inférieures. C'est ainsi
(lu'on lui doit l'idée des cités ouvrières, édifices destinés à
fournir aux ouvriers des logements à bon marché, et celle
des ragged schools (écoles à haillons) , à l'usage des enfants
de la classe la plus infime. Comme à ses yeux il s'agit avant
tout du progrès de l'idée chrétienne , il s'associe avec em-
pressement à tout ce que |)euvent tenter dans ce but des
dissidents. Il s'est fait remarquer comme écrivain par que4-
qiies bons articles fournis au Quaterly Review sur des ques-
tions sociales et industrielles.
SHAKERS ou SHAKING-QUAKERS, secte qui prit
naissance vers 1757, à Manchester, en Angleterre, et qui
depuis lors a été transplantée en Amérique. Ses fondateurs
appartenaient à l'origine à la société desqtiakers, avec la-
quelle les shakers sont encore aujourd'hui d'accord pour
résister à l'autorité civile et religieuse de l'État, pour re-
fuser le service militaire et toute prestation de serment,
pour rejeter les sacrements, et dans la foi en des révélations
directes de l'Esprit Saint. Cette secte a reçu son caractère
actuel d'une nommée ilnna Lee, qui se mit à. sa têteen 1770.
Cette femme, née en 17.16, était fille d'un taillandier de Man-
chester, et avait épousé fort jeune un ouvrier de la même
profession que son père. Après s'être raltachécaux shakers,
elle prétendit avoir reçu une mission divine, et rencontrTi
une foi absolue dans sa secte, oij elle fut reconnue comme
mère et comme prophétesse, tandis qu'elle-même se nonm.i
le Verbe. Persécutée en Angleterre, elle s'embarqua en 1774
avec quelques-uns de ses adhérents pour l'Amérique, où
SHAKERS —
eUe fonda la première commune ou famille des shakers , à
Watervliet, près d'Albany. Elle avait annoncé qu'elle était
immortelle , mais tfen mourut pas moins dès l'année 1784 ;
ce qui ne porta d'ailleurs aucunement atteinte à la foi ro-
buste qu'avaient en elle ses croyants. Le nombre s'en accrut,
au contraire, et ils constituèrent alors de nouvelles com-
munesàLebanon, dansTÉtatde Massachusets,piiis àEnfield,
dans le Connecticut; et le nombre s'en accrut successive-
ment à tel point qu'en 1832 on ne comptait pas aux États-
Unis moins de quinze communes ùe shakers , comprenant
plus de 6,000 individus. Le célibat est leur dogme prin-
cipal; le mariage n'est permis dans aucune circonstance et
sous aucun prétexte ; la société. ne se recrute que par voie de
prosélytisme. La communauté de biens la plus absolue règne
parmi les shakers , qui se distinguent par leurs habitudes
laborieuses , leur loyauté et leur sobriété. Les objets qu'ils
fabriquent sont recherchés dans toute l'Amérique, à cause de
leur solidité et de leur simplicité; les médecins prisent
aussi beaucoup leurs collections d'herbes médicinales (sha-
kcrs-herbs). Cultivateurs habiles, ils ne demandent au sol
que ce qu'il peut naturellement produire, et en obtiennent
en abondance de riches récoltes. L'élève du bétail , à la-
quelle ils se livrent avec beaucoup de soins et d'intelligence,
est une de leurs principales sources de richesses. Dans tous
les villages de shakers on est agréablement impressionné
par l'extrôme propreté et le bon ordre qui régnent dans
toutes les métairies, et dans toutes les maisons d'habitation,
ainsi que par le calme profond dont elles offrent le tableau;
la seule ombre au tableau, c'est l'air lugubre et ascétique des
liahitants, c'est la bizarrerie de leur costume, qui est demeuré
en tout tel qu'il était à l'origine de la secte , au milieu du
siècle dernier.
Ce nom de shakers leur vient des mouvements d'une na-
ture particulière qu'ils exécutent au service divin, et qui à
l'origine étaient beaucoup plus violents qu'aujourd'hui. Main-
tenant ils se bornent généralement à une procession formée
de deux rangées des deux sexes, et se terminant par une
espèce tle danse des morts, que les exécutants accom-
pagnent du chant d'un hymne et de battements des mains.
Riais souvent la danse des morts prend un caractère si sau-
vage et si furieux, que les exécutants (inissent par tomber
à terre d'épuisement. Les communes sont administrées par
les anciens; la direction suprême appartient d'ordinaire à une
femme , que des visions ont appelée à cet honneur et qu'on
considère comme l'incarnation de la première prophétesse
Anna. Le symbole de foi des shakers est contenu dans le
livre intitulé : Testi)nonij of Christ' s second Appearance.
SHAKESPEAR. Voyez Shakspeare.
SHAKO. Vojjez Scuaros.
SHAKSPEARE ou SHAKESPEAR (William ), né le
23 avril 1561, à Stratford-sur-Avon, dans le comté de "\Var-
wick, mourut dans la même ville, en IGIG, le jour anniver-
saire de sa naissance.
Tous les biographes gardent le silence sur ses premières
années ; l'époque et le lieu de sa naissance sont seuls pré-
cisés. On n'a pas même encore déterminé s'il était catho-
lique ou protestant. Toutefois, il n'est guère probable qu'il
eût pu sans encourir sa disgrd:e professer une autre reli-
gion qu'Elisabeth, et nous voyons au contraire qu'il jouit
de sa faveur. Ses œuvres ne nous apprendraient rien à ce
sujet. Son père s'occupait, à Slratfonl, d'un commerce de
laine. Il avait rempli tour à tour, dans la corporation de
cette petite bourgade, les fonctions de juge de paix, de
grand-bailli etd'aldcrman.Des revers de fortune étant surve-
•nus dans son commerce, et se trouvant chargé de dix
enfants , dont Shakspeare était l'aîné , il fut obligé d'aban-
donner cette dernière charge , dont il ne pouvait plus sou-
tenir les frais. Suivant d'autres, il aurait joint à son trafic
de laines le métier de boucher, et le jeune Shakspeare aurait
préludé par de sanglantes immolations aux représentations
terribles qu'il mit plus tard sur le théâtre Ce témoignage
est contesté, et malgré de longues et laborieuses reclier-
SHAKSPEARE 169
ches, dignes d'un succès meilleur, les premières années du
grand poète restent environnées d'ime obscurité qui ne com-
mence à se dissiper qu'à l'époque de son mariage.
Le goût de la vie conjugale lui vint de bonne heure. Il
avait dix-hult ans et demi lorsqu'il épousa la fille d'un ri-
che fermier du voisinage, Anna Hathaway, alors âgée de
vingt-six ans. Elle lui donna la première année de leur union
une fille, baptisée le tO mai 1663 sous le nom de Sîizanne ,
et l'année suivante deux enfants jumeaux , un garçon et
une fille, dont une seul, Judith , vécut, ainsi que sa sœur
aînée. Il ne parait pas du reste que cet hymen lui imposât de
bien lourdes chaînes, ou qu'il ait été contracté par amour.
La vie qu'il menait alors était môme assez aventureuse;
poursuivi, dit-on, pour fait de braconage, il fut condamné à
une réprimande publique, mininuimde la peine en pareille
circonstance. Une pièce devers qu'il composa contre le pro-
priétaire sur les terres duquel il avait indûment chassé et
qui lui avait valu cet alfront lui attira, ajoute-t-on, de
nouveaux démêlés judiciaires, 11 se hâta alors de quitter
Slratford , et vint à Londres chercher un asile.
Alors commença pour Shakspeare une vie nouvelle. Jeté
sans ressource dans une grande ville , quels furent ses pre-
miers moyens d'existence? On l'ignore à peu près complè-
tement; toujours est-il qu'il finit par entrer dans une troupe
de comédiens. On a prétendu, mais à tort, que dans le
cours de sa carrière dramatique il mena la vie libre et dé-
bauchée d'un baladin. D'un tempérament faible, il évitait, au
contraire, toute dissipation. Doué d'une àme tendre et
mélancolique, il parait que l'amour lui fit éprouver de pé-
nibles affections. L'absurde préjugé ipii de nos jours encore
pèse sur la profession du comédien était beaucoup plus
violent à l'époque où vivait Shakspeare. Un acteur était
alors considéré comme uu paria, et retranché à ce litre
du sein de la société. On conçoit qu'ainsi refoulé dans
les dernières classes du peuple , son choix dut souvent tom-
ber sur d'indignes objets. Un comédien aspirer à l'amour
d'une dame! mais c'eût été une audace inouïe, un crime
impardonnable. Va donc , poète! jette aux vents les accents
passionnés de ton cœur, brûle un divin encens aux pieds
d'idoles insensibles ; puis, triste et découragé, reviens le soir
pleurer en silence auprès d'ime femme qui te regarde éton-
née , ne pouvant te comprendre; et le monde, le monde,
juge impartial et éclairé , dira que tu fus un misérable ba-
ladin , sensuel et débauché. Cette position si cruelle influa
sims doute heureusement d'un autre côté sur le développe-
ment de son génie. Dans une sphère plus élevée, il n'aurait
peut être pas jeté un coup d'œil aussi libre sur l'humjnité ;
et ce que la vie du grand monde lui eut (ait gagner en subtile
fines.se, il aurait pu le perdre en profondeur.
Shakspeare mena d'abord à Londres une vie assez obscure.
Il ne paraît pas qu'il obtint alors un succès fort brillant. Ni
comme acteur, ni comme auteur, il ne s'était encore beaucoup
distingué, lorsqu'en 1592 parut sa première œuvre dramatique
importante, fiomeo et Juliette. On ne connaîtrait pas la date
de cette pièce, qu'il serait aisé de la deviner. Dans aucune
autre les causeries d'amour ne sont aussi longues, aussi
tendres : l'amour lui-même forme tout le fond de la pièce;
dans celles qui suivirent, les caractères peuvent être tracés
aveci)lusde profondeur, des intérêts plus graves y être mis
enjeu, mais nulle part Shakspeare n'a déiiioyé plus de pas-
sion que dans les adieux de Roméo et de son amante.
11 avait trenle-et-unans lorsque iiOJ?(('o Pi /«ii''«e parut sur
la scène. 11 est bien probable que ce n'était pas là son pre-
mier essai dramatique. On peut assurer du moins qu'il était
déjà cité comme auteur, soit qu'il eût donné quelques pièces,
soit que les changements qu'il faisait subir aux pièces ano-
nvmes dont les comédiens achetaient la propriété lui eus-
sent mérité cette qualification. Il s'était d'ailleurs exercé
dans un ar.tre genre, etShakspearc lui-même appelle lepre-
mier-né do son imagination un poème de Vénus et Adonis,
qu'il publia en 1593. A ce poème, dédié à lord Southamplon,
son ami et son protecteur, succéda, l'année suivante, celui
170
SHAKSPEARE
de Lucrèce, également dédié à ce seigneur, mais écrit sous
une inspiration toute diflérenle.
Lord Soulhainpton était un jeune seigneur delà cour d'É-
lisat>elU ; contrarié dans ses amours par cette reine impérieuse,
tout porte à croire qu'il fit à Sliakspeare la conlidence de
ses peines secrètes, et les sonnets du poëte, presque tous
adressés à lord Soutliampton, renferment des allusions évi-
dentes à ce sujet. Ces sonnets du grand iiomme i)rouvent
la bonté de son cœur et la vivacité de sa reconnaissance.
Soutliampton avait de son côté les plus tendres égards pour
le poëte ; mais la profession de ce dernier mettait entre eux
un obstacle alors insurmontahie. l^our .Sliakspeare, un clia-
grin secret dévorait son àme pleine de (iertc II ne pouvait
se dissimuler la profonde humiliation que son état faisait re-
jaillir sur lui. Souvent il s'exhalait en plaintes amères sur sa
misérable condition ; mais rien ne i)0uvait la changer. Posses-
seur d'une assez belle fortune, car jamais il ne fut pauvre
dans sa carrière dramatique, comme on l'a prétendu, il aurait
pu quitter le théâtre; mais celte démarche ne lui eût servi
de rien. Il s\il(isait qu'il eût i)aru sur la scène pour qu'un
sceau de réprobation le marquât éternellement au front.
Des exclamalions de douleur lui échappaient au milieu de
ses compositions poétiques : « De là vient, dit-ii en parlant
de sa profession dans un de ses sonnets , de là vient que
mon nom reçoit une marque flétrissante ; de là ma nature
est presque rabaissée au niveau delà tâche où elle est mise. »
Un recueil de ses sonnets et quelques poésies amoureuses,
publiées sous le titre du Pèlerin passionné, semblent clore
la liste de ses œuvres élécjiaques ; élégiaques, disons-nous,
car elles portent évidemment tous les caractères de l'élégie.
Ces œuvres paraissent avoir occupé les premières années de
son séjour à Londres ; par la suite, il se livra presque exclu-
sivement à des comiiositions dramatiques. Il ne se passait
pas une année sans que Sliakspeare donnât une ou deux
pièces de théâtre. C'est ainsi qu'il lit jouer successivement
Périclès , Peines d'amour perdues, les trois parties de
Henri VI, Othello, La Tempête, Les Joyeuses Commères
de Windso7; oii reparait Falstaff, ce personnage si original,
que le poète avait déjà fait (igurer dans son Henri V,
Beaucoup de besogne pour rien. Le Marchand de Ve-
nise, etc. Mais il serait presque impossible d'assigner une
date précise à chacun de ces ouvrages. Toutefois, on peut sup-
pos«,'r que l'admirable poème dramatique intitulé Henri VI
ne fut composé qu'après Cymbeline et Le Songe d'une
nuit d'été , et qu'en général les drames d'imagination précé-
dèrent les pièces bistoriques; Ces dernières en effet révè-
lent un esprit mûri par l'expérience, un progrès dans le
style et l'exécution, qui semblent justifier notre hypothèse.
Né après les dernières convulsions du moyen âge expi-
rant, Sliakspeare a retracé dans ses pièces historiques les
cent années qui précédèrent sa propre naissance. C'est une
galerie chevaleresque : là sont suspendues les cottes de
mailles et les masses d'arme du quatorzième et du quin-
zième siècle. Vous voyez réunis sous leurs gonfanons et
leurs bannières les fiers paladins de cet antique brigandage.
Ils revivent ; leurs cœurs indomptés battent contre leurs
cuirasses; leur sang bouillonne pour le combat; leurs pa-
roles sont menaçantes comme leurs glaives. Le poète ne
les fiatte pas ; il ne les calomnie point. Il ne leur prête ni
loyauté ni vertus surhumaines, ni principes exaltés. Il
n'en fait pas des monstres ou des lâches. Observateur
inexorable, il juge des hommes avec une froideur qui dé-
sole, avec une profondeur qui effraye; découvre la plus
légère faiblesse dans la plus haute vertu, la moimlie
nuance de vertu dans l'âme la plus criminelle , et ne prend
la peine de tirer aucune conclusion de ses remarques. Ce
poëte, si souvent raillé comme un auteur frénétique et
barbare , est surtout remarquable par un jugement si haut,
.si ferme, si impitoyable, qu'on serait tenté d'accuser sa
froideur et de trouver dans une observation si impassible
je ne sais quoi de cruel pour la race humaine.
Les pièces historiques de Sliakspeare portent ce caractère
au plus haut degré. Le génie pittoresque, rapide, véli(^
ment qui les a dictées semble soumis lui-même à la loi
supérieure d'un jugement presque ironique dans sa clair-
voyance. Sensibilité dans les détails, force ardente d'imagi-
nation, éloquence des émotions, ces dons brillants delà
nature , qui semblent devoir entraîner un poëte hors de
toutes les limites , se subordonnent dans celte intelligence
extraordinaire à une sagacité froide et môme moqueuse, qui
ne pardonne et n'oublie rien. Aussi les drames dont nous
parlons sont-ils pénibles comme de l'histoire. Dans les
drames purement poétiques, auxquels ce grand poëte a
donné tant de vraisemblance , nous nous consolons en
pensant que ces malheurs sont imaginaires et que leur
vérité n'est que générale ; mais les chroniques dialoguéQs
que Shakspeare a esquissées sont trop réelles : voilà des
maux irrévocables, des scènes que le monde a vues, des
horreurs qu'il a souffertes. Plus les détails qui*ont dii ac-
compagner ces événements sont frappants de vérité , plus
ils nous font mal ; plus l'auteur est impartial, plus il nous
blesse et nous accable. Cet emploi d'un grand talent n'est
plus qu'une froide et profonde satire de ce que nous
sommes, de ce que nous serons, de ce que nous fûmes.
Le talent si admirable de Shakspeare ne s'est pas dé-
veloppé solitaire au milieu d'une littérature qui n'avait en-
core rien produit de remarquable. Shakspeare eut des ri-
vaux : il avait eu des prédécesseurs. Ce que l'on ignore
en général, c'est qu'il fut lui-même le résultat et le cou-
ronnement d'un vaste mouvement littéraire, qui prend sa
source cinquante ans avant lui , et qui meurt cinquante ans
après lui. Les écrivains dramatiques antérieurs à Shaks-
peare ou ses contemporains sont plutôt les échos de leur
époque que des talents individuellement hors de ligne.
Presque tous ils se ressemblent : dialogue, caractère, ta-
bleaux, passages lyriques, situations tragiques ou bouf-
fonnes, tout chez eux émane de l'époque, et non des
hommes : ce théâtre est l'œuvre du siècle. Cependant, quel-
ques-uns se distinguèrent par une assez belle originalité.
Avant Shakspeare avait brillé Marlowe, espèce de Ro-
trou barbare; poëte dont les yers, puissants (comme di-
saient ses contemporains) semblent rappeler Lucain et faire
pressentir Corneille ; écrivain peu dramatique, mais doué
d'un véritable génie. Du temps même de Shakspeare vivait
John Marston, l'Arétin de l'Angleterre, cynique effréné,
dont chaque tirade est une morsure envenimée , dont la
misanthropie amère , et qui n'a jamais été surpassée , sem-
ble vaciller entre la dernière véhémence de l'invective et
l'épigramme fille de Beaumarchais. Ford , admirable dans
les scènes pathétiques, avait fait dire à la passion humaine
son dernier mot et fatigué la scène de toutes les tortures
morales que l'homme peut ressentir. Webster, l 'Espagno-
le! de l'ancien drame , exagérant comme ce peintre le prin-
cipe de terreur dans lequel son génie paraissait se com-
plaire , avait nui à l'effet de ses drames à force d'outrer
cet effet même. Middleton et Rowley avaient retracé avec
mie facilité bourgeoise et souvent avec un pathétique vrai
les scènes intimes de la vie anglaise à cette époque. Si le
grand nombre de défauts qu'on rencontre chez ces auteurs
les fait reléguer dans une sphère inférieure, on ne peut
disconvenir cependant que les traces de leur puissance in-
tellectuelle ne soient nombreuses et brillantes. Depuis la
mort de Sheridan, aucun des auteurs dramatiques de
l'Angleterre n'a rien produit qui approche des œuvres jetées
au hasard par le plus faible des écrivains que nous venons
de nommer. Eh bien , entre eux et Shakspeare se trouve en-
core une classe intermédiaire, qui les dépasse singulièrement
et qui n'est inférieure qu'à ce dernier. Ainsi , Ben-Johnson,
qui ne connaissait nullement l'art de faire vivre la passion
humaine, et que l'on peut trouver froid et compassé, Ben-
Johnson est de tous les écrivains connus celui qui a le plus
curieusement approfondi et présenté sous toutes ses faces
un caractère d'homme : bizarreries, nuances subtiles et
délicates , il n'a rien oublié. Ses œuvres nombreuses formect
SHAKSPEARE
171
l,n coUi^ttion presque complète de tous les personnages
que l'Angleterre sous Élisabetli présente à l'observateur.
Presque sur la même ligne que lui se trouve Massinger,
poëte smgulier, qui ne vous intéresse que pour des êtres
repoussants, et qui cependant a une moralité forte, une
mâle et grandiose éloquence : n'attendez de Massinger rien
mn ressemble à de la grâce, à de la flexibilité, à de la
douceur ; les attributs de l'esprit féminin lui sont antipathi-
ques. Ilsuivrajusquedansleurs derniers résultats les ravages
d'une passion forte et d'une volonté puissante. C'est un pein-
tre sombre et ardent , qui semble réunir quelques-unes des
qualités de Jolinson pour l'observation et de Webster pour
la terreur. Ensuite viennent, pour clore cette liste étonnante,
[5ea,u mont et Fie tclier, étranges jumeaux poétiques,
dont le génie se confondit et se mêla si bien que les pièces
qu'ils composèrent de concert semblent appartenir à un
seul homme, et que celles que chacun d'eux a écrites à
part ne portent aucun cachet spécialement reconnaissable.
Ces écrivains sont plus ornés, ils ont plus de luxe, et se
permettent plus de licence que leurs prédécesseurs ; leur
poésie est à la poésie de Shakspeare ce que la Régence fut
au siècle de Louis XIV. Il y a dans leur style des paillettes,
de l'éclat sans pudeur, de la verve sans arrêt, mille beautés
souvent déplacées, une richesse, pour ainsi dire, libertine,
une effervescence plutôtsensuelle que sensible ou poétique;
ils sont grands par leur variété , mais ils n'ont pas appro-
fondi les caractères , mais les situations , ils ce bornent à
les esquisser.
Tel était le théâtre au temps où vivait Shakspeare. Pour
lui, le premier de tous par son génie, il semblait ignorer
sa supériorité. La douceur, la simplicité de son caractère ,
le faisaient généralement aimer, et un poëte anglais , né
dans le siècle suivant, dit qu'il était chéri de tous ceux qui
le connaissaient.
Shakspeare avait acquis durant le cours de sa carrière dra-
matique une brillante fortune. En lj97 il acheta à Strat-
ford une grande maison, qu'il lit en partie rebâtir. Plus tard ,
en 1002, il acquit un lot de cent sept acres de terre qui
venait rejoindre sa maison. Ensuite il prit, pour une somme
assez forte, la moitié du bail des dhnes de la paroisse de
Stratford. Il possédait en outre plusieurs petits domaines,
vergers, jardins, non-seulement à Stratford, mais à Bu^
shampton et à Welcombe , villages du comté de Warwick.
On a donc faussement prétendu que Shakspeare avait traîné
des jours misérables dans la dépravation et l'indigence. Il
jouait ses pièces dans une petite baraque de bois nommée le
Globe. L'intérieur du théâtre n'était pas des plus confor-
tables : les décors étaient bannis de la scène comme un
luxe inutile, et des écriteaux désignaient aux spectateurs
la place où ils devaient être : souvent le public attendait,
en trépignant d'impatience , qu'on eût fait la barbe à la reine ;
car le puritanisme anglais excluait alors les femmes de la
scène. Mais ces inconvénients, qui nous choqueraient étran-
gement , n'empêchaient pas la foule d'alfluer au petit Rond
de bois, comme on l'appelait; et des bravos frénétiques
et des recettes abondantes dédommageaient les pauvres co-
médiens des déboires attachés à leur profession. Shakspeare
avait cinquante ans lorsqu'il résolut d'abandonner le théâtre.
11 se démit de la direction du Globe, et partit pour Strat-
ford, où quelques années auparavant il était allé marire
sa fille Suzanne, et avait planté dans le jardin de sa maison
un mûrier longtemps célèbre. D'ailleurs, il parait que tous
les ans il allait , dans la belle saison , passer quelque temps
à Stratford , au sein de sa famille. Pendant un espace de
trente années la femme de Shakspeare ne paraît pas une
seule fois dans sa vie; et son nom n'est cité que dans son
testament. Les derniers moments que Shakspeare coula dans
sa retraite de Stratford sont encore plus obscurs que les
autres années de sa vie. Ce dut être vers 1614 que Shaks-
peare se retira du tliéâtre. Il ne jouit pas longtemps du
r'i^pos qui semblait promis au reste de sa carrière. H venait
«e marier sa seconde tille, lorsqu'il succomba, le 23 avril
t6ic, dans sa cinquante-deuxième année; sa femme et ses
deux filles lui survécurent; mais sa postérité s'éteignit dès
la seconde génération. Consultez F. Guizot , Études sur
Shakspeare ( Paris, 18:)3). Philarète Chasles.
Toutes les recherches faites par Steevens , Malone, Drake,
Tieck, etc., pour fixer la date précise des premières repré-
sentations des pièces de Shakspeare ont laissé beaucoup de
doute et d'incertitude sur cette question ; ce que l'on peut
affirmer d'après le témoignage formel de Mère, contempo-
rain du poëte, c'est que les Gentlemen of Verona, Comedy
of Errors, Love' s Labours lost (le titre actuel est AU' s well
that end's vicll), Mïdsummer NighVs Dream, Merckant
of Venice, Richard II, Richard III, Henry IV, Kiny
John , Titus Andronicus et Romeo and Juliet avaient paru
avant 1598. Il existe d'ailleurs des éditions de Richard II,
Richard III et de Romeo and Juliet de 1597, de Ileii-
ri /F et de Love's Labours lost de 1598, de Titus Andro-
nicus, de Ilem-i V, du Merchant of Venice, de Midsum-
mer Night's Dream et de Much ado about nothing de
1600, des Merry Wives of Windsor de 1602, de Hamlet
de IC03, de King Learel de Pericles de 160S, et de Troi-
lus and Cressida de 1609.
Le mérite de Shakspeare fut reconnu et apprécié de
son vivant même; c'est ce que prouvent les attaques
dont il fut l'objet vers 1592, et plus tard encore de la part
d'autres poètes dramatiques, jaloux de sa réputation.
En 1598 Mère le proclamait déjà le meifleur poëte de
l'Angleterre pour la comédie et la tragédie ; et les témoi-
gnages de ses contemporains et de ses successeurs im-
médiats sont tous à sa louange. A la première édition de ses
œuvres, publiée en un volume in-folio par Heminge et Con-
dell, deux amis du poëte, succédait dès 1632 une seconde
édition, et une troisième en 1644. Pendant les tempêtes de
la révolution d'Angleterre , le théâtre en général fut extrê-
mement négligé ; et il en fut de même de Shakspeare. Sous
la restauration, ce poëte tomba dans un oubli complet; et
des tragédies, bien compassées, calquées sur des modèles
français, ainsi que des comédies en vers rimes, imitées du
théâtre espagnol , occupèrent la scène, qui maintenant dé-
ploya un grand luxe de décorations. Au commencement du
dix-huitième siècle , lorsqu'on applaudissait le Caton d'Ad-
dison, il était impossible qu'on sût rendre justice à Shaks-
peare. Cependant, on commença vers cette époque à étudier
ses ouvrages ; et le poëte dramatique R o w e fut le premier
qui tenta d'en donner une édition critique, mais qui, de même
que celles qu'en firent ensuite paraître Pope et Theobald ,
prouve combien peu on comprenait alors encore la grandeur
de son génie. Néanmoins, l'intérêt pour Shakspeare alla
toujours croissant ; et les représentations qu'à partir de 1740
Garrick donna des principaux caractères de son théâtre
attirèrent de plus en plus l'attention de la grande masse du
public sur cet auteur, aux pièces duquel Garrick crut
d'ailleurs nécessaire de faire subir de nombreuses modifica-
tions et mutilations. En 1741 un monument fut élevé dans
l'abbaye de Westminster à la mémoire de Shakspeare. Les
critiques de Johnson montrent aussi combien vers le milieu
du dix-huitième siècle l'on était encore arriéré en ce qui
touche les questions d'esthétique. On prétendait reconnaître
la grandeur de Shakspeare , et cependant on lui reprochait
le manque de tenue , l'exagération des caractères , l'enflure
et la rudesse. Il fallut qu'un critique allemand, A. W. de
Schlegel, apprît aux Anglais quel trésor ils possédaient en
Shakspeare ; vérité que Hazlitt et quelques autres de ses
compatriotes s'empressèrent de reconnaître et de proclamer.
Depuis lors, l'admiration pour Shakspeare a toujours
été croissant ; elle est même devenue presque un culte : de
sorte qu'on n'a plus voulu retrancher une seule syllabe de ce
qu'avait écrit le grand poète , et que non-seulement on a pré-
tendu excuser les passages où il sacrifiait au goût de son
époque, et qui ne sauraient convenir à la nôtre, mais qu'on
a voulu les justifier. On en est venu à nier la possibilité qu'il
se trouvât dans les œuvres de Shakspeare la moindre in-
17 2 SHAKSPEARE
conv»nance ou le plus léger <l<^faut ; et cependant l'avoner
d'une manière générale n'est en rien diminuer sa gloire , car
en dépit de toutes les fautes qu'on peut remarquer dans ses
ouvrages, et qui tiennent surtout à l'époque où ils furent
composés , Sliakspeare n'en reste pas moins le plus puissant
génie poétique des temps modernes.
Halliwell a commencé en J862 une édition de luxe des
œuvres de Sliakspeare en 20 volumes in-folio; et depuis
1811 il existe à Londres, sous la dénomination de ShuJiS-
jieare-Society une association littéraire, quia pour but la
recherclieet la pid)lication de documents inédits relatifs au
grand poêle national et à son épo(]nc.
SIIAMALGAIV'I (Mohamed). Voyez D.vrauiens.
SIIAlVGHAI, l'une des plus grandes villes commer-
ciales de la Chine, et le plus vaste port de mer de la
province de KiangSou , sur la rive septentrionale du Wou-
soung, large de près de 2 kilomètres, à environ 22 kilo-
mètres de son embouchure dans le Yan-tsé-Kiang et au con-
fluent du Ilwang-pou, est reliée par ces cours d'eau à
diverses grandes villes bâties sur le canal Im[)érial, ainsi
qu'avec l'intérieur de l'empire, et peut sous ce rapport être
comparée à la situation qu'occupe la Nouvelle-Orléans dans
l'Amérique septentrionale. Cette ville fut prise le 19 juin
1842 par les Anglais ; et le traité du 22 août suivant l'a ou-
verte ainsi que quatre autres ports au commerce étranger.
Dès lors elle devint, après Canton, l'endroit le plus fréquenté
de tout l'empire; et elle semblait appelée à être avant peu
l'une des places de commerce les plus importantes de l'A-
sie. Le commerce indigène, qui n'occupait pas moins de
1,000 jonques, y prenait de jour en jour plus d'extension
et le cédait encore, pour l'importanceet la rareté des produits,
au commerce extérieur. Mais le 7 septembre 1853 les re-
belles chinois s'emparèrent de cette ville , qui ne comptait
pas alors moins de 350,000 habitants, réduisirent en cendres
ses vastes et populeux faubourgs, dont la sépare un canal
de sept mètres de large, et anéantirent complètement son
commerce. Ils en étaient encore maîtres à la lin de 1854.
Shanghaï est bàlie dans une vaste plaine, d'une merveil-
leuse fé/^ondité, et entrecoupée par un grand nombre de
cours d'eau utilisés pour la navigation et comme moyens
de communication. Les rues en sont sales et étroites; les
magasins, les glacières, les greniers à blé, les boutiques,
les auberges, les boulangeries, etc., y .sout construits dans
dévastes proportions; et on y trouve un grand nombre de
temples, parmi lesquels on remarque surtout celui de la
Reine-du-Ciel, situé près du quai de débarquement. Les ar-
ticles les plus importants du commerce ont jusqu'à ce jour
été les objets de subsistance, et le thé, puis la soie et les
tissus de soie, le coton et les cotonnades, la porcelaine, les
vêlements tout confectionnés et garnis de belles fourrures,
les pipes de bambous, les peintures, les marchandises en
brpnze. C'est le 15 novembre 1843 qu'eut lieu l'ouverture
du port franc.
SllAIMVOiM (Le), le principal cours d'eau de l'ir-
l and e , et |)0iir ce qui est de la longueur de son parcours,
de sa largeur et de la beauté de ses rives, le premier lleuve
des îles Britanniques, prend sa source dans la province de
Coniiaught, sort du petit lac de Clean, dans le comté de Lei-
trim, traverse le lac Allen, s'élargit dans son cours ultérieur,
qui maintenant se dirige au sud en séparant le Connaught
du Leinster et en dernier lieu du Munster, atteint les lacs
de Rug et de Derg, célèbres par le caractère grandiose de
leurs environs. Au-dessus de Limerick , il se détourne à
l'ouest, et au-dessous de cette ville il forme un grand golfe
d'embouchure, long d'environ 10 myriamètres, dont l'issue
dans l'Océan, entre le cap Z,ea« ou Loop-head, et le Kerry-
head ou BatUheige, n'a pas moins de 14 kilomètres de
large. Le cours total du Shannon est de 31 myriamètres; il
traverse dix comtés , et reçoit à sa droite le Key ou Boyle,
leSuck, le Grounagh dans le comté de Roscommon et le
Fergus dans le comté de Clare ; à sa gauche l'Inny, sur les
frontières des comtés de l-ongford et de Wesi-M^îatU. la
SHEIL
Brosna et le Birr dans le King's County, le Maig et l'Askea-
tan dans le comté de Limerick, le Cashen dans le comté
Kerry. A son embouchure dans l'Océan, la marée s'élève de
quatre à cinq mètres, près de Limerick de cinq à sept mètres.
Depuis qu'au moyen d'écluses et de canaux on l'a alfranchi
des obstacles qui entravaient son cours , par exemple de la
lèbre cataracte (Salmon-Leap) de Caslleconnel, à 10 kilo-
cémètres au-dessus de Limerick, ce fleuve est navigable jus-
qu'à Allen. Les barques d'un faible tirant d'eau peuvent le
remonter presque jusqn'à sa source; mais les gros navires
doivent s'arrêter à Limerick. Le Grand-Canal et le Canal
Royal le relient à Dublin. Comme tous les lacs qu'il tra-
verse, le Sliannon est extrêmement riche en saumons ex-
quis, de même qu'en brochets (pesant souvent plus de 25
kilogrammes), en truites, en brèmes, en perches, etc.
SHEFFIELD , laide et sombre ville du comté d'York ,
mais célèbre par ses fabriques d'acier, et où on compte
135,310 habitants, est .située sur une colline, à l'embou-
chure de la Sheaf dans le Don , rivière navigable dont les
eaux fnettent en mouvement un grand nombre de machines
propres à afiiler les objets de coutellerie, à forger, à couper
et à aplanir le fer et l'acier. La plupart des usines sont si-
tuées à une certaine distance de la ville , et l'abondance du
combtistible fourni par les mines de houille des environs
contribue singulièrement à leur prospérité. Indépendam-
ment de tous les articles dits de coutellerie, et notamment
des couteaux , genre de fabrication pour lequel Sheflield
l'emporte sur Birmingham et sur les autres villes manufa»»-
turières de l'Angleterre, on y confectionne également fous
les articles de taillanderie, des enclumes, une multitude
d'objets en fonte, d'objets de quincaillerie en étain, en pla-
qué et en laiton, des instruments d'optique, de mathéma-
tiques et de chirurgie, etc. On y trouve aussi des fonderies
de canon, des fonderies de fer, des filatures, des fabriques
de tapis, d'étoffes en crin, de crayons <le mine de plomb, etc.
On compte, tant dans la ville qu'aux environs, soixante-
dix hauts fourneaux où l'on convertit le fer, surtout le fer
de Suède , en acier, et plus de six cents fourneaux pour la
fonte de l'acier (/or inoult'mg steel), qui consomment an-
nuellement 250,000 quintaux de fer et environ six millions
de quintaux de houille.
SHEFFIELD (John), homme d'État et écrivain an-
glais. Voyez BucKiNGHAM (John Sheflield , duc de).
SlIEIL (Richard Lalok), irlandais célèbre comme ora-
teur parlementaire et comme écrivain, naquit en 1793, à
Dublin, d'une famille catholique. Par déférence pour la vo-
lonté de son père, négociant aisé, il étudia le droit; mais
plus tard il céda au penchant qui l'entraînait vers les tra-
vaux de la littérature, et il était fort jeune encore lorsqu'il
donna les tragédies Adélaïde, The Apostate et Evadne, qui
contenaient des choses remarquables. La dernière surtout,
grâce au jeu de miss O'iS'eil, attira longtemps la foule. Mais
l'ngilation politique qui s'éleva à cette époque en Irlande
concentra bientôt toutes ses pensées; et il devint !e plus im-
portant des agitateurs irlandais après O'Connell. Après
l'émancipation des catholiques, il fut envoyé par diverses
localités d'Irlande au parlement, où il seconda O'Connell sur
toutes les questions relatives à l'Irlande, mais où il com-
battit ses efforts pour obtenir le rappel de l'union législative
des deux pays. Cette attitude, jointe à l'élégance et à la dis-
tinction de son élociition, lui lit une grande popularité parmi
les Anglais eux-mêmes. Sous le ministère Melbourne, il se-
conda puissamment l'administration vvhig dans la chambre
des Communes. Comme il avait éprouvé des revers de lor-
tiiiie, les ministres, après l'accession au trône de la reine
Victoria, lui accordèrent une profitable sinécure. Ln août
1839, la retraite de lord Howick ayant amené une disloca-
tion du cabinet, Sheil fut appelé aux importantes fonctions
de vice-président du bureau de commerce {board of tra-
de), que peu de temps avant la retraite du cabinet whig,
en 1841, il échangea contre celles de juge-avocat général. La
même année il fut élu membre du parlement à Dungii*
SHEIL — SHERIDAN
IT3
von , localité qu'il continua tonjours de représenter depuis
lors. A l'époque du grand procès intenté en 1844 aux chefs
de l'Association pour le Rappel, il défendit, comme avocat,
John O'Connell, (ils du grand agitateur, et prononça à
cette occasion un plaidoyer des plus remarquables. Quand,
en juillet 1846, les whi^s revinrent aux affaires sous la pré-
sidence de lord John Russell , il fut nommé directeur de
la Monnaie {viastcr of tke Mint). Afin de ne pas être
forcé de prendre part comme catholique à la discussion du
bill sur les dîmes ecclésiastiques, il accepta en 1850 les
fonctions de minisire plénipotentiaire à Florence; et c'est
là qu'il mourut, le 23 mai 1851. Nous devons encore citer
parmi ses productions littéraires les spirituelles Sketches of
the Irish Bar (Esquisses du barreau irlamlais), qu'il fit pa-
raître, sans les signer de son nom, dans le ISew-Monthly
Magazine.
SHELLEY (Percy Bissiie), poëte anglais, né le 4
août 1792, à iMeldplace, dans le comté de Sussex, était le
fils aîné de sir Thin)othy Slielley. Chassé d'Eton à l'âge de
seize ans pour cause d'insubordination contre les règlements
du collège et d'opinions irréligieuses , il alla suivre les cours
de l'université d'Oxford. Mais un an après il en était éga-
lement expulsé pour avoir essayé de démontrer à ses pro-
fesseurs la nécessité de l'athéisme. Son père dut également
rompre avec lui toute espèce de rapports, parce qu'à l'âge
de dix-neuf ans il contracta , contre sa volonté et contre l'a-
vis de toute sa famille, un mariage, qui d'ailleurs fut mal-
heureux et qui dul être dissous dès 181G. En 1810 il avait
composé son poème intitulé : La reine Mab , qui plus tard
fut imprimé sans son consentement, etdans lequel il exposait
ouvertement ses principes athées. On ne saurait disconvenir
d'ailleurs que cet ouvrage contient une foule de passages
extrêmement remarquables. Au retour d'une excursion en
Suisse, il s'établit aux environs de Windsor, où il composa
son magnifique poème Alastor, ou l'esprit de la solitude.
Après avoir divorcé avec sa première fenmie, il épousa
Mary Godwin , fille du romancier de ce nom , et composa à
Marlow son poème La Révolte d' Islam. En 1818, par suite
d'une décision juridique qui lui enlevait le droit d'élever
ses enfants du premier lit , il passa avec sa seconû>i femme
sur le continent, et rencontra lord Byron en Italie. A Rnme,
il écrivit sondrame Prométhée déchaîné, que suivit en 1819
la tragédie Zes Cenci, sujet horrible et repoussant, que tout
le talent du poëte n'a pu sauver. Divers autres poèmes ,
Hellas, Adonais, Rosalind and Helen, etc., et des traduc-
tions de (Jalijeion parurent encore les années suivantes.
Heureux désonnais dans le cercle domestique qu'il s'était
fait à sa guise, Shelley avait fini par perdre quelque peu de
sa haine contre le monde et les hommes ; et ses idées com-
mençaient à se modifier sensiblement, lorsqu'il périt acci-
dentellement dans une promenade en mer, entre Livourne
et Lerici , le S juillet 1822.
SHELLEY ( Maria Wollstoncraft) , seconde femme du
précédent, née en 1797 , produisit une vive sensation dans
le monde httéraire par la publication de son Frankenstein
(1817), roman qui annonçait de brillantes facultés poé-
tiques, une grande puissance d'imagination et une rare con-
naissance du cœur humain. Elle donna ensuite Valperga
(1823), The last Man , Lodore , eic. En 1844 elle fit encore
paraître le récit de ses voyages sur le continent , liambles
in Jtaly and Germany , ouvrage qui fut fort bien accueilli
par le public. Elle mourut àLondres, le 1'"' février 1851. Son
fils, sir Pe?T!//'/o?-e«ce Shelley, né en 1819, hérita en 1844
du titre de baronet de son grand-i)ère et de la fortune con-
sidérable de sa famille.
SHERIDAN ( RicuARD Brinsley ) , poëte dramatique
distingué , et l'un des plus grands orateurs politiques qu'ait
produits l'Angleterre , naquit à Dublin, le 4 novembre 1751.
Son père, à la fois acteur et directeur d'un théâtre, le des-
tinait au barrreau; mais le jeune Sheridan , qu'une éduca-
tion avortée et un naturel bouillant entraînaient au plaisir
et i la dissipation , se dégoûta à vingt-et-un ans des graves
études qu'exigeait la profession d'avocat. Obligé de se créer
des moyens d'existence , il hasarda quelques essais drama-
tiques, qui furent défavorablement accueillis. Sa traduction
iVAristénète conmiença sa réputation littéraire, quoiqu'on
ait obtenu plus tard la preuve qu'il avait eu pour cette pu-
blication des collaborateurs, qui savaient mieux le grec que
lui.
Sheridan se trouvait dans une position très-précaire,
quand il fit la connaissance d'une jeune cantatrice pleine de
talent, miss Linley , alors les délices des grands salons de
Londres. Sheridan prétendit à sa main. Contrarié dans leurs
projets d'union par leurs parents, les deux amants allèrent
trouver le forgeron de Gretna-green . Pauvre, sans état,
mais fier comme un gentilhomme, Sheridan se refusa pen-
dant longtemps à exploiter le talent musical de sa femme,
et n'y consentit qu'a la dernière extrémité. Les concerts
de M""^ Sheridan attirèrent une foule considérable , et per-
mirent à son mari de suivre, sans la terrible distraction du
besoin , .sa vocation dramatique.
Sa première comédie, intitulée Les Rivaux, fut jouée en
1775, à Covent-Garden, et n'obtint qu'un médiocre succès.
Il donna quelques jours après, sur le môme théâtre, La
Duègne, espèce d'opéra-comique, qui eut plus de soixante
représentations de suite. C'est à cette époque qu'il se lia
avec l'aristarque Johnson, avec B u r k e , son futur anta-
goniste politique, et Garrick , qui lui céda la direction de
Drury-Lane. Sheridan y fit représenter sa charmante pièce
de L'École de la Médisance {The School /or Scandai), où,
malgré quelques emprunts trop faciles à reconnaître au Tant
Jones de Fielding, et peut-être même au Tartufe de notre
Molière , il montra une originalité , une fécondité d'invention,,
une verve comique, qui lui assignèrent sur-le-champ une
place distinguée parmi les auteurs dramatiques anglais. La
prospérité toujours croissante rie son théàlre , ses propres
succès, une réputation déjà brillante et une riche aisance
permirent à Sheridan d'agrandir la sphère de son ambition.
, Ses amis le pressèrent de se produire à la chambre des com-
munes. H se mit sur les rangs pour la députation , et fut
nommé, en 1780, par les whigs du bourg de Staffort. Il
vint s'asseoir avec Fox sur les bancs de l'opposition , et fit
au cabinet de lord North une guerre redoutable, non jvis
tant d'abord par ses discours de tribune que par ses diatribes
révolutionnaires dans les clubs et sa collaboration active
au journal VEnglishman. Lorsque lord North eut succombé
sous le mauvais succès de la guerre d'Amérique , Sheri lan
entra aux affaires avec le marquis de Buckingham, et obtint
la place de sous-secrétaire d'État aux affaires étrangères,
alors confiées à Charles Fox. A l'avènement de Pitt, il fut
rejeté sur les bancs de l'opposition, et entra dans la redon-
table coalition organisée contre le fils de lord Chatam par
Fox et lord North. Il rentra avec ses amis au ministère,
en 1783, en qualité de secrétaire d'État de la trésorerie.
Le fameux bill de l'Inde ayant amené la chute de la nou-
velle administration, Sheridan, élu pour la seconde fois,
déploya contre le ministère Pitt un talent parlementaire qu'on
ne lui connaissait pas encore ; ce fut surtout dans le fameux
procès de Hastings, qu'il se fit remarquer par la i)uis-
sance de sa raison et la force de sa dialectique. Déjà la lutte
était engagée avec une grande énergie entre Pitt et Sheridan,
quand éclata la révolution française. Dès ce moment les
discussions parlementaires prirent dans la chambre des
communes un caractère de violence inouï. Le célèbre
Buike , jusque là l'ami de Sheridan , s'étant déclaré l'adver-
saire des mouvements politiques dont notre patrie était le
théâtre , ces deux hommes se firent une guerre de paroles
dont la constance et l'acharnement donnèrent lieu de part
et d'autre aux inspirations de l'éloquence la plus élevée.
Malgré la part active qu'il prenait aux travaux parlemen-
taires, Sheridan avait conservé la direction de Drury-Lnne,
mais sans y apporter les soins et l'attention convenable."!.
Ses goûts de luxe et sa passion pour les plaisirs , quelquefois
les moins nobles, aggravèrent la position pénible dans la-
174
SHERIDAN — SHIEL
quelle le jeta l'insuccès de son administration théâtrale. A
la mort de Pitt, en 1806 , Fox, devenu premier ministre,
donna àSlieridan l'office secondaire, mais cependant lucratil',
de trésorier de la marine; et cette sinécure lui permit de
continuer à diriger Drury-Lane.
Pendant assez longtemps il continua encore de jouer
un rôle important à la chambre des communes, surtout
depuis que le renversement du ministère Grenville l'avait
vu reparaître, pour la quatrième fois, dans les rangs de
l'opposition ; mais on ne tarda pas à s'apercevoir que son
talent s'était affaibli , sa verve épuisée. L'abus des plaisirs
et de graves chagrins domestiques étaient la cause de
cette décadence. Veuf, en 1792, de miss Linley, qu'il avait
tant aimée, Sheridan avait épousé miss Ogle, fille du doyen
de Winchester. Cette union mal assortie devint pour l'é-
loquent orateur une source de contrariétés et même de
douleurs contre lesquelles son énergie se brisa. Rejeté, dans
une dernière élection , par les électeurs de Staffort , il ne
put jamais se consoler de cette disgrâce , que lui avaient
attirée le dérangement de ses affaires et quelques soupçons
répandus sur la probité de son caractère politique. Pour
s'étourdir il se jeta dans de flétrissantes débauches, et con-
suma ses dernières années dans la misère et le mépris. Il
était devenu totalement étranger aux grands événements de
l'Europe et à la part immense qu'y prenait son pays quand
ilmourut,en juillet 1816, à l'âge de soixante-cinq ans. Atteint
d'un décret de prise de corps, au moment où la maladie
dont il mourut ne laissait plus aucun espoir de guérison ,
il vit les exécuteurs de la contrainte se présenter chez lui
pour l'arrOter ; et ce ne fut qu'à la prière expresse de son
médecin que les agents de la force publique consentirent à
ne pas le traîner mourant en prison. Alfred Legoyt.
SHERIFF ( de l'anglo-saxon sctre-gerefa ). C'est le
titre que porte en Angleterre le premier fonctionnaire d'un
comté ou d'une province, depuis que la qualification de
conite a cessé d'avoir sa signification primitive. Chaque
comté a son sheriff. Il n'y a que celui de Middiesex qui
en ait deux , dont l'un spécialement pour la ville de Lon-
dres. Le cercle d'action et la reponsabillté des sherif/s ne
sont pas moindres que la considération dont ils jouissent.
Ce sont eux qui dirigent la police du comté, qui perçoivent
les taxes royales, les amendes elle produit des confiscations,
et qui font exécuter les condamnations à mort. Ils siègent
en outre comme juges en matière civile. Tout sheriff a le
droit de nommer ses sous-sheriffs [under-sheriffs), ainsi
que des baillis {bailiffs) pour chacun des arrondissements
du comté ; mais il demeure responsable de leurs actes.
Les jurés sont aussi placés sous son autorité. C'est lui qui
les propose et qui , lorsqu'il a terminé l'instruction d'un
procès, les appelle à rendreune décisionjuridique. Du reste,
il lui est absolument interdit d'exercer la moindre influence
sur les arrêtés de la justice. Aucun traitement n'est attaché
aux fonctions de sheriff , qui entraînent au contraire pour
le titulaire des dépenses considérables; aussi ne saurait-on
être tenu de les accepter plus de deux fois dans l'espace de
quatre ans.
Les sheriffs étaient autrefois des magistrats élus par les
ttimmunes d'un canton ; plus tard, leur nomination fut com-
prise dans les attributions de la couronne. Cependant la no-
mination d'un sheriff, si elle avait lieu directement parle
roi, serait considérée comme entachée d'illégalité. C'est
le lord chancelier qui, d'accord avec les ministres, arrête
chaque année la liste des candidats aux places de sheriff, et
qui les propose au roi, dont l'action se borne à confirmer les
choix qu'on lui propose. Le refus des fonctions de sheriff,
sauf les exceptions prévues par la loi, entraîne de très-sé-
vères pénalités.
SHERIFMUIR (Bataille de), l'un des incidents les plus
importants de l'insurrection jacofti^e de l'Ecosse, en 1715.
Les troupes jacohites y étai.;nt commandées par le comte de
Mar, et les troupes de Georges I" par le duc d'Argyle. Le pre-
mier n'avait guère que 4,000 hommes sous ses ordres, tan-
dis que le second en avait plus du douWe. Mais Argyle com-
mandait à des troupes régulières, et le comte de Mar n'avait
sous ses ordres que des montagnards indisciplinés. Lesdeux
partis , gravissant chacun de son coté la pente d'une colline,
se rencontrèrent presque inopinément au sommet, et le
combat s'engagea bientôt avec fureur. L'attaque des mon-
tagnards jacohites fut si terrible, qu'ils rompirent et taillèrent
en pièces l'aile gauche du duc d'Argyle, commandée parle
généra) Witshan ; pendant ce temps, Argyle avait à son tour
culbuté et mis en déroute le corps qui lui était opposé.
« Le champ de bataille, dit Walter Scott, présentait alors
un aspect singulier ; dans chacune des deux armées l'aile
gauche était enfoncée et fugitive, l'aile droite victorieuse et
poursuivant les fuyards. » Si Mar eût eu le courage et les
talents de son adversaire, il eûtpu profiter de la supériorité
du nombre pour envelopper Argyle; il ne l'essaya même
pas , et laissa Argyle pousser son avantage contre la divi-
sion qu'il avait détruite. Argyle, aussi prudent qu'intrépide,
ne risqua pas sa demi-victoire en voulant la compléter par
la destruction de l'aile droite des royalistes , demeurée in-
tacte , et les deux généraux évacuèrent à la nuit le théâtre
de carnage. La bataille de Sherifmuir était demeurée in-
décise ; mais ses résultats furent tout à l'avantage d'Argyle
et de son parti. La désunion et le découragement s'intro-
duisirent parmi les chefs de l'insurrection ; l'arrivée en
Ecosse du prétendant, Jacques Stuart, ne rétablit pas leurs
affaires; et bientôt ce grand parti se dissipa de lui-même,
sans tenter de nouveau le sort des armes.
Henri Martin.
SHETLAIVD (Iles) , groupe d'îles appartenant à l'E-
cosse, appelées aussi par les navigateurs hollandais et
Scandinaves Hitlant, et situées au nord-ouest de l'Ecosse et
des îles Orcades, à peu près entre le 16'' et le 17'' degré de
longitude est|, et le 60" et le 61^ degré de latitude nord. Le
groupetoutentier se compose de quatre-vingt-six îles de di-
verses grandeurs, présentant une superficie totale de 30 my-
riam. carrés, mais dont àpeine vingt sont habitées par unetren-
taine de mille âmes; les autres servent de pâturages. Le sol
forme un désert uniforme, plein de montagnes dénudées, avec
des tourbières et quelques pacages , mais sans bois autre que
quelques genévriers. C'est seulement près des côtes qu'on
trouve un peu de terrain susceptible d'être mis en culture, et
où l'on fait venir un peu d'avoine, d'orge et des pommes de
terre. On y a des bêtes à cornes, des chevaux durs au travail ,
surtout des ponies, des moutons produisant de la laine d'une
remarquable finesse, et des porcs; mais tout cela detrès-petite
race. Les côtes sont échancrées par un grand nombre de baies,
et d'une richesse extrême en poissons , surtout en harengs,
dont la pêche appelle en été dans ces parages des flottilles
entières de pêcheurs anglais et hollandais. En 1849 la pê-
che du hareng sur les côtes des îles Shetland occupait
à Lerwick, Unst et Wall 931 navires anglais, montés par
3,927 hommes d'équipage, sans compter 1,328 hommes em-
ployés à saler et encaquer.
Les habitants, d'origine normande , restèrent, de même
que leurs îles, jusqu'en l'an 1474 sous la souveraineté des
roi de Norvège; ils parlent encore en partie l'ancienne langue
Scandinave , mais plus généralement un mauvais patois an-
glais , et professent la religion réformée. Indépendamment
de la pêche, ils vivent du produit de leurs troupeaux,
notamment des laines de leurs moutons, qu'ils excellent à
filer et à tisser. L'été est très-court aux îles Shetland , l'au-
tomne humide et nébuleux, et rarement on y voit un prin-
temps. En hiver on n'a que peu de gelées et de neiges, mais
des pluies diluviennes et d'épouvantables tempêtes.
La plus grande de ces îles s'appelle Shetland ou Mainland;
elle a 20,9.36 habitants, et pour capitale la ville de Lerwick,
où l'on compte environ 3,000 âmes. £/ns< , celle qui est
située le plus au nord, est remarquable par les grandes et
magnifiques cavernes naturelles, taillées dans le roc vif, qui
se trouvent sur ses côtes.
SHIEL. Voyez Sheil.
SHIELDS — SHROP
175
SHflEt^WS, nom commun à trois villes d'Anglelenc ,
voisines l'une de l'autre, situées à l'emboucluire de la Tyne,
et qui forment l'important poil de mer de New -Cas tic,
à savoir : North-Shieldx , Tynemoulh, située immédiate-
ment à l'embouchure de la Tyne, dans lecomlé de Noitlium-
berland , et South-Shields, dans le comté de Durliam. Les
deux premières, sur la rive septentrionale du Ileuve, comp-
tent 29,170 habitants; tandis que South-Sliields, sur la rive
méridionale, en a à elle seule 2S,974. Le chiffre total delà po-
pulation des trois villes réunies est de 58,144 âmes. Le
port, protégé par un fort de premier ordre , contient 2,000
navires, qui peuvent passer toutes voiles dehors sons un
pont en chaînes, de 33 mètres d'élévation et de 78 m. 6 cent,
de long; et il est pourvu d'un phare, rendu particulièrement
nécessaire par le grand banc de sable et les nombreuses
roches à fleur d'eau qui se trouvent à son entrée. C'est le
granil entrepôt des charbons de New-Castle. Dans les chan-
tiers et les treize docAi de Soutli-Sliields on construit chaque
année un grand nombre de navires à voiles et à vapeur, la
plupart aujourd'hui avecdes coques en fer. Indépendamment
delà construction desnavires, du cabotage, du commerce et
du raffinage du sel, la fabrication des articles de verroterie ,
des cordages et des savons y occupe aussi un grand nombre
de bras. North-Shields a pour spécialité l'exportation des
bouilles, la mégisserie, et la fabrication des cuirs, des gants
et des chapeaux. La ville de Tyneraouth possède un éta-
blissement de bains de mer.
SHIRE (de l'anglo-saxoa scire, dérivé de sciran , par-
tager ). C'est ainsi qu'en Angleterre on appelle les divisions
territoriales du pays au point de vue politique. Ce mot est
synonyme de coun t y , comté, et s'ajoute au nom de chaque
province; ainsi on d'\t\e Aorl/iurnberlandshire , le Suf/olk-
shire, etc. L'origine de ces divisions mêmes remonte à
l'époque des rois saxons. La principale sous-division du
shire est le cent (hundred) , autre mot également d'origine
germaine comme la division elle-même. Les fonctionnaires
publics du shire, ou de la province, sont le lord lieutenant,
qui a sous ses ordres la force armée, \esheriff, le con-
servateur des archives du comté ou ctistos rotulorum , le
coroner, le juge de paix, le receveur général des taxes, le
sous-sheriff et l'aide ou huissier du juge de paix {clerc of
peace). Les tribunaux, du shire sont les assises, la cour
de justice du comté présidéi; par le sherilf, les tribunaux
des hundred et les tribunaux de fiefs {courts leet).
SHORE (Jase) , célèbre par sa beauté et surtout par
ses infortunes, semblait destinée à une vie obscure, mais
heureuse. Elle avait épousé un riche orfèvre de Londres.
Edouard IV la fit enlever, et elle devint une de ses maîtresses.
]l paraîtqu'elle resta tout à fait étrangère aux intrigues ainsi
qu'aux crimes des deux factions qui déchiraient alors l'Angle-
terre, et qui pendant soixante ans la couvrirent de sang et
démines. Edouard, chef de la faction delaRose blanch e,
n'était monté sur le trône et ne s'y était maintenu que par
la terreur. Le roi signait le même jour des arrêts de mort
et des programmes de fête. Le dernier ordre important qu'il
donna fut celui démettre à mort un frère dont il était jaloux,
Georges, duc de Clarencc. Ce despote mourut avant le temps,
en 1483. A sa mort, Jane Shore s'attaciia à lord Hastings,
l'un des ministres d'Edouard , et qui souvent avait opposé
aux fureurs de ce prince la plus courageuse résistance.
Comme il restait fidèle aux intérêts de-la dynastie à laquelle
il s'était dévoué, Giocester, frère d'Edouard IV et régent du
royaume au nom de son neveu Edouard V , puis bientôt roi
lui-même sous le nom de Richard III, l'accusa en plein con-
seil de trahi-son et d'assassinat, appela ses gardes, et Has-
tiags cessa de vivre. Jane Shore était-elle son épouse ou sa
maltresse? Les mémoires contemporains ne sont pas d'ac-
cord sur ce point , d'ailleurs sans importance pour l'histoire.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ayant voué son existence
à Hastings, elle devait partager son sort. Giocester l'en-
veloppa donc dans la prétendue conjuration dont il avait
accusé Hastings, en la signalant comme sorcière et adultère.
L'accusation de magie à cette époque de superstition était
le crime de tous ceux à qui on ne pouvait eu reprocher
d'autre. Jane fut condamnée à une pénitence publique , et
tous les biens qu'elle tenait des libéralités d'Edouard et de
lord Hastings furent confisiiués. On a prétendu qu'elle fut
enfermée dans un cachot oii elle mourut du plus horrible
supplice, de faim. Mais les historiens les plus dignes de (pi
attestent au contraire qu'elle survécut longtemps à ses mal-
heurs, et qu'elle n'expira que sous le règne de Henri VIII.
DuFEY (de l'Yonne).
SIIOTTISH. C'est rtinsi qu'on appelle depuis une dizaine
d'années des airs de walse à deux temps, qui font encore
fureur dans les salons, mais qui n'ont d'écossais que le nom.
SHRAPNEL. On appelle ainsi depuis quelques années
wn obus à mitraille ; obus renfermant une centaine de
balles, qui sont lancées avec force dans toutes les directions
quand l'obus éclate , et qui rayonnent beaucoup plus loin
que les éclats eux-mêmes. L'obus portant fort loin (environ
1,200 mètres), ces s/irflp?!e^5 sont destinés à produire un
affreux ravage dans les colonnes de cavalerie et dans les
masses d'infanterie; mais leur plus ou moins d'effet dépend
beaucoup de la nature du terrain.
C'est un colonel d'artillerie anglais appelé Shrapnel qui
eut le premier l'idée de ces nouveaux engins de destruction,
dont il fut fait application dans la gueire d'Espagne, de 1807
à 1813 , sans que pourtant on y ait fait alors beaucoup at-
tention. Mais aujourd'hui ils font partie du matériel de toutes
les armées européennes. Au reste, on trouve déjà cette idée
indiquée dans les anciens ouvrages relatifs à l'artillerie.
SHREWSBURY, chef-lieu du comté deShrop (An-
gleterre), dont il est souvent fait mention dans l'histoire des
temps les plus reculés, est bàli dans une presqu'île formée
par la Severn. Dans les vieux quartiers on ne trouve que des
rues étroites et des maisons construites le plus généralement
en bois; dans les nouveaux quartiers, au contraire, les
rues sont larges, régulières et ornées de divers beaux édi-
fices, parmi lesquels on remarque l'hôtel de ville, la prison,
la halle, le théâtre, l'hôpital , etc. Sur sept églises qu'on y
compte, l'église Notre-Dame est remarquable par son architec-
ture normande, et l'église Saint-Julien par ses beaux vitraux
peints. On y passe la Severn sur deux ponts. Une statue de
grandeur colossale du général Hill, placée surune colonne de
43 mètres d'élévation, est un des ornements particuliers de
la ville. Le Lycée , construit par Edouard VI et Elisabeth ,
contient, indépendamment d'unechapelle, une bibliothèque et
une précieuse collection d'antiquités romaines recueillies dans
les environs. Les habitants, au nombre do 19,081 , ont des
manufactures de rubans de soie, des filatures de coton , et
font un commerce considérable au moyen de la Severn et
du canal de Shrewsbury, notamment avec le pays de Galles.
A peu de distance de la ville on trouve d'importantes mines,
elles magnifiques ruines de l'abbaye d'Haghmond, construite
en l'an 1010, et, sur l'emplacement où Henri IV défit Henri
Percy dans une sanglante bataille livrée le 21 juillet 1403,
les ruines de l'église de Battlefield , avec un monticule cou-
vrant les ossements des guerriers tuésdans cette rencontre.
SHROP ou S ALOP, l'un des comtés occidentaux de l'An-
gleterre, d'une superficie d'environ 45 myriam. carrés, avec
une population de 245,000 habitants. Il est divisé en deux
parties à peu près égales par la Severn, qui y arrive du pays
de Galles etqui reçoit le Vyrnwy et le Tern. La partie nord
est une vaste plaine avec un bon sol arable; la partie sud-
ouest, sauvage et montagneuse, est utilisée surtout pour
l'élève du bétail, notamment des moutons, de même que
pour la sylviculture. Après l'agriculture , l'exploitation des
mines est la principale industrie des habitants. A l'est exis-
tent de riches mines de fer, de houille et de plomb, ainsi
que des carrières de chaux et degrés. La plu part des hauts
lourneaux sont situés entre Wellington et Willey , dans la
vallée de Colebrook , remarquable aussi par ses beautés ro-
mantiques. Il existe en outre diverses manufactures d'ar-
ticles en métal et de poteries, d'étoffes de laine, de coton,
17B
SHROP - SIAM
de soie, de loiIe,etc. La Severn et divers canaux facilitent les
opération-^ du commerce. Leclief-lieu est Sli r ewsbii ry.
Les localités les plus importantes sont ensuite Weniock,
ville de 20,588 habitants, avec d'abondantes carrières de
cliaux et de terre de pipe; Broseletj, avec 5,000 liabitants,
sur la Severn , au centre des mines de fer et de houille
qui alimentent les puissantes usines de Colebrookdale et
de Kittley, et célèbre par ses articles en terre; Sheffnal
ou Shiffnal, avec 4,000 habit., des hauts fourneaux, des
verreries, et célèbre par le chêne royal où Charles II se
réfugia, et put ainsi échapper à la poursuite de ses ennemis;
J>risge)ior(h,l,CAO liab.; Ltidlow sur le Tern,i, ù9t hab.;
Ellcsmire et Oswestry , sur le canal d'ElIesmire, célèbre
par ses aqueducs, et qui réunit la Severn au Grand-ïrunk
et à la Mer.sey, etc.
SI, note de musique que les Allemands désignent par la
lettre /i lorsqu'elle est .sans altération, et par la lettre 6
lorsqu'elle est altérée d'un bémol. C'est le septième degré
de notre échelle musicale dans le mode majeur; et le se-
cond dans le mode mineur. Il porte accord parfait diminué,
et s'emploie en harmonie dans les deux modes, en suivant
toutefois une marche diflérente. Avant l'invention de cette
syllabe si, pour représenter la dernière note de la gamme,
celle qui forme le demi-ton extrême de l'échelle et déter-
mine le passage d'un octave à l'autre, on était obligé, dans
l'ancienne solmisation, d'avoir recours aux munnces,
manière fort incommode de solfier, en appliquant différents
noms à une même note, selon la position des demi-tons à
l'égard de celle-ci. Mais comme on n'avait que six syl-
lables pour sept notes, il n'y avait pas moyen d'éviter ces
muances, qui compliquaient la solmisation au point de la
rendre d'une dilliculté rebutante. L'introduction d'une nou-
velle syllabe dans le système a donc été d'une grande uti-
lité, en levant d'un seul coup les obstacles qui ont fait
longtemps le désespoir des commençants.
Charles Beciie'h.
SIAIIPOUCHES. Voifcz Cafrf.s.
SIALAGOGUES ou SIALOGOGUES (du grecffîa),ov,
salive, et â.y(ji,je chasse). On appelle ainsi, en matière mé-
dicale, les remèdes qui provoquent d'abondantes évacuations
de salive. Quoique le règne végétal fournisse un grand
nombre desialagognes, le mercure est encore de tous les
agents thérapeutiques de ce genre le plus puis.sant.
SIAM ou THAÏ , royaume de l'Inde en deçà du Gange,
confinant au nord à la province chinoise de Jun-Nan, à l'ouest
à l'empire birman et aux possessions anglaùses au delà du
Gange (Martaban, etc.), au sud, dans la presqu'île de Ma-
lakka, aux États souverains malais, et à l'est au royaume
d'Anam. En raison du manque de renseignements sur sa dé-
limitation intérieure, il règne beaucoup d'incertitude dans
les données relatives à sa superficie, qui , selon Berghaus,
serait de 9,350 myrianiètres carrés, et suivant la dernière
supputation d'Engelhardt, d'environ 10,200 myriamètres
carrés, dont suivant lui environ 5,000 pour le pays de Siam
proprement dit. Le royaume se compose des territoires im-
médiats de Siam et df Cambodge, en tant que cet ancien
royaume se trouve soumis à la domination siamoise, et des
territoires médiats des princes malais tributaires et des
Laos. En général , la nature de ce pays répond complète-
ment à celle de l'Inde au delà du Gange. Au nord, où il se
rattache au plateau de la Chine, le pays a le caractère des
plateaux ; de là il va toujours en s'abaissant vers le sud, jus-
qu'à devenir bass:;-terre. Deux chaînes de montagnes, ra-
mification.? de ce plateau chinois, le traversent dans la
direction du nord au siul , et le divisent en longues vallées
s'étendant du nord au sud avec plusieurs vallées latérales.
Le Menant, son principal cours d'eau, prend sa source vers
les frontières de la Chine, et traverse le pays, qu'il inonde
périodiquement en été, du nord au sud, où il se jette dans
le golfe de Siam. Le Tfialayan om Salwen sépare le royaume
de Siam de l'empire birman. Les plus importants produits
du sol son* le sucre , le poivre, la cannelle, le cardamome,
les gommes-guttes , le benjoin et autres résines, les bois
précieux et coumiuns, les noix d'arec, le tabac, le coton, le
riz, les nids comestibles, les rhinocéros, les buffles, les
bêtes à cornes , et surtout les éléphants, qui jouent un
grand rôle dans le royaume de Siam, et presque tous les
métaux et pierres précieux ou utiles. Les habitants, au
nombre de cinq millions au plus, se composent de plusieurs
peuples de races diverses. Les Siamois , qui s'a[ipellent eux-
mêmes 7'/iaj,cest-à-dire libres, sont le peuple dominant.
Ils appartiennent à !a famille des nations mongoles, et, avec
les Z.ao 5, qui habitent le nord du pays, forment une nation
différenciée seidement par des diversités de dialectes. Les
Siamois sont bouddhistes; aussi le pâli est-il leur langue
savante. Leur nombreux clergé , \e^ialapoins , se distingue
dans son genre par son érudition et a produit une littérature
as.sez importante. La masse du peuple e.st abrutie. Après les
Siamois viennent les Chinois émigrés , au nombre d'environ
un million , qui habitent comme commerçants et artisans les
localités arrosées par des rivières et les grands centres com-
merciaux ; puis les Malais mahométans, qui, au nombre
d'environ 300,000, forment sur le littoral plusieurs petits
États soumis au vasselage; enfin, les races sauvages et nè-
gres des Bilas et des Samangs, qui habitent les fondrières
des montagnes de la côte sud-est. Il faut encore mentionner
dans la partie sud-e.st les Tschongs , sur lesquels on ne pos-
sède que fort peu de renseignements, et au nord-est les
tribus sauvages des Ka, les uns et les autres différant de la
nation dominante par leurs mœurs et leur langue; enfin,
quelques milliers de descendants des anciens colons portu-
gais , qui ont conservé la langue et la religion de leurs pères.
Le nombre des chrétiens catholiques indigènes, autrefois
très-considérable, n'est guère aujourd'hui que de 3,000; ils
ont a leur tête un vicaire apostolique. Les civilisations hin-
doustanique et chinoise n'ont pu exercer quelque influence
que sur les hautes classes delà population. Le système du
gouvernement du royaume de Siam est le despotisme le plus
illimité. Kong-Loiiang, c'est-à-dire souverain unique et tout-
puissant, tel est le titre du roi, qu'on considère ce mme l'Être
suprême. Les revenus du pays sont évalués de 80 a 90 mil-
lions de francs, l'armée à 60,000 hommes et la marine à
treize bâtiments. Mais cette armée qui ne se réunit qu'en cas
de guerre , est généralement mal armée et mal équipée; les
places fortes, autrefois très-nombreuses, tombent en ruines.
La capitale du pays et la résidence du roi est Bangkok ou
B ankok; Ajouthia ou Siam, l'ancienne capitale, bâtie
sur le Menam, à une grande distance de son embouchure,
est aujourd'hui en complète décadence.
L'histoire de Siam est celle d'un horrible despotisme, et
par conséquent n'a point de développements réels. Voici
quelles en sont les phases principales : introduction du boud-
dhisme et d'une civilisation plus avancée venue de l'Inde;
arrivée des Portugais, en 1545, et avec eux commence-
ment de l'introduction du christianisme; so-. mission du
royaume de Siam au Pégu,en 1590; délivrance de Siam
du joug du Pégu par Gramerit, en 1590; extermination
de la dynastie de ce dernier par Cliaou-Pa.-,satoug, et avè-
nement de celui-ci au trône, en 1629; arrivée des Hol
landais vers la même époque, et renversement par eux de
la puis.sance des Portugais ; arrivée de missionnaires fran-
çais, et l'influence françai.se prenant tout à coup une exten-
sion merveilleuse grâce à un Grec fort ambitieux, appelé
Constantin Ealcon , influence qui donna lieu à l'envoi réci-
proque de diverses ambassades et à la cession aux Français
des deux places fortes de Mergui et de Bankok (1663-1689);
soulèvement opéré par le mandarin Ohra Petscharatscha,
qui, en 1G89, renversa Falcon et l'influence française, en
même temps qu'il mit fin à la propagation du cliri.stianisme,
mais qui en revanche fit prévaloir l'influence des Hollandais,
riv->iix des Français, et dont le commerce dans ces parages
y)arvint alors aune prospérité extraordinaire; extermination
de la maison royale et conquêles successives du royaume
de Siam par les peuples d'Ava et par les Birmans, vers Iq
SIAM — SIBÉRIE
177
milieu du dix-liuitième siècle; enfin, expulsion des Bir-
mans par Pitali, en 1769, lequel rétablit le royaume de
Siam, mais fut assassiné en 1782 par Schakri, un de ses
généraux , qui fonda alors une nouvelle dynastie. Les suc-
cesseurs de Schakri soutinrent plusieurs guerres contre les
Birmans. Un de ses arrière-petits-fils, Chrom-Chiat ou
Kroma-Moïn-Tschit , qui arriva au trône en 189.4, par voie
d'usurpation, conquit le Laos,en 1829, eten fit périr la famille
royale dans les supplices. En 1831 la conquête de Quédalui
donna les Anglais pour voisins. Despote à l'égard de ses
sujets, il fut aussi l'ennemi des étrangers. Lorsqu'il tomba
malade, au commencement de l'année 1851, son ministre lui
conseilla de ne désigner pour son successeur aucun de ses
douze fils, qui étaient tous illégitimes, mais de léguer la
couronne au rejeton de la dynastie expulsée. Le vieux roi
étant mort le 5 avril 1851, le ministre, appuyé par une
armée puissante , fit effectivement proclamer roi Khan-Fa-
Mongkout, sans que les grands du royaume y missent op-
position. Le nouveau roi était très- favorablement disposé
pour les Anglais et les Américains, mais il mourutdès 1852.
Il a eu pour successeur son frère, qui a continué d'entretenir
les meilleurs rapports avec les étrangers et a conclu avec
eux un traité de commerce. Ce prince, et son frère, qui
porte le litre de second roi , possèdent à ce qu'il paraît une
instruction fort étendue, et accordent aux sciences une pro-
tection toute spéciale. Non-seulement, dit-on, le chef roi
est d'une grande force en pah et en sanscrit, mais il pos-
sède encore assez bien l'anglais et même le latin. Le second
roi, au dire de sir John Bowring, parle et écrit l'anglais
facilement. L'un et l'autre sont astronomes, habiles à pré-
voir et à observer les éclipses. Le second roi est en outre
bon chimiste et adroit mécanicien. L'un et l'autre ont été
élus à l'unanimité, en 1855, membres de la Société Asiatique
de Londres.
SIAM (Mal de). Voyez Fièvre Jaune.
SIBBOLETH. Voyez Ephraïmites et Schibboleth.
SIBERIE, vaste territoire d'Asie faisant partie de l'em-
pire de Russie, dont la superficie, non compris les steppes
des Kirghis, est de 168,000 myriam. carrés, qui a pour li-
mites au sud l'Altaï et les chaînes de montagnes qui s'y
rattachent, à l'ouest les monts Ourals, au nord la mer Gla-
ciale et au nord-est les golfes du Kamtschatka etd'Ochotsk,
et qui forme le boulevard de la Russie et de l'Europe contre
la Mandchourie , la Mongolie et la Tatarie. Comme dans la
Russie d'Europe, il y règne les climats les plus opposés.
Tandis qu'au nord d'immenses espaces de ce territoire sont
constamment engourdis par la gelée et par des neiges qui ne
fondent jamais ou du moins d'une manière peu sensible, et
que toute la contrée qui s'étend du 62° au 78° de latitude
septentrionale est couverte de marécages sans fin, appelés
tundras , la partie sud de la province d'Omsk ainsi que les
contrées voisines du lac de Balkasch, où s'élèvent les déli-
cieuses terrasses du mont Ala-Tau, et où le volcan appelé
Ai'al-Tubé xomit ses torrents de lave, par 45° de latitude
septentrionale, sont couvertes de forêts de cèdres de la
Sibérie et de gigantesques arbres perdant leur feuillage en
automne. Tout à l'extrémité septentrionale, on rencontre le
plus petit de tous les quadrupèdes, la musaraigne du lénisséi,
et au milieu de forêts tout entières de chênes et autres arbres
ensevelies sous terre, le plus grand de tous, le mammouth, à
l'état fossile. Les montagnes de l'ouest et du sud donnent en
abondance de l'or, notamment les couches de sables auri-
fères de l'Altaï, dont on a reconnu dans ces derniers
temps que la ricliesse dépassait encore celle des monts Ou-
rals; plus, du |)latine, du cuivre, du fer et toutes sortes de
pierres rares et précieuses.
La Sibérie avait depuis longtemps été surnommée le fond
d'or. On pensait d'abord que ce surnom se rapportait à la
chasse aux zibelines , castors et autres animaux à fourrures
précieuses. Aujourd'hui on peut dire que ce n'est pas là une
expression figurée, et que ce pays a eflectivement un fond
d'or. Les anciens lavages du gouvernement de lénisséisk
DICT. DE LA. CONVERS. — T. XYI.
commençaient à s'épuiser et à se perdre. Les nouveaux gi-
sements qu'on continuait à découvrir contenaient peu de
métal précieux. Mais en 1851 des marchands de Trapezni-
koff parvinrent àdécouvrir de riches gisements aurifères aux
sources de l'Olékina, dans une localité complètement isolée,
et que jamais peut-être le pied de l'homme n'avait encore
(oulée. Les chercheurs d'or de se ruer aussitôt sur la Lena, et
leurs labeurs furent couronnés du plus brillant succès. Plus
de dix riches gisements furent découverts le long de la rive
droite delà Lena, entre la Vetimeet roiékina, ses afQuents.
Des milliers de travailleurs y accoururent donc de toutes
parts; et aujourd'hui l'exploitation de ces lavages lutte pres-
que d'importance avec celle des lavages de l'Australie et de
la Californie.
La Sibérie méridionale est très-fertile, et l'on récolte
jusque sous le 60^ de latitude nord. On peut considérer
Omsk, Tomsk et Tobolsk comme les greniers à blé tie la
Russie et des gouvernements du nord en général. Pat mi les
fleuves gigantesques qui arrosent ce pays , on remarqiie sur-
tout robouOby, lelénisséi et la Lena, Chacun d'eux
a des affluents dont le parcours est de plusieurs centaines
de myriamèlres. Il existe en outre des fleuves de côtes ,
tels que le Taz , le Khatanga, l'Anabara, l'Olenek , le Jana,
l'Indijirka, le Kobyma, i'Anadyr, qui tous possèdent un im-
mense volume d'eau. 11 n'y a qu'une très-petite partie du
gigantesque Amour, dont l'embouchure se trouve dans le
golfe d'Ochotsk , qui appartienne à la Sibérie. Parmi les
nombreux lacs on distingue celui de Balkasch et celui de
Saisàn, sur les frontières de la Russie et de la Chine, et
surtout l'immense lac Baïkal; ce dernier appartenant uni-
quement à la Sibérie. Ces lacs , de même que les fleuves et
rivières, sont d'une richesse extrême en poissons. On ren-
contre aussi dans les steppes de nombreux lacs salés. Les
montagnes, indépendamment de minerais de diverses es-
pèces, fournissent de beaux bois, au nord des sapins et des
mélèzes , au sud des cèdres et toutes les espèces d'arbres à
feuilles caduques; plus, du gibier et de précieuses fourrure,*,
attendu qu'on rencontre dans les forêts primitives de la Si-
bérie un grand nombre d'animaux peu communs en Europe,
par exemple la martre zibeline, l'hermine, le renard
bleu , etc. Les peaux de zibelines et de renards bleus sont en
partie livrées comme tribut au gouvernement par les nations
tributaires. Les régions situées tout à l'extrémité septentrio-
nale sont complètement dénudées d'arbres, ou bien ne por-
tent que de misérables buissons tout rabougris. En hiver le
froid y atteint parfois 40° et 42° du thermomètre de Réau-
mur; mais en été la chaleur y est extrême; d'ailleurs, l'air
y est toujours pur et sain. La pêche et la chasse y consti-
tuent les seules ressources de la population. C'est uniquement
au sud du 60° qu'on commence à cultiver le sol, et qu'on
rencontre une élève de bétail jointe à quelques occupations
manufacturières, comme par exemple la préparatioa des
cuirs. De toutes les mines d'or et d'argent de la Sibérie , la
plus célèbre est la mine d'argent de Nerlschinski ou d'Ar-
gonni. De 1850 à 1852, on en a retiré en outre en moyenne
71 pouds d'or par an (le pottrf équivaut à 16 kilogrammes).
Les premiers renseignements que les Russes obtinrent sur
quelques parties de ce colossal territoire, plus grand à lui
seul que toute l'Europe et un quart de l'Asie, leur furent
fournis par un marchand appelé Anika Stroganoff ; et ce
fut un turbulent chef de Kosacks, Jermak Tiruoféjeff, qui
leur fournit un prétexte pour en entreprendre la conquête.
Celui-ci, se sentant trop faible pour se maintenir contre ses
rivaux , envoya en 1581 à Moscou des agents chargés de pré'
senter l'appât de cette conquête au tsar Iwan Wassiliévitsch
le Terrible; et c'est ainsi qu'à la suite d'une guerre sans im-
portance avec le khan des Tatares qui y régnait, la Sibérie
passa, vers la fin du seizième siècle, sous la domination de
la Russie, dont les souverains ajoutèrent dès lors à leurs
titres celui de tsar de Sibérie. L'importance de celte pro-
vince n'échappa point à la sagacité de Pierre le Grand, sous
le gouvernement duauel on y établit diverses fabriques et
12
178
plusieurs bauts fourneaux. La population s'accrut successi-
vement de bannis, ainsi qu'à la suite de nombreux établisse-
ments formés par des Russes, et elle est aujourd'bui de
près de trois millions d'ûmes. Parmi les indigènes, qui
comparativement ne forment qu'une minime partie de la
population, il y a une grande diversité de races, par
exemple des Samoyèdes, des Ostjaks, des Korjeeks, des Wo-
goules , des Iakoutes , des Tschouktsclies , des Bouraetcs, des
ïoungouses, etc. Les Tatars, la race principale, sont en
paitie mabométans , et les Mongoles sont encore païens pour
la plupart. En 1842 on comptait dans toute la Sibérie, parmi
les babitants qui ne se raltacbaient point à l'Église ortbodoxe
gréco-russe, comme Église dominante, 4,942 catholiques,
3,624 protestants et réformés, 5,330 juifs, 64,359 mabo-
métans , et 35,559 païens. Les arcbevêcbés grecs sont au
nombre de trois : Tobolsk et la Sibérie, Irkoutsk, et le
Kamtschatka. A l'inverse de ce qu'on remai-que dans le reste
delà Russie, la population mâle dépasse de beaucoup, de 20
p. 100, à ce qu'on prétend, la population féminine. Parmi les
Russes ce fait s'explique par le nombre de bannis qu'on y
envoie depuis longtemps, et qui est tous les ans de plus
de 10,000 individus : cbiffre dans lequel les femmes n'en-
trent pas pour plus d'un cinquième ; mais cbez les tribus
nomades, il est le signe de leur dégénérescence. Les bannis,
au nombre de 135,000, ne sont d'ordinaire astreints à d'autre
contrainte qu'à celle de la surveillance; et il n'est pas rare
d'en voir qui s'enricbisseut. Dans ces dernières années l'é-
migration volontaire de la Russie d'Europe en Sibérie a aussi
pris de beaucoup plus vastes proportions qu'autrefois. En 1852
il arriva dans la Sibérie occidentale 24,486 individus des
deux sexes; en 1853, 13,981 bommes et 13,851 femmes
lurent affranchis des domaines de la couronne et envoyés
dans l'ouest de la Sibérie, et plusieurs milliers de familles
s'y rendirent également de différents gouvernements de
l'empire, notamment de celui de Witepsk. En pareil cas,
les colons obtiennent, entre autres encouragements, des
terres qu'ils peuvent cultiver comme paysans libres.
Toute la Sibérie est aujourd'bui divisée en deux gouver-
nements généraux : la Sibérie occidentale (39,bQ0 myriam.
carrés) el\a Sibérie orientale (128,500 myriam. carrés). A
la première appartiennent les gouvernements de Tobolsk et
de Tomsk,a.\ns\ quela province d'Omsk, supprimée en 1838
en même temps qu'on en répartissait les différents cercles
entre ces deux gouvernements. A la Sibérie orientale appar-
tiennent les gouvernements de lénisséisk et à'' Irkoutsk, la
province d'Iakoutsk avec les deux administrations mari-
times d''Ochotsk et du Kamtschatka, le pays des Tschouk-
tsches, la Nouvelle-Sibérie, les îles Aléoutiennes et
quelques autres encore. Tobolsk, chef-lieu de la Sibérie
occidentale , l'était aussi autrefois de toute la Sibérie ; les pins
importantesdesdix-neufautresvillesdelaSibérie occidentale
sont Omsk, Tjoumen , Bérézof, dans le gouvernement de
Tobolsk; Tomsk , Barnaul , Semipalatinsh, Usikame-
nojorsk, et Kolywan, dans le gouvernement de Tomsk. La
plupart de ces villes sont le centre d'une exploitation de
mines et d'un commerce de pelleteries, ainsi que d'un petit
commerce avec les hoides tatareset mongoles. La ville prin-
cipale de la Sibérie orientale, qui en compte en tout vingt-cinq,
est Irkouts k, siège de la société russo-américaine de com-
merce , et grand entrepôt du commerce de la Russie avec
la Chine. Les autres villes remarquables de ce gouverne-
ment sont A'er<scAi7i.ç^, Wérchneudinsk et Troizkofsaffsk.
Toutefois, la phis importante de toutes les villes commerciales
de la Sibérie, c'est la petite et modeste Kiachta. Dans
le gouvernement de lénisséisk on peut encore citer Kras-
nojarsk et lénisséisk. Iakoutsk , cbel-lieu de la province
du même nom , est l'entrepôt du commerce de pelleteries
d'Ocbotsk et du Kamtschatka, et Ochotsk, chef-lieu de
l'administration maritime du même nom, est d une haute
importance comme centre du commerce entre la Sibér ie et
l'Amérique russe. Le chef-lieu de l'administration maritime
du Kamtschatka est Petropawlowsk.
SIBÉRIE — SIBOUR
Ceux qui ont contribué à mieux faire connaître la Sibé-
rie sont le contre-amiral Wrangell; Erman, par son
Voyage à travers le nord du continent asiatique et les
deux océans (Berlin, 1831); l'astronome russe Fuss, le
savant russe Féodoroff et le naturaliste berlinois Lessing
( 1832), par leurs Foyfl(7M; Ledebur, par son Voyage dans
les monts Altaïet-i^à Flora Altaica (Berlin, 1829-1833).
La science a notablement profité du voyage entrepris, en
1829, aux monts Ouralset Altaï ainsi qu'à la mer Caspienne
par Alexandre de Humbokit, en eom|iagnie d'Ebrenberg et
de Rose. Depuis lors la Sibérie a été l'objet de nombreuses
explorations de la part des Russes. En 1831 Alexandre de
Bunge, de Dorpat, fut chargé, par l'Académie des Sciences
de Saint-Pétersbourg, d'accompagner en quaUlé de natura-
liste la nouvelle mission ecclésiastique envoyée en Chine ;
ce qui lui fournit l'occasion d'étudier la flore de la Sibérie
méridionale et du désert de Gobi. En 1832 le même sa-
vant entreprit un autre voyage au mont Atlaï, pour faire
de nouvelles investigations sur la flore de la partie orien-
tale de ces contrées. Tourtschaninoff parcourait en même
temps les environs du lac Baïkal , la Daurce et les steppes
de la Mongolie; Fr. de Gebler, de 1833 à 1835, l'Altaï ; et
Helmaseu, l'Altaï ainsi que le lac alpestre d'Allyn-Nor ou
lac Telezzki. En 1838 Polytoff parcourut le lac Saïsàn , le
cours supérieur de l'Irtisch et le mont Tarbagalaï , et pu-
blia en 1841 un supplément à la Flora Altaica. En 1840
Scbrenk parcourut également dans l'intérêt des progrès de
la botanique le Balkascb et les contrées adjacentes ; Georges
Karolin en fit autant, de 1839 à 1843, des régions sans fin
de la Sibérie , déployant dans ses investigations une ardeur
et une sagacité peu communes. Depuis, ceux qui ont jeté
le plus de lumières nouvelles sur le nord de l'Asie sont
Meddendorf et Castren ; celui-ci plus particulièrement au
point de vue ethnograpliique. On lira encore avec un vif
intérêt l'ouvrage de l'Anglais Cottrill, intitulé : La Sibérie
décrite comme colonie pénale; Meddendorf, Voyage aux
extrémités nord et est l'Asie ( Pétersbourg , 1844-1851 ) ;
Syzania, Révélations of Siberia, by a banisched lad'j
(2 vol., Londres, 1852).
SIBILOT,(ou de Henri IlL
SÏBOCR (Dominique-Auguste ), archevêque de Paris,
mort assassiné, le 3 janvier 1857, dans l'église Saint-Étienne
du Mont, où il ofliciait à l'occasion de la fête de sainte
Geneviève, patrone de Paris, par un misérable prêtre ap-
pelé Verger, que sa mauvaise conduite l'avait forcé d'in-
terdire peu de temps auparavant , était né le 4 avril 1792,
à Saint-Paul Trois-Cbâteaux (Drôme), d'une famille de né-
gociants aisés. Après avoir fait ses études au séminaire de
Yiviers et de Saint-Charles, à Avignon, il avait été nommé
professeur au petit séminaire Saint-Nicolas du Chardonneret,
à Paris. En 1817 M. de Quélen l'attacba à la paroisse
des missions étrangères avec le titre de grand-vicaire. Pour
rétablir sa santé affaiblie, il alla ensuite séjourner pendant
deux ans à Pont-Saint-Esprit, où il employa ses loisirs à
l'étude du droit canon et à traduire la Somme de saint Tho-
mas. En 1829 il prêcha avec succès, le vendredi saint, dans la
chapelledesTuileries , en présencedu roi etde toute la cour.
En 1838 il fut nommé vicaire général de l'évêché de Nîmes,
et l'année suivante il obtint l'évêché de Digne. Il occupait
encore ce siège en 1848 , lorsqu'à la suite de la mort si dé-
plorable de M. Affre, archevêque de Paris, dans les
journées de juin, sur les barricades du faubourg Saint-
Antoine, où il essayait de faire entendre des paroles de
paix et de conciliation, le général Cavaignac, sur la recom-
mandation de M. Bûchez, qui se portait garant de ses
principes républicains, le présenta à l'approbation du saint-
siège , pour remplir le siège archiépiscopal de Paris , main-
tenant devenu vacant, et dont il prit effectivement posses-
sion le 30 octobre 1848. Déjà, au mois de mars précédent,
il avait annoncé l'intention de se mettre sur les rangs pour
la députation à l'Assemblée nationale; mais il avait ensuite
renoncé à sa candidature , par dégoût pour les cabales et
SIBOUR — SICILE
179
les intrigues de tous genres auxquelles donnaient lieu les
préparatifs des élections. Pendant longtemps sa position
comme premier pasteur de la capitale avait été assez difli-
cile, parce qu'il était signalé à ses ouailles comme suspect de
jansénisme et surtout de socialisme et de républicanisme.
Mais on finit par lui rendre justice et par reconnaître que
les relations qu'il avait pu avoir comme prêtre et comme
confesseur avec un ou deux républicains, catholiques fer-
vents, n'avaient en rien altéré la parfaite orthodoxie de ses
principes. Son cousin , l'abbé Sibour, chanoine à Aix et
professeur de théologie à la faculté do cette ville, fut élu
dans l'Ardèche dépuléà l'Assemblée nationale constituante,
aux travaux de laquelle il prit part pendant toute la durée
de son existence. En 1855 il était curé de Saint-Thomas
d'Aquin, lorsqu'il fut créé évêque de Tripoli in parlions in-
fidelium , et adjoint à l'archevêque de Paris pour le se-
conder dans la direction de son vaste diocèse.
SIBYLLE, du latin sibijlla, dérivé du grec fftêûXXa
formé deciôç ( dialecte éolien) , pour 6£Ôç( dieu), et de pouXiQ
(vouloir, conseil), conseil diyiM, parce qu'on regardait les
sibylles comme inspirées par un dieu, au nom duquel elles
rendaient des oracles. C'est ainsi qu'on appelait dans l'anti-
quité les femmes qui prédisaient l'avenir. La plus célèbre
de toutes était celle qui prophétisait à Cumes, et que l'his-
toire désigne sous le nom de Sibylle de Cumes ( wo^es Déi-
phobie).
SIBYLLINS (Livres). On appelle ainsi une collection
de productions en vers grecs qu'on attribuait à la Sibylle
de Cumes. La tradition voulait qu'une inconnue eût un jour
offert en vente au roi de Rome Tarquin le Superbe cette
collection, qui formait d'abord neuf rouleau'x ou volumes ,
et que le roi eût refusé d'en faire l'acquisition à cause du prix
élevéqu'on lui en demandait. Alors l'inconnue aurait jeté trois
de ces volumes dans le feu, puis trois autres encore; et le roi,
sur les conseils de ses devins, seseraitenhn décide à donner
pourles trois derniers la somme avec laquelle il eût pu acheter
d'abord la collection complète. Tarquin le Superbe les déposa
bien précieusement, comme contenant de mystérieux oracles
relatifs à des événements futurs d'une haute importance
pour l'État, dans un caveau du temple bâti sur le mont Ca-
pitolin, puis en confia la garde à deux fonctionnaires spéciaux,
qualifiés de duumviri sacrorum, et dont plus tard le nombre
fut porté à dix, et même par Sy Ha à quinze. En l'an 84 av.J.-C.
les livres sibyllins périrent dans l'incendie qui détruisit
le Capitole; mais quand il eut été reconstruit, le sénat donna
l'ordre de recueillir dans toutes les villes de la Grèce et de
l'Italie, les débris de vers sibyllins qui avaient pu s'y conser-
ver, et de les déposer de nouveau dans le temple de Jupiter.
Plus tard on continua la collection de ces prophéties jusqu'à
l'an 68 de notre ère, sous le règne de Néron, où elle devint
de nouveau la proie des flammes. Ou se remit néanmoins à
l'œuvre, on refit une nouvelle collection ; et au sixième siècle,
lors du siège de Rome par les Goths, on prétendait encore y
trouver des prédictions relatives à l'issue de ce siège. Ces
oracles ou livres sibyllins, dont l'interprétation était tou-
jours très-arbitraire, en raison de l'ambiguïté avec laquelle ils
étaient rédigés, donnèrent lieu très-ceitainement à de nom-
breuses falsifications, surtout à partir du second siècle de
notre ère, lorsque surgirent dans les communes chré-
tiennes des hommes inspirés, qui tinrent un langage prophé-
tique etpoétique, et qu'on appela aussi à cause de cela Sibyl-
listes. On donna également le nom de livres sibyllins aux
maximes, sentences et prédictions qu'on recueillit de leur
bouche. Gallœus a donné sous le titre à''Oracula Sibyllina
(Amsterdam, 1689) la collection lapins complète de ce qui
en existe encore ; mais c'est là évidemment l'œuvre de
faussaires vivant à une époque de beaucoup postérieure à
celle qu'on assigne à ces oracles.
SICAIRE. Ce mot est synonyme d'assassin et de meur-
trier; et dans l'usage ordinaire il implique toujours l'idée
du crime salarié par le fanatisme religieux ou politique.il
«st dérivé du mot latin sica, qui signifie poignarc". Avant
le siège de Jérusalem par Titus, toute la contrée de la Pa-
lestine était infestée de brigands qui excitaient les Juifs à la
révolte, et qui pillaient les maisons et les biens de ceux qui
passaient pour favorables à la domination romaine. L'arme
principale de ces brigands consistant en un petit poignard
recourbé comme le cimeterre des Perses, les Romains leur
donnèrent le nom de 5îcam, que nous avons traduit dans
notre langue parle mot sicuires.
SIC AMBRES (Les) formaient ane des nations occiden-
tales de la Germanie; ils habitaient près du Rhin, et poussèrent
dans la suite leurs hmitesjusqii'auWeser.Ce peuple belliqueux
prit une part active à la lutte de la Gaule et de la Germanie
contre la puissance romaine. Retirés dans leurs bois et leurs
marais, les Sicambres résistèrent avec bonheur aux armes
de César. Sous le règne d'Auguste, ils furent défaits plusieurs
fois par les légions romaines, et une partie de la nation se vit
transportée sur la rive gauche du Rhin, pour ne plus échap-
per à la domination de Rome. Us occupaient à cette époque
une partie du territoire qui forme maintenant la province
de Gueldres. Vers la décadence de l'empire romain, les Si-
cambres quittèrent leur nom, et se fondirentdans la tribu des
Franks, dont les destinées, encore obscures, n'annonçaient
pas les futurs conquérants de la Gaule et les fondateurs de
la puissance française.
SICARD (Roch-Ambroise Li'curron, abbé), célèbre
par les services qu'il rendit à l'instruction des sourds-muets,
naquit au Fousseret, près Toulouse, le 28 septembre 1742.
Après avoir fait ses études à Toulouse , il obtint un cano-
nicat à Bordeaux. C'est là qu'il (onda le premier institut de
sourds-muets, et il eut le bonheur de rencontrerun habile col-
laborateur dans le célèbre sourd-m.uet Massieu. A la mort
de l'abbé de l'Épée, en 1789, Sicard lut appelé à le rem-
placer dans la direction de l'établissement de Paris. Malgré
son désintéressement, il fut l'objet de nombreuses et dou-
loureuses persécutions à l'époque de la révolution. Jeté en
prison peu de jours après la journée du 10 août, ce ne fut
que par hasard qu'il échappa aux massacres de septembre.
A peine rendu à la liberté, il eut le courage d'aller se placer
de nouveau à la tète de l'établissement des sourds-muets;
mais à la suite de la journée du 18 fructidor, il fut, en sa
qualité de rédacteur des Annales catholiques, condamné à
la déportation à Cayenne. Sicard se déroba par la fuite à
l'exécution de cet arrêt de proscription ; mais il lui fallutalors
laisser pendant deux années son cher établissement entre
des mains étrangères, et ce ne fut qu'après la révolution du
18 brumaire qu'il lui fut permis d'en venir reprendre la di-
rection. A la fondation de l'Institut, on l'appela à faire
partie de la classe répondant à l'ancienne Académie Fran-
çaise. Il mourut en 1822. Parmi ses nombreux ouvrages i/
faut surtout mentionner sa Théorie des Signes pour Vins
truntion des Sourds-Muets (Paris, 1808; nouvelle édi-
tion, 1828).
SICCATIF. Voyez Peinture (Technologie).
SICILE, la Sicilia des anciens, la plus grande île de la
i.iéditerranée. Voyez Sicii.es ( Royaume des Deux-).
SICILE (Vins de). Il y en a de rouges et de blancs;
ils sont généralement de qualité supérieure , sucrés et très-
spiritueux. La vigne est cultivée en Sicile avec un soin tout
particulier. D'ordinaire les vignobles sont entourés de murs
en pierre ou en torchis, sur lesquels croissent des figuiers
d'Inde {Cactus Opitnlia)(\e trois à quatre mètres d'élévation.
Généralement on enlève aux vignes un tiers de leurs grappes
qui ont séché sur pied. On écrase les grains dans les presses ,
et on les laisse fermenter pendant vingt-quatre heures.
Outre la récolte de raisins secs, dont il s'expédie année
commune de Messine et de Palerme 6,000 tonneaux à 80 CO'
^oZi chacun , l'exportation des vins de la Sicile s'élève chaque
année à plus de 40,000 tonneaux , dont la plus grande
partie est à la destination de Naples et de la Terre-Ferme.
Les vins jaune foncé de Marsala et de Castel Verrano ,
assez semblables au vin de Madère, sont les sortes les plus
recherchées. Les vins de Syracuse, de Calabrese, i\\il-
12.
ISO
SICILE — SICILES
banello et de Caprîata sont des vins muscats sucrés. Le
Faro, \'A7narina (d'Agosta), \e Mongarello et le Girasole
sont aussi des sortes de premier choix. Le P'istinbotta est
lin petit vin léger.
SICILES (Royaume des DEUX-)- H comprend la Basse-
Italie , ou la partie méridionale de la péninsule , la S i c i 1 e
et diverses îles de moindre grandeur. Sa superficie est de
1,428 myriam. carrés, et sa population s'élevait en 1851 à
8,704,472 habitants. Il est divisé en territoire en deçà du
Détroit ( Dominj al di quà del Faro ) , ou N a p 1 e s , et en
territoire au delà du Détroit {Dominj al di là di Faro) ,
ou la Sicile. Le premier, ou Naples, confine au nord aux
États de l'Église, à l'est à la mer Adriatique, au sud et
à l'ouest à la Méditerranée. Sa superficie est de 1,095 my-
riam. carrés, et sa population de 6,612,892 habitanls, Italiens
pour la plus grande partie, sauf 80,000 Albanais et
2,000 Juifs. Le sol est formé par le prolongement des Apen-
nins , d'où de fertiles vallées s'abaissent des deux côtés vers
la mer. 11 est d'origine volcanique, surtout au sud ; aussi est-
il sujet à de fréquents tremblements de terre- Les plaines
de la nature des steppes qui bordent la mer Adriatique et
le golfe de Tarente sont mal arrosées ; en revanche, la partie
occidentale offre de nombreux cours d'eau et est d'une
grande fertilité. On peut dire en général que c'est la plus
belle contrée de l'Italie. Les points culminants des Apen-
nins sont le Monte- Corno ou Gran-Sasso , haut de
2,978 mètres, et VAmaro, haut de 2,850 mètres. Le Vé-
suve se trouve complètement isolé. Les cours d'eau sont
peu importants , et le Garigliano lui-même n'est navigable
que sur un très-faible parcours. Parmi les lacs, on remarque
le lago diCelano, de 20 kilomètres carrés de superficie,
le Fucimis des anciens, situé dans l'Abruzze. Le climat est
en général tempéré et salubre. La neige est une grande ra-
reté dans les plaines, et d'ordinaire l'hiver n'est qu'une
saison de pluies plus fortes ; ce n'est que dans les Abruzzes
qu'on coupait les rigueurs de l'hiver. Pendant l'été la chaleur
est sans contredit très-forte, et devient même à peine tolé-
rable quand souffle le sirocco; mais à l'exception des en-
droits marécageux, l'air est très-sain. Les principaux pro-
duits de cette contrée, dont les trois quarts seulement sont
cultivés, sont le froment, le riz et les fruits de toutes es-
pèces,; le chanvre et le lin, surtout en Calabre; le coton,
l'huile, les raisins secs et les vins, notamment ceux qui sont
connus sous les noms de Lacrymœ Christi et de Vino
Greco; dans !e règne animal, des chevaux d'une excellente
espèce, des moulons à laine très-fine; dans les steppes de la
Pouille, des chèvres, l'animal domestique par excellence de
la Sicile ; des ânes, des mulets, des buffles; dans la Calabre,
des porcs, surtout dans les Abruzzes; des abeilles, des
cailles et toutes espèces de volailles ; des poissons en quantité,
notamment des thons, des sardines, des murènes; on
pêche aussi des huîtres et des moules; dans le règne mi-
néral : du sel marin et du sel fossile, du salpêtre, de l'alun,
mais surtout du soufre , de la terre de pouzzolane, du mar-
bre, de l'albâtre, de la pierre ponce et de la lave. On y trouve
peu de métaux , et le bois y est très-rare.
Le Napolitain est vif, spirituel et bon; mais appauvri et
aigri par l'oppression féodale , par les vices du système
judiciaire et administratif, le peuple ne s'abandonne que
trop souvent à de grands excès. Le dialecte napolitain dif-
fère beaucoup de la langue italienne écrite. C'est dans les
provinces méridionales , notamment en Calabre et dans la
Pouille, qu'habitent les Albanais ou Amantes. L'élève du bé-
tail, l'agriculture et la pêche sont incontestablement dans
un plus florissant état à Naples que dans les Étals de l'É-
glise; mais l'exploitation des mines y est tout à fait nulle , et
la productive apiculture n'est suivie avec succès que dans
la partie sud-est de la presqu'île. Les arts industriels sont
dans un plus florissant état à Naples qu'en Sicile; mais ce
pays est toujours obligé d'employer un grand nombre de
produits de l'industrie étrangère. Il possède des fabriques
<le soieries, de lainages et de cotonnades, mais seulement
dans les villes maritime.,, on confectionne aussi de la toile,
des articles de métal et des objets d'art en marbre et en
pierres précieuses. Le commerce maritime se borne à peu
j près au cabotage ; et ce n'est guère que dans les ports de
! la Berbérie, de l'Egypte et des îles Ioniennes qu'on voit appa-
i raître le pavillon napolitain. Les étrangers fournissent au
pays les objets dont il a besoin, et exportent son superflu.
L'extension du commerce intérieur rencontre de grands
obstacles dans le manque de bonnes routes, de canaux et
de rivières navigables. Il n'y a encore que deux chemins de
fer en activité. Celui de iNaples à Castellamare et à Nocera ,
et celui de Naples à Capone. Un chemin de fer qui conduira
deCapoue à la frontière des États Romains, et un autre qui
conduira de Naples à Manfredonia, sont à l'état de projet.
La flotte commerciale de la terre ferme se composait en 1842
de 6,803 bâtiments de diverses grandeurs, jaugeant en-
semble 166,525 tonneaux. En 1841 l'exportation n'atteignait
pas tout à fait le chiffre de 61 millions de francs, et l'im-
portation s'élevait à près de deux millions de plus. Mais
depuis lors un décret royal en date du 9 mars 1846, qui a
réduit les droits très-élevés perçus depuis 1824 à l'entrée
sur tous les produits de l'industrie étrangère, et des traités
de commerce successivement conclus avec l'Angleterre, la
France, la Russie, la Suède, la Sardaigne, l'Autriche, le
Zollverein allemand, la Turquie, etc., ont donné une plus
vive impulsion au commerce.
En ce qui touche les sciences la nation est au total fort
arriérée, et le peuple généralement ignorant, bien que les
classes supérieures présentent un grand nombre d'hommes
de talent et de savoir dans tous les genres. De toutes les
sciences l'archéologie est celle qui est cultivée avec le plus
de succès, et le goût des arts a surtout la musique pour
objet. L'Église dominante est l'Église catholique, qui compte
20 archevêchés ( Acerenza et Matera, Amalfi, Bari, Brindisi,
Capoue, Chieti , Conza , Co^enza, Gaète, Lanciano, Manfre-
donia, Monreale, Naples, Otrante, Reggio, Rossano, Salerne,
Severina, Sorrento, Syracuse et Tarente) et 77 évêchés. Les
Albanais, qui professent la religion grecque , ne sont que to-
lérés. En 1842 le nombre des individus appartenant à l'ordre
du clergé était de 32,280 prêtres séculiers , et de 30,000 re-
ligieux et religieuses. Le concordat conclu en 1818 avec le
pape a complètement rompu les liens de vasselage qui rat-
tachaient autrefois la couronne de Naples au saint-siége.
La noblesse n'est pas moins nombreuse que le clergé. Les
établissements d'instruction publique, tous en fort mauvais
état , sont aux mains des prêtres et des moines. Il existe
une université à Naples. Chaque province a un collège. Il
y a en outre des lycées à Naples, à Salerne, à Aquila
et à Catanzaro, et quatre collèges à Naples. Le premier des
corps savants est la Societa Borbonica à Naples, où l'on
trouve aussi un institut des beaux-arts , VAccademia Fon-
taniana, une école de médecine et de chirurgie, un collège
militaire, une école de musique et un collège vétérinaire. Il
existe en outre environ 800 écoles communales , et on peu
moins de 2,000 écoles primaires; mais il n'y a pas d'écoles
de filles. Dans la capitale, à Naples, un quart de la po-
pulation à peu près a reçu de l'instruction; mais dans les
campagnes ce rapport est encore bien moindre. En 1852 on
ne comptait dans tout le royaume que trente-deux librairies,
qui ne sont plutôt à bien dire que des magasins d'antiqui-
tés , et vingt-cinq imprimeries. Aucun livre ne saurait être
imprimé, introduit ou mis en vente sans une autorisation
préalable du ministre de la justice. La censure ne fut sus-
pendue que dans l'intervalle de 1848 à 1850. Les collections
d'arts et les bibliothèques contiennent une foule de choses
précieuses.
Depuis 1817 Naples est divisée en quinze î?î^enrfance.s :
i" Naples, avec les îles de Capri, de Procida et d'Ischia;.
'2''\\ibruzze Ultérieure Première ; 3° VAbruzze Ultérieure
Deuxième, avec Aquila, Sulmona, etc.; 4° Wibruzze Cité-
ricure ; 5" la Terra di Lavoro, avec Caserte, Gaète, Arpino
et l'Ile volcanique de Ponza; 6° le Principato Citeriorc,
SICILE
181
avec Salerne, AmaJfi etPaestum ; 7° le Principato Ulleriore ;
80 Capitanata; 9^ Molise ; lO» Bari; 11» Otrante, avec
Lecce; 12° \&BasUicate; 13o hCalabre Citérieure;\io la
Calabre Ultérieure Première, et 15° la Calabre Ultérieure
Deuxième. Ces provinces renferment 53 districts , 540 ar-
rondissements et 1847 communes. La capitale et la résidence
du souverain est Naples. Conformément à l'ordonnance
de 1817, la justice civile et criminelle est exercée par les ju-
ges de paix élus annuellement dans chaque commune, par
les juges d'arrondissement élus tous les trois ans , par les
tribunaux civils et commerciaux, et par les quinze grandes
cours de justice criminelle des diverses provinces, ainsi que
par les quatre grandes cours de justice civile établies à Na-
ples, à Aquila, à Trani, et à Calanzaro, qui sont subordon-
nées à la cour suprême, siégeant à Naples et jugeant eu der-
nier ressort. Les séances des tribunaux sont publiques. Un
nouveau code, qui a pour base le Code français, est en vi-
gueur depuis le 1*"^ septembre 1819. Les revenus et les dépen-
ses de l'État étaient évalués pour l'année 1838 à 26,670,000
ducats, dont 1,800,000 ducats pour la maison du roi. L'état
actuel des finances est inconnu. En 1851 on estimait le dé-
ficit annuel pour Naples à 4,500,000 ducats, et pour l'île de
Sicile à 500,000 ducats. En 1854 on évaluait la dette pu-
blique à 121,772,000 ducats, soit quatre cent cinquante-
sept millions de francs. L'armée de terre comprend 3 ré-
giments ou 9 bataillons d'infanterie de la garde, 3 bataillons
d'infanterie de marine, 1 bataillon d'artillerie de marine, 2 ba-
taillons du génie, 1 bataillon de pionniers, 14 régiments ou
42 bataillons d'infanterie de ligne, 13 bataillons de chasseurs,
4 régiments ou 12 bataillons de troupes suisses, 2 régiments
ou 4 bataillons d'artillerie à pied, 1 bataillon de gardes du corps
à pied ; plus, 2 régiments ou 8 escadrons de hussards de la
garde, 8 escadrons d'ouhlans, 3 régiments ou 12 escadrons
de dragons , l régiment ou 4 escadrons de carabiniers et
autant de chasseurs à cheval; enfin, une batterie d'artillerie
delà garde, quinze batteries d'artillerie de ligne et une bat-
terie d'artillerie suisse. L'effectif de cette armée est d'envi-
ron 112,000 hommes, sans compter la gendarmerie, qui se
compose de 4 bataillons d'infanterie et d'un escadron de
cavalerie. La flotte se compose de 2 vaisseaux de ligne,
5 frégates, 2 corvettes, 5 bricks, 1 goélette, 12 frégates à
vapeur et 14 petits bâtiments à vapeur. Un recrutement
général de l'armée a été tout récemment établi. L'âge du
service est de dix-huit à vingt-cinq ans, et sa durée légale
est fixée à cinq ans. Il n'y a que les engagés volontaires, les
artilleurs et les gendarmes qui servent pendant huit ans. Le
royaume uni desDeuxSiciles, dont les deux parties forment
un tout indivisible, est, depuis que la constitution proclamée
en 1848 a été abolie en fait, une monarchie absolue hérédi-
taire dans la ligne masculine et dans la ligne féminine.
L'administration de Naples est aujourd'fiui séparée de celle
de la Sicile ; mais le ministère d'État est commun aux deux
parties de la monarchie, et se divise sous un président en
huit départements : intérieur, finances, guerre et marine,
frâce et justice, affaires ecclésiastiques et instruction pu-
lique, tiavaux publics, police. Il y a en Sicile un gouver-
neur général., qui est en môme temps commandant en chef
de la force armée et de la marine dans ce pays. Il commu-
nique avec le ministère d'État par l'intermédiaire d'un secré-
taire d'État pour les affaires de l'île , qui y est spécialement
attaché. Le prince royal porte le titre de duc de Calabre ;
les autres princes portent des noms de provinces.
La seconde partie du territoire, le territoire situé au delà
du détroit ( Dominj al di là di Faro), la Sicile, l'île la plus
grande , la plus fertile et la plus peuplée de la Méditerra-
née, est séparée delà presqu'île de Calabre par le détroit
de Messine, large de 3,500 mètres. Elle présente la configu-
ration d'un triangle ; sa superficie est d'environ 350 myriam.
carrés, et sa population, de 2,091,580 habitants, est répar-
tie en 45 villes royales, 352 villes baroniales ou médiates,
54 bourgs et 110 villages. Jusqu'en 18l7ellc avait été di-
visée en trois vallées : le Val di Mazzara,\e Val di Noto,
et le Val di Demona; mais elle forme aujourd'hui sept
intendances, nommées, , d'après leurs chefs-lieux, Palerme,
Messine, Catane, Girgente ( Agrigente), Siragosa ou Noto
(Syracuse), Trapani et Cai^aniie^a , 24 districts, 188
arrondissements et 352 communes. 11 faut encore y ajouter
au nord les îles Lipari, à l'ouest les îles fij-adt, et à l'extré-
mité sud-est la fertile île de Parafe i aria, qui n'est qu'à
6 myriamètres de la côte d'Afrique. Parmi les nombreuses
montagnes de l'île , toutes entremêlées de fertiles plaines, la
plus haute est le volcan de l'Etna, qui s'élève isolé. De
tous les cours d'eau qui sillonnent le sol, pas un n'est navi-
gable; mais ils sont tous sujets à des crues subites, qui
causent souvent de grands ravages. L'air, quoique très-chaud,
est salubre partout où il n'est pas vicié par des exhalaisons
pestilentielles. Il n'y a pas décentrée en Europe qui jouisse
d'un si beau climat. Les tremblements de terre y sont fré-
quents. L'activité volcanique incessante de l'intérieur du sol
a pour preuves, indépendamment de l'Etna et de nombreuses
traces de volcans éteints , l'apparition subite et la prompte
disparition de l'île Ferdinandea à la suite d'une éruption
volcanique. Le sol, dont un dixième seulement est cultivé ,
est fertile en grains, notamment en froment ; aussi dans
l'antiquité appelait-on déjà la Sicile le grenier à blé de
Rome; il produit en outre en abondance des vins ( voyez
Sicile [ Vins de ]) , dont le plus renommé est le vin de Sy-
racuse , des huiles , des fruits "de toutes espèces , des
amandes et des plantes propres à fabriquer de la soude, des
caroubiers , des arbustes propres à fabriquer du papier,
des frênes à manne, du safran, du sumac , des pistaches ,
du coton, etc. La culture de la soie, introduite en 1130 et
qui de là se propagea en Italie , a pris une extension con-
sidérable. Les bêtes à cornes et les mulets y sont de fort
belle race, et l'apiculture y est exploitée sur une vaste
échelle. La pêche du thon et de la sardine est aussi très-
productive, et sur la côte occidentale on pêche de beaux co-
raux. Le règne minéral fournit de l'argent, du cuivre et
du plomb ; mais les mines sont mal exploitées. Les pro-
duits les plus importants consistent en pierres précieuses ,
d'excellent marbre, beaucoup de soufre, de salpêtre, de sel
marin et de sel fossile, d'alun , de vitriol, etc. Il existe aussi
un grand nombre de sources minérales. Le caractère des
Siciliens présente tous les défauts et toutes les qualités
des Méridionaux. La noblesse et le clergé sont extrêmement
nombreux. Les familles nobles sont au nombre d'environ
13,000, avec des titres de ducs, de princes, de comtes, etc.
En 1842 on comptait 658 couvents d'hommes, renfermant
18,000 moines, et environ 12,000 religieuses. Le roi est chef
suprême de l'Église catholique en Sicile , et on ne saurait
i appeler en cour de Rome des décisions rendues par la cour
j ecclésiastique siégeant à Palerme. Après le roi, le person-
; nage le plus élevé en rang dans l'État est l'archevêque de
j Palerme. On compte en outre deux autres archevêques ( à
i Syracuse et à Messine), et sept évêques. Les jésuites ont
' quatre collèges , et comptent environ deux cents ecclésias-
tiques de leur ordre. Après eux, la culture des sciences,
i restée à un degré fort infime , est confiée aux iiniversités de
Palerme, de Messine et de Catane, ainsi qu'au Collegio
de Nobili de Palerme. La préparation aux écoles supé-
rieures a lieu dans vingt-cinq gymnases, collèges et lycées.
Pour ce qui est de l'instruction générale, le peuple est très-
arriéré, parce que partout l'instruction primaire est restée
aux mains de moines ignorants. Malgré la richesse de leur sol
et les facultés naturelles qui les distinguent, les habitants
sont pauvres , parce que l'activité industrielle leur fait
encore trop défaut, bornée qu'elle est à la fabrication de la soie
et des chapeaux, dont Messine est le grand centre. Les au-
tres causes de cette pauvreté sont le trop grand nombre
de prêtres et de moines, possédant des biens considérables,
une noblesse extrêmement nombreuse et propriétaire de la
plus grande partie du sol, enfin l'exagération des droits de
douanes, qui n'ont été diminués que tout récemment. Une
foule d'avocats dévorent aussi le plus pur des produits de
182
SICILE
l'industrie des travailleurs. Plus d'un tiers de la population
est réduit à la mendicité , dont l'extension toujours crois-
sante devient de plus en plus nuisible à l'agriculture. Comme
sur la terre ferme, le commerce intérieur de la Sicile souf-
fre du défaut de bonnes voies de communication , et le com-
merce maritime se borne à peu près au cabotage. En 1843
l'île comptait 2,371 navires de toutes grandeurs, jaugeant
ensemble 166,525 tonneaux, et montés par 12,206 hommes
d'équipage. D'ailleurs, le commerce maritime est depuis
ces dernières années en progression manifeste. C'est le roi
qui fixe la part pour laquelle la Sicile doit contribuer aux
dépenses générales de l'État. De même que la terre ferme,
la Sicile avait obtenu par la constitution de 1821 une con-
sulta d'État, qui, nommée par le roi sur une liste de no-
tables , avait voix délibérative pour la fixation du buiiget,
la dette publique, etc. Mais la consulta de Sicile, comme
celle de Kaples , est aujourd'hui supprimée, bien que l'ad-
ministration de la Sicile soit demeurée distincte de celle de
Naples. Un gouverneur général { Luogotenente générale),
en même temps commandant en chef des forces de terre et '
de mer de la Sicile, est à la tète de l'administration en qua- j
lité à^alter ego, lorsque le roi ne se trouve pas en Sicile, sans
cependant être complètement indépendant du miniske
d'Ëtat.
HISTOIRE. !
L'histoire de la basse Italie est étroitement liée à celle !
deRo me. Naples tire son origine et son nom de l'ancienne
ville de Neapolis. Le territoire situé sur la côte orientale
avait reçu le nom dl'Apulie, et la petite langue de terre
située à l'est celui de C alabre. La Sicile fut vraisembla- i
blement peuplée à l'origine par des émigrants venus de la j
terre ferme d'Italie. Ses plus anciens habitants connus lu-
rent les Sicaniens , que refoulèrent à l'ouest du pays de
nouveaux arrivants, appelés Sicules. Naples et la Sicile doi- ■
vent leur première civilisation à des Grecs, qui fondèrent
des colonies sur leurs côtes. La Sicile se divisa en plusieurs
répubhques, dont celle de Syracuse était la plus riche,
la plus puissante et la plus fameuse. Agrigente, Massana et
Sélinonte étaient encore d'autres républiques célèbres. A la
suite de guerres nombreuses, faites de l'an 480 à l'an 311
av. J.-C, les Carthaginois parvinrent à exercer sur la Si-
cile une influence prépondérante. Au commencement de la
seconde guerre punique, ils avaient choisi Agrigente pour
leur place d'armes. Les Romains, qui voyaient de mauvais
œil cette influence, expulsèrent les Carthaginois non-seule-
ment d'Agrigente, mais encore de toute la Sicile, qui en
l'an 241 fut érigée en province romaine. Naples aussi, qui,
en raison de l'oppression exercée par Rome, avait fait cause
commune avec les Sam ni tes, tomba pendant le cours
de la troisième guerre samnite , en l'ap 295, au pouvoir des
Romains, qui la défendirent contre Pyrrhus, venus au se-
cours des habitants. La politique de Rome n'était pas fa-
vorable au commerce et à la prospérité des villes commer-
ciales; l'agriculture devint dès lors la principale ressource
des populations , et les grands propriétaii es l'exercèrent gé-
néralement au moyen d'esclaves. La guerre des esclaves,
qui en résulta dans le second siècle av. J.-C, la mauvaise
administration de quelques proconsuls, notamment de V e r-
rès , qu'un admirable discours de Cicéron a condamné à
l'immortalité , firent au pays de profondes blessures. Toute-
fois, il se releva sous de meilleures administrations, et par-
vint, sous Auguste et ses successeurs immédiats, à jouir
d'un état plus prospère. A la chute de l'empire d'Occident,
en l'an 479 , Naples échut en partage aux Ostrogoths , tan-
dis que depuis longtemps déjà la Sicile avait dû subir le
joug des Vandales. L'Ostrogoth Tbéodoric conquit ensuite
la Sicile, ainsi que toute l'Italie. En l'an 536 Bélisaire,
général des armées de Justinien , se rendit maître de la Si-
cile , et plus tard de toute l'Italie; et alors la basse Italie
ainsi que la Sicile firent partie, sous le nom (Vexarchat,
des domaines de l'empereur de Byzance. Les deux pays
obéissaient à un gouverneur, qualifié d'exarque, et qui le»
faisait administrer par des ducs. Pendant la lutte des exar-
ques contre les Lombards, il s'établit peu à peu plusieurs
duchés indépendants, tels que le puissant duché de Béné-
wnt, et les duchés de Salerne, de Capoue et de Tarente.
Naples, Amalfi et Gaète se maintinrent comme républiques.
En l'an 828 les Sarrasins arrachèrent la Sicile aux Grecs ,
et ne tardèrent pas non plus à envahir la Calabre. Ils s'em-
parèrent de Bari, et luttèrent contre les Grecs pour la pos-
session de la basse Italie jusqu'en .l'an 967, époque où
l'empereur d'Allemagne Othon 1*'' intervint dans la que-
relle, soumit Bénévent a l'Empire d'Allemagne et érigea Capoue
eu duché. Dès lors les Arabes , les Grecs et les Allemands
se disputèrent la possession de ces belles contrées. Il en ré-
sulta qu'en l'an 1016 une foule de guerriers normands
eurent l'idée de quitter la France pour aller offrir le secours
de leur épée aux princes de la basse Italie. Ils assistèrent
le duc grec Sergius contre le prince Pandolfe de Capoue, et
obtinrent en récompense le territoire sur lequel ils construi-
sirent la ville d'A versa , où leur chef Rainulf fut établi en
1099 comme premier comte normand de Naples. A ces ban-
des de Normands ne tardèrent pas à en succéder d'autres, ayant
à leur tète les dix fils du comte de Tancrède de Hauteville.
Le plus audacieux et le plus habile d'entre eux fut Robert
Guise a rd, qui, en 1053, contraignit le pape à ériger en fief
en sa faveur la Pouille, qu'il venait de conquérir, sous la
promesse de reconnaître tenir également du pape à titre de
fief toutce dont les Normands s'empareraient ultérieurement
en Calabre et en Sicile. Il prit alors le titre de duc de la
Pouille et de la Calabre, que le pape Nicolas II lui confirma
en 1057. Le frère cadet de Guiscard, le comte Roger I*"^, qui
dès l'an 1061 avait commencé en Sicile la lutte contre les
Sarrasins , et que son frère avait nommé comte de Sicile ,
se rendit à la mort de son aîné indépendant de la Calabre ,
se mit à la tête des Normands en Italie, et en 1098 obtint,
en vertu d'une bulle du pape Urbain II , ponr lui et pour
ses succcesseurs , la puissance spirituelle suprême dans ses
possessions au delà du détroit. Son fils Roger II , qui lui
succéda à sa mort, arrivée en 1101 , acheVa la conquête de
toute la basse Italie, et à la mort de Guillaume, fils de
Guiscard, hérita de la Calabre et de la Pouille. Roger II
réunit alors tous les territoires situés en deçà et au delà du
détroit sous le nom de royatnne des Deux-Siciles , et prit
les titres de ?oi de Sicile et de duc de la Pouille et de la
Calabre , que le pape , comme son suzerain , lui confirma
en 1130. La réunion de Naples et de la Sicile dura cent cin-
quéœte-deux ans; la résidence du souverain était Palerme.
Chaque pays conserva la législation qui y avait été jusque
alors en vigueur ; cependant , à Naples le droit féodal fran-
çais devint aussi en usage concurremment avec l'ancien droit
lombard. On donnait au pape, à titre de seigneur suzerain,
une haquenée et une bourse pleine de ducats. La race de
Tancrède s'éteignit en la personne du petit-fils de Roger II,
Guillaume II, dit Ze^o«,raorten 1189. L'empereur d'Al-
lemagne Henri VI, de la maison des Hohenstaufen, cher-
cha alors à taire valoir sur Naples et la Sicile les droits d'hé-
rédité de sa femme Constance , fille de Roger II. Mais les
Siciliens exécraient la domination allemande; ils élurent
Tancrède, fils naturel de Roger II, puis, celui-ci étant venu
à mourir peu de temps après, son fils encore mineur, Guil-
laume III. Henri VI envahit alors de nouveau la Sicile; et
plus heureux celte fois que du vivant du brave Tancrède,
il réussit à s'y maintenir. Mais les cruautés qu'il commit en
Sicile lui firent dans ce pays une honteuse réputation. Les
Siciliens acceptèrent donc avec empressement pour souve-
rain son fils, devenu plus tard l'empereur Frédéric II,
qui , à l'âge de trois ans seulement, en 1197, obtint l'inves-
titure de Naples et de la Sicile, et qui, après avoir pris lui-
même les rênes du pouvoir en 1209, érigea Naples en capi-
tale de ses États. Toutefois, le voisinage immédiat de cette
puissante maison impériale était incommode aux papes. En
conséquence , à la mort de l'empereur Conrad IV, arrivée
SICILE
en 1254, le pape Urbain IV accorda l'investiture du royaume
des Deux-Siciles au frère du roi de France Louis IX, Char-
les d'Anjou , qui en 1268 fit trancher la tête à l'héritier lé-
gitime, C on radin de Souabe. Mais dès Tannée 1282
l'île de Sicile secouait le joug des Français {voyez Sicilien-
nes [Vêpres]), avec le secours du roi d'Aragon Pierre III,
que Conradin avait désigné pour héritier, et dont la femme,
Constance, était fille de Manfred, fils naturel de l'empereur
Frédéric II, de la maison des Hohenstaufen. La Sicile demeura
alors séparée de Naples pendant un intervalle de cent
soixante ans. Elle recopnut pour souverain Pierre III d'A-
ragon, auquel succéda son fils cadet Jacques. Les rois
d'Aragon affranchirent complètement la Sicile de la suze-
raineté du saiut-siége ; et ce pays continua à faire partie
intégrante de la monarchie espagnole jusqu'à la guerre de
la succession d'Espagne. La maison d'Anjou se maintint à
Naples, Charles s'étant engagé vis-à-vis du pape à lui payer
nn tribut annuel de 8,000 onces d'or et à lui faire hommage
tous les trois ans d'une haquenée blanche. En 1307 son ar-
rière-petit-fils, le roi de Naples Charles-Robert, fut élu roi
par les jétats de Hongrie. A la mort de ce prince, arrivée en
1343, il surgit à Naples, sous le règne de sa petite-fille,
Jeanne Y^, qui lui succéda sur le trône, de grands troubles,
parce que le pape Urbain VI couronna en qualité de roi de
Naples Charles de Durazzo, de la maison d'Anjou et de Na-
ples établie en Hongrie. Celui-ci fit mettre à mort la reine
Jeanne, en 1382 ; mais lui-même périt assassiné en Hongrie,
en 1386. Son fils Ladislas combattit avec succès en Italie
le fils adoptif de Jeanne, Louis d'Anjou. Il s'empara de
Rome, et songeait déjà à réunir toute l'Italie en un seul
royaume, lorsque la mort le surprit avant le temps, en 1414.
Sa sœur Jeanne II, qui lui succéda comme reine, adopta
en 1420 le roi d'Aragon et de Sicile, Alphonse V, qu'elle
déclara son héritier ; et celui-ci chassa de Naples son rival ,
le prince français Louis III d'Anjou. Ainsi naquit la rivalité
de la France et de l'Espagne , rivalité qui vers la fin du
quinzième siècle mit toute l'Italie en feu. A Alphonse V,
mort en 1458, succéda à Naples son fils naturel Ferdi-
nand l*"", mort en 1494, et à celui ci son petit-fils Ferdinand II,
qui fut attaqué par le roi de France Charles VIII, défenseur
des droits de la maison d'Anjou , et qui mourut en 1496.
L'oncle de ce dernier, le second fils d'Alphonse V, Frédé
183
rie m , monta alors sur le trône de Naples; mais il lui fut
enlevé en 1501 par son cousin , le roi d'Aragon et de Si-
cile, Ferdinand V, dit le Catholique, qui s'était allié contre
lui avec le roi de France Louis XII. Toutefois, les vainqueurs
se brouillèrent pour le partage de Naples ; et secondé ad-
mirablement par le général de son armée , le célèbre Gon-
zalve , le rusé Ferdinand , par la paix qu'il conclut avec la
France en 1505, réussit à se faire reconnaître comme seul
souverain de Naples.
L'organisation communale des villes s'était insensiblement
formée dans le pays de Naples pendant cette querelle de plu-
sieurs siècles pour des couronnes et des territoires. Lesroisde
la maison d'Anjou avaient aussi commencé à convoquer en
diètes des députes des villes, comme cela avait déjà eu lieu
auparavant en Sicile. Mais en même temps la féodalité était
devenue si oppressive , que le peuple, tombé dans une pro-
fonde misère , se trouva incapable de résister aux armes de
l'étranger. En même temps la vie voluptueuse de la cour
avait corrompu les mœurs. Cependant, il existait du moins
encore alors des assemblées féodales qui limitaient la puis-
sance des roLs ; mais dans les deux siècles pendant lesquels
le royaume des Deux-Siciles fit partie de la monarchie es-
pagnole les diètes cessèrent complètement d'être convo-
quées à Naples, elles vice-rois n'eurent plus affaire qu'à un
comité des états dans lequel la ville de Naples occupait le
troisième rang. C'est ainsi que grandit la puissance royale,
et avecelle l'arbitraire en matière d'impôts. Enfin, les cruau-
tés du duc d'Arcos provoquèrent en 1647, à Naples, une
insurrection, qui, conduite avec plus d'habileté, eût pu
aboutira l'indépendance du pays (voyez Masaniello ). De-
I puis cette époque la prospérité et le bien-être du pays dimi-
nuèrent encore, sous l'oppression delà noblesse et du clergé,
et ce dernier en arriva a être propriétaire , tant à Naples
qu'en Sicile, des deux tiers du sol. A l'extinction de la ligne
mascuHne delà maison austro-espagnole, arrivée en 1700, en
la personne de Charles II d'Espagne , Naples et la Sicile' fu-
rent traités comme faisant partie de la succession ouverte.
Préoccupés avant tout des intérêts de leur commerce, les An-
glais, lors de la conclusion de la paix d'Utrecht, réussirent
à faire prévaloir leur plan, qui consistait à séparer Naples de
la Sicile. On adjugea l'un à l'Autriche et l'autre à la Savoie. En
I 1717 le roi Philippe V, successeur de Charles II, agissant à
l'instigation de son ministre A 1 b e r o n i , s'empara, il est vrai
de la Sicile; mais il dut, en 1720, l'abandonner à l'Autriche,
qui céda la Sardaigne à la Savoie. Le royaume des Deux-
Siciles devint ainsi une partie de la monarchie autrichienne j
mais dans la guerre à laquelle donna lieu l'élection d'un
roi en Pologne , l'Espagne conquit les Deux-Siciles, dont la
paix de Vienne de 1755 adjugea la possession à l'infant
don Carlos. Quand ce prince monta sur le trône d'Espagns
sous le nom de Charles III , il abandonna les Deux-Siciles
à son troisième fils, Ferdinand, sous la condition qne ce
royaume ne pourrait pins jamais se trouver réuni à la
couronne d'Espagne.
Ferdinand IV régna depuis 1759 , d'abord en futèle , puiô
personnellement à partir de 1767 ; et jusqu'en 1777 la direc-
tion supérieure des affaires fut réellement entre les mains
du marquis de Tanucci , dont les tendances réformatrices
signalèrent la première partie du long règne de ce prince.
Refréner la puissance ecclésiastique, diminuer le nombre
des couvents , supprime les jésuites , améliorer la légis-
lation et simplifier la perception de l'impôt, tels étaient les
buts qu'avait en vue cet homme d'État. Ce ne fut que
lorsque la femme de Ferdinand IV, Caroline-Marie, fille
de Marie-Thérèse, eut réussi à complètement dominer son
faible époux, à perdre Tanucci et à faire confier la direction
des affaires à son favori, l'Anglais Ac ton, qu'il s'opéra une
réaction , qui , à la suite des événements de la révolution
française, affecta des tendances de plus en plus absolutisteset
cléricales. On vit alors éclater plusieurs explosions du mécoil'
lentement populaire, mais elles n'aboutirent qu'à de sanglantes
compressions (voyez .Acton, Nelson, Rcffo ef Speziale).
Toutefois , en accédant à la coalition contre la France en
1798, le roi, à la suite d'une honteuse campagne, perdit
Naples et dut se réfugier à Palerme. Les vicissitudes de la
guerre amenèrent bientôt, il est vrai, le renversement de la Ré-
publique Parth énopéenne , qui s'était fondée sous
l'appui de la France ; et un sanglant système de terreur si-
gnala, en 1799, le retour du roi légitime. Mais la prépondé-
rance que la France prit en Europe sous le gouvernement de
Bonaparte ne tarda point à menacer la dynastie des Bour-
bons de Naples , que la médiation de l'empereur Paul I*-
de Russie protégea seule alors contre une invasion fran-
çaise; mais ce prince finit par subir lui aussi l'ascendant de
la France. Le roi des Deux-Siciles s'étant encore décidé, en
1805, à accéder à la coalition contre la France, Napoléon
déclara que les Bourbons de Naples avaient définitivement
cessé de régner, et envoya une armée exécuter son décret.
Le roi Ferdinand et sa famille furent donc encore une fois
réduits à se réfugier à Palerme. Le gouvernement de Joseph
Bonaparte (1806-1808) et celui de Murât, qui remplacè-
rent alors successivement celui de Ferdinand , auraient pu
opérer beaucoup de bien si l'exagération donnée au sys-
tème de Napoléon et l'insécurité qui en était résultée pour
tous les intérêts n'avaient pas été des obstacles dirimants au
rétablissement de la prospérité du pays. Ce régime transi-
toire eut du moins pour conséquence de donner un peu
d'animation et d'activité à ces populations engourdies. Pen-
dant ce temps-là Ferdinand continuait de régner en Sicile ,
sous la protection de l'Angleterre; et le premier soin de la
cour avait été d'y rétoblir en tout l'ancien état de choses ,
comme en témoigna le rétablissement des jésuites, décrété dès
184
SICILE
1S04. Si sous l'influence anglaise il y eut aussi quelques
mesures prises dans l'intérêt du pays, le mécontentement pu-
blic ne tarda pourtant point à se traduire en une manifeste
fermentation des esprits. L'influence anglaise , représentée
par lord Bentinck, en profita pour écarter la reine des
affaires et pour introduire dans le pays une constitution
représentative semblable à celle de l'Angleterre ( I812 ). Mais
Ferdinand IV , lorsqu'il se retrouva libre d'agir, en 1814,
n'eut rien de plus pressé que desupprimer cette constitution.
Le triomphe de la coalition sur Napoléon et la fuite de Murât
en 1815 rendirent Naples au roi légitime, qui réunit alors,
par une ordonnance, en date du 12 décembre 1816, ses États
d'en deçà et d'au delà du détroit en un seul royaume, et qui
prit désormais le titre àeFerdinand 1er , roi des Deux-
Siciles. Tout l'ancien territoire, à l'exception de Piorabino
et de l'Ile d'Elbe, se trouva alors réuni de nouveau sous
la même main. Le nouveau gouvernement , placé surtout
sous l'influence de CanosaetdeCalderari, tj contenta d'o-
pérer quelques misérables réformes administratives, en
même temps qu'il irritait les populations par d'écrasantes
augmentations d'impôts et en supprimant tout ce qui pouvait
rappeler l'époque de la domination française. Beaucoup d'in-
novations utiles , surtout dans le régime de l'armée , furent
mises à néant rien que parce qu'elles dataient du temps de
l'usurpation française; on persécuta les hommes qui y
avaient pris part ou qu'on soupçonnait de la regretter ;
bref, le gouvernement légitime se montra aussi violent
qu'incapable. Le mécontentement alla donc toujours crois-
sant, surtout comme les carbonari s'attachèrent à ré-
pandre dans le pays l'esprit d'opposition contre le régime
dominant. L'éruption de la révolution espagnole en 1821 et
le rétablissement en Espagne de la constitution de 1812
donnèrent le signai à un soulèvement à Naples. Les troupes,
les gardes nationales et plusieurs généraux, tels que Carascosa
et Pepe, se rattachèrent proraptement au mouvement, et con-
traignirent le roi ainsi que le prince royal, qu'il avait nommé
son aller ego , à accepter et à jurer, le 7 juillet, la cons-
titution espagnole. En Sicile , à Palerme surtout , on tenta
d'obtenir une constitution politique séparée; et la force des
armes fut employée pour contraindre ce pays à accepter le
nouvel ordre de choses établi à Naples.
Mais les cabinets de la Sainte-Alliance avaient résolu de
rétablir l'ancien pouvoir monarchique. Les congrès tenus en
1821 à Troppau et à Laybach, et où le roi s'était aussi rendu
sous piélexte de venir y défendre la constitution contre les
puissances absolutistes, eurent pour but de préparer le retour
à l'ancien ordre de choses. Le congrès de Laybach débuta
par exiger le rétablissement du pouvoir royal tel qu'il existait
avant le 5 juillet, et par charger l'Autriche d'employer au
besoin la force des armes pour l'obtenir. Le parlement de Na-
ples refusa naturellement d'obtempérer à cette sommation ;
mais il n'avait pris aucune mesure pour être en état de ré-
sister. Une armée aijx ordres du général Frimont, qui envahit
au mois de mars 1821 le territoire napolitain, battit l'armée
commandée par le général Pepe, et se trouva maîtresse de tout
le pays au bout de quelques semaines , l'armée napolitaine
s'étant complètement débandée à la suite d'un premier
échec. Dès le 10 mars le roi avait révoqué et annulé de
Florence toutes les institutions nouvelles; au milieu de mai
il revint dans ses États , occupés par les Autrichiens, en pro-
mettant d'octroyer à ses sujets de nouvelles institutions
constitutionnelles. Un statut endatedu 26 mai 1821 créa un
conseil d'État, une administration séparée i Lur la Sicile et
deux consultes d'État délibérantes pour les deux royaumes.
En même temps, on laissait entrevoir la création prochaine
deconseils provinciaux etcelled'une organisation communale
plus indépendante. Lors même que ces réformes auraient été
plus sérieuses qu'elles ne Vêtaient (les consultes d'Etal, par
exemple, ne furent mises en activité qu'en 1824, et se com-
posaient de seize membres pour celle de Naples, et de huit
pour celle de la Sicile ),la restauration n'en aurait pas moins
entraîné à sa suite les plus déplorables conséquences. Les
partisans les plus stupides et les plus passionnés du temps
passé, notamment le ministre de la police Canosa, exercèrent
alors une prépondérante influence. La réaction civile et re-
ligieuse se montra plus impatiente et plus violente que ja-
mais. Le bouleversement du système d'instruction publique
dans le sens ultraraontain, l'enrichissement des jésuites ,
l'accroissement des prêtres, les missions et les miracles té-
moignèrent de l'omnipotence qu'on laissait prendre au parti
clérical. En outre, la poHce déployait un zèle infatigable pour
espionner, intenter des procès aux conspirateurs de 1820
et aux carbonari, malmenant en toutes occasions le peuple
à coups de bâton et de hallebarde. Non-seulement il ne fut
point remédié aux abus de l'administration, mais sous l'em-
pire d'un système d'espionnage à tous les degrés de l'échelle
sociale les choses allèrent encore de mal en pis. L'Autriche
elle-même, et en son nom le général Frimont, intervint
pour obtenir quelques adoucissements à toutes ces rigueurs ,
et réussit enfin à faire éloigner Canosa ainsi qu'à faire
nommer un nouveau cabinet. La fermentation dura cepen-
dant encore pendant plusieurs années . Les procès intentés aux
conspirateurs de 1820, la persécution des carbonari, et une
loi draconienne contre les sociétés secrètes, furent impuissants
à empêcher l'organisation de conspirations nouvelles; et
les prisons ne désemplirent point. Ce n'est que petit à petit
qu'il fut possible de réduire l'armée autrichienne d'occupa-
tion ; et jusqu'à la mort de Ferdinand 1'"^, arrivée le 6 jan-
vier 1825, aucune modification sensible ne survint dans cet
état de choses.
Le fils et successeur de Ferdinand , François /«'*, chercha
à calmer les esprits eu diminuant l'effectif de l'armée autri-
chienne, en accordant une amnistie limitée, et en s'efforçant
de parer au désordre de plus en plus grand des finances. La
tranquillité du pays tenait toujours à la présence des troupes
autrichiennes. L'ancienne armée availété licenciée; et l'or-
ganisation d'une armée nouvelle à laquelle, au moyen d'une
capitulation conclue avec les cantons suisses , on espérait
donner des éléments dans lesquels on pourrait avoir pleine
confiance, n'avançait que lentement ; aussi l'occupation durâ-
t-elle jusqu'au printemps de l'année 1827. Les Autrichiens
une fois partis, le parti révolutionnaire s'agita de nouveau;
mais un mouvement insurrectionnel ayant pour chef le cha-
noine Luca, et lente en juin 182S dans la province de Salerne,
fut prévenu à temps et sévèrement puni. Au moment où
François l""" monta sur le trône la situation des choses était
encore plus triste en Sicile qu'à Naples. La gêne toujours
croissante des finances poussait à créer sans cesse de nou-
veaux impôts; des bandes de brigands infestaient le pays,
là comme sur la terre ferme; et pour y maintenir un peu
d'ordre et de sécurité il fallait que les troupes autrichiennes
fussent incessamment employées à le parcourir en tous sens
comme colonnes mobiles. L'appauvrissement général prit
des proportions de plus en plus menaçantes, surtout après
que des grandes villes, telles que Palerme et Messine, eu-
rent été ravagées, la première au printemps de 1823 par un
grand incendie et par un tremblement de terre , la seconde
par une inondation. Il y existait aussi des conspirateurs. Un
complot découvert en janvier 1822 entraîna la condamnation
à mort et l'exécution de neuf chefs, et on n'évaluait pas à
moins de seize mille le nombre des individus détenus pour
cause politique.
Lorsque François I" mourut, le 8 novembre 1830, il eut
pour successeur son fils Ferdinand II, dont les débuts
semblèrent promettre une meilleure direction aux affaires
publiques. Une amnistie fut proclamée; on fit espérer aux
exilés qu'il leur serait bientôt permis de rentrer sur le
sol natal; on prescrivit des économies, et on augmenta la
ferme des monopoles royaux , afin de couvrir le déficit. Un
changement de ministère , le renvoi de fonctionnaires in-
dignes, l'abolition des privilèges en matière de chasse, la
liberté donnée à l'exportation des grains, la réorganisation
de l'armée et de la garde nationale, furent des mesures qui
valurent au roi une popularité universelle, surtout comme
SICILE
185
il manifestait l'intention bien arrêtée de se renseigner par lui-
même sur les abus existants dans le pays. A Naples la situa-
tion matérielle et morale s'améliorait sensiblement ; mais en
Sicile, quoique le roi y eût envoyé son frère comme gouver-
neur, des tentatives furent faites à diverses reprises pour
rendre l'Ile indépendante. Toutefois, la politique du roi ne tarda
pas à témoigner d'un recul visible vers les principes de ses
prédécesseurs. Le clergé fut l'objet de nouvelles faveurs ;
on lui restitua des droits qu'il avait perdus, et on accorda
de riches subventions aux jésuites. Dans sa politique exté-
rieure le roi prit manifestement en mains la défense de la
cause légitimiste; il protesta contre la suppression de la loi
salique en Espagne, et secourut avec ardeur la cause de
don Carlos. Malgré ce changement de direction politique, la
situation des deux pays semblait offrir plus de sécurité que
sous le précédent gouvernement ; mais les scènes qui eu-
rent lieu à Naples en 1836, lors de l'apparition du choléra-
morbus, qui y fit de nombreuses victimes, prouvèrent com-
bien la disposition des esprits était mauvaise. Si à Naples
tout se bornaà quelque agitation dansle peuple et à l'accrois-
sement continuel de la démoralisation, en Sicile, où rien qu'à
Palerme le fléau enleva 26,000 personnes en six semaines,
la crise fut terrible. Dans ses sentiments de défiance pour
tout ce qui lui vient de la terre ferme, le bas peuple s'imagina
que les malades étaient enrpoisonnés par les médecins. Des
mesures de précaution ordonnées par le gouvernement dans
un sage esprit de prévoyance, mais exécutées sans intelli-
gence, firent enfin éclater la sourde fermentation qui régnait
déjà depuis longtemps. A Palerme, le peuple recourut à l'em-
ploi de la force; une insurrection effroyable éclata dans la
ville, et fit une foule de victimes innocentes. A Catane, l'in-
suriection prit, sous les ordresdu marquis de San-Giuliano,
un caractère politique et eut l'indépendance de l'île pour mot
d'oidie. De sanglants excès furent aussi commis à Syracuse
et dans d'autres lieux. Pour dompter l'anarchie, le gouver-
nement envoya dans l'ile 3,000 hommes de troupes suisses,
sous les ordres du général Sonnenberg et du ministre de la
police del Caretto, à qui il confia des pouvoirs illimités.
Mais la fureur du peuple s'était calmée avec celle du fléau,
et les troupes ne rencontrèrent de résistance dans aucune
ville. Des conseils de guerre y furent aussitôt établis, et il y
eut force exécutions, par exemple à Palerme, à Catane, où
l'on fusilla huit chefs d'émeutiers, à Syracuse, où l'on en
passa trente-six par les armes, et dans d'autres endroits en-
core. Le roi lui-même se rendit dans l'île, et à cette occasion
il lui enleva le dernier vestige de son ancienne indépen-
dance. Des décrets en date du 31 octobrei837 supprimèrent
l'administration particulière à l'île, la déclarèrent pro-
vince napolitaine, créèrent une administration commune
pour les deux pays, et décidèrent qu'à l'avenir les emplois
publics seraient conférés dans les deux pays sans avoir égard
à la nationalité. A peine cette crise intérieure fut-elle passée,
que de nouvelles complications surgirent à l'étranger. En
1838 le gouvernement avait conclu avec une compagnie
française un traité qui, calculé sur la diminution annuelle de
la production des soufres, lésait très-sensiblement les inté-
rêts du commerce anglais, et était en contradiction avec le
traité de commerce existant avec l'Angleterre. Mais le roi
ne voulut point écouter les griefs et les réclamations de l'An-
gleterre. Bientôt donc une escadre anglaise parut dans les
eaux de Naples, bloqua les différents ports du royaume, et
contraignit le gouvernement à résilier (1846) le traité qu'il
avait conclu avec cette compagnie française, mais non pas
sans que les intérêts de ses nationaux eussent notablement
souffert. Un nouveau traité de commerce avec l'Angleterre
termina (juin 1843) enfin ce différend, à la satisfaction des
intérêts des deux pays. Du reste, il se manifesta alors dans la
politique extérieure du royaume des Deux-Siciles une tendance
visible à se rapprocher des monarchies constitutionnelles de
l'ouest. Deux princesses de la maison de Naples épousèrent,
l'une l'empereur du Brésil, fils de doin Pedro, l'autre
un des fils de Louis-Philippe, le duc d'Aumale. Dans la po-
litique intérieure il ne s'était d'ailleurs' pas effectué de chan-
gement sensible , et la fermentation des esprits continuait
toujours à être aussi grande à Naples qu'en Sicile. Toutefois,
une tentative d'insurrection faite par la jeune Italie àCo-
senza, en mars 1844, échoua; et le déharqnement opéré au
mois de juin suivant .sur les côtes de la Caiabre sous les
ordres du comte Ricciotti et des frères Emilio et AttiUo
Bandiera, n'aboutit qu'à l'arrestation et à la fin tragique
des chefs. C'est seulement en ce qui touche les améliora-
tions matérielles que le pouvoir déploya plus d'activité que
la plupart des autres gouvernements italiens : la construc-
tion des chemins de fer de Caserta et de Nocera, une meil-
leure organisation donnée aux finances, tombées dans un
profond délabrement sous les règnes de François 1" et de
Ferdinand V, la réduction des droits de douane, en furent la
preuve. En outre , des traités de commerce furent conclus
en 1847 avec la France et diverses autres puissancees étran-
gères, Brindisi fut érigé en port franc, et la construction d'un
chemin de fer de Capoue à la frontière romaine fut résolue.
Pendant ce temps-là l'agitation politique, qui avait pour
but la formation unitaire et constitutionnelle de l'Italie,
avait commencé à se manifester dans la littérature , dans
les rapports plus actifs des savants, et dans la presse, surtout
lors que Pie IX se fut attaché les esprits par le nouvel essor
qu'il imprima personnellement à ces idées dans les États de
l'Égfise. La Sicile elle-même n'avait pu se soustraire à l'ac-
tion de ce grand courant d'idées, et le congrès de savants ita-
liens qui s'était tenu à Naples dans l'automne de 1845 n'a-
vait pas laissé que de contribuer à les propager. Or, une
fois Rome et la Toscane entrées dans ce mouvement de ré-
forme, la fermentation des esprits alla aussi toujours crois-
sant en Sicile. Le gouvernement chercha bien à calmer cette
agitation par des concessions, notamment par des réductions
d'impôt (août 1847); mais à ce moiuent le vase, trop plein
depuis longtemps, déborda enfin. Un projet de soulève-
ment fut découvert à Parlerme avant que ses auteurs eussent
eu le temps de le mettre à éxecution ; à Reggio, il éclata une
révolte ouverte (fin d'août), qui, au commencement de septem-
bre, se transplanta de l'autr-e côtédu détroit, à Messine. Elle fut
réprimée, et les sanglantes exécutions auxquelles elle donna
lieu eurent pour biit d'empêcher par l'intimidation le mouve-
ment de se pr-opagcr davantage. Mais au même nroment la ré-
volte éclata également en Caiabre et dans les Abruzzes, et ce
ne fut pas sans peine quele gouvernement parvint à la dompter,
vers la fin d'octobre. Le roi se décida alors, mais non sans
de grandes hésitations , à apporter quelques adoucissements
au système suivi jusque alors. Quelques chefs d'insurgés
condamnés à mort furent graciés ; l'organisation du minis-
tère fut changée, le ministre Santangelo, odieux à l'opinion,
fut renvoyé ( 20 novembre ), en même temps que divers fonc-
tionnaires indignes, notamment le confesseur du roi. Code,
qui passait pour un des principaux appuis de l'ancien système.
Cependant la fermentation allait toujours en augmentant,
surtout à la suite de l'impression produite par les événements
dont le reste de l'Italie était le théâtre. En décembre 1847
il y eut à Naples même quelques désordres qui provoquèrent
de sanglants conflits, de nouvelles arrestations et poursuites,
et dont le résultat fut l'expulsion temporaire des étudiants
étrangers. Mais tout cela ne fit que hâter davantage l'éiup-
tion de la crise dans l'île. Dès le 6 elle 7 janvier il y avait eu
à Messine des désordres, que les autorités locales avaient en
corepu maîtriser; mais le 12 janvier il éclata à Palerme
une grande insurrection, qui expulsa les troupes de la ville
et mit la capitale de la Sicile au pouvoir du peuple. Des
troupes y furent aussitôt envoyées, et le comte d'Aquila,
frère cadet du roi, s'y rendit comme nrédiateur; mais ni
l'une ni l'autre de ces mesures n'atteignirent le but qu'on
avait en vue. Le l8 janvier il parut une série de décrets
qui élargissaient la compétence des consultes d'État créées en
1824 pour Naples et pour la Sicile, faisaient espérer des mo-
difications libérales dans l'administration communale et pro-
vinciale, et promettaient aux habitants de la Sicile une or-
186
SICILE
ganisation administrative et judiciaireà part, qui proclamaient
de nouveau les droits précédemment (1S16) reconnus au
pays d'avoir un gouvernement national ; enfin, qui promet-
taient une amnistie et quelques adoucissements au régime
de la presse. Ces dernières concessions furent encore élar-
gies les jours suivants, sans qu'on réussit par là à réta-
blir la tranquillité dans l'île. Malgré le violent bombardement
qu'essuya Palerme, l'insurrection gagna toujours du terrain, et
on perdit l'espoir d'en venir à bout avec des soldats. Le
gouvernement provisoire qui s'était constitué à Palerme re-
poussa même les concessions du roi, et exigea la convocation
d'un parlement ainsi que le rétablissement de la constitution
de 1812. Cette tournure prise par les événements influa aussi
surNaples. A la suite d'une immense démonstration populaire
quieutlieu le27 janvier 184S dans la capitate aux cris de Une
constitution\ le roi crut devoir s'abstenir de recourirà l'em-
ploi de la force, et faiiede nouvelles concessions. Un dé-
cret en date du 29 janvier octroya un gouvernement cons-
titutionnel avec deux chambres, la liberté de la presse, la
responsabilité des ministres , et l'organisation générale de
la garde nationale. L'odieux ministre de la police del Ca-
relto fut renvoyé , et un nouveau ministère se constitua ,
sous la présidence du duc de Serra Capriola. Le calme se
trouva par là rétabli à Naples; et, sauf quelques démons-
trations des lazzaroni en faveur de l'absolutisme, le nou-
vel ordre de choses y fut accueilli avec des transports de
joie et d'enthousiasme. Mais en Sicile l'opinion se pronon-
çait toujours avec plus de force pour que l'île prît le parti
de se soustraire complètement à la domination de la mai-
son de Bourbon. La lutte ayant continué avec acharne-
ment sans que la cause royale parvînt à gagner du ter-
rain, on repoussa formellement toutes les offres de conciliation
venant de Naples. Le gouvernement provisoire de Palerme,
ayant à sa tête Ruggiero Settimo, déclara expressément, le 3
février, que la Sicile ne déposerait pas les armes tant que le
parlement général, convoqué et formé à Palerme, n'aurait
pas approprié aux circonstances actuelles la constitution que
le pays n'avait jamais cessé de posséder en droit. Lîle entière
ayant fini par se rattacher à l'insurrection, le roi invoqua
l'intervention des puissances étrangères. En même temps,
de nouvelles tentatives de conciliation avaient lieu le 6 mars ;
Ruggiero Settimo fut nommé gouverneur général de la Sicile :
on lui adjoignait un ministère particulier, et le parlement
sicilien était convoqué pour le 25 mars, à Palerme. Mais les
négociations suivies sous la médiation de l'Angleterre n'a-
boutirent point. Les Siciliens persistèrent à exiger une com
plète séparation administrative ; dernière concession, qu'à Na-
ples on ne crut pas pouvoir leur accorder. Dès lors la rupture
fut définitive. Le nouveau parlement réuni à Palerme adop-
ta , le 13 avril 1848, un décret qui déclarait que Ferdinand
de Bourbon et sa dynastie étaient à jamais exclus du trône
de la Sicile.
Cependant , la nouvelle constitution avait été proclamée
à Naples , le 10 février, au milieu d'un enthousiasme extraor-
dinaire; et cette proclamation ainsi que la prestation de ser-
ment avaient donné lieu à une suite de tètes populaires.
Les embarras causés au gouvernement par les affaires de la
Sicile s'accrurent encore à la suite des événements qui sur-
vinrent au nord de l'Italie , et surtout en raison de l'at-
titude prise par l'Autriche en Lombardie. 11 s'en suivit des
démonstrations populaires contre l'Autriche, notamment une
insulte contre l'hôtel de l'ambassade d'Autriche, à Naples;
insulte par suite de laquelle le prince Félix de Schwarzen-
berg , l'ambassadeur, demanda ses passe-ports, le 28 mars,
et quitta Naples. L'insurrection qui venait d'éclater en Lom-
bardie et la déclaration de guerre lancée à l'Autriche par
la Sardaigne firent au gouvernement une nécessité impé-
rieuse de s'associer au mouvement belliqueux contre l'Au-
triche. Pendant ce temps-là l'époque fixée pour la réunion
du parlement napolitain était venue. Lorsque les députés
arrivèrent dans la capitale , il surgit entre eux et la couronne
un différend sur la queslion de savoir de quelle manière
serait prêté le serment à la constitution exigé par le sta-
tut organique du 10 février. Les députés étaient décidés
à ne pas prêter le serment sans condition , parce qu'ils en-
tendaient taire subir des modifications à cette constitution
octroyée. Ce débat donna lieu à des scènes tumultueuses.
La garde nationale prit parti pour les députés; on éleva des
barricades. Le gouvernement , qui accusa ensuite les députés
d'avoir eu en vue la déposition du roi Ferdinand , était prêt
à tout événement; il profita de cette occasion pour, avec
l'aide des régiments suisses et des lazzaroni fanatisés,
comprimer le mouvement dans le sang (15 mai). Le nombre
des morts fut considérable, et la ville de Naples fut le
théâtre d'excès, de dévastations et d'actes de pillage
commis par la populace , favorablement disposée pour la
royauté. La plupart des députés prirent la fuite. Dans une
proclamation en date du 24 mai le roi promit, il est vrai, de
maintenir la constitution , et convoqua même un nouveau
parlement en remplacement de celui qu'il venait de dissoudre ;
mais les événements ne tardèrent pas à prouver qu'il n'y
avait là que le début d'une complète réaction dans le sens
de l'ancien ordre de choses. Des révoltes dans les provin-
ces, notamment en Calabre, succédèrent sans doute au
coup d'Ëtat du 15 mai; mais au milieu de cette confusion
générale le roi réussit à se maintenir, secondé surtout à
cet égard par le changement survenu dans la situation des
choses au nord de l'Italie. Pendant ce temps-là , en Si-
cile, on avait logiquement poussé les tendances séparatrices
jusqu'à leurs conséquences extrêmes; et le 10 juillet le duc
de Gênes , (ils cadet du roi de Sardaigne Charles-Albert ,
avait été élu roi de Sicile. Toutefois, ce prince refusa la
couronne qu'on lui offrait. Quand le roi Ferdinand se trouva
redevenu à peu près maître de la terre ferme, et qu'il eut
la libre disposition de ses troupes, dont il avait dû précé-
demment envoyer une partie au nord de l'Italie, il pré-
para une nouvelle expédition contre la Sicile. Cette expédi-
tion se dirigea d'abord sur Messine , qui fut prise au mois
de septembre après plusieurs jours de combats acharnés.
Un armistice interrompit la lutte; l'Angleterre et la France
en profitèrent pour tenter de nouvelles offres de médiation
en faveur de la Sicile , et le roi pour faire de nouveaux ar-
mements. Ces inutiles négociations se prolongèrent jusqu'en
mars 1849. Enfin, l'armistice fut dénoncé; et les Siciliens
appelèrent à la tète de leurs troupes le polonais Mieroslaff-
ski , en même temps que le roi se disposait à recommencer
la lutte avec des forces de beaucoup supérieures à celles de ses
adversaires. En quelques semaines l'île tout entière se trouva
soumise -. Catane fut prise la première, après une résistance
héroïqiie. Syracuse fut la seconde ville dont s'empara l'armée
royale, et Palerme fit sa soumission le 23 avril. On traita
alors l'île en pays conquis; et il fut d'autant moins ques-
tion des concessions précédemment promises, qu'on se pré-
parait à mettre à néant la constitution sur la terre ferme et
à y rétablir l'ancien ordre de choses. A Naples, une loi d'une
sévérité sans pareille fut publiée relativement à la presse;
les anciennes maximes furent ouvertement proclamées de
nouveau , en même temps que les hommes qui en avaient
été naguère les fauteurs les plus ardents étaient rappelé.*
à la direction des affaires; enfin, l'année 1849 ne s'écoula
point sans que les portes du royaume fussent rouvertes aux
jésuites. La fuite du pape à Gaète fit en même temps du
territoire napolitain le siège du gouvernement pontifical;
et lorsque la lutte s'ouvrit en mai 1849 pour sa restauration
à Rome , Naples y prit part par l'envoi d'un corps d'armée
auxiliaire. Ces troupes ne se couvrirent pas précisément
de gloire dans leur lutte contre Garibaldi; mais le
pape n'en accorda pas moins au roi le titre honorifique de
rex piissimus, en même temps que le droit de conseil
dans les élections des papes dont n'avaient joui jusque alors
que les grandes puissances. En Sicile, le feu couvait toujours
sous la cendre; au mois de janvier 1850 éclata Palerme une
émeute populaire qui fut promptement réprimée, et dont
les chefs furent fusillés en vertu de jugements rendus
SICILE —
par des conseils de guerre. Toute l'administration de l'île re- [
prit ses anciennes formes. De même, àNaples, le retour com- ^
plet à l'ancien régime s'opéra peu à peu; et partout
on s'efforça d'y effacer les traces laissées par les récentes
commotions. 11 ne resta plus comme lamentable héritage de
eette malheureuse époque que les procès monstres en ma-
tières politiqnes, qui à partir de 1850 formèrent à Naples la
plus importante des affaires publiques. On trouva moyen
d'impliquer dans les poursuites ordonnées à l'occasion des
événements du 15 mai les noms les plus considérés, notam-
ment un grand nombre de membres des ministères libéraux
(Poerio, Scialoja, Dragonetti, etc.) ; et toutes les procédures
furent entachées d'évidentes irrégularités prouvant bien qu'on
n'avaiteuenvuequede revêtir plus ou moins de formes judi-
ciaires les vengeances qu'on voulait tirer d'individus mal vus
à un titre ou à un autre. La manière dont on traita les détenus
et les accusés , la nature des cachots où on les plongea , en
un mot la procédure tout entière dirigée contre eux pro-
duisit, même à l'étranger, la plus profonde impression. L'af-
faire prit une importance officielle lorsqu'un membre du
parti conservateur anglais, Gladstone, eut livré à la publi-
cité (1851) dans une lettre reproduite par tous les journaux
ce dont il avait été témoin oculaire et auriculaire à Naples,
et quand Palmerston eut fait adresser par les voies ordinaires
de la diplomatie ce récit à toutes les cours de l'Europe.
11 en résulta un échange de notes des plus vives. Non-seu-
lement le gouvernement napolitain essaya de démentir
officiellement les faits dénoncés, mais encore il protesta
contre le procédé de lord Palmerston. Le gouvernement
anglais ne se fit pas faute de répliquer, tandis que le cabinet
de Naples invoquait le principe du droit des gens qui inter-
dit de se mêler des affaires intérieures d'un État étranger.
Des révolutions physiques vinrent encore ajouter leurs dé-
vastations aux maux causés dans le pays par les révolu-
tions politiques. Un effroyable tremblement de terre eut
lieu sur la côte orientale de Naples, et détruisit presque
complètement les villes de Bari, de Melfi et de Venosa
(14 août). Des secousses réitérées se firent encore sentir
dans les derniers jours d'août et au commencement de sep-
tembre 1849, et ravagèrent diverses autres localités, no-
tamment la ville de Canosa. En Sicile, il y eut en 1852
une éruption de l'Etna. Tandis que les procès politiques
allaient leur train, le gouvernement publiait en 1852 une
amnistie limitée pour la Sicile , érigeait Messine en port
franc , projetait la construction à Naples de diverses gran-
des voies de communication et concédait la construction
d'un chemin de fer entre Naples et Salerne. Mais il n'in-
tervint pas de changement dans la situation matérielle des
populations , attendu la nécessité où se trouva le gouverne-
ment de faire de grandes dépenses pour accroître l'effectif de
l'armée et de la flotte. Divers symptômes alarmants, no-
tamment dans l'Ile, prouvèrent que le calme n'était point en-
core complètement rétabli. Cette situation des choses acquit
une certaine gravité après le rétablissement de l'empire en
France, car un parti Murât commença alors à s'agiter à Na-
ples; et si la France ne l'encouragea point, du moins elle ne
fit rien pour le décourager. Lorsqu'en 1854 éclata, à propos
de la question d'Orient, la lutte des puissances maritimes con-
tre la Russie, le roi Ferdinand se déclara neutre; mais la ma-
nière dont il exerça sa neutralité indisposa vivement contre
lui la France et l'Angleterre, qui à leur tour usèrent de re-
présailles. Consultez Giannone, Storia civile del regno di
Napoli (13 vol., Milan, 1844), ouvrage continué par Coletta,
sous le titre de Storia di Napoli , dal 1734 sino al 1825
(2 vol., Paris, 1825); Burigny, Histoire générale de Si-
cile (La Haye, 1745); Orloff, Mémoires historiques , po-
litiques et littéraires sur le royaume de Naples^ avec
des observations par Duval (5 vol., Paris, 1819-1821);
Caméra, Annale délie Due SJd^îe( Naples, 1841 et années
suivantes); Giuseppe del Re, Croniste e Scrittori Na-
poiîteni (Naples, 1849-1844) ; CastelledeTorremi:za, Fasti
délia Sicilia (2 vol., Messine, 1820); Bazancourt, His-
SICULES 187
toire de la Sicile sous la domination des Normands
(Paris, 1846); Lanza, principe da Scordia, Considera-
zione sulla Storia di Sicilia (Palerme, 1836); Amari,
La Sicile et les Bourbons ( Paris, 1849) ; le même. Histoire
des Musulmans de Sicile { Florence, 1855 ) ; Cesari, Storia
di Manfredi (2 vol., Naples, 1837); Bianchini, Storia
economica civile di Sicilia (2 vol., Palerme, 1842).
SICILIENNES (Vêpres). Charles d'Anjou, favorisé
par le pape , s'étant mis en possession de Naples et de la
Sicile et ayant fait périr l'infortuné Co n radin sur l'écha*
faud, le 29 octobre 1268, gouvernait avec une main de fer.
Alors un gentilhomme de Salerne, appelé Jean de Procida,
homme habile et instruit, résolut de mettre un terme aux
souffrances de la Sicile. Il se rendit en Aragon, engagea le
roi Pierre III , dont la femme. Constance , était fille de Man-
fred et petite-fille de l'empereur Frédéric II , à entreprendre
la conquête de la Sicile, et contribua même aux frais d'un
armement. Mais sur ces entrefaites le pape Nicolas, sur
l'appui de qui Pierre croyait pouvoir surtout compter, vint
à mourir (1280); aussi par prudence, et pour donner le
change sur ses véritables projets, le roi d'Aragon conduisit-
il en Afrique les troupes qu'il avait rassemblées; et là il
guerroya contre les Maures, en attendant que les Siciliens
se soulevassent suivant les promesses qui lui avaient été
faites. Tout à coup, le lundi de Pâques, 1282, les Paler-
mitains coururent aux armes, assaillirent les Français et les
égorgèrent tons, sans épargner les femmes ni les enfants,
pas même les Siciliennes mariées à des Français. C'est à ce
massacre qu'on a donné le nom de Vêpres siciliennes. Les
autres villes de la Sicile restèrent d'abord tranquilles; mais
avant la fin du mois d'avril suivant les habitants de Mes-
sine , imitant l'exemple qui leur avait été donné par ceux
de Palerme, massacraient ou chassaient aussi de leur ville
tous les Français qui l'habitaient. Dès que Charles d'Anjou,
qui se trouvait à Orvieto auprès du pape , apprit ces événe-
ments , il rassembla toutes les forces dont il pouvait dis-
poser pour agir contre la Sicile; mais le 30 août Pierre
d'Aragon débarquait de son côté à Trapani avec une armée
considérable, et enlevait à la maison d'Anjou la souveraineté
de la Sicile au profit de sa femme et de son fils, Jacques.
Consultez Amari, La Guerra del Vespro Siciliano (Pa-
lerme , 1841; Paris, 1843).
SICKAK (La ), torrent assez rapide de l'Algérie, dans la
province d'Oran, formé de la réunion de plusieurs ruisseaux,
notamment de l'Oued-Safsef, dont la source est située dans
les montagnes des environs de Tlemcen, qui coule du sud
au nord, par 3° 40'. de longitude occidentale, et du 34o
53' au 35° 5' de latidude septentrionale, point où il se
réunit à la Tafna.
SICLE, nom d'une monnaie d'argent qui eut cours chez
les Hébreux dès la plus haute antiquité, car il en est déjà
question au temps d'Abraham. Sa valeur représentait 2 fr..06
cent, de notre monnaie. Il y avait aussi des demi-sicles appelés
hékas. Il entrait 60 siclesàla mine, dont la valeur est éva-
luée à 123 fr. 46 cent.
SIC TRANSIT GLORIA MUNDI, mots latins qui
signifient : Ainsi passe la gloire de ce monde ! On mettait à
Rome un anneau de fer au doigt des triomphateurs, le jour
de leur triomphe, afin de les faire souvenir qu'ils étaient
hommes, et que la fortune, qui les élevait au faîte de la
gloire, aurait pu et pouvait encore les faire tomber dans
l'esclavage. On brûle de l'étoupe devant le pape, le jour de
son couronnement, en lui disant que la gloire du monde
passe et s'évanouit comme celle flamme : Sic transit gloria
mundi!
SICULES (Les), peuple vraisemblablement d'origine
pélasgique, mais suivant quelques auteurs de race ligu-
rienne ou celte , qui à une époque très-reculée habitait la
contrée voisine de l'embouchure du Tibre et une partie du
Latium , d'où il fut ensuite expulsé par les aborigènes et par
les Pélasges tyrrhéniens. Les vaincus se réhigièrent d'abord
au sud de l'Italie, chez lesŒnotriens, nation de même origine
188
SICULÉS — SIDI-BRAHIM
qu'eux. Mais chassés aussi de ce pays par les habitants, ils
passèrent, un siècle avant la guerre de Troie, dans l'île qu'on
appela depuis de leur nom Sicile.
SIC VOSIXOM VOBIS. Foyes Bathylle.
'■ SICYONE, ville du Péloponnèse, située dans une
plaine couverte d'oliviers, à peu de distance du détroit de
Corinthc, était l'une des cités les plus célèbres de la Grèce.
Après l'émigration dorienne, Sicyone paraît avoir ap-
partenu à divers princes. Elle se donna ensuite une cons-
titution démocratique, puis tomba en décadence sous les
successeurs d'Alexandre le Grand. Un de ses plus grands
citoyens , en même temps qu'un des hommes les plus re-
marquables qu'ait produits la Grèce, A rat us, l'incorpora,
en l'an 251 avant J.-C, à la ligue achéenne, après en avoir
expulsé le tyran Nicoclès. Plus tard Démétrius, (ils d'Anti-
pater, après avoir détruit leur ville, força les habitants à en
construire une autre sur la hauteur où se trouvait l'acropole;
mais un tremblement de terre détruisit cette nouvelle cité.
Sicyone était célèbre par ses peintres et ses fondeurs en bronze.
Ap e 1 1 e fut l'élève d'Eumolpe de Sicyone. Les chaussures de
Sicyone pour femmes constituaient un article de luxe très-
recherché. Les ruines de cette ville, qui se conserva jusqu'au
moyen âge , sont occupées aujourd'hui par un village ap-
pelé Basilika.
SI DDOi\S(SAKAn), l'une des plus remarquables actrices
tragiques qu'ait produites l'Angleterre, née en 1755, à Breck-
nok, dans le pays de Galles, était fille de l'acteur Roger
Kemble, et sœur de Charles et de John-Philippe Kemble.
Elle était très-jeune encore quand elle épousa par inclina-
tion Siddons, acteur attaché à la troupe de son père et pres-
que aussi jeune qu'elle. Dès lors elle embrassa la profession
dans laquelle elle devait illustrer son nom. En 1775 Garrick
la fit venir à Londres, où elle débuta sur la scène de Drury-
Lane dans le rôle de Portia. Ce ne fut cependant qu'en 1780
qu'elle fut reconnue pour la première actrice tragique de
l'Angleterre. Les deu\ grands théâtres de Londres se dis-
putèrent sa possession, et le public la combla d'applau-
dissements et de faveurs de tous genres. Elle avait reçu
une éducation des plus distinguées, et sa moralité demeura
constamment à l'abri de tout reproche. Sa taille était majes-
tueuse, son maintien noble et imposant, son organe sonore
et harmonieux. Personne n'eut jamais plus de mobilité dans
les traits , plus d'expression dans les yeux, plus de grâce
dans tous les mouvements. Ses rôles principaux furent ceux
de lady Macbeth, et de Catherine d'Aragon dans le Hen-
ri F/// de Shakspeare. En 1812 elle renonça au théâtre; ce-
pendant, en 1816 elle consentit encore à reparaître sur la
scène, à Edimbourg, et à y donner quelques représentations
au bénéfice de son frère Charles Kemble. Depuis lors elle se
consacra exclusivement à l'éducation théâtrale de sa nièce,
miss Frances Anna Kemble. Elle mourut le 8 juin 1831.
SIDERAL (du latin sideralis, formé de sidus, side-
ris, astre), ce quia rapport aux astres, et surtout aux étoi-
les. On nomme révolution sidérale le retour d'une planète
à la môme étoile. Vannée sidérale est le temps de la ré-
volution de la Terre d'un point de son orbite au même point,
c'est-à-dire d'une étoile à la môme étoile dans son mou-
vement annuel. L'année sidérale est plus longue de vingt
minutes que l'année tropique ou le retour des saisons, à
cause de la précession des équinoxes. Le temps sidéral se
compte par le mouvement diurne des étoiles, ou plutôt par
celui de ce point de l'équateur d'où partent les ascensions
droites. Ce point peut être considéré comme une étoile,
quoique aucune étoile n'y .soit réellement; et de plus ce
point lui-même est soumis à une certaine variation lente,
qui ne saurait affecter d'une manière appréciable l'intervalle
de deux de ses retours successifs au méridien. Cet inter-
valle s'appelle jour sidéral , et n'est autre que le temps
de la révolution de la Terre, d'une étoile à la même étoile,
par le mouvement diurne. Le jour sidérai se partage en
vingt-quatre heures sidérales , et celles-ci en minutes et en
secondes.
SIDERAL (Magnétisme). On appelle ainsi l'induence
directe que les astres exercent sur l'organisme animal, sui-
vant quelques auteurs, qui prétendent s'en être servis avec
succès pour le traitement de plusieurs maladies.
SIDERALE ( Lumière ). On a donné ce nom à une
lumière extrêmement intense qu'on produit au moyen de
la chaux vive tenue en incandescence à l'aide d'un jet de
gaz hydrogène enflammé avec le concours d'un jet de gaz
oxygène. Il y a quelques années, on fit en Angleterre, en
France et à Naples des essais pour appliquer cette lumière à
l'éclairage de la voie publique; mais on n'a jamais pu réussir
à l'appliquer en grand, d'une part à cause des frais, qui sont
considérables, et de l'autre parce que pour éclairer de vastes
espaces il est plus rationnel de disséminer un grand nombre
de jets de lumière.
SIDÉRISME (du grec atSripo;, fer, acier). C'est le
nom qu'on a donné à la faculté que prétendent posséder
certains individus de reconnaître sous terre l'existence de
métaux ou de couches d'eau , et d'attirer mrême à eux par
la seule force de la volonté de petites masses métalliques
On a aussi appelé sidérisme un traitement magnétique
des maladies, inventé et préconisé parMesmer. Ce n'était
pas la main de l'homme qui agissait dans ce mode de traite-
ment : il avait lieu au moyen de tiges métalliques, dont une
des extrémités plongeait dans un baquet dit sidérique , et
rempli de fer et de verre magnétisés , tandis que les malades
tenaient l'autre extrémité à la main^.
SIDÉRITE, substance dans laquelle Bergmann
croyait avoir découvert un nouveau métal, mais que l'on a
reconnue depuis n'être que du phosphure de fer.
SîDÉROCHROME(de ampoç, fer, et de chrome). Beu-
dant donne ce nom au fer chromaté, ou chromât e de fer,
formé d'un atome de sesquioxyde chromique et d'un atome
d'oxydule de fer. C'est une substance noire, métalloïde,
cristallisée quelquefois en petits octaèdres réguliers, le plus
souvent compacte. Son poids spécifique est 4,5. Infusible
au chalumeau, le fer chromaté y devient plus sensible à l'ac-
tion de l'aimant. 11 donne avec les flux un verre couleur
d'émeraude. Le fer chromaté forme des nids ou des amas
plus ou moins volumineux dans laserpentin e,àBastide-
la-Carrade (département du "Var), et à Baltimore, en
Amérique. On l'a trouvé aussi sous forme de sable noir, à
Saint-Domingue. Il est exploité pour la fabrication du chro-
maté de potasse, avec lequel se fait le jaune de chrome, ou
chromaté de plomb. On en fabrique aussi l'oxyde vert de
chrome , dont on se sert pour peindre sur porcelaine.
SIDÉROSE (de cîûr,poç, fer). Le fer carbonate ou
sidérose, a deux variétés ; le/er spathique et le fer car-
bonate lithoideon fer des houillières. Le fer spathique ef.t
riche en fer, très-facile à fondre , et donne directement de
l'acier, ce qui lui a valu le nom de mine d'acier. Il existe
en filons à Baigorry ( Basses-Pyrénées ), et alimente de nom-
breuses forges catalanes dans les départements voisins. Il
est aussi en grandes masses à AUevard ( Isère ), et sert à la
fabrication de l'acier de Rives. Le fer carbonate lithoïde
se trouve en rognons et quelquefois en dépôts puissants dans
le terrain houillier, soit dans les grès, soit même au milieu
des couches de houille. Ce minerai, quoique d'une valeur in-
trinsèque assez faible, est néanmoins très-précieux, à cause
de son abondance et parce qu'il est dans le voisinage d'un
combustible qui peut servir à son traitement métallurgique.
C'est presque le seul minerai de fer des Anglais. Le fer des
houillières existe aussi en France, mais malheureusement eu
petite quantité, à Saint-Étienne (Loire) et à Saint-Aubin
(Aveyron).
SIDI-BRAHIM (Défense du marabout de). Le 21
septembre 18i5, le chef des Souhalias vint prévenir le com-
mandant du camp de Dje mm a-G hazaout , qu'un dé-
tachement de troupes d'Ahd-el-Kader était , avec ce chef,
à peu de distance dans la montagne, et menaçait sa tribu
d'une razzia. Ce commandant , le lieutenant-colonel Monta-
gnac , partit à la tête d'environ 400 hommes ; mais trompé
SIDI-BRAHIM — SIDNEY
vraisemblablement par des renseignements perfides , il se
trouva écrasé par des forces démesurément supérieures, et
mortellement blessé il expira après avoir fait faire le
carré à sa troupe. Pendant près d'une heure ce carré lutta
opiniâtrement contre les charges ardentes et répétées de
toute la cavalerie arabe qu'Abd-el-Kader conduisait en
personne, et qui s'élevait à près de 3,000 chevaux. Les car-
touclies s'épuisent, et enfin , suivant l'expression d'un cara-
binier présent à ce désastre, les Arabes resserrant le cercle
autour de ce groupe immobile et devenu silencieux , le font
tomber sous leur feu comme un vieux mur. Il ne restait
plus que le capitaine Géraud , avec 80 hommes et les petits
bagages de la colonne. Faisant former de nouveau le carré,
il réussit, au milieu du feu , à atteindre le marabout de
Sidi-Brahim, où il se barricade, et où il soutient intrépidement
toutes les attaques de l'ennemi. Après avoir résisté pendant
trois jours et repoussé les sommations d'Abd-el-Kader, qui
le menace de le faire décapiter s'il ne se rend pas , le ca-
pitaine Géraud se décide, par suite du manque de vivres et
de munitions, à abandonner sa position , et à essayer de se
faire passage à travers les Arabes. Prévenus par des cava-
liers, les Arabes coupent alors le passage, et nos braves
ont à traverser des nuées d'ennemis. Les cartouches comme
les forces sont épuisées. Trois fois le carré se reforme. Le
capitaine Géraud succombe, ainsi que d'autres chefs. Douze
hommes seulement échappèrent au massacre, et atteignirent
les raursde Djemma-Ghazaout. Le désastre de Sidi-Brahim
produisit une profonde impression en France. En 1847
notre armée triomphante, visitant ce champ de carnage,
inhuma avec pompe les restes de nos braves soldats , restés
jusque là sans sépulture.
SIDI-FERRUCH, baie et cap de la côte d'Algérie, à
22 kilomètres à l'ouest d'Alger. Les Espagnols leur avaient
donné le nom de Torre-CMca , qui n'a pas prévalu. C'est
sur ce point du territoire africain que s'opéra, en 1830, le
14 juin , le débarquement de l'armée française aux ordres du
général B ou r m on t. Notre flotte avait quitté le port de
Toulon du 25 au 27 mai , et le 30 elle arrivait en vue d'Alger.
Dispersée par un violent coup de vent au moment où elle se
disposait à prendre terre, elle dut gagner Palma, où elle
resta jusqu'au 8 juin. Le 1.3 elle se rangea en bataille devant
Alger, en vue de laquelle elle défila en se dirigeant sur le
cap Sidi-Ferruch. Le lendemain, 14 , la division Berthe-
zène débarqua sur la plage, s'empara de la vieille tour dite
Torre-Chica, bâtie autrefois par les Espagnols, et délogea
12 à 15,000 Arabes qui la défendaient , pendant que le reste
de l'armée effectuait son débarquement sans encombre.
SIDMOUTH (Henry ADDINGTON, vicomte), homme
d'État anglais, était le fils d'un médecin de Londres, et na-
quit en 1755. Élevé avec Pitt, le fils de Chatam , il em-
brassa comme lui la carrière du barreau ; et bientôt , grâce
à ses brillantes relations, il entra aux alfaires. En 1782 il
fut élu membre de la chambre basse, où il défendit la poli-
tique de Pitt contre le parti de Fox. En 1789 la chambre le
choisit pour son orateur ou président. Quoiqu'il continuât
à défendre le système de l'ami de sa jeunesse, la modéra-
tion de ses idées le fit bien voir de tous les partis; et
quand Pitt abandonna la direction des affaires , en 1801 ,
il recommanda Addington pour occuper le poste de premier
ministre. Celui-ci conclut en cette qualité, en 1802, la paix
d'Amiens, dont les conditions lui valurent bientôt de vives
attaques, tant de la part de l'ancienne opposition ayant à sa
tête Fox et She ri dan, que de la part d'une nouvelle op-
position qui s'était formée sous la direction de Grenville et
de WIndham. Pour donner satisfaction à celte dernière, il
ordonna, il est vrai, l'armement général des côtes lorsque les
hostilités eurent recommencé ; mais il n'avait pas assez
d'audace et d'énergie pour inspirer de la confiance à tous les
partis. En outre, pour complaire à Georges III, il traitait
avec une extrême dureté le prince de Galles, devenu plus
tard Georges IV, et dont l'appui donnait alors ime grande
force à l'opposition. Au moment où la Franr.e faisait osten-
189
siblement des préparatifs de descente en Angleterre, Ad-
dington dut céder la direction des affaires à Pitt, en mars
1804. Le roi le créa alors vicomte Sidmouth, et le nomma
membre de son conseil privé , en lui témsignant en toutes
occasions une bienveillance qui donna de l'ombrage aux mi-
nistres. Dans les premiers mois de 1805, Sidmouth ayant in-
sisté pour qu'on poursuivît lord Melville(Dundas), accusé
de concussion, Pitt lui fit perdre sa place dans le conseil.
A la mort de Pitt, Sidmouth, d'accord avec Fox et Grenville,
constitua un nouveau cabinet, dont la mort de Fox ne tarda
point à amener la dissolution. Lord Liverpool , qui après
l'assassinat de Percival,en 1812, devint le premier ministre
d'un cabinet dans lequel Castlereagh exerça une influence
dirigeante, détermina Sidmouth à y accepter les fonctions
de sous-secrétaire d'État; et il continua dès-lors de les remplir
sans exercer une bien grande influence jusqu'en 1822, épo-
que où il se sépara définitivement de Castlereagh. Depuis il
vécut dans un grand isolement, et mourut le 1 5 février 1844.
SIDiVEY (Algernon), républicain anglais, que, sans
preuves suffisantes, le roi Charles II fit condamner à mort
et exécuter comme coupable de haute trahison , était le fils
cadet du comte Robert de Leicester, et naquit à Londres, en
1620. Avec son frère le vicomte de l'Isle, il embrassa dans
la révolution le parti républicain , servit dans l'armée du
parlement et fut nommé raemhte de la commission chargée
déjuger Charles 1^''. En celte qualité, il assista à toutes les
séances du procès; mais il s'abstint de paraître à celle où le
jugement fut rendu, et refusa d'apposer sa signature au bas
de l'acte qui ordonnait que le ro» serait exécuté. Malgré la
réserve qu'il garda sur cette question, Algernon Sidney n'en
était pas moins un ardent républicain. Cromwell ayant
usurpé le protectorat, Sidney se retira mécontent dans le
domaine de Penshurst appartenant à sa famille; et c'est là
vraisemblablement qu'il composa son célèbre ouvrage in-
titulé Discourses concerning government , etc. ( Londres,
1698; et souvent réimprimédepuis). Lorsque la restauration
des Stuarts s'accomplit en 1660, Algernon Sidney remplis-
sait les fonctions d'envoyé anglais à Copenhague; mais dé-
daignant de profiter de l'amnistie générale, il alla passer
alors dix-sept années en Italie, en Suisse et en France. A
la pressante sollicitation de son père, Charles II consentit,
en 1077 , à lui permettre de revoir le sol de la patrie et à
lui pardonner le passé. Au grand chagrin de la cour, Al-
gernon Sidney réussit dès 1678 à se faire éhre à la cham-
bre des communes, où les hardiesses de son éloquence l'eu-
rent bientôt rendu la terreur des ministres. Les mesures
réactionnaires et despotiques auxquelles le gouvernement se
laissadès lorsentraîner par l'influence du duc d'York poussè-
rent enfin, en i68l,lordJ.RusselletleducdeMonmouth
à former une association secrète à laquelle Algernon Sidney
s'affilia quelques mois plus tard. Le but qu'on se proposait,
c'était d'empêcher à tout prix le duc d'York de monttr sur
le trône à la mort de Charles II , que chacun pressentait de-
voir être prochaine. Mais à l'insu des meneurs , il se forma
parmi quelques conjurés d'ordre inférieur un complot par-
ticulier, dans lequel il s'agissait plus particulièrement de se
débarrasser du roi par la voie de l'assassinat. La découverte
et la sanglante répression de ce dernier complot ( connu
dans l'histoire sous le nom de Rije-House Plot, parce qu'il
avait été convenu qu'on tirerait sur le roi au moment où il
passerait en voiture devant une petite maison de campagne
de ce nom, appartenant à l'un des conjurés), mit la justice sur
la trace de l'autre complot, dont les auteurs furent tousarrê'
tés et conduits à la Tour, à l'exception de Monmoutli, qui
parvint à s'échapper et à gagner la Hollande. Quoique la loi
anglaise exige formellement la présence de deux témoins ,
Russell fut condamué et exécuté , sur l'unique déposition de
son lâche complice, lord Howard. On avait trouvé parmi
les papiers de Sidney im manuscrit dans lequel il réfutait
un obscur pamphlet écrit par un certain Filmer, champion
du droit divin. Pour suppléer à l'absence d'un deuxième té-
moin, le sanguinaire Jeffrey s, grand-juge, eut recours à ce
190
SIDNEY — SIDOIKE APOLLINAIRE
manuscrit, et s'efforça de démontrer qu'il ne pouvait être
que l'œuvre d'un traître. Condamné par les jurés, Alger-
non Sidney adressa au roi un mémoire dans lequel il pré-
sentait sa défense avec le plus grand calme , et sollicitait
la révision de son procès. Mais Charles II se montra im-
placable à l'égard de ce républicain relaps; et le 7 décem-
bre 1683 Algernon Sidney , qui jusqu'au dernier moment fit
preuve de la plus mâle intrépidité, dut monter sur l'écha-
faud. La condamnation capitale et l'exécution de Russellet
de Sidney avaient été des actes aussi injustes qu'impoliti-
ques , et la nation anglaise les considéra tout aussitôt comme
d'ineffaçables taches dans l'histoire du règne de Charles II.
A peine la révolution de 1688 eut-elle donné le trfine à Guil-
laume III, que ce prince, cédant aux vœux unanimes de
l'opinion, lit prononcer l'abolition des procédures et réha-
biliter les suppliciés.
SIDNEY (Sir Philipp) , l'un des prosateurs anglais les
plus remarquables , né en 1554', à Penshurst, dans le comté
de Kent , alla , après trois années d'études passées à Oxford
et à Cambridge, voyager sur le continent. Revenu en An-
gleterre en 1575, il fut l'un des ornements de la cour d'Eli-
sabeth et l'un des favoris de cette princesse. Une querelle
qu'il eut avec le comte d'Oxford le porta à se retirer ,
en 1578, dans les domaines de son beau-frère le comte de
Perabrocke, à Wilton , dans le Wiltshire, où pour dis-
traire sa sœur il composa le roman pastoral Arcadia , qui
est resté inachevé et qui ne fut imprimé qu'après sa mort.
Son plus bel ouvrage fut sa De fense of Poetry , qu'il com-
posa ensuite, et qui brille autant par le style que par la
pensée. Sidney reparut à la cour en 1582; et plus tard la
reine le nomma gouverneur de Flessingue. Sous les ordres
de son oncle, le comte de Leicester, il guerroya bravement
contre les Espagnols, et mourut en octobre 158G , des suites
d'une blessure qu'il avait reçue à la bataille de Zutphen, li-
vrée le mois précédent. Son Arcadia obtint à la première
apparition un immense succès, et n'eut pas moins de neuf
éditions dans l'espace de viugt ans. Sous le rapport du
style, cet écrivain a d'autant plus d'importance qu'il servit
de modèle à tous ceux qui vinrent après lui. Gray a donné
une édition de ses MisceUaneous Works ( Oxford, 1829 ).
SIDNEY ou SIDNEY-COVE, chef-lieu de la Non -
velle-Gallesdu Sud, sur la côte sud-est de l'Australie,
bâtie sur la Sidney-Cove et la Darlings-Cove, deux éclian-
cruresde la grande baie de Port-Jackson, fut fondée en 1788,
afin d'y établir la colonie pénale qu'on avait d'abord voulu
créer à Botanij-Bay. Par ses rapides développements cette
ville est devenue la localité la plus importante de toute l'Aus-
tralie. Sa population, qui en 1800 n'était que de 2,600 habi-
tants, dépasse aujourd'hui le chiffre de 60,000 âmes. Elle est
le siège du gouverneur général de toutes les colonies anglaises
de l'Australie, le centre du commerce, de la navigation
à vapeur et de la pèche à la baleine de la Nouvelle-Galles
du Sud, et contient en même temps les fabriques et les ma-
nufactures les plus importantes qu'il y ait dans le pays. Son
commerce n'embrasse pas seulement la mère patrie et le
reste de l'Australie, mais encore la Chine, l'Inde, l'île
Maurice, l'île de la Réunion, le Cap et l'Amérique. Aux
anciens articles d'exportation, la laine et les peaux , le
suif, les viandes salées, le beurre, le fromage, les clie-
vaux , ï'buile et le blanc de baleine , les peaux de chien
marin, etc., est venu se joindre dans ces derniers temps
l'or, plus abondantdans la Nouvelle-Galles du Sud que dans
aucun autre pays de la terre. Les importations consistent
pour la plus grande partie en produits des manufactures an-
glaises, en sucre , cale , tabac , articles de l'Inde et de la
Chine, etc. La ville , défendue par deux forts, est assez ré-
gulièrement bâtie. On y compte plusieurs grands édifices pu-
blics ou particuliers, une maison d'orphelins, un hôpital, une
banque, une salie de spectacle, un observatoire, un grand
nombre d'écoles publiques et divers établissements scien-
tifiques.
SIDNE Y-SMITH (Sir William), célèbre amiral. an-
f glais, était né à Londres, en 1764. Entré dans la marine à
l'âge de treize ans, il était déjà capitaine de frégate à la paix
de 1783. En 1788 il se mit au service des Suédois contre les
Russes; et au rétablissement de la paix entre ces deux
puissances, il se rendit à Constantinople , où il prit du ser-
vice à bord de la flotte turque. La guerre ayant éclaté de
nouveau entre l'Angleterre et la France , il vint bloquer
Toulon avec la flotte de l'amiral Hcod ; et lors de la reprise
de cette place par nos républicains, ce fut lui qu'on chargea
de brûler les vaisseaux qui se trouvaient dans le port;
mission terrible, dont il s'acquitta le 18 décembre 1793, et
qui lui valut dès lors la haine et les malédictions de l'ennemi.
Depuis, le gouvernement anglais l'employa toujours pour les
opérationsles plus audacieuses. C'est ainsi qu'en 179511 entra
par ordre de l'amiral Warrens dans le port de Rrest avec sa
frégate sous pavillon français, et qu'il put recueillir, grâce àcet
acte inouï d'audace , des renseignements précis sur la flotte
française. L'année d'après, il fut fait prisonnier dans un
combat livré devant le Havre. Le Directoire le fit amener
à Paris et renfermer au Temple , d'où, à l'aide d'un faux
ordre portant la signature du ministre de la police générale,
il parvint à s'échapper et à gagner l'Angleterre. Il y fut ac-
cueilli avec le plus vif enthousiasme , et le roi lui confia le
commandement du Tiger, avec lequel il se rendit dans la Mé-
diterranée. D'accord avec son frère James Spencer Smith,
ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, il décida la
Porte à signer avec l'Angleterre un traité d'alliance offensive
et défensive, qui avait pour but de défendre l'Egypte contre
les Français. Il se rendit ensuite sur les côtes de Syrie, en-
leva la flottille française mouillée à Kaïffa, et en ravitail-
lant Saint-Jean d'Acre contraignit Bonaparte à lever le
siège de cette place. L'année suivante , il conclut avec
Kleber la capitulation d'£'^-^mcA, que l'amiral Keith refusa
de ratifier. Sidney-Smith retourna alors en Angleterre, où,
en 1802 , il fut élu membre de la chambre des communes
par la ville de Manchester. Au renouvellement des hostilités,
on lui confia le commandement d'une escadre dans le Canal.
Promu en 1805 au grade de contre - amiral , il se rendit
avec l'amiral Collingwood dans la Méditerranée, où il fut
chargé de défendre la Sicile contre toute entreprise des
Français. En 1807 il alla croiser devant le Tage, et il con-
duisit alors au Brésil le prince régent de Portugal, qui était
venu chercher un refuge à son bord. Depuis lors, Sidney-
Smith cessa d'être employé. On attribua la disgrâce qu'il
avait encourue auprès du gouvernement anglais aux égards
qu'il avait témoignés à la princesse de Galles, lors de son
voyage sur le continent. En 1814 diverses associations phi-
lanthropiques le députèrent au congrès de Vienne pour y
plaider en faveur de l'abolition de l'esclavage et de la
destruction des États Barbaresques. Il habitait la France
lorsqu'à son avènement au trône, en 1830, Guillaume IV le
rappela en Angleterre et le nomma lieutenant général des
troupes de marine. Néanmoins, Sidney-Smith s'en revint
bientôt après à Paris, où il mourut, le 26 mai 1840.
SIDOINE APOLLINAIRE (Caius Sollius Appolu-
NARis MoDESTCs SiDONius), évêquc de Clermont en Auver-
gne, homme d'État, orateur et poète, naquit à Lyon, le 5
novembre 430 , dans une famille où l'on comptait des pré-
fets de Rome et du prétoire , des maîtres des offices et des
généraux d'armée. Il reçut une éducationfdigne de sa nais-
sance : Hoënius l'initia au culte des muses; Eusèbe lui en-
seigna la philosophie ; il apprit les mathématiques, l'astro-
nomie et la musique; enfin, il acquit une assez grande
connaissance du grec pour être en état de le traduire en
latin. Quand il eut achevé ses études, il songea à s'avan-
cer dans les dignités; il porta d'abord les armes, mais il
les quitta bientôt pour suivre la carrière de l'éloquence et
de la poésie. Avant d'occuper aucune charge, il épousa Pa-
pianilla, fille d'Avitus, qui fut depuis empereur; elle lui
apporta en dot la terre d'Avifac, en Auvergne, dont il nous
a laissé (hv. II, ép, 2) une brillante description. Sidoine n'a-
vait pas vingt ans quand il s'unit à Papianilla; il eut de ce
SIDOINE APOLLINAIRE
191
mariage au moins trois enfants, un fils nommé Apollinaris,
et deux filles , dont l'une s'appelait Severiana et l'autre
Roscia.
Avitus ayant été déclaré empereur, le 10 juillet 455, Si-
doine le suivit à Rome. Le règne d'Avitus fut de courte du-
rée : ce prince , sur lequel Sidoine comptait pour parvenir
aux emplois, fut bientôt détiôné par les intrigues du comte
Ricimer. Une partie de la Gaule s'étant armée pour ven-
ger Avitus, son gendre courut défendre Lyon, qui avait reçu
les Visigotlis dans ses murs : cette ville fut assiégée par les
Romains et forcée de se rendre ; elle se vit dépouillée de ses
privilèges, accablée d'impôts, et obligée de recevoir une
garnison, qui se livra aux plus grands excès. Sidoine, qui
avait pris part à la capitulation, n'eut d'autre moyen pour
conserver sa vie que de recourir à la clémence de Majorien,
que Ricimer avait fait proclamer empereur ; ce prince lui
accorda sa grâce. Majorien, auquel Sidoine avait déjà adressé
une supplique en vers ( Carm. xiii ) en faveur de sa ville
natale, s'étant rendu à Lyon en 458, le poète y prononça
son panégyrique en vers. Ce panégyrique offre une des-
cription de la figure, de l'Iiabillement, des armes et du
caractère des anciens Franks. De puissantes raisons, sans
doute , avaient porté Sidoine à encenser le nouvel empe-
reur; mais on lui pardonnera difficilement d'avoir distri-
bué une portion de ses éloges à l'infàrae Ricimer, l'auteur
de la chute d'Avitus, et d'avoir dit de lui « qu'il l'em-
portait sur Sylla par la pénétration , sur Fabius ptr le gé-
nie, sur Marcellus par la piété, sur Appius par l'éloquence,
sur Fabius par la force, sur Camille par l'iiabilcté ». Si-
doine fut ensuite élevé à la dignité de comte, et exerça quel-
ques autres emplois à la cour de Majorien. Celui-ci ayant
été assassiné, en 461 , par Ricimer, qui mit ensuite le dia-
dème sur la tête de Sévère, il parait que Sidoine saisit le
momentdecette révolution pour quitter la cour, et qu'il passa
tout le temps du règne de Sévère dans sa terre d'Avitac,
uniquement occupé de l'étude des lettres et du soin de ses
affaires domestiques, sans cesse visité par de nombreux amis.
Sévère ayant été empoisonné par Ricimer, et Antliemius
étant parvenu à l'empire eu 467, ce prince ordonna à Si-
doine, qui était alors à Lyon, de se rendre à Rome ; Sidoine,
qui avait d'importantes demandes à faire pour l'Auvergne,
obéit avec empressement. 11 nous a conservé dans une de
ses lettres (la 5*^ du liv. l^'^) une relation fort curieuse de
ce voyage. A son arrivée à Rome, on célébrait les noces de
Ricimer avec la fille d'Antliemius ; Sidoine y assista, et peu
de temps après il fit encore en vers le panégyrique de l'em-
pereur, en présence de qui il le prononça, le 1'^'' janvier 458.
11 obtint ensuite la cliarge de chef du sénat et celle de pré-
fet de la ville. Au bout de quelque temps l'empereur le fit
aussi patrice.
Le désir de revoir son pays et de lui consacrer le reste
de sa vie conduisit Sidoine, vers la fin de 471 , à passer de
l'état séculier et des premières charges de la cour, dont il
se démit en faveur de son fils , à l'humilité et à la sainteté
del'épiscopat A peine eut-il manifesté ce désir, qu'il fut porté
d'une voix unanime sur le siège, alors vacant, de l'église de
Clermont , dont le diocèse comprenait toute l'Auvergne. Si-
doine , ordonné évêque , devint un homme tout nouveau ;
il renonça aux lettres profanes, et s'il fit encore des vers,
ce ne fut que bien rarement, et le plus souvent en l'hon-
neur des martyrs et des saints. Il redoubla d'efforts pour
que la réputation de poète ne portât aucune atteinte à la vie
austère et pure du ministre du Seigneur (lett. 16, liv, ix).
Ce ne fut plus qu'un homme d'aumônes , de jeûnes et de
prières. Une étude approfondie à laquelle il se livra des
m.ystères de l'Écriture Sainte accrut encore sa réputation
et le fit regarder comme l'oracle de l'Église gallicane. L'é-
pouse de Sidoine paraît avoir vécu au moins jusqu'à la fin
de 474; quoiqu'il soit certain qu'il existât entre eux la plus
parfaite union , on ne peut douter, disent les bénédictins de
Saint-Maur, qu'elle ne fût devenue sa sœur selon l'ordre
des canons.
L'Auvergne en 474 était menacée de l'invasion d'Euric,
roi des Visigoths : le saint évéque n'hésita point à engager
son peuple à opposer une vigoureuse résistance. Les habi-
tants de Clermont soutinrent un siège , pendant lequel ils
eurent à souffrir toutes les horreurs de lagnerre, etqn'Euric
finit par être forcé de lever. Pendant l'hiver, Euric ayant
rassemblé de nouvelles forces , Nepos , empereur d'Occi-
dent , crut devoir acheter la paix par la cession qu'il fit de
l'Auvergne aux Visigoths; ceux-ci ne tardèrent pas à se
rendre maîtres de Clermont : Sidoine, loin de se laisser
abattre par ce funeste événement, montra le plus grand
courage. Il se présenta devant le prince arien, et osa lui
demander qu'il laissât aux catholiques qui tombaient sous sa
domination le droit d'ordonner des évêques. La fermeté qu'il
déploya en cette circonstance, l'affection qu'ilavait constam-
ment montrée pour les Romains, enfin ses liaisons avec les
personnages les plus considérables des Gaules, donnèrent
de l'ombrage au monarque visigoth , qui, sourd à ses de-
mandes, l'envoya prisonnier au château de Livianne, à qnel-
ques lieues de Carcassonne. Il resta renfermé dans ce châ-
teau jusqu'à ce que Léon , liomme lettré et ministre d'Euric ,
qui s'intéressait à son sort, eut mis fin à sa captivité , qui
dura une année; mais il reçut en même temps l'ordre de
se rendre à Bordeaux, pour régler les affaires del'Auver-
gneavec Euric, qui y tenait sa cour : ce n'était qu'un prétexte
imaginé pour le retenir comme prisonnier d'État dans cette
ville. Il est à présumer que ce fut un petit poëmeque Sidoine
composa pendant son exil à la louange d'Euric qui lui
fit obtenir la permission de retourner dans sa patrie.
Sidoine revint en Auvergne, où il ne cessa point d'agir
avec une vigueur toute chrétienne pour adoucir le sort d'un
peuple dont il fut constamment le véritable père. Quoique
entièrement occupé du soin de son diocèse, il trouva cepen-
dant le loisir de revoir ses lettres et d'en publier le recueil
à diverses reprises pour satisfaire aux pressantes sollicita-
tions du Lyonnais Constantius et de deux autres de ses amis ;
mais il refusa de continuer l'histoire de la guerre d'Attila, qu'il
avait commencée à la prière de Prosper, évêque d'Orléans
(lett. 15, liv. VIII ), croyant cette entreprise au-dessus de
ses forces. Le traité qu'il avait composé , pendant son épis-
copat, sur les offices de l'église, et qui est cité par Grégoire
de Tours, qui y avait ajouté une préface, n'est pas parvenu
jusqu'à nous, non plus que cette préface, que l'on doit
d'autant plus regretter qu'il est certain qu'elle contenait des
particularités sur la vie de Sidoine. Tout ce qu'on sait des
dernières années du vénérable prélat, c'est qu'il eut à
éprouver quelques tracasseries de la part de deux prêtres
factieux et corrompus, qui avaient résolu de le chasser de
son église pour s'emparer de son siège, mais qui ne purent
y parvenir. Il mourut un samedi, 21 août, jour auquel l'é-
glise de Clermont, qui l'a placé au nombre de ses saints,
célèbre encore sa fête. La maison de Polignac prétend
être issue du frère de ce prélat , et soutient que du nom
d'Apollinaire s'est insensiblement formé celui de Polignac.
Il nous reste de Sidoine : 1° neuf livres de lettres , qu'il
paraît avoir composées à loisir, et dans lesquelles il semble
avoir voulu lutter avec Pline le jeune et Symmaque; mais
il faut avouer que s'il s'est rapproché du dernier de ces
épistolographes , il est resté fort au-dessous du favori de
Trajan. 2° Vingt-quatre pièces de vers sur différents sujets,
auxquelles il faut joindre des épitaphes , des inscriptions et
quelques autres morceaux de poésie insérés dans ses lettres.
Quoiqu'on lui reproche avec justice de l'affectation, de
l'enflure et quelquefois de l'obscurité, défauts qui signalent
les productions du siècle de décadence et de barbarie où il
Horiisait , il n'en doit pas moins être regardé comme le
meilleur poète que cette époque ait produit. Les ouvrages
qui nous restent de lui , et qui font vivement regretter ceux
que la piété et la modestie du saint évêque firent anéantir à
leur auteur, ainsi que ceux que le temps nous a enviés ,
ont le précieux avantage de nous avoir conservé des faits
qu'on chercherait vainement ailleurs. Gibbon et Lebeau,
192
en traçant l'iiistoite du cinquième siècle , citent à chaque
page les écrits de Sidoine. La meilleure édition qu'on ait des
Œuvres de Sidoine Apollinaire est celle qu'en a donnée
Sirmond ( Paris , 1614). Antoine P^ricaud.
SlDONjla plusancienne et la plus importante ville de la
Phénicie, dans une étroite plaine riveraine de la Médi-
terranée, appelée aujourd'hui Saïda, avec environ C,000
habitants, passait déjà au temps d'Homère pour la plus belle
Tille de la terre, à cause de la magnificence des monuments
qui la décoraient. Elle fut le point de départ d'un grand nombre
de colonies phéniciennes , tant à l'intérieur qu'à l'extérieur,
notamment de Tyr , et conserva une grande importance
politique jusqu'au moment où Tyr finit par l'emporter sur
elle. Vers l'an 720 av. J. C, elle fut prise parle roi d'Assyrie
Salmanassar. Après la chute de l'empire d'Assyrie, elle
tomba sous la domination des rois de Babylone ; et Nabucho-
donosor l'assiégea pendant treize années de suite, à cause
d'une alliance qu'elle avait contractée avec Juda. On la re-
trouve encore une fois florissante et puissante sous la domi-
nation des Perses, car elle figura alors à la tête de la révolte
contre Artaxerxès III ; cette révolte se termina par le sac
de la ville, qui tomba par trahison au pouvoir des Perses,
et à laquelle les habitants, dans leur désespoir, mirent
eux-mêmes le feu. Rebâtie encore une fois, Sidon se soumit,
en l'an 333 av. J.-C, à Alexandre le Grand, après la bataille
d'Issus , et le conquérant lui imposa un nouveau roi. Après
la mort d'Alexandre , elle dépenditd'abord des rois d'Egypte ;
plus tard elle fut réunie à la Syrie , et finalement elle échut
en partage aux Romains. De bonne heure les habitants de
Sidon s'étaient livrés au commerce de terre et de mer ; ce-
lui qu'ils faisaient avec la teinture de pourpre , l'ambre et
le Terre, dont oa leur attribue l'invention , avait siutout une
grande importance. A l'occasion, ils pratiquaient aussi la pi-
raterie.
SIEBOLD ( Philippe-François de ), célèbre par ses
travaux relatifs à l'exploration du Japon , est fils d'un mé-
decin distingué de Wurtzbourg, ville où il est né, le 17 février
1796. Après avoir terminé ses études universitaires, il
passa, en 1822, aux Pays-Bas. De là il se rendit à Batavia,
où , en 1823 , il fut adjoint , comme médecin et naturaliste,
à une ambassade que le gouverneur général des Indes néer-
landaises envoyait au Japon. Les recherches de Siebold se
bornèrent d'abord au territoire exigu sur lequel est établie la
factorerie néerlandaise de Desima. Mais bientôt sa réputa-
tion de médecin et de naturaliste se répandit au loin , et il en
résulta pour lui un peu plus de liberté. Des Japonais
vinrent le trouver des points les plus éloignés de l'île pour
profiter de ses consultations et de ses enseignements. Afin
de le seconder dans ses travaux , quelques-uns entreprirent
même pour lui, et sur ses indications, des recherches dans
leur pays. En février 1826 eut lieu le voyage que l'ambas-
sadeur s'était proposé de taire à Jed do, et Siebold fit partie
de sa suite. L'accueil qu'il reçut dans cette capitale fut des
plus affectueux ; mais une infraction à l'étiquette de la cour
japonaise que commit l'envoyé néerlandais força l'ambassade
à s'en revenir à Batavia dès le 16 mai suivant. Siebold se
disposait , lui aussi , à quitter Desima , quand un incident
imprévu vint l'impliquer dans un procès. L'astronome et
bibliothécaire en chef lui avait communiqué la copie d'une
carte du Japon dressée par ordre de l'empereur. Le fait par-
vint aux oreilles de l'autorité, qui vit là un crime de haute
trahison. Mais par son noble courage Siebold parvint à
sauver la vie de son savant ami, et en fut quitte lui-môme pour
être expulsé du Japon. Ses collections étaient arrivées en
Europe dès 1828. Le l" janvier 1830 il quitta le Japon ,
et le 7 juillet suivant il était de retour a Flessingue. Ses col-
lections d'histoire naturelle et sa si remarquable collection
ethnographique japonaise ornent aujourd'hui le musée de
Leyde. Les riches documents recueillis par ce savant sur le
Japon et ,sa population ont été publiés par lui dans un
grand ouvrage divisé en quatre parties , sous les titres sui-
vants : Nippon , archives pour la description du Japon
SIDOINE APOLLINAIRE — SIÈCLE
(Leyde, 1832, avec atlas); Fauna Japonica (en société avec
Temminck,SchlemingetHaan(t. 1 à 5, Leyde, 1833 ]); Flora
Japonica (centuries l et 2, Leyde, 1835-1853) ; Bibliolheca
Japonica, lithographiée par le Chinois Ko-Tsching Dsang
(publiée en société avec Hoffman [ 6 parties; Leyde, 1833-
1841 ]). Il faut y joindre le précieux Catalogus Lïbrorum
Japonicorum (Le^de, 1845); VIsagogein Bibliothecam
Japonicam {Leyde, isil) -.V Epitome Lingux Japonicas{Bà-
lavia, 1826 ) et ['Atlas du Japon. Siebold, qui est toujours
au service néerlandais avec le grade de colonel d'état-major,
habite aujourd'hui Bonn , et est un de ceux qui ont le plus
contri^buéà répandre à Java la culture du thé.
SIECLE. Les Français , en donnant , comme tout le
monde, au mot siècle la signification d'espace de cent an-
nées, se sont écartés des traditions de leurs ancêtres , car
les druides, au dire de Pline ( His(. Nat., lib. xvi) , enten-
daient par siècle une période de trente années. Il y a même
eu d'autres abrévialeurs qui se sont contentés d'un espace
de dix ans. L'étymologie de ce mot , si l'on en croit Varron ,
vient de vieux (a sene); d'autres la découvrent dans les
deux mots se ou colo, et dans sequor ou dans seco. Quoi
qu'il en soit , il est certain que pour les Romains ce mot
indiquait le même nombre de cent années qu'il indique
aujourd'hui , à la grande consolation des corneilles et du
peu d'hommes doués comme elles du privilège d'une lon-
gue vie. Chaque retour de siècle était môme pour le peuple-
roi l'occasion d'une fête toute nationale, dans laquelle on
célébrait les ludi sœculares, pour le salut de la républi-
que. Il paraît cependant que l'époque de ces jeux a varié, car
Horace, dans son fameux Carmen sœculare, parle de cent
dix années {Certus undenos decies per annos orbis) ,
et Suétone cite parmi les autres extravagances de l'empe-
reur Claude celle d'avoir ouvert des séculaires avant le
temps voulu , de manière que le peuple romain ne put
s'empêcher de rire lorsque la voix du crieur public pro-
nonça l'invitation solennelle de jouir d'un spectacle que
personne n'avait vu, que personne ne verrait jamais ;
tandis qu'il y avait là jusqu'à des histrions qui avaient pris
part aux jeux précédemment célébrés par Auguste.
Siècle signifiait aussi chez les Latins les hommes qui
vivaient dans une certaine période , et les mœurs du même
temps. A ces acceptions sont dus les mots surannés de
siècle d'or, d^argent, d'airain, de fer, et le mot vivace de
siècle de progrès. Mais de toutes les significations du mot
siècle , aucune n'est plus usitée que celle qui désigne les
chosesmondaines, leur vaine pompe, leurs fausses délices. De
là vient que pour les écrivains sacrés le mot séculier est
quelquefois synonyme de profane et d^etlmique , bien qu'à
la rigueur il se dise surtout des laïques ou des ecclésias-
tiques qui vivent dans le monde, par opposition aux régu-
liers, à ceux qui sont engagés par des vœux dans une com-
munauté religieuse. B"" Manno, de rAcadémic de Turin.
SIÈCLE ( Le), l'un des cinq grands journaux de Paris^
naquit en 1836, en même temps que La Presse; et ce
que nous en avons déjà dit, à propos de son jumeau, nous
dispense d'entrer ici à cet égard dans plus de détails. Feu
Dutacq confia d'abord la rédaction en chef de son journal
à M. C'a uc bois -L em air e, dont les principes ne tardè-
rent pas à lui paraître beaucoup trop avancés pour répondre
de tous points au programme et aux besoins de sa spécu-
lation. Usant des pouvoirs absolus que lui conférait l'acte
de société, il remercia l'ancien rédacteur du Nain Jaune et
le remplaça par M. Chambolle, depuis longtemps attaché à
la rédaction du National, mais qui, subitement illuminé
d'en haut, déserta alors l'idée républicaine pour mettre sa
plume au service du centre gauche et des principes consti-
tutionnels. Hâtons-nous d'ailleurs de reconnaître qne l'im-
mense et rapide succès de la feuille nouvelle fut bien plus
le résultat de son feuilleton-roman que celui de sa rédac-
tion politique, dont la faiblesse n'avait d'égale que la pâ-
leur. Ce succès fit de son directeur-gérant , le sieur Dutacq,
une manière de personnage , qu'on vit alors se lancer dans
SIÈCLE
193
toutes sortes d'affaires et de tripotages. C'est ainsi qu'il cu-
mula pendant quelque temps la direction du théâtre du Vau-
deville avec l'administration du Siècle ; mais n'est \)3lS faiseur
qui toujours réussit, et Dutacq l'apprit à ses dépens. Le di-
recteur de théâtre ruina l'entrepreneur de journaux ; si bien,
qu'un jour, pour dominer la position critique où il se trouvait,
notre homme dut emprunter à un sieur Perrée une somme de
400,000 fr.; et en garantie de ce prêt il lui céda tous les droits
d'administratcur-gérant qu'il possédait dans la société en com-
mandite créée parlui pour l'exploitation du journal Le Siècle,
se réservant toutefois de rentrer dans iesdits droits le jour
où il aurait intégralement remboursé son obligeant prêteur.
Perrée fut accepté à titre de nouvel administrateur-gérant
par le comité des actionnaires ( toutes sécurités lui avaient
été d'avance données à cet égard, comme on le pense bien,
sans quoi il n'eût eu garde de faire l'affaire ) , et trôna désor-
mais au Siècle au lieu et place de son débiteur. Celui-ci avait
mal calculé , et le secours qu'il avait obtenu se trouva en
définitive insuffisant pour combler l'abîme au bord duquel il
était arrivé. Le directeur du Vaudeville fut déclaré en état
de faillite, et perdit ainsi l'espoir qu'd avait jusque là con-
servé de ressaisir quelque jour la dictature administrative
et politique du Siècle, dont le nombre d'abonnés était par-
venu pendant ce temps là , grâce au monopole et au privi-
lège, à près de 40,000. Les doctrinaires gouvernaient
alors la France, et leur politique, à tous égards et en toute
occurrence anti -nationale , faisait la partie belle aux journaux
de l'opposition. Avec si peu de talent que fût rédigé Le Siè-
cle, il ne laissait pas que d'être aux mains du centre gauche
un puissant levier d'élections. Or, cemme les élections, c'est-
à-dire la majorité servile à conserver dans la chambre élec-
tive, étaient la grande préoccupation, le cauchemar perpétuel
des austères intrigants ( comme les appelait Royer-Col-
lard ) auxquels étaient confiées les destinées de la France, le
cabinet crut faire au même le parti Odilon Barrot, en lui en-
levant son plus inlluent oigane. Rien ne lui parut plus facile.
Aux termes de son contrat, Perrée, le jour où son débiteur le
rembourserait, devait abdiquer ses pouvoirs pour rentrer
dans la foule et l'obscurité. Une ignoble intrigue s'échafauda
là-dessus. Dutacq obtint de ses créanciers un concordat qui
le remit à la tête de ses affaires et lui rendit dès lors toute
liberté de reprendre ses habitudes de tripotages. On s'ima-
gine aisément la surprise et la déconvenue de Perrée en re-
cevant un beau matin sommation par huissier d'avoir à tou-
cher ses 400,000 fr., à céder la place à Dutacq et à déguerpir
au plus vite, il n'était pas difficile de deviner d'où partait le
coup, et que c'étaient les /onrf s secrets qui faisaient les
frais de la partie. Là-dessus s'engage un bon petit procès :
on crie bien haut au scandale, à la corruption ; on flétrit élo-
quemraent le tripotage à l'aide duquel Dutacq va pouvoir
redevenir propriétaire légitime de sa chose, qu'il mettra évi-
demment à la disposition du ministère; on proclame la né-
gociation plus ou moins usuraire qui a lait de Perrée un
iiomme politique un acte du plus pur et du plus noble pa-
triotisme ; on décerne à l'unanimité au créancier de Dutacq
un brevet de grand citoyen : et quand on arrive devant les
juges qui doivent examiner le fond de l'affaire, le ministère,
tout abasourdi du concert de malédictions et d'imprécations
soulevé d'un bout de la France a l'autre dans le journalisme
de toutes les oppositions par le four de passe-passe qu'il a
voulu se permettre, recule, et ne fournit point à Dutacq les
moyens de réaliser en espèces à la barre du tribunal ses of-
fres de remboursement. Le ministère doctrinaire en était pour
un tripotage, un scandale et une honte de plus.
Une justice à rendre à Perrée, c'est qu'il n'abusa point
d'une victoire judiciaire qui avait pourtant les proportions
d'un événement politique, mais dans laquelle il ne vit, lui,
(]ue le gage de l'infaillible succès de sa candidature à quelque
prochaine élection; car toute son ambition , parfaitement
justifiable du reste, se bornait alors à obtenir les honneurs
de la députation et à aller s'asseoir au Palais-Bourbon à
côté de M. Cbambolle. Le Siècle, pour avoir failli échapper
Dir.T. DE L\ CONVERS. — T. XVI .
à son autocratie, par suite d'une sale intrigue ministérielle,
n'en resta donc pas moins, comme par le passé, l'organe de
l'opposition constitutionnelle, et rien de plus. Entre la
ligne du National ou de La Reforme, et celle du Siècle,
il y eut constamment toute la distance d'une révolution ;
aussi , dans les bureaux du journal de la rue Lepelletier,
comme dans ceux du journal des culotteurs de pipes,
professait-on ouvertement le mépris le plus démocratique
pour la timide feuille du centre gauche et son personnel.
Sans doute, afin de conserver sa clientèle. Le Siècle avait
dû arborer le drapeau de la réforme électorale , et , entraîné
par les nécessités de sa position, il avait même pu se joindre
au reste de la presse opposante dans la fameuse campagne
des banquets , qui agita si vivement les derniers dix-huit
mois du règne de l'élu des deux-cent-vingt-et-un ; mais
pas plus que les autres intérêts basés sur le privilège et le
monopole, il n'avait jamais songé à renverser le trône de
Juillet. Le lendemain de la révolution de Février, sa cons-
ternation fut donc aussi profonde et sa douleur aussi sincère
que celles du Journal des Débats. Quelque honorables que
fussent ces tardifs regrets. Le Siècle était ruiné s'il avait
persisté un mois de plus à bouder la république et les
hommes de l'hôtel de ville; il eût perdu les neuf dixièmes
de ses abonnés, et eût été irrémissiblement banni de tous
les cafés, cabarets , billards et estaminets de France, dont les
habitués avaient immédiatement épousé avec chaleur la cause
de la révolution démocratique et sociale, à laquelle ilssont
depuis lors demeurés fidèles. Il y a dans ce fait très-simple
une explication toute naturelle du brusque changement de
front qu'opéra alors Le Siècle ; et il n'est pas nécessaire
d'aller la demander à une promesse formelle du gouverne-
ment de la Banque de France que les hommes de l'hôtel de
ville auraient, dit-on, faite à Perrée, s'il mettait sa feuille
à leur service. Dès les premiers jours de mars l'autocrate
du Siècle, homme très-positif en affaires et désireux avant
tout de sauvegarder une propriété produisant de magni-
fiques bénéfices , et à laquelle les événements venaient de
donner une plus-value considérable, mettait donc sans
plus de façons à la porte toute la partie de la rédaction de
son journal qui refusait, à l'exemple de son chef de file,
M. Cbambolle, d'écrire dans le sens démocratique et social,
et la remplaçait par un personnel dévoué de cœur à la cause
qui venait de triompher.
Dès lors inféodé à la coterie du général Cavaignac.Ze
Siècle combattit de tout son pouvoir la candidature de Louis-
Napoléon à la présidence. Si le résultat de l'élection du 10
décembre 1848 lui causa un vif désappointement, il ne
perdit pas pour cela courage ; et jusqu'au dernier moment
l'homme acclamé président de la république par près de six
millions de suffrages libres et spontanés le compta au
nombre de ses plus haineux adversaires. On eût donc pu
croire qu'à la suite du coup d'État du2décembre 1851
la feuille républicaine aurait disparu de la lice avec Le Na-
tional , La Réforme , etc. H n'en a pourtant pas été ainsi;
et la publication du Siècle , comme celle de La Presse, fut
alors autorisée, sans que le pouvoir né à la suite de cette
mémorable révolution , ait songé à leur demander le sacrifice
de leurs opinions particulières, vraisemblablement parce
qu'il aura cru utile à sa politique que l'opposition conservât
en apparence les organes qu'elle avait sous le gouverne-
ment parlementaire. La seule contrainte imposée, alors à
la presse périodique, c'a été de se soumettre au régime draco-
nien des décrets qui l'ont réorganisée en la laissant d'ailleurs
jouir comme par le passé de son monopole, de ses immunités
en matière de timbre, et surtout d'un privilège postal qui ,
au grand péril du pouvoir, quel qu'il puisse être, centralise
à Paris l'exploitation de l'o pi nion publique.
Le Siècle a donc conservé sa fructueuse clientèle ; la mort
de Perrée n'a même modifié en rien sa ligne politique, et il
continue à être dans le journalisme actuel l'un des organes
les plus accrédités et les plus influents du grand parti dé-
mocratique , de ce parti qui ne prend le présent en patience
l3
que parce qu'il est convaincu que l'avenir lui appartient, qui
peut donc faiic le mort, mais qui domine toujours dans
tous les centres d'industrie manufacturière. La rédaction de
ce journal se ressent nécessairement des difficultés de sa
position ; mais il se dédommage du mutisme qui lui est im-
posé à certains égards en s'occupaut avec ardeur d'intérêts
matériels , et en faisant par manière de passe-temps une
guerre acharnée aux influences cléricales Sous ce rapport ,
on peut dire qu'il a hérité de la spécialité de l'ancien Cons-
titutionnel. On cite d'ailleurs tel des rédacteurs du
Siècle devenu depuis 1852 arclii-millionnaire par d'heu-
reuses spéculations d'agiotage, dans le succès desquelles ce
journal n'a sans doute été pour rien, mais qui ne laissent
pas que de lui enlever son franc-parler sur certaines ques-
tions qu'il ne pouriait traiter avec la sévérité de principes
qui le caractérise sans avoir à comhattre des hommes qu'il
estime et qu'il aime. Qui pourrait exiger de lui qu'il tirât
sur les siens? A tout prendre , d'ailleurs , le régime actuel a
du bon à ses yeux, puisque loin de nuire en rien à ses intérêts
mercantiles, dont jamais au contraire la prospérité ne fut
plus grande, il a consolidé son monopole et son privilège.
D'un autre coté , il est évident qu'un journal rapportant bon
an mal an plus de 400,000 livres de rente ne saurait être
réellement dangereux sous un régime qui tient incessam-
ment suspendue sur la tète de ses propriétaires la suppres-
sion, comme l'épée de Damoclès. Cette situation , dont la
clientèle duS?èc?e a l'intelligence de savoir lui tenir compte,
explique et justifie la prudente réserve qui est le propre de
ses rédacteurs. Aussi malgré les grands airs qu'ils affectent,
bon nombre de sceptiques persistent-ils à ne voir en eux
que des comparses chargés, à leur insu peut-être, d'un bout
de rôle dans une comédie jouée pour la foule ( voijez Cons-
titutionnel, DÉBATS [Journal des]. Gazette de France,
Journal, Moniteur universel , Oimnion publique [Exploita-
tion de r ) , Presse [ La ] et Publictté ) .
SIEGE. Ce mot , dans son acception la plus ordinaire,
désigne un meuble fait pour s'asseoir : il y en a un grand
nombre de variétés, qui prennent différents noms suivant
leur forme et la nature des matériaux dont ils sont cons-
truits : telles sont les chaises, \cs fauteuils, las bancs, etc.
Rien n'a plus varié que la forme des sièges parmi les divers
peuples de l'antiquité. Ce meuble était chez les Romains
la marque de la dignité, comme le dais ou parasol chez
quelques peuples de l'Orient. La chaise curu le (sella
cundis) était un siège d'ivoire pliant et sans dossier, sur lequel
s'assirent d'abord seulement les rois , et plus tard les pre-
miers magistrats, tels que dictateurs, consuls, proconsuls,
censeurs, préteurs, grands édiles, ainsi que ceux des séna-
teurs qui avaient été revêtus des premières charges de la ré-
publique, et qui par là conservaient toute leur vie le droit
de s'y asseoir. C'est toujours sur une chaise curule qu'on
représente les empereurs romains quand ils sont assis.
L'usage des sièges à dos et des marcliepieiis , comme on
les voit sur les diptyques , ne fut adopté par les consuls
et les empereurs d'Orient que sous le Bas-Empire ; mais le
siège de ces sortes de meubles conserva toujours la forme
de la chaise curule, telle qu'elle est encore représentée
aujourd'hui par le fauteuil du roi Dagobert, qu'on voit
an cabinet des antiques de la Bibliothèque impériale.
On nomme aussi siège la place où s'assied le juge pour
rendre la justice. On dit encore le siège d'tin tribunal,
d'une cour , pour désigner la ville où réside ce tribunal ,
cette cowT. Siège, dans la même acception, sert figuré-
ment à désigner le lieu où certaines choses sont établies,
comme quand on dit : Le siège du gouvernement, pour le
lieu où il se tient.Le mot siège désigne encore particuliè-
rement un évêché et sa juridiction : Cet évoque a tenu le
siège tant d'années ; Vacance du siège, etc. Le saint-siège
ou siège apostolique, c'est l'Église romaine.
SIÈGE {Art militaire). Cesi l'action d'attaquer une
place fortifiée pour s'en rendre maître. Il y a deux ma-
nières de prendre une place forte. On peut , après l'avoir
SIECLE — SIÈGE
investie , c'est-à-dire entourée , se contenter d'occuper en
forces tous les points par lesquels elle pourrait recevoir de»
secours, soit en troupes, soit en vivres ou munitions de
guerre, et attendre que la garnison , ayant consommé toutes
ses ressources, soit obligée de capituler et de se rendre; cela
I s'appelle bloquer, faire le blocus : om bien, et surtout
lorsqu'un intérêt quelconque ne permet pas de disposer
pendant un temps un peu long d'un détachement suffisant
pour bloquer exactement une place, on l'attaque de vive
force ; c'est ce qu'on;appelle assiéger, faire le siège.
Le but de l'attaque de vive force d'une place de guerre
! est de détruire les ouvrages et les remparts derrière les-
I quels la garnison est à couvert, afin de pouvoir la joindre
corps à corps et la dompter par la supériorité des forces.
Les ouvrages et les remparts d'une place, qu'ils soient re-
vêtus de murailles en entier , ou seulement à moitié, sont
trop solides pour céder à l'effort des armes de main , et
même de l'artillerie d'un petit calibre ; il faut donc em-
ployer à cet effet de l'artillerie qu'on appuie de siège, c'est-
ivdire des canons, des mortiers, des obusiers d'un calibre
plus élevé. Mais , d'un autre côté , l'artillerie de la garni-
son, faisant son service derrière des remparts épais qui la
garantissent , au moins en très-grande partie, des effets du
canon tiré d'un peu loin , il en résulte que si l'assiégeant
voulait employer son artillerie simplement et à découvert
sur le terrain , il éprouverait une telle perte , en raison de
l'infériorité de sa position, qu'il serait bientôt rais hors de
combat. Il lui serait même tout à fait impossible d'approcher
assez son artillerie des remparts pour qu'elle pût les dé-
truire et y faire une brèche par laquelle les troupes au-
raient la possibilité de pénétrer et d'engager un combat
avec la garnison ; ce qu'on appelle donner Vassaut, mon-
ter à Vassaut. Il en résulte encore que l'assiégeant, pour
faire usage de son artillerie, est obligé de la couvrir éga-
lement par des fortifications, qui le mettent autant que
possible à l'abri de celle de l'assiégé , et que ses batteries ,
ainsi remparées , doivent être poussées assez près des mu-
railles de l'ennemi pour pouvoir les ruiner et ouvrir zine
brèche, ce qui exige ordinairement la plus grande force,
l'effet le plus violent du canon. C'est sur les considérations
que nous venons d'exposer, et auxquelles il s'en joint de
secondaires dont nous ne pouvons pas nous occuper, que
sont fondés les principes de la guerre passive des sièges ,
c'est-à-dire de l'attaque des places.
Pour s'approcher des emplacements que la nature du
terrain et la configuration des ouvrages de place désignent
pour y établir des batteries , on part d'abord d'un lieu où
l'on soit à couvert du feu de l'ennemi , ou à une distance
qui en rende l'effet peu sensible, et l'on chemine en se
couvrant successivement par un rempart en terre. Partout
où le sol le permet , ce rempart s'établit en creusant un
fossé dont on rejette les terres du côté de l'ennemi pour
en former un parapet. Lorsque le sol, ou pierreux, ou ma-
récageux, ne permet pas de creuser, le parapet se forme de
fascines et de terre, ou de sacs remplis de terre, qu'on y
apporte, ce qui rend le travail bien plus long et plus diffi-
cile. Ici il se présente une observation toute naturelle :
c'est que les troupes qui doivent garder et défendre ce
chemin couvert, qu'on appelle tranchée, devant y être
abritées , il ne faut pas que la direction du tir d'un point
quelconque de la place puisse les y prendre en flanc ,
c'est-à-dire qu'elle enfile la tranchée dans sa longueur.
C'est pourquoi on doit toujours la diriger en dehors de tous
les ouvrages occupés par l'ennemi. Quelque triviale que
paraisse cette observation, l'histoire des sièges prouve
que quelquefois on l'a oubliée. Cette tranchée se fait quel-
quefois double et quelquefois simple,, c'est-à-dire que du
point de départ , appelé la queue de la tranchée , on
pousse un chemin couvert à droite et un à gauche, ou bien
on ne s'étend que d'un seul côté. Le choix du mode à
suivre est déterminé par des circonstances locales , dont la
première est l'étendue du front qu'on veut attaquer. Quand
SIEGE — SIEGFRIED
195
le développement du terrain le permet , on pousse tout d'a-
bord la tranchée en ligne droite. Dans le cas contraire, on
avance par bouts de tranchée disposés en zigzag. Lorsque
Jes tranchées par lesquelles ou s'approche de la place sont
arrivées à la distance on /'on doit élahlir les batteries, on
ouvre une nouvelle tranchée dans une direction parallèle
au développement extérieur du frontqu'on attaque, et qui,
pour ce motif, porte le nom do parallèle. C'est sur cette
ligne qu'on établit les batteries aux points convenables
pour l'effet qu'elles doivent produire. Il arrive quelquefois
qu'on s'approche de prime abord assez de la place pour
établir tout de suite les batteries destinées à ouvrir une
brèche dans l'enceinte du corps de la jtlace. C'est ce
qu'on appelle brusquer un siège. Mais ordinairement ces
premières batteries sont destinées à mettre l'artillerie en-
nemie hors de service et à ruiner les parapets qui la cou-
vrent. Ici on emploie les trois espèces de bouches à feu :
le canon , qui ne peut être consacré qu'aux tirs horizon-
taux, et placé, soit en face des batteries ennemies, pour
écrôter les parapets et évaser les embrasures, soit perpendi^
culairement au prolongement de leur front, c'est-à-dire sur
leur flanc , pour mettre les bouches à feu hors de service
en brisant leurs affûts et détruisant leurs défenseurs ; les
mortiers, propres au tir vertical, et employés à jeter dans
les batteries des bombes, dont l'explosion y porte le désordre
et le rava^; les obusiers, qui lancent également des pro-
jectiles dont le tir est ou horizontal ou sous un angle moyen,
et qui produisent l'effet réuni des boulets et des bombes. De
cette première parallèle on continue à avancer vers la
place , par de nouvelles tranchées. Selon l'importance du
nombre ou des effets de l'artillerie des assiégés, on forme,
en avant de la première, une seconde , et même une troi-
sième parallèle; quelquefois, on avance directement pour
s'établir au haut du glacis des ouvrages, c'est ce qu'on
appelle le couronnement àa chemiu couvert. On concevra
facilement que dès l'instant où l'on arrive à la portée des
petites armes il se présente de nouveaux dangers, dont l'as-
siégeant avait été à l'abri jusque alors. Aussi cette opération
est-elle une des plus difliciles des sièges. Ce dernier bout
de tranchée se fait, soit directement, en se garantissant du
feu d'enfilade par des massifs ou traverses très-rap()rochées,
soit' au moyen de zigzags très-courts , et toujours en ob-
servant que les travailleurs soient bien à l'abri du feu de
l'ennemi. Lorsqu'ils ne sont couverts que par devant et
sur les côtés, ces chemins ouverts s'appellent 5flpe ouverte.
Quand ils le sont également par-dessus , ils portent le nom
de sape couverte. C'est du couronnement du chemin cou-
vert qu'on part pour l'établissement des batteries dites de
brèche, destinées à ruiner le revêtement des ouvrages de
la place.
Nous nous dispenserons dans cet article d'entrer dans un
détail plus circonstancié des opérations dont nous venons
de donner une esquisse rapide , et qui ne peuvent trouver
une place convenable que dans un ouvrage didactique.
La brèche ouverte e&t le chemin par lequel l'assiégeant
cherche à pénétrer dans la i)lace, en repoussant les
troupes qui la défendent, qu'il peut enfin atteindre de près,
et sur lesquelles il a l'avantage du nombre. Chacun dès ou-
vrages extérieurs lui coûte une attaque pareille ; et le
nombre de ces attaques est encore augmenté lorsqu'un en-
nemi courageux et intelligent lui fait rencontrer une nou-
velle délense derrière une brèche qu'il croit dégagée, ou
parvient à le clias<;er d'un ouvrage déjà pris et où il n'a
pas eu le temps de se bien couvrir. La dernière brèche
est celle qui se (ait au corps de la place; lorsqu'elle est pra-
tiquée, la garnison est ordinairement bien près de se rendre.
Les opérations que nous indiquons, et qui ont exclusi-
vement pour but l'attaque d'une place assiégée, ne sont
pas les seules qu'exige un siège régulier. Pour que l'armée
qui en est chargée puisse s'en occuper avec succès , il faut
qu'elle ne soit point troublée dans ses travaux et ne puisse
pas être exposée à se voir contrainte de les quitter, en
] perdant au moins l'artillerie et les approvisionnements dont
I elle a dû se munir. Il est donc nécessaire de lui adjoindre
i une seconde armée , appelée arm6e d'observation, chargée
de la couvrir contre foute tentative d'un corps ennemi (|ui
voudrait secourir ou dégager la place assiégée. Quelquefois,
c'est l'armée principale qui ren)plit elle-même celte mis-
sion; quelquefois, étant retenue aune distance plus ou moins
grande par des opérations d'un inlérêt'majeur, onest obligé
I de former un détachement exprès pour cet objei ; ce qui ne
' peut avoir lieu que lorsqu'on a une supériorité marquée
: sur l'armée ennemie. G»' G. de Vaudo.ncourt.
I SIEGE (État de). Voyez État de Siège.
SIEGFRIED', en haut allemand .SiV/fl/r/erfj chez les
Scandinaves Sigourd, l'un des héros des vieillfs légendes
allemandes, était (ils de Siegmund, de la race des Wclisnngen
(chez les Scandinaves Velsungar, c'esî-à-dire légitime-
ment nés), qui descendait d'Odin ou Wodàn lui-même. Doué
d'une force incroyable et d'yeux Hamboyants, il fut élevé
par un sage et habile alh, appelé Regino, c'est-à-dire con-
seiller, qui avait bien la forme humaine, mais la taille d'un
nain. Regino lui procura un cheval, ctiui' forgea une-épée,
à l'aide de laquelle Siegfried pouvait lu'iser une enclume. Alors
Regino l'excita à s'emparer de la demeure des Niebelungen
et des incommensurables quantités d'oi' qu'ils possédaient.
Mais déjà trois dieux avaient dérobé cet or et l'avaient en-
levé du fond des eaux. Sa force mystérieuse et pernicieuse
les eût fait mourir, eux aussi, s'ils ne l'avaient pas doimé,
avec la bague merveilleuse et iatale qui en faisait partie,
comme compensation pour Ottar qu'ils avaient assassiné.
Les dieux avaient ainsi échappé à leur perle , mais la race
intermédiaire entre les dieux et les hommes, maintenant
en possession du fatal trésor, les excita les uns contre les
autres. Les frères d'Ottar tuèrent leur père ; Regino fut
vaincu par un autre nain, appelé Fafnir, qiri, sous forme
d'un dragon , veillait sur son or. Pour le lui enlever, Régine
excita Siegfried à tuer le dragon. Siegfried les tua tous deux.
Le sang du dragon le rendit malade, mais augmenta encore
sa force ou bien préserva son corps de toute blessure. Au
moyen de l'or et surtout de la bague de Fafnir, il devint
immensément riche. Sa cape, appelée tarri , lui donnait la
puissance de prendre la forme d'im autre. Cependant, en
dépit de toute cette magnificence, la possession de l'or avait
fait de lui l'esclave des Niebelungen et l'avait voué au
malheur. En vain il se fiança avec la belliqueuse Brune-
hild, fille du roi ; son maître, Guntlihari, roides Niebelungen,
prétendit l'avoir pour lui-même. Siegfried, revêtu de sa cape,
clievaucha jusqu'à sa demeure , à travers les flammes qui
flamboyaient de toutes parts autour de lui. Il donna à Bru-
nehild l'anneau faisant partie du trésor, et la mit ainsi au
pouvoir de Gundiliari. Elle-même ne reconnut plus Si^fried.
Il épousa donc une autre femme, Krimhild ( suivant la tra-
dition Scandinave Goudroun), sœur de Gundiliari. IJrune-
hild se [.glorifie d'avoir le plus brave et le plus digne des
époux, puisque Siegfrie<l lui-même a dû lui céder. Mais
Krimhild, irritée., lui dé(;ouvre la ruse. L'anneau qu'elle porte
au doigt provient de la demeure des Niebelungen ; seulement
celui qui l'a gagné n'est pas Gundiliari , mais bien Sieg-
fried. Brunehild, qui se souvient alors qu'elle a reconnu le
faux Gundiliari à ses yeux flamboyants de welisung, fait
traîtreusement assassiner Siegfried par Hagano, attenduqu'il
est invincible quand on l'attaque ouvertement. Le trésor,
après que tous ceux qui l'ont eu en leur possession ont été
anéantis, revient à ses premiers maîtres, qui alors le préci-
pitent dans le Rhin.
Tels sont, d'après Lachmann, les véritables détails carac-
téristiques de la légende de Siegfried. Elle a pour base,
suivant lui, le principe que l'or, quelque désirable qu'il
puisse être, finit par mettre ceux qui le possèdent au pou-
voir des puissances infernales. Mais la forme de cette lé-
gende, telle que nous venons de l'exposer, n'en est pas la
donnée originale et primitive. Avant d'être une légende hé-
roïque, elle a commencé par être une légende mythologique.
13.
196 SIEGFRIED — SIERRA-MORENA
On a essayé à diverses reprises d'expliquer la légende de
Siegfried. Tout récemment Moor a voulu y voir un mélange
«les traditions relatives à Arir.inius et à Civiiis, et à la défaite
des Bretons par l'Anglo-Saxon Hengilts.Giesebreclit, lui aussi,
y voit le dernier écho des chants composés en l'honneur
d'Arminius par ses compatriotes, tandis que Ruckert, dans
son Obéron de Mons et les Peppin de Nivelle ( Leipzig ,
1836), y trouve le récit poétique des faits et gestes du roi
d'Austrasie Siegbert, assassiné en l'au 575 par Frédégonde.
SIEIVJVE, la Sena Julia des anciens, chef-lieu d'un ar-
rondissement du même nom, dans le grand-duché de Tos-
cane, siège d'un archevêché et d'une université, est située
dans une belle contrée et bâtie sur deux longues collines, à
433 mètres au-dessus du niveau de la Méditerranée. D'a-
bord colonie romaine, elle devint sous les Lombards le siège
d'un de leurs premiers magistrats, et au moyen âge la capi-
tale d'une république où l'on compta jusqu'à 100,000 habi-
tants, mais constamment en proie aux discordes civiles. En
1554 sa population était encore de 45,000 âmes. Quand
Cosme r", duc de Florence, devenu plus tard grand duc de
Toscane, l'eut fait passer sous ses lois, sa décadence fut si
grande qu'elle en vint à ne plus contenir que 10,000 habi-
tants. De nos jours le nombre s'en élève à 25,000. L'in-
dustrie y est peu importante, mais dans ces derniers temps
elle n'a pas laissé que de prendre une certaine activité. On
y remarque surtout des fabriques de soieries, de draps et de
chapeaux. Sa magnilique cathédrale, qu'on croit générale-
ment avoir été bâtie au milieu du treizième siècle par Gio-
vanni Pisano, est incrustée de marbre blanc, noir et gris,
et ornée des statues en pied des papes originaires de Sienne
et de son territoire. On y voit en outre une grande quan-
tité de monuments et de curiosités du moyen âge. Dans la
sacristie, les connaisseurs admirent les belles fresques exécu-
tées par le Pinturicchio et représentant l'histoire du pape
Pie II (Piccolomini). Dans le cloître de la nouvelle église
des Augustins il y a une bibliothèque publique, et les dif-
férentes églises delà ville renferment une foule de vieux ta-
bleaux du plus grand prix. Nous citerons, entre autres, une
Madone de Guido de Sienne, artiste qui llorissait en 1221 ;
elle orne l'église de Saint-Dominique. Mentionnons encore
les belles peintures exécutées par Sodoma et représentant
la vie de sainte Catherine, dont la vieille maison a été tran.s-
formée en chapelle. L'université de Sienne, qui date, dit-on,
de l'an 1321 , est aujourd'hui sans importance. Fermée en
1850, elle a été rouverte en 1851. Parmi les sociétés sa-
vantes qu'on compte dans cette ville, il nous faut surtout citer
celle des FisiocrilicL C'est à Sienne que l'italien est parlé
avec le plus de pureté et avec l'accent le plus harmonieux.
SIEAXE (Terre de). Voyez Ocre.
SIERRA (en espagnol), SERRA (en portugais), si-
gnifient au propre une scie ; mais de l'autre côté des Py-
rénées, de même que dans l'Amérique ci-devant espagnole
et portugaise, on appelle ainsi une montagne ou une chaîne
de montagnes.
SlERRA-LEO.\E, partie delà côte de la haute Gui-
née, en Afrique, qui s'étend depuis le cap Verga jusqu'au cap
Mesurado, sur une longueur d'environ 42 myriamètres. H
serait difficile d'en préciser les limites à l'intérieur. Cette
contrée se compose de la continuation immédiate de la
Sénéganibie méridionale et du versant sud-ouest du plateau
de montagnes de la haute Guinée, qui souvent s'avance ici
jusqu'à la mer en ne laissant qu'une bande étroite au lit-
toral. Ce sol est richement arrosé et extrêmement fertile en
citrons, figues, dattes et cannes à sucre. Toutefois, la cul-
ture n'a fait quelques progrès que là oii existent des établis-
sements européens. La plus grande partie du pays est cou-
verte de forêts presque impénétrables, qui fournissen:
d'excellents bois de construction et de teinture. Le climat est
essentiellement tropical , d'une chaleur effroyable, et fameux
par son insalubrité sur la côte; dans les hautes parties de
l'intérieur, il est plus tempéré et plus sain. Ce pays est en
grande partie habité par des nègres. Les Portugais furent les
premiers qui y créèrent des établissements; mais à partir
de 1783 les Anglais songèrent sérieusement à le coloniser.
En 17S7 la Société Africaine de Londres créa sur la rive mé-
ridionale du fleuve la colonie anglaise deSierra-Leone, avec
un circuit d'environ treize myriamètres. Le noble but que
se proposait cette société de commerce, c'était de bannir
de cette colonie le commerce des esclaves , de civiliser les
nègres et d'acquérir par là des notions certaines sur l'inté-
rieur du continent. Cette colonie commençait déjà à pros-
pérer, lorsqu'elle fut détruite en 1794 par une Hotte fran-
çaise. Pour prévenir le renouvellement de pareilles atta-
ques, on construisit à partir de 1809 la ville de Kmgstown,
à environ 7 kilomètres de la côte, sur la rivière du Cochon,
dans une contrée fertile. En 1808 1a Société Africaine céda
tous ses droits sur cette colonie au gouvernement anglais,
sous la direction duquel les essais de colonisation entrepris
depuis 1816 ont assez bien réussi. Aujourd'hui Sierra-Leone
sert surtout à recevoir les nègres affranchis des colonies
anglo-américaines ou bien saisis à bord de bâtiments né-
griers. Des dépenses considérables sont faites à cet effet.
Le nombre des habitants est d'environ 50,000, dont seu-
lement 1,000 à 1,200 blancs et mulâtres. Le chef-lieu,
Freetown, siège du gouverneur, est bâti à l'extrémité septen-
trionale de la presqu'île de Sierra-Leone qui s'étend entre
le cap Tagrin ou Sierra-Leone et le cap Shilling : on y
compte environ 11,000 habitants. En fait d'autres villes, il
faut mentionner Kissi, avec 2,600 hab.; Regentstown ,
bâtie en 1816 et oii se trouve un séminaire de mission-
naires indigènes, avec 1,800 habitants, et York à\ec 2,500
habitants. Parmi les peuplades nègres qui avoisinent les pos-
sessions anglaises , on distingue surtout celle des Morkih ,
qui professe le mahométisrne, et a pour chef-lieu ^/a/fljrAja,
ville de 6,000 habitants, dont les maisons sont généralement
bien construites et très-commodes. On y trouve plusieurs
mosquées, trois écoles et divers établissements religieux. Les
environs en sont très-pittoresques.
SIERRA-MORENA. C'est le nom de la partie centrale
de la montagne d'Andalousie qui traverse toute la péninsule
espagnole de l'est à l'ouest, commence sur les bords de la
Méditerranée , entre les fleuves appelés Xucar et Segura ,
au cap Martin , se continue ensuite entre la Guadiana et le
Guadalquivir, et aprèsavoir traversé l'Ai ga r ve en Portugal
sous les noms de Serra de Caldeirao et de Serra Monchi-
que, se termine au cap Saint-Vincent, extrémité sud-oue.st de
l'Europe. C'est une vaste confiée de montagnes, aride et nue
sur ses crêtes, marécageuse dans ses vallées, fortement
boisée sur ses versants, qui sont couverts de chênes à ker-
mès , d'arbousiers et autres broussailles du môme genre, à
la verdure la plus brillante et la plus foncée ; mais fort peu
cultivée. La partie la plus élevée et la plus sauvage est celle
du centre , appelée Los Pedroches, au nord deCordoue , au
sud d'Almaden, mais à 1,200 mètres seulement au-dessus du
niveau de la mer. Le. versant méridional est précédé d'une
région montagneuse, qui s'étend en partie jusqu'au Guadal-
quivir; par exemple \^ Sierra de Cordova, avec des forêts ,
des pâturages , des chevaux andaloux de la race la plus
noble et une exportation de sumac; plus à l'ouest , la Sierra
de Guadalcanal, sur les frontières de Séville et de l'Es-
tremadure, célèbre autrefois par ses mines d'argent et de
plomb. La partie occidentale est traversée par une belle
route , conduisant de Zafra en Estremad ure , par le pas ou
Puerto de Monasterio , à Séville. A l'est une autre belle
route conduit de Madrid, à travers la montagne, en Anda-
lousie. Partant de Yaldepeuas dans la Manciia , célèbre par
ses vins rouges, elle passe par la Venta de Cardenas, fa-
meuse par les nombreux engagements de guérillas dont
elle fut le théâtre jadis et dans les temps modernes,
puis par le célèbre iléCiU qu'on appelle Despeha Pcrros ou
Puerto del /fe^, fondrière placée au milieu de roches d'ar-
doise offrant les configurations les plus bizarres, et au
fond de laquelle bouillonne le Magana. Sur la même route
on trouve La Carolina, joli bourg situé au milieu d'un*
SIERRA-MORENA — SIEYÈS
197
Tertile contrée, qui, avec ses 2,000 Jiabitants, forme le
centre de la colonie agricole de la Sierra-Morcna, fondée à
grands frais de 1767 à 1772 par le ministre comte Olavidès
pour peufJer ces montagnes et les dcfriclier. Les colons
sont pour la plupart d'origine allemande.
SIESTE (de l'espagnol siesta, dérivé du verbe 5e.s-
tear , faire la méridienne ou dormir après midi). En Orient,
en Espagne , en Italie, dans tous les pays cliauds, le mot
sieste indique d'une manière générale le temps qu'on donne au
sommeil pendant la journée. Toutefois, nous ferons observer
que dans la plupart de ces pays , le dîner ayant lieu vers le
milieu du jour, le mot sieste indiqued'une manière précise
l'action de dormir après dîner. Aussi Ménage fait-il dé-
river le mot sieste du nom latin sexta , sous-entendu
hora ; ce qui indiquerait , d'après cet auteur, la sixième
beure du jour , ou midi. Les sueurs abondantes qu'on éprouve
dans les climats chauds, donnant babituellement lieu à une
déperdition considérable des forces et à un affaiblissement
relatif de l'estomac, les digestions deviennent laborieuses,
et appellent vers cet organe une .somme de vitalité qui se
trouve alors en moins dans les autres parties du corps , ce
qui cause un engourdissement général des muscles , rend la
tête pesante et toutes les fonctions languissantes. De là cet
affaissement qu'on éprouve surtout après le repas du jour,
et qui provoque au sommeil. Sons ces latitudes chaudes ,
liommes et animaux cèdent également à ce besoin de repos
et de sommeil qui se fait sentir durant les premières fati-
gues de la digestion. Cette nécessité de dormir après le repas
devient parfois si impérieuse, surtout chez les Orientaux,
que souvent en Egypte et en Syrie de pauvres ouvriers
refusent un salaire élevé plutôt que de se priver de leur sieste.
Dans ces contrées , toute politesse, tout devoir cède à l'ur-
gente nécessité de dormir après dîner. Le besoin de dor-
mir après midi y est si grand que d'une beure à trois les
rues sont presque désertes et les maisons silencieuses comme
de vraies solitudes. D'après cela, il est facile de compren-
dre que le kcj oriental , le dolce far niente des Italiens ,
la siesta espagnole et la méridienne sont évidemment in-
hérents à !a constitution des peuples du midi; tandis que
dans nos contrées tempérées la sieste n'est guère en usage
que parmi de riches paresseux et dans quelques classes
d'ouvriers dont les rudes travaux réclament un sommeil
réparateur vers le milieu de h journée. Toutefois, il importe
de faire observer que si le sommeil diurne est nécessaire
dans les pays très-chauds et parfois utile dans nos climats
d'Europe, l'abus qu'on en peut faire prédispose à certaines
maladies, telles que la pléthore sanguine ou humorale, l'o-
bésité, les congestions cérébrales et l'apoplexie même. Le
sommeil nocturne suffit en général pour réparer les pertes
de la veille; y joindre le sommeil diurne, c'est s'éloigner
du but assigné par la nature. Le sommeil durant la nuit est
toujours plus calme et plus réparateur que celui que l'on
prend durant la journée. D"" L. Labat.
SIEYÈS ( L'abbé) était né le 3 mai 1748 , à Fréjus, et
avait pour prénoms Emmanuel-Joseph. Destiné de bonne
Iieure à l'état ecclésiastique par son père , homme à l'aise,
mais chargé d'une nombreuse famille, il entra au séminaire
Saint-Sulpice dès l'âge de quatorze ans, et y employa douze
années à .s'y préparer à recevoir les ordres sacrés. Sicyès
s'était résigné aux volontés paternelles. Ses dispositions na-
turelles le portaient vers l'état militaire, mais son père avait
voulu qu'il fût prêtre. Sieyès y consentit ; et dans celte
longue lutte entre sa volonté et sa raison , il contracta , a-
t-il avoué depuis, une sorte de mélancolie sauvage accom-
pagnée de la plus .stoïtpie indifférence sur l'avenir. Après
avoir obtenu d'abord un petit canonicaten Bretagne, il fut
choisi en 1775 pour grand-vicaire par l'évêqne de Char-
tres. Il devint ensuite chanoine et chancelier de l'église de
Chartres ,; puis commissaire de ce diocèse près la chambre
supérieure du clergé de France.
C'est dans l'exercice de ces modestes fonctions de l'Église
militante oue le trouva le grand mouvement rénovateur de
1789. Sieyès (est-il besoin de le dire?) partagea toutes les il-
lusions et toutes les espérances de cette féconde époque
Déjà préparé depuis longtemps par l'étude approfondie de
Locke,deMably , de Condillac, de Bonnet et de Montes-
quieu, à la discussion des questions sociales qui devaient
bientôt surgir , il avait publié à l'occasion de la convoca-
tion des états généraux un écrit intitulé : Vues sur les
moyens d'exécution dont les représentants de la France
pourront disposer en 1789. Au mois de novembre de la
même année il lit paraître son Essai sur les Privilèges; et
en janvier suivant il lança son célèbre pamphlet : Qu'est-
ce que le tiers état? Tout. Qu'a-t-il été jusqîi'à présent
dans l'ordre politique? Rien. Que demande-t-il ? Devenir
quelque chose. La grande et vitale question du moment y
était traitée avec une vigueur de logique vraiment entraî-
nante. Le succès en fut immense. Quand les assemblées de
bailliage se réunirent, Sieyès, à la demande du duc d'Or-
léans, écrivit un Plan de délibérations pour les assem-
blées de bailliage et une brochure intitulée Délibérations
à prendre pour les assemblées de bailliage. Élu député
aux états généraux par la ville de Paris , l'ahbé Sieyès prit
tout aussitôt dans cette assemblée la place éminente que Ini
assignait sa réputation. Cependant, il y brilla moins comme
orateur que comme travailleur assidu dans les comités. Tout au
début des états généraux , il avait reconnu que la nature de
son esprit, froid, calme et réfléchi, ne l'appelait pas à figurer
dans les brillantes joutes d'improvisation plus ou moins
sincères auxquelles les assemblées délibérantes servent de
théâtre ; et dès le 17 juin il déclarait que , ne se reconnaissant
pas le talent de parler en public, il s'abstiendrait désormais de
paraître à la tribune. Six jours après , le 23 juin , le marquis
de Dreux-Brézé signifiait aux états généraux l'ordre du roi
d'avoir à se séparer, sous prétexte des préparatifs à faire
pour une séance royale. On connaît la terrible apostrophe
que Mirabeau jeta alors à la tête du courtisan : Allez dire
à votre maître que nous sommes ici par la volonté du
peuple , et que nous n''en sortirons que par la force
des baïonnettes ! L'abbé Sieyès en compléta le sens et l'effet,
en adressant à ses collègues cette observation décisive et pé-
remptoire : JVous sommes aujourd'hui ce que nous étions
hier; délibérons! L'influence exercée alors par l'abbé
Sieyès sur ses collègues fut considérable. Il fut l'un des
principaux promoteurs de la réunion des trois ordres et le
rédacteur du serment à jamais célèbre que les députés prê-
tèrent dans la séance du Jeu de Paume. Un nouveau pam-
phlet qu'il publia au moins de juillet 1789 , Reconnais-
sance et Exposition des Droits de l'homme et du citoyen,
servit en quelque sorte de préface à la fameuse Déclaration
des Droits de l'homme.
L'histoire de Sieyès devient alors , pour ainsi dire, celle
de la révolution même, et il fut l'âme des comités chargés
de préparer les bases d'une nouvelle législation civile pour
la France. Toutefois, il échoua dans ses efforts à l'effet de
faire admettre le principe de l'application du jury en ma-
tière civile ; et il ne fut pas plus heureux lorsqu'il chercha
à donner pour base à l'abolition de la dîme le principe d'une
indemnité. C'est à cette occasion que, dans un moment de
découragement, il s'écria : Ils veillent être libres, et ne
savent pas être justes! mot plein de tristesse et d'amer-
tune, qu'on a eu bien souvent à répéter depuis. L'abbé
Sieyès, au lieu du règne de la légalité qu'il avait promis à
la France , voyait la plus hideuse anarchie s'avancer à
grands pas. A partir de ce moment il prit le parti de faire
le mort pendant tout le temps que durerait l'ouragan révo-
lutionnaire, que chacun voyait poindre à l'horizon. Comme
tant d'autres hommes de sa robe, il avait d'ailleurs profité
de cette époque A' émancipation universelle pour secouer
le joug du sacerdoce et jeter, comme on dit vulgairement,
le/roc aux orties. Il alla ensuite se cacher au fond d'une .
campagne, où il resta pendant toute la durée de la législa-
tive; et ce fut dans cette retraite que les suffrages de trois
départements à la fois vinrent le chercher pour la députa-
198
SIEYÈS — SIGALO'N
tion à l'assemblée qui quelques joiirs après sa réunion
prit ie titre de C onvention. L'abbé Sieyès y vota la
mort'de Louis XVL Au sujet de ce vote, on lui attribua
un mot cruel sans doute , mais qui était aussi en raênie
temps la critique amère des discours tout fleuris de ligures
de rhétorique , tout parfumés de formules métaphysiques,
que certains de ses collègues venaient débiter à la tribune
pour proposer d'appliquer la peine capitale «tf tyran dont la
culpabilité venait d'être reconnueet proclamée à l'unanimité.
La mort, sans phrases! aurait répondu l'abbé Sieyès,
quand serait venu son tour de voter. Le mot n'est pas au
Mo7ii(eîir ; les amis de l'abbé Sieyès ont donc eu le droit
d'en contester l'authenticité.
Pendant tout le règne de la terreur, Sieyès continua
à garder un mutisme absolu. Après la chute de Robes-
pierre, il comprit cependant la nécessité de donner quelques
explications, et il le fit tant bien que mal en publiant une
espèce d'autobiographie sous le titre de Notice sur la vie
de Sieyès (Paris, messidor an ii de la république). Pré-
voyant qu'il lui serait impossible de faire prévaloirses idées
particulières, il refusa de s'associer aux travaux du comité
des délibérations duquel sortit la fameuse constitution de
l'an m, et même de lui donner de simples conseils. Ce refus
de concours ne l'empêcha pas d'être nommé ni«mbrc du
nouveau comité de salut public ( lô ventôsean m), ni
d'être élu président de la Convention, le 2 floréal suivant.
Nommé le 9 brumaire aniv,à la suite de la journée du
13 vendémiaire , membre du Directoire exécutif , il déclina
cet honneur, et fut remplacé par Rewbel 1. Il entra alors
au Conseil des Cinq Cents, garda encore une fois une pru-
dente réserve dans les luttes qui .surgirent bientôt entre les
divers partis que la représentation nationale comptait dans
.son sein , et au commencement de l'an vi fut élu prési-
dent du Conseil des Cinq Cents, dont le coup d'État du 18
fructidor venait d'éliminer cinquante-deux membres, dé-
portés dans les marais pestilentiels et sous le soleil de
plomb de SiiinatiKu-y. Désormais on verra toute l'habileté
de Sieyès consister à se trouver toujours dans le parti
du plus fort.
Quelqiie temps auparavant , il avait failli périr victime
d'un a'^sassinaf, que tenta sur lui un de ses compatriotes,
agent obscur des machinations du royalisme, m\ certain
abbé Poulie. Celui-ci pénétra un m^tin cliez Sieyès, et lui
tira à bout portant un coup de pistolet. Sieyès reçut deux
balles mâchées : l'une lui traversa et fracassa le bras , l'autre
lui effleura la poitrine. Le crime était flagrant ; l'assassin fut
arrêté sur les lieux mêmes où il l'avait commis. Cependant,
le procès criminel qui s'ensuivit fut si singulièrement con-
duit , que l'abbé Poulie .s'en tira avec un verdict d'acquitte-
ment. Sieyès dit alors plaisamment à son portier : u Si
Poulie revient, vous lui direz que je n'y suis pas! >.
Le Directoire offrit bientôt à -Sieyès les lucratives fonc-
tions d'ambassadeur de la république à Berlin, où il fut
parfaitement traité par la cour , tant les victoires rem-
portées sur les différents points du continent par les armées
delà France donnaient de poids et de considération à ses
représentants à l'étranger. Le prince Henri fut le seul qui
refusa de se plier aux exigences de la politique ; et il ren-
voya un jour au ministre de France une invitation à dîner,
en ajoutant au crayon sur la lettre : Non, sans p/irascs'l
Le 27 floréal an vu Sieyès fut appelé à faire partie du
Directoire exécutif, mais il n'y entra qu'avec l'intention de
contribuer de tout .son pouvoir à la chute du gouvernement
aux destinées duquel il s'associait traîtreusement. Le re-
tour d'Egypte de IJonapnrte lui parut l'occasion favorable
pour provoquer une révolution nouvelle, qui permettrait
enfin de mettre au grand jour un projet de constitution ré-
publicaine pour la France , auquel il travaillait depuis long-
temps et dont quelques affidés parlaient avec une mystique
assurance non-seulement comme d'un chef-d'œuvre de la
poiiti(iue , mais comme d'un remède infaillible pour guérir
;es maux du pays. Bonaparte feignit un instant de se laisser
convaincre par -Sieyès de l'excellence de ?es sublimes théo-
ries constitutionnelles, et lui prorail tout ce qu'il voulut. A
la suite de la journée du 18 brumaire, il consentit même
à se l'adjoindre un moment pour collègue au consulat ; mais
il se garda bien de l'engager à sortir de son portefeuille ce
fameux projet de constitution dans lequel Sieyès , ainsi qu'il
l'a raconté plaisamment dans ses causeries intimes à Sainte-
Hélène , lui avait réservé le rôle de cochon à l'engrais. Sous
le nom de grand-électeur, Sieyès voulait en effet faire du
glorieux conquérant de l'Italie et de l'Egypte une espèce
de pouvoir tnodérateur et fainéant, privé de toute initiative
et chargé seulement de maintenir la balance entre deux as-
semblées délibérantes réunissant les attributions de la puis-
sance executive à celles de la puissance législative. Sieyès
s'aperçut bien vite qu'il avait affaire à plus fort que lui, et
se résigna philosophiquement à se laisser absorber. Quel-
ques mois après, Bonaparte s'en débarrassait tout à fait en
le déportantau sénat conservateur, dont Sieyès continua de
faire partie jusqu'en 1814. Il connaissait d'ailleurs trop bien
les hommes pour ne pas savoir faire la part de leurs pas-
sions. Il lui fit donc accorder, à titre de récompense natio-
nale, la magnifique terre de Crosne , générosité qui donna
lieu à l'épigramme -suivante :
Bonaparte à Sicvès a fait présent de Crosne :
Sicj'ès à Bonaparte a fait présent du trône.
Sieyès, qui dès 1792 s'était affranchi lui-mêntre de ses de-
voirs comme prêtre et avait complètement renoncé aux fonc-
tions du ministère sacré, accepta de Bonaparte, devenu
empereur, le titre de co»n/e , force grands-cordons et une
riche dotation. Pendant toute la durée de l'empire , il s'as-
socia au mutisme de ses collègues, convaincu, à ce qu'il
paraît, que tout était pour le mieux sous un régime qui lui
avait assuré une fastueuse existence et qui lui permettait
de réparer au soir de sou existence le temps qu'il avait
perdu dans les privations et l'obscuiité pendant la première
partie <le sa vie. A l'éfioque des cent jours, il fut appelé à
faire partie de la chambre des pairs; mais, avec sa circons-
pection habituelle, il s'abstint de prendre part aux délibé-
rationsde cette assemblée. Quoique la seconde restauration
ne l'eût jioint compris dans la liste des régicides qu'elle
condamna au bannissement , Sieyès jugea prudent de se
dérober alors par un exil volontaire aux persécutions qu'il
prévoyait devoir être le sort de tous les hommes compromis
dans les événements de la révolution. 11 se retira donc à
Bruxelles , où il jouit en paix de sa fortune pendant foute
la durée du règne de la brancheaineedesBourbons.il fallut
la révolution de Juillet et ses conséquences pour le déter-
miner à renoncer, à l'âge de quatre-vingt-trois ans , aux
habitudes de calme et de tranquillité qu'il s'était faites chez
nos voisins dans une confortable retraite. 11 revint alors à
Pcris, où l'Académie Française et l'Académie des Sciences
morales , dont il avait été appelé à faire i)artie dès la créa-
tion de l'Institut, lui rouvrirent leurs portes, et mourut le
20 juin IS.'.G.
•SkFFLEUR ou VINGEON (Anas Pénélope, L.), oiseau
du genre canard, qui arrive en novembre sur nos côtes
de l'Océan et nous quitte en février, et dont les bandes se
mêlent souvent à celles du chip eau. Il a les parties su-
périeures elles flancs finement rayés de noir et de blanc, la
poitrine de couleur vineuse, la tête rouge , le front pâle ; du
blanc, du vert et du noir à l'aile. Le mâle arrive h cinquante
centimètres de longueur, la femelle a un peu moins.
SlGALOiV (X.vYiEii), artiste contemporain, qui a laissé
un nom dans l'histoire de l'école française, et dont la vie
nous présente un exemple de plus de cette fatalité qui
trop souvent pèse sur le talent et lui fait consumer sa plus
grande énergie dans une ob.scure et inutile lutte contre la
misère. Né en 1790, à Uzès, de parents pauvres, sa première
jeunesse se passa vc'gétativemcnt à barbouiller des rôles
dans les greffes de justice de paix ou dans les études d'huis-
sier de Nîmes, en même temps qu'il consacrait ses rarçs
SIGALON — SIGISMOND
199
loisirs à s'initier à la pratique de l'art pour lequel il avait
«enti dès son enfance les dispositions les plus prononcées.
Ce ne fut qu'à l'âge de trente ans, et à force de s'être im-
posé les plus dures privations , en môme temps que le tra-
vail le plus rude, qu'il lui fut donné de pouvoir entreprendre
le voyage de Paris, afin d'y chercher les moyens de satisfaire
à cette vocation irrésistible qui , malgré lui , l'entraînait vers
l'étude de la peinture. Admisalorsdans l'atelier de Guéri n,
il ne tarda pas à s'alfranchir des liens de la vieille tradi-
tion classique, qui depuis longtemps pesaient à son génie, et
éprendre la résolution de ne suivre désomaais d'autre guide
que la conception énergique et vraie de la nature. Le pre-
mier fruit de ses consciencieuses et pénibles études, inter-
rompues trop souvent par des impossibilités matérielles ,
fut sa Courtisane ( 1822 ) , qui fait aujourd'hui partie de la
collection du Louvre. Vint ensuite sa Locuste (1824), grande
page, qui produisit une vive sensation , mais qui ne trouva
pas d'acquéreur. Sigalon se vit alors réduit, faute de l'ar-
gent nécessaire pour acheter une toile, à ne faire que des
aquarelles. La f fit te, à qui on parla de la noble indigence
de notre artiste, se montra dans cette occasion le protec-
teur du talent, et s'empressa d'acheter à Sigalon sa Lo-
custe pour 6,000 francs. Ce secours presque inespéré sauva
le peintre qui devait successivement nous donner Athalie
faisant égorger les enfants du sang royal (1827), grande
toile pleine d'une vérité qui fait horreur et qui pourtant
charme le spectateur (elle orne aujourd'hui le musée de
Nantes); Une vision de saint Jérôme (1831 ), qui fait partie
de la collection du (-ouvre, et Le Calvaire, que possède le
musée de Nîmes. Ces deux derniers tableaux lui avaient été
commandés par le ministère de l'intérieur. Ces commandes
étaient venues trouver l'artiste au moment où il recommen-
çait sa vieille lutte contre la misère , et où pour avoir du
pain il était réduit adonner des leçons de dessin à Nîmes,
où il s'était retiré. En 1833 le gouvernement le chargea
d'aller à Rome copier le célèbre Jugement dernier de Mi-
chel Auge, qui orne aujourd'hui l'École des Beau\-Arts de
Paris. Il s'acquitta avec un rare bonheur et une grande per-
fection de cette tâche, dans laquelle il fut secondé par son ami
Souchon, et il se disposait à quitter Rome pour retourner
en France, lorsqu'il succomba, en 1837, à une attaque de
choléra. Comme il avait le travail difficile, ses tableaux sont
extrêmement rares.
SIGEBERT I", roi d'Austrasie. quatrième fils de Clo-
taire, eut, dans le nouveau partage de ses États, le royaume
d'Austrasie. C'était le peuple alors qui élisait les minis-
tres et les grands dignitaires. Les Austrasiens s'étant as-
semblés pour nommer un maire du palais , les suffrages se
réunirent sur le duc Chrodin ; mais sur son refus et par son
conseil ils élurent un chef nommé Gogon , comitem domus
regiae. Sigebert tailla en pièces les Abares, qui avaient
fait irruption dans les Gaules ( âC2 ), et reprit les places que
Chilpénc,roi de Soissons , son frère, lui avait surprises
pendant cette expédition. Il fut moins heureux contre ces
barbares unis aux Thuringiens, en 5G8. En voulant les re-
pousser de la Bavière et de la Franconie , il fut battu et
fait prisonnier. Mais ce fut pour peu de temps , car le roi
des Abares , charmé de sa noblesse et de la fermeté de son
caractère , lui rendit tous ses équipages , et lui offrit la
paix et son amitié. Dans la même année, Galasuinte,
femme de Chilpéric, fut étranglée par les ordres de ce
prince et do Frédégonde, qui du rang de concubine
la remplaça comme reine. Bru neha ut, sœur de Gala-
suinte, nMiiée depuis deux ans à Sigebert, poussa un
cri de vengeance. C'était une occasion pour elle de se pren-
dre corps à corps avec cette Frédégonde , qui devenait sa
rivale en puissance et en ambition , comme elle le fut en
crimes. Elle avait trop d'ascendant sur l'esprit de Sigebert
pour que celui-ci hésitât à déclarer la guerre à son frère.
Cette guerre fut impitoyable comme la haine de Brunehaut
et de Frédégonde. Chilpéric, chassé de Paris et poursuivi
jusqu'à Tournay, sentit la couronne chanceler sur sa tôte.
Déjà les Neustriens l'avaient abandonné, et avaient pro-
clamé roi son frère et son rival, lorsqu'au moment même où
Tonélevait Sigebert sur le pavois (575), à Vitry-sur-la-Scarpe,
il fut assassiné par deux domestiques de Frédégonde.
SIGEBERT II, fils de Dagobert , roi d'Austrasie,
auquel il succéda, en 633, régna d'abord sous la direction
de Cunbert, évêque de Cologne, puis sous celle du duc
Adalgise. Il abandonna ensuite l'exercice du pouvoir à
Grimoald , pour ne plus s'occuper que de fonder des mo-
nastères. Il mourut en 654. Le seul événement remarquable
de son règne est une guerre en Thuringe , où son armée fut
battue par celle du rebelle Radulfe.
SIGIER DE BRABAIXT, savant professeur de l'uni-
versité de paris, au treizième siècle, dont le Dante parle dans
sa Divine Comédie, et qu'il n'hésite même pas à placer eu
paradis. « Celui sur qui ton regard m'interroge, dit saint
Thomas d'Aquin , est un esprit <iui dans ses graves médi-
tations eût voulu devancer la mort, trop lente ; c'est l'éternelle
lumière de l'Église, qui, [irofessaut dans la rue du Fouarre,
mit en syllogismes d'importantes vérités ». Longtemps
oubliées , les œuvres de Sigier ont été récemment mises en
lumière par M. Le Clerc, dans le tome XXr de Y Histoire
littéraire de la France. Il nous apprend que Sigier ouSigerde
Brabant lutta longtemps avec Guillaume de Saint- Amour
contre les dominicains et les franciscains, et qu'il passa
ensuite dans le parti des dominicains. C'est à ce mouvement
de volte-face qu'il est sans doute redevable d'avoir été mis
d'emblée par saint Thomas d'Aquin dans le paradis. Quoi
qu'il en ait été, il paraît que l'enseignement de ce docteur
était hardi, souvent téméraire, et même qu'il parlait politique
dans sa chaire de philosophie ; ce qui prouve bien qu'il n'y
A rien de nouveau sous le soleil. « Lorsque la politique
d'Aristote , dit un contemporain cité par M. Le Clerc , nous
était expliquée par un excellent docteur en philosophie dont
j'étais le disciple, maître Sigier de Brabant, je l'ai entendu
quidisaitque pour régir les États de bonnes lois valent encoro
mieux que de bons citoyens, parce qu'il n'y a pas et qu'il
ne peut y avoir d'hommes si honnêtes que les passions de
la colère, de la haine, de l'amour, de la crainte, de la
cupidité ne parviennent à corrompre... Ainsi, selon le phi-
losophe dont il interprétait alors le traité sur le gouverne-
ment, les cités , qui étaient d'abord conduites par la vo-
lonté absolue des rois, s'étant aperçues qu'un seul homme
punissait plus ou moins les délits suivant son caprice, et
que de là naissaient les séditions et les guerres civiles, ai-
mèrent mieux , pour faire cesser un tel alius , s'en remettre
au jugement des lois et des institutions, qui ne font acception
de personne. »
SIG?LLÉE (Terre). Voyez Lejinos.
SSGiSBÉE. Vojjez Cigisbeo.
SSGtSMOND, e?H;?erei<r d'Allemagne (1411-1437),
fils de l'empereur Charles IV, né en 1368, reçut à la mort
de son père, arrivée en 1378, le margraviat de Brandebourg,
et par ses fiançailles avec Marie , fille et héritière de Louis
le Grand , roi de Pologne et do Hongrie, acquit des droits à
l'hérédité dans ces deux pays. îïais à la mort de Louis
(1383) les Polonais élurent pour reine Hedwige, sœur de
Marie , tandis qu'en Hongrie, où d'abord la mère de Marie,
Elisabeth, avait provisoiiement pris les rênes du gouver-
nement au nom de sa fille mineure, Charles de Durazzo
s'emparait du pouvoir, en 1385; et ce ne fut que lorsque
celui-ci eut éié assassiné, que Marie put parvenir au trône.
Cependant , elle fut d'abord faite prisonnière par le ban de
Croatie, Jean Horvath ; et il fallut que Sigismond com-
mençât par la délivrer, avant de pouvoir l'épouser et se
faire couronner roi de Hongrie, en 1387. L'entêtement du
voïvode de Valachie, qui ne voulut point reconnaître son
autorité, l'embarrassa contre les Turcs dans une guerre tlont
il ne put couvrir les frais qu'en engageant, en 1388, la Vieille-
Marche et la Marche Électorale à son cousin Jobst de Moravie.
Quoique secondée par les princes d'Allem.agne et par la no-
blesse française, cette expédition se termina pour lui d'une
200
SIGISMOND
manière fatale; enr il fut battu complètement à la sanglante
journée de iNicopolls ( 1392 ) par le sultan B aj aze t, et dut
se réfugier en Grèce. Revenu quelque temps après en Hon-
grie, où pendant ce temps-là sa femme était morte, il ne
tarda pas à voir la nation tout entière se soulever contre
lui. Il fut fait prisonnier en 1401 , et on couronna roi à sa
place Ladislas de Naples. Sigismond réussit à s'enfuir,
et avec l'appui du comte de Cilly accourut eu Bohême,
vendant en attendant aux clievaliers de l'ordre Tentonique la
nouvelle Marche, dont il avait hérité de son frère Jean.
Avec cette ressource il réussit à mettre à la raison les ré-
voltés hongrois et à redevenir le maître de tout le pays.
Dès l'an 1400 son frère Wenceslas avait été déposé comme
empereur d'Allemagne , et on lui avait donné pour succes-
seur Ruprecht du Palatinat. A la mort de ce dernier, arrivée
en 1411, Sigismond et Jobst de Moravie briguèrent concur-
remment la couronne impériale; et comme les seuls élec-
teurs présents étaient ceux de Mayence , de Trêves , de Co-
logne et du Palatinat , il y eut partage des voix. Mais Jobst
étant venu à mourir dès l'an 1411, les autres voix se réunirent
sur Sigismond; et Wenceslas ne conserva plus que le titre
d'empereur. Embarrassé alors contre Venise dans une guerre
qu'il termina seulement en 1412, Sigismond ne vint qu'en
1414 en Allemagne, oii son premier soin fut de convoquer
un concile à Constance pour mettre un terme au grand schisme
de rÉglise( 1378-1417 ). Sisous ce rapport il réussit àattein-
dre le but de ses efforts , d'un autre côté l'imprudente auto-
risation qu'il donna pour l'exécution de Jean H u s s provoqua
la guerre des hussites, qui remplit le restant de son règne de
soucis et qui livra la Bohême et les contrées adjacentes aux
plus effroyables dévastations. Ce ne fut que par le traité
signé à Iglau, en 1435, que Sigismond parvint à rendre la
paix à la Bohème et en môme temps à s'en assurer la tran-
quille possession. En reconnaissance des notables services
que lui avait rendus pendant la guerre des hussites le mar-
grave de Misnie , Frédéric le Querelleur , Sigismond , à
l'extinction de la maison ascanicnne, en 1423, lui conféra
la dignité électorale et le duché de Saxe, après s'être vu
obligé pendant cette même guerre des hussites d'engager
la Marche de Brandebourg, en 1411, au burgrave Frédéric
de Nuremberg, et plus tard de la lui vendre , en 1413. Il
érigea aussi Clèves en duché , alla chercher en Italie , en
1431 et 1433, la couronne des empereurs romains et des rois
d'Italie, et en 1437 il fit une inutile tentative pour établir
à Egra une paix générale de l'Allemagne. 11 mourut en
1437; en lui s'éteignit la maison de Luxembourg. Il eut
pour successeur, comme héritier dans ses domaines et
comme empereur, son gendre Albert II. C'était un prince en
qui de brillantes facultés étaient effacées par l'inconstance,
l'irrésolution , la dissimulalion et des habitudes de folle
dissipation.
SlGISMOiXD l^"" (Zyymunt), roi de Pologne (1506-
1548), né en 1466, était le plus jeune des fils du roi Ca-
simir IV. Après avoir déjà reçu de ses frères, en 1499, les
duchés de Glogau et d'Opeln et avoir été quelque temps au-
paravant élu par les Lithuaniens en qualité de leur grand-
duc , il succéda en 1506 à son frère Alexandre sur le trône
de Pologne, au milieu des plus vives espérances de la nation,
et fut couronné à Cracovie, en 1507. Ses efforts pour faire le
bonheur de ses sujets en leur procurant la paix et en fai-
sant régner à l'intérieur l'ordre et l'économie, furent en
partie déjoués par les guerres qu'il eut à soutenir contre les
Russes , et auxquelles vinrent se joindre les invasions des
Tatares et de Bogdân , bospodar de Valachie. Ce fut avec le
consentement de Sigismond que son neveu Albert , le der-
nier grand-maître de l'ordre ïeutonique, devint duc héré-
ditaire de Prusse. En outre, la Pologne reçut avec la Masovie
un nouvel accroissement de territoire. Par suite de la douce
et sage tolérance de Sigismond, la réformation se propagea
aussi bientôt en Pologne, notamment dans la Prusse polo-
naise et dans la Grande Pologne, dont elle conquit la plus
grande partie de la population. Son introduction excita à
Dantzig des mouvements séditieux, qui furent étouffés en 1 526
par la présence de Sigismond. D'après le conseil de l'empe-
reur Maximilien T', il se remaria en 1516, après la mort de
son excellente femme, Barbara Zapolcka, fille du voïvode de
Transylvanie, à Bona S forz a de Milan, fille de Jean Ga-
leazzo. Il en résulta beaucoup de malheurs pour la Pologne,
parce que cette Italienne, aussi perverse que rapace, réussit
à exercer une grande influence sur les affaires du gouver-
nement. Aussi dans les dernières années de sa vie le roi
avait-il perdu l'affection de ses sujets. Sigismond mourut
en 1548, à Cracovie, et y fut enterré. C'était un prince sage
et bon, doué d'autant d'énergie morale que de force phy-
sique, apercevant les vices de l'État et s'efforçant d'y remé-
dier. Ami et protecteur zélé des sciences, son règne est
considéré comme l'âge d'or de la littérature polonaise.
SIGISMOND II AUGUSTE, roi de PologneH^iS-
1572), fils unique du précédent, né en 1518 , fut élu roi du
vivant même de son père, en 1529, et couronné en 1530.
Dès 1544 il obtint le gouvernement de la Lilhuanie. Sa mère,
Bona Sforza , pour conserver de l'influence, l'avait élevé
dans la mollesse. Mais grâce à sa force de caractère, Si-
gismond en eut bientôt secoué le joug, et comme souverain
il fit si bien preuve de courage et de fermeté que la turbu-
lente noblesse dut plier sous son énergique volonté. Peu de
temps après son avènement au trône, il rendit public le ma-
riage secret qu'il avait contracté avec Barbara Radziwill, et
cela malgré les exigences de la diète, qui, excitée par sa mère,
voulait le contraindre à le rompre. La reine étant venue à
mourir dès l'an 1551, vraisemblablement victime du poison,
Bona, objet de la haine générale, quitta la Pologne en 1555,
avec d'immenses trésors, et mourut en 1557, à Bari, en
Italie, empoisonnée par un amant. Précédemment elle avait
prêté au roi d'Espagne Philippe II 320,000 ducats, qui ne
furent jamais rendus à la Pologne. Sous le règne de Sigis-
mond-Auguste la réformation pénétra sans obstacles en Po-
logne; et le roi lui-même était assez disposé à abandonner
l'ancienne Église, car il se proposait de faire prononcer son
divorce d'avec sa troisième femme, Catherine d'Autriche,
veuve de François de Gonzague , princesse orgueilleuse et
très-maladive. Mais les querelles intestines des non-catho-
liques, l'influence de l'évèque d'Ermelande, Hosius, et du
nonce du pape Commendoni, l'empêchèrent de prendre ce
parti. Toutefois, en 1572, à la diète de Varsovie, il proclama
le principe de la liberté religieuse. Dans la guerre qui éclata
entre le grand-maître des chevaliers Porte-glaive et l'arche-
vêque de Riga, celui-ci ayant été fait prisonnier, Sigismond
entreprit une expédition en Livonie pour venir au secours
de l'archevêque ; expédition qui amena la conclusion d'un
traité d'alliance entre la Lithuanie et la Livonie. Lors donc
qu'Iwan II Wassiliéwitsch envahit la Livonie et que Furs-
temberg mourut, le successeur de celui-ci, Keîtler, se pla-
çant sous la protection de Sigismond, céda la Livonie à la
Pologne, tandis qu'il recevait de la Pologne l'investiture de la
Cotirlande et de la Semgallen à titre de duché et de fiuf tem-
porel. Lors de la diète réunie en 1569 à Lublin, Sigismond
réussit à réunir complètement la Lithuanie avec la Pologne,
en même temps qu'on y incorporait la Prusse, la Volhynie, la
Podolie etl Ukraine. Sigismond moiuuten 1572, à Knyszyn,
sans lais.ser de postérité; et en lui s'éteignit la race des Ja-
ge lions. C'était un prince spirituel, juste et infatigable
pour le bien-être de ses peuples, mais prodigue et trop
adonné aux voluptés. Par sou énergie, il savait tenir la
noblesse en bride; et la décadence de la Pologne date du
jour où il cessa de vivre. U protégea les sciences et les let-
tres, et son règne fut l'époque la plus brillante de la litté-
rature polonaise.
SIGISMOiXD III, roi de Pologne et de Suède, né
en 1566, fils unique du roi de Suède Jean III et de la prin-
cesse polonaise Catherine, sœur de Sigismond II Auguste.
L'extinction de la race des Jagellons en Pologne lui ouvrant
la chance de régner un jonr sur ce pays, son père le (U
élever des son enfance dans la religion ■.■.alhoîique. et lui fit
SIGISMOND -
enseigner la langue polonaise. A la mort d'Etienne Biitliori,
Jan Zamoiski réussit en elfet, en 1587, à laire proclamer Si-
gismond roi de Pologne. 11 arriva lieureusement à Cracovie,
que Zamoiski avait défendue contre l'arciiidiic Maximilien
d'Autriche, élu par un parti d'opposants, et y fut couronné.
Toutefois, la souveraineté de Sigismond ne data véritable-
ment que du jour où Zamoiski eut fait prisonnier l'archiduc
lui-même et l'eut contraint à renoncer à la couronne. Les
Polonais s'étaient bien trompés au sujet de ce dernier rejeton
du sang des Jagellons. Orgueilleux, dépourvu d'esprit et
d'énergie , il contraria en toutes choses une nation attachée
à ses institutions. Son but principal fut le triomphe du
catholicisme en Pologne, et il n'y avait qu'un petit nombre
de magnats qui pussent approciier de ce prince , toujours en-
touré de jésuites étrangers. Jean III de Suède étant venu à
mourir en 1 592, Sigismond, du consentement delà diète, se
rendit en Suède pour prendre possession du trône dont
il héritait. Il fut couronné en 1594; mais quand il .s'en
retourna en Pologne, il dut laisser le royaume de Suède
sous la régence d'un de ses oncles, Charles IX, qui aspi-
rait à la couronne. Le manque de tact et d'iiabileté dont
il lit preuve pendant un nouveau séjour en Suède en 1598
lui fit perdre le peu de partisans qu'il y comptait; et
après le détrônement de Sigismond, Charles IX fut proclamé
roi de Suède par la diète réunie à Norkœping. Sigismond
n'ayant pas voulu renoncer à ses droits, la Pologne se trouva
engagée contre la Suède dans une lutte de soixante ans,
dont la Livonie fut le théâtre et que marquèrent d'abord
des alternatives diverses, mais qu'après la mort de CiiarlesIX
Gustave-Adolphe continua avec une telle vigueur , que les
Suédois s'emparèrent de la Livonie et d'une partie de la
Prusse jusqu'à Thorn. Ce fut seulement lorsque Gustave-
Adolphe, en 1629, voulut aller au secours des protestants
en Allemagne , qu'il fit la paix avec Sigismond en lui resti-
tuant une partie de la Livonie et quelques villes de la Prusse.
Peu de temps après la mort de Zamoiski, Sigismond se vit
menacé par de redoutables révoltes, puis entraîné dans une
gtierre contre la Russie pour avoir mis une armée à la dispo-
sition du premier des faux Démé tri us, qui avait embrassé
le catholicisme. Sigismond eût pu facilement obtenir la cou-
ronne de Russie pour son fils Ladislas ; mais il s'y prit si
nvaladroitement que Michel-Féodorof Romanof finit par être
proclamé tsar. Les tentatives faites par Sigismond afin de
déterminer les Kosacksà abandonner la foi grecque pour la foi
romaine occasionnèrent à la Pologne de longues et sanglantes
guerres avec ce peuple. Le règne de Sigismond fut encore en-
tremêlé de guerres contre les Tatares , les hospodars de Va-
lachie et les Turcs. Ce prince ayant envoyé un corps de troupes
auxiliaires à l'empereur Ferdinand contre la Turquie, le
sultan Osman envahit la Pologne à la tête d'une armée for-
midable. Toutefois, Sigismond, après une victoire remportée
à Chodkiewicz près de Choczira, en 1621, parvint à conclure
la paix. 11 mourut en 1632, à Varsovie, où il venait d'établir
sa résidence. Consultez Naruszewicz, Dzieje ZijrjmuntalII
(3 vol., Varsovie, 1819 ).
SIGLES (du grec aîyXai, chiffre, note abrégée). On
appelle ainsi les lettres initiales dont les Romains se ser-
vaient pour abréger certains mots, et dont le sens, quand
on les rencontre sur quelque inscription ou dans quelque
manuscrit, est facile à trouver. Ainsi, chacun savait à
Rome que les quatre lettres S. P. Q. R. étaient l'abrévia-
tion des mots senatus populusque romanus , le sénat et
le peuple romain. Par l'arrangement qu'elles avaient entre
elles, par la place qu'elles occupaient dans les discours, les
sigles équivalaient aux yeux du lecteur à une suite d'ex-
pressions connues. Ces .sortes d'aôréwi a ^ions étaient
surtout en usage dans la jurisprudence et dans la diploma-
tique. Elles furent plus tard prohibées successivement par
les empereurs Juslinien et Basile , à cause de l'incertitude
qui en .résultait souvent dans l'inlerprétation des textes;
mais les copistes du moyen âge les remirent en honneur.
Ce sont ces sigles et ces abréviations qui rendent la lecture
SIGNATURE
201
des anciennes chartes si difficile pour ceux qui n'en ont pas
fait une étude spéciale.
SIGMARINGEN, arrondissement de la monarchie
prussienne, formé en 1853 des deux principautés de IIo-
henzollern-Sigmaringen et de HohenzoUern-Hechingen , cé-
dées à la Prusse en 1850, et qui e.st placé .sous la surveil-
lance administrative du président supérieur delà province du
Rhin , mais qu'en raison de sa situation isolée et des cir-
constances géographiques et historiques particulières au
pays , on peut considérer comme constituant une province
particulière du royaume. En 1852 cet arrondissement com-
prenait sur une superficie de 16 myriam. carrés 65,634 hab.,
qui appartiennent à la province ecclésiastique du Ilaut-Rhin
(de l'archevêché de Fribourg , dans le pays de Bade ).
SIGMARINGEN , autrefois résidence et capitale de la
principauté de HohenzoUern-Sigmaringen , et chef-lieu du
comté de Sigmaringen ou de l'Oberland , est situé sur le
Danube. On y trouve une église paroissiale catholique, con-
tenant les sépultures de la famille princière, un château
avec galerie de tableaux, bibliothèque, collection de médail-
les, archives, etc. Le nombre des habitants e.stde 2,400.
SIGNAL, moyen employé pour transmettre des ordres
ou des avis à de certaines distances. Des coups de canon,
des pavillons, des drapeaux, des appareils télégraphiques,
des feux, des fusées, servent de signaux par la manière
dont ils sont combinés, lorsque ces combinaisons, connues
d'avance de ceux à qui ces signaux s'adressent, ont une
signification déterminée. On se sert souvent de signaux sur
terre , où ils offrent un moyen de communication rapide.
Sur mer, ils sont d'un usage indispensable pour les vaisseaux
qui naviguent en escadre ou de conserve. Sans les signaux,
il serait presque toujours impossible à l'officier qui com-
mande une flotte de lui transmettre aucun ordre ni de ré-
gler sa marche et ses manoeuvres. Dans une armée navale,
chaque division , chaque vaisseau a son signal particulier
auquel il doit répondre par un autre signal convenu, aussi-
tôt qu'il l'aperçoit. Les signaux de jour se font avec des
flammes, des pavillons de diverses couleurs, seuls ou su-
perposés, au hautd'un mât, à l'extrémité d'une vergue, etc.
Les signaux de nuit ne peuvent se faire qu'au moyen de
coups de canon, de fusées, de fanaux allumés, placés dans
un certain ordre. Enfin, dans des temps de brunie, on est
obligé de se servir du canon , du fusil , du tambour ou de
la cloche, pour faire savoir où l'on se trouve plutôt que pour
donner des ordres.
SIGNALEMENT. On appelle ainsi la description de
tout l'extérieur d'un individu qu'on veut faire reconnaî-
tre : on donne à la gendarmerie les signalements des dé-
serteurs, des accusés. Les passe-ports contiennent les si-
gnalements des personnes auxquelles ils sont délivrés.
SIGNATURE. C'est le nom d'une personne, écrit de
sa main à la fin d'une lettre ou d'un acte pour le certifier.
La signature est une formalité essentielle et qui est com-
mune à tous les actes ; elle est le signe du consentement
donné par les parties.
Elle confère le caractère d'acte obligatoire à l'écrit qui
jusque là n'était qu'un simple projet.
En général, il n'est pas nécessaire que les actes soient écrits
de la main de ceux qui les souscrivent. Cependant, la loi a
fait une exception pour les testaments olographes et
pour les billets sous seing privé portant obligation d'une
somme d'argent ou d'une chose appréciable. Si ces derniers
ne sont pas écrits en entier de la main de celui qui les sous-
crit, il faut du moins qu'outre la signature il ait écrit de sa
main un bon ou un approuvé portant en toutes lettres la
somme ou la quantité de la chose, excepté dans le cas où
l'acte émane de marchands, artisans, laboureurs, vignerons,
gens de journée et de service.
Les signatures données en blanc s'appellent blancs seings
et ne sont pas essentiellement nulles.
On n'est pas censé avoir signé un acte sans l'avoir lu.
On ne pourrait dans ce cas faire annuler l'acte qu'autant
202 SIGNATURE — SIKHS
qu'on prouverait qu'il est frauduleux et que-la signature a
été surprise.
La signature doit être placée à la fin de l'acte. Tout ce
qui serait ajouté après elle et sans approbation de la partie
serait regardé comme non écrit.
Les actes notariés doivent être signés par les parties, les
témoins et les notaires, qui doivent en faire mention à la fin
de l'acte; quant aux parties qui ne savent ou ne peuvent
signer, le notaire doit également mentionner leurs déclara-
tions à cet égard. Lorsqu'une signature apposée à un acte est
déniée par celui auquel on l'oppose , il faut observer quelle
est la nature de l'acte; car s'il s'agit d^un acte authentique
qui fait par lui-même foi de tout son contenu , c'est au de-
mandeur qui dénie sa .signature à prouver, par la voie de
l'inscription de faux, que la signature qui lui est attri-
buée sur la minute ne lui appartient pas; .s'il s'agit d'un
simple acte .sous seing privé, le seul fait de la dénégation
suffit pour suspendre l'exécution, car il faut procéder avant
tout, suivant les formes indiquées par la loi, à la véri fi ca-
tion de la signature et de l'écriture.
S'il est prouvé que la pièce est écrite ou signée, par celui
qui l'a déniée, il sera condamné à 150 francs d'amende ou-
tre les dépens, dommages et intérêts de la partie, et il pourra
être condamné par cori)s même pour le principal.
Quiconque a extorqué par force, violence ou contrainte,
la signature d'un écrit, d'un acte, d'un titre, d'une pièce
quelconque contenant ou opérant obligation, est puni de la
peine des travaux forcés à temps.
En termes d'imprimerie, on entend par signa/ur es les
signes particuliers qu'on emploie pour distinguer les diffé-
rentes feuilles dont se compose un ouvrage et pour qu'on
puisse ai.sément les placer à leur ordre dans l'opération de
Vasscmblage , qui précède celle du brochage d'un volume.
Autrefois on se servait à cet effet des lettres de l'alphabet ,
qu'on doublait, triplait, etc., quand le nombre de feuilles
d'un ouvrage l'exigeait. Depuis longtemps on n'emploie plus
que les chiffres. C'est l'imprimeur inconnu des Concordantiœ
Biblionim deConradus de Alemannia ( 1470), qui le premier
employa ce moyen commode et facile de mettre de l'ordre
et de la régularité dans les travaux d'impression.
SIGNE, indice, marque d'une cliose présente, passée
ou à venir : Signe certain, infaillible, non équivoque, dia-
gnostique ; L'intermittence du pouls est souvent un signe Ae
moit prochaine ; Quand les hirondelles volent bas , on croit
que c'est signe de pluie; L'arc-en-ciel fut un signe d'alliance
entre Dieu et Noé; La croix est le signe du salut. 'Ne pas
donner signe de vie se dit d'un homme absent qui n'écrit
point. Signe désigne aussi certaines marques ou taches
naturelles qu'on a sur la peau. Ce sont encore certaines dé-
monstrations extérieures que l'on fait pour donner à com-
prendre ce que l'on pense, ce que l'on veut : ¥mre signe-iie
la tête, des yeux, de la main; Signes d'amitié, d'intelli-
gence ; Le langage des signes {voijezMvEis [ Sourds-] et Mi-
mique).
SÎGXE DE L;\ CROIX. Voyez Cnoix.
SIGNES {Mathématiques ) se dit , en algèbre, des ca-
ractères -{-et— (plus et moins) qu'on met au-devant des
quantités algébriques. Le signe radical \/ est celui qu'o^
place devant une quantitéradicale.
SIGNES DU ZODIAQUE. Voyez Constellations
et Zoiti VOUE.
SIGNIFÎCATIOÎV (Procédure). C est la notification,
la connaissance que l'on donne d'un arrêt, d'un jugement,
d'un acte quelconque par la voie judiciaire
Aucune signification ne peut être faite depuis le 1" oc-
tobre jusqu'au 31 mars avant six heures du matin et après
six heures du soir, et depuis le 1" avril jusqu'au 30 sep-
tembre avaut quatre heures du matin et après neuf heures
du soir, non plus que les jours de fête légale, si ce n'est en
vertu de la |)ermission du juge, au cas où il y aurait péril
en la denvMire. Toutes significations faites à des personnes
puiiliques préposées pour les recevoir doivent être visées
par elles , sans frais , sur l'original. En cas de refus, l'ori-
ginal est visé par le procureur impérial près le tribunal de
première instance de leur domicile. Les refusants peuvent
être condamnés, sur les réquisitions du ministère public, à
une amende qui ne peut être moindre de cinq francs.
Il y a en outre des règles particulières à la signification de
certains actes. Voyez Ajournement , Citation , Jugement,
Saisie-Exécution, Transport, etc.
SIGIXORELLI (Luca), l'un des maîtres les plus im-
portants du quinzième siècle , et qui fait époque dans l'his-
toire de la peinture italienne. Né à Cortona, en 1439, il fut
d'abord l'élève de Piero del Borgo , dans l'atelier duquel il
travailla quelque temps, à Arezzo; mais il ne s'est conservé
aucun des tableaux qu'il y peignit dans sa jeunesse. Signo-
relli fut un des plus remarquables artistes qui coopérèrent
à la décoration de la chapelle Sixtiue, à Rome. Mais le tra-
vail dans lequel il déploya de la manière la plus saillante la
nature originale de son talent, ce fut celui des grandes pein-
tures murales dont, à partir de 1499, il ornaiivec ses élèves
la chapelle de la Vierge, dans la cathédrale d'Orvieto. Il y a
représenté lajin du monde; c'est une suite de compositions
qui produisent l'impression la plus vive, où la plupart des
figures sont nues, d'un dessin sévère, mais parfaitement
noble et irréprochable , et plein de vie intime. Par la ma-
nière libre et grandiose de son style , Signorelli peut être
presque considéré comme le précurseur de Michel Ange. Il
n'existe de lui qu'un petit nombrede toiles, dont les meil-
leures sont au musée de Florence. Le musée du Louvre ea
possède aussi quelques-unes fort remarquables.
SIGOURD ou SIGURD. Foye- Siegfried.
SIGOVESE, guerrier gaulois, frère de Dellovèse,
fondateur de Milan , fut, comme lui, chargé par son oncle
Ambigat, roi des Bituriges, d'emmener, pour l'établir
dans quelque contrée lointaine, l'excédant de la popidation
des États de ce prince; et d'après l'indication des oracles , il
alla, vers l'an 588 av. J.-C, se fixer avec une colonne de
Volces Tectosages dans la forêt Hercynienne.
SIHOUiV ou SlHON. Voyez Laxartes.
SIKAK. Voyez Sickack.
SIKHS (Les), confédération religieuse de Tlnde septen-
trionale, où elle a fondé dans le Pendjab un État particu-
lier. Son nom, Sikhs, en sanscrit Sikscha, signifie disci-
ples ou élèves. Le fondateur de cette secte fut Yanaka,
vulgairement appelé Ranak ou Nanek, Hindou de la caste
des guerriei'S, né en 1469, à Lahore, dans le Pendjab. Dès
sa jermesse il paraît avoir manifesté une vocation décidée
pour la vie contemplative. Après avoir étudié les Védas
et leKoran, ainsi que les ouvrages des philosophes hindous et
mahométans, il crut pouvoir en conclure qu'un monothéisme
pur, faisant de la fraternité un devoir pour les hommes , était
la base essentielle des deux religions qui dominent dans l'Inde,
et que ce n'avait été qu'à la suite des temps qu'elles s'élaient
trouvées défigurées par des falsifications et des interpréta-
tions. Alors il conçut la noble pensée d'opérer une fusion
entre les mahométans et les iiindous au moyen d'une reli-
gion simplifiée et d'une morale épurée. Lorsque Nanek
mourut, en 1540, à Kirtipour, il institua en qualité A'angad,
ou de chef de la nouvelle société religieuse, et à l'omission de
ses lils et de ses autres proches, Lehana, son serviteur favori,
qu'il avait initié lui-même à la connaissance de sa doctrine,
A sa mort, arrivée en 1552 , Lehana fit comme son maître ,
et, au lieu de l'un de ses fils, désigna pour lui succéder dans
la direction de sa petite communauté son serviteur Amera-
das. Celui-ci eut pour successeur, eu 1574 , son gendre
Ramdas. Cependant, la iloctrine de Nanek avait déjà dû
subir une foule de transformations et de développements.
Nanek ne s'était attribué d'autre mission que celle d'un
philosophe et d'un réformateur; mais .ses disciples, pour ne
pas le laisser dans un état d'infériorité relative à l'égard des
autres prophètes et fondateurs de religions , le donnèrent
pour un aivatar, c'est-à-dire pour une incarnation de la
divinité de Vishnou, ornèrent sa doctrine d'un style fan-
«FKHS — SILENCE
!03
lastiqiie et Ini altribucrent une foule de prophéties et de
miracles. C'e&l dans ce seu^ (\\i\irdjoun-Mâl, qui succéda
à Ramda?, en 1581, comme chef des Sikhs, réunit dans un
ouvrage intitulé Adi Grandi, c'est-à-dire premier livre,
les écrits de ses prédécesseurs , des premiers gourous, ou
docteurs, en y ajoutant ses commentaires et ses enseigne-
ments propres. A cette époque l'association des Sikhs, déjà
très-répandue, s'organisa conformément aux prescriptions
de l'Adi Grantli, en confédération religieuse et politique,
(jui voyait dans son gourou son unique chef. Comme les
Sikhs rejetaient aussi bien le Koran que les Védas , ils s'at-
tirèrent à un égal degré l'inimitié des mahomctans et des
brahmanes; et Ardjoun mourut en prison, au milieu des
plus affreuses tortures. Har Goivind , son fds et son suc-
cesseur, pour venger la mort de son père, transforma l'as-
sociation religieuse , et jusque alors si paisible, des Sikhs,
en une horde sauvage de guerriers et de brigands. Une
lutte longue , sanglante, s'établit bientôt entre les Sikhs et
leurs oppresseurs mahométans ; Tegh Bahadour, le neu-
vième des chefs Sikhs dans l'ordre chronologique, ayant
été exécuté, en l'an 1G75, par l'ordre du fanatique- Aureng
Zeyb, Gourou-Gowind , son fils et successeur, donna à la
confédération religieuse des Sikhs une organisation poli-
tique, assise sur des bases théocratiques, et devint ainsi
le fondateur de l'État des Sikhs. Auteur du second des livres
sacrés des Sikhs, intitulé : Daxema Padschachké Granth,
c'est-à-dire le livre des dix princes, il réussit à enflammer
tellement le fanatisme de ses adhérents qu'il les décida à
faire aux mahométans une guerre acliarnée et non inter-
rompue; en raison de quoi il leur donna le surnom de
Singhs, qui signifie lions. Gourou-Gowind périt en 1708,
assassiné par un Afghan fanatique. Il fut le dernier chef
théocratique des Sikhs. Dieu en personne fut alors consi-
déré comme le guide immédiat de l'Église des Sikhs. Banda,
ami de Gourou-Gowind décédé , défendit à l'extérieur la
confédération, et fut son chef dans la guerre contre le Grand-
Mogol, guerre qu'il dirigea d'abord avec le plus grand suc-
cès, mais à laquelle il donna le cruel caractère d'une lutte
d'extermination contre les mahométans. Cependant, ses ef-
forts pour enlever à la confélcration des Sikhs son caiac-
fère religieux et pour se rendre souverain temporel absolu
amenèrent la désorganisation du nouvel État ; de sorte que
le Grand-Mogol parvint à battre les Sikhs et à les extermi-
ner presque complètement. Après cette terrible catastrophe,
qui remonte à l'année 1716, les rares débris de Sikhs qui
avaient pu échapper au cimeterre des mahométans ne
trouvèrent de refuge assuré que dans les fondrières de l'Hi-
malaya. Ce n'est plus qu'à l'époque de confusion qui suivit
la retraite de Nadii-Shah , après son expédition dans l'Hin-
doustan, qu'on les retrouve, à l'état de brigands et de voleurs
de grandes routes , dans la contrée théâtre de leurs anciens
exploits, le Pendjab, où la cruelle oppression exercée alors
sur les habitants par le Grand-Mogol , et ensuite par les Af-
ghans , poussait les Hindous, réduits au désespoir, à entrer
en masse dans leur confédération. Après de nombreuses al-
ternatives de revers et de succès , les Sikhs réussirent enfin
à battre plusieurs fois complètement les Afghans, qui furent
contraints de leur abandonner la province de Sirhind et
celle de Lahore, que déjà les Sikhs leur avaient enlevées
en 1764.
Pen<lant cette guerre de brigandages , l'ancien élément
moral et religieux des Sikhs s'était à peu près complète-
ment anéanti. Ils se divisèrenten douze confédérations par-
ticulières, appelées misais, et obéissant à des chefs qualifiés
<iesirdars, etcomplétementindépendantslesuns des autres.
Peu à peu la plus grande partie des habitantsdu Pendjab de
race hindoue étaient entrés daijs la conlédérationdes Sikhs,
laquelle de confédération religieuse et guerrière , qu'elle
était d'abord , se transforma ainsi en nation guenlère , en
même temps que les associations guerrières parlicolières
dont elle se composait arrivèrent à Ibrmer des peuplades
distinctes. Les autres habitants de ces provinces, hindous
ou mahométans, qui n'embrassèrent point la religion des
Sikhs, devinrent tout à fait esclaves et l'objet de la plus ef-
froyable oppression. Ainsi, à une origine religicufe et phi-
losophique avait succédé un fanatisme superstitieux, lequel
avait engendré une anarchie sauvage, une licence barbare,
devenues dès lors le caractère dislinctif de la confédération
des Sikhs. Quand il n'y eut plus d'ennemis extérieurs à
redouter, ce ne fut désormais qu'une suite non interrompue
de crimes et d'atrocités dans l'intérieur de cette république
des Sikhs, incessaramentdéchirée parles plus sauvages pas-
sions , et dont les sirdars et les misais étaient constam-
ment en guerre ouverte les uns contre les autres. Le résultat
naturel de cette désorganisation intérieure fut de faciliter
les voies à l'établissement du despotisme d'un seul. Déjà
Maha-Singh avait tellement étendu sa puissance , qu'on
le considérait comme le plus puissant d'entre les sirdars
du Pendjab. Après sa mort prématurée, arrivée en 1794, son
fi\s Rundj it- Sing h entreprit la continuation de l'œu-
vre paternelle, et y réussit si bien que l'anarchique répu-
blique fédérative des Sikhs se transforma sous lui en un
royaume gouverné tout à fait à l'orientale, et avec le des-
potisme le plus oppressif, par un souverain absolu, qui prit
le titre de Maharadscha, c'est-à-dire de grand roi. Après
avoir été forcé, par le traité signé le 5 décembre 1805 àLu-
dianab,de reconnaître le Sutledge pour délimitation entre
ses États et le territoire britannique, il agrandit successive-
ment son royaume, appelé Lahore, du nom de la capitale de
tout le Pendjab; en 1813 il s'empara d'Attok sur l'indus,
en 1818 de Moullân, en 1819 de Kascbmyr, en 1829 de
PescUauer. Son armée se composait de 82,000 hommes,
avec 376 bouches à feu de gros calibre et 370 pièces d'ar-
tillerie légère. Ses revenus s'élevaient à 56,250,000 fr., et il
avait dans son trésor plus de 260 millions de francs. Après
la mort de Rundjit-Singh , arrivée en 1839, le royaume de
Lahore, encore mal consolidé, tomba bientôt dans la plus
complète anarchie, qui au bout de six ans amena sa disso-
lidion. Après une suite de révoltes, de révolutions de pa-
lais et d'horreurs de toutes espèces , l'une des veuves de
Rundjit-Singh réussit enfin à s'emparer du pouvoir au nom
de son fils, encore mineur, Dhalip-Singh.Odl&use elle-même
aux Sikhs , elle céda à la haim- nationale des Sikhs contre
les Anglais; et vers la fin de 18i5 il éclata une guerre
qui se termina par la déroute des Sikhs et le partage de leur
royaume aux termes du Iraitésigné à Lahore, le 9 mars 1846.
Mais l'ombre d'indépendance que conservait encore aux
termes de ce traité une partie du royaume dut disparaître
à la suite des intrigues nouées par le favori de la mère du
roi,Lalla-Singh, contre lesAnglais, qui pour mettre un terme
à cet état d'anarchie érigèrent Lahore en État subsidiaire
de la Compagnie des Indes orientales. Ainsi intervint en 1846
un traité aux termes duquel un résident de la Compagnie
resta à Lahore avec des troupes anglaises, et y prit la
direction supérieure des affaires. Mais il surgit dès la même
année des complic^ations nouvelles , qui amenèrent en 1848
une guerre nouvelle, terminée par la défaite complète des
Sikhs et l'incorporation déimitive du Pendjab à l'Inde an-
glaise, le 29 mars 1849.
Sl-i;iAi\G, neuve. Voyez Cuise.
SIK-SIK. Vogez Polatocche.
SILBERKRONE. Foye:; Couronne.
SI LEiXCE, divinité de troisième classe, née de l'ima-
gination des Grecs , qui honorèrent jusqu'au mutisme sur
la terre. Toutefois, elle tire son origine d'Harpocrate, dieu
égyptien, que les depccndants de Cadmus et de Cécrops,
durant le règne des Ptolémées seulement, révérèrent sous
le nom d'//crr/TOArnfés, d'Harpocrate , du Dieu-Soleii ;
mais Soleil d'hiver, qui avait été représenté par les peuples
de la haute Egypte comme un enfant encore dans le sein
de sa mère, et par conséquent les mains appUquées à la
bouche , symbole de l'astre du monde aux rayons douteux
et faibles en cette morne .saison , où il commence à re-
monter vers le tropique du Cancer. Les Grecs ne dou-
204
SILENCE
tèrent pas qu'une bouche ainsi close ne dût être reniblême
du silence, et ils s'empressèrent d'en faire un dieu, qu'ils
appelèrent Sigalion, de aiyâsiv (se taire), ayant l'index
collé sur les lèvres. Selon Araraien Marcellin , les Perses
regardaient aussi le Silence comme un dieu. Chez les Ro-
mains , le Silence était plus particulièrement adoré sous les
noms d'A ngerona et de Tacita. La première de ces divi-
nités tire son étymologie du verbe nngere ( souffrir ) ,
parce que le silence est le résultat de la patience. L'image
de cette déesse , en or ou en argent , était portée au cou,
ainsi qu'un amulette , contre les chagrins. Elle a , comme
l'Harpocrate grec , l'index étendu sur les lèvres. Quant à
la déesse , ou nymphe Tacita , qui annonce son étymologie
par son nom adjectif, qui est passé dans notre idiome, elle
est de la création de iS'uma; il allait souvent la consulter
dans la solitude des bois sacrés, si propices au recueillement.
Peut-être fut-elle la même qu'Égérie. 11 la mit au nombre
des Muses, dont elle fut la dixième ; c'est au moins la Muse
de la Méditation ; elle rêve et contemple, et ses sœurs chan-
tent ce quelle a rêvé et contemplé.
En physique, le silence est l'opposé, l'absence du bruit;
c'est aussi l'action de se taire : « Qui me nonmie me
rompt », dit une espèce d'énigme sur ce mot. Partout où
il y a matière, vie et mouvement, il ne peut exister un si-
lence absolu , il n'est que relatif. Nul doute que l'ouïe de
l'homme n'est point formée pour lesso ns infiniment aigus
et infiniment graves , qui, d'après la constitution de l'uni-
vers, doivent bruire sans nombre autour de lui. Qui d'entre
nous a reçu le don de pouvoir ouïr le doux murmure de la
sève circulant dans les plantes, l'haleine de la rose qui
s'épanouit, la voix du ciron , et le sillage du ver micro-sco-
pique traversant une goutte d'eau ? Est-ce que ces millions
de germes, qui percent avec tant d'efforts le sein de la terre
au printemps, ne forment pas une masse de bruits imper-
ceptibles , qui remplissent le silence de la nuit ? A quelles
oreilles humaines se sont-ils révélés? Ah, que l'Écriture
est belle, lorsque, peignant la perfection de Dieu, elle dit :
« Il entend croître le brin d'herbe ! » Selon Pythagore,
les sphères qui roulent dans l'espace rempli^^sent l'univers
d'une éternelle harmonie, si subtile , que nous ne pouvons
l'entendre, ou qui, perceptible peut-être , mais , nous ber-
çantdès le sein de notre mère, sans solution de continuité,
de ses lointains accords, ne peut être distinguée du silence
l)ar l'organe de l'ouïe , habitué qu'il est d'en être inces-
samment frappé. Il ne peut donc exister sur la terre de
silence absolu, non plus que sur aucun des globes qui gra-
vitent dans les espaces éthérés, s'ils sont environnés d'une
atmosphère tant soit peu dense, mais seulement un si-
lence relatif. H n'est point non plus de silence absolu dans
ces profondeurs du ciel. Où donc est-il? Au delà des bornes
de la création, où finit toute matière, où sont les éternelles
ténèbres, où est le néant. Et où ce néant est-il.^ Il est par
delà ces milliards de mondes, de soleils, de lunes, d'étoiles,
de comètes, ces roues rapides de l'univers, qui gravitent
nécessairement, si nous devons en croire à la nature vi-
sible , autour d'un centre d'attraction , effroyable masse
sphérique de matière, dont le diamètre ne pourrait être
mesuré parla raison humaine. Tous ces torrents de flamme
que lance cette matière formulée en globes , tous ces
rayons divergents qui percent les abîmes du ciel , finissent
par se dégrader insensiblement , et aller mourir comme
la pâle lumière d'un lustre sur les limites d'un espace sans
fin ; là est la véritable nuit, là est le néant , là est le vide
absolu et l'absolu silence, silence que la seule voix de Dieu
peut rompre !
Dans l'Écriture , le silence est pris , au figuré , pour le
repos, la ruine et la mort : le Soleil et la Lune se turent à
la parole de Josué , c'e.st à-dire qu'ils s'arrêtèrent. Les
Grecs donnèrent au champ de la sépulture le nom doux et
mélancolique de xou(xr,Tr,piov (cimetière, ou dortoir); les
graves Hébreux donnèrent au sépulcre le nom terrible de
douma ( le silence). Le psalmiste s'exprime ainsi : « Ceux
- SILESIE
qui sont descendus dans le silence ne loueront pas votre
nom, ô Seigneur ! »
Le silence , le muet silence , a été rangé parmi les plus
pathétiques figures de l'art oratoire : c'est l'expressive
pantomime. Les rhétoriques ne l'ont pas mis au nombre d«e
leurs tropes , la réticence l'y remplace. Denne^Baron .
SILEjXCES {Musique), nom générique des signes qui
correspondent aux différentes valeurs des notes, et mar-
quent l'interruption des s o n s pendant toute la durée de ces
mêmes valeurs. Le silence d'une ro«de se nomme /3GZ<5e,
et se marque par une petite barre horizontale ; celui d'une
XÀdMche , demi-pause , et se figure de même, à cela près
d'une légère différence de position. Le silence d'une noire
s'appelle soupir , celui d'une croche demi-soupir, celui
d'une double croche quart de soupir; ainsi de suite.
Cliarles Béchem.
SILÈNE , fils de Pan et de la Terre , naquit, suivant
Pindare, à Malée , dans l'île de Lesbos , et fut le compagnon
inséparable de Bacchus , avec qui il prit part à la guerre
contre les Géants, dans laquelle il tuaEncelade. Ses connais-
sances variées dans les sciences naturehes furent très-utiles
à Bacchus, qu'il égayait par son humeur bouffonne, par les
saillies piquantes que le vin lui inspirait , par son talent pour
la musique, et souvent par son peu d'aplomb sur l'âne qui
lui servait de monture , et sur lequel les Bacchantes et les
Ménades, dont il était fort aimé, le soutenaient à l'envi les
unes des autres. Silène, aimable et bon, souffrait joyeuse-
ment les espiègleries de la troupe folâtre. Diodore de Sicile
nous le représente comme un général habile , un philosophe
profond et le conseiller de Bacchus dans ses expéditions
lointaines.
Il ne faut pas confondre le Silène des poètes , des mytho-
logues et des artistes, avec les Silènes, vieux Satyres qui
suivaient en foule le dieu de Naxos, et auxquels on donne
des oreilles de chèvre , que n'a jamais eues notre bon Silène.
Ce dieu possédait un temple à Élis; sa statue y était groupée
avec celle de la déesse de l'ivresse , l'une de ses compagnes
chéries, qui lui versait à boire. Les monuments donnent au
nourricier de Bacchus l'aspect d'un vieillard chauve, court
et replet, à barbe épaisse, au regard vif et malin, tempéré
par une grande expression de bonté, et toute l'apparence
d'un buveur joyeux. Delbare.
SILEIVE {Botanique) , genre de plantes de la famille des
caryophyllées , ayant pour caractères : Calice tubuleux ,
quelquefois veûtru , à cinq dents ; cinq pétales , très-souvent
munis d'appendices en écailles à la base du limbe; dix éta-
mines, trois styles, une capsule à trois loges, s'ouvrant à
.son orifice en cinq ou six valves courtes.
La plupart des espèces de ce genre croissent sur le littoral
de la Méditerranée. L'une des plus belles est le silène à
cinq taches {silène quinque vulnera, L. ), dont les tiges
se divisent, dès leur base , en nombreux rameaux presque
simples , terminés par un long épi de fleurs à peine pédi-
cellées, unilatérales , dont chaque pétale est marqué d'une
grande tache d'un rouge vif, qui ressort, sur son fond blanc,
comme une large goutte de .«ang. Ces taches ont aussi été
comparées à des taches devin, et, suivant Dodart,de là
viendrait ce nom générique de silène, faisant allusion au dieu
des ivrognes.
SiLÉSiE, duché qui faisait autrefois partie de la Bohême.
Au |)oint de vue géographique , on le divise en haute et
basse, et au point de vue politique, en Silésie prussienne
et en Silésie autrichienne.
La Silésie prussienne (orme l'une des huit provinces du
royaume de Prusse, et se compose de l'ancien territoire du
duché prussien de Silésie , y compris le comté de Glatz,
d'une partie de l'ancien cercle de Krossen et de la partie de
la haute Lusace acquise par la Prusse. Elle confine à l'est
à laprovincede Posen.à la Pologne russe et à la Gallicie; à
l'ouest à la Bohême , à la Saxe et au Brandebourg ; au sud à
la Silésie autrichienne, k la Moravie et à la Bohême; au
nord au Brandebourg et au grand-duché de Posen , et sur
SILESIE
205
Fine superficie de 520 myriam. carrés elle comptait àla Cn de
1852 3,173,171 habitants (dont 1,459,000 catholiques et
32,400 juifs). Les habitants sont pour la plus grande partie
(les quatre cinquièmes) Allemands d'origine; le reste est
d'origine slave. Polonais dans la haute Silésie, notamment
sur la rive orientale de l'Oder et dans quelques arrondisse-
ments de la basse Silésie avoisinants , parlant un dialecte
dit polonais aquatique, puis morave dans les cercles de
Ratibor et de Leobschutz, bohème dans quelques colonies,
comme à Oppeln, àWartenberg et Strehlen ainsi que dans
quelques villages voisins du comté de Glatz; enfin, wende
dans les cercles de Rothenbnrg et de Hoycrsv^erda. C'est
dans la haute Silésie que les juifs se trouvent aussi le plus
nombreux , et ils y pratiquent généralement le commerce et
l'industrie cabaretière. La religion catholique domine dans
le comté de Glatz et dans la haute Silésie; la basse Silésie
et la Lusace sont généralement protestantes. La Silésie est
la plus grande province de la monarchie prussienne après la
province de Prusse, la plus peuplée après la province du
Rhin , et la plus importantede toutes les anciennes provinces,
car elle contient près d'un cinquième lie la population totale
du royaume, aux dépenses duquel elle contribue aussi pour
plusd'un cinquième. Elle est d'ailleurs redevable d'une bonne
partie de sa prospérité actuelle à l'administration prussienne.
Le pays est traversé au sud-ouest par une partie des monts
Sudètes et de leurs embranchements dans la direction du
sud au nord, tandis qu'à l'ouest il offre un plateau assez
élevé sans doute, mais sans points culminants ( haute Silésie).
Du côté du Brandebourg et du grand-iluclié de Posen, le
sol est plat,en outre en partie sablonneux ou marécageux,
et cependant parfaitement propre à la culture. Le principal
cours d'eau est l'Oder, qui devient navigable à Ratibor et
traverse la province dans toute sa longueur du sud au nord,
ayant pour affluents à sa droite l'Olsa, la KIodnitz, la Ma-
lapane, la Weida et la Bartsch, à sa gauche l'Oppa, la Zinna,
la Hotzenplotz, la Neisse de Silésie ou de Glatz, l'Ohlau, la
Lolie, la Weistritz et la Katzbach, et recevant encore hors de
la Silésie le Bober réuni au Quels et la Neisse de Lusace.
La Vistule, encore sans impoitance jusque là, baigne la
partie sudest de la Silésie. On compte dans cette province
102 lacs, mais tous peu considérables. En fait de canaux, les
plus importants sont celui de Kloonitz, qui sert aux transports
des produits naturels et fabriqués de la haute Silésie à la
destination de l'Oder, et le canal souterrain de Weisstein,
près de Waldenburg, employépour letransport des houilles.
Le pays est très-riche en sources minérales; les plus re-
nommées sont celles de Warmbrunn et de Salzbrunn , de
Landen, de Reinerz, de Cudowa, de Cliarlottenbrunn et de
Flinsberg.
Le sol est au total fertile et bien cultivé , surtout sur la
rive gauche de l'Oder ou dans la basse Silésie; il l'est moins
sur la rive droite de l'Oder, dans la haute Silésie et dans
les montagnes . On cultive les céréales de toutes espèces,
les plantes oléagineuses, la betterave, le houblon, la vigne
sur quelques points, et surtout le lin et le chanvre. La
cultuie des plantes tinctoriales et celle du tabac y ont pris
une grande extension dans ces derniers temps. Quanta l'élève
du bétail, celledes moutons, dont l'espèceaétésingulièrement
perfectionnée depuis la fin du siècle dernier, est surtout en
voie de progrès. La production de la laine s'élève en
moyenne à 70,000 quintaux par an , et la laine mérinos de
Silésie appartient aux sortes les plus fines. La production
chevaline , quoiqu'elle soit l'objet des soins les plus intelli-
gents , ne suffit pas encore aux besoins du pays. Dans les
contrées fertiles, le paysan jouit d'une grande aisance; mais
là où le sol est plus avare, dans la haute Silésie notamment,
sa condition est encore fort arriérée. Dans les montagnes la
propriété est extrêmement divisée ; la culture s'y pratique
en concurrence avec l'industrie du tissage, mais l'une et
l'autre ne nourrissent que pauvrement ceux qui les prati-
quent. L'exploitation des richesses minérales occupe une
grande place dans l'indu.strie delà Silésie, et de 1837 à 1847
le produit en a presque doublé. Les principaux articles sont
le fer (en 18521a production du fer brut fut de 1,211,244 quin-
taux, représentant une valeur de 6,893,963 fr. 75 c), le
cuivre et le plomb, un peu d'argent, d'arsenic, de calamine et
de zinc, de l'alun, du soufre, de la houilieen beaucoup d'en-
droits (en 1852 la production de cet article a été de 9,745,388
tonnes, représentant une valeur de 9,222,698 fr. 75 c), enfin
diverses pierres de prix (chrysoprase, améthyste et agate),
du marbre (notamment à Prieborn), de la chaux, de la pierre
meulière , de la terre de pipe et de la terre à foulon. Le centre
de la fabrication des toiles est dans les montagnes , et aujour-
d'hui encore la production annuelle en est évaluée à plus de
37 millions de francs par an, dont près de moitié se place à
Schweidnitz ; il y a des fabriques de sucre de betterave et des
raffineries à Breslau et à Hirschberg. On compte dans la pro-
vince plus de quatre-vingts fabriques de papier. Le commerce,
quoique ses relations avec la Pologne et la Russie aient pres-
que complètement cessé, est toujours très-considérable. Il
estfavorisé par la navigabilité de l'Oder, par de bonnes routes
et par trois grandes lignes de chemins de fer avec leurs em-
branchements. L'exportation consiste surtout en laine, toile,
drap et cotonnades, crêpe; les principales places de com-
mercesont Breslau, Gœrlitz, Grunberg, Hirschberg, Lauban,
Liegnitz, Schmiedeberg, Schweidnitz et Waldenburg.
La province est divisée en 3 arrondissements de gouver-
nement : Breslau, Liegnitz et Oppeln, et 57 cercles. Les
cours d'appel de Breslau , de Glogau et de Ralibor rendent
la justice en dernière instance. 11 n'y a pas de province dans
toute la monarchie où la noblesse soit aussi nombreuse.
Sous le rapport ecclésiastique , la population protestante est
divisée en 57 cercles, relevant du consistoire et du surinten-
dant général de Breslau. Les catholiques relèvent de l'évê-
que de Breslau , qui est en même temps prince de Neisse et
comme tel sujet autrichien. Le diocèse est divisé en 10 com-
missariats et 74 décanats. Le comté de Glatz relève de l'arche-
vêché de Prague, et le district de Katscher, en haute Silésie, de
l'archevêché d'Olmutz. Les états provinciaux , qui se réunis-
sent à Breslau, se composent de dix voix viriles appartenant
à la haute noblesse, de trente-six députés de la noblesse, de
trente députés des villes et de dix députés des communes ru-
rales. Eu fait d'établissements scientifiques, la Silésie possède
une université à Breslau, vingt gymnases établis dans les prin-
cipales villes , et un grand nombre d'écoles professionnelles
et industrielles. Le chef-lieu delà province est Breslau.
Silésie autrichienne. On nomme ainsi la partie de la
Silésie qui est restée àl'Autriciie aux termes de la paix d'Hu-
bertsbourg ( 1763). Elle confine à la Silésie prussienne, au
comté de Glatz , à la Moravie , à la Hongrie et à la Gallicie,
et est divisée par l'étroit prolongement de la capitainerie de
Mislick en deux parties, qui formaient autrefois deux cercles
particuliers, celui de Troppau et celui de Teschen, et jus-
qu'en 1849 elle fut placée administrativement sous le môme
gouverneur que la Moravie. Mais la constitution de l'em-
pire du 4 août 1849 a érigé cette contrée en domaine de
la couronne (A'roHZa?îd), sous la dénomination deduché de
la haute et delà basse Silcsie, et après avoir supprimé l'an-
cienne division en cercles, l'a partagée en sept capitaineries
d'arrondissement : Troppau , Freiivaldau , Jxgcrndorf,
Freude.nthal, Teschen , Friedeck et Bielitz. Le domaine
de la couronne {Kronlandja une superficie de 65 myriam.
carrés, et compte 438,536 habitants. Il comprend les duchés
de Troppau et de Jœgerndorf , la principauté de Neisse et les
seigneuries de Freudenthal et d'Olbersdorf , les duchés de
Teschen et de Bielitz, et les seigneuries de Freistadt, de Frie-
deck, d'Oderberg, de Deutscli-Leuthen, de Dombrau et de
Roi. Le pays est traversé au sud-est parles Carpathes (no-
tamment le Lissahora, avec le mont Gigula, haut de 1,433
mètres, et prèsdes sources de la Vistule le groupe du grand
Baranio, haut de 1,192 mètres); à l'exception de quelques
belles vallées et de quelques plaines fertiles (Troppau , Wei-
denau, Skot^;chau), les montagnes qui le parcourent en tous
sens donnent à ses conditions cliraatériques une remarquable
206
SILESTE
salubrité, mais en même temps quelque chose d'âpre et de
sauvage. Comme l'Oder et la Vistuley prennent leur source,
il est ricliement arrosé, tant par ces deux fleuves dans leur
cours supérieur que par leurs nombreux affluents, i'Oppa,
la Mohra, l'Ostra-Witza , lOlza, la Bielau , la Steina et la
Biala. Des forêts couvrent plus d'un tiers du duché. Dans
le ci-devant cercle de ïesclien, la nature pierreuse du
sol en rend la culture pénible et ingrate; mais dans les
parties du pays plus profondes et plus unies, il produit
en abondance des céréales , des légumes et des fruits de
toutes espèces, et la montagne du vin. L'amélioration du
bétail est en voie de rai)ide progrès, et les troupeaux de
moutons notamment ( au nombre de plus de 170,000 têtes )
appartiennent aux plus beaux qu'on puisse rencontrer
dans la monarchie autrichienne. La population a en outre
pour industries la fabrication des fromages (celui de^mwr,
dans les Karpathes, est justement renommé), l'apiculture
et l'exploitation des mines, lesquelles produisent du fer,
delà houille, du plomb , d& l'aoier, du vitriol, de la galène
et tout récemment un peu d'or, à Zuckiuantel. On labrique
aussi des damassés , des (ils retors , des draps et autres
étoffes de laine , des ustensiles en fer et en bois, et des li-
queurs. Les écoles de filature de ïm établies tout récemment
à Domsdorf, à Johannisberg, à Zuckmantel, à Friedberg,
à Freiwaldau, ont singulièrement contribué aux progrès delà
fabrication des toiles. Les produits naturels et industiiels de
ce pays donnent lieu avec la Russie à un' commerce des
plus actifs et qui ne le cède en importance qu'à l'avantageux
commerce de transit et de commision qui s'y fait avec les
vins de l'Autriche et de la Hongrie , les cuirs , le suif, les
graines de lin et les fourrures de Russie, le sel de la
Gallicie , les bestiaux de la Moldavie et les articles de
mode devienne. De bonnes routes favorisent le commerce,
et le chemin de fei' du Nord, (pii traverse le pays à peu près
par sa moitié, le relie immédialement à la Moravie, à la
Gallicie et à la Prusse. Les habitants sont généralement de
race allemande, entremêlés cependant de quelques Slaves
( Gorales , Polacks aquatiques) ; et à l'exception de 50,000
protestants, ils professent le catholicisme. Sous le rapport
ecclésiastique, le pays relève du prince-évêque deBresIau,qui
pour la Silésie autrichienne nomme un vicaire général ré-
sidant à Friedeck, mais qui doit obtenir la confirmation de
l'emperetir d'Autriche. 11 y a pour l'instruction supérieure
des gymnases catholiques à Tesclien et à Troppau , et un
gymnase évangélique à Teschen. Les piaristes ont des écoles
à Altwasser, Frendenthal et Weisswasser. Avant 1849 le
pays avait une constitution représentative, avec des diètes an-
nuelles tenues à Troppau , et une assemblée d'états appelée
Conventus puMicus. L'organisation judiciaire comprend
vint-deux tribunaux d'arrondissement, et deux cours d'appel
siégeant àTroppau et à Teschen. La cour supérieure de Brunn
juge en dernier ressort. Le chef-lieu du pays est T r o p pa u.
HISTOIRE.
La Silésie fut habitée autrefois par les Lygiens et les
Qnades. Lorsque les tribus germaines s'avancèrent plus à
l'ouest , les Slaves les y remplacèrent, et il ne resta de Ger-
mains que dans les montagnes. Les uns veulent que lenom du
pays soit dérivé de Zle , c'est-à-dire mauvais , mot par le-
quel les Polonais désignaient les Quades; et les autres d'une
petite rivière appelée Slewza ou Sleca, et aujourd'hui Laue
ou Lohe. Avant l'époque des guerres des Slaves contre les
Allemands , la Silésie paraît avoir appartenu au royaume de
là Grande-Moravie , puis après sa destruction à la Bohême.
Mais au commencement du dixième siècle elle passa sous
les lois de la Pologne, et reçut alors des ducs particuliers de
la race des Piasts . Miecislas l" y introduisit le christianisme
en 965 , et pour l'y affermir il fonda l'évêché de Schmoger,
transféré plus tard ( 105î ) à Breslau. Placée entie la Polo-
gne et là Bohême, la Silésie fut longtemps sans pouvoir ac-
quérir une indépendance politique , et resta longtemps ex-
posée aux plus horribles dévastations pendant les guerres
que se firent les diverses familles qui se disputaient le trôno
en Pologne. Ce fut seulement à la suite du traité de 1163,
par lequel le roi de Pologne Boleslas IV restitua la Silésie
aux trois fils du duc Ladislas l", mort en 1159, dans l'exil,.
Boleslas, Miecislas et Conrad, que le gouverneur Pierre
Wlast, qui contribua tant à civiliser le pays, parvint à
rendre la Silésie complètement indépendante de la Pologne.
Ces trois frères, quirégnèrent d'abord collectivement, et
qui se partagèrent ensuite le pays, furent la souche des
ducs de Silésie de la race des Piasts. Pour repeupler le
pays, dévasté par les guerres nombreuses dont il avait été
le théâtre, ces ducs attirèrent des colons allemands en
Silésie, dans la basse Silésie surtout; et leurs successaurs ,
qui épousèrent pour la plupart des filles de princes alle-
mands , introduisirent peu à peu les lois et les mœurs alle-
mandes. Les no.nabrcux descendants de Boleslas , de .^îie-
cislas et de Conrad se partagèrent leurs héritages paternels ;
c'est ce qui explique le grand nombre de principautés que
renferme la Silésie. Il y avait en outre, surtout dans la
liante Silésie, des princes d'origine bohème, descendant
d'un fils naturel du roiOttokar, mort en 127s, notamment
les ducs de Troppau, de Jœgerndorf et de Ratibor. Au
commencement du quatorzième siècle , on ne comptait pas
en Silésie moins de dix-sept maisons souveraines, par suite
des partages qui s'étaient successivement opérés dans les,
diverses lignes. Pour ne pas devenir la proie de la Pologne,
les princes de Silésie durent alors invoquer la protection
des rois de Bohême et reconnaître leur droit de suzeraineté.
Le fils du roi Jean de Bohême, l'empereur Charles IV, réu-
nit ia Silésie à la couronne de Bohème, dont elle partagea
dès lors les destinées. Sous la domination bohème les doc-
trines de Jean Huss, de Luther, de Calvin et de Schwenkfeld
s'y propagèrent ; et les partisans des nouvelles doctrines re-
ligieuses y obtinrent en partie le libre exercice de leur
culte. La Silésie eut successivement à souffrir des dévas-
tations auxquelles donnèrent lieu d'abord la guerre des
hussites , puis les expéditions de Georges Podiebrad, et
enfin la guerre de trente ans. La reformation , propagée
par Jean Huss, fut favorisée par les ducs de Silésie; mais
les empereurs autrichiens la combattirent de tout leur
pouvoir dans les contrées relevant directement de leur au^
torite , et |)ersécntèrent les partisans des nouvelles doctrines.
A partir de 18'i8 , on introduisit les jésuites dans le pays , on
ferma, à très peu d'exceptions près, loutesJes églises protes-
tantes^ et on opprima les protestants de toutes les manières.
Ils n'éprouvèrent d'adoucissement à leur position que sous
le règne de l'empereur Joseph 1", aux termes du traité
d'Altranstœdl imposé par Charles XII de Suède. On leur
restitua alors cent-vingt trois églises, on leur accorda le droit
d'en construire sixnouvelles, et ils furentdéclarés aptes à rem-
plir toute espèce de fonctions publiques. Sous le règne de
Charles VI les protestants furent pourtant l'ol^jet de nouvelles
persécutions. La nobesse et les diètes perdirent la meilleure
partie de leurs privilèges; et le pouvoir s'arrogea le droit de
prélever les impôts sans contrôle. Comme le reste des ttats
autricliicns , la Silésie souffrit beaucoup des fautes du gou-
vernement de ce prince. Le mécontentement qui en résulta
parmi les populations favoiisa singulièrement les projets de
conquête que Frédéric, à l'avènement au trône de Marie-
Thérèse, en 1740 , conçut à l'égard de la Silésie, et qu'il
basa sur de prétendus droits d'hérédité : projets dont la mis«
à exécution donna lieu aux guerres désignées dans l'histoire
sous le nom de guerres de Silésie.
La première de ces guerres commença , sans déclaration
préalable , à la (in de décembre 1740, et se termina, le 11
juin 1742, parla paix de Breslau, aux termes de laquelle
l'Autriche dut céder à la Prusse la haute et la basse Silésie
avec le comté de Glatz , à l'exception de Troppau , de
Jaegerndorf et du territoire situé au delà I'Oppa. La seconde
guerre de Silésie eut pour origine les inquiétudes que fit
éprouver à Fiédéric II pour la conservation de sa conquête
l'altitude menaçante prise de nouveau par l'Autriche; et au
SILESIE —
mois d'août 1744 le roi de Prusse envahit la Bohême à la
léle d'une armée de 80,000 hommes. Quelques semaines
lui suftirent pour s'emparer de toute celte contrée, où les
Autrichiens n'étaient point en forces; et le 16 septembre,
après un siège de quelques jours, il entrait à Prague et oc-
cupait ensuite Tabor, IJudweiss et Frauenberg , d'où il me-
naçait l'archiduclié d'Autriche. Mais à ce moment l'appa-
rition sur les derrières de son armée d'un corps autrichien
qui avait battu en retraite avec autant d'hahileté que de
bonheur depuis l'Alsace jusqu'en Bolièuie , la nouvelle prise
d'armes de la Hongrie pour défendre les droits de sa. sou-
veraine , les dispositions hostiles des populations à l'égard
des Prussiens , et l'arrivée d'une armée auxiliaire saxonne
ne tardèrent pasà placer le roi de Prusse dans une posilion
tellement critique qu'illui fallut évacuer PraguoetlaBobème.
Les Autrichiens se mirent à sa poursuite et occupèrent bientôt
la haute Silésie et le comté de Glatz ; mais rapproche du
prince Léopold d'Anhalt-Dessau et du général ISassau, et la
pertede deux batailles qu'ils livrèrent successivement, l'une
à Ratibor, où ils furent battus par le général Nassau, et l'autre,
le 15 février 1745, à Habelschwerdt , où ils furent mis en
déroute par le général Lehwald, les contraignit à revenir
prendre position en Moravie. Toutefois, ils rentrèrent en Si-
lésie dès que leur armée eut recules renforts qui lui étaient
nécessaires. Après une longue série de marches et de contre-
marches inutiles, les deux armées se trouvèrent enfin en pré-
sence, le 4 juin, à Hohenfriedberg.nonloin de Striegaii.
Dans labataillequi s'engagea immédiatement, 1^ Autrichiens,
commandés par le prince de Lorraine, avaient en ligne
96,000 hommes , tandis que Frédéric n'avait que 70,000
hommes effectifs à leur opposer. Les Saxons , laissés sans
secours par les Autrichiens, furent tout d'abord écrasés;
après quoi, sans donner à l'ennemi le temps de se recon-
naître , Frédéric II attaqua vigoureusement le prince Char^
les lui-même; et il remporta une victoire si complète; que
les confédérés durent se replier sur la Boliême avec une perte
de 4,000 morts, et en laissant entre ses mains 7,000 pri-
sonniers avec 70 drapeaux. Le roi de Prusse battit encore
à Sorr, le 30 septembre, l'armée autrichienne, forte de 40,000
hommes et commandée par le prince Charles de Lorraine ,
dont la pertes'élevaà 4,000 morts, 2,000 prisonniers, 22 pièces
de canon et 12 drapeaux. Celle du roi de Prusse n'alla pas
au delà de 3,000 hommes. Une troisième victoire , rempor-
tée le 15 décembre à Kesselsdorf sur les Saxons par le
prince d'Anhalt , qui lui fit éprouver une perte de 3,000
hommes tués, de 7,700 prisonniers et de 48 bouches à feu,
amena, sous la médiation du roi d'Angletetre Georges II,
un traité conclu à Dresde, le 23 décembre 1745 , entre la
Saxe, l'Autriche et la Prusse. Ce traité confirma à Frédéric II
la possession de la Silésie aux conditions déjà stipulées dans
le traité de Breslau, et mit un terme à la seconde guerre
de Silésie. Pour les détails de la troisième, voyez Sept Ans
(Guerre de).
SILEX, mot latin qui signifie caillou; c'est le nom
donné à despierres qui sont entièrement formées de silice,
et qui font partie du genre quartz des minéralogistes.
Les silex sont de couleurs moins vives et moins translucides
que les chalcédoities . Leur cassure est terne.
ht silex pyromaque (ou pierre à fusil) a une cassure
conchoidale et légèrement luisante. 11 est divisible en frag-
ments à bords tranchants, qui, frappés par l'acier, en font
jaillir de vives étincelles. Il est communément noir, grisâtre
ou de couleur blonde. On le trouve en rognons de diverses
grosseurs , placés les uns à côté des autres, et formant des
espèces de cordons ou de lits interrompus au milieu de la
craie.
Le silex corné (ou pierre de corne infusible), qu'on
trouve pareillement eu rognons dans des calcaires com-
pactes de différents âges, est opaque. Sa cassure, presque
plate, a un éclat semblable à celui de la corne.
Une autre variété de silex est le silex molaire, plus connu
dans les arts sous le nom de pi erre meulière.
SILIQUE 207
SILHOUETTE, espècededessin représentant un profil
tracé autour de l'ombre d'un visage. Son nom lui vient d'un
contrôleur général des finances sous Louis XV. « La célé-
brité de Silhouette, monté à cette place avec la plus haute
réputation, dit Mercier {Tableau de Paris), tomba précipi-
tamment. Dès lors tout parut à la Silhouette; et l'homme
déchu ne tarda point à devenir ridicule. Les modes portè-
rent à dessein une empreinte de sécheresse et de mesquinerie ;
les surtouts n'avaient point de plis; les culottes, point
de poche, etc. Les portraits, dits à la Silhouette, furent
des visages tirés de profil sur du papier noir, d'après l'ombre
de la chandelle, sur une feuille de papier blanc. »
Etienne de Silhouette, né à Limoges, en 17D9, s'était
préparé à la carrière adunnistrative par l'étude et les voya-
ges. Conseiller au parlement de Metz , puis maître des
requêtes à Paris , traducteur de quelques ouvrages anglais,
secrétaire, et plus tard chancelier du duc d'Oriéans, fils du
régent , enfin commissaire du roi près la compagnie des
Indes, il dut à M""*^ de Pompadour son avènement au mims-
tère, en I7j7. On' applaudit d'abord à ses réformes, qui
produisirent 72 millions à l'État ; mais les économies qu'il
proposa sur les dépenses personnelles du roi et des minis-
tres lui firent force ennemis en cour, et son projet d'édit
de subvention, qui créait plusieurs impositions nouvelles,
souleva l'opinion pubhquecontre lui, elle renversa après une
administration de huit mois. 11 mourut en 1767, dans sa
terre de Brie-sur-Marne.
SILL\QUE. Voyez Colon.
SILICATE, sel résultant de la combinaison de l'acide
silioique et d'une hase. Les silicates, excepté ceux de potasse
et desoude, sont insolubles. Les principaux silicates naturels
sont le feldspath, V albit CyV écuvie de mer , etc.
« Ce groupe de composés , dit M. Deiafosse , est certaine-
ment le plus important de toute la minéralogie, carie nombre
des espèces qu'il compremi forme à peu près les deux cin-
quièmes du règne minéral tout entier, et, de tous les éléments
immédiats des substances qui composent l'écorce terrestre,
la silice est celui qui a joué le rôle le plus considérable et
le plus universel. »
SILICE, ONyde de silicium. La silice, connue de toute
antiquité, fut regardée comme un corps simple jusqu'à la
découverte dupotassiumetdusodium:elle était ajipelée
terre vitrifiable, parce qu'elle entre dans la composition du
verre. Le nom de si lice lai vient du si l ex, d&ns lequel elle
se trouve en abondance. La silice est blanche, rude au tou-
cher, infusible, sans action sur les fluides impondérables. Son
poids spécifique est de 2,66 ; elle est très-répandue dans la
nature. Suivant Berzelius, elle se compose de tOO parties de
sihciumetde 107,98 d'oxygène. Le quartz n'est presque
que de la silice pure.Lecrisîal déroche paraît môme ne ren-
fermer que de l'oxyde de silicium : le sable et le silex en
contiennent les 0,99 de leur poids. La silice existe en dis-
solution dans quelques eaux. Neutre dans la plupart des
végétaux, elle fait partie de toutes les terres cultivées ; en
un mot , elle paraît constituer la majeure partie de la surface
du globe. Elle sert à un grand nombre d'usages, et surtout
au moulage, à la verrerie, aux ciments, aux poteries, etc.
SïLÎCIQUE (Acide), corps solide, insipide, inodore,
qui, préparé artificiellement, se présente sous la forme d'une
poudre fine et légère, semblable à de la farine, douce au tou-
cher et incristallisable. Il est composé de trois équivalents
d'oxygène pour un de si 1 i ci u m ; sa densité est 2,66. L'acide
silicique n'est fusible qu'au moyen du chalumeau.
SILICIUM. Ce métal, qui n'a encore été trouvé qu'uni
à l'oxygène, et qui forme dans cet état de combinaison
la silice, s'obtient par la combustion du potassium dans
des vapeurs de chlorure de silicium ;c'est à Berzelius qu'on
en doit la découverte. Le silicium est d'un brun de noisette
sombre, sans aucun éclat métallique : il ternit et attaque
fortement les vaisseaux de verre dans lesquels on le garde.
SILICULE. Voyez Siliqle.
SlHQUE,fruitcapsulaire bivalve, dont l'intérieur est
208 SILIQUE — SILIUS ITALICUS
partagé endeuxloges distinctes par une cloison longitudinale.
Dans chacune de ces loges, les graines sont attachées le
long des deux sutures. La silique est allongée ; si sa lon-
gueur égale au plus trois ou quatre fois sa largeur, elle prend
le nom de silicide. Les fruits de l'arbre de Judée sont des
siliques; ceux des crucifères sont tantôt des siliques,
tantôt des silicnles.
SILIS. Voyez Iaxartes.
SILISTRIA , ville forte et chef-lieu d'un eyalet turc,
qui comprend la Boulgarie orientale , sur la rive droite du
Danube , en face du bourg valaque de Kalarasch, à 10
myriam. au nord de Schunila, autrefois centre d'un com-
merce florissant, avec 20,000 habitants , et aujourd'hui mi-
sérable bourgade, mais à laquelle sa position et ses fortifi-
cations donnent une haute importance, et qui à cause de cela
a été dans toutes les guerres avec les Russes le théâtre d'opé-
rations décisives. Dès l'an 97 1 l'empereur byzantin Zimiscès y
battait les Russes commandés par Swiœtoslaff. Cette ville
fut brûlée par les Turcs en 1 595, et par Radoul-Weyda en
1603. Les Russes commandés par Romanzof furent repous-
sés dans un assaut qu'ils tentèrent, le 10 juin 1773, contre
cette place, que défendait Osman-Pacha. Le 22 juillet 1773
les Russes, aux ordres du général Weissman, qui périt dans
l'affaire , remportèrent, à 14 kilomètres au sud-est de Silis-
tria, au village de Koutschouk-Kaïnardschi, sur les Turcs
commandés par?\^ouman-Pacha une victoire suivie un an après
du célèbre traité de paix de Koutschouk-Kaïnardschi entre
!a Russie et la Porte Ottomane. Le 22 octobre 1809 les
Russes essuyèrent une déroute auprès du village de Tata-
ritza, situé à peu de distance à l'ouest de Silistria. En 1810
ils investirent de nouveau Silistria sous les ordres du gé-
néral Langerpn, qui fit capituler la place, le 11 juin. Dans
la campagne de 1828, Silistria fut assiégée du 21 juillet au
15 septembre parles Russes aux ordres du général Roth,
puis jusqu'au 10 novembre par Langeron et Willgenstein.
L'année suivante, il y eut un nouveau siège, qui dura du 17
mai au 5 juin, sous les ordres du général Schiller, appuyé
par la présence de l'armée de Diebitsch , puis sous les ordres
du général Krassolfski, à qui Hadji-Achmet-Pacha rendit
la place par capitulation, le 30 juin 1829, quinze jours
après la déroute essuyée à Koulefftscha par l'armée turque
venue à son secours. Après le payement de l'indemnité de
guerre imposée à la Porte, les Russes évacuèrent Silistria,
le 11 septembre 1830. Les ouvrages de défense se trouvaient
alors comme auparavant en fort mauvais état. C'est en 1849
que ce bourg fut érigé en place forte de premier ordre, et
le système de défense en fut encore agrandi au début du
conflit russo-turc de 1853 par la construction de douze forts
détachés , tant grands que petits , dont le plus important est
celui d'Abd-ul-Meschid. Comme en 1829, le siège de Silistria
futaussi, en 1854, la première opération qu'entreprit lagrande
armée russe quand elle eut franchi le Danube, afin de se
donner par la prise de cette place une base d'opérations et de
marcher en toute sécurité contre l'armée turque du Balkan ;
mais cette fois la garnison, forte de 15,000 hommes, et com-
mandée par Mussa-Pacha , opposa la résistance la plus
acharnée et la plus heureuse. Dès le 14 avril les Russes aux
ordres du général Schilder lancèrent de Kaiaradsch quelques
bombes dans la place, mais sans parvenir à lui faire grand
dommage. Après s'être emparé des îles d'Olbina et de Tar-
baneki-Rakinski dans le Danube, ils commencèrent à canon-
ner la citadelle de Silistria avec des batteries de pièces de
gros calibre établies sur le rivage et à la tôte de pont. Ce
nouvel effort étantégalement demeuré infructueux, les Russes
durent se décider à entreprendre le siège régulier de la place ;
et les travaux en furent commencés, sous le commandement
supérieur du général Schilder et du maréchal Paskéwitsch,
par le corps d'armée fort de 32,000 hommes aux ordres du
général Luders, sur la rive droite du Danube. Des pluies,
des inondations, quelques opérations marquées par trop de
précipitation, et qui avaient peut-être leur excuse dans des
considérations politiques , la résistance opiniâtre des Turcs,
les vives et fréquentes sorties des assiégés , empêchèrent la
coHlinuation des travaux ; et les Russes durent lever le
siège avec des pertes considérables, essuyées surtout dans
trois inutiles attaques tentées dans la nuit du 29 mai , dans
celle du 6 et celle du 9 juin contre le fort d'Abd-ul-Mes-
chid, protégé par 60 bouches à feu et une triple muraille.
Blessé dans la dernière de ces attaques, Paskéwitsch
avait di^ remettre, le 11 juin, la direction du siège au prince
Gortschakoff , et se retirer à Jassy. Dans une vigoureuse
sortie, exécutée par les assiégés le 13, Schilder eut la jambe
emportée, et il mourut peu de temps après, des suites de
cette blessure. Découragés et décimés, les Russes levèrent
alors le siège, et se retirèrent sur la rive gauche du Danube;
ce qui décida surtout leur mouvement de retraite, c'est que
déjà Omer-Pacha avait quitté Schumla, et que les Françaij
avec les Anglais étaient partis de Varna pour venir au se-
cours de la place.
SILIUS ITALICUS (Caïus), que les uns, à cause du
second de ces noms, ont fait naître à Italica,en Espagne,
et les autres à Corfinium , dans l'Abruzze , naquit à Rome,
l'an 25 après J.-C, sous le règne de Tibère, d'une famille
plébéienne, mais illustre. Après avoir rempli les fonctions
qui conduisaient au consulat, il fut revêtu sous Néron
de cette haute magistrature. Arriver sous Néron à cette
dignité suprême, c'élait paraître la tenir seulement de la
honteuse faveur du prince; aussi notre poète passa-t-il pour
l'avoir achetée par l'infâme métier de délateur. Mais la ma-
nière honorable dont Silius remplit cette cliarge, l'intégrité
de son gouvernement dans une des plus riches provinces de
l'empire, sa retraite volontaire et laborieuse après l'éclat de
son administration proconsulaire, une longue pratique des
vertus publiques et privées , prouvent bien moins un tardif
repentir et le besoin d'expier de grandes fautes que le
calme d'une âme qui n'a rien à se reprocher. Silius était
consul l'année de la mort de Néron (68). Après quelques
années d'un loisir consacré à l'étude , il fut , sous le règne
de Vespasien, envoyé comme proconsul dans l'Asie Mi-
neure, où il acquit, selon le témoignage de ses contempo-
rains , une gloire alors difficile, etdes richesses qui devaient
lui permettre de s'abandonner librement et sans partage à
ses goûts littéraires. De retour à Rome , où les commence-
ments du règne de Domitien semblaient promettre une
continuation de celui de Titus, Silius fut recherché par
le nouvel empereur, et l'on prétend qu'il fut sous ce prince
consul une seconde et même une troisième fois. Quoi qu'il
en soit , il ne tarda pas à s'éloigner des affaires publiques,
et se livra exclusivement à la culture des lettres. Bien qu'il
eût cessé d'être puissant, de nombreux clients se pressaient
encore à sa porte. Cet empressement finit par le fatiguer.
Prenant conseil des années , dit Pline, il quitta Rome pour
n'y plus revenir. 11 choisit dans la Campanie une retraite,
dont l'avènement même de Trajan au trône impérial ne put
le faire sortir. Silius rassembla dans ce séjour toutes sortes
de choses rares et belles; il en était fort curieux, et pous-
sait cette passion , à la fois changeante et insatiable , jusqu'à
s'attirer des railleries. Il paraît avoir consacré à la poésie
les dernières années de sa vie. Cicéron avait été son modèle
dans la carrière de l'éloquence; Virgile fut alors le poète
préféré sur lequel il forma, un peu tard, son talent. Sa pré-
dilection pour ces deux grands écrivains le porta même à
acheter les deux maisons de campagne illustrées par leur
séjour; ce qui, a-t-on dit, était plus facile que de leur
ressembler. Dans la campagne de Virgile, près de Naples,
était son tombeau , devenu , avant que Sihus en fit sa pro-
priété, celle d'un paysan. Silius y faisait de fréquentes vi-
sites, ne s'en approchait que comme d'un temple, et cé-
lébrait chaque année, avec plus de solennité que le sien
propre, le jour natal du poète, dont il prétendait s'inspirer.
Ce lut dans cet asile silencieux, et près de ce tombeau,
qu'il composa un poème en dix-sept-chantssur la seconde
guerre punique, le seul de ses ouvrages, nombreux sans
doute , qui soit parvenu jusqu'à nous. Il y vécut Iteureux.
SILIUS ITALICUS — SILURIENS
jusqu'au dernier jour, n'ayanl éprouvé que le cliagrin de
perdre le plus jeune de ses fils , et laissant l'aîné en pos-
session du consulat. Attaqué, à l'âge de soixante-quinze
209
ans, d'un mal déclaré incurable, et ne voulant pas sup-
porter plus longtemps la sourfrancc , il se laissa mourir
d'inanition, l'an de J.-C. 100, sous le règne de Trajan.
Silius laissa en mourant la réputation d'un grand orateur
et d'un grand poëte, Martial, qui le cite souvent dans ses
vers, le compare, l'égale même à Cicéron et à Virgile, et
promet l'immortalité à ses ouvrages, qu'il appelle vraiment
romains. En dépit des promesses de Martial, Silius tomba
bientôt dans l'oubli. Aucun grammairien ancien n'en fait
mention, et pendant treize siècles aucun auteur ne le con-
nut, ou du moins ne le cita, que Sidoine Apollinaire.
Oa le crut perdu à jamais. Enfin, dans le quinzième siècle,
Pog<;e, qui rendit au monde savant Quintillien, Lucrèce,
quelques traités de Cicéron , etc., découvrit, pendant la te-
nue du concile de Constance , à quelques lieues de cette
ville, non dans une bibliothèque, comme on l'a dit, mais
dans un sale et obscur réduit, dans la prison souterraine
d'une vieille tour du monastère de Saint-Gall, un manuscrit
du poëme de Silius. Ce poème atteste une grande érudi-
tion, qui en est le principal mérite, mais qui lui a servi à
déguiser partout la sécheresse de son imagination. Son ou-
vrage , plein de faits omis par Tite Live , abonde en détails
sur l'histoire et les coutumes des peuples, sur leurs fables,
8ur l'origine et la situation de leurs villes ; détails que l'on
ne trouve dans aucun autre écrivain latin. Ce n'est certes pas
louer un poêle que de vanter seulement son savoir et sa fi-
délité historique, et Silius ne mérite guère d'autre éloge.
T. Baudement.
SILJAN ( Lac de). Voyez Dalelf.
SILLAGE , trace que le vaisseau laisse derrière lui sur
la surface des eaux. A mesure que le vaisseau avance, les
«au\ se séparent à droite et à gauche pour lui livrer passagf;
ensuite, elles se rejoignent en tourbillonnant et laissent pa-
raître au point de leur jonction une sorte de sillon, qui a
valu à la ligne qu'elles portent ce nom de sillage. Comme
le sillage indique la vraie ligne qu'a suivie le vaisseau , on
s'en sert utilement pour déterminer la dérive du navire.
Pour cela, on place à l'arrière du bâtiment un demi-cercle,
dont la ligne du milieu représente la direction de la quille;
les divisions du demi-cercle donnent l'angle que fait la route
réelle du vaisseau, ou son sillage, avec la quille, et par con-
séquent l'angle de la dérive.
Si^/ug'e se dit aussi, mais improprement, de la vitesse
du vaisseau; de là les expressions de bon sillage, grand
sillage, doubler le sillage d'un navire, c'est-à-dire faire
le double de chemin.
SILLERY (Nicolas BRULART, seigneur de), chancelier
de France sous Henri IV, né en 1551 , mort en 1624, fut
d'abord nommé conseiller au parlement, en 1573, puis maî-
tre des requêtes. On le chargea ensuite à diverses reprises
de négociations diplomatiques en Suisse, notamment en
1589, 1595 et en 1602. Nommé président à mortier en 1595,
il fut en 1598 l'un des négociateurs du traité de paix de
Vervins. L'année suivante, ce fut à lui que Henri IV confia
le soin d'aller négocier en cour de Rome l'annulation de sou
mariage avec Marguerite de Valois, afin d'être libre d'en
contracter un nouveau avec Marie de Medicis. Après la mort
de Pomponne de Bellièvre, Sillery le remplaça en qualité de
chancelier de France, en 1607. Une fois que Henri IV eut
été assassiné par Ravaillac, il n'eut que peu d'influence et
tomba bientôt endisgrâce. On lui enleva les sceaux en 1610;
et si on les lui rendit en 1623, ce fut pour un an à peine.
Il les remit en janvier 1624 ; et au bout de quelque temps il
se vit exiler dans sa terre de Sillery, où il mourut, six mois
après.
SILLON (du latin sulcus ) , longue trace que le soc , le
coutre de la charrue fait dans la terre qu'eu laboure ( voyez
Labour ).
5ILLY ou SCILLY (Iles), Voyez Sorli.ncues.
IMCT. bE LA CONVEUS. — T. XVI.
SILO, mot d'origine espagnole, qui sert à désigner une
cavité souterraine dans laquelle on dépose les grains pour
les conserver. On doit les en user dans un terrain sec , qne
les pluies ne pénètrent point, et dont la température ne va-
rie pas; en sorte que, suivant les lieux , on s'enfonce plus
ou moins au-dessous de la surface avant de faire l'excava-
tion où les grains seront placés. On ne les met point en
contact avec les parois : on interpose partout une couche
de paille bien sèche. La conservation des dépôts confiés
aux silos dépend surtout du choix du terrain; s'il u'él.iit pas
assez sec, la paille ne pourrait empèrher que riniiiiiiiitc n'at-
teignît le grain , et l'altération serait immmente. Lor-qii'il
s'agit d'approvisionnements considérables et destines à une
conservation prolongée, des, silos, revêtus intérieurement
d'une maçonnerie faite avec soin et placés sous un toit,
forment le meilleur et le moins dispendieux de tous les gre-
niers d'abondance. En démolissant de vieux édifices à
Metz, on a trouvé un caveau rempli de grains depuis plu-
sieurs siècles, comme une inscrii)tion l'attestait; et de ce
blé, d'une ancienneté aussi reculée, on fit du pain qu'on
ne pouvait distinguer de celui qu'avait fourni le blé le plus
récent.
Il est vraisemblable que les silos ne furent à leur ori-
gine que des précautions prises contre le pillage, et qu'il
fallut beaucoup de temps pour que leur propriété conserva-
trice fût bien connue. 11 i)arait que les côtes africaines de
la Méditerranée ne jouirent jamais d'une paix assez dura-
ble pour que les cultivateurs pussent renoncer à l'usage des
silos. Lorsque les Maures passèrent en Espagne, ils y trans-
portèrent leurs méthodes de culture, et les silos se propa-
gèrent dans toute la Péninsule, mais ils ne franchirent point
les hautes Pyrénées; les Basques seuls les adoptèrent, et
nous en ont transmis la connaissance et le nom. Au com-
mencement de ce siècle, Ternaux fit de généreux efforts
pour attirer l'attention des agronomes et des administrateurs
sur ce moyen de remédier à l'irrégularité du produit des
moissons; des expériences eurent lieu à Saint-Ouen ; des
juges compétents constatèrent les résultats, les journaux
les publièrent; ils occupèrent la place qui leur appartient
dans les écrits sur l'agriculture : on sut ce qu'il fallait faire,
et on ne le fit point. En ce qui concerne les grains et leur
conservation, les usages sont demeurés tels que si Ton n'avait
rien appris de nouveau : nous sommes donc réiluit à ex-
primer pour ces améliorations des vœux dont la généra-
tion actuelle ne verra pas l'accomplissement. L'exemple de
l'Espagne est perdu pour le reste de l'Europe; celui de la
Hongrie , où les silos sont en usage, n'a pas obtenu (ilus de
crédit. Fehky.
SILODURE. Voyez Druides.
SILURES (Les), ancien peuple de la Bretagne Deuxième,
dont le territoire était situé au sud-ouest, près de l'embou-
chure de la Sevefn. Il parait, d'après les rapports des anciens
historiens, queles traditions de ce peuple le taisaient ori;;inaire
de la Cantabrie. Vaincus par Osterius, qui fit prisonnier leur
roi ou chef, appelé Caractacus,et qui l'envoya chargé
de chaînes à Rome pour que Claude décidât de son sort,
les Silures reprirent quelque temps après leur revanche,
taillèrent en pièces deux cohortes romaines, et provoquèrent
contre les Romains une insurrection générale des popida-
tions bretonnes, à laquelle Frontinus réussit seul à mettre
un terme, bien après le règne de Vespasien.
SILURIENS (Terrains). Murchison a appelé ainsi , du
nom d'une petite peuplade celtique qui habitait le pays de
Galles, les Si /m /• es, un système de terrains très-développé
en Angleterre et qui fait partie des anciens terrains de
transition. Cette formation est au nombre des plus anciennes
formations sédimentaires clairement indiquées de l'écorce
terrestre; elle est surtout caractérisée par des graptofithes
et par certaines espèces d'orthocératites et de trilobites. Les
débris d'animaux rayonnants y font presque complètement
défaut. Une fois qu'on eut reconnu en Angleterre que ces
terrains constituaient une formation particulière et que Mur-
14
210
SILURIENS — SILVESTRE
chison l'eut décrite dans son grand ouvrage intitulé : The Si-
lurian System (Londres, 1840), on ne tarda point à re-
connaître qu'elle était aussi fort répandue en Amérique et
en Scandinavie. En Allemagne , elle est très-fréquente aux
environs ^de Prague.
SILVÈRE, quarantième pape, était (ils du pape Hormis-
das. Il fut mis en possession du saint-siège Tan 530, sans
la participation du peuple et du clergé, par la politique du
roi des Goths Théodat , qui , traqué par les armées de Béli-
saire, voulut donner aux Romains un pontife dont la (idé-
lité ne lui fût pas suspecte. Mais il avait mol choisi son
pape, car, à peine coiffé de la tiare, Silvère livra la ville à
iJélisaire. Cette ingratitude envers son bienfaiteur ne tarda
pas à être punie par ceux-là même qui en avaient profité. L'im-
pératrice Tliéodora , qui gouvernait Justinien et l'empire,
avait promis le siège de Rome à un prêtre consulaire nom-
mé Vigile. Elle chargea Bélisaire, et surtout l'intrigante
Antonine, femme de ce héros et plus puissante que lui, d'in-
venter contre Silvère quelque accusation qui permît de le
dépouiller de la tiare pour la conférer à Vigile. Silvère fut
donc accusé de correspondance illicite avec le roi des Goths
Vitigès. Mandé chez Bélisaire pour donner des explications,
Silvère s'y rendit avec une suite nombreuse; mais les prê-
tres qui l'accompagnaient ne purent franchir, les uns l'entrée
du palais, les autres l'antichambre d'Antonine, qui était
encore au lit , et qui reçut le pape ilu haut de cette espèce
de trône, au pied duquel Bélisaire était assis. Antonine lui
reprocha sa trahison prétendue, lui demanda ce que lui
avaient fait Justinien et son lieutenant, pour qu'il voulût
les livrer ainsi à des barbares. Silvère n'eut pas le temps da
répondre à cette calomnie : un sous-diacre entra brusque-
ment dans la chambre, arracha le manteau du pape, le dé-
pouilla de tous les insignes de la papauté, et le revêtit d'un
habit de moine. Un autre sous-diacre parut en môme temps
à la porte , criant aux prêtres qui étaient restés en dehors :
« Nous n'avons plus de pape; il est déposé et condamné à
faire pénitence dans un monastère. » Tous ces prêtres s'en-
fuirent épouvantés ; mais Bélisaire en ramassa quelque-uns,
dont il composa un simulacre de synode, et la pluralité de
cesToix tremblantes prononça la vacance du saint-siège. Ce
môme synode eut toutefois le courage de repousser l'élec-
tion de Vigile ; mais Antonine se moqua de cette velléité
de résistance. L'impératrice avait prêté sept cents pièces
d'or, et voulait en être remboursée sur le trésor du pape;
et Vigile fut mis de force à la place de Silvère. Le malheu-
reux pontife fut livré à ce rival indigne, qui le relégua sur-le-
champ dans la ville de Patare, en Lycie ; mais l'évêque de
ce siège le reçut comme un martyr, et forma le noble des-
sein de lui rendre la tiare. Il alla à Constantinople, et dé-
fendit la cause de l'exilé devant Justinien , qui ordonna
sur-le-champ le renvoi de Silvère à Rome, pour que son
affaire y fût examinée- de nouveau. La lière Théodora ne
permit point l'exécution de cet ordre impérial; et Vigile ,
instruit des démarches de l'évêque de Patare, signifia de
sou côté à Bélisaire que si le pape Silvère n'était pas remis
dans ses mains, il ne compterait pas les sommes qu'il avait
promises. Théodora, plus puissante que son imbécile époux,
tït livrer le malheureux pontife aux satellites de Vigile, qui
le fit jeter avec deux bourreaux dans Tlle Palmaria. Ces
misérables exécutèrent promplement leur mission secrète,
en le faisant mourir de faim , et ses tortures finirent avec
sa vie, le 20 juillet 538, après un an d'exil et un pontificat
de deux années. Viennet, de l'Académie Française.
SILVESTRE. On compte deux papes et un anti-pape
de ce nom.
SILVESTRE I" était on Romain, fils de Rufin et d'une
dévote, nommée Juste, qui à la mort de son mari remit
Bon fils entre les mains d'un prêtre appelé Curinus. H
passa par tous les degrés, reçut l'ordre de la prêtrise du
pape saint Marcellin, vers 303, et fut élu enfin pour succéder
au pape Melchiades, le 31 janvier 314. C'était le trente-
quatrième évèque de Rome ; et à son avènement l'Église
était encore troublée par le schisme des d onati s t es . Cons-
tantin le termina par ses éditset par l'exil ou la déposition
des donatistes. Un schisme plus dangereux s'éleva dans la
cJM-étienté. Arius se jeta dans l'hérésie ; et Silvestre envoya
deux prêtres au concile de Nicée chargé de le juger, avec
ordre de consentir à toutes ses décisions. Ce pape lui-
même fut obligé de se défendre devant Constantin d'une
accusation calomnieuse que des misérables avaient portée
contre lui ; et ce fait est présenté comme exemple au pape
Damase, par les Pères d'un concile tenu à Rome en 378.
Ajoutons que pendant un pontificat de vingt-et-un ans et
onze mois , et malgré la protection du puissant Constantin,
Silvestre éleva moins de prétentions que n'avait fait le pape
Victor deux siècles avant lui. Ce vénérable pontife mourut
le 31 décembre 333, et fut enterrédans le cimetière de Pris-
cille, à quelques kilomètres de Rome.
SILVESTRE II, cent quarante-cinquième pape, était un
Auvergnat, d'une origine fort obcure, dont le véritable nom
était Gerbert , et que les moines de Saint'Géraud avaient
élevé à Auriliac. 11 s'est trouvé cependant un généalogiste
assez impertinent pour le faire descendre d'un roi d'Argos,
descendant lui-môme d'Hercule et de Jupiter. Envoyé
ensuite par les moines d'Aurillac auprès du comte de Barce-
lonne, celui-ci le confia aux soins d'un évoque , nommé
Haïton. Gerbert y étudia les mathématiques, et trouva des
maîtres encore plus habiles dans les docteurs arabes qu'il
fréquentait en Espagne. Le comte et l'évêque l'emmenè-
rent à Rome, vers l'an 982, sous le pontificat de Benoît VII,
.\dalbéron, archevêque de Reims, le prit alors dans son dio-
cèse, puis le conduisit en Italie, l'année suivante, heureuse-
ment pour sa fortune. Ollion II était alors à Pavie; il reconnut
le mérite de Gerbert, lui confia l'éducation du jeune Otlion,
son fils, dont Gerbert n'abandonna pas non plus la cause,
lorsque le duc de liavière Henri, à la mort d'Olhon II, lui
disputa la couronne impériale. Gerbert, réfugié auprès d'A-
dalbert, ne cessa, au contraire, d'écrire à tous les évoques
d'Allemagne pour soutenir son royal élève, pendant qu'il
surveillait d'un autre côté l'éducation du jeune Robert de
France, que Hugues Capet lui avait envoyé. Son ardeur
pour l'étude des sciences ne se ralentissait point au milieu
de tous ces embarras. Il achetait des livres de toutes parts,
les rassemblait en corps de bibliothèque, et composait lui-
même un livre de rhétorique. A la mort d'Adalbéron, Ar-
noul, frère naturel du duc de Lorraine, futappelé à le rem-
placer sur le siège de Reims. Mais le nouvel archevêque
ayant trahi Hugues Capet, son bienfaiteur, et livré la ville
à son frère, le roi de France sollicita sa déposition du sou-
verain pontife, et fit élire Gerbert au siège de Reims. Le
pape, dirigé par le tyran Crescenti us, cassa cette élection;
toutefois, il rencontra un vigoureux adversaire dans le plus
savant des hommes de cette époque. Un concile s'étant as-
semblé à Mouzon , le 2 juin 996, pour juger ce différend ,
Gerbert y défendit sa cause avec une éloquence qui aurait
dû triompher de l'obstination de Rome. Mais les légats de
Grégoire V l'emportèrent ; et il fut déposé par le concile
de Reims, qui suivit de près celui de Mouzon. Il se retira
alors à la cour d'Othon III, à Magdebourg, et c'est là qu'il
inventa les horloges à ressort, qui le firent accuser de sor-
cellerie par d'imbéciles superstitieux. Celte accusation ne
l'empêcha pointd'être pourvu de l'archevêché de Ravenne par
l'empereur et par le pape, qui l'avait dépouillé de celui de
Reims. Gerbert succéda enfin à Grégoire V par la faveur
d'Othon 111, et prit le nom de Silvestrell. Bon nombre de
choniqueurs contemporains parlent sérieusement de ses
sortilèges, de ses entretiens avec le diable, par l'intermé-
diaire d'une tête d'airain , dont il avait en effet inventé le
mécanisme, et qui articulait quelques paroles. Son savoir,
sa vertu et sa profonde politique firent toute sa magie. Ses
éminentes qualités n'altérèrent point cependant l'audace de
quelques brouillons, qui, en l'absence de l'empereur, se ré-
voltèrent à la fois contre le prince et le pontife. Othon III
fut obligé de revenir à la hâte pour réprimer et châtier les
SILVESTRE — SIMÈON
2(!
Kédilieux. Silveslre eut la douleur de le perdre, quelques
jours après, dans la fleur de l'âge. Ce savant ponlile mourut
lui-même le 12 mai 1003. Ses ennemis le poursuivirent jus-
qu'au-delà du tombeau. Us attribuèrent sa mort au diable,
quiétaitvenu le battre pendant qu'ildisait la messe à Sainle-
Croix. On répéta pendant tout le moyen âge que les os de
Silvestre II s'entrechoquaient toutes les fois qu'un pape
devait mourir; et le slupide auteur delà chronique des
Belges dit que c'est une chose assez connue que son corps
pleure et sue dans cette occasion. La postérité a déjà dit
avant nous que pour la piété comme pour le savoir l'illustre
Gerbert était un homme au-dessus de son siècle, et que
ces temps de barbarie n'étaient pas dignes d'un aussi grand
pontife.
L'anti-pape qui prit le nom de Silvestre III portait le
nom de Jean, et était évêque de Sabine, quand la conduite
de Benoit IX força, en 1044, le peuple à le chasser de Rome
et à le mettre à sa place. Il était (ils d'un Romain nommé
Laurent. Nous avons dit à l'article Benoit IX comment
avait fini cet antipa|)e. Viennet, de l'Académie Française.
SILVESTRE DE SACY. Voyez Sacv.
SI LVICULTURE, culture des forêts. Foyez Aménage-
ment.
SJLVIO PELLICO. Voyez Pellico (Silvio).
SIMBIRSK , gouvernement de l'est de la Russie d'Eu-
rope, d'une superlicie d'environ 921 myriamètres carrés, et
conquis au seizième siècle par les czars, dépendait autrefois
du gouvernement de Kasan , et ne fut érigé en gouverne-
ment particulier qu'en 1780. En 1848 sa population était
de 1,199,000 habitants, dont 290,452 non Russes, c'est-à-dire
Tatars, Mordwine>, Tscliouwasches et quelques Bohémiens.
Lors de la création du gouvernement actuel de Samara,
en 1850, on réunit à ce nouveau gouvernement les parties
de territoire de Stawropol et de Samara situées à l'est du
Volga , c'est-à-dire un territoire de 334 myriamètres carrés,
avec 274,1 18 habitants , de sorte qu'il ne resta plus au gou-
vernement de Simbirsk qu'une superlicie de 587 myria-
mètres carrés avec 927,311 habitants. Aujourd'hui il confine
au nord à Kasan, à l'est au Volga, qui le sépare du gouver-
nement de Samara , au sud à Saratoi', à l'ouest à Pensa et à
Nijni-Novgorod ; et il comprend les huit cercles de Sim-
birsk, Sysrdn, Singiléi, Karsun, Ardatoff, Alatyr ,
Buinsk et Kurmysch. Le sol de cette province est générale-
ment plat et d'une fertilité extrême. Entre les steppes qu'on
y rencontre se trouvent de magnifiques pâturages. Cette
contrée est d'ailleurs richement boisée, notamment sur
les bords des aftluents du Volga, parmi lesquels on remarque
la S«ra, rivière navigable, et VAlatyr. Les quelques mon-
tagnes qu'on y rencontre, premières crêtes des monts Oural ,
n'y atteignent nulle part une hauteur considérable. L'élève du
bétail constitue la principale occupation des populations ,
linnoises d'origine, fixéessur les rives du Volga et de laSoura,
La pêche est aussi très-productive ; car le Volga abonde en
esturgeons et en sterlets. En revanche , le règne minéral y
est assez pauvre ; cependant, on y rencontre du soufre et
d'excellent plâtre. On y fabrique aussi beaucoup de potasse.
L'industrie manufacturière d'ailleurs n'y est guère floris-
sante , la population s'adonnant de préférence au commerce
de transit et aux travaux de la terre.
Simbirsk , chet-lieu de ce gouvernement, siège du gouver-
neur et d'un évêque grec , bâti sur le Volga , entre ce fleuve
et la Swjaega, possède vingt églises, plusieurs hôpitaux, une
maison d'aliénés, un hospice d'orphelins et divers autres
établissements de bienfaisance, un gymnase, une halle.
En 1838 on y comptait déjà 17,700 habitants; mais il n'est
giièi c probable que ce chitïre ait augmenté depuis, parce que
dans ces derniers temps c'est à Samara que s'est transporté
le commerce des grains.
Après le chef-lieu , l'endroit le plus important de ce gou-
vernement est Syrûn, sur le Volga, avec 13,000 habitants.
SÎMÉON, le second des fils de Jacob et de Lia, et
souche de la tribu juive du môme nom, attaqua Sichem avec
son frère Lévi, et prit part au complot de ses frères contre
la vie de Joseph. La tradition prétend que c'est lui qui
proposa de le faire périr, et qu'ayant voulu, malgré l'oppo-
sition de ses frères, porter lui-même le coup mortel, la main
lui en dessécha; elle guéritau bout du septième jour. D'après
le récit de Moïse, Siméon accompagna ses frères en Egypte
mais fut retenu comme otage par Joseph. Il mouiut à Hé-
bron, âgé de deux cent vingt ans. Ses en (an 1 s turent Jemuel,
Jamin, Ohad , Joacbim , Zohar et Saijl. Ce dernier continua
seul la race de Siméon. A la sortie d'Egypte, la tribu de Si-
méon comptait plus de 59,000 hommes eu état de porter les
armes, mais il n'y en eut que 22,000 qui atteignirent la terre
promise.,
SÏMEOIV ( JosEPn-JÉKÔME , comte ), l'un des auteurs du
Code Civil, naquit à Aix, en Provence, le 30 septembre 1749.
Il était professeur à la faculté de droit de sa ville natale,
lorsque éclata la révolution, et il perdit sa chaire pour avoir
refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé.
Lorsqu'une grande partie du midi de la France se sou-
leva contre la Convention, il fut élu procureur-syndic par
le département fédéré des Bouches-du-Rhône. Mis hors
la loi , en août 1793, il se réfugia en Italie, et ne rentra en
France qu'après la journée du 9 thermidor. Député au Con-
seil des Cinq Cents par son département, il présidait cette
assembh'e lors du coup d'État du 18 fructidor, contre lequel
il protesta courageusement. Compris le lendemain dans le
décret de déportation qui atteignit un certain nombre de
membres delà représentation nationale, il fut assez heureux
pour se soustraire au mandat d'arrestation lancé contre lui ;
mais en janvier 1799 il obéit au décret qui enjoignait à ceux
qui s'étaient soustraits à la déportation de se rendre à l'île
d'Oléron, sous peine d'être considérés comme émigiés. A la
fin de cette même année, le gouvernement consulaire permit
à tous ces condamnés de revenir sur le territoire conti-
nental. Siméon fut alors investi des fonctions de procureur
général près la cour de cassation; mais il ne les garda qu'un
mois , parce qu'il fut appelé eu avril 1800 à faire partie du
Tribunal. On le chargea de présenter au corps législatif le
Code Civil, à la rédaction duquel il avait pris une part im-
portante; et il vota ensuite le consulat à vie, puis l'em-
pire. Napoléon le nomma conseiller d'État et baron de
l'Empire; en 1807, il fut envoyé en \Vest|)halie pour y or-
ganiser à la française ce nouveau royaume érigé par Napo-
léon en laveur de son frère Jérôme, qui le nomma son mi-
nistre de la justice. En 1813 Siméon demanda et obtint sa
retraite, qu'il motiva sur son grand âge. Il adhéra avec
chaleur à la restauration, qui lui donna la préfecture du
Nord. Envoyé à la chambre des représentants pendant les
cent jours par le département des Bouches-du-Rhône, il ne
se lit point remarquer dans cette assemblée. Après la se-
conde restauration, le même département l'élut encore pour
son député à la fameuse chambre introuvable; et Louis XVIII
l'appela au conseil d'État en service extraordinaire. Chargé
dans les sessions de 1817 et de 1818 de la défense de divers
projets de loi , il fut nommé sous-secrétaire d'État au dépar-
tement de la justice, en janvier 1820. A quelque temps de
là, après l'assassinat du duc de Berry par Louvel , il rem-
plaçait M. Decazes au ministère de l'intérieur, et il vint en
cette qualité soumettre aux chambres divers projets de loi
réactionnaires , que le gouvernement royal croyait indispen»
sables pour arrêter les progrès de la révolution. Siméon,
que Louis XVIII avait appelé à faire partie de la chambre des
pairs, n'était pourtant pas encore nn pur aux yeux du parti
ulfra-royaliste; aussi àla fin de 1821 dut-il abandonner son
portefeuille à Corbière. Le roi, pour fiche de consolation,
lui accorda le titre de ministre d'État et le créa comte. Siméon
adhéra à la révolution de Juillet, et prêta serment comme
pair au roi acclamé sur les barricades. En 1832 l'Académie
des Sciences morales et politiques l'élut au nombre de ses
membres. En 1837 Louis-Philippe le nomma premier pré-
sident de la cour des comptes. Il s'éteignit sans souffrances»
le 19 janvier 1842, à l'âge de quatre-vingt-douze ans.
1).
2Ï2 SIMÉON METAPHR
SIAiÉOM MÉTAPHRASTE. Voyez Légende.
SIMÉO]\ STYLITE (Saint), i.ieux anacliorète, né
rers l'an 392, à Sisàn , sur les conlins de la Cilicie et de la
Syrie, mort en 459, embrassa de bonne heure la vie ascé-
tique, et se fit remarquer par ses austérités excessives. On
raconte qu'il élait quelquefois plus d'un mois sans prendre
de nourriture; chose bien difficile à croire. Pour se dérober i
à l'empressement de la foule qui accourait de toutes parts j
pour l'admirer, il finit par s'établir sur une colonne (en grec ,
(jTÛXo;, d'où son surnom de stylite), du haut de laquelle
il haranguait les fidèles. Siméon changea plusieurs fois de
colonne; mais il resta, dit-on, vingt-deux ans sur la der- |
nière, qui avait quarante coudées de hauteur. Ce qui n'est i
pas moins faliuleux sans doute , c'est qu'il s'y tint pendant
plusieurs années debout sur un seul pied. Rongé par un
ulcère d'où sortaient une grande quantité de vers, il mourut,
à l'âge de soixante-sept ans , après avoir ainsi passé les deux
tiers de son existence perché sur des colonnes.
SIMIANE (Pauline de GRIGNAN , marquise de) na-
quit en 1674. Il est souvent question d'elle dans les lettres
de M™* de Se vigne, son aïeule; dans son enfance, elle
lui ressemblait de visage. De bonne heure, elle manifesta un
esprit vif. « Parlons de Pauline, dit M*"^ de Sévigné dans
une lettre du 6 oclobre 1679 , l'aimable , la jolie petite créa-
ture 1 je suis étonnée qu'elle ne soit i)as devenue sotte et
ricaneuse dans ce couvent : ah! que vous avez bien fait de
l'en retirer! Gardez-ia , ma fille, ne vous privez pas de ce
plaisir, la Providence en aura soin. Ne lui dites-vous pas
qu'elle a une bonne (maman)? Serait-il bien possible que je
trouvasse encore de la place pour aimer et de nouveaux at-
tachements! « Cette place, Pauline l'obtint dans le cœur
de M™* de Sévigné, et son esprit, qui dérobait tout, ne
pouvait qu'enchanter sa grand'mère. Les naïvetés de son
enfance sont racontées par M'"'' de Grignan : elle était fort
inquiète d'avoir été conçue dans le péché ; c'était pour elle
une étrange affaire ; et dans ses Jeux se manifestait un
spirituel enjouement. L'état des affaires de M. de Grignan
était trop mauvais pour qu'il dut espérer faire faire à sa
fdle un riche établissement; mais son esprit, c'était sa dot :
« Elle a trouvé un homme et une famille qui comptent pour
tout son mérite, sa peisonne, son nom, et rien du tout le
bien ; et c'est uniquement ce qui se con)pte dans tous les au-
tres pays : aussi on a profité d'un sentiment si rare et si
noble (lettre de M"" de Sévigné, 10 janvier U)96). » Elle
avait épousé, en décembie 1693, M. de Simiane, marquis
d'Es|)arron, gentillionmiedu ducd'Orléans, et dont la maison,
l'une des plus illustres de la Piovence, descend des anciens
souverains de la ville d'Apt. ■< Il avait de plus 25,000 livres
de rentes en fonds de terre, écrit Dangeau ; la demoiselle n'a
(;ue 20,000 écus : mais elle est fort jolie. » M"'" de Simiane
perdit son mari en 1718, et depuis elle habita alternative-
ment Paris et la Provence Elle eut de nombreux procès à
soutenir contre les créanciers de son père. Elle était liée avec
M as si 11 on et l'abbé Poulie. On lui doit la iiublicationdes
lettres de son aïeule ; mais elle ne les fit imprimer que
quand il en eut déjà paru des éditions fautives et très-in-
complètes.
Au reste, elle a btatuoup relraiiclni, beaucoup supprimé
dans les lettres de M*"' de Sévigné ; et la postérité lui
doit plus d'un reproche à cet égard. On a d'elle une cor-
respondance où l'on trouve quelques traces du talent épis-
tolaire qu'elle annonçait de bonne heure ; M"" de Sévi-
gné écrivait en effet, en 1679 : « Pauline m'a écrit une
lettre charmante; son style nous plaît beaucoup; M""" de
La Fayette en oul)lia l'autre jour une vapeur dont elle élait
suffoquée. » Le peu de lettres qu'on a d'elle sont écrites
avec facilité et grâce; on y rencontre quelques traits à la
Sévigné : « Mon Dieu! qu'un petit gentilhomme à lièvre est
heureux dans sa gentilhommière! Rien ne le trouble, il n'es-
père rien, il ne craint rien; ses jours coulent dans l'inno-
cence : il est sans passions et sans ennui; il n'a besoin que
de ses guêtres, elles font tout son équipage; quand elles se
ASTE — SIMILOli
rompent, une aiguillée de fil en fait l'affaire. Je le place
dans les montagnes du Forez et du Vivarais, afin que les
nouvelles ne parviennent à lui qu'au bout de deux ou trois
ans. Il me semble que je le vois d'ici, tant mon imagination
se remplit vivement de cette idée » (lettre du 16 mars 1732).
ftP'^ de Simiane mourut le 2 juillet 1737, dans les prati-
ques de la plus haute dévotion. Ernest Desclozeaux.
SIMFÉROPOL ou SIMPHÉROPOL , en langue tatare
Akmetschet, en turc Akmedsched, c'est-à-dire mosquée
blanche, est aujourd'hui le chef-lieu du gouvernement russe
de la Tau ride. Les nombreux édifices publics que le gou-
vernement y a fait construire dans ces derniers temps ont
beaucoup ajouté à son importance, de sorte qu'on y compte
déjà 14,000 habitants, dont 5 à 6,000 Tatares. Cette ville est
bâtie au pied septentrional de la chaîne du Taurus, et vue
des hauteurs qui couronnent la rivière appelée Salghir,
offre l'aspect le plus pittoresque. Dans la vallée que forme
cette rivière s'élèvent de toutes parts de délicieuses habita-
tions bâties au milieu de jardins et de vergers. La partie
nouvelle de la ville est fort jolie. Le quartier tatare, au
contraire, sombre, sale et étroit, n'offre que des rues irré-
gulières et tortueuses , bordées de maisons enfumées. On
trouve à Simféropol six églises grecques, dont l'une, la ca-
thédrale, est un gracieux édifice du meilleur style, une
église catholique arménienne et grecque , une synagogue et
quatre mosquées , un gymnase russe , quatre autres écoles
et plusieurs fabriques. Deux marchés hebdomadaires contri-
buent à la prospérité de son commerce, et on y rencontre
constamment un nombreux concours de marchands russes,
tatares, arméniens, grecs, allemands et juifs, et aussi de
bohémiens.
SIMILITUDE (du latin similitude, ressemblance,
comparaison, tormé de similis, semblable). La similitude
est une ressemblance , un rapport exact entre deux ou plu-
sieurs choses , entre deux ou plusieurs personnes. En rhé-
torique, ou nomme similitude une figure qui se rapproche
de la comparaison, et par laquelle on fait voir quelque rap-
port entre deux choses de différentes espèces, et qui force à
conclure du plus au moins, du moins au plus, ou d'égal à
égal. Les similitudes sont souvent employées dans l'Évan-
gile. C'est par une similitude que le prophète Natlian fait
connaître à David son péché.
[La théorie de \a similitude, c'est-à-dire celle qui traite
des propriétés des figures semblables , est une des plus
importantes de la géométrie élémentaire. Deux polygones
sont dits semblables lorsqu'ils ont les angles égaux chacun
à chacun et les côtés homologues (adjacents à deux angles
égaux chacun à chacun) proportionnels; deux polygones
semblables sont composés d'un même nombre de triangles
semblables et semblableinent disposés. De même, deux po-
lyèdres semblables ont les angles solideségaux chacun à cha-
cun et les faces homologues semblables; il sont composés
d'un même nombre de tétraèdres semblables et semblable-
inent disposés. De ces considérations il résulte que dans les
figuies semblables les périmètres sont proportionnels aux
cotés homologues, les surfaces proportionnelles aux carrés
de ces mêmes côtés, et les volumes à leurs cubes. Lorsque
deux figures semblables sont placées de telle sorte que les
droites qui joignent les sommets homologues passent toutes
par un même point, ce point reçoit le nom de centre de
similitude de deux figures qui alors sont dites semblables
et semblablement placées ; deux cercles situés sur un même
plan ont pour centre de similitude externe le point de ren-
contre des tangentes externes, et pour centre de similitude
interne le point de rencontre des tangentes internes, l'un
de ces centres de similitude, et môme tous deux pouvant
devenir imaginaires. Les propriétés de la similitude, comme
on le sait , ne sont pas bornées aux polygones et aux po.
lyèdres; elles s'étendent à toutes les figures géométriques.
E. Merlieux.]
SIMILOR (du \:xi\n similis , semblable, et du français
(or. C'est l'un des noms que l'on donne au chrysocale
SIMILOR
(Inn^ le commerce de la bijouterie en faux. On l'appelle en-
tore or de Mannheim.
SIMNEL ou SYMNEL (Lambert), fils d'un boulanger
qu'un moine intrigant fit passer pour le duc d'York, deu-
xième (ils d'Edouard IV. 11 parvint à rallier quelques mécon-
tents, mais fut vaincu à Stoke(1487) par Henri VIII, qui le
rcléRtia comme marmiton dans ses cuisines.
SIMOÏS. Voyez Scamandre.
SL^IODE. Voijez HiLAuonE.
SliVlOM, le (ils de Cléophas, frère de Joseph et de Marie,
sœur de la mère de Jésus, fut l'un des premiers disciples de
Jésus-Christ. Suivant la tradition de l'Église, il (ut l'un des
successeurs de saint Jacques dans la direclion de l'Kglise
chrétienne de Jérusalem, se réfugia à Pella à l'époque de la
guerre de Judée, revint plus tard à Jérusalem, et mourut
de la mort des martyrs, à l'âge de cent vingtans, en l'an 107.
Dans l'Église romaine, le 18 février lui est consacré; tandis
que dans l'Église grecque, c'est le 27 avril.
SIMOIV (N...). Ainsi s'appelait l'ignoble savetier que la
Convention donna pour instituteur au malheureux (ils de
Louis XVL L'histoire contemporaine ne nous apprend pas
ce que devint ce misérable, lorsque la mort de son royal
élève l'eut laissé sans emploi ; mais elle a justement llétri les
hommes entre les mains de qui Simon et son odieuse femme
ne furent que des instruments.
SIMON BARJOi\A,c'est-à-direfdsde Jonaou Jonas.
Tel était le véritable nom de saint Pierre.
SIMONIDE, célèbre poète grec, né vers l'an 554
av. J.-C, à Julis, capitale de Céos, séjourna pendant long-
temps à Athènes, près d'Hip parque, ce pisislralide ami
si édairé des arts, dont il posséda au plus haut degré l'estime
et l'affection, et, parvenu déjà à un Age assez avancé, accejita,
ainsi que son neveu Bacchylidis, une invitation de se rendre
à Syracuse que lui adressa le roi Hiéron , à la courdu(iuel
il passa le reste de sa vie, mais constamment en querelle
avec l'entourage immédiat de ce prince, notamment avec
son jeune émule de gloire, Pind are. Il mourut en l'an 469
av. J.-C. Simonide fut un des premiers qui par leur gloire
ennoblirent le métier de poète, exercé pour de l'argent; et
il fallait que comme poète il eût déjà une grande réputa-
tion à l'époque des guerres des Perses, puisque nous voyons
qu'on le chargea de composer les inscri[)tions à placer sur
les tombes de ceux qui avaient .succombé dans la lutte ;
travail oii il lit preuve d'une noble simplicité unie à une
brièveté pleine d'énergie. Indépendamment de divers perfec-
tionnements apportés à l'alphabet grec , on lui atlribue en-
core l'invention de la mnémonique. 11 y a peu d'hommes
d'ailleurs sur le compte desquels on ait mis plus de réparties
et d'anecdotes piquantes. Comme poète il brilla surtout par
ses poésies lyriques et par ses élégies ou threni, genre qu'il
porta le premier à sa perfection. Schneidewin a publié sous
le titre de Simonidis Cet Carnûnum Heliqutx ( Bruns-
wick, 1835) et dans ses Delechts Poetarum Greeconau
iamblcorum (Gœttingue, 1839) , les fragments des œuvres
de Simonide qui sont parvenus jusqu'à nous.
Un de ses petits-fils, appelé ordinairement Simonide le
jeune, .se fit également un nom comme poète.
Il faut se garder de confondre avec ces deux Simonide Si-
monide l'ancien, appelé aussi le ïambograpbe, natif de l'île
d'Amorgos , l'une des Sporades , qui vivait vers l'an 650
av. J.-C, et qui a laissé un poème satirique sur les femmes,
dans lequel il les lait dériver de divers animaux. Brunck l'a
imprimé dans Gnomici Poelse Grœci.
SIMOiXlE. On nomme ainsi tout trafic des choses spi-
rituelles, comme les sacrements, les fonctions ecclésias-
tiques , etc. ; faire acte de simonie, c'est donner ou promet-
tre une chose temporelle pour prix ou pour récompense
d'une chose spirituelle. On distinguait autrefois diverses
espèces de simonies , suivant la manière dont s'opérait le
mode de trafic ou d'échange. Pendant le dixième et le on-
zième siècle l'Église fut déshonorée i)ar l'audace avec la-
quelle ses ministres se montrèrent simoniaques. Ce furent
- SIMPLE 2,3
les mesures énergiques du pape Grégoire VIT, vers 1074 ,
qui mirent en grande partie un terme à cet abus.
On fait remonter a Si7non le Magicien l'origine du
mot simonie, servant à désigner le trafic des choses saintes,
parce que ce faux i)rophète, témoin des dons que répandaient
les Apôtres, leur aurait proposé de l'argent pour qu'ils lui
conférassent aussi le pouvoir de donner le Saint-Esprit :
« Que ton argent périsse avec toi, lui répondit Pierre,
puisque tu as cru que le don de Dieu s'achetait pour de
l'argent! » (Act., viii, v. 18).
SIMOIMIENS. L'histoire ecclésiastique donne ce nom
aux adhérents de Simnn le Magicien , qui , au temps des
apôtres, se posa en fondateur de religion nouvelle. Il était
originaire du bourg de Gitton , dans le pays des Samaritains.
Après avoir étudié la tbéurgie et la philosophie platonicienne
à Alexandrie, il prélendit qu'en lui et chez sa concubine,
appelée Silène ou Hélène, Tyrienne qu'il donnait tantôt
pour l'Hélène de la guerre de Troie, tantôt pour Minerve,
ou encore pour une incarnation de l'intelligence suprême,
du Nous, se maniiestaient la force éternelle et la sagesse
élernelle de Dieu , à l'effet d'affranchir les hommes de l'in-
fluence de la matière et des mauvais esprits. On peut voir
à l'article Simonie que ce terme, employé pour désigner le
trafic des choses saintes, a pour étymologie la proposition
que Simon le Magicien fit aux Apôtres de lui vendre le don
de faire des miracles. Les traditions qui veulent (pi'on lui
ait élevé une statue à Rome, dans l'une des îles du Tibre,
qu'il ait entamé avec saint Pierre une discussion en règle,
et qu'il ait péri dans une tentative qu'il fit pour monter au
ciel à l'aide d'opérations magiques , ou reposent sur des
malentendus, ou .sont fabuleuses. Jl ne laissa pourtant pas
que de faire d'assez nombreux sectateurs, et au cinquième
siècle il était encore question de simoniens ou de secta-
teurs de Simon le Magicien. Eusèbe nous apprend d'ailleurs
qu'ils professaient tous les dogmes monstrueux de leur
maître et vivaient aliandonnés aux plus ignobles débau-
ches. Ils constituaient une espèce d'association secrète, dont
les membres faisaient ostensiblement profession de christia'
nisme, mais qui, dans leurs honteux mystères, adoraient
Simon le Magicien et sa concubine Hélène.
SIMOI\IEi\S (Saints-), disciples deSain «-.Simon.
SIMOXIM ( François ). Voye:i Bataille ( Peinture).
SIMON LE CANANÉEN, appelé aussi Zélotés,
c'est-à-dire le zélé, était le frère de Judas Lebbree et dis-
ciple de Jésus-Christ. La tradition de l'Église veut qu'il soit
allé prêcher l'Évangile en Egypte et en Perse, qu'il ait été
évêquede Jérusalem, qu'il ait aussi enseigné le christianisme
en Bretagne, et qu'il ait souffert le martyre sous Trajan.
SIMON LE MAGICIEN ou LE SAMARITAIN.
Voyez Simoniens.
SIMON LE ZÉLÉ. Voyez Simon le Cananéen.
SIMON MACHABÉE. Voyez Machabée.
SIMOUN. Voyez Samoum.
SIMPHÉROPOL. Voyez SiMFÉROPOLet Bartschi-Seraï.
SIMPLE, SIMPLICITÉ. On appelle simple, en métaphy-
sique, tout ce qui est ?<n, tout ce qui n'a point de parties diffé-
rentes ou séparables l'une de l'autre. En ce sens , ce terme
ne convient qu'à un être intelligent ; cependant, on l'emploie
à l'égard des corps, par analogie aux esprits, et on appelle
corps simples ceux dans les parties desquels on ne décou-
vre aucune différence sensible (voyez Corps).
Dans le langage usuel , les mots siynple et si7npliciié
sont susceptibles de deux acceptions forts différentes, l'une
favorable , l'autre défavorable. Par simplicité d'esprit on
entend ou le manque ou la faiblesse d'intelligence , qui est
ou native ou le résultat soit d'une infirmité, soit du défaut
d'exercice des facultés de l'esprit, soit encore de son man-
que de maturité suffisante. Vhomme simple est celui dont
le cœur est pur et les mœurs régulières ; aussi dans les
sociétés corrompues la simplicité du cœur et des mœurs
est-elle toujours un éloge. L'esprit «imp^e ne pourra jamai»
agir d'après un plan de conduite astucieusement préparé;
214
SIMPLE — SIMULATION
le cœur ximple s'y refusera toujours. Obéissant à la voix
de ?a conscience, Vhomme simple ne tergiverse jamais sur
ses devoirs; il les remplit sans s'inquiéter du motif qui
le porte à agir. Sa vie, conforme à la nature, exemple
de luxe et d'affectation , se dislingue par l'accord complet
qui existe entre ses pensées et ses actions , et qui exclut
toutes vues intéressées, tout calcul de sa part; aussi ar-
rive-t-il souvent aux gens habiles de confondre la simpli-
cité du cœur avec celle de l'intelligence. Il ne faut pas
croire que le mot simplicité soit synonyme de modestie.
L'une consiste à montrer ce que l'on est ; l'autre à le cacher.
La simplicité tient plus au caractère ; la modestie à la
réflexion. La simplicité plaît sans y penser, la modestie
cherche à plaire. La simplicité n'est jamais fausse, la mo-
destie peut l'être. Une vanité connue déplaît moins quand
elle se produit avec simplicité que lorsqu' elle cherche à
s'affubler du voile de la modestie.
En fermes d'esthétique, on entend par simplicité l'ab-
sence de tout ce qui est accessoire et dû seulement à l'art.
On attribue à un sujet une noble simplicité lorsque l'effet
qu'on s'en promet est produit par peu de moyens, ou bien
lorsqu'il plaît par sa nature et son essence même , sans
avoir besoin d'aucun ornement accessoire. L'expérience a
suffisamment démontré que la simplicité est toujours con-
forme au bon goût. Dans un ouvrage, cette qualité em-
brasse fout, depuis le plan général jusqu'à l'exécution des
moindres détails. Les meilleurs ouvrages de l'art sont pres-
que toujours les plus simples dans leur plan. La simplicité
jointe à la beauté constitue le grand. La simplicité ne va
jamais au delà du but ; elle n'éblouit pas , mais elle est sûre
et vraie.
SIMPLICIUS, philosophe péripatéticien , qui florissait
au sixième siècle de notre ère , est l'auteur de différents
commentaires, aussi savants qu'ingénieux, sur les traités de
VAme, du Ciel, de Physique et sur les Catégories d'Aris-
lote , ainsi que d'un commentaire sur V Enchiridion d'É-
pictète. On les trouve joints au texte delà plupart des an-
ciennes éditions de ces deux philosophes.
SIMPLICIUS, quarante-neuvième pape, était le fils
d'un habitant de Tibur, nommé Castin. On croit qu'il fut
élu par le clergé et par le peuple à la place d'Hilaire , le
20 septembre 467. On ne sait rien des premiers temps de sa
vie; mais à peine sur le saint-siége, il en adopta les prin-
cipes, et sa conduite ne se démentit pas un instant pendant
les huit ou neuf années de son pontificat. Les évêques d'Oc-
cident n'étaient pas encore tout à fait soumis à la discipline
de la nouvelle Rome, et montraient quelquefois des vel-
léités d'indépendance. Simplicius ne laissa échapper aucune
occasion de les ramener à la soumission. Le concile tenu à
Chalcédoine, en 451, avait élevé le patriarche de Constanfi-
nople à la seconde place , et lui avait donné sur les évêques
d'Orient les mêmes droits que l'évéque de Rome avait
conquis sur les Occidentaux. Les papes saint Léon et Hilaire
avaient protesté contre cette prétention; Simplicius suivit
leur exemple, avec une fermeté plus opiniâtre. Les empe-
reurs Léon I"^ et Zenon lui écrivirent en vain pour le prier
d'approuver ce décret du concile. Il les força pour ainsi
dire à ne plus lui en parler, et fit des actes de souveraineté
dans les diocèses d'Orient , pour montrer aux empereurs et
aux prélats de cette partie de la chrétienté que leurs églises
devaient être soumises au siège de Rome. Les partisans d'Eu-
tychès, qui avaient été excommuniés et chassés de leurs
églises par un concile tenu en 448 à Constantinople, s'é-
taient remis en possession de leur siège par la protection
de l'empereur Basilisque, qui avait détrôné Zenon. A peine
Zenon fut-il rétabli sur le trône d'Orient que Simplicius s'a-
dressa à lui , le 8 octobre 477 , pour demander le rétablis-
sement des prélats orthodoxes. Zenon accorda tout aux
sollicitations du pontife , chassa les eutychiens de leurs
églises, et châtia les rebelles. Il s'ensuivit des séditions,
des meurtres même dans Antioche. La mort le surprit vers
les premiers mois de l'an 483 , au milieu de ces débats. Il
s'était rendu recommandable par ses vertus chrétiennes, et
Rome lui dut la fondation de quatre églises.
YlENNET , de l'Acddcmift Française.
SIMPLON, en italien Sempione, montagne de 3,600
mètres d'élévation, située dans le canton suisse du Valais.
Elle appartient aux Alpes Pennines , qui séparent la Sa-
voie et le Piémont du Valais. Après la bataille de Marengo,
Napoléon fit construire sur le col du Simplon , à une éléva-
tion de 2,005 mètres, l'importante et magnifique route mili-
taire si connue sous le nom de route du Simplon , qui
passe sur 264 ponts, traverse plusieurs énormes massifs de
rochers, et fut terminée en 1805. Elle part de Glits, près
de la rive gauche du Rhône, et, après un développement
total de 00,670 mètres, aboutit à la ville d'Ossola, dans la
vallée du même nom. Des maisons de cantonniers sont
bâties de distance en distance pour servir d'abri aux voya-
geurs.
En l'an 109 av. J.-C. les Cimbres et les Romains en vin-
rent aux mains dans les défilés du Simplon. En 1799 les
Autrichiens eurent à y soutenir un engagement contre les
Français. Lorsque larépublique du Valais (ut réunie, en 1810,
à l'empire français, son territoire reçut le nom de dépar-
tement du Simplon.
SIMPSON (Thomas), mathématicien anglais, né en
1710, à Rosworth (comté de Leicester) , mort dans la même
ville, le 14 mai 1761. Fils d'un pauvre tisserand, qui ne lui fit
guère apprendre qu'à lire et à écrire, Simpson sut cepen-
dant trouver dans une première éducation aussi incomplète
les éléments qui devaient le conduire à acquérir la science
dont il fit preuve plus tard. Sa passion pour la lecture était
telle qu'elle lui faisait négliger les travaux de son métier.
Après de vives altercations , il dut quitter le toit paternel ,
et alla vivre de son industrie à Newneaton. Là, il se maria
et fit divers métiers; il fut même diseur de bonne aventure;
mais une méchante affaire l'engagea à quitter la sorcellerie
et à s'enfuir avec sa famille à Derby , oii il trouva à donner
quelques leçons en échange d'un modique salaire. Enfin,
vers 1736, il se rendit à Londres , où il parvint à rassem-
bler un assez grand nombre d'élèves pour vivre honora-
blement, et où il publia bientôt son Nouveau Traité des
Fluxions (1737;! vol. in-4''). Cet ouvrage fut suivi de
plusieurs travaux originaux sur le calcul des probabilités,
sur la sommation des séries, etc. Dans sa Trigonomé-
trie, Simpson donna des méthodes nouvelles pour la cons-
trnction des tables de logarithmes des sinus, et, entre au-
tres , les formules qui ont conservé son nom. Il avait obtenu
en 1743 la chaire de mathématiques à l'Académie de
Woolwich , et deux ans après il fut nommé membre de
l'Académie royale de Stockholm. E. Merlieux.
SIMPULE, Simpulum, nom que les Romains don-
naient à un vase de sacrifice, qui servait pour répandre du
vin, goutte par goutte, dans les libations. Le simpule est
quelquefois figuré sur les monuments avec d'autres instru-
ments de sacrifice, tels que la patère , l'aspergille , etc. Un
passage de Juvénal nous fait voir que l'invention ou l'intro-
duction dans les sacrifices en était attribuée à Numa.
SIMSOIV (Robert), mathématicien écossais, né en
1687,à Kirton-Hall, mort le 1" octobre 1768. Très-versé
dans la géométrie ancienne , il donna une interprétation des
porismesd'Euclide. Il restitua aussi deux Hvres d'Apol-
lonius, De locis planis et De sectione determinata. Il
avait précédemment publié Sectionum conicarum Libri V
(Edimbourg, 1735), où les sections coniques étaient traitées
à la manière des anciens. De 1711 à 1761 , c'est à-dire pen-
dant cinquante ans, Simson occupa la chaire de mathéma-
tiques du collège de Glasgow, où il avait fait ses études.
SIMULATION. Ce mot indique le concert ou l'inteU
ligence de deux ou plusieurs personnes pour donner à une
chose l'apparence d'une autre. En droit, on nomme simulé
un acte ou la clause d'un acte qui n'est pas sincère. La
simulation est si ressemblante au dol , qu'elle n'en diffère
qu'en ce que le dol personnel n'est ordinairement que l'ou-
SIMULATION — SIMDH
2t5
vrage de l'un des contractants , au lieu que la simulation
est presque toujours l'ouvrage de plusieurs.
SIMULTANÉSTÉ (du'^lalin simuUaneus, simultané,
fait de 5iHU<^, ensemble), existence de plusieursclioses dans
le même instant. Voyez Concomitance.
SINAI, montagne sur laquelle furent annoncés à Moïse
les dix commandements de Dieu et les autres lois qu'il donna
aux Israélites. D'après la tradition on désigne d'ordinaire
par ce nom le Gebel-Musa (mont Moïse), dans la partie
méridionale de la presqu'île sinaïtique (Arabie Pétrée), liant
d'environ 2,700 mètres , précédé au nord d'une montagne
plus basse, à laquelle les savants modernes donnent géné-
ralement le nom de mont Horeb; et on y comprend aussi
le mont Sainte-Catherine, situé au sud-ouest , et qui a en-
viron 350 mètres d'élévation de plus que le Gebel-Musa.
Cette tradition , il est vrai, ne remonte pas au delà de l'ère
chrétienne, et n'acquit quelque solidité que parce que l'em-
pereur Justinien aurait fait construire, en l'an 527, dit-on,
au pied oriental de l'Horeb, dans la vallée de Cliouaib , le
célèbre monastère fortifié du Sinaï , avec une église de la
Transfiguration de Jésus-Christ, où l'on montre aussi les
reliques de sainte Catherine. Autrefois il existait sur cette
montagne divers autres monastères (par exemple le cou-
vent des Quaranle-Martyrs, El-Arbaïn, dont on montre
encore l'emplacement dans la vallée occidentale), chapelles
et ermitages. Le Gebel-Musa ne saurait être considéré
comme la montagne où eut lieu la publication de la loi ,
attendu qu'aucune de ses parties n'avoisine la plaine sep-
tentrionale (appelée er-Raya), où otaitcarnpé le peuple, qui
de là ne pouvait même pas l'apercevoir. Quant à la vallée
située au sud de la montagne, et où Ritter veut que le peuple
ait campé, elle est trop étroite; tandis que cette première
montagne plus basse, qu'on appelle le mont Horeb, répond
de tous points à la scène décrite au livre II de l'Exode,
chapitre xix et suivants.
SINAPIS, nom grec et latin de la moutarde.
SINAPISME (du grec ctivcxtck;, moutarde). On appelle
ainsi un topique fait en forme de cataplasme, avec de
l'eau et de la farine de moutarde , qu'on applique le plus
ordinairement aux extrémités inférieures, et qui agit comme
révulsif, par l'action rubéfiante qu'il exerce sur la peau. On
se trompe quand on croit augmenter l'action des sina-
pismes en les vinaigrant. Le vinaigre, tout au contraire,
neutraii^ l'action de l'huile essentielle qui sous l'inlluence
de l'eau se développe de la graine de moutarde, huile es-
sentielle à laquelle on attribue leur action rubéfiante.
SINCAPOUR. Voyez Singapore.
SINCÉRITÉ. Voijez Franchise.
SINCIPUT (Anatomie), mot latin, qui désigne le som-
met de la tête , et qui a été introduit dans la langue fran-
çaise comme synonyme de verlex. Quelques anatomistes
se sont servis de ce mot pour indiquer la partie antérieure
du crâne, la région frontale {voyez Cerveau, Crâne, En-
CÉPBALE, Tête).
SINCLAIR ( Sir Jo»n ), Écossais célèbre par ses tra-
vaux d'utilité générale , né en 1754 , à Tliurso-Castle , dans
le comté de Caithness , se trouva porté par ses relations
avec Adam Smitb à s'occuper d'économie politique. Pour
combattre une opinion qui s'était répandue vers la fin de
la guerre d'Amérique, et suivant laquelle la situation finan-
cière de l'Angleterre était incurable, il publia des Pensées
sur l'état de nos finances , qui contribuèrent beaucoup à
rétablir le crédit du pays sur le continent. En 1780 il écrivit
sa Justification de la puissance maritime de V Angleterre
et ses Pensées sur la marine anglaise , qui ne tardèrent
point à faire renaître la confiance en la supériorité de la
flotte anglaise , confiance qu'avait fortement ébranlée la
jop.ction toute récente des flottes de France et d'Espagne.
La môme année il fut élu membre de la chambre des
communes. Parmi ses ouvrages il faut encore mentionner
son Histoire du revenu public depuis les temps les plus
leculés jusqu'à V époque de ta paix d'Amiens. Za il'.)3 il
créa, avec l'appui du gouvernement, le Eoardof Agricul-
ture, qu'il dirigea pendant plusieurs années; institution à
laquelle l'Angleterre est redevable en grande partie des ra-
pides progrès qu'a faits son agriculture. Un des travaux les
plus difficiles entrepris par Sinclair fut sa Statistique d'E-
cosse (21 vol. ; 17901797). H favorisa en outre en Ecosse
la construction d'un grand nombre de ponts , l'amélioration
des voies de communication et le perfectionnement des
laines. A l'époque des guerres de la révolution française ,
les mesures judicieuses qu'il sut prendre empêchèrent des
milliers d'individus de mourir de faim dans les montagnes
de son pays. Il passa les dernières années de sa vie à Éiliin-
bourg, dans une retraite toute philosophique et littéraire ,
et mourut le 20 décembre 1835.
SINCURA (Mines de). Vers la fin de 1845, il ne fut
bruit en Europe que de la découverte d'une mine de dia-
mants d'une richesse fabuleuse, laite au Brésil par un pauvre
nègre chargé de la surveillance d'un troupeau. En le con-
duisant paître dans un désert alors encore inconnu (c'était
au mois d'octobre 1844), c« nègre avait été frapi)é de la
ressemblance du terrain qu'il avait sous les yeux avec celui
de la mine de Tijuco, où il avait travaillé. L'idée lui était
venue alors de fouiller à tout hasard, et en vingt jours de
travail notre homme avait recueilli 700 karats de diamants,
qu'il porta bien vite à lîaliia pour en réali.ser la valeur.
Dans cette ville, on l'accusa d'avoir tout bonnement volé
ce trésor, et on le jeta en prison. Comme il refusait obsti-
nément de faire connaître le lieu où il prétendait avoir re-
cueilli CCS diamants , on s'arrangea de façon à ce qu'il s'é-
vadât; mais en même temps on eut soin de mettre sur sa
piste des Indiens intelligents. Après l'avoir suivi pendant
plusieurs jours sans qu'il s'en doutât, ceux-ci le surprirent
travaillant avec ardeur à l'extraclion des diamants , non loin
de Caceveira , seconde ville de la province de Baliia, Un
an après, la mine de Sincura était exploitée sur une éten-
due de huit myriamètres ; et une population de plus de .30,000
individus se livrait à celte fructueuse exploitation. Dans cet
espace de temps, elle avait produit pour plus de 18 millions
de francs en diamants bruts. La suite ne répondit malheu-
reusement pas à ces brillants débuts. La veine qu'on croyait
inépuisable se trouva au contraire bientôt épuisée ; le dé-
couragement le plus complet succéda alors aux rêves dorés
que faisait à l'envi toute cette population de chercheurs de
diamants; et la misère ainsi que les maladies ne tardèrent
pas à la décimer cruellement. Aujourd'hui , le prestige
est depuis longtemps tout à fait détruit. Les sables auri-
fères et les pépites du Sacramento avaient fait oublier dès
1847 les mines de Sincura, dont l'importance n'est pas au-
jourd'hui plus grande que celle des autres mines du Brésil.
SIND, SINDH ou SINDHOU. Voyezhims,.
SINDII ( Le) , État de l'Inde orientale , situé sur le cours
inférieur de l'Indus ou Sindhou , et comprenant le delta que
ce fleuve forme à son embouchure ainsi que tout le terri-
toire qu'il arrose depuis l'extrémité méridionale du f'endjàb
jusqu'à l'endroit où il se jette dans la mer. Par conséquent,
il est borné au nord par le Pendjab, au sud par la mer d'A-
rabie , à l'ouest par le Beloutjistàn, et à l'est par le grand
désert Indien. Sa superficie totale peut être évaluée à environ
1,950 myriamètres carrés. Le sol est d'une extrême fécon-
dité sur les bords de l'Indus, et généralement plat : mais
l'insalubrité de ses vallées les plus basses les a rendues
tristement fameuses. On évalue .sa population à 1,500,000 ha-
bitants , tant Hindous qui professent le culte des brahmanes
que Persans et Beloutsches mahométans. Il n'y a pas long-
temps encore que celte dernière race était dominante dans
ces contrées. Depuis 184.3, époque où le général anglais sir
Ch.-J. Napier soumit le Sindh à la Compagnie des Indes et
y mit fin à la domination despotique des chefs de la race
beloutsche connus sous le nom â''émirs du Sindh, qui en
avaient fait un petit Etat fédératif, et qui avaient plongé
toute la contrée dans la plus affreuse barbarie, la tranquil-
lité n'a pu y être rétablie qu'au prix de beaucoup d'efforts.
216
SINDH — SINGE
->Iais ce qui aux yeux des Anglais donne une haute impor-
..ance à la possession du Sindli , c'est qu'elle les rend maîtres
du cours de l'Iadus. Le chef-liemie ce pays est Hyder-
abad, et son port le piiis important. Koratschi.
SIi\pHÎ. l'oyes Indiennes ( Langues).
SL\ÉCtll\E (du latin sine cura, sans soin, sans
charge). Ce mot, qui se disait autrefois d'uu bénélicc ou
d'une dignité n'obligeant à aucune fonction, sert particu-
lièrement aujourd'hui à désigner une charge salariée sans
fonctions, ou qui du moins n'exige que peu de peine, de
travail. \,e?. sinécures sont toujours une des plaies de l'état
social. Sous les gouvernements absolus, elles servent à don-
ner des positions à des favoris ou à des membres de l'aristo-
cratie ruinés. Sous les gouvernements représentatifs, malgré
Je vote des impôts par le pouvoir législatif, on ne voit que
trop souvent créer des places sans fonctions pour s'attacher
des hommes dont ou achète ainsi les services. On a com-
paré les sinécuristes à des vampires qui s'engraissent de la
sueur du peuple.
SIIVGALAIS. Voi/ez Indiennes (Langues).
SI^'GAl»ORE,SI^'GHAPOURAou SINGAPOUR, c'est-
à-dire ville, des lions, île de l'Inde au delà du Gange,
située entre les deux extrémités méridionales de la presqu'île
de Malakka, et séparée du continent seulement par
un étroit canal. D'une étendue totale de II myriam. carrés,
elle présente une surface onduleuse , qui autrelois était toute
couverte de forêts. Le climat est tempéré, sujet à peu de
variations , par conséquent saluhre. Quoique cette île ne
brille pas précisément par la fertilité, elle ne laisse pas que
de donner la plupart des produits particuliers à l'Inde tro-
picale. Le chiffre de la pof)ulation est de 55,000 âmes, dont
40,000 Chinois, 10,000 Malais, environ 5,000 Hindous,
Bouggis, Javanais, Arméniens, Juifs, etc., et une centaine
d'Européens. La seule ville qu'on y trouve est Singapore ,
avec un port au.ssi vaste que sur, résidence du gouverneur
anglais du district de Singapore, lequel , outre l'île de ce
nom, comprend encore l'Ile de Poulo-Pinang, la ville de
Malakka et la province de Welleslcy, qui l'avoisine. Grâce
à sou heureuse position sur la route la |)lus courte et la plus
commode pour aller des mers de l'Inde en deçà du Gange
aux mei'sde la Chine et à l'archipel des Indes orientales, elle
est devenue un point d'une grande importance stratégique et
commerciale. Déclarée port franc par le gouvernement anglais,
Singapore est aujourd'hui le grand entrepôt du commerce de
l'Inde en de^à du Gange et de l'Europe, avec l'Inde au delà
du Gange, la Chine et l'archipel des Indes orientales. Jus-
qu'en 1819, époque où les Anglais achetèrent du sultan de
Djohor à Malakka un territoire de 28 kilomètres carrés dans
l'ile de Singapore, Singapore n'avait été qu'une bourgade
insignifiante, habitée seulement par des pécheurs et des pi-
rates malais. Les sages mesures administratives prises par
les Anglais eurent bientôt donné un rapide essor à la pros-
périté du commerce local, .surtout lorsqu'on 1824 ils eurent
achevé de faire l'acquisition complète de l'ile. La ville de
Singapore a maintenant plus de 20,000 habitants. Les mis-
sionnaires anglais y entretiennent des établissements fort im-
portants, et le Singapore free Press, qui s'y publie, est un
des journaux les [)lus accrédités de l'Inde.
SliXGE-ARAIGNÉE. Voyez Ériode.
SIA'GES. Placés en tète des animaux vertébrés, dans
l*ordre des quadrumanes , où ils forment une grande fa-
mille, ces mammifères appellent également les méditations
du naturaliste et du piiilo.sophe; ils éveillent la curiosité de
tous par leur remarquable intelligence, par la facilité avec
laquelle ils peuvent contrefaire les actions humaines, par
leur analogie de conformation avec l'homme, soit au de-
dans, soit au dehors. Ajoutons, toutefois, que cette ana-
logie, qui a paru as.sez intime à quelques écrivains pour
faire de l'homme un singre perfectionné , et à d'autres, au
contraire, pour envisager certaines espèces de singes comme
des hommes dégradés et abrutis par la vie sauvage , ne
laisse pas moins subsister à nos yeux l'immense et infran-
chissable barrière qui sépare la brûle de l'être doué de
raison et de hberté morale. Sans revenir sur cette question,
qui a déjà été traitée au mot Orang-outang, efforçons-nous
plutôt de trouver dans les modifications organiques propres
à ces quadrumanes la physiologie de l'espèce , le secret du
ses habitudes, de son intelligence, de ses mœurs.
Le caractère le plus saillant dans l'organisation du singe,
celui qui influe le plus puissamment sans contredit sur
tout son être, c'est la conformation de ses extrémités , mu-
nies aux pieds comme aux mains de doigts profondément
divisés, à ongles plats , et opposables à un long pouce qui
en est séparé : ce sont là tout à la fois des organes du
toucher, de la locomotion et de la préhension. D'abord,
comme organes tactiles, la peau très- fine et entièrement
nue qui en revêt l'intérieur, la facilité d'embrasser les ob-
jets, d'en explorer les contours, en fait des instruments
d'un tact très-délicat : or, sans renouveler l'étrange para-
doxe d'il e l v é t i u s , qui voyait dans la conformation de la
main les causes de notre supériorité sur les animaux , on ne
saurait nier l'influence du toucher, ce sens intellectuel par
excellence , sur les développements de l'entendement.
Ces quadruples mains ne sont pourtant pas les seuls ins-
truments de préhension dont disposent ces mammifères :
le plus grand nombre des singes du Nouveau Monde portent
une queue longue et musculeuse, qui, susceptible de s'en-
rouler autour des objets et de les saisir vigoureusement,
fait l'office d'une cinquième main , et suffit seule dans
quelques cas pour assurer la station. Sans se mettre à la
recherche des causes finales, on ne peut s'empêcher de
remarquer un rapport étroit entre cette multiplicité d'or-
ganes de préhension et les allures d'un animal destiné à
passer sur des branches la plus grande partie de son exis-
tence. En effet, la progression des singes n'est ni entière-
ment bipède, ni exactement quadrupède; leur marche à
terre est lourde et lente; ce n'est que sur les arbres qu'ils
déploient leur extrême agilité : c'est là leur domicile na-
turel. Leurs membres sont toujours grêles et longs; dans
quelques genres , les bras touchent même à terre. Leur
corps, svelte, recouvert d'un poil long et assez serré, est
doué d'une grande énergie musculaire; leur crâne arrondi,
le peu de proéminence du museau , dont l'angle n'est guère
plus oblique dans quelques jeunes sujets que chez les nè-
gres, leur donnent une malheureuse ressemblance avec
l'homme. A voir surtout l'orang noir avec sa figure olivâtre
qu'encadrent d'épais favoris, son corps bien conformé,
sans queue, haut de plus de l'",66, presque dépourvu de
poils antérieurement, on dirait un être humain échappé à
notre civilisation. Les dents des singes ont la plus grande
similitude avec les nôtres, quoique leurs canines soient plus
longues : néanmoins , leur régime est essentiellement fru-
givore.
Ces mammifères vivent ordinairement par troupes, et
voyagent sous la conduite d'un chef. D'un naturel très-dé-
fiant , s'ils s'avancent dans les lieux cultivés, ca n'est qu'a-
près avoir posé des sentinelles avancées ; ce n'est que poussés
par une gloutonnerie, qui leur fait commettre des dégâts
considérables. Les femelles mettent bas un ou deux petits,
qu'elles allaitent en les tenant entre leurs bras, leur prodi-
guant les démonstrations les plus tendres d'amour ma-
ternel , et les défendant jusqu'à la mort contre les attaques
de leurs ennemis. Quoi de plus touchant que le récit de la
mort de cette pauvre femelle, qui, blessée par des chas-
seurs, et sentant qu'elle va succomber, recueille ses forci s
défaillantes pour lancer sur un arbre voisin , et déiolu-r
ainsi à ses ennemis, le précieux fardeau qu'elle emportai!
dans son sein, expirant aussitôt, épuisée par ce dernier
effort! A l'état de domesticité, ces mammifères, bien qu'ils
se montrent généralement gourmands, voleurs et colères,
nous égayent par leur pétulance et par leur adresse. On en
a vu qui étaient élevés à rincer les verres, à tourner la
broche, à servir à table, en un mot à rendre les services
d'un domestique.
SINGE — STNOPE
217
Tous les singes, à l'exception dnm a g o t , (\\i\ paraît s'être
naturalisé à Gibraltar, sont étrangers à l'Europe. Ils vivent
dans les régions iutertropicales des deux continents : ce
n'est même qu'avec peine qu'on les conserve dans nos mé-
nageries , où ils succombent presque tous à des affections
chroniques des poumons , occasionnées par l'intemporie de
notre ciel. Si les rapports qui lient entre elles les diverses
espèces de cette famille sont de nature à frapper tous les
yeux, ce qui n'est pas moins évident, ce sont les différences
qui les séparent et nécessitent leur division méthodique
en plusieurs genres.
La classification la plus généralement adoptée aujourd'hui
établit dans la famille des singes deux sections ou tribus ,
divisées elles-mêmes en plusieurs genres. La première tribu
est ceWe de& catarhinins (de xaxâ, en bas, et pîv, nez),
ainsi nommée parce qu'un de leurs caractères les plus sail-
lants est d'avoir l'ouverture de ces conduits dirigée en bas,
comme chez l'homme, et la cloison nasale très-étroite; ce
sont les singes de Vancicn continent : ils n'ont jamais de
queue prenante ; la plupart ont dans l'intérieur de la bouche
une sorte de poche ou de sac nommé abajoue, qui leur
sert à transporter les vivres dont ils font provision ; enfin ,
l'habitude de se tenir accroupis laisse sur la peau de leurs
fesses des callosités, d'où l'on tire un caractère distinclif
très-important , parce qu'on ne le remarque que dans cer-
tains genres de cette tribu : leur taille est généralement su-
périeure à celle des singes du Nouveau Monde; il en est
qui parviennent à près de deux mètres de haut. Les genres
remarquables de celte tribu sont : les orangs, les 3 jt e n o n s ,
les gibbons, les semnopithèques , les macaques,
\es magots, \es cynocéphales, leimandrils,elc. La se-
conde tribu est celle des platyrhinins (de uXaTu;, large,
et ^îv, nez), ainsi nommée parce que leurs narines sont
ouvertes sur les côtés et séparées par une large cloison ,
caractère auquel il faut ajouter l'absence d'abajoues et de
callosités : ce sont les singes du Nouveau Monde , savoir :
les sapajous [alouates ou singes hurleurs , atèlc.s, sa-
jous), les sagoins ou géopithèques {saimiri, cal-
litriche, saki); el les ouistitis ou arctopi-
thèques. ^ Saucerotte.
SINGULARITÉ. Voyez Bizarrerie, Caprice, Ex-
TRAORniNAIRE, ORIGINAL.
SIIVGULIER {Grammaire). Voyez Nombre.
SIIXIGAGLIA, la Sena Gallica des anciens, petite
ville maritime des États de l'Église, à l'enibouchiire de la
Misa dans l'Adriatique, dans la légation d'Urbino-Pesaro,
entre Rimini et Ancône, est le siège d'un évêché, possède
un petit port muni d'un phare et défendu par un fort , et
compte 8,000 habitants. La cathédrale et l'église San-Marino
méritent d'être vues. La foire qui s'y tient du 20 juillet au
10 août a beaucoup d'importance en Italie; mais comparée
à celles qui se tiennent dans d'autres pays, elle est insi-
gnifiante, malgré le grand nombre d'étrangers qu'elle attire,
ce qui ne fait que mieux ressorlir la profonde tristesse dans
laquelle elle demeure plongée tout le resle de l'année.
SINISTRE (du \alin sinis ter, fâcheux, funeste). Cet
adjectif, quand il est employé substantivement, se dit en
matières d'assurances des pertes et doinuiages qui ar-
rivent aux objets assurés, et surtout des incendies. La loi
divise en deux classes les risques qui peuvent faire l'objet
du contrat d'assurance maritime : les uns , que la coutume
appelle sinistres majeurs , et dont la survenance , empor-
tant la preuve légale de la perte de l'objet assuré , autorise
l'assuré à faire décaisse me?j ^, c'est-à-dire à réclamer
de l'assureur le montant de l'assurance moyennant l'abandon
qu'il lui fait de la propriété de la chose en quelque état
qu'elle se trouve ; les autres, que l'on désigne sous le nom
de sinistres mineurs, qui n'emportent point avec eux la
preuve légalede la perte, et qui donnent simplement à l'assuré
le droit de réclamer à titre d'avarie une indemnité propor-
tionnelle au dommage éprouvé. Tel est le droit commun ;
iiiais le contrat d'assurance est, comme tout autre, suscep-
tible de recevoir toutes les modifications que veulent y in-
troduire les parties. L'usage s'est donc établi vers le dix-
septième siècle , au temps où la coutume introduisit pour la
première fois l'action en délaissement, de limiter par des
stipulations Ac franchises l'étendue des risques dont se
chargeraient les assureurs. Ainsi naquirent les clauses :
franc d'avaries grosses, franc d''avaries particulières,
et tant d'autres que l'on retrouve encore dans les diverses
polices. Voyez Avarie. Charles Lemonnier.
SIN-KIANG. Voyez Bookharie.
SINNAMARY. Voyez Guyane Française. Cette ri-
vière , qui prend sa source dans les montagnes situées au
centre de notre colonie , donne son nom au quartier qu'elle
arrose. La plupart des victimes du 18 fructidor qui y fu-
rent déportées y trouvèrent leur tombeau.
SINOPE, ville maritime grecque, célèbre dans l'anti-
quité , située à l'angle nord-est de la Paphlagonie, province
de l'Asie Mineure , sur l'isthme d'une presqu'île qui s'avance
dans la mer Noire en forme de promontoire, le Sinoub
actuel de l'eyalet turc de Kastamouni, était l'une des plus
anciennes colonies des Milésiens , qui la fondèrent en l'an
"51 av. J.-C, et qui la reconstruisirent en l'an 632. En pos-
session de deux ports, ses relations commerciales et la pro-
ductive pêche des pélamydeset du thon en avaient fait une
très-riche et très- puissante république, dont le territoire s'é-
tendait au sud jusqu'au fleuve Halys (aujourd'hui Kisil-
Irmak), et qui à .son tour fonda plusieurs colonies, telles
que llarmêne, Cotyora, Trapézonte, Cérasonte, Chœrades
et Lycaste. Elle était célèbre aussi comme ayant donné le
jour à Diogène le cynique. En l'an 184 av. J.-C. elle fut
prise par Pharnate l", roi de Pont, qui la dépouilla de ses
libertés, tandis que son troisième successeur, Mithridate
le Grand, en lit la capitale du royaume de Pontet l'embellit.
Attaqué avec insuccès par Murena, en l'an 82 av. J.-C, dans
la seconde guerre contre Mithridate, prise en l'an 72 , dans
la troisième guerre, par Lucullus, qui la dépouilla de quel-
ques-uns des chefs-d'œuvre d'art qui l'ornaient, mais qui la
déclara libre et autonome , elle devint une colonie romaihe
en l'an 45. Sa décadence date du quatrième siècle de notre
ère, époque ou Amasie devint la capitale du Pont. A partir
de l'an 1204 elle fit partie de l'empire de Trébizonde ; mais
dès l'an 1214 elle fut conquise par le sultan seldjoucide d'I-
conium. A partir du quatorzième siècle elle forma la prin-
cipale place forte des Isfendiars de Kastamouni. En l'an
1461 elle tomba au pouvoir du sultan Mahomet II, et depuis
lors elle est demeurée au pouvoir des Turcs.
Le Sinoub actuel , situé à moitié chemin entre Constanti-
nople et Trébizonde, à quarante myriamètres de chacune de
ces deux villes, a quelques fortifications, un vieux château
fort, grande et massive construction carrée, qui remonte au
temps des empereurs grecs, et depuis le printemps de 1854
deux forts et de formidables batteries pour la défense du
port, une rade de 2,400 mètres de large, et un arsenal de
construction maritime, le seul qui existe en Turquie, après
celui de Constantinople. On y construit des frégates et des
vaisseaux de ligne; les chênes coupés sur les montagnes
environnantes fournissant un bois très-dur, les bâtiment»
construits à Sinoub sont renommés pour la solidité et la durée.
Les habitants, au nombre de 12,000 (la ville en a eu autre-
fois jusqu'à 60,000) , font un commerce assez important en
bois de construction, cire, fruits, soie, poissons, etc., et
entretiennent d'activés communications à vapeur avec tout
le littoral. La ville moderne est balle avec les matériaux de
l'ancienne cité grecque; les maisons elles (ortilications pré-
sentent une multitude de débris antiques confusément en-
tassés. On y voit des inscriptions grecques et paphlago-
niennes, des bustes, des statues mutilées. Aussi bien toutes
les villes de l'Asie Mineure, jadis si florissantes par les arts
et le commerce, offrent aujourd'hui ce triste spectacle.
Une récente catastrophe a donné une nouvelle célébrité
à cette ville. Le 30 novembre 1853, l'amiral russe Nachi-
moff, à la tête de six vaisseaux de ligne, forçait l'entrée de
218
SINOPE — SIOUX
la rade de Sinoiib et y détruisait en une heure de combat
une escadre turque forte de sept frégates, deux corvettes,
un bateau à vapeur et trois transports, aux ordres d'Osman-
Paclia, qui conduisait des troupes à Trébizonde, et que le
mauvais temps avait contraint de se réfugier dans la rade
de Sinoub. Le petit vapeur Taif réussit seul à briser la ligne
des Russes, pour venir apporter la nouvelle de ce désastre
à Constantinople; tout le reste de l'escadre turque avait été
coulé bas, à l'exception de la frégate Nizami, que son com-
mandant avait fait sauter. La plus grande partie de la ville,
les chantiers de construction, etc., avaient en outre été incen-
diés par les projectiles russes (i;oyeiSÉBASTOPOL[ Siège de]).
SIJV'OPLE (Blason). Voyez Couleur (Beaux-arts) et
Émaux.
SINOUB. Voyez Sinope.
SII\US (Anatomie). Dans ce sens, comme chez les
Latins, ce mot désigne les cavités dont l'entrée est plus
étroite que l'intérieur, et qu'on rencontre dans diverses
parties de l'organisme. Les unes sont creusées dans les os;
la mâchoire supérieure en offre un exemple remarquable.
D'autres sont formées par des tissus membraneux ou vas-
culaires. Ces cavités sont intéressantes à étudier sous le
rapport de leur usage, etsnrtout sous celui des anomalies
qu'on y rencontre. Des polypes s'y développent souvent,
des fluides peuvent s'y accumuler aussi; et on y rencontre
quelquefois des vers.
Les chirurgiens se servent encore du mot sinus pour dé-
signer des cavités produites par des sources purulentes. Ces
cavités, communément torlueuses, ont engendré l'adjectif
sinueux elle substantif sinuosilés, dont on se sert pour
indiquer une disposition analogue; par exemple le tracé
d'une route, le cours d'une rivière, la direction d'une
vallée, même les plis d'une draperie. Kn cela nous avons
imité les anciens Romains, qui nommaient de môme les plis
de leur toge. Les botanistes enfin emploient le mot simis
pour distinguer les enfoncements creusés sur les bords des
feuilles. Charbonnier.
SINUS ( Trigonométrie ). Le sinus d'un arc est la per-
pendiculaire abaissée d'une extrémité de cet arc sur le
diamètre qui passe par l'autre extrémité. C'est donc la
moitié de la corde qui soiis-tend un arc double. Le sinus
verse est la portion du diamètre comprise entre l'arc et le
pied du sinus.
Si l'on fait croître un arc depuis 0 jusqu'à 90° , le sinus,
d'abord nul , augmente jusqu'à ce qu'il soit devenu égal au
rayon du cercle ; l'arc continuant à croître depuis 90°
jusqu'à 180°, le sinus diminue et redevient nul. Au delà de
180° et jusqu'à 360°, le sinus repasse par les mêmes valeurs
absolues , mais affectées du signe moins. En étendant ces
notions aux autres lignes qu'emploie la trigonométrie,
on parvient à des formules générales, qui permettent de ré-
soudre toutes les questions relatives à cette branche de l'ap-
plication de l'algèbre à la géométrie.
Pour former une table des sinus , on les rapporte tous à
un cercle dont le rayon est pris pour unité, et, ayant calculé
directement le sinus de l'arc de lo", par exemple, dont les
douze premières décimales sont les mêmes que celles de
l'arc de 10" , on obtient successivement les sinus des arcs de
20", 30", 40", etc., parla formule de Thomas Simpson ,
8in(m-i-l) 10"=sinm 10" X2cos lo" — sin(m— 1)10",
en y faisant successivement m égal à 1, 2, 3, 4, etc. On peut
aussi employer la série :
sin x =
X
ï '
X'
X-'
1.2.3 1.2.3.4.5 '
qui dans les cas où elle est convergente donne rapidement
une valeur approchée du sinus d'un arc.
La table des sinus une fois formée, on n'a plus qu'à cal-
culer les logarithmes correspondants pour obtenir la
table en usage dans les applications trigonométriqiies.
E. Merliecx.
SI.N'US FRONTAUX. Voyez Frontal.
SION (Monlagne de), nom de la colline sur laquelle
se trouvait bâtie l;y parlie sud-ouest de Jér usa lem , la
ville de David ou la ville haute, ainsi que le palais de David.
Aujourd'hui il n'y en a plus que la partie septentrionale qui
soit comprise dans la ville. A l'ouest et surtout au sud,
cette montagne tombe à pic dans la vallée de Hinnom, avec
une profondeur d'une centaine de mètres. Dans les pro-
phètes et les poètes de l'Ancien Testament, Sion est ordi-
nairement prise pour la cité de Jérusalem tout entière (de
là l'expression de filles de Sion ), surtout par rapport au
temple; aussi l'appelle-t-on encore \Amonta(jne de Dieu.
SIOUAH, oasis du désert de Libye, tributaire du vice-
roi d'Egypte, à quatorze jours de marche d'Alexandrie,
appelée dans l'antiquité Oasis de Jupiter Ammon ou
Ammoniîtm. Elle a 11 kilomètres de long sur 9 de large,
et forme une vallée entourée de montagnes , renfermant
plusieurs lacs, en général richement arrosée, avecdes prairies,
de petits bois de palmiers, des jardins, des champs, une
riche production de dattes, de melons, d'olives, .'e {gre-
nades, de raisins, de fèves, d'orge, de froment et de riz. Tri-
butaire de l'Egypte depuis 1819 , elle acquitte annuellement
un tribut de 60,000 fr. et de 6,000 quintaux de dattes.
L'oasis compte une population de 8,000 habitants, qui par-
lent un idiome mélangé d'arabe et de berbère, et obéissent
à quatre ou cinq chéicks de leur choix et complètement
soumis à l'administration égyptienne.
La cap\ld\e, Siotia h, ville d'environ 2,500 habitants,
bâtie sur un rocher calcaire escarpé et de forme conique ,
fait avec l'Egypte un grand commerce de dattes.
Il existe dans l'oasis trois anciens temples, dont deux de
construction grecque, et en outre beaucoup de ruines, dont
une partie sont regardées par les archéologues comme les
débris du fameux temple de Jupiter Ammon.
[C'est dans cette oasis que toute l'antiquité alla consulter
un oracle célèbre, celui d'un grand dieu de Thèbes, Ammon,
qui désigna par l'envoi d'une colombe le lieu où il voulait
établir son oracle. Un temple fut construit dans la partie la
plus fertile de l'oasis; la statue du dieu fut faite de bronze
et incrustée d'émeraudes; elle était portée sur une barque
d'or. Non loin du temple, était la fontaine du Soleil, dont
l'eau , suivant Hérodote, était tiède le matin , froide à midi,
tiède encore au coucher du soleil , et bouillante au milieu
de la nuit. C'est cet oracle qu'Alexandre le Grand vint con-
sulter. Des environs de Memphis, il se rendit dans la basse
Egypte, près du lac Marœotis, et de là il s'enfonça dans le
désert. Après plusieurs jours de marche et de privations ,
Alexandre vit le temple entouré d'un bois épais, où des
sources nombreuses entretenaient la végétation; il visita la
fontaine du Soleil. Enfin, le conquérant macédonien con.sulta
l'oracle, qui déclara sans hésitation qu'il était le fils de Ju-
piter. Les voyageurs modernes ont retrouvé à Siouah les
restes du temple d'Ammon , ta fontaine intermittente ; ces
ruines portent le nom de Omm-Beyda.
C'est en se rendant à l'oasis d'Ammon, pour en détruire
le temple, que l'armée de Cambyse périt dans le désert.
Alexandre fut plus heureux; il allait honorer le dieu , qui
ne se montra pas ingrat. J.-J. Cuampollion-Figeac.
SIOUX ou DAHCOTA, nom d'une grande tribu d'In-
diens de l'Amérique du Nord, au sujet de laquelle on n'eut
de renseignements qu'en 1659, par le moyen de quelques
marchands français, qui habite surtout à l'ouest du Missis-
sipi, à savoir depuis le Saskatschavan, dans l'Amérique an-
glaise, au sud, jusqu'à l'Arkansas, et qui se divise en quatre
familles principales : 1° Les Winnebagos. Séparés des au-
tres Sioux, ils habitaient à l'est du Mississipi; mais tout ré-
cemment, au nombre d'environ 5,000 têtes, ils ont abandonné
les rives du lac Michigan pour s'enfoncer dans les déserts
de l'ouest. 2° Les Sioux proprement dits, que les Français
comprenaient sous la dénomination générique de Radowes-
sier, qui s'appellent eu\-mômes Dahcota, ou bien aussi les
Sept Feux, parce qu'ils forment sept peuplades. Ils présentent
ensemble un total de près de 50,000 têtes ; et leurs tribus
SIOUX — SIRÈNES
orientales habitentcnlie leMississipi supérieur et leMissoiiri,
dans ce qu'on appelait autrefois le Territoire Sioux, dans le
territoire acUiel de Mmnesota , et des parties de l'Élat de
Jowa. Aujourd'hui la plus grande partie d'enlre.eux, notam-
ment depuis le traité de 1851, ont été transférés plus loin dans
l'ouest. S"' Les Minetari , connus par les peintures qu'en ont
données le prince Max deNeuwied et Catlin, de même que
par les expéditions de Lewis et de Clarke , habitent la rive
droite du Missouri en remontant jusqu'à rcniboucliure du
Yellowstonc, présentent un total d'environ 10,000 têtes, et
86 divisent en trois peuplades : les Minetari stationnaïres ,
les Mandans, elles Indiens Crow (ou Indiens Upsakoras).
4" Les Osages, la tribu des Sioux lixée le plus au sud. Ils
se divisent en huit peuplades : les Osages proprement dits,
les Kansas, les Eiowas ou Jowas, les Missouris ou Otloes,
les Osnahas ow Mahaws,\të Qtiappaseth?, Puncas. Après
les Sioux proprement dits , c'est aujourd'hui la tribu dah-
cota la plus impoi tante ; les uns habitent Vlndian Terri-
tory, les autres le reste de Nebraska.
SI PU i LIS. Voyez Syphilis.
SIPHOi\ (du grec atcpwv, tube, tuyau ), instrument de
physique dont on se sert spécialement pour transvaser les
liquides, et qui consiste en un tube recourbé , de verre ou
de métal , ayant ses deux branches d'inégale longueur. Si on
plonge la plus courte dans un vase contenant un liquide,
et qu'on retire l'air par l'ouverture de l'autre branche tournée
vers la terre, l'écoulement du liquide se produit par cette
ouverture et continue tant que l'extrémité de la plus courte
branche plonge dans le fluide du vase. Ce phénomène, bien
connu des anciens, qui en ignoraient la cause , est dû à la
pesanteur de l'air. En effet , le vide étant produit dans le
tube, l'atmosphère qui pèse sur la surface libre du liquide
force celui-ci à monter à la place de l'air dans le siphon, et
son propre poids le sollicite à s'écouler. La pression atmos-
phérique fait continuer l'écoulement, à la condition que
le poids de la colonne liquide contenue dans la branche hors
du vase soit plus fort que celui de la colonne contenue dans
l'autre branche, parce que cet excédant de poids empêche
que la pression de l'atmosphère à l'ouverture extérieure ne
fasse équilibre à cette même pression à l'extrémité du tube
intérieur; mais si ces deux colonnes deviennent égales, l'é-
quilibre de pression s'établit aux deux ouvertures du siphon,
l'eau ne monte plus, et l'écoulement cesse. C'est pourquoi
la branche extérieure du siphon doit être plus longue que
celle qui reste dans le vase.
L'intermittence de certaines fontaines est due à la forme
en siphon des canaux souterrains qui les alimentent. Quand
ce réservoir est plein, il y a écoulement ; dès que son ni-
veau s'abaisse au-dessous du tuyau formant siphon , il s'ar-
rête pour ne recommencer que lorsque le réservoir s'est
rempli. On peut former de ces fontaines intermittentes arti-
ficielles en barrant une source par une digue dans laquelle
on construit un siphon : la seule condition de succès est de
faire le siphon plus bas que le faîte de la digue, et de lui
donner une capacité intérieure assez grande pour que l'é-
coulement soit plus abondant que le ruisseau ou la source
alimentaire. On peut aussi se servir de siphon pour vider
un étang ou un marais sans ouvrir la digue ou sans creuser
de tranchée.
On donne encore le nom de siphon à un tourbillon ou
nuage creux qui descend sur la mer, et qu'on appelle ainsi
dans l'idée qu'il pompe l'eau de la mer.
Dans la botanique, c'est le nom d'une aristoloche. Dans
la conchyliologie, on nomme siphon le canal qui traverse
la cloison des coquilles polythalames et qui en fait commu-
niquer ensemble les différentes loges.
SIPHON ( Baromètre à). Voyez Baromètre.
SIPOYS ou SEAPOYS. C'est le nom sous lequel les Eu-
ropéens désignent, aux Indes orientales , l'infanterie indi-
gène. Nous en avons fait dans notre langue le mot ci pa ye.
SIR, mot anglais dérivé du français sieur, et qui s'em-
ploie dans le discours direct dans le môme sens et dans les
210
mêmes circonstances que notre mot monsieur. Quand il
est ajouté à un nom de baptême , par exemple : Sir Robert
Peel , Sir Charles Nai)ier, il indique que la personne dont
on parle a le titre de baronet ou de chevalier. Il iie se joint
jamais à un nom de famille , à la différence de notre mot
monsieur. En parlant à im roi ou à un prince de maison
souveraine, on le qualifie non pas de mylord (qualifica-
tion réservée dans le discours direct aux pairs et à leurs
fils aînés), mais de sir : cas auquel ce mot répond à notre
mot sire.
SIR ou SIR DARIA. Foyes lAXARTES.
SIRACII, dont le véritable nom était Jésus , fils de Si-
rach , juif de Jérusalem, qui paraît avoir vécu environ
200 ans av. J.-C, est l'auteur d'une collection de proverbes
semblable à celle de Salomon , mais beaucoup plus étendue,
et qui occupe une place importante dans la littérature hé-
braïque, à cause de son contenu religieux et des excellentes
règles de sagesse qu'on y trouve. L'original hébreu de la
colleclion n'existe plus. Le petit-fils de Jésus la traduisit
vers l'an 130 avant J.-C. en grec, et ce texte se trouve au-
jourd'hui parmi les apocryphes de l'Ancien Testament.
SIDAR. Voyez Siriis. , . '
SIRE. On est peu d'accord sur l'origine de ce mot. Les
uns le font venir du latin herus , ou de l'allemand Aerr; les
autres du latin senior, dont on aurait fait par contraction
5ior, puis sire; d'autres, enfin, le dérivent du bas grec
xûpo;. Quoi qu'il en soit, le titre de sire fut d'abord donné
par les Grecs à leurs empereurs. Dans la suite, ce titre fut
usurpé par tous les seigneurs , soit justiciers , soit féodaux.
Dans le treizième .siècle, il fut donné à Dieu môme ; et de-
puis le seizième siècle, il est réservé aux rois et aux empereurs
seuls : on s'en sert en leur pariant et en leur écrivant.
Froissart appelle Dieu le sire du ciel et de la terre. On di-
sait autrefois le sire de Joinvilie, le sire de Créquy , le sire de
Coucy, etc. Ce mot a aussi été employé pour père.
Familièrement et ironiquement, on appelle pauvre sire^
triste sire , un homme sans importance , sans considération ,
sans capacité.
SIRÈNES, monstres fabuleux, dont le buste ailé offrait
les charmes et l'attrayant sourire des plus belles nymphes,
et dont le reste du corps se terminait en queue de poisson.
Elles étaient filles d'Achéloiis , aujourd'hui Aspro-Potamo,
fleuve d'Acarnanie, et de la muse Calliope, ou de Melpo-
mène, ou encore deTerpsichore. Vu la douceur de leur chant,
il leur convient mieux d'avoir la première pour mère. Elles
prirent du fleuve leur père le doux surnom û'Achéloides.
On en comptait depuis deux jusqu'à huit, si jamais œil hu-
main put les compter toutes à la (ois , car, ainsi que nos
fées, elles étaient presque toujours invisibles; leurs chants
délicieux révélaient seuls leur présence. On en reconnais-
sait généralement trois, dont les noms, les plus répandus
dans la Grèce et sur les mers italiques, étaient Leucosie ,
Ligée ou mieux Ligye et Parthénopc , mots grecs , suaves
comme leur voix, qui signifient [à Blanche, {'Harmonieuse,
Voix ou Œil de Vierge. Leur appellation collective de
Sirènes serait dérivée, selon la plupart des étymologistes ,
des substantifs atipi (chaîne), ou aupry (petit oiseau).
Les Sirènes se retiraient dans trois îlots hérissés d'écueils,
entre la côte d'Italie et l'île deCaprée, rocher que l'infâme
Tibère, s'enivrant tour à tour de sang , de vin , de débauche
et de volupté, sembla plus tard choisir exprès pour attirer ses
victimes. D'autres fixaient le séjour de ces nymphes sous des
rochers inaccessibles, près du cap Pélore, dans les parages
de la Sicile. Sur le mythe primitif grec des Sirènes , les
poètes brodèrent différentes légendes, o[)posées souvent les
unes aux autres. Hygin raconte qu'au temps où Pluton, sur-
gissant dans la vallée d'Enua par le centre ouvert de la
terre d'Apollon , c'est-à-dire de la Sicile, enleva Proserpine
cueillant des fleurs, ces nymphes demeurèrent immobiles
et indifférentes spectatrices de cette brutale violence, et que
Cérès, en punition de ce lâche abandon, les changea eu
monstres, moitié femme et moitié oiseau. Ovide dit, au cou
220
SIRÈNES ~ SISMONDT
trairp, que ces jeunes nymplies, désolées de la disparition de
leur belle compiigne,deinandàrcnt aux dieux des ailes, afin
de ladierclier par toute la terre, ce qui leur futsur-Ie-cliamp
accordé. Toutefois, l'oracle avait prédit à ces nymphes de
la mer qu'elles périraient dans leurs propres ondes, du mo-
ment qu'un seul homme passerait devant elles sans se laisser
aller dans leurs gouffres liquides, attiré par le charme de
leur voix. L'Argonaute Orphée les vainquit (larles merveilles
de sa lyre : dès ce jour elles devinrent muettes; mais lors-
que Ulysse passa devant leurs roches, elles retrouvèrent
leur voix mélodieuse. Cependant, elle fut impuissante con-
tre le héros, qui s'était fait lier au mât de son navire, et
contre les matelots, dont il avait eu la précaution de bou-
cher les oreilles avec de la cire. Malgré l'oracle, deux fois
vaincues , de désespoir, elles se précipitèrent dans les ondes
pour ne plus reparaître.
En histoire naturelle, on appelle de ce nom harmonieux
une espèce de phoque que j'ai vu vivant à Paris. Ce poisson
a une large et belle poitrine , avec de fermes mamelles , de
grands yeux ovales, doux et cruels tout ensemble, ainsi
qu'un nez et une bouche bien formés {voyez Dugong).
On n'a pas manqué dans les langues modernes de prendre
au figuré ces (illes mélodieuses des ondes : aussi dit-on d'une
grande cantatrice, bien que le trope soit vieilli: «Elle
chante comme une sirène. » Cette figure est mieux em-
ployée lorsque l'on veut peindre la séduction.
Denne-Baron.
SIRÈrVE (Blason). Voyez Meubles.'
SIRENE (Zoologie), genre de reptiles batraciens de
la famille des urodèles, établi par Linné en 1765, dont la
sirène lacertineest le type. Ses caractères sont les suivants :
corps allongé , anguilliforme, queue conformée en nageoire;
lète aplatie, museau obtus, yeux petits, oreilles cachées,
membres antérieurscourls, complets, terminés par trois ou
quatre doigts bien distincts; les postérieurs manquent; il
n'y a aucun vestige de bassin ; mcXchoire inférieure garnie
de dents : la supérieure en est dépourvue, mais le palais est
garni de plusieurs rangées de dents de chaque côté. La si-
rène lacertine habite les marais de la Caroline (Amérique du
Nord) , où elle se tient dans la vase : on la trouve quelque-
fois sur la terre. Elle se nourrit d'insecles, de vers et de
mollusques. Son nom vulgaire est madiguassa.
. SIRETH. Voyez Séketh.
SIRIUS. C'est le nom que l'on donne en astronomie à
la plus brillante étoile du ciel ; elle se trouve dans la cons-
tellation du Grand Chien , et se fait remarquer par sa scin-
tillation et .son éclat au sud-est d'Orion. Les poètes anciens
l'ont souvent célébrée. Le lever hélinque de Siriiis était
l'objet d'une attention toute particulière chez les peuples de
l'antiquité. Chez les Égyptiens, il arrivait en été, et for-
mait les jours caniculaires (voyez Canicule), que l'on
compte encore depuis le 22 ou 24 juillet jusqu'au 24 août;
on l'observait avec le plus grand soin à Memphis, comme
l'a remarqué M. Letronne , d'après Olympiodore
SIRMIUM. Voyez Sykmie.
SIRMOND (Jacques), savant jésuite, néàRiom, en
1559, mort à Paris, en 1651, fut pendant seize ans, de
1590 à 1605, secrétaire de son général Aquaviva, qui, ap-
préciant son mérite et son érudition , l'avait fait venir à Rome
pour occuper auprès de lui ces fonctions. Pendant son sé-
jour dans la capitale du monde chrétien, le P. Sirmond
ne fut pas inutile au cardinal Baron lus pour la com-
position de ses Annales. On voulait le retenir à Rome;
mais l'amour de la patrie le ramena en France, en 1608.
Quelques années après, il fut nommé confesseur du roi
Louis XII [, et il remplit ces fonctions pendant longues
années. On a de lui un grand nombre d'ouvrages , la plupart
écrits en latin; entre autres, des Notes sur les capilulaires
de Charles le Chauve et sur le Code Théodosien , une édi-
tion des Conciles de France , des éditions des œuvres de
Marcellin, de ïhéodoret et d'Hincmar de Reims , une His-
toire prédeslinatienne et meffiitoirede la Pénitence.
Ces deux derniers ouvrages n'ont pas paru à quelques
théologiens complètement exempts de rc[iroches sous le
rapport de l'orthodoxie.
SIROCCO ou SIROCO (de l'arabe shorouk , le le-
vant, qui vient du levant). C'est le nom d'un vent du sud-
est, d'une chaleur accablante, qui souflle souvent avec
une grande violence sur les cotes de l'Italie méridionale ,
particulièrement au printemps et en automne, pendant trente-
six et quarante heures de suite, quelquefois même, bien
qu'avec moins d'intensité, pendant deux et trois semaines,
et dont rinfiuence délétère produit les effets les plus perni-
cieux sur toute vie animale et végétale. On le considère comme
une émanation du samouin de la Perse et de l'Arabie,
qu'un courant aérien (ait ciianger de direction, et qui s'a-
doucit en traversant la Méditerranée. Les îles de Malte et
de Sicile, où il arrive d'Afrique, sont les points de la Médi-
terranée où il est le plus chaud ; mais ces courants, qui ar-
rivent subitement, ont rarement plus d'une ou deux minutes
de durée. Les îles Ioniennes y sont moins exposées; et à
Corfou on en distingue deux espèces, le sirocco noir et
l'ordinaire. Quoique le plus souvent il n'exerce pas d'ac-
tion bien sensible sur le thermomètre non plus que sur le
baromètre, il produit presque toujours la sensation d'une
chaleur étouffante et accablante, amenant-une jtrostration
totale du corps et des sueurs abondantes au moindre mouve-
ment. Les habitants des contrées soumises à l'inlluencedu
sirocco pressentent .son approche quelques heures d'avance,
en raison de sensations toutes particulières qu'ils éprouvent
alors et qui sont les signes précurseurs de son arrivée.
SIROP, dans l'acception propre et primitive, signifie
dissolution de sucre dans Veau ; mais cette acception a
été souvent détournée, surtout par les marchands de re-
mèdes empiriques. Ceux-ci ont imaginé mille compositions
iliverses, qu'ils offrent à la crédulité de leurs dupes, sous
le nom de sirops, accompagné d'épithètes aussi fastueuses
flu'elles sont ordinairement mensongères.
Les véritables sirops de sucre sont ou simples ou compo-
sés. Les uns rentrent dans le vocabulaire de la table ou de
l'office, les autres répondent aux prescriptions de l'art de
guérir.
Le sucre, comme chacun sait, est très-solubie dans l'eau :
à 9 degrés centigrades, elle en peut dissoudre un poids
égal au sien; à lOO degrés, elle peut le dissoudre en toutes
proportions. C'est seulement quand l'eau est saturée de su-
cre qu'elle prend à proprement parler le nom de si?'op. Cette
dissolution de sucre, toujours filante et visqueuse, étant
étendue en couche mince sur une surface solide, s'y des-
sèche et y laisse un enduit brillant et comme vernissé.
Le sirop est un excipient trè.s-convenable pour la conser-
vation d'une foule de matières végétales et môme de plusieurs
matières animales. Dans la préparation des sirops médici-
naux , pour lesquels on n'a spécialement prescrit ni le poids
ni la mesure du sucre et de l'eau, le pharmacien observe en
général la règle suivante : il emploie neuf hectogrammes de
sucre raffiné pour un litre d'eau.
Les sirops, en général, demandent, pour éviter la fer-
mentation , à être tenus dans un lieu où la température ne
s'élève jamais au-dessus de dix degrés centigrades.
SÎROl» DE CHASTETÉ. Voyez Gattilier.
SIRVEMTE, SlRVEiNTOIS ou SERVEiNTOLS, sorte
de poésie ancienne des troubadours et des trouvères, ordi-
nairement satirique, et qui est presque toujours divisée en
strophes ou couplets, destinés à être chantés. Voyez MÉ-
NK.STRELS, TnOURAnOURS et TB0UVf:RES.
SISINMIUS, pape, fut le quatre-vingt-neuvième évéqiie
de Rome. H était Syrien de nation et fils d'un nommé
.Jean. Le peuple et le clergé l'élurent en 707, après ime va-
cance de trois mois, à la place de Jean VII. Mais la goutte
l'étouffaau bout de vingt jours; et ses actes pontificaux se
bornent à la consécration d'un évêque pour la Corse.
SISMOXDI (Ji;AN-CEi\Ri.ES-LÉoN\itD SIMONDE de),
célèbre historien et publiciste contemporain , naquit à Go,-
SISMONDI —
nève, le 9 inai 1773, et descendait d'une ancienne famille
de Pise établie dans le Dauphiné, à partir de l'an 1508, et
que, plus tard, la révocation de l'édit de Nantes contrai-
gnit de se réfugier à Genève. Son père , qui jouissait d'une
belle fortune , était ministre de l'Évangile. Le jeune Si-
monde fut envoyé par ses parents à Lyon, pour y occuper
un emploi dans la maison Eynard,où il puisa des no-
tions commerciales et linaiicières , qui devaient ensuite
lui faciliter l'étude de l'économie politique. 11 était de re-
tour auprès de son père en 1793. La famille Simonde jugea
alors à propos d'abandonner une ville dont l'antique consti-
tution venait d'être détruite par la violence, et de se réfugier
en Angleterre. Le jeune Charles mit à profit les dix-liuit mois
de séjour qu'il lit dans ce pays, pour en étudier à fond la
littérature, les lois et les mœurs.
C'est l'amour du sol natal qui ramena la famille Siuioiuie
à Genève ; mais les secours qu'elle accordait à un émigré
fiançais, lequel fut arraché de sa maison pour être fusillé,
lui valurent bientôt toutes sortes de tribulations. Le père et
le (ils furent jetés en prison et frappés d'une amende con-
sidérable. Une fois rendus à la liberté, ils n'eurent plus
qu'une pensée, celle de réaliser leur fortiuie, de fuir une ville
où l'on avait désappris la liberté, et de se retirer en Tos-
cane, dans la primitive patrie de leurs ancêtres. Us s'y éta-
blirent dans un domaine dont ils firent l'acquisition aux en-
virons de Pescia ; et c'est à partir de ce moment que le
jeune Charles ajouta à son nom celui ôeSismondi, qui avait
autrefois a[)partenu à sa famille. 11 passa dans celte re-
traite cinq années. Il était trop libre penseur pour ne point
finir par devenir suspect dans un pays où les uns lui fai-
saient un crime d'être trop français, et les autres d'être
trop autrichien, sans doute parce qu'il était toujours |)our
le parti de la raison et de la modération. Dénoncé , empri-
sonné à trois reprises, sa mère eut môme un instante
craindre pour ses jours. En 1800 la famille Sismondi re-
vint donc à Genève. I/aunée suivante Simonde de Sisnioudi
publia un Tableau de V Agriculture toscane, et deux ans
plus tard son Traité de la Richesse commerciale, qui le
placèrent au nombre des notabilités de sa ville natale. Ge-
nève avait bien pu perdre son indépendance politique, elle
n'en était pas moins demeurée un foyer de lumières ; et Sis-
mondi y vivait dans la société intime des l5onstetten,
des Benjamain Constant, des Dumont, des de Can-
dolle,dcs Pictet, et de toute cette brillante pléiade dont
madame de S ta ë 1 ne tarda pas à devenir l'âme et la vie. 11
était, comme on voit, à bonne école, pour s'initier à la
connaissance et à la mise en pratique des principes de ceux
que Napoléon craignait tant, sous le non» à'' idéologues. Il
commença vers 1807 la publication de son Histoire des
Républiques italiennes, Am\\. le seizième et dernier volume
parut en 1818. lin 1812 il fit un cours public sur la litté-
rature du midi de l'Europe, et ses leçons furent imjirimées
l'année suivante (Paris, 1813; 4'' édition, 1840). A l'é-
poque des cent jours, il se trouvait à Paris. Il comprit que
Napoléon était à ce moment le rejirésentant nécessaire de
l'idée de progrès dont la révolution Irançaise avait été vingt-
quatre ans auparavant l'expression, et il n'hésita pas à dé-
fendre de sa plume , dans Le Moniteur, l'homme que seul
peut-être des littérateurs contemporains il n'avait jamais
tlatté au temps de sa puissance. En 1813 il consentit à
écrire pour V Encyclopédie d'Edimbourg un article PaÉ-
jiTÉs, qui fut traduit en anglais sur son manuscrit, mais
dont ou retrouvera le texte original dans notre diclionuaire.
C'est peut-être le morceau le plus remarquable qui soit
sorti de sa plume. Le style en est d'une remaniuable luci-
dité. Les aperçus ingénieux, les pensées profondes s'y
succèdent sans interruption; et après l'avoir lu , il est im-
possible de ne pas se sentir disposé à apporter dans ses
opinions et ses jugements un peu du sage scepticisme qui
fait le fond de ce beau travail philosophique. En 1819 Sis-
mondi épousa une jeune et riche Anglaise, parente de sir
James M ackititos h. Cette union fit le charme du reste de
SIIELLE 221
savie. En 1821 il commença la publication de son histoire
des Français (31 vol., Paris, 1821-1843), qui l'a placé au
premier rang de nos historiens, mais qui deviendra diffici-
lement un livre populaire chez nous, parce que l'auteur ne
se gène pas pour nous dire nos vérités , et que, nous autres
Fançais, nous voulons avant tout être flattés, ou dans nos
passions, ou dans nos préjugés, mais surtout dans la
portrait que l'historien fait de notre caractère national.
Nous citerons encore, parmi les principaux ouvrages dont
on est redevable à Sismondi, son Histoire de la Chute de
V Empire Romain et dudéclin de lacivilisation,de l'an 250
à l'an 1000 {2 vol., Paris, 1835), ouvrage primitivement
écrit en anglais, et qui fait partie, dans cette langue, de
la Cabinet Cijclopedia du docteur Lardener ; Julia Severa ,
ou l'an 492 (3 vol. in-12, Paris, 1822), livre dans le-
quel l'auteur a sacrifié à une mode du moment , celle des
romans historiques, et où il s'est attaché à présenter le ta-
bleau des mœurs et des usages dans les Gaules au temps
de Clovis; Nouveaux Éléments d'Économie politique
( 1819 ; 2* édit., 1824); Études sur les Sciences sociales
(3 vol., 1836-1837). Sismondi mourutà Genève, le 25 juin
1842, à l'âge de soixante-neuf ans.
SISTERO\. Voyez Basses-Alpes.
SISTOVVA ou SZISTOWA, appelée aussi Schistow ou
Schistab , ville de la province turque de Boulgarie, sur une
hauteur dominant la rive droite du Danube, entre Nikopoli
et Routschouck, compte 20,000 habitants , qui entretiennent
des tanneries et des filatures de coton , et font un peu de
commerce et de navigation. Celte ville est célèbre dans
l'histoire par le congrès qui s'y ouvrit le 30 décembre 1790,
et qui amena, le 4 août 1791, entre la Turquie et l'Autriche
la signature d'un traité de paix, qui rétablissait le statu quo
existant entre les deux puissances avant le commencement
des hostilités (9 février 1788). A 14 kilomètres à l'est ou au-
dessous de Sistowa, on rencontre le petit bourg de Cervenat
où le 7 septembre 1810 les Russes battirent les Turcs.
SISTRE, instrument de musique des anciens Égyptiens,
qui s'en servaient pour le culte d'Isis, et qui est encore
en usage aujourd'hui parmi les Abyssins. Le plus souvent
cet instrument était ovale et fait d'une lame sonore ajustée,
à sa partie inférieure, dans un manche qui servait à le
tenir et à l'agiter en cadence. De chaque côté, la circonfé-
rence de la lame était percée de plusieurs trous opposés l'un
à l'autre; par ces trous passaient plusieurs verges de même
métal que le corps de l'instrument, dont elles traversaient
ainsi le plus petit diamètre, et qui à leur extrémité étaient
terminées en crochet. Isis passait pour avoir inventé le
sistre, qui rendait des sons d'autant plus agréables, que le
métal en était plus pur et les trous en plus exacte pro-
portion entre eux.
SISYPHE, fils d'Éole et d'Énarète , époux de Méro|)e,
fondateur de la ville d'Ephyra, devenue plus tard C o r i n t h e ,
est représenté comme le plus rusé et le plus corrompu des
hommes, et jouissait à ce titre, de même que toute sa race,
d'une triste célébrité. Ce qui l'a surtout rendu fameux ,
c'est la peine qu'il a été condamné à subir dans les enfers
en punition de ses iniquités. Elle consistait à pousser de-
vant lui des pieds et des mains, avec d'incroyables efforts,
un immense rocher, qu'il roulait delà plaine au faite d'une
montagne. Croyait-il l'avoir enfin fixé au sommet, aussitôt
ce poids énorme retombait avec fracas; et alors Sisyphe re-
commençait encore son ingrat travail , sans pouvoir jamais
prendre un seul instant de repos. La crainte de ne pas réussir
davantage faisait couler de tous ses membres une abondante
sueur, et son visage était tout imprégné de poussière.
SITELLE ou SITTELLE , genre d'oiseaux de la famille
des grimpereaux , ordre des passereaux , que Georges Cu-
vier a placés dans la famille des ténuirostres, et caractérisé
par un bec couvert à sa base de petites plumes dirigées en
avant, entier, droit , comprimé , cunéiforme , à mandibules
égales; des narines ovalaires, cachées sous les plumes du
front; des ongles forts; des ailes moyennes; une queue
222 SITELLE
médiocrement longue, égale. Les habitudes de ces oiseaux
tiennent de celles des pics et des mésanges; tous ont un
caractère doux et taciturne, et vivent ordinairement so-
litaires. Les diverses dénominations vulgaires sous lesquelles
l'espèce type de ce genre est connue , telles que celles de
Torche-pot, Perce-pot, Pic-maçon, lui viennent de la sin-
gulière habitude qu'a, dit-on, cette espèce de rétrécir, soit
avec de la boue, soit avec des excréments de quadrupède,
l'ouverture du trou qu'elle a choisi pour faire son nid.
Comme ce sont toujours les excavations naturelles des ar-
bres , ou celles qui y sont pratiquées par les pics , que celte
espèce adopte pour faire ses pontes , il en résulte que ces
cavités ayant une ouverture constamment trop grande , elle
est forcée de la réduire. On a en Europe trois espèces appar-
tenant à ce genre : la sitelle torche-pot, qu'on rencontre
dans presque tout le continent; la sitelle syriaque, particu-
lière à la Dalmatie, au Levant et à la Syrie; la sitelle
soyeuse , particulière au Caucase et à la Sibérie.
SITKA ou SITCHA , appelée aussi Baranof/, lie de la
côte de l'Amérique Russe, dépendant de l'Archipel du roi
Georges III, et formant, avec les îles et les côtes qui s'éten-
dent du Saint-Élias au 54"40'de latitude septentrionale, l'un
des six cercles administratifs de la Compagnie russe de Com-
merce. Elle n'a que peu de terre arable, et est en grande
partie couverte de pins immenses. Sur la côte occiden-
tale de l'Ile, et sur le sund de Sitka ou de Norfolk, on
trouve le chef-lieu de toute l'Amérique russe , Sitka ou
Nouvel-Archangelsk , en russe Nowo-Archanguelsk , ré-
sidence du clief ou natschalaz et siège du principal comp-
toir de la compagnie, où l'on centralise les produits de la
chasse faite dans toute l'étendue de l'Amérique Russe , et
d'où on expédie aux divers autres établissements les maté-
riaux , les provisions et les marchandises qui leur sont né-
cessaires. Cet endroit est entouré de forêts, de marais, et
de hautes montagnes escarpées. Toutefois , des pluies fré-
quentes y développent une végétation qui semblerait de-
voir n'appartenir qu'à des latitudes plus méridionales.
C'est en 1799 que fut fondé cet établissement. Détruit en
1802 par les Kolosches, il fut reconquis et reconstitué en
1804 par Baranoff. Les divers édifices sont en bois, les rues
irrégulières et sales. On y compte à peine 1,200 habitants;
maison y trouve un iiôpital, des chantiers de construction,
des hangars, des magasins , un arsenal, une école de ma-
rine, un observatoire, une pharmacie, une bibliothèque.
Les luthériens, pour la plupart originaires de la Finlande,
ont un aumônier de leur culte ; mais les catholiques grecs
ont un évoque, dont le diocèse comprend toute l'Amérique
Russe, les îles Aléoutiennes, le golfe d'Ochotski et le Kamt-
scliatk;.!^
, SI VA. T'oî/e- Indienne (Religion).
SIVERTSE\' { CoRD ) , dit Adelaar, après le Hollan-
dais Ru y ter le plus grand homme de mer du dix-septième
siècle, naquit en 1622, à Brevig, en Norvège. Entré à l'âge
de quinze ans comme simple matelot dans la marine hol-
landaise , il passa cinq ans plus tard au service de la répu-
blique de Venise, alors en guerre avec les Turcs. Le IG
mai 1654, entouré par 67 galères turques , il perça la ligne
ennemie avec son unique vaisseau, coula bas 15 galères, en
incendia plusieurs, et anéantit près de 5,000 infidèles. Il
parvint alors rapidement de grade en grade jusqu'à la di-
gnité de général-amiral-lieutenant ; et ce fut parmi les puis-
sances maritimes à qui lui ferait les plus brillantes promes-
ses pour l'attirer à leur service. En 1661 il quitta Venise,
déterminé par l'offre d'un traitement annuel de 7,200 rigs-
dalers (36,000 fr.), somme énorme pour l'époque, que lui fit
le roi de Danemark Frédéric III, pour venir prendre le com-
mandement supérieur de la flotte danoise , qu'il se char-
gea d'organiser sur le modèle de la flotte hollandaise. En
1675 Christian V lui confia le commandement en chef de
toutes SCS forces navales dans sa guerre contre la Suède;
mais le mauvais état de sa santé l'empêcha d'entreprendre
rien de bien important, et il mourut la même année, à Co-
- SIXTE
penhague. Il dut ce surnom à'' Adelaar, qui veut dire aigle,
à l'extrême rapidité de ses mouvements à la mer.
SIWASCH ou MER PARESSEUSE. Voyez Crimée.
SIXTE. On compte cinq papes de ce nom.
SIXTE r"", successeur d'Alexandre, en l'an 132, sous le
règne d'Adrien, fut le huitième évêque de Rome. Il était
fils d'un Romain , nommé Helvidius par quelques auteurs ,
et Pastorpar le Pontifical. Baronius le fait martyriser sous
Anlonin le Pieux, sans que cette mort violente soit consta-
tée parles écrivains les plus rapprochés de cette époque.
Tout le monde s'est seulement accordé à donner une durée
de dix ans à ce pontificat.
SIXTE II, vingt-cinquième pape (257-2 58), était d'Athènes.
Il fut diacre sous le pape saint Etienne, dont il partagea la
captivité, et auquel il succéda, l'an 257, sous le règne de Va-
lérien. Ce fut sous ce pontificat que parut à Ptolomaïde l'hé-
résiarque Sabellius, qui réfutait la Trinité et n'admettait
en Dieu qu'une seule personne sous trois noms. La terrible
persécution exercée contre les chrétiens par les ordres de
Vaiérien empêcha Sixte II de combattre cette hérésie. L'em-
pereur était alors à guerroyer contre les Perses, et son lieu-
tenant Macrien était resté dans Rome. Ce fougueux ennemi
de la religion nouvelle sollicita et obtint de .son maître l'or-
dre de mettre à mort les évêques, les prêtres et les diacres,
de dégrader les sénateurs et les chevaliers qui auraient em-
brassé la foi de Jésus-Christ, et de confisquer tous leurs biens.
Sixte II fut saisi priant dans le cimetière de Calixte , avec
une grande partie de son clergé, et conduit immédiatement
au supplice. Quelques auteurs le font décapiter; d'autres le
font mourir sur la croix. Mais ils s'accordent tous sur l'é-
poque de son martyre, qui eut lieu l'an 258. Le saint-siége
vaqua alors l'espace d'une année.
SIXTE III, quarante-sixième pape (432-440), était Romain
de naissance, et succéda à Célestin l*^"", le 26 avril ou le 7 août
432. Un schisme attligeait les Églises d'Orient ; Sixte III adopta
le sentiment de saint Cyrille contre les nestoriens. Ne pou-
vant parvenir à dominer le patriarche de Constanlinople, il
étendit la juridiction de l'évêque de Thessalonique , et lui
soumit toutes les églises d'illyrie, en se réservant toutefois
le droit d'approbation ou de rejet. C'est lui qui envoya saint
Patrice prêcher l'Évangile en Irlande. Voila à peu près tout
ce que l'histoire raconte des actes de ce pape, qui mourut
le 28 mars 440, après un pontificat de près de huit ans, et
qui eut pour successeur Léon le Grand.
SIXTE IV, deux cent vingt-et-unième pape (1471-1484),
se i\omm&\i Francesco Albexola délia Eovera. Il naquit le
22 juillet 1414, à Cella, petit bourg de la rivièrede Gênes, à
cinq milles deSavone;et son père, Léonard, n'était qu'un
pauvre pêcheur. Francesco , ayant pris le cordon de Saint-
François d'Assise, fut reçu docteur à l'université de Padoue,
professa dans les villes de Bologne, de Pavie, de Florence, par^
vint au grade de provincial de Ligurie, fut fait successivement
procureur général à la cour de Rome, vicaire général d'Italie,
général de l'ordre, cardinal et enfin pape, le 9 août 1471 ,
sous le nom de Sixte IV, à la place de Paul II. La croi-
sade rêvée par Pie II fut reprise avec ardeur par Sixte IV.
Dès 1472 quatre de ses légats partirent à cet effet pour
les différentes cours de l'Europe. Mais le cardinal d'Aqui-
lée ne put réconcilier les rois de Pologne et de Hon-
grie , qui se disputaient la couronne de Bohême. Le car-
dinal Bessarion eut, de son côté, la maladresse de voir le
duc de Bourgogne avant le roi Louis XI, et s'en retourna
bafoué par le vieux renard. Le cardinal Borgia ne fit qu'en-
venimer la querelle du roi d'Aragon et du roi de Castille.
Il se borna à pressurer l'Espagne, et s'occupa moins des
Turcs que de la France , contre laquelle il voulait liguer
toute la Péninsule. La levée des décimes réclamés pour
cette guerre ne fut pas plus facile. Les collecteurs du pape
sévirent insultés en Allemagne et battus en Angleterre.
Ce grand zèle pour la croisade aboutit à la réunion d'une
trentaine de galères, sur lesquelles le cardinal Caraffa pa-
rada inutilement dans la Méditerranée. Louis'XI, craignant
SIXTE
223
d'avoir irrité le pape dans la personne de Bessarion , envoya
cependant une ambassade à Rome pour demander la con-
vocation d'an concile en France, la réduction des taxes sur
les bénéfices et l'exemption des décimes pour le clerj-c.
Mais Sixte IV prit sa revanche sur l'ambassade française.
Louis XI s'en vengea à son tour par des édits qui comman-
daient la résidence aux prélats de son royaume, sous peine
de saisie du temporel. Aucun grand personnage de France
ne parut en conséquence au jubilé de 1475 , qui attira dans
la capitale du monde chrétien des rois, des princes, des
seigneurs de tous rangs, et surtout des trésors de toutes es-
pèces. Ces trésors servirent à Sixte IV à fomenter des trou-
bles dans Florence , qu'il voulait enlever aux Médicis pour
la donner à son neveu Jérôme. Les Pazzi assassinèrent Ju-
lien de Médi c is dans une église, et le pape lança l'excom-
niunication contre les Florentins, parce qu'ils avaient fait
pendre ceux qu'ils regardaient comme les assassins, au nom-
bre desquels se trouvait l'archevêque de Pise. Florence ,
justement indignée, déclara la guerre au saint-siége, et fit
alliance avec le duc de Milan, les Vénitiens et la France.
Louis XI envoya le vicomte Lautrec à Rome pour deman-
der la levée de l'excommunication et le châtiment des com-
phces des Pazzi. Sixte IV se montra d'abord inllexihle. La
guerre de Florence continua donc. Les succès des Turcs et
le siège de Rhodes par leur année furent plus eflicaces
que les sollicitations de toute la chrétienté. Sixte IV ac-
corda enfin la paix à Florence ; et ses légats parcoururent
encore une fois l'Europe pour exciter les princes chrétiens
à la guerre sainte. La prise d'Otranle par les Turcs redou-
bla les terreurs du pape et le zèle des puissances. Les flot-
tes musulmanes furent chassées de l'Adriatique , et Otrante
reprise. Cependant, l'esprit belliqueux du pontife , ses i)ro-
digalités en riches édifices, ses présents à la bibliothè-
que du Vatican, qu'il enrichissait d'une foule de manuscrits
chèrement achetés, sa magnificence enfin, avaient épuisé
plusieurs (ois son trésor, et les moyens dont il se servit
pour le remplir ne furent pas toujours dignes du chef de
l'Église. Il ne faut pas croire néanmoins tout ce qu'ont ra-
conté de lui les écrivains protestants et florentins. Sa mort
fut, dit-on , causée par un accès de colère, en apprenant
que son allié le duc de Ferrare venait de faire la paix
avec la république de Venise. Cette mort arriva le 13 août
1484 ; elle termina un pontificat de treize ans et quatre
jours. On lui doit plusieurs livres de théologie et de cri-
tique religieuse. Platine fut son bibliothécaire, et c'est sur
son invitation que cet historien écrivit les vies des papes.
SIXTE V, appelé SIXTEQUINT par l'histoire, fut le deux
cent trente-sixième pape ( 1585-1590). H se nommait Félix
Peretti ; il était né le 13 décembre 1621 , à Grotte a Mare,
près de Montalto, dans la Marche d'Ancone, de François Pe-
retti, vigneron, et d'une servanteappeléeGabane, qui, n'ayant
pas de quoi le nourrir, le donnèrent, à l'âge de neuf ans,
à un cultivateur de leur village. Celui-ci lui confia d'abord
un troupeau de brebis, et le mit plus tard à garder ses
cochons , comme incapable de mener les autres bètes. Une
politesse faite à un moine égaré, qui lui demandait le che-
min d'Ascoli , fut l'origine de sa haute fortune. Le père
Sellery, franciscain, charmé de la vivacité de son esprit
et de sou désir d'étudier, l'emmena dans son couvent, où,
en moins de deux années, il étonna ses maîtres par la
rapidité de ses progrès. Reçu dans l'ordre, à l'âge de treize
ans, il marcha de succès en succès. Arrivé au grade de
docteur, et chargé de professer à son tour, il se distingua
de ses confrères comme il s'était distingué de ses condis-
ciples , suivit en Espagne le cardinal Buon Compagno ,
qui fut depuis le pape Grégoire XIJI , se lia plus étroite-
ment avec le cardinal Alexandrin , et celui-ci étant devenu
pape sous le nom de Pie IV , Peretti fut fait successive-
ment général des cordeliers , évêque de Sainte- Agathe et
cardinal. Connu dès ce moment sous le nom de Montalte ,
il prit le saint-siége pour but de son ambition , dompta
sa fougue, son impctuosité naturelle, et, quoiqu'à peme
âgé de cinquante-six ans , se donna toutes les apparences
d'un vieillard moribond; il acquit même , par une stupidité
simulée , le surnom de VAne de la Marche, et attendit ainsi
pendant quatorze ans la mort de Grégoire XIII. Cinq fac-
tions et quatorze candidats divisaient alors le conclave. Au-
cune de ces factions ne songeait à lui ; et lui-même, obsé-
quieux, humble, presque timide envers tout le monde ,
offrait ses services à tous ceux qui semblaient aspirer à la
papauté. Le calme factice de sa vie avait plu au roi d'Es-
pagne, et c'est par là que son nom se glissa dans les in-
trigues du conclave. Les accès violents d'une toux qui
semblait devoir l'emporter lui attirèrent les regards des
jeunes cardinaux. Trois d'entre eux, d'Esté, Alexandrin! et
Médicis , eurent l'idée de lui offrir leurs suffrages, et cette
faction nouvelle devint en peu de jours la plus puissante.
Mais l'impatience de Montalte faillit tout perdre. A l'instant
ou le dépouillement du scrutin lui donna la première voix
de majorité, il jeta son bâton, et se redressa de manière à
faire reculer ses voisins. Le cardinal doyen en pâlit comme
les autres, et s'avisa de dire qu'il y avait erreur dans le
scrutin. « Non, non I » s'écria Montalte ; et il fit retentir les
voûtes de la cha|ielle Pauline en entonnant le Te Deum
d'une voix de Stentor. Le conclave demeura stupéfait. Et
comme le cardinal de Médicis lui rappelait son attitude
courbée, il répondit qu'il cherchait à terre les clés de saint
Pierre.
Le saint patrimoine avait besoin de Sixte Quint. La li-
cence et le libertinage avaient relâché tous les liens du gou-
vernement et de la discipline ; les juges et les magistrats
étaient les premiers brigands de l'État, et les bandits du
dehors, fatigués de piller les campagnes, étaient venus,
pendant la vacance du saint-siége, exploiter les palais et
les rues de la ville. Sixte Quint mit un terme à ces désor-
dres. Les papes étaient dans l'usage de marquer leur avè-
nement par la grâce de tous les criminels ; pendant le con-
clave, il en arrivait de tous les cotés dans les prisons , avec
l'espoir d'être absous. Le nouveau pape dit aux juges qu'il
n'était pas venu apporter la paix, mais le glaive. 11 fit juger
tous les criminels et pendre sur-le-champ les quatre plus
coupables. Ayant envoyé chercher sa sœur Camilla et ses
trois enfants dans son village natal, il la vit entrer chez lui
vêtue en princesse, et feignit de ne pas la reconnaître. Il
fallut qu'elle reprit ses haillons, et le pape, la comblant
alors de caresses, lui donna la maison et la villa qu'il pos-
sédait près de Sainte-Marie- Majeure, avec une pension de
mille écus par mois , et la défense expresse de faire jamais
!e métier de solliciteuse. Il s'appliqua dès lors à réformer les
mœurs de sou clergé et de son peuple, punit de mort les adul-
tères, les prévaricateurs, força les cardinaux à payer leurs
dettes, défendit le port d'armes dans la ville, renvoya tous
les prélats dans leurs diocèses; et par des lois rigoureuses,
par des exemples terribles, il parvint enfin à rendre la sûreté
aux campagnes.
Sixte Quint s'attacha aux doctrines de la Ligue, qui me-
naçait toute la fois le trône d'Henri III et celui du roi de
JNavarre. Il lança une bulle d'excommunication contre le
Béarnais et le prince de Condé, et remplit cette bulle des
maximes les plus violentes contre les puissances terrestres.
Le roi de France , épouvanté , en interdit la publication
dans son royaume. Le roi de Navarre fit afficher jusque
dans Rome une vigoureuse réponse à la bulle. Le pape en
conçut une haute estime pour ce prince; et tout en re-
doublant de zèle pour la Ligue il ne la secourut jamais
qu'eu paroles , retenant dans ses coffres le million qu'il ne
cessait de lui promettre. La reine Elisabeth , qu'il considé-
rait beaucoup , l'ayant envoyé féliciter par un ambassadeur
extraordinaire , il accabla cet ambassadeur de prévenances
et de caresses , et s'efforça d'attacher l'Angleterre à la dé-
fense des Pays-Bas contre Philippe II, qu'il pensait en même
temps à dépouiller du royaume de Naples. Les deux souve-
rains firent échange de leurs portraits , et le chevalier Carrt»
poussa la flatterie jusqu'à demander aussi celui du eardiBâl
224
Alexandre de Monlalle , neveu du pape. Cependant Phi-
lippe II eut vent de tontes ces intrigues, et le pape et la
reine jouèrent alors une autre comédie. L'ambassadeur fut
liaulement disgracié; on feignit môme de conlisquer ses
biens , et Carre , demeuré dans Rome comme un banni ,
n'en fut pas moins l'agent des négociations qu'il avait en-
tamées. Sixte Quint dupait à la fois les deux cours de Lon-
dres et de Madrid. Il poussait la reine d'Angleterre à atta-
quer Philippe H, et encourageait le roi d'Espagne dans ses
desseins contre Elisabeth, qu'il appelait «?je/ane déchaînée
contre l'Église, tout en lui faisant passer la copie des lettres
de Philippe. 11 poussa même l'adressejusqu'à se faire pardon-
ner par Elisabeth une bulle d'excommunication lancée contre
elle-même; et ce manifeste, provoqué par l'Espagne, n'épargna
aucune injure ni aux hérétiques d'Angleterre ni à leur
souveraine, qu'il traite de bâtarde, ^'usurpatrice, de par-
jure et de barbare. 11 la fit en même temps avertir des pré-
paratifs et du prochain départ de la flotte invincible ; el
quand cette armada fut détruite, Sixte Quint en appre-
nant cette nouvelle dit à l'oreille de son neveu : Le royaume
de Aaples est à nous. Cette intrigue ne détournait point
Sixte Quint des affaires de France , où dès 1586 Henri III
s'était réconcilié avec le roi de Navarre, pour punir la cour
de Rome de lui avoir refusé la levée de cent mille écus sur
le clergé. Il s'ensuivit par ambassadeurs des explications fort
aigres, à la suite desquelles le roi obtint enlin la permission
de lever des subsides. Le papey joignit une lettre dans laquelle
il l'encourageait à soutenir l'autorité royale envers et contre
tous; il envoyait en même temps une épée bénite au chef de la
Ligue. Henri III expliqua la lettre de Sixte Quint par l'as-
sassinat du duc et du cardinal de Guise. Mais le pape, qui
s'était moqué du roi eu apprenant l'accueil bienveillant qu'il
avait fait à son ennemi, fut saisi d'une violente colère à
la nouvelle de ce meurtre. Deux ou trois ambassades suc-
cessives ne firent que retarder l'excommunication. Elle fut
lancée enfin le 5 mai 1589 , affichée le 23 à Rome , en juin
dans plusieurs églises de France : et le l*"" août suivant
le poignard de Jacques Clé ment interpréta, par le meurtre
du roi de France, la bulle d'un ponlile qui ne rougit pas
de louer en plein consistoire cet exécrable attentat d'un
moine fanatique. Il est vrai que son langage fut tout autre
avec ses confidents les plus intimes. « Le collège des
princes, dit-il à son neveu, est diminué d'un sot. » Sixte
Quint voyait avec un plaisir secret le sceptre de France
tomber aux mains d'un roi capable de se défendre; et dès
ce moment la Ligue ne put obtenir de lui qu'un secours
de 50,000 écus. On croit môme que le cardinal Cajetan
fut envoyé en France avec des intentions favorables au roi
de Navarre, mais que ce légat se laissa gagner par les li-
gueurs. Philippe II se douta de ces nouvelles intrigues. Il
les fit reprocher au pape par l'ambassadeur Olivarès ; mais
comme cet envoyé, fatigué du silence avec lequel il était
écouté, osa lui dire qu'il ne pouvait pas deviner ce que
pensait Sa Sainteté. « Je pense , répondit Sixte Quint , à
•vous faire jeter par les fenêtres pour vous apprendre à
parler plus respectueusement au chef de l'Église. » Philippe
conçut alors le projet de convoquer un concile national et
de l'y faire déposer. 11 ordonna à son ambassadeur de si-
gnifier cette résolution au pape lui-même; et l'audacieux
Olivarès se disposait à remplir les ordres de son maître au
milieu d'une procession. Mais Sixte-Quint fit appeler le gou-
verneur de Rome : « Vous marcherez devant moi , dit-il ,
avec deux cents sbires et un bourreau, et vous ferez étrangler
sur-le-champ tout audacieux , quel qu'il soit , qui viendra me
présenter une requête. » Olivarès connut cet ordre, et ne
lut pas tenté d'en courir la chance. Sixte Quint, levant
enfin le masque , fit demander à la reine d'Angleterre un
secours de quinze vaisseaux et de douze mille hommes
pour conquérir le royaume de Naples. Elisabeth en promit
le double ; mais le pape craignit que son alliée n'eût Tinten-
tion de travailler pour olle-même. 11 s'en tint à sa première
demumle, et le chevalier Carre repartit en secret pour
SIXTE
l'Angleterre à l'effet de presser cet armement. Les jésuil<».s
faillirent être les victimes de cette nouvelle négociation.
Sixte Quint n'avait jamais aimé cet ordre, parce qu'il avait
gouverné son prédécesseur et qu'il ne voulait pas l'être. 11
cherchait toutes les occasions d'humilier les jésuites ; et cette
fois , pour flatter Elisabeth, il leur avait enjoint de quitter
l'Angleterre. Comme les jésuites ne tardèrent pas à mani-
fester leur colère, Sixte Quint ne garda plus de mesures.
Il les menaça de les dégrader d'un nom qui lui semblait une
impertinence et un sacrilège , et de leur imposer celui d'i-
gnaliens. Ces menaces éclatèrent au dehors. Pasquin
dit à cette occasion que le pape était las de vivre; et
comme Sixte Quint mourut peu de jours après , on ne
manqua point d'en accuser les jésuites et le poison. D'au-
tres mirent cette mort sur le compte du roi d'Espagne, et
ce bruit fut accrédité par la fuite à Naples de l'apothicaire
Magni, qui fournissait des drogues au pape. La mort d'un
vieillard septuagénaire était cependant assez naturelle ,
d'autant mieux que cette même fièvre avait failli l'empor-
ter dès la seconde année de son pontificat. Son médecin l'a-
vait même cru si bas , qu'il avait touché le bout du nez
pour voir s'il y restait encore de la chaleur. Mais le malade
s'était retourné avec colère, lui disant qu'il était bien au-
dacieux d'oser toucher au nez d'un pape , et le pauvre
homme en était mort de peur. Pendant ces crises , il rem-
plissait la ville d'espions , et défendait les prières dans les
églises. « J'ai intérêt, disait-il, qu'on me croie encore en
vie quelques jours après ma mort. » Mais cette fois on ne put
cacher cet événement. Un violent mal de tête le tourmentait
depuis trois mois, et la (lèvre l'avait repris le 9 août 1590 , à
Civita-Yecchia, où il s'était rendu pour surveiller les travaux
de cette place. Il s'était fait transporter à Rome pour mettre
ordre aux aflaires de l'Église , et il expira le 25 du même
mois, après avoir dit à son neveu : « Ou Dieu ne veut pas la
réunion de Naples à l'Église , ou le roi d'Espagne a connu
mes projets , ou les ignatiens nous trahissent. » Ces
paroles étaient plus qu'il n'en fallait pour justifier les bruits
d'empoisonnement; mais elles décelaient aussi la pensée
qui avait rempli sa vie. Il n'avait d'autre but en effet que
la conquête de Naples, etcétait pour cela qu'il remplissait
l'Europe de mesquines intrigues , ou la religion n'entrait
pour rien. Catholiques ou protestants étaient tour à tour
l'objet de ses llatteries , dès qu'il y voyait un avantage pour
sa politique de famille. C'est ce qui fit dire en chaire au
ligueur Aubry : « Dieu nous a délivrés d'un méchant pape
et politique. S'il eût vécu plus longtemps , il eût fallu prê-
cher contre lui. « Non, ce n'est pas au dehors de Rome
que fut la gloire de Sixte Quint. Sa diplomatie n'était que
de l'intrigue; mais sa manière de gouverner (ut grande,
noble, ferme et digne d'un plus grand empire. D'un re-
paire de bandits , de débauchés, de simoniaques et d'assas-
sins , il avait fait un État paisible, un clergé religieux et un
peuple sociable. Jamais pape n'avait montré tant d'ardeur
pourle travail. Toutes les affaires lui passaient par les mains;
et ses camériers avaient ordre de l'éveiller la nuit s'il en sur-
venait de pressées. Rome lui dut des embellissements considé-
rables. Il éleva ou rétablit cinq obélisques; fit venirà Monte-
Cavallo , par un aqueduc de treize mille pas, des eaux dont
la source était à vingt milles de Rome, ouvrit des rues
nouvelles , bâtit des hôpitaux , des palais , posa la statue
de saint Pierre sur la colonne Trajane, agrandit et enrichit
la bibliothèque du Vatican , et fit élever l'admirable cou-
pole dont Michel-Ange avait laissé le dessin. Il encourageait
en même temps les hommes de lettres, les savants et les
poètes , qui purent le louer sans être accusés de flatterie.
On lui érigea une statue, de son vivant, sur la place du
Capitole , et son successeur dut le bénir en trouvant dans
les caves du château Saint-Ange cinq millions d'écus d'or
qu'il avait amassés, tandis qu'il n'avait que des chemises
rapiécées dans sa garde-robe. Sa sœur Camille lui ayant re-
proché cette économie de linge, il lui répondit en riant :
iYo^re élévation ne doit pas 7ious /aire oublier notre
SIXTE — SKRZYNECKI
225
origine : les haillons et les pièces sont les premières ar-
7nes de notre maison. Disons toutefois que son peuple fut
écrasé d'impôts; que pour accroître son épargne il éta-
blit la vénalité des charges , et que la populace voulut ren-
verser sa statue après sa mort; mais il n'y a pas de grand
homme qui n'ait ses taches , et Sixte Quint n'en fut pas
moins un des plus grands souverains de l'Eglise.
ViENNET, de l'Académie Frauçaise,
SIXTE (Musique), intervalle formé de xia; sons diato-
niques, et qui renferme cinq degrés entre ses deux notes
extrêmes. Il y a trois espèces de sixtes : la sixte mineure,
composée de trois tons et deux demi-tons; la sixte ma-
jeure , composée de quatre tons et un demi-ton ; et enfin ,
la sixte augmentée , que nos anciens appelaient du nom
ridicule de sixte superflue : elle est composée de quatre
tons et deux demi-tons. Les deux premières sont conson-
nantes, la dernière seuieest dissonnante. L'intervalle de sixte
mineure et celui de sixte majeuresont fréquemment employés
dans la mélodie; quant à celui de sixte augmentée, la dif-
ficulté de l'intonation empêche d'en faire usage autrement
que dans l'harmonie; mais il y est d'une utilité presque
indispensable (wi/es Intervalle). Charles Bechem.
SIXTIIVE (Ciiapelle). Voyez Rome.
SJOEGREN (ANDREAS Johann), membre de l'Académie
des Sciences de Pétersbourg, né en 1794, à Ithis, gouverne-
ment de Nyland (Finlande) , mort en janvier 1855, suivit à
partir de 1813 les cours de l'université d'Abo, où il se livra
avec beaucoup d'ardeur à l'étude des langues orientales ainsi
qu'à celle des sciences historiques, et plus particulière-
ment dans leurs rapports avec la Finlande. En 1 821 il fit pa-
raître à Pétersbourg son Essai sur la Langue Finnoise et sa
littérature , où il taisait preuve d'une connaissance appro-
fondie de la géographie et de la Russie. Choisi en 1823 pour
bibliothécaire par le comte Romanzoiï, il exécuta de 1824 à
1829 , eu Finlande et dans le nord de la Russie jusqu'aux
monts Oural, un grand voyage scientifique, au retour duquel
il fut nommé membre adjoint de l'Académie des Sciences,
et publia, indépendamment de ses Anteckningar om fœr-
samlingarnei Kemi-Lœppmark (Helsingfors, 1828), un
grand nombre de dissertations dans les Mémoires de l'Aca-
démie. Il l'ut en outre nommé l'un des conservateurs de la
bibliothèque de ce corps savant; fonctions auxquelles la
perte de l'œil droit leforça de renoncer en 1835. Il entreprit
alors de nouveau un voyage scientifique , mais cette fois
dans les contrées du Caucase ; et pendant les trois années
qu'il y consacra il acquit une connaissance approfondie
des langues tatare, arménienne, persane, géorgienne, cir-
cassienne et ossète. Au retour de cette expédition scienti-
fique, il lut nommé conseiller de collège, et en 1844 membre
titulaire de l'Académie des Sciences pour la philologie et
l'ellinograiiliie des races finnoises et caucasiques; enfin,
conseiller d'État, en 1845. Il s'était aussi beaucoup occupé
des antiquités de la Livonie et de la Courlande ; et il a laissé
en manuscrit une grammaire et un dictionnaire de la langue
des Lives (Livoniens). On a en outre de lui une grammaire
de la langue ossète ( Pétersbourg, 18i4 ).
SKAGER-RACK (Le), appelé par les navigateurs
anglais Sleeve , c'est-à-dire Manche, bras de la mer du Nord
en forme de golfe pénétrant dans la direction du nord- est,
entre les côtes plates du Jiitland et les côtes escarpées et
profondément échancrées de la Norvèfie et de la Suède, dans
ie territoire continental de l'Europe, et qu'on désigne aussi
quelquefois comme la partie septentrionale du Kattégat.
Sa longueur est de 21 myiiamètres, sa largeur de 10 à 15;
sa profondeur, qui à son centre est de 60 brasses, atteint
jusqu'à 200 brasses et plus sur les côtes de la Norvège, où
de tous les fjords qu'il forme le plus considérable est le
Christiania Jjord. La navigation y offre tout autant de diffi-
cultés et de dangers que dans le Kattégat , en raison des
fréquentes tempêtes auxquelles il est sujet; et les courants
d'ouest qui y régnent constamment en rendent l'accès tiis-
difficilc aux navires venant de la mer du Nord .
OICT. DE LiV CONVER.S. — T. XVI.
On a ainsi appelé cette mer à cause d'un grand banc de
sable nommé Skager-Rack, ou encore Skagensriff, qui
se prolonge fort avant dans la mer, el forme comme la con-
tinuation de l'exirémité septentrionale du Julland. Sur ce
('.romontoire, composé de sables mouvants, complètement
dépourvu de végétation, et appelé cap Skagen ou Skagens-
horn, on trouve Skagen, vieille et petite ville de 1,200 ha-
bitants, vivant de la pêche, notamment de la pêche des
huîtres, ft de l'industrie do pilotage. Leur port est ensablé,
et n'admet que des bâtiments d'un faible tirant d'eau.
SKALDES. Voi/ez Scaldes.
SHAXDICRBLG. Voyez Scanderbeg.
SKAiXDÉRlEH. Voyez Alexandrie.
iSKIOLDU\GEiV(Les). Foj/es Danemark, tome VII,
pape 136.
SKARBEH (Frédéric-Florian, comte), poète et éco-
nomiste polonais distingué, né en 1792, à Thorn, fit de 1805
à 1810 ses étudesau lycée de Varsovie, puis se rendit à Paris,
où il s'occupa surtout d'économie politique. A son retour en
Pologne en 1812, il se livra, dans ses terres, à la pratique de
l'agriculture, sans pour cela négliger l'étude des sciences et
des lettres, comme en témoignent ses travaux de ce temps-là.
Nommé en 1818 professeur d'économie politique à l'univer-
sité de Varsovie, il fit successivement paraître son Traité
d'Économie politiqtie (4 vol., Varsovie, 1820-1821 ), .son
Esquisse de la Science des Finances (1824), ses Éléments
d'Économie nationale et sa Théorie des Richesses sociales
( Paris, 1829), entremêlant ces graves publications de di-
vers ouvrages pleins rie gaieté. Appelé en 1830 à Saint-Pé-
tersbourg par l'empereur pour lui faire un rapport sur l'état
(les hôpitaux de cette capitale, il fut nommé chambellan,
conseiller d'État el membre du gouvernement provisoire de
Pologne. Après la compression de l'insurrection, il lut appeléà
faire partie de la commission du gouvernement de l'inlerieur
et en même temps du conseil supérieur des établissements
de bienfaisance. En 1 844, la présidence de ce con.seillui aété
conférée. Comme romancier et poète dramatique il ociupe
aussi une place distinguée dans la littérature polonaise; et
parrm ses nombreux romans on cite surtout Pan Starosta
(2 vol., Varsovie, 1826), Dodosinski (2 vol., Breslau,
1838), el Pamietniki SP^^asa (Varsovie, 1845) comme
appartenant à ce que la littérature polonaise a produit de
mieux en ce genre.
SKARPANTO, KARPATHO ou encore Koje, île de la
Turquie, située sur les limites sud-est de la mer Egée, entre
l'Ile de Crète et l'île de Rhodes. Elle est montagneuse, n'offre
nue peu de sol arable , mais en revanche un grand nombre
lie bons ancrages, el sur ime superficie d'environ 3 nsyriam.
carrés compte 6,500 habitants. Grecs pour la plupart. Son
chef-lieu est Arkassa, sur la côte occidentale. Dans l'anti-
quité cette île s'appelait Karpathos, et les Grecs donnaient
à la mer qui l'entoure le nom de mer Karpathique. En
l'an 306 av. J.-C, les Riiodiens y remportèrent une célèbre
victoire navale sur Démophile et sur une division de la flotte
de Démétrius Poliorcète.
SKIEjV ou SKEEN, ville du sud de la Norvège, clief-
iieu du bailliage de Bradsburg, dans l'évêcbé d'Aggerhuusou
de Christiania, bàlie à l'est de la mer du Nord, sur le Skeeos-
Elf, i\\x\ en provient et se jette à Porsgrund dans le Skager-
Rack. F^a situation en est des plus pittoresques, elon y compte
2,000 habitants. On y trouve un hôtel de ville, plusieurs
écoles, des manufactures de tabac , des scieries et des dis-
tilleries ; il s'y lait aussi un commerce assez important en
bois de construction, planches, goudron , poix , fer el
meules. Tout près de là est située limportanle mine de l'er
(la Fossum. Porsgrund est le port d'exportation. Les en-
virons présentent beaucoup d'intérêt sous !e rapport géo-
giiostique, <;ar on y trouve alternativement les roches pri-
mitives et les vticliès de transition.
.SKRZYNECKI (Jean), géuéralisime des armées po-
lonaises pendant la révolution de 1831 , né en Gallicie, en
1787, fit ses éludes au lycée de Lemberg, et à partir de
16
226
SKRZYNECKl — SLAVES
1806 servit sous les drapeaux de Napoléon. A son retour en
Pologne, ilobtintcomme colonel le commandement du 8* ré-
giment d'infanterie de la 2* brigade. Lors de la révolution
du 29 novembre 1830, il se plaça d'abord sous les ordres du
grand-duc Constantin; mais quand ce prince s'éloigna avec
la troupe, il revint le 3 décembre à Varsovie se mettre à la
disposition du gouvernement national. Nommé général de bri-
gade par le généralissime Radziwill, il forma à Varsovie avec
buit bataillons le centre de la ligne de bataille des Polonais
contre le corps russe de Rosen, devant lequel il finit par bat-
tre liabilement en retraite. A la bataille de Grochow il enleva
à la tête de sa division le petit bois d'aunes que garnissait
presque toute l'artillerie russe. Quand Radziwill dut rési-
gner le commandement en chef, c'est sur le général Skrzy-
necki que la diète jeta les yeux pour le remplacer. Il mit
alors pour la première fois l'armée polonaise sur le véri-
table pied de guerre, bien qu'il ne songeât pas à entreprendre
d'opérations décisives et que son but fût uniquement de te-
nir les Russes en échec jusqu'à ce que la diplomatie ame-
nât une intervention des puissances étrangères. Le 1 2 mars
il essaya d'entamer une correspondance avec le feld-maré-
chal russe; démarche qui fut mal interprétée à Paris et à
Londres. A la fin de mars il se décida enfin à attaquer
le corps du général Geismar à Wawre, et l'armée princi-
pale du général Rosen à Dembe. Il les battit l'un et l'autre,
mais ne songea pas à poursuivre sa victoire. Ce fut seule-
ment lorsque les Russes essayèrent d'opérer leur jonction ,
qu'il se décida à s'emparer de Sieice et à écraser les corps
de Rosen et de Pahlen II. Le 8 avril il se livra à Iganie une
bataille dans laquelle 8,000 Polonais triomphèrent de forces
ennemies trois fois plus considérables. Les hésitations de
Skrzynecki recommencèrent pourtant encore, et il fallut le
désastre essuyé par Dwernicki, ainsi que les ordres positifs
du gouvernement national, pour le contraindre enfin à aller
attaquer la garde impériale russe , en position le long
des bords de la Nkrew. Le 15 mai il atteignit l'ennemi avec
des forces de beaucoup supérieures ; mais alors, au lieu de
lui offrir le combat , il batlit en retraite. Une des suites
de ce mouvement fut la perte de la bataille d'Ostrolenka ,
le 26 mai, qui le força de retourner à Varsovie avec son ar-
mée. Pour maîtriser le club patriotique, il y opéra une ré-
forme du gouvernement. Puis, après la mort de Diebitsch ,
il laissa encore échapper l'occasion d'attaquer, avec toutes
espèces de chances de succès, les Russes, affaiblis par leurs
perles et par le choléra. Une fois que Paskewitsch eut opéré
le passage de la Vislule, l'opinion publique demanda compte
à Skrzynecki de ses hésitations et de son inaction , et l'ac-
cusa hautement d'aristocratisme. Le 10 août la diète envoya
à son camp devant Dolimoff une commission d'enquête, à la
tête de laquelle se trouvait le prince Czartorijski. Skrzynecki
résigna aussitôt son commandement entre les mains de la
diète ; et on élut à sa place Dembinski, qui professait pour
lui un respect tout particulier. A partir de ce moment, il
accompagna le corps de partisans du général Rozycki, avec
lequel il passa le 22 décembre sur le territoire de la répu-
blique de Cracovie , d'où il se rendit en Gallicie. Plus tard
il habila Prague, jusqu'au moment où il alla en Belgique
prendre le commandement en chef de l'armée belge. Mais
en 1 839 , à la suite de réclamations élevées par la Russie,
l'Autriche et la Prusse , le gouvernement beige dut le met-
Ire en disponibilité, avec le grade de général de division.
SKYE. Voyez Hébrides.
SKYPÉTARS. Voyez Albame.
SLACIICIC Votiez Schlachtschitz.
SLAVE-ECCLESIASTIQUE. Voyez Ecclésiasti-
co-Slave.
SLAVES {Slowene, Slowane) , race qui au point de
vue physique, philologique, religieux, mythologique et
moral, se rattache à la grande famille des nations indo-ger-
maniques, et dont le nom est dérivé de slawa, gloire,
ou mieux de «fowo, parole (peuples d'une même langue),
car la racine est la tnêmc. Ce sont des liaLilants [trimitifs
de l'Europe , comme les Thraces, les Celtes et les Germains ,
et c'est là seulement qu'ils sont arrivés à former une na-
tion. L'histoire n'a conservé aucun renseignement sur la race
primitive et ses migrations. Dans l'antiquité on les compre-
nait évidemUient sous les noms de Scythes et de S ar-
mâtes, bien qu'ils soient d'origine étrangère. Cependant,
Hérodote fait déjà mention parmi eux de peuples qu'il ap-
pelle Budines,Neiires ou Nures, et Ptolémée parle de Bulanes
(Polanen), de Stlavanes( S/owanew), deVélitesou Veltes
{ Wilten), de Savares (Sjeweranez), de Karpianes, de
Karpes (Chorvjateii), et d'autres tribus reconnues pour
slaves. Mais les noms primitifs des Slaves, comme l'a dé-
monliéSchahrûi, dàiif, sdiAntiquités Slaves{2 -vol., Leipzig,
1843), sont ceux de Windes ( Wetiedes , Wendes) et de
Serbes. Le premier de ces noms était déjà connu des peuples
de la plus iiaute antiquité, et s'applique aux habitants de la
côte d'ambre de la Baltique; on le rencontre fréquemment
chez les écrivains grecs, surtout chez les écrivains romains,
et Jornandès l'emploie d'une manière plus précise (en
552 de J.-C, ) comme la dénomination historique des peu-
ples slaves. En l'an 552 Procope mentionne le second , ce-
lui de Spores ou Serbes , comme l'antique dénomination
commune à toutes ces races avant qu'elles commençassent
à prendre des noms particuliers, tels que ceux de Sklabe-
noi, de Slaveni (Slowenen), à'Antes, etc. Peu à peu
le nom de Slaves devint la dénomination générique , et
ceux de Wendes et de Serbes des dénominations particu-
lières. D'ailleurs, le nom de Wendes ne resta guère en usage
que parmi les peuples germains. Les contrées habitées à l'ori-
gine par les Slaves furent, comme elles le sont encore au-
jourd'hui, les versants des monts Karpathes en long et en
large, l'antique Chorwatie,d^oii longtemps avant l'ère chré-
tienne ils s'étendirent au nord jusqu'aux bords de la Baltique,
et à l'est jusqu'au Volga; puis dans les premiers siècles de
notre ère et notamment à l'époque de la grande migration
des peuples, ils poussèrent à l'ouest jusque par delà l'Elbe,
et enfin, après la ruine de l'empire des Huns, au delà du Da-
nube, dans les contrées situées entre l'Adriatique et la mer
Noire, jusqu'en Macédoine et en Grèce. Leurs migrations
cessèrent au .septième siècle. Ainsi s'effectua la division de la
race en nombreuses peuplades ; mais en même temps se for-
mèrent, parmi celles de ces peuplades qui se trouvaient le plus
rapprochées, des liens plus ou moins relâchés,d'où résultèrent
à la longue des Étals politiques, qui n'eurent pour la plupart
qu'uiii' existenceéphémère. Toutes les peuplades slaves peu-
vent élie divisées en deux classes , celle du sud-est et celle de
l'ouest. La première comprend : 1° \es Russes ; 2° les Bout-
gares; 3° les Illyriens, dont les Serbes d'au delà du Danube,
les Chorwates et les Slaves de la Carinthie ou les Wendes
(Slowenzes) ; la seconde se compose: i" àes Lèches, dont
les Lèches ou Polonais , les Silésiens et les Poméraniens;
2° des Tschèchesou Bohèmes, dont les Czèques, les Moraves
et les Slovaques ; 3° des Polabes, dont les Slaves du nord
derAllemagne,et qui, pour le plus grand nombre, ont complè-
tement disparu depuis longtemps, comme les Lntisques ou
Welates , les Bodrizes (Obolrites), les Sorbes de la Lusace,
les Milescbanes , etc.
L'histoire primitive des Slaves, depuis les temps les plus
reculés jusqu'à l'époque de la grande migration des peuples,
est restée enveloppée d'impénétrables ténèbres. On la con-
fond d'ordinaire avec celle des Scythes, des Gèles, des
Thraces , des Sarmates et autres peuples des frontières de
l'Empire Romain. Quelques renseignements tronqués qu'on
rencontre dans les sources grecques et mmaines, ou encore
dans les traditions Scandinaves, prouvent bien la haute an-
tiquité de ces peuples, mais ne sauraient élucider l'obscu-
rité de leur passé. A partir de la grande migration des
peuples la lumière commence à se faire. Jornandès et Pro-
cope sont les premiers qui nous fournissent quelques
renseignements précis. Viennent ensuite les chroniqueurs
byzantins, allemands, et même à la fin indigènes,
dont les données projettent une faible lueur sur cette
SLAVES
Rombre antiquité. On y voit que c'est la conquête delà Dacie,
sous Trajan (en 106), qui pour la première fois entraîne le
nom des Slaves dans le torrent de l'histoire. La guerre des
Marcomans (en 166) l'y mêle encore plus profondément
et d'une manière plus large. A partir de cette époque ils
prennent plus ou moins part aux migrations des peuplades
germaines, commencées vers la fin du deuxième siècle; c'est
ainsi que les Karpes ( CAorwa^es ) participent, de l'an 192
à l'an 306, aux luttes des Gemaains contre les Romains. En
même temps commence la prise de possession par les Slaves
des territoires que les Romains évacuaient. Au quatrième
siècle (en 332-350) ils se trouvaient encore sons la sou-
veraineté d'Ermanarich , roi des Goths. Ils tombèrent en-
suite sous la domination des Huns (375), qui ne tardèrent pas
(384) à mettre un terme, sous le règne de Wimlliar, à la
durée de l'empire des Goths et à ouvrir aux Slaves, leurs
alliés, la route du Danube et de la mer Noire. Par suite de
leurs rapports avec les Huns, les Slaves portèrent longtemps
le même nom qu'eux. La chute de l'empire des Hun^, après
la mort d'Attila , reudit aux Slaves leur liberté, et môme ils
succédèrent à leurs maîtres. Alors, avec leurs populations,
dont le nombre s'était beaucoup accru , ils inondèrent le
sud et l'ouest, demeurés ouverts à leurs incursions, et se
trouvèrent ainsi engagés dans d'interminables luîtes contre
les Byzantins, les Franks et les Avares, qui apparaissent à
ce moment. Pour mieux se défendre , ils formèrent de plus
grandes confédérations, de i)lus vastes royaumes. Ainsi
surgit en premier lieu le royaume de Bohême sous
Samo, en l'an 650, et plus tard sous les Przémyslides; puis
vint le royaume de Boulgarie, en l'an 680, notamment depuis
Boris, en 850 ; le royaume de la Grande-Moravie, sous Rastis-
laff, en 855, et surtout sous Swatopluck , de h7o à 894 ; le
royaume de Pologne, aux septième et huitièmesiècles, sous les
Lèches, età partir de 860 sous les Piasts; leroyaumedeRussie,
à partir deRourik, en 862 ; enlin, le royaume de Serbie, sous
Etienne Bogisluft, en 1040, et surtout à partir de 1 120, sousla
dynastie de Nemanja. Il n'y eut que les Slaves établis au nord
de l'Allemagne sur les bords de l'Elbe , les Polabes , qui ne
purent point arriver à former d'agrégation politique. Cons-
tamment en guerre avec les Franks , mais surtout avec les
Allemands à partir du neuvième siècle , ils finirent par être
vaincus et soit exterminés, soit germanisés, ou bien encore
repoussés au delà de l'Elbe. Au onzième siècle le prince des
Obotrites.Gottschalk, réunit de nouveau, il est vrai, les hordes
wendes sous un même chef; mais dès le douzième siècle
son royaume était conquis, partie par les ducs saxons et
partie par les rois danois. Il n'y a qu'une fraction des anciens
Polabes , les Sorbes de la Lusace, qui se soit conservée jus-
qu'à nos jours au centre de l'Allemagne à l'état de race slave.
Les royaumes dont nous venons de parler ont tous disparu,
à l'exception de celui de Russie; et leurs territoires, sous
divers noms anciens et modernes, appartiennent aujourd'hui
à la Russie, à la Turquie, à l'Autriche et à la Prusse. La
principauté deSerbieet Czernagora (Monténégro) seules
jouissent encore d'une demi -indépendance.
Les anciens écrivains nous dépeignent déjà les Slaves
comme un peuple laborieux, vivant de l'agriculture et de
l'élève du bétail , hospitalier et paisible, ne faisant que des
guerres défensives. Les Slaves aimaient leur langue mater-
nelle et leurs mœurs nationales, les joyeuses chansons et la
gloire populaire. Ils firent de rapides progrès dans la civili-
sation à partir du neuvième siècle; mais, sauf les Polonais,
les Bohèmes et les Ragusaius , ils demeurèrent au moyen âge
en arrière des Allemands, soit à cause de la grande étendue
de leurs divers territoires, trop éloignés de tous rapports
de peuple à peuple, soit à cause de l'organisation démo-
cratique de leurs Etats, qui ne résistaient que péniblement
a l'esprit de conquête alors dominant, jusqu'à ce qu'ils se
transformassent peu à peu en monarchies. Dans l'antique
slavisme, toute l'administration procédait de la famille. Le
père de famille élisait le chef suprême de la commune, le
wladika; les wladykes se réunissaient en diètes, qui ren-
227
daient la justice, exerçaient la police et prélevaient l'impùt.
Chaque cercle élisait ses députés à la diète, où l'on délibé-
rait sur la paix et la guerre, où Ton élisait les princes, où
l'on jugeait les grandes discussions juridiques, et où on ré-
glait tout ce qui avait trait à l'ailministralion de l'État. Tout
wladika avait aussi le droit d'y assister. Une telle diflérence
avec toutes les institutions romaines et germaines ne
pouvait, à la suite des points de contact inévitables amenés
par l'adoption du christianisme, que tourner au détriment
de l'organisation politique slave. Les princes slaves vi-
sèrent bientôt à une autorité aussi illiaiitée que celle dont
jouissaient les empereurs romains allemands , et les sei-
gneurs slaves à posséder les mêmes droits et la même puis-
sance sur le peuple que les seigneurs féodaux. Au onzième
siècle la noblesse devint en Bohême un privilège héréditaire,
et il en fut de même au douzième et au treizième siècle en
Pologne. Alors se constitua complètement la chevalerie ;
princes et nobles se rattachèrent les uns aux autres par des
liens de plus en plus forts; et chaque guerre, chaque diète fit
perdre au peuple quelques-uns de ses droits. Tandis que ceci
se passait dans le slavisme polono-bohème, les mômes résul-
tats étaient en Russie et dans le slavisme méridional la suite
des conquêtes faites sur des nations étrangères. C'est ainsi
que dans les pays slaves du nord la noblesse, affranchie de
tout solide lien féodal , ne tarda point à devenir maîtresse
et propriétaire uniquedu sol ,etlepeuplequi l'habitait esclave
et serf. Il n'existait pas de tiers état, parce qu'en raison des
privilèges de la noblesse, il ne pouvait pas se créer de grands
centres de population. En général le peuple n'habitait que de
misérables huttes ; toutefois, le commerce fit (leurir quelques
villes, telles que Novgorod, Kielf, Ple-kolf, Julin ou Vineta,
que Schafarik ( Wincta, Leipzig, 184C) dit n'être autre que
le WoUin de nos jours. La religion des Slaves n'était que
le simple culte de la nature ( voyez Slave [ Mythologie ]). Les
prêtres, pour leurs livres religieux, se servaient d'une esj)èce
particulière de caractères runiques. Les tribus orientales re-
çurent le christianisme de Byzance ; celle de l'ouest , de Rome
et de l'Allemagne. La les apôtres convertisseurs furent Cy-
rille et Method ; ici, Adalbert( Wojtiech), Otlion et Boni-
face. Aujourd'hui les diverses populations slaves réunies
présentent un total de quatre-vingt millions d'hommes,
tantôt dominateurs , tantôt somnis a d'autres peuples , pos-
sédant d'immenses territoires, qui s'étendent depuis les bords
de l'Elbe jusqu'au Kamschatka, depuis la mer Glaciale jus-
qu'à Raguse sur l'Adriatique, jusqu'à la Chme et au Japon,
et elles comprennent près de la moitié de l'Europe avec nn
tiers de l'Asie. En font |)artie les Sorbes de la Lusace ( en
Saxe et en Prusse), avec les débris des Polabes ou habitants
des bords de l'Elbe, dans le pays de Lunebourg, au nombre
de 160,000 ; les CzèquesdeBohêmeetde Moravie, 4,414,000 ;
les Slovaques du nord de la Hongrie, 2,753,000 ; les Polo-
nais et les Kassoubes, 10,000,000; les Slowenzes de la
Styrie, delaCarinthie, delaCarnioleetdel'Istrie, 1,151,000;
les Chorvvates ou Croates catholiques, de la Croatie et de
l'Esclavonie, 801,000 ; les Serbes ou lllyriens de la Hongrie,
de la Dalmatie , de la Bosnie , de la Serbie et du Monténé-
gro, 5,294,000; les Boulgares de la Turquie, de même que
de la Russie et de l'Autriche, 3,587,000; les Russes, plus
de 51,000,000 d'âmes, dont 35,314,000 Grands-Russes,
13,144,000 Petits-Russes, et 2,726,000 Russes-Blancs. Con-
sultez Shafarik, Antiquités Slaves (traduit en allemand par
Mosig d'/Ehrenfeld [2 vol. , Leipzig, 1843]), notamment sob
Slowansky 7iarodopis (Piague, 1832; 3*édit., 1850), et ses
Slaves, Russes et Germains ( Leipzig, 1842 ).
SLAVES (Langues). La langue slave a dans ses racines
de mots et dans sa construction une frappante ressemblancij
avec langue sanscrite; mais elle est devenue européenne
par sa culture, commencée avant celle de toute autre langue
moderne. Sa déclinaison, complète et dépourvue d'articles,
sa conjugaison, sans pronoms, la pureté de ses termin=;isons
vocales, laquantité bien précise de ses syllabes, sa richesse
de mots et sa faculté d'en créer sans cesse de nouveaux ,
15.
22S
SLAVES
la liberté avec laquelle elle les place dans la plirase, sont des
avantages irrécusables. Les consonnes dominent dans la plu-
part des dialectes; mais le mode de prononciation en diminue
le nombre, et beaucoup de prétendues intonations dures ne
proviennent que du mode d'ortliograpliier. Quelques éclios
redits par les cbants populaires , et les renseignements qu'on
possède sur l'ancienne écriture runique slave prouvent
que déjà avant l'époque clirétienne les Slaves étaient parve-
nus à une certaine civilisation. Les Slaves du sud reçurent de
la Grèce, soit pour la première fois, soit après la perte de
leur écriture indo-slave, l'écriture en lettres. En arrivant chez
euxCy ri 1 Icet Me tli od trouvèrent une langue qu'ils purent
élever tout de suite au rang de langue écrite. C'est le dialecte
slave le plus anciennement formé, l'ancienne lantrue ecclé-
siatico-slav e. L'antagonisme des Slaves convertis à la foi
grecque Qt des Slaves convertis à la foi romaine empêcha que
cette langue devint, comme langue commune écrite, un lien
qui rattivciiàt tous les Slaves eu corps donation, ainsi qu'il
arriva plus tard du haut-allemand , employé par Luther.
Tout au contraire, par la suite chaque peuplade slave sé-
parée des autres Slaves par diriérentes nations , par des Al-
lemands surtout , fit de son dialecte une langue écrite et une
littérature particulières , différant encore les unes des autres
par l'emploi d'alphabets et d'orthographes autres. Do-
browski est le premier qui ait établi deux catégories de lan-
gues slaves : la catégorie des langues du sud-est , compre-
nant les langues russe, houlgare, serbe, dalmale, croate
et wende de la Styrie, de la Cariuthie et de la Carniole; et
la catégorie des langues du nord-ouest, comprenant les lan-
gues des Polonais, des Bohèmes, des Slovaques et des
Serbes Wendes ; division qui a été admise depuis par tous
ceux qui ont traité le même sujet.
SLAVES (Littératures). Rigoureusement parlant, on
comprend sous cette dénomination générale les diverses lit-
tératures qui à une époque quelconque sont parvenues à un
développement |)articulier dans le donraine de la fann'lle
des langues slaves, famille qui se divise en un si grand
nombre de branches; peu importe d'ailleurs qu'elles soient
depuis longtemps mortes avec l'idiome qui les concerne, ou
bien que cet idiome ayant continué de vivre, elles se soient
pourtant confondues avec un dialecte de même origine mais
parvenu à un plus haut développement littéraire, ou enfin
qu'elles aient continué d'exister jusqu'à nos jours dans une
constante indépendance au point de vue de la langue comme
au point de vue de l'écriture. En ce sens, on aurait à consi-
dérer les littératures suivantes : 1" l'ancienne littérature boul-
gare (ancien slave, ecclésiastico-slave etcyrillien); 2" la nou-
velle littérature boulgare;3° celle des Grands-Russes; 4° celle
des Petits-Russes; b" celle des Russes-Blancs; G" la litté-
rature serbe ( illyrienne-ragusaine); 7° la littérature chor-
wate; 8° la littérature slowène ( carniole, korutane,
wende); 9» la littérature polonaise; 10" la littérature kas-
soube; 1 1" la littérature bohème; 12" la littérature slovaque;
J3° et 14" la littérature serbe ou wende de la haute et de
la basse Lusace ; 15° la littérature polabe.
Parmi ces littératures, il y en a une, celle des anciens Boul-
gares, ou littérature cyrillienne, qui est déjà morte, ainsi
lue le dialecte qui lui servait de base; et ils n'ont plus tous
deux qu'une ombre de vie dans l'Eglise chez les Slaves du
rite grec, notamment chez les Russes, les Boulgares et les
Serbes, par l'usage de livres d'Église rédigés dans le dia-
lecte en question (voyez EccLÉsiAsxrco-SLAVE [Langue)).
La nouvelle littéiature houlgare, dont l'idiome est celui
que parlent les Boulgares d'aujourd'hui, et qui diffère sen-
siblement de l'ancien , est encore au berceau. La littéra-
ture des Petits-Russes et des Russes-Blancs, autrefois indé-
pendante et qui , surtout à l'époque de la domination [)olo-
naise, était parvenue à un certain degré de perfectionnement
dans des livres d'église et de piété, dans des ouvrages d'histoire
et de jurisprudence , ne donne plus aujourd'hui signe de vie,
du moins la littérature des Russes-Blancs. La littérature des
petits-Russes se conserve encore dai\s la poésie, dans la
I nouvelle et dans quelques autres genres légers. Ces deux
I dialectes sont encore pleins de vie; mais par suite de leur si
; proche affinité avec le grand-russe, ils se trouvent de plus
i en plus absorbés littéraireuient [lar celui-ci ( voyez Russie
[langue et littérature ] ).
Les littératures serbe (illyrienne, ragusaine), chorwate
et slowène-wende, qui ont essentiellement pour point de
départie même dialecte, mais qui néanmoins, par suite de
sé|)arations et d'influences politiques, religieuses, voire
même alphabétiques, s'efforcèrent constamment [lendant
des siècles de suivre les voies d'un développement indépen-
dant, sont aujourd'hui sur le point de ne plus former qu'une
môme littérature avec inie langue écrite commune (mais
avec deux alphabets, le cyrillien et le latin). Quant aux
littératures serbe, ragusaine-dalmate et chorwate , ce ré-
sultat est déjà à peu près réalisé (voyez Seubes [Langue et
Littérature] ); mais ce sera chose plus diflicile pour la litté-
rature slowène-wende , dont le dialecte témoigne d'une dif-
férence beaucoup plus grande.
Sauf quelques chansons et quelques petits livres, il
n'evisfe point de littérature kassoube; c'est la littérature
polonaise qui pour cette variété d'idiome tient lieu de langue
écrite et de littérature. L'indépendance de la littérature
slovaque (slowène) n'est jamais parvenue à une grande
importance (voyez Slovaques). Si à beaucoup d'égards ce
dialecte diffère du bohème , il n'en constitue pas moins la
vérilable langue écrite.
Les deux dialectes de la Lusace et leurs litléiatures se
sont développés d'une manière indiqiendante, et ils ont con-
serv(' leur indépendance encore aujourd'hui ; mais , sauf l'é-
poque de la réf'ormation , ils ne sont jamais parvenus à un
bien grand développement.
Le dialecte polabe ( linon- wende) , dialecte parlé par les
Slaves fixés sur les bords de l'Elbe et au nord de l'Allemagne,
n'a point de monuments littéraires , à peine quelques frag-
ments écrits, un chant popidaire , quelques prières et quel»
ques collections de mots. Celte langue est morte; peut-être,
cependant, en trouverait-on encore quelques vestiges dans le
Lunebourg et dans la Vieille-.Marche, au milieu de l'obscu-
rité et de l'isolement de quelques familles.
Abstraction faitedesdialecfesetdes littératures dontil vient
d'être question, et ()ui ont disparu ou se sont confondus,
ou bien sont en train dese fondre dansd'autres, de même que
du dialecte et de la littérature des Wendes de la Lusace
et des Wendes de la Carniole ; abstraction faite encore de la
nouvelle littérature houlgare, àcause de son insignifiance, il
reste quatregrandsdialectes et cpiatre littératures principales
dans lesquels se produit siutout le génie slave avec toute son
originalité, à savoir le bohème , le polonais, le russe et le
serbe (voyez les articles qui leur sont spécialement consa-
crés dans ce Dictionnaire). Sous le ra|iport de l'affinité des
langues, les littératures bohème et polonaise appartiennent à
la catégorie des dialectes de l'ouest, et la russe ainsi que la
serbe ( avec l'ancienne et la nouvelle littératures boulgares, de
même que la littérature carniole- wende) appartiennent à la
catégorie des dialectes oriento-mi'^ridionaux. Les alphabets
sont doubles aussi : la partie ouest écrit avec des lettres la-
tines, et la paitieoriento-méridionale (à l'exception des lUy-
riens catholiques (Chorwates, Dalmateset Carniols) se sert
de caractères cyrilliens. En outre, l'alphabet glagolitique fut
pendant longtemps en usage parmi les Dalmates pour la langue
ecclésiastico-slave, et l'alphabet gothique parmi les Slaves
occidentaux, notamment pour les choses imprimées. Ledé-
veloiipement historique des littératures slaves considéré dans
son ensemble ne nous présente pourtant pas un tableau
organiquement coordonné, 11 y a ici tout un monde de
peuplades, de dialectes, de formations d'Élats et de formes
de civilisation, qui dès l'origine jusqu'au temps actuel
s'attirent ou se repoussent réciproquement ; en outre, il est
impossible de préciser historiquement l'époque où il y eut
comuumauté de langues et de nationalités. La séparation des
peuplades et des idiomes s'effectua longtemps avant l'èr*
SLAVES
339
clirélicnne. Le paganisme présente des traces d'une écriture
indif'ène, des fables de lois écrites, diverses inscriptions,
des clianis populaires, et fotirnitqnelques témoignages relatifs
à l'état religieux, moral , social, politique, etc. Mais quant
à de véritables monuments écrits, il n'en existe point, à
moins qu'on n'y comprenne les dessins runiques, à l'égard des-
quels il faudrait pourtant posséder des renseignements plus
précis. On peut considérer divers fragments de cliants popu-
laires, notamment certains chants boliéniesdu manuscrit de
Kœniginhof, comme appartenant déjà à la période de tran-
sition du paganisme au christianisme. I>'lnstoire proprement
dite des littératures slaves commence par conséquent à la
conversion des diverses peuplades. Cette conversion s'opéra,
après plusieurs tentatives antérieures, au neuvième siècle
pour ce qui est des Boulgares, des Serbes, des Moraves,
des Carniols et des Bohèmes, au dixième siècle pour ce
qui est des Polonais et des Russes ; et de deux points de dé-
part <iifférents, à savoir Constantinople et Rome. Ce double
point de départ décida du développement et de la destinée
non-seulement des littératuies slaves, mais encore de la ci-
vilisation slave en général, surtout lorsque le schisme
qui éclata dans l'Église au dixième siècle et la destruction
du royaume de la Grande-Moravie par les Magyares eurent
(ait avorter l'essai tente du consentement de Itome par les
apôtres slaves Cy ri 1 le et Me tho d pour transformer en
propriété commune à toute la race la liturgie et la langue
ecclésiastico-slaves , déjà introduites chez la plupart des peu-
plades slaves ; enfin, quand le monde slavese trouva partagé
en deux moitiés bien tranchées et hostiles, l'une grecque et
l'autre latine. La première présente au moyen âge cet avan-
lage que, possédant une langue commune pour l'Église ,
l'État et la littérature , elle parvient à un développement
littéraire considérable; tandis que la seconde , sous la domi-
nation de la langue latine, ne fait que de lents et pénibles
efforts pour arriver à constituer une littérature. Mais d'un
antre côté la première, sous la prédominance de l'ecclésias-
tico-slave, ne put pas perfectionner ses dialectes populaires ;
et quand le royaume de Russie eut été détruit par les Mon-
goles , celui de iioulgarie et celui de Serbie par les Turcs,
enlin lorsque Constantinople eut été anéantie comme point
de départ el foyer de la civilisation , il lui fallut recommencer
sa culture littéraire à partir des premiers rudiments; de sorte
que ce fut seulement au dix-huitième siècle qu'elle parvint,
en Russie comme en Serbie, à quelque importance; et en-
core l'influence de l'Occident s'y (it-elle sentir. Au con-
traire, la moitié latine, à savoir Ragusc { Dubrownik), la
Roliême et la Pologne, par l'intervention de la langue la-
tine et sous l'inlliience de la renaissance des langues et des
littératures classiques, et en suivant dans la civilisation des
voies pareilles à celles qu'avait adoptées le reste de l'Europe,
parvient à une prospérité toujours plus grande, et peut faire
dater du seizième siècle l'âge d'or de ses littératures. Ces lit-
tératures présentent seules aussi une histoire de leur dé-
veloppement. La lilléralure illyrienne (serbe) ragusaine,
interrompue au commencement de ce siècle , trouve au-
jourd'hui sa continuation sur d'autres points; la littérature
bohème, demeurée en friche depuis la guerre de trente ans,
n'en est cultivée qu'avec plus d'ardeur depuis le second
quart de ce siècle. Seule la littérature polonaise s'est déve-
loppée sans interruption jusqu'à nos jours, subissant succes-
sivement toutes les grandes influences de la civilisation
européenne, celles des littératures classique, italienne,
française, anglaise et allemande ; seule aussi elle a pris part
à la lutte du romantisme contre le faux classicisme, et
plus que toute autre elle porte au front l'empreinte de la
civilisation européenne ; enfin , seule elle possède une vé-
ritable poésie d'art. La littérature russe est aujourd'hui la
plus riche en ce qui est du nombre des ouvrages imprimés,
mais non pour ce qui est de la spontanéité, de l'originalité ;
et quoi qu'elle fasse , force lui est de subir l'influence
du génie de la civilisation européenne. Consultez Scha -
lariK , Histoire de la Langue et rfç la Littérature Slaves
( en allemand ; Ofen, 1R26 ) ; le même. Ethnographie Slo.vf
(Prague, 1842; 3'' édit., 1850); lilichlioff, fUstnire de la
Langue et de la lAltératurc des Slaves (Paris, 1839);
Mickiewicz, Cours sur la Littérature Slave ( en allemand ;
4" édition, Leipzig, 1849).
SLAVES (Mythologie des). L'exposition scientifique de
la mythologie slave dans ses rapports avec les diverses tri-
bus et dans ses développements historiques est une tâche
qui reste à accomplir. Les difficultés qu'elle présente à l'ar-
chéologue ne gisent pas tant dans le manque de matériaux,
quelque vagues que soient ceux qu'il a à sa diposition , que
dans leur diversité, attendu qu'il y trouve mêlés des élé-
ments religieux appartenant à la plupart des populations indo-
germaniques de l'Asie et de l'Europe, avec lesquelles les
Slaves, eux-mêmes race indo-germanique et l'un des peu-
ples primitifs de l'Europe, ont été en rapport, notamment
des éléments hindous, perses, grecs, romains, celtiques,
germano-scandinaves, prusso-litliuaniens , et même finnois.
11 s'en suit naturellement que la mythologie slave ne sau-
rait être traitée que par voie de comparaison si on veut ar-
river à quelques résultats vraiment scientifiques, ce qui exige
la connaissance la plus vaste et la plus spéciale de tout
ce qui a trait à la religion et à la civilisation du monde
antique. A cesdilicultés il faut encore ajouter la diversité des
points de vue où on se place pour acquérir des notions
scientifiques sur les religions anciennes. La plupart des
investigateurs se sont, il est vrai, mis au -dessus de pa-
reilles considérations , les uns en niant d'une manière gé-
nérale l'existence d'une mythologie, d'une doctrine précise
des dieux comme révélation, tradition ou produit particulier
et spontané du génie des Slaves, el en refusant de voir dans
les formes existantes autre chose qu'un agrégat d'éléments
indigènes et étrangers, sans rapports entre eux , demeurés
sans développements, et en ne voulant guère l(?str»ilerqu'au
point de vue lexicographique ; les autres, qui admettent bien
l'existence d'une mythologie slave particulière, en la faisant
naître et sedévelojjper spontanément, sans apporterd'autres
preuves à l'appui de leur opinion que des explicationsétymo-
logiques des noms de dieux ; d'autres encore, en ratta-
chant les divinités slavesaux divinités grecques et romaines,
et en cherchant à expliquer les unes par les autres. Il n'y a
qu'un très-petit nombre d'érudits qui aient essayé de traiter
ce sujet d'une manière scientifiquement comparative, par
exemple Lelewel, Kollar, Schafarik, Maciojowski et Ilamsich
(La Science du Mythe Slave [Lembeig, 1842]), etc. Ce
dernier ouvrage est de tous le plus complet, et se recom-
mande d'ailleurs par sa riche indication de sources à consul-
ter. Que s'il n'offre pas un système fixe et arrêté dans toutes
ses parties, on y trouve du moins les premiers efforts tentés
pour arriver à un pareil résultat.
Procope , qui vivait au sixième siècle, dit des Slaves qui
habitaient derrière les monts Karpalhes : « Us adorent un
dieu , créateur de la foudre , et seul maître de toutes cho.ses ;
il lui'immolent des bœufs et lui offrent toutes sortes de3 sa-
crifices. Us ne reconnaissent aucune espèce de destinée
{fatum), et se refusent à lui accorder la moindre puis-
sance sur le sort de l'homme. A l'approche de la mort ,
que ce soit pendant la maladie ou avant la bataille , ils font
à leur dieu un vœu, qu'ils remplissent fidèlement lorsqu'ils
échappent au danger , parce qu'ils croient que c'est ce
vœu qui les a sauvés. Mais ils adorent aussi les fleuves , les
nymphes et une foule d'autres divinités auxquelles ils
offrent des sacrifices , sacrifices auxquels ils rattachent des
prédictions relatives à l'avenir. » Helmold, qui vivait au dou-
zième siècle, dit au contraire des Slaves polabes : «Outre
les divinités à (ormes nombreuses eldiveises qu'ils font pré-
sider aux champs et aux forêts, aux tristesses et aux joies,
ils croient à un dieu qui règne sur tous les autres dans le
ciel , et qui, ne s'occupant , comme le plus puissant de tous,
que des choses célestes, abandonne la direction de toutes les
affaires aux autres dieux qui lui sont subordonnés, qui son
issus de son sang, et dont chacun est d'autant plus cousi-
230
SLAVES— SLINGELAND
«i«^rable qu'il se trouve plus rapproché du dieu des dieux. »
Ces deux témoignages sont d'une haute importance pour la
mythologie slave, car ils contiennent l'esquisse de son
essence et de son développement intérieur. Ils prouvent
qu'en deçà comme au delà des monts Karpathes, par
conséquent dans tout le territoire occupé par les Slaves,
et cela à des époques très-différentes et très-éloignées les
unes des autres, régnaient des idées analogues en matière
de culte et de religion. Ils prouvent en outre, contrairement
à l'opinion de la plupart desmythograplies, que le plus an-
cien culte primitif des Slaves n'était nullement un grossier
et stupide culte de la nature, mais que ce fut un mono-
théisme qui s'obscurcit àia longue, admit des éléments étran-
gers , dégénéra en polythéisme , puis finalement en pan-
théisme, sans que l'idée i)ure de l'existence d'un être divin
supérieur se soit complètement effacée de la conscience
religieuse des peuples, du moins de celle de leurs prêtres.
Le culte de Swialowit forme le couronnement du système
religieux des Slaves. D'après le témoignage d'Helmold , il
était adoré parla nation tout entière, qui le considérait
comme le dieu suprême et universel, tandis que les autres
divinités n'étaient que des demi-dieux. On a contesté l'exac-
titude de ce témoignage , eton a placé d'autres dieux, objets
d'un culte universel et ayant une importance suprême , au
faîte de ce système religieux , ou tout au moins au même
rang que Swiatowit, par exemple Perun et Radegast. La
découverte tout récemment faite à Ibrucz, dans la Gallicie
orientale , d'une statue en pierre de Swiatowit , qui dans
le temps fut exposée à Cracovie, prouve complètement
l'universaUté du cidle de Swialowit, qui d'ailleurs peut avoir
eu pour centre .ArKona, dans l'ile de Rugen. (I serait
facile de démontrer que l'idée d'un être divin unique ser-
vait aussi de bafe à ce culte; et on en trouverait les pre-
miers éléments dans la triple individualisation de l'Être
suprême, ti;lle que l'expose Grimm, à savoir dans la triade
de Swiatowit comme Mars et Ziou ou Zeus , de Férun
comme Jupiter et Donar, de Radegast comme Mercure et
NViiotàn. Quoiqu'il en soit,le cultede Swiatowit contient tous
les mystères du système religieux des Slaves et le germe des
notions qui doivent servir de point de départ à des inves-
tigations ultérieures propres à mettre sur la voie de la source
primitive d'une révélation ou d'une tradition, qu'il faut aller
chercher en A.sie. Peut-être arriverait-on ainsi à donner a la
théogonie indiquée par Procope et par Helmod un sens plus
profond , que lorsqu'on lui assigne pour base un culte de la
nature grossier ou personnifié. Outre les trois divinités que
nous venons de mentionner, Swiatowit, Perun et Radegast,
il faut encore nommer les suivantes, comme générale-
ment connues : Prowe , dieu de la justice; Rugewit , dieu
de la guerre ; Siwa ou Ziwa ; Triglaw ( Trimourti }, Lado
et Ladn, divinités de l'ordre et de l'amour; Diewana
(/>/one), déesse des forêts; Prija ( Vénus, la Freya des
Scandinaves); Bjelbog, le dieu blanc, Cernobog , le dieu
noir; Morena, Marzana , déesse de la mort; Jutrebog ,
dieu du matin; Vegada (Temperies) , dieu de la tem-
pérature; Wila{Wœla), Rusalka, des nymphes et des
naïades; Weles , Wolos, dieu des pasteurs; ensuite des
démons et des esprits, bons et mauvais : Djasi , Diesi,
Biesi, Dievy, Lulice , Skrety , etc. Les images des dieux
slaves rappelleat l'Inde d'une manière frappante. Celle de
Swiatowit était à quatre têtes; celle de Rugewit, chez les Ca-
rantanes, avait sept profds ; celle de Porewit avaitcinq têtes;
celle de Pérun avait quatre proCds , etc. Suivant des témoi-
gnages parfaitement dignes de foi, les Slaves croyaient aussi
à l'immortalitédel'âme, demèmequ'àla résurrection après la
mort, et à des peines et des récompenses futures :1e tout, il est
vrai , conformément aux idées sensuelles de l'époque. Des
noms tels que Gadamn , prédictions ; Kohinda , una fête
célébrée par de mutuels pré.sentsau renouvellement de l'an-
née ; Jùcpalo , la fêle de la Saint-Jean , la fêle en l'honneur
du soleil, a l'occasion du solstice d'été; Trizna , une fête
cornmémoralivedcs morts, se rapportent aux usages et aux
I fêles de l'époque païenne. Les fonctionsdu culte étaient rem-
plies par les prêtres, lesquels à l'époque la plus reculée
étaient très-certainement en même temps les chefs du
peuple, comme l'indique le mot Ksiadz, Kniez, encore en
u.sage aujourd'hui dans sa double .signification de prêtre et
de prince, et ainsi que nous l'apprend l'histoire. Ils accom-
plissaient les cérémonies du culte dans des bois consacrés ou
dans des temples construits à cet effet. D'ordinaire, on y sa-
crifiait {zrr/iva,obiet, sacrifice) et on y prédisait ( wiestecz,
gadacz , prophète). Les sacrifices consistaient en bœufs,
moutons, fruits. On y récitait des prières, et on y exécutait des
chants. Il y avait absence absolue de sacrifices humains ;
et ce n'est que chez quelques peuplades des bords de la Bal-
tique et de l'intérieur de la Russie, qu'ils s'introduisirent
de l'étranger; encore n'eurent-ils qu'une durée éphémère.
On brûlait les morts, dont les cendres, déposées dans des
urnes, étaient ensuite enterrées. La piété et la dévotion
dans l'adoration des dieux étaient si grandes , que le prêtre
n'osait pas respirer devant l'image de Swiatowit , tant qu'il
n'avait pas commencé le service. Ce qui caractérise plus
particulièrement la mythologie slave, c'est le plus merveil-
leux enchaineuienl des piùssances visibles et invisibles ; une
agrégation encore naïve, mais déjà vivante, des phénomènes
de ce monde et des mystères de l'autre, à laquelle le chris-
tianisme seul a pu donner un sens plus profond.
SLAVOiME ou SCLAVONIE. Voyez Esclavome.
SLIGO , comté de la province de Connaught ( Irlande ) ,
situé entre l'océan Atlantique au nord , le comté de Leitrim
à l'est, le comté de Roscommon au sud-est, et le comté
de Mayo au sud et à l'ouest. Sur une superficie de 22 my-
riamètres carrés, dont environ 12 sont cultivés et le reste oc-
cupé par des monlagnes, des marais et des lacs, on comptait
encore en 1840 une population de 180,886 âmes , réduite en
1850 à 128,769; ce qui accusait une diminution de 28 pour
100 dans le nombre des habitants. Le pays est traversé de
l'est à l'ouest par une chaîne de montagnes, dont les pics les
plusélevéssontro.r, leKnock Narce, (tlïeKriock-Shecuaan.
La côte forme les baies de Sligo et de Killala. Les cours
d'eau les plus importants sont le Garwoag, l'Owen-beg
provenant de l'Arrowet de l'Awinmore , l'Esky et le Moy;
et les lacs les plus considérables , le Giily, l'Arrow, le Gara et
l'Esk. Au sud-ouest on rencontre d'immenses marécages. Le
sol est généralement léger, sablonneux et graveleux , mais
très-fertile sur quelques points. La culture de l'avoine, de
l'orge et des pommes de terre , l'élève du bétail , la pèche
et le tissage du lin constituent les principales ressources
de la population.
Le chef-lieu , Sligo , situé à l'embouchure du Garwoag,
dans la baie de Sligo , doit son origine à un château fort et
à une abbaye fondée en 1262, dont il existe encore de
magnifiques ruines. On y trouve une belle église catholique ,
plusieurs écoles, et on y compte 15,000 habitants qui expor-
tent des grains, dubeurre, du filet delà toile, etqui selivrent
en outre à la pêche du saumon et au cabotage. En 1847 cette
ville possédait trente-sept navires à voiles, jaugeant en-
semble 5,665 tonneaux, et deux bateaux à vapeur.
SLINGELAND (Pieter van), peintre, né à Leyde, en
1640, fut l'élève de Gérard Dow, qu'il imita avec bon-
heur dans le travail lent et pénible de ses morceaux de ca-
binet, sans cependant jamais pouvoir atteindre la touche spi-
rituelle et délicate de. son maître. Il travailla pendant trois
ans au tableau de la famille Mermann qui fait partie de la
collection du Louvre; les manchettes elle col de l'enfant
lui coûtèrent tout un mois de travail. Ce tableau est l'œuvre
capitale de ce maître, qui d'ailleurs est remarquable aussi
par la finesse et la lucidité des tons de son coloris. La col-
lection du Louvre possède encore de lui divers autres por-
traits et tableaux de ce genre. On voit aussi de ses œuvres
dans la galerie Bridgewater, à Londres, dans la Pinaco-
thèque , à Munich , et dans la galerie de Dresde ; l'une des
plus connues est la Faiseuse de dentelle, qui fait partie
de cette dernière collection. Par suite de la lenteur extrême
SLINGELAND — SMALAH
231
qu'il mettait à peindre , Slingeland n'a pu laisser qu'on
petit nomhrft de tableaux. Il mourut eu 1691.
SLOAIXE ( tiANS) était un médocia irlandais, qui na-
(liiiten lOGO , <'t mourut en 1764 , à Chelsea , avec le titre
de médecin en chef de l'armée anglaise. Ami deSydenham
cl membre associé de notre Académie des Sciences , il a
laissé, outre de nombreux articles insérés dans les Transac-
tions philosophiques , un Voyage à Madère, à la Bar-
bude , etc. (2 vol. in-folio, avec 118 planches , 1705-1725),
et un Catalofjus Plantariim qux in Insula Jamaica pro-
rcniunt (3 vol. in-S", 1696 ). U légua à la nation, en mou-
rant, sa magnifique collection d'histoire naturelle, qui forme
en grande partie aujourd'hui la galerie du British Mu-
séum.
SLOOP (on prononce sloup), petit bâtiment cabotier
à un seul màt. Voyez Cutter.
SLOVAQUES ( Les ). On désigne sous ce nom les po-
pulations slaves fixées au nord de la Hongrie. Elles descen-
dent <les Slav es qui, lors de leur première immigration
en Europe , s'établirent dans les monts Karpathes et leurs
versants, entre le Danube et la ïheiss, s'y maintinrent
pendant plusieurs siècles, et y formèrent, dans le cours du
neuvième siècle de notre ère, le noyau du royaume de la
Grande-Moravie. Elles obéissaient à des princes indigènes ;
unies auxCzèques, peuplade de même origine, elles com-
battirent à l'époque de Samo les Avares ; puis , à partir du
règne de Cliarlemagne , elles dépendirent des Franks et
des Allemands. Au neuvième siècle, unies aux Moraves ,
notamment sous les princes Rastislafl' et Swatopluk, elles
se rendirent indépendantes et dominèrent en l'annonie jus-
qu'à ce qu'elles lussent successivement soumises par les
Magyares , afirès la sanglante bataille livrée en 907 sous les
murs de Presbourg , qui eut pour suite la destruction du
royaume de la Grande-Moravie. Aujourd'hui, on rencontre
des Slovaquesdans tous les comitals de la Hongrie; mais au
nord-ouest, à Trentschin, à Turocz, àArva,à Liptau etàSohl ,
ils constituent la majorité des habitants. Ou estime leur nom-
bre à 2,750,000 , dont plus de 800,000 appartiennent à la foi
protestante, et le reste à la religion catholique. De toutes les
races slaves, c'est peut-être celle quia le plus lidèlement
conservé le vieux type national. On en voit un grand nombre
parcourir l'Allemagne en exerçant la profession de mar-
chands de toiles peintes ou de laccommodeurs de faïence.
La langue slovaque a beaucoup d'analogie avec celle des
Bohèmes, et constitue avec elle le Aiiûecle slavo-czèquç.
Quand la réformation , après avoir de proche en proche
envahi la Bohème, se répandit parmi les Slovaques, déjà
préparés à une révolution de ce genre par les nombreux
hussites qui s'étaient retirés dans leurs contrées, la langue
bohème , que parlaient les apôtres de la nouvelle loi reli-
gieuse, exerça une grande influence sur la langue slovaque;
et ce fut également à l'ombre de la civilisation bohème que
surgit avec le temps une littérature slovaque. Il n'y a pas
longtemps que la langue populaire des Slovaques s'est trans-
formée en langue écrite ; et déjà elle a produit bon nombre
d'ouvrages, tant en prose qu'en vers. Entie autres écrivains
qui l'ont maniée avec bonheur , nous citerons Matth. Bel
(1684-1749), et Dan. Krman (1663-1740), qui traduisi-
rent la Bible; Stephan Leschka, ministre à Kis-Kœrœs
(1757-1818), le premier qui ait publié un journal en lan-
gue slovaque ; Bernolak, auteur d'une grammaire slovaque;
Georges Palkowitch, chanoine de Grân , mort en 1835 , tra-
ducteur de l'Écriture Sainte (2 vol., 1833); Placliy, Ta-
blitsch, dont\es Poésies oat été publiées en quatre volumes
(1806-1812), et surtout HoUy, qui s'est fait un nom consi-
dérable par son épopée en langue slovaque. Jean Kollar,
ministre à Pesth, a rendu de grands services non-seulement
ù la langue bohème , mais encore à la langue slovaque. Les
Slovaques possèdent une grande quantité de beaux chants
populaires, qui ont été publiés à Pesth(2vol., 1823-1827),
et dont une nouvelle collection a été faite par J. Kollar
(2 vol., 1834). Dans ces derniers temps, Stur, par les
soins de qui fut publié le premier journal politique en lan-
gue slovaque, a beaucoup contribué au puissant essor pris
tout à coiq) par la langue écrite des Slovaques, laquelle alors
ne fut pas seulement employée pour la rédaction de cette
feuille, mais encore pour un grand nombre d'ouvrages des-
tinés à l'éducation de la jeunesse. C'est également parmi les
Slovaques que s'est manifestée dans ces derniers temps la
plus énergique réaction coati e les envahissements du ma-
gyarisme.
SLOVVENZES (Les). C'est le nom sous lequel on dé-
signe les populations slaves fixées en Styrie , en Carinthie et
en Carniole, ou dans ce qu'on appelait jadis la Karantanie ,
et nommées autrefois Wendes, et aussi AoroM^ones dans les
ouvrages scientifiques, ils vinrent de Pannonie s'établir
dans ces contrées vers la fin du sixième siècle, les uns
spontanément, les autres fuyant devant les Invasions des
Avares.
Ces luttes se renouvelèrent encore plus tard à diverses
reprises. De 627 à 002 ils se rattachèrent par des alliances
au royaume de Samo. C'est aussi vers cette époque qu'eut
lieu la première tentative faite par saint Amandus pour
les convertir à la foi chrétienne. Ils soutinrent ensuite
de longues luttes contre les margraves de Frioul. Ils
furent exposés à de plus grands dangers par les redoutables
Franks , quand ceux-ci eurent subjugué la Bavière dans l'in-
tervalle compris entre l'an 725 et l'an 749. Borout (750 ) est
le premier souverain wende dont il soit fait mention comme
ayant été soumis aux Franks, Ses fils et successeurs, Karat
etChotimir, furent déjà de zélés chrétiens. Sous le prince
bavarois Thassilon H, qui s'affranchit pendant quelque
temps delà suzeraineté des Franks, les Wendes furent les
tributaires du premier. Ils avaient alors (772) Wladouch
pour souverain. Mais Cliarlemagne ne tarda pointa conqué-
rir ia Bavière , en même temps que toute la Karantanie ,
vers 788. Le pays devint alors une marche wende particu-
lière, que Cliarlemagne incorpora à son empire. C'est de là
que naquirent plus tard les duchés de Styrie, de Carinthie
et de Carniole, qui échurent d'abord à l'Allemagne , puis à
l'Autriche, et qui furent en grande partie germanisés.
La langue des Slowenzes appartient à la catégorie des
idiomes slaves orientaux-méridionaux , et se rattache plus
particulièrement à l'illyrico-serbe. Elle possède de très-an-
tiques et très-précieux monuments. Le plus ancien est le
manuscrit, dit autrefois de Freising et aujourd'hui de Mu-
nich, datant de 957 à 994, écrit par l'évèquede Freising Abra-
ham, et composé de deux morceaux religieux , que Kopitar
a imprimés dans le G/ar/o/i^a Clozianus (Vienne, 1836).
Jusqu'au seizième siècle il y eut un profond assoupissement
littéraire; mais la réformation vint alors éveiller une vie
nouvelle. Desavants ecclésiastiques : Truber (1550-1586),
Juriczicz (1562), Krell ( 1567), Dalmatin (1576), Bohoricz
( 1584 ) , perfectionnèrent notablement la vieille langue. Ce
dernier composa la première grammaire carniole ( 1584)
La même année parut à Wittemberg la première traduo
tion de la Bible. Vinrent ensuite de nombreux ouvrages de
théologie et de dévotion. Une seconde bible catholique pa-
rut à Laybach, en 1791. En fait de poètes, on cite Pohiiii
(1780), Dewa, Linhart et Wodnik (1780-1819); de no«
jours, Jarnik (1814), Preszern, Kastelic, Zupan. Meteiko
acomposé une bonnegrammaire (1830) ; mais la meilleure est
celle de Kopitar (Laybach, 1808). Jarnik et Murk ont fait
paraître un dictionnaire ( 1832 ). U existe des collections de
chants populaires par Wraz (1839) et par Korytko (1839).
SLUYS. Foy<?s ÉCLUSE (L').
SMALAH ou SMALA, mot qui représente chez les
Arabes ce que nous appelons en Europe les équipages ,
la suite, comprenant les tentes du maître, sa famille, ses
domestiques et ses richesses, et qui s'applique à une sorte
de dépôt , formé des tentes , des non-combattants et de la
réserve que ces peuples nomades laissent au loin en arrière
quand ils vont en expédition. Ce mot a reçu une certaine
importance historique depuis la prise de la smalah d'Abcl-
232
SMALAH — SMERDIS
el-KaJer par nos troupes sous les ordres du ducd'Au-
male, le 16 mai 1343.
L'émir avait vu tous ses élablissemeiits fixes successive-
ment envahis et détruits par nos soldats. Pressé entre le
désert et nos colonnes , il comprit que pour sauver les plus
prteieux débris de sa puissance , il ne lui restait plus qu'à
les rendre mobiles comme les tribus. Il organisa donc sa
smalah. Ce n'était pas seulement la réunion de quelques
serviteurs fidèles autour de la famille et des trésors d'un
chef; c'était une capitale ambulante, un centre d'où par-
taient tous les ordres , où se traitaient toutes les alfaires
importantes , où toutes les grandes familles trouvaient un
refuge sans pouvoir échapper ensuite à la surveillance qui
les y retenait. Puis autour de ces grandes familles se grou-
paient des populations entières, qui les entouraient comme
d'un rempart vivant. La smalah réunissait en tout 363
douars de quinze à vingt tentes chacun ; c'est-à-dire 20,000
âmes, parmi lesquelles 5,000 combattants armés de fusils,
dont 500 fantassins réguliers et 2,000 cavaliers.
Le 10 mai 1843, leduc d'Auniale partit de Bogliar avec
deux bataillons de ligne, un bataillon de zouaves , un détache-
ment de gendarmes, un détachement du 1" de chasseurs d'A-
frique, deux escadrons du 4* trois escadrons de spahis, une
section de montagne et deux bouches à feu. Informé que l'é-
mir venait de faire une invasion dans le'î environs de Mascara,
le prince résolut d'atteindre le plus prompfement possible,
et en cachant sa marche à l'ennemi , Gousilah , où la sma-
lah avait passé l'hiver. Quoique peu renseigné et au milieu
de tribus hostiles, on arriva le 14, à la pointe du jour, à
Gousilah. Là on apprit que la smalah ét<iit à Oussek ou à Re-
kaï, à environ 6 myriamètres au sud-ouest; on prit celte
direction. Bientôt on sut que le camp ennemi avait quitté
Rekaï pour se rendre vers la source de Taguin. Au point
du jour on vint dire au duc d'Aumale que la smalah était
loi t près de lui. Les Arabes qui composaient notre goiim
représentèrent aussitôt au jeune prince que, vu la grande
ma.sse de nos ennemis, il fallait attendre l'infanterie; mais
une demi-heure de retard pouvait suffire à la levée du camp.
Il Jamais, s'écria le jeune duc, jamais personne de ma race
n'a reculé; » et immédiatement il prit ses dispositions pour
l'attaque. Une heure et demie après, le duc d'Aumale ralliait
nos escadrons victorieux, et les Arabes laissaient près de trois
cents cadavres sur le terrain. Nous n'avions que neuf hom
rjies tués et douze blessés. La mère et la femme de l'émir,
qu'on avait tenues prisonnières, s'étaient échappées. On
avait pris quatre drapeaux, un canon , deux affûts , des mu-
nitions de guerre , des armes, la tente de l'émir, qui se trou-
vait alors séparé de sa smalah, ses armes de prix , ses ef-
fets précieux , etc. Les trésors de l'émir et de sa suite furent
[lillés. Nos Arabes enlevèrent une foule d'esclaves noirs des
deux .sexes, plusieurs milliers d'ânes , quelques centaines
de chameaux, des chevaux , des troupeaux considérables,
sans -compter ceux qui avaient été réservés à l'administra-
tion et qui montaient à vingt mille têtes de bé,tail. La jour-
née du 17 se passa à ramasser le butin, le 18 on se remit
en marche, et le 25 la colonne arriva à Médéah sans avoir
brûlé une amorce. Les principaux prisonniers de cette jour-
née ,qui lit le plus grand honneur à son jeune chef, furent
envoyés en France. On y comptait plusieurs parents d'Ahd-
el-Kader, des officiers de ses troupes régulières, la famille
de Sidi-Kinbarek , khalifat de l'émir, Si-el-Aïadj, marabout
vénéré des Ilachems. L'émir s'occupa alors de réformer sa
délia. Quinze jours après il (itune razziasur les Boii-Aïcli,
qui nous avaient servi de guides dans notre expédition. Mais
ce fut son dernier coup de main dans cette région. Après
la prise de la smalah, toutes les grandes tribus nomades
établies sur les hauts plateaux voisins de Médéah et de Mi-
lianah firent leur soumission; en môme temps d'éclatants
succès forçaient les montagnards de l'Ouarensenis et du
Dabrah à mettre bas les armes. Tout ce pays, parcouru
par de nouvelles colonnes , recevait une organisation foiie,
qui rendait à peu près impossible le retour d'Abd-el-Kader.
Rejelc définitivement hors de la province d'Alger, l'émir
essaya encore quelque temps de se maintenir dans le sud
de la province d'Oran, puis il mena Sàdéira dans l'empire
du Maroc, et ses nouveaux alliés apprirent enfin à Isly
ce que^ peut la puis.sance de la France. L. Louvet.
SMALAND ( on prononce Smoland), la plus grande
province du sud <le la Suède, et qui autrefois faisait partie
du royaume de Gothlande avec le titre de duché , s'étend
depuis les provinces de Scanie et de Blekingen au nord
jusqu'au lac Wctter et à la Gothlande orientale ; et depuis
la province de Ilallandeà l'est jusqu'à la Baltii]ue, en com-
prenant les bailliages actuels de Jonkœping, de Wexiœ ou
Kronoberg et de Kalmar, qui occupent ensemble une sur-
face d'environ 420 myriamètres carrés avec une population
de 500,000 âmes. C'est au total une contrée montagneuse,
surtout au nord , où l'on rencontre d'immenses forêts, un
grand nombre de laudes , de lacs et de marais. On y élève
heaucoiip de bétail ; l'agriculture y est moins llorissante que
l'exploitation des mines de fer et de cuivre.
La partie nord comprend le bailliage de Jonkœping ( 144
myriam. carrés, et 165,000 liab.), avec le Taberg, haut de
333 mètres et riche en mines de ter, au sud du lac Wetter
avec un grand nombre d'usines et d'habitations de paysans
isolés. Le chef-lieu, Jonkœping , situé sur les bords du lac
Wetter et dans une position délicieu.>;e , mais exposé aux
inondations, est une ville régulièrement construite, siège de
la cour royale de Gotha, avec 5,000 habitants.
La partie sud forme le bailliage de Wexiœ ou de Kronoberg
(120 myriam. carrés, et 135,000 hab.) , contrée montagneuse
et pierreuse , extrêmement riche en lacs , dont les plus
grands sont ceux de Bolmen, de Mœckeln , d'Assnen et
d'Helga. Son chef-liou , Wexiœ, sur l'flelga ( c'est-à-dire le
saint lac ), siège d'evôché, compte 2,000 habitants et possède
un gymnase où les études avaient pris dans ces derniers temps,
grâce aux soins de l'évèque Tegner, un brillant essor. H
s'y trouvait aussi jadis une célèbre abbaye dé bénédictins.
Le littoral oriental forme le bailliage de Kalmar (150
myriam. carr., et 200,000 hab.), contrée élevée au nord et à
l'ouest, mais pourtant .sans grandes montagnes, et dont
le sol va toujours eu s'inclinant davantage vers la Baltique;
son chef- lieu est K a I m a r .
SMALKALDE. Voyez Scumalkalde.
SMALT. Voye::. Azur et Cobalt.
SMAUAGDITE. Voyez Uiallage.
SMEATON (John), ingénieur anglais, qui s'est rendu
célèbre par la construction du phare d'Eddystone, placé à
l'entrée du canal de la Manche , était né en 1724, dans le
comté d'York, et mourut en 1792. lintre autres grands tra-
vaux exécutés sous sa direction, il faut surtout citer le beau
pont de Londres ( London- Bridge). On a de lui diverses
dissertalionssur la physique, l'astronomie et la mécanique.
SMLDEREWO. Voyez Semknuria.
SMEilDIS, mage de Perse, qui usurpa la couronne,
l'an 522 av. J.-C, à la mort de C a m b y s e , en se donnant
pour Smerdis, frère de ce prince, qui avait été égorgé précé-
demment par Cambyse. Comme ce mageavait eu les oreilles
coupées en punition d'un délit , une des femmes de ce
prince le reconnut à cette marque , et rendit publique la
supercherie. Il se forma alors uu complot de sept grands,
qui après sept mois de règne assassinèrent le faux Smer-
dis. A propos de ce fait, on a cru que les mages avaient
voulu s'emparer de la souveraineté, le faux Smerdis étant
de leur caste; mais, ainsi que l'a établi Heeren d'après des
textes d'Hérodote et de Platon, les mages poursuivaient un
but plus élevé, le rétablissement de la puis.sance mède. ils
étaient une tribu mède; et voyant après la mort du vrai
Smerdis la race de Cyrus représentée par le seul Cam-
byse, ils prétendaient y substituer une nouvelle dynastie
de leur nation. Mais sept des principaux .seigneurs per-
sans, ne voulant pas être gouvernés par un Mède, tuent le
faux Smerdis, et choisissent pour roi l'un d'eux, Darius, fils
d'Hystaspe, de cette même race des Achéménidcs, de cette
SMERDIS — SMITH
;3:î
du' me tribu (les Passaganles d'où était issu le grand Cy-
riis. Ainsi s'exiiliqne, coinine évi^iienient politique, le mas-
sacre des mages qui eut lieu alors, et (jui , comrne acle de
(anatisme, ne parait pas suffisamment motivé.
Charles Du Rozoir.
SMITH (Adam), le plus célèbre des économistes mo-
dernes , et regardé à juste titre comme le créateur de la
scienceéconomique telle qu'on la comprend généralement de-
puis soixante ans, naquit le 5 juin 1723, à Kirkaldy, en
Ecosse. Il était fds d'un contrôleur des douanes, qu'il ne connut
peint, la mort de son père ayant précédé sa naissance. Ses
études, commencées à Kirkaldy, continuées à Glasgow, se
terminèrent à l'université d'Oxford. La délicatesse de sa
constitution physique le sevra de bonne heure des goûts et
des passions qui exigent un tempérament robuste. Sa santé
ne lui laissa que celles de l'esprit , un amour ardent pour
l'étude, le penchant le plus vif et le plus persévérant pour
toutes les connaissances qui, en exerçant sa sagacité na-
turelle, lui promettaient des découvertes satisfaisantes pour
sa raison et utiles à ses semblables. S'éloignant de la car-
rière de l'Église, à laquelle il était destiné pur sa mère , il
professa successivement dès 1748 la rhétorique et les
belles-li'ltres à Edimbourg, la logique à Glasgow en 1751,
et la philosophie morale de 1752 à 1763 ; il succédait dans
cette dernière chaire à Hutch es on. Adam Smith, dans
ses cours, s'occupa surtout de chercher et d'établir des
bases fixes pour la morale et pour la prospérité des na-
tions. Le premier objet donna lieu , en 1759, à la publica-
tion de sa Théorie des Sentiments moraux. Cet ouvrage,
oii l'on reconnaît l'observateur habile et l'esprit fin et délié,
prompt à discerner et à signaler par une ingénieuse
analyse nos sentiments et nos passions, pèche précisément
par la base. Lasy mpathie, sentiment beaucoup trop faible
contre l'intérêt violent de ces mômes passions, ne saurait
être le fondement des mœurs. Le fondement de nos de-
voir^, c'est la conscience.
En 1763 Smith, jaloux de visiter le continent, consentit
'a accoinpagner dans ses voyages le jeune duc de Buccleugh,
et, après treize années de professorat, quitta sa chaire de
Glasgow. Les voyageurs, ne s'arrêtant que quelques jours à
Paris, se rendirent ii Toulouse , où ils séjournèrent un an
et demi, parcoururent ensuite le midi de la France, et ré-
sidèrent quelque temps à Genève. Revenus à Paris vers la
fin de 1765, ils y restèrent jusqu'au mois d'octobre 1766. Ce
fut dans le cours de ce voyage que Smith recueillit les nom-
breuses observations qui, avec l'étude de l'économie so-
ciale en Ecosse, sa patrie, lui fournirent d'amples matériaux
pour le grand ouvrage qu'il méditait. Mais ce fut à Paris
que ses relations habituelles avec nos philosophes et nos
économistes, entre autres avec le respectable La Rochefou-
cauld , Quesnay et Tiirgot, fécondèrent ses méditations. On
a. revendiqué pour ces hommes célèbres l'honneur d'avoir
été les maîtres de Smilh dans la science économique : on
leur a attribué la gloire d'un enseignement qui lui aurait
fait remplacer par une doctrine nouvelle celle qu'il avait
professée à Edimbourg. Il est certain en effet que Tuigot,
Yincent de Gournay , Morellet, popularisaient sur l'indus-
trie , sur le commerce et sur les sources des richesses, les
idées que Smilh exposa depuis son retour en Angleterre,
et dont aucun des écrivains anglais qui l'ont précédé n'a-
vait encore paru se douter. Quoi qu'il en soit, les prévisions
de nos économistes n'enlèveront pas plus au philosophe écos-
sais la gloire qui lui appartient que celles de Kepler n'ont
ravi à Newton l'honneur immortel de sa démonstration du
système du monde. Si le législateur d'une science est celui
qui la constitue et l'explique complètement, gloire immor-
telle à Adam Smith, cviaXtuT A&\i\ chrématistique,
puisque l'explication, à très-peu près parfaite, des lois mé-
caniques du monde industriel est son œuvre.
L'auteur des Recherches sur la Nature et les Causes de
la Richesse des Nations est donc incontestablement l'écri-
Vam à qui l'on doit la découverte de tous les faits primitifs
qui servent de base à l'économie industrielle des peuples
abandonnée à son cours naturel , et la déduction claire des
résultats de ces faits. Si , plus de deux mille ans avant
Smith , Xénophon avait indiqué les effets de la division du
travail, Smith le premier les a démontrés et a signalé
dans le travail libre l'agent principal , l'agent unique , qui
crée, augmente et distribue toutes les productions, la me-
sure qui en détermine le mieux la valeur. Joignez à ces
deux faits primitifs l'échange des produits, qui satisfait les
besoins respectifs et révèle la valeur commerciale des ob-
jets de trafic ; l'étendue du marché augmentant sans cesse
par la circulation de la marchandise dans un plus grand nom-
bre de lieux la multitude des acheteurs; cette concurrence
réglant le prix des objets vénaux ; les salaires , les profits et
la rente, répartition naturelle du prix des produits; l'épar-
gne formant et accroissant par l'accumtdation les capitaux
destinés à enfanter des productions nouvelles ; l'argent ou
la monnaie envisagée sous sa triple qualité de valeur échan-
geable , de signe et de moyen d'acquisition pour tous les
produits ; le prix réel distingué du prix nominal des denrées,
l'un représentant la quantité et la qualité du travail qui les
a produits, l'autre indiquant leur valeur accidentelle; les
capitaux accumulés mobiles et dispensateurs du travail ;
enfin, la mesure des salaires par le prix moyen du blé, et
l'appréciation de toutes les valeurs échangeables, d'après
ce prix moyen adopté comme représentant celle d'une jour-
née de travail, et vous aurez rassemblé à peu près tous les
faits principaux à l'aide desquels Smith a expliqué nettement
le mécanisme si compliqué des merveilles de l'industrie.
Si les habitudes sceptiques de l'esprit d'Adam Smith l'ont
détourné des vraies bases de la morale et de l'économie
politique, son livre n'en reste pas moins la lumière du
monde industriel , si l'on n'en déduit pas de fausses consé-
quences , et lui-même n'en fut pas moins un homme re-
commandahle par ses vertus. Un caractère égal et doux, la
piété filiale la plus dévouée, une humanité prodigue en se-
cret envers les malheureux , honorèrent sa vie et doivent
rendre sa mémoire chère à tous les gens de bien. On dit que
l'habitude de la méditation le plongeait (récpiemmeiit dans
de singulières distractions ; imperfection bien légère, que
d'autres grands génies ont partagée , et qui ne prouve que
la faiblesse de notre nature.
Ce fut en 1776 que parut le grand ouvrage de Smilh. 11
a été traduit dans toutes les langues et enseigne partout.
Roucher en publia en 1790 une version fort inexacte. La
deuxième édition de celle de Rlavet vaut beaucoup mieux;
mais la meilleure traduction est celle de Garnier, dont la
deuxième édition , accompagnée d'une préface indiquant
une bonne méthode pour lire l'ouvrage et d'excellentes
notes, a paru en 1822, 6 vol. in-s".
^\""' de Condorcet a traduit avec beaucoup d'élégance
la Théorie des Sentiments moraux, 2 vol. in-8°.
AtnERT DR VlTRY.
SMITÎI (James), ingénieux poète anglais, né en 1775,
était fils d'un employé du board of ordnance, auquel il
succéda plus tard dans cet emploi, qui lui assurait une exis-
tence honorable. Doué d'un tact délicat pour la plaisanterie
et en même temps d'un inépuisableesprit de saillie, en outre
passionné pour les plaisirs du monde et surtout pour ceux
du théâtre , il ne tarda pas à devenir célèbre par ses bons
mots et ses vers de société. Ses premiers poèmes et essais
parurent dans le Pic-Nic Newspaper. Ensuite, il participa à
la rédaction du London Rcvieiv. fondé par le dramaturge
Cumberland, mais qui n'eut qu'une existence éphémère.
James Smith entreprit i)lus tard, en société avec son frère
Horace, une série d'imitations poétiques dans lesquelles il
parodièrent de la manière la plus spirituelle le style des
poètes les plus célèbres de l'époque, de Scott, de Byron , de
Wordsworth, de Soulhcy, etc., et qui furent publiées en
t812, sous le litre de Rcjccted Addrcsses. Le succès en fut
inouï, de même que le bénéfice. En peu d'années l'ouvrage
obtint jusqu'à seize éditions. Satisfait de la gloire qu'il s'était
234
SMITH — SMOLENSK
acquise, et d'ailleurs tourmenté de douleurs artliritiqiujs ,
James Smith se retira depuis lors du champ de lalittérafino,
se bornant à envoyer de temps à autre quelques articles ::u
New Monthly Magazine et à d'autres recueils. Cepend;mt,
il composa encore pour le comédien Mattliews Country .Cou-
sins, Tripio Fra'nceet Trip to America, pièces humoris-
tiques, qui rapportèrent des sommes,considérables à l'au-
teur et à l'acteur. JamesSmith mourut le 24 décembre 1839.
SMITH (Hoiuce), frèrecadet du précédent, néenl779 ,
prit part avec lui à la composition des Rejecled Addresses
et a d'autres travaux littéraires, puis se mit à exploiter avec
autant d'ardeur que de succès le champ du roman histo-
rique à la suite de Walter Scott. Son Bnmbletye House
(3 vol., 1S30) obtint tout de suite le plus grand succès,
quoique ayant à soutenir la concurrence île Woodstock,(\n\
parut à peu près en même temps, et qui traite également
do la période des guerres de la révolution d'Angleterre. 1!
Aoima. cnmxic Tor mil, Zdlali, Walter Coly ton, Reuhen
Apsiey, Jane Lomax, The Moneyed Man, Adam Broivn,
Arthur Arundel, et plusieurs autres, qui se distinguent par
un style agréable et par d'intéressants développements, sans
pouvoir prétendre à une grande originalité non plus qu'à
beaucou[) de profondeur dans la peinture des caractères. Ho-
race Sinilh, qui fit une fortune considérable, tant par le pro-
duit de ses livres que par ses opérations de courtage et
d'agiotage à la bourse de Londres, sut toujours en faire
le plus noble emploi; et il en consacrait une bonne partie
à venir en aide à des littérateurs malheureux. Son dernier
ouvrage a pour titre : Love, a taie of Venice (3 vol. , 1846).
11 mourut à'funbridge-Wells, le 21 juillet 1849.
SMSTH ( Sir \Yilliam-Sidnev). Voyez Sidney-Smith.
SMlTil (Sydney), ingénieux satirique et écrivain poli-
tique anglais, né en 1771,àWoodford, danslecomté d'Essex,
étudia la théologie à l'université d'Oxford, et accepta en
1798 une place de précepteur à Edimbourg, où, en 1802,
ii fut avec ses amis Jetfrey et Brougham l'un des fondateurs
du célèbre Edinburgh Review,<\oï\V\\ resta le collaborateur
jusqu'en 1828, bien qu'il en eût abandonné la rédaction en
chef dès 1803 pour venir remplira Londres les fonctions
de chapelain de l'hospice des orphelins. Il s'y fit bientôt
une grande ri'putation par ses sermons, et les principes li-
béraux qu'il y développait lui valurent autant d'amis que
d'ennemis. Eu 1806 il obtint une cure dans le comté d'York,
qu'il échangea en 1828 contre une autre, située dans le comté
de Glocester, et eniin en 1831 contre un canonicat à l'église
Saint-Paul de Londres. C'est là qu'il est mort, en 18»5. At-
taché au parti whig, il défendit toutes les grandes mesures
pri'seiilées par ses amis politiques , notamment l'émancipa-
tion des catholiques, la réforme parlementaire, etc. On
regarde comme un chef-d'œuvre d'esprit et de dialectique ses
Letters on the sabject of the Catholics by Peter Phjmley.
Ses œuvres complètes (3 vol. , 1845) ont obtenu plusieurs
éditions, dont la dernière ( 1853) en un volume compacte.
Consultez A Memoir of the révérend Sydney Smith, by
his datighter, lady Holland, vnth a Sélection of his Let-
ters (Londres, 1855 ).
SMitliSOMAN INSTITUTION, nom d'un grand
établissement scientifique national, créé à Washington
(États-Unis) , et ainsi appelé de son fondateur, l'Anglais
James Smithson, fils naturel du duc de Northumberland,
qui avait fait ses études à Oxford , et qui en 1787 avait été
élu membre de la Société royale de Londres. Il s'occupa
surtout de travaux chimiques, et consigna le résultat de ses
recherches dans huit mémoires insérés dans les Philoso-
phical Transactions. Constamment en rapport avec les
hommes les plus éminentsdans la science, sans avoir jamais
de résidence fixe, il passa la plus grande partie des der-
nières auni'es de sa vie sur le continent, où il mourut, le
27 juin 182'J, à Gênes. Il n'avait jamais été marié , et laissa
à sa mort une fortune de 120,000 liv, sterl., que, sauf
quelques legs particuliers, il léguait à son neveu, Henry
James Hujigekfohd , mais sous la condition que si ce neveu
venait à mourir sans laisser de descendance, ladite
somme appartiendrait aux États-Unis, qui devraient l'em-
ployer à fonder un établissement destiné à favoriser la culture
des sciences. Le cas prévu étant venu à se réahser, et Hun-
gerford étant mort à Pise, le 5 juin 1835 , le gouvernement
américain envoya en Angleterre un agent chargé de toucher
la somme qui lui avait été léguée. Après un procès soutenu
devant la Court of Chancery à Londres, et gagné par les
Américains, le nrontant du legs fut encaissé en sovereigns
par le trésor américain. La somme s'élevait alors à 515,169
dollars ( 2,833,429 fr. 50 c. ), dont le trésor paye les intérêts
à raison de 6 p. 100. Avant que l'établissement eût pu être
réellement fondé, en vertu d'un acte rendu par le congrès, le
10 août 1846, les intérêts échus avaient déjà accru le capital
primitif de 242,129 dollars ( 1,331,709 fr. 70 c).
LdiSmitlisonian Institution for the Increase and Dïffu-*
sion of Knowledge amongmen (Institution Smithsonienne
pour l'accroissement et la propagation du savoir parmi les
hommes ) est dirigée par le président et le vice-président de
l'Union, les membres du cabinet, le grand-juge de la cour
suprême des États-Unis, le maire de Washington et les mem-
bies honoraires désignés par ces différents magistrats. Con-
formément auy intentions du testateur (qui d'ailleurs n'a-
vait jamais mis le pied en Amérique, et qui en testant
de la sorte n était mû que par son amour pour les lumiè-
res ), l'établissement cherche d'une part à provoquer de
nouvelles recherches, et de l'autre à vulgariser la science
au moyen d'i.i'.i- série de rapports sur les nouvelles décou-
vertes faites 'Inns les diverses branches des connaissances
humaines, par l'impression de recherches spéciales sur des
objets d'un intérêt général, par des cours publics, enfin
parla fondation d'ime bibliothèque, d'un muséum d'histoire
naturelle et d'ime galerie des beaux-arts. On s'occupa aus-
sitôt de construire un local propre au but qu'on avait en
vue, et qui fut exécuté en style normand. L'édifice a 44
mètres de large et l49 mètres de long. La bibliothèque et les
musées sont encore , il est vrai , en voie de création , mais
s'accroissent rapidement, tant par les dons qui leur sont faits
que par voie d'acquisitions. On a aussi commencé en 1848
la belle publication des Sniithsonian Contributions to
Knowledge, qui, de même qu'une foule d'autres publications
d'importance moindre, s'envoient gratuitement à un grand
nombre de sociétés savantes et d'institutions scientifiques
existant à l'étranger.
SMOLiyVIDK. Voyez Smal/vnd,
SMOLb^i\SK, gouvernement de la Russie d'Europe,
de 7)4 myriamètres carrés, avec 1,170,000 habitants. Il
compose à proprement parler ce qu'on appelle la Russie-
Blanche, et en 1654 fut démembré de la Lithuanie pour
être incorporé à la Russie , dont il avait fait partie à une
époque très-reculée. Son organisation actuelle date de 1775,
et il est placé avec les gouvernements de Witebsk et de
IMohilelf sous l'autorité d'un même gouverneur général. En
ce qui est des affaires ecclésiastiques , il relève des évêchés
de Smolensk et de Dorogobush. Le gouvernement de Smolensk
appartient aux plus fertiles contrées de l'empire : son sol
plantureux est arrosé par un grand nombre de cours d'eau ,
dont quelques-uns très-considérables , par exemple par le
Dniepr, par laDuna, la Desna , la Soscha, la Wjœsma,
rOugra, etc. On n'y voit nulle part de montagnes, mais en
revanche il contient d'immenses forêts qui fournissent de
magnifiques bois de construction et de mâture. L 'agricul-
ture, dont les produits principaux consistent en grains,
chanvre et lin , y est l'objet des plus grands soins. L'é-
ducation des bestiaux fournit à l'exportation des cuirs, des
suifs et des soies de porc. On y récolte aussi en abondance
du miel et de la cire. L'industrie, le commerce et la naviga-
tion y ont pris en outre d'importants développements. Les
habitants , Russes pour l'immense majorité , à l'exception
de quelques centaines de Polonais, de Juifs et d'Allemands,
sont très-industrieux et ont porté notamment la fabrication
des tapis à un haut degré de perfection.
SMOLENSK —
Le gouvernement de Smolensk renferme douze cercles et
autant de villes, dont la plus importante est son clief-lieu,
Smolensk , l'une des plus anciennes cités de l'empire , sur
le Dniepr. On y compte 15,000 habitants, un grand nombre
d'églises d'une liante antiquité, plusieurs couvents, un sé-
minaire, un gymnase et divers autres établissements d'ins-
truction publique, ainsi que plusieurs fabriques. Celte ville
est en quelque sorte la clef de l'intérieur de la Russie et
la porte de la grande route conduisant à Moscou. Elle res-
tera longtemps célèbre dans l'histoire par la grande victoire
que Napoléon remporta sous ses murs, le 17 août 1812,
sur les Russes commandés par Rarclay de Tolly et Ba-
gration. Voyez l'article qui suit.
SMOLENSK ( Bataille de). L'occasion de mettre en en-
tière déroute l'armée de Barclay de Tolly , le 27 juillet 1812,
avait été manquée par l'effet d'une préoccupation mal-
heureuse de Napoléon, qui, croyant que le général russe
pouvait avoir eu intérêt à livrer bataille fe lendemain, se
trompa sur la nature du mouvement que les Russes tirent
devant lui. Le 28 au matin l'ennemi avait disparu , déro-
bant complètement sa marche. Dès lors il ne pouvait plus
êlre question de finir la guerre d'un seul coup, en anéantis-
sant la principale année russe avant d'être engagé dans les
grandes dilTicultés (|ue nous rencontrâmes plus tard. En ou-
tre , nos troupes étaient exténuées |)ar la dyssenterie et le
m.inqv.c^ de vivres ; il fallait forcément donner au soldat le
tcn;^-s de se remettre, et réunir au moins les subsistances
inii!s;.'ensables. L'armée eut donc un repos de dix jours.
Le 10 août, Napoléon la mit de nouveau en mouvement. Le
généra! Barclay, qui avait rallié l'armée de Bagration , en
ayant .ite instruit, se décida à concentrer ses forces à Smo-
lensk. Napoléon, arrivé avec le corps de Ney devant cette
place, en (it aussitôt la reconnaissance. Elle présentait un
aspect formidable. Ses anciennes murailles, hautes de huit
mètres sur plus de trois d'épaisseur, existaient encore, ainsi
que les vingt-huit tours rondes et carrées qui la garnissaient.
Elle était en outre défendue à l'occident par une citadelle
à cinq bastions, couverts par un triple retranchement; deux
autres retranchements couvraient la partie orientale de
l'enceinte de la ville. Dans la journée du 16 le restant de
notre armée arriva , et prit position. Il n'y eut pendant la
journée du 16 qu'une fusillade de tirailleurs de pied ferme
et quehjues coups de canon tirés de la citadelle sur le corps
de Ney et sur les troupes qui débouchaient par la route de
Krasnoi.
La matinée du 17 fut tranquille. Le général Barclay fit
entrer des troupes dans Smolensk , dont les défenseurs
étaient au nombre de trente mille hommes. Le restant de
son armée arriva, et s'otablil sur la rive droite du Dniepr,
pour llanquer la défense de la ville ; la citadelle et les prin-
cipales tours furent garnies de pièces de gros calibre; deux
ponts de bateaux furent jetés sur le Dniepr, afin de faciliter
les comnnmications entre les deux parties de l'armée russe.
Napoléon, pensant que l'intention de Barclay était de dé-
boucher de Smolensk pour lui livrer une bataille, ainsi
qu'il en avait Tordre de son souverain, s'abstint d'attaquer
la ville et de troubler les préparatifs de l'ennemi. Il igno-
rait que Barclay, en môme temps qu'il renforçait la défense
(le Smolensk , donnait au prince Bagration l'ordre de se
rendre avec le restant de son armée à Dorogohusch, sur la
roule de Moscou.
Cependant, vers deux heures après midi , Napoléon, ne
voyant aucun mouvement offensif de la part de l'ennemi,
se (li'cida à prendre l'initiative et à attaquer la ville. Il com-
mença d'abord par la faire resserrer dans la partie orien-
tale. Le corps de Junot n'étant pas encore arrivé en ligne,
ce fut celui de Poniatowsky (jui fut chargé de se rendre
maître du faubourg de Sloboda-Raczenka. La canonnade
commença à trois heures; à quatre, les faubourgs et les
retranchements lurent attaqués par un feu violent de mous-
<iueterie. Vers cinq heures , toutes les défenses extérieures
étaient emportées, et les Russes refoulés dans le chemin
SMOLLETT 235
couvert. Un général russe perdit la vie à la prise de la
place d'armes de la porte de Mohilof. Le général Barclay ,
voyant les faubourgs pris, fit encore entrer deux divisions et
une brigade de la garde dans la ville. En même temps il fit
établir sur la rive droite du Dniepr des contre-batteries, dont
l'effet obligea celle que nous avions sur la hauteur de Slo-
bodaà changer de position.
L'attaque des chemins couverts , où les Russes se défen-
dirent avec la plus grande opiniâtreté, dura encore long-
temps sans succès ; enfin, le général Sorbier ayant pu établir
deux batteries d'enfilade, les Russes furent obligés de ren-
trer dans la place. Des batteries d'obusiers chassèrent des
tours les troupes qui les défendaient, et des batteries de douze
lurent avancées sur le fossé pour battre les murs de la place
en brèche. Mais assez avant dans la nuit, Napoléon, recon-
naissant l'inutilité d'une tentative qui ne pouvait avoir au-
cune réussite contre une muraille aussi solide, se décida à y
faire attacher le mineur.
De son côté le général Barclay, voyant que nous élions
maîtres de tous les dehors, ne crut pas devoir exposer six
divisions de son armée aux désastres d'ime prise d'assaut,
et se décida à profiter de la nuit pour abandonner la ville.
Le général Korff, avec une forte division, fut chargé de
garnir les remparts; les autres troupes repassèrent la ri-
vière et replièrent les ponts de bateaux. Enfin, vers une
heure après minuit , le général Korff, ayant fait mettre le
feu à la ville pour couvrir sa retraite, se mit en marche
lorsque l'incendie fut bien allumé; il passa le Dniepr sur le
pont établi à la porte de Péter.sbourg , le rompit après lui,
et prit position dans la ville en bois qui était a la rive droite.
Au pointdu jour, quelques Polonais et quelques soldats de la
division Friant, voyant les remparts dégarnis, pénétrèrent
dans la ville par une fausse porte et annoncèrent qu'elle était
évacuée. Nos troupes en prirent possession, et l'on s'efforça
d'arrêter l'incendie, qu'on ne put cependant éteindre que
le lendemain, 19.
Alors le général Barclay, convaincu qu'il ne pouvait
pas empêcher notre armée de passer le Dniepr, ne voulant
pas se voir exposé à recevoir une bataille , et craignant
de se voir cou|)é de Dorogobusch , prit le parti d'abandonner
les hauteurs qui dominent Smolensk au nord , et qu'il oc-
cupait encore, et de se mettre en retraite, en dérobant , à
la faveur d'un grand détour, sa véritable direction. La divi-
sion Korff le suivit, après avoir mis le feu à la ville en bois,
où les Russes brûlèrent plus d'un millier de leurs blessés qui
avaient cherché un asile dans les maisons. Nos troupes
passèrent le Dniepr le 19 au matin. Ainsi fut prise la ville
de Smolensk. Nous y trouvâmes près de deux cents pièces
de canon. Les Russes y perdirent environ 4,000 hommes,
parmi lesquels les généraux Skalon et Balla ; nous leur
prîmes 2,000 blessés ; le restant fut brûlé dans les deux
villes. De notre côté nous eûmes près de 4,000 hommes hors
de combat; le général de brigade Grabowsky fut tué, et les
généraux Grandeau , Dalton et Zayonschek blessés.
G"' G. DE VAUDONCOIjRT.
SMOLLETT (Tobie), l'un des écrivains anglais les
plus féconds, et des romanciers les plus célèbres du dix-
huitième siècle, naquit, en 1721, à Dalquhurnhouse, près
de Renton, dans le comté de Dumbarton, et fut placé chez
un chirurgien pour y apprendre la médecine. Son temps d'ap-
prentissage terminé, il se rendit , en 1740, à Londres , ap-
portant pour tout bien une tragédie intitulée Le Régicide,
qu'il ne put réussir à produire sur la scène. Repoussé du
théâtre, il s'engagea, en qualité de chirurgien en second,
sur un vaisseau de guerre qui partait pour les Indes occi-
dentales, d'où il revint en 1746. C'est alors qu'il fit pour la
première fois parler de lui par la publication de son poème.
Les Larmes de l'Ecosse, dans lequel il flétrissait la cruauté
aveclaquelle le duc de Cumberland avait traité l'Ecosse.
Il avait essayé de faire de la médecine à Londres ; le peu de
succès de cette tentative le décida à se jeter dans la littéra-
ture. Il écrivit tour à tour des romans , des drames , des
236 SMOLLETT
récits de voyages, des ouvrages historiques, des satires poli-
tiques et des poëmcs ; mais il no parvint à se faire vraiment
lin nom que comme romancier. Il con)posa cinq romans,
liodenck Random ( 1748), Ppregrine Pickle ( 1751 ), Fer-
dinand, comte Fatliom (1753), Sir Lancelot Grieves
( 1705 ), et T/ie Expédition of Humphrey Chtnker {\11\),
dont le dernier est le meilleur et les deux avant-derniers les
plus faibles. Beaucoup de richesse d'invention , de gaieté
naturelle et de connaissance de la vie et des hommes, voilà
les qualit(^s qui distinguent ces compositions; ce qui leur
manque, c'est l'unité de plan, c'est une peinture bien arrêtée
des caractères; souvent aussi il lui arrive de pécher par
l'absence de goût et de moralité. La réputation que notre
auteur s'était acquise le fit choisir pour diriger un journal ,
The critical Revieiv, placé sous le patronage des tories et
du haut clergé. La vivacité trop acrimonieuse de Smollell
lui attira un procès avec l'amiral Knowles, qui venait d'é-
chouer dans une attaque contre Rochefort. Cet officier fit
condamner l'écrivain à une amende de 100 livres sterling,
accompagnée de trois mois d'emprisonnement. Dégoillé de
lapolitique,Smollett se mitàcompiler un recueil de voyages;
puis en quatorze mois il écrivit une histoire complète de
l'Angleterre, commençant à l'expédition de Jules César
dans la Grande-Bretagne, et se terminant an traité d'Aix-
la-Chapelle, signé en 1748 (Londres, 4 vol., 17.ôS). 11 n'a-
vait pas eu le temps de creuser assez son sujet pour en tirer
des aperçus neufs et intéressants. En 1751, après avoir en-
core publié une traduction de Don Quichotte, Smollett
s'occupa d'une histoire d'Angleterre h partir de 1688 jus-
qu'en 1705. C'est cette histoire que les éditeurs français ont
l'habitude de joindre à celle de Hume. Il entreprit ensuite
lin voyage en France et en Italie, dont il publia une relation
qui fait peu d'honneur à son gortt et à ses connaissances
dans les arts. De retour en Angleterre, en 1766, il publia,
en 17C9, les Aventures d'un atome, satire politique dirigée
contre l'administration de lord C ha ta m. Le délabrement de
sa santé le ramena encore une fois en Italie, en 1771 ; c'est
pendant cette tournée qu'il composa son Expédition of
Jluniphrey Clunker, et il mourut à Livourne, le 20 oc-
tobre 1771, S.\i>t-Pposper jeune.
SHïYRrVE, en turc Ismir, grande ville de la Turquie
d'Asie, sur la côte occidentale de l'Analolie, est bâtie dans
une situation ravissante, au fond du golfe de Smyrne, qui
pénètre à environ sept myriamélres dans l'inférieur des ter-
res. Celait à l'origine une colonie fondée par les Éoliens,
qui plus fard ajjpartint aux Ioniens, mais qui fut prise et
détruite par les Lydiens dès l'an GOO av. J.-C. Ce ne fut
que quatre cents ans après sa de^truction qu'elle fut recons-
truite par Antigone; et alors elle ne tarda point à devenir le
grand entrepôt du commerce de l'Asie Mineure. Les guerres
et les troubles intérieurs de l'empire de Byzance, dont elle
dépendait, anéantirent encore une fois sa prospérité. Au
commencement du treizième siècle elle était complètement
en ruines; mais cilo fleurit de nouveau, lorsque les Turcs
lurent devenus maîtres de ces contrées. La ville s'étend de-
puis les bords de la mer jusqu'à une montagne plantée de
cyprès, sur laquelle se trouvent les ruines d'un château
furt. Autant, vue de loin, Smyrne frappe par ses mosquées
<t ses minai els, autant l'intérieur répond peu à cet exté-
rieur si brillant. Les rues sont étroites, tortueuses et sales,
les maisons basses et mal construites; on n'y voit pas une
seule mosquée remarquable. On évalue le chiffre de la po-
pulation à environ 150,000 âmes, dont 50,000 Turcs, 6,000
Arméniens, environ 10,000 Francs , et près de 70,000 Grecs.
Il existe à Smyrne soixante-dix mosquées ou chapelles ma-
homéfanes , plusieurs couvents de derviches , cinq églises
et vingt couvents grecs , ime église arménienne , deux églises
et deux couvents catholiipies, l'un dit couvent autrichien
et l'autre couvent français , quelques chapelles protestantes
dans les maisons des consuls , et neuf synagogues. Chaque
nation a ses hô[iitaux publics; et les Grecs, les Arméniens
et les catholiques divers établissements d'instruction pu-
— SMYRNE
blique; il en est de même des missionnaires protestants. Le
nombre des bains , des klians et des cafés est très-considé-
rable; à quoi il faut encore ajouter plus de quarante bazars ,
couverts pour la plupart. Au centre de la ville , non loin de la
mer, se trouve le château Saint-Pierre , assez mal fortifié.
On y trouve aussi le jialais du pacha et une grande caserne.
Smyrne est une des villes (\\\\ revendiquent l'iionneur d'avoir
donné le jour à Homère. Sur les bords du Mélès, on
montrait autrefois l'endroit où sa mère l'avait mis au monde;
et à la source de ce cours d'eau , la grotte obscure où il
com[)osait ses poèmes.
[Smyrne, tour à tour grecque, génoise et turque, s'est
rendue dominante dans toute l'Asie IMIneure par sa situation
et ses richesses. Elle reçoit dans ses murs les caravanes de
l'Asie, et dans son port les vaisseaux de l'Europe : c'est là
que se consomme l'échange de tant de productions diverses
qui enrichirent .autrefois Marseille et tout le midi de la
France. Alors, le pavillon français pouvait seid être admis
dans les ports de l'Empire Ottoman, et les autres nations
n'osaient y aborder que sous cet insigne tutélaire. Aussi le
sollifitaient-ils comme une haute faveur de l'ambassadeur
de France à Constantinople, le premier et le plus influent
alors des envoyés des peuples du Messie, comme nous dé-
signaient les firmans. Aujourd'hui tous ces avantages sont
perdus |)our la France; le temps et les événements ont fait
admettre les autres puissances au partage. Notre longue
guerre maritime écarta trop long temps notre pavillon du
Levant. Les Anglais se hâtèrent, à la Restauration , d'aller
prendre notre place à Constantinople, à Smyrne, à Alexan-
drie; Smyrne était occupée quand nos bâtiments provençaux
y revinrent; la Porte subissait d'autres influences; et les
peuples orientaux s'étaient accoutumés à d'autres productions
industrielles , à d'autres débouchés pour les matières pre-
nuères qu'ils livrent en échange des objets manufacturés.
Ce riche commerce de Marseille avec Smyrne, interrompu
si longtemps, ne put donc se relever, et le peu qu'il en
reste va décroissant de plus en plus depuis la paix maritime
et la concurrence de toute l'Europe manufacturière. Marseille
elle-m£me a d'autres intérêts; et Malte tient un filet sous
les mers du Levant, où nos négociants, pris une fois, après
la paix d'Amiens, ne veulent pas retomber. Smyrne ne perd
pas grand'chose à ce changement; elle gagne autant avec
les Anglais, les Autrichiens, les Belges, les Italiens, les
Hollandais et les Américains que jadis avec les Français.
Aussi sa population est-elle une espèce d'abrégé de l'univers :
les Turcs et les Grecs y sont les plus nombreux , et parmi
les musulmans il faut compter les Africains, les Arabes, les
Persans , les Candiotes , qui se fondent dans cette masse
dominante; puis viennent les Arméniens et les Juifs, géné-
ralement adonnés au commerce et à des fonctions subal-
ternes. Tous les Orientaux habitent la vieille ville, bâtie en
amphithéâtre sur la croupe du Pagus. Au pied de ce mont
s'étend dans la plaine, juscpi'au bord de la mer, le quartier
franc. C'est le séjour des Européens. Toutes les nations com-
merçantes ont là leurs consuls, leurs négociants, leurs ar-
tisans, leurs églises ou chapelles, et leurs hôpitaux. C'est un
peuple à part, qui parle toutes les langues de l'Europe,
mais surtout l'italienne , et qui diffère des Orientaux par
les mœurs autant que par les vêtements. Aux yeux des
Turcs , ils ne forment qu'une race , qu'ils nomment d'un
seul mot : les francs, et plus souvent les dgiaours (in-
fidèles); ils les tolèrent, et ne les aiment pas. Ils avouent la
supériorité industrielle des Francs; mais ils méprisent cel
avantage, et l'Ottoman dit comme l'ancien Romain : « Que
le Grec excelle dans les arts; notre art, à nous, c'est de
gouverner le monde. »
Smyrne est le siège de trois archevêques , le grec , le latin,
l'arménien. Les luthériens, calvinistes, anglicans, n'y en-
tretiennent que des ministres du s-iint Évangile ; les catho-
liques y possèdent deux églises et deux monastères ; ils ont
de plus des prêtres séculiers , et ime congrégation ensei-
gnante : les lazaristes y ont remplacé les jésuites. Les Turc*
SMYRNE — SNELLIUS
237
y pijrmellent l'exercice public de tous les cultes, et même
les |)rocessions dans les enceintes extérieures des établisse-
ments religieux. On ne saurait trop louer en eux le sentiment
qui les porte à cette tolérance et à ce respect des différentes
manières d'invoquer la Divinité. Ils estiment beaucoup plus
un infidèle persuadé de sa religion qu'un athée; ils espèrent
toujours que le chrétien linira par croire au troisième pro-
phète; les juifs en sont les plus loin, puisqu'ils se sont ar-
rêtés au premier; les chrétiens se sont approchés de la vé-
rité en admettant Moïse et Issa (Jésus); les vrais croyants
seuls ont le complément de la loi divine dans le Koran. Tel
est l'état religieux de cette Isviir, que les bons musulmans
surnomment V Infidèle. Son infidélité, c'est-à-dire sa tolé-
rance , est précisément la source de ses richesses. Toutes les
nations commerçantes ont des représentants dans ses murs
et sur sa rade. Cette rade, sans port, est l'une des plus
belles et des plus sûres du monde ; tous les |)avillons s'y
mêlent, toutes les solennités nationales , tous les événements
politiques , y sont librement célébrés, par le canon , les pa-
voisements, la musique et les illuminations; on y boit, on
y danse en l'honneur de tous les princes , de toutes les épo-
ques historiques et de toutes les victoires. Cette rade est
.souvent remplie de plusieurs escadres, outre d'innombrables
bâtiments marchands. Ceux-ci peuvent mouiller jusqu'au
Lord des quais , et les frégates s'en approcher sans péril
jusqu'à deux encablures. C'est l'Elysée des marins dans le
Levant. Les consuls leur ouvrent leurs vastes maisons , leur
donnent des fêles , et les dédommagent ainsi des ennuis et
des périls de leur rude carrière. Les négociants y contribuent
dans le bel établissement qu'ils nomment le Casin. On y
donne des bals, où le luxe oriental ajoute à la beauté na-
turelle des femmes de Smyrne. C'est un des cercles les plus
brillants et les plus variés que l'on puisse voir, puisqu'il se
compose de toutes les nations.
Le fléau des révolutions est heureusement fort rare dans
ce pays ; celui des treuiblements de terre et surtout le fléau
de la peste et des incendies y sont plus fréquents. l'oiir
l'un il n'y a point de garantie : on est surpris au moment
oii l'on y pense le moins , et quehiuefois les maisons de
pierre se fendent et vous écrasent. Aussi presque toutes
les maisons de Smyrne sont-elles en bois , comme à Cons-
tantinople, où l'on craint le même fléau. Un tremblement
de terre renversa presque toute la ville au dix-septième siècle.
Le consul de France fut si profondement enterré dans l'a-
bîme qui s'ouvrit sous sa maison , qu'on ne put jamais re-
trouver son corps pour lui donner la sépidture chrétienne.
Quant à la peste, elle est moins elfrayante, puisqu'on peut
se préparer à la recevoir, et s'en garantir en se gardant bien
de tout contact avec les personnes ou les objets non puriliés
à l'entrée de chaque maison.
En dédommagement de ces inconvénients, les Smyrniotes
jouissent du plus heureux climat et d'im territoire fertile.
Us ont tous les légumes et tous les fruits de nos provinces
méridionales. La nourriture y est excellente et variée ; et les
neiges que l'on recueille sur le sommet des montagnes en
hiver suffisent pour leur procurer eu été les boissons les
plus fraîches , des sorbets et des glace^ aussi abondants qu'à
Naples. Les orangers et les citronniers y viennent en pleine
terre; les grenadiers y mûrissent, les lauriers y donnent de
grandes ombres, et les myrtes y forment les haies des
champs.
Les aspects de cette ville et de ses environs sont tiès-pif-
toresques; ils devaient l'être bien plus encore dans l'anti-
quité, àcause de l'heureuse situation des monuments d'ar-
chitecture. En se plaçant sur le Pagus, dans l'enceinte du
Stade, en relevant en idée le temple d'Esciilape, et en
\oyant au travers de ses colonnades de marbre blanc la
mer scintillante sous le soleil, ou pourprée jtar le couchant,
on devait avoir un de ces tableaux que l'iujagination du
Poussin ou (le Claude Lorrain n'a point surpassés. On voit
encore les ruines, ou du moins remplacement de tous ces
»"nonuments. Ils ne sont remplacés par aucun édifice remar-
quable; il n'y a pas même une belle mosquée à Smyrne. Le
commerceseul yoccupeles hommes, et la volupté les femmes.
Ces deux préoccupations s'embarrassent peu du grandiose
de la vie. Le commerce est à la fois d'exportation et d'im-
portation. L'une consiste en colon, laine, cire, noix de
galle, alizaiis , fruits secs , opium, plantes médicinales et
autres productions du pays. Les caravanes de l'Asie tentrala
n'y apportent plus les produits de la Perse et de l'Inde;
elles ont pris le chemin de Trébizonde et d'Odessa. L'impor-
tation à Smyrne consiste principalement en draps légers de
tontes couleurs, toiles peintes, mousselines, dorures, bon-
nets rouges, laine fine, horlogerie, bijouterie , quincaillerie,
et autres objets de l'industrie européenne.
Ainsi, le Turc fournit nonchalamment ses matières pre-
mières et ses fruits au Franc, qui, plein d'activité , met ce;
usatièresen œuvre, et les rapporte à l'Asiatique, qui lui en
|>aye la façon. De là ce mé[)ris du musulman pour le com-
merce et l'industrie. Il croit que nous manquons, dans nos
tristes climats, de tout ce que la nature lui prodigue presque
sans travail , et que nous ne pouvons y suppléer que par
notre habileté. Il est volontiers agriculteur; il répugne à
devenir artisan. Il tient encore beaucoup de l'esprit féodal.
Les Grecs , les Arméniens étaient ses vassaux ; ils le sont
encore. Le maître porte des armes à .sa ceinture; les serfs
y portent une écritoire dans les villes, et un outil dans les
campagnes. Il jouit, et ils travaillent; il s'appauvrit, et ils
s'enrichissent. Mais, quchpie pauvre qu'il soit, il est res-
pecté par les plus riches, qui lui cèdent partout le pas, cl
son orgueil se contente de celte supériorité.
Smyrne est la Naples du Levant, moins ses théâtres,
ses musées et son Vésuve : si l'une est le tombeau de 'Vir-
gile , l'autre est le berceau d'Homère, et toutes deux ne
songent guère à ces trésors intellectuels. Pierre Daviu,
AïK'icii coDsul général de France à Siiiyrne. ]
SNELLAERT (Ff.rdinand-Augu.stin), écrivain flamand
démérite, est né à Courtray, en 1809. D'abord allaché
comme chirurgien sous-aide à un régiment néerlandais, il
quitta le service lorsque la Belgique se lut déclarée indépen-
dante, et vint à Gand continuer ses études médicales. Il
ne les avait point encore terminées lorsque son histoire de
la poésie flamande {Over de Aederlanclsche dichtkunst,
Bruxelles, 1838), composée à l'occasion d'un concours,
fut couronnée, et obtint un succès général. Reçu docteur
à Gand et établi comme médecin praticien dans cette ville,
il est un de ceux qui par leurs ouvrages en langue nationale
ont le plus contribué à ce qu'on appelle le mouvement Jla-
mand. Nous citerons plus particulièrement de lui le livre
(jui a pour titre : Kort beijrip eener (jeschiedenis der i\e-
dcrlandschc Lcttcrskunde (Anvers, 1849), dont la seconde
édition, inlilulée : Scliels eene.r geschiedenis der Acdrr-
laudsche Lctterslmnde (Gand, 1850), a été intro'uile
comme ouvrage classique dans beaucoup d'écoles de Uo\~
lande. Les tendances politiques de cet écrivain ont été l'objet
de nombreuses attaques.
SNELLIUS (Willkbrord), mathématicien célèbre, né.
en 1591, à Leyde, succéda à son père, .If/o/p/ie Sneliils,
en (pialité de professeur de mathématiques à l'université
de cette ville , mais mourut dès l'année 162G. Ses nombreux
ouvrages témoignent d'un talent peu commun pour les ma-
thématiques et les sciences qui s'y rattachent. La plus bril-
i lantedesesdécouvertes fut celle du rapport constantexistant
entre le sinus de l'angle d'incidence et celui de l'angle de
réflexion dans la théorie de la réfraction des rayons lumi-
neux ; découverte qui permet de dire qu'il fut le véritable
créateur de l'optique. Le pins célèbre de ses ouvrages e-t
son Eratos(he7ies bafavus, DeTerrxAmbUu {Leyde, ICI'),
livre dans lequel il expose le résultat des calculs qu'il avait
faits pour déterminer la grandeur de la Lune. A cet eflet
il imagina \m procédé qu'on emploie encore de nos jours .
ce fut de mesurer l'arc du méridien entre AlUmar, Leyde et
Berg-op-Zoom , au moyen de l'observation des élévalinns
polaires de ces villes ; et il en détermina ensuite les distance»
338
SNELLIUS — SOBRIER
méridiennes par un procédé de triangulation. Il parvintainsi
à déterminer l'étendue d'un degré du méridien, et la (ixa à
55,021 toises.
SMORRI STURLUSON, Islandais dont le nom oc-
cupe une grande place dans l'Iiistoire de la littérature Scan-
dinave , naquit en 1178 , à Ilvamm , domaine de son père,
et appartenait à l'une des lamilles les plus distinguées de
l'Islande. De bonne heure il fut accueilli à Oddi , comme
pupille, dans la famille de Jon, petit-fils du célèbie Sse-
mund, et le savant le plus distingué de son temps, qui
l'initia à la connaissance des lettres et des sciences. Pauvre
d'abord , il se vil dans la suite , grâce à un brillant mariage,
possesseur d'une fortune importante; et la considération
qui se pèse au poids de l'or ne lui fit pas défaut. A partir
de 1213, iPexerça à diverses reprises les fonctions suprêmes
déjuge ; et quand il vint en Norvège, en 1218, larle-Skule
le nomma sénéchal et feudataire de Norvège. A d'éminentes
facultés intellectuelles, Snorri Sturluson joignait un esprit
querelleur et rapace; et quoique plutôt astucieux et rusé
que brave , il fut mêlé à toutes les luttes intestines dont Fis-
lande était alors le théâtre. Son propre frère, Sighvat, et
Sturla, le (ils de celui-ci, le contraignirent, en 1236, à s'en-
fuir de Reikholt, le plus beau de ses domaines, ou l'on
montre et l'on utilise encore la salle de bains qu'il avait pra-
tiquée dans un roc taillé à vif, où il avait amené l'eau d'une
source thermale voisine. Il passa de nouveau en Norvège,
où SLule, qui maintenant était devenu duc, le créa jarl.
Scalde célèbre, Snorri Sturluson composa;'» lagloirede Skule
des poèmes où il lui prédit des succès dans la lutte qu'il
soutenait contre son gendre le roi Hakou ; et en 1239, mal-
gré la défense de ce prince, il revint en Islande, lorsqu'il
apprit la chute des ennemis qu'il y comptait. Quoique le
succès eût d'abord couronné son entreprise, il finit par
succomber aux discordes de famille et aux soupçons dont
il était l'objet delà part des siens. D'après l'ordre de Hakon,
ses propres gendres Kolbein et Gissur l'assaillirent à Reik-
holt, et l'assassinèrent, le 22 septembre 1241.
Son grand ouvrage, qu'il termina vers 1220 et qui l'a fait
à bon droit comparer à Hérodote, est sa. Hclms- Kringla,
c'est-à-dire cercle de l'univers, où il transforma en une his-
toire du Nord les histoires des hommes et des races qui exis-
taient déjà sous forme de chants et de tables généalogiques,
ou bien de récits, soit oraux, soit écrits. Elle va depuis les
temps mythologiques les plus reculés jusqu'au règne du roi
de Norvège Magnus Erlingsson, qui mourut en 1177. La
plus importante des continuations qui s'y rattachent est
l'histoire du roi Sverrer ( mort en 1202 ), écrite par Karl,
abbé de Thingeyri, contemporain et compatriote de Snorri
Sturluson. Elle fut publiée pour la première fois par Pé-
ringskjold, avec traductions suédoise et danoise (Stockholm,
1697). il en a paru depuis lors diverses autres traductions
latines et danoises; la plus récente est celle d'Aal ( Chris-
tiana , 1838-1839). On attribue aussi avec beaucoup de vrai-
semblance à Storri Sturluson la première partie de la Snor-
ra-Edda , la Gyl/a Ginning qui porte tout à fait l'em-
preinte de son génie. On peut très-certainement aussi le
regarder comme l'auteur de la partie de la Skallda qui
est intitulée : Kenningar onSkàllds-Kaparmàl.W est éga-
lement l'auteur du Hàttalykill, c'est-à-dire clef des sages ,
où il a réuni ses deux panégyriques en vers du duc Skule
et trois autres poèmes en l'honneur de ce chef et du roi
Hakon, publiés par Rask, sous le titre de : Snorra-Edda
dsamt Skuldu (Stockholm, 1818). 11 composa encore Dt-a-
piir, pagényriques du jarl Hakon Galin et de son épouse
Ciiristiana , du roi de Suède Erick XI, et divers autres
poèmes.
SiXYDERSou SNEYDERS, ou encore SNYERS (Franz),
/'un des plus célèbres peintres d'animaux, né à Anvers, en
1579, et élèvede Henri de Baelen, se consacra d'abord uni-
quement à la peint\ire des fruits, et travailla beaucoup en so-
ciété avec Rubens. Dans ceux de ses tableaux qui sont ornés
de figures par Rubens, Jordaens, Honthorsl et ?ilicrevelt, il
estdifficile, môme aux amateurs les plus exercés, de signaler
une différence de pinceau. Snyders peignit pour Philippe II
un grand nombre de batailles et de sujets de chasse. 11
excellait à reproduire les traits caractéristiques du naturel
dos animaux et des passions qui leur sont particulières , le
courage et la timidité, la colère poussée jusqu'à la fureur, la
ruse et la cruauté, et toujours avec une vérité d'ex pression
et une variété d'attitudes au-dessus de tout éloge. Ses com-
bats d'ours, de loups et de sangliers ornent les galeries de
Vienne, de Munich et de Dresde. Du reste, il reprodui-
.sait avec nonmoinsde bonheur et de vérité d'expression les
animaux à l'état de calme et de repos, 11 mourut à Anvers,
en 1567.
SOAtVE (Sir John), l'un des plus célèbres architectes
qu'ait produits l'Angleterre, naquit en 1756, à Reading,
dans le Berkshire. Élève de Georges Dance, il alla, à partir de
1777, avec une pension du gouvernement, se perfectionner
en Italie, où il fut reçu membre des académies de Florence
et de Parme. A son retour en Angleterre, on lui confia la
direction des travaux de |)lusieurs édifices importants, dont
il donnaplustard la description (Londres, 1789). Élu membre
de l'Académie en 1803, il succéda en 1809 à Dance comme
professeur d'architecture. Il mourut en 1837. En 1833 il
avait fondé avec ses riches collections d'art un musée public,
à l'entretien duquel il consacra et assigna un capital de
30,000 liv. sterl.
SOBIESKI. Voyez Jean III Sobieski.
SOBOLE (du Min sobolcs , rejeton , race , lignée). En
botanique, ce mot est synonyme de bulbille.
SOBRIER (Marie-Josei'h), révolutionnaire contempo-
rain, dont le nom ne sortit de l'obscurité que le 24 février
1848. Il venait de faire un héritage considérable au mo-
ment où fut renversée la monarchie de Juillet, et ce chan-
gement dans sa position sociale l'avait subitement fait
monter des bas-fonds à la surface du pai ti républicain
extrême, le plus besoigneux des partis et celui où l'argent a
le plus d'influence. Désigné par Flocon dans les bureaux de
La Réforme pour prendre possession avec Caussidière
de la préfecture de police, il resta deux jours le collègue de
ce dernier. Mais le 26 au soir une fièvre violente, résultat
de plusieurs nuits passées sans sommeil , s'empara de lui.
Il résigna ses fonctions, quitta la préfecture , et alla s'installer
dans un appartement qu'il avait loué dans une maison située
rue de Rivoli, n" 16, et dépendant des biens de l'ancienne
liste civile ; il y établit les bureaux de son journal, La Com~
mune de Paris, fondé par Cahaigne, ainsi que le siège d'un
club ultra-démocratique, qui se mit aussitôt en rapport avec
différents clubs de Paris et des départements. Sobrier était
doué d'une activité fiévreuse et surtout dévoré de l'envie de
faire parler de lui.
Dans le but de tenir en échec la réaction, il obtint de
Lamartine un ordre écrit de se faire délivrer des armes
et des munitions et de garder à sa disposition un piquet
de garde républicaine. Du reste , il ne paraît pas avoir tou-
ché de subvention pour les dépenses de sa maison mili-
taire; il y pourvoyait avec sa fortune particulière et les
rentrées importantes que lui procurait chaque jour la vente
de son journal, tiré à grand nombre. Mais celte permanence
d'hommes armés à la dévotion d'un des clubistes les plus
exaltés causait de vives alarmes autour des Tuileries. M. Éva-
riste Bavoux, propriétaire d'une maison contiguë, se plaignit
très-haut, disant avec un certain bon sens qu'un accident
pourrait mettre le feu aux poudres et faire sauter tout le
quartier. La préfecture de police, se rendant à ces raisons
péremptoires , supprima le piquet de garde républicaine;
mais les armes ne furent pas rapportées, et Sobrier organisa
alors en garde militaire les employés de son journal, qui pri-
rent comme lui le bourgeron bleu et la ceinture rouge, à l'ins-
tar des montagnards delà préfecture. Son journal continua
sa polémique violente, et son nom se trouvait toujours au
bas des manifestes les plus exagérés. Aussi était-il l'objet des
récriminations continuelles du parti modéré. Dans la journée
SOBRIER — SOBRIÉTÉ
du 15 mai il pénétra dans la salle de l'Assemblée nationale,
et se fit remarquer par ses gestes d'énergiimène an bureau
du président. Après la dissolution prononcée par Hnber, il
se rendit au ministère de l'intérieur avec une quarantaine
d'hommes , qui s'emparèrent des sceaux et prirent sans ré-
sistance possession de l'hôtel. Cependant Sobrier, croyant
que tout était terminé , alla se rafraîchir dans un calé du
quai d'Orsay. Là il eut l'imprudence de raconter à quelques
gardes nationaux le coup de main par lequel il venait de se
rendre maître du ministère. Ceux-ci, qui ne partageaient
point ses idées, le conduisirent au poste voisin, où il resta
prisonnier. Un peu plus tard il fut relégué dans une chambre
de la caserne d'Orsay et gardé à vue par deux dragons, à
qui leur colonel avait donné ordre de lui brûler la cervelle
si l'on faisait au dehors des tentatives pour le délivrer. Le
même soir la maison Sobrier, désignée à la garde nationale
de Montmartre comme un repaire de brigands, lut envahie
et mise à sac; les montagnards qui s'y tiou valent lurent
faits prisonniers, mais bientôt après relâchés. On transféra
Sobrier dans la nuit au fort de Vincennes.
Condanuié par la haute cou r de Bourges à sept ans de
détention , Sobrier, après la proclamation de l'empire, de-
manda sa grâce à Napoléon 111, déclarant s'incliner devant la
grande voix de la France, qui venaitde se prononcer contre
les idées pour lesquelles il avait |)erdu la liberté, et s'enga-
geant à renoncer désormais à la politique si la clémence de
Sa Majesté consentait à mettre un terme à ses soulfrances et
à lui ouvrir les portes d'une prison qui serait bientôt son
tombeau ! La grâce demandée ne se fit pas attendre, et vingt-
trois mois plus tard les journaux annonçaient la mort de So-
brier, décédé le 22 novembre 1854, à l'asile public des aliénés
du département /le l'Lsère.
SOBRIETE (du latin sobrietas, l'opposé d'eftHe^as) est
la marâtre des médecins ou les rend inutiles, tandis qu'ils
s'accroissent en pro[)ortion des cuisiniers et des plats de nos
tables : Multos morbvs itmltaferculafecerunt; vis mime-
rare morbos ! coqiios mimera, disait Sénèque avec toute
la philosophie antique. Que reste-t-il à dire sur ce sujet?
Traitons d'abord des abus d'une sobriété intempestive.
Oui, recommandez la sobriété à ces heureux du grand
monde, passant leurs journées à table, se faisant un mérite
de leur chère délicate, soit : réduisez-les à une diète étroite.
Il faut tantôt faire évacuer, tantôt saigner ces mortels in-
dolents et pléthoriques, menacés de fièvres périlleuses, d'a-
poplexie foudroyante, dévorés par la goutte, ou accumulant
les mauvaises digestions les unes sur les autres. Mais vou-
loir que tout le monde soit dans ce cas, tirer toutes les
causes des maladies d'un excès dénutrition, réduire par des
saignées, par des sangsues, par l'abstinence, par l'eau de
gomme , un malheureux soldat harassé de fatigues , épuisé
par un pain de munition grossier ou des pommes de terre,
comme les ouvriers et les pauvres paysans, c'est folie.
Avec de forts labeurs, la sobriété, telle qu'on la préconise,
est une erreur funeste. Ne la prêchons donc point à
l'homme de peine, au laboureur, à l'artisan condamné par le
malheur de sa destinée à arracher la subsistance de sa fa-
mille à des travaux Ingrats. Il s'enivre le dimanche, direz- vous,
et le lendemain peut-être encore! Sans l'excuser, je le
plains d'être obligé de chercher dans un moment de délire ce
triste dédommagement à son infortune. Mais vous qui,
chaque jour assis à des banquets splendides, ne touchez que
d'une dent dédaigneuse aux mets les plus délicieux, est-ce
par sobriété ? Non , c'est ^s.x satiété. Vous avez le malheur
de manquer d'appétit. Quelle horreur! s'écrie une jolie femme
à l'aspect de ce rustre chancelant sous les dons de Bacchus.
Elle a raison sans doute, en considérant le vice en lui-môme;
et cependant les plus sévères philosophes du Portique, Ca-
ton le Censeur lui-même, ont adouci leur austère vertu par
l'ivresse, comme il est besoin de détendre un arc trop long-
temps bandé :
Narratur et prùci Catonis
Ssepe inero caluisse virtus.
239
On a fait dire à Hippocrate qu'il était utile de s'enivrer une
fois par mois. On peut soutenir en effet qu'un régime de
vie trop étroit et uniforme allanguit, éteint les forces et
l'énergie, si quelques secousses ne les raniment ou ne dissi-
pent leur engourdissement. Qu'on nous vante la douceur
angélique des brachmanes et des Hindous abslèmes, qui,
satisfaits d'un peu de riz , de quelques figues et de l'eau sa-
crée du Gange, passent leurs journées assis à contempler
le ciel et à méditer sur les incarnations deVichnou ! Cepen-
dant, le musulman léroce, l'audacieux Anglais, nourris de
bœuf, traversent, le fer à la main et sans obstacle, leur opulent
empire, lèvent d'immenses tributs, pressurent ces troupeaux
d'esclaves tremblants dans leur faiblesse souple et docile.
La soumission, la patience, sont des vertus exem()laires fort
conunodes pour les tyrans. Aussi les religions prescrivent
les jeûnes, les carêmes, les abstinences de la viande pour
soumettre les esprits les plus récalcitrants {durx cervicis,
comme le peu|i|e de Moïse), |)our dompter ces àuios re-
belles à la servitude. Et comme l'habitude de manger beau-
coup en augmente ensuite le besoin, rend l'homme brute,
fier, vicieux même et indomptable, pareillement l'habitude
du jeune diminue de plus en plus la nécessité de manger,
à tel point, que de saints anachorètes sont arrivés à des degrés
d'abstinence véritablement incroyables.
Après avoir combattu les pratiques intempestives de so-
briété vantées sans discernement , montrons qu'en toute
autre circonstance celte pratique est la plus utile , ou de-
vient même indispensable; car il y a deux classes d'hommes
dans la société : 1° les producteurs actifs , laborieux, des-
tinés principalement aux travaux corporels : i! serait in-
juste et nuisible de les restreindre à des privations de nour-
riture; 2" les consommateurs oisifs, ou les sommités sociales,
exerçant surtout les facultés intellectuelles et morales par les
artsdelacivilisalion:àceux-ciles abus ou excès de nourriture
deviennent contraires, dangereux. Ainsi, depuis le prince et
lesgrands jusqu'à la partie la [)lus instruite, comme les ma-
gistrats, les corps enseignants, leclergé, les hommes d'étude
ou de cabinet, ceux qui cultivent les arts libéraux, le droit,
la médecine, ou qui se livrent à des occupations sédentaires
exigeant plus d'adresse et d'industrie que de force, tout ce
qui en général compose la Heur et le sommet de l'espèce hu-
maine doit s'imposer plus de modération et de choix dans
la nourriture et ses qualités; car, s'il faut accroître la force
dans la portion ouvrière d'un peuple , et remiie plus ro-
bustes, s'il est permis de le dire, les muscles de la société,
ou ses membres, ses pieds, ses mains, ses os, il faut aussi
rendre plus délicate, plus sensible, plus intelligente la région
supérieure de la nation, ses chefs ou sfjs organes seiiso-
riaux, et son cerveau directeur, pour ainsi parler. Or,
cette faculté de penser, cette susceptibilité du système
nerveux , s'avive et s'exalte par un régime de sobriété
assez modéré pour ne point l'énerver. Par la faim , le
goijt devient infiniment plus actif ( môme le goût moral)
que dans la satiété ; car on a dit ingenii largilor iciitcr,
et par la vacuité de l'estomac nous trouvons chacjue ma-
tin nos sens plus nets, notre esprit plus serein, plus pur,
notre raisonnement plus solide, nos conceptions mieux sui-
vies qu'après le repas , moment où la chaleur des nourri-
tures et des boissons augmente le bouillonnement du sang,
la rapidité de la circulation , et allume davantage les
passions. Aussi les magistrats doivent-ils rendre leurs
arrêts plutôt dans la matinée; aussi les poètes , les philo-
sophes , ont-ils regardé les Muses comme amies de I Au-
rore. Les Grecs ont nommé la sobriété Sophrosijne ,
« conmie si elle assaisonnait l'infelligence, » dit Aristote;
Socrate , d'après Platon , la nomme la santé de Vesprit,
non moins que celle du coips. Les fem|)érameiits mélan-
coliques sont sobres, prudents, froids, et leur ab.-linence
contribue encore à dessécher leur complexion. Leurs nerfs
mis presque à nu, ou débarrassés de la suiahouilance de
graisse et de lymphe qui entoure et enveloppe ceux des
gros mangeurs , deviennent plus impressionnables el plus
340
sensibles. C'est aussi re qu'on remarque chez les individus
maigres et secs, dont l.i libre et les sens sont bien autre-
ment excitables que cliez ces individus épais et de grosse
pâte. On n'en doit point conclure toutefois que le plus ou
moins de corpulence donne, absolument parlant, la mesure
de l'intelligence et de la sensibilité des personnes; mais
les complexions lymphatiques sont rarement aussi délicates
(]ue les nerveuses. Or, rintemi)érance dispose à la polysar-
cie, comme la sobriété et le jeune à la maigreur. Ainsi ,
celte dernière dessèche, évide l'économie animale et facilite
le jeu de l'organisme Les mouvements vitaux s'exécutent
plus librement dans les corps minces et petits que chez les
lourdes masses; et la .souris est inliniment plus agile que
l'clépliant. Il y a plus d'intelligence là où il y a moins de
matière, et certes on n'acquiert pas d'esprit en dévorant des
botes. Les maladies suivent un cours plus régulier quand
les forces vitales ne sont pas détournées du combat contre
le mal par l'œuvre pénible de la digestion ; les aliments
iettent d ailleurs une nouvelle matière mal élaborée aumi-
/leu de la lutte; et de nouvelles crudités redoublent la lièvre.
Les affections chroniques s'entretiennent souvent par un
régime trop substantiel; la diète |)rolougée suflit au con-
traire parfois pour les guérir. J.-J. Viuey.
SOBRIQUET. Que ce mot soit dérivé du latin subri-
dlculum, comme le veut Jîéuage, ou du grec OopiaTi/.ôi;,
iiijiuieux , insultant, selon Moysant de Briuiix , ou qu'il
vienne du roman sobru, sur, et quest, acquis, ainsi que l'a
avancé Court de Gebelin , c'est ce que je n'entreprendrai
|)as de discuter : je me bornerai à en donner la delinition.
Le sobnquel, suivant l'Académie, est une sorte de surnom
qui le plus souvent se donne à une personne par déri-
bion, et qui est fondé sur quelque défaut personnel ou sur
quelque singularité. Partout et de tous temps, l'opinion, ou
plutôt la malignité publique a décerné des sobriquets;
mais c'est surtout aux époques où les mœurs sont encore
empreintes d'une certaine rusticité qu'on les retrouve fré-
quemment. Ainsi, dans les poèmes d'Homère, les person-
nages s'injurient souvent et se donnent des qualilications
qui eflarouchent notre délicatesse moderne. Chez les Ro-
mains , nous voyons que des sobriquets ont été infligés à
beaucoup de personnages éminents. Un Caipurnius fut sur-
nommé la Bêle (liestia); un Scipion , l'xVnesse {Asi)ia) ;
un l'abius , la Ruse ( Battu). 11 est presque inutile de citer
les glorieux sobriquets de Codes, Scxvola, Corvinus, Toi--
quutus, Cicero, etc., si même ce sont là de vrais sobri-
quets. Au moyeu âge, les clironi(iues nous olïrent sans
cesse des sobriquets accolés au nom des grands seigneuts
et des hommes puissanis. Il semble que le peuple , privé
des autres moyens de résistance à l'oppression, ait clieiché
à s'en d<''domuiager en prodiguant celui-là. Dans nos cam-
pagnes , et même dans les classes inférieures de nos villes
de la Flandre, du Hainaut, de l'Artois et de la Picardie, la
manie des .sobriquets est presque générale. Un ridicule, un
défaut corporel, une prétention déplacée, sont les cau.ses
(jui le plus souvent y donnent lieu. Les circonstances les
plus fortuites, un mot échappé maladroitement, suinsent
pour appeler sur un homme un coynomen indélébile, dans
lequel le nom propre vient tout à fait s'eflacer et se perdre.
Heureux encore le porteur d'un .sobriquet quand l'épilhète
dont ou l'a gratifié n'est point ignoble jiis(iu'a èlre presque
intamanle! Heureux surtout quand ses (ils et les enfants <le
ses (ils ne .sont pas condamnés à recevoir et à transmettre
à leur tour ce builesciue et triste héritage! Beaucoup de
noms propres ne sont eux-mêmes que des sobriquets adop-
tés définitivement, et passés, i)our ainsi dire, en force de
chose jugée. Il n'est pas de dénomination qui ne soi!, ou
du moins qui n'ait été signilicalive ; et par conséquent il
en est un grand nombre qui ont dû se trouver d'abord dans
la cla.sse des .sobriquets (consultez l'excellent Essai his-
torique et philosophique sur les noms d'hommes, de
peuples et de lieux, par notre savant collaborateur liusèbe
balverte; 2 vol. in-8", Paris, 1824).
SOBRIÉTÉ — SOCIALISME
Ce n'est pas seulement dans l'obscurité des relations pri-
vées qu'il faut chercher cet usage des sobriquets. L'histoire,
qui ne considère les hommes que dans leur vie publique
et au milieu des grands débals sociaux, en fournit aussi de
nombreux exemples; mais, comme nous le disions tout
à l'heure, c'est surtout dans les bas siècles et chez les
peuples aux mœurs rudes que l'on remarque un emploi
fréquent de ces qualilications insultantes. Les sobriquets
furent imposésaussi quelquefoisà des agrégationsd'individus,
à des corporations ou associations particulières , à des partis
politiques, à des sectes religieu.ses , à des villes et même à
des villages. On sait que le peuple en Angleterre est dé.signé
par le sobriquet de John Bull, aux États-Unis d'Amérique
par celui de Frère Jonathan et quelquefois de Yankees.
Du reste, il ne faut pas toujours considérer les sobriquets
comme l'expression d'un jugement équitable et .sans appel.
La voix du peuple n'est pas constamment la voix de Dieu.
Ainsi, quand nous voyons le titre C\e fainéants appliqué à
quelques rois descendant de Charlemagne , nous aurions
tort d'attacher à celte épithète le sens rigoureusement odieux
qu'on lui donne aujourd'hui ; le mot f ai-néant est la tra-
duction de l'expression latine qui nihil fecit, que certains
chroniqueurs ajoutent aux noms de divers princes carlovin-
giens , pour indiquer qu'ils n'ont lais.sé aucun monument,
aucune institution dignes de mémoire. Or, comme on l'a re-
marqué , plusieurs d'entre eux n'ont régné qu'un an ou
deux. D'autres, entourés d'obstacles que leur suscitaient les
factions , ou accablés par les malheurs publics , se virent
réduits forcémentàcetteinactivitéque nous leurs reprochons
un peu légèrement. Il y aurait pouitant quelque utilité à con-
sidérer les sobriquets dans leurs rap|)orls avecriustoire ; à c«
point de vue on pourrait les diviser en trois catégories , se-
lon qu'ils s'appliqueraient : 1° aux habitants d'un pays,
d'un canton , d'une ville; 2° à un parti politique ; 3'' â dcS
individus. Les partis politiques se sont toujours prodigué
les appellations odieuses ou méprisantes ; et , pour puiser
encore nos exemples dans l'histoire des provinces belges ,
qui ne connaît ces blavotins et ces ingrekins, dont les que-
relles sanglantes dé.solèreiit la West-Flandre au commen-
cement du treizième siècle, durant l'absence de Baudouin
de Constantinoiile? En 1230 , un parti puissant se déclara
en Flandre pour Philippe le Bel. Ces Flamands dévoués à
la France furent nommés les gens du lys , Lelieerts. Cin-
quante ans plus tard on vit les cabil lauds soutenir la
cause de Guillaume I'/^sphsc' contre sa mère Marguerite, qui
avait les hoeks j)our elle. Plus tard, sous Philippe le Bon,
la troupe des chaperons blancs fit tant de bruit et
tant de mal, qu'on fut obligé de la supprimer par le traité de
Casant, en 1492. On sait ce que furent au .seizième siècle les
creessers gantois, |iuis les gueux, puis les hurlas , pil-
lards huguenots qui se seraient emparés de Lille n'eût été
la bravourede Jeanne Maillotte et de ses compagnes. Enfin,
j'aurais un glossaire tout entier à faire si je voulais énu-
méier les sobriquets personnels. Que de héros ou de princes
aveugles, borgnes, bossus, boiteux! Le Glay.
SOC. Voye:^ Cuarrue.
SOClABlLlTS5 , aptitude à vivre en société. La socia-
bilité est une disposition naturelle à l'espèce humaine. On
remarque même dans certaines espèces d'animaux une sorte
de sociabilité. L'homme sociable est celui qui est naturel-
lement porté à vivre en société. Dans un sens plus restreint,
c'est celui avec (lui il est aisé de vivre, qui est d'un com-
merce doux et facile.
SOCIAL, ce qui concerne la société : L'ordre social, la
vie sociale, les institutions sociales, le pacte social, les
vertus, les qualités socia/es, les rapports sociaux; LeCon-
frat social e.st un des principaux ouvrages de J.-J. Rous-
seau.
SOCIALE (Guerre). Foye:; Guerre sociale.
SOCIALISME, SOCIALISTES. Depuis quelques an-
nées il s'élève parmi les peuples placés à la tête de la civi-
iisation moderne de violentes accusations contre notre étal
SOCIALISME
social. Le système social, qui a pour hiase la famille etTÉtat,
la manière dont chacun y pourvoit à ses besoins personnels
sans avoir égard à ceux d'autrui, sont proclamés les fléaux
de notre époque. Assurément il y a dans ces accusations
beaucoup de mauvaise passion et d'inintelligence; mais l'ob-
servateur attentif qui étudie les principes et l'histoire de la
civilisation moderne est bien forcé d'avouer aussi que no-
tre société souffre aujourd'hui de maux qui n'étaient jamais
arrivés autrefois à une pareille extension. Ce qui frappe tout
d'abord , c'est l'inégalité extrême existant dans la réparti-
tion des richesses , c'est le désolant contraste entre le riche
et le pauvre, entre la pénurie et l'abondance. Le domaine
de l'industrie, ce théâtre de l'activité et de l'intelligence hu-
maines, où s'acquièrent et se répartissent les richesses de la
cKilisation moderne, nous offre l'aspect complet du mal qui
mine la société et de toutes les suites menaçantes qu'il promet
d'avoir. Ce domaine ressemble en effet à un champ de ba-
taille où, à l'aide de la c o n c u r r e n c e , le fort écrase sans
pitié le faible, où chacun opère pour soi, et où la manœu-
vre qu'exécute le capital de l'un compromet l'existence de
plusieurs milliers d'autres. Le talent qui invente, la main
qui exécute, toute capacité rattachée à la chaîne infinie de
la production, ne sont que des instruments , et doivent se
soumettre à la puissance absolue du capital. Le capitaliste
ne fixe pas le taux du salaire suivant le bénéfice de l'entre-
prise; il se borne à acheter des forces humaines, à des prix
plus ou moins élevés, suivant qu'elles lui sont plus ou moins
offertes. Il réunit des masses de forces actives, qu'il exploite
et qu'il abandonne ensuite impitoyablement du moment où
son intérêt le lui commande, ou bien lorsque l'invention
d'une nouvelle machine vient lui permettre de se passer de
l'emploi de moteurs humains. Dans un tel état de choses,
il est rare que ceux des travailleurs aont l'occupation exige
du génie, du talent ou delà dextérité manuelle puissent
parvenir à une position assurée et où il leur soit donné d'a-
voir leur part dans tous les avantages de la vie sociale. Le
travailleur vulgaire, qui ne possède que ses bras, vit tou-
jours dans la pauvreté et les privations ; aussi la classe nom-
breuse à laquelle il appartient présente-t-elle l'aspect d'une
misère qui a pour cortège le plus ordinaire l'abâtardisse-
ment physique et la corruption morale. Il n'est pas rare
de voir des gens, qui prennent à cœur les souffrances et les
douleurs dont cet état de choses est la cause , attribuer tout
le mal tantôt aux machines , tantôt à l'incurie des gouver-
nants, tantôt à la manie du luxe, tantôt encore à d'autres
causes isolées, comme si des faits extérieurs et accidentels
décidaient des destinées de l'humanité.
Le moyen âge ignorait nos souffrances actuelles, parce
que la vie y était organisée à un tout autre point de vue que
de nos jours. Nos pères limitaient à un petit nombre de pri-
vilégiés le droit de complètement jouir des biens de la vie ,
de posséder, d'acquérir et d'être politiquement indépendant;
et ils condamnaient les masses à un état constant de mino-
rité et de tutelle impliquant nécessairement de la part de
ceux qui étaient investis de cette tutelle l'obligation de tou-
jours veiller à ce que la subsistance de leurs pupilles fût as-
surée. Les droits et les devoirs des vassaux ne faisaient
qu'un avec la propriété foncière, et la population industrielle
des villes s'agitait dans un système identique de réciprocité
et de dépendance. Les membres des diverses corporations
exerçaient à titre de privilège le droit de production et d'ac-
quisition ; les compagnons et les serfs, quand l'appui de leur
patron venait à leur manquer, trouvaient bien du secours
dans la corporation dont ils s'honoraient de faire partie, mais
24i
ils n'avaient que très-rarement l'occasion et les moyens
d'acquérir le privilège de la maîtrise , el ils étaient le plus
ordinairement condamnés à passer toute leur vie dans le
célibat , de même que dans un état de complète dépendance.
La pauvreté des masses , la concurrence , la tyrannie du ca-
pital, les excès de la production n'étaient pas possibles avec
une pareille organisation sociale.
Un principe entièrement opposé au caractère du moyen
DICT. DE LA CONVERS. — T. XVI.
âge domine tous les faits de la vie moderne, et par consé-
quent l'ensemble de notre ordre social. On veutaujouid'hui
que tout homme ait , comme il appartient à un être libre , le
droit d'être compté pour quelque chose, d'être politiquement
indépendant, d'acquérir et de posséder.
Après l'abolition de l'ancien .système de la commune et de
celui de la propriété foncière, on vit s'opérer le morcellement
du sol poin- former une foule de petites exploitations rurales,
dont l'unique résultat a été d'accroître le prolétariat dans
les campagnes.
Puis, comme la liberté personnelle n'est qu'un mot quand
elle ne s'appuie pas sur la possession et sur la propriété, on
vit, après la chute des vieilles barrières sociales, se déve-
lopper dans le domaine de l'industrie une fiévreuse activité.
Dans ce champ sans limites , tous voulurent à la fois soit
trouver, soit accroître les ressources nécessaires pour une
existence complète. La situation actuelle est le résultat de
cette agitation passionnée des masses alfranchies désormais,
il est vrai , mais aussi demeurées sans lien nouveau qui pût
servir à les organiser. En l'absence donc de tout frein et de
toutes barrières à l'intérêt individuel , et dans cette lutte de
l'individu isolé contre tous , ceux-là seuls pouvaient triom-
pher que des facultés parliculii-res ou le hasard favorisaient,
ou bien qui entraient dans la lice munis de l'arme de la pro-
priété. Alors les trésors de la production moderne se con-
centrèrent entre les mains d'un petit nombre, tandis que le
travailleur lui-même, réduit maintenant à ses propres forces,
restait plus pauvre et plus dépendant que jamais.
En présence du mal et du désordre qu'il a produits, on a
proposé de revenir au système de restrictions et de barrières
des anciens temps. En France et en Angleterre, pays où
l'essor industriel est parvenu à son apogée , où les antiques
formes de la société ont été en très-grande partie détruites ,
et où les plaies faites par la liberté nouvelle sont le plus
saignantes, on a déjà vu se produire avec énergie l'iilée
d'essayer d'une nouvelle organisation répondant plus ou
moins aux besoins nouveaux, et qui absorberait les éléments
actuels de lutte et de dissolution sociale. C'est ainsi que dans
les classes travailleuses, qui ont parfaitement compris le rap-
port intime existant entre la question de la propriété et celle
de la liberté et de la jouissance do la vie, a surgi et s'est
propagée la théorie de la communauté des biens ou leco?»-
munisme. Suivant cette doctrine, il ne devrait plus y avoir
de propriété individuelle ; chacun serait bien tenu de travaillei
suivant ses forces, maïs aurait aussi le droit de jouir de la
propriété commune suivant ses besoins; et toute autorité
contraire au principe de la liberté et de l'égalité universelles
devrait être abolie. On peut répondre aux auteurs de tous
ces efforts désespérés, qui ont la violence pour base et l'a-
néantissement de tout ce qui existe pour btd, qu'en niant la
légitimité de la propriété individuelle ils détruisent radicale-
ment la liberté et toute l'existence de l'individualité.
En dehors de cette sauvage doctrine, quelques penseurs
isolés ont aussi fait des inconvénients de l'état actuel de la
société l'objet de leurs méditations, et ont essayé de résoudre,
à leur manière , les problèmes qu'il présente. En l'absence
de tout système général de philosofihie, tant en France qu'en
Angleterre, chacun d'eux s'est fait du monde des idées à lui
propres, et s'est efforcé de les présenter sous la forme plus
ou moins systématique de science sociale. Ce sont ces sys-
tèmes et les différentes écoles qu'ils ont produites qu'on dé-
signe sous la dénomination générique de socta/jsme. Laplu-
partde ces écoles, quoique essentiellement radicales dans leurs
théories, n'en attendent cependant la réalisation que de la
puissance de la vérité et de la force du raisonnement. L'An-
glais Robert Owen est le premier en date. Il était arrivé à
croire fermement que l'homme n'est par lui-même ni bon ni
méchant, que son caractère moral ne dépend que des circons-
tances extérieures et socialesau milieu desquelles il se trouve
placé , et que dès lors les châtiments et les récompenses
sont, en ce qui le touche , parfaitement injustes. A ce point
de vue, qui du reste n'a pas même le mérite de la nouveauté,
ifi
242
SOCIALISME — SOCIAUX
tout homme, ignorant on instruit, spirituel ou borné, riche
ou pauvre, a des droits égaux à la jouissance des avantages
sociaux; toute restriction opposée à l'usage de ce droit, tout
privilège, toute autorité qui y met des entraves , et par con-
séquent aussi toute propriété particulière, doivent être aboliiî.
Owen (ourla aux États-Unis, d'après ses idées, une société
ou , si on aime mieux, un État particulier, qui s'écroula dès
que le capital commun qu'il avait avancé de ses propres de-
niers eut été dévoré.
Saint-Simon fit en France un autre essai pour régé-
nérer, à l'aide d'un nouveau système scientitique, toute l'or-
ganisjition de l'existence humaine. Ce ne fut toutefois qu'à
la suite de la révolution de juillet 1830, lorsque les incon-
vénients de l'état social actuel commencèrent à frapper tous
les yeux , que ses disciples réussirent à attirer l'attention
publique, et purent donner à sa doctrine la forme et les dé-
veloppements dont elle était susceptible. Industrie, religion,
arts, sciences, en un mot tontes les branches de l'aclivilé
liumaine, devaient, suivant eux, subir une rénovation et
une transformation complètes. En fan tin donna pour prin-
cipe à ce monde nouveau Y émancipation de la chair, ou
l'égale satisfaction des appétits sensuels de l'homme et de
ses aspirations morales et intellectuelles. Il annonça que la
mise en pratique de ce principe ne ferait plus de l'humanité
entière qu'une seule et même (amille. Un graml-prêlre, Pro-
vidence vivante , et sous ses ordres une foule d'intelligences
secondaires, devaient avoir la mission de guiiler les travaux
de la famille par l'amour, et de récompenser, aux fiais du
trésor commun, chacun suivant sa capacité et suivant ses
œuvres. La tentative faite pour réaliser en petit une famille
de ce genre aboutit bientôt à une scandaleuse banque-
route.
Les saints-simoniens n'eurent pas plus tôt disparu de la
scène, poursuivis par les huées et les sifflets de la foule,
qu'on vit se produire en France le système social de F ou-
rler, qui, non moins absurde que le précédent, ne laissa
pas pourtant que de faire de nombreux adeptes, sans doute
parce que les hommes qui entreprirent de l'exploiter pour
vivre aux dépens de leurs dupes eurent l'art de dissimuler
fout d'abord leur but véritable, de ne se présenter que comme
les propagateurs d'une école philosophique pratique, qui, à
la différence de celle de Saint-Simon , n'affecterait jamais de
se poser en religion nouvelle , et dont les principes se con-
ciliaient même avec toutes les religions préexistantes. Ils
eurent d'abord le bon sens et l'adresse de passer sous si-
lence la partie purement spéculative des travaux de leur
maître , pour s'en tenir à la propagation et à la réalisation de
ses doctrines économiques. Est-il besoin que nous ajoutions
que les divers essais tentés pour appliquer pratiquement la
théorie de cette école , qui a pris la qualification de socié-
taire, oni tous également échoué, ici faute d'un capital
suffisant, là par suite de vices d'organisation intérieure, et
toujours à cause des conflits intérieurs auxquels ils donnaient
lieu.
Quelle que soit la différence de temps et de lieu qui sé-
pare ces trois systèmes de rénovation sociale , on reconnaît
tout de suite qu'ils partent du même principe et tendent
au même but. La théorie des jouissances, ou le hbre exer-
cice des passions , doit rendre les hommes heureux sans
effort. Ce qui jiisiju'à présent a été considéré comme la
base de toute existence humaine, l'abnégation et la répres-
sion des appétits, est représenté dans la doctrine d'Owen,
de même que dans celles de Saint-Simon et de Fourier,
comme la cause directe des misères de notre état social. Ces
doctrines s'accordent pour vouloir rendre la société respon-
sable des torts des individus. On est en droit de reprocher à
chacun de ces trois systèmei> philosophiques d'avoir ébranlé
toutes les vérités morales er dt menacer d'une complète ruine
non-seulement l'État, mais encore la famille, ce pilier de l'hu-
manité civilisée et moralisée. Consultez J.-J. Thonissen ,
professeur à la faculté de droit de l'université catholique de
Louvain, Le Socialisme depuis Vantiquifc jusqu'en 1852
(2 vol., Louvain, 1853); F. Huet, Le Règne social du
Christianisme ( l vol., Paris , 1854 ).
SOCIAL REFORMERS. Fo(/er Free Soiler.
SOCIAUX (Réformateurs)- C'est ainsi qu'on appelle
ceux qui à diverses époques ont tenté de transformer
l'ordre social en modifiant les conditions d'existence delà
propriété et de la possession , ces bases premières de toute
vie sociale. La propriété privée, qui naquit dès le premier
pas que l'homme fit dans la voie de la civihsation, a gé-
néralement été l'objet de leurs attaques. Comme la trans-
formation delà propriété particulière en propriété commune
devrait nécessairement avoir pour résultat de changer com-
plètement tous les autres rapports humains, il s'ensuit que
les réformes sociales doivent être en même lemps politiques.
Jadis il n'y avait que des sectes religieuses ou philosophi-
ques qui essayassent de fonder sur la communauté des biens
l'organisation de leur existence. Chez les Juifs les essé-
niens ou thérapeutes, chez les Grecs les pythagoriciens et
les épicuriens pratiquaient la communauté des biens. Les
premiers chrétiens, eux aussi, estimaient que la propriété
et la richesse individuelles ne sauraient se concilier avec
l'esprit du christianisme; et un grand nombre de pères de
l'Église se sont prononcés dans ce sens. Plus tard , beaucoup
de sectes chrétiennes, tantôt par suite de l'oppression sous
laquelle elles gémissaient (comme les Albigeois et les
\audois), tantôt par fanatisme révolutionnaire (par
exemple, au seizième siècle, les anabaptistes), incli-
nèrent vers la vie en commun et surtout vers la commu-
nauté des biens. Dans les temps modernes, les frères bo-
hèmes et les communes fraternelles des herrnhutes ont
introduit avec un rare succès une étroite vie de communauté,
de laquelle ne sont cependant exclues ni la propriété par-
ticulière ni la vie de famille. Au dix-septième siècle, les
jésuites constituèrent au Paraguay avec la population in-
dienne un État d'une nature toute particulière, et où les
moindres actes de la vie privée étaient soumis à des règle-
ments généraux. Indépendamment de la propriété foncière
particulière à chacun, il y avait le champ , propriété pu-
blique, que tous devaient aider à cultiver, et dont le
produit devait servir à défrayer les dépenses d'adminis-
tration et de gouvernement. Les défiances de la cour de
Madrid mirent bientôt un termeà l'existence decette création
artificielle, qui eût pu devenir un instrument puissant entre
les mains de ces bons pères.
11 y a bien longtemps, au reste , que des penseurs ingé-
nieux et des philosophes ont eu l'idée de revêtir de formes
poétiques l'idéal qu'ils se faisaient d'une société et d'un
État parfaitement organisés et gouvernés , et qu'ils ont com-
posé sur ce sujet des ouvrages qu'on a appelés des romans
politiques.
Déjà, chez les Grecs, Platon esquissait le tableau d'une
république de ce genre, dans laquelle il divisait les citoyens
en trois classes fixes : celle des magistrats, celle des guer-
riers et celle des artistes et des travailleurs. Mais dans cette
république modèle, dans cet État libre par excellence, il
n'existe pas seulement une division par castes; on y trouve
encore des esclaves. Les liens les plus étroits y rattachent
tous les citoyens à l'État, et aussi, afin d'atténuer autant que
possible le sentiment de l'individualisme, la communauté
des biens et des femmes y est établie.
Sous le règne de Henri "VIII d'Angleterre, le chancelier
Thomas Mo rus prit Platon pour modèie quand il composa
son célèbre ouvrage intitulé : De optimo Reipublicas Statu,
deque nova insiila Utopia (Louyâin, 1516), dont on a
depuis donné le nom aux rêveries du même genre. L'auteur
parle comme s'il était parfaitement convaincu de la prati-
cabilité de ses idées. En Utopie aussi la propriété particu-
lière est supprimée; et c'est l'État qui se charge de répartir
les produits de la propriété commune suivant les besoins de
chacun. L'argent cesse dès lors d'y être nécessaire; et,
afin d'extirper du cœur de l'homme l'amour de ce métal,
' on avilit la valeur de l'or et de l'argent, qui sont désor-
SOCIAUX —
mais condamnés à servir pour la fabrication des vases les
plus communs. En Utopie, le voyageur paye en journées
de travail l'hospitalité qu'il reçoit. Les occupations indus-
trielles sont réparties au sort ou au choix. Mais pour l'a-
gi icullure, au contraire, qui forme la base constitutive de
l'État, on enrôle de force les sujets les plus capables. Six
heures de travail par jour, imposées à chaque citoyen, met-
tent l'État à même d'assurer à chacun la vie la plus agréable
et toutes les jouissances des sens qu'il est possible d'ima-
giner. Tout est permis dans ce but, jusqu'au point où le
plaisir cesse et où commence la débauche. 11 y a d' ailleurs
également des esclaves en Utopie pour les travaux domes-
tiques. Les chefs de famille élisent chaque année les diffé-
rentes autorités publiques , jusqu'au roi lui-même. On se
débarrasse des impotents et des incurables en les tuant
promptement et sans douleur.
Le roman politique de Thomas Morus engendra une foule
d'imitations, qui furent pour des esprits critiques le moyen
d'exprimer sous le voile de la fiction leurs idées sur l'orga-
nisation de la vie sociale. Dans la plupart de ces produc-
tions, le bonheur a pour base la communauté des biens et
des femmes , ainsi que le communisme le plus ab-olu.
Le dominicain Campanella composa sa Civitas Solis
( Utrecht , 1643 ) , État qu'un grand métaphysicien gouverne
à l'aide de la force de l'amour et de la sagesse. Les iilées
de Campanella, qui était bien autrement avancé que son
siècle , approchent de celles de Saint-Simon. Il composa en
outre, pour la glorification du papisme, un autre ouvrage
socialiste intitulé : Monarchia ^e.<5ia; (Francfort, 1632).
Le chancelier d'Angleterre Roger Bacon écrivit, d'a-
près le modèle de Thomas Morus, sa Nova Atlantis, et
dans son Optes Majus il développa un grand nombre d'idées
sociales qui lui étaient propres.
SousCromwell, Harrington pubHa un roman politique
intitulé Oceana (1056), et qui fit surtout sensation parce
que le Protecteur en interdit la circulation.
Parmi les utopistes du dix-septième siècle il nous faut
ranger en première ligne F é n e 1 o n, auteur de la République
de Salente, du Voyage dans l'île des Plaisirs et de Télé-
maque. Dans le siècle suivant , le roman utopiste de Mo-
relly, La Basiliade ( 1753), produisit une vive sensation:
il s'efforçait d'y combattre les préjugés qui empêchent
l'homme de mener une vie conforme aux prescriptions de
la nature. Deux ans plus tard , le même Morelly publia son
Code de la Nature, faussemement attribué jusque dans
ces derniers temps à Diderot, et qui est sans contredit la
production la plus remarquable de la littérature socialiste au
dix-huitième siècle.
Au nombre des plus ingénieuses utopies des temps mo-
dernes , nous devons encore mentionner l'Histoire des Se-
varambes {i.617), le roman communiste Cœsares (Londres,
1754), Z-a découverte australe de Rétif de La Bretonne
(1780), le Voyage de Gulliver de Swift, VAnacharsis de
Barthélémy. N'oublions pas dans cette énumération le
Voyage en Icarie du fameux Cabet (5 vol., 1840).
La critique philosophique de la vie sociale et politique
commença en Angleterre par Locke , au dix -septième siècle,
et fut continuée au dix-huitième par les philosophes fran-
çais Holbach, Helvéti us, Diderot, Voltaire, Rous-
se au, Rayn al , Mably et autres, jusqu'à l'ébranlement
complet de toute foi dans le principe d'autorité. Le résultat
de ce travail négatif fut la déclaration fameuse que rendit
l'Assemblée nationale dans la nuit du 4 août 1789, et qui
acheva la destruction des derniers débris de l'ancienne so-
ciété française. Consultez Louis Reybaud, Études sur les
Réformateurs (PATis , 1838).
SOCIÉTAIRE , individu qui fait partie d'une société
quelconque. On n'emploie guère ce mot qu'en parlant de cer-
taines sociétés littéraires, scientifiques ou musicales, et de
certaines entreprises dramatiques. Le personnel des acteurs
du Théâtre-Français se compose de sociétaires et de pen-
sion7iaij-es.
SOCIÉTÉ 243
SOCIÉTÉ , assemblage d'hommes unis par la nature qu
par les lois ; commerce que les hommes réunis ont naturel-
lement les uns avec les autres : L'homme est né pour la
société. La société est ou naturelle, ou civile. Malheur à
qui trouble l'une ou l'autre! « Hélas! dit Nicole, \à société
humaine n'est bien souvent qu'une troupe de gens mal sa-
tisfaits les uns des autres, et qui ne sont unis que par leur
intérêt. » On s'est perdu en conjectures sur l'origine des so-
ciétés. Pour les penseurs qui se rattachent à l'école du phi-
losophe de Genève , l'état de nature est un idéal , un âge
d'or, dont l'état social est la corruption et la dégénérescence.
Aux yeux de quelques autres penseurs, l'état de nature est
un état imparfait, inférieur, dont l'état social est le déve-
loppement nécessaire et perfectionné. Chaque famille forme
une société naturelle, dont le père est le chef (voyez Civi-
lisation, Commerce, Droit naturel, Sauvages).
Société se dit aussi d'une compagnie de personnes qui se
réunissent fréquemment pour la conversation , le jeu , la
danse ou d'autres plaisirs : Société agréable, choisie; Un
homme admis dans les meilleures sociétés. Cette acception
s'applique aussi en général aux rapports , aux communi-
cations que les habitants d'un pays, d'une ville, ont entre
eux pour leur délassement, pour leurs plaisirs : Il n'y a point
de société dans cette ville ; Le ton , les agréments , l'esprit
de la société.
Enfin, dans un sens plus restreint ,5ocJ^<^ se dit du com-
merce ordinaire, habituel, qu'on a avec certaines personnes :
On trouve beaucoup d'agrément dans sa société; C'est un
homme de bonne société.
SOCIÉTÉ (Bonne et Mauvaise). Voyez Compagnie et
Distances sociales.
SOCIÉTÉ (Droit commercial). Commercialement
parlant, une société est une réunion de deux ou plusieurs
personnes qui conviennent de mettre quelque chose en
commun dans la vue de partager les bénéfices et de con-
tribuer aux pertes qui en pourront résulter. Toute société
doit être rédigée par écrit quand son objet est d'une valeur
de plus de 150 francs : elle doit avoir une cause licite;
chaque associé doit y apporter de l'argent ou d'autres biens,
ou son industrie.
Les sociétés sont universelles ou particulières.
On distingue deux sortes de sociétés universelles :
1° celles de tous biens présents, meubles et immeubles, des
profits qu'ils peuvent produire et de toutes espèces de gains :
les biens à venir n'y enti eut que pour la jouissance ; 2" celles
de gains seulement, ne comprenant que ce que les associés
peuvent acquérir pendant la durée de la société, les meubles
que chacun d'eux possède à l'époque du contrat et la jouis-
sance de leurs immeubles personnels. Les unes et les autres
ne peuvent avoir lieu qu'entre personnes respectivement ca-
pables de se donner et de recevoir l'une de l'autre et aux-
quelles il n'est point défendu de s'avantager au préjudice
d'autres personnes.
La société particulière est celle qui a pour objet une
chose déterminée, une entreprise désignée, ou l'exercice
d'un métier, d'une profession. La société commence à l'ins-
tant même d'un contrat, s'il ne lui est pas assigné une autre
époque. Lorsqu'il ne s'agit pas d'une affaire dont la durée
soit limitée, et lorsqu'il ne lui a pas été assigné de terme,
elle dure pendant toute la vie des associés. Néanmoins , dans
ce dernier cas, chacun deux a la liberté d'y renoncer en
faisant notifier sa volonté aux autres associés et pourvu
que sa renonciation soit de bonne foi, et non faite à contre-
temps. Chacun des associés est débiteur envers la société de
ce qu'il a promis d'y apporter; il est tenu envers elle des
dommages qu'il lui a causés par sa faute; il a une action
contre elle pour les sommes qu'il a déboursées, et pour les
obligations qu'il a contractées pour les affaires communes.
La convention qui donnerait à l'un des associés la totalité
des bénéfices est nulle : il en est de même de celle qui l'af-
franchirait de toute contribution aux pertes.
Dans les sociétés autres que celles de commerce , lés as-
16.
244
sociés ne sont pas tenus solidairemt^nt des dettes sociales ,
mais chacun pour une part égale seulement; encore que la
part de l'un deux dans la société soit moindre que celle
des autres.
Les sociétés commerciales sont réglées et par le droit
civil, et par les lois particulières au commerce, et par les
conventions des parties. Elles se distinguent en sociétés en
nom collectif, sociétés en commandite, sociétés ano-
nymes, et sociétés en participation.
La société en nom collectif c?,\. celle que contractent deux
on plusieurs personnes sous une raison sociale : elle doit
être constatée par acte public ou sous signature privée. Les
associés sont solidairement responsables des engagements de
la société, contractés sous la raison sociale.
La société en commandite est celle qui est contractée
entre un ou plusieurs associés, responsables et solidaires,
et un ou plusieurs associés simples bailleurs de fonds.
La société anonyme n'est qualifiée que par l'objet de son
entreprise; elle ne peut exister qu'après l'autorisation du
gouvernement; elle ne peutêlte formée que par acte public;
elle doit aussi être rendue publique par l'afliclie de l'acte
d'association et de l'acte du gouvernement qui l'autorise.
La société en participation est celle par laquelle deux
ou plusieurs pei sonnes conviennent de participer à une né-
gociation, à une affaire, dans la proportion qui est déter-
ipinée par leur convention.
SOCIÉTÉ ( Iles de la ), groupe d'iles de l'Australie, si-
tué entre le 150° et le 156° 30' de longitude orientale , le 16»
et le 18° de latitude méridionale , qui se compose de divers
îlots et de onze îles principales , découvertes la plupart par
Couk, et dont Otaïti est la plus grande , de même que la
plus importante comme centre politique. Ces îles , qui ont
ensemble une superficie d'environ 25 myriam. carrés , sont
d'origine volcanique , eu partie bérissées de montagnes ( le
volcan de Tobreonou , à Otaiti , atteint une élévation de
3,866 mètres), entourées d'écueils de corail, jouissent d'un
climat agréable et tempéré, et possèdent de nombreux cours
d'eau. La canne à sucre, le bambou, l'arbre à pain, les
bananes, les noix de coco, les platanes, les pisangs, les
racines d'yam et d'arum, les patates , etc., sont les princi-
pales productions du règne végétal. Le règne animal fournit
des porcs, des chiens, des poules, des canards sauvages,
des perroquets, des alcyons , des hérons, des baleines , des
écrevisses , des huîtres , etc. ; et le rè^ne minéral , de l'ar-
gile, du basalte noir, du soufre et de la lave. Les habitants,
dont le nombre s'élève à environ 80,000 âmes , appartien-
nent à la belle race malaie ; ils sont assez civilises, bons
et hospitaliers, mais légers et sensuels. Ils aiment pas.sion-
nément la musique, la danse et le jeu ; l'extrême fertilité
de leur sol leur permet d'être impunément paresseux ; aussi
leur industrie se borne-t-elle à peu près à la fabrication des
ustensiles et des objets les plus indispensables à l'économie
domestique, à l'agriculture, à la chasse et à la guerre. Leur
vêtement consiste en un morceau d'étoffe ou d'écorce d'arbre
tissée, jeté sur les épaules et entourant le corps, oii ils le fixent
au moyen d'une ceinture. Leur tête est ornée de plumes
ou d'une espèce de turban, et leur peau tatouée. Ils ob-
servent la monogamie, mais le concubinage est licite. Depuis
1825 les Anglais, à l'aide de leurs missionnaires, ont ré-
pandu parmi eux la religion chrétienne, et le culte des idoles
a disparu peu à peu avec les horribles sacrifices humains
qu'on leur offrait naguère. Une imprimerie, établie dans le pays
par la Société Bibliquede Londres, a déjà livré à la circulation
non-seulement la Bible traduite en anglais et dans la langue
locale , mais encore un grand nombre d'ouvrages relatifs à
l'instruction élé:nentaire. Qn y a aussi créé des écoles à la
Lancaslre ; de là les progrès toujours plus rapides et plus
marqués des mœurs et de la civilisation européennes, tant
dans la vie privée que dans la vie publique des habitants.
La forme primitive du gouvernement de ces iles était une
espèce de système féodal. Sous l'autorité d'un roi héréditaire,
exerçant la puissance souveraine sur la plus grande partie
SOCIÉTÉ — SOCIÉTÉ ROYALE DE LONDRES
des îles dont se compose l'archipel, sont placés les erihs,
ou chefs, auxquels sont subordonnés les medouahs, ou vas-
saux, et les towhas, espèce de vassaux d'un ordre inférieur.
Le menu peuple se compose de mahanounes ou paysans, et
de tautaus, ou esclaves. Déjà ces populations se sont donné
une espèce de constitution.
SOCIÉTÉ (Règle de). Voye^ Compagnie (Règle de).
SOCIÉTE.RO YALE DE LONDRES. On ne trouve
en Angleterre, en fait d'institution patronée parle gouver-
nement, rien qui ressemble à notre Institut. Le budget
de l'État n'y est pas grevé chaque année, comme en France,
d'environ un demi.im'Uion destiné à couvrir les menus frais
d'un établissement analogue à celui dont l'utilité lapins claire
e.ît de faire, en moyenne, 1,500 fr. de rente à deux cents
immortels , qui pour la plupart sont dans de telles condi-
tions d'aisance et même de fortune, qu'ils devraient rougir
de recevoir chacun sans rien faire la contribution d'un de
nos malheureux villages. Et cependant, qui voudrait sou-
tenir qiie les lettres et les sciences n'ont pas toujours brillé de
l'autre côté du détroit d'un éclat aussi vif que chez nous?
La plus célèbre des associations scientifiques et littéraires
existant chez nos voisins est sans contredit la Société
royale de Londres, laquelle par le but qu'elle se pro-
pose et par la nature spéciale de ses travaux, autant que
par les illustrations scientifiques qu'elle a comptées ou
compte encore dans son sein , répond plus ou moins bien
à notre Académie des Sci ences, et jouit d'une considé-
ration non moins grande dans le monde savant. Elle eut
Oxford pour berceau. Vers la fin du règne de Charles l" , le
docteur Wilkins, deWadham-CoUege, avait pris l'habitude
de réunir hebdomadairement chez lui quelques-uns de ses
confrères pour s'entretenir avec eux de leurs travaux , ainsi
que des recherches et des découvertes faites dans le do-
maine des sciences par les savants du continent. Mais les
passions politiques finirent par se glisser dans ces riMmions,
qui eussent dû rester toujours exclusivement littéraires.
Chassés d'Oxford par les passions et les tristes préoccupa-
tions du moment, ces savants se retrouvèrent plus tard à
Londres, et reprirent alors leurs conférences hebdomadaires, à
Gresham-Collége, entre les années 1658 et 1663. Ces réu-
nions, les matières qui y étaient di.scutées, les intérêts élevés
qu'on y traitait , attirèrent bientôt l'attention publique et
la sollicitude du pouvoir ; alors une charte spéciale, signée
par Charles II, autorisa et légalisa, à la date du 22 avril 1663,
l'existence d'une association dont les travaux , comme le
comprit parfaitement le gouvernement, étaient de nature à
favoriser les progrès des sciences.
Aux termes de sa charte d'institution , cette association
se recrute par voie d'élections faites au scrutin sur la pré-
sentation de candidats dont les membres précédemment ad-
mis se portent les parrains. Elle est dirigée par un président
et un conseil , produit également de l'élection. Le nombre
des membres est illimité. La société ne reçoit rien du
trésor public, et n'a pour subvenir à ses frais que ie-s con-
tributions annuelles de ses membres, qui s'élèvent en
moyenne à 60,000 francs , ainsi que les dons que lui font
des amis de la science, ou encore les legs et fondations ins-
titués à son profit par de généreux testateurs. Ajoutons
bien vite qu'en raison des libéralités de tous genres dont elle
a été l'objet, la Société royale est depuis longtemps en
état de soutenir la comparaison avec les académies du con-
tinent les mieux rentées par l'État. Chaque membre paye,
comme droit d'entrée , une somme de 10 livres sterling
( 250 fr.). Sans doute la fortune ou la protection des grands
ouvrent trop souvent, là comme ailleurs, la porte du sanc-
tuaire à des vanités sans aucune excuse; et le mérite
éminent y coudoie trop souvent la médiocrité audacieuse et
intrigante. C'est là un malheur et un abus; mais les acadé-
mies salariées aux dépens du trésor public en sont-elles
donc plus exemptes ? Au lieu de recevoir des je^o«5 de pré-
sence et des honoraires fixes, chaque membre résident paye
une contribution hebdomadaire de 1 shilling ( 1 fr. 25 c.)
SOCIÉTÉ ROYALE DE LONDRES — SOCIÉTÉS SECRÈTES
et une contribution trimestrielle de 1 liv. sterl-, d'où ré-
sulte pour lui une dépense annuelle d'environ 160 fr. Deux
secrétaires, soumis chaque année à une réélection nouvelle,
mais ordinairement réélus, reçoivent chacun 105 liv. sterl
de traitement (2,625 fr. ). La Société royale de Londres a
de plus un secrétaire spécialement chargé de ses relations
avec l'étranger ; mais elle ne lui accorde qu'un traitement
de 500 fr. Le plus rétribué de ses dignitaires est son secré-
taire assistant, lequel jouit d'un traitement annuel de
250 liv. sterl. (6,250 fr.). H a sous lui plusieurs aides. Chaque
année , deux lectures solennelles ont lieu dans le sein de la
Société royale ; et ces lectures , désignées sous les nom de
Fairchïld et de Bakerian lecture (du nom des fonda-
teurs), ont toujours pour objet quelque curieuse disser-
tation sur uu point de la science encore mal élucidé. C'est
un insigne honneur que d'avoir été choisi par le conseil de
Ja Société roijale de Londres pour faire la lecture ou la
leçon bakérienne; c'est ce qui explique pourquoi , en par-
courant la biographie des savants dont s'honore l'Angle-
terre, on rencontre souvent cette mention :« Il futadmis en
telle année à faire sa leçon bakérienne, » phrase qui fait
le désespoir de tout traducteur non au courant des usages
de la première corporation savante des trois royaumes.
Ajoutons encore, car ce détail n'est pas sans importance, que
le savant appelé à faire la lecture bakérienne reçoit une grati-
fication de4 liv. st. (lOOfr.). La Fairchïld lecture n(^ donne
droit qu'à 3 liv. sterl. (75 fr. ). En 1848 la Société royale
comptait 859 membres résidents , 15 membres honoraires
et 49 membres associés étrangers, pris ordinairement parmi
les sommités scientifiques de l'Europe. Nous avons soin de
dire ordinairement , car il est arrivé plus d'une fois à la
Société royale de se méprendre étrangement sur la valeur
relative des savants étrangers, et il n'y eut qu'un immense
éclat de rire en Europe quand on la vit , en 1828 , nommer
par acclamation , en remplacement d'un de ses plus illustres
associés étrangers décédé, M. César Moreau, professeur de
statistique de M. le duc de Bordeaux, président-fondateur de
V Académie de l'Industrie! Lord Rrougham, si nous avons
bonne souvenance, avait bien timidement hasardé la can-
didature de notre immortel Cuvier. h& protégé de lord
Broughara n'obtint que trois voix. Qu'est-ce donc que la
gloire ?
SOCIÉTÉ TYRAMNIQUE. Voyez Compagnies
(Grandes).
SOCIÉTÉS BIBLIQUES. Votjez Bibliques (Sociétés).
SOCIÉTÉS CIIAIVTAMTES. Voyez Caveau.
SOCIÉTÉS D'AGRICULTURE. Voyez Comices
Agricoles.
SOCIÉTÉS POPULAIRES. Voyez Club.
SOCIÉTÉS SECRÈTES. Toujours on voit les doc-
trines pour lesquelles la foule n'est point encore milre re-
vêtir la forme de mystères et de symboles, dont les initiés
seuls connaissent la véritable signification. La plujiart des
sociétés secrètes naquirent d'un irrésistible besoin de l'époque,
et furent un progrès. Mais on a vu tout aussi souvent
l'esprit dont elles étaient animées demeurer en arrière de
la vie populaire , et des associations jadis l'asile de la vér ité
et du progrès devenir des arsenaux et des pépinières pour
les préjugés et pour le fanatisme. Alors la grande majorité des
hommes qui en font [larlie doivent nécessairement finir par
ne plus être que d'aveugles instruments aux mains de quel-
ques chefs ambitieux. Voilà pourquoi le progrès, de même
que l'esprit rétrograde ou d'immobilité, et la liberté, comme
la réaction, ont si souvent trouvé des représentants et des
organes dans les sociétés secrètes. L'histoire des plus an-
ciens peuples civilisés nous offre déjà de nombreux exem-
ples de secrètes associations, notamment dans les traditions
des castes sacerdotales des Hindous, des Égyptiens et
autres, dans les mystères des Grecs, dans l'école si ré-
pandue des pythagoriciens , dans la secte juive des essé-
niens, etc. Le moyen âge eut ses iemp tiers, ses francs-
tiiges, la sainte hermandad en Espagne, et la franc-
245
maçonnerie. Au seizième siècle, la réformation fut un si grand
actede la vie publique, que les sociétés secrètes durent alors
pendant quelque temps perdre toute importance et tomber
dans l'oubli. Ce hit seulement lorsque la nouvelle doctrine
eut jeté de toutes parts de nombreuses et vigoureuses racines,
que la société des Jésuites se forma pour en arrêter la
propagation ultérieure. Les progrès des sciences et des lu-
mières, de même que la tardive opposition laite par la |)uis-
sance temporelle aux prétentions et aux usurpations de la
Société de Jésus, en avaient déjà brisé la puissance, quand
naquit l'association des lllumin es, dont la tendance était
diamétralement opposée à celle des Jésuites.
On vit en outre, à partir de la léformation, l'attrait tou-
jours nouveau du mystère provoquer la ciéalion d'une foule
d'autres associations secrètes , créées dans les buts et sous
les noms les plus différents ; par exemple, au dix-septième
siècle, la série d'illusions entretenues par quelques enthou-
siastes ou bien encore par des fripons habiles à exploiter
la crédulité du vulgaire en lui promettant la révélation de
mystérieuses connaissances, l'apparition des esprits et l'art
de faire de l'or {voyez Rosf.-Ckoix ). Vers le milieu et la fin
du dix-huitième siècle il se manilesta dans la plupart des
contrées de l'Europe des tendances autrement prononcées
encore vers les sociétés secrètes. C'est alors qu'il fut donné
à un C aglios tro de faire le thaumaturge, industrie dans
laquelle il eut pour émules, mais à longue dislance, les Al-
lemands Schrepfener et Gassner. La franc-maçonnerie, trans-
plantée d'Angleterre dans le reste de l'Euiope, put aussi
pousser de nombreux rejetons d'après le rite dit écossais,
pendant qu'on voyait naître, puis dis|)araître, un grand
nombre d'autres sociétés secrètes, pousuivant toutes des buts
plus ou moins différents, mais ne s'occupant en rien de po-
litique.
La révolution française , en faisant naître la foi en un
nouvel évangile de la libertéelen produisant une modification
complète dans les idées et les intérêts des masses, lut le point
de départ d'une série non encore épuisée de sociétés secrètes
purement politiques. Mais, de même que la réiormation au
seizième siècle, la première phase de cette révolution fut un
grand acte public où le peuple agissait par lui-même, et où
dès lors les sociétés secrètes, avec leurs moyens faibles et
détournés, n'étaient guère possibles. Il n'y eut alors que les
partisans intimidés de l'ancien ordre de choses, qui, n'osant
point eng.iger une lutte ouverte , se réfugièrent dans quel-
(pies sociétés secrètes. Mais quand Napoléon menaça d'é-
touffer la liberté en même temps que l'anarchie sous la
main de fer du despotisme militaire, on vit se former dans
le parti démocratique, notamment parmi les affiliés qu'il
comptait encore dans l'armée , de secrètes associations po-
litiques de la nature de celle des Philadelphes; et, en
dé|)it des poursuites rigoureuses dont elles étaient l'objet,
elles ne laissèrent pas que de subsister jusqu'à la chute de
l'empire. Les sociétés secrètes qui se formèrent hors de
France, surtout dans les pays où avait lourdement pesé le
joug de la France, eurent tout autrement d'importance;
par exemple, en Italie, celle des Carbonari, et en
Allemagne celle du Tugendbund. On peut dire à ce propos
que désormais tant qu'il s'agira pour un peuple de sauve-
garder sa nationalité et son indépendance à l'interi.ur
comme à l'extérieur, les sociétés secrètes auront toujours
un caractère essentiellement politique. VHétairie, fondée à
Vienne en 1814 par des Grecs pour secouer le joug des
Turcs , eut tout à fait ce caractère , plus national encore
que spécial ; il en a été de même des différentes sociétés
secrètes fondées en Pologne à partir de 1817 et ayant pour
but principal le rétablissement die l'indépendance polonaise,
entre autres la Société des Faucheurs et l'Association pa-
triotique. Cette dernière se mit en rapport avec une so-
ciété secrète existant en Russie, et dont les ramifications s'é-
tendaient surtout dans les provinces sud ouest de cet empire,
mais dissoute à la suite de l'insuccès de la conspiration qui
éclata à Saint-Pétersbourg après la mort de l'empereui
246
Alexandre. En 1828 il se forma en Pologne une autre société
secrète, d'abord au sein de l'école militaire de Varsovie , et
qui, transformée bientôt en grande Association de la Jeu-
nesse, donna le signal de l'insurrection de 1830. Quand plus
tard la Russie eut réussi à comprimer cette redoutable in-
surrection, les Polonais émigrés en France n'en continuèrent
pas moins à fonder dans leur pays diverses sociétés secrètes;
et en dépit de la répression sévère exercée par le pouvoir
toutes les fois qu'il a été amené à découvrir la trace de ces
menées, elles durent encore aujourd'hui.
Dans les États du midi et de l'ouest de l'Europe, à mesure
que la Restauration se jeta davantage dans les voies de la ré-
action, les sociétés secrètes prirent une couleur de plus en
plus politique et se proposèrent soit le renversement complet
du gouvernement, soit l'introduction des formes constitution-
nelles. Alors surgirent en Italie les carbonari , en Espagne
et en Portugal les sociétés de francs-maçons et de c om-
muneros. En France, ces sociétés se constituèrent
d'abord dans les intérêts de la dynastie napoléonienne,
puis, après la seconde restauration, avec un caractère
franchement révolutionnaire et sous différentes dénomi-
nations, par exemple : la Société de l'Épingle noire, l'As-
sociation des Patriotes de 1816, la Société du Vautour
et celles des Chevaliers du Soleil, des Patriotes européens,
de la Régénération universelle ,etc. Toutes se fusionnèrent
plus tard dans la Société des Charbonniers, fondée à Paris,
ville qui devint le foyer de la cliarbonnerie. En Allemagne,
il se forma, surtout dans les provinces rhénanes, une so-
ciété secrète qui emprunta beaucoup de ses idées au Tugend-
bund, mais qui dura peu, parce que bon nombre d'afliliés
crurent s'apercevoir que ses fondateurs avaient en vue bien
moins l'intérêt général de l'Allemagne que l'mtérêt particu-
lier de la Prusse. Plus tard , des rangs de la grande Bur-
schenscha/t sortit la Société de la Jeunesse, laquelle
agissait en opposition à une société aristocratique déjà fa-
meuse sous la dénomination de Chaîne de la Noblesse.
La révolution de juillet 1830 ouvrit une nouvelle phase
dans l'histoire des sociétés secrètes. C'est ainsi qu'on vit
surgir en France dans les rangs du parti carliste différentes
associations, telles que celle des Chevaliers de la Légiti-
mité, ayant toutes pour but le rétablissement de la branche
aînée de la maison de Bourbon sur le trône. Mais il s'or-
ganisa en même temps au sein du parti républicain une
nouvelle cliarbonnerie démocratique, et dans le sein de la
nombreuse Société des Droits de l' Homme, W se constitua
une société secrète particulière, dite Section d'action.
Quand les diverses tentatives révolutionnaires essayées
en Italie eurent été réprimées, il se forma sous la direction
de divers réfugiés, notamment de Mazzini, et en op-
position avec la charbonnerie française, IaJ eune I talie,
société secrète dont l'action dure encore. A la Jeune Italie
se rattachèrent une Jeune A llemagne , une Jeune Pologne,
wn^ Jeune France , une Jeune Sicile, etc., etc., les unes
etlesautres réunies sous le nom commun de Jeune Europe.
En Espagne, après la mort de Ferdinand VII , il se forma
en partie avec les débris d'anciennes sociétés secrètes et en
partie avec des membres de la franc-maçonnerie, de la
Carbonaria et de la Jeune Europe, une foule de sociétés
secrètes, telles que celles des Isabellinos, des Droits de
l'Homme, des Francs-Maçons irréguliers et de la Jeune Es-
pagne, fondée à Barcelone ; et dans un courant d'idées con-
traires il se créa aussi diverses sociétés carlistes. Il n'y eut
pas jusqu'au juste milieu lui-même qui ne fût représenté dans
ce mouvement des esprits par la société des Jovellanistes.
De même, en Portugal se constituèrent les sociétés des Sep-
iembristes, des C har listes , des Miguélistes, pour dispa-
raître, puis revenir bientôt sous d'autres dénominations.
En Allemagne, une partie de la Burschenscho/t pnt, mais
.seulement pour peu de temps et sous le nom d'Arminia ,
le caractère d'une association secrète composée en grande
partie d'ouvriers et ayant des tendances essentiellement dé-
mocratiques. De même, en Angleterre les loges d'oran-
SOCIÉTÉS SECRÈTES — SOCIN
gis te s, associations secrètes dévouées au parti tory, prirent
un caractère politique toujours plus prononcé ; comme aussi
en Irlande, à côté d'associations patentes, se formèrent, sous
les dénominations mystiques de capitaine Rock et de vieux
Terry , des sociétés secrètes ayant pour but la réparation
de toutes les injustices dont ce malheureux pays est l'objet
de la part de l'Angleterre. Indépendamment des grandes ré-
unions publiques de travailleurs qui eurent lieu en Angle-
terre {voyez Chartisme), il s'y organisa diverses associations
secrètes ayant pour but de faire augmenter le salaire des
classes laborieuses.
Après le sanglant avortement de la tentative d'insurrec-
tion faite en 1834 par le parti républicain dans les rues de
Lyon et de Paris, les meneurs se mirent à prêcher aux masses
qu'il n'y avait plus à espérer d'adoucissements à leurs souf-
frances que d'une complète modification des bases actuelles
de la propriété. Cette direction nouvelle, en éveillant les
craintes les plus vives dans les rangs de la bourgeoisie, de-
venue à son tour une aristocratie enviée et abhorrée, pro-
voqua entre elle et le prolétariat un antagonisme toujours
plus marqué. On vit alors le parti purement républicain re-
jeté à l'arrière-plan par les meneurs de la démagogie, ardents
et habiles à substituer aux vaines théories gouvernementales
qui avaient jusque alors préoccupé la foule les idées de po-
sitivisme et de matérialisme qui ont pris le nom de socia-
lisme ou de communisme, suivant la nuance qu'elles
affectent. C'est à cette phase nouvelle dans l'histoire des
sociétés secrètes que se rattachent les diverses sociétés qui
se produisirent dans les dernières années du règne de Louis-
Philippe sous les noms de Sociétés des Familles , des Sai-
sons, des Travailleurs, des Égalitaires, etc., affectant
toutes des tendances communistes auxquelles les événements
de 1848 n'ont pu que donner plus de force, en même temps
que leurs principes se répandaient de plus en plus parmi les
classes laborieuses des autres contrées de l'Europe. Le pou-
voir actuel se fait singulièrement illusion s'il croit être par-
venue les détruire parce que l'échafaud s'est déjà maintes fois
dressé pour d'obscurs fanatiques chargés d'assassiner le chef
de l'État. Elles sauront trouver encore bien d'autres séides.
SOCIN (LÉLius) naquit à Sienne, en 1525, et se des-
tina d'abord à la carrière du droit, qu'il abandonna bientôt
pour l'étude de la théologie. Animé de l'esprit libre-pen-
seur de son époque, il demeura convaincu que les dogmes
du catholicisme n'étaient que des opinions empruntées
à quelques philosophes grecs. Ses principes, que d'abord
il ne se piqua point assez de cacher, l'obligèrent à quitter
l'Italie. Après avoir erré pendant quatre ans en France,
en Angleterre, dans les Pays-Bas et l'Allemagne, et s'être
concilié dans ses voyages l'estime de Pierre Martyr, de
Zanchi, de Mélanclithon, de BuUinger et de Calvin lui-
même, Lélius Socin séjourna pendant plusieurs années à
Zurich, sans être jamais inquiété, parce qu'il garda tou-
jours en public la plus prudente retenue. Il montra moins
de circonspection dans ses lettres à sa famille, que par là il
livra aux coups de l'inquisition d'Italie. Quelques partisans
qu'il s'était faits en Pologne l'appelèrent dans ce pays, vers
l'an 1558. Les seigneurs polonais, jaloux des richesses au-
tant que de l'influence du clergé catholique, l'accueillirent
avec empressement. Le roi Sigismond II (Auguste), pé-
nétré du même esprit que sa noblesse, admit à sa cour le
hardi novateur, et le combla de marques d'amitié. Plus tard
il lui donna des lettres de recommandation pour aller en Ita-
lie recueillir la succession de son père ; lettres qui écartè-
rent tous les périls de ce voyage. Cesaffaires terminées , il re-
vint mourir à Zurich , le 16 mai 1562. Lélius Socin dépassa
en hardiesse tous les chefs de la réformation. Il enseigna
que Jésus-Christ, qui est plus qu'un homme ordinaire, mais
beaucoup moins qu'un Dieu, ne mérite point notre adoration ;
que lui-même, créé par le Dieu unique, souverain, doit à
son Créateur les hommages qu'il a droit d'attendre de toute
créature. Autour de cette hérésie principale il groupe des
hérésies accessoires, qui doivent en découler nécessaire-
SOCIN — SOCRATE
247
ment, telles que la non-consubstantialité, i'inutilité du bap-
tême, l'illusion de l'eucharistie et la non-existence du Saint-
Esprit comme personne divine. Cette doctrine, que, du nom
de son principal promoteur, on appela sociniuiiisme , n'é-
tait certes point nouvelle : née dans les premiers siècles
de l'ère chrétienne , elle avait été professée tour à tour et
successivement par Cérinthe, Carpocrate, Ébion , Élixai,
Valentin, Théodote de Byzance, Praxéas, Noétrius, Arius
et Priscilien. IUgen, biographe de Lélius Socin, lui attribue
un petit écrit sur le sup|)lice de Serve t, et une paraphrase
sur le commencement de l'Évangile de saint Jean.
SOCIN (Fauste), neveu du précédent, naquit également à
Sienne, en 1539. Enveloppé dans la suspicion que la corres-
pondance de Lélius Socin avait élevée contre sa (amille,
Fauste jugea prudent defuir, et se réfugia en France. Ayant
appris à Lyon la mort de son oncle, il se rendit prompleinent
à Zurich , afin de s'assurer de ses manuscrits; puis il crut
pouvoir sans danger revenir en Italie. 11 y fut accueilli très-
amicalement par le grand-duc de Toscane, qui même,
le fixa auprès de sa personne par de productifs et honora-
bles emplois. Fauste Socin vivait depuis douze ans à la cour
de Florence, lorsqu'il sentit fermenter dans sa tète les idées
que les lettres de son oncle y avaient jetées. Désireux de
répandre les principes antilrinitaires, mais sentant l'in-
suffisance où le tenait son éducation négligée, il alla à Bàle
suivre un cours de théologie. Après un séjour de trois ans
dans cette ville, il se rendit en Transylvanie, où l'appelait
Blandrata , médecin de Jean Sigismond , prince souverain
de cette contrée. Pour l'aider dans une controverse qu'il avait
entreprise contre un évèque du pays, Fauste passa ensuite
en Pologne. Là lui était réservée la rude tàclie de concilier
les disciples de son oncle, divisés en sectes nombreuses,
toutes vivement acharnées les unes contre les autres. En
même temps il terrassait les docteurs protestants dans une
conférence théologique au collège de Posen , en leur oppo-
sant les raisonnements qu'eux-mêmes opposaient à l'Église
romaine. Irrités de ses (irodigieux succès, ses ennemis ameu-
tèrent contre lui la populace fanatique de Varsovie, qui se
porta aux plus grands excès sur sa personue, envahit sa mai-
son, brisa ses meubles, détruisit ses manuscrits et pilla sa bi-
bliothèque. Fauste Socin se retira chez un de ses amis, dans
le -village de Luclavie, où il mourut, le 3 mars 16U4. l'auste
Socin n'ajouta rien aux principes de son oncle ; mais par
sa persévérante ardeur à les propager, par son courage à
les défendre contre toute opposition chrétienne, par son
adresse à ramener dans l'unité leurs zélateurs, toujours en-
clins à se désunir, il s'est fait une renommée qui égale au
moins celle de Lélius. Pour ce qui concerne ses ouvrages,
comme ils ne faisaient que reproduire, quant au fond, les
idées de son prédécesseur, sans leur donner un nouvel at-
traitpar la forme, il sont tombés dans un oubli complet, dont
nulle circonstance ne saurait plus les tirer. E. Lavigne.
' SOCINIANISME , ensemble des doctrines professées
par les S o ci nie n s.
SOCINIENS. On appelle ainsi les partisans des opi-
nions rehgieusesde Lélius et de Fauste Socin. Ils existent
encore sous le même nom en Pologne et comptent en Tran-
sylvanie, sous le nom à'ttnitaires, un grand nombre de com-
munautés florissantes. Odieux à toutes les communions chré-
tiennes, aux catholiques comme aux protestants, le socia-
nisme est le vrai précurseur du ratio na 1 is me moderne.
Les docteurs sociniens les plus célèbres sont Jean Crellius,
Christophe Saudius, Conrad Worstius et surtout André
Wessowatz, petit-fils de Fauste Socin.
SOCLE. Voyez Piédestal.
SOCOTORA. Voyez Sokotora.
SOCUATE n'est plus le premier, mais il est encore le
plus célèbre de tous les philosophes. Fils du sculpteur So-
phionis(]ue et de la sage- femme Phénarète, il naquit à
Athènes , quatre cent soixante-dix ans av. J.-C. Il est vrai-
semblable qu'il passa sa jeunesse à travailler dans l'atelier
(ie son père. S'il faut en croire la tradition , il atteignit même
dans la sculpture un tel degré de perfection, que ses statues
voilées des Grâces furent jugées dignes d'être placées à la
porte de l'Acropolis, où Pausanias dit les avoir vues. Ce-
pendant, aidé des conseils et des secours d'un riche Athé-
nien, appelé Criton, il abandonna bientôt l'art pour se
livrer à la science , ou du moins à la méditation sur la sa-
gesse. Un oracle dit à ses parents de ne pas s'opposer à cette
résolution, qu'ils le voyaient prendre avec chagrin, mais que
lui avait suggérée sans nul doute ce démon ou ce guide
intérieur dont la voix, à l'entendre lui-môme, réglait toutes
ses démarches. Que ce démon , qui a été chez les anciens
et chez les modernes l'objet d'une grande attention et de
beaucoup d'hypothèses, ait été dans la pensée de Socrate
un génie protecteur, ou qu'il ait été tout simplement dans
son langage la personnification d'une conscience tendre et
d'une iidelligence méditative, sa résolution une fois prise
fut invariable ; et , quelle qu'en ait été l'origine , il s'appliqua
pour l'accomplir aux études les plus élevées. Il s'occupa de
toutes les questions de philosophie; mais ce fut surtout à
la philosophie morale et politique qu'il s'attacha , et à la-
quelle il donna une face et une importance nouvelles. On
ignore qui furent ses maîtres. Les historiens anciens citent
Daman , Anaxagoras et Archélaiis, deux philosophes d'Ionie.
Il est douteux qu'il ait reçu des leçons d'Anaxagoras ; mais,
d'après Platon, il en lut les écrits avec une extrême ardeur
et avec une grande intelligence de ce qu'ils laissaient à dé-
sirer. Il (!Sl vraisemblable qu'il sut mettre à profit le séjour
que les sophistes les plus fameux venaient alors faire fré-
queunneut à Athènes. Mais il n'avait pas tardé à se <iégoùter
de spéculations, qui, si subtiles qu'elles fussent, laissaient
I sans aliments ses besoins pratiques; et, cessant de vouloir
i pénétrer d'abord les mystères les plus élevés, il rentra dans
j le domaine vraiment humain, et fit de l'homme, et en
premier heu de lui-même, sa principale étude. Bientôt ou
le vit parcourir dès le malin les rues et les places publiques
d'Athènes, parlant à tous ceux qu'il rencontrait des devoirs
imposés par la religion , cherchant à développer en eux le
goût du beau et du bon, et les exhortant à la vertu. Si
plus d'une fois il eut à essuyer les mépris de la vanité et
delà sottise, peu à peu son cortège se grossit de tout ce
qu'Athènes couiptait d'hommes distingués et désireux de
s'instruire. Alcibiade , Criton , Xénophon , Antisthène , Aris-
tippe, Phédon , Escliine , Céhès , Simmias, Euclide, Platon,
reconnaissaient Socrate pour leur maître et écoutaient avec
avidité ses leçons. Elles étaient données d'une manière neuve,
et offraient un singulier attrait. Enseignant dans les places
publiques , dans les gymnases et les jardins d'Athènes , quel-
quefois même dans les ateliers , il ne songeait pas à discuter
ces principes •généraux dont on a coutume de déduire des
systèmes. Il ne prenait pas le rôle d'un maître qui enseigne,
c'était au contraire celui d'un interlocuteur désireux de s'ins-
truire qu'il choisissait. Il posait une question ; la réponse
fournissait,matière à une autre ; et de question en question,
de réponse en réponse, il amenait ses interlocuteurs à trouver
eux-mêmes la solution , tout en conservant à chacun d'eux
sa hbre individualité et son indépendance naturelle. Mais
quand il avait affaire à des gens gonfiés de vanité et fiers
de leur sagesse, il se faisait sophiste pour combattre les
sophistes; et alors rien de plus adioit que les moyens par
lesquels il les amenait à convenir de leur ignorance ou même
de leur mauvaise foi , rien de plus fin que l'ironie dont il
assaisonnait ses raisonnements captieux. Cette méthode de
philosopher a été appelée, de son nom, la méthode socra-
tique , méthode composée d'une analyse qui amenait à sa
suite une série d'inductions propres à éclairer l'intelligence,
et d'une ironie qui amenait aussi une série d'aveux propres
à guérir le cœur. Mais ce qui est toujours le plus important
après la méthode d'un philo.sophe, c'est sa doctrine. Celle
de Socrate embrassait la religion, la morale et la politique,
et approfondissait particulièrement la psychologie.
Socrate reconnaissait l'existence d'un Dieu, puissant, d'une
sagesse et d'une bonté absolues. Il puisait ses preuves dans
248
SOCRATE
cet ordre d'idées qu'on apfielle aujourd'hui la (éléologie,
c'est-à-dire dans l'étude de l'harmonie de l'univers et de
Tadmirable organisation du corps humain , qui est une
sorte d'abrégé de l'univers. Au-dessous de l'Être suprême,
il admettait des divinités secondaires, revêtues d'ime partie
de son autorité et dignes encore de culte des hommes. Nous
l'avons déjà dit, Socratc lui-même s'attribuait, depuis sa
jeunesse, un génie dont la voix le guidait, plutôt néanmoins
en le détournant des actes qui pouvaient être nuisibles qu'en
lui donnant des directions positives. On a cru que ce piii-
losophe n'a feint de recevoir des inspirations supérieures
qu'à l'imitation d'autres législateurs de l'antiquité. Socrate,
dit-on, n'a fait cela que pour se donner plus d'importance
aux yeux de ses disciples et obtenir sur eux un empire
plus absolu. Mais cette assimilation est gratuite. Non-seu-
lement rien dans le caractère du sage ne justifie l'hypo-
thèse d'une fiction, mais encore dans .sa vie et dans ses ré-
solutions les plus graves on le voit suivre pour lui seul les
avertissements de ce génie, sans prétendre, par suite de
cette faveur divine, à quelque ascendant où à quelque au-
torité sur ses concitoyens. L'unique domination à laquelle
il aspire , c'est toujours au nom de la raison qu'il la réclame.
Il est donc hors de doute qu'il croyait lui-même aux avis de
son démon; et plus ses lumières étaient supérieures, plus
elles l'exemptaient de toute superstition comme de toute
tromperie. On voit dès lors à quelles doctrines a dû arriver
l'intelligence de Socrate au sujet des dieux de son pays. Qu'il
ait professé en son for intérieur une sorte de monothéisme ,
tout en reconnaissant dans les divinités de son pays des
manifestations de l'Être suprême , ainsi que fit son disciple
Platon, et que (it plus tard Cicéron , qui résuma toute la
Grèce, cela ne saurait plus être aujourd'hui l'objet d'un
doute.
La morale de Socrate, d'accord avec sa théologie, fondée
sur l'existence de Dieu et l'immortalité de l'àrne, était
toute religieuse. Il ne reconnaissait pour générales et né-
cessaires que les prescriptions de la raison , qu'il consi-
dérait comme des émanations de la volonté divine , et qu'il
appelait en conséquence lois non écrites . données par les
dieux , par opposilion aux lois de l'État, faites par les
hommes. « Sois vertueux pour être heureux, » Sa morale
reposait en dernière analyse sur cette maxime si chanceuse,
qui expose à tant de mécomptes. Aussi Socrate faisait-il
dépendre des circonstances l'accomplissement des devoirs.
Il recommandait cependant d'une manière toute spéciale la
crainte de Dieu , qu'il regardait comme la source de toutes
les vertus; la continence, la bravoure et la justice. La vertu,
selon lui, tantôt est chose naturelle, tanlôt chose procurée
par l'éducation, la pratique. Il considérait, enfin, la sagesse,
qu'il ne distinguait pas assez d'une sage modération, comme
le résumé de toutes les vertus, ou du beau et du bon,
comme la source nécessaire du bonheur ; le bien-faire et le
bien-être, qu'il rendait par un seul mot (eùnpaÇia), étant
si intimement unis, qu'ils (orment le but le plus élevé que
puisse se proposer l'homme, le bien souverain de l'hu-
manité.
Tels sont les traits généraux de cette éthique dont il fît
une science, qu'il légua belle et grande à Platon, et que
Platon transmit riche et fleurie à l'école d'Aristote. Mais on
conçoit que des traits détachés ne présentent qu'une faible
idée de cet enseignement si vif, si direct , si plein de finesse
et de profondeur, de feu et d'élévation , que donnait un sage
dont la vie fut une existence tout entière consacrée à l'idée
du devoir.
La législation d'Athènes , à peu près nulle pour la mo-
rale, était précise et sévère pour la religion. Elle portait la
peine de mort contre tout citoyen qui attaquerait les dieux
du pays. Socrate n'attaquait pas directement la religion de
sa patrie, mais il voulait épurer les croyances et substituer
au Jupiter corrompu , souillé de toutes les faiblesses, de tous
les vices de la^réature, un Dieu parfait, n'ayant en vue
que le perfectionnement et le bonheur de l'espèce humaine.
11 faut convenir que sa doctrine devait peu à peu saper le
polythéisme et élever le monothéisme sur ses ruines. Les
prêtres le sentirent bien. Ils reconnurent en Secrate le con-
tinuateur le pins dangereux de tous ces philosophes qui
depuis Thaïes avaient déjà porté tant de coups à la reli-
gion ; et ils lui vouèrent une haine qui ne fut satisfaite que
par sa mort. D'un autre côté, les sophistes , démasqués et
décrédités par Socrate , les auteurs dramatiques, dont il avait
poursuivi la licence d'un blâme sévère, les démagogues, qu'il
n'avait pas craint de convaincre d'incapacité et de mauvaise
foi , employaient leur crédit à exciter les antipathies et les
haines populaires contre le philosophe. Cette intrigue paraît
avoir pris naissance de bonne heure , puisque la représenta-
tion des Nuées d'Aristophane , pièce remplie des insinua-
tions les plus perfides, est antérieure de vingt-quatre ans
environ au procès de ce sage. Cette intrigue d'abord était
faible, et Socrate avait assisté lui-même aux Nuées. Cepen-
dant, la calomnie était allée en augmentant depuis cette
époque, et les circonstances politiques finirent par lui don-
ner une puissance mortelle.
La politique d'Athènes, depuis que l'aristocratie avait ren-
versé la royauté , était dominée par ces deux questions :
le moyen de vaincre Sparte ( c'était la question extérieure ) ,
et le moyen de mettre la démocratie à la place de l'aristo-
cratie (c'était la question intérieure). Déjà la démocratie
était avancée : elle touchait à l'ochlocratie. Aux yeux de So-
crate elle était déjà trop loin ; et ce penseur, comme le
firent depuis tous les philosophes de son école , n'avait ja-
mais dissimulé son mépris pour un gouvernement où le gros-
sier citoyen régentait les esprits les plus élevés. Il n'avait
laissé échapper aucune occasion de s'égayer aux dépens de
Ces cordonniers, de ces maréchaux ferrants et de ces char-
pentiers, qui prétendaient mener la république sans rien en-
tendre aux affaires de l'État ; il n'avait pas épargné davan-
tage les institutions , et cependant elles étaient chères au
peuple. Un philosophe pouvait apprécier autrement les ins-
titutions qui charmaient les Athéniens: elles étaient vi-
cieuses en effet; mais Socrate aurait dû signaler ce vice
avec les formes de la douceur, sans trop irriter les esprits.
Ses censures avaient vivement irrité une multitude jalouse
de ses droits , et les démagogues firent servir avec succès
les idées aristocratiques de Socrate à sa perte. D'autres con-
jonctures tournèrent contre le philor-ophe. On sortait de la
guerre du Péloponnèse ; la démocratique Athènes avait suc-
combé dans sa lutte contre Lacédémone, qui depuis si
longlemps, depuis les Pisistratides, prétendait lui imposer
des institutions aristocratiques , et Sparte , devenue mai-
tresse d'Athènes, avait aboH ce même gouvernement popu-
laire que Socrate avait si vivement combattu. Les mœurs
d'Alcibiade, disciple du sage réformateur, n'avaient pas été
propres non plus à rendre la multitude favorable à un phi-
losophe que des poètes accusaient de corrompre la jeunesse;
et la conduite politique de ce fameux général qui avait
trahi Athènes pour Sparte, et Sparte pour la Perse, sem-
blait confirmer encore les soupçons qu'on nourrissait depuis
longlemps contre l'audacieux réformateur. Le moment de
l'accuser était venu : il ne manquait plus qu'un chef qui se
chargeât d'être l'interprète de tant de colères amassées.
Anytus se présenta, Anytus soutien de la démocratie et
ennemi personnel de Socrate, qui l'avait profondément
blessé en plusieurs circonstances. Un seul obstacle semblait
devoir s'opposer à tout projet de poursuite : c'était le dé-
cret d'amnistie générale rendu après la délivrance d'Athènes
par T h rasybule, et qui imposait un silence absolu sur
tous les événements antérieurs à l'expulsion des trente tyrans.
On choisit donc un autre moyen d'accusation, et il fut dé-
cidé que Mélitus , poète sans talent , dénoncerait Socratft
comme ayant introduit sous le titre de génies de nouvelles
divinités et corrompu la jeunesse d'Athènes par des maxi-
mes subversives de la constitution. Socrate ne se dissimula
pas le danger qu'il courait ; mais plein de confiance dans
sa vie passée , et ne craignant pas la mort , il ne voulut ni
SOCRATE
249
descendre aux sollicitations, ni permettre à ses amis de
recourir à quelque faiblesse : il refusa le plaidoyer que
L y s i a s , le piu« ct^lèbre des orateurs du temps, avait com-
posé pour le défendre. Il comparut donc devant le tri-
bunal des Héli as tes , composé d'environ cinq cents juges,
tirés des dernières classes du peuple. Au lieu de* chercher
à fléchir leur sévérité par des concessions ou des désaveux,
U proclama sa foi à ce génie dont on lui reprochait d'avoir
fait une divinité. Il en déclara les avertissements des voix
mille fois préférables aux indications que donne le vol des
oiseaux. Il ajouta cette menace : « Si vous me renvoyez
absous à condition que je cesserai de philosopher, je vous
répondrai sans balancer : Athéniens, je vous honore et je
vous aime ; mais j'obéirai plutôt à Dieu qu'à vous , et tant
que je respirerai , je ne cesserai de tenir à tous ceux que
je rencontrerai mon langage ordinaire. Oh, mon ami ! com-
ment ne rougis-tu pas de ne penser qu'à amasser des ri-
chesses, à acquérir du crédit et des honneurs, sans t'oc-
cuper de ton âme et de son perfectionnement! » Et cepen-
dant , malgré cet inconcevable plaidoyer, il ne s'en fallut que
de trois voix pour que le sage fût absous !
Il fut déclaré coupable. La loi ne déterminant pas de peine,
il pouvait, d'après la législation athénienne , se condamner
lui-même et changer la peine de mort, demandée par
Mélitus, en un exil, en une amende. Mais en agissant ainsi
il s'avouait coupable. 11 ne le voidut pas , et à ses autres
torts il ajouta une ironie sublime. Il se condamna à être
pour le restant de ses jours nourri dans le Prytanée aux
dépens de la république. Cette réponse parut le comble de
l'audace; quatre-vingts juges, qui lui avaient été favorables
d'abord, se déclarèrent contre lui : il fut condamné à
mort.
Socrafe, qui ne se regarda jamais comme coupable, ne
s'irrita pas de sa condamnation, et ne chercha pas à éviter
la mort dont elle le frappait. Un de ses disciples s'étant ap-
proché de lui au moment où on allait le reconduire en pri-
son pour lui témoigner sa douleur de le voir mourir inno-
cent : « Aimerais-tu mieux , lui dit-il , que je mourusse
coupable ? » L'exécution fut différée jusqu'au retour de la
galère sacrée, qui devait partir le lendemain de la sentence
pour porter au temple d'Apollon à Délos les offrandes d'A-
thènes; car la loi défendait de mettre à mort pendant tOBt
le temps qu'elle était en mer. Trente jours s'écoulèrent
ainsi, trente jours pendant lesquels le philosophe continua
d'instruire ses disciples avec autant de tranquillité d'âme
qu'avant sa condamnation. « Us peuvent me tuer, ils ne
peuvent me faire de mal. » Le dernier jour de Socrate
se leva. On vint lui annoncer qu'il allait mourir, et on lui
fit ôter ses fers. Ses disciples et sa famille arrivèrent. Ils
trouvèrent dans la prison sa femme Xantippe, tenant dans
ses bras le plus jeune de ses enfants , et s'abandonnant aux
manifestations du plus bruyant désespoir : on fut obligé de
l'arracher de ces lieux. Ce fut alors que commença cet
entretien sur l'immortalité de l'âme dont Platoii nous a
conservé l'esquisse ou l'amplificalion , on ne saurait dire
laquelle des deux , sous le litre de Phédon. Cependant ,
le crépuscule annonçait au philosophe l'approche de sa
dernière heure. Il ordonna de broyer le poison , et se fit
apporter la coupe de ciguë , qu'il prit d'une main ferme,
et qu'il avala lentemenî au milieu des pleurs et des gémis-
sements de ses amis. Il se mit ensuite à se promener jus-
qu'à ce qu'il sentît ses jambes s'appesantir; puis il se
coucha sur le dos ; « Criton, s'écriat-il tout à coup, nous
devons un coq à Esculape ; n'oublie pas d'acquitter cette
dette. M Est-ce au dieu de la convalescence que s'adressait
cet hommage , et Socrate envisageait-il la mort comme le
dernier terme d'une lente guérison , ou bien l'Athénien le
plus soumis aux lois de la république n'aurait-il fait en ces
mots qu'une concession aux croyances de son pays ? On
l'ignore. Socrate, se couvrant la tête de son manteau, expira,
l'an 400 av. J-C. Bientôt après sa mort les Athéniens
se repentirent du jugement qu'ils avaient rendu contre
lui. Ses accusateurs furent sévèrement punis, et une statue
de bronze fut élevée à leur victime.
L'amour du bon et du beau , le besoin de se nourrir de
la contemplation de l'un et de l'autre et de les faire prédo-
miner autour de lui, au mépris de tous les périls; l'horreur
du vice, considéré comme erreur et source du mal; une
indulgence pleine de bonté pour les défauts d'autrui , unie
à une sévérité extrême pour lui-même; une patience que sa
femme Xantippe mit à de rudes épreuves, mais sans la lui
faire perdre un instant; un désintéressement queses enne-
mis mêmes n'osèrent jamais mettreen doute; la tempérance,
la modération en toutes choses ; une égalité d'humeur inal-
térable, une sérénité qui fut la gaieté la plus constante, et
un respect profond pour le sacerdoce moral que lui avait
imposé la Divinité, tels sont les principaux traits de la vie
de Socrate. Quant au courage , il en donna des preuves
brillantes dans ses différentes campagnes, et au siège de
Potidée, et à la malheureuse bataille de Délium. Son cou-
rage civil égalait son courage militaire : il le fit voir lorsque,
seul de tous les prytanes, il osa braver les fureurs d'une
multitude en démence, qui demandait à grands cris la
mort des amiraux vainqueurs à la bataille des Arginuses,
et qu'une tempête avait empêchés de donner la sépulture
aux guerriers morts dans le combat. Cependant, si hautes
que fussent les vertus de Socrate , elles n'ont pu vaincre
quelques défauts. Il avait en lui-même une confiance
poussée quelquefois à l'excès, qui le portait à mépriser l'o-
pinion publique et à s'attaquer trop librement aux lois fon-
damentales de l'État. On l'a accusé de bigamie, et l'on dit
qu'à côté de Xantippe il avait une seconde femme, Myrto,
Le nom de Myrto n'est prononcé par aucun de ses disciples,
et l'on a parfaitement établi la fausseté de celte aliénation.
On a fait planer sur Socrate le soupçon d'avoir entretenu
avec Alcibiade et d'autres jeunes hommes d'Athènes des
relations coupables. Cette accusation en est devenue une
contre ceux dont l'imagination l'avait créée, et il n'était
pas besoin qu'elle fût combattue aussi savamment qu'elle
l'a été dans un ouvrage que , malgré son noble but, on doit
laisser enseveli d^ns l'oubli où il est tombé. On aurait re-
proché avec plus de raison au plus sage des Grecs d'avoir
honoré de sa présence la maison de la courtisane Théodota,
sans parler de celle d'Aspasie, et d'avoir poussé l'amitié
pour Alcibiade jusqu'à l'indulgence la plus tolérante. On
eût blâmé avec justice aussi son mépris pour les professions
utiles, et ce principe, « qu'il n'est pas injuste en soi de
nuire à ses ennemis»; son admiralion outrée pour Thémis-
tocle, dont les vertus étaient ternies par tant de vices, et
enfin le peu de soin qu'il eut de défendre ses jours, ce qui
semble annoncer une lassitude et un dégoilt pour la vie
tout à fait indignes d'un sage. Mais ces défauts, si graves
dans la vie d'un tel homme , sont rachetés par tant de
vertus, qu'on se sent désarmé en voulant les critiquer. On
peut dire de Socrate que son âme était aussi belle que son
corps était laid. Cette laideur est un fait attesté par les
monuments de l'art comme par les traditions de l'histoire.
Platon donne à Socrate un nez retroussé, des lèvres épaisses,
des yeux proéminents, un cou gros et court, une vraie
figure de Silène. Socrate avouait lui-même qu'il avait eu
tous les vices que son extérieur paraissait révéler au génie
scrutateur du peintre Zopyre.
Ce philosophe n'a pas écrit. Diogène de Laerte a conservé
un fragment d'un hymme qu'il aurait composé en l'honneur
d'Apollon et une fable d'Ésope qu'il aurait mise en vers.
Ces deux pièces, si elles sont authentiques, ne donnent pas
une haute idée de l'écrivain. Ses disciples, surtout Xénophon
et Platon, lui prêtent des paroles plus belles; mais il est
difficile de démêler celles qu'ils lui empruntent et celles
qu'ils lui prêtent. Les successeurs de Platon et de Xénophon,
les philosophes de tous les siècles , se sont préoccupés de
Socrate comme du véritable père de la philosophie. On ne
saurait nommer tous les ouvrages qui s'attachent à expliquer
sa vie ou sa doctrine. U en est un grand nombre qui Irai.
250
SOCRATE
tent spécialement de son génie, ou prétendu démon familier.
Du reste, sa philosophie a fait son temps, et peu impor-
tent aujourd'hui sa vie , son génie , son procès et sa mort ;
ce qui seul aura toujours une valeur inaltérable, c'est sa
métliode. Cette méthode a été l'objet d'une foule d'écrits
spéciaux. Matter.
SOCRATIQUES (Écoles). On appelle ainsi : 1» l'école
de Mégare, fondée par Euclide; 2° l'école cyrénaïque, par
A r i s t i p p e ; 3° l'école cynique, par A n t i s t h è n e ; 4° l'école
d'Élée, par Phédon; 5° l'école académique, par Platon.
L'école péripatéticienne, fondée par A r i s t o t e , fut la fille de
l'académie plutôt que de l'école socratique. D'autres écoles
encore, celles des pyrrhoniens, des liérilliens , des épicuriens
et des stoïciens, qui se formèrent par la suite, se ratlaclient
encore à celle de Socrate, mais en ce sens seulement qu'elles
en saisissent et développent quelque principe isolé, sans
suivre d'ailleurs le véritable esprit du maître.
SODA. Voyez Gastralgie.
SODA-WATER. Voyez Limonade.
SODEN, bourg du duché de Nassau, à 146 mètres au-
dessus du niveau de la mer, dans une gracieuse vallée du
mont Tliaunus, à environ un myriamètre de la ville de
Hœchst, à laquelle il est relié ainsi qu'à Francfort par
un chemin de fer, est célèbre par ses nombreuses salines,
qu'on exploite pour en extraire du sel ordinaire, et qu'on uti-
lise aussi pour bains, parce que les médecins les considèrent
comme spécifiques pour le traitement de diverses affections.
Aussi le nombre des baigneurs s'y élève-t-il chaque saison à
plus de huit cents, tandis que le chiffre de sa population (ixe
ne dépasse pas six cents âmes. Leseaux deSoden, qui s'em-
ploienttantà l'intérieur qu'à l'extérieur pour bains, produisent
des effets différents suivant les sources où on les puise, et
qui contiennent plus ou moins de sel, de fer et d'acide carbo-
nique. On les recommande dans diverses maladies de la poi-
trine, des glandes et du bas-ventre.
Il y a aussi une ville du même nom, avec 1,000 habitants
et des sources d'eau saline, dans le bailliage de Salniunster,
Hesse électorale.
SODI (JM. La découverte de ce métal est due à sir Hum-
phry D avy. Le premier il a obtenu cette substance en expo-
sant un ; petit morceau de soude au pôle négatif d'une
forte pile voltaïque. La surface du morceau de soude
avait été préalablement humectée. Les quantités de sodium
qu'il est possible d'obtenir ainsi par l'appareil voltaïque
sont toujours si faibles, qu'on a cherché avec empressement
les moyens de s'en procurer avec assez d'allondance pour
en constater rigoureusement les propriétés; et aujourd'hui
on montre dans les cours de chimie, et dans la plupart des
laboratoires et des magasins de produits chimiques, d'assez
fortes masses de sodium. Qu'on prenne un canon de fusil
très-propre dans son intérieur; qu'on en courbe la partie
moyenne et l'un des bouts , de manière à le rendre parallèle à
l'autre ; que l'on couvre ensuite cette partie moyenne d'un
lut inl'usible, et qu'on la remplisse de limaille de fer, ou
mieux de tournure de fer bien pure; puis, qu'on dispose ce
tube, en l'inclinant, sur un fourneau à réverbère de labo-
ratoire; qu'on introduise de la soude bien pure dans le bout
supérieur, et qu'on adapte une allonge bien sèche, portant
ua tube bien sec lui-même, au bout inférieur (les pro-
portions de fer et d'alcali à employer sont trois parties du
premier et deux parties du second ; mais on peut les faire
varier) : l'appareil ainsi disposé, on fera rougir fortement le
canon de fusil , en excitant la combustion des charbons au
moyen d'un soufflet de forge ou d'un tuyau de tôle qui déter-
mine une plus forte aspiration. Lorsque le tube est extrême-
ment rouge, on fond peu à peu l'alcali, qui par ce moyen est
mis successivement en contact avec le fer, et converti pres-
que entièrement en métal (sodium). Dans cette opération il
se dégage, tandis que le métal se volatilise, beaucoup de gaz
hydrogène, qui quelquefois est très-nébuleux, ce qui pro-
vient de l'eau que contient l'alcali. On est même averti que
l'opération touche à sa fin quand le dégagement de gaz cesse.
SOEMMERTNG
' Alors on retire du feu le canon , qui n'a nullement souf-
fert si les luts ont bien tenu , et qui au contraire est fondu
si les luts se sont détachés : on le laisse refroidir, et on en
coupe l'extrémité inférieure près de l'endroit où elle sortait
du fourneau. C'est à celte extrémité inférieure, et en partie
dans l'allonge, qu'on trouve le sodium : on l'en retire en le dé-
tachant à l'aide d'une tige de fer tranchante, et on le re-
çoit, soit dans du naphte, soit dans une petite éprouvette
bien sèche. Pour l'obtenir plus pur encore , on le passe au
travers d'un nouet de linge dans le naphte même, à l'aide
d'unetempératureetd'unecompression convenables. Le métal
ainsi préparé est pur; il ne contient ni fer ni alcali, et
peut se conserver indéfiniment dans l'huile de naphte. L'é-
clat métallique du sodium est fort considérable : sa couleur
est à peu près celle du plomb. Il a un poids spécifique
de 0,97223. Il est donc plus léger que l'eau. Fusible à 90°
centigrades, il ne se volatilise pas encore à la température de
fusion du verre à vitres ordinaire. L'air atmosphérique
ne lui fait pas éprouver de changement sensible, pas même
l'oxygène pur, si ces gaz sont bien secs et si la température
est basse; mais si on vient à le fondre au contact de l'air, il
brûle avec un dégagement énorme de chaleur et de lu-
mière : cet effet est surtout remarquable dans le gaz oxygène.
L'oxyde produit dans cette combustion n'est pas la sonde
telle que nous la connaissons, c'est de la soude suroxygénée;
c'est un corps de couleur jaune. L'eau est très-facilement
décomposée par le sodium, même à la température ordinaire.
En enlevant ainsi l'oxygène à l'hydrogène de l'eau, le so-
dium passe à l'état de soude ordinaire. La différence entre
ce produit et celui qu'on obtient par la combustion sèche du
sodium prouve que la soude n'est pas un oxyde aumaximum.
D'expériences et de raisonnements, on doit conclure que la
composition de la soude est : Sodium 100 et oxygène 33,995.
Le sodium s'unit au soufre et au phosphore; il est l'unde.s
éléments du chlorure de sodium ( voyez Sel) , il s'allie au
mercure, à l'antimoine, au tellure, à l'arsenic, en dégageant
de la chaleur et de la lumière. Il est probablement susceptible
d'autres combinaisons, qui n'ont pas encore été examinée.?.
Chauffé dans le gaz oxyde d'azote, le sodium brûle en lançant
des étincelles : dans ce cas il produit un oxyde au maximum
et ensuite du nitrite de soude. En résumé, on connaît trois
oxydes de sodium. Le premier, au minimum d'oxydation,
est une substance d'un gris blanc, sans éclat métallique, cas-
sant, susceptible de donner de l'hydrogène quand on la met
en contact avec l'eau, mais moins que le sodium; le second
(oxyde au médium) est la soude que chacun connaît; enfin,
le troisième (oxyde au maximum), dont il a été parlé plus
haut, a une couleur jaune verdâtre ; il est moins fusible que
la soude. Plongé dans l'eau, il perd de l'oxygène, et se ré-
duit à l'état de soude, qui reste en dissolution. Chauffé avec
le phosphore, le charbon et l'étain, il brûle ces corps, en
se désoxygénant et passant à l'état de soude.
Pelouze père.
SODOM A, peintre italien. Voyez Razzi ( Giovanni-An-
tonio).
SODOME, ville de la Palestine, était située à la
pointe sud et sur la rive occidentale du lac Asphallite, autre-
ment appelé xnev Morte on mer Salée, et Go m o rrh eà
la pointe septentrionale. Toutes deux, à l'époque d'Abraham
et (le Lot, disparurent, ainsi que la ville de Seboïm, à la
suite d'une catastrophe volcanique, qui bouleversa la plaine de
Siddim, où elles étaient bâties et que recouvrirent les eaux
du lac Asphallite vers le nord.
SODOR. Voyez Man ( lie de).
SOEMMERirVG ( Samuel-Thomas de), l'un des phyr
siologistes et des anatomistes les plus distingués qu'ait pro-
duits l'Allemagne, naquit en 1755,à Tliorn,mounità Francfort,
en 1830, et fut reçu docteur à Gœtlingue en 1778. Le nombre
de ses ouvrages est immense; ils lui assignent une place ho-
norable entre les Bichat,lesHunter, les Meckelet lesScarpa.
Nous mentionnerons plus particulièrement ceux qui ont
pour titre : De basi encephali et originibus nervorum ex
SŒMMERING — SOHL
351
cranio egredientium ( 1778) ; De Corporis humani Fa-
brica (6 vol., Francfort, 1794-1801); De M orbis vasorum
absorbentium corporis humani (Francfort, 1795);Sî«'
l'organede l'dnie^en allemana ; Kœnigsberg, 1796), ou-
vrage dans lequel il développe l'hypollièse que Tàme a son
siège dans la substance liquide et vaporeuse que contiennent
les cavités du cerveau.
SOEUR, nom donné aux enfants du sexe féminin par les
enfants du même père et de la même mère ainsi que par
les enfants qui n'ont de commun que le père ou la mère ;
avec cette différence, qu'en termes légaux on nomme
sœur consanguine celle avec laquelle on n'a de commun
que le père, et sœur utérine celle avec laquelle on n'a de
commun que la mère. Après le nom de mère, il ne sau-
rait y en avoir un plus doux. Conçus dans le même sein ,
nourris du même lait, bercés, soutenus par les mêmes bras,
le même sourire a d'abord réjoui les yeux , la même voix
a d'abord frappé l'oreille des enfants envers lesquels la
mère a rempli ses devoirs ; et ces souvenirs , les premiers
de la vie qui éveillèrent à la fois les .sens et l'intelligence,
sont rendus ineffaçables par les maux et les biens de la
jeunesse , dont se sont affligés ou félicités en commun les
enfants d'une même famille. Dans les temps primitifs , l'af-
fection de la sœur pour le frère était fortifiée par l'affection
de l'épouse pour l'époux, qui se succédaient dans le même
cœur : les liens du sang préparaient à d'autres liens, et tous
les sentiments se concentraient dans la famille. Plusieurs
législateurs, entre autres Zoroastre, sanctionnèrent cette loi
de nature, qui en Egypte s'observait encore dans la famille
royale au temps de Cléopàtre , lorsque les autres peuples l'a-
vaient en borreur comme incestueuse. Les Hébreux , qui
conservèrent longtemps las mœurs patriarcales, se dési-
gnaient par le nom de //ère et de sœur bien des siècles
après que les nations voisines restreignaient ces noms aux
membres de la famille ; et cependant , dans son Évangile
le Seigneur déclare que ses Irères et ses sœurs sont ceux
qui font la volonté de son père.
Encourager l'affection réciproque que la nature impose à
deux sœurs par des soins semblables, et qui s'étendent jus-
qu'aux plus minutieux détails, tels que l'uniformité dans
les jouets et dans les habits, est un devoir pour les parents
quand l'âge n'y apporte point d'obstacle : dans ce dernier
cas, certains soins donnés par les sœurs établissent entre
ces enfants des relations aussi tendres que peut en faire
naître une parfaite égalité. Une sœur qui donne des leçons,
qyi préside aux jeux, qui conseille, qui console, qui com-
prend encore les plaisirs et les douleurs de l'enfance dont
elle sort est une seconde mère; seulement elle ne punit
point.
Ce nom, qui réveilla toujours l'idée du sentiment le plus
pur,le plus tendre et le plus paisible, fut longtemps donné aux
chrétiennes par tous les membres de la famille du Christ ,
et l'Église encore aujourd'hui l'emploie dans ses cérémonies.
L'usage s'en est conservé dans les monastères, et conjoin-
tement à celui de mère il ne contribue pas peu à rappeler
l'égalité qui doit régner entre les créatures qui reconnaissent
un même auteur, et la charité dont doivent être animés
les enfants d'un même père. ^tesse ^^ Bradi.
SOEURS DE CHARITÉ, SŒURS GRISES, SŒURS
DE SAINT- VINCENT DE PAUL, de SAINT-MARTHE, etc.,
voyez Charité. (Sœurs de la).
SOFALA. Voyez Mozambique.
SOFFITE ( Architecture ). C'est en général le des-
sous de ce qui est suspendu : sqffite d'architrave, de
larmier, face de dessous d'ime architrave , d'un larmier,
qui est unie ou décorée de divers ornements , suivant les
ordres. Soffite est aussi le dessous d'un plancher qu'on
appelle pZfl/bnd, et qui peut être décoré de sculpture ou
de peinture.
SOPl, nom que les Occidentaux donnaient au roi de
Perse, et qu'ils ont remplacé par le titre de schah. On as-
sure qu'il fut primitivement porté par un jeune berger qui
( parvint à la couronne , en" 1370. D'autres le font dériver
de sofis ou sages, synonyme de mages. Vossius soutient
que ce mot en arabe signifie laine, et que les Turcs en ont
gratilié par mépris les rois de Perse depuis Ismael, parce
que dans leur nouvelle religion ils se couvraient autrefois
la tête d'une étotfede laine rouge; d'où on lésa appelés aussi
zisselbaïs, têtes rouges. Bocbart dit que sofi signifie celui
qui est pur en sa religion , qui préfère le service de Dieu à
toutes choses.
SOFIA ou SOPHIE, en boulgare Triaditza, chef-lieu
d'un sandjack turc de la Boulgarie inférieure, et autrefois de
toute la Boulgarie, est située sur la grande route de Cons-
tantinople à Belgrade, sur la Bolgana, petit cours d'eau af-
fluent de l'isker, qui coule au nord-est et se jette dans le
Danube, sur un grand et magnifique plateau, limité à l'ouest
par le mont Witosch ou Scomius , au nord-est et à l'est par
le Balkan de Widok et le Balkan d'Edrebol , et ouvert seu-
lement au nord. C'estune des plus grandes et des plus belles
villes de laTurquie d'Europe, dans une contrée délicieuse, le
siège d'un pacha, d'un archevêque grec et d'un évêque grec,
en même temps le sanctuaire national, le point central et de
réunion des Boulgares.On y voit une grande et magnifique mo.s-
quée, qui avant la domination des Turcs était une église chré-
tienne consacrée à sainte Sophie, une foule d'autres mosquées,
églises et chapelles , de grands khans ou halles, un château
fort, et d'anciens remparts avec fossés qui depuis le prin-
temps de 1854 ont été considérablement fortifiés et agrandis.
La ville compte de 40 à 50,000 habitants (dont 8,000 chré-
tiens), Ottomans pour la plus grande partie, outre des Boul-
gares et même jusqu'en 1854 quelques Grecs. A l'exception
des Ottomans, cette population est très-industrieuse ; elle
entretient des manufactures de cotonnades et de soieries,
des tanneries , des fabriques de tabac , et fournit à la con-
sommation des étoffes de laine mérinos presque aussi esti-
mées que celles d'Angora. Dans les environs de la ville, on
cultive beaucoup les céréales et les arbres fruitiers. Il s'y
fait aussi un commerce de transit fort actif, attendu qu'in-
dépendamment de la grande route militaire dont nous avons
déjà parlé, les routes de Widdin, de Sérès et de Salonichi
viennent aussi s'y croiser.
Sofia occupe l'emplacement de l'ancienne Ulpia Sardica
ou Serdica, dans la haute Mésie, où se tint, en l'an 344, un
concile célèbre, et construite par l'empereur Justinien. Prise
par les Boulgares, en l'an 809, elle reçut alors de ceux-ci le
nom de Triaditza, dont les croisés firent Stralitz ou Ster-
nitz. En 1382 elle tomba au pouvoir des Turcs.
Sofia on Sophia est encore le nom d'une ville de cercle ,
dans le gouvernement de Pétersbourg , à peu de distance
du palais impérial de Zarskoe-Selo.
SOFIISME , synonyme de Sufisme.
SOGARISTES. Voyez Chasidim.
SOGDIANE. Voyez Bourharie.
SOHL (en hongrois Zolijom Varmeghye), comitatdu
district de Presbourg (Hongrie), borné au nord par le co-
mitat de Leptau, à l'est par celui de Gœmar, au sud-est par
celui de Honlh , à l'ouest encore par le comitat de Honth et
par ceux de Bars et de Tliurocz, avec une superficie de 36
rayriam. carrés. Le pays est complètement couvert par des
ramifications des monts Karpathes, et est parcouru dans la
direction du sud-ouest par laGràn, dans laquelle se jettent
laSzalatna et une foule de ruisseaux. Le climat est froid,
mais cependant permet encore dans quelques localités la cul-
ture de la vigne; l'air pur et sain. Malgré ces nombreuses
montagnes, le sol n'est pas partout frappé de .stérilité; il
est même très-fertile dans les plaines de lavallée de la Grân,
Les produits de l'industrie des mines sont l'argent, l'or, le
cuivre , le fer, du soufre de première qualité , le vitriol ,
le mercure , la houille. L'économie agricole fournit du gros
bétail et des moutons, des vins médiocres, des grains, du
chanvre, du lin et du bois. Il existe une foule d'eaux miné-
rales et thermales. Les habitants, qui en 1850 étaient au
nombre de94,402, sont, à l'exception de quelques Allemands,
252
SOHL — SOIE
établis dans les villes , presque tous S 1 o v a q « e s ; et dans
ce chinre on comptait 55,000 catiioliques et 39,000 pro-
testants. Le clief-lieu est Neusohl.
SOHO, gros bourg manufacturier touchant à Bir mi ng-
li a m .
SOI ou SOUl. Voyez Cocus.
SOIE. Ce mol, qui s'applique à un produit originaire de
la Chine, remonte cependant, par étymologie, au nom d'une
ville de l'Inde, où l'industrie de la soie commença, dans
les temps les plus reculés, à acquérir de notables dévelop-
pements. C'est à Sérica, province de Sérès ( Serinda, au-
jourd'hui le pays du Petit-Thihet), que cette industrie !ut
portée d'abord à un haut degré de splendeur, ce qui fit adop-
ter par les Grecs le nom de sêre, sêres, et par les Romains
celui de sericum, pour désigner cette précieuse substance.
La soie est sans nul doute un des plus beaux produits
de l'industrie humaine, et non-seulement elle est au pre-
mier rang des applications utiles de la science agricole et
des arts mécaniques, mais elle nous apparaît encore comme
le résultat d'une des plus sublimes conceptions du génie de
l'homme. Celui qui pour la première fois verrait ces bril-
lantes étoffes dont l'usage est devenu si vulgaire parmi les
peuples civilisés ; celui qui , ignorant la source naturelle
qui les fournit, se demanderait comment on a pu former un
tissu aussi fin, un cor|)s aussi léger, aussi souple et en même
temps aussi fort, pourrait-il supposer qu'un ver {voyezWEii
A soie) en a file le premier élément, et que la main de
l'homme, par d'ingénieuses combinaisons,est parvenue aussi
à en faire un composé parlait?
C'est à la Chine que l'Europe est redevable du bienfait de la
production de la soie. La culture du m û r i e r et l'éducation
du ver à soie étaient pratiquées près de douze cent soixante-
dix ans avant notre ère par les Chinois, qui ont donné
au mûrier le nom d'arbre d'or, d'arbre doué de la bénédic-
tion de Dieu. De la Chine l'industrie de la soie passa immé-
diatement dans l'Inde, où elle fit de rapides progrès. Toutes
les traditions nous apprennent que de temps immémorial
l'Inde conlectionnait les admirables tissus de Kacliemyre.
De l'Inde l'industrie de la soie passa en Perse, et se répandit
ensuite sur divers points de l'Asie, où les conquêtes d'A-
lexandre concoururent à la propager. Imitile de parler du
commerce que firent les Phéniciens des étoffes de soie de l'A-
sie. Le mûrier et son hôte, le précieux ver à soie, s'accli-
matèrent définitivementen Europe sous le règne de Justinien.
De la Grèce cette industrie passa en Sicile, puis en Italie et
en France au quinzième siècle, sous Charles VIII. Louis XI
et François \" l'encouragèrent d'une manière toute par-
ticulière. Sous le dernier de ces rois les manufactures de
soieries prirent en France un certain accroissement; mais
leurs procédés de fabrication ne s'appliquaient guère encore
qu'aux soies importées d'Italie et d'Espagne. Cependant,
François 1*^"^ avait déjà établi dans son château de Fontai-
nebleau des chambres consacrées à l'éducation des vers à
soie. Henri IV, sentant toute l'importance du mûricK, cher-
cha à en propager la culture. Mais c'est à Colbert que l'on
doit en France l'acclimatation définitive et la prospérité de
l'industrie de la soie.
Les cocons une fois enlevés des branches sur lesquelles ils
ont été filés sont portés à Vélouffage, ouétuvage, opération
qui tue la chrysalide, afin qu'elle n'ait pas le temps d'en
percer l'enveloppe alors qu'elle se transforme en papillon.
L'étouffage se lait de plusieurs manières : par la chaleur,
par la privation d'air, par la vapeur, par l'emploi de di-
vers procédés chimiques. Mais le meilleur moyen, le plus
commun et le plus sûr, semble être Vélouffage à la va-
peur. Il est formé un appareil qu'on place immédiatement
sur le jet d'un robinet de vapeur. Cet appareil contient des
tiroirs percés à jour, et supperposés, dans lesquels on place
les cocons. La vapeur, se répandant dans l'appareil, qu'on
a le soin de fermer hermétiquement, étouffe en peu d'ins-
tants les chrysalides. Les cocons sont alors enlevés et rem-
placés par d'autres. De là ils sont portés dans des greniers
parfaitement aérés, où ils se sèchent en attendant d'être
employés aux filatures.
On sait que les cocons de vers à soie sont formés d'un fil
unique ; on découvre le bout de ce fil et on le déroule comme
on ferait d'une pelote. Le brin du cocon n'est pas le
brin de la soie. Il faut , au contraire , quatre ou cinq brins
de cocons pour former un fil de soie, même très-fin. L'o-
pération par laquelle on transforme la bave du cocon en
fil de soie, par la réunion de plusieurs brins , et leur dévi-
dage ?,ut un tour, sorte d'asple, prend le nomde filature
ou de tirage. C'est là une branche spéciale d'industrie, aa
travail de laquelle divers ouvrages donnent improprement
le nom générique de moulinage.
Un fourneau chauffant un réservoir d'eau qu'on appelle
bassine , une grande roue qu'on fait tourner avec vitesse,
un ensemble d'engrenages assez peu compliqué , forment
ce qu'on appelle un tour. Les cocons sont placés dans la
bassine. Au moyen d'une espèce de balai en forme de brosse
que l'on promène sur les cocons, on en dégage les brins.
On rôunit ces brins pour les faire passer dans une filière
et en former le fil de soie proprement dit. Le même tour
forme deux écheveaux , de sorte que l'on compose en même
temps deux fils, passant par deux filières, se croisant l'un
sur l'autre, et s'envidant sur l'asple ou grande roue du
tour. Un mouvement de va-et-vient sème les fils sur l'asple ,
de manière à ce que l'écheveau ne soit point irrégulière-
ment bombé et soit ensuite d'un dévidage facile. Une chose
importante, c'est ce qu'on appelle la croisure , opération
par laquelle on tourne les deux fils l'un sur l'autre pour que
leur frottement les arrondisse, les resserre, leur donne de
la consistance et de l'éclat.
Tout cela est fort minutieux, et demande des soins vigi-
lants. En bien , tout cela se fait encore aujourd'hui par la
plus détestable routine. Toujours fidèles à cette idée que la
soie est un produit de ferme plutôt qu'un produit manu-
facturé , les éducateurs de vers à soie filent eux-mêmes
leurs cocons, ou se réunissent pour les faire filer par l'un
d'entre eux, ou les vemlent à un petit filateur, qui établit
quelques tours de tirage ; en un mol , c'est nn fractionne-
ment général. La soie se file par petites quantités irrégu-
fières, inégales en beauté, en finesse, en couleur, en con-
sistance, etc. C'est la réunion deres petites quantités qui
malheureusement constitue encore la masse de nos soies
indigènes.
Une femme de ferme, ou bien les plus grossières ouvrières
des villes, prennent le rôle de fileuses. Des enfants tourneat
la roue du tour. Chaque bassine est chauffée par un fourneau
séparé. Le nombre des brins destinés à former les fils de soie
est irrégulier, non-seulement de fileuseà fileuse, mais encore
sur le même écheveau , par la négligence et l'inhabileté de
l'ouvrière. Des bouchons sans nombre salissent l'écheveau;
dasmariages, c'est-à-dire l'enchevêtrement des fils de deux
écheveaux séparés; \ai brûlure, \& fumée, le vitrage, etc.,
tout ce qui donne à la soie une mauvaise qualité , tout
ce qui cause des déchets , tout ce qui entraîne, en un mot,
des irrégularités de finesse, de couleur et de bonté, résul-
tent du fractionnement de ces petites filatures. Les avan-
tages des grands établissements des filatures à la Gensou«
sont des plus sensibles. La filature à laGensoul est celle
qui , réunissant dans un même atelier un certain nombre
de tours , alimente et chauffe de nombreuses bassines par un
seul appareil à la vapeur, et fait tourner toutes les roues des
tours par un moteur unique. Les tours sont régis et surveillés
par un môme administrateur, qui préside d'abord au triage
des cocons, règle la chaleur des bassines , détermine le
nombre des brins pour chaque fil , prévient la fumée , la
brûlure, le vitrage, les bouchons; peut même, en adop-
tant les derniers moyens inventés, empêcher totalement les
mariages , produit enfin une soie régulière en finesse , en
couleur, en consistance et en beauté.
Une fois que la soie tirée du cocon est réduite en éche-
veau sur le tour de la filature, elle subit d'autres opérations
SOIE —
avant de pouvoir être livrée à la teinture et ensuite au tis-
sage. D'abord elle doit composer ce qu'on appelle des tra-
mes et des organsins. La trame est le (il de soie que le tis-
seur met dans la navette ; l'organsin est celui qui forme
la longueur, ou pour mieux dire la chaîne du tissu. Pour
les trames, on double et on tord légèrement deux (ils réunis :
pour les organsins, on tord séparément deux (ils; puis on
les double, et on les tord ensemble à peiits grains. Pour
ces diverses opérations, l'éclieveau de soie sortant de la
filature passe d'abord dans un atelier de devidage , où elle
est tirée de l'éclieveau pour être fixée sur une simple bo-
bine. De là (pour les trames ) les fils de deux bobines sont
réunis et dévidés ensemble sur une autre bobine; de là
cette troisième bobine est placée sur un fuseau, et le tors
s'opère à un moulin. Pour (es organsins, au lieu de trois
opérations, il y en a quatre. La soie est d'abord tirée de
l'éclieveau pour aller sur les bobines. Ces bobines passent
immédiatement au moulin qui imprime le tors le plus fort
possible à chaque fil séparé. Puis ces fils ainsi tordus sont
doublés et dévidés sur une autre bobine, qui , passant en-
core au moulin , les tord doubles. On fait aussi des trames
et des organsins à plus de deux bouts. Ces procédés de mou-
linage en sont encore à l'état d'imperfection où les a iaisst'S
Vaucanson.
Le décreusage ou blanchiment est l'opération par la-
quelle on enlève au fil de soie la gomme naturelle dont il est
imprégné; la teinture et le tissage, loin d'appar-
tenir exclusivement à la préparation des étoffes de soie, s'ap-
pliquent à plus d'un genre d'industrie.
On appelle soie grège celle qui sort de la filature ou qui
vient d'être tirée du cocon. La soie qui n'est point encore
soumise au décreusage et à la teinture s'appelle soie écrue.
V. CouRTET (de risle).
Pour prévenir les fraudes dans la fabiication de la soie,
on a créé les établissements connus sous le nom de con-
dition des soies.
En 1855 M. Chevalier, membre du conseil de salubrité,
constatait par des échantillons achetés dans un grand
nombre de fabriques, que la soie était toujours imprégnée
d'acétate de plomb, et que la quantité de ce poison mêlée à la
soie était en poids de 20 pour 100, soit un cinquième (on
sait que la soie se vend au poids). De nombreux accidents
sont résultés de ces pratiques coupables de l'industrie.
Au figuré et poétiquement, des jours filés d'or et de soie
désignent le cours d'une vie heureuse et brillante.
On appelle soie d Orient, soie végétale, une espèce
de duvet qui entoure les semences de l'asclépias de Syrie,
et dont on a essayé de faire des étoffes.
SOIE (Histoire naturelle). 11 faut entendre par soie
ou serine, dit M. de Blainville, un produit fiquide au mo-
ment de sa formation, filant, transparent, qui se coagule
dès qu'il est en contact avec l'air, et qui constitue les (ils
dont se compose le cocon des chenilles des bombyces (vers
à soie), les toiles et la coque des œufs des araignées ( voyez
Annéudes, Appendice et Arachnides). Deux tubes, longs
d'environ un pied , recourbés un grand nombre de fois et
aboutissant au mamelon de la lèvre inférieure de la bouche
des chenilles sont les organes sécréteurs, bien étudiés par
Malpighi , qui fournissent la matière soyeuse. On dislingue
dans ces organes trois portions: l'une , postérieure, qui est
un tube intestmiforme, capillaire, replié plusieurs fois sur
lui-même, qui se continue avec la deuxième portion ; celle-ci
est un canal rende, recourbé deux fois, dans lequel s'accu-
nnile le liquide sécrété, et aboutit à la troisième portion, qui
en est le conduit exeréteur. Plusieurs autres espèces de bom-
byces et les autres familles de l'ordre des lépidoptères sont
aussi pourvues de ces organes sécréteurs de la soie néces-
saires pour former des cocons plus ou moins imparfaits, ou
seulement des fils pour les fixer aux corps solides pendant
leur état de chrysalide.
On donne aussi le nom de soies à diverses parties des
animaux, savoir : 1° aux crins qui servent à accrocher les
SOIF 25â
deux ailes de certaines espèces de lépidoptères ; 2" aux fila-
ments roides qui servent d'organes de locomotion aux an-
nélides, appelées pour celte rahon sétigères ou chélopodes;
3° aux poUs longs et rudes des sangliers et de plusieurs
mammifères. On sait que les soies que les chapeliers nom-
ment jarres dans les fourrures des castors se distinguent
des poils fins ou laineux et de ceux plus fins encore connus
sous le nom de bourre. On a élé jusqu'à considérer des dents
excessivement fines comme des sortes de soies, d'où le nom
de chét odons, donné à une famille de poissons dont les
dents sont excessivement fines. L. Laurent.
SOIE (Bourre de). Foyei Filoselle.
SOIE (Chapeaux de). Voyez Chapellerie. Le premier
feutre fut porté par Charles VU, à son entrée dans la ville
de Rouen ; et depuis Louis XI personne en France n'eut
plus d'autre couvre-chef. La forme changeait , non la sub-
stance. Or la sub.stance, poils de chameau , vigogne, castor
et lièvre de Sibérie, venait de (orl loin et coûtait fort cher.
Vers 1822 un industriel français , appelé Lousteau, eut l'idée
de substituer au castor de l'Amérique la soie de nos pro-
vinces. Il fonda des fabriques, et ouvrit quatre établisse-
ments dans Paris; mais ses edorts pour triompher de la
routine et des préjugés furent inutiles. Comme il n'arrive
que trop souvent aux inventeurs, il se ruina en essayant
de faire profiter la France d'un bénéfice net en réalisant
dans sa fabrication une inunense économie. Aujourd'hui
l'invention, très-perfectionnée depuis sans doute, est dans
le domaine public, et fournit les quatre-vingt-dix-neuf cen-
tièmes de la consommation.
SOIERIES. On «tonne ce nom aux étolfes de soie de
tous les genres. La France se distingue essentiellement par
la supériorité de ses produits en soieries. L'adoption géné-
rale des métiers à la Jacquart, la (inesse des dessins, le
bon goût qui préside à la fabrication des tissus façonnés de
Lyon, ont mis sous ce rapport le commerce de cette ville
à l'abri de toute concurrence. Mais on commence à lui con-
tester ses droits à la supériorité dans la labrication des étoffes
tîntes. Le commerce des soieries prend en Angleterre, en
Suisse, en Allemagne, de notables déveloi>pements. L'emploi
du tissage mécanique , (\\\i n'est point encore assez usité
chez nous, parait offrir des avantages que nos labricants
méconnaissent. Il est à craindre que l'Angleterre ne nous
surpasse par la perfection de ses tissus unis, comme la Suisse
par le bon marché de sa main d'œuvre, comme le Piémont, le
Milanais, le royaume de Naples et l'Italie en général , par se*
matières premières , ses grèges et .ses organsins.
V. CocRTET (de risle ).
La production des articles dans lesquels la soie domina
est évaluée à 375 millions par an, dont 123 millions en
main d'œuvre et 250 millions en matières premières. Dans
l'exportation générale des tissus français, les soieries et
rubans figurent dans une proportion de 37 pour 100.
SOIES (Condition des). Fo(/e:i Condition des Soies.
SOIF. Ce mot désigne l'appétition des liquides : comme
il exprime un des principaux besoins île l'homme, il n'est
point de termes dont la signification soit plus généralement
comprise et qui puisse mieux nous dispenser d'une défini-
tion.
En examinant l'appétition des liquides sous le point de
vue physiologique, elle se rattache à l'appétition des so-
liiles, la faim. Comme cette dernière, elle est une sen-
sation à peine perceptible dans l'état de santé parfaite; mais
dans divers écarts hygiéniques , dans plusieurs maladies, ou
quand les bois.sons viennent à manquer, la soif devient une
de nos perceptions les plus tourmentantes : ce besoin est
même plus cruel qtie celui de la faim ; il s'associe d'adleurs
à ce dernier quand il n'est pas satisfait, et le fait oublier
par la torture qu'il cause, de même qu'une vive douleur
fait oublier un moindre mal. La sensation dont nous nous
occupons est perçue dans la bouche et dans la gorge : ces
cavités, lubrifiées dans l'état normal par des sécrétions abon-
dantes qui rendent le passage de l'air peu sensible, deviea-
S54 SOIF —
nent sèches , arides et chaudes ; c'est un appel fait au cer-
veau : si ce moteur principal de nos actions raisonnées ne
peut y répondre, la séciieresse , l'aridité, la chaleur, s'ac-
croissent, se propagent le long des conduits alimentaire et
aérien, et parviennent dans l'estomac ainsi que dans les
poumons; alors une irritation douloureuse se fait sentir dans
ces profondeurs. D'une autre part, la perception du cerveau
devient d'autant plus pénible que la vue mentale aperçoitplus
d'obstacles dans l'apport des boissons. Il serait superflu de
peindre ici un pareil état , que l'imagination reproduit mieux
que des mots. Si le besoin des liquides n'est pas satisfait, on
voit se succéder les accidents les plus graves, et on com-
prend que la mort doit être le terme d'une série de phéno-
mènes inflammatoires.
Les déperditions de fluide qui se succèdent dans le jeu
de l'organisme expliquent facilement pourquoi la soif nor-
male est un des besoins naturels de l'homme , et comment
elle est attisée et entretenue par tons les écarts de l'hygiène,
qui exagèrent ces pertes. Les exercices du corps et de l'es-
prit, quand ils sont poussés jusqu'à la fatigue, les passions
extrêmes , engendrent également la soif. En géuéral , tout ce
qui nous excite au delà de la mesuie que limite la .santé
fait naître et élève cette sensation jusqu'au malaise : c'est
un avertissement sûr de nous arrêter dans nos excès.
Malheureusement cette voix intérieure trouve souvent nos
oreilles fermées;
La différence des âges modifie beaucoup la soif. Ce besoin,
si pressant et si impérieux chezles enfants à la mamelle, de-
vient moins pressant à mesure qu'on avance dans la vie, et
se fait peu sentir chez les vieillards qui suivent les règles
de l'hygiène. La soif apparaît au nombre des changements
qui caractérisent l'état morbide; cette sensation, qui ne
s'apaise pas alors comme dans l'état de santé , est surtout
un des attributs des maladies aiguës, et on la distingue
toujours parmi les symptômes de la fièvre. On l'observe
aussi dans la plupart des maladies chroniques et dans les
affections accompagnées d'excrétions excessives.
En nous occupant enfin de l'appétition des liquides sous
le rapport de l'hygiène, nous signalerons le besoin comme
étant la mesure que chacun doit consulter pour faire usage
des boissons, en recommandant l'eau comme étant pré-
férableà toute autre. Mais, helas ! les boissons alcooliques ont
trop d'attraits pour les (ils d'Adam, et comme Figaro le fait
remarquer, boire sans soif est devenu un privilège de
notre espèce !
La soif, étant au nombre de nos sensations les pins vives
et auxquelles il nous est le plus difficile de résister, est
devenue le type des désii s que nous concevons avec le plus
d'ardeur. Ainsi on dit, au figuré, la soif de l'or, de la ven-
geance , de la gloire. Garder une poire pour lu soif, c'est
mettre quelque chose en réserve pour les besoins à venir.
D" Charbonnier.
S0ISS01VI\^AIS ( Le ) , subdivision territoriale de l'an-
cienne France, dont le chef-lieu était Somowi, qui faisait
partie de l'Ile-de-France, et était situé entre le Valois et le
Laonnais.
SOISSONS, chef-lieu d'arrondissement , dans le dépar-
tement de l'Aisne, et siège d'un évêché,est bâti dans un
vallon agréable et fertile, sur la rive gauche de l'Aisne, à
32 kilomètres de Laon et à 98 de Paris. On y compte 9,477
habitants. 11 s'y fait un commerce assez important en blé pour
l'approvisionnement de Paris, ainsi qu'en légumes secs ,
notamment en haricotstrès-renommés, en draperie, bonnete-
rie, rouennerie, quincaillerie, jouets d'enfants, etc. On y
trouve une bibliothèque publiquede 30,000 volumes, un tri-
bunal de première instance, un tribunal de commerce ,
et deux typographies.
C'est une ville fort ancienne, nommée dans le principe
Noviodunum, qui prit ensuite celui d'Augusta Suessionum
sous le règne d'Auguste. Elle eut ses rois particuliers avant
la conquête des Gaules, et lors des partages entre les mo-
narques de la première race il y eut des rois de Soissons.
SOISSONS
Elle doit son enceinte actuelle au duc de Mayenne, qui en
avait fait une de ses principales places d'armes.
SOISSONS (Les comtes de). Après avoir tour à tour
appartenu à diverses familles , le comté de Soissons échut
par mariage à une branche collatérale de la maison de Bour.
bon , celle de Bourbon-Condé.
Charles de Bourbon , fils du prince Louis I" de Condé,
né en 1556 et issu de son mariage avec Françoise d'Orléans-
Longueville , prit le premier le titre de comte de Soissons.
Élevé par sa mère dans la religion catholique, il embrassa
d'abord le parti des Guise contre Henri de Navarre. Ce
dernier, qui alors n'avait point encore d'enfants , lui ayant
promis la main de sa sœur et la survivance delà couronne
de Navarre, le comte de Soissons abandonna le parti ca-
thohque, et défendit pendant quelque temps la cause protes-
tante à la tête d'un corps d'ar niée. Mais le projet de mariage
n'ayant point été réalisé, il revint , en 1588 , à la cour de
Henri 111, et le seconda dans la guerre contre les Ligueurs.
Après la mort de Henri IH, on le vit encore une fois dans
le camp du roi de Navarre, qui avait déjà pris le titre de
roi de France et qui le créa grand-maître de France. En
KiOl il obtint en outre le gouvernement du Dauphiné.
Henri IV ayant été assassiné, il éleva des prétentions à la
régence, mais s'en désista bientôt, moyennant une somme
d'argent et le gouvernement de Normandie. Dans les luttes
intestines qui divisèrent la cour, il prit tantôt le parti de la
reine mère et tantôt celui des princes; peu de temps avant
de mourir il était même sur le point de se déclarer en fa-
veur des huguenots. Effectivement, l'avarice était l'unique
mobile de ses actions. Il mourut le 1" novembre 1612, au
château de Blandy, en Brie.
Louis de Bourbon, comte de Soissons, né à Paris, en 1604,
fils du précédent et issu de son mariage avec Anne de
Montasie, succéda à son père en qualité de grand-maître et
de gouverneur de la Normandie. Dans sa jeunesse, il soutint
la reine mère, Marie de Médicis, contre son fils Louis XIII;
puis , afin de se faire redouter par la cour, il se rappro-
cha des huguenots. Ceux-ci ayant repoussé ses avances, il
se rejeta dans le parti du roi, qu'il accompagna même dans
l'une de ses campagnes contre les protestants. Le comte de
Soissons était ambitieux et bon militaire; aussi Richelieu
s'efforça-t-il de le retenir dans la dépendance de la cour : c'est
pour ce motif qu'on lui refusa la permission d'épouser la
riche princesse de Montpensier, refus par suite duquel il
voua une haine implacable au cardinal. Ayant pris part en
1626 à une conspiration contre ce tout-puissant ministre, il
jugea prudent, quand elle eut échoué, de se réfugier en Ita-
lie ; mais le roi ne tarda pas à le rappeler, et il prit part
aux opérations du siège de La Rochelle. En 1630 il acheta
au prince de Condé la propriété du comté de Soissons. Lors-
que Richelieu se décida à prendre part à la guerre d'Alle-
magne, le comte de Soissons fut placé pendant la campagne
de 1636 à la tète d'un petit corps d'armée qui prit position
entre l'Aisne et l'Oise, mais qui , par suite de la supériorité
de forces des Espagnols , dut se retirer à Noyon. La même
année il entra avec le duc d'Orléans dans un complot dirigé
contre la vie de Richelieu , et qui devait éclater à Amiens.
L'irrésolution du duc d'Orléans le fit échouer, et le comte
de Soissons se vit obligé de se réfugier à Sedan , où le duc
de Bouillon lui assura un asile. En vain il promit au roi
de rester désormais tranquille, Richelieu n'en fit pas moins
continuer les poursuite* dirigées contre lui par le pariement
de Paris. Alors le comte de Soissons se ligua avec Bouillon
et le duc de Guise pour faire la guerre à Richelieu. Les
conjurés ouvrirent des négociations avec l'Espagne, qui
promit de leur envoyer des Pays-Bas un corps de troupes
auxiliaires, et firent en outre quelques enrôlements en
France. Le cardinal, instruit de ces menées, mit aussitôt
en mouvement deux corps d'armée, dont l'un marcha vers
la frontière des Pays-Bas, et l'autre vers Sedan. Les conjurés
se regardaient comme perdus , lorsque Lamboi , général
au service de l'empereur, leur amena 7, 000 hommes de ren-
SOISSONS — SOLAIRE
255
fort. Le 6 juillet 1641 ils ne craignirent donc pas de tenter
sous les murs de Sedan une attaque contre les troupes
royales aux ordres de ChâtUlon, et les mirent en déroute
complète. Mais dans la mêlée Soissons périt d'un coup de feu,
qui lui futtiré par un inconnu, dont vraisemblablement Riche-
lieu dirigeait le bras. En lui s'éteignit la descendance mascu-
line de cette branche collatérale de la maison de Bourbon-
Condé, et ses biens ainsi que ses titres passèrent au fils cadetde
sa sœur Marie, laquelle avaitépousé le prince Thomas-Fran-
çois de Savoie-Carignan.
Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons comme
héritier de son oncle mort sous les murs de Sedan, était né
en 1633, à Cliambéry. Dans sa jeunesse, il avait voulu se
consacrer à l'église; mais plus tard il entra au service de
France, et il épousa, en 1657, Olympe Mancini, nièce de
Mazarin. Ce dernier lui fit obtenir le titre de colonel géné-
ral des Suisses, et le gouvernement de la Champagne. En
1667 il assista à la campagne de Flandre, et en 1672 il
fut nommé par Louis XIV lieutenant général , grade dans
lequel il se distingua en Hollande et sur le Rhin. Il mou-
ru le7 juin 1673, à l'armée de Westphalie, empoisonné, à ce
que l'on prétendit. Son fils aîné , Louis-Thomas, continua
la branche de Savoye-Carignan, qui s'éteignit en 1734. Son
fils cadet fut le célèbre prince Eugène de Savoie.
S01SSOIVS(La comtesse de). Voyes Mancini (Olympe).
SOISSOIVS ( Congrès de). Il se tint en juin 1728 , et eut
pour objet de rendre cet arrangement commun à l'Autriche,
la France, l'Angleterre et l'Espagne. Mais le ministre de
France, le cardinal de Fleiiry , réussit à détacher l'Espagne
de l'alliance de l'Autriche. A la suite de cette négociation ,
un traité de paix et d'alliance offensive et défensive auquel
adhéra la Hollande fut signé à Séville , en 1729, entre la
France , l'Espagne et l'Angleterre , pour imposer la loi à
l'Autriche. Par là le congrès de Soissons se trouva dissous;
et l'Autriche, irritée, recourut aux armes. Toutefois, la
garantie de la pragmatique sanction , que l'Angleterre et la
Hollande avaient promise, détermina l'empereur Charles VI
à reconnaître , en 1731 , les stipulations du traité de Séville.
SOKOTORA ou SOKOTRA, île de 11 myriamètres de
longueur sur 3 de largeur, voisine de la côte d'Afrique, en
face du cap Garda fui, est couverte à l'intérieur de mon-
tagnes arides, dont quelques-unes atteignent une élévation
de plus de 1,400 mètres au-dessus du niveau de la mer,
tandis que sur la côte le sol en est plat et sablonneux. A
l'exception de quelques rares vallées susceptibles d'être cul-
tivées, cette île manque complètement d'eau douce; aussi,
en général , n'y aperçoit-on presque aucune espèce de végé-
tation. L'aloès et le palmier à dattes sont les seuls arbres
qui y prospèrent. Les principaux produits et articles d'ex-
portation sont l'odoriférante gomme Amara, le s an g dra-
gon, la fameuse résine de l'aloès de Sokotora (aloe spi-
cata), qui recouvre jusqu'au sommet les rochers du plateau ,
l'ambre rejeté par la mer, les chameaux , de nombreux mou-
tons , les chèvres et les porcs. La population , forte d'en-
viron 400 têtes , professe tout entière le mahométisme; sur
la côte, c'est un mélange d'Arabes, de Nègres, d'Hindous, etc.,
parlant l'arabe moderne , tandis que dans l'intérieur elle pré-
sente des caractères physiques bien plus énergiques et plus
nettement accusés, en même temps qu'elle parle une langue
très-différente. Elle cultive fort peu le sol, et aime bien
mieux commercer avec le Mascate et le Zanguebar; mais
à l'intérieur elle se livre sur une assez vaste échelle à l'é-
ducation du bétail, ce qui lui permet d'approvisionner les
navires se rendant aux Grandes Indes, ou bien allant à la
pêche de la baleine, qui y font relâche malgré le manque de
ports. Tamarida, sur la côte septentrionale, est le principal
endroit de l'île , et possède la meilleure rade.
Cette île, qui dépendait autrefois de l'iman de Mascate,
appartient aujourd'hui au sultan de Kisin ou Keschin, dans
l'Hadramant, sur la côte méridionale de l'Arabie. Sous le nom
d'/Ze des Dioscorides , cette île, en raison de sa situation à
l'entrée de la mer Rouge et des deux rades qu'elle possède.
était déjà considérée dans l'antiquité comme une station d'une
haute importance pour le commerce; et on prétend qu'A-
lexandre le Grand y avait envoyé une colonie. C'est pour-
quoi les Anglais en firent l'acquisition en 1835, et y établirent
un dépôt de houille pour leurs bâtiments à vapeur faisant
le service de Suez à Bombay; mais ils y renoncèrent, quand
ils eurent également fait l'acquisition d'Aden, qui leur
parut répondre bien mieux encore à leur projet de dominer
dans la mer Rouge et de posséder une station militaire aur
cette grande route de l'Inde par la voie de mer.
SOL. C'était, chez les Romains, le nom du dieu du
sol e il. Voyez Hêlios.
SOL (du latin solum), terrain, terroir considéré quant
à sa nature ou à ses qualités productives. Un sol sec, pier-
reux, est bon pour les vignes ; un sol gras et humide, pour
le labour et les prés , etc. C'est aussi la superficie du terrain,
le fond de la propriété : la propriété du sol emporte celle
du dessus et du dessous; le propriétaire peut y faire toutes
les plantationset constructions qu'il juge à propos, sans nuire
toutefois aux servitudes acquises à des tiers; il peut aussi
y faire des fouilles, et en retirer tous les produits qu'elles
sont susceptibles de fournir, sauf les modifications résultant
des lois et décrets relatifs aux mines, et des lois et rè-
glements de police. Tout ce qui se réunit au sol par accession
ou alluvion appartient au propriétaire, sous certaines condi-
tions qui lui sont imposées au premier cas.
Sol dans une mine est la muraille, la partie de la roche
sur laquelle une mine ou un filon est appuyé.
SOL (Monnaie,). Voyez Sou.
SOL {Musique ), note appelée G par les Allemands. C'est
le cinquième degré de la gamme. Il porte accord parfait ma-
jeur, et en harmonie s'emploie seulement dans le mode
majeur. On l'appelle aussi dans ce cas accord dominant,
ou tout simplement dominante.
SOLAIRE (Système). Les planète s et les comètes
qui gravitent autour du Soleil forment avec celui-ci un
ensemble auquel on a donné le nom, peu convenable, de sys-
tème planétaire , et que nous préférons appeler système
solaire. Tout porte à présumer que chaque étoile est le
centre d'un système analogue. Mais dans l'incertitude où
nous sommes sur la distance qui nous sépare d'elles, sur
leur nature , leurs mouvements et les forces qui les régis-
sent, nous ne pouvons guère nous intéresser à ce qui les
concerne, et l'astronomie seule s'en préoccupe. Il n'en est
pas de môme pour les planètes. Ce qui les regarde nous
touche plus ou moins vivement; nous sommes liés à elles
par des intérêts communs , régis par les mêmes lois , soumis
aux mêmes forces , échauffés et éclairés par le même soleil ;
un changement considérable ne pourrait pas se produire en
lui ou en elles sans que nous en subissions immédiatement
l'influence. Une planète ne pourrait pas être détruite à la
suite de quelque perturbation, ne pourrait pas recevoir
par exemple le choc d'une comète sans que le mouvement
de la Terre s'en trouvât plus ou moins gravement modifié.
Le système solaire est donc, au milieu de l'immense uni-
vers, comme une famille dont la Terre est un membre,
comme une famille dont le sort est lié au nôtre et nous
intéresse fortement; comme une famille isolée dont nous
ne connaissons pas les relations avec les autres familles de
même genre qui peuplent probablement les profondeurs
du ciel.
« Lorsque nous voyons, dit M. Bailly de Merlieux, re-
produisant les idées des Laplace, des Arago, des Herschel,
lorsque nous voyons tous les corps planétaires circuler autour
du Soleil dans le plan de son équateur, c'est-à-dire de son
mouvement de rotation, n'est-il point naturel d'en conclure
que tous ces corps ont une origine commune? n'est-il point
permis de penser qu'en vertu d'une chaleur énorme, l'at-
mosphère solaire s'étendait au delà des limites des planètes?
Alors notre monde devait ressembler à certaines nébu-
leuses; mais cette atmosphère en se retirant a dû aban-
donner de la matière qui se sera condensée et aura formé
S56
SOLAIRE — SOLDAT
de la sorte des globes isolés , retenus seulement par la puis-
sance de l'aUraction. »
SOLAI\EES, famille de végétaux dicotylédones, à co-
rolle monopétale hypogyne , qui abondent sous la zone tor-
ride, et dont les espèces diminuent de nombre à mesure
qu'on s'avance vers les régions arctiques. Ils doivent leur
nom au genre solarium (vulgairement morelle), qui ren-
ferme la pomme de terre, la tomate, etc., etc. La plupart
des solanées en dt^pit des noms si connus que nous venons
de citer, n'en renferment pas moins des poisons acres et
violents. Les espèces indigènes que comprend la famille
àea solanées sont la bel ladone, la m and ragore, la
pommede terre, la douce-amère, l'aubergine,
la tomate, la m o r c 1 1 e noire , l'alkekenge , le piment , la
jusquiame noire et blanclie, la pomme épineuse et le tabac.
SOLANINE, alcali existant dans les fruits de la nio-
relle noire.
SOLDAT. Dans le sens général du mot , le soldat est
l'bomme investi par la société de la mission d'atfaquer et de
défendre. Dans l'acception moderne que lui ont faite nos
mœurs, nos besoins et notre ci\ilisation, c'est l'iiomme placé
en dehors du droit commun et soldé parle pays pour protéger
les intérêts généraux et particuliers , quand les sociétés ou
les individus en appellent à la force contre une agression
quelconque. Nous trouvons le soldat à l'origine des pre-
mières sociétés. Chez les anciens , les armées furent rare-
ment permanentes, et le soldat n'était point au milieu de la
société cet être exceptionnel qui de nos jours semble dis-
trait de la grande famille humaine pour accomplir pen-
dant une partie de sa vie un pèlerinage armé : le soldat,
c'était le citoyen quittant ses foyersaujourdu péril pour aller
combattre les ennemis de la patrie et redevenant après la
campagne , l'homme de la cité et l'orateur du forum. Le
service militaire n'était point un impôt, mais un droit exercé,
comme celui d'élection et de vote dans les assemblées pu-
bliques; à Rome, pour être soldat el se voir appelé à l'hon-
neur de défendre la république il fallait être de condition
libre. La nécessité obligea quelquefois à déroger à cet usage:
des afhanchis, et même des esclaves, furent admis pour la
première fois sous les enseignes après la déroule de Cannes.
Durant le règne des empereurs, et surtout lors de l'invasion
des barbares, le service militaire devient une profession, le
soldat un type nouveau, une existence à part : cliez lui ont
complètement disparu tous les traits du citoyen et de
l'homme mêlé aux intérêts de la chose i)ublique; le sol-
dat, c'est l'habitant des camps et des garnisons; c'est le
disciple d'une foi dont les dogmes ne sont que les vertus du
champ de bataille. Avant que l'invasion, s'arrêtant sur le
sol, ait revêtu la forme féodale, tout ce qui a la force de
porter les armes est appelé à combattre. Les nations sont
des armées, les villes des camps, le seul droit des peuples
est la force: vous trouvez le soldat partout, dans chacun
des hommes de la race conquérante. Quand l'invasion s'est
arrêtée, et que le régime féodal, dans l'organisation qu'il
donne à la société , a créé des classes, des professions, des
rangs divers, c'est au sein de la chevalerie, cette insti-
tution si guerrière dans son esprit et ses développements,
qu'on retrouve le soldat. Préparé au métier des armes
par une éducation toute militaire, esclave de nobles pré-
jugés qui sont encore dans les armées modernes des condi-
tions de leur force et de leur existence, toujours prêt à com-
battre quand le pays appelait aux armes ses défenseurs et que
se déployait la bannière royale, l'homme de guerre de la che-
valerie fut le soldat du moyen âge. 11 apparaît encore à la
même époque dans ces corps de troupes mercenaires qui
allaient offrir leurs services aux dilferents souverains de
l'Kurope, et pour qui la guerre était un moyen de gloire,
d'activité el de richesses. L'établissement des armées perma-
nentes amena de grands changements dans la vie du soldat
et dans son caractère. Celte œuvre, si grande dans ses ré-
sultats, établit d'une manière régulière et générale l'exis-
tence de l'homme de guerre et ses rapports avec la société.
Son existence se partagea alors en deux phases bien dis-
tinctes , les jours de guerre et ceux passés dans l'oisiveté
de la paix. Les villes de garnison devinrent des camps per-
manents, où vivait, au milieu d'une cité paisible, nne po-
pulation toute militaire; là les occupations ingrates delà
caserne, les exigences d'une discipline de fer, les humi-
liations de l'obéissance passive, apprirent au soldat que
pendant la paix comme au milieu des travaux de la guerre
sa destinée était de souffrir et de se dévouer: il devint
bientôt le représentant de la force mise aux mains du pou-
voir royal ; aussi tous les monarques l'appelèrent-ils autour de
leur trône quand le sceptre tremblait dans leurs mains ou
que des pensées de grandeur et de conquête venaient s'em-
parer de leur esprit. On lui jeta dans ces moments de péril
les mots de gloire, de fidélité, d'honneur militaire; on
lui enseigna qu'ils résumaient toute sa vie, et qu'eux seuls
pouvaient entourer son uniforme d'une auréole pure et écla-
tante. Martyr de cette religion nouvelle, il apprit au monde
à l'admirer en mourant pour son culte sur mille champs de
bataille.
La révolution française vint ajouter à l'histoire du sol-
dat de notre pays ses plus belles pages; car il comprit toute
la grandeur de la mission qui lui était confiée ; il puisa
dans l'enthousiasme de la liberté et dans l'intelligence des inté-
rêts dont il était le défenseur ses inspirations les plus géné-
reuses et son courage le plus puissant : il resta pur et sans
tache dans des jours de violence et de crime, et aima la li-
berté sans rien perdre de son culte pour l'honneur militaire»
L'empire vint, et fit le soldat si grand que les plus incré-
dules et les plus froids s'inclinèrent devant tant de gloire;
il fut à cette grande époque si brave, si intelligent, si dé-
voué, qu'à chacune de ses étapes victorieuses à travers l'Eu-
rope il trouvait plus de gens encore pour l'admirer que d'en-
nemis pour le combattre. Les événements l'avaient mis sur un
piédestal si élevé que pendant un instant tous les regards du
monde se tournèrent vers lui ; on eût dit qu'il était dans l'hu-
manité l'étoile brillante qui venait conduire les peuples
vers leurs destinées nouvelles. Aujourd'hui le soldat, déchu
de ce haut rang, voit tous les jours s'éloigner de lui le
prestige dont pendant si longtemps il fut entouré. Objet de
craintes pour beaucoup, de haine pour quelques-uns, d'in-
différence pour le plusgrand nombre, lisent sa position mau-
vaise, et demande en vain comment elle pourrait devenir
meilleure : il voit chaque jour son existence s'isoler de pi us en
plus des autres conditions humaines; car il est inactif et
immobile au milieu d'une époque d'activité et de progrès.
Parmi les problèmes d'organisation sociale que notre
siècle est appelé à résoudre , il en est peu de plus impor-
tants que ceux qui se rattachent à l'existence du soldat au
milieu de la société, à la part qui doit lui revenir dans le
bien-être moral et matériel du pays. Quand, à une époque de
progrès, démines et de transition, deux millions de soldats
sont en armes au milieu de l'Europe, mécontents, pour la
plupart, de leur sort et appelant des jours meilleurs, est-il
beaucoup de questions qui à côté de celle-là ne paraissent
pas secondaires ?
Pendant longtemps encore le soldat sera en France le
représentant des généreuses pensées de dévouement et
d'abnégation, le défenseur du sol et l'appui de tous les prin-
cipes d'ordre et de conservation. « Je crois, a dit un écri-
vain, que ce qu'il y a de plus pur dans nos temps, c'est
l'âme d'un soldat; scrupuleux sur son honneur, et le croyant
souillé parla moindre tache d'indiscipline ou de négligence;
sans ambition , sans vanité, sans luxe; toujours esclave et
toujours lier de sa servitude, n'ayant de cher dans sa vie
qu'un souvenir de reconnaissance. »
Emmanuel Piluvuyt.
Suivant le baron de Reden, l'Europe compterait actuel-
lement, en temps de paix, 2,731,085 soldats, ou 1.02
pour 100 de sa population totale, et leur entretien exige-
rait annuellement la somme do 1,561,618,211 fr.; de sorte
que chaque soldat coûterait 571 fr. 79 c, et que chaque
SOLDAT — SOLEIL
S5T
liabitant contribuerait pour 5 fr. 78 c. à Tenfretien de l'ar-
mée. Pour les six États ( ou aggloméi allons d'États ) entre-
tenant chacun plus de 100,000 soldats, les nombres et les
proportions respectifs seraient les suivants :
Nombre
Pour tOO
Dépenses
Cofit annuel
des
delà
en
par
soldats, population.
général.
soldat.
1. Allemagne.
. 820,703
1.13
383,133,739 fr.
466 f. 83 c
2. Russie
. 790,000
1.75
236,593,038
362 73
3. France ....
. 358,518
1,00
308,386,035
860 17
4. Turquie . . .
. 138,680
1.32
76,212,469
549 52
S. Espagne , . .
. 103,000
0.72
74,018,468
718 63
6. Angleterre.
. 102,283
0.37
239,831,479
2,344 78
Ces cjiiffres vrais, approximativement du moins, ten-
draient à prouver que même en temps de paix la Russie
épuise déjà ses moyens militaires ; la France et l'Allemagne
pourraient presque doubler leurs armées respectives, et
l'Angleterre tripler la sienne avant d'arriver à la pro-
portion moscovite , où les casernes absorbent 1 3/* pour
100 de la population. La contribution réclamée de chaque
habitant pour l'entretien de l'armée est plus faible néan-
moins en Russie que partout ailleurs; mais il ne faut pas
oublier la différence de ressources existant entre les pays
occidentaux , où l'aisance est assez générale, et la Russie,
où la majorité de la population croupit dans la misère.
SOLDE. Dans les armées modernes, on entend par solde
ce qui est alloué aux officiers et aux soldats pour subvenir
à leur entretien et aux dépenses qu'exige d'eux le service
militaire.
La solde augmente en proportion du grade, et varie avec
le pied de paix et le pied de guerre ; celle des soldats et des
sous-officiers s'appelle ordinairement prêt.
Le service delasolde pourvoit à toutes les prestations en
deniers et en nature qui composent le traitement des corps
de troupes et des militaires considérés individuellement. Les
prestations en deniers sont: la solde proprement dite, les
suppléments de solde , les hautes payes , les frais de repré-
sentation , les indemnités représentatives de fourrages, les
indemnités de logement et d'ameublement, les frais de bu-
reau , les indemnités en remplacement de vivres, les indem-
pités pour le ces de rassemblement de troupes, les indem-
nités pour perles de chevaux ou d'effets, les gratifications de
première mise d'équipement allouées aux sous-officiers pro-
mus ofticiers , les gratifications aux sous-officiers instruc-
teurs, les gratifications d'entrée en campagne, lamassede pre-
mière mise de petit équipement donnée à chaque soldat à
son entrée au corps, la prime journalière d'entretien de la
masse individuelle, la masse générale d'entretien allouée aux
corps de troupes et la masse d'entretien de harnacliement
et de ferrage. Le?.prestations ennature sont les subsistances
et le chauffage,
SOLDE ( Commerce). On appelle solde dhin compte la
différence qui existe entré le débit et le crédit en faveur de
l'un ou de l'autre des correspondants. Il est d'un usage cons-
tant dans le commerce que la solde d'un compte courant
entre un commerçant et un banquier, fait en fin d'année,
s'augmente chaque année par ia capitalisation des intérêts,
SOLE , sous-genre de poissons de la famille des p 1 e u -
ronectes. Les soles ont pour caractères particuliers:
Bouche contournée et comme monstrueuse du côté opposé
aux yeux, garnie seulement de ce côté-là de fines dents en
velours serré, tandis que le côté des yeux est complètement
dépourvu de dents; museau rond, presque toujours plus
avancé que la bouche ; nageoire dorsale commençant sur la
bouche et régnant, aussi bien que l'anale, jusqu'à la caudale;
deux pectorales. L&sole commune (pleuronectes solea,h. ),
brune du côté des yeux , a la région pectorale tachée de
noir. Sa chair, tendre, délicate, d'une saveur fine, lui a valu le
surnom de perdrix de mer. On la trouve dans la Baltique,
dans l'océan Atlantique, et principalement dans la Méditer-
^ ranée ; (Quelquefois elle remonte le cours des fleuves.
i SOLECISME (du latin .soiec!5?jiî<5 ), faute grossière
DJCT. DE LA CONVERS. — T. XVI.
' contre la synlaxe. Quelques savants font venir le mot so-
lécisme de Soies, ville de l'île de Chypre, autrefois Solia,
et qui fut bâtie sous les auspices du célèbre S ol on, lequel
vécut quelque temps à la cour de Philocyprus, roi de Chypre.
Bientôt la richesse et les agréments du pays y attirèrent une
foule d'étrangers : les .\théniens surtout vinrent s'y établit
en grand nombre. Peu à peu ces derniers perdirent, dans le
commerce des anciens habitants, la pureté de leur langage,
qui se corrompit tellement qu'il passa en proverbe : ùe là
vient que faire des solécismes signifie proprement parler
comme à Soles, c'est-à-dire se servir de locutions vicieuses.
Le mot solécisme a été longtemps employé comme sy-
nonyme de barbarisme ; mais c'est à tort : le barba-
risme résulte de l'emploi d'un mot barbare, qui n'appar-
tient à aucune langue. Le solécisme est une violation des
règles établies pour la pureté et l'exactitude du langage.
Toute faute contre les préceptes de la grammaire est un so-
lécisme, quoique tous les mots employés soient exactement
orthographiés. Ainsi, on ferait un double solécisme si , au
mépris de la règle des participes , on disait : La promesse
que ya\ fait, je l'ai oublié; puisque la règle veut/aj^e et
oubliée. Champacnac.
SOLEIL, astre lumineux au sort duquel nous sommes
attachés, comme faisant partie du système solaire, qu'il
gouverne. Le Soleil tourne sur son axe en vingt-cinq jours \ ;
son volume et sa masse surpassent les volumes et les mas-
ses réunis de tous les corps du système : on estime que son
diamètre équivaut à 1,400 fois celui de la Terie, mais que
sa densité n'est guère que le quart de celle de notre globe;
en sorte que la masse solaire ne serait que 337,000 fois la
masse terrestre, La surface du Soleil n'est pas toujours éga-
lement lumineuse : on y observe de temps en temps de»
taches moins brillantes et même obscures en comparaison
du reste du disque. Leur forme et leur étendue sont varia-
bles, ainsi que leur durée; elles sont comparables, à plu-
sieurs égards, aux nuages suspendus dans l'atmosphère ter-
restre, et il est très-probable que cet astre est environné
d'un Huide qui s'élève à une très-grande hauteur, et dans
lequel des vapeurs se répandent, se condensent, tombent
ou repassent à l'état de fluide, comme les météores analo-
gues que nous voyons ici. C'est du Soleil que les autres corps
du système reçoivent la lumière et la chaleur. En est-
il la source, ou son pouvoir échauffant et lumineux est-il
le résultat du mouvement qu'il imprime à l'éther, fluide
que l'on suppose répandu dans tout l'univers? Ce qui ne
peut être en question, c'est que sans l'action solaire tout
serait froid et obscur autour de cet astre. Il préside à tout
le système, règle la marche et par conséquent les destinées
de tous les corps qui lui sont subordonnés. Tant qu'il ré-
gnera seul sur le petit nombre de sujets qui peuplent son em-
pire, l'harmonie n'y sera pas troublée. Des calculs rigoureux
ont prouvé que tout y est disposé pour la stabilité ; mais les
observations semblent indiquer un mouvement de tout notre
système vers la constellation d'Hercule.
Les altérations très-légères dont la forme globuleuse du
Soleil peut être susceptible ne sont pas sensibles à la simple
vue : son disque paraît exactement circulaire. Mais le corps
du Soleil est-il solide ou gazeux, ou tous les deux à la fois?
Les astronomes ne sont pas d'accord sur ce point. Les ap-
parences particulières des taches et des changements qu'elles
subissent tendent à faire admettre que, quel que puisse être
eu lui-même le globe du Soleil , il est certainement entouré
d'une enveloppe gazeuse ; et le fait découvert par Arago
que la lumière directe du Soleil n'est pas polarisée tend à
prouver que cette enveloppe est une flamme. Voici par quel-
les expériences M, Wood croit pouvoir confirmer cette opi-
nion , aujourd'hui le plus généralement admise, U a pris
dans la chambre obscure et sur une même plaque photo-
graphique, qu'il faisait avancer successivement, une série
de huit images du Soleil, obtenues, la première par une
exposition presque instantanée, la seconde par une expo-
sition un peu plus longue , et ainsi de suite. En e&aiainant
17
258
SOLEIL
ensuite attentivement ces images, il a vu : 1° qu'elles dif-
féraient notablement de grandeur, et que leur diamètre al-
lait constamment en augmentant jusqu'à une certaine limite,
à mesure que le temps de l'exposition était plus long; 2° que
le centre de chaque image était beaucoup plus impressionné
que les bords. Ce dernier fait, déjà connu, prouve simple-
ment que la lumière de la portion centrale du Soleil est plus
intense ou plus énergique que la lumière des bords. Mais
que signifie l'accroissement du diamètre de l'image? M. Wood
a pris dans la chambre obscure des images successives de la
flamme d'une chandelle et d'un bec à gaz, et il a constaté
que, comme pour le Soleil, les dimensions des images crois-
sent comme le temps de l'exposition. Il a opéré de la même
manière sur la lumière Drummond, c'est-à dire sur un mor-
ceau de chaux rendu incandescent par un jet enflammé
d'oxygène et d'hydrogène , et il a vu cette fois qu'au con-
traire le diamètre de l'image restait sensiblement le même
par des temps d'exposition très-diiférents, sauf toutefois
une légère auréole, due à l'atmosphère gazeuse qui entoure
la chaux. La lumière du Soleil agit donc non pas comme
la lumière des corps solides , mais comme la lumière des
corps gazeux ; il est donc probable que sa surface est une
enveloppe gazeuse.
Les taches du Soleil , dont nous avons parlé plus haut ,
ont été l'objet de nombreuses conjectures. Sur ce difficile
sujet , nous laisserons un instant la parole à M. Babinet :
« W. Herschel est celui à qui nous devons le plus de bonnes
observations sur tout ce qui n'est pas exclusivement re-
latif aux mouvements célestes , lesquels sont, du reste, le
fondement de l'astronomie. Suivant cet incomparable ob-
servateur, les taches du Soleil sont produites par des cavités,
des ouvertures qui se font dans l'enveloppe lumineuse du
Soleil. Cet astre n'est pas lumineux par lui-même. C'est un
noyau obscur recouvert et enveloppé d'une atmosphère
brillante, laquelle nous envoie la chaleur et la lumière qui
sur notre Terre se traduisent en saisons et en climats , en
productions végétales et animales , et enfin en tout ce qui
est du domaine de la météorologie. Herschel admet que
l'espèce d'océan de matière chaude et lumineuse qui forme
le contour apparent du Soleil est une couche assez mince
suspendue à distance au-dessus du corps solide et obscur
de l'astre, qui, se trouvant ainsi soustrait à la nécessité d'être
lui-même à la chaleur de nos fourneaux les plus actifs,
pourrait admettre des habitants. En général, la rage de
peupler les astres a gagné un grand nombre de têtes sa-
vantes. On a voulu peupler la Lune et toutes les planètes.
Pour la Lune, nous la voyons assez bien pour être assurés
que rien n'y végète, n'y change et ne se meut. Les volcans
même en éruption actuelle y sont fort problématiques. Les
planètes, d'après l'analogie de la Terre, peuvent être consi-
dérées comme peuplées d'animaux et de végétaux. On n'a
pas manqué d'y placer des êtres doués de raison et ana-
logues à l'être pensant de notre Terre, à l'homme. Mais ce-
lui-ci est depuis si peu de temps en possession de cette
planète, que le raisonnement d'analogie sur lequel on s'ap-
puie aujourd'hui n'aurait rien valu il y a quelques mille
ans, à l'époque où l'homme n'existait pas encore. Quant au
Soleil, toutes les analogies sont contre l'idée de le regarder
comme ayant à sa surface et sous son enveloppe ardente
des êtres vivants, soit végétaux, soit animaux.
« La cause qui fait que cette couche incandescente vient à
se rompre , à s'entr'ouvrir pour nous laisser voir le noyau
obcur du Soleil , est parfaitement inconnue. On voit tout
autour de l'espèce de puits qui s'ouvre l'éclat de la surface
solaire diminuer jusqu'aux bords escarpés de l'ouverture
qui s'est formée. On aperçoit l'épaisseur de sa couche
brisée, et par-dessous la vue pénètre jusqu'au corps so-
lide et comparativement noir de l'astre. La cause qui rend
lumineuse l'enveloppe solaire nous est aussi inconnue que
la cause qui de temps en temps en produit la rupture.
Une constitution si singulière dans cette masse gigantesque,
qui est quatorze cent mille fois plus volumineuse que la
Terre , interdit toute présomption d'analogie avec ce que
nous voyons à la surface de notre globe.
« L'océan lumineux qui recouvre le Soleil est loin d'être
dans un état de calme absolu. Souvent toute la surface
solaire est couverte de petites protubérances lumineuses
qu'Herschel père compare aux petites inégalités arrondies
qui s'observent sur la peau d'une orange. D'autres-fois, ces
espèces de vagues lumineuses ne couvrent qu'une partie de
l'astre. Tantôt ces vagues sont étendues comme celles d'une
mer houleuse qui ne brise point, tantôt elles dégénèrent en
un petit pointillé à grains très-serrés "comme les aspérités
de certains fruits , et notamment de ceux du cornouiller.
On a recoimu par le mouvement de ces taches que le So-
leil tourne sur lui-même en vingt-cinq jours et un tiers
environ. Quand la matière lumineuse s'entasse en quelque
point, elle y forme une tache brillante, qu'on appelle/acw/e
et dont l'apparition précède souvent la rupture qui produit
la tache à centre noir. Rien de plus varié que la forme de
ces ouvertures, qui offrent des dentelures et des déchi-
rures bizarres sur les bords de l'escarpement.
« L'éclat des bougies, des lampes, des becs de gaz et des
métaux en fusion est plusieurs milliers de fois moins
grand qu'une étendue pareille découpée sur le disque du
Soleil. La lumière électrique seule est comparable à celle du
Soleil ; même en transmettant le courant de la pile par cer-
tains métaux , M. Foucault a trouvé dans la lumière élec-
trique décomposée par le prisme des bandes brillantes su-
périeures en éclat aux bandes correspondantes que fournissent
les rayons du Soleil. On a donc pensé que la lumière du Soleil
était une lumière électrique, et le Soleilentier unegrande pile
voltaïque; mais personne n'a pu constituer raisonnablement
cet immense appareil. Il est probable qu'il nous manque bien
des données pour en arriver là . Si nos devanciers , qui ne
connaissaient pas les feux électriques, avaient été forcés de
faire la théorie de l'incandescence du Soleil , il est évident
qu'il leur eût manqué ce puissant agent théorique, comme
sans doute il nous manque encore bien des connaissances
pour établir ou même entrevoir la cause qui rend lumi-
neux et notre Soleil et les autres Soleils en groupes in-
nombrables qui remplissent les profondeurs de l'espace à
des distances incommensurables. »
L'action du Soleil ne se borne pas à présider au mou-
vement des astres qui l'entourent; elle est aussi physiolo-
gique. Cette influence suprême peut être constatée depuis
l'équateur jusqu'aux pôles, dans les différents climats, dans
la succession des saisons, dans celle des jours et des nuits.
Un savant illustre, Lavoisier, a dit que Dieu en apportant
la lumière avait répandu sur la Terre le principe de l'organi-
sation du sentiment et de la pensée. Les effets de la chaleur
solaire sur les animaux sont de colorer la peau, de l'affermir,
de l'enflammer, et d'augmenter la circulation du sang, de co-
lorer les poils des quadrupèdes, les plumes des oiseaux et les
élytres des insectes ; sur les végétaux , de colorer les feuilles
en vert, de nuancer les fleurs, de mûrir les fruits et de leur
donner leur saveur. La chaleur du Soleil augmente aussi
l'énergie du système nerveux , dissipe la tristesse et la mé-
lancolie. Sous son influence, tout se réveille, .s'anime; les
fleurs s'épanouissent, les oiseaux chantent ; lorsqu'elle dis-
paraît, la plupart des fleurs se ferment, les oiseaux cessent
de chanter : tout se tait, tout s'endort. Aussi les anciens
considéraient-ils le Soleil comme cause du mouvement uni-
versel et de la vie. L'influence de ce vaste corps sur tous
les êtres ne peut être l'objet d'aucun doute. Sa puissance a
été célébrée par tous les peuples. C'était le Bel ou Baaldes
Chaldéens , le Moloch des Cananéens, le Béelphégor des
Moabites, ['Adonis des Phéniciens et des Arabes, le Saturne
des Carthaginois , rosjrjs des Égyptiens, le Mithras des
Perses, le Dionisiiis des Indiens, enfin le Phébus ou V Apol-
lon des Grecs et des Romains. Cicéron comptait cinq So-
leils : l'un fils de Jupiter, le second d'Hypérion , le troi-
sième de 'Vulcain, surnommé Opas, le quatrième avait pour
mère Acantho, et le cinquième était père d'Ééta et de Circé,
SOLEIL — SOLFATARA
259
Les Grecs adoraient le Soleil. C'était à Rhodes surtout
qu'on lui rendait un culte pompeux et solennel; et ce fut
îà qu'on lui dédia ce colosse fameux , mis au nombre des
sept merveilles du monde. Les Syriens lui rendaient aussi
les plus grands honneurs. L'empereur Héliogabale, qui avait
été pontife du Soleil en Syrie, lui fit bâtir à Rome un temple
magnifique. Les Massagètes, selon Hérodote , et les anciens
Romains, selon Jules- César, adoraient le Soleil , et lui sa-
crifiaient des chevaux, pour marquer par la légèreté de cet
animal la rapidité de cet astre. Chez les Égyptiens, le Soleil
était l'image de la Divinité. Ils y ajoutaient plusieurs attri-
buts , pour désigner différentes perfections de la Providence.
Ainsi, pour faire entendre que la Providence fournit abon-
damment aux hommes et aux animaux leur nourriture, on
accompagnait le cercle symbolique du Soleil des plantes les
plus fécondes. Les habitants d'Hiéropolis avaient défendu
de le représenter; mais chez d'autres peuples il avait ses
images, ses représentations. On le désignait par un homme
portant un sceptre ou un fouet , et quelquefois aussi par
un œil : le feu sacré , entretenu religieusement dans les
temples, n'était que son emblème. Les fêtes que l'on a ins-
tituées en son honneur, au printemps et au solstice d'été, à
l'époque où il vient vivifier notre hémisphère ; la tristesse
et le deuil dont il était l'objet lorsqu'il rétrogradait vers l'Iié-
misphère austral attestent que dans tous les temps les
peuples, et surtout ceux de l'Orient, l'ont considéré comme
le père de la nature ou comme un des agents visibles de la
puissance suprême.
Dans les anciens duels, partager le soleil entre les com-
battants, c'était les placer de telle sorte que le soleil n'in-
commodât pas plus l'un que l'autre. Adorer le soleil levant,
c'est s'attacher, faire sa cour au pouvoir ou au crédit nais-
sant. Le soleil luit pour tout le monde, c'est-à-dire il est
des avantages dont tout le monde a le droit de jouir. Dans
le langage de l'Écriture , le soleil de justice est Dieu.
Soleil se dit aussi d'un cercle d'or ou d'argent, garni de
rayons, dans lequel est enchâssé un double cristal destiné
à renfermer l'hostie consacrée, et qui est posé sur un pied,
ordinairement de même métal.
SOLEIL (Botanique), nom vulgaire de Yhélianthe
annuel.
SOLEIL ( Compagnies du ). Voyez Compagnies de
JÉHU.
SOLEIL (Coup Ac,).\'oyez Insolation.
SOLEIL (Pierre de), nom vulgaire du feldspath
aventuriné.
SOLEIL (Pyrotechnie). VoyezV?.v d'Artifice.
SOLEXOIDE. Si l'on prend un fil de cuivre recouvert
de soie , qu'on le replie sur lui-même en hélice , en ayant
soin qu'une des extrémités du fil soit ramenée suivant l'axe
dans l'intérieur de cette hélice, et si l'on fait parcourir le
circuit par un courant électrique , on aura un solénoïde.
Il résulte des propriétés des courants sinueux que l'action
du courant rectiligne suivant l'axe est annulée , et qu'un
solénoïde équivaut à une suite de courants circulaires égaux
et parallèles. Lorsqu'un courant rectiligne agit sur un solé-
noïde, il tend à diriger parallèlement à lui-même les circuits
de ce solénoïde. Enfin, les solénoïdes agissent entre eux à la
manière des aimants. Il en est de même entre les aimants
et les solénoïdes.
SOLÉMOSTOME. Voyez Lophobranches.
SOLEURE, en allemand Solothurn , le dixième canton
de la Suisse, qui accéda à la confédération, en 1481 , en
même temps que Fribourg, confine à l'ouest à la France,
au nord au pays de Bâle , à l'est au canton d'Argovie , et au
sud à celui de Berne. Sa superficie est de 9 myriam. carrés,
et sa population de 69,674 habitants, qui, sauf 8,079 ré-
formés, groupés principalement dans le cerle de Bucliegg-
berg, professent tous la çeligion catholique. Le pays est
entrecoupé par quelques âpres chaînes du Jura, dont le
pic le plus élevé porte le nom du Hasenmatte ; mais la
plus grande partie, arrosée p^r l'Aar, offre un sol fertile
et bien cultivé. Les montagnes eltes-mèuies sont utilisées soit
pour l'élève du bétail, soit pour la culture. Malgré sa forte
population, Soleureestdu petit nombre des cantons qui non-
seulement produisent des céréales en quantité suffisante
pour leur consommation , mais qui peuvent même en ex-
porter. Le culture des arbres fruitiers et du lin y a pris'des
proportions considérables ; la culture de la vigne est bien
moins importante. On file beaucoup de lin et de coton, mais
généralement pour le compte de fabricants étrangers. On y
trouve d'importantes mines de fer , et on y fabrique aussi
beaucoup de verroterie et de poterie. Le kirsch constitue un
article de commerce assez important. Tout récemment la
fabrication des montres a trouvé aussi accès dans le canton
de Soleure. La plus grande partie de la population vitdes
produits du sol ; le reste s'occupe de commerce. La consti-
tution de 1831 fut soumise en 1841 à uno révision conçue
dans l'esprit libéral , et améliorée dans ses points les plus
importants. On introduisit alors dans le mécanisme de la
puissance publique plus de cohésion et de simplicité; les
élections directes au grand conseil furent augmentées , et les
élections indirectes diminuées; tous les privilèges que la ville
de Soleure avait jusque alors possédés pour la représenta-
tion furent abolis. La puissance législative et de surveillance
est exercée par un grand conseil de cent-quinze membres, dont
cinquante-cinq étaient immédiatement élus par le peuple, qua-
rante-el-unmédiatement par des électeurs, et neuf par le grand
conseil lui-même. A la tête du pouvoir exécutif était un conseil
de gouvernement, présidé par un landamman. La justice est
rendue en dernière instance par un tribunal supérieur. Pour
la première instance chaque bailliage a un tribunal civil et
lin tribunal de police ; et les affaires criminelles de tout le
canton sont jugées par une cour criminelle. La plus impor-
•nnte des modifications opérées lors de la révision de 1851
a été la suppression des élections indirectes.
Le chef-lieu, Solelue, sur le versant oriental du Jura, et
au pied du Weissenstein , haut d'environ 1,350 mètres et
célèbre par l'immensité de la vue qu'on y découvre, est
situé dans l'une des plus charmantes contrées de la Suisse,
où les pâturages abondent plus que les terres arables , où il
y a plus de montagnes que de plaines, beaucoup d'arbres
fruitiers , de grandes forêts , et partout de jolies maisons de
campagne. La ville est bâtie sur une petite colline domi-
nant l'Aar, qui la sépare en deux parties inégales, reliées par
des ponts de bois, et a 5,370 liabitants. Des promenades
agréables entourent la ville. Parmi ses édifices on remarque
la cathédrale, placée sous l'invocation de saint Ursin, l'église
des jésuites et l'arsenal, contenant beaucoup d'antiques ar-
mures et d'étendards pris dans les combats. On y trouve
un gymnase, plusieurs couvents, une bibliothèque commu-
nale de 8,000 volumes , un hospice d'orphelins et diverses
fabriques. Un fort commerce de transit donne à cette ville
beaucoup d'animation. A deux kilomètres du là on trouve l'er-
mitage de Sainte-Vérone.
SOLFATAllA (en français 50?</riè;-e). C'est le nom
qu'on donne en italien à tout cratère de volcan devenu
moins actif qu'une montagne projetant du feu, et n'exha-
lant que des gaz , qui décomposent et dissolvent les roches
de diverses manières. Les plus célèbres solfatares se trou-
vent en Italie, aux Antilles , dans l'intérieur de l'Asie et à
Java. A l'ouest de Naples, sur la côte de Pouzzoles, on trouve
vingt sept cratères dans la plaine connue des anciens sous le
nom de Champs Phlégréens et appelée encore aujourd'hui
Campi Flegrei. L'un de ces cratères , qui depuis l'an 655
n'a point eu d'éruption , est la Sol/atara de Pouzzoles , à
environ deux kilomètres du lac d'Agnano et de la fameuse
Grotte du Chien, bassin long d'environ 417 mètres sur
333 mètres de large, entouré presque de tous les côtés par
des collines couvertes de châtaigniers , qu'on appelle Monti
Leucogei, surface blanchâtre, morte, en quelques endroits
chaude et en d'autres brûlante , rejetant incessamment du
soufre liquéfié et des vapeurs ammoniacales et sulfureuses.
L'écho sourd et souterrain qu'on entend surtout distinctement
17.
280
SOLFATARA — SOLIDE
quand on jette une ])ierre dans le gouffre béant, qui se trouve I
à peu près au centre de hsol/atara, prouve d'une manière
irréfragable que tout cet espace est profondément miné , et
que probablement il n'est recouvert que d'une muice
écorce terrestre. Les naturalistes s'accordent à dire que ce
feu intérieur devra finir par consumer à son tour celte écorce
extérieure, qui disparaîtra quelque jour pour ne plus laisser
voir qu'un immense lac de feu. Il est indubitable que celte
solfataraest un volcan en voie de s'éteindre , et qui a dû
être en activité bien avant toutes les éruptions du Vésuve
que mentionne l'bistoire. Les vapeurs qui s'en écbappent
sont utilisées pour bains médicinaux, et des buttes en
olancbes ont été construites à cet effet.
On appelle encore sol/atara ou lago d'acqua sidfurea
£ lac sulfureux) un lac très-profond , mesurant une ving-
taine de mètres de diamètre, situé entre Rome et Tivoli, au
milieu duquel se trouvent plusieurs îles flottantes , dont
Teau dépose une matière susceptible d'acquérir une grande
dureté et avec laquelle, suivant quelques auteurs , seraient
construits les murs cyclopéens.
Le cratère, ou la soufrière du Morne-Garou, dans l'Ile
Saint-Vincent, l'une de Petites-Antilles, a près de 5 kilomè-
tres de circuit, 166 mètres de profondeur, et à son centre
un cône dont le sommet est couvert de soufre.
La soufrière de la Guadeloupe , l'une des Antilles fran-
çaises, esta 1,600 mètres d'élévation, et vomit constamment
de la fumée, quelquefois même aussi de la flamme. Plu-
sieurs montagnes de la Dominique ( Antilles anglaises )
contiennent également des soufrières, qui projettent sans
cesse des vapeurs sulfureuses, et dont les environs sont si
Gliauds, qu'on ne peut y marclier. La soufrière de l'île an-
glaise de M o n t s e r r a t présente les mêmes pbénomènes. Ce
qu'on appelle à Java la vallée empoisonnée est encore une
solfatare éteinte, qui exliale une si grande quantité d'acide
carbonique, qu'aucun être vivant ne saurait en approclier
sans tomber mort aussitôt. Mais la plus grande de toutes
les soufi ières connues est la solfatare cVOuroumlsl , siluée
à l'ouest de la ville d'Ouroumtsi ( Cliine), presqu'au centre
de l'Asie, au nord du Bogdo-Ola, le plus élevé des massifs
des monts Tbiang-Sang, entre le volcan Petscban à l'ouest
et le volcan Hotscbéou à l'est. Les liabitanls rap{)ellent la
plaine brûlante. Elle a 5 myriamètres de circuit, et est
couverte de cendres en agitation perpétuelle. Si on y jette le
moindre objet, il se produit aussitôt une flamme qui consume
tout; si on y jette une pierre, il s'en dégage une fumée noi-
râtre. Les oiseaux se }.;anleiU bien de voler au-dessus.
SOLFEGE, SOLFIER ( Musique ). On nomme. solfège,
ou mieux so/fcgcs , tout recueil d'exercices, d'études ou
d'airs disposés le plus ordinairement dans un ordre pro-
gressif, et destinés à être solfiés, c'est-à-dire chantés en
prononçant les syllabes qui servent de dénomination aux
notes. Ce nom de 5o//t'p'e5 s'applique également aux livres
élémentaires qui enseignent les principes delà musiqueengé-
néral, et qui contiennent des leçons pour exercer les élèves à
solfier. Toute bonne éducation musicale doit commencer
par une longue pratique des solfèges, soit qu'on se borne
à l'étude du chant , soit qu'on se proprose d'apprendre
à jouer d'un instrument quelconque; car il n'y a rien de
comparable aux exercices de solmisation pour acquérir le
sentiment de la mesure et la justesse de l'intonation. Pres-
que tous les peuples de l'Europe, hors les Allemands,
emploient pour solfier les syllabes correspondantes aux
sept notes de la gammede Guy d'Arezzo, si cen'estqu'ils
remplacent la première syllabe du premier degré ut par
cette autre do , comme moins sourde et plus douce à pro-
noncer. Il n'y a, du reste, aucun signe usité pour exprimer
en solfiant les demi-tons de l'éclielle. C'est une imperfection
i. laquelle il serait très-facile de remédier; cependant, l'usage
a repoussé toutes les innovations qui ont été tentées dans
M but. Charles Bechem.
SOLGER (Karl-Wiuielm-Ferdi.nand), l'un des philo-
sophes les plus importants de l'école de l'identité, né en
1780, à Schwedt, dans l'Uckermark, suivit à partir d«
1801 les cours de Schelling, à l'université d'Iéna.et
occupa d'abord un petit emploi administratif à Berlin. Mais
il y renonça en 1806, pour pouvoir exclusivement se con-
sacrera l'étude des sciences, et se retira à Schwedt, où il ter-
mina une traduction estimée des œuvres de Sophocle ( Berlin,
1808; 2" édition, 1824). Plus tard il fut nommé profes-
seuragrégé à l'université de Francfort-sur-l'Oder, puis à celle
de Berlin. C'est dans celte ville qu'il mourut, en 1819.
Parmi ses ouvrages nous mentionnerons plus particulière-
ment Erwin, quatre dialogues sur le beau et sur Part
(Berlin, 1815), eX Dialogues philosophiques (1817).
SOLICITOR.loyes Attorney et Counsel.
SOLIDARITÉ ( Droit ), confusion établie entre les
droits de plusieurs co-intéressés, de telle sorte que chacun
d'eux est obligé pour le tout comme s'il était seul débiteur,
ou bien a une action pour le tout comme s'il était seul
créancier. La solidarité existe donc sous deux rapports ,
relativement aux créanciers ou aux débiteurs entre eux.
L'obligation est solidaire entre les créanciers quand
le titre donne expressément à chacun d'eux le droit de de-
mander le payement de la créance, et que le payement
fait à l'un d'eux libère entièrement le débiteur, bien que la
créance soit partageable entre les créanciers. Dans ce
cas , le débiteur, tant qu'il n'a pas été prévenu par les
poursuites de l'un des créanciers solidaires, a le choix
de payer à l'un ou à l'autre, quoique la remise que lui
fasse l'un d'eux ne le libère que pour la part de celui-
là. L'effet de cette solidarité entre créanciers est tel que
tout acte interruptif de la prescription à l'égard de l'ua
d'eux profite à tous les autres.
Vobligation est solidaire entre les débiteurs quand ils sont
obligés à une même chose, de manière que chîicun puisse être
contraint pour la totalité, et qu'un seul en el'lectuant le paye-
ment libère tous les autres. La solidarité peut exister, quoique
l'un desdébiteurs soit obligé différemment de l'autre au paye-
ment de la même chose : si, par exemple, l'un n'a contracté
qu'une obligation conditionnelle , et l'autre une obligation
pure et simple. Toutefois, la solidarité ne se présume pas, et
à moins qu'elle ne soit prononcée par la loi, elle doit être
expressément stipulée. Les principaux effets de la solidarité
entre débiteurs sont de donner au créancier le droit de s'a-
dresser à celui qu'il veut choisir, sans division préalable ; de
pouvoir, nonobstant les poursuites faites contre l'un des
débiteurs , en exercer de pareilles contre les autres ; de ré-
clamer de codébiteurs solidaires le prix de la chose , si elle
a péri par la faute ou pendant la demeure de l'un ou de
plusieurs d'entre eux ; d'interrompre la prescription contre
tous en exerçant les poursuites contre l'un des débiteurs
solidaires , et de faire courir les intérêts à l'égard de tous,
en formant à ce sujet une demande contre l'un d'eux.
La solidarité légale produit absolument les mêmes effets
que la solidarité conventionnelle. C'est surtout en matière
de quasi-dé lits, de délits et de crimesque s'applique
la solidarité légale. L'obligation imposée à chacun de ré-
parer le dommage qu'il a causé par son fait s'étend égale-
ment à tous ceux qui ont pris part au fait dommageable ; tous
sont tenus à cette ré[.aration au même titre et pour la totalité
du dommage sans distinction , parce qu'il s'agit d'un fait
indivisible relativement à celui qui a souffert. L'article 55
du Code Pénal porte que tous les individus condamnés pour
un même crime ou pour un même délit sont tenus solidai-
rement des amendes, des restitutions, des dommages-m-
térêts et des frais. L'acticle 156 du tarif en matière crimi-
nelle ajoute que la condamnation aux frais sera prononcée
dans toutes les procédures solidairement contre tous les
auteurs et complices du même fait et contre les personnes
civilement responsables du délit. Guillemeteau.
SOLIDE, SOLlDlTri. Dans l'acception vulgaire, on ap-
pelle solide un corps dont les molécules constituantes sont
liées entre elles par une force de cohésion qui ne leur
permet pas de se disjoindre dans les mouvements qa'on
SOLIDE — SOLIMAN
261
imprime à toute la masse, à moins que ceux-ci ne soient
très-violents. Dans ce sens , il est l'opposé de liquide , ou
du moins désigne un état cliimique ou physique différent.
Le calorique est un des plus puissants agents qui aient la
propriété de faire perdre aux corps l'état de solidité, en les
rendant liquides ou gazeux.
So/trfe, dans l'acception familière, est pris aussi parfois
pour l'opposé àejragile, de peu durable. Figurément, so-
lide s'emploie pour réel, effecti/, durable, matériel, etc. :
Raison, principe, esprit, jugement solides.
C'est seulement en mathématiques que l'acception de ce
mot est déterminée d'une manière rigoureuse et précise :
solide ou volume signifie alors l'une des trois espèces de
corps qui sont l'objet des études de la géométrie ; c'est celle
qui réunit à la fois les lignes, les surfaces et les capacités,
ou les trois dimensions en longueur, largeur, et profondeur
ou épaisseur. L'existence même de la matière n'est pas né-
cessaire pou'' formuler dans l'esprit l'idée d'un solide géo-
métrique : ainsi , la capacité intérieure d'un vase , d'une
chambre, quand on les supposerait absolument vides d'air
etf de toute es[ièce de coips , n'en représente pas moins
l'idée de l'être solide géométrique , et se trouve souinise ,
dans l'appréciation de ses divers attributs ou propriétés ,
telles que la mesure de son étendue , par exemple , à l'ap-
plication rigoureuse de toutes les règles mathématiques
applicables aux solides représentés par des corps matériels.
Les solides sont réguliers ou irréguliers, suivant la nature
des surfaces qui en forment la partie extérieure. Le cube ,
ou solide qui sert de moyen de mesure conventionnelle
pourtous les autres, est terminé par six faces régulières, qui
sont chacune un carré parfait. Le parallélipipède est
engendré par l'une de ses bases qui se meut le long d'une
de ses arêtes et perpendiculairement à celle-ci. Lapy
r ami de est un solide terminé en pointe, dont la base
est figurée par un polygone quelconque , régulier ou irré-
gulier, et dont les autres faces figurent autant de triangles
qui se réunissent au sommet. Il y a trois espèces de solides
terminés par des faces sphériques ou circulaires : ce sont le
cylindre,\ec6neel\3i sphère. Le cercle, Vellipse,
la parabole et Vhyperbole sont des courbes résultant de
diverses sections particulières d'un cône par un plan , et c'est
un phénomène bien admirable que celui par lequel l'action
des diverses forces en activité dans la nature reproduit ces
sec tions dites coniques. La solidité d\in cube s'obtient
en en mesurant la surface de la base par la hauteur; celle du
cylindre est dans le même cas. Celles de la pyramide et
du cône résultent de la multiplication de la base par le tiers
de la hauteur. Celle de la sphère , qui est la réunion d'une
infinité de cônes ou de pyramides, se mesure de même,
c'est-à-dire qu'on multiplie la surface des bases ou de la
sphère , ou quatre fois celle d'un des grands cercles , par le
tiers du rayon.
SOLIDUS, nom de la monnaie d'or que l'empereur
Constantin fit frapper en l'an 330 en remplacement des mon-
naies impériales d'or (aurais imperatorius ) , qni avaient
jusque alors été en usage. Leur poids fut fixé à un sixième
a'once, d'où leur nom de solidus sextularius ; et par con-
séquent de la livre romaine, de 24 de fin, on frappait 72 so-
lidi d'une drachme et demie chacun, subdivisés encore en
sentisses, tremisses, quadrantes , c'est-à-dire j \ \. L'or
qu'on y employait était généralement à 23 carats. Le nom
de solidus se conserva dans la monarchie franke ; mais
la signification et la valeur des monnaies qu'il désigna
changèrent. Sous les Mérovingiens et les Carlovingiens, voici
en effet quelles furent les principales monnaies : la livre
d'or, le solidus d'or (appelé solidus aureus, ou simple-
ment solidus ou encore az(re«5) et le tiers du solidus d'or
(triens ou tremîssis); la livre d'argent, le solidus d'ar-
gent, le tiers du solidus d'argent ( tremissis ), et le denarius
(appelé aussi parfois tout simplement argenteus). Cepen-
dant la livre d'or, la livre d'argent , le solidus d'argent et son
tiers n'étaient que des monnaies de compte. On ne frappait
et on ne livrait réellement à la circulation que le solidus
d'or, le triens d'or et le denarius. Ce dernier, \& denarius,
qui était toujours en argent, peut être considéré comme
l'unité du système monétaire des Franks ; car il formait une
partie aliquote aussi bien du solidus d'or que du solidus
d'argent, et 40 denarii firent un solidus d'or tant que ces
deux monnaies subsistèrent ensemble. Sous les Mérovin-
giens, le système monétaire partagea, il est vrai, toutes les
perturbations et fluctuations administratives et politiques du
pays ; mais en moyenne on frappa, avec la livre romaine d'or
qu'on avait conservée, 87 solidi d'or, qui par conséquent pe-
saient un peu moins que ceux de Constantin ; la livre d'ar-
gent, au contraire, se frappait à peu près à 25 solidi d'ar-
gent (c'est-à-dire à 275 deniers). Pépin , dans les premières
années de son règne, conserva cette valeur des monnaies;
mais plus tard il ne fit plus frapper à la livre que 22 solidi
d'argent (c'est-à-dire 264 deniers); et Charlemagne finit
par restreindre ce nombre à 20 solidi d'argent (c'est-à-dire
à 240 deniers), en môme temps qu'il élevait le poids de la
livre d'à peu près un quart, en sorte que sa livre monétaire
pesait 28 deniers de lin. Mais déjà le roi Pépin avait com-
plètement supprimé les solidi d'or, mesure confirmée à ce
qu'il paraît par Charlemagne, qui tint rigoureusement la
main à son exécution. En conséquence, en 801, il ordonna
que les amendes de la loi salique, qui, comme celles de toutes
les lois des peuples allemands, avaient été évaluées en solidi
d'or, seraient désormais acquittées en solidi d'argent , de
telle sorte qu'un solidus d'argent tint lieu d'un solidus
d'or. Le nombre de pièces fixé par Charlemagne d'a-
près lequel il entrait 20 solidi d'argent, chacun de 12 de-
niers, à la livre, fut conservé pendant tout le moyen âge, tant
qu'on compta par livre ; mais l'aloi ou le titre n'en fut que
plus souvent changé et généralement détérioré. Le poids
de fin du denier carlovingien, par conséquent la livre mo-
nétaire de Charlemagne à 28 deniers de fin équivalait à
88 fr. 30 cent, de notre monnaie actuelle, et son solidus
d'argent à 4 fr. 40 cent. f. Ce rapport d'alliage de 23
parties d'argent fin est souvent mentionné dans le moyen
âge, et appelé argent de roi ou denier de fin de Charle-
magne. Mais le titre et la valeur des solidi frappés plus lard
subirent d'infinies variations, suivant les temps et les lieux.
Consultez Guérard, dans les Prolégomènes de son édition
de la Polyptyque de l'abbé Irminon (Paris, 1844); et
Leber, Essai sur l'appréciation de la fortune privée au
moyen âge (2édit., Paris, 1847).
SOLILOQUE , discours d'an homme qui s'entretient
avec lui-même. Il ne s'emploie guère que dans cette phrase :
\ei^ Soliloques de saint Augustin. Au théâtre on dit mono-
logue.
SOLIMAIV. L'Empire Ottoman a eu trois souverains
de ce nom.
SOLIMAN I", fils de Bajazet ^^ fut proclamé sultan
à Andrinople, en 1402 , en même temps que son frère Mouça
l'était en Asie. Dans la lutte qui s'engagea alors entre les
deux frères , Soliman eut le dessous, et périt en se rendant
àConstantinople, oii il espérait trouver un asile (1410).
SOLIMAN H, surnommé le Grand, le plus célèbre
sultan qu'aient eu les Osmanlis, né en 1496, était le fils
unique de Se l i m l*"', à qui il succéda, en 1 520. Son père l'avait
de bonne heure initié à la connaissance de tous les secrets
de l'État. Au début de son règne, il restitua leurs biens à
tous ceux à qui son père les avait confisqués, rendit aux
tribunaux leur ancienne considération, et s'attacha à ne
confier les grandes charges de la magistrature et les différents
gouvernements de l'empire qu'à des hommes dignes de pa-
reilles fonctions. Après avoir comprimé la révolte du gou-
verneur de la Syrie, il extermina les mameloucks en Egypte,
et conclut une trêve avec la Perse. 11 s'empara ensuite de
Belgrade ( 1521 ), et, en 1522, de l'île de Rhodes , qui jus-
que alors avait appartenu à l'ordre de Saint-Jean-de-Jéru-
salera. Tournant ses armes contre la Hongrie, il gagna, en
1526, la bataille de Mohacs. Après avoir pris Bude, en
262
SOLIMAN — SOLITAIRE
1529, il vint assiéger Vienne, et tenta dans l'espace de
vingt jours vingt assauts consécutifs contre celte place;
mais force lui fut de lever enlin ce siège, après y avoir
perdu près de 80,000 hommes. En 1534 il conquit la Tau-
ride; mais il perdit une bataille contre le scliali Thamasp,
et en 1565 son armée éprouva devant Malle un échec
semblable à celui qu'elle avait essuyé vingt ans auparavant
devant Vienne. L'année suivante ( 1566), il s'empara de l'île
de Chio , et trouva la mort au mois d'août sous les murs de
Szigeth, quatre jours avant que cette ville de Hongrie, qu'il
assiégeait, tombât au pouvoir des Turcs. Soliman ne brilla
pas moins comme politique que comme général. Il était
doué d'une énergie peu commune et rigide observateur de
sa parole et des prescriptions de la justice. S'il souilla sa
gloire par de trop nombreux actes de cruauté, il ne se servit
le plus souvent de son pouvoir que pour faire régner dans
ses États l'ordre et la sécurité. Aussi est-ce sous son règne
que l'empire turc parvint à l'apogée de sa puissance. Il ai-
mait les mathématiques, et avait une prédilection particulière
pour l'histoire. Par amour pour la célèbre Roxelane, femme
russe, dont la beauté, l'esprit et les qualités du cœur l'a-
vaient charmé, il fit périr tous les enfants qu'il avait eus de
ses autres femmes. Il assura de la sorte le trône au (ils qu'il
avait eu de cette princesse, et qui lui succéda sous le nom
de Sélim II.
SOLIMAN m ( 1688-1C91), frère et successeur de Ma-
homet IV, languissait depuis quarante ans dans le sérail,
quand il en fut tiré pour monter sur le trône des sultans.
Son règne, de courte durée, fut signalé par des révoltes à l'in-
térieur, par des revers en Hongrie et par les efforts intel-
ligents de son grand-vizir Kiouperli-Moustapha pour réta-
blir les affaires.
SOLIiV (Caius-Julius SOLINUS), grammairien romain
du deuxième ou du troisième siècle de notre ère, est auteur
d'un ouvrage écrit d'un style recherché, mais peu correct, in-
titulé : Polyhistor, contenant une collection de notices, |)our
la plupart géographiques, et pour lesquelles il s'appuie tou-
jours sur l'Histoire naturelle de Pline. Après l'édition prin-
ceps, publiée sous ce titre : De Situ et mïrabiUbus Orbis
(Venise, 1473 ), il faut citer celles deGrasser (Genève, 1605)
et de Gœl/^( Leipzig, 1777).
SOLIPEDE (du latin solus, seul , ^ipes, pedis , pied).
Ce nom s'applique aux animaux qui n'ont qu'une corne à
chaque pied , dont les pieds se terminent par un seul doigt
renfermé dans un sabot unique. Les solipèdes forment une
famille de mammifères de l'ordre des pachydeimes ; mais
leur taille élevée, leurs formes généralement bien propor-
tionnées, leurs jambes fines, offrent un contraste Irappant
avec les autres espèces de p a c h y d e r m e s : aussi quelques
naturalistes en font-ils un ordre à part. Ce groupe ne com-
prend du reste qu'un seul genre, le cheval, genre dans le-
quel rentrent aussi l'âne et le zèbre.
SOLIS Y RIBADEXEIRA (Antonio de), historien
et poète espagnol, né en loio, à Alcala de Hcnarès, étudiait
le droit à Salamanque , et n'avait que dix-sept ans quand il
composait la comédie Amor y Obligacion, dont le succès fut
très-grand. D'abord secrétaire du comte d'Oropesa , vice-
roi de Navarre, puis de Valence , il remplit plus tard les
mêmes fonctions auprès de Philippe IV, qui le nomma offi-
ciai de la chancellerie. Solis donna sa démission de cette
place en faveur d'un de ses parents ; mais la reine douai-
rière se l'attacha en la même qualité, et le fit en outre nom-
mer premier historiographe des Indes. C'est de la sorte qu'il
fut amené à écrire le plus important de ses ouvrages , sa
célèbre Histoire du Mexique (Madrid, 1685). A l'âge de
cinquante-sept ans, il prit la résolution d'entrer dans les or-
<lres ; et il mourut à Madrid, en 1686.
Ses Poesias parurent à Madrid, en 1692; la dernière édi-
tio est de 1732. Son théâtre, qui se compose de neuf
comedias , fut publié dans la môme ville , en 1681 , et en-
suite en 1716. La meilleure des pièces qu'on y trouve est
intitulée : £1 Alcazardel Secrelo;et la plus connue : Gete-
nilla de Madrid ou Preciosa. C'est une imitation de la
nouvelle de Cervantes qui porte le même titre. Comme poëte
dramatique, Solis brille par la régularité de ses conceptions,
l'élégance du style, l'esprit du dialogue, ainsi que par l'ima-
gination et l'originalité.
SOLITAIRE se dit tantôt d'un lieu désert, peu fré-
quenté, tantôt d'une personne qui fuit le monde et aime à
vivre seule, isolée. Le malheur comme le mysticisme a fait
souvent bien des solitaires qui recherchaient l'isolement
dans des lieux écartés, sauvages, comme par exemple
dans les déserts de la Thébaide, à la naissance du chris-
tianisme, et plus tard dans ce qu'on appela la solitude des
cloîtres. C'est peut-être au défaut d'asiles de ce genre qu'i^
faut attribuer le nombre toujours croissant de suicides qu'on
signale en France. Le malheureux, n'ayant plus où se re-
prendre à la société qui le repousse de toutes parts, cher-
che un refuge dans la mort, à défaut du lien divin de la
religion qu'on a brisé pour lui, et auquel il SB rattachait au-
trefois avec tant de bonheur. On a de l'Allemand Zimmer-
mann un traité des inconvénients de la solitude, traduit
et abrégé en français par Jourdan. •
Les fleurs solitaires, en botanique, sont celles qui nais-
sent se parées les unes des autres quoique sur la même plante.
En architecture, la colonne solitaire est celle qui est
isolée , qui ne fait pas partie d'un ordre, et ne porte pas
d'entablement.
Les joailliers nomment solitaire un diamant détaché,
iwonté seul : si ce diamant est petit , ils lui donnent le nona
d'élincelle.
Ce que les médecins appellent ver solitaire est un ver
ordinairement très-long, blanc, plat et annelé , qui s'en-
gendre dans les intestins, où il est ordinairement seul.
SOLITAIRE, espèce de jeu de dames que l'on joue
seul. Cela n'empêche pas que la partie ne soit intéressée
lorsque plusieurs personnes joutent entre elles à qui aura le
plus tôt satisfait aux conditions du problème. On peut s'y
livrer entièrement seul , comme à un jeu de patience. L'ins-
trument du solitaire est fort simple: il consiste en une ta-
blette de bois, de forme octogone, et percée de trente-sept
trous. Au-dessous est un petit tiroir mobile sur des coulis-
ses, et qui en forme le support lorsqu'on en a extrait les
trente-sept fiches d'os ou d'ivoire, à tête ronde et à extré-
mité pointue. Les trente-sept trous de la tablette sont ainsi
disposés : trois au premier rang , cinq au deuxième , sept au
troisième , au quatrième et au cinquième , cinq au sixième
et trois à la septième et dernière rangée. Chaque fiche est
d'abord posée dans son trou. On prend à ce jeu, comme à celui
des dames , en sautant par-dessus , la fiche qui , soit en ligne
droite, soit obliquement, est précédée d'une case vide.
Votre adversaire enlève à son gré l'une des fiches, et ne
demeure plus que simple spectateur jusqu'à la fin de la
partie. Vous faites disparaître la fiche qui se trouve le plus
rapprochée du vide en sautant par-dessus. Il reste alors deux
trous vacants ; au second coup il y en a trois, etau troisième
quatre; ainsi de suite. Il faut qu'il ne reste en difinitive
qu'une seule fiche sur la tablette; s'il y en a deux ou trois
qui , se trouvant isolées , ne peuvent plus se prendre réci-
proquement, la partie est perdue.
Le solitaire ne saurait évidemment être usité que comme
un passe-temps momentané , et pour céder à une sorte de
défi. Il y a cependant plusieurs marches connues , et aux-
quelles les amateurs se sont plu à donner des noms parti-
culiers. L'une d'elles , dans laquelle on débute par la fiche
centrale numérotée 1 9, s'appelle le lecteur au milieu de
ses amis, à cause de la symétrie bizarre que prennent les fi-
ches restantes vers la fin de la partie. Une autre combinai-
son dans laquelle on commence encore par le n° 19 , se
nomme le tricolet. Dans une autre marche, la fiche nu-
méro 3 étant enlevée , on va de 13 à 3, et l'on finit en sui-
vant une espèce de zigzag pour aller de 34 à 32. Cela
s'appelle le corsaire, à cause de la marche tortueuse et comme
louvoyante que l'on s'astreint à tenir. Breto?».
SOLLOHUli — SOLUN
26»
SOLLOUUB (WLADDM.l-ALEXANDllOWlESCn , coiiite),
l'un des écrivains russes les plus disti/igués le notre époque,
appartient à une famille originaire de la LiUiuanie. Né vers
1815 , à Saint-Pétersbourg , il tut nommé gentilhomme de la
chambre et attaché à l'ambassade devienne. Ensuite, il s'oc-
cupa pendant longtemps uniquement de littérature; mais
en 1850 il fut adjoint, avec le litre de conseiller d'État, au
comte Woronzofl' dans l'administration des provinces
transcaucasiennes. Dès 1841 il débutait comme écrivain pur
une suite de nouvelles publiées sous le titre de Na Son
Grjadutschtschn {2 vol., Pétersbourg , 1841-1843). Le
plus important de ses ouvrages, tant pour le fond que pour
le forme, est incontestablement son Ta/'antos (1845), qui
a déjà été traduit dans diverses langues. 11 y raconte les
voyages d'un jeune Russe de Pétersbourg dans les province?
de l'empire, et y trace le tableau le plus divertissant de la
vie et des habitudesrusses.il a aussi beaucoup écrit pour
le théâtre, entre autres les vaudevilles Zwjetobessic(lSib ) ,
où il raille la mélomanie du grand monde de Pétersbourg ,
et Bjeda ot njeshnago scrdza ( 1850). Les recueils pério-
diques russes ont publié de lui une louie de nouvelles et
d'esquisses, dont bon nombre ont été traduites en allemand.
SOL]\IISATIOi\ , action de solmler, vei be qui s'em-
ployait autrefois pour dire solfier. Voyez Solfège.
SOLMS, ancienne maison de Wetté ravie, qui porta d'a-
bord le titre de comte, qui plus tard obtint celui depi'ince,
et dont la ligne de Braunfels est, depuis le quatorzième
siècle, la souche commune à laquelle se rattachent toutes
celles qui existent encore aujourd'hui , et qui sont tort nom-
breuses. Les deux principales sont celles de Solms-Jiraun-
fels et de Hohen-Solms et Solms-Lich, qui ont toutes deux
le titre de prince. Les possessions de la première sont situées
en Prusse; celles de la seconde, partie sous la souveraineté
du roi de Prusse, partie sous la souveraineté du grand-duc
de Hesse.
Il y aencore des Solms-Laubach, des Solms-Sonnewald ,
des Solms-Weidenfels , des Solms-Sachsen/eldt , des
SolmsBaruth, etc.
SOLO (Musique), mot italien francisé, qui s'applique
en musique à un morceau joué par un seul instrument ou
chanté par une seule voix , avec ou sans accompagnement.
On en étend la signification à l'artiste qui dans un or-
chestre exécute les solos écrits pour son instrument; on
dit, par exemple, violon solo, violoncelle solo , etc. Les
morceaux appelés concertos sont ordinairement composés
d'une suite de io/os pour un instrument quelconque, ac-
compagnés par l'orchestre et enchaînés au moyen de ritour-
nelles que ce même orchestre exécute avec toutes ses
masses. Ces ritournelles , appelées tutti ( tous), par oppo-
sition au «o^o (seul), sont ménagées à dessein pour donner
quelque relâche à l'exécutant solo. Il n'est guère d'usage
d'exécuter un solo sans accompagnement. Cependant le cé-
lèbre Pagauini l'a fait plusieurs fois avec un immense
succès. Charles Bechem.
SOLOGNE , en basse latinité Secolauniu, petit pays de
l'ancienne France, de 40 à 50 myriamètres carrés de super-
ficie, qui était compris dans l'Orléanais et dont le chef-lieu
était Romorantin. Il fait aujourd'hui parlie du départe-
ment ÔQ Loir-et-Cher. Le sol en est plat, entrecoupé
seulement de quelques rivières, peu profondes et peu encais-
sées, et bordées de marais qui rendent le cluiiat très-insa-
lubre. Loin des cours d'eau , où l'on aperçoit quelques prés
et des bois d'assez belle venue, l'œil ne découvre plus que
des arbres chétils, des bruyères , des genêts, des jachères
et quelques rares clftimps en culture. C'est à cet aspect gé-
néral de la contrée qu'il faut attribuer l'épitbète de triste
qu'on ne manque jamais d'attacher au nom de la Sologne.
Ces caractères particuliers de la végétation ont fait prédo-
miner, comme exploitation du sol, l'éducation du mouton,
qui à son tour, en détruisant les bois, réagit sur l'aspect et
les conditions agricoles du pays, et s'est lui-même modifié
de manière à former une race particulière appelée solognote.
Cette race est petite , mais elle produit une .aine assez fine ,
et elle est assez robuste pour n'être en toute saison nourrie
qu'au pâturage. Le produit des terres en labour est à peu
près nul, et le cultivateur ne fait quelques bénéfices qie
sur les bêtes à laine et l'élève de la volaille. Dans quelque»
endroits, le prix de la terre ne dépasse pas cinquante
francs l'hectare.
Décimée par les fièvres intermittentes qu'entretiennent \&t
nombreux marais qu'on y rencontre , la population ne s'é-
lève guère en moyenne qu'à 450 habitants par myriamètre
carré. C'est une race apathique et ignorante, mais sobre,
honnête, et singulièrement attachée au sol natal, quelque
aride qu'il soit. La plus grande partie du pays est occupée
par de grandes propriétés, dont les possesseurs, c'est justice
de le reconnaître , ont fait dans ces derniers temps de loua-
bles et intelligents efforts pour améliorer, par des planta-
tions de pins et l'emploi de la marne , un sol qu'avec de la
persévérance et des capitaux on pourra un jour complète-
ment transformer.
SOLOIV , le célèbre législateur des Athéniens , et que la
Grèce mit au nombre de ses sages , était né vers l'an 638 av.
J.-C, àSalamine, mais originaire d'Athènes, car il comptait
Codrus parmi ses aïeux. Exéchistides, son père, s'était ruiné
en obligeant tout le monde. Aucun préjugé n'avait encore
attaché au commerce une idée dégradante ; tout au con-
traire, le commerce donnait alors le moyen de faire alliance
avec les rois. Solon suivit donc cette carrière, et dans ses
voyages chez l'étranger il sut à la fois apprendre et s'enri-
chir, mais sans être ébloui de l'éclat des richesses. Il re-
nonça d'ailk'urs de bonne heure au commerce pour s'a-
donner à la philosophie et à la politique. Il cultivait aussi
la poésie, et chanta d'abord les plaisirs; car, selon l'aveu
qu'en fait Plutarque , Solon ne fut pas à l'épreuve de la
beauté, ni un assez vaillant athlète pour combattre de pied
ferme contre l'amour. On serait mal fondé à lui en faire
un reproche si , content de sacrifier aux grâces féminines,
Solon ne se fût pas livré, comme Pisistrate, son contempo-
rain, à ce pencliant odieux que réprouve la nature. Loin
d'avoir jamais rougi de cette honteuse faiblesse, Solon la
célébrait dans ses poésies , et comme législateur il la mit
en quelque sorte sous la sauvegarde de la loi , en défen-
dant aux esclaves de se parfumer et d'aimer des jeunes gens
de condition libre. Plus tard Solon mit en vers des senten-
ces morales et des réfiexions politiques. Dans sa vieillesse,
enfin, il composa en vers élégiaques les mémoires de son
administration. Les fragments qui nous restent de ses poésies
renferment , dans un style noble et simple, des exhortations
à la vertu et à cette modération de désirs qui assure le
bonheur de la vie. Le plus beau morceau que nous ayons de
ce poète philosophe est sa Prière adressée aux Muses . Les
fragments de Solon qui ont été recueiUis plusieurs fois et en
dernier lieu par notre savant Boissonade, ne sont pas
assez considérables poumons mettreàmèmedejuger de leur
mérite ; mais, si l'on en croit Platon et Plutarque, il aurait,
comme poète, partagé la gloire d'Homère et d'Hésiode s'il
avait pris letemps de mettre la dernière main à ses œuvres.
La vie politique de Solon , avant comme après sa légis-
lature , n'est pas stérile en événements. Les Mégariens avaient
conquisSal aminé sur les Athéniens, qui, après de longs et
inutiles efforts pour recouvrer celte île, s'étaient soumis à
une paix honteuse. Ils avaient même par une loi décrété la
peine de mort contre quiconque proposerait d'en tenter
de nouveau la conquête. Solon , contrefaisant l'insensé
pour pouvoir impunément enfreindre cette loi , lut sur la
place publique une élégie qui produisit sur ses auditeurs
un tel effet que la loi fut révoquée et la guerre décidée.
Solon, élu général, eut la gloire de reprendre Salamine.
Ce fut lui aussi qui détermina l'assemblée des amphictyons,
dont il était membre, à décréter que la confédération hel-
lénique prendrait les armes pour réprimer les brigandages des
Crisséens, peuple de la Phocide, dont on était obligé de
traverser le territoire pour aller consulter l'oracle d'Apollon
264
SOLON
k Delplies , et qui en profitaient pour détrousser impunément
les dévots. Le commandement des troupes fut confié à Ciys-
tliène, tyran de Sicyone, auquel Solon fut adjoint comme
conseil. La guerre, dont tout le poids pesa sur lesAlliéniens
et les Sicyoniens , dura neuf années, mais se termina par
la prise et le sac de Crissa, dont tous les liabitants furent
impitoyablement massacrés comme sacrilèges. En rentrant
dans sa patrie, Solon la trouva en proie à l'anarcliie, et
récemment compromise dans son existence par une conspi-
ration des riches contre les pauvres. Le service qu'il venait
de rendre à toute la Grèce, en contribuant à venger la re-
ligion; son intégrité, ses vertus civiles et militaires, et par-
dessus tout son esprit modéré, le désignaient à ses conci-
toyens comme le seul homme capable de réunir les esprits
Kt de concilier les intérêts, lln'étail suspect à aucun parti. Les
riches le choisirent d'autant plus volontiers pour modérateur
de la république que sa haute naissance , jointe à une fortune
honorable , leur faisait espérer qu'il ne leur serait point
hostile; les pauvres l'acceptèrent parce qu'ils n'espéraient
pas trouver un arbitre plus impartial. Après avoir longtemps
iiésifé à se charger d'une mission si difficile , Solon se rendit
au vœu unanime de ses concitoyens, qui le proclamèrent ar-
chonte .arbitre souverain et législateur (593 ans av. J.-C).
On voulut même alors l'élever à la royauté. Les amis du lé-
gislateur l'engageaient à suivre l'exemple du sage P i 1 1 a c u s ,
dont les Mityléniens bénissaient l'autorité tutélaire : «C'est
un beau pays que celui de la royauté , répondit Solon , mais
il n'a point d'issue. » Mot profond et vrai , qu'une ambi-
tion insensée fit toujours oublier aux usurpateurs anciens et
modernes! Solon laissa subsister tout ce qui lui parut sup-
portable dans le régime qu'il voulait corriger, craignant de
renverser l'édifice de l'État , s'il osait l'ébranler dans toutes
ses parties. Les pauvres attendaient de lui le partage égal
des terres; mais il sentit que dans un État riche et com-
merçant comme l'Attique ce partage ne pouvait s'opérer
sans un bouleversement général. Il maintint donc les pro-
priétés, mais il abolit les dettes, et cette mesure apaisa les
pauvres. Les riches , dont les débiteurs menaçaient la pro-
priété, se consolèrent de ne perdre que leurs créances. Le
législateur ne pouvait empêcher qu'à l'avenir de nouveaux
besoins ne fissent naître de nouvelles dettes; mais il assura
par cet avenir la libération et la liberté du pauvre en ré-
duisant le taux de l'intérêt à douze pour ceîit, et en défen-
dant que le débiteur insolvable pût être réduit en esclavage
pour son créancier, ou obligé de vendre ses enfants comme
esclaves. Après ces règlements , qui garantissaient la paix
publique, Solon procéda à la réforme du gouvernement,
dans lequel il conserva la démocratie, en remédiant autant
que possible à ses inconvénients. Il déclara que la puissance
souveraine résiderait dans l'assemblée du peuple, qui devait
statuer sur la paix , sur la guerre, sur les alliances, sur le
choix des généraux et des magistrats, entendre le compte
rendu de leur gestion , et les juger dans le cas où ils au-
raient [)révariqué. Mais après avoir fait ces concessions po-
pulaires, Solon, voulant prévenir les écarts d'une multitude
ignorante et passionnée, forma un s en «^chargé d'examiner
et de discuter toutes les affaires avfiut qu'elles fussent sou-
mises au peuitle. De là cette loi fondamentale : « Toute dé-
cision du peuple doit être précédée d'un décret du sénat. »
Solon conserva l'ancienne division du peuple en quatre
tribus, et le distribua en quatre classes , d'après la quotité
des richesses; les magistrats investis de quelque autorité
étaient pris dans les trois premières. L'aréo page, rempli
par les archontes sortis de charge, révisait et cassait au
besoin les décisions du peuple.
Les lois politiques de Solon portent un grand caractère
de sagesse, et dénotent une véritable entente de l'esprit ré-
publicain. Il autorisa tout citoyen à épouser la querelle de
celui qui aurait été injurié ou maltraité , et à attaquer eu
justice l'agresseur. Tout citoyen avait le droit de dénoncer
ti de poursuivre devant les tribunaux les délits publics.
Solon prévint les abus auxquels pouvait donner lieu cette
facilité d'accuser, en ordonnant que tout accusaleur qui ne
réunirait pas la cinquième partie des sulfrages serait cou-
damné à une amende de mille drachmes. Une autre loi con-
damnait à mort tout citoyen qui voudrait s'emparer de
l'autorité souveraine : elle permettait à chacun de tuer un
tyran et ses complices. Solon avait remarqué que le plus
souvent, dans les troubles civils, un petit nombre de factieux
profitait avec audace de cet amour du repos qui caractérise
les gens de bien pour les opprimer impunément. Afin d'é-
viter ce grave inconvénient, il déclara infâme tout citoyen
qui dans un temps de troubles ne se prononcerait pas
ouvertement pour l'un ou pour l'autre parti. La sagesse de
cette loi a été maintes fois confirmée par l'expérience de
toutes les nations qui ont subi des révolutions. Dans ses
lois sur la vie privée, Solon ne chercha point, comme
Lycurgue, à élever sa nation au-dessus des penchants af-
fectueux de la nature humaine ; il ne subordonna point la
morale à la politique, mais la politique à la morale. Ses lois
sur le mariage, sur les testaments, sur les successions,
ses règlements sur le commerce, sur l'agriculture, présen-
taient des dispositions tellement sages qu'elles ont passé
dans la jurisprudence des Romams et des nations modernes
de l'Europe. Solon ne se contenta point, comme Lycurgue,
de graver ses lois dans le cœur de ses concitoyens ; il les fit
écrire sur des rouleaux de bois qui tournaient dans des
cadres, oii ils étaient enchâssés. Ces rouleaux furent dé-
posés d'abord dans la citadelle, et peu de temps après
on les transporta dans la place pubhque du Prytanée , afin
que tout le monde pût les consulter. Solon ne donna force
et autorité à ses lois que pour cent ans ; il crut cette sorte
de restriction nécessaire pour les faire adopter à un peuple
excessivement jaloux de son indépendance ; mais elles se
trouvèrent si bien en harmonie avec les mœurs et les usages
des Athéniens , qu'à l'esception de leur constitution poli-
tique, respectée par le tyran Pisistrate (560), et rendue
plu» démocratique (509) par Clisthène, les lois civiles et
les règlements de Solon restèrent en vigueur aussi long-
temps que dura leur république. Après avoir accompli son
œuvre, convaincu que le temps seul pouvait consolider son
ouvrage, il demanda la permission de s'absenter pendant dix
ans, et quitta son pays, l'an 582 avant notre ère. 11 voyagea
alors en Crète, en Egypte et en A;,ie Mineure. C'est à cette
époque que Plutarque et Hérodote le conduisent à la cour
de Crésus, roi de Lydie. Ce monarque, fier de ses ri-
chesses , s'empressa de les étaler devant le sage Athénien ,
qui n'en parut pas ébloui, et qui, dans un long entretien
rapporté par ces deux historiens , lui soutint que nul avant
sa mort ne devait être appelé heureux. « Jusque là, ajou-
tait-il, dites seulement qu'un homme est fortuné. >>
A son retour dans sa patrie, Solon put reconnaître la
vérité de ce mot que lui avait dit le Scythe Anacharsis, un
jour que celui-ci trouva le législateur athénien occupé à ré-
diger ses lois : « A quoi t'occupes-tu , mon cher So'.on? Ne
sais- tu pas que les lois sont comme des toiles d'araignée'?
Les faibles s'y prennent, les puissants passent à travers. >>
Le trouble régnait dans Athènes, déchirée par les factions,
et Pisistrate, chef du parti populaire, prit en mains les
rênes du gouvernement, en laissant subsister la constitu-
tion de Solon. Le législateur d'Athènes, uni à cet ambitieux
par les liens du sang et d'une ancienne et tendre amitié,
se laissa d'abord tromper par la feinte modération de Pisis-
trate, qui affectait un grand amour de l'égalité ; bientôt il ou-
vrit les yeux, et alors il s'exposa pour engager les Athéniens
à ressaisir la liberté qui leur échappait. Mais le peuple fut
.sourd à ses conseils : Solon s'exila donc volontairement
pour se soustraire au s()ectacle de l'asservissement de sa
patrie. Après avoir accepté l'asile que lui offrait Crésus, il
ne tarda pas à se lasser d'un séjour où sa franchise était
déplacée, et se retira dans l'île de Chypre, où il mourut,
à quatre-vingts ans (558 ans av. J.-C.). A quelque temps
de là les Athéniens lui érigèrent une statue.
Charles Du RozoïR.
SOLRE (Famille de). Voyez Crût.
SOLSTICE (du latin Solis slatio, station du Soleil).
Les points de l'écliplique situés entre les équinoxes , et dans
lesquels se trouve le Soleil lorsqu'il est le plus éloigné de
l'équateur, ont été appelés sohlïces , parce que le Soleil
étant arrivé à ce plus grand éloignenient, semble être quel-
ques jours à la même distance de l'équateur, sans s'en éloi-
gner ni s'en rapprociier, du moins sensiblement. Le grand
cercle qui passe par les pôles du monde, ou de l'équateur,
et par les points solsticiaux , s'appelle le colure des sol-
stices- On a donné à ce méridien un nom distinctif parce
qu'il sert à mesurer l'obliquité de l'écliptique; tous les astres
placés sur ce colure ont 90° ou 270° d'ascension droite , et
autant de longitude.
SOLTIKOF, famille russe, qui fait remonter son origine
au voivode Terentii, lequel sous Alexandre Newski se dis-
tingua dans la bataille livrée en 1240 contre les Suédois, et
dont le père, Michel, était venu de Prusse s'établir en Rus-
sie. De toutes les familles nobles de l'empire de Russie, c'est
celle qui comptait le plus de boyards.
Praskoffna Feodoro/na Soltirof épousa le czar Iwan
Alexiewitscli (mort en 1696), et fut ainsi la mère de l'im-
pératrice Anne et l'arrière-grand'uière du malheureux em-
pereur Iwan Antonowitsch.
Le général Semen Soltirof , gouverneur de Moscou , fut
créé comie en 1732 par sa cousine, l'impératrice Anne.
Le fils de celui-ci , le comte Pierre Semenowitsch Sol-
tirof, remplaça dans la guerre de septans, en 1759, Fermer
en qualité de général en chef de l'armée russe. Le 23 juillet
il battit près du village de Kaï le général prussien Weidel ;
et , après avoir opéré sa jonction avec Landon , le général
autrichien, il remporta le 12 août suivant, sur Frédéric II en
personne, la mémorable victoire de Kunersdorf. Pronii;
à la dignité de feld-maréclial , il fut nommé plus tard gou-
verneur général de Moscou , et mourut dans cette ville , au
mois de décembre 1772.
Son fils, le comte Iwan-Pelrowitsch Soltirof, prit
Choczim en 1788, fut nommé également feld-maréchal et
gouverneur de Moscou en 1797, et mourut en 1805.
Un parent du précédent , mais issu d'une ligne collatérale,
Nicolas Ivanowitsch Soltirof, né en 1736, fut nommé
en 1783 instituteur de l'empereur Alexandre et de son frère,
le grand-duc Constantin, et dut à cette position l'amitié dr3
l'empereur Paul, qui en 1796 lui conféra le bâton de feld-
maréchal. Il fut en outre président du collège de la guerre,
en 1812 président du sénat et du comité des ministres, et
de I813à 1815, pendant l'absence de l'empereur Alexandre,
en quelque sorte régent de l'empire. Créé prince en 1S14, il
mourut à Pélersbourg, le 28 mai 1816.
Son fils aîné, le çùnc^ Alexandre Soltirof , fut ministre
de la guerre, mais ne tarda pas à se retirer des affain's. Le
fils cadet, le prince Sergci Soltirof, conseiller int'rae et
sénateur, mourut en 1828. Le troisième, Z)»u7?'( , est con-
seiller intime en retraite. Le fils de celui-ci , le prince Alexci
Soltikok, est connu par ses voyages en Perse (1838) et aux
Indes orientales ( 1841-1846) , dont il a publié le récit en
russe et en français ( Voyage dans l'Inde [Paris, i849 ] et
Voyage en Perse [Paris, 1851]).
On compte aujourd'hui en Russie quatre branches de
cette famille : lesSoltikof sans titre, les comtes et les princes
de Soltikof, enfin les Soltyk de Pologne, dont les ancêtres
émigrèrenl de Russie au dix-septième siècle.
SOLTYK (Roman), fils du maréchal de la diète Stanis-
las Soltyk et de la princesse Caroline Sapiélia , né à Var-
sovie, en 1791 , et élevé à Paris, où il fut confié aux soins
de Kosciuziio, passa les années 1805 à 1807 à l'École Poly-
technique. A son retour en Pologne, il entra comme lieu-
tenant dans l'artillerie à pied; et en 1812 il fut attaché à
l'état-major de Napoléon en qualité d'aide de camp du géné-
ral Sokolnicki. A la bataille de Leipzig, le 18 octobre 1813,
il eut ordre d'amener le grand parc d'artillerie sur le champ
dft bataille, mouvement dont il s'acquitta avec la plus grande
SOLRE — SOMALl 36S
, habileté ; mais quand les troupes saxonnes abandonnèrent
nos rangs pour passer à l'ennemi , il fut tait prisonnier. Au
rétablissement de la paix, il se livra aux travaux de la Tie
civile, et fil constamment preuve des sentiments les plus libé-
raux. C'est ainsi que , propriétaire de grandes forges , il ou-
vrit à Varsovie même un magasin de fers, afin de combat-
tre par son exemple les stupidcs préjugés de la noblesse po-
lonaise contre le commerce. En 1822 il fut nommé membre
du conseil du palatinat de Sandomir, et deux ans plus tard
député à la diète. Compromis en 1826 dans une conspiration,
il fut acquitté faute de preuves. Dans la diète de 1829 il pré-
senta une motion ayant pour but de faire déclarer les
paysans propriétaires désormais libres. A la première nou-
velle de l'insurrection du 30 novembre , il accourut à Var-
sovie, où il prit la part la plus active au mouvement révo-
lutionnaire. Appelé au commandement en chef de l'armée
qu'il s'agissait de réunir sur la rive droite de la Vistule, il dé-
ploya une activité au-dessus de tout éloge dans la création
des régiments et l'organisation de la garde nationale mobile;
et cette mission une fois accomplie , il sut remplir à la fois
ses devoirs de député et ses devoirs de soldat. Ce fut lui
qui proposa à la diète de proclamer la déchéance de la mai-
son de Romanoff en même temps que la souveraineté du
peuple. Quand Paskéwitch eut opéré l'investissement de la
capitale, il fut chargé du commandement en chef de l'ar-
tillerie, et pendant les journées du 6 et du 7 septembre il en-
tretint constamment avec les soixante-dix-neuf pièces de ca-
non mises à sa disposition le feu le plus meurtrier contre les
Russes. Après la chute de Varsovie, il se retira avec les débris
de l'année nationale à Plock, où il accepta une mission au-
près des gouvernements d'Angleterre et de France, afin de
solliciter leur médiation en faveur du malheureux peuple po-
lonais et des débris de son armée. Réfugié ensuite en France,
Roman Soltyk y écrivit : Précis historique, politique et mi-
litaire de la révolution du 29 novembre (1833), et Napo-
léon en 1812. Il mourut à Saint-Germain-en-Laye, le 22 oc-
tobre 1843.
SOLUTlOX (du latin solvere, délier), dénouement
d'une diKiculté, réponse à un argument.
En géométrie , en algèbre, la solution d'un problème est
la réponse à une question scientifique.
En chimie, c'est lopération par laquelle un corps solide
f-Q tond en totalité ou en partie dans un autre, qui est liquide
{v'jye:. Dissolution ). Le corps peut se dissoudre sans chan-
ger de nature :tel est le sulfate de soude dissous dans l'eau.
Il peut, au contraire, ne se dissoudre qu'après avoir changé
d'état; c'e^t ainsi que le fer et les autres métaux qui se
dissolvent dans les acides commencent par s'oxyder aux
dépens de l'eau et de l'acide, puisse dissolvent. La solution
est dite complète o\\ incomplète , suivant que le corps est
dissous en totalité ou en partie.
Solution, en patliologie, s'emploie quelquefois dans le
sens de terminaison de maladie.
SOLUTION DE COXTIXUITÉ. Voyet Divisio.x.
La solution de continuité, en pathologie chirurgicale, est
toute division de parties auparavant continues. Ainsi les
plaies, les ruptures, les fractures sont des solutions de
continuité. Cette expression s'emploie aussi au figuré
(voyez Continuité).
SOiMALIou SOMAULI, nom actuel d'une contrée située
à la pointe la plus orientale de l'.Afrique, s'étendanten fact
de la côte d'Aden, la Regio aromati/era des anciens, et
dans les ports de laquelle les marchands de l'Egypte et
de la Grèce, de Rome et de l'Inde, venaient autrefois
chercher la myrrhe et l'encens. Depuis que les Anglais ont
augmenté le nombre de leurs comptoirs dans l'Arabie
méridionale , sur la côte d'.\den , ils s'efforcent de faire
revivre ce commerce; et à cet effet leurs agents ont en-
trepris des voyages de découvertes dans l'intérieur, jusqu'à
présent mal connu, du pays de Somali, où l'on signale l'exis-
tence de deux villes assez importantes, Hurrur, située à une
journée, et Berbera, à cinq jours de marche de la mer.
266 SOMASQUES — SOMERSET
SOMASQUES ( Les) , membres d'une congrégation reli
gieuse fondée au seizième siècle sous la règle de Saint-Au-
gustin, et ainsi appelée du chef-lieu de l'ordre, Somasco, ville
delà Lombardie située entre Milan et Bergame. On les désigne
aussi quelquefois sous le nom de religieux de la congréga-
tion de Saint-Mayeul.
SOMBRE. Voyez Obscur.
SOMBRER. C'est pour un vaisseau l'action de couler
bas sous voiles. Les Anglais disent over set, les Espagnols
zozobrar, les Allemands untergehen, les llaliens rivol-
tare sosopra , les Portugais sossebrar. Chavirer est néces-
saire pour sombrer, c'est-à-dire que si l'on ne capote pas,
on ne sombre pas. Capoter, c'est chavirer sens dessus
dessous, noyer le plat bord et couler. On dit aussi sancir,
passer. Les bateaux capotent assez souvent, mais il est
fort rare que cet accident arrive aux vaisseaux. Les fastes
de notre marine en offrent peu d'exemples.
Sombrer vient de l'espagnol sombrero , chapeau , comme
capoter, se faire un capot du vaisseau, vient de cap, caput,
tète; sombrer veut donc dire s'abîmer dans les flots, le vais-
seau sur la tête en guise de chapeau.
SOMBREUIL (1M"« de), M. de Sombreuil, ex-gouver-
neur des Invalides, avait été arrêté immédiatement après
le 10 août, et jeté dans les cachots de l'Abbaye. Le 2 se p-
tembre était arrivé, et les massacres avaient commencé
par cette prison. La fille de Sombreuil , ange de beauté et
de vertu, vole là où la vie de son père est menacée. Elle
arrive : il y avait six heures que le carnage durait ; on appelle
Sombreuil. Aucune note favorable n'existe pour lui sur les
listes de la commune : déjà le fer est levé ; il va périr. Sa
fille s'élance à son cou, et, présentant sa poitrine aux as-
sassins : « Vous n'arriverez à mon père qu'a'près m'avoir
percé le cœur. » Un cri degiàce se fait entendre; mille voix
le répètent. M"® de Sombreuil, plus belle encore au milieu
cette terrible scène, embrasse tour à tour les meurtriers;
et , couverte de sang humain , mais fière d'avoir sauvé son
vieux père , court le rendre à sa famille éplorée. Électrisés
par cet ascendant qu'inspire forcément la vertu , et peut-être
par l'irrésistible attrait de la beauté dans les larmes, les
égorgeurs entourent le père et la fille. « Désignez-nous vos
ennemis, leur disaient-ils, que nous en fassions justice!
Eh!puis-jeen avoir? réphqua le vertueux Sombreuil, je
n'ai jamais fait de mal à personne. »
Ou lit partout que pour obtenir des égorgeurs la grâce de
son père M"^ de Sombreuil dut consentir à vider d'un trait
un verre plein de sang humain. C'est une atrocité de plus,
mais gratuitement prêtée aux hommes de septembre , qui
commirent bien assez de crimes sans qu'il soit besoin d'en
inventer encore pour vouer leur mémoire à l'exécration de
la postérité.
M"*^ de Sombreuil ne jouit pas longtemps du triomphe
dû à sa piété fdiale. Incarcérée en 1794 avec son père cl
son frère aîné, elle eut la douleur de les voir arracher de
ses bras pour être conduits au tribunal révolutionnaire et
de là à l'échafaud. Rendue à la liberté par suite de la conlre-
révolution du 9 thermidor, elle se réfugia en Prusse, où elle
trouva son jeune frère, le comte Charles de Somdrkuil,
qui partait pour la fatale expédition de Quiberon. Peu
après elle épousa le comte de Yillelume. Revenue en France
en 1815 avec son mari, ils allèrent se fixer à Avignon , oi;
elle mourut, en mai 1823 (voyez Septembre [Journées dej).
Georges Duval.
SOMERS (Iles). Voyez Beumides (lies).
SOMERSET, l'un des comtés sud-ouest de l'Angleterre.
Sur 55 myriamètres carrés de superficie, dont 4G en teric
arable, partie en sol de première classe et partie en ter-
rains de la nature la plus inférieure, il contenait en 1851
456,237 habitants. Le pays présente de grandes vallées et est
parcouru par de longues chaînes de collines tombant pres-
que à pic. A son extrémité occidentale, du côté du comté de
Devon, au delà d'une vallée bien cultivée, on trouve un haut
pays de montagnes appelé Exmoor ou Exmoor-Forest,
avec un grand nombre d'embranchements, de vallées et de
combes, ou fondrières latérales , boisées parfois. Entre les
hauteurs et le long de la côte s'étendent des marécages fré-
quentés par une multitude d'oies sauvages. Parmi les cours
d'eau de ce comté, l'Ex, qui avec son affluent le Barle prend
sa source dans les marais d'Ex, se jette dans le Canal ; l'A von
à la frontière nord-est , le Yeo , l'Axe, le Brue , le Parret,
rivel et le Tone se jettent dans le canal de Bristol. Le climat
à l'exception du pays de montagnes, est tempéré. Les villes les
plus importantes sont Bri stol et Bat h ; cependant le chef-
lieu est Taunton , bâti sur le Tone, dans une délicieuse et
fertile contrée, avec 13,000 habitants, des manufactures de
drap et de casimir, de soieries et de chapeaux de paille. 11
faut encore citer Frome ou Frome-Selwood , avec 12,000
habitants; City- Wells, avec 7,000 habitants et une église
remarquable par ses vitraux; Bridgewater, sur le Parret,
qui est navigable et que peuvent remonter jusque là des
bâtiments de 200 tonneaux, avec 13,000 habitants et di-
verses manufactures d'arlicles de quincaillerie ; Wellington,
jolie petite ville de 5,000 habitants , d'où les ducs de ce
nom tirent leur titre ; Glastonbury, petite ville où se trou-
vent les ruines de la plus vaste abbaye qu'il y eut en Angle-
terre ; enfin, Minehead, petit port, avec des bains de mer
Irès-fréquentés et 2,100 habitants.
SOMERSET ) titre de comtes et ducs anglais que pos-
sédait la maison de Beaufort, descendant des Planta-
genets , et à laquelle appartenait le célèbre cardinal-évéque
de Winchester (mort en 1447); il est porté aujourd'hui
comme nom de famille par les descendants de cette maison,
issue d'un fils naturel du duc Henri.
SOxMERSEÏ (FiTZROY James-Henry), fils cadet du cin-
quième duc de Beaufort, né le 30 septembre 1788, était
connu sous le nom de lord Raglan , et prit une part glo-
rieuse à la guerre soutenue en Orient en 1854 et 1855 par
l'Angleterre et la France contre la Russie.
SOMERSET (Lord Granville Charles-Henry), neveu du
précédent, né en 1792, entra à la chambre des communes
en 1818 comme représentant du comté de Monmouth, dont
il conserva le mandat électoral pendant trente années de
suite. Ami intime de Peel, il soutint sa politique libre-échan-
giste , et à ce sujet se brouilla avec les membres de sa pro-
pre tamille, qui aux élections de 1847 allèrent même jusqu'à
lui opposer un autre candidat. Il sortit vainqueur de la lutte;
mais les chagrins qu'on lui avait suscités avaient ébranlé
sa santé, et il mourut le 23 février 1848.
Le titre de duc de Somerset fut porté sous Edouard VI,
de môme que celui de comte de Somerset sous Jacques l",
par des personnages qui n'avaient aucmi rapport avec la
famille de Beaufort.
Ikobert Carr, vicomte de Rochester, comte de Somer-
set, descendait d'une famille noble d'Ecosse. A l'âge de
vingt ans, il fut présenté à la cour, à la suite d'une intrigue
qui avait pour but de lui faire jouer le rôle de favori auprès
de Jacques T"". Le roi, charmé de la jeunesse et de la beauté
de Carr, lui accorda toute sa confiance et le ciéa vicomte
de Rochester. Bientôt ce favori exerça une influence pré-
pondérante sur les affaires publiques en même temps qu'il
acquérait d'immenses richesses. H eut le bonheur de ren-
contrer dans sir Thomas Overbury un sage ami; et étant
devenu amoureux de la comtesse d'Essex, qui accueillit
ses houuuages et manifesta l'intention de divorcer d'avec
son mari, Overbury le dissuada fortement de poursuivre
cette intrigue. Rochester eut la faiblesse de confier à sa
maîtresse le conseil que lui avait donné son ami ; et la com-
tesse conçut dès lors une haine implacable pour l'homme
qui avait osé se mettre à la traverse de ses projets. Elle
détermina Rochester à l'accuser quelque temps après de
haute trahison ; et Overbury fut jeté à la Tour par ordre du
roi. Six mois plus tard, Rochester, qui épousait la comtesse
d'Essex, recevait à cette occasion de Jacques 1" le titre
de comte de Somerset. La vindicative comtesse poussa
en outre son mari à faire empoisonner Overbury. Ce crime
SOMERSET — SOMMATION
267
fut effectivement commis, le 15 septembre 1613, mais avec
trop d'inhabileté pour qu'il n'en restât pas des traces accu-
satrices. Bourrelé de remords, Somerset perdit bientôt cette
fraîcheur .de jeunesse, cette beauté et cette amabilité qui
avaient tant charmé le roi ; et la perte de la faveur royale
fut le résultat de la disparition de ses avantages physiques.
Les courtisans lui suscitèrent d'ailleurs un dangereux rival
dans la personne de Georges Yilliers, créé plus tard duc de
Buckingham , et qui effectivement ne tarda pas à le
supplanter complètement dans les bonnes grâces du monar-
que. Sur ces entrefaites , les révélations d'un garçon apo-
thicaire mirent la justice sur la trace du crime commis par
Somerset. Le roi le fit passer en jugement devant une com-
mission spéciale, avec sa femme et ses autres complices;
et tous furent condamnés à mort. Quelques-uns subirent
leur peine.
Quant à Somerset et à sa femme , on leur fit grâce de la
vie, et ils eurent la permission de se retirer à l'étranger.
Dans l'exil , les remords des deux époux transformèrent
leur amour en haine ardente, et la vie ne fut plus pour eux
qu'un supplice de tous les instants. Somerset mourut vers
l'an 1638. Peu de temps auparavant, sa fille unique avait
épousé le duc de Bedford. De ce mariage naquit lord John
îlussell, condamné à mort et exécuté sous le règne de
Charles IL Les aventures de Somerset ont servi de sujet
à un grand nombre de romans.
Edouard Seyinour, duc de Somerset , oncle du roi d'An-
gleterre Edouard VI, et protecteur du royaume, était fils de
sir John Seymour, gentilhomme du comté de Wilt. Il se
consacra avec succès, sous Henri VIII, au service mili-
taire, et fit partie en 1522 de l'expédition de France. Quand
Henri VIII, en 1536, épousa sa sœur, Jeanne Seymour,
il fut créé vicomte de Beauchamp. En 1544 le roi le nomma
lieutenant général du nord du royaume, et en 1547 il le
créa encore comte de Hertford; puis il le comprit au nom-
bre des seize exécuteurs de son testament, qu'il chargeait
de gouverner pendant la minorité de son fils Edouard VI.
Mais à peine Henri VIII eut-il fermé les yeux, que tous
lesmembresdu conseil déférèrent le protectorat du royaume
à Hertford , sous prétexte de donner au gouvernement la
force d'unité qui lui est si nécessaire. Les principaux acteurs
de cette comédie politique se répartirent alors les différentes
grandes charges de la couronne. Hertford, comme on peut
bien le penser, ne s'oublia pas dans ce partage ; il s'adjugea
le titre de duc de Somerset. Le premier usage que Somerset,
guidé par Cran mer, fit de sa puissance, lut de continuer
l'œuvre de la réformation. Pour .consolider son pouvoir, il
recommença encore la guerre contre l'Ecosse, en août io47,
et le 10 septembre suivant il faisait essuyer aux Ecossais la
mémorable défaite de Pinkey. A son retour en Angleterre, il
fit abolir par le parlement toutes les lois sanguinaires de
Henri VIII. Mais ce qu'il y avait d'exceptionnel dans sa po-
sition et d'énorme dans son pouvoir lui lit un grand nombre
d'ennemis, entre autres son propre frère, lord Seymour,
homme capable, mais ambitieux et arrogant, qui, devenu veuf
en 1548 de Catherine Parr, la veuve de Henri VIII, aspirait
maintenant à la main de la princesse Elisabeth, dans le but
évident d'enlever le protectorat à son frère. Somerset le fit tra-
duire devant la chambre des lords, en vertud'ua acte d'accu
sation de haute trahison contenant trente-trois chefs. Seymour
fut condamné à mort, et exécuté le 20 mars 1549. \)e& ré-
voltes en Angleterre, la mauvaise tournure prise par la guerre,
et les armements faits par le roi de France Henri H pour
reprendre Boulogne, placèrent Somerset dans une situation
critique. Il offrit de restituer Boulogne sans coup férir.
Le comte de Warwick, devenu plus tard duc de Northum-
berland, attribua cette politique à la lâcheté; il gagna à son
avis le jeune roi et le conseil d'État, et le protecteur fut
arrêté et conduit à la Tour. Toutefois, le roi lui fit grâce, et
Warwick se vit obliger de sceller une feinte réconciliation
avec son rival en mariant son fils aine, Dudley , à la fille de
Somerset. Mais les deux rivaux n'en continuèi'ent pas moins
à tout faire en secret pour se perdre mutuellement ; et dans
cette lutte Somerset eut l'imprudence de démasquer trop tôt
ses projets. Warwick, après s'être rendu maître de la per-
sonne du roi et s'être fait concéder un pouvoir absolu et illi-
mité, fit arrêter Somerset, le 16 octobre 1651, sous l'accusa-
tion d'avoir attenté à sa vie et, en outre, d'avoir conspiré
contre la sûreté de l'État. Un jury composé de vingt-sept pairs
ne put se décider à rendre contre Somerset un verdict de cul-
pabilité sur le chef de haute trahison ; mais il admit qu'il
s'était rendu coupable de/é^nte en ayant voulu assassiner
un vassal du roi ; en conséquence de quoi il fut condamné à
mort, le i" décembre, et l'arrêt reçut son exécution le 22
janvier 1552.
SOMERVILLE (Mari\), Anglaise célèbre par ses tra-
vaux scientifiques, publia, toute jeune fille encore, de remar-
quables dissertations astronomiques, entre autres une
introduction à l'étude de l'astronomie, qu'elle fit paraître
sous le titre de Mechanism ofheavens (Londres, 1832).
Son grand ouvrage, Conexion of the physical Sciences
(8* édit., Londres, 1853), qui expose les rapports mutuels
des sciences physiques, obtint un succès extraordinaire, et
n'a pas peu contribué à donner en Angleterre unedirection plus
grave et plus scientifique à l'éducation des femmes. Sa Phy-
sical Geography ( 2 vol., 1848), où elle expose les lois ma-
térielles qui gouvernent notre propre planète, est aussi un
livre du premier mérite. Écrits avec clarté et de manière
à être facilement compris par les masses, les ouvrages de
Maria Somerville, satisfont en même temps à toutes les exi-
gences du monde savant pour ce qui est de la profondeur et
de l'exactitude des investigations.
SOMERVILLE (William), poète anglais, né en 1692, à
E<lston, dans le comté de Warwick, suivant d'autres en 1677
et même 1675, mourut en 1742. Ses habitudes de trop grande
hospitalité finirent par mettre le désordre dans ses affaires,
et pour s'étourdir* il s'adonna à l'ivrognerie. Son œuvre
la plus importante est un poëme didactique en vers blancs,
The Chase ( 1755), qui contient quelques beaux morceaux.
Deux autres poèmes didactiques, Hobbinol, or rural rjame,
et Field sports ( 1742) sont de beaucoup inférieurs.
SOMINA ou SOMINSKAJA-PRISTAN, bourg du gou-
vernement de Novgorod, bâti sur les rives de la Somina, qui
appartient au système hydrographique du canal de Tychwin.
D'une part il est en communication parfaitement régulière,
au moyen de canaux, de rivières et de lacs avec le golfe
de Finlande, tandis que de l'autre les produit'^ de la raer
Caspienne lui arrivent par le Volga. Aussi est-ce l'un des
plus importants marchés de la Russie. Six semaines avant
et six semaines après la grande foire de Nischegorod, il y
arrive, année conim\me, de 20 à 30,000 marchands, qui
tous prennent la voie du Volga pour s'y rendre.
SOMMAIRE, abrégé contenant en peu de mots la
somme ou la substance d'un chapitre, d'un traité, d'un ou-
vrage. Il y a cette différence entre un sommaire et une
récapitulation , que celle-ci est à la suite ou la fin des
matières, et que celui-là doit les précéder.
En termes de jurisprudence , on appelle matières som-
maires les demandes qui , d'après leur nature ou la mo-
dicité de la somme réclamée, doivent être jugées prompte-
ment, sans procédure ni formalités.
SOMMATION. C'est un acte par lequel on somme
quelqu'un de /aire ou de dire quelque chose en lui déclarant
que , faute par lui d'obtempérer à cette somviation , on l'y
obligera ou que l'on fera déclarer en justice les conséquences
de son silence ou de son relus. Les avoués font des somma-
tions de donner des copies de pièces, de fournir des défenses,
de venir plaider, etc. Les huissiers font des sommations de
payer, de faire des ouvrages, d'être présents à telle opé-
ration.
Lorsqu'il se forme des attroupements sur la voie publique,
les personnes qui en font partie sont tenues de se disperser
à la première sommation qui leur en est faite par tous ma.
gistrats et officiers civils chargés de la police judiciaire.
268
SOMMATION — SOMME
Après que les sommations ont été renouvelées trois fois ,
il peut être fait emploi de la force.
SOMME (La), rivière de France que nous appellerons
fleuve avec ceux qui donnent ce nom aux cours d'eau navi-
gables , ayant un affluent navigaole aussi , et aboutissant à
la mer. Elle prend sa source à Tout-Somme, dans le dépar-
tement de l'Aisne , un myriamètre en amont de la ville de
Saint-Quentin, et se jette dans la Mancbe, entre la pointe du
Hourdel et la pointe de Saint-Quentin en Tourmont , envi-
ron un myriamètre en aval des ports de Saint-Valery et du
Crotoy. Son cours général suit la direction du sud-ouest
au nord-ouest, surtout depuis Amiens jusqu'à la mer; car
sa partie supérieure présente deux courbes consldéi able« ,
qui ont leur sommet vers les villes de Ham et de Péronne.
Son lit, jusque là assez étroit, s'élargit considérablement
au-dessous d'Abbeville ; ou plutôt, à paitir de ce point,
s'ouvre une vaste baie, dont la largeur varie de 1 à 5 kilo-
mètres. A cliaque marée, elle est couverte des eaux de la
mer ; mais ce n'est plus à mer basse qu'une large grève
où coulent les eaux de la Somme, partagées en deux princi-
pales brancbes. La marée se faisait autrefois sentir jusqu'à
Pont-Remi, au-dessus d'Abbeville; les travaux du canal
ont modifié cet état de cboses. Les eaux de la Somme sont
troubles , et le fond toui beux sur lequel elles coulent leur
donne un aspect sombre ; elles sont néanmoins assez bonnes
à boire , et elles présentent des qualités également précieuses
à deux industries très-diverses, celle des brasseurs et celle
des teinturiers. Son cours est d'environ 220 kilomètres ,
par Saint-Quentin, Ham, Péronne, Corbie, Amiens, Abbe-
ville et Saint-Valery ; sa pente, d'environ 65 mètres, sa lar-
geur moyenne, de 15 à 20 mètres , sa profondeur, de I à 4.
Les îles y sont rares : celles qui se trouvent dans les villes,
et notamment à Amiens , ont été ou créées ou multipliées
par la main de l'homme. Les saisons et la température de
l'air ne font subir à son niveau que des variations insigni-
fiantes , et elle ne gèle presque jamais. Elle a joué un grand
rôle dans l'histoire comme barrière stratégique , avant que
la Picardie lût couverte par les fortes places qui hérissent
le sol de l'Artois et de la Flandre française; aujourd'hui
même encore , le fleuve picard et les marais qui bordent
presque partout ses rives ne sont pas sans importance aux
yeux du génie militaire. Avant la construction du canal
qui porte aujourd'hui son nom , elle était navigable depuis
la mer jusqu'à Amiens; les barrages établis sur son cours
par l'antique industrie de celte ville arrêtaient là les griba nés,
qui venaient y apporter les marchandises débarqui'es à
Saint-Valery. D'autres barrages interceptaient également
sur divers points la haute Somme, et n oitraient que des
tronçons de canal fréquentés seulement par les bateaux
charges de tourbe, combustible ordinaiie des campagnes
picardes. Les principaux affluents de la Somme sont, sur
la rive droite, la Miraumont, la Niève et la Maye; sur la
rive gauche l'Avre, grossie du Don et de la Noyé, la Celle.
Le bassin de la Somme comprend ceux de la Canche,
de l'Authie, de la liresle et de la Bélhune. C'est un triangle
qui a son sommet au point même où cette rivière prend
sa source; la côte en foi me la base ; les deux autres côtés
sont deux chaînes de collines, qui partant du sommet
vont se terminer l'une au cap La Hève, près du Havre,
l'autre aux caps Blanc-Nez et Gris-Nez, entre Boulogne
et Calais.
Le canal de la Somme est une voie navigable de 156
kilomètres de développement , ayant une pente de 62 mètres,
19 cent., rachetée par 24 écluses. Les travaux de ce canal,
commencés en 1770, ont été depuis quittés, repris, inter-
rompus jusqu'en 1821, époque à laquelle, concédés à la com-
pagnie Sartoris, moyennant 6,600,000 fr, ils furent poussés
enfin avec activité. En 1827 le canal de la Somme fut ou-
vert à la navigation ; mais elle y a toujours été languissante,
à cause de l'élévation des tarifs. Elle était moins coûteuse
autrefois d'Amiens à la mer, quoiqu'elle présentât plus de
difficulté. Entre Amiens et Saint Quentin, le canal a créé
ime communication qui n'existait pas, et le départem«nl
de la Somme peut recevoir par- là les charbons de la Bel-
gique et d'Anzin, les bois du Hainaut, les ardoises, les
marbres et le plâtre, qui lui manquent absolument; mais
la voie de terre est généralement préférée, comme presque
aussi économique et infiniment plus rapide. Boistel.
SOMME (Villes de la). On donnait jadis ce nom aux
antiques places de Péronne , Corbie, Amiens, Abbe-
viUc, etc., situées sur cette rivière, dont elles défendaient
le passage. Il comprenait même quelques petites forteresses
peu distantes de son cours, telles que Montdidier, Roye,
Doulens , Saint- Riquier, etc. Cette dénomination parait
avoir pris naissance à l'époque de la puissance des ducs de
Bourgogne. Par le traité d'Arras, Charles VII engagea ces
villes à Philippe le Bon , s'en réservant la souveraineté et
le rachat moyennant 400,000 écus d'or. Louis XI les ra-
cheta , puis les céda de nouveau à Charles le Téméraire ,
moyennant 200,000 écus d'or ; sans les payer, il les reprit
enlin, en partie par l'intrigue ou la force. D'horribles dé-
vastations commises en Picardie, l'incendie et le sac de la
petite ville deNesle, expièrent l'infidélité de Louis XI; mais
d'autres affaires appelèrent Charles en Lorraine , et sa
mort rendit au roi de France celles de ces villes qu'il n'a-
vait pas reconquises.
SOMME (Département de la). C'est un de ceux que
forme la Picardie. Il est borné au nord par le départe-
ment du Pas-de-Calais; à l'est par les départements du
Nord et de l'Aisne ; au sud par ceux de l'Oise et de la Seine-
Inférieure; à l'ouest par la mer de la Manche. Divisé en 5
a<-rondissements, 41 cantons, 832 communes, sa population
est de 570,641 habitanls. Il envoie cinq députés au corps
législatif. Il est compris dans la troisième division militaire,
le diocèse d'Amiens et le ressort de la cour d'appel de la
même ville; sa superficie est de 615,983 hectares, dont
476,362 en terres labourables; 51,207 en bois; 20,550 en
vergers, pépinières et jardins; 16,546 en cultures diverses;
15,432 en prés; 8,265 en landes, pâtis, bruyères; 4,574 en
propriétés bâties ; 2,420 en étangs, abreuvoirs, mares, canaux
d'irrigation ; 547 en oseraies , aulnaies, saussaies ; 14 en vi-
gnes; 12,880 enroules, chemins, places publiques, rues;
4,520 en forêts, domaines non productifs ; 562 en rivières,
lacs, ruisseaux ; 413 en cimetières, églises, presbytères, bâ-
timents publics. Il paye 3,160, 258 francs d'impôt foncier. Le
département de la Somme, c'est le bassin de la Somme pro-
prement dit : il a la forme d'un carré long, dirigé de l'est-sud-
est à l'ouest-nord-ouest, plus large vers l'est, oùleSanterre
déi^)loie ses plaines fertiles, entre la Somme et l'Avre; plus
étroit dans la partie occidentale , qui depuis Amiens est
divisée par la Somme en deux parties régulièrement égales.
Son sol , moins gras que celui du Pas-deCaiais et du Nord,
moins accidenté que celui de l'Aisne, de l'Oise et de la
Seine-Inférieure, tient de ces deux natures, et sert cornrae
de transition de l'une à l'autre. Partout la craie, l'argile,
le sable, la tourbe , l'humus, frapperont les regards du géo-
logue. Ces divers éléments du sol se présentent générale-
ment sous formes de vastes plaines, quelquefois unies a
perte de vue , comme la surface d'une mer immobile , parfois
aussi légèrement tourmentées comme les vagues que le veut
soulève : et bien souvent du fond des vallons qui coupent
les plaines le terrain s'élève par étages, et monte en gra-
dins mollement ondulés, qui offrent de loin à l'œil de lon-
gues bandes de gazon presque perpendiculaires. Le dépar-
tement de la Somme ne présente aucune montagne, et ses
plus hautes collines ne dépassent pas 150 ou 200 mètres ;
encore s'élèventelles en pente douce et insensible. Ses ri-
vières sont ia Som me et ses affluents. On peut y joindre la
Bresie, qui borne le département au sud-ouest, puis l'Authie.
Les côtes du département présentent un développement de
près de 40 kilomètres entre l'embouchure de la Bresie et
celle de l'Authie : elles sont basses presque partout , et n'of-
frent à l'œil que des dunes. Les productions minérales sont
le grès, qui est d'excellente qualité, la chaux, qui par-
SOMME — SOMMEIL
269
lont y abonde, l'argile, des moellons de craie el des pierres
de taille, généralement tendres au moment de l'exlraction, tl
qui durcissent à l'air; mais la véritable ricbesse minérale du
département est la tourbe, qui forme le fond de toutes ses
vallées. Le département possède aussi plusieurs sources mi-
nérales, parmi lesquelles celles de Saint-Cbrist sont les plus
fréquentées. Le pays est riche , agricole et manufacturier.
L'agriculture y est très-perfectionnée : la récolte de grains
est bien plus que suffisante ; il s'en fait aussi une très-consi-
dérable de fruits à cidre, légumes et menus grains , lin,
chanvre , graines oléagineuses , houblon , betteraves à sucre
et fourrages. Le département de la Somme n'est point un
département éleveur. On y trouve cependant de bonnes races
de chevaux , dont une partie est employée au labourage;
des bêtes à cornes el des moutons ; les abeilles y sont encore
assez nombreuses. Les poissons les plus estimés fourmillent
dans l'eau douce des rivières : on y pèche la truite , l'an-
guille, la carpe , etc. Le brochet atteint une grosseur énorme
dans les entailles pratiquées pour l'exploitation de la tourbe.
Le saumon remonte la Somme, quelquefois aussi l'esturgeon.
Les marécages de la vallée y attirent en outre une grande
quantité de canards sauvages et de bécassines. Mais ce que le
sol de ce département porte de meilleur, c'est l'homme.
Nulle part en France la population n'est plus robuste.
Des observations faites sur les contingents de l'armée lui
donnent pour la taille le premier rang. On connaît la ré-
putation des nourrices picardes. A ces qualités physiques
les habitants de la Somme joignent les dons de l'intelligence
et le don, non moins précieux, de se plaire à les cultiver.
L'industrie manufacturière du département est très-con-
sidérable ; ses produits les plus renommés sont les draps et
les moquetles d'Abbeville, et les articles divers de la fabri-
cation d'Amiens , comprenant les velours de soie et de coton,
les velours d'Utrecht, les peluches, les mérinos, les prunelles,
les poils de chèvre et des lainages divers. Parmi les autres
produits considérables, il faut citer les toiles de lin etde chan-
vre, les cotons et les cotonnades, le sucre de betterave, dont
le département est l'un des principaux sièges de fabrication
dans l'empire; la bière, boisson ordinaire des habitants,reau-
de-vie de grains, les huiles de graines et les savons mous, la
quincaillerie el la serrurerie d'Escarbotin. Les cuirs et peaux,
les papiers, les produits chimiques, les cordages d'Abbeville,
les pâtés d'Abbeville ( pâtés d'esturgeon ) et les pâtés d'Amiens
(pâtés de canards), la moutarde de Nesles, etc., constituent
encore d'autres articles de l'industrie locale.
Les principaux ports de mer du département sont Bexck,
Abbeville, Le Croloy, Saint-Valenj-sur-Somme, Hourdel
et Cayeux. Il s'y fait un actif commerce de cabotage. Deux ri-
vières navigables, le canal de Id Somme , les chemins de fer
du Nord, d'Amiens à Boulogne, de Paris à Lille, de Creil
à Amiens, 10 routes impériales, et 7,066 chemins vicinaux
sillonnent ce département, dont le chef-lieu est A miens ,
les villes et endroits principaux : Abbeville, Péronne,
Doullens, Ham, Montdidier, chef-lieu d'arrondis-
sement, avec 4,063 habitants, ville ancienne, bâtie sur le
penchant d'une montagne, au pied de laquelle coule le Don :
son arrondissement se livre à une fabrication active de bon-
neterie ; Saint- Riquier, qui possède intacte une charmante
église gothique du quinzième siècle, le plus bel édifice du
département après la cathédrale d'Amiens ; Corbie;Le Cro-
<oy; Saint-Valery-sur-Somrae; Cayeux, village sin-
gulier, dont les maisons, d'argile et de paille, bâties sans
ordre sur la plage, à des hauteurs inégales, à demi englou-
ties sous des monceaux de sable, sans un arbre, sans une
herbe qui pare leur voisinage, semblent plutôt avoir étéjclées
lîi par le caprice des vents que disposées par la main intelli-
gente de l'homme. La serrurerie, qui est l'industrie de tous
les environs , et la pêche , nourrissent ses deux mille habi-
' '^^- BOISTEL.
SOMMEIL (du latin sotnnus). Le repos est un besoin
impérieux pour tous les êtres animés; le sommeil, qui n'est
que la cessation temporaire et périodique des fonctions su-
blimes du cerveau et du système nerveux de la vie de rela-
tion, devient indispensable pour réparer les pertes maté-
rielles que ces organes éprouvent pendant la veille. L'éco-
nomie ressent d'autant plus le besoin de réparer ces pertes,
que l'exercice et les travaux corporels ont été plus prolongés
et plus énervants. La douleur physique, comme la douleur
morale, s'oppose au sommeil quand elle est vive, en ébran-
lant le système nerveux. L'absence des sensations et de»
mouvements volontaires le caractérise lorsqu'il est profond;
le cerveau, comme les muscles de l'endormi, est alors dans un
état passif. Dans les rêves, le somnambulisme,le som-
meil est léger ou imparfait ; alors des mouvements partiels
se révèlent dans l'organe de la pensée. Ces phénomènes ten-
dent môme à démontrer la pluralité des organes cérébraux :
les uns fonctionnent, se meuvent, tandis que d'antres sont
dans le repos. On ignore sans doute le mécanisme de leur ac-
tion, mais on ne peut en nier l'existence. Les végétaux, eux
aussi, sont soumis à la loi du sommeil. Pendant la nuit, la vé-
gétation est suspendue; les feuilles des plantes sont pliées les
nnescontre les autres, et se rapprochent de la tige; l'ex-
trémité de celle-ci s'incline souvent vers la terre ; sa corolle
se contracte, sa transpiration diminue ou s'arrête avec le
mouvement de la sève. Lorsque la lumière solaire vient ani-
mer la nature, les feuilles se développent, les (leurs s'é-
panouissent , la tige se redresse et son extrémité se tourne vers
le soleil. La sensitive, éveillée, obéit sans peine au mouvement
le plus inattendu, à l'ébranlement le plus léger.
Plus on descend l'échelle animale, plus on se rapproche
des végétaux, et plus il est facile de remarquer l'influence
des agents physiques sur l'activité ou le repos des êtres vi-
vants. Mais si la température jette dans la torpeur et l'a-
néantissement une foule d'animaux imparfaits ou élémen-
taires , on trouve dans les classes supérieures plusieurs es-
pèces qui sont soumises au sommeil léthargique. Parmi les
mammifères qui tombent dans cet état de stupeur on ren-
contre la marmotte, le hérisson, le loir, le lérot, le muscardin
et la chauve-souris. Le froid est la principale cause de leur
engourdissement : ils s'endorment lorsque le thermomètre est
à six degrés au-dessus de zéro ; ils se réveillent et deviennent
très-actils lorsqu'ils éprouvent l'inlluence d'une chaleur plus
élevée; aussi leur léthargie devient mortelle quand ils sont
exposés à un froid prolongé et rigoureux. L'homme endormi
tend à se refroidir, et la congélation l'atteint plus facile-
ment que pendant la veille. Sa faculté de produire le calo-
rique diminue donc aussi dans le sommeil naturel ou nor-
mal; mais ce refroidissement ne peut s'opérer que dans cer-
taines limites, au delà desquelles lendormi se réveille pour
tomber dans le sommeil anormal, ou morbide , qui peut
devenir funeste. La soustraction de l'oxygène et du calo-
rique, ces deux puissants agents delà vie, a donc pour effet
de déterminer le sommeil anormal avant d'amener la
mort. Il est encore le résultat de l 'asphyxie par submer-
sion, de l'apoplexie, de l'afflux du sang vers le cerveau.
La pléthore est souvent annoncée par une tendance invin-
cible au sommeil. Celui que provoquent les premières de ces
causes s'accompagne parfois des principaux signes qui an-
noncent la cessation définitive de la vie. Dans ces circons-
tances, des inhumationsprécipitées peuvent enfermer
dans le tombeau des personnes que l'art ou- la nature
aurait pu sauver. 11 en est même qiii dans cet état léthar-
gique ont le sentiment de leur existence, et voient avec
horreur les préparatifs de leurs funérailles, sans pouvoir
donner un signe de vie ( voyez Catalepsie ).
Que de faits on pourrait rapporter pour montrer la né-
cessité d'attendre les signes évidents de la mort avant d'a-
bandonner les personnes tombées dans un sommeil anormal
ou léthargique ! Une lacune évidente existe dans nos lois : on
peut craindre en France , el au dix-neuvième siècle, d'être
enterré vivant (voyez Inhumations précipitées. Léthargie,
Mort apparente).
Le sommeil est favorisé peudantla nuit par l'absence de toute
cause d'excitation, par l'épuisement qui résulte de l'exercice et
270
SOMMEIL — SOMPTUAIRES
de l'état de veille. Le retourdii soleil siirriiorizon, la lumière
artificielle, le moindre bruit, la commotion la plus légère,
suflisent pour amener le réveil. Le système cérébral a sans
doute la faculté de se mettre en action par lui-même : cette
faculté existe chez les animaux d'un ordre inférieur, com-
me chez l'homme même; mais il est facile de reconnaître
toute la puissance des causes physiques dans la manifesta-
tion des sublimes fonctions dont il est chargé. Tous les phé-
nomènes démontrent que les anomalies dans l'action de ces
causes déterminent des anomalies correspondantes dans
ees fonctions. L'histoire du sommeil met cette vérité à
l'abri de toute attaque sérieuse. D"^ Fourcaclt.
SOMMEIL {Mythologie). Voyez Somncs.
SOMMEIL CAROTIQUE ou CATALEPTIQUE.
Voyez Carus.
SOMMET. Vogei Cime.
SOMMIER ( Musique). Voyez Orgue, t. Xllf, p. 704.
SOMNAMBULE, SOMNAMBULISME (de deux mots
latins , signifiant sommeil et marcher , marcher en dor-
mant). On appelle ainsi , dans le sens le plus étroit du mot,
l'action de marcher tout endormi , et dans un sens moins
restreint l'exécution pendant le sommeil de certains actes
plus ou moins rationnels ; enfin , la faculté d'apercevoir
pendant le sommeil certaines choses qui pendant diverses
maladies ne peuvent pas être perçues par les sens ordi-
naires, en d'autres termes , les phénomènes, encore fort
problématiques ,dumagnétismeanimal. Les degrés
qu'on observe dans cet état varient à l'infini. Quelques fois
l'activité des sens externes est complètement éteinte , l'œil
reste insensible en présence de la lumière la plus éblouissante
et l'oreille au bruit le plus retentissant ; d'autres fois on
observera des réactions d'un ou de plusieurs sens contre les
excitations extérieures. Tantôt les actions se bernent à une
simple promenade ; tantôt elles se composent d'une sériede
fonctions dérivant l'une de l'autre , et à l'aide desquelles
sont accomplis , soit des détails d'affaires ordinaires , soit
des productions de l'esprit. Quoique ces phénomènes se
manifestent souvent sans aucun autre symptôme de maladie,
on peut cependant les considérer en général comme patho-
logiques, attendu que le sommeil régulier interrompt l'acti-
vité volontaire du corpsetne laisse à l'activité intellectuelle
qu'une tiès-faible influence sur l'activité physique, et aussi
parce qu'on observe souvent des états passagers de som-
nambulisme à la suite d'autres maladies, telles que les
fièvres nerveuses , les vers , les affections résultant de la
croissance , etc., et que la cause en gît évidemment dans un
état maladif du système nerveux. En effet, dans cet
état les malades témoignent d'un excès de sensibilité qu'on
ne pourrait autrement expliquer qu'en admettant, comme
dans le magnétisme animal, l'existence d'un sens
supérieur et universel , réunissant en lui-même les fonctions
des autres sens , souvent complètement inactifs , et auquel
on donne pour organe le système des ganglions. On a groupé
ces différentes espèces de somnambulisme sous le nom
d'trfJosomna/nôM/îsme, parce qu'il ne peut provenir que
d'une force existant dans l'homme lui-même , et on les dis-
tingue avec raison du somnambulisme qui ne se manifeste
qu'avec le concours d'un magnétiseur. Celui-ci n'est pas
non plus le même dans tous les cas ; et depuis ses premiers
débuts jusqu'à son point extrême, la divination magnétique,
il offre une foule de degrés et de variations , dont la plupart
sont encore problématiques.
On a remarqué que les femmes, et en général toutes les
personnes douées d'une grande irritabilité du système ner-
veux , sont celles qui ont le plus de prédispositions à tomber
dans le somnambulisme, et qu'en raison même de leur cons-
titution physique, elles se trouvent placées à leur insu sous
certaines iniluences terrestres ou aériennes, qui ne produi-
sent absolument aucun effet, ou du moins qui en produi-
sent de tout différents sur d'autres individus. En tous cas,
on n'a jamais pu jusqu'à ce jour donner une explication
satisfaisante des phénomènes du somnambulisme. Pour cela,
il faudrait d'abord posséder une base plus solide dans une
solution satisfaisante déjà donnée aux problèmes, encore inex-
pliqués, du sommeil et des rêves , attendu que dans un
état qui réunit en lui-même les phénomènes particuliers au
sommeil , au rêve et à l'état éveillé, c'est-à-dire à trois fonc-
tions physiques diamétralement opposées, on doit nécessai-
rement se heurter contre une foule de contradictions que
toute théorie manquant d'une base certaine sera toujours
impuissante à concilier.
Ceux-là seuls qui n'ont qu'une notion extrêmement bornée
de la constitution de l'homme ont pu prétendre que les
somnambules se trouvaient placés dans un état supérieur
à la vie commune, parce qu'ils recevaient alors des expli-
cations sur une foule de choses qui demeurent cachées et
inaccessibles aux sens éveillés. D'abord, ces explications
sont presque toujours peu importantes; ensuite, il n'y a
alors que les forces infimes de l'âme qui se trouvent dans
un certain état d'exaltation , et la raison, l'intelligence, de
même que la conscience , demeurent tellement annihilées ,
qu'au moment du réveil le souvenir même de l'état som-
nambulique cesse complètement.
La médecine légale est souvent appelée à constater la
présence ou l'absence du somnambulisme , à démasquer
des fripons qui le contrefont pour faire excuser des actes
criminels; c'est là une mission facile pour elle, et dans l'ac-
complissement de laquelle elle s'aide de l'étude des précé-
dents de l'accusé , de l'observation attentive de son état
actuel et des symptômes somnambuliques existants.
SOMNOLENCE (du latin somnus , sommeil), dispo'
sition habituelle à dormir. Les médecins donnent plus
particulièrement ce nom à l'état de torpeur prolongé qui
accompagne quelques maladies, et où , sans dormir profon-
dément , on n'est pas éveillé et on n'a pas sa connaissance.
Alors le moindre bruit réveille, mais à peine a-t-il cessé
qu'un nouvel assoupissement vient continuer le même état
et priver encore le malade de ses sens.
SOMNUS , le dieu du sommeil chez les Romains , appelé
par les Grecs Hypnos , fils delà Nuit', frère jumeau de
Thanatos (la Mort) , divinité à la bienfaisante influence
de laquelle les dieux eux-mêmes sont soumis. Il habite les
Champs-Elysées, où, à leur entrée, à l'extrémité occidentale
de la Terre, Ovide place sa demeure, parmi les Cimmériens,
dans une caverne où ne pénètre jamais un rayon de soleil ,
où l'on n'aperçoit aucun être vivant , où ne croissent que
des pavots et autres plantes de ce genre. 11 y repose sur
une couche d'ivoire, entouré de ses enfants, les innombra-
bles dieux des rêves. Comme attribut on lui donne, outre
la baguette assoupissante et le pavot, une corne, de laquelle
il verse des sucs assoupissants. L'art le représente sem-
blable à la mort, suivant l'idée riante que s'en faisait l'anti-
quité, tantôt comme un jeune homme endormi, tanWt
comme un génie dont la torche est renversée.
SOMPTUAIRES (Lois), du latin sumptuarins, ùéi'ivé
de sumptus , dépense. C'est ainsi qu'on appelle les lois en
vertu desquelles sont créés les impôts prélevés sur le luxe,
sur les dépenses superflues. Chez les anciens et dans
quelques États modernes, des lois déterminèrent le costume
des diverses classes de citoyens, suivant leur rang, leurs
fonctions , leurs professions , pour prohiber aux uns ou
même à tous l'usage de telles étoffes , de tels bijoux , de
tels meubles, dont la magnificence et le prix élevé pouvaient
entraîner la démoralisation et la ruine des familles.
En Angleterre, où le luxe est jugé nécessaire à l'industrie,
où le commerce est la source de la prospérité de l'État, on
s'est contenté d'établir des impôts somptuaires sur une
foule d'objets qui contribuent aux agréments de la vie,- et
on pourra juger de l'importance des ressources fouruies au
budget par ces impôts quand on saura que Ja taxe sur les
voilures elles chevaux de luxe produit chaque année plus de
dix millions de francs , et l'impôt sur les cJiiens plus de trois
millions.
Il faut évidemment que l'homme ïîciie paye plus que
SOMPÏUAIRES — SONATE
271
Phoinrne aisé , et que celui qui n'a que le strict nécessaire , j ( pour avoirdii calme) à l'extrémifé d'un des ponts de ferde
ou qui en est privé , paye peu ou ne paye rien à l'Etat. C'est
d'après ces principes d'éternelle justice , trop longtemps
méconnus ou négligés en France , que fut basée la contri-
bution somptuaire établie par la loi du 7 tliermidor au m
(25 juillet 1795 ). Jamais impôtne (ut plus rationnel ni plus
légitime ; car il atteignait spécialement ces capitalistes avides,
ces financiers égoïstes, ces fournisseurs sans honneur et sans
délicatesse, qui , enrichis par l'usure, l'agiotage, le mono-
poleou la mauvaise foi, et n'ayant que de l'or, des bijoux, de
somptueux mobiliers, des chevaux, des équipages, une nom-
breuse valetaille, et quelquefois des tableaux et des livres fort
inutiles pour eux , étaient exempts de l'impôt foncier , parce
quils ne possédaient pas un pouce de bien au soleil, etdu droit
de patente, parce qu'ils n'exerçaient ostensiblement au-
cune profession industrielle. Les choses restèrent à peu
près sur ce pied jusqu'à la fin de 1799, époque de l'avé-
nement de Bonaparte au consulat. Il arriva avec une nou-
velle aristocratie , celle de la richesse obtenue par le com-
merce, parles armes, par les fournitures militaires et par
les hautes fonctions salariées. Ces diverses classes de riches
s'accommodaient fort mal d'un impôt qu'on ne pouvait
éluder, et qui contrariait le goût du luxe qui commençait à
s'introduire dans la société. La contribution somptuaire,
traitée d'absurde, de puérile, de ridicule, d'injuste, fut donc
supprimée, d'abord à Paris, parla loi rendue, en avril
1803 , sur le rapport de Regnault de Saint- Jean d'Angély ;
et par une conséquence toute naturelle, puisque les hom-
mes à argent ne voulaient plus payer, il fallut bien s'a-
dresser à ceux qui n'enavaient pas. On rétahlildonc, en 1804,
sous le titre de droits réunis y les impôts de l'ancien
régime sur le vin, le cidre, le poiré , la bierre, les eaux-
de-vie, la poudre de chasse , les cartes et le tabac, et l'im-
pôt sur le sel. Ces contributions , plus onéreuses et plus
vexatoires pour le peuple que pour les classes aisées, et d'un
recouvrement bien plus dispendieux pour l'État que les con-
tributions directes, furent maintenues sous la Restauration
de même que par le régime de Juillet et la république de
1848. Le second empire s'est bien gardé d'y loucher.
SOiX ( de l'espagnol suma , dérivé du latin summa [sous-
entendu /an«a ), écorce des graines, des céréales, qui
en a été séparée par la mouture, partie la plus gros-
sière du blé moulu. Sa grosseur est proportionnelle à l'écar-
leroent des meules du moulin. La mouture ne fournit que
de la fine fleur, du gruau et du son. On a trouvé que dans
les meilleurs moulins cent sacs de bon froment doivent
rendre soixante-dix sacs de farine pure : le déchet des sons
est donc de trente sacs. Le son pur est très-indigeste; n'en
donnez donc aux bestiaux et aux volailles que quand il
contient un peu de farine qui lui est restée unie. On donne
de l'eau de son à un cheval ; l'eau blanche est meilleure. On
tirait autrefois du son tout l'amidon mis dans le commerce.
Si vous ne pouvez consommer tout votre son, soit pour sa
mauvaise quali^^, soit par l'impossibihté de vous en défaire,
vous pouvez l'utiliser comme engrais en le jetant sur le
fumier ou en l'employant directement. P. Gaubert.
SfyK {Phîjsique) , An M\nsonm. Le son n'est point un
corps ou un être matériel , mais seulement une propriété
d'autres corps, notamment de l'air, qui le produit sous l'in-
fluence des agents qui le font entrer en vibration , car on
sait qu'il n'y a pas de son possible dans le vide; l'on sait de
même que toute espèce de son est incontestablement dé-
terminée par la vibration des corps élastiques et que son
plus ou moins grand caractère d'unité dépend du nombre
plus ou moins grand de ces vibrations. L'air n'en est pas
le sp.ul véhicule, quoiqu'il en soit le plus ordinaire; et
l'on sali même depuis Descartes qu'il se transmet plus
rapidement par le moyen des liquides que par celui des gaz
ou des fluides. La transmission par ces derniers, notamment
par l'air, est surtout bien moins rapide que par les soli.les ,
tels que le bois, le fer, par exemple. On peut s'en assurer par
une expérience très-facile : qu'on se place de grand matin
Paris , et pendant qu'on aura l'oreille appuyée sur les barres
de fer, que quelqu'un à l'autre extrémité frappe sur ces
mêmes barres ou sur la grille du parapet; on entendra
pour un seul coup deux sons à une certaine distance l'un
de l'autre , le premier beaucoup plus fort, traduit par le
métal , l'autre par l'air ambiant. On a ainsi trouvé, par
des expériences sur les tuyaux de conduite d'eau de Paris,
que la vitesse de transmission du son par la fonte est envi-
ron dix fois et demie plus grande que celle qui a lieu par
l'air, la première étant de 3,538 mètres par seconde , l'autre
d'environ 337 mètres dans le même temps. La gravité ou
l'acuité du son n'influe d'ailleurs en rien sur la rapidité
de sa transmission. Le son se propage dans l'air par une
suite de vibrations ou plutôt d'ondulations concentriques qui
vont toujours en s'étendant à mesure que le son faiblit et se
fait entendre néanmoins dans un plus vaste espace. Le son,
comme la lumière, se réfléchit aussi en faisant l'angle de
réflexion égal à celui d'incidence; et quelque dissembla-
bles que paraissent ces deux corps , peut-être seulement ces
diverses propriétés d'un même corps , ou plutôt ces deux
effets dfférents d'une même et première cause , ce n'est
pas la seule analogie qui existe entre eux (voyez Spectre
SOLAIRE ). Nous venons de dire que le son s'affaiblit à mesure
que s'étendent les ondulations de l'air en rétraction qui
le produit; mais il en est tout autrement si cet air est ren-
fermé dans un corps quelconque, comme un long cylindre,
par exemple. M. Biot a ainsi éprouvé que sur une longueur
de tuyaux de fonte de près de mille mètres la voix la plus
basse s'entendait parfaitement d'un bouta l'autre, alors qu'on
n'eût pu l'entendre à quelques mètres dans l'air libre. On a
même essayé s'il était un degré où la faiblesse de la voix ne
permît plus ainsi de l'entendre d'une extrémité à l'autre de
ce conduit, et il ne s'en est pas trouvé ; le son le plus imper-
ceptible en apparence arrivait distinctement à l'autre bout,
et il fallait ne plus parler pour n'être pas entendu.
Les nuances des sons varient à l'infini comme le nombre
des vibrations qui les produisent. On nomme intervalle le
rapport d'un son à un autre, ou plutôt le rappport entre les
nombres de vibrations qui produisent ces sons. Les inter-
valles prennent différents noms relativement au nombre
de sons qui se trouvent entre ceux qu'on compare; on les
nomva^ seconde, tierce, quarte, quinte, sixième, septième
octave, quand les sons composés se suivent immédiatement
ou quand l'oreille peut intercaler 1, 2 , 3, 4 , 5, 6 sons inter-
médiaires.
Le mot bruit, pris quelquefois pour synonyme de son,
nous semble devoir être seulement et spécialement consacré
à caractériser, en fait de sons, tous ceux qui ne sont pas
ce qu'on nomme musicaux proprement dits. Billot.
SONATE (de l'italien suonare, sonner, qui s'appliquait
autrefois exclusivement au jeu des instruments à vent), pièce
de musique instrumentale, avec accompagnement de vio-
loncelle ou de viole soutenu. Elle prend le nom de trio quand
elle est accompagnée par un troisième instrument.
La sonate se compose le plus ordinairement de deux ou
trois morceaux : 1° allegro , 1° adagio, 3° rondo ou presto.
On y joint rarement un menuet; toutefois, Sébastien Bach
a composé des sonates à quatre et même cinq morceaux ,
qui ont obtenu longtemps un grand succès. La sonate se
rapproche du concerto et de \aL fantaisie , en ce sens qu'elle
est à proprement parler une véritable étude, un exercice,
et presque toujours fort difficile pour un seul instrument.
Quelque resserré que soit le cadre dans lequel se renferme
cette composition musicale, un harmoniste habile peut y
jeter des effets d'une certaine puissance; il doit même s'at-
tacher à tempérer la sévérité un peu pédagogique du genre
par de gracieuses mélodies, des thèmes origmaux et desac-
compagnemenls variés. La sonate demande a être jouée avec
une irréprochable précision; elle ne souffre ni broderie, ni
paraphrase, ni aucun de ces traits brillants, mais parasites,
désignés dans l'école sous le nom de fioritures.
371
SONATE — SONNET
L'histoire complète de la sonate fournirait le sujet d'une
brochure aussi instructive que piquante : elle a eu ses al-
ternatives de gloire et de décadence ; les plus grands maî-
tres lui ont consacré quelques-unes de leurs meilleures ins-
pirations; mais, malheureusement aussi , elle fut de tous
temps envahie par les plus désespérantes médiocrités. Son
règne finit avec le premier empire , pendant lequel elle
avaittrônédespoliquement dans les salons etoccupé un rang
privilégié dans les programmes de concert. Presque tout
le dix-huitième siècle fut l'esclave de la sonate; et chacun
connaît la boutade que ce culte exclusif pour une idole
maintenant tombée inspira à F o n t e n e 1 1 e. De notre temps,
Fétis , parodiant l'exclamation comique de l'ingénieux au-
teur de la PluralUé des Mondes , a pu dire : Sonate, oii
es-tu? Et de fait la sonate est morte. Elle a successi-
vement disparu du pupitre de l'amateur et de l'artiste , et
aujourd'hui on la retrouve, jaunie et ridée, dans les vieilles
paperasses, dans les collections, dans les ventes et chez les
marchands de bric-à-brac. L'éclat, la facilité, la rapidité fou-
gueuse des traits, les surprises, les tours de force dans le
mécanisme de l'instrument, telles sont les qualités indispen-
sables pour nous plaire. Ces qualités, la sonate ne les avait
pas ; nous les avons trouvées dans Vair, varié et la fantaisie.
A. Lecoyt.
SONDE. On donne ce nom à certains instruments qu'on
enfonce dans un fromage, un melon, un jambon, etc., pour
en retirer une parcelle et s'assurer de leur qualité. C'est
encore une espèce de tarière qu'on enfonce dans la terre,
soit pour reconnaître les différentes couches du terrain ou la
présence et la qualité des mines, soit pour forer un puits
artésien. Ce mot désigne, enfin, un morceau de fer em-
manché de bois, dont les commis de barrières se servent
pour reconnaître s'il y a de la contrebande dans les voitures
qui entrent dans une commune à octroi.
SONDE {Chirurgie) , instrument de chirurgie qu'on
introduit dans la cavité de certains organes, dans le trajet
des plaies, des fistules, etc. , pour remplir diverses indica-
tions thérapeutiques. Ainsi, pour reconnaître l'état de la
vessie, y constater la présence de corps étrangers, etc., on
se sert ordinairement de sondes d'argent, creuses à l'intérieur,
dont les dimensions, la forme, les courbures, varient sui-
vant les âges , les sexes et les cas particuliers pour lesquels
on les emploie. On les nomme généralement algalies. Le
plus souvent on construit les sondes en gomme élastique,
surtout lorsqu'elles doivent rester à demeure dans l'urètre
et la vessie.
On se sert encore, pour diverses opérations qu'on pra-
tique sur les voies urinaires, de sondes pleines, solides ou
flexibles , auxquelles on a donné les noms de bougie , de
cathéter.
SONDE (Marine), instrument consistant en un plomb
attaché à une corde , et dont on se sert à la mer et dans
les rivières pour connaître la profondeur de l'eau ou la qua-
lité du fond. Cette ligne est graduée de brasse en brasse par
des nœuds. Le plomb, de forme conique, est creusé à la
partie inférieure, afin de recevoir un morceau de suif destiné
à rapporter des échantillons de la nature du fond. Ce plomb
pour les petites sondes, servant habituellement à l'arrivée
sur rade et appelées sondes à mains ou sondes courantes,
pèse environ trois à quatre kilogrammes. L'homme chargé de
le jeter se place en dehors du navire dans les porte-haubans,
et le lance à tour de bras le plus loin possible devant lui,
de manière à ce que le bâtiment continuant à avancer, la
sonde tombe perpendiculairement au fond.
Lorsqu'il s'agit de sonder par un fond de quelques cen-
taines (le brasses, on emploie des plombs pesant de dix à
vingt kilogrammes , lesquels souvent ne suffisent pas pour
tendre la ligne et lui donner une direction verticale , quelque
précaution qu'on prenne d'ailleurs pour rendre le vaisseau
immobile. Dans certains parages , tels que la Manche d'An-
gleterre , etc. , les indications d? la sonde font connaître sur
la carte le lieu où l'on est. F. de Lespinasse.
SONDE (Détroit de la), bras de mer long d'environ
13 myriamètres, avec une largeur variant entre 3 et 10 my«
riamètres , situé dans l'océan Indien , qu'il met en commu*
nication avec la mer de la Sonde. C'est la route ordinaire
pour se rendre d'Europe à Batavia.
SONDE (Iles de la), dénomination générique sous laquelle
on désigne les diverses îles dont se compose le vaste archi-
pel de la Malaisie, telles que Bornéo, Banka, Sumatra,
Java, Célèbes, appelées grandes îles de la Sonde, et
Bali, Timor, etc., etc., api^éléespetitesiles de la Sonde.
Elles appartiennent pour la plus grande partie aux Hollandais,
SONDE ( Mer de la ) , appelée aussi mer de Java , di-
vision hydrographique de l'océan Indien , comprise entre
l'ile de Java au sud , Bornéo au nord, Sumatra, Banka et
Billiton à l'ouest , C é 1 è b e s et les autres lies de la Sonde a
l'est.
SONDERBOURG, ville du duché de Schleswig , située
dans l'île d'Alsen, avec 3,300 habitants, un vieux château
délabré et un port. Les deux lignes collatérales de la branche
royale de la maison de Holstein ajoutent le nom de r^tte
ville à leur titre ( voyez Holstein et Oldembourg [ Mai-
son d' ] ).
SONDERBUND. Voyez Sdisse.
SONDERSHAUSEN, capitale de la principauté de
Schwartzbourg-Sond er sh ausen,avec 5,117 habi-
tants, située dans une belle et fertile contrée, sur les bords
de la Wipper, est le siège des autorités supérieures. Le
château , de construction récente , renferme une collection
d'antiquités et d'objets d'histoire naturelle; il est entouré d'un
parc dessiné à l'anglaise.
SONGARIE. Voyez Dsongarie et Kalmoccks. •
SONGE. Voyez Rêve.
SONNERIE, son de plusieurs cloches réunies; totalité
des cloches d'une église ; assemblage des rouages et des
mouvements qui servent à faire sonner une pendule, une
montre; ensemble des différents airs que sonnent les trom-
pettes d'un régiment. Ces principales sonneries de trom-
pette sont : le réveil , la générale , le boute-selle , l'appel , la
charge, etc.
SONNET (du latin sonettus, diminutif de sonus, son,
dans la signification de chanson, chansonnette). Boileau,
dan'^ son Art poétique , a fidèlement retracé les règles sé-
vères de ce genre de poésie, « inventé, dit-il avec un peu
d'exagération , pour pousser à bout les rimeurs français ».
Le sonnet se compose de deux quatrains de mesure pareille,
où la rime avec deux sons frappe huit fois l'oreille, et de
deux tercets partagés par le sens. Il n'admet ni expressions
impropres ni vers faibles, et l'idée qui le termine doit avoir
quelque chose de piquant et de relevé. Pétrarque est re-
gardé comme l'inventeur du sonnet, bien que plusieurs cri-
tiques prétendent qu'il en emprunta l'usage aux anciens
poètes provençaux connus sous le nom de trouvères Sous
le règne de François V, ce genre de poésie fut en grand
honneur, et celte vogue se continua pendant tout le dix-
septième siècle. Mais malgré le nombre des poètes qui s'y
exercèrent, peu y excellèrent ; c'est ce qui a fait dire à Boi-
leau :
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poSme.
Cependant, licite Gombaut, Mainard et Maleville comme
auteurs de quelques sonnets admirables. A ces noms il faut
ajouter ceux de Des Barreaux , de Haynaut, de Fonte-
nelle , etc. La querelle qui partagea la cour et la ville sur
les sonnets de Voiture et de Benserade, et qui fit naître les
factions des uraniies et des jobelins , montre quelle im-
portance on attachait alors au sonnet. Au reste, cet exemple
n'est pas le seul au dix-septième siècle : le sonnet de Ma-
leville Sur la belle matineuse eut aussi la gloire d'agiter
et de diviser tonte la France.
Le sonnet fut totalement négligé au dix-huitième siècle ,
et l'on peut dire qu'il a disparu entièrement de la poésie
SONNET — SOPHIE
f, ançaise, malgré les efforts récents faits par quelques poètes
modernes distingués pour le réliabiliter. Joncièhes.
SOi\i\ETTE, cloctiette, ordinairement fort petite,
dont on se sert pour appeler ou pour avertir. Le président
d'une assemblée délibérante agite une sonnette quand il s'a-
git d'y rétablir l'ordre et le silence.
Sonnette se dit encore d'une machine dont on se sert
pour enfoncer des pilotis et des pieux.
SONORA, le plus grand des États de la république du
Mexique, dont il forme l'extrémité nord-est, réuni jusqu'en
1830 avec celui de Ci naloa, confine à l'est à l'État de Chi-
liualiua, au sud à l'État de Cinaloa, à l'ouest au golfe de Ca-
lifornie , et est séparé en grande partie au nord par le Rio-
Gila de l'État du Nouveau-Mexique, qui fait partie de l'Union
Américaine du Nord. L'État de Sonora a une superlicie de
35,000 rayriam. carrés et une population de 122,000 habi-
tants, dont deux tiers blancs, un tiers métis , et deux tiers
Indiens. A son extrémité orientale s'élève la cordillère cen-
trale du Mexique, qui y porte les noms de Sierra Verde ,
Sierra de Espuela et Sierra de los Mimbres , et qui est
aussi connue sous le nom de Sierra de Anahuac. Au nord
on trouve le plateau de Pimeria alta, qui, comme l'in-
dique la direction de la plupart des cours d'eau , s'a-
baisse vers le sud , et qui est séparé de leurs vallées par
plusieurs «terra* et plateaux parallèles. A l'ouest s'étend
comme lisière du plateau intérieur, et parallèlement au
littoral, ce qu'on appelle la Sierra de Sonora, dont les
versants septentrionaux sont désignés sous les noms de
Sierra de Nazareno et de Sierra de Santa-Clara, et
que doivent franchir les cours d'eau appelés Mayo , Yaqui ,
José, Caborca ou San-Ignacio, Santa-Clara et autres,
avant d'atteindre la mer, qui forme ici plusieurs baies et
ports. Le Rio de Sonora, ainsi que le Dolores ou Ilorca-
sitas , se jette au contraire dans le grand lac de Cienago de
Coros. Le littoral est plat, de même que la contrée du sud,
et la partie du pays située entre le Mayo et le Yaqui est
très-fertile. En général , cet État offre une succession con-
tinuelle de vallées et de plaines fertiles et bien arrosées, de
plateaux arides et de montagnes escarpées, dont quelques-
unes sont riches en métaux. Le climat est généralement
chaud et, quoique la température "y soit variable, très-
sain, à l'exception des parties marécageuses. Les produits
du pays sont les céréales, les fruits et les légumes de toutes
espèces, les patates, les melons, le cotoB, des mulets de très-
belle .race ainsi que tous les autres animaux domestiques et
utiles d'Europe ; sur les côtes, des perles; dans les montagnes,
des métaux précieux , beaucoup de sables aurifères, du sel et
de l'alun naturel. Les Indiens forment un grand nombre de
peuplades , dont la plupart vivent encore à l'état nomade. Les
plus civilisés sont les Opatas , entre les mains de qui se
trouve concentré le peu d'industrie existant dans le pays, in-
dustrie bornée d'ailleurs au plus strict nécessaire. Au toial,
l'élève du bétail, qui est très-répandue et qui sur certains
points se fait en grand, constitue la principale ressource de
la population. Le commerce, qui manque de bonnes routes
à l'intérieur, n'a pas laissé que d'arriver dans ces derniers
temps à une certaine prospérité, mais il eut souvent à souffrir
des dévastations et des brigandages des Indiens.
L'État est divisé en deux départements: Arispe et Horca-
sitas. Le chef-lieu actuel est /Irispe, ville de 3,000 habitants ;
mais la ville la plus peuplée, autrefois chef-lieu, est Her-
mosillo ou Pitié, au confluent du Dobres et du Sonora,
de constmction récente, mais irrégulière, dans une contrée
fertile, oii abondent les vignes et les bestiaux , avec S, 000
habitants. Elle sert d'entrepôt au meilleur port du pays,
San-Fernando de Gaymas , ou Gaymas , non loin de la
ville de San-José de Gaymas , où l'on compte 5,000 habi-
tants. Il faut encore citer la ville de San-Miguel de Hor-
casitas , avec 2,500 habitants ; le bourg à'Oposura, chef-
lieu des Indiens Opatas , avec diverses fabriques et une im-
portante élève de bétail. Les principaux districts de mines
sont ceux de Nicosari , San-Juan de Sonora , Babiacora et
DICT. DE LA CONVERS. — T. XVI.
Opo.sura. Outre la ville forte de Santa-Gertrudia dcl Alta»
avec 1,400 habitants, il existe beaucoup déplaces fortifiées
ou presidios , destinées à protéger le pays contre les dépré-
dations des Indiens.
SONS FLUTES, SONS HARMONIQUES. Voyez Hf^
MOMQUE ( Musique ).
SOJ\TAG (Henriette), l'une des plus célèbres canta-
trices des temps modernes, naquit en 1805, à Cobleniz, de
parents qui appartenaient au théâtre. Dès l'âge de six ans
elle jouait des rôles d'enfant sur le théâtre de Francfort, et à
huit ans sa voix avait déjà acquis certains développements.
Son père étant venu à mourir, elle se rendit avec sa mère à
Prague, où elle suivit les cours de musique du conserva-
toire et où elle débuta à quinze ans comme cantatrice. Peu
après, elle alla à Vienne, où elle obtint un engagement dans
i'Opéra-Allemand, en même temps que dans la troupe d'O-
péra-Italien. En 1824, l'Opéra de Vienne étant venu à fer-
mer, elle donna quelques représentations à Leipzig; et la
même année elle fut engagée avec sa mère et sa sœur au
théâtre de la Kœnigstadt, à Berlin. Elle y obtint un succès
inouï, et fut nommée cantatrice de la chambre du roi. Deux
ans après, elle alla passer la saison d'hiver au Théâtre-Ita-
lien de Paris, et elle y excita un enthousiasme sans pareil.
Depuis lors toutes les grandes scènes lyriques de l'Europe se
la disputèrent. Elle se trouvait en 1829 à Paris, lorsque, con-
tractant un mariage secret avec le comte Rossi, chargé
d'affaires de la cour de Sardaigne à La Haye, elle renonça
à la scène au moment où son talent brillait du plus vif éclat.
Elle se borna donc pendant quelque temps à donner des
concerts dans les grandes villes, mettant d'ailleurs ainsi
largement à contribution , au point de vue financier, l'en-
thousiasme de ses admirateurs , alors à son paroxysme.
En 1830 son mariage fut déclaré, et dès lors elle accom-
pagna son mari dans ses diverses missions. C'est ainsi
que jusqu'en 1848 elle fit successivement le charme des cer-
cles diplomatiques deFrancfoit, de Pétersbourg et de Beriin.
Quoique jouissant de la vie de famille la plus heureuse, sa-
fortune particulière, dérangée par les événements de 1848, .
lui fit une nécessité de redemander des ressources à l'exer-
cice public de son talent. Elle se lit alors entendre de nouveau
sur les théâtres de Londres, de Paris, de Vienne et de Berlin,
et en 1852 elle entreprit une tournée artistique en Amérique,
où, après avoir donné de fructueuses représentations daas
les grandes villes des États-Unis, elle mourut, d'une attaque
de choléra, le 17 juillet 1854, à Mexico, au milieu de ses
triomphes. Les principaux rôles de son répertoire étaient la
jeune fille de LaNeige; ^QÛne.,A\i Barbier de Sév\lle;\'\iA-
lienneà Alger; Cenerentola ; Hélène, dans La Dona del Lago ;
dona Anna, dans Don Juan ;Ia princesse de Navarre, dans
Ëuryanthe ; Agathe, dans le Freischûtz; Caroline, dans le
Matriinonio secreto; et Sophie, dans Sur gino.
SOi\THONAX. Voyez Santhonax.
SOPHETÏM. Voyez Carthage.
SOPHIE ALEXEJENA,sœurconsanguine de Pierre le
Grand, née en 1657, était fiiledu tzar Alexis Michaïlovitsch
et issue du premier mariage de ce |)rince avec Marie Mi-
loslafska, et s'attribua le titre de tzarine jusqu'au moment
où Pierre parvint à la renverser. Le tzar Féodor III Alexéjé-
vitsch, àsamort, arrivéeenl682,ayantinstitué pour héritier,,
au mépris des droits d'Ivan, prince tombé dans un état voi-
sin de l'imbécillité, son frère consanguin Pierre, alors encore
mineur, et les grands de l'empire ayant proclamé celui-ci
en qualité d'autocrate, Sophie et son confident, le ministre
Galyzin, s'opposèrent à ce choix, et, avec l'appui des
sfrelitz, provoquèrent une sédition si grave que Pierre et sa
mère durent prendre la fuite. Sophie réussit à faire décider
qu'Ivan et Pierre occuperaient le trône conjointement,
tandis que la direction réelle des affaires lui serait confiée
à elle-même. Elle gouverna alors la Russie de la mam'ère
la plus tyrannique , et persécuta tout particulièrement la
familleNarischkin, à laquelle appartenait la mère de
Pierre, ainsi que ses partisans. La grande-duchesse avait
18
ÎI74
SOPHIE — SOPHOCLE
cependant aussi paur ennemis secrets les strelïtz , qui ,
guidés par leur chef, Chawansky, se révoilèreut contre elle;
mais, grâce tout à la fois à son adresse et à lavigueurcJe ses
résolutions, elle réussit à en triompher. En 1686 elle conclut
avec la Pologne le traité de paix en vertu duquel cette puissance
abandonna à la Russie les provinces de Smolensk et de l'U-
kraine , en échange desquelles la Russie lui promettait des
secours contre les Tatares de la Crimée. Elle envoya alors
son favori Gal^izin à la tête d'une armée contre ces peuplades ;
et Pierre obtint la permission de prendre part à cette expé-
dition, au retour de laquelle il n'hésita point à entrer en
luttf ouverte contre sa sœur, dont l'aversion pour lui ne fit
que s'accroître. Quand il eut épousé Eudoxie Lapouchine, et
lorsqu'il en eut eu un fils, il entendit régner par lui-même, et
Sophie fomenta alors parmi les strelitz de nouvelles cons-
pirations. Pierre, instruite temps, fit jeter sa sœur en prison,
quoiqu'elle persistât à nier qu'elle eût eu connaissance du
complot. La plupart des conjurés périrent du knout , ou
furent envoyés en Sibérie avec le nez coupé. Galyzin fut
condamné à un exil perpétuel dans l'une des îles de la
mer Blanche. Quant à la grande-duchesse, elle fut renfer-
mée dans un couvent de Moscou, où elle mourut, en 1704.
SOPHIE-DOROTHÉE, princesse de Celle et connue
sous le nom de princesse (TAhlden , née en 1666 , était tille
unique et héritière allodiale du duc Guillaume de Celle, et
mariée depuis 1682 avec Georges-Louis , prince hérédi-
taire de Hanovre. Quoique douée d'une rare beauté, elle ne
réussit point à captiver son mari. Après lui avoir donné un
fils et une fille , elle se vit d'abord négligée , puis souvent
traitée par lui avec grossièreté, et finit par devenir l'objet
des persécutions secrètes de la maltresse de ce prince. Sur
ces entrefaites arriva à la cour de Hanovre le comte Philippe
de Ko^aigsmarck, frèrede la belle comtesse Aurore, fort
bel homme et général au service de la cour de Saxe , lequel
ne tarda pas à éprouver si non une passion, du moins un vif
intérêt pour la princesse délaissée. Nous ne reviendrons pas
ici sur la tragique aventure qui mit fin à ses jours; elle est
rapportée à l'article qui lui est spécialement consacré dans
ce dictionnaire. La princesse Sophie- Dorothée fut arrêtée
et emprisonnée ; mais la procédure secrète instruite contre
elle ne put pas amener la découvert* de la moindre preuve
de culpabilité. Après que son mari eut fait prononcer, dans
la même année, son divorce d'avec elle , elle tut conduite
au château d'Ahlden sur l'Aller, où elle mourut, le \3 no-
vem.bre 1726, après trente-deux ans de captivité. Elle fit
constamment preuve d'autant de résignation que de dignité,
communiant dans sa prison tous les huit jours, et à cette oc-
casion protestant toujours solennellement de son innocence.
Plus lard , on acquit la certitude qu'elle avait été calom-
niée et victime de la jalousie ainsi que de la dépravation de
la comtesse de Platen, maîtresse du prince électoral Ernest-
Auguste, dont Kœnigsmark avait repoussé les avances.
Le mari de Sophie-Dorothée monta sur le trône d'An-
gleterre, sous le nom de Georges V ; son fils , devenu plus
tard le roi Georges // , et qui aimait tendrement sa mère,
était convaincu de son innocence.
SOPHIE (Église de Sainte-). Voijez Sainte-Sophie.
SOPHISME , raisonnement spécieux, éblouissant, dont
on sent bien la fausseté, quoiqu'on puisse être embarrassé
de la démontrer et de dire précisément pourquoi ce raison-
nement est faux et captieux. L'erreur voulant usurper le
rôle de la vérité , s'efforçant de lui ressembler, prenant toutes
les formes propres à favoi iser son imposture , voilà le so-
phisme. Nous avons dit , en son lieu, en quoi il diffère du
paralogisme. Sans faire ici l'énumération des diverses
rnses qu'emploie le sophisme , nous nous contenterons de
dire que ce nom convient à toute manière de raisonner qui
porte à faux. Or, tout lanx raisonnement venant de ce que
la conséquence n'œt [>a.s contenue dans les prémisses , il
s'ensuit qu'il n'est qu'un seul moyen de résoudre \e:s,sophis-
mes, c'est de rapprocher la conclusion du principe , c'est-
.à-dire de réduire les raisonnements suspects en syUogis-
171CS ; a\oT»\e&sop/iis)ncs paraissent à découvert. Ainsi, prit-
nant pour exemple la fameu.se prosopopée du discours ce
J.-J. Rousseau, discours où il prétend prouver que lea
arts sont plus funestes qu'utiles à l'homme : pour se con-
vaincre de la fausseté des brillantes pensées de l'orateur,
il suffit de dire : « Les hommes doivent renoncer à ce qui
les corrompt; or, l'architecture , la peinture, la sculpture,
corrompent les hommes : donc ceux-ci doivent y renon-
cer. » Voilà le so/j^jsme rais à nu; car personne n'ignore
que ce ne sont pas les arts qui corrompent les hommes ,
mais que les passions savent en abuser comme de toutes
choses.
SOPHISTE (dugrec(joî)i«TTïii:, fait de aotpé; )- C'est celui
qui se sert d'arguments subtils dans le dessein de tromper,
celui enfin qui fait des sopkismes. Chez les Grecs , cette
dénomination fut pendant longtemps un titre honorable ; on
le donnait aux plus célèbres rhéteurs et professeurs d'élo-
quence. Il était alors synonyme de sage, expert , savant.
Il ne devint le synonyme de trompeur et de charlatan
que par suite de l'abus que les déclamateurs firent de l'élo-
quence. Platon fit une guerre opiniâtre à Gorgias et à Pro-
lagoras , les deux coryphées des sophistes de son temps.
Alors déjà , comme aujourd'hui , on regardait comme un
sophiste le rhéteur ou le logicien qui mettait toute son
étude à décevoir et à fasciner les peuples par des distinc-
tions frivoles, de vains raisonnements et des discours im-
pudemment captieux. Ce qui dans tous les temps a le
plus contribué à accroître le nombre des sophistes, ce sont
les disputes des écoles de philosophie , où l'on enseignait
à obscurcir la vérité à l'aide de termes barbares et inintelli-
gibles. C'est une époque de décadence pour un pays lors-
que la race des sophistes y pullule; aussitôt que leur règne
commence , toutes les idées de justice sont méconnues et
foulées aux pieds ; eti'audacieuse rouerie appuyée sur des
sophismes tient lieu et place du vrai mérite. Les dernières
pages de l'histoire contemporaine sont là pour le prouver.
CnA»IPAGNAC.
SOPHISTICATION fdu grec aotfi^uv, qui d'abord si-
gnifia rendre sage , et plus tard tromper ) . Voyez Al-
tération.
SOPHOCLE , célèbre tragique grec, naquit dans le
bourg de Colone, voisin d'Athènes, l'an 498 av. J.-C, et
mouiiit l'an 406 , après avoir parcouru une longue carrière
de gloire , de bonheur et de'génie. Sans doute son existence
ne lut pas exempte de soucis , et même de chagrins cuisants,
s'il est vrai que dans sa vieillesse des fils ingrats voulurent
le faire interdire, et que pour toute réponse il donna au
public son Œdipe à Colone ; mais la longue carrière de
Sophocle fut tellement remplie de prospérités , de gloire ,
tellement environnée de la faveur publique, de la considé-
ration et des honneurs qui vont trouver les hautes capacités,
que l'illustre tragique, comblé de tous les dons de la nais-
sance, de la fortime et de la beauté, dispensé en outre, par
ime rare exception , des retours de l'ingratitude athénienne ,
peut à bon droit réclamer le titre d'heureux mortel, comme
celui de grand poète. A l'âge de seize ans, sa beauté le lit
choisir pour conduire, en dansant au son des instruments,
le chœur des jeunes gens qui formaient le pœan, danse sa-
crée qu'on exécutait autour des trophées élevés après la ba-
taille de Salamine. Seulement , il paraît que la nature avait
refusé à Sophocle le don d'un bel organe ; le grand tragique
ne pouvait que guider les voix étrangères lorsqu'elles répé-
taient les accents harmonieux dont il avait donné le sujet.
Voilà pourquoi il s'affranchit personnellement de l'usage où
étaient les poètes de jouer dans leurs pièces ; une seule fois ,
dit-on, il parut jouant delà lyre dans le rôle de Y Aveugle
Tîiamiris.
Sophocle naquit lorsque Eschyle avait vingt-sept ans ;
il en avait lui-même quarante-deux lorsque ce poète mourut.
Ces deux grands génies concoururent plusieurs fois poiir
le prix de la tragédie. La première fois qu'Eschyle fut vaincu
par son rival , celui-ci était âgé de vingt-neuf ans. Les jugea
SOPHOCLE — SOKBOMSE
37S
ne pouvant s'accorder sur la préférence que devait obtenir
l'un ou l'autre des deux concurrents , l'archonte Apséphion
déféra la décision à Cimon et à ses neuf collègues , qui ve-
naient de battre les Perses près du fleuve Eurymédon dans
l'Asie Mineure : les généraux adjugèrent le prix à Sophocle.
La tragédie couronnée portait le titre de Trjptolème.
Quoique plus âgé qu'Euripide de dix-sept ans, So-
phocle lui survécut de quelques mois. Le style de ce grand
poëte réunit tous les caractères de la perfection : richesse
des images, simplicité de diction, élégance, p;ithétique de
sentiment. Eschyle est quelquefois outré dans ses grandes
images, Euripide souvent prodigue de sentences et plus
verbeux dans la passion ; Sophocle a le privilège d'être resté
dans les plus heureuses proportions en tous points, non qu'il
songeât à se restreindre, mais parce que la vérité et la
puissance de ses inspirations prévenaient les défauts , ban-
nissaient loin de lui ces éternelles obsessions de la faiblesse,
et lui méritèrent , en un mot , l'honneur d'être appelé l'Ho-
mère de la tragédie, c'est-à-dire le poëte vrai, abondant
et simple. Sophocle donna sa première tragédie à l'âge de
vingt-cinq ans; il obtint vingt fois la palme : souvent il oc-
cupa la seconde place , jamais il ne descendit à la troisième.
Des succès toujours croissants signalèrent ses pas dans cette
carrière, qu'il poursuivit au delà de sa quatre-vingtième
année; et il fallait que ses succès lui fussent vivement dis-
putés , puisque l'on sait que l'un de ses chefs-d'œuvre,
VŒdipe roi , qui avait concouru, n'obtint pas le prix.
Il ne nous reste de Sophocle que sept tragédies , dont
les moins saillantes, Ajax et Les Trachiniennes, contiennent
cependant de grandes beautés. La seconde a été imitée par
Sénèque dans son Hercules furens. Les cinq autres, qu'il
serait trop long et fort inutile d'analyser ici , sont des chefs-
d'œuvre de pathétique , dont la grandeur et l'énergie se font
aisément sentir au lecteur de tous les temps , et triomphent
même des atteintes de tant de mauvaises traductions. Elles
sont intitulées : Electre, Antigone, Philoctète , Œdipe
roi , et Œdipe à Colone. On dit que Sophocle composa
au delà de cent tragédies. Il était âgé de plus de cinquante-
trois ans lorsqu'il écrivit les sept qui sont |)arvenues jusqu'à
nous. Aux approches de la vieillesse , notre grand tragique
remplit les fonctions de général concurremment avec Pé-
riclès et Thucydide , et (init sa belle existence environné
d'estime, de considération, de gloire. Les récits de sa fin
sont vagues et contradictoires ; c'est assez pour la postéiité
de savoir comment il a vécu : seulement , il parait avoir
été doucement surpris par la mort au milieu de ses études
l'avorltes et des charmes de la composition. Consultez Patin,
Etudes sur les Tragiques grecs, ou examen critique d'Es-
chyle, de Sophocle et d'Euripide (Paris, 1843 ). F. Gui,.
SOPHOr^ISBE. Voyez Massinissa.
SO,PRAI\0, terme italien, qui désigne la plus aiguë des
(juatre parties dans lesquelles on divise ordinairement l'é-
tendue de la voix humaine. Pendant trop longtemps , la
partie de soprano ou dessus a été confiée à des hommes
victimes d'une affreuse mutilation (voyez Castration) ; au-
jourd'hui il n'y a guère de soprani que parmi les femmes
et les enfants. Entre la partie de la voix qu'on nomme 50-
prono et celle qu'on appelle contraltoily ayme voix in-
termédiaire , qui participe de l'une et de l'autre et à laquelle
on donne le nom de mezzo soprano. F. Danjou.
SORACTE, montagne d'Étrurie, célèbre dans l'antiquité,
située à environ 35 kilomètres au nord de Rome , et qui
formait le point le plus élevé d'une chaîne se prolongeant
à l'ouest du Tibre et traversée par la Via Flaminia. Elle
renfermait de riches carrières , et à son sommet on trouvait
ie fameux temple d'Apollon , dieu auquel toute cette mon-
tagne était consacrée. Sur le versant oriental de la montagne
était situé le bois de Feronia, la déesse des fleurs chez les
Étrusques.
SORBES (Les), comme toutes les antres peuplades
wendes, étaient d'origine slave, et occupèrent à partir du
du cinquième siècle la rive gauche de la haute Elbe. Ils
possédaient tout le margraviat de Misnie , avec la contrée
située à l'est, entre la Pleisse et la Saale , ainsi qu'une partie
assez considérable du cercle de la Basse-Saxe, et ils réus-
sirent à défendre pendant plusieurs siècles contre leurs voi-
sins allemands les Tluiringiens leurs conquêtes sur la rive
gauche de la Saale et de T'Unstrut. A partir de l'an 912 la
contrée occupée par les Sorbes devint peu à peu une pro-
vfnce allemande, soumise aux empereurs de la maison de
Souabe, et ayant ses comtes ainsi que ses margraves parti-
culiers; plus tard elle reçut la qualification de wargijayitt^rfe
Misnie. Le nom de Sorbes est le même que Serbes, déno-
mination primitive de toutes les peiiplaces slaves.
SORBET , de l'arabe tscherbet. Voyez Glace ( Art
culinaire).
SORBIER, arbre ou arbrisseau à feuilles pinnatipar-
tides ou pinnées, avec foliole impaire, portant des glandes
sur leur pétiole commun , à fleurs blanches disposées en
corymbos , l'un des genres de la famille des pomacées ,
rangé par Linné dans l'icosandrie-trigynie de son système;
<l'un bois rougeâtre, susceptible d'un très-beau poli, d'un
grain lin, compacte , et d'une dureté qui le rend précieux
pour la confection des vis, rabots, poulies, etc., pour ta
gravure sur bois, pour les moyeux et les- dents de roue;
usages pour lesquels il l'emporte sur tous nos bois indi-
gènes, parmi lesquels le bois du buis l'égale .seul en dureté
et en densité. Son fruit, vulgairement appelé corme, a la
forme d'un très-petite poire, jaunâtre, teinte de rouge sur
un de ses côtés. 11 est très-âpre , mais s'adoucit beaucoup
en devenant blet, et est alors assez agréable à manger. Il
s'en fait une assez grande consommation dans le midi de la
France. Les principales espèces sont le sorbier commun ,
auquel s'appliquent les caractères que nous venons de dé-
crire; le sorbier des oiseleurs, vulgairement appelé co-
chène, qui parvient à une élévation de huit à neuf mètres,
et le sorbier de Laponie , cultivé ordinairement dans les
parcs et bosquets.
SORBONNE (La), établissement d'instruction publi-
que créé en 1253, à Paris, par Robert de Sorbon, chapelain
de saint Louis , qui avait pris le nom d'un petit village de
Champagne, où il était né. Sachant contre quelles difficultés
avait à lutter l'étudiant pauvre pour parvenir au grade de doc-
teur, Robert fonda un collège destiné à recevoir un certain
nombre d'ecclésiastiques, qui, vivant en commun et à l'abii
des besoins matériels de l'existence , pourraient se consacrer
exclusivement à l'étude et à l'enseignement. Saint Louis
voulut s'associer à cette bonne œuvre. Il fit don au nouveau
collège de son domaine de la rue Coupe-Gueule , situé près
de l'ancien palais des Thermes. Dans les chartes qui ont trait
à sa constitution primitive, il est ainsi désigné : Collegiw»
ou Congregatio pauperum magistrorum studentium in
theologica facultate; et la dénomination de Sorbonne ne
lui fut donnée par la suite qu'en mémoire de son fondateur.
Si une institution à l'origine simple annexe de la faculté
de théologie de Paris finit avec le temps par l'absorber
presque entièrement, c'est que les professeurs qui y étaient
attachés , toujours docteurs en théologie , acquirent bientôt
une telle considération et un si grand renom , que leur en-
seignement éclipsa complètement celui des professeurs de
la faculté; et à la longue ils en partagèrent les chaires
avec diverses autres associations religieuses, notamment
avec celle des prêtres du collège de Navarre , mais sans pour
cela exercer aucune supériorité réelle dans la ficulté. La
confusion qu'ont commise plusieurs écrivains en prenant
la Sorbonne pour la faculté de théologie de l'ancienne
université de Paris provient de ce que les assemblées de
la faculté se tenaient communément dans la grande salle
(le la Sorbonne.
Nous n'essayerons pas de retracer ici l'histoire de la Sor-
bonne; il nous suffira sans doute de rappeler que nos an-
nales offrent pour ainsi dire à chaque page des preuves
de la décisive influence qu'elle exerça sur le déscloppe-
ment de l'esprit national , de même que sur !a constitu-
18.
276
SORBONISE — SORGHO
♦ion propre que le catholicisme prit en France. Rarement
le pouvoir temporel osa rien tenter contre le pouvoir spiri-
tuel sans s'être préalablement muni d'une consultation en
forme rendue par la Sorbonne. Une circonstance tort re-
marquable d'ailleurs, c'est que la Sorbonne se montra cons-
tamment l'adversaire des jésuites, dont elle poursuivit
l'œuvre presque à l'égal de celle du protestantisme, et
contre les efforts desquels elle s'efforça toujours de faire pré-
valoir les antiques droits de l'Église et royaume de France,
consacrés postérieurement, en 1682, par une déclaration
solennelle du clergé de France, à laquelle liossuet eut une
si grande part, comme on sait, et qui constituent ce qu'on
a depuis lors appelé les libertés de V Église gallicane. Au
temps de la Ligue, la Sorbonne ne se piqua cependant pas
précisément de respect pour le pouvoir temporel ; car à
cette époque on vit une simple association de docteurs en
théologie s'arroger le droit de condamner les rois et les papes
eux-mômes, disposant dans l'occasion de leur trône et de
leur vie. Si l'ignorance et le fanatisme des masses favori-
saient ces scandaleuses usurpations, il ne manquait pas dès
lors d'esprits forts pour en faire justice. Ainsi, à la date du
15 janvier 1589, L'Estoile dit, dans son Journal de
Henri III : « En ce môme temps la Sorbonne et la faculté de
théologie, c'est-à due soupiers et marmitons, comme porte-
enseigne et trompettes de sédition ,' déclarèrent tous les su-
jets du roi absous du serment de fidélité et d'obéissance
qu'ils avoient juré à Henri de Valois, naguère leur roi. »
Malgré l'importance du rôle joué à diverses époques de
notre histoire par la Sorbonne, elle s'était toujours maintenue
dans son antique simplicité. Mais le cardinal de Richelieu,
devenu tout-puissant en I'"rance, se rappelant avec intérêt
l'école où il avait fait son cours de théologie , et voulant
laisser un monument de sa munificence , fit reconstruire
les bâtiments de la Sorbonne par Jacques Lemercier, ar-
chitecle , sur un plan plus grandiose , et tels à peu près
qu'ils existent encore de nos jours. La première pierre en
fut posée en 1629. La construction de la chapelle, édifice
qui a les proportions d'une église, commença en 1635 et ne
fut achevée qu'en 1659. Le corps du cardinal de Richelieu ,
mort dix-sept années auparavant, fut déposé au centre de
cette chapelle, sous un dôme orné de belles peintures par
Philippe deChampagne : on plaça sur sa tombe un superbe
mausolée en marbre, regardé comme le chef d'œuvre de
Girardon. Le cardinal, de grandeur naturelle, est couché
sur un lit de repos; La Religion , placée près de lui, le sou-
tient , et L'Histoire , renversée à ses pieds , pleure la perte
de ce grand ministre. En 1793 notre collaborateur feu
.\lcxandre Lenoir eut toutes les peines du monde à proté-
ger ce monument contre les fureurs iconoclastes des révolu-
tionnaires et à obtenir qu'on le transférât au couvent des Pe-
tits-Augustins, où il avait fondé le si remarquable Musôe
des Monuments français. Toutefois, les commissaires de la
Convention et du comité de salut public exigèrent que le
cercueil fût ouvert, afin d'en extraire le plomb. J^e corps du
cardinal y fut trouvé à l'état de momie. L'un des commis-
saires lui fit couper la tête, qu'il montra au peuple en profé-
rant de grossières injures contre la mémoire de Vhomme
rouge ; et le peuple répondit par des cris longtemps prolongés
de vive la Républïqxie! C'e?t seulement en 1816 que ce
mausolée fut replacé dans la chapelle de la Sorbonne, par
les soins du duc de Richelieu.
Les bâtiments de la Sorbonne, occupés aujourd'hui par les
bureaux de V académie de Paris, par les salles de cours et
d'examens des faculté* des sciences, des lettres et de théo-
logie, par une bibliothèque publique et aussi par quelques
logements gratuits accordés à des fonctionnaires privilégiés,
comprenaient avant la révolution , outre la bibliothèque , la
salle des actes, le réfectoire , la cuisine, etc., trente-six ap-
jiartements distincts pour les docteurs et les bacheliers de
la maison.
La Société de S-rbonne se composait de deux espèces de
nicuîb.cs. Les uns, dits de la Société, avaient le droit de
demeurer en Sorbonne et de donner leur suffrage dans les
assemblées de la maison ; les autres, dits de l'hospitalité,
étaient de simples agrégés. L'association accordait, après
épreuves publiques, trois espèces de titres ou de grades :
ceux de docteur, de licencié et de bachelier. Pour avoir le
droit de prendre le titre de docteur de Sorbonne , il fallait
avoir fait ses études dans ce collège, et y avoir pendant dix
ans argumenté , disputé et soutenu divers actes publics ou
thèses, qu'on distinguait en mineure, en majeure, en saba-
tine, en tentative, m petite et grande sorbonique. Dans
celte dernière épreiive , l'aspirant au titre de docteur devait
sans boire ni manger, sans quitter la place, soutenir et re-
pousser l'attaque de vingt assaillants et ergoteurs qui, se
relayant de demi-heure en demi-heure, le harcelaient depuis
six heures du matin jusqu'à sept heures du soir.
Lorsque Napoléon entreprit de terminer le Louvre, on lo-
gea à la Sorbonne les artistes qu'on en expulsa. En I816cette
maison célèbre , tombée dans un état complet de dégrada-
tion, fut restaurée et exclusivement consacrée à l'instruction
publique. Les artistes durent donc déloger encore une fois;
mais il leur fut accordé une indemnité annuelle et viagère.
On y mettrait certes moins de façons aujourd'hui.
SORCELLERIE. Voyez Soutilége.
SORCIER, SORCIÈRE. Les superstitions populaires
désignent ainsi des êtres voués à la pratique des sciences oc-
cultes, servant en quelque sorte d'intermédiaires entre le
prince des démons et les hommes crédules qui veulent le
consulter ou conjurer ses fureurs. La croyance aux sorciers
est aussi ancienne que le monde : sans parler de la pytho-
nisse d'Endor et des autres magiciens dont la Bible et le
Nouveau Testament lui-même font mention , nous en trou-
vons chez tous les peuples. Le mot «orner est du moyen âge;
il dérive évidemment de sorcma et de sor^iariws , que l'on
trouve dans les statuts ecclésiastiques et dans les chartes
des rois mérovingiens et carlovingiens.
Les hommes grossiers et superstitieux ont encore recours
aux procédés les plus cruels pour se garantir de maléficesi
chimériques : ils plongent dans l'eau les bergers qu'ils soup-
çonnent de sortilège : ils les brûlent à petit feu , ou leur
font des piqûres aux diverses parties du corps qu'ils suppo-
sent endurcies par les stigmates. Des procès récents , jugés
en Belgique et même en France , démontrent combien il est
difficile d'extirper ces préjugés. Une fable de Gay, intitu-
lée La Vieille et son Chat , énumère les tribulations aux-
quelles sont exposées en Angleterre les pauvres femmes qui
passent pour se livrer à ce métier ridicule. La vieille de la
Idble se plaint des épingles placées à dessein sur les chaises
ou elle doit s'asseoir, afin que l'effusion de quelques gouttes
de sang rompe le charme qu'on lui attribue. On suspend des
débris de fer à cheval ou d'autres métaux aux portes des
maisons qu'elle va visiter, afin que son mauvais œil épuise
tout son effet sur ces objets inanimés. Enfin, l'on cache
avec soin les balais, de peur qu'elle ne se serve des man-
ches pour y monter à califourchon et se rendre au sabbat.
Telle est encore dans la plus grande partie de l'Europe la
superstition populaire. Les progrès de l'instruction élémen-
taire dissiperont peu à peu , il faut l'espérer, ces derniers
vestiges d'ignorance et de barbarie. Breton.
SORCIERS { Violette aux ). Voi;ez, Pervenche.
SORE. Voyez CoNciiPXACLE.
SOREL (AcNÈs). Voyez Acnîcs Sorel.
SORÈZE, ville du département du Tarn , arrondisse-
ment de Castres , avec 2,850 habitants et un collège célèbre,
institution particulière établie en 1789 dans les bâtiments
d'une ancienne abbaye de bénédictins, fondée au neuviènae
siècle par Pépin, roi d'Aquitaine.
SORGHO, genre de plante de la famille des graminées,
que les successeurs de Linné ont séparé du genre hou que,
auquel celui-ci l'avait réuni. Il a pour type le sorgho pro-
prement dit ( holcus sorghum, L. ; andropogon sorghum,
Kunth), vulgairement grand millet d'Inde, gros millet ,
dura ou douro , grande et belle espèce à tige pleine s'éle-
SORGHO — SORTILEGE
3T7
Tant à trois mètres au moins, à nœuds pubescents ; les feuilles
sont grandes, longues d'environ un mètre, glabres ainsi que
leurs gaines, rudes à leurs bords, qui sont finement dentés
en scie; les fleurs sont en panicule rameuse, resserrée, dont
les rameaux sont velus, tandis que l'axe est glabre; les
fruits sont des cariopses arrondis. Originaire des Indes
orientales, le sorglio est annuel. Sa culture est facile. Il
est la base de l'alimentation d'un grand nombre de peuples
de l'Afrique.
Parmi les autres espèces de ce genre, il en est une, très-
voisine de la précédente, mais bien plus digne de l'atten-
tion des agronomes. Nous voulons parler du sorgho à sïccre
(holcussaccharatus, L.; andropogonsaccharatuSjKunih),
vulgairement mi//e^ de Cafrerie, gros »ni/,quedes voya-
geurs ont surnommé h canne à sucre du nord de la Chine.
Il serait à désirer que la culture de cette intéressante gra-
minée vint à s'étendre en Algérie, où elle a été l'objet
d'expériences couronnées d'un phein succès. « Un résultat
pratique fort important, dit à ce sujet M. Chemin-Dupontès,
est ressorti de ces essais , à savoir que le vesou , ou jus
obtenu du sorgho à sucre, est doué d'une richesse alcoolique
remarquablement supérieure à celle de tous les succédanés
de la vigne. La betterave à sucre contient, on le sait, de 8
à 10 pour 100 de matière saccharine; le sorgho, comme l'ont
prouvé les expériences suivies à Verrière par un savant dis-
tingué, M. Louis Vilmorin, en donne de 16 à 20 pour 100,
dont on peut tirer 8 à 10 d'alcool pur, propre à tous les
usages industriels et domestiques; et comme cette précieuse
graminée, excellente nourriture pour le bétail, qui la re-
cJierche avidement, se développe avec une extrême rapidité
là même où l'irrigation est rare et dilïicile, on comprend le
rôle important qu'elle peut être appelée à jouer dans nos cul-
tures, dans celles de l'Algérie en particulier. »
Le couscou des Américains, vulgairement millet à chan-
delles, appartient encore au genre sorgho : c'est le holcus
spicatus de Linné, \e penicillaria spicata de Wildenow et
de Kunth.
SORLINGUES ( Iles), ou Iles Scilly , ou encore Silhj,
en latin Sillinx Insulx, \esCassitéridesou lies d'Elam
des anciens. Elles sont situées à 48 kilomètres au sud-ouest
du cap Landsend, extrémité sud-ouest du comté de Corn-
wall et de toute l'Angleterre, et forment un petit archipel
composé de 155 îlots, occupant une superficie totale de 2,256
hectares, complètement dénudés d'arbres, entourés de récifs
continuellement battus par les vagues et souvent exposés à
des ouragans dévastateurs, mais jouissant au total d'un cli-
mat extrêmement doux et salubre. Il n'y en a que six d'ha-
bitées et de cultivées; les autres ne sont utilisées que comme
pacages. Les habitants, au nombre de 2,627, sont pauvres,
mais vivent, exempts d'impôt, du produit de leurs champs et
de leur pèche, et quoique compris dans le comté de Corn-
wall, n'ont avec lui aucun rapport politique. Douze citoyens
élus par eux sont chargés de tous les détails d'administration,
et quant au spirituel ils relèvent de l'évêque d'Exeter. Les
plus grandes îles sont : Sainte-Marie , qui contient la moitié
de la population totale et où l'on trouve la bourgade de
Henghtoicn ou Newtown, avec un petit port défendu par
un fort; Trescow, avec le bourg de Bolphinstown; Saint-
Martin, avec un phare; Sainte-Agnès, avec une église et
un phare.
SORNETTE. Voyez Billevesée.
SORRENTO, le Surrentum des anciens, ville du
royaume des Deux-Siciles , dans la province de Naples, est
située sur la rive méridionale du golfe de Naples. Bâtie sur
de hauts rochers, dans l'une des plus belles et des plus fer-
tiles contrées de l'Italie ; tout entourée de jardins de myrtes ,
de citronniers et d'orangers, de plantations d'oliviers et de
mûriers , elle est le siège d'un archevêque, et compte 5,000
habitants. On y trouve une cathédrale, un séminaire et une
école de navigation. La population, remarquable par ses
liabitudes de propreté, s'occupe de l'éducation des vers à
soie et de la fabrication des soieries. La maison dans laquelle
naquit le célèbre poète Torquato Tasso sert aujourd'hui
d'auberge , et s'élève sur un rocher en saillie sur la mer.
Dans les environs on trouve beaucoup de tuf, qu'on emploie
pour revêtements de portes et de fenêtres.
SORT. Employé au propre , le mot sort ne signifie pas
autre chose que les chances diverses duha sa rd. Au figuré,
il exprime le destin ou celte espèce de fatalité qui se-
lon d'antiques préjugés s'attache à certains hommes ou à
certaines entreprises.
On le prend aussi comme abréviation de ior/iZégie; jeter
un sort sur quelqu'un , c'est à l'aide d'artifices magiques
lui envoyer ou des maladies, ou des contrariétés morales, ou
faire périr ses bestiaux. Le sort jeté par un magicien ne peut
être levé que par un enchanteur plus puissant; c'est un
moyen fort ingénieusement imaginé pour imposer aux dupes
une double contribution.
Dans les siècles barbares, lorsque les juges étaient aussi
ignorants que ceux dont ils devaient vider les contestations,
on abandonnait dans les cas embarrassants les décisions au
pur hasard : si dubielas est , ad sortem ponatur, dit le
pacte intervenu entre ChildebertetClolaire.
Au cinquième et au sixième siècle, on ouvrait au hasard
les Saintes Écritures, et les premiers mots que l'on découvrait
au haut de la page devenaient, par une interprétation plus ou
moins forcée, la réponse à la question. Saint Augustin, en
consultant les épîtres de saint Paul, apprit ce que Dieu exi-
geait de lui. Cela s'appelait le sort des saints; un peu plus
tard, on recourut aux sorts virgiliens , ainsi nommés de ce
que l'on prenait pour cette opération les œuvres de Virgile.
Le tirage au sort a toujours joué un grand rôle dans les
institutions des peuples. C'est par un procédé de cette es-
pèce que Josué découvrit le voleur du butin de Jéricho. On
recourut au sort, du temps des apôtres, pour l'élection de
saint Matthias. Dans nos temps modernes, une multitude
d'opérations très-importantes sont abandonnées aux chances
capricieuses du hasard. Dans les partages de succession, les
tirages des lots se font au sort. C'est aussi le sort qui déter-
mine dans presque tous les pays le départ des jeunes gens
réclamés pour le service militaire. Breton.
SORTE. Voyez Espèce.
SORTE ( Typographie). Voyez Caractères.
SORTIE (Droits de). Voyez Dovxms.
SORTILEGE et SORCELLERIE. Cornélius Agrippa,
secrétaire de l'empereur Maximilien I^' , a publié ex pro-
fesso, au commencement du seizième siècle, un traité sur
les sciences occultes. Il les divisait en cinq classes principales :
1° magie naturelle; 2" magie mathématique ; 3° magie
empoisonneuse , ou procédant par maléfices ; 4° magie cé-
rémoniale; 5" magie blanche. La sorcellerie est en quelque
sorte la mise en pialique des troisième et quatrième divi-
sions, et nous devons avouer humblement que, malgré les
progrès des lumières , il reste encore une multitude d'indi-
vidus infatués de ces ridicules superstitions. Nombre de
procès correctionnels en offrent tous les jours la preuve;
et dans ces dernières années des trésors véritables ont été
prodigués pour découvrir, à l'aide de moyens magiques,
on ne sait combien de millions ou de milliards que l'armée
anglaise avait, disait-on, laissés enfouis au mont Jalut, à
quelque distance du Mans, lorsqu'elle évacua la France après
les glorieux succès des généraux de Charles VII.
Saint Augustin, dans La Cité de Dieu, et longtemps
après lui Legendre, dans son Traité de l' Opinion , ont sou-
tenu que nier les prestiges des démons c'est ne point
croire à l'Écriture Sainte. Mais il est bon d'observer que
le Deutéronome, en proscrivant comme des impiétés les
divinations par les songes et les augures , ainsi que toute
autre espèce d'enchantements, en reconnaît par cela même
le néant et l'illusion. C'est dans le même esprit que le Lé-
vitique porte, ch. XIX : « Tu n'useras point de divinations,
et tu ne pronostiqueras point l'avenir. » Le droit canon ,
la loi des Douze Tables et les monuments d'une jurisprudence
barbare ne prouvent point qu'il y ait eu des sorciers; iU
îfs^ SORTILÈGE
démontrent seulement que les législateurs ont voulu pro-
portionner la rigueur des supplices il l'énormité des forfaits
qui accompagnaient trop souvent les mystères cabalistiques.
On n'inflige plus qu'une amende légère aux gens qui /ont
métier de deviner, de pronostiquer ov, d*expliquer les
songes ; ce sont les termes de l'article 479 du Code Pénal;
encore est-il rare que l'on mette en jugement les simples
tireurs de cartes ou les interprèles innoffensifs! des rêves,
s'ils ne se sont en même temps rendus coupables d'escro-
querie.
Il fut un temps où de soi-disant magiciens exigeaient
d'autres sacriflces encore que l'argent de leurs dupes. Ils
immolaient des victimes Uurnaines , et particulièrement des
enfants en bas âge, afin d'interroger l'avenir dans leurs
entrailles.
Rien ne rend superstitieux comme la passion de l'amour,
dont les répulsions comme les sympathies sont inexplicables.
Les philtres amoureux que les juifs vendaient aux dames
romaines ne sont point entièrement passés de mode , et il
existe encore des charlatans pour vendre ces breuvages ,
qui fort heureusement ne font tort qu'à la bourse des gens
assez crédules pour les payer au poids de l'or.
Sous les derniers Valois on associait volontiers les idées re-
ligieuses non-seulement aux invocations du démon , mais
à la conception et à l'exécution des plus grands crimes.
Tel qui n'aurait pas eu le courage d'enfoncer le poignard
dans le sein de son ennemi piquait avec des épingles des fi-
gures de cire représentant grossièrement le particulier ou
le prince dont il avait juré la mort. Côme Rnggieri , Flo-
rentin , subit la question pour avoir attenté de cette manière
aux jours de Charles IX. Ce (ut à la réaction qui suit tou-
jours les grandes tourmentes que la maréchale d'Ancre,
l'amie, la confidente de Marie de ÎVIédicis, dut son absurde
condamnation. Le supplice du curé Gauffrédy et celui
d'Urbain Grandi er sont des taches ineffaçables pour la
mémoire du grand cardinal. Les protestants n'étaient pas
plus que les catholiques exempts de ces fureurs. Une pau-
vre femme, Michelle Chaudron, futbrûlée à Genève, en 1C52,
pour s'être laissé imprimer sur le corps les stigmates sata-
niques. Le seul adoucissement accordé à cette malheureuse
fut de lui faire subir la strangulation avant que le bûcher
fût allumé. Jacques \" , roi d'Angleterre, dans son traité
de Démonologie reconnaît l'existence des incubes et des suc-
cubes ; il veut bien accorder aux prêtres papistes, ainsi qu'aux
réformés, la puissance de conjurer les diables. Le maréchal
Fabert, qui passait pour sorcier, parce qu'il avait fait des
exploits qui tenaient du prodige et qu'il s'élait élevé dans
la carrière des armes d'une manière miraculeuse, avait fait ,
disail-on,un pacte avec l'ange des ténèbres. Lorsqu'il mou-
rut d'aiioplexie, en 1662, on ne douta point que le diable
ne lui eût tordu le cou après l'expiration du traité.
En vain Balthazar Bekker, ministre protestant à Gronin-
gue, avait démontré, dans son Monde enchanté , qu'il n'y
avait point de magie; en vain Louis XIV, par la déclara-
tion de 1672, ne permettait de condamner les sorciers au
supplice du feu que quand ils étaient reconnus pour em-
poisonneurs, la superstition n'était pas si facile à déraciner.
En 1750 le jésuite Girard faillit être brûlé vif par arrêt du
parlement de Provence pour avoir ensorcelé la belle La Ca-
dière : il ne dut son salut qu'au partage des voix ; la moitié
des juges pensa avec raison qu'il ne devait qu'à des moyens
humains l'empire exercé sur l'esprit de sa pénitente. Cette
même année, 1750, vit brûler en grande cérémonie une
religieuse de Wurtzbourg appartenent à une famille no-
ble. Cette malheureuse convenait d'avoir pratiqué diverses
sorcelleries pour faire périr plusieurs personnes , qui ce-
pendant avaient résisté à la puissance de son art.
Les sortilèges sont l'instrument de la sorcellerie. On se
«crvait surtout du grimoire, espèce de livre ou de pan-
carte sur lequel étaient inscrits des caractères cabalistiques
ou ces figures bizarres que Ion voit encore sur l'almanach
des bergers , pour indiquer le jour précis de la tonte des
— SOTHIAQUE
moutons et des divers travaux de l'agriculture. Les nrtots,
prétendus magiques, abraxati abracadabra font aussi
partie du grimoire. Bretox.
SOSIE, personnage de rAmpft<7ryo« de Plante et de
Molière, qui rencontre dans Mercure un autre lui-même , un
second Sosie, parce que ce dieu, pour servir les amourl '
de Jupiter, a pris ses traits. Par allusion à ce rOle, on dit
d'une personne offrant une parfaite ressemblance avec une
autre : Cest son Sosie.
SOSII (Les ) , deux frères qui au temps d'Auguste pos-
sédaient à Rome nne grande et célèbre maison de librairie.
Horace parle maintes fois d'eux dans les termes les plus
honorables , car ils étaient chargés de la vente de ses poésies
et savaient, à ce qu'il parait, lui en faire tirer un bon produit.
Quand on veut désigner un libraire distingué, on lu?
donne quelquefois de nos jours le surnom de Sosius.
SOT, SOTTISE. Voyez Bêtise. Au moyen âge, on cé-
lébrait dans plusieurs villes de nos provinces la fête des
sots, où le principal rôle était joué par une société bouf-
fonne appelée sotie, et qui offrait beaucoup d'analogie
avec la société de la mère folle de Dijon.
SOTADlOUE. Voyez Erotique.
SOTER, surnom qni a été commun à deux des Pt'o-
1 émées.
SOTER, pape , fut le treizième de la nomenclature et'
le successeur d'Anicet. Il était fils d'un certain Goncordius, '
habitant de Fondi dans la terre de Labour. La date de son
installation est fixée à l'an 175, et sa mort à l'an 179; mais
toutes ces époques sont aussi incertaines que son martyre,
dont on n'a d'autre preuve que son inscription dans les
martyrologes. On s'accorde seulement à vanter sa charité
envers les pauvres el envers les fidèles qui souffraient pour
la foi. Une lettre de l'évêque Denis de Corinthe, rapportée
par fragments dans Eusèbe, le loue d'avoir conservé et aug-
menté la coutume qu'avaient les premiers prêtres de l'Église
chrétienne de faire des collectes pour les pauvres. Celte
lettre signale également l'indulgence et la bonté de saint
Soter pour les chrétiens que le repentir d'ime première ab-
juration ramenait dans le sein de l'Église. L'hérésie du
Phrygien Montan us fit de grands progrès sous son ponti-
ficat, et quelques auteurs anciens veulent qu'il ait écrit
contre ces liérétiques. On veut aussi, mais sans aucun fon-
dement, qu'il ait enjoint aux prêtres d'être à jeun pour cé-
lébrer la messe, et qu'il ait défendu aux religieuses de tou-
cher les vases sacrés ; Platine lui attribue même des règle-
ments qui interdisent de considérer une femme cornine
légitime avant que le prêtre n'ait béni son maria^^e. Mais il.
faut être Platine on Baronius pour avancer aussi hardiment
qu'un évéque de Rome au temps de Marc Aurèle eût osé
faire des lois sur ce qui touchait à l'état civil d'une por-
tion du peuple romain : c'est taux comme les décrétales
qu'on met sur son compte.
ViENNET, de l'Académie Française.
SOTHIAQUE ( Période), ainsi appelée du nom de So-
ifiis, que les Égyptiens donnaient à l'étoile que nous nom-
mons Sirius ou Canicule. Dans les immenses horizons
de l'Egypte , cet astre magnifique dut fixer les regards de
ses prêtres et de ses bergers , les seuls observateurs Evors
des phénomènes célestes. Le soir, le lever paisible de cette
étoile resplendissante au midi de Mizraïm, et précédant de
quelques jours l'inondation du Nil , qui déjà se gonflait in-
sensiblement, ne manquait pas de frapper d'admiration et
d'un respect mêlé de reconnaissance un peuple religieux. Il
commença par adorer ce flambeau nocturne, qui ne se le-
vait que pour éclairer mystérieusement les bienfaits du fleuve
nourricier; et quand ses connaissances astronomiques se
furent accrues, il partit du lever acronyque de cet astre,
qu'il appelait Sol/iis , pour compter les jours de son année
solaire, nommée depuis année cyni^'Me. Elle était compo-
sée de 365 jours un quart. D'elle découla la période so-
thiaqtte, ou le cycle cawicM^aire , formé de 1,460 de ces
années, parce que tous les 1,461 ans le lever du soir de
SOTHIAQUE — SOU BIS K
•279
Sirius coïncidait avec le 1" jour de l'anniîe civile de ces
peuples. Le pliénix, qu'on disait vivre 1,461 ans, puis re-
naître de ses cendres, était le symbole de ce cycle. D'après
Manélhon , la période sothiaque remonterait à 2,782 ans
avant J.-C. ; le Lion occupait alors le solstice d'élé. Ma-
néthon fait aussi mention de colonnes dites de Sotliis : elles
étaient dans une contrée appelée Scriadis. A l'époque recu-
lée où lt!S Égyptiens établirent celte année célèbre dans
leurs annales , Sirius ne se levait le soir qu'avec un arc de-
mi-diurne, d'environ une beure et demie, et après une
courte apparition se cachait sous l'horizon ; ce qui donnait
à sa présence un caractère mystérieux , comme à celle d'une
divinité qui ne se montre qu'un moment aux mortels.
Denne-Baron.
SOTIE, nom que portèrent à l'origine les fa» ces qui
composaient le répertoire du tliéàlre français à ses débuis.
Ces pièces, d'un comique bas et burlesque , constituaient une
partie essentielle des représentations scéniques , composées
alors principalement de mystères ou de moralités. Le
public avait pris sous sa protection ce genre effronté , et
même le plus souvent obscène : des pièces très-courtes ,
écrites avec fort peu d'art , mais semées de plaisanteries
saugrenues et des mots les plus hasardésde la langue, étaient
accueillies avec enthousiasme par les écoliers et les cham-
brières. Elles avaient le privilège, dit un écrivain de l'é-
poque, de faire rire depuis le talon gauche jusqu' à Vo-
reille droite.
Sotie était aussi , au moyen âge , le nom d'une société
bouffonne, composée déjeunes gens dont le chef prenait le
tilre de prince des sots.
SOTTO VOCE. Voyez Mezza voce.
SOU ou SOL (du latin solïdus , selon Ménage) , mon-
naie de compte, la vingtième partie de l'ancienne livre, va-
lant douze deniers. Il se dit aussi de la monnaie de cuivre qui
avait cette valeur, et communément de la pièce de cuivre
valant cinq centimes. En termes d'ancienne pratique , le
sou tournois était un sou de douze deniers, et le soupa-
risis un sou de quinze deniers. 20 sous parisis valaient 25
tournois, il y a eu aussi des sous d''or, dont le prix a été
différent suivant les époques.
SOUABE, ancien duché d'Allemagne, qui, d'après ses
premiers habitants, les Alemannes, s'appela d'abord Ale-
viannie. Ce nom deSouabe(en latin Suevia) lui vint au
cinquième siècle des Suèves, qtii y arrivèrent alors du Nord ,
et qui s'y confondirent avec les Alemannes. Il prévalut au
huitième siècle, époque où , après la destruction du duché
d'Alemannie, l'Alsace et la Rhélie fuient distraites de l'Ale-
mannie , dont le reste fut alors administré , au lieu de ducs,
par des messagers de la chambre ( nuntii camerx ). Lors
du partage du royaume des Franks, en 843, la Souabe
constitua avec la Bavière le cœur de l'Empire d'Allemagne.
En raison de l'affaiblissement toujours plus grand de la
puissance royale , les messagers de la chambre ne tar-
dèrent pas à se rendre indépendants. Au commencement du
dixième siècle, l'un d'eux, Burkhard, se fit proclamer duc,
tout en reconnaissant la suzeraineté du roi d'Allemagne
Henri F''. Depuis cette époque les empereurs disposèrent
assez arbitrairement de ce grand fief. En 1080 Henri IV
en gratifia le comte Frédéric de Hobenstaufeu , devenu
la souche des rois et des empereurs de la maison de
Souabe; il lui conféra en même temps le titre de duc des
Franks. Sous les successeurs de Frédéric T"', les Soua-
bes devinrent le peuple le plus riche et le plus civilisé
de l'Allemagne. Quand la maison des Hohenstaufen s'étei-
gnit en la personne de l'empereur Conrad IV, les com-
tes, les chevaliers, les prélats et les villes de la Souabe
se rendirent indépendants, chacun dans ses domaines. Beau-
coup de villes adhérèrent à la ligue du Rhin, fondée en 1254;
et après la mort de Conrad in , le dernier des Hohenstaufen ,
arrivée en 1269, Ulrich de Wurtemberg obtint l'investiture
de ce qui restait du duché de Souabe, dont le titre cessa
dès lors d'être conféré , en même temps que le titre de duc
de Wurtemberg le remplaçait en quelque sorte. Ce pays fut
ensuite en proie pendant plus d'un siècle aux dévastations
de toutes espèces causées par les luîtes intestines de tous
les seigneurs féodaux qui s'étaient partagé le territoire. Cet
état d'anarchie détermina un certain nombre de villes à
former entre elles, en 1376, une espèce de confédération,
désignée sous le nom de ligue de Souabe, et ayant pour
but de se garantir mutuellement contre les brigandages des
seigneurs. Lorsque l'empereur Wenceslas futdéposé, en 1406,
les villes de Souabe , qui lui denieurèrent fidèles , en furent
récompensées par l'octroi d'un grand nombre de privilèges ;
et pendant près d'im siècle encore après elles réussirent
à acquérir toujours plus d'importance et d'influence.
Quand, en 1512, l'empereur Maximilien l" divisa l'Alle-
magne en cercles , la Souabe (ut appelée à en former un sous
le nom de cercle de Souabe.
SOUABE (Cercle de), l'un des dix cercles entre lesquels^
l'empereur Maximilien T"" partagea l'Allemagne, en 1512.
Il en comprenait la partie sud-ouest, l'ancienne Souabe,
mais avec des limites plus étendues. Ainsi , il confinait à
la France, à la Suisse, à l'Autriche , à la Franconie et aux
deux cercles du Rhin. Arrosé par le Danube, et plutôt
montagneux que plat, le cercle de Souabe , très-fertile en
céréales, vins et fruits, était l'une des contrées les plus
belles et les plus riches de l'Empire. Sur une superficie
d'environ 450 myriam. carrés, il comprenait une population '
de près de 2,200,000 habitants; et il conserva la constitu-
tion de cercle, décrétée en 1563 à Ulm , à peu près sans"
modification aucune, jusqu'à la dissolution de l'Empire d'Al-
lemagne. Les princes souverains faisant partie du cercle de
Souabe étaient le duc de Wurtemberg, l'évêque d'Augsbourg,
le margrave de Bade et l'évêque de Constance, représenté
par l'Autriche. La direction en appartenait au duché de
Wurtemberg. Les États étaient divisés en cinq bancs : celui
des princes ecclésiastiques, celui des princes temporels,
celui des prélats , celui des comtes et des seigneurs , et
enlin celui des villes.
SOUABE ( Empereurs de la maison de ). C'est ainsi
qu'on désigne les empereurs delà maison des Hohenstaulen,
l>arce qu'à l'origine ils possédaient le duché de Souabe.
SOUABE (Ligue de), dénomination générique donnée à
toutes les associations et confédérations que les villes de
la Souabe formèrent entre elles après le démembrement du
duché de Souabe, à la mort du dernier duc Conrad IV,
de la maison des Hohenstaufen, arrivée en 1254, pour se
protéger et se défendre mutuellement contre l'oppression et
les brigandages des seigneurs, tant spirituels que temporels.
SOUABE (Mer de). Voyez Constance (Lac de)
SOUABE (Miroir de). On appelle ainsi , par opposi-
tion au Miroir de Saxe, un grand recueil de droit féodal et
provincial à l'usage du sud de l'Allemagne, et datant à peu
près de l'année 1270. On ignore quel en est l'auteur. La
première édition imprimée qu'on en possède porte la date
d'Augsbourg 1472.
SOUAN. Voyez Assoua\.
SOUBISE, vieille famille de France, dont l'héritière,
Catherine de Partuenav, épousa, en 1557 , le vicomte
René II de Rohan ; mariage qui fit passer dans la maison
de Rohan les biens et les titres de la famille di; Soubise , et
duquel naquirent deux lils , qui jouèrent un rôle important
dans les guerres de religion comme chefs des huguenots :
le duc Henri de Rohan , et le cadet. Benjamin de Rohan,
baron de Fontenay, seigneur de Soubise du chef de sa mère.
Né vers l'an 1589 , il fit ses premières armes dans les Pays-
Bas , sous les ordres du prince Maurice d'Orange. A partir
de l'an 1611 il exerça comme son frère une grande influence
sur toutes les affaires des protestants de Fraace , et en 161&
il se rattacha à cause décela au parti du prince de Condé.
Lorsque les guerres de religion recommencèrent , sous
Louis XIII, en 1621 , l'assemblée des protestants tenue à
La Rochelle lui confia un commandement, et il défendit
alors bravement la ville de Saint-Jean d'AngeJy. Il lui fallut.
280
SOUBISE — SOUCI
il est vrai, faire sa soumission; mais dès l'hiver de 1G29
il recommença la guerreavec 8.000 de ses coreligionnaires,
Louis XIII l'ayant contraint de se réfugier à La Rochelle,
il se rendit en Angleterre pour solliciter des secours de Jac-
ques I""; mais il éclioua dans cette négociation. En 1625 il
s'empara des iles de Ré etd'Oléron, d'oii, avec des forces mi-
nimes et favorisé par le vent , il alla enlever dans le port de
Blavet la flotte royale, qui comptait 15 navires, qu'il ramena
avec lui à l'ile d'Oléron. Ensuite , il entreprit dans le Médoc
une expédition, qui échoua, de môme que la plupart de ses
entreprises sur terre. A son retour à l'ile de Ré , il ne tarda
pas à voir paraître une flotte de 20 vaisseaux hollandais, à
laquelle s'étaient réunis les débris de la marine française;
et il réussit à tenir pendant longtemps en échec ces forces,
de beaucoup plus considérables que celles dont il disposait
lui-même. Enfin , le 15 septembre 1625, le duc de Montmo-
rency le battit, à la hauteur de l'île de Ré, et le contraignit
à évacuer l'ile d'Oléron. Soubise, après avoir relevé le
courage des habitants de La Rochelle, passa alors en An-
gleterre, où il détermina Charles 1"" à exiger d'une manière
pérernptoire de la cour de France qu'elle exécutât les clauses
de l'édit de Nantes. En conséquence, Richelieu s'empressa
de conclure avec les protestants le simulacre de paix du 6
avril 1626, qui accorda à Soubise l'oubli du passé avec la
dignité de duc et pair. Soubise s'étant aperçu que Richelieu
faisait des préparatifs pour assiéger La Rochelle, détermina
Charles 1'^'' à envoyer successivement au secours de la ville
menacée trois grandes expéditions; mais elles ne purent
empêcher la chute de ce dernier boulevard des huguenots.
Soubise, quoique compris dans la paix du29 juin 1629, resta
en Angleterre , et mourut à Londres, en 1642, sans laisser
d'enfants. Les biens et les titres de la maison de Soubise
passèrent à François de Rohan , un de ses parents en ligne
collatérale.
Charles de Rohan , prince de Soubise, pair et maréchal
de France au siècle dernier, et qui passait pour l'un des
plus riches seigneurs de la noblesse de France , descendait
de ce François de Rohan. Né en 1715, et ami particulier
de Louis XV, il parvint sans peine aux plus hautes dignités
militaires. Dans les campagnes de 1741 à l748il remplitauprès
du roi les fonctions d'aide de camp , et en 1746 il s'empara
de Malines. Il fut nommé gouverneur de Flandre en 1748,
et du Hainaut en 1751. Au commencement de la guerre
de sept ans, la protection de la marquise de Pom padour
lui valut le commandement d'un corps d'armée de 2i,000
hommes, mais placé cependant sous la direction supérieure
<lu général en chef , le maréchal d'Estrées. Ses premières
opérations furent assez heureuses. Il s'empara de Wesel ,
occupa le pays de Clèves et la Gueldre, et rejeta les Prus-
siens sur les Hanovriens. Mais en 17 hl sa vanité le porta à
se séparer de la i)rincipale armée française , pour se joindre
à l'armée de l'Empire et attaquer les Prussiens ainsi que les
Saxons. Vers la mi-septembre il entra avec 8,000 hommes
a Gotha, où le général prussien Seydlitz , à la tête de 1500
hommes seulement , le surprit au moment où i! tllait se
mettre à une table splendidement servie dans le château
de cette résidence princière , de telle sorte qu'il lui fallut
s'enfuir précii)itamrnent et laisser les Prussiens manger son
souper. Le 5 novembre suivant , il essuyait l'i^iinominieuse
défaite de R ossbach. Pour l'en consoler, Louis XV le
nomma ministre de la guerre. En 1758 Soubise obtint
encore le commandement d'une nouvelle armée; toutefois, le
duc de Broglie lui fut adjoint comme conseil. Malgré la ja-
lousie qui divisait ces deux généraux , l'armé française rem-
porta la victoire de Lutzelbourg , qui la rendit maîtresse de
tout l'électoral de Hesse. Ce succès valut à Soubise le bûton
de maréchal de France. Dans la campagne de 1761 lui et
Broglie eurent chacun le commandement d'un corps d'ar-
mée sur les bords du Rhin; mais la mésintelligence qui
régnait entre ces deux chefs les empêcha d'arriver à
aucun résultat. Battu à Fillingshausen , Broglie en rejeta
la laute sur Soubise, qui ne l'avait point soutenu. Tous deux
s'accusèrent mutuellement dans leurs rapports à la cour.
Le crédit de M"" de Pompadour fit pencher la balance
en faveur de Soubise , et Broglie , l'homme vraiment ca-
pable, lut exilé dans ses terres. Dans la campagne suivante,
Soubise eut le bon esprit de se laisser guider par le ma-
réchal d'Estrées, et la bataille du Johannisberg fut ga-
gnée. A quelque temps de là, la paix de 1763 mettait un
terme à la carrière militaire de Soubise, qui fut le complai-
sant de la D nbarr y , comme il avait été celui de la Pom-
padour. Sa vie ne fut plus dès lors que celle d'un courtisan
voluptueux. Toutefois, il est juste de dire qu'à la mort de
Louis XV, il fut aussi le seul des courtisans, naguère si nom-
breux, de ce monarque qui accompagna sa dépouille mor-
telle jusqu'à Saint-Denis. Touché de cette preuve de recon-
naissance , Louis XVI conserva au maréchal de Soubise sa
place au con.seil. 11 mourut le 4 juillet 1787 , et en lui s'é-
teignit la ligne de Rohan-Soubise.
SOUBISE ( Enfants du Père). Voyez Ccmpacnonnage.
SOUBRETTE, nom que l'on donne, au théâtre, aux
suivantes de comédie (voyez Rôle). Cette dénomination
s'applique aussi , familièrement et par mépris , à une femme
subalterne et intrigante : Elle fait la dame, et n'est qu'une
soubrette; Sous de riches habits, elle a toujours l'air a les
manières A'ime soubrette.
SOUBREVESTE. Voyez Cotte b'Armes.
SOUBUSE , nom donné spécifiquement par Buffon à la
femelle du busard Saint-Martin.
SOUCHE. On nomme ainsi la base du tronc d'un arbre
accompagné de ses racines, particulièrement quand elle a
été séparée du reste de l'arbre. Le bois de la souche est plus
dur que celui du reste de l'arbre.
Par analogie et au figuré, souche se dit de l'homme dont
plusieurs descendants ont tiré leur origine. Faire souche ,
c'est commencer une branche dans une généalogie. Suc-
céder par souche, c'est succéder par représentation. La
succession j9ar sor<cAe est opposée à la succession /jar iéte.
On donne aussi le nom de souche à la partie qui reste des
feuilles d'un registre dont on détache l'autre partie par une
coupure, et qui sert à reconnaître l'exactitude d'un titre en
le rapprochant de la souche ou talon. Les actions sont gé-
néralement séparées d'un registre à souche. Il en est de
même d'une foule de quittances.
SOUCHETS, sorte d'oiseaux du genre caHord, très-
remarquables par un bec long, dont la mandibule supé-
rieure , ployée parfaitement en demi- cylindre , est élargie au
bout ; les lamelles en sont si longues et si minces qu'elles
ressemblent plutôt à des cils. Ces oiseaux vivent de vermis-
seaux (ju'ils recueillent dans la vase au bord des ruisseaux.
La chair des soucliets est excellente. Ils arrivent sur nos
côtes de l'Océan au mois de février; ils se répandent dans
les marais , et l'on en tue beaucoup, principalement sur cette
longue suite de marais qui s'étendent depuis les environs de
Soissons jusqu'à la mer. Quelques-uns s'avancent davantage
dans l'intérieur des terres , et l'on en voit de temps en temps
jusque dans les Vosges.
SOUCI. Voyez Chagrin, Crainte, Inquiétude.
SOUCI (Botanique) , genre de la famille des com-
posées, tribu descynarées, compris par Linné dans sa
syngénésie-polygamie nécessaire, qui se compose de plantés
herbacées propres à la région méditerranée et à l'Europe cen-
trale. L'espèce la plus remarquable est le souci officinal , ou
souci des jardins , plante annuelle du midi de l'Europe, où
elle croît dans les champs et les vignes. On la trouve aujour-
d'hui dans tous les jardins, où on la cultive en pleine terre.
Elle a donné par la culture quelques variétés beaucoup plus
belles que le type. Toutes les parties de cette plante exhalent
une odeur forte et peu agréable. Sa saveur est amère el un peu
acre. Employé autrefois comme antispasmodique, antifébrile,
antiscrofuleux, le souci n'est plus guère usité aujourd'hui
que dans la médecine des campagnes. On falsifie le safran
avec ses corolles ligulées.
SOUCI (Enfants sans). Foyes Enfants sans soccj.
SOUCI D'EAU — SOUDAN
281
SOUCI D'EAU. Voyez Lysimachie.
SOUDAN ou BELED-ES-SOUDAN, c'est-à-dire pays
des noirs, nom commun depuis le moyen âge à l'immense
étendue de territoire de l'Afrique centrale qui depuis le
désert de Sahara se prolonge au sud vers l'équateur jusqu'à
des limites encore inconnues. Des géograplies modernes dis-
tinguent un haut Soudan et un bas Soudan.
Le iiaut Soudan, qui, n'était la solution de continuité
formée par la vallée du bas Niger, pourrait être désigné
comme la saillie nord-ouest du plateau de l'Afrique méridio-
nale, s'étend depuis cette vallée à l'ouest et au nord-ouest jus-
qu'aux sources du Niger, du Sénégal et de la Sénégambie,
et comprend les pays de montagnes et de plateaux du Kong
qui s'élèvent derrière les côtes, généralement plates, de la
Guinée septentrionale et de la Sénégambie, et depuis
la haute Sénégambie, les royaumes des Ashantis, de
Dahomeh, des Mandingos et des Foulahs, qui tous
se distinguent par la richesse de leur système d'irrigation ,
par la magnificence et l'abondance de leurs forêts vierges ,
par le luxe de leur végétation , et surtout par une exubé-
rance extrême en produits tropicaux et en or.
Le bas Soudan, ou simplement Soudan, appelé aussi Ni-
gritie, c'est-à-dire pays des Nègres ou du Niger, mais dé-
signé par les indigènes tantôt sous le nom de Txkrour, tantôt
sous celui d'^snoM, s'étend depuis les versants nord et sud
du haut Soudan à l'est jusqu'au Kordofan et aux régions
montagneuses qui faisaient autrefois partie du royaume d'A-
byssinie , forme la transition entre la limite septentrionale
de la haute Afrique et le désert, et est peut-être la première
des avant-terrasses du grand plateau de l'Afrique. Cependant,
ce bas Soudan n'est point une plaine, mais forme au con-
traire une contrée onduleuse de collines , où l'on rencontre
même parfois des chaînes de montagnes dont l'élévation
moyenne au-dessus du niveau de la mer peut-être de 400'
mètres. Par sa position entre la mer de sable du désert, où
il y a absence complète d'eau et dont la limite constitue
également sa frontière septentrionale, et les hautes terres du
sud , dont l'accès offre tant de difficultés ; en raison aussi de
son climat, qui est extrêmement meurtrier pour les étran-
gers , des mœurs sauvages et des habitudes de brigandage
de ses diverses populations, dont le plus grand nombre sont
constamment en guerre les unes contre les autres, c'est là
une des contrées les plus inaccessibles de la terre , et à l'é-
gard de laquelle on n'a guère de renseignements que ceux
fournis par Mungo-Park , Dochard , Laing , Denham , Clap-
perton , Caillié et Lander, et tout récemment par les Alle-
mands Overweg (mort le 27 septembre 1852, à Kouka, sur
?es bords du lac de Tschad ), Barth de Hambourg et Vogel de
Leipzig , dont Bleek de Bonn a encore entrepris en 1854 de
suivre les traces. De même qu'à l'extrémité nord du Sahara,
dans le Bi ledulgerid,les fleuves, à son extrémité sud, se
déchargent dans une mer de sable, où, en raison de la fai-
blesse comparative de leur volume d'eau, ils sont bientôt
épuisés par le sol brûlant du désert, en ne laissant que des
marécages qui contractent généralement le goût du sel mêlé
au sable, et ne se présentent sous forme de vastes nappes
d'eau qu'à l'époque des pluies périodiques. Plus au sud, le sys-
tème d'irrigation est plus riche, et parfois même exubérant.
C'est là que commence un véritable pays de culture. Le Niger,
avec ses nombreux affluents, et la mer du Soudan, le grand
Sac de Tsad ou Tschad , avec ses affluents le Schari au sud ,
le Yéou à l'ouest, le Bhata ou fleuve périodique de la vallée
des Gazelles ( Wad-el-Ghasal) à l'est, qui ne coule point à
l'est dans le lac Fitlré, forment dévastes et riches systèmes
d'irrigation, l'un dans le Soudan occidental, l'autre dans le
Soudan oriental. Ces deux parties du Soudan sont séparées
par le pays de montagnes de Mandara , qui s'étend du sud-
est au nord-ouest, et s'élève au sud de Bornou par 10" de
lat. nord ; contrée bien arrosée, composée de hautes et
abruptes masses de rochers, riche en paysages de la nature
la pius pittoresque , et dont le plateau , haut de 8 à 900
inètres au-dessus de l'Océan, est dominé par des pics
escarpés, en forme d'aiguilles, atteignant de 1,000 à 3,000
mètres d'allitude. Parmi ceux qui sont situés le plus au sud,
il en est un qu'on appelle le Mendefi. Mais il résulte des plus
récentes investigations qu'à côté de ces masses montagneuses
se trouvent d'immenses étendues de plaines, composant
entre autres le grand pays d'Adamaoua; de sorte que ces
montagnes, de même que celles qui sont situées tout à l'ex-
trémité orientale, ne sont vraisemblablement que des masses
isolées. VAlantiga, dans le pays d'Adamaoua, est estimé
s'élever à 3,300 mètres, sans cependant atteindre encore la
limite des neiges éternelles. Ici , comme au voisinage du
désert et de l'équateur, le climat est naturellement très-
chaud. La température moyenne de l'année à Kouka et sur
les bords du lac de Tschad, est de 23° Réaumur. Dans le
Bornou, le thermomètre de mars à juin est rarement au-
dessous de 30° ; dans l'après-midi il s'élève jusqu'à 32" et
plus, et même ne descend pas la nuit au-dessous de 28°.
Mais dans ce qu'on appelle les mois d^ hiver il n'est pas rare
de le voir s'abaisser la nuit au-dessous du point de congéla-
tion. Ces contrastes, joints aux fortes fièvres intermittentes
développées par des inondations durant plusieurs mois, et
par les miasmes putrides qui s'exhalent de régions maré-
cageuses, sont pernicieux même à la population indigène de
ces lointaines contrées. D'ailleurs , le sol , partout où ne
l'envahit pas le sable du désert , et où l'eau ne fait pas
défaut, est couvert de la plus riche végétation tropicale. Par-
tout croissent les gigantesques adansonias, dans des prairies
sans fin ; partout on rencontre de plantureuses forêts de ta-
marins et de mimeuses, des eiiphorbiacées ayant la taille
d'arbres, le palmier dèlebb , l'un des plus beaux arbres
qu'on puisse voir, atteignant une élévation de 40 mètres;
plus rarement le palmier à dattes, et à l'est le coton. On cul-
tive le froment , le riz, le maïs , le millet, les fèves et autres
légumes ; toutes espèces de plantes bulbeuses et de cucurbita-
cées; le chanvre, le tabac, le coton, l'indigo, le poivre rouge,
la coriandre, etc. On élève du gros bétail, des moutons,
des chevaux et des ânes d'excellente espèce; des civettes en
cages, et aussi des chameaux au voisinage du désert. On y
trouve des éléphants, des rhinocéros, des liippopotames, des
lions, des panthères, des hyènes, des chacals, des au-
truches , une foule d'autres oiseaux au plus riche plumage,
des poissons, de grands amphibies et des insectes de toutes
espèces, de même que des crocodiles et des serpents. Si le
pays de plaines est (lauvre en minéraux , le pays de mon-
tagnes est beaucoup mieux partagé sous ce rapport. Les
minéraux qu'on y rencontre le plus ordinairement sont le
fer et le cuivre , plus rarement l'or, l'ctain , le plomb, le
salpêtre et le soufre. On est réduit à demander le se! à l'im-
portation.
La population se compose de peuplades nègres, partie
aborigènes et partie émigrées , qui parlent les idiomes les
plus divers. Ou elles sont sectatrices de Mahomet, dont la
doctrine fait encore d'incessants progrès parmi elles et est
enseignée dans des écoles de Koran, et forment avec
quelques colonies arabes dispersées çà et là la partie de la
population de beaucoup la plus intelligente, la plus civilisée
et la plus morale ; ou bien elles sont encore païennes ,
plongées dans la barbarie, mais non pas toutes aussi san-
guinaires que les Ashantis et les habitants du Dahomey par
exemple. Indépendamment de l'agriculture, de l'élève du
bétail et de la pêclie|, les habitants parvenus à un cer-
tain degré de civilisation pratiquent diverses industries .
qui fournissent de précieux produits au commerce. La plus
répandue de ces industries est la préparation du coton avec
celle de l'indigo par les femmes, sur qui retombe tout le
poids de la culture des terres. Le Soudan occidental fournit
en outre une série d'étoffes fabriquées avec un art re-
marquable et dites étoffes du Soudan , qui arrivent jus-
qu'aux oasis qu'on rencontre dans le désert et même jusque
sur les marchés de l'empire de Maroc. L'exploitation des
mines et l'industrie des forges ont pris de bien moindres dé-
veloppements. Le Soudan fait un vaste commerce d impor-
282
SOUDAN — SOUDE
tation et d'exportation aans toutes les directions, surtout
au nord. Mais il est fait presque exclusivement par des étran-
gers, notamment au nord par les Touariks du Sahara et par les
Arabes du Caire, d'Oudschiia, du Fezzan, de Tunis, deTripoli
et de Fez; et tandis qu'il n'y a que les petits détaillants indi-
gènes qui s'aventurent au delà des frontières du pays, sur les
côtes maritimes au nord et à l'ouest, les marchands en gros
restent à peu près tous dans le pays. Comme dans le Sahara,
le commerce se fait presque exclusivement par caravanes ;
les grandes voies de communication se rattachant toutes à
l'ouest , au sud et au nord. Les places de commerce les plus
importantes sont Sego, Bavimakoii, Sansading, Djinvie,
Timbouktou, Kaschna, Kano, Kouka, Angornou, Rabbah
et Ouara. Les principaux articles d'exportation sont le coton,
l'ivoire, le korkidan ou cornes de rhinocéros , de la laine
très-fine, des plumes d'autruche , des civettes, de la gomme
du Soudan, de la gomme copal, de Vassa fœtida , du poi-
vre de paradis, des cardamomes, des tamarins, du bois
d'ébène et du bois de sandal , de l'indigo, des peaux , des
cotonnades teintes en bleu et rayées de bleu , des étoffes de
soie et mi-soie ( étoffes du Soudan ), des nattes , des cuirs ,
des articles en cuir, mais surtout de l'or et des esclaves. Les
grands marchés de l'or sont, à l'ouest, Djinnie et Tim-
bouktou , et à l'est dans le Darfour. Il entre dans le com-
merce partie sous forme de poudre d'or, et partie façonné
en anneaux et ornements. De tous temps le Soudan fut le
grand centre du trafic des esclaves ; et c'est de là que cette
marchandise s'est toujours expédiée dans toutes les par-
ties du monde, au grand détriment des autres intérêts de la
contrée. Dans un grand nombre de pays de l'intérieur on
compte beaucoup plus d'esclaves que d'hommes libres. Les
articles d'importation les plus importants sont les étoffes de
coton pour vêtements ( presque exclusivement de fabrication
anglaise), les toiles, et toutes espèces de draps fins. Les tapis
du nord de l'Afrique, les manteaux de laine ( haïcks de Fez ),
les ceintures en laine et en soie, la soie brute, le velours ,
les mouchoirs de soie , le fer en barres, les articles de quin-
caillerie (notamment les armes à feu) provenant de l'An-
gleterre, de l'Amérique du Nord et de l'Allemagne, des ar-
ticles de bimbeloterie, les articles de Nuremberg, le papier,
la poudre, le plomb, les ustensiles en cuivre etenétain,
les peignes, les cuirs façonnés et les tabacs du Maroc , les
épices des deux Indes , le café, le cacao , le sucre, les che-
vaux, les couris des ludes orientales, qui, avec une autre es-
pèce d'escargots d'eau douce provenant du Niger, des pièces
de cotonnades et la poudre d'or, constituent les moyens d'é-
change le plus généralement usités dans les relations commer-
ciales. Comme menue monnaie on se serf, dans tous les petits
royaumes situés le long de la rive occidentale du Niger, de
noix de gourou, et dans le Darfour de petits anneaux
d'étain. En ce qui est de l'organisation politique, le principe
de la monarchie héréditaire domine avec des formes très-
rigoureuses dans ces différents royaumes ou sultanats, qui
sont fort nombreux., et dont la grandeur et la |)uissance
varient à l'infini. Quoique les souverains possèdent une au-
torité sans bornes sur la vie et sur la propriété de leurs
sujets, il ne règne point dans les États du Soudan un des-
potisme aussi sanguinaire que dans les autres parties du con-
tinent africain. Voici les plus importants et les mieux connus
de ces États et localités, en allant de l'ouest à l'est :
Le royaume de Bambarra; le royaume de Djinnie, au-
jourd'hui indépendant, appelé autrefois bas Bambarra, et à
l'égard duquel on ne possède de renseignements précis que
depuis 1853, où ils ont été fournis parBarth; Kabia, son
port, situé sur le Niger; le royaume des Fellatahs (voyez
.FouLAHs), dans le pays d'Haoussa; et le royaume des Fel-
latahs , dans le pays de Noufji ; le royaume de Yaouiil ou
Youri , sur la rive orientale du Niger; le pays de Borgou ou
Borghou, à l'ouest du Niger, en face de Noiiffi, avec les
royaumes de Kiama , de Boiissa et de Niki , dont le souve-
rain prend le titre de sultan de Borgou; le royaume de
Barnou ou Bornou,k l'ouest du lac de Tscliad ; le royaume
de Loggoun, aujourd'hui indépendant, au soQ du lac de
Tschad; le royaume de Mandera, contrée montagneuse
située encore plus au sud; le royaume de Baghermi, Ba-
garmi ou Baghirmi, au sud-est du lac de Tschad; le
royaume de Wadaï ou Ouadahi , appelé aussi Dar-Sabi
ouBorgott, situé plus loin à l'est du lac de Tschad, grande
et fertile contrée , mais encore très-peu connue , qui ioruie
aujourd'hui avec le Bornou et le Darfour les trois plus puis-
sants États de tout le Soudan; enfin, le royaume de Dar-
four. Consultez le comte d'Escayrac deLauture,Ie Désert
et le Soudan, études sur l'Afrique au nord de V Afrique
(Paris, 1853).
SOUDE ( Chimie), alcali puissant, presque égal en éner-
gie à la potasse, et auquel de temps immémorial on a
donné exclusivement le nom à'alcali minéral, parce
qu'avant les travaux de Klaproth et de Vauquelin on n'a-
vait encore jamais reconnu la présence de la potasse dans
aucune analyse de minéraux, tandis que la soude s'y était
fréquemment manifestée. Ce que nous avons dit en son lieu
du sodium nous dispense d'exposer la nature chimique de
la soude ; il est évident en effet que puisque le sodium
n'est que de la soude privée d'oxygène, la soude ne peut
être que du sodium plus de l'oxygène.
La soude est donc \e-protoxyde desodium (sodium, 74,18; •
oxygène, 25,82 ), mais intimement combiné avec de l'eau. ^
C'est un corps blanc quand il est bien pur, très-caustique,
spécifiquement plus pesant que le sodium, déliquescent
dans un air très-chargé d'humidité , mais perdant cette eau
hygrométrique dans un air plus sec, ce qui le différencie de
la potasse , laquelle ne perd plus l'eau une fois qu'elle l'a
absorbée. Dans l'air, la soude se charge très- facilement et
très-promptement, surtout à l'état d'humectation, d'une assez
grande quantité d'acide carbonique pour devenir un sous-
carbonate, beaucoup moins caustique que la soude pure, et qui
constitue un sel très-efflorescent. Mais le bicarbonate de
soude , qui ne conserve plus aucune alcalinité , et qui jouit
de propriétés fort différentes de celles du sous-carbonate,
ne s'obtient qu'avec assez de difficultés et par des procédés
artificiels.
Les principales combinaisons de la soude, du moins les
plus répandues, les mieux connues, les plus employées dans
la médecine, l'économie domestique et les arts, sont celles
de cette substance avec les acides borique {borax), car-
bonique {carbonate de soude), chlorhydrique, azotique
{salpêtre du Chili) ti sulfurique {sel de Glauber).
La combinaison chlorhydrique (se/ marin, sel gemme) est
incomparablement la plus abondante dans la nature, laplHs
essentiellement utile pour la santé de l'homme et des ani-
maux, pour plusieurs branches de l'agriculture et pour une
multitude d'arts et de fabrications. Les usages de la soude
dégagée de ses combinaisons salines sont nombreux, et sur-
tout fort importants dans les arts et l'économie domestique.
Elle est l'ingrédient nécessaire des savons dur.-. Par sa
lusion avec la silice, elle constitue des verres très-beaux,
en général plus durables que ceux de potasse, et qui jouis-
sent d'autres propriétés, qu'on chercherait en vain dans
ceux-là.
L'art d'extraire la soude du sel marin, dont nous sommes
redevables à Nicolas Le Blanc, est une utile et brillante con-
quête de la chimie appliquée aux besoins des arts; et notre
pays peut à bon droit s'en glorifier.
« Depuis lecommencement du siècle, dit M. Dumas, tou'e
l'industrie des produits chimiques en Europe pivote autour
des manufactures de soude artificielle et s'empare de leurs
procédés ou vit de leurs produits. On peut estimer qu'en
1855 les usines à soude ont produit en Angleterre 150 mil-
lions de kilogrammes de cet alcali à divers étals , et ont mis
en mouvement une valeur de 30 millions. En France, la pro-
duction s'est élevée à 60 ou à 80 millions de kilogrammes,
et elle peut être considérée comme égale au moins à ce chiffre
pour le reste de l'Europe. La découverte de la soude artifi-
cielle est donc un des plus grands bienfaits, sinon le plus
SOUDE — SOUFFLEUR
2S3
grand, dont les arts ehimiques aient été dotés depuis soixante
ans. »
Avant qu'on n'eût vulgarisé en France les procédés de
l'extraction de la soude , la presque totalité de cet alcali,
employé en si grande abondance dans nos savonneries,
nos verreries, nos teintureries, etc., nous était apportée
d'Espagne et de Sicile , où on Tobtient de l'incinération de
plantes qui croissent sur le littoral de la mer. Les soudes
brutes d'Espagne et de Sicile , connues dans le commei-ce
sous les noms de bourde , baville , cendres de Sicile, etc.,
étaient chères et généralement d'une teneur très-variable
en alcali véritable. On labriquait aussi , par l'incinération
des plantes marines , sur les côtes de !a Provence et du
Languedoc, plusieurs espèces de soude, mais toutes abon-
dantes en sels neutres, et peu riches en alcali libre ou sim-
plement carbonate. Ces produits étaient : f^le salicor, ou
soude de JS'arOonne, provenant du brûlage du saticornia
herbacea, cultivé sur le bord des étangs salés dans le bas Lan-
guedoc; 2° la blanquette , ou soude d'Aiguës- Mortes, qui
s'extrait, entre Frontignan et Aigues-Mortes , de toutes les
plantes salées qui croissent sans culture sur le bord de la
mer, et que l'on connaît dans le pays sous les noms divers de
soude , clavel , doucette. Manchette. Les |)lantes incinérées
qui donnent naissance à ces produits sont : X^salicornia her-
bacea, les salsola tragus, soda, kali (voijcz l'article sui-
vant); Vatriplex portulacoides , \e chenopodiuvi mariti-
mum, le statice limonium, etc. Nous avons encore dans
le commerce les très-mauvaises soudes dites de varech ,
produit des nombreux goémons que l'on brûle sur les côtes
de la Bretagne et de la Normandie. Ces soudes contiennent
à peine de l'alcali libre; presque toute la masse soluble est
composée de sulfate de soude, de traces de sulfate et d'hydro-
chlorate de magnésie , et d'une énorme proportion de sel
marin. C'est dans les soudes de varech qu'on a pour la pre-
mière fois trouvé l'iode et le brome. Enfin, i'Égypte nous
fournissait autrefois d'assez grandes quantités d'un sel extrait
des lacs par évaporation. Ce sel, appelé nation, est un sous-
carbonate de soude généralement très-impur, et contenant,
avec des matières terreuses , une grande proportion de sel
marin.
Nous ne décrirons pas en détail le procédé d'extraction
artificielle de la soude du sel marin ; nous non* bornerons
à dire : 1° que le sel est traité par l'acide sulfurique, qui en
chasse l'acide chlorliydrique, et convertit la soude en sulfate ;
2° que le sulfate obtenu est ensuite chauffé avec du char-
bon, qui convertit la masse en sulfure de sodium. Au moyen
de la craie, également à chaud, on enlève le soufre à ce sul-
fure; le soufre s'unit à la chaux, et forme un sulfure de
calcium presque totalement insoluble. Le lessivage dissout
ensuite la soude , plus ou moins chargée de sels non décom-
posés et de sulfliydrate. Des traitements subséquents per-
mettent de la purifier. Malgré toutes les entraves fiscales,
la soude extraite artificiellement du sel marin est infiniment
meilleur marché que les soudes d'Espagne, de Sicile et du
Levant, ainsi que les natrons. Aussi il n'y a presque plus
d'importation de soudes étrangères en France; et nous som-
mes désormais afirancliis d'un énorme tribut, qui s'acquit-
tait presque tout en argent. Pelouze père.
SOUDE {Botanique ), nom vulgaire des plantes du genre
salsola, de la famille des Chénopodées. Ces soudes crois-
sent sur le littoral des mers dans tous les climats tempérés.
Cesontdes plantes herbacées, ou sous-frutescentes, à feuilles
alternes ou opposées, charnues et presque cylindriques , à
fleurs axillaires, sessiles , hermaphrodites , offrant pour
caractères : périanthe à cinq folioles; cinqétamines; ovaire
déprimé, uniloculaire , surmonté de deux styles, générale-
ment soudés à leur base. La soude épineuse (salsola tra-
gus, L. ) est armée d'épines très-aiguës, placées à l'extré-
mité des feuilles. La soude kali (salsola kali, L.) ne
se distingue guère de la précédente que par son calice , beau-
coup plus court; elle est très-commune sur les bords de la
Méditerranée , et croît même le long du Kliône , jusque
auprès de Lyon ; les soudes communes (salsala soda, L. ) ,
cîiltivée (salsola saliva, L. ), velue (salsola hir-
suta, L. ), maritime (salsola maritima, L. ), etc., ont
eu , comme les précédentes , une très-grande importance in-
dustrielle, qu'elles ont presque totalement perdue depuis
la découverte des procédés pour la fabrication en grand des
soudes artificielles ( i^oyes l'article précédent).
SOUDOYERS. Voyez Aventuriers.
SOUDRAS(Les) forment la caste la plus infime dans
l'Hindoustan , où la population est partagée en outre en
trois castes supérieures, celle des brahmanes, ou prê-
tres , celle des ch atrias, ou guerriers, et celle des wais-
jas, ou artisans. Tandis que les waisjas sont surtout agri-
culteurs et marchands , les soudras exercent des métiers ou
bien servent de domestiques aux classes supérieures. Ils
sont menuisiers , tailleurs de pierre , cordonniers , peintres,
écrivains, journaliers, domestiques, et constituent la
grande masse du peuple hindou. L'étude des Védas leur
est interdite; toutefois, il existe à leur usage d'autres hvres
de religion et de morale, rédigés d'une manière plus intelli-
gible et plus attrayante, de sorte que leur culture Intel» '
lectuelle ne souffre pas de cette exclusion. Les soudras sont
divisés en corporations, suivant leurs différentes occupa-
tions. Chaque corporation est présidée par un ancien , qui
exerce le droit de juridiction surses subordonnés à l'effetde
régler leurs contestations, et qui pourvoit en outre à la do-
tation des filles. Quand les soudras épousent des femmes '■
appartenant aux castes supérieures, les enfants qui provien-
nent de ces unions font partie de la caste du père. Comme •
les membres des castes supérieures, le soudra peut s'adonner
à la vie contemplative et arriver ainsi à un grand renom
désaintelé. On confond souvent les soudras avec les p a ri as', ^
qui en diffèrent conifilétement.
SOUDURE. C'est tout à la fois le nom de l'opération
par laquelle on joint ensemble deux ou plusieurs morceaux
de métal, quelquefois différents , et celui du fondant métal-
j lique que l'on emploie pour obtenir cette jonction. La sou-
I dure doit donc être composée d'un alliage ayant quelque af-
finité avec le métal des pièces à souder, et entrer en fusion
à une température plus basse que les métaux qu'il s'agit
d'unir. Le fer se soude à chaud, au moyen d'un marteau, sans
interposition de soudure ; cependant il se brase aussi avec
la soudure de cuivre. A l'article Bijouterie nous avons in-
diqué les moyens de soudure employés pour les métaux pré-
cieux. Le fer -blanc, le plomb, le zinc, le cuivre, etc., se
soudent à l'aide d'un alliage de plomb et d'ctain, qui prend
les noms de soudure des plombiers lorsqu'il est composé
de deux parties de plomb et d'une d'étain , et de soudure
des ferblantiers , lorsque les deux métaux sont en par-
ties égales. Cette soudure est dite grasse ou maigre, suivant
que l'élain ou le plomb dépassent les proportions indi-
quées. La soudure des plombiers est remarquable par la
facilité avec laquelle elle s'oxyde au contact de l'air. Fu-
sible à 225° centigrade, elle brûle comme un pyrophore à
une température élevée et forme nne combinaison d'acide
tannique et d'oxyde de plomb connue sous le nom de potée
d'étain.
SOUFFLET, SOUFFLET DE FORGE, SOUFFLET
A PISTON. Voyez Machines soufflantes.
On entend aussi par soufflet un coup de la main porté au
visage. Dans nos idées actuelles , c'est le plus sanglant ou-
trage qui puisse être fait à un homme de cœur; et il ne
saurait être lavé que dans le sang de l'agresseur. Cette in-
sulte n'a du reste ce caractère qu'entre hommes d'âges à peu
près égaux. Abuser de sa force physique pour insulter un
vieillard , un être faible ou infirme , est la plus insigne lâ-
cheté dont il soit possible de se rendre coupable. Le dé-
shonneur en fait immédiatement justice.
SOUFFLEUR ( Art théâtral). Non ! Sisyphe, qui roule
son rocher ; les Danaïdes, penchées sur le tonneau qui fuit
toujours ; Tantale, mort de soif et de faim au milieu du fleuve
limpide dont le rivage est chargé de moissons et de ven-
284
SOUFFLEUR
danges; Ixion sur sa roue; Prométliée sous son aigle; la
vestale dans sa tombe vivante ; le jeune moine plongé in
pace pour ses fredaines amoureuses; tout ce qui sent le
renfermé et le moisi, tout ce qui est l'esclavage, la torture,
la damnation, ne saurait se comparer à l'existence de cet
infortuné que la mauvaise déesse de la fortune a destiné à
passer sa vie dans ce trou étriqué, dans cet abîme ridicule,
sous cet éteignoir de toute poésie qu'on appelle le trou du
souffleur ! Le pauvre homme! que je le plains; qu'il me
parait digne de nos meilleures sympathies ! Pourtant cet
homme ignoré, invisible; cet être sans nom , cette créature
du bon Dieu, qui s'est résignée à n'être plus qu'un écho,
l'écho rechigné et docile des plus sottes choses qui puissent
sortir du crâne d'un chrétien , il ne faut pas trop le dédai-
gner, car c'est à lui que commence le bel art dramatique.
Placé tout au bas du théâtre, le souffleur, cette intelligence
suprême, donne l'éveil, le signal, le mouvement, la respi-
ration, la lumière, le bondissement à l'œuvre dramatique.
Le comédien qui fait ses grands bras, la comédienne qui
fait sa petite moue, autant de pantins dont le souffleur tient
tous les fils ! Regardez dans quoi il est plongé : il n'est pas
de condition plus basse ; mais tout de suite voyez agir, en-
trer, sortir les personnages du drame, prêtez l'oreille à ces
cris partis de l'âme... et du trou du souffleur! C'est le souf-
fleur qui accomplit toutes ces merveilles. En sa qualité
d'âme intelligente d'une chose inerte , le distributeur de mé-
moire doit tout voir, tout savoir, tout prévoir, préparer de
loin l'effet de la grande tirade et la réplique du moindre
couplet; il doit sentir avec une délicatesse infinie la moindre
différence de niveau dans le comédien qui entre ou qui sort ;
à la figure, à la démarche, au geste de son héros, il doit
comprendre où le bât le blesse , et lui venir en aide tantôt
d'un g.este, tant(M d'un coup d'œil, tantôt d'un souffle. Le
comédien est-il bien sûr de sa mémoire , le souffleur reste
calme, mais sans perdre de vue le grand homme qui s'agite
dans sa haine ou dans son amour; au contraire, que la tête
du manœuvre dramatique s'égare en mille folies, que sou-
dain son œil s'hébète et s'écarquille dans l'agonie de l'incer-
titude, que le visage même garde le silence , le malheureux
comédien est perdu s'il ne sent pas à ses côtés , invisible et
présent, celte espèce de chien du Saint-Bernard qui l'arrache
à l'abîme dans lequel il va s'engloutir. Double danger pour
l'homme qui de son trou surveille l'action dramatique :
souffler trop ou souffler trop peu.
Pendant que le comédien se met à flatter le public par les
gracieusetés de sa personne et de son talent, il faut que le
souffleur, de son côté, se fasse le flatteur du comédien, et,
flatterie pour flatterie, je vous assure qu'il vaut mieux flatter
la bête à mille têtes que le féroce amour-propre de ces tyrans
en couronne de carton doré. Au moins quand le parterre est
content, il applaudit et il admire, il lève un regard recon-
naissant jusqu'à la magnifique créature qui a trouvé tant bien
que mal un chemin à son âme; au contraire, le comédien
le mieux souiflé, quand son rôle est joué, ne daigne pas
jeter un coup d'œil de reconnaissance à celte intelligence
prosternée à ses pieds. La vue du souffleur humilie surtout
le grand homme qui s'en est servi !
Notez bien qu'en même temps ce martyr infortuné de
l'art dramatique mène de front tous les rôles; il est à lui
seul et tout à la fois le tyran, le père noble, le valet, la
soubrette , la grande coquette, l'amoureux, l'amoureuse, le
niais et le héros ; il tient dans sa main tous ces fils croisés de
la même intrigue dans lesquels il doit se retrouver à toute
minute; il pleure, il rit, il tempête, il jure, il soupire, il
déclame, il égorge, il empoisonne, il expire, il est amou-
reux, il se marie, il conspire, il est riche et pauvre, cou-
vert de gloire et d'honneurs, il appartient à toutes les na-
tions ,à tous les siècles, à toutes les douleurs, à toutes les
joies ! Comptons donc l'éblouissement de ce malheureux , et
comptons son supplice quand il lui faut bouillonner pendant
sept heures d'horloge dans cette fournaise ardente où sont
fondus impitoyablement l'or, le fer, le plomb , l'argent , le
vif-argent, tous les métaux avec lesquels se fabriquent ces
cliefs-d'ffiuvre de carton dont se compose l'art dramatique
aujourd'hui.
Voilà pour l'horrible, voici pour le ridicule. Le souffleur
n'exerce pas seulement son métier tous les soirs, il l'exerce
encore chaque matin ; hors de son trou vous croyez qu'il est
libre ? Hors de son trou , son supplice le poursuit et le tour-
mente. Il assiste à l'enfantement de toute nouveauté, vieille
ou nouvelle; il devient la proie de chaque nouveau chef-
d'œuvre , que produit chaque matin la foule toujours im-
mortelle et toujours renaissante de nos jeunes grands
hommes. Si par malheur le nouveau drame est reçu par
messieurs les comédiens qui , comme on sait, sont de très-
grands juges, le premier homme qu'on appelle, c'est le
souffleur! Vite une copie... vite deux copies de ces cinq
actes ; ainsi on lui fait échansonner cet esprit nouveau-né.
11 copie donc à ses moments perdus ces belles œuvres , et
son œil se perd à épeler l'écriture de nos hommes de génie.
Une fois que le manuscrit est au net , soudain il faut recom-
mencer la besogne, mais d'une façon bien plus insipide
même que la première. Vous copiez , non plus scène par
scène, acte par acte, mais rôle par rôle, et vous jouez aux
propos interrompus, à vous tout seul. Mieux voudrait mille
lois déchirer du vieux linge et faire de la charpie pour les
hôpitaux que de scalper, phrase à phrase , cette histoire de
meurtre ou d'amour.
O misère! cette même comédie qu'il a déjà copiée deux
fois, qu'il va souffler vingt fois peut-être (nous mettons la
chose au pis ) , eh bien ! il va d'abord la souffler à huis clos ,
en répétition , comme on souffle sa leçon à un enfant , et
s'il en est quitte pour vingt séances de ce labeur, il marque
de blanc celle heureuse comédie.
Le souffleur a sur son dos voûté par les veilles les comé-
diens d'abord, l'auteur ensuite, et cet auteur, de plus , est
souvent un très-grand inconvénient. En effet, l'auteur mo-
derne , pour peu qu'il ait composé ses cinq ou six tiers de
comédies, n'est plus un homme qui se doive gêner. 11 en
prend tout à son aise avec ses comédiens et avec son souf-
ileur. On ne donne plus aujourd'hui que des projets de co-
médie; on ne les écrit plus, on les dessine, on écrit les
bons mots en blanc, les laissant le plus souvent à la charge
de l'acteur, qui doit fournir son rouge, ses habits de ville,
et les traits de ses rôles , s'il tient à voir quelque chose de
vif et de piquant qui réveille son lecteur. De cette façon de
composer, il arrive de grands inconvénients pour le nègre
blanc qui tient le manuscrit. Que de ratures ! que de choses
ajoutées ! que de passages retranchés ! Le caprice et le hasard
sont les dieux de cette espèce de produit, et le souffleur ne
sait guère auquel entendre. Sa vie est une vie de privations,
de gêne, d'inquiétude, et ce n'est pus celui-là qui doit
craindre de mourir jamais de gras fondu. Mêlé à toutes les
joies, il ne sait pas ce que c'est que la joie; il n'entend
parler que de gros appointements, àefeux, de bénéfices,
de voyages chargés d'or et de couronnes; à ses yeux brille
le diamant, éclate la veste brodée, s'étale la dentelle , un peu
jalouse; il en a jusqu'au menton de ces délires et de ces
fêtes ; mais lui ! son habit noir date de dix ans , sa cravate
blanche frissonne, son gilet pleure, son chapeau est en deuil
comme son âme ; tout se passe dans son trou , mais tout en
sort ; il regarde toujours , mais sans avoir le droit de penser ;
sa vie entière se passe à celte lucarne horrible sur laquelle
tape incessamment le bâton d'orchestre, un des grands sup-
plices de l'inquisition d'Espagne! De tout cet amour qui se
fait sous ses yeux, pas une étincelle ne rejaillit dans son
âme; de ces triomphes dont il est l'intermédiaire , ij n'a que
le bruit et la poussière ; de ces couronnes qui jonchent le
théâtre, il n'attrape jamais la plus simple fleur ; dans les
pièces , trop rares pour eux , où ces messieurs et ces dames
s'abandonnent à l'orgie d'une pomme cuite et d'un verre
d'eau de Seitz, il est de bon goût de jeter au souffleur la
pelure de l'orange ou la coque de l'œuf brisé... J'en ai vu
qui rejetaient, indignés, ces mépris à la face des comé-
SOUFFLEUR — SOUFRE
285
diens... Et le parterre de s'étonner ! « Mon cher enfant, disait
un vieux souflleurde l'ancienne Comédie-Française à i^leury,
je m'en vais ; et si j'ai le bonlieur que le souffle sorte une
fois de mon corps , je veux être pendu plutôt que de l'y
faire rentrer! » Jules Janin.
SOUFFLEUR DES NORMAi\DS. Voijez Dau-
phin.
SOUFFLEURS (Poissons ). On nomme vulgairement
ainsi une classe nombreuse de poissons, de la famille des
cétacés, parce qu'ils ont la propriété, en rejetant l'eau par
des ouvertures, qu'on nomme évents , de la (aire jailliravec
beaucoup de force, à la manière d'un jet d'eau. Voyez Ba-
leIne et Cétacés.
SOUFFLOT (Jacques-Germain), l'arcbitecte à qui la
ville de Paris est redevable d'un de ses plus magnifiques
monuments, la nouvelle église Sainte-Geneviève, longtemps
désignéesous le nom païen de Panthéon, naquit en 1714, à
Irancy, près d'Auxerre, d'un père lieutenant au bailliage
de cette ville, et trouva dans l'honorable aisance de sa
famille les ressources nécessaires pour pouvoir obéir sans
privations ni souffrances à l'ardente vocation qu'il s'était
sentie de bonne heure pour les beaux-arts. Son père l'envoya
voyager en Italie et en Orient. Au retour de cette excursion
artistique , il fut admis au nombre des pensionnaires du
roi, à Rome , où il passa trois ans à compléter ses études.
Il passa ensuite plusieurs années à Lyon, où on le chargea
de la construction de divers édifices importants, entre autres
de Vhôtel-Dieu (considéré à bon droit comme un modèle
d'élégance , de noblesse et de simplicité ) et de la salle de
spectacle de la place des Terreaux. L'Académie de Peinture
et celle d'Architecture s'empressèrent de l'admettre dans
leur sein, et le roi lui accorda, avec le cordon de Saint-
Michel , les fonctions d'abord de contrôleur, puis d'inten-
dant de ses bâtiments.
En 1757 , quand il (ut question de reconstruire l'antique
basilique de Sainte-Geneviève , qui se trouvait adossée à
l'église paroissiale de Saint-Étienne-du-Mont , on décida
que le plan en serait mis au concours. Celui <iue présenta
Soufflot fut adopté, et les travaux commencèrent, sous sa
direction, le 6 septembre 1764. L'œuvre de Soufdot est con-
sidérée à bon droit comme l'une des gloires de la capitale.
L'élégance et la noblesse des proportions y répondent à
la haute pureté du goût de l'ensemble. Soufdot ne put
d'ailleurs en terminer que le portail , comparé avec rai-
son à celui du Panthéon de Rome, la nef et les bas côtés. Il
mourut le 29 août l78l. Le monument fut achevé d'après
ses plans; mais il fallut plus tard les modifier en ce qui
touche le dôme. La critique avait dit que les entre-colonne-
ments servant de supports à cette énorme masse de pierre,
tenue à plus de soixante mètres en l'air, n'auraient jamais la
force de la soutenir. L'événement donna bientôt raison
à ces sinistres prédictions; des signes manifestes annonçant
que les supports fléchissaient (peut-être bien d'ailleurs par
la faute du sol même sur lequel l'édifice est assis, et qui
présente peu de solidité, attendu qu'il recouvre d'anciennes
carrières), il fallut reprendre cette construction en sous-
œuvre, et aux entre-colonnements substituer les quatre
massifs qui servent aujourd'hui de base à ce ciel de pierre.
SOUFFRANCE (du latin barbare 5î(//ereH</«), peine
ou doule ur de corps ou d'esprit , état de celui qui souffre.
En termes de pratique , on appelle souffrance la tolérance
qu'on ne pourrait empêcher : ïm jours de souffrance, c'eut-
à-dire des lènêtres ou lucarnes ayant vue sur la propriété
voisine. En terme.s de comptabilité, c'est la suspension par
laquelle on diffère d allouer ou de rejeter une partie mise en
compte jusqu'à ce que les pièces justificatives aient été four-
nies : Cet article est en souffrance. Laisser des effets en
souffrance, c'est ne pas les acquitter exactement à leur
échéance.
SOUFIS, SOUFISME. Votjez Sufisme.
SOUFRE. Le grand nombre de combinaisons utiles que
forme le soufre et les effets fâcheux qu'il peut produire
dans quelques circonstances en agissant sur divers corps
rendent très-importante l'étude de ses propriétés. Le soufre
est un corps simple, qui se présente habituellement sous une
couleur d'un jaune particulier, qui porte le nom de ce corps;
il est d'ordinaire jaune , dur et cassant, et peut cependant
s'obtenir brun, mou, et susceptible de s'étirer en (ils assez
fins, mais en le plaçant dans des circonstances particulières,
que nous indiquerons. Lorsque ce corps est un cylindre,
auquel état il porte le nom de soufre en canon, si on le
tient pendant quelques instants dans les mains, il fait entendre
un craiiuement, et se brise en fragments, lia une odeur par-
ticulière, qui ne ressemble nullement à celle qui se développe
quand il brûle; il s'electrise facilement et fortement par le
frottement , et manifeste l'électricité résineuse. Lorsqu'on le
verse étant fondu dans un vase de verre, la masse qui pro-
vient du refroidissement offre des propriétés électriques très-
marquées.
Expo.sé à l'action de la chaleur, le soufre se ramollit, et
devient très-liquide, à 108° centrigrades. Si on le laisse re-
froidir, et qu'au moment où il s'est formé une croûte so-
lide à la surface, on le décante, et qu'on fasse écouler sans
agitation la portion encore liquide, on obtient une géode ta-
pissée de cristaux. Le soufre qui n'a été chauffé qu'à cette
température reprend sa couleur et sa dureté en se refroi-
dissant; mais si on le tient longtemps fondu à une tem-
pérature très-rapprochée de celle de sa combustion, il s'é-
paissit, prend une couleur brun- rouge; et si à cet état on
le coule dans l'eau, il reste pendant assez longtemps mou,
flexible, susceptible de se tirer en fil, de recevoir des ena-
preintes : après un certain temps, il redevient jaune, dur et
cassant. Chauffé plus fortement dans des vases distillatoires ,
il se distille sous la forme de vapeurs jaunes, qui, suivant
qu'elles touchent des parois froides ou échauffées, se con-
densent en une poussière extrêmement ténue, désignée sous
le nom de fleur de soufre, ou sous celle d'un liquide, que
l'on peut facilement couler dans des moules, et qui per-
met de revêtir ce corps de la (orme de cylindre, qu'on est
dans l'habitude de lui donner. Le soufre amené par la cha-
leur à l état de fusion présente un caractère très-remar-
quable relativement à son degré de liquidité : fortement
chauffé , et près du point où il s'enflamme, il est épais. En
s'abaissant en température, il devient liquide, s'épaissit de
nouveau et passe ensuite à un état de liquidité beaucoup
plus grand, puis .«e solidifie sans s'être épais.si. Lorsqu'on
précipite par un acide le soufre des dissolutions de quelques
sulfures alcalins, par exemple de celui que l'on connaît
sous le nom de/oze de soufre, il se présente sous forme
d'une poudre blanche, très-douce au toucher; c'est à la très-
grande division sous laquelle il est obtenu que ce corps doit
ses caractères particuliers. Quand on le fond, il reprend ses
propriétés accoutumées.
Le soufre est un exemple frappant dedimorphisme :
on peut l'obtenir cristallisé sous deux formes géométriques
incorruptibles.
A la température ordinaire, le soufre n'éprouve aucune al-
tération de la part de l'air ni de l'oxygène ; mais quand il
est chauffé et parvenu à l'état d'épaississement que nous
avons signalé , et à plus forte raison réduit en vapeurs , il
s'enflamme et brûle avec une flamme bleue , en répandant
une odeur très-piquante, que l'on connaît dans les allumet-
tes que l'on brûle : le produit de cette action est de Vacide
sulfureux. Lorsqu'on chauffe ensemble du souire avec
divers métaux, comme du plomb, du cuivre, du fer, la
masse au moment de la combinaison devient incandes-
cente : cette propension à s'unir aux métaux doit mettre en
garde contre la détéiioration que pourraient éprouver, par
exemple, des médailles, dont on voudrait prendre des em-
preintes , si on employait le soufre trop chaud. En s'unis-
sant avec le fer, ce corps fournit un composé qui acquiert
plus de volume; aussi se sert-on de ce moyen pour souder
des barres de fer dans des pierres ; mais le sulfure de fer
(orme, s'altérant facilement par le contact de l'air humide,
286
SOUFRE — SOULÈVEMENTS
perd peu a peu dé sa solidité et s'exfolie. Eu se combinant
avec les métaux , même les plus ductiles et les plus malléa-
bles, le soufre forme des composés cassants, circonstance
qui explique très-bien les défauts que présentent certains
métaux renfermant une petite proportion de ce corps com-
bustible : ainsi, le fer qui en contient est cassant, quoique
moins qu'il ne le serait pour de petites proportions de phos-
phore ou d'arsenic.
Les sulfures métalliques ont souvent une teinte très-
différente de celle des métaux qui les constituent : ceux
d'or et d'argent, par exemple, sont noirs; et comme le
dernier surtout se produit avec la plus grande facilité, par
le seul contact de l'argent avec des corps qui renferment du
soufre libre on à l'état de combinaison avec l'hydrogène ou
les métaux alcalins , il en résulte que l'éclat de ce métal est
fortement altéré par les œufs, qui renferment du soufre, les
vapeurs des latrines , etc. Le sulfure d'argent étant extrême-
ment facile à décomposer, il suffit de faire à peine rougir la
pièce noircie pour qu'elle reprenne sa blancheur; mais elle
reste terne et exige un brunissage pour reprendre ses pre-
miers caractères. L'or s'altère également par les vapeurs
sulfureuses ; toutefois , le changement de teinte est moins
sensible , et ce n'est que quand il est parvenu à un assez
haut degré qu'il met les objets hors de service.
Le soufre se combine en trois proportions avec l'oxygène,
et produit les acides hyposulfureux , sulfureux et sulfu-
rique; la combinaison de ces deux derniers est désignée
sous le nom d'acide hyposul/uriqtie. Il s'unit à l'hydro-
gène, et donne un acide faible que l'on connaît sous divers
noms, comme hydrogène sulfuré ou acide sulfhy-
d Tique.
Dans les environs des volcans on rencontre des quan-
tités plus ou moins considérables de soufre, se présentant
parfois en très-belles masses cristallines ; souvent il en sort
des vapeurs par des crevasses, au bord desquelles il cristal-
lise et se dépose en poudre ; souvent à une assez grande
distance des cratères le soufre se rencontre en grande abon-
dance, mêlé avec les terres volcaniques ; on l'extrait de ces
divers produits par des procédés très-simples, et qui consis-
tent à le faire fondre ou volatiliser, pour le séparer des ma-
tières terreuses infusibles et fixes. Autrefois on commençait
par chauffer les terres sulfureuses dans des espèces de creu-
sets dont le fond était percé de trous : le soufre en se fon-
dant s'écoulait par ces orifices; mais ce ne pouvait èlre
sans entraîner de petites quantités de terre; aussi était-on
obligé de le purifier : pour cela on le fondait à une douce
clialeur, et en enlevant ensuite le soufre à la poche , les
matières terreuses se déposaient en très-grande partie. Un
procédé préférable consiste à chauffer le soufre brut dans
de grandes cornues dont la partie inférieure est en fonte et
la partie supérieure en briques, et qui communiquent avec
une chambre, laquelle tant que les parois n'en sont pas
échauffées fournit le soufre en fleurs, que l'on en extrait en
faisant tomber cette substance sur le sol pour l'emmagasi-
ner aussitôt. Dans cette chambre, la température plus élevée
fournit postérieuiement du soufre fondu que l'on reçoit dans
(les moules en bois légèrement coniques formés de deux
pièces , réunies à l'aide d'un lien en fil de fer. 11 arrive quel-
ques fois que le soufre s'enflamme dans les chambres et pro-
duit dans les appareils des détériorations considérables;
d'autres fois des détonations graves ont lieu dans l'inté-
rieur : on évite ces premiers accidents par des soins dans la
conduite de l'opération ; quant au second , il provient de la
présence dans le soufre brut de matières organiques qui
fournissent de l'hydrogène carboné. En tenant le soufre brut
fondu longtemps, et surtout en évitant l'emploi des va-
riétés teintées en vert, on diminue, si on ne la détruit pas,
celte cause de danger. On se sert maintenant d'un appa-
reil boantoup plus simple , qui consiste en une ou plusieurs
chaudières en fonte, dans lesquelles on opère la fusion du
soufre brut pour en séparer une grande partie des matières
terreuses, et de cylindres en fonte chauffés assez fortement,
dans lesquels le soufre en partie purifié vient se distiller, et
d'où les vapeurs se rendent dans une chambre.
Le soufre est employé dans le traitement de quelques ma-
ladies ; on s'en sert surtout en bains de vapeurs pour les
affections de la peau , dont plusieurs cèdent avec facilité à
l'emploi de cet agent. Les inconvénients graves et dans
beaucoup de cas les dangers que présenterait l'introduction
des vapeurs de soufre dans les voies aériennes , exigeaient
des dispositions telles qu'on put les éviter en entier. On doit
à D'Arcet des appareils si parfaits sous ce rapport, que leur
emploi journalier sur un grand nombre d'individus permet
d'exposer à volonté le corps entier à l'action des vapeurs
sulureuses sans que jamais les individus soumis à ce genre
de traitement en ressentent la moindre incommodité.
Le malade est assis sur un siège convenable, dans l'in-
térieur d'une caisse de bois qui ferme hermétiquement ; il a
la tête placée hors de l'appareil et préservée, par une étoffe
qui entoure le cou , de l'action des vapeurs, qui ne tendent
nullement à sortir de leur enveloppe , par suite d'un appel
convenablement opéré qui détermine au contraire l'introduc-
tion (l'une petite quantité d'air autour du cou et refoule ainsi
les vapeurs qui pourraient tendre à s'échapper.
Les applications industrielles du soufre et de ses compo-
sés sont très-nombreuses. On sait à combien d'usages est
employé l'acide sulfurique. Le soufre entre dans la compo-
sition de la p 0 u d r e. Le moulage en tire un heureux parti.
La fabrication du caoutchouc et celle de la gutta-percha
ne sauraient s'en passer.
« C'est par la consommation du soufre faite par un pays,
a dit M. Payen, que le chimiste industriel mesure la puis-
sance de son industrie. Or voici quelle a été la progression
de la consommation du soufre en France : En 1820, elle en
consommait 6,790,000 kilogr.; en 1830, 12,900,000; en 1853
elle en a consommé 29,360,000 : quatre fois plus qu'en 1820.
L'industrie en a donc quadruplé. »
H. Gaultier de Claubry.
SOUFRE 'VÉGÉTAL. Voyez Lycopode.
SOUGNOLE. Voyez Flèche.
SOUHAIT, mouvement de la volonté vers un bien
qu'on n'a pas (voyez Désir ). Souhaits de bonne année,
vœux qu'on fait pour quelqu'un le premier jour de l'an. A
vos souhaits , façon de parler familière, dont on salue celui
qui éternue. « Il y a de la différence, dit Scudéri entre les
souhaits et les désirs. Les souhaits doivent être l'ouvrage
de la raison ; les désirs sont presque toujours des aveugles
qui naissent du tempérament. » « Il n'y a rien de plus in-
commode, dit La Bruyère, que les gens inutiles avec leurs
souhaits : ils les prodiguent parce qu'ils ne peuvent rien. »
SOUHAMA (Combat de). Voyez Abou Mana.
SOUI ou SOI. Voyez Coulis.
SOUI-MANGA, nom que les habitants de Madagascar
donnent à un oiseau qu'on a pris pour type d'un genre de
l'ordre des ténuirostres, et qui sert même quelquefois à dé-
nommer la famille des cinnyris, très-voisine des grùïipereaux .
Le nom de soui-manga , qui signifie mange- sucre, leur vient
de l'habitude qu'ils ont de sucer avec leur langue l'exsud;»-
tion miellée que présentent un grand nombre de fleurs d'A-
frique ou d'Asie.
Les soui-mangas , vifs et alertes , sont remarquables par
l'éclat métallique ou le brillant de pierres précieuses qui
décorent le plumage de la plupart des espèces. Ils habitent
les forêts épaisses ou leurs lisières, et témoignent très-peu
de défiance. Ils se caractérisent par un bec de la longueur
de la tête, ou plus long, faible, subulé, courbé, élargi et
déprimé à sa base , trigone , comprimé , effilé à la pointe ;
les mandibules sont égales, les pieds médiocres, le tarse de
la longueur du doigt intermédiaire ou un peu plus long.
On en compte quatre-vingt-deux espèces.
SOULÈVEMENTS (G^c/o(?Je). Les montagnes.
ces masses de terres , de rochers , de débris organisés , qui
s'élèvent si haut au-dessus du niveau de la mer, offrent pour
l'ordinaire des caractères non équivoques d'une origine
SOULÈVEMENTS — SOULlEll
aqueuse. On a cru lon^-temps que ces vastes dépôts avaient
été laissés dans leur position actuelle par une grande révo-
lution des eaux du globe. Mais eii ces derniers temps on
a supposé qu'après avoir été formées par dépôt au-des-
sous des eaux ces masses ont été soulevées par une force
intérieure. La vue des sommets volcaniques de certaines
montagnes et de quelques îles connues depuis les temps his-
toriques, l'inclinaison des couches, l'ordre de superposition
des terrains, l'exemple de quelques rochers qui portent des
traces évidentes de soulèvements, ont servi de preuves à ce
système, aujourd'hui démontré par la géologie. « La
masse liquide qui occupe l'intérieur du globe, dit M. Éliede
Beaumont, éprouve un retrait graduel parsuite de son refroi-
dissement progressif. La croûte solide, forcée par son propre
poids de suivre son mouvement interne, s'écrase sur elle-
même , produit une ride à la surface de la terre , et , réagis-
sant sur la matière pâteuse située ao-dessous d'elle , force
une partie de cette dernière à s'élever en formant les axes
J'un système de chaînes de montagnes. »
Soulèvement , an propre , n'est guère encore d'usage que
dans ces locutions : soulèvement des flots, pour exprimer
la grande agitation de la mer; et soulèvement de cœur,
pour désigner un mal d'estomac causé par le dégoût qu'on
éprouve pour quelque chose. Au figuré , soulèvement est
«n commencement de révolte : Apaiser un soulèvement ; ou
un mouvement d'indignation : Ces paroles causèrent dans
l'assemblée un soulèvement général contre lui.
SOIJLI. ^Foyes Sooliotes.
SOULIE (Melchior-Frédéric), fécond romancier con-
temporain, était né en l8oo, à Foix (Ariége). Son père y
occupait un emploi dans l'administration des contributions
indirectes. En 1808 il fut appelé à Nantes; et c'est au lycée
de cette ville qu'il fit commencer les études de son fils, qui
les termina à Poitiers. Le père de Soulié, dénoncé comme
bonapartiste, perdit son emploi. Il vint alors à Paris, et y
amena son fils, qui commença l'étude du droit. Frédéric
Soulié , expulsé de l'école pour avoir fait de la propagande
libérale , et relégué à Rennes , y termina ses études juridi-
ques. Son père ayant obtenu d'être replacé à Laval , il l'y
suivit, et travailla dans ses bureaux jusqu'en 1824, époque
où une nouvelle destitution vint le frapper, non plus cette
fois à titre de partisan relaps de l'usurpateur, mais seule-
ment pour avoir mal voté aux élections.
Frédéric Soulié avait alors vingt-quatre ans ; et , malgré
son titre d'avocat, il n'était guère plus avancé que tant
d'autres hommes du même âge. La nature de son esprit
l'entraînait vers la culture des lettres. Il commença par pu-
blier un recueil de vers, auquel il donna le titre sémillant
et engageant d'Amouis françaiseSi Pour des vers de pro-
vince , ceux-là n'étaient pas plus mauvais que bien d'autres
que des preneurs habiles affectent de porter aux nues; ils
n'eurent cependant pas le moindre succès. L'auteur comprit
que s'il persistait à vouloir demeurer avocat sans causes et
poète incompris , il ne tarderait pas à occuper la plus dé-
plorable des positions qu'un homme puisse accepter dans
la société. Donc, en attendant mieux , il se résolut à être
un homme utile. Il accepta la direction d'une entreprise de
menuiserie mécanique ; et c'est au milieu des travaux tout
matériels d'une semblable place qu'à ses instants perdus,
et pour en conserver l'habitude , il se mit à rimer son
drame de Roméo et Juliette. En vain, d'ailleurs, il sollicita
une lecture : directeurs et comédiens le repoussèrent à l'envi.
Heureusement son volume de poésies l'avait mis en rapport
avec J an in, qui déjà, dans le i^/paro, régentait haut la
main les comédiens les plus superbes et les directeurs les plus
importants. J. Janin insista pour que messieurs du Second-
Théâtre- Français consentissent à accorder tout au moins
une lecture à son protégé , et il fut obéi. La pièce de son ami
fut reçue, mise à l'étude, représentée et applaudie (1828).
Alors Frédéric Soulié dit adieu à la scierie mécanique, et se
fit décidément homme de lettres. Il venait d'avoir vingt-huit
ans; et depuis cette époque on citerait {)en de vies d'écrivain
287
En 1829 il fit
qui aient été plus laborieusement remplies
représenter à rodéon Christine à Fontainebleau, àiàiae
assez maladroitement découpé dans le roman de Van der
Velde.et dont la chute fut complète. Des articles de cri-
tique qu'il rédigea pour Le Mercure , pour Le Figaro et pour
Le Voleur, lui fournirent l'occasion de se consoler de sa pro-
pre infortune , en enregistrant celle de quelques confrères qui
n'avaient pas manqué de lui reprocher avec bonheui de s'être
trompé. Il donna en outre, successivement, d'abord en société
avec Cave, Nobles et Bourgeois, dont la chute fut écla-
tante ; puis seul, Lusigny, qui obtint un succès d'estime, et
enfin, en 1832, au Théâtre-Français, Clotilde, pièce qui fut
beaucoup louée et peut-être encore plus critiquée.
La mode des romans et des nouvelles qui s'établit vers
ce temps-là, dans les journaux et les revues, ne tarda
pas à accaparer Soulié presque tout entier; et il accepta
avec tant d'empressement toutes les propositions que lui
firent les entrepreneurs littéraires , qu'il eût pu très-juste-
ment contester à B a I z a c ce titre de plus fécond de nos
romanciers, que celui-ci s'était décerné à lui-même et dont
il était si fier. Voici la liste de ceux des romans de Soulié qui
obtinrent le plus de succès : Les deux Cadavres, peut-être
le meilleur de tous ses ouvrages; Le Vicomte de Béziers
(1834 ) ; Ze Co7nte de Toulouse ( 1835) ; Bomans histori-
ques du Languedoc { 1836) ; Le Comte de Foix ( 1836);
Un Été à Meudon ( 1836 ) ; Deux Séjours : provinces et
Paris (1836) ; V Homme de Lettres (l 838) ; Le Maître d'É-
cole ( 1839) ; Maison de Campagne à vendre ( 1841 ) ; Si
Jeunesse savait, si Vieillesse pouvait ( 1842 ) ; Aventures
de Saturnin Fichet (1845); Sathaniel {i8i6); Confes-
sion générale, et surtout ses J/cmoJres du Diable ( 1844),
ouvrage qui obtint une vogue immense.
Ces diverses productions sont d'une valeur fort inégale,
et se ressentent trop de cette précipitation qui était une
condition de travail à laquelle Frédéric Soulié ne pouvait se
soustraire , en raison même des circonstances particulières
où il se trouvait placé. Il y donne trop souvent aussi pour la
véritable société française le monde exceptionnel au milieu
duquel il vivait, ce qu'on appelle aujourd'hui le demi-monde,
et transforme avec trop de facilité les filles entretenues de
Paris en grandes dames. La tendance générale, on peut le
dire, en est d'ailleurs profondément immorale. Ils ne lui
en firent pas moins une grande et incontestable réputation.
Le moment vint même où les directeurs de journaux et
de feuilletons se disputèrent sa prose à l'envi et annoncè-
rent chacune de ses moindres productions connue un grand
événement littéraire. Quand la mort le surprit. Le Siè-
cle venait d'acquérir sa collaboration exclusive; et pour se
l'assurer, ce journal avait dû commencer par réaliser un
des rêves de bonheur de Soulié ca lui achetant à Bièvre,
près Paris, une charmante retraite du prix de 40,000 fr.,
que le conteur aimé de la foule se réservait d'acquitter...
en feuilletons. Mais Frédéric Soulié n'en eut pas le temps.
C'est dans celte maison de campagne , pendant si longtemps
l'objet de ses vœux de bonheur les plus ardents , qu'il ren-
dit le dernier soupir, le 22 septembre 1847.
SOULIER, chaussure, ordinairement de cuir, qui cou-
vre le tout ou partie du pied, et qui s'attache par-dessus
avec un cordon, une boucle ou des boutons. Les souliers
sont formés de quatre parties distinctes : l'empeigne, des-
tinée à couvrir le pied ; les quartiers , qui emboîtent le
talon; les semelles, superposées lune sur l'autre, et le
talon, qui sert à élever un peu le derrière du pied. On
emploie en général pour l'empeigne et les quartiers des
gros souliers de la peau de veau forte , et pour les semelles
de gros cuir de vache ou de bœuf. Ces mêmes matières
sont plu.s minces s'il s'agit de souliers légers ou d'escarpins.
La mode a mis à contribution pour les souliers de femme
toutes les espèces de peaux ainsi que toutes les étoffes et
de toutes les coideurs. Le cuir verni , le castor, le maro-
quin, la peau de chèvre, le cuir de Russie ont été mis à
contrib'ition {voyez Ch.^usslre ). Suivant leur forme.
288
SOULIER — SOULT
les souliers prennent le nom dVscarpins, souliers à dou-
ble couture , souliers napolitains , sotiliers à la Molière,
bottines, etc., etc. Autrefois on lavait ses souliers, et on
les rendait brillants au moyen d'un vernis à l'œuf; main-
tenant on les fait briller à l'aide de vernis ou de cii âge de
compositions diverses.
SOULIERS A LA POULAINE. Voyez Chaussure.
SOULINA ou SOUME. Ainsi s'appelle celle des trois
principales emboucbures du Danube, dans la province russe
de Bessarabie, qui se trouve située au centre de toutes les
autres. Quoique ce bras ait environ 400 mètres de large ,
on ne saurait le comparer ( pas plus que le bras septentrio-
nal et le bras méridional, l'embouchure appelée Kilia et
l'embouchure appelée Kedrilla, qui limitent les îles du delta
nommées Leti et Moïsche , séparées de la Soulina) au grand
courant du Danube, qui avant de se partager a plus de 1,200
mètres de large. Cependant, la Soulina a seule été jusqu'à
présent navigable pour les bâtiments arrivant de la mer
Noire, et qui veulent remonter le fleuve. Sous la domination
turque, la Soulina avait encore quatre mètres tiente-trois
cenlim. de profondeur; aujourd'hui elle n'a plus que trois
mètres, attendu que le gouvernement russe, maître des trois
embouchures depuis la paix d'Andrinople, a plutôt favo-
risé que combattu l'ensablement de ce canal, quoique par un
traité formel, conclu avec l'Autriche en 1840, il se fût engagé
à débarrasser le fleuve de tout ce qui pouvait porter obs-
tacle à sa navigabilité. Au commencement ùu conflit russo-
turc , en 1853 , les Russes, pour empêcher une flottille fran-
çaise et anglaise d'essayer de remonter le Danube, avaient
même tenté d'intercepter complètement le passage de la
Soulina ; et dans les premiers mois de 1854 ils avaient élevé
sur ses deux rives des batteries, que les bâtiments légers des
flottes française et anglaise détruisirent en juin 1854.
SOULIOTES (Les), peuplade chrétienne d'Albanie,
mélange d'Illyriens et de Grecs , fixée dans la partie méridio-
nale du pachalick de Janina (l'ancienne Épire), et des-
cendant d'un certain nombre de familles qui, au dix-septième
siècle, fuyant la tyrannie des Turcs , se réfugièrent dans
les monts Souii, à quelques myriaraètres de la mer Ionienne
et de la ville de Par g a. Ils appartiennent à l'Église grecque,
et sous l'empire d'une constitution aristocratico-démocra-
tique se développèrent si rapidement qu'à la fin du dix-hui-
tième siècle, à l'époque d'Ali, pacha deJanina, ils étaient arri-
vés à former cinq-cent-soixante familles, habitant quatre-
vingt-dix villages. Ils n'avaient d'autres lois que de vieilles
coutumes. Une grande simplicitéde mœurs et un système de
vertus naturelles faisaient leur gloire. Par suite de l'égalité de
droits dont ils jouissaient tous, la bravoure personnelle et l'a-
mour de la patrie pouvaient seuls établii' des distinctions par-
mieux. Quoique la langue grecquesoit leur langue maternelle,
ils parlent aussi albanais. Après l'élève du bétail et un peu
d'agriculture, leur principale ressource était le métier de
klephtes et d'arma tôles. Dans les luttes qu'ils avaient
à soutenir contre les Turcs, et notamment contre leur
voisin Ali , pacha de Janina, les femmes elles-mêmes mar-
chaient au combat. Vaincus en 1803 , après une lulte qui
avait duré quinze ans, par Ali , pachade Janina, ils abandon-
nèrent leur patrie et se retirèrent d'abord à Parga, puis, quand
ils en eurent encore été expulsés par suite des menaces et
des intrigues d'Ali, aux Iles Ioniennes, où ils servirent dans
les troupes des puissances qui y dominèrent successivement
(la Russie, la France et l'Angleterre). Le lord haut com-
missaire les ayant congédiés, en 1814, ils se réfugièrent à
Corfou. Quand ensuite Ali se trouva assiégé parles Turcs
aux ordres de Kourschid-Pacha et abandonné par les Alba-
nais, il invoqua le secours des Soulioles, qu'il avait autrefois
expulsés d<>. leurs foyers, et il leur donna le château de
Liagha en garantie et son petit-fils en otage. Les chefs al-
banais ayant alors fait leur soumission à Kourschid-Pacha,
les Soulioles furent encore une fois bloqués au milieu de
leuis montagnes et de leurs rochers; et une expédition qu'ils
tentèrent en Grèce ayant échoué, ils consentirent enfin,
d'après les conseils du consul d'Angleterre à Preveza , à
abandoimer aux Turcs leur forteresse de Souli , en sep-
tembre 1822. Environ 3,000 Soulioles s'embarquèrent à
bord de navires anglais pour Céphalonie, et le reste de la
peuplade se dispersa dans ies montagnes. Les Souliotes
prirent une part glorieuse à la guerre de l'indépendance de
la Grèce, et beaucoup d'entre eux sont parvenus en Gièce
par leurs services à occuper d'importantes fonctions. JNous
nous contenterons de citer lesBotzaris et Tzavellas,qui fut
pendant quelque temps (en 1843 ) ministre de la guerre du
roi Othon. Consultez Perraebos , Histoire de Souli et de
Parg-a (en grec moderne , deuxième édition , Venise , 1815;
traduction anglaise, Londres, 1823).
SOULOU, groupe d'Iles montagneuses , mais fertiles,
situé dans l'archipel indien, s'étendant depuis l'extrémité
nord-est de l'île de Bornéo jusqu'à l'extrémité sud-ouest
de l'île de Magindanao. Jusqu'à ce jour, ces parages ont
été fort peu visités. La population , qui se compose de Ma-
lais mahomélans obéissant à des sultans particuliers , est
fameuse au loin par la barbarie de ses mœurs et par la féro-
cité de ses nombreux pirates, dont l'audace et la froide intré-
pidité sont sans égales. La principale île de cet archipel es?
Soulou, dont le chef-lieu est Béouân, résidence du sultan
qui dans ces derniers temps a conquis, dit-on, l'ile de
Palawan, située au nord-ouest des îles Soulou. En 1845
l'amiral Cécile conclut avec ce souverain un traité pour la
cession de l'île Basilan , située à l'extrémité sud-ouest de l'ilo
Magindanao, et aussi importante au point de vue commer-
cial qu'au point de vue stratégique. Mais le gouvernement
de Louis-Philippe , dans la crainte de porter ombrage à
l'Angleterre et d'éveiller sa jalousie , refusa de ratifier ce
traité. L'Espagne a longtemps essayé de s'emparer des îles
Soulou, pour mettre un terme à la piraterie dans ces parages.
En février I85t le gouverneur de Manille entreprit une expé-
dition formidable, dont le résultat fut la destruction complète
des forts de Soulou ; les insulaires furent contraints de recon-
naître la souveraineté de l'Espagne, et aujourd'hui tout le
groupe <le Soulou dépend avec l'île Palawan de la capitai-
nerie générale des îles Philippines.
SOULOUQUE ( Faustin). Voyez Faustln 1" et Haïti.
SOULT (Nicolas-Jean-De-Dieu), duc de Dalmatie, fils
d'un notaire attaché à la famille des marquis Dulac , naquit
à Saint-Amand-la-Bastide (département du Tarn) , le 29 mars
1765. Le peu de succès de ses études ayant fait perdre à
son père l'espérance de le voir un jour lui succéder dans sa
charge, il se décida à le faire entrer, en 1785, soldat dans
le régiment Royal-Infanterie. Il n'était encore que sergent
lorsque, en 1791, il fut employé comme instructeur dans un
bataillon de volontaires du Bas-Rhin. Passant assez rapide-
ment par les grades inférieurs , le 11 octobre 1794 (20 ven-
démiaire an m) il était déjà général de brigade ; mais il
faut convenir qu'un de ses principaux titres à l'avancement,
et peut-être le premier, avait été l'exaltation de son patrio-
tisme elles protestations de liaine implacable aux aris-
tocrates qui voulaient ramener l'ancien régime dont il
faisait retentir les clubs. Le 21 avril 1799 (floréal an vri)
il fut nommé général de division, et alla servir en Suisse
sous les ordres de Massena, qu'il accompagna en Italie
l'année suivante. Chargé d'une expédition dans le Bisagno,
il se fit battre , blesser et prendre. Remis en liberté après la
bataille de Marengo , il fut d'abord chargé du commande-
ment du Piémont, et ensuite envoyé avec un corps de
15,000 hommes pour occuper la presqu'île du Tarente,
opération toute pacifique : il y fut remplacé , après la rupture
du traité d'Amiens, par le général Gouvion-Saint-C y r.
Rentré en France , il fut nommé un des quatre colonels de
la garde consulaii'e, et se signala par un dévouement au
premier consirl tellement bruyant, que le major général
Berthier en fut jaloux. Soult commandait le camp de Saint-
Omer lors de l'explosion de la machine infernale: il fit à ce
sujet un ordre du jour et une adresse au premier consul, à
qui il recommandait de ne pas se laisser entraîner à^ne
SOULT
clémence dangereuse : c'était le langage qu'il tenait en 1793
dans les clubs dont il était membre. Les pompes quasi-mo-
narchiques du consulat produisirent une révolution totale
dans ses convictions : il avait commencé sa carrière par
d'énergiques prédications contre les ennemis de la liberté
et de l'égalité et en recommandant à ses concitoyens de
former une grande association contre le retour de l'aristo-
cratie et les entreprises des aristocrates. En 1804 il n'hé-
sita pas à profiter de l'occasion pour engager le premier
consul à placer majestueusement safamille chérie au/aîte
del'édifice. Un dévouement monarchique appuyé par les
baïonnettes d'une armée ne pouvait manquer d'être ré-
compensé : Soiilt fut donc nommé un des premiers maré-
chaux , quoiqu'il n'eût pas encore commandé une armée
devant l'ennemi.
' Le maréchal Soult fit les campagnes des années 1805,
1806 et 1807 à la grande armée; placé en seconde ligne,
n'ayant qu'à exécuter aveuglément les ordres reçus, et dis-
pensé de toutes combinaisons stratégiques partant de son
propre fond , il s'y trouva dans la position la plus favorable
pour la mesure de ses talents militaires. Il lit ensuite partie
de l'armée à la tête de laquelle Napoléon entra en Espagne;
en novembre 1808, il y commandait le deuxième corps.
Après la prise de Madrid, Napoléon marcha contre l'armée
anglaise de Moore , qui arrivait du Portugal et de la Corogne.
Soult fut poussé à droite sur Sahagun ; mais Moore , s'étant
aperçu du danger qu'il courait d'être enveloppé , commença,
sans perte de temps, son mouvement de retraite sur La Co-
rogne. Napoléon donna l'ordre à Soult de suivre les Anglais.
Le 16 janvier 1809 celui-ci joignit enfm l'armée ennemie
devant La Corogne, et l'attaqua : la bataille fut sanglante;
Moore perdit la vie , et son armée fut obligée de s'enfermer
dans la place, où elle s'embarqua en bâte et fort en dé-
sordre.
Soult fut ensuite envoyé en Portugal avec les deuxième et
huitième corps d'armée. Ayant battu les corps d'insurgés qui
s'opposaient à sa marche, il arriva devant Oporto, qu'il
cmporla d'assaut , le 29 mars 1809. Quels qu'aient été les
motifs réels qui le retinrent alors à Oporto , où il s'établit
Gomme dans une vice-royauté, au lieu de se porter en avant
vers Lisbonne, et de profiter de ses succès pour gêner ou
empêcher la réunion des forces de l'ennemi, on est (orcé de
convenir que cette inaction nous fut fatale. De là date en
réalité l'origine des revers qui suivirent et qui assurèrent
le succès de l'insurrection de la Péninsule. Il est d'ailleurs
à peu près avéré que pendant son séjour à Oporto Soult
conçut la pensée de se faire déclarer souverain du Portugal.
Des proclamations de son chef d'état-major le firent assez
entendre à l'armée ; Napoléon le comprit ainsi, et en fut très-
irrité. Il n'y avait pas là précisément ce qu'on peut appeler
trahison; seulement, il ne convenait guère à Soult de
prendre l'initiative à cet égard , et Napoléon avait assez le
droit de se fâcher d'une espèce d'infidélité qui renversait
tous ses projets. On peut voir dans Y Histoire de la Guerre de
la Péninsule de Robert Southey quelles étaient les intrigues
qui se rattachaient à ces velléités ambitieuses de Soult. Il ne
s'agissait de rien moins que de détacher les armées qui étaient
en Espagne des intérêts de leur patrie pour les faire servir
à des opérations du genre de celles que nous avons vues en
1715 et en 1830. Pendant qu'on amusait Soult à Oporto
par d'éblouissantes espérances , que venaient encore aug-
menter de feintes adhésions dictées par l'ennemi, Wellington
avait réuni ses forces et complété ses préparatifs : le 8 mai
il arriva à Coimbre avec l'armée anglaise, tandis que Be-
resford, à la tête des Portugais, s'avançait vers Chaves
et Amarante pour tourner l'armée française. Quelque signi-
ficatifs que fussent ces mouvements, ils ne purent tirer
Soult de ses illusions et l'engager à concentrer son armée un
peu en arrière d'Oporto ; le U mai , il y fut complètement
surpris en plein raidi , et ne s'en lira qu'en abandonnant
Ms malades, ses bagages et presque toute son artillerie. Il
out pourtant le bonheur de regagner la Galice, n'ayant
BICT. DE LA CONVERS. — T. XTl,
289
perdu qu'environ 2,000 hommes en chemin : de là il con-
tinua sa retraite jusqu'à Zamora. A la fin de juillet , il reçut
l'ordre de se rapprocher du Tage : il ne put prendre aucune
part à la bataille de Talavera , qu'on eut l'Imprudence <'e
livrer trop loi. Mais sans la lenteur et rindérision qu'on a
toujours observées dans ses opérations , l'armée ennemie
aurait payé cher la victoire douteuse de Talavera et la
guerre d'Espagne se décidait en notre faveur.
Après la retraite de Wellington, Soult remplaça J o u r d a n
dans les fonctions de major général de l'armée d'Espagne,
c'est-à-dire qu'il en prit le commandement, car personne
n'ignore que le roi Joseph n'était pas capable de diriger une
armée. Eu janvier 1810 il décida une expédition destinée
à nous rendre maîtres de l'Andalousie, où nous n'avions
plus de troupes depuis la honteuse capitulation de Bay len.
En marchant nu peu rapidement sur Séviiie et Xérez, où
l'on ne pouvait rencontrer aucun obstacle, il était fa(;ile d'ar-
river devant Cadix le 27 et de s'emparer de cette plare,
ou au moins de l'île de Léon. Soult s'amus a à Andujar et
à Séville à faire des proclamations et à capituler. Pendant
ce temps, le corps espagnol du duc del Parque, qui avait
d'abord été coupé, put marcher, sans que SonU s'en oc-
cupât, de Radajoz à l'île de Léon , où il arriva le 4 février.
Nos troupes ne se présentèrent devant Cadix que le lende-
main , et il fallut renoncer à une place dont la possession
changeait la destinée de l'Espagne. Le roi Joseph retourna
à Madrid, et Soult resta chargé du commandement de
l'armée du sud , composée des l", 4* et 5^ corps. Dès qu'il
fut maître de Séville, au lieu de marcher sur Badajoz et de
s'emparer de cette forteresse, il se contenta de s'établir
commodément dans la riche Andalousie, où ses troupes
disséminées dans des cantonnements étendus, furent cons-
tamment harcelées par les partis ennemis, à qui Badajoz
servait de point d'appui. Enfin , au commencement de 1811,
Napoléon, voulant atout prix porter quelques secours à
Masséna en Portugal, ordonna le siège de Badajoz. Soult
obéit, et la place fut prise le 11 mars; mais le mal causé
par la faute première avait porté ses fruits : Masséna avait
été forcé de quitter le Portugal.
Après la retraite de Masséna, Wellington forma le projet
de reprendre Badajoz, et y envoya le général Beresford. Le
siège fut commencé le 7 mai. Soult marcha au secours de
celte place, et se fit battre, le 16, à Albuera. (îadajoz fui
cependant sauvée celle (ois. Napoléon , ayant appris la dé-
faite de Soult, ordonna à Marmonl, qui venait de prendre
le commandement de l'armée de Portugal, de marcher au
secours de celle du sud. La marche de Marmont sur Albu-
qiierqne força Wellington à lever le siège , le 16 juin. Au
mois de mars 1812, Wellington se présenta de nouveau
devant Badajoz, le 16, et il en poussa le siège avec une telle
vigueur que le 6 avril la place fut emportée d'assaut par
trois brèches praticables. Soult, qui se trouvait si agréable-
ment placé à Séville, mit une telle lenteur à réunir ses forces
pour marcher au secours de Badajoz qu'il s'ébranlait à peine
lorsqu'il reçut la nouvelle de la prise de cette place.
La perte de la bataille de Salamanque ayant amené Wel-
lington à Madrid , et obligé le roi Joseph à se retirer der-
rière le Tage avec l'armée du centre, Soult reçut l'ordre de
se rendre avec son armée sur le Tage, mais il fallut ides
injonctions réitérées et impératives pour le tirer de l'Anda-
lousie. Quand enfin il arriva , Wellington avait déjà com-
mencé son mouvement de retraite; et par suite des hésita-
tions de Soult, il put se dégager et se retirer sans perte à
Ciudad-Rodrigo. Dès lors, il ne fut plus possible de songer
à rentrer en Andalousie.
A peine Soull eut-il quitté ce pays qu'il s'y éleva les plaintes
les plus graves contre les exactions de ses agents et les
énormes contributions qu'ils y avaient levées. Nous n'exa-
minerons pas et nous répéterons encore moins les accusa-
tions qui ont été élevées à ce sujet dans plus d'un ouvrage
imprimé et les arguments qu'on semble avoir voulu tirer
des richesses qu'on attribuait au maréchal Soult. Nous nous
19
290
SOULT
contenterons de dire qu'il est déplorable que des accusations
pareilles, aussi humiliantes pour l'honneur national que
pour ceux même qui en sont l'objet, puissent être portées
contre de hauts fonctionnaires , qui ne devraient pas même
pouvoir être soupçonnés d'un délit aussi infamant.
Au mois de mars 1813 Soult fut appelé en Allemagne
par Napoléon, qui l'employa au commandement de sa garde,
en remplacement du maréchal Bessières, tué à Weis-
senfelts. Il y resta peu, et dès le mois de juillet il fut
renvoyé en Espagne, où il prit le commandement de l'armée
que le roi Joseph avait ramenée aux Pyrénées, après avoir
perdu la bataille de Vittoria. Nous nous contenterons d'in-
diquer sommairement les résultats de cette campagne. Sa
première opération fut d'essayer de dégager Pampelune ; sa
lenteur et son indécision habituelles firent que Wellington
le prévint et le hattit. Une tentative pareille vers Saint-Sé-
bastien n'eut pas un meilleur succès. Après la prise de Pam-
pelune et de Saint-Sébastien, Wellington continua son
mouvement offensif, et Souit se laissa chasser sans résis-
tance de la position de la Bidassoa qu'il avait prise, puis se
retira sur Bayonne. Au mois de février 1814 il se laissa
tromper par une démonstration de Wellington , et se hâta
de quitter Bayonne et de remonter l'Adour. Le résultat de
cette manœuvre fut la perte de Bordeaux et de tous les ma-
gasins que nous avions sur cette ligne. Soult prit position à
Orthez, et voulut y livrer une bataille pour défendre, disait-
il, le Gave de Pau. Mais l'armée des Pyrénées, débordée
par sa droite dès la première attaque , fut battue, ainsi qu'on
pouvait le prévoir d'avance. Le dernier acte de cette cam-
pagne de Soult fut la bataille de Toulouse, où chacun con-
viendra qiiHlfiit battu. En effet, qu'est-ce qu'on peut ap-
peler remporter une victoire, si ce n'est atteindre le but
qu'on se propose en livrant une bataille? Ici, le but ne pou-
vait être que de conserver la position de Toulouse. Or, dès
le soir de la bataille, l'armée française était renfermée dans
Toulouse, que Soult fut obligé de quitter le lendemain.
La restauration vint , et le maréchal crut devoir changer
de convictions. Nommé, au mois de juin 1814, gouverneur
de la treizièmedivision militaire, il put, dans une proclamation
( 12 juillet) , louer les auteurs de la guerre civile qui avaient
ensanglanté ces contrées. 11 y a loin de là à la qualifica-
tion de restes dégoûtants de la Vendée, qu'il leur avait
donnée dans son ordre du jour du 29 pluviôse an xii. Le
30 novembre, sur sa proposition formelle, une commission
fut formée sous sa présidence pour l'érection d'un monu-
ment à la mémoire des émigrés qui avaient péri à Q uibe ron.
Enfin, il fut nommé ministre de la guerre le 3 décembre;
le 17 il fit sortir de Paris tous ses anciens compagnons
d'armes alors en disgrâce; le 18 il provoqua le séquestre
de toutes les propriétés de la famille Bonaparte; le 21 jan-
vier suivant il mit le sceau à la manifestation de ses nou-
velles opinions en accompagnant, un cierge à la main,
la procession expiatoire imposée à la nation.
Mais bientôt ses nouvelles convictions allaient être mises
à une rude épreuve. Napoléon débarque à Cannes. Par un
ordre du jour du 8 mars 1815, le maréchal recom-
manda à l'armée de se rallier autour de son souverain légi-
timeet bien aiméetdu prince inodèle des chevaliers fran-
çais, qui devait se mettre à leur tête, contre Vaventurier
qui venait rej-rendre un pouvoir usurpé, dont il avait fait
un si funeste usage. Douze jours après. Napoléon était aux
Tuileries. Le 25 mars le maréchal Soult se présenta à
l'empereur. Nous ignorons ce qui se passa dans cette en-
trevue , mais Soult en sortit major général de l'armée. L'a-
venturier usurpateur était redevenu te héros dont les in-
térêts étaient inséparables de ceux du grand peuple.
La nomination de Soult à l'emploi de major général hit un
événement funeste sous plus d'un rapport. Sans nous oc-
cuper du désordre et de l'incertitude dans les ordres de
mouvement des troupes qu'on remarqua dans le temps
même, nous ne nous arrêterons qu'à un seul fait, qui tient
à la sanglante .catastro[the de Waterloo. On concevra aisé-
ment qu'il s'agit de l'ordre donné au maréchal Grouchy
de marcher sur Saint-Lambert. Il est indubitable que si cet
ordre, signé à une heure et demie après midi, fût arrivé
vers les quatre heures, comme il était possible, le maréchal
Grouchy aurait pu arriver à la chapelle Saint-Lambert assez
à temps pour y arrêter les Prussiens; et la victoire aurait
passé dans nos rangs à Waterloo. Nous voulons bien ad-
mettre qu'il n'y eut dans le retard de l'ordre, expédié seu-
lement à quatre heures, qu'une négligence aussi inouïe
qu'elle est impardonnable. Il n'en est pas moins vrai que
ce retard fut par le fait le plus grand service qu'aient pu
recevoir les ennemis de la France , ainsi qu'ils le disent
eux-mêmes.
Après Waterloo , Soult fut banni de France , malgré tout
ce qu'il put faire alors pour rentrer en grâce auprès de
Louis XVIII, et sans qu'on voulût lui tenir compte « des
'effortsqu'il avait faits pour ramènera nos prince* légitimes
les troupes et les citoyens L'armée, disait-il , dans
son mémoire justificatif, sait bien que je n'eus jamais
qu'à me plaindre de cet homme ( Napoléon), et que nul
ne détesta plus franchement sa tyrannie. » Au mois de mai
1819 11 put rentrer eu France ; au mois de janvier suivant
on lui rendit son bâton de maréchal; au mois de juin il
obtint une gratification de 200,000 fr. sur la liste civile.
Louis XVIII baissait; Soult se livra alors à des actes publics
de ferveur religieuse : c'était le moyen de plaire au roi
futur. Aussi Charles X, après son couronnement, lui con-
féra-t-il le collier du Saint-Esprit et le fit-il nommer, le 5
novembre 1827, l'un des pairs destinés à renforcer le
parti absolutiste. Soult ne put pas cependant arriver au
ministère, objet constant de son ambition ; cette consolation
ne lui était réservée qu'après la révolution de juillet 1830.
Il s'empressa alors de saluer le nouveau pouvoir avec un
enthousiasme pareil à celui qu'il avait montré dans tou-
tes les circonstances analogues, et il fit à Louis-Philippe les
mêmes protestations de dévouement qu'à la république, au
consulat, à l'empire, à Louis XVIll et à Charles X. Au
mois de novembre 1830, son nouveau dévouement fut
récompensé par le ministère de la guerre; et quelques mois
plus tard il défendait à outrance le cumul de ses deux trai-
tements de maréchal et de ministre, déclarant qu'on ne
lui ôterait le premier qu'avec la vie.
Nous ne pousserons pas plus loin le récit de la vie du
maréchal Soult. LesévéuLinents du 5 juin 1832, l'état de
siège de Paris, le licenciement de l'Ecole Polytechnique, etc.,
sont des actes dont la responsabilité ne peut pas peser sur
lui seul. L'appréciation du rôle qu'il y a joué appartient à
un autre ordre d'idées. Il en est de même de l'organisation
d'une armée de 400,000 hommes, motif par lequel on jus-
tifia sa nomination au ministère. Grâce aux lois qui four-
nirent des conscrits, elle atteignit ce nombre; mais ce qu'on
ne dit pas, c'est que l'habillement et l'armement y man-
quaient en grande partie , et que les dépenses furent portées
à un degré d'exagération qui ne témoigne que trop des vices
d'une administration mal habile et dilapidatrice.
G"' G. DE Vaudoncourt.
Soult avait réussi à inspirer la plus grande confiance à
Louis-Philippe , qui se plut à le combler de faveurs; et pen-
dant tout le règne de l'élu des deux-cent-vingt-et-un il
joua un rôle politique éminent. A diverses reprises il fut ap-
pelé à faire partie de combinaisons ministérielles, dans les-
quelles il ne se borna pas toujours à prendre le portefeuille
de la guerre. C'est ainsi qu'après le renversement du ca-
binet Mole par la fameuse coalition de 1839, il eut, dans le
nouveau cabinet qui se forma alors, la présidence du conseil
et les affaires étrangères. L'affaire de la dotation ( du duc
de Nemours) amena la chute de cette administration, rem-
placée bientôt par un ministère à la tête duquel se trouvait
M. Thiers. On se rappelle que ce ministre se laissa jouer dans
l'affaire d'Orient, et que les velléités belliqueuses qu'il mani-
festa à la suite du traité de Londres du 15 juillet 1840 furent
la cause de sa chute, Louis-Philippe n'ayant pas voulu pour
SOULT — SOUPER
291
une pareille vétille se brouiller avec l'Europe. Un cabinet
contenant la fleur des pois du parti doctrinaire se constitua
donc le 29 octobre de la même année , et garda le pouvoir
jusqu'au 22 février 1848. Soult y eut la présidence nominale
du conseil et le portefeuille de la guerre. En 1846, sentant
ses foices l'abandonner, il se démit du ministère de la guerre
pour ne conserver que la présidence du conseil, à laquelle
il lui fallut renoncer également, parle même motif, l'année
suivante. Mais Louis-Pliilippe, pour lui donner une preuve
éclatante de son estime et de sa satisfaction, le créa alors
maréchal général de France, titre que Turenne, Vil-
lars et Maurice de Saxe avaient seuls encore porté. Soult
mourut le 26 novembre 1851 , à son château de Saint-
Aniand ( Tarn ). La vente aux enchères de la célèbre galerie
de tableaux qu'il s'était faite à bon marché pendant se^; cam-
pagnes dans la Péninsule produisit au delà de 1,500,000 fr.
Son fils, Napoléon SooLT.duc de Dalmatie, né en 1801 ,
servit sou'^ la Restauration dans l'élat-major général de
l'armée, etaprès la révolution de 1830 embrassa la carrière
diplomatique, il fut successivement ministre plénipotentiaire
à La Haye, à Turin et à Berlin. Avant la révolution de 1848,
il faisait partie de la chambre élective. En 1850 il fut élu
membre de l'Assemblée législative, où il agit constamment
dans les intérêts de la famille d'Orléans. Il a refusé tie se
rapprocher du pouvoir actuel , et a commencé en 1854 la
publication des Mémoires de son père. Le maréchal s'at-
tacheà y repousser les diverses accusations auxquelles sa vie
et ses actes ont donné lieu; nous ne croyons pas que l'his-
toire impartiale et indépendante tienne grand compte de
celte apologie posthume.
SOUM A LAINES. Voyez Finnois.
SOUMET (Alexandre), membre de l'Académie Fran-
çaise, né en 1788, à Casteinaudary, mort à Paris, en 1845,
obtint sous l'empire une place d'auditeur au conseil d'État.
La Restauration venue, il renonça à la carrière administra-
tive pour la culture des lettres. Ce n'est pas d'ailleurs qu'une
grande popularité se soit jamais attachée à son nom ni à ses
œuvres. Il appartenait bien à cette pléiade de poètes reli-
gieux et monarchiques qui comptait alors dans ses rangs
MM. Lamartine et Victor Hugo; mais il ne savait
pas, comme ses rivaux, exploiter au profit de sa réputation
son dévouement au trône et à Vautel. Ses succès furent de
ceux qu'on obtient dans les salons de Paris, et sa réputation
n'en franchit guère les limites. Son élégie La Pauvre fille
fit couler quelques douces larmes. Ses œuvres dramatiques
manquent d'originalité; son style sans doute est châtié, pur
et élégant, mais la force créatrice lui fait généralement délaut.
Dans sa tragédie de Clytemnestre ( 1822), il avait pris Al-
fieri pour modèle; dans son Saûl ( 1822 ) , il s'est évidemment
inspiré de Racine; de même que dans sa Cléopâlre et sa
Jeanne d'Arc, qui datent toutes deux de 1825 , il est resté
fidèle aux traditions classiques. Son Elisabeth de France
(1828) est une imitation malheureuse du Don Carlos de
Schiller. Après avoir travaillé, en société, à Une fête de Né-
ron, tragédie représentée avec succès à l'Odéon, et au texte
de l'opéra du Siège deCorinthe, il donna au Théâtre-Fran-
çais Norma (183i), qui ne réussit ni plus ni moins que
ses précédents ouvrages. Dix ans s'écoulèrent alors sans
qu'il donnât signe de vie littéraire. Mais en 1841 il fit
enfin paraître La divine épopée, œuvre longtemps prônée
d'avance dans les coteries politico-littéraires héritières des
traditions et des passions de la Restauration, et dont l'en-
flure et l'exagération ne constituent pas les moindres dé-
fauts. Sa Jeanne d'Arc, espèce de trilogie composée d'une
idylle, dune épopée et d'une tragédie, ne fut publiée qu'a-
près sa mort. En 1824 l'Académie Française l'avait appelé
à siéger dans son sein. Charles X l'avait nommé bibliothé-
caire de son château de Rambouillet. Ce château ayant été
distrait du domaine de la couronne par la chambre des dé-
putés , lorsqu'elle eut à constituer la liste civile de Louis-
Philippe , ce prince l'appela à remplir les mômes fonctions à
Compiègne.
SOUMISSIOIM ( du latin submittere , mettre dessous ,
soumettre). C'est , en termes de pratique, l'obligation que
l'on prend en justice de faire une chose, d'effectuer un
payement, d'exécuter un ouvrage («oyez Enchères).
En termes d'administration, on entend par soumissions
les marchés avec concurrence que propose l'administration
publique , qu'il s'agisse de fournitures ou d'acquisitions à
faire, ou encore de travaux à exécuter. Les spéculateurs et
acquéreurs déposent, avant le jour de l'adjudication, leur
soumission cachetée, dont l'ouverture a lieu publiquement,
et qui contient les clauses et conditions auxquelles ils s'en-
gagent à faire et à exécuter ce qui est mis en adjudication.
Quand il s'agit d'opérations de quelque importance, l'ad-
ministration exige des soumissionnaires le dépôt préalable
d'une somme plus ou moins forte à titre de cautionnement;
somme qui leur est immédiatement restituée s'ils ne sont pas
déclarés adjudicataires.
SOUI\D.\ ( lies de). Voyez Sonde (Iles de la).
SOUiXISTES. Voyez Anabaptistes,
SOlIKiXA, SOUNiMTES. Voyez Sunna , Scnnites.
SOUOMEIMVIAA. Voyez Finlande.
S0UPA1*E , sorte de couvercle placé sur une ouverture,
de telle mamère qu'il s'ouvre d'un côté et que de l'autre plus
il est pressé, plus il bouche exactement cette ouverture.
Les soupapes sont destinées à laisser entrer un fluide dans
l'intérieur d'un appareil , et à l'empêcher d'en ressortir. II
y a des soupapes de différentes formes : celles qui sont toutes
plates prennent le nom de clapets; il y en a qui sont rondes
et convexes; d'autres sont coniques , et s'adaptent à un trou
qui présente la même figure. Dans les pompes ordinaires
les soupapes sont de simples languettes de cuir, de bois, ou
de métal.
Dans les machines à vapeur on nomme-soupape de sûreté
un de ces appareils destinés à prévenir la rupture de la
chaudière en se soulevant de lui-même et en enlevant son
contre-poids, lorsque le degré de dilatation est devenu tel
dans la chaudière qu'elle éclaterait si la vapeur ne trouvait
une issue. On a dit avec raison de la liberté de la presse
qu'elle était la soupape de sûreté par laquelle s'échappait
le trop-plein des passions populaires. Malheur aux gouver-
nements qui l'oublient 1
SOUPE. Voyez Potage.
SOUPER, repas du soir, tombé de nos jours en désuétude,
mais qui charmait nos aieux. Les petits soupers du dix-
huitième siècle resteront à jamais célèbres dans l'histoire
de la civilisation française. C'est à la douce autorité de ce
bon régent, qui gâta tout en France , à l'éclat de ses petits
soupers; c'est aux cuisiniers qu'il fit paître, qu'il paya et
traita si royalement, que les Français durent l'exquise cui-
sine du dix-huitième siècle. Cette cuisine, tout à la fois
simple et savante, que nous possédons perfectionnée, fut un
progrès immense. Tout le siècle, ou du moins toute sa
partie délicate , spirituelle, fut séduite par elle. Loin d'arrêter
ou d'obscuii'cir l'intelligence, cette cuisine, pleine de verve,
l'éveilla; toute affaire sérieuse et féconde fut discutée à
table. La conversation française, ce modèle qui fit lire
partout nos bons livres, trouva sa perfection à table, dans
quelques soirées charmantes. Philosophiquement, quelques
heures de paisibles débats, chaque soir, entre des liommes
polis et instruits, firent plus avancer l'esprit humain que
toutes les conférences des académies. Quel temps que celui
où les questions .sociales ou philosophiques , remuées dans
les siècles précédents avec le plus déraison et de lumières,
étaient reprises à table avec profondeur, par une parole
rapide, lucide et légère; où l'on entendait poser et résoudre
les dilficultés les plus grandes du problème social dans de
spirituelles causeries! L'exquise cuisine, née chez le régent,
passée ensuite aux Condé , auxSoubise, prêta souvent une
vivacité piquante à la parole des Montesquieu, des Voltaire,
des Diderot, des Helvétius, des D'Alembert , des Duclos,
des Vauvenargues, etc. ; mais leur génie a payé ces soupers
par l'immortalité. Quelles soirées délicieuses on passait
t9.
292
SOUPER ~ SOURDS-MUETS
alors, toujours trop courtes, bien que prolongées dans la
nuit! Quelle douce et aimable civilisation! Et que de jolis
vers, de vues |>rofondes et d'idées neuves, ingénieuses, elle
a semées! Oui, c'est au dix-iiuitième siècle, c'est avec
ses soupers que la société française a effacé toutes les so-
ciétés civilisées ! Frédéric Fayot.
SOUPIR (du latin SMspJn'M/n), mouvement excentrique
de l'organe de la voix, provoqué par la crainte, l'amour, la
douleur, et accompagné quelquefois de sons inarticulés. Les
acceptions de ce mot sont très-variées : onsoupire d'amour,
de bonheur, de douleur et d'effroi. La précieuse M"'' de S cu-
déri , pour laquelle personne ne soupirait , avait accordé
nne place distinguée aux soupii's dans sa carte de Tendre.
La plus grande partie de nos promenades publiques ont
aussi leurs allées des Soupirs.
Rien de plus ordinaire que de dire ou d'écrire : Rendre
le dernier soupir , recevoir le dernier soupir, pour mourir
ou assister à la mort de quelqu'un.
SOUPIR (Musique). Voyez Silej^ces.
SOURAS, démons indiens.
SOURCES. Voyez Eau et Fontaine.
SOURCILS. On donne ce nom à une bande étroite et
généralement arquée de (loils un peu durs, qui se trouve
placée au-dessus des yeux , sur une saillie plus ou moins
marquée de l'os frontal que l'on désigne sous la dénomina-
tion iV arcade sourcilière. Ces poils sont destinés à garantir
l'œil contre les effets d'une hnnière trop intense, surtout
dé haut , à le protéger contre la sueur qui tombe du front et
qui pourrait l'irriter, parce qu'elle est acide, endn contre
une foule de chocs et d'accidents plus ou mois violent's et
nuisibles. Les soMrc^Zi constituent un des attributs distinc-
tifs de l'espèce humaine.
SOURD, qui ne peut entendre, par le vice ou l'obstruction
de l'organe de l'ouïe. Au figuré , être sourd aux prières,
aux cris, aux raisons, aux remontrances, c'est être insen-
sible , inexorable. Sourd se dit aussi de certaines choses
qui ne retentissent pas : Cette salle est sourde, ce violon
est sourd. Un br%iit sourd , au figuré , est une nouvelle
qui n'est encore ni publique ni certaine , et qu'on se dit à
l'oreille. Douleur sourde, douleur interne, qui n'est pas
aiguë.
En mathématiques, on appelle quantités sourdes celles
qui sont incomuiensurables , celles qui ne peuvent être
exprimées exactement, ni par des nombres entiers, ni par
des fractions. La racine carrée de deux est une quantité
sourde.
SOURDEVAL. Voyez Mangue (Département de la).
SOURDS-MUETS. On désigne ainsi les individus at-
teints tout a la fois cîe surdité et de mutisme. Le mutisme,
loin d'être une conséquence forcée de la surdité, se tient
seulement dans sa dépendance par un effet de sa liaison
naturelle. La surdité en général a pour cause une para-
lysie totale du nerf auditif, ou , au dire des médecins, un
amas de matière dans la cavité interne de l'oreille , ou un
gonflement des glandes, ou une excroissance dure, qui
bouche le conduit auditif, etc. Ce fait avait échappé à
l'attention d'Hippoi rate et d'Aristote : un bénédictin espa-
gnol, Pedro de Ponce , l'a mis le premier au jour. Il est
bien constaté aujourd'hui que l'appareil vocal du sourd-
muet et celui du parlant sont, à de rares exceptions
près, aussi bien organisés l'un que l'autre; que les sourds-
muets sont uniquement des sujets atteints de surdité , et
dont les organes sont susceptibles d'articuler ; que dans
tous les cas où l'appareil auditif ne peut être traité avec
succès, toujours ou presque toujours il est possible à l'ap-
pareil vocal d'entrer en fonctions sous l'influence non plus
de l'excitation auditive, mais de l'excitation visuelle imitative,
et au moyen de l'impression tactile des ondes sonores. C'est
sur ces données po.sitives de la science et de l'observation
que sont basées aujourd'hui les diverses méthodes employées
pour rendre la parole aux sourds-muets.
Jusqu'au sixième siècle, on n'avait vu aucun vestige
d'instruction chez les sourds-muets. Pendant les siècles qol
précédèrent l'établissement des asiles consacrés à leur sou-
lagement, ces infortunés lurent constamment voués au mé-
pris, à l'ignominie, à toutes sortes de mauvais traitements,
à la mort même , comme étant la lèpre delà société. Les
lois romaines , qui n'étaient pas plus sages , ne leur per-
mettaient pas de disposer, etc. ; mais elle exemptaient de
cette disposition absurde les sourds de naissance auxquels
la nature avait accordé la parole articulée. Si en im rox
articulata eis natura concessa est.
Ces préjugés, enfants de la barbarie et de la superstition,
semblaient accrédités par l'opinion que quelques théolo-
giens avaient émise à ce sujet sur la foi de certains pas-
sages de saint Paul et de saint Augustin , et par celle des
philosophes adoptant les assertions d'Aristote , qui a pro-
noncé que les sourds-muets étaient incapables d'apprécier
toute la sublimité de la morale. Pedro de Ponce ( naon
en 1584), bénédictin espagnol du couvent de Sahagues, au
royaume de Léon , est le premier qui ait eu le courage de
s'élever au-dessus des idées reçues, des préventions injus-
tes. Dès lors brilla sur la destinée de ces êtres incomplets
l'aurore de leur émancipation. C'est aux soins éclairés
de ce religieux que deux frères et une soeur du conné-
table de Velasco, affligés de la même infirmité, durent d'être
parvenus à remplacer l'ouïe par la vue, et la parole par
l'écriture. L'impulsion une fois donnée , on vit entrer de-
puis dans la même carrière, avec plus ou moins de succès ,
un grand nombre de savants de tous les pays.
Le premier instituteur de sourds-muets qu'ait possédé la
France est le père Vanin, de la doctrine chrétienne, qui s'aida
d'estampes dans l'éducation de deux sœurs jumelles sourdes-
muettes. C'est chez leur malheureuse mère que le hasard, ou
plutôt quelque ange, dirigea les pas de l'abbé de l'Épée,
après la mort du père Vanin. Le saint prêtre résolut dès lors
de se consacrer tout entier au grand œuvre de l'émancipa-
tion intellectuelle et morale des sourds-muets. Sans livres,
sans guiite, plein de confiance dans ses propres forças, il eut
le dévouement de se charger de cette immense tâche. Son
esprit judicieux avait découvert dans la langue mimique un
puissant levier propre à remuer et vivifier les intelligences
les plus stupides. C'est dans cette vue qu'il rédigea un projet
de dictionnaire des signes, dont il envoya l'original, dans l'é-
tat d'imperfection, disait-il, où il se trouvait, à son dis-
ciple, l'abbé Sicard, en lui taisant espérer qu'il tâcherait
de mettre la dernière main à son ouvrage.
Ce ne fut que plus tard que l'abbé de l'Épée porta son
attention sur l'art d'apprendre à parler aux sourds-muets.
La charité ardente de cet apAtre, qui embrassait un
lointain avenir, lui fit solliciter du gouvernement une dota-
tion afin de garantir après sa mort la perpétuité d'un éta-
blissement qui allait devenir la métropole d'une foule
d'autres s'élevantà l'envi sur son modèle dans tous les coins
du globe. Louis XVI réalisa les vœux de cet homme ver-
tueux, en lui accordant sur sa cassette une somme annuelle
de 6,000 fr., indépendamment d'une maison voisine du
couvent des Célestins , où l'établissement des sourds-muets
fut érigé en institution royale, en 1791, après avoir été
soutenu douze ans ( 1760-1772) des seuls deniers de l'abbé
de l'Épée. Ce fut dans la douce pensée que son œuvre ne
périrait pas avec lui qu'il expira, en 1789, au milieu des
larmes amères de ses enfants chéris.
On évalue approximativement le nombre des sourds-muets
existant en France à 20,000; et d'après des données four-
nies sur C3 sujet par la Suisse, le Danemark, la Prusse
et les États-Unis, on remarque que le nombre des sourds-
muets surpasse d'un cinquième celui des sourdes-muettes. Le
nombre des établissements consacrés en France à l'tduca-
tion des sourds-muets n'est encore que de vingt-huit; parce
chiffre on voit tout de suite combien est grand le nombre de
ces infortunés qui restent privés des bienfaits de l'instruc-
tion. Un préjugé encore répandu dans le public, et qu'on ne
saurait trop s'efforcer de détruire, c'est que cette infirmité
se transmet du père ou de la mère à l'enfant. Pas un sourd-
muet marié à une parlante ou à une sourde-muette n'a of-
fert jusque ici ce triste exemple.
SOURIRE ou SOURIS, action de rire sans éclater, et
seulement par un léger mouvement de la bouche et des
yeux. C'est une marque de satisfaction intérieure, de bien-
veillance et d'applaudissement. Il est vrai que c'est aussi
une façon d'exprimer l'insulte et la moquerie; mais dans
un sourire malin on serre davantage les lèvres l'une contre
l'autre, par un mouvement de la lèvre inférieure. Le sou-
rire d'approbation et d'intelligence est un des plus grands
cliarmes de l'objet aimé, surtout quand ce charme vient
d'un contentement qui a sa source dans le cœur.
Ch*'' DE Jalcourt.
SOURIS, petit rongeur du genre r a t. Cet Xemiis mus-
cuiits de Linné. La race des souris européennes remonte à
la plus haute antiquité, ainsi que l'atteste celle admirable
épopée que l'on attribue à Homère et que nous préférons à
L'Iliade, La Baùachomyomachie. Aus.s'\ la souris est-elle
universellement connue même dans ses différentes variétés,
depuis lasourisdomestique,quiaccompagne partout l'homme
comme la mouche, jusqu'à la souris des moissons, qui bâtit
SA demeure dans les épis de blé, jusqu'aux souris blanches,
véritables albinos de l'espèce, que les enfants de l'Italie Ci-
salpine nous apportent des vallées de l'Arno, attachées,
comme Ixion, à leur éternelle roue, et roulant, comme Si-
syphe, leur infatigable rocher.
« La souris, beaucoup plus petite que le rat, dit Buffon,
est aussi plus nombreuse, plus commune, plus généralement
répandue; elle a le même instinct, le même tempérament, le
même natiirel, et n'en diffère guère que par sa faiblesse et
par les habitudes qui l'accompagnent. Timide par sa na-
ture, familière par nécessité, la peur ou le besoin font tous
ses mouvements ; elle ne sort de son trou que pour chercher
à vivre; elle ne s'en écarte guère, y rentre à la première
alerte, ne va pas, comme le rat, de maison en maison, à
moins qu'elle n'y soit forcée, fait aussi beaucoup moins de
dégât, a les mœurs plus douces et s'apprivoise jusfju'à un
certain point, mais sans s'attacher... Ces animaux ne sont
point laids ; ils ont l'air vif et même assez fin ; l'espèce d'hor-
reur qu'on a pour eux n'est fondée que sur les petites sur-
prises et sur l'incommodité qu'ils causent. »
Delfield-Lefèvre.
SOUSCRIPTEUR, SOUSCRIPTION (du latin smô-
scri/J^io, signature). La «OMScrip^ion est l'apposition qu'on
fait de sa signature au bas d'un acte pour en approuver le
contenu, le plus souvent relatif à un engagement que prend
le souscripteur. Aujourd'hui l'acception la plus générale des
mots souscription , souscripteur, est celle qu'ils ont dans
les usages de la librairie. Le souscripteur, en achetant les
divers volumes ou parties d'un ouvrage quelconque, au fur
et à mesure qu'ils paraissent, vient puissamment en aide à
un éditeur. Celui-ci retire ainsi successivement, sinon la
totalité, tout au moins une notable partie de ses débours, sans
être forcé d'enfouir dans son entreprise un capital consi-
dérable et dont la rentrée sans cela ne pourrait être que lente
et difficile. Un chapitre curieux d'une histoire de la librai-
rie, ce serait celui où on raconterait les i)bases par lesquelles
passèrent les souscriptions ouvertes à diverses époques pour
l'impression et la publication de quelques grandes collections
scientifiques et littéraires. L'usage s'en établit en Angle-
terre, au milieu du dix-septième siècle, à l'occasion de l'im-
pression de la bible polyglotte de Wallon. D'Angleterre il
passa immédiatement en Hollande; mais il ne nous arriva, à
nous autres Français, qu'en 1717, à propos de la publica-
tion de la grande et belle collection d'antiquités du père
Montfaucon. Ajoutons , car ce détiil a bien son prix , que le
nombre des souscri|)teurs fut si grand , qu'on se ti ouva obligé
d'en refuser beaticoup. Les bénédictins ouvrirent encore
une souscription pour l'impression de leur édition de saint
Jef.n Chrysostome; mais le succès de cette seconde tenta-
tive ne fut pas, à beaucoup près, aussi complet. Vinrent plus
SOURDS-MUETS — SOUSS 298
tard la traduction de Plutarque par Dacier, la description
de Versailles , V Histoire de la Milice française par le P. Da-
niel, etc., etc., et jusqu'à V Eticlyclopédie de Diderot et D'A-
lembert. Un détail bon à noter au reste, c'est qu'en 1780 le
sowicrîp^ewr payait encore généralement à l'avance, avant
d'avoir rien reçu , la moitié du prix de l'ouvrage que lui
promettait un éditeur. Cet usage de payer d'avance une
partie plus ou moins forte de toute souscription .s'était si
bien enraciné dans les mœurs publiques, que les Allemands,
qui nous contrefont toujours si consciencieusement, n'ont en-
core aujourd'hui d'autre terme pour répondre à notre mot
souscription que celui de precnumeration ; chez eux, sous-
crire, s'abonner, se dit franchement preenumeriren , payer
d'avance, tout comme le souscripteur s'appelle der Herrpree-
numerant, le monsieur qui paye d'avance! Dans l'usage,
ce mot de pracnumerant ne va même jamais tout seul
outre-Rhin , et on lui accole le plus souvent quelque épilhète
gracieuse et polie , comme celle de honorable , et au besoin
de très-honorable.
Vers 1818 et 1819, on ne payait plus d'fli;ance, à Paris, la
MOITIÉ de l'ouvrage auquel on souscrivait; les libraires se
contentaient de n'exiger d'avance q'ie le prix du dernier
volume. Comment un tel u.sage, qui avait évidemment du
bon, a-t il pu se perdre? C'est encore ici la faute à Vol-
taire! L'opposition en effet eut alors l'idée de combattre
les tendances envahissantes et dominatrices du parti prêtre
par de nombreuses éditions des œuvres du patriarchede Fer-
ney ; et la librairie, pour se mettre à l'unisson du mouvement,
pour prouver son dévouement à l'idée de progrès, renonça
à ce précieux souvenir du bon temps.
SOUS-LlEUTEI\Al\T. Voyez Lieutenant.
SOUS-iMULTIPLE. loyez Diviseur.
SOUS-OEUVRE ( Repri.se en). Voyez Œuvre, t. XIII,
page 706.
SOUS-OFFICIER. Foyes Officier.
SOUS-PRÉFECTURE. Voijez Préfecture.
SOUS-l'RÉFET. l'oyez Préfet.
SOUSS» contrée située à l'extrémité sud-ouest de l'em-
pire de Maroc, remplie en partie par des ramifications de
l'Atlas et en partie par des plaines. Bornée à l'ouest par
l'océan Atlantique, au sud par le désert de Sahara, et à
l'est par le district de Dràa , appartenant au Biledulgérid
marocain, elle offre sous le rapport du climat , de la produc-
tion et de la population les mêmes caractères que le reste
du littoral du Maroc. Seulement , c'est l'élément berbère
qui domine dans sa population, et le pays est surtout riciie
en minéra\ix. Les gisements de fer et les mines de cuivre
mêlé d'antimoine sont extrêmement réjiandus, et étaient
déjà exploités au moyen âge par les Berbères , qui étaient
parvenus à une certaine habihaé dans l'art du mineur. Il
est même assez probable qu'on en lirait aussi parti dans
l'antiquité. Ou y rencontre en outie de l'argent et de l'or,
du .salpêtre et du soufre. Le beau lleuve appelé Souss, qui
prend sa .source dans l'Atlas, et se jette dans la mer après
un parcours peu étendu, mais qui a une grande importance
pour l'irrigation des terres qu'il traverse, sépare le pays en
deux parties, une au midi et l'autre au nord.
Le Souss septentrional , district soumis à l'empereur du
Maroc, contient les villes suivantes : Taroudant, chef-
lieu de la contrée et autrefois de tout l'empire , situé dans
un pays délicieux, célèbre autrefois par l'abondance de sa
production en sucre, renferme 22,000 habitants, qui forment
une espèce de petite république, excellent dans la prépara-
tion des cuirs et la teinture des plumes , et livrent en outre
au commerce des étoffes de coton (haicks), beaucoup d'ar-
ticles en cuivre, et du salpêtre ; Tagavest, peut-être la plus
antique cité du pays de Souss, ville fortifiée, au milieu
d'une riche contrée, avec une population très-industrieuse,
qui fait un grand commerce en étoffes de laine, qu'elle fa-
brique elle-même et qui s'expédienl dans les oasis du Sa-
hara et dans les pays des nègres ; Tedft , ville considérable.
sur un bras du Souss , avec une population qu'on évalue
294 SOUSS —
de 14 à 15,000 habitants; Agadir oa Santa- Criiz, endroit
fortifié , voisin de l'em boudin re du Souss , bâti au sommet
d'une montagne escarpée , avec un bon port et 500 habi-
tants.
Le Sonss méridional, on Souss-el-Akia (le lointain Souss),
appelé aussi Teffet, s'étend depuis les bords du Souss jus-
qu'à deux journées de marche au nord du grand Sakia-el-
Hamra (c'est-à-dire fleuve Ronge), que l'empereur du
Maroc lui-même considérait autrefois comme l'extrémilé
8ud-ouest de ses États. C'est un pays de côtes, mais rendu
en partie très-montagneux par des prolongements de l'Atlas,
et traversé par le cours inférieur du Drâa, le plus grand
des cours deau de tout l'empire de Maroc, qui se jette
dans l'Océan sur une côte entièrement dépourvue de ports ,
située au sud du cap de Noun , avec une embouchure large
de soixante mètres et complètement ensablée. Divers petits
États, ayant une population très-industrieuse et de race ber-
bère, se sont récemment formés dans ce pays, par exemple,
l'État de Sidi-Hedschâm, devenu vers 1810 dépendant du
Maroc , fondé par un marabout de ce nom , et où ses des-
cendants régnent encore aujourd'hui. Se.s localités les plus
importantes sont la ville de Talent ou Te lient ei le popu-
leux village à'Ilir, llirgh ou llekh , célèbre lieu de pèleri-
nage, tous deux résidences du souverain ; puis le grand
centre commercial appelé El-Scfiig, où se tient une foire
qui dure plusieurs mois, et le village d'O/mn, avec une
population en grande partie juive. Plus au sud on trouve
le petit État de Wad-Boun ou Oued-Roun, à peu de dis-
tance du cap Noun, et dont le chef-lieu, Wad-Ronn ou
Roun, est bâti sur un cours d'eau portant les mêmes noms.
C'est une populeuse cité, grand entrepôt pour les caravanes
revenant chaque année de Touibonclou.
SOUS-TE.\D.\I\TE( Géo//ie7ne). Voyez Coroe.
SOUSTHACTIOiM. lin arithmétique, c'est une opé-
ration qui a pour but de retrancher un nombre d'un antre.
Le résultat de cette opération se nonnne reste , excès ou dif-
férence. Le signe de la soustraction est — ( moins ). La sous-
traction des nombres entiers s'effectue en plaçant le nombre
à soustraire au dessous de l'autre, de manière que les unités
de même ordre se correspondent; commençant ensuite par
la gauche, on retranche chaque chiffre du nombre in-
férieur du chiffre de même ordre du nombre supérieur;
dans les cas où cela est impossible, on augmente ce chiffre
supérieur de dix unités, dont l'on tient compte dans la
soustraction partielle suivante. L'opération se vérilie en
ajoutant le reste au plus petit nombre ; on doit retrouver
le plus grand.
Nous avons parlé ailleurs de la soustraction des frac-
tion s. Pour \a soustraction algébrique, la règle est des plus
simples; elle consiste à écrire à la suite du premier poly-
nôme (celui dont on retranche), le second polynôme (celui
que l'on retranche ) , en changeant tous les signes de ce der-
nier.
En législation criminelle, on nomme soustraction l'action
de prendre furtivement. La loi prononce des peines contre
les soustractions commises par les dépositaires ou compta-
bles publics, parles fonctionnaires publics de l'ordre civil
ou judiciaire, et par les particuliers dans les dépôts publics.
Celles qui sont commises par des maris au préjudice de leur
femme, et vice versa; par un veuf ou une veuve, des
choses ayant appartenu à l'époux décédé ; par les enfants
ou descendants , au préjudice de leur père ou mère ou de
leurs ascendants ; par ceux-ci , au préjudice de leurs enfants
ou descendants, ou par les alliés au même degré, ne don-
nent lieu qu'à des réparations civiles ; la loi ne prononce
de peines que contre ceux qui ont recelé les objets sous-
traits par eux.
SOUTH AMPTON, comté d'Angleterre. Voyez Hamp.
SOUTH AMPTOM, chef-lieu du comté de Hamp ou
Soutbampton, l'une des villes commerciales les phis impor-
tantes de l'Angleterre, est située sur la côte méridionale,
sur un promontoire, au fond de ce qu'on appelle le South-
SOUTHEY
ampton-Water, bras de merde 12 kilomètres de long,
avec une profondeur suffisante pour les plus forts bâtiments
marchands , en face de l'île de Wi gh t. Une porte antique,
ornée de deux lions en fer et deux figures colossales (sir
Bevis et Ascupart ) sépare la ville neuve de la vieille Tille.
Celle-ci contient un grand nombre d'édifices de très-bon
goût , et celle-là, avec ses brillants magasins , est le centre
du commerce le plus actif. De la citadelle qui protège le port,
on a une vue extrêmement étendue Bur une contrée que sa
beauté a fait surnommer le jardin de l'Angleterre. On trouve
dans cette ville cinq églises anglicanes, six chapelles à l'u-
sage des dissidents et une chapelle française à l'usage des
habitants des îles Normandes , qui font ici un commerce
considérable et qui s'y trouvent toujours en grand nombre;
un théâtre, un collège, une école de matelots, etc., des
chantiers de construction avec un beau dock, un phare, des
bains de mer et des eaux minérales. La population, qui en
1831 n'était encore que de 19,324 habitants, dépasse au-
jourd'hui 40,000 âmes. La marine marchande, le frètement
des navires et le commerce avec les pays les plus lointains,
y ont pris de vastes développements. Soutbampton , reliée
à Londres et à d'autres villes par le chemin de fer du sud-
ouest, est le principal port d'Angleterre pour la France, et
la grande station des bateaux à vapeur faisant un service ré-
gulier avec Le Havre, la Méditerranée elles Indes occiden-
tales. Dans ces dernières années elle est devenue aussi le
grand entrepôt des métaux précieux et des autres produits
de prix de toutes les parties de la terre. C'est une ville d'une
haute antiquité, et qui au temps d'Elisabeth était an nombre
des plus considérables qu'il y eût en Angleterre. Plus tard
elle déchut beaucoup, et ce n'est guère que depuis le réta-
blissement de la paix générale, en 1814, qu'elle s'est relevée,
SOUTH E Y (Robert) , l'un des poètes et des écrivains
modernes de l'Angleterre les plus renommés, était fils d'un
marchand de lingerie en gros , et naquit en 1774, à Bristol.
Il se destinait à l'état ecclésiastique, après avoir étudiée
Oxford; mais l'exaltation de ses principes républicains,
suite de l'essor pris par notre révolution , le détourna de
cette carrière. Il s'en revint à Bristol , et débuta dans la
littérature par un recueil de poésies , suivi bientôt après
de Jor/H q/ ^rc , épopée romantique, qui se recommande
par la beauté du style et la richesse de l'invention , mais
qui pèche par l'exagération propre à la jeunesse. Vers la
môme époque , il éciivit aussi un drame ultra-rcvolution-
uaire, IVat Tyler, que plus tard on lui reprocha bien
souvent. En 1795 il épousa la belle-sœur de sou ami Co-
1 e r i d ge , et accompagna ensuite à Lisbonne son oncle, le
docteur llerhert , chapelain de la factorerie anglaise. A son
retour, il entra comme étudiant en droit dans Gray's Inn;
puis il fit en Portugal et en Espagne une seconde excursion ,
qu'il a racontée dans ses Letters froni Spain et A short
Résidence in Portugal (1798), et en 1801 il accompagna
en Irlande, commesecrétaire particulier, le chancelier delà
trésorerie Forster. Ensuite, il s'établit ii Grita, près Kerwick,
où dès lors il se livra complètement à la culture des lettres
en faisant preuve d'une fécondité peu commune. En 1801
parut son épopée Tliulaba the destroyer, conte arabe,
de beaucoup d'originalité et d'une grande beauté; en 1804,
ses Metrical Taies, en \S0b Madoc, elen 1810 TfieCurseof
Kehama , sa plus grande œuvre poétique, récit fantastique
fondé sur des traditions hindoues , et qui brille par la fidélité
de la couleur locale. Pendant ce temps là Soutbey avait
abjuré les convictions de sa jeunesse ; il était devenu tory
ardent et partisan de la haute Église. Il prenait une part ac-
tive à la rédaction du QMa/er/y Heview ; et en f 8 1 3 l'ex-jacobin
était même nommé poète lauréat. En cette qualité il célébra
les victoires de Wellington dans un Carmen triomphale
plein de verve, et composa des odes en l'honneur du prince
régentel des monarques alliés. Un nouveau poème, Roderick,
the last oflheGotlts (1814), fut moins bien accueilli , et
Byron flagella à bon droit sa Vision of Judgement (18211).
Ses dernières œuvres poétiques importantes furent A Taie
SOUTHEY — SOUVAROF RYMNIKSKI
29S
of Paraguay (1825), et Ihe Pilgrim, of Compostella
(1S29). Une nouvelle inachevée, Oliver Newman, ne
p?riit qu'après sa mort ( 1846 ). On a en outre de lui une
fpule d'ouvrages en prose , dont les plus importants sont
VHistory of Peninsular War ( 2 vol., 1823-1828 ), le Lïje
qt Nelson (2 vol. 1813), livre devenu très-populaire; ses
PoliticalEssays ; des imitations des romans du moyen âge,
AmadisoJ Gaul (4 vol., 1803 ), Palmerin o/England, etc.,
etc. Il a aussi donné une édition des œuvres choisies des
poètes anglais depuis Chaucer jusqu'à Johnson. En 1840 Sou-
they fut frappé de paralysie; il mourut le 21 mars 1843, à
Grita.
Voici le jugement porté sur lui par un critique anglais.
« Southey a toujours l'air de traduire d'une langue étran-
gère; il travaille constamment sur des idées d'emprunt,
et il n'y a souvent de lui dans ses compositions que les
phrases qui servent à lier les morceaux tirés des auteurs
originaux. Convenons , toutefois, que ses ouvrages offrent
de nombreuses beautés de style et des détails d'une
grande vérité. Mais aucun de ses poèmes , excepté des
ballades et quelques petits contes, ne peut, dans son
ensemble, être regardé comme formant un tout bien coor-
donné , digne de passera la postérité. Comme historien,
Southey ne s'est pas élevé au-dessus de la médiocrité , soit
pour le style , soit, plus encore, pour les autres qualités qui
constituent le parfait historien. Dans sa critique, il s'est
montré trop injuste et trop dévoué à un parti pour mériter
l'approbation des hommes qui savent apprécier la probité lit-
téraire. Il est d'autant plus à regretter que Southey ait con-
senti à écrire sous l'influence du ministère, qu'il possédait
nne connaissance approfondie des langues , dont il avait
étudié les chefs-d'œuvre, et qu'à cet avantage il joignait
un goût épuré. S'il avait été consciencieux , il aurait été
le premier critique vivant de la Grande-Bretagne. »
SOUTIIVVARK, nom d'un desquartiers de Londres,
sur la rive droite de la Tamise.
SOUTIEN DE COMBUSTIOJV. Foyes Combustible.
SOUTRADARL. Voyez Bayadères.
SOUVA. Voyez Cocotier.
SOUVAROF RYMNIKSKI (Alexandre- Vasilié-
viTSCH ) , prince Italijski , célèl)re général russe , naquit en
Finlande, en 1759, Son grand-père était curé, à Moscou ; son
père, entré dans l'artillerie sous Pierre le Grand, parvint au
grade de lieutenant général, et mourut en 1746. Après s'être
distingué dans la guerre de Suède , en Finlande , et dans celle
de Transylvanie , Alexandre Souvarof fut nommé colonel
par l'impératrice Catherine. Il commanda ensuite en Pologne
un corps de troupes, avec lequel il battit les armées des
deux Palawski , et prit Cracovie d'assaut ; succès qui lui
valurent sa nomination au grade de général major. En 1773
il servit contre les Turcs, sous les ordres du feld-maréchal
Rumjanzof. Dans cette campagne , il battit l'ennemi à trois
reprises, et , après avoir opéré sa jonction avec le gé-
néral Kamenski , il remporta une victoire éclatante sur le
réis-effendi , à Kosludgi. Après la paix, il comprima les
troubles intérieurs causés par l'insurrection de Pougatschef.
En 1777 il soumit le khan de Crimée Devlet-Girey , et en
1783 les TatarsNogaïs; services qui furent récompensés par
le grade de générai en chef. Le 1" octobre 1787 il battit les
Turcs à Kinburn , bataille dans laquelle il fut blessé d'un
coup de feu au côté. Par ordre de Potemkin il prit ensuite
part au siège d'Oczakoff. Réuni aux troupes autrichiennes,
il battit à Fokschani Méhémed-Pacha ; et le 1 5 septembre sui-
vant il mit en déroute complète, sur les bords du Rymnik,
l'armée turque, forte de 115,000 hommes et commandée par
le grand vizir. L'empereur Joseph II, à cette occasion, le
créa comte du Saint-Empire , et l'impératrice Catherine
lui conféra avec le titre de comte le surnom de Rymnik-iki.
C'est lui aussi qui, sous les ordres de Potemkin, dirigea
l'assaut d'Ismaïl. De tout l'immense butin fait dan cette oc-
casion , Souvarof ne garda pour lui qu'un cheval.
Au rétablissement de la paix , Catherine lui conféra les
gouvernements de lékatérinoelaff , de la Crimée et des
provinces conquises à l'embouchure du Dniestr. Souvarof
s'établit alors à Kherson, et habita cette ville pendant près de
deux années. Lors de la seconde insurrection des Polonais,
il reçut ordre de la comprimer, et le 24 .septembre 1794
il prenait d'assaut Praga ; succès à la suite duquel il entra
dans Varsovie. En 1799 l'empereur Paul lui confia le com-
mandement de l'armée russe qui réunie aux Autrichiens
devait combattre les Français en Italie. En même temps,
l'empereur d'Allemagne le créait feld-maréchal et mettait
toutes les forces autrichiennes sous ses ordres. Il remporta
plusieurs victoires éclatantes : en avril 1799 celle de Cassano,
les 17, 18 et 19 juillet celle de la Trebia, le 15 août celle
de Novi, etc. Dans l'espace des trois mois il reprit aux
Français toutes les villes et places fortes de la haute Italie.
Ces triomphes lui valurent le surnom d' Italijski et sa pro-
motion au titre de prince russe. Par suite d'un change-
ment dans son plan d'opérations, il traversa les Alpes et
passa en Suisse, où il opéra sa jonction avec Korsakow,
qui venait d'être battu par Massena; et il se disposait
à aller prendre ses quartiers d'hiver en Bohême, lorsque,
tombé subitement en disgrâce auprès de l'empereur Paul, il
fut rappelé en Russie. Il lui fut défendu de s'approcher
de l'empereur, et dans l'entourage de ce prince ce tut à qui
l'éviterait avec le plus de précaution. Sa nièce fut la seule
qui osa lui donner des soins dans la maladie produite par le
chagrin qu'il éprouva d'une telle ingratitude. Il mourut
quelque temps après, le 18 mai 1800, âgé de soixante-et-
onze ans. En 1801 l'empereur Alexandre lui fit élever une
statue colossale dans le Champ de Mars , à Pétersbourg.
On a beaucoup parlé de l'originalité de Souvarof, de sa
manière de vivre et de la rudesse de ses mœurs. Les bulletins
de ses victoires , qu'il adressait à l'impératrice , étaient ré-
digés avec un laconisme piquant, qui la charmait. 11 lui écri-
vait au sujet de la prise d'Ismaïl : » Mère, la glorieuse Ismail
est à vos pieds. » En campagne, une pelisse grossière de peau
de mouton formait son costume habituel : il changeait
de chemise en plein air, en présence de ses soldats. Coa-
naissant tout l'empire que la superstition exerce sur le vul-
gaire, il nedonnait jamais l'ordre d'engager un combat sans
se signer plusieurs fois et sans baiser l'image de saint Nicolas
ou celle de la Vierge, qu'il portait toujours sur lui. Dans
ses ordres du jour, il ne manquait jamais non plus d'affirmer
à ses soldats que tous ceux d'entre eux qui seraient tués
iraientdroiten paradis. En Suisse, les grenadiers qui formaient
son avant-garde, épuisés de faim et de fatigue, refusent un jour
de se porter en avant : Souvarof se précipite au milieu des
mutins ; et comme ils persistent à ne pas vouloir marcher,
il fait creuser une fosse, s'y étend en présence de ses soldats
étonnés , et leur dit : « Puisque vous refusez de me suivre ,
je ne suis plus votre général ; je reste ici : cette fosse sera
mon tombeau. Soldats, couvrez de terre celui qui vous guida
tant de fois à la victoire ! »
De son mariage avec une princesse Prosoroffski , Sou-
varof laissa une fdle, Natalia, née en 1776, mariée au
grand-écuyer comte Nicolas Souboff, et un fils Arkadij ,
né en 1783, qui, après s'être distingué dans la campagne de
1807, fut nommé lieutenant général. Il servit ensuite sous
les ordres de Koutousoff, et mourut de maladie, en 1811, à
Rymnik , là même où son père avait remporté une de ses
plus célèbres victoires. Son fils aîné, le comte Alexandre
Arkadjevitsch Socvarof-Rymnirsri, priwce Italijski, élevé
avec son frère Constantin à l'institut de Fellemberg , à
Hofwyl, qu'il ne quitta qu'en 1822, se trouva compromis
dans l'échanffourée à laquelle donna lieu , en septembre
1825, à Pétersbourg, l'explosion delà conspiration tramée
vers la fin du règne d'Alexandre I", et qui avait pour but
d'introduire en Russie le régime constitutionnel. Gracié par
l'empereur Nicolas , il alla servir pendant quelque temps à
l'armée du Caucase, d'où, en 1828, ilfut chargé de rapporter
les clefs de la ville d'Ardebil à l'empereur, qui l'admitalor»
au nombre de ses officiers d'ordonnance. Attaché en lS.3t,
506 SOUVAROF RYMNIKSkI — SOUVERAIN
dans la guerre de Pologne , à l'élat-major de Paskévitsch, il
fut nommé colonel. Depuis lors il a été cnargé successive-
ment de plusieurs missionsdiplomatiqiieset de diverses ins-
pections. En 1848 il fut nommé gouverneur militaire de
Riga et gouverneur générai des provinces de la Baltique.
Au commencement de mars 1854 on lui confia le comman-
dement des troupes concentrées en Livonie.
SOUVAROF (Ile). Voyez Coor (Archipel de).
SOUVEMANCE , SOUVENIR. Voyez Mémoire.
SOUVEMEZ-VOUS DE MOI (Botanique). Voyez
Myosotis.
SOUVERAIN, SOUVERAINETÉ. On nomme souve-
rain le pouvoir en dernier ressort , celui doutions le autres
relèvent, qui préexiste à tous, qui subsiste encore quand
les autres ne sont plus, en un mot, le pouvoir duquel tout
émane et auquel tout doit retourner. C'est dire assez que
la souveraineté ne peut résider dans un individu , dans un
corps, dans une famille, car tout cela passe, mais dans la
société elle-même, qui préexiste et survit à tous les individus,
à toutes les familles , à tous les corps. Nous disons que la
souveraineté réside dans la société, et non , comme on
l'a souvent écrit, dans le peuple: c'est d'abord pour éviter
le vague que peuvent répandre sur cette importante notion
les acceptions diverses du mot peuple, et puis parce que
la souveraineté ne procède pas, dans son exercice, par
délibérations et par comptes de voix comme un tribunal
(chose dérisoire dans un petit État, impraticable dans un
grand ) ; mais par l'accomplissement de ces grands faits
politiques oii la société entière agit avec toutes ses in-
fluences et où chacun exerce inégalement la part d'action
que lui assignent sa position, sa fortune, ses lumières, ses
relations, les circonstances où 11 se trouve placé. De la sou-
veraineté ainsi comprise , et que nous appellerons souve-
raineté nationale , résultent les deux axiomes fondamen-
taux du droit public et inler-national : que chaque peuple
est maître chez lui ; que nid n'a droit de faire le maître
chez un autre. On a vu cependant des princes, des dynas-
ties, destitués du pouvoir, en appeler à la force étrangère,
faire la guerre au pays au nom de leur droit, et pour re-
conquérir \ear héi'ilage proclamer leur légitimité et nier
celle de la nation , qu'ils prétendaient gouverner en dépit
d'elle-même. Bien qu'un fait trop fameux, la Sainte-Al-
liance, ait, de notre temps même, consacré ces préten-
tions et voulu fonder le droit public de l'Europe sur cette
légitimité illusoire, ce fait n,'a pu prévaloir contre l'évi-
dence ; la Sainte-Alliance , malgré l'éminence des noms qui
l'avaient souscrite, n'a pu subsister au delà rie quelques an-
nées, et il est demeuré constant que l'intervention étran-
gère est toujours un crime chez celui qui l'invoque, une
haute violation du droit des gens chez celui qui se la
permet.
Quelques-uns, cependant, au nom de la tranquillité pu-
blique et delà stabilité des gouvernements, ont consenti
d'adopter le dogme de la légitimit é , non comme une
vérité, mais comme une fiction salutaire, comme une ga-
rantie contre des révolutions trop Iréquentes. Nous dirons
d'abord que ce serait une pauvre garantie que celle qui ré-
siderait dans un sophisme, et la légitimité dont on parle
ici n'est pas autre chose. En effet , sur quoi se fonderait-
elle ? où est son principe, son origine? Toutes les dynasties
ont commencé : le principe de la souveraineté ne résidait
donc pas en elles-mêmes; il y avait donc un souverain avant
elles, en dehors d'elles. Devient-on légitime par le seul fait
qu'on occupe le trrtne? Mais dès lors pourquoi parler
d'usurpations P Et qu'est-ce qu'un droit qui ne serait qu'un
fait? Bien plus : accordons si large part qu'on voudra au
droit il'une famille : cette famille un jour ne peut-elle s'é-
teindre? Et alors, donc, plus de droit nulle part, plus de
gouvernement légitime possible ; car rien ne peut sortir de
rien.
En second lieu , nous dirons que l'on confond ici deux
choses immensément diverses , Vhérédïté constitutionnelle
et la légitimité des absolutistes. Vhérédité constitutionnelle,
c'est le mode convenu pour la transmission d'un pouvoir
émané du pays et reconnaissant la souveraineté du pays ;
la légitimité f au contraire, est, dans ses prétentions, le
droit attribué à une famille de régner sur le pays , non de
par le pays, mais de par elle-même, non pour le pays,
mais pour elle-même. Vhérédité n'est pas , à proprement
parler, un droit du monarque; c'est plutôt le droit de la
nation, dont l'intérêt a dicté ce mode de transmission : la
légitimité est la négation du droit national ; la confisca-
tion d'un peuple au profit d'une race , toujours autorisée à
s'imposer à lui, quelques fautes qu'elle puisse commettre,
quelques antipathies qu'elle puisse soulever, quelques maux
qu'elle puisse produire ; c'est la propriété d'une nation ad-
jugée à son gouvernement. L'idée de légitimité , dans ce
sens , a son origine dans la puissance féodale. La plupart des
dynasties européennes , sorties d'anciens seigneurs féodaux,
propriétaires du sol et des hommes sur lesquels s'étendait
leur pouvoir, n'ont pu , même en nos temps de civilisation,
séparer dans leur pensée les deux notions de gouverne-
ment et de propriété, qui en d'autres temps avaient été
la conséquence l'une de l'autre. De là ces mots , étranges
en pareille matière, A'' héritage, Ae bien , A''usurpation
de là ces appellations de maître, de sujets , contre les-
quelles se révoltent la dignité du citoyen et la majesté na-
tionale; de là ces invocations au glaive étranger contre les
arnUs du pays.
On conçoit que dans le système de la légitimité la
nation est sans droit, non-seulement pour changer son
gouvernement, fût-ce par un suffrage unanime, mais même
pour améliorer sa condition , en respectant la personne et
le titre des gouvernants. En valu gémirait-elle sous le régime
le plus intolérable ,elle doit le subir, se résigner, et attendre
en silence qu'il plaise au maître d'adoucir le sort de ses
sujets. Ose-t-clle prendre l'initiative, a-t-elle eu assez de
force pour se faire accorder des concessions, dès lors le
prince n'a plus été libre; tout ce qu'il aura consenti, juré
même, est nul, et l'étranger devra intervenir à main armée
pour châtier la rébellion. Telle est la théorie des légitimistes.
On a pr voir par ce que nous avons dit plus haut que
la souveraineté du peuple n'est point le gouvernement
du peuple, quoiqu'on les ait souvent confondus dans le
trouble de notre première révolution. La souveraineté du
peuple, si l'on veut se servir de ce mot, est le principe lu-
lélaire qui éclaire et limite l'exercice du pouvoir : le goti-
vernement du peuplent seraitqu'une anarchie ; car lorsque
le gouvernement est partout, il n'est nulle part. En réalité
le mot de souveraineté nationale ne signifie autre chose
que le droit qu'a toute nation de s'appartenir à elle-même et
d'être maîtresse sur son territoire. Cest, en d'autres termes,
le droit d'avoir fait impunément une révolution quand la
force des choses l'y a conduite.
Le principe de la souveraineté nationale n'a par lui-
même rien d'hostile, rien d'alarmant pour les gouverne-
ments : il ne provoque point au renversement ; il interdit
seulement le recours à l'intervention étrangère au protit de
ceux qui seraient assez pervers ou assez insensés pour se
faire renverser. Or, un gouvernement qui a pour lui la pos-
session , el tout ce que la possession donne, l'autorité légale,
la force publique, le trésor, etc., ne peut jamais être ren-
versé que par sa faute et par sa très-grande faute : il ne doit
accuser de sa chute que lui-même.
Des philosophes, des publicistes éminents, parmi lesquels
comptent Benjamin Con stant et Royer-Cola rd, ont
combattu le système de la souveraineté nationale. Sui-
vant eux , il n'y a Ae souverain que la raison, que la
justice, que la vérité. C'est là une noble pensée et une ex-
pression impropre. Que la raison, la vérité, soient des puis-
sances morales supérieures à toutes les puissances humaines ;
que le consentement unanime de tous les hommes n'ait
pas la vertu de rendre juste ce qui est injuste, vrai ce qui
est faux ; que l'équitable postérité soit toujours là, pour ré.
SOUVERA
habiliter l'innocent sacrifié, pour flétrir l'erreur préconisée;
tout cela, certes, est incontestable, et ce sont là des vé-
rités bonnes à dire , meilleures à répéter ; mais tout cela
est étranger à la question de souveraineté. Qui dit souverai-
neté n'entend pas une notion purement abstraite, une puis-
sance purement morale. Le mot de souveraineté ne corres-
pond pas à l'idée de droit, mais à l'idée de pouvoir ; pas à
i'idée de justice absolue, mais à l'idée de compétence. Les
affaires humaines ne se régissent point par des abstractions ;
pour avoir prise sur elles, il faut que le droit se matéria-
lise, qu'il se fasse homme, qu'il se transforme en pouvoir
humain. C'est ce pouvoir humain dont le degré suprême
nous apparaît sous le titre de souverain. Supprimez-le, plus
de juge eu dernier ressort des questions sociales , plus de
décision qui commande l'obéisfance actuelle ; dès lors plus
d'ordre social. Sans doute un pouvoir légitime peut errer;
il n'en est pas moins ^joMyoircom/jé^ew^, quand il a statué
sur choses de son ressort. Sans doute encore le pouvoir ne
doit pas abuser de sa toute-puissance; mais il n'en est pas
moins indispensable à la constitution des sociétés q\i'il y ait
quelque part un pouvoir tout-puissant. Il faut que le sou-
verain tâche cVovoir raison , mais la raison n'est pas le
souverain ; il faut qu'il soit juste, mais la justice n'est pas
le souverain; il faut qu'il se tienne dans le vrai, mais la
vérité n'est pas le souverain. Quelque respect qu'on doive à
de hautes pensées, à de généreuses intentions, il nous est
impossible de voir ici autre chose qu'une confusion dans les
termes , et nous devons nous y refuser, car la confusion
n'est jamais utile. St. -A. Berville,
Président de chambre à la cour impériale de Paris.
SOUVERAIN { Monnaie). Voyez Livre Sterling.
SOUVERAINETÉ DU PEUPLE, SOUVERAl-
NETÉ ISATIONALE. Voyez Souverain, Souveraineté.
SOUVERAIN PONTIFE. Voyez Pontife.
SOUVESTRE (Emile), auteur dramatique et roman-
cier contemporain, né en 1808, à Morlaix ( Finistère), rédigea
d'abord un journal libéral à Brest, puis vint à Paris, où
quelques articles relatifs à la Bretagne le firent remarquer.
Les descriptions qu'il adonnées de cette province ont surtout
le mérite d'une grande fidélité. A ces esquisses il ajouta une
longue série de romans, de drames et de vaudevilles. Parmi
les romans nous citerons L'Échelle des Femmes (1836),
Les derniers Bretons ( IS37), Vhonime ef l'Argent {iSiQ),
Mémoires d'un Sans-Culottes breton (1840), Confession
d'un Ouvrier ( 1852 ) ; toutes productions dont les tendances
sont essentiellement morales. Il lit représenter les drames
intitulés L'Interdiction {\&3S>), Pierre Landais {i8i3),
Un Enfant de Paris (1850), Un mystère (1851), et un
certain nombre de comédies et de vaudevilles. Souvestre
mourut en 1854, des suites d'une hypertrophie du cœur.
SOUVIGNY, petite ville du département de l'A 1 lier,
à 12 kilomètres de Moulins, l'une des plus anciennes
Villes du Bourbonnais, avec 3,052 habitants, était au
cinquième siècle une place assez importante , dont presque
toutes les maisons étaient flanquées de tours. En 913
Charles le Simple en fit don au chevalier Aimard, qui fut.
la tige des premiers sires de Bourbon , dont on voit encore
les tombeaux dans l'église paroissiale.
SOUWAROW. Voyez Souvarof.
SOUVVASCH (Fleuve, Mer àe).Voijez Azof.
SOUZA (Adèle du TILLEUL, d'abord comtesse de
Flahaut, puis marquise de), femme aussi distinguée par
son esprit que par son caractère, et auteur de romans jus-
tement estimés, naquit en 1760, au château de Longpré, en
Normandie. En 1784 elle épousa le comte de Flahaut, que
Joseph Le Bon fit guillotiner, à Arras, en 1793. Elle se ré-
fugia alors avec son fils en Angleterre, où, se trouvant sans
ressources, elle eut l'idée de terminer un roman qu'elle
avait autrefois commencé. Telle fut l'origine de son chef-
d'œuvre, Adèle deSénanges, ou lettres de lordSydenham
(2 vol., Londres, 1794; 2^ édition, Hambourg, 1796, et
Souvent réimprimé depuis). Aujourd'hui, où notre littérature
IN — SPA 297
agglomère si volontiers les crimes, où des femmes mettent
leur nom aux conceptions les plus monstrueuses, il n est
rien peut-être de plus consolant à lire qu'une des œuvres
les plus chastes qui soient .sorties de la plume noble et pure
de M""* de Flahaut. Certes on ne trouvera point dans Adèle
de Sénanges une de ces conceptions hardies qui étonnent,
un de ces drames qui émeuvent profondément, une de ces
intrigues vigoureusement combinées qui excitent l'admira-
tion ; mais si vous aimez les scènes d'intérieur, tranquilles
et touchantes , si vous aimez la vie de famille dont les moin-
dres circonstances sont racontées avec grâce, si vous aimez
les amours pures, qui , au lieu de ne chercher que la satis-
faction des sens , se contentent du partage des sentiments,
alors vous trouverez dans votre cœur des éloges pour la
femme douce et bienveillante qui a si bien rendu la bienveil-
lance du caractère et la douceur de l'âme dans ses person-
nages. Le seul reproche, reproche tout littéraire, qu'on
puisse faire à Adèle de Sénanges, c'est de ressembler quelque
peu à La Princesse de Clèves de M™'' de La Fayette :
c'est la même position des personnages entre eux, le même
respect qu'ils ont les uns pour les autres , sinon les mômes
incidents et les mêmes caractères.
A Hambourg, où elle se rendit en 1796, M"* de Flahaut
composa Emile et Alphonse, ou le danger de se fier à ses
premières impressions (3 vol., Hambourg). En 1798 elle
revint à Paris, où, en 1802, elle se remaria avec l'ambassa-
deur de Portugal, le marquis de Souza-Botelho, grand
admirateur de la poésie et connu par sa magnifique édition
des Lusiades de Camoëns ( Paris, 1817). Elle fit alors suc-
cessivement paraître Adèle et Marie (1802), Eugène de
Rathelin (1808), le meilleur de ses ouvrages après Adèle
de Sénanges , Eugénie et Mathilde, ou mémoires de la
famille du comte de Revel (1811), Mademoiselle de
Tournon ( 1820), La comtesse de Fargy ( 1823). Ici tout
lui appartient en propre, conception, intrigue et détails. C'est
toujours la môme simplicité dans les combinaisons, la même
perfection dans les caractères de ses principaux personnages,
la même morale admirable qui ressort sans apprêt et
s'exprime sans pédantisme. C'est toujours aussi, il est vrai,
le même optimisme, un peu monotone, et la même absence
d'événements. Mais prenons M"^ de Souza telle qu'elle est,
et ne l'accusons pas de n'être pas autre. Or, ce qui carac-
térise le talent de M"^ de Souza, c'est l'honnêteté, c'est-
à-dire la sagesse des conceptions, l'idéalisation des carac-
tères, jointes à la chasteté des détails et à la sobriété du style-
Elle fit encore paraître plus tard La Duchesse de Guise, ou
intérieur d'îine famille illustre dans le temps de la Ligue,
drameen trois actes, en prose(l 831), et un dernier roman, £<re
et Paraître (i832). Devenue veuve pour la seconde fois, en
1825, elle mourut à Paris, le 16 avril 1836.
SOVEREIGN. Voyez Livre Sterling.
SOZOMENE (SalamenesHermias Sozomenos), écrivain
ecclésia.stique, né vers l'an 400 de notre ère, à Béthelie, près
de Gaza. Élevé sous l'influence de parents imbus d'idées
monacales, il se forma à l'école de droit de Béryte en
Phénicie, et débuta vers l'an 446, à Constantinople, comme
avocat. Il continua l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe, de l'an
323 à l'an 439, en neuf livres, travail auquel manque moins
l'élégance de la forme que la critique d'un esprit sans pré-
ventions. La meilleure édition est celle qu'en a donnée Vo-
lesius (Paris, 1668).
SPA, ville de la province de Liège (Belgique), avec
4,144 habitants, à 40 kilomètres d'Aix-la-Chapelle, à 36
kilomètres de Liège, à 333 mètres au dessus du niveau de la
mer, comprise autrefois (sous le premier empire) dans ce
qui formait le département de l'Ourthe. Située au pied
d'une montagne escarpée, qui l'abrite contre les vents du nord,
elle est comme enclavée dans l'immense forêt des Ardennes.
Sans ses eaux, Spa ne serait qu'une obscure et triste bour-
gade, que le beau monde délaisserait, car le sol de cette
contrée est d'une stérilité affligeante. Mais telle est la célé-
brité des sources qu'on y rencontre, qu'à cause d'elles, et
298
SPA — SPALATRO
par elles, toutes les jouissances de la vie se sont comme ac-
climatt^es et concentrées dans leur voisinage. Là se trouve
réuni tout ce que les capitales ont de commode , tout ce
qu'elles ont d'élégant, de confortable et de somptueux :
Là viennent tons les ans, exacts au rendez-vous.
Des vieillards énervés, un jeune essaim de fous.
Spectacles, redoutes , wauxhall, jeux publics , fêtes sans
fin, liberté pour s'isoler comme pour se produire, tout est
à Spa, de même qu'à Paris ou à Naples. On y trouve même
de l'eau très- pure pour les usages domestiques, circonstance
qui est assez rare au voisinage des sources minérales. Quant
aux eaux minérales, elles sont gazeuses, ferrugineuses et
salées, et participent à la fois de celles de Forges et de Vicliy.
Elles renferment du gaz acide carbonique, dont la propor-
tion varie selon la source ; elles renferment aussi des car-
bonates de fer, de soude , de chaux , d'alumine et de ma-
gnésie ; du muriate et du sulfate de soude , de même que de
la silice, quoi qu'en dise le célèbre Bergmann. Elles sont
limpides, pétillantes , couvertes de bulles de gaz carbonique
et souvent aussi d'une pellicule irisée. La saveur en est ou
aigrelette ou astringente , et plusieurs des sources ont une
odeur fétide, le Géronstère, par exemple. Les longues
pluies altèrent ces eaux, qui deviennent alors insipides , la
pluie leur ayant fait perdre unegrande partie de leur gaz; mais
elles contiennent alors beaucoup plus de silice et plus de car-
bonate de chaux. On se baigne peu à Spa ; on se contente de
boire les eaux à la source, et chaque espèce de tempérament
B une source appropriée à sa nature. Voici au reste quelles
sont le principales :
Le Pou/ion, ou Puits carré, la seule des fontaines de Spa
qui occupe l'enceinte de la ville. Ce n'est pas la source la
plus gazeuse de ce lieu, mais c'en est la plus saturée de
principes salins, la plus ferrugineuse. Elle est froide comme
les autres sources (8° R. j, et ne convient qu'aux constitu-
tions robustes, aux personnes peu susceptibles, et néanmoins
peu sanguines. Ce sont les seules qui de Spa puissent se trans-
porter au loin sans détérioration sensible. L'eau du Gérons-
tère, on Puits rond, moins saturée de sels, est encore moins
gazeuse que la précédente, mais froide ainsi qu'elle; l'odeiu'
en est fétide : on la prescrit aux constitutions affaiblies, aux
estomacs délabrés. La Sauvenièré, peu saturée de sels, peu
ferrugineuse, mais presque aussi gazeuse que le Pouhon ; la
Grosbeck, qui diffère peu des deux sources précédentes ; enfin,
les deux Tonnelets, dort l'eau est aigrelette, piquante, et
comme vineuse. Ce sont les sources les plus gazeuses de Spa.
On préfère l'eau des Tonnelets comme boisson de table; on
la boit soit pure, soit mêlée au vin, ou édulcorée avec divers
sirops. Elle excite l'appétit , accélère la digestion et dispose
à la gaieté. Elle convient aux hypocondriaques et aux con-
valescents, de même qu'aux jeunes gens énervés par des
excès.
Les eaux de Spa doivent être prescrites dans l'épuisement,
quelle qu'en soit la cause ; dans les engorgements intérieurs
et les flux chroniques , et aussi contre les vers , contre la
pierre et la gravelle. Mais elles seraient dangereuses dans la
phthisie, dans l'épilepsie, aussi bien que dans tout état
de fièvre, d'inllammation, de cancer ou de pléthore. On
pourrait se baigner à l'établissement placé près des Tonne-
lets ; mais presque toujours on ne se baigne qu'après avoir
quitté Spa, soit à Aix-la-Chapelle , soit à Fontaine- Chaude,
aux environs de Liège. La saison ouvre le 15 mai et finit
le 15 octobre : la durée du séjour varie depuis quarante
jusqu'à soixante jours. Isidore Bourdon.
SPADASSIN (de l'italien s/jarfa, épée). Voyez Bret-
TELR.
SPADICE ou SPADIX. On nomme ainsi en botanique
une sorte d'inflorescence indéfinie propre aux végétaux mo-
nocotylédonés. C'est un assemblage de fleurs sessiles sur un
axe commun, simple et nu, ou entouré d'une spathe. Sim-
ple dans les aroidées, rameux chez les palmiers, le spadice
porte alors vulgairement le nom de régime.
SPADILLE. Voyez Hobbre.
SPJEJ\DOIXK (N... Van) , célèbre peintre de fleurs,
né à Tilbourg, en Hollande, en 1746, mort à Paris, en 1821.
Il débuta comme miniaturiste, et ce ne fut que plus tard
qu'il se livra exclusivement à la peinture des fleurs. Dans ce
genre il atteignit une rare perfection , et jouit longtemps
d'une grande réputation à la cour de Versailles, où on s'ar-
rachait ses moindres productions. Lors de la création de
l'Institut, il fut appelé à y siéger, dans la classe des Beaux-
Arts, et peu de temps après il obtint la chaire d'iconographie
au Muséum d'Histoire naturelle.
Consultez son Éloge , prononcé à l'Institut par Quatre-
mère de Quincy.
SPAGNOLETTO ou VEspagnolet. f^oî/esRiBEiRA.
SPAHIS ou SIPAIIIS. On appelait ainsi autrefois les
cavaliers que devaient fournir les propriétaires des fiefs mi-
litaires turcs, les timariotes et les zaïms, et qui formaient
l'élite de la cavalerie dans l'armée turque, mais qui lors
de l'organisation de cette armée sur le pied européen et
de la suppression des fiefs militaires ont été remplacés par
une cavalerie régulière. Les spahis, de même que les zaïms
et les janissaires, étaient redevables de leur première or-
gajiisation au sultan Orchan, et leur levée en masse pouvait
produire un effectif de 140,000 hommes. Mais il n'arrrivait
que bien rarement qu'on en rassemblât un si grand nombre.
En campagne ils étaient soldés par le trésor du grand-sei-
gneur, et formaient deiix classes qui se distinguaient par la
couleur de leurs étendards. Leurs armes habituelles étaient
le sabre, la lance et le djérid ou javelot ; les uns avaient
des pistolets et des carabines , et les autres un arc et des
flèches. Ils formaient une bande de cavaliers manquant de
toute espèce d'organisation et de tactique, marchant en
troupe, attaquant avec une sauvage intrépidité, mais se
débandant aussi dans la plus sauvage confusion, du mo-
ment où l'effet de leur attaque était manqué.
Aujourd'hui la France entretient en Algérie, sous le nom
de spahis, plusieurs régiments de cavalerie indigène dont
la tenue consiste en une veste arabe garance, pantalon et
gilets arabes bleu céleste; bottes arabes ; haïck et corde de
chameau ; ceinture et chéchia rouge amaranthe pour les of-
ficiers et les cavaliers indigènes. Ces derniers portent en
outre un burnous garance. Les cavaliers français portent
un turban blanc rayé de bleu à la place du haïck. Les offi-
ciers français portent un képy bleu céleste , un spencer ga-
rance à [larements bleus , un pantalon bleu céleste à trois
grands plis, un cordon fourragère en soie noire, un cein-
turon bleu céleste et or, une dragonne noire avec gbnd en
or. A partir du grade de capitaine, les officiers sont tous
français; au-dessous de ce grade, les officiers sont à peu
près en nombre égal français et indigènes. Les distinctions
de grades sont à peu près les mêmes que dans les corps de
hussards.
SPALATRO ou SPALATO, en slave Split , cbef-lieu
d'une préfecture du royaume de Dalmatie (occupant la
partie centrale de l'ancienne Dalmatie vénitienne, et compre-
nant 81,900 habitants sur une superficie de 26 myriam.
carrés), et siège d'évêché, est construit en forme de crois-
sant, dans une presqu'île baignée au nord par le golfe- ou
canal de Salona, au sud par le canal de Brazza, et terminée
par le mont Marian , haut de 188 mètres. Sa population est
de ll,000âmes. Quoique bâtie dans une situation délicieuse,
cette ville n'est qu'un amas confus de rues sales , étroites et
tortueuses, divisé en vieille ville et ville neuve, avec
quatre faubourgs. On y trouve divers établissements d'ins-
truction publique, un musée d'antiquités recueillies dans les
environs , notamment à Salona, un vaste lazaret et une im-
mense caserne, un forf,et une source d'eau sulfureuse froide,
située au pied du mont Marian, qu'on utilise pour bains.
Le port a beaucoup perdu de l'importance qu'il avait au-
trefois, parce qu'il a cessé, par suite d'ensablement, d'être
accessible aux navires d'un fort tirant d'eau ; mais SpaJatro
n'en est pas moins toujours la ville la plus commerçante de
SPALATRO -
la Dalmatie , le grand entrepôt des marchandises d'Italie à
la destination de la Turquie.
Cette \ille doit son nom au palatium, immense palais
construit autrefois par l'empereur Dioclétien , l'un des plus
vastes édifices de l'antiquité , derrière les murailles circu-
laires et fortifiées duquel les habitants de la ville de Salona,
détruite par les Avares, trouvèrent un asile et un abri, vers
l'an 640. Les débris de cette immense construction existent
encore, avec des travaux d'art remarquables. On yvoitaussi
les ruines d'un aqueduc construit par Dioctétien avec d'é-
normes pierresde taille, et d'autres antiquilés.
SPALLANZANI (L'abbé Lazare) , célèbre physicien
et naturaliste, naquit le 12 janvier 1729, à Scandiano , pe-
tite ville du duché deModène. Il fit ses humanitésà Re^gio ,
et se rendit à Bologne, où il allait être reçu docteur en droit,
lorsque le professeur Vallisnieri, qui lui portait un vif in-
térêt, obtint qu'il lui serait permis de suivre sa vocation
pour l'étude des sciences naturelles. Ce l'ut cependant à cette
époque que Spailanzani, pour condescendre aux vœux de
sa famille, reçut les ordres monastiques. Toutefois, ce
changement ne put le détourner des études littéraires et
scientifiques pour lesquelles il avait tant de goût. En 1754
l'université de Reggio le choisit pour remplir la chaire de lo-
gique , de métaphysique et de Httérature grecque : mais ce
qui en dernier lieu l'occupa plus particulièrement, ce furent
les phénomènes de la physique animale. En 1768 il pubha
ses recherches et ses observations sur la reproduction des
membres , de la queue et des mâchoires de différents ani-
maux à sang froid , comme les salamandres, lesécrevisses,
et fil au^si mention des régénérations multipliées du polype ,
du ver de terre, etc., etc. Il continua ensuite les expériences
de Malpighi et de Haller sur la circulation du sang, étudia
cet important phénomène dans le tube intestinal, dans le foie,
dans la rate , le ventricule , le poumon , etc. Armé du micros-
cope, Sf)allanzani suivit la marche du sang dans les ramifica-
tions artérielles et veineuses , en les examinant à mesure que
ces vaisseaux se développent, que le cœur augmente d'éner-
gie, et que les organes prennent enfin tout leur accroissement.
La publication de ces travaux valut à leur auteur le titre de
professeur d'histoire naturelle à Pavie ; quelques années
avant il avait refusé la même chaire à Saint-Pétersbourg,
comme il refusa plus tard l'offre que lui fit la France de venir
professer au Jardin des Plantes de Paris. La nomination de
Spailanzani à la chaire de Pavie lui fit sentir la nécessité de
se livrer à des recherches sur l'histoire de la génération ,
dont les explications h>pothétiques étaient loin de le satis-
faire. Il démontra, contre l'opinion de Buffon, que les in-
fiisoires et les animaux microscopiques, comme les roti-
fères et autres de ce genre, proviennent de germes comme
les autres animaux. Il prouva qu'ils peuvent supporter pen-
dant plusieurs années une sorte d'anéantissement, un froid
très-rigoureux , et la chaleur la plus élevée ; qu'ils pouvaient
être réduits à une sorte de poussière inerte , qui s'anime et
reprend de la vie lorsqu'on l'humecte de quelques gouttes
d'eau. Il publia ces travaux en 1776. Plus tard , cet illustre
naturaliste sentit le besoin de voyager pour compléter les
collections d'bistoire naturelle du musée de Pavie, dont
il avait la direction. En 1779 il parcourut la Suisse; et
ce fut à la suite de ce voyage qu'il entreprit de répéter
les expériences de Réaumur sur les digestions artificielles.
H établit que les sucs gastriques sont les agents de la dij;es-
tion , et que cette dissolution ne se fait ni par fermentation
ni par putréfaction. En 1785 Spailanzani entreprit une
longue tournée, dont les recherchesd'histoirenaturelleétaient
encore le but. Il alla à Constantinople, côtoya une partie de
la Méditerranée, parcourut l'Asie Mineure, et se rendit
à Bukharest , en Valachie , en Hongrie , visita Vienne , où
il fut honorablement accueilli par l'empereur, et, après
onze mois d'absence, rentra à Pavie. En 1788, toujours
avide d'étudier les phénomènes de la nature , il s'absenta
de nouveau de Pavie pour aller observer l'éruption du Vé-
suve. Ce fut enfin au milieu de ces nombreux travaux
SPARTACUS 299
que l'i'lustre professeur de Pavie , alors âgé de soixante-dix
ans , termina sa longue camère scientifique. Il mourut le 3
lévrier 1799, d'une attaque d'apoplexie. D"" L. Labat.
SPAiXDAU, ville de Prusse, dans l'arrondissement de
Potsdam, province de Brandebourg, et place forte de se-
cond ordre, avec une citadelle, est située à l'embouchure de
la Sprée dans l'Havel. On y compte 8,200 habitants et une
garnison de 1,600 hommes, quatre églises, un grand établis-
sement pénitentiaire jwur 750 condamnés à des peines afflic-
tives et infamantes , un asile pour les enfants orphelins et
pour les condamnés repentants, ainsi qu'une importante
manufacture d'armes. Le commerce y est très-actif, d'une
;part à cause des marchés aux bestiaux qui s'y tiennent, et
de l'autre parce que la grande route ainsi que le chemin do
1er de Berlin à Hambourg passent par cette ville.
SPARADRAPS. Voyez Agglutinatifs.
SPARE. Voyez Dard.
SPARE ( Histoire naturelle ), du latin sparw*. Les an-
ciens ichthyologistes comprenaient sous ce nom des poissons
ayant pour caractères communs : un corps écailleux , ovale ;
une seule dorsale incisive, nue et soutenue dans sa partie
antérieure par des épines fortes et pointues ; des pièces oper-
culaires sans épines ni dentelures, et un palais complète-
ment privé de dents. G. Cuvier a formé avec ces poissons sa
familledes sparoïdes, qu'il a distribuée en treize sous-genres
répartis en quatre tribus.
SPART ou SPARTE {Stipa tenacissima, L.), genre de
la famille des Graminées, tribu des Phalaridées, de la trian-
drie-monogynie dans ie système de Linné, formé pour
une graminéejonciforme d'Espagne et du nord de l'Afrique,
dont les chaumes sont simples et gazonnants, et les feuilles
cylindriques subulées. La seule espèce de ce genre est le
lygée-spart, plante vivace, haute d'environ trois décimètres,
dont les chaumes servent à la confection de nattes fines,
chapeaux , etc., et en général de tous les ouvrages dési-
gnés dans le commerce sous le nom de s par 1er ie.
SPARTACUS. En l'an 7.3 av. J.-C, un chevalier ro-
main, Cn. Lentulus Batiatus, entretenait à Capoue des
gladiateurs, la plupart gaulois ou thraces. Deux cents
d'entre eux formèrent le complot de briser leurs fers, et
d'appeler à la liberté leurs compagnons d'infortune. Le mo-
ment semblait favorable; la guerre tenait les plus grands gé-
néraux de Rome éloignés avec ses légions : Metelhis Plus
et Pompée en Espagne contre Sertorius, Lucullus en
Asie contre Mithridate. Un traître révéla le complot des
gladiateurs : au moment où l'on allait les saisir, soixante-dix-
huit des plus résolus entrèrent dans la boutique d'un rôtis-
seur, se saisiient des couperets et des broches, et sortirent
de la ville. Ils rencontrèrent en chemin des chariots chargés
d'armes de gladiateurs qu'on portait dans une autre ville;
ils s'en saisirent, s'emparèrent sur le mont Vésuve d'un lieu
très-fortitié, et élurent trois chefs, dont le premier était
Spartacus , Thrace de nation, mais de race numide, qui
à une grande force de corps et à un courage extraordinaire
joignait une prudence et une douceur bien supérieures à sa
fortune. Les gladiateurs repoussèrent d'abord quelques trou-
pes envoyées de Capoue , et leur enlevèrent leurs armes.
Cernés de tous côtés par un corps parti de Rome , sous
les ordres du préteur Appms Claudius Pulcher, ils fondent
sur les Romains, qu'ils mettent en déroute, et s'emparent
de leur camp. Ce succès attira aux gladiateurs uii grand
nombre de pâtres et de bouviers des environs ; et alors
les révoltés, au nombre de plus de dix mille hommes,
ravagent la Campanie, puis battent successivement plu-
sieurs préteurs. Vainement Spartacus veut leur inspirer quel-
que modération dans la victoire ; la raison ni l'autorité ne
peuvent rien sur des esprits aigris par une longue oppres-
sion , exaltés par une licence nouvelle. Soixante-dix mille
soldats marchaient sous sous ses ordres : mais Spartacus
ne se faisait point illusion sur ses forces; il ne prétendait
pas lutter avec la puissance romaine : il conduisit son ar-
mée ver-s les Alpes, persuadé que le mieux était de se re-
800
SPARTACUS — SPARTE
lirer chacun dans son pays, les uns dans les Gaules, les au-
tres dans la Thrace. Les compagnons de Sparlacus, plus
confiants, refusèrent de le suivre, et se répandirent dans l'I-
talie pour la ravager.
Le sénat, qui d'abord avait méprisé de tels adversaires,
envoie contre eux les deux consuls Gellius Publicola et Cor-
nélius Lentulus. La division était parmi les rebelles : Crixus
et ^nomaiis, chefs des esclaves gaulois, accusant Spartacus
de timidité, s'étaient séparés de lui (en 72 av. J.-C. ).
Crixus, après une victoire, fut surpris et tué près du mont
Garganus, en Lucanie , dans une bataille contre le consul
Gellius. Spartacus répare ce désastre par la défaite succes-
sive des deux consuls. A la suite de cette victoire , pour
honorer les mânes de Crixus, il força quatre cents prison-
niers romains à combattre comme gladiateurs autour du
bûcher de ce chef. Il vainquit ensuite le préteur Cn. Manlius
au pied de l'Apennin , puis , près de Modène, Cassius, pré-
teur de la Gaule Cispadane. Ainsi , toujours combattant et
victorieux , il était arrivé de l'extrémité méridionale de l'I-
talie jusqu'aux rives du Pô; ce Meuve, débordé, arrêta sa
marche vers le nord. Mais c'est en vain qu'il veut sortir
de l'Italie : ses soldats osent concevoir le projet d'assiéger
Rome; et Spartacus, après leur avoir fait de vaines repré-
sentations, abandonne à regret son plan, et se laisse en-
traîner.
L'effroi était au comble à Rome. Le sénat, indigné
contre les consuls, leur envoya l'ordre de déposer le com-
mandement, et nomma (an 71 av. J.-C.) le préteur Licinius
Crassus pour continuer la guerre. On lève six légions de
vieilles troupes, et ces forces imposantes obligent les esclaves
de renoncer à leur projet sur Rome. Crassus alla camper
dans le Picenum, pour y attendre Spartacus, qui dirigeait
sa marche vers cette contrée et battit en route Mummius ,
lieutenant du préteur, qui commandait deux légions. Cassius
décime ces deux légions. Il couvre le Latium, bat, dans la
Lucanie , les esclaves gaulois et germains qui s'étaient de
nouveau séparés de Spartacus, et pousse ce dernier jusqu'à
Rhegium, à l'extrémité méridionale de l'Italie. Sjiartacus es-
pérait passer en Sicile , pour y rallumer les feux mal éteints
de la seconde guerre des esclaves; mais il fut trahi par des
pirates ciliciens sur lesquels il comptait pour effectuer son
passage. Crassus, pour lui fermertoute retraite , faitcreuser un
fossé de quinze pieds, sur une longueur de quinze lieues,
d'un rivage à l'autre de l'Italie. Spartacus, à la faveur d'une
nuit pluvieuse, force ce retranchement, revient en Lucanie,
où il bat le questeur Tremellius Scrofa et le lieutenant
Quinctius. Ce succès , en inspirant aux lugitils une confiance
sans bornes, causa la perte de Spirlacus : ne voulant plus
éviter le combat ni obéir à leurs chefs, ils les contraignent
de revenir sur leurs pas à travers la Lucanie, et de les
mener contre les Romains. Spartacus se vil donc dans la
nécessité d'accepter la bataille que Crassus, pressé de ter-
miner la guerre, ne cessait de lui offrir : elle se livra près
du ll(!uve Silarus, dans le pays des Hirpins. Spartacus se
pré(;iiiite au mdieudes ennemis, cherchant à joindre Cras-
sus , et tue deux centurions qui s'attachaient à lui ; enfin ,
resté seul par la mort ou par la fuite de tous les siens , il
vendit chèrement sa vie. Quarante mille esclaves étaient
restés sur le champ de bataille, cinq mille se retirèrent dans
la Lucanie, où Pompée, qui arrivait d'Espagne , les tailla
en pièces. Dès ce moment Rome et l'Ilalie furent en paix;
les glailiateurs et les esclaves reprirent le joug.
Charles Du Rozoir.
SPARTE ou LACÉDÉMONE.ou encore LacoHJe, con-
trée du Péloponnèse, et après Athènes l'État le plus ira-
portant de la Grèce, confinait à la Messénie, à l'Arcadie, à
l'Argolide età la mer. Plus tard on y comprit aussi la Mes-
■sénie. C'est un pays montagneux. Deux embranchements
des montagnes de l'Arcadie , à l'ouest la haute chaîne du
Taygète et à l'est le Parnon (appelé aujourd'hui Malevo)
coupent le pays en deux parties, du nord au sud, en formant
au centre une grande vallée, appelée par les anciens Lacé-
démone la creuse, et parcourue par l'Eurotas. La chaîne
orientale aboutit au promontoire Maléa, la chaîne occidentale
au cap Tœnarum. Le pays , protégé par ses hautes mon-
tagnes, où existent peu de passages ou défilés, abondait en
marbre noir et en porphyre vert, qu'on trouvait dans le
Taygète, et était très-giboyeux. Les vallées offraient quel-
ques parties fertiles , mais pas en assez grande quantité.
La capitale, Sparte ou Lacédémone, bâtie sur plusieurs col-
hnes prolongements du Taygète et sur la rive occidentale de
l'Eurotas, comptait au temps de sa plus grande prospérité,
en y comprenant les Ilotes, environ 60,000 habitants, et
Jusqu'au règne du tyran Nabis (environ 250 av. J.-C.) resta
.sans murailles, la population se trouvant sulfisamment pro-
tégée par la situation de la ville et par sa bravoure. Les
plus célèbres de ses édifices, places publiques et monuments
étaient ce qu'on appellerait aujourd'hui l'hôtel de ville , le
portique construit avec le butin fait sur les Mèdes et orné
des statues de Mardonius et d'Arléraise, le théâtre, bâti tout
en marbre blanc, les tombeaux des rois, le temple d'Atbênê
Chalciœcos, bâti sur l'acropole, mont peu élevé, où périt le
traître Pausanias, le cirque ou Spéjjioç, garni de platanes,
et une place entourée de tombeaux , enfin au sud, hors delà
ville, riiippodrome. Les ruines, encore existantes, de l'an-
cienne ville, qu'on crut autrefois à tort découvrir à Mi-
sitra, fondé seulement en 1207, par Guillaume deVilie-Har-
douin, se trouvent à environ 6 kilomètres à l'est de là,
et sont désignées sous le nom de Palseochori par la popula-
tion locale. Gell, Leake et Boblaye, dans leurs ouvrages
sur le Péloponnèse, en ont donné une exacte description et
en partie la représentation.
Parmi les autres villes on distinguait Amyclée; plus loin,
sur la rive gauche de l'Eurotas, Therapné ; Helos, sur le
golfe de Laconie, dont les habitants avaient été subjugués et
réduits en esclavage; Gytheum, le port principal de Sparte,
et où on s'embarquait pour passer en Crète; Épidaure,
surnommée Limera, sur la côte orientale , place fortifiée et
pourvue également d'un bon port; Sellasia, célèbre par la
bataille qu'y perdit le roi Cléomène II; Caryœ, endroit con-
sacré à Artémiseet aux nymphes, où les jeunes Laconiennes
exécutaient chaque année des palestres solennelles et des
danses nationales.
L'histoire primitive de Sparte, comme celle de la Grèce
en général , se perd dans d'obscures traditions. On désigne
comme les plus anciens habitants de la contrée les Lélèges et
les Pélasges, puis à l'époque de la guerre de Troie les Achéens
comme peuplade principale et les Atrides comme souverains.
Après l'invasion du Péloponnèse par les Doriens , vers l'an
1104 av. J.-C, Eurysthène et Proclès, dans le partage qui
s'en fit, s'attribuèrent la Laconie ; de là l'usage qui s'y per-
pétua, d'avoir toujours deux rois à la fois. La race dorienne
y développa dès lors peu à peu les qualités qui la caractéri-
saient, protégée qu'elle était contre toute influence étrangère
par la clôture exacte de son territoire. Les luttes contre les
Achéens restés dans le pays se prolongèrent encore pendant
plusieurs siècles, et il finit par en résulter une division triple
delà population, composée des Doriens dominateurs, ou des
Spartiates proprement dits ; des Périèces , c'est-à-dire des
habitants primitifs de la capitale, ou Lacédémoniens, comnie
on appelait les Achéens vaincus, qui jouissaient bien de ia li-
berté personnelle et de la propriété du sol, mais qui ne par-
ticipaient point aux affaires publiques; enfin, des 1 lot es, on
serfs. Tout ce qu'on sait du développement ultérieur de l'État
à cette époque , c'est qu'il fut souvent le théâtre de luttes
sanglantes entre la puissance royale et le peuple. Enfin, Ly-
curgiie, tuteur et parent du roi Charilaùs, mit de l'ordre
dans cette anarchique confu.sion, en étabhssant, vers l'an 884
av. J.-C, une nouvelle constitution , composée d'éléments
divers, età laquelle il donna pour base une sévérité hé-
réditaire de mœurs et d'habitudes. L'indépendance, la modé-
ration et l'unité politique, qui furent le résultat de cette
réforme politique, et surtout l'esprit guerrier qu'elle provo-
qua ne tardèrent pas à se manifester par l'assujettissement du
SPARTE
801
ce qui restait encore d'habitants acliéens , puis par la con-
quête de la Messénie et par les guerres heureuses soutenues
contre les Arcadiens. Par la suite les Spartiates étendirent
leur iniluenre sur presque tous les États du Péloponnèse,
dans les affaires intérieures desquels ils intervinrent, parti-
culièrement en prenant la défense de l'aristocratie contre la
tyrannie d'une part et la démocratie de l'autre. L'éclat de
leur gloire s'accrut surtout lors de l'invasion de la Grèce par
les Perses, quand leur roi Léonidas(an 480 av.J.-C. )
s'immortalisa aux Thermopyles et quand , l'année suivante,
Pausanias gagna la célèbre bataille de Platée. Mais peu de
temps après, la guerre des Perses ils essayèrent de s'emparer,
de la façon la plus arrogante, d'un droit de souveraineté ou
d'hégémonie sur le reste de la Grèce, qu'ils s'étaient à l'ori-
gine contentés de s'attribuer seulement sur le Péloponnèse ;
et alors ils rencontrèrent dans Athènes un dangereux adver-
saire. Les Athéniens, il est vrai, à la suite de la guerre du
Péloponnèse, que Lysandre termina, en l'an 404, par la prise
de leur ville, se trouvèrent complètement humiliés et décou-
ragés; mais Sparte perdit bientôt tous les fruits de sa victoire
par son arrogante conduite, et surtout en favorisant l'oli-
garchie, odieuse à tout le reste de la Grèce, de sorte qu'A-
thènes, et môme Thébes piîndant quelque temps sous Épa-
m inondas et Pélopidas, purent lutter avec succès contre
elle. Pendant le cours de ces événements Sparte s'était de
plus en plus éloignée du caractère fondamental de ses insti-
tutions. Cent ans après la mort de Lycurgue elles avaient
subi une modification essentielle par la création des é p h o r e s ,
autorité protectrice du peuple, qui paralysait le pouvoir royal.
Quand, bientôt après, l'État ambitionna fl'ac(roîfresa puis-
sance, on vit les richesses etl'amourde l'argent se répandre
de plus en plus parmi les citoyens, de même que la corruption
parmi les magistrats; et la forme du gouvernement, par
suite de Tinégalilé toujours croissante des fortunes et de la
masse toujours plus grande des habitants libres, mais sans
droits politiques, se changea en une oppressive oligarchie.
C'est ainsi que l'État lacédémonien marcha rapidement
vers sa dissolution , sans pouvoir jamais reprendre complè-
tement son ancienne vigueur. Vers le milieu du troisième
siècle avant J.-C. le roi Agis 111 chercha bien à ramener
l'ancien ordre de choses par un nouveau partage des terres
et par l'admission de nouveaux citoyens; et le roi Cleomè-
ne III , qui supprima l'éphorat, s'eflorça encore davantage
de rétablir l'égalité civile et de remettre en vigueur les
institutions de Lycurgue, tombées complètement en oubli;
mais il périt, l'an 222 av. J.-C, à la bataille de Sellasia,
livrée contre les Macédoniens , conmiandés par Antigone
Donon, et contre les Achéens, leurs alliés; après quoi Sparte
tomba dans l'anarchie, et Nabis s'y établit comme tyran, en
l'an 207 av. J.-C. Les Romains finirent par intervenir dans
les démêlés des Spartiates avec les Achéens, et s'emparèrent
du Péloponnèse, en l'an 146 av. J.-C. Sparte conserva alors
une ombre de libei té , et même encore sous les empereurs
romains; mais plus tard elle perdit ce dernier souvenir de
son antique grandeur, et tomba dans une obscurité profonde.
Lors de l'invasion des Goths, en l'an 395 de notre ère, les
habitants abandonnèrent la capitale ; et de nouvelles dévas-
tations furent commise en Laconie, à partir du règne de Jus-
tinien, au sixième siècle, par les Slaves et autres peuplades
barbares. A l'époque de l'Empire Byzanlin, Sparte, comme
gouvernement particulier, fut attribuée à titre d'apanage aux
frères ou aux fils de l'empereur régnant; et au quinzième
siècle encore, à l'époque de l'empire franc de Byzance, le
tyran Léon Chamarètes réussit à s'y maintenir, quoique
Godefroidde Ville-Hardouin fùtprincede Morée et d'Achaïe.
Le frère de ce dernier tomba au pouvoir de l'empereur Mi-
chel Paléologue, et lui rendit la ville deMisitra, qui pendant
ce temps-là s'était élevée à côté de l'ancienne Sparte : à cette
époque les Lacédémoniens servaient encore à bord de la
flotte impériale. A partir du quinzième siècle, Sparte resta
l'esclave des Turcs jusqu'en 1832, époque où elle fut incor-
porée au royaume de Grèce.
La constitution spartiate, qui offrait des particularités si
remarquables, semble avoir reçu de Lycurgue ses pre-
mières bases et avoir subi ensuite diverses modifications. Dès
l'époque la plus reculée la forme du gouvernement était une
aristocratie ayant à sa tète deux rois, dont le rôle se bornait
à présider le sénat , à administrer et diriger les sacrifices
publics et à servir de chefs à la guerre, et qui jouissaient
dans la ville de grands honneurs, mais de peu de pouvoir.
Le sénat, appelé gérousia, se composait, indépendamment
des deux rois, de vingt-deux membres élus par acclamation
populaire, qui devaient être âgés de soixante ans , d'une vie
irréprochable, mais qui, une lois nommés, demeuraient
pendant le restant de leurs jours en possession de cette di-
gnité, à laquelle n'était attachée aucune responsabilité. Les
attributions du sénat comprenaient la direction supérieure
des affaires publiques et la justice criminelle. Le peuple
avait, il est vrai , .ses assemblées particulières, mais ne pou-
vait prendre l'initiative dans aucune occasion. Il décidait
de l'élection des sénateurs , vraisemblablement aussi de
celle des éphores , de tous les traités à conclure avec les
étrangers, des lois nouvelles, etc. Insensiblement, l'élément
démocratique arriva à prendre le dessus, grâce aux éphores,
qui étaient élus au nombre de cinq, et seulement pour une
année. Ce n'étaient à l'origine que des magi>trats de l'ordre
judiciaire; mais peu à peu ils élargirent tellement le cercle
de leurs attributions qu'ils finirent par exercer tous les pou-
voirs de la souveraineté.
Un fait bien important encore , c'est le partage de la pro-
priété territoriale, attribué à Lycurgue, en 9,000 grands lots
pour les Spartiates, et 30,000 lots moindres pour les Pétiè-
ces, les uns et les autres déclarés par la loi indivisibles et in-
cessibles ; institution qui se maintint jusqu'à Lysandre. Les
Périèces cultivaient eux-mêmes leurs champs; les Spar-
tiates abandonnaient la culture des leurs aux Ilotes moyen-
nant un droit de fermage , car eux-mêmes ne s'occupaient
que de chasses ou d'exercices de corps, de préparatifs de
guerre , ou bien de délibérations relatives à l'intérêt général.
L'éducation de la jeunesse était aussi dirigée dans ce but ;
elle commençait à partir delà septième année sous la sur-
veillance de l'autorité publique , et consistait en exercices
gymn istiques, en habitudes d'obéissance, ainsi qu'à ap-
prendre à supporter la douleur. Les repas en commun des
hommes , les phidilia ou syssUia , n'élaient pas précisément
misérables, mais peu luxueux ; et le fameux brouet noir, ou
soupe au sang, ne pouvait guère ragoùter que des individus
affamés. Du reste, la loi avait prescrit la nature des mets, qui
étaient préparés par une corporation de cuisiniers et assaison-
nés par de joyeux propos .qu'écoutaient les enfants assis aux
pieds de leurs pères. On buvait du vin avec modération,
et à même des cruches en terre, car il était défendu de se
servir de gobelets. Cependant, le Spartiate n'était l'ennemi
ni de la beauté ni de l'art. On aimait à Sparte la musique et
la danse; dans les fêtes des dieux on exécutait des chœurs
solennels , et dans la guerre comme dans la paix on faisait
retentir l'air de chants. Il n'y a pas jusqu'au drame, à
l'art lyrique, à la rhétorique et à la plastique, qui n'eussent
reçu à Sparte des formes particulières. L'art militaire
du Spartiate ne brillait qu'en rase campagne; il s'enten-
dait bien moins à faire des sièges ou à combattre derrière
des murailles. L'armée même se composait de Spartiates,
de Lacédémoniens et d'Ilotes, et formait six grandes divi-
sions, à la tête desquelles étaient placés les rois ( d'abord tous
les deux à la fois , mais plus tard un seul ), les polémarques,
et par la suite aussi deux éphores. Sa force principale con-
sistait en AopH /es, ou hommes pesamment armés, et qui
portaient une cuirasse d'airain, un très-grand bouclier,
une longue lance, une épée courte, avec un casque et un
manteau rouge. Mais ce qui contribuait surtout à lui faire
remporter la victoire, c'était l'excellence de sa tactique , son
exacte subordination et la sévérité de sa discipline. Eu re-
vanche , les forces navales étaient encore insignifiantes à
l'époque de la guerre des Perses, et elles ne prirent de
302
SPARTE — SPEAKER
l'importance quedans la guerredu Péloponnèse. Lesdépenses i
publiques , peu considérables , étaient couvertes par le tribut
imposé aux Périèces , par le revenu des terres appartenant
à l'État, et aussi dans certains cas par des impôts extraor-
dinaires. Déjà Lycurgue, pour mettre un frein à la fureur
du lucre, avait défendu aux citoyens l'usage de l'or et de
l'argent comme moyen d'échange , et n'avait autorisé qu'une
monnaie d'airain , qui naturellement n'avait pas cours hors
du territoire de l'État. Il se peut cependant que les magis-
trats et les Périèces qui pratiquaient le commerce eussent été
exemptés de celle loi. Aucun Spartiate ne pouvait s'éloignei
du territoire de la république san? l'autorisation des magis-
trats ; et de même il était interdit aux étrangers de faire un
long séjour à Sparte. C'est la manière brève et énergique
dont les Spartiates avaient coutume de parler dans leurs as-
semblées publiques , dans leurs repas et même dans les
relations orilinaires de la vie , qui est cause qu'aujourd'hui
encore on désigne sous le nom de laconisme une manière
ingénieuse de dire et d'écrire beaucoup de choses en peu
de mots. Consultez Manso, Histoire et Constitution de
Sparte (en allemand; 5 vol., Leipzig, 1805); Lachmann,
Antiquitatum Laconicarum Libelli VI ( Marbourg,
1841).
SPARTERlE.Ondésignesous ce nom les divers ouvra-
ges tressés en sparte, comme tapis, cordes, tissus, chaussu-
res, etc. Après la récolte du sparte ( il croît sans culture dans
les royaumes de Valence et de Murcie, et c'est de là aussi
qu'on en tire l'espèce la plus estimée), on le laisse sécher pen-
dant huit jours avant de le mettre en bottes et de le rentrer.
Pour en taire des cordages , on le met rouir pendant quinze
à vingt jours dans de l'eau de mer. On le bat ensuite encore
humide, et on le rend aussi flexible que de la filasse; ce
qui donne la facilité d'en fabriquer divers ouvrages d'utilité
domestique. Les tapisseries confectionnées en sparte résistent
à l'humidité des murs et des planchers; et elles conviennent
d'autant mieux pour alcôves et lits, qu'elles éloignent les
punaises et autres insectes. On fabrique en Espagne une
foule d'ustensiles en sparte, comme paniers, corbeilles,
jusqu'à des lits et des commodes. Cette industrie s'intro-
duisit en France vers le milieu du siècle dernier ; elle pros-
père encore aujourd'hui à Paris et dans quelques départe-
ments voisins, notamment dans celui de l'Aisne.
SPAKTIAi\US(JELius). foj/es Spartien.
SPARTIEN, jEtius Spartianus, le plus important
d'entre les écrivains de l'Histoire Auguste, vivait à la fin du
troisième siècle, vraisemblablement à la cour de Dioclétien ,
et composa une histoire des empereurs romains depuis
César jusqu'au temps où il vivait, sous forme de biogra
phies séparées, parmi lesquelles celles d'Adrien , de Verus,
de Julianus , de Sévère , de Pescenius Niger et de Geta sont
seules parvenues jusqu'à nous, bien qu'on lui en attribue
quelques autres. Son style et sa manière d'exposer trahis-
sent le défaut de goût et la décadence dé la langue. Voyez
Lampridius.
SPASME (du grec anaçiiô; ), contraction involontaire,
mouvement convulsif des muscles ou des nerfs. Ce mot est
généralement usité comme synonyme de convulsion.
SPASME CYl\IQlJE. Voyez Canin.
SPATH. On désignait autrefois sous ce nom plusieurs
minéraux aistallisés, qui présentent une texture lamelleuse
et chatoyante. C'est ainsi que l'on appelait spath pesant le
sulfate de b a r y t e , spath adamantin le corindon ada-
mantin , spath boracique laboracite, spath cubique la
kaLV?\én\\.e , spath étincelant l'orthose, spath d'Islande
le carbonate de chaux rhomboédrique, spath en table la
wollastonite , spath fluor ou spath vitreux la fluorine,
spath perlé la d o 1 o m ie , spath séléniteux le g y p s e, etc.
Les cristaux rhomboédriques de spath d'Islande jouissent,
lorsqu'ils sont parfaitement limpides, delà singulière pro-
priété de doubler l'image des objets sur lesquels on les appli-
que. Les aneiens traités de minéralogie distinguent plus de
trente espèces de spaths. JVlaintenant que la nature chimique
de toutes ces substances est parfaitement connue , ce nom
est entièrement exclu du langage scientifique.
TOCRNAL.
SPATHE. Les botanistes donnent ce nom aux bractées,
souvent très-grandes, qui accompagnent l'inflorescence de
beaucoup de monocotylédonées , et qui ont commencé gé-
néralement par leur former une enveloppe protectrice. Ces
spathes sont tantôt monophylles, tantôt diphylles, etc.
SPATHIQUE ( Fer ). Voyez Sidérose.
SPATULE ( Ornithologie) , gems d'oiseaux de l'ordre
des échassiers, très-voisin des hérons et des c igognes,
dont les spatules se distinguent cependant à première vue
par la forme singulière de leur bec, forme à laquelle elles
doivent leur nom : ce bec, très-long , droit , flexible , est en
effet très-aplati , dilaté et arrondi vers son tiers antérieur,
à la manière d'une spatule. Du reste, comme les cigognes,
les spatules ont une petite langue, des tarses réticulés et
des palmures assez grandes. Elles vivent dans des marais
boisés, à l'embouchure des fleuves et des rivières. Ce sont
des oiseaux très-sociables et migrateurs.
La spatule blanche (platalea leucorodia, L.)', vul-
gairement bec à cuillère, habite l'Europe. Son plumage est
blanc , à l'exception de la poitrine, où se dessine un large
plastron, d'un jaune roussàtre. Le bec et les tarses sont
noirs. Quand cet oiseau atteint l'âge de deux ans, son oc-
ciput se revêt d'un huppe très-touffue, très-longue, com-
posée de plumes déliées et subulées.
La spatule rose (platalea ajaja , L. ) , particulière aux
climats chauds de l'Amérique , porte au Brésil le nom d'a-
jaja et au Paraguay celui de guirapita. Son plumage ,
d'abord entièrement blanc , devient rose tendre et ensuite
rose vif.
Le genre spatule renferme encore d'autres espèces , dont
une, [nspatule à/ront nu ( platalea nudi/rons , Cuv.),
habite le cap de Bonne-Espérance et le Sénégal.
SPAUR (M™^ de). Voyez Dodwell.
SPEACH , mot anglais qui signifie discours. La vie pu-
blique , en Angleterre , abonde en circonstances oîi il y a
nécessité ou convenance pour un homme occupant une cer-
taine position dans le monde d'adresser à ses concitoyens
quelques observations orales relativement à des intérêts
privés ou généraux , politiques ou commerciaux, ou encore
Fcligieux. Comme le droit de réunion est une des libertés
nationales auxquelles l'Anglais attache avec raison le plus
de prix, l'exercice de ce droit lui fournit à chaque instant
l'occasion de chercher à faire adopter ses idées propres par
ceux de ses concitoyens qui se trouvent rassemblés autour
de lui ; de là un déluge de speaches , de discours, plus ou
moins sensés, plus ou moins oratoires et fleuris, dont les
journaux ne manquent pas de remplir leurs colonnes, pour
peu que les questions traitées dans les réunions où ils ont
été prononcés aient de l'actualité. Les meetings se termi-
nent toujours par des resohitions votées avec acclamations
par un auditoire auquel des speaches nombreux on* préala-
blement démontré la justesse et l'utilité des motions sou-
mises à son approbation. Dans les banquets politiques (Dieu
sait si on se fait faute de banqueter, de l'autre côté du dé-
troit!), chaque toast est précédé d'un speach prononcé
par celui qui le propose à l'assistance.
C'est là un usage de nos voisins qui tend à se répandre
de plus en plus parmi nous, parce qu'il se prête admirable-
ment à la réclame industrielle (et où ne se fourre-t-elle pas
aujourd'hui.'). Le mot speach a donc reçu en quelque sorte
droit de cité en France pour désigner les allocutions adres-
sées à un auditoire quelconque, bénévole ou officiel, par
des individus qui saisissent avec empressement la moindre
occasion de mettre ainsi en relief leur petite personnalité, et
qui, bien qu'il s'agisse d'intérêts généraux , n'oublient ja-
mais dans ces occasions leurs intérêts particuliers. En un
mol, le speach, c'est la réclame parlée.
SPEAKER, mot anglais qui signifie orateur, et qui est
la qualification de l'homme politique que nous appellerions
SPEAKER — SPÉCULATEUR
dans notre langue le président de la chambre des com-
munes. C'est la chambre qui élit elle-même son speaker au
début de chaque législature. H reçoit un traitement de
6,000 \iv. st. ; et comme d'ordinaire on le réélit pendant
plusieurs sessions successives, il obtient la pairie pour re-
traite avec une pension de 5,000 liv. st.
SPÉCIALES (Armes). On comprend sous cette déno-
mination l'artillerie et les troupes du génie , parce qu'elles
ont une technique et une science particulières.
SPECIES ou SPECIESTHALER. C'est le nom qu'on
donne aujourd'hui en Allemagne aux tkalers frappés au
module des anciens thalers de ï'E.mym {reichslhaler)\
mais il n'y a que l'Autriche qui en mette en circulation, et
depuis 1851 le titre de ces monnaies est de 9/10 d'argent fin
et 1/10 d'alliage.
Le species danois équivaut à deux rigsdales ou rigs-
bankdalers. En Norvège le species a la même valeur qu'en
Danemark ; seulement il est divisé en cinq marks.]
SPÉCIFICATION (Droit). Voyez Accession.
SPÉCIFIQUE (Pesanteur). Voyez Densité.
SPÉCIFIQUE (Matière médicale), nom donné aux
médicaments qui ont une action déterminée contre telle es-
pèce de maladie plutôt que contre telle autre. Le quin-
quina a une action spéci^gwe contre les maladies pério-
diques.
SPECTACLE (du latin spectaculitm). C'est tout
objet, tout ensemble d'objets attirant les regards, l'atten-
tion, arrêtant la vue : Le spectacle de la nature; Un champ
de bataille est un \\0Tnb\e spectacle. Se donner en .spec-
<ac^e, c'est s'exposer aux regards et au jugement du public.
Spectacle se dit particulièrement d'une représentation
théâtrale donnée au public : Une salle de spectacle, une
pièce à spectacle; il fallait au peuple romain du pain et des
spectacles (panem et cir censés). Une loi du 7 frimaire
an v (27 novembre 1796) établit « un décime par franc
en sus du prix de chaque billet d'entrée pendant six mois
dans tous les spectacles où se donnent des pièces de thé.! Ire,
des bals , feux d'artifice , concerts , courses et exercices de
chevaux , etc., pour lesquels les spectateurs payent. Le
produit de la recette sera employé à secourir les indigents
qui ne sont pas dans les hospices ». Des lois ultérieures ont
maintenu depuis plus de soixante ans cet impôt, créé ori-
ginairement pour six mois seulement, et dont le produit
figure aujourd'hui pour plusieurs millions dans le budget
des recettes de l'administration des hôpitaux et hospices de
Paris (voyez Art dramvtique, Fêtes, Jeux, Théâtre).
SPECTACLES GRATIS. Voyez Gratis (Spec-
tacles).
SPECTRE, fantôme, figure fantastique que l'on croit
voir. La peur a fait les spectres et les apparitions (voyez
Revenant). Familièrement et par exagération, C'est un
spectre se dit d'une personne grande, hâve et maigre.
SPECTRE (Conchyliologie). Voyez Cône (Histoire
naturelle).
SPECTRE (Entomologie). On donne ce nom à quel-
ques insectes de la famille des sphingiens, tels que le
sphinx du tilleul, etc.
SPECTRE SOLAIRE. Si l'on fait pénétrer un rayon
du soleil dans une chambre obscure, et qu'on le réfracte
ensuite par l'angle d'un prisme , au lieu de l'image blanche,
nette et circulaire qu'il produisait d'abord sur la paroi de
la chambre , ou sur le tableau destiné à la recevoir, et sur
lequel elle arrivait directement, on en obtient une autre, qui
a le môme diamètre transversal , mais qui est fort allongée
dans le sens de la réfraction ; et cette nouvelle image, vive-
ment colorée de toutes sortes de nuances, depuis le rouge jus-
qu'au violet , est ce qu'on nomme spectre solaire. Si entre ce
dernier et le prisme on place à une distance donnée une
planchette percée de sept trous, convenablement séparés
entre eux, on obtient, au moyen de ce diaphragme, sur
le tableau et à la place du spectre solaire , sept images cir-
culaires différemment colorées dans l'ordre suivant : le
303
roiige , Yorangé , le jaune, le vert, le bleu, Yindigo
et le violet ; mais ces diverses couleurs sont inégalement
réfrangibles, puisque les unes et les autres ont été inéga-
lement dérangées dans leur direction par l'action du pris-
me , le violet le plus , le rouge le moins. Leur rapport de
réfrangibilité s'apprécie par l'écartement qu'il faut met-
tre entre les trous de la planchette, pour obtenir des cou-
leurs pures. Ces sept couleurs particulières doivent se consi-
dérer comme les éléments constituants de la lumière blanche ;
il suffit , pour s'en convaincre, de les faire toutes converger
sur une même surface au moyen de sept mi roi rs: elles
reforment alors du blanc, le même que celui de l'image du
rayon solaire arrivant directement sur le tableau. De môme,
si l'on réunit trois de ces couleurs d'un côté et quatre de
l'autre, on obtient deux nuances complémentaires l'une de
l'autre, et dont la réunion ou fusion produit encore le blanc.
Quoique quelques- unes de ces sept couleurs se produisent
par la réunion de deux autres, il n'en faut pas moins les
considérer comme simples, élémentaires, parce qu'elles sont
indécomposables par de nouveaux prismes.
Avec des prismes diaphanes de différentes substances,
ou avec des prismes de verre creux remplis de divers liquides
incolores, on obtient constamment des spectres formés des
mêmes couleurs et dans le môme ordre; mais à angle ré-
fringent égal , la longueur du spectre varie avec la substance
dont le spectre est formé. Pour des prismes de même sub-
stance, la dispersion décroît avec l'angle réfringent du piisme.
Enfin, la nuance qui domine dans une flamme artificielle est
également celle qui domine dans son spectre.
En observant le spectre solaire avec une lunette, on y
remarque environ six cents petites bandes obcures, que
l'on appelle les raies du spectre. Il en est sept plus appa-
rentes que les autres : Fraùnhofer les signala le premier, et
elles ont conservé son nom. Les raies des spectres provenant
de la lumière des planètes, de la Lune, des nuages, de l'at-
mosphère, sont identiques à celles du spectre solaire. Leur
position est différente dans les spectres produits par une
lumière artificielle ou par celle des étoiles; avec la lumière
électrique, des raies brillantes remplacent les raies obscures.
SPÉCULAIRE (Fer). Foycs Oligiste (Fer).
SPÉCULATEUR, SPÉCULATION. La spéculation
est l'action d'observer attentivement : spéculation des as-
tres, spéculation métaphysique, spéculations politiques.
Chez les Latins le mol contemplatio exprimait l'idée de la
spéculation; et aujourd'hui encore la vie spéculative est la
même chose que la vie contemplative. Le mot spéculation
signifie encore théorie. En ce sens il est opposé à pratique :
Ceci est bon dans la spéculation, et ne vaut rien dans la
pro^iç'Me. Enfin, il sedit particulièrement des projets, des rai-
sonnements, des calculs, des entreprises qu'on fait en matière
de finance, de commerce, etc.
Le spéculateur est aujourd'hui l'homme qui se livre à
des calculs ou à des combinaisons commerciales. Autrefois
l'acception de ce mot était toute militaire, et il servait à
désigner les sentinelles. Le nom lalindes guérites était spe-
Ciila ; et les Byzantins entouraient leurs camps de spécula,
où des speculatores veillaient et faisaient le guet.
[ Le commerce de spéculation consiste plutôt à acheter
une marchandise lorsqu'elle est à bon marché, pour la
revendre lorsqu'elle est chère, qu'à l'acheter au lieu où
elle vaut moins pour la revendre au lieu où elle vaut plus.
Cette dernière opération constitue le commerce proprement
dit; elle donne une véritable /açon aux produits, leur
communique, en les meltanl à portée du consommateur,
une qualité qu'ils n'avaient pas. Le spéculateur n'est d'aucune
utilité, si ce n'est pourtant de retirer une marchandise de
la circulation lorsqu'elle y est trop abondante, pour l'y re-
verser lorsqu'elle y est trop rare. Elle est trop abondante
lorsque l'avilissement de son pria; nuit à sa /)rorfMC</on;
elle est trop rare lorsque les besoins de la consommation
la font payer par le consommateur à un prix qui surpasse ses
frais de production. J.-B. Say, de l'Institut.]
304
SPEISS — SPERANSKY
SPEISS. Foyes Cobalt.
SPENCER ( Georges JoHK, comte), célèbre bibliophile,
naquit en 1758, et était fils du baron Spencer, cr<^é en 1761
vicomte Allhorp et en 1765 comte Spencer. Élu membre du
parlement au retour d'un voyage qu'il était allé faire en di-
verses contrées de l'Europe, il succéda en 1783 à son
père en qualité de membre de la chambre haute. Issu d'une
famille whig, il appartenait à l'opposition; mais, effrayé par
la révolution française, il passa dans le camp ministériel. En
1794 il fut nommé premier lord de l'amirauté, et conserva
ces (onctions jusqu'en 1800. Ilabandonnale pouvoiravecPitt,
en 1801 ; puis, sons l'administration de Fox et de Grenville, il
futde nouveau ministre de l'intérieurpendantquelque temps.
Depuis, il vécut complètement en dehors de la politique, et
mourut le 10 novembre 1834. Il fut le créateur de la biblio-
thèque particulière la plus riche et la plus considérable qui
existe aujourd'luii en Europe. II la commença en 1789 , en
achetant au prix d'une rente annuelle de 500 liv. st. la col-
lecliondu comte Rewiczki, qu'il accrut ensuite d'une manière
vraiment princière, faisant parcourir l'Europe par des hommes
chargés d'acheter pour son compte tous les livres rares et
curieux qu'ils jugeraient dignes d'y entrer. La plus grande
partie de cette précieuse collection se trouve aujourd'hui au
château d'Althorp, situé à quelu»4es milles de Londres, et
ne comprend pas moins de 45,00« volumes. Le reste est à
Londres. Dans sa Biblïolheca Spenceriana ( 4 vol., Lon-
dres, 1814), ouvrage imprimé avec un luxe extraordinaire,
Dibdin a décrit les richesses qu'elle comprend en fait de
monumenls primitifs de l'art typographique et d'éditions
princeps des auteurs classiques. Le comte Spencer fonda
également une magnifique galerie de tableaux, dont le même
Dibdin a donné la description dans le premier volume de son
ouvrage intutilé : ^des Allhorpïanx (2 vol., Londres,
1823).
SPENCER (John-Charles, comte), fils aîné du précé-
dent, homme d'État anglais, plus célèbre sons le nom de lord
Althorp, naquit le 30 mai 1782, et entra en 1803 à la cham-
bre des communes , oîi il défendit depuis toutes les grandes
mesures réformatrices et réparatrices. Dans la session de
1828, il contribua puissamment à faire adopter l'abolition
de l'acte du test et à faire triompher l'émancipation catho-
lique. Quand les whigs arrivèrent au pouvoir en 1830 , il fut
appelé aux fonctions de chancelier de l'échiquier. Dans les
discussions qui eurent lieu au sujet de la réforme par-
lementaire, il seconda lord Brougham dans ses efforts
pour faire triompher cette mesure, à bon droit populaire.
Sans faire précisément [)reuve d'un remarquable talent de
parole, il réussit à exercer sur la chambre des communes
une grande influence , par la netteté de ses aperçus politiques
et par la haute probité dont étaient empreintes toutes ses
explications. Quand, en 1834, lord Grey, fatigué des atta-
ques et des exigences du parti irlandais, résolut d'aban-
donner le ministère, lord Althorp voulut l'accompagner
dans sa retraite; cependant, il consentit à reprendie son
portefeuille. Mais son père étant venu à mourir la même
année, fone lui fut d'y renoncer définitivement pour entrer
à la chambre haute, et aussi parce que le cabinet avait
besoin d'un autre défenseur dans la chambre basse. Le roi
Guillaume IV profita de celle occasion pour congédier à la fois
tous ses minisires whigs, et pour confier aux tories la com-
position d'un nouveau cabinet. Depuis cette époque, le
comte Spencer [.rit rarement la parole à la chambre haute,
et se consacra à peu près tout entier aux travaux de l'agri-
culture. Il mourut en 1845.
Ses titresel sa fortune passèrent à son frère cadet, Fr^rf^rJc,
né en 1798, qtiatrième comte Spencer, qui servait dans la
marine, et qui est aujourd'hui contre-amiral.
Un autre frère puliié, Georges Spencer, né en 1799, autre-
fois ministre de l'Église anglicane, embrassa depuis le catho-
licisme, reçut l'ordre de la prêtrise à Rome, se rendit fameux
sous le nom de Père Ignace par ses sermons et ses missions
eu Angleterre et en Irlande, et mourut en 1847.
\ SPENSER (Edmund), l'un des anciens poètes anglais
les plus remarquables, naquit en 1553, à Londres. Protégé
par sir Thomas Sydney, il lui dédia, en 1579, son Shepherd's
Calendar, poëme pastoral en douze églogues, qui appela
sur lui l'attention générale. A la recommandation de Sydney,
il fut nommé en 1528 secrétaire de lord Grey , gouverneur
d'Irlande, avec qui il passa deux années dans ce pays. En
1586 on le gratifia d'une propriété considérable du comté
de Cork, confisquée à des catholiques, à la condition d'y ré-
sider. Il alla en conséquence se fixer à Kilcoiman-Castle,
par Doneraile, dans une ravissante situation. C'est là qu'il
écrivit la plus grande partie de sa Fairy Queen. L'année
suivante, il en publia à Londres les trois premiers livres, et
les dédia à la reine Elisabeth, qui l'en récompensa par une
pension. 11 s'en retourna alors en Irlande, où il se maria,
en 1591, et où il continua de travailler avec ardeur à la Fairy
Queen, poème allégorique dont les livres IV, V et VI furent
publiés en 1590. Il n'a paru que des fragments des six au-
tres ; et il n'est même rien moins que prouvé qu'il les ait ja-
mais terminés. Lors de l'insurrection générale des Irlandais,
en 1598,ilfuten butleaux vengeances populaires, car she-
riff du comté de Cork, il commettait toutes sortes d'injustices
et d'actes arbitraires. Le château de Kilcolman lut un jour
saccagé , et son propriétaire n'échappa qu'à grand'peine à la
mort. Spenser revint alors à Londres , le désespoir dans le
cœur, et y vécut désormais dans l'isolement et la pauvreté.
Le comte d'Essex lui envoya une gratification de 20 liv. st.
Il la reçut à son lit de mort , et répondit qu'il ne lui restait
plus assez de temps pour en faire usage. 11 mourut en effet
à quelques jours de là, en 1599. Tous les poètes d'alors
assistèrent à ses funérailles. Ben-Johnson tenait un des coins
du poêle; on n'y remarqua point Shak s p ea re , perdu
dans la foule et encore inconnu, qui n'osa se permettre
d'imiter ceux qui jetaient leur plume dans la tombe du dé-
funt, en manière d'hommage à un grand poète. On l'enterra
dans l'abbaye de Westminster , où plus tard la comtesse
de Dorset lui fit élever un monument. Sa réputation a sur-
tout pour base sa Faïrii Queen. C'est l'alle'gorie qui est la
partie faible de ce poëme. Si , au lieu de héros allégoriques,
Spenser en avait clianté de réels ; s'il avait su en outre met-
tre plus d'unité dans sa fable, son ouvrage serait aujour-
d'hui beaucoup plus lu. En effet, ce poëte était doué d'une
fertile et brillante imagination, et il excelle dans l'art d'ex-
poser. Il a de la netteté dans la conception, et il versifie
avec une élégance et une pureté vraiment remarquables
pour son époque. La dernière édition complète de ses œu-
vres est celle qui a été publiée par Rouledge, en 1853.
SPERAiVSKY (Michel, comte), homme d'État russe,
né en 1771,dansle gouvernement deWIadimir, était fils d'un
ecclésiastique. 11 était depuis 1797 professeur de mathéma-
tiques et de physique à l'académie ecclésia,stique de Pé-
tersbourg quand, en 1801, l'empereur Alexandre le nomma
secrétaire d'État attaché au sénat dirigeant; et dans l'exer-
cice de ces fonctions il fit preuve de tant de talent , qu'il fut
chargé de la réorganisation du ministère de l'intérieur. En
1809 il était déjà conseiller intime, quand il fut tout à coup
disgracié, parce que ses ennemis lui faisaient im crime de ses
innovations administratives. Exilé alors à Perm, il obtint
en 1814 la permission de résider dans un petit domaine situé
à 175 kilomètres de Pélersbourg , où il se consacra à l'édu-
cation de sa fille, à la pralique de l'agriculture et à la cul-
ture des sciences. Remis inopinément en activité de service,
il fut nommé d'abord gouverneur de Pensa, et en 1819 gou-
verneur général de la Sibérie. Pendant les deux années que
dura son administration, il apporta de nombreux adoucis-
sements à la situation des condamnés et des bannis. En
1821 il revint à la cour, où l'empereur Alexandre lui fit le
meilleur accueil et le nomma membre du si^nat. L'empereur
Nicolas , qui lui avait confié la rédaction delà grande collec-
tion des lois russes, venait de le créer comte, lorsqu'il mourut,
à Pélersbourg, en 1839. On a de lui un ouvrage très-estime,
et qui a été traduit en français, sous le titre de Précis des
SPERANSKY — SPHEROÏDE
3o:
notions historiques sur la réformation du corps des lois
russes, etc.
SPERKISE. Beudant donne ce nom au fer sulfuré
blanc, qu'on appelle encore pyrite rhombique. Ce minéral a
la même composition atomique que le fer sulfuré ordinaire,
mais cristallise dans un système différent (sa forme primi-
tive est nw prisme droit à base rliombe ) , et offre ainsi un
remarquable exemple de dimorphisme. La ^perkise est
d'un jaune livide, tirant sur leverdàtre. Elle a une grande
tendance à se décomposer à l'air liumide et à se trans-
former en sulfate de fer. On la trouve assez fréquemment
disséminée dans la craie, en masses globuleuses rayonnées.
SPERMA CETI. Voyez Cétine.
SPERME, liqueur fécondante, produit de la sécrétion
des organes mâles. Le sperme est formé d'un liquide , dans
lequel nagent d'innombrables petits corps de forme invariable
dans la même espèce animale. Ces petits corps montrent
dans les classes supérieures toutes les apparences d'ani-
maux se mouvant spontanément dans ce liquide; mais il
est loin d'en être ainsi pour les classes inférieures. Leeu-
wenbœck, qui le premier étudia ces corpuscules, les
appela animalcules spermatiques ; depuis on les a suc-
cessivement nommés zoospermes, spermatozoaires ; mais
plusieurs physiologistes, qui se refusent à voir là de vérita-
bles animalcules, préfèrent les désigner sous le titre de
spermatozoïdes (de ff7:£p[xa, semence, ^wov animal, et eTSoç,
forme ). Du reste , ces petits corps ne paraissent chez les ani-
maux qu'à l'époque du rut, et semblent se développer dans
une capsule génératrice spéciale.
SPESSART ou SPESSHART, contrée montagneuse
et boisée de l'Allemagne centrale, faisant partie des cercles
bavarois de la basse Franconie et d'Ascliaffenbourg, ainsi
que du comté de Hanau, dépendant du grand-duché de
Hesse. Sa superficie est d'environ 14 myriam. carrés, et
c'est là qu'on rencontre les plus beaux chênes de l'Alle-
magne, Ses pics les plus élevés sont le Geiersbcrg, VHoc-
AenAosAe (600 mètres), le SandthurmcX. \eGeishœhe, qui
ont de 500 à 560 mètres. Le Spessart contient du cobalt, du
cuivre et du fer, et on y rencontre un grand nombre de
hauts fourneaux et de forges en pleine activité.
SPEZIALE ( Jacopo) , misérable qui se fit l'instrument
des vengeances de la reine de Naples Marie-Caroline et
de son amant, Acton, était né en 1760, et le fils d'un
paysan de Borgetto,aux environs de Palerme. Grâce aux
sacrifices que s'imposa son père pour lui donner une espèce
d'éducation, il fit quelques études. Son caractère bas et
rampant lui procura ensuite un petit emploi à la Corie jwe-
toriana de Palerme , au moment où la cour de Naples fut
forcée de se réfugier en Sicile. Habitué alors à fréquenter
l'antichambre de la reine, il affichait une haine implacable
pour les Français , et dénonçait sans relâche ceux qu'il
soupçonnait d'être leurs partisans. Son zèle lui valut la con-
fiance entière d' Acton , qui lui donna la mission déjuger les
partisans de la révolution. Avant même que les Français
eussent eu le temps d'évacuer Naples, il se rendit dans
l'île deProcida, que défendait la flotte de Nelson, y fit dresser
des gibets, s'entoura de bourreaux, et ne laissa pas écouler
un seul jour sans quelque sanglant sacrifice, en refusant à
ses victimes jusqu'au droit de se défendre. Il faisait même
arrêter les témoins qui osaient témoigner de leur innocence.
Quand le cardinal R uffo se fut rendu maître delà capitale ,
Speziale vint s'y installer et y continuer ses fonctions de
juge ou plutôt de bourreau ; et malgré l'horreur générale
dont il était l'objet, il dejneura en place. En 1806 il dut
abandonner le continent et se réfugier avec la cour en Sicile,
cil bientôt il fut frappé d'aliénation mentale. Il mourut en
1813, dans un accès de folie furieuse.
SPEZZIA ou SPEZIA( La), jolie ville et port militaire
fortifié de la province de Levante, intendance générale de
Gênes ( Sardaigne),est située au fond du golfe de Spezzia,
qui forme le plus vaste et le plus sûr port de l'Italie, et est
protégée par deux forts bâtis sur des rochers. On y compte
DICT. DE I.A CONVEUS. — T. XTI.
10,000habitants, et SCS environs prodin'sentde l'huile d'olive,
à bon droit renommée. Napoléon voulait faire de celte place
l'Anvers de la Méditerranée.
Le golfe de Spezzia est le Portiis Lunx des anciens,
ainsi appelé de la ville de Luna, d'où l'on tirait le fameux
marbre Lunense.
SPEZZIA ou SPETZIA, petite île du royaume de Grèce,
à l'entrée du golfe de Nauplie, et séparée de la peinte sud-
ouest de l'Argolide par un canal large d'un peu plus de à&.i\
kilomètres. Sa population , forte de 10,000 âmes environ ,
se compose d'intrépides marins.
SPHACÈLE. Fo^ezG^NCRi-NE.
SPH^CHIA, SPHACH10TES.Fo2/e= Candie.
SPHEGE, genre d'hyménoptères de la famille des
oryctères, renfermant des insectes qui vivent dans les lieux
les plus secs et les mieux exposés à l'ardeur du soleil. Le
sphège des sables se trouve communément aux environs de
Paris.
SPHÉJXISQUES. Voyez¥i\^caoT{ Ornithologie).
SPHÉIVOÏDE (Os), 05 du crâne, encore nommé os
basilaire , parce qu'il forme une partie de sa base. Ce nom
de sphénoïde est dérivé de ffçr,v , coin à fendre le bois , et
eT^o;, forme, parce que cet os est inséré comme un coia
entre les autres.
SPHERE. En géométrie, c'est un solide terminé par
une surface dont tous les points sont également distants d'un
point intérieur nommé centre. On peut concevoir la sphère
comme engendrée par la révolution d'un demi-cercle autour
de son diamètre. Toute droite issue du centre de la sphère
et terminée à sa surface en est un rayon , et il résulte de
la définition que nous venons de donner que tous les rayons
d'une même sphère sont égaux entre eux. Il en est de même
de tous ses diamètres (droites qui passent par le centre de
la sphère et se terminent de part et d'autre à sa surface).
Toute section plane d'une sphère est un cercle : c'est un
grand cercle lorsque le plan coupant passe par le centre
de la sphère , un petit cercle dans le cas contraire. Tous
les grands cercles sont égaux , car ils ont tous pour rayon
le rayon de la sphère.
La surface de la yphère est égale à quatre fois celle d'un
grand cercle , et son volume est égal au produit de sa sur-
face par le tiers du rayon ; de sorte qu'en désignant la sur-
face d'une sphère par S, son volume par V, et son rayon
par r, on a les deux formules :
S=47tr'
En astronomie, on nomme sphère celte voûte immense
à laquelle les étoiles semblent attachées. On entend par
sphère droite celle où l'équateur est perpendiculaire à l'ho-
rizon; la sphère oblique a lieu pour tous les pays de la
Terre qui ne sont silués ni sous l'équateur ni sous les pôles ;
enfin , la sphère parallèle est celle qui a lieu quand l'ho^
rizon est parallèle à l'équateur, c'est-à-dire quand l'équateur
môme sert d'horizon.
En termes de physique, on entend par sphère d'activité
l'espace dans lequel la vertu, l'inlluence d'im agent natu-
rel peut s'étendre, et hors duquel elle n'a point d'action
appréciable. Au figuré, c'est l'étendue d'affaires, de travaux,
d'intérêts, dans laquelle un homme communique son mou-
vement à ceux qui l'entourent. Sphère signifie aussi figuré-
ment étendue de pouvoir, d'autorilé, de connaissances, de
talent, de génie, déposition : Malheur à l'homme qui cher-
che à sortir de ssi sphère! Étendre, agrandir, élargir la
sphère des connaissances humaines, c'est ajouter aux con-
naissances que les hommes possèdent.
SPHÈRE AR.MILLAI RE. Fo//. Aiuiillaike (Sphère;.
SPHERES (Harmonie des). l'oz/Pi Harmo.me céleste.
SPHEROÏDE, corps solide dont la figure approche
beaucoup de celle d'une sphère, mais qui n'est cependant
pas tout à fait sphérique, n'ayant pas tous ses diamètres
égaux. La Terre, par son mouvement de rotation, qui a donne
une force centrifuge plus grande à ses parties équatoriale*
TJÙ
306
qu'aux autres, est devenue un sphéroiJe aplati vers les
pôles. Iljea est de môme des autres planètes.
SPHERULE {Crifptogamie). Voyez Conceptacle.
SPHIÎXX (du grec crçîyYw, je serre, j'embarrasse). La
statue du ou plutôt de la Sphinx, monstre à corps de lion
avec une tête humaine, était en Egypte un symbole du roi ,
et s'appelait dans la langue hiéroglypiiique neb, mot qui
s'est conservé jusque aujourd'hui dans la langue copte avec
la signification de seigneur. Voilà aussi pourquoi on ne ren-
contre en Egypte que des sphinx mâles, à très-peu d'excep-
tions près , où la sphinx femelle représente la reine. D'ha-
bitude on plaçait des statues de sphinx à l'entrée des temples,
et quelquefois elles formaient des allées tout entières con-
duisant aux temples des rois qu'elles représentaient. La plus
célèbre de toutes ces statues est la Sphinx colossale qui se
trouve près des pyramides de Memphis. Elle est située à
l'est de la seconde pyramide, et il semble que le chemin direct
qui conduisait de la vallée au temple-pyramide laissait le
colosse à gauche, et qu'à sa droite on avait eu le projet d'é-
lever le pendant, dont les matériaux bruts gisent encore en-
foncés dans le sable. Il semble que si dans les inscriptions du
premier royaume d'Egypte on n'a pas encore rencontré une
figure de sphinx, ce soit là un effet du hasard. Très-vrai-
semblablement le colosse fut dressé en même temps que la
pyramide qu'on construisait derrière , et représentait le roi
Chephren, en langue hiéroglyphique Chafia, qui la. construi-
sit. Toutefois, il parait que plus tard le colosse fut adoré
comme une image du dieu du Soleil , d'Horus, modèle de
tous les rois. Il est mutilé en partie; mais Pline, qui le me-
sura, dit qu'il n'avait pas moins de 20 mètres d'élév«ition ;
et dans sa position accroupie il a encore aujourd'hui 47
mètres de long. La lête seule a 9 mètres de haut.
Après les fouilles importantes pratiquées en 1818 par Ca-
viglia, Mariette en a fait exécuter tout récemment qui ont
été peut-être plus productives encore.
Il n'est rien moins prouvé que la Sphinx grecque ait eu
à l'origine la moindre relation avec celle des Égyptiens. La
Sphinx de la mythologie grecque était fille de Typhon et du
serpent Echydna; les sœurs et frèi es qu'on lui donne, tels
que les chiens Orthros et Cerbère , le lion de Némée et le
dragon Ladon, enfin la Chimère et l'Hydre, témoignent de
la nature démoniaque et monstrueuse de toute cette race, avec
laquelle le symbole royal égyptien de la sagesse et de la
force n'avait rien de commun. Ce nom de sphinx, nous l'a-
vons déjà dit , est grec, et c'est peut-être la réunion exté-
rieure des formes du lion et de l'homme qui aura fait em-
ployer le mot grec pour désigner la figure égyptienne. La
fable grecque place la Sphinx dans les environs de Thèbes,
et lui fait tuer tous ceux qui ne pouvaient pas résoudre
cette énigme : « Quel est l'animal qui a qualre pieds le ma-
tin, deux à midi et trois le soir? » Œdipe, après avoir tué
son père Laïus sur le chemin menant à Thèbes , devina
que c'était l'homme, qui dans son enfance, matin de la vie,
se traîne sur les pieds et sur les mains; v^rs le midi, force
de l'âge , marche sur ses deux jambes, et le soir, c'est-à-
dire dans la vieillesse, a besoin d'un bâton pour se soutenir.
La Sphinx se briï^a alors la tête contre les rochers, ainsi
que l'avait prédit l'oracle , tandis qu'Œdipe obtenait la sou-
veraineté de Thèbes et épousait sa propre mère sans la
connaître.
SPHIA^X ( Histoire naturelle). Pline a donné ce nom
à une race de singes, celle du papion ou babouin. Une sorte
de papillon (coléoptère) a reçu aussi la même dénomina-
tion. En botanique, on l'a également donnée à une sorte
d'agaric.
SPUYGMOMÈTRE (de cto-j^iaô;, mouvement du
pouls, et [j.£Tpov, mesure), instrument à l'aide duquel on
peut étudier la force et les principales qualités du pouls. Le
plus estimé est celui du docteur Hérisson.
SPIELBERG, nom d'une hauteur qui domine la ville
de Brunn, sur laquelle s'élève une forteresse dont les
Français essayèrent de détruire les fortifications en 1809,
sphéroïde — SPINOLA
et qui sert aujourd'hui de prison d'État. La détention de Siî-
vio Pellico dans les cachots du Spielberg a rendu cette
prison à jamais fameuse.
SPÎGEL (Lobe de). Voyez Foie.
SPiA'DLER (Charles), romancier allemand, naquit
vers 1795, à Breslau , mais fut élevé à Strasbourg, où son
père était musicien. Peu d'écrivains contemporains ont fait
preuve de plus de fécondité. Il débuta en 1824 par Eugène
de Kronstein, ou les Masques de la vie et de l'amour,
roman qui manque sans doute de maturité, mais qui con-
tient tous les germes d'un talent véritable. Après quelques
productions où il ne s'élevait guère au-dessus de la médio-
crité, il publia Le Bâtard, tableau de mœurs de l'époque
de l'empereur Rodolphe II , le premier de ses ouvrages qui
ait obtenu un succès franc et décidé. Celui de son romaa
Le Juif {i vol., 1827) , où il peint les mœurs allemandes
dans la première moitié du quinzième siècle, fut plus grand
encore. Il donna ensuite Le Jésuite, esquisse de mœurs du
dix-huitième siècle, dans laquelle il fut moins heureux. De-
venu dès lors un des fournisseurs habituels des sociétés et
des cabinets de lecture de l'Allemagne, il traduisait de temps
à autre, pour laisser son imagination se reposer, les romans
qui avaient le plus de succès en France. En 1854 le recueil
de ses œuvres complètes formait déjà cent volumes. Il .s'é-
tait aussi essayé dans le genre dramatique, mais sans grands
succès, et mourut frappé d'apoplexie, en 1855.
SPlJVELLE , ru bis d'un rouge pâle.
SPJi\lTË. Voyez Gibbosité.
SPtXOLA. (Ambroise, marquis de), l'un des grands
capitaines qui, sous Philippe II et Philippe III, sou-
tinrent l'honneur des armes de l'Espagne dans sa lutte contre
les Pays-Bas révoltés ainsi que pendant les premières an-
nées de la guerre de trente ans, était né à Gênes, en 1569.
Son frère , Frédéric Spinola , qui commandait la flotte es-
pagnole sur les côtes des Pays-Bas , le détermina vers la fin
du seizième siècle, à amener dans les Pays-Bas 9,000 hommes
de vieilles troupes italiennes et espagnoles. A la façon de.<J
anciens condottieri italiens, qui levaient des troupes pour
leur propre compte et se mettaient ensuite à la solde des
petits États, Spinola y consentit ; et comme il avait eu la
précaution de s'assurer l'exact payement des subsides qu'oa
lui allouait , il put faire constamment régner l'ordre et la
discipline parmi ses 9,000 Wallons. L'archiduc Albert d'Au-
triche, nommé par Philippe II gouverneur des Pays-Bas,
et à qui ce prince en avait assuré la soui'eraineté, en 1598,
avec la main de sa fille Isabelle, le chargea de s'emparer
d'Ostende, inutilement assiégée depuis deux années. Spinola
y réussit ; et en 1604 Ostcnde lui ouvrit ses portes. Ce n'é-
tait plus à la vérité qu'un amas de décombres; mais la re-
nommée du capitaine qui avait eu la gloire de réduire cette
place se répandit alors dans toute l'Europe. Spinola alla
à Madrid rendre compte à Philippe II de l'état de l'armée
espagnole, et revint investi du commandement en chef de
toutes les troupes italiennes et espagnoles dans les Pays-Bas.
A son retour , passant par Paris, il eut une entrevue avec
Henri IV, qui .s'entretint avec lui de sa prochaine campagne.
Spinola parla sans aucune réserve sur tout ce que le roi
voulait savoir. Loin d'ajouter foi à ce qu'il lui disait, ce
prince manda à Maurice d'Orange précisément le contraire
de ce qu'il présumait n'être qu'une feinte. Henri IV et Mau-
rice d'Orange agirent en conséquence,' mais reconnurent
bientôt combien ils s'étaient dupés eux-mêmes. Les deux
généraux surent également tirer parti des nombreux canaux
et forteresses dont le pays est couvert. Enfin, une grande vic-
toire navale remportée à la hauteur de Gibraltar, en 1C07, par
l'amiral hoUanJais Hcimskerke, qui anéantit la majeure
partie delà flotte espagnole, contraignit la cour de Madrid à
conclure un armistice de douze années. Quand cettetrêve ar-
riva à expiration, en 1G25, Spinola Slï mesura de nouveau
avec le rancuneux Maurice d'Orange. Dès la fin de 1G20 il
avait franchi lePihin à .Mayence et conquis au profit de l'Em-
pire toute la contrée qui s'étend de là jusqu'en Hollande.
SPINOLA — SPINOSA
307
Maurice mourut au milieu de ses efforts pour le contiainilre
à lever le siège de Bréda. L'air malsain et marécageux qu'on
respire dans cette contrée avait causé aussi une grave ma-
ladie au général espagnol; cependant, après dix mois de
siège, la place se vit enfin réduite à capituler, en mai 1625.
Spinola accorda les conditions les plus honorables à une
garnison qui avait noblement fait son devoir. Ce fut là le
terme de ses exploits ; bientôt le délabrement toujours crois-
sant de sa santé le contraignit à résigner sou commande-
ment. En 1630 on le revit bien encore en Italie , où il tenta
de s'emparer de Casale ; mais les cabales et les intrigues
auxquelles il était en butte à la cour de Madrid lui causè-
rent de vifs chagrins, qui aggravèrent tellement son état de
maladie, qu'il y succomba, la même année, au moment où
sa gloire et sa réputation étaient arrivées à leur apogée.
' SPIIVOSA ou SPINOZA (Bardch ou Benoit), car c'est
le nom qu'il prit pour se rapprocher des habitudes modernes
quand il eut déserté la religion de ses pères, un des plus cé-
lèbres et en même temps des plus obscurs philosophes qui
aient écrit depuis X en op h a ne jusqu'à Schelling, na-
quit à Amsterdam, en 1032, d'une famille Israélite, originaire
du Portugal.
Il Iréquenta d'abord l'école des rabbins, où il apprit la
langue hébraïque. Peu satisfait de l'enseignement de ses
maîtres , il se mit bientôt à étudier la Bible et le Talmud
pour lui-même. Cependant, loin de trouver dans ces vo-
lumes, essentiellement dogmatiques, la solution que cher-
chait son esprit scrutateur, il tomba dans de nouvelles et
plus grandes incertitudes. Son zèle pour le culte de ses
pères se refroidit de plus en plus , et il se rapprocha de
quelques chrétiens avec lesquels il était lié, en continuant
de se livrer à ses études avec une ardeur extrême. Il désirait
aborder les textes de la Grèce et de Rome conmie ceux de
la Judée, et le médecin François van den Ende lui donna
des levons de grec et de latin. Spinosa les prenait avt;c d'au-
tant plus d'assiduité qu'il avait pour condisciple la tille de
son prolesseur, jeune personne qui lui inspira la passion la
plus vive sans la partager. Il avait complètement secoué la lui
de ses pères, car plus le goût de la spéculation libre de cette
époque s'était développé en lui, plus il s'était senti d'éloi-
gneraeat pour la religion de Moïse et la saj^esse des talmu-
distes. Il finit par se séparer entièrement de la synagogue.
Les désertions étaient rares chez les juifs à cette époque, et
tandis que l'on passait alors facilement d'une communion
chrétienne dans une autre, les Israélites donnaient l'exemple
de la constance ou de la réserve. Les coreligionnaires de
Spinosa , craignant que l'apostasie d'un tel bonmie n'entraî-
nât d'autres d'élections, allèrent jusqu'à lui ofirir, pour le
rattacher à la synagogue, une pension annuelle de mille flo-
rins.
Après diverses autres tentatives, tout aussi inutiles, ils
finirent par l'excommunier solennellement , et essayèrent
même de se détaire de lui par des voies secrètes. Échappé,
comme par miracle , au fioignard des assassins , il se vit en
butte à des accusations et même à des persécutions de toutes
espèces. Mais ce \tv fut une raison pour se livrer avec plus
d'ardeur encore à l'étude de la philo.sophie, dans laquelle il
prit pour guides Descartes et sa méthode. Afin de s'assurei
des moyens de subsistance, il apprit à polir des verres pour
les opticiens. L'étude scientifique de l'optiqup, à laquelle il
se livra concurremment à cette occupation, le mit en rapport
avec plusieurs naturalistes et physiciens distingués de son
époque. La Hollande protégeait alors la liberté de la pensée,
et Am.sterdam était déjà sur le point de devenir l'asile de
tous les écrivains exilés des pays d'intolérance. Cependant,
Spinosa, qui n'avait rien fait qui pût le compromettre aux
yeux du magistrat d'Amsterdam, se vit intimer l'ordre de
quitter 1^ ville pour quelques mois ; ordre arraché sans doute
parlesran'uneuses intrigues de quelques-ims de ses anciens
coreligiomiaireSi H obéit d'autant plus volontiers que sa
sûreté y était moins garantie , et alla d'abord vivre à la
campagne che2 un ami , puis de là successivement à Rhein-
burg près de Leyde , à; Voorbourg près de La Haye , et au
bout de quelques années à La Haye môme , continuant in-
cessamment pendant ce temps-là ses études philosophiques,
pour arriver à quelque solution touchant les questions qui
s'étaient emparées de son esprit. Ces questions étaient la
plupart de celles qui sont élevées au-dessus de l'intelligence
humaine, mais qui, pour cette raison môme, ne laissent
à ceux qui sont assez grands pour y entrevoir quelque chose
ni trêve, ni repos, qu'elles ne les aient vaincus, humiliés,
et jetés tout brisés dans les bras de la foi , dans les abîmes du
pyrrhonisme ou dans quelque dédale encore plus obscur.
Cette dernière destinée fut celle de Spinosa. Il devint sans
doute un philosophe habile ; mais on est forcé de dire que,
loin de répandre sur quelques questions importantes des
clartés nouvelles, il rendit plus obscures toutes celles qu'il
traita. Il fut longtemps doublement à plaindre ; il n'avait
les opinions de personne , et il n'osait dire à personne celles
qu'il avait. Et ce lut bien pis quand il les mit dans ses ou-
vrages : elles inquiétèrent beaucoup d'intelligences sans en
satisfaire aucune. On l'avait trouvé obscur et plein de réti-
cences quand il parlait du cartésianisme; on eiît voulu sa-
voir sa pensée , et l'on avait espéré qu'il la mettrait dans son
premier livre. Il n'en fit rien; il laissa entrevoir, mais il se
garda d'avouer son secret. Cet ouvrage, qui parut avec une
préface de Louis Meyer, un médecin de ses amis qui en
surveilla l'impression , ne donna pas plus la doctrine de
Descartes que celle de Spinosa. L'auteur prétendait à la vé-
ritéexpliquer Descartes, mais il prêtait à ce philosophe
des opinions dont il n'aurait pas eu à s'applaudir s'il avait
encore vécu; et ce cartésianisme se trouva dès lors enve-
loppé dans l'accusation d'athéisme qu'on portait contre Spi-
nosa. Cette publication prépara la célébrité de Spinosa.
L'irritation qu'elle fit naître contre lui était une raison de
plus pour que sa réputation se répandît dans l'Europe en-
tière, et que les savants les plus distingués se fissent gloire
d'entretenir avec lui un commerce épistolaire. On lui offrit
môme une chaire de philosophie à Heidelberg, où d'autres
penseurs devaient professer, un siècleplus tard, des opinions
analogues à celles de Spinosa. En lui adressant cette pro-
position , l'électeur palatin promettait de lui laisser une li-
berté d'enseignement au.ssi grande qu'il pourrait le désirer;
mais l'impossibilité où était le philosophe d'exposer son sys-
tème sans blesser la religion chrétienne , son amour pour
le repos et la solitude, et surtout les maladies qui l'affli-
geaient depuis longtemps , l'empêchèrent d'accepter. Il était
atteint effectivement depuis plusieurs années d'une phthisie
qui à peine lui lai.ssa le temps d'achever quelques autres
travaux, et qui l'enleva au monde à l'âge de quarante-cinq
ans, quelques années après une publication politique qui
pouvait lui attirer plus de haines et de persécutions que sa
publication philosophique.
Spinosa mourut regretté de tous ceux qui avaient connu
sa vie privée , sa douceur, son désintéressement. Voici le
portrait qu'en fait Bay 1 e, qui n'a pas toujours été juste en-
vers lui : « C'était un homme de bon commerce, affable,
honnête, officieux et fort réglé dans ses mœurs. Il ne disait
rien en conversation qui ne fût édifiant. Il ne jurait jamais,
il ne parlait jamais irrévéremment de la majesté divine. »
Bayle aurait pu ajouter que jamais ami ne fut plus fidèle,
jamais homme plus désintéressé. Il faisait en effet si peu
de[cas de la fortune, qu'il abandonna à ses sœurs l'héritage
paternel que lui disputait leur fanatisme judaïque , quoi-
qu'il n'eût pour vivre que les produits de son industrie.
Il refusa aussi l'héritage d'un de ses amis, qui jamais n'avait
pu lui faire accepter ses générosités , et montra la plus grande
abnégation aux héritiers du noble et malheureux Jean de
Witt,dont il vénérait la mémoire. Enfin , il rejeta l'offre
d'une pension que lui faisait le prince de Condé, à condi-
tion qu'il dédierait un ouvrage à Louis XIV. On a dit ,
quant à ses convictions religieuses, que dans les derniers
temps de sa vie il s'était converti au christianisme ; mais
rien ne prouve qu'il ait fait ce grand pas. Il est vrai qu'il
20.
308
assistait quelquefois au service divin dans l'église luthé-
rienne de La Haye , et qu'il s'entretenait volontiers avec
ses amis du sermon qu'il y avait entendu. Mais c'est à cela
que se borna sa conversion. Il est très-vrai encore qu'il étu-
diait assidûment la Bible , le Nouveau Testament comme
l'Ancien; mais c'était, nous le verrons, dans des vues qui
n'étaient guère propres à lui donner cette loi qui seule a
manqué dans sa vie morale. Quant aux terreurs dont il fut
assailli, dit-on, à son lit de mort, c'est une fable inventée
par ses ennemis.
C'est dans son ouvrage intitulé Éthique, ou théorie de
morale, que Spinosa expose sa théologie et sa métaphysique.
Les vues de ce philosophe étaient essentiellement pratiques :
de là \e nom à'' éthique donné à ses spéculations les plus
élevées surlasubstance. En présupposantavec Descartes
que la substance n'est que ce qui est en soi et peut être
conçu par soi-même , sans avoir besoin de la conception
d'une autre chose, il a Ifirma qu'il n'y a qu'une substance ,
Dieu , l'être infini. Partant d'une délinition générale , d'une
synthèse que ne précède pas d'analyse, il ne conservait pas
le nom de substance aux autres objets , mais les appelait
modes ou affections de la substance. Leibnitz, en admet-
tantune monade par excellence, adoptait encore d'autres
monades. Spinosa accorda seulement que la substance a
des attributs. L'attribut est ce que l'intelligence perçoit de
la substance, comme constituant son essence. Ces attributs
sont la pensée infinie et l'étendue infinie ; chacun d'eux
exprime l'essence éternelle et infinie. Mais la substance elle-
même est une. Quant à ses attributs , le premier, {'existence
lui appartient nécessairement d'après son essence. Elle est,
de plus nécessaire f infinie, indivisible, Vanité et le tout;
de là le mot de panthéisme appliqué à ce système.
Comme elle agit d'après les lois nécessaires de sa nature ,
elle n'est pas une cause passagère, extérieure, mais la cause
intérieure, immanente de toutes choses; elle l'est non pas
seulement de leur existence, mais de leur essence même.
Tout ce qui est est en Dieu , et rien ne peut être conçu sans
Dieu. Les choses individuelles (le fini) ne sont que des
modes ou àes accidents de l'être infini, de ses attributs
infinis Ainsi, le mouvement et {a repos sont des modifica-
tions de l'étendue infinie; la pensée et la volonté, des
modes de la pensée infinie. Tout ce qui existe, corps ou
âme, étant en et par Dieu, Dieu est la cause unique et im-
manente de tout; il est, pour parler avec les scolastiques ,
la natura naiurans, tandis que le monde est la natura
naturata. Mais la création proprement dite est impossible.
Tout s'enchaîne dans l'univers par des liens ou des lois né-
cessaires. La volonté ou la substance suprême est libre,
puisqu'il n'y a qu'elle. Elle n'est pourtant libre que dans la
sphère des lois suprêmes, c'est-à-dire qu'il y a une sub-
stance première dont tout ce qui est offre le simple déploie-
ment. On le voit, dans ce système il n'y a place ni pour un
Dieu indépendant du monde ni pour une Providence de
qui dépende le monde. Dieu , ou la substance , qui est Dieu
et le monde, est seul quelque chose : tout le reste est
mode ou attribut.
Ce système , dont la déduction est savante , mathématique,
rigaureuse , péchait par la base. Spinosa était conduit for-
cément, d'après son point de départ, à admettre le dogme
d'une nécessité absolue et à nier la liberté humaine :
rien ne condamne plus fortement que cela la conclusion et
même la majeure partie de son éthique. Pour achever de
caractériser sa théologie, nous ajouterons ici que dans son
Traité théologico-politique il cherchail à préparer les
esprits pour une grande révolution, en les amenant à se-
couer le joug de l'autorité. Il y exposa ses doutes sur l'au-
thenticité des livres saints et des miracles , sur la mission
de Moïse et celle des prophètes , allant chercher, à l'appui
de ses assertions, des preuves dans la Bible même. 11 in-
sista surtout sur la différence essentielle qui existe entre
la foi et la philosophie, dont l'une ordonne de croire,
tandis que l'autre invite à examiner, et cela le trahit.
SPINOSA
En niant la liberté humaine, Spinosa devait nécessaire-
ment aussi rejeter toute différence entre le bien et le mal ,
le juste et l'injuste. 11 n'en fit rien. Il dit, au contraire,
que la plus grande félicité de l'âme consiste dans la connais-
sance vivante de Dieu , en sorte que plus nous connaissons
Dieu, plus nous sommes disposés à faire sa volonté, parce
que plus nous y trouvons le vrai bonheur. Il dépend donc
de nous de nous déterminer à faire la volonté de Dieu, et
c'est le sentiment de notre intérêt qui nous conduit libre-
ment à faire ce choix. C'était son bon sens moral et reh-
gieux qui rendait inconséquent un dialecticien d'ordinaire
si conséquent avec ses principes. Si Spinosa, pour ne pas
établir une morale révoltante , aima mieux être inconsé-
quent que fidèle à sa théorie , ses ennemis aimèrent mieux
tirer les conséquences de sa doctrine, afin de la compro-
mettre et de faire voir qu'elle détruit, avec la liberté, toute
distinction entre le bien et le mal. « Ce que les poètes païens
ont osé chanter de plus infâme contre Jupiter et Vénus , dit
Bayle à ce sujet, n'approche point de l'horrible idée que
Spinosa nous donne de Dieu ; car au moins les poètes n'at-
tribuaient point aux dieux tous les crimes qui se commet-
tent et toutes les infirmités du monde; mais selon Spinosa
il n'y a point d'autre agent et d'autre patient que Dieu par
rapport à tout ce qu'on nomme mal de peine et mal de
coulpe, mal physique et mal moral. » Le mal physique
elle mal moral sont et resteronltoujours une immense pierre
d'achoppement pour la raison, que nous regardions les indi-
vidus comme des modes de la substance divine ou des créa-
tures indépendantes et libres, mais soumises toutefois à une
volonté suprême. C'est là un problème que jamais la spécu-
lation n'expliquera. On n'est donc pas en droit de reprocher
à Spinosa d'avoir erré en cherchant à l'expliquer; mais ce
qu'on ne saurait trop regretter dans sa vie , c'est que l'in-
conséquence qu'il eut la bonne foi de co.mmeftre en morale
ne l'ait pas conduit à reconnaître ses erreurs en théologie
et en métaphysique.
Les dernières parties de l'Éthique sont consacrées aux
passions, à leur origine, à leur nature , aux moyens de les
vaincre. Les passions n'étant selon lui que des idées er-
ronées, l'esprit s'en rend maître par des idées justes, clai-
res, nettes. Atteindre à ces idées, c'est la perfection. La mé-
thode à suivre pour y arriver, il l'expose dans un ouvrage
inachevé intitulé -.De In/ellectus Emendatlone. Elle con-
siste à séparer les idées vraies des fausses, à rejeter celles-
ci, à admettre celles-là, à suivre une route sûre et uniforme,
pour ne pas se fatiguer inuliiement à la recherche de l'in-
connu, et surtout à acquérir la connaissance de l'être le plus
parfait , afin de le prendre pour modèle. De cette connais-
sance découlent l'amour intellectuel de Dieu , le repos et la
félicité.
C'est dans son Traité Tkéologico-Politique qu'il fautcher-
cher les opinions politiques de Spinosa, traité oîi l'on est
surpris de rencontrer à côté des pensées les plus justes et
les plus libérales des principes indignes d'un philosophe.
En eflet , il est adversaire déclaré de toutes révolutions.
« Chaque peuple, dit-il, doit garder la forme de gouverne-
ment sous laquelle il vit. » Partant, point d'amélioration,
point de progrès. On ne conçoit rien de plus irrationnel.
Mais il faut croire que Spinosa manque ici de franchise; il
cache évidemment sa pensée sous une naïveté, lorsqu'il dit
que le meilleur gouvernement est celui où les citoyens vi-
vent en paix, et jouissent tranquillement chacun de ses
droits respectifs ; car la question est précisément de .^^avoir
quelle est la forme de gouvernement la plus propre à ga-
rantir la jouissance de ces biens. Du reste , il accorde au
chef de l'État les pouvoirs les plus étendus; il va même jus-
qu'à dire, chose étrange après ce qu'on vient de lire ! que la
religion, quelle qu'elle soit, naturelle ou révélée, est sou-
mise à son bon plaisir, et n'est obligatoire qu'autant qu'il lui
plaît , à lui , le représentant de Dieu sur la terre. Mais le.**
contradictions manifestes qui frappent dans cet ouvrage ne
doivent être regardées que comme des concessions faites àt
SPINOSA
rautorité et peut-être à l'opinion publique ; car il est aisé de
voir que la véritable doctrine politique de Spinosa était celle
de Jean de Witt, pour lequel il professait la plus grande
estime. Mais à l'entendre lui-même il serait plutôt le dis-
ciple de Macliiavel. En effet, il n'est pas aussi facile de s'ex-
pliquer qu'un Hollandais , qu'un ami du plus noble des ré-
publicains, de Jean de Witt, approuve les conseils que donne
le philosophe au successeur d'un roi assassiné. « Si le nou-
veau roi, dit-il, veut assurer son trône et garantir sa vie,
il faut qu'il montre tant d ardeur pour venger la mort de son
prédécesseur quHl ne prenne plus envie à personne de
commettre un pareil /orf ait . Mais pour la venger digne-
ment il ne lui suffit pas de répandre le sang de ses su-
jets , il doit approuver les maximes de celui qu'il a rem-
placé, tenir la même route dans le gouvernement, et être
aussi tyrannique que hci (chap. 18, pag. 436), «maxime
aussi dangereuse qu'immorale, et certes plus digne du con-
seiller des Médicis, ou de Philippe 11 et deRiclielieu, que
d'un moraliste et d'un contemporain de Leibnitz.
Spinosa passe en revue dans son traité les différentes for-
mes de gouvernement. Après la monarchie, il examine le
gouvernement aristocratique. La mort ne lui laissa pas le
temps de tracer le tableau de la démocratie, des lois et d'au-
tres points relatifs à l'administration des États. Or, c'est sur
la démocratie qu'on aimerait naturellement à entendre un
tel philosophe, ami si ardent de Jean de Witt.
Les ouvrages de Spinosa se divisent en trois classes :
politiques, philosophiques et œuvres mêlées. Deux seule-
ment parurent de son vivant. Le premier est son prétendu
commentaire sur la doctrine de Descaries , auquel il donna
ce titre : Renaît Descartes Principiorum Philosophiee
Pars l et II, elc. ( Amsterdam, 1663) ; le second est le traité
de politique intitulé : Tractatus Theologicus,continensdis-
sertaliones aliquot,e\.c. (Amsterdam, 1670). Ce traité,
queSpinosa, effrayé des suites du premier, n'osa faire paraî-
tre sous son nom, fit tant de bruit que les éditeurs jugèrent
prudent d'en changer le titre et d'en déguiser le contenu
dans les éditions suivantes. H fut traduit en français par
Sainl-Glain, qui garda également l'anonyme, et dont la tra-
duction parut successivement sous les trois titres suivants :
1° la Clé du Sanctuaire, par un savant homme de notre
siècZe (Leyde, 1678); 1" Traité des Cérémonies supersti-
tieuses des Juifs, tant anciens que modernes ( Amsterdam,
1678); 3° Réflexions curieuses d'un esprit désintéressé
sur les matières les plus importantes au salut, tant pu-
blic que particulier (Cologne, 1698). On conçoit qu'un
penseur tel que Spinosa, un écrivain dont chaque publi-
cation excitait des orages, ait laissé en portefeuille plus d'é-
crits qu'il n'en livra à la presse. Ses œuvres posthumes ont
été pubhées à Amsterdam, en 1677, in-4", sous ce titre:
B. de S. Opéra posthuma. Consultez la Réfutation de Spi-
nosa, ouvrage inédit de Leibnitz, précédé d'un Mémoire
par M. Foucher de Careil (Paris, 1855). Matter.
SPI]\THRIE1XNES, nom sous lequel on désigne une
espèce de médailles anciennes , qui n'eurent jamais cours
comme monnaies. Elles représentant des sujets lubriques et
probablement servaient de moyen d'admission aux orgies de
Tibère dans l'ile de Caprée.
SPIJXTHRIES, nom que l'on donne aux compagnons
de débauches de Tibère dans l'île de Caprée. Plus tard on
appela spinthries des hommes qui inventaient de nouveaux
laflinements de débauche. Ce mot est du genre masculin.
SPIRAL (Ressort). Voyez Balancier.
SPIRALE ( du grec <j7iEi'pa ) , ligne courbe dont les
points vont toujours en s'éloignant d'un point central autour
duquel elles forment une infinité de circonvolutions. Si l'on
imagine, par exemple, qu'une droite tourne d'un mouvement
uniforme autour d'un point, pendant qu'un point de cette
droite se meut uniformément aussi sur elle, ce dernier
point décrira la spirale de Conon, plus connue sous le nom
àt spirale d' Archimède , parce que cet illustre géomètre
trouva le premier ses propriétés. En les rapportant à des
— SPIRE 309
coordonnées polaires , toutes les courbes de la forme
u=atm sont des spirales. Si dans cette équation on
fait m = 1, on a la spirale d'Archimède. Si î« = — 1, l'é-
quation devient ut = a, courbe qui , à cause de la forme
de son équation, a reçu le nom de spirale hyperbolique :
l'origine est un point asymptotique; la courbe a de plus
une asymptote parallèle à la position initiale du rayon
vecteur, à une distance égale à a. On distingue encore la
spirale logarithmique , u = at (oh l'origine est aussi
un point asymptotique), ainsi nommée parce que son équa-
tion peut s'écrire : t = Log. u , les logarithmes étant pris
dans le système dont la base est a.
Dans la spirale d'Archimède et dans toutes celles où l'ori-
gine n'est pas un point asymptotique, on nomme première
spire la surface engendrée par la première révolution du
rayon vecteur; la seconde spire est ce que vient ajouter
la seconde révolution à la première spire, et ainsi de suite.
Par les procédés de q uad r a tu re des courbes , on trouve
immédiatement les résultats auxquels Archimède ne
parvenait que par de longs calculs, savoir que la première
spire de sa spirale est le tiers du cercle ayant pour rayon
la valeur qu'atteint le rayon vecteur au bout de la première
révolution, que l'aire de la seconde est double de l'aire de
la première , et en général que l'aire de la spire de rang m
est égale à m — l fois l'aire de la seconde.
On remarque que la sous-tangente <le la spirale liyperbo-
lique est constante. Dans la spirale logarithmique, l'angle
de la tangente et du rayon recteur est constant.
E. MerlIeux.
SPIRE {Géométrie). Voyez Héuce (Géométrie) et
SI'IRALE. .
SPIRE, ancien évêché suffragant de l'archevêché de
Jlayence, dans le cercle du Haut-Rhin, entre le Palatinat,
le pays de Uade , l'Alsace et le comté de Leiningen. Cet
évôcho était l'un des plus anciens d'Allemagne, et rapportait
à son titulaire plus de 300,000 llorins de rente. Son terri-
toire embrassait environ 20 myriamètres carrés et contenait
près de 55,000 habitants, catholiques pour la plupart. Par
suite des guerres de la révolution et de la paix de Lunéville,
la moindre partie de ce territoire, située sur la rive gauchedu
Rhin , tomba au pouvoir de la France. La plus grande partie
fut donnée , en 1802, au grand-duché de Dade; elle lui ap-
partient encore aujourd'hui, avec Bruchsal , ancienne ca-
pitale de l'évêché et résidence du prince-évêque.
SPIRE, ancienne ville impériale, située sur le territoire de
l'évêché du même nom et sur la rive gauche du Rhin, aujour-
d'hui chef-lieu du Palatinat bavarois, compte 10,000 habitants
dont 3,700 catholiques. Les rues principales sont larges, et
les rues latérales étroites; les unes et les autres sont garnies
de maisons qui n'ont rien d'ancien. Le plus remarquable de
sesédificesest la cathédrale, commencée en 1030, par Conrad
leSalien, et terminée en 1060, par l'empereur Henri IV. Elle
contient les tombeaux des empereurs Conrad II, Henri III,
Henri IV et sa femme Berthe, Henri V, Philippe de Souabe,
Rodolphe de Habsbourg, Adolphe de Nassau et Albert d'Au-
tri. lie, plus celui de Béatrice, seconde femme de Frédéric I"%
et celui d'Agnès, sa Mlle. Cet édifice fut à diverses reprises
détruit par des incendies, mais toujours reconstruit. Lors
de la destruction de la ville par les Français aux ordres de
Montelar, celui-ci avait permis aux habitants de déposer leurs
objets les plus précieux dans la cathédrale : et quand ils l'eu-
rent fait, il y mit le feu. L'incendie dura vingt-huit heures,
et il n'en resta plus que les deux tours, qu'on voulait faire
sauter, mais qu'un ordre du maréchal de Duras préserva. La
cathédrale ne fut reconstruite que de 1772 à 1784; mais dès
1794 les Français la démolissaient de nouveau et la trans-
formaient en magasin à fourrages. Reconstruite par le roi
Maximilien Joseph I*"", la consécration put en avoir lieu
en 1822.
Outre sa cathédrale. Spire contient deux églises catho-
liques et deux églises protestantes, un hôpital civil et une
maison d'orphelins. L'ancien collège des jésuites sert au-
310 SPIRE — SPIRITUALISME
jourd'hui de caserne. Cette ville est le siège d'un évêché ca-
tholique et d'un consistoire protestant, et on y trouve di-
vers établissements d'instruction publique.
Après l'incendie de la ville en 1689 par le général Mon-
lelar, Spire resta pendant dix années un amas de décombres,
et ce ne fut qu'en 1699 qu'on en commença la reconstruc-
tion. De 1801 à 1814 Spire fit partie du territoire français,
et fut le chef-lieu du département du Mont-Tonnerre.
SPIRITUALISME {duMin spiriius, esprit, air, souf-
fle), l'une des doctrines philosophiques auxquelles a donné lieu
la question de la réalité des corps, de même que celle des re-
lations du corps avec l'âme. Tantôt ce mot désigne, dans un
sens rigoureux, la doctrine suivant laquelle l'âme, comme
le principe delà vie intellectuelle, diffère du corps, tantôt,
dans une acception plus large, la doctrine suivant laquelle
il n'existe point de corps, mais seulement des êtres pensants
et intelligents. A cet égard, le spiritualisme a beaucoup d'a-
nalogie avec \' idéalisme. Dans l'un et l'autre cas, le
contraire du spiritualisme est X&matérïalism e. La ques-
tion entre le spiritualisme et le matérialisme, qui ne re-
connaît que des corps, est de savoir si la pensée appartient
au corps, ou si elle est la propriété de toute autre chose
différente ; car si elle appartient au corps, il n'y a plus rien
à demander.
[ La négation d'un esprit en nous entraîne celle de tout es-
prit ; car si le corps nous suffit pour avoir la pensée, pourquoi
faudrait-il ailleurs quelque chose de plus? Si donc dans l'uni-
vers d'autres êtres en jouissent, ils sont corps de même que
nous. D'ailleurs, puisque les idées n'ont rien de réel, l'idée
d'esprit, qui est nulle, par sa nullité môme repousse l'exis-
tence d'un être effectif qui lui réponde. Ainsi partout que des
corps! Qu'il existe par hasard un Dieu, il ne sera qu'un
corps plus grand que les autres; tel est celui d'Épicure. Ou
bien supposez , comme Heraclite , les stoïciens et les maté-
rialistes du siècle dernier, Helvélius, d'Holbach, que tous
les corps ne soient qu'un , cette masse sera Dieu. Du moins,
est-il bien sûr qu'il y ait des corps? Comment arriver à la
certitude de leur existence? Par la sensation .' IMais la sensa-
tion , sans rapport avec la substance , ne représente que le
phénomène. Par l'idée? Mais l'idée de substance étant nulle
comme celle d'esprit , par sa nullité même repousse aussi
l'existence d'une substance quelconque qui lui réponde. Il
ne reste donc que des simulacres , de fantastiques appa-
rences de sensations, et l'univers s'évanouit dans une im-
mense et insurmontable illusion. C'est le système de Prota-
goras, disciple de l'école physique d'Élée. Le matérialisme
ne parle que de réalités palpables ; et ses principes, en re-
jetant la seule réalité q\ii rend les autres possibles et con-
venables , ne lui donnent que le néant. Or, le néant ne lui
3st pas plus assuré que les corps. Le néant suppose l'être
dont il est la négation ; on ne l'énonce qu'au moyen de
l'être absolu ; et l'idée générale du néant, ou de ce qui n'a
aucune perfection, implique l'idée générale de l'êti'e même
ou de ce qui a toutes les perfections. Le voilà donc rejeté du
néant au sommet de l'être! O pensée! tu es vraiment la sou-
veraine par excellence! Tout plie sous ta loi, rien n'échappe
à ton empire. Tu peux bien permettre à l'homme de s'é-
garer dans le vaste champ de l'erreur et de l'extravagance;
mais c'est toujours avec toi qu'il s'aventure. Sans toi , il ne
sortirait point de l'immobilité. Que dis-je? incapable de nier
comme d'affirmer, il ne serait pas homme, il ne serait pas
brute , il ne serait rien ; car de toi dépend l'existence, de-
puis le premier jusqu'au plus infime de ses degrés. De toi
relève l'erreur même qui te méconnaît; et lorsqu'en te
méconnaissant elle est parvenue à tout méconnaître, et que,
dans cette nrgation de tout, elle se croit inexpugnable, tu
la contrains de te proclamer dans ton éternelle réalité. Le
spiritualisme ne consiste qu'à te bien comprendre; car
quel homme, après l'avoir comprise, pourrait ne pas te
confesser? Il te voit constituant d'abord en Dieu l'esprit
incréé, puis en nous l'esprit créé; dans l'esprit incréé,
«onstituée toi-même par les idées générales absolues , dans
l'esprit créé, par les idées générales relatives , dépendantes
des idées générales absolues, et il voit que lorsque nou&
pensons nous percevons à la fois les unes et les autres ( voyez
Platon).
Ici tombent d'accord les besoins et les principes. Oui , il
nous faut un insatiable désir de connaître, de jouir, de nou."
ordonner ou de nous perfectionner, puisque nos idées,
image vivante de la vérité, du bien, de l'ordre ou de la
perfection , nous montrent la perfection , l'ordre , le bien ,
la vérité , vivants eux-mêmes dans les idées divines. Oui,
il nous faut un insatiable désir d'immortalité , puisque nos
idées , étrangères à ce corps de corruption , loin de craindre
sa destinée , semblent l'attendre pour s'unir plus intimement
aux idées divines, d'oii elles tirent leur principale force, et
qu'image vivante de l'immortalité , elles nous montrent l'im-
mortalité vivante elle-même dans les idées divines. 11 nous
faut enfin un insatiable désir d'infini, puisque nos idées,
image vivante de l'infini , nous le montrent vivant lui-même
dans les idées divines.
Quoiqu'il semble qu'à l'origine de la philosophie, oii
riiomme était enfoncé dans les sens , la pensée dut se con-
fondre avec l'imagination, et le matérialisme dominer exclu-
sivement, on voit' pourtant le spiritualisme se montrer et
lui disputer l'empire. Pythagore, qui lui donne naissance,
est contemporain de Thaïes, père de son ennemi. La lutte
de l'école d'Italie et de l'école d'ionie , dont ils sont les chefs
respectifs , est celle de ces deux systèmes. Malheureuse-
ment, tandis que la seconde aboutit aux atomes de Leu-
cippe et de Démocrite , la première , faute de connaître la
vraie manière de philosopher, se perd avec Xénopliane,
Parménide, Mélesse et Zenon, dans le panthéisme spiritua-
liste. Bientôt le matérialisme reçoit de la sophistique son
dernier développement. Protagoras déclare qu'il n'y a que
des apparences, Gorgias qu'il n'y a rien. L'un et l'autre,
ainsi qu'Eutliydème, Critias, Polus, Calliclès, Diagoras,
se jouent de la différence du vrai et du faux , du bien et
du mal , de la vertu et du vice , rejettent avec le rire du
mépris l'idée d'un bonheur qui ne viendrait point du pou-
voir, des richesses ou d'une source analogue, et par là
précipitent la décadence des mœurs à Athènes, dont ils
font leur principal théâtre et la proie de l'ambition, de la
cupidité et de la mollesse. Au milieu de cet affreux désordre,
et lorsque tout semble désespéré, soudain dans Socrate et
Platon , ces deux premiers vrais maîtres de la philosophie ,
resplendit le spiritualisme , posé sur les fondements qui lui
sont propres ; et de là il jette au monde une lumière qui
pourra s'éclipser, mais non s'éteindre. Que le matérialisme ,
favorisé par Aristote , dénaturant la pensée , reparaisse dans
Épicure , et aille se porter auxiliaire à cette vaste dépravation
qui gagne Rome et menace d'engloutir le monde, il rencontre
son éternel adversaire, qne le Christ lui oppose par la re-
ligion, Plotin et Augustin par la philosophie. Faut-il que
les calamités et les ténèbres du moyen âge lui rendent pour
plusieurs siècles une sorte d'empire, en lui soumettant pres-
que le christianisme lui-même, et en noyant la philosophie
dans les mots ? A considérer ce qui se passe même dans
les actes religieux de la vie, on dirait qu'ici-bas s'en-
ferment encore, comme aux temps païens, les terreurs et les
espérances. On demande avant tout à la religion de conjurer
les maux présents et d'attirer des biens; beaucoup en secret
ne lui demandent rien , la répudient par leurs doctrines et
par leurs pratiques, et se moquent d'elle dans une f-sdiffé-
rence amère ( tJoj/e:; Superstition), il cède cependant devant
la civilisation moderne, devant Descartes et les grands pen-t
seurs du dix-septième siècle, et va se cacher dans d'obs-
cures ou honteuses médiocrités. Au siècle suivant, il se re-
dresse et marche, enseignes déployées, dans les hautes
classes de la société et parmi les écrivains vulgaires; et
durant le paroxysme du délire révolutionnaire il obtient un
culte et des autels.
Par CCS triomphes et ces défaites alternatifs des deux sys-
tèmes ennemis, il est visible que les époques de corruplioc
SPIRITUALISME — SPOHR
8ii
et (ie demi-savoir sont celles du matérialisme; qu'il y paraît
avec ses théories , non-seulement pour ajouter au mal ,
mais, ce qui est plus grave, pour le justifier; qu'il a pour
partisans et pour organes les esprits ignorants ou superficiels.
Démocrite semble avoir eu une Intelligence supérieure , mais
il l'employait à l'histoire naturelle, et non à la philosophie;
Épicure n'est guère remarquable que par son dédain pour
l'instruction. Chez les modernes , que sont et que savent
les Helvétius, les d'Holbach? Cabanis est médecin ; Volney,
un érudil; Tracy, plein de pénétration, avoue lui-même
qu'il écrit sur la philosophie sans l'avoir préalablement étu-
diée. Bordas-Demoulin.
SPIRITUALISTES, nom pris aux Étals-Unis par
les croyants aux tables tournantes (voe/es Esprits).
SPIRITUALITÉ. Ce mot désigne la nature des êtres
spirituels. Ainsi , on dit la spiritualité de l'âme, la spiri-
tualité de Dieu. Il sert aussi à exprimer la vie religieuse
intérieure. Une haute spiritualité, c'est un degré éininent
de perfection dans celle vie. Dans la seconde acception ,
spiritualité est ordinairement synonyme de mysticité.
SPIRITUELS, nom pris dans le treizième siècle par
des membres de l'ordre de Saint-François, qui, sous pré-
texte de rétablir la sévérité première des règles de l'ordre,
adoucies par les papes Grégoire IX et Innocent IV , s'en sé-
parèrent, prêchèrent des rêveries apocalyptiques d'une
période plus parfaite, où arriverait le" règne du Saint-Esprit,
et constituèrent un ordre particulier , dit des ermites cé-
lestins, qui fut autorisé par le pape Boniface YlII. Plus
tard Jean XXII revint sur celle autorisation, et supprima
l'ordre, dont les doctrines furent déférées à l'inquisition.
Les spirituels se séparèrent alors ouvertement de l'Église,
et sous le nom de fraticelles se confondirent avec les hé-
rétiques désignés sous le nom de b égards.
SPIRULE, genre de mollusques céphalopodes, ainsi
caractérisé : Coquille blanche, mince, presque transparente,
nacrée à l'intérieur, cylindrique, mulliloculaire, partiellement
contournée en une spirale discoïde, dont les tours sont écartés
ou disjoints; cloisons également espacées, concaves en de-
hors et traversées par un siphon ventral interrompu; ou-
verture orbiculaire ; animal ayant en couronne autour de la
tête dix bras, dont deux plus longs que les autres ; la ma-
jeure partie du corps en dehors de la coquille; de chaque
côte une nageoire terminale.
SPITHAMIENS ou SPITHAMÉENS , nom d'une na-
tion de pygmées , dérivé de am%a.\L-ii , mesure de longueur
des Grecs qui valait les trois quarts de leur pied, ou la
moilié de la coudée.
SPITHEAD (Rade de). Voyez Portsmouth.
SPÎTZBERG, appelé pendant longtemps Groenland
oriental par les navigateurs qui fréquentent les parages du
Groenland, groupe composé de trois grandes et de plusieurs
petites îles d'une superficie totale d'environ 1,000 myriam.
carrés, situé entre le 76" et le 81" degré de latitude septen-
trionale, au nord-est du Groenland , et qui forme incontes-
tablement l'extrémité septentrionale de la terre. Ces diverses
îles sont entrecoupées par un grand nombre de .fjords et
de baies , et couvertes de montagnes, dont le pic le plus
élevé, le Hornherg, atteint 1,400 mètres d'altitude. Le climat
en est complètement arctique; et môme en été, alors que la
chaleurdu soleil est très-grande, pendant les longuesjournées
où il ne disparaît presque pas de l'horizon, la température
est si rude, que ni la neige ni la glace ne fondent à l'ombre.
La végétation est réduite par conséquent à un très-petit
nombre de plantes , notamment des mousses et des lichens.
Toutes ces îles sont inhabitées , mais elles abondent en ani-
maux marins et à fourrure, en rennes, et pendant l'été en
oiseaux maritimes. Après la plus grande de toutes , appelée
Spitzberg, viennent l'ile de Nordostland , située au nord-
est de celle-ci, et l'île (VEdgesland, située au sud-est. Elles
furent découvertes dès l'an 1533 par l'Anglais Willoughby,
puis retrouvées en 1596 par les Hollandais Hemskercke ,
W'ilhelm Barentz et Corneliz Rapp, qui crurent .es avoir
découvertes les premiers et qu'elles dépendaient du Groën*
land. C'est surtout aux capitaines Parry et Scoresby qu'on
est redevable de renseignements précis sur ces contrées ,
fréquentées par les pêcheurs anglais et hollandais, dont les
stations les plus ordinaires sont les ports de Schmeerenberg
et de Fairhaven , situés tous deux dans la plus grande de
toutes. Consultez M*""" Léonie d'Aunet, Voyage d'une Femme
au Spitzberg (Paris, 1854).
SPLANCHNOLOGIE (du grec aitXixYxvov , viscère,
et Xôyoç, discours) , branche de l'anatomie qui traite des ap-
pareils et des organes de nutrition et de reproduction de
l'homme et des animaux.
SPLAiVCIUVOTOMIE ( du grec atiU-iyyo^ , viscère ,
etxifjivw, couper), branche de l'anatomie pratique, qui traite
des divers moyens et procédés de préparations, soitextem-
poranées pour des leçons , soit pour la conservation des
viscères destinés à figurer dans les musées anatomiques.
SPLEEN. Ce nom est adopté dans la langue anglaise
pour désigner une nuance d'hypocondrie, qui inspire
l'ennui de toutes choses et même de la vie; affection connue
chez nous sous la dénomination de maladie noire. L'o»
rigine de cette expression est grecque, et provient de cjtiXtjv,
nom de la rate, parce que, selon une ancienne opinion,
ce viscère étant le siège de la joie , ses altérations devaient
engendrer les passions tristes. Nos rapports avec la Grande-
Bretagne ont depuis longtemps familiarisé les oreilles fran-
çaises avec ce mot ; il s'est même naluialisé chez nous au
point d'avoir sa place dans nos dictionnaires de date récente.
Nous ne pouvions donc l'omettre ici. N'oublions pas encore
qu'il faut le prononcer comme s'il était écrit spline, ainsi
que le font les Anglais. Mais ce n'est pas seulement le mol
spleen qui a été introduit chez nous, c'est encore l'affection
morbide qu'il représente. Jadis peu connue en France,
elle ne s'y propage que trop aujourd'hui.
Si les plaisirs du monde ne sont pas ressentis dans cet
état, les moindres peines deviennent au contraire des maux
insupportables. Quand on est arrivé à ce dégoût de toutes
choses et de soi-même , la vie est un fardeau, qu'on traîne
péniblement jusqu'à ce que des affections viscérales nous
enlèvent ou que nous demandions au suicide le remède de
nos maux.
SPLENDEUR. Voyez Clarté.
SPLUGEN, montagne des Alpes Lépontiennes, dans
le canton des Grisons (Suisse), dont le pic le plus élevé,
appelé ro?w6enAorn, a 3200 mètres d'altitude, et que traverse
une belle route, en partie taillée dans le roc vif, conduisant
en Italie à travers l'affreuse fondrière du Rhin désignée sous
le nom de Via mala. Au pied septentrional du Splugen, et
sur la route dont nous venons de parler, se trouve le bourg
do Splugen, avec 500 habitants et un grand entrepôt de mar-
chandises.
Du 27 novembre au l*"" décembre 1800,-IVIacdonald, à
la tête des réserves de l'armée française, effectua le passage
du Splugen; mais il perdit dans les précipices bon nombre
d'hommes et de chevaux.
SPOHR (Louis), l'un des plus remarquables musiciens
compositeurs de notre époque, est né vers 1783, à Gau-
dersheim, dans le pays de Brunswick , où son père exerçait
l'art médical. Entré au service du duc de Brunswick en
qualité de musicien de sa chapelle , il accompagna son maître
de violon, Eck , dans un voyage que celui-ci entreprit en
Russie. Eu 1804 il fit une tournée artistique en Allemagne,
et fut nommé l'année suivante directeur des concerts de la
cour de Gotha. Il écrivit dans celte résidence plusieurs con-
certos, quatuors et quintettes, duos, variations, sonates et
pots-pourris, diverses ouvertures, l'oratorio du Jugement
dernier et l'opéra Le Duel des Amants. En 1813 il fut
appelé à remplir les fonctions de chef d'orchestre au théâtre
de Vienne, où il produisit une vive sensation à l'époque de
la réunion du congrès et où il composa son Faust, cette
production si originale. Il accepta ensuite , en 1817, la place
de chef d'orchestre à Francfort. C'est là qu'il composa son
312
SPOHR
opéra Zémire et ^zor, ouvrage empreint de l'expression la
plus profonde et la plus touchante. En 1819 il alla à Londres,
où il obtint de grands succès; et au retour de cette tournée
en Angleterre, il fut nommé maître de chapelle à Cassel.
C'est là qu'il a composé les opéras de Jessonda (1823), Le
Géniedela Montagne (iSlb), Pietro rf'46a«o, au jugement
de beaucoup de connaisseurs la plus remarquable de ses
œuvres, L'Alchimiste, Les Croisés { 1844 ). On avait déjà de
lui une messe d'une exécution très-difficile ; mais dans les
oratorios qu'il a donnés depuis : La Fin des Choses, Les
Dernières Heures du Rédempteur, La Chute de Babylone,
il a prouvé que la musique d'église n'avait pas de secrets
pour lui. Ce qui domine dans ses compositions, c'est le
sentiment élégiaque. Spohr est d'ailleurs un des plus grands
harmonistes qu'on puisse citer.
SPOLETO, chef-lieu de la délégation du même nom
(38 myriam. carrés et 125,000 hab. ) dans les États de l'É-
glise, bâtie sur les bords de la Mareggia et sur une hauteur,
est une vieille et sale ville, avec des rues généralement es-
carpées, et 8,000 habitants, ou 14,000 si on y comprend la
population rurale. Siège d'un évêque, elle est protégée par
un château fort, appelé La Rocca , et on y voit encore quel-
ques débris de murs cyclopéens. On y admire une belle ca-
thédrale ; et on n'y compte [as moins de vingt-deux égli-^es,
indépendamment d'un grand nombre de couvents. Parmi les
ruines qu'elle présente à la curiosité du voyageur, on re-
marque celles d'im théâtre romain, des temples de la Con-
corde , de Jupiter et de Mars , et d'un palais construit par
le roi Théodoric.
Spoleium était dans l'antiquité l'une des villes les plus
importantes de l'Ombrie ; et devenue colonie romaine , en
l'an 240 av. J.-C, elle obtint les droits de vwnicipium.
Deux arcs de triomphe encore existants témoignent de
la courageuse résistance que ses habitants opposèrent à
Annibal après la victoire qu'il remporta sur les bords du
lac Trasiniène ( en 217 av. J.-C. ). Détruite par les Goths,
elle fut reconstruite par iNarsès. Érigée en duché, à l'é-
poque de la domination des Lombards en Italie, ses ducs
prirent plus tard le titre de marquis. L'empereur Hen-
ri II l'adjugea à la Toscane; mais depuis le treizième siècle
elle fait partie des États de l'Église.
SPOIXDYLE, genre de mollusques couchylifères ma-
rins monomyaires, ainsi caractérisé : Coquille inéquivalve,
adhérente, auriculée , hérissée ou rude , à crochets iné-
gaux ; animal plus ou moins épais , ovalaire, avec le man-
teau fendu dans toute la largeur et bordé de corpuscules,
qu'on a pris pour des yeux comme ceux des peignes;
pied rudimentaire, sans byssus. On trouve dans la Méditer-
ranée le spondyle pied d'âne [spondt/lis Gxderopus),
belle coquille, longue de 8 à 10 centimètres , et d'uue
couleur rougeâtre ou orangée assez vive.
SPONGIAIRES. On désigne sous ce nom un groupe
naturel de corps organisés, dont la détermination exacte est
difficile et que l'on a rangés tantôt parmi les animaux, tan-
tôt parmi les plantes, et même dans un prétendu règne in-
termédiaire aux deux précédents. C'est sous le nom usuel
à' éponges qu'ils sont généralement connus.
SPONGILLE ou ÉPONGE D'EAU DOUCE. Voyez
Éponge.
SPONTÉPARITÉ. Voyez Hétérogénie.
SPONDEE. C'est le nom qu'on donne , dans la versi-
fication grecque et latine, à une mesure composée de
deux syllabes longues. Tous les vers hexamètres grecs et
latins se terminent par un spondée.
On appelle vers spondaïque le vers hexamètre qui, au
lieu d'un dacty leau cinquième pied, prend un spondi'e;
ce qui est une exception à la règle générale de la construc-
tion du vers hexamètre. Le poète prenait cette licence si
le caractère de l'expression ou l'harmonie imitative le de-
mandait. ChAMI'AGNAC.
SPONTIIVI (Gasparo) naquit à Jesi, petite ville des
États Romains, le 14 novembre 1778. Après avoir appris les
SPORADES
premiers principes de la musique sous la direction du père
Martini, à Bologne, et sous le maître Borroni , à Rorne ,
il entra , à l'âge de treize ans , au Conservatoire de La
Pieta , à Naples, dirigé alors par Sala et Trajetta. A dix-
sept ans il composa un opéra bouffon i Puntigli délie
Donne, dont le succès fut extraordinaire. Pendant les an-
nées suivantes il composa une série d'opéras , tels que Gli
Amantiin CimentoàYyome:, L'Amorsecreto, à Venise, L'L-
sola disabitata, à Parme, LaFinta Filoso/a et L'Froismo
ridicolo, à Naples, Teseo, La Fuga in maschera, I Quadri
parlanti, Gli Elïsi deiusi. Il Geloso e l'Audace, LeMeta-
morfosi di Pasquate, à Florence. C'est alors qu'il vint à
Paris ( 1804 ),oi! il se (it connaître d'abord par La Finta Fi-
losofa, qui fut mise en scène sur le théâtre italien. La
Petite Maison signala son début à l'Opéra-Comique : cet
ouvrage futsifllé. Milton réussit au même théâtre. Ces com-
positions ne donnaient pas une idée bien satisfaisante du
talent de Spontini. Jouy lui confia le livret de La Vestale ;
le musicien s'empressa d'écrire sa partition , et la soumit
aux juges de l'Académie impériale de Musique. On y trouva
de bonnes choses; mais il n'y eut qu'une voix pour con-
damner l'extravagance du style, la hardiesse des innova-
tions, l'abus des moyens sonores, et la dureté de quelques
ressources d'harmonie : il fut décidé que l'ouvrage ne se-
rait pas joué. Spontini triompha pourtant de cette opposi-
tion , grâce à l'impératrice Joséphine , qui lui tendit une
main protectrice. Le jury de l'Opéra ne voulait cependant
pas retirer son verdict ; il avait dit surtout qu'il y avait trop
de notes dans La Vestale. Spontini se soumit, et livra sa
partition à Persu i s, à Rey, qui tripotèrent à leur aise le
nouvel œuvre, pour le rendre digne de la scène à laquelle
il était destiné. La Vestale parut le 15 décembre 1807, et
fut accueillie avec entliousiasme. L'exécution en était excel-
lente : Laiuez, Lays, Dérivis, remplissaient les rôles de
Licinius, de Cinna, du grand-prêtre; mesdames Branchu,
Maillard, représentaient Julia et la grande Vestale. Cet
opéra, l'un des meilleurs ouvrages du répertoire de notre
Académie impériale de Musique, fut désigné avec raison par
le jury pour le prix décennal ; honneur qu'il méritait à
tous égards. Mais, comme on sait , ces grands prix décen-
naux institués par l'empereur pour les mi;illcius ouvrages
dans les sciences , les lettres et les arts , ne lurent jamais
distribués. Fernand Cortez, des mêmes auteurs, ne réussit
pas d'une manière aussi brillante ; il est pourtant resté à la
scène. Olympie , donnée douze ans après La Vestale ^
tomba à plat. Spontini quitta Paris quelque temps après,
pour aller occuper la place de maître de chapelle du roi de
Prusse. Il a écrit pour le théâtre de Berlin Alcindor et
Agnès de Hohcnstavfen ; mais ces partitions sont infé-
rieures à celle de La Vestale. Quoique directeur de théâtre
d'une rare habileté, Spontini perdit en 1842 la direction de
l'opéra de Berlin, et vécut depuis cette époque tantôt à Pa-
ris, tantôt en Italie. Le pape l'avait créé comte de Saint-
André. Il mourut le 14 janvier 1851, à Majolati, aux envi-
rons de sa ville natale. Castil-Blaze.
SPONTOIV. Voyez Esponton.
SPORADES ( du grec tJTiEi'pw , je sème, je disperse).
On appelle ainsi, par opposition aux Cy clades, les îles de
l'archipel grec qui sont situées sur les côtes de l'Asie Mi-
neure. Les Grecs, dans un sens plus restreint, réservaient
celte dénomination pour les îles situées dans ce qu'ils appe-
laient la wifrd'/car/e, depuis Rhodes jusqu'à Cliios, à savoir
Rhodes, Carpathos, Casos, Chalcia (aujourd'hui Charki) ,
Symé (aujourd'hui .Sî/wi), Telos (Tilo ou Piscopia), Nisy-
ros, Syrenae ( Tzerni), Cos (Stanchio), Calymnos, Leben-
thos ( Levita), Leros, Lepsia ( Lipso), Pathmos, Icaria (Ni-
karia) , Lesbos et Ténédos; et ils ne comprirent jamais
parmi les Sporades Samothrace, Lemnos ni Imbros.
Toutes les Sporades sont d'origine volcanique; et les
montagnes dont elles sont couvertes, en portent les traces
plus ou moins visibles. Ces montagnes sont d'ailleurs géné-
ralement peu élevées. Au point de vue géologique et ethno-
SPORADES
graphique, les Sporades offrent les plus grandes analogies
avec l'Asie Mineure , et présentent le spectacle de la plus
grande fertilité là où l'eau ne manque pas ; ce qui est
l'exception. Toutes appartiennent à la Turquie.
Quelques géographes modernes les appellent Sporades
orientales,^oM'c\e?,à\!,i\ag\iei(\^&S2)orades septentrionales,
di'pendance du royaume de Grèce, et situéesau nord del'Eu-
bée, telles que Scyros, Chélidrome, Skopelo, Skallio, etc.,
et des Sporades occidentales, dispersées immédiatement le
long de la côte de la terre ferme du royaume de Grèce, telles
que Salamis, Égine, Hydra , Spezzia, etc.
SPORADES (As^rowoHHt;). Les anciens donnaient ce
nom aux étoiles ne faisant partie d'aucune c on s tel la t ion.
Ce sont celles que les astronomes modernes appellent (f^oi/e5
informes. Plusieurs des Sporades des anciens ont depuis
formé de nouvelles constellations. C'est ainsi que de celles
qui sont entre le Lion et la grande Ourse, Hevelius a formé
une constellation appelée le petit Lion. Voyez Étoiles,
SPOUADIQUE (même étymologie que sporarfes),
épithète qu'on donne aux maladies qui régnent indifferem-
iiieut partout , en tout temps, et qui attaquent chaque individu
séparément par des causes particulières, sans contagion,
tomme l'érésipèle chez l'un et le phlegmon chez l'autre; à
ia différence des épi d émies, qui sont communes à toutes
sortes de personnes en même temps et dans un même lieu,
ut qui dépendent d'une cause générale.
SPORANGE. Voyez Chamimgnon et Sfore.
SPORES (du grec cTtopà, semence, graine), corps re-
producteur des plantes cryptogames et agames en général ,
qu'on considère comme l'ovule de ces végétaux. Lorsque
les spores sont renfermées dans une capsule membraneuse,
on donne à cette enveloppe le nom de sporange. Les amas
de spores sont appelés soreet sorédie. Les termes s/Jorw/e,
gongyle, bésimen, séminule, sporidie, përidie, t/ièque,
spothèque, spermatocyste sont des synonymes simples de
spore. Lorsque ces corps reproducteurs sont en voie de dé-
veloppement, on les désigne sous le nom de propagines.
L. Lackent.
SPOPiT , mot anglais signifiant jeu , divertissement en
plein air, comme lâchasse, la pêche, les courses, les com-
bats de coq s. La prédilection desAnglais pour les distractions
de ce genre est un des traits de leur caractère national ; et elle
existe aussi bien dans les couches les plus inhmes de la po-
pulation que parmi les hautes classes. De simple distraction
et passe-temps qu'il était à l'origine, le s/7o/7 a fini par deve-
nir de l'autre côlédu détroit un art et même une science, dont
la connaissance est le complément indispensable de toute bonne
éducation. On ne saurait être un gentleman, c'est-à-dire un
liounnu comme il faut, si on n'est pas sportman. Le sport a
donné naissance aune littérature toute spéciale, et provoqué
ia publication d'une foule de recueils périodiques, dont le plus
important est le Sporting Magazine.
SPORTULE. Voyez Patron.
SPORULE, diminutif de spore. On appelle ainsi les
corpuscules reproducteurs des cryptogames dépouillés de
toute enveloppe.
SPRÉE ( La ), le plus important des affluents de l'Ha-
vel, prend sa source à Ebersbach, dans la haute Lusace, sur
les frontières de Bohême. Au delà de Baulzen , elle se divise
en deux bras, et entre à Hoierswerda sur le territoire prus-
sien, où ses deux bras viennent encore une fois se confondre
à Spreewilz. Un peu au-dessous de Lubben, elle se divise de
nouveau en bras nombreux, qui se réunissent à Scidepzig.
Elle devient navigable pour de petits bateaux à Kossenblatt,
traverse le lac de Schwieloch, forme à Berlin une île sur
laquelle est construite une grande partie de cette capitale,
et vient se jeter dans l'Havel, au-dessous de Spandau. Le
canal de Frédéric-Guillaume la met en communication avec
l'Oder.
SPRINGFrELD. Voyez Gretna-Green.
SPRL\G-RICE ( TuoMAS ), baron Monteagle de
Brandon, ancien ministre anglais, descend d'une famille
— SQUALE 313
protestante établie en Irlande, et est né en 1790. Entré en
1816 à la chambre des communes, grâce aux relations de
sa famille, il prit rang parmi les whigs. Quand ce parti
arriva aux affaires avec lord Grey , il fut nommé sous-se-
crétaire d'État de Tintérieur; et après la retraite de Stanley ,
en 1834, il entra dans le cabinet avec le titre de secrétaire
d'Étal des colonies; quelques mois plus tard il était contraint
de se démettre de ces fonctions. Une nouvelle administration
win'g s'étant constituée en 1835, il fut nommé chanceher de
l'échiquier. Son inexpérience dans les questions spéciales
fournit beau jeu au parti tory. Quand, en 1839, lord Ilowick
se sépara de ses collègues, les autres ministres sentirent la
nécessité de renforcer le cabinet ; en conséquence, Spring-Rice
donna sa démission, et fut remplacé par Francis Ba ring. 11 fut
récompensé de ce sacrifice par la pairie et le titre de ba-
ron de Monteagle de Brandon, avec la survivance d'une charge
de contrôleur de la trésorerie, fonctions à vie et indépendantes
du gouvernement. Dès 1839 il parvenait à les exercer, par
suite d'un tripotage qui avait assuré au titulaire démis-
sionnaire une grosse pension; et alors le parti tory de crier
avec raison au trafic des places. Depuis lors il n'a plus
été que bien rarement question de cet homme politique.
SPURZIIEIM( Gaspard), l'un des premiers et des plus
habiles apôtres de la phrénologie, naquit à Lcngwy, en
1776. En 1795 il alla étudier la médecine à Vienne, où il
fit la connaissance de G ail, dont il devint non-seulement
le disciple, mais encore l'ami le plus dévoué. En 1813 il
passa en Angleterre , et y fit en diverses villes des cours de
phrénologie, où on le vit quelquefois différer d'opinions avec
son maître. En 1817 il se fixa à Paris, où il se fit recevoir
docteur. Après avoir encore alternativement séjourné en
Angleterre et en France, il se rendit, en 1832, à Boston, où il
mourut, la même année. On a de lui : The Physiognomi-
cal System of Gaspard Spurzheim (Londres, 1815) ;SMr
la Folie ( Paris, 1832) ; Essai sur la Nature morale et in-
tellectîielle de l'Homme (Strasbourg, 1820), etc.
SPUTATiON (du latin spictare, cracher souvent), ac-
tion de cracher, crachement.
SQUALE , genre de poissons chondioptérygiens pla-
giostomes. Il renfermait naguère un fort grand nombre
d'espèces, comme la roussette, le requin, le chien de mer,
Vaiguillat, le renard demer, le Zama?i^ài, etc., etc.; il est
aujourd'hui subdivisé en plusieurs autres genres, assez gé-
néralement adoptés. Son caractère principal consiste à
avoir cinq, ou six, ou sept ouvertures branchiales de chaque
côté du corps. On doit à Broussonnet, à Bloch et à Lacé-
pède d'excellentes monographies de ce genre. Le corps des
squales est toujours très- allongé , plus ou moins arrondi,
et diminue de grosseur à mesure qu'il .s'éloigne de la tête.
Il est recouvert d'une peau coriace, presque toujours cou-
verte d'une infinité de petits tubercules rugueux , arrondis
et osseux. La tête est aplatie ; elle varie de forme dans
toutes les espèces, tantôt ronde, tantôt allongée. La bouche,
placée au-dessous, présente une large ouverture longitu-
dinale. Les dents, souvent triangulaires, aplaties, disposées
sur plusieurs rangs, ne sont point enchâssées dans les mâ-
choires , mais simplement implantées dans un muscle car-
tilagineux; elles sont mobiles, à la volonté de l'animal,
c'est-à-dire que dans l'état de repos elles se couchent en
arrière les unes des autres, mais qu'au moment de saisir la
proie elles se redressent et présentent perpendiculaire-
ment leurs pointes, pour pouvoir l'arrêter et la déchirer.
Ces dents tombent assez facilement , mais elles se repro-
duisent de même. La langue est courte, épaisse , rude au
toucher. De la tête, criblée de pores, suinte continuellement
une liiiueur huileuse, qui se répand sur le corps pour le
lustrer et faciliter son passage à travers l(v- ondes. Les
yeux sont petits , placés sur les côtés. Les narines, qu'on
voit en avant des yeux, sont organisées de manière adonner
le plus grand dévelopiiement au sens de l'odorat. Leur ori-
fice peut être diminué et même fermé entièrement à volonté.
La plupart des squales, outre leurs ouvertures branchiales.
314 SQUALE
placées au-dessus des nageoires pectorales, ont encore,
comme les raies, deux évents, placés derrière les yeux, les-
quels leur servent à rejeter l'eau surabondante qui est entrée
par la bouche ou par les brancliies. Toutes les nageoires
sont cartilagineuses, et varient de forme, selon les espèces;
il y en a ordinairement deux sur le dos. Le cerveau est
petit. Le cœur n'a qu'un ventricule et une oreillette, cette
dernière d'une grande capacité. L'estomac est, vaste, plus
long que large , et se termine par un intestin grêle , très-petit.
Le foie se divise en deux lobes inégaux et allongés ; la vésicule
du fiel a la forme d'une S; la rate est très-allongée; toutes
les parties servant à la digestion sont abondamment pour-
vues de sucs gastriques , qui accélèrent singulièrement la
décomposition des aliments ; aussi les squales sont-ils insa-
tiables. Les diverses espèces qu'on a observées sont toutes
ovipares, c'est-à-dire que leurs œufs éclosent dans leur
ventre et successivement. Mais il arrive quelquefois, et
dans certaines espèces, que ces œufs sont expulsés avant le
complet accroissement de l'embryon qu'ils contiennent, ce
qui n'empêche pas pour l'ordinaire cet embryon de parvenir
à bien. On trouve souvent sur les côtes de la mer de ces
œufs vides, rejetés parles flots.
C'est toujours de chair que vivent les squales; et, comme
on l'a déjà dit, leur organisation les oblige de faire une grande
consommation d'aliments. Ils ne recherchent pas seulement
les poissons et les mollusques, mais les oiseaux de mer, et
en général tout ce qui peut les nourrir. Les grandes espèces,
telles que le requin, ne balancent pas à attaquer l'homme.
11 est des squales bons à manger; mais tous, en général,
ont la chair coriace et peu sapide. On tire parti de la peau de
quelques espèces, sous les noms de chagrin , peau de re-
quin,peau de chien de mer, dans plusieurs arts et industries.
Elle sert à polir les ouvrages en bois, en métal, à revêtir les
boîtes, les étuis, les fourreaux de sabre, etc. On en fait une
grande consommation.
On trouve quelquefois des squales pétrifiés, et très-fré-
quemment leurs dépouilles osseuses. Leurs dents, ou du
moins celles de quelques espèces, sont depuis Irès-longtenips
connues sous le nom de glossopèlres , odontopètres , lan-
gues de pierre ou langues deserpent , parce qu'on a cru que
c'étaient des langues de serpent pétrifiées, La superstitieuse
ignorance a même voulu que ces pétrifications, qu'on trouve
en grand nombre à Malte, soient les langues des serpents
que saint Paul changea en pierres à son arrivée prétendue
dans cetle île.
SQUAMME ou SQUAME (du latin sqnama, écaiWe) ,
nom que l'on donne aux bractées qui composent le périclinc
des synanthérées.
On donne quelquefois aux appendices du clinanthe des
plantes de la même famille le nom de sqxtamelle, et celui
de squamellule s'applique parfois aux parties qui cons-
tituent l'aigrette des mêmes plantes.
SQUARE , mot anglais qui désigne une place publique
dont le centre est occupé par un jardin plus ou moins élé-
gamment dessiné. A Londres et dans quelques autres
grandes villes, ces jardins appartiennent aux propriétaires des
diverses maisons garnissant les quatre pans du square.
La place-Royale fut longtemps, à Paris, le seul véritable
square que possédât la capitale ; mais dans ces dernières
années elle s'est enrichie de deux autres squares, celui du
Temple et celui de la place Saint-Jacques-la-Boucherie, dont
les jardins peuvent soutenir avantageusement la comparaison
avec ce qu'on peut voir de mieux à Londres en ce genre.
SQUATTERS (du verbe anglais to squat, s'accroupir,
se blottir). On appelle ainsi aux États-Unis les colons qui
s'établissent .sur quelque portion de terrain désert , sans en
avoir lait l'acquisition. Bien qu'une telle pratique ait long-
temps passé pour illégale , elle a beaucoup contribué au
rapide défrichement des États-Unis, parce que des individus
qui n'avaient pas les moyens d'acquérir des terres dans des
localités oii se pressait déjà une population compacte s'en-
fonçaient dans l'intérieur et créaient des établissements dans
— STAAL
] des régions où l'on n'aurait pénétré que beaucoup plus tard
en suivant les voies ordinaires de la colonisation. On pro-
posa donc de bonne heure de les protéger par des lois, dite»
de préemption, dans la possession des terres dont ils s'é-
taient emparés de leur propre autorité et dont on n'aurait d'ail-
leurs pas pu les expulser, même en recourant à l'emploi de.
la force ; et on partit de ce principe que le travail employé
à la première mise en culture du sol équivalait à un capital
qu'on y aurait consacré. En 1808 la législature de Massa-
chusetts rendit une loi en vertu de laquelle l'occupation
d'une portion de terrain pendant un espace de quarante
ans équivalait au droit de propriété ; mais des actes ulté-
rieurs du Congrès accordèrent aux squatters dans les nou-
veaux Territoires le droit d'acheter au prix minimum d'un
dollar et un quart les portions de terrain appartenant à
l'État occupées par eux , sans avoir égard à la plus-value
qu'elles auraient pu acquérirdepiiis. De pareilles dispositions
législatives furent prises en 1813 pour l'iUinois, en 1814
pour la Louisiane et le Missouri, en 1816 pour la Floride;
et en 1830 on les étendit à toute l'Union pour un certain
nombre d'années. Enfin, en 1841 ,intervintla loi de préemp-
tion, aujourd'hui encore en vigueur, qui transforma ce qui
n'avait été jusque là que provisoire en état de choses dé-
finitif, et réserva partout aux squatters , dans les ventes
de terrains appartenant à l'État, le droit de s'assurer, . en
payant ce prix minimum dont il a été question plus haut,
un titre légal à la propriété des terres par eux mises en
culture. La seule limitation à ce piivilége consiste en ce
qu'un colon ne peut acheter à la fois plus d'un quart de
section ( 160 acres), et ne saurait élever de prétentions à la
propriété de terrains destinés à l'entretien des écoles ou à
d'autres buts d'utilité publique ( voyez Bacrwoods).
SQUELETTE (du grec <7xeÀ£t6;, desséché), en-
semble des os qui concourent à la formation de l'organisme
animal. L'appareil osseux compris sous cette dénomination
sert à protéger les principaux moteurs de la vie , et fournit
des leviers et des appuis pour les muscles qui font partie
des organes du mouvement. Chez les animaux qui occu-
pent le premier rang dans les classifications zoologiques ,
les pièces principales, du squelette sont la tête et la colonne
vertébrale , destinée^ à loger et à défendre les centres ner-
veux. D'autres os forment les cavités appelées la poitrine,
l'abdomen elle bassin ; d'autres constituent enfin les mem-
bres: ces différentes pièces s'emboîtent par des modes variés
et appropriés à diverses fins. En descendant l'échelle zoo-
logique, on voit l'appareil osseuxse modifier au point dede
venir méconnaissable.Cette charpente solide du corps dessine
si bien l'organisme qu'elle suffit pour révéler les mœurs et
les habitudes des animaux qui ont disparu depuis long-
temps de la surlace du globe, et dont on a judicieusement
comparé les ossements aux médailles, à l'aide desquelles on
apprécie les temps antiques. Qu'on ne s'étonne donc plu s que
les collections d'os aient tant d'attraits pour les naturaUstes,.
tandis que le vulgaiie leur accorde si peu d'attention !
On appelle squelette artificiel celui dont les ossements
sont attachés avec du fil d'archal, de laiton ou de chanvre;
il y a aussi des squelettes d'ivoire.
Le mot squelette est pris au figuré pour exprimer une
maigreur extrême; ainsi on dit en parlant d'un homme
tombé dans le marasme. C'est un squelette. On a vu na-
guère, à Paris, un individu paraissant avoir les os recou-
verts par la peau seulement, quoiqu'il fût assez bien por-
tant: il se donnait publiquement en spectacle sous le nom
de squelette vivant. Cu-vabonnier
SQUIRRUE (du grec cxtp^oç, tumeur dure). On
donne généralement ce nom à des tumeurs dures, indo-
lentes, sans changement de couleur à la peau, et qui sont
produites par un commencement de dégénérescence cancé-
reuse. Le squirrhe est le premier degré du ca ncer.
SSUFISME. Fo^e:; Sufisme.
STAAL (Mahoijerite-Jeanne Cordier de LAUNAY,
oaronne de) , née à Paris, en 1693, était la fille d'un pein-
STAAL — STADHOUDER
315
tre qui, forcé de s'expatrier, se retira en Angleterre , où
il mourut, en la laissant dans l'indigence. Recueillie avec
âa mère à l'abbaye de Saint-Sauveur en Normandie, elle
passa ensuite dans un couvent de Rouen, où elle reçut une
brillante éducation, et qu'elle ne quitta qu'en 1710, pour en-
trer à Paris dans un autre couvent , où elle eut occasion de
faire la connaissance delà duchesse de LaFcrté.Un peu après
elle accepta une place de femme de chambre auprès de la
duchesse du M a i n e , et bientôt par son esprit et ses talents
elle joua un certain rôle à la petite cour de Sceaux. Lors de
la conspiration deCellamare, mademoiselle de Lau-
nay fut un des principaux agents des communications de sa
maîtresse avec cet ambassadeur. Elle fut arrêtée en même
temps que la duchesse, et conduite à la Bastille, où elle
resta enfermée pendant deux années. A sa sortie de cette
prison , elle fut mal récompensée de son dévouement par le
froid accueil que lui fit la duchesse , qui ne songea pas
même à la secourir dans le dénûment où elle se trouvait ,
ayant quitté la Bastille, comme elle le dit elle-même, pres-
que dépouillée. Après être restée encore quelques années
dans un pénible esclavage auprès de l'ingrate duchesse ,
son existence changea tout à coup, par le mariage qu'on
lui fit faire avec le baron de Staal , vieil officier suisse re-
tiré du service, mais à qui le duc du Maine donna une
compagnie dans ses gardes avec le titre de maréchal de
camp. Dès ce moment la situation de M"'' de Staal changea
auprès de la duchesse ; elle jouit de toutes les prérogatives
des dames attachées à sa personne , et sa vie fut désormais
exempte d'agitation. Elle mourut en 1750. On a d'elle des
Lettres et des Mémoires qui comprennent l'intervalle de
1715 à 1720. ils fournissent peu de renseignements sur les
affaires du temps, mais sont écrits de la manière la plus
piquanle.
STABAT MATER , hymne qu'on chante pendant les
fêtes solennelles de la semaine sainte, et qui rappelle, dans
un style naïf, mais de basse latinité , les souffrances de la
vierge Marie pendant le crucifiement de Jésus. Comme les
proses de l'Église romaine, le Stabat e^^t composé de vers
sans mesure, mais qui n'ont qu'un certain nombre de
syllabes avec des rimes. Quelques-uns enaltribuenl la com-
position au pape Jean XXH ou à l'un des Grégoire. L'o-
pinion la plus probable est celle qui lui donne pour auteur
Jacques de Beiiedictis, vulgairement appelé Jacoponus,
qui vivait au treizième siècle , et était un savant juriscon-
sulte. La douleur que lui causa la mort de sa femme le
détermina, en 1268, à entrer dans l'ordre des frères mi-
neurs franciscains, où il se livra à de telles pratiques de
pénitence et de dévotion qu'il finit par en perdre l'esprit ;
et il mourut enl306. Le texte du Stabut Muter a été plu-
sieurs fois modifié, et les meilleurs compositeurs l'ont mis
en musique. Les compositions les plus célèbres qu'il ait ins-
pirées sont celles de Palestrina ( chant à huit voix ) , de Per-
golèse ( à deux voix, avec accompagnement ) et d'Astorga; et
parmi les modernes, celles de Haydn ( avec orchestre), de
Winter, de Neukomm , etc.
La plus connue de toutes ces compositions est celle de
Pergolèse , qui figure dans toutes les solennités musicales.
Certaines strophes sont d'un style vraiment religieux : le
Vidit suum est empreint d'un caractère plein de charme.
Pergolèse, pendant la maladie de poitrine qui l'enleva, s'é-
tait retiré dans une petite villa sur le bord de la mer, au
pied du Vésuve. Ce fut dans ce séjour qu'il composa son
Stabat. Il mourut le laissant inachevé ; la dernière stro-
phe n'a pas été écrite par lui.
Sl'ABIES, petite ville du littoral de la Campanie,
en Italie, située entre Pompéi et Surrenlum, près du Cas-
tellamare actuel, était célèbre dans l'antiquité par ses sources
minérales. Détruiteen partie par Sylla à l'époque de la guerre
sociale, elle fut complètement ensevehe eu même temps
qu'Herculanum et Pompéi lors de l'effroyable éruption
du Vésuve qui eut lieu en l'an 79 de notre ère.
STACCATO , mot italien qu'on indique en musique
par de petits points ou des barres au dessus des notes , et
qui signifie que les sons doivent être vivement détachés et
sans aucune liaison entre eux.
STACE ( PuBLius Papinius STATIUS ), poète ou plutôt
versificateur latin , contemporain de Vespasien et de Domi-
tien, né à Naples, vers l'an 61 de notre ère, fut élevé à Rome,
et remporta à diverses reprises le prix dans les concours
poétiques. C'était l'improvisateur par excellence, le Sgricci
de son temps; et il faisait des vers à tous propos, ne se
faisant pas faute de flatter bassement les grands et les puis-
sants; aussi Domitien le combla-t-il de faveurs. Mais plus
tard il se retira dans un domaine qu'il possédait aux envi-
rons de Naples, et où il mourut, vers l'an 96. Ses poèmes
épiques, La Thébaïde, en douze chants, où il traite de la guerre
des sept chefs contre Thèbes, et L'Achilléide, en deux livres,
et demeurée inachevée, où il retrace ce qui arriva à Achillepen-
dant la guerre de Troie, se distinguent par une grande exac-
titude historique et témoignent de vastes lectures, mais
pèchent par l'enflure, l'obscurité et les redondances. Juvénal
ditqueleslecturespubiiques de ces poèmes faites par l'auteur
attiraient toujours un vaste concours d'auditeurs , qui lui
prodiguaient les applaudissements les plus enthousiastes. On
a encore de lui, sous le titre de Sylvas (Forêts), des poèmes
divers en cinq livres, où l'on rencontre parfois des morceaux
où l'imagination du poète réussit assez bien dans ses créa-
tions. Consultez Gronov , Diatribe in Statii Sylvas ( La
Haye, 1637).
STADE. Ce mot désignait cheï les anciens, à l'époque
où les Jeux Olympiques devinrent la véritable fête nationale
de la Grèce , une mesure itinéraire de 600 pieds grecs ou
625 pieds romains. Selon Dacier, il faudrait vingt stades
grecs pour faire l'ancienne lieue de France.
A l'origine le stade signifiait aussi la carrière ou l'espace
dans lequel les Grecs s'exerçaient a» jeu de la course ;
c'était, selon Vitruve, un espace découvert de la longueur
de 125 pas , faisant environ 180 mètres, entre deux bornes
ou cippes, le long duquel il y avait un amphithéâtre, où se
plaçaient les spectateurs. On a reconnu encore des stades
couverts , environnés de portiques et de colonnades , qui
servaient aux mômes exercices pendant le mauvais temps.
Dans ce dernier cas, le stade était une partie nécessaire de
l'édifice appelé gymnase. Quelquefois, les stades grecs
étaient entourés de constructions dispendieuses. Selon Pau-
sanias, il y avait sur l'isthme de Corinlhe un stade cons-
truit en marbre blanc.
Le cirque fut le monument qui chez les Romains rem-
plaça le stade des Grecs , autant pour les usages que pour
la forme; seulement, les cirques romains l'emportèrent en
grandeur et eu magnificence sur les stades de la Grèce.
STADE, chef-lieu du bailliage ( landdrostei ) du même
nom ( royaume de Hanovre ), sur la Swinge , à environ deux
kilomètres des bords de l'Elbe, compte 5,800 habitants.
Celte ville eut de bonne l)eure ses comtes particuliers , el
son commerce était autrefois très-important : de 1586 à
1612, elle fut l'entrepôt des marchandises allant d'Angle-
terre à Hambourg. Elle eut beaucoup à souffrir dans la guerre
de trente ans : Tilly la prit pour l'empereur, en 1626; les
Suédois l'assiégèrent de nouveau en 1632 ; le comte de Pap-
penheim les força de se retirer, mais ils ne revinrent pas
moins la reprendre. Le traité de \Yestphalie la céda aux
Suédois; et peu d'années après un violent incendie la dé-
truisit. En 1719 elle fut cédée ii l'électeur de Hanovte avec
le duché de Bremen, dont elle avait fait partie jusque alors.
Depuis elle subit toutes les destinées de l'électoral , et fut
successivement occupée par les Prussiens et les Français.
Réunie à l'empire de Napoléon , elle devint le chef-lieu d'une
sous-préfecture du département des Bouchesde-l'Elbe.
STADHOUDER, mot hollandais répondant à l'alle-
mand statthalter, c'est-à-dire lieu tenant. C'est le titre que
portait dans la république des Provinces-Unies le comman-
dant en chef de la force armée. Cette dénomination datait de
l'époque de la domination des ducs de Bourgogne , puis des
316
STADHOUDER — STAEL-HOLSTEIN
rois d'Espagne, alors que l'ensemble des Pays-Bas était
administré par un grand-stadhouder, et les diverses pro-
vinces par des stadhoiiders particuliers. La république des
Provinces-Unies conserva le stadhoudérat ; mais les pou-
voirs dustadhouder n'étaient pas les mêmes dans toutes les
provinces , parce que c'était là une dignité particulière à
chacime d'elles et ayant plus ou moins de prérogatives. Au
stadlioudérat général était jointe la dignité de capitaine et
d'amiral général de la république; charge dont la puissance
consistait dans l'exercice de certains droits supérieurs en
matière politique et en affaires de gouvernement, ainsi que
dans le commandement en chef des forces de terre et de
mer. En cette qualité le stadhouder avait le droit de nom-
mer les présidents des cours de justice et un grand nombre
d'autorités dans les villes, à la condition de les choisir sur
une liste de candidats présentés par les états d'une province ;
et même, selon les circonstances, il avait le pouvoir de les
destituer etde les remplacer. Il exerçait surtout ce droit dans
lés provinces d'Utrecht, de Gueidre et d'Over-Yssel, parce
que, exclues de l'Union en 1672 à cause de la faible résis-
tance qu'elles avaient apportée à l'invasion française , elles
n'y avaient été réadmises en 1674 qu'à la condition que leurs
corps municipaux seraient nommés par le stadhouder.
En Hollande il n'avait que le droit de recommandation aux
magistratures. Comme stadhouder, il présidait les états gé-
néraux et provinciaux, et par sa voix délibérative il exerçait
une grande influence sur la législation. Il avait dans ses at-
tributions la plupart des privilèges du pouvoir exécutif qui
concernent l'inlérèt général. 11 avait le droit de faire grâce,
quand les malfaiteurs n'avaient pas commis de meurtres
ou autres crimes graves. En vertu de l'union d'Utrecht,
il était en outre l'arbitre des difficultés qui survenaient entre
les diverses provinces. La force armée était sous ses ordres ,
car, en sa qualité de capitaine générai, il était le général
en chef des troupes. Il nommait les officiers jusqu'au grade
de colonel, de même que, sur une liste de présentation , les
commandants de places fortes. Comme chef de l'armée,
il lui arrivait souvent de nommer seul les généraux. En
sa qualité d'amiral général, il avait sous ses ordres toute
la marine de l'État, et dirigeait les différents collèges de
l'amirauté. Il lui reveiiait la dixième paitie de tout le bu-
tin fait à la mer, et c'avait été là autrefois la source de
profits considérables. Ces privilèges importants, qui parti-
cipaient beaucoup de ceux de la souveraineté , fiuent encore
augmentés en 1747, lors de l'établissement du stadhoudérat
général. En 1748 les états généraux nommèrent aussi Guil-
laume IV capitaine et amiral général de tous les territoires
composant les Provinces-Unies. Ses revenus étaient très-con-
sidérables, et sa cour offrait tout le luxe de celle d'un roi.
Laconduitede Guillaume V pendant la guerre que la France
se vit obligée de soutenir à partir de 1778 contre l'Angle-
terre provoqua la formation d'un parti qui se proposa de
restreindre les privilèges de la puissance stadlioudérienne;
mais l'intervention armée du roi de Prusse termina ce con-
flit à l'avantage du stadhouder, qui récupéra tous les droits
et privilèges dont ou l'avait dépouillé. La république française
mita profit le mécontentement qui en résulta dans le pays.
Elle déclara la guerre non pas à la république des Provinces-
Unies, mais au stadhouder ; et à la suite de la faible résis-
tance opposée en 1794 par la Hollande à l'invasion française
aux ordres de Pichegru, le stadhoudi'rat y fut à tout jamais
aboli. Le stadhouder héréditaire obtint aux termes du recez
de l'Ernpire de 1803 des indemnités en Allemagne; mais il
les perdit à la suite des guerres de 1806 et 1807, et dès lors
il vécut dans la vie privée jusqu'en 1813, oii il fut rap-
pelé en Hollande et où les résolutions du congrès de Vienne
l'autorisèrent à prendre le titre de 7-oi. Voyez Pays-Bas.
STADIOA' (Jean-Philippe, comte de), issu d'une an-
cienne famille de la Souabe originaire du canton de Glaris,
né le 18 juin 1763, fut nommé en 1788 ministre i)lénipoten-
tiaire de l'empereur à Stockholm, puis appelé en 1790 à
remplir les mêmes fonctions à Londres. En 1792 le comte
Mercy d'Argenteau, envoyé autrichien à Paris, ayant dû,
à la suite des événements de la révolution, se réfugier à
Londres , se trouva chargé de suivre avec le cabinet de
Saint-James les négociations les plus importantes. Le corr.te
de Stadion , justement froissé, donna sa démission , et se re-
tira dans ses terres. Ce ne fut qu'en 1797 qu'il rentra dans
la diplomatie. Après la conclusion de la paix de Presbourg,
il remplaça Cobenzl dans les fonctions de ministre des af-
faires étrangères. L'issue malheureuse de la guerre de 1809,
dont il avait été l'un des plus chauds instigateurs , le força
de se retirer, et il eut pour successeur le comte de Metter-
nich, alors ambassadeur à Paris. Après avoir vécu quelque
temps à Prague et dans ses terres de Bohême , il fut rappelé
à Vienne en 1812, et le cabinet ne cessa plus dès lors de le
consulter sur toutes les questions de quelque importance.
Après la bataille de Lutzen , il fut envoyé en qualité de mé-
diateur auprès de l'empereur Alexandre et du roi de Prusse,
et à partir de ce moment son influence devint des plus
considérables. Au rétablissement de la paix générale , il
consentit à se charger des finances , qui plus que jamais
avaient besoin de se trouver aux mains d'un homme ferme
ethabile. Il mourut à Baden , près de Vienne, le 13 mai 1824.
STADION (François-Séraphin, comte de), fils cadet du
précédent, né en 1806, entra de bonne heure dans l'admi-
nistration, et a laissé les plus honorables souvenirs à
Trieste et en Gallicie. Lorsque la révolution de Vienne eut
été vaincue, en octobre 1848, il entra avec Schwarzen-
berg et Bach dans le ministère du 21 novembre, qui entre-
prit la restauration de la monarchie autrichienne. Avec
Schwarzenberg il représentait l'élément libéral dans la nou-
velle administration; mais le douloureux état de sa santé
le contraignit, en mai 1849, à se retirer des affaires. Il obtint
un congé illimité, et alla essayer de l'hydrothérapie à Grae-
fenberg. Mais son état maladif ne fit qu'empirer, etdégénéra
en une incurable aliénation mentale. Il mourut le 8 juin 1853.
STAEL-HOLSTEIN (Anne-Louise-Germaine NEC-
KER, baronne de) naquit à Paris, le 22 avril 1766, de
Jacques Necker, devenu plus tard ministre de Louis XVI,
mais qui n'était encore alors que commis chez le banquier
Thélusson , et de Susanne Curchod de JN'asso. M™* Necker
éleva sa fille dans les principes du calvinisme le plus sévère,
mais elle fut gâtée par son père. La maison de Necker était
le rendez-vous habituel des notabilités littéraires de l'épo-
que. En conséquence du système de sa mère sur l'éducation,
M"^ Necker fit à la fois de fortes études, écouta beaucoup de
conversations au-dessus de la portée de son âge, et assista
à la représentation des meilleuies pièces du théâtre. Ses
plaisirs comme ses devoirs étaient tous des exercices d'es-
prit, et la nature qui la portait déjà à les aimer fut fécondée
de toutes les manières. Habituée dès son jeune âge aux
entretiens pleins d'intérêt des hommes les plus spirituels et
les plus éloquents de l'époque , elle contracta le goiit des con-
versations élégantes et sérieuses: ses reparties étaient vives,
justes et piquantes. Fille unique d'un ministre, admirée pour
son esprit, d'une figure remarquable , sans être belle , par
la mobilité des traits et le feu de ses yeux noirs, parfaite-
ment bien faite, elle pouvait aspirer aux partis les plus
avantageux. 11 paraît qu'à ce moment son cœur appartenait
au noble Matthieu de Montmorency. Mais sa mère, pro-
testante zélée, exigeant qu'elle épousât un homme de sa re-
ligion , le choix de sa famille s'arrêta sur le baron de Staël ,
gentilhomme suédois, fort aimé du roi Gustave, qui favo-
risait se^ prétentions, et qui pour rassurer M"*" Necker contre
la crainte de quitter Paris promettait d'assurer à M. de
Staél pour plusieurs années la place d'ambassadeur en
France. Le mariage fut célébré en 1786 ; mais on voit que ce
ne fut point un mariage d'inclination. Le baron de Staël a
laissé peu de souvenirs : ce n'est pas de lui qu'est venue la
célébrité attachée à son nom.
M™* de Staël avait vingt ans lorsqu'elle entra dans le
monde, précédée d'une grande réputation de vivacité et d'es-
prit. Son premier ouvrage, les Lettres sur J.-J. Rousseau
STAEL-HOLSTEIN
317
(Paris, 1788), reçut du public un accueil favorable ; mais
bientôt les affaires publiques vinrent fixer ses regards sur
de plus graves sujets. Vouée par caractère à la cause de la
liberté, elle prit l'intérêt le plus vif au développement de la
révolution française. M. Necker, nommé pour la seconde
fois ministre des finances en 1788, fut renvoyé en 1790, et
sortit de France avec sa fille. A peine était-il arrivé à Bâie,
que Tordre du roi le rappela au poste périlleux qu'il venait
de quitter. Le bonheur que causa à M"^ de Staël ce revi-
rement de fortune ne fut pas de longue durée. M. Necker,
accablé d'injustices et de dégoûts, abandonna la France,
pour ne plus la revoir. M"*^ de Staël venait d'avoir un fils ;
mais sa tendresse pour son père, qui a été le sentiment do-
minant de sa vie, l'engagea à le suivre dans sa retraite de
Coppet : elle ne revint en France, vers le mois de septembre
1792, que pour arracher quelques victimes aux fureurs po-
pulaires. Retirée bientôt après en Suisse, elle ne s'occupa
qu'à sauver les victimes qui fuyaient de France. Elle était
en Angleterre lorsqu'elle apprit la mort de Louis XVI ; elle
revint en hâte auprès de son père, et publia un mémoire
plein d'éloquence et de sensibilité en faveur de la reine de
France. Elle eut bientôt à pleurer ses propres douleurs; elle
perdit sa mère.
Après le régime de la terreur, elle publia une brochure
Sur la paix intérieure (Paris, 1795), et la dédia aux Fran-
çais. Elle croyait encore, à celte époque, à la possibilité
d'une république en France; mais elle ne tarda pas à être
détrompée. La république de la Convention d'abord et celle
du Directoire ensuite ne répondaient guère à l'idée qu'elle
s'en était formée; elle ignorait alors qu'on ne fonde pas la
liberté au milieu des partis déchaînés, qui ont, chacun à
leur tour, besoin de despotisme pour se maintenir. La Suède
ayant reconnu la république française, elle put revenir à
Paris avec son mari. C'est à cette époque qu'elle publia son
livre Z3e l'Influence des Passions (Paris, 1796), ouvrage
où l'on reconnaît son grand talent, mais qui porte l'em-
preinte d'un sentiment douloureux , ainsi que le livre inti-
tulé Le la Littérature considérée clans ses rapports avec
les institutions sociales (2 vol., Paris, 1796). C'est aussi
vers ce temps-là qu'elle se sépara de son mari ; mais quand
elle apprit qu'il était tombé gravement malade et qu'il avait
besoin desoins, elle le rejoignit et l'accompagna en Suisse.
Il mourut pendant ce voyage , le 9 mai 1802, à Poligny.
En 1798 M""= de Staël obtint la radiation de son père de
la liste des émigrés ; mais elle ne put le décider à venir ha- ;
biter Paris. C'est au retour d'un nouveau voyage en Suisse
que se passa , sous les yeux mêmes de M"^ de Staël , la ré-
volution du 18 brumaire. M""^ de Staël ne partagea pas
l'ivresse générale; et cependant cet enthousiasme qui saisit
la France entière aurait du avertir M™^ de Staël de la né-
cessité, triste, mais indispensable, d'une telle révolution. La
France était menacée par toute l'Europe; l'affaiblissement
des pouvoirs de l'État, le désordre des finances, les progrès
de la corruption qui fermente toujours au sein des discordes
civiles, demandaient un prompt remède. Tout le monde
comprit que l'indépendance nationale ne pouvait être sauvée
que dans le silence des partis et par l'effort suprême de la
dictature.
M™^ de Staël se jeta dans l'opposition, dont l'unique ré-
sultat fut de briser le Tribunal et d'établir la législation ar-
bitraire des sénatus-consulles et des décrets impériaux. Elle
ne gardait aucune mesure avecle chef de l'État, contre lequel
elle se permit plus que jamais des traits remplis d'originalité,
il est vrai, mais parfois sanglants. Fatiguée enfin d'une lutte
aussi prolongée , elle se rendit chez son père pour y chercher
un asile. Elle resta près d'une année à Coppet, et y composa
le roman de Delphine. Cet ouvrage plaça M"* de Staël au
premier rangdes écrivains de l'époque. Les idées d'indépen-
flance semées partout dans ce livre et les Dernières Vues
de Politique et de Finance , publiées l'année précédente
par M. Necker portèrent ombrage au gouvernement français :
M°"de Staël reçut un ordre d'exil, à la fin de 1803. Ce ne
fut qu'avec la plus vive douleur qu'elle se sépara de son
père; elle ne devait plus le revoir. Elle partit pour l'Alle-
magne, où, malgré les hommages qui l'accueillirent, elle
resta inconsolable.
On peindrait difficilement ce qu'elle éprouva lorsqu'elle
apprit la mort de son père ( 1804 ) ; elle était alors à Berlin,
Sa tendresse pour M. Necker était une espèce de culte, qui
n'était pas sans quelque intolérance; elle pouvait tout par-
donner, tout oublier, excepté l'injure adressée à la mémoire
d'un père dont la gloire lui était plus chère que la sienne.
M™^ de Staël partit bientôt pour l'Italie; c'est là qu'elle
composa le roman de Corinne. Il y a beaucoup de mérite
dans le roman de Delphine ; à notre avis, toutefois , Corinne
a moins de défauts et des beautés d'un plus grand ordre.
Dans les loisirs qu'avait laissés à M"" de Staël un exil de
dix années, elle avait, outre les écrits dont nous avons déjà
parlé, composé son ouvrage sur l'Allemagne, qui fut im-
primé en 1810, et saisi immédiatement par la police fran-
çaise. M™'' de Staël soupçonna que la cause d^ cette saisie
vint de ce qu'il ne se trouvait pas un seul mot dans cet ou-
vrage qui rappelât Napoléon et les exploits de nos armées.
Quel que fût le motif de cet acte arbitraire, il fut accompagné
de persécutions que rien ne peut justifier : le séjour de la
France fut tout à fait interdit à l'auteur. M™' de Staël fut re-
léguée à Coppet, avec défense de sortir de son château.
C'est à Coppet que M"" de Staël reçut la visite d'un jeune
officier dangereusement blessé , M. de Rocca. Dans l'isole-
ment où elle se trouvait alors , elle fut sensible aux preuves
de dévouement qu'elle en recevait, à l'enthousiasme qu'il
lui témoignait pour les services qu'elle lui avait prodigués,
et se détermina à l'épouser. Ce fut un mariage d'inclination;
un fils naquit de cette union, qui ne fut déclaré qu'à la
mort de M™^ de Staël : elle n'avait point voulu abandonner
un nom qu'elle avait illustré. Cette résolution jetait quelque
embarras dans les relations de M. de Rocca avec la société;
mais sa tendre admiration pour la femme illustre qui l'a-
vait élevé jusqu'à elle n'en fut point affaiblie. Au commen-
cement de 1812 M"* de Staël partit pour l'Autriche; n'y
trouvant pas le repos qu'elle y cherchait, elle pénétra jus-
qu'en Russie. Rien ne manqua aux égards dont elle fut
l'objet; mais ne pouvant souffrir que la haine qu'on por-
tait au chef de la France passât jusqu'aux Français, elle se
hâta de se rendre en Suède; elle y trouva près du prince
royal l'hospitalité la plus généreuse, et mit son fils cadet
au service de cette puissance. Ce fut bientôt pour elle un
nouveau sujet de douleur. Ce jeune homme, qui donnait
les plus belles espérances, périt au bout de quelques mois,
victime du point d'honneur. Elle passa ensuite en Angle-
terre , où elle fut reçue avec admiration. Elle était encore
à Londres à l'époque de l'occupation de Paris par les
armées de la coalition. Elle revint en France en 1815,
après la bataille de Waterloo : mais elle n'y fit pas
un long séjour ; elle passa en Italie , et s'y dévoua à soigner
la santé de M. de Rocca, dont elle eut le bonheur de pro-
longer la vie, par sa tendresse active et prévoyante. Mais sa
propre santé s'altérait sensiblement : des affaires de famille
l'ayant ramenée en France vers cette époque, elle se trou-
vait à Paris après l'ordonnance du 5 septembre, avec sa
fille Albertine , mariée à M. le duc de Broglie , femme d'un
esprit élevé, d'une âme énergique , du plus aimable carac-
tère, et dont la mort prématurée a excité les plus vifs re-
grets parmi tous ceux qui ont eu le bonheur de la connaî-
tre et qui pouvaient l'apprécier. La maladie dont M™" de
Staël avait le germe depuis longtemps , et qui s'était accrue
de toutes les inquiétudes et de tous les c'nagrins qu'elle avait
éprouvés, eut enfin l'issue fatale qu'on redoutait; elle y
succomba, le 14 juillet 1817.
Ce qui assure à M"'^ de Staël une supériorité marquée sur
les écrivains de son époque et une renommée durable, c'est
qu'elle unissait à une imagination splendide une raison émi-
nente et un vif amour de l'humanité. Ces deux dernières
qualités éclatent surtout dans le meilleur de ses ouvrages
318
politiques, \e& Considérations sur la Révolution française.
C'est le génie soutenu d'un grand caractère, éclairé par une
longue expérience, qui puise dans le passé des leçons pour
l'avenir. Comme jamais elle n'abandonna un de ses princi-
pes, jamais on ne la surprit en contradiction avec elle-même.
Généreuse de sa nature, le mallieur la rendait toujours
indulgente; des victimes de toutes les opinions trouvèrent
chez elle des sympathies. Elle eut le malheur d'être mécon-
nue de l'homme du siècle. Napoléon , pour vaincre et dé-
truire la révolution , avait besoin que tout pliât sous sa
volonté, que tous les esprits reconnussent l'autorité de son
génie. Ce n'est qu'à ce prix qu'il pouvait assurer l'ordre et
l'indépendance de la nation; il ne pouvait être encore ques-
tion de liberté, car la liberté d'alors c'était l'anarchie. M"'*' de
Staël ne comprit pas les besoins d'une situation que nous
avons nous-mêmes encore tant de peine à comprendre.
Elle encouragea une opposition qui devait diviser ce qu'il
fallait réunir devant l'Europe eu armes. Son salon devint le
rendez-vous des tribuns ambitieux ou de bonne foi , qui
voulaient substituer la discussion à l'obéissance. C'était une
cause belle à défendre; le principe était excellent, mais les
conséquences auraient été funestes au milieu de la tempête
qui menaçait de toutes parts. L'instinct populaire n'y fut
point trompé. Si l'on veut se faire une idée exacte de cette
femme supérieure, il faut lire la Notice sur le Caractère
et les Écrits de M"'^ de Staël, publiée par M""" Necker
de Saussure ; elle y est appréciée avec une raison , un talent
et une finesse d'esprit que n'altère jamais la tendre affec-
tion qui unissait l'auteur à son illustre parente. Outre les
ouvrages que j'ai cités dans le courant de cet article, elle
en a composé d'autres, dont les principaux sont: Du Carac-
tère de M. Necker et de sa Vie privée ; Mes dix Ans
d'Exil.
Les Œuvres complètes de M""® de Staël furent publiées
en 18 volumes in-s", de 1820 à 1821, par son fils aîné,
Auguste- Louis , baron de Stael-Holstein, né le 31 août
1790, auteur A\me. Notice sur M"" Necker et A& Lettres
sur V Angleterre, et mort à Coppet, le 19 novembre 1827.
Il laissait un fils, qui mourut deu\ ans après. Le second
mari de M™® de Staël , M. de Rocca, la suivit bientiU dans
la tombe , et le fils issu de cette union mourut à Hyères , en
1848. A. Jay, de l'Académie Française.
STAFFA, petite île nue et déserte, d'un peu moins de
2 kilomètres de long, située sur la côte occidentale de l'E-
cosse , n'est qu'une niasse de basalte qui, surtout au sud,
forme de magnifiques colonnades , et est à bon droit célèbre
par la grotte de F ingalet par ce qu'on appelle la chaussée
des géants. Tout à l'extrémité sud-ouest, l'île repose sur
une suite de colonnes de basalte, hautes pour la plupart de
plus de 17 mètres, et rangées en colonnades naturelles dispo-
sées le long des baies, ayant pour base d'informes rochers.
STAFF ARDE , petit village du Piémont, situé à 6 ki-
lomètres de Saluées , non loin du Pô , est célèbre par la
victoire que Catinaty remporta, le 18 août 1690, sur le
duc de Savoie.
STAFFORD, l'un des comtés sud-ouest de l'Angleterre
centrale , compte sur une superficie de 38 myriam. carrés
i;ne population de 630,500 habitants. Sa partie septentrio-
nale, depuis Ultoxeter jusqu'à New-Castle-sur-Lyne, se com-
pose presque uniquement de marais , occupant avec des
landes et des forêts environ 7 myriam. carrés. Les monta-
gnes qu'on y rencontre, désignées sous le nom de Moorland-
hills, atteignent une hauteul- de 360 mètres à Wcaverhill,
et de 234 mètres à Ashleyhill. Sauf quelques belles vallées,
tout ce district est sti-riie , froid et désert. Dans la partie
centrale, les collines alternent avec les plaines cultivées en
céréales et avec les pâturages. A l'extrémité méridionale, c'est
le fer et la houille qui dominent, et les produits du règne
minéral constituent la principale richesse du pays. Le Sta(-
fordsbire est un des comtés de l'Angleterre les plus riches
en fer. Le minerai de fer se rencontre tantôt au-dessus,
tantôt au-dessous des bancs de houille, notamment aux
STAEL-HOLSTEIN — STAHL
environs de Wednesbury, de Tipton, de Bilston, de Sed-
geley et de New-Castle. La mine de cuivre la plus impor-
tante se trouve au mont Ecton , près de Warslow. Les
Moorslands, les rives du Dove , les hauteurs de Sedgeley
et de Dudiey-Castle, renferment d'inépuisables carrières de
chaux, de même que du marbre, de l'albâtre et delà pierre
meulière. L'argile à potier, qu'on y trouve en abondance,
fournit du travail à plus de 'J0,000 ouvriers, occupés
notamment à la fabrication de la vaisselle ditede 'Wedgwood,
dans le Po tt ery-Dis trict ; et le long espace qui s'étend
depuis Wolverhamplon jusqu'à Birmingham ressemble h
un pays de cyclopes, où les flammes s'échappent jour et
nuit de milliers de hauts fourneaux et autres usines. Le fer
sert à la fabrication d'articles de quincaillerie, de clous,
d'articles d'acier, d'outils en tous genres, etc. Le cuivre , le
cuir, la soie, la laine, la fabrication des toiles, etc., don-
nent aussi lieu à d'importantes industries, et le commerce est
favorisé pour ses transports par la Trent et la Dove, for-
mant l'extrémité orientale du comté, par divers canaux et
chemins de fer. Il est facile de concevoir qu'en présence
d'un développement industriel si immense, il ne puisse
être question d'intérêts agricoles.
Le chef-lieu du comté, Stafford, bâti sur le Sow, affluent
de la Trent, et sur le Grancl-Trunk-Canal, relié par des
chemins de fer à Londres, à Chester, à Birmingham et à
Wolverhamplon , est une vieille ville, mais au total assez
bien construite. On y compte 11,829 habitants. Il s'y trouve
quelques manufactures considérables, entres autres des ma-
nufactures de bottes et de souliers. Mais la ville la plus peu-
plée de tout le comté est Wolverhamplon. Après cela il
faut encore citer Walsalt{Tofi?>Q hab.), Sedgeley (20,000
\id.h.) , Bilston (20,000 hab.), Westbrowmich (18,000
hdb.), Wednesbury (11,900), New-Castle-sur-Lyne, chef-
lieu du Pottery-District, avec 10,500 habitants; Liclijield,
siège d'évêché, avec 7,000 habitants et une des plus belles
cathédrales de l'Angleterre, contenant les tombeaux en mar-
bre de Samuel Johnson et de Garrick.
STAGE, STAGIAIRE (du latin stagium, demeure). On
appelle stage la ré.sidence qu'est obligé de taire le licencié
en droit, lorsqu'il a prêté sou serinent, auprès d.'une cour
ou d'un tribunal, et l'obligation où il est de suivre les au-
diences avant de pouvoir être inscrit sur le tableau des
avocats. La preuve du stage se fait par un certificat que
délivre le conseil de discipline, et le procureur impérial
là où il n'y en a point, ou le président du tribunal.
Les avocats stagiaires ne sont admis à plaider que sur
un ceitificat d'assiduité aux audiences pendant deux ans, ou
lorsqu'ils ont vingt-deux ans accomplis.
STAGIRE, petite ville de la Macédoine, au voisinage
du mont Atbos, entre Amphipolis et Acanthos, est célèbre
pour avoir donné le jour à A ris to te, appelé souvent à
cause de cela le Stagirite ou encore le philosophe de Sta-
gire.
STAHL (Geouges-Ernest), chimiste aussi distingué
qu'habile médecin praticien, naquit à Anspach, en 1660. A
peine eut-il terminé ses études médicales, que son génie
naissant lui (it jour à travers les ténèbres de la chimie con-
temporaine. Non-seulement il comprit qu'il fallait reconnaître
en chimie les corps indécomposables , tout différents des
éléments d'Aristote, mais encore il consomma cette révo-
lution dans les idées. « La pensée de ce profond observa-
teur produisit, dit M. Dumas, l'effet d'un éclair au milieu
de la nuit, qui fend la nue et brille tant <iue la vue peut le
suivre. » En 1687 il fut nonmié médecin du duc de Saxe-
Weimar, et en 1716 premier médecin du roi de Prusse,
titre qu'il conserva jusqu'à sa mort, arrivée en 1734. Tous
ses écrits annoncent les connaissances les plus étendues et
un esprit d'observation bien rare ; ceux qu'il a compo.sés
sur la chimie l'ont surtout immortalisé. Stabl considérait
les oxydes métalliques comme des corps simples , et les
métaux cemme des corps composés de ces oxydes et de
phlogistique, base essentielle, suivant lui, de tous les corps
STAHL — STALACTITES
319
combustibles. Ainsi , lorsqu'un corps brûlait , il se déga- i
geait d'autant plus de plilogistique que le corps était plus
inflammable. Quand on réduisait ces oxydes par le char-
bon , il pensait que le phlogistique de ce dernier en s'u- \
nissant à l'oxyde, donnait lieu à la formation du métal, i
Or, d'après cette hypothèse , le môme métal devait avoir
un poids supérieur à celui de l'oxyde auquel il était dû ; le !
contraire a cependant lieu. Celte brillante erreur de Stahl
devint pendant un siècle la base fondamentale de la chi-
mie, jusqu'à ce que Lavoisier fut parvenu à réduire
l'oxyde de mercure par le seul effet de la chaleur, et à dé-
montrer que les oxydes ont un poids supérieur aux métaux,
et que ce surcroît de poids est dû à l'union d'un gaz par-
ticulier qu'on nomme air vital, air éminemment déphlo-
gistiqué , oxjjgène , etc. Ainsi croula la théorie de Stahl, \
qui n'en ouvrit pas moins la porte aux plus belles décou-
vertes, et préluda à la naissance de la chimie pneumatique.
On a de nombreux ouvrages de Stahl. Le plus célèbre de
ceux qui ont trait à la chimie est intitulé : Expérimenta et
Observationes Chemicœ (Berlin, 1731). D'ailleurs, sa ré-
putation comme médecin ne fut pas moindre, et par ses doc-
trines sur les influences psyciiiques il se posa l'adversaire
d'Hoffmann. Son livre de médecine le plus important a pour
titre : Theoria Medica t;era(Halle, 1707; nouv. édit., Leip-
zig, 1833). JULl.V DE FONTEiNELI.E.
STAHL (Poudre de). T'oyeô Ciilokite.
ST AIR (James DALRY.MPLE, vicomte) , personnage
qui joua un rôle important en Ecosse, était né en 1619,
d'une ancienne famille (î;07/ez Dalkymple), se consacra de
bonne heure à la carrière de la magistrature, et, à la re-
commandation de Monk, fut nommé, en 1657, par Crom-
well juge à la court of session. Charles II , dont il seconda
la restauration, le créai baronet en 1664,et-le nomma en
1671 président de la court of session. Mais quand les ten-
dances absolutistes de la cour devinrent de plus en plus mani-
festes, il se rattacha au parti de l'opposition, et fut obli^fé,
en 1681, de se réfugier en Hollande, où il prit la part la plus
active aux menées ayant pour but le renversement de la
maison des Stuarts. La révolution de 1688 le ramena en
Ecosse. Il fut rerais en possession de sa charge, créé vi-
comte Stair en 1690, et mourut en 1695.
STAIR (John DALRYINIPLE , premier comte de ) , fils du
précédent, jouissait d'une grande faveur auprès de Guil-
laume m, qui le nomma lord avocat, puis secrétaire d'État
pour l'Ecosse, place dont il dut se démettre en 1695, à !a
suite du massacre de Glencoe, dont on fit peser sur lui la
responsabilité. En 170.3 il fut cependant créé vicomte Dal-
rymple et comte de Stair. Il mourut en 1707.
STAIR (John DALRYMPLE, deuxième comte de), naquit
en 1673, à Edimbourg, et, comme son père et son grand-père,
se trouva de bonne heure môle aux intrigues orangistes et
antistuartistes. En 1091 il accompagna en Irlande le roi Guil-
laume III comme officier des gardes, et fit ensuite son ap-
prentissage du métier des armes sous les ordres de Marlbo-
rough, dansia guerre delasuc cession d'Espagne. A par-
tir de 1709 il embrassa la carrière diplomatique, d'abord
comme envoyé près la cour de Pologne , et ensuite près la
cour de France. Dans cette dernière position il réussit à
«xercer, surtout à partir de la mort de Louis XIV, une grande
mfluence à la cour du régent et auprès du cardinal Du-
bois. En brisant les liens de famille qui existaient entre
la France et l'Espagne , en déterminant la France à aban-
donner la cause des Stuarts" et à s'allier avec les puissances
maritimes, il contribua à opérer une des plus remarquables
transformations politiques de ce temps-là. Dans les dernières
années de sa vie, il se fit aussi une brillante réputation
comme militaire. Quand , au début de la guerre de la suc-
cession d'Autriche, l' Angleterre mit une armée auxi-
liaire à la disposition de Maric-ïhérèse , il fut nommé tout
à la fois envoyé extraordinaiie près les états généraux et
commandant de cette armée , avec le rang de feld-maré-
chal. Il réussit bientôt à entraîner les états généraux dans
l'alliance antifrançaise, et pénétra avec son armée jusque
aux bords du Main , où , le 27 juin 1743, il battit à Det-
tingen , non loin d'Aschaffenbourg , les Français aux ordres
de Noailles. Toutefois, la direction supérieure de la guerre ,
l'intervention des ministres et de la diplomatie dans les
opérations stratégiques, enfin la discorde qui régnait parmi
les alliés, ne tardèrent pas à lui inspirer un tel dégoût qu'il
quitta l'armée, en exposant dans une lettre rendue publique
les causes de son mécontentement. Cette démarche le brouilla
avec la cour, et il resta pendant quelque temps en disgrâce,
jusqu'à l'insurrection jacobite en Ecosse (1745), à la suite
de laquelle il accepta le commandement en chef de l'armée
rassemblée en Angleterre et se réconcilia avec le roi. Il
mourut en 1747.
STAIR (John Hamilton DALRYMPLE, huitièmecomte de),
né en 1771 , d'une branche collatérale de la maison, servit
dans l'armée anglaise à partir de 1790 , se distingua en Hol-
lande et en Flandre, et prit ensuite part à l'expédition de
1807 contre Copenhague; après quoi il fut nommé général
major. Au rétablissement de la paix générale , il se donna
pour mission , avec quelques autres membres libéraux de
l'aristocratie, de délivrer l'Ecosse de la domination exclusive
des tories , qui durait depuis plus d'un demi-siècle. Il se
mit sur les rangs pour la députation dans le Lothian; mais
sa candidature échoua , par suite des intrigues du parti
opposé. Une fois le bill de la réforme parlementaire adopté,
son élection eut lieu , à une grande majorité. En 1838 il
passa général, et en 1840 il hérita du titre de comte de
Stair, par suite de la mort de son cousin, John William-
Henry. L'année suivante il fut créé pair d'Angleterre, sous le
litre de lord Oxenfoord; de 1840 à 1841 il remplit les
fonctions de lord garde des sceaux , sous l'administration
whig, et une seconde fois, de 1846 à 1852. Il mourut en
1853, a Oxenfoord-Castle.
Son titre passa à son frère, North Dalrïmple, neuvième
comte de Stair. Son fils, John Dalrymple, né en 1819, à
épousé, en 1841, une fille du duc de Coigny.
STALACTITES (de atalaxtô,', qui tombe goutte à
goutte) et STALAGMITES (de (TTaXay;j.6; , dégouttement).
L'étymologie grecque du mot stalactite désigne parfaite-
ment l'origine de ces concrétions aux formes bizarres et va-
riées à l'infini , suspendues aux voûtes de presque toutes
les grottes ou cavernes creusées dans les montagnes calcai-
res, et que l'on observe également dans les fentes de plu-
sieurs montagnes, ainsi que sous un grand nombre de
ponts et d'aqueducs. L'eau qui suinte à travers les fissures
des montagnes se charge pendant son trajet de matières
étrangères, qu'elle abandonne ensuite par évaporation
dans ces cavités ; telle est l'origine des stalactites. La
figure de cône allongé qu'elles présentent presque toujours
est due à leur mode de formation. On conçoit en effet
que l'eau venant à s'évaporer, par sa stillation lente et ré-
gulière, doit nécessairement abandonner les matières étran-
gères qu'elle tient en dissolution ou en suspension , de telle
sorte qu'il se forme d'abord à la voûte de la grotte un an-
neau de matière solide qui, augmentant sans cesse de lon-
gueur par la chute des gouttes suivantes , finit par former
un tube, à parois très-minces. Le même phénomène con-
tinuant sans interruption, la cavité intérieure du tube ne
tarde pas à s'obstruer. Mais comme l'eau est d'autant
moins chargée de matières étrangères qu'elle s'éloigne da-
vantage du point de sa chute, il arrive que la partie supé-
rieure de la stalactite, celle qui est attachée à la voûte de
la grotte, augmente plus rapidement de volume que la par-
tie inférieure, de telle sorte que la concrétion ne tarde pas
à prendre une forme conique. Lorsque aucune cause
étrangère ne vient troubler la formation des stalactites,
elles sont parfaitement régulières, et il est facile alors de
distinguer les couches concentriques qui indiquent leur
développement successif : mais celte circonstance est
rare , et dans la plupart des cas elles offrent à leur
surface des stries ondulées, dont il est facile de deviner
320
STALACTITES — STANHOPE
ia cause. Les stalactites se formant simultanément sur
un grand nombre de points des cavités souterraines , s'a-
nastomosent, se réunissent, se groupent de mille ma-
nières, atteignent des proportions énormes , et présentent
des formes on ne peut plus curieuses ; ce sont de vastes
colonnades, de somptueux palais de cristal, d'immenses
draperies, des cascades pétrifiées, de grandes coupes d'al-
bâtre, etc. : avec de la bonne volonté, il est même permis
d'y voir des figures plus extraordinaires encore.Les cavernes
les plus célèbres sous ce rapport sont celles d'Anliparos,
d'Arcy et d'Auxelles ; celles de Baumann et de Balme en Sa-
voie, décrites par de Saussure, présentent également de très-
belles stalactites. En France, on cite plus particulièrement
la Caverne des Demoiselles, située dans le département
de l'Hérault. Les mêmes causes ayant partout produit les
mêmes effets, il est permis de dire que presque tous les
villages situés dans les montagnes calcaires présentent dans
ce genre une petite merveille.
Après avoir formé les stalactites proprement dites , l'eau
n'étant point complètement dépouillée des matières qu'elle
tient en dissolution ou en suspension , dépose encore sur
le sol des cavernes un sédiment cristallin qui prend une
forme mameloimée, augmente continuellement de volume,
et finit par joindre la stalactite qui lui correspond. Ces dé-
pôts, souvent d'une épaisseur considérable, ont reçu le nom
de stalagmites. Toutes les variétés d'albâtre doivent leur
origine à des phénomènes de ce genre. Comme il est fa-
cile de le prévoir, la composilion chimique des stalactites
et des stalagmites varie selon la nature des roches qui
leur donnent naissance; c'est ainsi qu'elles sont formées
par du muriate de soude dans les mines de sel , par du
sulfate de chaux dans les carrières de plâtre, etc. On trouve
encore des stalactites d'opale , de calcédoine , d'oxyde et
d'iiydroxyde de fer, de manganèse, etc. Il exisie peu de
cavernes dans les terrains formés par des roches très- com-
pactes, comme le granité , les gneiss , les micaschistes , les
basaltes, les quartziles, etc., etc. Celles que l'on y observe
ne renferment point de stalactites , et celte circonstance
est facile à expliquer, puisque les éléments constitutifs de
ces roches ne sont point solubles dans l'eau , et que, d'un
autre côté, la masse du sol étant très-compacte ne laisse
point suinter l'humidité.
Les stalactites sont composées quelquefois de couches
concentriques alternativement cristallines et terreuses; dans
d'autres circonstances elles sont formées par des pellicules
calcaires qui se recouvient les unes et les auties. On en
remarque qui présentent à leur surface des cristaux régu-
liers ou bien confusément groupés. Ce dernier cas a lieu
lorsque la stalactite plonge dans l'eau , et devient ainsi un
centre d'attraction autour duquel so réunissent toutesles par-
ticules de matière minérale. Quelquefois les eaux qui suintent
des cavernes tombent sur le sol avec des circonstances telles
qu'elles déterminent la formation de petits corps arrondis,
à couches concentriques , au centre desquels on distingue
un grain de sable, ou bien un autre corps solide. L'agitation
continuelle entretenue par la chute de l'eau contribue à
maintenir sans cesse ces petites oolithcs dans leur forme
globuleuse. Il existe dans les collections de minéralogie
des stalactites qui renferment de petits insectes incrustés à
leur surface: d'autres offrent des couleurs très-variées, qui
dépendent des oxydes ou des carbonates métalliques avec
lesquels elles sont combinées. De toutes les stalactites métal-
liques, la plus belle est celle de carbonate vert de cuivre,
connue sous le nom de malac hite. Tourxal.
STALAGMITES. Voyez Stalactites.
STALLMÈi\E. Voyez Lemnos.
STALLE. Voyez Chaise.
STAAIBOUL. Voyez Constantinople.
STAMPITA. Voyez Canzone.
STAIVCE (de l'italien stanza), nom qu'on adonné aune
période poétique symétriquement composée, et dont le sens
doit finir avec elle. Le nombre des vers qui peuvent com-
poser une stance n'est pas fixe ; mais il ne doit pas 6îtp
moindre de quatre, et généralement il ne passe point celui
de dix. La mesure des vers qui y entrent n'est pas plus fixe
que leur nombre. Elle peut se composer de vers ayant
tous un égal nombre de syllabes, ou bien de diverses espèces de
vers, sans autre règle que le goût ou le caprice du poète. Une
stance n'est proprement désignée par ce nom que lorsqu'elle
est jointe à d'autres stances. Si elle est seule, elle emprunta
ordinairement son nom ou du sujet qui en fait le fond : alors
on l'appelle épïgramme, madrigal, épitaphe, etc. ; ou du
nombre de vers dont elle est composée : alors elle prend le
nom de quatrain si elle est de quatre vers, de sixain si
de six. C'est vers la fin du seizième siècle que les stances
ont été introduites dans notre poésie. Peu importe d'ailleurs
que ce soit le poète Lingendes qui en ait fait le premier :
on peut en trouver des modèles nombreux et variés dans les
œuvres de nos anciens poètes, notamment dans celles de
M™* Deshoulières. Champagnac.
STAiX CHO. Voyez Cos.
STANHOPE (Jacques, premier comte de), célèbre
hommed'Etatetdiplomateanglaisdu dix-huitième siècle, des-
cendait de la famille des comtes deChesterfield,et naquit à
Paris, en 1673. D'heureuses circonstances lui permirent de
visiter dans sa jeunesse l'Espagne, la France, l'Italie et l'Alle-
magne. Il s'appliqua à étudier la langue, les mœurs, l'histoire
et surtout les institutions des contrées qu'il parcourait.
Quand il eut terminé ses longs et laborieux voyages, il alla
en Flandre servir en qualité de volontaire, et y mérita l'estime
et l'amitié de Guillaume III. Dans la guerre de la succession
d'Espagne, il commanda comme lieutenant général, sous les
ordres de Peterborough, puis en chef les forces anglaises
en Espagne. En 1708 il s'empara de Port-Mahon et de Mi-
norque. Dans la campagne de 1710, il remporta, le 17 juillet
la victoire d'Almenara, et le 20 août suivant celle de Sara-
gosse. A peu de temps de là il fut fait prisonnier parles Fran-
çais, et il ne recouvra sa liberté qu'en 1712. Il embrassa
alors la carrière parlementaire, et joua sous le règne de la
reine Anne un rôle impoitant dans le parti whig. Après l'ac-
cession de Georges T"" au trône, il fut nommé membre du con-
seil privé, secrétaire d'État, et plus tard chancelier de l'é-
chiquier. Pendant la régence du duc d'Orléans en France, il
conclut avec Dubois les célèbres traités de la triple et de la
quadruple alliance. Le roi le nomma en 1717 vicomte, et
en 1718 comte. Il mourut subitement, le 4 février 1721.
STANHOPE (Charles, comte de), petit-fils du précédent,
naquit en 1753, à Genève, queses parents habitèrent pendanS
dix ans. Il acquitdebonneheuredesconnaissancessi étendues
dans les sciences physiques et mathématiques, qu'à l'âge do
dix-huit ans il remportait déjà le prix proposé par l'Aca-
démie de Stockholm pour le meilleur mémoire sur la ques-
tions des vibrations du pendule. Il consacra aussi une at-
tention toute particulière aux phénomènes de la foudre, ainsi
qu'au perfectionnement des machines à calculer. En 1780 il
entra au parlement, où il occupa une place brillante dans
les rangs de l'opposition, et en 1786 la mort de son père l'ap-
pela à siéger à la chambre haute. Quoiqu'il eût épousé la
sœur de Pitt, il combattit en toutes occasions la politique
ministérielle. La réforme du parlement, l'abolition de l'es-
clavage des nègres, la liberté de la presse, l'indépendance
du jury, telles furent les principales questions qu'il traitadans
le parlement de même que dans ses écrits. La révolution
française et ses principes trouvèrent toujours en lui un
éloquant défenseur. Ses dernières années furent attristées
par une grave mésintelligence qui éclata entre lui et ses,
fils, et dans laquelle Pitt intervint en faveur de ses neveux.
Dégoûté du monde et de la politique, il finit par s'abstenir
de paraître à la chambre, et mourut en 1816. Lady Esther
S tan h ope, si célèbre par son séjour en Syrie et par l'excen-
tricité de la vie qu'elle y mena, était .sa fille.
Entre antres inventions utiles dont on est redevable au
comte de Sîanhope, n'oublions pas du uieiUionniir la presse
dite à la Sîanhope, qui produisit une espèce de révolution
STANHOPE — STANISLAS
331
dans l'art typographique; des perfectionnements notables
apportés dans la fabricalion de divers instruments de musi-
que; un nouveau procédé pour couvrir les maisons avec un
composé de goudron, de craie et de sable; enfin, une nou-
•velle manière de brûler la chaux , de laquelle résulte une
plus grande dureté pour le ciment qui en est le produit.
STAiMUOPE ( Lady Estuer-Lucy) était fille du comte
Charles Stanhope et niècede William Pi tt. Née à Lon-
dres, le 12 mars 177C, la nature, il est vrai, ne lui avait pas
départi le don de la beauté, mais seulement un extérieur
imposant, beaucoup d'intelligence et d'énergie. Quoique
dans sa jeunesse elle eût acquis une certaine masse de con-
naissances générales , son éducation première paraît au total
avoir été assez négligée. Son père à l'époque de la révolu-
tion française s'étant , à diverses reprises, compromis par
l'exaltation des principes républicains qu'il avait manifestés,
on l'envoya dans la maison de son oncle, le ministre Pilt,
qui n'était pas mari^ ; et celui-ci, qui ne tarda pas à prendre
de l'affection pour sa nièce, l'établit complètement maîtresse
chez lui. Il tira même parti de ses rares dispositions na-
turelles, la chargea d'une partie de sa correspondance, et
parfois lui confia jusqu'à la rédaction de projets de notes
diplomatiques. La droiture naturelle de son cœur et sa pé-
nétration ne tardèrent pas à développer en elle une haine
profonde pour un monde tel que celui où elle vivait avec son
oncle, et oii tout était illusion et duperie. A la mort de
Pitt ( 1806), elle se retira donc dans le pays de Galles, avec
le petit héritage qu'elle tenait de sa mère et une pension
de 1200 liv. st. que le gouvernement crut devoir faire à la
nièce du grand ministre. Dans la solitude où elle vécut alors,
elle s'imagina qu'un grand avenir lui était réservé. Sous
l'influence de cette hallucination , elle partit pour la Tur-
quie vers l'année 1810, et après l'avoir parcourue pendant
plusieurs années , elle résolut de se fixer définitivement en
Syrie. Le navire à bord duquel elle y allait, fit naufrage ;
et elle perdit tout ce qu'elle avait à bord. Elle s'en revint
alors en Angleterre , pour y réaliser les débris de sa fortune;
et cela une fois fait, elle se rendit de nouveau en Syrie. Le
luxe dont elle était entourée, ses charmes personnels, son
courage, le mysticisme dont étaient empreintes toutes ses
paroles et toute sa conduite, produisirent sur les populations
delà Syrie une impression des plus vives. Le perfide et san-
guinaire émir 13eschir lui assigna pour demeure Mar-Elins,
ancien monastère grec , qu'elle considéra dès lors comme sa
propriété. Plus tard, elle se construisit un palais à Djihoun,
non loin de Séide , sur l'un des points les plus sauvages du
Liban. Toute sa conduite, de même que le pied sur le-
quel elle vivait, accréditèrent l'opinion qu'elle possédait
d'immenses trésors , fruit de ses relations avec le monde
des esprits. Les Syriens la désignaient d'ordinaire sous les
noms de reine de Tadmor , de magicienne de Djihoun,
de sibylle du Liban. Quand Ibrahim-Pacha envahit la Syrie,
elle excita les Druses à la résistance , et parvint à se faire
tellement redouter par le pacha, qu'il la fit prier de consentir
à garder la neutraUté. Sa bienfaisance illimitée était un des
principaux leviers de sa puissance. Elle recueillait par cen-
taines les veuves, les orphelins, les prisonniers, les blessés,
et leur prodiguait des secours de toutes espèces. Avec une
plus grande fortune, elle serait indubitablement devenue la
souveraine du Liban. Elle traitait avec une rudesse extrême
les Européens, surtout les Anglais, qui venaient lui rendre
visite. Elle ne fit guère d'exception qu'en faveur du prince
Puckler-Muskau et de INI. de Lamartine. Toutefois, ses dé-
penses la jetèrent vers la fin de sa vie dans de grands em-
barras d'argent, et elle perdit sa santé en même temps que
sa fortune. Elle ne pouvait plus dormir, constamment tour-
mentée qu'elle était par des crampes et de douloureuses hal-
lucinations. Les toits et les murailles de ses maisons, faute de
réparations, s'écroulèrent ; et une poutre informe soutenait
seule le plafond de sa chambre à coucher. Elle mourut dans
</ti état de misère, amaigrie , couverte de haillons, entourée
par quelques Arabes fidèles, le 23 juin 1839. On l'enterra
DICT. DE LA CONVEItS. — T. XVi.
dans la grotte de Mar-EUas. Son médecin, un Anglais qu'elle
maltraitait fort, a publié sur elle des renseignements très-
précis, intitulés : Memoirs of the lady Esther Stanhope
(3 vol., Londres, 1845).
STANISLAS ( Saint), né en 1030, d'une famille noble»
à Szczepanof, domaine situé près de Bocl.nia, en Gallicie,
étudia la théologie à Paris, et devint en 1071 évêque de
Cracovie. Boleslas II régnait alors. Ce prince avait enlevé
l'épouse d'un seigneur polonais; le pieux évêque lui ayant
fait entendre des paroles de blâme et l'ayant même menacé
de l'excommunication , ce monarque, irrité, s'élança sur lui ,
et le tua, dans l'église Saint-Michel, à Varsovie, en 1077,
pendant qu'il célébrait les saints mystères. La dépouille mor-
telle de Stanislas fut enterrée dans la cathédrale de Cracovie,
et elle y repose encore aujourd'hui, dans un magnifique sar-
cophage. Stanislas fut canonisé en 1248, par le pape Inno-
cent IV, qui le donna pour patron au royaume de Pologne.
C'est en son honneur que le roi Stanislas fonda l'ordre de
Saint-Stanislas.
STANISLAS 1" LESZCZYNSKI, roi de Pologne, en-
suite duc de Lorraine et de Bar, l'un des meilleurs princes
du dix-huitième siècle, naquit à Lemberg, le 20 avril 1677.
Son père, Raphaël Leszczynski, propriétaire des immenses
seigneuries de Reisen et de Lissa, en Grande- Pologne,
fut élu voïvode de Posen et général de cette province, puis,
après avoir rempli les fonctions d'ambassadeur à Constan-
tinople en 1699, fut député en 1704 par la confédération
de Varsovie auprès de Charles XII, quand celui-ci eut dé-
trôné Auguste II. Stanislas Leszczynski produisit une im-
pression si favorable sur le roi de Suède, que celui-ci résolut
de le faire élire roi de Pologne; élection qui fut effectivement
faite, le 12 juillet 1704, par la diète réunie à Varsovie. Son
couronnement et celui de son épouse, Catherine Opalinaka,
eurent lieu au mois d'octobre 1705; et aux termes de la
paix d'Altranstaedt, Auguste II abdiqua à son profit. Toutefois,
Stanislas ne put se maintenir en Pologne que jusqu'à la ba-
taille de P ul tawa ; il lui fallut alors prendre la fuite et .se
réfugier d'abord en Poméranie, puis en Suède, où il vécut
quelque temps dans un grand isolement. Pour faciliter le
rétablissement de la paix , il était prêt à renoncer à la cou-
ronne ; et il entreprit même un voyage à Bender, à l'effet d'y
faire consentir Charles XII. Arrêté en Moldavie, il fut envoyé
par riiospodara Bender, et y resta détenu jusqu'en 1714. II
se rendit ensuite à Deux-Ponts, où il faiUit être victime d'une
tentative d'assassinat commise par un officier saxon. Après
la mort de Charles XII, la cour de France lui assigna Wis-
sembourg en Alsace pour séjour, et c'est là que fut conclu,
en 1723, le mariage de sa fille avec Louis XV. A la mort
d'Auguste II, un parti le rappela en Pologne; et comme il
était vivement appuyé par la France, ce parti le proclama de
nouveau roi. Stanislas se rendit donc à Dantzig. Mais l'é-
toile d'Auguste III l'emporta; Dantzig l'ut investi parles
Russes, el Stanislas, déguisé en paysan, eut beaucoup de
peine à ne pas être fait prisonnier et à se réfugier à Marien-
werder. Les préliminaires de la paix de Vienne du 3 octo-
bre 1735 décidèrent enfin que Stanislas renoncerait à la cou-
ronne de Pologne, tout en conservant pendant le reste de sa
vie le titre de roi. On restitua à sa famille les biens qu'on lui
avait confisqués en Pologne; et on lui assura à lui-môme la
possession des duchés de Lorraine et de Bar, pour à sa mort
faire retour à la France. Stanislas vint alors résider à Luné-
ville, où il se concilia l'affection générale. Mais jusqu'au terme
de son existence il ne cessa de songer à la Pologne et de pen-
seren patriote polonais. Il périt victime d'un accident. Assis
près de sa cheminée, le feu prit à ses vêtements; et il
mourut trois semaines après, le 23 février 1766. Stanislas ne
se bornait pas à appeler les savants à sa petite cour de Luné-
ville, il écrivait des ouvrages de philosophie, d'histoire et
de morale. Ses œuvres, intitulées : Œuvres du philosophe
bienfaisant, forment 4 vol. in-8°, et furent publiées en 1765.
STANISLAS II AUGUSTE, le dernier roi de Pologne,
était le fils du comte Stanislas Poaiatowski et de la
21
822
STANISLAS
princesse Constance Czartoryiska, et naquit à Woclzya , le
7 janvier 1732. En 1752 ii débuta comme nonce à la diète,
et s'y fit remarquer par sa bonne mine et par sa facilité
d'élocution. Le roi Auguste III l'envoya à Pétersbourg, au-
près de l'impératrice Elisabeth, et, dans cette mission, il
obtint la faveur toute particulière de la grande-ducliesse ,
devenue plus tard l'impératrice Catherine. Après la mort
d'Auguste, l'influence de cette princesse le fit élire roi de
Pologne, en septembre 1764, dans une diète peu nombreuse
il est vrai, mais où , .suivant l'usage traditionnel du pays,
ii réunit l'unanimité des suffrages; et son couronnement
eut lieu à Varsovie, le 25 novembre suivant. Spirituel, géné-
reux , éloquent , il ne put pourtant rien faire pour le bon-
heur du pays, parce qu'il n'avait pas assez d'énergie dans
le caractère pour tenir la noblesse en bride et se soustraire
à l'influence du cabiiiet de Pétersbourg. La grande majorité
de ses concitoyens ne vit plus bientôt en lui qu'une créature
de la Russie. En conséquence, la noblesse, mécontente;,
forma à diverses reprises des confédérations, et finit par
déclarer le trône vacant. Dans la nuit du 3 novembre 1771
quelques conjurés enlevèrent le roi de Varsovie, et le retin-
rent caché dans une forêt. S'étant trouvé seul à un moment
donné avec l'un de ces conjurés, appelé Kosinski, il sut si
bien l'émouvoir par ses représentations et ses discours, que
celui-ci se décida à le mettre en liberté. C'est à peu de
temps de là qu'eut lieu le premier partage de la Pologne
(1772), contre lequel Stanislas protesta bien inutilement ;
et plus que Jamais il lui fallut alors subir l'influence russe.
En acceptant la constitution du 3 mai 1791, il recouvra
l'estime de la nation , et il y eut alors un moment où il
parut fermement décidé à braver les colères de l'impéra-
trice Catherine II. Mais découragé bientôt par le changement
complet survenu dans la politique du cabinet de Berlin et
par les menaces de la Russie , il accéda à la confédération
de Targowitz; acte qui souleva contre lui la grande ma-
jorité de la nation , sans que d'ailleurs il eût pu réussir
dans son projet de réconcilier la Pologne avec la Russie.
Sa protestation contre le second partage de la Pologne eut
pour résultat qu'après la prise de Varsovie par Souvarof
Catherine II le fit enlever el conduire à Grodno, où il lui
fallut souscrire au troisième partage et renoncer au trône ,
le 25 novembre 1795. Aussitôt après la mort de Catherine,
Paul F"" l'appela à Pétersbourg. 11 y vécut d'une pension que
lui fit servir le gouvernement russe, et mourut le 12 lé-
vrier 1798.
STANLEY (Lord). Fo^e- Derby.
STANKIDES (du latin sto«?î2<»i, étain), nom sous
lequel plusiems géographes désignent les W&sSor lin gués,
si riches en mines d'etain, et que pour la même raison
les Grecs appelaient Cassitér id es.
STAIXIXIDES {Chimie). Voyez Stannoïdes.
SÏAIWLXE, minéral formé par la combinaison d'un
atome de double sulfure d'é tai n et d'un atome dédouble
sulfure d'étain et de fer. C'est une substance d'un gris jau-
nâtre, compacte, àcassure granulaire, el offrant quehiuelois,
mais rarement, dans ses cavités de petits cristaux de forme
cubique. La stannine est fragile, assez tendre, et donne
une poussière noire. Elle est fusible sur le charbon avec
dépôt d'une pous.sière blanche non volalilisahle. Enfin, elle
est soluble dans l'acide azotique , avec séparation d'oxyde
d'étain et de soufre.
La stannine est extrêmement rare : elle n'a encore été
trouvée qu'en petites masses, dans les mines de cuivre pyri-
leux deHuel-Rock ( Cornouailles).
STA>Ji\IQUE (Acide). L'acide stannique , impropre-
ment appelé peroxyde d'étain, peut être obtenu par
l'actionde l'acide azotique sur l'étain; il se présente alors
sous la forme d'une poudre blanche, contenant de l'eau ,
que l'on chasse en chauffant à 100° environ. Mais , préparé
en précipitant le bichlorure d'étain |)ar l'.iinmoniaque , ce
ifiêine acide est d'un jaune pâle , gélatineux ; desséché à
l'air, il devient d'un blanc lustré, coumie de la soie. Ainsi,
— STATIQUE
l'acide stannique, préparé de deux manières différentes^
possède aussi quelques propriétés différentes , bien que
dans l'un et dans l'autre cas sa composition soit la même.
Fondu avec le borax ou avec le phosphate de soude,
l'acide stannique donne un émail blanc , employé dans la
fabrication des cadrans de montres.
STANNOÏDES, famille de métaux renfermant lé tain,
l'a n t i m o i n e et r o s m i u m . Elle a pour caractères gé-
néraux : Oxydation facile par la calcination à l'air ; combi-
naisons oxygénées sans propriétés acides ni alcalines bien
puissantes; réduction des oxydes par le charbon à une tem-
pérature rouge ; combinaisons stables avec le chlore.
STAOUELl , endroit du Sahel algérien , à peu de dis-
tance à l'ouest d'Alger , où les Français repoussèrent les
troupes du dey après leur débarquement à Sidi-Ferruch.
Ensuite, un camp y fut formé, et par un arrêté du 11 juillet
1843 les trappistes furent autorisés à y fonder un établis-
sement agricole, qui comprend plus d'un millier d'hectares.
Cet établissement est depuis longtemps en pleine prospérité.
STAPHYLOME (du grec (jTacpOXwiia, fait de cTacpi;^»],
grain de raisin ), maladie de l'œil consistant en une tumeur
formée par l'uvée qui passe au travers d'une ouverture faite
à la cornée par une cause quelconque. Son nom lui vient de
ce que cette tumeur a la forme d'un grain de raisin. Cette
dénomination s'applique aussi quelquefois à des affections
qui ont leur siège dans d'autres tissus de l'œil ; ainsi il y a
le staphylôme de Viris , le staphylôme de la sclérotique,
le staphylôme de la cornée, etc.
STAPSS ( Frédéric), jeune fanatique allemand , qui ,
croyant voir dans l'empereur Napoléon l'auteur de tous les
malheurs de sa patrie, conçut le projet de l'a-ssassiner ,
était né en 1792, d'un père ministre de l'Evangile à Naum-
bourg , en Thuringe. Employé comme commis dans une
maison de commerce à Leipzig, il se rendit à Vienne ,
pour pouvoir mettre son projet à exécution. *De là il alla, le
13 octobre 1809, à Schœnbrunn, où Napoléon passait une re-
vue. Stajjss, perçant les rangs de la foule , manifesta l'in-
tention de parler à l'empereur. R a p p , frappé du regard ,
du ton et de la tenue de ce jeune homme, le fit arrêter.
Entre autres objets dont il était porteur, on trouva sur lui
un grand couteau de cuisine. Interrogé sur ce qu'il en vou-
lait faire, il avoua froidement, d'abord à Rapp, puis à Na-
poléon lui-même, quel avait été son dessein. L'empereur
ayant fini par lui dire : « Si je vous fais grâce, m'en saurez-
vous gré? » — «Je ne vous en tuerai pas moins , » répondit-il
sans la moindre hésitation. Soumis à divers autres interro-
gatoires , il persista à déclarer qu'il n'avait point de com-
plices. Le 17 octobre, à sept heures du matin, il fut fusillé.
Depuis le 14, il avait refusé toute nourriture. Son dernier
cri fut : « Vive la liberté ! Vive l'Allemagne ! Mort à son tyran ! »
STAROSTES, Capïtanei. On appelait ainsi en Po-
logne des gentilshommes qui faisaient partie des dignitaires
du pays et qui avaient obtenu par don , vente ou engage-
ment , et quelquefois aussi à titre de tenure à vie , l'une
des terres royales assignées autrefois aux rois pour leur
entretien ( mensa regia ). On comprenait également au
nombre de ces biens les starosties , qui , à la mort du titu-
laire, ne faisaient pas retour à la couronne, et que le roi
était obligé de conférer de nouveau. Quelques staroste.»
exerçaient dans leurs circonscriptions les droits de haute
et de basse justice ; d'autres ne jouissaient que du revenu
des biens qui leur étaient conférés.
STATIIOUDER. Toyes Stadhouder.
STATiONARY. Les Anglais appellent ainsi le libraire
détaillant, celui dont l'industrie se borne à vendre les livres
édités par d'autres, et qui n'en fait point imprimer pour
son compte. Ce mot est dérivé delà basse latinité, statio-
nariîis, comme on ap[)elait au moyen âge les courtiers en
librairie
STATIQUE, partie de la mécanique qui traite de
l'équilibre des forces. La statique nous apprend à
trouver la résultante de plusieurs forces appliquées à un
STATIQUE — STATUE
même système ; car, lorsque plusieurs forces se font équi-
libre , l'une quelconque d'entre elles est égale et directe-
ment opposée à la résultante de toutes les autres. On voit
donc que beaucoup de problèmes de dynamique peuvent
se ramener à des questions de statique , et que l'avantage
que trouveraient certaines personnes à bouleverser l'ensei-
gnement de la mécanique est plus apparent que réel.
Après avoir appris à déterminer les conditions d'équi-
libre des corps , la statique applique ses principes aux ma-
chines. Elle nous indique les conditions auxquelles doit
satisfaire une bonne balance, los règles pour graduer une
romaine, les services que nous devons attendre du plan
incliné, du tour, etc.
STATIRA, l'une des sœurs de Mithridate.
STATISTIQUE (de l'italien siatistico, homme d'État ),
réunion des connaissances relatives à un ou plusieurs États ,
de tout ce qui peut éclairer et diriger le gouvernement, l'ad-
ministration publique, les grandes spéculations du com-
merce, etc. La siaiislique de la France ne laisserait rien
^norer de ce qui concerne cet empire; un résumé succinct
de son histoire préparerait l'exposition de son état actuel,
qu'il s'agirait de montrer sous tous les aspects ; la constitu-
tion et les lois fondamentales , les relations avec les autres
États, le territoire, la population , les forces de terre et de
mer, l'agriculture, l'industrie, le commerce, les sciences
et les lettres, les beaux-arts, etc., etc., tous ces objets
seraient traités non pas superficiellement , mais avec l'éten-
due et les détails qu'exige l'acquisition de connaissances
applicables. Une entreprise aussi vaste ne pourrait être
confiée qu'à des hommes d'un savoir spécial , capables de
se concerter et de coordonner leurs travaux , faculté qui
peut manquer à l'érudit le plus profond. Nous avons d'as-
sez bonnes statistiques de plusieurs départements de la
France; en complétant ces descriptions partielles parvien-
drait-on à faire connaître tout l'empire aussi bien que par
un travail unique, dont tous les produits seraient contem-
porains ? Comme les défauts de concordance sont intolé-
rables dans une œuvre d'ensemble , on serait dans la né-
cessité de soumettre les notices partielles aune révision gé-
nérale, afin de les forcer à se mettre d'accord. Puisqu'il
est si difficile de rédiger une statistique de la France,
on perdra tout espoir de voir paraître celle de l'Europe,
travail qui aurait à surmonter tous les obstacles diploma-
tiques , et dont on ne viendrait peut-être jamais à bout
sans le secours d'un congrès. Cependant, l'utilité de ces
recueils instructifs augmente rapidement à mesure qu'ils
embrassent plus d'objets, qu'ils abordent des queslions plus
générales : les véritables intérêts de chaque partie d'un
État sont mieux aperçus dans une statistique générale qu'ils
ne peuvent l'être par le moyen de notices resserrées entre
des limites trop rapprochées , où la proximit<i grossit cer-
tains objets aux dépens de ceux qui sont à une plus grande
distance. Une statistique générale bien faite peut épargner
aux gouvernements des fautes graves et aux peuples de
grandes calamités ; les statistiques partielles , où les propor-
tions réelles des objets sont presque toujours altérées , peu-
vent accroître les embarras de l'administration publique,
l'égarer et faire méconnaître les intérêts généraux ; les gou-
Ternements sages ne les consulteront qu'avec défiance , avec
la disposition d'esprit d'un juge intègre écoulant les plai-
doyers des parties adverses. Les statistiques fournissent à
l'économie politique et à la diplomatie les données des ques-
tions à résoudre , soit au dedans , soit au dehors des États ;
elles sont l'aide-mémoire des gouvernants et de leurs princi-
paux agents. On imposerait vainement aux hommes d'État
l'obligation de placer dans leur tête une aussi prodigieuse
multitudede notions diverses , isolées , et toutes d'une haute
importance ; un recueil complet et bien fait les met à leur
disposition.
Le mot statistique est nouveau dans la langue de l'éco-
nomie politique, et ce qu'il indique ne l'est peut-être pas
moins. Quelque simple et naturelle que soit cette concep-
S28
tion, elle n'est venue que très-lentement, et ne s'est montrée
telle que nous la voyons que depuis l'introduction des gou-
vernements représentatifs sur le continent européen. Si elle
opère quelque bien durable, c'est à la publicité qu'il faut
adresser l'expression de la reconnaissance des peuples, car
il n'y a point de statistique si la propagation des connais-
sances est gênée par des entraves, si la liberté pohtique
n'est pas fondée, et si ses effets ne sont pas reconnus dans
les goûts , les habitudes et les besoins intellectuels des na-
tions devenues libres. La statistique fait des emprunts à
plusieurs sciences; le faisceau des lumières quelle répand
est composé de rayons dont l'origine est connue, sans qu'il
soit nécessaire de l'indiquer. On sait d'avance quels seront
les contingents de la topographie, de la minéralogie, de la
géologie, des sciences agronomiques. Parmi ces contribu-
tions , quelques-unes ne sont offertes qu'une seule fois, parce
que la nature seule les fournit sans aucune participation de
l'homme; d'autres doivent être renouvelées de temps en
temps. Cette partie mobile de toute statistique est la plus
difficile à traiter, et la plus importante , soit pour le gou-
vernement , soit pour les spéculations particulières ; c'est
par celle-là que l'on peut juger si un peuple avance ou s'il
rétrograde, quels sont ceux qui le devancent, et comment
il pourrait les atteindre. En apercevant à la fois ce que l'on
était quelques années auparavant et ce que l'on est actuel-
lement , on reçoit des avertissements qui ne demeurent pas
inutiles , et que l'amour-propre national ne repousse point.
Malheureusement, une bonne statistique de la France est
encore à faire. Ferry.
STATIUS (Cecilius). Voyez Ceouvs.
STATUAIRE , sculpteur. Quoique ce mot appartienne
au style élevé, il est nécessaire, même dans l'usage com-
mun, pour distinguer le sculptemr qui fait des statues de
celui qui ne fait que des ornements. Les latins employaient
le mot statuarius pour désigner l'artiste qui faisait des
statues en bronze. Pline en fait usage dans ce sens. Il appelle
l'artiste qui travaillait en marbre sculptor, marmoi'um
sculptor. Cette distinction a beaucoup de justesse. L'artiste
qui fait un ouvrage qu'on doit couler en bronze ne sculpte
pas : il modèle.
Employé au féminin , ce mot désigne l'art de faire des
statues. MiLLIN , de l'Iustitut.
STATUE , ouvrage de sculpture qui représente la figure
d'un homme ou d'une femme en plein relief et isolée. On
applique aussi ce mot à des figures d'animaux exécutées de
la même manière. Chez quel peuple la coutume a-t-elle
commencé d'exécuter en bois , en pierre ou dans une autre
matière solide, la figure d'un homme, et de l'ériger publi-
quement? C'est là ce qu'il serait bien difficilede dire. D'après
Hérodote on devrait penser que ce sont les Égyptiens qui ont
fait les premières statues ; d'ailleurs, il ne nous apprend pas à
quelle occasion on les exécuta. Mais l'art de les travailler
et le goût d'en posséder paraissent être dus à la Grèce. D'a-
bord, on commença par figurer différentes divinités sous les
traits de la figure humaine; ensuite, on exécuta des statues
des héros les plus célèbres des anciens temps, et à la fin on
en fit aussi d'hommes vivants ou morts depuis peu : on
exposait ces statues dans des endroits publics et fréquentés
par le peuple , afin de lui rappeler les hommes dont la mé-
moire devait lui être toujours chère. Le goût des statues de
divinités et d'hommes célèbres devint dans la Grèce telle-
ment général , que de tous les arts du dessin il n'y en a pas
qui ait été cultivé avec plus de zèle et de dépenses que celui
de la sculptu re; et la Grèce entière fut à la longue cou-
verte , pour ainsi dire, de statues des dieux et des hommes.
Dans les premiers temps de la république, les Romains
avaient un petit nombre de statues de dieux et de personnes
distinguées. Après avoir fait la conquête de la Grèce , après
en avoir enlevé à différentes époques et apporté à Rome un
grand nombre de statues grecques, le goûl de ces ouvrages
de l'art devint peu à peu tellement vif que, selon l'expressiou
d'un auteur ancien, on aurait pu à une certaine époque
21.
S24
STATUE —
compter à Rome plus de statues que d'iiabitants. On ne se
contenta pas d'ériger des statues à des hommes morts, mais
on accorda aussi à plusieurs cet honneur pendant leur vie.
D'autres l'ayant refusé, n'eurent des statues qu'après leur
mort, par un motif de reconnaissance non moins équivoque.
Tel fut S c i p i 0 n , à qui Rome ne rendit cet éclatant témoi-
gnage de son estime que quand il ne fut plus en état de s'y
opposer lui-même. Étant censeur, il avait fait abattre toutes
les statues que les particuliers s'étaient érigées dans la place
publique, à moins qu'ils n'eussent été autorisés à le faire par
un décret du sénat. Caton aima mieux que l'on demandât
pourquoi on ne lui en avait point élevé, que si on eût pu
demander à quel titre on lui avait rendu cet honneur. Les
statues , comme les temples , faisaient une partie essentielle
de l'apolliéose chez les Romains. Les législateurs ont été ho-
norés de statues dans presque tous les États; quelques
hommes illustres ont partagé avec eux cet honneur : d'autres
s'élevèrent à eux-mêmes des statues à leurs frais; c'est
peut-être à cette liberté qu'on doit les règlements qui dé-
fendaient à Rome d'en ériger sans l'aveu des censeurs. En
accordant le droit ou la permission d'élever des statues , le
sénat en déterminait le lieu, avec un certain terrain autour
de la base , afin que la famille de ceux auxquels il avait fait
cette faveur pût assister plus commodément aux spectacles
qui se donnaient dans les places publiques avant qu'on eût
bâti les amphithéâtres et les cirques. Quelques-unes étaient
placées dans des temples ou dans des curies où le sénat
s'assemblait; d'autres, dans la place de la tribune aux ha-
rangues, dans les lieux les plus éminents de la ville, dans
les carrefours, dans les bains publics, sous les portiques
destinés à la promenade, à l'entrée des aqueducs, sur les
ports, etc. Comme on en plaçait quelquefois dans des lieux
moins fréquentés, il y avait des officiers chargés du soin de
les faire garder. Ces officiers sont appelés dans le droit ro-
main comités , curatores statuarum , et tutelar'ù.
On appelle statues logées , celles qui sont représentées
vêtues de la toge; chlamydées , celles qui portent la
chiamyde: telles sont celles de la plupart des dieux; cui-
rassées , celles qui sont vêtues de la cui rasse ; statuas
palliatœ , celles qui sont vêtues du pallium ; voilées, celles
qui ont un voile sur la tête. Les statues pédestres sont les
plus conununes ; le nombre des statues équestres n'a jamais
été bien considérable. JMiLLiN,de l'histitut.
STATU QUO, mots latins qui signifient l'état dans
lequel une chose se trouve. Maintenir le statu qxio , c'est
ne modifier en rien une situation donnée. En politique , le
statu quo représente toujours des intérêts vivaces et pro-
fonds ; et ce n'est qu'à la longue que l'esprit de progrès finit
par en triompher.
STATUT (du latin statulum, ce qui est réglé, sta-
tué). On appelait ainsi, dans l'ancien droit, des lèglements
locaux qui avaient force de loi , et qui obligeaient les per-
sonnes et les choses. Aujo\ird'hui on emploie cette expres-
sion pour désigner en général les lois et les règlements qui
servent de base à une société, à une corporation. Aux
termes des prescriptions du droit romain, pour qu'un sta-
tut soit valable il faut que tous les individus ayant droit de
voter aient été dûment mis en demeure , que les deux tiers
d'entre eux aient réellement comparu, et que dans l'assem-
blée ainsi composée le statut proposé ait été adopté à la
majorité des voix. La question de .savoir jusqu'à quel point
les statuts d'une société ont besoin d'être revêtus de l'appro-
bation du souverain tient à celle de savoir jusqu'à quel
point celte société ne s'occupe que de ses propres affaires,
ou bien se mêle aux intérêts généraux. Si les statuts doivent
être obligatoires, même pour des individus étrangers à la
société, la confirmation de l'État leur est indispensable.
Ainsi les établissements publics, les chapitres, les univer-
sités, les corr/munes n'ont pas le droit de se donner eux-
mêmes des statuts. Autrefois on était moins scrupuleux à
cet égard , et on abandonnait aux corporations une espèce
d'autonomie j qu'on leur refuse aujourd'hui.
STEARIQUE
STATUT PERSONNEL, STATUT REEL. Voyes
Droit, tome VIII, p. 33.
STAUP1TZ(Jean de), ami et protecteur de Luther,
descendait d'une famille noble de la Saxe électorale, et par
l'étude de la Bible avait de bonne heure acquis des idées
religieuses différant de celles de l'Église orthodoxe. Ayant
eu, en sa qualité de vicaire général de l'ordre des Augustins
en Allemagne, occasion de faire connaissance avec Luther,
il pressentit en lui l'étoffe d'un homme appelé à de hautes
destinées , écarta beaucoup d'obstacles de sa carrière et le
fit appeler à Wittemberg, en 1508. Frédéric le Sage, qui l'a-
vait en grande estime, le chargea en 1516 d'aller chercher
dans un couvent des Pays-Bas des reliques pour la nouvelle
église du château de Wittemberg, et voulut ensuite lui con-
férer un évêché,que Luther refusa. En 1518 Staupitz assista
avec Luther à l'assemblée de l'ordre tenue à Heidelberg.
Mais avant la fin de cette môme année il se relira à Salz-
bourg, d'effroi pour les luttes qu'il prévoyait dès lors ; et
dans cette ville il habita d'abord l'archevêché, puis un
couvent de bénédictins. On ignore s'il était ou non évéque
de Chiemsee dans les dernières années avant sa mort, arri-
vée en 1 524 ; mais ses ouvrages intitulés : De Amore Dei
et De Fide christiana , ainsi que celte circonstance qu'on
trouva chez lui tous les ouvrages de Luther, sont de nature
à faire croire qu'il partagea les principes de la réformation.
STAUROLÂTRES. Voyez Charinzariens.
STAWROPOL, chef-lieu fortifié de la province du
Caucase appelée depuis 1847 gouvernement de Stawropol ,
siège d'un gouverneur civil et militaire , est situé dans une
contrée aride et où les arbres manquent , sur la grande
route conduisant de Russie au Caucase , d'où résulte son
importance, attendu que toutes les caravanes allant de
Grusie et de Perse en Russie, sont obligées de passer par
là. On y trouve des Russes, des Tatars, des Arméniens,
des Persans, des Nogaïs, des Grusiens, etc.; et la ville,
dont l'importance commerciale s'accroît chaque année ,
compte déjà une population de plus de 10,000 âmes. Elle
contient un vaste et beau bazar, trois églises , deux écoles,
dont l'une, du degré supérieur, créée en 1811 par la noblesse
et le commerce, et un grand nombre de manufactures et de
fabriques. Le climat y est tempéré; mais les chaleurs de l'été
et le voisinage des steppes, où soufflent souvent avec per-
sistance des vents brûlants, y développent fréquemment des
fièvres pernicieuses.
STAWROPOL est aussi le nom d'un chef-lieu de cercle
dans le gouvernement de Samara, fondé en 1850, et qui
jusque alors, avec ses 138,500 habitants, répartis sur une
surface de 144 myriam. carrés , avait dépendu du gouver-
nement de Simbirsk. Cette ville est bâtie sur les bords
élevés d'un bras du Volga; elle fut fondée, en 1737, pour
servir de résidence fixe aux Kalmouks qui venaient de re-
cevoir le baptême. On y trouve une cathédrale et 4,000 ha-
bitants.
STÉARINE (du grec ariap, suif), principe iinmédiat
qui fait partie de la graisse, et qui se trouve spécialement
dans les graisses que nous nommons suifs. Le suif tiré
du mouton, de la chèvre, etc., en contient plus abondam-
ment que les autres. La stéarine est plus solide que la mar-
garine : c'est à elle que le suif doit sa consistance supé-
rieure. Elle est aussi moins fusible, et ne fond qu'au-dessus
de 50°. Elle est moins soluble dans l'alcool, et on en pro-
fite pour la séparer de la margarine, ce qui, du reste, n'a
jamais complètement réussi. Purifiée, la stéarine est blanche,
grenue, et paraît composée de particules cristallisées. Elle
contient une certaine quantité de bistéarate glycérique mé-
langé avec le stéarate neutre.
STEARIQUE (Acide), graisse solide, acide, fusible à
70", cristallisant par le refroidissement en aiguilles, inso-
luble dans l'eau , très-soluble dans l'alcool, où il cristallise
par l'évaporation en forme de paillettes nacrées. Vacide
stéariquc estcomposéde 70 atomes de carbone, 134 atomes
d'hydrogène, et 5 atomes d'oxygène combinés avec 2 atomes
STEARIQUE
d'eau. On l'obtient en saponifiant la stéarine avec un alcali
et en le précipitant ensuite avec un acide plus fort.
STÉATlïE (liu grec tjxeap. cieaTo;, suif), pierre douce
et savonneuse au touclier, qui se laisse couper et tourner
avec la pins grande facilité, mais qui ne reçoit jamais un
poli bien vif. Cette substance, molle et onctueuse à peu près
comme le suif, a aussi reçu le nom de pierre de lard, en
allemand 5pecAs<f/72. On trouve des stéatites de différentes
couleurs. Les nuances de vert, de jaune d'huile figée, de
rose, la couleur de cluiir, le rouge vif ou marbré de blanc,
de grisâtre, se rencontrent dans les stéatiles de divers
pays, dans celles de Corse et de la Chine, où l'on en fait
celle foule de petites ligures grotesques nommées magots.
Le talcstéatite ou craie de Brkmçon est une substance
compacte ou finement écailleuse , douce et grasse au toucher.
C'est un silicate de magnésie composé de 60 à 62 parties
sur 100 de silice , de 26 à 30 de magnésie , de 5 à G d'eau ;
le reste est formé de chaux, d'alumine et de fer. Elle est
employée en poudre pour adoucir le frottement des machines
dont les louages sont en bois ; les bottiers s'en servent
pour faire glisser le pied dans les bottes ; et les tailleurs
pour tracer la coupe des habits.
STÉATOME. Voijez Loupe.
SÏEELE (Sir Richard), l'un des littérateurs anglais
qu'on désigne sous le nom (Tessai/ists , né à Dublin , en
1671, fut élevé à l'école de Charterhouse , à Londres, où
il eut pour condisciple et ami A ddi son. En 1692 il alla
suivre les cours de l'université d'Oxford; mais il en profita
peu , et quelques années après il entrait comme volontaire
dans les gardes du corps du roi. Une fois devenu officier,
il se précipita tête baissée dans toutes les folies de son siècle.
Souvent, cependant, il se repentait de sa vie désordonnée.
C'est dans un de ces accès de sagesse qu'il composa et fit im-
primer unebrocliureintitulée Le Héros chrétien. Mais comme
l'amélioration de sa conduite ne dura que peu, cet ouvrage
n'eut d'autre résultat que de lui attirer force lardons et plai-
santeries. En 1701 il débuta comme poète comique par
une pièce intitulée: Fanerai, or grief à la mode. Eni703
parut The tender Hnsband, ouvrage qui n'eut pas moins
de succès que le précédent. Par contre, la pièce qu'il donna
ensuite , The hjing Lover, tomba à plat et le dégoûta du
théâtre. Ce ne fut qu'en 1722 qu'il osa encore s'y essayer,
et il fit représenter à cette époque The conscious Lovers,
l'une de ses meilleures pièces. Dans l'intervalle il avait cul-
tivé avec succès une autre partie de la littérature. En 1709
il avait commencé la publication du Tatler, journal renfer-
mant des esquisses en tous genres , des narrations, des consi-
dérations morales et philosophiques, etc. Le Tatler, dont la
publication cessa en 1711, oblint un très-grand succès; mais
U Spectator, qui succéda au Tatler et queSteele publia en
société avec Addison, en eut bien davantage, et arriva à faire
huit volumes. Steele publia ensuite, en 1713, TheGuardian,
dont deux volumes seulement ont paru. Addison a fourni
à ces trois recueils .369 articles, et Steele 510. A part leur
valeur intrinsèque, ils se recommandaient par la pureté ,
l'élégance et la correction du style, et ne tardèrent pas à
être regardés comme des modèles. Steele était devenu jour-
naliste en 1709, sous l'administration des whigs ; en 1710
il obtint un emploi dans l'administration du timbre, et le
conserva après que les tories lurent revenus au pouvoir,
jusqu'en 1713. Alors il entra dans les rangs de la partie la
plus violente de l'opposition, et se fit élire membre du par-
lement ; mais on l'en exclut comme auteur d'écrits séditieux.
Sous le règne de Georges P"", il fut nommé grand-écuyer à
Hampton-Court, et entra de nouveau au parlement. En
même temps le roi lui accorda le titre de chevalier, et en
1717 il l'envoya en Ecosse en qualité de commissaire
chargé de prendre part, au nom de la couronne , à la vente
des biens confisqués. Toutefois , il se brouilla bientôt avec
le ministère, et même avec son ami Addison. Après quoi ,
il se retira dans son domaine de Llangunnor, près de Caer-
marthen, pays de Galles, où il mourut, en 1729. Ses comé-
— STEENWIJK
325
dies parurent en 1761 ; ses lettres, en î/87. Celles-ci pré-
sentent son caractère privé sous le jour le plus avantageux.
STEEiM (Jan), l'un des plus célèbres peintres qu'ait
produits la Hollande, né en 1636, à Leyde, était fils d'un
brasseur. Les dispositions qu'il annonçait pour la peinture
déterminèrent son père à l'envoyer étudier cet art àUtrecht.
Ensuite, il fut l'élève du célèbre Brou wer, et plus tard de
J. van Goyen, qui lui donna sa fille Marguerite en ma-
riage. Quoique Steen eût déjà acquis beaucoup de répu-
tation, il ne trouvait pas dans la pratique de son art, en
raison surtout du soin extrême qu'il apportait à l'exécution
de ses tableaux, les ressources nécessaires pour subvenir
aux besoins de son existence. D'après le conseil de son
père, il établit, en conséquence, une brasserie à Delft,
et il y eiit sans doute fait de bonnes affaires s'il avait cédé
moins facilement à son goilt pour la vie de plaisir. Aidé
par sa famille , il ouvrit ensuite un cabaret, qui eut bientôt
la vogue, mais où il eut encore plus l'occasion de s'aban-
donner à la vie de fainéantise et de plaisir. Les scènes dont
il y était journellement témoin , il les reproduisait sur la
toile avec une admirable habileté, et souvent quoique lui-
même alors en état d'ivresse. Il n'y a pas un de ses contem-
porains qui l'ait surpassé sous le rapport de la naïveté des
compositions, comme sous celui de l'expression et du carac-
tère des figures, en ce qui est de l'habile distribution des
ombres et de la lumière , et bien moins encore pour la
conception fine et enjouée de la nature. Il fit bien parfois
quelques tableaux d'histoire; mais le genre où il est de-
meuré inimitable, c'est la reproduction des douces scènes
de famille, tant dans les cerclesélevés que dans les classes
inférieures. Quand il eut perdu sa femme , qui lui laissait
six enfants , il se remaria avec une veuve déjà mère de
deux enfants. 11 avait fini par se ruiner dans son cabaret,
et vers la fin de sa vie il n'eut d'autre ressource pour
nourrir sa famille que la vente de ses tableaux , à la com-
position desquels il n'apportait plus, à beaucoup près, le
même soin qu'autrefois. Il mourut en 1689, laissant sa
famille dans la plus profonde détresse. Mais après sa mort
ses toiles se vendirent toujours plus cher, notamment en
Hollande. Les plus célèbres sont : Le Jeu de Boules ( autre-
fois à M. de Talleyrand , aujourd'hui à M. Baring); La
Dame malade {àu duc de Wellington ); Les Noces (au
baron Verstolk van Soelen ) ; La Fête de Village ( musée du
Louvre), et surtout La Fête de Saint-Nicolas ( muséum
d'Amsterdam ) ; La Fête des Hidtres , où l'auteur a mis en
scène des membres de sa famille, et le Tableau de la
Vie humaine, depuis l'enfimt jusqu'au vieillard , qui ornent
la galerie <ie La Haye. Ses dessins, en raison de leur extrême
rareté , ne sont que très-peu connus ; aussi se payent-ils fort
cher. Au nombre des plus remarquables, on cite un JoMewr
de Cornemuse ( à M. Verstolk van Soelen , à La Haye), et
La Fête villageoise avec le jeu de boules (à M. Weigel, de
Leipzig).
Steen a gravé aussi pour son plaisir quelques planches
spirituelles, devenues d'une rareté extrême, et dont on ne
peut contester l'authenticité. Parmi ses imitateurs, on cite
Régner Brakenburg et Molenaer. Diverses galeries pos-
sèdent son portrait peint par lui-même.
Quelques biographies récentes parlent encore d'un autre
Jan Steen , peintre d'Alkmar, qui travaillait dans le même
genre , mais qui vécut plus tard , et dont les tableaux sous
le rapport de l'art ne sont point à comparer à ceux du
Jan Steen de Delft.
STEENWIJK (He.ndrik) rainé, célèbre peintre de
perspective de l'école flamande, né à Steenwijk, en 1550, fut
l'élève de son père, qui était habile en peinture de per-
spective et d'architecture, et de JeanFredeman , dit de Vries,
H peignit des morceaux d'arcbitecture, notamment des
intérieurs d'églises gothiques , où il fait preuve d'une con-
naissance infinie des ressourcesdu clair-obscur. Ses tableaux,
éclairés souvent par la lueur des torches et des cierges , sont
exécutés d'un pinceau facile et élégant, et ont souvent età
326
STEENWIJK
ornés de figuras par J. Breughel et autres peintres célèbres.
A la suite des troubles provoqués par la guerre , il alla s'é-
tablir à Francfort , où il naourut, en 1604.
Son fils et élève, Hendrik Steenwijk, dit le jeune, né
en 1585, se distingua dans le même genre, et surpassa
même quelquefois son célèbre père. Ses toiles, qui représen-
tent le plus souvent des intérieurs d'églises et de palais , sont
iu total moins foncées de couleur. A la demande de son ami
ranDyck, dont il orna très -souvent les tableaux de per-
spectives arcbitecturales , il passa en Angleterre, où , recom-
mandéauroi,ilfit fortune. Mais il mourut jeune; etsa femme,
qui était en même temps son élève et se distinguait dans
les mêmes genres, revint à Amsterdam, où ses tableaux fu-
rent très-recliercUés et payés fort cher.
Parmi les élèves de Steenwijk le père on remarque les
Neefs père et fils.
Nicolas Steenwijk, de Breda, qu'on prétend être le fils
de Steenwijk le jeune , peignait la nature morte, et fut , dit-
on , comme son père , presque exclusivement occupé par
Charles l". On ignore la date de sa mort.
STEEPLE-CHASE, course au clocher. Voyez
Courses de Chevaux , tome VI, p. 665.
STÉGAiVOGRAPHIE. Voyez Chiffres.
STElBELT,compositeuretpianiste célèbre, né en 1756,
àBerlin, où son pèreétaitun fabricant de clavecins en renom,
trouva un protecteur dans Frédéric leGrand, qui, appréciant
ses dispositions pour la musique , le fit instruire dans cet art
par l'organiste Kirnberger, lequel l'initia à tous les secrets
de l'harmonie, au point de lui rendre très-facile la pratique de
l'improvisation. Plus tard, Steibelt séjourna alternativement
à Londres et à Paris. Dans cette dernière capitale il fit re-
présenter avec succès le ballet Le retour de Zéphire et
l'opéra Juliette et Roméo. Mais son œuvre capitale fut
Cendrillon. On a encore de lui La princesse de Babylone.
A Londres , il fit aussi représenter deux ballets, La belle
Laitière et Le Jurjement de Paris. Plus tard, il se rendit à
Saint-Pétersbourg, où il avait été nommé maître de chapelle ;
et c'est là qu'il mourut, eu 1823 , dans une grande pauvreté.
Les compositions de Steibelt se distinguent par de suaves
mélodies et par des traits élégants. On doit lui reprocher
seulement d'avoir abusé de son extrême facilité, d'avoir
écrit quelques-uns de ses ouvrages avec négligence , d'y avoir
inséré, enfin, des détails et des développements qu'un goût
plus pur en aurait sévèrement bannis. Cependant , plusieurs
sonates de Steibelt suffisent pour lui assigner un rang distingué
parmi les compositeurs qui ont écrit pour le piano. Un choix
de musique de cet auteur devrait figurer dans toute bonne
bibliothèque musicale. F. Danjou.
STEliV {HENRr-FRÉDÉRic-CnARLES, baron de) , homme
d'État célèbre , naquit à Nassau, sur laLahn , en l757,d'une
ancienne famille de la Fraacuuie. Après avoir parcouru la
carrière administrative à ses divers degrés, il fut nommé,
en 1804, chef du département des douanes, des fabriques
et des finances dans le ministère prussien; mais il perdit
cette position en janvier 1S07, parcequ'on trouva malséants
les avis qu'il donnait de mettre à profit les enseignements
qui ressortaient des désastres du moment pour opérer de
larges réformes administratives. On lui rendit plus de justice
six mois après, et il reprit son portefeuille en juillet 1807.
Les efforts faits alors par la Prusrse pour réparer ses pertes, et
surtout pour ranimer l'esprit public, furent en grande partie
sou œuvre. Ils n'échappèrent point aux défiances de Napoléon,
qui exigea que le ministre patriote lui (ùt sacrifié , et qui fit
confisquer ses propriétés dans le Nassau. Stein vécut alors pen-
dant quelque temps réfugié en Autriche; puis en 1812 il alla
rejoindre l'empereur Alexandre.
Après la désastreuse campagne de l'armée française en
Russie et l'invasion de l'Allemagne par les troupes russes ,
ce fut le baron de Stein qu'on chargea de la réorganisa-
tion intérieure du pays. On peut voir par sa correspon-
dance qu'il aurait voulu que les souverains tinssent alors
ias proioesaes d'émancipation et de liberté iju'ils avaient
— STELLA
faites à leurs peupies pour les exciter à combattre l'ennemi
commun ; et il refusa le poste de ministre plénipotentiaire
près la diète germanique que lui offrirent et la Prusse et
l'Autriche, parcequ'il n'attendait rien de bon des bases don-
nées à l'Allemagne par le congrès de Vienne. Le baron de
Stein mourut le 29 juillet 1831.
STELLA (Jacques), contemporain deSimon Vouet, de
Nicolas P 0 u s s i n et d'Eustache L e s u e u r, est moins connu
que ces trois grands maîtres, et sans doute il leur fut inférieur
en génie; pourtant, il contribua comme eux à fonder une
école française , à constituer , par un choix habile de certaines
qualités de composition , de dessin et de coloris , le carac-
tère d'un artde peindre, un style national , dirons-nous, qui
n'est ni celui des Italiens, ni celui des Flamands, ni celui des
Allemands, ni celui des Espagnols. Ilnaquit à Lyon, en 1596.
Sa famille était d'origine flamande. Son grand-père habitait
Malines , et il avait exécuté pour les églises de cette ville des
sujets religieux peints sur verre. Ses neveux et sa nièce
exercèrent la même profession que lui, et son père, François
Stella, était un peintre de quelque talent, qui, au retour d'un
voyage en Italie , était venu se fixer à Lyon. Il n'avait que
neuf ans lorsqu'il perdit son père. De bonne heure il exécuta
quelques petits tableaux, qui pouvaient faire prévoir le bel
avenir qui lui était réservé. Mais ne se faisant pas illusion
sur la valeur de ses premiers succès , il comprit qu'il lui
restait beaucoup de choses à apprendre pour marcher sur
les traces des grands maîtres. Il aspirait depuis longtemps
en secret à voir l'Italie , et dès qu'il eut amassé une petite
somme, qu'il prélevait sur le produit de son travail , il en-
treprit ce voyage. C'était en 1616 , et Stella venait d'entrer
dans sa vingtième année. Après avoir séjourné quelques
mois à Milan, il se rendit à Florence, où on célébrait , lors-
qu'il y arriva, les noces de Ferdinand II, fils du grand-duc
Cosme de Médicis. Les artistes affluaient dans cette ville,
et Stella y fit connaissance de Cal lot, qui le présenta au
grand-duc. Celui-ci , charmé de son mérite , lui donna un
logement dans le palais ducal , et une pension équivalente
à celle que recevait Callot. Stella , content de sa fortune , de-
meura sept années à Florence , et s'y exerça surtout dans l'art
de graver. Toutefois , le désir de voir Rome le détermina , en
1623 , à renoncer aux avantages de la position dont il jouis-
sait à la cour du grand-duc. En 1623 il habitait Rome, où il
se lia bientôt d'amitié avec plusieurs artistes célèbres, et en
particulier avec Nicolas Poussin, Valenlin et Quesnoy. U
perfectionna sa manière à l'école de ces maîtres , qui l'ai-
dèrent de leurs conseils. U excellait, dit-on, dans les petits
sujets représentant des pastorales et des jeux d'enfants ; ce
genre de travail , qui exigeait une rare délicatesse de touche
et un fini précieux , était du reste fort en vogue, très-lucra-
tif et très-recherché. Le chef-d'œuvre de Stella dans cette
minutieuse manière fut un Jugement de Paris , où figu-
raient six personnages : toute la composition était de la
grandeur d'une pierre de bague. Cependant, il ne consacrait
pas tout son temps à la gravure et à la peinture sur vélin , il
faisait de sérieuses études d'après les sculptures antiques et
les fresques de Raphaël et de Michel-Ange.
Stella se plaisait beaucoup à Rome , et sans doute il y eût
passé toute sa vie sans une aventure fâcheuse qui lui arriva
dans cette ville. Des ennemis de sa fortune et de son talent
excitèrent contre lui la haine d'un Romain, dont la fille en-
tretenait des liaisons intimes avec lui. Le peintre , accusé de
s'être rendu coupable de séduction et d'avoir trompé la con-
fiance d'une famille , fut arrêté et mis en prison. On rap-
porte que pendant sa captivité il s'amusa un jour à dessiner
avecducharbon,sur une muraille de son cachot , une Vierge
tenant dans ses bras l'Enfant-Jésus. Cette madone devint
un objet d'adoration pour les prisonniers. Dans la suite,
une lampe fut allumée devant cette esquisse au charbon, et
le cachot fut changé en une chapelle où les prisonniers
allaient faire leurs dévotions à la Vierge. Stella , protégé
par le cardinal Barberini, put se justifier de l'odieuse ac'
cuéation qu'on faisait peser sur lui. Mais dès qu'il eut recoa-
rré sa liberté, il résolut de quitter Rome, où il était de-
meuré pendant onze ans.
Le maréchal de Créqui était, en 1634, sur le point de re-
venir en France ; Stella se mit sous le patronage de ce
grand seigneur, et partit avec lui. Quand il fut arrivé à Paris,
)>} eut tant à se louer des marques de distinction dont il
était l'objet , qu'il crut devoir se fixer dans cette capitale.
L'archevêque François de Gondi et le cardinal de Richelieu,
ses protecteurs , lui surent gré de cette détermination , et
le présentèrent au roi Louis XIII, qui le nomma son premier
peintre, lui accorda une pension do mille livres , avec un lo-
gement au Louvre , et le lit chevalier de l'ordre de
Saint-Michel. Le cardinal ministre, en outre, lui commanda
des tableaux pour les églises de Paris, et lui procura l'hon-
neur de faire le portrait du dauphin de France.
Stella était laborieux et très-actif; il faisait pendant les
soirées d'hiver des suites de dessins qui ont presque toutes
été gravées. Ce sont des sujets de l'histoire sainte et des
pastorales. Il exécuta beaucoup de fontispices de livres, di-
verses études d'après l'antique , et une frise de Jules Ro-
main, dont il avait apporté les dessins de l'Italie.
La manière de Stella est sage , savante et correcte ; mais
son coloris est cru et donne trop dans le rouge. Ses com-
positions sont un peu froides, mais arrangées avec élégance
ettme certaine grâce facile, qu'il savait surtout mettre dans
les attitudes de ses figures. Le musée du Louvre possède de
ce maître deux tableaux seulement ; l'un représent Jésics-
Christ apparaissant à la Madeleine; l'autre, Minerve
au milieu des Muses. Antoine Fillioux.
STELLÉRIDES, section établie pas Lamarck dans la
grande division des radiaires échinodermes . Elle comprend
les genres co?na^i(/e, eurijale, ophiure et aslérie.
STELLIONAT (du latin slcllio , nom d'un petit lé-
zard, à couleur changeante et d'une grande vivacité dans
ses mouvements, que l'on a pris pour l'emblème de l'adresse
ou de la fraude). Le stellionat eu droit romain désignait en
effet toute espèce de fraude où de dol qui n'avait pas de nom
propre. La peine qu'encourait le coupable restait à l'arbi-
traire du juge. Les lois romaines déclaraient qu'il y avait six
formes de stellionat : 1° la vente faite à deux personnes
en même temps; 2° le payement fait par un débiteur avec
des choses qu'il sait ne pas lui appartenir ; 3° l'enlèvement
ou l'altération par le débiteur d'une chose affectée à un paye-
ment; 4° la collusion entre deux individus au bénéfice d'un
tiers; 5° la substitution, faite par un marchand, d'une mar-
chandise pour une autre; G° enfin, une fausse déclaration
sciemment faite dans un acte. Le stellionat constituait un
véritable crime, qui était quelquefois puni de peines très-gra-
ves, telles que la condamnation aux mines.
En droit français le stellionat n'a jamais eu une signi-
fication aussi étendue : il exprime deux sortes de fraudes
seulement ; il s'applique à la déclaration mensongère qui est
faite dans un acte, soit lorsqu'on vend ou qu'on hypothèque
un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire, soit lors-
qu'on présente comme libres des biens hypothéqués, ou que
l'on déclare des hypothèques moindres que celles dont ces
biens sont chargés. L'action civile est seule ouverte contre
les stellionataires, et la peine qui peut être appliquée est la
contrainte par corps : il résulte de là que le ministère pu-
blic ne peut pas exercer de son chef des poursuites, et que
le stellionataire , même après la condamnation, est libéré
de la peine, et doit recouvrer sa liberté aussitôt qu'il justifie
du payement de la créance à raison de laquelle il a été ré-
puté stellionataire.
STENAY, ville de l'ancienne Lorraine, aujourd'hui
chef-lieu de canton de l'arrondissement de Verdun, dépar-
tement de la Me use, à 14 kilomètres de Moutmédy, avec
3,400 habitants , des briqueteries, des tuileries , des lamine-
ries, un haut fourneau, et une fabrication renommée de bis-
cuits-macarons. C'était sous la première race une des rési-
dences des rois d'Austrasie. Elle était autrefois fortifiée et
défendue par une citadelle. Le vicomte de Turenne la prit
STELLA — STÉNO 327
pour Henri IV, en 1591. Quelque tenîps après elle retomba
au pouvoir des ducs de Lorraine, qui la gardèrent jusqu'à
l'époque où elle fut cédée à la France , sous Louis XIII. En
1648 Louis XIV en fit don au grand Condé. Pendant la guerre
de 1650 elle servit de refuge aux princes mécontents, qui
en firent leur place d'armes. Le roi, qui s'en rendit maître
en 1654, en rasa les fortifications; mais elle n'en demeura
pasmoins la propriété de la famille de Condé jusqu'en 1791.
STENBOCK (Macnus), l'un des plus célèbres géné-
raux de Charles XII, était né à Stockholm, en 1664. Son
père, Guslave-Othon Stenbocr, avait été général sous les
règnes de Charles X et de Charles XI , et sa mère était fille
du grand capitaine /ac(?z<es Pontusson de La Gaudie. Après
avoir terminé , en 1683, ses études à l'université d'Upsal,
Stenbock alla voyager à l'étranger. Il entra ensuite au ser-
vice de Hollande , et fit les campagnes de Flandre et du
Rhin sous les ordres des princes de Bade et de Waldeck.
Il fit preuve de tant de bravoure et d'habileté qu'en 1697 il
fut nommé colonel du régiment allemand en garnison à
Wismar. Stenbock accompagna Charles XII dans la plu-
part de ses campagnes , et contribua beaucoup à la victoire
deNarwa. Dans la guerre de Pologne, il fut également
chargé, jusqu'en 1706, du commandement en chef d'un
corps de troupes. Il accompagna ensuite le roi en Saxe, et
fut nonnné gouverneur de ce pays, que son prédécesseur
Renskjœld avait laissé complètement ruiner; la guerre seule
put l'empêcher de réaliser tous les plans qu'il avait formés
pour y ramener la prospérité. A la nouvelle du désastre de
Pultawa, le roi de Danemark Frédéric IV arma pour en-
vahir la Scanie. Dans les circonstances si critiques où se
trouvait alors la Suède, il lui était bien difficile de résister
à un tel ennemi. Mais Stenbock prit rapidement et avec dé-
cision les mesures propres à assurer l'indépendance natio-
nale. Sur l'ordre de la régence, il se mit à la tète de 8,000
vieux soldats et de 12,000 recrues pour chasser du pays
l'ennemi, qui déjà avait ravagé par le fer et le feu toute
la contrée d'Helsingborg, et qu'il battit, le 28 février 1710,
sous les murs cette ville. En 1712 il vint prendre le com-
mandement d'une nouvelle armée suédoise en Poméranie.
Le 20 décembre, il attaqua et battit les Danois à Gadebusch,
dans le pays de Mecklembourg. Après cette victoii'e, il en-
vahit le Holstein, et, suivant les conseils du comte de
Wellingk , ministre dont il était en quelque sorte le subor-
donné, il incendia, le 9 janvier 1713, la malheureuse ville
d'Altona. A la suite d'une pointe trop aventureuse qu'il
tenta en Holstein , il se trouva si complètement cerné, aux
environs deTœnningen, par les troupes russes et saxonnes
que, le 6 mai 1713, il dut mettre bas les armes avec le
corps d'armée sous ses ordres. Il fut alors conduit à Co-
penhague, où on le retint en prison. Une tentative d'éva-
sion n'eut pour lui d'autre résultat que d'ajouter aux rigueurs
de sa captivité. Dans la rigoureuse solitude à laquelle il était
condamné, sa seule distraction consistait à travailler à des
ouvrages en filigrane d'ivoire , dont on montre encore au-
jourd'hui quelques échantillons à Copenhague, à Lund et
à Upsal. En proie aux plus indicibles tortures morales et
physiques, il écrivit en 1716 le récit de ses souffrances,
pour, y dit-il, servir de consolation à sa famille et en mémo
temps pour protester devant la postérité contre l'indigne
et barbare abus de la force dont il est victime. Il mourut
l'année suivante. Il avait réussi à cacher dans une boite à
double fond cette histoire de son martyre écrite sur de tout
petits morceaux de papier. Quand on ramena en Suède
son corps et ses effets , son fils trouva le précieux manus-
crit qu'il lui avait légué. Stenbock était un homme de grands
talents, et Charles XII l'avait singulièrement en estime. Il
partageait d'ailleurs toutes les idées politiques de son beau-
père, Bengt Oxenstierna,etil avait vivement dissuadé Char-
les XII d'envahir la Pologne. Consultez : Mémoire concer-
nant M. le comte de Stenbock, parN... (Francfort, 1745).
STEIVDAHL (Frédéric de). Voyez Beyle.
STÉi\0 ou STHÉNO. Voye:i Gorgones.
32S
STENOGRAPHIE
STÉNOGRAPHIE (du grec ctt^vôç , étroit, serré, et
Ypâço), j'écris; écriture abrégée ou réduite). Le besoin de
livrer à la publicité soit la totalité, soit les passages les
plus saillants des discours prononcés par les orateurs à la
tribune législative et les débats des tribunaux a fait res-
susciter en France, vers 1792, cet art, qui remonte à une
haute antiquité. Les langues orientales , et notamment l'hé-
breu , où l'on supprime les voyelles sans inconvénient pour
l'intelligence del'écriture.sont des espèces de sténographie.
Toutes les personnes qui jettent pour la première fois les
yeu\ sur une écriture sténographique tracée d'après un pro-
cédé quelconque sont frappées de la ressemblance d'un
grand nombre désignes avec certaines lettres turques, ara-
bes, arméniennes, et surfout avec diverses abréviations ou
lettres doubles de l'alphabet grec. C'est que dans toutes
ces écritures on s'est proposé un même objet, celui de ré-
duire à leur plus simple expression la représentation des
sons de chaque idiome. Les Arabes et les Turcs , grands
abréviateurs, omettent dans le corps du mot presque tou-
tes les voyelles ; ils les expriment par des signes appelés
?;n'neMr.s et rejetés hors ligne; ou même ils les retranchent
tout à fait. C'est sur l'omission facultative de certaines let-
tres vocales qu'est fondé en général l'art de la sténographie.
La plus ancienne de toutes les méthodes dont les traces
soient parvenues jusqu'à nous est celle de T iron, célèbre
affranchi de Cicéron , chargé de recueillir les discours du
grand orateur, qui, par parenthèse, ne les publiait pas tou-
jours tels qu'ils avaient été d'abord improvisés. Les notes
tironiennes étaient , comme beaucoup d'autres choses , re-
nouvelées des Grecs. Xénophon et les disciples de Socrate
en avaient fait usage ; Plutarque nous en a donné une légère
idée.
Il est plus difficile de se rendre compte du motif qui avait
fait écrire en lettres tironiennes plusieurs chartes des cou-
vents et môme des capitulaires de nos rois. Mabillon en a
déchiffré et publié de curieux fragments. Un autre bénédic-
tin, dom Carpentier, a fait graver en format atlantique plu-
sieurs capitulaires de Louis le Débonnaire, et a donné en
même temps la clef complète de l'alphabet lironien.
Disons tout de suite en quoi consistent les principaux
procédés de l'art moderne, qui nous vient des Anglais. Ces
procédés ont pullulé jusqu'à nos jours. Il n'est pas de nom
qu'on ne leur ait donné. On les a appelés tour à tour : ta-
chéographie , tachijgraphie , braclujgraphic , slégano-
qraphie , sémigraphie , séméiograpliie , cryptograpliie ,
radiographie , okygraphie , lacograp/iie, zéilographie ,
expédiographie , nolographie ,polygraphie, nouvelle ty-
pographie de Pront, etc., etc. Bien que ces dénominations
disparates indiquent un seul et même but, tous les systèmes
peuvent se résumer en trois genres principaux, que nous ap-
pellerons la tachygraphie, Yokygraphie et la sténographie.
La tachygraphie est, comme le tatar-mantchou , une
écriture syllabaire; chacun des sons est rendu d'après sa
prononciation exacte, sans aucun égard à l'orthographe , et
par un signe très-simple; mais les différentes syllabes du
mot peuvent difficilement se lier entre elles. Dans Vokygra'
phi£ on écrit les lettres détachées sur plusieurs lignes tracées
d'avance comme les portées de la musique. Dans la sténo-
graphie on trace', ou plutôt l'on devrait tracer tous les
mots d'un seul jet , et sans jamais lever la plume , si ce
n'est pour commencer le mot suivant. Cette écriture mo-
nogrammatique ou vermiculaire offre incontestablement les
plus grands avantages pour la célérité, mais elle présente
des difficultés, souvent même de graves inconvénients
pour la lecture ; les commençants se rebutent aisément.
La vitesse de l'exécution et la clarté des signes s'excluent
tellement que la plupart des inventeurs de méthodes soi-
disant exactes sont venus se briser contre l'un de ces deux
écueils, et souvent contre l'un et l'autre à la (ois.
Voici quelles seraient les conditions d'une sténographie
parfaite. Outre quinze ou dix-huit consonnes absolument
indispensaliles, il faut exprimer les cinq vovelles a, e, i, o.
»/, les cinq nasales, plus nn certain nombre de voyelles
composées ou diphtongues , telles que «i, oi, ê, ou , oui ,
ni, etc. Cela fait en tout plus de trente caractères. Il sérail
à désirer que les signes qu'on leur affecte fussent tellement
simples qu'il pussent se lier entre eux, soit en commençant,
soit en finissant les mots, et surtout au milieu, sans jamais
exiger l'emploi d'aucun trait parasite. Or, cela est de toute
impossibilité. Tout inventeur de sténographie ne trouve en
réalité à sa disposition que quatre signes simples, la ligne
droite, le demi-cercle, la boucle et le point. Ce dernier est
le moins utile, parce qu'il n'est pa; susceptible de se lier,
et par conséquent ne peut jamais figurer une lettre mé-
diante.
La ligne droite offre cinq positions; le demi-cercle quatre.
La boucle, pouvant s'adapter à l'une des extrémités de la
ligne droite, fournit, comme celle-ci, cinq positions. Le
crochet, ajouté à ces mêmes lignes droites, donne quatre
autres signes susceptibles de liaison, mais dont le tracé
n'est pas exempt de tout reproche. Ainsi, quelle que soit
la diversité des combinaisons , quelles qu'en soient les
chances inépuisables en apparence , aucun alphabet sténo-
graphique ne peut fournir plus de dix-huit caractères
simples, en remplissant les conditions requises; il est ma-
thématiquement démontré impossible d'en inventer un seul
de plus. Si nous affectons chacun de ces traits à l'une des
consonnes, nous ne trouverons plus rien pour les voyelles.
Comment parer à cette dirette vraiment irrémédiable?
L'Anglais Shelton désignait les consonnes par des traits rec-
tilignes, bouclés ou circulaires; la voyelle intermédiaire
entre chaque consonne était figurée par ila hauteur relative
des consonnes juxta-posées à la suite les nnes des autres.
Coulon-Tiiévenot, en 1792, a fort ingénieusement tiré parti
de l'invention de Shelton. Dans sa tachygraphie , l'alphabet
des consonnes est restreint aux plus strictes proportions;
un trait, un crochet , une boucle ou une spirale légèrement
contournée, indiquent la voyelle ou la diphthongue formant
le complément de la syllabe : mais il faut lever la plume
à chaque articulation.
Les tachygraphes ne sont parvenus à suivre la parole
qu'au moyen de la suppression d'une grande partie des
mots ou de la jonction irrégulière des syllables, ce qui
aboutit, en définitive, au retranchement des voyelles. L'O-
hjgraphie publiée par Blanc, en lSl9, n'était pas fondée
sur un principe nouveau.
Nous arrivons à la sténographie proprement dite, que
nous avons annoncée plus haut comme le troisième genre
des écritures abrégées. Ce genre se divise en deux espèces
principales, le short-hand anglais, qui fait abstraction de
la plupart des voyelles, et les sténographies dites exactes,
dans lesquelles on se vante d'éviter ce défaut , bien qu'on
n'y réussisse que fort imparfaitement; encore n'acquiert-on
ce résultat qu'aux dépens de la célérité, qui, quoi qu'on
en dise, est toujours le but principal de tous les procédés.
L'Anglais Taylor a pompeusement qualifié de 5/é?îO(7m;)Aie-
modèle [an universal standard for stenography) un pro-
cédé dont il n'était pas, à beaucoup près, le premier in-
venteur. Dans un moment où l'étude de la langue anglaise
est si généralement répandue , personne n'ignore que la
plus grande jiartie des mots de cet idiome ne finit jamais
par une voyelle si ce n'est l'e muet. Comme dans l'aile-
mand, les consonnes doubles et triples y sont très-multi-
pliées. On peut donc, sans nul danger, se passer des
voyelles, non-seulement au commencement et au milieu des
mots, mais encore à la fin. Cela serait impossible en fran-
çais. Théodore Berlin admettait des signes virgulaires ou
des points pour remplacer les voyelles au commencement
et à la fin des locutions , où elles jouent un rôle essentiel.
Nous avions cherché ensemble et trouvé le moyen de lier
comme les autres les signes minuscules; mais l'alphabetsté-
nographique tel que Berlin l'a donné dans la troisième et
dernière édition de son ouvrage, en 1803, est loin d'être sa-
tisfaisant. Dans la pratique , j'y ai fait des additions et de*
STÉNOGRAPHIE — STEPPES
320
modifications considérables. Pour donner dès à présent
une idée superficielle de ma sténographie, je dirai que j'ai
complété l'alphabet des consonnes qu'un de mes rivaux ,
leu Conen de Prépéan, avait tort de considérer comme par-
fait. J'exprime sans réserve, quelle que soit leur position
relative, toutes les nasales qui font partie des sons carac-
téristiques de notre langue. Aucune voyelle , aucune diph-
thongue, ne sont omises , ni au commencement ni à la (in
des mots. La plupart des voyelles pénultièmes sont rigou-
reusement conservées. Le point et la virgule ou la cédille
isolés ne sont plus employés que comme des indicules abré-
viateurs de plusieurs mots ou parties de mots. Les termes
les plus longs, tels queperpendiciilaircment, anticonstitu-
tionnel, etc., sont tracés dans un seul monogramme; les
signes arbitraires adoptés pour certaines désinences sont
liés eux-mêmes au corps du mot. La plus grande partie
des voyelles centrales est encore supprimée , mais avec la
faculté de les insérer dans les noms propres et les termes
techniques. Les voyelles mineures et les signes diacritiques
usités parles orientalistes m'ont fourni à ce sujet des idées
que j'ai mises à profit. La sténographie de ïaylor et de
Bertin modifiée de cette manière ne perd rien sous le rap-
port de la vitesse, mais gagne considérablement sous celui
de la c|arté. Breton.
STÊIX STURE , administrateur du royaume de
Suède , de l'an 1470 à l'an 1504, descendait d'une fort an-
cienne famille. Son père s'appel.iit Gustave Stuke, etsamère
était sœur du roi de Suède Charles Vlll Knulson. A la
mort de Charles YIII, il fut proclamé administrateur du
royaume, et la Suède se trouva très-bien de sa longue ad-
ministration.
En effet, si le roi de Danemark parvint à se faire recon-
naître pendant quelque temps en qualité de roi en Suède,
Stên Sture n'en réussit pas moins à conserver son pou-
voir quasi-royal, en dépit de l'esprit factieux de la noblesse
et malgré les nombreuses révoltes qui résultèrent de ces
dispositions des esprits. Stên Sture introduisit en Suède l'im-
primerie, fonda 1'uuiver.sité d'Upsal, et y attira bon nombre
de savants étrangers. Sans dissoudre en fait l'union de
Calmar, il réussit, par riiabileté de sa politi(iue, à faire
en sorte que la Suède demeurât en réalité indépendante
du Danemark , ou tout au moins que l'union des deux pays
n'eût point de conséquences nuisibles à la prospérité de sa
patrie. Il mourut en 1504.
INous devons aussi une mention aux deux administrateurs
du royaume de Suède qui lui succédèrent : Sirante Nilson
Stên Sture (1504-1512), qui descendait de la famille Natt
og Dag (Nuit et Jour), et son fils, le généreux Stèn Stcre
le Jeune (1512-1520). Ces deux hommes protégèrent
pendant l'espace de seize années leur patrie contre les en-
treprises du Danemark , et la nation contre l'oppression
du clergé, de même que contre le joug, quelquefois bien au-
trement insupportable , de la noblesse. La lutte que Stên
Sture le jeune eut à soutenir contre l'archevêque Trolie fut
en outre une lutte contre l'aristocratie, faisant cause com-
mune avec le clergé pour asservir la nation. Blessé mor-
tellement à la bataille de Jœnkœping, livrée contre les
Danois, Stên Sture mourut en 1520.
STEIXTOR, un des héros qui, descendus sur les
rives d'Ilion, concoururent à venger Ménélas. Il était doué
d'une voix si forte qu'Homère le nommait le guerrier à la
voix (Vairain, qui retentissait comme celles de cinquante
hommes à la fois. Il était de Thracc selon les uns, et d'Ar-
cadie selon les autres. Ayant voulu lutter contre les pou-
mons immortels et infatigables de Mercure, ses efforts
furent vains, et il perdit la vie dans ce nouveau genre de
combat, ou peut-être fut-il tué, à cause de son audace, par
le dieu lui-même.
On dit figurément d'un homme dont le timbre vocal
est très-grave et très-sonore en même temps, qu'il a %ine
voix de Stentor ; les plus ignorants parmi le peuple disent
une voix de Centaure.
STEPHANIE DE BADE (La grande-duchesse).
Voyez Beauuarnais, tome II, p. 665.
STEPIIENSON ( Georges) , l'un des hommes qui ont
eu le plus de part à la création des chemins de fer, au-
jourd'hui réi)anilus dans toutes les parties de l'univers civi-
lisé, était le fils d'un pauvre charbonnier des environs de
New-Castle, et naquit le 8 juin 1781. Sa première occupa-
tion consista à servir les machines à vapeur qui fonction-
naient à l'ouverture des fosses à charbon. Il y prouva ses
dispositions naturelles pour la mécanique en réparant un
corps de pompe et en y exécutant divers travaux que des
ingénieurs avaient iimtilemenl ent?epris 11 fut alors promu
au grade d'inspecteur et se fit remarquer par la manière
dont il dirigea l'exploitation de la grande houillière de lord
RavenswoodjàDarlington. En 1812 il construisit la première
locomotive, et ce fut à l'usage d'un chemin à ornières qu'on
y avait créé. En même temps que sir Humphrey Davy, il eut
le mérite d'inventer une lampe de sûreté à l'usage des mi-
neurs, ce qui lui valut un prix d'honneur de 1,000 guinées.
Dans le banquet qui lui (ut offert à cette occasion , il déclara
qu'il consacrerait cet argent à l'éducation de son fils Ro-
bert , chez qui plus tard une instruction scientifique com-
pléta le génie naturel qu'il tenait de son père. C'est sous la
direction de Georges Stephenson que fut achevé et terminé,
en 1825, le premier chemin de fer qui ait été livré à la cir-
culation , celui de Stockton à Darlington. Pour le chemin
de fer de Liverpool à Manchester il offrit de construiie une
locomotive avec laquelle on pourrait faire rfij; ?«//^e.9 d'An-
gleterre à l'heure. Le comité du parlement auquel il soumit
ses plans le traita comme un visionnaire ; mais à l'épreuve il
tint plus que ce qu'il avait promis : sa locomotive faisait en
moyenne quinze milles à l'heure. Il obtint le prix, et opéra
ainsi la plus grande révolution qui ait eu lieu en mécanique
depuis l'invention de la macliine à vapeur par Watt. La répu-
tation de Stephenson fut désormais assurée , et dans la ma-
nufacture de machines qu'il créa à Liverpool il fit des bé-
néfices considérables. Secondé par son fils, il conduisit les
machines ii vapeur à la perfection qu'elles possèdent aujour-
d'hui ; et c'est lui aussi qui fournit aux premiers chemins
de fer créés en Angleterre, en Améri(]ue et sur le continent
européen, les premières locomotives nécessaires à leur ex-
ploitation. En reconnaissance des services rendus par lui
à la création des chemins de fer ainsi qu'à l'industrie en
général, il a été décidé en 1845 que sa statue ornerait le
grand pont jeté sur la Tyne pour le service des chemins de
fer et appelé Stephenson-bridge. Vers la fin de la même
année il était en outre devenu propriétaire de plusieurs
immenses forges et des houillières de Claycross.il mourut
à Tapton-house, près de Chesterfield , le 12 août 1848.
STEPHENSON (Robert), fils du précédent, né en 1803,
à Wilmington , fit ses études à l'université d'Edimbourg, et
seconda ensuite son père dans ses entreprises et ses travaux
d'ingénieur. Lui aussi il remporta un prix de 500 liv. st. qui
avait été proposé pour la construction de la meilleure loco-
motive. En 1832 on lui confia l'exécution du chemin de
fer projeté entre Liverpool et Birmingham ; et il en vint à
bout, malgré les difficultés que présentait un tel travail. En-
suite, les chemins de fer de Blackwall, de Norfolk, d'Ayles-
bury et divers autres encore furent construits sous sa
direction. Mais son œuvre capitale reste cependant la cons-
truction du pont en tubes jeté sur le canal de Menai
{voyez Britanmv [Pont]), commencé en 1847, terminé
en 1850, et qui est regardé comme l'un des prodiges de
notre siècle. Stephenson a aussi tracé un projet de chemins
de fer à travers l'isthme de Suez , de même que fourni les
plans pour la construction de diverses voies ferrées en An-
gleterre et en Suède. De 1846 à 1849 il construisit le pont
sur la Tyne qu'on voit à Ncw-Castle ; et en 1853 il se rendit
au Canada pour y commencer des travaux analogues près
de Montréal. Membre du paileraent pour Whitby depuis
1847, il vote avec le parti conservateur. En 1850 il fut aussi
nommé membre de la commission chargée d'organiser l'ex-
Z90
STEPPES — STERLING
position universelle. Parmi les écrits qu'on a de lui, nous ci-
terons ses Observations sur la construction des chemins
de fer atmosphériques.
STEPPES. Ce mot de la langue russe ou slavone est
adopté dans la géographie pour désigner des plaines im-
menses, presque nivelées, d'un aspect uniforme. Il y a peu
Ae steppes en Europe; mais une partie assez considérable
de l'Asie et de l'Afrique est ainsi nivelée, sans montagnes
qui servent de réservoirs pour les eaux des sources ; et
elle se trouve condamnée à une stérilité que les travaux de
l'homme ne pourront peut-être jamais faire cesser. Le soi
montagneux de l'Amérique n'a peut-être pas de plaines
assez étendues pour mériter le nom de steppes, quoique le
niveau s'abaisse beaucoup dans l'hémisphère austral , et que
les terres magellaniqîies , les pampas, elc, aient beaucoup
d'analogie avec les contrées asiatiques nommées Tatarie
indépendante , Daourie et Mantchourie , dont la majeure
partie est composée de steppes. En Afrique, au sud de l'Atlas,
les plus redoutables de tous les steppes n'opposent pas seu-
lement aux voyageurs leurs sables arides et leurs chaleurs
excessives ; mais les animaux les plus féroces parcourent
ces déserts, et des brigands encore plus à craindre y guet-
tent les caravanes. En Asie, quelques steppes de la Sibérie
ont reçu des colonies qui y prospèrent ; tel est , par exemple,
le steppe barabine , entre l'Ob et l'Irtisch , plaine dont l'é-
tendue égale à peu près celle de la France. Aucun n'est
privé d'eau, comme ceux du nord de l'Afrique; et, à l'ex-
ception d'un très petit-nombre , tous se couvrent au prin-
temps d'une verdure magnifique , et offrent de riches pâtu-
rages aux troupeaux des tribus nomades : il serait donc
possible d'en tirer plus de profit et de les disposer pour
produire des moissons non moins abondantes que les four-
rages dont ils se montrent si prodigues. Vers la fin de l'été,
lorsque ces hautes herbes desséchées sont cassées et trans-
portées par les vents , elles se roulent en pelotes énormes ,
dont le diamètre est quelquefois de huit à dix mètres. La
Russie d'Europe a aussi des steppes depuis la mer Glaciale
jusqu'au pied du Caucase; ils sont désignés, comme ceux
de la Sibérie , par les fleuves qui fixent leurs limites. Celui
qui s'étend entre le Dniepr et le Boug, et se prolonge jusqu'au
Don , n'est que médiocrement cultivable , et cependant on y
a placé des colonies. Entre le Don et le Volga s-étend une
autre plaine moins fertile , mais riche en charbon de terre ;
quelques arts y trouveront les moyens de s'exercer; et des
cultures dirigées avec intelligence pourront améliorer le sol.
Aujourd'hui même les Kosaks du Don ont quitté la vie de
asteurs serrants; il cultivent et plantent : leur pays chan-
gera d'aspect et ne méritera plus le nom de steppe. Ferry.
STEPPIIMG-MILL. Voyez Moulin A Marches.
STERCÙLÉE ou STERCULIER ( iÇotani^Me) , genre
formant le type de la tribu des sterculiées dans la famille
des sterculiacées , composé d'arbres et caractérisé par des
fleurs dioiques à la suite d'avortement , un périanthe sim-
ple, des élamines en nombre indéfini, à filets soudés en
tube, un fruit capsulaire, indéhiscent. Plusieurs espèces
de sterculiers donnent des fruits comestibles. En Chine,
on mange les fruits du sterculier ù feuilles de platane.
Les nègres font un usage journalier des noix de gourou ou
cola , tirées de deux sterculiers d'Afrique. Une autre es-
pèce d'Asie et une espèce du Brésil donnent des fruits que
l'on emploie comme nos châtaignes. Enfin , un sterculier
d'Afrique et un sterculier d'Asie fournissent de la gomme.
STEKE(du grec cTepeôç, solide). On appelle ainsi,
dans notre nouveau système métrique , l'unité de volume
• qu'on emploie pour mesurer les bois. C'est le mètre cube.
STÉRÉOMÉTRIE, partie de la géométrie qui en-
seigne la manière de mesurer les corps solides , c'est-à-
dire de trouver la solidité ou le contenu des corps , tels
que globes, cylindres, cubes, vases, vaisseaux, etc. Elle
est à la cubature des soHdes ce que l'arpentage est au levé
des plans.
On donne le nom de stéréotomie à la partie de la stéréo-
métrie'supérieure 'qui a pour objet la coupe des solides
(voyez Coupe des Pjerres ).
Les principes en sont exposés dans la partie de la géo-
métrie qu'on appelle géométrie descriptive. La plus fré-
quente application qu'on en fasse est pour la coupe des
pierres. Le meilleur traité de géométrie descriptive qu'on
possède est celui de Monge.
STÉRÉOTYPIE, STÉRÉOTYPAGE (du grec «jtepeoç,
solide, et tOtco;, type, caractère), art de convertir en formes
solides les planches composées avec des caractères mo-
biles. Il est probable que les premiers essais d'imprimerie ont
été devrais stéréotypes, produits avec des planches solides,
sur lesquelles se trouvaient gravés en relief tous les caractères
compris dans la page. Mais on ne donne aujourd'hui le
nom de stéréotypes qu'aux impressions laites avec des
planches coulées sur des pages composées de caractères
ordinaires ou de caractères en cuivre , gravés en creux au
lieu d'être en relief. On a longtemps regardé William
Ged , orfèvre à Edimbourg , comme l'inventeur du stéréo-
typage. Mais il est certain que les planches stéréotypées
coulées étaient connues en France dès 1735 , et que l'impri-
meur Valleyre en faisait usage. Ainsi, lorsque, en 1739,
William Ged , devenu imprimeur, publia son Salluste d'a-
près ce procédé typographique, il n'avait fait que perfec-
tionner ce dont les Français étaient les inventeurs. De nos
jours, MM. Firmin Didot et Herhan, chacun par des pro-
cédés divers , ont porté à une grande perfection l'art de la
stéréotypie , auquel MM. Foulis de Glasgow , Hoffman de
Strasbourg et Carez de Toul , avaient déjà consacré d'heu-
reux essais.
STERILITE (du latin stcrilitas),q\\aLV\té decequiest
stérile. C'est, au propre et au figuré, l'opposé de fécon-
dité. Les terrains frappés d'une stérilité absolue sont fort
rares , et généralement l'iiomme , par son travail , parvient à
améliorer sensiblement les terres les plus naturellement in-
grates.
Le mot stérilité désigne aussi une maladie particulière au
sexe, et contre laquelle il n'existe guère de remèdes. Chez
les anciens la stérilité d'une femme était une espèce d'op-
probre.
STERLET. Voyez Esturgeon.
STERLIA'G. Voyez Livre sterling.
STERLIIMG (John), poète anglais, né en 1806, à
Kaimes-Castle,dans l'île de Bute, descendait d'une ancienne
famille écossaise établie en Irlande depuis le milieu du sei-
zième siècle. Son père, Edward Sterling , né en 1773, mort
en 1847, d'abord capitaine dans l'armée anglaise, jouit
ensuite d'une grande considération comme l'un des rédacteurs
habituels du Times. Lejeune John Sterhng ,aprèsavoir suivi
les cours de l'université de Glasgow et ceux de l'université de
Cambridge, revint à Londres, où, en 1828, il acheta l'^^Ae-
naeum, journal littéraire fondé par Buckingham, et dans lequel
il publia ses premiers essais littéraires, qui furent accueillis
avec faveur. Mais l'entreprise commerciale ne réussit pas , et
Sterling se vit contraint de la céder à d'autres. Vers ce
temps-là il se lia intimement avec Coleridge, pour lequel
il s'éprit d'un véritable enthousiasme, et qui rendit sensible
aux idées religieuses son esprit, jusque là porté au scepti-
cisme. C'est sous l'empire de ces influences qu'il fit paraître
le roman iV Arthur Coningsby (3 vol., Londres, 1833), au-
quel le public fit d'ailleurs peu aitention lors de sa première
publication. Après avoir épousé une belle Irlandaise, fille
du général Barton, Sterling, pour rétablir sa santé délabrée,
alla faire une tournée aux Antilles. A son retour, il se fit
ordonner prêtre, et en 1834 il obtint la cure d'Hurstmon-
ceaux. Mais au bout de quelques mois il se dégoûta d'une
position pour laquelle il n'était fait à aucun égard, et s'em-
pressa d'y renoncer. Il s'occupa alors d'une manière parti-
culière de l'étude de la littérature allemande, et la nouvelle
intitulée The Onyx ring, qu'il lit paraître vers ce temps-là
dans le Dlackevood's Magazine , en porte la trace évidente.
Toujours malade et souffrant, il alla parcourir la France , la
STERLING — STERNE
331
Suisse, l'Italie et Madère, sans éprouver d'allégement à ses
souffrances, tout en continuant avec ardeur ses travaux litté-
raires. Indépendamment d'un grand nombre d'articles pour
le Blachu-oocfs Magazine, il composa quelques essais
remarquables pour le London and Westminster Review.
En 1839 11 publia ses Poems choisis, puis en 1841 The Elec-
tion, poëme satirique en sept livres, et en 1843 Strafford,
tragédie. Il passa les dernières années de sa vie dans la so-
ciété intime de Carlyle , de Mill, de Newman, de Théod.
Parker et autres amis distingués, qui formaient sous sa pré-
sidence une académie au petit pied. I! mourut, à la suite
de longues souffrances , le 18 septembre 1844 , à Ventnor.
Les poëmes de Sterling brillent par de belles pensées et
par une versification facile; ce qui leur manque, c'est cette
perfection et cette harmonie intérieures qui caractérisent les
productions du véritable génie poétique. Il visait à l'idéal ,
et n'était pas de force à l'atteindre. Ses Essays and Taies
ont été publiés en 1848, avec une esquisse biographique par
Hare.
STERIVE ( Lawrence) , l'un des plus célèbres humo-
ristes anglais , naquit le 24 novembre 1713, à Clonmel, en
Irlande, de Roger Sterne, pauvre olficier irlandais, qui ti-
rait quelque vanité de descendre d'un archevêque d'York,
Richard Sterne, mort en 1683. Les Sterne avaient des ar-
moiries , et pour cimier un sansonnet. Pendant les guerres
de Flandre , sous la reine Anne , Roger Sterne avait épousé
Agnès Hébert , fille du premier lit de la femme d'un four-
nisseur à peu près sans fortune. Licencié avec son régiment
en 1713, et ayant déjà alors deux enfants^ dont le se-
cond, Lawrence, était né cette même année, il s'estimait
heureux de pouvoir rentrer bientôt au service et de courir
les garnisons , parce qu'il n'avait d'autre toit pour sa femme
et ses enfants que la tente ou la caserne du soldat. Il se
trouvait au siège de Gibraltar , lorsqu'à propos d'une oie
un camarade lui cherche querelle, lui propose un duel, et
lui fait une blessure qui altère à jamais sa santé. A peine à
moitié rétabli , il est envoyé à la Jamaïque , y est atteint
de la fièvre coloniale, et expire après deux mois de souf-
frances. C'était en 1731.
Un oncle du jeune Lawrence, James Sterne, prébendier de
la cathédrale d'York , se chargea de l'orphelin , et le plaça
à l'université , où il étudia avec l'intention d'embrasser l'état
ecclésiastique : son bienfaiteur, ayant plusieurs bénéfices,
promettait de se démettre un jour d'une aumônerie en faveur
de son neveu. En effet, à peine celui-ci eut-il terminé ses
cours de théologie qu'il se vit pourvu de la cure de Stutlon.
En parent reconnaissant, il allait souvent visiter le révérend
docteur James à York , et ce fut là qu'il devint amoureux
d'une jeune personne qu'il parvint à lendre sensible, mais
qui refusa longtemps de l'épouser. Le révérend James
Sterne voulut prouver à son neveu qu'il était homme de
parole, et lui céda sa prébende d'York ; mais ce brave oncle
mit bientôt sa reconnaissance à une pénible épreuve. C'était
un whig ardent, comme devait l'être un bénéficier aussi
bien pourvu des dons de l'Église anglicane. Les événements
de 1745, où le prétendant Charles-Edouard fit sa che-
valeresque expédition d'Ecosse et d'Angleterre, réveillèrent
toutes les passions politiques des partis. Le docteur James
Sterne s'arma de la seule arme convenable à un théologien,
sa plume; ses brochures et ses articles de journaux attes-
tèrent son dévouement inébranlable à la dynastie de 1688.
Un whig aussi violent devait exiger la même exaltation de
tous les membres de sa famille : il somma donc son neveu
de prêcher et d'écrire comme lui. Lawrence ne put se prê-
ter aux fureurs anticatholiques et antijacobites de son on-
cle , qui invoqua en vain, pour l'exciter, la mémoire de leur
ancêtre l'archevêque. lien résulta une discussion, qui brouilla
l'oncle et le neveu.
Lawrence Sterne à cette époque se souciait fort peu
des réactions de l'esprit de parti ; les loisirs du jeune béné-
ficier étaient consacrés à la lecture , à la musique et à la
chasse. Un de ses parents, sir John Hall Stevenson, auteur
d'un recueil de contes passablement licencieux ( Crazy Ta-
ies) et grand bibliomane , avait réuni dans son château une
collection de légendes, de chroniques, de nouvelles , de
facéties, etc., qui plaisaient plus au jeune ministre que la
froide rhétorique ou ia ridicule emphase des sermonnaires
anglicans. Pour son compte , il se contentait de composer
lui-même des sermons sur le modèle de ces vénérables ora-
teurs, mais il rêvait quelquefois qu'il était appelé à compo-
ser autre chose , et il prenait des notes dans la bibliothèque
de son cousin, tout en observant aussi dans le même but
les personnages du monde réel qui lui paraissaient dignes de
figurer dans une galerie d'originaux.
Ce fut à la fois un grand sujet d'étonnement et de scan-
dale que l'apparition des deux premiers volumes de Tris-
tram Shandy. Cet ouvrage avait été précédé par la publi-
cation de deux sermons, qui certes n'annonçaient rien de
semblable de la part de l'auteur. Quelques censeurs sé-
vères prétendirent qu'un pareil ouvrage était une attaque
perfide contre la société tout entière. Des vanités suscep-
tibles se crurent personnellement tournées en ridicule ; en-
fin. Sterne dut être content du bruit que fit son Tristram;
car un écrivain qui bâtit son œuvre sur le paradoxe calcule
principalement sur un succès de bruit. Mais il y avait mieux
que des paradoxes dans Tristram , et le jugement de quel-
ques critiques délicats fit connaître à Sterne cette jouissance
plus pure que procure la gloire. Pour mieux braver ses dé-
tracteurs et ses envieux , il accepta complètement le rôle
d'auteur bouffon ; et, prenant le nom de Yorick , ce fou de
cour dont Hamlet fait une si touchante oraison funèbre , il
publia deux volumes de sermons par Yorick. Aux sermons
succédèrent les tomes subséquents de Tristram Shandy ,
puis de nouveaux sermons , puis encore une suite de Tris-
fra,n,etle Voyage sentimental , en 1768.
La plupart des anecdotes de ce dernier livre sont biogra-
phiques. La Fleur, ce fidèle valet de chambre français qui
survécut à son maître , en confirma les détails. Ces anec-
dotes, qui se lient d'ailleurs très-bien avec toutes celles que
racontent les amis de Sterne en Angleterre , nous pennet-
tent d'apprécier à la fois son caractère et son génie. Évidem-
ment, le nouvel Yorick avait toutes les inégalités d'humeur,
tous les caprices aimables ou quinteux d'un tempérament
maladif. Soumis à toutes les influences de l'air comme un
valétudinaire, il finit par systématiser cette inconstance
d'esprit. Du reste, honnête homme et bon père de famille,
il n'abusa jamais de sa réputation d'originalité , comme tant
de prétendus hommes célèbres , pour commettre de ces
actes qui compromettent au moins la probité des auteurs.
Le puritanisme seul a pu le classer parmi les ennemis de
la morale publique, qui font d'un livre un instrument de
corruption. La licence de Sterne ne s'adresse qu'à l'esprit;
elle fait rire et non rêver : si quelque expression pèche con-
tre le goût , elle est bientôt suivie d'un appel si tendre et
si délicat à notre sensibilité , que la larme de l'ange , qui
efface le jurement de l'oncle Tobie dans les registres du
ciel, doit tomber aussi sur la page équivoque de Sterne.
Qui croirait en France, où Sterne a tant d'imitateurs ,
c'est-à-dire d'esprits fantasques qui se croient de force à
l'imiter; qui croirait que Sterne a pu être accusé de plagiat ?
accusation singulière contre un homme qui ne parle jamais
qu'en son propre nom , et se met si souvent en scène à côté
de ses personnages. La vérité est que Sterne a transporté
dans sa phraséologie saccadée des sentences entières ex-
traites d'anciens auteurs français et étrangers. On a exa-
géré beaucoup ces larcins , sans doute, mais ils existent; et
quoique Sterne reste un auteur original parce qu'il a volé ,
comme Molière et Voltaire, en pouvant dire : « Je prends
mon bien où je le trouve , » il n'en est pas moins vrai que
ces emprunts, qui ne sont pas tous des réminiscences , prou-
vent qu'il calculait jusqu'aux élans de sa sensibilité. Son
style se ressent de celte érudition, ou plutôt de cette affecta-
tion. Sans sentir la mosaïque ou le pastiche , quelques-unes
de ses pages les plus chaleureuses n'ont peut-être qu'une
532
STERNE — STETTIN
vie factice; il appelle trop souvent à son secours les mots
d'une soi-disant haï monie imitative, les singularités d'une
ponctuation extraordinaire. Toutefois, ce sont les bagatelles
de la porte , si l'on pesit parler ainsi , et le spectacle inté-
rieur vaut mieux que la grimace du paillasse.
Vers 1760, lord Faicombridge avait donné à Sterne la
cure de Coxwould , qui semblait devoir être le Meudon du
Rabelais anglais ; mais son humeur inquiète et sa santé l'a-
vaient entraîné presque tous les ans dans quelque voyage
en France et en Italie, où sa femme et sa fille bien aimée
l'accompagnaient. Il était venu à Londres pour faire impri-
mer son Voyage sentimental, et il semblait n'avoir plus
d'autre but que de fixer enfin sa vie un peu vagabonde dans
le cercle paisible de sa famille. Toutefois, des lettres publiées
depuis sa mort prouvent que le pauvre Yorick avait ton-
jours besoin d'un roman à côté de la réalité, d'une maî-
tresse à coté de sa femme. 11 avait rencontré en France
Éliza Draper, cette dame indienne que Raynal apostrophe
si emphatiquement dans son emphali'que histoire, et il en
était devenu amoureux an point de lui écrire pour lui pro-
poser de l'épouser dès qu'il serait veuf, ce qui ne pouvait
tarder bien longtemps encore, vu la mauvaise santé de sa
femme. Éliza répondait qu'elle épouserait volontiers un vieil-
lard aimable. Mais le souffreteux Yorich était plus vieux ,
c'est-à-dire plus près de sa fin qu'il ne croyait. Une courte
maladie l'enleva, en lévrier 17G8. Amédée Picuot.
STERIXÉBRÉS ( Animaux). On appelle ainsi les ani-
maux qui sont pourvus d'un st emum.
STERiVOXE (du grec aifpvov, poitrine, et o%-j-, aigu),
famille ou tribu d'insectes coléoptères comprenant ceux
dont le sternum se prolonge en pointe par devant et par
derrière.
STERIXUM, os situé tout le long de la partie antérieure
et moyenne de la poitrine, qui est composé dans les adultes
de trois pièces : une supérieure , qui a la figure d'un hexa-
gone irrégulier; une moyenne, de la figure d'un carré oblong;
et une inférieure, la moins considérable des trois , cartila-
gineuse, et qu'on nomme cartilage xiphoïde. Chez les en-
fants, le sternum est composé de plusieurs pièces suivant
les différents âges, c'est-à-dire de cinq, de six, sept et môme
quelquefois huit pièces.
Le sternum forme avec les côtes la cape osseuse désignée
sous le nom de thorax.
STERA^UTATÎON. Voyez Éternuemest.
STERNUTATOÎRES (du latin stermitare, éternuer).
On désigne ainsi, en thérapeutique, les remèdes destinés
à être introduits dans le nez et qui provoquent l'éter n ue-
ment. La membrane pituitaire, qui tapisse tout l'intérieur
des narines, est tellement susceptible d'irritation , par suite
des ramifications du nerf olfactique et de l'oplithaimique
qui rampent sur toute sa surface, qu'aucun corps ne sau-
rait la toucher sans produire cet effet. Il y a cependant des
agents thérapeutiques qui possèdent plus spécialement cette
vertu. On les désigne sous le nom d'e rrhins. Le plus grand
nombre appartiennent au règne végétal. iXous citerons le ta-
bac, le marum, le romarin , l'iris , la bétoine, la lavande,
la marjolaine et l'origan. Utiles dans les ophthalmies en gé-
néral, les sternutatoires sont dangereux pour les individus
sujets à des hémorrhagies et surtout à des hémoptysies , ou
encore menacés de phlhisie, de même qu'aux femmes grosses
ou aux sujets qui ont des hernies.
STÉROPÈS. Voyez Cyclopes.
STÉSICÏIORE , célèbre poète grec , natif de Himera en
Sicile, florissait vers l'an 612 av. J.-C. , et mourut dans un
âge fort avancé, aveugle déjà depuis longtemps. Toujours
gai et actif, il charmait tout le monde par la grâce et l'éner-
gie de ses chants; aussi les anciens, célébrant sa naissance
et sa mort par un mythe, disaient-ils qu'un rossignol était
venu se placer à la dérobée et en chantant sur les lèvres de
l'entant nouveau-né, et que parvenu au terme de la vie,
c'est sous la forme du cygne d'Apollon qu'il avait exhalé le
dernier et harmonieux soulfle de sa poétique existence. La
' tradition rattachait aussi sa cécité à sa psalmodie sur Hé-
lène. Ses poésies, dont l'antiquité possédait vingt-six livres ,
étaient composées en dialecte dorien, et par leur genre se rat-
tachaient au genre lyrique lorsqu'il traitait lyriquement un
sujet épique, forme qui se prêtait à l'emploi des chœurs Les
fragments qui en sont parvenus jusqu'à nous ont été re-
cueillis et commentés par Bloomfiekl dans les Poetse mi-
nores Grœci de Gaisford (3* vol., Leipzig, 1823), dans les
Delèctus Poesis Grsecorum elegiacx (3" parlie, Gœtlmgue,
1839), etc. Kleine en a aussi donné une édition à part
(Berlin, 1828).
STÉTHOSCOPE (du grec 5x7560;, poitrine, et
ffy.oTtc'w, je considère), instrument dont on se sert pour
Vauscultation. Il y en a de différentes formes, mais le
plus ordinaire est une espèce de cornet acoustique , formé
d'un cylindre de bois ou de métal percé dans toute sa lon-
gueur d'une ouverture qui présente la figure d'un entonnoir.
Y'oux discuter &S&C le stéthoscope, Tobservatenr tient ce cy-
lindre comme une |)lume à écrire; il place l'extrémité de
l'instrument sur le point de la poitrine ou du corps qu'il
veut explorer, en ayant soin qu'il soit appliqué exactement;
il pose son oreille à l'autre extrémité de l'instrument, perçoit
les sons produits par le mouvementdes organes qu'il examine
et reconnaît ainsi les altérations qu'ils peuvent avoir épiou-
vées. Le plus souvent aujourd'iiui les médecins consultent
à l'oreille nue et sans se servir du stéthoscope.
STETTIIV, chef-lieu de la Poméranie, province de
Prusse, et de l'arrondissement du même nom, place forte
et importante ville de commerce, est située sur l'Oder, assez
bien bâtie, et compte 50,000 habitants. A Steltin l'Oder se
partage en quatre bra^^, à savoir l'Oder, la Parnitz, la grande
et la petite Reglitz, qu'on traverse tous sur des ponts en bois.
La forteresse proprement dite est située sur la rive gauche
de l'Oder; la rive droite est occupée par le faubourg Z05-
tadie, qui est enfermé parla Parnitz, par des remparts , et
quelques marais. Au delà des fortifications se trouvent les
faubourgs d''Oberwieck et (TUnterwieck, et celui de Tornoj.
La Lastadiees^t reliée par deux ponts à la ville proprement
dite. Parmi les édifices publics on remarque surtout le grand
châieau, la Maison du Gouvernement, la Maison de la Pro-
Tince avec une importante bibliothèque, l'ancien arsenal, la
grande caserne, les trois hôpitaux, la bourse et la nouvelle
salle de spectacle. Sur la place royale s'élève la statue de
Frédéric le Grand, et sur la place de la parade, devant le
nouveau théâtre, celle de Frédéric-Guillaume III. On trouve
à Stettin un gymnase pourvu d'un observatoire, une école
de commerce, un séminaire pédagogique, une école de des-
sin, une école de pilotes, une école de construction de
navires, une maison d'accouchement, et de très-larges fon-
dations pour les nécessiteux. Cette ville est le centre de
beaucoup de manufactures et de fabriques importantes,
notamment d appareils à incendie, de savon , de cuir, de ta-
bac, de drap, de chapeaux, de bas, de colonnades, de
sucre, de liqueurs, de fil, de ruban et de toile à voile. H
s'y trouve une forge à ancres, où l'on confectionne toutes
les ancres nécessaires au service de la marine prussienne,
un atelier pour la construction des machines, et on y
construit beaucoup de vaisseaux. Le commerce, surtout
le commerce d'expédition, est considérable; et le commerce
maritime comprend la Hollande, l'Angleterre, la France,
l'Espagne, le Portugal , l'Italie et une grande partie de l'A-
mérique. C'est de Stettin que s'expédient la plupart des pro-
duits naturels et manufacturés de la Silésie. Le commerce
des bois constitue l'une de ses branches d'industrie les plus
importantes. La ville possède en propre pour les relations de
son commerce 200 navires. Son véritable port pour les na-
vires d'un fort tirant d'eau est Swinemunde.
Stettin , le Sedinum des anciens , appelé plus tard Stet-
tinum, fut fondé par les Slaves, se fit admettre au moyen
âge dans la li'i'ue hanséatique, et fut à diverses reprises la
résidence des ducs de Poméranie. En 1570 un traité de paix
y fut signé entre le Danemark et la Suède. En 1630, par suite
STETTIN — STIEGLITZ
833
du traité conclu avec le dernier duc de Poméranie, cette ville
fut occupée par les Suédois , à qui la paix de Westphalie en
attribua la possession délinilive. Dans la guerre du Nord,
cette ville fut prise par les alliés en t713, puis cédée à la
Prusse par la paix de Stockholm de 1720. Le 29 octobre 1806
Stettin ouvrit ses portes sans résistance aux Français , qui
continuèrent de l'occuper jusqu'au 5 décembre 1813.
STETTIi\ER HAFF. Voyez Haff.
STEUBEIX (Charles) est né en 1791, à Mannbeim, et
vint de bonne heure à Paris , où il forma son talent sous la
directiondeDavid,deLefèvreetdn baron Gros. En 1813, son
premier tableau, Pierre le Grand sur le lac Ladoga, produi-
sit une vive sensation. Plus tard, il traita plusieurs sujets d'a-
près des poètes allemands , par exemple le Serment des trois
Suisses sur lemont Rutli, Guillaume Tell repoussant la
barque, etc. En 1819 il peignit Lévêque saint Germain,
que le roi Chilpéric charge de distribuer ses trésors aux
pauvres. Parmi ses toiles les plus célèbres il faut mentionner
son Pierre le Grand, enfant, sauvé par sa mère de la
fureur des strelitz, le Retour de Napoléon de Vile
d'Elbe et la Mort de Napoléon. On est en droit de repro-
cher à la plupart de ces compositions, où il manie les moyens
d'exécution avec une grande habileté technique, de pécher
par l'exagération de l'expression. Cet artiste a peint au
conseil d'État et au musée de Paris des fresques historiques
et allégoriques, d'un coloris large et brillant et d'une exécu-
tion parfaite. On voit de lui au musée historique de Versailles
une suite de toiles remarquables, entre autres les batailles
de Tours, de Poitiers et de Waterloo. Parmi ses nombreux
tableaux de chevalet, il faut en outre mentionner Esmeralda,
composition pleine de grâce et de sensibilité, Judith et
Holopherne, Agar devant Abraham, Joseph et la femme
de Putiphar. Ses portraits surtout sont remarquables par
la vérité, l'énergie et le coloris, par exemple ceux de Na-
poléon, du prince de Prusse, d'Alexandre de Humboldt, etc.
STEWART (Sir Chaules). Voyez Londonderry.
STEVVART (Dugald), célèbre philosophe écossais,
né à Edimbourg , en 1753, était (ils de Matthew Stewart,
professeur de mathématiques à l'université d'Edimbourg,
auquel il succéda à l'âge de vingt-deux ans. En 1778, le doc-
teur Adam Ferguson ayant accompagné, en qualité de se-
crétaire, les commissaires envoyés en Amérique pour traiter
de la paix, Stewart fut chargé de faire pour lui le cours de
philosophie; et il obtint de si brillants succès dans son en-
seignement philosophique , qu'à partir de 1785 il résolut de
s'y consacrer exclusivement. Après avoir professé jusqu'en
1810, il se retira à la campagne, où il mourut, le 11 juin
1828. Ses ouvrages se rattachent à ceux de P.eid. Les plus
importants sont ses Eléments ofthePhilosophyofthehu-
man 7nind{3 vol., Edimbourg, 1792); ses OutUnes of moral
Philosophy (1793; traduit en français par Joufl'roy); ses
Philosophical Essays (I8l5);etsa Philosophy ofthe ac-
tive and moral Powers (1828).
En même temps qu'il éclairait la jeunesse par ses savan-
tes leçons, Dugald Stewart rendait à ses compatriotes un
service d'un autre genre : il avait consenti, à partir de 1780,
à recevoir dans sa maison, comme élèves particuliers, des
jeunes gens de famille, qu'il dirigeait dans leur conduite
comme dans leurs études, et qu'il formait par son exemple
aux vertus sociales et aux manières du monde. Dans le nom-
bre, on en compte plusieurs qui sont devenus depuis des
personnages éminents , tels que lord Belhaven , le marquis
de Lothian, M. Muir Mackenzie de Delvin, lord Ashburton,
le comte deWarwick, le comte de Dudley, lord Palmerston
et son frère M. Temple, M. Sullivan, etc. Sa maison était
d'ailleurs le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de plus
distingué à Edimbourg ; au nombre de ceux qui la fréquen-
taient le plus assidûment se trouvaient le marquis de Lans-
downe, depuis premier nlinistre, et le comte de Lau-
derdale. Dugald Stewart fit avec ses élèves plusieurs excur-
sions sur le continent, notamment en 1783 et en 1787. 11
accompagna en 1806 sou ami Lauderdale à Paris, dans une
mission politique dont celui-ci fut chargé après la paix d'A-
miens. A la suite de cette mission, Stewart obtint une siné-
cure avantageuse, qui lui procura une honorable indépen-
dance. Pendant le ministère de lord Lansdowne, il fut
chargé de rédiger la Gazette d'Ecosse. Dans ses divers
voyages en France, il avait eu occasion de se lier avec plu-
sieurs des hommes les plus célèbres de notre pays , et il en-
tretint avec quelques-uns d'entre eux un commerce de let-
tres jusqu'à sa mort.
STEWART -DENHAiM (Sir James), économiste
anglais, né à Edimbourg, en 1713, était fils d'un procureur
général d'Ecosse. Compromis dans l'échauffourée du pré-
tendant Charles-Edouard , et exclu de l'acte d'amnistie
rendu après cette levée de boucliers, il se réfugia en France,
et s'établit à Angoulôme, où il se livra d'une manière toute
particulière à l'étude de l'économie politique. Après la paix
de 17C3 il lui fut permis de revenir en Angleterre, où il fit
paraître l'ouvrage qui a pour titre : An Enquiry into the
Princïples of political Economy. Il est divisé en cinq li-
vres. Le premier traite delà population et de l'agriculture;
le second , du commerce et de l'industrie ; le troisième , des
monnaies; le quatrième, du crédit, des dettes, de l'intérêt
de l'argent, des banques, du change et du crédit public ; le
cinquième, des impots et de la meilleure application de leurs
produits. Précurseur d'Adam Smith , Stewart combat la li-
berté commerciale, et se fait l'avocat du système protecteur.
En 1771 il s'occupa gratuitement de recherches sur le meil-
leur mode de fabrication que la Compagnie des Indes pour-
rait employer pour ses monnaies. Il mourut en 1780.
STHENIE ( du grec dOévoç , force ). Dans la théorie mé-
dicale de Brown, ce mot désigne l'état de plus grande
énergie des phénomènes de la vie, notamment de la respi-
ration et de la circulation du sang. La sthénie, quoiqu'elle
ne soit pas en elle-même un état morbide, et que jus-
qu'à un certain point même elle annonce un état de bonne
santé , dégénère en maladie quand l'accroissement de l'ac-
tivité vitale amène des désordres dans les fonctions isolées
et des déviations de l'état normal. Brown donnait le nom
à'asthénie à l'état directement opposé. La médecine actuelle
a renoncé à l'emploi de ces deux termes.
STHÉiXO ou STÉNO. Voyez Gorgones.
STIliBE (du latin stibium, antimoine). On appelle ainsi,
en thérapeutique, les médicaments dont l'antimoine forme la
base.
STICHOMAIXCIE (du grec ffti'xo;, vers, et [xavcei'a,
divination). C'est l'art de deviner l'avenir en tirant au sort
des billets sur lesquels sont inscrits des vers ou de courtes
sentences , usage qui remonte à une haute antiquité, tant en
Orient qu'en Occident. Chez les Romains, où cette pratique
était très-usitée, on ouvrait au hasard les œuvres d'un
poète , ou bien on inscrivait sur de petites planches des
vers empruntés à dilférents poètes, et on les mêlait dans
une urne. On tirait ensuite de bons ou de mauvais présages,
suivant la nature des sentences ou le sens des vers que le
hasard en faisait sortir. Les vers des sibylles et les poésies
de Virgile et d'Homère servaient de préférence à cet usage.
STICHOMÉTRIE (du grec axly^o-,, vers, et tJiÉTpov ,
mesure). Les anciens nommaient ainsi l'usage décompter
et numéroter les lignes d'un manuscrit, afin de pouvoir, en
l'absence de paragraphes et de chapitres ( genre de divisions
qu'on ne connaissait point encore alors), supputer autant
que possible l'étendue d'un ouvrage. Le premier exemple
qu'on trouve de cette pratique est dans la bibliothèque d'A-
lexandrie, puis dans les rouleaux des papyrus déterrés à
Herculanum. Ordinairement on mentionnait à la fin d'un
manuscrit combien il contenait de lignes. Par exemple, on
voit que les œuvres de Démosthène se composaient de
60,000 Hgnes ou utixoi , stiques. L'habitude était aussi de
compter le nombre de vers ou de lignes contenus dans les
œuvres des poètes.
STICHOSTÈGUES. Voyez Foraminifères.
ST]£GLITZ (Jean), l'un des plus célèbres médecin»
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STIEGLITZ — STILICON
praticiens des temps modernes, naquit de parents israélites,
le 10 mars 1767, à Arolsen, dans la principauté de Waldeck,
fut élevé à Gotlia, et, après avoir étudié la philosophie à
Berlin, alla suivre les cours de la faculté de médecine de
l'université de Gœttingue, où il fut reçu docteur en 1789.
Après s'être établi, dès la même année, à Hanovre, il em-
brassa la foi protestante en 1800, et fut nommé, dès 1802,
médecin de la cour. 11 est mort le 31 octobre 1840. On a de
lui : Essai d'un traitement plus rationnel de la fièvre
scarlatine (Hanovre, 1806); Sur le Magnétisme animal
(iSli ) ; Recherches pathologiques {2 vol., Hanovre, 1832);
De r Homœopathie (1835).
STIEGLITZ ( Louis, baron de ), chef de la célèbre maison
de banque de ce nom , à Saint-Pétersbourg , frère du précé-
dent, naquit en 1778, à Arolsen. Il était complètement sans
fortune en arrivant en Russie; mais par son génie, éminem-
ment commercial, et par son infatigable activité , il inspira
une confiance si générale et si grande, qu'il ne tarda pas à se
trouver dans la plus brillante position et à jouir du crédit
le plus étendu, en même temps qu'il exerçait une influence
de plus en plus grande sur les développements du commerce
et de l'industrie en Russie. C'est surtout à lui que ce pays est
redevable de l'établiss-ement d'un service régulier de bateaux
à vapeur entre Lubeck et Saint-Pétersbourg, création de-
venue si importante pour la civilisation et l'industrie de la
Russie. Il n'a pas exercé une influence moins utile sur toutes
les grandes opérations de crédit et de finances entreprises
de nos jours par cette puissance. En toutes circonstances il
se montrait le protecteur éclairé et généreux des savants et
des hommes de talent, et sa maison à Saint-Pétersbourg était
le rendez-vous habituel des notabilités en tous genres. En
1825 l'empereur lui accorda la dignité héréditaire de baron
de l'empire. Il mourut à Pétersbourg, le 18 mars 1843. Son
fils Alexandre , baron de Stieglitz , continue les affaires
de la maison.
STIGMATE ( en grec ffTtY|ji,a, dérivé de ffriÇw, je pi-
que) , corps glanduleux , ordinairement lubrifié, destiné à
retenir les grains de p o 1 1 e n , et formant le sommet du style.
Dans certaines plantes où le style manque , le stigmate est
sessile, c'est-à-dire immédiatement attaclié à l'ovaire. Quand
les carpelles sont libres, il y a autant de stigmates que de
carpelles ; mais lorsque les carpelles sont soudées en un
pistil unique, le nombre des stigmates est déterminé par
celui des styles ou des divisions du style. En général, le
stigmate est terminal, ou situé au sommet du style ou de
l'ovaire ; il est latéral quand il occupe les côtés du style ou
de l'ovaire.
On donne encore le nom de stigmate, en botanique, à
un petit mamelon qui surmonte les globules verdàtres qu'on
observe dans l'inyolucre des prêles, ainsi qu'à la pointe
caduque qui termine la columelle des mousses.
Dans l'entomologie, les stigmates sont des ouvertures
placées sur le côté du corps des insectes. Ces ouvertures
sont les orifices des trachées ou canaux aériens. On appelle
aussi stigmate la partie du bord externe de l'aile des hymé-
noptères qui est plus épaisse que le reste.
Chez les anciens, on appelait stigmates une marque
qu'on imprimait sur l'épaule gauche des soldats qu'on en-
rôlait. On a également donné ce nom aux marques des plaies
de Jésus-Christ , qu'on prétend avoir été imprimées , par
faveur du ciel , sur le corps de saint François.
STIL DE GRAIN, couleur jaune que l'on extrait des
fruits du nerprun des teinturiers.
STILFSER JOCII ou WORMSER JOCH, en italien
Monte Stelvio, crête des Alpes Rhétiennes, sur les fron-
tières du Tyrol et de la Lombardie , ainsi appelée d'un vil-
lage du Tyrol , Stilfs ou Stelvio , et du bourg de Worms ou
Bormio, dans la province lombarde de Sondrio, est céèbre
comme la plus haute et la plus belle des routes carrossables
qu'il y ait dans les Alpes et en Europe. Elle fut construite
de 1820 à 1825, sous le règne de l'empereur d'Autriche
Fraoeois l", et il fallut pour cela vaincre d'immenses dif-
ficultés. De 1825 à 1834 les travaux en furent continués
depuis Bormio jusqu'à Lecco, sur le lac de Côme, pour réunir
la vallée supérieure de l'Adige, dans le Tyrol, à la Valteline,
ou vallée supérieure de l'Adda, en Lombardie; d'où résulte
une communication directe entre Inspruck et Milan. La
construction de cette route fait le plus grand honneur au
gouvernement autrichien et à ses ingénieurs. Les plans en
furent fournis par Donegani , qui est aussi l'auteur de la
route du Splugen. Les travaux furent dirigés par Domini-
chini et Porro , et exécutés par les entrepreneurs Talaghini,
Nolli et Polli. En 1848 les insurgés italiens détruisirent du
mieux qu'ils purent les magnifiques galeries de cette route;
mais elles ont été rétablies depuis.
STILICON (Flavius STILICO, ou STILICHO), Van-
dale de naissance et ministre célèbre du faible empereur
d'Occident Honorius. Son père était l'un des généraux de
Valens : lui-même avait fait toutes les guerres de Théo-
do se, et, par ses talents militaires, s'était élevé au rang
de général de la cavalerie et de l'infanterie {Magister
utriusque exercitûs). Enfin, Théodose lui avait donné en
mariage sa nièce Serena, dont il eut trois enfants : Eucherius,
Marie et Thermancia. En 395, lorsque cet empereur par-
tagea l'empire entre ses fils, il nomma Stilicon tuteur d'Ho-
norius, et lui conféra en même temps le gouvernement de
tout l'empire d'Occident. Les auteurs diffèrent beaucoup
d'opinion sur le caractère de Stilicon : selon les uns, c'est
le sage et valeureux protecteur de l'empire; selon les autres,
c'est un ambitieux qui ne voulait que s'attribuer exclusive-
ment le pouvoir, et qui dès le commencement du règne
d'Honorius pratiqua, pour y parvenir, de sourdes manœu-
vres avec les barbares : ces faits sont difficiles à éclaircir.
Théodose avait donné pour gouverneur à l'empire d'Orient
un certain Rufinus , qui disposait d'Arcadius comme Stilicon
d'Honorius. Une rivalité poussée à l'extrême déchira les
.deux empires et causa les guerres les plus funestes. Rufinus
appela les Goths , qui, sous la conduite d'Alaric, se mirent
à désoler et à ravager la Grèce; et Stilicon, pour se garan-
tir des Goths , conclut un traité avec les Franks , puis alla
secourir l'empire d'Orient. Déjà il avait remporté quelques
avantages sur les Goths , lorsque Arcadius lui ordonna de se
retirer : ce souverain , par le conseil d'Eutrope, venait
de faire la paix avec les barbares , et Stilicon , pour avoir
combattu Alaric, se vit déclarer ennemi public. Aussi se
disposait-il à une nouvelle expédition en Grèce , quand Eu-
trope, pour l'en empêcher, suscita des révoltes en Afrique.
Ces séditions ayant été comprimées , les deux empereurs se
réconcilièrent. Dans cette guerre, Stilicon avait remporté
une grande victoire sur Alaric. Lorsque l'Italie fut envahie
à son tour, il battit les barbares, et les contraignit de se re-
tirer ; cette victoire est de l'année 403. Bientôt après vinrent
les irruptions des Vandales ; les Alains , les Suèves , s'em-
paraient de la Gaule , et un Constantin se déclarait empe-
reur en Bretagne : il conquit aussi une partie de la Gaule,
et Honorius lui reconnut le titre d'auguste. Stilicon avait
fait assassiner Rufinus, son ennemi; les uns prétendent
qu'il le punit justement de ses complots avec les barbares ,
les autres voient dans cet acte de cruauté un moyen de par-
venir seul à l'empire; et en effet on réussit à inspirer à
Honorius des craintes fort vives sur les projets de Stilicon :
on prétendit qu'il voulait mettre sur le trône son fils Eu-
cherius : l'assertion était sans preuves. Cependant, Honorius
excita les soldats contre lui : les amis de Stilicon furent
massacrés; il s'enfuit à Ravenne, et l'empereur lui fit trancher
la tête. Son fils, Eucherius, et sa femme, Serena, furent étran-
glés quelque temps après ; enfin , l'empereur répudia sa fille,
Thermancia, qu'il avait épousée après la mort de Marie , aussi
fille de Stilicon. Le poète Claudien a porté les louanges de
Stilicon à un tel excès que la lecture de son ouvrage est in-
supportable. C'est un Achille, un Scipion l'Africain, etc. Il
a toutes les vertus; il ne lui manque que des vices... Il est
plus juste de dire que son bras a manqué à Rome pour lui
épargner les humiliations qu'elle subit bientôt après de la
STILICON — STOCKHOLM
33S
part des Goths. Stilicon paraît avoir été chrétien : le nom
de sa fille et la faveur de Théodose en sont des indices.
De Golbéry.
STILPJVOSIDÉRITE. Voyez Goethite.
STILPON de Mégare , philosophe grec, qui llorissait
■vers l'an 300 av. J.-C., et qui donna un grand relief à l'é-
cole de Mégare. Il est surtout considéré à cause de la gra-
vité et de la pureté de sa doctrine éthique, dans laquelle
il (ut le prédécesseur des stoïciens. Au point de vue théo-
rique, il paraît s'être surtout proposé de réfuter les théories
platoniciennes et aristotéUciennes. Ses ouvrages sont perdus.
STILTOJV ( Fromage de ). Voyez Hcntingdon.
STIMULANTS (du latin simM^are, exciter). Ce mot
est synonyme d'excitants , et sert à désigner tous les agents
qui ont pour effet d'exciter, d'accélérer les actes de l'orga-
nisme (voyez CoNTHM-STiMVLisyiE). On peut distinguer les
stimulants en physiques et moraux. Parmi ces derniers fi-
gurent les passions ex pansives, telles que la colère, l'amour,
qui activent singulièrement le système nerveux, et par suite
les autres appareils de l'organisme. Les stimulants phy-
siques sont constitués ou par des éléments impondérahles ,
tels que le calorique, l'électricité, et même la lumière, ou
par des irritants mécaniques ou chimiques , agissant égale-
ment sur la peau , ou par des aliments tels que les mets
dits de haut goût, les boissons aromatiques ou alcooliques,
comme le vin , les liqueurs, le café, ou bien enfin par d'au-
tres agents qui figurent parmi les médicaments, et divisés
eux-mêmes en stimulants généraux, alcooliques, éthérés,
aromatiques, résineux, etc., et en stimulants spéciaux, qui
portent leur action sur certains appareils particuliers , et
désignés sous les noms de sudorifiques , purgatifs , diu-
rétiques,emménagognes, etc., selon qu'ils provoquent les sé-
crétions de la peau, des intestins, des reins, de l'utérus , etc.
D'après certains physiologistes , la vie est entretenue par
les stimulants ; tel est le fond de la doctrine de B ro wn,
qui croyait, en conséquence, devoir prodiguer les stimu-
lants dans les maladies : d'autres, au contraire, avec B ro us-
s ai s , considérant la stimulation comme la cause de la plu-
part des maladies, veulent qu'on oppose à celles-ci les
tempérants, les émollients, enfin tout ce qui peut émousser
Ja stimulation ou l'irritation.
Stimulant, au figuré , se dit de ce qui excite , aiguillonne
l'esprit ; L'émulation est un stimulant qu'il faut employer à
propos et avec précaution. Forget.
STIMULUS. Voyez Contre-Stimulisme.
STIPULATIOIV (du latin stipulatio), action de sti-
puler, de promettre, de .s'engager. Ce mot s'emploie pour
désigner toutes espèces de clauses , conditions etconventions
qui entrent dans un contrat. En règle générale , on ne peut
stipuler en son propre nom que pour soi-même.
STIPULE ( diminutif de stipe), petits appendices squa-
miformcs ou foliacés, qui se rencontrent à la base de cer-
taines feuilles , au point de leur origine sur la tige. Les sti-
pules sont ordinairement au nombre de deux, une de chaque
côté du pétiole : on les appelle alors latérales; plus rare-
ment elles sont solitaires, situées à l'aisselle des feuilles, et
dans ce cas elles se nomment axillaires.
En ornithologie , on appelle stipule une plume qui sort
de la peau et qui est encore enveloppée dans sa gaîne.
STIRLING, comté du sud de l'Ecosse, qui sur une
superficie de 16 myriam. carrés compte 85,750 habitants.
C'est une contrée en grande partie montagneuse, où VAlva-
hill atteint 500 mètres d'élévation et le Ben-Lommond
1,020 mètres. Les plaines et les vallées sont d'une remar-
quable fécondité et bien cultivées. Il n'y manque pas non
plus de marais. Le comté de Stirling est l'un des plus riches
de l'Ecosse en produits minéraux, notamment en houille et
en fer; et l'exploitation en est faite sur l'échelle la plus large.
Le chef-lieu est Stirling, relié par des chemins de fera
Edimbourg, à Perth et à Glasgow, bâti sur la rive droite
du Forth , au pied d'une montagne sur laquelle s'élève un
vieux château fort. On y remarque une vieille église gothi-
que , plusieurs hôpitaux et casernes , l'hôtel de ville , ie
collège, le musée agricole et industriel de Drummond ; et on
y compte 12,500 habitants, qui fabriquent des cotonnades
et des étoffes de laine, notamment des tapis, et entre-
tiennent en outre un commerce important. L'ancien château
de Stirling, bâti sur un rocher basaltique à pic , est célèbre
par la beauté delà vue qu'on y découvre. Autrefois rési-
dence du roi David I", qui en 1147 fonda au voisinage l'ab-
baye de Keneth, il reçut plus tard des agrandissements lors-
qu'il fut devenu, depuis Jacques P"^, le séjour favori des
Stuaits. La ville et son château jouent un rôle important
dans l'histoire d'Ecosse.
STIRLING (James), célèbre géomètre anglais , naquit
vers la fin du dix-septième siècle, à Oxford, où il suivit les
cours de l'université. Son principal ouvrage est son Me-
thodus diffcrcntïalis , etc. (Londres, 1730, in-4''), où,
tout en adoptant les principes de Moivre sur la théorie
des séries, il ajoute beaucoup àses découvertes. Précédem-
ment , et lorsqu'il était encore sur les bancs de l'université ,
Stirling avait fait paraître un livre intitulé : Linex tertii or-
dinis neivtonianx ,(i[c. (Oxford, 1717,in-8°), où il ajoutait
deux nouvelles lignes du troisième ordre à celles données
par Newton. Ce travail contribua à le faire recevoir très-
jeune dans la Société royale de Londres. On ignore la date
exacte de la mort de Stirling ; on sait seulement qu'il vi-
vait encore en 1764, année où il fit réimprimer son Me-
thodus differentialis.
STOA. Voyez Poecilé.
STOBÉE (Jean), Johannes Stob^us, natif de Stobi,
ville de Macédoine, vivait vraisemblablement au cinquième
ou au sixième siècle de notre ère, et recueillit des extraits
d'environ cinq cents poètes grecs et autres écrivains, qui ont
d'autant plus d'importance pour l'histoire de la littérature
ancienne que leurs œuvres ont pour la plupart péri depuis.
Ce recueil fut divisé de bonne heure en deux parties, l'une
intitulée Anthologium on Florilegium, et encore Ser-
mones , l'autre Eclogse physicœ et ethicae.
STOCADE. Voyez Estocade.
STOCKFISCH. Voyez Merluche et Morue (Pêche
delà).
STOCKHOLM, capitale de la Su è de , l'une des villes
les plus pittoresques de l'Europe, est bâtie sur les rives méri-
dionale et septentrionale du Melaren , à l'endroit où ce lac
confond ses eaux avec celles de la Baltique. Vue du rocher
de iliose&acfte , dans le faubourg du Sud ( Sœder-Malm ) ,
elle offre un magnifique panorama. La plupart des édifices
s'élèvent en amphithéâtre : ils sont construits en briques,
sauf quelques-uns en bois, et revêtus de plâtre blanc ou
peints en jaune. Les plus belles rues sont Skeppsbron, dans
la Cité, et celles de la Reine et de la Régence, dans le
faubourg du Nord. Stockholm n'a point de murs d'enceinte;
elle n'a que des barrières aux entrées ; mais on a dans ces
derniers temps reconnu la nécessité de la protéger par
quelques fortifications détachées, dont la construction ne
tardera pas, dit-on, à être entreprise. La ville se compose
de plusieurs îles, formées par les golfes du Melaren et la
mer, et reliées entre elles par de nombreux ponts; elle com-
prend six quartiers principaux : i° la Cité, qui s'étend sur
trois îles, celle de la Ville, celle des Chevaliers (Riddar-
holmen) el celle du Saiint-Esprit ( Helgeandsholmen),
formées par les deux embouchures du Melaren j Norret
Sœdcr-Stroem; 7" le faubourg du Nord (Norr-Malm),
sur la terre ferme, au nord du Norr-Stroem, auquel com-
munique l'île de Saint-Biaise (Blasiiholmen); 3° le Ladu-
gordslandet, ou la pointe que forme celte terre ferme à l'est;
4° le Kungsholmen (l'île du Roi); 5" le Skeppsholmen
( l'île del'Amirauté) et Castellholmen (l'île de la Citadelle),
réuniesentre elles et le Blasiiholmen par des ponts flottants;
6° enfin , le Sœder-Malm ( faubourg du Sud ) , île formée
par le Melaren et la mer. Les faubourgs sont au nombre
de quatre : le Norr-Malm, \e Sœder-Malm, le Ladugords-
land, le Ktmgsholmen.
33G
STOCKHOLM — STOÏCISME
La Cité , séparée des deux tauDourgs par les deux em-
boucluires du Melaren, se fait reinaïqaer par le château cons-
truit, sur une éminence , en face de l'embouchure du nord.
Il fut achevé en 1751. C'est un bâtiment carré, de vingt-
trois croisées de face, et dont les quatre côtés sont visibles
des différents quartiers de la ville. Du côté de l'est , on
voit des parterres et un jardin {Lorjorden ), au-dessous de
deux galeries en saillie. La rue de Skeppsbron , qui longe
le quai où les vaisseaux jettent Tancre, est vaste et belle.
Là se trouve concentrée toute l'activité du commerce.
Les autres rues de la Cité sont sombres, irrégubères et
étroites. La Cité a trois églises : la cathédrale (Storkyr-
kan), qui possède un orgue magnifique et des tableaux
des premiers peintres de Suède; Véglise Allemande &i l'e-
glise Finnoise. Les autres édifices remarquables sont la
Bourse, l'hôlel de ville, la banque, l'hôtel des postes, la
Monnaie, et le palais des nobles, extérieurement orné des
armoiries de toutes les familles nobles de la Suède. C'est la
que se tiennent les sessions de la noblesse pendant la diète.
A Riddarholmen (l'île des Chevaliers), on voit lYglise con-
tenant les tombeaux des rois et des héros de Suède, au mi-
lieu de plus de cinq mille étendards enlevés dans les combats.
Sur la place du faubourg du Nord ( Norrmalmstorg ) s'élève
le palais habité jadis par le célèbre Torstensoa, et agrandi
plus tard par la princesse Albertine. Vis-à-vis l'on voit le
Grand-Opéra, bâti par Gustave IIL D'autres palais ornent
Blasiiholmen , d'où le pont flottant conduit au Skepps-
holmen et au Castellholme.n. La première de ces îles ren-
ferme des chantiers , des casernes , de vastes hangars, par-
faitement construits , pour y mettre à couvert la flottille de
chaloupes canonnières; une allée d'arbres touffus traverse
toute l'ile, et conlribue à l'embellir. La seconde commu-
nique par un petit pont à celle de Skeppsholmen -. sa masse
entière est formée d'un énorme rocher de granit ; l'un des
côtés est très-escarpé, et domine l'entrée du port. Le roc
descend en pente douce vers le rivage de l'île , qui est cou-
verte d'arbres, de gazons, de mousses, au milieu desquelles
serpentent des allées. L'observatoire est sur la montagne
sablonneuse, près la porte du Nord {Norrtull).
Stockholm a vingt places, dont la plus belle est sans con-
tredit Stottshacken. Elle est bordée d'un côté par le châ-
teau , et de l'autre par un rang de belles maisons : elle
descend en amphithéâtre et en s'élargissant jusque vers le
quai, où s'élève la belle statue de bronze de Gustave III. Le
haut de la place est décoré par un obélisque en granité et par
la cathédrale (Storkyrkan). Les autres places remarquables
sont : celle de la Maison des Nobles, où Gustave III fit
ériger la statue de Gustave F""; la place d'Adolphe-Frédéric;
la place de Gustave-Adolphe , ornée de la statue de ce grand
homme; et la place d'armes, ornée de la statue de Char-
les XIII. La population de Stockholm s'élevait en l8ol à
93,000 âmes; sans qu'on puisse dire précisément que la si-
tuation et le climat sont malsains , le nombre des décès n«
laisse pas que d'y être plus grand que celui des naissances.
On n'y compte guère plus de 200 Israélites ; le nombre des
étrangers, des Allemands et des Russes notamment, est très-
minime.
La facilité des commimications et le voisinage de la mer
ont mis la subsistance à bas prix et rendu le commerce flo-
rissant. Stockholm est l'entrepôt principal de tout le fer et
du cuivre qui sont exportés de Suède, et qui amènent annuel-
lement plus de sept cents vaisseaux étrangers dans son poi t. En
échange, la capitale reçoit les productions du Midi, et l'in-
dustrie étrangère lui fournit les dilférents produits auxquels
le travail national ne peut suppléer. Stockholm possède ce-
pendant quelques manufactures de laine, de soie et de
coton et des raffineries de sucre. L'éclairage au gaz y a été
introduit pour la première fois en 1854. Lunublad.
STOCKPORT , importante ville defabriques du comté
de Chester (Angleterre), sur les limites du Lancashire et
sur les bords de la Mersey, à 10 kilomètres au sud-est de
Manchester, et reliée à celle ville ainsi qu'à Londres par
des chemins de fer, est bâtie dans une situation extrême-
ment pittoresque. Sa population, forte de 54,000 habitants,
entretient un grand nombre de fdatures de coton et de fabri-
ques de cotonnades , de mousselines , de soieries et de cha-
peaux. Elle est aussi le centre d'un important commerce de
farine et de fromage.
STOCKS, dénomination générique sous laquelle on
comprend en Angleterre tous les capitaux engagés dans l'in-
dustrie et représentés par des actions, de même que les
titres et obligations émis par des États, des provinces, des
villes, des sociétés, des corporations , etc.
Stockholder, détenteurs de stocks.
Stock-Exchange. On appelle ainsi à Londres la bourse
parliculière où se négocient les différents titres d'actions en
circulation.
Stock-Jobber. Les anglais appellent ainsi ce que nous
nommons, nous, des agioteurs, c'est-à-dire des spéculateurs
qui jouent sur la hausse ou la baisse des effets publics , des
actions, etc., et dont les opérations se soldent généralement
par de simples ditférences.
STOCKTOJV SUR TEES, port considérable du comté
de Durbam, et l'une des plus belles villes du nord de l'An-
gleterre, sur les bords du ïees, avec un bel hôtel de ville,
un grand marché , de larges rues el un pont de cinq arches,
compte 9,800 habitants qui fabriquent de la toile à voiles,
des cordages, du treillis, de la toile, etc., font un cabotage
des plus actifs et construisent aussi quelques navires. Il s'y
fait un commerce important en grains, fromages, beurre,
plomb , alun , et surtout en houille. Le gisement houillier
de Stockton est l'un des plus estimés de l'Angleterre.
STOECSIIOMÉTRIE, partie de la chimie qui traite
des diverses proportions dans lesquelles, les différentes sub-
stances se combinent ensemble. Elle constitue une science
nouvelle, créée à la fin du siècle dernier par Jérémie-Ben-
jamin Richter, et qui a beaucoup contribué aux progrès
réalisés par la chimie.
STOFFLET (Nicolas) , né en 1751 , d'un meunier de
Lunéville, était garde-chasse du comte de Colbert-Maule-
vrier, lorsque la guerre de la Vendée éclata. Malgré l'obscurité
de sa naissance et de sa position, il possédait un courage et
des talents de partisan tellement remarquables qu'il fut élevé
par son parti , le 25 juillet 1793 , au grade de major général
de l'année catholique. Il conserva sur ses compagnons , dans
les revers, plus d'ascendant que les autres généraux , qui
ne devaient leur grade qu'à leur noblesse. 11 prit le com-
mandement en chef après la mort de La Rochejacquelein.
Malgré les éternelles dissensions qui ne cessèrent de diviser
les généraux catholiques entre eux et de nuire à leurs succès,
il se joignit quelque temps à Char et te, et, de concert
avec lui, fit fusiller Marigny. Mais il se sépara bientôt de
son allié pour suivre les conseils du curé Bernier, sous les
inspirations duquel il donna bientôt à l'insurrection un ca-
ractère plus imposant. Quand la Vendée, lasse de guerres
et de massacres, après le système tout conciliant de Hoche,
ne se montra plus trop disposée à continuer les hostilités ,
Stofflet, comme les autres chefs vendéens, fut forcé de con-
clure la paix avec les commissaires de la Convention , qui
se montrèrent d'assez bonne composition. Les agents du
comte d'Artois vinrent alors le trouver, et en lui conférant,
de la part du prince, le litre de lieutenant général, avec plu-
sieurs autres avantages et force promesses , ils parvinrent à
lui faire reprendre les armes et à le réconcilier avec Cha-
rette ; mais les habitants de l'Anjou montrèrent peu d'em-
pressement à le soutenir dans ses nouvelles tentatives, et
après quelques opérations insignifiantes et sans éclat, il
tomba, trahi par quelques-uns des siens, entre les mains
des républicains, qui le traduisirent à Angers devant une
commission militaire: il fut fusillé, le 13 février 1796.
STOÏCIEN, partisan de la doctrine philosophique
connue sous le nom de stoïcisme.
STOÏCISME ou PHILOSOPHIE STOÏQUE. On ap-
pelle ainsi la doctrine de Zenon; ce nom est dérivé de la
STOÏCISME — STOLBERG
337
sioa où il enseignait. Zenon opposait au scepticisme
une doctiine à laquelle il donnait pour base de sévères prin-
cipes de morale. Toutefois , il est difficile de distinguer dans
cette doctrine ce qui lui appartient en propre des additions
et des modifications qu'y introduisirent ses disciples. A ses
yeux la philosophie était tout effort fait pour arriver à la
sagesse, la voie qui y conduit; quant à la sagesse, c'était
la science des choses divines et humaines, et son application
à la vie constituait la vertu. Les principales parties de son
système étaient la logique, la physique et l'éthique; mais
l'éthique était le but de tout le système. Dans la logique, qu'il
considérait comme la science des signes distinctifs du vrai
et du faux , et qui dès lors contenait une théorie de la con-
naissance en même temps que la grammaire et la rhéto-
rique, le stoïcisme donnait l'expérience pour base à toute
connaissance. Les stoïciens admettaient la force domina-
trice de l'ârne; mais les images compréhensibles, c'est-à-dire
celles qui s'accordent avec les signes de leurs objets et qui
contiennent le libre assentiment de l'esprit, constituent les
caractères ou crileria de la vérité. La physique de Zenon
et de ses disciples se rattachait à la doctrine d'Heraclite, et
admettait avec lui l'existence d'un ^ôyo; péni'trant le monde,
et dans lequel ils trouvaient aussi la base des devoirs humains
et de l'organisation du monde moral. Les anciens stoïciens
admettaient en général dans cette partie de leur philosophie
deux bases incréées , éternelles et pourtant corporelles de
loutes choses : la matière passive et l'intelligence active, ou
la divinité , qui réside dans la matière et (pii la vivifie. Cette
divinité est la force d'intelligence primitive et la nature
éthérée enflammée; elle a créé le monde en séparant les élé-
ments de la matière et en formant les corps comme un tout or-
ganique ; elle gouverne aussi ce monde, mais elle est li-
mitée dans l'action de sa providence par l'immuable Fatum,
ou la nécessité des lois naturelles. L'univers, suivant Zenon,
est pénétré par Tintelligence divine, qui lui sertd'àme; par
conséquent, c'est un être vivant et raisonnable, mais des-
tiné à périr par le feu , ou plutôt à être périodiquement
dissous par le feu. Il considère également les mondes et les
forces physiques comme étant d'une nature divine; d'où il
suit qu'il est pennis d'adorer plusieurs dieux , et que leurs
relations avec les hommes sont utiles à ceux-ci. Comme les
stoïciens nomment en outre corps tout ce qui peut agir et
souffrir, l'ame est aussi pour eux un corps; ils la considè-
rent comme l'air inflammable et comme une partie du feu
divin. L'âme humaine est douée suivant eux de huit at-
tributs, les cinq sens, la force de production, le don de la
parole et l'intelligence; mais cette dernière doit, comme
principe actif, dominer tout l'esprit. L'éthique des stoïciens
déclare que l'intelligence universelle, dont l'intelligence hu-
maine est une partie, ou la nature, est la source de la loi
morale , qui fait à l'homme un devoir de s'efforcer d'at-
teindre à la perfection divine, attendu que ce sont ces ef-
forts qui seuls conduisent à une vie harmonique, ce qui
n'est autre chose que le véritable bonheur. Voici en quoi
consistent ses principes pratiques : « Sois d'accord avec toi-
même, suis la nature, vis conformément à la nature » ou ,
ce qui revient au même : « Vis conformément aux lois de
l'intelligence d'accord avec elle-même, •» car les formules des
diverses écoles stoïques diffèrent quelque peu entre elles. La
vertu était aux yeux des stoïciens le souverain bien , et le
vice le seul mal réel; toute autre chose était indifférente, et
ne pouvait être que relativement agréable ou désagréable. La
morale des stoïciens appelle les actions de l'homme conve-
nables quand elles ont un motif raisonnable dans la nature
de celui qui agit; parfaitement pertinentes, et par conséquent
conformes au devoir, quand elles sont bonnes en elles-mêmes ;
moyennes ou permises, en tant qu'elles sont indifférentes
en elles-mêmes , ou ne deviennent licites et à propos que
sous certains rapports. Ce sont des péchés quand elles sont
en contradiction avec la nature intelligente de celui qui agit.
En conséquence, ils disaient que la vertu est la véritable
harnionie de l'homme avec lui-môme , tout k fait indépen-
DlCT. DE LA CONVEnS. — T. XVI.
dante de l'idée de récompense et de peine, à laquelle on
parvient par un sain jugement moral et en sachant dominer
ses affections et ses passions. Cette vertu présuppose l'exis-
tence du calme intérieur suprême et l'élévation au-dessus
des affections de plaisir ou de déplaisir sensuels (apaliiie);
elle ne rend pas le sage insensible, mais invulnérable, et hii
donne une domination sur son corps, qui permet môme le
suicide. La vertu leur apparaissait donc avant tout avec les
caractères de l'abnégation et du sacrifice. Ils créaient par
conséquent un type du sage, dont ils exprimaient les qua-
lités par diverses sentences paradoxales, telles que celles-ci :
« Le sage seul est libre ; le sage seul est riche ; il est roi, etc. »
C'est à cause de celte sévérité d'opinions morales , tout
au moins chez les premiers stoïciens, qu'on a donné en
général le nom de stoïcisme à toute opinion sévère en n)o-
raie. Zenon et son fidèle disciple et successeur Cléanthe
d'Assos, qui présida, dit-on, l'école sloïque jusqu'à l'âge
de quatre-vingts ans, s'ôtèrent l'un et l'autre la vie dans un
âge avancé. 11 nous reste encore du dernier un hymne re-
marquable en l'Iiouncur de Zeus. Il a pour base une image
de Dieu , qui , bien que s'appnyant sur l'idée pantbéiste de
Zenon du Xôyo; qui pénètre toute la nature, se rapproche
cependant beaucoup de l'idée purement chrétienne. Le suc-
cesseur de Cléanthe, Chrysippe de Soles, traita la logique
et la dialectique plus explicitement, et prouva en physiciue
que l'influence de la destinée ou des rapports nécessaires de
causalité des choses ne supprime ni l'activité de la provi-
dence divine ni la liberté qu'a l'homme d'agir d'après des
motifs raisonnables. En morale il distinguait, avec ses pré-
décesseurs, un droit naturel du droit positif; et il en trou-
vait la preuve dans les rapports mutuels des hommes comme
êtres de môme espèce. Ses principaux successeurs fment
Zenon de Tarse, Diogène de Babylone, Antipater de Tarse
ou Sidon , l'adversaire de Carnéade, Panaîtius de Rhodes,
disciple de ce dernierj qui vécut à Athènes et à Rome au
deuxième siècle av. J.-C, s'y trouva en commerce habi-
tuel avec les Romains les plus distingués, tels que Scipion et
Lœlius , et dont Cicérou a beaucoup mis à profil l'ouvrage
éthique dans son traité De OJ'JicUs , enfin son disciple
Posidonius d'Apamée en Syrie. D'ailleurs, la philosophie
sloïque exerça la plus décisive influence sur l'éducation des
philosophes romains, parmi lesquels Sénèque, Épictète et
Marc Aurèle Antonin adoptèrent complètement les idées
stoïciennes. Cependant, ils n'en traitèrent que le côté pratique,
et exprimèrent les sévères idées morales du stoïcisme dans
d'instructives et édifiantes dissertations , dont les fréquentes
analogies avec la morale chrétienne ont fait croire que ces
idées étaient le fruit de relations secrètes avec les chrétiens;
mais il n'en était rien. Consultez Lipsius, Mamiductto ad
Stoicam Philosophiam (Anvers, 1606); Scioppius , Ele-
menta Sfoicos Pliilosnphise moralix (iMayence, 1606).
STOLBERG, l'une des plus anciennes familles de com-
tes qui existent en Allemagne, et dont il est question dans
des documents authentiques dès le douzième siècle. En 1412
les Stolberg furent créés comtes de V Empire, avec siège et
droit de vote sur le banc des comtes de VVettéravle. La
même année ils acquirent le comté de Hohenstein , en
149.9 celui de Wernigcrode,en 1535 celui de A'ce/i^^s^eiH,
en 1556 celui de Werlheim et celui de Rochefort dans les
Pays-bas autrichiens, etc.
La souche des diverses lignes aujourd'hui existantes fut
Christophe rfe Stoi.berc , né en 1567, mort en 1638. Son
fils aîné, Henri-Ernest de Stolbeeg, né en 1593, mort en
1672, fonda les deux branches d'Ilsenburg, éteinte en 1710,
et de Wernigerode. Cette dernière s'est subdivisée en trois
rameaux : Stolberg-Wernigerode , qui subsiste encore au-
jourd'hui; Stolberg-Gedern, qui, en 1742, obtint le titre
de prince de l'Empire, puis s'éteignit dans sa ligne mâle en
1804, et auquel appartenait la comtesse à' Al ban y, épouse
du prétendant Char les -Edouard; Stolberg-Schviarza,
qui s'éteignit en 1748.
Le fils cadet de Christophe, Jean-Martin de Stoi.bekg,
22
SÏOLBERG — STORA
fonrJa la ligne cadette, oont deux rameaux fleurissent encore
de nos jours , Stoiberg-Stolberg et Stolberg-Rossla.
La branche aînée de la famille, celle de Stolberg-Wer-
nigerode , possède aujourd'hui le comté de Wernigerode et
la bailhage de Schwarza; depuis 1804 le comté de Gedern
en Wettéravie, sous la suzeraineté de la Hesse grand-ducale;
le bailliage de Sophieuhof, sous la souveraineté du Hanovre;
les trois seigneuries de Peters-Waldau, de Kreppelholz et
deJanowicz, enSilésie, etc., etc. A titre d'indemnité pour le
comté de Rocliet'ort, situé dans les Pays-Bas autrichiens, et
pour ses prétentions sur le comté de Kœnigstein, elle reçut
en 1803, en vertu d'un recez de l'Empire, une rente perpé-
tuelle de 30,000 tlorins, assise sur des droits de navigation.
La famille de Stolberg et ses différentes branches , à
l'exception du rameau de Stoiberg-Stolberg , dont le chef
embrassa en 1800 le cathoUcisme (uo^es l'article ci-après) ,
professe la religion réformée.
STOLBERG ( Les deux frères ), issus de la branche de
Stoiberg-Stolberg, se sont rendus célèbres à la fin du der-
nier siècle et dans les premières années de celui-ci, parleurs
talents poétiques et par les relations littéraires que, dès leur
séjour à l'université de Gœttingue, ils formèrent avec la
pléiade poétique composée de Boje , Burger, Miller, Voss,
Hœlty et Leisewitz. Vàhié, Christian , comte de .Stolberg,
né à Hambourg, en 1748, remplit de 1777 à 1800 les fonc-
tions de bailli à Tremsbiittel en Holstein. A cette époque il
renonça à la vie publique, et se retira dans sa terre de Win-
debije près Eckernl'œrde, enSchleswig. où il mourut, le 18
janvier 1821. Il avait épousé, vers 1780, Louise, comtesse de
Reventlau, veuve Gramm, qu'il a célébrée dans ses vers.
Ses poésies ont été réunies avec celles de son frère , de même
que ses drames avec chœurs , au nombre desquels on re-
marque Balsazar at Otanes, mais peu propresà être repré-
sentés , encore bien qu'en les écrivant l'auteur eût espéré
arracher le théâtre à la routine et aux formes toutes de
convention auxquelles il obéit dei)uis si longtemps. On a
aussi de lui une traduction en vers des tragédies de So-
phocle.
Le cadet, Frédéric, comte de, Stolberg, né en 1750, à
Bramstedt en Holstein, remplit, à partir de 1777, les fonc-
tions de plénipotentiaire du prince-évèque de Lubeck, à
Copenhague. En 1782 il épousa Agnès de Witzleben, qu'il
a maintes fois célébrée dans ses vers. En 1789; il fut nom-
mé envoyé de Danemark à Berlin, où, en 1790, il se re-
maria avec la comtesse de Redern. Il voyagea ensuite en
Allemagne et en Italie, renonça en 1800 à toutes fonctions
publiques, et se fixa à Munster, où il embrassa le catholicisme
avec tous les membres de sa famille, à l'exception de sa
fille aînée , mariée au comte de Stolberg- Wernigerode. Cette
démarche , d'autant plus inattendue que quelque temps au-
])aravant, dans une lettre à un pasteur holsteinois établi
en Suède, il avait fait preuve des sentiments du luthéranisme
plus pur, lui attira de vifs reproches. On a de lui une histoire
générale de l'Église, \nWiu\é&Histoire delaReligion de Jésus-
Christ ; ouvrage écrit au point de vue catholique romain, et
dont le pape lit publier une traduction en italien. Frédéric
de Stolberg écrivit aussi des odes, des élégies, des romances,
des .satires et des drames, un roman intitulé l'/Ze ( 1788),
un récit quelque peu prolixe d'un voyage en Allemagne , en
Suisse, en Italie et en Sicile (1794), une vie du roi Alfred
le Grand, enfin des traductions de différents ouvrages grecs.
Il mourut en 1819, dans sa terre de Sondermuhlen, près d'Os-
nabruck, peu de temps après avoir terminé un petit livre
ascétique sur PAmour.
STOLOiXIFÈRES ( Plantes ), c'est-à-dire (lui portent
des s^oZoHS, branches grêles et allongées partant du bas
de la tige, et produisant par intervalles d'un côté des racines
et lie l'autre des feuilles {voyez Drageon).
STOMAPODES (du grec oTÔixa, bouche, et ttoùç ,
pied), ordre de crustacés.
STOM.\TE(du giec(7T6(jia, bouche), pore microscopique
rfel'épiderme des plantes qui a reçu successivement des bo-
tanistes des dénominations différentes. Guillard a appelé ces
appareils microscopiques glandes corticales ; Hedwigleur a
donné le nom de pores exhalants; Mirbel, celui àe gran-
des pores , pores allongées ; Link, celui de stomata, mot
que de Candolle a transporté dans notre langue et qui
maintenant est exclusivement adopté parmi nous.
STOMATITE (du grec azô^xa, bouche), genre d'in-
flammation particulière à la bouche.
STOIXEHENGE , c'^sX-h-Ant pierres pendantes, nom
d'un ancien et énigmatique monument du comté de Wilts
(Angleterre), situé à environ sept kilomètres au nord de
Salisbury, au milieu de la lande à laquelle cette ville donne
son nom, à peu de dislance du bourg d'Amresbury ou
Ambresbury, sur l'A von , où naquit Addiso n. Il se com-
pose d'une double rangée de piliers de blocs de pierre gros-
sièrement taillés, de 75 centimètres à l mètre d'épaisseur,
formant un cercle de 130 pas de circuit, larges de 2 mètres
à 2 mètres 33 centimètres , hauts d'environ 7 mètres , et pré-
sentant plus ou moins quatre faces. L'espace intérieur entre
les deux rangées de piliers est de 2 mètres 66 centimètres.
Dans le cercle extérieur, vingt-trois piliers sont encore de-
bout, et sept sont renversés ; dans le cercle intérieur, il y .en a
onze debout, trois renversés, et vingt-et-un sont brisés et dis-
persés. Chaque couple de piliers de la rangée extérieure est
uni à son extrémité supérieure par une pierre carrée ; il y en
a cependant qui en manquent. Les piliers de la rangée inté-
rieure, qui d'ailleurs sont plus petits, supportaient également
autrefois de ces pierres carrées. Au centre du cercle moindre,
dont le circuit est d'environ 200 mètres, on voit les débris
d'un ovale mesurant de 17 à 18 mètres de diamètre , et dont
les 10 piliers restés debout formfut avecleurs poteaux carrés
cinq grandes portes. Il existe en outre une infinité de petits
piliers complètement ou à moitié renversés. Cet ouvrage,
élevé évidemment par des mains humaines, produit une im-
pression particulière au milieu de celte vaste lande, la Sa-
lisburyP tain, toute remplie de tombeaux de Huns affec-
tant la forme de monticules ronds; et depuis mille ans qu'il
en est question , il est demeuré une énigme. Les StonehenQe
semblent être les fondements d'un monument demeuré
inachevé, ou suivant d'autres détruit par la violence,
mais dont l'imagination des antiquaires anglais a de beau-
coup exagéré la valeur. La plupart des pierres employées
sont du granité ; il n'y a qu'un très-petit nombre de morceaux
degiès. Mais le granité et le grès manquent également dans
cette localité et bien loin de là encore. On n'y trouve que
des silex mélangés avec le sol crayeux ; or, il n'y en a pas un
seul d'employé dans cette construction. La conjectur-e la plus
probable, c'est que ce sont là les ruines de quelque ancien
temple des druides bretons.
STORA, port de l'Algérie, un peu à l'est deCollo, el
près duquel les Français ont bàli Phi lippeville, sur les
ruines de l'ancienne Rusicadu. Depuis .quelques établisse-
ments se sont formés à Stora même , qui est relie à Pliiliii-
peville et protégé par des fortifications.
L'ancien Sinus Psumidicus est divisé maintenant en
golfe de Collo et golfe de Stora. Le golfe de Stora s'étend
du cap de Fer ou mieux du raz Tchekidick jusqu'au cap
de Tharsa ; le golfe de Collo va de ce point aux caps Bou-
jarone. Les Français et les Génois commercèrent à Stora à
une époque très-reculée. On tirait de ce port le meilleur
froment de cette partie de l'Afrique, mais les prohibitions
truques, l'isolement où l'on s'y trouvait, et le voisinage
de Collo , que l'on commençait à fréquenter, finirent par
faire déserter Stora. Ce port, que les Français occupent
depuis 1S38, doit redevenir sous la dtyuination française
ce qu'il était sous les Romains et ce qu'il était encore en
partie il y a trois siècles, un établissement d'une grande
importance. La baie offre un port spacieux , presque
formé, une rade sûre, fort étendue, une position agréable
et salubre, un territoire productif; c'est le point de la mer
le plus près de Constantine; une rorrie romaine unissait
ce» deux villes , et une route (rançaise rend aujourd'hui
STORA — STOWE
333
Stora et Philippeville, dont il est le port, l'entrepôt réel
de cette capitale de la province. L. Lodvet.
STORAX , baume naturel et solide , désigné aussi sous
le nom de styrax solide ou styrax calamité. Quelques
naturalistes le croient produit par le styrax officinal , ar-
brisseau de la famille desébénacées qui croit en Orientet jus-
que dans les régions méridionales de la France. D'autres, au
contraire, pensent avec Bernard de Jussieu qu'il provient
àuliquidamba r oriental deLamarck. Il est en larmes
et en morceaux plus ou moins volumineux , composés de
larmes transparentes , jaunâtres , unies par une pâte brune.
Son odeur est suave et assez analogue à celle de la vanille ;
sa saveur est douce , parfumée , devenant un peu amère. Il
est aujourd'hui fort peu usité en médecine , tandis qu'on
emploie plus fréquemment le styrax liquide. Celui-ci , tel
qu'on le trouve en général dans le commerce de la dro-
guerie, présente l'aspect d'un liquide épais, à peu près de
la consistance du miel , d'un gris brunâtre , opaque , d'une
odeur forte et presque désagréable , d'une saveur aroma-
tique des plus intenses , et paraît être un mélange de diffé-
rentes substances balsamiques falsifiées par plusieurs ma-
tières étrangères, par exemple, de l'huile de noix, de la
terre, du vin , de l'eau.
STORAX LIQUIDE D'ORIEI\T. Voyez Liqui-
DAMB\R.
STORMARN , contrée du H o l st e i n , comprenant la
partie sud-ouest de ce duché et formant un triangle séparé
du Holstein proprement dit au nord par la Stœr, de la
Wagrie à l'est par la Trave, du pays de Saxe-Lauenbourg
par la Bille , et du Hanovre au sud-ouest par l'Elbe. Indé-
pendamment de la ville de Hambourg, qui par tous ses sou-
venirs historiques se rattache à cette contrée , le Stormarn
comprend le comté de Pinneherg, la ville d'Altona, les
bailliages de Trittau, de Reinbeck , de Tremsbultel et de
Steinburg , ainsi que diverses villes , dont la plus importante
est Glu ckstad t.
STORTHliVG, grande assemblée. Ainsi s'appelle en
Norvège l'assemblée délibérante par laquelle le peuple
prend part àla confection des lois. Elle est le résultat d'élec-
tions à deux degrés. Les citoyens investis de droits politi-
ques désignent dans des assemblées primaires les électeurs
qui seront chargés d'élire les membres de la représenta-
tion nationale, dont le nombre ne saurait être moindre de
soixante-quinze. Ceux-là seuls peuvent être députés au «tor-
tliing qui sont âgés de trente ans, et qui résident depuis dix
années dans le royaume. Les réunions du storthing ont lieu
communément tous les trois ans, à Christiania; mais dans les
circonstances extraordinaires leroileconvoqueen dehors des
époques régulières. Le storthing procède par voie d'élec-
tion à la désignation d'un quart de ses membres pour
former une chambre particulière, sous le nom de Lagthing,
tandis que les trois autres quarts constituent la chambre
désignée sous le nom (ÏOdelsthing. Chaque thing délibère
séparément, et les séances en sont publiques. A moins de
décision contraire rendue à la majorité des voix , les délibé-
rations de chaque thing sontpubliées par la voie de la presse.
STORY (Joseph), célèbre jurisconsulte américain, na-
quit en 1779, à Marblehead, près de Boston, et étudia à Cam-
bridge. Il acquit de bonne heure le renom d'habile avocat ,
fut nommé en 1806 membre de la chambre des représen-
tants de l'État de Massachusetts et bientôt après président
de cette assemblée, puis en 1809 membre du congrès, à
Washington. Eu 1811 le président M ad ison l'appela aux
fonctions de juge au tribunal suprême des États-Unis. Jus-
que alors l'un des chefs du parti démocratique, il se retira
maintenant tout à fait de la politique pour se consacrer
désormais exclusivement aux devoirs de sa position. A
partir de 1829 il se chargea en outre de l'enseignement du
droit dans la Barvard-University, à Cambridge, où il tit
des cours de droit naturel , de droit des gens , de droit poli-
tique, de droit commercial et de droit maritime. Ses Manuels
de Droit sont considérés comme classiques en Angleterre de
même qu'en Amérique , notamment ses Commentaries on
the constitution of the United-States (3 vol.; abrégés
en 1 vol., Boston, 1833), ouvrage qui se distingue par son
esprit philosophique, en même temps que par son style, clair
et facilement compréhensible. Il faut en dire autant de ses
livres qui ont pour litre : On the Lav) of Bailments , On
the Conflicts of Laws, On Equity Pleadings, Equily Ju-
risprudence, et Law of the Bills of Exchunge. Outre
quelques poésies, il fil paraître en 1835 une collection
d'œuvres diverses (Miscellaneous Writings, literary, cri-
ti-cal, jtiridical and polilical [nous cWq édition, Boston.
1845]), qui témoignent de beaucoup d'érudition , de sagacité
et dégoût. Il mourut le 10 se|)tembre 1845, à Cambridge. Son
(ils a publié Life and Letters of Joseph Story (Londres,
18.51).
STOWE, village du comté de Buckingham, célèbre par
le magnifique château qui s'y trouve, par son parc immense
et son superbe haras, et qui jusqu'en 1848 fut la résidence
quasi-royale du duc de Buckingham Ce seigneur ayant tait
banqueroute cette année-là, le haras, le précieux mobilier
qui garnissait le château , la bibliothèque, la galerie de ta-
bleaux et les autres objets d'art qui ornaient cette aristocra-
tique demeure furent vendus par autorité de justice; quant
au château, il y avait impossibilité de le vendre, parce qu'il
faisait partie du majorât de la famille; mais il fut loué au
profit des créanciers. La façade du château a 900 pieds an-
glais de long, et les appartements en sont décorés de co-
lonnes et de statues de marbre. Le parc, l'un des plus beaux
qu'il y ait en Angleterre, renferme de superbes pièces d'eau,
un obélisque de 23 mètres, une colonne de 60 mètres d'élé-
vation , du haut de laquelle on découvre une vue magnifique,
et consacrée à la mémoire de Cobham, le pont Palladio et
une foule de temples , parmi lesquels on remarque telui des
Anglais illustres avec leurs bustes, le temple de l'Amitié
avec le buste de lord Temple, et des jardins de toute beauté.
STOWE (Harriet BEECHER), célèbre romancière
américaine, est la fille de Lyman Beecher, orateur sacré
distingué et ancien pasteur de l'église presbytérienne de
Cincinnati. Née le 15 juin 1812, à Lichfield , dans l'État de
Connecticut, elle reçut une excellente éducation. Se destinant
à suivre la carrière de l'enseignement, elle embrassa dans
le cercle de ses études diverses branches de la science qui
semblent plus particulièrement réservées aux hommes. De
bonne heure elle seconda sa sœur aînée, Catherine, dans la
direction d'une école de jeunes filles , à Boston. Leur
père étant ensuite allé s'établir dans l'ouest, les deux sœurs
l'y accompagnèrent, et créèrent un établissement du même
genre à Cincinnati. C'est là qu'en 1836 Harriet épousa Cal-
vin Stowe, théologien de mérite, professeur de littérature
biblique dans le séminaire dirigé par son père. De ce ma-
riage naquirent plusieurs enfants. Harriet Beecher-Stowe,
dans ses moments de loisir, écrivait sur toutes sortes de
sujets, pour des Magazines et des journaux, des récits et
des nouvelles, qui furent recueillis en 1843, sous le titre de
The Mayflower, d'après le nom du bâtiment à bord du-
quel les premiers puritains, dits les Pères du pèlerinage,
s'embarquèrent en Europe pour l'Amérique. Ses écrits , dans
lesquels régnait un grand esprit de religiosité, obtinrent un
succès d'estime, sans faire beaucoup de bruit. Pendant ce
temps-là elle était témoin des tristes scènes dont la ville de
Cincinnati était souvent le théâtre, par suite du voisinage
des États à esclaves. Les détenteurs d'esclaves du Kentucky,
soutenus par la lie du peuple, attaquèrent à diverses re-
prises le quartier des noirs, massacrant les habitants ouïes
remmenant en esclavage. Hai riet Stowe et son mari , qui
exprimaient hautement l'horreur que leur inspiraient cesatro»
cités, devinrent, comme abolitionnistes, en butte à la haine
publique, et coururent plus d'une fois risque de la vie. L et»
blissement tenu par Lyman Beecher succomba, et les deux
époux durent, en 1850, s'en revenir dans les États de l'est
où Calvin Stowe accepta la chaire de littérature biblique qui
lui fut offerte au collège théologique d'Andover, dans l'État
22.
340 STOWE — STRADELLA
de Massacliiisetts. Sa femme fit paraître dans la National
Era, publiée à Washington par Bailey, une série d'esquisses
composées de ce dont elle avait été personnellement témoin,
qui furent réimprimées à Boston, en 1852, sous le titre
à'Uncle Tom's Cabin , et qui produisirent une sensation
immense. L'éditeur Jervett en vendit en une seule année
305,000 exemplaires ; il en fut fait plusieurs éditions en An-
gleterre, et l'ouvrage fut en outre traduit dans la plupart des
langues de l'Europe. Jamais livre ne devint aussi populaire
dans les deux mondes; que si on ne peut lui reconnaître une
grande valeurau point de vueesthétique, l'impression extraor-
dinaire qu'il produisit en tous pays s'explique d'un côté par
la gravité morale et par l'esprit éminemment chrétien qu'il
respire, et de l'autre par la vérité des peintures qu'on y trouve
d'un système qui est la honte de l'humanité, et que jiourtant
dans une partie de l'Amérique on regarde encore comme un
mal nécessaire. A la suite des nombreuses et vives accusations
que lui valut celte chaleureuse apologie de l'émancipation des
esclaves, l'auteur se vit amenée à prouver, par la publication
d'un livre intitulé Key to Unclc Tom's Cabin (Boston et
Londres, 1853), que le sujet de ses tableaux était emprunté
souvent dans les moindres détails à la vie réelle. On a en
outre d'elle quelques ouvrages religieux, par exemple Four
ivays of observing the sabbath {2" édit., Liverpool, 1853),
et quelques hymnes sacrés. Dans l'été de 1S53 elle vint avec
son mari visiter l'Europe, et à son retour elle publia le récit
de cette tournée sous le titre de Sunny Memoirs of/orcign
lands (5 vol., [Joston et Londres, 1854).
STRABISME (du grec arpagô;, /oMc/ie). On désigne
ainsi , en anatomie pathologique , la distorsion des yeux ou
le défaut de cet organe qui fait loucher, regarder de travers,
soit en haut, soit en bas, ou encore sur les côtés, t;uit6t
d'un seul œil et tantôt des deux. Ce n'est point une mala-
die proprement dite , puisqu'il n'y a ni douleur ni même
altération de la fonction. Quelques anciens chirurgiens pré-
tendaient que le strabisme provient d'une mauvaise confor-
mation de la cornée transparente, plus tournée d'un côté
que de l'autre. Mais on a reconnu depuis qu'elle est le pro-
duit d'une contraction irrégulière et d'un raccourcissement
d'un ou de deux des muscles qui font mouvoir l'œil. Quel-
ques auteurs pensent d'ailleurs que l'inégale sensibilité des
deux nerfs optiques est la cause réelle de la déviation ocu-
laire. Quant aux causes primitives, elles sont peu connues.
Cependant, les convulsions et les affections cérébrales,
l'usage de coucher les enfants de telle sorte que le jour ne
leur arrive que d'une manière oblique, peuvent aussi f'tre
considérés comme des causes déterminantes de cette affec-
tion, souvent produite passagèrement chez les enfants par les
vers. Eu 1835 un chirurgien allemand, Die f fe nbacli, ima-
gina de couper le muscle ou les muscles dont la rétraction
entraînait l'axe visuel hors de sa direction normale. Depuis,
ses expériences, couronnées d'un plein succès , ont été par-
tout répétées, puis modifiées au gré de chaque opérateur.
Cette opération, dont on a peut-être abusé, n'en demeure
pas moins une des plus remarquables conquêtes de la chi-
rurgie moderne.
STRABOIV , le premier géographe de l'antiquité , né à
Amassée , en -Cappadoce , environ soixante ans av. J.-C,
étudia tour à tour à Nysse, sous Aristodème; à Amissus,
ville du Pont, sous Tyrannion; et à Séleucie, sous Xénar-
que. De là il vint à Alexandrie, où il se livra à l'étude de
la pliilosophie. il commença ensuite à voyager dans l'Asie
Mineure, la Syrie, la Phénicie et l'Egypte, jusqu'aux li-
mites de l'Ethiopie. En Egypte , il se lia avec .Elius Gallus,
à qui Auguste donna le commandement d'une expédition en
Arabie, l'an 24 av. J.-C. Plus tard , Strabon parcourut toute
la Grèce et la Macédoine , enfin l'Italie, à l'exception de la
Gaule Cisalpine et de la Ligurie. Dans un âge avancé, il ré-
digea une Géographie en dix-sept livres, qui nous a été con-
servée ; cependant, le septième livre est incomplet. Parmi tous
les ouvrages que l'antiquité nous a transmis , il en est peu
qui présentent un intérAt aussi vaste, aussi soutenu que celui-
ci. 11 renferme presque toute l'histoire de la science , depob
Homère jusqu'au siècle d'Auguste : il traite de l'origine des
peuples, de leurs migrations, de la fondation des villes,
de l'établissement des empires et des républiques , des per-
sonnages les plus célèbres , et l'on y trouve une immense
quantité de détails qu'on chercherait vainement ailleurs.
Dans le récit des faits, en partie recueillis par lui-même,
i en partie puisés dans d'autres relations , Strabon montre un
jugement excellent toutes les fois que des préjugés ne l'aveu-
glent pas. En effet, si sa prévention en faveur d'Homère
peut s'expliquer jusqu'à un certain point, on ne peut excu-
, ser de même l'injustice avec laquelle il traite Hérodote et
Py thé a s. Un fait digne de remarque, c'est le silence que
les auteurs anciens observent sur l'ouvrage de Strabon , si-
lence qui semblerait indiquer qu'il eut alors peu de suc-
cès. Marcien d'Héraclée, Athénée et Harpocration sont
les seuls qui le citent. Pline et Pausanias ne paraissent
même pas l'avoir connu de nom. Josèphe et Plutarque
nomment Strabon , mais c'est à l'occasion de ses Mémoi-
res historiques , que nous avons perdus. La célébrité de
Strabon date du moyen âge; elle fut alors telle qu'on finit
par le désit^ner uniquement sous le nom du Géographe.
La Géographie de Strabon peut se diviser en deux par-
ties : la première , qui se compose des deux premiers
livres , traite de la cosmographie, ou de la description
de la terre en général. La seconde contient la descrip-
tion des pays particuliers , en quinze autres livres , dont
les huit premiers sont consacrés à l'Europe, six à l'Asie, et
un seul à l'Afrique.
Strabon avait aussi composé un ouvrage historique , une
suite de Polybe , qu'il cite lui-même sous le titre de Mémoi-
res historiques. Ils s'étendaient , à ce qu'il paraît, un peu
plus loin que la continuation de Polybe par Posidonius de
Rhodes; car on voit dans Plutarque que la mort de Jules
César y était rapportée.
I Une traduction française de la géographie de Strabon a
été publiée, en cinq volumes grand in-4"', par ordre
du gouvernement. Le premier volume avait paru en 1805;
les autres ont été achevés sous la Restauration. Les savants
chargés de ce grand travail étaient Laporte du Theil, Gos-
; selin et Coray , auxquels Letronne fut adjoint par la suite.
Le texte de Strabon donné par Coray en 1810 et 1819, en
4 vol. in-S" accompagnés de commentaires très-savants, écrits
i en grec tnoderne , était avec raison considéré comme le
meilleur avant celui que Krammer, chargé par le gouverne-
i ment prussien de collationner tous les manuscrits, en a
I donné, et après lui le savant Meincke. En 1858 M. Charles
Muller, aidé de leurs travaux, a donné pour la Bibliothèque
des auteurs grecs de M. Ambr.-Firmin Didot un nouveau
texte, appuyé des variée lectiones etaccompagné d'un index,
plus complet que tous les précédents. Les nombreuses cartes
qu'il a dressées pour l'éclaircissement du texte offrent les
derniers résultats de la science géographique.
AKTAtn.
STRADELLA (Alessandro), compositeur et chanteur
célèbre du dix-septième siècle, naquit à Naples, en 1645.
Une aventure dans laquelle il fut redevable de la vie au
prestige exercé par son talent vocal mérite d'être rappor-
tée ici. Le fiancé d'une belle Vénitienne, appelée Hortensia,
et qui s'étant subitement éprise d'amour pour Stradella l'a-
vait suivi à Rome , fut déterminé par le tuteur de la jeûna
personne à se charger d'assassiner notre trop galant musi-
cien. Mais cet homme se sentit tellement touché à l'audi-
tion de l'oratorio de Stradella Di S. Giovanni- Batttsta a
cinque voci, con stromenti (16*6) et de la magnifique vois
qu'il y faisait entendre, qu'au lieu d'assassiner son rival,
il vint lui révéler son projet et le conjurer de se dérober
par une prompte fuite aux projets de vengeance du Véni-
tien. Mais Stradella ne pouvait échapper à .sa destinée. Deux
ans plus tard , en 1678 ,à Gènes , où il avait (ait représen-
ter son opéra La Forza delVAmor paterno, comme il s'en
retournait chez lui d'une représentation de son œuvre, ij
STRADKLLA ~ STRALSUND
3 11
fat poignardé par un autre assassin, que son implacable
ennemi avait lancé à ses trousses.
Stradella avait été surnommé par ses contemporains il
primo Apollo délia musica , et était incontestablement
au nombre des premiers maîtres de son siècle. Outre les
deux ouvriiges ci-dessus mentionnés , on a de lui des can-
tates, des madrigaux, et un admirable chant d'église pour
voix de teuor avec accompagnement de cinq instruments à
cordes.
STRADIOTS. Voyez Cavalerie et Estradiots.
STRADIVARIUS (Antonio), le plus célèbre luthier
qui ait jamais existé, naquit à Crémone, vers 1670, et mou-
rut dans cette ville, en 1734. Cet artiste de génie sut don-
ner au violon la forme, le sou, les qualités les plus précieu-
ses sous tous les rapports acoustiques; et les instruments
sortis de ses mains sont encore l'objet de l'étude constante
des luthiers. Comme certains vins exquis, les violons de
Stradivarius semblent gai^ner encore en qualité avec le temps.
Il a construit avec une égale supériorité des altos, des vio-
loncelles et des contre-basses ; mais c'est pourtant à ses vio-
lons que les vrais connaisseurs donnent la palme.
STRAFFORD (Thomas-WENTWORTH, comte de),
ministre de Charles \", né à Londres, eu 1593, appartenait
à une des familles les plus anciennes du comté d'York. A la
mort de son père il hérita d'une fortune considérable; et
en 1621 il entra à la chambre des communes, où il combat-
tit avec succès la politique de Jacques 1". H se prononça
avec plus d'énergie encore contre la cour, en 1625, lorsque
Charles 1^'' convoqua son premier parlement; en 1628 ce
fut lui qui fit adopter par les communes la célèbre Pvtil'ion
of Righ/s, et ce fut lui aussi qui força la cour à y donner son
assentiment. Le fanatisme politique qui, à la suite de cette
victoire de l'opposition , ne tarda pas à éclater dans le parti
puritain, rencontra en lui un adversaire décidé. Appelé pour
la troisième lois, en 1628, à siéger dans la chambre basse,
sa conduite, jusque alors austèie et sans mélange de conces-
sions, parut admettre quelques tempéraments. L'assassinat
de Buckingham lui ouvrit l'entrée du conseil privé. Il fut
nommé, en 1632, gouverneur de l'Irlande. Cette brusque
acceptation des faveurs de la cour jeta quelque discrédit sur
la renommée de Wentvvorlh ; et elle a été diversement ap-
préciée par les historiens. On peut dire à sa justificalion
qu'il exerça ses hautes fonctions avec une intégrité parfaite
et une habileté à laquelle ses ennemis eux-mêmes rendirent
plus d'une fois hommage. Il paraît moins facile de soustraire
aux reproches de l'histoire la conduite postérieure deWent-
worth , que nous désignerons désormais sous le nom de
comte de Sf.rafford, titre qu'il avait rrçn en 1640.
Le parlement avait été dissous , et le roi commençait à
éprouver tous les inconvénients de cette émancipation. Le
manque d'argent affaiblissait sa marine, ses arsenaux et ses
places fortes; et l'avenir, assombri par les querelles reli-
gieuses et les dissensions intestines qui agitaient la cour,
l'avenir paraissait menaçant. L'arbitraire s'appesantissait
lie plus en plus sur cette vieille terre de franchise et de li-
berté. D'iniques poursuites judiciaires , provoquées par quel-
ques réclamations courageuses contre ces actes d'illégalité
et de tyrannie , achevaient de soulever les esprits. Un gen-
tilhomme du comté de Buckingham, John Hampden,
donna le premier signal de la résistance nationale. L'impo-
pularité de sa condamnation, et diverses séditions i)lus ou
moins dangereusesqui éclatèrent en Ecosse, firent comprendre
à Charles la nécessité de convoquer un parlement. Mais cette
assemblée écouta sans sympathie les doléances de la cou-
ronne; et sa dissolution au bout de trois semaines ne fit
qu'aggraver les embarras du malheureux monarque.
Strafford , qui avait obtenu du parlement d'Irlande tous
les subsides qu'il avait demandés, vint prêter à Charles son
habile assistance ; il multiplia les expédients et les ressources
pour épargner à son maître le joug du contrôle législatif.
Mais le roi , assiégé d'embarras , harcelé de pétitions pour
la convocation d'un parlement, crut devoir céder enlln , et
la trop fameuse assemblée de 1640 fut réunie. L'un de ses
premiers actes fut l'accusation de Strafford. Le ministre se
rendit à Londres, espérant faire tête à l'orage, et sur la
promesse du roi « qu'il ne serait pas touché un cheveu à
sa tête ». Il parut à la chambre des lords; mais elle refusa
de l'entendre, et le fit tranférer à la Tour. Son procès com-
mença immédiatement, ou plutôt on masqua de quelques
formalités judiciaires la résolution, prise à l'avance, d'im-
moler cette illustre victime au ressentiment que l'absolutisme
de Charles avait inspiré à Pym , à Hollix, à Hampden et
aux autres meneurs du parti parlementaire. L'examen des
charges portées contre lui ne dura pas moins de dix-sept
audiences. Strafford discuta seul , contre treize accusateurs
qui se relevaient tour à lour, les faits qui lui étaient imputés.
Mais il n'était plus possible d'arrêter le torrent. Le bill d'ac-
cusation des communes fut admis par la chambre haute.
Restait la sanction du roi : ce prince, com[)tant mal à propos
sur sa fermeté, fit déclarer à son ami qu'il ne consentirait
jamais à la perte de celui qui avait servi si fidèlement le
trône. Strafford eut la noblesse de le relever lui-même de
ce téméraire engagement. Cependant, quand il apprit que
Charles avait souscrit à la sentence qui le dévouait à l'écha-
(aud, il ne put s'empêcher de témoigner quelque amertume
de ce lâche abandon. Le 12 mai, l'infortuné Strafford fut
conduit au lieu de l'exécution. Il mourut avec fermeté.
Les historiens se sont accordés à flétrir la sentence qui
condamna Strafford, comme l'une des plus iniques que les
passions politiques et religieuses aient arrachées à la cor-
ruption ou à la peur. Sans doute un grand nombre des actes
de ce ministre étaient condamnables d'après la constitution
anglaise, surtout en ne tenant point compte des circonstances
difficiles et extraordinaires dans lesquelles ils étaient inter-
venus.' Mais ce qu'on peut affirmer en toute assurance,
c'est qu'aucun de ces actes ne méritait la mort. Le nom de
Strafford doit donc être ajouté à la liste, trop nombreuse, des
victimes de ces réactions civiles qui, sous des semblants
juridiques, ne signalent dans les partis que l'abus de la vic-
toire et l'oubli des principes de justice et de générosité, prin-
cipes invoqués aux jours d'impuissance, et méconnus plus
tard lorsqu'on est en mesure de les appliquer.
A. BOULLÉE.
STRALSUi\D, chef-lieu de l'ancienne Poméranie
suédoise , et aujourd'hui de la province de Prusse du même
nom, est situé sur le détmit de Strela , qui sépare l'Ile de
Riigen du continent, et dont la partie septentrionale est
nommée Gp//en. Elle forme une île entourée d'un côté paria
mer et de l'autre par des étangs, et est reliée à ta terre ferme
par trois ponts. Les fortifications, rasées en 1808, ont été
rétablies depuis 1816. Tout près du port se trouve l'île for-
tifiée de Dxneholm , avec un établissement de marine. La
ville a des rues étroites, mais parallèles, et un grand nombre
de maisons surmontées de toits magnifiques, qui lui donnent
un air antique. Les trois principales églises, Notre-Dame,
Saint-Nicolas et Saint-Jacques , .sont d'architecture gothique,
toutes recouverte'^ en cuivre, et contiennent un grand noiubrt
de curiosités. Du haut de la tour de Notre-Dame on découvre
une vue magnifique. Le bel hôtel de ville, où l'on voit une
salle de toute beauté, contient une bibliothèque publique
assez importante. Le nombre des habitants s'élève à 18,500.
Ils se livrent au commerce maiitime, qui a surtout pour
objet les grains et la drèche, et entretiennent des fabriques de
cartes à jouer, de miroirs , de cuirs, de sucre et d'amidon.
Stralsund fut fondée en 1209, par le prince Jaromar de
Rugeii. Comme membre de la Ligue hanséatique, elle par-
vint à un haut degré de prospérité , et faisait dès lors un
commerce important en laine et harengs avec les pays les
plus lointains. Wallenslein l'assiégea inutilement pendant la
guerre de trente ans. En 1808 elle ouvrit ses portes aux
Français, par capitulation. La paix de Kiel de 1814 l'adjugea
avec toute la Poméranie suédoise au Danemark , qui par le
traité du 4 juillet 1815 rétrocéda l'une et l'autre à la Prusse.
La vil'e a conservé divers privilèges et immunités; mais elle
842
STRALSUND - STRASBOURG
a perdu depuis 1 849 le droit de juridiction particulière qu'elle
exerçait dans son enceinte , et elle est aujourd'hui le siège
d'un tritiunal royal de cercle.
STIIAMOIÀ^E. Voyez Datura.
STRANGULATION ( du latin strangidatio, fait de
itrangulare, étrangler), phénomène qui consiste dans la
constriction exercée sur le cou , de manière à troubler ou à
mtercepler les actes de la respiration , de la circulation, etc.,
d'où résulte l'asphyxie primitive ou secondaire, et le
plus souvent la mort. On donne plus spécialement le nom
d'étranglementk\a constriction exercée sur les autres
parties, sur une portion de l'intestin , par exemple, dans les
cas de hernie. Bien qu'à la rigueur la strangulation puisse
être le résultat d'un accident, comme lorsque, dans une
chute d'un endroit élevé, un individu se trouve arrêté et
maintenu en suspension par la cravate, cet événement est
d'ordinaire le résultat d'un suicide ou d'un homicide.
C'est particulièrement sous le point de vue de la médecine
légale que la strangulation est intéressante à étudier; à cet
égard, deux questions principales s'offrent à résoudre, à
savoir : 1" si la strangulation , avec ou sans suspension , a
eu lieu pendant la vie ou après la mort; 2" si, dans le cas
de strangulation pendant la vie, la mort a été le résultat
d'un suicide ou d'un homicide. Les mêmes éléments , à peu
près , servent à la solution de ces deux problèmes ; l'un et
l'autre sont éclairés par l'appréciation minutieuse et rigou-
reuse de toutes les circonstances physiques et morales rela-
tives à l'événement. L'examen des questions de cette nature,
qui touchent à la vie et à l'honneur des citoyens , ne soufire
pas de notions incomplètes ; c'est dans les ouvrages spéciaux
qu'il convient de les étudier. Nous nous bornerons à l'é-
noncé de quelques propositions générales.
La strangulation sans suspension est rarement le résultat
d'un suicide, car il est mille moyens plus expéditifs, et
surtout plus faciles, d'en finir avec la vie. La strangulation
paj- suspension est rarement le résultat d'un homicide , car
elle nécessite ordinairement des luttes et des longueurs dont
s'atlranchissent les assassins. La strangulation par homicide
est ordinairement accompagnée de violences sur diverses
parties du corps, violences qui prennent leur source dans
la résistance opposée par la victime. La strangulation par
suicide, avec suspension, est accompagnée de peu de dé-
sordres extérieurs, même dans les parties comprimées par
le lien suspenseur. La direction oblique d'avant en arrière
de l'empreinte opérée par le lien suspenseur est en général
un signe de suicide; dans l'homicide, cette empreinte est
ordinairement circulaire, les meurtriers ayant soin d'étran-
gler l'individu avant de le pendre. Les ecchymoses autour
du lien, les éraillements , l'étal parcheminé de la peau sous
le lien lui-même, sont généralement des signes de suspen-
sion pendant la vie. La luxation de la colonne vertébrale
dans la suspension résulte ordinairement d'un homicide.
Indépendamment de ces signes matériels intrinsèques ,
pour ainsi «lire, il en est d'accessoires, qui servent puissam-
ment à éclairer l'expert et le magistrat : ce sont l'expression
de la physionomie calme ou irritée , les mutilations que
porte le cadavre , le désordre des vêtements , des meubles,
les traces de luttes , en un mot ; puis la longueur et la dis-
position de la corde : cependant , le défaut d'élévation de
celle-ci n'est pas une preuve absolue d'homicide, car on a vu
des individus se pendre à genoux, assis, ou môme étendus. Un
événement mémorable , qin a longtemps occupé le public
et les journaux, le suicide présumé du prince deCondé,
qui fut trouvé pendu les pieds touchant le parquet, a fourni
l'occasion de mettre de pareils faits hors de doute.
FORGET.
STRANGURIE. Voyez Dysurie.
STRASIiOURG, place forte de premier ordre, autre-
fois capitale de l'Alsace, aujourd'hui chef-lieu du départe-
ment du Bas-Rhin, au coniluent de l'iU et de la Breusch ,
à environ quatre kilomètres du Rhin, saU'Argenforatum des
anciens. Les rues en sont irrégulières et les maisons de cons-
truction antique. Les beaux édifices y sont en très-petit
nombre. Les fortifications sont très-considérables, et avec
la citadelle, qui fut construite par Vauban, en 1684, et forme
un pentagone régulier, s'étendent presque jusqu'au Rhin.
Les remparts ont été récemment reconstruits, d'après un
nouveau système. En avant des portes, le Broglie, leCon-
tade, l'Orangerie, la Robertsau, sont de fort belles prome-
nades. La garnison se compose ordinairement de quatre régi-
ments, dont deux d'artillerie; et les exercices continuels de
ces troupes, le canon du polygone, l'attitude militaire et pa-
triotique de la population elle-même, tout cela est pour l'é-
tranger qui arrive d'Allemagne en France un sujet de sur-
prise et d'admiration. Dans tous les dangers de la patrie,
les citoyens de Strasbourg ont vaillamment payé de leur per-
sonne; et on n'oubliera jamais le siège que sa seule garde
nationale soutint avec tant de succès en 1814, contre les
armées de la coalition. Le nombre des habitants dépasse au-
jourd'hui 71,000, dont moitié catholiques, moitié protes-
tants, et environ 2,500 Israélites. Les catholiques possèdent,
y compris la cathédrale, sept églises paroissiales, et les pro-
testants en ont huit. Les premiers sont placés depuis 1801
sous l'autorité d'un évoque, suffragant de l'archevêque de
Besançon , et dont le diocèse comprend les deux départe-
ments du Haut et du Bas-Rhin. La cathédrale est un des
plus magnifiques chefs-d'œuvre de l'architecture gothique;
on en trouvera la description à l'article Cathédrale de ce
Dictionnaire {voyez tome IV, page 655). Parmi les églises
protestantes on remarque surtout Saint-Thomas, contenant
le tombeau du maréchal de Saxe et ceux de divers profes-
seurs distingués de l'ancienne université. Il faut encore
mentionner l'ancien palais épiscopal (bâti par le cardinal
de Rohan), aujourd'hui château impérial; l'ancien collège
des jésuites, aujourd'hui séminaire épiscopal; divers cou-
vents; l'hôtel de ville (ci-devant Darmstsedter Hof), la
préfecture, l'hAtel de l'administration militaire (ci-devant
Zweibrucker Hof), la Monnaie , l'immense arsenal et la
fonderie de canons, avec beaucoup d'autres établissements
militaires; la salle de spectacle, le palais de justice, l'hôpital
civil et l'hôpital militaire, la halle aux fruits, l'université, etc.
Parmi les places publiques on remarque surtout la grande
place de la Parade, ornée de la statue en bronze de Kleber.
Une statue a été érigée en 1840 à Gutenberg, sur la
place Gutenberg. L'université fondée à Strasbourg en 1621 ,
et dont la faculté de médecine jouissait d'une grande célé-
brité, fut détruite à l'époque^de la révolution, et remplacée
alors par une école dite centrale. En 1803 on créa à Stras-
bourg une académie protestante, avec dix chaires pour l'en-
seignement de la théologie, de la philologie, de la philosophie
et de l'histoire. Elle reçut le titre de séminaire en 1808, lors
de la création de l'université impériale et de l'organisation •
de l'académie de Strasbourg, avec une faculté de droit, une
faculté de médecine, une faculté des lettres et une faculté
des sciences. En 1819 on y ajouta une partie des professeurs
du séminaire comme faculté protestante de théologie ^ et
plus tard encore une école de pharmacie; de sorte que Stras-
bourg est aujourd'hui, avec Paris, la seule ville de France
en possession des diverses branches d'enseignement dont la
réunion constitue ce qu'on appelle en Allemagne, en An-
gleterre, en Italie, etc., une université. En fait d'établisse-
ments d'instruction secondaire , la ville compte encore le
gymnase protestant, fondé en 1538, un lycée impérial et un
petit séminaire catholique. Strasbourg possède en outre une
bibliothèque publique, très-riche en incunables, un jardin
botanique et un amphithéâtre d'anatomie. En 1771 l'histo-
rien Schœpdin légua à la ville sa précieuse bibliothèque,
ainsi que son riche cabinet de médailles et d'antiques; en
1783 Strasbourg hérita également de la collection Silbermann,
particulièrement riche en ouvrages relatifs aux antiq'uités
et à riiisloire du pays. La bibliothèque de la ville et l'an-
cienne bibliothèque de l'université ( aujourd'hui du sémi-
naire), comprenant ensemble plus de 160,000 volumes,
occupent maintenant le chœur de l'églisedes Prédicateurs, dis-
STRASBOURG — STRASS
343
posé à cet effet depuis 1834. Strasbourg est aussi le siège
du consistoire central supérieur des églises de la confession
d'Augsbourg dans toute la France. Le commerce n'y est
plus aussi florissant que dans les anciens temps ; et ses
deux foires, jadis célèbres, sont plutôt maintenues pour les
réjouissances populaires auxquelles elles donnent lieu tra-
ditionnellement, qu'en raison de l'importance des transactions
commerciales qui s'y passent. Toutefois , l'établissement des
cbemins de fer a eu pour résultat depuis quelques années
de donner plus d'animation et de mouvement à la ville,
dont la population s'accroît rapidement, dans la banlieue
surtout. Le commerce exporte du safran bâtard, de l'anis,
de l'eau-de-vie, du vin, de la potasse, du chanvre, de la
garance, et beaucoup d'autres objets fabriqués, des articles
de mode, des couvertures de laine , du parchemin, de belles
broderies, des dentelles, des draps, etc. Le produit du sol
le plus important que prépare la ville, c'est le tabac. Les
fabriques de voitures de Strasbourg sont en grand renom.
La contrée environnante est fertile et cultivée avec le plus
grand soin, et toute couverte de jardins, de maisons de cam-
pagne et de riches villages, parmi lesquels on dislingue sur-
tout Schiltigheim, Bischheim, Ruprechtsau, Neuhof, etc.
Argentoratum était dès le second siècle de notre ère une
ville fort importante. La huitième légion était stationnée aux
environs ; on voit par les itinéraires anciens que plusieurs
grandes routes y passaient ou y aboutissaient, et ce lieu est
figuré sur la carte Théodosienne comme ville du premier
rang. Dès l'an 3i6 elle est la résidence d'un évoque. Ar-
gentoratum est qualifiée de municipium par Ammien Mar-
cellin. Il est probable que vers 368 ses fortilications fu-
rent augmentées avec celles des autres villes du Rhin, par
A'alrntinien I*""; enfin , vers les derniers temps de l'Empire,
elle était gouvernée par un comte particulier, et seule dans
Ic^ Gaules elle possédait une manufacture d'armes de tous
genres. Une lettre de saint Jérôme nous apprend qu'elle fut
saccagée par les barbares, en 407. Les dévastations se mul-
tiplièrent à tel point que, vers le commencement du hui-
tième siècle, des décombres couvraient encore l'emplace-
ment où fut fondée l'abbaye de Saint-Étienne. Restaurée sur
Vemiilacement d^ Argentoratum, elle fut appelée strasta-
bourg, de via strata , d'où les Allemands ont fait strasse.
Au septième siècle saint Arbogasle et saint Florent furent
évoques de Strasbourg; le premier jouissait de toute la fa-
veur de Dagobeit, et obtint de lui des donations considé-
rables pour son évêché. La ville fut agrandie en l'an 700
par une enceinte nouvelle, et un palais fut construit sur le
lieu où est aujourd'hui le village de Kœnigshoven, dont le
nom signifie cour royale. Un comte en fit ensuit* son sé-
jour jusqu'au treizième siècle. Pendant les guerres qui agi-
tèrent la première moitié du treizième siècle, Strasbourg
compta parmi ses citoyens Goltfried, l'un de ces chantres
d'ainour appelés mj«ne5j«grer, qui illustrèrent le règne des
empereurs de la maison de Souabe : son poème de Tristan
offre un intérêt touchant et soutenu. Frédéric II donna li-
berté et protection au commerce. En 1254 la cité entra
dans la fédération des villes du Rhin : elle prit la A'ierge
pour bannière, et les lys marquèrent ses monnaies. En 1261
Gaulthier de Geroldseck ayant voulu la contraindre à se
prononcer dans sa guerre contre l'évêque de Metz , il en ré-
sulta une suite de combats très-glorieux. Rodolphe de Habs-
bourg s'illustra dans cette lutte, et quitta le service du pré-
lat pour celui de la ville ; l'évêque combattit en personne,
et eut deux chevaux tués sous lui... L'empereur, qui sim-
ple chef avait défendu la cause de Strasbourg, ne pouvait
manquer de lui être favorable; il l'enrichit de nouveaux pri-
vilèges, et elle le servit puissamment dans sa guerre contre
Ottocaire. Le sénat put ordonner aux citoyens de tenir
constamment 2,000 chevaux prêts pour la guerre, tant étaient
grande l'opulence et la population de cette cité.
Le quatorzième siècle devait être marqué par les dissen-
sions des nobles :1a faction des Zorn et celle des Muhlen-
heim se disputaient le pouvoir. Les bourgeois obtinrent , I
quelques années plus tard , des magistrats populaires , ?ou3
le nom A^ammeilres. De 1436 à 1439, Gutenberg de
Mayence fit à Strasbourg les premiers essais de l'art de
l'imprimerie La guerre de Bourgogne fut pour cette ville une
occasion de gloire ; elle prit part à toutes les expéditions di-
rigées contre Charles le Téméraire ; l'un de ses citoyens,
Guillaume Herter, commandait l'infanterie à Mo rat. Les
députés de Strasbourg tenaient aux diètes le premier rang
parmi ceux des villes , et sa bannière marchait à côté de
celle de l'Empire. Ér;isme comparait cette république à celle
de Platon, disant qu'il y avait une monarchie sans tyran-
nie, une démocratie sans confusion , une aristocratie sans
factions. Sa charte constitutive date de 1482. Le serment de
l'observer était renouvelé chaque année , et cet usage se
perpétua jusqu'à la révolution française. En 1632 Stras-
bourg s'allia avec les Suédois , et par les conseils de Gus-
tave Horn, ajouta seize bastions à ses fortifications. Après
le traité de Westphalie , il lui devint <lirficile de se mainte-
nir entre la France et l'Empire; et la guerre ayant éclaté,
Louis XIV fit approcher, en 1681 , une armée de ses nmrs.
Une capitulation, sans doute préparée à l'avance, plaça
Strasbourg sous la souveraineté de la France, à qui la paix
de Ryswijcken adjugea définitivement la possession, en 1697.
Mais la ville conserva ses privilèges, sa refigion et ses lois.
On y comptait alors à peine 33,000 habitants, et c'était une
ville essentiellement protestante, tandis qu'aujourd'hui la
moifé de la population est catholique. Sous la domination
française la ville fit de rapides progrès entons genres. Elle
souffrit beaucoup à l'époque de la révolution ; mais il ne
s'y commit pas tant d'atrocités qu'à Paris, à Marseille et
ailleurs. Lors delà révolution de juillet 1830, Strasbourg
fut une des premières villes de France à arborer le drapeau
tricolore. Le coup de main que Louis-Napoléon , d'intel-
ligence avec plusieurs officiers supérieurs , tenta à Stras-
bourg, le 30 octobre 1836 , à l'effet de faire valoir ses droits
au trône de France , échoua complètement.
L'évêché catholique de Strasbourg, sur les deux rives du
Rhin , suffragant de l'archevêché de Mayence , était, il est
vrai, placé sous l'autorité de la France avec son territoire
sur la rive gauche du Rhin, depuis que Strasbourg et l'Al-
sace appartenaient à la France; mais pour ses deux baillia-
ges A'Oberkirch et (TEttenheim, situés sur la rive droite du
Rhin, il constituait un fief de l'Empire d'Allemagne. Les
possessions de l'évêché comprenaient une superficie de 15
myriamètres carrés, avec une population de 30,000 âmes
et un revenu de 350,000 florins. Celles de ces posses-
sions qui se trouvaient en France furent confisquées tout
au début de la révolution; la partie située en Souabe (2
myriamètres caiTés , 5,000 habitants, et 35,000 florins de
revenus), consistant presque toute en montagnes incultes et
en forêts, fut attribuée en 1803, sous la dénomination de
principauté cVEttenheim, à l'électeur de Bade, qui en
1806 la réunit au cercle badois de Kinzig.
STRASS. C'est le nom qu'on donne à la substance avec
laquelle on imite les pierres précieuses. Sa composi-
tion se rapproche beaucoup de celle du vene, ou mieux du
cristal : on s'en sert pour imiter les roses lorsqu'il est inco-
lore; paais quand on y introduit des oxydes métalliques, il
peut reproduire le saphir, l'améthiste, l'émeraude, la to-
paze, etc.; sa préparation exige certaines précautions, sans les-
quelles l'opération manque presquetoujours.il faut employer
d'excellents creusets de Hesse ou de porcelaine, et un, four
en forme de ruche ayant 2"',33 de hauteur sur l'",33 de dia-
mètre; puis entretenir un feu soutenu , mais pas très-fort,
pendant viniit-quatre ou trente heures. Plus la fusion est tran-
quille et prolongée, plus le strass est dur et beau. On doit éga-
lement laisser refroidir le fourneau lentement, et ne retirer
le creuset que lorsqu'il est entièrement froid; enfin, toutes
les conditions pour bien réussir peuvent se résumer en cel-
les-ci : matières très-pures, bien pulvérisées, quelquefois
même porphyrisées, mélange très-intime, feu bien conduit
et gradué, creusets excellents, refroidissement lent. Comme
344
on le voit, la fabrication du strass piéseute d'assez grandes
difficultés , et demande toute Tliabileté d'un bon lapidaire.
Les substances qui servent à faire le beau strass sont : le
cristal de loclie, le minium, la potasse pure, le borax et
l'arsenic. C'est ensuite en prenant une certaine quantité
de cette substance , mêlée avec de l'oxyde de cobalt, qu'on
imite le saphir; pour l'amétlijste, c'est un mélange d'oxyde
de manganèse, d'oxyde de cobalt et de pourpre de Cassius
avec du strass ; pour l'émeraude , un mélange d'oxyde vert
de cuivre et d'oxyde vert de chrome ; i)our la topaze, c'est
le verre .d'antimoine avec le pourpre de Cassius , etc.
STRATAGÈME. Voyez Ruse.
STRATE, STRATIFlCATIOxN (du latin stratus,
couche). En géologie, on nomme strate la partie d'une
masse minérale qui se trouve comprise entre les fissures ou
joints (^'autres roches. Les strates ne sont que des lits ou
parties de couches. Les roches forment des strates lorsque
leurs masses, assises les unes sur les autres ou posées les
unes à côté des autres , sont divisées en parties beaucoup
plus étendues dans le sens de la longueur et de la largeur,
que dans celui de l'épaisseur. Les deux faces d'une strate
sont ordinairement parallèles.
La stratification est la disposition des masses minérales
arrangées par couches ou strates.
STRATEGE. Voyez Génékal.
STRATÉGIE, TACTIQUb:. fendant longtemps les ter-
mes techniques i\e stratégie, do tactique, de science et
d'art de la guerre ont été considérés comme synonymes.
Le premier écrivain militaire qui les ait distingués a été l'au-
teur de ['Esprit du Système de Guerre moderne , liulow.
Selon lui, la stratégie est la science des mouvements qui
se font hors du rayon visuel réciproque des deux armées
combattantes, ou , si l'on veut , hors de la portée du canon.
Latactiqtie est la science des mouvements qui se font en
présence de l'ennemi et de manière à pouvoir en être vu et
atteint par son artillerie. Tous les mouvements qui tiennent à
un choc direct des troupes appartiennent donc à la tactique,
et les marches prolongées et les campements sont du ressort
de la stratégie. Après Bulow, l'archiduc Charles a donné à
ces deux expressions une signification non-seulement plus
précise, mais, à notre avis, plus exacte et plus rationnelle.
« La stratégie, dit-il, qui est, à proprement parler, la
science du général en chef, conçoit et forme le plan des
opérations de la guerre, en embrasse l'ensemble et détermine
ieur marche. La tactique, qui est l'art indispensable à tout
chef de troupes, enseigne la manière d'exécuter les plans
de la stratégie. Les plans généraux d'opérations militaires
et les mouvements d'armées, qui en sont la conséquence,
sont donc stratégiques , et les mouvements ou l'emploi
particulier des troupes sont tactiques. »
Celte définition paraîtra .sans doute un peu trop exclusive,
au moins pour la stratégie, qui n'est pas aussi mystique
qu'elle pourrait le sembler au premier coup d'œil. Suivant
nous, (jTpaTYiYo; ou stratège, signifiant général, ou, plus
exactement, clietou conducteur d'une troupe armée , stra-
tégie dé.signera l'ensemble des connaissances théoriques et
pratiques qu'il doit posséder. TàÇij, dérivé de -râaaw, et qui
.signifie arrangement, ordre, organisation, appliqué a l'art
de kl guerre, exprime la règle ou rordonuaucequiilétermine
l'arrangement des troupes dans les différentes positions où
elles peuvent se trouver, et pour tous les mouvements qu'elles
devront exécuter; c'est ce qui fait l'objet des règlements de
manœuvres qui existent dans les dilïerents Étals civilisés.
La tactique sera donc l'art qui règle l'ordonnance et les
manœuvres des troupes de la manière la plus avantageuse
relativement au but de leur emploi.
U résulte de notre définition , que l'archiduc Charles a pu
conclure avec raison que la stratégie est la science des
dispositions et des mouvements qui embrassent l'ensemble
de la guerre, et la tactique l'art de les exécuter en détail.
Mais il n'en résulte pas, suivant nous, que la science stra-
tégique soit restreinte, relativement à son emploi, au seul
STRASS -~ STRiTÉGJE
général en chef d'une armée; car il est assez souvent ar-
rivé que des chefs subalternes ont conçu et exécuté, sans
autre impulsion que leur intelligence, des mouvements
qu'on ne saurait rattacher aux règles de la tactique, et dont
l'à-propos et les résultats leur ont mérité une juste recon-
naissance. D'après la définition que nous venons de donner,
toutes les opérations de la guerre dont la conception, la réa-
lisation et les développements sont indépendants de la dis-
position particulière et des manœuvres de détail des troupes
qui les exécutent appartiennent à la stratégie. D'un autre
côté, l'ordonnance particulière des troupes, leurs différents
ordres de bataille, d'attaque , de marche, de campement,
les manœuvres qu'elles doivent faire pour passer de l'un à
l'autre de ces ordres , leur armement et l'emploi de leurs
armes, et leur instruction, sont du ressort de la tactique.
Considérées dans leurs relations avec les principes de la
tactique , qui les exécutent , les opérations de la stratégie se
réduiraient à quatre : campements, marches, batailles et
sièges; car le résultat des grands mouvemeuts qu'on peut
faire faire aux troupes ne peut les conduire qu'à une de
ces quatre positions. Mais plusieurs genres de combinaisons
qui naissent des dispositions de l'adversaire, de la configu-
ration du terrain , du but général de la guerre , de l'emploi
des différentes espèces de troupes dont se compose une
armée, et de la proportion qui doit exister entre elles, etc.,
amènent un nombre presque infini de modifications. Même
dans des circonstances en apparence pareilles, sur le même
terrain , deux opérations parfaitement semblables n'ont ja-
mais pu être exécutées par deux armées; aucun général , en
arrivant sur ces terrains qu'on veut appeler classiques,
n'a pu se contenter de copier ce qui a réu.ssi à son pré-
décesseur. Ici il est évident que le génie du chef doit
suppléer aux enseignements qu'il ne peut suivre. On se con-
vaincra donc de l'extrême difficulté, pour ne pas dire de l'im»
possibilité, où l'on doit se trouver d'établir pour la stratégie
des règles invariables, applicables dans tous les cas; de
les présenter sous la forme d'un nombre limité d'équations
formulaires, où l'on peut donner dans chaque cas la va-
leur des inconnues. Ces inconnues sont déjà très-nombreuses
par elles-mêmes, variables entre elles et dans des circons-
tances qui sont également variables. Telles sont en effet
les intentions politiques et matérielles de la guerre , la na-
ture du pays où elle doit se faire, la quantité et l'espèce
des ressources que nous pouvons y rencontrer , le nombre,
l'espèce et la valeur militaire de nos troupes comparative-
ment à celles que nous aiuons à combattre, les ressources
que nous pouvons tirer de notre propre pays , etc. Ce n'est
pas cependant qu'il n'y ait des principes généraux ou , si
l'on veut, fondamentaux, qui doivent présidera toutes les
combinaisons de la stratégie , et dont il n'est pas permis
de s'écarter dans les opérations qui so'nt les conséquences
de ces combinaisons. Mais ces principes sont en petit nom-
bre, et se rattachent tous à un principe primitif dont il ne
sont que les applications, et qui est lui-même le but inva-
riable auquel on doit tendre dans toute guerre, quel qu'en
soit le motif. Ce but est de causer à .son ennemi le plus
grand dommage possible, en réduisant à la moindre ex-
pression les sacrifices qu'il finit faire pour y parvenir. Un
des premiers corollaires qu'on en peut déduire est la règle
([ui doit servir de base absolue à toutes les opérations ac-
tives de la stratégie -. celle de se trouver toujours le plus
fort partout où l'on voudra atteindre .son adversaire ou
résister à un choc dont il nous menacera lui-même.
On ne saurait divi.ser d'une manière ab.solue les opéra-
tions delà stratégie en offensives et en défensives; car il ne
saurait y avoir de guerre offensive qui ne soit mêlée de dé-
fensive, et réciproquement. La première nécessité à laquelle
doit satisfaire le système de guerre qu'on veut suivre, et
d'après lequel on établit son plan de campagne , est non-
.seulement de réunir toutes les ressources nécessaires dans
des lieux avantageux, à portée de soi , mais encore de les
couvrir par l'armée qu'on commande, de manière à les
STRATEGIE
meltre à l'abri des tentatives de reniiemi. Il en résulte
que la première disposition stratégique doit être celle qui
place l'armée de manière à couvrir et à défendre ses
ressources, et par conséquent son propre pays , qui en est
la source : elle est, ainsi qu'on le voit, défensive. Après
ces préliminaires indispensables peuvent seulement com-
• mencer les opérations actives, qui constituent la guerre
proprement dite.
La ligne des lieux où sont disposées les ressources de
tous genres nécessaires à une armée, c'est-à-dire la ligne
des places d'armes où sont établis ses magasins et ses dé-
pôts, est ce qu'on appelle la base d'opérations. Cette base
constituant nécessairement pour elle le principe de sa con-
servation et de son alimentation personnelle, il est évident
qu'un des principes immuables de la stratégie est que toutes
ses opérations doivent être combinées de manièi e à ce que
notre armée reste toujours en relation directe avec sa
' base, et soit placée de manière à ce que l'ennemi ne puisse
en atteindre aucun point avant nous. Un autre principe éga-
lement immuable est que les opérations offensives doivent
avoir pour résultat final de priver l'armée ennemie de
toutes ou d'une partie des ressources que lui offre sa
propre base , en l'en séparant et nous en rendant maîtres,
si nous le pouvons. Un troisième principe, dérivé de celui
qui veut que nous nous appliquions à alléger les sacrifices
nécessaires pour parvenir à notre but , est celui d'éviter
avec soin toutes les batailles qui ne nous offrent que des
cbances très-probables d'un succès complet. Nous devons
donc, d'un côté, conserver toujours la possibilité de refuser
les batailles que l'ennemi pourrait nous offrir dans son in-
térêt, et en même temps nous appliquer à le contraindre
à recevoir celles dont le résultat doit faciliter ou assurer
le succès de nosopérations. Une bataille, qui n'est qu'un appel
à la force, est le dernier des moyens que doit employer un
général qui est arrivé au dernier terme des combinaisons
de l'intelligence. Consultez l'archiduc Cbarles, Principes de
Stratégie démontrés par la campagne de 1796 en Alle-
magne ( en allemand; 3 vol., Vienne, 1814 ); Jomini,
Tableau analytique des principales Combinaisons de lu
Guerre ( Paris, 1830). G^' G. de A'audoiNcouht.
STRATFORD-SUR-L'AVON, petite ville du comté
de Warwicli (Angleterre), sur l'Avon et sur un embran-
cbement du canal de Worcester à Birmingbam, avec un pont
de quatorze arclies et 3,800 habitants, est célèbre comme
ayant donné le jour a John Stratford, archevêque de Can-
terhury et chancbelier du royaume sous Edouard III, mais
surtout comme le lieu où naquit et où mourut Shak es-
pe a le. On y voit encore, dans Henleij-Strcet, une maison
antique et de chétive apparence, à un seul étage, où il vint
au monde, en l'an 1564. Elle porte cette inscription : The
immortal Shakespeare tvas born in this house. Le tom-
beau, du grand poète se trouve dans le chœur de l'église pa-
roissiale, édifice de style gothique, construit sur les bords de
la rivière et auquel on arrive par une donhie allée de til-
leuls et de marronniers vénérables.
STKATIFICATIOIV. Voyez Strate.
STRATIFICATION de la lumière électrique. Voyez
Œuf électkique.
STRATON DE LAMPSAQUE, ainsi appelé de sa ville
natale, La mpsa que, philosophe grec et successeur immé-
diat d'Aristote, vivait vers l'an 270 av. J.-C. Il est re-
marquable comme ayant créé une psychologie uniquement
basée sur le matérialisme, attendu qu'il ne voyait dans
l'àrne qu'une simple modification de la force vitale ani-
male, et qu'il prétendait ramener ses fonctions à de simples
mouvements. Comme il semble avoir étendu cette o|)inion
à la nature en général, il s'éloigna en différents points es-
sentiels des doctrines de son maître Aristote, et enseigna
un hy lozûïsme, qui dans tous les phénomènes de la
vie physique et intellectuelle ne voyait que de la matière
avec un mouvement que lui était inhérent. Consulte; Nau-
v»i!rk, De SI ralone La7npsaccno (Berlin, 1836).
- STRAUSS 345
STRATONICE, fille de Démétrius Poliorcète et
femme du roi de Syrie Séleu eus Nicator , s'éprit d'a-
mour pour son beau-fils, Antiochus Soter, à qui son père
consentit à la céder, et construisit un temple magnifique
à Zeus et à Atergatis.
STRATUS. Voyez Nuage.
STRAUSS (Uavid-Fkédéric), le fameux auteur de la
Vie de Jésus, est né le 27 janvier 1808 , a Ludwigsburg,
en Wurtemberg, et étudia la théologie à Gœtlingue. Il fut
nommé en 1830 vicaire, en 1831 professeur adjoint au sé-
minaire de Maulbronn, en 1832 répétiteur au séminaire théo-
logique de Tubingue , et on le chargea en même temps de
faire un cours de philosophie à l'université. Ju.saue alors
complètement inconnu , il produisit tout à coup une vive
sensation dans le monde lettré par la publication de sa Vie
de Jésus , au point de vue critique ( 2 vol., Tubingue,
1833 ; 4" édition, 1840 ), parce qu'il s'efforçait de démontrer
dans cet ouvrage que l'ensemble de l'histoire évangélique
n'est qu'une suite de mythes, nés successivement dans
les communautés chrétiennes du premier et du douzième
siècles, des idées sur le Messie répandues par les traditions
juives de l'Ancien Testament. La publication de ce livre si
hardi, qui provoqua aussitôt la plus ardente polémique, lui
fit perdre sa place, en IS.TO; mais il fut à quelque temps de
là appelé par le conseil des études de Zurich, et sur la
présentation du bourgmestre Hirzel, à venir occuper dans
l'université de celte ville la chaire de dogmatique et d'his-
toire ecclésiastique. Les nombreuses réunions cantonales et
assemblées iiopulaires dans lesquelles on protesta contre
cette nomination amenèrent la révolution politique qui
éclata le 6 septembre suivant et causa la chute du parti
radical dans le canton de Zurich. En 1847 Strauss fit pa-
raître Le Romantique sur le trône du César, ou Julien
V Apostat, ouvrage qui produisit aussi une profonde sensa-
tion. Désigné l'année suivante par sa ville natale comme can-
didat au parlement de Francfort, il succomba aux défiances
et aux répugnances que le parti clérical parvint à répandre
contre lui parmi les populations des campagnes. Élu, au
contraire, par la ville de Ludwigsburg membre de la diète
de Wurtemberg, il y vota contre toute attente avec le
parti conservateur, et dut donner sa démission en décembre
1848, par suite des violentes attaques que lui valait l'atti-
tude qu'il avait cru devoir prendre en politique.
STRAUSS (Jean), connu par ses agréables composi-
tions musicales pour la danse, naquit à Vienne, en 1804.
Mis d'abord en apprentissage chez im relieur, il ne tarda
pas à renoncer à cette profession, afin de se livrer à sa vo-
cation pour la musique. Launer, plus âgé que lui de deux
ans, avait déjà réuni un petit orchestre qui obtenait beau-
coup de succès dans les endroits publics. Strauss fut admis
à en faire partie , et le succès des airs de danse de Launer
le détermina à embrasser la même carrière. Son talent en
ce genre se développa d'une manière si marcpiée et si ori-
ginale , qu'il fut bientôt placé dans l'opinion sur le même
rang que Launer. Mais il y avait dans son talent quelque
chose de si neuf, il excellait si bien dans la connaissance
de tous les mystères du rliythme et à en tirer des effets
voluptueux, qu'à peu de temps de là il était reconnu comme
le roi du genre. Ses mélodies dansantes , tantôt sentimen-
tales et tantôt gaies, retentissent involontairement à l'o^
reille , et, quoi qu'on fasse, mettent les pieds en cadence.
Aussi opérèrent-elles jusqu'à un certain point une révolu-
tion dans la vie sociale à Vienne. Les jardins publics, qui
jusque alors n'avaient été fréquentés que par la bourgeoi-
sie , se remplirent d'hommes appartenant aux classes les
plus élevées, et il en fut de même des différentes salles et
redoutes d'hiver où Strauss et Launer se firent entendre. Le
moment vint où force leur fut même de se séparer, attendu
l'impossibilité absolue de trouver un local assez grand pour
contenir le public qui accourait les entendre. Pendant ce
temps-là les valses de Strauss acquéraient une vogue à nulle
autre pareille. On les vendait à plusieurs milliers d'exeni-
846
STRAUSS — STRTKE
plaires , et elles circulaient dans toute l'Europe. Dans les
années 1833-1837, Strauss, accompagné par son orchestre,
exécuta son premier voyage artistique en Allemagne , en
France et en Angleterre ; et depuis cette époque, il fit à di-
verses reprises des tournées analogues en Alirmagiie. Il est
mort en 1849, à Vienne, où il avait le titre de directeur des
bals de la cour. Cet artiste possédait au plus haut degré tou-
tes les qualités nécessaires à une vocation de cegenre. Il ne
vivait qu'au milieu de ses valseurs, et à ses yeux le monde
tout entier n'était qu'une immense salle de danse.
Son fils marche aujourd'hui sur ses traces, et s'est aussi
fait un nom comme compositeur d'airs de danse.
STRELITZ. Voyez Neustrelitz.
STRELITZ (Les), en russe strjelzi, c'est-à-dire
arquebusiers , nom d'une garde russe créée par le tzar
Iwan Wassiliéwitsch, le Terrible, dans la seconde moitié du
seizième siècle, qui composait en même temps l'infanterie
de l'empire, et présentait quelquefois un effectif de 40 à
50,000 hommes. A Moscou, lesstrelitz habitaient un quar-
tier distinct de la ville, situé sur l'autre rive de la Mos-
kwa, appelé Strjclszaja Sloboda, c'est-à-dire faubourg des
strelilz, et qui fait aujourd'hui partie de ce qu'on appelle
la ville de terre (Semljsenoiyorod). Les tzars possé-
daient tout près de là, derrière la Moskwa, ce qu'on appe-
lait le jardin des grands-ducs , qui n'existe plus. Les
strelitz, comme les troupes les plus braves de l'armée, jouis-
saient denombreux privilèges; mais ils manquaient de dis-
cipline, et par leurs fréquentes révoltes, surtout depuis l'ap-
parition des faux Démétrius, par la part qu'ils prirentàdi-
verses conspirations contre le gouvernement, ils se rendirent
aussi redoutables au pouvoir que l'étaient encore naguère
les janissaires en Turquie et les mamelo ucks en
Egypte. S'étant révoltés aussi contre Pierre le Grand , à
l'instigation de la grande-duchesse Sophie et des seigneurs
de l'empire, ce prince les cassa en 1698, les fit décimer sur
la place Rouge à Moscou, et bannit à Astrachan ce qui
échappa à cette scène de carnage. En 1705 les faibles dé-
bris de cette redoutable milice furent encore exterminés,
parce qu'ils étaient en état de conspiration permanente
contre leur souverain. Il est certain qu'il n'existe plus au-
jourd'hui en Russie qu'un très-petit nombre de familles se
rattachant par quelqu'un de leurs membres aux strelitz.
La plus importante de toutes est celle des Orloff, qui
descend d'un strelitz à qui Pierre fit grâce de la vie au
moment où la hache se levait sur sa lête.
STRICKLAIVD (Agnès) est la fille de Thomas Strick-
land, de Reydeu-Hall , dans le comté de Suffolk, et appar-
tient à une famille qui, par le côté maternel, se rattache à la
maison des Plautagenets , et à laquelle son dévouement à
la famille des Stuarts coûta, au dix-septième siècle, la plus
grande partie de sa fortune. Les souvenirs héréditaires dans
sa famille lui inspirèrent de bonne heure le goût des études
historiques et archéologiques , et elle trouva de quoi le sa-
tisfaire dans l'instructive bibliothèque de son père. En môme
temps, elle se ."^entait vivement attirée vers la culture de la
poésie; dès l'âge .le onze ans elle faisait des vers, et elle
était encore fort jeune lorsqu'elle publia Worceste.r Field
or the cavalier, récit poétique en quatre chants. Son père était
mort peu de temps auparavant. Miss Strickland , retirée
alors avec sa mère et ses deux sœurs dans le vieux manoir
de la famille , résolut de se consacrer désormais complète-
ment à la culture des lettres. Après avoir publié différents
romans, poèmes et autres écrits, parmi lesquels ses Hisloric
Scènes ( nouvelle édition, 1 852 ) obtinrent surtout du succès,
elle lit paraître en 1840 le premier volume de son grand
ouvrage. Lires ofthe Queens of England, dont elle termina
U douzième partie en 1848 (nouv. édit , 8 vol., Londres,
1852 ). Le succès immense que ce travail obtint en Angle-
terre (chacun des volumes dont il se compose obtint les
honneurs de plusieurs éditions, avant que l'ouvrage iùi
complètement terminé) est dû sans doute en partie aux
circonstances qui ont fait des biographies de reines d'Angle-
terre un sujet de lecture à la mode. Mais le livre ùe Jiiiss
Strickland ne s'en recommande pas moins par une étude
consciencieuse des sources , par un habile agencement des
matériaux et par un style sage, sinon brillant. On peut con-
sidérer comme y faisant naturellement suite les Lives oj
the Queens of Scotland and englïsh princesses connec-
ted with the royal succession of Great Britain (tomes !•
à IV; Londres, 1850-1854), dans le nombre desquelles
la vie de Marie Stuart offre un intérêt tout particulier. Miss
Strickland avait précédemment fait paraître les Letters of
Mary, queen of Scots (2 vol., 1845), qui contiennent une
foule de documents inédits, et jettent une lumière tout à
fait inattendue sur la vie de cette infortunée princesse. Klli-
a aussi composé pour l'enfance Taies of illuslrious British
Children,et elle a publié l'ouvrage de sa sœur, Jane Strick-
land, ThrceEras ofllie Roman liistory ( 1834). On a d'une
troi-sième sœur, mariée à \m M. Traill, la peinture de la vie
de l'émigrant dans l'Amérique du Nord, sous le titre de
Rougliing in the bush, or life in Canada (2 vol., 1852),
et de son frère, le major Strickland, Twenty seven years
in Canada ( 2 vol., 1853).
STRICT (Droit). Voyez Droit.
STRIKE. C'est le nom qu on donne en Angleterre à ces
suspensions générales du travail que nous appelons grèves.
Comme dans ce pays les limites les plus larges sont accor-
dées au droit d'association en tous genres, les travailleurs n'y
rencontrent aucun obstacle légal qui les empêche de former
vis-à-vis des distributeurs du travail des associations pour
obtenir des augmentations de salaires ou d'autres avantages. •
Si on refuse de faire droit à certaines réclamations qu'ils
croient justifiées , telles qu'une augmentation de salaire ou
une diminution des heures du travail , les travailleurs déser-
tent souvent en masse les ateliers, en s'engageant mutuelle-
ment à ne pas reprendre le travail tant qu'on n'aura pas
fait droit à leurs demandes. En agissant de la sorte ils veu-
lent que, de même que les travailleurs se trouvent .souvent
en situation de demander de l'ouvrage sans pouvoir en
trouver, le capitaliste apprenne aussi de son côté par expé-
rience personnelle ce que c'est que de manquer des bras
qui lui sont nécessaires, ou tout au moins de ne pas pouvoir
s'en assurer le concours sans condition. Un tel but n'a assu-
rément rien d'illégal; seulement, les moyens qu'on emploie
pour l'atteindre ne sont pas toujours équitables, et encore
moins efficaces. Quelquefois les propriétaires de fabriques
sont contraints, par le relus de travail des ouvriers, d'en passe4
par leurs exigences. Mais ordinairement ils y résistent éner-
giquement; et comme la suspension des travaux, quelque
nuisible qu'elle puisse être à leurs affaires, est encore moins
désastreuse pour eux. que pour les ouvriers, dont le pain de
chaque jour dépend de leur travail , le strike se termine
d'ordinaire par la reprise du travail sur l'ancien pied ou par
un compronns, qui est peut-être avantageux à quelques
égards pour les travailleurs, mais qui est loin de les dédom-
mager d'une privation de salaire qui a souvent duré des
mois entiers. Less^/iAes qu'on a vus depuis nombre d'aimées
éclater tantôt dans tel district manufacturier, tantôt dans
tel autre, suivent donc toujours le même cours : les travail-
leurs se coalisent pour amener une suspension du travail,
réunissent des fonds afin de pouvoir subsister pendant ce
temps-là, œuvre à laquelle participent ceux de leurs collè-
gues qui ne sont point intéressés dans le strike; mais dès
que ces fonds sont épuisés, ils se voient en proie à toutes
les angoisses de la famine, et se trouvent en définitive forcés
de reprendre leurs travaux et de remettre leurs projets
d'émancipation à des temps plus favorables. Toutefois, ces
strikes prennent chaque année plus d'extension, et l'influence
qu'ils commencent à exercer sur la situation industrielle et
sociale de l'Angleterre est irrécusable. L'un des plus formi-
dables fut celui qui eut lieu dans l'été de 1853, et qui ar-
riva en peu de temps à prendre les dimen.sions d'une guerre
ouverte du travail contre le capital , car il se répandit ra-
pidement dans toute l'Angleterre et l'Ecosse. Le moment
paraissait d'autant plus heureusement choisi par les travail-
leurs , que dans les diverses brandies d'industrie la demande
du travail s'était accrue dans la proportion de 15 à 30 p. 100,
(andls que réinigration et les armements militaires avaient
opéré des vides considérables dans les rangs de la population
ouvrière. En même temps, le prix des vivres avait subi une
hausse sensible, et les réclamations des travailleurs avaieut
surtout en vue de leur assurer une compensation pour
le déficit qui en résultait pour eux. Par suile d'une décision
prise par l'association centrale, plus de cent mille individus
de la classe ouvrière abandonnèrent le travail; et alors les
fabricants fermèrent leurs ateliers, en déclarant qu'ils ne les
rouvriraient que lorsque les ouvriers se seraient retirés de ces
associations et se seraient engagés à n'en plus faire partie.
La lutte fut continuée de part et d'autre pendant [ilusieurs
mois avec une opiniâtreté extrême; mais les travailleurs se
virent à la fin contraints par leurs besoins, de plus en plus
poignants, de renoncer à leur résistance et de reprendre leurs
Iravayx , quoiqu'il n'eût été fait droit à leurs réclamations
que dans un très-petit nombre de cas,
STROEBEK ou STRŒPKE, paroisse de l'arrondisse-
ment d€ Magdebourg , province de la Saxe prussienne, à
environ 15 kilomètres d'Halberstadt, compte 850 habitants,
qui depuis trois siècles au moins se distinguent par une re-
marquable habileté au jeu d'échecs, sans qu'on puisse dire
à quoi cela tient.
STROEMOE. Voyez F.er-Œrne.
STROGAMOF (Famille). Quoique la noblesse de cette
famille russe soit dedate assez récente, elle n'en est pas moins
depuis longtemps célèbre. Divisée aujourd'hui en deux bran-
che^, elle descend d'Anika Stroganqf , riche marchand de
Nowogorod , qui au commencement du seizième siècle pos-
sédait d'immenses domaines et des salines au pied du mont
Oural , et dont les trois fils, Jako/, Grigorii et Ssemen Ani-
kilsh Strogannf, allèrent s'établir avec bon nombre d'autres
Russes entre la Kama et la Dwina, afin de se trouver plus
rapprochés de ces propriétés, et en même temps pour pou-
voir faire de premièie main le commerce des pelleteries.
Anika Sfroganofeiit le mérite de créer le premier les salines
de Wytscliegda et de découvrir une route commerciale par
lesmonts Durais jusqu'en Sibérie. Le tzar Iwàn Wassiliéwitsch
le Cruel accorda aux deux fils aînés d'Anika Stroganof des
lettres patentes contenant concession des déserts situés au
delà de la ville de Perm, entre la Kama et la Tschoussowaia.
Les deux fières y fondèrent diverses villes et bourgs fortifiés
(osti-ogs). Us eurent leur armée à eux, et en 1572 ils
étouflèrent une révolte tentée par les Tschérémisses, les
Ostjaks et les Baschkirs, en même temps qu'ils protégeaient
le nord-est de la Russie. Après avoir étendu de la sorte les
limites de la Moscovie habitée jusqu'à la chahie de l'Oural,
ils sollicitèrent, quand le conquérant mongole delà Sihérie,
Koutschioum , eut détruit leurs établissements sur les bords
de la Kama, un oukase qui les autorisât à construire des
forteresses dans le pays de Sibérie ; et Iwàn leur fit expédier,
à la date du 30 mai 1574, des lettres patentes qui leur
octroyaient tout le territoire qu'ils enlèveraient à l'ennemi.
Mais ce ne fut qu'après leur mort, et encore six années
plus tard, que leur frère cadet, Ssemen Anikitsch, put
exécuter cette guerre de conquêtes conjointement avec ses
neveux , Maxime Jakofief et Mkita Grigorief. Ssemen est
célèbre aussi parles nombreuses améliorations qu'il intro-
duisit dans l'exploitation des mines et des salines. L'oncle
et les deux neveux eurent l'art de gagner à leurs intérêts
l'hetman des Kosacks du Don, JermakTimotéjef, qui s'é-
tait rendu redoutable par ses nombreux brigandages. 11
transporta avec ses compagnons ses tentes sur les rives du
Volga, et le 26 octobre 1584, à la suite de trois batailles, Il
enleva d'assaut le camp oii Koiitschloiaji s'était retranché
avec la horde à ses ordres, sur les bords de l'Irtisch;
victoire qui amena la prise de la ville de Ssibir. Sept
cents liommes, commandés par Jermak et par Ssemen,
étaient parvenus à détrôner le klian des Mongols ; et dans
STBIKE - STRONTIANE 347
l'espace de deux années ils avaient réussi à compléV^^i-ent
soumettre la Sibérie, cette immense contrée, qui des lors
fit partie intégrante des États des tzars de Russie. Les Stro-
ganof obtinrent du tzar des privilèges extraordinaires, et
tout le commerce de la Sibérie se trouva placé entre leurs
mains. Ils devinrent les fondateurs et les propriéta res de
plus de cent bourgs, villages, usines et mines, auxquels
s'ajoutèrent encore plus tard les célèbres lavages d'or qu'on
rencontre si souvent dans les monts Ourals et Altaï, et qui
ont fait de la Sibérie une possession si importante pour la
Russie. Les Stroganof accumulèrent ainsi d'énormes ri-
chesses, et en firent toujours le plus généreux usage. Plus
d'une fois, dans les troubles civils qui déchiraient leur pa-
trie , il la défendirent de leur or et de leurs troupes contre
ses ennemis, c'est-à-diie contre les Tatars, les Polonais, etc.
En reconnaissance de ces services, le tzar Michael Féodoro-
witsch, lors de l'accession au trône de la maison de Romanof,
leur accorda, d'accord avec les deux chambres (la cour des
boyards et la chambre des communes), le privilège de
conserver la soldatesque à leur solde , de posséder leurs for-
teresses et places fortes particulières, et d'exercer une
libre juridiction sur tous les individus placés sous leurs
ordres.
A la fin du dix-sepfième siècle, où nous trouvons déjà cette
famille alliée aux plus grandes maisons de Russie, elle était
représentée uniquement par Grigorii Stroganof, qui résidait
à Moscou. Il eut trois fils, Alexandre, Nicolas et Sergei,
à qui Pierre le Grand, dans un caprice de sa toute-puissance,
enleva d'un trait de plume, le 6 mai 1722, tous les privilèges
concédés à leurs aïeux, en ne leur donnant d'autre indem-
nité que le titre de baron. C'est de Nicolas et de Sergei
que descendent les deux lignes actuelles de celte famille.
Les descendants de Nicolas furent créés comtes par l'em-
pereur Nicolas; ceux de Sergei l'avaient été dès 1798,
sous le règne de l'empereur Paul. En 1761 l'empereur d'Al-
lemagne François!*'' leur avait accordé le titre de comtes du
Saint-Empire.
STROGOA'OF. Foyes Stroganof.
STROiMBE, genre de gastéropodes pectinibranches, de
la famille des ailés, caractérisé par sa coquille ventrue, ter-
minée à sa base par un canal court, échancré ou Ironqué.
Les strombes sont de belles coquilles des mers intertro-
picales; quelques-uns, fort grands et remarquables par la
coloration interne de leur ouverture, sont Irès-recherchés
comme objets de collection et d'ornement. Lamarck en con-
naissait trente-deux espèces vivantes.
STROMIiOLI, l'une des îles Lipari.
STROMEYER (GeorgesFriîdéric-Louis), chirurgien
distingué, est le fils d'un chirurgien à qui r.\llemagne est
redevable de l'introduction de la vaccine , et est né à Hano-
vre, en 1804. 11 fut reçu docteur en médecine à Berlin , en
1826. Après avoir successivement professé la chirurgie à
Erlangen, à Munich et à Fribourg,il est aujourd'hui attaché
comme médecin à l'état-major de l'armée hanovrienne , et
habite Hanovre. Il s'est surtout rendu célèbre par ses Es-
sais d'Orthopédique opérative (Uâno\Te, 1838), où le pre-
mier il adonné l'idée de l'opération du strabisme, exécu-
tée par Dieffenbach. Il faut aussi mentionner de lui l'ou-
vrage intitulé : Kariktom, nouvel instrument pour la
formation artificielle des pupilles (Augsbourg, 1842), ainsi
ofi'un Manuel de Chirurgie (Fribonrg, 1849).
STRONTIANE, ou terre de stroniiane, oxyde de
strontium. Elle tire son nom de Strontian , endroit situé
en Ecosse, où on l'a trouvée pour la première fois, combinée
avec l'acide carbonique dans un minéral appelé strontla-
nite. Ce fut seulement en 1793 que Klaprotli et Hope dé-
montrèrent que la strontianite contenait une terre parti-
culière. Elle se comporte avec la baryte comme la soude
avec la potasse, se trouve rarement dans la nature , oc
elle sert seulement de base à deux espèces , la céles-
tine et la strontianite, ou carbonate de strontiane. On
l'obtient en faisant brûler la strontianite dans de la poudre
348
STRONTIANE ^ - STRUENSEE
de charbon pure et corrosive. Elle est l'oxyde d'un métal
particulier appelé strontium , dont les propriétés sont en-
core peu connues. Les artificiers emploient la terre de stron-
tiane pour produire des feux rouges.
STROIXTIANITE. Voyez Strontiane et Carbonate.
STRONTIUM, métal extrait par Davy, au moyen de
la strontiane, qui en est le protoxyde. Il offre beaucoup
d'analogie avec le baryum, et s'obtient de la même manière.
Plus pesant que l'eau et l'acide sulfurique, il absorbe l'oxy-
gène à une liaute température, et décompose l'eau à la
températuie ordinaire.
STROPHE (du grec ffTpoçi^, conversion , retour). Ce
que nous avons dit au mot stance trouve son application
ici, du moins pour ce qui concerne la forme aiétrique. Une
strophe n'est autre cliose en eflet qu'une stance , animée ,
colorée par l'enthousiasme lyrique. C'est un certain nom-
bre de vers qui renferment un sens complet , et que suit
un même nombre de vers de môme mesure et offrant la
même disposition. « Dans la tragédie grecque, dit un cri-
tique, les personnages qui composaient le chœur exécutaient
une espèce de marche, d'abord à droite et puis à gauche;
et ces mouvements, qui figuraient , dit-on, ceux de la terre
d'un tropique à l'autre , se terminaient par une station. Or,
la partie du chant qui répondait au mouvement du chœur
allant à droite s'appelait strophe, la partie du chant qui
répondait à son retour s'appelait antistrophe ; et la troi-
sième, qui répondait à son repos, s'appelait épode ou
clôture. Il en était de même des chants religieux. C'est
vraisemblablement de là que la poésie lyrique avait pris ce
nom de strophe, qu'elle a donné à ces couplets de vers
dont l'ode ancienne était composée , au moins le plus sou-
vent, comme on le voit dans celles de Pindare et dans les
deux qui restent de Saplio. » On peut également croire que
le nom de strophe a pour objet de caractériser le retour
périodique de la même cadence , puisque dès qu'une stro-
phe est finie on recommence la même mesure. Les anciens
dans leurs odes ne se faisaient point scrupule de laisser
enjamber le sens d'une strophe à l'autre sans aucune suspen-
sion. L'ode française ne jouit point d'un semblable privi-
lège ; à la fin de chaque strophe, le sens doit être terminé.
Les essais contraires à cette règle n'ont point encore été as-
sez heureux pour faire autorité. Dans notre poésie lyrique ,
une strophe ne saurait avoir moins de quatre vers ni plus
de dix , et la première strophe est toujours le régulateur
des autres strophes de la même ode, soit pour le nombre
des vers , soit pour leur mesure et pour l'arrangement des
rimes. Champagnac.
STROUD, ville manufacturière du comté de Glou-
cester (Angleterre), située au pied d'une montagne bai-
gnée par le Stroud , à peu de distance du confluent du Frome
et de Stadvvater, de même que du parcours des canaux qui
relient la Tamise à la Severn, se trouve de la sorte et par
les chemins de fer qui la relient à Gloucester, à Bristol , à
Londres, etc., le grand centre d'écoulement des nombreuses
fabriques de drap existant dans son voisinage, qui fournis-
sent à la consommation les produits les plus lins comme
les plus communs , et qui se dislinguent surtout par leur
bon teint. Les draps fins de Stroud sont mieux fabriqués que
ceux de Leeds. On attribue leur bon teint à la nature par-
ticulière des eaux du Stroud. En 1851 cette ville, avec son
district parlementaire, comprenait une population de 36,535
habitants.
STROZZI ( Bernardo) , peintre, surnommé il Capuc-
cino et it Prête Genovese, né en 1581, à Gènes, fut fait
capucin contre son gré, mais s'enfuit à Venise, où il entra
au service de la république comme peintre et comme in-
génieur. Il imita le Caravage et exécuta des tableaux qui,
malgré des négligences de dessin et une expression générale-
ment vulgaire, ne laissent pas que de plaire souvent par le
coloris et des traits de caractère heureusement rendus, bien
que ses chairs rougeàtres et ses ombres noires produisent
un effet assez disgracieux. Il existe de lui à Gênes beaucoup
de tableaux à l'huile et de peintures à fresque. On vante
surtout une Madone avec l'Enfant-Jésusetunange. On voit
aussi de ses œuvres à Venise , dans diverses autres villes
d'Italie et dans plusieurs musées étrangers. Strozzi mourut
en 1644.
STRUEIVSÉE et BRANDT, deux hommes qui par l'é-
clatante fortune qu'ils firent à la cour de Danemark , de
même que par le retentissement de leur chute , attirèrent
les regards et provoquèrent les sympathies de toute l'Europe
au siècle dernier.
STRUENSEE (Jean-Frédéric, comte de), naquit le
5 août 1737, à Halle sur la Saaie, où son père était pasteur. Le
second de sept enfants, il étudia la médecine dès l'âge de qua-
torze ans ; et à dix-neuf ans il fut reçu docteur. 11 embrassa
avec ardeur les opinions philosophiques qui avaient cours
alors en France, et lut dans leur langue Helvétius et Voltaire.
Son père ayant été appelé à Altona en qualité de premier
pasteur, il l'y suivit, et fut nommé médecin de la ville. Pra-
ticien habile et instruit, doué d'un beau physique et de ma-
nières élégantes, il s'y trouva bientôt dans une situation des
plus agréables. Ami du plaisir, ambitieux et avide de jouissan-
ces, il chercha à se créer des relations dans la haute société,
contracta des dettes et conçut des plans romanesques. A la
recommandation du comte de Rantzau-Aschberg , il fut
nommé médecin du jeune roi de Danemark ChrétienVIl,
mais seulement pour l'accompagner dans son voyage en Eu-
rope. Struensée obtint bientôt la faveur de Chrétien, et par-
ticipa largement aux plaisirs et aux distinctions honori-
fiques dont ce voyage fut la source. Au retour, il suivit le roi
à Copenhague, en qualité de médecin en exercice. Quoi-
qu'il se renfermât d'abord dans le cercle de ses attributions,
la jeune reine Caroline- Mat h ilde, sœur de Georges III
d'Angleterre, ne laissait pas que de le voir avec défiance. Ce
ne fut qu'en 1770, lorsque Struensée eut pratiqué avec suc-
cès l'opération de l'inoculation sur la personne du prince
royal, alors âgé de deux ans, et devenu plus tard le roi Fré-
déric VI , que la reine, changeant d'attitude à son égard ,
lui confia l'éducation de son fils et en vint insensiblement à
le prendre pour confident de ce qu'il y avait de douloureux
dans sa position. Struensée fit cesser la mésintelligence
qui existait entre le roi et la reine, et qui était l'œuvre du fa-
vori Holck ; et ce bon service le mit encore plus en faveur
auprès du royal couple. Il fut nommé lecteur du roi , puis
secrétaire du cabinet de la reine avec le litre de conseiller
de conférences. Depuis la révolution de 1660 , le Danemark
était en la puissance de la haute noblesse, qui gouvernait le
pays sous la forme d'un conseil d'État. Conformément à cet
état de choses, les comtes Bernstorff, Tholt, Rosenkrantz,
Moltke et Reventlow gouvernaient en réalité le pays, d'au-
tant plus que Chrétien VII se montrait incapable. Par contre,
Struensée, reconnaissant combien ce gouvernement aristocra-
tique était désavantageux au Danemark, conçut l'ambitieux
projet de se poser dans ce pays, où il était étranger, en ré-
formafeur éclairé et d'y propager les principes et les idées
de l'école de Frédéric II. Il commença par opérer la chute
du favori Holck, que son ami Brandt remplaça désor-
mais comme compagnon assidu du roi en même temps
que comme directeur des fêtes et des divertissements de
la cour. Secondé par Rantzau et Rosenkrantz , il força le
vieux Bernstorff à donner, le 13 septembre 1770, sa dé-
mission des fonctions de conseiller d'État et de ministre.
Pour se concilier l'opinion publique, Struensée fit proclamer
la liberté de la presse. Les autres membres du conseil d'État
s'élant aussi trouvés en désaccord avec la nouvelle politique,
ce conseil d'État fut supprimé, le 27 d(^cembre 1 770, eu même
temps qu'im manifeste royal faisait savoir à la nation que
la puissance royale était désormais rétablie dans sa pléni-
tude. 11 y avait là toute une révolution, ainsi qu'une véri-
table déclaration de guerre à l'aristocratie danoise. La reine
et Struensée, dans les mains de qui se trouvait maintenant
tout le pouvoir, choisirent alors de nouveaux ministres et
éloignèrent complètement des affaires le faible Chrétien VU.
STRUENSÉE
Au mois de juillet 1771 Stiuenaée reçut le titre de ministre
du cabinet, auquel étaient joints des pouvoirs illimités. A son
parti appartenaient le colonel Falckenskjœld , qui reçut mis-
sion de réformer l'année de terre, et le général Gaeliler, qui
fut chargé d'introduire diverses améliorations dans le ser-
vice de mer. Deux hommes importants paraissaient en outre
dévoués au nouveau système, le comte de Rantzau-Asch-
berg, caractère inquiet, et le comte d'Osten, diplomate ha-
bile, mais inféodé à la Russie. Deux femmes exerçaient aussi
à la cour une influence prépondérante, M""^ Gaehler, l'amie de
la reine, et qu'on disait être la maîtresse de Stiuensée, et la
comtesse de Holstein, qui menait un grand train. Mais ce parti
ne s'appuyait que sur la faiblesse du roi. Slruensée appela
en outre à son aide plusieurs Allemands. Son frère, Charles-
Auguste Struensée, fut chargé du portefeuille des fman-
ces, et le botaniste Œder fut appelé à la direction de tout
ce qui se rapportait aux progrès de l'agriculture et à l'amé-
lioration du sort des paysans. Le peuple vit avec déplaisir
cette intervention de tant d'étrangers dans la gestion des
affaires du pays. Rompant avec les traditions de politique
extérieure de ses prédécesseurs, Struensée s'efforça de sous-
traire le Danemark à l'influence russe et de lui créer dans la
Suède une alliée naturelle. Les changements qu'il opéra à
l'intérieur avaient pour but l'accroissement de la prospérité
publique, de la liberté civile et de l'instruction générale. Il
mil de l'ordre dans les linances , diminua les impôts, brisa
les chaînes qui entravaient l'industrie et le commerce, fa-
vorisa l'instruction , adoucit la législation pénale et mit de la
régularité dans l'administration. Une ordonnance, en date
de mars 1771, supprima même en partie les corvées. Toules
ces réformes, dont le Danemark recueille encore aujour-
d'hui le bénéfice, étaient excellentes; mais la i)récipitalion
et le défaut de prudence politique (|ui présidèrent à leur
exécution les firent considérer comme autant d'actes de la
plus intolérable tyrannie. Struensée comiuit aussi mie graqde
faute en voulant faire prévaloir à tout prix ses idées de phi-
losophie et de progrès contre un clergé attachant une grande
importance à sa stricte orthodoxie, de môme que contre les
préjugés religieux et moraux des masses.
Il y avait à peine une année que Slruensée gouvernait, et
déjà des symptômes de réaction se manifestaient de toutes
parts. Trois cents matelots norvégiens , dont la solde avait
sub' des réductions, se mutinèrent. Peu de temps après
éclatait une révolte des gardesdu corps, que le ministre ve-
nait de casser et dont il voulait faire entrer le personnel
dans divers régiments de l'armée. Dans ces deux circons-
tances, Struensée s'était montré mou et sans énergie; l'in-
décision de son altitude donna plus d'audace à ses ennemis.
En 1771 la reine accoucha d'une fille ; et en raison de l'é-
tat où se trouvait le roi, cette naissance provoqua les bruits
les plus injurieux pour l'honneur de la maison royale.
L'envoyé anglais, lord Keilh, qui voyait s"a[>procher la ca-
tastrophe, proposa à Struensée , d'après les instructions de
Georges III, un asile en Angleterre; mais Struensée refusa ,
parce que la reine ne voulut pas consentir à se séparer de
son ami. A la tête du i)ar(i hostile à Struensée se trouvait
la belle-mère de Chrétien VII, la veuve de Frédéric V,
juliane-Marie, reine douairière, née princesse de Bruns-
wick-Wolfenbuttel , qui ne supportait (ju'à contre-cœur le
gouvernement de la jeune reine et de Struensée. Cinq
hommes conspirèrent avec elle pour y mettre un ternie : le
.secrétaire du cabinet Guldberg , le général de Ranlzau-
Ascliberg, le commissaire des guerres démissionné Ikring-
skiold, le colonel Kœlleret le général major d'Eickstœdt. Il
fut résolu qu'on renverserait Struensée et qu'on se débarras-
serait de la reine par un hardi coup de main. La nuit du
16 au 17 janvier 1772 , où il y avait bal à la cour et où
Eickstœdt commandait la garde montante au cliAteau , fut
choisie pour l'exécution du complot. Vers quatre heures du
matin les conjurés, le prince Frédéric ( frère consanguin du
roi), Guldberg , Rantzau, Eickstaedt, Kœller et le conseiller
de justice Jessun, se réunirent chez la belle-mère du roi, et
349
pénétrèrent dans la chambre à coucher du roi par une porte
secrète. On déclara à Chrétien VII , qui témoignait d'une
vive terreur, qu'on était venu pour l'arracher à de bien
plus graves dangers, eton le contraignit ii signer deux papiers
dont l'un nommait Eickslsedt commandant de Copenhague,
et dont l'autre investissait le colonel Kœller de pouvoirs
illimités. On conduisit ensuite le roi dans l'appartement do
.sa belle-mère, où on lui fit encore signer quinze ordres d'ar-
restation, entre autres contre Struensée et son frère, contre
Brandt et contre Gude , le commandant du château. Chré-
tien finit, mais non sans peine, par se résigner à donner de
sa propre main l'ordre d'arrêter la reine sa femme et de la
conduire au château de Kronborg. Kœller s'empara de
Struensée , et Eickst,Tedt . non sans résistance, de Brandt,
qui tous deux logeaient an château. Ranlzau fit prisonnière
la reine , à l'égard de laquelle on ne s'abstint même pas
d'actes de violence. Toules les personnes arrêtées furent
conduites à la citadelle, où Struensée et Brandt furent mis
aux fers et traités avec une extrême dureté. Lorsque la
population de Copenhague apprit le lendemain matin cette
révolution de palais , elle se livra aux démonstrations de la
joie la plus vive. L'enquête relative aux victimes de ce
coup d'État fut confiée à une commission de dix personnes,
dont Guldberg faisait partie.
Struensée comparut devant ses juges le 20 février 1772.
On l'accusa d'attentat contre la personne du roi , d'avoir
eu le dessein de forcer le roi à abdi()uer, d'avoir entretenu
un commerce criminel avec la reine, d'avoir appliqué une
méthode meurtrière à l'éducation du prince royal, enfin
de s'être attribué l'exercice de la puissance souveraine et
d'en avoir abusé. Aucun de ces chefs d'accu.sation ne
put être juridiquement démontré. Dans une seconde audi-
tion , Struensée avoua en iilcurant ses relations coupables
avec la reine. Mais quelques contemporains affirment qu'il
ne fit cet aveu que sous la menace de l'échafaud; beau-
coup présument qu'il fit une déclaration mensongère
dans res|)oir de sauver sa tête au prix de cette lAclielé.
A la suite de ce fatal aveu, une seconde comniission se
rendit à Kronborg auprès de la reine, à qui cependant il fut
impossible d'arracher même l'ombre d'un aveu de sa cul-
pabilité. Un des commis.saires, Schack-Nathlovv , finit par
lui faire observer que si elle per.sistait à accuser Struensée
de mensonge , celui-ci serait condamné à une mort igno-
minieuse comme ayant calomnié la majesté royale. A cette
attaque portée à son cœur, la reine saisit une plume et
commença à souscrire de .son nom un [lapier contenant la
déclaration de sa culpabilité. Elle n'avait point encore
achevé lorsque , remarquant la joie infernale qui brillait
dans l'œil de son bourreau, elle retomba sans connaissance
.sur son siège. Schack lui replaça alors, dit-on, lai)lumeà la
main, et eu la conduisant acheva d'écrire les noms Caro-
linc-Mathilde. On voulait d'abord pousser les clio.ses plus
loin à l'égard de la reine; cependant, la commission finit
par se contenter d'une simple dissolution du mariage
royal , parce que l'envoyé anglais menaça de l'apparilion
d'une flotle. Quoique partaitement délendu par les avocats
Uldal et Bang, le malheureux Struensée fut condan)né à
mouler sur l'échafaud, comme s'étant rendu coupable d'un
grand crime, digne de la peine de mort, La sentence portail
qu'on lui trancherait d'abord la main droite , puis la tête;
que son corps serait ensuite écartelé, mis sur la roue, et
sa tête attachée à un poteau. Brandt fut condamné à la
même peine, non pas seulement comme complice de
Struensée, mais pour avoir commis un attentat contre la
personne du roi. Les deux condamnés reçurent avec cou-
rage l'annonce de leur sort, et aux approches de la mort
firent acte d'adhésion à la foi chrétienne. Le roi ayant con-
firmé celte sentence , non sans avoir subi la contrainte de
l'influence de l'envoyé russe, elle reçut son exécution le
28 avril 1772, au milieu des acclamations de joie de la mul-
titude. Brandt reçut le premier la mort; et après lui
Struensée posa avec non moins de résolution sa têfc sur Je
350
STRUENSÉE — STRUVE
billot. Il est hors de doute que Struensée n'avait pas mé-
rité un tel sort, et qu'il périt victime des haiues et des ran-
cunes de la noblesse.
La condamnation à mort à'Enevold Brandt , qui jamais
ne s'était mêlé d'affaires de gouvernement, présente encore
davantage tous les caractères d'un véritable assassinat ju-
diciaire. Il descendait d'une ancienne famille noble, et avait
déjà figuré à la cour de Chrétien VII en qualité de gentil-
homme de la chambre. Une lettre qu'il écrivit au roi, et dans
laquelle il lui dévoilait l'indigne caractère de son favori
Holck, le fit exiler à Altona , où il se lia d'amitié avec
Struensée. En 1770 Struensée le fit rappeler à la cour pour
qu'il remplaçât Holck près du roi. Déjà à ce moment Chré-
tien ne s'occupait plus que de divertissements puérils, et
souvent il contraignait ceux qui l'entouraient à lutter contre
lui. Dans une de ces luttes. Chrétien maltraita un jour assez
vivement Brandt, qui mordit le roi à la main et échangea
quelques gros mots avec lui. Le roi ne tarda pas à lui par-
donner cette faute. Malgré cela, les juges basèrent sur ce
qui s'était passé dans cette circonstance l'arrêt de mort qu'ils
prononcèrent contre Brandt.
Sur les dix autres personnes impliquées dans cette pro-
cédure criminelle, il y en eut sept de complètement absoutes;
et trois furent bannies du royaume. Parmi- ces dernières se
trouvait le frère de Struensée, à qui on n'osa pas toucher,
parce que Frédéric II le réclama de la manière la plus me-
naçante, comme sujet prussien.
La reine Caroline-Mathilde quitta le Danemark le 30 mai
1772, et moarut de chagrin, en 1775, au château de Celle,
dans le Hanovre. Consultez Falkeu^^kjœld , Mémoires
( Paris, 1826) ; et Explications authentiques sur l'histoire
de Struensée et de Brandt, ouvrage écrit en allemand et
qui contient beaucoup de détails apocryphes (Germanien,
1788 ).
STRUENSÉK (Charles- Auguste de), frère aîné du précé-
dent, était né en 1735, à Halte. A l'âge de vingt-deux ans,
il fut chargé d'enseigner la philosophie et les mathématiques
à l'Académie noble de Liegnitz. En 1760 il publiait des
Eléments d'Artillerie que Frédéric le Grand trouva si bien
faits, qu'il lui confia plusieurs jeunes officiers comme élèves.
En 1769 il fut appelé en Danemark par son frère, qui le fit
nommer l'un des directeurs du collège des finances, avec le
titre de conseiller de justice. Après sa chute , il fut réclamé
comme sujet prussien par Frédéric le Grand. Il se retira alors
en Silésie, où il s'occupa de différents ouvrages relatifs à l'é-
conomie politique. Mandé à Berlin pour y remplir les fonc-
tions de membre du conseil su|)érieur des finances, il fut
anobli en 1789, sous le nom de Karlsbach. Deux ans après,
il était appelé à remplir les fonctions de ministre d'État et
de chef du département des douanes et octroi , qu'il con-
serva jusqu'à sa mort, arrivée en 1&04.
STRUMEUSE (Maladie), du latin strumx, écrouelles,
dérivé de struo, j'entasse, à cause de l'agglomération des
engorgements des ganglions lymphatiques chez les individus
scrolùieuiw {voyez Scrofllf.s).
STRl]THIOLAIRE,genrede mollusques gastéropodes
pectinibranches, appelé aussi pJerfd'aji^rMcAe, et caractérisé
par une coquille ovale, à spire élevée, ayant l'ouverture ovale
sinueuse, terminée à sa base par un canal très-court, di oit, non
échancré , avec le bord gauche calleux , répandu , et le bord
droit sinué. L'animal des struthiolaires rampe sur un pied
ovalaire, fort épais , du centre duquel s'élève un pédicule
assez long, fort gros, pouvant rentrer dans b coquille, et ser-
vant d'appui à une tête prolongée en une trompe cylindracée,
conique, plus longue que la coquille elle-même , et terminée
par une petite troncature, dans laquelle se trouve l'ouver-
ture de la bouche. Lamark mentionne deux espèces de
strutliiolaiies , particulières aux mers australes.
STRUTHIOPHAGES. Foj/e- Autruche.
STRUVE (Frédéric-Georges-Guillxume de), astro-
nome distingué, né en 1793, à Altona, suivit de 1808 à 1811
les cours de l'université de Dorpat, où il se livra d'abord à
l'étude des sciences philosophiques, et plus lard à celle db
l'astronomie. Nommé en 1813 observateur, puis en 1817
directeur de l'observatoire de Dorpat, il fit une étude toute
particulière des phénomènes des étoiles doubles, dont Her-
schel père s'était seul occupé jusque alors. Dans le nombre
des ouvrages qu'il a pubhés sur cette matière, on distingue
surtout les Observationes JJorpatemes (8 vol., Dorpat,
1817-1839), le Catologus novus Stellarum duplicium
(Dorpat, 1827) et les Stellarum duplicium Mensurœ mi'
cromp;r<c.r( Fétersbourg, 1837). A ces publications se rat-
tache le vaste ouvrage 'mi\i\x\<i Stellarum fixarum , impri-
mis compositarum, Positiones viedine (Pétersbourg, 1852).
Nous citerons encore de lui ses recherches sur la construc-
tion de notre voie lactée , qui ont été publiées en partie dans
les Études d'Astronomie stellaire ( Péter.sbourg , 1852).
Ce savant ne s'est pas seulement occupé d'astronomie stellaire,
mais aussi de géodésie. Dès 1816 la Société économique de
Livonie le chargeait d'une triangulation de cette province.
Ce travail, exécutéde 1816 à 1819, est la base de la belle carte
de la Livonie qui a été publiée en 1817. M. Struve a encore
exécuté depuis un grand nombre de travaux géodésiqiies,
notamment dans les provinces delà Baltique, en Finlande, etc.
Depuis 1839 directeur de l'immense observatoire de Pultawa,
il a publié une Description de l'Observatoire central de
Russie (Pétersbourg, 1845), à laquelle se rattache un
Catalogue de la magnifique bibliothèque astronomique de
cet établissement (Pétersbourg, 1845 ).
Son fils, 0 thon-Guillaume de Struve, né à Dorpat, en
1819, conseiller d'État, à partir de i839 aide du directeur de
l'observatoire de Puikowa, nommé plus tard second astro-
nome de cet établissement, puis astronome consuUant de
l'état major général de l'armée et membre de l'Académie des
sciences de Saint-Pétersbourg pour l'astronomie et la géo-
graphie mathématique , a un cercle d'activité très-étendu en
raison mêmeiie la position officielle qu'il occupe dans l'état-
major général. Les Mémoires de l'Académie contiennent de
lui un grand nombre de dissertations. Nous citerons plus
particulièrement : une nouvelle détermination de la cons-
tance de précession , où le premier aussi il a calculé la
quantité de l'avancement de notre sy>tème solaire dans l'u-
nivers ; une revue du ciel du Nord, où il fait connaître plus
de cinq cents nouvelles étoiles doubles, pour la plupart très-
serrées; un travail sur Saturne et ses anneaux ; des détermi-
nations de parallaxes: enfin, de nombreuses observations de
comètes et d'étoiles doubles, qui sont particulièrement estimées
à cause de leur exactitude, et dont les autres astronomes
aiment dès lors à se servir.
STRUVE (Gustave), connu surtout par la part qu'il a
prise à l'agitation républicaine de 184S, est né en 1805, en Li-
vonie, et fit ses études en Allemagne. Entré d'abord au service
du grand-duc d'Oldembourg, qui l'avait nommé secrétaire de
légation à Francfort, il renonça bientôt à la carrière diplo-
matique pour s'établir comme avocatà Mannheim, où pendant
longtemps il s'occupa beaucoup de phrénologie. Comme ré-
dacteur du Journal de Mannheim, il encourut diverses f.on-
damnations pour délits de presse; et la publication de cette
feuille ayant fini par lui devenir impossible, il fit paraître
VObservatcur allemand, devenu tout aussitôt l'objet de
nombreuses prohibitions dans les États voisins, mais qui n'en
obtint pas moins un cercle de lecteurs très-étendu. Toute-
fois, ce n'est à bien dire que de la révolution de février 1848
que date la célébrité attachée à son nom, parce qu'en société
avec Hecker il essaya alors de faire proclamer la république
dans le grand-duché de Bade, en avril 1848. Après l'avor-
tement de cette entreprise, il se réfugia à Strasbourg, puis
à Paris. De là il se rendit en Suisse, où en société avec Hein-
tzen, il publia un Plan pour révolutionner et républica-
niser l'Allemagne. Au mois de septembre, il essaya de nou-
veau de réaliser ses idées de république dans le pays de
Bade. Au bout de cinq jours d'insurrection , il fut fait pri-
sonnier et condamné à cinq ans de prison pour crime dt
haute trahison. Mis en liberté par un soulèvement populaire,
STRUVE — STUART
351
i\ alla rejoindre Mieioslawski à Heideiberg. Quand la révo-
luliori badoise se trouva définitivement vaincue, il se réfugia
en Suisse, où deux mois après il se voyait contraint avec
les autres ciiefs de l'insurrection badoise d'accepter un passe-
port pour l'Angleterre, où ils devaient tous s'embarquer pour
les Etals-Unis. Arrivé en Amérique en 1851, il y fait depuis
lors du journalisme.
STRY (Abraham Van), avec son frère l'un des fonda-
teurs de la célèbre école de peinture de Dordrecbt, naquit en
cette ville, le 31 décembre 1753. Il peignit des tableaux à
l'huile, des tableaux de genre à la manière de Metzu et
des paysages dans le style deKuyp. Il est surtout célèbre
pour ses vues d'intérieur et pour ses tableaux calculés sur
les effets de lumière. En 1774 il fonda à Dordrecbt, avec
quelques artistes et quelques amis des arts, la société Pic^Mrr/,
dont il fut le premier président, et qu'on peut considérer
comme la pépinière des peintres remarquables que cette
ville a produits dans ces derniers temps. Il moniut le 7 mars
1826.
STRY ( Jakob Van ), frère du précédent, né en 1756,
élève du peintre d'histoire Andréas Lens, s'établit à Dordreclit
et se consacra à la peinture du paysage, dans laquelle il ne
tarda pas à acquérir une grande supériorité. Comme modèle
de style et pour l'observation attentive de lanatuie, il avait
choisi son célèbre compatriote Kuyp. Il mourut à Dordreclit,
le 4 février t825.
STUYCIIi\Il\E , le plus vénéneux des alcaloïdes,
contenu dans le fruit de diverses piaules du genre sfrychnos ,
telles que \e strychnos niix voinka, Icstryc/nws Ignulit,
ou fève de Saint-Ignace, le ^njc/inos (ie)i(é, grande liane
qui croît dans les forêts vierges de Java, où elle s'élève jus-
qu'au sommet des plus grands arbres, etc. C'est avec l'é-
corce <Je la racine du strychnos tiente que les Javanais pré-
parent le poison avec lequel ils empoisonnent leurs armes,
et que son effrayante énergie a rendu fameux. La strychnine
se présente sous forme de poudre blanche granulée, sans
odeur, d'une saveur amère et métallique. Combinée avec des
acides, elle forme divers sels de strychnine. L'empoisonne-
ment par la strychnine est caractérisé par des mouvements
convulsifs, dans lesquels la colonne vertébrale est brusque-
ment recourbée eu avant ou en arrière.
STRYMON. Voije-. Balran.
S. T. T. L., abréviation des mots latins SU tibi terra
levis (Que la terre te soit légère), que les Romains gravaient
souvent sur les tombeaux de leurs amis ou de leurs proches.
STUART, l'une des plus anciennes familles de l'E-
cosse, qui donna à ce royaume et à l'Angleterre une longue
suite de rois, descendait, dit-on, d'une branche de la famille
anglo-normande de Filz-Alan, qui s'établit en Ecosse et
obtint dès le douzième siècle à la cour des rois d'Ecosse
la dignité héréditaire de majordome ou steward. C'est du
litre même de cette dignité qu'elle prit son nom de race ,
tpii autrefois s'écrivait aussi Steward.
Alc.xa)idre, majordome ou s teivar d (VÉcosse, périt en
1264, à la bataille de Largs, et laissa deux tils , Jacques
elJean. Le tils de l'aîné, Walter Steward, épousa, vers
1315, Marjoria, fille du roi Robert l" Bruce (i^oye:; Ecosse),
aux descendants de laquelle la succession au trône d'E-
cosse était assurée à l'extinction de la ligne mâle de la mai-
son royale.
En conséquence, lorsque le fils de Robert \^', David II ,
vint à mourir, en 1370, sans laisser d'héritiers mâles, le
fils de Walter Stewaid obtint, en vertu des droits assurés à
son père, la couronne d'Ecosse sous le nom de Robert II ,
et devint ainsi le fondateur de la dynastie. Les circonstances
politiques d'un côté , et de l'autre le hasard ainsi que le
caractère des princes de cette maison , firent de leur histoire
et de celle de leur famille une suite non interrompue de
tristes et sanglants événements. Déjà Robert II ne conserva
la couronne d'Ecosse que grâce aux troubles qui existaient
alors en Angleterre. Son fils Jean , prince boiteux et pu-
sillanime, lui succéda, en 1390; et les états du royaume
considérant son nom comme néfaste, il dut prendre le nom de
Robert III. H avait deux frères consanguins, Walter, comte
! d'Athol, qui fut décapité en 1437, |)our avoir conspiré contre
le roi Jacques \", et David, comte de Strathern, dont les
titres passèrent à son gendre, sir Patrick Graham. Un plus
jeune frère légitime de Robert III, le duc d'Alhany, gouverna
pour lui; et comme il visait lui-même à la couronne, il
lit emprisonner en 1402 et mourir de faim le prince royal ,
David , duc de Rothsay. Plein d'inquiétude, le roi envoya
alors en France son plus jeune fils, Jacques ; mais les Anglais
l'arrêtèrent au passage, et le letinn'iit prisonnier pendant
vingt ans. Robert III mourut de chagrin dès l'an 1404. Le
duc continua alors à- gouverner le royaume sous le nom
du roi Jacques r', retenu prisonnier en Angleterre. A sa
mort, arrivée en 1419, il fut reuiplacc par Murdoch, .son
fils aîné et héritier. Mais celui-ci tiouva l'exercice du pou-
voir si rempli d'embarras et de soucis, qu'il négocia et
obtint en 1423 la mise en liberté de Jacques \". L'année
suivante, Jacques fit décapiter Murdoch, ses fils et tous Ic^'
membres de sa famille, qui avaient fort mal administré le
pays. Il n'y eut que le plus jeune des fils de Murdoch ,
James Steward, qui parvint à s'échapper. C'est de son
arrière-petit-fils, lord Steward d'Ochilbree, que descendent
les comtes actuels de Castle-Stuart.
Jacques /«»■, le plus énergique roi de la famille des
Stuarts, avait épousé Jeanne de Beaufort, petite-fille du duc
de Lancaslre. Il mourut en 1437, sous les poignards de di-
vers seigneurs conjurés contre lui, et au nombre desquels
figurait son propre oncle, le comte d'Athol, dont il a été
question plus haut. Il eut pour successeur son tils Jacques II,
alors âgé de sept ans, qui fut tué en 1460, devant Roxburg,
de l'explosion d'un canon. Il laissa trois fils : Jacques III,
qui lui succéda; Alexandre Stuart, duc d'Albany, qui mou-
rut en 1485, en France, laissant un héritier; Jean Stuart,
comte de Mar, qui fut assassiné en 1480, par ordre du roi
son frère, à cause de la trop grande liberté de ses propos.
Jacques III , qui eut constamment à lutter contre ses
frères et les grands du royaume, périt de mort violente, en
1488, dans sa fuite après la perte de la bataille de Stirling.
Son fils Jacques IV, qui avait trempé dans le complot, lui
succéda sur le trône. C'était un prince belliqueux, et qui le
fit voir aux grands. Il épousa Marguerite , fille aînée de
Henri VII d'Angleterre; mais tout beau -frère qu'il fût de
Henri Vlll, il conclut pour la première fois une étroite al-
liauce avec la France quand Henri Vlll manifesta des vel-
léités de conquête à l'égard de l'Ecosse. A la suite de cette
alliance, il se laissa aller, à l'instigation de Louis XII,
à entreprendre en Angleterre une invasion mal calculée,
dans laquelle il périt, en 1513, à Flodden.
Jean Stuart, duc d'Albany, tils de l'Albany qui était mort
en France en 1485, appelé alors en Ecosse au milieu des luttes
et de la confusion des partis, prit les rênes de l'Etat, en 1515,
comme administrateur du royaume au nom du fils âgé de
deux ans que laissait Jacques IV, et qui fut Jacques V ;
mais il renonça au pouvoir dès 1518, parce qu'il reconnut
son impuissance à concilier les partis. La reine mère ayant
encore invoqué son assistance en 1523, il débarqua en Ecosse
avec 3,000 Français ; puis il retourna l'année suivante eu
France, chercher des forces plus considérables, afin de
pouvoir tenir tête aux Anglais. Pendant son absence, les
grands écossais proclamèrent Jacques V majeur, de sorte
qii'Albany resta en France. Sous François I'"', il com-
mandait un corps d'armée contre Naples. Il mourut en
1536 , sans laisser de po.stérité. Jacques V é|)ousa la
princesse Marie de Guise , et par ce mariage rattacha les
destinées de sa maison au catholicisme et à la France. Il
en résulta entre lui et Henri VIII d'Angleterre une guerre
à laquelle l'esprit d'insoumission des seigneurs écossais fit
prendre la plus fâcheuse tournure. Jacques V tomba dans
un noir chagrin , et mourut en 1542. Peu de temps aupa-
ravant il avait vu ses deux fils mourir le même jour. Sa
couronne passa h sa fille, Marie Stuart, qui venait de naître;
852
STUART
1\I ari e S t u a r t fut mariée par sa mère dès sa" première
jeunesse avec François II, roi de France; et elle ne revint
occuper son trône héréditaire qu'après la mort de ce prince,
en 1561. Par ses prétentions à la couronne d'Angleterre, sa
politique catholique , son mariage avec son cousin , Henri
lord Darniey, qu'on l'accuse d'avoir (ait assassiner, en 1566,
elle précipita le royaume dans des troubles sans fin, et y
perdit la couronne et même la vie. Tandis que le fils qu'elle
avait eu de Darniey montait surletrône d'Ecosse sous le nom
de Jacques VI et sous la tutelle de son frère consanguin ,
le comte Murray, il lui fallut monter sur l'écliafaud, le 8 fé-
vrier 1587, par ordre de son ennemie acharnée, la reine
Elisabeth d'Angleterre.
La branche de la famille des Stiiarts, à laquelle appartenait
Darniey, le mari de Marie Stuart, assassiné en 1566, descen-
dait de sir John Steward de IJonkuyl, fils cadet de l'Alexandre
Steward qui avait été tué à FalkirU, en 1298, et dont le
fils, sir Alan Steward de Darniey, avait péri en 1333, à Halidon.
L'arrière-pelit-lils de celui-ci, James Steward, surnommé
le chevalier Noir de Lorn , épousa Jeanne de Beaufort,
veuve de Jacques \" , et eut d'elle deux fils, les comtes de
Leiinox et de Buchan. Les descendants du premier se rap-
prochèrent beaucoup, par un nouveau mariage, non-seule-
ment du trône d'Ecosse, mais encore de celui d'Angleterre.
En effet , Marguerite , veuve de Jacques IV et fille de
Henri VII d'Angleterre, épousa en secondes noces, en 1514,
le comte d'Angus; union de laquelle naquit Marguerite Dou-
glas, morte en 1578. Cette dernière épousa Matthias Stu;irt,
comte de Lennox, et eut de lui Henri lord Darniey, qui
en 1665 obtint la main de sa royale cousine, Marie Stuart,
avec le litre de roi. Comme la reine sa femme, Darniey était
|iar conséquent arrière-petit-fils de Henri VII d'Angleterre,
et si la maison de Tudor venait à s'éteindre, c'était lui, après
Marie, l'héritier le plus rapproché de la couronne d'Angle-
terre. Après l'assassinat de Murray, le comte de Lennox
fut charge de l'administration du royaume pendant la mi-
norité de son petit-fils Jacques VI ; mais il succomba dès la
même année, le 4 septembre 1571, sous les poignards de
divers grands, mécontents, dans une diète tenue à Stirling.
Son fils cadet, Charles, mort en 1576, eut d'Elisabeth Ca-
vendish la belle Arabella Stuart. Celle-ci devait, dit-on, à
la suite de la fameuse conspiration des Poudres, puis par
un complot ayant pour ciief Waller Raleigh, être placée
sur le trône d'Angleterre, et passa pour cela le restant de ses
jours à la Tour de Londres. Elle s'était, il est vrai, mariée
secrètement avec celui qui devint plus tard le duc de So-
merset; mais elle mourut en 1615, sans laisser de po.stérité.
Jacques VI, fils de Marie et de Darniey, comme descen-
dant des Tudors du côté maternel , réunit sur sa tête, à la
mort d'Elisabeth, arrivée en 1603 , les couronnes d'Ecosse,
d'Angleterre et d'Irlande, .sous le nom de Jacques \". De
son mariage avec Anne de Danemark naquirent Henri, prince
de Galles, mort en 1612, à l'âge dedix-huitans, Charles \"
et Elisabeth, mariée à l'électeur palatin Frédéric V, qui mou-
rut en 1662 et est la souche de la maison royale d'Angleterre
actuelle. Il eut pour successeur son fils Charles I", qui
continua la politique maladroite de son père, et se précipita
de la sorte avec sa couronne dans l'abîme des révolutions.
De .son mariage avec Henriette de France, tille de Henri IV,
qui mourut en exil, en 1669,naquirent C harles II; Marie,
mariée à Guillaume d'Orange, morte t^n 1650; Jacques II
et Henriette, mariée au duc d'Orléans. Charles V fut dé-
capité en 1649. Après la mort de Cromwell, Charles H re-
couvra la couronne d'Angleterre, en 1660. U avait épousé
Catherine de Portugal, et mouruten 16H5, sans laisser d'en-
fants légitimes. De son commerce avec Lucy Walters, il laissa
le duc de M o n m 0 u t h , duquel descendent les ducs de Buc-
cleugh actuels. De Barbara Villiers, qu'il avait créée com-
tesse de Southamptou et duchesse de Cleveland, il avait eu
Henry Fitzroy, duc de Grafton, dont les descendants por-
tent encore ce nom. D'Éléonore Gwyn il eut Charles Beau-
clerc, duc de Saint-Albans, dont la famille existe encore
aujourd'hui. De ses relations avec Louise de Keroual'.es na-
quit Charles Lennox, ducde R i c h m o n d , duquel descendent
les ducs de Richmond actuels. Charles l" laissa encore huit
autres enfants naturels, tant fils que filles, mais dont la des-
cendance s'est éteinte.
Jacques U, frère et successeur de Charles II, perdit ses
trois couronnes à la suite de la révolution de 1688, provoquée
par ses efforts pour faire prévaloir le système de la monarchie
absolue et rétablir en Angleterre le catholicisme, qu'il avait
embrassé lui-même avant de monter sur le trône. Sa maison
avait abandonné cette religion en la personne de Jacques VI,
lors de l'introduction de la réformation en Ecosse. Jacques II
mouruten 1 701, exilé en France. Jl avait épousé en premières
noces Anne Hyde, qui lui donna deux princesses, élevées dans
la foi protestante, j1/«rie et Anne. De son .second mariage avec
Marie d'Esté naquirent le prince catholique Jacques-Edouard,
connu comme prétendant sous le nom de Jacques III ou
de chevalier de Saint-Georges, et une fille, Marie- Louise,
qui mourut en 1760, sans avoir été mariée. Jacques II laissa
en outre d'Arabella Churchill, sœur du célèbre Marlbo-
ro u gh , un fils naturel, Jacques, duc de Berwick et de
Fitz-James, duquel descendent les Fit/-James de France.
Le parlement ayant déclaré, en 1688, Jacques II déchu de
tout droit au trône, les couronnes d'Angleterre, d'Ecosse et
d'Irlande pas.sèrent à .sa fille aînée, la protestante Marie,
et à son mari, Guillaume III d'Orange, qui par sa mère
était petit-fils de Charles I". La reine Marie mourut en
1695, sans laisser d'enfants. Son mari, Guillaume III, rendit
alors, (l'accord avec le parlement, le célèbre oc/e de succes-
sion protestante du 12 juin 1701 , qui excluait du droit
d'hérédité les membres catholiques de la famille des Stuarts
et assurait la succession aux seuls héritiers protestants de
Jacques P'. Guillamne III mourut en 1702. Conformément
à un arrangement antérieur, la princesse protestante ^4 n ne,
seconde fille de Jacques II, lui succéda sur le trône. De son
mariage avec le |)rince Georges de Danemark, celle-ci avait
eu dix-neuf enfants, qui tous moururent avant son avènement
au trône. A la mort de la reine, arrivée en 1714, Vacte de
succession de 1701 fut appliqué; et l'électeur de Hanovre,
seul petit-fils protestant d'Elisabeth, fille de Jacques I",
monta alors sur le trône uni de la Grande-Bretagne et de
l'Irlande, sous le nom de Georges I".
Le fils catholique de Jacques II prit à la mort de son père
lenomdeJacquesIII.il fit diverses tentatives pour ré-
cupérer son héritage, épousa en 1719 Marie Sobieska, et
mourut en 1766.
Son fils aîné, C bar le s- Edouard, connu par ses mal-
heureuses expéditions en Ecosse, dont la nouvelle dynastie
ne se trouva définitivement débarrassée qu'en 1746, à la suite
de la bataille de Cull od en, vécut en Italie, sous le nom de
comte d'Albany, et mouruten 1788, sans laisser d'enfants
légitimes. Son Irère unique, Henri-Benoit, qui en 1747
avait obtenu le chapeau de cardinal, prit alors le titre de
roi. Après la conquête de l'Italie par les Français, il s'éta-
blit à Venise, où il vécut d'une pension que lui accorda
le gouvernement anglais. Ce dernier rejeton mâle de la mai-
son royale des Stuarts moiuut à Frascati, le 13 juillet 1807.
11 avait légué .ses droits au ttône d'Angleterre à Charles-
Emmanuel IV de Sardaigne. Le roi Georges IV lui fit élever
par Canova un monument dans l'église Saint-Pierre de Rome.
Le gouvernement anglais acheta les précieux papiers de fa-
mille qu'il possédait, et les fit publier [Stuarts Papers ,
Londies, I8'i7 ).
Il existe encore en Ecosse, en Angleterre et en Irlande
un grand nombre de membres des autres branches de la
famille des Stuarts.
Sir John Steward, fils naturel de Robert II, fut l'ancêtre
des marquis et des comtes de Bute, de lord Wliarncliffe et
de lord Stuart de Rothsay, diplomate anglais, né en 1779,
mort en 1845, après avoir longtemps rempli à Saint-Péters-
bourg les fonctions d'ambassadeur.
Des Steward de Bonkyll descendent les lords Blantyre
STUART — STYLE
353
et Douglas, les comtes de Galloway et les marquis de
Londonderry. D'Elisabeth, fille du régent Murray et
femme de sir James Stuart de Doune, descendent les comtes
actuels de Murray ou Moray. Les comtes de Tracquair dé-
rivent en outre leur origine d'uu fils naturel du comte James
de Buchan, frère consanguin du roi Jacques II. Consultez
Vaughan , Memorials of the Stuart Dynasty (2 volumes,
Londres, 1831 ).
STUC (de l'italien stucco) , composition de marbre
blanc pulvérisé et de chaux mêlés dans des proportions qui
varient suivant l'usage qu'on en veut faire. Ce mélange étant
gâché avec une suffisante quantité d'eau , forme une espèce
de mortier dont on se sert en architecture pour les revête-
ments, les bas-reliefs, les corniches et d'autres ornements.
Le stuc, indépendamment de la propriété dont il jouit de
recevoir un poli brillant, a sur le plâtre le très-grand avan-
tage de ne pas sécher presque subitement et de conserver
assez long temps sa ductilité. On peut lui faire prendre dans
des moules ou autrement la forme qu'on désire et , quand il
a perdu sa ductilité sans qu'il soit encore parfaitement sec,
le gratter et lui donner le poli du marbre. Enfin, il devient
aussi dur que la pierre, et n'est point sujet à se fendiller,
comme le plâtre , par le retrait ou en cédant à une pression.
Les Romains connaissaient cette composition eten faisaient
souvent usage. On voit aujourd'hui en Italie, en Allemagne
et même en France , des églises , des palais et d'autres édi-
fices dont les colonnes, les murs intérieurs, et quelquefois
extérieurs, sont revêtus de stuc d'un poli égal à celui du plus
beau marbre. V. de Moléon.
STUHLVVEISSEMBOURG, en latin Alba Regia,
en hongrois Szekes Féjérvar, en slave Bielihrad, ville
royale, chef-lieu du comitat du même nom (50 myriam.
carrés, avec 172,000 habitants), dans la basse Hongrie, au
voisinage des marais de Sarret , possède deux faubourgs,
environ 15,000 habitants, un gymnase , un séminaire, une
école supérieure, une école militaire, et un théâtre magyare,
et est le siège d'un évêché. Parmi ses églises, on remarque
surtout la cathédrale où avait lieu autrefois le couronnement
des rois de Hongrie et lajolie église des chevaliers de Saint-
Jean. Les habitants fabriquent du drap, de la flanelle, du
cordouan et de la coutellerie commune. Ils tirent de la soude
des marais voisins, qui abondent aussi en poissons, écre-
visses, tortues et gibier à plume.
STUPIDITE, pesanteur d'esprit, privation d'esprit et
de jugement, nous dit l'Académie. Les anciens médecins
n'hésitaient pas à y voir une nuance de la démence. Ils en
voyaient la cause dans la mauvaise conformation du cer-
veau ou dans le mauvais état de ce qu'ils appelaient les es-
prits animaux.
STURLESOIV ou STURLUSON. Voyez Snorri-Stur-
uso\.
STURM (Jacques -Charles- François) naquit à Ge-
nève, le 29 septembre 1803. 11 appartenait à une famille
protestante originaire de Strasbourg. Placé de bonne heure
au collège de sa ville natale, dont il fut l'un des élèves les
plus distingués, il avait à peine quinze ans lorsqu'il en sor-
tit, pour suivre les cours de l'Académie. A vingt ans il
avait déjà fait insérer quelques bons travaux mathéma-
tiquesdans les Annales de Gergonne. Il donnait en même
temps des leçons particulières pour subvenir aux besoins
de sa nombreuse famille, que la mort de son père venait de
laisser sans appui. Chargé de l'éducation du fils de ma-
dame deStaël, il accompagna son élève à Paris, vers la fin
de 1823. Là Sturm se livra avec ardeur au travail, et
en 1827 lui et son ami M. Daniel Colladon remportaient
le gfand prix de mathématiques proposé par l'Académie
pour le meilleur mémoire sur la compression des liquides.
Du reste, le jeune géomètre , à san arrivée à Paris , avait
été recommandé par Simon Lhuilier de Genève à notre
savant professeur M. Gerono , qui l'avait accueilli avec
bienveillance et l'avait mis en relation avec les géomètres
les plus éminents de cette époque. F ourler poursuivait
DICT. DE LA CONVERS. — T. XYI.
alors ses belles recherches sur la théorie de la chaleur.
Sturm , entraîné par son exemple, se trouva amené à étu-
dier les propriétés de certaines équations différentielles qui
se rencontrent dans un grand nombre de questions de
physique mathématique, et enfin il découvrit en 1829 le
célèbre théorème qui a conservé son nom , théorème qui
complète la résolution des équations numériques en
permettant de déterminer le nombre de racines réelles
comprises entre deux limites données.
Successivement nommé professeur de mathématiques
spéciales au collège Rollin en 1830, membre de l'Acadé-
mie des Sciences en 1836, professeur d'analyse à l'École
Polytechnique et professeur de mécanique à la Faculté des
Sciences de Paris en 1840, Sturm continuait à se livrer à
ses travaux scientifiques lorsqu'en 1851 il fut atteint d'une
maladie cérébrale qui le força de suspendre ses recherches.
Il reprit cependant ses cours à la fin de 1852; mais son
rétablissement ne fut pas de longue durée , et il mourut le
18 décembre 1855.
Les travaux de Sturm ont été publiés dans les Annales
de Mathématiques de Gergonne, dans le Bulletin des
Sciences de Férussac ( 1829 et 1830 ), dans le Journal de
M. Liouville, dans les Comptes rendus de l'Académie
des Sciences , etc. Ses Leçons d!* Analyse et de Mécanique
sont en cours de publication, sous la direction de
M. Prouhet, dont on consultera avec fruit la Notice sur la
Vie et les Travaux de M. Ch. Sturm, insérée dans le
tome XV des Nouvelles Annales de Mathématiques. Le
savant rédacteur en chef de ce dernier recueil a fait en peu
de mots l'éloge de Sturm : « Pour Sturm, dit M. Terquem,
la science était un but; pour la foule, elle est un moyen* »
E. Merliedx.
STURiVTDÉS. Voyez Conirostres.
STUTTGARD, capitale du W u r t e m be rg, située sur
les bords du Nescnbach , dans une vallée délicieuse, véri-
table jardin anglais, qui s'étend jusqu'à Kannstadt. Làvieille
ville a des rues étroites , et les maisons en sont générale-
ment construites en bois; la Villeneuve, au contraire, qui
la domine , a des rues larges , et se coupant à angles droits.
Avec ses faubourgs Stuttgard compte 45,000 habitants. On
y compte 2,500 maisons et onze places publiques. Elle
est le siège de toutes les administrations du royaume et de
tous les tribunaux, à l'exception du tribunal suprême {pber*
appellations Gericht), qui réside àTubingue. L'ancien et
le nouveau château, le palais de la chancellerie, le Gym-
nase illustre, avec son observatoire, les trois églises évan-
géliques , l'église protestante française , etc., de magnifiques
promenades , le parc, l'opéra , le cabinet d'histoire naturelle
et celui des monnaies , l'hôtel de ville, les casernes et le
Graben, la plus belle rue de cette capitale, attirent à juste
titre l'attention des voyageurs. On trouve à Stuttgard des
fabriques de bas , de soieries et de rubans; le vin y est une
branche de commerce considérable. La bibliothèque royale
est une des plus riches de l'Allemagne , surtout en ouvrages
historiques. La bibliothèque particulièredu roi contient 45,000
volumes, et est remarquable par les manuscrits et les ouvrages
précieux qu'elle possède.
Dans ces derniers temps l'imprimerie et la librairie ont
pris une importance extrême à Stuttgard , qui à cet égard
ne le cède en Allemagne qu'à Leipzig et à Berlin.
STYLE (du latin stylus ou du grec cttûXoî, signifiant
l'un et l'autre un poinçon dont on se servait pour écrire
sur des feuilles préparées, enduites de cire). Le s^y/e tenait
lieu de plume ou de crayon ; mais il pouvait être aussi quel-
quefois une arme meurtrière , et l'histoire ancienne rapporte
plus d'un exemple de l'emploi ou de l'abus qu'on faisait du
stylus, soit pour se défendre en cas d'attaque, soit pour
se suicider. Le dangereux emploi qu'on en faisait est con-
firmé par le nom de stylet donné à une sorte de poignard
qui joue encore un grand rôle de l'autre côté des monts. On
applique par métonymie à l'opération de l'esprit l'idée de l'o-
pération mécanique de la main. Style signifie ce qu'il y a dt
23
354 STYLE — STYRAX
moins niatériel , la conception des idées , l'art de les dévelop-
per, comme il signifiait ce qu'il y a de moins spirituel, l'outil
qui , docile à la main , donnait , au moyen des signes gra-
phiques , de la couleur et du corps aux pensées. Pareille
transposition a encore lieu dans notre langue à l'égard d'au-
tres notions et d'autres instruments. C'est ainsi qu'on dit
non-seulement de l'écrivain calligraphe, mais encore de
l'écrivain homme de génie, qu'ils ont une belle p^wme,
une plume hardie , brillante , habile. Le mot style fut donc
appliqué à ce talent dans la littérature. Il représente dans la
langue écrite le caractère de la diction , et ce caractère est
modifié par le génie de la langue, par les qualités de l'esprit et
de l'âme de l'écrivain, par le genre dans lequel il s'exerce , \
par le sujet qu'il traite, par les mœurs ou la situation du per-
sonnage qu'il fait parler, enfin par la nature des choses qu'il
exprime. Dans l'éloquence et les belles-lettres, style se dit
plus particulièrement de la manière d'exprimer ses pensées
de vive voix ou par écrit. Les mots étant choisis et arrangés
selon les lois de l'harmonie et du nombre, relativement à
l'élévation ou à la simplicité du sujet qu'on traite , il en
résulte ce qu'on appelle style {voyez Combinaison),
Il y a trois sortes de styles : le simple , le tempéré , le su-
blime. Le style simple s'emploie dans les entretiens fami-
liers , les lettres , les fables. Il doit être pur, sans ornement
affecté. Le style sublime répand la noblesse , la dignité , la
majesté dans un ouvrage. Toutes les pensées y sont nobles,
SOLIDE
élevées; toutes les expressions graves, sonores, harmo-
nieuses. Le style subhme et ce qu'on appelle \e sublime
ne sont pas la même chose. Celui-ci est tout ce qui enlève
notre àme, la saisit, la trouble tout à coup. C'est un éclat
d'un moment. Le style sublime peut se soutenir longtemps ;
c'est un ton élevé, une marche noble, majestueuse. Le style
tempéré tient le milieu entre les deux autres. Il a toute la
netteté du style simple , et reçoit tous les ornements et tout
le coloris de l'élocution.
Les plus grands défauts du style sont d'être obscur, affecté,
bas, ampoulé, froid , uniforme {voyez Enflure de Stile
et Emphase). L'obscurité est le plus grandvice de l'élocution,
soit que cette obscurité vienne d'un mauvais arrangement
de mots, soit qu'elle ait sa source dans une construction
louche et équivoque ou dans une trop grande brièveté. « Il
faut, dit Quintilien , non-seulement qu'on puisse nous en-
tendre , mais qu'on ne puisse pas ne pas nous entendre. La
lumière dans un écrit doit être comme celle du soleil dans
l'univers, laquelle ne demande point l'attention pour être
vue ; il ne faut qu'ouvrir les yeux. » De tout ce qui précède
il résulte que style, synonyme de caractère , indique la
manière propre, la physionomie distincte qui appartient à
chaque ouvrage, à chaque auteur, à cliaque genre, à c!)a-
que école, à ciiaque pays, à chaque siècle, etc.
On voit déjà comment cette acception du mot style, af-
fectée aux œuvres littéraires, a dû entrer dans le vocabulaire
des arts du dessin. Ces arts doivent en e(fet être consi-
dérés comme un langage, comme une manière d'écrire qui
emploie à la vérité les corps et la matière , mais particuliè-
rement pour exprimer, sous des formes sensibles, les rap-
ports intellectuels , les affections morales, et produire, par
d'autres agents, des effets qui sont également du ressort de
l'imagination , de l'esprit et du goût. Htyle à l'égard des arts
du dessin, de leurs ouvrages, des sujets de ces ouvrages, des
facultés diverses et diversement modifiées de chaque artiste,
exprime donc aussi une manière d'être caractéristique, qui les
fait reconnaître et distinguer avec plus ou moins d'évidence,
et suivant la physionomie particulière que la nature impri-
me à chaque nation, à chaque pays, à chaque individu.
C'est ainsi qu'un œil un peu éclairé distingue au premier
abord les productions de l'art de chaque siècle, des différents
maîtres qui l'illustrèrent, et les manières distinctes de
chaque école. On n'use guère du mot strjle à l'égard de
la couleur et de l'harmonie des teintes. On dit le style du
dessin , de la composition , des draperies , et l'on ne dit point
style de couleur, d'harmonie, mais plutôt manière de
colorer, manière de clair-obscur, etc. Ce qu'on vient de
dire de l'art de peindre s'applique également à l'architecture;
ainsi le style égyptien se fait reconnaître à l'uniformité de
ses masses, à la monotonie de ses détails, à la simplicité
de ses lignes. Le style arabe ou gothique a une physio-
nomie qui ne permet à personne de le confondre au pre-
mier aspect. On reconnaît le style antique grec aux formes
et aux proportions de l'ordre dorique sans base ; celui des
époques suivantes , à l'allongement des formes et des pro-
portions du dorique , à l'emploi plus commun des ordres qui
comportent plus d'ornements , et chez les Romains , à ia
préférence donnée au corinthien , à l'excès de la richesse , à
l'abandon des types élémentaires. Les architectes se servent
aussi du mot style pour désigner le goût de toutes les par-
ties qui entrent dans l'ensemble de leur art. Ils distinguent
un style de formes et de proportions , un style de profils et
de détails , un style de décorations et d'ornements. Enfin ,
dit le savant Quatremère de Quincy , à qui nous devons de
précieux détails sur cette dernière partie de notre travail ,
style , dans les arts du dessin , s'emploie encore d'une façon
plus vague, et qui n'est généralement comprise que des
artistes qui professent et des élèves qui étudient, lorsqu'on
dit qu'un ouvrage a du style ou n'a point de style, qu'une
composition, que des draperies manquent de style. l\ nous
paraît que dans cette locution , où aucune épithète ne spé-
cifie le genre ou la nuance de style dont on parle, ce mot
se doit entendre du style par excellence , tel que celui de
l'antiquité en sculpture, celui des grands peintres d'histoire
dans l'art du dessin.
Le mol style a encore diverses autres acceptions, qu'il est
utile de faire connaître. En chronologie, c'est une manière
particulière de supputer les années. On distingue le vieux
et le nouveau style {voyez Année). La gnomonique donne
le nom de style à l'aiguille du cadran solaire. En bota-
nique, le style est la partie du pistil qui tient le stigmate
élevé au-dessus du germe. Le style, espèce de pédicule
grêle, est au pistil ce que le filet est à l'étamine.
STYLE (Peinture de). Voyez Histoire (Peinture d').
STYLE FLEURL Toyes Fleuri (Style).
STYLE LAPIDAIRE, roya:; Lapidaire (Style).
STYLET, espèce de poignard , à lance très-mince et
le plus ordinairement triangulaire.
STYLITES (du grec aTùXoç , colonne). On appelait ainsi,
dans l'Église primitive, des solitaires qui s'imposaient comme
pénitence volontaire l'obligation de passer la plus grande
partie de leur vie debout sur des colonnes plus ou moins
élevées. Tel fut, entre autres, Siméon Stylite. L'exemple
de ce fanatique , qui fut canonisé après sa mort , trouva de
nombreux imitateurs en Syrie et en Palestine , et on vit
des stylites dans ces contrées jusqu'au douzième siècle.
STYLOBATE (du grec aTy^ogâmO, espace de pié-
destal continu ou de soubassement qui a base et corniche,
et qui forme avant et arrière-corps sous les colonnes qu'il
porte.
STY'LUS, nom de l'instrument dont les Romains se ser-
vaient pour écrire ( voyez Style ).
STYMPHALIDES, oiseaux monstrueux, qui, selon
la fable, volaient sur le Stymphale, lac d'Arcadie. Leurs
ailes, leur tête et leur bec étaient de fer, et leurs lèvres ex-
tiêmement crochues. Ils lançaient aussi des dards de fer con-
tre ceux qui osaient les attaquer. Hercule leur donna la
chasse, et finit par les tuer tous.
STYPTIQUES (du grec fftuçw, je contracte). On dé-
signe sous ce nom non-seulement tous les astringents, mais
encore tous les remèdes qui calment le sang et arrêtent les
liémorrhagies en contractant les vaisseaux , sans faire d'es-
carre, et en coagulant le sang qui y est contenu. L'eau
froide, le vinaigre, l'alun , les acides, etc., sont d'excellents
styptiques.
STYl^W ( Botanique), Voyez Aliboufier.
STYRAX BENJOilV. Voyez Benjoin.
STYRAX SOLIDE. Voyez Stouax.
STYRIE — SUARD
355
STYRIE, Steyermark , duché faisant partie de ce qu'on
appelle en Autriche les rfomaine* allemands de lacouronne,
borné au nord par l'Autriche au-dessus et au-dessous de
l'Ens , à l'est par la Hongrie et la Croatie , au midi par la
Carnioie, et à l'ouest par laCarinthie et le duché de Salz-
bourg. Sa superficie est de 286 myriam. carrés, et sa po-
pulation d'un peu plus d'un million d'habitants, partie
Allemands et partie Slaves d'origine. C'est une contrée mon-
tagneuse, riche en métaux, notamment en fer, et qui se rat-
tache au système des Alpes orienlales; ses principaux cours
d'eau sont la Mur, la Drave , la Save , l'Ens et la ïraun. Elle
a pour chef-lieu la ville de Grœtz. Sous la domination
romaine, la partie orientale actuelle de la Styrie dépendait
de laPannonie, et sa partie occidentale était comprise dans
le Noricum.
§TYX, fille de l'Océan et de Téthys, était la nymphe
du fleuve du môme nom dans les enfers. Elle épousa Pal-
las, et en eut trois filles, la Victoire, la Force et la Valeur,
avec lesquelles elle vint en aide à Jupiter dans sa lutte con-
tre les Titans. Elle habitait à l'entrée des enfers une grotte
soutenue par des colonnes. Comme fleuve, c'était un
des bras de l'Océan , qui provenait de la dixième de ses
sources.
[Virgile nous dit que le Styx faisait neuf fois le tour des
enfers, espèce de serpent multiple et infini qui en fermait
tous les abords, excepté sur le point confié à Cerbère, et
franchi par Caron. Le Styx était pour les mortels une idée
terrible , qu'ils associaient à celle des supplices réservés aux
pervers et aux parjures. Jurer par le Styx fut , chez les
anciens, le plus redoutable serment, un serment que les
dieux eux-mêmes n'eussent osé enfreindre. Jupiter alors se
chargeait de punir le coupable, qui était condamné à boire
de l'eau de ce fleuve , et tombait aussitôt dans une léthar-
gie d'une année; après quoi il était privé de l'ambroisie
pour neuf ans , et enfin rentrait en grâce auprès du maître
de l'Olympe. Les mortels avaient pour ce serment le res-
pect le plus profond ; il était le symbole de la foi jurée ,
du remords qui accompagne la trahison. Fr.GAiL.]
SUAIRE (du grec ffouSâptov, en latin sudarium),
espèce de mouchoir ou morceau de linge dont on se servait
pour essuyer la sueur du visage, d'où son nom. C'était aussi
une espèce de voile dont on couvrait la tète et le visage des
morts. En ce sens, ce mot est particulièrement consacré à
désigner le voile qu'on plaça sur la tète du Sauveur des
hommes quand on l'ensevelit. Diverses églises du monde
catholique se disputent l'honneur de posséder cette véné-
rable relique.
SUARD (Jean-Baptiste- Antoine), secrétaire perpétuel
de l'Académie Française, naquit à Besançon, le 16 janvier
1733. Homme adroit, s'il en fut jamais, il sut, sans aucun
titre littéraire, se placer à la tête de la littérature, passer
pour aimable avec un caractère roide et despotique , être
toujours bien vu des grands, tout en obtenant, et parfois à
bon droit , une sorte de réputation d'indépendance. Quel fut
donc son secret .' Il eut le bonheur de s'affilier à la coterie
toute-puissante des encyclopédistes ; et sans jamais s'avan-
cer, de peur de se compromettre autant que la plupart de
ses confédérés , il s'en fit un appui , qui ne lui manqua à
aucune époque, pas même dans les publications à son sujet
qui ont été faites après sa mort. Fils du secrétaire de l'u-
niversité de Besançon, Suard fit de bonnes études, et vint en
1750 à Paris , où il se lia avec M a r m o n t e 1 , qui jouissait
alors d'un assez grand crédit. N'ayant point de fortune , il
avait d'abord été admis chez le banquier Peyre comme sur-
numéraire avec 1,200 fr. d'appointements ; mais il se démit
au bout de quelques mois, ne voulant point d'honoraires sans
travail. Une connaissance alors très-rare, et chez lui très-
approfondie , de la langue anglaise , lui procura la traduc-
tion , bien payée , d'une feuille hebdomadaire in-folio , qui
paraissait alors à Paris. Heureux , au moyen de ce travail,
qu'il faisait faire en grande partie, et aa rabais, par des lit-
térateurs obscurs, de vivre indépendant , il put se répandre
dans les cercles où brillaient les Montesquieu, les Du-
clos,les Fon ten elle, les Raynal,lesDiderot, etc.
Les concours académiques ont toujours été pour un jeune
écrivain un moyen de débuter avec éclat; Suard remporta la
prix de prose à l'Académie de Toulouse. Son discours, dont
le sujet était V Éloge de Louis XV , se faisait remarquer par
une analyse courte et animée des ouvrages de Montesquieu.
Il n'en fallut pas davantage pour mettre le jeune lauréat ea
rapport avec ce grand homme et pour en faire un homme
à la mode. Durant sa longue vie, Suard connut familière-
ment tous les beaux esprits, tous les savants, tous les phi-
losophes, tous les politiques et tous les artistes qui ont brillé
depuis l'époque où Fontenelle présidait le bureau d'es-
prit de M"*Geoffrin jusqu'à la Restauration. Sans adop-
ter les opinions de ses divers amis , et sans les rejeter
avec dédain , il écoutait également le philosophe qui n'au-
rait pas ouvert la main dans laquelle il eût tenu toutes les
vérités, et celui qui, brisant tous les freins, aurait, du
même bras, renversé tous les autels et tous les trônes. Lié
d'amitié avec les hommes qui respectaient les principes et
même les préjugés conservateurs des sociétés , il dissertait
sans passion avec d'Holbach, J'apôtre de l'athéisme, avec
Diderot , avec l'abbé Galiani , qui, sans être des athées aussi
prononcés , ne se refusaient pas le plaisir de nier Dieu
dans les salons. La collaboration de Suard à plusieurs jour-
naux devait nécessairement augmenter le crédit que lui don-
naient ses liaisons avec le parti philosophique. En 1754 il en-
treprit la rédaction ànJournal étranger, auquel coopérèrent
l'abbé Arnaud , l'abbé Prévost, Toussaint, Fréron, Favier,
Hernandez, J.-J. Rousseau, Grimm,etc., et qui ne cessa de
paraître qu'au mois de juin 1763. La même année Suard et
son ami Arnaud furent chargés par le gouvernement de faire
la Gazette de France, chacun avec 10,000 francs d'appoin-
tements. Pour suppléer au Journal étranger, les deux as-
sociés entreprirent une Gazelle littéraire de l'Europe. Ce
nouvel écrit périodique, sous la protection immédiate du
ministre des affaires étrangères , ne se soutint pas mieux
que le Journal étranger : il y régnait cependant un excel-
lent esprit; mais l'abbé Arnaud, fort dissipé, et Suard,
paresseux, étaient assez peu propres à réussir dans des en-
treprises qui demandaient un travail , une assiduité de tous
les jours. Aussi quand le Journal étranger cessa de paraî-
tre, devaient-ils encore quatre volumes à leurs souscripteurs.
Suard , aussi bien vu des femmes du grand monde que
des grands seigneurs , avait eu avec la fameuse M"^ de
Krudner une liaison intime, qui avait fini par se rompre
sans éclat, comme sans inimitié , lorsque, par l'entremise
de Buffon , il épousa une des sœurs dePanckoucke, impri-
meur non moins célèbre par V Encyclopédie que par une gé-
nérosité envers les gens de lettres qui n'a pas eu d'imita-
teurs. Uni à l'une des femmes les plus spirituelles qu'on pût
rencontrer, Suard sut apprécier cet avantage si réel dans la
position où il était placé. Son ménage, formé sous les aus-
pices du grand monde , y fut appelé le petit ménage , terme
de protection qui ne conviendrait pas à tout le monde , mais
qui procurait aux nouveaux époux l'avantage d'être en par-
tie défrayés par la munificence des grands seigneurs et des
grandes dames, qui se faisaient un plaisir de remplir le
salon de M""= Suard ou de l'attirer dans leur société. On
peut voir dans les Mémoires de Garât sur Suard que les
cadeaux des chasses de Versailles et de celles du prince de
Beauvau et du marquis de Chastellux mettaient le petit
ménage en état de donner des festins à la haute littérature.
Bientôt M"® Suard prit le parti le plus conforme à la mé-
diocrité de leur fortune , et renonça à aller dans le monde
pour se renfermer dans sa condition et dans son ménage.
A cette époque brillante du dix-huitième siècle , dans le
grand monde et chez ceux même qui y étaient admis sans
en être, le lien du mariage était considéré comme une chaîne
assez légère, qui n'empêchait nullement d'autres liaisons.
Suard était trop bien l'homme de son époque pour ne pas
mettre en pratique cette facile morale ; et la liste de ses
23,
356
SUARD
bonnes fortunes , qu'il y aurait quelque inconvénient à pu-
i)Ii(îr même aujourd'hui , prouverait qu'il était aussi délicat
qu'iieureux dans ses choix. Mais, ce qui est un mérite plus
rare dans un mari peu fidèle, il fut ,àce qu'il paraît, trop
galant homme pour s'effaroucher de la réciprocité. « Mon
ami, je ne vous aime plus, lui dit un jour M"* Suard,
après lui avoir annoncé avec embarras et douleur une pé-
nible confidence. — Cela reviendra, répondit l'impassible
mari. — Mais j'en aime un autre. — Cela se passera. » Et
il ne cessa point de conserver avec sa femme ces égards
et ces dehors d'aménité qu'on regrette trop souvent de ne
pas trouver dans des ménages plus réguliers.
Au mois d'avril 1771 Suard publia l'ouvrage qui est
resté son principal et presque son seul titre littéraire , c'est
la traduction de ï Histoire de Charles Quint , par Robert-
son. Il fit ce travail de l'aveu et pour ainsi dire de concert
avec l'auteur, qui lui envoyait les feuilles de Londres , à
mesure qu'elles sortaient de la presse. Cela n'avait pas
beaucoup avancé la besogne , et Suard fit attendre deux ou
trois ans son travail. Le succès de cette publication, prônée
par tous ses amis, lui ouvrit les portes de l'Académie , dont
il fut élu membre le 7 mai 1772, avec l'abbé De l ille.
L'abbé Delille fut reçu le même jour que lui, ce qui donna
lieu à cette épii^ramnie :
Suard t Delille! Eh! pourquoi les élire?
L'un a traduit, et l'autre a fait traduire.
En effet, il est certain que Suard avait eu des collabora-
teurs dans la traduction de V Histoire de Charles Quint.
L'abbé Royer, jésuite, avait traduit seul le second volume,
et les deux derniers avec Suard ; les six premiers livres
avaient été traduits par Letourneur ; mais la célèbre In-
troduction était de Suard.
Lors de la fameuse lutte entre les gluckistes et les picci-
nistes , il fit paraître dans le Journal de Paris , sous le nom
de ['Anonyme de Vaugirard , une série de lettres ingé-
nieuses et piqvianles , relatives à la révolution opérée dans
la musique par Gluck. Suard n'était pas moins que Mar-
montel, son adversaire, étranger à l'art musical; mais
comme la question roulait sur l'appropriation de l'art iiau-
sical à l'art dramatique, deux littérateurs étalent assez coiia-
pétents pour piendre parti dans cette querelle. Les Lettres
de VAnomjme de Vaugirard contiennent des opinions très-
justes, des discussions très-fines. L'ironie y est maniée avec
autant de décence que de malice. C'est un modèle dans le
"enre polémique ; c'est sans contredit ce que Suard a écrit
de mieux , et ce qui fait le mieux connaître les aptitudes
de son esprit. Ce ne fut pas la dernière querelle dans la-
quelle il se trouva engagé. Beaumarchais ne lui pardonna
point de n'avoir pas , comme censeur royal , donné son ap-
probation au Mariage de Figaro ; il lui pardonna encore
moins d'avoir en pleine académie attaqué cette comédie
dans sa réponse au discours de réception du comte de
Montesquiou , et pour se venger il lui consacra dans la
préface de son Figaro un paragraphe ainsi conçu : « Un
frère chapeau littéraire ( on appelait ainsi dans l'Acadé-
mie les eucjclopédistes, ^i frères bonnets leurs adver-
saires ) , un homme de bien, à qui n'a manqué qu'un peu
d'esprit pour être un écrivain médiocre (février 1785). »
Suard ne demeura pas en reste avec un tel adversaire.
Lors du procès de Kornmann , on lui attribua la rédaction
d'un Mémoire de Lenoir, lieutenant de police, et celle d'un
autre Mémoire pour la dame Kornmann.
Cependant la révolution se préparait. Il était impossible
que Suard , quelque réservé qu'il fût en fait d'opinions ,
échappât complètement à l'influence de la société dans la-
quelle il vivait habituellement; la révolution des idées
l'atteignit. Ainsi , il fut un des grands prôneurs de Kecker,
ce qui ne l'empêchait pas d'être l'ami intime de Condorcet ,
ifi plus acharné des adversaires de ce financier.
Suard était aussi de l'espèce de cour littéraire que s'était
faite le comte de Provence ( Louis XVIII) , cour toute com-
posée de philosophes timorés et prêts à maudire toute révolu-
tion qui dérangerait les existences de l'ancien régime. Aussi
quand Suard vit que la révolution des idées , à laquelle il
n'avait pas laissé de contribuer, entraînait la révolution
deschoses, et qu'il se vit menacé dans sa douce position
comme censeur royal, académicien et commensal des
grands seigneurs , il se retira prudemment , et à dater de
1789 se montra le plus modéré des philosophes. « Il faut
n'avoir aucune idée de la nature de l'homme et de son his-
toire, écrivait-il, pour imaginer qu'on puisse greffer des
plants exotiques de démocratie sur les racines profondes
d'une vieille monarchie...» Vers la fin de l'Assemblée
constituante Suard fut chargé par le ministre Montmorin de
s'aboucher avec plusieurs écrivains, entre autres avec Ri-
varol , pour lutter contre l'influence des jacobins. Rivaro.
proposa un plan qui consistait à déconsidérer habilement la
majorité anti-monarchique de l'assemblée ; mais Suard lui-
même , qui avait rédigé le projet de Rivarol pour le pré-
senter au ministre , fut le premier à le trouver trop hardi ,
et même trop peu constitutionnel ; Montmorin fut du même
avis , et le projet fut abandonné.
Lors de la réaction rojaliste qui précéda le 18 fructidor,
Suard, dans Le Publiciste et dans une autre feuille intitu-
lée Nouvelles politiques , servit chaudement le^ opinions
des Siméon, des Camille Jordan, des Barbé-Marbois , des
Tronçon-Ducoudray; mais la réaction fruclidorienne dut
l'atteindre avec ses honorables amis. Averti à temps par
M"'^ de Staël, Suard, accompagné de sa femme, se réfugia
à Coppet, auprès de M. Necker. Mais la Suisse ne pouvait
être longtemps un asile sûr pour les fructidorisés , et
Suard, après avoir renvoyé sa femme en France pour re-
cueilUr les débris de sa fortune, alla s'établir à .'\nspach.
Après que M™* Suard se fut réunie à son mari , ils don-
nèrent à Anspach, toutes les semaines, des espèces de
fêtes, et retrouvèrent tous les agréments de leur salon de
la rue Louis-le-Grand. Le 18 brumaire, qui porta dans
toute l'émigration l'espérance d'un nouveau Monk, fut une
ère d'anniislie , et rappela Suard au sein de sa patrie. 11 re-
prit la rédaction du Publiciste , qui n'eut qu'un succès
médiocre. Lorsque le gouvernement consulaire fit entrer
dans l'Institut les membres des anciennes Académies, Suard
prit place dans la classe de la langue et de la Httérature
françaises, dont il fut nommé secrétaire perpétuel. Croyant
devoir au sentiment qu'on avait de sa supériorité une
préférence qui n'était accordée qu'à son âge et à son an-
cienneté dans les honneurs académiques , il voulut trans-
former le secrétariat en dictature, et (aire recevoir ses opi-
nions non-seulement comme des décrets , mais comme des
oracles. De là plusieurs querelles, dont le scandale n'a pas
toujours été renfermé dans l'enceinle de l'Académie. Rap.
pelons, toutefois, ici à sa louange que chargé par Maret,
duc de Bassano, d'écrire l'apologie de l'alfaire du duc
d'En g bien et celle du procès More au, il s'y refusa avec
une noble indépendance. Quoi qu'on ait dit du despotisme
impérial, ce courageux refus de Suard ne fut suivi d'ducune
persécution. Suard montra la même liberté dans une con-
troverse qu'il soutint publiquement aux Tuileries contre
l'empereur, qui, en s'adressant à lui, prétendait que Tacite
n'était pas le modèle des historiens. Cependant, il se vit
en 1806 obligé de renoncer à la rédaction du Publiciste.
Ce fut à l'occasion du concours pour les prix décennaux
que Suard fit connaître sans réserve ses préventions in-
justes contre la jeune littérature, dans laquelle il compre-
nait tous ceux de ses confrères qui n'avaient pas été choi-
sis ou tout au moins couronnés par la vieille Académie. En
qualité de secrétaire perpétuel, il était membre du jury, et
il rédigea le rapport sur les ouvrages de littérature. Le dé-
dain le plus profond y respire à chaque phrase; les éloges
qu'il y disiribue y sont revêtus des formes les plus propres
à les atténuer. La lettre qui servait de préface au travail
général du jury était aussi de Suard et empreinte du même
esprit. Une partialité si injuste et si malvoUlante ne resta
SUARD — SUBLIME
35Y
pas impunie. La classe chargée de revoir le travail du jury
cassa presque tous ses arrêtés, et, réfutant d'une manière
victorieuse les inculpations dont sou secrétaire avait acca-
blé la littérature contemporaine , elle fit restituer aux ta-
lents et aux ouviages qui honoraient cette époque la part
qui leur est due dans l'estime puhlique. Suard conserva un
long ressentiment de ce redressement de ses torts ; et plu-
sieurs de ses anciens confrères ont eu lieu de s'apercevoir
de sa rancune lors de la réorganisation del'lnstitulen 1816,
opération dans laquelle il exerça la principale influence. Il
paraît que , sous prétexte de. rétablir l'ancienne Académie
Française àvec ses antiques prérogatives, Suard avait dès
1814 sollicité vivement cette mesure, qui, suspendue par
le retour de Napoléon, ne put s'accomplir que sous le minis-
tère de M. de Vaublanc. Suard parvint alors à faire élimi-
ner neuf de ses confrères. Il mourut quelques mois après,
le 20 juillet 1817, sans avoir éprouvé aucune des infirmités
de la vieillesse. Depuis quinze ans qu'il était secrétaire
perpétuel et membre de la commission du Dictionnaire ,
il jouissait d'un traitement de 12,000 francs, qui, joints
aux 8,000 fr. que lui rapportait une action dans les bénéfices
de la Gazette de France (dans laquelle s'était fondu le
Publiciste ), lui formaient un revenu de 20,000 fr. Il était
en outre au moment de sa mort censeur royal honoraire,
commandeur de l'ordre de la Légion d'Honneur et che-
.'alier de Saint-Michel.
Sa veuve, qui lui survécut de plusieurs années, était
remarquable par son instruction et par les grâces de sa
conversation et de son style. On a d'elle : Madame de Main-
tenon peinte par elle-même, et des Essais de mémoires
très-attachants. Enfin, il existe d'elle des lettres à son
mari sur son voyage à Ferney, imprimées à Dampierre ,
en l'an x ( 1802), à deux exemplaires in-4'», par G.-E.J.
Montmorency - Albert - Luynes (feu M™" la duchesse de
Luynes, qui pour se distraire avait eu la fantaisie d'ap-
prendre l'art typographique). Charles Du Rozoir.
SUARDl (Bartolommeo), dit il Bramantino. Voyez
Bfi4MANTE.
' SUBARMALE. Voyez Cuirasse.
SUBBIVALVE. Voyez Coquille.
SUBÉRIME.Foj/es Liège.
SUBHAST ATION. Ce terme est , en droit romain ,
synonyme de vente à Vencan. Il est dérivé des mots la-
tins sub hasta, c'est-à-dire sous la pique, parce que dans
les ventes judiciaires qui avaient lieu chez les Romains il
était d'usage de planter à l'endroit où devait se faire l'encan
une pique, comme marque d'autorité, attendu que ces
sortes de ventes ne se faisaient qu'en vertu d'une ordon-
nance rendue par le préteur.
SUBIACO, petite ville des États de l'Église, avec en-
viron 3,000 habitants, dans la Comarca di Roma, sur les
frontières du royaume de Naples, située de la façon la
plus pittoresque sur la rive droite du Teveroneet visitée à
cause de cela par beaucoup d'étrangers, &&\.\% Sublaqueum
des anciens, sur l'Arno, qui traversait la Via Sublacensis,
construite par Néron. Cet empereur y possédait une villa,
avec les débris de laquelle ont été construits plus des trois
quarts de la ville actuelle , et dont on voit même encore
quelques ruines.
SUBJECTIF, SUBJECTIVITÉ. Votjez Criticisme',
Objet, Obj ECTiF, Objectivité.
SUBJOI\CTIF. On appelle ainsi , dit l'Académie , un
mode du v e r b e , qui se place toujours après un autre
verbe ou une conjonction , et dans une phrase subordon-
née ou incidente. On distingue le présent, Vimpar/ait et
le plus-que-parfait du subjonctif : Que f aime, que j'ai-
masse, que j'eusse aimé, sont au subjonctif du verbe aimer.
SUBLEYR AS (Pierre), peintre distingué de l'école
française, naquit en 1699, à Uzès. Les premiers éléments
du dessin lui furent enseignés par son père , qui était un
peintre médiocre : la nature l'avait doué des plus heureuses
dispositions, et il ne tarda pas à reconnaître l'insuffisance
des leçons paternelles. Très-jeune encore, il vint habiter
Toulouse, où le chevalier Antoine Rivais, un des plus ha-
biles imitateurs du Poussin, tenait une école de peinture,
qui jouissait d'une grande réputation dans les provinces du
midi. Subleyras ne tarda pas à devenir l'émule de son
maître, et il débuta d'une manière éclatante, en abordant
avec courage la peinture monumentale. Il peignit pour une
des églises de Toulouse un plafond, où brillaient toutes les
belles qualités de sa manière , tous les avantages de sa pra-
tique, pleine de fougueuses hardiesses. En 1724 il vint à
Paris, où habitait déjà son maître, Antoine Rivais ; il y fré-
quenta les ateliers des maîtres en renom , et étudia les
beaux modèles de la renaissance et de l'antique. En 1728 il
remporta le premier prix de l'Académie de Peinture, et fut
envoyé à Rome en qualité de pensionnaire du roi. La vue
des chefs-d'œuvre de Raphaël, de Michel-Ange, acheva de
développer chez lui les grandes dispositions qu'il tenait de
la nature. Subleyras fit à Rome une brillante fortime; les
princes, les cardinaux, le pape, voulurent avoir leur por-
trait de sa main. Il fut aussi chargé d'exécuter pour l'é-
glise Saint-Pierre de Rome un tableau représentant Saint
Bazile célébrant les saints mystères, morceau capital,
qui fait le plus grand honneur au talent de Subleyras et qui
fut reproduit en mosaïque, du vivant de son auteur, dans
l'église de Saint-Pierre de Rome. En 1739 Subleyras épousa
Marie-Félice Tibaldi, qui occupe un rang distingué parmi
les plus habiles miniaturistes. Cette union fut heureuse,
mais bientôt brisée par la mort. Subleyras , qui avait une
santé faible, altérée d'ailleurs par des excès de travail,
mourut en 1749, à Rome, dans la force de son âge et de son
talent. La plupart de ses tableaux sont à Toulouse, à Paris
ou à Rome. Notre musée du Louvre possède de lui huit
tableaux, qui sont : Le Serpent d'airain; Le Martyre de
saint Pierre; Le Martyre de saint Hippolyte ; Saint
Bazile le Grand ; L'empereur Théodose recevant la bé-
nédiction de saint Ambroise ; Saint Bruno guérissant
un enfant; La Madeleine aux pieds de Jésus- Christ,
grand tableau dont on a conservé une petite esquisse ter-
minée. Antoine Fillioux.
SUBLIMATIOIV. Les chimistes donnent ce nom à
une opération par laquelle les parties volatiles d'un corps,
élevées par la chaleur du feu , s'attachent à la partie supé-
rieure d'un récipient.
SUBLIME (Le), dans tous les genres, est le plus
haut degré d'étendue, de grandeur, d'élévation et d'expres-
sion auquel puisse atteindre l'esprit humain. C'est un jfe ne
sais quoi qui frappe l'imagination par un caractère de
grandeur et de vérité, dont le merveilleux naturel saisit,
ravit, transporte l'âme, et semble l'élever au-dessus de la
nature humaine. La peinture, la statuaire, la musique ont
\ear sîiblime , qui se manifeste par l'énergie ou la noblesse
de l'expression. Le sublime se rencontre quelquefois dans un
simple cri de la nature , dans une action vertueuse : souvent
c'est un mot, un trait, un mouvement, un geste, et alors
son effet est celui de l'éclair ou de la foudre. 11 est tellement
indépendant de l'art, qu'il se produit parfois dans des per-
sonnes qui n'ont aucune notion de l'art. Quiconque est for-
tement passionné, quiconque a l'âme élevée, peut trouver
une inspiration sublime. Le sublime se fait quelquefois ad-
mirer dans le silence même. Le fameux ligueur Bussi Le Clerc
se présente au parlement, suivi de ses satellites ; il ordonne
aux magistrats de rendre un arrêt contre les droits de la
maison de Bourbon ou de le suivre à la Bastille. Personne
ne lui répond , et tous les magistrats se lèvent pour le
suivre. Nulle réponse ne pouvait être aussi éloquente que ce
silence.
Dans l'art de l'écrivain on distingue trois sortes de5M6/i-
me : le sublime d'image, le sublime de pensée et le su-
blime de sentiment. Le sublime d'image peint de grands
objets avec des couleurs si frappantes qu'on est saisi d'ad-
miration. Le sublime de pensée présente ordinairement une
grande idée exjprimée avec beaucoup de concision. Tel est
358
SUBLIME — SUBSISTANCES MILITAIRES
le fameux Fiat lux de la Genèse ; lelles sont encore les
premières paroles de l'oraison funèbre de Louis XIV : Dieu
seul esf grand, mes frères ! Le sublime de sentiment pa-
rait être presque au-dessus de la nature humaine, et fait
voir dans la faiblesse de l'humanité une constance en quel-
que sorte divine. Le portrait du juste par le poète Horace ,
Justum et tenacem , etc., offre un bel exemple du sublime
de sentiment. Notre grand Corneille nous frappe souvent
par le sublime de ce genre : le Moi de sa Médée, le Qu'il
mourût du vieil Horace , le Soyons amis, Cinna, sont des
traits auxquels on ne peut rien comparer.
Conclusion : dans tous les genres , le sublime est fort
rare ; c'est un don pour ainsi dire instinctif; les écrivains ,
poètes ou prosateurs, qui ont la manie du sublime, ne sont
le plus souvent que prétentieux, ampoulés ou bizarres. Qu'ils
se pénètrent donc de cette maxime : Du sublime au ridi-
cule il n'y a flu'un pas. Champagnac.
SUBLIME, l'un des médicaments les plus énergiques
que possède la pharmacie. Cette dénomination très-vicieuse
n'est plus employée maintenant que par ceux qui n'ont pas
de connaissances chimiques ; encore est-on obligé d'ajouter
le mot corrosif, pour éviter la confusion et les erreurs
graves qui pourraient avoir lieu. En effet , le mot sublimé
seul n'indique qu'une substance qui a été sublimée , mais
nullement le bichlorure de mercure, dénomination fondée
sur sa composition chimique et sur les principes de la no-
menclature. Mais le sublimé corrosif est le bichlorure de
mercure, dont l'action sur l'économie animale est des plus
actives. A petite dose, c'est un médicament héroïque, que
la thérapeutique emploie avec succès; à la dose de quelques
grains , il donne la mort avec une extrême rapidité et des
souffrances horribles {voyez Culorcke). La découverte de
ce composé paraît remonter à une époque très-éloignée; elle
est attribuée à un médecin arabe , et l'on croit que c'était la
substance que la trop célèbre marquise de Brinvilliers
«mployait pour commettre ses horribles empoisonnements ,
et dont on ne pouvait retrouver de traces, à cette époque
où la chimie semblait encore enveloppée dans les ténèbres.
]| serait bien difficile paaintenant de soustraire les traces
d'un crime ; car ce n'est pas seulement sur les restes du poi-
son, sur les matières vomies par le malade, sur les liquides
trouvés dans l'estomac , que le chimiste porte ses investiga-
tions : le cadavre lui-même est soumis à ses expériences,
«t, armé de ses terribles réactifs, il va jusque dans les en-
trailles de la victime chercher la preuve du délit.
II y a peu d'années que l'on ne connaissait pas de bon
antidote du sublimé corrosif dans les cas d'empoisonne-
ment ; mais on a depuis découvert un contre-poison qui offre
cela d'avantageux qu'il est au pouvoir de tout le monde :
c'est le blanc d'œuf (aièw/mne). Un ou deux blancs d'œut
délayés dans l'eau, et administrés au malade, arrêteront,
comme par enchantement, tous les effets du poison, en for-
mant avec lui un composé insoluble, dont la nature n'est
point encore parfaitement connue. Mais il faut avoir la pré-
caution de n'en point donner une trop grande quantité,
parce que cette albumine ou blanc d'oeuf, qui a la propriété
de décomposer le sublimé en formant avec lui un composé
insoluble , a également celle de redissoudre le composé in-
soluble auquel elle a donné naissance , quand elle est em-
ployée avec excès; alors le poison reprend toutes ses pro-
priétés primitives, et peut continuer son action corrosive sur
les membranes avec lesquelles il est en contact. Il faut donc
se contenter de donner un ou deux blancs d'œuf au plus
et administrer ensuite des boissons mucilagineuses. Un de
nos plus célèbres chimistes, T hé nard, ayant par inadver-
tance, en faisant son cours à la Sorbonne, pris, au lieu
d'eau sucrée , un verre contenant une solution de sublimé,
fut à l'instant même désempoisonné en avalant de l'eau al-
bumineuse qui avait été préparée pour précipiter une solu-
tion de sublimé corrosif. C. Favrot
SUBLIMÉ DOUX. Voyez Chlorure.
SUBLIME PORTE. Voyez Porte O^T0MA^E.
SUBMERSION (du latin suh , sous, et mergere ,
plonger). Ce terme est plus fort que celui A' inondation , et
emporte l'idée d'une grande et puissante inondation couvrant
la totalité du terrain inondé.
SUBORDINATION (du latin suh, sous, et ordinare,
disposer, ordonner ), certain ordre établi entre les personnes,
qui fait que les unes dépendent des autres; terme relatif,
qui marque les degrés de supériorité ou d'infériorité des
choses les unes à l'égard des autres ( voyez Discipline , HiÉ-
r,vrchie).
SUBRÉCARGUE (de l'espagnol subrecargo). On ap-
pelle ainsi, à bord des navires du commerce, l'officier
chargé de veiller à la conservation des marchandises for-
mant la cargaison , et d'en rendre compte aux divers char-
geurs ou expéditeurs.
SUBREPTION, SUBREPTICE. Voyez Obreption.
SUBROGATION (du latin subrogare, mettre à la
place), substitution d'une chose ou d'une personne à une
autre. On appelle ainsi, en droit, la transmission de tous les
droits et actions appartenant au créancier contre son débi-
teur, à celui qui le désintéresse au lieu et place de ce der-
nier. La subrogation transfère au subrogé tous les droits et
actions du créancier originaire contre le débiteur. Elle dif-
fère de la cession ou transmission en ce qu'elle peut avoir
lieu à l'insu du débiteur et par la seule volonté du créancier,
et de la délégation , en ce que cette dernière opère un chan-
gement de débiteur, tandis que la subrogation opère un
chan<;ement de créancier.
SUBROGÉ TUTEUR, celui qui dans certains cas
est subrogé, c'est-à-dire substitué au tuteur. Dans toute
tutelle il y a un subrogé tuteur. Ses fonctions consistent à
agir pour les intérêts du mineur, lorsqu'ils sont en opposi-
tion avec ceux du tuteur. Celui qui avait été nommé cura-
teur au ventre est de plein droit subrogé tuteur de l'en-
fant. Hors ce cas , il est toujours nommé par le conseil de
famille , immédiatement après la nomination du tuteur. H
ne remplace pas de plein droit ce dernier lorsque la tu-
telle devient vacante, et doit dans ce cas provoquer immé-
diatement la nomination d'un nouveau tuteur. 11 a le droit
de se pourvoir contre toute déhbération du conseil de famille
qui n'a pas été prise à l'unanimité des \oix. Ses fonctions
cessent à la même époque que la tutelle.
SUBSISTANCES MILITAIRES. On désigne sous
cette dénomination une partie essentielle du service des ar-
mées, consistant à pourvoir à leur alimentation. Tout ce qui
est relatif à l'équipement et à l'habillement des troupes rentre
indirectement dans cette branche du service, à laquelle pré-
side un corps administratif spécial, appelé le corps de l'in-
tendance militaire. En temps de paix rien de dif-
ficile dans la tâche d'assurer chaque jour l'alimentation des
troupes ; mais il n'en est pas ainsi en temps de guerre , et
surtout lorsqu'on transporte le théâtre des opérations dans
le pays ennemi. Les ressources des localités sont bientôt
complètement épuisées , et il faut alors tirer ses vivres et
approvisionnements de contrées souvent fort distantes. Les
fournisseurs viennent dans ce cas le plus souvent en
aide aux efforts des intendants militaires , en passant, avec
ou sans publicité , des marchés par lesquels ils s'engagent
sous certaines conditions à tenir à la disposition de l'armée,
sur tel ou tel point désigné , un certain nombre de rations
de toutes espèces , dont la nature et les quotités sont l'objet
du contrat. Autrefois , le grand art d'un général en chef ne
consistait pas seulement à prendre d'habiles dispositions en
face de l'ennemi et à manœuvrer de façon à le forcer à
accepter la bataille dans une position peu avantageuse ; il lui
fallait en outre échelonner toujours ses troupes de telle sorte
qu'elles pussent facilement se procurer toutes les ressources
en vivres , bois et fourrages qui leur étaient nécessaires.
Depuis les guerres de la révolution , les règles de la stratégie
ont été complètement modifiées ; et comme en général on
voit la victoire se déclarer toujours en faveur des gros ba-
taillons , l'essentiel aujourd'hui est de faire converger, à un
SUBSISTANCES MILITAIRES — SUBVENTION
instant donné, sur tel point de l'échiquier qu'on prend pour
pivot d'opérations les plus grandes masses de troupes pos-
sibles. De là aussi un surcroît de difficultés pour assurer
le service des subsistances militaires, car les ressources par-
ticulières des cantiniers sont promptement épuisées.
SUBSTAIVCE ( àa]al\n substantia), tout ce qui existe,
ou plutôt les parties ou matières constituantes de tout ce qui
existe. Ce n'est pag que ce mot ne serve aussi à désigner
des êtres de l'ordre moral ou métaphysique , comme quand
on dit : la substance d'un livre, d'un discours. Les philo-
sophes de tous les temps et de tous les lieux ont très-lon-
guement déraisonné sur la substance des corps, et depuis
Aristote , qui la définissait sérieusement : Ce qui iCest ni
qui, ni qîioi, ni comment , ni quand bien même, jus
qu'aux pitoyables théories philosophiques qu'on nous dé-
roule même encore aujourd'hui dans des chaires publiques
au sein de Paris , il n'y a sans doute pas un mot qui ait servi
de texte à tant d'absurdes discussions, à tant d'opinions
contradictoires.
Le mot substance , en physique et en histoire naturelle,
estsimplement synonyme de matière : substances gazeuses,
salines, inflammables, terrestres , métalliques, etc.
On emploie quelquefois ee mot absolument, pour désigner
ce qu'il y a de meilleur dans les choses : Ces aliments n'ont
point de substance ; les plantes se nourrissent delà
substance de la terre. Dans cette autre phrase : Ce mi-
nistre s'est engraisse de la substance du peuple , le mot
substance ne veut pas seulement dire ce qu'il y a de mieux
dans le peuple, mais encore ce qui est indispensable à sa
subsistance.
SUBSTAIVTIF. Voyez Nom.
SUBSTITUT. Voyez Ministère public.
SUBSTITUTION (DroiC ), disposition en vertu de la-
quelle un légataire ou un donataire transmet à une per-
sonne désignée des objets qu'il n'a reçus qu'à cette condi-
tion expresse , après en avoir joui durant sa vie. On
nomme grevé celui qui reçoit ainsi à charge de conserver et
de rendre à sa mort; et appelé , celui qui doit succéder à
l'héritier premier institué.
Ce droit de substitution, accordé à toute personne dans
l'ancienne jurisprudence , avait pour but de perpétuer les
biens dans les familles, en procurant les moyens de favo-
riser les aînés mâles au préjudice des autres enfants. De
funestes conséquences naissaient de ces dispositions -. d'une
part, les grevés, ne possédant rien en propriété, ne pouvaient
transférer que des droits résolubles sur ces biens mis ainsi
hors de circulation; d'autre part, beaucoup d'individus,
ignorant la charge de restitution , contractaient avec le
grevé, et voyaient au moment de son décès une fortune
considérable passer entre les mains d'héritiers qui refu-
saient souvent d'acquitter les dettes de leur auteur. Enfin,
les substitutions avaient non-seulement cet inconvénient
d'occasionner dans les familles, dont elles enrichissaient
quelques membres au préjudice des autres , une foule de
procès épineux , mais encore de nuire à l'amélioration des
propriétés, dont le grevé, simple usufruitier, cherchait à
tirer le plus de produits possible. Il était donc raisonnable
de proscrire ces substitutions, incompatibles avec nos ins-
titutions et nos mœurs, et d'abolir cette faculté exorbi-
tante attribuée à tout individu d'imposer un successeur
à l'héritier par lui institué. Ce fut l'objet de la loi du
14 novembre 1792, qui prohiba formellement toutes sub-
stitutions à l'avenir, et môme , par une disposition ré-
troactive , déclara abolies et sans effet celles qui n'étaient
pas encore ouvertes. Elles ont été de nouveau prohibées
par l'art. 896 du Cod« Civil. Néanmoins, il est permis aux
pères et aux mères de donner la quotité disponible de leurs
biens, en totalité ou en partie ,à un ou plusieurs de leurs
enfants, à charge de les rendre à tous les enfants nés ou à
naître, au premier degré seulement, des donataires. La
même disposition est permise à celui qui ne laisse que des
frères ou des sœur», en laveur de tous leurs enfants nés ou
359
à naître, aussi au premier degré seulement, sans distinction
d'âge ni de sexe. La loi du 17 mai 1820, en autorisant la
substitution jusqu'au deuxième degré, et la charge de res-
titution au profit de l'un des enfants du donataire à l'exclu-
sion des autres , a porté une atteinte profonde au principe
posé par l'art. 806. La prohibition de substituer ne se
trouve dès lors maintenue qu'en ce qu'il n'est pas permis
de grever le donataire de sa charge de rendre à un étran-
ger; ce n'est qu'au profit de ses enfants que la substitution
peut avoir lieu.
Sous l'ancienne jurisprudence, on distinguait les substi-
tutions ftdéi-comtnissaires et les substitutions vulgaires.
Les premières consistaient à gratifier quelqu'un en le char-
geant de conserver et de rendre à un tiers les objets don-
nés. Par les secondes on n'appelait un tiers à recueillir la
libéralité que dans le cas oîi l'héritier ne pourrait en pro-
fiter, et où la disposition deviendrait caduque à son égard.
Cette dernière espèce n'a point été proscrite par le Code,
qui, au contraire, la déclare expressément valable. Quant
aux substitutions fidéi-commissaires , elles sont l'objet de
la prohibition qu'il con'ient. Auguste Husson.
SUBSTITUTION DE PERSONNE, délit qui con-
siste à se présenter sous le nom d'un autre , prévu et puni
par la loi sur le recrutement du 21 mars 1832 ( voyez Recru-
tement).
SUBSTITUTION D'ENFANT. L'individu coupable
de substitution d'un enfant àun autre est puni de la réclusion
( Code Pénal , article 345 )
SUBSTITUTION DE DETTE ET DE DÉBI-
TEUR. Voyez NovATiON.
SUBSTITUTION (Élimination par [Chimie]). Voyez
ÉLIMINATION.
SUBSTITUTIONS CHIMIQUES, cas particulier
de la loi des équivale nts chimiques. « Ainsi, dit
M.. le D"" Hoefer, le chlore remplace l'hydrogène; un volume
de chlore se substitue au môme volume d'hydrogène, sans
changer le type du composé. Si le composé est acide, il
restera acide, même après que le chlore aura remplacé son
équivalent. Le vinaigre pur (acide acétique) se compose de
Qi H^O ^, plus un équivalent d'eau : or, en mettant cet
acide acétique en contact avec du chlore sec à la lumière
directe, on trouve qu'au bout de quelques heures le chlore
a pris la place de l'hydrogène C CP C^ , plus un équi-
valent d'eau ; et ce môme composé est également acide
(acide chloro-.icélique). Il forme avec l'oxyde d'argent du
chloro-acétate d'argent, analogue à l'acétate. »
Laithéonc ôe& substitutions chimiques, dont M. Dumas
est l'auteur, est applicable à une foule de faits, qu'il serait
trop long d'énumérer ici. Elle ne semble guère s'accorder
avec la théorie électro-chimique de Berzelius.
SUBSTRATUM. Voyez Infusion.
SUBVENTION, secours d'argent, espèce ae subside
accordé ou exigé pour subvenir, dans un cas pressant, à
une dépense imprévue de l'État : Subvention de guerre.
Dans son emploi le plus habituel ce mot sert à désigner les
fonds que le gouvernement accorde pour soutenir une en-
treprise , un journal , un théâtre , etc. Les subventions oc-
cultes à la presse jouaient un grand rôle sous le régime
parlementaire; elles étaient prises sur les fonds secrets,
et comprises dans ces dépenses de police générale sur les-
quelles le gouvernement était dispensé de donner des expli-
cations aux chambres. On citait des journaux qui recevaient
douze mille francs par mois ; d'autres se contentaient de
la moitié de cette somme, et défendaient le pouvoir au ra-
bais. Telle revue, longtemps républicaine sous le règne de
l'élu des 221, devint tout à coup monarchique et doctrinaire
parce que son directeur s'humanisa et consentit à accepter
une subvention de 2,000 fr. par mois. Dans les départements,
les préfets trouvaient aussi moyen de subventionner plus
ou moins généreusement les journaux qui défendaient leurs
actes. C'était là certes un des plus criants abus du régime
constitutionnel, et il n'a pas peu contribué au discrédit dao»
Îî60
lequel avait fini par tomber le personnel de la presse mili-
tante, qui donnait à chaque instant l'exemple des plus scan-
daleuses apostasies.
Les subventions théâtrales sont un autre abus, non moins
criant, et qu'on prétend justifier à l'aide de prétextes plus
ou moins spécieux. L'intérêt des arts est celui qu'on allègue
le plus souvent , et il y a là tant de parties prenantes, tant
de basses et sales mlrigues enjeu, qu'il est à peu près admis
en principe aujourd'hui que subventionner grassement une
troupe de chanteurs et un corps de ballet est un moyen in-
faillible d'assurer la prospérité du commerce et l'éclat d'un
règne. Sous le régime parlementaire , les subventions théâ-
trales figuraient ostensiblement au budget ; et les plus in-
traitables puritains eux-mêmes trouvaient toujours des mo-
tifs plus ou moins plausibles pour prouvera leurs commettants
qu'en votant sur cette question comme le troupeau minis-
tériel ils n'avaient point manqué à leur mandat d'opposants
en tout et partout.
SUCCANDI. Voyez Côte d'Or.
SUCCESSIFS (Droits). Voyez Droit.
SUCCESSIOIX ( du latin siiccedere, venir après, prendre
la place de ). Ce mot désigne , en droit, la totalité des biens ,
droits, raisons et actions dont une personne se trouve in-
vestie activement ou passivement au moment de son décès,
et le mode de transmission de ces biens, droits, raisons et
actions aux personnes qui sont appelées à différents titres
à prendre sa place. Le mot succession est donc synonyme
à hérédité , et en même temps il sert à désigner les héritiers
eux-mêmes. Le Code Civil reconnaît trois espèces de suc-
cessions : \si succession contractuelle, la succession testa-
mentaire et la succession légitime. La première est celle
qui est réglée par le contrat de mariage des époux. Comme
dans cet acte il est permis aux parties d'insérer toute
clause qui n'est contraire ni aux bonnes mœurs , ni à la
morale publique, ni à un texte de loi prohibitif, il devient
naturellement le pacte de famille qui règle les droits suc-
cessifs des époux et des enfants à naStre du mariage. L'at-
tribution que se font alors les époux , ou qu'ils font à leurs
enfants , soit d'une partie , soit de la totalité de \3i quotité
disponible dans les biens qu'ils laisseront au jour de
leur décès, est une attribution irrévocable; mais il leur est
interdit d'outre-passer cette limite; et si la disposition par
eux faite , même par contrat de mariage , dépassait cette
quotité, si elle entamait la réserve légale, eWe serait ré-
duite .dans les limites déterminées par la loi. La succession
testamentaire esl celle nui eS't déférée parte s tament ;eile
est soumise aux mêmes règles : le testament n'est valable
aussi que jusqu'à l'entier épuisement de la quotité dispo-
nible , et sous la condition que la réserve légale sera res-
pectée par le testateur. La distinction qu'il y a à faire
surtout entre la succession contractuelle et la succession
testamentaire, c'est que celle-ci est essentiellement révo-
cable. La succession légitime est celle- qui est déiérée par
la seule déclaration de la loi , en l'absence de dispositions
contraire? de la part du défunt. Elle se divise en succession
régulière et en succession irrégulière.
La succession rt^g'M/ière est celle qui est déférée aux parents
légitimes du défunt; la succession irrêgulière , celle qui est
attribuée, par diverses considérations, aux personnes autres
que les parents légitimes qui n'avaient pas pour ainsi dire
un titre régulier pour exiger cette attribution: ce sont les
enfants naturels, l'époux survivant et le domaine. Pour
toute succession, il faut d'abord fixer l'époque de l'ouver-
ture et les formalités à remplir pour que la dévolution des
biens s'opère parla 5 a isi ne de l'héritier. Il est de principe
que jamais la propriété ne doit demeurer un seul moment
incertaine; de là cette maxime de notre ancien droit cou-
tumier : Le mort saisit le vif. La saisine s'est opérée en
faveur de l'héritier, môme sans acte de sa part, sans que sa
volonté ait été ex primée, encore bien qu'il ait le droit de ré-
pudiation s'il craint que la charge qui lui est donnée ne soit
pas proQtable. L'ouverture de la succession est fixée, en
SUBVENTION - SUCCESSION
règle générale, par l'événement naturel du décès; ma!»
elle peut résulter aussi d'une fiction de la loi, qui dans
certaines circonstances suppose mort celui qui est ou peut
être vivant, comme cela arrive dans le cas d'une condam^
nation khmort civile ouà'une déclaration d'à b s e n c e.
Lorsque la succession s'ouvre par la mort naturelle , ce qui
est le cas le plus ordinaire, l'époque de l'ouverture est
fixée par le fait même du décès et par l'acte qui a dû en
être transcrit sur les registres de l'état civil. C'est à l'héritier
qu'il appartient de procéder à l'établissement de la preuve
du décès.
S'il y a eu omission de déclaration ou impossibilité de la
faire, il faut s'adresser à la justice. En général, dans toutes
les questions de cette nature , et en l'absence de preuves
légales, c'est aux juges qu'il appartient d'apprécier les cir-
constances et de prononcer sur les droits de chacun. On
a cru seulement devoir poser quelques règles d'équité pour
le cas où il y aurait impossibilité absolue de rendre une
décision. Ainsi, on décide que si plusieurs personnes,
respectivement appelées àla succession l'unede l'autre, pé-
rissent dans un même événement, sans qu'on puisse recon-
naître laquelle est décédée la première , la présomption de
survie est déterminée par les circonstances du fait, et à leur
défaut, par la force de l'âge et du sexe. Si ceux qui ont
péri ensemble avaient moins de quinze ans, le plus âgé
sera présumé avoir survécu ; s'ils étaient tous au-dessus de
sojxante ans, le moins âgé sera présumé avoir survécu ; et
si les uns avaient moins de quinze ans et les autres plus de
soixante, les premiers seront présumés avoir survécu. Enfin,
si ceux qui ont péri ensemble avaient quinze ans accomplis
et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir
survécu, lorsqu'il y a égalité d'âge ou si la dilférence n'excède
pas une année. S'ils étaient du même sexe , la présomption
de survie, qui donne ouverture à la succession dans l'ordre
de la nature, doit être admise : ainsi, le plus jeune est pré-
sumé avoir survécu au plus âgé.
Après qu'il a été constaté qu'une succession est ouverte,
il faut savoir à qui elle est dévolue. Le premier principe en
cette matière est que la transmission ne peut s'opérer que du
mort au vif. Celui-là seul est habile à succéder qui était
né , ou tout au moins conçu à l'époque du décès de son au-
teur. Cependant, la conception seule ne suffit pas pour ren-
dre habile à succéder, il faut encore que l'enfant naisse
viable, parce que celui qui n'est pas né viable est réputé
n'être jamais né, La question de viabilité de l'enfant qui
meurt en venant au monde est donc de la plus haute impor-
tance ; car si l'enfant n'est pas né viable, il n'a pu rien re-
cueillir, et s'il a vécu un seul moment, cela a suffi pour
qu'il ait dû recevoir et transmettre tous les droits qui se sont
ouverts en sa faveur pendant les dix mois qui ont précédé
à la fois sa naissance et sa mort. Lui au.ssi a une succes-
sion qui s'ouvre et des héritiers qui viennent recueillir de
son chef.
L'héritier qui réunit toutes les qualités requises pour suc-
céder, alors même qu'il est saisi de plein droit des biens du
défunt par le fait même du décès , n'est pas pour cela réputé
héritier irrévocable ; il peut ou accepter la succession, ou
la répudier, ou rester dans l'inaction sans faire connaître
sa volonté , soit qu'il ignore qu'une succession se soit ou-
verte en sa faveur, soit qu'il craigne de prendre une déci-
sion à cet égard. La saisine de l'héritier n'est alors que fic-
tive , et la partie la plus diligenle qui viendra justifier de ses
droits aura la saisine réelle, encore bien qu'il existe des hé-
ritiers plus proches qui auraient des droits préférables.
Par suite de l'ouverture de la succession et de la saisine,
qui en est la conséquence , l'héritier se trouve subrogé dans
les droits du défunt, dont il continue la personne activement
et passivement ; en sorte que s'il recueille les biens , il
est , d'autre part , obligé aux charges , comme s'il avait lui-
même contracté les obligations qui pèsent sur son auteur.
De là cette nécessité d'admettre la faculté de répudiation ,
nul ne pouvant être forcé d'accepter malgré lui une charge
SUCCESSION — SUCCESSION D'AUTRICHE
36t
sans compensation aucune. C'est à lui de délibérer naûre-
ment avant d'agir. Au reste, on a voulu adoucir autant
qu'il était possible la rigueur des principes du droit à cet
égard en autorisant l'héritier à s'établir sans risques pour
lui-même l'administrateur delà succession, qu'il peut accep-
ter sous bénéfice d'inventaire s'il craint que le résul-
tat de la liquidation ne présente rien d'utile.
Aujourd'hui l'ordre des successions est déterminé d'après
le droit de famille, dans un rapport direct avec les liens de
parenté. Le Code Civil, après avoir réglé les divers cas dans
lesquels il y a lieu à réserve légale, abandonne entière-
ment à la volonté du testateur la quotité disponible : il ne
s'occupe donc que du règlement des successions ab intestat.
Dans notre droit, il n'y a de réserve légale qu'en faveur des
descendants et des ascendants. Les enfants naturels, aux-
quels on refuse le titre légal d'héritiers , sont mis à cet
égard sur la même ligne que les descendants ; ils ont aussi
droit à une réserve légale, et sont conséquemment des hé-
ritiers nécessaires. Les descendants légitimes en ligne di-
recte sont préférés à tous autres héritiers; ils excluent les
ascendants et tous les parents collatéraux. Après les descen-
dants , viennent en seconde ligne les ascendants , qui ont
droit à «ne ré'^erve , mais qui pour cela n'excluent ,
parmi les collatéraux , ni les frères ni les sœurs; ils pren-
nent tous part concurremment à la succession. Viennent en-
suite en troisième ordre les parents collatéraux autres que
les frères et les sœurs; mais en ce qui les concerne on ne
suit plus les anciens principes du droit coutumier, qui divi-
saient les biens à l'infini entre les parents quelquefois les
plus éloignés; on s'en tient à une règle plus précise. Toute
succession déférée à des parents collatéraux autres que les
frères et sœurs se divise en deux parts , dont l'une est attri-
buée à chacune des deux lignes paternelle et maternelle ; et
dans chacune d'elles, c'est le parent le plus proche en degré
qui prend toute la portion afférente à sa ligue. Mais le droit
de succéder ne s'étend pas au delà du douzième degré; et
s'il ne se trouve pas dans l'une des lignes de parent au de-
gré successible, c'est à l'autre ligne que le tout appartient
par droit de dé volu tion. *
On appelle ligne la série des générations : la ligne directe
est la suite des générations entre personnes qui descendent
l'une de l'autre; la ligne collatérale est la suite des généra-
tions entre personnes qui ne descendent pas l'une de l'autre,
mais qui ont un auteur commun. En ligne directe, on
compte autant de degrés que de générations entre les per-
sonnes; en ligne collatérale, on compte le^ générations, en
remontant de chacune des personnes dont on veut connaître
le degré de parenté jusqu'à la souche commune, et l'on (ait
l'addition des deux nombres, ce qui donne la quantité de
degrés. A l'égard des collatéraux , toujours autres que les
frères et sœurs, la supputation des degrés une fois faite,
l'ordre de succession est irrévocablement déterminé , le pa-
rent le plus proche dans chaque ligne est seul héritier ; et
s'il existe plusieurs parents au même degré, ils partagent
par têtes. Mais entre les frères et sœurs ce principe n'est
pas rigoureusement suivi ; on admet une fiction de droit,
qui permet d'appeler les enfants des frères et sœurs à par-
tager avec leur oncle ou leur tante, comme s'ils étaient de
même degré, quoique daus l'ordre de la famille ils soient
placés à un degré plus éloigné ; c'est ce que l'on nomme en
droit la représentation, qui a pour effet de (aire entrer
les représentants dans la place , dans le degré et dans le
droit du représenté. Du reste, les frères et sœurs, ou on-
cles et neveux, tantes et nièces, partagent entre eux par
têtes, si les frères et sœurs sont de même lit, et sous la con-
dition que les enfants d'un (rère ou d'une sœur ne compte-
ront que pour une seule tête. Si les frères et sœurs sont de
lits différents, la part qui leur est attribuée se divise en deux
portions pour être distribuée entre les deux lignes paternelle
et maternelle. Les frères et sœurs germains , qui appartien-
nent aux deux lignes , viennent au partage dans chacune
des deux portions j les frères et sœurs consanguins et uté-
rins ne viennent chacun que dans leur ligne seulement, le»
enfants qui se présentent par représentation exercent dans
chacune des lignes les droits qui auraient été attribués à
leur père ou à leur mère. La représentation est également
admise en ligne directe à l'infini au profit des descendants ;
elle ne l'est jamais au profit des ascendants.
On appelle successions vacantes celles qui sont aban-
données par ceux qui auraient droit de les recueillir, et
dont le fisc ne veut pas se charger. Sur la réclamation des
ayant-droit, il est nommé un curateur à la succession va-
cante, contre lequel toutes les actions qui intéressent la
succession peuvent être dirigées. Ce curateur a l'adminis-
tration des biens, dont il fait constater l'état par un inven-
taire, et il doit se tenir toujours prêt à rendre compte de
sa gestion (voi/ez Curateur).
SUCCESSIOIV (Déclarations de). Ces actes sont de la
même nature que les déclarations de mutation. Toute
succession en conférant aux tiers survivants des droits nou-
veaux leur attribue des propriétés nouvelles, ce qui en-
traîne la nécessité de payer les droits de mutation ; il faut
donc que l'héritier fasse dans un délai déterminé, qui est
réglé à six mois, à partir du jour du décès, la déclaration
au domaine de tous les biens qui composent l'hérédité; c'est
sur cette déclaration que sont payés les droits.
SUCCESSION D'AUTRICHE {Guerre delà [t740-
1748]). Le 20 octobre 1740 mourut l'empereur Char-
les VI, dernier rejeton de la ligne mâle de la maison de
Habsbourg (la ligne d'Espagne s'était déjà éteinte aupara-
vant), et sa fille aînée, Marie-Thérèse, prit aussitôt
po.ssession de tous les États autrichiens héréditaires. Sa suc-
cession était fondée sur la Pragmatique Sanction,
aux termes de laquelle tous les Etats autrichiens devaient
toujours rester unis et passer, suivant l'ordre de primogéni-
ture, à la ligne mâle, ou à défaut de celle-ci à la ligne fémi-
nine, et que de son vivant Charles VI s'était efforcé de toutes
les manières de faire reconnaître, tant par les assemblées
d'étals des Etats autrichiens que par les principales puis-
sances de l'Europe. Mais lîs circonstances parurent trop fa-
vorables aux ennemis de la maison d'Autriche pour n'etj
point profiter. Frédérci II de Prusse saisit le premier cette
occasion pour revendiquer d'antiques droits sur les duchés
de Liegnitz, de Wohiau , de Brieg et d'Iaegerndorf, situés
en Silésie. Sans déclaration de guerre préalable, il entra
en Silésie à la tête d'une armée de 30,0o0 hommes , en
même temps qu'il faisait offrir à l'impératrice, pour prix de
la cession de la Silésie, un traité d'alliance offensive et dé-
fensive, une avance de deux millions dethalers, et sa voix
pour l'élection au trône impérial qui allait avoir lieu, e»
faveur de son époux , le graud-duc de Toscane. Marie-
Thérèse en appela à la force des armes; mais elle perdit la
première bataille, livrée le 10 avril 1741, près de Mollwilz;
et peu de temps après toute la Silésie se trouva au pouvoir
de Frédéric. Pendant ce temps-là l'électeur de Bavière,
Charles-Albert , le .seul qui n'eût jamais reconnu la Prag-
matique Sanction de Charles VI, s'était aussi mis en scène,
et en sa qualité de descendant d'Anne, fille de Ferdi-
nand l*^', avait revendiqué tout l'héritage de la maison de
Habsbourg, et plus particulièrement l'Autriche, la Bohême
et le Tyrol. De même, l'Espagne, invoquant un anciea
traité de succession entre les lignes espagnole et autri-
chienne de la maison d'Autriche, revendiqua ostensible-
ment toute la monarchie autrichienne, mais en réalité seu-
lement la po.ssession de la Lombardie pour Philippe, second
fils d'Elisabeth. De son côté, l'électeur de Saxe, comme
époux de la fille aînée de l'empereur Joseph F"", réclamait
aussi toute la succession. La France, qui voulait profiter
de cette circonstance pour démembrer la monarchie autri-
chienne, réunit ces divers concurrents par le traité de
Nymphembourg du 18 mai 1741, où l'on entreprit la fu-
sion des diverses prétentions et le partage préalable des pos-
sessions autrichiennes. La guerre éclata sur plusieurs points
à la fois. D'abord, deux armées espagnoles combattirent en
362
SUCCESSION D'AUTRICHE — SUCCESSION DE BAVIÈRE
Italie pendant les années 1741 et 1742 pour enlever la Lom-
Lardie auv Autrichiens. La France envoya deux armées en
Allemagne. A la tête de l'une, Maillebois, uni aux Prus-
siens, s'efforça d'empêcher les Hollandais et les Hanovriens
de pénétrer en Weslphaiie pour venir en aide à Marie-Thérèse;
avec l'autre armée, Belle-Isle traversa la Souabe pour aller en
Bavière au secours de Charles-Albert. Mais déjà celui-ci, à
la tête d'une armée bavaroise, avait envahi l'Autriche; quand
il eut opéré sa jonction avec les Français , il conquit toute
la basse Autriche, où il se fit prêter serment de ndéUté. Il
marcha ensuite sur la Bohême, où avait déjà pénétré une ar-
mée saxonne aux ordres de Rutowski, s'empara de Prague, et
s'y fit couronner comme roi, le 19 décembre 1741. Dans cet
état de détresse, Marie-Thérèse en appela à ses braves Hon-
grois. Avec les forces qu'ils mirent à sa disposition et avec
les susbsides que lui fournit l'Angleterre, elle mit deux
armées en campagne, dont l'une, commandée par son
mari, entra en Boiiême pour empêcher l'ennemi d'y pé-
nétrer plus avant , et dont l'autre, commandée par Kheven-
liuUer, reprit la basse Autriche, pénétra en Bavière, et,
précisément au moment où Charles-Albert se faisait cou-
ronner empereur à Francfort, sous le nom de Charles VII,
s'empara de Munich, sa capitale. Cependant Frédéric II
avait continué la guerre en Silésieet en Bohême, et il avait
remporté de nouveau une importante victoire sur Charles de
Lorraine, le 17 mai 1742, à Ciiolusitz (Czaslau). Marie-
Thérèse prit alors une rapide détermination , et par le traité
de paix signé à Breslau, le 11 juin 1742, elle abandonna la
Silésie à cet adversaire, à la condition qu'il se retirerait du
traité de Nymphembourg ; et la Saxe adhéra aussi à cette
paix. Ainsi débarrassée de deux ennemis, Marie-Thérèse put
maintenant agir avec plus de vigueur contre les Français et
les Bavarois. Les troupes commandées par le prince de
Lorraine reconquirent d'abord la Bohême, s'emparèrent de
Prague, longtemps défendue héroïquement par Belle-Isle,
qui l'évacuadans une audacieuse retraite, et se rendirent de
nouveau maîtresses de la Bavière , qui, pendant que le gros
des forces autrichiennes agissait en Bohême, était retombée
au pouvoir de Charles VII. En même temps, le roi d'Angle-
terre Georges II , à la tête d'une armée recrutée en Allemagne
et appelée armée pragmatique , battait, le 27 juin 1743, à
Dettingen-sur-le-Main, le maréchal de Noailles, envoyé au
secours de l'empereur ( Charles VU ) , le forçait à se réfugier
sur.les bords du Rhin et lepoursuivait jusqu'à Worms. Là,
par un traité formel , signé le 13 septembre, il réussit à dé-
terminer le roi de Sardaigne à s'alliera l'Autriche et à l'An-
gleterre ; et la Saxe, elle aussi , finit par accéder à cette al-
liance. Inquiet pour la Silésie depuis que la puissance de
Marie-Thérèse avait ainsi reçu de notables accroissements ,
comme aussi redoutant les dispositions défavorables de ses
anciens alliés , le roi de Prusse accéda de nouveau avec la
France et la Bavière , de même qu'avec l'électeur palatin et
le roi de Suède, à l'union de Francfort (22 mai 1744), soi-
disant >'■ pour la défense de l'Empire d'Allemagne et de son
chef; » puis, tandis que le gros des forces de Marie-Thérèse
était occupé en Alsace contre les Français , il envahit su-
bitement, au mois d'août, la Bohême sur trois points à la
, fois , et s'empara en peu de temps de ce pays ainsi que
de Prague et des autres places fortes. Quoique contraint
dès la même année, par les manœuvres habiles du général
Traun , d'évacuer de nouveau la Bohême , il en résulta ce-
pendant que la Souabe et la Bavière se trouvèrent délivrées
de la présence de lennemi, et que Charles VII put reprendre
possession de sa capitale, mais uniquement pour y mourir,
le 20 janvier 1745. Son fils, Maximilien-Joseph , menacé
par l'Autriche d'une nouvelle invasion de la Bavière,
conclut la paix à Fussen, le 22 avril 1745. Malgré les
contre-efforts de la France , l'époux de Marie-Thérèse fut
élu empereur, le 13 septembre, sous le nom de François I"".
Pendant ce temps-là Frédéric II, qui s'était remis des ca-
lamités de la campagne de l'année précédente , avait été
constamment victorieux pendant le cours de l'année 1745.
Il battit les Autrichiens à Hohenfriedberg (4 juin) et à Sorr,
et les Saxons à l'affaire de Hennersdorf (23 novembre),
puis à la meurtrière bataille de Kesselsdorf ( 15 décembre).
Le résultat de ces succès militaires du roi fut qu'on signa la
paix à Dresde dès le 25 décembre 1745, paix aux termes
de laquelle Frédéric garda la Silésie. En Italie aussi la guerre
entre l'armée franco-espagnole et l'armée autrichienne fut
longtemps défavorable à celle-ci. Milan , Parme et Plaisance
tombèrent au pouvoir des Français; et le roi de Sardaigne,
qui en 1743 s'était allié avec l'Autriche, se trouva si vive-
ment pressé , qu'il eut beaucoup de peine à se maintenir en
Savoie et en Piémont. En outre , l'Autriche lui avait mis
les Génois sur les bras, en exigeant d'eux qu'ils lui restituas-
.sent sans indemnité le marquisat de Finale, qui leur avait
été engagé par Charles VI. Mais lorsque, par suite de la con-
clusion de la paix de Dresde, Marie-Thérèse se trouva en
mesure de faire passer des troupes en Italie , non-seulement
elle regagna tout ce qu'elle avait perdu , mais encore l'Es-
pagne , suivant une autre politique depuis la mort de Phi-
lippe V, en retira peu à peu ses troupes , de sorte que les
Sardes s'emparèrent du marquisat de Finale, et les Autri-
chiens, le 6 septembre 1746, de la ville de Gênes , et péné-
trèrent même dans le midi de la France. Le manque de
vivres les contraignit, il est vrai , à battre en retraite, et ils
échouèrent aussi dans leurs efforts pour reprendre Gênes ,
qui avait été délivrée. Mais ils repoussèrent une invasion
tentée en Piémont par les Français , tandis que les Anglais,
triomphant des Français sur mer, détruisaient une partie de
la flotte de leurs ennemis et s'emparaient de diverses co-
lonies françaises dans l'Amérique septentrionale. En re-
vanche , les Français remportèrent des avantages décisifs
dans les Pays-Bas, une fois qu'ils y furent commandés par
le maréchal de Saxe. Cet habile général, par la victoire
de Fontenoy, qu'il remporta le 11 mars 1745 sur le duc
de Cumberland , devint maître de tous les Pays-Bas au-
trichiens, à l'exception du Luxembourg et du Limbourg;
et une seconde victoire, qu'il gagna le 11 octobre 1746, à
Rocoux, sur le prince de Lorraine, le rendit môme maître
de la Flandre hollandaise. Une troisième victoire du ma-
réchal de Saxe à Lawfeldt, près de Maestricht, fut suivie de
la prise de Berg-op-Zoom et de Maestricht. Ces revers
contraignirent l'Autriche, de même que l'épuisement de ses
finances la France, à songer à la paix. La nouvelle de la
prochaine arrivée d'une armée russe de 37,000 hommes,
que rimper.it rice Elisabeth envoyait au secours de Marie-
Thérèse, et qui, traversant la Moravie et la Bohême, avait
déjà pénétré en Franconie, contribua aussi beaucoup à dé-
terminer les puissances belligérantes à hâter la conclusion
d'une paix depuis longtemps désirée, et qui fut effec-
tivement signée le 18 octobre 1748, à Aix-la -Cha-
pelle.
SUCCESSIOIX DE BAVIERE (Guerre de la [1778-
1779]). Rigoureusement parlant, ce fut moins une guerre
qu'une série de combats isolés, de démonstrations, de
marches et de contre-marches et de négociations diploma-
tiques. La ligne màie de la maison de Bavière-Wittelsbach
étant venue à s'éteindre en la personne de Maximilien-Jo-
seph, le 30 décembre 1777, l'empereur Joseph II, sous pré-
texte d'anciens contrats féodaux, éleva des prétentions à la
basse Bavière , aux fiefs bohèmes du haut Palatinat et à di-
verses autres seigneuries et possessions , formant ensemble
à peu près les deux tiers de la Bavière. Effectivement, le plus
proche héritier en Bavière, l'électeur Charles-Théodore,
qui n'avait point de descendance légitime, se laissa déter-
miner par les menaces et par les promesses du cabinet de
Vienne à céder la basse Bavière à la maison d'Autriche, sans
avoir égard aux droits de ses collatéraux. Mais l'héritier pré-
somptif de Charles-Théodore, le duc Charies de Deux- Ponts,
encouragé par le roi de Prusse Frédéric II, protesta devant
la diète de Ratisbonne (3 janvier 1778) contre cette cession,
et invoqua l'appui de la Prusse et de la France. Le duc dû
Mecklembourg, se fondant sur une ancienne décision juri-
SUCCESSION DE BAVIERE —
dique de l'empereur Maximilien l", ayant revendiqué le
landgraviat de Leuchtenberg ; et l'électeur de Saxe, en sa
qualité de gendre de Maximilien-Joseph, l'héritage allodial
de la Bavière, représentant une valeur de 47' millions de
florins , on finit par s'en rapporter à la décision des armes ,
parce que toutes les tentatives de médiation amiable faites
auprès de l'Autriche échouèrent. Le 5 juillet 1778 deux
armées prussiennes envahirent la Bohême. L'une, comman-
dée par le roi en personne , partit de la Silésie et s'avança
jusqu'à Kœnigsgrœtz, où Joseph avait établi un camp re-
tranché au confluent de l'Adler et de l'Elbe. L'autre, com-
mandée par le prince Henri de Prusse, avec qui les Saxons
avaient opéré leur jonction sous les murs de Dresde, mar-
cha sur Rumburg, s'empara de Gabel, força le général Lou-
don à battre en retraite , et s'avança jusqu'à Prague. Mais
il ne fut pas livré de bataille décisive. Au mois de septem-
bre, les Prussiens s'en retournèrent prendre leurs quartiers
d'hiver en Silésie et en Saxe. Pendant ce temps-là , Marie-
Thérèse, qui désirait ardemment la paix, avait ouvert avec la
Prusse des négociations, qui amenèrent, par la médiation de
la France et de la Russie, la conclusion de la paix de Teschen
(13 mai 1779). La Bavière céda à l'Autriche VInnvieriel ,
ou le pays situé entre l'Inn et la Salza, formant environ
28 myriam. carrés. La Saxe, comme indemnité pour son hé-
ritage allodial , reçut six millions de florins , avec les droits
de souveraineté sur les comtés de Schœnburg, revendiqués
jusque alors par la Bohême. Le Mecklembourg obtint le
privilegium de non appellando. La Prusse ne gagna rien,
quoique cette guerre lui eût coûté 59 millions de thalers
( 108,750,000 fr. ) et 20,000 hommes. Au reste, cette guerre,
dans laquelle il n'y eut pas d'affaire sérieuse, reçut , par dé-
rision, des Saxons et des Prussiens, le surnom de gueire
des pommes de terre, des Autrichiens celui (ï'affaire des
prunes, et des Bavarois celui de procès de Bavière.
SUCCESSION D'ESPAGNE (Guerre de la [1701 -
1713]). La ligne austro-espagnole étant venue à s'éteindre,
le 1*"^ novembre 1700, en la personne de Charles II, l'héri-
tage de son royaume fut revendiqué à la fois par l'Autriche et
par la France. Louis XIV, comme époux de la sœur aînée de
Charles II, Marie-Thérèse, laquelle avait pourtant renoncé à
la succession, réclamait la couronne d'Espagne pour son petit-
fils, Philippe d'Anjou (qui plus tard, comme roi d'Espagne,
porta le nom de Philippe V). Léopoldl*"", au contraire, re-
vendiquait la succession du chef de sa mère Marie, et de son
épouse Marguerite-Thérèse, sœur cadette de Charles II, dont les
droits avaient été expressément réservés ; et il réclamait l'héri-
tage pour son fils cadet, Charles (qui comme roi d'Espagne prit
le nom d« Charles III ). L'imbécile roi d'Espagne Charles II,
habilement circonvenu par l'ambassadeur de France Har-
court , s'était prononcé dans son testament en faveur du
petit-fils de Louis XIV. L'affaire delà succession avait d'au-
tant plus d'importance que la possession du lot principal,
l'Espagne , emportait en même temps celle de Naples , de la
Sicile, du Milanais , des Pays-Bas et d'une grande partie de
l'Amérique, et que le triomphe complet de l'une ou l'autre
des parties contendantes devait nécessairement détruUe
l'équilibre des États européens. Il était donc de l'intérêt des
puissances voisines d'empêcher par tous les moyens en leur
pouvoir l'agrandissement de deux monarchies déjà si puis-
santes, et plus particulièrement celui de la France. L'Au-
triche avait pour alliés l'Angleterre, la Hollande, la Prusse,
l'Empire d'Allemagne, plus tard aussi le Portugal; la
France, les électeurs de Bavière et de Cologne, et au début
les ducs de Mantoue et de Savoie. La guerre commença en
Italie, où le prince Eugène pénétra rapidement et à l'im-
proviste, en 1701, fut vainqueur le7 juillet à Carp et le 4sep-
tembre à Chiari, et conquit le duché de Mantoue presque
tout entier. Mais la fortune des armes ne tarda pas à tour-
ner. Les Impériaux et l'armée de l'Empire aux ordres du
roi des Romains , Joseph , s'emparèrent bien de Landau ;
mais un coup de main rendit l'électeur de Bavière maître
de la ville impériale d'Ulm, et par ses manœuvres sur le
SUCCESSION D'ESPAGNE 363
Rhin ce prince força Joseph à battre en retraite sur Vienne
à travers la Bohême ; enfin , après les victoires remportées
par Villars à Friediingen (1702), à Einhofen et à Speier-
bacli , il opéra sa jonction avec lui ; après quoi, Brisach et
Landau ne tardèrent pas à tomber en son pouvoir. De
même qu'en Allemagne l'état critique de l'armée, en Italie la
révolte de Rakoczy, que le prince Eugène fut chargé d'aller
comprimer en Hongrie, contraignirent les coalisés à aban-
donner toujours plus de terrain aux Français. La désunion
qui régnait entre l'électeur et Villars, et la malheureuse ex-
pédition tentée par le premier en Tyrol, empêchèrent seules
Vendôme de venir d'Italie , à travers le Tyrol , opérer sa
jonction avec l'électeur, jonction qui eût pu être si péril-
leuse pour l'Autriche. Toutefois, soutenu par les Français,
l'électeur conserva l'avantage sur le Danube; et le 19 sep-
tembre 1703 il battit même à Hochstœdt Styrum , général
incapable.
L'armée hoUando-anglaise aux ordres deMarIborough
acquit autrement de gloire dans les Pays-Bas. Après s'être
rendu maître d'une foule de villes et avoir complètement
expulsé les Français du pays de Cologne, Mariborougli, uni
au margrave de Bade , tandis qu'Eugène surveillait à Stall-
hofen les mouvements du maréchal de Tallard, battit, le
2 juillet 1704, l'armée bavaroise et française aux ordres de
l'électeur et de Marsin , qui avait remplacé Villars, dans
les retranchements qu'elle occupait sur le Schellenberg,
aux environs de Donauwœrth. Mais Tallard ayant réussi à
quelque temps de là , et malgré les lignes de Stallhofen , à
opérer sa jonction avec l'électeur, en prenant une autre
route à travers la vallée de la Kinzig en Souabe, il se
livra, le 13 août 1704, à Hochstaedt (les Anglais donnent à
cette affaire le nom du village de Blenhehn) une bataille
décisive, dans laquelle les Français (qui eurent 20,000 hom-
mes tués et 15,000 prisonniers, parmi lesquels Tallard lui-
même) furent complètement mis en déroute par Eugène et
Marlborough, et par suite contraints de repasseï' le Rhin.
Landau fut alors repris, et la Bavière, que l'électeur avait
évacuée, conquise. Sauf Munich, dont les revenus furent as-
signés comme pension à l'électrice, ce pays fut placé sous
l'autorité de l'empereur, mais traité si cruellement qu'il
y éclata plusieurs soulèvements de paysans, dont les coalisé»
ne triomphèrent pas sans peine. Pendant ce temps-là l'em-
pereur Léopold 1" mourut, en 1705. Son fils et successeur,
Joseph, apaisa par sa clémence les troubles de la Hongrie,
mit l'électeur de Bavière au ban de l'Empire, en 1706, et
continua la guerre avec autant de bonheur que d énergie.
Villars, il est vrai, se maintint sur le Rhin pendant les années
1706 et 1707 ; mais les coalisés remportèrent dans les Pays-
Bas et en Italie des succès de plus en plus décisifs. Eugène
réussit à détacher le duc de Savoie de l'alliance de la
France et à lui faire prendre parti pour l'empereur. Après
un engagement à Cassano ( 16 août 1705), demeuré douteux,
il remporta, le 7 septembre 1706, aux environs de Turin,
qu'il était venu secourir, une victoire si complète sur les
Français, qu'en vertu d'une capitulation dite générale, à la
date du 13 mars 1707, ceux-ci durent évacuer non-seule-
ment la Lombaidie , mais encore tout le reste de l'Italie.
Naples fut occupé en 1707 par les Autrichiens, et la Sar-
daigne l'année suivante parles Anglais; de sorte qu'il ne
resta plus au pouvoir de Pliilippe que la Sicile , et que le
pape Clément XI fut forcé de reconnaître Charles III en
qualité de roi d'Espagne. Marlborough ne fut pas moins heu-
reux dans les Pays-Bas. 11 commença par remporter le 23
mai 1706 à Ramiilies, village situé au sud de Louvain, sur
l'armée française aux ordres du duc de Bourgogne et de Vil-
lars, une victoire qui coûta aux Français 20,000 hommes et
les principales villes du Brabant et de la Flandre; puis il
battit Vendôme, le 1 1 juillet 1708, à Oudenarde ; et à la suite
de cet avantage Gand , Bruges , Lille , etc., tombèrent en son
pouvoir. En 1709 une nouvelle armée française, commandée
par Villars, étant venue attaquer Marlborough, celui^i, que le
prince Eugène avait rejoint après la prise de Tournay, gagna
364
SUCCESSION D'ESPAGNE — SUCHET
encore, le 11 septembre 1709, à Ma 1 pi aqu et, une bataille
vivement disputée, car elle coûta aux deux armées en pré-
sence 40,000 hommes. Les succès obtenus d'abord par les
Français en Espagne ne leur profitèrent pas beaucoup. L'ar-
chiduc Charles, secondé par les Anglais et les Hollandais,
était entré de Portugcî en Espagne, où dès 1701 on avait re-
connu l'autorité de Philippe V, que Louis XIV s'était empressé
d'y envoyer ; et devenu bientôt maître de la i)lus grande partie
du pays, notamment des villes de Barcelone et de Madrid, ce
prince avait décidé les Catalans à se prononcer en sa faveur,
et s'était fait proclamer roi à Madrid , le 2 juillet 1706 , sous
le nom de Charles III. Mais la vigueur avec laquelle les
Français , après avoir perdu l'Italie, poussèrent maintenant
les opérations de la guerre dans la Péninsule, et la lenteur des
mouvements stratégiques de l'archiduc, rétablirent bientôt
leurs alfaires. Ils reprirent Madrid , battirent l'archiduc en
1707 à la bataille d'|Almanza, soumi rent ensuite l'Aragon
et Valence, de sorte que Charles III finit par se trouver réduit
à la possession de Barcelone. Le manque d'argent et d'ap-
provisionnements en tous genres mirent seuls obstacle aux
progrès ultérieurs des Français dans la Péninsule, lorsque
Stanliope et Stahremberg vinrent y prendre le commande-
ment de l'armée coalisée.
Dans ces circonstances Louis XIV, à bout de ressources,
implora la paix. Dans les négociations suivies à La Haye
de mars à mai 1709, de même que dans celles qui s'ouvrirent
plus tard à Gertruydemberg , il se déclara prêt à renoncer
à l'Espagne et à faire encore d'autres sacrifices. Mais les
prétentions des coalisés augmentaient constamment; et ils
en vinrent jusqu'à exiger de lui qu'il se chargeât d'expulser
d'Espagne son petit-fils avec ses propres troupes. Alors toutes
les négociations furent encore une (ois rompues , et la guerre
recommença avec plus d'acharnement que jamais. Les dé-
buts continuèrent à en être aussi fâcheux pour Louis XIV.
Marlborough et Eugène pénétrèrent victorieusement dans les
contrée:; du haut Rhin, enlevèrent les lignes des Français
et s'emparèrent de Douai , d'Aire et de Béthune. En Espa-
gne, Stanhope et Stahremberg battirent Philippe V à Alme-
nara et à Toralva ( 19 août 1710 ), et remirent Charles III en
possession de l'Aragon et de la Castille , dont Vendôme, en-
voyé en Espagne pour y rétablir les affaires , le chassa de
nouveau à la suite de la bataille de Brihuega et de l'affaire
de Villaviciosa , restée pourtant indécise. Des circonstances
plus favorables pour Louis XIV survinrent au moment où
on s'y attendait le moins. Marlborough tomba en disgrâce à
Londres auprès de la reine Anne; et les tories , qui arrivè-
rent au pouvoir, se montrèrent disposés à traiter séparément
de la paix avec la France. Vers le même temps, l'empereur
Joseph étant venu à mourir sans laisser de descendance mâle,
toutes ses couronnes passèrent à son frère, le roi d'Espagne;
et alors les alliés de l'Autriche eux-mêmes commencèrent
à redouter la trop grande prépondérance de cette puissance.
En conséquence, des négociations secrètes pour la paix s'ou-
vrirent dès 1711 entre la France et l'Angleterre, et celle-ci
ne continua plus la guerre qu'en apparence. En 1712 un
armistice intervint formellement entre les deux parties belli-
gérantes; armistice suivi bientôt après de la conclusion de
la paix, signée le 11 avril 1713, à Utrecht, entre la France
d'un côté , et l'Angleterre, la Hollande , le Portugal, la Prusse
et la Savoie de l'autre. Ce traité reconnut Philippe V en qua-
lité de roi d'Espagne. Trop faible pour tenir tête seul aux
Français, l'empereur se montra également disposé à traiter,
à la suite de diverses opérations malheureuses pour ses
armes qui signalèrent la nouvelle campagne, ainsi qu'après
la perte de ses plus importantes villes sur le Rhin. La paix
fut signée pour lui à Rastadt, le 6 mars 1714 , et pour l'Em-
pire, à Baden , en Suisse, le 7 septembre 1715. L'Angleterre,
de toutes les puissances belligérantes celle qui gagna le plus
à cette pacification générale de l'Europe, obtint de la France
la reconnaissance des droits d'hérédité de la maison de Hano-
vre, la démolition des fortifications de Dunkerque, le renou-
vellement des anciens traités de commerce et la cession de
vastes étendues de territoire en Amérique; de l'Espagne,
Gibraltar et Minorque, avec le traité de VAssicnto. La Hol-
lande n'obtint qu'un traité de commerce avantageux et le
droit de tenir garnison dans huit places fortes sur les fron-
tières des Pays-Bas. La Savoie, outre l'accroissement de ses
frontières du côté de la France, obtint la Sicile (qu'elle aban-
donna dès l'année suivante à l'Autriche, en échange de la
Sardaigne), le Montferratavec quatre seigneuries du Milanais,
et la reconnaissance de ses droits de succession en Espagne,
si la maison de Bourbon venait à s'y éteindre. Le roi do
Prusse y gagna la consécration de sa royauté de si fraîche
date, et la possession de Neufcliâtel. L'Autriche eut pour sa
part les Pays-Bas, Milan, Naples et la Sardaigne; l'Empire
dut se contenter de recouvrer les villes qu'on lui avait enle-
vées, sauf Landau. En revanche, les électeurs de Cologne
et de Bavière récupérèrent leurs États.
SUCCIIV (en latin succinum), ambre jaune ou karabé ,
substance solide, combu.stible , d'une texture compacte,
d'une cassure vitreuse, susceptible de recevoir un beau poli ,
inodore , mais acquérant une odeur agréable et aromatique
par le frottement, la trituration et la combustion. C'est une
espèce de gomme qui paraît provenir de quelque arbre ré-
sineux inconnu , et qui prend dans la terre des qualités
particulières. On trouve le succin par morceaux épars sur
les bords de la mer, en Prusse, en Sicile , etc. ; quelquefois
aussi dans le Hgnite , dans le schiste argileux , dans le cal-
caire , etc. Sa couleur est un jaune foncé tirant sur le rouge
ou le brun , et quelquefois un jaune clair et blanchâtre. Il
est diaphane, et parfois même très-transparent. Le frot-
tement rend l'ambre jaune électrique de manière à attirer
les corps légers. Le succin , surtout celui qu'on pêche dans
la Baltique ou qu'on trouve sur ses côtes, était très-estimé
des anciens ; on s'en servait en médecine, et l'on en faisait des
amulettes. On travaille l'ambre à Kœnigsherg, à Dantzig,^
à Catane, à Constantinople et en plusieurs autres endroits :
on fait avec cette substance des boîtes , des coffrets , des
tabatières , des flûtes , des roi^aires, des croix , des collier»,
des becs de pipe , des poignées de couteau , des pommes de
canne, des bagues, et toutes sortes de bijoux. L'ambre jaune
sert aussi à la préparation d'un vernis ; seul , ou mêlé avec
d'autres substances résineuses et odoriférantes , on en fait
de la poudre à parfumer. Le succin fournit une huile et un
acide qui a pris le nom d'acide succinique. Avec des bases
salitiables cet acide donne divers succinates. En traitant
l'acide succinique anhydre par le gaz ammoniaque sec on
obtient une substance, nommée succinamide, qui est vo-
latile , blanche , fusible , soluble dans l'eau , dans l'alcool et
dans l'éther. L'ambre jaune fait partie de quelques compo-
sitions officinales, telles que l'alcoolat de térébenthine, le bau-
me de Fioravanti , l'eau de Luce, le sirop de Karabi, etc.
SUCCION. Voyez, Boire.
SUCCUBES. Voyez Incubes.
SUC GASTRIQUE. Foycs Digestion, t. VII, p. 536.
SUCHET (Louis-Gabriel), duc d'Albufera, maréchal
de France, naquit à Lyon, le 2 mars 1770, d'une famille
honorable. Parti comme simple soldat dans un bataillon
de volontaires , il prit une part active, dans les grades in-
férieurs , aux premières campagnes de la révolution , et jeta
les fondements de sa gloire militaire à l'armée d'Italie. Chef
de bataillon dans cette immortelle campagne, il se distingua
à Loano, à Dego, à Castiglione, à Rivoli, et fut promu colonel
après le passage du Tagliaraento et les combats de Tarves et
de Neumark. Il accompagna, quelque temps après , Brune en
Suisse, et fut fait officier général. Devenu chef d'état-major
de Joubert, nommé au commandement de l'armée d'Italie,
il partagea un instant la disgrâce de son chef, mais fut bien-
tôt renvoyé à l'armée d'Italie. Massena lui donna le comman-
dement d'une brigade dans les Grisons, puis le nomma son
chef d'état-major. Peu de temps après, Joubertayantété ren-
voyé en Italie, demanda, pour première condition, qu'on lui
rendît Suchet. Après la bataille de Novi et la mort de Jou-
bert, Massena, appelé au commandement de l'armée d'Italie,
chargea Suchet de défendre avec deux ou trois faibles di-
visions le territoire français envahi par Mêlas, à la tête
d'un corps nombreux d'Autrichiens. Il comptait à peine
sous ses ordres sept ou huit raille hommes. Avec ces faibles
ressources , il prit la résolution de défendre à outrance le
défilé du pont du Yar ; et ses efforts furent couronnés d'un
plein succès. Dans cette mémorable défense , il sauva le
midi de la France de l'invasion étrangère. Au camp de Bou-
logne, il commandait une division d'infanterie, qui devint
la première du cinquième corps , sous les ordres du maré-
c'ial Lannes, et prit une part active aux journées d'Ulm,
d'Austerlitz, de Saalfeld , d'iéna, de Pultusck et d'Oslro-
lenka. A la fin de 180S, le cinquième corps fut envoyé en Es-
pagne ; Suchet s'y trouva de nouveau sous les ordres du maré-
chal Lannes , et prit part au siège de Saragosse. Ce fut Lannes
qui, partantpourla campagne d'Allemagne, le désigna à l'em-
pereur comme le plus digne de commander en Aragon. Su-
chet, placé à la tête de l'armée d'Aragon, déploya à la fois
des talents militaires du premier ordre et une haute intel-
ligence des moyens qui seuls pouvaient peut-être faire ac-
cepter aux Espagnols la domination du frère de Napoléon.
Il débuta par la double victoire deMaria.et de Belchitte, qui
le rendit maître de tout l'Aragon Lerida, Tortose, Tarragone,
tombèrent en son pouvoir, après des sièges meurtriers. La
bataille de Sagonte lui soumit la province de Valence ; et il
entra dans la capitale au milieu des acclamations des habi-
tants , qui lui devaient le salut de leur ville.
Nous ne suivrons pas le maréchal Suchet au milieu des
mouvements strati^giques où il a illustré son nom et déployé
toutes les qualités du grand capitaine. Les cinq campagnes
qu'il fit dans la Péninsule en qualité de général en chef res-
teront comme un modèle de tout ce qu'il faut de combinaisons
savantes, d'audace et d'habileté pour asseoir la domination
d'une armée étrangère au sein de l'insurrection d'un grand
peuple. Il a écrit ce brillant épisode de nos guerres. Cet ou-
vrage l'a placé au premier rang de nos écrivains militaires.
Pendant les années qu'il passa en Espagne, de 1808 à 1814,
a devint successivement général en chef, maréchal, duc
d'Albufera, colonel général de la garde impériale, com-
naandant des deux armées d'Aragon et de Catalogne. Suchet
mourut à Paris, le 3 janvier 1826, à l'âge de cinquante-six ans.
Emmanuel Pillivuyt.
SUCHUM-KALÉ ou SUKHUM-KALEH', ville et place
forte russe, sur la côte de la mer Noire, dans le pays des
Abchazes , en Transcaucasie , entre Kotosch ou Gagri au
nord-ouest et Amaklia ou Redut-Kaleh au sud-est, fut prise
par les Russes en 1810, qui y établirent des magasins
considérables et y bâtirent un vaste bazar. Mais le 24 avril
1854, à l'approche d'une flottille anglo- française , ilsl'éva-
cuèrent. La ville devint alors la proie des flammes; les
Abchazes s'emparèrent des magasins et des approvisionne-
ments qu'ils contenaient, puis arborèrent l'étendard turc.
SUCRE» l'un des matériaux immédiats de la végétation.
Le vrai sucre , le type du genre, et celui qui a été le plus
anciennement connu , est fourni en grande abondance par
la canne (arundo saccharifera). Mais nombre d'autres
végétaux en produisent, notamment la sève de plusieurs
espèces d'érables et de bouleaux , le fruit du châtaignier, et
surtout les racines de la'beiterave. Convenablement débar-
rassé de toute matière étrangère et purifié par des cristallisa-
tions répétées , le sucre est parfaitement incolore et inodore.
Il est susceptible d'une cristallisation polyédrique en cristaux
assez volumineux, dont la forme primitive est un prisme qua-
drilatère à base rhomboïdale, la forme secondaire un prisme
quadrilatère ou hexaèdre , terminé par des sommets dièdres
et quelquefois trièdres. Quand il se présente en gros cristaux,
il est transparent ou demi-transparent ; quand il s'offre en
petits cristaux , qui sont dans l'un et l'autre cas adhérents
les uns aux autres, il est du plus beau blanc et parait opa-
que, à moins qu'on n'examine séparément chacun des petits
cristaux du groupe. Quant à son agréable saveur, elle est
trop connue pour qu'il soit utile d'en parler. C'est un suave
SUCHET — SUCRE 365
assaisonnement d'une multitude de mets solides et liquides,
et un précieux condiment pour la conservation des fruits dfes
sucs végétaux , et même de quelques substances animales et
d'une foule de corps divers. La solubilité du sucre dans l'eau
est fort considérable à toutes températures , et même à zéro
du thermomètre. Il paraît qu'à neuf degrés centigrades l'eau
peut y prendre facilement un poids égal au sien {voy. Sirop).
Le sirop sert à faire ce que l'on appelle dans le commerce
de la pharmacie et de l'épicerie le sucre candi. La pesanteur
spécifique du sucre bien pur est entre 1,4045 et 1,6095,
suivant la dureté plus ou moins grande des cristaux , dépen-
dante du mode de cristallisation. L'alcool à 40" (alcool
presque absolu) ne dissout presque pas le sucre à froid.
Mais le mélange d'alcool et d'eau dissout d'autant plus de
sucre que l'eau domine davantage dans le mélange ; c'est
cette dissolution qui , convenablement aromatisée , constitue
les liqueurs de table. Exposé à la chaleur, sans eau, le
sucre se boirsoufle d'abord, brunit de plus en plus , bout',
et ne tarde pas à répandre l'odeur de caramel, qui résulte
d'une combinaison de l'acide acétique formé pendant cette
espèce de combustion avec une huile qui se produit égale-
ment. Si, au lieu de chauffer ainsi lentement le sucre, on
le projette à l'état de poudre sur un corps incandescent,
il s'enflamme brusquement, et brûle avec une flamme blan-
che , veinée de bleu dans quelques endroits.
Distillé à vase clos, on recueille dans les récipients : 1° une
eau presque totalement incolore; 2° une combinaison d'acide
acétique , d'huile et d'eau ; 3" une huile empyreumatique ,
partie jaune et partie brune; 4° du gaz acide carbonique;
5" du gaz hydrogène carboné ; 6*^ du gaz oxyde de carbone.
Il reste dans la cornue un charbon poreux et volumineux.
Le sucre s'unit aux huiles , et par son intermédiaire
elles deviennent sinon décidément solubles dans l'eau , du
moins susceptibles d'y rester suspendues à l'état de très-
grande division et d'une manière permanente; c'est ce pro-
duit que dans l'ancienne pharmacologie on appelait Voleo-
saccharum. Divers genres de loochs ordonnés en médecine
ont pour base l'oleo-saccharum. L'acide nitrique, dans le
progrès de son action longtemps continuée à chaud, change
le sucre en acides malique, oxalique, puis enfin en acide
acétique. Depuis longtemps l'Anglais Cruickshanks avait
observé que la chaux était susceptible de s'unir en assez
grande proportion au sucre. Son compatriote Daniell s'est
ensuite beaucoup occupé de cette combinaison , qu'il est
utile de bien connaître et de bien apprécier dans toutes
ses conditions pour la régularité des opérations de raffinage
des sucres. La combinaison saccharo-calcaire réunit à la
saveur sucrée une certaine amertume et beaucoup d'astrin-
gence. Dissoute dans l'eau , elle en est précipitée par l'al-
cool. I! paraît, au surplus, que la potasse et la soude ont
sur le sucre une action ?ort analogue à celle de la chaux.
Nous nous abstiendrons de parler ici en détail d'une mul-
titude d'autres combinaisons chimiques du sucre, et des
propriétés désoxydantesdes métaux qu'il exerce dans beau-
coup de cas et qu'il faut étu<lier dans les traités spéciaux.
Nous ferons seulement remarquer, en passant, que c'est à
cette propriété désoxydante qu'il faut attribuer l'action cu-
rative du sucre dans les cas d'empoisonnement par les sels
et les oxydes de cuivre.
C'est par l'examen des produits de la fermentation alcoo-
lique du sucre que Lavoisier avait cru pouvoir en déter-
miner la composition chimique. D'autres habiles chimistes,
qui se sont livrés depuis à cette investigation , ont donné des
nombres fort différents de ceux de Lavoisier. Nous rappe-
lons ici les résultats :
Saiyant LaToisier. Suivant MM. Gay-
Lussac et Thénard.
Oxygène 64 50,63
Carbone 28 42,47
Hydrogène 8 6,90
100 100,00
Le sucre de l'espèce dont nous venons de parler, et qui
366
forme aujourd'hui un ingrédient si important de notre ali-
mentation et de notre commerce, paraît avoir été connu
dans des temps fort reculés aux habitants de l'Inde et de
la Chine; mais il est probable que l'Europe n'en a dû la
connaissance qu'aux conquêtes d'Alexandre. Jadis on a fa-
briqué le sucre de canne dans les parties méridionales de
l'Europe (voyez Canne A sdcre). Aujourd'hui la presque
totalité de la production nous vient de l'Inde et des îles
d'Amérique. Le mode de fabrication du sucre de canne dans
l'Inde est peu compliqué, et il a été si peu perfectionné
jusque ici que ces contrées ne soutiennent la concurrence
avec le sucre américain qu'à cause de la vileté du prix de
main-d'œuvre en Asie. Nous ne croyons pas utile de nous
étendre sur les procédés indiens , fort défectueux, et qui
ne constituent que de petits établissements disséminés dans
tout le pays pour l'extraction de la cassonade. Ces casso-
nades , ou sucres bruts , sont apportées par les naturels et
vendues à vil prix à des factoreries anglaises , qui les ma-
nipulent sur une plus vaste échelle avant de les expédier en
Europe. Dans les colonies des-Indes occidentales , la cherté
beaucoup plus grande de la main-d'œuvre et en général
un sol moins riche et moins productif que celui de l'Inde ont
forcé le planteur de cannes d'adopter des moyens plus éco-
nomiques pour l'extraction du sucre. Là on trouve l'appli-
cation de moulins fonctionnant soit à l'aide de moteurs
hydrauliques, soit par l'action du vent. Dans ces dernières
années , on y a même eu recours aux machines à vapeur
pour l'écrasement des cannes et l'expression du jus.
Dans les colonies françaises on appelle sucre terré un
sucre auquel on a fait subir un premier degré de purification
ou de raflinage.
Histoire. Les anciens écrivains ne font aucune mention
du sucre , et il est à peine indiqué dans un passage de Théo-
phraste, qui a vécu trois siècles avant J.-C. Pline et Dios-
coride le décrivent avec des caractères d'après lesquels
il est facile de juger que la substance dont ils parlent de-
vait être du sucre candi. Au septième siècle, selon Paul
d'Égine , le sucre était encore peu répandu , et de longues
années se sont depuis écoulées avant que l'usage en soit
devenu général. C'est de l'Asie orientale que nous vient la
canne à sucre : elle y croît dans le sud de la Chine , dans
l'Archipel Indien et dans les royaumes de Siam et de Co-
chinchine. C'est de là qu'elle paraît avoir passé dans l'In-
dostan, puis beaucoup plus tard en Arabie, et enfin dans
les parties de l'Asie et de l'Afrique qui bordent la Méditer-
ranée, en Ethiopie, en Nubie, etc. On pense que ce fut là
que les Arabes ou Sarrasins contractèrent l'habitude du
sucre , et que c'est à eux qu'on doit attribuer le développe-
ment du besoin de cette consommation en Europe. Le nom
que portait alors le sucre était celui de sel indien; celui
que nous lui donnons aujourd'hui dérive du terme schar-
kara , de la langue sanskrite de l'Inde orientale, qui signifie
sucre doux. Les Persans nomment aussi depuis longtemps
le sucre schaka, et les Indous suchur.
Au neuvième siècle, la canne à sucre fut introduite dans
les îles de Rhodes , de Chypre , de Crète , et de la Sicile.
Déjà les royaumes de Valence, de Grenade et de Murcie,
en Espagne, en avaient dû la naturalisation à la conquête
qui: venait d'en être faite. Les plantations s'y sont conser-
vées au point qu'en 1664 elles avaient encore de l'importance
et qu'à présent quelques-unes subsistent encore. An dou-
zième siècle, les commerçants vénitiens trouvaient à s'ap-
provisionner de sucre à meilleur marché en Sicile qu'en
Egypte; et le voyageur Marco Polo, en remarquant que la
culture en existait au Bengale , ne donne pas à penser que
l'Europe eût besoin de recourir à ce pays lointain.
Les croisades étendirent le goût et le besoin du sucre dans
toute l'Europe occidentale. Au commencement du quinzième
siècle , les Espagnols et les Portugais portèrent des plants
de canne aux îles Canaries et à Madère. Qo suppose même
que c'est de ce dernier endroit que la canne a passé dans
le Nouveau Monde, bien que quelques historiens prétendent
SUCRE
qu'elle croissait déjà naturellement dans divers lieux d'A-
mérique. Suivant les pays de culture et l'habitude des pro-
ducteurs , le sucre était de qualité différente. Celui de Ma-
dère parait avoir joui d'une certaine supériorité ; celui de
l'Arabie et de l'Égypteétait au contraire resté fort défectueux.
Vers la fin du quinzième siècle, les Vénitiens inventèrent le
procédé du raffinage, art quia été porté de notre temps à une
si grande perfection. Les Portugais portèrent la canne à Saint-
Thomas, où en 1520 on comptait déjà plus de soixante
sucreries. On le purgeait avec des cendres, et chaque habitant
riche avait de deux cent cinquante à trois cents nègres oc-
cupés àcette culture. Vers la même époque, un nommé Pedro
d'Etiença apporta la canne à Saint-Domingue, que venait de
découvrir Christophe Colomb. Miguel Balestro en exprima le
jus le premier, et Gonzalo de Velosa en forma du sucre. La
canne réussit fort bien à Saint-Domingue, alors appelée His-
paniola; car en 1518 il y existait vingt-huit sucreries; et
ce nombre augmenta si rapidement que les palais de Madrid
et de Tolède, fondés par Charles Quint, furent construits
avec le produit du droit d'entrée sur le sucre.
La culture de la canne , propagée sur différents points
du continent américain , acquit de l'importance au Brésil.
C'est de là que les Portugais exercèrent le monopole de
l'approvisionnement de l'Europe pendant la fin du seizième
siècle et le commencement du dix-septième. Lisbonne
dut à ce trafic, réuni au commerce de l'Inde, l'époque de sa
plus grande splendeur. Diverses causes contribuèrent vers ce
temps à lui enlever cette source de richesses. Le Portugal tom-
ba sous le joug de l'Espagne ; et les établissements des autres
nations européennes dans les Indes occidentales, s'aperce
vaut que les consommateurs manquaient pour le tabac et
les autres produits peu nombreux auxquels ils s'étaient
adonnés , commencèrent à songer au sucre.
Jusque là , malgré le développement de la culture de la
canne, le comroerce du sucre pour toutes les nations d'Eu-
rope n'avait eu qu'une importance secondaire : à partir du
dix-septième siècle il devint le premier de tous les com-
merces, celui qu'on se disputa avec le plus d'acharnement et
celui qui enrichit le plus les peuples qui en eurent le monopole.
Au dix-septième siècle les Antilles étaient ouvertes à toutes
les nations, et il était difficile qu'il en fût autrement. Ces pa-
rages étaient surtout visités par les Hollandais. Leurs na-
vires, en raison du bas prix de leur fret, obtenaient même
des négociants anglais la préférence pour les transports
d'aller et de retour des colonies anglaises à la métropole. Le
commerce entier du pays passait par leurs mains. La marine
anglaise déclinait , et ses matelots s'expatriaient. La gravité
de cet état de choses ne pouvait échapper à la considération
du parlement. Il fut donc porté un bill , mis en vigueur au
1*'' décembre 1651, qui, sous des stipulations générales.
était entièrement dirigé contre la marine hollandaise. Aux
navires anglais seuls était réservé le droit d'importer en
Angleterre les denrées ou marchandises dn crû d'Asie, d'A-
frique ou d'Amérique, et des établissements anglais dans
ces trois parties du monde. Quant aux articles d'Europe ,
ils ne pouvaient arriver que sur des navires anglais ou sur
des navires du pays de production , et qui y auraient été
construits. Cet acte de navigation assura ainsi à la mé-
tropole le commerce exclusif de ses colonies.
En France , le commencement du système de prohibition
date des ordonnances des 25 novembre 1634 et 12 février
1635, qui défendaient le trafic dans les colonies françaises,
réservé aux compagnies à qui avaient été concédés ces
établissements. Plus tard, le 10 septembre 1668, il fut or-
donné que le commerce des îles ne serait fait que par la
Compagnie des Indes occidentales, ou par les bâtiments
français avec la permission de cette compagnie. Les guerres
de la fin du dix-septième siècle amenèrent par nécessité
quelques infractions à ces prohibitions ; aussi furent-elles
renouvelées et confirmées par un règlement du 20 août 1698*
De nouvelles déclarations , édits ou règlements des 20 avril
1717, 23 juillet 1720, 14 mars 1722, 23 juin 1723, et wifin
SUCRE — SUCRE DE LAIT
367
iJn 10 octobre 1727, pourvurent à la continuation d'une
«évère exclusion du commerce étranger. Un arrêt du 30
août 1784, adoucissant la sévérité de quelques dispositions ,
est le dernier acte officiel qui ait précédé la révolution de
1789.
Sous l'empire des lois qui garantissaient à chaque métro-
pole le commerce de ses colonies , la production du sucre
s'est développée extraordinairement. Nous ne suivrons pas
les états de ce commerce à toutes les époques. Quand la
révolution française éclata, le sucre de canne était seul
maître du marché : alors les mers nous furent fermées et
nos colonies enlevées. Le moment était favorable pour les
innovations, et des essais furent faits partout. On tenta
pour la seconde fois en Provence la culture des cannes,
mais après une végétation suffisante elles ne purent don-
ner de sucre cristallisable. On soumit à l'expérience des
racines, des fruits et des tiges de maïs; mais rien de tout
cela ne pouvait suppléer le sucre de canne. Ici nous lais-
serons parler M. Deyeux, rapporteur, chargé en 1798 de
rendre compte à l'Institut des expériences faites sur le pro-
cédé du Prussien Achard, pour extraire le suc de la bette-
rave. « Tel était l'état des choses, dit M. Deyeux, lorsque
M. Achard , chimiste de Berlin , annonça qu'il avait trouvé
des procédés au moyen desquels il pouvait retirer de la
betterave blanche une quantité de sucre assez considérable
pour que , en calculant tous les frais , ce sucre ne revînt
pas à plus de vingl-huit ou trente centimes la livre , poids
de marc. Déjà Margralf , aussi chimiste de Berlin, avait fait
connaître, il y avait plus de quarante ans, en 1747, dans ses
Expériences chimiques faites dans le dessein de tirer !
un véritable sucre de diverses plantes qui croissent dans \
nos contrées, un véritable sucre de cette racine; mais
comme la quantité de produit qu'il avait obtenue, malgré
l'exactitude de ses procédés , ne lui avait pas semblé assez
considérable, il s'était contenté de présenter l'extraction
du sucre de betterave comme une simple découverte qui \
ajoutait un produit nouveau à ceux de l'analyse végétale,
et il en avait conclu que le sucre n'appartenait. pas exclu-
sivement à la canne , puisqu'il existait dans d'autres végé-
taux. Si Margraff, d'après ce qui vient d'être dit, doit être
regardé comme l'auteur de la découverte du sucre dans la
betterave, il faut convenir aussi que, toute précieuse que
soit cette découverte, elle était bien éloignée d'avoir le de-
gré d'importance que M. Achard lui a donné, u
L'annonce du procédé d'Achard fut reçue avec méfiance ,
ce qui le détermina à répéter ses expériences devant des
personnes dignes de foi , et à en publier le résultat dans un
mémoire. Bientôt l'opinion générale fut fixée, et on ne douta
plus de l'utilité dont pouvait être la découverte du savant
prussien. Il s'établit alors quelques fabriques , mais qui ne
purent marcher avec succès. Le prix du sucre allait toujours
croissant , et était enûn arrivé à la somme énorme de 6 fr.
le kilogramme, quand Napoléon voulut créer en France une
nouvelle industrie et le moyen de lutter contre nos ennemis
naturels en les bloquant dans leur île , et les laissant périr
au milieu de l'encombrement de leurs marchandises. On
regardait alors la betteravecomme ne pouvant donner aucun
résultat utile; et les essais se portèrent sur la fabrication du
sucre de raisin. Le gouvernement multiplia les promesses
de récompense, et les accorda à ceux qui les méritaient.
Le sucre de raisin ne présenta pas tous les avantages que
l'on en attendait; et le 15 janvier 1812 parut un nouveau
décret qui établit cinq écoles de chimie pour la fabrication
des sucres de betterave , à Paris, Wachenheim (départe-
ment du Mont-Tonnerre), Douai, Strasbourg et Castelnau-
dary. Cent élèves étaient attachés à ces écoles , et chacun
d'eux devait, après un examen, et au bout de trois mois
d'études, recevoir mille francs d'indemnité; il était ordonné
au ministre de l'intérieur de faire planter en betteraves, dans
toute l'étendue de l'empire , cent mille arpents métriques ;
et quatre ans d'exemption de droita étaient promis aux
fabricants. Mais nos désastres de Russie arrivèrent , et avec
l'invasion la chute du blocus continental. Sans protection,
ie sucre de betterave ne put se soutenir, et presque toutes
les fabriques succombèrent; un petit nombre de fabricants
surent pourtant résister à toutes les chances de ruine, et au
premier rang on doit placer MM. Crespel,de Lille, et Oudard.
Lesucre raffiné tomba alors à soixante-dix centimes le demi-
kilogramme. En 1822, à la vue de la prospérité de ces su-
creries , beaucoup de nouvelles fabriques furent créées , mais
la plupart dans de mauvaises circonstances; la difficulté
de réunir les connaissances de l'agriculteur et du manufac-
turier causa presque toujours la non^réussite de ces entre-
prises. En 1829 moitié au moins de ces étabUssements
n'existaient déjà plus ; il en restait à peine cent en plein
exercice. A celte époque de grands changements s'opérèrent
dans les diverses méthodes de fabrication ; le mode de la
cristallisation lente et régulière fut presque généralement aban-
donné pour celui de la cristallisation confuse et rapide , et
l'usage de la vapeur fut adopté pour l'évaporation et la cuite,
dans beaucoup d'établissements. On songea alors sérieu-
sement à frapper le sucre de betterave d'un impôt dont la
pensée première était en germe dans le décret de 1812. Mais
la révolution de Juillet suspendit celte idée, que l'on ne
reprit qu'en l'année i836. Malgré l'impôt dont on greva la
fabrication du sucre de betterave, le nombre des fabriques
a toujours été en augmentant ; Jl s'élève aujourd'hui à plus
de huit cents, et la production sucrière indigène dépasse cent
cinquante millions de kilogrammes par an. Et ce n'est pas
seulement en France que la betterave gagne ainsi du terrain et
se propage : l'Allemagne, la Belgique, la Russie, l'Italie et
les États-Unis d'Amérique ne font pas moins d'efforts pour
fixer cette industrie.
SUCRE (Raffinage du). Les cassonades ou moscouades,
qu'elles aient été obtenues de la canne à sucre ou de
la betterave , ne peuvent être converties en sucre blanc ou
raffiné que par des procédés nouveaux, et qui sont communs
aux deux espèces de produits. On dissout le sucre brut dans
l'eau ; on y mêle de l'eau de chaux , et on ajoute du sang
ou des blancs d'œuf pour le clarifier. On fait bouillir, on
rapproche la dissolution , en écumant sans cesse et à mesure
que les impuretés s'élèvent à la surface. On verse ensuite
le sirop, concentré, dans des formes coniques en terre cuite,
où il se prend en grains : la pointe des vases coniques ou
formes est renversée et percée pour que les impuretés puis-
sent se séparer. On recouvre la base du cône avec une
couche d'argile humectée d'une assez grande quantité d'eau ;
le liquide, en s 'infiltrant peu à peu à travers le sucre, sé-
pare une assez grande quantité de liqueur impure : dans
cet état de purification, c'est ce qu'on appelle le sucre en
pain. En recommençant la même série d'opérations, on ob-
tient enfin le sucre raffiné, bien blanc et bien compacte,
et cristallin. Les pains sont, au sortir des formes, mis pen-
dant quelques jours à l'étuve, pour leur faire perdre toute
humidité. Dans ces derniers temps , l'emploi du charbon
animal, pour la décoloration des sirops, a fait faire un pas
immense à l'art du raffinage.
SUCRE CANDI. Voyez Candi.
SUCRE D'ORGE. Voyez Orge (Sucre d').
SUCRE D'ÉRABLE. Voyez Érable.
SUCRE DE FÉCULE, DE RAISIN. Vo?/ez Glucose.
SUCRE DE LAIT. Les anciens auteurs de chimie don-
naient à ce produit le nom de manne du lait ou mire du
lait. C'est une substance à laquelle , dans la vieille phar-
macologie, les médecins du temps attribuaient de merveil-
leuses propriétés , principalement pour la guérison de la
goutte. Mais cette drogue est aujourd'hui bien déchue; elle
ne sert plus, dans les montagnes de la Suisse entre autres,
que pour assaisonnement des mets en guise de vrai sucre.
Pendant la durée du blocus continental , alors que les casso-
nades d'Amérique et de l'Inde valaient jusqu'à six francs le
kilogramme, on en a trouvé dans le commerce beaucoup de
falsifiées avec du sucre de lait. Il en existe de deux sortes,
dont l'une est en tablettes. Pour se procurer ces masses
368
SUCRE DE LAIT — SUE
tucroïdes, on écréme le lait ( celui de vaclie de préférence ),
on le fait ^nsnite prendre , au moyen de la présure , pour
en retirer le petit- lait ou sérum, que l'on filtre a travers un
linge, on fait évaporer ce petit-lait sur un feu lent, en le
remuant continuellement, jusqu'à consistance de miel. Après
refroidissement complet , on le coule dans des moules aplatis,
et on fait sécher au soleil ou à l'étuve ces galettes ou ta-
blettes. C'est de ces tablettes qu'on extrait la seconde sorte
de sucre de lait; celle-ci se vend à l'état de cristaux. Après
avoir fondu dans l'eau les tablettes brutes , on clarifie au
blanc d'œuf, on évapore jusqu'à consistance sirupeuse, et
on met à cristalliser dans un lieu frais. On obtient ainsi des
masses cubiques, brillantes et très-blanches; les cristaux
sont attachés par couches aux parois des vases cristallisa-
toires. Les produits de la première cristallisation sont d'un
blanc éblouissant ; ceux des deuxième et troisième, obtenus
des eaux mères , sont de plus en plus colorés : tous sont sus-
ceptibles de purification et de décoloration par le charbon
animal et autres moyens. C'est principalement dans les pâtu-
rages suisses qu'on s'occupe de cette fabrication. Ce sucre
adoucit les liqueurs et les mets qu'on en assaisonne bien plus
faiblement encore que ne le fait le sucre de raisin. Il est
peu soluble. Ses cristaux font naître dans la bouche en s'y
dissolvant un sentiment de douce chaleur.
SUCRE ( Antomo-José de) , l'un des généraux les plus
distingués qui prirent part aux luttes de l'indépendance
dans l'Amérique du Sud , était né en 1793 , à Cumana, sur
la côte nord-ouest de Venezuela , et fut élevé à Caracas. Il
avait à peine dix-sept ans qu'il s'enrôlait sous l'étendard de
l'indépendance parmi les troupes aux ordres de Mirand a;
et bientôt il donna tant de preuves de valeur et d'habileté ,
qu'il obtint toute l'amitié du général mulâtre Piar, dans l'état-
raajor de qui il fit la campagne de 1814. Quand Piar eut
été fusillé. Sucre passa, en 1817, sous les ordres de Bolivar,
et prit part à la campagne contre la Nouvelle-Grenade. Après
la prise de Bogota et la défaite de l'armée espagnole, com-
mandée par le général Valdès, il obtint le commandement
d'un corps d'armée , à la tête duquel il vainquit les Espagnols
à la Plata, le 28 avril 1820, et dans les environs de Guaya-
quil, en mai 1821. Le 24 mai il remporta sur les Espagnols
la victoire du volcan de Pichincha, qui fit tomber Quito au
pouvoir des patriotes; il contraignit ensuite les Espagnols
à évacuer la province, et ouvrit à l'armée libératrice les
routes conduisant de la Colombie au Pérou. L'année sui-
vante, le général Sucre s'embarqua pour le Pérou à la tête
de 3,000 hommes de troupes colombiennes auxiliaires. En
1824, les Espagnols s'étant emparés de nouveau de Lima , il
fut appelé au commandement en chef des troupes républi-
caines et investi d'une quasi-dictature. Le 9 décembre 1824,
il battit complètement les Espagnols dans les plaines d'Aya-
cucho; brillante victoire, qui délivra à jamais l'Amérique
méridionale du joug de l'Espagne. Bolivar décerna au gé-
néral Sucre le titre de grand-maréchal dC Ayacucho , et le
haut Pérou, qui en l'Iionneur de Bolivar prit le nom de
Bolivie, l'élut, en 1S25, président à vie. Mais de nouveaux
troubles éclatèrent dès la fin de 1827, et les troupes co-
lombiennes à la solde du général Sucre se révoltèrent à La
Paz, sous les ordres du lieutenant-colonel Guerra. Dans un
«ombat qu'il livra à ceîui-ci , Sucre fut si grièvement blessé
au bras, qu'il fallut lui en faire l'amputation. Par suite d'une
nouvelle révolte qui éclata, le 18 avril 1828, à Chuquisaca,
capitale de la nouvelle république, Sucre fut obligé d'éva-
cuer la Bolivie avec les troupes colombiennes. Le 1^"" août
«uivant, il abdiqua ses fonctions dans le sein du congrès.
Élu en 1830, par la ville de Quito, comme son représen-
tant au congrès constituant , il fut choisi pour président par
cette assemblée, et les bases de la constitution nouvelle fu-
rent adoptées à l'unanimité, sous sa présidence, le 12 fé-
vrier 1830. Il se rendit ensuite, en qualité de plénipotentiaire,
à Merida, à l'effet d'y terminer le différend survenu avec
Venezuela. Mais les négociations entamées échouèrent; et
'quand Sucre revint à Bogota , tout y était déjà complète-
ment perdu pour Bolivar, qui fut forcé d'abdiquer et de '
partir pour Carthagène. Sucre reçut de lui la mission d'al-
ler engager l'armée du sud à opérer une contre-révolution à
Bogota. Mais il périt, traîtreusement assassiné, en juin 1830,
à l'instigation de son adversaire , le général Ovando.
SUD. Voyez Cardinaux (Points).
SUD (Mer du). Voyez Océan (Grand).
SUDERMAI\IE, Sœdermanland. Voyez SiJède.
SUDORIFIQUE (dulatinswdor, sueur,/ado, je fais).
On appelle ainsi les substances qui provoquent, qui exci-
tent ordinairement la sueur. Toutes les substances exci-
tantes passent en général pour sudorifiques. Le vin, l'al-
cool et les huiles volatiles sont regardés comme tels. L'opium
et les émétiques à doses fractionnées donnent aussi le même
résultat; mais il n'y à pas de médicament spécifiquement
sudorifique, c'est-à-dire capable de produire la sueur d'une
manière certaine. Bien plus , la plupart des substances qua«
lifiées de sudorifiques ne provoquent la sueur qu'à la con-
dition d'être administrées dans un liquide aqueux, abondant
et chaud , lequel est propre lui-même à augmenter la trans-
piration cutanée.
SUDRAS. Fot/e2 SouDRAS et Castes.
SUE (Eugène), fécond romancier contemporain, naquit à
Paris, le 10 décembre 1804, dans une famille originaire de la
Provence,etdans laquelle la profession médicale semble avoir
été héréditaire. Son arrière-grand-père, son grand-père et son
père, Jean-Joseph Sue, avaient successivement exercé avec
distinction la médecine et la chirurgie à Paris, et avaient ac-
quis dans l'exercice de cette utile profession une belle et ho-
norable fortune. Eugène Sue fut tenu sur les fonts de baptême
par l'impératrice Joséphine et par Eugène Beauharnais :
c'est dire assez que son père occupait un emploi important
dans la maison de l'empereur. La Restauration ne sut pas le
moins du monde mauvais gré au docteur Sue d'avoir eu,
comme médecin, la confiance de Vusurpateur, et lui fit dé-
livrer le titre de médecin du roi par quartier, qui eût as-
suré sa fortune si depuis longtemps elle n'avait été faite. Le
docteur Sue avait en elfet beaucoup plus que de Votium
cum dignitate\; il pouvait protéger les arts. N'ayant que
deux enfants, un fils et une fille, il désira que ce fils exer-
çât la profession à laquelle tous les siens avaient dû leur
fortune et leur considération. Eugène Sue étudia donc la
médecine à Paris ; et grâce au crédit paternel fut attaché ,
avant même d'être docteur, à l'une des compagnies des
gardes du corps du roi, avec le grade d'airfe-mfl/or. Il avait
à peine vingt-et-un ans qu'il obtenait de passer avec son
grade à Vétat-major général de l'armée qui allait envahir
l'Espagne aux ordres du duc d'Angoulême. L'année d'après
il eut la fantaisie de quitter le service de terre pour celui de
mer, et son père n'eut encore qu'à en parler aux ministres
compétents pouropérer cette permutation. Eugène Sue put de
la sorte visiter à peu de frais et fort agréablement diverses
contrées de l'Amérique et de l'Asie , les Antilles et les rives
de la Méditerranée. En 1828 il assistait à la bataille de Na-
varin à bord du vaisseau de ligne Le Breslau. L'année sui-
vante , le docteur Sue mourait , en laissant à son l'ils, pour
quote-part dans sa succession, quarante mille livres de rente.
Eugène Sue ne se trouva pas plus tôt maître de sa fortune
et de ses actions , qu'il renonça à l'exercice de la profession
paternelle. Il se mit alors à faire de la peinture d'amateur,
et entra dans l'atelier deGudin. L'idée lui vint ensuite
de manier en même temps le pinceau et la plume , et il
débuta dans la littérature par quelques articles de critique
théâtrale gratuitement fournis au Voleur, journal que venait
de créer M. Emile G i r a r d i n. Le roman commençait à exer-
cer une décisive influence sur la direction des idées. Eugène
Sue ambitionna la gloire de populariser parmi nous le roman
maritime. Il publia donc successivement Kernockle Pirate,
Plick et Plock, Atar-Gull, La Salamandre e.i La Vigie de
Koatven ; mais il dut imprimer à ses propres frais les trois
premiers deces ouvrages et en faire cadeau aux industriels qui
se chargeaient de les écouler et de populariser ainsi dans le^
SUE
SC9
cabinets de lecture le nom elles œuvres du romancier nou-
veau venu. Après tout, n'était-il pas assez riclie pour payer
sa gloire 1 Dans ces différentes productions, on remarqua
l'affectation exagérée des tendances byroniennes , le mépris
le plus superbe pour tout ce qui n'a pas au moins seize
quartiers, et surtout pour les règles étroites et positivés de
la morale. Une telle direction d'idées s'explique par le milieu
dans lequel vivait l'auteur, monde aux mœurs frivoles , et
surtout aux amours faciles , où l'on n'acquiert de la considé-
ration que par l'exagération du vice et du ridicule. Autre cir-
constance curieuse à noter : Eugène Sue professait alors pour
les hommes, les principes et les intérêts de la révolution,
le mépris le plus insolent. Toutes les fois que l'occasion
se présentait à lui de faire une excursion dans le domaine
de la politique, il s'empressait de faire acte de sympathique
adhésion à la cause qui avait succombé en juillet 1830. Admis,
grâce à sa fortune et à l'ancienne position de son père ,
dans cette partie de la société française qu'on désigne sous le
nom d& faubourg Saint-Germain , il en exagérait encore
la morgue aristocratique.
Notre écrivain, voulant prouver qu'il savait traiter tous
les genres, résolut de s'essayer dans le roman historique,
et publia dans ce genre Latréaumont, Jean Cavalier, Lé-
torières et Le Commandeur. Les revues, les journaux
eurent le plus souvent les prémices de ces diverses publi-
cations ; car la mode des feuilletons-romans s'établit vers ce
temps-là dans les journaux , et Eugène Sue n'avait pas tardé
à en devenir l'un des fournisseurs en titre. La foule avait
adopté le genre créé par cet écrivain : c'en était assez pour
que la spéculation cherchât à exploiter cette popularité. Il
se rencontra donc un jour des capitalistes qui chargèrent
l'auteur de romans maritimes à succès de leur confection-
ner une Histoire générale de la Marine française. 11 en
coûta près de 80,000 francs à ces industriels pour appiendre
quelle est la différence existant entre un historien et un
romancier.
Le roman de mœurs n'avait pas encore été abordé par
notre écrivain; Arthur, La Coucaratcha, Deyleytar, V Hô-
tel Lambert, Mathilde, comblèrent cette lacune dans le ba-
gage littéraire du romancier à lamode. Dans toutes les produc-
tions dont nous venons de citer les titres , on retrouve les
défauts et les qualités propres à Eugène Sue : une certaine
habileté dans la manière de charpenter ses drames, d'arranger
et de préparer ses ficelles, un grand fonds d'immoralité ,
et de continuelles insultes aux règles les plus vulgaires de
la grammaire. Mathilde surtout obtint un succès de vogue,
car d'adroites indiscrétions révélèrent à la foule des oisifs
que certains personnages de ce roman sont des portraits ,
et que le héros n'en est autre qu'un riche étranger, bien connu
de la société parisienne par ses roubles et son fastueux or-
gueil. On remarqua d'ailleurs , et le plus grand nombre sans
pouvoir se l'expliquer, la profonde modification qui s'était
faite, d'un roman à l'autre, dans les idées et les tendances
sociales d'Eugène Sue, devenu tout à coup le panégyriste
enthousiaste des vertus du peuple et le détracteur impi-
toyable des classes élevées, dont il prenait maintenant plaisir
à exagérer au delà de toute mesure les travers et les vices.
Voici le véritablemotif de ce revirement si subit survenudans
les idées de notre romancier. Ayant un beau jour fait une
démarche officielle pour obtenir la main d'une jeune per-
sonne appartenante une des plus grandes familles de France,
un refus poli, mais positif, l'avait blessé au cœur. Oh ! si
elle revenait au monde, que M™* de Maintenon serait donc
étonnée d'apprendre que l'arrière-petit-fils d'un obscur con-
frère de Fagon avait osé demander son arrière-petite-
nièce en mariage, et que s'il avait été éconduit, l'unique
motif allégué pour colorer ce refus avait été la trop grande
disproportion d'âges entre les futurs ! Voyez pourtant à quoi
tiennent les destinées de ce monde! La société actuelle n'a
pendant si longtemps compté parmi ses démolisseurs les plus
acharnés un homme à qui elle avait prodigué d'ailleurs tous
ses avantages que parce qu'un stupide père de famille ne
DICT. DE LA C0NVER8. — T. XVJ.
s'était pas soucié pour sa fille des re.stes, plus ou moins ra-
goûtants, de ces dames du corps de ballet !
Jusqu'à présent les succès littéraires d'Eugène Sue n'a-
vaient point empêché ses rivaux de dormir ; et même dans
l'opinion de la foule il était resté encore bien loin de Frédéric
Soulié et surtout de Balzac. Les Mystères de Paris,
roman dont le Journal des Débats voulut servir les pré-
mices à son aristocratique clientèle, intervertirent brusque-
ment l'ordre dans lequel le vulgaire avait jusque alors classé
ses conteurs de prédilection.
Nous n'apprendrons rien à personne sur la profonde ira-
moralité de ce livre, où Eugène Sue insulte de parti pris à
toutes les convenances, à toutes les idées reçues, entreprend
la réhabilitation de la prostitution , choisit pour héros des
criminels de la plus perverse espèce, et saupoudre le tout
de force déclamations contre un ordre social qui ne sait
point utiliser les grands et énergiques caractères, les subli-
mes dévouements, les natures d'élite dont le romancier va
chercher les modèles dans les sentines de la grande ville. Il
y a tel chapitre de ce mauvais livre et de cette plus mauvaise
action qui égale tout ce que l'infâme de Sade a jamais pu
inventer et écrire. Et toutes ces turpitudes ont pu se publier
dans un journal quasi-officiel et défenseur des idées d'ordre,
puis librement circuler réimprimées dans tous les formats,
voir môme illustrées !
A propos de cette immonde publication , qui valut à l'au-
teur au delà de 100,000 fr. de bénéfices nets, un biographe,
panégyriste ardent d'Eugène Sue, raconte que quelques mois
avant d'entreprendre ses Mystères de Paris il s'était con-
verti aux doctrines du socialisme et était devenu l'un des
actionnaires de La Phalange et de La Démocratie paci-
fique, assistant assidûment aux réunions hebdomadaires
des disciples deFourier.« Sue, ajoute-t-il, f tenait souvent
« les vêtements fangeux du peuple abruti, et descendait
a courageusement dans les profondeurs de cet abîme mys-
« térieux où le pied dédaigneux de l'égoïsme a précipité
n tant de victimes » (tout cela ne nous apprend pas bien
clairement où il allait, ni surtout ce qu'il allait faire); « ou
« bien , les lundis et les jeudis , se faisant descendre de
« cabriolet à peu dedistancedesboulevards extérieurs, vêtu
« d'une blouse propre , coiffé d'une casquette presque
« élégante, il allait retrouver là une jeune et candide gri-
« sette pom qui il ne fut jamais qu'un humble peintre d'é-
« ventails, riche d'amour,-i[ est vrai, mais ne vivant du
« reste qu'au jour le jour du produit de son travail, con^enf
« de lui-même, heureux du présent, etnerèxàulpasbeàu-
« coup à l'avenir... » Pour qui sait lire, Eugène Sue est
tout entier expliqué et commenté dans ces lignes si naïves...
Richelieu et Lauzun en bonne fortune, et croyant de-
voir au décorum de garder l'incognito , sont bien distancés
par Eugène Sue revêtant les habits fangeux du peuple
abruti pour pouvoir entrer dans quelque tapis-franc de
la Cité et payer un poisson de trois-six à Fleur de Marie,
ou bien s'en allant en casquette faire danser Rigolette hors
barrière! Qu'eût-elle dit, la tendre et candide grisette,
si elle s'élait doutée que ce peintre d'évenlails si riche
d'amour, ce Roger Bon-Temps qui dansait si intrépidement
avec elle pour le bon motif, était un Zion déguisé, {& fleur
des pois, la coqueluche des coulisses de l'Opéra!
Le Juif Errant, qui parut après Les Mystères de Paris^
valut encore plus de 200,000 fr. à Eugène Sue. Nous cito-is
ces chiffres, non assurément pour donner une idée de layaLeui
littéraire des livres en question , mais pour montrer combien
l'auteur était en droit de maudire une organisation sociale
qui récompensait si mesquinement son mérite. Après Le Juif
Errant\int Martin,i>u\s,L''E»fanttrouvé {lii&), Les Sept
Péchés capitaux ( 1847), Les Mystères du Peuple ( 1847),
Miss Mary ( 1850 ) , Fernand Duplessis ( 1851 ), La Fa-
mille Jouffroy (1854 ) , etc., etc.
En 1850 les démocrates socialistes de Paris avaient élu
Eugène Sue pour leur représentant à l'Assemblée législative,
où il avait pris place sur la crête de la Montagne. S'il se
a»
370
SUE — SUÈDE
garda bien d'aborder la iribune, en revanche il s'asRocia
par tous ses votes aux démonstrations les plus hostiles
de ses 'collègues contre ce qu'ils appellaient la réaction.
On ne sera donc pas surpris d'apprendre qu'il ait été com-
pris au nombre des membres de la représentation nationale
que le pouvoir issu du coup d'État du 2 décembre 1851
jugea à propos d'éloigner de France. Mais on comprendra
diflicilement qu'il ait été permis au révolutionnaire banni
de continuer à être le fournisseur habituel de feuilletons
socialistes des? journaux laissés comme organes à un parti que
le pouvoir actuel se flatte bien à tort d'avoir réduit à l'im-
puissance. Eugène Sue se retira alors en Piémont, et c'est
là que la mort est venue le surprendre, à la fin de 1857. Il
succomba à une maladie de la moelle épinière. Il ne s'était
point marié.
SUEDE , Sverige, royaume qui occupe le Côté oriental
de la presqu'île Scandinave, avec laquelle il ne fait qu'un
même tout sous le rapport du sol , du climat et de l'histoire
naturelle , et qui est borné au nord par la Norvège et la
Russie , à l'est par la Russie, le golfe de Bothnie et la Bal-
tique, au sud par la Baltique, à l'ouest par le Sund , le
Kattegat, le SUagerrack et la Norvège. Elle forme avec la
Norvège unezone parallèle s'étendant du 55" 22'au69» 4' de
latitude septentrionale, dans la direction du nord-nord-est
au sud-sud-ouest, avec une largeur variant entre 28 et 35
rnyriamètres , une superficie d'environ 5,600 myriamètres
carrés et un littoral de 1,100 myriamètres, golfes et fjords
compris. Sur cette superficie, il y a 1,900 myriam. de moins
delOOmètresdc hauteur absolue, 1,600 myriam. entre 100
et 250 mètres, 1,700 myriam. entre 250 et 700 mètres; le
reste dépasse 700 mètres , et il y a 22 myriam. carrés appar-
tenant à la région des neiges éternelles. Une grande partie
du sol de la Suède est complètement stérile , car les marais
occupent une superficie de 720 myriam. carrés, et il y
en a en outre plus de 1,400 myriam. carrés couverts de
rochers et de déserts de neige. Le reste de la surface se
compose de gneiss et de granit égrenés et en efflorescence ,
couvert seulement d'une couche de terre végétale. En re-
vanche, il y a abondance de cours d'eau. Ceux du nord
sont tous des fleuves de montagnes, torrentueux , navigables
seulement sur une très-faible étendue, à cause des rochers
et des rapides , mais flottables sur un parcours beaucoup
plus grand. Au sud, les fleuves sont généralement trop peu
profonds pour pouvoir être utilisés pour la navigation.
Sauf 5,000 (et suivant quelques auteurs, 8,000) Lapons ha-
bitant les Lappmarken et des Finnois , un peu plus nom-
breux, vivant parmi eux, ou bien comme colons au nord et au
centre de la Suède, notamment en Dalécarlie et en Werm-
land, après avoir renoncé à leur langue primitive; sauf
encore un millier de juifs environ et un très-petit nombre d'é-
trangers établis uniquement dans les villes, les habitants
de la Suède appartiennent tous à la race germano-scandi-
nave , de laquelle s'est formée avec le cours des temps la
nationalité suédoise. Le Suédois est naturellement svelte,
mais vigoureusementconformé, presque toujours blond, avec
des yeux bleus , des traits distingués et un noble maintien.
11 se fait remarquer par la vivacité de son intelligence, par sa
constance, par son amour pour la liberté, son courage, son
amabilité et sa politesse, ainsi que par son attachement à ses
mœurs nationales et par ses habitudes religieuses. D'ailleurs,
il y a dans le fond du caractère national du Suédois quelque
chose de fin et en même temps des habitudes dimonstra-
tivcs qui l'ont fait surnommer \e Français du Nord. En
outre, il est naturellement propre , serviable , hospitalier,
vif , et moins avide, moins présomptueux que le Norvégien,
D'après le recensement de 1840, la population de la Suède
se composait alors de 3,138,887 habitants, dont 2,835,741
dans les campagnes , et 303,146 dans les villes. En 1845 le
recensement avait donné 3,316,536 habitants, et celui de
1849, 3,433,803 habitants. La population doit donc dépasser
aujourd'hui le chiffre de 3,600,000 âmes. Comme en 1751
«lie n'était que de 1,783,727 têtes, elle a plus que doublé
dans l'espace d'un siècle. .Malgré la stérilité de leur climat,
une alimentation des plus frugales, des travaux rudes , et
surtout une consommation excessive de spiritueux , qui met-
tent obstacle à la longévité, les Suédois atteignent en général
un âge très-avancé , et on ne compte en moyenne qu'une
mort par an sur 44 habitants. De même que la fertilité du
sol va toujours en diminuant vers le pôle, la population
subit aussi une diminution proportionnelle à mesure qu'on
avance vers le nord; de sorte que tandis qu'on compte 2,800
habitants par mille carré dans le bailliage de Malmœ, en
Scanie, on n'en trouve plus que 32 dans le bailliage de Pitéo,
dans la Bothnie septentrionale.
Malgré la nature peu favorable du sol , l'agriculture n'en
constitue pas moins une ressource importante poor la popula-
tion, dont elle nourrit plus de 77 p. 100; et depuis un demi-
siècle elle a fait tant de progrès, que ce n'est que dans les
mauvaises années que la Suède est obligée de recourir à
l'importation étrangère ; dans les bonnes années il se fait
même quelques exportations de ses provinces méridioûales.
Il est hors de doute que l'agriculture y est encore susceptible
de grands progrès, et que l'étendue du sol aujourd'hui en
culture pourrait être doublée et arriver même à former la
vingtième parliedela superficie totale du pays. Elle n'occupe
encore aujourd'hui que llSmyriamètres carrés en terres à cé-
réales, 545 en prairies et 700 en pacages ; à quoi ou peut encore
môme ajouter 2,450 myriamètres carrés de contrées boisées,
utilisées aussi pour pacages. La plus répandue des cultures est
celle de l'orge, qui réussit encore à une élévation de 33 mètres
au-dessus du niveau de la mer, dans les endroits bien ex-
posés, et même dans les années chaudes jusque sous le 77°
de latitude septentrionale. C'est donc celle qui domine
surtout dans les provinces du nord de la Suède. L'avoine,
qui exige un été plus long, ne réussit que jusqu'au 64°,
et seulement à peu d'élévation au'dessus du niveau de la
mer. Sa culture a principalement lieu en Westgothland ,
dans le bailliage de Bohus , en Wermiand , et en Dalécarlie.
La culture du seigle , quoiqu'elle continue au niveau de la
mer jusque sous le 66°, n'a guère lieu que dans les
provinces basses , surtout en Ostgothland et dans les pro-
vinces du sud. Le froment n'est nulle part une culture prin-
cipale, et il n'est cultivé que dans les provinces plus fertiles
du sud. Il en est de même des pois. La pomme de terre réussit
au contraire dans toutes les parties du pays. La culture des
prairies est fort négligée, et on ignore à peu près ce que
c'est que les prairies artificielles. Pourtant, la culture du
trèfle et de quelques autres plantes fourragères commence
à faire des progrès dans certaines provinces. La culture
des arbres fruitiers, comme on peut bien le penser, estextré- ,
inement limitée, et il en est de même de celle des plantes dQ.;
jardin. L'élève du bétail , quoique secondée par d'immenses
prairies et pacages , n'est point encore en état de suffire aux
besoins du pays. Les races indigènes de bêtes à cornes et de^
chevauxsonten général vigoureuses, mais peu distinguées, et ;
les vaches ne donnent que peu de lait. Les essais tentés sur .
quelques points pour améliorer la laine des moutons ont
réussi, et pourtant il a fallu ensuite y renoncer, à cause des.;
trop grandes difficultés qu'ils présentaient. Il ne faut pas, ^
à ce propos, oublier de mentionner l'élève du renne par les /
Lapons. ,j
Après l'agriculture et l'élève du bétail, l'exploitation des j
forêts forme une autre source principale de la richesse na- .,
tionale, plus de la moitié du sol étant couverte de forêts. ;
La plus grande partie se compose d'arbres à feuilles aci- ,
culaires, notamment de pins et de pinastres , qui sans doul^^
croissent ici très-lentement, mais n'en donnent qu'un bois ;
plus durable, et de bouleaux. Les chênes, les hêtres, leS;.
tilleuls et les ormes sont en très-petit nombre. Plusieurs in- ,
dustries importantes trouvent leur élément dans ces immenses,
forêts, par exemple l'abattage et le flottage des arbres, la
fabrication du charbon , la préparation de la poix , la cons-
truction des vaisseaux et des maisons. Ces dernières s'ex-
pédient toutes terminées; et «{uand elles arrivent dans les
SUÈDE
TÎÎIes, il n'y a plus qu'à en monter les différentes pièces nu-
mérotées. H est à regretter, toutefois, qu'on ait négligé de
réglementer l'exploitation des forêts; aussi le bois menace-t-
il de manquer, et manque-t-il même déjà sur plusieurs points.
La chasse, qui en Suède forme l'un des privilèges de la pro-
priété foncière, a toujours de l'importance. Dans la Norriande
surtout, qui est extrêmement boisée, on prend des masses
de gelinottes, de coqs de bruyère et de gelinottes blanciies,
qui, avec la chair de renne et le beurre, donnent lieu à de
grands envois à Stockholm et à Upsal. Le gibier le plus com-
mun est le lièvre; les cerfs et les daims sont plus rares. L'élan
est borné entre le 60' et le 64* degré ; le renne, au contraire,
n'appartient qu'à l'extrémité septentrionale de la Suède, où
il trouve en quantité suffisante sa principale alimentation , la
mousse de rennes. Le castor, qui devient toujours plus rare,
ne se rencontre non plus que tout à fait au nord. En re-
vanche, la Suède offre beaucoup d'animaux à fourrure, comme
des ours, des loups, des goulus tout à l'extrémité septentrio-
nale, des lynx, des renards, des martres, des putois, des lou-
tres,des belettes, des hermines et des zibelines; cependant, ces
deux dernières espèces d'animaux deviennent de plus en plus
rares. La pêche, qui est la grande industrie des côtes et des îles,
est plus importante que la chasse, la pêche maritime surtout,
favorisée qu'elle est par la ceinture de petites îles, de rochers
ou de scAereen, dont la plus grande partie des côtes de la Suède
sont entourées, et qui, même dans les temps de tempête, font
que la mer dans ces parages est presque toujours compara-
tivement calme. Dans la Baltique, la pêche a surtout pour
objet le strœmling (espèce de petit hareng) et la merluche;
mais sur la côte occidentale , dans le Kattegat et le Skager-
lack , depuis que le hareng, qui de 1755 à 1795, s'y était
encore montré très-abondant, s'est retiré sur les côtes de la
Norvège, elle se borne à la merluche, à l'aigrelin, à la bar-
bue, au homard, à i'écrevisse et aux huîtres. La pêche ne
laisse pas non plus que d'avoir une certaine importance
dans les fleuves et les lacs, où le saumon en constitue le
principal objet. Au total , la pêche de la Suède est loin d'a-
voir l'importance de celle de la Norvège ; elle ne suffit même
pas dans toutes ses branches aux besoins de la consomma-
tion intérieure, et elle n'exporte que très-peu.
L'exploitation des raines a plus d'importance que les di-
verses industries que nous venons de mentionner, et vient
immédiatement après la culture du sol. Elle a surtout pour
objet le fer, et bien moins le cuivre , l'argent et les autres
produits minéraux. Les mines les plus nombreuses, les plus
grandes et les plus productives se trouvent dans les mon-
tagnes des deux côtés du Dalelf, dans un territoire qui s'é-
lève au nord du lac Wener et, en se dirigeant vers le nord,
va se terminer au Ljusno-Elf inférieur. Là sont situées les
mines et les hauts fourneaux de Karlstad et d'Œrebro et
les mines de cuivre de Falun , autrefois si productives. Le
fer de Suède est un des meilleurs qu'on rencontre sur la
terre , surtout celui de Danemor a, qui est indispensable
pour la préparation des aciers fins, et qui se vend très-cher.
En revanche, les qualités inférieures souffrent aujour-
d'hui beaucoup de la concurrence des fers anglais , parce
que la Suède, pour ce qui est des procédés de préparation,
est demeurée bien en arrière de l'Angleterre. Du reste,
sauf la Scanie, on prépare du fer dans tout le reste du
royaume. Dans les Lappmarken notamment on rencontre
des gisements du meilleur rainerai , ayant quelquefois
plusieurs myriamètres d'étendue, par exemple aux en-
virons de GcUivari , raais qui ne sont que peu exploités,
parce qu'on manque de combustible. Après le fer, le cuivre
est le métal qu'on rencontre le plus abondamment et celui
dont l'exploitation est la plus importante, notamment
dans les mines de Falun, On trouve aussi de l'argent,
mais en moins grande quantité qu'autrefois. En effet, les
mines d'argent, qui en l'an 1.500 produisaient de 24 à 30,000
marcs pesant par an , n'en donnent plus aujourd'hui que
8,000. Les mines d'argent les plus importantes sont celles
de Sala et de Linde. On recueille en outre beaucoup de plomb,
871
de cobalt, d'alun, de vitriol, de manganèse et de soufre;
mais il n'existe de houille qu'à Hœgenaes , près de Malmœ
en Scanie, de marbre qu'à Kolraorden, au voisinage de Norr-
kœping , du porphyre qu'à Elfdalen , en Dalécarlie.
L'industrie de la Suède, quoique supérieure à celle de la
Norvège, n'a encore que bien peu d'importance. Sauf les
usines se rattachant directement à l'exploitation des mines,
on ne trouve de manufactures proprement dites que dans le*
grandes villes. Mais pas plus les fabriques d'articles métalli-
ques que les fabriques de drap, de soieries , de cotonnades ,
de papier, de tabac et de sucre créées dans le cours de ce
siècle à Stockholm, à Norrkœping, et Gotbenbonrg, etc.,
ne peuvent satisfaire aux besoins de la consommation indi-
gène. Les fabrications les plus importantes sont encore celles
du drap, du sucre et du tabac. Eskilstuna est le centre de
la fabrication des fers les plus fins. Toutefois, ces diverses
branches de l'industrie manufacturière ont bien de la peine
à lutter contre la concurrence de la production anglaise,
placée dans des conditions de bon marché tout autres.
En revanche, la fabrication des machines à vapeur, etc.,
à pris de grands développements à Motala, Nykœping et
Stockholm. L'induslriedomestique.quidansleslocalités très-
peuplées est souvent une source de produits importants ,
se borne généralement en Suède aux besoins les plus vulgaires.
Le commerce et la navigation ont pour la Suède plus d'im-
portance que l'industrie. S'ils ne sont plus une source de pro-
fils aussi abondante qu'autrefois , iU ne laissent pas que
d'être encore considérables, et depuis vingt-cinq ans ils sont
même en voicde progrès notable. Diverses circonstances con-
courent à les favoriser : la situation maritime du pays, qui
possède une foule de bons ports, des règlements de naviga-
tion judicieux, un système naturel et artificiel de communica-
tions par eau. En ce qui est des voies artificielles, il faut
surtout mentionner le canal de Gœtha, commençant à Sœder-
kœping sur la Baltique , et reliant Cette mer au lac Wener,
en traversant divers lacs, entres autres le lac Wetter ; les deux
canaux de Trollhaclta; le canal de Sœdertelje, quia pour but
d'établir une communication plus commode entre le lac Mae-
laret la Baltique, ainsi qu'une navigation sûre jusqu'à Stock-
holm; le canal de Hielinar, unissant le lac de ce nom au lac
Rtelar, et le canal de Strœmsholm, reliant la Dalécarlie au lac
Mselar. N'omettons pas de parler des routes tracées sur la neige
et sur la glace, créant souvent des voies de communication
qui disparaissent en été. Par contre, le commerce souffre
beaucoup de l'immensité des contrées désertes et sauvages,
de la rigueur du climat, de l'innavigabilité delà plupart
des cours d'eau, et de l'absence de bonnes routes de terre,
surtout dans les provinces du nord, où cesdivers obstacles
prennent encore des proportions doubles. Pour ce qui est
de la construction des chemins de fer, la Suède resta pen-
dant longtemps en arrière de la Norvège elle-même. C'est
le 13 décembre 1852 qu'un privilège fut pour la première fois
concédé à une compagnie pour la construction d'une voie
ferrée pour la ligne de Kœping-Œrebro-Hult, destinée à relier
le lac Mïciar et le lac Wener. Aujourd'hui la Suède possède
dix chemins de fer en activité, et plusieurs autres sont en
construction. L'ordonnance du 22 décembre 1846 a pro-
clamé le commerce libre dans toute l'étendue du royaume ;
toutefois , le gouvernement a maintenu jusqu'à ce jour les
droits différentiels. Les principaux articles d'importation
sont les harengs et autres poissons venant de Norvège; le
beurre, le suif, la viande et le saumon provenant de la
Finlande; le chanvre, le lin et la graine de chanvre, l'huiLe,
les peaux, le suif et les fourrures venant de la P»us5ie; les
blés, les laines, les bestiaux et la viande venant du Dane-
mark ; les denrées coloniales, les articles de teinture, les épi-
ceries elles articles manufacturés venant d'Angleterre et des
villes hanséatiques ; les fruits, les bestiaux, les grains et les
articles manufacturés venant du reste de l'Allemagne, notam-
ment du Mecklembourgetde la Prusse; les vins, les fruits.
les huiles et les soies venant de France; les fruits secs ei
surtout le sel, article important, que la Suèae ne produit
2'».
872
SUEDE
pas, venant de Portugal et d'Espagne ; les denrées coloniales ,
les articles de teinture de toutes espèces, les drogueries,
les cuirs, le riium venant d'Amérique et des grandes Indes.
Les principaux articles d'exportation sont : les fers en barres,
les fer» bruts, les clous, les planches et madriers, les solives
et chevrons, les douvains, la poix , le cuivre, le laiton ,
l'alun, la manganèse, le papier, les étoffes. En 1851 l'impor-
tation s'était élevée à une valeur totale de 28,0*8,000 rigs-
dales, et l'exportation à 26,958,000 rigsdales. Le produit des
douanes, tant à l'entrée qu'à la sortie, avait été de 5,321 ,8SG
rigsdales. La Suède, en raison de sa position géographique,
n'a pas de commerce de transit. Les principales places de
commerce sont Stockholm ( la moitié des importations se
lait par cette place ), A2/Aœ;3in(7, A'ariiArona, Ystad, Hel-
singborg et Gothenburg . Les pays avec lesquels la Suède
a les relations de commerce les plus importantes sont l'An-
gleterre, les villes hanséatiques, la Norvège, le Danemark, le
Brésil, la Prusse, la Finlande, les grandes Indes et la Russie.
Au point de vue historique, la Suède lorme trois parties
principales, subdivisées en trente-trois provinces, à savoir :
1° SvEAL.\ND ou SvEARiKE, OU la Suède proprement dite, la
partie centrale et la plus petite du royaume, mais que l'histoire
nous montre constituant la portion la plus ancienne de l'É-
tat, et divisée en six provinces : Upland, Sœdermanland,
Weslmanland, Nerike, Wennland el Dalarne, ou la Da-
lécarlie; 2" Gothland.Goetalandou Goetauike, la partie la
plus méridionale, la plus productive et la plus peuplée, divisée
en dix provinces: Ostgothland,Smoland,[iis àeu\i\es d'Œ-
land et de Gottland, Blekingen, Skone ou la Scanie, Ual-
land ou Bohusland, Westgoihland el Dalsland ; 3" Norii-
LAND, formant toute la moitié septentrionale, mais la moins
peuplée, et celle dont il est aussi le moins question dans l'his-
toire de la Suède , et divisée en huit provinces : Gcstrick-
land , Helsingland, Uerjedalen, Jxmtland, Medelpad,
Angermanland, et Lappland ou Marches des Lapons.
En ce qui touclie l'organisation ecclésiastique, le royaume
est divisé en douze évêchés ; ceux-ci sont divisés en prévô-
tés, subdivisées en paroisses de grandeur fort inégale et ré-
pondant fort mal à la division administrative.
Sous le rapport administratif, le royaume est divisé en
un gouvernement général, comprenant Stockholm avec une
banlieue de deux myriamètres environ de circuit, et en vingt-
quatre lasne, ou capitaineries, formant cent-dix-sept bail-
liages. Les vingt-quatre tene portent les noms de leurs chefs-
lieux : Malmœ, Christianstad, Halmstad, Karlskrona,
Wexise, Jœnkœping, Calmar, Linkœping, Mariestad,
Wenersborg, Gœteborg, Wisby, Stockholm, Upsal, Wes-
teros, Nykœping, Œrebro, Karlstad, Falun, Gejleborg,
Uernœsand, Œstersund, Umeo et Piteo. Ce dernier est le
plus grand de tous (1,087 rayriam. carrés); le moindre est
celui de Karlskrona (24 myriam. carrés).
Pour ce qui est de l'organisation judiciaire, l'État est di-
visé en trois cours royales, d'une circonscription fort inégale,
la première ne comprenant que la Scanie, l'autre le reste
du Golhland, et la troisième tout Svealand et Norrland. Ces
trois cours sont divisées en onze lagsagor et quatre-vingt-
onze domsagor.
Sous le rapport de l'exploitation minière, la Suède forme
onze arrondissements ; et enfin, sous le rapport militaire,
elle est divisée en cinq districts, fort inégaux.
Depuis la dernière révolution , la constitution suédoise a
pour bases les lois suivantes : le décret organique du 6 juin
1809; le règlement de la diète du lo février 1810; la loi de
succession du 28 septembie 1840; l'ordonnance du 16 juillet
1812 relative à la liberté de la presse, et la loi du 6 août 1815
réglant les conditions de l'union avec la Norvège. Aux ter-
mes de ces lois fondamentales, la Suède est une monarchie
héréditaire, limitée par une diète, avec un roi à sa tête, qui
doit professer la religion prolestante, qui exerce le comman-
dement supérieur des forces de terre et de mer, qui parti-
cipe à tous les pouvoirs de l'Étatet qui exécute leurs décisions,
enfin qui seul gouverne, sauf que dans la plupart des cas il es*
tenu de prendre l'avis de ses conseillers d'État, à l'exceptiou
de ce qui a trait aux affaires étrangères et militaires, au sujet
desquelles il décide directement, sur la proposition des deux
ministres que cela concerne. Le conseil d'État est nommé par
le roi, et se compose de dix membres, à savoir : deux minis-
tres d'État pour la justice et les affaires étrangères, cinq con-
seillers d'État pour les finances, l'intérieur, la guerre , la
marine et les cultes , et trois conseillers d'État sans porte-
feuille. Le conseil d'État n'a que voix délibérative; et après
l'avoir entendu le roi peut prendre telle détermination qu'il
juge à propos. Si un membre du conseil d'État croit cette
détermination injuste ou contraire au bien du peuple sué-
dois , il peut en (aire l'objet d'une protestation insérée au
protocole des délibérations, et s'il est chef d'im déparlement
ministériel , il peut refuser d'y apposer sa signature et
donner sa démission, tout en conservant les deux tiers
de son traitement. Cependant, la détermination prise par le
roi n'est pas pour cela nulle, et elle est mise à exécution
sous le contre-seing d'un autre signataire , quand il s'en
rencontre; mais alors c'est la diète la plus prochaine qui
décide qui a eu raison, du roi ou du conseiller d'État. Ainsi, il
y a en Suède des conseillers responsables, mais non pas des
ministres responsables de la couronne. En ce qui est de la
puissance législative, l'autorité du roi est limitée par les états
du royaume, qui seuls décident les questions d'impôt, de
même que tout ce qui a rapport aux monnaies , mais qui
dans toutes les autres branches de la législation décident
conjointement avec le roi , tandis que ce dernier règle seul
par voie administrative toutes les affaires intérieures et ex-
térieures d'administration. Les états du royaume doivsnt
être réunis tous les trois ans (avant 1843 ils ne se réunis-
saient que tous les cinq ans), mais ils peuvent aussi être
convoqués en diètes extraordinaires toutes les fois que les
circonstances l'exigent. Ils se composent de quatre ordres
ou chambres : Vordre de la noblesse, qui comprend les
chefs de toutes les familles nobles de Suède, au nombre
d'environ onze cents membres ; Vordre du clergé, c'est-à-dire
les députés des douze évêchés et des universités, ordinaire-
ment au nombre decinquante à soixante-dix personnes; l'orrf;y
de la bourgeoisie, composé de cent huit membres ; et Vordre
des paysans, qui en compte deux-cent-cinquante-neuf. Ces
trois derniers ordres, à l'exception des évêques, qui en vertu
de leur charge sont de droit membres de l'ordre du clergé, se
composent de députés élus par chaque ordre. Les membres
del'ordredes paysans reçoivent seuls un traitement. Chacun
des quatre ordres délibère séparément , et exerce une voix
collective à la diète ; tandis que dans chaque ordre à part les
délibérations se prennent à la majorité des voix. Sur toutes
les questions relatives aux lois fondamentales et aux privi-
lèges des ordres , l'accord des quatre ordres et du roi est
nécessaire pour produire une décision de la diète valable ,
et elle n'acquiert force de loi qu'autant qu'elle est confirmée
par la diète suivante. Sur toutes autres matières, il sulfit,
pour prendre une résolution, de l'accord de trois ordres et
du roi. Si au sujet d'une question deux ordres se pronon-
cent pour et deux contre, on forme un comité élu par les
quatre ordres, et qui décide à la majorité des voix. Le droit
d'initiative appartient aussi bien au roi qu'aux ordres ; or,
comme à la diète tout membre a le droit de motion le plus
illimité , il y a là un grand obstacle à la marche des délibé-
rations. L'expédition des affaires par la diète est très-difficile
et très-lente , ne fût-ce déjà qu'à cause du partage en quatre
chambres délibérant séparément , et devant lesquelles doi-
vent être discutées toutes les questions après avoir été préa-
lablement traitées déjà dans l'un de six comités dont elles
se composent ; de là, lorsqu'il y a divergence d'opinions ,.
de fréquents renvois de ces mêmes questions aux comités.
Outre le droit de voter l'impôt, de participer à la confection
des lois, voici encore les autres droits dont les ordres sont
investis : direction exclusive de la banque; droit de deman-
der compte aux conseillers d'État des conseils donnés par
eux à la couronne , cas auquel le comité de constitution peut
es cilcr devant un tribunal du royaume ou bien récJa-
mer leur renvoi; droit de surveiller l'administration de la
justice, de contrôler la marche de l'administration civile ;
les ordres , indépendamment du chancelier de justice choisi
par le roi, nommant pour leur propre compte un fondé
de pouvoirs chargé de surveiller la manière dont les fonc-
tionnaires, tant judiciaires qu'administratifs, exécutent les
lois, et à chaque diète des jurys spéciaux désignés par la
diète venant déclarer jusqu'à quel point la cour suprême
a rempli ses devoirs; enfin, droit de contrôle des dépenses,
droit exercé par des réviseurs nommés par le comité d'État.
Cette constitution politique de la Suède, dictée par des sen-
liraenls de défiance provenant des longues luttes auxquelles
le pays a été en proie, forme, comme on voit, un mécanisme
très-compliqué, où il n'y a pas de force qui n'ait son contre-
poids.
La justice est rendue par des juges irrévocables. Le tribunal
du roi constitue l'instance suprême. Les cours royales de
Stockholm, de Jœnkœping et de Christianstad fonctionnent
comme cours d'appel, où ressortissent les tribunaux de
bailliage (lagsagor) et les tribunaux d'arrondissement
{domsagor). Ces derniers sont composés d'un juriscon-
sulte , qui préside , et de douze assesseurs , paysans pour la
plupart, choisis dans le peuple. Le plus souvent c'est le ju-
risconsulte qui décide seul ; il se borne à consulter ses asses-
seurs et à leur demander s'ils approuvent sa décision. Or,
s'il y en a qui n'approuvent pas , la sentence n'en est pas
moins valable. Les douze assesseurs sont-ils unanimement
d'un autre avis que le jurisconsulte, alors c'est leur opinion
qui a force de sentence. On ne peut appeler des sentences
Tendues par ces tribunaux d'arrondissement aux tribunaux
<le baiUiage que sur certaines matières. Les villes, les mi-
nes, le clergé, et l'armée ont en outre leurs juridictions
particulières. Un procureur général d'État (justitie-om-
budsman) est chargé de la surveillance générale des au-
torités judiciaires.
L'administration, dirigée par le conseil d'État et par les
différents ministères, a à sa lête dans chaque Ixn un gou-
Terneur Oi province ( landshcefdwg), qui a pour subordon-
nés un certain nombre de prévôts de la couronne. Elle est
tout aussi compliquée et fonctionne tout aussi diflicilement
que la constitution ; en revanche, la liberté individuelle est
mieux garantie en Suède que dans la plupart des États cons-
titutionnels. Il existe une très-large liberté de la presse ,
réglée par des lois; et aucun fonctionnaire public (à l'ex-
ception des fonctionnaires supérieurs, tels que conseillers
d'État, présidents, capitaines du pays , généraux en chef et
les ambassadeurs à l'étranger) ne peut être destitué qu'à la
suite d'un jugement.
L'organisation militaire de la Suède est d'une nature
toute particulière; elle date de 1660, et se rattache à l'œuvre
dite de partage de Charles XI. Afin d'éviter les convocations
et appels, la nation s'engagea alors à entretenir constam-
ment un certain nombre de cavaliers , de soldats et de ma-
telots. A cet effet, le pays fut divisé en un grand nombre de
petits districts (rotar). Les paysans, dans ces districts,
fournissent un certain nombre d'hommes, mais qui restent
parmi eux, qu'ils équipent et habillent, et qu'ils entretien-
nent du produit d'un iorp , c'est-à-dire d'une petite pièce
de terre. Quand ces troupes « réparties « {indelta J entrent
en campagne , ou sont employées à des travaux publics ,
elles reçoivent une solde. En leur absence, c'est le district
(rote) qui doit cultiver leur torp , et en cas de mort
pourvoir aux besoins de leur famille. Les officiers et les
sous-officiers des troupes « réparties », de V indelta, habi-
tent aussi au milieu de leurs soldats, et ont pour vivre
des pièces de terre appelées boslsellen. C'est depuis peu seu-
lement que le gouvernement les fait cultiver pour eux par
des fermiers. Une lois par an , la troupe est exercée par
compagnies, par bataillons et par régiments. Le soldat sert
tant qu'il est apte au service. Cette organisation affermit
ViiiitiUT du militaire pour la patrie, et toujours l'armée
SUÈDE 373
« répartie », pourvu qu'elle fût bien commandée, a parfai-
tement rempli les missions qui lui étaient confiées. L'armée
« répartie » constitue l'élite de la puissance militaire du
pays (forte en 1853 de 33,400 hommes), tandis que l'ar-
mée permanente proprement dite se compose de troupes
(vxrfvade) recrutées ordinairement pour six ans et chargées
du service des garnisons dans les diverses places fortes. Jus-
qu'à présent on avait compris dans ces troupes 2 régiments
d'infanterie de la garde, chacun à 2 bataillons, l régiment
de chasseurs, 1 régiment des gardes à cheval , 1 régiment
de hussards et 3 régiments d'artillerie. Cependant, depuis
l'année 1812, il a en outre été introduit, par le système
de la conscription, l'obligation d'un service militaire général,
c'est-à-dire l'organisation d'une landwehr (bevxring)
dans laquelle doivent temporairement servir tous les hom-
mes âgés de vingt à vingt-cinq ans. Enfin, l'ile de Gothland
a encore sa milice particulière , mais qui est dispensée de
servir hors de l'île. Voici quel était en 1852 l'effectif de l'ar-
mée sur le pied de guerre : 85,000 hommes d'infanterie, di-
visés en 46 bataillons de ligne, 27 bataillons de réserve et 12
bataillons de dépôt; 5,564 hommes de cavalerie, formant
40 escadrons de ligne et 10 escadrons de réserve. A quoi il
faut encore ajouter la milice de Gothland et le reste de la
landwehr, formant 13,000 hommes; de sorte qu'en y
comprenant les soldats du train et des équipages l'armée
suédoise au grand complet présente une force de 116,000
hommes. En raison de l'organisation militaire que nous ve-
nons de faire connaître, le budget de la guerre est, toutes
proportions gardées, bien moindre en Suède que dans beau-
coup d'autres pays.
Avant 1853 la yZo^/e se composait de 10 vaisseaux de ligne,
8 frégates de 44 à52 canons, 8 bricks et corvettes de 10 à 12
canons, 6 schooners à 8 canons, 8 bâtiments pourvus de mor-
tiers, 22 bâtiments de transport, 256 chaloupes canonnières
et 12 bâtiments à vapeur. Les bâtiments de moindre gran-
deur forment ce qu'on appelle la scheerenjlotte, la flotte des
récils. Le personnel de cette flotte, qui présente un total de
24,000 hommes, se compose partie de marins faisant un
service permanent , partie de marins « répartis « , et partie
de marins produits par la conscription ou landwehr. La
flotte est commandée par 1 amiral, l vice-amiral et 6 contre-
amiraux. Le budget de 1851-1853 évaluait les dépenses gé-
nérales failes par le pays pour sa marine à 1,551,950 rigs-
dates de banque, et un crédit extraordinaire de 600,000
rigsdales avait en outre été accordé au gouvernement, puis
à la fin de 1853 un supplément de 240,000 rigsdales.
La Suède possède en outre un certain nombre de places
fortes, situées le plus généralement sur ses côtes, par
exemple les forts de Vaa:holm,àe Frederiksborg , etc.,
qui défendent Stockholm; Karlskrona avec Kungsholm,
le grand port miUtaire de la Suède, pourvu de docks et
et d'arsenaux ; Karlsborg ou Wanses , sur le lac 'Wetter le
grand dépôt de tout le matériel de guerre de l'armée et la
hase de ses opérations à l'intérieur ; Calmar, Christian-
stad, Gothenborg, etc., etc. Il existe dans tous les corps de
l'armée soldée des écoles régimentaires pour former les soldats
et les sous-officiers , ainsi que des écoles d'enseignement
supérieur pour former des officiers.
La situation financière de la Suède en général , par suite
des efforts faits par le feu roi , est très-satisfaisante , comme
le prouve cette circonstance que le pays n'a aucune espèce
de dette. D'après le budget de 1851-1853, les revenus pu-
blics étaient évalués à 12,470,040 rigsdales de banque.
Mais il ne faut pas perdre de vue qu'on n'y fait pas figurer
non-seulement une partie de l'armée , mais encore une foule
de fonctionnaires de l'ordre civil qui ont pour émoluments les
revenus de certains domaines de la couronn*^, qui ne figu-
rent point au budget. D'ailleurs, les recettes couvraient les
déi)enses. Les principaux articles du budget des dépenses
étaient : la liste civile 780,840 rigsdales, le département de
la justice 1,160,250 rigsdales, celui des affaires étrangères
325,650 F., celui de l'intérieur 888,160 r. , celui de I4
874
SUEDE
guerre 4,261,330 r. , celui de la marine 1,651 ,950fr. ,
celui des finances 1,756,250 r. , celui des cultes et de
l'instruction publique 1,194,980 r.; enfin, le chapitre des
pensions s'élevait à 650,260 rigsdales. Les crédits extraor-
dinaires accordés soit pour une seule fois , soit pour être ré-
partis sur les exercices 1851-1853, comprenaient 161,500
rigsdales pour la liste civile , 300,000 r. pour la justice
1,142,200 r. pour l'intérieur, 828,438 pour la guerre
600,000 r. pour la marine, 38,344 r. pour les finances
325,500 r. pour les cultes et l'instruction publiqueet 700,000 r
pour les pensions ; total : 3,405,986 r.
Comme dans les autres États Scandinaves, l'Église évan
gélique luthérienne est la religion de l'État, celle que le roi
doit professer. Toutes les autres confessions et religions ne
sont que tolérées; de sorte qu'il est défendu d'abandonner
la religion de l'État pour elles. A l'exception d'un petit
nombre de catholiques émigrés (environ 4,000 ), placés sous
l'autorité d'un vicaire apostolique, et d'un millier de juifs, la
totalité de la population professe le luthéranisme. L'Église
nationale a à sa tête l'archevêque d'Upsal et onze évêques, à
savoir : ceux de Linkœping, de Skara, de Strengnœs, de
Westeros, de Wexiœ, de Lund, de Gœtheborg , de Calmar,
de Karlstad, d'Hernœsand et de Wisby. La situation de l'ins-
truction publique est au total très-satisfaisante , quoique bon
nombre de paroisses manquent encore d'écoles fixes. Cet état
de choses tient à l'isolement et à la dispersion des habitalions
dans certaines provinces. C'est le motif pour lequel il existe
en Suède un enseignement domestique, surtout pour la reli-
gion et la lecture , enseignement donné par les parents à leurs
enfants. Tous les paysans savent lire, connaissent leur caté-
chisme et l'histoire de la Bible ; et le plus grand nombre sa-
vent aussi écrire. Il existe en outre un grand nombre d'écoles
secondaires , et les deux universités du pays sont Upsal et
L u n d. L'état moral des populations est aussi très-satisfaisant ;
toutefois, on remarque depuis quelques années un accrois-
sement notable dans la consommation de l'eau-de-vie ,
rendue en quelque sorte nécessaire par la nature du climat,
mais qui ne conduit que trop souvent au vice de l'ivrognerie.
On remarque aussi l'accroissement de la misère, résultat
qu'on peut attribuera la tendance de plus en plus prononcée
des capitaux à se concentrer en im petit nombre de mains.
Histoire.
L'histoire primitive de la Suède se confond avec celle de
toute la Scandinavie, et est complètement fabuleuse. Comme
dans les autres pays Scandinaves , il y existait à l'origine
une foule de tiibus , qui, malgré leur grande affinité, étaient
politiquement divisées. On ne saurait méconnaître deux
groupes principaux : les Goths au sud , et les Suédois au
nord. Mais il y avait en commun le sanctuaire national, le
temple d'Upsai, et, quelque jalouses que ces diverses tribus
fussent de leur indépendance , il y avait là le germe d'une
réunion plus compacte. Avec le temps, le roi d'Upsal parvint
à dominer les chefs moins puissants, qui furent successive-
ment exterminés. Le dernier roi de la race royale des Yng-
ling, qui tirait son origine de Niord , Ingiald Ilrada , en
cherchant à fonder une monarchie unique, périt dans
cette entreprise. Aux Yngling succéda , en Upland , la dy-
nastie des Skioldung, qui commence à Ivar Widfame, et
qui tirait son origine de Skiold, fils d'Odin. Erick Edmunds-
son, prince de cette dynastie, parvint, dit-on, vers la fin du
neuvième siècle de notre ère , à se rendre souverain uni-
que de la Suède. Déjà, à cette époque fabuleuse, on voit
les Suédois engagés dans de fréquentes guerres avec leurs
voisins les Norvégiens et les Danois, en même temps
que les côtes orientales de la Baltique devenaient dès lors
le théâtre de leurs entreprises maritimes, où ils fondèrent
des États {voyez Normands et Russie), tout comme les
autres Normands en fondaient en Angleterre et en France.
L'introdruction du christianisme commence à jeter un peu
plus de lumière sur l'histoire de la Suède. Dès l'an 829
saint Anschaire ou Ansgar avait tenté d'introduire le chris-
tianisme en Suède ; mais il fallut encore des siècles pour
que le triomphe de l'Évangile fût complet. Olof se fit bap-
tiser, il est vrai, vers l'an 1000; mais la lutte du paganisme
contre le christianisme se prolongea jusqu'au jour où, sous
le règne d'Ingiald ( 1080-1 1 12 ), la destruction, par le feu, du
temple d'Upsal décida de la victoire complète du christia-
nisme. La hiérarchie catholique se constitua dès lors insensi-
blement ; toutefois, cène fut qu'en l'an 1153 que la Suède
s'engagea à payer un impôt annuel au pape. Pendant ce
temps-là les Goths et les Suédois formaient toujours deux
nations ennemies, élisant chacune ses rois particuliers. En
outre , chaque province était considérée comme formant un
royaume à part, et avait ses lois propres. Les tribus de Goths
furent celles qui demeurèrent le plus longtemps attachées au
paganisme. Enfin , la fusion des deux nationalités s'opéra
en 1250, à l'avènement au trône de la famille des Foikung;
ce qui n'empêche pas que beaucoup d'inégalités provinciales
de ce temps-là se soient perpétuées jusqu'à nos jours. Sous
le règne du premier prince de cette race, Waldemar, on
fondaStockholm. Son frère Magnus (morten 1290), grand
partisan de la magnificence et des mœurs étrangères, créa
la noblesse proprement dite; mais par des lois sages il
protégea en même temps l'homme du commun contre l'ar-
bitraire des grands, et il se montra le protecteur du clergé.
H eut pour successeur son fils Birger. L'excellent tuteur
de ce prince, Torkel Knutson, fit des conquêtes en Fin-
lande; mais quand son pupille fut devenu majeur, celui-ci,
à l'instigation de son ambitieux frère, lui fit trancher la tête.
Le tuteur de son neveu et successeur. Mats Kettilsmund-
son , ne gouverna pas avec moins de succès. Profitant de
l'état d'impuissance où le Danemark se trouvait alors ré-
duit, il lui enleva, en 1332, la Scanie, Halland et Blekingen,
provinces que le faible roi , une fois majeur , restiti-'.a. Pen-
dantce temps-là, l'histoire intérieure delà Suède n'est qn'uue
suite continuelle d'atrocités et de luttes intestines, qui n'offre
que médiocrement d'intérêt. Les rois alors avaient des
luttes acharnées à soutenir aussi bien contre le clergé que
contre l'aristocratie, qui devenait de plus en plus puissante ;
luttes dans lesquelles ils eurent souvent le dessous. C'est
ainsi que Magnus, dont nous parlions en dernier lieu, fut
déposé avec ses deux fils, après que l'aristocratie, réduite à
fuirdevant lui, eut appelé au trône son neveu Albert de Meck-
lembourg (1363); ce qui ne l'empêcha pas de le récupérer
deux ans après. Son rè^ne fut sans énergie. Le riche dros-
sart du royaume, Bo Jonson Grip, qui possédait un tiers
de tous ses États, était en fait plus puissant que le roi lui-
même. Albert fut tué en 1389, dans une bataille livrée contre
les Danois, à qui ses sujets avaient demandé des secours;
et alors la reine de Danemark et de Norvège, Margue-
rite, réunit, en vertu de l'union de Calmar, du 17 juillet
1397, ces deux royaumes à la Suède. Mais celte union ne
put pas jeter de racines vivaces dans le peuple , parce
qu'elle fut maintenue exclusivement dans l'intérêt danois
et qu'elle avait pour base la mise à néant de l'indépendance
suédoise. Le désarmement du peuple, l'établissement d'im-
pôts écrasants et l'emploi des moyens les plus rigoureux
pour tenir en bride les populations récalcitrantes, tels furent
les actes qui caractérisèrent le règne de Marguerite, de même
que celui de son neveu, Erick XllI de Poméranie (depuis
1412). Enfin, le peuple sesouleva, en l434, sousles ordres du
généreux montagnard Engelbrecht, qui délivra du joug de
l'étranger une grande partie du royaume. Cet excellent ci-
toyen mourut assassiné , il est vrai, dès l'an 1486; mais le
roi n'en fut pas moins déposé, et, après s'être réfugié dans
le Gothland , fut réduit à vivre de la piraterie. Le grand-
maréchal du royaume, Karl-Knutson (Bonde), fut élu en
1430 administrateur du royaume ; mais dès 1441 ilse voyait
contraint de renoncer à ses fonctions. Christophe de Bavière,
neveu d'Erick XIII, monta alors sur le trône; mais sa qua-
lité d'étranger était déjà un obstacle à ce qu'il obtînt l'a-
mour du peuple; et il ne parut pas non plus beaucoup s'en
soucier. C'est sous son règne (jue fut adoptée une loi générale
SUÈDE
875
du pays, ou code, demeurée en vigueur jusqu'en 1734. A la
mort de Christophe, arrivée en 1448, les Suédois se sépa-
rèrent de l'union de Calmar, et élurent pour roi , sous le
nom de Charles VIII, l'ancien administrateur du royaume,
Karl Knutson.Mais les seigneurs temporels et ecclésiastiques
combattirent soq. autorité , notamment le puissant arche-
vêque Jœns Bengtson (Oxenstierna); et dès l'an 1450 l'u-
Djon de Calmar était renouvelée à leur instigation, en même
temps que l'on décidait que celui des deux rois qui survi-
vrait à l'autre réunirait les trois couronnes sur sa tête.
Battu dans sa lutte contre les Danois , Charles VIII se ré-
fugia, en 1457, à Dantzig ; et alors le roi des Danois, Chris-
tian I*', fut appelé au trône de Suède. Sa rapacité et son
avarice lui valurent de la part du peuple le sobriquet de
Poche sans fond. A la suite d'une insurrection , il lui fal-
lut, en 1464, renoncer au trône de Suède, qu'on restitua au
banni Charles VIII, lequel toutefois se voyait encore l'année
d'après forcé d'y renoncer. Christian cette fois ne recouvra
pas la couronne. L'un des partis en présence élut pour ad-
ministrateur du royaume i'évêque Kottil (Wasa), dont
l'oncle , Jœns Bengtson , fut fait prince du royaume. L'autre
parti , ayant à sa tête les familles Sture et Tott , opéra le
rappel de Charles VIII, qui se trouva donc appelé pour la
troisième fois à gouverner; et il réussit à se maintenir jus-
qu'à sa mort, arrivée en 1470. Pour le cas où il viendrait à
mourir, il avait nommé administrateur du royaume son
neveu Sten Sture, qui sans être roi exerçait toutes
les prérogatives de la royauté. Il eut pour successeur dans
cette dignité Svante Nilsson Sture, issu d'une ancienne fa-
mille, celle de Natt-och-Dag (1512-1520) ; après quoi, le roi
de Danemark , Christian II , fut reconnu en qualité de roi
de Suède. A peine celui-ci eut-il pris possession du trône ,
qu'il se débarrassa traîtreusement des plus nobles et des plus
considérés d'entre la nation, au moyen du massacre dit de
Stockholm , afin de pouvoir établir son pouvoir absolu sur
les ruines de l'aristocratie.
Irrités d'un tel attentat, les Suédois se soulevèrent contre
le tyrannique Christian II, sous la conduite de Gustave Wasa,
neveu de Sten Sture l'ancien, qui fut élu administrateur du
royaume, en 1521, puis roi en 1523. L'union de Calmar
cessa ainsi pour toujours. Gustave P"^ brisa le pouvoir
du clergé, introduisit peu à peu et avec une grande pru-
dence la réformation; de sorte que ce ne fut qu'assez tard
que le peuple s'aperçut qu'il avait cessé d'être catholique.
Les couvents et les biens ecclésiastiques confisqués , non
sans qu'on procédât parfois dans ces confiscations avec une
rigueur extrême, enrichirent considérablement l'État. Cela,
joint à l'enlèvement des cloches des églises, aigrit les Da-
lécarliens, qui se révoltèrent à trois reprises. Gustave eut en
outre à lutter contre la noblesse du Weslgothland, contre le
peuple du Smoland, ayant à sa tête le rebelle Dacke, enfui
contre les Lubeckois , qui prétendaient obtenir une liberté
de commerce illimitée. 3Iais doué d'un caractère ferme et
énergique, Gustave parvint à triompher de tous ces obstacles
et à rendre enfin le trône héréditaire dans sa race. A sa
mort, sonfils aîné,Erick XIV (15C0-1568), lui succéda sans
contestation. Plus tard ce prince ne réalisa pas les espé-
rances qu^avait fait concevoir le début de son règne ; et de-
venu .à moitié insensé , il fut chassé du trône par ses frères.
La couronne fut portée ensuite par Jean III , prince sous le
règne duquel la papauté, comme l'aristocratie sous celui de
ses prédécessseurs , éleva de nouvelles prétentions. Les hé-
sitations de Jean entre les deux Églises , sa tendance à con-
fondre les pratiques de l'une et de l'autre , et la faveur qu'il
accordait aux jésuites , favorisèrent les prétentions du saint-
siége. Aux termes de la paix signée en 1570, à Stetlin, il s'é-
tait vu contraint d'abandonner au Danemark les anciens
droits de la Suède sur la Scanie, Halland et Blekingen. Il
était menacé de voir un soulèvement général éclater contre
lui, quand il mourut, en 1592. Il eut pour successeur son
fils Sigismond , prince qui faisait ouvertement profession
de la religion catholique, que les Polonais avaient élu roi en
1587 , et qui alors avait été obligé de jurer qu'il protégerait
et maintiendrait la religion protestante en Suède. Comme
il était haï du peuple, à cause de son lèle pour le catholi-
cisme, son ambitieux oncle, Charles, protestant ardent, n'eut
pas de peine à le détrôner, en 1602, et à se faire couronner
roi, en 1604, sous le nom de Charles IX. Celui-ci consolida
l'Église luthérienne, comprima la noblesse par de sanglantes
exécutions , créa l'exploitation régulière des mines, et fit un
grand nombre de règlements utiles. Dans ses querelles avec
la Russie , la Pologne et le Danemark , il fut d'abord peu
heureux ; mais ensuite la chance tourna , et il faillit même
voir son fils cadet proclamé tzar de Russie. Apiès sa mort,
arrivée en 1611, son fils Gustave II Adolphe mit heureu-
sement fin à ces diverses guerres; et les exploits de ce
prince forment l'une des plus belles pages de l'histoire de
Suède. Les dix-neuf premières années de son règne furent
employées en guerres contre la Pologne et la Russie. Après
avoir triomphé des Polonais, des Russes et des Danois,
et après avoir fait de la Pologne la première puissance du
Nord, il commença, dans l'intérêt du protestantisme, au-
quel se rattachait étroitement l'existence de la royauté sué-
doise , une lutte contre la maison de Habsbourg, dont le
récit appartient à l'histoire d'Europe (voyez Trente Ans
[Guerre de]). Sa brillante carrière, qui promettait de faire
de lui l'arbitre des destinées de l'Allemagne, se trouva brisée
par sa mort, arrivée le 6 novembre 1632, dans les champs
de Lutz en. Ses triomphes avaient d'ailleurs imposé de lour-
des charges à la Suède. Plusieurs impôts, prélevés encore
aujourd'hui sur chaque métairie , furent alors consentis par
la diète à titre de contributions de guerre , et ont toujours
subsisté depuis. Ses actes eurent aussi une influence du-
rable sur la situation intérieure du pays. Gustave- Adolphe
fonda des collèges, des gymnases et l'université de Dorpat;
il fit don à l'université d'Upsal de tous ses biens de famille;
il imprima un vif essor à l'industrie minière, au commer-
ce, etc. Parla position qu'elle prit dans ces guerres, par les
richesses qu'elle acquit en Allemagne, l'arisiocratie arriva
à exercer une influence prépondérante dans l'État. Ce fut
encore autrement le cas lorsque la reine Christine, alors
encore mineure, succéda à son père sous une administra-
tion de tutelle présidée par Axel Oxenstierna. Christine
étant devenue majeure, en 1644, prit elle-même les rênes de
l'État; elle s'entoura d'une cour brillante, et par ses dons
déterres à la noblesse elle ajouta encore à la prépondérance
de cette caste privilégiée. Les victoires remportées par
Tortenson amenèrent, en 1645, la condusion du traité de
paix de Bromsebrœ , par lequel le Danemark dut aban-
donner à la Suède les provinces de Ja;mtland et de Herje-
dalen, avec les îles de Gottland et d'Œsel,en môme temps
qu'il lui cédait Halland pour vingt-cinq ans, et exemptait les
navires du commerce suédois des droits du Sund. La paix
de Westphalie valut à la Suède les duchés allemands de
Bremen et de Verden , la Poméranie et Wismar, et son
admission au nombre des États de l'Empire.
Le mécontentement général qui régnait parmi les popu-
lations détermina, en 1654, la reine Christine à abdiquer en
faveur de sou cousin, le comte palatin de Deux-Ponts, qui
monta sur le trône sous le nom de Charles X Gustave. Ses
audacieuses expéditions contre la Pologne , la Russie et le
Danemark étonnèrent le monde; et les conquêtes qu'il fit
sur la dernière de ces puissances sont les seules que la
Suède ait conservées. 11 mourut en 1600, et eut pour succes-
seur son fils, encore mineur, Charles XI. La reine douai-
rière, Hedwige-Éléonore, le chancelier de La Gardie et quatre
autres sénateurs, prirent les rênes du gouvernement. Par la
paix signée à Roskild (1658) avec le Danemark, Charles-
Gustave avait accru la Suède de Drontheim et de Bornholm,
de Blekingen, de la Scanie et de Halland. Le gouvernement
de tutelle conclut, en 1660, avec la Pologne la paix d'Oli va,
qui adjugea à la Suède toute la Livonie jusqu'à la Duna ; avec
le Danemark, celle de Copenhague, par laquelle cette puis-
sance récupéra Drontheim et Bornholm; enfin, en 1661, sur
376
SUÉDE
3es bases de îa paix de Stolbow, un Irailé avec la Russie.
Quand, en 1672, Charles XI prit lui-même les rênes de l'É-
tat, il se laissa aller à contracter avec la France, contre le
Danemark et le Brandebourg, un traité d'alliance très-défavo-
rable à Ja Suède. Toutefois , la paix de Saint-Germain et le
traité de Lund de 1679 ne lui firent perdre que la partie de la
Poraéranie située au delà de l'Oder. Les finances du pays
étaient dans une situation déplorable; les revenus ne suffi-
saient plus à couvrir les dépenses. Il en résulta qu'on accueil-
lit enfin les très-justes réclamations élevées par l'ordre des
paysans relativement à une reprise (rerfuc^ion ) des domaines
arrachés à la couronne ; mais la manière illégale dont on l'exé-
cuta rendit cette mesure odieuse. Par la réduction qu'opéra
Gustave Wasa, environ 20,000 métairies, dont le clergé avait
réussi à s'emparer, avaient fait retour à l'État; par celle que
Charles XI exécuta en 1680, l'État récupéra vingt comtés,
soixante-dix baronnies et une grande quantité de domaines no-
bles et de métairies appartenant à la couronne, dont la no-
Idesse se trouvait en possession tantôt en vertu de concessions
royales, tantôt en vertu de prétendues acquisitions. Cette ré-
duction, à l'exécution de laquelle présidèrent beaucoup de
haines particulières et l'esprit de parti, entraîna la ruine d'un
grand nombre de familles distinguées. Depuis les cent seize
annéesqui s'élaientécoulées à partir delà mort de Gustave P"",
la Suède avait eu à soutenir des guerres presque continuelles,
qui souvent lui avaient valu de la gloire et de la considéra-
tion à l'extérieur. Maintenant elle avait besoin de repos , et
Charles XI employa ce repos au développement de sa pros-
périté intérieure. Il créa la plupart des forteresses que pos-
sède aujourd'hui le pays, la ville de Karlskrona avec ses
docks et ses chantiers; il réorganisa l'armée, la banque du
royaume et l'université de Lund; il fit des lois nouvelles,
et construisit le château de Stockholm ainsi que divers
autres édifices. Dans les années 1695 et 1696, où il y eut in-
suffisance de récoltes, il donna aux pauvres 110,000 ton-
neaux de blé ; et à sa mort le trésor de l'État contenait phi-
sieurs millions de rigsdales, qu'il comptait employer au profit
du pays. Sous le règne de son fils et successeur C hur-
les XII ( 1697-1718), qui, malgré son esprit de domina-
tion et son opiniâtreté, a laissé une mémoire chère au peuple
suédois, commença la guerredu Nord, qui épuisa tellement
la nation qu'il lui fallut près d'un siècle pour pouvoir s'en re-
lever. Depuisl'an 1700 jusqu'à la bataille de Pultawa,laSuède
mit 400,000 hommes sous les armes; et peu de temps avant
îa mort du roi on calculait qu'elle avait perdu près d'un
demi-million d hommes sur les champs de bataille. Si après
des efforts inouïs la Suède put encore mettre sur pied une
armée de 70,000 hommes parfaitement organisée, Char-
les XII ne dut un tel résultat qu'à la constance et à la fidé-
lité inébranlables qui forment le fond du caractère national
suédois. Si ce roi, si actif et si énergique , avait eu des idées
plus justes sur ce qui constitue la véritable grandeur, s'il s'é-
tait plus occupé du bien-être et de la prospérité de la Suède,
les destinées de ce pays eussent évidemment été bien diffé-
rentes.
A partir de la mort de Charles XII, en 1718, jusqu'à la ré-
volution de 1772, et surtout depuis l'année 17S9, la Suède
fut le théâtre des luttes des partis qui sous l'influence tanlôt
de la France, tantôt de la Russie, ou encore de l'Angleterre,
s'agitèrent dans les diètes sans que jamais on songeât au
bien réel du pays. A Charles XII succéda sur le trône sa
sœur cadette, Ulrigue-Éléonore, moins par droit d'héré-
dité que par la libre élection des états, qui rétablirent l'an-
cienne forme de gouvernement, en ayant soin d'entourer
d'entraves plus gênantes l'exercice de la puissance royale.
Son mari était Frédéric de Hesse-Casscl , qui, du consen-
tement des états, prit les rênes du pouvoir en 1720 et les
conserva jusqu'en 1751. Prince faible , il fut constamment
/e jouet des partis existant au sein de la noblesse; et le
sénat parvint à se rendre indépendant. Cette époque fut
aussi remph'e de guerres sans fin et de traités de paix mai-
faeureux. La paix de Stockholm (1719) coûta à 'a Suède
Bremen et Verden , qu'elle dut abandonner à l'électeur da
Hanovre, et Steltin avec la Poméranie antérieure uisqu'à la
Paene, à la Prusse; la paix de Nystaedt (1721) lui enleva
la Livonie, l'Esthonie, l'Ingrie et une partie du Ixn de Wi-
borg, cédées à la Russie; enfin, par la paix qu'elle conclut avec
le Danemark en 1720 à Fredericksborg, elle dut se soumettre
de nouveau au péage des droits du Sund. A l'instigation de
quelques têtes chaudes du parti des chapeaux, et con-
trairement à l'avis et aux vœux du roi , on commença ,
pour reprendre à la Russie les provinces qu'on avait été
forcé de lui céder, une nouvelle guerre, qui fut mal coaduite
et qui se termina en 1743, par le traité d'Abo, honteux pour la
Suède, à laquelle il enlevait une partie de la Finlande jusqu'au
Kymène, et qui, la reine n'ayant point d'enfants, assurait le
trône au duc Adolphe-Frédéric de Holstein, évêque de Lu-
beck, proche parent de l'impératrice de Russie. Sous le règne
de ce prince (1751-1771 ), la Suède prit en 1757 une faible et
inutile part à la guerre de sept ans. A l'intérieur, les deux
factions connues sous les noms de chapeaux et de bonnets
ébranlèrent l'État, et réduisirent la puissance royale à ne
plus être qu'une ombre. Lorsque Gustave III succéda en
1771 à son père, son premier soin (en 1772) fut de briser les
chaînes dans lesquelles le tenait enlacé une toute-puissante
aristocratie. 11 entreprit aussi contre la Russie une guerre,
qin' ne fut pas sans gloire si elle resta sans résultats ; en
1789 il agrandit encore les prérogatives de la couronne, mais
il périt en 1792, victime d'une conspiration. Son fils Gus-
tave I V A d o 1 p h e lui succéda, sous la tutelle de son oncle,
le duc de Stidermanie, et perdit la couronne à la suite de la
sanglante révolution de 1809 , qui donna le trône au duc de
Sudermanie, sous le nom de Charles XI II. Celte révolution
mit fin à la lutte entre la monarchie et l'anarchie aristocrati-
que; en s'eft'orçant de consolider autant que possible la puis-
sance royale, et en même temps d'accorder au peuple des ga-
ranties suffisanles pour le maintien de ses droits et de ses
libertés, elle crut avoir donné au pays une constitution sa-
tisfaisant à tous ses besoins. Quand la race royale de Wasa
se trouva près de s'éteindre, après trois cents ans de durée,
et qu'une nouvelle élection royale fut devenue nécessaire,
on élut le prince Christian-Auguste deSchleswig-Holstein-
Sonderburg-Augustenburg, qui prit le nom de Charles-
Auguste, comme héritier présomptif de la couronne. Le
17 septembre 1809, on conclut avec la Russie, à Fredericks-
ham, un trailé de paix par lequel on céda à cette puis-
sance toute la Finlande jusqu'au ïornco et au Munio, avec
les îles d'Aland; le 10 décembre 1809 un autre traité
intervint à Jnenkœping avec le Danemark; enfin, un troi-
sième traité, signé le 6 janvier 1810, à Paris, avec la
France , stipida l'accession de la Suède au système conti-
nental. Pendant ce temps-là , le prince royal étant venu
à mourir de mort subite , la diète d'Œrebro élut pour héri-
tier du trône le maréchal de France Bernadotte, que
Charles Xlll adopta, sous les noms de Charles-Jean. Sur
les instances de Napoléon , la Suède dut déclarer la guerre à
l'Angleterre ; mais les souffrances qu'entraînait cet état de
guerre et les prétentions toujours croissantes de la Franee
déterminèrent en 1812 la Suède à changer de système et à
faire cause commune avec les puissances coalisées contre
Napoléon. Aux termes de la paix conclue à Kiel, le 14 jan-
vier 1814, avec le Danemark, cette puissance dut céder la
Norvège à la Suède, qui de son côté abandonna ce qui lui
restait encore de la Poméranie ainsi que l'île de Rugen.
Charles XIV Jean, qui monta sur le trône en 1818 à la
mort de Charles XIH , s'efforça avant tout de cicatriser les
nombreuses plaies du pays. De vastes territoires, déserts
jusque alors, rendus à la culture, des encouragements de
tous genres donnés au commerce et à l'industrie, la construc-
tion d'un grand nombre de routes et de canaux , la création
d'écoles de navigation et d'industrie, tels sont les services
rendu» par ce roi au pays; et cependant il ne réussit jamais
à se faire complètement adopter par le pays. En Norvège
il excita le mécontentement populaire en s'efforçant de sou»
SUÈDE
877
mettre ce pays à l'autorité directe de la couronne ; en Suède
le roi se trouva souvent en opposition avec le vieil esprit
des traditions nationales, et ne sut pas complètement dé-
pouiller le caractère et les habitudes de l'ancien maréchal
de France. Quelques symptômes de mécontentement et des
indices annonçant que les masses conservaient encore de
l'attachement pour la dynastie expulsée le décidèrent à re-
courir à une police rigoureuse, à établir la censure, et à se
jeter de plus en plus dans les bras de la Russie; politique
contraire aux traditions nationales, et dans laquelle le peu-
ple vit en outre avec peine le résultat de secrètes tendances
aristocratiques. 11 fut impossible au roi de se mettre d'ac-
cord avec la diète au sujet de diverses réformes jugées né-
cessaires. La faute provenait, d'une part, de toute l'organi-
sation de ce corps politique et de l'opposition de la noblesse,
et de l'autre des défiances du roi et de sa répugnance pour
toute concession de nature à diminuer son autorité. Aussi
sous son règne les différentes diètes présentèrent-elles l'afli-
geant spectacle de longs débats suivis de résultats à peu
près nuls. Le roi lui-môme finit par devenir de plus en
plus sensible et plus irritable contre l'expression de l'opinion
publique, alors même que l'opposition qui se manifestait
contre lui ne méritait pas qu'on y attachât tant d'impor-
tance [voyez Crusenstolpe). Les procès de presse qui en ré-
sultèrent (notamment dans l'été de 1838) provoquèrent dans
la capitale des scènes tumultueuses, qui fournirent aux in-
fluences réactionnaires sous lesquelles se trouvait le roi de
nouveaux motifs de défiance à l'égard des dispositions de
l'esprit public. Cependant, il semblait que legoiivernement
en viendrait peu à peu à donner lui-même l'impulsion à une
réforme de la constitution; mais les négociations entamées
à ce sujet depuis 1841 ne furent pas de nature à faire espérer
la solution de ces dilficultés. Charles-Jean mourut le 8 mars
1844, et eut pour successeur son fils Oscar I". La nalion
accueillit l'avènement de ce prince avec joie, et conçut les
espérances les plus favorables. Sans se laisser émouvoir par
la protestation du prince Wasa, il débuta par rendre libres
les relations avec la dynastie proscrite, jusque alors sévè-
rement interdites, et donna une attention toute particulière
k la question de la réforme de la constitution. Quand la diète
se réunit en juillet, le projet de réforme proposé en 1 840 par
le comité de constitution fut mis en délibération. Il obtint une
grande majorité dans l'ordre des paysans et dans celui de la
bourgeoisie ; mais il fut repoussé par le clergé et par la no-
blesse. De son côté, le gouvernement déclara qu'il regardait
la réforme comme nécessaire, et mit en demeure la diète
d'avoir à délibérer sur de nouveaux projets qu'on annonçait ;
mais l'affaire en resta là. Par contre, le roi exécuta (1845)
une réforme de la législation criminelle et, non sans une
vive résistance de la part de la noblesse, une modification
de la loi de succession qui établit un droit de succession
commun à tous les ordres et à toutes les familles. L'année
suivante, le gouvernement prit lui-môme l'initiative sur l'af-
faire de la constitution, et fit nommer une commission com-
posée de membres des différents ordres, à l'effet d'étudier la
question de la représentation. Des réformes matérielles, telles
que l'abolition du système des corporations, des encourage-
ments donnés au commerce et à l'industrie, les préparatifs
à faire pour créer des voies ferrées, eurent lieu en môme
temps. Dans l'été de 1847 la commission nommée avait
terminé ses travaux, et la diète se réunit le 13 novembre.
La révolution de Février 1848 la surprit au milieu de ses
travaux ; et cet événement ne laissa pas que d'avoir aussi son
contre-coup en Suède. Il y eut à Stockholm des démonstra-
tions populaires; de nombreus(is associations pour la ré-
forme de la constitution présentèrent des pétitions où l'on
demandait qu'on s'occupât promptement de cette grave
question. Le premier résultat de cette agitation fut un
changement (avril) de ministère dans le sens du libéra-
lisme et la promesse d'une prompte décision au sujet de la
réforme de la constitution. Dès le 2 mai suivant on soumet-
lait à la diète le projet relatif à une nouvelle représentation
nationale, aux termes duquel il ne devait plus y avoir
que deux chambres, toutes deux produit de l'élection: la
première composée de cent vingt membres, dont le mandat
aurait eu dix ans de durée ; la seconde composée de cent cin-
quante membres, qu'on élirait pour chaque diète. Comme
corollaire, on ajoutait la périodicité triennale de la diète, et un
droit électoral aussi large que libéral. Ce projet fut accueilli
par le comité de constitution ; mais la décision définitive
fut réservée à la plus prochaine diète. Pendant ce temps-là
étaient survenues de graves complications extérieures , la
lutte entre l'Allemagne et le Danemark, lutte à laquelle la
Suède crut ne pas devoir rester étrangère. Depuis plusieurs
années il s'était manifesté dans la nation, surtout dans la
jeunesse, des tendances à l'unité Scandinave, qui avaient eu
pour résultat d'adoucir les vieilles haines nationales existant
entre les Suédois et les Danois, et qui avaient contribué à
rendre la cause du Danemark populaire en Suède. Le gou-
vernement lui-même, quoique peu favorable à l'agitation
Scandinave, dut suivre cette direction , surtout parce que la
Russie eut recours à tous les moyens, notamment à une
visite du grand-duc Constantin en personne à Stockholm ,
pour déterminer le gouvernement suédois à se déclarer en
faveur du Danemark. Une étroite alliance fut donc conclue
entre la Suède et le Danemark ; alliance en vertu de laquelle
des troupes suédoises partirent pour la Fionie en même temps
que toute la politique suédoise annonçait aux puissances al-
lemandes que la Suède allait prendre une part active à la
lutte contre l'Allemagne. Mais l'intérêt pour la cause danoise
ne tarda point à se refroidir en Suède même; et en 1849 le
Danemark fit de vains efforts pour déterminer cette puissance
à une coopération active. La Suède resta neutre. En consé-
quence, lors de la conclusion de l'armistice du 10 juillet 1849,
ce fut à elle qu'on confia l'occupation de la partie nord du
Schleswig. Dans les affaires intérieures du pays, il n'inter-
vint rien de décisif, ainsi qu'on a\irait pu s'y attendre à la
suite de l'agitation de 1848. Quand la dièle se réunit en no-
vembre 1850, le gouvernement lui soumit un projet qui
mettait fin à la division en quatre ordres et au droit de la
noblesse de se repn senter elle-même. Mais cette propo-
sition ne réunit la majorité que dans la chambre de la Iwur-
geoisie, et fut rejetée par les autres chambres. Il en résulta
une modification dans le ministère, et un nouveau délai ap-
porté à la solution de cette question tant disculée. En général,
le zèle conservateur sembla avoir pris des forces nouvelles
dans les hantes classes : ainsi, dans les délibérations relatives
aux juifs et à leurs droits, il fut impossible de méconnaître
un recul vers les temps passés. Cependant, le gouvernement
s'appliqua de son mieux à favoriser le développement
des intérêts matériels du pays. Il améliora le système de
défense , encouragea la construction de chemins de fer, et
chercha à préparer l'abolition des droits du Sund. Mais la
maison royale fut cruellement éprouvée par plusieurs graves
malheurs. Le mariage du prince royal (1850) avec la prin-
cesse Louise d'Orange, fille du prince Guillaume-Frédéric
des Pays-Bas, de même qu'en 1851 la naissance d'une prin-
cesse et en décembre 1852 d'un prince héritier de la cou-
ronne (mais qui mourut le 13 mars 1854) issus de cette
union, excitèrent une vive joie dans le pays et accrurent
encore la grande popularité du prince héritier de la cou-
ronne. La douleur publique n'en fut que plus profonde et
plus générale lorsqu'au retour d'un voyage en Allemagne
et en Sui.sse, le roi lui-même tomba gravement malade,
tandis que son second fils, le prince Gustave, duc d'Upland
( né en 1827), mourait à la suite d'une courte maladie, peu de
temps après le retour de son père (24 septembre 1852). La
maladie du roi fut si longue, qu'il fallut établir une commis-
sion de gouvernement, et qu'il ne put reprendre la direc-
tion des affaires qu'au bout de quelques mois (avril 1853).
De nouveaux soucis lui étaient réservés. Indépendamment du
choléra qui vint alors ravager la Suède, il se préparait une
tempête politique aux suites de laquelle la Suéde ne pouvait
se soustraire. Les embarras de la question d'Orient, la guerre
878
SUP:DE — SUÉDOISES
qui avait éclaté entre la Russie et la Turquie, et qui menaçait
les puissances occidentales, eurent aussi leur contre-coup en
Suède. Le gouvernement suédois, par un traité de neutralité
conclu avec le Danemark , chercha d'abord à se mettre à
l'abri d'une intervention forcée dans ce conflit, tout en
faisant d'ailleurs des armements extraordinaires et en de-
mandant à la diète, au mois de novembre 1853, de mettre
à sadisposition un crédit extraordinaire de quatre millions de
rigsdales à employer à la défense du pays et à se préparer à
toutes les éventualités. Quand , dans le courant de l'année
1854, les flottes des puissances occidentales se montrèrent
sur les côtes de la Suède, le cabinet de Stockholm chercha
encore à garder la neutralité et à conserver son attitude
expectante. Dans la nation, au contraire, il se manifesta un
esprit anti-russe des plus prononcés, et on parla alors avec ar-
deur de la reprise de la Finlande. La politique des puissances
belligérantes de l'ouest s'attacha d'autant plus à seconder
ce mouvement des esprits, qu'elle comprenait que ses propres
succès dans les mers du Nord dépendaient de l'appui énergique
et sympathique des forces de terre de la Suède. A la (in
de 1855 intervint entre la France, l'Angleterre et la Suède
un traité par lequel cette dernière puissance s'engagea à ne
céder à la Russie, ni à échanger avec elle, non plus qu'à lui
permettre d'occuper aucune partie de son territoire; et en
vertu duquel, si la Russie prétendait occuper une partie
quelconque du sol suédois, la France et l'Angleterre s'obli-
geaient à mettre à la disposition de la Suède les forces néces-
saires pour résister aux prétentions ou aux agressions de la
Russie. Quelque vagues que fussent les termes de ce traité,
il équivalait évidemment à un traité d'alliance offensive et
défensive conclu avec les puissances occidentales et à l'ac-
cession de la Suède à la coalition provoquée par la question
d'Orient contre la Russie. Le rétablissement de la paix
générale , par le traité de Paris de 1856, l'a rendu inutile.
SUÉDOISES (Langue et Littérature). Comme la lan-
gue danoise, la langue suédoise appartient aux langues ger-
maniques, et parmi celles-ci aux langues germaniques du
Nord ou Scandinaves , à l'égard desquelles elle forme un dia-
lecte particuher, différant du dialecte norvégien. Ses plus
anciens monuments, qui consistent dans un grand nombre
d'inscriptions runiques datantdudixième ou du quatorzième
siècle ( au nombre d'environ 1450 , c'est-à-dire les sept hui-
tièmes de tout le trésor de runes Scandinaves), n'offrent, en
raison de leur prononciation, extrêmement simple, et de leur
contenu borné , rien de bien caractéristique. On acquiert une
idée plus exacte de sa nature par la riche littérature parvenue
jusqu'à nous dans une foule de lois provinciales, de chro-
niques en prose ou runes, de légendes et de traductions
datant du treizième, du quatorzième et du quinzième siècle.
L'ancien suédois , ainsi qu'on peut appeler la langue de
cette époque, par opposition au nouveau suédois, qui s'est
développé de,puis l'époque de la réformalion , quand on le
compare à l'ancien norvégien-islandais, n'offre d'abord que
peu de différences sous le rapport de la prononciation, de la
gr^ammairc et des mots ; mais bientôt se font sentir des in-
fluences extérieures, qui modifient de plus en plus la forme
primitive de la langue. L'adoption du christianisme (après
l'an lObO) et la connaissance de la langue latine, qui en fut
la conséquence, en même temps que son écriture rempla-
çait l'écriture runique, jusque alors en usage, et était d'une
certaine importance pour la prononciation , eurent pour
résultat d'enrichir le trésor de mots pour la forme comme
pour le contenu , mais aux dépens de la pureté de la langue
primitive; et ce fut encore bien autrement le cas lorsqu'à par-
tir du milieu du treizième siècle l'allemand, par suite des
nombreux rapports politiques ainsi que des actives relations
commerciales de la Suède avec les côtes allemandes de la
Baltique, puis à partir du quatorzième siècle le danois , à la
suite de l'union de Calmar, il s'y introduisit un grand nombre
d'éléments nouveaux. Modifiée par une foule de mots et de
locutions étrangers et si différents, affaiblie dans ses termi-
naisons de flexion et déiigurée par la plus arbitraire des or-
thographes , elle tomba peu à peu dans un état de barbarie
qui atteignit son apogée dans la première moitié du seizième
siècle. Ce fut l'époque de transition entre l'ancienne et la
nouvelle langue suédoise. Indépendamment du français, dont
le rôle est plus récent, les langues allemande et danoise, la
première notamment à la suite de la réformation et de la
guerre de trente ans, de même que par l'étude continuelle
qu'on fit de sa science et de sa littérature, exercèrent une
influence décisive sur la formation de cette nouvelle langue.
D'un autre côté, les efforts constamment faits pour épurer la
langue par une fouk d'hommes distingués, tels qu'Andréas et
les frères Pétri dans leurs traductions de la Bible, Stern-
hjelm, réformateur de la littérature suédoise, Lends-
kjœids, etc. , etc. , et même par les rois du pays depuis Gustave
Wasa jusqu'à Gustave- Adolphe, qui parlait et écrivait sa
langue maternelle avec une grande supériorité ; et l'appari-
tion d'une littérature nationale, tout cela contribua puis-
samment à diriger le développement de la langue d'une ma-
nière conforme à son origine et à son génie et à lui donner
depuis le commencement du siècle dernier un haut degré de
force intime et de maturité. La langue suédoise, telle que
nous la présente aujourd'hui une riche littérature , et qui ,
outre le royaume de Suède et ses lies, est parlée encore
dans les villes de la Finlande, sur les côtes de l'Esthonie et
à Runœ, est reconnue comme une des langues les plus har-
monieuses de l'Europe moderne, et comme étant aux langues
germaniques ce que l'italien est aux langues romanes. Parmi
les dix dialectes qu'on y compte, et dont plusieurs servirent
dès le treizième siècle à la rédaction de lois provinciales, on
doit surtout citer (outre celui de la province de Sudermanie,
duquel provient la langue écrite et parlée d'aujourd'hui ) le
dialecte de la province de Dalarne et celui de l'île de Gothiand,
qui tous deux ont un cachet d'antiquité tout particulier. La
meilleure grammaire suédoise , celle qui répond le plus com-
plètement aux exigences de la science moderne, est la gram-
maire de Rydquist {Svenska Sprokets Lagar; Stockholm,
1852). La Svenska Sproklxra de Strœmborg (Stockholm,
1852 ) est un fort bon abrégé. Dans son livre intitulé Bet
Danske, JSorske og Svenske Sprog Historié (2 vol., Co»
penhagiie, 1830), Petersen a tracé l'histoire de la langue
suédoise jusqu'au dix-septième siècle.
C'est dans les Folkvisor qu'il faut aller chercher le véri-
table début de la littérature suédoise, dans ces romances
du Nord qui en se rattachant aux traditions mythiques re-
montent au delà de l'époque chrétienne, et qui datent ce-
pendant pour la plus grande partie des quatorzième et quin-
zième siècles, mais qui en subissant diverses transformations,
tantôt diminuées dans leur contenu, tantôt augmentées de
nouveaux poèmes composés à leur imitation, se conservèrent
pendant plusieurs siècles dans la mémoire du peuple. La
Folkvisa, dans sa plus ancienne forme (comme Kxmpevisa)
fut dans le cours du douzième et du treizième siècle le déve-
loppement des timour islandais (voyez Scandinaves [ Lan-
gues et Littératures]). Destinée comme ceux-ci surtout à être
chantée, en forme de strophe et avec des limes finales gé-
néralement alternantes , elle raconte les hauts faits d'illus-
tres ancêtres. Tandis qu'elle porte encore l'empreinte d'une
vive admiration pour une époque héroïque qui n'est plus,
avec un caractère qui touche souvent à la grossièreté et au
monstrueux , la Eiddarvisa, sous l'influence de l'Église et
de ses saints, avec les formes ultérieurement produites par
la chevalerie, porte un caractère beaucoup plus adouci. A
côté de l'élément épique, qui y domine toujours, se place un
élément lyrique, qui se manifeste soit dans toute la nature
de la composition, soit encore dans un mode particulier de
rimes répétées; mais ce qui les anime toutes, c'est toujours
la mélodie du chant, qui fut inventée en même temps et
qui en est inséparable. On en possède des collections faites
par Geijer et Afzelius(SM)ensAaiï'oZAt>i5or; 2 vol., Stockholm,
1814-1816 ) , par Atterbom ( Nofdmannaharpan ; Upsal ,
181G), par Arwidson {Swenska Forn songer ; 3 vol., Stock-
holm, 1834-1848), par Afzclius {A/sked a/ Swenska
SUÉDCISES
Folksharpan ; Stockholm, 1849), par Cavallius et Stephens
(Sveriges historiska och politiska Visor ; Œrebro, 1S53).
Ce qu'on possède en fait de monuments écrits de l'époque
qui précéda la réformation ne remonte pas au delà du
treizième siècle. Il consiste, outre les lois provinciales, en
chroniques et en traductions tantôt d'ouvrages bibliques
et théologiqnes, tantôt de romans étrangers. En fait de lois,
les plus anciennes sont le Vestgœtalag el V Upplandslag .
VŒstgœùalag , leDalalag, VHelsingalag ,le Vestman-
nalag, le Goitlandslag , etc., datent delà première moitié
du quatorzième siècle, et ontété publiées par Schlyter. Pour
l^époque, et jusqu'à un certain point pour le contenu, il faut
encore citer le livre intitulé Om Konunga Styrelse och
Hœfdinga , espèce d'ancien « Miroir royal » suédois ( pu-
blié par Bure, Stockholm, 1634 ) , et les Révélations de
sainte Bridgitte , écrites par son confesseur Matthias , à
qui l'on est aussi redevable de la plus ancienne traduction
de la Bible en suédois. Le plus ancien livre de médecine est
écrit en langue allemande , et date de 1317. En fait de chro-
niques , les plus importantes à citer, tant pour le contenu
que pour l'étendue, sont la chronique en prose de Messe-
nius, qui la publia en 1615; puis la grande et la petite
chronique rimée (imprimées dans les Scriptores Rerum
Svecicarum, 1. 1"), toutes deux datant du quinzième siècle.
Les traductions et imitations, tantôt rimées et tantôt en prose,
de romans et de livres populaires étrangers sont très-nom-
breuses et désignées assez peu pertinemment sous le titre
de lyrottning Eufemias Folkvisor. Plusieurs d'entre elles
(par exemple Flores och Blunscjlor, Iwan och Gavnan,
Namnlœs och Vahntin, Vilkina-Sugan , etc.), ontété
publiées, avec divers ouvrages qui s'y rapportent, dans les
Samiingar àe la Svenska Fornskrift-Salskap. Deiws ses
Svenska Folkbœcker (2 vol., Stockholm, 1850-1852),
Backstrœm a publié les livres populaires appartenant à une
époque postérieure, avec un aperçu de leur littérature.
La fondation de l'université d'Upsal (1476) ne contribua que
médiocrement aux progrès de la haute érudition , parce que
ce n'était guère alors qu'une école capitulaire;et au temps
de Jean Ht elle était tout à fait ruinée. Les apôtres de la
réformation en Suède, les frères Olaûs et Laurentius Pétri ,
disciples de Mélanclithon, représentent à eux seuls presque
toute la littérature de leur époque, car ils furent tout à la
fois traducteurs de la Bible, chroniqueurs et poètes. Leur
traduction de la Bible, écrite d'un style nerveux et
énergique, mais offrant d'ailleurs beaucoup de contre-sens
et de germanismes , exerça une grande influence sur la for-
mation de la prose suédoise. Ils furent moins heureux dans
leur livre de psaumes, qui fut introduit dans le culte. L'his-
toire de Suède écrite par ces deux frères ne manque pas
non plus d'un certain mérite, tant pour ce qui est du style
que iiour le contenu. Le danois Saxo Grammaticiis leur
sert de modèle, et ils s'efforcent encore de le surpasser
quand il s'agit d'embellir de fictions les origines nationales.
A cette même époque écrivaient deux frères expulsés de
Suède comme catholiques , et qui habitaient Rome, Johannes
Magni, ancien archevêque d'IJpsal, mort en 1541, et Oiaiis
Magni, mort en 1558, tous deux auteurs d'histoires roma-
nesques en latin des populations du Nord. Gustave r*" par-
lait et écrivait le suédois avec beaucoup de pureté et une
pureté touchant parfois à la rudesse. Son fils aîné, Erick XIV,
fut poète et psalmiste; le cadet, Jean III, sans avoir été
écrivain , fut érudit ; le plus jeune , Charles IX , fut chro-
niqueur et théologien. Mais les nombreuses préoccupations
de Gustave l'empêchèrent de faire rien de bien remarquable
dans l'intérêt de l'instruction publique ; et il en fut de même
pendant les temps si agités qui suivirent, malgré les efforts de
Charles IX pour relever l'université d'Upsal. A l'avènement
de Gustave-Adolphe il s'en fallait donc de beaucup que
l'état des sciences et des lettres fût brillant en Suède. On
avait bien de la peine à s'y procurer les sujets nécessaires
pour les fonctions ecclésiastiques, ou encore pour les fonc-
tions publiques. Toute la littérature se bornait à quelques
S79
clironiques de lois wd d'évéques, à un traité d'économie
domestique par le comte Brahe et à un livre de médecine
tout rempli de recettes et de pratiques superstitieuses. A
cette époque parurent à l'université d'Upsal deux savants
professeurs , qui se disputèrent tellement l'admiration et les
applaudissements de la jeunesse, que le roi, pour mettre
un terme aux désordres qui en résultaient, dut les révo-
quer. Le premier, Johannes Messenius (mort en 1637),
écrivit des comédies historiques , qu'il faisait représenter
par les étudiants ; plus tard, il composa un grand ouvrage
historique, Scandia illustrata, qui, bien qu'écrit sans
critique, ne laisse pas que d'avoir beaucoup d'importance
pour l'histoire des temps les plus reculés. Son rival , Jo-
liannes Rudbeckius, obtint l'évêché de Westeraîs, et orga-
nisa dans son diocèse les écoles, les gymnases et les études
théologiques sur un pied tel que depuis on les a toujours
pris pour modèles. Gustave- Adolphe le seconda, en fondant
beaucoup d'écoles et en établissant même un impôt spécial
que devait acquitter chaque famille, et dont le produit était
destiné à entretenir dans les écoles des fils de paysans
pauvres. Il dota l'université d'Upsal d'une façon vraiment
royale, et encouragea par son exemple les riches particuliers
à contribuer par des dons et des fondations à l'entretien des
établissements d'instruction supérieure.
De toutes les sciences la théologie fut d'abord celle qui
jouit de plus de considération. Après la théologie veuait la
philosophie ; Descartes, que la reine Christine appela à sa
cour, et qui mourut à Stockholm, avait rencontré en Suède
beaucoup de partisans de son système , qui pénétra dans
l'université et y soutint de vives luttes contre l'aristotélisme.
Le caractère particulier des savants de cette époque, c'est
la prétention d'embrasser l'universalité des connaissances
humaines et de briller dans tous les genres. Tels furent
Georges Sternhjelm, mort en 1672, et Olof Rudbeck l'aîné,
mort en 1701, qui tous deux étaient en effet doués des
plus brillantes lacultés naturelles. Les ouvrages du premier
sont depuis longtemps oubliés ; cependant, il y a un véri-
table mérite dans son poème didactique Hercules , qui lui
a valu le surnom de Père de la poésie suédoise. Versé
dans presque toutes les connaissances humaines, Rudbeck
s'appliqua plus tard avec prédilection à l'étude des antiqui-
tés du nord; étude singulièrement favorisée depuis 1629 par
la création d'une charge d'antiquaire du royaume, puis par
celled'un colléged'' antiquités, en 1667, et surtout quelques
années plus tard par l'arrivée d'un Islandais, prisonnier de
guerre, qui donna aux Suédois leurs premières notions de
l'Edda et de la littérature des Sagas. En 1675 Rudbeck
publia la première partie de son Atlantica, ouvrage qui
produisit une impression des plus vives, même à l'étranger.
Contredire les assertions émises dans {'Atlantica fut pres-
que considéré comme un crime de haute trahison ; et des or-
donnances royales imposèrent silence aux contradicteurs.
La jurisprudence fut cultivée par Sternhjelm , Hadoi ph ,
Loccenius, Wexionius, L«ndius, AbrahamsonetSIjernIiœœk
(moit en 1675 ), dont l'ouvrage classique De Jure Sveonum
et Gothorum restituto est un véritable chef-d'œuvre .
Les études médicales, comprenant aussi les sciences na
turelles, commencèrent à progresser avec les Stenius , les
Hoffvenius, les Olof Rudbeck, etc.; mais elles ne tardèrent
pas à rétrograder. Le fils de Rudbeck, qui s'appelait comme
lui Olof, botaniste et ornithologiste distingué, succéda à son
père ; mais lui aussi il finit par s'éprendre de passion pour
l'archéologie, et négligeant les sciences qui avaient jusque
alors constitué sa spécialité , il s'occupa exclusivement des
antiquités de la Palestine, de la Laponie et de la Chine. Il
résulta de ces préoccupations , partagées également par
d'autres savants , que l'étude de la médecine arriva à être
tellement négligée à Upsal , qu'il ne se trouvait pas dans
celle université un seul chirurgien capable de bander une
plaie.
En fait d'historiens on ne peut guère citer à cette époque
qucSamuelPuffendorf, quipar ordre du roi Charles-Gus-
380
SUEDOISES
tave écrivit ses hauts faits en latin. Avant lui Girs ( mort
en 1639), Tegel (mort en lC3fi) etWerwing (mort en 1697)
avaient élucidé l'époque comprise entre le règne de Gus-
tave I" et celui de Charles IX. Les meilleurs poètes sontle
malheureux Lucidor (mort en 1674), Runius( mort en 1713),
Frise (mort en 1728 )el l'archevêque Spegel,dont la grande
épopée religieuse Guds Werk ochHvila (l'Œuvre et le re-
pos de Dieu) contient un grand nombre de belles descrip-
tions.
A la mort de Charles XII , le pouvoir passa à une reine
d'un esprit borné et à son ignorant époux , ou pour mieux
dire, à un parti, celui des bonnets, qui ne se souciait
pas plus des beaux-arts que des sciences. Aussi bien le
royaume était tombé dans un tel état d'appauvrissement et
<Je misère, qu'il aurait été bien difficile de faire quelque chose
en leur faveur. Des temps meilleurs vinrent lorsque l'autre
parti, celuidesc/iapeawa:,qui représentait le mouvement
et le progrès, se saisit en 1738 de la direction des affaires.
La spirituelle reine Loiiise-Ulrique, sœur de Frédéric II de
Prusse, favorisa les arts et la littérature, et dans ce but fonda
une nouvelle académie, en 1755. Son fils Gustave III aimait
passionnément la musique et ' la poésie , surtout la poésie
-dramatique, ainsi que l'éloquence ; il était moins porté en
faveur des sciences, son éducation ayant été trop superfi-
cielle pour qu'il en fût autrement. Son fils Gustave IV
Adolphe, prince à l'esprit faible et borné, avait pour les
unes et pour les autres la plus complète indifférence; mais
la culture intellectuelle avait jeté de telles racines, que
même sous son règne elle progressa par sa propre impulsion.
Au commencement de cette période, le clergé, de même
que le gouvernement, veillait avec un soin extrême à ce que
la théologie ne s'écartât pas de la plus stricte orthodoxie.
Ce ne fut pas sans peine qu'on toléra le théosophe S we-
denborg, qui d'ailleurs écrivait en lalin et qui fit im-
primer la plupart de ses ouvrages en Angleterre. On cite
alors les jurisconsultes Nehrman (anobli sous le nom
d'Ehrenstrole), Rabenius , Wilde et Calonius ; les écono-
mistes lîerch et Nystrœm ; les médecins Rosenstein, Baeck,
Ahrell et Murray ; le chirurgien Bjerkén ; les mathémati-
ciens Celsius ( mort en 1744 ), Klinginslierna ( mort en 1765)
et Wargentin,dont les tables de mortalité servent de base à
tous les calculs du même genre qui ont été entrepris dans
d'autres pays; le grand mécanicien Polhem , l'Archimède
de la Suède, auteur du canal de Trollhsetta et des docks de
Karlskrona ; enfin, le naturaliste Linné, dont les disciples
visitèrent presque toutes les contrées du globe.
On peut considérer Dalin comme le véiitable réformateur
des belles-lettres en Suède. Il commença par publier im
journal rédigé à la manière du Spectator anglais, V Argus,
qui produisit une impression des plus vives , quoique ne
contenant rien de bien extraordinaire pour ce qui est de la
pensée comme pour ce qui est du style. Ses œuvres poé-
tiques, la plupart poèmes de circonstance, ont plus de mé-
rite. Parmi les poètes qui vinrent après lui on cite Gylleu-
borg (mort en 1808), auteur de fables, d'odes et du poème
épique Toget cp/ver Belt,el son ami Creutz (mort en
1784), dont l'idylle Atis et Camille enthousiasma la nation ;
Kellgrèn, qui comme poète lyrique et comme satirique se
plaça au premier rang; Oxenstierna (mort en 1818), au-
teur des poèmes épiques SAcerrio^na et Oristiderna, ainsi
que d'une traduction du Paradis perdu de Milton , qu'on
n'hésite point à placer à côté de l'original. Si Gustave III
fut bien inférieur aux poètes que nous venons de nommer,
il composa les plans de plusieurs œuvres dramatiques aux-
quelles Kellgrèn se chargea de donner le coloris poétique ; et
d'ailleurs, ce fut un orateur distingué. N'oublions pas dans
cette énumération l'ingénieux liellman , qui improvisait
avec un entliousiasme vraiment bachique sur des airs de
sa composition des chansons à boire, où la volupté, l'i-
eonie, les descriptions du genre de l'idylle, et un sentiment
profond qui se rit de lui-même, se réunissent pour former
un tout d'un charme indéfinissable. Le cooita Charles-Au-
guste Ehrensvaerd (mort en 1800) ne fut pas moins ori-
ginal dans sa sphère. Il écrivit en 1784 un Voyage en.
Italie , et une Philosophie du Beau , dans la quelle il
suit presque la môme direction d'idées que Winckelraann ,
qu'il ne connaissait pourtant pas. Les contemporains , qui
ne le comprenaient pas, le considérèrent comme un original
de génie.
C'est de la révolution de 1809 que date en Suède l'ori-
gine d'une véritable littérature nationale, car la presse, de-
venue plus libre, put déployer une activité à laquelle rien ne
mit d'entraves. Le mouvement de rénovation littéraire se
manifesta dans divers journaux et recueils périodiques créés
à cette époque ; et il eut pour chefs Atterbom , EIgstrœm ,
Hedborn et Dahlgren comme poètes, Hammarskjœld, Palm
blad , le comte Schwerin , Schrœder et Livijn comme
prosateurs. Bientôt la littérature se partagea en deux
camps. Dans l'un on s'efforça de s'approprier les formes
des diverses littératures anciennes et modernes du midi ;
dans l'autre, celui des Goths, on s'attacha à tout ce qui
sous le rapport du style et de la pensée était vraiment sep-
tentrional, vraiment national. C'est au parti des Goths
qu'appartenaient Geijer et Tegner, Ling , Afzelius , Adler-
beth, etc.
Jusque dans ces derniers temps le roman était un genre
qu'on ne s'était pas occupé de cultiver en Suède. D'abord
Crusenstolpe réussit beaucoup avec des romans burlesques;
vint ensuite Claes Livijn (mort en 1844 ). Le roman histo-
rique à la manière de Walter Scott eut aussi ses imitateurs
en Suède; ainsi le pasteur Gumaelius donna son Paysan
Thord, puis un anonyme Le Flibustier et La dernière Soi-
rde dans la forêt de l'Est , et le comte de Sparre son
Adolphe l'orphelin. Les romans de Crusenstolpe offrent
un bizarre mélange de vérité et d'invention. Kullberg
procède avec plus d'art, par exemple dans son roman inti-
tulé La Cour de Gustave III ; il s'est aussi essayé dans
le genre de Paul de Kock. Les romans d'Almqiiisl ont pen-
dant longtemps beaucoup occupé le public ; mais, à peu
d'exceptions près, ils portent le cachet d'une fausse origina-
lité et du communisme. D'ailleurs, le roman historique a
eu bientôt fait son temps, et s'est vu forcé de céder la
place au roman de mœurs. En ce genre il faut surtout
mentionner Wettcrbergh (connu comme écrivain sous le
nom de l'Onde Adavi),<ii qui exploite les tableaux de genre
empruntés à la vie des classes moyennes ; Engstrœm , qui
excelle à peindre la classe des paysans, mais qui se rap-
proche trop du roman à tendances ; le Finnois Snellmann ;
le baron de Geer ; Mellin , auteur d'une innombrable quan-
tité de nouvelles, parmi lesquelles il s'en trouve de par-
faitement réussies. Palmblad, dont nous avons déjà eu oc-
casion de parler plus haut, et dont les romans sont regardés
comme appartenant à ce que la Suède a produit de mieux
en ce genre ; Ridderslad , Kjelmann-Gœranson , et le comte
d'Adlesparre(sousle pseudonymed'/lZônno). Toutefois, les
écrivains qui ont obtenu le plus de succès dans le genre
du roman sont trois dames : d'abord Fredericka Bremer,
dont les romans se recommandent par leur moralité , par
une grande finesse d'observation , par de la naiveté et par
une gracieuse sensibilité. Il y a moins d'originalité chez
j^jme Fiygar-Carlèn, écrivain d'une fécondité peu commune,
et chez la baronne Knorring; l'une, assez lieureiise dans
la composition et dans la peinture des scènes domestiques,
mais manquant de poésie ; l'autre , excellant à peindre la
frivolité et les gracieuses folies du grand monde. Les ro-
mans publiés dans ces derniers temps sous le pseudonyme
de Wilhelmina ont aussi obtenu beaucoup de succès,
Sturzenbecher et Blanche sont des feuilletonistes pleins de
talent, au style souvent peu châtié, mais toujours pétil-
lants d'esprit. Le dernier est aussi l'auteur de quelques
comédies ou farces, qui attirent la foule. Depuis quelques
années il partage à cet égard la faveur publique avec John.
Le mouvement de 1809 exerça une influence bien moins
sensible sur la vie scientifique de la Suède. Par suite de la
SUÈDE — SUÈVES
381
«uppression de la censure , la théologie put sans doute se
mouvoir plus librement qu'auparavant ; mais comme science
elle demeura pauvre en pensées originales, et se contenta de
suivre les traces de la théologie allemande. Hœijer (mort
en 1812) a donné plus d'indépendance à la philosophie ; après
lui vient Biberg (morten 1829). Il faut encore mentionner
les travaux de Geijer, d'Alterbom, de Grubbe et d'Afzelius.
La Suède ne peut pas citer dans ces derniers temps d'im-
portants jurisconsultes. Si la médecine n'a pas produit un
seul nom, en revanche la Suède conserve son ancienne ré-
putation dans les sciences naturelles. Avant tous il faut citer
le chimiste Berzelius; et en histoire naturelle Ag a rd h ,
Fries, Nilson, Zetterstedt et Wahlenberg jouissent d'un re-
nom européen. G. Svanberg est célèbre comme astronome.
La philologie, faute de grandes bibUothèques riches en ma-
nuscrits , n'a jamais fait de progrès. L'étude des langues
orientales a été cultivée avec de remarquables succès. Les
trois historiens les plus remarquables sontGeijer,Fryxel
et Strinnholm; viennent ensuite Cronholm, Holmberg,
Wieselgren, etc. Les principaux ouvrages relatifs à la litté-
rature suédoise sont : Hammarskœld, Svenska vitterheten
(Stockholm, 1833); le même, Sveriges Literatur och
Konsthistoria (Upsal, 1841 ); Wieselgren, Sveriges skœna
Literatur (5 vol., Stockholm , 1849); Atterbom, Svenska
Siareoch Skalder (6 vol., Stockholm, 1852).
SUÉE {Hippiatrique). Voyez Entrainement.
SUÊi\ON, nom commun à trois rois de Danemark.
SUÉNON 1", surnommé Barbe fourchue, régnade98oà
1014. Fils deHarald , contre qui il se révolta à diverses re-
prises , il monta sur le trône après l'avoir assassiné.
SUÉNON II ou SuEN EsTRiTSON , petit-fils du précédent ,
régna de 1047 à 1076, après avoir vainement essayé de dis-
puter l'Angleterre à Guillaume le Conquérant.
SUÉNON m, fils d'Eric Emund, disputa en 1147 la cou-
ronne de Danemark à deux compétiteurs, et tomba sous
les coups des paysans, à la suite d'une bataille perdue en
1157, aux environs deViborg.
SUÉTONE (Caius Scetonius Tranquillus), histo-
rien romain , florissait sous les règnes de Trajau et d'Adrien.
Un des ouvrages qui nous restent de lui donne à penser
qu'il exerçait la profession de grammairien ou de rhéteur, et
peut-être môme celle d'avocat. Pline le Jeune , dans une
lettre qu'il lui adresse, lui promet, sur sa demande, de
s'employer à lui faire obtenir la remise d'une plaidoierie.
L'amitié de Pline le Jeune , avec lequel Suétone s'était lié
intimement, lui fut très-utile. Le favori de Trajan employa
plus d'une fois pour lui ses bons offices. Plus tard, Suétone
devint secrétaire de l'empereur Adrien; mais vers l'an 121
il perdit celte place, ayant été enveloppé dans la disgrâce de
plusieurs personnes qui n'avaient pas eu pour l'impératrice
Sabine les égards qui lui étaient dus.
Des ouvrages assez nombreux que Suétone avait compo-
sés , il ne nous en est parvenu que deux, son Histoire des
douze premiers Empereurs et ses Vies des Grammairiens
et Rhéteurs célèbres ; encore ce dernier ouvrage n'est-il pas
complet. Ses Douze Césars sont un des livres les plus curieux
que l'antiquité nous ait transmis. Ils contiennent la vie pri-
vée des empereurs , beaucoup plus que l'histoire de l'empire ;
ce sont pour ainsi dire des mémoires secrets sur les mœurs de
l'époque. Ce ne sont pas des annales qu'il faut y chercher ;
l'auteur s'inquiète peu de la chronologie , il néglige les da-
tes: c'est un reproche qu'on est en droit de lui faire. Mais
que de détails précieux , que de particularités intéressantes
sur la vie publique et privée des anciens il nous révèle! Nul
ouvrage n'est plus riche en renseignements sur les usages,
les coutumes , les mœurs de toutes les classes de la société ;
on y voit à nu non plus l'empereur, mais le père , le mari,
le frère, l'amant, le maître. Ce livre n'est rien moins que
chaste, tant s'en faut! La corruption des mœurs romaines
s'y étale dans toute sa nudité. L'auteur y a dévoilé les tur-
pitudes et les débauches horribles de Tibère , de Caligula ,
de Néron .etc. ; il a donné là-dessuj toute licence à sa plume.
C'est ce qui faisait dire à saint Jérôme « que Suétone avait
écrit la vie des empereurs avec la même liberté qu'ils avaient
vécu ». Quoi qu'il en soit, il était lui-même très-recom-
mandable par sa conduite et son caractère personnel. Comme
historien, Suétone possède au plus haut degré une des
qualités les plus importantes, la bonne foi. Il règne dans
ses récits un caractère de sincérité ; on sent qu'il écrit avec
l'impartialité la plus entière; on n'y voit nulle trace de haine-
ni de flatterie : la crainte ne lui fait rien dissimuler, la ma-
lignité ne lui fait rien amplifier. H peint le vice dans toute
sa laideur, avec une sorte de naïveté, et sans dissimuler
les bonnes qualités que pouvaient avoir ceux dont il dévoile
les infamies. Cette bonne foi est ce qui donne tant de prix
à ce qu'il raconte, c'est là ce qui le fait lire avec tant d'in-
térêt. Sa narration est rapide, jamais chargée de réflexions ,
de digressions, de raisonnements. Son style est remarquable
par la pureté , l'élégance et une grande propriété d'expres-
sion. En un mot, le livre de Suétone est le complément des
ouvrages de Tacite, et contient l'histoire secrète du temps
dont Tacite a retracé l'histoire publique. Artald.
SUETTE MILIAIRE , nom d'une maladie très-grave,
ayant pour principal symptôme des sueurs abondantes, et
qui ravagea particulièrement l'Europe au quinzième siècle.
Depuis elle s'est à diverses reprises manifestée en Picardie,
mais avec moins d'intensité .
SUEUR (du latin sudor), humeur aqueuse , incolore,
d'une odeur plus ou moins forte, d'une saveur salée, qui
sort par les pores de la peau dans l'acte de la transpiration ,
et qui se présente en gouttelettes sur la surface du corps.
A l'analyse elle fournit de Tacide acétique , un peu de ma-
tière animale , de l'hydroclilorate de soude et un peu d'hy-
drochlorate de potasse , du phosphate terreux et de l'oxyde
de fer. M. Favre en a récemment extrait deux principes
immédiats dont on n'avait jamais avant lui snpçonné l'exis-
tence dans ce liquide ; l'un est l'ureé , composé déjà trouvé
dans plusieurs humeurs de l'économie: l'autre est un acide
azoté dont la découverte appartient en entier à cet habile
chimiste, qui lui a donné le nom d'acide sudorique.
La sueur se montre ordinairement sous l'influence de la
chaleur extérieure, d'un exercice violent, de l'ingestion de
boissons abondantes et chaudes, dans certains états mor-
bides et par l'action de certains médicaments dits ««dort/»-
ques. La sueur est dans tous les cas la transpiration
surabondante, exagérée , rendue visible. Quelquefois le sang
s'est présenté sous la forme de sueur; mais c'est alors pro-
prement une hémorrhagie de la peau. Beaucoup de maladies
se terminent par des sueurs plus ou moins abondantes. A la
fin de chaque accès des fièvres intermittentes, une sueur
chaude baigne tout le corps , et cette évacuation est suivie
d'un complet soulagement. Il en est de même dans le cours
et à la fin des maladies aiguës , où les sueurs sont généra-
lement le signe d'une détente et d'un changement favorable.
De là l'indication et l'emploi des sudorifiques. Il y a des
sueurs morbides qui sont de mauvais augure. Telles sont
les sueurs froides, visqueuses et fétides, qui se montrent
dans les fièvres de mauvais caractère, et surtout lorsqu'elles
tendent à une fâcheuse terminaison. Les sueurs des phthf-
siques , dites colliquatives, semblent accélérer la consomp-
tion des malades. Certaines parties du corps fournissent par-
fois des sueurs plus ou moins désagréables , ce qui fait que
quelques personnes cherchent à s'en débarrasser ; mais l'ex*
périence a démontré qu'il s'ensuit presque toujours des
accidents graves.
Vulgairement on appelle sueur rentrée un refroidisse-
ment dangereux, qui résulte d'un subit changement de tem-
pérature auquel on s'expose lorsqu'on est en sueur.
Au figuré, «Mcwr s'entend d'un travail opiniâtre. « Tu
maugeras ton pain à la sueur de ton front , dit la Genèse,
jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été
tiré. »
SUEVES, nom donné avant l'ère chrétienne à cer-
tains peuples confédérés, qui habitaient une grande partie de
882
la Germanie. Les plus connus d'entre eux étaient les Her-
mundures, les Semnones , les ionjo&arrfs (Lombards),
les Angles, les Vandales y les Bourguignons , les Rugieyts
et les Hérules. Resserrés d'abord entre la Vistule et l'Oder,
ils s'étendirent bientôt au delà de l'Elbe; et à l'époque des
campagnes de César ils avaient envahi jusqu'au Neckar et
au Rhin. Leur nom, suivant Tacite, vient des longs che-
veux qu'ils avaient coutume de porter emprisonnés dans une
bourse. Ils se livraient à d'étranges pratiques religieuses. Du
reste, il paraît que leur constitution et leurs mœurs se rap-
prochaient beaucoup de celles des autres peuples de la Ger-
manie. Quand sonna l'heure des grandes migrations , les
Suèves, réunis aux Vandales et aux Alains, envahirent les
Gaules, franchirent les Pyrénées, et partagèrent avec leurs
compagnons de route les riches provinces de la Galice et
de la vieille Castille. Les Vandales s'étant jetés sur l'Afrique,
ils s'étendirent jusqu'en Portugal. L'ardeur des conquêtes,
qui les animait, les engagea dans unegnerrfe avec les Ro-
mains et les Visigoths : ils furent complètement battus par
ces derniers, en 586; leur royaume s'écroula, et leur nom
fut effacé de l'histoire d'Espagne : ceux qgi étaient restés en
Allemagne reparurent au cinquième .siècle, sous le nom de
Souabes, réunis aux Allemands entre le haut Rhin et le
Mein , sur les bords du Neckar, du Danube et du Lech.
SUEZ , petite ville mal bâtie , dépendant de l'Egypte , sur
l'aride Isthme de Swes, large d'environ 10 myriamètres, et
qui, placée entre la Méditerranée et la mer Rouge, relie l'A-
frique à l'Asie. Elle est située au nord-ouest du golfe <»u plutôt
de la rade ouverte du même nom, longue de 21 myriamè-
tres, et formant l'extrémité de la mer Rouge ; c'était autrefois
une riche ville commerciale et l'entrepôt des marchandises
de l'Europe et de l'Inde. Plus tard , quand le commerce de
l'Europe avec l'Inde abandonna la route de l'Egypte pour
celle du cap de Bonne- Espérance, cette ville tomba dans
une décadence complète, d'où elle commence à se relever
depuis que la navigation a repris l'ancienne voie. Malgré son
mauvais port, elle est d'une grande importance comme
le point inévitable par lequel doit passer le commerce des
Grandes Indes avec l'Egypte et de là avec l'Europe. Elle de-
viendrait bien autrement importante encore si on exécutait
le projet de canal destiné à relier la Méditerranée à la mer
Rouge, dont il a tant été question dans ces dernières années.
Dès la plus haute antiquité on avait songé à une entreprise
de ce genre, par exemple Ramsès II (1394-1328 av. J.-C. ) ,
le Sésostris des Grecs, qui en fit commencer les travaux, repris
vers l'an 6 î 5 av. J.-C. par Nécho et sous le règne de Darius
Hystaspes. Ce futseulement sous les Ptoléméesqu'on donna au
canal de Sésostris assez de profondeur pour recevoir de forts
navires. Rétabli et amélioré par Trajan, puis réparé de
nouveau en l'an 640 par le khalife Omar, il est vraisembla-
ble qu'on l'utilisaitencore au milieu du treizième siècle. C'est
seulement au commencement du dix-neuvième siècle, et à
l'instigation des Français, qu'il fut de nouveau question de
réunir les deux mers par un canal; projet que le vice-roi
d'Egypte Méhémet-Ali voyait d'assez bon œil. En 1846 il se
forma une société de banquiers et d'ingi^nieurs français et au-
trichiens, ayant à sa tête les ingénieurs S t e p h e n s o n , Tala-
botet Negrelli , qui en 1847 commencèrent à faire des études
sur le terrain. Mais le gouvernement anglais s'opposa à l'en-
treprise pour se réserver le monopole du commerce des
Indes', de même qu'en 1844 il avait déjà su faire avorter
le projet de la création d'un chemin de fer à travers l'isthme.
Il y a tout lieu de croire qu'il en sera de même des projets
dont il est encore aujourd'hui question. Que si jamais ils ve-
naient à être misa exécution, il y aurait là prétexte à une
immense affaire d'agiotage en vue de laquelle certains incor-
ruptibles organes de l'opinion publique poussent de leur
mieux à l'adoption d'un projet en faveur duquel le gouver-
nement français , par des motifs de politique faciles à com-
prendre, laisse faire de la quasi-agitation. Reste à savoir
qui, en définitive, payerait les fi'ais de l'entreprise; et ce
n'est certes pas trop s'avancer que de dire que suivant toute
SUÈVES — SUFFOLK
apparence ce seraient les crédules actionnaires à qui on part»
viendrait, avec le secours des journaux , à vendre les ac-
tions à 100 et 200 pour 100 de prime. Disons au reste à ce
proposqn'il existe deux projets de tracé : le tracé direct, qui
fait aboutir le canal à Péluse et qui ruine Alexandrie; le
tracé indirect, qui conserve Alexandrie en y mettant l'em-
bouchure du canal, mais qui allonge la traversée. En atten-
dant, une maison grecque a fait construire entre le Caire et
Suez une route macadamisée, qui est depuis longtemps li-
vrée à la circulation. D'après les conseils de Stephenson on a
commencé en 1851 dans la même direction la construction
d'un chemin de fer entre le Caire et Alexandrie , dont une
certaine étendue est déjà livrée à la circulation. C'est depuis
1834 que la malle de l'Inde a pris la route de Suez.
SUEZ (Isthme de). Voyez l'article qui précède.
SUFASAR. Voyez Blidah.
SUFFÈTES, chefs du gouvernement à Carthage.
SUFFOCATION. Foyez ÉTOUKFEMENT. "■•
SUFFOLK, comté de l'est de l'Angleterre , qui " en '
1851 sur une superficie de 50 myriamètres carrés comptait
336,136 habitants. C'est un pays plat, borné au nord-ouest
par des marais, dont la plus grande partie ont été desséchés.
Il est arrosé par le Stour, l'Orwell, le Deben , l'Aldea , le
Blyth , le Waweney , la grande et la petite Ouse. Contrée
essentiellement agricole , le Suffolkshire est le centre d'une
importante élève de bétail. Ses vaches sans cornes donnent
une prodigieuse quantité de lait, avec lequel on fabrique du
beurre excellent, qui se consomme presque exclusivement à
Londres. Les chevaux du Suffolkshire sont remarquables par
leur vigueur, et la race de moutons donne une laine extrê-
mement fine. Ce comté a pour chef-lieu Ipswich.
SUFFOLK ( Comtes et ducs de ). Ces titres ont été
portés successivement par diverses maisons d'Angleterre.
La famille deCliffordest la première à laquelle ait appar-
tenu le titre de comte de Suffolk; mais elle le perdit vers
le milieu du quatorzième siècle. Il passa ensuite à la famille
de la Pôle, issue de William Pôle, riche marchand de Hull,
qui prêtait souvent de l'argent au roi Edouard II, et qui en
récompense de ses services fut créé baronnet en 1319. • '■'
Michel de la Pôle, petit-fils de ce marchand , fut lé fà-'
vori du roi Richard II, qui le nomma chancelier, et qui,
en 1385, lui accorda le titre de comte de Suffolk. Il mourut
en 1388. Son petit- fils, William de la Pôle, d'abord
comte, puis duc de Sulfolk , jouit d'un grand crédit à la'
cour du faible Henri VI. En 1444 il fut envoyé en France
pour y négocier le mariage de ce prince avec Marguerite
d" Anjou. Afin de se rendre agréable à cette princesse et à
son entourage, il promit , dans un article secret, de céder à
Charles d'Anjou , oncle de Marguerite et favori du roi de
France, l'Anjou, que les Anglais possédaient encore. A la
suite de ce traité, Suffolk obtint d'abord le titre de marquis,
puis celui àeduc. Lorsque Marguerite eut épousé Henri VI,
l'année suivante , Suffolk et le cardinal de "Winchester se
lièrent étroitement à la fortune de cette princesse. Ils s'at-
tachèrent d'abord à amener la chute du loyal duc de Glo-
cester, et firent assassiner ce prince , en 1447, dans sa pri-
son. Winchester mourut peu de temps après, et Suffolk,
devenu l'amant de la reine et le véritable maître du royaume,
accabla le peuple d'exactions et de concussions , et acquit
ainsi d'immenses richesses. En 1450 le parlement éleva
confie lui une accusation de haute trahison. La cour s'ef-
força bien de sauver le (avori en le condamnant à un exil de
cinq ans en France; «lais ses ennemis envoyèrent à sa pour-
suite, et le firent assassiner dans une barque, non loin de
Douvres.
Son fils, Jacques , Ane, de Suffolk, épousa Elisabeth,
fille aînée d'Edouard IV; alliance qui fit de lui un zélé
partisan de la maison d'York. Trois fils provinrent de ce
mariage : Jacques, qui succéda à son çkre, Edmond et
Richard, mort, en 1525, à la bataille de Pavie.
Jacques de la Pôle , comte de Lincoln et duc de Suffolk,
fut, en raison de son origine maternelle, déclaré par
SUFFOLK — SUFFREN DE SAINT-TROPEZ
383
Henri 111 héritier présomptif de la couronne. Mais la ba-
taille de Bosworth adjugea le trône à Henri de Lancastre ,
qui devint le roi H enri F//, et le duc deSuffolkfut obligé
de se réfugier en Flandre, chez sa tante, la duchesse de
Bourgogne. De là il repassa en Angleterre, en 1487, à la
l£te de 2,000 vieux soldats allenaands , avec lesquels il se
déclara en faveur des partisans du prétendant Si m nel , et
bientôt il put marcher sur York avec une armée de 8,000
hommes. Mais Henri VII le rejoignit avec des forces supé-
rieures à Stoke , dans le comté de Nottingham , et , le 6 juin
1487, lui fit essuyer une déroute complète. Suffolk périt
dans la mêlée.
Son frère, Edmond de la Pôle , comte de Suffolk , cons-
tamment persécuté par Henri Vil, fut décapité en 1513, par
ordre de Henri VIII. Ce prince conféra la même année le
titre de duc de Suffolk à son favori, le chevalier Charles
Brandon. Celui-ci fut chargé, en 1514, d'accompagner en
France la belle princesse Marie, sœur de son maître, qui
devait épouser Louis XII. Mais le roi de France étant venu
à mourir, le 1" janvier 1515, Suffolk obtint le cœur et la
main de la princesse, qu'il aimait passionnément. Lorsqu'il
mourut, en 1545, l'archevêque Cran mer perdit en lui le
plus ferme de ses appuis. De son mariage avec la princesse,
il laissa deux filles, dont l'aînée, Franfoise, épousa Henri
Gray, marquis AeBorset. Sous le règne d'Edouard VI , ce-
lui-ci fut élevé à la dignité de duc de Suffolk, en 1551, en
raison de sa liaison avec l'ambitieux duc de Northumber-
land. En 1552 Northumberland décida Edouard VI à ex-
clure de la succession à la couronne ses deux sœurs , Marie
et Elisabeth, et à y appeler sa parente, lady Jane Gray,
fille de Suffolk. Ces arrangements une fois pris , Jane dut
épouser, en 1553, le fils cadet de Northumberland, lord
Guilford Dudiey. Edouard étant venu à mourir peu de temps
après, Suffolk, avec l'appui de Northumberland , fit pro-
clamer sa fille reine. Le courage et la résolution de la
princesse Marie eurent bientôt mis un terme à cette usur-
pation. Quoique Jane et son mari eussent été condamnés à
mort , Marie ne voulait pas d'abord envoyer ses parents à
l'écliafaud. Suffolk, qui n'avait été qu'un instrument aux
mains de Northumberland, fut même remis en liberté.
Mais dans l'espoir de briser les fers de sa fille et de la re-
placer sur le trône , il prit part à la conspiration de sir
Thomas Wyat. La reine Marie lui fit faire, en conséquence,
son procès, et il fut décapité, le 17 février 1554, cinq jours
après que le sang de sa fille eut rougi l'échafaud.
En 1603 Jacques l" conféra le titre de duc de Suffolk à
lord Thomas Howard de Walden, et sa descendance en
est demeurée en possession.
SUFFRAGAiNT (en basse latinité siiffraganeus , dé-
rivé de suffraglum, suffrage), celui qui a le droit de suffrage
dans une assemblée. On applique plus spécialement cette
épithète aux ecclésiastiques, et d'ordinaire aux évoques,
soit relativement à leur métropolitain, parce qu'étant ap-
pelés à son synode ils y ont droit de suffrage , soit parce
qu'ils ne peuvent être consacrés sans son suffrage ou con-
sentement. Tout métropolitain a ses évêques suffragants.
L'appel des sentences rendues par les officialités des évê-
chés suffragants se porte par-devant l'officialité du métro-
politain.
SUFFRAGE, en latin sî/^ra^iMm. On appelait suf-
frage, k Rome, le vote que le citoyen exerçait dans les
comices, ou bien comme juge dans les procès criminels
(judicia publica). On désignait également ainsi le droit de
vote en général qui faisait partiedesdroitsducitoyen romain.
Pendant longtemps le suffrage eut lieu à haute voix ; ce fut
seulement 700 ans après la fondation de Rome que diverses
lois introduisirent le suffrage par écrit (per tabellas, c'est-
à-dire au moyen de petites tablettes de bois enduites de
cire) , et il fut pour la première fois appliqué, en l'an 139
av. J.-C., par la loi Gabinia à l'élection des magistrats,
puis en l'an 131 par la loi Papiria aux propositions de loi ,
en fan 137 par la loi Cassia aux jugements (à l'exception
des procès de haute trahison [perduellio]) , puis en l'an
107 par la loi Cœlia à ce même crime.
SUFFRAGE UNIVERSEL, l'une des conquêtes
faites par le peuple en février 1848. La constitution de 1852
en a fait la base de nos institutions actuelles, et l'a mis
par conséquent en dehors de toute discussion. C'est là cepen-
dant une question au sujet de laquelle bien des objections
pourraient être élevées contre le principe qui a prévalu et
qui ne laisse pas que d'offrir des dangers sérieux. Des faits
tout récents prouvent en effet que l'exercice illimité , sans
condition, de ce droit, peut être fatal à la stabilité de la
constitution même qui l'a consacré, et ouvrir la porte aux
révolutions. Puisse d'ailleurs l'avenir donner tort à ceux
qui refusent d'y voir une panacée infaillible pour toutes les
souffrances de la société.
SUFFREIV DE SAINT-TROPEZ (Pierre-André,
bailli de), l'une des gloires de la marine française, naquit le
13 juillet 1726, au château de Saint-Cannat , en Provence.
Ses parents , suivant l'usage des familles nobles à cette épo-
que , voulant avantager son aîné , le firent entrer dans l'or-
dre de Malte, et le destinèrent à l'armée navale. Admis dans
les gardes marines en 174.3, il combattit dès la même année
les Anglais sur le vaisseau Le Solide. Nommé enseigne en
1747, il s'embarqua sur Le Monarque, qui fut capturé dans
un combat vaillamment soutenu à la hauteur de Belle-Ile
par huit vaisseaux français seulement contre les vingt vais-
seaux de l'amiral Hawke. Suffren , conduit en Angleterre, y
resta jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle, qui fut signée l'année
suivante. La guerre ne tarda pas à éclater de nouveau, et
Suffren fut encore une fois fait prisonnier. Nommé capitaine
de frégate, en 1767, et se trouvant sans occupation dans son
pays, alors en paix, il passa à Malte, et fit contre les Barba-
resques plusieurs courses, à la suite desquelles il fut nommé
commandeur de l'ordre. Le litre de bailli , sous lequel il
est généralement connu, lui fut donné plusieurs années après,
lorsqu'il faisait la guerre dans l'Inde. Il revint à Toulon, en
1772, fut promu au grade de capitaine de vaisseau, et
attaché en cette qualité à une escadre d'évolution, qui en
1778 remplaça les combats simulés par de véritables ba-
tailles contre les Anglais. Les hostilités recommencèrent
lors de l'insurrection des colonies anglaises de l'Amérique du
Nord , que la France favorisait de tout son pouvoir. Suffren
fut désigné pour commander le vaisseau Le Fantasque, dans
l'escadre du comte d'Estaing. Celui-ci , à Boston , confia à
Suffren une partie de ses forces , avec laquelle il pénétra
dans le port de Newport et incendia la flottille anglaise, qui
y avait cherché un refuge. De retour à Brest, il obtint en
1779 le commandement d'une escadre légère faisant partie
de la flotte espagnole et française aux ordres de don Louis
de Cordova; et le 9 août 1780 il attaqua à la hauteur du
cap Saint-Vincent un immense convoi anglais à la destina-
tion des Indes orientales, auquel il enleva douze bâti-
ments. Le gouvernement lui confia ensuite le commande-
ment d'une escadre de sept vaisseaux de ligne, avec laquelle
il alla secourir les Hollandais menacés par les Anglais. Le 16
avril 1781 il battit le comraodore Johnston dans une bataille
livrée près de San-Yago, l'une des lies du cap Vert, et déjoua
les projets de l'ennemi contre la colonie hollandaise du cap
de Bonne-Espérance en y arrivant plus tôt que lui. En 1782
il battit, le 17 lévrier et le 12 avril, l'amiral Hughes dans la
mer des Indes; et par ces succès il paralysa complètement
les mouvements de l'ennemi. Il lui reprit môme , au mois
de septembre, Trinconomale, dont il s'était emparé; et il eût
sans doute obtenu des succès encore plus décisifs , si un
convoi qui lui était destiné n'était pas tombé aux mains
des Anglais. Rappelé en France après la conclusion de la
paix de 1783, il y fut reçu avec le plus vif enthousiasme.
En 178711 fut chargé de réorganiser la flotte de Brest; mais
sa santé affaiblie le contraignit de rester à Paris, où il mou-
rut, le 8 décembre 1788.
Le bailli de Suffren était de taille moyenne , d'une figure
pleine de noblesse et fort agréable, quoique chargée d'em-
8S4 SUFFREN DE SAINT-TROPEZ — SUICIDE
bonpoint. II joignait à toutes les qualités qui font le grand
homme de mer une bonté parfaite envers les matelots ; bonté
tempérée à l'égard de ses capitaines par quelques exemples
de sévérité nécessaires au maintien de la subordination
parmi ces hommes capricieux et hautains.
Son frère, Louis-Jérôme Sdffren de Saint-Tropez, né
en 1722, lut nommé en 1764 évêque de Sisteron, où en
1780 il commença la construction du canal, de 4 kilomètres
de long environ , qui porte son nom. Il émigra à la révo-
lution, et mourut à l'étranger. En 1824 la ville de Sisteron
lui éleva un obélisque.
SUFISME ou SSUFISME. On appelle ainsi l'espèce de
mysticisme particulier aux ordres monastiques mahométans.
Les Arabes donnent à ceux qui le professent le nom de
sufi, c'est-à-dire habillés de laine, parce que, à l'instar
des autres moines mahométans , ils portent des vêtements
de laine. Dès les premiers siècles de l'islamisme il y eut des
ascètes et des solitaires mahométans. C'est là que se déve-
loppèrent les idées mystiques des stijis , qui trouvèrent une
foule de partisans, notamment en Asie Mineure et en Perse,
vraisemblablement sous l'influence d'idées analogues depuis
longtemps répandues dans les mêmes contrées. Le sufi s'en-
fonce dans la contemplalion et l'admiration de la Divinité
qui voit tout, et en présence de la magnificence de qui toute
autre personnalité ou individualité s'anéantit. 11 ne voit dans
les rapports des êtres que de pures apparences, et il ne dis-
tingue le mal du bien que relativement-, c'est-à-dire qu'il ne
le considère que comme un degré inférieur du développe-
ment du bien. Enfm, tout , dans ce monde , lui parait iden-
tique, le bien et le mal, l'homme et l'animal, toutes les
religions, la nuit et le jour, la vie et la mort.
On désigne comme le fondateur de cette secte un certain
Saïd-Aboul- Chair, qui vivait vers l'an 830 de notre ère;
mais peut-être ne fut-il que le premier qui ait réuni un cer-
tain nombre de mystiques de ce genre en leur imposant un
lien religieux. Plusieurs des plus célèbres poètes persans
furent des sufis. Les doctrines et l'histoire dessufis ont dans
ces derniers temps été l'objet des travaux tout particuliers
de M. de Hammer, dans son Histoire de l'Éloquence per-
sane et dans son édition du poème didactique et mystique
Gulschen i Ras [Pesth, 1338]; et de M. Sylvestre de Sacy
(dans son édition de PendNameh de Ferid-ed-Din-Atlàr).
SUGER,abbé de Saint-Denis, naquit en 1081 ou en
1087, de parents obscurs et pauvres. Placé dès l'âge dedix ans
à Saint-Denis , où était élevé le jeune Louis VI , il devint de
bonne heure l'ami du prince, dont il devait être par la suite
le principal ministre. Ce fut en 1122 qu'il parvint au gou-
vernement de l'abbaye de Saint-Denis. On dit qu'il affecta
dès lors un peu trop les manières et le luxe d'un grand sei-
gneur; mais touché des remontrances de saint Bernard, il
réforma sa manière de vivre, et se montra désormais mo-
deste et simple. Appelé auprès de Louis VI pour être son
conseil et son guide, chargé de l'éducation de son fils, Su-
ger, aussi brave chevalier que saint docteur, aida le rot
dans toutes ses entreprises, soit de la main , soit de la tète.
\la mort de Louis VI, dont il reçut le dernier soupir, et qui
plaça Louis VII sur le trône, Suger vit encore accroître
son crédit. Quand eut lieu le fameux sac de Vitry, dont
l'expiation engagea ce prince dans la seconde croisade, Su-
ger le vit avec douleur prendre la résolution de quitter la
France. Aussi écrivit-il en secret au pape Eugène III, et,
lui communiquant ses craintes, le conjura-t-il de reculer
l'époque d'un départ qui pouvait devenir si funeste. L'ar-
deur du prince l'emporta : il crut qu'il expierait mieux le
crime de Vitry par des conquêtes en Orient que par une
sage administration intérieure. Il parut bien mieux inspiré
lorsqu'il conféra à Suger la régence de son royaume. On sait
la déplorable issue de cette malencontreuse expédition et
les infortunes du roi de France. Pendant la longue absence
de Louis VII, ce fut vraiment Suger qui porta la couronne.
« Aussitôt que le roi fut parti, dit le biographe de Suger,
les hommes avides de pillage commencèrent à désoler le
royaume; mais, armé du glaive spirituel et du glaive tem-
porel , l'abbé réprima en peu de temps leur méchanceté ; »
et le pouvoir royal ne fit que s'accroître aux mains de
l'homme qui avait pour maxime « qu'il vaut mieux que
tous aient un seul maître, qui les défende, que de périr
tous en n'ayant pas de maître •. Suger parvint à rétablir dans
les finances royales l'ordre et l'abondance, au point de
pouvoir envoyer à son maître, sans trop grever les peuples,
l'argent dont il avait besoin , soit pour nourrir ses sol-
dats, soit pour payer des dettes contractées envers les che-
valiers de Saint-Jean et ilu Temple. Comme il avait désap-
prouvé le départ du roi , il ne cessa de presser son retour,
et se hâta de lui remettre le gouvernement du royaume, pour
rentrer dans son abbaye, « avec le glorieux titre de père de
la patrie, que le roi et le peuple lui donnèrent ». Suger, re-
tiré dans son abbaye , « n'en sortit plus que par force , pour
assister aux conseils des princes, où il intercédait encore
pour les pauvres, les veuves et tous ceux qui souffraient
quelque injure » .Privé de son appui , Louis allait désormais
apparaître à la France dans toute sa faiblesse, sa timidité
d'esprit, sa dévotion étroite et sans dignité.
Cependant , les désastres recommençaient dans la Pales-
tine : on vit alors , chose difficile à croire, l'abbé Suger,
qui s'était opposé au départ de Louis , prendre la résolution
de secourir Jérusalem , et dans une assemblée tenue à Char-
tres exhorter les princes, les barons et les évêques à s'en-
rôler sous les drapeaux de la guerre sainte. Comptant plus
de soixante-dix ans, il voulait lui-même conduire la croi-
sade; et déjà plus de dix mille pèlerins se disposaient à le
suivre en Asie , lorsque la mort vint arrêter l'exécution de
ses projets. Il expira (1152) entre les bras de saint Ber-
nard, qui soutint son courage, et l'exhorta à ne plus dé-
tourner ses pensées de la Jérusalem céleste, dans laquelle
ils devaient se revoir la même année.
A une époque où l'on ne songeait qu'à défendre les in-
térêts de l'Église, Suger défendit ceux de la royauté et ceux
du peuple ; et ses idées politiques se manifestent autant par
ses actions que par ses écrits. C'est dans sa Fie de Louis VI,
et surtout dans ses Z/C^^re.ï, qu'on voit poindre les idées
du gouvernement qui firent la fortune de la royauté. La
postérité reconnaissante a consacré son nom parmi ceux des
grands ministres de notre France. Théodose Burette.
SUHM ( Pierre-Frédéric de), historien danois, né à
Copenhague , en 1728 , se consacra de bonne heure à l'étude
des sciences philologiques. En 1751 il alla s'établir en
Norvège, et séjourna jusqu'en 1765 à Drontheim , pour
y travailler avec le savant Schœning à une histoire des
temps primitifs de la Norvège. Il revint ensuite à Copen-
hague, où il continua de résider jusqu'à sa mort, arrivée en
1798, constamment occupé de travaux littéraires. Le plus
remarquable de tous ses ouvrages est sans contredit sou
Histoire de Danemark ( Il vol., Copenhague, 1782-1812)»
qui ne parut qu'après sa mort , et qui ne va pas au delà de
l'année 1319.
SUICIDE (du latin suicidium ) . Là conservation de la
vie n'est pas seulement un penchant naturel , c'est encore
un devoir moral : car l'existence terrestre de l'homme est
une condition de sa vie intellectuelle plusélevée sur laquelle
repose sa dignité, dignité qui la sanctifie. Par conséquent,
quiconque abrège volontairement sa vie commet un acte
immoral . La destruction violente et subite de sa propre vie
que commet l'homme obéissant à l'impulsion de ses passions»
de ses penchants et de sa disposition d'esprit, ou le suicide
dans l'acception la plus étroite du mot , est un acte tout
aussi immoral , parce que celui qui se donne la mort se
déshonore en anéantissant son être et manque à ses devoirs
envers les autres êtres raisonnables et envers le législateur
et l'arbitre de toute existence. Il ne faut pas confondre avec
le suicide la mort volontaire {mors voluntaria), qu'on
choisit afin de conserver sa dignité morale et de mourir
pour des idées. Elle se présente dons des circonstances
d'une appréciation difficile, où la vienepourait être conservé*
SUICIDE — SUIE
385
qu'aux dépens de cette dignité, où la continuation de l'exis-
tence terrestre ne saurait se concilier avec elle, ou bien
où l'on peut atteindre un but moral plus élevé par le sacri-
fice de la vie. Ce meurtre commis sur soi-même ne provient
pas, comme c'est ordinairement le cas dans le suicide, de
penchants sensuels non plus que d'un sentiment de lâcheté
en présence des tourments d'une sensuahté non satisfaite ,
ou encore d'un coupable désaccord intérieur, d'une hallu-
cination , ou d'une conscience bourrelée ; il a sa source dans
le courage et la ferme volonté de sceller par la mort une
vie qui a été digne. Ceux qui ont attenté à leurs jours et
les défenseurs ollicieux du suicide ont, il est vrai , de tous
temps essayé non-seulement d'alléguer beaucoup de motifs en
faveur du suicide , mais encore de confondre l'idée du sui-
cide et celle de la mort volontaire. Enfin, le suicide involon-
taire , qui a sa source dans un état maladif du corps exer-
çant sur l'esprit une irrésistible influence, ou bien dans un
dérangement de l'esprit tel, que la conscience de ce qu'il y a
de moral ou d'immoral dans une action se perd et paralyse
toute liberté de volonté chez l'être qui agit; le suicide in-
volontaire, disons-nous, diffère de l'un et de l'autre. Dans la
plupart des cas, toutefois, il y a concomitance de la maladie
physique et de la maladie psychique : voilà pourquoi, malgré
l'horreur si naturelle et si morale qu'inspire le suicide volon-
taire, on s'abstient de condamner rigoureusement et irrémis-
siblement celui qui se donne la mort. Consultez l'ouvrage
de M^^de Staël Sur le Sziicide (Stockholm, 1812); Brière de
Boismont, Du Suicide et de la folie suicide, etc. ( Paris,
1855).
Un fait affligeant, effrayant même, c'est le nombre toujours
croissant en France des suicides. Non-seulement il augmente
toujours, mais la progression se montre chaque année plus
rapide, plus accélérée. Le ministère de la justice a publié le
tableau officiel du nombre des suicides constatés judiciaire-
méat depuis l'année i826jusqueset y compris l'année i852.
De ce relevé il résulte que dans le cours de vingt-sept années
71,418 personnes se sont volontairement donné la mort.
Voici ce tableau numérique : En 1826, 1,839; en 1827,
1,542; en 1828, 1,754; en 1829, 1,904; en 1830, 1,755;
en 1831, 2,084; en 1832,2,150; en 1833, 1,973; en 1834,
2,078; en 1835, 2,305; en 1836, 2,340; en 1837, 2,443;
en 1838, 2,586; en 1839,2,747; en 1840, 2,752; en 1841,
2,814; en 1842, I,8G6; en 1843, 2,020; en 1844, 2,973;
en 1S45, 3,084; en 1846, 3,012; en 1847, 3,647 ; en 1848,
3,306; en I8'i9, 3,583 ; en 1850, 3,592; en 1851, 3,598; et
en 1852, 3,674.
La question du suicide a d'ailleurs exercé nombre de
plumes éloquentes. Depuis Platon, depuis Séiièque et Marc
Aurèle, jusqu'à l'auteur des Lettres de Saint- Preux, une
foule d'esprits philosophiques ont pris successivement
pour texte d'examen ce sujet inépuisable de controverses.
Après tout ce qui a été échangé pour et contre dans les <lis-
sertations sans fin auxquelles a donné lieu la thèse du sui-
cide, n'est-il pas évident que c'est là une question de for
intérieur ? que le sentiment intime a plus à laire en cette oc-
casion que la logique et le sentiment des docteurs?.. « Le
bonheur consiste , dit M"* de Staël , dans la pos.session
d'une destinée en rapport avec nos facultés La puis-
sance d'aimer, l'activité de la pensée, le prix qu'on attache
à l'opinion, font de tel ou tel genre de vie une existence
douce pour les uns et tout à fait pénible pour les autres.
L'inflexible loi du devoir est la même pour tous; mais les
forces morales sont purement individuelles... Il me semble
donc qu'il ne faut jamais disputer sur ce que chacun éprou-
ve. » C'est dans ces sages limites que l'auteur de Corinne
renferme les réflexions auxquelles donne lieu de sa part la
question du suicide. On ne peut s'empêcher d'applaudir
aux nobles paroles par lesquelles M"^ de Staël ouvre la
discussion sur cet intéressant sujet. Également éloignée d'une
faiblesse propre à augmenter le relâchement moral, et de
la sécheresse dogmatique qu'apportent certains esprits en
dételles discussions, tous les efforts de celte femme célèbre
WCT. DE LA CONVERS. — T. XTI.
n'ont pour butque d'élever l'homme à de hautes pensées et
de le pénétrer du sentiment de sa propre dignité. « il ne faut
pas haïr, s'écrie-t-elle,ceux qui sont assez malheureux pour
détester la vie ; il ne faut pas louer ceux qui succombent
sous un grand poids , car, s'ils pouvaient marcher en le
portant, leur force morale serait plus grande J'ai loué,
ajoute-t-elle en note , l'acte du suicide dans mon ouvrage
sur V Influence des Passions, etjeme suis toujours repentie
depuis de cette parole inconsidérée. » Déclaration remar-
quable, qui réduit la question à ses véritables termes, en
même temps qu'elle donne la mesure de tout ce qu'il y a
de consciencieux dans l'examen auquel se livre l'auteur sur
le suicide.
SUIDAS, grammairien grec, dont on ne connaît guère
la vie. On désigne le dixième ou le onzième siècle comme
l'époque où il vécut. La raison de ceux qui adoptent la
première opinion, c'est que dans son Lexique, au mot
Adam,\\ fait un calcul chronologique qui finit à la mort de
l'empereur Jean Remiscès, mort en 975. Outre l'interpré-
tation des mots, on trouve dans son livre d'excellentes in-
dications historiques et biographiques. Cette compilation a
sauvé de l'oubli bien des débris de l'antiquité. Comme il
manquait de critique, il ne faut faire de son ouvrage qu'un
usage prudent, et ne pas s'abandonner aveuglément à ses
assertions. Il y a souvent confusion de choses et de person-
nes; mais on impute ce défaut à ceux qui ont remanié et
augmenté .son livre. Suidas a fait de fréquents emprunts aux
Scoliastes d'Aristophane, de Sophocle, d'Apollonius de
Rhodes, lia puisé dans Thucydide, Polyhe, Marc Aurèle,
Athénée, Procopc. On fait usage de son Lexique avec suc-
cès pour l'inlerprétalion de l'Ancien et du Nouveau Testa-
ment. La meilleure édition est celle de Cambridge , donnée
parKuster, sous la version latine d''Eniilius Portits.
De Golbéry.
SUIE, proiluit de la condensation des vapeurs dégagées
dans la combustion imparfaite des substances organiques
végétales ou animales. La fumée en effet, qui constitue
d'une manière visible et souvent bien importune la suie
tenue en suspension dans l'air, est une fuliginosité légère,
la plupart du temps huileuse, presque toujours acide (acide
acétique), quelquefois ammoniacale, quand les substances
qu'on brûle sont azotées. Lorsqu'on brûle dans une che-
minée du bois, de la tourbe, de la houille, des matières
bitumineuses, résineuses, etc., ainsi que toutes sortes de
substances animales, la combustion n'est jamais complète.
Tandis qu'on obtient un dégagement de chaleur et d'une cer-
taine quantité de lumière, et qu'une partie de la matière se
convertit en eau , en acide carbonique et en oxyde de car-
bone , en gaz hydrogène carboné et bi-carhoné , en sulfure
de carbone, etc., l'autre partie du combustible, dont la
température n'esl pas assez élevée pour brûler, ou qui n'a
pas un contact assez rnultipli*^ avec l'oxygène comburant
de l'air, se trouve absolument p.acée dans les mômes circon.s-
tances que si elle était soumise à la distillation dans une
cornue ; elle doit donc se réduire en acide acétique et
autres produits. C'est une partie de ces produits que, après
la condensation des vapeurs fuligineuses sur les corps froids ,
nous connaissons sous le nom de suie , et qui , selon les
corps dans la combustion imparfaite desquels elle s'est
produite, doit offrir beaucoup d'analogie avec la consti-
tution primitive de ces corps , car elle n'est en effet que le
résultat d'une espèce de distillation.
Ce que l'on connaît dans le commerce sous le nom de
noir de fumée n'est que de la suie recueillie dans des ap-
pareils de combustion imparfaite des résines. Sous le même
point de vue , on peut également considérer comme une
espèce de suie le noir d'ivoire, provenant des rognures
d'ivoire brûlées ; le noir animal , qu'on se procure en cal-
cinant des os , des cornes , des poils d'animaux, etc.
La suie qui se produit lorsqu'on brûle les excréments <le
plusieurs animaux herbivores qui s'étaient nourris de vé-
gétaux salés contient une très-grande quantité d'iivdro-
2&
386
SUIE — SUISSE
chlorate d'ammoniaque (sel ammoniac). C'était lii l'élément
(le la fabrication égyptienne de ce sel. Aujourd'hui on l'ob-
tient beaucoup plus économiquement et en bien plus grande
abondance , en recueillant les produits de la distillation de
matières animales de toutes espèces. Pelouze père.
SUIF, terme général sous lequel on désigne les graisses
fondues des bœufs , vaches, moutons, etc., seules ou mêlées.
On trouve chez tous les animaux à sang chaud une certaine
quantité de substance grasse, dont les propriétés diffèrent
suivant la nature de l'animal chez lequel on l'observe, mais
qui paraît être formée de deux produits immédiats: l'un
Ëolide, désigné sous le nom de s téarine; l'autre liquide,
auquel on a donné celui d'élaïne ou d'oléine, dont les
proportions relatives expliquent très-bien les degrés divers
de fusibilité des différentes graisses animales. La graisse est
déposée dans des membranes , d'oii il est nécessaire de la
séparer le plus complètement possible. Ou enlève, par
une simple action mécanique, toute la partie que l'on peut
séparer par ce moyen; mais quand il s'agit d'obtenir la
graisse d'un animal , et notamment celle de mouton et de
bœuf, désignée plus particulièrement sous le nom de sicif,
et celle de cheval, les unes et les autres employées dans l'iu-
duslrie, il faut avoir recours à d'autres procédés, fondés sur
l'altération des tissus membraneux. Autrefois c'était tou-
jours en exposant la matière graisseuse, telle qu'elle est ex-
traite de l'animal, à l'action d'une température assez élevée,
et à feu nu, que l'on opérait; et ce procédé est encore suivi
dans la plupart des localités, même à Paris dans les
abattoirs : il donne lieu à une odeur infecte, qui se répand à
de grandes distances, et rend excessivement désagréable
le voisinage de ce genre d'établissements. Les graisses , avec
leurs tissus , sont jetées dans une chaudière chauffée di-
rectement; les membranes se racornissent et laissent ex-
suder la graisse, que l'on retire, en la puisant ou la faisant
couler par un conduit convenable. Toute la quantité qui
est assez liquide pour se prêtera ce genre d'opération, on
la verse dans un crible métallique qui retient les portions
de membranes qu'elle avait entraînées , et on soumet ensuite
à la pression la masse solide restée dans la chaudière pour
en faire sortir une grande quantité de graisse qu'elle ren-
ferme. Les résidus sont chauffés ensuite plus fortement à
tcu nu, et fournissent, par une nouvelle pression, un suif
plus coloré, désigné sous le nom de suif brun , à cause
de sa teinte : l'odeur que répand cette dernière opération
est encore plus iufecte que la première.
Les résidus , désignés sous le nom de cre^ows , servent à la
nourriture des chiens : leur proportion s'élève de 15 pour
100 au moins delà masse soumise à ces traitements.
Si , au lieu de soumettre les matières grasses à l'action du
feu nu , on en élève la température par le moyen du bain-
marie, les membranes ne pouvant s'attacher aux parois des
vases et s'y altérer, ni le suif parvenir à son point d'ébulli-
lion , l'odeur qui se dégage est très-peu intense, et n'offre
vas , à beaucoup près , le même caractère ; mais l'opération
dure plus longtemps , et la proportion de suif obtenue paraît
être moindre, parla difficulté de faire exsuder lesuifdu sein
des membranes. Les ateliers dans lesquels on travaille par
ce procédé ne nuisent pas à leur voisinage comme les pré-
cédents. H. Gaultier de Clxlbry.
SUIF (Arbre à), Valeria indica. Voyez Arbre a
SciF.
SUIXT. Voyez Laine.
SUISSE, contrée située entre les États de la Confédéra-
tion Germanique, l'Italie et la France, qui s'étend du
45° 50' au 47° 50' de latitude septentrionale , avec une cir-
conscription de frontières d'environ 175 myriamètres. Sa
superficie est évaluée à 511 niyriam. carrés. C'est le pays
le plus élevé de l'Europe, et où les cours d'eau les plus im-
portants de cette partie du monde prennent leur source. La
plupart de ses localités habitées sont à une hauteur moyenne
de 400 à 700 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cepen-
dant, ce n'est [las à ce chiffre moyen d'élévation que s'ar-
rête la possibilité de fixer la demeure des hommes dans
ces régions : on trouve beaucoup de bourgades et de ha-
meaux jusqu'à la hauteur de 1,300 mètres. On en rencontre
même de plus petits, quisont habités toute l'année, à 2,ooe
mètres. Plus haut, il n'y a plus que des cfidlets ou habita-
tions d'été. Le sol de la Suisse offre donc la plufc grande
variété ; car il est accidenté par un nombre de lacs et de
fleuves occupant une surface de 43 myriam, carrés, et dont
quelques-uns forment de magnifiques cataractes, ainsi que
par des glaciers qui occupent à peu près la huitième partie
de tout le pays. Aussi les voyageurs viennent-ils en foule
contempler ces merveilles de la nature. Les principales mon-
tagnes de la Suisse sont les Alpes, qui au sud s'élèvent à
4,900 mètres, et le Jura, qui ne dépasse nulle part la hau-
teur de 1,766 mètres. Les montagnes centrales, situées entre
les Alpes et le Jura, atteignent au mont Pilate leur point ex-
trême d'altitude, qui est de 2,190 mètres. Aune élévation de
2,600 à 2,750 mètres la neige reste d'ordinaire pendant toute
l'année. Mais les glaciers, qui sont en voie constante d'ac-
croissement et de diminution, descendent beaucoup plus bas.
Dans les Alpes, depuis le Mont-Blanc jusqu'au Tyrol, on ren-
contre plusdesix centsdecesglaciers, dont peu ontmoins d'un
myriamètre de longueur, et dont quelques-uns en ont jusqu'à
6 et 7, avec une largeur de 500 à 750 mètres et une épaisseur
de 33 à 200 mètres. Ils forment à leur sommet une mer de
glace. Les montagnes du Jura n'ont point de glaciers; mais on
y rencontre des crevasses obstruées par des masses de neige
que le soleil n'atteint jamais. C'est au sein de ces déserts de
glace, de ces cimes immenses, que se forment les sources
intarissables qui alimentent les innombrables cours d'eau
dont la Suisse est sillonnée dans tous les sens , tels que le
Rhin, l'Aar, le Rhône, l'Inn, les tributaires de l'Adige et
du Pô, mais qui pour la plupart ne deviennent importants
pour le commerce que hors de Suisse. En revanche, ce pays
présente plusieurs grands lacs navigables. La plupart sont
situés à une élévation de 400 à 500 mètres au dessus du niveau
de l'Océan ; ils gèlent rarement en hiver, circonstance qui
favorise beaucoup le commerce. Les plus considérables sont
parcourus par un grand nombre de bateaux à vapeur. En
fait de canaux, le plus important est celui de la Linth. Le
climat présente, suivant les localités, des différences ex-
trêmes. Dans les hautes régions on peut éprouver le froid de
la Sibérie, et à une journée de là, dans des plaines situées
au bas de hauts rochers nus, avoir à supporter une chaleur
extrême (par exemple dans le Valais). La température
moyenne de tous les endroits habités est de 6 à 8° Réauraur.
En général, la Suisse est un pays d'une grande salubrité. Il
n'y a d'exception que pour quelques régions marécageuses
ou situées dans des gorges profondes. Depuis plusieurs siè-
cles , la Suisse n'a pas ressenti de ces tremblements de terre
dont tout le bassin du Jura souffrit encore tant au moyen
âge. En revanche, les éboulements de montagnes, les fré-
quentes inondations et les avalanches offrent de grands dan-
gers aux habitants de certaines parties du pays. La fertilité
du sol est aussi très-inégale; les lacs, les eaux courantes,
les glaciers, les roches nues et stériles, les cimes qui ne
produisent que del'herbe à cause de leur élévation, compren-
nent environ les trois huitièmes de toute sa superficie. Les
contrées basses ont également beaucoup àsouffrirdes débor-
dements, qui, au lieu de fertile limon, ne laissent après eux
que du gravier. Il est cependant des parties de la Suisse qui
récompensent richement le cultivateur de ses peines. Dans
beaucoup d'autres, la richesse des pâturages est une sorte
de dédommagement à la pauvreté de l'agriculture. Au point
de vue de la végétation , on peut diviser le pays en sept ré-
gions : la région inférieure, ou celle du froment, des vignes,
du mûrier et du châtaignier, entre 233 et 566 mètres au-
dessus de l'Océan; la seconde, qui s'élève jusqu'à 933 mè
très, est celle des noyers, des chênes, de l'épeautre, des ri-
ches pâturages; on y trouve les villes de Berne, de Coire,
de Saint-Gall ; la troisième, qui s'élève jusqu'à 1,366 mè-
tres, est celle des hêtres, de l'orge, du seigle, et contient
SUISSE
387
encore de bons pâturages (le Weissenstein , leGrindelwald,
l'Engelsberg ) ; la quatrième , qui s'élève à 1,833 mètres , est
celle des sapins, des platanes , et on y trouve d'excellents pâ-
turages; la cinquième, ou région inférieure des Alpes, s'é-
lève jusqu'à 2,166 mètres : elle contient d'excellents her-
bages et quelques buissons , mais pas d'arbres, et là aussi
cesse la culture du sol ( Sigi , Splugen ) ; à la sixième , ou
région des Alpes supérieures, qui va jusqu'à la ligne des
neiges éternelles , les buissons ont disparu : on ne rencontre
plus que plantes alpestres, et une partie des vallées sont
devenues des glaciers ; à l'ombre , la neige n'y disparaît ja-
mais, la neige, qui, à la septième région (à 2,700 mètres)
couvre seule presque toute la surface , de sorte que ce n'est
que dans certains endroits escarpés et exposés au soleil qu'on
rencontre encore quelque trace de végétation. La Suisse pos-
sède en abondance des pierres de première qualité, de beaux
marbres, de l'albâtre et des cristaux. Elle a d'excellent fer,
mais pas en assez grande quantité, du cuivre et même nn
peu d'or (dans le Rliin et l'Aar) , de la tourbe , de la houille
et du sel. C'est peut-être le pays de la terre le plus riche
en sources minérales : les plus célèbres sont Leuk, dans le
Valais, Saint-Moritz dans l'Eogadin, Pfeffers, Baden
.Schinz.nach, etc.
L'agriculture, quoique portée à un haut degré de perfec-
tion dans la plupart des cantons, ne produit guère en grains
que les quatre cinquièmes de la consommation. La récolte
du vin s'élève annuellement à 900,000 hectolitres , repré-
sentant une valeur de 18 millions de francs. La culture des
arbres à fruits et des prairies , l'éducation du bétail sont
l'objet des plus grands soins. Les meilleures races bovines
se rencontrent dans les vallées de Saanen et de Simmen
(canton de Berne) , de Greyerz {Gruyère), dans le canton
de Fribourg, etc. Les meilleurs fromages sont ceux qui
proviennent des vallées d'Emmen, de Saanen et de Simmen ,
de Greyerz et d'Useren. Dans beaucoup de cantons, la pré-
paration des beurres et fromages se fait dans les proportions
de grandes manufactures. Les bêtes à cornes , au nombre
de 850,000, représentent un capital de 94,500,000 fr. ; et
on évalue la valeur annuelle des récoltes de fourrages à
112,.500,000 fr. La race chevaline, sans être belle, est vigou-
reuse. L'élève des moutons et des cochons ne suflit point aux
besoins de la consommation. La valeur totale du bétail est
évaluée à 137 millions de francs. Les forêts recouvrent
17 p. 100 de la superficie totale du sol, et fournissent plus
de combustible qu'on n'en a besoin. La pêche est toujours
productive, si la chasse l'est moins.
Depuis plus de cent cinquante ans la partie orientale delà
Suisse est le centre d'une ilorissante industrie. Viennent en-
suite, sous ce rapport, l'ouest et le nord. Les tanneries ont
toujours une grande importance. La fabrication des étoffes
de laine est encore insuffisante, car on est obligé d'en tirer
chaque année pour 33 millions de l'étranger. En revanche ,
la fabrication de la soie a pris les plus vastes proportions-
(notamment à Bàle et à Saint-Gall ) ; et on n'estime pas le
produit <le c^tte industrie à moins de 95 millions de francs,
ou, déduction faite des frais d'acquisition de matières premiè-
res, à 76 millions nets. L'industrie colonnière n'a pas moins
d'importance. On y compte 131 filatures, tant grandes que
petites , faisant mouvoir 600,000 broches ; les fabriques d'é-
toffes, les teintureries, etc., sont en nombre proportionnel.
Les teintureries en rouge sont particulièrement renommées.
A Saint-Gall et à Appenzell , la fabrication des mousselines
unarche de front avec la broderie. Le produit net de l'indus-
trie cotonnière est évalué à 70 millions de francs. Le tissage
de la paille est aussi une industrie importante. N'oublions
pas non plus la sculpture en bois. L'horlogerie, qui fournit
chaque année à la consommation étrangère plus de 230,000
montres de qualités et de prix divers, constitue aussi une
grande industrie. Elle a son siège principal dans les montagnes
du Jura. La valeur totale des produits de l'industrie manu-
facturière suisse est évaluée à 225 millions de francs par an ,
«Jont 113 millions sont consommés sur place.
L'extension du commerce répond à l'essor pris par l'in-
dustrie. Le commerce intérieur remue chaque année un ca-
pital de 675 millions, et le commerce extérieur un capital
de 450 millions. Les principaux articles d'importation sont
les grains, les denrées coloniales , les boissons et surtout les
articles fabriqués en laine et en coton. Les articles d'expor-
tation de la Suisse trouvent pour la plupart leur écoule-
ment au-delà des mers. L'Amérique du Nord "et le Brésil,
ainsi que le Levant, sont toujours les grands marchés du
commerce suisse, que des consulats établis dans toutes les
parties du monde protègent efficacement. La valeur des ex-
portations suisses représente par tête de 180 à 191 francs,
tandis qu'elle n'est en Belgique que de 107 fr., en France
que de 71 fr., en Prusse que de 40 fr. et en Autriche que de
16 francs. De tous les États de l'Europe continentale la
Suisse est donc celui qui a le commerce extérieur le plus
important. Ce pays, naturellement pauvre, est redevable de
ce merveilleux résultat d'une part au principe de la liberté
commerciale qu'il a toujours professé et pratiqué, et de
l'autre à ce que son administration intérieure a d'essentiel-
lement économique , à ce qu'une armée permanente n'y en-
trave point la production en enlevant une partie des forces
actives de la population.
Depuis le commencement de ce siècle il a été beaucoup fait
pour la construction des routes. On compte en Sin'sse plus
de 3,000 kilomètres de routes cantonales , et à cet égard
elle peut soutenir avantageusement la comparaison avec
quelque autre contrée de l'Europe que ce soit. En ce moment
même la construction des chemins de fer y est pous'^ée avec
une remarquable activité ; et la Suisse ne tardera pointa avoir
le réseau de voies ferrées nécessaire aux besoins de son
commerce.
L'introduction du système monétaire et du système de
poids et mesures français a fait disparaître la confusion qui
régna pendant si longtemps dans cette matière de canton à
canton. Indépendamment d'un capital de 115 millions de
francs en espèces monnayées, il existe un capital en billets de
banque. Mais il ne s'élève qu'à 3 francs par tête; tandis
qu'en France et en Belgique la masse du pai>ier en circula-
tion représente de 11 à 12 francs par tête. La grande aisance
qui, au total, règne partout n'est point trop inégalement
partagée. A côté de 370,200 ménages propriétaires de fonds
de terres, on n'en compte que 92,800 qui n'en ont pas. Beau-
coup de fabricants sont en même temps propriétaires de
terres , ce qui rend la position de cette classe plus favorable
que dans d'autres pays, avec de plus grands établissements.
Parmi les ressources réelles de la Suisse on ne doit pas
omettre de mentionner les nombreux millions qu'y dépen-
sent chaque année depuis 1815 les voyageurs et les curieux
qui viennent la visiter.
D'après le recensement fait en mars 1850, la population
de la Suisse était de 2,392,740 habitants, dont 71,570 étran-
gers et 2,198 vagabonds. Le nombre des Suisses absents à
l'étranger étaitde 72,506. L'augmentation totale de la popula-
tion en treize ans avait été de 202,482 habitants, soit 15,576
par an; ce qui réduit l'accroissement proportionnel à 1,147.
Le nombre des protestants était de 1,4 17,786 , celui des ca-
tholiques de 911,809, et celui des juifs de 3,145. Les juifs
habitent presque tous la même commune, dans le canton
d'Argovie. Cette population est répartie entre 22 cantons de
la manière la plus inégale. Le plus grand des cantons , celui
des Grisons, est relativement le moins peuplé de tous;
Berne, avec une superficie de 96 rnyriamètres carrés et une
densité de population qui ne répond pas tout à fait à la
moyenne, contient cependant près d'un cinquième de la po-
pulation totale de la Confédération. Au total, on compte en
Suisse 92 villes et 63 bourgs contre 10,345 villages et ha-
meaux. Parmi ces villes il n'y a jusqu'à présent que G e ne v^e
qui ait dépassé le chiffre de ?0,000 ha'oitants; vient ensuite
Zurich .D'après la langue qu'ils parlent, les Suisses se divi-
sent en Allemands, Français, Italiens et Romano-Suisses. Les
communes allemandes renferment 1,650,896 habitants;
25.
S88
SUISSE
les communes françaises, 540,072; les communes italiennes
128,333. La langue romane est pariée par 42,500 liabitants
du canton des Grisons. Malgré les profondes différences d'o-
rigine et de langue, mais surtout de religion , on ne saurait
méconnaître qu'une histoire de trois cents ans, que des souve-
nirs communs et en môme temps des habitudes de liberté
civile et politiquesupplccnt jusqu'à un certain point l'homo-
généité de nationalité. A cet égard il y a entre les Suisses et
les nations qui les avoisinent de trop profondes différences
pour que l'envie sérieuse puisse jamais leur venir de se sé-
parer de la Confédération.
Jusqu'à la réorganisation opérée par la révolution de 1830,
les divers gouvernements locaux s'étaient médiocrement
préoccupés de la propagation de l'instruction et des lu-
mières. Mais depuis lors on a réparé le temps perdu; et
une foule d'écoles de différents degrés ont été créées sur
divers points du pays. On peut admettre qu'aujourd'hui
près d'un cinquième du total de la population fréquente les
écoles. Les petites démocraties de la Suisse n'ayant pas de
grosses dépenses à faire pour l'entretien de leur force armée,
sont d'autant plus en état de largement pourvoir à l'instruc-
tion populaire. Aussi n'y a-t-il pas de pays en Europe oii,
toutes proportions gardées, le budget de l'instruction publi-
que soit aussi élevé que dans les cantons suisses régénérés;
tt quoique ces réformes n'aient encore guère plus de vingt-
cinq ans, déjà on en aperçoit partout les heureux effets. On
ne peut pas, il est vrai , en dire tout à fait autant des can-
tons catholiques; cependant, là aussi il y a progrès visible.
L'indépendance et la neutralité des vingt-deux cantons dont
se compose la Confidération a été solennellement reconnue
et garantie par les actes du congrès de Vienne. La nouvelle
constitution fédérale que le pays s'est donnée le 1 2 septembre
1848 a mis à néant celle du 7 août 1815. En voici les prin-
cipales dispositions : Le but de la Confédération est l'indé-
pendance vis-à-vis de l'étranger, la protection des droits de
tous, l'adoption de toutes les mesures propres à favoriser à
l'intérieur la prospérité générale. Il n'existe plus de rapports
de vassalité, plus de privilèges de cantons ni de personnes.
Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Défense des ter-
ritoires des cantons par la Confédération, ainsi que de leurs
constitutions particulières, pourvu qu'elles ne contiennent
rien de contraire à celle delà Confédération, qu'elles garan-
tissent l'exercice des droits politiques d'après les formes ré-
publicaines, qu'elles aient été acceptées par le peuple et puis-
sent être re visées à la demande de la majorité des citoyens.
A la Confédération seule appartient le droit de faire la
paix et la guerre et de conclure des traités. Interdiction aux
cantons de se faire justice eux-mêmes dans les contestations
qu'ils peuventavoir,et qui doiventêtre soumises au jugement
de la Confédération. Droit des citoyens suisses, quelle que
soit leur confession, de s'établir dans la partie du territoire
fédéral qui Icurconvient. Droit delà Confédération de décréter
des travaux et des entreprises d'utilité générale dans l'intérêt
de toute la Confédération. Libre exercice de tous les cultes
chrétiens en Suisse , liberté de la presse, droit de pétition ,
interdiction aux jésuites et à leurs afiiliés de s'introduire
dans le pays. Prohibition de l'établissement de tribunaux
d'exception , et abolition de la peine de mort en matière
politique. Les jugements rendus par les tribunaux sont
exécutoires dans toute l'étendue de la Suisse. Possibilité
d'accorder des droits de citoyens aux individus en état de
vagabondage, et mesures à prendre pour qu'il ne s'en pro-
duise pas de nouveaux. Droit de la Confédération d'expulser
les étrangers qui compromettraient la sécurité intérieure ou
extérieure du pays. L'assemblée fédérale du conseil national
et du conseil des états exerce la puissance fédérale suprême.
Le premier est élu par tous les citoyens actifs âgés d'au moins
\ingt ans , à raison d'un membre par 26,000 âmes, pour trois
ans et directement parmi tous les Suisses en état de voter. Le
conseil des états se compose de quarante-quatre membres
pour les vingt-deux cantons, à raison de deux pour chaque
canton; chacun de ces deux membres élu par une moitié de
canton. Les attributions de l'assemblée fédérale consistent
dans la législation fédérale et les résolutions à prendre pour
exécuter la constitution fédérale, les traités d'alliance, l'organi-
sation et l'emploi de l'armée suisse , la nommination des fonc-
tionnaires fédéraux , la surveillance de l'administration et de
la justice, les difficultés de droit public entre cantons relative-
ment à la compétence de la Confédération ou de la souveraineté
cantonale, du conseil fédéral ou du tribunal fédéral, enfin la
révision de la constitution fédérale. Les deux conseils, dont les
membres votent sans mandat impératif, se réunisse^jt chaque
année en session ordinaire , ou bien extraordinairement à
la demande du conseil fédéral ou d'un quart du conseil na-
tional , ou encore de cinq cantons. Chaque conseil délibère
à part en séance régulière et publique. L'accord des deux
conseils est nécessaire pour les lois et les résolutions fédé-
rales. Ils ne se réunissent pour délibérer et prendre des ré-
solutions en commun que lorsqu'il s'agit d'élections , de
grâces à accorder et de questions de compétence. Le conseil
fédéral , composé de sept membres qui sont nommés pour
trois ans par l'assemblée fédérale parmi des citoyens aptes
à être élus membresdu conseil national, constitue l'autorité
suprême, executive et dirigeante; la présidence appartient
au président fédéral, élu chaque année par les membresdu
conseil. Les affaires y sont partagées par départements entre
les différents membres ; mais toute décision provient du con-
seil fédéral , comme autorité supérieure. Un tribunal fédéral
de onze membres, élus pour trois ans, juge, après une pro-
cédure publique et orale, toutes les difficultés civiles qui sur-
viennent entre les cantons et la Confédération; de même que
comme cour d'assises, avec l'adjonction de jurés prononçant
sur la réalité ou la non-réalité des faits, il connaît de tous
les crimes et délits, soit du droit des gens, soit politiques,
commis contre la Confédération. Les langues allemande,
française et italienne sont les langues nationales de la Confé-
dération. Tous les fonctionnaires de la Confédération sont
responsables de la manière dont ils s'acquittent de leurs
fonctions. La constitution fédérale peut être revisée en
tout temps , par la voie de la législation , et la question de
savoir s'il y a lieu à révision doit être posée au peuple à
la demande d'au moins 50,000 individus en droit de voter.
La constitution revisée a force de loi quand elle est acceptée
par la majorité des citoyens votants et par la majorité des
cantons.
Dans les constitutions particulières des cantons, c'est
partout le principe de la souveraineté du peuple qui domine,
de sorte qu'aucune modification ne saurait y être apportée
que du consentement formel de la majorité du peuple. A
l'égard de l'exercice de la puissance législative, les consti-
tutions de cantons forment deux classes principales : t° les
cantons démocratiques absolus , où la puissance suprême,
comme dans les cantons d'Uri, d'Unterwald, d'Appenzell et
de Claris, appartient à la commune, composée de tous les
citoyens actifs et se réunissant en plein air, d'ordinaire en
avril ou en mai : 2° les cantons à constitutions démocrati-
ques représentatives , où les citoyens élisent , pour la
plupart directement, en proportion de la population , leurs
représentants, dont l'assemblée , appelée grand conseil,
tient des séances publiques et exerce la plupart des droits de
la commime dans plusieur? de ces canto(js , par exemple
Saint-Gall, Dàle-Campagne, Lucerne etlhurgovie. Le peuple
a le droit de veto contre les projets de loi délibérés par le
grand conseil. Jusqu'à présent ce n'est que dans le plus
petit nombre de cantons que des indemnités sont accordées
aux membres des grands conseils. Les membres du gouver-
nement dont le temps est pris [lendant toute l'année ne
reçoivent même d'indemnité convenable que dans les grands
cantons. Peu de fonctionnaires, les ecclésiastiques et les
instituteurs exceptés, et encore ces derniers pas partout,
sont nommés à vie, A l'expiration du temps légal de ser-
vice, et môme plus tôt s'il survient un changement de gou-
vernement , ils peuvent être remerciés, sans qu'il soit né-
cessaire de leur dire pourquoi. Peu d'emplois donnent droit
SUISSE
à une pension. Aussi il n'existe pas à bien dire en Suisse
déclasse de fonctionnaires publics, de môme que depuis
1798 il ne saurait y être question de distinction de classes
ou de castes , de privilèges exclusifs et de classes privilt'giés.
Il n'y a pas non plus en Suisse de noblesse proprement
dite. Celle qui s'y trouve provient d'immigration ou date de
l'époque où le pays faisait encore partie de l'empire d'Alle-
magne, ou bien encore fut octroyée par des princes étran-
gers à des Suisses qu'ils avaient à leur service, soit civil, soit
militaire, à moins qu'elle ne soit inventée. Comme il n'existe
point de registres nobiliaires , que la noblesse ne prend ni
ne donne rien, on n'y regarde pas de si près avec elle. Beau-
coup des plus anciennes familles ont de tous temps dédaigné
de faire précéder leur nom d'un titre nobiliaire, se contentant
de l'antique considération qui les environne, de leurs armoi-
ries et de leur arbre généalogique. Dans beaucoup de can-
tons il y a interdiction de porter les décorations ou les titres
accordés par des puissances étrangères.
Au lieu de codes imprimés, dans plusieurs des plus petits
cantons on se sert encore de traditions écrites ou orales. Mais
partout aujourd'liui on chercbe autant que possible à les
recueillir et à les faire imprimer. Les cantons régénérés ont
fait rédiger des codes sur la plupart des matières du droit.
Le droit suisse contient encore beaucoup d'éléments du vieux
droit germanique; et, sauf quelques cantons, situés sur les
frontières, le droit romain n'a pu nulle part complètement
prévaloir. L'institution du jury, adoptée d'abord par le can-
ton de Genève , fonctionne aujourd'hui dans les cantons de
Vaud, de Berne, de Zurich et quelques autres encore.
La situation financière de la plupart des républiques suisses
est satisfaisante. Peu de cantons ont des dettes publiques;
beaucoup, au contraire, comme Berne, Zurich, etc., pos-
sèdent une fortune considérable. Dans quelques cantons
il n'existe pas d'impôt direct, mais partout on songe à sup-
primer ou tout .îu moins à diminuer les charges indirectes
qui grèvent le revenu des citoyens. La dette fédérale de
plusieurs millions contractée à l'occasion de la guerre du
Sonderbiind est aujourd'hui à peu près complètement
éteinte. Le revenu fédéral, qui dépassait la dépense de plus
d'un million, était en 1852 de plus de 13,500,000 l'r. ; à quoi
il fallait cependant encore ajouter le reste de la dette de
guerre dont remise avait été faite aux cantons du ci-devant
Sonderbund, et montant à environ 3,300,000 fr. Les prin-
cipales dépenses étaient : les trois grands conseils, environ
114,000 fr.; armée, 1,311,000 fr.; administration des doua-
nes, 3,116,000 fr., et postes, plus de 6,500,000 fr. Quand il y
a lieu à établir des taxes ordinaires pour le service fédéral,
c'est le dénombrement de 1850 qui sert de base, en ayant
égard au plus ou moins d'aisance des cantons. D'après cette
échelle pécuniaire, les cantons forment dix classes diffé-
rentes : Uri paye 10 centimes par tête; Unterwaidenet Ap-
penzell-Ville, 14; Scliwiz, les Grisons, le Valais, 20; Glaris,
25; Zug, Tessin , 30; Lucerne, Fribourg, Soleure, Bàle-
Campagne, Appenzell-Campagne, Schaffliouse, Saint-Gall,
Thurgovie, 40; Zurich, Berne, Argovie , Vaud , 50; Neuf-
châtel, 55; Baie-Ville, lOO.
Aux termes de la loi du 8 mai 1850, relative à l'organisa-
tion militaire, le service devient obligatoire pour tout Suisse
âgé de vingt ans, et dure jusqu'à quarante-quatre ans accom-
plis. L'armée fédérale présente un effectif de 104,354 hom-
mes, dont infanterie 82,416, arquebusiers 6,890, artillerie
10,366, cavalerie 2,86S, génie 1,530. Elle est complètement
organisée, équipée et armée, de même que la plus grande
partie de la Landwehr, dont l'effectif dépasse 150,000 hom-
mes, et pourrait être mobilisée en trois ou quatre semaines.
Dans le système militaire suisse, la présence sous les dra-
peaux n'est obligatoire que pendant la très-courte époque
assignée aux exercices et manœuvres. Il n'y a pas de corps
d'officiers ; et les membres de l'élat-major général de l'ar-
mée fédérale eux-mêmes ne reçoivent de solde que pendant
les jours de service actif. En temps de paix on se borne à
louer Je nombredecbevaux nécessaires pour les exercices de
339
la cavalerie et de l'artillerie pendant la courte durée des
manœuvres. La constitution fédérale déclare expressément
article 13, que la Confédération n'a pas le droit d'entretenir
detroupes permanentes. Aucun canton ne peut non plus sans
l'autorisation des autorités fédérales entretenir plus de 300
hommes de troupes permanentes. Il n'y a que le canton de
Bâie-Ville qui fasse usage de ce droit; il entretient environ
200 soldats recrutés.
La constitution de l'Église réformée en Suisse est dans quel-
ques cantons la constitution presbytérienne; dans d'autres
elle se rapproche davantage du système épiscopal ou con-
sistorial. L'élection des membres du clergé et le salaire qui
leur est accordé varient à l'infini. Les catholi(iues étaient
autrefois placés sous l'autorité des évoques de Constance
(suffragantde l'archevêque de Mayence),deBâle et de Lau-
sanne (sulfragant de l'archevêché de Besançon), de Genève
( suffragant de Vienne ) , de Coire, de Sitten et de Cômo
(stiffragant de Milan). Mais depuis 1814 tous ces évêchés,
sous prétexte de créej- un archevêché suisse, ont été affran-
chis de leurs anciens liens métropolitains et soumis immé-
diatement au pape ou bien au nonce en Suisse, qui est re-
vêtu à beaucoup d'égards de pouvoirs archiépiscopaux. Les
évêques sont élus par leurs chapitres et confirmés par les
cantons intéressés. Tout récemment les gouvernements de
divers cantons ont cherché à combattre l'influence du nonce
du pape; et en même temps ils ont soumis les couvents à
une plus sévère surveillance, ne laissant aux moines que
leurs fonctions ecclésiastiques, et leur enlevant la libre ad-
ministration de leurs biens. Plusieurs couvents ont même
été fermés et leurs biens confisqués, par différents motifs, dans
les cantons de Saint-Gall, de Fribourg, d'Argovie et de Lu-
cerne. Malgré cela, on ne compte toujours pas moins de cent
couvents dans la petite Suisse catholique.
Histoire.
L'histoire de la Suisse avant l'époque où ce pays se trouva
en contact avec les Romains est pleine d'obscurité. Les
Helvé tiens, qui appartenaient à la race celte, sont vrai-
semblablement le premier peuple qui l'habita : ils y arrivè-
rent du nord-est, et, divisés en quatre p' cm*, se fixèrent entre
le Rhin, le Jura et les Alpes. Entourés de peuples de même
origine, et dont ils étaient les alliés naturels, ils succom-
bèrent avec eux , dans l'intervalle compris entre l'an 58
avant J.-C. et l'an 10 après J.-C, sous les armes des Ro-
mains, et adoptèrent en partie les mœurs et la langue de
leurs vainqueifrs, jusqu'à ce que ceux-ci eussent à leur tour
été .«subjugués par des peuplades germaines. Vers l'an 400
de notre ère, les Alemans s'emparèrent delà plus grande
partie de la Suisse actuelle , et y firent dominer leurs
mœurs et leur langue. Une moindre partie de cette con-
trée échut en partage aux Bourguignons et aux Lombards;
et les vallées , jusque alors inhabitées , situées à la lisière
septentrionale des Alpes, furent, dit-on, peuplées par des
Germains, goths d'origine. Plus tard, toute l'Hel vétie fit partie
de l'empire des Franks.Ellejouitalorsd'uneprospéritéqu'clie
perdit bientôt sous le règne des faibles successeurs deChar-
lemagne, les gouverneurs qu'ils y envoyaient cherchant
toujours à se rendre indépendants et étant constamment
en guerre les uns contre les autres. Bien qu'il y en eût plu-
sieurs qui réussirent à y fonder à l'ouest des États particu-
liers, tels que la Bourgogne en deçà et au delà du Jura, les
rois d'Allemagne n'en réussirent pas moins à recouvrer leur
considération en Suisse, et même, en l'an 1032, à replacer
la Bourgogne sous leur autorité. Dès lors les destinées de la
Suisse se trouvèrent rattachées à celle de l'Empire d'Aile-"
magne dont elle faisait partie; et il en fut ainsi jusqu'à l'é-
poque où la couronne de cet Empire électif commença à
devenir héréditaire. Les empereurs firent administrer la plus
grande partie de la Suisse par les ducs de Zaehringen , qui
devinrent les bienfaiteurs du pays. Ils prévinrent les guerres
intérieures, favorisèrent les villes et en construisirent
plusieurs nouvelles, telles que Berne et Fribourg, dans
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SUISSE
l'Uchdand. A l'extinction de cette famille, arrivée en 1218 ,
tout retomba dans l'ancienne anarchie. Le pays était gou-
verné par une foule de seigneurs , tant grands que petits;
les plus puissants étaient ceux de Habsbourg , de Kybourg
et de Savoie. 11 n'y avait d'autre droit que la force. La pe-
tite noblesse, les couvents et les villes furent opprimés, ou
durent invoquer la protection de quelque ville plus puissante.
Les grandes villes , notamment Berne, Zurich et Bâle , se
liguèrent pour leur sécurité mutuelle, et visèrent en outre
à se rendre autant que possible indépendantes en rachetant
aux empereurs et à d'autres princes les droits que ceux-ci
possédaient parmi elles.
A partir de la fin du treizième siècle, la Suisse prit un
nouvel aspect. La maison de Habsbourg , surtout après que
Adolphe eut été élu empereur d'Allemagne, en 1273, et se fut
emparé de l'Autriche, acquit en Suisse une influence prépon-
dérante. Cependant, Adolphe ménagea encore les droits des
villes et des pays libres qui avaient autrefois pris la défense
de sa maison et qui avaient ainsi contribué à sa grandeur.
Mais son fils Albert ne se trouva pas plus tôt en possession
de la couronne de roi des Romains, en 1298, qu'il voulut
incorporer toute cette contrée à ses États héréditaires au-
trichiens. Il offrit aux villes et aux pays libres la protec-
tion de l'Autriche; et sur leur réponse qu'ils préféraient conti-
nuer à faire partie de l'Empire , il eut recours à l'emploi de
la force. Toutefois, Zurich et Berne lui résistèrent avec
succès; alors il s'adressa aux pays de montagnes, Uri,
Schwyz et Untervvaiden, qui de tous temps avaient été conn-
plétement indépendants de l'Empire. Depuis très-longtemps
ils étaient dans l'habitude de se placer sous la protection
de l'Empire, et ils avaient obtenu de tous les empereurs la
confirmation de leurs privilèges et libertés. Ils se jugeaient
eux-mêmes. C'était seulement en matière de justice crimi-
nelle que leur vidame , un comte étranger , en dernier lieu
un Habsbourg, pouvait représenter leur paysan nom de
l'Empire. Par l'occupation de quelques châteaux voisins de
leurs frontières ou encore situés dans leur pays, de même
qu'au moyen de baillis institués uniquement à l'origine pour
administrer les domaines autrichiens et surveiller les sujets
de l'Autriche, Albert réussit à gagner de plus en plus de
l'influence sur ces populations campagnardes depuis long-
temps libres. Alors on éleva en son nom des prétentions de
toutes espèces, et on chercha à les faire triompher; mais le
pays résista. Les baillis allèrent plus loin : ils s'établirent à
demeure fixe dans le pays; ils s'attribuèrent les droits des an-
ciens vidâmes, augmentèrent les impôts, et traitèrent des
hommes libres en sujets. Ceux-ci ne purent supporter plus
longtemps cette oppression toujours croissante ( voijez Tell) ;
et le 7 novembre 1 307 les plus considérés d'entre euxse réu-
nirent sur le Rutli , montagne-pâturage voisine du lac de
Waldstœdtte, où ils décidèrent que le jour de la nouvelle an-
née 1308 serait celui où aurait lieu l'expulsion des baillis des
>illes et où on détruirait leurs châteaux forts. Les habitants
continuèrent cependant à s'acquitter de leurs obligations en-
vers l'Empire et ceux qui avaient quelque» droits sur eux. Le
successeur d'Albert dans le gouvernement de l'Allemagne,
Henri VII, et divers autres empereurs encore, confirmèrent
toutes les libertés des Waldstxdten. Mais la maison d'Au-
triche persista dans ses plans. Il en résulta une lutte de deux
cents ans, à la suite de laquelle la Suisse se sépara de l'Empire,
et qui se termina pour l'Autriche par la perte de ses pays hé-
réditaires entre les Alpes et le Rhin , ainsi que des châteaux
de Habsbourget de Kybourg, berceau de sa maison souveraine.
La première association plus étroite des trois Waldstxdten
(villes forestières) datait déjà de l'année 1291 ; elle fut re-
nouvelée en 1308. En novembre 1315, après la première
victoire remportée à Morgarten sur l'Autriche, elles conclu-
rent une ligue perpétuelle, à laquelle, de 1314 à 1353, accé-
dèrent Lucerne, Zurich, Claris, Ziig et Berne. Ces huit
cantons, comme on n'accueillit pas dans la ligue de nouveaux
membres avant l'année 1481 , s'appelèrent les huit anciens
.cantons, et jusqu'en 1798 jouirent de nombreux privilèges.
' Cette ligue, qtii prit le nom de « Nouvelle ConfédératioE a
( diejunge Erdgenossenschafl), demeura pendant environ
cent ans après sa formation fidèle aux principes en vertu
desquels elle avait été fondée. Les diverses républiques ne
songèrent à s'agrandir que par des voies pacifiques : elles
achetèrent les nombreux biens étrangers existant sur leurs
territoires, et accordèrent aux serfs attachés à ces divers do-
maines les mêmes droits que ceux dont jouissaient leurs pro-
pres citoyens. Mais à la suite des brillantes victoires rempor-
tées, le 9 juillet 1386, à Sempach, où Arnold de Winkelried
mourut de la mort des héros, le 9 avril 1389, à Nœfels, à
peine eurent-elles obtenu la reconnaissance de leur indépen-
dance par un traité de paix provisoire, qu'elles ne tardèrent
pas à quitter la défensive pour prendre à leur tour l'offensive.
Elles mirent la main sur Argovie et Thurgovie, domaines
héréditaires de la maison d'Autriche, sur ceux des comtes
de Taggenburg, sur le beau pays situé au delà des Alpes;
et elles réussirent généralement, quoique souvent ce ne fût
qu'après avoir essuyé de sanglantes défaites, comme par
exemple à Arbedo, en 1442, et à la bataille de Saint-Jacques,
en 1444, qu'il leur fut donné de faire passer réellement ces
nouvelles acquisitions sous leurs lois. Les conquêtes parti-
culières faites par chaque canton ou bien les conquêtes faites
en commun par la ligue, ne furent plus traitées en pays li-
bres, mais en terre vassale, et administrées par des prévôts.
Désormais le guerrier de la Confédération nese contenta pas
non plus de servir sa patrie ; mais, habitué à la vie militaire
par les longues luttes auxquelles il avait pris part, il quitta
quelquefois ses foyers, et à partir de la moitié du quinzième
siècle on le vit rejoindre les armées étrangères et entrer au
service des villes. Déjà alors il y avait des dissensions graves
parmi les confédérés , de sorte que Zurich , dans une guerre
contre l'Autriche, se détacha pendant quelque temps ( de 1440
à 1450) de la Confédération. Comme le canton de Schwyz
était alors l'ami de toute la Confédération et celui de tous les
cantons qui était le plus profondément brouillé avec Zurich,
les autres confédérés adoptèrent ses couleurs ( le blanc et le
rouge) pour signe de combat, et reçurent alors le nom de
Schivyzcr ( Suisses), devenu avec le temps la dénomination
commune à la nation tout entière. Les Suisses eurent bientôt
après une longue et glorieuse lutte à soutenir contre Char-
les le Téméraire, duc de Bourgogne, le prince le plus puis-
sant qu'il y eût alors dans tout l'ouest de l'Europe. Le
péril commun engagea divers piinces et villes de l'Empire
voisins de leur territoire à faire cause commune avec eux ,
par exemple la Lorraine, Fribourg et Strasbourg. Au
nombre de 3i,000, les Suisses marchèrent contre l'armée
de 60,000 hommes du duc de Bourgogne , et la mirent en dé-
roule dans trois rencontres, àGranson, à Mo rat, et à
Nancy. Les Suisses firent un butin immense; et le désir de
rencontrer encore pareille bonne fortune eut parmi eux d'in-
calculables résultats. Ils agirent cependant avec modération à
l'égard de leurs conquêtes, restituèrent à la Savoie une grande
[lartie du pays deVaud tombée en leur pouvoir, repoussèrent
l'offre que leur fit la Franche-Comté de se réunir à eux , et
rétablirent le duc de Lorraine en possession de ses États. Tou-
tefois, à peu de temps de là, en 1481, ils admettaient dans
leur confédération Fribourg et Soleure, et ils contractaient
avec des États voisins des ligues défensives aux termes des-
quelles ceux-ci participaient à tous les avantages de leur puis-
sante protection. La Confédération était parvenue à un tel état
de prospérité, que les cours voisines et jusqu'à l'Autriche elle-
même briguèrent son amitié et son appui. Ce ne furent plus
des bandes isolées, mais des corps complets , que la Suisse
mit à la disposition des puissances qui se montrèrent les plus
reconnaissantes. La France, le pape et la république de Venise
rivalisèrent à cet égard. Déjà à cette époque, il est vrai , il ne
manquait pas d'hommes amis de leur patrie qui élevèrent la
voix contre un pareil état de choses, et qui trouvèrent de l'écho
dans plusieurs communes ; mais la force des choses l'emporta,
et la confédération marcha rapidement vers sa décadence. Les
jalousies de ville à ville, de canton à canton , la richesse de
SUISSE
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quelques-unset l'inégalité toujours croissante des fortunes, en
provoquant l'antagonisme entre les riclies et les pauvres, an-
nonçaient une crise fatale, quand tout à coup, par bonheur
pour leur tranquillité intérieure, les Suisses furent entraînés
dans une de leurs guerres les plus périlleuses. L'empereur
Maximilien I" d'Autriche s'était efforcé depuis longtemps de
faire de l'Allemagne un corps politique plus compacte, de
mettre un terme aux guerres privées et de rétablir l'ordre à
l'intérieur. Il partagea l'Empire en cercles, dans lesquels la
Suisse devait être comprise; il établit un tribunal supérieur
auquel elledevait aussi ressortir ; il accéda à la ligue de sûreté
de la Souabe, et la Suisse fut invitée à en faire autant; enfin,
il établit une matricule de l'Empire qui déterminait la part
respective que devaient prendre tous les États de l'empire, la
Suisse y comprise, en hommes et argent , à la guerre contre
leTurc. Mais les confédérés, habituésdepuis deux siècles à se
passer de la protection de l'Empire, convamcus qu'ils étaient
en état de se suffire à eux-mêmes et môme d'en protéger
d'autres, d'ailleurs pleins de défiance pour tout ce qui ve-
nait de l'Autriche, repoussèrent opiniâtrement ces insinua-
tions. L'empereur leur déclara alors la guerre, en 1498, avec
toute la ligue de Souabe, et les attaqua sur toutes leurs
frontières depuis Engadin jusqu'il Bàle. Les Suisses se trou-
vèrent dans une situation critique; mais ils demeurèrent
vainqueurs dans six sanglantes batailles, et par le traité de
paix signé à Bàle le 11 septembre 1499 ils se virent affran-
chis de toute matricule de l'Empire , de même qu'ils ob-
tinrent de n'être incorporés à aucim cercle de l'Empire.
C'est de cette époque que datent l'indépendance réelle de la
Suisse ainsi que sa séparation de l'Empire d'Allemagne.
Pendant longtemps, il est vrai, on conserva les anciennes
formes, et jusqu'au règne de Maximilien II on continua à
demander à l'empereur l'antique confirmation d'usage des
droits et libertés du pays, de même qu'à le recevoir en cette
qualité dans ses voyages ; mais à partir de 1500 on ne trouve
plus de traces qu'on ait laissé l'Empire exercer la moindre
influence sur les affaires intérieures ou extérieures du pays,
ni que des réserves aient été faites à cet égard comme dans
les précédents traités. La reconnaissance solennelle de la
Suisse par la paix de Westphalie, en 1648, ne peut donc être
considérée que comme une consécration conforme au droit
des gens d'un état de choses existant depuis longtemps. Après
la guerre de Souabe, les Suisses admirent dans leur Confédé-
ration, en 1501, Bàle et Schaflhouse, et en 1503 Appenzell,
de sorte que jusqu'en 1798 elle se composa de treize can-
tons. Les autres confédérés n'avaient que la qualification
de cantons alliés. Parmi ceux-ci la ville et l'abbé de Saint-
Gall , ainsi que la ville de Biel , avaient le droit de siéger et
de voter aux diètes; mais les Grisons, le Valais, Genève,
Neufchàtel, Mulhouse et l'évêché de Bàle ne l'avaient pas
obtenu. Enfin, les États vassaux communs, Turgovie, Baden,
Sargans, la vallée du Rhin et le territoire italien avaient bien
divers droits et privilèges, mais point d'indépendance po-
litique.
Après leur dernière guerre contre l'Autriche, les Suisses
crurent n'avoir plus d'ennemis à redouter. Us guerroyèrent
même contre la France, pénétrèrent en lôOO jusqu'à Dijon ,
où il fallut leur acheter la paix à prix d'or; puis ils secou-
rurent tantôt l'un, tantôt l'autre des dominateurs de l'Italie.
Leur valeur, prouvée par les guerres précédentes et poussée
jnsqu'à la plus folle témérité, est reconnue par tous les
écrivains de l'époque , et le nom suisse était alors environné
d'une considération générale en Europe. Leurs guerriers,
tant qu'on leur payait exactement la solde convenue, se dis-
tinguaient de toutes les autres troupes de ce temps-là par leur
exacte discipline. Mais la solde venait-elle à manquer, ils
aimaient mieux abandonner la cause de celui qui les avait
trompés que de se livrer au pillage comme les y eût auto-
risés l'usage du temps. En 1512 ils firent, au profit du faible
duc SfoTza, la conquête de toute la Lombardie; en 1513 ils
firent éprouver à Novare, aux Français, nne déroute telle que
ceux -Cl, dans leur fuite, ne s'arrêtèrent qu'à Lyon, et ils con-
servèrent la possession du pays pendant trois années entières
jusqu'à la gigantesque bataille de Marignan, livrée en 1515,
où ils furent battus, il est vrai , mais d'où ils purent se tirer
comme eussent fait des vainqueurs, c'est-à-dire emmenant
avec eux toute leur artillerie et les drapeaux qu'ils avaient
enlevés à l'ennemi. A la paix, la France leur abandonna le
ïessin et la Valteline; elle accorda de grands privilèges
en France à leurs marchands ; elle promit à leurs cantons des
subsides annuels; enfin, par une sage politique elle leur fit
encore d'autres concessions, qui les gagnèrent complètement
à ses intérêts, de sorte que ses frontières se trouvèrent as-
surées de ce côté. Cette paix éternelle, conclue en 1516, la
Suisse l'observa, toujours fidèlement; c'est la France qui la
première la viola en 1798.
Alors les Suisses guerroyèrent pendant plusieurs années
afin de détendre au profit de la France cette môme Lombar-
die qui leur avait été arrachée par cette puissance. Toutes
ces guerres insensées leur rapportèrent si peu de profit, qu'à
la fin , en 1526, ils en eurent assez. C'est de cette époque
que date l'usage de la Confédération de ne plus mettre en
campagne des armées suisses complètes au profit de telle ou
telle puissance étrangère. On se contenta de conclure avec
elles des capitulations pour l'enrôlement de quelques régi-
ments de volontaires qui se liaient pour une ou plusieurs
campagnes. Plus tard , après la guerre de trente ans , il en
résulta des troupes permanentes que leurs capitaines étaient
tenus de tenir toujours au complet moyennant une bonne
prime d'engagement. Cependant, on se tenait pour satisfait
pourvu que la moitié des hommes ainsi enrôlés fussent suis-
ses. Mais ce fractionnement du service militaire, les pen-
sions, les traitements qu'il entraînait, eurent pour résultat
de rendre le pays de plus en plus dépendant des puissances
étrangères, surtout de la France. Ce qui n'y contribua pas
peu non plus, ce furent les querelles intestines des villes
avec leurs vassaux, qui se révoltèrent pour la première fois,
en 1525, dans le nord. Ces révoltes, souvent renouvelées,
et qui en 1653 prirent même le caractère d'ime insurrection
générale, furent, il est vrai, comprimées chaque fois; mais
elles devinrent plus tard le germe de la dissolution de l'an-
cien état de choses.
La sépaiation de foi religieuse qui s'opéra en Suisse en
même temps qu'en Allemagne à la suite des prédications de
Luther (voyez Réform.vtion et Réformée [Église]), eut en-
core bien autrement d'importance pendant plusieurs siècles,
surtout dans les rapports de la Suisse avec l'étranger.
Zwingle à Zurich, Œcolampadius à Bàle, Halleret Manuel à
Berne, Farel et Calvin à Genève, furent les apôtres des nou-
velles doctrines , auxquelles ils gagnèrent plus de la moitié
de la population; et cet exemple eût encore trouvé bien d'au-
ties imitateurs si ceux qui étaient portés à le suivre n'a-
vaient pas été opprimés par la majorité dans leurs villes et
dans leurs cantons. Il était impossible que des conflits de
tous genres n'eussent pas lieu entre les croyants de l'an-
cienne Église et ceux de la nouvelle. La guerre éclata donc
à plusieurs reprises; cependant, les idées de conciliation
finirent par l'emporter. Zwingle lui-même perdit la vie
dans la première bataille livrée, en 1531, à Rappel, où les
catholiques l'emportèrent sur les protestants. Après la
déroute qu'ils essuyèrent à leur tour en 1532, les catho-
liques durent finir par abandonner exclusivement aux pro-
testants plusieurs bailliages; et vers le milieu du dix-
huitième siècle la querelle parut éteinte. Pendant toute sa
durée elle avait été soigneusement attisée par les pui.ssances
étrangères ; et elle avait eu les plus déplorables conséquen-
ces pour la Confédération , non-seulement en diminuant
son influence à l'extérieur, mais encore en compromettant
son indépendance. La ligue d'or, conclue en 1538 par le
cardinal archevêque de Milan , Charles Borromée , entre les
cantons catholiques, le Valais et l'évêque de Bàle, pour la
propagation du catholicisme , fut un des résultats de cet an-
tagonisme. Mais la décadence de la Suisse apparut bien plus
visiblement encore à l'époque de la guerre de trente ans, où
892 SUISSE
le canton allié des Grisons et la Valteline , son pays vassal,
servirent de jouet à la France et à ses adversaires, l'Autriche
et l'Espagne, et où l'intégrité du territoire de la Rliétie ne fut
maintenue que grâce à la jalousie réciproque de ces puissan-
ces. Ce fut surtout aux grandes républiques protestantes de
Zurich et de Berne, dont la dernière avait enlevé, en 1513,
le pays de Vaud à la maison de Savoie, et était ainsi deve-
nue le canton le plus puissant de la Confédération , et à leur
sage conduite, que la Suisse dut le maintien de sa neutralité
pendant cette guerre. Il leur fut d'abord impossible , il est
vrai , de s'opposer au passage rapide à travers la Suisse de
quelques bandes armées favorisées par les cantons catholi-
ques, de même que de leur côté ils vinrent aussi en aide
aux puissances favorables à la cause protestante ; mais ils
réussirent à ne pas prendre ouvertement part à la lutte, non
plus que les autres cantons. A partir de 1640 ils organi-
sèrent même un si bon système de défense des frontières de
la Suisse, que dès lors sa neutralité ne fut plus violée qu'en
1798. Ce système de neutralité forma désormais la base
de toute la politique suisse. Mais c'est précisément cette
tranquillité profonde , troublée à peine pendant l'espace de
plus d'un siècle et demi sur quelques points extrêmes de la
frontière, ou encore par des discussions religieuses , qui fit
naître une insouciance à la suite de laquelle la Suisse de-
vait se réveiller en présence d'un abîme. Lorsqu'elle avait
acquis son indépendance, la Suisse n'avait que des voisins
faibles et divisés; circonstance qui avait singulièrement fa-
vorisé sa défense. Mais plus tard elle se trouva enserrée par
des puissances formidables, l'Autriche et la France, et elle
n'avait dû la conservation de sa nationalité qu'à la jalousie
réciproque de ces deux États et au parti pris par les autres
puissances de maintenir l'équilibre entre eux. Malgré cela,
l'organisation militaire de la Suisse ou resta complètement
en arrière de la marche du temps ou manqua de connexion
dans ses éléments de défense. Ce fut encore grâce à un
heureux hasard que Berne et Zurich se trouvèrent investis
du commandement supérieur et purent au début de chaque
guerre qui éclatait dans le voisinage de la Confédération,
prendre immédiatement les mesures nécessaires pour la
défense des frontières. Eux seuls aussi réussirent à tenir tète
jusqu'à un certain point aux prétentions toujours croissan-
tes des ambassadeurs français, qui tenaient complélement
.sous leur dépendance les petits cantons. Un fait qui peint
bien cette situation de la Suisse à l'égard de la France, c'est
qu'on vit maintes fois l'envoyé de France résidant à So-
le«re y convoquer, aux frais de son souverain, les membres
de la diète.
Les treize cantons (c'est le nom que prirent aussi au
commencement du dix-huitième siècle , dans la langue al-
lemande, les membres de la Confédération) n'étaient ratta-
cliés entre eux par aucun lien , par aucim traité commun ,
mais seulement par une foule de comyn-omh \verkomisse)
contradictoires. Zurich était le canton dirigeant [Vorort),
c'est-à-dire que, muni de pleins pouvoirs très-peu nombreux,
il était chargé de diriger les affaires extérieures courantes et
sans importance, de convoquer les diètes suisses, qui se
réunissaient le plus souvent à Lucerne , à Zurich, à Baden,
à Bremgarten, à Aarau et à Frauenfeld. Chaque canton y en-
voyait ses députés , mais qui ne s'y occupaient guère que
de l'administration des bailliages communs. En eflet, les
différents cantons, surtout ceux qu'on appelait les huit
anciens cantons, se considéraient comme autant d'États
souverains, et veillaient avec une jalousie extrême à ce
qu'il ne s'établit point d'autorité fédérale. Les constitutions
des différents cantons n'avaient non plus rien de fixe. C'est
l'importance, et non la nature des affaires qui devait dé-
cider de quelle autorité elles ressortissaient. Le pouvoir lé-
gislatif, le pouvoir juiliciaire et le pouvoir exécutif se trou-
vaient donc rarement réunis. Uri, Schwyz, Unterwalden,
Appenzell , Claris et Zug avaient encore la même constitution
que lorsqu'ils avaient été admis dans la Confédération , ou
plutôt qu'ils s'étaient donnée en y accédant. Les affaires
courantes y étaient du ressort de landamans , les affaires
importantes du ressort des landrxthe, les plus importantes
de celui des landesgemeinen. Les villes avaient leurs petits
conseils ou conseils ordinaires pour les affaires habituelles;
les plus importantes étaient réservées aux grands conseils, ou
comités de la bourgeoisie. Mais ces derniers n'étaient géné-
ralement pas le produit de l'élection populaire, et se re-
crutaient eux-mêmes. A Zurich , à Schaffhonse et à Bâle
ils étaient élus également par toutes les corporations de la
bourgeoisie; à Berne, à Fribourg, à Soleure et à Lucerne,
par un nombre très-reslreint de familles, qui avec le temps
avaient réussi à s'arroger le gouvernement pour toujours.
Celte corruption de la démocratie en oligarchie devait aboutir
à l'affaiblissement complet de ces cantons. Les rapports avec
les pays vassaux étaient encore plus déplorables. Avant 1799,
sauf les grandes villes municipales, sauf encore les anciens
paysans libres des anciens cantons démocratiques, toute la
population de la Suisse ne se composait en grande partie
que de vassaux, non-seulement exclus de toute participation
au gouvernement, mais encore assez maltraités parleurs
rwaitres , surtout par les petits cantons démocratiques. De
là les révoltes, toujours comprimées d'ailleurs, qui écla-
taient tantôt sur un point, tantôt sur un autre; et il était
facile de prévoir qu'on mettrait à profit la première crise
pour assurer à tous les habitants du pays la jouissance de
droits politiques égaux.
C'est dans celle situation, calme à la surface, que la
Suisse se trouvait quand éclata la révolution francai.se. Son
sort fut alors envié par bien des nations ; mais l'aspect des
choses changea rapidement. Quelques localités, telles que
Genève, le bas Valais, l'évôché de Bâle,Saint-Gall, le pays
de Vaud , elles bords du lac de Zurich commeucèicnt alors
à s'agiter ; cependant, on put encore venir à bout de ces di-
verses levées de boucliers. Le danger devint plus grave
lorsque la France , toujours grandissant en forces et en
puissance, se mil à transformer complètement d'anciennes
républiques , telles que la Hollande, Venise et Gênes. Les
divers gouvernements suisses firent tout ce qu'ils purent,
même après les plus \ives insultes de la part de la France,
pour ne point irriier un orgueilleux vainqueur. Ils obser-
vèrent strictement leur neutralilé, couvrirent par là au mo-
ment le plus critique le côté le plus vulnérable des frontières
de la France, expulsèrent les émigrés et cherchèrent à
éviter de fournir tout prétexte à une intervention. Tout cela
fut inutile. Les hommes qui gouvernaient la France vou-
laient autour d'elle des républiques dépendantes, tenir entre
leurs mains les plus importants passages des Alpes et sur-
tout le trésor considérable amassé par Berne; en consé-
quence, en 1798, ils firent envahir le pays de Vaud par un
corps d'armée française. Après avoir amusé Berne par des
semblants de négociations, les Français marchèrent sur cette
ville, qui, abandonnée par ses confédérés et vaillamment
défendue par son peuple des campagnes, tomba ci leur
pouvoir, le 5 mars 1798. Après avoir atteint leur but par le
pillage du trésor et de l'arsenal de Berne, et par de fortes
contributions, les Français présentèrent à la Suisse une
constitution fabriquée à Paris, et aux termes de laquelle
l'Helvétie, transformée en un État unique, était divisée en
dix-huit cantons de grandeur et de population égales. Chaque
canton avait à choisir un certain nombre de députés pour
deux chambres législatives, le sénat et le grand conseil, et
ayant à leur tête un directoire exécutif, composé de cinq
membres. Le canton de Berne fut en conséquence divisé en
quatre cantons, tandis que les cantons démocratiques étaient
réunis en un seul; et afin que l'inégalité fût plus grande,
Genève, Mulhouse, l'évêché de Bâle, furent détachés de la
Suisse, comme l'avait déjà été la Valteline, et réunis soit à
la France, soit à la République Cisalpine. On essaya d'en faire
autant du pays vassal situé par delà les Alpes, du Tessin;
mais il fallut y renoncer, parce que les habitants du Tessin,
quoifjue généralement opprimés par la Suisse, persistèrent
à vouloir rester citoyens suisses.
SUISSE
S93
Pendant la lutte soutenue par Berne, les vassaux de tous
les cantons avaient saisi cette occasion pour se déclarer
libres ; et les différents gouvernements de ville, renversés à
la suite de ce mouvement, avaient été hors d'état de venir en
aide à ce canton. Après sa chute, presque tous les autres can-
tons adoptèrent la nouvelle constitution helvétique. Les petites
démocraties payèrent cher leur résistance; mais le sort des
autres cantons ne fut pas meilleur. Les Français parcouru-
rent le pays dans toutes les directions, l'épuisèrent, et chacun
de leurs commissaires y trancha du petit souverain. L'état de
dépendance du nouveau gouvernement , de nouveaux im-
pôts jusque alors inconnus, le dispendieux entretien du
gouvernement central, d'une foule d'employés et d'une année
permanente , les frais considérables entraînés par la nou-
velle organisation de la justice, mais surtout les levées de
troupes , toutes ces circonstances concoururent à empêcher
la nouvelle constitution de pousser des racines vivaces dans
le peuple. Aussi en 1799 les Autrichiens et les Russes coa-
lisés, qui promettaient de rétablir l'ancien ordre de choses,
furent-ils reçus par beaucoup avec joie. Mais les Français
reprirent bientôt l'avantage, de sorte qu'il en coûta cher aux
gens des campagnes de s'être trop liâtes de prendre parti en
faveur de l'ancien ordre de choses; et dès lors il n'y eut
plus de résistance à espérer d'eux contre les Fi ançais. L'op-
position au gouvernement helvétique n'en continua que plus
vive. 11 était divisé, et n'avait d'autre appui que les Français,
qui le méprisaient. Il changea successivement tout le haut
personnel de l'administration, proposa diverses constitutions
unitaires sans pouvoir en définitive se concilier l'opinion. Les
anciens cantons, particulièrement attachés à l'ancien fédé-
ralisme, furent ceux qui résistèrent le plus. L'entreprenant
Âloys Reding, chef militaire du canton deSchwyz, issu d'une
race héroïque, mit à profit celte disposition des esprits pour
conclure en 1802, dans la partie orientale de la Suisse, une
ligue ayant pour but le renversement du gouvernement
central. Bonaparte, alors premier consul, ne voyait pas non
plus de bon œil c« gouvernement central, mais par des mo-
tifs autres que les Suisses. Les troupes françaises ayant éva-
cué la Suisse par son ordre, l'insurrection éclata immédiate-
ment dans tous les cantons contrele gouvernement helvétique
résidant à Beine. La landsturm ayant été forcée de se retirer
jusque derrière Lausanne, Reding convoqua à Schwyz, pour
le27 septembre 1803, une diète générale composée en nombre
égal d'anciens gouvernants et d'anciens gouvernés , qui
s'occupa des travaux préparatoires nécessaires pour cons-
tituer une nouvelle fédération. Mais le chef de la France
ordonna loul à coup, par l'intermédiaire du général Rapp, le
rétablissement de toutes choses dans l'état antérieur et l'envoi
de fondés de pouvoirs de tous les cantons à Paris, pour y
travailler d'accord avec eux à une nouvelle constitution.
Tous les cantons obéirent , à l'exception des anciens ; ce
qui fournit un prétexte pour faire entrer en Suisse un corps
de 12,000 hommes, qui procéda à un désarmement général.
Les députés se réunirent dans le courant de décembre à Paris.
Le 19 février 1803, Bonaparte leur fit rédiger un acte de
médiation, qui rétablissait l'ancien système cantonal , mais
maintenait la suppression des rapports de vassalité déjà
consacrés par la constitution helvétique. Aux treize anciens
cantons, qui , à l'exception de Berne, conservèrent presque
tous leurs anciennes délimitations, on en ajouta six autres,
c'est-à-dire les anciens cantons alliés : Saint-Gall, les Gri-
sons (mais sans la Valteline, qui demeura à l'Italie), et les
anciens pays vassaux : Argovie, Thurgovie, le Tessin et le
pays de Vaud. Le Valais devint une république particulière ;
mais plus lard (en 1807 ) elle fut incorporéeà l'empire fran-
çais. Neulchâtel, placé depuis 1707 sous la souveraineté de
la Prusse, demeura séparé de la Suisse, et fut octroyé en 1807
au général Berthier, à titre de fief français. La Conlédéralion
suisse eut alors de nouveau à sa tête une diète votant
après des mandats impératifs, et on accorda double voix
aux six plus grands cantons. La diète fut présidée par un
landamann de la Suisse, réunissant presque toutes les
attributions de l'ancien vorort. Six des anciens cantons,
Zurich, Berne, Lucerne, Bâle, Fribourg, et Soleure, furent
désignés pour être alternativement cantons directeurs. Les
communes rurales ( landesgemeine ) furent rétablies dans
les cantons démocratiques , de même que les grands et les
petits conseils dans les autres; mais les premiers durent
être élus directement par le peuple en proportion de la po-
pulation , et les seconds par les grands conseils. Cette cons-
titution nouvelle , qui malgré ses défauts portait le cachet
d'un grand homme d'État, fut introduite sans difficulté. La
Suisse jouit alors de dix années de paix et de prospérité.
Les cantons rétablirent leur système de communes, qui avait
été détruit, et dans le pays tout entier il s'opéra un déve-
loppement très-remarquable. Avec l'ardeur qui caractérise
les jeunes États florissants, ils créèrent une foule d'insti-
tutions utiles. Les cantons où se trouvaient en présence
d'anciens et de nouveaux intérêts , de même que dans
leurs conseils des partisans de l'ancien et du nouvel or-
dre de choses, ne furent pas tout à fait aussi heureux. Là
les conflits ne manquèrent pas entre les anciens privilégiés
et les hommes nouveaux poussés à la direction des affaires
par la révolution. Au total, cependant, la Suisse répara ses
pertes , et il s'opéra d'heureux rapprochements intérieurs.
L'appui volontaire donné à la grande entreprise nationale
du dessèchement des malsaines contrées de la Linlh et du
lac des Waldstaedlen en témoigne. Par contre, les incessantes
sommations adressées par le médiateur Napoléon pour avoir
à tenir toujours au grand complet les 12,000 Suisses à sa
solde, ainsi que les dures restrictions du système continental,
qui eurent pour résultat l'occupation du Tessin pendant
plusieurs années, furent une lourde oppression pour le pays.
A la suite de la bataille de Leipzig, les armées coalisées en-
vahirent le territoire de la confédération. Beaucoup démem-
bres des anciens gouvernements en profitèrent aussitôt pour
se remettre en possession exclusive de leurs anciens privi-
lèges. Le gouvernement de la médiation (ut renversé à
Berne et dans d'autres anciennes villes aristocratiques, et
on y rétablit l'ancien. Berne réclama hautement Argovie et
le pays de Vaud, et les cantons plus petits exprimèrent le
désir de se voir rendre leurs anciens pays vassaux. Mais
ceux-ci résistèrent; et les députés de dix cantons rédigeront
encore, avant que la diète se séparât, le 29 décembre ISKi ,
une convention provisoire, qui mettait fin , il est vrai, à la
constitution de la médiation et qui rétablissait l'ancienne Con-
fédération, avec Zurich pour vorort, mais qui déclarait les
rap|)ortsdevassalitéàjamaisabolis, ei. qui garantissait à cha-
que canton son territoire. Cette résolution , qui dès le 9 jan-
vier 1814 avait reçu la ratification de quinze cantons, sauva
la Suisse d'une complète dissolution. Elle détermina aussi les
puissances coalisées à la reconnaître comme la base de la
constitution à donner à la Suisse, et, une fois que la France
eut été décidément vaincue , à réincorporer à la Suisse les
parties de territoire qu'elle avait perdues, Genève, le Va.
lais , Neufchàtel et l'évêché de Bâle. L'Autriche seule con-
serva pour elle la Valteline à titre de conquête. Cepen-
dant, une année tout entière s'écoula au milieu de querelles,
de réactions et de contre révolutions. Berne et quelques an-
ciens cantons voulaient absolument qu'on leur rendit les
territoires qui leur avaient appartenu autrefois. Enfin, le
congrès de Vienne se prononça comme médiateur en faveur
delà conventiondu 29 décembre 1813; il dédommagea Berne
avec l'évêchcde Bâle, et les anciens cantons avec de largent
fourni par les nouveaux cantons. En 1815 les Suisses s'étant
engagés à marcher contre la France , ils en furent dédom-
magés par une part dans la contribution de guerre, par
quelques agrandissements de territoire; et le 20 novembre
1815 ils obtinrent des grandes puissances de l'Europe l'as-
surance de leur constante neutralité.
La diète extraordinaire, réunie depuis le mois d'avril 1814
jusqu'au mois d'août 1815, vota , sur les bases de la convention
de décembre 1813, la constitution fédérale adoptée le 7 ao^it
1815. Elle ne satisfit aucun des partis; et dans beaucoup de
394
SUISSE
ses parties, par exemple l'aiticle 12, relatif à la gaiantle des
couvents , on ne put méconnaître l'influence étrangère. A
l'invitation de l'empereur Alexandre de Russie , la Suisse
dut accéder, en 1817, à la Sainte-Alliance, et aussi se con-
former, de 1823 à 1824, aux demandes des puissances étran-
gères relativement à la restriction de la liberté de la presse,
du droit d'asile, etc. Déjà, avant la conclusion du pacte
fédéral, la constitution de la plupart des cantons avait été
modifiée de vive force dans l'esprit de la Restauration , en
ce sens que les villes autrefois dirigeantes obtinrent mainte-
nant de nouveau la prépondérance dans la représentation.
! Une faute plus grande commise alors , c'est que les élections
populaires directes pour les grands el petits conseils furent
abolies, et que dorénavant ces autorités se complétèrent en
grande partie elles-mêmes. Partout il se créa des oligarchies
par l'accord des nouveaux gouvernants avec les anciens
aristociales , auxquels le clergé s'associa dans les cantons
catholiques. Le résultat de cette alliance fut le rappel des
jésuites à Fribourg. Mais ces abus de la force provoquè-
rent peu à peu une opposition toujours croissante. Dans
quelques cantons, comme Lucerne , le pays de Yaud et
même le Tessin , le mécontentement prit de telles propor-
tions que dès avant 1830 on y opéra des modifications, soit
• partielles, soit complètes, de la constitution.
Enfin, la révolution de juillet 1830 vint provoquer de nou-
velles agitations. Au milieu de la surexcitation générale qui
saisit alors presque tous les peuples de l'Europe, la grande
raajmité de la population suisse exprima de la manière la
plus catégorique ses exigences au sujet de réformes politiijues
à opérer d'abord dans les constitutions cantonales. Là où
les iiomraes à la tète des affaires hésitèrent devant l'accom-
plissement de ces transformations, les gens des campagnes
descendirent en masse dans les villes dirigeantes. Le départ
pour Aarau de plusieurs milliers de paysans armés des an-
ciens bailliages libres de la Reuss fut une démarche déci-
sive. A celte expédition des bailliages libres (6 décembre
1830) s'associèrent quelques centaines de soldats suisses
renvoyés du service de France. Aarau resta occupée par
ces bandes jusqu'à ce qu'elle leur eût accordé toutes leurs
demandes. Alors le mouvement atteignit son but dans beau-
coup d'autres cantons par de simples démonstrations. En jan-
vier 1831 l'aristocratie bernoise accorda ce qu'on exigeait
d'elle. Les conflits durèrent plus longtemps dans le canton de
Scluvyz, où on en vint à une séparation temporaire de Scliwyz
intérieur et des arrondissements extérieurs, et où une occu-
pation par les troupes fédérales put seule opérer une union
nouvelle et introduire une nouvelle constitution. A Bâie,
au contraire, on persista dans la séparation. Là le refus opi-
niâtre de consentir aux demandes faites par la populalion des
campagnes afin d'obtenir les mêmes droits politiques que
celle de la ville produisit une guerre civile , qui se termina
par la défaite des habitants de la ville. Claris effectua par
les voies pacifiques la réforme de sa constitution, en 1836.
Les Grisons se ressentirent peu de ces agitations , et le Tes-
sin avait opéré sa réforme politique dès avant la révolution
de Juillet. A Genève et à Neufchâtel , quelques concessions
apaisèrent la fermentation toujours croissante. Uri et Unter-
walden demeurèrent immobiles , de môme que le Valais,
pendant quelque temps encore. La plupart des cantons dits
conservateurs, Uri, Schwyz, Unterwalden , iSeulcliûtelet
Bàle-Ville , s'étaient réunis à la ligue réactionnaire dite de
Sarincj avant la réunion des parties séparées du canton de
Schwyz el avant la séparation de Bàle, reconnue et consentie
par la confédération. Le 28 novembre ils déclarèrent qu'ils
n'enverraient plus de députés à la diète si on y admettait
les députés de Bâle-Campagne. Mais, par exception, la
diète fit preuve d'énergie. Elle prononça la dissolution du
Sonderbund, et les cantons récalcitrants furent obligés de
se conformer à ses prescriptions. Au total, la régénération
dans l'esprit libéral embrassa les deux tiers de toute la po-
pulalion de la Suisse. Les élections pour les assemblées
constituantes avaient généralement eu lieu en proportion de
la population ; cependant , on laissa encore subsister dans
beaucoup de constitutions nouvelles un privilège de repré-
sentation en faveur des anciennes villes dirigeantes; privilège
qui ne disparut qu'à la suite de la révision ultérieure de la
constitution.
Après la révolution de Juillet, le parti du progrès avait
d'abord lutté pour obtenir l'établissement de formes
constitutionnelles ; ensuite il songea à une réforme de la
constitution fédérale. Subissant l'influence de l'opinion de
la majorité, la diète elle-même décida, le 17 juillet 1832, que
la constitution fédérale serait revisée. Le projet soumis à cet
effet ne parut pas contenir assez de concessions pour satis-
faire les exigences du parti radical; le parti immobile y vit
un attentat à la souveraineté cantonale, parce qu'il avait pour
but de donner plus d'unité au pouvoir fédéral et à son ac-
tion ; et en même temps il compta les ultramontains parmi
ses adversaires. Par suite d'une coalition entre les partis
extrêmes, ce projet de révision fut rejeté, en 1833. Tout ce
qu'on gagna, ce fut, à partir de 1834, la publicité des séances
de la diète; publicité qui ne servit qu'àrendre plus évidente
l'impuissance de la constitution fédérale alors existante.
Une série de complications avec l'étranger, en signalant
plus clairement encore la faiblesse de la confédération, au-
raient dû venir en aide à la réforme fédérale, mais contribuè-
rent peut-être plutôt à la réjeter sur l'arrière-plan. Après
les événements de 1830, la Suisse était devenue l'asile de
nombreux réfugiés politiques, qui de là faisaient de la pro-
pagande dans leurs pays respectifs. Après l'expédition de
Savoie, sur les notes pressantes de l'étranger, et malgré la
protestation de plusieurs cantons, la diète prit, le 24 juin
1834, une résolution contre les étrangers abusant du droit
d'asile. Au nombre des cantons qui protestaient contre une
telle mesure se trouvait celui de Berne, où les gouver-
nants, malgré leur langage allier, ne tardèrent pas d'ail-
leurs à faire preuve de la plus timide obséquiosité à l'é-
gard de toutes les exigences de l'étranger. Ce qui n'y
contribua pas peu , ce fut le changement subit d'attitude de
la France, qui alors se rapprocha des autres grandes puis-
sances et prit maintenant dans ses rapports avec la Suisse
la défense des mêmes principes qu'elle avait nagiu're niés
ou combattus. Malgré l'expulsion d'un certain nombre d'é-
trangers compromis en 1836 par la découverte des ramifica-
tions de la .société secrète de /a Jeune Italie, ci malgré une
résolution de la diète restée en vigueur jusqu'en 1838 relati-
vement à ceux des étrangers convaincus d'avoir perdu le
droit d'asile, les conflits diplomatiques continuèrent toujours.
Plus dans cette question le tort était évidemment du côté
de la France, et plus celle-ci affecta de prendre le rôled'of-
fensée; elle alla même jusqu'à ordonner sur ses frontières la
formation d'un cordon militaire de surveillance. Le retour
de Louis-Napoléon, après l'attentat de Strasbourg , dans le
canton de Thurgovie, où depuis 1832 il po.^sédail le droit
de bourgeoisie, renouvela ces querelles, qu'on avait pu croire
terminées. Soutenue par les autres puissances, ia France
exigea que la Suisse interdît à Louis-Napoléon le séjour de
son territoire. La diète n'ayant pu prendre sur cette question
la décision que réclamait la France, celle-ci ordonna la
formaliond'un corps d'armée. A ces démonstrations, Genève,
le pays de Vaud et d'autres cantons encore répondirent par
d'énergiques préparatifs de défense. Mais avant que la diète
eût pu prendre une résolution définitive, Louis-Napoléon
déclara (22 septembre 1838 ) qu'il quittait la Suisse^ pour
ne pas compromettre les intérêts de deux nations alliées.
Son départ eut lieu le 14 octobre, et le 15 l'envoyé fiançais
déclarait que son gouvernement regardait le différend
comme aplani.
Pendant le cours de ces difficultés diplomatiques, le parti
réactionnaire avait relevé la tête en Suisse. Les menées de
l'ancien parti aristocratique, qui depuis la dissolution de
la ligue de Sam, ne suivait plus de plan combiné, furent
moins dangereuses. Le parti ullramontain, au contraire, pour-
suivit l'exécution de ses plans avec la plus grande opiniâ-
SUISSE
395
trcté. Tout en s'efforçant de paraître ne pas être provoca- j
leur, il poussait partout à l'anarchie, dans l'espoir d'en pro- '
fiter. Le rappel et l'extension toujours croissante de l'ordre |
des Jésuites, les vastes attributions accordées au nonce du !
pape , la division successive de la Suisse en petits évêchés , I
qui, contrairement aux prescriptions du droit canon et aux I
décisions du concile de Trente , ne relevaient d'aucun mé- j
tropolitain, et étaient directement soumis à l'autorité du
pape, témoignent de l'habileté avec laquelle depuis 1814
ce parti avait profité des troubles intérieurs de la Suisse.
Aussi dès avant 1830 plusieurs gouvernements cantonaux
avaient-ils reconnu la nécessité de combattre les progrès in-
cessants du parti prêtre. En 1833 les députés des cantons
formant le diocèse de Bâle (à l'exception de Zug) et ceux
lu canton de SaintGall se réunissaient à Baden à l'effet de
créer des liens métropolitains, ainsi qu'un droit ecclésiastique
commun à loute la Confédération. Les résolutions prises
dans la coniérence de Baden donnèrent lieu à une longue
suite de dilficultés et à de nombreuses complications. Une
encyclique du pape, en date du 27 mai 1835, les condamna,
comme schismatiques et hérétiques. Alors quelques cantons,
intimidés, cédèrent ; et partout le clergé ne négligea rien pour
provoquer une vive fermentation au sein des populations
catholiques.
Ce parti trouva de nouvelles forces dans la révolution
dont le canton protestant de Zurich fut le théâtre , le 6 sep-
tembre 1839. Le prétexte de cette révolution fut la nomina-
tion du D'' Strauss, le fameux auteur de la Vie de Jésus,
à la chaire de dogmatique de l'université de Zurich. Les
conservateurs y virent un péril imminent pour la religion, et
répandirent la fermentation parmi les masses. En vain le
grand conseil décida que Strauss n'occuperait pas sa chaire,
les meneurs du mouvement conservèrent leur attitude hos-
tile à l'égard du gouvernement, et mirent à profit une fausse
rumeur qui se répanditalors et suivant laquelle un corps
de troupes fédérales était en marche pour entrer dans le
canton et y prêter main forte à l'autorité. Le 6 septembre,
des bandes de paysans ameutés attaquèrent la ville, et y
renversèrent le gouvernement , remplacé tout aussitôt par
des hommes du parti conservateur. Comme les puissanses
étrangères avaient approuvé cette révolution opérée dans le
sens conservateur, on vit alors se succéder toute une suite
de tentatives de révolutions analogues, par exemple: en 1839
dans le Tessin ,en 1840 dans Argovie, en 1840 et 1844 dans
le Valais, en 1842, 1843 et 1846 à Genève, eu 1844 etls45
à Lucerne, en 1845 dans le pays de Vaud. Sur l'impression
produite par tous ces désordres , le grand conseil décréta la
suppression des couvents, malgré la protestation des can-
tons catholiques. Les cantons de Lucerne et du Valais de-
vinrent alors le théâtre des plus graves désordres ; lu victoire
y resta en définitive au parti prêtre, qui réussit à faire dé-
créter que la religion catholique était la seule qui pût être
professée publiquement dans le Valais.
Le grand conseil du canton d'Argovie réclama alors
l'expulsion des jésuites de toute la Suisse, tandis que le
grand conseil du canton de Lucerne traitait avec la Compa-
gnie de Jésus pour lui confier la direction de son collège et
de son séminaire et adoptait une série de mesures légis-
latives par suite desquelles bon nombre de protestants
habitant ce canton étaient obligés d'émigrer. De là une ir-
ritation toujours croissante contre les catholiques et les jé-
suites dans le plus grand nombre de cantons , où , sur les
hésitations de la diète à prendre une mesure décisive, on
vit se former des corps de volontaires décidés à se faire
justice eux-mêmes. A la fin de mars 1845, environ 4,000 émi-
grés lucernois et volontaires fournis par les cantons d'Ar-
govie, de Bàle-Campagne, deSoleure et de Berne, envahirent
le canton de Lucerne, sous les ordres d'Oxenbein ; mais ils
furent battus et repoussés avec une perte considérable
en morts, blessés et prisonniers. Divers actes de cruauté et
de fanatisme souillèrent cette victoire, remportée par le
parti ultramontain. Les excès commis dans le canton de
Lucerne par le parti réactionnaire tromphant ne firent
qu'accroître le mécontentement public dans le reste de la
Suisse, où partout les adversaires des jésuites finirent par
l'emporter. Dans l'automne de 1843, avant toute expédition
de volontaires et peu de temps après la suppression des
couvents par la diète , Lucerne , Friboura et les anciens
cantons avaient formé une fédération particulière ( Sonder-
bund) à la suite de conférences tenues à Baden-Rothen. Le
Valais y accéda aussi en 1845. Les stipulations deceSonrfer-
bund, qui en cas d'attaque chargeait de la direction des
opérations stratégiques un conseil de guerre investi de
pleins pouvoirs , étaient en contradiction avec quelques
articles de l'acte fédéral , et encore plus avec l'esprit de la
Confédération suisse. De là l'irritation générale quand
l'existence de ce traité de fédération particulière fut connue.
Une proposition faite par le canton de Zurich pour la dis-
solution du Sonderbund ne réunit pas la majorité néces-
saire; résultat auquel avaient contribué les efforts des
hommes qui à ce moment avaient le pouvoir à Genève. Le
mécontentement qui en résulta à Genève même amena en
octobre 1846 dans cette ville un mouvement insurredionnel,
qui renversa le gouvernement réactionnaire. Le canton de
Saint-Gall ayant fini par se ranger à l'avis des adversaires
du Sonderbund , la dissolution de cette confédération par-
ticulière, prononcée par la diète le 20 juillet, réunit la ma-
jorité nécessaire pour être valable.
Une proclamation adressée aux populations des cantons
du Sonderbund et l'envoi de commissaires spéciaux étant
demeurés inutiles , des mesures furent prises pour que
force restât aux résolutions de la diète. On réunit sous les
ordres du général Du four une armée de 30,000 hommes,
pouvant en peu de temps être portée à un effectif de
100,000 hommes ; et le 4 novembre il fut décidé qu'où
emploierait la force des armes pour faire exécuter la dé-
cision de la diète. A cette armée les sept cantons du Son-
derbund en opposaient une de 36,000 hommes , que
devait soutenir une landsturm de 47,000 hommes. A ce
moment la Suisse avait donc près de 200,000 hommes
sous les armes. Les troupes du Sonderbund ouvrirent les
hostilités en franchissant les frontières du Tessin et par
quelques irruptions faites sans succès dans les bailliages
catholiques d'Argovie. L'attaque de la part de la diète
eut lieu par l'entrée des troupes fédérales dans le canton
de Fribourg. Après un court engagement livré dans ses
environs, cette ville capitula. La milice et la landsftirm
de Fribourg furent congédiées, les jésuites prirent la fuite,
le gouvernement se dispersa, et il s'en établit un autre. Le
23 novembre une batailie décisive fut livrée sur les fron-
tières du canton de Lucerne. Après une résistance assez
acharnée les troupes du Sonderbund finirent par prendre la
fuite, et à la nouvelle de cette défaite le conseil de guerre
du Sonderbund siégeant à Lucerne, le gouvernement de ce
canton et les jésuites en firent autant. Uri, Schwyz, Unter-
walden et le Valais ne tardèrent pas à faire leur soumission.
Pendant le cours de ces luttes , qui avaient pour point de
départ la suppression des couvents d'Argovie , les usurpa-
tions du jésuitisme et surtout la création du Sonderbund ,
la politique des grandes puissances, la Grande-Bretagne ex-
ceptée, intervint constamment dans les affaires intérieures
de la Suisse de la manière la plus menaçante pour l'indé-
pendance de ce pays, de même qu'a vec les formes les pi us bl es-
santes pour l'esprit de nationalité des populations. Dès 1846,
sous l'inlluence de la révolution de Genève, des négociations
avaient eu lieu entre la France et l'Autriche pour une inter-
vention éventuelle. Comme en 1847, le prince de Metter-
nich insistait pour qu'on agît avec rapidité et énergie ;
M. Guizot adressa le 2 juillet une note menaçante. Mais la
France voulant agir d'accord avec l'Angleterre , Palmerston
fit assez traîner l'affaire en longueur pour donner le temps
à l'armée fédérale de trancher la question par la dissolution
du Sonderbund, ce qui devait rendre toute intervention
inutile. Cependant, après la dissolution du Sonderbund^
396
SUISSE — SUITES
l'Autriche , la France et la Prusse adressèrent encore, à la
date du 22 janvier 1848, une note collective par laquelle la
diète était sommée de faire évacuer à son armée les can-
tons du Sonderbund , et où on lui faisait défense d'opérer
dans l'acte fédéral de 1815 aucune modification sans l'assen-
timent de tous les cantons formant la confédération. Les
périls d'une si redoutable intervention étrangère ne sem-
blaient pas encore passés quand la révolution de Février
1848 amena en France la chute du trône de la maison
d'Orléans , menaça d'autres trônes encore du même sort,
et donna ainsi à la Suisse les moyens d'accomplir avec
calme et régularité l'œuvre de sa régénération politique.
Dès le 17 février 1848 une commission fédérale de révi-
sion nommée par la diète commençait ses travaux. Le projet
de constitution nouvelle fut publié lej 15 avril, et après
avoir été délibéré par la diète, il fut soumis à l'acceptation
du peuple. La majorité des cantons , ainsi que la grande
majorité de la population, se prononça en sa faveur. Dans
quelques petits cantons catholiques le nombre des rejets
l'emporta, il est vrai, sur celui des acceptations; mais
comme il avait été décidé ( et c'était aussi là le seul parti
raisonnable à prendre) que la nouvelle constitution serait
considérée comme acceptée pourvu qu'elle réunit en sa fa-
veur et la majorité des cantons et la majorité relative de la
population, elle put être solennellement proclamée le 12 sep-
tembre. Les événements accomplis à la fin de 1847 provo-
quèi ent aussi dans les cantons en particulier, même dans
ceux qui avaient fait partie du Sonderbund , d'importantes
réformes dans la constitution et la législation. Le plus grave
de ces événements avait été la transformation de la princi-
pauté de Neufchâtel en république, malgré les justes
mais inutiles réserves faites à cet égard par la Prusse.
Le triomphe remporté partout en Europe par la réaction
sur la révolution, dans le courant de l'année 1849, amena de
nouveau en Suisse plusieurs milliers de réfugiés de diverses
nations, surtout d'Allemands, d'Italiens et bientôt aussi de
Français. Pour désarmer ces réfugiés et en même temps
protéger ses frontières contre leurs persécuteurs, le conseil
fédéral décréta en 1849 la levée de douze mille hommes,
puis de vingt-quatre mille hommes, dont elle confia le
commandement au général Dufour. Peu à peu le nombre des
réfugiés retirés en Suisse arriva à n'être plus que de quelques
centaines. Cependant, leur présence sur le sol de la confé-
dération fournit encore une fois |irétex(e à quelques États
voisins pour élever les réclamations les plus vives et les
moins fondées, et amena de nouvelles dillicultés diploma-
tiques. De tous ces conllits le plus grave fut celui qui eut
lieu avec l'Autriche. L'expulsion du canton du Tessin de
quelques capucins natifs de la Lombardie avait déjà pro-
voqué un échange de notes, lorsque la participation de
quelques réfugiés italiens à l'attentat de Milan du 6 fé-
vrier 1853 éveilla dans l'esprit du gouvernement autrichien
le soupçon que cette entreprise avait été dirigée ou tout au
moins favorisée par la Suisse, notamment par le canton du
Tessin. Les demandes de satisfaction et de garantie pour
l'avenir présentées par le cabinet de Vienne étaient si in-
compatibles avec la situation de la Suisse comme État indé-
pendant, qu'elle ne pouvait que les rejeter. En conséquence,
l'Autriche rappela son chargé d'affaires près la Confédération,
ordonna un blocus du côté du Tessin, puis expulsa des États
de l'empereur tous les citoyens du Tessin établis dans le
royaume lombardo- vénitien et dont le nombre ne s'élevait
pas à moins de six mille. La querelle entre les deux États
voisins prit un caractère menaçant, et, de même qu'en 1847,
on put croire en 1853 que la question suisse allait encore
une fois servir de préface à de nouvelles complications euro-
péennes. Mais les graves difficultés survenues en Orient
dans le courant de l'année 1854 firent oublier les griefs qu'on
pouvait avoir contre la Suisse; et au mois de juin 1854
l'Autriche consentait à un accommodement pacifique et
amiable, et supprimait le blocus rigoureux qu'elle avait jusque
alors entretenu sur les frontières du canton du ressiu.
SUISSES (Cent-). Voijez Cent-Suisses.
' SUISSES (Troupes mercenaires). A la suite deslnttes
victorieuses soutenues par la Suisse contre l'Autriche, l'usage
s'établit que de jeunes Suisses se missent à la solde de quelque
puissance étrangère, ordinairement sous la réserve d'être
commandés par des officiers de leur nation et de ne pouvoir
être distraits de leurs juges naturels. Déjà en 1450, avant les
guerres de Bourgogne, des Suisses étaient entrésà titre d'amis
fédéraux à la solde de la ville impériale de Nuremberg et
s'étaient battus contre le margrave Albert-Achille de Bran-
debourg. C'est le canton de Soleure qui le premier mit des
troupes mercenaires à la solde de la France, en 1464. De-
puis lors, les capitulations militaires conclues avec un ou
plusieurs cantons pour mettre des troupes mercenaires à la
solde de diverses puissances étrangères, notamment de la
France, de l'Espagne, de la Hollande, deNaples, du Pié-
mont et des États de l'Église, devinrent de plus en plus en
usage. En France seulement on compta au service, depuis
Louis XI jusqu'à la fin du règne de Louis XIV ( 1465-1705),
1,100,000 Suisses, auxquels il fut payé environ 1,150,000
francs. Les Suisses croyaient que cette location de leurs ser-
vices ainsi laite à des puissances étrangères était pour eux
une source de profils considérables ; mais en général il n'y
avait qu'une petite partie du corps d'officiers qui parvînt
à amasser quelque argent, tandis que le soldat s'en retour-
nait dans ses foyers le plus ordinairement pauvre et malade.
Comme école militaire, ce système perdit toute utilité le
jour où les mercenaires suisses furent généralement em-
ployés à la garde personnelle des souverains. Les soldats
congédiés regagnaient leurs foyers le plus souvent démora-
lisés et incapables de se livrer aux travaux de la vie civile.
C'est ainsi que les cantons qui fournissaient le plus de mer-
cenaires à l'étranger demeuraient les plus pauvres, ou bien
que leur industrie, jadis prospère, finissait par être anéantie.
Ce système de troupes mercenaires ne contribua pas peu non
plus à faire haïr ce nom de Suisses , autrefois si considéré.
On vit dans les soldats suisses des instruments des assas-
sinats commis dans la nuit de la Saint-Ba rthélemy;
en 1792, presque toute la garde suisse qui se trouvait à
Paris fut massacrée , après la plus héroïque défense sans
doute, mais victime des vengeances populaires. En 1830 ces
républicains mercenaires soutinrent également une lutte
sans gloire au profit de l'absolutisme. Cependant, en 1848
les troupes mercenaires suisses se battirent vaillamment à
Vienne, à Naples, à Messine, à Catane.
La révolution avaitdéchiré les capitulations militaires con-
clues avec la Suisse; mais l'article 8 de l'acte fédéral de
1815 permit de nouveau aux cantons, et sous certaines con-
ditions , de conclure de semblables capitulations. Après
1830, la plupart des cantons régénérés interdirent par leurs
constitutions la conclusion de capitulations militaires avec des
pui.ssances étrangères. La constitution fédérale de 1848 (ar-
ticle 2) contient la même interdiction. Cependant, aujour-
d'hui des capitulations de ce genre sont encore en vigueur
avec le pape et avec le roi de Naples; et malgré les mesures
prises postérieurement par les autorités fédérales afin d'em-
pêcher tout recrutement ultérieur, même pour les régiments
capitules, malgré les peines auxquelles ont été condamnés
quelques recruteurs, il a été jusqu'à présent impossible
d'empêcher les embauchages interlopes. ConsultezZurlauben,
Histoire militaire des Suisses (Paris, 1753); May de Ro-
mainmortin , Histoire militaire des Suisses daris les dif-
férents services de l'Europe (Lausanne, 1788).
SUITE. Voyez Continuation.
SiJlTE (Droit de), reste de la barbarie féodale, aboli en
1783 par les soins de Necker. En vertu de ce droit de
suite, les seigneurs de fiefs situés dans diverses provinces
réclamaient l'héritage d'un homme né dans l'étendue de leur
seigneurie, quoiqu'il se fût absenté depuis longtemps et eût
étabfi son domicile dans un lieu/fa?JC.
SUITES. Voyez Bohémikns.
SUITES (Mathématiques). Foyes Série.
SUJET — SULLY
S97
SUJET ( Logique et Grammaire). Voyez Objet.
SULFATE, sel formé par la combinaison d'une base
avec l'acide snlfiirique. On trouve dans la nature un
grand nombre de sulfates; mais quelques-uns, comme le
sulfate de fer, n'y ont qu'une existence accidentelle, et
d'autres se fabriquent de toutes pièces dans nos laboratoires.
Quelle que soit leur origine, les sulfates présentent des ca-
ractères bien tranchés. Tous sont décomposés par la cha-
leur, excepté les sullates de potasse, de soude, de chaux,
de strontiane, de baryte, de magnésie et de plomb. Les
produits qu'ils laissent dégager varient avec l'augmentation
de la température : c'est d'abord de l'eau de cristallisation
(vers 100°) , ensuite des vapeurs blanches d'acide sulfurique
anhydre (vers 400°), etenlin, à la chaleur rouge, de l'oxy-
gène et de l'acide sulfureux, résultant de la décomposi-
tion de l'acide sulfurique. Suivant l'affinité du radical de la
base pour l'oxygène , on a pour résidu un oxyde ou le métal
pur. Les sulfates de baryte, de plomb, d'élain et d'anti-
moine sont insolubles dans l'eau; les sulfates de strontiane
et de chaux s'y dissolvent en petite quantité; tous les autres
.sont plus ou moins solubles dans ce liquide. Ces derniers ,
traités par l'eau de baryte, donnent pour précipité un
sulfate de baryte blanc, sur lequel l'acide azotique est sans
action. Du reste , aucun sulfate n'est complètement décom-
posé par les acides à la tem|)érature ordinaire, excepté le
sulfate d'argent, (|ui l'est par l'acidechlorhydrique. Lesacides
phosphorique et borique solides peuvent, au contraire, les
décomposer tous aune chaleur rouge, et former des phos-
phates et des borates. Enfin, si l'on chauffe un sulfate avec
un mélange de carbonate de soude et de charbon, il y a
production d'une certaine quantité de sul fure de sodium;
en mettant alors un fragment de la masse fondue sur une
lame d'argent humectée, celle-ci devient noire à l'instant ;
ou bien, si l'on jette ce fragment dans de l'eau acidulée,
on observe un dégagement d'acide suif hydrique.
Les principaux sulfates naturels sont : diverses espèces
à'aluns; Valunife; Valunogène; l'anglésite, on
suif ate de plomb ; la barytine, ou sulfate de baryte,
substance blanche ou légèrement jaunâtre, vitreuse, ordi-
nairement transparente , très-pesante , et qui en masses
globuleuses constitue la pierre de Bologne, qui, forte-
ment calcinée avec des matières organiques sert à la pré-
paration de la substance phosphorescente dite phosphore
de Bologne; la célestine , ou sulfate de strontiane ; la
karsténite , ou sulfate anhydre de chaux; la thénar-
dite, ou sulfate anhydre de soude; Vepsomite, ou sul-
fate de magnésie, vulgairement sel d'Epsom, sel de
Sedlitz ; la glaubérite, ou sulfate double de soude
et de chaux; \e gypse, ou sulfate de chaux hydraté;
le sulfate de soude hydraté, connu sous le nom de sel
de G l au b er ;\es. sulfates de cuivre, de fer, dezinc,
vulgairement couperoses ,elc., etc.
SULFHYDUIQUE (Acide). L'acide sulfhydrique
{hydrogène sulfuré, acide hydrosulfurique), composé
d'un équivalent d'hydrogène et d'un équivalent de soufre,
est un gaz incolore, que caractérise une odeur d'œufs pour-
ris très-prononcée; sa saveur est fort désagréable; sa den-
sité est 1,19. Peu soluble dans l'eau, il ne fume pas à l'air.
Il brûle avec une flamme bleuâtre , en répandant une odeur
d'acide sulfureux. Ses propriétés acides sont peu énergiques;
il rougit faiblement la teinture de tournesol, en rouge vi-
neux.
L'acide sulfhydrique noircit l'argent, et précipite géné-
ralement en noir la plupart des sels métalliques; les préci-
pités sont des sulfures. Il agit comme un poison sur les
animaux. En provoquant l'asphyxie, c'est lui qui produit
les accidents qu'on a à redouter en vidant les égouts , les
fosses d'aisances. L'acide sulfliydrique se rencontre aussi
dans les eaux sulfureuses naturelles , telles que celles de
Barèges, de Cauterets, de Bagnères, etc.
On prépare l'acide sulfhydrique dans nos laboratoires en
faisant agir à froid un acide fort sur un sulfure. Si l'on prend,
par exemple, de l'acide chlorhydrique et du sulfure de fer,
on obtient un dégagement d'acide sulfhydrique accomoagné
de la formation d'un chlorure de fer.
SULFH YDROMÈTRE, instrument propre à mesurer
la quantité d'acide sulfhydrique que contiennent les eaux
minérales. L'opération consiste à remplir de teinture
d'iode un tube gradué; ensuite, on jette une solution d'ami-
don dans un litre de l'eau minérale qu'on suppose ou qu'on
sait être sulfureuse. Versant de l'iode goutte à goutte dans
l'eau minérale, le liquide reste incolore tant que le principe
sulfureux n'en est pas saturé. Mais aussitôt que ce principe
est épuisé, ce liquide devient bleu, par suite de l'action de
l'iode sur l'amidon. Donc, pour constater combien une eau
minérale renferme de principe sulfureux, il suffit de nom-
brer combien il a fallu de degrés de teinture d'iode pour
saturer le principe en question, proportion toute calculée
d'avance. D"" Isidore Bourdon.
SULFITE, genre de sels composés d'acide sulfu reux
et d'une base. Tous les sulfites sont décomposés par le
feu. Exposés à l'air, ils en attirent l'oxygène et se tranbfor-
ment en sulfates. Excepté ceux de potasse, de soude et
d'ammoniaque, la plupart sont insolubles dans l'eau. Plu-
sieurs d'entre eux peuvent se combiner avec du soufre très-
divisé et former des sulfites sa\iatés{hyposulfites). Tous
laissent dégager de l'acide sulfureux lorsqu'on les traite par
l'acide sulfurique concentré. On les obtient en faisant passer
du gaz acide sulfureux dans de l'eau tenant en dissolution
ou en suspension la base qu'on veut combiner avec l'acide.
SULFURE, nom générique des combinaisons du soufre
avec les alcalis, les terres, les métaux. Les anciens chimistes
donnaient le nom de foie aux composés de soufre et d'un
alcali minéral.
SULFUREUX (Acide). Cet acide, formé d'un équiva-
lent de soufre et de deux équivalents d'oxygène, est nn
gaz incolore, doué d'une odeur .suffocante, rappelant l'odeur
du soufre. Sa densité est 2,25. Il décolore certaines cou-
leurs végétales. Il rougit la teinture de tournesol, qui bien-
tôt après devient d'un jaune paille.
On rencontre l'acide sulfureux à l'élat de liberté aux
environs des volcans, des solfatares, et partout où il y a du
soufre en combustion. On le prépare facilement en brûlant
du soufre sous une cloche contenant de l'oxygène.
SULFUREUSES (Eaux). Voyez Eaux minérales.
SULFURIQUE (Acide). Cet acide, vulgairement nom-
mé huile de vitriol, existe sous deux états : 1* combiné
avec le quart de son poids d'eau, et alors il est hquide;
2° anhydre ou privé d'eau, il est incolore, inodore, d'une con-
sistance oléagineuse et d'une saveur acide très-forte; sa
densité lorsqu'il est bien concentré est 1,25; réduit en
bouillie, il noircit la majeure partie des matières végétales
et animales ; si l'on môle parties égales d'eau et d'acide sul-
furique , la température du mélange s'élève à 84 degrés
centigrades ; quatre parties d'eau font monter le même ther-
momètre à 105 degrés; dans ces cas, le volume 'lu mé-
lange diminue sensiblement. L'acide sulfurique sert à pré-
parer la plupart des acides, l'alun, la soude, l'éther. Les
tanneurs s'en servent pour gonfler les peaux. Il est d'un usage
général comme réactif. C'est le plus important des puis-
sants agents que la chimie a livrés aux arts. Ou piépare
l'acide sulfurique avec le soufre et l'azotate de potasse.
SULIi\A. Voyez Soulinx
SULLY (Maximilien de BÉTHUNE, baron de Rosny ,
duc de) , principal ministre sous Henri IV , et créé maré-
chal de France en 1634, naquit le 13 décembre, à Rosny,
d'une famille ancienne, et fut élevé dans la foi protestante.
Peu s'en fallut que les massacres de la Saint-Barthélémy n'en-
levassent ce grand homme à la France et au roi dont il
devait être le ministre et l'ami. Il n'avait encore que douze ans
mais sa présence d'esprit et l'humanité courageuse du prin-
cipal du collège de Bourgogne, où il étudiait, le sauvèrent.
Présenté dès l'âge de seize ans au roi de Navarre , qui n'en
comptaitque vingt-trois, il commença dès lors cette carrière de
398
vouement qui ne devait avoir de terme que la vie de son prince.
Tous deux aussi dès lors parcoururent ensemble avec une
vaillance et une ardeur de courage égales cette autre carrière
de périls, de combats à outrance et d'actions héroïques ou-
verte par les guerres civiles qu'il fallut traverser pour que
Henri s'affermît sur le trône de France , et qui ne se ferma
qu'à la paix de Vervins. Pour suivre Sully dans sa triple
mission de guerrier, de négociateur et de ministre , il fau-
drait écrire son histoire.
Sully ne fut pas seulement un guerrier distingué parmi
les plus braves, il fut encore l'un des capitaines les plus
instruits et les plus habiles de son temps. 11 devint par son
génie le précurseur de V au ban. Par une foule de travaux
relatifs à la défense et à l'attaque des places fortes il s'était
préparé aux fonctions de grand-maître de l'artillerie et de
chef de l'administration militaire, qu'il devait exercer un
jour. Au siège de Dreux ( 1593) , la mine et la sape le ren-
dirent en six jours maître d'une tour à l'épreuve du canon,
dont ses envieux et presque le roi lui-môme croyaient la
prise impossible. Les sièges de Laon ( 1594), de La Fère
( 1596), d'Amiens (1597), ne signalèrent pas moins ses ta-
lents et sa vigilance. C'est à l'armée occupée a ce siège que
pour la première fois , grâce à la sollicitude bienfaisante
d'Henri IV et de Sully, on vit un hôpital régulier où les
blessés et les malades trouvaient tous les secours dont ils
avaient besoin. Si les sciences avaient aidé ce grand hom-
me à deviner l'art des Vauban et des Cohorn, sa sagacité, sa
prudence native , son expérience des hommes et des affaires
acquise presque dès l'adolescence, au milieu de la vie la
plus agitée par tant de troubles, en avaient fait aussi le
rival des Jeannin , des Villeroi et des d'Ossat dans la carrière
épineuse des négociations. Dans ces temps calamiteux com-
battre et vaincre ne sulfisaient pas. Contenir les animosités,
déjouer les intrigues, les machinations de l'étranger, son-
der les intentions, éclairer les projets de tous les hommes
puissants , de quiconque avait par lui-même quelque valeur,
rallier à la cause du prince et de la patrie tous ces éléments
discordants , f aiie avorter les desseins de ceux que l'on ne
narvenait pas à gagner, calmer les jalousies , prévenir ou
/lissiper les défiances entre les protestants et les catholiques
pour les faire marcher de concert au même but, quelle lâche
pouvait être plus pénible! Que de pénétration , de sang-
froid et d'adresse il fallait pour l'accomplir ! Sully négocia-
teur déploya ces qualités, comme il avait montré dans la
guerre la science unie au plus ardent courage.
Mais c'est à l'extérieur que l'habileté diplomatique de
Sully se manifesta avec le plus d'éclat. C'est dans ses am-
bassades célèbres en Angleterre qu'il rendit les services les
plus signalésàson payset à son royal ami. 11 faut lire dans ses
Économies royales, et non dans les prétendus mémoires,
arrangés et tronqués par l'abbé de L'Écluse, les détails cu-
lieux et intéressants de sa mission secrète auprès d'Elisa-
beth à Douvres. L'entretien de celte princesse avec Sully,»
raconté par lui avec une naïve et précieuse fidélité, nous
montre bien mieux que tous les récits étudiés de l'histoire
combien s'estimaient et s'entendaient entre elles ces deux
grandes âmes de monarque, la reine delà Grande-Bretagne
et Henri.
Les services et la double gloire du guerrier et du diplo-
mate suffiraient pour illustrer tout autre que Sully. A peine,
cependant, la renommée lui en tient-elle compte. Une autre
gloire a consacré son nom : celle du ministre homme de
génie, aimant son roi et le peuple, secondant de ses lumières
et de son infatigable vigilance le prince dont la pensée
dominante est le bonheur de ce peuple, adoptant avec en-
thousiasme les projets bienfaisants de Henri, et les réalisant
avec toute l'ardeur du zèle, avec la fermeté persévérante
qui lève tous les obstacles et réprime tous les abus à l'aide
d'un travail opiniâtre et d'une surveillance qui ne se relâche
jamais. C'est dans les écrits contemporains, dans le livre
des Économies royales et dans les Considérations stir les
finances de la France, par Forbonnais , qu'il faut cherclar
SULLY ^' SULPICE
I le tableau du désordre ellroyable des finances lorsque Saîly
fut appelé au ministère, des luttes qu'il eut à soutenir, de
tous les efforts qu'il lui fallut faire pour mettre un terme au
pillage général des deniers publics et extirper les plus
criants abus. C'est là que l'on trouvera le détail de toutes
les mesures habiles que prit le grand ministre pour substi-
tuer à cette révoltante anarchie des impôts et des finances
un ordre régulier. Tout le monde sait que l'agriculture et
le sort des cultivateurs, réduits à la misère par les horreurs
des guerres civiles , furent le principal objet des pensées et
du zèle régénérateur du roi et de son ami. Leur premier
soin fut de les affranchir des exactions et des excès des gens
de guerre, ensuite de l'excès et de l'arbitraire des tailles,
taxes vicieuses par leur assiette , leur répartition , et plus
encore par la foule des exemptions que s'arrogeaient tous
ceux qui pouvaient échapper à un impôt regardé comme un
signe d'avilissement. Aussi les peuples, et surtout les la-
borieux habitants des campagnes, bénissaient-ils le gou-
vernement d'Henri IV pendant sa vie, et n'ont-ils pas
cessé depuis sa mort de le bénir par leurs regrets. C'é-
tait l'agriculture et sa prospérité que Sully regardait comme
le fondement de l'ordre et du bonheur publics. Il ne né-
gligea ni le commerce ni l'industrie; mais il les subordon-
nait à l'agriculture. Peut-être s'exagérait-il cette subordi-
nation. Henri fut plus favorable que lui à la culture du mû-
rier, occupation moitié agricole, moitié industrielle, qui
au premier titre du moins se recommandait à Sully. Quoi
qu'il en soit, malgré la prédilection croissante que la fureur
du lucre , s'étayaut des subtilités d'une science trompeuse,
attache aux spéculations du commerce et de l'industrie ,
la base de l'économie politique , c'est l'agriculture , comme
le croyait Sully ; l'agriculture, nourrice des races vigoureuses
de corps et d'âme et des mœurs saines.
Tout a été dit et répété sur cette amitié intime et dévouée
qui unit constamment le prince et son ministre, amitié mo-
dèle , qui ne s'est plus reproduite. On sait que peu après
la mort désastreuse du roi Sully se retira dans ses terres.
Il lui survécut trente ans, et mourut à Yillebon, le 22 dé-
cembre 1641 , âgé de quatre-vingt-un ans.
On lui a reproché ses richesses. Les commérages d'an-
tichambre, recueillis sans choix et avec une malignité en-
vieuse par Tallemant des Réaux, l'ont présenté comme sus-
pect au roi lui-même d'une basse cupidité. Quinze ans d'une
administration probe et sévère, des faits attestés qui le
montrent repoussant les présents et les corrupteurs, ré-
pondent assez aux caquetages de la haine et de l'envie.
Les Économies royales et loyales servitudes , etc., écri-
tes sous la dictée de Sully par quatre secrétaires, furent
imprimées (in-fol.) à Paris sous la rubrique d'Amsterdam :
cette édition est connue sous le nom du Livre-Vert, parce
que les vignettes du titre sont de cette couleur. C'est dans
ce livre , précieux par la naïveté franche du récit autant
que par la multitude des documents précieux qu'il renferme,
qu'il faut étudier le caractère d'Henri IV, ses vues pour
le bien public et les opérations de son fidèle ministre.
AUBERT DE VlTRY.
SULPICE (SÉVÈRE ), historien renommé du quatrième
et du cinquième siècle, naquit vers l'an 363, et mourut
vraisemblablement en 420, Il appartenait à une famille
riche et considérée de l'Aquitaine. L'étude des lettres
et du droit, son instruction, son talent naturel pour l'élo-
quence, lui firent parcourir avec distinction la carrière du
barreau , et son mariage avec une femme riche accrut beau-
coup sa fortune. La mort de cette épouse, qu'il chérissait,
la douleur que lui causa sa perte, et sans doute l'amitié qui
l'unissait à deux chrétiens sanctifiés par leurs vertus, saint
Martin , évêque de Tours, et saint Paulin, évêque de Noie,
digne élève du célèbre Ausone, l'éloignèrent du monde et
de ses plaisirs. Ordonné prêtre , il se voua à la prière, à la
retraite , et consacra ses talents à des sujets dignes de sa
piété. Le plus renjmmé de ses ouvrages est son Histoire
sacrée, composée de deux livres. Sa narration abrégée ré-
SULPICE — SUMATRA
399
8ume tous les événements remarquables de l'iiistoiie des
Juifs et de l'Eglise, depuis l'origine du monde jusqu'au
consulat de Slilicon, en 410. On lui reproclie des défauts
d'exactitude, trop de crédulité, son penchant pour les rê-
veries desmillénaires, et d'autres idées superstitieuses.
Mais tous les critiques s'accordent pour louer la pureté et
i'élégance de son style, sa brièveté, qui l'a fait comparer à
S a 1 1 u s t e , qu'il surpasse par la clarté . Son intimité avec saint
Martin , dont la tolérance et l'humanité courageuse dans sa
querelle avec \es priscilianistes ont élé si justement célé-
brées, a fourni à Sulpice Sévère les moyens de faire mieux
connaître qu'aucun autre historien l'histoire de cette hérésie.
Sa tendre vénération pour l'illustre évêque s'est manifestée
dans l'ouvrage qu'il a consacré à sa mémoire. Les écrivains
contemporains attestent le succès prodigieux de cette Vie
de saint Martin, dont on a une traduction par Duryer.
La dernière traduction de V Histoire sacrée est due à
l'abbé Paul. Aubert de Vitry.
SULPICIEIV , prêtre qui a fait ses études théologiques
au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, ou dans un des éta-
blissements qui en dépendent. L'enseignement de cette
maison a toujours jeté un vif éclat, et c'est déjà presque
une recommandation pour un ecclésiastique que d'y avoir
étudié.
SULPïCIUS, nom d'une grande famille romaine, qui
comprenait diverses branches , pour la plupart patriciennes,
avec les surnoms de Camerinus , Galba, Gallus , Longus,
Pater cul as y Petlcus , Prxlexlatus , Ru/us et Saverrio.
Dans ce nombre , les fastes de la magistrature font men-
tion, dès l'an 500 av. J.-C, de celle qui porta le surnom
de Camerinus. La famille Galba apparaît pour la piemiè-re
fois avec Publius Sulpicius Galba Maximus, qui en l'an
211 , et sans avoir préalablement rempli d'autre cliarge
curule,fut nommé consul, puis en l'an 203 dictateur, et
qui lors de son consulat , en l'an 200, commença la guerre
contre Philippe de Macédoine.
Scrvius Sulpicius Gaii)rt, préteur l'an 151 av. J.-C, fut
battu en Lusitanie. L'année suivante il fit égorger, à l'aide
de la plus infâme des trahisons, plusieurs milliers de Lusi-
taniens. Viriathe fut du petit nombre de ceux qui échappèrent
à ce massacre. Accusé, en raison de cet attentat, en 150,
par Lucius Scribonius Libon , auquel se joignit Caton, il
échappa à une condamnation , grâce à l'adroite éloquence
de sa défense. Son petit-fils, qui portait les mêmes noms,
accompagna Jules César dans la guerre des Gaules en qualité
de légat, et fut le grand- père de l'empereur Galba.
Gains Sulpiciîis Gallus se distingua par l'étendue de ses
connaissances en astronomie; tribun militaire lors de la
guerre contre Persée, il prédit avec la plus grande préci-
sion une éclipse de lune. Consul en l'an 166 , il triompha des
Liguriens.
Dans la famille qui portait le surnom de Ru/us, il est
pour la première fois fait mention , en l'an 388, d'un Ser-
vius Siilpicius Rtifus parmi les tribuns militaires consu-
laires. A cette famille appartenait Servius Sulpicius Ru/us,
contemporain de Cicéron , célèbre par sa loyauté et sa pro-
bité et plus encore par son savoir comme jurisconsulte.
Un rameau plébéien de la même branche donna Publius
Sulpicius Ru/us , né l'an 124, que Cicéron introduit comme
un de ses interlocuteurs dans son livre De Oratore, et dont
il fait l'éloge, non-seulement comme d'un orateur habile ,
mais encore comme d'un honnête homme.
SULTAN, mot arabe qui signifie homme puissant. C'est
en Orient le titre ordinaire des souverains mahométans. Le
plus considérable de tous les sultans est celui de l'Empire
Ottoman. Dans l'usage ordinaire ce mot, avec un pronom,
peut se donner par politesse à tout le monde, par exemple
sultaman, qui répond à notre mot Monsieur.
SULTANE. On donne le titre de sultanes aux femmes
des sultans; mais, à bien dire, on le réserve en Turquie aux
seules épouses légitimes du sultan. Les Européens appellent
sultanes toutes les concubines du grand-seigneur qui ont de
lui des enfants. A Constan'inople il n'y a que If-, filles du
sultan qui aient le titre de sultanes; elles le conservent
même après leur mariage, et les filles issues de mariages de
cette espèce portent le titre de kanum-sultanes, c'est-à-dire
femmes du sang. Quand la mère du grand-seigneur vit en-
core au moment de son avènement au trône, elle a le titre
de sultane validé.
SUMAC ( Rhus, L.) , genre de plantes de la famille des
térébenthacées, comprenant un très-grand nombre d'espèces.
Son fruit , assez semblable à une grappe de raisin , sert
dans le midi de la France à faire du vinaigre. On l'emploie
aussi en médecine comme remède contre la dyssenterie. Son
écorce sert à la tannerie.
Le st^mac, employé en teinture , est la feuille de cette
plante sécliéeet pulvérisée. On en connaît de cinq sortes : le
sumac de Sicile, ct\m de Malaqa, celui de Porto, celui de
Donzère, récolté aux environs de Montélimart et dans le
comtat Venaissin , où on le désigne vulgairement sous le
nom d'herbe aux teinturiers.
SUMATRA, l'une des grandes îles de la S o n d e, dans
l'archipel de la mer des Indes, d'une longueur de l40 myria-
mètresetd'une largeur variant de 14 à 35 myiiamètres, avec
une superficie d'environ 5,360 myriamètres carrés, s'étend
d;ms ladirection du nord-est au sud-ouest entre le 6° de lati-
tude sud et le 5° de latitude nord, est séparée au nord-est
par le détroit de Malakka de la presqu'île du même nom ,
et à son extrémité sud-est de l'île de Java par le détroit
delà Sonde. Une foule de petites îles l'entourent de tous côtés,
mais plus particulièrement au sud-ouest. Comme Java, Su-
matra est traversée par plusieurs hautes chaînes de monta-
gnes, qui suivent ladirection principale de l'île et s'étendent
par conséquent du sud-est au nord-ouest, et plus particuliè-
rement au sud-ouest de l'île dans toute son étendue, depuis
le détroit de la Sonde jusqu'au cap Atschin, son extrémité
septentrionale, tandis que le côté nord-est de l'île est plat. Ces
diverses chaînes de montagnes sont de nature plutonienne,
et contiennent seize à dix-huit volcans, les uns éteints, les
autres encore en activité, et formant les pics extrêmes des
montagnes. Le pays plat de la côte nord-est est tout à fait
un sol d'alluvion, avec des parties sablonneuses etdenom-
breux marais, large de 15 à 20 myriamètres, avec une côte
plate, manquant de ports et bordant une mer remplie de
bas-fonds et de bancs de sable. La plupart et les plus grands
cours d'eau de l'île, parmi lesquels le Palembang, le Siak et
le Rekkan sont les plus importants, ont leur embouchure
située sur cette côte, à laquelle ils ajoutent toujours de nou-
veaux terrains; et dans cette contrée basse, presque partout
couverte de magnifiques forêts primitives, mais malsaine et dès
lors peu peuplée, ils forment à peu près les seules voies de
communication entre les différentes localités qu'on y trouve.
Au delà de cette contrée basse et complètement plate s'élèvent
des chaînes de montagnes de plus en plus hautes , entre les-
quelles on trouve de magnifiques vallées et de fertiles plaines,
formant le plateau qui s'étend jusqu'à la côte sud-ouest, où il
s'abaisse alors abruptement. Cette côte sud-ouest, à la diffé-
rence de la côte nord-est, estéchancréepar un grand nombre
de baies et d'anses, offredebeaux ports, estbordéede rochers
ou encore demontagnes et decollines renfermant de belles val-
lées, jouit d'un airsalubre, surtout dans les parties élevées,
et en conséquence est très-peuplée et couvei te de villes et
de villages. Le climat est le même que celui de toutes les
îles équatoriales de l'archipel des Indes orientales. II est
; déterminé par les mousson s, qui de mai à octobre souf-
llent du sud-est et occasionnent ainsi la saison sèche de
l'année , mais qui pendant l'antre moitié de l'année souf-
I (lent du nord-ouest et amènent alors la saison des pluies.
' Si le climat des côtes est malsain pour les Européens, il est
I plus supportable dans les hautes contrées de l'intérieur.
j Les éruptions volcaniques et les tremblements de terre n'y
sont pas rares. Sauf quelques landes, le sol c'^t de la plus
I luxuriante fécondité. Les produits les plus importants pour
! le commerce sont le riz, les bois de teinture et de cons-
400
SUMATRA — SUND
tniclion , le tabac , le poivre, la cannelle , les noix de mus-
cade, les clous de girofle, le rotang, l'aloès, le camphre,
le benjoin , le sang-dragon, la laque, la cire, l'or, les dia-
mants, le soufre et les étoffes de soie. Le règne animal
offre des tigres, des ours, des éh'pliants, des rhinocéros,
diverses espèces de singes , des buffles , un grand nombre
d'oiseaux , des crocodiles et des serpents de diverses espè-
ces, de grandes fourmis et des coquillages gigantesques. Les
habitants de Sumatra sont de race malaise, les uns malio-
métans , comnce les Battas , et les autres encore païens.
Sumatra est la véritable patrie originaire des Malais, qui
de là se répandirent dans la presqu'île de Malakka et
dans le reste de l'arcliipel des Indes orientales. On rencon-
tre en outre dans les villes commerciales des Hindous et
beaucoup de Chinois, qui forment surtout la classe des
gens de métier; plus des Arabes, venus ici à la suite d'ex-
péditions militaires et comme mercenaires; enfin, des Hol-
landais , comme maîtres d'une partie du pays.
L'île se compose d'une partie indépendante et d'une par-
tie soumise aux Hollandais. Dans la première on trouve :
1° le royaume à''A(scfiin , avec 500,000 habitants sur une
superficie de 700 myriam. carrés, à l'extrémité nord-est
du pays , ayant pour capitale la ville du même nom, antre-
fois célèbre par l'activité et l'étendue de son commerce, et
où on compte 40,000 habitants; 2° le royaume de Siak ,
sur la côte orientale , avec 600,000 habitants sur une su-
perficie de 875 myriam. carrés; 3° le pays des B a ^^a 5 ou
Catak , à l'intérieur, au sud d'Àtschin. Les Hollandais, qui
à la fin du seizième siècle expulsèrent de cette île les Por-
tugais, qui l'avaient découverte, et qui créèrent en 1G64 un
établissement fixe à Padang.se virent enlever, à l'époque des
guerres que la révolution provoqua entre l'Angleterre et
la France, leurs possessions par les Anglais, lesquels dès
l'année 1685 avaient fondé dans ces parages la colonie de
Bencoolen. Mais aussitôt après la paix signée à Paris
en 1815 ils s'y établirent de nouveau, et en vertu d'un traité
d'échange les Anglais leur cédèrent même Bencoolen en
1824. Dès lors l'influence hollandaise sur Sumatra devint
d'une importance CNtréme, et alla toujours en augmentant.
Les Hollandais ne lardèrent pas en effet à posséder Padang au
nord-ouest de Bencoolen, ainsi que Palembang sur la côte
orientale avec les Iles de Banca et de Billiton, de Burtang
et de Rio, qui l'avoisinent et sont importantes à cause de
leurs mines d'étain et de fer; ensuite, ils conquirent l'an-
cien et important royaume de Menanycabo , situé à l'inté-
rieur, siège de l'ancienne civilisation malaise, dont au temps
de sa prospérité dépendait presque tout le reste de Sumatra
ainsi que le royaume de Bongol, et rendirent les souverains
de ces divers pays leurs vassaux. Les Hollandais se sont em-
parés en même temps sur le reste des côtes de divers points
importants pour le commerce et de la longue chaîne d'î-
les qui bordent la côte occidentale. Ils ont donc enveloppé
l'île comme d'un réseau d'établissements, afin de la tenir
sous leur dépendance à l'instar de Java. Leurs possessions
à Sumatra ainsi que dans les îles voisines qui en dépendent
forment un gouvernement particulier, qui en 1849 comptait
une populaiion de 1,610,360 habitants sur une superficie de
6,460 myriam. carrés. Elles constituent les résidences sui-
vantes : 1° Sumatra ou Padang, au centre de la côte occi-
dentale, avec 1 , 540 myriam. carréset 938,585 habitants : chef-
lieu Padany , siège du gouverneur, avec 10,000 habitants;
2° Bencoolen, situé plus au sud, 308 myriam. carrés et
93,875 habitants : chef-lieu la ville du même nom; 3° Lam-
pon ou Lampouhn, à l'extrémité sud , 342 myriam. car-
rés, avec 82,900 habitants : chef-lieu Julang-Bauwang ;
4° Palembang, à l'est de Bencoolen et au nord de Lampon,
1,792 myriam. carrés, avec 272,000 habitants : chef lieu P o-
lembang; b° Indragiri, au centre de la côte orientale,
et près du fleuve du iiiCme nom, 475 myriam. carrés, avec
50,000 habitants ; 6" Assahan, Batubarra, Sirdaet Délit,
sur la côte nord-est, 247 myriam. carrés, avec 100,000 habi-
tants; T» Bangka ou Banca et Billiton, 250 myriam.
carrés, avec 43,000 habitants; 8° Rhio iu Rio, ou encore
Riaw, 103 myriam. carrés, avec 30,000 habitants, dans
l'archipel au sud de la presqu'île de Malakka et de la colonie
anglaise de S i n g a p 0 r e, composé des îles Bin tang, Lingga,
Battam et quelques autres encore, de moindre grandeur.
SUMEGH ou SOMOGY, comitat du district d'Œden-
bourg (Hongrie), qui compte 250,874 habitants sur une
superficie de 82 myriam. carrés. H forme les arrondissements
judiciaires de Kaposvar, Igal, Karad, Marczaly, Szygethvar,
Nagy-Alàd , et Csurgo , et a pour chef-lieu Kaposvar, ville
de 4,000 habitants, avec une école supérieure et les ruines
d'un vieux château. Le village de Làad (900 habitants) est
célèbre par le haras de Czindery, fondé il y a plus d'un siè-
cle avec des chevaux tirés de la Tatarie, et qui continue
à livrer des produits d'une remarquable pureté de sang.
SUMMUM JUS,SUMMA INJURIA. Cet adage
latin veut dire que Vextréme droit (en d'autres termes, le
droit quand il est poussé jusqu'à ses dernières limites) de-
vient Vextréme injustice.
SUiXD ou plutôt ŒRESUND, nom du détroit qui sépare
l'île danoise de Seeiande de la province suédoise de Scanie.
C'est la voie ordinaire qu'on suit pour entrer de la mer du
Nord dans la Baltique. Ha six myriamètres de long; sa
moindre largeur, entre Helsingborg et Elseneur, est d'un
peu plus de trois kilomètres; et il est commandé par la for-
teresse danoise de Kronborg. Jusque dans ces derniers
temps le roi de Danemark , qui prétendait à la souverai-
neté du Sund comme à celle du Grand et du Petit Belt,
contraignait tous les bâtiments de commerce qui passaient
par le Sund à lui payer des droits de douane , droits qu'on
acquittait à la direction des douanes à Elseneur. Le prétexte
allégué pour justifier l'acquit de cette taxe, désignée sous te
nom de droits du Sund, c'est que le Sund a très-peu de
profondeur sur la côte de Suède , de sorte que les navires
doivent passer tout près de la côte danoise. Ce prélève-
ment de droits de douane au profit des rois de Danemark
était autorisé par les traités conclus avec les diverses puis-
sances commerçantes. La paix de Brœmsebro, en 1645, af-
franchit, il est vrai, les navires suédois de tous droits de
douane dans le Sund et dans les deux Belts; mais par la
paix de Friedensburg, en 1720, la Suède perdit ce privilège.
Quand, en 1781, le Danemark eut accédé à la neutralité
armée, il interdit, à la suite d'une déclaration adressée à
toutes les puissances , le passage du Sund aux vaisseaux de
guerre et aux corsaires des puissances belligérantes. Les Fran-
çais, les Anglais, les Hollandais et les Suédois payaient
1 pour 1 00 de la valeur de leurs marchandises ; les navires
des autres nations, même ceux du commerce danois, étaient
soumis à un droit de 1 -J p. 100. Les bâtiments hollandais
avaient le privilège de pouvoir se borner à produire leurs
pa|iiers de bord ; les bâtiments des autres peuples étaient
astreints à se laisser visiter. Le Grand Belt, voie tout aussi
naturelle que le Sund, et accessible aux bâtiments de toutes
grandeurs, comme le prouva le passage des flottes française
et anglaise en 1854, est surveillé au sud par les batteries
de la forteresse de Nyeborg, et le Petit Belt, par la for-
teresse de Fridericia. Au commencement du dix-huitième
siècle , il ne passait encore par le Sund et par les Belt
que 3,445 bâtiments par an ; ce chiffre était en 1770 de
7,736; en 1800, de 10,221; en 1840, de 15,662; en 1850,
de 19,919; en 1853, enfin, de 21,586 bâtiments, dont 4,665
anglais, 5,400 suédois et norvégiens, 1,875 hollandais, 3,487
prussiens, 1,202 russes, 2,095 danois, 345 français, 1,103
mecklembouigeois, 743 hanovriens, 230 oldembourgeois,
139 lubeckois, 73 hambourgeois , 36 bremois, 50 italiens,
4espagnols, 18 portugais et 96 américains. 10,526 arrivaient
chargés delà mer du Nord, et 7,716 de la Baltique; 3,344
étaient sur lest. Le produit des droits du Sund dépendait
du nombre de bâtiments qui passaient par ce détroit. En
1756, y compris les droits, d'ailleurs fort minimes, pré-
levés au Grand Belt, ainsi que les droits de phare, etc.,
[ il s'élevait à 200,000 thalers monnaie de l'Empire (à 2 fr.
SUND — SUPERSTITION
401
50 c. le thaler); en 1770, à 450,890 th.; en 1820, à
1,500,000 th.; en 1830, à 2,107,000 th.; en 1840, à
2,401,000 th.; en 1850, à 2,400,000 th.; en 1853, à
2,530,000 th. De 1756 à 1853 le produit était donc devenu
treize fois plus considérable. De 1830 à 1853 il était entré
dans les caisses du trésor danois 54 millions de tlialers ,
soit en moyenne 2,250,000 tlialers par an. Les frais ac-
cessoires qu'avaient à acquitter les navires, consistant en
droits aux commissaires vérificateurs, aux bateliers, aux pi-
lotes, etc., montaient annuellement à 500,000 thalers au mini-
mum. C'est donc 12 millions de plus à ajouter à ces 54; de
sorte que dans cet intervalle de vingt-trois années le commerce
et la navigation avaient été grevés au profit du Danemark
d'une dépense de 66 millions de thalers, ou de plus de 150
millions de francs. Diverses puissances , notamment la Suède
et la Prusse , avaient fini par ouvrir à ce sujet avec le gou-
vernement danois des négociations qui avaient eu pour ré-
sultat en leur faveur de notables adoucissements à cet état
de choses. L'opinion publique en Europe s'élevait donc de
plus en plus vivement contre ce qu'il y avait d'abusif et
d'intolérable dans cette situation. En 1854 le gouvernement
américain déclara de la manière la plus précise qu'il en-
tendait à l'avenir ne plus se soumettre au payement d'au-
cuns droits de douane au passage du Sund pour les bâtiments
de son commerce. Ainsi posée, la question devait néces-
sairement recevoir une prompte solution; et le Danemark
courait grand risque de se voir enlever sans dédommage-
ment aucun une des sources les plus importantes de ses
revenus. Mais l'esprit de modération et de conciliation
qui domine aujourd'hui généralement dans les transactions
internationales l'a emporté aussi dans celte circonstance;
et moyennant une indemnité d'un peu plus de 170 niil-
Hons de francs, dont le payement a été amiablement répai ti
au prorata des intérêts de chacune des puissances in-
téressées, le Danemark a enfin renoncé en 1856 à la
continuation d'un état de choses qui n'avait plus sa raison
d'être.
SUlXDERLAIVD, important port de mer du comté de
Durham, situé au sud de l'embouchure du Wear dans la
mer du Nord, et qui en 1851 comptait 67,394 habitants.
La vieille ville, voisine du port, a des rues étroites; les
quartiers neufs, au contraire, sont élégamment construits.
On y trouve trois églises anglicanes et un grand nombre de
chapelles de dissidents, des écoles lancastériennes très-fré-
quentées, un vaste hôpital, des refuges pour les veuves
de matelots et un théâtre. La plus remarquable de ses cons-
tructions est le pont de fer, célèbre par sa hardiesse et sa
solidité , conduisant à Monk-Wearmouth , qui est comme
le faubourg de la ville. Le port est protégé par des batte-
ries. Sunderland utilise son port ainsi que ses communica-
tions par chemins de fer avec Durham, Hartlepool, Stock-
ton , Shields , Nevv-Castle , etc. , pour faire un important
commerce de houille, surtout avec Londres, et pour écou-
ler le produit de ses poches, de ses salines , de ses hauts
fourneaux, de ses fabriques de vitriol, de poteries, etc.
Après Londres, Liverpool et New-Castle, le port de Sun-
derland est le plus actif de l'Angleterre. Pour faciliter le
commerce maritime, et surtout celui de la houille, on a
construit une suite de docks qui tous s'avancent jusqu'au
bord de la mer. Des chemins de fer conduisent directement
des houillères à ces docks; de sorte que la houille en .sortant
de la mine est conduite directement aux navires venus pour
la charger. La plus importante de ces houillères est celle de
Monk-Wearraoulh , située à quelque distance au nord du
Wear, et qui produit près de 800 tonnes de houille par jour.
SUNDGAU. Voyez Alsace.
SUNIUM (Cap), promontoire de l'Attique, formant
l'extrémité Je cette presqu'île triangulaire, et qu'on aperçoit
de loin en mer, était défendu dans l'antiquité par une mu-
raille qui s'étendait jusqu'au versant de la montagne. Là
.s'élevait aussi le bourg du même nom , avec un port et des
mines d'argent qui étaient très-productives dans l'antiquité.
DICT. DE LA C0NVER8. — T. XVI,
On y trouvait en outre le célèbre temple de Pallas , dont il
subsiste encore quelques colonnes. C'est à cette circons-
tance que ce promontoire est redevable du nom de Capo
Colonni, qu'il porte aujourd'hui.
SUi\i\A, SUNNITES. Le mot sunna veut dire en
arabe coutume, usage, règle. Les mahométans l'emploient,
au point de vue religieux , pour désigner la règle de Maho-
met , qui , ayant été observée par le prophète lui-même,
passe à leurs yeux tantôt pour un précepte exprès, dont
l'observation est au nombre des devoirs imposés à tout
fidèle, tantôt pour une simple recommandation. Cette règle
du prophète consiste en quelques maximes et quelques ac-
tions de Mahomet, transmises d'abord oralement par ses
premiers disciples. De là le nom de Hadis , c'est-à-dire
tradïlion, qu'on lui donne. Plus tard , on la transcrivit dans
des livres particuliers, et elle constitue avec le Koran la
principale autorité religieuse aux yeux des mahométans or-
thodoxes. On possède différents ouvrages arabes dans
lesquels ces maximes traditionnelles sont réunies, d'après
un certain ordre logique de matières. La plus célèbre des
collections de V Hadis, rédigée vers l'an 840 de notre ère,
par El-Bochâri , a pour titre : El dschani essackîch, c'est-
à-dire Le vrai Recueil, et contient environ 7,275 traditions
que Bocliâri a colligées parmi environ 600,000, comme les
plus accréditées. Mais jusqu'à Cb jour aucune de ces diffé-
rentes collections n'a encore été imprimée.
On appelle sunnites, parmi les mahométans, ceux qui
suivent la coutume de Mahomet , par conséquent les maho-
métans orthodoxes. Ils forment la très-grande majorité, et
comprennent les habitants de l'Afrique, de l'Egypte, de! la
Turquie , de l'Arabie et de la Tatarie. Ils se divisent en
quatre rites orthodoxes , ne différant entre eux que dans
certains usages et dans quelques décisions de jurisprudence,
et n'ayant point entre eux de rapports hostiles. Tous les sun-
nites reconnaissent les premiers khalifes , Aboubekr, Omar
et Othmân , comme les successeurs légitimes de Mahomet.
Les schiites forment, parmi les sectateurs de Maho-
met, le parti contraire aux sunnites. C'est à ce parti qu'ap-
partiennent , depuis trois siècles, les habitants de la Perse.
SUPERFÉTATION (du latin super, en sus , et/û?/o,
je conçois: l'action de concevoir de nouveau). Ce mot, qui
revient si souvent dans le langage usuel, où il est synonyme
de redondance , de répétition, dHnuiillté, est emprunté à
la terminologie médicale. Il sert à désigner, en anatomie,
la conception d'un nouveau fœtus qui a lieu dans une gros-
sesse préexistante. La possibilité ou l'impossibilité d'un cas
pareil est de nos jours encore l'objet de vives discussions
parmi les gens de l'art. En tous cas , on peut dire que les
exemples de superféiation sont excessivement rares.
SUPERFICES. Voyez Congéable (Bail à domaine).
SUPERFICIE, royes Surface.
SUPÉRIEUR (Lac), le plus grand des lacs d'eau douce
qui existent au monde, avec une profondeur moyenne de 300
mètres, est situé dans l'Amérique septentrionale, entre le
46'' et le 48" 56' de latitude septentrionale, le 86» 50' et le
94° 30' de longitude occidentale. Sa surface est évaluée à
environ 628 myriamètres carrés, et il est de forme à peu
près triangulaire. Il déverse ses eaux, par le canal Sainte-
Marie, dans les lacs Huron et Michigan. Ses rivages sont éle-
vés , bordés de rochers et médiocrement fertiles ; mais ses
eaux sont très-limpides et très-poissonneuses. Il reçoit le tri-
but de plus de cinquante rivières, dont les plus importantes
sont le Saint-Louis et le grand Portage. De nombreux bâ-
timents à voiles et à vapeur le parcourent dans tous lessens.
SUPERLATIF. Voyez Co.\iparai80n (Degrés de).
SUPERJ\ATURALISME ou SUPRANATURA-
LISME, quod supra naturam est, ce qui est aa-dessus du
cours ordinaire des choses. On désigne ainsi en général la foi
à ce qui est surnaturel, au-dessus de la portée des sens, et
dans une acception plus restreinte la foi à une révélation im-
médiate de Dieu , s'écartant des lois ordinaires de la nature.
SUPERSTITION (du \d\.m superstare, être au delà..
36
403
éfre de trop). La "superstition comprend en effet ce qu'il
y a de trop dans la religion. Mais, pour déterminer ce qui
est de trop, il faut préciser ce qui est la. jîiste mesure.
La religion se compose d'une partie naturelle et d'une
partie surnaturelle ou révélée. Eti quoi consiste la partie
naturelle ? A adorer Dieu ou à reconnaître qu'il est le seul
être existant de soi; que les autres, et par conséquent
nous-mêmes, ne subsistons que parce qu'il nous a créés et
qu'il nous conserve. Cette dépendance où nous sommes de
Dieu, comme notre principe et notre soutien, et d'où naît
la religion naturelle, étendez-la à ce qui n'est point lui, et
aussitôt paraîtra la superstition. Est-ce aux êtres de la na-
ture, aux astres, aux éléments, aux plantes, aux animaux,
qu'on s'assujettit ainsi; voilà le poly tli éisme. Est-ce aux
passions, à la vengeance, à la colère, ou aux ouvrages
des hommes, aux statues, aux tableaux; voilà l' idolâ-
trie, qui n'est qu'un polythéisme encore abaissé.
En quoi consiste Impartie révélée? A rétablir la partie
naturelle détruite par la chute primitive. Ce pouvoir de nous
rendre la force et la sainteté originelles n'appartient qu'à
THomme-Dieu. L'attribuer à tout autre qu'à lui, comme
cela se fait dans le culte exagéré des saints; en déposer la
vertu ailleurs que dans les sacrements institués par lui ,
comme dans les images ou les reliques ; vouloir qu'il agisse
par d'autres cérémonies que par celles qui servent à l'ad-
ministration de ces mêmes sacrements, c'est reproduire la
.superstition avec ses deux formes polythéiste et idioiâlrique.
Évidemment, la superstition ne peut s'ajoutera la reli-
gion sans la corrompre et la détruire, on plutôt elle en
est la corruption et la destruction. La superstition trans-
porte l'adorHtion à des êtres sortis du néant et essentielle-
ment dépendants; elle les soustrait, autant qu'il est en elle,
au domaine absolu de celui qui les en a tirés et qui les em-
pêche d'y retomber, les soumet au domaine les uns des au-
tres , rompt, autant qu'il est en elle , le lien qui les unit à
lui , et le reinpiace par un lien qu'elle forge entre eux. Elle
détrône Dieu, pour inaugurer la créature à sa place; elle
lui dit insolemment : « Retire-toi , tu ne m'es rien ; l'œuvre
de tes mains, voilà mon dieu, à qui je dois et j'adresse mes
adorations. » Elle dérobe au réparateur divin la foi, l'in-
vocation, la reconnaissance, pour en faire hommage aux
saints , qui eux-mêmes ont eu besoin d'être restaurés
par lui; elle l'écarté, le relègue, pour les substituer à sa
place. Si elle conserve les institutions qu'il a fondées , elle
les couvre et les absorbe par d'autres de sa façon. En un
mot, elle l'annule autant qu'il est en elle, et va chercher
hors de lui la force et l'innocence.
Qu'importe que la superstition suppose à l'objet de son
culte la souveraine indépendance ou la puissance répara-
trice? Par cette grossière absurdité, elle ne lui donne ni
l'une ni l'autre; la créature divinisée demeure avec sa sujé-
tion et sa faiblesse, et le moindre mal pour l'adorateur est
de perdre des vœux inentendus. Mais est-il vrai que la su-
perstition suppose à son Dieu la souveraine indépendance
ou la puissance réparatrice? Si elle s'élevait effectivement à
cette idée, elle ne pourrait pas ne point voir que ce Dieu
imaginaire n'y répond nullement; que pour en trouver
l'application il est nécessaire de monter jusqu'au Dieu vé-
ritable, auquel dès lors elle rendrait l'adoration, c'est-à-
dire qu'elle périrait comme superstition, pour redevenir re-
ligion. Mais la superstition, produit d'une intelligence plus
ou moins esclave des sens, est inhabile à ces hautes et pures
rotions de l'être parfait, et rampe parmi les choses bornées.
Regardez-la dans le paganisme, qui est son propre règne :
elle adore tout, excepté Dieu, ainsi que le remarque Ter-
tuUien (^ApoL, ch. 24). Dans cet autre règne solennel que
la superstition retrouve au moyen âge', sans doute il ne lui
est pas donné d'effacer à ce point jusqu'aux moindres ves-
tiges de la religion, qui se conserve pure dans les conciles
et chez les docteurs de l'Église; mais elle la défigure telle-
ment dans la pratique de la vie, qu'elle la rend presque
méconnaissable. Érigeant chaque saint en médiateur, altri-
SUPERSTITION
huant à chaque image, à chaque relique une vertu surna-
turelle, et en quelque sorte sacramentelle, elle a failli abolir
Dieu comme rédempteur et anéantir le christianisme. C'est
pourquoi la superstition amène l'incrédulité. Incapable de
supporter le regard de l'esprit , lorsque celui-ci se réveille,
il la repousse, et avec elle les principes de la religion ; car
d'ordinaire il ne songe pas que sous ces erreurs et sous
ces extravagances il y ait quelque chose de raisonnable et
de vrai à croire. Cela se vit à Rome, sur la fin de la répu-
blique, où l'on commença de philosopher; cela s'est vu dans
l'ancien régime , peut-être dès la première renaissance des
lumières au douzième siècle. Le dix-huitième,! surnommé
le siècle de V incrédulité, n'est que le bruyant écho de
plusieurs siècles antérieurs , excepté pourtant la dernière
moitié du dix-septième , où elle fut combattue par la triple
arme de la piété, de la science et du génie.
N'est-ce pas à la superstition, et au vice ,son fidèle compa-
gnon, qu'ilfaut demander compte de la révolution qui au
quinzième siècle a déchiré l'Église et dans une partie de
l'Europe aboli le christianisme? Luther et Calvin, injustes
quand ils accusaient la doctrine catholique d'idolâtrie, l'é-
taient-ils aussi en adressant à làpratiquelQ même reproche?
L'incrédulité, qui souvent vient de la superstition, l'en-
gendre à son tour. On voit des gens, qui ne croient point en
Dieu , croire à la fatalité des rencontres , des phénomènes ,
des songes, des nombres , aux amulettes, u'oser, par exemple,
se trouver treizeà la même table. !;)c
En détruisant la religion , la superstition dégrade l'homme,
puisqu'elle le sépare de Dieu , de qui seul il relève naturel-
lement , et l'asservit aux créatures, même les plus viles , à
leurs fantaisieselaleursvic.es. Esclavedetoutdansl'univers,
il le devient également de toutdans la société. Son esprit et
son cœur se vident de la connaissance et de l'affection vraies
des choses , pour s'emplir de mensonge et de désordre; son
être entier se renverse, et ii ne vit plus que de misère,
comme , dans la religion, il ne vit que de grandeur. Tel,
du premier côté, il nous est offert par le paganisme, tel,
du second, par le christianisme. Cependant, au milieu de
l'empire romain , au milieu de l'invasion des barbares et de
la décadence, de l'ignorance qui les accompagnent, le chris-
tianisme lui-même, envahi par la superstition, reproduit à
plusieurs égards la dégradation païenne. L'homme aussi est
esclave; la religion populaire est presque réduite aussi à
des formalités extérieures. Oui , paitout où la superstition
s'établit, la religion décline, riionime se corrompt et
tombe dans l'asservissement. Quel déplorable exemple en
offrent l'Espagne et l'Italie ! La superstition y fleurit, mais
sur la ruine de la piété , des mœurs et delà liberté. Là
règne la Vierge à la place de Dieu et de Jésus-Christ; et
le brigand qui vient d'égorger le voyageur court aux
pieds de la madone léclamer son pardon moyennant une
[lart de sa sanglante dépouille, puis retournq au meurtre,
tr;inquille sur son crime. , ,; ,', <, ,
Sans doute , la superstition n'est pas la cause première des
deux effets funestes que nous venons de signaler ; ils provien-
nentdeladomination des sens, et la dominafion des sens de la
chute originelle , qui, rompant l'union intérieure et directe
de l'homme avec Dieu , du même coup énerve la raison,
la précipite dans les sens et détruit la religion. Cependant, la
notion de Dieu reste à l'homme daris celle d'une puissance
supérieure; il la conserve en lui impérissable, et la rapporte
aux objets qui les dominent; et lorsqu'il est réduit au der-
nier degré de faiblesse , rien à quoi il ne l'applique, rien
devant quoi il ne se prosterne. Il a rejeté le joug de la gran-
deur éternelle; et il mendie jusqu'à celui de la plus chétive
créature. Use trouve tellement épouvanté de son néant, tel-
lement accablé du besoin d'être soutenu, que, dans cet
abandon, il se traîne comme égaré dans l'univers, se prend
et se livre à tout. Mais si la superstition , enfantée elle-
même par la domination des sens , ne cause pas la ruine de
la religion et la dégradation de l'homme, elle les consacre
et y ajoute encore. Il faut donc s'attendre à la voir soutenu»
SUPERSTITION — SUPPLICE
40S
ou évoquée pai tous les despotes et par tous les fauteurs du
despotisme.
M. de Maistre, qui ne confond pas la superstition avec
!a religion et qui l'appelle par son nom , ose la présenter
comme un supplément indispensable à la religion, qui d'elle-
, niûme ne suffirait pas {Soirées de Saint-Pétersbourg ,
t. il, p. 238). Ceci revient à dire que la vérité a besoin
de l'erreur. Vainement il nie que la superstition soit l'er-
reur, et soutient qu'elle est seulement quelque chose qui
est PAR DE LA la croyance légitime. Ce n'est (jii'nne bizar-
jerie de plus; comme si la croyance légilime pouvait être
autre chose que la vérité, et que ce qui est au delà de la vé-
rité pût être autre chose que l'erreur l « Je crois, ajoule-
t-il, que la superstition est un ouvrage avancé de la reli-
gion, qu'il ne faut pas détruire ; car il n'est pas boa qu'on
puisse sans obstacle venir jusqu'au pied du mur en mesurer
îa hauteur et planter les échelles. » Ce langage se comprendrait
rlans un homme pour qui la religion ne serait qu'un men-
songe utile , qu'il faut conserver; mais dans un apologiste
chrétien, il est inconcevable. A-t-il donc peur qu'on regarde
la religion en face? Tous les efforts des défenseurs dignes
d'elle n'ontils pas eu pour but, au contraire, de la dé-
gager de ce qui l'entoure, de la faire paraître dans sa nu-
dité , convaincus qu'elle n'était dédaignée ou haïe que
parce qu'elle était méconnue? Sans doute la superstition
empoche de mesurer la hauteur de la religion ; et c'est
justement par là qu'elle lui est fatale , car elle couvre sa
majesté divine, pour ne laisser voir que les proportions
humaines qu'elle lui prête ; elle lui ôle le caractère d'éter-
nelle vérité , pour la montrer comme une rêverie, un délire
(le l'imagination. Et tant s'en faut qu'elle soit un ouvrage
avancé qui protège la religion , qu'elle a toujours été le
levier avec lequel on l'a battue en brèche.
Au reste, les apôtres de la superstition doivent être fiers
de leurs succès. A la faveur de gouvernements insensés,
elle se ranime, croit à vue d'oeil, et enveloppe déjà la reli-
gion. Et les statues, et les (igures, environnées de cierges,
et les processions surabondantes , et les indulgences abu-
sives, et la grossière dévotion des Sac rés- Cœurs, et
vingt autres pratiques stupides, enfin tous les appuis de la
crédulité se redressent, se multiplient , et semblent devoir
agrandir encore le domaine qu'elle occupait avant la révo-
lution. Aujourd'hui la superstition est cultivée avec amour
comme une plante précieuse , propagée avec enthousiasme
sous l'étendard de la Vierge, qui efface insensiblement Jé-
sus-Christ, et devient la divinité de la France, comme elle
l'est de l'Espagne et de l'Italie. Loin d'exagérer, nous ne
dirons pas tout, car pour tout dire il faudrait plus que les
quelques colonnes d'un article. Voici ce qu'on lit dans un
Manuel de Piété ù l'usage des séminaires ( T""" édition,
1835, p. 181) : « On honorera la sainte Vierge en qualité
iïépouse du Père éternel , qui a engendré en elle et avec
elle notre Seigneur Jésus-Christ; il faut honorer en elle
toutes les perfections divines et adorables, i]iie Dieu le
Père a fait passer en sa personne, lui communiquant avec
ime abondance extraordinaire sa fécondité, sa sagesse,
sa sainteté et la plénitude de sa vie divine. « 11 faut
être témoin de ces extravagances impies pour y croire.
Voila pourtant sous quel appareil on présente le christia-
nisme à un siècle d'examen , et qui pèse tout au poids de
la raison. Et on s'étonne qu'il le repousse ! on l'accuse
d'hostilité! Oh î non, il n'est point hostile, car il a un be-
. soin profond, violent de religion, et il s'empresserait de
, l'accepter si elle lui était offerte isolée de cet attirail qui
• .dérobe la vue de sa simplicité essentielle. Mais, plutôt que
de se courber sous la superstition , il rejetera la religion
tant qu'elle en sera souillée Bordas-Demollin.
^i SUPIN, terme de grammaire, partie de la conjugaison
d'un verbe latin, qui sert à en former plusieurs autres. Ce
mot vient du lalin supinum , fait dans le n.ême sens de
supinus (couché sur le dos) , et, au figuré, nonchalant ,
mdolent , parce que le supin d'un verbe semble oisif et
sans action. Les supins ont fait le tourment , presque le
désespoir, de la plupart des grammairiens. Suivant Court
de Gébelin, ils seraient l'accusatif et l'ablatif des partici|)es
passés, et ils serviraient de cas au prétérit de l'infinitif. Les
grammairiens de Port-Royal n'hésitaient pas à regarder
les supins latins comme des mots qui, ayant vieilli, avaient
été négligés dans la pureté du langage. Schlegcl fait la re-
marque que le supin des Latins ressemble , par le sens et
par la forme , à l'infinitif du sanscrit. Lanjuinais croit que
le supin des Latins n'est qu'un ancien infinitif latin.
D'autres l'ont considéré comme une forme superfiue
vcrbum otiosum, supcrvacancum. De ces diverses opi-
nions, celle qui nous semble la plus plausible , la plus sa-
tisfaisante, est celle qui reconnaît dans le supin latin une
ancienne forme d'infinitif. CnAMPACNAc.
SUPPLICE, châtiment corporel infligé par arrêt de la
justice. Le droit de punir, ou d'infliger des peines et sup-
plices, fut luie nécessité absolue de l'ordre social, dès l'ori-
gine des temps. Agent d'un système d'intimidation, le sup-
plice a vis-à-vis de la société un caractère essentiellement
préventif et salutaire. V Histoire des Supplices est une des
pages les plus instructives des annales de l'humanité, car
c'est surtout dans la législation pénale des peuples que l'on
trouve la manifestation la plus, vraie de l'état de leurs
mœurs et de leur civilisation.
Chez les Hébreux , avant de livrer le patient au bour-
reau , on lui donnait à boire du vin mêlé d'encens, de
myrrhe , de manière à engourdir ses sens et à lui faire
perdre le sentiment de la douleur. La mort avait lieu par
\a slrangiilation (pour idolâtrie et blasphème) , par la
croix, par la lapidation, par le /eu, par le/ouet, par le
<^??!pfl«z«Hi, supplice dans lequel on étendait le patient à
terre pour le frapper à coups de bâton jusqu'au dernier
soupir ; par Isl décollation, qui était réservée aux criminels
d'un rang élevé; par la scie, qui consistait à couper le pa-
tient par le milieu du corps avec une lame dentelée ; par
les épines, que l'on plantait dans le corps du patient pour
les enfoncer ensuite avec des pierres; par le précipice,
c'est-à-dire la chute du patient du haut d'un rocher élevé
dans un abîme; par raveuglemcnt ou la pertedes yeux,
que le bourreau crevait au condamné à l'aide d'une petite
broche en fer rougie au feu ; par le chevalet , qui n'était
qu'une peine préparatoire, un prélude à d'antres tortures ;
par la poêle ardente, dans laquelle le coupable rôtissait à
petit fou : ce genre de supplice fut employé dans le martyr
des Machabées. Raphaël a laissé un admirable carton oii
celte exécution est représentée avec une effrayante vérité.
Les Égyptiens avaient à peu près les mêmes supplices
que les llébreux. Nabuchodonosor introduisit chez eux un
nouveau mode d'exécution capitale , qui renchérissait sur
tous les autres : il consistait à écorcher vif le patient , puis
il le plonger dans une fournaise ardente, sous laquelle les
bourreaux entretenaient le feu. Ce supplice se retrouve
chez les Perses. On se rappelle que Cambyse le (it subir à
un juge convaincu d'iniquité : la peau du patient fut atta-
chée au siège qu'il occupait, et sur lequel vint s'asseoir son
fils pour le remplacer.
Un des supplices les plus communs en Perse et chez les
Htbreux élait d'arracher les cheveux , et de jeter de la
cendre chaude sur la tête. On se servait également de la
cendre chaude pour étoulfer les grands criminels. Le sup-
plice que les Perses inlligeaient à l'adultère est un des
plus cruels que le génie des bourreaux ait inventés. On
pliait, à l'aide de cordes et de macliines , deux arbres l'un
sur l'autre , et le criminel était attaché à ces deux arbres
par un pied; puis, à un signal donné, les cordes se dé-
tendaient subitement, et les arbres reprenaient leur posi-
tion naturelle , emportant chacun une moitié du corps du
patient.
Chez les Athéniens, on arrachait les cheveux à celui qui
était convaincu d'adultère. Les crimes monstrueux étaient
assez souvent punis d'un supplice dont l'idée seule faittré-
404
SUPPLICE — SUPPOSITION
fuir, et qui consistait à renfermer le patient dans un grand
coffre hérissé de pointes tranchantes, où il ne lardait pas à
mourir au milieu a'affreuses tortures.
A Rome les pères pouvaient faire mourir leurs propres
enfants pour un simple fait de discipline. Tout le monde
sait que les vestales étaient enterrées vives lorsqu'elles
avaient laissé s'éteindre le feu sacré. L'esclave qui tentait de
fuir pouvait être puai de mort par son maître ; son corps
était ensuite traîné sur une claie, jeté aux Gémonies
ou dans le Tibre. La fustigation précédait ordinairement le
dernier supplice. Quelquefois après la mort le bourreau
décapitait le cadavre. Le conspirateur politique était pré-
cipilé de la roche Tarpéienne. On marquaitau fiont de la
lettre K (ou C) le calomniateur.
Le supplice le plus ordinaire des Carthaginois était la
croix , peine qui fut commune à presque tous les peuples :
les Perses y condamnaient les grands , les Romains ceux
qui s'étaient révoltés , quelquefois les femmes , plus com-
munément les esclaves; les Juifs, leurs plus grands cri-
minels. L'impératrice Hélène , mère du grand Constantin,
ajant trouvé la vraie croix sur laquelle avait souKert Je-
sus-Christ, son fils abolit entièrement ce supplice.
Les persécutions dirigées contre le christianisme don-
nèrent naissance à des peines inconnues, et qui variaient
selon le caprice des bourreaux , dont l'imagination féconde
ind'geait à chaque martyr une torture nouvelle. La lapida-
tion, le gril ardent, les bêtes du cirque, le bûcher, l'ef-
froyable invention des (lambeaux humains, le chevalet, l'é-
cartèlement, le plomb fondu et l'huile bouillante versés sur
des plaies saignantes, tels étaient les supplices le plus com-
munément appliqués aux chrétiens.
Les invasions du quatrième siècle n'apportèrent que de
faibles changements aux supplices alors en usage : il était
difficile en effet d'en augmenter la barbarie. D'ailleurs, le
christianisme ne tarda pas à adoucir la législation criminelle
des peuples qui se rallièrent à la croix.
La France est peut-être le pays où l'extrême sévérité des
supplices fut le plus promptcment adoucie. Avant l'occupa-
tion des Franks, les Gaulois avaient adopté une grande
partie de la législation pénale des Romains. Les Franks
Saliens et Ripiiaires introduisiient dans les Gaules des lois
nouvelles, où le crime était le plus souvent évalué en ar-
gent, et puni d'amendes plus ou moins considérables. Ce sont
eux qui apportèrent l'usage des é preuves judiciaires,
usage qui régna en France pendant tant de siècles. Lea peines
le plus généralement infligées sous les deux premières
races furent le gibet , la décollation , la roue, l'écartèlement,
l'aveuglement, le bûcher, l'asphyxie par l'eau et l'est ra-
pide. La peine du bacule, ou application de coups de pelle
en bois sur le dos du coupable, était également en vigueur.
Le plus terrible supplice des premiers temps de notre his-
toire est celui de Brunehaut, qui fut attachée à la qi;euo
d'un cheval sauvage et mise en pièces.
Sous la troisième race, plusieurs criminels furent («or-
cbés vifs, entre autres les princesses Marguerite, Jeanne et
Blanche, toutes trois femmes des enfants de Philippe le
Bel, comme convaincues d'adultère. Les édits de saint Louis
2t de Louis XII contre les blasphémateurs prononçaient des
peines entièrement nouvelles, telles que l'incision de la langue
avec un fer rouge, la section de la lèvre inférieure , etc.
Loais XI inventa ou plutôt appliqua le premier l'inven-
tion des cages de fer, où le patient, forcé de se tenir courbé,
était maintenu dans cette cruelle position sans pouvoir faire
un seul mouvement ; les oubliettes , les trappes , les basses
fosses datent aussi de cette époque. Un peu plus lard, les
faux-rnonnayeurs furent condamnés à être bouillis ou dans
l'eau ou dans l'huile. Au seizième siècle , on retrouve encore
cet abominable supplice dans le ressort du parlement de
Paris. Cest encore sous Louis XI que les bourreaux se ser-
virent pour la première fois d'un bassin ardent, que l'on
approchait des yeux de la victime jusqu'à ce qu'elle eût perdu
la Tue.
La peine de la roue, qui n'avait été que rarement appliquée
dans les premiers temps de la monarchie, fut infligée , par
arrêt de François I" ( 1538 ), à l'assassinat avec circonstances
aggravantes, au meurtre d'un maître par son domes-
tique, au parricide, au viol, et au crime de lèse-majesté. La
torture préalable , plus connue sous le aom àe question,
était sans aucun doute plus douloureuse que l'exécution
capitale, qui souvent la suivait.
Le pilori, supplice tout moral, signala l'avènement en
France de cette puissance de l'opinion, dont les arrêts
planent aujourd'hui au-dessus de ceux du pouvoir judiciaire.
La décollation se fit d'abord avec un large espadon ; pins
tard, la hache remplaça l'épée dans la main du bourreau ;
mais ce ne fut pas au profit de l'humanité, car souvent la
décapitation n'était opérée qu'après un plus ou moins grand
nombre de coups frappés par une main malhabile ou trem-
blante : c'est ainsi que le comte de Chalais, une des vic-
times de Richelieu, ne reçut la mort qu'au vingtième coup
de hache! L'horrible supplice qui punissait le crime de
lèse-majesté était ordinairement précédé d'affreuses souf-
frances pour le patient , auquel on arrachait avec des te-
nailles rougies au feu des lambeaux de chair aux mamolles,
aux bras , aux cuisses et au gras des jambes.
La révolution de 1789 vit abolir la torture et une grande
partie des supplices que nous venons d'énumérer. Le 21
janvier 1790 fut voté le décret qui érigeait la guillotine.
Rapidité extrême et sûreté dans l'exécution, absence de toute
douleur, telles étaient les conditions du nouvel instrument
de mort , qui conciliait à la fois les droits de la justice et de
l'humanité. La guillotine ne fut cependant pas un agent
d'extermination assez expéditif entre les mains de quelques-
uns <les odieux proconsuls envoyés dans les départements
par l'impitoyable comité de salut public. Les mariages ré-
publicains , ou bateaux à soupape, inventés par Car-
rier à Nantes, les mitraillades ordonnées à Lyon par
Couthon et F'ouché, remplirent mieux les intentions de
ces farouches représentants du système de la terreur.
Le Code Pénal de 1810 prodiguait la peine de mort avec
un luxe barbare. La révolution de 1830 harmonisa notre lé-
gislation criminelle et nos mœurs en supprimant la marque,
en diminuant dans de sages proportions l'échelle des peines,
en proclamant le principe des circonstances atténuantes,
enfin en modifiant dans un sens favorable à l'accusé l'orga-
nisaliou du jury. Par un nouveau progrès de l'opinion , les
exécutions capitales ne sont plus entourées de ce terrible
appareil et de cette dangereuse publicité qui offraient na-
guère à la curiosité publique un a|ipât si funeste. L'échafaud
a déserté la place publique pour ne plus y reparaître; bien-
tôt il ne fonctionnera plus que dans l'intérieur de la prison,
jusqu'au moment où de nouvelles et décisives conquêtes
de la raison publique permettront aux législateurs de le con-
damner à une éternelle inaction.
On comprend , en théologie, sous la dénomination de sicp-
plices les peines éternelles de l'enfer et les expiations tem-
poraires du purgatoire. Alfred Lego\t.
SUPPORTS (Blason). Voyez Tenants.
SUPPOSITIOM (du hlhi supponeie, au propre mettre
une chose à la place de l'autre, et au figuré le mensonge à la
place de la vérité ). Voyez Hyi'Othèse.
SUPPOSITION { Droit J. Dans la langue du droit, ce
mot se prend toujours en mauvaise part : il s'applique à des
faits qui sont du domaine de la loi pénale , soit qu'il s'agis.se
d'une supposition de contrat , d'enfant, de nom ou de per-
sonne, qui ne présentent autre chose que le crime de faux
avec des circonstances particulières. Supposer un contrat
ou un acte quelconque, c'est arguer d'un titre nul qui a
bien les apparences extérieures d'un acte valable , mais
qui n'a pas été réellement passé entre les personnes aux-
quelles il esl attribué ( voyez Faux).
La supposition de nom, quand elle n'est qu'un mensonge
sans conséquence, échappe à l'action des lois; lorsqu'elle a
pour objet de tromper la surveillance de la police, elle cons-
SUPPOSITION — SURDITÉ
titue un délit justiciable des tribunaux correctionnels; lors-
qu'elle s'attaque à la fortune d'autrui , elle dégénère en
crinse , et se confond alors avec la supposition de personne.
Considérée sous le rapport des règlements de police , la
supposition de nom n'acquiert quelque importance qu'à
l'égard des passe-ports. Quiconque prend dans un passe-port
un nom supposé, ou concourt comme témoin à taire déli-
vrer le passe-port sous le nom supposé, est puni d'un em-
prisonnement de trois mois à un an.
La supposition de personne consiste à présenter une
personne au lieu et à la place d'une autre ; c'est l'un des
caractères distinctifs du crime de faux, qui résulte égale-
ment soit de fausses signatures, soit de l'altération des
actes , écritures ou signatures , soit de la supposition de
personne, soit de l'intercalation ou addition d'écritures nou-
velles sur des actes qui ont reçu toute leur perfection. Si le
fonctionnaire on l'officier qui dresse le contrat est complice
de la fraude , il est puni des travaux forcés à perpétuité, et
tous ceux qui ont concouru au crime subissent la peine des
travaux forcés à temps.
La supposition d'enfant, connue aussi en droit sous le
nom de supposition de part [voye:. Grossesse [déclaration
de]), consiste à présenter un enfant comme appartenant à
des parents dont il n'est pas issu , et est punie de la réclusion.
La loi nouvelle a cru devoir se renfermer dans cette décla-
ratton générale, sans distinguer les diverses circonstances du
crime; les seuls cas qu'elle a voulu prévoir, et qu'elle a
placés d'ailleurs sur la même ligne relativement à l'appli-
cation de la loi pénale, sont l'enlèvement, le recelé ou la
suppression d'un enfant , la substitution d'un enfant à un
autre , et la supposition d'un enfant à une femme qui ne
sera pas accouchée. Les cas non prévus rentrent dans le
crime de faux par supposition.
SUPPRESSIOIV , action de supprimer, c'est-à-dire
d'empêcher de paraître , d'anéantir ou de soustraire. Dans la
langue médicale, on a\\\)e\\(t suppression toute discontinua-
lion d'une évacuation ordinaire ; ce qui annonce une perturba-
tion dans l'économie animale, et devient un signe certain
d'un danger imminent. En droit, ce mot appartient à la ju-
risprudence criminelle. Les suppressions d'actes ou de
pièces commises par les parties rentrent dans la classe gé-
nérale des soustractions frauduleuses, qui sont pimies avec
plus ou moins de gravité , suivant les circonstances du fait
et la qualité de la personne {voyez Soustraction).
Les suppressions d'écrits ordonnées par justice s'appli-
quent aux publications qui peuvent porter atteinte à la di-
gnité du juge, à la morale publique, ou même à l'honneur
des particuliers. C'est une peine qui souvent est purement
accessoire, et qui peut être appliquée par la voie civile et
par la voie criminelle.
Quiconque cherche à anéantir les traces de l'existence d'un
entant ou les preuves de l'état civil d'une personne, se
rend coupable des crimes qui sont connus en droit sous le
nom de suppression d'état et de suppression départ. Il y
a crime de suppression d'état toutes les fois que l'on a en-
levé frauduleusement des registres l'acte qui constatait la
naissance, l'adoption, le mariage, le divorce ou le décès
d'un individu. Ce crime est puni de la réclusion; s'il a été
commis par le fonctionnaire public auquel est confié la garde
des registres de l'état civil, il emporte la peine des travaux
forcés à temps.
La suppression de part , qui sous certains rapports se
confond avec la suppression d'état, est le crime qui s'attaque
à l'enfant môme, à sa naissance, avant qu'il ail été présenté
à l'officier de l'état civil et que sa filiation ait pu être cons-
tatée par un acte régulier. Ces deux faits de supposition et
de suppression d'enfant , qui dans ce cas sont corrélatifs,
sont mis par la loi pénale sur la même ligne; ils sont tous
deux punis de la réclusion. Si la suppression de l'enfant
avait eu pour but et pour effet de le faire périr, ce crime
prendrait un autre caractère : il constituerai t l'i nfa nticide.
SUPPURATION, formation, écoulement du pus
405
dans une partie inflammée et qui fait de la tumeur inflam-
matoire un abcès.
SUPRALAPSABISiME. Voyez Arminianisme.
SUPRANATURALISME. Voyez Supersaturalfsme.
SUPRÉMATIE { Serment de ). On appelait ainsi en
Angleterre l'un des nombreux serments par lesquels on
reconnaissait à la couronne la puissance suprême en matière
de foi. On y niait les articles de la foi catholique et la puis-
sance spirituelle du pape, et l'on y reconnaissait les princes
protestants seuls aptes à hériter de la couronne. En dernier
lieu, il n'y avait plus que les membres du parlement qui
le prêtassent; l'émancipation (politique) des catholiques l'a
virtuellement aboli.
SURA ou SURE, mot arabe qui signifie au propre pas,
et qui est le nom donné aux différents chapitres ou sections
du Coran.
SURANNÉ (du latin super, au delà, tiannus, année),
ce qui a plus d'une année de date. Dans le langage ordi-
naire , ce mot s'emploie pour désigner tout ce qui a vieilli.
Il est emprunté au langage du palais. En termes de pratique,
il s'emploie à l'égard de tous les actes publics, lorsque
l'année au delà de laquelle ils ne peuvent avoir d'effet est
expirée.
SURATE, nouvelle capitale delà province de G uzera te
dans la province indo-britannique de Bombay, dans une
plaine fertile , sur la rive gauche du Tapti, à 5 myriamètres
environ de l'embouchure de ce fleuve dans le golfe de Cam-
bay; il y forme un port accessible seulement aux bâtiments
d'un faible tonnage. La ville, place de commerce importante,
est le siège d'un gouverneur et d'un nabab retraité. C'était au-
trefois l'un des grands centres de commerce du monde, et
en 1790 elle comptait près de 800,000 habitants; mais au-
jourd'hui , par suite de diverses épidémies et aussi dedéva.s-
tations commises par des hordes de brigands , sa population
n'est plus que de 400,000 âme*, dont plus de 13,000 parses,
une foule de bayadères, de tisserands et de marchands,
ainsi qu'un grand nombre d'ouvriers en coton et en soie, de
fabricants de châles, de joailliers, d'individus confection-
nant des peintures, des objets d'art en ivoire, etc. 1 1 y a à Surate
douze portes, plusieurs palais, de nombreuses pagodes et
mosquées , une église catholique , une église arménienne ,
un temple luthérien, de grands bazars, un hôpital hindou à
l'usage des animaux vieux et malades, des établissements de
missions, des écoles, une imprimerie pour des bibles en
langue guzerate. Surate , qui depuis 1606 appartenait aux
Hollandais, passa en 1765 sous la domination anglaise.
SURBAISSÉ se dit, en architecture, de tout arc, arche
ou voûte qui a moins de hauteur que la moitié de sa largeur.
SUR B AU. Foj/ei ÉC0UTII.LES.
SURCENS. Voyez Cens.
SURCHAUFFER, terme de forge , qui signifie brûler
en partie le fer par une trop grande chaleur.
Suixhauf/ure, défaut du fer ainsi surchau/Jé, ou bien
désignation des pailles qu'on remarque quelquefois dans
l'acier.
SURCOT, riche habillement que les dames du moyen
âge mettaient par-dessus leur cotte ou robe. Plus tard ce
mot désigna une espèce de vêtement que les chevaliers de
l'ordre de l'Étoile, institué par le roi Jean, portaient sous
leur manteau. Au reste, le surcot , espèce de vêtement com-
mun aux deux sexes, n'était suivant Du Cange qu'une
espèce de soubreveste descendant seulement jusqu'à la cein-
ture. Mais les femmes qui affichaient plus de luxe en por-
taient d'extrêmement longs.
SURCOUF (Robert), marin français, qui s'est fait un
nom dans les guerres maritimes de notre grande révolution.
Né en 1773, à Saint-Malo, il descendait, dit-on , par sa mère,
de Duguay-Trouin, et mourut en 1827, à Saint-Servan,
près de sa ville natale. Voyez Corsaire.
SURDITÉ. C'est la perte de la faculté d'entendre. Elle
peut affecter les deux oreilles, ou une seule. La surdité
Iiéréditaire frappe toujours les deuii oreilles. La surdité
406
innée se joint constamment an mutisme, qu'elle produit in-
failliblement. Cette affection se montre spécialement chez
les enfants et les vieillards; elle est quelquefois produite
accidentellement par un bruit très-fort, par l'impression
du froid sur les oreilles découvertes. Rarement idiopatlii-
que, si ce n'est à un âge avancé, les affections dont elle peut
être le symptôme sont très-nombreuses : on cite parmi les
principales les maladies organiques et les innammations du
cerveau, l'occlusion du conduit auditif, interne et externe,
les affections de la cavité de l'oreille , I9 rupture , le relâche-
ment ou l'épaississement du tympan ; l'absence de conque, etc.
On la voit aussi survenir dans le cours ou sur le déclin de
diverses affections aiguës, et particulièrement du typhus.
Quand il y a simplement dureté de l'ouïe, le malade écoute
la bouche ouverte, ou tourne vers le point d'où vient le son
l'oreillela moins affectée. Lorsque lasurdilé date d'un certain
temps, le timbre de la voix change, et l'articulation des sons
devient plus ou moins confuse. La durée de cette maladie
n'a rien de fixe : des alternatives d'amélioration et d'exa-
cerbation ont souvent lieu pendant son cours : elle peut se
terminer heureusement, demeurer stationnaire ou faire de
continuels progrès.
La surdité survient-elle chez un sujet jeune et pléthorique,
on la combat par les boissons rafraîchissantes , la diète , l'ap-
plication de sangsues derrière les oreilles, ou près de l'or-
gane où l'hémorrhagie supprimée avait lieu. Est-elle liée à
un état d'épuisement ou de faiblesse , on a recours à un
régime restaurant , aux boissons aromatiques , aux topiques
vésicants. On a quelquefois employé avec avantage les cal-
mants, et spécialement l'opium, dans les cas où la surdité
avait succédé à une vive affection morale: dans ceux où il
ne se présente pas d'indication particulière , on a généra-
lement recours aux vésicatoires derrière les oreilles ou à la
nuque, au moxa et au séton sur ce dernier point, aux
vomitifs, aux purgatifs , aux masticatoires irritants, aux
sternutatoires; on dirige dans le conduit auditif externe des
vapeurs de succin, de sabine, de musc, de soufre; on y
fait des injections stimulantes avec de l'ammoniaque éten-
due, des sucs de rue, de joubarbe, de concombre, de l'huile
cantharidée, de l'eau thériacale. On a aussi pratiqué des fumi-
gations médicamenteuses dans la trompe d'Eustache par le
procédé connu . Les cataplasmes irritants sur l'oreille externe,
les gargarismes , l'électricité ,1e galvanisme , sont enfin des
moyens qu'on a recommandés et qu'on essaye quelquefois.
SUREAU, genre de plantes delà famille des araliacées,
comprenant des arbustes et des arbrisseaux caractérisés
par des fleurs en cime , au calice court , à cinq lobes ; au -
tant d'étamines ; ovaire inférieur couronné par trois stig-
mates sessiles; la baie à une seule loge renferme trois se-
mences, ha sureau à fruits noirs ou sureau commun a
un bois dur, une écorce cendrée; les jeunes rameaux sont
fistuleux et remplis d'une moelle abondante et blanche; les
fleurs sont blanches, odorantes, disposées en une ombelle
large et rameuse; les baies, rouges d'abord, sont noires à
la maturité. 11 y a plusieurs variétés de cet arbre : l'une a
des fruits blancs , l'autre a des fleurs panachées ; la plus
recherchée est celle dite à feuilles de persil. Le bois des
vieux pieds de sureau peut être substitué au buis. L'écorce
intérieure est purgative , ainsi que les feuilles ; les baies sont
diurétiques, les fleurs prises en fusion sont sudorifiques.
Mises dans le vinaigre, les fleurs de sureau lui communiquent
une saveur agréable : c'est le vinaigre surat. Fermentées
avec du sucre, du gingembre et du girofle, les baies pro-
duisent un vin dont on retire une eau-de-vie employée dans
les arts. Cuits dans le vinaigre , les fruits du sureau teignent
le fil et les peaux en violet. Enfin, les fleurs donnent au vin
ordinaire un faux goût de muscat.
Vhièble ou sureau hièble est une autre espèce du môme
genre aussi répandue que le sureau à fruits noirs , mais sa
tige herbacée ne s'élève guère à plus d'un mètre 33 centimètres.
Ses fleurs sont blanches et ses baies noires et pulpeuses.
Les baies servent surtout à colorer différents tissus en vio-
SURDITE — SURLET DE CHOKIER
let. Du reste, il a les mêmes propriétés que le sureau com*
mun, mais il les possède à un plus haut degr(\
Veau de sureau, produit de la distillation des fleurs du
sureau, est considérée comme céphalique, cordiale, diapho-
rélique. On l'emploie aussi comme collyre.
SURÉMA, lieutenant d'Orodes, roi des Parthes. Voyez
Crassus.
SURENCHERE, enchère mise sut une enchère pré-
cédente. La faculté de surenchérir dans les ventes immo-
bilières se divise en surenchère sur aliénation volontaire
et surenchère sur expropriation forcée. La première n'est
accordée qu'aux créanciers ayant hypothèque inscrite sur
l'immeuble aliéné; la seconde, au contraire , est permise
à toute personne indistinctement. Les formalités qui doi-
vent élre observées dans l'une et dans l'autre sont indiquées
par le Code de Procédure civile. Dans les ventes d'im-
meubles appartenant à un débileur failli, tout créancier a
le droit de surenchérir. La surenchère ne peut être dans
ce cas au-dessous du dixième du prix principal de l'ad-
judication.
SURÉROGATION (Œuvres de) , Opéra superroga-
iionis. Les théologiens appellent ainsi les œuvres faites au
delà de ce qui est |)rescrit par la loi. Les catholiques sou-
tiennent avec raison que les œuvres de surérogation sont
méritoires aux yeux de Dieu, puisqu'elles ne sont pas com-
mandées à tout le monde et qu'il y a du mérite à tendre à
la perfection. Les protestants les rejettent, de môme qu'ils
nient le mérite de toutes sortes de bonnes œuvres.
SURESlXES ou SURÈNES, commune de l'arrondisse-
ment de Saint- Denis (Seine), avec 4,363 habitants et di-
verses fabriques, est entouré de vignobles dont les produits,
très-estimés au moyen âge, jouissent aujourd'hui d'une dé-
plorable célébrité. C'est à Suresnes que se tinrent en 1593
des conférences entre les catholiques et les protestants, à la
suite desquelles Henri IV abjura le protestantisme pour
embrasser la religion catholique.
SURETE GÉNÉRALE (Comité de). Foye; Comité
DE Sûreté générale.
SURFACE. C'est, dans la géométrie, l'espace compris
entre des lignes qui se rencontrent, l'étendue en longueur
et largeur seulement, abstraction faite de la profondeur ou
épaisseur. Les surfaces forment donc les limites des corps
ou solides. Sur le terrain etdans le toisé, les surfaces pren-
nent de préférence le nom de superficie. Le mot aire dé-
signe plus spécialement la mesure numérique d'une surface.
Les surfaces sont dites planes ou courbes , selon qu'on
peut ou qu'on ne peut pas y appliquer une ligne droite en
tous sens. Les figure s tracées sur le papier, sur un tableau
plan , sont en général des surf aces planes ; différents solides,
comme la sphère, le cylindre, le cône, etc., offrent sur leur
contour des surfaces courbes.
Mesurer îine surface , c'est déterminer combien de fois
cette surface en contient une autre prise pour unité. Les
mesures qu'on emploie pour comparer des surfaces sont
généralement des carrés. Le mètre carré est, en France et
dans les pays qui ont adopté le système métrique , le point
de comparaison des surfaces entre elles. La surface du carré
se mesure en multipliant un de ses côtés par lui-môme,
celle du triangle en multipliant sa base par la moitié de sa hau-
teur, etc. L. LouvET.
Dans le langage ordinaire, le mot surface a une valeur
moins absolue, et s'entend simplement de l'extérieur d'un
corps, abstraction faite de toute idée de mesure : La surface
delà terre, la surface de l'eau, la surf ace de la mer.
Au moral, il se dit de l'extérieur, du dehors, de l'apparence :
La surface de l'dme; Il ne faut pas s'en tenir à la surface
des choses, il faut aller au fond.
SURGE. Voyez Laine.
SURIIVAM. Voyez Guyane hollandaise.
SURINTENDANT. Voyez Intendant.
SURLET DE CHOKIER (Érasme-Louis, baron),
léi^entde Belgique en l83I, naquit àLiége, en 17G9. Sous l'ad-
SURLET DE CHOKIER — SURVEILLANCE
407
ministration française, il fut maire de Ginglom, près deSaint-
Trond.puis, de ISOO à 1812, membre du grand conseil, et
enfin membre du corps législatif pendant les sessions de 1812
à 1814. Lors de l'érection du nouveau royaume des Pays-
Bas, il fut élu membre delà seconde chambre des états
généraux, et continua d'y siéger jusqu'en 1818, époque où
le gouvernement réussit à empêclier sa réélection. Revenu
à la cliambre en 1828, il y défendit surtout la liberté de la
presse. Avant que l'issue de la lutte engagée à Bruxelles,
en 1830, eût rendu toute transaction impossible, il accom-
pagna à La Haye les autres députés des provinces méridio*
nales ; mais il quitta cette ville dès les premiers jours d'oc-
tobre. L'arrondissement d'Hasselt l'élut ensuite membre du
congrès national. Le 11 novembre, il fut nommé président
de celle assemblée , et fit preuve de tant de dignité dans
l'exercice de ces fonctions que chaque mois une élection
nouvelle le maintint en possession du fauteuil. Lors des dé-
libérations qui eurent lieu au sujet de l'élection d'un roi, il
vota pour le duc de Nemours, et présida la commission en-
voyée à Paris à l'effet d'y faire connaître le choix de la na-
tion belge. A son retour, il fut élu régent et solennellement
institué en cette qualité le 26 février 1831 f mais il ne s'en
rangea pas moinsavec empressement à l'idée d'élire le prince
Léopold de Saxe-Cobour^; pour roi. Pendant la durée de sa
souveraineté temporaire, Surlet de Chokier s'était montré,
au milieu de circonstances difficiles, bon citoyen autant
qu'homme courageux ; et quoique n'ayant, fait preuve
comme homme d'État ni d'une grande portée d'esprit ni
d'un grand caractère, il avait su se concilier à un haut de-
gré les sympathies populaires. Interprète de la reconnais-
sance nationale, le congrès lui vota une pension de 20,000
francs. Depuis ce moment il vécut à Ginglom , bornant mo-
destement son activité politique aux fonctions de président
de la commission municipale de son endroit. C'est là qu'il
mourut, le 7 août 1839.
SUR-LE-TOUT. Voijez Bl\son et Écu.
SURMULET, nom spécifique d'une espèce de in u lie,
le Muliiis sunnulelus de Linné.
SURMULOT ou RAT BRUN , le mits decumanus de
Linné, espèce du grand genre rat. C'est le plus grand et
le plus méchant de toutes les espèces de rats qui existent
en Europe, celui que les Allemands appellent wanderrate
et les Anglais norway-rat. Il ne parut en Europe qu'au
dix-septième siècle, et ce fut en Norvège et en Suède qu'il
planta ses premières colonies. Plus tard, en 1727, suivant
Pallas, de formidables légions de rats bruns traversèrent
le Volga et envahirent Astrakan, qu'ils faillirent dépeupler,
et d'où ils se répandirent dans le reste de l'Europe. Enfin,
au milieu du dix-huitième siècle , ils pénétrèrent en France,
et firent de Paris leur métropole, de Montfaucon leur de-
meure royale. Mais c'est à Londres surtout que la tribu des
rats bruns ou surmulots compte d'innombrables lésions :
le vaste système d'égouts qui sillonnent de toutes parts la
grande Babylone leur fournit une demeure digne d'eux; et
l'immense quantité d'immondices qui s'y verse chaque
Jour donne une abondante pâture à celte population sou-
terraine, mille fois plus nombreuse peut-être que celle qui
habite à la surface du sol. Dans ce labyrinthe royal, tel que
la Crète n'en posséda jamais, les rats bruns naissent, vivent
et se multiplient avec une fécondité incroyable : dignes
disciples de Jérémie Bentham , uiilïtuiriens dans toute l'é-
tendue du mot , ils font profit de tout ; les ruisseaux des
rues, les fosses d'aisance, les abattoirs, les marchés, versent
à chaque instant du jour dans leurs égouts leurs immon-
dices, leurs excréments et leurs débris ; mais l'égout ne rend
à la Tamise que de la boue et de l'eau : les rats morts eux-
mêmes sont ensevelis dans les entrailles de leurs enfants.
C'est la grande concurrence sur une immense échelle : la
population est portée aux dernières limites de la subsistance ;
puis quand la subsistance lait défaut, on applique à la mul-
tiplication de l'espèce le //y/h j)osUif de Malthus, et les
forts mangent les faibles. Dans queljùes années sans doute
Paris n'aura rien à envier sous ce rapport à Londres, car
dans une seule bataille livrée naguère par des agents de la
voirie contre les rats bruns de Montfaucon, dix-huil mille
de ces hordes de philistins mordirent la poussière.
BeLFIELD-LeFÈVRE, "i
Les surmulots passent pour les ennemis les plus acharnés
des rats noirs, et en effet ceux-ci ne tardent pas à dispa-
raître d'une localité dès que les rats bruns s'y sont établis.
SUR[>J01\L,I'oyes Sobriquet.
SURi\UMERAlRE (du latin super et numerus, qui
excède le nombre légal ou déterminé soit par l'usage , soit
par convention). Ce mot s'applique spécialement aux em-
plois des administrations publiques ou particulières. Dans
les cas ordinaires, le surnuméraire n'est admis que pour
se former aux devoirs qu'exige la place qu'il doit occuper
ultérieurement. Ce temps d'étude et d'épreuse est plus ou
! moins prolongé, suivant que l'aspirant à la place est plus
ou moins bien protégé. Le surnuméraire doit être le pre-
mier et le dernier au bureau ; son travail est gratuit , comme
[ daas les apprentissages ordinaires; trop heureux si après
î un long espace de temps, et à titre d'indemnité, il obtient
! quelques menues gratifications , puis enfin un modique trai-
tement fixe.
SURPRISE (idr^ mi/jteirc). Voyez Combat.
SURREY, l'un des comtés méridionaux de l'Angleterre,
qui en i851 , sur une superficie de 25 myriamètres carrés,
j composée partie de terres à blé et partie de pâturages et pa-
cages, comptait 634,800 habitants. Il est vrai que sur ce
chiffre 482,300 têtes appartenaient aux villes de Southwark
et de Lambelh , devenues à la longue des faubourgs de Lon-
dres. Par la Tamise, le comté de Surrey jouit des mômes
avantages qu'un comté maritime; il est arrosé en outre par
le Wey, le Mole, le Mandie et le Medway, qui tous se jettent
dans la Tamise. U a pour chef-lieu Giiildford, bourg de 6,740
[ habitants, bâti sur le Wey, près du canal de Wey-Arum
1 et d'un embranchement du chemin de fer du sud-ouest. Les
autres localités importantes sont Croydon, bourg de 10,260
j habitants, avec un palais appartenant à l'archevêque de
; Cantorbéry;K ew,avecsoncélèbre jardin botanique; Bich-
] m 0 nrf ; E p s o m , célèbre par ses courses de chevaux et ses
sources d'eaux minérales.
SURREY (Henki HOWARD, comte de), poète anglais,
né vers 157G , à Kenninghall , était le fils aîné du duc Tho-
mas de Norfolk, qui sous le règne de Henri VIII se dis-
tingua comme capitaine en Ecosse , en Irlande et en France.
Élevé à Windsor, à la cour de Henri Vlll, il étudia à Cam-
bridge, à partir de^ 1530, avec le duc de Richmond , fils na-
turel de ce prince. Il se livra alors à une étude particulière
des poètes italiens, entre autres de Pétrarque. A dix-neuf
ans il épousa lady Frances Vere, fille du comte d'Oxford.
En 1540 il entra au service, et fit preuve d'autant de bra-
voure que d'habileté dans les campagnes contre l'Écossc
(1542) et contre la France (1544). En 1542 il fut créé
chevalier de la Jarretière. Son inimitié avec le comte de
Hertford, beau-Irère du roi, et quelques propos imprudentS(;
peut-être bien aussi quelques autres causes secrètes , cau"
sèrentsa perte. Accusé de haute trahison, en 1547, il eut la
tète tranchée; et son père, qui avait été arrêté en même
temps que lui, n'échappa à un sort pareil que grâce à la
mort de Henri VIII.
Après Chaucer, Surrey est le premier poète anglais de
quelque importance. Il brille surtout dans la poésie lyrique,
et les vers dans lesquels il a chanté Géraldine, vraisem-
blablement la fille du comte de Kildare, sont d'une bonne
facture. C'est lui qui introduisit le sonnet dans la littérature
anglaise. Il n'a pas sans doute une grande puissance d'ima-
gination ; en revanche, il est tendre et délicat. Son vers coule
facile et harmonieux; son style est élégant et pur. La plus
récente édition de ses œuvres a été imprimée avec les Poésies
de Sack ville (Londres, 1854).
SURVEILLANCE (Droit). La surveillance des en-
fants mineurs de l'absent appartient à la mère, et à sou
408
SURVEILLANCE — SUSE
défaut elle peut être déférée par le conseil de famille à l'as-
cendant le plus proche ou à un tuteur provisoire.
En matières pénales , la surveillance est une mesure de
sûreté qui a pour but de donner à la société des garanties
contre les nouveaux crimes ou délits qui pourraient être
commis par des individus déjà condamnés criminellement ou
correctionnellement. La 7nisc en surveillance dans cer-
tains cas est toujours prononcée comme une conséquence
de la condamnation; dans d'autres, elle est facultative, et la
loi s'en rapporte à cet égard à la prudence des juges. L'effet
du renvoi sous la surveillance de la liaute police est de donner
au gouvernement le droit de déterminer certains lieux dans
lesquels il sera interdit au condamné de paraître après qu'il
aura subi sa peine. Avant d'être mis en liberté , celui-ci devra
déclarer le lieu où il veut faire sa résidence. Il reçoit alors
une feuille de route contenant un itinéraire dont il ne peut
s'écarter, et déterminant la durée du séjour qu'il peut faire
dans chaque lieu de passage. A son arrivée , il est tenu de
se présenter dans les vingt-quatre heures devant le maire de
la commune; et il ne peut changer de résidence , sans avoir
indiqué à ce magistrat, trois jours à l'avance, le lieu où il
compte aller habiter, et sans avoir reçu de lui un nouvel iti-
néraire. Sa désobéissance à ces prescriptions entraîne un
emprisonnement qui peut aller jusqu'à cinq ans.
SURVENANCE D'ENFAKTS ( Droit). Quand elle
est postérieure à la libéralité faite, elle est pour le donateur
une cause de révocation. La loi a supposé que si le donateur
avait eu des enfants à l'époque où il a fait une donation,
peut-être n'aurait-il pas été aussi facile dans sa générosité.
Voilà pourquoi elle a déclaré que la surccnance d'enfants
révoquait les donations, de quelque valeur qu'elles puis-
sent être et à quelque titre qu'elles aient été faites , et encore
qu'elles fussent mutuelles ou rémunéraloires. Les dona-
tions ainsi révoquées ne peuvent revivre ou avoir de nou-
veau leur effet ni par la mort de l'enfant du donateur ni
par aucun acte confirmatif. Aux termes de l'article 964 du
Code Civil, si le donateur veut donner les mêmes biens au
môme donataire, soit avant, soit après la mort de l'enfant
par la naissance duquel la donation avait été révoquée, il
ne peut le taire qu'en vertu d'une nouvelle disposition.
SURVILLE (Clotilde de), pseudonyme sous lequel
parut en 1803 un recueil de poésies agréables, appartenant
pour la plupart au genre lyrique. L'éditeur, Ch. Vanderbourg,
annonçait qu'elles avaient été trouvées dans un héritage par
un certain M. de Surville, mort fusillé en 1798 comme émigré
rentré secrètement en France, mais qui en mourant avait
chart;é sa veuve de les publier. Celle-ci avait confié ce soin
à Vanderbourg , qui attribuait de très-bonne foi , d'après les
notes qu'on lui avait remises, les poésies qu'il mettait en
madère, à Marguerite Éléonore de Vallon-Chalis , dame
de Surville, née vers 1403, à Vallon (château situé sur les
bords deTArdèche, en Languedoc), et qui, en 1521, aurait
épousé Bérenger de Scuville, mort sept années plus tard,
sous les murs d'Orléans. Tout indique que ces poésies si ten-
dres sont en réalité l'œuvre de Joseph-Etienne de Sluville,
fusillé en 1798. S'il ne les composa pas complètement, il
leur fit du moins subir de si profondes modilications et y mit
tant d'interpolations , qu'il serait didicile de dire ce qui ap-
partenait réellement au vieux manuscrit de famille duquel il
prétendait avoir tiré sa trouvaille. Au reste, la plupart des
. gens de lettres de l'époquefurentdupes de cette mystification
littéraire. Mais Ray nouard en fit justice, en 1824, dans le
Journal des Savants , et signala la foule d'anachronismes
qui trahissaient la supercherie. 11 est possible que M. de Sur-
ville ait en effet trouvé de vieilles poésies; mais il les aura
revues , corrigées et considérablement augmentées, à la
manière et à la mode de son temps. Une très-petite partie
de ces poésies porte en effet un certain cachet d'ancienneté ;
h douceur parfois énergique des sentiments qu 'elles expriment
parait révéler la plume d'une femme, d'une épouse, d'une
mère; mais le plus grand nombre est évidemment inspiré
>par les événements de la révolution et par le goût descriptif
et mélancolique qui régnait alors. Que l'on dépouille cas
vers, en les copiant, de leur ortliographe étrange, maladroi-
tement vieillie, et l'on croira souvent lire un morceau de
Delille ou de ses imitateurs. Rien , du reste, n'est plus fa-
cile à un écrivain qui sait le latin et l'italien, qui a en
outre l'oreille habituée à nos vieux poètes, que de donner
une apparence gothique à ses écrits en changeant quelques
mots et leur orthographe. Il faut cependant le faire plus
habilement que M. de Surville : car, que celui-ci ait écrit
yeulx et cieulx, l'un venant d' oculus et l'autre de cœlum,
î'étymologie explique cet l , que nous avons retranché ; mais
seul il pouvait se permettre de l'ajouter à Dieux, venant
de Deus, à gracieux, venant de gralus, etc., etc. Il y
aurait mille exemples pareils à citer. Quoi qu'il en soit, les
vers attribués à Clotilde ont de la pureté , de l'élégance , du
charme, et sauf un peu de manière, ils offrent une lecture
agréable. Viollet le duc.
SURVILLIERS, nom d'un domaine situé dans le canton
de Luzarches (Seine-et-Oise), à peu de distance de Morte-
fontaine, etqui appartint longtemps à Joseph Bona parte.
Celui-ci, après la chute du régime impérial, prit le titre de
comte de SîirvilUers , et le con.serva jusqu'à sa mort.
SUSCEPTIBILITÉ, vice de caractère qui nous rend
insupportable aux uns et aux autres, et qui dépouille la so-
ciété de toute espèce d'agrément. La susceptibilité est héré-
ditaire chez les liabitants des petites villes : elle les saisit
au berceau pour les conduire à la tombe. En rivalité con-
linuelle les uns avec les autres sur la fortune, la naissance,
le plus ou le moins d'importance de la position, ils s'observent
à chaque mot, ils s'épient à chaque geste, et tirent des
inductions sur la manière dont on entre, s'assied, se pose et
se retire. Leur vie entière ne se compose que de brouilles ,
de raccommodements; et grâce à la susceptibilité qui les
caractérise, ils font même des rapports de l'amilié une sorte
de petite guerre continuelle, toujours sur le qui vive pour
vérifier si on leur a rendu juste tout ce qu'on leur doit ou
qu'ils s'imaginent qu'on leur doit. Il n'en est pas ainsi des
habitants des capitales : affaires, intérêts, tout y a de la gran-
deur ; cette dernière se glisse dans les idées comme dans les
habitudes; là on ne peut donc pas comprendre la suscepti-
bilité, qui ne se nourrit que de petitesses.
Saint-Pkosper.
SUSCRIPTIOX (du latin super, sur, et scribere,
écrire), ce qui est écrit au-dessus d'un acte, d'une lettre. En
droit on appelle «c^e de 5MScn/>//on celui qui est écrit par
un notaire sur la surface extérieure du papier clos et scellé
contenant un test ament mystique, ou sur la feuille qui
lui sert d'enveloppe. Il doit être fait en pré.sence de six
témoins au moins, et être signé par le notaire, ainsi que
par le testateur, à moins qu'd ne sache ou puisse écrire.
Dans ce cas im témoin de plus est appelé à l'acte, et doit le
signer avec les autres (Code Civil, art. 976 et 977).
SUSDAL, ville autrefois très-renommée et l'une des plus
antiques cités de la Russie, aujourd'hui chef-lieu de cercle
dans le gouvernement de Wladimir, était jadis la capitale
d'une principauté indépendante et est encore maintenant
le siège d'unévéque dont léparchie fut érigée en 12)3. Elle
est située sur les bords de la Kamenka, affluent de la
Kljœsma, qui appartient au bassin du Volga, et ne compte
plus aujourd'hui que 6 à 7,000 habitants, tandis qu'elle en
eut autrefois jusqu'à 20,000. VVladimir-Janiva, dit-on,
en l'an 997, y introduisit le christianisme, et dans le kreml
de la ville fonda la première église, qu'on montre encore
comme un monument de l'architecture antique. Le plus
remarquable de ses édifices est le palais épiscopal. Cette ville
fait un peu de commerce, et contient quelques fabriques de
toile et de drap.
SUSE, capitale de la Susiane, province formant l'extré-
mité méridionale de l'ancienne Perse, appelée en araméen ,
dans l'Ancien Testament, Schouschân ou Sousân , c'est-à-
dire le Lys, pendant longtemps la résidence d'hiver
des rois mèdes et perses, était située entre le Choaspes
SUSE — SUSSEX
409
(aujourd'hui Kerchah on Kerah) et l'Eulaeus (dans l'An-
cien Testament Vlaï), qui après sa réunion avec le Co-
patres prenait le nom de Pasitigrïs (c'est-à-dire, dans l'an-
cienne langue perse, petit Tigris), appelé aujourd'hui
Ljerrahi, et qui avec le Kercha se jette dans le delta de
l'Euphrateet du Tigris. La ville était construite en forme de
rectangle, avec 120 stades (21 kilomètres) de circuit, n'avait
pas de murailles, mais une forte citadelle, qui renfermait le
palais des rois perses et leur trésor. Au rapport de quelques
écrivains, Suse était entièrement construite en briques et
bitume. Darius 1" passe pour avoir construit la citadelle et
agrandi la ville. Alexandre le Grand et ses capitaines y cé-
lébrèrent de magnifiques fêtes nuptiales avec des femmes
perses. Ses ruines, désignées sous le nom de Schïis , sont
situées à l'ouest de la ville de Schuster, dans la province
persane actuelle du Chousistân on Khousistân. On y voit
les ruines d'un splendide édifice, d'un magnifique palais,
dont l'emplacement est aujourd'hui tout planté d'arbres
fruitiers. Un autre monument , consistant en blocs de marbre
blanc, est désigné comme le tombeau de Daniel. Dans un
étroit défilé situé tout près de là , on trouve un rocher
couvert de caractères cunéiformes. La contrée environnanle
forme la plus belle et la plus fertile partie de la Susiane, où
le froment rapportait 100 et même 200 pour 1 , où le
coton, la canne à sucre et le riz croissaient en abondance,
tandis qu'aujourd'hui , par suite d'une mauvaise adminis-
tration , elle n'offre plus , sauf quelques rares endroits cul-
tivés, que l'aspect désolé d'un désert.
SUSE, l'ancien Segusio, chef lieu du ci-devant marquisat
du même nom et aujourd'hui d'une province du royaume de
Sai daigne (18 myriam. carrés, et 81,834 hab. ) dans l'in-
tendance générale de Turin , ville à laquelle elle est reliée
par un chemin de fer dont l'inauguration a eu lieu le 15 mai
1854, a des rues généralement étroites et tortueuses, plu-
sieurs faubourgs , quelques belles places , une belle église,
plusieurs couvents, et compte 4,600 habitants. On y re-
marque surtout un arc de triomphe construit par l'empereur
Auguste. Cette ville était autrefois très-importante, mais est
aujourd'hui bien déchue. Près de là on trouve le Pas de
Suse, défilé défendu par les forts Bninettc et Exiles, qyie.
les Français détruisirent en 1796. Le dernier a été re-
construit.
SUSIANE (La), province de l'ancienne Perse {voyez
Suse).
SUSPECTS (Loi des). Elle fut rendue le 17 décembre
1793 , et est demeurée l'un des monuments impérissables
de l'affreux régime de la terreur. Nous nous bornerons
à en rapporter ici quatre articles; tout commentaire serait
superflu.
« Art. l*^ Immédiatement après la publication du pré-
sent décret, tous les gens suspects qui se trouvent dans le
territoire de la république, et qui sont encore en liberté,
seront mis en état d'arrestation. «
a Art. 2. Seront réputés gens suspects : \° Ceux qui, soit
par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs
propos ou par leurs écrits, se sont montrés partisans de la
tyrannie, da fédéralisme , et ennemis delà liberté;
S-* ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière pres-
crite par la loi du 21 mars dernier, de leurs moyens d'exis-
ter et de l'acquit de leurs devoirs civiques ; 3° ceux à qui
il a été refusé des certificats de civisme; 4" les fonctionnai-
res publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par
la Convention nationale ou par ses commissaires, et non
réintégrés, notamment ceux qui ont été ou doivent être des-
titués en vertu de la loi du 12 août dernier; 5° ceux des ci-
devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères,
fils ou filles, frères ou sœurs, et agents d'émigrés qui n'ont
pas constamment manifesté leur attachement à la révo-
lution; 6° ceux qui ont émigré dans l'intervalle du 1*'' juil-
let 1789 au 8 avril 1792, quoiqu'ils soient rentrés en France
dans les délais fixés. »
« Art. 8. Les frais de garde seront à la charge des dé-
tenus et seront répartis entre eux également. Cette garde
sera confiée aux pères et aux parents de ceux qui sont
ou marcheront aux frontières. »
« Art. 12. Les tribunaux civils et criminels pourront, s'il
y a lieu , faire retenir en état d'arrestation, comme gens sus-
pects, et envoyer dans les maisons de détention les prévenus
de délit à l'égard desquels il sera déclaré n'y avoir pas
lieu à accusation ou qui seraient acquittés des accusa-
tions portées contre eux.
SUSPENDUS (Ponts). Voyez Ponts.
SUSPENSE, terme de discipline ecclésiastique. C'est
la mesure par laquelle l'autorité diocésaine suspend un prêtre
de ses fonctions pendant un temps plus ou moins long.
SUSPENSION, figure de rhétorique consistant à com-
mencer un discours de telle sorte que l'auditeur ne sache
pas ce que va dire celui qui parie, et que l'attente de quel-
que chose de grand excite vivement sa curiosité.
En termes de musique, on dit qu'il y a suspension dans
tout accord sur la basse duquel on soutient un ou plusieurs
sons de l'accord précédent avant de passer à ceux qui lui ap-
partiennent. Quelques suspensions se chiffrent et entrent
dans l'harmonie , d'autres ne sont qu'une affaire de goût.
En matière de discipline la suspension est une peine que
les lois permettent aux cours, aux tribunaux et aux cham-
bres de discipline des avocats, notaires, avoués, etc., de
prononcer contre ceux de leurs membres qui ont commis
quelque faute dans l'exercice de leurs fonctions.
En matières commerciales, la simple suspension de paye-
ments, si elle n'a pas été suivie d'une cessation effective,
ne doit pas donner ouverture à la faillite. Si le commerçant
a éprouvé un embarras momentané, il peut trouver ensuite
des ressources et satisfaire à ses engagements.
SUSPENSION D'ARMES, trêve de peu de jours,
dont les parties belligérantes conviennentpouravoir le temps
d'ensevelir leurs morts, d'attendre du secours ou les ordres
de leurs souverains. C'est aussi un temps pendant lequel
on convient de ne faire de part et d'autre aucun acte d'hos-
tilité (voyez Armistice).
SUSQUEHANNAH (Le), le plus grand cours d'eau
de l'État de Pennsylvanie (Amérique du Nord), résulte de
la jonction de deux bras principaux. Le Susquehannah
oriental prend sa source dans l'État de New- York, à l'ouest
d'Albany, et reçoit les eaux du lac d'Otsego et le Chenango,
et plus loin à l'ouest le Tioga ou Chemung. Le Susque-
hannah occidental, dont le volume d'eau est plus considé-
rable, prend sa source dans les monts Alleghany, à l'ouest
de la Pennsylvanie. Quand ses deux bras se sont réunis à
Sunbury, dans le comté de Northumberland , le Susque-
hannah coule d'abord au sud jusqu'à l'embouchure du Ju-
niala, à 16 kilomètres au-dessous d'Harrisbuiy, puis au
sud-est, et va se jeter au Havre de Giâce, à l'extrémité sep-
tentrionale de la baie de la Chesapeak. Quoique l'un des
plus grands fleuves des États orientaux de l'Amérique du
Nord , et que son parcours soit de 69 myriamètres , il n'a
cependant comme voie de communication fluviable qu'une
médiocre importance, parce que presque jusqu'à son embou-
chure il traverse une contrée montagneuse. 11 n'est guère
navigable en amont pour des sloops que pendant 8 kilomè-
tres, jusqu'à Por^Deposi^, limite extrême du ilux. Au delà
de ce point, et malgré son immense volume d'eau, il n'est
pas même navigable pour de simples barques tant qu'il
coule dans une vallée transversale, à cause du grand nom-
bre de cataractes, de rapides et autres obstacles qui entra-
vent son cours. Le long de ses rives , et surtout au-dessus
de l'embouchure du Juniata, où la nature du terrain était
plus particulièrement favorable pour cela, on a construit
un grand nombre de canaux.
SUSSEX, comté de la côte méridionale de l'Angleterre
provenant du royaume des Saxons du sud (Suthseaxas),
fondé en 491, par Ella, et dont faisait aussi partie Suthrige ,
le Surrey actuel, comptait en 1851 339,600 habitants sur
une superficie de 48 myriamètres carrés. Des montagnes «Je
410
SUSSKX -- SUTHERLAIND
craie, désignées sous le nom ôe South- Downs (Dunes du
Sud), garnissent la plus grande partie de ses côtes. L'intérieur
du pays est également montagneux , et près de 8 myria-
mètres carrés de sa superficie sont encore occupés par les
restes de l'antique forêt de cliônes qui dans les temps anti-
ques couvrait, sous le nom de forêt d'Andredes , toute la
surface de ce comté. Les chênes qu'on en tire passent en-
core aujourd liui pour les meilleurs qu'on puisse employer
dans la construction des navires. La grande richesse du
pays consiste dans ses troupeaux de moutons, reclierchés
à cause de la délicatesse de leur chair et de la finesse de leur
laine. Quoique le comté de Sussex soit avec celui de Kent
le berceau de la manufacture de laines d'Angleterre, l'indus-
trie y est peu importante. On y trouve (]uelques reuiarqua-
bles antiquités, et on y compte jusqu'à onze camps romains.
C'est là que débarquèrent la plupart des peuples qui en-
vahirent l'Angleterre ; c'est là que Guillaume le Conqué-
rant livra cette fameuse bataille de Hastings qui le rendit
maître de ce royaume. 11 donna le Sussex en fief à l'un de
ses capitaines ; et quand la famille des comtes de Sussex vint
à s'éteindre, en isoi, Georges III érigea le pays en duché en
faveur du sixième de ses fils, le piince Auguste-Frédéric
{voyez l'article qui suit).
Le chef-lieu du comté de Sussex est C h i c li e s t e r ; mais
Br ig ht on, Si\ec ses 69,673 habitants, et Hastings,
avec ses 17,011 habitants, ont bien autrement d'importance.
SUSSEX ( Auguste-Frédéuic, duc de ), le sixième des
fils du roi Ge or^/e s /// d'Angleterre , naquit le 27 janvier
1773. Après avoir terminé ses études à Cambridge, il alla
passer quelque temps à l'université de Gœttingiie, et visita
ensuite successivement les différentes cours d'Italie et d'Al-
lemagne, puis vécut assez longtemps à Lisbonne. En 1793
il épousa secrètement, à Rome , une jeune personne catho-
lique, miss Murray, fille du comte écossais de Dunmore.
Quoique ce mariage eût de nouveau été célébré secrètement
à Londres, Georges III ne l'en fit pas moins déclarer nul et
non avenu par la cour épiscopale, comme ayant été contracté
au mépris des clauses AMroijal marrïage act de 1772. La
descendance issue de cette union porte aujourd'hui le nom
d'^s te. Tout en se regardant comme lié de conscience par
ce mariage, en dépit de la décision qui l'avait annulé , le duc
de Sussex ne s'en sépara pas moins , à partir de 1801, de
lady Murray, qui mourut à Londres, en 1830 ; et il la laissa
ensuite, de même que les enfants qu'il avait eus d'elle, dans
un complet abandon. Eu 1801 il fut créé pair d'Angleterre,
sous le titre de comte d'inverness et de baron d'Arkloiv.
Dès son entrée dans la chambre haute, il alla siéger parmi
les whigs. Cette attitude politique le fit aussi mal voir de son
père que de son frère Georges IV. Aussi dcmeura-t-il réduit
à l'apanage de 13,000 livres st. que lui avait voté le parle-
ment , taudis que ses frères obtenaient de riches dotations
et des chatges lucratives. Pendant longtemps il fut le grand-
maitre des loges de francs-maçons en Angleterre et dans le
pays de Galles, en même temps qu'il était président de la
Société royale de Londres. Force lui fut toutefois
de finir par renoncer à ces dernières fonctions, faute de pos-
séder la fortune nécessaire pour les remplir. A l'avènement
au trône de la reine Victoria , il trouva à la cour des dispo-
sitions plus bienveillantes. Sa première femme étant morte,
il épousa, en 1831, lady Cécile Underwood, fille du comte
irlandais Arran, laquelle fut créée, en 1840, comtesse d'in-
verness. Il mourut le 21 avril 1843, au palais de Kensington.
Il laissait en mourant une des plus belles bibliothèques par-
ticulières que l'on connût.
SUTHERLAND , comté du nord de l'Ecosse , d'une
superficie de 58 myriamètres carrés, avec une population de
25,000 âmes. C'est une contrée entièrement montagneuse, où
\e Ben More on /Iss «/ni atteint une élévation de 1,010 mètres.
Cette montagne et quelques autres encore restent couvertes
de neige pendant presque toute l'année. Tous les versants
en sont plantés de bouleaux, de pins, et dans les hautes régions
de pins de montagne. Des landes occupent une vaste éten-
due. Parmi les nombreux cours d'eau, l'Holadale, le Strathy
et le Naver se dirigent au nord, et le Brora et le Heinsdale à
l'est. Les plus remarquables lacs sont le Loch-Naver, le Loch-
Shin et le Loch-Loyal. Le climat est âpre et nuageux. Les
produits sont : beaucoup de pierre à chaux et de moellon ,
du marbre , du minerai de fer, du plomb argentifère , du
cuivre, de la calamine et du sel. C'est seulement dans quel-
ques parties basses des côtes qu'on récolte un peu d'avoine,
d'orge, de pommes de terre et de chanvre. En revanche, on
y élève beaucoup de bétail. Les chevaux , espèces de ponies,
extrêmement-petits, mais vigoureux, sont d'une grande utilité
dans ce pays de montagnes. Le gibier contribue beaucoup
à l'alimentation des montagnards, de même que la pêche à
celle des habitants de la côte. L'industrie y est nulle. Chacun
confectionne les objets dont il a besoin. Le chef-lieu est
Dornoch , bourg de 600 habitants et port de mer, sur le
frith ou golfe de Dornoch , qui pénètre dans les terres au
nord du golfe Murray , et forme en partie la limite du comté
du côté de celui de Ross.
SUTHERLAKD (Comtes et ducs de), l'une des plus
anciennes familles de l'Ecosse, qui descend d'Allan , than
de Sutherland, que la tradition fait assassiner par Macbeth.
Son fils William fut créé comte de Sutherland , en l'an 1057,
par le roi Malcolm III, titre qu'en 1228 Alexandre II con-
firma à ses descendants. Elisabeth, sœur du comte John
Sutherland, mort en 1514, sans laisser de postérité , épousa
Adam Gordon , fils du comte de Iluntley ; mariage qui fit
passer le titre dans la famille Gordon.
William Gordon, dix-septième comte de Sutherland,
mourut en 1766, laissant une fille unique, Elisabeth , née en
1765, mariée en 1785 au vicomte Trentham, devenu plus
tard comte Gower, fils aîné du marquis de Stafford, et
créé ensuite duc de Sutherland. Elisabeth , duchesse-com-
tesse de Sutherland, mourut en 1839.
Georges- Granville Leveson-Gower, duc de Sutherland,
né en 1758, fut nommé en 1790 ambassadeur à Paris, où il
fut témoin des événements les plus importants de la révolu-
tion française. Il ne quitta cette capitale qu'après la journée
du 10 août. En mars 1803 la mort de son oncle maternel,
le duc de Bridgewater , le fit hériter d'une immense fortirae;
et six mois plus tard il héritait encore des biens de son père
et du titre de marquis de Stafford. Réunissant les biens
des familles Sutherland, Gower et Bridgewater, il se trouva
alors l'un des plus grands propriétaires fonciers de l'Angle-
terre , et peut-être le plus riche particulier de l'Europe , car
on n'estimait pas ses revenus annuels à moins de 300,000
liv. sterl. (7,500,000 fr. ). Il en fit un usage honorable. Ami
éclairé des arts, il n'épargna ni dépenses ni peines pour aug-
menter la magnifique galerie de tableaux créée par son oncle.
Il entreprit aussi diverses constructions du genre le plus
grandiose. Cependant , on a blâmé à bon droit la dureté dont
il fit preuve à l'égard des paysans du comté de Sutherland,
qu'il força d'émigrer en Amérique par milliers, afin de pouvoir
transformer les terres par eux cultivées en parcs et eu prairies
et se faire ainsi de plus belles chasses. Autrefois partisan de
Pitt , il avait (ini par se rattacher au parti whig, avec lequel
il vota l'émancipation catholique et la réforme parlementaire.
Le but de son ambition était le titre de duc, qu'il obtint
enfin en janvier 1833. Quelques mois après, il mourut dans
son château de Dunrobin , en Ecosse.
Son fils aîné, appelé comme lui, né en 1786, entra à la
chambre haute du vivant même de son père, sous le nom de
lord Gower. Devenu duc de Sutherland par la mort de son
père , il hérita des biens de la famille Stafford et , à la mort
de sa mère, de la pairie d'Ecosse; tandis que les biens de
la famille Bridgewater passèrent à son frère cadet, Francis
( voyez Ellesmere ). Quoique whig , il ne s'est que peu mêlé
à la politique et ne s'est guère occupé que de l'administra-
tion de son immense fortune. De son mariage avec Harriet-
Élisabeth, fille du duc de Carlisie, femme aussi remar-
quable par sa beauté que par son esprit, et grande-maîtresse
de la maison de la reine Victoria , il a eu une nombreuse
SUTHERLAND — SWANEVELT
411
famille. Son fils aîné, Georges Granville, marquis deStaf-
ford, né en 1828, est depuis 1852 membre de la chambre des
communes pour le comté de Sutheriand.
SUÏTEE ou SUTTIE. On désigne ainsi l'usage où sont
les femmes de l'Inde de se brûler sur un bûcher en même
temps que le cadavre de leur époux, ou de se faire enterrer
vivantes avec lui. En 1825 le gouvernement anglais interdit
de la manière la plus sévère celte pratique introduite dans
la contrée par les Brahmines depuis environ quatre cents ans.
Mais en dépit des mesures prises pour empêcher ces horri-
bles suicides , le fanatisme religieux parvient souvent à triom-
pher de tous les obstacles; et depuis plus de trente ans que la
loi est rendue, il se passe rarement quelque année sans qu'un
de ces affreux sacrifices humains ne s'accomplisse sur quelque
point de l'immense territoire soumis à l'autorité britannique.
SUTURE (du latin sutura, fait de suo , je couds).
En termes de chirurgie, c'est une opération qui consiste à
coudre les lèvres d'une plaie pour en obtenir la réunion. On
distingue alors \à suture à points séparés , là suture en-
ehevillce ou emplumée, la suture à points passés, et la
suture entortillée.
En anatomie ,on nomme suture une articulation immobile
qui réunit les os du crâne et de la face. Dans le langage or-
dinaire, on appelle figurément suture le travail que l'on fait
dans les ouvrages d'esprit pour empocher qu'une suppres-
sion , un retranchement ne paraisse.
SUWARO W. Voyez Souworoff-Rymniski.
SUZE (Hf.muette de COLIGNY, comtesse de LA),
était née en 1618. A trente ans elle se trouvait la contem-
poraine de ces hommes illustres, de ces écrivains modèles,
qui jetèrent tant d'éclat sur le règne de Louis XIV. Elle
était belle et spirituelle, deux qualités fort appréciables
dans tous les temps; de plus, elle était riche et comtesse,
deux qualités fort prisées au dix-septième siècle. Dans sa
première jeunesse, elle avait sans doute été tendre et mé-
lancolique; et elle avait chanté sa mélancolie en vers dignes
de Racan pour le sentiment , et de VÉpître à Fouquet de
La Fontaine pour la forme. Malheureusement elle ne cultiva
pas assez la poésie, et le nombre de ses élégies, toutes
charmantes du reste, n'a pas été assez grand pour lui (aire
un nom de poète. D'ailleurs, elle quitta bientôt le genre
larmoyant pour le genre gai; elle (it des madrigaux fort
bien tournés, des chansons pleines de verve, et abandonna
peu à peu la triste élégie , qui devait tomber bientôt jus-
qu'aux Moulons de madame Deshoulières , pour remonter
si hautde nos jours dans les Feuilles d'Automne de Victor
Hugo. Elle est donc plus connue par la correspondance phi-
losophique et littéraire qu'elle avait établie avec le rhéteur
Balzac, et Sai nt-É vremond, esprit lin, mais sans
portée. Dans ses lettres elle traitait à la fois de tiicologie,
d'histoire et de littérature, mais de tout cela avec délicatesse,
et avec cette grûce un peu musquée que Molière ridiculisa
trop dans ses Précieuses ridicules. Ses Lettres se distin-
guent d'ailleurs par une grande connaissance du cœur
humain , par de profondes remarques sur les passions et les
vices, que madame de La Suze avait eu malheureusement
l'occasion de voir de près. Descendanle de l'illustre Coligny,
elle avait épousé, fort jeune encore, un certain comte de
La Suze, protestant austère, homme bilieux et sournois,
mari dur et jaloux. Elle fut si malheureuse dans cette union,
qu'elle offrit 25,000 écus à M. de La Suze pour se séparer
d'avec lui ; M. de La Suze les accepta; et quelques temps
après la séparation Henriette de Coligny abjura la religion
protestante, ce qui fit dire spirituellement à la reine de
Suède que madamede La Suze s'était rendue catholique
pour ne point voir son mari en ce monde ni en Vautre.
Madame de La Suze eut l'avantage de bien finir ; elle mourut
en 1673, à cinquante-cinq ans, c'est-à-dire avant cet âge
où l'ingratitude ordinaire des hommes vous fait délaisser
par le plus grand nombre, ridiculiser par les plus méchants,
et où il ne vous reste que quelques amis d'une intimité
monotone, avant cet âge, enfin, où une femme de lettres
surtout court les risques terribles de se répéter, de devenir
prude, pédante, dévote, radoteuse même.
SUZERAIIV, SUZERAINETÉ. Le suzerain était le roi
ou souverain qui, après avoir abandonné ou cédé son
droit de souveraineté sur une certaine étendue de pays ,
n'en conservait pas moins une suprématie quelconque sur
le pays cédé. Et comme autrefois des souverainetés s'ac-
quéraient par des mariages et par les droits successifs qui
résultaient de ces mariages, il arrivait souvent qu'à cause
de certaines seigneuries, de certaines souverainetés, un roi
devenait le suzerain d'un roi aussi puissant ou plus puis-
sant que lui.
Sous l'empire du droit féodal , porter une affaire devant
\ejuge suzerain, c'était la soumettre au juge supérieur, au
juge du ressort. Les seigneurs suzerains étaient des ducs,
des comtes et d'autres puissants seigneurs. Ils pouvaient être
juges de ressort; et les appels des jugements des hauts
justiciers se relevaient devant le juge seigneur suzerain
lorsqu'il avait le droit de ressort. Quand le seigneur
suzerain était un ancien pair de France, les appels des sen-
tences rendues par les juges qui étaient de sa dépendance
se portaient immédiatement devant le parlement. S'il n'était
pas pair, ils étaient portés devant les baillis ou sénéchaux.
S-VVAGNER.
SVABHAVIKAS. Vayn Ais'variica.
SVEMBORG ou SVENDBORG, ou encore SWEN-
BORG. Vot/ez Viome.
SWAMSÎERDAM (Jan), l'un des plus célèbres na-
turalistesdes lemps modernes, né à Amsterdam, le 12 février
1637, se livra dès sa jeunesse à l'observation et à l'étude
des insectes. En 1661 il se rendit à l'université de Leyde,.
afin d'y étudier la médecine, et fit de l'anatomie l'objet de
ses travaux les plus assidus. Après avoir résidé quelque
temps à Saumur et à Paris , il revint en 1665 à Amsterdam ,
puis l'année suivante à Leyde , où en 16G7 il obtint le titre
de docteur en médecine. A pr.rtir de ce moment il se fixa à
Amsterdam , où il se livra avec ardeur à des études aua-
tomiques et zoologiques. 11 perfectionna l'art des injections
{voyez Anatomie) et des recherches microscopiques , et fit
un grand nombre de découvertes nouvelles dans le domaine
des sciences naturelles. En 1668 le grand-duc de Toscane
lui fit personnellement à Amsterdam les offres les plus
avantageuses pour le déterminer à venir se fixer à Florence;
mais Swammerdam refusa de les accepter. A la longue, les
travaux excessifs auxquels il se livrait finirent par ruiner
complètement sa santé, et il tomba alors dans une profonde
hypochondrie. C'est dans cette disposition d'esprit qu'il lut
les écrits mystiques delà Bouri gnon. Ils produisirent sur
son esprit une si vive impression , qu'à partir de ce moment
il considéra comme indignes d'un homme les idées et les
travaux (jui l'avaient jusque alors occupé. Renonçant désor-
mais à l'étude des sciences naturelles, il chercha à vendre
ses diftérenles collections, mais ne trouva point d'acquéreurs.
En 1675 il se rendit à Schleswig, où résidait alors la Bou-
rignon; et l'année d'après il alla, dans les intérêts de cette
visionnaire, à Copenhague. Brouillé avec le monde et mécon-
tent de lui-même, il mourut à Amsterdam, le 15 février 1685,
après avoir enduré un long martyre physique et moral.
Parmi les ouvrages qu'on a de lui , il faut particulièrement
mentionner ceux qui ont pour titres : Algemeene Verhande-
ling van blocdedcloose Diertjens (Utreclit, 1669; édit.
latine, Leyde, 1585 ) et Miraculum Naturœ, seu uterï mu-
liebris fabrica (Leyde, 1672). Avant sa mort, il avait
détruit une grande partie de ses manuscrits et vendu le
reste à vil prix par besoin. Cinquante ans plus tard, ce
reste passa aux mains de Boerkaave,qm le publia en
hollandais et en latin, sous le titre de : Biblia Naturse, sive
historia insectorum in certas classes reducta, etc.
(2 vol. in-fol., Leyde, 1737-1738).
SWANEVELT (Herman Van), célèbre paysagiste
hollandais, naquit en 1618 ou 1620, à Wœrden ,6t fut, dit-
on, l'élève de Gérard Dow. Toutefois, il alla, fort jeune
412
SWANEVELT — SWEDENBORG
encore, en Italie , où il prit Claude Lorrain pour modèle. Sa
vie solitaire et retirée lui valut le sobriquet de VEremita
(l'Ermite), sous lequel il ne tarda pas à être généralement
coBnu, à cause du succès qu'obtenaient ses ouvrages. Tous,
tant tableaux que dessins et feuilles gravées, témoignent
d'une conception poétique de la nature et de son imitation
fidèle. Les sujets qu'il a traités sont variés et pittoresques : la
perspective, la lumière et les tons d'air y sont admirablement
rendus et avec cette sûreté de main qui ravit le spectateur.
Les tableaux de Swanevelt sont aussi rares que ses dessins,
et il est peu de galeries et de collections qui en possèdent.
On rencontre assez souvent au contraire ses feuilles gravées,
au nombre de cent-seize, et qui pour le choix des sujets, l'in-
telligente distribution de la lumière et des ombres, l'emploi
spirituel du burin et la perfection de toute la partie maté-
rielle , sont restées jusqu'à ce jour sans rivales. Les planches
ayant pendant longtemps passé successivement dans des
mains toujours plus inhabiles , il existe une foule d'épreuves
où l'on peut à peine reconnaître la forme primitive. Swane-
velt mourut vers 1690, à Rome
SWAIX-RIVER, rivière des Cygnes, fleuve de la côte
sud-ouest de la Nouvelle-Hollande; il a donné son nom à
une colonie anglaise, fondée en i8l9, Swan-River-Colony ,
qui depuis les vastes développements qu'elle a pris s'appelle
Westauslralia.
SWAIVSEA, ville et port du comté de Glaniorgan
(pays de Galles), à l'embouchure du Tawe. C'est une ville
neuve et bien bâtie , avec 24,000 habitants , des chantiers de
construction, des bains de mer, une banque, un théâtre, et des
édifices publics considérables. Son port lui est d'une grande
utilité pour la vente et l'expédition des produits de ses bras-
series, de ses distilleries , de ses tanneries et de ses savon-
neries , de ses fabriques de faïence et d'articles en fer et en
laiton , de môme que pour l'exploitation des produits de ses
environs, où abondent les usines de toutes espèces. Ou re-
marque surtout dans le nombre la grande fonderie de cuivre
appartenant à M. Vivian, et où il arrive du minerai de toutes
les parties de la terre pour y être soumis à l'affinage. Cet
établissement consomme chaque semaine 30,000 quintaux
de houille, et pourrait fondre chaque année plus d'un million
de quintaux de minerai. Le canal de Swansea conduit par
la vallée du Tawe aux mines et aux forges de Hennoyad-
Brecon, d'où un chemin de fer mène aux mines de Llanfa-
raley.
SVVEABORG,run des principaux arsenaux maritimes
de la Russie, est construit sur un groupe d'îlots situés en
avant et à quatre kilomètres environ de Helsingfors.
Ces îlots , reliés entre eux et armés de canons de gros ca-
libre, forment un vaste ensemble de fortifications qui défen-
dent les api)roches de la rade d'Helsingfors. Cette forteresse
peut être regardée comme imprenable. Comme elle ne pré-
sente qu'une ceinture inabordable de granité, on ne peut y
prendre terre pour en faire le siège, et on ne pourrait es-
pérer la réduire que par la famine. Mais elle pouvait être at-
taquée et foudroyée par un bombardement ; et c'estce qu'exé-
cutèrent avec un plein succès, le 9 août 1855, les flottes
anglaise et française; bombardement qui causa au gouver-
nement russe des pertes immenses en incendiant les casernes,
les divers établissements maritime^ et l'arsenal du port. Six
magasins à poudre, à bombes, etc., et une partie de la ville
devinrent la proie des flammes.
SWEDEiXBORG (Emmanuel de ) , célèbre théosophe,
naquit à Stockholm, en 1688. Il était fils d'un évoque de
Vestrogothie, qui lui-même n'était pas étranger aux opi-
nions mystiques, et il reçut de lui une éducation religieuse
qui influa sur le reste de sa vie. Il fit d'excellentes études à
Ûpsal , cultiva d'abord avec succès les lettres , et fit pa-
raître dès l'âge de vingt-deux ans, sous le titre àt Ludus
Heliconius , y\n recueil de vers latins, qui annonçait une
imagination vive ; puis il s'attacha aux sciences, et visita les
universités d'Allemagne, de Hollande et d'Angleterre pour se
perfectionner. A son retour (1716), il publia un journal de
mathématiques et de physique , le Dmdalus hyperboreus ,
qui attira sur lui l'attention des savants, et lui concilia la
faveur de Charles XIL Ce prince le nomma assesseur au
conseil des mines, et utilisa ses connaissances en mécanique
au siège de Frederikshall (1718). Après la mort du roi,
la reine Illrique-Éléonore lui conféra des titres de noblesse
(1719). Pour se mettre en état de mieux remplir les obliga-
tions de sa charge, il visita les mines de la Suède, puis celle»
de l'Allemagne, et publia en 1721 et 1722 les résultats de
ses recherches métallurgiques dans plusieurs ouvrages,
dont le plus estimé est un traité sur le fer, que l'Acadé-
mie des Sciences de Paris fit traduire pour sou Histoire
des Arts et Métiers. Bientôt , étendant son horizon , il em-
brassa dans ses études toutes les parties de la nature, et
donna en 1734, sous le titre d'Opéra Philosophica et Mi-
neralogica (3 vol. in-fol. ) , une espèce d'encyclopédie où
l'on trouve, outre ses observations minéralogiques et chi-
miques, un système de physique générale, dans lequel l'i-
magination avait une grande part. H compléta cette encyclo-
pédie en publiant VŒconomia Regni Animalïs , et te Re-
gnum Animale illustrutum ( 1738 et années suivantes),
où il traite des êtres animés. Ces vastes travaux avaient
fait connaître Swedenborg dans toute l'Europe : il avait été
nommé membre de la Société royale des Sc'iences de Stock-
holm, associé de l'Académie de Pétersbourg : il occupait
d'ailleurs dans sa patrie une place importante et honorable,
et pouvait s'avancer loin encore dans le chemin des hon-
neurs et de la fortune. Mais tout à coup on le vit, avec éton-
nement, renoncer au monde et abandonner ses fonctions
pour remplir, disait-il, une mission divine. 11 prétendit avoir
des communications avec les êtres spirituels et en recevoir
des révélations sur le culte de Dieu et sur les saintes Écri tures.
Il se crut introduit, par une faveur toute spéciale, dans le
ciel, dans le monde des esprits et dans les enfers; et il eut
avec Dieu, avec les auges et les âmes des morts, de fréquents
entretiens, qu'il raconte dans ses écrits avec la meilleure foi du
monde et jusqu'en leurs moindres détails. Swedenborg avait
cinquante- cinq ans lorsqu'il eut sa première vision ( 1743);
mais ce n'est que quatte années après, en 1747, qu'il se
démit de sa charge d'assesseur des mines, afin de se consa-
crer fans paitage â sa nouvelle vocation. Depuis ce moment
il emi)loya toute sa vie à propager ses idées, soit par ses
conversations, soit par ses écrits, et publia successivement
dans ce but dix-sept ouvrages volumineux; il faisait de fré-
quents voyages à Londres et à Amsterdam pour les y faire im-
primer. En même temps qu'il racontait ses révélations, et
tentait une réforme du christianisme, Swedenborg disposait
d'une fortune immense , dont la source est encore mysté-
rieuse (on prétend qu'il la tenait d'un certain Élie Artiste ,
qui possédait la pierre philosophale); il s'en servait pour
répandre des bienfaits autour de lui et jusqu'en Allemagne;
il distribua ainsi, dit-on, plusieurs millions. On lui attribue
quelques prophéties ; mais elles n'ont rien de bien authenti-
que. Swedenborg vécut jusqu'àun âge fort avancé : il mourut
en 1772, à quatre- vingt cinq ans, des suites d'une attaque
d'apoplexie, dans un voyage à Londres. Il n'avait jamais été
marié. Ses disciples, désignés sous le nom de Swedenbor-
gistes, forment une église à part, qu'ils nomment la Jéru-
salem-Nouvelle : ils sont encore très-répandus aujourd'hui
en Suède, en Allemagne, en Angleterre et aux Élats-Uni,s.
La doctrine de Swedenborg se compose d'une espèce de
Genèse, où il explique la création à sa manière, et de cer-
tains dogmes théologiques qui lui sont propres. Il distingue
un monde matériel et un monde spirituel : dans ce dernier
on retrouve tout ce que nous offre le monde visible, un
soleil, une terre, des habitants, des mariages , etc. ; mais
tout y est spirituel : selon lui, la Trinité divine est tout
entière en Jésus-Christ; et de même que l'on trouve dans
l'homme trois choses, le corps, l'âme, et le nouvel être, qui
résulte de l'union de ces deux substances, il faut distinguer
en Jésus- Christ la divinité, l'humanité, et leur union en une
seule personne. Les Écritures présentent trois sens , le sens
SWEDENBORG — SWIFT
413
divin ou céleste , le sens spirituel, et le sens naturel ou lit-
téral : le sens divin n'est connu que de Dieu; le sens spiri-
tuel, après avoir été connu des hommes jusqu'au temps de
Job , s'est perdu ; et il a été révélé de nouveau à Sweden-
borg. C'est à l'année 1757 que les swedenborgisles fixent
cette nouvelle révélation. De ce moment date un second
avènement de Jésus-Clirist , avènement qui a eu lieu non
en personne, mais dans un sens spirituel ; alors aussi fut
fondée la Jérusalem-Nouvelle, qui avait été annoncée dans
l'Apocalypse.
Les principaux ouvrages mystiques de Swedenborg sont :
De Cultu et Amore Dei (Londres, 1745); Arcana ccclestia
(8 vol. in-4°, Lond., 1749-56) ; De Cœlo et Inferno ex audi-
tis et visis (Lond., 1758); De ultimo Judicio et Babylo-
nix Destructione (1758); De Nova HierosoUjma (1758) ;
Sapientia angelica de divino amore (1763); De divïna
Providentia{\lQ>k); Apocalypsis revelala (17C6); Vera
christiana Religio,seu universalis theologia novx Ecole-
six (1771). Ce dernier ouvrage contient toute la doctrine
théologique de Swedenborg. Plusieurs de ces écrits ont été
traduits en français, entre autres Le Ciel et V Enfer, par
Pernety (1782); La Nouvelle Jérusalem et sa doctrine cé-
leste, par Chastanicr (1784). On trouvera l'histoire et l'ex-
posé des opinions de Swedenborg, et de sa secte dans le
Tableau analytique de la doctrine céleste de la Nouvelle
Jérusalem (La Haye, 1786), dans V Abrégé des Ouvrages
de Swedenborg par Dallant de La Touche (Stockholm,
1788), et enfin dans un volumineux ouvrage publié h Pa-
ris, par E. Richer, La Nouvelle Jérusalem ( 8 vol. in-8°,
1832-35).
Maintenant, qu'est-ce que Swedenborg? Qu'est-ce que
cet homme qui , au milieu du siècle le plus éclairé et le plus
incrédule, s'est presque fait passer pour un nouveau Mes-
sie? Selon ses partisans , c'est un inspiré. Mais où sont les
preuves de cette inspiration ? Les révélations qu'il raconte
ne sauraient être appelées en témoignage ; car ce sont elles
précisément dont il faudrait prouver l'origine surnaturelle.
Et d'ailleurs , ces prétendues révélations contiennent des
choses si bizarres, si extravagantes , qu'elles semblent bien
peu dignes d'une intervention divine. Selon d'autres , c'est
un imposteur ; mais comment croire à l'imposture dans un
homme qui se fit toujours remarquer par sa pieté, et qui
d'ailleurs ne fil jamais servir ses révélations à des projets
de fortune ou d'ambition? Qu'est donc Swedenborg .^ Pour
nous , nous l'avouerons , Swedenborg n'est qu'un vision-
naire , un monomane ; mais c'est un monomane qui offre
au philosophe et à l'historien un des phénomènes les plus
intéressants , les plus instructifs. Élevé dans des idées mys-
tiques, il en est longtemps détourné pardes études sérieuses ;
mais après d'immenses travaux, qui avaient exigé une longue
et fatigante contention d'esprit, il est, au milieu de sa car-
rière, atteint d'une congestion cérébrale qui détermine en
lui un commencement de folie : la mémoire et Pimagination
acquérant alors chez lui un très-grand développement ,
comme cela se remarque dans la plupart des irritations du
cerveau, et comme on l'observe tous les jours chez les som-
nambules magnétiques , les impressions qu'il avait reçues
dans sa première enfance, ces idées mystiques pour lesquelles
il n'avait cessé d'avoir du penchant , se représentent avec
force à son esprit et s'en emparent tout entier. Rappoi tant
alors tout ce qu'il sait à son idée fixe , il fait , avec le se-
cours de son érudition scienlifique et théologique , un sys-
tème de cosmogonie et de religion dans lequel tout est con-
fondu, le physique et le moral ,1e monde céleste et le monde
terrestre. Nous n'aurions pour justifier notre opinion sur le
véritable état de Swedenborg, sitouteloiscllea besoin d'être
justifiée, qu'à citer quelques unes des extravagances dont ses
écrits sont remplis, et qu'il débite, comme tous les fous, avec
un sang-froid imperturbable. L'ascendant qu'il exerçait sur
ses adeptes était d'autant plus naturel et d'autant plus grand,
que lui-même n'éprouvait aucun doute sur toutes les mer-
veilles qu'il annonçait au nom de Dieu et des anges. La foi.
on le sait, est contagieuse, et pour persuader les gens il
suffit souvent de prendre un ton d'assurance, même en
débitant les plus grandes folies. Si l'exemple de Swedenborg,
auquel on pourrait en joindre nombre d'autres , prouve à
n'en pas douter qu'un fou peut rencontrer des gens assez
crédules pour le croire inspiré, ne pourrait-on pas trouver
dans ce fait la clef d'un grand nombre d'autres faits extraor-
dinaires, qui sont jusque ici restés dans l'histoire sans expli-
cation satisfaisante, les uns les regardant comme réellement
miraculeux, les autres les rejetant purement et simplement
comme impossibles, malgré les témoignages les plus au-
thentiques , ou les flétrissant comme d'ignobles jongleries ,
au risque de faire en même temps injure à la raison et à la
bonne foi des âges précédents? Bouillet.
SVVElXDBORG. Foyes Svenborg.
SWEYINHEIM, associé du célèbre imprimeur Pan-
n a r t z.
SVViATOWITj l'une des principales divinités des
populations slaves, et qui était surtout adorée dans l'île de
Rugen.
SVVIETEN (GÉRARD Van), l'un des plus célèbres
médecins du dix-huitième siècle, né à Leyde, le 7 mai
1700 , fit ses études à Louvain et dans sa ville natale, sous
la direction de Boerhaave, dont il fut l'élève le plus distin-
gué, s'occupant, outre la médecine, d'une façon toute spéciale
de la chimie et de la pharmacie. Après avoir pratiqué pen-
dant quelque temps avec succès à Leyde, il fut appelée y
occuper la chaire de médecine; mais comme il était ca-
tholique , ses ennemis le forcèrent de renoncer à ses fonc-
tions. En 1745 il fut appelé à Vienne , avec le titre de pre-
mier médecin de l'impératrice Marie-Thérèse; et il réusait à
se concilier si complètement la faveur et les bonnes grâce»
de celte princesse , qu'elle le nomma par la suite conserva-
teur de la bibliothèque impériale, président perpétuel de la
faculté de médecine, directeur du service de santé dans tous
les États autrichiens et censeur impérial. Il employa son
crédit sur l'esprit de l'impératrice à favoriser le progrès des
sciences et des lumières ; mais s'étant montré en toute occa-
sion extrêmement sévère pour l'introduction des ouvrages
des philosophes français , ceux-ci s'en vengèrent par force
diatribes et injures. Il mourut à Schœnbrunn, le 18 juin
1772. Ses excellents Commentariiin Boerhaavii Aphoris-
mos de cognoscendiset curandis morbis (5 vol., Leyde,
1741-1772) sont demeurés un ouvrage classique, et lui as-
surent une place durable dans la littérature médicale. Sa
théorie est un mélange des principes humoraux et mécanico-
dynamiques.
Son fils, Gottfried, baron Van Swieten, né en 1733, lui
succéda dans les fonctions de conservateur de la biblio-
thèque, impériale, et mourut 4 Vienne, en 1803. il fut l'ami
intime de Haydn et de Mozart, fit exécuter à Vienne, les œu-
vres de Hœndel et de Bach , et forma à cet effet dans cette
capitale une société musicale composée des membres de la
plus haute noblesse. Il écrivit pour Mozart, d'après un texte
anglais , le libretto de La Création , de même que celui de
ses Saisons.
SWIETEIV (Liqueur de Van). Voyez Chlorure.
SWIFT ( Jonathan) , surnommé le Rabelais de l'An-
gleterre, naquit en Irlande, à Dublin, le 30 novembre 1667,
quelques mois après la mort de son père. Dès sa jeunesse il
annonça ce caractère excentrique qui devait faire de lui
l'homme le plus poli et le plus bourru , le plus recherché
et le plus haï : caractère insaisissable , poussant la misan-
thropie jusqu'au cynisme, et la générosité jusqu'à l'abné-
gation. Envoyé, à quatorze ans, au collège de La Trinité à
Dublin , il sut faire un meilleur emploi de son temps à l'uni-
versité de la même ville : c'est là , dit-on , qu'il conçut le
plan de son fameux Conte du Tonneau ( Taie ofa Tub). Ses
études terminées, sa mère l'envoya en Angleterre, près de
sir William Temple, dont elle était un peu parente, et qui
le présenta au roi Guillaume III. Swift fit tellement goûter sa
conversation h ce monarque qu'il devint le compagnon ordi-
414
S^YIFT — SYBARIS
Haire <le ses promenades. Le roi lui olfrit une compagnie de
cavalerie; mais Swift, préférant entrer dans les ordres, ob-
tint la prébende de Kilroot, en Irlande. Il ne tarda pas à la
résigner et à repasser en Angleterre, aux vives sollicitations de
sir W. Temple, qui le pressait de venir partager sa retraite.
Après la mort de ce zélé protecteur, sur le crédit duquel il
avait compté pour obtenir quelque bénéfice considérable, il
fut nommé doyen de Saint-Patrick.
C'est surtout à partir de cette époque que Swift se si-
gnala par ces actes incompréliensibles qui firent douter de
son cœur et de sa probité. Il avait conçu , pendant son sé-
jour chez sir W. Temple , une violente passion pour la fille
de son intendant, qu'il a célébrée dans ses vers sous le nom
de Stella. Lorsqu'il fut établi en Irlande , il lui écrivit de
venir le joindre, et il obtint ce sacrifice de son amour. Celte
liaison, qui s'annonçait avec tout l'entraînement romanesque
d'une séduction, devait aboutir à. un commerce purement
platonique. Swift installa sa maîtresse dans une habitation
séparée de la sienne , lui confia l'intendance de sa maison ,
et ne dépassa jamais avec elle les bornes d'une amitié fra-
ternelle. Cette bizarrerie dans sa conduite privée se re-
trouve dans sa conduite politique. Quoiqu'il eût de bonne
heure adopté les principes des whigs , il prit la plume en
maintes occasions pour soutenir le gouvernement. Ravis de
trouver un auxiliaire aussi habile, et surtout aussi inat-
tendu, les ministres delà reine Anne l'engagèrent à venir à
Londres, et l'accueillirent avec distinction. L'influence qu'il
«xerça sur les affaires pouvait lui rendre le brillant avenir
que la mort de sir W. Temple et l'oubli du roi Guillaume
avaient interrompu. Swift visait depuis longtemps à un
évêché : la reine lui avait fait espérer cette récompense de
ses services; mais instruite du laisser-aller du doyen de
Saint-Patrick en matière religieuse, elle refusa de ratifier
sa promesse. Mécontent de s'être compromis en pure perte,
' Swift retourna en Irlande , où il fut reçu avec froideur. Une
occasion se présenta bientôt pour lui de reconquérir sa po-
pularité : on faisait circuler en Irlande une monnaie de bas
aloi , et la classe manufacturière, qui avait le plus à souffrir
de ce déchet, repoussait vivement cette mesure. Pour en dé-
montrer les suites fâcheuses, Swift écrivit ses Ze^iresrfît Dra-
pier; acte d'opposition qui lui rendit la faveur populaire. An
reste, revenu de ses rêves d'ambition , le doyen de Saint-Pa-
trick ne songea plus qu'à rechercher les plaisirs de la société
et à tenir table et maison ouverte, dont sa maîtresse Stella
faisait les honneurs. Sa liaison avec elle durait depuis seize
ans , lorsqu'il prit la résolution de l'épouser. ;Le mariage
n'amena aucun changement dans leurs relations, qui conti-
nuèrent sur le même pied jusqu'à la mort de cette aimable
femme, victime résignée d'une passion sans aliment et d'un
caprice empreint d'un égoïsme barbare. Pour justifier la né-
gligence de Swift à son égard, on a allégué un défaut de cons-
titution physique, semblable à celui dont Boileau était affligé.
Cela expliquerait sa conduite sans l'excuser. Swift eut encore
à se reprocher la mort d'une jeune Hollandaise, nommée Ehther
Van Homrigh , à laquelle il avait su également inspirer une
violente passion, sans la partager, ou du moins sans pouvoir
la satisfaire, cl qui mourut de douleur en apprenant son union
avec Stella. La fin cruelle de Stella, si mal récompensée
d'un amour et d'un dévouement sans bornes, indisposa
fortement l'opinion contre lui. Pour se soustraire à la ré-
probation géné.'-ale , et peut-être aussi pour échapper à ses
propres remords , Swift chercha une distraction dans de
fréquents voyages en Angleterre, où l'attirait sa liaison
avec Pope. Délaissé par la plupart de ses amis, il passa le
reste de ses jours en proie à de douloureuses infirmités,
qui ajoutèrent encore à sa misanthropie naturelle. Pendant
les dernières années de sa vie, des attaques réitérées d'a-
poplexie avaient profondément altéré ses facultés intellec-
tuelles. Bien longtemps avant il semblait avoir eu le pres-
sentiment de sa destinée. Swift mourut le 29 octobre 1745.
Il était d'une haute taille, robuste et bien fait :,il avait les
yeux bleus , le teint brun , les sourcils noirs et épais , le nez
un peu aquilin , et des traits qui exprimaient toute la sévé-
rité, la fierté, l'intrépidité de son caractère. Il .semblait
composé de tous les extrêmes : il mettait une sorte de mo-
destie à ne jamais parler plus d'une minute de suite , mais
il s'emportait si quelqu'un l'interrompait. Grand amateur
de pointes et de jeux de mots , il ne s'en permettait jamais
qui blessassent la décence et la religion; mais la plume à
la main il ne connaissait plus de bornes. Personne ne se
montra plus sensible que lui aux prévenances des grands,
et on le vit mille fois rechercher la société des gens de la
dernière classe du peuple. En voyage , il s'arrêtait de pré-
férence dans les auberges où il était sûr de rencontrer pour
commensaux des rouliers et des portefaix. Swift a composé
plus de vingt volumes : de tous ces ouvrages, plusieurs
ont été traduits en français , et deux sont entre les mains
de tout le monde : Le Conte du Tonneau, satire allégorique,
où il attaque, sous les noms de Pierre, de Martin et de Jean,
le pape, Luther et Calvin; et enfin, les Voyages de Gulli-
ver, ce chef-d'œuvre d'esprit, de causticité, de fine rail-
lerie, de philosophie mordante , vive, acérée, que Voltaire,
en le vantant le premier en France , a déclaré inimitable ,
et qu'il a cependant essayé d'imiter dans son Micromégas ,
sans doute pour corroborer son opinion. Joncières.
SWIIVEMUJVDE, jolie ville de l'arrondissement de
Stralsund( Prusse), située dans l'île d'Usedom,sur laSwine,
compte 4,000 habitants. C'est un port de mer qu'on a for-
tifié depuis 1848, et qui forme l'avant-port de Stettin. En
1850 il possédait en propre 18 navires, jaugeant ensemble
4,530 tonneaux. En 1S51 il y entra 1,722 bâtiments jaugeant
ensemble 271,800 tonneaux ; il en était sorti 1,575. Ses bains
de mer sont , après ceux deDobberan, l'établissement de
la Baltique qui attire le plus grand nombre de baigneurs.
SWIR, rivière du gouvernement d'Olonetz (Russie,
d Europe), qui fait communiquer le lac Onega avec le lac
Ladoga, et qui est navigable dans tout son parcours, quoi-
que dangereuse pour les bateaux d'un fort tirant d'eau, à
cause de ses nombreux bancs de sable* Elle fait partie du
vaste système de navigation intérieure qui relie la Baltique
au Volga et à la mer Caspienne. A cette voie de communi-
cation par eau appartient le canal de Swir, qui conduit du
Swir au Sœss, et qui permet d'éviter par le lac Ladoga ce
qu'offre de périlleux l'embouchure du Swir dans le Sœss ;
de môme que le canal Onega, qui du Swir conduit le long
de la rive méridionale du lac Onega dans la Wytegra, et fait
ainsi éviter les dangers de la navigation sur le lac Onega.
SYAGRSUS. Ainsi s'appelait le dernier chef romain qui
gouverna la Gaule. Son père ^Egidius, après avoir d'abord
été lieutenant de l'empereur Majorien, dans la partie nord-
ouest de cette contrée, que les peuplades germaines n'avaient
point encore enlevée aux Romains, ne fut point reconnu en
cette qualité par le successeur de ce prince, mort l'an 461 ;
mais il n'en continua pas moins à y jouir d'un pouvoir in-
dépendant, et en fut même reconnu comme le souverain lé-
gitime par une tribu franke voisine, qui avait expulsé son
roi. Il transmit ses États à son fils , sous l'autorité d£ qui
ce dernier débris de l'Empire Romain d'Occident subsista
encore pendant dix ans. Mais attaqué en 486 par Chlodwig,
Syagrius fut vaincu dans une bataille rangée livrée aux en-
virons de Soissons ; et son empire devint alors la proie des
Franks. Syagrius fut réduit à aller demander asile à Alaric ,
roi des Visigoths; mais celui-ci le livra à Chlodwig , qui le
fit mettre à mort.
SYBARIS, ville autrefois célèbre de la basse Italie,
dans la Lucanic, sur les bords du lac de Tarente , peut-être
la Terra-Nuova actuelle, fut fondée , suivant la tradition ,
dès l'an 721 av. J.-C, par des Achéenset des Trézéniens ; et
par suite de la fécondité de son sol, ainsi que de l'important
commerce qu'elle faisait avec l'Asie Mineure, elle parvint de
bonne heure à une grande richesse de môme qu'à une grande
puissance. Mai.? ses habitants , les Sybarites, tombèrent
bientôt dans une mollesse extrême, de sorte que leur nom
devint le synonyme d'homme efféminé et voluptueux. Ils
SYBARIS — SYLLA
415
étaient surtout fameux par la délicate recherche de leur
table, et sous ce rapport il n'y avait que les habitants de
•a Sicile qui pussent rivaliser avec eux. Leur ville ayant
été détruite par les habitants de Crotone, en l'an 510, les
descendants des Sybarites exilés construisirent en l'an 444 ,
non loin de l'emplacement de la ville de leurs pères, une
ville nouvelle, appelée Thurium ou Thurii, mais que des
discordes intérieures ruinèrent bientôt.
SYDARITES, SYBARITISME. Voyez Sybaris.
SYDILLE. Foces SiBïLLE.
SYBILLINS (Livres). Voye:^ Sibyllins (Livres).
SYCIONE. Voyez Sicyone.
SYCOMORE. Voyez Érable.
SYCOMORE (Faux). Voyez Azédakacu.
SYCOPHAMTE (du grec ffw.oçâvxTiç ). Ce mot est pris
généralement aujourd'hui comme synonyme de calomnia-
teur, de fourbe, de délateur, par corruption du sens attaché
à ses racines étymologiques (dùxov , figue, et f^i, je dis ,
j'indique), et désignait à l'origine un dénonciateur de ceux
qui transportaient des figues hors de l'Altique, parce que
les Athéniens, grands mangeurs de figues, en interdisaient
l'exportation. Une forte récompense étant accordée à ceux
qui révélaient les infractions à la loi, cette circonstance et
d'autres encore , telles que des jalousies , ou des haines par-
ticulières , ou des motifs d'intérêt , rendirent les dénoncia-
tions très- fréquentes, et l'on finit par s'apercevoir qu'elles
étaient le plus souvent fausses et calomnieuses. C'est ainsi
que ie mot sycophante est devenu insensiblement synonyme
de calomniateur.
SY'DENH AM ( Tnoius ) , l'un des plus grands méde-
cins qui aient jamais existé, naquit en 1625, à Windford-
Eagle, dans le comté de Dorset, et alla en 1642 étudier à
Oxford. Mais il n'y fit qu'un séjour de courte durée, et vint
à Londres , où le médecin Th. Coxeie décida à se consacrer
à la médecine. 11 ne retourna qu'en 1648 à Oxford, pour
s'y faire recevoir bachelier. On ignore quelles occupations
remplirent cet intervalle de sa vie; on croit pourtant savoir
qu'à l'époque des guerres civiles il servit pendant quelque
temps dans l'armée comme médecin militaire. On dit
aussi qij'il alla étudier à Montpellier. Reçu docteur en mé-
decine à Cambridge , il s'établit comme médecin praticien
à Londres, où bientôt il se fit une grande réputation par le
bonheur de ses cures. La manière dont il traita la petite
vérole qui ravagea épidémiquement l'Angleterre en 1635 et
1656 le rendit surtout célèbre. Il mourut le 29 décembre
1689. Ennemi de tout esprit de système, il lut redevable de
ses succès dans la pratique et de la gloire qu'ils lui valurent
à l'exacte et attentive observation de la nature. Parmi ses
ouvrages, tous écrits en latin, il faut surtout citer ses
Observattones Medicse circa morborum aculorum histo-
riam et curationem (Londres, 1675) et son Tractatus
dePodagra et Hydrope (1683).
SYDEiVIIAM (Liqueur de). Voyez Laubanum.
SYDENIIAM, endroit situé au sud de Loniires, à six
milles ani^lais du Londonbridge, est devenu récemment
célèbre parce que c'est là qu'a été transporté le Palais de
cristal, construit en 1851 dans HydePark pour l'exposition
universelle de l'industrie , mais après avoir subi des mo-
difications importantes ayant pour but l'utilité et l'agrément
du public. Une société particulière, organisée à cet effet,
exécuta cette nouvelle exposition du 5 août 1852 à la fin de mai
1354. A l'ouverture, les frais de l'entreprise s'étaient élevés à
1,000,000 liv. st. (25,000,000 fr.). Le nouveau Palais de
cristal est situé' sur le point le plus élevé d'une plaine on-
duleuse de 300 acres, près du chemin de fer de Londres à
Brighton , entre les stations de Sydenham et d'Anerley,
dans l'un des endroits les plus pittoresques des environs de
Londres, sur une éminence qui commande les plus beaux
points de vue; car de quelque côté que l'on se promène,
dans la ville ou hors la ville , sur la ferre ou sur la rivière,
le dôme triomphant du Palais de cristil ne demande qu'un
rayon de soleil pour étinceler dans l'iiorizon comme un
phare fantastique. Ces 300 acres de terrain ont été transfor-
més en terrasses, en jardins, en parcs, en promenades,
en lacs et en îles de toute beauté , avec une foule de statues
et de fontaines jaillissantes ; et deux chemins de fer desser-
vent le palais, un pour l'aller et l'autre pour le retour. Le
nouveau Palais de cristal sert de lieu d'exposition non
plus seulement aux produits de l'industrie , mais encore aux
chefs-d'œuvre classiques des beaux-arts, et cette exposition
est permanente. Il est destiné à la récréation et à l'instruc-
tion du grand nombre. Par suite de la translation du Pa-
lais de cristal à Sydenham, cet endroit est rapidement
devenu une ville de maisons de campagne , d'hôtels et de
tavernes.
SYD\'EY. Voyez Sidkey.
SY DEROE. Voyez F.er-Œrne.
SY^ÈNE. Voyez Assouan.
SYÉNITEj espèce de roche granitique, qui diffère du
granité en ce que l'amphibole y remplace le mica , el qui
est essentiellement composée de feldspath lamellaire , de
quartz et d'amphibole. Elle tire son nom de l'antique
Syène en Egypte, parce qu'on croyait que c'était de là que
les Égyptiens tiraient la belle syénite qu'ils employaient
dans la construction de leurs monuments; or, on a re-
connu depuis qu'il n'y a point de syénite à Syène, mais seu-
lement du granité. On rencontre de fort belle syénite sur di-
vers points de l'Allemagne, par exemple à IMorilzburg et
dans le fond de Plauen, près de Dresde, à Weinheim près
de la Bergslrasse, à Brunn en Moravie, etc. La syénite rend
dans les arts les mômes services que le granité.
SYÉYES. Voyez SiEviis.
SYKHS. Voyez Sirus.
SYLLA ( Luca's Counelius), né l'an l3S av. .T.-C, ap-
partenait à cette gens Cornelia qui avait fourni tant
d'hommes illustres à la république romaine. Le chef de la
branche à laquelle il appartenait avait été L. Cornélius Ru-
finus, qui tut deux fois consul et dictateur, et que les cen-
seurs exclurent du sénat (an de Rome 477) pour avoir
possédé plus de 15 marcs de vaisselle d'argent. Cette note
semble avoir exercé une influence sur tous ses descen-
dants, dont aucun avant Sylla ne put s'élever plus haut
que la préture. L'exclusion des premiers honneurs fit
tomber sa famille dans l'abaissement, sous le rapport de la
fortune ; et Sylla , n'ayant hérité que peu de biens de son
père, se trouva assez gêné dans sa jeunesse. 11 reçut ce-
pendant une éducation soignée; il était instruit dans les
lettres grecques et latines, érudit et éloquent. Son caractère
fut celui d'un chef de parti ; généreux, aimant la gloire plus
que les plaisirs, et même, en se livrant aux jouissances
du luxe, quand il le pouvait , ne perdant jamais de vue les
affaires. Toujours heureux , sa fortune ne fut jamais ce-
pendant supérieure à sa capacité.
Sylla, nommé questeur ( en l'an de Rome 645 ) , fut en-
voyé à l'armée d'Afrique, où Marius, alors consul, faisait
la guerre à J u g u r l h a. Il gagna bientôt la confiance de son
général, el sut la mériter dès les premiers combats où il se
trouva. Bocchus s'étant montré disposé à traiter avec les
Romains , ce fut Sylla que Marius chargea de suivre cette
négociation. Il la conduisit avec tant d'adresse, qu'il décida
le roi maure à acheter la paix en livrant lui-même son
allié Jugurtha à la vengeance de Rome. Ce succès fut
peut-être une des causes des dissensions sanglantes qui
éclatèrent entre lui et Marius, jaloux de son questeur ; mais
ce ne fut certainement pas la principale. Sylla appartenait à
l'aristocratie patricienne; il avait le désir de lui voir re-
prendre l'influence qu'elle avait successivement perdue, et
tous les actes de sa vie publique prouvent que le principal
but qu'il s'était proposé était de réformer dans ce sens la
constitution politique de sa patrie. Marius devait être néces-
sairement son antagoniste , non qu'il fût partisan de la
démocratie, mais parce qu'il voulait dominer à tout prix.
Sylla , successivement lieutenant général de Marins et
de Catulus, se distingua par sa capacité et sa valeur dans
416
SYLLA
la guerre contre les Cimbres elles Teutons (647 à 751 de
Rome). Il ne parvint cependant que huit ans plus tard à la
préture, et en sortant de charge il reçut la mission de
rétablir sur son trône le roi de Cappadoce Ariobarzane ,
détrôné par les intrigues du célèbre Mit bridât e. Bientôt
la fortune lui offrit de nouvelles occasions de se distinguer.
Les peuples de l'Italie , las de n'être que les sujets de
Rome, sous le vain titre d'alliés, réclamaient depuis long-
temps une participation plus directe aux droits de cité
qu'ils avaient si justement mérités. Ayant perdu toute es-
pérance de voir accueillir leur demande, le plus grand
nombre se décidèrent à recourir à la force, et prirent les
armes (662 de Rome). Dans cette guerre, à laquelle l'his-
toire a donné le nom de guerre sociale, Sylla fut un des
généraux auxquels le sénat confia le commandement des
armées. 11 y obtint une suite de brillants succès; et le sé-
nat ayant eu la sage politique de promettre les droits actifs
de cité aux peuples qui déposeraient volontairement les
armes, la plupart acceptèrent cette offre, et la ligue fut vir-
tuellement di.ssoute. D'aussi éminents services donnaient à
Sylla le droit de prétendre au [consulat, et il se mit au
nombre des candidats pour celle des deux places qui ap-
partenait aux patriciens (664 de Rome). 11 eut cependant
quelque peine à l'emporter sur son concurrent, que Marins
appuyait de tout son crédit.
Mitbridate avait profité des embarras de la guerre sociale
pour reprendre la Cappadoce et s'emparer de l'Asie Mi-
neure , où il fit massacrer tous les Romains qui s'y trou-
vaient ; de là il s'apprêtait à passer en Grèce , où il s'était
fait des partisans. Le sénat , n'ayant plus rien à craindre
en Italie, put s'occuper de ce nouvel ennemi , et Sylla fut
chargé de cette expédition. 11 reçut l'ordre de passer en
Grèce dès qu'il aurait soumis quelques insurgés qui res-
taient encore sous les armes dans le Samnium et la Lucanie.
Marins ambitionnait ce commandement, et dès que le con-
sul Sylla eut quitté Rome pour se rendre en Campanie, il
songea à faire annuler le décret du sénat qui le donnait à
son rival. S'étant associé au tribun du peuple, S. Sulpicius,
ils convinrent de tenter une espèce de coup d'État, afin de
s'assurer la majorité. Les peuples italiens qui avaient ob-
tenu le droit de cité à la suite de la guerre sociale, formant
une masse de votants supérieure à celle des anciens ci-
toyens, au lieu de les répartir dans les tribus existantes, où
ils auraient pu avoir une influence dominante dans cha-
cune, avaient été classés dans huit nouvelles tribus créées
pour eux. Marius et Sulpicius convinrent qu'on présente-
rait à la sanction du peuple une première loi tendant à
faire entrer les nouveaux citoyens dans toutes les tribus,
par un nouveau classement. C'était le moyen de s'assurer
les votes de tous ceux dont cette novation augmentait
l'importance politique. Le sénat et les classes supéi ieures ,
jvgeant toute la portée d'une mesure qui devait avoir pour
résultat de leur ôter la direction des affaires publiques, se
préparèrent à une vive résistance. Sylla fut appelé à Rome,
et les magistrats se trouvèrent tous réunis au Forum lors-
que la loi fut proposée ; mais Marius et Sulpicius avaient
pris les mesures nécessaires pour emporter par la force ce
qu'ils ne pouvaientobtenir légalement. Il s'ensuivit une vio-
lente émeute, dans laquelle périrent plusieurs citoyens , et
dont le résultat fut la retraite forcée de tous les opposants ;
Sylla et son collègue Pompeius furent même obligés de
quitter Rome. Maîtres du champ de bataille, Marius et Sul-
picius firent non-seulement passer la première loi, mais,
profitant aussitôt de leur victoire, proposèrent et obtinrent
celle qui privait Sylla de son commandement.
Le caractère de ce dernier ne lui permettait pas de reculer
devant l'idée de recouvrer par la force ce que ses rivaux
avaient obtenu par le môme moyen. Son collègue Pom-
peius s'étant joint à lui , tous deux se présentèrent aux
portes de Rome avec une armée de près de quarante mille
hommes. Marius essaya en vain de résister avec ses parti-
sans et les soldats qui se trouvaient en ville. Après un
combat assez sanglant, il fut obligé de fuir. Sylla, maître de
Rome, borna ses vengeances à la proscription de Marius ,
Sulpicius et douze de leurs principaux adhérents. Ayant
fait abroger le plébiscite rendu contre lui, il fit encore rendre
deux lois qu'il jugea nécessaires dans les circonstances pré-
sentes. La première portait qu'aucun projet de plébiscite
ne pourrait à l'avenir être sanctionné par le vote populaire,
sans avoir été préalablement délibéré et approuvé par le
sénat : la seconde abolissait le vole des lois par t r i b u s ,
et le remplaçait par celui des centuries. Bornant là son
action politique, il ne voulut point influencer les élections
consulaires , ne s'opposa pas à ce qu'une des deux places
fût donnée à Cornélius Ci nn a , partisan déclaré de Marius,
rejoignit son armée et passa avec elle en Grèce.
Mitbridate y avait déjà fait passer une armée ; Athènes
lui avait ouvert ses portes ; les Cyclades et l'Eubée étaient
occupées par ses troupes. Sylla songea d'abord à reprendre
Athènes. Le siège fut long et sanglant, et la ville ne put
être prise que le 1^'' mars de l'année suivante ( 666 de
Rome ). Maître d'Athènes Sylla s'avança en Béotie, où , la
même année , il détruisit successivement , à Chéronée et à
Orcliomène, les armées de Mitbridate.
Le départ de Sylla avait été à Rome le signal d'une réac-
tion complète. Le consul Cinna avait pu rallier à lui tous
les partisans de Marius, qui vint lui-même le joindre. Tous
deux se rendirent assez facilement maîtres de la capitale,
où leur principale occupation fut de se venger de leurs en-
nemis personnels ; ceux qui purent leur échapper se réfu-
gièrent en Grèce près de Sylla. Pendant que ce dernier assié-
geait encore Athènes , le vieux Marius prit un septième
consulat , que la mort lui enleva peu de mois après. Cinna
le fit remplacer par Valerius Flaccus , dont il se débarrassa
bientôt en l'envoyant en Grèce pour y remplacer Sylla,
proscrit à son tour. Flaccus , arrivé en Épire, reçut la nou-
velle de la victoire d'Orchomène ; il n'osa pas se com-
mettre avec le vainqueur, et se bâta de traverser la Macé-
doine et la Thrace, et de gagner Byzance, d'où il passa en
Asie au commencement de l'an 667 de Rome : il y fut as-
sassiné à Nicomédie , par les ordres de son lieutenant Fim-
bria, qui le remplaça.
Mitbridate , jugeant de l'embarras où la présence d'une
armée aux ordres de ses ennemis devait placer Sylla, et
espérant que le désir que devait ressentir ce dernier de
venger lui et les siens, en ressaisissant le pouvoir, lui ferait
obtenir des conditions favorables, lui fit offrir la paix. Sylla
exigea que Mitbridate , renonçant à toutes ses conquêtes,,
payât les frais de la guerre et livrât ses vaisseaux armés.
Ces négociations et la réorganisation de la Grèce le re-
tinrent le restant de cette année; mais dès le commence-
ment de la suivante (668 de Rome ) il passa l'Hellespont à
Sestos. Milhridale , effrayé du danger dont le menaçaient
deux armées romaines, qui, bien que rivales en politique,
l'attaquaient toutes deux , demanda alors à Sylla une en-
trevue, dans laquelle il se soumit aux conditions imposées :
peu après il se relira dans ses États héréditaires. Fimbria ,
abandonné près de f hyatire par ses troupes , qui se réu-
nirent à Sylla, fut réduit à se donner la mort, et le parti de
Marius fut anéanti en Asie. Sylla aurait pu alors se hâter
de revenir en Italie, et d'autres l'auraient fait à sa place;
mais son principal objet était de réformer la constitution
politique de sa patrie, et pour le faire avec fruit il fallait
d'abord que l'autorité de Rome fût pleinement rétablie dans
l'Orient pacifié. Il employa donc une grande partie de l'an-
née à réduire le reste des villes rebelles de l'Asie Mineure;
à leur faire expier à toutes, par de fortes contributions, le
sang des citoyens romains assassinés, et à réorganiser l'ad-
ministration. Cela fait, il laissa dans le pays les légions de
Fimbria, sous les ordres de son lieutenant Murena, et partit
avec ses vieilles troupes , à la tête desquelles il débarqua à
Brindisi et à Tarente , au commencement de l'année sui-
vante ( 669 de Rome).
Après la mort du vieux Marius, Cinna avait trouvé dans
SYLLA
411
Carbon un collègue dont l'énergie et l'acUvilé lui promet-
taient un concours utile. Ils se partagèrent le pouvoir, et
à la nouvelle du retour prochain de Syila ils réunirent
tontes les forces dont ils purent disposer, Cinna résolut
même d'aller au-devant de lui et de le combattre dans la
Grèce; une division de son armée était déjà passée en II-
lyrie lorsqu'il périt dans une insurrection militaire , à la
suite de laquelle ses troupes se dispersèrent. Cet événe-
ment, en dérangeant ses projets , obligea Carbon à se tenir
sur la défensive , et facilita le débarquement de Sylla. Ce
dernier n'ayant rencontré aucun obstacle sur sa route ,
s'avança en Campanie, où sa première opération fut de
battre complètement Norbanus , un des deux consuls. Peu
après , l'autre consul , Scipion , se vit abandonné par les
quatre légions qu'il commandait, et qui joignirent Sylla. Là
s'arrêtèrent les opérations militaires ; de part et d'autre on
ne s'occupa qu'à concentrer les moyens d'action. Sylla,
même avec les légions de Scipion , n'avait guère plus de
65,000 hommes; ses adversaires comptaient sur quarante lé-
gions formant 200,000 hommes; mais ces troupes étaient dis-
séminées dans toute l'Italie, et le plus adroit pouvait s'en at-
tacher la majeure partie; c'est à quoi s'appliqua Sylla, et il y
employa avec succès Pompée, Crassus , le vieux Metellus et
Varro Lucullus. Afin d'ôter aux peuples d'Italie toute mé-
fiance à son égard, il leur promit la confirmation des droits
de cité qu'ils avaient acquis après la guerre sociale. Presque
tous se détachèrent du parti de Marins , excepté cependant
les Étrusques, et surtout les Samnites.
L'année suivante (670 de Rome), Carbon et le jeune
Marins prirent possession du consulat, et tous deux réso-
lurent de tenter la fortune des armes. Sylla s'avançait lui-
même vers Rome , et la bataille se livra à SacriporCus
(Caliano, près de Seigni ). Sylla y remporta une victoire
complète; Carbon fut obligé de fuir de l'Italie, et le jeune
Marius de se renfermer dans Préneste, ou Sylla le fit as-
siéger par un de ses lieutenants. Mais Sylla . marchant
vers Rome, se vil bientôt en danger de perdre dans un jour
le fruit de toutes ses victoires. Une armée de plus de
40,000 hommes, formée de Samnites et de Lucaniens,
commandée par Pontius Telesinus , digne descendant du
vainqueur des Fourches Caudines, ayant rallié les débris
des troupes battues à Sacriportus , s'avançait pour secou-
rir Préneste. Sylla se préparait à le combattre , lorsque
Pontius , concevant le projet audacieux d'attaquer Rome
elle-môuie, alors dégarnie , et de détruire enfin, dit-il à ses
soldats, « le repaire des loups qui avaient ruiné leur patrie, »
profita d'une nuit pour dérober son mouvement, et parut à
la pointe du jour sous les murs de la capitale , que défen-
daient une faible garnison et les citoyens mal armés. Heureu-
sement pour la fortune de Rome, Sylla, aussi vigilant que
le général samnite , s'aperçut assez tôt de sa disparition.
Ayant lancé en hâte en avant une partie de sa cavalerie , afin
de harceler l'ennemi et de l'inquiéter, il la suivit de près
avec le restant de son armée. La bataille fut longue et san-
glante; Sylla y courut, de son aveu, les plus grands dangers
de sa vie; enfin, la valeur de ses vieilles légions lui donna
une victoire complète ; Pontius périt avec la majeure partie
de ses troupes. Peu après, la reddition de Préneste et la
mort du jeune Marius achevèrent la réduction de ce parti,
excepté en Espagne ,oùSertoriusle soutint encore pen-
dant quelques années.
Nous n'entrerons dans aucun détail sur les proscriptions
qui suivirent la victoire de Sylla, et qui surpassèrent, disent
les historiens, les massacres ordonnés par Marius, de
même qu'elles furent surpassées à leur tour par les trium-
virs qui prétendaient venger la mort de César. Dans ces
temps funestes de dégradation morale, où l'empire des lois
ne pouvait plus avoir aucun pouvoir sur des esprits livrés
à l'effervescence de passions cupides et haineuses; où les
chocs réitérés des factions, en aiguisant les haines, donnaient
aux vengeances un caractère toujours croissant de férocité,
•i a la cupidité des occasions aussi fréquentes que faciles
OICT. DE L\ CONVERS. — T. XVI.
de se satisfaire , on ne pouvait plus s'attendre à chaque
commotion politique qu'à de nouvelles proscriptions et à
de plus amples confiscations. Sylla se conforma en cela aux
mœurs de son siècle , et il n'y a même pas bien longtemps
que les principes de ces proscriptions, qui doivent inspirer
une juste horreur, ont cessé d'être en usage dans notre
Europe, qu'elles ont si souvent ensanglantée.
Sylla , maître de Rome , se livra tout entier à l'exécution
du projet de réforme politique qu'il avait conçu ; son premier
acte fut de se faire nommer dictateur et de se faire donner en
même temps toute l'étendue du pouvoir dont il avait b(t.soin
pour accomplir son œuvre , c'est-à-dire la puissance légis-
lative. La loi qui nommait Sylla énonçait qu'il était cliargi'
de porteries lois qu'il jugerait convenables et de constituer
la république (Appien, Bell, civil., I, p. 412), c'est-à-dire
elle le nommait dictateur constituant. Or, l'histoire nous in-
dique que dans des occasions où une réforme législative
avait été nécessaire le même pouvoir constituant avait été
.ionné à d'autres magistrats. Ce fut celui des déceinvirs, des
dictateurs Q. Publicius et Q. Hortensius, et plus que pro-
bablement celui des censeurs Fabius Maximus et DpcIus.
La réforme opérée par Sylla ne fut pas une novation; il
ne donna pas à Rome une constitution nouvelle. Il ne fit que
rétablir une organisation tombée en désuétude ou viciée.
Quoique patricient il n'était pas assez insensé pour vouloir
rendre à son ordre, déjà trop affaibli, la puissance qu'il
avait quatre siècles plus tôt. Son projet l'ut de ramener la
constitution politique de Rome au point où l'avaient placée la
censure de Quintus Fa bi us Rullianus et de Décius, les lois
Hortensia et Publia. Les lois qu'il fit promulguer pemlant
<a dictature en sont une preuve évidente. Nous nous con-
tenterons de citer les principales.
Depuis l'organisation des centuries, faite parles censeurs
Fabius et Decius, l'accroissement de la puissance des plé-
béiens et surtout de leurs Iribims , qui conservaient un pou-
voir de provocation devenu inutile depuis que l'abolition des
curies avait fait cesser le motit pour lequel ils eu avaient été
investis, avait fait pencher la balance avec excès en leur
faveur. Les comices par tribus, où n'intervenait-nl pas les
dix-huitcenturies d'optimates, et dont la convocation appar-
tenait aux tribuns, avaient prévain, et le sénat .se trouvait
privé des droits qu'il dfvi.it exercer. Sylla y remédia par
trois lois, dont la première défendit les coinices par tribus
et rétablit ceux par centuries ; la deuxième rendit au sénat
linitiative de la délibération et de la proposition des lois;
la troisième ôta aux tribuns du peuple le droit de convoquer
les tribus, et statua que ceux qui auraient géré cette ma-
gistrature ne pourraient plus prétendre à aucune autre. Une
quatrième ôta aux chevaliers romains un privilège dont ils
avaient tant abusé , en statuant que les juges seraient exclu-
sivement choisis parmi les sénateurs. Une cinquième ôta aux
comices par tribus le droit que leur avait donné la loi Do-
viitia de remplir par élection les vacances dans les collèges
.sacerdotaux, et rendit à ces collèges le droit de se compléter
eux-mêmes par adoption [cooptatio). Une sixième établit
l'ordre hiérarchique de certaines charges, et remit en vi-
gueur la disposition qui défendait qu'aucun citoyen put oc-
cuper une seconde fois la môme magistraiure, si ce n'é-
tait après un intervalle de dix ans. Les institutions de Sylla
ne subsistèrent pas longtemps après lui , non qu'elles fus-
sent tyranniques , puisqu'elles ne différaient pas, dans leur
essence, de celles qui, deux siècles plus tôt, avaient mé-
rité à Fabius et à Decius la reconnaissance de leurs conci-
toyens. La cause unique qui les fit abolir fut qu'on s'obstina
à conserver l'un à côlé de l'autre deux ordres rivaux; une
fusion complète aurait créé une nation homogène, et l'équi-
libre qu'on voulut établir, bon entre des masses incites et
dépourvues de vie, était une chimère entre deux corps mus
par des passions et des intérêts divers , et qui n'avaient pas
de tiers arbitre, autre chimère, au reste, en politique.
Après avoir géré un second consulat ( 673 de Rome ),
Sylla ayant complété la réforme politique de sa iiatrie, ab-
27
418 SYLLA — SYLPHR
diqua volontairement l'année suivante la puissance dicta
toriale ; donnant par cet acte spontané la preuve la plus
convaincante qu'il n'avait jamais songé à usurper le pou-
voir dans un but d'ambition personnelle, et qu'il n'avait
voulu le gérer que dans rintentiou toute patriotique de re-
médier aux maux qui causèrent en effet la chute de la ré-
publique. Il se relira dans sa campagne de Puteoli , où il
vécut encore un an, et mourut de la (lèvre; ce qui n'est pas
aussi dramatique, il faut l'avouer, que les supplices que lui
infligèrent par écrit les bistoriens romantiques de tous les
temps postérieurs, qui le font mourir de la maladie pédicu-
laire. G"' G. de Vaudoncourt.
SYLLABAIRE, petit livre qui renferme les premiers
éléments de la lecture dans quelque langue que ce soit. On
l'appelle ainsi parce qu'il apprend a assembler les s y 1 1 a b e s ,
c'est-à-dire à épeler.
SYLLxVBE (du grec cuXXaê/), fait de (njXXafjiêâvcù, com-
prendre), vojeile ou seule ou jointe à d'autres lettres qui
se prononcent par une seule émission de voix. Une voyelle
seule peut former une syllabe, comme dans les mots a-ini,
■u-nir, etc.; tandis qu'une consonne est impuissante à cet
égard , si elle n'a le secours d'une voyelle. Les mots d'une
seule syllabe ont le nom de monosyllabes, comme sol, ah;
vent , etc. On appelle dissyllabes les mots composés de
deux syllabes, trissijllabes ceux de trois syllabes, et en
général polysyllabes Ions les mot- composés de plusieurs
syllabes. La prosodie , dans toutes les langues , reconnaît
des syllabes longues et brèves. Il y a des syllabes londamen-
talemenl longues, à quelque son qu'elles appartiennent,
d'autres sont constamment brèves. Enfin, il en est qui va-
rient dans leur quantité, et qui souffrent des exceptions sui-
vant les divers mots auxquels elles s'apiiliipient.
SYLLEPSE (du grec (jûXXe<}/i(; , couipréiiension). C'est
la même étymologie que le mot syllabe; seulement, elle
doit se prendre ici dans le sens actif, tandis que dans
syllepse elle a le sens passif. La syllepse est un trope au
moyen duquel le môme mot est pris en deux sens iliflérenls
dans la même phrase , dans le sens propre et dans le sens
figuré. Dans les vers d" Andromaque :
Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie;
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
Brûlé de plus de feux que je n'ai allumé.
Brûlé est au propre par rapport aux (eux que Pyrrhus
alluma dans la ville de Troie, et il est au (iguré par rap-
port à la passion violente que Pyrrhus dit qu'il ressent pour
Andromaque.
SYLLOGISME (du grec CTuXXoYia[j.6;, raisonnement,
conclusion ), terme de logique qui , suivant son élymologie,
offre un véritable synonyme daraisonncment. Le syllogisme
est toujours composé de trois propositions; la première
s'appelle la majeure, la seconde la mineure, et la troisième
la conséquence. Dans la première proposition on cherche
ce qui, de l'aveu de celui à qui l'on parle, a la propriété
qui est en question. Dans la seconde on fait voir que le
sujet dont il s'agit est un des individus comprig dans l'exten-
sion de l'idée générale dont les individus ont cette propriété;
d'où l'on conclut dans la conséquence que le sujet en ques-
tion a la propriété qu'on lui dispute. Les deux premières
propositions ilii syllogisme sont ii\<iiti\fiispré77iisses, c'est-
à-dire mises avant la conséquence. Nécessairement,- le syl-
logisme se compose de trois idées simples ou complexes. La
question qui dans le syllogisme devient la conclusion est
composée de deux idées, dont l'une s'appelle le sujet et
l'autre l'attribut. Le sujet est nonuné le petit terme, l'at-
tribut de la conclusion a le nom de grand terme. Outre
ces deux idées , on a recours à une troisième, qu'on appelle
le moyen , et par l'intermédiaire de laquelle on découvre si
l'attribut de la conclusion convient ou ne convient pas au
sujet de cette môme conclusion. Ainsi, dans ce syllogisme :
Tous les hommes peuvent faillir ; vous êtes homme, donc
vous pouvez faillir, vous est le sujet de la conclusion , et
par conséquent le petit terme; vous pouvez faillir est l'at-
tribut; tous les hommes est le moyen terme, ou l'idée
moyenne. C'est l'identité qui est le seul et véritable fon-
dement du syllogisme. Voici les règles qu'on enseigne dans
les écoles à son sujet : 1" l'idée moyenne , c'Cst-à-dire les
mots qui l'expriment, doivent être pris au moins une fois
universellement; T les termes ne doivent pas être pris plus
universellement dans la conclusion qu'ils ne l'ont été dans
les prémisses; 3" on ne peut rien conclure de deux proposi-
tions négatives; 4° on ne peut pas prouver une conclusion
négative par deux propositions affirmatives ; 5" si une des
prémisses est particulière, la conclusion doit être particu-
lière; et si une dus prémisses est négative, la conclusion
doit aussi être négative ; 6" on ne peut rien conclure de deux
propositions particulières , c'est-à-dire que de deux propo-
sitions particulières on ne saurait en déduire une troisième
proposition. De ce que Pierre est savant, et que Paul est
sage, il n'en résulte pas que Jean soit sage ou savant. On
trouvera les explications de ces règles dans toutes les logi-
ques , notamment celles de Port-Royal et de Dumarsais. Les
raisonnements qui ne sont point conformes à ces règles ne
sontque des sophismes plus ou moins subtils, plus ou moins
éblouissants (voyez Sophisme). Champagnac.
SYLPHE, SYLPHIDE. C'est dans la tbéosophie juive
qu'on trouve l'origine de ce système, qui peupla ce que
pendant longtemps on appela les quatre éléments. Le feu
renferma les Salamandres, la terre les Gnomes, l'eau
les Ond ines et l'air les Sylphes. C'est des sylphes que na-
quirent les Génies , les Lutins , les Esprits follets, ei toutes
ces créations, plus ou moins gracieuses, qui vivaient au-
dessus de la terre , mais au-dessous du ciel. Quand le corps
d'un sylphe devenait visible à l'œil des hommes, il leur
apparaissait sous une forme humaine, mais dont les pro-
portions sveltes réunissaient aux charmes de la jeunesse des
perfections idéales d'élégance et de légèreté qui tenaient
d'une autre nature. Deux ailes, d'une substance transparente,
adhéraient aux épaules du sylphe et le soutenaient dans les
airs. Tantôt on le voyait se bercer sur un lit de vapeurs
odorantes, tantôt il passait rapidement en les effeuillant du
bout de ses ailes sur les (leurs des prairies; quelquefois,
glissant avec un rayon de soleil à travers la voûte d'un bos-
quet d'orangers, il s'an'ôtait sur les lèvres d'une jeune vierge,
se jouait de ses cheveux , et s'amusait à la faii'e rêver d'a-
mour. L'agrément des sylphes a été très-célèbre; leur utilité
n'est point constatée. Quelques théosophes et cabalistes on-
assuré qu'il était possible de réduire en servitude ces esprits
intermédiaires, et ainsi de commander aux cléments. De gros
livres ont été écrits à ce sujet, et ont occupé de très-graves
savants dans tous les siècles, sans <n excepter le nôtre,
quoique l'on n'ose plus avouer de semblables études.
Le système ou la croyance qui admettait les sylphes leur
avait donné des compagnes : ravissantes de beauté et de
grâce, les 5y//)Aide5 employaient leur temps d'une manière
tout aussi frivole que les sylphes. Elles se baignaient dans
des gouttes de rosée, se cachaient dans le calice des fleurs ;
et pour varier un peu cette vie, dont aucun soin, aucune
obligation, ne variaient la monotonie, les habitants de l'air
s'aimèrent entre eux; cohséquemment ils se trompèrent, se
trahirent et finirent par se détester. L'espoir de trouver
parmi les humains des cœurs plus tendres et plus constants,
ou tout simplement un goût pour la nouveauté et un caprice,
décidèrent les enfants des régions supéri'eures à profaner
leurs affections. De simples femmes furent séduites par des
sylphes, et des sylphides se vantèrent d'avoir des hommes
pour amants. Mais une circonstance s'opposa toujours à ce
que la fréquence de ces unions devînt inquiétante pour la
conservation , dans son intégrité, de chaque espèce. Les
sylphes et les sylphides, qui ne perdaient rien de leurs agré-
ments extérieurs, devaient pourtant renoncer à leurs ailes et
à l'immortalité quand ils voulaient connaître de l'amour à la
manière des humains. Cet amour leur parut rarement mé-
riter de tels sacrifices , car on ne cite aucune famille men»
SYLPHE ~ SYMBOLE
419
Honnant dans sa généalogie des sylphes pour aïeux, ce qui
Eiiffit pour établir une différence entre le royaume de Syl-
pliirie et celui de Féerie, puisque les anciens Lusignan re-
connaissaient descendre d'un chevalier breton et de la grande
Mélusine. Ci^^sse de Bradi.
SYLVAIN, dieu cliampêtre, protecteur de l'agriculture
et aussi dieu des forêts, était (ils d'un berger de Sybaris et
de Valeria Turcuianaria. D'autres le faisaient (ils du dieu
Faune; d'autres, enfin, le confondaient avec lui et lui don-
naient Saturne pour père. Son culte prit naissance dans la
Sicile. Il fut la première divinité des habitants de l'Italie,
quand ils commencèrent à ensemencer la terre et à marquer
les limites des propriétés. Il paraît, du resie, que le Pan
des Grecs n'était autre que le Sylvain des Latins.
SYLVAL\S ( Les), terme générique, qui comprenait les
Satyres, les Faunes, les Pans, lesÉgipans, etc.
SYLVAINS (Ornithologie). Voyez Mésange.
SYLVESTRE I", II, et III. Fof/e:; Sii.vestke.
SYLVESTRE DE SACY. Voijez Sacv.
SYLVICOLE. Voyez Figuier.
SYLVIUS (tEneas), pape sous le nom de Pie II. Voy,ez
PlCCOLOMINl.
SYLVIUS ( François), dont le nom véritable était De le
Boè, célèbre comme fondateur d'un système chimiatrique
(voyez lATROcniMisTEs), descendait d'une ancienne famille
noble, et naquit à Hanau, en 1614. 11 fit ses études d'abord
à Leyde, puis à Paris, et fut reçu docteur en médecine à
Bâle, en 1C37. Il pratiqua alors successivement à Hanau, à
Leyde et à Amsterdam, puis lut appelé en qualité de profes-
seur de médecine à Leyde, où il mourut, en 1 672. Il a surtout
exposé ses doctrines médicales dans les ouvrages intitules :
Disputaliomim Medicarum Décor (Amsterdam, 1663), et
Praxeosmedicœ Idea ?iot'a ( Leyde, 1667 ). Ses Opéra Me-
dica ont été publiés à Amsterdam ( 1679, in-4"') et souvent
réimprimés depuis.
SYLVIUS (Jacques), anatomiste moins connu peut-être
que le précédent, mais de plus de mérite encore, né en 1478,
à Amiens, et dont le véritable nom était Dubois, fit ses
éludes à Paris, où à partir de 1531 il fit des cours d'anato-
mie avec le plus grand succès jusqu'à sa mort, arrivée en
1555. Ses découvertes en anatomie et l'invention du procédé
de l'injection, que force est bien de lui attribuer, puisqu'il
est le premier qui en parle , lui ont fait un nom distingué
dans I histoire de la médecine.
SYLVIUS (Liqueur de). Voyez Chlorure.
SYMBOLE, SYMBOLISME (du grec c<j\i.Pjo\o^ , signe,
marque distincUve). L'homme encore proche de sa nature
s'identifie avec elle, l'anime de sa vie, lui prête son langage
et ses sentiments. Pour lui nulle distinction entie l'esprit et
la matière; enchaînée dans le cercle des objets physiques,
son intelligence n'éprouve pas le besoin de s'élever jus-
qu'aux idées abstraites. Lorsque, dans le développement
progressif de ses facultés, ces idées se présentent d'elles-
mêmes, il est embarrassé de la forme qui leur convient; il
trouve plus facilement des signes que des mots pour sa
pensée, et il s'en sert soit pour se rappeler ses idi'es à lui-
même, soit pour les transmettre à d'autres. Ces signes, ces
Images, enveloppes plus ou moins diaphanes d'une idée, qui
dans ses origines a naturellement quelque chose de vague et
d'inachevé, ou d'infini et d'immense, qu'on ne saurait encore
rendre en parole, sont des symboles. Les premiers ensei-
gnements religieux et philosophiques se sont produits sous
cette forme. Les premiers instituteurs du genre iiumain
avaient donc compris que pour arriver aux yeux de l'in-
telligence il fallait s'adresser à ceux du corps; que le sym-
bole se grave plus aisément dans l'âme que la notion , y
exerce un pouvoir que n'a pas l'idée abstraite, et permet
enfin une multiplicité d'interprétations ou de modifications
que ne comporterait pas le mot. Aussi ont-ils généralement
jeté leurs idées dans des représeritations figurées. Le sym-
bole, dans son acception la plus générale, est donc l'expres-
sion figurée ou Vimage d'une idée, la forme tangible ou
le corps visible d'un objet invisible et impalpable. Le signe
d'une idée peut être donné en caracti-res alphabétiques et
parlé; il peut être écrit en caractères figuratifs et peint,
ou sculpté, ou enfin choisi parmi les objets existants, il n'est
symbole que dans les trois derniers cas. La beauté ne lui
appartient pas nécessairement. Le hideux S/uva, avec sa
bouche armée de dents tranchantes, ses yeux en fournaise,
sa couronne de crânes et sa ceinture de serpents, est un sym-
bole aussi vrai que les symboles les plus suaves et les plus
harmonieux delà Grèce. Pour qu'un symbole soit vrai, il
suffit qu'il soit la véritable incarnation de l'idée qu'il repré-
sente. Mais il y a nécessairement des symboles plus ou moins
fidèles, et s'il en est qui éclairent, il en est qui égarent.
Lorsque le symboliste prétend exprimer une idée trop
abstraite, trop générale, infinie, immense , celle de l'être, de
l'absolu, de la divinité en général, il ne saurait trouver, ni
dans la nature ni dans rim;igination,rien qui satisfît l'intelli-
gence. Tout symbole qu'il choisit est dès lors énigmaUque,
et pour le comprendre il faut l'enseignement de l'inilialion.
C'est pour cela qu'on lui donne aussi répithète de mys-
tique. Lorsqu'au contraire, plus modeste, il renonce à l'im-
possible et borne ses créations à présenter aux yeux non pas
l'infini, l'absolu , la divinité en général, en un mot une abs-
traction immense, mais un être fini ou une divinité déter-
minée, soit un Mars, soit une Vénus, il est suffisamment
expressif, et n'a besoin pour être compris que d'une intui-
tion intelligente. C'est là le symbole dit plastique.
Destinés d'abord à manifester aux yeux l'Être infini et
les actes de sa puissance, quelques symboles ont été pris
pour des divinités Le peuple ne les avait peut-être jamais
compris. Ces divinités populaires, que la sagesse ou la to-
lérance des prêtres abandonnait à la superstition de la mul-
titude, ne furent jamais des dieux pour les initiés aux
mystères. Ils continuèrent, au contraire, à les savoir ce
qu'elles étaient réellement, c'est-à-dire des signes; et c'é-
tait cette scienne qui mettait entre les initiés et les profanes
une séparation si profonde. De ces symboles, devenus divi-
nités par Vignorunce, il faut distinguer avec soin les divi-
nités de la science, c'est-à-dire les personnifications de cer-
tains attributs spéciaux de l'Être suprême.
On appelait encore symboles les doctrines secrètes ensei-
gnées dans les mystères de la Grèce , doctrines privilégiées,
d'une sagesse supérieure à la foi du vulgaire, et pour cela
même revêtues de métaphores et d'images propres à en dé-
rober la connaissance aux profanes et à les faire briller d'an
éclat plus imposant. Les initiés à ces doctrines secrètes re-
cevaient des signes mystérieux, qui avaient le double but de
leur rappeler les principales vérités qu'on leur avait révélées
et de leur fournir les moyens de se reconnaître entre eux.
Ces signes s'appelaient aussi dea symboles ; et comme ils
étaient autant de souvenirs du pacte qu'ils avaient fait avec
l'association de leurs confrères , des devoirs qu'ils avaient
contractés envers eux et la divinité, et du silence qu'ils
avaient juré de garder, on donnait le nom de symbole à
leur promesse. Par extension , on donna le nom de symbole
à toute convention et à tout traité où il y avait foi jurée,
et par conséquent engagement sacré. Ainsi, \e serment du
soldat , le mot d'ordre qu'on lui remettait tracé sur un
morceau de bois ou de métal , les armes d'honneur qu'avait
méritées sa bravoure, la marque que donnait une ville à
celui qu'elle honorait de sa protection et de sa bienveillance
pour lui assurer bon accueil dans les pays alliés, c'étaient
là autant de symboles. Le symbole de l'hospitalité rentrait
aussi dans cette catégorie; c'était une pièce de métal ou de
monnaie qu'on rompait ensemble, et dont on gardait de
part et d'autre une fraction pour se faire reconnaître.
Le christianisme eut à son tour ses symboles. Quelle que
fût l'antipathie des premiers chrétiens pour tout ce qui res*
semblait au polythéisme , et quoiqu'ils eussent soin de ban-
nir de leurs assemblées tout ce qui en rappelait le souvenir,
comme il était hors de leur pouvoir de créer un nouveau
langage, ils conservèrent nécessairement le mot de symbole
27.
430
SYMBOLE
pour exprimer quelques-unes de leurs idées. Dans les pre-
miers temps de leur enseignement, les docteurs du chris-
tianisme, ayant à exposer des doctrines précises et à com-
battre une série d'erreurs formulées, établirent peu de
symboles. Cependant, Jésus-Christ lui-même débuta par une
action symbolique, le baptême , perpétua sa mort par une
institution symbolique, \àcène, et s'éleva au ciel après une
dernière action symbolique , Vimposition des mains. Il
avait employé d'autres symboles, et avait approuvé vivement
l'effusion sur ses pieds d'un vase plein de parfums, céré-
monie touchante qui donna lien au précepte de saint Jacques
sur l'extrême-onclion de tous les (idèles. A côté de ses ins-
titutions directes, le divin auteur de la foi chrétienne avait
placé sans cesse ses enseignements allégoriques , ses apo-
logues et ses paraboles, et la |)remière ouverture qu'il avait
faite aux disciples qui devaient propager sa grande œuvre
avait été cette parole symbolique : Je vous ferai pêcheurs
d'homriies. Mais dans son enseignement comme dans )a
révélation judaïque, le symbole fut toujours l'expression
la plus simple, la plus immédiate de Vidée.
Sortis du paganisme et du judaïsme, marchant sur les
traces de Jésus-Christ et de ses apôtres, les chrétiens
eurent de bonne heure unesy mboliqueassezriche. C'était
pour eux une nécessité; et loin de rejeter plus tard les
sjmboles que leur avait légués le premier âge', pour mieux
repousser les attaques des IMotin, des Porphyre, des Jam-
blique, qui leur reprochaient de n'avoir ni culte, ni temples,
ni autels , ils donnèrent à leurs institutions symboliques les
développements les plus complets. Dans leurs apologies
comme dans leurs temples , ils opposèrent symboles à sym-
boles , mystères à mystères, initiations à initiations. En
effet, ils distinguèrent les fidèles en plusieurs classes , celle
des prêtres et celle des laïques, et subdivisèrent encore
prêtres et laïques. Ils appelèrent symboles les sacrements
qui étaient à leurs yeux des signes visibles de dons invisibles,
de la rédemption et de la grâce. El comme tous les rites
de l'église étaient autant d'expressions et de formes visibles
d'idées invisibles , le culte entier ne fut autre chose qu'une
grande symbolique. Cependant , le mysticisme marche tou-
jours de pair avec le symbolisme. Participer aux sacretnents
et assister à certaines cérémonies , c'était un privilège ré-
servé aux fidèles sufiisamment instruits on éprouvés. Ces
fidèles , comme les inities du polythéisme, avaient des signes
spéciaux, \e signe de la croix, ()ar exemple, pour se re-
connaître entre eux. Ces signes reçurent lemnnie symboles.
On peut s'étonner non-seulement de cette ressemblance
entre les institutions chrétiennes et celles de l'antiquité ,
mais encore de l'identité des termes qui s'y rapportent.
Mais il était bien naturel qu'on appelât mystère et initia-
tion ce qui était initiation et mystère , ce que saint Paul
et saint Jean avaient appelé de ces noms. Il était naturel
aussi que la vie et la mort du Cluist, la vie et la mort de
Marie, le martyre et l'enseignement des apôtres, donnassent
lieu à une série spéciale de représentations symboliques et
mystiques. Ces représentations furent nombreuses. Elles se
trouvèrent d'abord sur des monuments peu apparents,
propres à être dérobés aux persécuteurs de la foi chrétienne-
tels étaient les bagues ou anneaux symboliques des chré-
tiens. Sous ce rapport, les sectes, qui se détachèrent de
l'Église, sous prétexte de mieux faire, tirent comme TÉglise,
témoin les pierres basilidiennes ou les abraxas, symboles
particuliers des gnostiques, qui furent de simples monu-
ments de glyptique, presque tous de très- petite dimension.
Mais aux monuments primitifs il s'en joignit bientôt de
plus grands. Ceux de la peinture furent d'abord de petite
dimension, témoin ces attributs symboliques qui servaient
à distinguer les saints, les apôtres, les martyrs, tels que
Vhomme de saint Matthieu , le lion de saint Marc , le bœuf
de saint Luc, Vaigle de saint Jean. Mais dès que le chris-
tianisme fut libre, il eut des symboles plus apparents et
plus imposants. Alors le signe de la croix parut sur leZa-
barum de Constantin; alors s'élevèrent des autels, des
chapelles et des sanctuaires décorés publiquement de ce
symbole; mais les temples du polythéisme, par une consé-
cration nouvelle et un symbolisme chrétien , furent convertis
en églises, et l'on construisit ces saintes basiliques qui,
d'abord simplement belles et vastes, figurèrent enfin aux
yeux du fidèle la Jérusalem céleste, ayant dans leur en-
ceinte intérieure les apôtres, les prophètes, la Vierge, le
Christ et ses armées célestes ; au dehors, les impies et les
démons, représentés par ces animaux si laids et si gro-
tesques , qui choquent tant les regards d'une ignorante pos-
térité.
Une fois la voie du symbolisme ouverte , et elle n'avait
jamais été fermée aux chrétiens , les symboles se multi-
plièrent à l'infini. Le moyen âge se passionna pour le sym-
bole; l'Occident comme l'Orient. Dans la suite des siècles,
toutes les institutions et tous les rites du culte prirent un
caractère symbolique. Ce ne fut plus seulement la célébra-
tion des sacrements, ce furent tous les actes religieux qu'on
marqua de cecaractère. Toute cérémonie accomplie au nom
de la religion reçut alors du symbolisme général sa forme
spéciale, et à côté de la prière et de la consécration, ou
de la parole, qui avait été la grande chose dans l'origine,
il y eut désormais Vucte ou le signe, le symbole. Autels,
vases sacrés de toutes espèces, reliquaires, cimetières, cha-
pelles, temples, crucifix, ornements pontificaux, images,
cloches, croix des pèlerins, chaque objet reçut sa consé-
cration spéciale, et \e Pontificale que nous avons sous les
yeux (édition de Nickel; Mayence, 1837, 2 vol. in-8°)
contient des formules de bénédiction jusque pour l'épée,
le bouclier et la bannière du croisé. On ne saurait rien con-
cevoir déplus profond que cette métamorphose opérée dans
le christianisme. Or, cette métamorphose ne fut qu'un dé-
veloppement régulier, inévitable; et il est certain que l'an-
tiquité elle-même n'avait pas poussé si loin l'amour du
symbolisme. Elle n'avait pas, comme la foi chrétienne,
placé la vie extérieure et la vie intérieure sous l'idée de
Dieu et celle de la prière. L'Église chrétienne fut symbolique
dans ses fractions. Nous avons parlé des petites sectes, des
manichéens et des gnostiques. Jetons les regards sur une
communion plus importante, l'Église grecque. Elle marcha
de pair avec l'Église catholique, et le symbolisme y fit les
mêmes progrès.
Cependant, le symbole n'a de puissance qu'autant qu'il
est compris. Dès que l'idée le délaisse, il n'est plus qu'un
signe arbitraire , et devient aussi facilement objet d'erreur
que de vérité. Au seizième siècle, la réforme, sortie du
mouvement biblique et du mouvement classique de l'époque,
c'est-à-dire d'une réaction faite tout entière au nom de mo-
numents écrits, non figurés , combattit le symbolisme, le
taxa de source de superstition et d'abus, ne garda que les
rites de la cène et du baptême , et réduisit à sa plus simple
expression tout acte de consécration ecclésiastique, soit
mariage, soit imposition des mains pour le ministère
évangélique. Elle n'employa plus le mot de symbole que
pour désigner la doctrine, -par exemple les articles de la
foi apostolique. Cependant, cette grande révolution, qui
fut plus complète dans les institutions que dans les doc-
trines , ne fut pas la même en tous lieux. Si en Suisse elle
bannit jusqu'aux autels, elle conserva en Angleterre, en
Suède et en Danemark jusqu'au symbolisme des ornements
cléricaux. Matter.
Chez les anciens on donnait aussi le nom de symbole
à l'étiquette des vases, à l'empreinte des monnaies, aux mots
de ralliement dans les guerres civiles. C'est l'usage des
symboles qui, transmis d'âge en âge, a donné lieu aux ar-
moiries : cette institution, l'une des plus dégradées par
la sottise et par la vanité , était peut-être l'une des plus pré-
cieuses à conserver dans l'esprit de son origine; car le sym-
bole , comme la devise , était communément l'expression du
caractère de celui qui en décorait ses armes et un engage-
ment public de ne le démentir jamais. Cet usage est très-
vieux. A la guerre de Thèbes chaque chef avait sur set
SYMBOLE —
armes un symbole; les nations eurent aussi leur symbole
particulier : les Athéniens, l'oiseau de Minerve; les Tlié-
bains, l'image du Sphinx; les Perses , celui du soleil; les
Suisses ont des ours, les Belges des lions, les Anglais des
léopards , etc. Jules Saxdeau.
SYMBOLE {Numismatique). Voyez Médaille.
SYMBOLE DE NICÉE. Voyez Sïmbolique.
SYMBOLIQUE. On appelle ainsi V un ensemble de
documents ; 2" la science qui les explique , science à la fois
historique et dogmatique, qui procède par voie de com-
paraison et de critique, rapproche les symboles des dilïé-
renles communions chrétiennes, les discute et fait ressor-
tir les motifs pour lesquels ils ont élé admis par les uns,
combattus par les autres. Dans l'acception la plus vaste,
cette science embrasse tout le cercle des symboles, et par
conséquent s'occupe aussi des rites et des cérémonies, en
recherche l'origine, et explique le sens qu'on y attachait
dans les différents siècles. Mais le plus souvent on entend
par symbolique la science qui a pour seul but les livres
symboliques. On appelle ainsi les actes ou documents qui
contienneut en résumé ou qui exposent d'une manière éten-
due la doctrine de l'Église.
Le premier de ces symboles est celui qui porte le nom de
Symbole des Apôtres, et qui remonte, au moins dans ses
éléments, jusqu'aux Apôtres eux-mêmes, quoiqu'ils puissent
ne l'avoir pas composé de la manière que dit Ruiin. Certes,
ce document expose en substance la foi des premières com-
munautés chrétiennes de l'Asie, de rEuro[ie et de l'Afrique,
et il est encore de nos jours l'expression la plus pure des
vérités de l'Évangile.
Le second symbole, celui qui fut arrêté au concile de
Kicée, en 325, et confirmé plus lard au concile de Conslan-
tinople, en 331, est plus long que le premier, les hérésies
à léluter étant déjà nombreuses quand il fut lédigé.
Le troisième, celui qui porte le nom iï'Athanase, est
plus explicite encore. Ce dernier aussi a été conlinné plu-
sieurs fois, et il n'est pas de communion chrétienne qui ne
l'adopte, les Églises grecque et protestante étant d'ac-
cord à cet égard avec l'Église catholique. Mais ici s'arrête
l'accord général. En effet, si l'Église catholique ajoute à ces
trois symboles, outre les canons des conciles œcuméniques
et les écrils des premiers Pères, les décrétâtes de ses pon-
tifes, l'Église grecque rejette ces décrétâtes , et l'Église pro-
testante n'admet qu'à titre ^''autorités dignes d'égards
les opinions des Pères et des conciles. D'un autre côté,
l'Église grecque reçoit connne symbolicjues les canons de
plusieurs conciles que l'Église catholique ne considère pas
comme orthodoxes. L'Église protestante se distingue, pour
ses livres symboliques, en deux grandes communions (lu-
thérienne et calviniste) et en plusieurs sectes. Chacimede
ces fractions a son symbole spécial; il s'y trouve, toute-
fois , moins de différence dans les doctrines que dans la
irédaction, et en les examinant on a peine à se rendre
? -ison de la multiplicité de ces formules. La communion
;-,!lhérienne admet, outre les trois symboles primitifs, la
Confession d'Augsbourg, composée par Mélanchthou , et
soumise à l'empereur Charles Quint à la diète d'Augsbourg,
en 15,30; V Apologie de cette confession , publiée l'année
suivante; les Articles de Scfunalkalde, rédigés par Luther,
et approuvés par les princes protestants assemblés dans
cette petite ville, en 1537 ; le grand et \e petit Catéchisme
de Luther,, la Formule de coHcorde composée par quelques
théologiens au château de Bergen, près de Magdebourg , et
publiée en 1580- La communion calviniste n'a pas de sym-
bole universel; elle n'a que des confessions locales, dont
les plus remarquables sont : la Confession de Ddle, publiée
en 1532, et celle, plus générale, qu'on dit helvétique, parce
qu'elle fut acceptée, en 1536, par les principaux ministres
delà Suisse; celle des, Églises françaises., présentée à
Charles LX. en 1561; les xxxix articles de Y Église angli-
cane , y compris le Common Prayer Book , la liturgie pro-
testante la plus complète de toutes et la plus conforme aux
SYMMAQUE 421
anciennes formnles de l'Eglise catholique, sanctionnée au
synode de Londres, en 1563 ; la Confession belge, revue au
synode de Dordreclit, en 1619 ; \& Catéchisme d'Beidelberg,
composé , sur l'ordre de l'électeur palatin, par les docteurs
de ses États, en 1 562; les Trois Confessions de Brandebourg;
enfin, la fameuse Formula Consensus , composée en 1675
par Reidegger et Turretin. Traitée de secte par l'Église catho-
lique , la communion protestante, à son tour, traite de sectes
les communautés des frères moraves, des mennonites , des
méthodistes, des quakers, des remontrants, des anabap-
tistes , qui ne se distinguent que par un zèle extraordinaire.
En général, ces petites sectes n'innovent pas en matière
de dogmes, f,aiil les soc inie ns. Elles ont toutefois cha-
cune un symbole sprcial , à l'exception des unitaires, qui
nient la Trinité, et qui adoptent le Symbole des Apôtres, tout
en l'interprétant dans un sens arbitraire. Le nombre des
symboles est grand dans la société chrétiennne, et la sym-
bolique est une sciBnce importante pour les théologiens.
Matter.
SYMBOLIQUES ( Livres). Voyez Symbolique.
SYMETUIE (du grec ctùv, avec, et [AÉTpov, mesure;.
C'est le rapport, la proportion et la régularité des parties
nécessaires pour forniei- un tout satisfaisant. En ce qui est
de l'espace , il y a symétrie dans les objets du moment ofi
l'on peut se les représenter par la pensée divisés en deux
parties égales , et cette qualité dans la nature apparaît sur-
tout ciiez les animaux de premier ordre, où en l'état
normal et régulier les parties pareilles ou semblables oc-
cupent toujours la même place dans chaque moitié du corps.
L'art doit se proposer d'imiter cette symétrie, c'est-à-dire
ce rai)port et cette proportion des parties entre elles, dans
les ouvrages oii il est nécessaire qu'il existe des parties
égales et semblables; et il favorisera la perception de cette
symétrie en mettant en saillie un point central d'où l'œil
puisse saisir et juger tout l'ensemble. Les ouvrages de l'es-
prit ne saura eut échappera la nécessité de \à symétrie, encore
bien qu'elle soit moins rigoureuse et que l'ordre ainsi que la
disposition des parties doivent y avoir plus de jeu et de liberté.
En géométrie, notamment en stéréométrie, la symétrie ne
joue pas un rôle moins important; on dit les parties symé-
triques d'un corps; les corps symétriques sont équiva-
lents, mais non toujours égaux ; tandis qu'ea planimétrie
la symétrie et l'égalité sont inséparables.
Les fonctions symétriques de plusieurs grandeurs in-
1 déterminées , par exemple a, b, c, sont des expressions algé-
briques où ces grandeurs se présentent toutes dans les mômes
conditions, de sorte (lu'on peut à volonté les prendre l'une
pour l'autre, sans pour cela changer l'expression, par exem-
ple (a-i-ft) X (fl + c) X (b + r).
SYMMAQUE , cinquante-troisième pape, était fils de
Forlunat, habitant de la Sardaigne. 11 était diacre à la mort
d'AnasIase II, et fut choisi pour lui succéder, en 498, par
une portion du clergé et du peuple, pendant qu'un autre
parti, dirigé par le patrice Faustus, donnait la tiare à l'ar-
chiprêtre Laurent. Après une lutte sanglante, dans laquelle
plusieurs citoyens perdirent la vie, on convint enfin de
s'en remettre au jugement de Tbéodoric, qui adjugea
le pontificat à Symmaque, parce qu'il fut prouvé qu'il
avait été le premier élu. Laurent, qui était déjà archiprétre
du titre deSainte-Praxède,se contenta de l'évêché de Nocera,
et Symmaque se hâta d'assembler un concile, pi ur avi-
ser aux moyens d'empêcher à l'avenir un pareil désordre.
Mais les partisans de Laurent , moins sages que lui , se
moquèrent des décrets de cette assemblée de soixante-
douze prélats, et renouvelèrent leurs violences. Les re-
gards de Symmaque étaient aussi tournés vers l'Occi-
dent, où s'élevait une puissance nouvelle. Clovis avait trop
d'intérêt à le ménager pour ne pas lui témoigner quelque
respect, et il lui envoya une couronne d'or, qui fut déposée
sur l'autel de Saint-Pierre. Symmaque mourut le 19 juillet
514, la seizième année de son règne. Il fut aussi sévère
pour les hérétiques que charitable pour les orthodoxes. Ses
^22 SYMMAQUE
lettres attestent la véhémence de son caractère, et il est un
des premiers pontifes qni aient tenté de résister à la tyrannie
des rois. On porte à 1,479 livres romaines l'or et l'argent
qu'il donna aux églises de Rome. Il en fit bâtir plusieurs,
et introduisit, dit-on , le Gloria in excelsis dans la messe.
ViENNET, de rAcadémie Française.
SYMMAQUE de Samarie, qui vivait au onzième
siècle de l'ère chrétienne, embrassa d'abor-l le judaïsme,
puis le christianisme, où il lit partie de la secte des Ébio-
nites. 11 est l'auteur d'une traduction en grec de l'Ancien
Testament.
SYMMAQUE ( Qlintls aurelius SYMMACHUS),
orateur romain de mérite, et en même temps l'un des der-
niers défenseurs du paganisme dans la seconde moitié du
quatrième et au commencement du cinquième siècle, re-
vêtit les charges les plus importantes, fut préfet de la ville
et consul à Rome, et au milieu des circonstances les plus
difficiles sut toujours se conduire comme il appartient à
un honnête homme, n'ayant en vue que le bien général.
Ses discours ont péri, à l'exception de quelques fragments
ayani trait à Yaicntinien , Gratien et autres , et qu'Angelo
Mai aie premier publiés (Milan, 1815). Mais nous possédons
encore toutes ses lettres. Llles forment dix livres ; et quoi-
qu'il imite servilement Pline le jeune en ce qui est de la
forme et du style, elles ne laissent pas que d'être d'une
haute importance pour l'histoire de son temps.
SYMiXEL (Lambert). Voyez Simnel.
SYMPATHIE ( du grec «rûv , avec , et Tràô/i , souffrance,
passion). C'est le consensus des Latins, la communauté de
sentiment, soit entre plusieurs personnes, soit entre deux
ou plusieurs organes du même corps vivant, à l'occasion
de l'impression pénible ou agréable de l'im d'eux. Mais la
sympathie entre divers individus , tout extérieure , ne .saurait
être que morale , tandis que les transmissions sympathiques
d'une partie de l'organisme sur d'autres régions s'effectuent
avec des moyens physiques, et d'ordinaire à l'aide de com-
munications nerveuses ou par des tissus analogues. 11 est
en outre des actions correspondantes, qui s'exercent par
une sorte d'enliaînement ou d'imitation, ou par la simili-
tude de structure , comme entre les deux yeux, les bras, les
jambes et autres parties symétriques : ces mouvements
s'opèrent par synergie ou concours de mouvements. Les
an /ipa<Aie5 sont occasionnées par des condilions tout
opposées, surtout entre les êtres ennemis, tandis que les
plus viouces sympathies résultent de la grande harmonie
de l'amour, qui rapproche toutes les créatures, et jusqu'aux
plantes dans leurs relations sexuelles.
Tous nos organes se correspondent et s'entretienneut ,
de telle sorte qu'ils sympathisent solidairement ou ressen-
tent les affections les uns des autres, comme pour se porter
des secours mutuels. Mais cette unité indivisible, qui cons-
titue VindiVidu, n'établit que la loi générale de l'ensemble
harmonique , fondé sur des liens multipliés de composition ;
il faut rendre raison d'une foule d'autres rapports particu-
liers, qui font retentir plus spécialement leurs secousses
sur des appareils éloignés, et non pas sur toute région, ou
qui transportent instantanément sur un point isolé soit une
douleur, soit un flux d'irritation , une himieur, par métas-
tase ou transposition. C'est la plus curieuse et la plus utile
étude de la médecine , parce qu'on apprend par ces corres-
pondances à détourner d'un lieu aftécté une partie de la
souffrance, en la partageant sur d'autres régions sympathi-
santes ; et d'ailleurs ce concours d'organes appelés à la
défense contre le mal aide à l'alléger.
Deux grands appareils nerveux rè^jnent dans le corps des
animaux vertébrés surtout: le cércbro-rachidien , pour
les organes de la vie extérieure ou de relation , tels que les
sens , les muscles volontaires et les membres ; puis le sys-
tème trisplanchnique ou grand sympathique abdominal,
66 rattachant au premier, soit par des anastomoses gan-
glionnaires intervertébrales, soit par diverses connexions
avec les nerfs vertébiaux. Indéj.endaniiuent des rapports
— SYMPATHIE
entre ces appareils divers de transmission de sensibilité et
d'actions vitales, il est une grande complication d'efforts,
tantôt par concours, tantôt par antagonisme, qui se dé-
veloppe môme dans un seul tronc nerveux, car il est cons-
titué de rameaux nombreux , qui se subdivisent pour se
rendre à des parties différentes; et tel organe qui, comme
le cœur, paraît privé de nerfs , ou même de sentiment à son
contact, devient très-excitable quelquefois après la lésion
des nerfs cardiaques. On trouvera dans tous les ouvrages
spéciaux des détails raisonnes sur les principales connexions
de ce nerf grand-sympathique.
Les médecins ont considéré depuis longtemps l'estomac
comme un centre auquel viennent aboutir les affections et
se réfléchissent la plupart des maladies internes , surtout
les fièvres. L'estomac paraît dominer toute la machine. Les
migraines, par exemple, tiennent presque toutes à l'état de
l'estomac. C'est à ce viscère aussi qu'on doit rapporter sou-
vent les causes de l'apoplexie. Il n'est guère d'accès d'épi-
lepsie ou d'autres genres de convuUions qui ne trouvent leur
foyer dans les viscères abdominaux. D'ailleurs, il existe un
rapport constant entre les affections de la peau et celles de
l'estomac : ainsi, le froid aux pieds détermine des coliques ,
fait remonter, comme on dit, la goutte à l'estomac, avec
péril. Il est manifeste que les organes semblables participent
des mêmes impressions par similitude de structure , de
fonctions et de sensibilité; ainsi, un œil n'est pas malade
sans que l'autre bientôt ne le devienne plus ou moins.
D'ailleurs, on sait que les nerfs optiques s'entre-croisent ,
se soudent même souvent , et leur action visuelle doit se
confondre en une seule, bien que chaque œil puisse voir
aussi à part. On cite des douleurs nerveuses, des éruptions
cutanées qui sautent presque instantanément d'un bras à
l'autre, d'une jambe à sa voisine. Ainsi, des douleurs ar-
thritiques passent d'un membre à l'autre en un clin d'œii.
Lorsque la tension des fibres est égale , ils se trouvent dans
un état semblable ; car, recevant une égale proportion du
principe sensitif , ils éprouvent les mêmes douleurs comme
les mêmes plai.sirs.
Notre corps est formé d'organes doubles accolés et en con-
sonnance; notre intelligence reçoit par des nerfs en nom-
bre pair des sensations doubles, qui , étant égales et simul-
tanées, se confondent en une seule. Dès la naissance, l'âme,
éprouvant cette consonnance harmonique, la cherche hors
de nous-mêmes par analogie et habitude ( voi{ez Facultés
[Psychologie]). De là vient qu'elle aime la symétrie dans
les objets , la comparaison dans les discours , la correspon-
dance dans les sons , etc. Tout ce qui est seul ne lui parait
que la moitié d'un être ou lui semble incomplet. Toute dis-
sonnance lui déplaît pour cette raison. Deux amis sont comme
deux yeux, deux membres d'un seul corps, dont les affec-
tions se partagent; car si un œil est plus fort que l'autre,
on louche; ainsi, dans l'amitié, celui qui se montre inégal à
l'autre altère l'union et la communauté. Ainsi, l'on a dit avec
raison similia similibus gaudent, et l'on voit dans le
monde les enfants se rapprocher des enfants, les vieillards
des vieillards , les femmes des femmes, dans toute réunion
de société, etc. Telles sont les sympaties naturelles, toutes les
fois qu'il n'y a pas rivalité de concurrence.
Il suffit pour produire l'amitié à'ane. similitude à' kge,û^
sexe, de condition , d'humeur et d'habitudes; mais pour
l'amour il faut contraste. Celui-ci se compose d'éléments
contraires; car il ne se produit qu'entre des sexes différents
qui sesaturent par leur combinaison. L'excès de l'un com-
pense le défaut de l'autre. Il faut que l'homme existe dans la
femme, comme la femme dans l'homme ; ce sont deux moitiés
qui ne peuvent vivre séparées. Mais les hommes efféminés et
les femmes hommasses (viragines) étant trop conformes,
ne peuvent sympathi-ser d'amour. Aucun mariage n'est donc
plus sympathique que celui dans lequel le contraste des
sexes est le plus parfait. Il faut que l'excès de l'un se main-
tienne par le contre-poids d'un défaut contraire. Il s'établit
aiûsi des relations simples d'amitié entre deux individus si-
SYMPATHIE - SYMPTOMATOLOGIE
423
milaires de sexe, d'âge, etc. S'ils diffèrent cnUe eux , il
n'y a plus d'iiarmonie, mais indifférence ou inaction. S'ils
ont un caractère diamétralement opposé, la dissonnanoe se
prononce , et il se déclare ime mutuelle antipathie. L'homme
cédant de son principe masculin à la femme , il l'assimile à
lui comme elle s'assimile l'homme en l'efféminant ; de
sorte que l'amour cesse dans la vieillesse; mais il s'établit
par cette neutralisation mutuelle un équilibre parfait d'a-
mitié. Enlin, l'amitié naît par l'égalité absolue, comme deux
tons égaux forment l'unisson. L'amour est une égalité de
différence, comme de l'octave à sa consonnance ; ce que
la voix comparée de l'homme et de la femme indique même
dans leurs rapports harmoniques
Sympathie! doux lien des âmes, qui nous fais vivre dans
le cœur d'un ami, d'une épouse, d'an lils , c'est toi qui
soutiens notre existence dans les derniers jours , qui con-
serves nos espérances malgré l'infortune, (pii nous fais
croire encore au bonheur sur la terre, ou uous consoles
dans l'injustice et les persécutions 1 Mais que tes attache-
ments sont cruels quand il faut les rompre, quand on est
détrompé par l'infidélité et rinj^ratilude , ou quand la mort
vient déchirer tous les liens du sang et de la famille ! Que
les souvenirs de l'amitié nous survivent du moins, et uous
croirons n'être pas tout entiers engloutis dans le tombeau !
J.-J. VlREV.
S\MPAT11ÎE( Encres de). Voyez ENChE.
SYMPATHIQUE (Grand). Voyez Nerfs et Symi>a-
TmQUES (iNerfs),
SYMPATHIQUE (Poudre). Elle fut d'abord vantée
à Florence, vers 1030, par un carme revenu de Chine et de
Perse, comme un arcaue merveilleux pour guérir incontinent
les plaies. L'Anglais Digby , ayant rendu des services à ce
moine , obtint de lui la communicaliou de sa recette. Ce
remède ayant été transporté eu Angleterre, le roi Jaciiues l"',
son lils Charles l*""^ et les grands du royaume y ajoutèrent
la plus entière conliance. Tant que la composition resta
secrète, cette poudre devint l'objet de l'attention générale ;
les uns y voyaient, avec Yan Helmont et Dolœus, soit un
arcane de la nature magnétique, soit de la magie diabo-
lique; d'autres cherchaient à expliquer ses ellets par une
puissance inconnue, et l'on était accusé même de sorlilége
en l'employant. Mais, bientôt divulguée, elle perdit par sa
publicité tout son mérite. En effet , on sait aujourd'hui que
cette poudre n'est autre chose que du vitriol blanc , ou sul-
fate de zinc desséché au feu , après des purilications et
cristallisations particulières. D'autres ont cru qu il y entrait
aussi du sulfate de fer calciné au feu , tel que le colcotliar
et le chalcilis , selon Geoffroy , mais non du sulfate de
cuivre. Aujourd'hui , l'on arrête encore les hémorrhagies
avec la poudre styptique de Maetz ou de Colbatch, com-
posée d'Ijydrochlorate de fer desséché et d'acétate de plomb
en parties égales. Plusieurs autres compositions antihémor-
rhagiquescontiennentdes sulfates de fer ou de zinc , comme
d'alumine, desséchés, qui ne manquent pas d'eflicacité.
J.-J. VlREï.
SYMPATHIQUES (Cures). On appelle ainsi les
guérisons qui , au lieu d'être le résultat de l'emploi d'agents
thérapeutiques, sont produites par la force mystérieuse
de certains corps qu'on ne met cependant pas nécessairement
en contact direct avec le malade pour le guérir : ces guéri-
sons dépendent de causes inconnues. On admet comme force
efliciente une sympathie particuhère du corps humain pour
certains esprits, certains arbres, certains hommes, certains
animaux , certaines plantes , certaines pierres, etc. , etc. , en
d'autres termes , un mystérieux rapport entre l'homme et
queques objets extérieurs, maisdonton ne saurait démontrer
l'existence, lien résulte une grande diversité dans lamanière
dont se |iratiquent les cures dites sympathiques. Tantôt
c'est en suspendant au corps du patient des amulettes et
des talismans; tantôt c'est en lui faisant regarder certaines
constellations ; tantôt c'est au moyen d'actes accomplis avec
certains objels pour agir de la sorte sur le malade éloigné,
ou encore au moyen de conjurations et de prières. Il est
évident qu'un (el mode de guérison repose le plus souvent
sur des illusions ou des friponneries, et qu'il obtiendra plutôt
la confiance d'êtres sui)erstilieux,af(aihlis par des souffrances,
soit morales, soit physiques, que celle d'individus éclairés
et instruits. L'important, c'est d'inspirer au malade une foi
vive dans refficacité de pareils remèdes ; et on ne saurait
nier d'ailleurs qu'on ne puisse en obtenir quelquefois de
bons effets, certaines circonstances favorables étant données.
C'est là ce qu'on a surtout lieu d'observer dans les mala-
dies qui se développent dans l'âme ou dans le système ner-
veux , par exemple les maladies de l'esprit, les épilepsies,
les crampes, etc. L'emploi médicaidu m agné tismea ni-
nial a l)c^iucoii|) d'analogie avec les cures sympathiques.
SYMPATHIQUES (Nerfs). Ce sont principalement
ceux (pii, p;u' leurs connexions ou ramifications multipliées,
établissent descorrespondances de sentiment. 1° Le grand
sympathique , ainsi désigné par Winslow , est cette série
de filets nerveux plus on moins entrelacés, et rattachés
par des ganglions , qui s'étendent dans la longueur de la
colonne vei ti'brale jusqu'au bassin , ou dans les deux cavités
du thorax et de l'abdomen et dans la cavité pelvienne; de
là lui vient le nom de trisplanchnique ; il rattache en
effet ces viscères sous de communes correspondances , et
joue le plus grand rôle dans leurs sympathies. 2° Le nerf
vague, ou de la huitième paire, qui se distribue aux poumons
et à l'estomac, sous le nom At pneuino-gastrique , a été
nommé aussi «ioven sympathique , à cause deses relations
nombreuses. 3° On a donné enfin le nom de petit sijmpa-
ihiquei\\^ portion dure du nerf de la septième jiaire qui
se répartit aux régions inférieures de la face, ou des dents
et des mâchoires. J.-J. VntEY.
SYMPHOA'îE (du gre£ aûv. avec, et çwviî, son),
pièce de n)usi(iue divisée en trois , quatre ou cinq morceaux,
composée pour un orchestre. La symphonie commence le
plus souvent par une courte introduction d'un mouvement
lent, qui contraste avec la vivacité, la véhémence du pre-
mier allegro qu'elle prépare; vient ensuite un andante
varié, un cantabile ou un adagio, suivi d'un menuet ou
di\m scherzo, à trois temps, d'un mouvement rapide et
d'un tour original, bizarre quelquefois. Un (inal plein de
vigiieur et de prestesse termine cet œuvre, l'un des plus
imporlants en musiqiie. Corelli, Geminiani , Vivaldi, en
composant leurs concerti grossi , avaient ouvert la carrière
de la symphonie; mais il lui restait à prendre sa forme,
son genre, son nom, et plusieurs autres pas à faire. Haydn
l'a portée à un degré de perfection bien élevé, vers la /indu
siècle dernier. Mozart l'a portée plus avant encore , et
Beethoven semble avoir posé des bornes qu'il sera difficile
de franchir. Méhul, Onslow , Rousselot, ont fait entendre
des symphonies d'un grand mérite.
Onappelles^mp/ioHîi^e le musicien qui dans l'orchestre
joue d'un instrument quelconque. Castil-Blaze.
SYMPHOi\I E COi\CERTAl\TE. Voy. Concertant.
SY]\IPIIYSE. Voyez Articulation.
SYMPOSIARQUE. Voyez Svmhosion,
SYMPOSIOi\. Les Grecs appelaient ainsi, en vue sur-
tout du vin qu'on y buvait , un joyeux repas où les con-
vives trouvaient du plaisir bien moins dans les jouissances
matérielles de la table que dans les propos gais et plaisants
qu'ils provoquaient, les jeux de diverses espèces auxquels on
s'y livrait, et les danses animées qu'on y exécutait au doux
son de la fliUe. On donnait le nom de symposiarque à celui
qui présidait à ce festin, oii figuraient assez souvent des
hétaïres. Les philosophes grecs les plus célèbres, comme
Aristote, Speusippe, etc., etc., développèrent leurs idées sur
l'amour , sur la manière de jouir de la vie , etc., sous forme
d'entretiens , tels qu'il était d'usage d'en avoir dans ces
sortes de repas; et nous possédons encore sous le titre de
Sijmposio7i deux remarquables dialogues de Platon et de
Xénoplion.
SYMPTOMATOLOGIE. Voyez Séméiolocie.
424 SYMPTÔMES — SYNCRÉTISME
SYMPTÔMES (da grec ouv, avec et TitTrrew, tomber,
ainver ) , ce qui arrive avec quelque autre chose On ap-
pelle ainsi en médecine tontes les déviations des parties
isolées ou des fonctions de l'organisme de leur état normal,
perceptibles par les sens, qu'il faut considérer comme le
résultat d'un étal morliilique, et qui doivent servir de base
à l'appréciation de la maladie même. On les désigne sous
les noms de subjectifs quand c'est le malade seul qui les
sent, et (^'objectifs quand d'autres que lui peuvent les re-
marquer. Des dilférenlesdlvisions établies sur cette matière,
la plus importante est celle qui les distingue en symptômes
idiopathiques et symptômes sympathiques ou consensuels.
On observe les premiers dans les organes primitivement
affectés, par exemple les douleurs de tête dans l'inflannna-
tion du cerveau, et les derniers, dans ks parties plus éloi-
gnées, par exemple les vomissements pour cette même ma-
ladie. Mais comme diverses maladies paraissent alfecter les
systèmes qui pénètrent le corps tout entier, notamment
celui des nerfs et des vaisseaux, il en résulte qu'elles ont
souvent beaucoup de symptômes communs; aussi désigne-
t-on sous le nom de pat/iognoinoniques ou diagnostiqties
ceux des symptômes que l'on reconnaît annoncer l'état
morbifique d'un organe ou d'un système particulier ( voyez
Dia(;nostiquf., PATnocNOMiQUEet Pathologie).
SYi\A(ÎOGUE vient du grec ffwaYciyr), assemblée,
congrégation, et il est pris on ce sens général dans l'An-
cien Testament, où il se dit indifféremment de l'assemblée
des justes et de celle des méchants. Dans le Nouveau Tes-
tament, il désigne seulement une réunion religieuse on le
lieu destiné au service divin depuis la destruction du Temple.
Suivant les notions actuelles des juifs, il faut pour établir
une synagogue dans un lieu quelconque qu'il y ait au moins
dix personnes (l'âge n)iirqui puissent constamment assister
au service qui doit s'y faire. Du temps de Jésus-Christ il en
existait dans toutes les villes de Judée, et jusqu'à l'an 490 ,
dit-on , dans Jérusalem. L'oflice de la .syna);ogue consistait
dans la prière, la lecture de l'Écriture Sainte, l'interpréta-
tion et la prédication. Dans les synagogues, il y a aujour-
d'hui, du côté de l'orient, en mémoire de l'arche d'alliance,
une arche ou armoire, où les juifs tiennent renfermés les
cinq livresde Moïse, qu'ils appellent Livres de la Loi, écrits
à la main sur du vélin en manière de rouleau, suivant l'u-
sage antique. Les fenmies prennent place dans une partie
latérale, qui leur est spécialement réservée. Les synagogues
les plus remarquables sont celles de Livourne, de Vienne,
de Hambourg, de Dresde et de Paris. Dans l'antiquité la
synagogue d'Alexandrie était célèbre par sa magnilicence;
au douzième sitcle on admirait celle de Bagdad, qui était
soutenue par im grand nombre de coloimes de marbre. Au
seizième siècle les juifs construisirent de fort belles syna-
gogues à Amsterdam et à Prague.
On apiielle<;(7-anf/e synagogue une assemblée de docteurs
de la loi qui subsista depuis Esdras jusqu'à Siméon, et à la-
quelle on attribua \in grand nombre d'institutions religieuses.
SYNALLAGMATIQUE (dérivé du grec auvâXXayfxa,
échange, ce qui constitue échange de consentement, con-
sentement réciproque). Ce terme de jurisprudence s'emploie
en parlant de contrats qui contiennent-obligation réciproque
entre les paities. Les actes synallagmaticiues sous signature
privée doivent être faits doubles {voyez Contrat).
SYI\A\TIIÉREES ( du grec cûv, avec , et âv6ïipoc,
Huthère ; fleurs dont les anthères sont réunies entre elles),
la plus nombreuse de toutes les familles du règne végétal,
car elle forme à elle seule la douzième partie de tous les
Tégétaux connus. Elle doit être placée k la tête de ces
groupes, essentiellement naturels, dont tous les individus et
tous les genres sont unis entre eux par les liens les plus
étroits. Elle se compose de végétaux herbacés ou ligneux
portant des feuilles alternes, plus rarement opposées, simples
ou plus ou moins profondément découpées. Les (leurs offrent
constamment le même mode d'inllorescence. Elles sont pe-
tites , formant des capsules d'une structure particulière et
auxquelles on a donné le nom de calathides. On dé.signait
autrefois ces calathides sous le nom de fleurs composées^
De là le nom de composées qu'on donnait aussi jadis à
cette famille; c'est Richard qui a proposé le premier
celui de synanthérées, qui a généralement prévalu depuis.
Tournefort avait partagé les synanthérées en trois classes,
savoir : les flosculeuses, les semi-flosculeuses et les radiées.
Cette division primaire fut reproduite postérieurement par
Vaillant sous les dénominations de cynarocéphales , de
chicoracées, et de corymbifères, et adoptée par Jnssieu et
un grand nombre d'auties botanistes , encore bien qu'elle
ne répondît pas à la nécessité de grouper en assez de tribus
distinctes les différents genres de synanthérées. Depuis lors
plusieurs naturalistes ont proposé des divisions nouvelles,
entre autres, Kunlh , dans le quatrième volume des Nova
Gênera de M. de Humboldt. Jl partage les synanthérées
en six divisions : les chicoracées , les carduacées , les
eupatoriées, les jacobées, les hélianthécs et les anthémi-
dées. H. Cassini les a divisées en vingt tribus, la plupart
avec des sous-divisions. Comme exemples de synanthérées,
nous citerons les art ichau ts, les eupatoires, les tussi»
lages, \es aster, les marguerites, les pâquerettes,
les hélianthes, les tagètes , etc.
SYiXARTHROSE. Voyez Articulation.
SYNCELLE (LE). Voyez Georges le Sinceli.e.
SYNCHllESE (du grec auY'^piveiv, épaissir). Voyez Con-
TRACTmN.
SYNCHRONISME (du grec oûv, avec, et xp<5vo;,
temps), rapprochement des personnes qui ont vécu à une
même époque et des événements qui ont eu lieu dans un
même temps. On appelle méthode synchronique celle
qui rapproclie ce que certaines périodes ont produit d'évé-
nemenls contemporains, et tableau synchronique celui
où sont mis en regard des événements arrivés en différents
lieux à la même époque.
SYNCHYSE , figure de rhétorique ( voyez Hyper-
bate).
SYNCOPE ( du grec auyY.6n-:eiv, couper , retrancher ) ,
terme de grammaire, de médecine et de musique.
En termes de grammaire, on appelle syncope une figure
de diction consistant à retrancher du milieu d'un mot une
syllabe. Elle est d'un fréquent usage dans les déclinaisons
et les conjugaisons de la langue latine. La syncope, dit Do-
mergue,est danslemotcequel'ei/îpse est dans la phrase,
elle abrège : c'est ainsi qu'en vers on écrit je sacrifirai ,
favoûrai, au lieu de je sacrifierai, j'avouerai. La syncope
s'appelle aussi contract ion {voyez Métaplasme).
En termes de médecine , la syncope est la perte complète
et ordinairement subite du sentiment et du mouvement,
avec diminution considérable ou suspension entière des bat-
tements du cœur et des mouvements respiratoires. La ^a-
pothymie ci la défaillance offrent des phénomènes sem-
blables, mais à un degré moindre. La lipothymie consiste
dans la suppression presque complète du mouvement et du
sentiment , mais la circulation et la respiration continuent
encore, tandis que ces fonctions se trouvent suspendues
dans la syncope- La défaillance {animi deliquium ou dé-
fectus) est le degré le plus faible de la lipothymie : celui
qui l'éprouve devient pâle, son pouls s'affaiblit; il sent qu'il
va perdre connaissance. Ce phénomène a lieu dans l'immi-
nence et le cours d'un certain nombre de maladies; quel-
quelois il en marque l'invasion. On appelle fièvre syncO'
pale une variété de fièvre pernicieuse intermittente, dans
laquelle chaque accès est accompagné de syncope.
En musique, le prolongement sur le temps fort d'une note
commencée sur le temps faible est ce qu'on appelle une
syncope.
SYNCRÉTISME (du grec auvxpîvïiv, ramasser), mé-
lange confus. Par opposition à Véclectisme, on appelle
ainsi toute espèce de réunion ou de fusion , soit en ma-
tières de religion, soit en matières politiques, des sectes, des
opinions ou des partis les plus opposés. Mais on applique
SYNCRETISME — SYNODE
425
plus particulièrement celte expression à la conduite de ceux
qui, pour rétablir la paix entre les partis pliilosoiihiques
ou religieux, expliquent de telle façon les points de doctrine
sur lesquels ils diffèrent , que chaque parti croit trouver
dans l'explication donnée le triomphe de ses propres doc-
trines et de ses propres opinions. Aussi en théologie le mot
syncrétisme est-'û en même temps synonyme d'iiidif/érence
en matière de religion. Quand au seizième siècle, lors du
réveil des études classiques en Italie , on se mit à étudier avec
ardeur la philosophie platonicienne, et qu'une vive opposition
s'éleva contre celle d'Aristote, qui avait jusque alors exclusi-
vement dominé , Pic de La jMirandole, Bessarion et autres,
furent traités (]esy)icrétistes, parce qu'ils essayèrent de con-
cilier la philosophie de Platon avec celle d'Aristote. Il avait
égalementété question desyncrétisme parmi les académiciens
et les péripatéticiens , et surtout du syncrétisme de l'école
d'Alexandrie. Toulefois, c'est parmi les protestants que ce
mot a été le plus fréquemment employé. A partir du com-
mencement du dix-septième siècle, on donna la qualifica-
tion de syncrétistes , c'est-à dire d'amalgamateurs et de fal-
sificateurs, aux adhérents de Georges Calixtus et aux
théologiens de Helmst.Tpdt, parce qu'à côté de l'Écriture
Sainte ils prétendirent placer la tradition des premiers siè-
cles chrétiens comme vme preuve subordonnée de la doc-
trine de Jésus-Christ, et parce qu'ils déclaraient que le Sym-
bole des Apôtres suffisait pour déterminer les doctrines fon-
damentales de l'ÉgUse chrétienne, et dès lors pour rétablir
la paix et la concorde parmi tontes les sectes qui déchirent
son sein. A partir du colloque tenu à ïliorn en 1645, et
auquel Calixtus assista, la qualification de syncrétiste de-
vint plus générale. Après sa mort, ses disciples et son lils,
Frédéric-Ulrich Calistiis, continuèrent cette querelle, qui
ébranla pendant longtemps l'Église protestante; et jamais il
n'intervint de véritable conciliation entre les parties con-
tendantes.
SYl\IDACTYLES(du grec aùv, avec, et SàxTuXo;, doigt),
groupe d'oiseaux de l'ordre des passereaux , dont le doigt
externe, presque aussi long que l'intermédiaire, est soudé
à celui-ci jusqu'à la pénultième articulation. Il renferme
la famille des guêpiers, la famil'e des alcyonés et la famille
des bucéros ou calaos.
SYNDESMOLOGIE(du grec (jûvÔcctixoç, ligament,
et XÔYo;, discours), partie de l'anatomie qui traite de l'u-
sage des ligaments. Voyez Ostéologie.
SYNDIC (du grec (jûv, avec, et oU-i), cause, procès), celui
qui nous assiste en justice. On donnait autrefois ce titre à
ceiiv qui étaient élus pour prendre soin des intérêts d'un
corps, d'une communauté, dont ils faisaient partie. C'était
aussi le titre d'une magistrature municipale, dont les attribu-
tions avaient la plus grande analogie avec celles de nos mai-
res actuels. Toutes les corporations d'arts et métiers avaient
avant 1789 leurs syndics : aujourd'hui il en est encore de
même des corporations privilégiées, comme agents de change,
notaires, avoués, agréés, imprimeurs, qui ont leurs chambres
syndicales, espèces de tribunaux disciplinaires, institués pour
juger les infractions aux règlements delà corporation ou aux
devoirs imposés à ses membres.
Dans les faillites le tribunal de commerce nomme des
syndics chargés de représenter la masse des créanciers dans
les opérations auxquelles peut donner lieu la situation du
failli et de réaliser et gérer .son actif jusqu'à la conclusion
d'un concordat.
SYNECDOQUE ou SYNECDOCIlE(dugrec awExSoxri,
compréhension), ligure de ihétorique,qui consiste à prendre
le plus pour le moins ou le moins pour le plus, c'est-à-dire
par laquelle on fait concevoir à l'esprit plus ou moins que
le mot dont on se sert ne signifie dans le sens propre. C'est
une espèce de métonymie, avec cette différence pourtant
que la métonymie prend simplement un mot pour un autre,
tandis que la synecdoque prend le plus pour le moins ou le
moins pour le plus. Quand , au lieu de dire d'un homme
qu'il aime le vin, on dit qu'il aime la bouteille, c'est une
simple métonymie qu'on fait là. Mais quand on dit cent
voiles au lieu de cent vaisseaux , il y a dans ce cas synec-
doque ; car non-seulement on prend un nom pour un autre,
mais on donne au mot voiles une signification plus étendue
que celle qu'il a dans le sens propre. On prend la partie ( les
voiles) pour le tout (le vaisseau).
SYNEDRIUM. Voyez Sanhéubin.
SYNÉRÈSE (du grec (jûv, avec, et aipÉw , je prends ).
Voyez DiÉitÈSE.
SYiVER(iIE(du grec (jûv avec, et ipyov action). On
appelle ainsi, en physiologie, le concours d'action de plu-
sieurs organes.
SYIVERGISME (du grec auvEpYe'to, aider, seconder).
On désigne ainsi parmi les luthériens une opinion suivant
laquelle l'homme peut contribuer lui-même en quelque chose
à son salut.
SYNERGISTIQUES (Querelles). Dans l'histoire du
protestantisme, on désigne de la sorte les longues discus-
sions qui eurent lieu sur la question de savoir si la volonté
humaine demeure ou non complètement passive quand il y
a conversion d'un pécheur, et si elle ne cède pas alors à la
grâce, qui fait qu'elle obéit à la volonté de Dieu. Érasme et
Mélanchtiionse prononcèrent pour l'affirmative : opinion qui
ne tient ni du pélagianisme ni du sémipélagianisme. il en
résulta plus tard, vers 1357, entre Pfeffinger, Flacius et
Strigel , de vives discussions , auxquelles prit part tout le
monde théologien de ce temps-là. Les théologiens de Wjttem-
berg étaient favorables au synergisme ; ceux de Mansfeld le
condamnaient, et la Formule de Concorde fit de même dans
son troisième article.
SYNÉSIUS, philosophe néo-platonicien de la première
moitié du cinquième siècle , et qui jouit aussi d'une certaine
réputation comme orateur et comme poëte , fit ses études
à Alexandrie, où il embrassa le christianisme, et devint,
en l'an 'ilO, évoque de Ptolémais; ce qui ne reuipôchapas
de demeurer tidèle à ses anciennes convictions philoso-
phiques, comme en témoignent ses discours, ses lettres ,
ses hymnes et autres ouvrages. Il y fait preuve de connais-
sances extrêmement variées, de lectures immenses et d'une
graïKle sagacité naturelle; d'ailleurs, ils sont écrits d'un assez
bon style et dans un grec assez pur. La meilleure édition de
ses œuvres est celle qu'en adonnée Petavius (Paris, 1631,
in-fol.).
SYIVGÉNÉSIE ( de ctûv, avec, et YtYvop.at, naître ), dix-
neuvième classe du système sexuel de Linné ( voyez Bota-
nique) , caractérisée par la soudure des étamines entre elles
par les anthères. La familledessynanthérées correspond
en grande partie à cette classe.
SYNGNATHES (du grec aûv, avec, et yvâBo;, mâ-
choire), animaux ayant les mâchoires réunies. On appelle
ainsi un ;;enre de poissons qui ont l'ouverture de la bouche
très-petite et sans dents. Voyez Lophorkancues.
SY'NGRAPHE (du grec oûv, avec , et Ypâçw, j'écris) ,
nom qu'on donnait autrefois à un acte souscrit de la main
du débiteur et du créancier et gardé par tous les deux ( voyei
Charte ).
SYNODE (du grec aûv.avec, et 65o; voie, chemin), as-
semblée publique où on se rassemble de tous les côtés. Oa
emploie plus spécialement ce mot pour désigner une assem-
blée ecclésiastique. C'était dans l'l£glise primitive une as-
semblée d'évêques qui délibéraient ensemble surdesmatières
de foi et sur des affaires ecclésiatiques. Phistard, letermede
conciZeprévalut,aveccettedifférence qu'un concileétait gé-
néral, œcuménique, tandis que le 5ynorfe resta une assemblée
particulière et fut appelé national , provincial, métropo-
litain , ou encore diocésain , épithètes qui font comprendre
dans ipielles conditions il se réunissait. Le premier synode
tenu en France fut convoqué par ordre de Clovis, et s'as-
sembla, le 10 juiJIet 51t , à Orléans. Ils se composait de
cinq métropolitains et de plusieurs évêques , en tout trente-
deux membres. Clovis leur prescrivit les articles du règle-
ment, objet de la convocation. Le plus remarquable était
426
SYNODE — SYNTAXE
celui qui défendait au clergé régulier et séculier de donner
les ordres et de recevoir dans les noviciats aucune per-
sonne sans l'autorisation préalable du roi. Ce canon cessa
d'être observé sous les successeurs de Clovis. Les iiisto-
riens et les canonisles donnent à cette première assemblée
du clergé le titie de concile; mais ce n'était réellement qu'un
synode. Le petit nombre de ses membres ne permet pas
de le qualifier autrement. Il ne s'agissait point de question
de dogme, mais d'un simple règleuient disciplinaire, qui ne
pouvait devenir exécutoire que par la sanction du prince.
On a pu remarquer que depuis que les synodes sont de-
venus plus rares la discipline ecclésiastique a beaucoup perdu
de sa pureté, les mœurs se sont corrompues, la résidence des
évêques a été moins observée , les doctrines dogmatiques
ont été plus négligées. Le clergé de France tenait bien des
assemblées périodiques; maison s'y occupait beaucoup moins
de matières disciplinaires et de questions dogmatiques que
(lu don gratuit , contribution volontaire au profit du trésor
royal que s'imposaient les dignitaires et les bénéliciers , et
dont les curés n'étaient pas exempts. D'ailleurs, ces réunions
n'avaient pas môme conservé le nom de synode , et pre-
naient celui d^assemblées générales du clergé. Le besoin
de rétablir les synodes lixa l'attention des assemblées con-
voquées pour l'élection des députés en 1789. Les cabiers
de cbaque localité, pour la réforme de tous les abus et l'a-
mélioration de toutes les branches de l'administration pu-
blique , expriment le vœu formel de rétablir les synodes.
C'était aussi le vœu du dernier concile général, et tous les
cahiers de l'ordre du clergé furent unanimes sur ce point
important. La loi du 24 août 1790 avait prescrit la tenue
des synodes ; la même prescription fut renouvelée parle
concordat de 1801. Mais à l'une comme à l'autre époque
ces deux lois n'ont reçu qu'un commencement d'exécution.
La loi sur l'organisation des cultes, qui n'était que la con-
sécration du concordat, rétablit aussi les synodes pour
les églises catholiques et celles de la religion réformée.
Malgré l'excessive sévérité des peines prononcées par l'édit
de révocation et les ordonnances qui en lurent la funeste
conséquence, les protestants avaient conservé l'usage des
synodes. Plusieurs furent tenus pendant les guerres des Cé-
vennes; et depuis les religionnaires , partout poursuivis,
s'étaient réunis en synode dans le désert.
Dans l'Église réformée , particulièrement en Ecosse et en
Hollande, où subsiste l'organisation presbytériale, le synode
est une assemblée que préside le pasteur, et que forment
les anciens de la commune ; les attributions sont les mômes
que de nos jours celles de&consis toiresparmi les luthé-
riens et les réformés de France.
En Russie, le saint-synode est un conseil ecclésiastique
supérieur, institué par Pierre le Grand en remplacement du
patriarcfiat,q\i^'û supprima. Ce conseil siège à Pétersbourg.
DuFEY (de rVonne).
SYNODIQUE (Révolution). Voyez Planète.
SYl\Oi\YAlE (du grec aOv, avec, et ôw^a, nom),
adjectif qui s'applique aux mots qui ont une idée, une si-
gnification commune. Ce mot s'emploie aussi substantive-
ment. D'après l'étymologie, il semblerait qu'on ne peut qua-
lilier de synonymes que les mots qui ont absolument le
même sens , la même signification ; mais comme il n'y a
de synonymes parfaits dans aucune langue , on a dû modi-
fier cette acception : on appelle donc synonymes les termes
dont le sens a de grand rapports , mais aussi avec des dif-
férences réelles, quoique légères. C'est la connaissance de
ces différences qu'il imporle de saisir. Définir nettement
les mots , constater leur sens primitif à l'aide de l'étymolo-
gie, déterminer avec justesse leur sens propre, étudier avec
soin les diverses modifications que l'usage leur a fait subir,
tels sont les premiers moyens à employer pour découvrir la
synonymie qui existe entre certains termes. Après ce tra-
vail , il ne reste plus qu'à rapprocber les synonymes qu'on
a étudiés , à les comparer, à les adapter , pour ainsi dire,
les uns aux autres afin de vo : par quels points ils se sé-
parent, quelles nuances les distinguent, et quel usage ca
peut en faire.
La synonymie est donc une branche importante de la
philologie, et il y a un siècle elle constituait l'un des diver-
tissements des salons. On s'amusait alors à embarrasser des
hommes d'esprit en leur proposant les synonymies les plus
délicates , et en les mettant ainsi dans la nécessité de faire
preuve de promptitude et de finesse de repartie en indiquant
les nuances les plus fines et les plus légères qui séparent
certains mots. L'abbé Trublet, dans ses Essais de Morale,
en rapporte l'exemple suivant : « On demandait dans un
salon à un homme d'esprit pourquoi il n'écrivait pas, « parce
que, dit-il, j'ai plus de goût que de talent ». A ces mots
on en vint à discuter sur le sens des termes goût, talent,
esprit , génie, et l'homme d'esprit qui n'écrivait pas s'expli-
qua de la sorte : « J'écrirais si j'avais autant d'esprit que
je puis avoir de goût, ou aussi peu de goût que j'ai peu
d'esprit et de talent. Dans le premier cas je ferais de bonnes
choses , dans le second je ne m'apercevrais pas que j'en fisse de
mauvaises. Entre les gens d'esprit et de génie, que le désir de la
réputation ou de l'utilité publique joint au sentiment de leur
capacité engage à écrire , et les sots, qui écrivent faute de
sentir leur incapacité , il y a les gens de goût et de bon sens,
qui n'écrivent point, parce qu'ils sentent qu'ils n'égaleraient
pas les premiers et qu'ils seraient peu au-dessus des seconds.
11 ne faut conseiller d'écrire qu'à ceux qui ne risquent en
écrivant que d'être médiocres , non à ceux qui , comme
moi , ne peuvent prétendre tout au plus qu'à la médiocrité.
La prudence défend de rechercher une place qu'il serait
honteux de manquer et peu honorable d'obtenir. »
Parmi les écrivains qui .se sont occupés de synonymie,
il faut citer en première ligne l'abbé Girard, Beauzée,D'Alem-
bert, Marmontel, le chevalier de Jaucourt, Duclos , Laveaux
et M. Guizof.
SYNOPTIQUE ( du grec cw, avec, et ÔTiTopiai voir),
ce que l'on voit dans son ensemble. Ou appelle tableaux
synoptiques les travaux représentant sous un seul etmême
point de vue des classifications , des principes fondamen-
taux , des résultats, des faits, etc., qui ont été décrits en
détail dans le cours d'un ouvrage, ou bien destinés à
être étudiés par un professeur dans son enseignement oral.
SYNOVIE (dugreccrûv, avec, et wov, œuf), mot créé par
Paracelse pour désigner une humeur visqueuse, mucilagi-
neuse et semblable à du blanc d'œuf battu, qui se trouve
dans toutes les articulations mobiles pour les humecter, les
lubréfier, en faliciter le mouvement, et où elle est ren-
fermée par des capsules ligamenteuses, qui l'empêchent
de s'écouler.
SYIXTAGME ou XINAGIE ( du grec aw, avec, et
T:(XY[Aa, arrangement). Fo^es Phalange. Les philologues
des seizième et dix-septième siècles ont aussi donné ce nom
à des recueils de dissertations sur des sujets analogues,
mais essentiellement scientifiques ou bien d'érudition. Ainsi
il existe un grand nombre d'ouvrages intitulés Syntagma
crUicum,Syntagma philologicum, etc.
SYNTAXE ( du (7ÛV , avec , et Tâffoeiv , arranger ).
C'est le nom qu'on a donné à l'ordre et à la liaison des
diverses parties qui composent le discours. Quand on veut
peindre une idée par la parole, on a deux objets à consi-
dérer : 1° la forme qu'exige chaque mot pour se lier avec
ses voisins; 2° la place qu'il doit occuper. Ce sont donc
les règles qu'il faut suivre pour ces deux objets qu'on
appelle syntaxe. Il y a ici quelque dissentiment entre
plusieurs grammairiens. Court de Gébelin veut que ce
soit la liaison des mots qui s'appelle proprement syn-
taxe. Lanjuinais, au contraire, donne ce nom à l'art de
ranger les mots; car c'est lui, dit-il, qui est arrangement
réciproque ou coordination. Selon ce grammairien, la cons-
truction est la partie première de la syntaxe , puisqu'elle en
est la plus importante, la seule qui soit d'un usage absolu-
ment universel. M. de Sacy fait remarquer que ces deux
mots syntaxe et construction , l'un grec , et l'autre latin ,
SYNTAXE -
siguifient proprement la même chose , l'art de disposer et
de coordonner les différentes parties du discours. Cette der-
nière observation nous semble résoudre simplement la ques-
tion. Quoi qu'il en soit, toutes les règles de la syntaxe se
rapportent à deux points , la concordance et la dépendance.
Les règles de la concordance ont pour objet d'enseigner
dans quels cas les articles , les adjectifs , les pronoms et les
verbes doivent prendre le même genre et le même nombre
que les noms auxquels ils se rapportent. Les règles de la
dépendance enseignent de quelle manière le ra|)port entre
le terme antécédent et le terme conséquent doit être indiqué.
Elles déterminent aussi l'emploi du mode, des prépositions,
ainsi que la formation convenant aux mots qui servent de
complément aux prépositions. Au reste, chaque langue à sa
syntaxe particulière ( voyez Grammauie ). Cuajipacnac.
SYNTHÈSE (en latin synthesis, dérivé du grec cOv,
avec, et-ctÔTiîxi, je pose, je place). En logique, c'est une mé-
thode de composition qui descend des principes aux con-
séquences , des causes aux effets. Dans ce sens , la synthèse
est opposée à Vanaiyse. De synthèse on a fait l'adjectif
synthétique, pour ce qui a rapport à la synthèse, et l'ad-
verbe synthétiquement, pour ce qui est (ait d'une manière
synthétique.
En mathématiques , c'est une démonstration de propo-
sitions successives par la seule composition de celles qui
sont déjà prouvées précédemment : elle est ici inverse de
la méthode algébrique , qui , considérant l'inconnu comme
trouvé , revient de là au connu par les rapports logiques qui
les doivent unir.
Enc/am)e, c'est l'opération par laquelle on réunit des
corps simples ou composés, pour en former d'autres, d'une
composition plus complexe. On donne également ce nom à
la réunion des éléments d'un corps composé séparés par l'a-
nalyse: la synthèse est particulièrement applicable aux sels.
En chirurgie, c'est l'opération par laquelle on réunit les
parties divisées et l'on rapproche celles qui sont écartées
ou éloignées. On a\)[)c\\e synthèse de continuité la réunion
des bords d'une plaie ou le rapprochement des pièces d'un
os fracturé; et synthèse de contiguïté la réduction des or-
ganes déplacés, comme dans les hernies, les luxations.
SYOUAIl (Oasis de). Voyez Siovah.
SYPHAX, roi des Massaesyliens , dans la Numidie occi-
dentale. A l'époque de la seconde guerre punique, Scipion,
qui vint d'Espagne le visiter en personne, le détermina, en
l'an 207 avant J.-C, à prendre parti pour les Romains. Mais
à quelque temps de là Asdrubal lui ayant donné pour feauiie
sa fille Sophronihe, qui était fiancée à Massinissa, il se déclara
de nouveau pour les Carthaginois. Quand Scipion eut passé
de Sicile eu Afrique, Syphax et Asdrubal vinrent l'attaquer
dans son camp; mais ils furent battus. Laelius et Massinissa
envahirent même les États de Syphax, et le tirent prisonnier.
Suivant Poly be , il orna le triomphe de Scipion, et mourut en
captivité. Suivant Tile Live, il serait mort à Tibur, quelque
temps avant la célébration du triomphe.
SY'PKILIS ou SIPHILIS {htes venerea, morbus ve-
nereus), nom qui sert à désigner une maladie d'autant plus
désastreuse qu'elle corrompt les sources mêmes de la vie,
d'autant plus fatale qu'elle résulte de la satisfaction d'un des
besoins les plus impérieux de l'animalité; comme si par
elle la Providence eût voulu punir l'homme de l'abus qu'il
peut faire des passions instituées pour son bonheur.
Quelque hideuse que soit cette lèpre de l'humanité, l'iiDa-
ginalion l'a revêtue des couleurs de la poésie. Par une fic-
tion mensongère, mais toute morale, Fracastor, médecin
et poëte du seizième siècle, dans un poème latin szir la
syphilis, raconte que Syphilus, berger du roi Alcithoo,
enorgueilli des richesses de son maître, lui dressa des au-
tels, au mépris de ceux de la divinité. Indigné d'une telle
insolence, le Soleil darda sur la terre des layons dévorants,
qui produisirent une maladie pestilentielle jusque alors in-
connue, dont Syphilus fut la première victime; et la mala-
die prit le nom de l'implequi l'avait provoquée. Celle origine
• SYPHILIS 427
fabuleuse dit assez que Fracastor fait remonter l'appari-
tion du mal à des temps reculés. Il est très-douteux en ef£et
que ce iléau n'existe en Europe que depuis la fin du quinzième
siècle , et plus douteux encore qu'il ait été transporté d'A-
mérique par les compagnons de Christophe Colomb ( de
1493 à 1496). Celte dernière opinion, propagée par l'autorité
d'Astruc, repose principalement sur la relation d'un histo-
rien de cette époque , Oviedo , satellite de la tyrannie es-
pagnole , qui avait intérêt à motiver les atrocités exercées
par sa nation sur les peuplades du Nouveau Monde. On
trouve effectivement dans les œuvres de l'antiquité certains
passages qui autorisent à penser que quelques-uns des symp-
tômes de la syphilis ont existé de tous temps. Moïse, dans
\e Lévitiqtie, parle déjà des mesures sévères exercées à l'é-
gard d'mdividus affectés d'écoulements impurs. Hippocrate,
Galien, Celse et autres, sans parler des poêles satiriques,
mentionnent des ulcères, des éruptions cutanées, etc., <Iont
Ja description laisse peu de doute sur l'existence de la sy-
philis chez les anciens.
Quelque opinion qu'on puisse se fane de ces données
historiques, il n'en est pas moins vrai que vers la fin du
quinzième siècle et le commencement du seizième la ma-
ladie devint d'une telle héquence, et affecta des formes si
redoutables , qu'elle put paraître nouvehe ; mais celte recru-
descence elle-même s'explique jusqu'à un certain point
par les grandes migrations qui s'effectuaient à cette époque
de guerres et de conquêtes , d'où résulte également la con-
fusion quant à la marche de la maladie. C'est ainsi que lors
de l'expédition du roi de France Charles VIII en Italie (en
1494) les Napolitains accusèrent les Français de leur avoir
apporté la contaf.';ion qu'ils appelèrent ma^/raHçais , tandis
que les conquérants la désignèrent sous le nom de 7nal na-
politain. A part l'origine américaine, les idées les plus
bizarres furent émises sur la génération du mal : les uns,
comme Fracastor, l'attribuèrent à un châtiment infligé parle
ciel, non plus à l'orgueil, mais à la frénésie du hberlinage
qui régnait à cette époque; d'autres, adoptant les rêveries des
astrologues , en accusèrent la jonction de certains astres
comme celle de Mars avec Saturne, de Mercure avec le
Soleil, etc. D'autres, non moins extravagants, imputèrent
la syphilis au crime de bestialité; quelques-uns à certains
principes vénéneux ingérés dans les'alimentsetles boissons.
D'autres encore, frappés de la diminution de la lèpre, à
mesure que la syphilis exerçait de plus grands ravages,
purent croire que la seconde était une transformation de
la première. Ces diverses hypothèses ne prouvent qu'une
chose, la tendance de l'e.sprit humain à vouloir expliquer
ce qu'il ne peut comprendre. Aussi, ne cherchant pas à fixer
les opinions du lecteur à cet égard , nous passerons à l'expo-
sition simple et abrégée ties phénomènes si variés de cette
cruelle maladie.
Quanta son mode de production ou de propagation , la
syphilis est une aflection essentiehement contagieuse, résul-
tant soit, et le plus souvent, de rapports sexuels avec un
individu actuellement affecté de la maladie, soit du contact
ou de l'inoculation du virus transporté d'un individu ma-
lade à un individu sain. Il parait néanmoins que lors de
son explosion, au quinzième et au seizième siècles, la maladie
se manifesta sous forme épidémique, se propageant par
simple contact et même par l'atmosphère des malades.
C'est ce qui justifie les mesures sévères et même barbares
instituées a cette époque à l'égard des individus prétendus
contaminés, auxquels on imposait la séquestration ou la dé-
fense d'approcherà certaine distance les personnes en santé;
on leur affectait même un costume particulier, qui les signa-
lait à la terreur publique; on alla jusqu'à les expulser de
quelques villes, les condamnant à l'exil, à la misère et
à la mort, qui du reste était le prix de la contravention
à ces lois atroces. Je ne sais où j'ai vu qu'un seigneur qu'on
croyait atteint de syphilis fut condamné à perdre la tête
pour avoir parlé à l'oreille du roi.
Admettant la réalité d'une semblable malignité du principe
428
SYPHILIS ~ SYRACUSE
contagieux de la syphilis à cette époque, on conviendra que
la maladie s'est singulièrement modifiée; car aujourd'hui
non-seulement il faut le contact immédiat de certaines sur-
faces appropriées avec certaines parties actuellement malades,
mais encore toutes les formes de la syphilis ne sont pas
transmissibles par le contact; et le contagium le mieux
conditionné trouve encore certains individus rebelles à son
action. Il semble qu'après un grand nombre de transmis-
sions successives, le virus syphilitique, comme on l'a dit
du virus vaccin , ait perdu de son énergie. Néanmoins , il se
transmet encore dans des circonstances déplorables; c'est
ainsi que la nourrice infectée peut le communiquer à son
nourrisson, et réciproquement, par contact des lèvres et du
mamelon malades, et non du lait, comme on l'a prétendu ;
c'est ainsi que l'enfant le puise chez sa mère, au moment
de la naissance, par son contact avec des surfaces affectées;
bien plus , il est admis que le fœtus peut contracter la
syphilis dans le sein maternel, lorsque la mère est affectée
d'un vice constitutionnel.
La syphilis, véritable Protée, comme on dit, peut se ma-
nifester sous une midtitude de formes diverses. On a divisé
ses symptômes en primitifs ou résultant directement d'un
contact impur, et en consécutifs ou produits par une infec-
tion générale de l'économie. On a vu ces derniers arriver
jusqu'aux altérations des os, affectés d'exostoses, de ca-
ries, de nécroses, avec douleurs dites ostéocopes, jusqu'à
la chute des cheveux (alopécie), [''amaigrissement ou
Vhydropisie; enfin, jusqu'à la détérioration profonde et
progressive de toute la constitution , appelée cachexie sy-
philitique, conduisant graduellement le malade au tom-
beau, à travers des souffrances inouïes et des infirmités
sans nombre. Tous ces symptômes consécutifs peuvent se
succéder et se combiner de mille manières. Mais, hâtons-
nous de le dire, ces derniers traits lie la syphilis sont assez
rares de nos jours , où les moyens de traitement ont été com-
binés généralement avec art et prudence. C'est le plus sou-
vent après des mois, des années d'une guérison apparente
des symptômes primitifs, que la syphilis consécutive se
déclare. Ce fâcheux accident résulte fréquemment de l'im-
patience et de l'indocilité des malades, qui négligent le
traitement, qui l'interrompent avant qu'il soit complet, ou
qui le contrarient par mille écarts de régime. Disons pour-
tant qu'il est en général difficile de répondre de la gué-
rison définitive , vu notre impuissance à préciser l'époque
où la curation est complète.
Lorsqu'une syphilis de forme quelconque est accompa-
gnée de phénomènes inflammatoires, et surtout fébriles, le
traitement antiphlogistique est de rigueur, et souvent suffit
à lui seul pour amener la guérison. Cela s'observe dans beau-
coup de cas d'affection primitive, et bien plus rarement
dans les formes secondaires. Dans les cas rebelles, soit aigus,
soit chroniques, le remède par excellence est le mercure.
Nous nous bornerons à mentionner l'arsenic, les acides ni-
trique et chlorhydrique, quelques composés ammoniacaux,
qui ont parfois réussi; mais nous devons signaler spéciale-
ment les sudorifiques, qui font la base de méthodes spé-
ciales, exclusives et adjuvantes, tels sont la salsepareille,
la squine, le sassafras, et surtout le gayac, ce bois saint
que, suivant la fable de Fracastor, les dieux envoyèrent à
Syphihis pour le guérir. D"" Fokget.
SYPHILITIQUES (Affections). Voyez Syphilis.
SYPHOM. Vozez Siphon.
SYRA, éparchie du 7207ne des Cyclades (royaume de
Grèce), comprenant dans le groupe méridional des Cy-
clades les lies de Syra, de Mykoni , de Céos , de Kyth-
nos, de Seriphos, et diverses autres de moindre importance.
L'ile principale de cette éparchie, Syra, \a.Syros des an-
ciens, de 14 kilomètres carrés de superlicie, est couverte
de montagnes , dont quelques-unes atteignent jusqu'à 466 mè-
tres d'altitude, et entrecoupée de vallées étroites et généra-
lement infertiles , parce que l'eau y manque; aussi la popu-
lation est-elle obligée de tirer de la Grèce ou de l'étranger la
plupart des objets nécessaires à sa consommation. Pendant
la lutte pour l'indépendance, Syros, qui ne comptait pas
alors plus de 6,000 habitants, avait gardé la neutralité;
aussi devint-elle alors le refuge d'un grand nombre de com-
merçants de Chios, de Candie, etc. Depuis celte époque,
son commerce a pris des développements tels, que cette lie
est aujourd'hui une des étapes les plus importantes de l'est
de la Méditerranée et compte plus de 42,000 habitants. Son
chef-lieu, Hermopolis ou fl^cr^noMpo/w, appelée aussi Nou-
velle Syros, par opposition à l'Ancienne Syros, située sur
une hauteur conique, à environ 10 kilomètres du port, est
une ville toute neuve et la plus florissante qu'il y ait en Grèce,
son heureuse situation géographique en ayant fait le point
de relâche naturel des communications par bateaux à va-
peur entre l'Europe et le Levant de même que le grand en-
trepôt des produits manufacturés d'Europe à la destination
de la Grèce. L'exportation d'une grande partie des produits
de l'Asie Mineure se fait en outre par son port. Hermopolis,
ou la Nouvelle Syros, compte 36,000 habitants, non compris
l'ancienne Syros, qui en a 4,000. Elle ef,t le siège du no-
marque de toutes les Cyclades, d'un archevêque grec et
d'un évêque catholique romain pour les catholiques, qui gé«
néralement habitent l'Ancienne Syros; en outre, d'un tribu-
nal de commerce et de nombreuses sociétés d'assurances
maritimes.
Les chantiers de construction de Syra sont les plus im-
portants qu'il y ait en Europe; ils sont à bon droit renom-
més pour le bas prix auquel y reviennent des navires tout
prêts à mettre à la voile.
SYRACUSE, Syracusge, dans l'antiquité la plus impor-
tante ville de Sicile, située au sud de cette île, fut fondée vers
l'an 735 av. J.-C, par des Grecs Doriens, les Corinthiens,
sous les ordres de l'Héraclide Archias. La fondation première
de la ville eut lieu dans l'île d'Or/j/^ie, entre son extrémité
méridionale et le promontoire fortifié de Plemmyrion, où
se trouvait l'entrée de la grande baie dans laquelle se jette
entre des marais le fleuve Anapus, et qui formait le grand
port de la ville, tandis que le petit, ou le port proprement
dit, était situé entre l'extrémité septentrionale de l'île , réu-
nie plus tard à la terre ferme, et la partie de la ville qui fut
construite la première , qui portait le nom à^Achradina ou
Akrudina , qui était extrêmement fortifiée, et s'étendait
sur les bords de la mer jusqu'à la baie appelée Trogilus.
C'est là que se trouvaient la plupart des célèbres latomies,
ou carrières souterraines de Syracuse, ainsi que l'endroit
qu'on nommait l'Oreille de Denys. Deux quartiers de la
ville, construits plus lard et séparés du port ainsi qu'entre
eux par des murailles, étaient situés sur un plateau à l'ouest :
au nord, celui qu'on appelait Tyché, du nom d'un temple
de Tychê (la Fortune ); au sud , celui qu'on appelait Aea-
polis. L'extrémité occidentale de la ville, qui en formait le
quartier le plus élevé, et qu'on appelait Epipolee, était une
place forte, construite par Denys l'ancien, entourée d'épaisses
nmrailles et de châteaux forts, dont l'un s'élevait sur le
sommet du mont Euryale. Strabon évalue l'enceinte totale
de la ville à 180 stades, soit environ 32 kilomètres ; et on
peut croire que la population , quand elle arriva à son maxi-
mum, atteignit le chiffre de 500,000 habitants. Parmi le grand
nombre d'édifices magnifiques que renfermait Syracuse , ou
cite, dans l'ile d'Ortygie (où se trouvaient la source Aréthuse,
et tout prèsde là, dans la mer, la sourced'eau douce Alphie),
île appelée aujourd'hui Occhio délia Zillica, le temple
d'Artémise, déesse protectrice de la ville, et de Pallas, le pa-
lais de Hiéron, et ['Acropolis, grande forteresse, construite
par Denys, qui embrassait encore le port avec ses chantiers
et ses magasins , et même une partie de VAchradina. Dans
ce dernier quartier, on voyait le prytanée, ou hôtel de ville,
le temple de Jupiter Olympien , construit par Hiéron; dans
le Tychê, un magnifique gynmase; dans le Neapolis, les
temples de Démêler et de Perséphone ainsi que le plus
vaste et le plus beau théâtre qu'il y eût en Sicile.
La constitution la plus ancienne de Syracuse avait pour
SYRACUSE —
bases !es différences d'origine existant dans la population.
Le pouvoir appartenait aux Gamores (propriétaires fon-
ciers), c'est-à-dire aux familles des fondateurs doriens de
la yille; et les anciens habitants de la contrée, appelés Cyl-
lyriens, leur étaient soumis, comme esclaves. Mais à la suite
des progrès que le commerce fit faire à la ville, il s'y forma
une troisième classe, celle des Grecs venus successive-
ment s'y établir. Ceux-ci, à la vérité , étaient libres , mais ils
n'avaient aucune part au gouvernement, et , sous le nom de
Demos ( commune ), ils ne tardèrent pas à composer la grande
masse de la population. Au commencement du cinquième
siècle av. J.-C., ils expulsèrent les Gamo/ev. Ge/on, tyran de
Gela, dont les Gamores invoquèrent le secours, les ramena
en l'-in 484, mais en même temps s'empara de la souverai-
neté (;î//'awMJi),qu'il exerça avec tant d'énergie et d'habileté,
et en même temps avec tant de bonheur, que sons lui Sy-
racuse devint le plus puissant État de la Sicile, celui auquel
dès lors s'attache de préférence l'histoire de l'ile, qu'il pro-
tégea contre la première tentative de conquête des Cartha-
ginois, par la victoirequ'il remporta sureux à Himera, en l'an
480. 11 eut pour successeur son frère Hiéron /«'' (477-467) ;
et celui-ci, son frère Thrasybule, qui dès l'an 466 se fit
chasser, à cause de sa cruauté. La monarchie ( tyrannis)
fut alors remplacée par une démocratie absolue, où, à l'instar
de l'ostracisme des Athéniens, le pétalisme, inslitué en
l'an 454, avait pour but de protéger la liberté contre la pré-
pondérance d'un petit nombre de citoyens. Malgré des dis
cordes intérieures, Syracuse resta florissante, et conserva sa
puissance à l'extérieur. Les Siciliens indigènes, que Ducétius
réunit en l'an 451 contre les Grecs, furent soumis après une
résistance acharnée; et les guerres avec les villes grecques,
notamment avec Agrigente , auxquelles donna lieu la pré-
tention de Syracuse de transformer en domination souveraine
le droit de préséance dont elle jouissait dans leur confédéra-
tion, furent généralement heureuses jusqu'en l'an 424, où le
Syracusain Hermocrate parvint à rétablir la paix . Mais en l'an
416 les Syracusains ayant prêté secours aux habitants de Se-
linonte contre ceux de Ségesta, ceux-ci invoquèrent l'appui
d'Athènes, qui en 427 avait déjà secouru Leontium contre Sy-
racuse; et grâce à Alcibiade cet appui ne leur manqua pas non
plus. Les Athéniens envoyèrent une grande flotte contre
Syracuse, qui fut assiégée et se trouvait réduite en 414 par
Mcéas à une cruelle extrémité, quand les Spartiates envoyè-
rent à son secours une armée aux ordres de Gylippus. Les
Athéniens de leur côté firent partir de nouvelles troupes,
commandées par Démosthène ; mais leur flotte ayant été dé-
truite, leur armée de terre fut réduite à capituler, en l'an
413. Nicéas et Démosthène furent condamnés à mort; et
7,000 Athéniens prisonniers périrent de faim et de misère
dans les latomies. A l'intérieur, sous la conduite de Dioclès,
qui rétablit l'antique démocratie et s'efforça de faire préva-
loir une exacte distribution de la justice, le parti populaire
l'emporta, en l'an 412, sur celui de la noblesse ayant à sa tête
Hermocrate. Carthage,qui venait de prend re pied en Sicile,
menaça alors Syracuse de nouveaux dangers. Denys /«>",
qui, secondé par Philistus, s'empara de la tyrannie, fut
pour Syracuse un souverain violent et arbitraire sans doute,
mais habile et énergique, qui résista aux Carthaginois, quoi-
que avec des alternatives de revers et de succès, vainquit
les Grecs de la basse Italie et les pirates de l'Étrurie, et
sous le règne duquel la prospérité et la puissance de la
ville, qu'il avait bien fortifiée, s'accrurent notablement. De
nouvelles luttes intérieures , dans lesquelles les différents
quartiers de la ville agissaient souvent en ennemis les uns
à l'égard des autres , et dont profitèrent les Carthaginois,
avec qui Hicétas, tyran de Gela, avaient fait alliance, rem-
plissent l'intervallecompris entre l'an 367 et l'an 343 av. J.-C;
intervalle pendant lequel le fils de Denys l", Denys II, exerça
la puissance souveraine à deux reprises: une première fois
jusqu'en 354, où il fut expulsé par Dion, puis une seconde
fois à partir de l'an 346. Timoléon, envoyé de Corinthe,
le ctiassa de nouveau, et, après avoir battu les Carthaginois,
SYRIAQUES 4'J9
en l'an 340, sur les bords du Crimissus , les contraignit à
se renfermer dans leur territoire. De toutes les villes grec-
ques, dont il cx)mmença par renverser les tyrans, entre
autres Hicétas, il forma une confédération, à la tête de la-
quelle il plaça Syracuse, où il avait rétabli le gouverne-
ment démocratique. Mais son œuvre s'écroula tout aussitôt
après sa mort, arrivée en l'an 337 ; et Syracuse, après avoir
passé une suite d'années en luttes intestines et en guerres
avec d'autres villes, reçut de nouveau en l'an 317 un tyran
en la personne A'Agathodès , qui , grâce à ses mercenaires,
les Mnmertins,se soutint jusqu'en l'an 289 au milieu des
guerres qu'il alla faire aux Carthaginois, ou bien contre
les habitants de Crotone, ou encore ceux de Brutium. A. sa
mort, Syracuse étant tombée en proie à de nouvelles dis-
cordes civiles, les Carthaginois purent en 279 s'avancer
jusque sous les murs mêmes de la ville, qui appela à son se-
cours contreeux Pyrrhus, roi d'Épire, lequel se trouvait alors
en Italie; et celui-ci repoussa les Carthaginois jusqu'à Lily-
bajum. Dans les troubles qui éclatèrent après son départ,
en 275, Hiéron II , après avoir battu les Mamertins de
Messana, réussit à se faire proclamer roi, en 205. Allié fidèle
des Romains, dont il embrassa le parti dans la première
guerre punique , il récupéra l'intégralité de ses États par la
paix conclue en l'an 241 av. J.-C; et pendant son long et
sage règne, qui dura jusqu'à l'an 215, Syracuse vit renaître
son ancienne prospérité. Son petit-fils, Hiéronyme, n'eut
rien de plus pressé que de s'allier avec les Carthaginois ,
engagés alors contre Rome dans la seconde guerre punique;
et quand il eut péri, assrssiné, en i'an 214 , son parti, ayant
Hippocrate et Epicyde à satôte,conlinua à avoir la haute main.
La môme année Rome envoya contre Syracuse une armée
commandée par Marcus Claudius Marcellus ; et la ville, dé-
tendue par les machines d'Archimède, résista pendant
longtemps encore aux différents assauts que le consul tenta
contre elle. Mais après un rigoureux blocus, Marcellus réussit
à s'en rendre maître, au mois d'août de l'an 212. Syracuse
fut livrée au pillage et en partie détruite. Dès lors, quoi-
que les Romains lui eussent reconnu les droits de ville libre
et qu'Auguste y eût envoyé uue colonie , sous leur domina-
tion sa décadence fut telle qu'elle en vint successivement à
ne plus se composer que de l'île d'Ortygie.
C'est dans cette même île , dans la partie de la Sicile dé-
signée aujourd'hui sous le nom de Val diNoto, que s'élève
la ville actuelle de Syracuse, Siragosa , chef-lieu d'une des
sept intendances de la Sicile, avec environ 18,000 habitants,
une citadelle, une cathédrale épiscopale sous l'invocation de
sainte Lucie ( l'ancien temple de Pallas ). Le petit port est
ensablé. Il existe encore, sur la terre ferme, quelques ves-
tiges de l'ancienne ville, notamment des débris des murs de
fortification, d'un théâtre et d'un amphithéâtre. Les cata-
combes ne font^ qu'un avec les latomies. Le vin qu'on ré-
colte aux environs de Syracuse est excellent. Les bords d'un
petit ruisseau appelé aujourd'hui la Pisma, le Cyanê des
anciens, qui se jette dans l'Anapus, sont le seul endroit de
l'Europe où croisse le papyrus des Égyptiens, appelé par
le peuple la parrucca.
SYR DÉRIA ou SIR DARIA. Voyez Iaxartes.
SYRÈIVES. Voyez Sirènes.
SYRIAQUES (Langue, écriture et littérature). La
langue de la Syrie est une branche de l'araméen (voyez
Aram), et fait partie des langues sémitiques. Son époque
la plus brillante est le premier siècle de notre ère. Après
cela , l'arabe, qui a avec elle de grandes affinités d'origine,
la remplaça peu à peu dans les usages de la vie; et elle ne
resta plus qu'à titre de langue savante et écrite. Aujourd'hui
elle est presqueentièrement éteinte, et elle ne s'est conservée
comme langue populaire, mais bien corrompue, que parmi
les nestoriens du Kourdislan. La meilleure grammaire qu'on
en possède est celle de Hoffmann ( Halle , 1827 ), le seul dic-
tionnaire, mais fort insuffisant, est celui de Castellus (publié
parMicliaelis, Gœttingue, 1788), elles meilleures chresto-
luathies pourvues de glossaires sont celles de Kirsch et Ber«r
mani, sont d'une grande importance pour l'hisloire ecclé-
siastique. Les nombreuses traductions de Pères de l'Église,
de philosopiies et de médecins grecs, œuvre des nestoriens
surfout, ont été cataloguées par Wenricli dans sa dissertation
De Auctorum Greccorum Versionibus et cojnmeniariis
Synacis (Leipzig, 1842). Parmi les ouvrages historiques il
faut surtout mentionner la chronique de Bar-Hebraeus (pu-
bliée par Bruns et Kirsch [2 vol., Leipzig, 1789]). La poésie
des Syriens n'est guère qu'ecclésiastique et liturgique, sans
élévation de pensées , dans une forme roide et désagréable.
Le plus ancien auteur d'hymnes est le gnostique Barde-
sanes. Après lui on peut encore citer Ephraem Syrus, dont
les hymnes et les discours poétiques ont été publiés dans
l'édition complète de ses œuvres ( 6 vol., Rome, 1732-1746),
et dans le choix qu'en ont fait Hahn et Sieffert (Leipzig,
1845). Les plus riches collections de manuscrits se trouvent
à Rome (consultez Assemani, Biblïotheca orientalis de-
mentino-Vaticana[Z vol., Rome 1719-1728]), à Paris, et
SiVi British Miiseum {Con?,\i\iei Rosen, Catalogus Codi-
cum manusçriplorum Syriacorum, publié par Forshall
I Londres, 1838]), qui tout récemment s'est enrichi par les
soins de Tattan d'un très-riche supplément provenant des
couvents d'Egypte, et composé en très-grande partie de ma-
nuscrits fort anciens , d'où Gureton a puhWé {Spicilegium
Syriacum, Londres, 1855, 1 grand vol. in-8'')la traduction
des lettres de saint Ignace, des lettres testâtes de saint
Athanase, une partie de la chronique de saint Jean d'É-
phèse, etc.
§YRICE, quarantième pape, succéda à D a m a s e I*"", en
384. Il était fils d'un Romain nommé Tiburce, et .son élec-
tion futapproiivéepar Valentinien II, au préjudice du schis-
matique Ursin , qui prétendait lui disputer la tiare. La pre-
mière décrétale authentique est de ce pape. Elle fut adressée
le 3 des ides de février, sous le consulat d'Arcadius et de
4S0 SYRIAQUES
stein (2 vol., Leipzig, 1834), d'Oberleitner( Vienne, 1836)
et deRœdiger (Halle, 1838). Les lexiques indigènes de Bar-
Ali, et de Bar-Baliul , dont Gesenius (Leipzig, 1834) et Bern-
stein(Breslau, 1836) ont donné des échantillons, sontimpor-
lants pour la lexicographie.
L'écriture .syriaque est angulaire et roide, mais dans sa
plus ancienne forme, appelée ïestranghelo, s'est extrê-
mement répandue parmi les différentes populations de l'Asie;
car c'est d'elle que proviennent l'écriture koufique des
Arabes, l'écriture zende et pehlewy des Sassanides, l'écri-
ture ouigurique des Turcs, ain.si que les écritures mon-
gole et mandchoue.
Il serait difficile de prouver qu'avant l'introduction du
christianisme il ait existé une littérature nationale syriaque;
seulement, l'étal florissant des États et des villes de la Syrie
permet de le supposer. Toutefois, dès le premier siècle de
notre ère il surgit une littérature très-variée, roulant prin-
cipalement sur la théologie chrétienne, sur l'interprétation
et la traduction de la Bible, sur la dogmatique et la polé-
mique, sur les martyrologes et les liturgies, mais compre-
nant aussi l'histoire, la philosophie et les sciences naturelles.
Dans ces trois domaines de l'intelligence, les Syriens furent
encore une fois au huitième et au neuvième siècle les insti-
tuteurs des Arabes; et on peut dire en général que, comme
intermédiaires de la civilisation, ils ont exercé une grande
influence sur le développement intellectuel de l'Orient. Le
dernier écrivain classique des Syriens est Bar- Hebraens,
mort en 1286, évoque jacobite de Maraga, Le plus ancien
monument encore existant de la littérature, et en même
temps le modèle de la langue syriaque, est la traduction de
l'Ancien et du Nouveau Testament appelée Peschito (publiée
à diverses reprises, notamment par Lee [2 vol., Londres,
1823] ). On en possède encore plusieurs autres traductions,
mais qui ju.squ 'à présent ne sont que partiellement connues.
Le plus célèbre docteur et théologien de l'Église orthodoxe
est Ephraem Syrus {voyez Ephrem [Saint]), qui florissait
dans le quatrième siècle. Les Acta Martyrum orientcdium
et occidentalium (2 vol., Rome, 1748), publiés par Asse-
SYRIE
Bauto, c'est-à-dire le 11 février 385, à Himerius, évéquede
Tarragone: elle renferme plusieurs règlements de discipline
ecclésiastique. Saint Jérôme, qui était venu prêcher la conti-
nence et l'humilité dans Rome, sous le pontificat de Damase, ■
s'en retourna en Palestine, après l'exaltation de Syrice, pour-
suivi par les malédictions de ceux dont ilreprenail aigrement
les vices et la licence, et appelant Rome une bâtarde vêtue
d'écarlate. Syrice s'occupa d'arrêter le cours de ces dé-
sordres, et sévit contre les hérétiques.
Saint Paulin, élève du poète Ausone, et poète lui-même,
vint visiter la capitale du monde chrétien sous le pontificat
de Syrice, et s'en retourna , comme saint Jérôme, fort peu
édifié des vertus et de l'urbanité des habitants. Ce pape
es.saya vainement d'étendre son autorité dans l'Orient. Ses
lettres sont des documents précieux pour l'histoire de l'Église
du quatrième siècle. Il mourut, après un pontificat de qua-
torze années, le 26 novembre, suivant les uns, et suivant
les autres en février 398. Saint Anastase 1" fut son succes-
seur. ViENNET, de l'Académie Française.
SYRIE, contrée faisant partie de la Turquie d'Asie. Elle
comprend le plateau, d'environ 1,500 myriam. carrés, qui
s'étend, avec une largeur de 15 à 20 myriam. et une lon-
gueur d'environ 70, sur toute la rive orientale de la Médi-
terranée du nord au sud, entre le 31" elle 37° de latitude
septentrionale; et elle est bornée au nord par l'Asie Mi-
neure , à l'est par le désert de Syrie , au sud par l'Arabie
pétrée et à l'ouest par la JMédilerranée. Tout ce pays est tra-
versé, dans la direction du nord au sud, par une montagne
qui se rattache au nord aux versants sud du Tau ru s, au
sud au mont Sinai et à la grande chaîne de l'Arabie oc-
cidentale, et dont le Liban forme au centre le point le
plus élevé. Quoique la Syrie appartienne aux contrées de la
zone pluviale asiatique, elle n'en a pas moins, en général,
un climat sec, lelalivement très-chaud dans les parties basses,-
continental et très-semblable à celui de l'Arabie. Là seule-
ment où un riche système d'irrigation se joint à une situation
plus élevée età une atmosphère plus maritime, comme dans
les contrées en terrasses du Liban, la végétation montre
une grande richesse. Elle porte d'ailleurs un caractère tro-
pical. Aussi, dans les vallées bien arrosées et dans les ré-
gions de côtes aperçoit-on des forêts d'arbres toujours verts,
et d'arbres à feuilles caduques, ainsi que des prairies et des
pâturages; et parmi les plantes cultivées le froment, le
maïs et le riz figurent en première ligne, tandis que lès
plantes alimentaires propres aux tropiques y sont très-
rares. La culture de la vigne , du coton et du mûrier y a
lieu aussi sur une très-large échelle, et à côté de fruits mé-
ridionaux, de l'olivier et du figuier, croissent des espèces
plus déhcales d'arbres fruitiers, qui vraisemblablement y
auront été introduites de l'Occident. La faune de la Syrie
ressemble à celle de l'Arabie, comme son climat et sa vé-
gétation. Le chameau y a presque la même importance qu'en
Arabie, et les parties désertes du pays sont également ha-
bitées par la gazelle, l'hyène, le chacal et autres animaux
carnassiers; il n'y manque pas non plus de lions, de pan-
thères, d'ours ni de buffles sauvages. Le règne minéral y
a été encore fort peu étudié. Le nombre des habitants de
la Syrie est évalué à 1,500,000. Ils se composent de di-
verses tribus aborigènes, qui à la suite des temps se sont
séparées en général pour des motifs religieux, ou bien venues
par immigration, mais qui pour la plupart appartiennent à
la famille des peuples sémitiques. La majorité de la popu-
lation, 565,000 âmes, se compose de mahométans géné-
ralement d'origine arabe , y compris les bédouins qui er-
rent dans l'intérieur du pays et sur ses frontières. De ce
nombre font encore partie quelques Turcs, maîtres du pays ,
ainsi que diverses tribus de Turcomans et de Kourdes er-
rant au nord. Les chrétiens sont presque aussi nombreux
qu'eux. Ce sont les chrétiens d'Anlioclie ou Grecs ortho-
doxes, au nombre d'environ 240,000 , et répandus dans
tout le pays ;les Maronites, au nombre d'environ 200,000 ;
et le reste, des communes catholiques romaines, au nombre
SYRIE — SYRO-MACEDONIENS
431
d'emiion 00,000 âmes. Ils parlent tous arabe, langue i
qu'on peut d'ailleurs considérer comme la langue du pays,
car la langue syriaque, qui n'est plus parlée que par les
nestoriens du Kourdistan , est complètement morte en Syrie.
Il existe aussi en Syrie beaucoup de juifs , pour la plu|iart
émigrés des contrées de l'Europe , notamment en Palestine,
où ils constituent encore de grandes communes particulières
et se livrantà l'agriculture ; de même que diverses autres peu-
plades professant des religions ayant plus ou moins d'analogie j
avec l'islamisme, par exemple les D ruses , au nombre d'en-
viron 100,000, les Motaawwilli , en Célé-Syrie, qu nombre [
d'environ 20,000 , les Ansarieli , au nord de la Syrie , ^
25,000 , et qui toutes ont aussi adopté l'arabe pour langue.
Enfin, on trouve établis dans les villes, comme con)mer- !
çants, des Grecs et des Francs , ainsi que des moines euro-
péens dans les couvents catholiques. L'état moral , intellec-
tuel , industriel et politique de ces diverses populations se
rattache essentiellement à celui de l'Empire Ottoman.
Au point de vue politique, la Syrie, sous le nom ue Soris-
tân, ou de Scfiani, constitue une province de l'Empire Ot-
toman, comprenant les eyalets d'Haleb ou Alep, de Damas,
de Jérusalem (autrefois Saint-Jean-d'Acre ) et de Tripoli
ouTarablus, et dont les villes les plus importantes sont
Alep, Damas, Acre{ Saint-Jean d'), Jérusalem et
Beirout.
Les habitants aborigènes de la Syrie appartenaient tous
à la famille des peuples sémitiques, et se divisaient en plu-
sieurs tribus, dont la plus considérable était celle des Ara-
mé(ins{vo>jez Aram). Déjà en 2,000 av. J.-C, lorsque Abra-
ham errait au milieu d'eux , ces derniers étaient un peuple
habitant des villes. Mais au lieu de former un Élat compacte,
leur territoire était divisé entre plusieurs villes, chacuneavec
un territoire propre et obéissant à un chef ou roi. Il est
question parmi eux dès la plus haute antiquité de l'existence
de Damas , d'Hems ou Émèse , de Zoba , etc.; à quoi il faut
ajouter l'antique et importante ville commerciale de Tadmor
ou P a 1 m y r e , B a a 1 b e k ou Héliopolis , avec son célèbre
temple du Soleil, etAntioche, ville de fondation plus
moderne. Les Phéniciens ( i;oj/cs Phénicie) et les Juifs arri-
vèrent à avoir bien plus d'importance que les Syriens pro-
prement dits ; et ces peuples possèdent une histoire particu-
lière, allant jusqu'à l'époque d'Alexandre le Grand et à celle
des Romains. Les Syriens proprement dits furent souvent
subjugués par des conquérants étrangers , notamment par
David , qui fit de leur pays une province de son royaume.
Mais après le règne de Salomon ils secouèrent le joug , un
ancien esclave appelé Réson s'étant à ce moment rendu maî-
tre de Damas. Il s'établit alors un royaume particulier de
Damas, qui comprit en même temps la plus grande partie delà
Syrie , tous les rois des autres villes de Syrie étant devenus
tributaires de ceux de Damas, qui s'agrandirent surtout aux
dépens des royau mes de Juda et d'Israël , après leur séparation ,
Après avoir éprouvé des destinées diverses, le pays finit par
être réduit par Tiglatpilesar en province assyrienne, et par-
tagea alors tous les changements de souveraineté qui s'opé-
rèrent successivement dans cette partie de l'Asie. C'est ainsi
(ju'il fut tour à tour une province de la Babylonie, de la Mé-
die, de la Perse, de la Macédoine, jusqu'au moment où les
Sélencides fondèrent un empire particulier en Syrie.
Après la chute de cet empire, la Syrie passa sous la domi-
nation de Rome, puis de nouveau sous celle des Perses,
gouvernés par les Sassani des , à qui les khalifes arabes
l'enlevèrent encore lorsque le mahométisme se répandit
dans toute l'Asie orientale. Les souverainetés chrétiennes
fondées pendant quelque temps en Syrie par les croisés ne
forment qu'une courte interruption dans la domination
mabométanc , qui depuis cette époque a continué de
subsister. Les Turcs Osmanlis en lirent la conquête au sei-
zième siècle, et depuis cette époque elle n'a pas cessé de
constituer une partie intégrante de l'Empire Ottoman, sauf
la courte durée de la souveraineté du vice-roi d'Egypte, Mé-
hemét-Ali. Cette souveraineté ayant été détruite ea 1840, la
Syrie retomba sous les lois de la Porte. Par suite de ces in-
cessants changements de maîtres , et des guerres dévasta
trices dont le pays a été presque constamment le théâtre,
comme aussi en raison de la barbarie des souverains aux-
quels il lui a fallu obéir depuis ta naissance de l'islamisme ,
il est complètement déchu de la prospérité qui y régnait
autrefois. Habitée dans l'antiquité par d'industrieuses po-
pulations , couverte de vil.es (lorissantes ,1a Syrie était alors
une contrée parfaitement cultivée et fertile ; aujourd'hui
elle n'offre plus qu'une faible population , partout des habi-
tations en ruines , des déserts arides et inféconds , où le ter-
ritoire des Druses et des Maronites fait seul exception.
Avec le rétablissement de la domination turque sont reve-
nues l'insécurité et la barbarie qui en sont partout le cortège.
SYRIE (Baume de). Voyez Gilé\d (Baume de).
SYRIE (Chrétiens de). On pourrait appeler ainsi les
différents chrétiens de l'Orient qui lisent la Bible dans une
traduction syriaque, et qui conservent dans leur liturgie la
langue syriaque. Mais il est d'usage de désigner certaines di-
visions particulières de l'Église de Syrie par des dénomina-
tions particulières, telles que les 7nar o ni tes àans le Li-
ban , les jacobit es en Mésopotamie, \es chrôtiens de
saint Thomas dans l'Inde, et de réserver le nom de c//re-
tiens de Syrie surtout pour les nestoriens qui babilent
les montagnes du Kourdistan, les rives du lac Urmia et
jusqu'à Mossoul ; car c'est le nom qu'ils i)rennent eux-mêmes
{Nessrâni Surjàni). Les écrivains catholiques romains les
appelaient ordinairement depuis longtemps Chaldcens ,
chrétiens de Chaldée : et c'est le nom que portent en gé-
néral aujourd'hui les nestoriens unis à l'Église romaine, ainsi
que les jacobites unis , en Mésopotamie. Ces Syriens ca-
tholiques-romains relèvent, depuis Innocent XI, d'un pa-
triarche particulier des Chaldcens, qui porte toujours le
nom de Mar-Joseph, et qui réside à Diarbekr (Amid) ;
tandis que le patriarche des nestoriens, aujourd'hui Mar-
Schiméon, réside à Kotschannès, près Djoulamerk , sur le
territoire de la tribu koiirde des Kakkàri {voyez Nksto-
RIENS).
SY'RÏNGA. Voye^ Jasminées et Lilas.
SYRJ/EiXES. Voyez Finnois.
SYRMIE. Ainsi s'appelait autrefois, du nom de l'an-
tique ville de Sirmiiim, aujourd'hui en ruines , un duché
particulier de l'Esclavonie, qui , après être resté longtemps
sous lasouveraineté des Turcs, fut enlevé à la Porte en 1G88 ,
et concédé alors k la maison Odescalcbi , puis , plus tard ,
à la maison Albani par l'empereur, qui en avait fait l'acqui-
sition. Il comprenait la partie orientale de la presqu'île de
Syrmie, baignée par la Drave, la Save et le Danube, ou ce
qu'on appela ensuite le comitat de Syrmie, et l'arrondi.sse-
ment du régiment de frontières de Péterwaradin , avec son
chef-lieu Semlin. Cette contrée est une des plus belles
et des plus riches de la monarchie autrichienne. La
chaîne de montagnes appelée Fruschka-Gora la traverse
de l'ouest à l'est en envoyant à droite et à gauche des em-
branchements qui forment les plus magnifiques paysages.
Elle appartient presque tout entière à de nombreux cou-
vents de kalougiens, moines grecs, et produit annuellement
environ 2,000,000 d'hectolitres du vin le plus exquis. C'est
l'empereur Probus qui y introduisit la culture de la vigne. Il
n'y a pas de pays au monde où l'on récolte une aussi grande
quantité de prunes , fruit qui sert de base à la préparation
d'une boisson particulière appelée sllbowitza.
Ce qu'on nomma plus tard dans le royaume d'Esclavonie
comitat de Syrmie ne comprenait que la partie septentrio-
nale de l'ancien duché. Sur une superficie de 30 myriam.
carrés, il comptait une population de 137,800 habitants, en
grande partie d'origine slave et serbe, et dont près des deux
tiers professent la religion russo-grecque. Le chef-lieu était
Vukovar sur la Vuka. Ce comitat fut dissous en 1849, et
incorporé partie dans la nouvelle voïvodie de Serbie organisée
alors, et partie dans le comitat d'essek.
SYRO-MACÉDONIENS (Ère des). Voyez Ère.
482
SYROS. Voyez Syra.
SYRTE. On appelle ainsi deux golfes de la Méditerranée
situés sur la côte d'Afrique, et distingués par les noms de
grande et de petite Syrte. Celle-ci , dite aussi golfe de
habès, est située au sud de la baie de Tunis , entre Tripoli
et Tunis. L'autre , appelée aussi gol/e de Sydra , se trouve
au sud-est de la précédente , entre le territoire de Tripoli
et le plateau de Barca. Les bas-fonds et les bancs de sable
dont les deux Syrtes sont parsemées en rendent la navi-
gation très-périlleuse; et à cet égard elles étaient déjà fa-
meuses dans l'antiquité.
SYKVIQVE (Géographie ancienne), contrée de l'Afri-
que orientale située entre la Byzacène et la Libye extérieure.
On l'appelait aussi Thpolitaine.
SYRUS (EpiiiiAEM ). Voyez Ephkem (SaintJ.
SYRUS (PuBULs). Voyez Publils Sïrus.
SYSTEME, SYSTÉMATIQUE (du grec CT0<7Tn(ia, as-
semblage). Le premier de ces mots désigne un assemblage
de parties dont chacune peut exister isolément, mais qui
dépendent les unes des antres suivant des lois ou des règles
fixes; ainsi, une machine composée est un système de
machines simples (leviers, poulies, etc.), dont l'action
mutuelle et la coopération à l'effet total sont déterminées
par la place, les proportions ei le mode d'assemblage des
parties. Notre système planétaire est composé de tous les
corps dont la révolution s'accomplit autour de notre Soleil ;
et, quel que soit le nombre des systèmes analogues dans
les espaces célestes , comme tous sont régis par des lois
communes, leur ensemble compose le système de l'univers,
(voyez Monde [ Systèmes du ]). Dans l'ordre politique, les sys-
tèmes de gouvernement, d'impôts, de législation, etc., dé-
cident du bopbeurdes peuples et de la prospérité des États ;
un bon système d'éducation n'a pas moins d'influence sur
les progrès de la morale publique et privée. Un accusé élablit
son système de défense, et compte surtout sur la liaison,
la connexion des témoignages et des raisonnements.
On gratifie aussi du nom de systèmes des ensemj)les
d'hypothèses coordonnées pour tenir lieu de savoir, et par-
venir à expliquer ce qu'on ignore. Quelques sciences ne sont
pas encore débarrassées de ces vains simulacres introduits
par l'imagination. En finance, les faux systèmes ont. i]es
inconvénients, des conséquences plus graves que dans les
sciences; la France se ressentit longtemps des suiles du
fameux système de l'Écossais La w, renouvelé à la fin du
dix-huitième siècle sous le nom (['assignats.
En histoire naturelle, on nomme systèmes des méthodes
de classification tout artificielles, môme lorsqu'elles sem-
blent naturelles : on accordera certainement la préférence
à celles dont l'application est faite le plus aisément , et qui
servent le mieux l'intelligence et la mémoire; en recon-
naissant les services qu'elles auront rendus , on sera peu
disposé à s'occuper de leur origine.
Assez souvent, des esprits à vue courte, et qui se mé-
prennent sur l'étendue de leur portée, imaginent qu'ils ont
saisi l'ensemble d'objets dont ils n'ont pas même entrevu
la totalité ; ils établissent avec la même pénétration , et non
moins de confiance, des rapports entre ces objets; et, gé-
néralisant ces prétendues connaissances, ils en découvrent
les principes ; ils ont des règles dont ils ne s'écartent point ;
■voilà les esprits systématiques : cette épithète est presque
toujours prise en mauvaise part , quoique l'adverbe «yi^t*-
»wa<i7Hemen< ne partage point cette défaveur. On se rend
aisément compte de cette diflérence, en observant que l'ad-
Terl)e spécifie la manière de procéder suivant un système,
et que l'adjectif exprime la disposition d'esprit qui porte à
former un système sans avoir recueilli toutes les notions sur
lesquelles il est fondé.
On voit que le mot système est employé partout dans le
sens de la définition que l'on en' donne ici. On le trouve
aussi dans le dictionnaire de quelques sciences , et même
en technologie, et toujours avec la même acception. On a
tout ce qu'il faut pour comprendre et justifier, en anatomie,
SYROS — SZECHENYI
les expressions de système nerveux, vetneux, cmane, elc.
Dans la fortification , le système de Vauban a reçu de nom-
breuses modifications ; on ne s'accorde pas encore sur le
meilleur système de voies publiques, etc.; aucune de ces
locutions n'a besoin d'être expliquée. Ferby.
SYSTÈME (Le), l'un des nombreux tropes auxquels
recoururent les partis pour désigner personnellement Louis-
Philippe, quand les lois de septembre, rendues à la suite de
l'attentat Fiescbi, interdirent de faire intervenir le nom du
roi dans les discussions de la presse.
SYSTÈME BASTIONNÉ. Voyez Bastion.
SYSTEME C0MT1I\E!\TAL. Voyez Continental
(Système).
SYSTÈME DE MONTAGNES. Voyez Montagnes.
SYSTÈME GANGLIONAIRE. Voyez Ganglions.
SYSTÈME NERVEUX. Foj/ei Nerfs.
SYSTÈME MÉTRIQUE. Voyez Mètre.
SYSTÈMES ASTRONOMIQUES, SYSTÈMES DU
MONDE. Voyez Monde ( Systèmes du).
SYSTOLE. Voyez Circulation, tome V, p. 636, et
Diastole.
SYZYGIE ( du grec ctOv, avec, et îeuyvOw, je Joins),
terme dont on se sert en astronomie pour indiquer la con-
jonction et l'opposition d'une planète avec le Soleil ( voyez
Lune).
SZANNA. Voyez Sana.
SZATHMAR, comitat du distirict de Gross-Wardein
(Hongrie), qui sur une superficie de 75 myriara. carrés
compte 23S,000 habitants. Montagneux à l'est et au sud,
plat partout ailleurs, il est arrosé par la Theiss et son af-
fluent le Szamos Le sol, généralement de nature sablonneuse,
produitdu froment, du mais, d'excellent vin, du tabac, beau-
coup de fruits; on y trouve du sel, de l'or, de l'argent, du
cuivre, du plomb et des eaux minérales. Divisé en sept ar-
rondissements , ce comitat a pour chef-lieu Szathmar-
Nemethy , ville de 10,552 habitants, siège d'évêché, avec
plusieurs établissements d'instruction publique.
SZECHENYI (ETIENNE, comte de), célèbre patriote
hongrois, né à Vienne, en 1792, descend d'une très-ancienne
famille, qui a produit un grand nombre d'hommes distingués.
Dans sa jeunesse il prit part aux campagnes contre la
France, et en 1825 il renonça à la carrière militaire afin de
pouvoir s'occuper exclusivement des intérêts intellectuels
et matériels de son pays. C'est ainsi qu'il fut l'un des fon-
dateurs de l'Académie hongroise, qui contribua tant au
réveil du sentiment de la nationalité en Hongrie, et à la-
quelle il fit don d'un capital de 60,000 florins, ainsi que de
la Société pour l'amélioration de la race chevaline en Hon-
grie. En 18.32 il s'employa activement à la création d'un
théâtre national hongrois et d'un conservatoire de musique;
et en même temps il s'efforçait d'organiser une société
pour la conslruction d'un pont permanent sur le Danube,
entre Pestb et Olén ; but dans lequel il entreprit un voyage
en Angleterre , à l'effet de s'y mettre en rapport avec les
constructeurs les plus distingués. L'ouvrage qu'il fit paraître
vers ce temps-là, Hitel (du Crédit), puis celui qu'il publia
sous le titre de Vilag ( Lumière , ou rectification de quelques
erreurs et préjugés) , en réponse aux attaques dont le pre-
n>ier avait été l'objet de la part de Dessewffy dans son Ta-
glalat , donnèrent la première impulsion au mouvement de
réforme politique et nationale qui se manisfesta dès lors en
Hongrie avec une énergie toujours croissante, et lui valurent
delà part de ses amis comme de ses enneniis le surnom de
Père de la réforme. Il entreprit ensuite un second voyage
en Angleterre, comme commissaire royal, dans les intérêts
de la direction supérieure des travaux hydrauliques entrepris
à la Porte de Fer; et le 11 novembre 1834, le canal qui
faisait disparaître le grand obstacle aux communications
régulières de l'Allemagne avec la mer Noire était franchi
par un chaland. Il fut en outre l'un des plus actifs promo-
teurs de l'établissement d'un service de bateaux à vapeur
sur le Danube ; et son nom figure encore parmi ceux qui
SZECHENYI — SZISTOWA
433
s'occupèrent de régulariser le cours de la Tlieiss, d'orga-
niser une société pour fonder des fabriques , qui créèrent
les moulins à vapeur de Pestii et un grand nombre d'autres
entreprises utiles et vraiment nationales. Jusqu'à la révolu-
tion de 1848 il était demeuré sur le terrain des réformes
pratiques et du progrès matériel ; à cette é|)oque il fut nommé
ministre des voies decommunicnlionet des travaux publics.
Mais sur le terrain de la politique il se trouvait depuis
longtemps débordé par son propre parti, qui prenait une
direction de plus en plus démocratique, tandis que selon
lui la régénération de la Hongrie ne|)ouvait être quei'reuvre
de l'aristocratie. Dès 1840 une scission profonde avait éclaté
entre lui et les liommes du mouvement, quand la direction
du parti libéral était passéeaux mains de Kossutli , qu'il
combattit alors avec autant d'opiniâtreté que peu de succès
dans diverses brocbures, dans les journaux , et dans l'as-
semblée du comitat de Peslii. Quand la ville de l'estb dé-
puta Kossulli à la diète pour la session de 1847-1848,
Szeclienji, quoique ayant le droit, comme magnat, de siéger à
la Table haute, se lit élire à W'ieselbourg député à la Table
ia.s.^c,aliu de pouvoir y combattre directement Kossutb ;
mais son éloquent adversaire, favorisé par le courant de
l'opinion publique ,rernporla tout à (ait sur lui. Dans la di-
rection révolutionnaire que prit en 1848 le mouvement na-
tional bongrois , S/.ecbenyi prévit la ruine de son pays; et
quand, au mois d'octobre , la rupture fut conqilète entre
l'Autricbe et la Hongrie, la profomle douleur qu'il éprouva
ci\ prévoyant les malheurs de tous genres qui allaient
(ondresur sa pairie lui bri.sa le creur. Bientôt atteint d'une
incurable aliénation mentale, il (allut l'enfermer dans l'asile
des aliénés à Dœbling.
SZEGEDII\, ville libre royale et place forte, chef-lieu
du comitat de Csongrad ( Hongrie ) , à l'emboucbure de la
Marosdans la Tlieiss, relié à Peslb depuis I8ô4 parlecliemin
de fer central de Hongrie, siège d'une direction des finances
et d'un tribunal d'arrondissement, se divise en ville propre-
nienlditeou Pa^«HA:a, en forteresse, enliautet bas faubourg
et marché aux grains. Sa population (1851) e.st de 50,244 ha-
bitants. Les principaux édifices sont l'église grecque non-unie
et l'église des Franciscains, l'hôtel du comitat, l'hôtel de
ville et le magasin à sel. On y trouve divers établissements
d'inslruclion publiipie, un théiilre hongrois, une grande ca-
serne, un hôpital, et une station de bateaux à vapeur, di-
verses fabriques, notamment des fabriques de soude et de
savon, et des fabriques de drap. Il s'y fait un important
commerce en bois provenant de la Transylvanie et en
grains du Banat. La plus grande partie du coton récolté en
"Turquie prend aussi cette voie pour gagner Pesth et Vienne.
SZEKLERS, en hongrois Szekelyek, nom d'une tribu
hongroise qui habite à l'est et au nord-est de la Transyl-
vanie, sans qu'on puisse préciser avec certitude l'époque où
elle vint s'y établir. Ce qu'il y a de plus probable, c'est
qu'égarée par hasard de ce côté, lors de la première inva-
sion des Huns , elle y demeura, tandis que la grande masse
des Huns regagnait l'Asie, et ne revenait en Pannonie, sous
le nom de y/o^i^roii , qu'au commencement du neuvième
siècle. La parité de langue, de conformation physique et
de caractère, mettent hors de doute l'affinité de race des
Szekiers et des Magyares. Refoulés tout à l'extrémité de la
Transylvanie, les Szekiers ont conservé le type magyare
plus purque les Hongrois. A l'intérieur , ils avaient également
su mieux conserver leurs libertés- et jusqu'à la révolution
de 1848 ils passaienttons pour nobles, jouissaient des droits
de chasse et de pacage, n'étaient astreints à aucune corvée
et ne relevaient que de leurs propres juges. Habitants des
frontières , ils étaient constamment exposés aux irruptions
de l'ennemi, de sorte que leur pays avait été, en raison de
sa position géographique, un cliamp de bataille perpétuel.
Tout service régulier répugnait à leur caractère et à leurs
habitudes; et ce n'est qu'après avoir comprimé une san-
glante révolte des Szekiers que Marie-Thérèse put les con-
traindre à former régulièrement un régiment de hussards et
deux régiments d'infanterie. Dans les luttes de 1848 et 1849,
c'est surtout à la bravoure des Szekiers que Bem fut rede-
vable de ses succès en Transylvanie. A la suite de la reorga-
nisation de la Hongrie et de la Transylvanie après la révo-
lution , les Szekiers ont perdu leurs privilèges et leur
conslilution séparée , et ils ont été assimilés au reste <le la
population.
Le pays des Szekiers était l'un des trois territoires entre
lesquels la Transylvanie était partagée, d'après la nationalité
de leurs habitants. Il comprenait , sur une superficie de 150
myriam. carrés, les cinq sièges iVUvardhely, Haromszek>
Esik, Maros et Aranyos, et appartenait à la plus fertile ef
plus riche partie de la Transylvanie. La population, forte de
050,000 âmes, professe presque tout entière la religion ca-
tholique. L'ordonnance impériale du i'I mai 1851, qui a
réorganisé la Transylvanie en cinq cercles et trente-six capi-
taineries , a supprimé les délimitation!) et jusqu'à la déno-
mination du pays des Szekiers.
SZEMEiiE ( Bartuklemy) , homme d'État et écrivain
hongrois, m; en 1812, à Yalta, dans le comitat de Barsôd,
avait rempli diverses fonctions judiciaires dans son comitat,
lorsqu'il y fut élu député a la diète de 1843-1844, puis à
celle de 1847-1848. Comme fonctionnaire public et comme
député, il était l'un des membres les plus actifs du parti
du progrès ; et la diète qui l'avait choisi pour son secrétaire
lui confia à diverses reprises la rédaction de projets de loi
importants. Appelé, au mois de mars 1848, à prendre le por-
tefeuille de l'intérieur dans le ministère Batthyany i, ils'y
déclara avec Kossuth en faveur du mouvement révolution-
naire le plus décidé. Ce mini.stère s'étant retiré au mois de
septembre, il prit avec Kossuth la direction provisoire
des affaires du pays , et entra dans le comité de délense na-
tionale. Quand, au mois de décembre, le général autrichien
Schlik envahit la haute Hongrie , Szemere y fut envoyé en
qualité de commissaire ; et pendant cinq mois il y déploya
la plus énergique activité. En outre, il y organisa un corps
de guérillas. Après la déclaration de l'indépendance de la
Hongrie ( 14 avril 1849), il accepta la présidence du nou-
veau cabinet, qui était essentiellement démocratique et ré-
publicain. Mécontent des hé,sitations de Kossuth, il s'opposa
à ce qu'on déférât la dictature à Gœrgei, et encouragea
Bem à continuer la lutte; ce qui n'empêcha pas les insurgés
de mettre bas les armes. Szemere se réfugia alors à Cons-
tantinople, d'où il se rendit à Paris. En 1851 il a fait pa-
raître un Parallèle de Batdiyanyi, de Gœrgei et de Kossuth
(Hambourg), tout à fait au désavantage de ce dernier. A la
diète il s'était montré orateur disert; et parmi les ouvrages
qu'il avait publiés de 1840 et 1848, on remarque celui qui
est intitulé A halàlbûntelésrœl (De la peine de mort [ Pesth,
1842]) et dans lequel il se prononce pour l'abolition de la
peine de mort.
SZISTOWA. Voyez Sistowa.
Bt«.T. DE LA COiSVEItS.
T. XTI.
18
T
T» vingtième lettre et seizième consonne de notre alplia-
bet. Suivant i'épellation ancienne, cette lettre se nommait
té; la nouvelle épeliatiou, plus convenable, lui a assigné le
nom (le te. La consonne t représente une arliculation lin-
guale, dentale et (orte, dont la faible est de; mais elle a
avec le d une affinité si inlime , qu'elle la remplace fréquem-
ment dans les ouvrages de quelques anciens. Le t est le
même dans tontes les langues, excepté dans lliébreu, qui le
prononce th, comme les Grecs prononçaient leur neuvième
lettre. La grande affinité qui existe entre le i et le d ex-
plique la manière dont nous prononçons le dOnal, quand
le mot qui le suit commence par une voyelle ou par un
h non aspiré. Alors le d se change en t, et l'on prononce
grant exemple, grant homme, tandis qu'on étrit grand
exemple, grand homme. 11 y a un grand nombre de
mots dans lesquels la lettre t perd le son qui lui est propre
et naturel pour prendre celui du c ou de deux ss , comme
dans coaklion, démocratie, initié, etc., qui se pronon-
cent comme si l'on écrivait coalition, démocr acte, inicié.
Ces changements de prononciation n'ont jamais lieu que
lorsque la lettre l est suivie de la voyelle i. Mais il faut re-
marquer toutefois que ce ne sont que des exceptions. Car,
dans une foule d'autres mots, le t suivi d'un i conserve
son articulation naturelle, comme dans entier, matière,
partie, etc. Il résulte de cette différence de sons produits
par la même lettre de grands embarras jiour les étrangers
jaloux de prononcer la langue française correctement. L'u-
sage est à cet égard la règle souveraine.
Autrefois le défait une lettre numérale, qui valait 160, et
surmonté d'une ligne horizontale il signifiait 160,000. Les
pièces de monnaie marquées d'un T sont celles qui ont été
frappées à Nantes. Champagnac.
TABAC. On donne vulgairement ce nom à un genre de
plante herbacée que les botanistes ont appelée nicodane et
qu'ils ont rangée dans la famille des solanées , la pentandrie-
monogynie du système sexuel : il est aussi appliqué à toutes
les différentes préparations que l'on fait subir aux feuilles de
l'espèce cultivée, la ^jico^iana tabacum. Lorsque Colomb
aborda pour la première fois à l'ile de Cuba, il chargea
deux hommes de son équipage d'explorer le pays. « Ces
envoyés, dit l'amiral dans .sa relation, rencontrèrent en
chemin beaucoup d'Indiens, hommes et femmes, avec un
petit tison allumé, composé d'une sorte d'herbe dont ils
aspiraient le parfum selon leur coutume. «L'évéque Barthé-
lémy de Las Casas, contemporain de Colomb, rapporte ce
fait d'une manière encore plus circonstanciée dans son His-
toire générale des /ncfes.Telleest l'origine des cigares et du
nom que les Européens appliquèrent ensuite collectivement
à tous les genres de préparation des feuilles de la nicotiane.
Dans l'île de Cuba, la dénomination de tabaco a prévalu
jusqu'à nos jours; celte expression pour les habitants de
La Havane est synonyme de cigare : ils disent comumné-
ment chupar un tabaco, fumer un tabac. Quoi qu'en di-
sent plusieurs dictionnaires, le mot tabac ou tabaco pa-
raîtrait donc appartenir à un des dialectes américains, et
avoir été employé généralement dans les Antilles habitées
OU fréquentées par les Caraïbes. La plante aui produit le
434
tabac croît spontanément sur la plus grande étendue du
nouveau continent et des îles adjacentes. Au Brésil, le latac
avait reçu le nom de petiin; et, d'après les historiens
portugais, la fumée des feuilles de petun , aspirée à forte.s
doses, servait à enivrer les augures. Les Indiens de l'Oré-
noque et les peaux- rouges de l'Amérique du nord ter-
minaient leurs querelles en présentant à leurs ennemis le
calumet de paix ; et de nos jours , par une coutume analo-
gue, nous voyons les Orientaux présenter la pipe à leurs
amis.
Quant à l'époque de l'introduction du tabac en Europe,
on est à peu près d'accord sur ce point , et selon toutes les
apparences elle ne date guère que du milieu du seizième
siècle. Jean Nicot, ambassadeur du roi de France Fran-
çois II auprès de Sébastien, rui de Portugal (de l5G0à
1568), ayant reçu d'un marchand flamand, revenu d'Amé-
rique, l'herbe qui produit le tabac, apprit de lui son usage,
et la présenta au grand -prieur à son arrivée à Lisbonne,
puis, à son retour en France, à la reine Catherine de Mé-
dicis , mère du roi. Ces circonstances mirent la plante en
grand renom : on l'appela indistinctement nico^ione, du
nom de l'ambassadeur, herbe dti grand-prieur, et herbe de
la reine. Introduite en Italie par le cardinal de Sainte-
Croix, nonce en Portugal, et Nicolas Tornabon, légat en
France, elle reçutaussiles noms d'herbe de Sain te- Croix et
de tornabonne ; ses vertus vraies ou supposées lui valurent
ensuite les dénominations de buglosse ou panacée antarc-
tique, herbe sainte oa saci'ée, herbe à tous les maux,jus-
quiame du Pérou, etc., etc. D'après Thevet, il paraît que
celte plante était déjà connue en Angleterre avant son intro-
duction en France par Nicot : le fameux amiral Drake en
avait doté son pays à son retour de la Virginie.
Qui eût dit dès le principe qu'une chétive plante, en
usage seulement parmi les sauvages de l'Amérique, vien-
drait changer tout à coup nos habitudes et créer un besoin
de première nécessité.^ Qui eût prévu alors que cette inno-
vation dans nos coutumes serait la source d'un des plus
grands revenus du lise? Notre gouvernement ne perçut d'a-
bord qu'un simple droit de consommation; mais ensuite il
s'empara paternellement d'un commerce devenu des plus
lucratifs, et ne permit la vente qu'en vertu de licences.
Le premier bail du tabac est du mois de novembre 1674 ;
il fut affermé, avec un droit sur l'étain, pour six ans, à un
sieur Jean Breton, les deux premières années, 500,000 fr., et
les quatre dernières, 200,000 fr. de plus. En 1720 la ferme du
tabac fut cédée à la Compagnie des Indes pour 1,500,000 fr.
En 1771 elle était de 27 millions, et en 1789 de 32 inillions-
De i789 à l'an vu, la culture, la fabrication et la vente
du tabac furent libres; et de l'an vu à 1811 les droits de
douanes et de fabrication ne s'élevèrent pas en moyenne à
plus de 15 millions par an. Le monopole, rétabli en 1811 au
profit de l'État, donna au trésor dans les dernières années
de l'empire 20 millions ; en 1819 42 millions, avec une con-
sommation de 352 grammes par tête; en 1841 75 mil-
lions, avec une consommation de 480 grammes par tête;
enl856 12t millions, avec une consommation de 706 gramme-s
par.téte, etl'État bénéficie aujourd'hui ( 1858) de plus dece«^
TABAC —
cinquante millions de francs chaque année sur la vente de
ses tabacs. Depuis la création de la régie ( 1811) ju'^qu'en
1856, le bénéfice fait sur cet article par he trésor a élede deux
vidliards sept cenlqualre-vlngt-quatremiUions. Il ne faut
pas croire que l'usage du labac soit moins prolitabie au fisc
anglais. Pour le seul exercice de 1853 lesiiroilsdeconsoiiuua-
tiou perças sur le labac de l'autre côté du détroit avuient pro-
duit au trésor 4,485,747 liv. st. (113 millions 18,525 Ir.).
Le tabac, bleu avant d'acquérir l'uiiiversalilé qu'il a con-
quise de nos jours, eut ses panégyristes et ses détracteurs.
Amurat IV, empereur des Turcs , le tsar de Russie et le
cliàb de Perse en détendirent l'usage dans leurs États , sous
peine d'avoir le nez coupé; ce qui ferait croire que l'Iiabi-
tudede priser devança d'abord la manie pipière, car c'était
probablement par la partie coupable que ces princes bar-
bares voulaient châtier le vice. En 1C04, par une bulle
d'Urbain VIII, tous ceux qui prisaient dans l'église furent
excommuniés. Jacques 1'^'^, roi d'Angleterre , lit cause com-
mune avec les détracteurs du tabac, et écrivit sur l'usage
pernicieux de cette substance. En 1699 le tabac était de-
venu le texte de violentes disputes entre les médecins. Dès le
commencement du di!c-se|)tième siècle il avaitdéjà paru un
grand nombre d'écrits pour ou contre le tabac. La nomen-
clature des ouvrages qui traitent de cette matière est trop
longue pour que nous songions à la donner ici. En 1856 une
association s'est formée à Londres contre l'usage du tabac,
comme engendrant l'égoïsmeet l'insensibilité du cœur.
Il est peu de plantes qui se soientplus prodigieusementpro-
pagées que celle qui nous occupe : sa culture s'est répandue
dans presque toutes les parties du globe ; on a semé le tabac
jusqu'en Suède, où il a réussi. La nature, comme si elle
eût prévu d'avance le rôle que cette plante était appelée à
jouer, la dota d'abondantes ressources pour faciliter sa pro-
pagation. Linné a compté sur un seul pied de tabac 40,320
graines, et ces graines conservent leur vertu germinatrice
pendant plusieurs années. En Amérique, le Brésil, la Vir-
ginie, le Maryland, la Louisiane, certaines localités des
Antilles, telles que La Havane, Macouba, Tabago, Saint-
Vincent, sont autant de centres de culture pour différentes
qualités de tabac en laveur dans le commerce. Dans l'Inde,
les Philippines et Bornéo produisent du tabac renommé; en
Europe, on cite celui d'Espagne, de France, d'Italie, d'A-
meslort en Hollande, du Levant ou de Turquie, de Silésieet
de l'Ukraine. Depuis une cinquantaine d'années, la culture
du tabac a lait de grands progrès dans plusieurs de nos dé-
partements; mais la régie, qui en exploite les produits,
s'obstine à ne vouloir fabriquer que deux qualités : la pre-
mière, fort chère , qu'elle vend scellée ou plombée, et qu'il
faut acheter de confiance; la seconde, détestable, connue
vulgairement sons le nom de tabac de caporal, et qu'elle
débite aux masses à cinq sous l'once ! La régie exerce une vi-
gilance despotique sur tout ce qui peut attenter à ses dioits :
les Mexico et les Ferdinand VU, ces délicieux cigares ac-
crédités parmi les amateurs fasbionables, ne se montrent plus
que de loin en loin. L'inexorable régie nous a réduits aux
Havane et aux Porlo-Rico du Gros-Caillou. Les manu-
factures de la régie sont situées à Paris, à Bordeaux, à
Châteauroux , à Dieppe , au Havre, à Lille , à Lyon , à Mar-
seille, à Morlaix, à Nantes, à Tonneins et à Strasbourg.
Le labac a besoin d'un terrain frais , substantiel et bien
fumé pour produire de grandes et belles feuilles. On le sème
par couche dès le mois de mars , puis on repique les jeunes
plants à 66 centimètres ou un mètre de distance. Il
faut avoir soin d'empêcher la plante de fleurir, en coupant
l'extrémité des tiges avant le développement des panicides:
on obtient par là des feuilles plus longues et mieux nourries.
La récolte commence environ quarante jours après la trans-
plantation : on cueille d'abord les trois ou quatre feuilles
inférieures, qu'on range parmi celles de médiocre qualité, à
cause des taches dont elles sont empreintes, et que les cul-
tivateurs appellent rouille. Cette opération se renouvelle
tous les huit jours , en ayant soin de ne cueillir que les
TABAGO 435
feuilles bien naûres, c'est-à-dire celles qui commencent à
jaunir et à se pencher vers la terre. On continue de cette
manière jusqu'à l'époque des premières gelées, auxquelles
le tabac ne résisterait pas. C'est alors qu'on procède au
triage et à Vépoulardage, qu'on répète aussi |)iusieurs fois.
Le triage consiste à séparer les diverses qualités, l'époular-
dage à nettoyer les feuilles avariées, qui |K)ui raient commu-
niquer aux autres une mauvaise odeur; puis on tes enfile
pouren former des paquets de 50 ou de 100, que l'on suspend
dans des hangars bien aérés, afin d'opérer la dessiccation.
On api>elle rôle une certaine quantité de feuilles prépa-
rées, qu'on a fait préalablement crisper au feu , et qu'on
roule après à la mécanique les unes dans les autres, de
manière à en former une espèce de corde , qu'on coupe en-
suite en lames minces pour en tirer le tabac à fumer. Les
carottes sont des rôles plus courts qu'on presse fortement
dans des moules de fer, et qu'on réduit en poudre au moyen
de la râpe et du moulin. Les cigares consistent à rouler dans
un fragment de feuille nommé chemise une petite quantité
de débris ou tripes, qu'on lie en les tordant par un des bouts.
Ceux de la Havane , dits de la Vuelta de Abajo, sont les
mieux faits , et méritent à juste titre la célébrité qu'ils ont
acquise auprès des vrais amateurs. Ceux de Saint-Vincent
se distinguent par une odeur douce et suave : on les lie à
une des extrémités par un fil de soie; les femmes créoles des
Antilles se plaisent à savourer leur parfum. Les cigarettes
espagnoles se fabriquent avec du tabac haché , roulé dans un
papier sans colle ou dans une paille de maïs. Enfin , le tabac
bitord ou tordu, dit tabac à chiquer, se fait avec des
feuilles ferrnentées, imbibées de mélasse ou de suc de pru-
neaux, et qu'on tord encorde pour en former des pelottes.
La tige de la nicotiana tabacum s'élève à un mètre 33 ou
66 centimètres : ses feuilles sont grandes, sans découpures, et
un peu visqueuses; ses fleurs, en entonnoir, sont de couleur
rosée, et forment d'élégants rameaux {paniciiles) à l'ex-
trémité des tiges; ses graines sont renfermées dans une cap-
sule. La plante exhale une odeur foi te et vireuse; sa saveur
est acre, umère et nauséabonde ; annuelle dans nos climats,
elle est vivaceen Amérique, et peut persister de dix à douze
ans. On connaît une douzaine d'espèces de nicoianes, mais
on n'en cultive guère que trois : celli; dont il a déjà élé
question ( la nicotiana tabacum), la nicotïane rustique
et la paniculée, originaire du Pérou, où elle est employée
aux mêmes usages. S. BeuTnELor.
TABAC (Bureau de). C'est ainsi qu'on désigne les li-
cences concédées par le gouvernement pour la vente en dé-
tail des tabacs de la régie. Quoique l'État se nionln; aujour-
d'hui assez large en concessions de ce genre, parce (|ue c'est
un moyen fort simple de pousser à la consommation et d'ac-
croître les revenus du fisc, n'en obtient pourtant pas qui
veut. Sous le régime parlementaire, la distribution des 6m-
reaux de tabac jouait un aussi grand rôle, comme moyen
élccloi al, que la distribution des croix d'Honneur ; et le mi-
nistère en mettait toujours un certain luiinhre à la dispcsi-
lion des députés bien pc7isants, alin d'assurer leur réélection.
TABAC DES VOSGES. Voyez Arnica.
TABAGIE. Voije.z Estaminet.
TABAGO ou TOBAGO, l'une des petites Antilles,
dans les Indes occidentales, au sud-est de La Grenade et au
nord-est de La Trinité , appartient à l'Angleterre, et sur une
superficie d'à peu près 6 myriam. carrés compte environ
15,000 iiabitants, dont quelques centaines de blancs. Le
reste se compose de nègres et de mulâtres, qui aujourd'hui
sont complètement libres. Il n'y a |)as longtemps encore
qu'il existait aussi dans celte ile quelques derniers débris
de la race carai'ne primitive et rouge. Le soi de Tabago est
généralement plat, et répond de Ions points à celui de La Tri-
nité. Le climat en est d'ailleurs extrêmement malsain. Les
priiici[)ales productions consistent en coton , en sucre et en
rhum. Le chef-lieu est Scarborough , avec 3,000 habitants.
Découverte, en 1498, par Chistophe Colomb, et cutonisée,
à partir de 1632, par les Hollandais, cette île tomba eu-
28.
438 TAEAGO —
suite au pouroir des Espagnols, en 1654. L'année suivante
le duc de Courlande y établit une colonie allemande, qui
en expulsa les Espagnols, mais qui à son tour dot se sou-
mettre aux Hollandais. Unis aux indigènes , les Espagnols
détiuisireni encore une fois la colonie liollandaise. Possédée
ensuite tour à tour par les Anglais et par les Français, ceux-
ci dévastèrent complètement cette Ile en 1677. Us ne son-
gèrent à y former de nouveaux établissements qu'en 1748.
La paix de 1 763 en attribua la possession à l'Angleterre. Celle
de 1783 la restitua à la P'rance. Mais les Anglais s'en empa-
rèrent en 1798, et par les traités de paix de 1814 ils en sont
demeurés définitivement propriétaires.
TABARIX , coièbre farceur ambulant des premières
années du dix-snplième siècle, d'abord valet ou compagnon
de Mondor , fameux cliarlatan de la [tiace Dauphine, avec
lequel il parcourut ensuile la ville et la province, faisant
force boulTonneries, débitant force quolibets plus ou moins
grivois et spirituels pour engager le public a acheter les dro-
gues de son maliie. Ou a recueilli et imprimé à diverses re-
prises les plaisanteries, calembours, coqs-a-l'àne, etc., dont il
réjouissait la loule. Un de ces recmils est intitulé : Inventaire
universel des œuvres de Tabarin , contenant ses fan-
taisies, dialogues, paradoxes , farces, rencontres et
conceptions; ouvrage où, parmi les subtilités tabari-
niques , on voit l'éloquente doctrine de Mondor, en-
semble les rencontres, coqs-à-Cdne et gaillardises duba-
ronde Grutflurd ( 1622, 1 vol. in-l2).
TABASCO, l'un des plus petits États du Mexique, sur
la côte méridionale du golfe du Mexique, situé entre l'État
deLaVera-Cruz à I'ouhsI, l'État d'Oaxaca et l'État de Chia-
pas au sud, et le Yucatan à l'est. Il compte environ 100,000
habitants, sur une superficie de 342 myriam. cairés,eta pour
chef-lieu Villa Hermosa de Tabasco , appelée aussi Villa
de San-Juan Bautîsta , bâtie sur la rive droite et à 10
myriara. au-dessus de l'embouchure du Rio de Tabasco,
qui y forme un excellent po!t,très-(réquenté parles navires
des États-Unis, et qui constitue la voie naturelle de com-
munication avec Chiapas. Cette ville, siège des autorités de
l'État, compte 8,000 habitants. A peu de distance de l'em-
bouchure et de la baie du Rio de Tabasco on trouve le vil-
lage de San-Fernando, construit sur l'emplacement qu'occu-
pait la capitale de l'État indien à l'arrivée de Corlez, en
1619. Après s'en être rendu maître, il lui donna, en commé-
moration de sa première victoire, le nom de Victoria, ou
Nostra-Senora de la Victoria , qui plus tard fut changé
en celui de Tabasco , que portail le souverain régnant au
moment de l'arrivée des Espagnols. L'insalubrité de cet en-
droit détermina ensuite Corti z à l'abandonner.
TABATIÈRE, pcltt grenier tubacliique. C'est la dé-
finition de Molière, et elle eu vaut bien une autre. La
fabrication des tabatières de luxe constitue une industrie
assez importante, dont Paris est le grand centre pour la
France. Sarreguemines a en quelque sorte monopolisé la
fabrication des tabatières en papier mâché, et n'en livre pas
moins de 250,000 douzaines chaqire année à la consomma-
tion. La fabrication des tabatières en buis est concentrée
à Saint-Claude. On fabrique en Ecosse des tabatières en
bois, peintes et vernies, dont il se fait un immense débit.
La tabatière du prolétaire , de forme ovale et en simple
bois de bouleau, se fabrique aux environs de Strasbourg;
le débit en est immense. En Allemagne, la fabrication
des tabatières a pour centres principaux Berlin, Scbmœlln
(près Altenburg), Freiberget Dresde. Les tabatières en or,
en argent, en platine, en bois précieux, en bois pétrifié,
sont des objets de luxe qui ne conviennent pas à tous les
prisenrs; les tabatières diplomatiques sont des boites en
or, garnies de diamants et ornées du portrait du souverain au
nom du(|uel c-st offert ce petit souvenir d'amitié, dont la va-
leur intrinsèque, comme il est facile de le penser, dépend du
nondjre et de la grosseur des pierres précieuses. Il n'est pas
sans exemple, toutefois, que du vil strass ait été donné
\i<^iv lu plus pur produit des mines deGolconde; et les
TABLATURE
victimes de cette espièglerie, nous allions dire de cette es-
croquerie, n'ont garde de se plaindre : on leur rirait au nez.
TABAXm. Voijez Bambou.
TABELLIOiV, TABELLIONAGE. Les fonctions du
tabellion , dans le temps que ce mot indiquait une charge
juridique, eurent beaucoup d'analogie avec celles du no-
taire, et il n'est pas toujours très-facile d'en bien établir la
différence, d'en bien spécifier les attributions. Sous la féo-
dalité, tabellion ne se disait à la rigueur que d'un notaire
dans une seigneurie ou justice subalterne. Les seigneurs
châtelains et haut-justiciers avaient droit d'établir un tabel-
lion. Dans quelques provinces, les notaires royaux étaient
appelés tabellions royaux, pour les distinguer des tabel-
lions des seigneurs haut-justiciers ou subalternes. Les no-
taires, qui n'étaient d'abord qrre les clercs des tabellions,
furent érigés en titre d'office par édit de 1542, et Henri IV
réunit ces deux modes de fonctions , doi.t le nom de la pre-
mière prévalut, pour les désigner l'une et l'autre dans une
charge commune , celle de notaire.
Tabeltionage était la charge de tabellion , et se disait
également d'un droit seigneurial {droit de tabellionage),
qui consistait à pouvoir instituer des notaires. L'élude du
tabellion se nommait aussi tabeltionage.
TABERNACLE, Tabernaculum, c'est-à-dire lente.
C'est le mol dont la Yulgate se sert pour désigner une sorte
de gr'ande tente ou dclenrple portatif, dont les Hébreux se
servirent durant leur séjour dans le désert pour y faire
leurs actes de religion, offrir des sacrifices et adorer le Sei-
gneur. Le tabernacle se divisait en deux parties, dont la
première, a|)pelée le saint , contenait la table des pains de
proposition , le chandelier d'or à sept branches et l'au-
tel des parfums. L'arche d'alliance était renférmi'e dans
la seconde, nommée le saint des saints ou sanctuaire.
Ce qu'on nomme aujourd'hui tabernacle dans nos églises
est un petit édifice construit de marbre et de pierres pré-
cieuses , ou de métaux et de menuiserie , en forme de petit
temple, et qu'on place ordinairement sur l'autel dans les
églises ou chapelles catholiques. Ce tabernacle sert à ren-
fermer le saint -sacrement et les vases sacrés. Il y en a qui
sont isolés, d'arrtres sont assemblés avec le retable et le
contre-retable ; il y en a aussi en niche, etc.
Les méthodistes donnent à leurs temples le nom de
tabernacles , afin de rappeler ainsi l'arche d'alliance.
TABERNACLES (Fête des). C'étaitunedestroisgran-
desfètes des Juifs . Dieuleuren avait ordonné la célébration
en mémoire des quarante ans qtre leurs pères avaient passés
sous des lentes dans le désert; elle commençait le lâ du
mois de tisri, jour qiri répond au dernier de septembre,
après la récolte de tous les fruits. Pendant les sept jours
qu'elle durait, les Jirifs demeuraient sous des tentes ou sous
des berceaux de feuillage; et comme il leur était ordonné
d'être en joie, ils passaient ces .sept jours aveclerrrs familles
dans les festins de i-éjoui.ssance , où, suivant l'ordonnance de
la loi, ils admettaient les lévites, les étrangers , les veuves et
les orphelins.
TABES , mot latin employé quelquefois dans la méde-
cine pour consomption , marasme. De ce mot on a formé
les adjectifs tabide et tabifique, qui expriment, le premier
un état de maigreur excessive par suite de consomption,
de marasme ; et le second , ce qui produit cet état.
TABLATURE. Ce mot signifiait autrefois la totalité
des signes de la musique d'après lesquels un morceau pou-
vait être joué. Longtemps encore après l'invention des notes
en usage aujourd'hui, beaucoup de compositeurs allemands,
pour écrire des morceaux de musique à plusieurs parties ,
employaient la tablature, c'est-à-dire les mômes lettres et
les mêmes syllabes que les compositeurs allemands em-
ploient encore de nos jours pour désigner les tons. Ils
avaient soin de placer dessus certains signes de convention
indiquant dans qirelle octave le ton devait être pris , et fai-
sant connaître sa valeur. On appelait tablature allemande
cette manière d'écrire la musique avec des lettres , et ta»
TABLATURE — TABLEAUX VIVANTS
437
Mature italienne celle d'employer des notes. De nos jours,
quand il est question de tablature, il s'agit toujours de la
taolature allemande. Depuis qu'on a généralement préféré
les notes aux lettres, on en a seulement conservé quelques
expressions. Celui qui ambitionne le titre de musicien ins-
truit doit se familiariser avec la tablature, afin de pouvoir
à l'occasion traduire en notes ordinaires quelques mor-
ceaux d'anciens compositeurs écrits de cette manière.
Vulgairement, on dit d'une tâche diflicile à accom|)lir
qu'elle donne de la tablature, pour dire qu'elle offre de
grandes dillicultés.
TABLE (du latin ^QÔM^a), meuble dont les formes, non
moins variées que les usages, sont trop connues de cliacim
pour qu'il soit nécessaire d'en parler ici. Les Romains , avant
de pénétrer en Asie n'avaient, comme le dit Horace, que
des fables de frêne, d'érable ou de chêne. Mais a près leurs con-
quêtes dans cette partie du monde ils dépassèrent encore
les Grecs pour le luxe de leurs tables comme de leurs autres
meubles. Ils furent d'ailleurs longtemps sans connaître l'u-
sage des nappes, et chacun des invités apportait avec lui sa
serviette ( voyez Couvert, Lits ne Table , Repas ). La table
était un meuble très-respecté des anciens, qui le regar-
daient comme consacré aux dieux de l'hospitalité; et ils
eussent cru commettre un crime en le profanant.
En termes iV architecture, on appelle table une parlie
de mur unie, lisse, saillante ou renfoncée, ordinairement de
forme carrée ou rectangle; celle qui est surmontée d'iuie cor-
niche est dite table couronnée. La table saillante ou eu
sfl<///e excède le nu du mur dans lequel elle est pratiquée.
La table d'attente est celle qui a de la saillie hors du nu
d'un mur ou d'un lambris de menuiserie, soit pour y tail-
ler un bas-relief, soit pour y graver une inscription.
On appelle table d'autel une table de pierre, élevée sur
des piliers ou sur un massif de maçonnerie, ou bien une ta-
ble de menuiserie sur laquelle on dit la messe.
Table était le nom qu'on donnait autrefois en Hongrie à
la diète, qui se composait de deux chambres ou tables, la
table haute et la table basse.
TABLE DE MARBRE ( La). l'o!/.]MARBRE(ïablede).
TABLE DE PEUTIA'GER. Voyez Peuti.nceu.
TABLE D'ïlARMOiXIE. Voyez Harie.
TABLE DU B AI\. On appelle ainsi dans le B a n a t la
cour de justice siégeant à Agram , et présidée par le ban.
TABLE DE PYTHAGORE ou TABLE DE MULTI-
PLICATION. Cette table, dont le premier nom indique
l'inventeur supposé, tandis que le second en désigne l'ob-
jet, est destinée à donner les produits élémentaires à l'aide
desquels on peut elfectuer une m u 1 1 i p 1 ic a t i o n quelconque.
Elle se compose en effet des produits deux à deux des
nombres simples (c'est-à-dire composés d'un seul chiffre).
Pour la former, on écrit sur une première ligne horizontale
les neuf premiers nombres; on ajoute ensuite chaque terme
de cette ligne à lui-même, et l'on forme avec les résultats
une seconde ligne horizontale que l'on écrit au-dessous de
la première ; on obtient la troisième ligne en ajoutant cha-
que nombre de la seconde au nombre correspondant de la
première , la quatrième par l'addition des nombres de la
troisième avec ceux de la première, et ainsi de suite jusqu'à
la neuvième. Ens'arrêtant à cette dernière, on a ainsi une ta-
ble de forme carrée, renfermant les quatre-vingt-un nombres
qui sont les produits cherchés. Pour se servir de la table, il
suffit de prendre l'un des facteurs dans la première ligne ho-
rizontale, l'autre dans la première colonne verticale; leur
produit se trouve à la rencontre des deux lignes ( verticale
et horizontale) ai;xquelles ces nombres servent d'entrée.
TABLEAU, représentation d'un sujet que le peintre
renferme dans un espace orné pour l'ordinaire d'un cadre
ou d'une bordure. Les grands tableaux sont destinés pour
les églises , les salons , les galeries et d'autres lieux vastes.
Les tableaux moyens, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas plus
ie 1 mètre 66 centimètres de hauteur et de largeur, s'ap-
pellent tableaux de chevalet. Il y a des tableaux peints sur
î bois, sur toile, sur cuivre, sur étain, etc. La figure des ob-
jets, leur couleur, les reflets de lumière et les ombres, eu- /
lin tout ce que l'œil peut apercevoir, se trouve ou doit se
trouver dans un tableau comme nous le voyons dans la na-
ture. Ceux qui n'ont pas l'intelligence de la mécanique de
la peinture et qui n'en connaissent pas l'histoire ne sont
pas en état de décider de l'auteur d'un tableau ; c'est aux
gensde l'artqu'il faut s'en rapporter. Cependant, l'expérience
nous instruit qu'il faut mettre bien des bornes à cette préten-
tion de discerner la main des grands maîtres dans les tableaux
qu'on nous donne sous leur nom. En effet, les experts ne
sont bien d'accord entre eux que sur les tableaux célèbres
qui, pour parler ainsi, ont fait leur fortune, et dont tout
le monde sait l'histoire. On sait que plusieurs peintres se
sont même trompés sur leurs propres ouvrages , et qu'ils
ont pris quelquefois une copie pour l'original qu'eux-mêmes
ils avaient fait. Millin, de l'Institut.
Aux- termes des articles 534 et 535 du Code Civil , les ta-
bleaux sont considérés comme immeuble quand ils sont
placés à perpétuelle demeure, quand le parquet sur lequel
ils sont attachés faitcorps avec la galerie. lissent meubles,
au contraire, quanil ils forment collection dans des galeries
ou pièces particulières ; enfin , ils sont meubles meublants
quand ils font partie de l'ameublement d'un appartement.
TABLEAU {Art dramatique). Autrefois, il était reçu
que la scène durant le cours d'un acte ne devait jamais
rester vide, c'est-.i-dire qu'un ou plusieurs acteurs en scène
ne pouvaient la quitter pour être remplacés par d'autres
personnages de l'action , de manière à ce que dans l'inter-
valle de la sortie des uns et de l'entrée des autres le théâ-
tre restât effectivement vide d'acteurs. Aujourd'hui, ce n'est
plus assez delà division par actes, chaque acte est encore di-
visé par tableaux, en nombre indéterminé; et comme il y a
changement de décoration et de lieu pour cbaque tableau, la
scène doit nécessairement rester vide, non-seulement entre
chaque acte, mais encore entre chaque tableau. La seule dis-
tinction qui existe entre l'entr'acteet Ventre-tableau,
si l'on peut employer cette expression, c'est que- la toile
tombe dans l'entr'acte, et que l'action est supposée se pour-
suivre derrière le rideau ; tandis que l'action se continue sans
intervalle d'un tableau à l'autre. Du reste, cette marche est
celle qui était suivie sur les anciens théâtres espagnol, an-
glais, et dans nos vieux mystères. Il appartient à la posté-
rité seule de juger si cette modification apportée à notre
système dramatique tel que l'avait conçu Corneille, que l'a-
vaient adopté Racine, Molière et Voltaire, est un progrès
ou un pas rétrograde. Violet-le-Dcc,
TABLEAUX VIVANTS. C'est le nom qu'on donne
aux représentations d'oeuvres de la peinture et de la plas-
tique par des personnes vivantes. M™* de Genlis serait,
dit-on, celle qui les aurait inventées, alors qu'elle était gou-
verneur des enfants du duc d'Orléans , et qui aurait eu l'i-
dée d'exécuter, avec le secours des peintres David et Isabey,
pour l'instruction et l'amusement de ses élèves, des tableaux
historiques dans lesquels elle faisait figurer les personnes de
sa société. Plus tard, les représentations de ce genre de-
vinrent fréquentes sur la scène. De nos jours on n'en exécute
plus que dans les cercles privés les plus élevés, où elles
font toujours plaisir, parce qu'en effet quand on y déploie
une certaine magnificence jointe au sentiment de l'art, et
que , soutenues par un accompagnement musical , on les
donne pour des énigmes à deviner, elles peuvent être très-
amusantes. H n'y a pas longtemps que le professeur Flor et
un certain M. Quirin-MuUer ont essayé de donner des re-
présentations publiques de ce genre en Allemagne. Le pre-
mier arrangeait des imitations de célèbres tableaux clas-
siques ou modernes, et y joignait des représentations de
l'expression corporelle des états de l'âme les plus divers;
genre dont la fameuse lady Ha m il ton passe pour avoir
été la créatrice. Le second se bornait à la reproduction de
quelques statues et groupes plastiques. Au point de vue
esthétique, les tableaux vivants n'ont pas grande valeur.
438
TABLEAUX VIVANTS — TABLES TOURNANTES
Avec quelque bonheur qu'on parvienne à reproduire les
di'lails , la beauté physique des sujets, les draperies, les
plis , etc., l'effet total n'est pas satisfaisant. Tandis que l'art
du dessin anime une matière morte, et par l'illusion de la
peinture fait un corps d'une surface plane, le tableau vi-
vant ravale la forme humaine, l'individu intelligent, qui
trouve son véritable emploi dans l'expression suprême de
l'art, l'œuvre dramatique, à ne plus élre qu'ime matière
inerte et sans vie ; il produit ainsi une illusion imparfaite ,
parce qu'en promettant avec ses moyens de représentation
un chef-d'œuvre dramatique, il ne parvient qu'à produire
l'effet de la peinture. Comme il arrive toujours dans le
domaine de l'ait, les empiétements illégitimes d'un art sur
ce qui est du ressort d'un autre art laissent toujours une
expression désagréable chez celui qui a le sentiment délicat
de ce qui constitue le vrai beau.
TABLEAUX VOTIFS. Voyez Tables votives.
TABLE ROIXDE. On appelle aiusi, dans les traditions
poétiques du moyen âge, et suivant la donnée la plus gé-
néralement adoptée, une association composée de douze
chevaliers que le roi Artus avait choisis comme les
plus dignes, dans le grand nombre de ceux qui se trou-
vaient à sa cour, pour en former une confrérie secrète qu'il
avait habitude de recevoir et de traiter à une table ronde,
afin de supprimer entre eux toute différence de rangs.
^ Quant aux lois imposées à ces chevaliers, elles étaient au
nombre de douze. Les voici, d'après Pierre a Thymo, chroni-
queur belge du quinzième siècle : I. Ne jamais déposer les
arn)es. 11. Chercher les périls et lesavenlures les plus hasar-
deuses. III. Appelés au secours des (aibles, les défendre de
tout leur pouvoir. IV. Ne faire violence a personne. V. Ne
point se nuire entre eux. VI. Combaltre pour le salut de
leurs amis. VII. Exposer leur vie pour leur pays. VIII. Ne
rien rechercher pour eux-mêmes que l'honneur. IX. Ne man-
quer à la foi promise sous aucun prétexte. X. Remplir soi-
gneusement tous les devoirs de la religion. XI. Exercer
l'hospitalité, suivant leurs moyens, envers le premier venu.
XII. Enfin, rapporter exactement à ceux qui étaient chargés
d'écrire les gestes de l'ordre ce qui leur était arrivé, que
le fait lût tilorieux ou honteux pour le narrateur. La tradi-
tion de la Table ronde est naturellement de beaucoup pos-
térieure à celle du roi Artus; elle ne put naître que lorsque
celle-ci eut reçu son dernier développement, déterminé par
l'influence de la chevalerie; ce qui eut lieu au nord de la
France et en Bretagne dans le cours du douzième siècle. La
poésie, usant d'une grande liberté d'imagination, fit alors des
divers héros compris dans l'ordre de la Table ronde l'idéal
de toutes les vertus chevaleresques, toujours prêtsà accomplir
les hauts faits les plus aventureux, surtout pour le service
des dames. C'est ainsi que naquit au nord de la France
toute une suite d'épopées qui racontaient dans le goût alors
dominant les faits et gestes des divers chevaliers de la
Table ronde, en les ornant d'inventions arbitraires, pour les-
quelles ils avaient d'autant plus le champ libre que la lé-
gende elle-même était peu riche en détails et pleine de con-
tradictions. Mais comme la chevalerie y trouvait exprimées
et glorifiées chacune de ses idées favorites , ces différents
poèmes obtinrent tous un grand succès et se répandirent
bien au delà des limites de la France, en se chargeant de
plus en plus d'idées nouvelles et d'éléments étrangers.
TABLES (Loi des Douze). Foy. Douze Tables (Loi des).
TABLES ALPHOi\SL\ES. Voyez Alphonsines
(Tablesl.
TABLES AMALFITAI^ES. Foy« Amalfi.
TABLES ASTROA'OMIQUES. On nomme ainsi
les calculs des mouvements , des lieux et d'autres phéno-
mènes des planètes {voyez Astbonomie). Les plus anciennes
sont celles de Ptolémée, qu'on trouve dans son Aimageste.
Les Tables astronomiques sont indispensables pour l'exer-
cice de certains arts, tels que celui de la navigation. 11 yen
a un grand nombre, susceptibles de plus ou moins de recti-
âcation depuis que la grande précision apportée dans l'exé-
cution des instruments d'astronomie a permis de calculer
avec beaucoup d'exactitude les divers éléments d'où sont
tirées ces tables. Celles qui ont été calculées pour diverses
planètes, d'après les théories de Xa Mécanique céleste et
les meilleures observations, sont dues à Delambre, Burg,
Burchardt, Plana, etc., et surpassent en exactitude toutes
celles qui leur sont antérieures ( voyez pour ce qu'on nomme
tables de sinus ce qui a été dit à ce dernier mot). L'es pre-
mières ont été calculées par Jean Muller ou Obrejiomoritan,
né en Franconie,en 1436. Depuis l'invention des logarithmes
par Jean Napier, les géomètres ont substitué aux tables ;de
sinus, tangentes, etc., celles de leurs logarithmes, qui dans
les tables deTaylor et de Callet, généralement adoptées
aiijonrd'hm, à cause de leurexactitude et deleurdisposition,
ne portent pas les décimales au-delà de sept chiffres.
TABLES DE CÉSAR, TABLES DE FÉES, TABLES
DU DUBLE. Votiez Dolmen.
TABLES TOURNANTES. On désigne ainsi depuis
1843 un mouvement particulier de rotation finissant par
avancer d'une manière égale, qu'on perçoit à une table, quand
plusieurs personnes, assises à cette table ou qui l'entourent
debout, y placent leurs mains de manière à former une
chaîne. C'est en Amérique, aux États-Unis, que de telles
expériences furent faites pour la première fois; et en 1847
et 1848, à Arcadia, dans l'état de New-York, on perçut un
autre mouvement de tables analogue, celui qu'on désigna
sous le nom à^esprits frappeurs. Toutefois, ce n'est guère
qu'au commencement de 18.53 qu'on s'occupa en Europe
des tables tournantes et des esprits frappeurs. L'expé-
rience fut renouvelée en mille endroits, et toujours le résultat
fut le même; ce qui ne laissa pas que de donner beaucoup
à penser aux esprits forts comme aux esprits faibles. La
manie des tables tournantes, de consulter les esprits frap-
peurs sur le passé et sur l'avenir, devint une véritable épi-
démie. Le phénomène signalé ne laisse pas que d'avoir une
physionomie particulière et d'être assez difficile à expliquer.
Mais quand on se reporte aux phénomènes des prétendues
oscillations magiques du pendule, qui se rattachent à la
théorie de la baguette divinatoire , et dont il fut tant ques-
tion au commencement même de ce siècle, on arrive peu à
peu à eu avoir une explication satisfaisante. Ici aussi il faut
vraisemblablement chercher la solution de l'énigme dans
le domaine de cette vie psychique dont on n'a pas la cons-
cience, et qui joue cependant un rôle si important dans les
phénomènes du magnétisme animal. 11 y a en effet en
nous, outre une grande série de perceptions dont nous
n'avons pas la conscience , une série tout aussi considérable
d'aclions et de réactions involontaires et dont nous n'avons
pas davantage la conscience. Le sommeil en fournit de re-
marquables exemples. Qu'en dormant on se sente chatouillé
au visage par une mouche, on y portera la main. Les ma-
ladies offrent bien d'autres faits analogues. Avec des dis-
po.sitions à la fièvre intermittente on marchera de nuit,
sans le savoir, au milieu de terrains marécageux, et les nerfs
qui ressentent le miasme y répondront involontairement par
un surcroît d'agitation dans le système vasculaire, cons-
tituant un accès de fièvre. De même, des mouvements invo-
lontaires et dont on n'a pas la conscience se succèdent à plu-
sieurs reprises, et souvent à des mouvements dont on a la
conscience. Qu'on voie quelqu'un bâiller profondément, et
on bâillera involontairement, souvent sans s'en aperce-
voir, etc. Or, de la même manière que les oscillations d'un
anneau ou d'un cube de pyrite sulfureuse suspendus à un fil
ont lieu par des contractions des muscles des doigts, involon-
taires, et dont le plus souvent on n'a pas même la conscience,
par cela seul qu'on pense que les choses doivent se passer
ainsi, ou encore, mais plus rarement, par cela seul que sans
en avoir la conscience on ressent l'inlluence polaire d'un métal
ou de quelque autre corps ; de même, les choses se passent
d'une façon identique en ce qui est des mouvements d'un
chapeau , d'une assiette de bois ou d'une table légère , quand
une ou deux personnes, ou encore trois, quatre, hui» per-
TABLES TOURNANTES — TACITE
439
sonnes y placent leurs mains. Lorsqu'il y a plusieurs person-
nes, il faut un certain temps avant (iiic la volonté de tons se
soit à leur insu mise dans un seul et nii^rne courant, ce qui ne
peut avoir lieu que sousune influence de magnétisme animai,
et ce qui souvent a provoqué des attaques de nerfs chez
des personnes sensibles assises en cercle pourdesexpériences
de tables tournantes. Mais c'est là aussi ce qui si souvent a
fait qu'à leur grande surprise quatre, t>ix personnes, n'ayant
pas la conscience de cette volonté propre qui est en eux , au
bout de quinze à trente minutes mettaient en rotation des
tables assez lourdes par des mouvements involontaires de
cette nature. Que si par une influence semblable on opère
le souièvementetlaclmted'un pied de table, par conséquent
unjrappement, parce que toutes les personnes qui pren-
nent part à l'expérience pensent, sans en avoir la conscience,
à un mouvement de ce genre, on arrive au résultat qu'on a
appelé les esprits frappeurs. M. Babinet a prouvé que ce
frappement d'esprits avait été opéré pour la première lois à
Arcadia par l'imposture d'une certaine miss Fox. Postérieu-
rement, tantôt ces impostures préméditées ont été répétées
avec les formes les plus ridicules, tantôt une foule de per-
sonnes se sont trompées elles-mêmes par des mou\ements
dont elles n'avaient pas la conscience. Ce qu'il y a de cer-
tain, c'est qu'il est rarement arrivé, comme il arrive sou-
vent d'une antre manière dans cet inconnu qui rattache
notre àme à toute la vie naturelle, qu'il se so.it produit
quelque chose de vrai dansées pressentiments. Inutile sans
doute d'ajouter qu'il n'y a pas d'autre explication à donner
des mouvements du petit échafaudage de bois dit ïepsyc/io-
graphe et de ses prétendues prophéties [voyez Espkits ) ,
et qu'elle est parfaitement sullisante.
TABLES VOTIVES. On nommait ainsi autrefois des
tableaux consacrés dans les temples païens, en exécution d'un
vœu , par ceux qui venaient d'écliapper à un danger quel-
conque, ou qui voulaient remercier les dieux d'un bienfait
obtenu par leur intercession. Le danger auquel on avait
échappé était peint sur ce tableau, qui portait ordinairement
une inscription Unissant toujours par les mots ex voto, pour
indiquer qu'ils étaient offerts par suite d'un vœu. C'est de là
incontestablement qu'est venu l'usage des ex voto modernes,
qu'on retrouve si fréquemment dans les églises des villages
et lies villes du littoral, où ils rappellent le vœu de matelots
échappés à un naufrage, et souvent aussi celui de malades
guéris par ime intervention miraculeuse du ciel. En France,
l'église de Sainte- Anne d'Auray (Morbihan) est celle où
l'on voit le plus à'ex voto de ce genre.
TABLETIER, TABLETTERIE. Le tabletier ne met
en œuvre que l'ivoire, l'écaillé, la corne, la nacre, les os ou
les bois précieux , empiétant assez souvent et assez volon-
tiers au.ssi sur les attributions spéciales de l'ébéniste, du
marqueteur et du tourneur. Il fait d'ailleurs sa spécialité de
*a fabrication des peignes en tous genres, des tabatières,
:les pièces d'échiquier et de damier, des billes de billard,
des jetons, des fiches, des dés, des étuis, des brosses à
dents, à ongles, etc. A lui encordes bénitiers, les crucifix, les
montures de cannes, de lorgnettes et de lunettes, les boutons
de chemises, et surtout ces nécessaires de toilette et de voyage,
aux riches et élégantes incrustations en nacre, en argent, en
cuivre, pour la fabrication desquels, du moment où laboîte
est en bois précieux, la France n'a point de rivale.
TABOR ou THABOR, montagne boisée, située en Pa-
lestine, à deux heures démarche au sud de Nazareth, qui
s'élève en forme de cône au milieu d'u'nc plaine, et qui a
près de 600 mètres d'élévation. A son sommet on trouve les
ruines de constructions datant du temps des croisades. En
1798 Kleber battit près du mont Thabor une armée anglo-
turque quatre fois plus nombreuse que la sienne. Une tra-
dition erronée veut que ce soit sur cette montagne qu'ait
eu lieu le miracle de la transfiguration de Jésus-Christ.
TABORITES. C'est le nom que, par oppo.sition aux
Calixtlns., prirent en Bohême les bu ssi te s rigides; ils
lo tirèrent de leur place d'armes Tabor (mot qui signifie
château fort), construito en 1419 par Jean Ziska. Ce châ-
teau fort est l'origine de la ville actuelle de Tabor, dans
le cercle de Budweiss, et autrefois chef-lieu d'un cercle du
même nom, avec 4,300 hidiltants.
TABOURET. J'oj/es Chaise.
TABOURET (Droit du). Cette prérogative figurait au
premier rang des honneurs de l'ancienne cour de France.
Le tabouret était dans les cercles de la reine, pour les
dames ce qu'était pour les seigneurs le fauteuil dans les
cercles du roi. Le tabouret n'était d'abord accordé qu'aux
princesses et aux duchesses. Il fut depuis concédé également
aux dames qui occupaient le premier rang dans la maison
de Sa Majesté et aux maris desquelles leur position donnait
droit au fauteuil chez le roi , notamment à tous les ducs
et pairs. Le légal du pape avait les honneurs du/a7(^cMJ/ chez
le roi et chez la reine. Les cardinaux n'ont eu le tabouret
chez la reine que sous le règne de François II, qui avait épou.sé
Marie Sluart, nièce des cardinaux de Lorraine et de Guise.
Le jeune roi leur permit de s'asseoir en sa présence; et ce
qui n'était alors qu'une exception toute personnelle devint par
l'usajje un droit acquis aux princes de l'Église. La femme
du chancelier de France ne jouissait du tabouret qu'à la toi-
lette de la reine seulement; elle ne le prenait point au cercle.
Cette pri'rogative, comme toutes les autres, n'avait été
dans l'origine qu'une distinction toute personnelle. Elit
ne date que du règne de Louis XIII. La reine Anne d'Au-
triche ayant permis à l'épouse du chancelier Seguier, qui se
trouvait à sa toilette, de s'asseoir, l'épouse du chancelier
particulier de la reine obtint ensuite le même honneur. L'é'
pouse du garde-sceaux l'obtint également, parce que son
mari avait le même rang que le chancelier de France. Ma-
dame de Genlis, dans son Dictionnaire des Étiquettes de la
Cour de France , a oublié de consacrer un article au droit
du tabouret. Dufey (de l'Yonne).
TABOUREURS. Voyez Jongleurs.
TABRIS. Voyez Tauris.
TA BUROT ( ETIENNE ). Voyez Accords ( Seigneur des ).
TACFARIIVAS, Numide qui , sous le règne de Tibère ,
mit en péril la domination romaine en Afrique par l'audace
des expéditions qu'à partir de l'an 17 de notre ère il en-
treprit avec des tribus numides et mauritaines soutenues par
les Garamantes. Battu à diverses reprif^es, on le voyait
toujours revenir à la charge ; mais enfin, en l'an 24, attaqué
par le proconsul Publius Dolabella, il périt dans la mêlée.
TACHES DE ROUSSEUR. Voyez tvntua?.?,.
TACHYGRAPHIE. Voyez Sténograpuie.
TACITE (PuBLits CORNELIUS TACITUS) vint au
monde au commencement du règne de Néron. Il était (ils
d'un chevalier romain nommé Cornélius Veius, descendant,
selon quelques-uns, de cette grande race des Cornélius
qu'on trouve dans toute l'histoire de Rome. Son père avait
eu l'emploi de procurateur dans la Gaule Belgiciue. Au nom
de Tacite se rattachent par l'amitié d'autres noms célèbres.
Son père est mentionne dans les écrits de Pline l'ancien ,
et lui-même fut lié avec Pline le jeune. On pense qu'il reçut
des leçons de Quintilien. Ses études furent graves. La poésie
d'abord le captiva, comme la plupart dès grands écrivains
de tous les temps. La philosopliie le domina ensuite , et re-
tint dans tous ses écrits l'empreinte des opinions stoïciennes
qu'il avait préférées. 11 parut au barreau, puis dans les
armes, puis dans quelques offices de magistrature, qui étaient
une préparation aux honneurs. Mais ce qui jeta le premier
éclat .sur sa vie, ce fut son mariage avec la tille d' A gri cola.
Cette circonstance devait plus tard devenir toute la gloire
de son beau-père. Vespasien, Titus, Domitien, se
succédèrent, et la fortune de Tacite s'agrandit par des hon-
neurs qui finirent par l'exil. Peut-être la disgrâce alluma
son génie plus que n'aurait fait la faveur. Ta'îite vit les
crimes de Domitien , et pensa à la postérité. Agricola fut en-
veloppé dans les meurtres publics, et Tacite le vengea par
son éloge. Puis quand Domitien tomba du trône , souillé
de crimes. Tacite revint à la faveur. Nerva avait pris le
440
TACITE
sceptre, l'empire respirait. Tacite reçut la dignité consulaire;
ce n'était plus qu'un nom , mais qui flattait encore par le
souvenir de sa vieille gloire.
Ce fut dans ces alternatives d'une vie d'honneurs et de
retr.iite que Tacite écrivit ses divers ouvrages. Il reparut
au barreau , et même avec grand éclat. 11 parvint 5 un âge
avancé. La fin de sa vie s'écoula dans le silence, et l'histoire
a peine à le suivre jusqu'à sa mort. 11 laissa sans doute
quelque enfant de son mariage avec la fille d'Agricola; car,
deux siècles après, l'empereur Tacite se glorifiait de des- \
cendre de ce grand homme.
Les travaux de Tacite ne nous sont pas parvenus entiers ;
le temps en a dévoré une partie. Mais ce qui reste suffit à
sa gloire. Ses deux ouvrages principaux sont connus sous
Ifcs litres d'Annales et d'Histoires , deux écrits distincts ,
quoique embrassant des temps qui se suivent. Les Annales
comprennent les règnes de Tibère à Néron ; les Histoires
continuent les récits jusqu'à Domitien : c'est une effroyable
suite de crimes, de débauches el de saletés, avec quelques
trace:^ du vieux honneur. La dignité est dans les camps; la
turpitude est dans le sénat et dans le palais. Il fallait le génie
de Tacite pour égaler la flétrissure à la corruption , et aussi
la liberté de l'éloge à la liberté des vertus. Tacite s'était ré-
servé les règnes de Nerva et de Trajan pour dernier travail
de sa vieillesse. Là se devait reposer cette plume fatiguée
à écrire des atrocités. Trajan surtout souriait à son génie :
prince admirable , disait-il, qui avait associé deux choses
auparavant insociables -. l'empire et la liberté. La Vie d'A-
gricola fut un livre à part. On dirait un doge plutôt qu'une
histoire, si ce n'est que le récit est large et développé, avec
des harangues et des batailles, et tout ce qui constitue le
système historique île l'antiquité ; mais aussi avec un exorde
t\ une péroraison el tout ce soin de style oratoire qui rap-
pelle le système des panégyriques et semble indiquer la
grandeur des oraisons funèbres de Bossu et. Les Mœurs des
Germains sont un écrit admirable de précision el de vérité;
c'est le préliminaire de toute l'histoire des teuips modernes.
Enfin, il reste de Tacite un dialogue sur les orateurs et sur
les causes de la corruption de l'éloquence; opuscule d'une
littérature sérieuse , qui décèle le moraliste accoutumé à pé-
nétrer dans la pensée humaine el à expliquer l'altération
de l'art par des causes profondes et intimes, que ne soup-
jonnent ni les grammairiens ni les rhéteurs.
Dans ces divers écrits de Tacite, il y a un double cachet
de philosophe et d'historien , qui le distingue de tous les
écrivains de l'antiquité. Tacite est moraliste d'abord. L'his-
toire est pour lui comme une forme heureusement choisie
afin d'evprimer ses études sur l'huinanité. Cela ne l'empêche
point de donner à l'histoire un mouvement dramatique; mais
son drame est pénétrant. Il va saisir l'homme dans le fond
de son intelligence ; il le remue dans ce qu'il ade plus intime.
Il a des spectacles variés , atroces, animés , mais il ne s'arrête
pas aux images qui bouleversent les sens. Il saisit le cœur
tout entier. 11 jette l'émotion dans la pensée. Il semble dé-
daigner de faire pleurer les yeux ; il aime mieux déchirer
l'âme. Avec ce penchant naturel de son génie, Tacite risque
de toucher à une sorte d'afleclation. Cela n'est point sur-
prenant. Tacite veut expliquer la corruption plutôt encore
que la peindre. Alors il lui arrive de s'attacher à des indices
incertains. Quelquefois ses interprétations sont ambiguës.
A force de finesse, il devient mystérieux; mais c'est l'in-
convénient de sa pénétration. S'il se trompe quelquefois, il
étonne toujours, même quand .ses explications du crime ne
sont que des soupçons ingénieux. Rien n'est plus intéressant
que l'étude de Tacite sous ce point de vue. On dit dans les
écoles que sa latinité est dilficile à entendre; c'est une er-
reur, qui tient à l'inexpérience du jeune âge. Lorsque Tacite
raconte une bataille, une émeute, une fuite, un meurtre
d'empereur, un désordre au Forum, son style est rapide,
plein de flamme, mais facile à suivre. Ses images sont pit-
toresques. Il entraîne, il éblouit; et alors le jeune homme
fSl^me ne perd rien de ces éclatantes beautés de narration.
Mais que tout à coup la scène change, que Tacite entre
au palais de Tibère, ou bien qu'il assiste aux délibérations
du sénat, qu'il cherche à deviner sur ces pâles visages des
pensées, de crime ou de servitude , alors son style s'enve-
loppe de je ne sais quel mystère effroyable que l'âge mûr
aime à pénétrer, mais qui déconcerte une intelligence jeune
et inaccoutumée encore aux obscurités de la vie humaine.
C'est en ce sens qu'on peut accepter une pensée de La
Harpe , qui dit qu'on peut juger du mérite d'un homme par
celui qu'il trouve à Tacite. Tacite en effet est si varié dans
ses aperçus, il entre si avant dans les plis ducœur, il dé-
couvre si merveilleusement les secrets de l'ambition , de la
méchanceté, de l'envie, que pour comprendre toute sa pé-
nétration il faudrait presque l'égaler. Mais ceci va loin. La
parole de La Harpe pourrait être un piège à la vanité. Il
se pourrait trouver des esprits qui n'aimeraient pas mieux
que d'exagérer l'éloge de Tacite pour fairejaillir sur eux-mêmes
un reflet de leur admiralion. Ce serait avoir du génie à de
faciles conditions. Du reste, au temps de La Harpe l'ad-
miration de Tacite était une mode. On trouvait philosophique
d'agrandir la renommée de l'historien qui avait flétri les ty-
rans, comme si quelques tyrannies semblables eussent encore
été là debout avec leurs sinistres mystères. Les tyrannies n'é-
taient pas venues encore ; on pouvait apprendre tout au plus
de Tacite comment elles se lèvent sur les peuples corrom-
pus. Par suite de cette mode d'admiration futile , on s'ima-
gina que Tacite jusque là n'avait pas été aperçu par les âges
littéraires. C'était une frivolité de plus. Tacite est de tous
les écrivains de l'antiquité celui qui a le plus activement
occupé l'intelligence des peuples modernes. L'Allemagne,
l'Italie, l'Espagne, la France, lui avaient dès le seizième
siècle consacré des études dont la ferveur ressemblait
à un culte. A cette grande époque de renouvellement litté-
raire se rapportent des travaux de toutes sortes sur Tacite.
Juste Lipse , avec sa renommée de scoliaste, mérite d'être
cité. « H n'y a point d'autre Grec ni Latin, dit-il, et très-assu-
rément il n'y en aura jamais qui pour l'étendue de sa pru-
dence soit comparé à celui-ci , tant je suis éloigné de croire
qu'aucun autre lui soit jamais préféré. » Puis se présente
Arnelot de La Houssaye, auteur d'un commentaire curieux
sur les premiers livres des Annales. Ce n'est point ici un
critique appliqué aux formes du langage , c'est un philosophe
qui voit toute la morale dans Tacite. Enfin, Bayle, un esprit
moins facile à l'enthousiasme, a eu ses élans d'admiration.
Il a consacré un long travail au grand hi.storien. Il aime à
dire tout ce qui peut le rendre populaire. C'est lui qui ra-
conte que le pape Paul lll avait usé tout son exemplaire à
force de le relire, etqueCosme de Médicis lui vouait aussi une
partie de ses veilles. Je ne parle pas de l'influence générale
des études de Tacite sur la grande littératuredu dix-septième
siècle ; on sait assez ce que lui dut le génie de Corneille
et de Racine, de Racine surtout. Après cela vint la littéra-
ture philosophique , littérature froide et railleuse. On ad-
mira Tacite; on cessa de le comprendre.
Si je jugeais Tacite sous le simple rapport de ce qu'on
appelle le style, cette forme visible de la pensée, mais
abstraite en quelque sorte de la pensée même, je trouverais
à reprendre ce que d'autres ont repris déjà: un défaut de
limpidité, de grâce, quelquefois de clarté. Mais je ne .saurais
rompre l'unité de la pensée ef du langage, et Tacite s'offre
à moi toujours avec ce caractère admirable de moralistes
profond , ingénieux , divinateur, et son style est l'expression
de son génie.
La Harpe a dit de la Vie d'Agricola : « C'est le chef-
d'œuvre d'un homme qui n'a fait que des chefs-d'œuvre. »
Et il y a bien en effet dans cette admirable biographie une
certaine perfection de style qui ne se trouve point dans les
grands travaux de Tacite. Mais cela môme ne constitue pas
le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre; c'est là une exagération
de professeur d'Athénée. Le chef-d'œuvre de Tacite ce sont
ses Histoires. Là tout son génie se déploie ; là vous trouvez
le peintre, le philosophe, la politique, l'écrivain. Ce n'est
TACITE — TADORNES
411
point le lieu de disserter sur des questions littéraires, quel
que soit d'ailleurs leur intérêt. J'indique seulement un Ju-
gement à rectifier. Quiconque n'aurait lu de Tacite que l'o-
puscule parfait consacré à la mémoire de son beau -père
saurait à peine comment le grand moraliste flétrit les crimes
et les turpitudes, comment il sonde les mystères du vice et
de l'abjection, comment il peint la servitude, comment il
venge la vertu. Pour connaître Tacite, il faut avoir suivi
ses sombres récits sur la vie de Tibère; il faut avoir pleuré
sur le meurtre de Germanicus; il faut avoir entrevu les dé-
bauches de Messaline ou les orgies de Néron ; il faut avoir
assiste au meurtre d'Agrippine , et puis il faut avoir cntemlu
la voix de l'iiistorien retentissant comme un bruit de trom-
pette à l'oreille du parricide sur le tombeau de sa mère;
il faut avoir suivi toute cette histoire de souillures publiques,
tous ces drames, toutes ces morts, tous ces exils, toutes
ces vengeances ; c'est là que Tacite est grand , non par nne
perfection rhétoricienne de style, mais par un ensemble
merveilleux d'idées , d'images , d'émotions , qui est plus que
la perfection du style, qui est le génie. Celui qui aura con-
sacré quelques veilles à l'étude de Tacite prendra peu de
goût aux nouveautés, aux frivolités, aux folies de ce qu'on
appelle, je crois, Vart littéraire. Et c'est ici peut-être que
la pensée de La Harpe est véritable, mais quelque peu mo-
difiée : on peut juger du mérite A'une époque par le mérite
qu'elle trouve à Tacite. Tacite est l'homme des temps
graves; il appelle à lui les intelligences fortes : et un signe
du retour des lettres vers des pensées sérieuses, vers des
travaux durables, ce serait de voir les esprits s'appliquer
à la méditation d'un écrivain dont l'étude suffit à donner
quelque gloire. Laurentie.
TACITE (iMarcus CiAumcs TACITUS), empereur ro-
main, qui régna du 25 septembre de l'an 275 jusqu'en avril
276, était sénateur et déjà ;\gé de soixante-quinze ans lorsque ,
bien qu'il eût refusé cet honneur pendant six mois, après
la mort d'Aurélien il fut proclamé empereur par le sénat,
qui dans ce choix fut déterminé autant par les vertus de
ce candidat que par ses immenses richesses. Tacite les con-
sacra généreusement aux besoins de l'État. S'étant rendu en
Asie Mineure pour réprimer les invasions des Goths et des
Alains, il fut assassiné à Tyane, par la soldatesque, qu'il avait
irritée par sa sévérité. Florianus , son frère , qui lui succéda,
eut le môme sort, trois mois plus tard; après quoi, Pro-
b us revêtit la pourpre impériale.
Cet empereur, qui se glorifiait de descendre du célèbre
historien du même nom , avait ordonné que ses ouvrages
fussent placés dans toutes les bibliotiièqucs de l'empire et
qu'il en fût fait chaque année dix exemplaires aux frais du
trésor public.
TACITE RECONDUCTION. On appelle ainsi, en
termes de droit, la continuation de la jouissance d'une ferme
ou d'une maison pour le même prix et aux mêmes condi-
tions après l'expiration du bail , et sans qu'il ait été renou-
velé par écrit. Elle est soumise aux mêmes règles que les
locations faites sans écrit. Lorsqu'il y a congé signifié, le
preneur, quoiqu'il ait continué la jouissance, ne peut invo-
quer la tacite reconduclmi.
TACONNET (Toussaint-Gaspard), l'un de ces acteurs
dont le renom populaire conserve longtemps la mémoire,
naquit à Paris, en 1730. Fils d'un menuisier, il exerça d'abord
l'état de son père dans les ateliers des Menus-Plaisirs du roi ;
il devint ensuite machiniste à l'Opéra, et puis souflleur à
l'Opéra-Comique. Ce fut pour ce théâtre qu'il composa .ses
premiers ouvrages; mais ce spectacle ayant été réuni à la
Comédie-Italienne, Taconnet devint un des fournisseurs des
spectacles qui chaque année s'établissaient aux foires
Saint-Germain et Saint-Laurent. Enfin, Nicolet vint, et
fonda, sur le boulevard du Temple, ce théâtre où Taconnet
devait acquérir deux genres d'illustration : il ne se borna
pas à en être l'auteur le plus fécond et le plus gai, il en
devint aussi l'acteur le plus aimé du public; il jouait sur-
tout avec une vérité et un naturel parfaits lotis les rôles
d'ivrogne, d'homme du peuple, etc., que nous avons vus
si bien remplis par Tiercelin et par Grasset , ses véritables
héritiers. Taconnet ne se contenta pas de se faire nombre de
rôles à sa taille dans ses pièces bouffonnes du Savetier
avocat, du Déménagement du Peintre, de La Mort du
Bœuf-Gras, etc., eic. : il composa pour son théâtre quelques
ouvrages d'un genre gracieux , tels que Les Aveuxindiscrets,
Le Baiser donné et rendu, qui n'auraient point été déplaces
sur une scène plus élevée. La parodie, la circonstance, in-
spirèrent souvent aussi sa muse joyeuse. Dans les derniers
temps de sa vie , il avait malheureusement pris l'habitude
déjouer ses personnages d'ivrogne un peu trop d'après na-
ture , et il ne sortait guère du cabaret de Itamponneau
que pour entrer dans un autre. Sa passion pour le vin
abrégea ses jours , et enleva , à peine âgé de quarante-quatre
ans, au théâtre de Nicolet, celui qu'on avait surnommé le
Molière et le Prévilledes boulevards. Une blessure à la jambe,
aggravée par son intempérance, devint une maladie mortelle,
et, transporté à l'hôtelDicu, il y expira, le 29 décembre
1774. Taconnet avait composé dans sa courte carrière plus
de quatre-vingts pièces, dont cinquante, à peu près, ont
été imprimées. Ourry.
TACT ou TOUCHER. C'est l'un de nos cinq sens exté-
rieurs. Il est le plus généralement répandu dans les diverses
classes d'animaux, depuis l'homme jusqu'aux classes les plus
imparfaites, comme les polypes, qui paraissent n'avoir reçu
de la nature que ce seul sens. Le tact ;est destiné à appré-
cier plusieurs qualités ou propriétés physiques des corps
très-diverses entre elles. Par lui nous pouvons acquérir les
idées de leur température , de leur consistance , de leur pe-
santeur, de leur forme, de leur volume, de leur poli et de
leurs inégalités on aspérités , de leur sécheresse ou de leur
humidité, etc.; il donne ou rectifie les notions de distance,
de quantité ou de nombre, de masses, de repos ou de
mouvement , etc., que nous avons pu acquérir par quelque
autre sens , et plus particulièrement par celui de la vue.
L'appareil pour le sens du toucher est la peau dans toute
son étendue. Les parties du corps jibis particulièrement
destinées aux fonctions du toucher, chez l'homme, sont les
mains , qui se prêtent admirablement, par leur conforma-
lion, à saisir la surface des corps qu'elles touchent. La na-
ture a distribué à la peau des mains de très-grosses et très-
nombreuses papillesnerveuses. Chez les animaux, les parties
qui servent plus spécialement à leur toucher sont les pieds,
la langue et surtout les lèvres , comme chez le cheval. La
queue des singes , la trompe de l'éléphant, le bec des oiseaux,
les antennes des insectes, les moustaches des mammifères, etc.,
leur servent au même usage. Les exercices violents émous-
sent la délicatesse du toucher. Les femmes et les personnes
faibles et débiles ont un toucher plus fin que les hommes
et les personnes fortement constituées.
liuffon soutient que c'est par le toucher seul que nous
pouvons acquérir des connaissances complètes et réelles;
c'est ce sens, dit-il, qui rectifie tous les autres sens, dont
les effets ne produiraient que des erreurs dans notre esprit
si le toucher ne nous apprenait à juger. Bonnet attribue
à la trompe de l'éléphant et à la finesse de son toucher la
supériorité de .son intelligence. C uvier pense que le toucher
sert à vérifier et à compléter les impressions, surtout celles
de la vue. Herder prétend que ce sens nous a donné les
commodités de la vie , les inventions , les arts , et Iticherand
que la perfection de l'organe du toucher assure aux éléphants
et aux castors un degré d'intelligence qui n'est départi à nul
autre quadrupède, et devient peut-être le principe de leur
sociahifité. Vicq-d'Azyr et d'autres pensent que la différence
entre les facultés intellectuelles de l'homme et da singe
s'explique par la différence de leurs mains. Fossati.
TACTIQUE. Foyci Stratégie.
TADJICiîS. Voyez Iîockiiarie et Perse.
TADORNES, sorte d'oiseaux du genre ca nard, re-
marquables par leur bec, très-aplati vers le bout et relevé
en bosse saillante à la base. Le tadorne commun {anas
442
tadorna) est le plus vivement peint de tous nos canards,
blanc à tête verte, une ceinture cannelle autour de la poi-
trine, l'aile variée de noir, de blanc, de roux et de vert.
Le mâle est long de 62 centimètres, la femelle plus petite, et
présentant sur le bec une taclie blanche au lieu de protubé-
rance. Ces oiseaux ne se rassemblent point en troupes,
comme les autres canards ; ils vivent par couple en toute
saison, et leur union, une fois formée, paraît indissoluble.
Ils se laissent priver assez facilement, et sont un excellent
gibier. Leur cri ordinaire est assez semblable à celui du ca-
nard commun; mais lorsqu'ils sont affectés de crainte, ils
en font entendre un autre plus faible , quoique aigu. Ils res-
semblent encore à nos canards par leur manière de vivre;
seulement , ils ont plus de léf;èreté dans les mouvements, et
montrent plus de gaieté et de vivacité. Ils préfèrent, en gé-
néral, les régions septentrionales k nos climats tempérés;
cependant, il en arrive ciiaque printemps un certain nombre
de couples sur nos côtes de l'Océan. Quelques-uns s'écartent
dans l'intérieur des terres , et se trouvent sur des rivières
ou sur des lacs assez éloignés; mais le plus grand nombre
ne quittent pas la côte. On fait quelquefois élever des ta-
dornes par nos canes domestiques; pour cela, on emporte
les œufs dans une grosse étoffe de laine , couverts du duvet
qui les enveloppe, et on les met sous une cane : elle les
couve, et quand les petits sont éclos, les soigne comme
si elle en était la mère, pourvu qu'on ait eu l'attention de
ne lui laisser aucun de ses propres œufs. Ces jeunes ta-
dornes s'accoutument aisément à la domesticité, et vivent
dans les basses-cours comme nos canards. Ils ont en nais-
sant le dos blanc et noir, avec le ventre très-blanc, et ces
deux couleurs, bien nettement tranchées, les rendent très-
jolis; mais ils perdent celte première livrée et deviennent
gris; puis, vers le mois de septembre, ils. commencent à
prendre leurs belles plumes ; mais ce n'e.st qu'à la seconde
année que leurs couleurs ont tout leur éclat. Déjiezu,.
TA EL, nom d'une monnaie de com[)te et d'un poids en
usage à la Chine et dans les Indes Orientales. En Chine le
tael d'argent équivaut à l'once {liang) chinoise d'argent fin;
sa valeur, dans notre monnaie, est de 7 fr. 50 centimes; le
tael, poids, est divisé en dix parties, et équivaut à un peu plus
de 'Al grammes. Au Japon , les Hollandais comptent par
taels. A Java le tael est usité comme poids, et équivaut à
nn peu plus de 38 grammes. Le tael sert en outre dans dif-
férents piiys de l'Inde connne poids pour l'or, l'argent et
autres m;irchandises précieuses, et la pesanteur en est très-
variable.
T.(tI\ARUMou ÏÉNARE , promontoire du territoire
de Sparte, ccièhre dans ranti(]uité par la poésie et la tradi-
tion , appelé aujourd'hui Cap Matapan . Là se trouvait
un temple lameux de Neptune, situé dans une caverne con-
duisant à l'Hadès ; car c'est par là qu'Hercule avait cherché
Cerbère aux Eulers, et, (pi'Orphèe y était descendu.
TyEKELL Voyez imKEi.i.
TyEiXIA (du grec Tatvîa. bandelettes), genre devers
entozoairt's, que Vnn peut rencontrer dans les intestins de
presque tout les animaux vertébrés. Les tœnias atteignent
une longueur considérable, qui souvent va jusqu'à dix mètres.
On les nomme vulgairement vers solitaires; mais il est
[)rouvé aujourd'hui que plusieurs individus de la même
espèce peuvent habiter à la fois dans les intestins d'un
même animal. Le corps du tœnia ressemble à un cordon
plat plissé en travers , de manière à figurer des anneaux
carrés plus ou moins allongés; la tête, presque carrée, offre
aux quatre angles une petite fossette, et présente au milieu
un tubercule ou trompe; cette trompe en général est armée
d'un cercle de crochets à l'aide desquels l'animal se fixe
aux parois de l'intestin grêle, où il se trouve habituellement;
à celte petite tête succède un cou filiiorme qui .se confond,
en s'élargissant, avec le reste du corps. 11 y a deux espèces
de taenias propres à l'homme : le tœiiia à longs anneaux,
qui est le plus commun; et le txnia large ou bothriocé .
phale. Les .tœnias déterminent dans l'économie desdésor-
TADORNES — TAFNA
dres d'abord peu graves, mais qui peuvent amener à la longue
le marasme et la mort. On indique surtout l'écorce de racine
de grenadier comme ténifuge.
TAFIA. Voyez Boissons et RncM.
TAFILET ou TAFILLET, c'est-à-dire pays des Filêli,
province de la partie sud-est de l'empire de Maroc , entre
le mont Atlas et le désert, la seule qui soit sous l'autorité
de deux gouverneurs , partage conplétement les conditions
physiques du Bilédulgérid. C'est un sol de steppes, à
peu près plat, imprégné de sel, contenant plusieurs cours
d'eau, parmi lesquels le Tafiletou Ziz , qui va se perdre dans
une steppe. Le territoire qu'ils arrosent produit des céréales,
des dattes, de l'indigo ; et on ulili.se les vastes prairies qu'on
y rencontre pour élever des chevaux, des mulets, des bêtes
à corne et des moutons. Les montagnes fournissent de
l'antimoine, du plomb, du cuivre et de l'argent. Les habi-
tants, qui généralement vivent à l'état nomade, sont des Ber-
bères, divisés en plusieurs tribus, dont la plus considérable
est celle des Filêli, qui jadis constituait un État indépen-
dant.
Le chef-lieu, Tafilet, autrefois centre de cet État, est à
bien dire un groupe de petites oasis, sur les bords du fleuve
de ce nom, avec plusieurs villages et citadelles, un nouveau
château, appartenant au souverain du Maroc, et 10,000 ha-
bitants, très-industrieux, qui s'occupent surtout de la fabri-
cation d'étoffes de soie, de tapis, de couvertures de laine
et d'excellents maroquins ( ta filets) , ainsi que de commerce
avec Tombouktou, Drinnie , etc., pour lequel leur pays est
le rendez- vous des marchands du Maroc, de Fez, de Té-
touan, etc.
TAFFETAS, étoffe de soie, tissée d'ordinaire chaîne or-
gansin de France, d'Italie ou de Piémont. Les fabricants
emploient diverses trames, suivant ce qu'ils veulent pro-
duire, et il n'y a pour cela d'autre règle que le goût. Mais
généralement on se sert des trames de France, qui sont les
plus belles. En augmentant ou en diminuant la grosseur ou
le nombre des bouts de la trame , comme en fournissant
ou en réduisant la qualité de la chaîne, on produit les pou-
de-soie , les gros de Naples, les gros de Tours, les mar-
celine, le&Jlorences, etc.
On appelle taffetas d'Angleterre une étoffe ordinaire-
rement noire ou couleur de chair, gommée d'un côté , et
qu'on applique sur les coupures pour maintenir en contact
les lèvres de la solution de continuité.
TAFJVA (La), l'ancienne SJj/a, la plus grande rivièr<î
de la province d'Oran, coule à l'extrémité occidentale de
cette province, sur les contins de l'empire de Maroc, dans
la direction du sud au nord. Touchant par sa source au
désert d'Angad , dont elle n'est séparée que par un chaînon
du petit Allas, elle est formée de la réunion de plusieurs
cours d'eau, qui naissent pour la plupart dans les montagnes
de ïlemcen. Après un cours d'environ 80 kilomètres, elle
vient se jeter dans une anse située à l'extrémité occidentale
du golfe de Harchgoun. La Tafna a une barre trop élevée
pour pouvoir être franchie par les bateaux ; au delà, son lit
est cependant plus profond. Quand les eaux ne trouvent pas
à se dégager, par suite de la hauteur de la barre ou de l'im-
pulsion contraire que leur donnent les vagues , elles s'épan-
cbent sur la rive gauche, où il existe quelques dunes, dans
lesquelles elles demeurent stagnantes.
C'est près de l'embouchure de la Tafna , sur les hauteurs
de la rive droite , que les Français établirent , au mois d'avril
1836, le camp qui porta le nom de camp de la Ta fna,pt qui
fut d'abord commandé parlegénérald'Ar langes , puis par
le général Bugeaud. Maiscequi conservera surtout le nom
delà Tafna dans les fastes de l'Algérie, c'est le traité qui fut
conclu sur les bords de cette rivière entre le général Bugeaud
et l'émir Abd-el-Kader, le 30 mai 1837. L'émir recon-
naissait la souveraineté de la France en Afrique. La France
limitait ses possessions à Alger, le Sahel, la plaine de la
Mitidja, Blida , Coléah , Oran, Arzew , Mostaganem, Maza-
gran et un faible territoire ; elle laissait l'émir administrer
TAFNA — TAGIL'
443
Sa proTince d'Oran, celle de Tittery etla partie de celle d'Al-
c;cr qu'elle ne s'était pas réservoe. La France cédait à l'émir
Harciigoun, Tlemcen, IcMécliouar et les canons qui étaient
anciennement dans cette citadelle. L'émir ne devait avoir
aucun pouvoir sur les musulmans habitant le territoire fran-
çais ; mais ils restaient libres d'aller habiter le territoire de
l'émir. L'émir devait donner à l'armée française 30,000 fa-
iiègnes de froment, 30,000 fanègues d'orge et 50,000
bœufs. L'émir devait acheter en France la poudre, le soufre
et les armes dont il aurait besoin. Le commerce devait être
libre entre les habitants des différents territoires. Les cri-
minels devaient être rendus des deux côtés. L'émir s'enga-
geait à ne concéder aucun point du littoral à une puissance
quelconque , sans l'autorisation delà France, Le commerce
de la régence ne pouvait se faire que dans les ports occupés
par la France; enfin, la France devait entretenir des agents
auprès de l'émir, et l'émir pouvait jouir de la même faculté
dans les villes et dans les ports français. Ce traité, qui cons-
tituait la puissance de notre plus grand ennemi , en pacifiant
l'ouest de l'Algérie permettait au gouvernement de porter
toute son attention sur la province de Constantine.
Mais l'illusion fut de courte durée. Abd-el-Kader eut bientôt
fortifié le pouvoir que nous lui avions reconnu. Obéi par-
tout , avec des troupes réorganisées , des magasins appro-
visionnés d'armes et de munitions, il déchira le traité de la
Tafna. La France changea alors de politique, et la guerre
dut continuer en Afrique jusqu'à l'anéantissement de cette
puissance du chef des croyants que la France avait trop faci-
lement élevée. L. Louvet.
TAGANROG , port important de la Russie méridio-
nale , dans le gouvernement d'iékatérinoslaf, bâti sur un
promontoire de la mer d'Azof , la principale étape du com-
merce du Don, du Danube et du Volga, et jusqu'à ce jour la
p.lus floris-sante ville commerciale delà Nouvelle-Russie, fut
fondé en 1699, par Pierre le Grand. Abandonné avec son
territoire à la Porte Ottomane, en vertu de la paix du
Pruth , en 1711 , Taganrog fut rebâti , en 1768 , par Cathe-
rine. Cette ville est située dans une contrée qui n'était au-
trefois qu'une steppe parco'.irue par des hordes nomades,
mais que la culture a métamorphosée depuis en un véri-
table jardin où abondent les plus beaux fruits du sud , et
fournissant les plus riches récoltes en grains et légumes de
tous genres. Grâce aux vents de mer qui y rafraîchissent
périodiquement l'atmosphère, on jouit à Taganrog d'un climat
aussi sain que tempéré. En 1842 on comptait déjà dans
cette ville 22,472 habitants, dont beaucoup de Grecs et
d Arméniens, dix églises et un grand nombre d'usines. Elle
possède 26 bâtiments au long cours et 684 caboteurs. Ta-
ganrog est le siège d'un gouvernement particulier de ville
( 56 myriam. carrés et 80,000 habitants), dont le comman-
dant ne relève que de l'empereur directement. Il est en outre
chargé de la police de la place, du port et de la ville, de
la direction des douanes , de la quarantaine, etc. La poche,
le commerce et l'industrie manufacturière constituent les
principales ressources de la population. Le commerce de
cette ville prendrait une plus grande extension si le port
de Taganrog était plus profond ; mais il ne peut admettre que
des bâtiments de moyenne grandeur, qui doivent même s'al-
léger à Féodosia ou à Kertsch. Les bâtiments d'un fort ton-
nage sont obligés de mouiller à 2 myriamètres de Taganrog.
En 1814, à la suite d'une commotion violente , on vit une
lie apparaître toutàcoup à la surface de la mer, aux environs
de Taganrog , puis disparaître bientôt après dans les flots.
Du gouvernement de Taganrog dépend Mariapol , ville
située à l'ouest de Taganrog, à l'embouchure du Kalrnius
et sur la mer d'Azof, avec un commerce assez actif et où
en 1851 on comptait plus de 4,600 habitants.
TAGDEMT ou TEKEDEMPT. Cet établissement, le
plus important de ceux qu'Abd-el-Kader ait tenté de former,
sur l'emplacement de l'ancien Gadaum Castra, est situé à
62 myriam. ouest-sud-ouest de Thaza, et à 7 myriam. est
lie Mascara. Fondé en 1835. par l'émir lui-même, qui y bâtit
rni fort d'environ 50 mètres deloiig sur 20 de large, avec des
murailles de 1 mètre 50 centimètres d'épaisseur, il y avait
en face de la porte de ce fort une maison carrée, nommée la
Pc<j< For; par les Arabes, et servant d'atelier aux ouvriers
mécaniciens et armuriers qu'Abd-el-Kader fit venir en 1838.
La ville se composait d'environ trois cents cabanes recouveiles
enchaume, au milieu desquelles s'élevaient huitàdixmaisons^
couvertes de terrasses et autant avec des toitures en tuiles.
La population de Tagdemt se composait d'anciens habitants
de Mazagran et de Mostaganem, et des coulouglis de Miliana
et de Médéah qui y avaient été transportés par l'émir. Le fort
servait de dépôt pour les approvisionnements de guerre et
de bouche , et de plus il contenait la monnaie. Lorsqu'on
eut décidé d'anéantir la puissance d'Abd-el-Kader en Afri-
que, on dut songer à ruiner ces établissements, qui lui
servaient de refuge et de magasins. Une colonne , partie de
Mostaganem le 18 mai 1841, et commandée par le gouver-
neur général en personne, arriva, après plusieurs petits
combats d'arrière-garde et de flanc, devant Tagdemt le 25,
et en prit possession. La ville et le fort avaient été évacués
parles habitants. Quelques maisons en chaume brûlaient,
incendiées par les Arabes eux-mêmes. Les autres étaient
intactes. L'armée fit immédiatement sauter le fort, et le len-
demain Ahdel-Kader put voir, des hauteurs où il avait
pris position , s'écrouler la citadelle où il avait placé .son
principal dépôt d'armes et de munitions, et qui lui avait
coûté tant de peines et d'argent à édifier. L. Louvet.
TAGE ( Le ), en espagnol Tajo, en portugais Tejo , le
Tagus des anciens, l'un des plus grands fleuves de la pres-
qu'île Pyrénéenne, qu'il traverse au centre dans la direc-
tion de l'est à l'ouest, prend sa source sur les limites de la
Vieille-Castille et de l'Aragon , dans la Sierra d'Albaracin ,
sur le versant occidental de la Mucla de san Juan , mon-
tagne conique, haute de 1467 mètres, à la Fuenfe de
Abrega, source très-riche, située à deux léguas au sud-est du
bourg de Peralejos, au centre d'un plateau onduleux , non
loin des sources du Xucar , du Gabriel et du Guadalaviar
ou Tiiria. Il traverse toute la Vieille-Castille, dans laquelle il
baigne Tolède et reçoit le Hénarez , se dirige vers Alcan-
tara , dans l'Estramadure espagnole , et pénètre enfin, par
l'Estramadure portugaise, dans l'ancienne Lusitanie, où il
reçoit le Zezere et le Rio-de-Soro, et baigne la ville de San-
tarem. C'est à Santarem que la marée commence à se faire
sentir et où commence aussi le service des bateaux à vapeur.
Mais les navires de long cours ne peuvent pas le remonter
audelàde Villafranca. Au-dessous de Santarem, à Saivaterre,
il se divise en deux grands bras : le nouveau Tage, et Je
Mar del Pedro. Après un cours d'environ 75 myriamètres à
travers les plus belles provinces de la péninsule (dont 55
eu Espagne et 20 en Portugal), il se jette dans l'océan Atlan-
tique, à quatre myriamètres au-dessous de Lisbonne, dont
il baigne les murs, devant lesquels il forme une magnifique
baie, où mouillent d'innombrables vaisseaux. Sur le sol
espagnol, il présente à la navigation d'extrômes difficultés;
et il n'a pu en conséquence jusqu'à ce jour y être utilisé
comme voie de communication.
TAGES, génie étrusque et devin célèbre , que la tradi-
tion des populations de l'Étrurie fait naître d'une motte de
terre, sous la charrue d'un laboureur ; il avait la taille
d'un nain , mais était doué d'une extrême sagesse. Aussi
lui attribuait-on différents ouvrages prophétiques.
TAGÈTE. Voyez Œillet d'Inde.
TAGIL' ou NISHNIJ-TAGILSK, bourg important .du
gouvernement de Perm, à 20 myriam. à l'est de la ville de
Perm, bâti sur le Tagil', affiuent de la Tura, sur le versant
oriental du mont Oural, compte plus de 20,000 habitants et
possède une école de mineurs. Il est célèbre par les immenses
forges appartenant à la famille Demidoff , l'un des plus
va.stes établissements de ce genre qui existent dans l'Oural.
A 7 myriamètres au sud on trouve les forges de Nowjansk,
qui livrent chaque année à la consoirimation plus de
300,000 ponds de fer de qualité supérieure, et connu dans le
444
TAGIL' —
commerce sons le nom de vieille zibeline (d'après l'an-
cienne estampille ).
TAGLIACOZZO, ville du royaume de Naples, dans
l'Abruzze Ultérieure Deuxième, compte environ 4,000 liabi-
lants, et est mémorable par la victoire décisive que Charles
d'Anjou remporta sous ses murs, en l'an 1268, snr Conradin,
roi de Sicile. Le roi de ÎSaples y possède un château.
TAGLIAME\^TO (Le), petite rivière du territoire
vénitien, qui prend sa source entre les provinces d'Udine
et de Celliine, et qiu', après un parcours de 14 myriamètres,
se jette dans l'Adriatique. Il fut à diverses reprises le théâ-
tre d'eiigagements sérieux entre les Français et les Autri-
chiens, dans les guerres d'Italie, notamment, en 1805, d'un
combat d'arrière-garde des plus vifs entre Massena et l'ar-
chiduc Charles battant en retraite.
TAGLIOIVI (Marie), comtesse Gilbert des Voisins,
danseuse et mime justement célèbre, est née en 180'» , à
Stockholm , d'un père napolitain d'oiigine et depuis long-
temps attaché comme danseur au Ihéàtrede cette capitale.En-
gagé plus tard comme danseur à Vienne, Tagiioni emmena
avec lui Marie, sa (ille et son élevé], et la fit débuter avec le
plus grand succès sur le théàtredc cette ville, le IG juin 1822,
dans une composition chorégraphique dont il était l'auteur.
Dès lors toutes les scènes de l'Aileniagne tinrent à hon-
neur de posséder pemlant qu('l(|ues jours au moins l'élé-
gante et gracieuse danseuse qui avait su fanatiser la po-
pulation viennoise, si blasée, partant si difficile , en fait de
spectacles. Il lui manquait toutefois, comme dernière con-
sécration à sa gloire, les suffrages du public |)arisien. Marie
Tagiioni vint donc demander un début à notre Opéra , où
elle parut pour la première fois le 2;) juillet 1827, dans le
ballet du Sicilien. Cependant, la débulaute, si appaudie
qu'elle eût été, dut se contenter d'un engagement de cinq
ans au prix de 8,000 fr., sans feux, pour commencer en
novembre 1828, à rex|)iralion de celui qu'elle avait encore
à achever avec la direction du théâtre de Munich. La régie
de l'Opéra avait évidemment fait là une affaire d'or. Eu
1830, à la suite de la révolution de Juillet, la direction de
notre première scène lyiique passa, comme on sait, à titre
d'entreprise particulière subventionnée par l'État moyen-
nant 1,200,000 fr. par an, entre les mains du docteur V é-
ron. A l'expiration de l'engagement de son premier sujet,
r(W/;;TXrtr(o, désireux de retenir à l'Académie, alors 7-o?/«/e,
de Mnsiiiue, la danseuse qui en faisait la gloire et la for-
lune, lit noblement les choses, et signa à IVlarie Tagiioni un
engagement de 80,000 francs, non compris les feux. Les
principaux ouvrages dans lesquels elle se moiiIra furent :
Ccndrillon, Flore et Zéphirc, Guillaume Tell, Nat/iu-
lie, La Révolte mi sérail. Mais La Fille du Danube et
surtout La Sijtphide sont demeurées ses triomphes. Toutes
les grandes scènes de l'Europe se disputèrent alors les
moindres congés de la danseuse favorite du public parisien,
et la direction du Théâtre de Saint-Pétersbourg en vint à
lui faire des offres si magniliques pour l'accaparer à son
tour, que le directeur de l'Opéra ne put plus lutter ilavan-
tage, et dut , quoi qu'il lui en coûtât, se résigner à aban-
donner sa pensionnaire à Sa Majesté l'empereur de toutes
les Russies. Dans l'intervalle, un mariage , qui a eu d'ail-
leurs le sort de beaucoup trop de mariages d'artistes , était
venu donner à Marie Tagiioni le droit de blasonner les pan-
neaux de sa voiture et de surmonter son écu d'une cou-
ronne de comtesse. A son retour de Russie, et après avoir
encore fait, dans l'intérêt de sa fortune, divers voyages ar-
tistiques en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, Ma-
rie Tagiioni comprit à temps que l'heure de renoncer au
théâtre avait sonné pour elle et qu'il valait bien mieux y
laisser des regrets que risquer d'y exciter quelque jour la
comini>ération de ses anciens admirateurs. Depuis 1848 elle
s'est donc retirée en Italie, oii elle possède plusieurs palais
à Venise et une délicieuse villa sur les bords du lac de
CôJue.
TAGUAIV. Voyez Polatolche.
TAILLE
TAHÉRIDES (Dynastie des). Foy. Khalifes, tome XI,
p. 708.
TAIE , tache blanche ou pellicule qui se forme sur la
cornée transparente de l'œil. C'est le nom vulgaire de Val-
bugo, du leucome et de quelques autres affections de la
cornée.
TAILLADE. Foye; Estafilade.
TAILLE. Ce mot a un grand nombre d'acceptions.
Nous mentionnerons les plus usitées, et d'abord celle qui
le fait servir à désigner la stature du corps de l'homme,
ou plutôt sa hauteur. La taille de l'homme et la durée de
sa vie ne semblent pas avoir subi depuis les temps histo-
riques de variation appréciable. Les extrêmes sont de un
mètre 33 centimètres (les Esquimaux, les montagnards I3os-
chimans) à deux mètres (les Patagons);la moyenne e«t de
un mètre 66 centimètres. Souvent par le mot taille on
n'entend désigner que la conformation du corps, depuis les
épaules jusqu'à la ceinture : c'est en ce sens qu'on dit :
une taille line, dégagée, etc.
Taille, dans les usages du petit commerce de détail , se
dit encore d'un petit bâton fendu par le milieu en deux
parties , sur lesquelles , lorsqu'elles sont réunies , le vendeur
et l'acheteur font des hoches ou de petites entailles pour
marquer la quantité de pain, de vin, de viande, etc., que
l'un fournit à l'autre.
On appelait autrefois /fd//e un impôt, essentiellement féodal,
prélevé sur ceux qui n'étaient ni nobles ni ecclésiastiques
par les seigneurs sur leurs vassaux. Il était ainsi nommé
parce que les paysans collecteurs, ne sachant pas écrire,
marquaient leius recettes sur une taille de bois. On appelait
taille à merci, taille à volonté, taille à discrétion, une
taille que le seigneur levait annuellement sur se»s hommes,
non pas qu'il fût le maître de la lever autant de fois que
bon lui semblait, mais parce que dans l'origine il faisait son
rôle aussi fort et aussi faible qu'il le voulait. Il y avait en
outre la faille royale. Cet impôt , désigné dans les chartes
sous les noms de tallia, de (olta, maie tolta (pour mal
levé ou levé mal à propos, ainsi que cela devait arriver si
souvent), s'était d'abord appelé fouage, et avait porté
jusqu'à Charles VII une foide d'autres dénominations. Ce
fut sous saint Louis que les Français commencèrent à payer
la taille pour se délivrer des gens de guerre. Cet impôt ,
qiù ne ra[)portait que 1,800 mille livres à Louis IX, pro-
duisait trois millions sous Louis XI, plus de neuf millions
sous François \", et alla ainsi croissant jusqu'à la révolu-
tion de 89 , qui le supprima , ou plutôt ne fit qu'en changer
le nom et le mode de prélèvement.
Taille, au pharaon, au trente-et-un, etc., se dit de
la série complète des coups qui se suivent , jusqu'à ce que
le banquier ait retoiuné toutes les cartes du jeu qu'il a
dans la main.
En termes de musique, taille est celle des quatre parties
qui est entre la basse et la haute-contre: on la nomme plus or-
dinairement ténor {voyez Haute-Taille et Basse-Taille).
Taille , en parlant du tranchant d'une épée, n'est guère
usité que dans celte phra.se : Frapper d'estoc et de taille.
On nomme encore taitlenn bois qui commence à revenir
après avoir été coupé : Une jeune taille, une taille de deux
ans.
En termes de gravure, on appelle taille toute incision
que l'on fait sur le cuivre ou tout autre métal, avec le burin
ou avec la pointe, ou qui est creusée par l'eau-forte. Les
tailles ,\<i9< hachures et les points faits et ménagés suivant
les règles de l'ai t , servent à former tout ce qu'il est possible
de représenter par la gravure {voyez Guavure).
TAILLE ou LITHOTOMIE. On adonné ces deux noms
à une opération de chirurgie qui consiste à ouvrir la vessie
pour faire l'extraclion d'un ou plusieurs calculs vésicaux,
ou de tout autre corps solide porté accidentellement dans
la vessie, comme des épingles, des aiguilles, des portions de
sonde , d'os , ou une balle , après avoir traversé les parois
abdominales. Le mot cystotomie conviendrait beaucoup
TAILLE — TAILLEBOURG
445
mieux pour la désigner. Celle opéralion est très-ancienne-
ment connue. D'après toutes les apparences , la taille pro-
prement dite (ut d'al)ord pratiquée à Alexandrie, par des
charlatans. Dans l'ouvrage intitulé le Serment (VHippo-
crale, il n'est question de celle opération que pour la blâmer,
et l'auteur engage même, par serment, les véritables mé-
decins à ne jamais la pratiquer. Chez les Grecs et les Ro-
mains , celte partie de la chirurgie fut dédaignée par les
médecins, et resta dans l'enfance. Pendant près de seize
siècles on ne pratiqua cette opération que par la méthode
difficile et dangereuse décrite par Ce 1 se , et elle n'a dû les
progrès lents qu'elle a faits en Europe qu'à un concours de
circonstances fortuites, qui ont conduit à l'invention de
presque toutes les méthodes proposées pour se frayer une
voie jusque dans la vessie. La taille a été pratiquée pendant
longtemps par quelques chirurgiens qui ne faisaient que
cette opération : tels étaient , en France , les C o 1 o t et frère
Jacques, Raw en Hollande, etc. C'est à dater «lu dix-hui
tièmeet du dix-seplième siècle que les maîtres de l'art con-
sacrèrent à celte opération leurs veilles et leurs médita-
tions, et se sont en quelque sorte réunis pour rechercher
les moyens de la rendre phis simple, plus facile à pratiquer,
et plus sûre pour les malades.
On a cru pendant longtemps que celte opération était le
seul moyen à proposer aux personnes atteintes de calculs
vésicaux; mais les moyens ingénieux imaginés et employés
dans ces derniers temps par MM. Civiale, Le Roy, Sé-
galas, Amussat, Heurleloup, Jacobson, etc., pour user,
écraser ou broyer la pierre , peuvent , dans un grand nom-
bre de circonstances, la remplacer avec succès. Cependant,
on serait tout à fait dans l'erreur de penser que la 1 i l h o t r i -
lie, malgré l'inconvénient de ne pouvoir êtreappliquée à tous
les cas de pierre, est une opération sans danger; dans beau-
coup de cas elle est même plus grave que l'opération de
la taille : c'est donc au praticien éclairé qu'il appartient de
décider la question de savoir si le malade (iiii est soumis à
son observation est dans le cas d'être taillé ou lïtholrilié.
L'enfance, la puberté et l'âge adulte sont en général plus
favorables à la réussite de cette opération que la vieillesse.
Le.s femmes y succombent très-rarement. Certaines circons-
tances conlre-indiquent l'opération qui nous occupe : ainsi,
il serait très-imprudent d'opérer un individu très-àgé ou
arrivé à un tel degré de marasme qu'il n'aurait pas la force
de supporter les suites de l'o|)ération. On doit encore s'en
abstenir quand la vessie est le siège d'affections graves,
comme d'un fongus , d'un cancer, ou que les reins sont eux-
mêmes le siège de calculs ou d'une altération organique
quelconque. La lésion grave d'un autre organe, quoique
éloigné du siège de la vessie, est en général ime cause de
contre indication : on a alors recours aux calmants, aux
bains et à un régime doux. Les malades peuvent èlie opérés
dans toutes les saisons; cependant, quand rien ne presse,
quand les douleurs ne sont pas trop intenses : mieux vaut
choisir une saison douce et tempérée que le temps où règne
une grande chaleur ou un froid excessif.
Décrire minutieusement la manière de pratiquer celle opé-
ration , avec ses diverses méthodes et ses nombreux pro-
cédés, ce serait sortir des bornes que réclame ici un article
de celte nature, et d'ailleurs nous mettre dans le cas de ne
pas être compris par les plus intelligents de nos lecteurs, qui
ne seraient pas versés dans l'élude de l'analomie. Nous dirons
seulement que l'on pratique celte opération par deux grandes
méthodes générales : l'une, par laquelle on arrive à la vessie
en incisant la partie antérieure et inférieure de l'abdomen,
au-dessus du pubis : c'est la taille hypoyastrique ou le
haut appareil. Elle n'est plus employée aujourd'hui que
comme méthode exceptionnelle, dans les cas où le calcul est
très-volumiueux, quand il y a des rétrécissements considéra-
bles au canal de l'urètre, surtout aux portions membraneuse
et prostatique de ce conduit, lorsque la prostate est malade,
ou le périné le siège de tumeurs ou de fistules urinaires,
avec engorgement des parties environnantes. Dans l'autre
méthode, on arrive à la vessie par l'un des nombreux point
du périné; c'est pourquoi elle a pris les noms de taille
sous-pubienne, périiukile, ou bas appareil. EWe renferme
un grand nombre de sous-méthodes et de procédés diffé-
rents, dont les principaux sont Xa petit appareil, ou taille
de Celse; le grand appareil, taille médiane ou de Gio-
vani de floma«j; la taille latérale, Voblique, la trans-
versale ou bi-latérale, la quadrilatérale , inventée dans
ces derniers temps par "Vidal de Cassis ; la recto-vésicale ,
et chez la femme \d taille vésico-vulvalre , avec tousses
procédés
La taille , d'après les heureuses modifications qu'elle a
éprouvées dans ces derniers temps, n'est guère plus dan-
gereuse que la I i t h 0 tr i t i e , et elle a l'avantage sur cette
dernière de permettre l'extraction complète du calcul en une
seule et prompte séance ; de plus, elle convient dans presque
tous les cas de calculs , tandis que la litliolritie n'est appli-
cable qu'à certains d'entre eux. D' Huguier,
TAILLE. Voyez Blason et Écu.
TAILLE AUX QUATRE CAS , terme de droit
féodal. Au bon vieux temps , quand les vilains étaient tait-
tables et corvéables à merci, on désignait sous ce nom une
redevance extraordinaire que le seigneur était en droit
d'exiger de ses vassaux dans quatre circonstances, à sa-
voir : pour voyage d'outre-mer, pour marier ses filles, pour
sa rançon quand il était fait prisonnier, enfin pour faire son
fils chevalier.
TAILLEBOURG (Bataille de). Le prince Alphonse,
frère de Louis IX, venait d'être reconnu (12i2) seigneur
du Poitou, et avait reçu l'hommage de tous ses vassaux.
Un seul d'entre eux, Hugues deLusignan, comtede la Marche,
possesseur de fiefs nombreux en Poitou, Saintonge et An-
gournois, lefusait d'obéir aux ordres du roi et de se re-
connaître vassal d'Alphonse. Il était poussé à la résistance
et entretenu dans ses sentiments de rébellion par sa femme
Isabelle, veuve de Jean Sans Terre, et mère de Henri 111 ,
roi d'Angleterre. Ses instances venaient de décider son fils à
passer de nouveau en 'France. Elle lui avait promis l'assis-
tance des rois de Castille et d'Aragon, du comte de Tou-
louse et d'une foule d'autres seigneurs mécontents. Lusi-
gnan, obéissant à l'empire funeste qu'elle exerçait sur lui,
faisait partie de cette ligue; mais ne voulant se déclarer que
lorsqu'il se croirait assez fort, il prêta, comme les autres
vassaux , serment au |>rince Alphonse. Sommé par celui-ci,
qui avait été informé de ce qui se traînait contre lui, de ve-
nir renouveler son serment aux fêtes de Noèl, Lusignaa
leva le masque, déclarant qu'il regardait le Poitou couune
appartenant à Richard d'Angleterre, et qu'il n'avait aucun
ordre à recevoir de lui ni du roi de France. A celte nou-
velle, Louis convoqua son parlement pour juger le comte de
la Marche et le déclarer déchu de ses fiefs. Ce fut l'occasion
que Henri III .saisit pour chercher à reconquérir les pro-
vinces que Philippe-Auguste avait arrachées à l'Angleterre
et pour se metlreà la tête de la ligue qui veuaitde se former.
Il passa donc en France , et bientôt la guerre commença.
Louis IX, alors âgé de vingt-huit ans seulement, la poussa
avec vigueur. Toutes les places en deçà de la Charente ne tardè-
rent pas à tomber entre ses mains, et Taillebourg, ville alors
très-forte, lui ouvrit ses portes. Louis campait sous ses murs en
présence de l'armée anglaise, groupée sur la rive opposée pour
défendre les abords de la Charente. Une partie des troupes
de Louis montèrent sur des bateaux, et cherchèrent à forcer le
passage du fleuve, mais elles furent repoussées. Alors Louis,
mettantpiedà terre et saisissant son épée, se précipita à l'en-
trée du pont de Taillebourg, suivi seulement de huit hommes
d'armes, pour s'ouvrir un passage au milieu des ennemis. La
bravoure audacieuse du roi de France et de celle poignée
de braves frappa les Anglais d'étonnement et de frayeur ; ils
reculèrent sur ce pont , où quatre hommes seulement pou-
vaient passer de front, et Louis se trouva bientôt à l'autre
extrémité. Cependant les Anglais s'aperçoivent que quelques
hommes ont suffi pour jeter le désordre dans leurs rangs.
446
TAILLEBOURG
Ils reprennent l'offensive, et pressent de tous côtés Louis ,
qui se défend avec un courage héroïque et fait des prodiges
de valeur. L'armée française, de son côté, a vu le noble élan
du roi et le danger qu'il court par suite de sa courageuse
témérité. Ciiacun veut partager son péril et sa gloire. Les
uns dans des bateaux, les autres à la nage, d'autres sur
l'étroite chaussée du pont, tous, en un mot, se précipitent sut
ses pas et courent sus aux Anglais. La mêlée devient alors
terrible, et le combat des plus acharnés. Tous les efforts des
Anglais se dirigeaient contre Louis, mais ils demeurèrent
inutiles. La victoire du roi de France fut complète.
L'armée Anglaise, en pleine déroute, courut s'enfermer
dans les murs de Saintes ; mais Louis ne tarda pas à la con-
traindre à prendre encore une fois la fuite et à chercher un
refuge à Blaye. Lusignan ainsi que sa femme et ses enfants
s'étant rendus à discrétion, Louis leur pardonna, mais après
avoir exigé du comte de la Marche qu'il le suivît avec toutes
ses troupes dans son expédition contre le comte de Toulouse
et les autres princes alliés du roi d'Angleterre.
On voit encore aujourd'hui sur les bords de la Charente
des restes de ce pont de Taillebourg qui fut témoin d'un
des plus glorieux laits d'armes de notre vieille histoire.
A.Grellet du Peirat.
TAILLE DES ARBRES. Cette opération, dans sa
théorie, résulte de l'observation de trois faits, savoir : 1° que
si on coupe la tige d'un jeune arbre rez-terre, il repousse des
jets vigoureux; 2° que si l'on coupe l'une de deux branches
voisines et égales, l'autre profitera de la sève de la branche
supprimée, au profit de sa grosseur propre et de la bonté des
fruits qui y sont attachés; 3° que si on supprime une partie
de branche garnie de plusieurs fruits, ceux qui restent se-
ront plus gros et plus certains. Ce qu'on doit véritablement
appeler taille se fait avec la serpette. Un autre instrument
(le sécateur) a été proposé il y a une vingtaine d'années;
mais comme il agit moins rapidement que la serpette, et
qu'il comprime avant de couper, on ne doit l'employer qu'à
la taille des arbustes. Nous nous bornerons à rappeler ici
quelques principes généraux relatifs à la taille des arbres
iruitiers. Pour les autres espèces d'arbres , nous nous con-
tenterons de renvoyer le lecteur à l'article Bois (Sylvicul-
ture).
On a deux buts dans la taille d'un arbre fruitier : 1° de
fajre pousser à cet arbre des branches tellement disposées
qu'il devienne espalier, contre- espalier, quenouille, pyra-
mide, nain, etc.; 2° de lui faire fournir de plus beaux fruits ,
et chaque année presqu'en même nombre, à moins que
des obstacles imprévus ne s'y opposent. C'est en hiver que
se fait la taille des arbres fruitiers, et généralement de tous
les arbres; les uns se taillent au commencement, lesautres
à la fin. La taille des arbres à pépins , surtout des poiriers,
peut se faire dès que les feuilles sont tombées. Les mois de
novembre et de décembre sont plus convenables dans le cli-
mat de Paris.
On réduit communément les principes de la taille à deux :
1° supprimer tout canal direct de la sève, pour que la le.i-
teurde sa marche multiplie les fleurs, assure lanouure, sa
permanence, augmente la grosseur et la saveur des fruits;
2° soutenir l'équilibre le plus parfait entre les deux côtés
ou ailes de l'arbre, c'est-à-dire tailler plus long le côté le
plus vigoureux , et plus court le côté le plus faible. Les
partisans exagérés de Varcure des branches tiennent au
premier principe. Du second principe résulte la durée et la
permanence du bon état de l'arbre. Souvent on taille un
arbre qui a été mal conduit pendant plusieurs années con-
sécutives, ou qui a souffert de la grêle, de la gelée, etc.,
uniquement pour le rétablir; tendez alors à la reproduction
des branches à bois. Ne taillez pas dans l'intention de for-
cer la production du fruit. Si donc vous diminuez la produc-
tion du fruit une année, vous conservez à l'arbre une vigueur
suffisante pour qu'il en puisse porter encore l'année suivante.
Comme le principe de la disposition des espaliers, des con-
tre-espaliers , est qu'il n'y ait de branches conservées que ^
— TAILLEUR
' celles qui sont sur les côtés des mères branches ou des ti-
rants, la première opération à faire, quand on les taille, c'e«l
de couper toutes celles qui se trouvent sur le devant ou sur U
darrière. En général, on doit tailler court toutes les branches
Cm bas et du dessous des branches principales, parce que ce
sont les plus faibles ; mais en coupant celles des branches à
bois dont il est question, il faut s'occuper de la multiplication
des branches à fruits pour les années suivantes. Abstenez-
vous de tailler les arbres lorsqu'il gèle ou que l'air est sec
et vif, parce que les branches s'éclatent ou cassent trop faci-
Jement. p. Gaubert.
TAILLES DE FO\DS, TAILLES-POINTS ( Marine ).
Voyez Cargue.
TAILLEUR. En province, où le plus chétif instituteur
primaire s'intitule pompeusement homme de lettres; eu
province, où le maçon est architecte , et le badigeonneui
artiste , ce mot s'applique à tout individu qui , moyennant
tant par jour ou par façon, convertit une étoffe quelconque
en simulacre d'habit, de gilet, etc. A Paris , où l'on est moins
prodigue de qualifications , il désigne un Humann , un Che-
vreuil, un Renard, un Lassus, un Staub, un Pomadère, c'est-à-
dire un interprète ingénieux du bon goût et de la mode, que
l'on doit bien se garder de confondre avec ces confection-
neurs vulgaires, ces vils frippiers , qui de nos jours se
chargent, au rabais et à prix fixe (s'il faut en croire les
prospectus de leurs établissements, tout étincelants de glaces
et de domres), de transformer le plus gauche des provinciaux
en lion , en dandy , en fashionable. « Combien de peintres
comptez-vous en France? demandait un jour Napoléon à
David. — Sire, répondit l'auteur de Léonidas , il y en a
bien 6,000, ou du moins peu s'en faut. — 6,000 pour un
David !! ! » Et Napoléon se croisa les bras, puis se prit à
sourire. L'exclamation ironique du grand empereur a con-
servé à cinquante ans de distance toute son actualité. Les
David en tous genres sont rares en tous temps ; et les vrais
tailleurs aussi constitueront toujours le très-petit nombre
dans cette immense corporation qu'on désignait autrefois
sous le nom àe pourpoinctiers, parce que ses membres étaient
en possession de confectionner les pourpoincts de nos bons
aïeux. Un coup d'œil rétrospectif jeté sur l'histoire d'un art
qui de tous temps eut de l'importance en France (nous n'en
voulons pas de meilleure preuve que la fameuse épître de
ce bon Sedaine à son habit) ne serait certes pas un travail
sans intérêt. Malheureusement les matériaux manquent, ou
à peu près. Que nous importe eu effet de savoir, par exemple,
qu'avant 1789 pour parvenir à la maîtrise dans la corpo-
ration des tailleurs il fallait avoir été trois ans compagnon
et produire un chef-d'œuvre? Ce qu'on aimerait à connaître,
ce sont les noms des artistes qui ont successivement excellé
dans la coupe des vêtements, les luttes qu'il leur fallut sou-
tenir ; mais les auteurs de Mémoires des deux derniers siècles
ont constamment, et comme avec préméditation, négligé de
parler des tailleurs qui de leur temps donnaient l'impulsion
et le ton à la mode. Assurément pourtant ce ne devaient pas
être des esprits vulgaires que ceux qui habillaient les Lauzun,
les Richelieu , les Fronsac, les Lauraguais, ou le comte d'Ar.
lois et tant d'autres hommes élégants. Sedaine lui-même,
que nous citions tout à l'heure, et qui remercie si naïvement
son habit, se garde bien de nous dire à quel tailleur il le de-
vait. Ce mot, qui nous échappe, expliquerait peut-être l'ingrat
silencequenous reprochons aux écrivains du dix-septième et
du dix-huitième siècle.
Quand il devint de bon ton de porter des sabots avec
une ignoble carmagnole et de se coiffer d'un sale bonnet
rouge, on conçoit que l'art du tailleur dut retomber dans
l'enfance. Les modes si ridicules qui régnèrent pendant les
bacchanales du Directoire ne doivent être considérées que
comme l'inévitable et nécessaire transition d'une époque
d'anarchie à des temps calmes et réguliers. L'empire ra-
mena l'art du tailleur dans la véritable voie du progrès et du
perfectionnement , et l'histoire n'a pas dédaigné de sauver
du grand naufrage dans lequel périt cet édifice de gloire 1«
TAILLEUR
nam motlesle de Léger. C'est que, voyez-vous , a Léger écliut
le lot d'habiller le grand homme. Un homme d'esprit a dit que
Staub, l'illustre Staub, qui a bâti tout un quartier de Paris
sur l'emplacement de l'ancien hôtel Thélusson , et qui est
mort laissant plus de 300,000 fr. de rente, eût pu, rien qu'en
relevant son /ivre de factures, accompagné de quelques notes
et commentaires, écrire toute l'histoire de la Restauration.
On a remarqué que partout', en Europe, l'art si diKicile
d'habiller les hommes, c'est-à-dire de dissimuler leurs dé-
fauts et de faire valoir leurs avantages physiques, n'avait
que des Allemands pour véritables interprètes. D'où vient
celte prééminence des hommes d'outre-Rhin? Étant donnée
cette prééminence, quelle est la cause de la non-moins in-
contestable infériorité de l'artiste de Vienne , de Berlin ou
de Munich, comparativement à son compatriote et condisciple
qui est venu chercher fortune à Paris ou à Londres , les
deux seules villes du monde où les hommes sachent s'ha-
biller.' Voici la solution qu'un misanthrope a donnée de cet
étrange problème : c'est que les luttes acharnées et inces-
santes que l'arliste de Londres ou de Paris est obligé de
soutenir pour arracher à la plupart de ses clients le payement
de ses mémoires développent son génie. Nous rapportons
cette explication telle quelle, et sans commentaires.
Charles Dupouy.
TAILLEVAS. Voyez Bouclier.
TAILLIS. On appelle ainsi, en termes de sylviculture,
un bois que l'on met en coupe réglée, ordinairement de neuf
en neuf ans, par opposition au bois de futaie.
TAILLOIRou \^kQ.{]V.{ Architecture). Foe/es Abaque
et Chapiteau.
TAIIV) amalgame d'étain et de mercure employé pour
Ja fabrication des glaces et miroirs.
TAIIM ( Géographie ). Voyez Dbôme (Département de la ).
TAÏ-OUAN, ville de Chine, chef-lieu de la province
du môme nom et de l'île de F o r m o s e , sur la côte orientale
et le détroit de Forraose, est le centre d'un commerce impor-
tant.
TAISSON. Voyez Blaireau.
TAÏTI ou TAHITI. Voyez Otaïti.
TAJO. Voyez Tage.
TAJASSÙ ou TAJASSOU. Voyez Pécari.
TALAHASSÉE. l'oye:; Floride.
TALAPOII\ , nom vulgaire d'un singe rangé parmi
lescer co pi thèques jusqu'en 1829, époque où M. Isidore
Geoffroy Saint-Hilaire l'en sépara pour en former le type du
genre miopithèque (de [xeïov, moindre, plus petit, et Ttiôrjxo;,
singe). Le talapoin diffère en effet des guenons par des
caractères très-importants, notamment par la disposition
des narines. Quant aux caractères spécifiques, ce petit singe
a le nez noir, les poils du front relevés et formant une sorte
de huppe, le pelage d'un vert tiqueté, plus foncé sur le
corps, plus clair et plus lavé de jaune sur la (ace externe
du corps et le dessus des mains; le dessous du corps et le
dedans des membres sont blancs; la queue est grisâtre. Le
talapoin, que Buffon croyait à tort originaire de l'Inde,
habite la côte occidentale d'Afrique.
TALAPOINS, nomque les Siamois et les habitants du
Laos et du Pégu donnent à leurs prêtres, espèces de moines
mendiants et prêcheurs. Voyez Bolddua.
TALAVEYRA DELA REYNA, vieille ville d'Espagne,
dans la province de Tolède, appartenant autrefois au royaume
de Castille , sur la rive droite du Tage, qu'on y passe
sur un étroit pont en jiierre, de trente-cinq arches et de cinq
cents mètres de long. On y voit de belles ruines romaines,
des tours et des portes construites par les Arabes. Sa popu-
lation est d'environ 7,000 habitants, et il s'y fabrique beau-
coup de drap, de velours, d'étoffes de soie, de tresses et
de salons d'or et d'argent. C'est aussi l'endroit de l'Espagne
où l'on fabrique les meilleures poteries. Cette ville est l'antique
Talabriga ; au moyen âge il en est fait mention comme siège
d'un évéclié visigoth, sous le nom A'Elbora, et les Arabes
rappelaient Thalabira. En 914 et 945 ils y essuyèrent de
TALC
447
mémorables défaites. Elle fut prise d'assaut en 1080 par le
roi de Castille Alphonse VI, et en 1 196 par les A 1 m o h a d e s 3
mais elle est encore plus mémorable dans l'histoire par la
grande bataille que Wellington y gagna, le 28 juillet 1809,
sur les Français commandés par le roi Joseph.
TALBO'T ( JoHX ), l'un des plus célèbres capitaines de
l'Angleterre au quinzième siècle, descendait d'une famille
normande, et était né vers 1373, à Blechmore, dans le
Shropshire. En 1410 il entra au parlement, où il figura
parmi les adversaires de la maison de Lancasire. Aussi eu
1413, à l'accession au trône de Henri V, fut-il emprisonné
à la Tour. Mais le roi ne tarda pas à le faire remettre ea
liberté. Il le nomma même lord lieutenant en Irlande, où
il battit le chef des rebelles Donald Mac Murghe. Lorsqu'en
1417 Henri V entreprit son expédition contre la France,
Talbot, qui l'y suivit, assista aux sièges de Domfront et de
Rouen, chassa les Français du Mans, et prit part aux as-
sauts de Laval et de Ponlorson. Le comte de Salishury ayant
été tué sous les murs d'Orléans, il fut chargé, avec d'autres
capitaines, de la direction des opérations du siège de cette
place, que Jeanne d'Arc fit enfin lever aux Anglais. Après
les nombreuses défaites qu'essuya ensuite l'armée anglaise,
Talbot en prit le commandement en chef, et ramena bientôt
la victoire sous ses drapeaux. En 1433 il s'empara d'un
grand nombre de villes fortifiées de la Normandie; en 1435
la ville de Saint-Denis tomba en son pouvoir, et l'année sui-
vante il mit l'armée française en déroute sous les murs de
Rouen. En 1437 il prit Pontoise, et mit le siège devant
Crotoy. Mais le manque de troupes et de secours suffisants
de la part de l'Angleterre le contraignit à abandonner
ses conquêtes pour se borner à garder la défensive. Il est
indubitable que la France eût été beaucoup plus tôt délivrée
de la présence des bandes armées de l'étranger sans les ef-
forts énergiques que le redoutable Talbot fit jusqu'au dernier
moment pour s'y maintenir. En 1442 Henri VI le créa
comte de Shrewsbury en Angleterre , et comte de Water-
ford et Wexford en Irlande. En 1449 Talbot dut , après
la défense la plus désespérée, rendre Rouen aux Français,
et même se livrer à eux comme otage pour la stricte obser-
vation des clauses de la capitulation. L'année suivante, il
recouvra sa liberté, et entreprit alors up pèlerinage à Rome.
A son retour, le roi d'Angleterre le nomma de nouveau au
commandement supérieur des forces anglaises en Guienne,
province que le roi de France Charles Vil venait d'envahir.
En octobre 1452 Talbot, à la tête de 4,000 hommes, s'em-
para d"un grand nombre de villes , entre autres de Bordeaux,
où il se fortifia. Mais au mois de juillet 1453, l'armée fran-
çaise étant venue mettre le siège devant Castillon (Cliàtillon
de Périgord ), John Talbot dut aller au secours de cette place
avec les 5,000 hommes de renfort que son fils lui avait tout
récemment amenés d'Angleterre. Il y fut battu à diverses
reprises par les Français, dans de sanglantes affaires , et
succomba, le 20 juillet 1453, aux graves blessures qu'il y
avait reçues. Son fils eut le même sort. L'armée anglaise,
privée de ses chefs , se dispersa ou se réfugia à bord des
navires qu'elle avait en réserve à la côte. Les preuves mul-
tipliées de modération et de loyauté que John Talbot avait
données au milieu de ces luttes acharnées entre les deux
peuples, et son courage chevaleresque, lui avaient mérité l'es-
time universelle et jusqu'à celle de l'ennemi. Des deux côtés
du canal on s'accordait à l'appeler V Achille de V Angleterre.
Quelques années après .sa mort, on rapporta ses resle-s mortels
de France à Whitechurch, dans le Shrop.shire,où on lui éleva
un monument. Ses descendants figurent encore aujourd'hui
aux premiers rangs de l'aristocratie anglaise. Le chef actuel
de cette famille est Joh^i Talbot, seizième comte de Shrews-
bury, de Waterford et de Wexford, né le 18 mars 1791.
TALC» substance minéiale, composée de silice, deraa-
gnésie, de protoxyde de fer et de quelques traces d'alumine
et d'eau , grasse au toucher, flexible, non élastique , qui
se laisse facilement rayer par l'ongle , et ne raye aucun mi-
néral ; ses formes cristallines ne sont pas bien connues ;
448
TALC —
elle s'électrise résineusement par le frottement. Le talc se
présente en général sous une forme feuilletée, compacte ou
écailleuse; sa couleur, quelquefois très-blanclie , offre dans
la plupart des cas des tons verdàtrcs et grisâtres. Il consti-
tue presque à lui seul les roches désignées par M. liron-
gniart sous le nom de phijlludes , et remplace souvent
le mica dans les roclies primitives (Monl-Blanc). 11 existe
en grande quantité dans les terrains de micaschiste, dans les
couches ou amas de calcaire subordonné, et sert à fabriquer
les crayons de pastel et à enlever les taches ; il entre aussi
dans la composition du fard. On appelle talc graphique,
ou craie de Briançon, une variété de talc qui se trouve
très-communément dans le commerce sous la forme de pe-
tites caricatures chinoises, et qui portent le nom àepagodi-
tes. Ce minéral, dont la composition chimique diffère de
celle des talcs ordinaires par la présence de la potasse et
de la chaux , offre un aspect gras , et se laisse facilement
rayer par une pointe d'acier. L'espèce de talc désignée sous
le nom de pierre ollaire, et que l'on trouveen grande abon-
dance dans les montagnes du Valais, a de tous temps servi,
comme son nom l'indique (alla), à fabriquer des instru-
ments domestiques. La craie de Briançon, ou talc stéatKe,
présente une grande analogie de composition avec le talc
proprement dit : on l'emploie pour adoucir le frottement
des rouages en bois, pour faire glisser les bottes, pour tracer
des lignes sur le drap, etc. Les serpentines, qui ne sont
autre chose que du talcstéatile opaque, renferment certai-
nes proportions de fer, se travaillent facilement sur le tour,
et servent à fabriquer des écritoires, des lampes, des ta-
batières, et des boites de tous genres. Tolknal.
TALC BLEU. Voyez Distuène.
TALENT. Ce mot dans l'acception la plus ordinaire
désigne une disposition mentale particulière qui nous fait
exceller dans la pratique ou l'exercice de certaines choses.
On dit ainsi d'un bon orateur, qu'il a le talent de la pa-
role; d'un diplomate habile, qu'il a le talent des intrigues,
des affairée, etc. Le talent n'est ni l'esprit ni le génie, et
nesanrait jamais tenir lieu de l'un ou de l'autre : ainsi, l'on
peut avoir de grands talents pour de certaines choses, et
n'être qu'un sot en tout le reste. 11 faut remarquer toutefois
que dans le langage ordinaire l'acception du mot talent,
qui devrait être restreinte dans les limites que nous venons
de poser, s'étend à l'exercice des facultés mentales de toutes
espèces, qu'elles soient l'expression de l'esprit ou du génie :
ainsi l'on dit de La Fontaine , qui avait bien certainement
le génie des fables, qu'il a montré, comme fabuliste, plus
de talent qu'aucun autre.
Talent dans le style familier se dit de la personne qui
le possède : Récompenser le talent , pour celui qui en est
doué.
TALENT ( Numismatique et Métrologie [du grec^aXav-
Tov, en latin talenlum\).CQ mot servait chez les anciens à
désigner une espèce de monnaie, ainsi qu'un poids pour les
métaux, à peu près comme nous avons eu le marotn France
jusqu'à rétablissement du système décimal.
Les savants ne sont aujourd'hui d'accord ni sur le nom-
bre des talents autrefois usités, ni sur leur véritable valeur :
celui dont il est le plus souvent parlé dans les auteurs est le
talent attique ; il renfermait, comme poids, 60 mines,
6,000 drachmes, et faisait environ 2G kilogrammes 178
grammes, soit 30 livres romaines. Il y avait aussi le ta-
lent asiatique, qui était en outre celui des Hébreux et de
Moise. M. Saigey, notre honorable collaborateur, auteur
d'un excellent traité sur ces matières, estime qu'il équivalait
à 18 kilogrammes. Il regarde comme étant un de ces poids
la pierre roulée, en serpentine commune, conservée dans le
cabinet des médailles de la Bibliothèque impériale, où elle est
cataloguée sous le n° 702. Elle porte à l'un de ses bouts la
vipère céraste avec trois étoiles , puis les douze signes du
Zodiaque, et quatre oi; cinq autres figures, le tout sculpté
en relief ; enlin , sur les deux flancs de la pierre, on voit
quatre colonnes d'écriture cunéiforme gravée en creux.
TALION
Pour déterminer la valeur du talent comme monnaie, fl
faut distinguer deux époques : l'une qui s'étend depuis les
premiers temps historiques jusqu'au deuxième siècle avant
l'ère chrétienne, et l'autre qui comprend depuis celte der-
nière époque jusqu'à celle où la Grèce fondue dans l'Empire
Romain en adopta les monnaies. Dans la première de ces
périodes , qui embrasse les temps les plus florissants de la
Grèce, tels que le siècle de Périclès, le talent pesant 6,000
drachmes, dont chacune répond à 82 grains 1/7, on doit
exactement l'évaluer à 5,560 fr. 90 c. Durant la deuxième
époque la drachme ayant été altérée, et ne valant plus que
77 grains 1/7 ,i|e talent, quoiqu'ilencontînt toujours 5,000, ne
répondait plus qu'à 5,222 fr. 41 c. 11 y avait aussi des ta-
lents attiques d''or, évalués à 10 talents d'argent, et ré-
pondant à 55,609 fr. de notre monnaie actuelle. Le talent
d'Égine ou de Corinthe valait 100 mines ou 10,000 àràc\\'
me.?,. Lq talent babylonien, estimé à 133 livres romaines
(30 kilog. 837 gram.), valait environ 6,416 fr., t\.\& talent
des Hébreux répondait à 4,625 de nos francs à peu près. Il
y avait une foule d'autres talents, tels que ceux d'Egypte,
de Rhodes, d'Alexandrie, etc., sur la valeur desquels il a
été impossible de se fixer.
TALFOURD (Sir 'Thomas Noon), poète anglais et
membre du parlement, naquit en 1795, à Reading. Fils d'un
brasseur, il fut élevé dans les principes religieux des dis-
senters ; mais par la suite il s'est rallié aux doctrines de
la haute Église. Il fit de remarquables études classiques, et
dès l'âge de seize ans, en 181 1, il publia ses Poemson va-
rions subjects. La fortune médiocre de ses parents ne lui
permettant pas d'aller passer plusieurs années sur les bancs
d'une université, il se consacra tout de suite à la carrière
de la jurisprudence', sous la direction du célèbre Chitty,
dont il fut l'un des collaborateurs les plus actifs pour la ré-
daction du grand ouvrage de droit criminel qui porte son
nom. Eu môme temps il écrivit des articles littéraires ou
philosophiques, qu'il fit paraître dans le New-Moni/ily Ma-
gazine , dans VEdinburgh Review et dans divers autres
recueils, et qui plus tard ont été réunis et publiés à part
(Londres, 1843). Admis comme avocat au barreau en 1821,
il ne tarda pas à se (aire une clientèle considérable, et ob-
tint en 1833 le titre de serjeant ai law.Èhi membre du
parlement par la ville de Reading en 1834, il reçut d'elle
un nouveau mandat en 1839 et en 1846, et s'est surtout fait
connaître par ses efforts pour faire plus efficacement con-
sacrer le droit de propriété littéraire. C'est principalement
comme poète tragique qu'il s'est fait un nom dans les let-
tres. Ses œuvres théâtrales, dans lesquelles il a pris pour
modèle le drame classique, réunissent en effet l'unité d'ac-
tion à la lucidité de la forme et à l'élégance du style. Son
premier drame. Ion, représenté en 1836 à Covent-Garden ,
obtint un succès prodigieux, et il est demeuré le meilleur
de ses ouvrages. 11 donna bientôt après sur le théâtre de
Hay-Market The Athenian captive, œuvre également dans
le goût classique, puis Glencoe , tableau de famille, pièce
moins heureuse, et dont le succès fut bien inférieur aux
deux autres. Ces trois drames ont été publiés en un volume
(1844). Il a écriten prose une biographie de mistress Rad-
cliffé, un Essai critique sur le théâtre grec, et Vacation
Hambles and Tlioughts, recollections qf three continen-
tal tours (2 vol., Londres, 1845), récit intéressant des
voyages de l'auteur en France , en Suisse et sur les bords
du Rhin. C'est seulement après sa mort que parut le Sup-
plément to Vacation Rambles (Londres , 1854). On a en
outre de lui : Letters of Charles Lamb ( 1837), et Final
Memorials qf Charles Lamb (2 vol., 1848). En 1849 il fut
nommé juge à la court of common pleas. C'est dans l'exer-
cice de ces fonctions que la mort le surprit, en 1854, à
Stafford.
TALINGUER. Voyez Étalincuer.
TALION (Loi du). Elle remonte à la plus haute anti-
quité. Cette pénalité légale est exprimée avec une énergique
précision dans la loi de Moïse : ■ Œil pour œil, dent pour
TALION — TALLEMANT DES RÉAUX
d^nt. » Elle a été autorisée par les législations romaine et
grecque, mais modifiée ensuite ; et les chefs du prétoire de
l'ancienne Rome avaient substitué à cette loi de sang une
réparation en faveur du plaignant. Mahomet l'avait intro-
duite dans son Koran; le frère ou le plus proche héritier
de la personne tuée devait poursuivre le meurtrier en jus-
tice, et demander impitoyablement sa mort. « On vous or-
donne, a-til dit, le talion pour ce qui regarde le meurtre :
ua homme libre pour un homme libre, un esclave pour un
esclave, une femme pour une femme. » -Il ajoutait : « Mais
celui qui pardonnera au meurtrier obtiendra la miséricorde
de Dieu, et lorsqu'on aura pardonné, on ne pourra plus
exiger le talion. » Les nations primitives avaient imaginé
les mutilations pour la pimition des crimes, et la peine du
talion était appliquée avec une inflexible rigueur.
DUFEY ( de l'ïonne).
TALISMAN. On appelle ainsi certaines ligures en mé-
tal, en pierre, etc., etc., ou bien encore certains signes,
certains caractères, certaines figures , gravés sur ()ierre
ou sur toute autre matière , et auxquels la superstition at-
tribue la propriété de porter bonheur à celui qui les possède.
Le nom et la chose proviennent incontestablement de l'O-
rient, peut-être bien même de l'Inde, d'où l'usage des talis-
mans passa aux Perses, aux Hébreux, aux Arabes et aux
gnostiques. C'est pou rq iioi les mots abraxas, sioichéia
et téraphim avaient la môme signification. Tout récemment
l'opinion s'est produite que le talisman était en pierre, l'a-
mulette, au contraire, eu étoffe, en papier, etc., et que le
premier tirait son nom d'une montagne appelée Talisman ,
dont les pierres étaient uniquement employées à cet usage.
Les Perses, ajoute-t-on, croyaient cette montagne habitée
par toutes sortes d'esprits ; circonstance qui communiquait
nue puissance surnaturelle à ces pierres. Quand les maho-
inétans adoptèrent l'usage des talismans , il les modifièrent
en y inscrivant des sentences du Koran , l'islamisme inter-
disant l'invocation des puissances démoniaques.
TALLART (Camille, comte de), duc d'Hostun,
maréchal de France, naquit en 165'2, et appartenait à une
bonne famille du Dauphiné. Entré fort jeune au service, il
fit ses premières armes sous les ordres du grand Condé dans
les Pays-Bas, puis sous Turennedans les guerres de 1674
et 1675 en Alsace. En 167s il passa maréchal de camp. En
1693 Louis XIV le nomma lieutenant général. Après la
paix de Ryswick, il alla à Londres, en 1698, en qualité
d'envoyé extraordinaire, avec mission d'amener Guil-
iaume III à consentir au traité de partage de la monarchie
espagnole. Lorsqu'en 1702 éclata la guerre de succes-
sion d'Espagne, il reçut le commandement d'un corps
«l'armée sur le Rhin. Les succès qu'il y eut lui valurent,
en 1703, le bûton de maréchal de France. Il obtint ensuite
le commandement d'un corps d'armée sous les ordres du
duc de Bourgogne, prit le vieux Bri.sach et mit le siège de-
vant Landau. A la suite d'un engagement heureux, soutenu
contre les Impériaux commandés par le prince héréditaire
de Hesse, cette place fut forcée de lui ouvrir ses portes, le
16 novembre 1703, en même temps que toute l'Alsace se
trouva au pouvoir des Français. Tallard reçut alors le com-
mandement du corjis de Villars, qui , ainsi que celui de
Marsin , eut ordre d'opérer d'accord avec l'armée de l'é-
lecteur de Bavière. A l'approche de l'armée aux ordres de
Mariborough et du prince Eugène, les arnu'es combinées
s'établirent dans le camp de Hochstœdt. Le 13 août 1704,
il s'y livra une bataille oii , par suite des fausses dispositions
deTallart, les Français et les Bavarois furent complètement
battus. Tallart fut du nombre des 15,000 prisonniers qui
tombèrent entre les mains de l'ennemi. On l'envoya alors à
Londres ; mais il y conserva la liberté d'aller partout où bon
lui semblait. On assure qu'il en profita pour ourdir et faire
réussir l'intrigue de cour à la suite de laquelle Mariborough
perdit les bonnes grâces de la reine et son commandement
en chef. Après y être resté pendant sept ans prisonnier de
guerre, il rentra enfin en France, en 1712. Louis XIV lui fit
WCT. DE LA COJTVERS. — T. XVI.
449
alors le plus gracieux accueil , le créa pair de France et duc
d'Hostun. Il le désigna en outre dans son testament pour
faire partie du conseil de régence pendant la minorité de son
petit-fils. Mais ie duc d'Orléans l'en exclut, à titre de par-
tisan de l'ancienne cour et de la duchesse du Maine. En
1723 l'Académie Française élut le maréchal de Tallart au
nombre de ses membres, encore bien qu'il ne possédât pas
la moindre teinture des lettres.
TALLEMANT DES RÉAUX (Gédéon), le Bran-
tôme du dix-septième siècle, naquit vers 1619, à La Ro-
chelle. Son père, qui exerçait le commerce de la banque,
dans lequel il acquit une fortune considérable, avait été
marié deux fois. 11 avait épousé en premières noces une
demoiselle l'oliron de La Leu , et en secondes noces Marie
Rambouillet, .sœur du financier, lequel n'avait rien de com-
mun avec la famille des marquis de Rambouillet De cha-
cun de ces deux mariages naquirent àviwx fils et une fille.
Gédéon Tallemant, [)his généralement appelé de son vivant
des Réaux, fut l'aîné des enfants issus du second lit. Son
frère cadet, François, qui se convertit de bonne heure au
catholicisme, devint abbé de Val-Chrétien, prieur de Saint-
Iréuée de Lyon, aumônier du roi et membre «le l'Académie
Française. A l'Age de vingt ans, Gédéon fit un voyage en
Italie avec un de ses frères du premier lit et le célèbre ahbe
de Retz, depuis archevêque et cardinal. Au refour de ce
voyage, Gédéon [irit ses degrés en liroit civil et canonique;
car son jière le destinait à la rnagistraiure et se proposait
même de lui acheter ime charge de conseiller au parlement.
Mais comme Gédéon ne se .'^entait au< une disposili«in pour
cette carrière, il finit par renoncer à ce projet. Quoique son
père jouît d'une belle fortune, Tallemant des Réaux chercha
à s'assurer par un riche m.uiage une indépendance (lerson-
nelle. Ildemamla donc et obtint la main de sa cousine Eli-
sabeth Rambouillet , fille de Nicolas Rambouillet, frère de
sa mère. Ce mariage, en lui assurant une grande existence,
lui permit de conserver sa liberté dans le monde et de n'y
embrasser aucun état. Libre de tous soins et de foutes af-
faires, il y mena la vie philosophiipie d'un homme d'esprit
heureux de pouvoir cullivei' les lettres et de laire ses distrac-
tions de tous les petits intérêts, de toutes les petites passions
qui agitaient la société dont il faisait partie. De bonne
heure, Gédéon Tallemant des Réau\ avait élé reconnu dans
son cercle pour un poète de talent, et il avait fait partie de
la petite pléiade que s'était adjointe le marquis de Montau-
sier pour chanter Julie d' A ngen nés , cette reine des pré-
cieuses, dont plus tard il devait s'établir riiistorien. Chargé,
lui aussi, d'apporter sa fleur, à l'effet d'en tresser la fameuse
Guirlande de Julie, Tallemant des Réaux avait clioisi-le
lis. Il avait donc toutes espèces de droits à taire partie de la
société élégante et polie qui .se réunissait dans les .salons de
l'hôtel de Rambouillet; et on peut dire que ses Histo-
riettes ne sont que l'écho des conversations qui s'y tinrent
devant lui, des anecdotes de tons genres qu'il y entendit
raconter. Il était d'ailleurs flatté, dans sou légitime orgueil
de bourgeois tout fraîchement décrassé sans doute, mais
anobli à bien meilleur droit par ses talents, ses connaissances
et son esprit, de l'accueil distingué qu'il y recevait de la
marquise de Rambouillet, cette grande dame romaine qui
avait vécu à la cour de Henri IV; et dans tout ce qu'il ra-
conte du règne de ce prince et de la régence de Marie de
Médicis il na guère fait que reproduire les entretiens de la
marquise. D'ailleurs, il faut aussi .savoir tenir compte, en ce
qui touche son témoignage sur les faits qu'il rapporte et ses
jugements sur les hommes qu'il apprécie, des perpétuels
froissements que devait éprouver son bien légitime amour-
propre en présence des pénibles humiliations que les no-
bles de race prenaient trop souvent plaisir à infliger non pas
seulement à ces hommes de finance, à ces bourgeois enri-
chis, qu'ils voulaient bien tolérer dans leurs cercles, à la
condition de puiser largement de temps à autre dans leur
bourse, mais encore à la magistrature, à la noblesse de
robe, qu'ils considéraient comme bien inférieure à la leut.
TALLEMANT DES RÉAUX •- TALLEYRAND-PÉRIGORD
450
A la teinte de dénigrement et de malignité dont sont em-
preints tous ses jugements, à l'espèce de complaisance qu'il
met à signaler les vices des grands et à les mettre à son ni-
veau, à révéler ce qu'eurent le plus souvent de bas et d'obs-
cur leur .origine, on sent qu'il se venge et qu'il ne se fait
dès lors pas scrupule decliarger les couleurs, déjà si vivement
accusées, de son tableau.
Le livre qu'on a de lui , et qui n'a été imprimé pour la
première fois qu'en 1834, par les soins du savant M. de Mon-
nierqué, c'est de Tbistoire en désbabillé. 11 y abuse trop
souvent du droit qu'il s'est arrogé de ne considérer ordinai-
rement que le côté licencieux des mœurs du grand monde.
Aussi ses récits, qu'il ne faut accepter que sous toutes ré-
serves, ont-ils quelquefois une crudité de cynisme dont
l'expression nous blesse aujourd'bui, mais qui s'explique
parfaitement par les mœurs et les babitudes d'une époque
où Molière, Dancoiirt et Monlfleury pouvaient employer
sur la scène des expressions dont aujourd'hui un bomme
ayant reçu quelque éducation rougirait de se servir. Dans
ses Historiettes , ïallcmant des Réaux essaye de démolir
bien des réputations que le temps a consacrées. Maintenant
il semble étrange qu'on fasse le procès à la mémoire de
Henri IV et de Sully, et qu'on essaye de renverser les statues
que leur a dressées la reconnaissance nationale. Au lieu de
s'en étonner, il faudrait plutôt se rappeler que c'est Voltaire
qui par && Henriade tira Henri IV de l'oubli, injuste sans
doute, dans lequel on avait laissé tomber sa mémoire, et
qu'il opéra là en quelque sorte une résurrection historique.
Tallemant se montre aussi d'une grande sévérité en tout
ce qui touche Louis XIII; peut-être à cet égard a-t-il
trop complaisamment répété ce qu'il entendait dire à l'hôtel
Rambouillet. Or, nous savons que la marquise de Ram-
bouillet ne se gênait pas le moins du monde pour témoigner
en toute occasion de son antipathie personnelle pour ce roi,
qui à ses yeux ne faisait rien qui ne choquât toutes les
bienséances.
De son mariage avec Elisabeth Rambouillet, Tallemant
des Réaux n'eut qu'une fdle, morte en bas âge. On ignore
la date précise de sa mort; mais des pièces authentiques
prouvent qu'elle arriva entre les années 1691 et 1701. Sa
veuve vivait encore en 1704. Dans les dernières années de
sa vie, Tallemant des Réaux s'était converti au catholicisme.
Son frère puîné , l'académicien , mourut en 1693 , à l'âge de
soixante-treize ans.
TALLEYRAND( Famille), l'une des plus anciennes
maisons de France, qui possédait autrefois à titre de souve-
raineté indépendante le comté de Périgord , et qui prit le
nom de Talleyrand au douzième siècle. La souche originelle
de cette famille succomba et périt dans les longues et
sanglantes querelles qu'elle eut à soutenir contre les rois
de France. Un arrêt du parlement enleva, en 1399, à
Archambaud de Talleyrand les titres et les domaines des
comtes de Périgord. Celui-ci mourut en 1425, sans laisser
de postérité. Mais il avait cédé la seigneurie de Grignols à
son neveu Boson de Talleyrand , qui coutinua la maison,
et duquel descendent les comtes actuels de Grignols, ainsi
que les princes de Chalais et de Talleyrand. Les membres
de cette famille i estèrent plusieurs siècles sans prendre part
aux affeiie^ publiques.
Les trois lignes aujourd'bui existantes de la famille de
Talleyrand descendent de Daniel- Anne- Marie de Talley-
rand, prince de Chalais, tué en 1745, au siège de Tournay.
11 laissa cinq fils, à l'aîné desquels, Gabriel-Marie de Tal-
leyrand, Louis XV rendit le tilre de comte de Périgord
qu'avaient possédé ses aïeux. Gabriel-Marie eut pour (ils et
héritier É lie-Charles de Talleyrand , prince de Chalais,
duc de Périgord, créé pair de France en 1814, et mort le
81 janvier 1829. Il laissait un fils, Aztgustin-Marie-Élie-
Charles BE Talleyr,vnd, né en 1788, aujourd'hui chef de
cette branche de la famille. Entré au service militaire sous
le règne de Napoléon, il fut nommé colonel sous lu Rcsfau-
ratioB, et hérita des titres et de la pairie de son [lère. De
son mariageavec Marie-Nicolettede Choiseul-Praslln,il aeu
deux fils : Élie-Louis-Roger, prince de Chalais, né en 1809,
et Paxd-Adalbcrt-René , comte de Périgord, né en 1811.
Le second fils de Daniel , Charles- Daniel de Talleyrand,
mort en 1788 , fut la seconde souche des princes de Talleyrand.
Son fils aîné fut Charles- Maurice de Talleyrand, le diplo-
mate célèbre à qui nous consacrons plus loin une notice
particulière. Le chef actuel de celte branche cadette des
Talleyrand est Alexandre- E dmond , duc de Talleyrand ,
fils d'Archambaud-Joseph, et de Dorothée, princesse de
Courlande. A partir de 1817 il porta le titre de duc de Dino,
que son oncle le diplomate lui céda avec l'agrément du roi
de Naples. A la mort de son père, il hérita de ses biens et
du titrededuc de Talleyrand-Périgord. Son fils aîné, Louis,
né en 1811, porte le titre de duc de Valençay. Il a épousé
une Montmorency. Le fils aîné issu de ce mariage, Boson
DETALLEYRAND-PÉRicoRD,néen 1832 , cutra en 1850 conmie
engagé volontaire et fut longtemps simple soldat au 2^ de
cuirassiers. Le fils cadet d'Alexandre-Edmond, qui a les
mêmes prénoms que son père, porte le titre de duc de Dino,
et a épousé une Sainte-Aldegonde. Il a servi avec distinction
dans la guerre de l'indépendance italienne, et remplissait les
fonctions d'officier d'ordonnance auprès du roi Charles-Al-
bert. On a de lui un récit plein d'intérêt des événements de
celte campagne.
Le troisième fils de Daniel, Atigvstin-Louis , vicomte de
Talleyrand-Périgord, mourut lieutenant général, sans laisser
de postérité.
Le quatrième fils de Daniel fut Alexandre-Angélique ,
né en 1736, et longtemps connu sous le nom iVabbé de Tal-
leyrand. En 1777 il obtint l'archevêché de Reims. Nommé
membre de l'Assemblée nationale au début de la révolution,
il s'y montra l'adversaire constant de toutes espèces de ré-
formes. Il émigra en 1791, vécut alors pendant longtemps
en Allemagne, et alla rejoindre en 1804 Louis XVHI à
Mittau. Ce prince le nomma son confesseur et l'emmena
avec lui en Angleterre, lorsqu'il lui fut interdit de séjourner
plus longtemps sur le continent. La Restauration valut à
l'ancien archevêque de Reims sa nomination à la pairie, et
en 1817 sa promotion au siège de Paris ainsi qu'au cardi-
nalat. Il mourut en 1821.
Le cinquième fils de Daniel, Louis-Marie-Anne, ambas-
sadeur de Fiance à Naples en 1788, fut le fondateur de la
troisième branche aujourd'hui existante de la famille Tal-
leyrand. De ses trois fils, l'ainé, Auguste, comte de Tal-
leyrand, né le 10 février 1770, fut chambellan de l'empe-
reur Napoléon. Créé pair de France après la Restauration,
il fut nommé aux fonctions de ministre de France près la
Confédération suisse , et conserva ce poste jusqu'en 1824,
Il mourut le 20 octobre 1832, à Milan, et laissa quatre fils,
dont l'aîné, Ernest, né en 1807, est aujourd'hui le chef de
cette branche de la famille Talleyrand. Le frère du comte
Auguste de Talleyrand, Alexandre- Daniel, baron de Tal-
leyrand, né en 1773, fut, sous la Restauration, préfet dans
divers départements. Chargé ensuite de plusieurs missions
diplomatiques, il fut créé pair par Louis-Philippe, en 1838,
et mourut en 1839. Son fils, Charles-Angélique, né en
1825, est aujourd'hui ministre de France à Weimar.
T\LLEYRAI\D-PÉRIGORD ( Chaules-Maurice,
prince-duc de). Une des douleurs pour les hommes d'État
qui ont joué un grand rôle politique , c'est de voir leur vie
livrée à des appréciations sans portée, à des jugements sans
élévation. Que n'u-t-on pas écrit sur M. de Talleyrand ! que
de bons mots , <ie gros mots ne lui a-t-on pas attribués ! Ou
a fait de sa biographie une sorte A'ana à l'usage des oisifs;
on l'a crée une espèce de Roquelaure facétieux et bouffon,
qu'on a chargé de tout le petit esprit des salons et de la
province. Il m'a été donné d'assister à quelques-unes des
causeries où M. de Talleyrand aimait à se révéler de profil ,
et je vais raconter les impressions que m'a laissées cette
physionomie polilicpie dans son long passage à travers les
rcvol 11 lions contemporaines.
TALLEYRAND-PeRIGORD
Les Talleyrand et les Monlesquiou-Fézensac se disputaient
la préséance sur toute la noblesse inéjidionaie. M. de Tal
levrand sortait de la branche cadette des Grif^nols, qui eu\
pour souche André de Talleyrand, comte deGrignols, ba-
ron de Beauville et de Cheveroche, branche cadette det.
Périgord. La branche aînée s'était éteinte avec Marie-Fran-
çoise, princesse de Chalais, marquise d'Exideuil (M. de Tal.
ieyrand portait de gueules à trois lions d'or, lampassés,
armes el couronnes d'azur; couronne de prince sur l'écu,
et couronne ducale sur le manteau. Devise : Re que Dion).
Je m'arrête sur cette origine de haute noblesse, parce qu'ella
facilita beaucoup la position de M. de Talleyrand dans la
diplomatie. La grande naissance, quoiqu'on déclame contre
elle, aide les négociations diplomatiques. En face de tant
d'illustrations étrangères, la situation devient meilleure; ore
traite sur un pied d'égalité, on obtient plus , parce qu'on est
avec ses pairs.
Charles-Maurice de Talleyrand Périgord naquit à Paris, en
17.Ô4; il eut pour aïeule maternelle l'habile et spirituelle
princesse des Ursins. Quoique fils aîné, il fut considéré
conmie cadet, et destiné à l'état ecclésiastique, parce qu'une
chute l'avait rendu boiteux dès son enfance. Il y avait tou-
jours eu un haut prélat dans la famille des Périgord, et cette
dignité de l'Église lui était destinée; il fut donc jeté, à qua-
torze ans, au séminaire de Saint-Sulpice. Il fallait l'entendre
lui-même, dans ses jours d'épanchement etdegaîté, raconter
les espiègleries et les premières amours de l'abbé au i)etit
rabat, les escalades de murailles, les visites à la mansarde
des grisetles, toutes choses qui convenaient bien peu au grave
état que sa famille ne lui faisait embrasser que parce que son
infirmité l'avait rendu impropre à suivre la carrière des ar-
mes. Les études ecclésiastiques de M. de Talleyrand furent
bornées; il .s'occupa peu de théologie, mais déjà beaucoup
d'affaires. La place d'agent général du clergé, si lucrative^
lui fut donnée par tradition de famille. 11 fut élevé à l'évêché
d'Autun, belle suffragance, qui conduisait plus tard à l'ar-
chevôché de Reims et au cardinalat. L'évêché d'Autun valait
soixante mille livres de revenu : c'était une magniliipio
position pour un jeune abbé de vingt-cinq ans, qui appar-
tenait par ses relations à cette société philosophique, à cette
école anglaise, qui se montrait déjà sur l'horizon en 1789,
avecMirabeau, Cabanis, Lally-Tollendal etMou-
n.ier, tous ces hommes enfin qui rêvaient une réforme en
France dans des conditions en dehors de la vieille société.
On disait spirituellement alors que M. de Talleyrand, évèque
d'Autun, avec ses grands revenus de prébendes et d'évêché,
se croyait'ua abus.
L'abbé de Talleyrand possédait son opulent évôché d'Au-
tun quand les états généraux furent convoqués; il fut
nommé député du clergé de son diocèse à cette Assemblée
constituante si remarquable par sou esprit aventureux , la
hardiesse de ses conceptions , le décousu et l'absence de
toute unité et de tout ordre politii]ue et moral. Il s'y
montra le plus zélé protecteur de toutes les innovations; il
proposa l'abolition des dîmes , et se fit le plus fervent dé-
fenseur de la constitution civile du clergé ; il jeta dans l'é-
ducation publique toutes les idées d'une mauvaise et
fausse philosophie que le dix-huitième siècle avait répan-
dues dans les têtes humaines; il était, avec le marquis de
Condorcet et Cabanis, un de ces adeptes et de ces
amis de Mirabeau que l'homme d'État et l'orateur trihu-
nitien faisait agir dans les intérêts de sa dictature intellec-
tuelle. C'est dans cette période que se place la célébration
de la Fédération , fête singulière, dont on a tant défiguré
l'esprit ; représentation théâtrale , car il en faut toujours à
la France. Dans le Champ de Mars, on avait élevé un
autel surmonté de drapeaux tricolores sur un échafaudage
de cinquante pieds, tout paré de rubans de soie également
tricolores; près de là on apercevait M. de La Fayette, beau
gentilhomme alors, avec sa figure gracieuse, rayonnante et
ua peu béate, sur son cheval blanc, tout svelte , tout ef-
Uanqué , paré de sou habit de garde national à longues \
4SI
basques, son chapeau à trois cornes, comme tous ils le por-
taient lors de la guerre d'Amérique. Autour de lui les dé
putalions des départements, avec leurs,drapeaux. Au pied
de l'autel l'évêque d'Autun , revêtu de ses ornements ponti-
ficaux, la mitre en tête, la crosse en main, avec des fornies
aussi élégantes , une coquetterie aussi raffinée, une dignité
aussi bien étudiée que celle qu'il mit plus tard à porter sa
canne à béquille dans les congrès du corps diplomatique ;
agenouillé à ses côtés, l'abbé Louis, l'un des desservants,
depuis ministre des finances , en surplis et en aube. La
messe fut saintement célébrée par M. de Talleyrand; mais
une tradition , que nous croyons fausse pour son honneur
et son caractère , raconte que lorsque Mirabeau passa à
côté de l'autel, le pontife célébrant lui dit des paroles irré-
ligieusement moqueuses. M. de Talleyrand partagea les tra-
vaux antireligieux de l'Assemblée constituante sur le clergé
de France, et fut chargé d'appliquer la constitution civile à
son diocèse; mais la majorité des curés refusa le serment.
II assista au sacre des premiers évêques constitutionnels ; et
si cette conduite lui mérita les éloges de l'Assemblée cons-
tituante, elle lui valut l'excommunication du saint- siège.
Une vive amitié , nous l'avons dit, unissait M. de Tal-
leyrand à Mirabeau. L'orateur |)opulaire venait d'être lra[ipé
de cette maladie mortelle qui l'enleva si mystérieusement et
si rapidement. L'évêque d'Autun assista au dernier soupir
de son ami ; mais ce ne fut point comme consolateur reli-
gieux , portant les secours de son ministère : il fut seule-
ment le dépositaire de ses dernières pensées et de ses
travaux politiques. Mirabeau avait rédigé un travail sur
l'égalité de partage dans les successions et le droit de tes-
tament. L'évoque d'Autun vint lire le discours de Mira-
beau, au nom de son ami mourant, à la tribune nationale,
et il y excita un vif enthousiasme en racontant les dernières
paroles du célèbre orateur.
Quand l'Assemblée constituante eut terminé ses travaux,
M. de Talleyrand quitta la f^rance pour l'Angleterre. M. de
Chauve lin y tenait l'ambassade pour le malheureux
Louis XVI ; M. de Talleyrand reçut une mission dont le but
secret était de rapprocher de plus en plus les deux gou-
vernements de France et d'Angleterre, en constituant un
système de deux chambres, sur le modèle anglais. 11 y
avait alors déjà quelques projets pour la maison d'Orléans,
et M. de Talleyrand pouvait servir d'intermédiaire à cette
tentative : il s'entendit parfaitement avec M. de Chauve-
lin , et mieux encore avec les clubs d'Angleterre. Il eut
quelques entrevues avec les chefs principaux des whigs;
mais conune tout marchait à la guerre et que le procès de
Louis XVI était considéré par les tories comme un boule-
versement, M. de Talleyrand reçut, en vertu de Yalien
bill, l'ordre de quitter la Grande-Bretagne. On ne lui donna
que vingt-quatre heures pour faire ses dispositions. Il ne
vint point en France: on était en 1793, dans le mouve-
ment révolutionnaire; il s'embarqua pour les États-Unis,
et pendant quelques années qu'il y demeiu'a il se livra au
commerce avec une certaine activité de spéculation : il y a
toujours eu dans le caractère de M. de Talleyrand un côté
aventureux, hardi, en ce qui touche les questions d'argent :
c'est l'homme qui a le plus souvent refait sa fortune, pojir
me servir d'une expression vulgaire ; il ne tenait pas précisé-
ment compte des moyens. Ses biens personnels étaient sous
le séquestre en France ; ce fut donc avec des fonds très-
restreints qu'il commença ses opérations mercantiles dans
les États de l'Union. M. de Talleyrand , quand l'ordre fut
un peu rétabli en France , se hâta d'ailleurs de solliciter
une permission pour revoir Paris , théâtre premier de sa
vie. Il avait laissé en France de nombreux amis parmi les
partisans de ce qu'on appelait la république modérée,
l'opinion constitutionnelle. Ce fut surtout aux vives solli-
citations de madame de Staël, qui exerçait à ce moment une
grande puissance , que M. de Talleyrand dut son retour.
Chénier se chargea du rapport , et un décret révoqua
les mesures de rigueur prises en 1793 contre l'ancieu
29.
45â
<^véque d'Âiifun ; on déclara qu'il n'avait point émigré.
M. de Talleyrand avait alors quitté tout à fait i'Iiabit ec-
clésiastique ; c'était l'homme tout séculier. Il avait dans le
monde une réputation d'esprit ; sa ligure, sans avoir rien
de saillant, conservait une certaine noblesse; il portait par-
faitement sa tête , ses cheveux pendaient en boucles sur
ses épaules: il n'était plus un jeune homme, et néanmoins
sa réputation de galanterie et de bonne compagnie lui
avait conquis un grand ascendant sur quelques femmes de
l'époque, au milieu de cette société, si singulière, de Barras
et du Directoire, pêle-mêle de noblesse, de fournisseurs, de
grands noms et de lillesde joie. M. de Talleyrand avait con-
duit avec lui une certaine n)adame Grand , aventurière qu'il
avait counue à Hambourg. Par un contraste as-;ez bizarre,
jamais témrne n'avait eu moins d'esprit et moins de tenue.
On sait combien d'anecdotes jjiquantes lurent débitées sur
cette femme dans ce faubourg Saint-Germain, tant redouté
même par la république. C'est que l'esprit de bonne com-
pagnieestune grande puissance, même au lempj où la mau-
vaise compagnie gouverne.
Dès son arrivée à Paris , M. de Talleyrand s'associa au
club constitutionnel qui se tenait alors à l'hôtel de Salm.
Quelques penseurs voyaient bien que la république s'en al-
lait : on en revenait à la pondération des pouvoirs, à toutes
ces idées anglaises que l'école de Mounier et de Lally-Tol-
lendal avait voulu faire prévaloir dans l'Assemblée consti-
tuante, et que M. de Talleyrand avait été chargé do repré-
senter à Londres dans sa mission secrète, ou il se mêlait
encore, répetons-le, quelques intérêts orléanistes. 11 seconda
de tout son crédit le Directoire, refusant constamment de
s'unir au parti royaliste, qui avant le 18 fructidor pré-
parait le renversement du Directoire, et encore moins au
parti jacobin, qui lui était antipathique par sa forme et ses
goûts : aussi quand le 18 fructidor éclata sur la France,
avec la proscription des conseils et des journaux, M. de
Talleyrand fut appelé au ministère des relations extérieures.
C'était un singulier poste pour l'hérilier des Boson du Pé-
rigord que de devenir ministre d'une republique; mais l'hé-
ritier des Barras, la souche vieille comme les rochers de
Provence, n'etaitil pas alors le chef des cinq Directeurs?
Ce serait une curieuse histoire que de suivre la noblesse
pendant la révolution française; elle y tint sa place
comme en d'autres temps les gentilshonnnes dans les
troubles civils. Tout ce qui était aventureux allait aux ca-
dets (le lamille.
Le principal mobile du gouvernement directorial était
l'argent; tout se faisait par la plus avide corruption : on se
hâtait de conquérir la fortune , pour la dépenser ensuite
en tristes débauches. Quand une négociation s'ouvrait avec
l'étranger, ou commençait par im[)oser des contributions,
par exiger des présents secrets; le ministre des relations
extérieures éiait une espèce d'agent pour recueillir toutes
ces dépouilles opimesqui venaient ensuite engraisser les amis
de Barras et de Sieyes, ou quelques femmes qui envahis-
saient les salons du Luxembourg et présidaient à leur sen-
sualisme. C'était un temps sans pudeur; cependant M. de
Talleyrand manœuvra sans doute avec trop peu de ména-
gements, car quelques mois après, hautement dénoncé par
Charles Lacroix , il lut obligé de donner sa démission ,
après avoir publié une brochure, assez curieuse, qui porte
le titre d^Éclarcissements. Le citoyen Talleyrand fut aussi
dénoncé à la tribune des Cinq Cents, même par Lucien Bo-
naparte, comme concussionnaire; on l'accabla sous des
preuves, on voulait lui appliquer les princi|tes de la res-
ponsabilité ministérielle. 11 ne se sauva qu'avec peine de
cette mauvaise position, où un peu trop d'avidité l'avait
placé dans son ministère. Il est constaté aujourd'hui qu'il
ne dédaignait ni les diamants , ni les perles , ni les lettres
de change que les agents des cabinets étrangers étaient
obligés de se procurer pour traiter avec le Directoire en
France. Je dois le dire, un des défauts de M. de Talleyrand
fut cette publique avidité dans toutes les transactions d'ar-
TALLEYRAND-PERIGORD
sent; elle le compromit trop souvent , et le jeta dans des
maladresses indicibles.
Blessé contre le Direcloire , on le voit alors travailler de
toutes ses forces à l'établissement du gouvernement consu-
laire. Bonaparte, en arrivant d'Egypte, ne dédaigna pas la
capacité répandue de M. de Talleyrand. L'abbé Sieyès n'a-
vait aucune prédilection pour l'ancien évêqne d'Autun , ils
étaient en bouderie de clerc à clerc ; mais Bonaparte avait
besoin de tous les deux. H n'avait pas de répugnance quand
il s'agissait défaire triompher son ambition; il les employa
chacun selon son mérite, les lit tous deux servir à ses desseins.
Et lorsque le gouvernement consulaire fut établi, la com-
nn'ssion provisoire appela M. de Talleyrand au ministère des
relations extérieures, comme récompense des services ren-
dus; puis le premier consul le confirma dans ce poste.
De nombreux traités signalèrent les glorieux commence-
ments du consulat : à Lunéville , la paix fut signée avec
l'Autriche; à Amiens , une convention fut arrêtée avec l'An-
gleterre ; la paix avec la Porte et la Russie suivit les autres
tiaités; et dans toutes ces circonstances M. de Talleyrand
se montra habile et plein de convenances. H mit des formes
excellentes dans tous les rapports de gouvernement à gou-
vernement; il se sépara toujours de ces relations bizarres
que les agents du Directoire avaient apportées dans les né-
gociations extérieures. Ces traités aidèrent beaucoup la for-
tune de M. de Talleyrand; presque tous furent suivis de
présents d'une certaine importance, selon la coutume dans
les négociations d'État à État. Mais dans ces circonstances
le ministre ne mit pas assez de pudeur, je dirai presque
d'habileté : on sut à peu près ce que chaque traité lui avait
procuré en écus et en diamants; tout le monde a souvenir
des calculs qui furent établis sur les cadeaux reçus du Por-
tugal. Il y eut sans doute de l'exagération dans ces accu-
sations de partis mécontents; mais, je le répète, un des
grands défauts de M. de Talleyrand fut de jouer avec la
corruption et de l'établir dans les théories de conversation :
la flétrissure en reste.
M. de Talleyrand avait besoin de tous les éléments d'une
fortune nouvelle : il apportait partout un esprit hardi dans
les spéculations, économe et avare dans les petites choses : il
jouait à la bourse avec frénésie ; il y perdit même des som-
mes considérables. A la suite du traité d'Amiens, il avait
spéculé à la hausse, c'était presque jouer à coup sûr; mais
il arriva, par une de ces bizarreries que l'agiotage peut
seul expliquer, que les fonds publics baissèrent de plus de
dix francs après la signature du traité, et M. de Talleyrand
perdit plusieurs millions en un seul coup de bourse. Ces
caprices de fortune sont fréquents dans celle longue vie.
Alors l'ancien évêque d'Autun venait d'être rendu tout
entier à la vie séculière par un bref du pape Pie VII. En
négociant le concordat, le premier consul exigea que M. Por-
tails écrivit à Rome pour obtenir ce bref du pape en faveur
delà sécularisation de M. de Talleyrand, et le vénérable
Pie VII , qui lit tant de sacrifices pour obtenir la paix de
l'Église, consentit à cet acte, qui dépassait un peu les pou-
voirs du pontificat, car, d'après les canons de l'Église, le
caractère de prêtre est indélébile. A peine rendu à la vie
séculière, M. de Talleyrand eut à subir les exigences im-
pératives du premier consul. Bonaparte, qui se piquait de
hante moralité, lui imposa l'obligation d'épouser cette
M""' Grand avec laquelle il vivait depuis son retour en
France. Ce fut une grande plaie pour l'homme spirituel et
de bon goût : avec le tact qui lui était habituel , il vit bien
tout le parti que le faubourg Saint-Germain allait tirer de
la simplesse mal apprise de M""* Grand ; et quand celle-ci
serait devenue la ci^oj/enne Talleyrand, combien 'n'allait-
elle pas prêter aux sarcasmes et aux moqueries de l'aristo-
cratie 1 11 fallut se résigner , car le premier consul l'avait
imposé, et le mariage fut célébré à la municipalité et à l'église ;
et, comme on le disait alors, l'évéque d' Autxin prit femme.
Le ministère du premier consul comptait deux hommes
importants : M. de Talleyrand et Fouclié. L'un représentait
TALLEYRAND-PÉRIGORD
4â3
auprès de Bonaparte l'ancienne aristocratieralliée, Thomnie
des formes et des traditions diplomatiques; Fouclié, au
contraire, était le représentant du jacobinisme, de ce prin-
cipe révolutionnaire que le premier consul considérait comme
une maladie interne, mortelle pour tout pouvoir. U dut na-
turellement s'élever une rivalité profonde, continue, entre
ces deux liommes, qui étaient portés au pouvoir par des
idées si diverses , et qui se trouvaient en présence comme
l'expression de systèmes opposés, tous deux avec tmc ca-
pacité incontestable. Fouclié et M. de Talleyrand se dénon-
çaient mutuellement , et ils se surveillaient avec inquiétude.
Bonaparte savait cette baine ; il était trop habile pour sacri-
fier l'un de CCS ministres à l'autre : cbacun lui servait de
contrôle, sur qu'il était qu'ils ne laisseraient pas écbapper
leurs trahisons mutuelles. C'est ainsi que Fouché livra à
Bonaparte la minute d'un traité secret avec t'anl V que
M. de Talieyrand avait communiciué au cabinet de Londies
par l'intermédiaire de l'un de ses agents. Cet agent fut sa-
crifié; mais Bonaparte n'osa point toucher M. de Talley-
rand, parce qu'il y avait un grand danger à ébruiter la tra-
hison. Depuis , le môme agent fut encore employé par M. de
Talleyrand dans plusieurs négociations subalternes : on sait
que celui-ci aimait les hommes peu scrupuleux en affaires,
gens qu'il pouvait désavouer au besoin , et qui savaient se
laisser désavouer.
Ici se présente la fatale affaire du ducd'Engbien. Il est
aujourd'hui constaté que M. de Talleyrand connut aussi
bien que le général Sa va ry la résolution de Bonaparte de
faire enlever le prince ; c'est en vain qu'on l'a nié, les preu-
ves existent. Je n'ose croire à la froide et laconique ré-
ponse qui fut faite par M. de Talleyrand dans le salon de
M"
la duchesse de ***, sa vieille amie, le soir même où
le duc d'Enghien lut fusillé à Vincennes. Cette réponse n'é-
tait pas seidement une expression atroce, mais encore une
imprudence qui n'était pas dans les habitudes de M. de Tal-
leyrand. Il y a déjà un assez grand malheur d'avoir parti-
cipé, même indirectement, à celle épouvantable affaire.
A l'avènement de Napoléon à l'enipire, M. de Talleyrand
reçut le titre ^agraiid-chambellnn ; il avait préparé l'Europe
à cet événement par sa correspondance diplomatique; il
l'avait solennellement justilié aux yeux des cabinels. Il joua
un grand rôle dans les premières négociations d'Allemagne
avant et après la paix dePresbourg, cette paix qui modilia
si radicalement l'existence poililique et territoriale de la
nation germanique. U aida à constituer la Confédération du
Rhin, qui en finit avec la prépondérance allemande de la
vieille maison d'Autiiche. Il reçut alors le titre de pri»cc de
Bénévent, avec une véritable souveraineté indépendante,
sous le protectorat de la France. Celte souveraineté donnait
un revenu de 150,000 francs de rente, ce qui, joint à son
ministère des relations extérieures , portait son budget à
500,000 francs environ. Époque brillante du ministère de
M. de Talleyrand, que la paix de PresbourgI U déploya une
certaine majesté de formes, comme le représentant de la
magnifique physionomie militaire qui jetait sa grandeur sur
le monde.
On a dit que le minisire se retira des affaires parce qu'il
ne partageait pas les opinions de l'empereur par rapport à
la guerre d'Espagne ; je crois que ceci est inexact. M. de
Talleyrand fut en effet remplacé par M. de Champagny un
peu avant les événements d'Espagne , mais il prit part avec
le cabinet à toutes les intrigues qui préparèrent les événe-
ments d'Aranjucz. La réunion de l'Espagne dans une poli-
tique commune avec la France marchait trop immédiate-
ment dans ses idées historiques sur le pacte de famille. Il
existe plusieurs lettres de lui qui constatent sa participation
à la guerre d'Espagne : un rapport curieux à l'empereur dé-
veloppe les avantages de cette réunion des deux couronnes
dans sa famille, imitation de la grande politique de Louis XIV.
La véritable cause de la disgrâce de M. de Talleyrand fut
les mouvements actifs qu'il se donna pour négocier la paix
avec l'Angleterre, en dehors de Napoléon. L'empereur n'ai-
mait pas les hommes qui agissaient d'eux-mêmes , il voulait
que tout reçût son immense impulsion ; il se débarrassa de
M. de Talleyrand , comme plus tard il secoua le joug de la
policede Fouché. M. de Talleyrand profita de la circonstance ;
et comme la guerre d'Espagne étaitimpopulaire, il se présenta
comme le martyr de la paix, l'hommecle la modération. L'ha-
bileté de M. de Talleyrand fut toujours de donnera ses dis-
grâces un motifqui pùtliu assurer une bonne .situation en face
de l'opinion publique; alors il en profitait pour faire une op-
position sourdeet meurtrièreau pouvoirqui le jefaiten dehors
de .son cercle d'activité : quand il n'était plus à la tète pour
diriger, il se mettait à la queue pour empêcher, et il faisait
une opposition dan^^ereuse parce qu'elle était dans la réalité
des affaires. Toutefois, la retraite de M. de Talleyrand fut
couverte d'un manteau d'or : il reçut la dignité de vice-
grand Électeur, avec le même traitement de 500,000 francs
dont il jouissait dans son ministère. L'activité de son esprit
.se porta de nouveau sur les opérations industrielles; il Joua
à la bourse , commandita des maisons de banque à Ham-
bourg, à Paris; il plaça des sommes considérables sur les
fonds anglais, et attendit ainsi les événements. Savoir at-
tendre est une habileté en politique, la patience a fait sou-
vent les grandes positions; c'était là un des axiomes de
M. de Talleyrand : il ne voulait jamais se presser.
Il se formait dans l'empire, au sein même des grands di-
gnitaires, parmi les sommités du sénat , de l'administration
et de l'armée, une opposition, secrète contre Napoléon;
c'étaient de simples propos, des demi-confidences ; on ne se
compromettait pas, mais on conspirait moralement; on di-
sait de ces mots qui se répétaient dans les salons comme
des sentences et des prophéties. C'est Ze commencemejit de
la fin, avait dit M. de Talleyrand lors de l'expédition de
Moscou , et cette juste appréciation avait fait fortune : ter-
rible opposition que celle des salons , elle vous tue à petit
feu! Celte opposition grossissait : la police, plus brutale
qu'intelligente, de M. Sa var y ne pouvait la contenir ; elle
éclatait de toutes parts.
Déjà au commencement de 1813 M. de Talleyrand s'était
misen rapport avec Louis XVIII, qui écrivait alors des lettres
confidentielles à tous les grands fonctionnaires de l'empire,
à Cambacérès lui-même Ces lettres inondaient Paris ; et
pendant ce temps néanmoins M. de Talleyrand faisait par-
iiedu conseil de régence nommé pour seconder Marie-Louise,
que l'empereur avait placée à la tête du gouvernement de la
France, Il suivait avecassiduité toutes les séances de ce con-
seil de régence, et se montrait le plus zélé des serviteurs
de l'empereur. Sous main , la correspondance continuait
entre le prince et Loiris XVIII, qui , avec son tact parfait
des hommes, promettait de le maintenir dans sa magnifique
position ; il y ajoutait la promesse de la direction du gou-
vernement.
Les malheurs de la guerre avaient amené l'ennemi près
de la capitale ; à mesure que le pouvoir de Napoléon s'af-
faiblissait, on prévoyait toutes les chances : la régence, un
gouvernement provisoire , la restauration des Bourbons ! Les
négociations de M de Talleyrand prenaient une indicible
hardiesse. Les plénipotentiaires des puissances avaient fixé
un congrès à CIrâtillon , plutôt pour la forme que pour dis-
cuter des questions véritablement diplomatiques : ce fut à
ce moment que M. de Talleyrand envoya un agent mysté-
rieux au quartier général de l'empereur Alexandre. Cet
agent, je crois savoir que ce fut M. de Vitrolles ; il dut ex-
poser l'état de la capitale, le besoin qu'on avait d'en finir
avec Napoléon, la nécessité surtoirt d'une restauration de
l'ancienne dynastie, seule solution positive à l'état de choses.
M. de Vitrolles s'acquitta avec beaucoup de zèle et d'esprit
de cette mission intime, qui l'exposait à d'immenses dangers;
il parvint à remettre à l'empereur Alexandre des lettres
chiffrées de M. de Talleyrand et un mémoire fort détaillé
sur l'état des esprits. Faut-il le dire? Les alliés étaient froids
pour les Bourbons; ils ne comprenaient pas bien la portée
de ce mouvement, ils ne savaient pas quel ea serait le r&-
4.-,.l
siiltat. Cl' 'lit a'ovs qu î M. i!e 'lalleyrand développa la cor-
rc'lation des deux idées : Tancien territoire et l'ancienne
dynastie; système d'ailleurs exposé à Châtillon avec beau-
coup de force par lord Castlereagli.
Le parli des mécontents grandissait à Paris : M. de Tal-
ieyrand s'était rapproché de plusieurs sénateurs qui avaient
conservé quelques souvenirs de la république, et professaient
des haines surtout contre Napoléon : tels étaient MM. Lam-
brechts, Lanjuinais et Grégoire. En même temps il s'était
entouré du ducd'Alberg, de M. de Pradt, et d'une multitude
d'agents royalistes qui portaient la parole à MM. de Noailles,
Fitz-James, Montmorency : ceux-ci travaillaient secrètement
pour los Bourbons. Le moment était venu d'en finir avec
l'empire; il y avait tant de mécontents dans la bourgeoisie
de Paris et en province! On préparait avec beaucoup de
précaution les éléments d'une restauration bourbonienne.
Quand il lut une fois décidé , d'après les instructions de Na-
poléon , que l'impératrice quitterait Paris pour établir sa
ni;once à Blois , M. de Talleyrand s'empressa de déclarer
<iu'il suivrait cetle régence, car il avait besoin de donner
des gages au parli impérialiste, et, par un coup de ruse
qui tenait à son caractère et à sa position , il fit prévenir les
alliés de sa fuite. Le prince de Schwartzenberg posta un
petit corps de cavalerie à la jiremière poste de la route de
Blois , qui arrêta à point nommé la voiture de M. de Talley-
rand , et le foiça de rétrograder sur Paris. Le vice-grand-
électeur .se dit contraint par la force de rester dans la
capitale. Par ce moyen , il put se poser comme le chef et le
centre du mouvement qui se préparait contre l'empereur.
Dès lors il réchauffa l'idée de déchéance qui plaisait aux
passions des républicains; car ils s'apercevaient seulement
alors que l'empereur avait violé la constitution. Ce fut dans
le sénat même que commença la grande intrigue de M. de
Talleyrand. Il savait la simplicité et les répugnances ins-
tinctives du parti patriote, composé de Grégoire, de Lam-
brecbts et Lanjuinais. ]1 réveilla leur haine contre Napoléon;
tous devaient servir de pivot au nouvel ordre de choses.
Quelques-uns croyaient travailler pour la régence; M. de
Talleyrand leur promit des formes constitutionnelles. Il ne
fut pas dillicile d'ameuter ces intelligences de second ordre
contre IN^)oléon. Le parti patriote prit donc l'initiative pour
demander la déchéance : ou énumera tous les griefs sur les-
quels ou avait été si prudemment silencieux pendant les
temps de prospérité ; on se rua sur Napoléon , et la déchéance
fut prononcée par le sénat, au mois d'avril 1814. Tout fut
consommé; Napoléon fut sacrilié par ce corps qui avait
suivi ses volontés pendant les douze années de l'empire. Il
n'y a rien de violent et de rancunier comme les assemblées
qui ont été longtemps abais.sées sous le despotisme, elles se
vengent quand la puissance est tombée.
Lorsque l'empereur Alexandre entra dans la capitale,
M. de Talleyrand acquit a.ssez d'ascendant sur son esprit
pour obtenir de lui qu'il vînt habiter l'hôtel delà rue Saint-
Florentin ; c'était un honneur inouï, q\u constatait la haute
situation du prince de Bénévent. L'ascendant qu'il exerça
sur les transactions de cette époque fut immen.se; il déter-
mina l'empereur Alexandre à repousser toutes les proposi-
tions pour la régence de Marie-Louise et les loyales dé-
marches du maréchal Macdonald. 11 fut le grand instigateur
de tous ces refus ; il avait adopté une maxime admirable
de netteté, qu'il se complaisait à répéter pour en finir avec
toutes les négociations : « Les Bourbons sont un principe,
tout le reste n'est qu'une intrigue. » Jusqu'à l'arrivée de
Louis ?;viii, M. de Talleyrand fut à la tôle du gouverne-
ment provisoire; toute la responsabilité portait sur lui, et
il eut alors à .se reprocher bien des actes qui se rattachaient
àl'esprilde répoipie. La mission de M. de Maubreuil n'a
jamais été parfaitement éclaircie. De quoi s'agissait-il? On a
prétendu que M. de Maubreuil n'avait d'autre ordre que
d'arrêter les diamants de la couronne; d'autres récits disent
qu'il y allait d'une mission plus sanglante contre Napoléon,
semblable peut-être à celle qui avait frappé le dernier des
TALLEYRAND-PERIGORD
Condé. Je puis dire que M. de Maubreuil n'eut jamais d«
conversation <iirecte et d'entrevue personnelle avec M. de
Talleyrand; dans ces circonstances déplorables, celui-ci ne
se mettait jamais en vue. Voici ce qui se pa.ssa. Un de ses
secrétaires, alors dans sa confiance, dit à M. de Maubreuil
avec un grand laisser-aller de paroles : « 'Voilà ce que le
prince exige de vous : ci-joint une commission et de l'ar-
gent ; et comme preuve de ce que je vous dis et de l'assen-
timent du prince, tenez-vous dans son salon aujourd'hui;
il pas.',era, il vous fera un signe de tête approbatif. » Ca
signe fut fait , et M. de Maubreuil se crut autorisé à rem-
plir une mission. Quelle était la ntiture de cette mission ?
Les temps historiques ne sont point venus encore pour
qu'on puisse tout dire et tout éclaircir.
Louis XVIII, en arrivant à Paris, nomma M. de Talley-
rand premier ministre, avec le département des affaires
étrangères; il lui laissait ainsi la direction suprême des négo-
ciations diplomatiques: c'était un témoignage de reconnais-
sance et le gage de la paix générale. La paix fut signée; la
France eut son ancien territoire et son antique dyna.stie,
comme cela avait été arrêté depuis les événements de Pa-
ris : toutes les questions diplomatiques générales durent
ensuite se régler dans un congrès des puissances, fixé à
Vienne. M. de Talleyrand se trouva désigné comme ambas-
sadeur extraordinaire du roi de France, afin de le repré-
senter au congrès; celte mission lui revenait de plein droit.
Dès le mois de novembre toute la légation française vint
à Vienne. M. de Talleyrand y déploya une grande activité;
il fallait y donner une bonne situation à la France, cho.se
difficile après ses malheurs et ses guerres. C'est une justice
à lui rendre : tout abaissée qu'elle était, il la plaça en pre-
mière ligne. Ce fut à son intervention que la branche ca-
dette des Bourbons fut restaurée à Naples. Louis XVIII
sauva la Saxe d'une destruction imminente; enfin, vers la
fin du congrès, se rapprochant de M. de Metlernich et de
lord Castlereagli pour empêcher les envahissements de la
Russie sur la Pologne, il conclut, au mois de février 1815,
un traité secret avec l'Angleterre et l'Autriche, où le cas
de guerre était prévu et le contingent fixé.
L'idée anglaise et antirusse ne cessa pas de dominer, pen-
dant tout le congrès de Vienne, M. de Talleyrand : il la
suit avec une grande ténacité; il va jusqu'à écrire dans sa
correspondance secrète, si spirituellement engagée avec
Louis XVIII : « Qu'une princesse russe n'est pas d'assez
bonuemai.son pour M. le ducde Derry, etqu'on nedoit pas y
songer, les Romanow ne pouvant se mettre sur un pied égal
avec les Bourbons ! » Cette circonstance ne fut jamais ou-
bliée par l'empereur Alexandre, qui voua dès ce moment
une grande antipathie à M. de Talleyrand; elle se retrouva
violente après les événements de 1815, lorsque le traité du
mois de mars eut été communiqué à l'empereur de Russie.
Napoléon débarquait au golfe Juan , et sa marche rapide
sur Paris excita la plus vive émotion au sein du congrès de
Vienne. L'activité de M. de Talleyrand redoubla d'ardeur;
Napoléon l'avait proscrit dans ses décrets datés de Lyon, et
M. de Talleyrand s'en vengea en faisant mettre Napoléon au
ban de l'Europe. La déclaration du congrès de Vienne fut
son ouvrage. Dès ce moment la coalition s'ébranla pour
la guerre ; la France fut de nouveau menacée par des my-
riades d'hommes armés , et la bataille de Waterloo brisa
la puissance de Napoléon. M. de Talleyrand rentra à Paris
avec la famille des Bourbons; il n'avait plus la môme autorité.
Louis XVIII avait appris qu'à Vienne son plénipotentiaire
avait reçu des ouvertures pour l'évenlualité d'un avènement
de M. le duc d'Orléans à la couronne, et cela n'avait pas été
oublié. Louis XVIII, avec sa sagacité et son expérience
babituelles, apercevait le danger de cette révolution de 1688 ;
néanmoins, l'inlluence du duc de Wellington , qui plaça
Fouché à la police, rendit à M. de Talleyrand le portefeuille
des affaires étrangères. Le cabinet du mois de juillet 1815
fut formé dans des combinaisons tout anglaises. Cepen-
dant, dès le mois d'août 1815 les choses changèrent de face }
les RiiRscs/,étaient cnliôs en lij^nc.ivcc 350 mille baïonnettes:
l'emperem Mexandre prit part à la négociation; et comme
la Russije était seule hienveillante envers la maison de Bour-
bon; comme seule elle défendait l'inlé^iité de notre terri-
toire , et ne démandait pas les sacrilices imposés par la
Prusse et l'Aivgleterre , elle devint bientôt puissance prépon-
dérante. La première condition qu'exigea l'empereur Alexan-
dre, ce fut le renvoi de M. de Talleyrand, condition préa-
labe de tout traité. M. de Talleyrand a prétendu qu'il s'était
volontairement retiré du ministère, pour ne pas signer la
convention de Paris, dure nécessité des malheurs de la
France. Le tait est aussi inexact que l'opposition de M. de
Talleyrand à la guerre d'Espagne en 1808. Jamais Alexan-
dre ne voulut consentira voir M. de Talleyrand et à négo-
cier avec lui ; la Russie , en nous retirant son iniluence ,
nous faisait perdre l'Alsace et la Lorraine, réclamées par la
Conféiléralion Germanique. Apres la retraite de M. de Tal-
leyrand, le tsar prit en main les négociations , et lit des
conditions meilleures que l'Angleterre et la Prusse. On vou-
liiit se débarrasser de M. de Talleyrand comme on s'était
liibarrasséde Fouclié , l'ex-oratorien régicide. Toutefois, sur
les .instances de M. de Richelieu, le roi nomma M. de Tal-
leyrand grand-chambellan de France, titre du palais, au
traitement de 100,000 francs.
Ce fut avec celte dignité que M. de Tailleyrand passa la
Restauratjon. 11 n'était point aimé aux Tuileries, où il allait
par étiquette, remplissant toujours son oftice debout, der-
rière le fauteuil du roi, avec une admirable ponctualité.
Louis XVlIt l'accueillait avec une grande froideur; Char-
les X, plus bienveillant pour tous, lui adressait quelquefois
la parole en termes polis et vagues. A la chambre des pairs,
M. de Talleyrand adopta le rôle d'une opposition d'autant
plus solennelle (pi'elle comptait dans ses rangs les hom-
mes d'État de toutes les é|)oques , ceux qui avaient touché
les affaires et les grandes négociations; il ne parla que
très-rarement, je crois môme qu'il ne reste que deux
discours de lui : le premier, à l'occasion de la guerre d'Es-
pagne, en.l823. Il s'engagea gauchement dans la question ;
il prédit des malheurs à nos armes, et il y eut des succès :
c'est une faute énorme en politique que les prédictions. La
seconde fois, ce fut à l'occasion de la loi électorale et en
faveur de la liberté de la presse. Il voyait beaucoup de
monde , recevait les conlideuces de' tous les partis , cares-
sant tour à tour les sociétés libérales et les coteries aris-
tocratiques surtout, pour lesquelles il avait une vieille pré-
dilection. On ne brusquait rien , mais on attendait : c'était
chez lui une de ces conspirations en grand qui ne sont saisis-
sablespour personne. Sa fortune était d'ailleurs fort délabrée,
par suite d'une célèbre faillite (la faillite l*aravey) qui enleva
quatre millions au seul duc d'Alberg , son ami. M. de Talley-
rand restait peuà Paris. Ildemeuraità Valençay, ou dans ses
grandes terres de Touraine, très-obérces d'hypothèques ;et
sans l'esprit d'ordre de la duchesse deDino, merveilleuse
femme d'affaires, il y aurait eu des expropriations peut-être.
Quand la révolution de Juillet éclata, M. de Talleyrand
était livré à toutes ses irritations contre la branche aînée;
et il n'est pas douteux qu'il n'ait vivement travaillé à éta-
blir un nouvel ordre monarchique. Cette révolution n'était-
ell'î pas un souvenir dans sa vie ! M. de Talleyrand se char-
gea de négocier auprès du corps diplomatique; et l'on sait
que toutes les dépêches des ambassadeurs furent favorables
au nouveau roi. Louis-Philippe fut reconnu comme une
grande compression des tendances propagandistes. M. de
Talleyrand refusa alors le ministère des affaires étrangères,
qui n'eût été qu'une responsabilité. Mais il accepta l'ambas-
saile de Londres, poste plus important encore, car d'im-
menses affaires allaient s'y traiter : et les dépêches de Saint-
Pétersbourg rendaient urgente une bonne position avec l'An-
gleterrre. Quand il arriva à Londres, le duc de Wellington
était encore au ministère; les tories ardents avaient un
grand pouvoir dans le cabinet, et M. de Talleyrand ne
pouvait manœuvrer à l'aise dans cette situation. Il renoua
TALLEYRAND-PÉRIGORD 455
ses vieilles amitiés avecle comte Grey et les tvhigs modérés,
qui bientôt prirent le pouvoir; il fréquenta les salons de
lord John Russell, et déploya du faste.
Il faut savoir que sous l'ambassade de M. de Polignac
il s'était formé à Londres une conférence des plénipoten-
tiaires russes , anglais et français , pour décider toutes les
questions de la Grèce ; cette conférence se continua sous le
duc de Laval. M. de Talleyrand proposa de la reprendre pour
suivre et décider les affaires générales de l'Europe, et d'y
adjoindre des plénipotentiaires autrichiens et prus.siens. On
engagea les "négociations sur des points très- vagues; on
cherchait le moyen de se voir et de maintenir la paix. Les
nombreux protocoles qui (ment alors signés sur l'affaire
belge-hollandaise eurent un peu leur côté ridicule, il est vrai ;
la plupart restèrent sans exécution ; et bien qu'ils fussent
arrêtés en commun, jamais les plénipotentiaires russes et
aulricliiens n'obtinrent l'assentiment formel de leursgouver-
nements. MAI. de Lieven et d'Esterhazy furent désavoués
d'abord, et plus tard rappelés; mais le résultat effectif des
conférences de Londres fut le maintien de la paix, si pro-
fondément menacée.
A mesure que les whigs s'affermissaient au pouvoir, M, de
Talleyrand marchait plus fermement à la pensée de sa vie ,
c'est-à-dire à l'alliance intime de la France et de l'Angleterre.
De concert avec lord Pal m ers ton, il conçut le traité de la
quadruple alliance, système que M. de Talleyrand avait
rêvé depuis 1808, et qu'il avait remis sur le tapis au con-
grès de Vienne, en 1815. Ce traité reposait sur des idées
fausses et des intérêts hostiles. D'abord, l'Espagne et le
Portugal ne pouvaient compter comme forces dans les traités.
Quelle somme de puissance y apportaient-ils? Tout au con-
traire, ils annulaient une partie des moyens de la France et
de l'Angleterre ; ensuite, que d'intérêts politiques et com-
; merciaux en présence! Pouvait-on direqu'il y avait ai/ionce
entre deux Étals qui se rencontraient sur les mêmes mar-
chés commerciaux avec les vieilles rivalités de plusieurs
siècles. Ce fut pourtant le dernier acte de la vie diplomatique
de M. de Talleyrand : quelque temps après il demanda sa
■ retraite, et il l'obtint ; car il voyait venir les difficultés d'e la
\ situation.
Depuis cette époque il vécut à Paris ou dans ses terres,
j toujours consulté avec une vénération profonde par le
1 nouveau gouvernement. M""" de Dino avait pris un soin
I particulier de la fortune de son oncle, à ce point qu'ell'e
! était redevenue l'une des plus considérables de l'époque. La
I succession de M. de Talleyrand, après tant de ruines, a été,
I dit-on, presque une féerie des Mille et une Nuits. Il avait at-
I leint sa quatre-vingt-quatrième année ; et ce fut à cet âge que
[ ses facultés commencèrent à décliner considérablement; il ne
i fut plus que l'ombre de lui-même. M. deTalleyrand ne pouvait
' plus faire un pas ; on le transportait à bras , on le promenait
' dans un fauteuil à roulettes, et à la moindre secousse il versait
j des larmes de douleur : fatale similitude de la décrépitude
I et de l'enfance! Au fond , c'était une carrière'fmie , et qu'on
: cherchait en vain à réveiller en lui donnant quelques secous-
ses. Depuis longtemps il souffrait d'une maladie cruelle,
qu'il supportait avec moins de résignation que les événe-
ments politiques; les accès étaient violents, et le prince
tombait en syncope à des périodes très-rapprochées, signes
avant-coureurs de la mort. La maladie était irrémédiable ;
c'était la veillesse d'abord, unie à une ancienne affection
d'anthrax ou grangrène blanclie. Il fallut se résigner à subir
une opération douloureuse; et quand cette opération fut
faite, l'agonie vint. 11 avait senti toute la gravité de son état,
il mit de la dignité à ne point s'en alarmer; il fit de l'éti-
quette avec la mort. Depuis longtemps il avait des confé-
rences avec un pieux ecclésiastique de Paris; et lorsque
vint la pensée de la mort , il ne recula point devant une
rétractation. Cette rétractation ne fut point improvisée ; de-
puis trois mois elle était concertée avec un soin infini ,
comme une note diplomatique envoyée à l'Église. Elle était
pleine de soumission, mélangée de noblesse et de dignité. Le
456
prince l'adressait au souverain pontife. Il se repentait de
toute participation aux actes anticallioiiques qui avaient
marqué sa vie, surtout de sa participation à la constitution
civile du clergé; il rentrait dans la juridiction de l'arche-
vêque de Paris et sous la loi catholique du pape.
C'est ainsi que M. de Talleyrand se préparait à la mort.
Des nouvelles étaient portées de moment à l'autre au château
sur l'état de la santé du prince. M. de Talleyrand avait rendu
d'immenses services à la maison d'Orléans; et c'est pour-
quoi le chef lie celte maison résolut d'aller voir pour la
dernière fois le desccendant de la maison de Périgord. Louis-
Philippe se fit annoncer, et le prince, sans s'émouvoir,
comme si c'était chose due, lui dit, d'une voix affaiblie :
« C*est le plus grand honneur qu'ait reçu ma maison. >•
Il y avait une grande portée arittocratique dans ce mot : Ma
maison ; il signifiait que sa race , honorée d'une telle visite,
n'eu était point étonnée; c'était devoir. M. de Talleyrand
n'oublia pas non plus les grandes étiquettes, qui s'opposent
à ce que personne soit à la face d'un roi sans être présenté,
et immédiatement il dit avec beaucoup de calme : « J'ai une
tâche à remplir, c'est de présenter à Votre Majesté les per-
sonnes de l'assistance qui n'ont pas encore eu cet hon-
neur. » Et le prime nomma son médecin, son chirurgien
et son valet lie chambre. Cette tenue, au moment de la mort,
était empreinte d'un haut cachet aristocratique; elle était en
rapport avec la visite qui honorait les derniers moments de
TSl. de Talleyrand. On s'étonna dans le temps de cette in-
signe distinction que reçut M. de Talleyrand ; ces façons
d'agir de iientilhomme n'étaient pas comprises par l'esprit
de mauvaise couipaguie. Plus (lue personne, il tenait à sa race,
et 1h branche cadette des Bourbons était de trop bonne souche
elle-même pour l'oublier; les deux cadets de Qnercy et de
Navarre s'était rencontrés dans leurs souvenirs de race
comme dans leur vie puhli(pje. Entouré de sa famille dans
ses derniers moments, assiste de l'ahbé Dupanloup , vicaire
général iu diocèse de Paris, il reçut les sacrements de l'église ;
car il était réconcilié avec elle, et dit encore quelques-uns
de ces mots heureux et dignes qui furent si Iréquents dans sa
bouche. QueUpies instants après, il expira. Celait le 18 mai
1838; le prince Unissait sa ipiatre-vingt-quatrième année. 11
laissa un testament où toute son immense fortune était par-
faitement divisée par de sages dispositions. A-t-il également
laissé des mémoires ? Je crois le savoir ; mais ces mémoires
sont déposés ou dans les mains de la famille on dans les mains
d'autres personnes dont on s'est assuré le silence. Eh bien,
faut-il le dire? je ne crois pas à la curiosité des Mémoires
de M. de Talleyrand. On fait beaucoup de bruit sur les
révélations; je re|)ète qu'il y en a peu : M. de Talleyrand
n'écrivait que ce qu'il voulait , ne jetait sur le papier que
des faits publics ; et cela est si vrai, que dans ses lectures il
s'arrêtait avec complaisance sur les espiègleries du petit abbé.
Était-ce souvenir de jeunesse de sa part, souvenir que
j'ai trouvé si puissant partout dans les hommes d'État?
Il y a du bien et du mal dans celte destinée; il y a trop
de respect pour les manières et l'étiquette qui sont le costume
de la vie ; il n'y en a pas assez pour la conscience elle devoir,
qui en sont le fond et le but. M. de Talleyrand donna trop
à l'extérieur de l'existence, aux richesses , aux honneurs, au
sentiment des convenances ; mais il ne lit rien pour cette
délicatesse intime de l'âme, qui est la première garantie de
i'honnète homme mêlé aux afiaires publiques. Je n'aime
pas pins (pruii autre les niais en politique; mais, pour
l'honneur du caractère humain, je crois qu'on peut être
habile en conservant la probité exacte et la foi dans l'équité.
Il serait trop malheureux de croire qu'on ne peut être un
homme d'État sans faire une abdication absohiede son cœur;
ne faudrait-il que de l'esprit et de la tête pour régler les des-
tinées des gouvernements? Capefigue.
TALLIE.X (Jean- Lambert), membre de la Convention
nationale et I lui des auteurs de la (amense révolution du
9 thermidor, qui mit fin à la dictature de Robespierre,
était tils du portier du dernier marquis de Bercy, et naquit i
TALLEYRAND-PÉRIGORD — TALLIEN
Paris, en 1769. Grâce à la protection de M. de Bercy, il
reçut une bonne éducation ( notons en passant que sous
l'ancien régime Véducation classique, Vinstruction litté-
raire, n'étaient pas le quart aussi chères qu'aujourd'hui), et
put ainsi se destiner au notariat. Mais survint la révolution,
dont il embrassa les principes avec enthousiasme; et il ne
tarda pas à être attaché à la rédaction du Moniteur, qui
venait alors de naître. En 1791 il publia un journal intitulé
VAmi du Citoyen, qui ne fut pas remarqué. Au 10 août
1792 il fut nommé secrétaire de la commune révolutionnaire;
position qui lit de lui un des coryphées du parti de la ter-
reur, encore bien qu'il ait sauvé beaucoup de détenus dans
les lerrdiles massacres de septembre. Élu député à la
Convention par le département de Seine-et-Oise , il agit et
vota avec les hommes les plus compromis du parti de la
Montagne, fit preuve de talents oratoires, et lors du procès
de Louis XVI se prononça pour la mort sans sursis ni appel.
Le jour où le mallieureux roi monta sur l'échafaud, Tallien
fut élu président de la Convention. Trois mois plus tard il
reçut avec Carra une mission pour les départements de l'ouest
insurgés contre la Convention, et où il envoya à l'échafaud
ceux des girondins qui étaient parvenus à se sauver de Paris
après la journée du 31 mai. La Convention lui donna ensuite
ime mission pour Bordeaux ; il y poursuivit particulièrement
lesgens d'affaires, agioteurs et accapareurs , frappa la villede
contribntions, et appliqua aux récalcitrants la peine demort.
Vers la fin de 1793, il fit dans les prisons de Bordeaux la
connaissance de l'une des plus belles femmes de ce temps-
là, madame de Fontenay, fille du banquier espagnol Ca-
barrus , devenue plus tard princesse de Chimay; et la
passion qu'il conçut pour elle opéra un changement subit
dans ses tendances politiques. Non-seulement il fit sortir sa
maîtresse de prison, mais encore, au lieu d'arrêts de mort, il
ne prononça plus nue des mises en liberté. Le gouvernement
de la terreur ne tarda donc pas à rappeler Tallien à Paris,
où Robespierre surtout l'accueillit fort mal. 11 chercha bien
à regagner la confiance de son parti en feignant un redouble-
ment de zèle; mais Robespierre, qui avait les yeux sur lui ,
le fit expulser du club des Jacobins, et ordonna de nouveau
l'arrestation de madame de Fontenay. Pendant que Robes-
pierre songeait à exterminer complètement le parti de Dan-
ton, auquel appartenait Tallien, celui-ci se préparait à la
résistance : et ce fut effectivement lui qui , au 9 thermidor,
ouvrit l'attaque dans la Convention. Le sang- froid, l'énergie
et l'intrépiilité dont il fit preuve en cette circonstance dé-
cidèrent et assurèrent la défaite de Robespierre et de son
parti. Apres cette révolution, qui sauva sa vie et en même
temps la France, Tallien, comme chef de ceux qu'on ap-
pela alors les thermidoriens, exerça une grande influence.
Élu membre du comité de salut public, il rendit à la liberté
une foule de détenus, paralysa la puissance du tribunal ré-
volutionnaire et fit fermer le clnb des Jacobins. Mais en raison
de la direction que prenait maintenant la révolution, le parti
républicain ne tarda point à l'accuser de royalisme. Le hixe
qu'il déploya après avoir épousé la riche madame de Fon-
tenay offusquait particulièrement les républicains. Dans
les événements du i" prairial, il fit preuve d'autant d'éner-
gie et de résolution qu'à la journée du 9 thermidor ; et cela
acheva de le dépopulariser complètement. Il se rendit en-
suite, en qualité de commissaire de la Convention, à l'armée
de l'ouest, et assista ainsi à la déroute des royalistes à Q u i •
beron. N'ayant pas osé arracher les royalistes vaincus à la
mort qu'ils avaient encourue aux termes de la loi sur les
émigrés , et, à la suite de l'insurrection du 13 vendémiaire,
ayant traité les royalistes avec rigueur, il se vit honni égale-
ment par le parti monarchique. Lorsqu'à l'établissement du
Directoire il entra dans le Conseil des Cinq Cents, républicains
et royalistes s'éloignèrent de lui à l'envi comme d'un traître.
En 1798 Tallien sortit du Conseil des Cinq Cents, et fit partie
de l'expédition de Bonaparte en Egypte comme savant. En
Egypte, il obtint un emploi dans l'administration des do-
maines nationaux, et publia un journal sous le titre de Dé"
TALLIEN — TALMUD
457
cnde égyptienne. Après le départ de Bonaparte, Menou le
renvoya en France. Dans la traversée, Tallien tomba aux
mains des Anglais, qui l'emmenèrent |irisonnier à Londres.
Dans cette capitale le parti wliig lui fit un accueil distingué;
aussi, à sa rentrée en France, le premier consul le reçut-il
avec beaucoup de froideur, puis le négligea-t-il complètement.
Dans cet intervalle, sa femme avait profité de son absence
pour faire prononcer juridiquement son divorce. Il resta
alors dans l'isolement jusqu'en 1805, où Fouclié et Talley-
rand s'employèrent pour lui faire donner la place de consul
de France à Alicante ; mais à la suite d'une maladie qui
lui enleva un œil, il dut revenir, à Paris. 11 vécut dès lors
d'une pension modeste que lui accorda Napoléon. La Res-
lauralion la lui enleva; et s'il ne fut pas compris dans la loi
qui bannit de France les régicides, c'est qu'il put invoquer le
bénéfice de l'exception faite en faveur de ceux qui n'avaient
p.as été au nombre des signataires de l'acte additionnel pen-
dant les cents jours. Il tomba alors dans un état voisin de
l'indigence , n'ayant d'autre ressource pour vivre ([u'une
pension que lui faisait Barras. H s'était retiré dans une cliau-
mière de l'Allée des Veuves, aux Cbamps-Ëlysées, quartier
alors complètement désert ; et c'est là qu'il mourut, oublié,
le 20 novembre 1820. Dans les dernières années de sa vie, son
ancienne femme, la princesse de Cbiniay, venait souvent le
visiter. La fdie qvi'il avait eue d'elle, et à laquelle il avait
donné le nom de Thermidor, épousa le comte l'elet.
TALMA. (François-Joseph ), né à Paris, le 15 janvier
1763, était fils d'un dentiste français, qui alla s'établir à
Londres, où il l'emmena dès sa plus tendre enfance. Re-
venu en France à l'âge de neuf ans, il reçut dans une pen-
sion de Cliaillot une très-bonne éducation, qu'il acheva au
collège Mazarin. La fréquentation du Tliciitre-Fiançais lui
inspira du goût pour la profession de comédien, et, étant re-
tourné à Londres auprès de son père, il .s'essaya avec quel-
ques jeunes compatriotes dans divers rôles du répertoire
sur les planches d'un petit théâtre de société. Les affaires de
sa famille l'ayant encore une fois ramené à Paris, il entra à
l'École de Déclamation qu'on venaitde fondertout récemment,
et la manière dont il y joua le rôle d'Oreste dans Iphigénie
en Tauride lui valut des suffrages unanimes. En 1787 il
obtint la permission de débuter sur la scène du Théâtre- Fran-
çais, dans le rôle de Séide du Mahomet de Voltaire. 11 fut
vivement applaudi , et dès lors il apporta un zèle sans pareil
à perfectionner ses études théâtrales. En fréquentant la so-
ciélé des artistes, des sculpteurs, des savants, des antiquaires,
il acquit des notions aussi rares qu'étendues sur les cos-
tumes de l'antiquité; et il ré.solut d'opérer sous ce rapport
une véritable révolution au théâtre, en amenant la représen-
tation des pièces empruntées à l'histoire ancienne à offrir
le costume exact de répo(pie. Lorsque après la révolution
Chénier lit jouer son Charles IX, Talma , chargé du rôle
principal, s'en acquitta avec une telle vérité d'expression
qu'à partir de ce moment il fut regardé comme le premier
tragédien de son époque. Sans être précisément beau , il avait
la taille bien prise , une voix barmouieuse et sonore. Après
les pièces de Chénier, Charles IX, Henri VIll, celles de
Ducis, Macbeth, Othello, Abufar, développèrent le beau
talent de ïahna. Il y montrait la tragédie sous des couleurs
nouvelles. La mélancolie anglaise, dont son enfance et sa
première jeunesse avaient reçu les impressions profondes, se
produisait dans le drame français. Ses essais dans les pre-
miers rôles de la tragédie classique n'étaient pas encore aussi
biillanls. On doit surtout à ce grand arliste d'avoir (ait par-
ler la muse tragique, longtemps habituée à chanter et à
déclamer. On lui doit encore la réforme complète du cos-
lume. Il eut ses défauts; il dénaturait quelquefois son or-
gane, doux et agréable, en le gro.ssissant. Quelquefois aussi,
et quand ia passion ne l'inspirait pas, son débit avait quel-
que chose de lourd , de traînant, et même le ton bourgeois.
Il était inférieur à La rive dans les rôles qui exigent sur-
tout de la noblesse et un enthousiasme chevaleresque, tels
que celui de don Rodrigue dans le Cid. Mais combien ne
lui était-il pas supérieur pour la conception d'un rôle , pour
l'inlelligence et la vérité dans les détails, pour l'expression
des sentiments profonds et des passions fortes? C'est là qu'il
excellait et qu'il était vraiment sublime. Si Le Kain, d'a-
près les traditions, l'a surpassé dans la peinture de l'amour,
de ses tendresses et de ses emportements, le côté faible du ta-
lent de Talma ; si celui-ci n'a point osé aborder Mahomet et
Genghis-Khan , rôles dans lesquels Le Kain a laissé une ré-
putation colossale, par combien de prodiges son émule n'a-
t-il pas racheté son infériorité dans quelques parties de l'art?
Personne n'ignore que notre grand tragédien eut part à la
bienveillance de Napoléon. Une affection réciproque les
avait rapprochés avant que le génie du César moderne se
fût révélé au monde. Lorsque sa gloire eut tout soumis à
son nom, il maintint à Talma les privilèges d'un ancien ami,
se plaisant toujours à le voir et honorant son rare talent.
On a cité les avis pleins de sens que l'empereur lui donnait
quelquefois sur son art. Talma mourut à Paris, le 19 octobre
1826. On a de lui Réflexions sur Le Kain et l'art théâtral
(Paris, 1815; réimprimé en l856).
En 1855 on a placé sa statue en marbre, par David d'An-
gers, dans le parterre bordant le château des Tuileries, en
face de la terrasse du bord de l'eau. Le célèbre acteur est
représenté assis et vêtu à la romaine, dans le rôle de Sylla, où
comme on sait, il imitait l'attitude et la coiffure de Napoléon.
TALMOI\T(Les princes de). Voyez Lx Trémoille.
TALMOUSE, espèce de pâtisserie dans la composition
de laquelle il entre une farce de fromage, de beurre et d'oeufs.
La ville de Saint- Denis, aux portes même de Paris, tire
encore aujourd'hui vanité de ses talmouses ; mais la stricte
impartialité dont nous nous piquons nous oblige à dire qu'il
n'y a vraiment pas de quoi. C'est là en effet de la pâtisserie
comme on en pouvait faire au douzième siècle, ou comme on
en fait encore chez les Kalmouks et les Tongouses. Pendant
longtemps, cependant, il n'y eut pas de bonne partie de
Montmorency sans que les joyeux et hardis aventuriers, en
passant par Saint-Denis, ne se précautionnassent de tal-
mouses et ne missent à profit pour cette empiète le quart
d'heure pendant lequel le cocher du classique coucou lais-
sait souftler sa bête , une fois qu'à force de coups de fouet il
était parvenu à la faire arriver à cette première étape.
TALMUD, enseignement , doctrine (orale) tradition-
nelle, tel est le titre de la principale source du droit mo-
derne juif et du judaïsme. Cet ouvrage se compose de la
Mischna et de la Gcmare. Outre la loi mosaïque écrite, il
s'était formé à l'époque du second temple des institutions
judiciaires et religieusos provenant tantôt d'antiques tradi-
tions, tantôt d'une interprétation de la lettre, tantôt d'une
modilication ou d'une addition réelle. Mais comme l'ancien
elle nouveau droit furent basés sur le Pentateiique, on donna
à l'étude de la loi (Midrasch) et à la notion de la règle du
droit [Halacha) le nom de il/isc/^Ha, c'est-à-dire répéti-
tion (de la loi) ou deuxième loi. La plus ancienne compo-
sition de VHalacha paraît appartenir à l'école de Hillel, qui
vivait vers la naissance de Jésus-Christ. Akiba, mort en 135,
et Meïr, mort vers 170, enseignèrent la mi.se en ordre de la
Mischna. Une collection et une révision des diverses parties
composant la loi orale fut entreprise, à partir de l'an 1G6,
par l'académie du patriarche Siméon Bcn-Gamaliel, dont le
lils et successeur, Jéhiida le saint, mit en ordre et trans-
crivit,vers l'an 2 1 8, la Mic/jwa actuelle. La dernière rédaction
est postérieure d'environ une génération. Elle est rédigée en
hébreu, et contient soixante-trois traités en six classes, trai-
tant : 1° des prières et des formules de bénédiction, de l'a-
griculture et des qualités qui doivent distinguer le prêtre;
2" de la célébration du sabbat, des jours de fête et de
jeûne ; 3° do mariage et des serments ; 4" du droit d'obligation
et du droit pénal, et des autorités de la loi; 5° de ce qui
se rapporte au temple, aux sacrifices et aux pères; 6" des
lois de purification.
Le développement ultérieur de la loi ordinaire forme, avec
les modifications et les discussions, une époque posté-
458
TAI.MTJD - TALON
rieure allant jusqu'au cinquième siècle, la Gémare, qui est,
composée en idiome araméen et forme en quelque sorte un
commentaire de la itiiic/ina. Cependant, on a aussi incorporé
à la Gémare des fragments en hébreu et des hagadas consi-
dérables, c'est-à-dire des récits, des interprétations de l'Écri-
ture, des poésies et des expositions. H y a deux Gémares :
t°h Gémare de Palestine oa(ieJërusalein,conlei\&ntlve.nte-
neuf des traitésfie \à Mischna, et rédigée vers la fin du qua
trième siècle; 2° là Gémare de £ ab y lone , contenant Uenle-
six traités, quatre fois plus étendus que ceux-ci, terminée vers
l'an 500, à Sura. Seize traités manquent absolumentà la Gé-
îHorc. A partir surtout du huitième siècle, on apporta une ar-
deur extrême à interpréter et à fixer le contenu du Talmud,
qui, presqu'en même temps que le Code deJuslinien, eut ses
giossateurs (commentaires et tosafoth ) ; les chrétiens , eux
aussi, en prirent peu à peu connaissance. Les meilleurs com-
mentaires de la Mischna, impiimés pour la première fois à
Naples, en 1492, sont ceux de Moïse Maimonides et
d'Obadia Bartenora (1490); Surenhus a publié le texte la-
tin de l'un et de l'autre (6 vol., Amsterdam, 1698-1703).
La Mischna a été publiée en espagnol, à Venise, en 1606, en
allemand (par Rabe), à Onolzbacb, en 17C1, et en lettres
hébraïques à Berlin, en 1834. Hartmann a publié (Rostock,
1825-1826) le catalogue des mots contenus dans la Mischna;
tout récemment, la langue dans laquelle elle est écrite a été
l'objet d'ouvrages composés par Luzzato, Geiger et Dukes.
Le glossateur de la Gémare de Babijlone fut R a se h i. On a
de Maimonides un système de ce qui est valide d'après le
Talmud, d'Isaac Lampronti, le lexique du contenu de VHa-
lâcha {Yenise, 1755-1813), de Jechiel Heilprin de Minsk, le
catalogue alphabétique des autorités du Talmud (Carlsruhe,
1769), des anthologies et des paraboles talmudiques, par
Plantavitius, Hurwitz, Furstenthal et Furst. Jusqu'à ce jour
il n'y a qu'un très-petit nombre de chapitres du Talmud
qui aient été traduits.
[ Ce qui caractérise cet immense assemblage de traditions
et de préceptes émanés d'une multitude de docteurs, c'est
l'étrangeté de certains récits, la minutie d'une foule de pres-
criptions. A côté d'apologues d'une beauté véritable , on y
rencontre des légions d'anecdotes dignes des Mille et ime
Nuits y des récits qu'il ne faut pas juger trop sévèrement,
puisqu'ils ont pris naissance dans ce pays de l'Orient, tou-
jours ami des fables. Les rabbins qui ont compilé la Gé-
mare affirment gravement qu'Adam avait tout au moins
six centscoudées de hauteur; ils décrivent des animaux d'une
taille exorbitante. Un œuf tombe un jour du nid d'un de ces
oiseaux qu'eux seuls connaissent, et en se brisant il forme
un torrent qui déracine trois cents cèdres, et qui noyé tout
un village. Un autre oiseau se tient dans une rivière, et
l'eau lui vient jusqu'à mi-patte ; des voyageurs l'aperçoivent,
et, dans l'idée que l'onde est peu profonde, ils se disposent
à se baigner ; mais une voix venant du ciel les arrête , et
leur crie: « Prenez-garde, ne vous arrêtez pas ici; il y a
sept ans qu'un charpentier a laissé choir sa hache dans ce
fleuve, et elle n'est pas encore arrivée au fond. » — Ces
échantillons doivent suffire pour donner une idée du fan-
tastique qu'affectionnaient les docteurs hébraïques, il y a seize
ou vingt siècles. G. Brunet.]
TALMUDIQUE, livre ou point de doctrine relatif au
T a I m u d .
TALMUDISTE, rabbin, ou simple croyant Israélite,
qui [jrolésse les doctrines du Talmud.
TALON, partie postérieure du pied. L'os du talon s'ap-
pelle calcaneian, ce qui signifie os de l'éperon.
Ce mot appartient aussi au vocabulaire spécial de divers
arts et métiers. En termes de vénerie, c'est le derrière du
pied des animaux. La connaissance du talon donne celle de
l'âge de la bête. Dans le cerf, par exem[)le, plus le talon est
fkpproché des os ou des ergots, et plus l'animal est vieux;
tandis que dans les jeunes cerfs, il y a un espace de quatre
doigts.
An Jeu de cartes, on nomme talon la portion de cartes qui
reste après qu'on a distribué aux différents joueurs celles
qu'ils doivent avoir.
On appelle encore ainsi la partie d'un registre d'où l'on
détaché des quittances, des actions ou des titres quelconques,
qui reste à la souche et sur laquelle se trouvent répétées
les diverses indications inscrites au titre, dont la décou-
pure doit toujours se rapporter exactement à celle du
talon.
TALON (Famille). Cette famille, d'origine irlandaise,
et dont l'établissement en France date du règne de Charles IX,
a fourni à l'épée et surtout à la magistrature plusieurs
liounnes célèbres.
TALON (Omer), avocat- général au parlement de Paris,
né en 1595, fut admis à dix-huit ans dans l'ordre des avocats,
et se fit remarquer par l'elenduc de ses connaissances et par
le charme d'une diction qui, sans être entièrement exempte
de l'enllure et du mauvais goût qui caractérisaient encore
le style oratoire de cette époque, offrait pourtant un grand
nombre de traits d'une véritable éloquence. Après avoir
exercé pendant dix-huit ans environ la profession d'avocat,
Omer Talon recueillit, en 1631, la charge d'avocat général
au parlement de Paris , vacante par l'abandon de son frère
aîné , et parut avec éclat dans ce ministère. Ses plaidoyers
et ceux de Denis, son lils, font foi d'un savoir profond et
varié et de rérudition la plus logique et la plus saine sur
une foule de questions de droit public, de législation et de
jurisprudence. Les troubles de la Fronde éclatèrent pendant
qu'Omèr Talon exerçait cette importante magistrature; et
sa conduite politique ne cessa de se faire remarquer par
une austère franchise et par un dévouement égal à la
royauté et aux Hbertés piibliques. La chaleur et la loyauté
de sa parole déterminèrent souvent des résolutions impor-
tantes dans sa compagnie, et prévinrent plus d'une décision
séditieuse ou funeste. L'ardeur de son attachement à la mo-
narchie ne nuisait point à la constance avec laquelle ce
grand citoyen se portait en toute occasion le défenseur des
droits du peuple et l'adversaire des vexations de la cour.
Jamais peut-être on ne fit entendre à la royauté un langage
plus ferme et plus noble que celui qui règne dans les dis-
cours de ce magistrat haranguant la mère de Louis XiV au
nom de sa compagnie. « Pour entretenir le luxe de Paris,
lui disait-il dans une occasion solennelle, des milliers d'âmes
innocentes sont obligées de vivre de pain, de son et d'avoine *
ces malheureux ne possèdent aucun bien en propriété que
leurs âmes, parce qu'elles n'ont pu être vendues à l'encan. »
« Kntre tous les empereurs romains, qui ont été les plus
grands princes de la terre , lui disait-il dans une autre occa-
sion, à peine trois ou quatre ont laissé bonne odeur de
leur vie, ce qui procède d'ime mauvaise créance, laquelle
occupe la pensée de la plupart des souverains et de ceux
qui les entretiennent dans l'idée que toutes leurs entre-
prises sont justes, toutes leurs volontés légitimes; en sorte
que, s'imaginant être des dieux sur la terre, ils pensent que
les peuples sont faits pour les rois, et non pas les rois pour
les peuples. »
Comme orateur du parquet du parlement de Paris , Omer
Talon prit une part active à la fameuse déclaration de
1648, monument durable des efforts que la magistrature dé-
ploya à cette époque pour faire tourner les embarras d»
trône au profit des libertés publiques et pour disposer la
couronne à quelques concessions, à quelques reconnais-
sances de principes dont on pût se prévaloir dans des jours
plus tranquilles; et où l'on trouve la plupart des garanties
qui depuis ont servi de base à notre gouvernement repré-
sentatif, telles que la prohibition de lever des impôts non
autorisés par les lois, l'indépendance des suffrages , les pré-
cautions contre les atteintes portées à la liberté indivi-
duelle, etc. Celte déclaration fut enregistrée avec appaieil,
sur les conclusions d'Omer Talon, au lit de justice du
30 juillet 1649.
La prolongation des troubles de la Fronde finit par altérer
la santé de ce vertueux et pacifique magistrat. Bientôt le mal
devint sans remède. Talon, sentant approcher sa fin, prépara
son passage à réternitc par un scrupuleux accomplissement
des devoirs religieux, qu'il avait toujours pratiqués avec
une vive ferveur. Il rédigea pour Denis Talon , son fils , une
série de préceptes que celui-ci lut toute sa vie avec admi-
ration, et lui donna sa bénédiction en ces termes touchants :
« Mon fils , Dieu te fasse homme de bien ! n Orner Talon
mourut le 29 décembre 1652, à cinquante-sept ans. Indé-
pendamment de ses plaidoyers et de ses harangues, il laissa
des mémoires intéressants sur .son orageuse époque, que son
fils a continués. Les oeuvres choisies de ces deux magistrats,
appelés dans leur siècle même les derniers Romains, ont
été publiées en 1821 , en G vol. in-8".
TALON (Denis), fils du précédent, naquit à Paris, en
1628. Il succéda, à vingt-cinq ans environ, à son père
dans les fonctions d'avocat général au parlement, et fut
nommé conseiller d'État le lendemain môme de la mort de ce
dernier. Denis Talon justifia dans ce ministère l'honneur
de s'appeler d'un nom célèbre , et porta la parole avec dis-
tinction dans une foule de causes importantes. Il fut désigné
d'abord pour instruire le procès du surintendant F ou quel;
mais son indépendance bien connue mérita qu'on lui ravît
cette inique et douloureuse mission. Denis Talon, per-
sonnellement estimé de Louis XIV, qui appréciait ses lu-
mières et ses vertus, concourut à la rédaction de plusieurs
des ordonnances qui illustrèrent ce beau règne. Ses services
furent récompensés, en 1693, par une charge de président
à mortier au parlement de Paris. Denis Talon mourut à
soixante-dix ans, le 2 mars 1698, laissant un nom moins
historique sans doute que celui de son père, mais l'exemple
de grands talents unis à de grandes vertus.
A. BOULLÉE.
TALOS, fils de Perdix , sœur de Déd a I e, fut l'élève
de son oncle, avec qui il rivalisa bientôt comme artiste, et
qui en conséquence le tua par jalousie. La tradition fait de
lui l'inventeur de la scie, du tour à potier, du tour, etc. Au
rapport de Pausanias, il avait été enterré à Athènes, sur le
chemin conduisant du théâtre à l'Acropole, oii il était ho-
noré comme héros.
Un autre Talos est cet homme d'airain dont Zeus ou
Hephœstos fit don à Minos ou à Europe pour surveiller la
Crète, et qui journellement faisait trois fois le tour de cette
île. Des étrangers s'en approchaient-ils, il se faisait rougir
au feu et les tuait en les élreignant dans ses bras. Il n'avait
qu'une veine qui allait de la tête au talon, et qui était at-
tachée à son sommet par un clou. Lors du débarquement
des Argonautes, Médée parvint à le tromper, et le tua.
TAMAN , ville située dans le territoire des Kosaks de la
mer Noire, ou Tschernomorie , faisait partie du gouverne-
ment russe de la Ciscaucasie ou de Stawropol , sur la rive
méridionale du golfe de Taman, lequel, du détroit de Kertsch
ou de Kaffa, voie de communication entre la mer Noire
et la mer d'Azof, pénètre à l'est dans la presqu'île de Taman ,
longue de 7 à 9 myriamètres, large de 2 à 3 , et échancrée
par la mer et par les bras d'embouchure du Kouban en un
grand nombre de promontoires, d'anses et de lacs. Re-
marquable par ses volcans de vase, ses sources de naptlie
et ses exhalaisons de gaz , il partage cette presqu'île en di-
verses autres de moindre grandeur, dont chacune se termine
par un promontoire très-aigu. Aux environs de cette ville on
trouve la petite forteresse de Fanagoria, ainsi appelée d'a-
près l'antique ville de /'Aana^/ona, fondée l'an 540 av. J.-C,
par une colonie de Milésiens et d'autres Grecs de l'Ionie, qui
parvint à un haut degré de prospérité comme entrepôt des
marchandises venant du Nord et du lac Mseotide (la mer
d'Azof) , et destinées aux populations du Caucase, qui de-
vint plus tard la capitale du royaume du Bosphore, et que
les barbares détruisirent lors de leurs invasions au sixième
»iècle.
TAMAN (Détroit de ). Voyez Bosphore Cimmérien.
TAMANDUA. Voyez Fourmiuer.
' TAMANOIR. Voyez Fourmilier.
TALON — TA MAULIPAS 459
TAMARIN ou TAMARINIER , oel arbre originaire de
l'Inde , et formant à lui seul un genre de la famille des lé-
gumineuses. On le cultive, dans les contrées chaudes du
globe, comme arbre d'ornement, et surtout pour la pulpe
alimentaire de ses fruits. Cette pulpe, d'une saveur à la fois
sucrée et aigrelette, sert à faire des confitures, des sorbets
des boissons rafraîchissantes , etc. On en prépare aussi des
tisanes, recommandées dans les irritations intestinales, les
dyssenteries , etc.
Le genre tamarin a pour caractères botaniques : Calice
coloré, à tube turbiné, dont le limbe est profondément di-
visé en quatre lobes , parmi lesquels le postérieur est plus
large et bidenté ; cinq pétales, dont les trois supérieurs .sont
les plus grands ; neuf étamines, soudées intérieurement, dont
trois seulement sont longues et fertiles; ovaire stipité , au-
quel succède un légume oblong, comprimé, divisé en plu-
sieurs loges par des cloisons transversales.
TAMARIN. Voyez Ouistiti.
TAMARIX, genre d'arbres et d'arbustes delà région
méditerranéenne, des Canaries et de l'Inde, appartenant à
la petite famille des tamariscinées , à laquelle il a donné
son nom. Les tamarix se reconnaissent à leurs petites feuilles
imbriquées , semblables à des écailles ; à leurs petites fleurs
en épis, souvent paniculés , ayant de quatre à dix étamines
libres; à leurs graines aigrettées à la chalaze, qui occupe
leur sommet. On cultive souvent dans nos jardins le tama-
rix de France, dont le léger feuillage , d'un vert un peu
glauque , se détache avec grâce sur les massifs.
TAMATAVE. Voyez Madagascar , tome XII , p. 359.
TAMAULIPAS, le plus septentrional parmi les États
du Mexique situés sur sa rive orientale, compris autrefois
dans l'intendance de San-Luisde-Potosi, sous le nom de
colonie Aw Nouveau Santander , est séparé aujourd'hui au
nord, par le Rio del Norte, de la république du Texas; et
après avoir perdu en 1848 la partie de son territoire s'é-
lendant jusqu'au Nuceres ( 38G niyriam. carrés ), que le
Mexique dut alors abandonner aux États-Unis, il n'a plus que
635 niyriam. carrés de superficie, avec environ 120,000 ha-
bitants, au lieu de 170,000. Sur la côte, c'est un territoire
plat et sablonneux; dans l'intérieur, le sol devient onduleux.
La côte offre un grand nombre de ports , d'anses et de bancs.
A l'intérieur, le climat est tempéré , l'air pur et sain. Sur la
côte, au contraire, il règne une chaleur accablante et des
fièvres pernicieuses. Quoique richement arrosé , le sol de
cet État n'est encore que fort peu cultivé, et ne produit
pas même la quantité de céréales nécessaire à la subsistance
de ses habitants. Faute de bras et de capitaux, l'exploita-
tion même des raines, jadis très-productive, est presque
entièrement abandonnée. La principale industrie est l'élève
du bétail. Le commerce maritime des trois principaux ports
du pays a pris cependant de grands développements depuis
1830.
Le chef-lieu de l'État de Tamaulipas , Victoria ou Vi-
toria , appelé autrefois Santander, et quelquefois même
aujourd'hui Nouveau Santander , situé au voisinage du
Rio Santander, fut fondé en 1748, est bien bâti et compte
12,000 habitants.
Le ^oviàQ Tampico de Tamaulipas ou Santa-Ana ,s\i\ié
au nord, sur le Rio Tampico, à peu de distance de la lagune
du même nom, à un myriamètre au nord-ouest du vieux port
àePîieblo viejode Tampico, situé de la façon la plus incom-
mode, dans une lagune extrêmement malsaine el dépendant
de l'État de la Vera-Cruz. La ville de Tampico dç Tamau-
lipas, fondée seu\ement en 1824 et régulièrement construite,
compte déjà plus de 10,000 habitants , dont beaucoup de aé-
gociants allemands, anglais et français, et est regardée au-
jourd'hui comme le port le plus important du Mexique
après la Vera-Cruz. Cependant , une barre qui se trouve à
l'embouchure du fleuve en rend l'entrée difficile aux bâti-
ments qui tirent plus de trois mètres d'eau; et la rade n'est
pas tout à fait à l'abri des vents du nord et du nord-est. En
outre , la ville manque d'eau notable. Les principaux arti»
460
TAMAULIPAS — TAMBURINI
des d'exporlalion sont les métaux précieux , les bois de
teinture , les \iandes salées et les cuirs.
Sur la rive droite, et à 10 léguas de rembouclnire du Rio
Norte , on trouve Matavioros, qui n'était il y a trente ans
qu'un petit village, et qui aujourd'hui compte plus 10,000 ha-
bitants. C'est une place de commerce très-importante , et
que la salubrité de son climat et la bonne culture de ses
environs distinguent entre tous les autres ports de la côte
du Mexique.
TAMBOFF, grand gouvernement de la Russie d'Eu-
rope, de 940 myriarn. carrés, complètement plat et en
partie couvert de steppes, est borné au nord par les gou-
vernement-: de Wladimir et de Nishnij-Novogorod, à l'est
par ceux de Pensa et de Saratolf , au sud par celui de Wo-
ronesli , et à l'ouest par ceux d'Orel, de Toula et de Rjae-
sàn. Au nord , le sot est sablonneux et marécageux , et sur
les bords de l'Oka et de la Mosclika couvert de vastes forêts ;
au sud , au contraire, il est fertile. Les steppes se trou vont
à l'est. En raison de l'excellence des pâturages, l'élève du
bétail y est très-considérable. Lesclievaux du gouvernement
de ïamboff servent beaucoup aux remontes de l'armée. La
production en grains est très-considérable au sud; on y ré-
colte aussi beaucoup de chanvre. Les forêts fournissent
d'excellent bois. de construction et occupent un grand nom-
bre de bras à la fabrication du charbon et d'ustensiles en
bois, à la préparation de la poix et du noir de fumée. Le
pays fournit aussi beaucoup de tourbe, ainsi que du fer, de
la chaux, de l'argile, du salpêtre et du soufre. Les sources
minérales y sont très-nombreuses. L'industrie manufactu-
rière , quoiqu'en progrès , y est encore peu importante.
Le commerce, favorisé parla navigation surles coursd'eau,
exporte les produits du sol. La population est estimée à
1,800,000 habitants.
Le chef-lieu , Tamboff , fondé en 1036, au confluent de
la Zua et d'un ruisseau appelé Stiidonetz , compte 22,000 ha-
bitants, est le siège du gouverneur civil et d'un évèque. I^a
ville, généralement bien construite, possède quelques édi-
fices remarqtiahles , entre autres la maison de travail et de
correction construite par l'aul i''', le collège, la maison
des nobles, le séminaire, et uu couvent de moines. Il s'y
trouve une vaste manufacture impériale d'alun et de vi-
triol, et il s'y fait un commerce considérable.
TAMBOUKIS. Voyez Cafki-s.
TAMBOUÏl (de l'espagnol tambor, dérivé de l'arabe
oZ/a?tt^or). On donne ce nom au soldat porteur d'un ins-
trument appelé caisse, qui sert à cadencer le pas des
troupes à pied dans les marches ordinaires. La caisse , que
l'on nomme aussi improprement tambour, est un Instrument
militaire fort ancien. Cependant les Grecs et les Romains
le remplaçaient par les timbales et par la buccine. Les
premiers iManks ne connaissaient que 1 usage du clairon.
La caisse fut importée en Europe par les Sarrasins et par
les Maures. Elle n'apparut en France qu'eu 1347 , lors de
l'entrée d'iidouard 111, roi d'Angleterre, à Calais : c'est à
partir de celte époque qu'un a créé des tambours dans l'in-
fantorie française , et que l'usage de la caisse s'y est intoduit
avec rapidité.
On compte aujourd'hui deux tambours par compagnie.
Chaque régiment d'infanterie a un écolede tambours, dirigée
par le t.imbonr major et les caporaux tambours. Les élèves
sont pris généralement parmi les enfants de troupe. Les
tambours et les trompettes accompagnent les parlemen-
taires chargés de négociations militaires en présence de
l'ennemi. Un ofiicicr ne marche jamais avec un détachement
sans avoir un lan)bour.
Le caporal tambour, qui prenait autrefois le nom de
tambour maître , est chargé , sous la surveillance du ta m-
D o u r major, de l'instruction , de la police et de la disci-
pline des tambours : il y en a un par bataillon.
On appelle tambour de basque une sorte de petit tam-
bour qui n'a qu'un fond de peau tendue sur un cercle de bois
entouré de plaques de cuivre et de grelots , et dont on joue
avec le bout des doigts ou en l'agitant. Il a été loujowr*
inconnu desEscualdunacsou Basques, dont il porte le nom
on ne sait pourquoi.
■Proverbialement, Ce qui vient de la flûte s'en retourne
au tambour signifie que le bien acquis trop aisément, ou
par des voies peu honnêtes, se dissipe aussi aisément qu'il
est amassé.
En termes de ïnenî^werie, on appelle <a»i6oMr une en-
ceinte avec une ou plusieurs portes, placée aux principales
entrées des édifices, des églises ou des grandes salles, pour
empêcher le vent de pénétrer dans l'intérieur. En fortifi'
camion , c'est un retranchement qui couvre la porte d'une
ville ou l'entrée d'un ouvrage. En architecture, c'est chacune
des assises de pierres cylindriques qui composent le frtt
d'une colonne, ou le noyau d'un escalier à vis. En méca-
nique , c'est une espèce de roue placéeautour d'un axe et au
sommet de laquelle sont enfoncés deux leviers, pour pou-
voir plus facilement tourner l'axe et soulever les poids.
TAMBOURIiV, espècede tambour, moins large et plus
long que le tambour ordinaire, sur lequel on bat avec une
seule baguette, et qu'on accom|)agne ordinairement avec
une |)clite llùte pour faire danser les villageois-
TAMBOUR MAJOR. Sons le règne deHenriir,dit
l'auteur de La Milice française réduite à l'ancien ordre et
discipline militaire {Paris , 1615), il y avait dans chaque
ftanrfe (corps, régiment) un tambour colonel, on capitaine
tambotir, lequel ne portait point de caisse; il entretenait
un valet ou sous-tambour, qui était chargé de ce soin. Le
tambour capitaine portait alors un bâton sans fer, dont ii
se servait pour corriger les tambours. Ce bâton est aujour-
d'hui remplacé par une forte canne en jonc, surmontée d'une
grosse pomme en argent. L'auteur que nous venons de
citer ne dit pas si l'on exigeait de son temps, comme au-
jourd'hui du tambour major, que le capitaine ou colonel
tambour eût une taille élevée, une tournure svelte et élé-
gante.
Les fonctions des tambours majors consistent à surveiller
et il commander les tambours et les clairons du régiment,
à diriger leur instruction et à les réunir pour les leçons et
les répétitions : ils sont au choix du conseil d'administra-
tion. Leur habit est richement galonné d'or ou d'argent; ils
portent deux épaulettes à graines d'épinards, mélangées
d'or et de soie de couleur. Le chapeau ou colback est garni
d'un plumet; le sabre suspendu à un baudrier brodé. La
monture de cette armeestordinairement garnie d'ornements
ciselés, son fourreau en maroquin ou en métal doré. Malgré
la magnilicence de son costume, aussi brillant que celui
d'un maréchal de France, le tambour major n'a que le grade
de sergent u)ajor.
TAMBIJRIIVI (Antonio), l'un des plus remarquables
barytons italiens de notre temps , est né à Faenza , en mars
1800. Son père voulait en faire un simple instrumentiste,
jouant de la flille ou du violon ; mais, obéissant à une irré-
sistible vocation, Tarnburini voulut chanter ; il chanta donc ,
et à l'église et dans les chœurs du théâtre. M™® Pisaroni
etd'autres artistes éminents l'ayant entendu lui prodiguèrent
leurs encouragements, et à dix-huit ans il débutait à Bo-
logne, àMirandola, à Corrége. Plaisance, Naples, Trieste ,
Rome, Palerme, "Vienne applaudirent tour à tour Tarnburini,
qui enfin demanda, en 1832, la consécration de sa renom-
mée à Paris , la grande capitale du monde artistique. On
rapportait alors qu'un jour, à Palerme, une prima donna
ayant refusé de jouer au moment oii le rideau était levé, il
joua à la fois et son rôle et le sien , et chanta aux applau-
dissements frénétiques de tous un duo où dans le rôle de
femme il se servait des notes hautes de sa voix, et des
cordes basses dans celui d'homme. Tamburini débuta en octo-
bre 1832 au théâtre Italien de Paris, dans La Cenerentola ; \[
était jeune, d'un physique agréable : sa voix forte, pleine,
fraîclie , son excellente méthode , son aisance, tout contribua
à son succès. Pendant onze ans Tamburini demeura fidèle
à Paris ; puis il alla chanter à Londrçs , à Saint-Pétersbourg
TAMBURINI — TAMISE
461
Dans la première de ces villes, eu ilclianlait habituellement
pendant la saison d'été, il y eut une qiiasl-cmenle en 1840,
parce que le directeur du théâtre italien ne l'avait pas engagé;
cequi prouve combien son talent y était apprécié. La Ceneren-
tola,Olello, Roberto d'E véreux, VElisired'amore, I Puri-
tani,Linda di Chamouni,Beatrix di Tenda,don Pusquale,
LaGazza ladra, Lucrezia Borgia,il Barbiere, Lucia, don
Giovanni, sont les ouvrages où ïamburini s'est produit de
la façon la plus remarquable; les rôles si disparates de
Figaro et de don Juan étaient sou triomphe. Tainburini a
passé de nouveau à Paris la saison de 1853-1854, puis
il est retourné dans le Nord. Il s'est marié, en 1820 , à Ma-
rietta Gioza, dont il a eu dix enfants. Les dilettiinli pari-
siens regretteront longtemps celte voix si sonore, si souple,
si onctueuse , dont les cordes s'élevaient du la grave au /a
aigu, qu'il menait avec tant de (inesse et de légèreté.
TAMERLAN. Voyez TiMoun.
TAMERLAN (Le). Dans les premières années du
règne de Louis-Philippe, une véritable garde-nationalo-
vianie se manifesta dans une certaine couche de la popu-
lation. Alors tout individu suspect de tiédeur à l'endroit du
service exigé dans la garde nationale fut signalé comme un
ennemi du nouvel ordre de choses. Malheur à lui s'il oc-
cupait un emploi dépendant du gouvernement ! toute chance
d'avancement lui était désormais enlevée, si même il ne
perdait pas sa place par-degsus le marché. Aux zélés (lour
la faction , pour la patrouille et pour les revues , les faveurs
du pouvoir, les places, l'avancement, et surtout la croix
d'Honneur! Une fois que Vé toile des braves brillait sur la
poitrine de ce garde national quand même , notre homme
passait à l'étal de tamerlan. Jamais le farouche conqué-
rant des Indes n'eut des moustaches si longues, si bien
os^i^wées; jamais il n'eut une voix sirauqueet si caverneuse,
des yeux si étincelants , des regards si menaçants. La cari-
cature eut bientôt fait justice du personnage.
TAMIA. Voyez Écureuil.
TAMILou TAMOULL Foi/es In wennes (Langues) et
Tamoules.
TAMISE ( La), en anglais Thamcs, le plus grand fleuve
de l'Angleterre et sous le rapport commercial le plus célèbre
et le plus fréquenté de l'univers, prend sa source sous le nom
de Tliames ou à'Isis, près des frontières des comtés de Wilt
etdeGloucester,et provientdelajonction du Thames-Head,
qui commence près deCirencester et a très-peu d'eau en été,
et du Swill-Brook , ruisseau plus considérable, qui com-
mence à West-Crudwell , à deux petites heures au nord de
Malmesbury. Elle coule alors à l'est par Cricklade et
Lechiade jusqu'à Oxford , où elle reçoit à sa gauche le
Charwell ou Cherwell , considéré aussi comme l'une de ses
sources; puis elle se dirige au sud-est, et dans ce détour
reçoit à Dorchester, entre Abingdon et Wallingford, la
Thame, dont , suivant une vieille tradition, que rien ne jus-
titie, le nom , mêlé à celui d'isis, a fini par se corrompre en
Thames. Ensuite, à partir de Reading, elle se dirige, lout
en décrivant de larges courbes, à l'est , d'abord par Henley,
Marlow et Mardenhead jusqu'à Windsor, puis par Staines,
Cbertsey, Hampton, Kingston, Twickenham, Richmond,
Breutfordet Chelsea jusqu'à Londres, la capitale du monde;
de là, par Deptford, Greenwicb, Blackwall et Woolwich
jusqu'à Gravesend, et se jette dans la mer du Nord, à 7
myriamètres au-dessous de Londres, entre Sheerness , dans
l'île de Sheppey , comté de Kent, et le cap Shoeburyness,
dans le comté d'Essex. A Sheerness elle prend le nom de
Note; plus loin, jusqu'à ce qu'elle prenne les dimensions
d'un golfe, celui de Sicin. Du phare de Nore à la source la
distance en ligne droite est de 189 kilomètres; mais en tenant
compte des détours, la longueur totale du fleuve est 350 ki-
lomètres , dont 294 sont navigables. A Sheerness la largeur
de la Tamise est d'un peu plus de 7 kilomètres ; à Greenwicb,
par la marée haute, elle a 1,800 pieds anglais de large; à
Londres, qu'elle traverse sur une étendue de 12 kilomètres,
et depuis le dernier de ses ponts, le Londonbridge , jus-
qu'aux WesC-Indian Docks, elle est appelée par les marins
Pool; sa largeur varie entre 720 et 1,450 pieds anglais. Mais
au-dessus de Londres elle devient très-étroite. Sauf quelques
Jbas-fonds (Shoals), la Tamise, en amont jusqu'au Lon-
donbridge, a de 12 à .14 pieds anglais de profondeur. La
marée y monte toutes les douze heures à une hauteur per-
pendiculaire de 14 à 19 pieds anglais, avec une vitesse de
deux à trois milles anglais à l'heure, apportant ainsi une
masse d'eau de trois millions de pieds cubes à l'heure. A la
marée haute les bâtiments de 7 à 800 tonneaux remontent
jusqu'au Z,ondonôrJcfpe; les bâtiments plus grands, du port
de 1,000 tonneaux et au-dessus, comme ceux qui font le
voyage des Grandes-Indes et les bâtiments de guerre , doi-
vent jeter l'ancre à Deptford et à Blackwall. Londres doit
à la Tamise et à la marée qui la remonte un commerce tel
que n'en offrent aucun autre fleuve, aucune autre ville de
la terre. En 1848 il entra dans le port de Londres et dans
les docks de Sainte-Catherine 10,872 bâtiments à voile et à
vapeur de long cours, venus de toutes les mers du monde,
chargés des produits de toutes les contrées de la terre, et
jaugeant ensemble 1,104,077 tonneaux, sans compter
12,584 bâtiments caboteurs ou chargés de bouille et jaugeant
ensemble 3,242,572 tonneaux , et indépendamment d'une
innombrable quantité de bateaux pêcheurs. On évalue l'ex-
portation annuelle qui se fait par la Tamise entre 70 et 80 mi!»
lions de I. st. (1,750,000,000 fr. et 2,000,000,000 fr.). A partir
de Londres jusqu'à Lechiade, la Tamise n'est pourtant navi-
gable qu'à l'aide d'écluses et par de faibles barques. Un petit
bateau à vapeur remonte bien jusqu'à Richmond , mais il
faut pour cela qu'il attende la marée haute, qui se lait encore
sentir à quelque distance au-dessus de ce point. D'ailleurs,
laTamise communique avec l'intérieur du pays par une foule
de canaux , tels que le Grand-Jonction-Canal , et les ca-
naux d'Oxford, de Paddington, du Régent, de la Tamise
et de la Severn. Ce dernier canal, dans un parcoius de 46 ki-
lomètres, relie Lechiade à Stroud et à Froomiade sur la Se-
vern, à 11 kilomètres au-dessous de Gloucester, Mais la
communication ordinaire par eau entre Londres et Bristol
a lieu par le canal d'Avon et de Kennet , d'un développement
d'environ 90 kilomètres, et conduisant de Reading à Rath
sur Avon. Le bassin de la Tamise embrasse douze comtés,
et comprend 105 myriamètres carrés. Au-dessus de Lon-
dres, ses rives sont supérieurement cultivées, et avec leur
grand nombre de villes, de bourgs, de villages et de mai-
sons de campagne, avec leurs jardins, leurs prairies, leurs
pâturages et leurs collines boisées, elles offrent une ravis-
sante succession de paysages de la nature la plus pittoresque.
Au-dessous de Londres , où ses rives sont généralement
plates, et où il faut protéger par de dispendieuses digues
le sol, qui participe de la nature des marais, etquià marée
haute se trouve de 0 à 7 pieds anglais au-dessous du niveau
de l'eau , la scène change ; et on a alors sous les yeux le
spectacle d'un commerce gigantesque animant les deux rives
du fleuve, ou de villes telles que Greenwicb, où l'on admire
le grand hôpital de la marine, Deptford et Woolwich avec
leurs docks, leurs chantiers, leurs arsenaux et leurs ma-
gasins pour la flotte, enfin Gravesend, où l'on prend des
bains de mer, où finit le port de Londres, et où s'arrêtent
les bâtiments de haut bord.
Autrefois l'embouchure de la Tamise n'était que très-im-
parfaitement fortifiée, de sorte que dans la guerre de 1665-
1667, les Hollandais purent oser avec succès une invasion.
Comme les négociations pour la paix de Bréda étaient di'jà
ouvertes, Charles II avait suspendu l'armement de la flotte
pour 1667 et employé à un autre usage les fonds votés à cet
effet par le parlement. Le grand pensionnaire de Witt, au
contraire, mit la flotte hollandaise en état de prendre la mer,
et conçut le projet d'afler surprendre et détruire les forces
navales anglaises au milieu même des eaux de la Tamise.
En conséquence, au mois de juin, la flotte hollandaise, forte
de soixante-et-un vaisseaux de guerre et commandée par
Ruyter et Cornélius de Witt, mit à la voile pour la cota
462
TAMISE — TANCRÈDE
d'Angleterre, et vint jeter l'ancre devant Konnigsdup. De là
l'ami ral-lieutenant Van Gend entra sans résistance dans la
Tamise avec dix-sept bâtiments, détruisit le château de
Stieerness, et s'avança jusqu'à Ciialam , tandis que Ruyter
le suivait à peu de distance. Ici , à l'emboucluire de la Med-
way, le cours du fleuve était obstrué par des chaînes. Le
capitaine Brakel n'en continua pas moins à remonter la
Tamise, et s'empara d'une frégate anglaise. A la marée haute,
et grâce à un fort vent d'est, le reste des bâtiments de la
flotte ennemie franchit l'obstacle. Les Hollandais rencon-
trèrent trois navires, qu'ils livrèrent aux flammes, et im
autre grand bâliment, qu'ils remmenèrent avec eux. Une de
leurs divisions se rendit avec quelques brûlots à Upnore, et
y détruisit encore trois bâtiments de guerre, chacun de
quatre-vingts canons. Cette vigoureuse démonstration hâta
la conclusion de la paix signée à Bréda, le 21 juillet 1667.
TAMOULES,en indien Tamul ou Tamïl , nom d'un
peuple hindou qui s'étend profondément au sud du conti-
nent indien depuis la côte orientale jusqu'à la côte occiden-
tale. Le rameau qui habite la côle occidentale est plus
spécialement désigné sous le nom de Malabare , tandis
qu'on réserve plus particulièrement la dénomination de
Tamoule à celui qui habite à l'est la côte de Coromandel.
Les Tamoules appartiennent à la grande race dekkanienne
des habitants de l'Inde, qui, faisant partie de la grande fa-
mille tatare-finnoise, peuvent être considérés comme les
véritables aborigènes de l'Inde, avant que les tribus ariques,
venues du nord, eussent envahi l'Inde et l'eussent peu à peu
soumise à leur langue, à leur civilisation , à leur religion et
à leurs mœurs. Ce n'est qu'au sud de l'Inde que les abo-
rigènes ont à peu près conservé la pureté de leur race; mais
ils reçurent des Ariques du nord leur civilisation plus
avancée, et fondèrent une foule de petits États indépen-
dants, qui, en dépit de toutes les vicissitudes amenées par
les tourmentes politiques, se sont en partie conservés jusqu'à
ce jour. De toutes ces populations dekkaniennes, le peuple
tamoule est celui qui s'est le mieux approprié la civilisation
du nord et a fait le plus de progrès.
La langue des Tamoules, le tamouli {voyez Indiennes
[Langues]), dont la grammaire et la construction sont très-
simples, se divise en haut tamouli, employé pour les ou-
vrages de poésie (senlamil), et en bas tamouli, langue
delà vie ordinaire (kodun-iamil). La meilleure grammaire
indigène, et déjà passablement ancienne, est Nan-nûl
(c'est-à-dire la bonne règle), imprimée avec commentaires
/Madras, 1830). La meilleure grammaire pour le haut
lamouli et en même temps pour la versification a été publiée
par Beschi (Madras, 1831 ). La langue vulgaire a été l'objet
des travaux du même Beschi (Pondichéry, 1843) et de Rhe-
nius (Madras, 1836). Le dictionnaire le plus complet est
celui de Bottier (Madras, 1836). L'alphabet tamouli est le
plus simple de tous ceux de l'Inde. La littérature tamouli,
dont les plus anciens monuments remontent à peu près' à
l'an 1000 de notre ère, embrasse presque toutes les
branches de la science du nord de l'Inde. Ses productions
les plus intéressantes sont les poésies gnomiques , entre au-
tres les sentences (Kural) de Tiruvalluver , qui se distin-
guent par leur ingénieuse brièveté (texte et commentaires;
Madras, 1830). De grands extraits en ont été traduits par
Cœmmerer (Nuremberg, 1803), EUis ( Madras, 1817), Drew
(Madras, 1840) et Ariel ( Paris, 1852).
TAMOULI. Voyez Tamoules.
TAMPICO. Voyez Tamaulipas.
TAMPOi\NEMEI\T. Voyez Epistaxis.
TAM-TAM , instrument de musique à percussion , ori-
ginaire des Indes orientales ou de la Chine. Il se compose
d'un large plateau de métal sur lequel on (rappe avec un
marteau ou une forte baguette garnie d'un tampon de peau.
Le son qui en résulte est d'un caractère lugubre; il a d'abord
une très-grande force , puis se perd dans des vibrations pro-
longées. Ce son étrange, qui réveille un sentiment de terreur,
ces vibrations lentes et continues, sont dus à la combinaison
des métaux dont l'instrument est forgé , et plus encore à la
manière dont il est trempé. L'analyse de plusieurs tams-
tams venus d'Orient a fait reconnaître qu'il entre dans la
composition de cet instrument quatre parties de cuivre
jaune et une partie d'étain mêlée d'un peu de zinc selon
les uns , et sans aucun mélange suivant d'autres. Quant à la
trempe , elle se pratique en sens inverse de la manière dont
on en use ordinairement avec les autres métaux, c'est-à-
dire que le refroidissement, au lieu d'être subit, s'opère par
gradations et très-lentement. Le tam-tam , fort en usage
chez les Orientaux , ne s'emploie chez nous que bien rare-
ment , avec beaucoup de réserve , et seulement dans la mu-
sique funèbre ou dans certaines scènes de musique drama-
tique destinées à produire des effets d'un caractère sombre
ou terrible. Charles Bechem.
TAIV , écorce de c h ê n e , sécliée , hachée , puis finement
pulvérisée, et destinéeau tannagedes peaux. Cette écorce
doit être enlevée au printemps, car elle contient alors,
d'après Davy, 6,04 pour 100 de tannin, tandis que celle
qu'on recueille en automne n'en renferme que 4,38.
TANAIS (Le). Voyez Azof, Don et Iaxartes.
TAN AISIE, genre de plantes herbacées ou sous-frutes-
centes, de la famille des synanthérées, ayant pour carac-
tères : Involucre hémisphérique, composé de petites écailles
aiguës, très-serrées; réceptacle nu; semences couronnées
par un rebord entier, membraneux.
'LAtanaisiecommune{tanacetumvulgare,h.),y\x\g&m'
ment barbotine, est une belle plante, d'un port élégant, au
feuillage ample et touffu, d'un vert foncé. Ses capitules sont
autant des jolis boutons d'un jaune doré , formant par leur
réunion un large bouquet en corymbe. Toute la plante ex-
hale une odeur forte, aromatique; sa saveur est amère et
nauséeuse. On lui attribue des propriétés toniques , stimu-
lantes et anthelmintiques.
La ianaisie balsamite { tanacetum balsatnita, L.),
vulgairement menthe coq , coq des jardins , etc., croit en
France , comme l'espèce précédente. Mais son odeur, plus
agréable, la fait rechercher dans les jardins. Ses feuilles
sont d'un vert blanchâtre, entières, ovales, dentées, obtuses ;
ses fleurs jaunes, en corymbe.
TANCHE, genre de poissons de la famille des cypri-
noides, très-voisin du geme g ou^ on, Poav M. Valenciennes
et pour beaucoup d'autres ichthyologistes, la tanche n'est
même qu^un goujon à petites écailles. La tanche vulgaire
(cyprinus tinca, L. ; tinca vulgaris, Cav. ) habite généra-
lement les eaux stagnantes; sa chair n'est bonne que dans
certaines localUés.
TANCRÈDE , l'un des héros les plus distingués de la
première croisade, était fds du marquis Odon ou Ottobonus,
et d'une fdle de Tancrède de Hauteville, Emma, sœur du
célèbre duc des Normands, Robert Gui scard, et naquit
en 1078. Il prit la croix en 1095,. et. après avoir abandonné
sa part d'héritage à son frère puîné, il s'embarqua en 1096,
avec son cousin et compagnon d'armes Bohémond , d'abord
pourl'Épire, parcourut alors la Macédoine, et sauva à diverses
reprises l'armée des embûches des Grecs. Quand Bohémond,
pour dissiper les défiances de l'empereur grec, lui eut prêté
serment comme vassal, Tancrède se sépara à son vif regret
de son ami, jusqu'à ce que le manque de vivres et les repré-
sentations de Bohémond l'eussent déterminé à céder. Dans
les plaines de Chalcédoine ses bandes rencontrèrent celles
de Godefroid de Bouillon ; les deux chefs eurent bientôt fait
connaissance, et il s'établit entre eux l'amitié la plus iiitime.
Au siège de Nicée ( 1097 ) Tancrède se distingua par sa va-
leur. A la bataille de Dorylœum, où périt son frère, il sauva
l'armée des croisés d'une entière destruction ; et après la prise
de Nicée il conduisit l'avant-garde de l'armée dans des con-
trées désertes et inconnues. Une capitulation lui livra Tarse,
pour la possession de laquelle il se brouilla avec Baudouin,
et s'empara de Menistra. Puis Baudouin ayant prétendu lui
enlever cette ville, il eut avec lui une querelle violente, à
laquelle cependant une réconciliation mit bientôt lin. Delà il
TANCRÈDE — TANJORE
marclia sur Antioche. La pesle, le manque de vivres et l'in-
discipline des croisés firent durer ce siège sept mois. Lors
de l'expédilion contre Jérusalem, ce fut Tancrèdequi le pre-
mière la têle de ses soldats marcha à l'assaut. Au milieu des
scènes de carnage qui signalèrent la prise de cette ville ( 19
juillet 1099 ), Tancrède , au péril de sa propre vie , sauva des
milliers d'infidèles; ce qui le fit accuser par les prêtres d'être
l'ennemi de la religion. Quand le sultan d'Egypte s'avança à
la tête d'une armée formidable pour reprendre Jérusalem aux
croisés, Tancrède battit son avant-garde; et à la bataille
d'Ascalon, livrée le 12 août, il s'empara de tout son camp, puis
pritïibériade, sur le lac Génézarelh, et s'en alla assiéger Jaffa.
En récoqipense de ces exploits, Tancrède obtint la princi-
pauté de la Tibériade, ou de la Galilée. A la mort de Gode-
froid de Bouillon, les efforts qu'il tenta pour faire élire roi de
Jérusalem son cousin Boliémondau lieu de Baudouin eurent
ce résultat que, tandis qu'il guerroyait contre l'émir de Da-
mas , il fut déclaré traître par le nouveau roi. Mais se
fiant à la fidélité de ses vassaux et de ses sujets, Tancrède
brava les menaces de Baudouin ; il marcha au secours de
Bohémond , qui avait été fait prisonnier par les Sarrasins,
défendit avec autant de courage que de persistance sa prin-
cipauté d'Antioche contre les Turcs et les Grecs, et la lui
rendit dans l'état le plus prospère lorsqu'il eut été remis en
liberté. Bohémond étant allé en Europe chercher des renforts,
Tancrède fut chargé de la défense d'Antioche, menacée de
toutes parts. Il .se rendit alors maître d'Artésia, comme il avait
fait auparavant de Laodicée. Il attendait avec impatience le
retour de Bohémond ; mais celui-ci mourut à Salerne, et ses
bandes, qui étaient déjà arrivées en Grèce, se dispersèrent.
Tancrède n'en réussit pas moins à repousser héroïquement
tous les Sarrasins et à forcer le sultan de repasser l'Euphrate.
Ce fut son dernier exploit. 11 mourut en 1112, à Antioclie.
Raoul de Caen a écrit, moitié en prose moitié en vers, les
Gestes de Tmicrède; mais c'est surtout le Tasse qui , dans
sa Gerusalemine Uberata, a célébré sa gloire. L'amour de
Tancrède pour Clorinde est une invention du poète.
TANDJUR. Voyez Tanjore.
TAI\É (Blason). Voyez Émaux.
TAiVGAGE. On appelle ainsi, en termes de marine, le
balancement d'un vaisseau de l'avant à l'arrière , et de l'ar-
rière à l'avant alternativement.
TAIVGARA, famille de l'ordre des passereaux, ca-
ractérisée par im bec conique, triangulaire à la base, lé-
gèrement arqué, moins long que la tête et fortement éclian-
cré. M. Lesson , dans son Supplément à Buffon, la divise en
douze genres ou sous-genres. Les tangaras, qui appartiennent
tous au Nouveau Continent, qui vivent sous la zone torride,
et dont les mœurs rappellent celles des fringilles et des fau-
vettes, vivent de baies, d'insectes et de graines. Il en est qui
fréquentent l'intérieur des bois; d'autres se plaisent près des
habitations, dans les jardins et les savanes. Généralement
ils aiment à vivre en troupes. Presque tous sont remarqua-
bles par la vivacité et l'éclat de leurs couleurs. 11 en est peu
qui unissent au luxe du plumage l'agrément du chant.
TA]XGEI\TE. En géométrie élémentaire, on nomme
ainsi une droite qui n'a qu'un point commun avec une cir-
conférence; ce point reçoit le nom de point de contact.
Mais pour étendre la définition de la tangente à une courbe
quelconque, il est nécessaire d'y introduire quelques modi-
fications. Si l'on considère d'abord une sécanteàla courbe,
et que l'on imagine que cette sécante tourne autour de l'un
des points de rencontre , de manière que l'autre point com-
mun se ra[iproche et finisse par coïncider avec le premier,
on dira que la sécante devient alors tangente. La tangente
à une courbe est donc la droite qui passe par deux pomts
delà courbe infiniment voisins, la définition particulière que
nous avons donnée d'abord n'étant rigoureusement vraie que
pour les courbes de second degré et pour celles qui n'of-
Irent point de sinuosités.
La méthode des tangentes a pour but de mener des
langfrntes aux courbes dont l'équation est donnée. Ce pro-
463
blême a reçu d'élégantes solutions de Descartes, Fer-
mat, Barrow, etc. Celle de ce dernier géomètre peut être
regardée comme le germe du calcul différentiel.
En trigonométrie, la tangente d'un arc est la portion de
tangente menée par l'extrémité de cet arc et terminée au
rayon qui passe par l'autre. La tangente trigonométrique est
égale au rapport du sinus au cosinus, en prenant le rayon
pour unité.
TAI\GER, appelé par les naturels Tandja ou Tan-
dscha, port de mer et place forte de la province de Hashat,
dans le sultanat de Maroc, sur le détroit de Gi braltar, à
2t kilomètres seulement à l'est du cap Spartel , est bâti en
amphithéâtre, sur le sommet nu d'une montagne calcaire.
Les rues sont étroites, irrégulières et tortueuses; les mai-
sons, basses, surmontées de toits plats; dans le nombre, celles
qu'occupent les agents étrangers forment le principal orne-
ment de la ville. On y trouve une grande mosquée, une cha-
pelle catholique avec un couvent de franciscains, la seule
qu'il y ait dans tout l'empire, plusieurs synagogues, un grand
château {kasbah)ou citadelle en ruines, une vieille enceinte
de murs percés de meurtrières et flanqués de tours ; plusieurs
rangées de batteries, et dans les environs de délicieux jardins.
Le port est petit, peu profond et exposé au vent du nord-
est. La rade, en revanche, est spacieuse; c'est la meilleure
de tout le Maroc et la seule où une flotte de vaisseaux de
guerre puisse jeter l'ancre ; mais elle s'ensable de plus en
plus chaque année. La population est d'environ 6,000 âmes,
dont une centaine de chrétiens, pour la plupart négo-
ciants ou bien membres des consulats et agences que les
puissances européennes entretiennent ici pour le Maroc.
Elle fait un commerce assez actif avec Gibraltar, qui en tire
la plus grande partie des articles nécessaires à sa consom-
mation, ainsi qu'avec Tarifa, situé en face.
Tanger, dont l'ancienneté est très-grande, s'appelait chez
les Romains Tingis. Au temps d'Auguste c'était une ville
libre; elle devint colonie romaine sous l'empereur Claude,
puis capitale de la province appelée Tingitane , ou de la
Mauritanie occidentale, et grand centre commercial. Prise
successivement par les Vandales, les Byzantins, les Arabes et
les Maures, cette ville finit par tomber, en 1471, au pouvoir
des Portugais. Elle fut donnée en dot à l'infante lors de son
mariage avec Charles II d'Angleterre, en 1660, et les An-
glais la défendirent , en 1 6S0, contre les attaques des Maures.
Mais en 1684 ils l'abandonnèrent, comme étant d'un entre-
tien trop dispendieux, en ayant soin d'en détruire les fortifi-
cations. Les Maures , qui en reprirent aussitôt possession,
y construisirent de nouveaux ouvrages de défense. En 1790
Tanger fut bombardé par une flotte espagnole. Le 6 août 1844
une flotte française, commandée par le prince de J o i n v i 1 1 e,
lui fit essuyer un nouveau bombardement, àlasuite duquella
paix fut rétablie, le 16 novembre, entre la France'etle Maroc.
TANGUE, matière sablonneuse, renfermant dans des
proportions assez fortes divers sels et employée comme en-
grais pa» les cultivateurs du littoral de la Bretagne, qui
la recueillent sur les bords de la mer.
TANJORE ou TANDJUR , district de la province de
Karnatique(Indeen deçà du Gange), dans la présidence
de Madras , comprend le delta du Kavery, que la culture
a rendu d'une fécondité remarquable, avec une superficie
totale de 148 myramètres carrés et un million d'habitants,
pour la plupart hindous, parlant le ^ a »ioî(/î, et parmi les-
quels l'antique brahmanisme subsiste dans tout son éclat.
On y rencontre presque dans chaque localité des pagodes gé-
néralement de vastes proportions et ornées de riches sculp-
tures , bien que dans ces derniers temps' le christianisme
y ait fail beaucoup de progrès, grâce aux effortsdes missions.
Ce territoire formaitautrefois une principauté indépendante,
dont le dernier titulaire fut dépossédé en 1799.
TANJORE, chef-lieu du district , situé sur le bras prin-
cipal du Kavery, est en même temps le centre de l'antique
érudition hindoue. On y voit un magnifique palais , et entre
autres pagodes la célèbre ^a^ode de Tanjore, vaste templ«
464
TANJORE — TANTALE
eu forme de pyramide et magnifiquement orné, le plus
beau de l'Inde et construit en pierres de taille, une maison
de mission, diverses écoles, denombreux établissements de
bienfaisance et plusieurs églises protestantes. La population
est de 30,000 habitants, qui font un grand commerce , dont
les beaux cristaux de roche, qu'on trouve aux environs et
qu'on taille dans la ville , constituent le principal article.
TANNAGE, préparation à laquelle on soumet les peaux
que l'on veut transformer en cuir, et qui a pour effet prin-
cipal de produire une combinaison du tan ni n avec la sub-
stance propre du cuir, combinaison éminemment imputres-
cible, et qui d'ailleurs est beaucoup moins perméable aux
liquides et plus réiistante aux chocs et aux frottements que
la peau fraîche. Pendant bien longtemps on a attribué
l'effet du tannage à une simple crispation des fibres de la
peau , causée par Vastriciion ou propriété astringente du
tan. C'est Séguin qui observa et démontra la combinai-
son cliimique du tannin avec la gélatine contenue dans
les peaux, d'où résultait un composé insoluble. Cette vue était
exacte , mais encore imparfaite ; car, ainsi que l'a démontré
M. Pelouze, la combinaison du tannin n'a pas lieu seulement
avec la gélatine, mais encore pins abondamment peut-être,
et plus efficacement pour produire l'effet désiré, aveciapeau
vraie ou les lîbrilles entre-croisées qui en lorment le tissu.
Le tannage, la mise en fosses, consiste à mettre la peau ,
convenablement préparée, en contact pendant un temps
plus ou moins long soit avec de la poudre de tan humectée,
soit avec une dissolution de tan dans l'eau. Les peaux qu'em-
ploient les tanneurs sont ou sèches et non salées , comme
celles qui viennent de Buenos-Ayres et autres pays , ou sa-
lées comme celles qui sont envoyées de Bahia , Fernam-
bouc , etc., ou tout à fait fraîches comme celles qui sont
vendues par les bouchers de Paris et des grandis villes. On
tire des peaux sèches de Russie , de Turquie , etc. Lorsque
les peaux ont été convenablement lavées et assouplies, on
procède au dépilage par une opération qui varie souvent
dans ses procédés, mais qui atteint dans tous les cas le
même but. On soumet les peaux préparées et gonflées au
procédé du tannage, soit par la méthode dite à la jusée
(méthode ou façon de Liège), soit par la méthode à pou-
dre sèche de tan. Par le procédé à la^jusée, la peau plonge
successivement dans des dissolutions de tan de plus en
plus saturées; par le procédé à sec, beaucoup plus long,
mais qui en général donne des résultats plus certains, la
jusau n'enlève le tannin à la poudre de tan que par l'elfet
du contact prolongé. Dans ce dernier procédé, le tannage
se pratique dans des fosses circulaires en maçonnerie, ou des
cuvesenboiscercléesdefer, ayant deux mètres de diamètre
et autant de profondeur; ces cuves sont enfoncées en terre ,
et elles peuvent contenir de cinquante à soixante grandes
peaux. Avant de coucher les peaux, on place au fond de la
fosse une couche d'environ IG centimètres de tannée (tan
qui a déjà servi), que Ton recouvre d'une autre couche de
tan neuf, de 3 à 5 centimètres d'épaisseur, suivant la force
des peaux. On étend dessus une peau , puis une couche de
tan, et ainsi de suite alternativement, jusqu'à ce que la
fosse soit remplie. On remplit exactement de poudre de
tan tous les vides restés à la circonférence de la fosse, et
enfin on couronne la fosse avec ce qu'on appelle un cha-
peau de vieille tannée , et on assujettit dessus des plan-
ches pour maintenir les peaux ; on charge ces planches avec
des pierres. Au bout de trois mois, on retire les peaux pour
leur donner une seconde pondre dans une nouvelle fosse.
Assez ordinairement, les cuirs forts reçoivent quatre powrfres
semblables avant d'être suffisamment tannés. Il faut donc,
terme moyen , un cours d'opérations de tannage qui dure
au moins un an. Anciennement, le tannage durait jusqu'à
trois ans , et les cuirs n'en étaient que meilleurs.
TAIMVATE. Voyez Tannin.
TANNÉE. Voyez Tannage.
TANNERIE, lieu où l'on tanne les peaux. Voyez Ccm
et Tamiage.
TANNIN , substance particulière qui se trouve dans
l'écorce de chêne, dans la noix de galle, dans lesécorces
de saule, de marronnier d'Inde, dans le sumac, le brou de
noix, le thé , le cachou , etc. C'est un corps solide, incolore
ou légèrement jaunâtre, inodore, incristallisable, d'une sa-
veur excessivement astringente; inaltérable à l'air sec, il
prend peu à peu , à l'air humide , une teinte plus foncée. Le
tannin est très-soluble dans l'eau , moins soluble dans l'alcool
et dans l'éther. La solution aqueuse du tannin rougit le
tournesol , décompose les carbonates alcalins avec efferves-
cence , précipite la iihipart des dissolutions métalliques en
formant des composés salins désignés sous le nom de tan-
nâtes. Les sels de protoxyde de fer ne sont pas précipités;
ceux de peroxyde donnent un précipité bleu foncé: cetan-
natede peroxyde de fer est la base ordinaire de l'encre à
écrire. La peau dépilée par la chaux, et telle qu'on la prépare
pour le tannage, sépare complètement le tannin de sa
dissolution et donne le cuir. L'effet vomitif de l'émétique
est, dit-on, complètement neutralisé par quelques substances
qui renferment du tannin, comme la poudre de quinquina,
cellede noix de galle, la gomme kino. Le tannin a été ob-
tenu pour la première fois par M. Pelouze à l'état de pureté.
On l'extrait communément de la noix de galle.
TANNIQUE (Acide), synonyme de tannin.
TANSIMATou TANZIMAT, pluriel du mot arabe tan-
si7n, signifie en général règlements. On désigne spécialement
sous ce nom les lois organiques basées sur le hattischérifde
G u I h û n é (voyez Ottoman [Empire J), d'après le quel l'empi re
turc devait être gouverné , et que le sultan Ahd-ul-Meschid
publia en 1844. Ces tansimats comprennent sous quatre li-
tres : 1" l'organisation politique proprement dite de l'empire ,
les règlements particuliers relatifs aux autorités supérieu-
res, etc.; 2° l'administration civile et l'administration des
finances; 3° la justice; 4° l'armée. Comme l'amélioration de
la position des sujets non mahométans de la Porte constitue
nne partie essentielle de ces lois nouvelles , on comprend
souvent, dans l'Occident, parle mot tansimat exclusivement
les dispositions relatives aux sujets chrétiens de la Porte.
Les règlements du tansimat, qui devaient opérer en Tur-
quie une transformation complète conforme à l'esprit euro-
péen , n'ont encore reçu d'exécution sérieuse qu'en ce qui
concerne l'armée. Par suite des réformes que la Porte,
lors de son conilit avec la Russie, s'engagea vis-à-vis de ses
alliés européens à opérer dans l'administration intérieure de
l'empire, le sultan publia le 7 septembre 1854 une nouvelle
ordonnance relative à l'exécution complète des tansimats ;
et une commission spéciale fut instituée à cet effet.
TANTALE ou COLUMBIUM, corps simple métallique,
découvert par Eckeberg, qui se trouve dans les minéraux
désignés sous le nom de tontalite uni aux métaux le nio-
bium et le pelopium comme acide pour base. Il se pré-
sente sous la forme d'une poudre gris de fer, qui sous
l'action de l'acier à polir prend un éclat métallique , et qui
jusqu'à pré'îent n'a pas pu être réduite en fusion complète. A
l'air il hrùle complètement et se transforme en oxyde de tan-
tale. Le tantale cl ses combinaisons sont restés jusqu'à ce
jour sans application.
TANTALE, fils de Zeus ou de Tmolos et de Pluto,
père de Pelops , de Broteos etdeNiobé, riche roi de la
Phrygie, était le confident de Zeus, et fut en conséquence
souvent invité à la table des dieux. Ayant révélé un jour
ce qu'il y avait entendu dire, il fut condamné à subir dans
les enfers une peine douloureuse, qui consistait à se trouver
constamment tourmenté par la soif au milieu d'un fleuve
dont l'eau se retirait de lui chaque fois qu'il voulait y porter
les lèvres. En outre, les fruits les plus délicieux étaient
suspendus au-dessus de sa tête, et disparais.saient quand il
voulait y porter la main. Au-dessus de lui se trouvait
aussi placé un immense rocher, dont la chute menaçait à
chaque instant de l'écraser, sans qu'il pût s'éloigner. Sui-
vant d'autres, il subit cette peine pour avoir immolé son
fils Pelops et l'avoir servi aux dieux afin de les mettre è
fépreuve, ou encore pour avoir dérobé du nectar et de
l'ambroisie, et en avoir fait goûter à ses amis. Sa postérité
subit également des infortunes sans nom.
TAWTALE (Coupe de). Figurez-vous deux coupes
soudées par leurs bords, placées l'une dans l'autre , de ma-
nière qu'il reste un certain espace vide entre elles. Dans cet
espace est placé un sipbo n, dont un des orifices commu-
nique avec la coupe intérieure, et l'autre avec le fond de la
coupe extérieure : il est aisé de masquer ces orifices. Lorsqu'on
verse un liquide dans la coupe intérieure, il s'y maintient,
pourvu qu'on ne dépasse pas une certaine hauteur. Alors on
présente la coupe à une personne, et l'on fait en sorte qu'elle
la porte à sa bouclie en l'inclinant d'un certain côté, celui
vers lequel se trouve le coude du siphon : le liquide atteint
le p.oint de l'instrument, l'écoulement s'établit et la coupe se
vide par le pied, quoi que fiasse la personne qui la tient.
TAI\TE. Voyez Oncle.
TAORMINA, ville de Sicile , sur les bords d'une baie de
la côte orientale à laquelle elle donne son nom , à 5 myriam.
au sud-ouest de Messine, située au sommet d'un rocher à
pic appelé le Monte-Toro , compte 6,000 habitants, vivant
de l'exploitation de leurs carrières de marbre et du pro-
duit de leurs vignobles. Elle' est célèbre par ses antiquités,
et surtout par son magnifique théâtre, bâti siu- un promon-
toire faisant une vive saillie dans la mer et parfaitement
reconnaissable encore aujourd'hui dans toutes ses parties
et constructions. Remarquable non seulement par son ar-
chitecture, mais encore à cause de sa situation, doù l'on
déqouvre l'Etna, toujours fumant, toute la côte orientale
de la Sicile, la pointe de terre formant l'extrémité méridio-
nale de l'Italie, puis la mer à perte de vue, c'est le plus bel
édifice de ce genre qu'on connaisse; et avec les débris impo-
sants de Sélinonte, il forme les plus magnifiques mines que
possède la Sicile. Construit dans le style corinthien, à 284
mètres au-dessus du niveau de la mer, et en partie taillé
dans le roc vil, il était comi)létement revêtu de marbre et
orné d'une foule de colonnes et de sculptures, dont une
grande partie ont élé remises en lumière par des fouilles
faites avec intelligence.
Cette ville, la plus ancienne des colonies grecques de la
Sicile, fondée en l'an 736 av. J.-C. par des Chalcidiens,
s'appela d'abord JSaxos , et fut la cité mère de Catane et
de Leontini. Détruite en 403, par Denys \" de Syracuse,
elle fut reconstruite en 396, par des Sicules, sur le mont Tau-
rus, et reçut alors le nom de Tauromenium. Ses tours sar-
rasincs et ses créneaux normands témoignent de l'impor-
tance qu'elle avait encore au neuvième et au dixième siècle.
TAPIOCA ou TAPIOKA , mot américain, adopté en Eu-
rope, par lequel on désigne une fécule retirée de la racine du
manioc. Celte préparation n'est autre chose que la râpure
des racines de manioc, que l'on presse comme pour en faire
de\acassa v>e, et que l'on torréfie ensuite jusqu'au degré con-
venable. Le tapioca, que l'on nomme aussi couac, est importé
en Europe des établissements coloniaux de l'Amérique cqua-
toriale. On l'emploie, de même que le salep et le sagou , pour
faire des potages, des pâtisseries, un chocolat analeptique, etc.
Le tapioca enfle beaucoup en cuisant, et finit par former une
sorte de gelée C'est une substance très-nourrissante.
TAPIR, genre de quadrupèdes de l'ordre des pa-
chydermes, caractérisé par le museau allongé en trompe
courte et mobile, et des doigts découverts. On ne connaît
qu'une seule espèce de tapir vivante aujourd'hui : c'est le
tapir americanus de Linné, le plus gros quadrupède de
l'Amérique méridionale , où il n'est pas rare. Il a les formes
massives, arroDdies, ne laissant pas apercevoir les arti-
culations. La femelle, dépourvue de crinière, est plus
grande que le mâle, dont la longueur est d'environ 2 mètres
et la hauteur d'environ 1 mètre 33 centimètres. Cet animal
vit solitaire, dans les immenses forêts de l'Amérique , où il
trace fréquemment ( surtout dans le voisinage des eaux,
qu'il aime à fréquenter) des sentiers qu'on croirait, au pre-
mier coup d'œil , avoir été pratiqués par l'homme. L'habi-
DICT. DE LA CONVERS. — T. XYI,
TANTALE — TAPIS 465
tude qu'ont les tapir» de rechercher les lieux marécageux et
le voisinage des rivières , où ils se jettent même quand iia
sont poursuivis, les a fait à tort considérer comme amphi-
bies par quelques naturalistes. Cet animal , quoique d'un
naturel doux et même timide, se défend contre li-s chiens,
qu'il tue assez souvent. Dans quelques colonies, comme à
Cayenne, on apprivoise parfois des individus de cette espèce,
qui vont dans les bois au pâturage comme im troupeau or-
dinaire, et rentrent de même le soir à la maison.
TAPIS, TAPISSERIES (du latin tapes ou tapetum).
Dès la plus haute antiquité , les tapisseries furent en usage
pour couvrir la nudité des murailles, conmie les tapis pour
être étendus sur le plancher ou le pavé des appartements.
On vantait surtout les tapis de Tyr, de Sidon et de Pergame.
Les premiers tapis consistèrent en tresses de jonc et de paille;
et aujourd'hui encore il en arrive du Levant de cette espèce,
qui sont fabriqués avec une extrême délicatesse et qui se
vendent un bon prix. L'usage de pièces de cuir ou d'étoffes
de laine pour revêtir les murailles et celui de les orner de
dessins brodés ou imprimés et dorés remonte également à
une haute antiquité. Des tapis de ce genre étaient d'ailleurs
des objets de grand luxe , qu'on augmenta encore en tissant
ces dessins de grandeur naturelle et avec les couleurs les
plus vives. L'usage en existait déjà au neuvième siècle, épo-
que où la reine Mathilde exécuta la fameuse tapisserie de
Bayeux. Plus lard, la fabrication s'en concentra dans les
Pays-Bas, notamment à Arras, d'où le nom d'arra;si, sous
lequel on les désignait en Italie. Les plus grands artistes de
cette époque ne dé<laignèrent pas de dessiner des cartons
pour les tisseurs de tapis ; et Raphaël lui-même , à la de-
mande df Léon X, en exécuta d'après lesquels des tapisseries
furent tissées. Des Pays-Ba-; la fabrication des tapisseries
s'introduisit en Allemagne et en France. Sous le règne de
Louis XIV , Colbert créa une grande manufacture de tapis
dans l'établissement des frères Gobeli n , teinturiers alors
en grand renom. Elle fut placée sous la direction de Le Brun ,
premier peintre du roi ; et les cartons qui servirent à la
fabrication de ses produits furent successivement l'œuvre
des Lesueur, des Van der Meulen, des Mignard, et plus taid
des David , des Gérard , des Gros, des Carie Vernet , des Giro-
det , des Guérin, etc. Les tapisseries, connues sous le nom
de Savonnerie, du lieu où elles se fabriquaient, au bas de
Chaillot , et généralement ornées de dessins turcs et persans
tissés avec des couleurs le plus ordinairement sombres , n'é-
taient guère qu'une contrefaçon des tapisseries des Gobe-
lins. En 1826 la liste civile acheta la manufacture de la
Savonnerie, et la réunit à celle des Gobelins. Depuis que
les cuirs et les toiles cirées ont cessé d'être en usage pour
le revêtement des murailles, on les a généralement rempla-
cés par des papiers peints, et dans les habitations somp-
tueuses par des tentures en étoffes de laine , de coton ou de
soie. On peut diviser les tapis en six classes principales:
1" les tapis veloutés ou de Savonnerie, Gn haute lisse, qui
sont d'un seul morceau et atteignent les plus grande» dimen-
sions; 2° les tapis dits d'/l«6u55on, ou Ras, entièrement
à basse lisse et dont le dessin s'exécute à l'envers et par
la trame ; ils sont d'un seul morceau comme les précédents
et destinés aux mêmes usages; 3» les moquettes velouléei
etépinglées, qui se fabriquent sur un métier soit à la tire,
soit à /a Jac^Marrf, dont ledessin s'exécute par la chaîne
et dont l'ouvrier n'est qu'un tisserand. Ces tapis à dessins
répétés se fabriquent à la pièce par laize de 70 centimètres
de large, se rapprochant à volonté. Aubusson, Abbeville, Tur-
coing, Amiens et Roubaix sont en France les grands centres
de cette industrie ; 4° les tapis écossais on à double/ace, dont
le caractère est de n'avoir pas d'envers, et qui se fabriquent,
sur métiers à la Jacquard, par laize d'un mètre; 5° les tapis
vénitiens, qui ne s'emploient que pour passages d'apparte-
ments et pour escaliers, et qui ont depuis 16 centimètres
jusqu'à 1 mètre de large; 6° enfin, les i&p\s jaspés , qui
s'exécutent au moyen de métiers simples , se composent
d'une grosse trame en étoupe, revêtue d'un peu de laine.
30
466
TAPIS-FRANC — TAREiNTE
TAPIS-FRA!VC. C'est là un terme d'argot, auquel
les journaux et les romans à la mode ont donné droit de
cité parmi nous. Anjourd'luii que la langue des bagnes et
des cabanons est devenue celle des salons, et qu'il est reçu
dans la meilleure compagnie d'emprunter à l'idiome des
repris de justice une partie de ses richesses, il ne saurait
être permis d'ignorer qu'en langage argotique on appelle
tapis-francs ces coupe-gorges , plus ou moins surveillés
par la police des grandes villes, où les vagabonds, les pros-
tituées et leurs souteneurs, les voleurs de prolession et les
cheraux de retour (forçats libérés) sont toujours sûrs de
trouver un asile pour la nuit. On y joue aux caries, aux dés,
aux dominos; on y boit, («n y fume, on y do: t, on y chante,
à la lueur de quelques qiiinquets fumeux. Ajoutons, pour
faire preuve d'enidilion, nous aussi , que le tapis-franc est
le vestibule de Vabbaye de monte-à-regret (l'échafand).
TARARE, ville essentiellement manufiicturière de l'ar-
rondissement de Villetrancbe (Rhône), compte plus de
13,000 habitants et un grand nombre de manm'aclures de
mousseline , d'étoffes de soie et coton, de laine thibet, etc.
Il s'y fait aussi beaucoup de broderies. Tarare possède une
Chambre con'^ultativedes arts et métiers.
TAPISSIÈRE. Voyez Cuarrf.tte.
TARASCOÎV , ville du déparlement des Bouc h es-
du-R hône , située h 12 kilomèlres au nord d'Arles, dans
une belle et fertile contrée, sur la rive gauche du Rliône,
entre Avignon et Arles, reliée par un beau pont suspendu à
Beaucaire, qui lui fait face sur la rive droite du fleuve.
Cette ville, où l'on compte près de 12,000 habitants, est
généralement bien bAlie. tlle est entourée d'une vieille mu-
raille flanquée de tours. Elle a des rues larges, plusieurs
belles églises, dont une est placée sous l'invocation de saint
Marthe, qui passe pour avoir propagé le christianisme dans
ces contrées. Cet édilice, orné d'im beau portail, contient
quelques bons tableaux et plusieurs tombeaux remarquables.
On voit encore à Tarascoii un vieux château, construit au
treizième siècle sur les ruines d'un temple de Jiip'ter , muis
qui ne fut terminé qu'en 1400, et qui servit longtemps de
résidence aux comtes de Provence.
TARASCOi\-SUR-ARÎÉ(;E. Voyez Ariége (Dépar-
tement de I').
TAR.\UD, outil composé d'une tige d'acier trempé,
dont un boni taillé en liclice représente les pas d'une vis. Il
y a deux sortes de tarauds : les uns ronds, destinés à tarauder
les écrous et en général tous les trous où il doit se monter
une branche vissée; et les tarauds carrés, dont les coins
seulement sont taillés, etquiserventà tarauder les /"H «ères.
TARDES, chef-lieu du déparlement des Hautes-Py-
rénées et de l'ancien comté de Bigorre, sur la rive droite
de l'Adour, siège d'évêché, est situé dans une plaine fertile,
admirablement arrosée. Les maisons, bâties eu marbre,
comme celles de toutes les villes pyrénéennes , olfrent un
coup d'oeil agréable. On y trouve une vénérable cathédrale,
l'église Notre-Dame-de-la-Side, construite sur les ruines de
l'ancien château fort, Bigorra, un théâtre, un beau pont
sur l'Adour, un collège communal avec une bibliothèque
publique, un sén)inaire, une école de dessin et d'architec-
ture, une prison établie dans l'ancien château des comtes
de Bigorre, un grand hôpital civil, des casernes, de beaux
bains , et un grand haras impérial. Fondt-e dans le pays des
Tarbelli , appelée ensuite Torba, elle lut compri.se par les
Romains dans la troisième Aquitaine, puis (it partie de la No-
■vempopulanie. Pillée et dévastée au cinquième siècle par les
Germa'ns.au huitième par les Arabes, en l'an 843 par les
Normands, elle se releva et lleurit de nouveau comme ca-
pitale du comté de Bigorre ; et jusqu'en 1370 elle se trouva
soi« la souveraineté des Anglais. Des églises délabrées, des
débris de monastères incendiés durant le seizième siècle
et détruits en grande partie en 1793, rappellent les révo-
lutions et les calamités qu'éprouva cette ville à l'époque de
la Réformalion. Aujourd'hui le charme de sa situation, les
longues routes bordées d'arbres qui y conduisent, les eaux
qui s'écoulent limpides, murmurantes et pures autour de
son enceinte, cette haute chaîne des Pyrénées qui se
dessine si pittoresquement à son horizon , la beauté de son
ciel , la fraîcheur de .ses campagnes tout semble annon-
cer au voyageur qui entre dans ce chef-lieu du département
des Hautes- Pyrénées, soit un jour de fêle, soit un jour de
marché, alors que sa population, d'environ 13,000 âmes, est
doublée par le concours des habitants des valléesvoisines, que
Tarbes n'est pas déchue de sa vieille splendeur, et que si
la bannière des comtes de Bigorre ne brille plus sur ses tours,
elle jouit en revanche de lous les bienfaits de la civilisation.
Il y a à Tarbes d'importantes fabriques de papier, des
manufactures de mouchoirs de soie désignés dans le com-
merce sous le nom de mouchoirs du Béurn, des tanneries
et des teintureries considérables, des forges à cuivre et des
fabriques d'ustensiles en cuivre. La ville est aussi le centre
d'un commerce très-actif en jambons, vins, eaux-de-vie,
graine de lin, cuirs, articles de quincaillerie , etc. Les nom-
breuses courses de chevaux pour les éleveurs des départe-
ments du sud-ouest de la France, et les grandes foires qui
s'y tiennent, l'immense conco\irs de voyageurs qui se ren-
dent aux eaux de Bagnères de Bigorre , de Lourdes, etc., con-
tribuent beaucoup à donner de l'animation à cette ville.
TARDIEU, nom d'une famille d'artistes, dans laquelle
on compte plusieurs graveurs célèbres.
TARDIEU ( i\ir.0L\s Henri ), né à Paris, en 1674, fut élève
d'abord de Le Pautre, puisd'Audran. On a de lui un grand
noud)re de planches sur des sujets divers; et il travailla
notamment à la Galerie Crozat , à la Galerie de Versailles,
au Sacre de Louis XV et autres ouvrages de luxe de cette
époque. Reçu à l'Académie en 1720, il mourut en 1749.
TARD1KU( Jacques-Nicolas), dit Coc/nn, fdsdu précédent
dessinateur et graveur, né à Paris, en 1718, mort en 1795-,
fut l'élève de son père, avec qui il travailla aux œuvres
que nous venons de mentionner. On a aussi de lui beaucoup
de portraits, de morceaux de genre et de paysages. Il était
membre de l'Académie et graveur de l'élecleur de Cologne.
TARDIEU (Jean-Charles), fils du précédent et appelé
comme lui CocÀ/n, peintre, né à Paris, en 1765, mort en 1837,
fut l'élève de Regnault, et obtint en 1790 le second grand
prix de peinture. A partir de cette époque il passa une longue
suite d'années à Rome, et envoya aux expositions nombre
de tableaux historiques, la plupart du temps commandés
ou achetés par le gouvernement, mais sans grande valeur.
TARDIEU ( Pierre- Alexandre), graveur, naquit à Paris,
en 1756. D'abord élève de son oncle Jacques-Nicolas Tar-
dieu, il se perfeclionna ensuite sous la direction de Ville. En
1791 il remporta le grand prix de gravure, et depuis lors il lit
paraître une suite de planches estimées, entre autres le portrait
du comte d'Arundel d'après Van Dyck, un archange Saint-Mi-
chel d'après Raphaël, Ruth et Boz d'après Hersent, Louis XIII
et sa mère d'après M""' Hersent, et la Communion de saint
Jérôme d'après le Dominiquin , qui lui demanda quinze
ans de travail. En 1822 il fut nommé membre de l'Institut,
en remplacement de Bervic, et il mourut en 1843.
TARDIG RADES. Voyez Édentés.
TARD-VEMCJS (Les). Voyez Compagnies (Grandes).
TARE, déduction qui se fait dans le commerce , pour le
poids de l'enveloppe, sur les marchandises qui n''ont pu être
pesées à nu lors de la vente. Les usages en matières de tare
sont «me des études les plus importantes et les plus difficiles
du commerce.
TAREI\TE, ancienne colonie grecque de la basse Italie,
qui fut londée vers l'an 700 av. J-.C, par les Parthéniens,
émigrés de Lacédémone, et qui s'appela d'abord Taras,
était l'une de villes les plus puissantes et les plus florissantes
de la Grande-Grèce. Les beaux arts et les sciences y
étaient l'objet d'encouragements de toutes espèces. L'école de
Pythagorey fut longtemps en grande réputation, et compta
de nombreux disciples. D'ailleurs, les habitants de Tarente
avaient le renom d'aimer le luxe et la volupté. Dans le cours
de la seconde guerre Punique, en l'an 272 av. J.-C, Fabius
TARE.NTE — TARGUM
•467
soumit cette ville aux Romains, qui lui donnèrent alors le
nom de Tarentum. Pendant le moyen âge, elle fut long-
temps le ciief-iieu d'un duché féodal, qui appartenait à une
branche de la famille Orsini,
Le Tarenle actuel, situé dans la Pouille.sur les bords du golfe
du même nom, provinced'OIrante.estlesiéged'imnrchevèciié
et compte 1 8,000 hab. qui ne laissent pas que de faire encore
quelque commerce, quoique leur port soit en partie ensablé.
TARANTE { Duc de ). Voyez Mac-Donald.
TAREiXTE (Les princes de). Voyez La Tremoille.
TARElXTISME. Voyez Tarentule.
TAREISITULE, ara ignée ainsi nommée de la ville de
Taren te, aux environs de laquelle elle est commune, lon-
gue d'environ trois centimètres, noire, avec le dessons de
l'abdomen rouge , traversé dans son milieu par une bande
noire. Cette espèce est du nombre de celles qui ne tendent
pas de toile : elle habite à terre, et se fait, dans un terrain
sec, un trcu vertical de huit à dix centimètres de profon-
deur, et de un à deux centimètres de diamètre, dont elle
consolide les parois en les garnissant d'une toile soyeuse.
C'est de là (ju'elle s'élance sur les insectes qui s'approchent
de sa demeure; elle les entraîne dans son trou, et les
dévore presque entièrement. Elle traîne continuellement ses
œufs avec elle ; et lorsque les petits sont éclos, ils grimpent
sur le dos de leur mère , ce qui la rend difforme et mécon-
naissable au premier coup d'œil. L'hiver, elle se retire dans
sa petite tannière , dont elle a la précaution de boucher l'en-
trée. Elle y meurt ou s'y engourdit, et n'en sort que dans
les premiers beaux jours du printemps.
Ce qui a fait la grande célébrité de cette araignée, c'est
son prétendu venin, qui, d'après une croyance populaire,
produit une maladie nommée tarenlisme , dont les symp-
tômes consisteraient en un besoin instinc tif de chanter, des
ris ou des pleurs immodérés et sans motifs , une somnolence
léthargique. On ajoute que cette affection ne peut se guérir
qu'autant que la personne mordue par la tarentule, excitée
à la danse par les sons de la musique, saute jusqu'à ce
qu'elle tombe épuisée de fatigue et baignée de sueur. On a
môme été jusqu'à noter les airs qu'il convenait de jouer en
cette circonstance. Toute l'histoire de cette maladie ne mérite
aucune croyance , et iloit être reléguée parmi ces erreurs que
l'ignorance entretient et que le charlatanisme exploite chez les
peuples peu éclairés. Démezil.
TARGE. Voyez Eco ( Art militaire).
TARGET (Guy-Jean-Baptiste) naquit à Paris, le 17
décembre 1733. Reçu avocat en 1758, la première cause où
il eut occasion de se faire connaître fut celle des frères Lioncey
contre les jésuites. Les mémoires du temps parlent avec une
sorte d'enthousiasme de l'éloquence qu'il déploya en cette
occasion, et du prodigieux effet qu'elle produisit sur le
public et sur les juges. Mais peut-être faut-il rabattre un
peu de ces pompeux éloges, si l'on pense qu'il attaquait les
membres d'une société fameuse, alors généralement détestée,
décriée , et que les parlements surtout honoraient d'une
haine particulière. Target fut dès ce moment un des oracles
du barreau de la capitale. Les causes lui arrivaient de toutes
parts. Il ne tarda pas à devenir le rival de G e r b i e r, dont la
réputation brillait alors du plus vif éclat, et qui eut la faiblesse
d'en être presque jaloux. C'était bien à tort; car si Target
l'égalait comme jurisconsulte , Gerbier reprenait sur lui toute
sa supérorité au barreau. A l'époque de la suppression des
parlements et de leur remplacement par le fameux parle-
ment Maupeou, Target demeura fidèle à l'ancienne magis-
trature; et, malgré les plus vives sollicitations, il refusa de
plaider dans la nouvelle assemblée. Il publia même contre
les magistrats qui avaient accepté le triste honneur d'en faire
partie un /ac<i(m séditieux, que quelques flatteurs necraigni-
rent pas de comparer aux meilleures pages de Montesquieu;
je crois même qu'il y en eut qui le mirent au-dessus.
On touchait à la convocation des états généraux ; l'anta-
goniste frondeur des jésuites et du parlement Maupeou était
uécessaireinent désigné à la confiance des électeurs. Aussi
fut-il nommé l'un des premiers député du tiers état de la
généralité de Paris. Je n'ai pas besoin de dire qu'il se rangea
tout d'abord sous la bannière des novateurs. Il parut plu-
sieurs fois à la tribune , mais il y produisit tiénéralement peu
d'effet. Lourd, prolixe, vague, diffus, il sembla longtemps
ne pas comprendre la dillérence (lu'il y a entre le bavardage
e! les arguties du barreau et l'éloquence noble de la tribune.
Il finit néanmoins par se rendre justice, et ne s'y montra
plus que comme rapporteur des différents comités dont il
devint membre , et particulièrement du comité de constitu-
tion. Ce fut à dater de cette époque qu'il deviut le point de
mire des spirituels rédacteurs des Actes des Apôtres , dont
les attaques le couvrirent d'un ridicule ineffaçable. Dans
presque tous les numéros de leiu- malin journal, ils Ig
persiflaient, à la grande satisfaction de leurs noudireux lec-
teurs. Après le 14 juillet, il s'opposa à l'anuiislie sollicitée
par le parti modéré de l'assemblée, et insista vivement pour
que le baron de Bezenval fût tradiu'l au Châlelel; ce <iui
eut lieu en effet. Si on ne le vil pas précisément agir de con-
cert avec les conspirateurs des 5 et 6 octobre, il ne s'as-
socia pas moins à tous leurs efforts pour avilir le roi et la
royauté et faire passer la souveraineté dans l'assemblée.
Bientôt Target devint un des plus violents adversaires de
ces mêmes parlements qu'il avait jadis défendus et flagornés,
et appuya de toute la force de ses poumons la proposition
de Rœderer, membre du parlement de Melz, qui de-
mandait leur suppression. En 1790 il proposa et fit décréter
la suppression des vœux monastiques, et régla, je ne .sais
pomquoi, le cérémonial de la fameuse Fédération de 1790,
car rien ne ressemblait moins que lui à im maître des céré-
monies. A la formation de la nouvelle magistrature (iécrélée
par la constitution , il fut nommé juge de l'un des tribunaux
civils de Paris. Débarrassé de ses fonctions législatives, où
sa réputation s'était éteinte et où il n'avait acquis que
l'immortalité du ridicide , Target était oublié depuis long-
temps, lorsqu'une douloureuse circonstance ramena sur lui
l'attention publique. Louis XVI, traduit à la barre de la
Convention nationale, choisit Target pour un de ses défen-
seurs. Cet homme ne comprit pas ou ne voulut pas com-
prendre tout ce qu'il y avait de grand , de sublime dans
cette mission; il ne conq)rit pas que l'accepter, c'était se
relever de l'état d'abaissement où il était descendu, et il
refusa! Il refusa par une lettre qu'il écrivit au président
de laConvention, et qu'il eut grand soin de rendre publique.
Dans ce manifeste il donne pour excuse à son lefiis ses
maux de nerfs, ses douleurs de tète, ses élouflements,
et sa conscience d'homme libre et de ré[iiiblicain. A quelquo
temps de là, il brigua et obtint l'emploi de secrétaire du
comité révolutionnaire de la section de VUomnie armé,
présidé par le savetier Cbalandon , l'un des plus sanguinaires
agents de Fonquier-Tinville. Comme ce Cbalandon ne savait
ni lire ni écrire , c'est Target qui rédigeait ses actes et ses
dénonciations. On a dit , je le sais, qu'il ne s'était condaumé
à cet affreux métier que pour sauver un plus grand nombre
de personnes. A la bonne heure! mais en ce cas il aurait
terriblement joué de malheur, car le comité révolutionnaire de
la section de L'Homme armé fut à coup sûr celui de tous
les comités révolutionnaires de Paris qui fournit le plus de
victimes à la boucherie de Foiiquier. En 1798, par le crédit
du directeur R e w b e 1 1, Target fut nommé membredu tribunal
de cassation. Il mourut dans l'obscurité, le 7 septembre
1807, âgé de soixante quatorze ans. Georges Duval.
TARGOWITZ (Confédération de). On appelle ainsi,
d'après la ville de Targowitza, située dans le gouvernement
de Kief , la confédération de la noblesse polonaise qu'y
formèrent, au mois de mai 1792 , à l'instigation du maréchal
de la diète, Félix Potocki, les adversaires de la consti-
tution du .3 mai 1791. Cette confédération, à laquelle le roi
Stanislas-Auguste lui-même finit aussi par se rattacher, aug-
menta les troubles et la confusion intérieure de la Pologne,
et accéléra la ruine de son indépendance
TARGUM (de targem, expliquer), au pluriel TARGO-
30.
466
TARGUM — TARN
MIM. On appelle ainsi les antiques traductions araméennes
ou chaldaïques des livres de l'Ancien Testament dont l'o-
rigine est antérieure à la venue de Jésus-Clirist. Les tar-
gumim aujourd'liui existants sont d'une date postérieure,
mais n'en ont pas moins d'importance. De ce nombre sont
les targumim sur le Pentateuque, attribués à Onkelos; sur
les prophètes, attribués à Jonathan hen-Uziel ; sur Job, les
Psaumes, les Proverbes, le Cantique des Cantiques, Ruth,
l'Ecclésiaste, Esther, Jérémie,qui sont du caractère le plus
divers; sur les deux livres des Ciironiqnes; le targiim sur
le Pentateuque, dit de Palestine ou de Jérusalem, dont il
existe deux versions : l'une faussement dénommée d'après
Jonathan, et l'autre appelée Jéruschalmi ; celle-ci n'a en-
core été que partiellement imprimée. Le second targum sur
le livre d'Esther, et les fragments du targum de Jérusalem
sur des extraits des prophètes et d'un Targum des Suréens
sur le Pentateuque, toutes ces différentes versions ont été
réunies dans les bibles rabbiniques et polyglottes.
TARIERE. Voyez Aigijillon.
TARIF (d'un mot arabe signifiant série), tableau d'indi-
cation temporaire ou permanente des droits à payer pour
la navigation, le passage ou le parcours des rivières, l'ex-
portation ou l'importation des denrées et marchandises, le
taux progressif des amendes et des frais judiciaires.
Les cours souveraines fixaient autrefois par des arrêts de
règlement les tarifs des frais attribués au fisc, aux émo-
luments des officiers ministériels , aux vacations des magis-
trats {voyez Épices). Ces tarifs étaient observés dans toute
la juridiction du ressort de la cour. Le tarif général pour
les tribunaux de tous les degrés avait été établi par la loi
du 6 messidor an vi (24 juin 1798;; il a été modifié par
le gouvernement impérial et par celui de la Restauration, Il
comprend aussi Je chiffre des frais d'actes des notaires et
des huissiers, et celui de tous les actes administratifs pos-
sibles, detoules les rétributions pécuniaires exigibles.
TARIFA ( Bataille de). Voyez Alphonse XI de Castille
et Alpuonse IV de Portugal.
TARN f l'un des cours d'eau les plus remarquables de
France, a ses sources sur le revers méridional des mon-
tagnes delà Lozère. Son cours est d'abord extrêmement tor-
tueux. Il entre, près de Rosière, dans le département de
l'Aveyron. Il tourne assez brusquement au midi , et , après
avoir reçu sur sa droite le Meuson, sur sa gauche la Dourhie,
il arrive à Miihau. De ce point, toujours encaissé, toujours
torrentueux, grossi par le Cernon , la Muse, l'Amalon et
d'autres ruisseaux, il parvient à Saint-Rome. Il reçoit beau-
coup plus bas, sur sa rive gauche, la petite rivière de Sorgues,
et, après avoir encore été accru par le Gros et d'auties cours
d'eau peu considérables, il entre sur le territoire du départe-
ment auquel il donne son nom. Il y forme de nombreuses
sinuosités, et arrive au chef-lieu, Albi, après avoir arrosé Saint-
André, Courris, Ambialet, les Avalats, Artliès, Saint Juéri,
et s'être précipité tout entier, et de la manière la plus pit-
toresque, au Saut de Saho. Un vieux pont, construit, dit-on,
dans le onzième siècle , mais qui par ses formes accuse
une époque plus récente , joint ses deux rives, près du pa-
lais archiépiscopal. De là, laissante droite les fortifications
ruinées deCastelnau-de-Lévis, et sa tour si sveite, si élé-
gante, il est traversé à Marsac par un beau pont moderne :
il divise le sol de Rivière de celui de La Grave, arrive à
Brens, puis baigne les murs de Gaillac. Plus loin, il touche
au tianulus de la Fajole et aux vieux débris de Montans.
Plus bas encore, il laisse, sur sa rive gauche , Rabastens
d'Albigeois, et, grossi par l'Agoût, il entre dans le dépar-
tement de la Haute-Garonne. Lors des grandes eaux , le
Tarn parcourt, dit-on, le département auquel il donne son
nom dans un espace de temps qui n'excède guère cinq
heures, ce qui supposerait une vitesse de 260 mètres par mi-
nute. Dans l'état normal, ses eaux mettent douze heures à
traverser le même espace : sa largeur moyenne dans ce dé-
partement est de 99 mètres. Ses eaux , souvent bourbeuses,
ou «oiorées par les terres détachées de ses rivages, sont ce-
pendant salubres quand on les a soumises à la filtration.
Dans le département de la Haute-Garonne, où il entre
du côte de l'est, le Tarn, tournant brusquement presqu'au
nord, arrose un grand nombre de communes ; un pont mo-
derne le traverse au lieu même où il intercepte la route de
Toulouse à Albi. Il passe à Buzet, à Bessières , à Viilemur,
offrant de plus en plus un aspect majestueux. C'est au-des-
sous de Viilemur qu'il entre dans le département de Tarn-
el-Garonne, où bientôt il arrive sous les murs de Montau-
ban; et après avoir traversé le Barri-d'IlIemade, Lasbarthes,
Moissac, il porte le tribut de ses eaux rapides dans la
Garonne. Lfs états de Languedoc avaient formé le projet
de rendre le Tarn navigable; mais il ne l'est encore que de
Gaillac jusqu'à son continent dans la Garonne. Les plus forts
bateaux qu'emploie la navigation du Tarn sont de trente à
trente-cinq tonneaux. Dans le département de Tarn-et-Ga-
ronne plusieurs écluses facilitent le passage des points au-
trefois les plus difficiles. CJi'"'^ Alexandre Du Mège.
TARN (Département du). 11 a été formé du territoire
des diocè.'^es de Lavaur, de Castres et d'Albi , enclavés au-
trefois dans le Languedoc. Il est compris dans le ressort de
la cour impériale de Toulouse , et fait partie de l'académie de
la même ville. 11 forme le diocèse de l'archevêché d'Albi, et
appartient à la dixième division militaire, dont Toulouse est
le chef-lieu. Son nom lui vient du fleuve qui le traver.-;e, et
qui est connu encore .sous la dénomination qu'il portait il y a
vingt siècles. Ce département est borné au nord et au nord-
est par celui de l'Avey ron ;au sud-est par celui de l'Hé-
rault; au sud, le département de l' A u d e trace ses confins ;
à l'ouest, il a celui de la Haute-Ga ronne; il est limité au
nord-ouest par ceux de Tarn-et-Garonne et du Lot. Sa plus
grande longueur du nord au sud est de 100 kilomètres, et
sa plus grande largeur de l'est à l'ouest est de 92. Sa sur-
face totale est à peu près de .'i76,821 hectares, dont 326,410
en terres labourables; 80,292, en bois et forêts; 6t,439,
en landes, pàtis, bruyères; 41,869 en prairies; 31,244
en vignes; 8,272, en cultures diverses, etc. On y trouve
plusieurs chaînes de montagnes peu élevées. L'une, connue
sous le nom de Montagne Noire, longe le département de
l'est à l'ouest, de Lacabarède ju.squ'à Labruguière, puis, se
dirigeant vers le sud , parvient insensiblement jusqu'aux
confins du territoire. L'autre, qui porte le nom de Monta-
gne de Lac aune , se dessine de l'est à l'ouest, depuis celle
de Lespinouse, dont elle est un prolongement. Sa cime
forme un grand plateau assez uni, qui, s'avançant dans la
direction de l'est à l'ouest jusqu'à Augmontel, se prolonge
vers le nord jusqu'aux frontières de l'Aveyron, et enfin du
nord à l'ouest jusqu'au village de Saint-Juéri,à l'est d'Albi.
Les points les plus élevés du département sont au nombre
de trois : le Puy-Saint-Georges est à 498 mètres 95 centi-
mètres au-dessus du niveau de la mer; la hauteur du Si-
gnal-de-Nore est à 1,283 mètres environ au-dessus de ce
niveau ; enfin, la cime du Montalet se dresse à 1,386 mètres.
Le point le plus bas du département est celui qui se trouve
au confluent de l'Agout dans le Tarn, et qui n'est qu'à 220
mètres au-dessus de la mer.
II est divisé en quatre arrondissements, dont les chefs-
lieux soni Albi , chef-lieu du déparlement, Castres; Gail-
lac, ville fort ancienne, de 7,776 habitants, sur la rive
droite du Tarn, à 55 kilom. d'Albi, avec un collège commu-
nal, un tribunal civil, et où il se fait un commerce assez
imporlant en vins trè.s-estiraés, grains, genièvre, légumes,
luzerne, etc.; Lavaur, ville fort ancienne aus.si, de 7,070 ha-
bitants, située sur la rive gauche de l'Agout, avec d'importantes
filatures de soie, 11 renferme 315 communes, et sa population
est de 354,832 habitants. Compris dans le bassin de la Ga-
ronne, ses principaux cours d'eau sont le Tarn, VAgout,
le IS'iaur, VAveyron , le Céron, le Dardou, la Vère , etc.
On n'y trouve ni lacs, ni étangs, ni marais : l'industrie n'y
a pas creusé de canaux; son industrie consiste dans la fabri-
cation du drap, du papier, de la chapellerie. On y trouve
des filatures de soie, des forges, des mines de houille et
de fer exploitées, des martinets à cuivre, des minoteries, etc.
Il paye 1,662,177 fr. de contribution foncière. Les tissus,
les draps de toutes espèces, fabriqués à Castres , ont acquis ,
parleur perfection, par leur beauté, une vogue qui ne peut
que s'accroître. De grandes richesses, des succès constants,
ont honoré les manufacturiers de celte ville, et les ont pla-
cés au premier rang parmi ceux, de l'empire. Les plames de
l'Albigeois, déjà connues par leur iné()uisabie fertilité, aug-
mentent annuellement leurs produits. Des vins qui s'ils
étaient plus connus seraient recherchés partout sont re-
cueillis sur plusieurs points du département. Ceux deGaillac
et de Rabastens ont depuis longtemps le privilège de servir
à augmenter la masse de ceux qu'on nomme vins de Bor-
deaux, et les barques du Tarn portent habituellement dans
la capitale de la Guienne les nombreux produits des vi-
gnobles de l'Albigeois, Les habitants de cette contrée, n'ayant
que des moyens de communication indirects ou peu faciles
avec le centre et le nord de la France, n'adoptent qu'avec
lenteur les perfectionnements vantés dans la capitale : ils se
défient, d'ailleurs, beaucoup de ce qu'on nomme le progrès.
Attachés au sol qui les a vus naître, ils n'étendent pas des
vues ambitieuses au-delà de leur horizon.
Ce pays a fourni un petit nombre de trou'oadours. Parmi
les successeurs de ces poêles, il faut compter Augié Gail-
lard, de Rabastens, écrivain dont il nous reste un volume,
souvent réimprimé et digne d'estime. Boyer et Leclerc , nés
à AIbi, furent membres de l'Académie Française. Alexandre
Morus, le savant Pierre Borel, l'historien Rapin de Thoyras,
l'érudit André Dacier, le jésuite Lacarry, ont honore la ville
de Castres, où ils sont nés. Antoinette Salvon de Saliez a
été placée sur le Parnasse de Titon du Tillet, ce qui ne
v^ut pas dire, cepen.lant, qu'elle occupe un rang 1rès-d"s-
tingué parmi les femmes auteurs. Dom de Vie, né àSorèze,
dans le même département, a contribué à la composition
des deux premiers volumes de VHistoire générale du
Languedoc. Dom Vaisselle, né àGaiiiac, a donné les trois
derniers volumes de cette histoire et plusieurs autres ou-
vrages dignes de la réputation de cet illustre savant. 11 eut
pour compatriote l'un de nos orientalistes les plus célèbres,
le P.Gaubil , jésuite, si connu par ses travaux sur l'histoire
et la langue chinoises.
L'antiqiùté a laissé des restes de ses monuments sur plu-
sieurs points du département du Tarn ; le moyen âge lui a
légué de magnifiques édifices, et la renaissance quelques
chefs-d'œuvre. On entreprend de longs voyages pour aller
voir l'Italie, bien digne , sans doute , de l'amour des artistes ;
il faut, pour l'honneur de la France, pour l'iionneur des
arts, entreprendre aussi un pèlerinage à AIbi , pour voir,
pour admirer son immense cathédrale.
Ch"^"^ Alexandre Du Mège.
TARN-ET-GAROIXIVE (Département de ). Il fut
formé, d'après le sénatus-consulte du 2 novembre 1808, de
différents territoires pris dans cinq départements; savoir:
de l'arrondissement communal de Monlanban, démembré
du département du Lot; de l'arrondissement de Castel-Sar-
rasin , détaché en entier du déparlement de la Haute-
Garonne; des cantons d'Auvillard , Montaigut et Valence,
distraits de l'arrondissement communal d'Agen , déparle-
ment de Lot-et-Garonne; du canton de Lavit-de-Lomagne ,
pris de l'arrondissement communal de Lectoure, départe-
ment du Gers, et enfin du canton de Saint-Antonin , pris de
l'arrondissement de Villefranche, département de l'Aveyron.
Ainsi, on voit qu'il se compose du bas Quercy , d'une partie
du haut Languedoc, d'une autre de l'Agénais, et de frac-
tions de la Lornagne et du Rouergue. Il est borné au nord
par le département du Lot ; à l'est, par ceux del'A veyroii
et du Tarn; au sud, par celui de la H aute-Garonne;
au sud-ouest et à l'ouest, par ceux du G ers et de Lot-
et-Garonne. Sa superficie est de 367,697 hectares,
dont 229,225 en terres labourables ; 45,388 en bois et forêts ;
36,703, en vignes; 17,347 en prairies; 16,562, en landes,
pâtis, bruyères, etc. Divisé en trois arrondissements, dont
TARN — TARQUINIES 469
les chefs-lieux sont Montauban, chef-lieu de tout Ifl
département; C astel- Sarrasin , ville de 6,822 habitants,
à peu de distance de la Garonne , avec un collège com-
munal , un tribunal civil, des fabriques de serge, de toiles
communes, d'huile, de safran, etc.; et Moissac , ville de
10,390 habitants, sur le Tarn, centre d'un cominerce ina-
porlant de farine, qui s'expé'lie surtout pour le Levant,
avec un tribunal civil, un tribunal de commerce, un col-
lège communal, un petit sémi laire. La population de ce dé-
partement est de 234,782 habitants, et il paye 1,648,869 de
contribution foncière. Il forme le diocèse d'un évêché, celui
de Mautauban, sul'fragantde rarchevôchéde Toulouse, res-
sortit à la cour impériale de Toulouse et à l'académie de la
même ville, et appartient à la dixième division militaire.
L'industrie y a pour principaux objets la minoterie, la cou-
tellerie, la préparation des plumes à écrire, la fabrication des
soieries, des toiles à tamis, la filature «lu colon et do la laine,
la fabrication du sucre de betterave, etc. Ses principaux
cours d'eau, outre ceux <|ui lui 'lonneni son nom, sont l'Avey-
ron , l'Arrats, la Saône, la Serre, la Baigucliune, la Lulte,
Je Coural , le Tescou, etc. Le climat de ce département est
beau et lempéié Comme dans celui du Tarn , comme dans
celui de la Haule-Garonne, un des vents dominants est le
sud-est, nommi' vulgairement aulnrt. Les vents d'ouest se
font aussi sentir assez souvent. S'ils déclinent vers le sud,
ils sont accompagnés de pluies ; s'ils tournent vers le nord ,
ils deviennent secs et froids. Le printemps est quelquefois
un peu pluvieux ; mais les pluies y sont rarement de longue
durée. L'été, qui charme la vue par le speclacie d'une
abondante moisson, est très-agréable dans ses commence-
ments; mais les chaleurs deviennent très- vives pendant Ve
mois d'août. L'automne est là, comme dans la i)iiipart des
départements voisins, la saison la plus belle. Des fruits de
touies espèces, le tableau animé des vendanges, l'aspect
d'une population qui en général paraît heureuse , et qui
recueille avec joie les derniers dons de l'année, tel est le
tableau qu'olfre alors le département de Tarn-et Garonne.
Quanta l'hiver, il est généralement sec; les neiges sont
rares, et les vents froids et violents presque inconnus.
TAROT. Fore; Cartes a jouer.
TARPANS. Voyez Cheval.
TARPEIA, fille de SpuriiisTarpeius, à quiRomulus,
dans sa guerre contre les Sabins , avait confié le comman-
dement du fort conslriiil sur le .sommet sud-ouest du mont
Saturnin, se laissa séduire par les bracelets et les chaînes
d'or que portaient les Sabins, et livra à ce prix une des
portes du fort à Tatius. Étouffée sous le poids de ces orne-
ments mal acquis, elle expia sa trahison par la mort. Telle
est la tradition romaine. On montrait son tombeau sur la
montagne , et aujourd'hui même, comme le fait remarquer
Niebuhr, sa mémoire n'est pas encore complètement effacée
des souvenirs du peuple.
C'est d'elle qu'on fait venir le nom de mont Tarpéien
(Mons Tarpeius) que porta cette moniagne jusqu'au mo-
ment oii, après la construction du temple, celui de Capitule
(Crt/j;/o//)«m) le remplaça. Depuis celle époipie, il n'y eut
que le côté de la montagne tombant à pic dans le Champ-
de-Mars, qui conserva le nom de Roche Tarpéienne Plus
d'une fois les tribuns menacèrent les hommes investis des
plus hautes magistratures de les faire précipiter <iu haut de
la Roche Tarpéienne ; et dans les accusations élevées par ces
magistrats emportant condamnation à la peine de mort,
c'était là le genre de supplice ordinaire. Tombée en désué-
tude dans les derniers temps de la république, cette peine
fut rétablie sous les empereurs.
TARPÉIEIMXE (Roche). Voyez Tarpeia.
TARQUINIES, rarg-îùnu, ville située dans la partie
méridionale de l'ancienne Étrurie, à peu de distance de la
mer, était bâtie près de l'emplacement occupé aujourd hui
par Corne ta, ville des États de l'Église , sur les bords de
la Marta, à environ six myriamètres de Rome. Fondée à
une époque qui se perd dans la nuit des temps, par des
470
TARQUINIES — TARSE
Pélasges Tyrrhéniens, de même qu'Agylla on Cœré, qui
l'avoisinait, elle ilevint, lorsque de la fusion des Raséniens
et des Tyrrliéuiens résulta la nation étrusque, la capitale
des douze villes confédérées qui formaient cette nation aussi
bien dans l'Étrurie proprement dile que sur les rives du Pô.
C'est dans cette ville qu'avaient pris naissance les institu-
tions politiques et religieuses de la nation étrusque; et la
tradition lui donne pour fondateur un certain Tarchon. Tar-
quinies semble avoir été à l'apogée de sa puissance quand
une de ses familles , celle des Tarquins , parvint à régner
sur Rome. Lorsque Tarquin le Su|)erbe eut été expulsé de
Rome, elle déchut, moins par suite de la guerre qu'elle fit
à Rome, en l'an 509, en faveur du banni , (jue très-vraisem-
blablement à cause des jalousies qu'elle inspirait aux autres
villes de la confédération étrusque, notamment à Clusium
et à Volsinies , qui se dérobèrent à son hégémonie. Une
autre guerre qu'elle soutint avec Cœré contre Rome en fa-
veur de Tarquin se termina, en l'an 403, par une trêve de
douze ans. Plus tard Tarquinies , comme les autres villes
étrusques, passa sous la souveraineté de Rome, qui y établit
une colonie. Il existe encore aujourd'hui près de Corneto
quelques traces de l'ancienne ville.
TARQUIN L'ANCIEN (LuciusTARQUINlUSPRIS-
CUS), cinquième roi de Rome (616-579 av. J.C. ) , était,
suivant la tradition romaine, le fils d'un riche Corinihien,
Demaratiis, qui à la suite des troubles civils de sa patrie
s'était réfugié à Tarquinies, en Étrurie. Tarquin, avec ses
richesses et sa femme Tanaquil, s'établit à Rome, où , à la
mort d'Ancus Marcius, qui l'avait nommé tuteur de ses
deux fils , il obtint la dignité de roi. Il acheva la soumission
du Latium , repoussa les Samnites , et fit reconnaître sa
souveraineté aux Étrusques, après les avoir vaincus. Dans
la ville, qu'il commença à entourer de travaux dedéfense,
/I fit exécuter la grande construction désignée sous le nom
de cloaca inaxima (le grand égout ), qui subsiste encore
aujourd'hui, et fit commencer les travaux du circus
maximus pour la céléliration de jeux publics, consistant
en luttes et autres exercices , dont il introduisit à Rome
l'usage, emprunté aux Étrusques, ainsi que les insignes de la
dignité royale. On lui attribue également le commencement
de la construction du temple du Capitole. Il fit admettre la
troisième tribu, celle des Luceres , dans le sénat; et le
nombre des membres de ce corps, accru par cette adjonction
dece qu'on appela les Patres, minçrum genlium, hitporté à
troiscents.Son projet deconstiluertroisnouvelles tribus, ((u'il
aurait peut-être composées de plébéiens, échoua contre l'op-
position que lui fit, au nom des patriciens, l'augure Attius
Naevius ; et il dut se bor ner à augmenter le nombre des cheva-
liers, qui se trouva ainsi porté à douze cents, sans qu'il lui fût
possible d'ajouter, sous de nouveaux noms, de nouvelles cen-
turies aux trois anciennes. 11 pprit assassiné , dit-on , par les
fils d'Ancus Marcius, à qui il avait ravi le trône ; et sa (emme
ïanaquil cacha sa mort jusqu'à ce que Serviiis Tul lius,
son gendre, eût réussi à s'assurer de sa succession.
TARQUIN LE SUPERBE (Lucius TARQUIMUS
SUPERBUS) , fils du précédent, septième et derniei roi de
Rome (534-510 av. J.-C), régna aprèsavoir assassiné son
beau-père Servius Tullius. Son gouvernement fut despo-
tique, mais énergique; et il débuta par aoolir la consti-
tution de Servius Tullius. Il régna aussi sur le Latium, bien
que nominalement ce pays n'eût avec Rome que des rap-
ports de confédération , de même qu'il contraignit les Her-
niques et les villes des Voisques à reconnaître sa souverai-
neté. Gabies fut également soumise; et des colonies ro-
maines furent fondées par lui à Circéii et à Signa, pour
tenir les nouvelles conquêtes en respect. Son despotisme et
les lourdes corvées qu'il imposait au peuple pour la cons-
truction de ses monuments , dont le plus célèbre fut le
temple du Capitole, lui aliénèrent les populations; et l'at-
tentat commis par son fils sur la personne de Lucrèce pro-
voqua une conspiration à la tête de laquelle .se mit Lucius
Junius Bru tu s. Au retour du siège d'Ardea, on lui refusa
l'entrée de la ville; la constitution de Servius Tullius y fut
rétablie, et on mit à la tête de l'État deux consuls, dont les
premiers furent Brutus et Tarquin Collatin ( Lucius Tar-
quinius Collatinus). Mais ce dernier, à cause des relations
de proche parenté qui l'unissaient à la maison royale, se dé-
mit de ses fonctions et se condamna volontairement à l'exiî.
La tentative laite par Tarquin le Superbe pour rentrer dans
Rome, à la faveur d'une conspiration fomentée parmi les
jeunes patriciens, échoua. Les habitants de Yéies et de Tar-
quinies, qui avaient pris fait et cause pour lui, furent battus,
en l'an 509, près de la forêt d'Arsia , où Brutus fut tué , mais
où Aruns, fils de Tarquin, trouva également la mort. Por-
senna ne réussit pas davantage dans ses projets de res-
tauration. Quand les Latins, dont il avait imploré l'appui,
eurent également été vaincus, en l'an 496 av. J.-C., dans
une bataille livrée sur les bords du lac Régi 11 e et où périt
sou autre fils Lucius , Tarquin désespéra enfin de recouvrer
son trône. Réfugié auprès d'Aristodème, tyran de Cumes,
il mourut en 495 ; il était alors le seul survivant de sa race.
On ne saurait douter que le règne des Tarquins fut «ne
époque pendant laquelle Rome subit la souveraineté et l'in-
fiuence étrusques.
TARRAtiONE, chef-lieu de la province d'Espagne
du même nom, forméede la partie méridionale de la Catalogne
(99. myriam. carrés et 290,000 hab.), ville fort ancienne,
jadis fortifiée, aujourd'hui bien déchue , est située à l'em-
bouchure du Francoli dans la Méditerranée, sur une hau-
teur. Siège d'un archevêché, on y compte 14,122 habitants,
dont le commerce des noix et des vins, ^nsi que la fabri-
cation des eaux-de-vie, constituant la principale industrie. 11
y existe aussi quelques fabriques de rubans, de mousseline,
de galons, de fil de soie, etc. Sa rade est peu sûre. La ville pos-
sède une des plus belles cathédrales qu'on puisse voir ,
plusieurs autreséglises et couvents, un séminaire et une école
de dessin pour les constructions navales. Un aqueduc de
21 kilomètres de long, les ruines du palais d'Auguste, la
tour dite de Pilate, quelques arcs de triomphe et d'autres
antiquités rappellent encore aujourd'hui la domination ro-
maine et l'époque où cette ville était bien autrement impor-
tante. Fondée par des Phéniciens , son premier nom fut
Tarcône. Détruite une première fois, elle fut rebâtie par
les Romains, et reçut alors le nom de Tarraco ou Tarrnton.
A l'époque des Scipions c'était l'une des principales places
d'armes de la puissance romaine; plus tard elle servit pen-
dant quelque temps de résidence à Auguste, puis elle reçut
successivemont les dénominations de Colonia Julia Vic-
tîix et, sous le règne d'Antonin, d'Augusta. Elle était le
chef-lieu de l'Espagne Tariaconnai.se ; et elle resta telle ,
même lors de la grande migration des peuples, jusqu'au
moment où les Romains perdirent les derniers débris de
leur ancienne puissance dans la Péninsule. Tombée au pou-
voir des Sarrasins à partir du commencement du huitième
siècle, elle fut alors complètement dévastée , et depuis il
ne lui fut jamais donné de recouvrer son antique prospérité.
C'est aiis.si, dit-on, à Tarragone que fut baiie la première
église chétienne qu'il y ait eu en Espagne.
Cette ville soullrit beaucoup à l'époque des dernières
guerres contre la France. Prise d'assaut, le 9 mai 181 1, par
Suchet, elle fut en partie détruite, le 18 août 1813, par les
Français , ceux-ci , forcés de l'évacuer, s'étant décidés à en
faire sauter les principaux ouvrages de foi lilication.
TARSE (du grec Tapaôç, claie), partie du pied quitient à
la jambe immédiatement et .s'étend depuis la malléole
jusqu'aux os qui forment le meta ta rse , et ainsi appelée
parce que les huit os dont elle est composée forment une
espèce de claie.
TARSE, jadis la grande et populeuse capitale delà
C i l i c i e , bâtie sur les rives du Cy dnus , eut pendant quel-
que temps ses souverains particuliers dépendant des rois de
Perse, et parvint à un haut degré de splendeur et de pros-
périté, lorsque, à l'époque des Séleucides , un grand nom-
bre de Grecs vinrent s'y établir et y fondèrent une école
TARSE — TARTRE
471
«iipérieure de philosophie et de grammaire, qui fleurit
surtout à l'époque des premiers em(iereurs romains. Pré-
cédemment, elle avait fait preuve d'un vif attachement
pour les intérêts et la cause de Jules César, en l'Iionnsur
de qui elle prit même le nom de Juliapolis. C'e>t à
Tarse que naquit et fut élevé l'apôtre Saint Paul. Elle
déchut ensuite peu à peu, et eut beaucoup à souffrir des
invasions des Isauriens et des liarbarrs de l'Occident. Au
moyen âge, elle conserva cependant encore une certaine
importance. Aujourd'hui môme Jarso, chef-lieu du sands-
chak du même nom , dans Péyalet d'Itsheil, est une ville
où l'on ne compte pas moins de 30,000 habitants, et où il se
fait un commerce des plus actifs.
TARTAGLIA (Nicolo, dit), géomètre italien du
seizième siècle, est presque exclusivement connu sous ce
surnom de Tartaylia (Le Bègue), qui lui l'ut donné à la
suite de quelques blessures qu'il reçut au siège de Brescia ,
.sa ville natale , et qui le rendirent bègue. Sa première édu-
cation fut très-négligée , et il n'apprit que tard à lire et à
écrire. Mi»is il s'adonna bientôt aux mathématiques, et ne
tarda pas à y acquérir de profondes connaissances. Devenu
professeur de mathématiques à Venise, il y |)uhlia de nom-
breux ouvrages, entre autres la première traduction d'Eu-
clide en italien. Il eut avec Cardan une vive querelle au
sujet de la découverte de la résolution des équations du
troisième degré , et il semble que les torts n'étaient pas du
c<Mé de Tartaylia.
TARTAN, nom d'une étoffe de laine de diverses couleurs
en usage parmi les montagnards de l'Ecosse.
TARTANE, nom sous lequel on désigne dans la Médi-
terranée de petits bâtiments légers n'ayant qu'un grand
màt de misaine , qu'on emploie pour la pêche et pour
le cabotage.
TARTARE, en grec Tâptapoc. C'est, suivant Homère ,
un profond abime, où ne pénètre jamais le moindre rayon
de soleil, situé sous terre, à une égale dislance au-dessous
du ciel , et fermé par des portes d'airain. Zeus y précipitait
les criminels et ceux qui attentaient à sa souveraineté, par
exemple Chionos et les Titans. Dans les traditions postérieures,
c'est le nom général du monde souterrain, ou du moins de
la partie du monde souterrain où les impies et les méchants
expient leurs crimes et leurs forfaits, par opposition aux
Champs-Elysées, séjour des justes. Le Tartare personni-
lié est (ils de l'Éther et de Géa, et de celle-ci il a eu Typhœus.
TARTARES, TARTARIE. Voyez Tatares, Tatarie.
TARTINI (Giuseppe), musicien célèbre à des titres
divers : comme le premier violoniste de son temps, et fon-
dateur, sur cet instrument , d'une -^cole qui s'est perpétuée
usqu'à nos jours; comme composp^^ur de musique instru-
mentale, et enfin comme auteur Cune théorie renommée
de la science musicale. Né en t692, en Istrie , à Pirano , il
mourut du scorbut, en 1770,à Padoue, oùilavait été nommé,
dès 1721 , chef d'orchestre de l'église Saint-Antoine, et où
il passa la plus grande partie de sa vie. Comme S t r a d e 1 1 a,
il avait irrité une famille puissante par sa fuite et son ma-
riage clandestin avec une jeune et belle élève à laquelle il
enseignait la musique. Cependant, il fut moins malheureux
que le grand chanteur, son compatriote, puisqu'il se ré-
concilia avec la (aniille de son épouse, après quelques
années de courses et de retraite occasionnées par ses craintes.
Son rare talent sur le violon le (it reconnaître dans un cou-
vent d' assise, où il se tenait caché , et sa terreur fit bientôt
place à la joie lorsqu'il eut appris qu'on le clierciiait avec
des intentions bienveillantes. Sa passion pour l'escrime, où il
excellait , l'avait assez longtemps distrait de son goût pour
la musique. Sa retraite à Assise le rendant à lui-même , le
rappela tout entier à cette science et à son art connue
violoniste. La perfection de son jeu, l'école qti'il fonda,
le firent nommer lemaitre des nations, titre justifié par
ses brillants élèves de tous les pays, et qui à leur tour
donnèrent à l'Europe Pagin, La Houssaye, Pugnani, et ce
meiveilleux Viotti , dont le souvenir nous charme encore.
Parmi ses sonates, celle qui a rendu .son nom populaire
pour la foule des amateurs est la fameuse Sonate du Dia-
ble, ou le Songe de Tartini , que l'admirable talent de
Bériot et la voix non moins rare de la jeune soeur de
madame Malibran, Pauline Garcia, ont rappelée naguère
auxdilettanli parisiens. On .sait, d'après le récit de l'astro-
nome Lalaiide, à qui Tarlini avait conté le fait ( Voyage de
Lalnnde en Italie), que la sonate avait étécomposée par
celui-ci en s'éveiilant d'un rêve où il avait cru l'entendre
exécuter par le diable, par suite d'un pacte fait avec lui.
Consullcz \ti Dictionnaire de Musique de J.-J. Rousseau,
article TxiiTiM. Aubekt de Vitry.
TARTRATE, sel formé par la combinaison d'une base
et de l'acide t a r 1 1' i (j u e. Les tartrates le plus fréquemment
employés .sont le bitartrate de potasse {voyez Tartre)
et le l)itartrate d'oxyde d'' antimoine et de potasse {voyez
É.MÉTIQUE).
TARTRE. C'e.st la matière saline qui, sous forme d'une
croûte plus ou moins épaisse, se dépose dans les tonneaux
où l'on conserve le vin. On connaît deux espèces de tartres,
qui doivent leur nom à la couleur du vin dans lequel ils
prennent naissance, le tartre rouge et \q tartre blanc, l'un
et l'autre provenant de la réunion d'une multitude de par-
ticules cristallines , qui ne diflèreni que par leur matière
colorante. Cette substance est toute formée dans le raisin et
le tamarin. En se déposant, elle est mélangée avec une
petite quantité de lie et de tarire de chaux, que l'on peut
enlever par la purification. C'est principalement dans le
midi de la Fiance que l'on raffine le tartre avant de le
livrer au commerce. Comme il a la propriété d'être très-peu
solubie dans l'eau froide, et de l'être, au coniraire, beaucoup
dans l'eau chaude, on profite de cette dillerence pour le
dépouiller de toule matière étrangère. Il se dépose s(jus la
forme d'une croûte cristalline, qui a perdu par cette seule
opération une partie de sa matière colorante. Pour achever
de le décolorer, il faut le dissoudre de nouveau dans l'eau
bouillante, à laquelle on ajoute un peu d'argile: l'argile se
dé|)osant au (ond de la chaudière y entraîne la mal ière colo-
rante. On décante une seconde fois et on évapore la liqueur
jusqu'à pellicule ; on la met ensuite dans les cristaliisoires , et
on ne tarde pas à voir se déposer des cristaux blancs , que
l'on détache ajirès que la cristHlIisalion est achevée Quand
on veut les avoir plus blancs encore, on les étend pendant
quelques jours, sur des tojles, à l'air. La quantité d argile
à emp oyer est de cinq kilogrammes pour cent de tartre.
La crème de tartre ainsi préparée n'est point pure ;
elle retient encore un peu de tartr;ite decbaiix ; elle est for-
mée d'acide tartri(]ue et de potasse, mais il y a un excès
d acide tartrique qui la constitue bitarliale de potasse et
lui donne une saveur acide. Celte suhstance cristallise en
prismes quadrangulaires courts, et contient quatre pour cent
d'eau de cristallisation Quand on la chauffe, elle jaunit
d'abord, puis si; décompose en acide pyrotartrique et en
carbonate de potasse.
Celte substance a reçu dans les arts une foule d'appli-
cations, princi|)alenient dans les arts chimiques et phar-
maceutiques. C'est ainsi qu'elle est employée par les tein-
turiers à prévenir le trouble occasionné dans les eaux par
la précipitation du sous-sulfate d'alumine de l'alun, altéré
par le carbonate de chaux, lille sert aussi pour augmenter
la fixité des couleurs, pour les teintures brunes, pour le
foulage des clia|)eaux. C'est en brûlant la lie des vins, qui
contiennent, comme nous l'avons dit, plus ou moins de
tartre, que l'on fait les cendres gravelées ; c'était par la
calcination du tartre que l'on obtenait autrefois le sel de c<!
nom* Il sert également à la préparation du flux blanc et du
flux noir. Dans les pharmacies, on en retire le sel végétal ou
tartre de potasse, le sel de seignette, l'émétique , le tartre
martial soluhle, les boules de Nancy, la teinture de Mars
tartarisée, etc.
Il est une autre substance qui a reçu le nom de tartre,
mais fort improprement ; car elle n'a avec la crème de tar-
472 TARTRE
tre aucune analogie. Cefte substance est produite par Ja
salive et les liquides muqueux qui affluent incessamment
dans la bouche , et qui déposent sur les bords des gencives
une matière limoneuse , jaunâtre ou blanchâtre, qui y adhère
avec force et se durcit graduellement. Elle est formée de
phosphate de chaux, de carbonate de chaux, de mucus
animal , d'oxyde de fer, de phosphate de magnésie et d'eau.
Lorsque l'on n'a pas la précaution de l'enlever, elle déchausse
le collet des dents et les retire peu à peu de leurs alvéoles :
de là vient l'odeur désagréable de la bouciie, l'ulcération
des gencives, et enfin la chute des dents. C'est parla pro-
preté et le frottement de corps durs que l'on en prévient la
formation. C. Favrot.
TARTRE (Sel de). Voyez Potasse.
TARTRK STIBIÉ. Voyez Émétique.
TARTRIQUE (Acide). On le retire de la crème de
tartre. Chautléavecde la potasse, il se convertit en deux
équivalents d'acide o x a I i q u e , et un d'acide acétique.
TARTUFE , titre de l'un des chefs-d'œuvre de notre
immortel Molière, d'une pièce que ce grand poêle composa
en 1C64 , mais qui ne fut jouée en public qu'en 1667, après
que les trois premiers actes en eussent été déjà représentés
à diverses reprises dans des maisons particulières. Ce titre
est, comme on sait, le nom du principal personnage de la
pièce. Les uns veulent qu'en traçant le caractère de Tartufe
Molière ait eu en vue le confesseur de Louis XIV, le P. La
Chaise, qu'il aurait surpris mangeant un jour des truffes
avec sensualilé (d'où ce nom de Tartufe emprunté, disent-
ils, à la langue italienne). Il est malheureux pour l'aulhen-
ticilé de celte étymologie que la chronologie des faits la
détruise complètement. Le P. La Chaise ne fut introduit à
la cour qu'en 1675. Dans ses Mémoires, Saint-Simon ra-
conte que c'est un évéque appelé R oquet te qwiitof^a pour
Molière quand il voulut llageller le vice si honteux de l'hy-
pocrisie. D'après une antre version, ce serait un individu
attaché en ce temps-là à la nonciature apostolique. Quoi
qu'il en soil, ce qu'il y a de certain, c'e4 que par cet ou-
vrage Molière s'attira la haine ardente des dévots, et que
le clergé, pendant si longtemps tout-puissant en France,
joignit .ses efforts aux leurs pour empêcher la représenta-
tion d'une pièce qu'il considérait comme dangereuse pour
la religion. Harlay de Cliampvallon en fit l'objet exprès d'un
mandement dans lequel il menaçait de l'excommunication
non seulement les acteurs qui se prôteraient à la représen-
tation de cette œuvre du démon, mais encore to'.it fidèle qui
oserait s'en permettre la lecture. Un certain Pierre Boul-
ier, ahbé (le Saint Barthélémy, ne craignit pas de décla-
rer que Molière , qu'il appelait te diable soiis forme hu-
maine, méritait d'être Uiisàmortsurl'écliafand en réparation
de son œuvre infernale. Pendant deux ans Molière dut re-
muer deux et terre pour obtenir la représentation de son
ouvrage ; toujours les dévots trouvaient le moyen de faire
échouer ses eflorts. On trouve raconté partout qu'un jour
Molièrecroyait avoir triomphé de tous les obstacles et que sa
salle était <iéjà comble, lorsque survint un ordre du premier
président du parlement d'avoir à surseoir à la représentation
annoncée. Molière se serait alors avancé au bord de la rampe
et aurait prévenu le public du rontre-temps , en ajoutant
à celte nouvelle, bien faite pour irriter les spectateurs :
« M. le [)remier président ne yeul pas qu'on le joue ! » C'est
là une historiette fort jolie, mais que la critique rejette dans le
dou\aine des mots apocryphes et inventés ajuès coup. Eu
rîffet, 1h malicieuse équivoque qu'on prête dans ce cas-ci à
Molière est de tous points contredite par le noble caractère
de La moi g non.
Quand Tartufe put enfin être joué, et pour cela il ne fallut
pas inoins qu'un ordre exprès du roi, les représentations en
continuèrent pendant trois mois sans interruption.
TASCIIEFYN. Voyez Almoravides.
TASMAIV ( Abel), qui découvrit la terre de Van Die-
menel d'autres îles des mers Antarctiques, était né en Hol-
Uade ; mais on ignore le lieu de sa naissance, ainsi que l'époqne
— TASSO
de sa raort. Chargé de croiser avec une escadre hollandaise
dans les eaux de la Chine et du Japon, il se dirigea en 1642,
d'après les recommandations de son protecteur Van Die-
men, gouverneur de Batavia, vers le pôle Sud, et découvrit,
le 24 novembre 1642 , l'île à laquelle il donna le nom de
Van Diemen. Il découvrit ensuite la Terre des États, une
partie de la Nouvelle-Zélande, les îles des Trois-Rois et les
îles du Prince-Guillaume, et rentra, en «643, à Batavia. U
entreprit, en 1664, un second voyage de découvertes sur
les côtes de la Nouvelle-Guinée ; mais les particularités de
cette expédition sont demeurées peu connues, en raison du
soin pris par les autorités hollandaises de caciier autant que
possible tout ce qui était relatif à leurs découvertes.
On a donné son nom à une pres(|u'île située sur la côte
occidentale de la Terre de Van Diemen et à une île située en
avant du cap Pillar dans cette presqu'île.
TASMAIXIE. Quelques géographes ont essayé de dési-
gner ainsi les uns la Terre de Van Diemen, les autres la
yVoMt;e//e-ZéZanrfe; mais cette dénomination n'a pas prévalu.
TASSE ( Le). Voyez Tasso (Torquato).
TASSILON, Thussito, le dernier duc de Bavière de
la race des Agilollinges, était âgé de six ans lorsque, en
l'an 748, il succéda à son père, Odilon. Il fit avec Pépin sa
campagne deLombardie, et enl'année 757 il prit lui-même les
rênes du gouvernement dans ses États. Il accompagna ensuite
Pépin dans son expédition contre le duc d'Aquitaine, épousa
Lintberga, fille du dernier roi des Lombards, Didier. Cliar-
lemagne, quand il eut vaincu les Saxons et qu'il eut soumis
les Lombards, songea à humilier Tassilon.qui, en l'an 781,
prêta de nouveau serment à l'empereur et obtint son pardon.
Un acte de violence qu'il commit en l'an 784 faillit de nou-
veau lui faire perdre son duché; mais Charlemagne lui par-
donna cette fois encore, à la condition qu'il lui enverrait son
fils Théodon en otage. Exaspéré et excité par son épouse,
Tassilon conspira alors contre Charlemagne; celui-ci le fit
arrêter, en 788, à la diète d'Ingellieim. Condamné à mort
comme coupable du crime de trahison, Tassilon vit com-
muer sa peine en une détention perpétuelle dans le couvent
de Saint-Goar. Alors le duché de Bavière fut incorporé à
l'Empire, comme fief vacant, et l'héritage des Agilolfinges
passa en d'antres mains.
TASSO ( Beknakdo ) , remarquable poëte lyrique et
épique italien, mais dont la gloire a été obscurcie par celle
de son fils Torquato ( voyez l'article ci- après) , était né en
1493, à Beigame,et descendait d'une ancienne famille noble.
Dès son enfance ilannonçade grandes dispositions, et reçut
en conséquence une éducation soignée, tant de son père que
de son oncle, Luigi Tasso, qui était évêque de Recanati. Après
avoir longtemps étudié à Padoue et avoir séjourné ensuite
tour à tour à Rome, à la cour de Ferrare et à Venise, où il
se fit une réputation comme poëte, il entra, en 1531, en qua-
lité de secrétaire intime au service de Ferrante Sanseverino,
prince de Salerne, et le suivit dans l'expédition contre
Tunis entreprise par Charles Quint, ainsi qu'en
Flandre. Revenu à Salerne, il épousa, en 1539, la belle et
riche Porzia de' Rossi, femme aussi remarquable par son
esprit que par ses vertus, et se retira avec elle dans la jolie
petite ville de Sorrento, où il vécut au comble du bonheur
jusqu'en 1547, et où il commença son Amadigi. C'est là
que lui naquirent trois enfants, dont l'illustre Torquato fut
le dernier. Mais l'avarice et la tyrannie de don Pedro de
Tolède, vice-roi de Naples, vinrent mettre un terme à cette
félicité passagère. Persécuté par ce farouche protecteur de
l'inquisition, le prince deSalerne fut obligé de s'expatrier, et
Charles Quint fil confisquer ses biens. Bernardo Tasso
voulut partager son sort. Ses biens furent également con-
fisqués, et un décret de bannissement fut porté contre lui. Sé-
paré de sa femme par la barbarie des Rossi , il erra en
France et en Italie , sollicita vainement l'intervention de
Henri II en faveur de son maître, et ne reparut à Rome
que pour fuir encore devant les troui>es du duc d'Albe,
que Philippe II avait lancées sur les États du saint-siége. Le
TASSO
jeune Torqnale était alors avec son père, qui le fit partir
pour Bergame. Bernardo arriva enfin, en 1556, dans le plus dé-
plorable dénûment à Ravenne , d'où le duc d'Urbino l'invita
à se rendre à Pesaro. En 1563 il entra en qualité de premier
secrétaire au service du duc de Mantoue ; et nommé
gouverneur d'Ostiglia, il mourut à quelque temps de là, en
1569. Son principal ouvrage est l Amadiiji ( IbGO), épo-
pée romantique, dont le sujet est emprunté à un roman
espagnol, et où il a déployé un arand et beau talent, quoique
les développements en soient trop recherchés et que la
comparaison avec le poëmede l'Arioste lui nuise beaucoup.
On ne saurait d'ailleurs méconnaître de la grâce et de l'i-
magination dans ses autres poèmes de moindre étendue. Ses
lettres (publiées par Segliezzi , 3 vol., Padoue, 1733-1751)
jettent un grand jour sur l'histoire politique et littéraire de
son temps.
TASSO (ToRQUATo), que nous nommons le Tasse, fils
du précédent, naquit à Sorrento, près deNaples, le 11 mars
1544, onze ans après la mort de l'Arioste, dont il devait
être le digne émule. Son père avait eu de Porzia de'Hossi
trois enfants, et il était le troisième. Les progrès de Tor-
quato furent pour son père une heureuse diversion à ses
infortunes. Cet enfant , à qui la nature avait prodigué ses
dons, avait montré dès l'âge de trois ans une merveilleuse
intelligence. Après avoir étudié chez les jésuites de Naples,
puis à Rome et à Bergame, il partagea à Pesaro l'éducation
que recevait le fils du duc d'Urbino. L'impression du poème
à'Amadis ayant amené le père et le fils à Venise, ils y séjour-
nèrent pendant une année entière ; et à seize ans Torquato
se sépara de son père pour aller étudier le droit à Padoue.
Mais c'est en vain qu'on s'efforçait de distraire sa vocation
poétique. Après dix-huit mois de séjour à Padoue, l'unique
fruit de ses nouvelles études fut le poème de Rinaldo , en
douze chants, dont l'apparition fit frémir le vieux Bernardo.
Le poète exilé avait en effet une si faible idée du pouvoir
de la poésie, qu'il fut épouvanté de voir son fils entrer dans
cette même carrière. Il s'opposa d'abord à la publication
du Rinaldo ; mais les prières de ses amis l'emportèrent
enfin sur sa répugnance , et il permit à son fils d'être l'un
des plus grands poètes des temps modernes. Les éloges
donnés à la régularité du plan, à la marche de l'action, à
la beauté du style , au mérite d'une composition si éton-
nante pour un poète de dix-sept ans, achevèrent de con-
soler Bernardo , en (lattant son orgueil paternel. Le jeune
Torquato fut dès ce moment recherché par les savants,
les princes et les philosophes. Le sénat de Bologne l'invita
à venir assister à la restauration de son université; et l'il-
lustre adolescent étonna les maîtres par la facilité de son
élocution, par la richesse et l'abondance de ses pen.sées.
Dès celte époque roulait dans sa tête le vaste plan de sa
Jérusalem délivrée. C'est à Bologne qu'il en avait choisi
le sujet, les personnages et les caractères. C'est à Bologne
aussi qu'il éprouva les premiers chagrins d'une vie si
diversement agitée. Une satire pubUée dans cette ville en
attaquait les principaux habitants ; et elle lui fut mécham-
ment attribuée. On poussa même l'injustice jusqu'à faire
une perquisition rigoureuse de ses manuscrits. Cette ca-
lomnie , cette persécution le dégoûtèrent de cette ville; il
alla passer quelque temps à Mantoue, chez les princes Ran-
goni, amis de son père ; et, se rendant après aux vœux du
jeune Scipion de Gonzague, son condisciple, il retourna
dans la ville de Padoue, et prit place dans l'académie des
Etfivei, que ce jeune seigneur avait londée. La morale et la
politique d'Aristole, la poétique et la philosophie de Platon,
devinrent ses études favorites, sans cependant le détourner
du poëme que méditait son génie. Torquato , pendant les
vacances de l'université de Padoue, alla à Mantoue em-
brasser son père, et le vieillard s'occupa de lui procurer
une protection puissante en le faisant entrer en qualité de
gentilhomme de cour au service du cardinal Louis d'Esté,
frère du duc de Ferrare, Alphonse IL Torquato arriva
dans cette nouvelle cour au milieu des fêtes, des tournois,
473
des spectacles , par lesquels le duc Alplionse célébrait soa
mariage avec l'archiduchesse Barbara d'Autriche; et l'ardente
imagination d'un poète de vingt-et-un ans dut être frappée
de tant de magnificences. Le jeune gentilhomme du cardinal
d'Esté appartint bientôt à toute cette illustre famille. Al-
phonse et ses deux sœurs, Lucrèce et Léonore, à qui leur
mère Renée de France avait inspiré le goût des lettres
s'empressèrent de l'accueillir. Il avait déjà célébré les deux
sœurs dans le huitième chant de /?ina/do; il s'insinua de plus
en plus dans leurs bonnes grâces , en les louant dans une
foule de poésies fugitives. Les deux princesses avaient tou-
jours les prémices de ses compositions , et son génie s'en-
flammait encore aux applaudis.sements de .ses belles pro-
tectrices. Distrait par de courts voyages à Padoue, à Milan,
à Mantoue, il rentrait avec joie dans une cour où sa faveur
croissait avec sa gloire. Des joutes d'esprit, qui faisaient
les délices de ce siècle , ajoutèrent à l'éclat de son nom.
C'était un reste de ces cours d'amour où les trouba-
dours et les belles châtelaines faisaient assaut d'éloquence
et de philosophie amoureuse. La mort de Bernardo inter-
rompit ses plaisirs. Il courut à Ostiglia , dans le duché de
Mantoue, reçut, le 4 septembre 1569, le dernier soupir de
son père , et revint chercher des consolations dans l'amitié
des princes de Ferrare et dans le travail assidu que lui ira-
po.sait son poëme.
Le cardinal d'Esté, appelé en France par les affaires de
son archevêché d'Auch , emmena le Tasse avec lui , après
le mariage de sa sœur Lucrèce avec le duc d'Urbino. Le
poète fut présenté au roi Charles IX, qui rendit un éclatant
hommage à son génie , en le comblant d'honneurs et de
prévenances. Le Tasse se lia d'une étroite amitié avec Ron-
sard ; et les seigneurs français s'empressèrent également de
fêter le poète de Sorrento. La franchise de ses opinions
sur les querelles religieuses qui désolaient alors la France
lui attira cependant des inimitiés puissantes ; le cardinal
d'Esté les partagea. Il s'ensuivit une séparation ; et après
quatorze mois de séjour à Paris, le Tasse en repartit pour
l'Italie, au mois de janvier 1572, avec le secrétaire du car-
dinal.
Alphonse d'Esté répara les torts de son frère à la prière
de ses deux sœurs. Le Tasse, après avoir passé trois mois
à Rome, chez le cardinal Albano, rejoignit la cour de Fer-
rare, qu'il eut bientôt à consoler de la mort de la duchesse.
Une composition nouvelle vint le distraire à la fois de
cette douleur et de son grand poëme. Le théâtre italien de
cette époque était livré à la pastorale. Les églogues dia-
loguées attiraient la foule, et le Tasse, qui rêvait depuis
longtemps au sujet de soa Aminte, entreprit et acheva
dans deux mois cette pastorale dramatique, qui fut ac-
cueillie avec enthousiasme , et qui est restée comme un
chef-d'œuvre de style. Le duc de Ferrare donna le signal
de l'admiration publique. Il la fit représenter à Ferrare.
Lucrèce d'Esté, n'ayant pu assistera la représentation, pria
son frère de lui céder pour quelques mois son poète favori.
Le Tasse partit pour Pesaro, où l'accueillirent avec trans-
port tous les membres de la famille d'Urbino. Il y lut sa
pastorale et les huit premiers chants de son poëme.
Lucrèce avait alors dix ans de moins que le Tasse. Elle
était moins prude, moins dévote que sa sœur Léonore : la
princesse et le poète ne se quittaient plus, pendant que
l'époux de Lucrèce ne songeait qu'à chasser et à nager.
Le poète chanta dans trois sonnets fort galants et fort
tendres la belle main, le beau sein , le bel âge de la prin-
cesse; et plusieurs écrivains en ont conclu que le Tasse fut
plus heureux avec elle qu'avec sa Léonore. C'est à Pesaro
ou dans les jardins de Caslel Durante qu'il peignit, dit-
on, les jardins d'Armide et l'amour de cette enchanteresse.
Rentré à Ferrare , chargé de présents et de bonheur, forcé
de suivre bientôt après Alphonse II à "Veni.se, pour recevoir
le roi de France Henri III à son retour de Pologne, et
d'assister à toutes les fêtes qui furent données à ce monarque,
le Tasse, accablé par la chaleur de la saison, par l'agitation
474
TASSO
de ses voyages et de ces fêtes, fut pendant six mois de l'an-
née 1574 en proie à une fièvre ardente, qui faillit le conduire
autoinheau. Mais la convalescence lui rendit l'espoir etlecou-
rage, et le mois d'avril 157& vit aciiever enfin son chef-d'œu-
vre. Ce lut alors que commencèrent les tribulations du poète.
L'incertitude du succès fut sa première peine. Il fit une copie
pour Scipion de Gonzague, qui était alors à Rome; et cet
ami la communiqua tout de suite aux littérateurs éclairés
que renfermait celte ville. Ses amis de Ferrare et de Padoue
furent également consultés. Leurs opinions diverses sur le
sujet, le pian et le style devinrent un supplice pour le
poète. Il entreprit avec une patienc et une ardeur admi-
rables les corrections dont il reconnaissait la nécessité.
L'amitié d'Alphonse le soutenait dans ce nouveau travail.
La présence de Lucrèce vint redoubler son courage. Elle
quittait un mari plus jeune qu'elle , à qui elle ne pouvait
donner des héritiers, et revenait à Ferrare, auprès de son
frère. Le Tas.se reprit ses assiduités auprès de cette noble
amie. Il la suivait aux eaux , il la soignait dans ses indis-
positions. Elle ne pouvait se séparer de lui , se résigner à
fion absence.
Les critiques des envieux, les tracasseries de ses ennemis,
devinrent cependant si fatigantes, si acerbes, qu'il résolut
d'aller visiter ses amis de Rome , et retremper son courage
dans leurs entretiens affectueux. Il y fut présenté au cardi-
nal Ferdinand de Médicis,qui fut depuis grand-duc de
To.scane , et qui lui offrit un asile dans sa maison , s'il
était jamais forcé de quitter les princes de Ferrare. Le
Tasse en avait quelquefois l'envie, et la résolution lui en
vint de la juste indignation qu'il éprouva à son retour chez
Alphonse, en reconnaissant qu'on avait fouillé ses papiers
en son absence. Le poète Guarini était l'âme de ces per-
sécutions. Le duc de Ferrare lui donna cependant une nou-
velle preuve de son amitié, en lui accordant la |ilace d'his-
toriographe, que laissait vacante la mort de Jean-Raptiste
Pigna. Tandis que le Tasse corrigeait avec soin l'œuvre à
laquelle il attachait sa gloire, il eut avis qu'on allait l'im-
primer dans plusieurs villes d'Italie, et sévit au ryoment
de perdre le fruit de ses veilles. La protection du duc de
Ferrare le sauva pour cette fois de ce malheur. Mais tous
ces assauts plongèrent le Tasse dans une mélancolie pro-
fonde. Tout lui semblait funeste: il douta de ses meilleurs
amis , il crut à la corruption de .ses domestiques, il alla
même jusqu'à s'imaginer qu'on l'avait dénoncé à l'inquisi-
tion. 11 se crut assiégé d'es|)ions, de délateurs, d'empoison-
neurs et d'assassins. Le duc et ses deux sœurs redoublèrent
en vain d'eltorts pour dissiper ses hallucinations. Sa tête
s'échauffa; et le 17 juin 1577, ayant rencontré dans le
palais un domestique qui était plus particulièrement l'objet
de ses soupçons, il lira son poignard pour le frapper. Re-
tenu par les témoins de cette scène , enfermé par ordre du
duc, il ne dut sa liberté qu'à de longues et pressantes sup-
plications; ce fut en vain qu'Alphonse et l'inquisiteur de
Ferrare s'efforcèrent, l'un de le distraire en l'emmenant
dans ses jardins de Belriguardo , l'autre en rassurant sa
conscience. Le Tasse voulut absolument se retirer dans
un couvent de franciscains, adressa une supplique au sa-
cré collège pour demander des juges, et fatigua de lettres
extravagantes le duc Alphonse, qui prit le funeste parti de
lui interdire cette correspondance Un ordre aussi brutal
augmenta l'exaltation du poète. Il s'enfuit du couvent et
de Ferrare , sans guide, sans argent , laissant même après
lui les ouvrages dont il attendait l'immortalité.
Il arriva dénué de tout à Naples et à Sorrento, oii était
restée sa sœur Cornelia, veuve d'un gentilhomme appelé Ser-
sale. Quelques mois passés dans le lieu de sa naissance dis-
sipèrent les sombres vapeurs de sa mélancolie, et sa pensée,
plus calme, le ramena vers le séjour de Ferrare. Le duc,
vaincu par les instances de ses sœurs , ne consentit enfin à
revoir le poète que s'il consentait lui-même à se faire trai-
ter. Le Tasse promit tout, et fut reçu avec les témoignages
d'une ancienne affection. Mais ses humeurs noires le re-
prirent, et le duc l'exaspéra en lui refusant la restitution de
ses manuscrits.
Était-ce dureté ou bienveillance? Alphonse voulait-il
sauver ces ouvrages de la rage de leur auteur? Quels motifs
avaient altéré son amitié? La folie du Tasse avait-elle enfin
une autre cause que ces tourments d'un génie dont l'envie
a troublé les espérances? On a longuement discuté toutes
ces questions ; et nous devons parler à notre tour de cette
passion, vraie ou fausse, qui a été le sujet de tant de con-
troverses et de tant de poésies , de cette Léonore, enfin,
qu'il a tant chantée. S'il faut en croire son biographe
Manzo, le Tasse fut amoureux de trois Léonore : la prin-
cesse d'Esté, la comtesse de Scandiano et une suivante de
la princesse. Le biographe Serassi prétend et prouve que
cette dernière n'exista jamais que dans l'imagination de
Manzo ; mais il ne récuse point les deux autres. On a com-
pulsé et commenté les poésies du Tasse pour savoir à la-
quelle des deux Léonores il avait consacré son amour et
il est probable que l'une et l'autre en lurent l'objet. On a
cru reconnaître Léonore d'Esté dans le personnage de
Sophronie. C'est donc à la découverte de cette passion
qu'on a attribué la colère d'Alphonse; et l'abbé Carretta,
secrétaire du Tassoni, contemporain du Tasse, raconte,
comme le tenant de son maître, que, dans un transport
d'amour, notre poète avait donné un baiser à Léonore en
présence de son frère, et que le duc, ayant sauve l'honneur
de sa sœur en déclarant la folie du Tasse, avait suivi cette
idée en le faisant conduire dans un hospice. Serassi et le
judicieux Ginguené ont fait justice de cette anecdote; sui-
vant eux , c'est à la jalousie du duc, à son amour pour la
seconde Léonore, qu'il faut imputer les brutalités dont le
Tasse fut victime. Cette dame était la jeune épouse du
comte de Scandiano, qui vint avec la comtesse de Sala, sa
belle-mère, passer à Ferrare l'hiver de 1676. La beauté de
celte femme lui attira les hommages de tous les courtisans;
et ses préférences pour le Tasse ne furent un secret pour
personne. Que devient alors sa passion pour l'autre Léonore.'*
Peut-on raisonnablement y trouver la source de sa folie?
Est-on plus vrai quand on donne au duc de Ferrare de
l'amour pour la belle Scandiano et une violente jalousie
contre le poète, qui était, dit-on, mieux traité que lui?
Toutes ces conjectures n'ont qu'un fondement frivole. On a
voulu embellir la vie d'un grand poète par des incidents
romanesques. Si le duc avait elfectivement découvert l'amour
du Tasse pour sa sœur Léonore, pourquoi eût-il été plus
chatouilleux qu'à l'égard de Lucrèce, que le poète avait cent
et cent fois compromise? D'un autre côté, où a-t-on pris
son amour pour la comtesse? Je ne justifie point sa bruta-
lité, je cherche seulement à en pénétrer les motifs, si tou-
tefois, à l'exemple de ses pareils, il en eut d'autres que son
caprice. On ne conçoit pas plus son obstination à retenir les
manuscrits du Tasse que la résolution prise par le poète de
les abandonner encore.
11 s'enfuit à Mantoue, à Padoue, à Venise, où il fut obligé
pour vivre de vendre un beau rubis que Lucrèce lui avait
donné à son départ de Pesaro. Il revint vers celte ville, et
salua le fleuve du Metauro par un chant que l'arrivée du duc
d'Urbino l'empêcha de terminer. L'accueil qu'il reçut dans
cette cour, les attentions de la belle Lavinie de La Rovère, ne
suspendirent qu'un moment les accès de .sa noire mélancohe.
Il s'échappa de Pesaro, arriva à Verceil sur le cheval d'un
voiturier, et, recueilli par un gentilhomme qui ne le con-
naissait point, il le récomjiensa de son hospitalité par son
dialogue du Père de famille. Ce fut un autre hasard qui
le fit reconnaître aux portes de Turin par Angelo Ingegneri,
littérateur distingué, qui l'avait vu à Venise , et qui le con-
duisit au palais de Philippe d'Esté, général de la cavalerie
du duc de Savoie. Philippe eut pitié de lui. L'archevêque
de Turin, le duc Einmanuel-Philiberl, le lui disputèrent, et
le malheureux semblait enfin recouvrer sa raison au milieu
des soins et des fêtes qu'on lui prodiguait. C'est à Turin
qu'il composa son Dialogue sur la noblesse, et qu'il célébra
TASSO
475
dans une canzone le mérite de Marie de Savoie, l'illustre épouse
de son hôte. Mais avec sa raison revenait toujours le sou-
venir de Ferrare et des manuscrits qu'on y retenait. Le car-
dinal Albanoy négocia son retour; et, quelques efforts qu'on
pût faire pour le retenir à Turin , sa malheureuse destinée
le poussa encore une fois à la cour d'Alphonse, où il arriva
le 11 février 1579. Celte cour était absorbée par les ap-
prêts du nouveau mariage que le duc allait contracter
avec la fille du duc de Mantoue. Personne ne s'occupait du
Tasse, personne ne voulut l'annoncer; le duc et ses sœurs,
avertis ou non, n'y firent aucune attention. Son orgueil s'en
irrita, et sa colère éclata en imprécations et en injures contre
les ingrats qui le méprisaient. Le duc s'aperçut enfin de la
présence du poêle, mais pour l'outrager à sou tour, pour
le faire conduire à l'hôpital Sainte-Anne. Le Tasse gémis-
sait depuis un an dans cette prison, quand il fut frappé d'un
malheur qui le menaçait depuis longtemps. Le grand-duc
de Toscane avait remis aux mains de Malaspina, l'un de
ses gentilshommes, une copie in forme, incorrecte, des qua-
torze premiers chants de la Jérusalem ou du Gode/roi, car
c'est ainsi que fut intitulé d'abord ce chef-d'œuvre. Ce Ma
laspina, par un indigne abus de confiance, livra cette copie
à l'impression. Le Tasse écrivit au sénat de Venise pour
lui demander justice; il se plaignit à son ami Gonzaiine. Le
mal était irréparable. Honteux de se voir juger sur une
ébauche, le Tasse publia sur-le-champ les poésies qu'il
avait composées depuis deux ans, pour montrer à ses con-
temporains qu'il valait mieux que ce qu'on avait donné de
lui; et, dans l'espoir d'attendrir l'ingrat Alphonse, il dédia
ces Iragments aux deux princesses d'Esté. Léonore ne put
les lire : une maladie grave la conduisait au tombeau ; Lu-
crèce seule parut sensible à cet hommage. Mais le sort du
poète n'en fut point adouci. Son ami Ingegneri sentit l'ou-
trage qu'on avait fait à sa gloire. 11 possédait un manuscrit
du poème corrigé par la main du Tasse ; il en lit a la fois
deux éditions à Casal-Maggiore et à Parme. Elles furent en-
levées comme la première. Malaspina, vaincu, se procura
une copie plus correcte encore, et deux antres éditions de
cette version nouvelle ne suffirent point à la curiosité pu-
blique. C'était enfin de la gloire pour le Tasse; mais il
avait aussi rêvé de la fortune, de l'indépendance, et à cet
égard le dévouement d'Ingegneri lui était aussi funeste
que la cupidité de Malaspina. Un j.eune Ferrarais, Febo
Bonna, eut enfin l'intention et la liberté de le consuKer lui-
même. Us préparèrent ensemble une édition du chef-d'œuvre;
et, après deux épreuves , la Jérusalem délivrée sortit enfin
des presses de Ferrare telle que son auteur pouvait l'avouer.
Ainsi, l'année 1581 vit paraître sept éditions de ce poème;
et celui qui l'avait donné à l'Italie restait plongé dans la
misère, dans l'avilissement, exposé à toutes les privations,
à toutes les rigueurs du sort que lui avait fait un tyran !
Le Tasse lui avait cependant fait l'honneur de lui dédier son
œuvre.
Michel Montaigne voyageait à celte époque en Italie. Il vit
le Tasse dans celte situation cruelle, et il révéla au monde
la douleur qu'il en avait ressentie. Qu'Alphonse II, duc de
Ferrare, traîne dans la postérité l'opprobre éternel de sa lâche
ingratitude! Le monstre crut taire beaucoup pour un mal-
heureux qui l'associait à sa gloire en substituant à son ca-
chot quelques chambres plus saines et plus aérées. Disons que
Scipion deGonzague y avait conduit son neveu le duc de
Manloue, et qu'ils firent rougir Alphonse de tant de bar-
barie. Lucrèce eut aussi un moment de pitié; mais elle
se borna à lui envoyer un de ses gentilshommes. Marfise
d'Esté, princesse de Massa, fil plus que la duchesse d'Urbino.
Elle obtint le Tasse pour un jour, l'emmena dans son châ-
teau ; et le poêle, entouré d'une foule de dames charmantes,
s'y montra comme aux phis beaux temps de sa jeunesse. Mais
ce ne fut qu'un jour de bonheur. Ses sonnets, ses discours
philosophiques, ses entretiens, où brillait tant déloquence
et de raison , déposaient en vain contre sa prétendue folie.
Alphonse persista dans sa cruauté; et le Tasse fut ramené '
dans son hôpital de Sainte-Anne. Le duc parut céder une
autre fois aux sollicitalioiis de Marfise, du cardinal Alhano,
et d'antres personnages célèbres. Il permit à sa victime de
visiter les maisons les plus distinguées de Ferrare ; et pendant
les six derniers mois de l'année 1583 le Tasse jouit avec
bonheur de ces courts instants de liberté. Mais avant la fin de
décembre ces jouissances lui furent brusquement retirées,
et trois ans s'écoulèrent encore avant que l'Italie pût jouir
de son poêle, quoique le pape Grégoire Xlll et la cité de Ber-
game eussent joint leurs .sollicitations à celle des plus grands
princes de son temps. L'état du malheureux ne fit qu'em-
pirer : une fièvre ardente mit sa vie en danger; sa raison
en fut réellement alfaihlie; il avait des visions, des halluci-
nations cruelles, au milieu desquelles cependant il crut voir
la vierge Marie ; et comme soa mal déclina tout à coup, il
attribua sa gnérison à cette intervention divine.
Les instances de Vincent de Gonzague. prince de Man-
toue, triomphèrent enfin du duc de Ferrare. Gonzague
promit de garder le Tasse, de le surveiller; Alphonse se
crut ainsi abrité contre les justes vengeances du poêle qu'il
avait si cruellement opprimé , elle 5 ou G juillet 1586,
après sept ans de captivité, le Tasse, rendu à la liberté,
pai lit pour Mantoue avec son nouvel ami. Le poêle reprit
sa plume; il acheva le poëme de Floridanle, que son père
n'avait pu conduire jusqu'à la fin, et le lit imprimer à Bo-
logne. Il termina également sa tragédie de Torismond , et
composa de nouveaux discours philosophiques. Le désir de
revoir les parents de son père le ramena encore une fois à
Bergame, au moisde juillet 1587. Ce fut un nouveau triom-
phe. Ses malheurs et ses talents lui avaient fait un ardent
ami du père Angelo Grillo, moine du mont Cassin, et poète
lui-même. Il avait visité le Tasse dans sa prison, et son
I)lus grand honneur avait élé , disait-il , de s'emprisonner
avec lui. Ce moine, retiré à Gênes, sa patrie, voulut y at-
tirer le chantre de Godefroi. 11 le fit nommer prolesseur à
l'académie génoise pour expliquer la morale et la poétique
d'Aristole. Mais la moit du vieux duc de iNianloue le rap-
pela auprès de Vincent de Gonzague; et peu de temps après
un accès de nostalgie le poussa vers le golfe de INaples.
Il s'acquitta, eu passant à Loretle, du vœu qu'il avait tait à
la Vierge api es sa guérison, visita la ville de liome, y célébra
Sixte Quint dans un poème de cmquante octaves: mais dé-
solé de n'avoir pu se faire présenter au pape, il précipita sa
course sur Naples , dans l'espoir d'y recouvrer sur l'État
quelques débris de sa fortune maternelle. Parini tant de
()alais qui lui lurent offerts, il choisit pour séjour le monas-
tère du mont Olivet, et, à la prière des religieux, il écrivit
le premier chant d'un poème destiné à célébrer l'origine de
leur maison. Mais une autre pensée s'était emparée de ses
facultés. Les critiques de ses ennemis l'avaient troublé à
tel point que, dans l'intérêt de sa gloire, il se croyait obligé
de refaire un chef-d'œuvre qu'admirait l'Italie. Ces cri-
tiques l'avaient assailli, pendant sa longue captivité, avec
une extrême violence, et un dialogue de CamilloPellegrino
sur la poésie épique avait, en 1584, donné le signal de ce
débordement, en élevant le Tasse au-de.ssus de l'Ariosle.
L'académie de la Criisca avait pris la défense de VOrlando
furioso par l'organe d'un Léonard Salviati, qui avait d'abord
été im des panégyristes du Tasse, et que le besoin avait jeté
plus tard au rang de .ses plus fougueux détracteurs. Le
grand poète , indigné de cette attaque imprévue d'un ancien
ami, qui profitait de son malheur pour l'accabler, avait su
pourtant contenir son indignation. Il avait étonné et charmé
l'Ilalie par la modération de sa réponse, par la noble dé-
fense de {''Aniadis de son père, dont Salviati avait enve-
loppé la censure dans sa diatribe. Mais les critiques étaient
restées dans sa mémoire : il avait douté de lui-même, et il
voidait profiler de sa retraite au mont Olivet pour refaire
son chef-d'œuvre. Un nouvel ami vint le distraire un mo-
ment de cet immense travail. J.-B. Manzo, marquis de Villa,
devenu depuis son biographe, mérita son amitié par les soins
et les prévenances qu'il lui prodigua. H l'emmenait dans une
476 TASSO — TASSONI
viHa délicieuse qu'il possédait au bord de la mer, on dans
sa seigneurie de Brisaccio, et combattait par toutes espèces
de distractions et de plaisirs les vapeurs et les visions qui
l'assiégeaient encore. Un caprice ne tarda point à le ra-
mener dans la capitale du monde clirétien; c'est une mai-
son de l'ordre des bons Pères du mont Olivet qu'il clioisit
pour sa demeure. 11 y composa son dialogue de la Clémence,
et continua son grand œuvre delà Jérusalem conquise. Les
inslances de Scipion de Gonzague l'ayant arraché de celte
pieuse retraite, il fut forcé d'y rentrer par les insolences
grossières des valets, qui, pendant une courte absence de
leur maître, l'avaient osé chasser du palais de son ami; une
fièvre lente minait son existence, et l'état de sa fortune ne
lui permettait pas de reconnaître les soins des bons religieux.
Dans la crainte de leur être à charge, il courut se réfugier
dans un hôpital que les seigneurs de Bergame avaient fondé
à Rome pour les pauvres voyageurs de leur pays. Ses
amis de Naples et le grand -duc de Toscane en rougirent cette
fois pour l'Italie. Ferdinand de Médicis lui fit passer
150 écus d'or; les Manzo, les Caraccioli , les Pignatelli y
ajoutèrent de riches présents. Sûr désormais de ne plus
être à charge aux pères de Sainte-Marie-la-Neuve, il re-
tourna dans cette maison hospitalière; mais le cardinal de
Gonzague ayant rougi à son tour de l'avoir abandonné , le
Tasse eut encore la faiblesse de céder aux vœux de son
ancien ami, et ne retrouva plus dans ce palais que des
humiliations et des ingratitudes. Il révèle même dans une
de ses lettres à Costantini que le cardinal dédaignait alors
de l'admettre à sa table. Cet iudij^ne afiront aurait dû le dé-
goûter de l'amitié des grands; mais Ferdinand de Medicis
avait été si généreux avec lui qu'il n'eut pas le courage de
résister à ses prières. Il partit pour Florence, où l'accueil-
lirent de grands honneurs. L'exemple du prince fut suivi par
la cour et la ville, par les poètes et les savants. Le Tasse
n'abusa point de celte admiration. Le climat de Naples le
tentait sans cesse; il quitta Floience, comblé des présents
du grand-duc. Mais cette fois la lièvre l'arrêta au passage
dans la ville de Rome. Leduc de iVlantoue lui témoigna le
désir de le revoir; le poète oublia Naples, et partit pour
Mantoue. Il y (it mille vers sur la généalogie des Gonzague
et prépara une édition générale de ses œuvres. Le dépérisse-
ment de sa santé ne lui permit point de séjourner longtemps
au milieu des marais du Mincio. Ses regards se tournèrent
encore vers le golle de Naples; et le mois de janvier
1592 l'y vit arriver enfin, chez le prince de Conca, qui l'in-
vitait à venir partnger linjuiense fortune dont la mort de son
père venait de lui donner la jouissance. Le Tasse le quitta
ce|>endant. Son caractère ombrageux lui faisait craindre que
son nouvel ami ne voulût s'emparer du manuscrit de la
Jérusalem conquise, comme le duc de Ferrare s'était em-
paré de ses premiers ouvrages.
C'est dans la villa du Manzo qu'il se réfugia pour échapper
à cette avanie, sans doute imaginaire , et qu'il termina enfin
la nouvelle version de son poëme. Mais comment fixer le
Tasse dans cette retraite, quand l'un de ses plus constants
amis, le cardinal Aldobrandini, devenu pape sous le nom
de Clément VIII, le suppliait de venir habiter Rome? Il
lutta d'abord contre la crainte de blesser ses amis de Naples ;
mais le caprice ou l'orgueil l'emporta même sur l'intéiêt de
sa santé. Il chargea le Manzo et le prince de Conca de
suivre le procès qu'il soutenait contre les détenteurs de ses
biens, et se rendit aux vœ.ux du nouveau pape , le 26 avril
1592. Il fut logé celte fois au Vatican ; Clément VII! le paya
en honneurs et en affection des beaux vers dont le poète
avait salué son avènement. Disons toutefois que le Tasse
fut encore plus flatté de l'hommage que lui avait rendu le
chef de brigands Sciarra, lorsque, arrêté par ce bandit sur
la route deNa|)Ies, il l'avait vu tomber à ses pieds par la
seule magie de son nom.
C'est à Rome que fut enfin publiée \a Jéiiisalem con-
quise, par les soins d'ingegneri, auquel il avait pardonné
l'impression de l'autre. La nouvelle version fut accueillie
avec le même enthousiasme; Mais l'Italie revint bientôt à la
première, et l'Europe, à son exemple, a presque oublié la
seconde.
Le Tasse paraissait vouloir se fixer dans la capitale du
monde. Ses infirmités turent plus fortes que ses goûts;
après vingf-six mois de séjour, il obtint la permission de re-
tourner à Naples, où ses amis le revirent avec des trans-
ports de joie. Il avait commencé, à la sollicilation de la
marquise de Villa, mère du Manzo, un poëme sur la créa-
tion, intitulé Les Sept Journées; ill'avait continué à Rome,
il le reprit à Naples.
Une nouvelle instance du pape le replongea dans ses
incertitudes. Clément VIII et ses deux neveux ne pouvaient
supporter son absence. Ils imaginèrent, pour leran)enerau
Vatican, de renouveler pour lui les solennités du triomphe,
dont aucun poète depuis Pétrarque n'avait été honoré.
Comment résistera cet appât? Le Tasse n'en eut point le
courage. Il partit pour le Capitule au mois de novembre
1594, et le pape lui dit, en le revoyant : Je vous offre le
laurier pour qu'il en reçoive de vous autant d'honneur qu'il
en a fait à vos devanciers. » Le cardinal Cinthio voulut
différer le triomphe pour le rendre plus éclatant; il craignait
que l'hiver n'empêchât l'affluence des spectateurs que cette
cérémonie devait amener de toutes parts. Il la remit au prin-
temps , et le Tasse ne put l'atteindre. Au mois d'avril 1595,
époque fixée pour son couronnement , il ne songeait plus
qu'à son salut, et sollicita la permission de quitter le Va-
tican pour le couvent de Saint-Onuphre. La piété du car-
dinal Cinthio n'osa s'y opposer, et le Tasse écrivit une
dernière lettre à son ami Costantini pour lui annoncer sa
fin ; et le 10 une fièvre brûlante le retint sur son lit, où il
expira le 25, à l'âge de cinquante-et-un ans. Cinthio, inconso-
lable des retards qu'il avait apportés lui-même au triomphe
de son illustre ami, ne voulut point que son corps fût privé
de cet honneur. Il le fit revêtir de la toge romaine , ceignit
son front de laurier; et promené, dans les rues de Rome,
recueillant partout les larmes au lieu d'acclamations dejow,
le corps du Tasse fut rapporté et inhumé dans la petite
église de Saint-Onuphre. Qu'on cesse de dire que ce grand
poète ne fut chanté et honoré qu'à sa mort, que la fortune
le persécuta jusqu'à sa dernière heure! Non, il n'y a de
vrai dans tout ce vain bruit de réparations tardives que la
restitution d'une partie de sa fortune consentie enfin par
les héritiers de l'oncle de sa femme. Mais, depuis qu'il était
sorti de l'Iiôpilal de Ferrare, depuis dix ans enfin, à l'ex-
ception de quelques rares ingratitudes , il n'avait d'autre
ennemi que sa mélancolie et ne recevait des princes et des
peuples que des témoignages d'amour et de vénération.
VlENNET , de l'Académie Française.
TASSOIVI (ÀLEssANDiio), l'un des plus célèbres poètes
de l'Italie, naquit à Modène, le 28 septembre 1565. Orphelin
dès l'enfance, abandonné de tous ceux qui devaient le pro-
téger, dépouillé de son patrimoine, il chercha une con-
solation dans l'étude des lettres. Après de fortes études
à Bologne et dans sa patrie, il passa à Rome, en 1597. Le
cardinal Ascanio Colonna se l'attacha en qualité de secré-
taire; et Tassoni accompagna en 1602 ce prélat en Espagne,
Ce fut pendant son séjour dans ce pays qu'il écrivit ses
Considérations sur Pétrarque. Plus tard (1618), il tut
nommé par le duc Charles-Emmanuel de Savoie secré-
taire de son ambassade à Rome. Ces emplois brillants
s'accommodaient peu avec son goût pour l'étude; il rentra
encore une fois dans la solitude et la retraite , mais ce ne
fut que pour peu d'années. Le duc François I" de Modène,
l'appela vers 1632 auprès de lui , et le mit au nombre de ses
conseillers et de ses gentilshommes. Tassoni resta dans ce
poste jusqu'à sa mort, qui arriva le 25 avril 1635 : il avait
alors soixante-et-onze ans. En 1606*1 avait été élu membre
de la fameuse Académie des Humoristes de Rome : il y prit
le nom de Bisquadro, et c'est sous ce nom qu'il fit l'ingé-
nieuse préface de La Secchia rapila, poëme héroï-comique
qui a pour sujet la guerre des habitants de Modène contre
TASSOrSI — TATARES
47Î
ceux de Bologne , parce que ceux-ci avaient refusé de rendre
aux premiers quelques villes au temps de l'empereur Fré-
déric II. Le poète suppose qu'un seau de bois enlevé aux
Bolonais par les gens de Modène est la cause de celte guerre :
de là le titre du poome, Le Seau enlevé ( La Secchia rapita).
Du reste, tout n'est pas fiction dans cette plaisante suppo-
sition. On gardait en effet à Modène, dans la chambre du
trésor de la cathédrale , un seau de bois qu'on disait avoir
été enlevé par les Modénois à ceux de Bologne. C'était une
tradition populaire : quel en était le sens? C'est ce qu'on ne
saurait dire; mais toujours est-il certain que Tassoni sut
la mettre à profit, et qu'il en tira un admirable parti. Son
poëme, perpétuel mélange du sérieux et du comique, du
grave et du bouffon, fui reçu , à son apparition , avec des
applaudissements universels; et il faut bien dire que ce qui
contribua surtout à lui mériter tant de faveur et tant de
lecteurs , ce sont les allusions et les portraits satiriques
dont il est plein. L'auleur avait un grand talent poisr la
satire : il n'eut pas la générosité d'oublier ses ennemis en
composant son poëme; et son ressentiment attacha à plus
d'un nom une célébrité malheureuse. Sous le rapport de la
langue, cet ouvrage est classique en Italie: c'est, au seu
timent de Baptiste Lauro et d'Allacci, un des beaux monu-
ments de la langue italienne. A. Oc.
TASTU (Amable V0IART,M"") est née en 1798, à
Metz, où son père, Voiart, était employé aux vivres ; sa mère,
qu'elle eut le malheur de perdre toute jeune encore, était
la sœur du ministre de la guerre Bouchotte , qui a laissé une
si belle réputaiion de désintéresseuient. Son père se remaria ,
et lui donna pour seconde mère une femme distinguée ,
qui s'est fait aussi un nom dans les lettres, tant par ses nom-
breuses traductions de l'allemand que par plusieurs ou-
vrages originaux, par exemple La Femme, ou les six amours.
M^" Amable Voiart annonça dès son enfance de remarquables
dispositions pour la poésie. En 1S16 elle épousa le libraire
Taslu, avec qui elle habita Perpignan pendant plusieursan-
nées , et qui vint ensuite s'établir imprimeur à Paris. Ses pre-
mières productions poétiques parurent dans des almanachs ,
daUjS des recueils et des revues liltéraires. Elle donna en-
suite une collection de ses Poésies ( 1826 ; édit. augmentée ,
3 vol., 1838; réimprimée en 184 1 ) et des Poésies nouvelles
( 1834 ) , où l'on trouve des poèmes fort agréables , pour la
plupart dans le genre élégiaque et sentimental. M""* Tastu
s'est attachée à chanter les joies du foyer domestique ; c'est
seulement quand elle veut prendre un essor plus élevé que
le souffle lui manque. Ainsi, ses Chroniques de France
(1839 ), qui contiennent des poésies épiques, sont bien in-
férieures à ses productions lyriques. En 1839 son Éloge
de M'ne de Sévigné obtint le prix proposé par l'Académie
Française. On a d'elle divers autres ouvrages en prose,
entre autres un traité d'éducation qui a été souvent réim-
primé [Éducation maternelle, simples leçons d'une mère
à SCS enfants [4 vol., Paris, 183GJ) et une Histoire de la
Littérature ( 1842).
Son mari, qui s'était beaucoup occupé de recherches sur
l'ancienne langue et l'ancienne littérature espagnoles, avait
obtenu une place de bibliothécaire à la bibliothèque Sainte-
Geneviève, à Paris, il est mort en 1849.
TATARES, nom de peuple dont le sens est peu précis,
que les historiens et les ethnographes de l'Orient et de l'Occi-
dent appliquent dans une acception tantôt restreinte et tantôt
plus étendue. Après avoir désigné à l'origine une peuplade
mongole et après avoir été, sous le rapport ethnographique,
synonyme de Mongoles , le nom de Talares , à la suite des
conquêtes des Mongoles au treizième siècle, devint une dé-
nomination collective ( comme depuis l'époque de Charlema-
gne et la domination des Franks , celui de Francs employé
pour désigner tous les peuples de l'Europe occidentale) par la-
quelle on désigna non-seulement les Tatares proprement dits,
ouïes Mongoles, mais aussi tous lespeuples qui leur étaient
soumis et d'autres encore ayant avec eux quelque affinité d'o-
rigine , et que par un jeu de mots, roulant sur le Tartare des
anciens , on transforma en Tartares , c'est-à-dire venant de
l'enfer. C'est ainsi qu'on donna la dénomination de Talares à
trois peuples bien différents sous le rapport physique, mais
présentant de grandes analogies de langage, les Mongoles, les
Tongnuses et les Turcs , dont l'histoire est en même temps
celle des Tatares. Aujourd'hui le nom de Tatares s'emploie
encore avec une double signification : d'abord pour désigner
les peuples et les familles de langues de la haute Asie, et en-
.suite comme nom spécial de certaines peuplades. La famille
des langues tatares appelée aussi famille des langues de
V Altaï, de l'Oural , de Tourân, etc., appartient à la fa-
mille des \angueacombinantes {voyez Langue). On suppose
qu'elle a pour berceau originel le plateau voisin du mont
Altaï; son domaine, maintes fois interrompu par la famille
des langues indo-germaniques, .s'étend depuis la mer dujapon
jusqu'aux environs de Vienne et de Christiania, et depuis la
mer Glaciale du Nord jusqu'au Thibet. Parmi les langues qui
en font partie et qui n'ont pas entre elles autant d'analogie
que les langues indo-européennes, celle qui est parvenue au
plus haut degré de perfectionnement grammatical se parle à
l'extrémité occidentale de son domaine (le finnois), et celle
qui sous ce rapport est le moins avancée, à l'extrémité orien-
tale (le mandchou ). Malgré les différences profondes qui
les séparent sous le rapport de la construction grammaticale,
les langues talares ont cependant de noujbreuses et remar-
quables affinités. Les consonnes et les voyelles y jouent le
même rôle dans la syllabe, qui ne contient jamais plusieurs
consonnes Parmi les consonnes, c'est la loi de l'harmonie
qui |irédomine ; des voyelles dures et <louces ne sont donc
pas tolérées dans le même mot. Quant à sa pauvreté en par-
ticules, on y supplée par la richesse des formes dedérivation,
et la formation des périodes y est soumise aux mêmes lois
que la formation des mois, de sorte que les propositions ne s'y
trouvent pas entremêlées comme dans les langues indo ger-
maniques, et que chaque proposition s'y rattache, pour ainsi
dire, à la proposition avec laquelle elle a le plus de rapports.
La race tatare se divise en trois groupes principaux.
Le premier comprend les langues tatares proprement
dites ,à savoir : 1° la langue tongouse ,que parlent les Ton-
goupes, fixés sur le tenitoire russe depuis le lénisséi jus-
qu'à la mer d'Ochotski, et le mandchou , qui lui est peut-
être encore inférieur, que parlent les Tongouses établis sur
le territoire chinois ; 2° la langue mongole, qui sous le
rapport grammatical n'e.st guère moins simple que leton-
gouse, et qui se divise : a , en rameau oriento-tatare , la
langue mongole de l'est ( parlée en Mongolie , berceau de
larace);fc, en rameau occidento-talare, la langue kal-
moucke ( parlée dans les immenses steppes du plateau oc-
cidental de l'Asie, et sur les rives du bas Volga) ; et c, en
rameau .septentrional, la langue ftow/è^e (qu'on parle dans
les montagnes situées au sud du lac Baïkal; ; 4" la langue
turque, en usage depuis les rives de l'Adriatique jusqu'au
de là de l'embouchure de la Lena , que les Ouigoures par-
lent avec le plus de pureté, qui parmi les Osmanlis de
Constantinople a surtout subi l'influence des langues per-
sane, arabe et européennes, et qui se divise à son tour en
plus de vingt dialectes, par exemple ; l'ouigoure, le ko-
man, l'usbeck, leturkoman, le kirghis.le baschkir, le
kiimmique , le nogaï, etc. A ce groupe se rattache la langue
que parlent les Jakoutes dispersés au delà de l'embouchure
de la Lena ( voijez Turques [ langue et littérature] ).
Le second groupe principal des langues tatares se com-
pose des langues finnoises, comprises aussi sous les déno-
minations de langues tschoude, ougrique et ourale. On y
distingue cinq rameaux : 1° le rameau samoyède, aux
embouchures de la Petscliora , de l'Obi et du lénisséi,
parlé aussi sur les rives de l'Obi central et du lénisséi
supérieur ; c'est celui qui paraît différer le plus du carac-
tère finnois ; 2° le rameau boulgare, comprenant lesTsché-
rémisses et les Nordwines , tandis que les Tscbouwaches
ont adopté la langue tatare; 3° le rameau perniien, compre-
nant les Permiens , les Syrjacnes et les Wotjœkes ; 3" enfin.
478
TATARES — TATOUAGE
le rameau finnois proprement dit, comprenant la langue des
Finnois ou Souamalaines, plus celles des Estlioniens, des Li-
voniens , des Lapons et des Ingriens ( voyez. Finnois).
11 n'y a que le finnois dans lequel se soit développé une
littérature de quelqueimporlance; les littératures des Mand-
clioux, des Mongoles et des Kalmoucks, créées pas le boud-
dhisme, de même que celle des Turcs orientaux et des Ta-
tares, formée d'après des modèles persans et arabes, lui sont
de beaucoup inférieures. Toutes ces familles de peuples, quelles
que soient les différences de race, de religion et de mœurs
qui les séparent, ont, indépendamment de la langue, quelque
chose de commun dans leur développement historique, dans
leurs destinées et même généralement dans leur genre de vie,
demeuré encore plus ou moins nomade; de telle sorte qu'on
est parfaitementen droit de les com|)rendre sous la dénomina-
tion générique de Tutares. Mais on l'applique encore spéciale-
ment à diverses populations isolées , qui , puisque leur con-
formation physique les rattache plus ok loins à la race mon-
gole, tandis que par leurs langues ilsappai-tiennentàla famille
des peuples turcs, proviennent vraisemblablement d'un mé-
lange plus considérable des Mongoles avec les Turcs ayant
eu lieu à l'époque de la domination des premiers, et qu'on
désigne dès lors sous le nom de populations turco-tatares.
Ce sont les Tatares fixés dans la Russie méridionale et dans
le Caucase, connus sous les noms àe. ISogaïs , A& Kou-
mucks , etc.; les Tatares du Volga, plusieurs petites tribus
habitant les rives du Volga inférieur et l'Oural , avec des
noms spéciaux, empruntés également aux localités où ils ré-
sident, comme Tataresde Kasan, cVOiifi, etc.; lesTurco-
Tatares de l'Oural, du Tom, de l'iscliim et du Tobol ,
avec des noms spéciaux empruntés également aux localités
où ils résident, dont les plus connus sont les Baschkirs du
Volga inférieur, de l'Oural et de la Kama, et les Karakul-
paks, fixés au voisinage du lac Aral ; les Kirghis ; les Turco-
Tatares de la Sibérie, entre le cours central de l'irtysch
et le cours inférieur de l'Angara supérieur, parlant des dia-
lectes turcs , mais mêlés d'éléments mongoles, et ayant une
conformation ph.ysique essentiellement mongole. Il faut en-
core y rattacher les Tatares montagnards, ou les Tchou-
waches de l'Oural central et méridional , des bords de la
Karna et du Volga central.
TATARIE, improprement appelée Tartarie. C'est le
nom sous lequel pendant le moyen âge on désignait en gé-
néral l'Asie Centrale, parce qu'on comprenait sous la déno-
mination commune de Tatares toutes les hordes qui de là
se ruèrent sur l'ouest. Plus tard on distingua une petite et
une grande Tatarie, c'est-à-dire une Tatarie d'Europe et
une Tatarie d'Asie. Sous le premier de ces noms on com-
prenait les parties de l'empire de Russie qui composaient au-
trefois les klianats de Crimée, d'Astrachan et de Kasan.
Cependant , dans un sens plus rigoureux , on désignait par
là surtout la Crimée et les contrées voisines du bas Dniei)r
et du Don. La Tatarie d'Asie, qui comprenait l'immense ter-
ritoire situé entre la mer Caspienne, la Sibérie, le désert
de Gobi, l'Afghanistan et la Perse, qu'à partir du treizième
siècle on désigna aussi sous le nom du Dj a gataï ou Tscha-
gataï, qui était celui de son souverain, le fils de Djingis-
Khan, et que le Bélurtagh, versant occidental du plateau de la
baute Asie, séparait en Djagatui oriental et Djagatai oc-
cidental, porte aujourd'hui daas les ouvrages géographiques
tantôt les noms des différent., territoires dont elle se com-
po>e, tantôt le nom général etbnograpiiique de Turkestan,
que le Héliwtagh partage aussi en Turkestan oriental ou
Tourfân, et en Turkestan occidentaly ou simplement
rM?'A:e5/an, a quoi plusieurs auteurs a joutent aussi To itrân.
En outre, le nom de Tatarie Chinoise ou Haute Tatarie est
en usage depuis une époque encore plus ancienne pour dé-
signer la partie orientale, et celui de Tatarie Indépendante
pour .la' partie occidentale de l'Asie, encore bien que la po-
pulation de l'une et de l'autre n'ait rien de tatare.
TATiSTSCÏtEFF, ancienne et illustre famille russe,
qui fait remonter son origine à Rourik. Lorsque la ligne des
I souverains de Srnolensk eut perdu ses droits de souveraineté
et que les membres de cette famille n'eurent plus quederangde
simples boyars russes, comme d'autres rejetons de la race de
Rourik ils dédaignèrent le titre de prince, et ne voulurent
plus pendant longtemps porter que leur nom de race. Mais
depuis le commencement de ce siècle, on a vu deux Tatists-
cheff accepter le titre de comte: Nicolas, fondateur de la
ligne aujourd'hui existante, et Alexandre, ministre de la
guerre de i823 à 1828 , mort en 1833, sans laisser de posté-
rité.
Dmitri Pawlowitsch Tatistscheff , l'un des plus re-
marquables hommes d'État de la Russie et des temps mo-
dernes , né en 1769, fut d'abord envoyé de Russie à Naples
et à Turin, puis, à partir de 1815, à Madrid, où il réussit à
exercer une grande influence sur la politique suivie par le
gouvernement espagnol. Rappelé à la suite de la révolution
de 1820, il obtint alors TambassadM de Vienne, qu'il con-
serva jusqu'en 1841, époque où il fut rais à la retraite tout
en restant membre du sénat et en recevant le titre de grand-
chambellan. Fidèle aux traditions de sa famille , il refusa le
titre de comte, que lui offrait l'empereur Nicolas, et mourut
à Vienne en 1845.
TATÎUS (Titus), roi de Cures, ville des Sabins, dé-
clara la guerre aux Romains après l'enlèvement des Sabines.
La trahison de Tarpeia lui ayant livré le mont Taturura
(Capilolin), on conclut la paix ; et pendant cinq ans il régna
conjointement avec Romulus sur l'État réuni des Romains
et des Quiiites, dans lequel la deuxième tribu reçut, d'a-
près lui, le nom de Tatientes ou Titientes. Il périt assas»
sine, dans un sacrifice solennel offert à Laviuiura, par les
habitants de Laurente, qu'il avait offensés.
TATOU,genre de mammifères de la Iribu des édentés,
et renfermant des animaux d'assez petite taille, dont le corps
épais, bas sur jambes, est, par une anomalie bizarre, enve-
loppé d'un test écailleux , dur, composé de plusieux pièces.
Cette sorte de croûte, qui paraît être le résultat de l'agglutina-
tion des poils, forme une plaque sur le front, et sur les épaules
une espèce de bouclier suivi de plusieurs bandes paral-
lèles et mobiles, lesquelles se joignent à leur tour à im troi-
sième bouclier, placé sur la croupe. Les membres et la queue
sont recouverts d'anneaux ou de tubercules également durs.
Quelques poils s'échappent entre les écailles et sous le ventre.
Les pattes des tatous sont armées de grands ongles propres
à fouir. Leur tôle est petite et terminée par un museau pointu.
Ils ont de longues oreilles et de petits yeux. Les tatous ont
de un mètreà un mètre et demi de longueur ; ils vivent dans
les boisde l'Amérique Méridionale, et se nourrissent de sub-
stances végétales, de racines, de fruits, d'insectes et de mol-
lusques. Cesont des animaux innocents et nocturnes, qui vi-
vent le jour dans des terriers. Les femelles sont très-fécondes.
Leur chair est bonne à manger. Les principales espèces
sont le kabasson, le cachicame, Vapar et Vencoabert.
TATOUAGE, ou opération de tatouer, c'est-à-dire
d'imprimer des des.sins sur la peau du corps. A cet eflét on
pique dans la peau, à l'aide d'un instrument pointu, les figures
qu'on veut, et on enduit ensuite de matières colorantes les
les parties blessées. Il est déjà question de cette pratique
dans l'antiquité chez diverses peuplades riveraines de la mer
Noire; et elle subsiste encore aujourd'hui parmi les habi-
tants des îles de l'Océan Pacifique, de même que parmi plu-
sieurs peuplades de l'Inde, qu. en général considèrent le ta-
touage comme un ornement du corps. Dans ses diverses
formes, il sert à distinguer les peuplades les unes des autres,
de même que les rangs, à rappeler le souvenir d'événements
mémorables , et à constater des alliances contractées.
Il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'en Océanie ni de re-
monter jusqu'à l'antiquité la plus reculée pour se faire une
idée du tatouage , puisque de tous temps les soldats et les
matelots français et étrangers ont connu le moyen de des-
siner sur leur peau des figures indélébiles; mais leur procédé
diffère de celui des peuples à\i& sauvages. Le dessin se fwt
en piquant la peau jusqu'au vif avec une aiguille. La partie
TATOUAGE — TAUREAUX
479
dessinée est sur-le-champ couverte de poudre à canon ré-
duite en poudre impalpable; on y mel le feu, ut l'explosion,
[|ui fait péniïtrer dans la peau des particules de poudre,
y laisse gravé le dessin, qui s'y montre sous une couleur
bleue, qu'aucun ingrédient ne saurait di>sormais effacer.
TATRA (Mont), le pic le plus élevé desKarpathes.
TATTI (Jacopo), sculpteur italien, élève de Sans o-
vino.
TAU, nom de la dix-neuvième lettre de l'alphabet grec
répondant à notre T. On donne aussi ce nom à l'instrument,
en forme de tau grec, que plusieurs divinités égyptiennes
portent à la main (voyez Croix).
TAUx\US (Mont). On appelle ainsi dans l'acception la
plus étendue du mot la partie méridionale du plateau et du
pays de montagnes du Bas-Rliin située entre le Main et la
Lahn, et comprise presque tout entière dans le duché Nassau ;
mais dans un sens plus restreint seulement le versant mé-
ridional de ce plateau , appelé aussi Hœhe et plus rarement
Heyrich, et qu'on considère comme formant la ligne de dé-
marcation entre l'Allemagne du nord et l'Allemagne du sud.
Le Taunus est justement renommé par la beauté de ses points
de vue, par la richesse de ses vallées , par le grand nombre
de vieux manoirs et de vestiges d'antiques fortifications ro-
maines qu'on y trouve, mais surtout par l'abondance de ses
eaux thermales, dont la plupart ont une réputation euro-
péenne, par exemple celles de Wiesbaden, Schlangenbad,
Selters, Hambourg et Soden.
Le chemin de fer du Taunus, en activité depuis 1840,
long de 40 kilomètres, unit Francfort-sur-Main avec iMayence
et Wiesbaden; un embranchement parlant de //œc/is^ (àlO ki
lomètres de Francfort), et ouvert depuis 1847, relie cette
ville à Soden.
TAUPE, genre de mammifères carnassiers, delà famille
des insectivores. Les taupes nous offrent des particularités
curieuses dans leurs organes de mouvement et des sens.
Telle est la brièveté des membres antérieurs chez ces ver-
tébrés, que leur corps traîne presque à terre. Les os de ces
membres , aussi larges que longs , et mus par des muscles
puissants, donnent attache à une main que recouvre une
peau nue , et qui ressemblerait assez à une main humaine
n'étaient des doigts courts, presque confondus ensemble, et
terminés par des ongles énormes , eu égard a\i volume de
cet organe : la paume en étant 'dirige^e en dehors et en ar-
rière, l'animal peut rejeter de chaque côté de lui la terre qu'il
creuse avec cette sorte de pelle. Les membres postérieurs
sont aussi terminés par cinq doigts armés d'ongles propres
à fouir. Enfin , car tout chez cet animal destiné à une vie
souterraine concourt à la même destination, le museau
lui-même se prolonge en un boutoir d'autant plus propre à
creuser la terre, qu'il est renforcé d'un osselet particulier.
Cette espèce détrompe parait être le siège spécial du tou-
chei'. L'odorat et l'ouïe semblent doués d'une assez grande
perfection; cependant, il y a absence de conque auditive.
L'œil est si petit et tellement caché sous les poils, qu'on a
nié longtemps, mais à tort, l'existence du sens de la vue chez
ces mammifères.
Les taupes se nourrissent principalement d'insecfes et de
vers; et si elles nuisent aux plantes, ce n'est qu'en bou-
leversant le sol, en coupant les racines, ou en détruisant
leur chevelu dans les travaux qu'elles exécutent sous terre.
C'est dans ces constructions souterraines que ces animaux
déploient toutes les ressources du plus admirable instinct.
Sillonnant la terre presque aussi facilement que nous mar-
chons à travers l'air, ils commencent par former une voûte
qu'ils soutiennent de distance en distance par des cloisons
et des piliers. Puis, ils pratiquent en tous sens, avec une
merveilleuse agilité et toutes les précautions que pourrait
fournir le plus savant calcul, de vastes galeries souterraines,
véritable labyrinthe au centre duquel le ruàle et la femelle
vivent en sécurité avec leurs petits, et dont ils ne sortent
que le soir ou le matin, pour aller chercher les larves d'in-
sectes dont ils font leur nourriture.
La taupe commune, trop bien connue par les dégâts
qu'elle commet dans nos jardins, a treize centimètres de lon-
gueur, sans y comprendre la queue, qui a a peu près trois
centimètres. Son pelage est noir; c'est à la même espèce
qrr'il faut r'apporter les variétés blanche, gri>e , tachetée,
jaune, que l'on rencontre accidentellement en Europe. On
la prend air piège. Salcerotte.
TAUPE DORÉE. Voyez Chrysochlore.
TAUPE GRILLON. Votjez Coubtilière.
TAUPIN ou SCARABÉE A RESSORT. Voyez Élaté-
RIDES.
TAUPIIVAJLLE. Voyez Archer.
TAUPINIERE. On nomme ainsi les petites élévations
déterre, ou déblais, qu'amoncelle la taupe commune en
fouillant le sol , et qui font, en bouleversant toute la cui-
tirre , le désespoir de nos jardiniers.
TAUPINS. Voyez Archer.
TAUREAU. Voyez BœuF.
TAUREAU (Astronomie), nom que l'on donne à la
seconde constellation du zodiaque; c'était le premier des
signes dans ce qu'on appelle le règne fabuleux , et il paraît
avoir été adoré par tous les peuples du monde comme l'em-
blème de la création. Sur le cou du Taureau sont placées
les Pifiiarfes, et sur son front les £? j/ a rfe5, assemblage
d'étoiles, dont la plus belle a été appelée par les Arabes
Aldebaran , et quelquefois, selon M. Sédillot, Al-Haldi-
L'écliptiqiie passe entre le^ cornes du Taureau.
TAUREAU FARNÈSE , groupe colossal en marbre,
qrri est l'œuvre d'Apollonius et de Tauricirs de Tralles en
Asie Mineure , artistes qui, suivant toute apparence, appar-
tenaient à l'école de Rhodes et qui florissaient au troisième
siècle avant J.-C. 11 représente un mythe populaire dans
l'Asie Mineure : Zéthus et Amphion attachant Dercé aux
cornes d'un taureau sauvage pour la punir d'avoir mal-
traité sa mère ; sujet qiri , bien que vigourerrsement traité,
ne satisfait point l'esprit Pline fait déjà mention de la trans-
lation de ce groupe à Rome, où il orna d'abord la biblio-
thèque d'Asinius Pollion et plus tard les bains de Caracalla.
On le retrorrva en 1546 ; et, apr-ès qu'il eut été restauré par
Branchi, on le plaça dans le palais Farnèse. Il fut de nouveau
restauré lorsqu'on le transfera à Napies; et c'est à l'une de
ces deux restaurations qu'est due la figure d'Antiope , qui
dans l'origine était étrangère arr sujet.
TAUREAUX (Combats de). Les combats livrés par
des hommes à des taureaux pour le divertissement drr public,
étaient déjà en usage chez les Grecs, notamment en Thes-
salie; et ils le furent également à Rome, quoiqrre interdits
à diverses reprises par les empereurs et par les papes. De
nosjoursencore ils font |)artie des divertissements favoris du
peuple espagnol. Prohibés, il est vrai , par une ordonnance
dir roi Charles IV, ils furent réinstitués par le roi Joseph.
A Madrid, il y a régulièrement deux fois la semaine, pendant
tout l'été, combats de taureaux arr profit de l'hôpital général.
Ils ont lieu dans le Coliseo de los toreros, cirque entouré
de gr-adins en ampillicâtre , au-dessus desquels sVlève une
rangée de loges. On s'y rend toujours en grande toilette.
Les combattants (<ore«rfores à cheval, toreros h cm]),
qui en font métier et qu'on paye fort grassement, mais au
nombre desqirels il y a aussi beaucoup de simples amateurs,
entrent en procession solennelle dans la lice. Viennent d'a-
bord les picadores ( piqueirrs), montés sur de mauvais che-
vaux, vêtus du vieux costume des chevaliers espagnols et ar-
més d'une lance; ils prennent place au milieu du cirqrre en
face des cages où sont renfermés les taureaux. Paraissent
ensirite les chulos k pied, ornés de nombreux rubans avec
une longue écharpt-. de soie très-claire à la main, et qui se
répartissent dans tes intervalles libres laissés entre les
barrières; enfin, Iw maladores ou principaux combattants,
vêtus avec luxe, i'épée nue à la main droite, et à la main
gauche \amuleta, petit bâton surmonté d'une étoffe de soie
brillante. Arrssitôt qaele correg idor a donné le signal,
on fait sortir le taureau de sa cage. Les picadorer, conjriieB'
480
TAUREAUX — TAURIS
!
cent la lutte en s'efforçant de piquer avec leur lance l'a-
nimal aux épaules, et s'enfuient bien vite, si leur cheval
vient à être blessé par le taureau. Ensuite, ou bien si un pi-
cador vient à éprouver une chute , les chulos accourent à
son secours. lis agitent leur longue écharpe au-dessus de la
tête du taureau, et en cas de danger s'y dérobent en fran-
chissant d'un saut la barrière en planches dont le cirque est
entouré. Par ses cris, un autre picarfor a soin de détourner
aussitôt la fureur du taureau sur lui-même , et un camarade
lui rend bientôt à lui-même pareil service. Quand l'animal
commence à être fatigué par les attaques incessantes de dix
ou douze de ces picadores, ceux-ci se retirent, et les chulos
saisissent alors leurs banderillas, petits bâtons creux, longs
de 65 centimètres, remplis de poudre, entourés de bandes
de papier et aux extrémités desquels sont attachés de petits
crocs, afin de pouvoir les attacher au taureau. Quand ils
y réussissent, les artifices contenus dans les butons prennent
feu , et le taureau furieux tourne autour du cirque. C'est à ce
moment que s'avance le matador, qui doit porter au tau-
reau le coup mortel. A l'aspect de la muleta , l'animal s'é-
lance en fermant lesyeux sur son ennemi, qui le laisse passer
à sa gauche et profite de ce rapide instant pour lui plonger
son épce en plein poitrail. Les bravos tt les vivat des spec-
tateurs célèbrent le triomphe du matador victorieux , de
même qu'ils s'adressent au taureau, s'il est vainqueur, s'il
blesse ou tue \e matador, lequel dans ce cas, est immédia-
tement remplacé par un autre. On enlève de l'arène le tau-
reau qui a été tué. On en lâche un second , et le divertisse-
ment recommence. 11 arrive souvent qu'il y a huit et dix
taureaux de tués dans la même séance; au contraire, il est
très-rare que des combattants y perdent la vie.
TAURE AUX (Les), terme d'agiotage. Foj/es Bourse,
tome m, page CIO.
TAURIDE, gouvernement de la Russie méridionale,
borné au nord par ceux de Cherson et lékalérinoslaff, à
l'est par la mer d'Azof , au sud et à l'ouest par la mer
Noire, comprend la presqu'île de Crimée ou Tauride
proprement dite et la steppe des Nogaïs qui s'y rattache
par l'étroit isthme de Pérékop , séparant à l'ouest ce qu'on
appelle la mer Morte de la mer Paresseuse ou siwasch ,
et s'étendant à l'est depuis le bas Dniepr jusqu'au Berda,
avec une superficie de 815 myriamètres carrés, y compris
le gouvernement particulier delà ville de Kertsch en Crimée,
et non compris la Siwasch, dont la superficie est de 33
myriamètres carrés, mais que d'ordinaire, à titre de mer
intérieure, on n'y comprend pas. La nature du sol y varie
l)eaucoup. Tandis que le sud de la presqu'île de Crimée
forme un ravissant pays de montagnes , aussi riche que bien
cultivé, la partie septentrionale de même que la steppe des
Nogaïs manquent d'eau et de bois, et leur sol, tout imprégné
de sel, est impropreà l'agriculture; en revanche, les immenses
prairies qu'on y trouve conviennent parfaitement à l'élève
du bétail et sont effectivement utilisées ainsi , de sorte que ce
gouvernement est extrêmement richeen bétail. La population,
dont le chiffre en 1846 était évalué à 572,000 habitants,
se cornpo.se pour la plus grande partie'de N o g a i s mahomé-
tans et d'autres Tatares, auxquels viennent s';ijouter un grand
nombre d'Arméniens, de Juits, de Bohémiens, de Russes,
de Grecs et d'autres Européens, surtout des Allemands, at-
tendu que depuis longtemps le gouverment russe a attiré
dans la Crimée ainsi que dans la Nogaie des colons du sud
de l'Allemagne et de la Suisse, et jusqu'à des memnonites de
la Prusse. C'est surtout le cas dans le cercle de Berdiansk,
et sur les rives de la Molotschnaja , fleuve qui se jette dans
la mer d'Azof, où les territoires assignés à ces émigrés
portent la dénomination commune d'arrondissement des
colons de la Molotschnaja. Depuis 1842 le gouvernement
de la Tauride est divisé en huit cercles : Mélitopol, Ber-
diansk, Aleschki, Pérekop , Simféropol, Eupatoria, lalta, et
Féodosia. Le chef-lieu est S imféro pol ;maisBaktschiséraï,
Sébastopol, Eupatoria, Kaffa et Féodosia l'ont depuis long-
temps surpassé pour ce qui est du chiffre de la population,
de même que pour l'importance. Eupatoria, située sur la
côte occidentale de la Ciimée, appelée aussi autrefois Kos-
loff ou Kosleff, possède un port peu profond et peu sûr,
mais ne laisse pas que de faire un commerce considé-
rable , et compte plus de 14,000 habitants. Indépendam-
ment des villes que nous venons de nommer et des ports de
Kertsch, de lalta, ville d'origine récente, située sur la côte
méridionale de la Crimée et devenue importante comme
station de bateaux à vapeur, il faut encore citer Balakla va,
ville de i,t 00 habitants, au sud de Sébastopol, et Berdiansk ,
dans la Nogaie, fondé en 1827 par le comte Woronzoff,
entre deux promontoires , sur les bords de la mer d'Azof,
qui, grâce à son excellent port, a pris de rapides développe-
ments et qui compte déjà 6,500 habitants.
Les contrées formant le gouvernement de la Tauride ,
habitées dans les temps les plus reculés par des Scythes et
des colons grecs, furent depuis Hérodote, c'est-à-dire de-
puis environ l'an 450 av. J-.C, conquises et ravagées
successivement par plus de soixante-dix peuples différents.
Elles obéirent aux Scythes, aux républiques de la Grèce, aux
rois du Bosphore, aux Romains, aux Sarmates, puis aux
empereurs grecs, et, vers la tin du douzième siècle, partie aux
Génois, partie aux Vénitiens, dont les premiers fondèrent
les villes de Kaffa et de Kerson , et les seconds la colonie de
Tana. Ensuite , au treizième siècle, elles furent conquises par
les Tatares , et, à la lin du (luiiizième siècle, par les Turcs,
qui laissèrent à la vérité subsister un khan particulier en
Crimée , mais à titre de vas.sal de l'Empire Ottoman. A partir
de la lin du dix-se|)tièine siècle, les Russes envahirent à
diverses reprises la Crunée; mais ils n'en firent la conquête
qu'enl77l, sous les ordres de Dolgoroucki, et en 1774, par
la paix de Kou schouk-Kainardji, ils forcèrent la Poite à re-
connaître la Crimée comme un pays tout à fait indépendant,
qui devait être placé sous l'autorité d'un khan élu par la na-
tion elle-même. Dès lors un grand nombre de colons russes,
notamment de Kozaks Zaporogues , vinrent s'établir dans
ce pays, doué d'une si grande fécondité; en même temps,
l'inlluence russe se fit sentir sur l'élection des khans, qui
pendant quelque temps furent a.ssez indépendants. Le khan
Schahin-Géraï, eu butte aux haines du parti turc, tinit par
se voir contraint d'abondonner la Crimée et d'aller chercher
un refuge à Saint-Pétersbourg. Il céda son pays à la Russie,
qui en conséquence, le 19 avril 1783 , déclara que la Crimée
était désormais sa propriété, et l'incorpora à l'empire en
1784, avec les provinces qui en dépendaient, comme un
gouvernement particulier, sous l'ancien nom àeChersonnèse
Tauriqtce ou de Tauride : et à ses autres litres l'em-
pereur ajouta alors celui de tzar de la Chersonnèse Tau-
rique. La même année la Turquie céda complètement à la
Russie la Crimée et toute la Tauride. L'impératrice Ca-
therine, en donnant une attention toute particulière à cette
nouvelle province, qu'elle appelait une perle de lacouronne
de Russie, contribua singulièrement à y ramener la pro.s-
périté. Cette province doit aussi beaucoup à la bienveillance
éclairée de l'empereur Alexandre, qui lui accorda un grand
nombre de privilèges commerciaux.
TAURIS,appeléeaussi raôrii ou Teôm, ville de Perse
et chef-lieu de la province d'Aserbéidjàn. Entouréede vastes
faubourgs et de riches jardins, arrosés par un grand nombre
de canaux , elle est située dans une plaine sans arbres, sur
la Spentschia et l'Atschi. La ville , qui jouissait autrefois
d'une grande prospérité, et qui au milieu du dix-septième
siècle comptait encore plus de 500,000 habitants, est bien
déchue depuis, par suite de divers tremblements de tene et
surtout des dévastations dont elle a souffert au milieu de
guerres sanglantes, de même que par suite des fautes des mau-
vais gouvernements qui n'ont cessé de se succéder en Perse.
Toutefois, grâce au commerce, elle commence à se relever :
de sorte qu'elle a aujourd'hui près de 130,000 habitants,
tandis qu'il y a vingt-cinq ans elle n'en avait guère que
50,000. De nombreuses ruines témoignent de son ancienne
grandeur. Tauris est mal construite, et à l'orientale ; et elle
TAURIS — TAUTOGRAMMES
est défendue par une citadelle, des fossés et des remparts.
Parmi ses édilices les plus importants, il faut mentionner
l'ancien château, avec un arsenal et une fabrique d'armes,
250 mosquées, IS grands et une foule de petits caravan-
sérails et de riches bazars. Depuis que dans ces derniers
temps le commerce avec l'Europe et l'intérieur de l'Asie
a pris la route de Trébizonde et de Tau ris, cette dernière
ville est devenue une des plus importantes places de l'Asie ,
le grand entrepôt du commerce de caravanes entre Tré-
bizonde et la Perse. La fabrication des cuirs, notamment
des peaux de chagrin , celle des soieries et des articles d'or-
fèvrerie, ne laissent pas que d'y avoir quelque importance.
Cette ville fut fondée en l'an 790, par Zobéide, épouse
du khalife Haroun-al-Raschid : elle subit le contre-coup de
toutes les révolutions dont la Perse fut le théâtre depuis
:ette époque; et de 1808 à 1833 elle servit de résidence
îu prince persan A b b a s-M i r z a , dont on connaît les efforts
pour européaniser la Perse.
TAUROGGEN (en russe Tawrogi),y\\\e du cercle de
Rossiennie, dans le gouvernement de Wilna (Russie), sur
le Jura, affluent du Memel, à 7 kilomètres de la frontière
ie Prusse, à 28 kilomètres au nord-est deTilsilt, avec un
bureau de douanes et 2,000 habitants. C'était autrefois le
;hef-lieu d'une seigneurie lithuanienne, de laquelle dépen-
laient en outre trente-cinq villages. Un mariage la fit passer,
jn 1680, sous la domination de la Prusse, et en 1795 un
;raifé la céda à la Russie.
C'est àTauroggen que, le 21 juin 1807, l'empereur Alexan-
ire signa l'armistice qui précéda la paix, de Tilsitt; et c'est
fans le moulin du village de Posarum ou Foschérum, situé
;n face, sur l'autre rive du Jura, que, le 30 décembre 1812,
e général prussien York signa avec le général russe Dié-
)itsch l'armistice ordinairement appelé armistice de Tau-
"oggen , en vertu duquel l'armée placée sous ses ordres
levait désormais rester neutre ; convention désavouée d'a-
)ord par le cabinet de Berlin, mais qui précéda de fort peu
le jours la détermination prise par la Prusse de faire cause
;ommune avec la Russie contre l'oppresseur du continent.
TAURUS. Dans l'acception la plus étroite on com-
prend sous ce nom, aujourd'hui comme dans l'antiquité,
e versant méridional du plateau de l'Asie Mineure ou de
'Anatolie. Séparé par l'Euphrate du Taurus arménien,
lont il faut le regarder comme étant la ramification, il se
)rolongeà l'ouest jusqu'à la mer Egée, en couvrant la région
ie côtes désignée autrefois sous les noms de Cilicie, de
Pamphylie et de Lycie, qu'il sépare du plateau formé par
a Cappadoce, la Lycaonie et la Phrygie , et vient aboutir à
a côte, si profondément échancrée, de la Carie. Dans cette
itendue il forme une suite non interrompue, dentelée et
leigeuse de chaînes de montagnes boisées, se termine au sud
lur les bords de la mer, par de petits rabaissements insen-
libles ou bien à pic , mais en n'offrant que fort rarement ,
;omme aux environs de Tarse et d'Adalia, une certaine
étendue d'étroites cotes de plaines; tandis qu'au nord il
j'incline par pentes insensibles vers les plaines du plateau
ntérieur. En Cilicie , ses pics les plus élevés atteignent une
iltitude de 3 à 4,000 mètres ; et plus loin, à l'ouest, ils ont
încore de 2 à 3,000 mètres de hauteur. Le plus important
3assage du Taurus , appelé par les anciens défilés de Cilicie,
ît aujourd'hui Gùlek-Boghas , traverse, en étroits dé-
liés au nord de Tarse , sur la grande route militaire et des
caravanes entre l'Asie Mineure et la Syrie, la montagne
qui s'appelle ici à l'ouest Bulghar-Dagh et à l'est Ala-
Dagh, et est célèbre dans l'histoire militaire par les
expéditions du jeune Cyrus, à la tête de 10,000 Grecs, d'A-
lexandre le Grand, de l'empereur Alexandre Sévère contre
Pescennius Niger, des Croisés, et enfin des Turcs, jusqu'à
la guerre que Méhémet-Ali , vice-roi d'Egypte, soutint contre
eux. A l'est de ce passage, le Taurus est interrompu par
deux lieuves, à savoir \e Seihun {hSarus ou Psariis des
anciens), venant du nord, et dont l'embouchure se trouve
au-dessous, et plus loin le Z>/i/iân (le Py/amus des anciens),
DIOT. BE LU. CONTERS. — T. XVI.
48 f
venant du nord-est, qui a son emboiiclnire située à peu de
distance de celle de l'autre , et qui sépare le Taurus de
la chaîne de l'Amanus, chaîne qui aujourd'hui, sous les
noms de Djebel-Nur, de Durdun et de Giaour-Dagh, en-
toure le golfe Issique, appelé aujourd'hui gol/e de Skan-
derun, et forme le lien de communication entre le Taurus
et les montagnes de la Syrie et de la Palestine. Les autres
fleuves qui sourdent des flancs du Taurus , tels que le
Tarsus-Tschaï (le Cydnus des anciens) près de Tarse, le
Gœck-Sûu ( Calycadnus ) près deSele/kien ( Séleucie ), c'est-
à-dire le Sélef ou Saleph, célèbre par lamortdeBarbe-Roussc,
\e KapriSou (l'Eurymédon), célèbre par la double victoire
de Cimon), VAk-Sou (Cestrus), \q Kodjah-Tschaï ou
Etschen (leXanthus), le Doloman-Tschai (leCalbisou
Indus), etc., sont bien moins importants. Le versant sep-
tentrional du Taurus est beaucoup plus aride. On y trouve,
tout au bas de la montagne, plusieurs lacs, pour la plu-
part salés. A l'est du passage dont il vient d'être question
se rattache un grand embranchement du Taurus, appelé
par les anciens VAnti-Taurus, comp'enant d'abord la vallée
du Seihùn, se dirigeant au nord vers le Hissil-lrmak
( Halys), puis tournant au nord-est pour se rapprocher de
l'Euphrate, et formant la ligne de partage des deux fleuves.
On ignore s'il se rattache au versant septentrional de la
presqu'île de l'Asie Mineure. Ce qu'il y a de certain, c'est
(\ue VErdschisch, haut de 4,133 mètres, avec ses deux
cratères voisins de la ville de Kaisarieh ( le mont Argœa ,
près de Césarée), n'en fait pas partie, et s'élève isolé du
milieu d'un plateau haut de 800 mètres au-dessus du niveau
de la mer. En général, on a cessé de considérer les différentes
chaînes et les différents groupes de montagnes de la pres-
qu'île comme des embranchements soit du Taurus, soit de
l'Anti-Taurus. D'un autre côté, la géographie systématique,
à l'exemple des anciens, emploie le nom collectif de Taurus
pour désigner non-seulement les chaînes de montagnes de
l'Arménie formant au delà de l'Euphrate la ligne de partage
entre ses cours d'eau méridionaux et le Tigris, mais encore
le versantseptentrional de l'Iran, l'Elbrouz avec le Dema-
wend , et le Paropamisus jusqu'à l'Hindonkouh et l'Himalaya.
Dans ce sens on considère même le Kuen-Lun ou Koulkoun
du Thibet et le Peling de la Chine centrale, qui en est vrai-
semblablement la continuation , comme formant l'extrémité
orientale du Taunis , c'est-à-dire d'un système partant de
la mer Egée et aboutissant à la profonde vallée de la Chine,
après avoir traversé toute l'Asie, d'une étendue totale de
770 myriamètres, et dont le Tauius de l'Asie Mineure, le
Taurus de la Perse et le Taurus du Thibet, forment les
principales divisions.
TAUTOCHRONE ( «lu grec -auto, le même , et xp&vo;,
temps), en temps égaux. Ce mot se dit, en termes de mé-
canique, des effets qui se font dans le même temps, c'est-
à-dire qui commencent et finissent dans des temps égaux.
Les vibrations d'un pendule, lorsqu'elles n'ont pas beau-
coup d'étendue , sont sensiblement tautochrones.
La courbe tautoc/irone est une courbe dont la propriété
est telle, que si on laisse tomber un corps pesant le long
de la cavité de cette courbe , il arrivera toujours dans le
même temps au point le plus bas, de quelque point qu'il
commence à partir ( voyez Cycloïde).
TAUTOGRAMMES (Vers), du grecTauTo, le même,
et Ypâ|xixa, lettre. On appelle ainsi des vers ou des poèmes
dont tous les mots commencent par la même lettre. Un
Allemand nommé Placentius a composé un poëme de 350
vers, intitulé Pugna Porcorum, dont tous les mots com-
mencent par un P ; c'est un chef-d'œuvre de grâce et de
poésie; on peut en juger par le début :
Plaudile , porcplli , porcorum pigra propago
Progrcditur : plures porc! pingucdine pltui
Pugnanles pergnDt, pecudum pars prodigiosa
Perturbât pede, etc.
Un autre Allemand, Christiamis Pierius a fait un poérw
31
'4S2
TAUTOGRAMMES — TAYLOR
de plus de mille vers, dont tons les mots commencent par
la lettre C. Le sujet est Christus cruciAxus. Du temps
deCliarlesle Chauve on fit égalementun long taw^o^rammc
en C, à riionneur des cliauves. Jules Sandeau.
TAUTOLOGIE (du grec TauTÔ, le même, et îiyo?.
discours), vice du discours qui consiste à répéter deux fois
la même chose , ou à dire deux mots qui ont absolument
la même signification.
TAVERJVE (du latin tabcrna). On appelait à Rome
tabernx les boutiques que Tarquiu l'ancien avait fait cons-
truire tout autour du Forum , de même que celles qui avaient
été ménagées au bas du grand cirque et en deliors, dans
les plus belles arcades. Celles des libraires plus particuliè-
rement étaient situées dans la rue Argilète , près du mont
Palatin. Aussi Martial les nomme-t-il tabernœ argiletx.
Les tabernae nivarix étaient des glacières, où ou conser-
vait et on vendait de la glace pendant toute l'année pour
rafraîchir le vin et les autres boissons. Par la suite, on ap-
pela tabernx les cabarets et boutiques du même genre où
les gens du peuple se réunissaient pour causer, et dont le
plus grand nombre étaient en assez mauvais renom , parce
que, indépendamment ans, flâneurs eX des viveurs *\\\i s'y
rassemblaient, on y trouvait aussi des joueuses de flûte et des
filles de joie. De là l'expression de taverne, passée dans la
plupart des langues de l'Europe pour désigner une auberge
de bas étage, un cabaret.
TAVERNIER (Jean-Baptiste), célèbre voyageur fran-
çais, né à Paris, en 1605, était fds d'un marchand de cartes
géographiques d'Anvers. Il apprit l'état de bijoutier, et par-
vint à l'exercer avec une rare perfection. Dès l'âge de vingt-
deux ans il voyagea en France, en Angleterre, dans les
Pays-Bas , en Allemagne, en Suisse, en Pologne, en Hon-
grie et en Italie. Il employa quarante années de sa vie à
parcourir la Turquie, les Grandes-Indes et la Perse dans
toutes les directions. Ayant acquis une grande fortune et
désirant , comme protestant , vivre dans un État libre , il
acheta la baronnie d'Aubonne, sur les bords du lac de Ge-
nève. Mais la mauvaise conduite de son neveu le força, en
1687, à vendre sa baronnie au marquis Du Quesne; après
quoi, il entreprit son septième voyage, pendant lequel il
mourut, à Moscou, en 1689. Tavernier était un homme doué
d'une grande perspicacité , et qui dans les dilférentes con-
trées qu'il parcourut fit des observations remarquables.
Comme il n'était pas en état de les rédiger lui-même, il
chargea de ce soin Samuel Chappuzeau et Lachapelie, qui
publièrent ses Voyages en Turquie, en Perse et aux Indes
(3 vol., Paris 1677-1679).
TAVISTOCK (Les marquis de). Voyez Russell.
TAXE , TAXATION (delà basse latinité, taxure). C'est
la fixation faite par le juge des salaires , émoluments ou frais
dus aux officiers ministériels , aux experts, aux témoins, etc.
Les parties condamnées aux dépens en justice peuvent tou-
jours, avant de les payer, en exiger la tuxe.
On appelle aussi taxe le prix fixé pour certaines denrées
( voyez Tar!f ). Auguste Husson.
TAXE DES PAUVRES. Voyez Pauvres ( Taxe des).
TAXIARCIIIE, TAXIARQUE (du grec tcx^; , arrange-
ment, et àpxiQ, commandement). Voyez Cintauçue, Cen-
te.nier, Ckntuhion, Chef d'État-major, Phalange.
TAXlDERiMIE (de xi^iz, préparation, et Ô£p[ia,peau),
art de préparer et de conserver l'enveloppe tégumentaire des
animaux , en donnant à cette enveloppe les farines qu'elle
présentait chez l'animal vivant. Ainsi définie, la taxi-
dermie est un art que l'on peut regarder comme nouveau,
dont les premières tentatives remontent à peine à un dcmi-
siécle.
Les procédés de momification , si variés chez les peu-
ples antiques ; les informes tentatives d'empaillage qui
composent tontes nos anciennes collections, les procédés
d'injection, de dessiccation, de conservation dans les li-
qnides , etc. , exclusivement employés dans les cabinets d'a-
natomie humaine ou comparée ; enfin , les diverses recettes
de tannage, jadis usitées pour la conservation des dépouilles
tégumenfaires des animaux ; tous ces procédés , disons-
nous , ne sauraient être comparés à un art dont le but
principal, essentiel, est de maintenir constants tous les
rapports de position entre les diverses parties et de con-
server à chaque espèce animale et sa forme spéciale et ses
caractères zoologiques. Certes , il y a loin du cabinet orni-
thologique de l'illustre Réaumur, dont tous les oiseaux
écorcliés étaient pendus par le bec avec un fil , aux riches
collections de notre Muséum d'Histoire naturelle.
Dans la préparation de l'enveloppe tégumentaire des
animaux , trois buts sont surtout à atteindre -. 1" il faut con-
server avec soin toutes les dépendances de cette enveloppe,
les poils, les plumes, les écailles, les plaques cornées, les
piquants, etc., etc.; 2° il faut soustraire, par une prépa-
ration chimique, cette peau à la putréfaction et à la voracité
de certains insectes, qui s'y multiplieraient, sans cela, avec
une effrayante rapidité; 3" il faut donner à cette peau ainsi
préparée les formes mêmes de l'animal qui en a été dé-
pouillé.
Pour garantir les collections des ravages des insectes , le
moyen sans contredit le plus efficace de tous, et celui qui
est exclusivement employé à notre Jardin des Plantes, est
le savon arsenical , dont la formule a été donnée par Bécœur,
et qui est composé ainsi qu'il suit : Arsenic blanc , 240 ;
savon , 240 ; potasse , 90 ; chaux , 30 ; camphre, 12. Cette
pâte savonneuse étant délayée dans de l'eau , on en enduit
avec soin la surface interne de la peau à préparer ; et cette
seule précaution suffit en général pour la soustraire à la
rapacité des insectes et aux phénomènes chimiques de la
putréfaction.
Quant aux procédés à employer pour donner à la peau
ainsi préparée la forme de l'animal vivant, ils se réduisent
constamment à faire un squelette artificiel en bois , en fer,
en fil de laiton ; à revêtir ce squelette d'une musculature
artificielle aussi de coton , de filasse, etc., etc.; et à adapter
à cet écorché factice la peau préparée. Là se borne tout ce
que nous pouvons dire de général à ce sujet : les détails
varient à l'infini. D'ailleurs celte partie de la taxidermie
offre de grandes difficultés : ce n'est pas chose facile que de
donner à une poupée de coton la forme générale , la muscu-
lature spéciale, l'attitude, le geste, le regard d'un animal
vivant. Pour arriver à un résultat satisfaisant, il faut être
plus que préparateur habile, il faut être encore naturaliste
instruit et artiste non médiocre. Belfield-Lefèvre.
TAXIS. Voyez Tour etTaxis (Famille de La).
TAXOMOMIE (du grec •càÇii;, arrangement , et v6(i.oç,
règle). Voyez Botanique et De Candolle.
TAYLOR (Brook), célèbre géomètre anglais, né le
18 août 1085, à Edmonton, dans le comté de Middleseï,
mort Ie29 décembre 1731, se fit connaître du monde savant
par un Mémoire sur les centres d'oscillation qu'il fit pa-
raître en 1708, et qui a été réimprimé depuis dans les
Transactions philosophiques. Ce beau travail le fit entrer à
la Société royale de Londres, en 1712. Taylor s'occupa alors
de la préparation de son plus important ouvrage, Methodus
Incrementorum, dont la première édition parut en 1715.
C'est dans ce traité que se trouve le fameux théorème de
Taylor, qui a pour but de déterminer la variation d'une
fonction pour un accroissement donné de la variable,
théorème dont on sentira toute l'importance qnand nous
aurons ajouté qu'il est la base de la théorie des s ér i es, et
que la formule du binôme de Newton, celle de Ma-
claurin, etc., n'en sont que des cas particuliers. Aussi une
telle découverte suffirait-elle pour conserver le nom de
Taylor. Ou doit d'ailleurs à cet ingénieux mathématicien un
grand nomDre de propositions nouvelles, fruit de ses re-
cherches sur les vibrations des cordes, la capillarité , la
réfraction, etc.
TAYLOR (Zacharie), général américain distingué et
président des États-Unis, naquit en 1784, dans l'Orange-
County, État de Virginie. Son père, le colonel Richard
TAYLOK — TECHNOLOGIE
488
Tatlok, s était distingué dans la guerre de Tindépendance
et dans les luttes contre les Indiens. Zacliarie Taylor entra
en 1808 avec le grade de lieutenant dans le septième régi-
ment d'infanterie , et en 1812 il était capitaine. Chargé , avec
50 hommes sous ses ordres , du commandement du fort
Harrison sur le Wabash, ils'y défendit avec sa petite troupe
avec tant d'intrépidité contre une horde d'Indiens, que le
président Madison lui fit délivrer le brevet de major. En
1833 Taylor fut nommé colonel du sixième régiment d'in-
fanterie, à la tête duquel il envahit la Floride. Il y déploya
de nouveau autant d'habileté que de froide intrépidité contre
les Indiens , et fut à peu de temps de là appelé au comman-
dement de la première brigade de l'armée du sud. Le 25
décembre 1835 il remporta , sur les bords du lac Okitschobi,
une sanglante victoire contre 700 Indiens commandés par
un chef fameux, surnommé V Alligator. Le colonel perdit à
cette occasion 50 hommes et plusieurs officiers ; c'était le
q.uartde tout son monde. Le gouvernement de l'Union lui fit
alors délivrer le brevet de général de brigade , grade avec
lequel il commanda jusqu'en 1840 en Floride. A son retour,
il fut nommé commandant supérieur dans le premier dé-
partement militaire, comprenant les États de la Louisiane,
du Mississipi et de l'Alabama, et dont le quartier général
est à Jessup , fort bâti à l'extrême frontière de la Louisiane.
Cette position fut cause qu'on le chargea, en 1845, de
prendre le commandement de l'armée d'occupation lorsque
le gouvernement de l'Union donna l'ordre d'envahir le Texas.
Quand, en 1846, la guerre éclata entre le Mexique et les
États-Unis, il franchit, à la tète de son corps d'armée le
Rio Grande , s'empara , à la suite de divers petits engage-
ments, de Monterey, et parvint bientôt jusqu'à Saltillo. Faute
de ressources suffisantes, il fut alors forcé d'observer
pendant longtemps la défensive en attendant des renforts.
Sa position devint même des plus critiques au moment où
Sante-i4nna marcha contre lui, à la tête du gros de l'armée
mexicaine , menaçant de lui couper la retraite. Mais au
printemps de 1847 se livra la bataille de Buena-Vista, dans
laquelle Taylor avec 4,000 hommes seulement mit en déroute
complète l'armée de Santa-Anna forte de 24,000 hommes.
Pendant que le principal corps d'armée des États-Unis,
aux ordres du général Scott , transporté par mer sur la côte
mexicaine , s'avançait victorieusement jusqu'à Mexico ,
Taylor battait au mois d'avril un corps mexicain aux envi-
rons de Tula. Le succès de ces diverses opérations , sa froide
intrépidité et ses remarquables talents militaires avaient fait
de lui l'un des hommes les plus populaires de l'Union ; aussi
fut-il élu président des États-Unis, le 7 novembre 184S, à
une grande majorité. Il prit possession du pouvoir présidentiel
le 4mars 1849, et mourut le 9 juillet 1850, à Washington.
Cette mort fut considérée comme un malheur public.
TCHAO-HO. Voyez Canal Impérial.
TCHAO-SIAIV. Voyez Corée.
TCHÈQUES. Voyez Czèches.
TCHÉRÉMISSES. Voyez Finnois.
TCHERKESSES. Voyez Tscherkesses.
TCHERIVAÏA (Bataille de la). C'est le nom qui est
resté à une affaire engagée, le 16 août 1855, par le géné-
ral Gortschakoff à la tête de 80,000 hommes contre les ar-
mées alliées , et qui devait sans doute coïncider avec une
grande sortie exécutée par la garnison de Sébastopol.
Le général Gortschakoff avait choisi le lendemain de la
Saint-Napoléon pour exécuter son coup de main, dans l'es-
poir de trouver les Français encore appesantis par les orgies
auxquelles, lui avait-on dit, la célébration de cette solennité
nationale aurait donné lieu parmi eux. Le général russe
put reconnaître, mais trop tard pour lui, qu'il avait été mal
renseigné ou bien qu'il avait mal calculé. En effet, il trouva
à qui parler. Le corps piémontais , attaqué le premier, au
point du jour, défendit avec tant de vigueur ses positions
de Tschorgoum , que le général Liprandi ne put pas s'a-
vancer plus loin sur la droite de l'armée alliée. Les troupes
du général Read , après avoir bravement escaladé un des
monts Fedoukhine et avoir même occupé pendant quelque
temps une batterie établie à mi-côte, dès qu'elles furent ar-
rivées près du camp Tançais , furent refoulées par nos bra-
ves soldats jusqu'aux Iwrds de la Tciiernaia dans la plus
grande confusion. Même chose avait lieu sur le mamelon
opposé, qu'attaquait le général Outscliakoff. Ramenés une
seconde fois à la charge et refoulés encore une fois sur le
pont de Traktir, dans les berges du canal, dans les gués et
dans le lit de la rivière, les Russes furent alors foudroyés
par notre artillerie, et subirent des pertes énormes. A neuf
heures du malin, l'armée russe était en pleine retraite sur
toute sa ligne, laissant entre les mains des alliés 400 pri-
sonniers , et après avoir eu plus de 3,000 hommes tués et
de 5,000 blessés.
TCHESMEH. Voyez Tschesmeh.
TCHIMGHIZ-KHAN. Voyez DjiNcmz-KHAN.
TCHITCHAKOF. Voyez Tschitschacoff.
TCHOUDES. Voyez Finnois.
TCHOU-KIANG ou TSCHOU-KIANG. Voyez Tigre.
TCHOULTRY. Voyez Caravansérail.
TCHOUVVACIIES. Foj/ez Finnois.
TCHUSAN. Voyez Tschusan.
TÉAK ou TECK (Bois de). C'est ainsi qu'on appelle
aux Grandes Indes le bois d'un arbre gigantesque (tectona
grandis, L. ), qui est très-estimé, parce qu'on a reconnu que
de tous les bois propres à la construction des navires, c'est
celui qui résiste le mieux aux vers, il appartient à la famille
des verbenacées, a des feuilles ovales, larges de 8 à 9 cen-
timètres, des (leurs blanches, à cinq ou six étamines et
des fruits carrés de la grosseur d'une noisette. Il atteint des
dimensions énormes et un âge de plusieurs siècles. Ses Heurs
sont regardées comme diurétiques ; et les Malais emploient
ses feuilles en décoction contre le choléra. Cette décoction,
réduite par une addition de sucre à l'état de sirop , passe pour
un excellent remède contre les aphthes. Les feuilles du téak
servent en outre à teindre en rouge foncé les étoffes de soie
et de coton.
TÉAKI ouTHIAKI. Foye: Ithaque,
TECHNIQUE. Voyez Technologie.
TECHNOLOGIE ( du grec irexvr) , art , et Xoyoç , dis-
cours). Chaque art, chaque industrie, exige des instruments,
des opérations ayant leurs noms particuliers , qui ne peu-
vent guère donner qu'aux gens du métier l'idée de ce qu'ils
représentent. Le nombre des termes empl'oyés dans les arts,
et qui ne peuvent être connus des gens du monde, est im-
mense et tend sans cesse à s'augmenter. Pour les distinguer
des autres mots, on les appelle techniques, et l'on donne
le nom de technologie à la science qui en fait connaître la
signification.
L'étude de la technologie, prise dans cette première ac-
ception, conduirait, par la seule définition des termes, à
l'intelligence des descriptions des arts auxquels ils se rap-
portent. Mais en étendant, comme on l'a fait , la significa-
tion de ce mot, en cessant de l'appliquer uniquement aux
termes employés dans les arts, pour le transporter aux
arts eux-mêmes , et aux connaissances théoriques et pra-
tiques qu'ils exigent, on a fait d'une science bornée et
spéciale une nouvelle science, qui ouvre à l'étude le champ
le plus vaste , le plus varié.
La technologie, telle qu'on la définit aujourd'hui, est la
science des arts industriels. Elle les embrasse tous : elle com-
prend tout ce que l'homme exécute à l'aide de ses mains ou
des instruments et des machines qu'il a inventés. Elle tient
à la plupart de nos besoins réels ou factices : les métiers qui
nous nourrissent, ceux qui préparent nos vêtements , ceux
qui ne s'exercent que pour produire les choses futiles qui
servent à nous distraire et à nous amuser, sont également
de son domaine. Sa tâche est d'éclairer dans la pratique des
arts industriels la marche des ouvriers, en mettant à leur
portée des connaissances qu'ils puissent substituer à la rou-
tine. En France, les cours établis au Conservatoire des Arts
et Métiers peuvent être considérés comme de véritables coure
31.
48 1
de technologie ; et l'on doit aussi regarder comme ayant ce
caractère les enseignements qui se donnent dans les écoles
des arts de Châlons-sur-Marne et dans d'autres organisées
sur le même plan. Mais là, à peu près, se trouvent restreints
les moyens d'instruction sur l'ensemble des arts industriels.
Combien ne rencontre-t-on pas de gens dans la société qui,
tout en ayant profité de l'éducation classique qu'ils ont re-
çue, sont tellement étrangers aux arts iadusîiiels et à leurs
procédés, qu'ils font rire à leurs dépens par des questions
ou des réponses qui accusent leur ignorance ! Étrangers à
tout ce qui se fait autour d'eux et pour eux , ne leur de-
mandez pas comment on obtient le pain qui les nourrit,
l'étoffe qui les couvre. A plus forte raison , n'attendez pas
d'eux qu'ils puissent vous comprendre lorsque vous serez
appelé à parler en leur présence de machines , de rouages,
d'appareils mécaniques quelconques. Les termes techniques
que vous êtes obligé d'employer pour en expliquer la cons-
truction et le jeu sont pour eux une langue tout à (ait in-
connue , plus propre à obscurcir qu'à rendre claires les ex-
plications que vous donnez. Un changement notable se fait
cependant remarquer dans les tendances de la génération
nouvelle. Les études technologiques occupent sérieusement
un grand nombre de jeunes gens qui à d'autres époques
n'auraient voulu s'instruire que de littérature et de beaux-
arts. Tant d'heureuses innovations que nous voyons s'intro-
duire chaque jour dans toutes les parties de l'économie do-
mestique ne sont pas également dues à des personnes qui
ne vivent que de leur industrie. Il en est beaucoup qui sont
le résultat des recherches d'hommes indépendants et mus
uniquement par des sentiments philanthropiques. C'étaientces
sentiments qui animaient le comte de Ru m fo rd lorsqu'il
inventait la cheminée qui porte son nom. C'était aussi de la
technologie que faisait le baron de Humboldt lorsqu'il
publiait le résultat de ses recherches et de son expérience
sur la meilleure manière de torréfier et de préparer le café.
V. DE MOLÉON.
TECKIIV. Voyez Bender.
TECTOSAGES, nation de la Gaule Narbonnaise, fai-
sant partie des Volces, et bordée à l'ouest par les Ausci et
les Lactorates ; au nord, par les Cadurces et les Ruteni ; à
l'est, par les Arécomiques et la Méditerranée, et au sud
par les Sardones : ces limites varièrent quelquefois. Les
Tectosages se divisaient en Tolosates au nord-ouest , et en
/l^flCJni au sud-est. Leurs villes principales étaient Jo^o.ça
d'un côté, Carcasa et Narbo-Martius de l'autre. Le nom de
Tectosage leur venait de leur costume militaire appelé sa-
gum.
TE DEUM. Ces deux mots latins, qui sont le commen-
cement de l'hymne ambrosienne Te Deum laudamus (Nous
vous remercions, Seigneur), etc., ont été francisés depuis
longtemps pour désigner l'hymne par laquelle on remercie
Je ciel d'un triomphe remporté, en temps ,de guerre, sur
l'ennemi , ou de quelque autre événement public vivement
attendu et dont on a lieu de se féliciter : c'est en quelque
sorte l'expression de la reconnaissance de tout un peuple
adressée au ciel pour l'efficacité de son intervention dans
les affaires publiques. Parmi les compositions musicales
inspirées par cette hymne , les plus célèbres sont celles de
Haydn et de Haendel.
TEETOTALLER (on prononce titotaller), nom
qu'on a donné en Angleterre et aux Étals-Unis aux mem-
bres des sociétés de tempérance, ou pour mieux dire à'abs-
tinence, qui s'abstiennent non-seulement d'eau-de-vie, mais
de toute liqueur enivrante, comme le vin, la bière, etc. C'est
à tort qu'on écrit souvent ce mot tea totaller, en le faisant
dériverdu mot anglais ^ea (thé), bien que les hommes de l'abs-*
tinence, à qui tous les spiritueux sont interdits, se dédom-
nvagent amplement avec le thé ou le café. Voici en effet ,
dit-on , la véritable origine de ce sobriquet. Dans un mee-
ting tenu à Birmingham, un serrurier, au lieu de dire / am
a totaller (je suis un partisan de l'abstinence totale) au-
rait prononcé ces mots en bégayant / a?)i a ti- ( la lettre t.
TECHNOLOGIE — TEHERAN
en anglais, se prononce ii) totaller ; et celte répétition
de la première lettre du mot totaller (accru ainsi d'une
syllabe), prise pour une manière de donner plus d'énergie
à l'expression de sa résolution, aurait été depuis lors adop-
tée pour désigner le but qu'ont en vue les membres de ces
associations. Teetotaller ne signifie donc pas un homme qui
ne boit que du thé, mais celui qui s'abstient complètement
de toute boisson capable d'enivrer.
TEGNER (EsAïAs), évêque de "Wexiœ, le poète le
plus célèbre et le plus populaire de la Suède, naquit dans
le 'Wermiand , en 1782. Livré de bonne heure à l'étude des
sciences, il était dès 1812 professeur de grec à l'université
de Lund. Svea est le premier de ses poèmes qu'ait couronné
l'Académie suédoise , mais depuis longtemps la nation avait
placé l'auteur au rang de ses plus illustres bardes. Le but
de cet écrit était de faire rougir ses compatriotes delà perte
de la Finlande , et de les engager à prendre les armes dans
la lutte qu'on prévoyait entre la France et la Russie. Tegner
fut un des admirateurs de Napoléon. Le poème intitulé Le
Héros, dans lequel il retrace sa figure gigantesque, est un
des plus admirables portraits qu'on ait tracés de ce sublime
génie des batailles. Peindre ainsi l'empereur des Français,
c'était se mettre en opposition formelle avec le gouverne-
ment de Bernadotte ; c'était faire profession de tendance libé-
rale, et déclarer aux Russes une haine à mort. Plus tard,
le roi le nomma chevalier de l'ÉtoilePolaire, puis, quand
il fut évêque, commandeur de cet ordre. L'Académie sué-
doise ne tarda pas à l'appeler à l'honneur de siéger dans son
sein. Mais une fois promu à l'épiscopat, le poète brisa sa lyre :
elle ne résonna plus , ni pour exalter le courage des guerriers
Scandinaves , ni pour chanter l'amour, ou pour réveiller le
sentiment patriotique dans le cœur de la jeunesse. Le prélat
consacra toute son activité à l'amélioration des écoles, objet
de ses soins assidus. La plupart de ses poèmes ont été traduits
en allemand. Il avait débuté par un poème intitulé Le Sage,
qui avait obtenu le prix de la Société des Belles-Lettres de
Gothembourg, en 1804. On lui doit la chanson de la Land-
wehr de Scanie , en 1808 ; puis il travailla avec son ami le
professeur Geyer à la Reutie d'Idunna (1811 et 1812).
Depuis, il publia le premier volume de ses sermons. Fri-
</iio/ parut complet en 1825. Il mourut en 1846, à Wexiœ,
et depuis 1840 il souffrait de dérangements passagers de la
raison. Un monument lui a été élevé, à Lund, du produit
d'une souscription nationale,
Tegner brille par une richesse d'images et par une fraî-
cheur de coloris qui soutiennent avantageusement la compa-
raison avec les plus remarquables productions poétiques des
littératures étrangères. Il a puissamment contribué à briser
les entiaves dans lesquelles l'Académie suédoise tenait la
langue prisonnière, sans cependant donner dans les écarts
8t les extravagances de ses adversaires.
J.-F. DE LUNDBLAD.
TEHERAN (on prononce Tehrdn), chef-lieu delà
province d'Irak-Adschemi (Perse), depuis 1796 résidence
du chah de Perse, compte de 60 *à 70,000 habitants,
chiffre qui au retour de la cour et des habitants que la cha-
leur et l'air malsain de l'été en ont éloignés s'élève de 120
à 130,000. Cette ville est située sur le versant méridional de
l'E 1 b r 0 u z , dans une plaine aride, où l'on ne voit de verdure
qu'au printemps , à environ 40 myriamètres de la mer Cas-
pienne. Elle a 17 kilomètres de circuit et 12,000 maisons,
généralement construites en biiques, ou huttes, avec des
rues étroites et tortueuses, formant ensemble un carré long
et entouréesde hautes murailles en briques, avec cinq portes
défendues par des tours. Le magnifique palais du chah,
tout entouré avec ses délicieux jardins de murailles aussi
fortes que celles d'une citadelle, a trois heures de marche
de circuit. On compte à Téhéran 150 caravansérails et au-
tant de bains publics, quatre bazars richementapprovisionnés,
diverses fabriques de soieries, de cotonnades, d'articles mé-
talliques et de tapis de feutre. Le commerce y est à la vé-
rité peu actif; cependant, cette ville a de l'importance par ses
TEHERAN
relations avec l'Europe , qui ont lieu par Choi, Kasbin et
Tauris parce que, séjourde la cour, des grands seigneurs et
des envoyés étrangers, les produits de l'industrie manufac-
turière de l'Europe, notamment les articles de luxe et de
mode , y trouvent un facile débit.
A 14 kilomètres au nord-est de Téhéran on trouve le châ-
teau royal de plaisance Tacht-Kadschar ( trône du Kads-
char), hardie construction en terrasses exécutée par Felh-
Ali Près de là sont situées les ruines de Rei,\& Rhages de
la Bible, célèbre au temps d'Alexandre le Grand sous le nom
de Ragse, et lorsqu'elle était la résidence de princes maho-
métans la plus grande ville de l'Asie, où naquit Hàroun-al-
Raschid , détruite au commencement d u treizième siècle par
Djinghiz-Khan.
La résidence d'été du chah e&t Sitltanabad , à 24 myria-
mètres au nord-est de Téhéran, à il myriamètres de Kasbin,
construit eu 1809 parlecliah Feth-Ali, dans le voisinage de
Sultanieh, construit comme château par l'empereur mongol
Arghoum, mais comme ville par son fils Khodi>'>p.nde Olds-
chaitou, en 1305, et détruit par Timour, en 13»5, lorsqu'il
était la résidence du sultan ilchanide Ahmed. Le conquérant
n'épargna que la mosquée, qui subsiste encore aujourd'hui ,
et il venait souvent y camper avec sa cour.
TÉHUANTÉPEC, bourg de l'État d'Oajaca ( Mexique ),
à peu de distance de l'océan Pacifique, à 2 myriamètres
seulement d'une baie spacieuse , mais accessible seulement
à des bâtiments d'un faible tonnage , dans une contrée sa-
blonneuse, mais fertilisée pourtant par le Rio de Téliuantépec
et d'autres cours d'eau et canaux d'irrigation, chaude, mais
non pas malsaine. Il se compose de plusieurs villages séparés
par des collines, et, outre les habitations des blancs, qui
occupent plusieurs rues et forment le bourg (villa) propre-
ment dit, de cabanes en roseaux et en feuilles de palmier
pour les hommes de couleur. Ceux-ci constituent la grande
majorité des 14,000 habitants qu'on y compte, et sont en
même temps la partie la plus industrieuse de la population
de tout l'État. Ils cultivent surtout l'indigo et un peu de
cochenille, préparent du sel, qu'ils expédient au loin eu
même temps que des peaux séchées et des cuirs, teignent
aussi le coton avec une couleur rouge fournie par un coquillage
qu'on trouve sur les bords de la mer, et fabriquent toutes
sortes d'étofles avec ce coton et avec de la soie provenant
de leurs propres cultures. La courbe que l'océan Pacifique
décrit sur cette côte a reçu le nom de Golfe de Tékuan-
tépec. A l'opposite, au nord, se trouve le golfe de Goaza-
cualco, fond du golfe de la Vera-Cruz. Le rétrécissement du
continent entre ces deux mers , Visthmede Téhuantépec , a
20 myriamètres de large. Ce rétrécissement correspond à
une dépression du sol, qui, séparant les plateaux de Guate-
mala et d'Anahuac, n'a pas plus de 366 mètres au-dessus du
niveau de la mer, et a donné lieu autrefois de môme que
dans ces derniers temps à divers projets conçus pour éta-
blir sur ce point une communication entre les deux Océans.
Dès 1521 Cortez et Gomara proposaient d'y creuser un
canal ; et dans ce but le cardinal Alberoni (it entreprendre
des recherches relativement à l'isthme, recherches renou-
velées depuis à diverses reprises. Enfin, en 1842, le Mexi-
cain don José Garay obtint de son gouvernement un pri-
vilège pour la construction de ce canal; en 1846 ce Garay
vendit ses droits aux Anglais iManning et Mackintosh, les-
quels commencèrent, il est vrai , les travaux , mais qui, en
1850, revendirent l'entreprise à une compagnie amérir^ine.
Celle-ci renonça à la construction du canal , qui offrait des
difficultés de tous genres , pour entreprendre l'exécution d'un
chemin de fer d'environ 20 myriamètres de long, depuis
Minatillan jusqu'au vaste port de Ventoso, au nord de Té-
huantépec. Mais l'induence anglaise agit si bien auprès du
gouvernement mexicain, que cette société dût, en 1851, aban-
donner ses travaux. Ce ne fut qu'à la suite de longues né-
gociations entre les États-Unis et l'Angleterre qu'intervint
enfin, en 1851, une nouvelle Convention de Téhuantépec,
valable pour cinquante ans et aux termes de laquelle l'une
— TEIGNE 48^
et l'autre puissance s'engagent à protéger l'entreprise. Un«
convention analogue fut conclue en 1853 entre les États-
Unis-Mexicains et les États-Unis de l'Amérique du Nord.
TEIGNE (Histoire naturelle), groupe d'insectes de
l'ordre des lépidoptères séticornes : ces papillons sont les
plus petits de tous : leurs ailes présentent les teintes les plus
riches , relevées encore d'or et d'argent ; mais il faut s'armer
d'une loupe pour jouir de ce spectacle; car l'insecte ne dé-
passe guère l'étendue d'une ligne.
D'autres teignes , moins brillantes , nous intéressent par
les dégâts qu'elles causent dans nos maisons. Ces ennemis
domestiques sont : 1° la teigne fripière , d'un gris pâle, à
reflets argentés et ayant le bord postérieur des ailes frangé ;
2" la teigne des pelleteries , d'un gris de plomb et brillant,
ayant trois petits points noirs sur le milieu des ailes supé-
rieures; 3° la teigne des tapisseries, ayant les ailes supé-
rieures d'un blanc sale, brunes à leur base et relevées au
bord supérieur ; durant la belle saison , on la voit voler dans
les appartements ; 4° la teigne des grains ( voyez Alucite ).
D'autres vivent aux dépens de divers végétaux. Ce n'est pas
comme papillons que les teignes causent des dommages
cousidéiables, c'est quand elles sont à l'état de chenilles.
Sous cette dernière forme , elles rongent les étoffes de laine
et les pelleteries, non-seulement pour se nourrir, se vêtir,
mais encore pour se frayer des routes. C'est pendant les
beaux jours de l'année que les chenilles des teignes attaquent
les tissus de laine et les fourrures; durant l'hiver elles de-
meurent inactives, renfermées dans un fourreau qu'elles
ont façonné et fixé à quelque corps solide. Au commence-
ment du printemps, elles se changent en nymphes, pour
acquérir en peu de temps leur plus haut degré de perfec-
tion. Alors on les voit voler et s'accoupler. Après avoir sa-
tisfait aux lois de la reproduction, les femelles vont déposer
leurs œufs et meurent. Les chenilles ne tardent pas à éclore;
puis elles commencent leur œuvre de destruction, et la
poursuivent jusqu'aux froids.
Les moyens recommandés pour préserver les fourrures
et les étoffes de laine des ravages des teignes consistent à
les secouer, battre et peigner souvent , à les exposer à l'air,
à placer entre les plis qu'elles forment du camphre ou des
papiers imprégnés d'essence de térébenthine, et à les tenir
soigneusement renfermées. C'est surtout depuis la dernière
quinzaine de mai jusqu'à la fin de juin , époque de la ponte,
qu'il faut prendre toutes ces précautions. Il est facile de
comprendre aussi combien il est nécessaire de détruire ce»
petits papillons qu'on voit voltiger dans les appartements.
Le criblage souvent renouvelé est un des meilleurs moyens
pour préserver le blé. Charbonnier.
ÏEIGIXE (Médecine), affection du cuir chevelu, dont
l'apparition est précédée d'une démangeaison plus ou moins
vive. Quelque temps après la partie malade rougit, et de-
vient souvent le siège d'une exfoliation de l'épiderme qui
se renouvelle sans cesse. Cette desquamation, furfuracée,
analogue à du son , est la nuance la plus légère de l'affec-
tion , et elle est très-commune. Dans d'autres cas, le cuir
chevelu , après avoir rougi , se tuméfie sur divers points, se
fendille, ou se couvre, tantôt de vé.<;icules, tantôt de pa-
pules, qui finissent par s'abcéder; alors, il découle de ces
sortes d'abcès un fluide visqueux qui inonde les cheveux ,
les agglutine, et forme des croûtes plus ou moins étendues
et épaisses. Cette maladie , qui a la tête pour siège prin-
cipal, est, en outre, accompagnée d'un gonflement des
glandes cervicales , d'un amaigrissement considérable et de
divers changements qui attestent une altération générale de
l'organisme. La teigne se distingue des éruptions communes
dans l'enfance par sa persistance , et c'est ce qui la fait re-
connaître aux personnes qui sont étrangères à l'instruction
médicale ; elle est même devenue un emblème vulgaire de
l'opiniâtreté.
C'est principalement dans l'enfance, et après le sevrage,
qu'on la voit se manifester. A cet âge , la tête est un foyer
d'activité très-ardent ; et il est peu de sujet» qui en <*
486
TEIGNE — TELEGRAPHE
temps, comme durant les orages de la dentition, n'aient pas
des éruptions sur le cuir clieveiu. On considère cette affec-
tion extérieure comme une crise salutaire, qu'on respecte et
qu'on entretient même. Cette croyance n'est pas dépourvue
de raison ; car on voit souvent de graves accidents succéder
à une disparition trop rapide de la teigne. Toutefois, nous
devons avertir que cette coutume peut être abusive.
On considère vulgairement la teigne comme une affection
contagieuse : l'observation et l'expérience ont rendu cette
opinion contestable; si quelques faits la confirment , d'autres
la démentent. Quand cette dégoûtante maladie se prolonge
depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte ou viril, le cuir chevelu
s'altère profondément; alors il n'est pas rare de voir sur-
venir des affections viscérales, dont le marasme et la mort
sont les derniers résultats. Ce que nous venons de dire suffit
pour montrer combien il est important de chercher à guérir
la teigne dans son origine. Les premiers soins doivent être
administrés avec beaucoup de réserve. Les moyens auxquels
il faut d'abord recourir sont de fréquentes lotions avec des
topiques émoUients et des cataplasmes de farine de graine
de lin appliqués à nu sur le cuir chevelu , en le dégageant
des cheveux, autant que possible, à l'aide des ciseaux. Par
cette mélliode, on obtient une guérison graduée. On peut,
en même temps, recourir à des purgatifs ou à des exutoires;
mais c'est aux médecins seuls qu'il appartient d'en faire
usage. En tous cas, on doit s'abstenir des substances dites
siccatives, tels, par exemple, que les sels à base de plomb.
Nous ne saurions trop appeler la défiance publique sur les
nombreux curalifs recommandés par des routines vulgaires :
plusieurs d'entre eux sont des moyens actifs qui deviennent
salutaires en changeant de modes d'irritation ; mais ce sont
toujours des armes dangereuses. Parmi les préparations
que le charlatanisme propose comme remèdes secrets contre
la teigne, il en est un , connu sous le nom de remède des
frères Mahon , dont nous avons vu quelquefois obtenir
d'heureux résultats. Si les remèdes secrets doivent inspirer
de la défiance en général , il en est que la justice oblige à
distinguer favorablement. Chahbonnier.
TEILLAGE. Voj/ez Chanvre.
TEIMTURE, TICINTURIER. Imprégner les tissus, ou
les fils propres à les former, de couleurs variées par leurs
teintes, tel est le but de la teinture. On donne généralement
le nom de teinlurier, auquel on joint le plus ordinairement
celui de dégraisseur, à une classe d'ouvriers qui s'occupent
du nettoyage des étoffes , et souvent aussi de donner à ces
étoffes une couleur différente de celle qu'elles avaient d'a-
bord reçue, pour leur rendre un éclat que le nettoyage
même le plus parfait ne suffirait pas pour leur procurer.
Nous renvoyons au mot Dégraisseur pour ce qui a rapport
à la première partie de ces opérations. Ce que nous aurons
à dire sur la teinture se rattachera à la seconde.
Pour que les couleurs que l'on veut appliquer sur les tis-
sus offrent les teintes particulières qui les caractérisent , il
est indispensable que ces tissus soient eux-mêmes sans au-
cune couleur; et comme les substances filamenteuses qui
les composent sont généralement colorées, on doit les blan-
chir avant de les teindre. Les fils de lin , de chanvre et de
coton doivent donc préalablement subir l'opération du
blanchiment; de même la laine et la soie doivent être
soumises, l'une audésuintage, l'autre au décreusage.
Les couleurs qui servent à teindre les fils ou les tissus
se divisent en deux grandes classes; la plus grande partie
iippartient au règne organiqîie; un certain nombre est d'ori-
gine minérale. Pour qu'une couleur puisse se fixer sur un fil
ou un tissu , elle doit être dissoute dans un véhicule con-
venable, qu'elle abandonne pour s'attacher à la substance
qu'on lui présente; mais, suivant que celte matière colo-
rante est soluble ou non dans l'eau , elle devient suscep-
tible de se combiner directement avec les tissus, ou exige
l'intermédiaire de certains corps. Les matières colorantes so-
lubles.dans l'eau ne peuvent se fixer sur les tissus que par
le moyen d'agents particuliers, que l'on désigne sous le nona
de mordants ; telles sontles couleurs rouges qui proviennent
des bois du Brésil, de Campêche, de la garance, de la
cochenille, etc.; les matières colorantes jaunes que four-
nissent la gaude, le bois jaune, le quercitron , etc., tandis
que l'indigo, le rose de carthame, etc., demandent à être
dissous dans des véhicules convenables , qu'ils abandonnent
pour se combiner avec les tissus. Quant aux couleurs mi-
nérales, elles s'appliquent toutes par des réactions chi-
miques.
La teinture des divers tissus exige des conditions parti-
culières, suivant leur nature : lelin et le chanvre se teignent
difficilement, et la teinture est peu solide; elle s'opère à
une température peu élevée : la soie, qui fournit, au con-
traire, des couleurs d'une grande solidité quand la matière
colorante n'est pas trop altérable, ex'geaussi peu de «chaleur;
la laine se teint, au contraire, par une longue ébullition. Les
couleurs composées s'obtiennent en passant les fils ou tis-
sus dans des bains de teinte convenables ; ainsi, le tissu teint
en jaune par la gaude donne du vert avec l'indigo ; le rouge
du Brésil fournit de l'orangé avec le jaune de gaude. Un
petit nombre de couleurs exigent des mordants particuliers,
comme le sel d'étain employé pour l'écarlale, la crème de
tartre, etc. La seule couleur minérale très-employée est le
bleu de Prusse ou bleu Raimond ; mais on fait ou l'on a
fait quelquefois usage du jaune obtenu avec du chromate
de plomb ou du jaune de chrome, de l'orpiment, du sul-
fure de cadmium. Les couleurs minérales sont beaucoup
plus solides que celles qui proviennent du règne organique;
mais elles ont beaucoup moins d'éclat, à l'exception peut-être
du sulfure de cadmium.
Grâce aux progrès de la chimie, l'industrie du teinturier
est devenue en France une industrie de premier ordre. Les
belles études de M. Chèvre ul sur l'effet que les couleurs
exercent réciproquement l'une sur l'autre par leur juxta-
position ont eu les plus heureux résultats, et en promettent
encore. H. Gaultier de Clalbry.
TEIMTURE CÉPHALIQUE. Voyez Eau de Bon-
ferme.
TE JO. Voyez Tage.
TÉKÉDEMPT. Voyez Tagdemt.
TÉKÉLl. Voyez Toekély.
TÉLAMOi\, fils dt:aqueet d'Eudéis, frère de Pelée,
avait tué, de complicité avec celui-ci, son frère consanguin
Phocos. C'est pourquoi son père le bannit d'Égine. Il se
rendit alors à Salamis, où le roi Cychréus lui donna sa fille
Glaucé en mariage, et en mourant lui légua sa souveraineté.
Plus tard, il épousa Péribœa, mère d'Alcathoos, de laquelle
il eutAjax. Il prit part à la chasse du sanglier de Caly-
don et à l'expédition des Argonautes. Mais il se distingua
surtout en accompagnant Hercule à Troie dans son expé-
dition contre Laomédon, dont, après la prise de la ville, la
fille, Hésione, lui fut donnée en présent par Hercule; et il eut
d'elle Ténéros.
TÉLARCHIE ou MÉRARCHIE. Voyez Phalange.
TÉLÉGA. Foî/es KiBiTKA.
TÉLÉGRAPHE, TÉLÉGRAPHIE (de TYjU, loin, et
Ypaçw, j'écris). La télégraphie est l'art de transmettre au
loin des signaux susceptibles d'exprimer, comme le langage,
les diverses modifications de la pensée : les insiruments
qu'elle emploie reçoivent le nom de télégraphes. Ainsi dé-
finie , la télégraphie est une invention toute moderne. Ce se-
rait vouloir pousser la généralisation trop loin que de con-
sidérer comme origine de la télégraphie les grossiers essais
des anciens, ces feux qui, allumés de distance en distance,
servaient à annoncer la réalisation d'un événement attendu;
à ce compte, une opinion assez soutenable, quoique peu
orthodoxe , aurait raison de ranger parmi les premiers essais
télégraphiques la colonne de feu ou de fumée qui guidait la
marche des Hébreux à travers le désert. Mais on ne peut
sérieusement regarder comme un art des moyens grossiers
n'offrant aucune combinaison susceptible d'exprimer plus
de trois ou quatre pensées bien déterminées d'avance. Comme
TELEGRAPHE
487
on i'a remarqué , l'art des signaux transmis à travers l'at-
mosplière ne pouvait naître qu'après les progrès de l'op-
tique; car pour écrire ôe loin à l'aide de la télégraphie
aérienne, il faut voir de loin.
Cette qualification d'aérienne que nous venons de donner
à l'une des branches de la télégraphie sert k distinguer
celle-ci de la télégraphie électrique, sa rivale, qui, par
son incontestable supériorité, tend aujourd'hui à prendre
partout sa place. El cependant , chose singulière ! si l'on ex-
cepte la tentative sans résultat d'Am on tons( vers 1690),
l'idée de la télégraphie électrique semble avoir précédé celle
de la télégraphie aérienne. Ainsi , en 1760, nous voyons un
Genevois d'origine française, Georges-Louis Lesage, conce-
voir le projet d'appliquer l'électricité à la télégraphie. Il se
servait de vingt-quatre fils métalliques, séparés les uns des
autres, plongés dans une substance non conductrice, et
allant aboutir chacun à un électro mètre particuher : en
mettant une machine électrique ou un bâton de verre élcc-
trisé en contact avec l'un de ces fils, la balle de l'électromètre
correspondant était repoussée, et ce mouvement indiquait
la lettre de l'alphabet que l'on voulait faire passer d'une sta-
tion à l'autre. En 1787, un physicien, nommé Lomond,
construisait à Paris une petite machine à signaux, fondée sur
les attractions et les répulsions des corps électrisés. La môme
année, l'ingénieur Bettancourt essayait d'appliquer l'élec-
tricité au même objet, en se servant de bouteilles de
L e y d e , dont il faisait passer la décharge dans des fils allant
de Madrid à Aranjuez. Cinq ans plus tard , Reiser proposait,
en Allemagne, d'éclairer à distance, au moyen d'une dé-
charge électrique , les diverses lettres de l'alphabet , décou-
pées d'avance sur des carreaux de verre recouverts de ban-
des d'étain : ici encore, l'étincelle électrique devait se trans-
mettre par vingt-quatre fils métalliques isolés correspondant
aux vingt-quatre lettres. Enfin, en 1796, le docteur Fran-
çois Salva reprenait en Espagne les essais de Bettancourt :
on dit même qu'un télégraphe électrique embrassant une
certaine distance fut alors construit sur ses indications.
Cependant, toutes ces tentatives restaient sans applications
usuelles. C'est qu'à cette époque on ne connaissait rncore
que l'électricité statique, c'est-à-dire un fluide qui aban-
donne ses conducteurs sous l'influence de causes nom-
breuses , notamment par son trajet dans l'air humide. Ceci
explique comment les recherches sur la télégraphie électri-
que furent abandonnées. Un savant allemand , Bergstrasser,
se jeta dans une autre voie; mais s'il fit faire quelques pro-
grès à cet art, ce fut en s'occupant de la formation du vo-
cabulaire télégraphique. Il était réservé au génie de Claude
C happe de résoudre complètement le problème de la télé-
graphie aérienne , et nous devons regarder comme le véri-
table inventeur du télégraphe celui qui entassez de courage
et de persévérance pour le mettre à exécution et le faire uni-
versellement adopter.
« Les frères Ciiappe étaient nés à Brûlon , département de
la Sartlip. Claude se trouvait dans un séminaire, près d'An-
gers ; ses frères étaient dans un pensionnat situé en face , et
à une demi-lieue de distance. L'abbé, dont les jours de congé
n'étaient pas aussi fréquents que l'étaient pour ses frères les
jours de sortie , voulut triompher de l'éloignement qui les
séparait. Après beaucoup d'essais infructueux , il imagina de
se servir d'une grande règle de bois tournant sur un pivot;
aux deux extrémités de la règle tournaient aussi sur des pi-
vots des ailes moitié plus petites : on obtenait ainsi 196 si-
gnes différents qu'il était facile de distinguer à l'aide de lon-
gues-vues. Le jeune abbé et ses frères laïques étaient par-
venus à se transmettre rapidement des phrases d'une
certaine longueur. C'était là , comme on voit , le germe du
télégraphe; mais l'exécution en grand présentait des obsta-
cles. Les frères Chappe , aidés des conseils du célèbre hor-
loger Bréguet, firent leur machine à peu près telle qu'elle
existe aujourd'hui. Le télégraphe de Chappe se compose de
trois branches mobiles : une branche principale de quatre
mètres de long, appelée régulateur, et deux petites bran-
ches longues d'un mètre appelées indicateurs ou ailes. Le
régulateur est fixé par son milieu à un mât qui s'élève au-
dessus du poste où se trouve placé le stationnaire. Ces bran-
ches mobiles , peintes en noir pour se détacher avec plus de
vigueur sur le fond du ciel, sont disposées en forme de per-
siennes ; ce qui leur donne plus de légèreté et leur permet de
résister aux vents. L'assemblage de ces trois pièces forme un
système unique, élevé dans l'espace et soutenu par un
seul point d'appui , l'extrémité du mât, autour duquel il peut
librement tourner. Ces pièces se meuvent à l'aide de cordes
de laiton qui communiquent, dans le poste, avec un second
télégraphe , reproduction en petit du télégraphe extérieur.
C'est ce second appareil que l'employé manœuvre ; le télé-
graphe placé au-dessus du toit ne fait que répéter les mou-
vements imprimés à la machine intérieure. Le régulateur
peut prendre quatre positions : verticale, horizontale,
oblique de droite à gauche, oblique de gauche à droite. Les
ailes peuvent former avec lui des angles droits , aigus ou
obtus. Le langage télégraphique repose sur les conventions
suivantes, établies par les frères Chappe : Tout signal doit
être formé sur le régulateur placé obliquement. De plus il
n'a de valeur, et par conséquent ne doit être répété ( dans
les stations intermédiaires) ou écrit (à la station d'arrivée)
qu'autant qu'après avoir été formé sur l'une des deux po-
sitions obliques, il est transporté, soit à l'horizontale, soità
la verticale. Ainsi le guetteur, qui voit former le signal , le
rsmarque pour se préparer à le répéter ou à l'écrire; mais
il n'exécute l'une ou l'autre de ces opérations que lorsqu'il l'a
vu assurer, c'est-à-dire porter horizontalement ou verticale»
ment. Les diverses positions que peuvent prendre le régulateur
elles ailes donnent 49 signaux différents; mais chaque signal
peut être assuré à l'horizontale ou à la verticale ; ainsi les
49 signaux de l'oblique de droite peuvent recevoir 98 signi-
fications ; de môme pour l'oblique de gauche : ce qui donne
en tout 196 signaux. Les premiers servent à la composition
des dépêches ; les autres sont destinés au service de la ligne.
Ces derniers suffisent aux avis que transmet l'administration.
Parmi les premiers , les frères Chappe en ont choisi 92 pour
représenter les 92 premiers nombres. Ils ont ensuite com-
posé un vocabulaire de 92 pages , chaque page contenant au-
tant de mots, de phrases ou de parties de phrases. Chacun de
ces mots, ou chacune de ces phrases, s'expriment par deux
signes télégraphiques : le premier signa! indique la page du
vocabulaire, et le second le numéro qu'il faut chercher dans
cette page. On a ainsi l'expression de 92X92 ou 8464 mots
ou idées. Cette langue a été perfectionnée depuis. On a aussi
essayé, en 1838, de corriger le mécanisme du télégraphe. Au-
jourd'hui dans beaucoup de ces instruments le régulateur
n'est plus mobile, il reste constamment horizontal , les ailes
seules prennent leur position divergente; mais au-dessus
est un autre petit télégraphe composé seulement d'un ré-
gulateur. Celui-ci prend tous les mouvements de la tige
principale dans les anciennes machines. Cette complication
apparente est une amélioration et une simplification in-
contestables. Le jeu des pédales est moins dilficile, et l'on
n'éprouve pas les dérangements auxquels la complication de
l'instrument primitif exposait fréquemment la manœuvre.
C'est vers la fin de 1791 que l'abbé Chappe vint à Paris
et s'y livra à des expériences publiques sur le système au-
quel l'avaient conduit ses aborieuses recherches. Après de
nombreux mécomptes, il dut au crédit de son fière aîné,
membre de l'Assemblée législative, de pouvoir établir à ses
frais trois postes télégraphiques. Grâce à l'insistance du con-
ventionnel Romme, l'abbé Chappe obint enfin de la Con-
vention la nomination d'une commission dont les principaux
membres étaient Daunou, Lakanalet Arbogast. Sur
le rapport de ses commissaires , la Convention ordonna l'é-
tablissement d'une ligne télégraphique de Paris à Lille, et
chargea l'abbé Chappe de son organisation. Cette ligne, dont
la construction dura plus d'une année, fut inaugurée par
l'annonce de la prise de Condé sur les Autrichiens. La Con-
vention transmit immédiatement cette réponse •• « L'armée de
TÉLÉGRAPHE
488
Nord a bien niérilé de la patrie. » D'autres lignes furent
construites par les frères Cliappe. Toute l'Europe civilisée
nous imita bientôt. Seulement, en Angleterre, en Suède, et
généralement dans les pays brumeux, où les signaux opaques
sont rarement visibles, on remplaça l'appareil de Cliappe
par des lanaux placés derrière des volets mobiles, dont les
combinaisons sont assez variées pour offrir une multitude de
signes.
La vitesse de transmission des dépêches par le télégraphe
aérien ne pouvait être surpassée que par le télégraphe élec-
trique : ainsi, on recevait les nouvelles de Toulon à Paris
(840 kilomètres) en vingt minutes par cent télégraphes. Sous
ce rapport, la télégraphie aérienne atteignait parfaitement
son but; mais elle présentait un grand inconvénient, l'ab-
sence des signaux pendant la nuit, les brouillards , etc. Ainsi
Claude Cliappe reconnaissait que le télégraphe ne pouvait
parfaitement fonctionner que six heures par jour, en
moyenne. Que de fois n'avons-nons pas vu une dépêche
interrompue par le brouillard! On a cherché à éclairer
l'appareil pendant la nuit. Les essais de télégraphie nocturne
ont généralement été infructueux, à l'exception de ceux
de M. Château, qui, vers 1845, est parvenu à faire fonc-
tionner la ligne de Varsovie à Cronstadt la nuit aussi bien
que le jour. Ces essais eussent évidemment réussi également
chez nous, peut-être par l'emploi de la lumière électri-
que; mais déjà tous les esprits étaient revenus à recher-
cher l'application plus directe de l'électricité à la télégra-
phie.
Nous avons dit plus haut les causes qui avaient fait
échouer tous ceux qui s'étaient engagés dans cette voie à la
fin du siècle précédent. Mais, dès la première année de
celui-ci, la découverte de la pile de Vol ta vint mettre à
notre disposition une force nouvelle, une puissance jusque
là inconnue. La pile voltaïque offrait un moyen de faire
agir l'électricité à travers un espace fort étendu sans déper-
dition sensible. Aussi dès 1811 Sœmmeiring présentait-il
à l'Académie de Munich un appareil télégraphique ayant
pour principe la décomposition électro-chimique de l'eau.
On était encore bien loin de la simplicité du mécanisme ac-
tuel; mais c'était un premier pas. Pour faire plus, il fallait
que la science apportât une nouvelle découverte. Ce l'utŒrs-
tedt qui , en 1820, posa les bases de l'électro-magnétisme.
Il mit en évidence les effets du courant voltaïque sur l'ai-
guille aimantée. A quelque temps de là. Ampère écrivait:
« On pourrait se servir dans certains cas de l'acition de la
pile sur l'aiguille aimantée pour transmettre des indications
au loin. Il faut alors employer un fil conducteur assez gros,
parce que le courant électrique s'affaiblit très-sensiblement
dans les fils fins, quand la longueur du circuit est considé-
rable: cet inconvénient n'a pas lieu avec un fil d'un diamètre
suffisant; alors l'aiguille se met en mouvement dès que l'on
établit la communication. Nous ne nous arrêtons pas à lié-
▼elopper les cas où ce genre de télégraphe présenterait quel-
que utilité et pourrait être substitué aux porte-voix et aux
autres moyens de transmettre des signaux; il nous suffira
de remarquer que cette transmission est pour ainsi dire ins-
tantanée.... Autant d'aiguilles aimantées que de lettres qui
seraient mises en mouvement par des conducteurs qu'on
ferait communiquer successivement avec la pile à l'aide de
touches de clavier qu'on baisserait à volonté, pourraient
donner lieu à une correspondance télégraphique qui franchi-
rait toutes les distances et serait aussi prompte que l'écriture
ou la parole pour transmettre la pensée. » Œrstedt et Am-
père, bien que se préoccupant à peine du télégraphe éleclri-
que, n'en fondaient pas moins ainsi les bases sans lesquelles
cet appareil ingénieux n'aurait jamais pu être réalisé. C'est
en cela qu'est le vrai triomphe de la science. Elle éclaire les
arts sans les pratiquer, et quelquefois même sans les con-
naître. Depuis que les lignes que nous venons de citer ont
<té écrites, aucun physicien n'a pu s'occuper du télégraphe
électrique sans se laisser inspirer par Ampère. C'est ainsi
qu« Schilling, en 1833, construisit à Saint-Pétersbourg,
d'après les principes d'Ampère et d'Œrstedt (mais avec des
fils de platine), un réveil électrique, espèce de montre à
sonnerie de l'effet le plus curieux. L'empereur Nicolas vou-
lait qu'on utilisât celte invention dans son empire pour une
correspondance électrique qu'on devait établir sur une vaste
échelle; mais sur ces entrefaites le baron Schilling mou-
rut, sans avoir légué à personne la secret de sa montre.
Cependant, pour réaliser les espérances d'Ampère, il fal-
lait quel'effet du courant voltaïque sur l'aiguille aimantée ac-
quît une plus grande intensité : tel fut précisément le résultat
qi l'obtint Schweigger en créant lemulti plie a te ur. Enfin,
Arago apporta la plus importante partà cette œuvre en
découvrant le phénomène de l'ainientation temporaire : Si
l'on enroule autour d'une lame de fer doux un long fil de
cuivre recouvert de soie sur toute son étendue , et que dans
ce fil on fasse passer un courant électrique , la lame de fer
doux devient immédiatement un aimant artificiel; si l'on
interrompt le courant , le fer doux perd aussitôt son ai-
mantation. Cette découverte d'Arago simplifiait considéra-
blement la question , en permettant de n'employer qu'un
seul fil pour la communication télégraphique, tandis qu'on
avait jusque alors dû renoncer à l'usage de machines ingé-
nieuses , mais dont la construction exigeait un nombre
considérable de fils.
Le premier essai sérieux , basé sur ces grandes décou-
vertes, semble être celui que fit, à Philadelphie, le 2 septem-
bre 1837, M. Samuel Morse, en présence de l'Institut de
cette ville et d'un comité pris dans le sein du congrès. Au mois
de mai 1844 , une première ligne, fondée sous les auspices
du gouvernement des États-Unis, était établie entre Wa-
shington et Baltimore, d'après le système expérimenté.
Le télégraphe de M. Morse est un télégraphe écrivant.
Appelons A et B les deux stations qu'un tel télégraphe relie.
Un fil conducteur part de A , où il communique avec l'un
des pôles d'une pile ; arrivé en B , il s'y rend dans un électro-
aimant double , d'où il repart pour revenir en A ; là , suivant
qu'il communique ou non avec le second pôle de la pile,
le courant se trouve établi ou suspendu. On a même re-
connu, mais sans avoir encore pu donner une expHcation
satisfaisante de ce phénomène, qu'un seul fil suffit, pourvu
que l'un des pôles de la pile communique avec le réservoir
commun. La communication du fil avec l'autre pôle de la
pile se produit et s'intercepte à l'aide d'un appareil fort
simi>le. Cela posé , au-dessus et à une petite distance du
double électro-aimant , dont nous venons de parler , conce-
vons qu'on ait placé un morceau de fer à l'extrémité d'un
levier mobile; le courant marclie-t-ii , le morceau de fer est
attiré et entraîne le levier , dont l'autre extrémité munie
d'un crayon laisse sur une bande de papier tournant au-
tour d'un rouleau une trace plus ou moins longue suivant
que le courant est interrompu à des intervalles moins ou
plus rapprochés. Ce papier présente donc la dépêche en-
voyée sous forme d'une succession de points et de petites
lignes droites, dont on a préalablement composé un alpî'a-
bet conventionnel.
Tel est , dans toute sa simplicité , l'appareil de M. Morse , le
seul qui fonctionne aux États-Unis , où la télégraphie élec-
trique a pris un développement immense. En Angleterre ,
après divers essais , on s'est arrêté au télégraphe à deux
aiguilles inventé par M. Wheatstone. Il est ainsi nommé
parce que l'appareil moteur présente deux aiguilles , dont
chacune est mise en mouvement par une manivelle établissant
Id communication avec le courant électrique. Une troisième
manivelle est spécialement destinée à faire agir la sonnerie
qui doit attirer l'attention de l'employé appelé à recevoir la
dépêche; car ici le télégraphe n'<^cri^ pas, et la dépêche
doit être lue. Les lettres sont représentées par diverses
combinaisons de coups à droite ou à gauche de l'une et
l'autre aiguilles.
En France, la télégraphie électrique , qui serait peut-être
encore plus arriérée sans riicureuse impulsion qu'elle a reçue
d'Arago, laisse beaucoup à désirer. L'appareil Foy-Bréguet,
TÉLÉGRAPHE —
a,joplé sur nos lignes, est un assez défectueux assemblage
de ceux que nous venons de décrire, appropriés aux si-
gnaux de Chappe. « Du reste , dit M. A. Donné , ce n'est pro-
bablement ni dans le système Foy , ni dans le système
Wheatstone , ni même dans l'appareil Froment qu'est.le
dernier mot de la télégraphie électrique; dans ces divers
systèmes , l'opération est retardée par la nécessité de com-
poser la dépêche à mesure qu'on l'expédie , e'est-à-dire que,
quel que soit le mode de signes que l'on adopte , il faut les
reproduire un à un et assez lentement pour que l'employé
puisse les lire. Le progrès à faire , c'est de composer la dé-
pêche à part, comme on compose une page d'imprimerie,
et de n'avoir plus qu'à l'exposer à l'appareil pour que d'un
seul coup elle soit transmise et reproduite à l'extrémité de
la ligne, comme on tire une épreuve avec la machine à
imprimer. Ce résultat, presque incroyable au premier
abord , est dans la mesure de nos moyens et déjà réalisé
en grande partie en Amérique. La dépêche est écrite sur une
bande de papier au moyen de poinçons qui font des trous
répondant à un signe ou à une lettre ; il su I fit de présenîcr
cette bande ainsi trouée à l'appareil électrique pour que l'al-
ternative des vides et des pleins pro luit par les trous déter-
Baine les interruptions du courant galvanique. Ces interrup-
tions font mouvoir à l'autre extrémité un crayon ou im
poinçon qui répète sur une bande de papier les signes tracés
sur la première. Là donc plus de limite à la rapidité de
transmission imposée par nos organes. La correspondance
télégraphique ne se fait plus avec la lenteur qu'exigent le
mouvement des mains , des yeux et l'opération de la pensée.
La dépêche écrite ou composée d'avance est envoyée d'un
seul coup, transcrite de même et livrée aux mains de l'eni-
ployé comme la feuille sortant de la presse à imprimer.
C'est là qu'est le véritable perfectionnement delà télégrapliie
électrique , et c'est vers ce but que nous conduiront forcé-
ment le développement de ce mode de correspondance et
l'enCombrementqui ne tardera pas à avoir lieu de dépêches
arrivantdemille points à la fois. »
Nous ne décrirons pas les accessoires qu'entraîne l'é-
tablissement d'une ligne télégraphique. Tout le monde a vu
ces poteaux supportant les isolateurs qui soutiennent les fils
dans leur parcours aérien. L'importation de la gutta-
percha a permis, en recouvrant les (ils de cette substance
éminemment mauvaise conductrice, d'établir des télégra-
phes souterrains , et , résultat bien autrement admirable , des
lignes sous-marines. La France est aujourd'hui reliée à
l'Angleterre par une telle ligne , et , grâce à la rapidité de
ce fluide qui se meut avec une vitesse capable de faire
faire à un mobile sept fois le tour du monde en une se-
conde, Paris et Londres peuvent communiquer instantané-
ment. D'autres lignes sous-marines fonctionnent encore, et
bientôt un gigantesque fil doit traverjcr les profondeurs de
l'Atlantique pour réunir les deux continents.
Pour donner une idée de la rapidité des communications
obtenues à l'aide du télégraphe électrique, nous rappellerons
seulement que la nouvelle de la mort de l'empereur Nicolas
parvint de Saint-Pét^rshourg à Londres eti 4 h. ^ : on remar-
qua à cette occasion quo la dépêche annonçant la mort de
l'empereur Paul, en 1801, avait mis 21 jours pour faire le
même trajet. Le al janvier 1856 le discours de la reine
d'Angleterre fut expédié directement de Londres à Amster-
dam par un télégraphe écrivant : ce discours , comprenant
701 mots, fut transmis et imprimé en vingt minutes et de-
raie , avec une vitesse par conséquent de plus de 34 mots
par minute; une demoiselle de dix-huit ans conduisait l'ap-
pareil.
Maintenant, est-il nécessaire d'insister sur les innombra-
bles services qu'est appelée à rendre la télégraphie électri-
que î Dès son origine M. Morse l'employait à déterminer
la différence delo n gitu de de Baltimore et de Washington ,
comme l'ont fait dix ans plus tard les directeurs des obser-
vatoires de Greenwich et de Paris pour ces êeux dernières
▼Ules. On comprend de quel secours pour l'exploitation des
TÉLÉMAQUE 48»
chemin s de fer sont ces lignes télégraphiques qui pres-
que partout suivent leur parcours. Sans elles, pas de sé-
curité pour les voyageurs. Mais sous ce rapport la science
n'a pas dit son dernier mot. M. Bonelli , directeur des té-
légraphes électriques des États Sardes, a déjà fait beaucoup
en inventant le télégraphe des locomotives, qui permet
d'établir un échange permanent de dépêches entre les dif-
férents convois qui se trouvent sur la même voie. La pièce
principale de ce télégraphe est une barre de ligne ou bande
de fer plat de quelques millimètres d'épaisseur et de deux cen-
timètres de largeur, fixée sur champ au milieu de la voie
par l'intermédiaire d'isolateurs en terre cuite qui la tien-
nent à une dizaine de centimètres au-dessus du sol. Un as-
semblage de ressorts qu'on peut lever et baisser à volonté
permet de mettre en communication la barre de ligne avec
l'appareil télégraphique disposé dans un wagon. Ces ressorts
glissent sur la barre de ligne pendant toute la marche du
convoi , de manière que l'employé placé dans le wagon peut
à chaque instant envoyer ou recevoir des signaux télégra-
phiques. La communication de ce même appareil avec le
sol s'opère par l'essieu du wagon, les roues et les rails. Ce
système, qin a déjà fait ses preuves en I^iémont , rend im-
possibles ces rencontres de trains , sources de déplorables
catastrophes.
La télégraphie électrique a été mise partout à la dispo-
nitiou du public. Le conimerceet les particulieis en ont vi-
rement apprécié les bienfaits : en France, le nombre des
déÇi^Jies privées , qui n'avaitété que de 10,000 en 1851 et
de 48,000 en 1852 , a atteint pendant l'année 1853 le chiffre
de 200,000. Les recettes, qui en 1851 ne montaient qu'à
75,000 fr-, s'élevaient en 1853 à 1 million 500,000 fr., et
produisaient plus de trois millions en 1854. Abandonnée aux
compagnies en Amérique, la télégraphie électrique est chez
nous un monopole de l'État. Nous ne discuterons pas la va-
leur relative de ces deux systèmes, et nous n'entrerons pas
non plus dans les détails relatifs au secret des dépêches, aux
tarifs , etc. Pour la France , ces matières sont régies par
les lois du 29 novembre 1850 et du 28 mai 1853.
TÉLÉiiRAPHtE ÉLECTRIQUE. Voyez Télé-
graphe, TKMÎGIiAPniE.
TÉLÉMAQUE , fils d'Ulysse et de Pénélope , était en-
core enfant lorsque son père, roi d'Ithaque , partit pour la
guerre de Troie. Ulysse , épris des charmes de sa jeune
épouse, aurait bien voulu se dispenser d'aller joindre les
autres princes grecs. Il essaya, dit-on, pour s'en exempter,
de contrefaire l'insensé. Dans cette intention, il se mita
labourer le sable sur le bord de la mer avec deux bêtes de
différente espèce et à y semer du sel ; mais Palamède, fils de
Nauplius, roi de l'île d'Eubée, et disciple du centaure Chi-
ron, découvrit la feinte en mettant le petit Télémaque sur
la ligne du sillon. Ulysse, ne voulant pas blesser sou fils, leva
aussitôt le soc de la charrue. Force lui fût donc de partir,
et l'on sait que son voyage fut long. Télémaque , en gran-
dissant, réfléchit de plus en plus à l'absence de son père;
elle lui déchirait le cœur ; il résolut d'aller à sa recherche,
et s'embarqua, par une nuit obscure, conduit par Minerve,
qui avait [tris la figure de Mentor. Celte circonstance nous
a valu le beau roman épique de F en e 1 o n . Télémaque alla
à Pilos chez Nestor, et à Sparte chez Ménélas. Les préten-
dants de sa mère conspirèrent contre sa vie; mais sous la
sauvegarde de la déesse il ne pouvait périr : il revint donc
sain et sauf à Ithaque, et retrouva son père chez le fidèle
Eumène. Ulysse se montra d'abord à luisons l'extérieur que
Minerve lui avait donné, afin de le rendre méconnaissable à
sw ennemis , car cette bonne déesse protégeait également
le père et le fils. Ce n'était plus qu'un vieillard hideux à
voir, couvert de haillons et d'une peau de cerf dépouillée de
son poil. Il s'appuyait sur un bâton noueux, et une besace
usée, suspendue à une corde, lui descendait à la ceinture.
Dans ce pitoyable état, Télémaque pouvait-il reconnaître
son père? Mais Minerve était là ; d'un coup de baguette elle
métamorphose Ulysse. Ses haillons tomJient; il reparaît dau?
49D
toute sa niaj3st(5 ; Télémaque se précipite dans ses bras , et tous
deux de délibérer alors sur les moyens de punir les préten-
dants. Télémaque les combattit aux côtés de son père, et
l'accompagna ensuite chez le vieux Laerte. La donnée d'Ho-
mère ne va pas plus loin. On raconte de diverses manières le
resledesaventuresdeTélémaque.Son père l'aurait par jalousie
banni d'Ithaque, et il aurait eu de Polycaste , fille de Nes-
tor, ou bien de Nausicaa , fille d'Alcinoiis , Perseptolis. Sui-
vant d'autres , il épousa Circé, qui lui donna Latinos.
TÉLÊOLOGIE(dugrec téXo;, but.etXôyo;, discours).
On appelle ainsi , en philosopliie , la doctrine relative aux
buts sages et utiles que l'intelligence perçoit dans la nature
«t dans l'histoire, et dont elle se sert pour tirer des con-
séquences qui , en méditant sur ce qu'il y a de sagement
coordonné dans toute la création, conduit à reconnaître
l'existence d'un créateur. On donne le nom de preuves
téléologiques ou physico -théologiques à celles qu'on en
déduit en^ faveur de l'existence de Dieu.
TELEPHONIE (de TijXe, loin, et çtovin, voix ), art de
faire entendre la voix, les sons à de grandes distances.
TELESCOPE (de TîjXe, loin, et <77to7:éw, je regarde ) ,
instrument dont l'effet est de rapprocher et de rendre dis-
tincte l'image des objets très-éloignés. Cette définition , con-
forme au sens étymologique du mot, doit être restreinte au-
jourd'hui, car les instruments uniquement fondés sur la
réfraction de la lumière sont plus particulièrement nom-
més iîtwe^^es. Dans l'article qu'un de nos collaborateurs a
consacré à ces derniers, il a indiqué l'origine de leur diS
«ouverte, origine sur laquelle il existe d'autres versions, dont
la plus admissible, selon nous, est celle qui attribue la cons-
truction des premières lunettes à un lunettier de Middelbonig,
nommé Zacharie Jansen. Quoi qu'il en soit , les premiers
télescopes n'avaient pas dix-huit pouces de longueur. Gali-
lée en fit faire de plus longs pour les astronomes, et leur
ouvrit ainsi la voie des plus brillantes découvertes. En la
parcourant lui-même, les satellites de Jupiter et de Saturne
se révélèrent à ses yeux, et il annonça au monde savant
l'existence de ces lunes dont on n'avait aucune idée. On
sentit bientôt le besoin d'allonger encore les télescopes, dont
on avait (ait un si bon usage, afin d'accroître en même
temps le diamètre des verres et la quantité de lumière réunie
au foyer; on vit alors l'anneau de Saturne, et les phé-
nomènes singuliers qui dépendent du mouvement de la pla-
nète combiné avec celui de ce satellite, d'une forme qu'on
ne voit autour d'aucun autre corps céleste. Mais les yeux
des observateurs étaient fatigués par quelques effets nui-
sibles, dont l'habileté des constructeurs ne pouvait débar-
rasser les meilleurs instruments; la lumière était décom-
posée, et des iris environnaient l'image des objets. Newton
conçut le premier le projet de substituer la réflexion de
la lumière à sa réfraction, des miroirs à des verres, et
de redresser en même temps l'image des objets, en sorte que
les nouveaux télescopes servissent également aux observa-
tions des astres ou des objets terrestres. Des instruments
lurent construits conformément aux plans et aux calculs
de l'illustre inventeur, et ils portèrent son nom. Quelques
années plus tard, Gregory les perfectionna, car on pou-
vait reprocher à ceux de Newton le trou que l'auteur avait
fait percer au milieu du grand miroir pour livrer un pas-
sage à la lumière après une double réflexion. Le système
de Gregory n'exposait pas à cette cause de perte d'une clarté
toujours trop faible : cependant son invention , non plus
que celle de Newton, n'avait pas fait abandonner celle de
Jansen, agrandie et perfectionnée par Galilée : cette sorte
de télescope était réellement portative, au lieu que le trans-
port des autres était fort embarrassant. On consentit donc à
perdre quelque peu de la clarté des images; on fit passer
la lumière à travers des oculaires composés pour redresser
les images, et l'on eut ainsi des télescopes terrestres, qui,
réduits à de moindres dimensions, portèrent en France le
nom de lunettes d'approche , et , diminuées encore , lurent
enfin des lorgnettes.
TÉLÉMAQUE — TELL
Tandis que les insti'uments dioptriques devenaient po-
ulaires en se réduisant à un très-petit volume, qu'ils se
puiaires eu se leuuisaui a un ires-peiit vomme, qu'ils se
glissaient dans les poches, paraissaient aux théâtres, où ils
secondaient la curiosité de certains spectateurs, moins at-
tentifs au jeu des acteurs qu'aux scènes qui se passent dans
les loges, les télescopes caCoptriques, conservés par les as-
tronomes, se débarrassaient de leur enveloppe incommode,
où ils se trouvaient trop à l'étroit, du tube pesant et dif-
ficile à manœuvrer dont on continuait à les surcharger. On
n'y admit que ce qui était indispensable pour tracer à la
lumière la route qu'elle devait suivre, et les télescopes ,
ainsi allégés, devinrent aériens, dénomination à laquelle il
ne faut pas attribuer le sens littéral. Huygbens et Kepler
ont des droits à peu près égaux à la reconnaissance du
monde savant pour avoir aplani, par ces perfectionnements,
la carrière dans laquelle Herschel s'est immortalisé.
Quoique les télescopes dits terrestres fussent prostitués
à des usages frivoles, on n'avait pas perdu de vue leur
grande et noble destination. Euleret Dotiond les ren-
dirent achromatiques; les images furent dégagées de la
lumière décomposée et colorée, et se présentèrent assez
nettes, mais un peu plus sombres. Pour remédier à cet in-
convénient, il fallait augmenter le diamètre des objectifs :
la question changeait de nature, et passait dans les attri-
butions des arts ciiimiques : il s'agissait de fabriquer en
grandes masses du ^Jn<-9^a5S très-homogène, parfaitement
exempt de stries. A l'avenir, les progrès des connaissances
astronomiques dépendront des instruments que les astro-
nomes auront à leur disposition. On a déjà vu ce que le
télescope à miroirs, prodigieusement agrandi et manœuvré
par Herschel, a pu nous apprendre en peu d'années, sur
les volcans de la lune , les changements qui s'opèrent au-
tour des étoiles dites nébuleuses , etc. Les observations
faites avec le télescope de Fraùenhofer ont déjà fourni les
moyens de calculer la parallaxe de quelques étoiles.
Ferry.
TÉLÉSIE. Foyes Corindon.
TELESIO (Bernardino), philosophe italien, né en
1509, à Cosenza ( royaume de Naples), mort dans la même
ville, en 1588, combattit l'aristotélisme , sans présenter lui-
même un système plus satisfaisant que celui du philosophe
de Stagyre. Renouvelant les erreurs de Parménide, il pré-
tendait trouver l'explication de tout ce qui existe dans l'u-
nivers dans deux principes, la chaleur ou le soleil , et le froid
ou la terre. Bacon lui fit l'honneur de le réfuter.
TÉLESPHORE. Voyez Esciilape.
TELESPHORE, neuvième pape, succéda , en l'an 132,
au premier des Sixte. C'était un Grec de nation, qui menait
la vie solitaire des ermites, s'il y avait déjà des ermites dans
l'Église. Une glose intercalée dans la chronique d'Eusèbe
prétend que l'institution du Carême est due à lui plutôt
qu'à son prédécesseur. Ceux qui veulent en faire honneur
aux apôtres rejettent l'une et l'autre version, et Baronius
prétend démontrer que Télesphore ne fit que le rétablir.
Pictet, dans sa Théologie chrétienne, lui conteste même
ce dernier honneur; et l'abbé fillemont se borne à lui don-
ner la quinquagésime. Mais Baillet et beaucoup d'autres
ont prouvé que cette fête n'avait été introduite que cinq
cents ans après. Quoi qu'en aient dit Platine, Luitprand et
Bède , il n'a pas inventé davantage la messe de minuit et
le Gloria in excelsis. Le père Pagi a fait ju.stice de cette
prétention. Le martyre de saint Télesphore est le seul fait
de sa vie qu'on ne lui conteste point, et l'on place cet évé-
nement à l'an 154, après un pontificat dé onze ans et neuf
mois. VlENNET, de l'Académie Française.
TELL (Le) , partie de l'Afrique septentrionale comprise
dans la région du Maghreb. Elle forme, d'une part, au nord
et le long des côtes de la Méditerranée, une zone cultivable ,
désigEée aussi sous le nona de Hautes Terres, et par les Eu-
ropéens sous celui de Berbérie. Ils y ajoutent aussi une
lisière d'oasis comprise par les Arabes sous la dénomination
générale de Belnd el-Djérid ou pays des dattes. Le Tell
TELL — TELLEZ
491
septentrional comprenait donc les régences de Tnnis et de
Tripoli , celle d'Alger et le Maroc. Le Tell méridional était
le désert ou le Sahara.
TELL ( GoiLLAUME ) , le héros libérateur delà Suisse,
était né, suivant la tradition, àBurgien, dans le canton d'Uri,
à l'entrée de la vallée de Schaeken, et tenancier de la
métairie de Burglen, fief appartenant à l'abbaye de Fraun-
munsterde Zurich. Il fit partie de la ligue contre l'oppression
des baillis autrichiens que formèrent, le 7 novembre 1307,
sur le mont Rutli (voyez Suisse), et sous la direction de
son beau-père Walter Furst d'Uri, Werner Slauflacher,
du canton de Schwyz , et Arnold de Melchthal , du canton
d'Unterwalden , comptés parmi les hommes les plus esti-
mables des trois villes forestières ( Waldsteedten ) menacées
dans leurs libertés. Le 18 novembre, Tell n'ayant pas fait à
Altorf la révérence obligatoire devant le chapeau que Gessler,
bailli de Kiissnacht, y avait fait appendre en signe du droit
de souveraineté de l'Autriche, Gessler se le Ct amener devant
lui ; et comme il passait pour le plus habile archer du pays, il
lui ordonna de prendre pour point de mire une pomme qu'il
fit placersur la tête de son propre fils. S'il ne touchait pas la
pomme, il devait payer sa maladresse de sa vie. Après d'inu-
tiles prières pour être dispensé d'une si redoutable épreuve,
où le moindre risque qu'il courût était de blesser, peut-être
même de tuer son fils. Tell obéit, el abattit la pomme. Le
bailli lui ayant demandé à quelle intention il avait caché sous
son vêtement une seconde flèche, Tell, après avoir obtenu
promesse de la vie sauve, lui avoua qu'elle lui était destinée
à lui-même dans le cas où il aurait manqué son but. Alors
Gessler le fit garrotter pour. le renfermer dans les cachots de
son château fort de Kiissnacht. Mais en traversant le lac des
Waldst3edten, une violente bourrasque les assailht. Tell,
rameur habile, lut momentanément débarrassé de ses liens
afiade pouvoir travailler au salut commun. Arrivée l'endroit
du rivage où s'élève l'Axenberg, Tell, saisissant tout à coup
son arquebuse, sauta brusquement sur un rocher faisant
saillie sur le lac, et qu'on appella depuis la Roche de Tell,
en repoussant du pied l'embarcation ; puis il s'enfuit à tra-
vers la montagne, dans la direction de Kûssnacht. Là il at-
tendit le bailli dans un ravin , appelé die Hohle Gasse ( la
Ruelle creuse) ; et lorsque Gessler, après avoir échappé à la
tempête, vint à passer par là, il lui lança de l'endroit où il
se tenait caché une flèche qui le frappa mortellement. Dans la
lutte qui s'engagea ensuite entre les confédérés et l'Autriche,
Tell combattiten 1,315, à Morgarten. Il était parvenu à un âge
fort avancé quand, en 1354, il périt dans le ruisseau dé-
bordé du Schœken, en voulant sauver un enfant qui s'y
noyait.
Telle est la tradition vulgaire, dont les détails varient à
l'infini, il est vrai, dans les différentes sources historiques,
mais dont on peut d'autant moins garantir la vérité, qu'elle
ne fut pour la première fois racontée avec toutes ses parti-
cularités (Tschudi , Etterlin , etc.) que deux cents ans après
la mort de Guillaume Tell et le soulèvement des Waldsteed-
ten. On montre bien encore aujourd'hui à Altorf la tour près
de laquelle se tenait son enfant et le puits près duquel lui-
même était placé. Sur la Roche de Tell existe également
une chapelle qu'on dit avoir été construite au quatorzième
siècle ; et l'on voit des monuments analogues à Burglen et
dans la Hohle Gasse : mais ou l'antiquité de ces monuments
n'est rien moins que prouvée, ou ils sont de construction
assez récente ; les chants populaires relatifs à Guillaume Tell
ne sont pas non plus fort anciens. Des documents certains
ont rendu problématiques beaucoup de circonstances se rat-
tachant à cette tradition , notamment l'existence du bailli
Gessler. En tous cas, un fait bien remarquable, c'est
que les plus anciens chroniqueurs de la Suisse, tels que Jean
de Winterthur et Justinger de Berne, qui étaient presque
contemporains, ne disent pas un mot de Guillaume Tell,
tout en rapportant le soulèvement des villes forestières.
MelchiorRuss,quivivaitdanslaseconde moitié du quinzième
siècle , est le premier auteur chez lequel on rencontre l'es-
quisse, encore confuse, de cette histoire. C'est au seizième
siècle que Tschudi et d'autres la rapportent, mais visible-
ment augmentée et embellie. Si l'on ne peut révoquer en
doute l'existence de Guillaume Tell , ce qu'il fit s'accomplit
évidemment dans un cercle restreint, et ne put avoir d'in-
fluence décisive sur la marche des événement». Mais plus on
s'éloignait de l'époque où il vivait, plus la jeune Confédération
devenait florissante, et plus l'imagination des descendants
des libérateurs de la Suisse se donnait libre carrière; de
sorte qu'à chaque génération cette légende prit des formes
plus riches. Des matériaux fournis par des sources septen-
trionales beaucoup plus anciennes doivent aussi avoir servi à
ces développements et embellissements. C'est ainsi qu'au
douzième siècle Saxo-Grammaticus fait mention d'un
archer appelé Tobe ou Palnatoke , que le roi de Danemark
Harald aux Dents bleues condamna précisément à la même
épreuve ; qui , interrogé par ce roi sur l'usage auquel il desti-
nait la seconde flèche dont il s'était muni, lui fit exactement
la même réponse que Guillaume Tell au bailli autrichien, et
qui plus tard, en l'an 986, lors de la lutte de Harald contre
son fils Svein, tua le premier d'un coup de flèche. Les his-
toriens islandais ne disent pas un mot de Palnatoke et de sa
flèche, mais attribuent le môme fait à des hommes qui vi-
vaient, tantôt beaucoup plus tôt et tantôt plustard. L'une de
ces traditions, vraisemblablement la plus ancienne de toutes,
recueillie dans la Vilkinasaga du quatorzième siècle, attri-
bue ce fait à des personnages purement mythologiques , à
Eigel, frère de Wieland le forgeron, à son fils Isang et au roi
Needing, avec cette différence que Needing laisse impunie la
courageuse réponse de l'archer. Consultez Hisety, Guillaume
Tellet la révolution de 1307 (Delft, 1826).
TELLEZ (Gabriel), plus connu sous le nom de Tirso
de Molina, l'un des plus célèbres poètes dramatiques de
l'Espagne, né vers l'an 1585 , à Madrid , entra en religion en
1620, dan.*; le couvent des frères de la Miséricorde de Ma-
drid , et parvint aux premières dignités de son ordre. En
1645 il fut nommé prieur du couvent de Soria, et on croit
qu'il exerçait encore ces fonctions à sa mort, arrivée vers
1648. Ami deLopedeVega, il fut son élève dans la car-
rière dramatique', qu'il aboida sous le pseudonyme de Tirso
de Molina. Comme son maître, il fit preuve d'une extrême
fécondité; en effet, dans ses Cigarrales de Toledo, col-
lection de nouvelles et de comédies qu'il ht paraître en 162"1,
il porte à trois cents le nombre des comédies qu'il avait déjà
composées à cette époque. Nous ne possédons cependant
de lui que soixante-huit comédies et quelques intermèdes
et Autos sacramenlales ; à savoir, cinquante-une comédies
et douze intermèdes , dans la collection, aujourd'hui d'une
rareté extrême, de ses Comédies (5 vol. Madrid, Valence, ct
Tortose, 1627-1636 ) ; trois, dans les Cigarrales (Madrid,
1621 ), et quatorze imprimées séparément.
Gabriel Tellezest, après Lope de Vega etCalderon, le
meilleur poète dramatique des Espagnols. Tout en se pro-
clamant expressément l'miifaleur de Lope , il n'en possède
pas moins une originalité parfaitement tranchée; et il ne
ressemble à son modèle que par le caractère éminemment
populaire de sa conception première et de son expression.
Ses comédies sont surtout remarquables par l'abondance des
spirituelles saillies qu'on y trouve; et l'ironie est un moyen
dont il tire un grand parti. Ses Graciosos appartiennent in-
contestablement aux peintures de caractère les plus fines, les
plus gaies, les plus profondes qu'on possède. Il n'excelle pas
moins à tracer d'énergiques caractères de femmes. La har-
diesse avec laquelle il flagelle les vices et les travers des
classes supérieures de la société et déverse le ridicule sur
le clergé lui-même , est bien remarquable pour le pays où
il écrivait et pour un homme de sa robe ; mais il le fait tou-
jours avec tant de grâce et de finesse, que les flagellés eux-
mêmes ne pouvaient pas se fâcher contre an poète qui avait
la précaution de tremperses verges dans del'eaa de rose. C'est
tout récemment seulement qu'une édition des œuvres choi-
sies de ce poète, exécutée avec le luxe typographique dont
492
il était digne, a été publiée pardon Juan Eugenio Hartzen-
busch,dans son Teatro escogido ( 12 volumes, Madrid, 1839-
1842).
TELLURE, métal connu aussi sous les noms d''or pro-
blématique, d'or paradoxal et d'or blanc. MùUer de Rei-
clienslein le découvrit, en 1782 , en s'occupant de l'analyse
des mines d'or de Transylvanie. On ne l'a encore trouvé
qu'en état de combinaison métallique ou d'alliage avec d'au-
tres métaux , tels que le plomb , l'argent , l'or, le fer, le bis-
muth , etc. Ces alliages se distinguent par leur éclat et leur
couleur. On trouve le tellure dans les (dons d'argent auri-
fères de Transylvanie, en Hongrie. En Norvège, il fait
partie d'une mine de bismuth et de sélénium. Enlin, ce rare
métal a été trouvé aussi dans l'Oural. 11 est d'un blanc bleuâ-
tre , d'une teinte tenant de celles du zinc et du plomb ; il
est lamelleux et étoile à sa surface, comme l'antimoine, fa-
cile à pulvériser, très-cassant, très-éclatant, d'un poids spé-
cifique égal à 6,115 , et un peu moins fusible que le plomb.
Le tellure est le métal qui conduit le plus mal l'électricité,
ce qui tend à le rapprocher des corps non métalliques,
avec lesquels il se confond. C'est ce qui a fart dire à M. Du-
mas qu'il était peut-être plus rationnel de le placer à côté du
soufre que de le laisser parmi les métaux.
JULIA DE FONTEKELLE.
TELLURISME. Voyez Magnétisme.
TELLUS. C'est le nom que les Latins donnaient à la
Terre, dont ils avaient fait une déesse, qu'ils représentaient
nue jusqu'à la ceinture et à demi couchée, s'appuyant du
bras gauche sur un panier plein d'épis et de fruits, près d'un
arbre ou d'un cep de vigne : de son bras droit elle embrasse
un globe ceint du zodiaque et orné de quelques étoiles. On
la confondait parfois avec la déesse de la fécondité.
TELOUGOU. Voyez Indiennes (Langues).
TE\ï-BOUK-TOU. Voyez ïombouktou.
TÉMÉRITÉ (du latin lemeritas). Il ne faut pas con-
fondre la témérité avec l'audace : celle-ci est un courage in-
trépide, qu'inspire le mépris du danger; celle-là est une fu-
reur brutale, qui s'y précipite parce qu'elle ne le voit pas,
et souvent parce qu'elle le craint. Le poltron que la fureur
et la honte aiguillonnent devient quelquefois téméraire;
l'homme courageux que l'honneur ou la vertu animent
ressent dans le péril le plus pressant des mouvements d'au-
dace qui le portent aux grandes actions.
TEMES (on prononce <dme5c/i), le Tibiscus des an-
ciens, affluent de la rive gauche du Uanube , prend sa source
dans le territoire des Frontières militaires du Banat, à quel-
ques myriamètres des frontières de la f ransylvanie, et après
avoir décrit un grand nombre de circuits , se jette dans
le Danube , au-dessous de Pancsova, au nord-est de Bel-
grade. Son parcours total est de 41 myriamètres; et il arrive
ù avoir 60 mètres de large. Utilisé d'abord pour le flottage
des bois , puis pour la navigation , il reçoit la Bogonicz
et la Berzava , et alimente en partie le canal de Bega, qui
le fait communiquer avec la Theiss, au moyen du canal
intermédiaire allant de Kosztil à Kiszelo.
Le Temes donne son nom au banat de Ternes, situé entre
la Maros au nord , la Theiss à l'ouest, les Frontières mili-
taires et la Transylvanie au sud et à l'est , et composé des
trois comitats de Toronto, de Temeswar et de Krasso qui
formaient autrefois le Banat de Hongrie, mais qui depuis
1849 ont été détachés de la Hongrie, puis érigés en domaine
particulier de la couronne autrichienne {Kronlecnder œs-
treichischer Monarchie) avec la Woivodina Serbe (voyez
VoïvoDiE de Serbie ). Les trois anciens comitats ont été
transformés en districts dénommés d'après leurs chefs-lieux :
Gross-Becskerek à l'ouest, avec 333,142 habitants sur une
superficie de 86 myriam. carrés; Temeswar au centre
(309,067 habit.; 76 myriam. carrés), et Lugos à l'est
(224,442 bab. ; 67 myr. carrés); ensemble : 219 myriam.
carrés, ot 876,661 habitants en 1851. Le chef-lieu de tout
l'ancien banat, comme du domaine actuel de la couronne,
«etTemes wai.
TELLEZ — TÉMOIGNAGE
TEMESWAR, ville libre et place forte du comitat d«
Temes ( Hongrie ) , sur le canal de Bega , chef-lieu de la
Voïvodie de Serbie et du banat de Temes , est le siège du
gouverneur et des principales autorités civiles et militaires ,
d'un évêché catholique (celui de Csanad) et d'un évêché
grec, d'un cour supérieure de justice,etc.,etcomptaiten 1854
20,560 habitants, non compris la garnison. Cette population
se compose d'Allemands , formant la majorité, de Hongrois,
de Roumains, de Serbes et de Slaves. Le climat est tempéré ,
et permet aux figuiers et aux amandiers d'y croître en pleine
terre. La ville est divisée en ville intérieure oa forteresse,
et en trois faubourgs, situés à quelque distance des portes
de la ville , mais reliés à celle-ci par des allées. Temeswar
est assez régulièrement construite, et on y compte un assez
grand nombre de belles maisons. En fait d'établissements
d'instruction publique, on y trouve, outre le séminaire ec-
clésiastique , un collège supérieur, où l'on enseigne les lan-
gues latine, grecque, allemande, roumaine, hongroise et serbe,^
et quatorze autres écoles. La ville possède un théâtre, une
caisse d'épargne, quatre hôpitaux, et d'autres établissements
de bienfaisance. En 1854 on a commencé les travaux d'un
embranchement qui se raccordera avec le chemin de fer de
Peslh à Szegedin.
Au temps de la conquête de la Dacie par les Romains,
Temeswar existait déjà, sous le nom de Zambara; sous la
domination des Avares, elle porta le nom de Beguey ; sous
celle des Hongrois , elle devint la résidence des comtes de
Temes. En 1316 Charles Robert vint s'y fixer. En 144a
Jean Hunyade construisit le château, qui subsiste
encore aujourd'hui. Vainement assiégée pour la seconde
fois en 1551 par le beglerbeg Mohammed SoUolli, elle fut
prise l'année suivante, après une défense héroïque, par le
beglerbeg Achmed. Les efforts faits en 1596 par le prince
de Transylvanie Sigmund , en 1597 par son chancelier Jo-
sika, en 1696 par l'électeur de Saxe Frédéric- Auguste, pour
la reprendre aux Turcs furent inutiles. En 1716 le prince
Eugène de Savoie fut plus heureux, et réussit à enlever cette
place aux Turcs, qui l'avaient possédée pendant cent
soixante-quatre ans. C'est de cette époque que date la cons-
truction des fortifications actuelles.
Lesiége soutenu en 1849 par cette ville contre le général
des insurgés hongrois, le comte Yécsey, restera à bon droit
célèbre dans ses annales. Les portes de la ville, fermées le
25 avril , ne se rouvrirent que le 9 août. La garnison se
composait de 4 généraux, 188 officiers d'élat-major et su-
périeurs, et 8,659 soldats. Le 9 août Haynau livra ba-
taille, entre Temeswar et le village de Klein Becskerek,
aux insurgés, commandés par Dembinski et Bem , qui fu-
rent complètement battus. Le résultat de cette victoire fut
la délivrance de Temeswar. Un monument élevé sur la place
de la parade, et dont l'empereur François-Joseph I" posa
la première pierre en 1852, consacre le souvenir de l'hé-
roïque défense de [la garnison.
TÉMOIGNAGE, TÉMOIN (du latin testimonium).
Le témoin est celui qui atteste avoir eu connaissance per-
sonnelle d'un fait, et le témoignage &&i son affirmation.
Le mot ^emoig-na^e reçoit, au figuré, diverses applications :
ainsi on dit le témoignage de la conscience, pour exprimer
ce sentiment et cette connaissance que chacun de nous a en
soi de la vérité ou de la fausseté d'une assertion, de ce qu'il
y a de licite ou de repréhensible dans une action ; le témoi-
gnage des sens , c'est ce que les sens nous apprennent sur
l'existence et les qualités des objets extérieurs.
En droit, on dislingue deux sortes de témoins: les té-
moins judiciaires, et les témoins instrumentaires. Le&
derniers sont ceux qui assistent un officier public dans
l'exercice de ses fonctions pour donner plus d'authenticité en-
core à l'acte qu'il est chargé de recevoir. Leur intervention
est exigée surtout pour constater l'identité des parties con-
tractantes, pour donner plus d'authenticité à un fait ou
plus de solennité à un acte. Le témoin judiciaire est
celui qui est appelé par justice pour l'instruction d'une »f.
TÉMOIGNAGE — TEMPÉRAMENT
faire pendante devant elle, soit au civil, soit an criminel.
Au civil , l'audition des témoins , dont on faisait autrefois
on si grand abus , est restreinte aujourd'hui dans les limites
étroites d'une enquête, dont les moindres formalités, même
les plus minutieuses, sont prescrites à peine de nullité. On
admet à peu près indistinctement dans les enquêtes civiles
tous les témoins qui sont produits à déposer, sauf le droit
qu'a l'une des parties de les reprocher pour faire rejeter
leur déposition de l'enquête, et celui du juge d'avoir tel
égard que de raison au fait allégué. La seule garantie que
l'on ait pu demander au témoin pour assurer la véracité de
sa déposition est le serment de dire la vérité.
La preuve par témoins des faits obligatoires ou libéra-
toires n'est pas admise lorsque l'intérêt des parties excède
150 francs ; et si les parties ont constaté ces faits par écrit ,
de quelque v-reur qu'il s'agisse, la loi refuse la preuve tes-
timoniale contre et outre le contenu de cet écrit. Toute-
fois, ces règles ne sont pas applicables aux matières de
commerce.
Au criminel, la preuve par témoins est la base essentielle
de toute instruction juridique; là, comme au civil, il ne
s'agit plus aujourd'hui de discuter le nombre des déposi-
tions , de les énumérer pour imposer au juge comme la vé-
rité même celles qui représentent un chiffre plus élevé;
c'est toujours le résultat qu'il faut voir, et le juge, aussi
bien que le juré, ne doit céder qu'à l'impression qui résulte
pour lui de l'ensemble de l'instruction. Les auteurs ensei-
gnent que les juges peuvent se décider sur déposition d'un
seul témoin , et la cour de cassation a confirmé cette doc-
trine. Le premier acte de toute instruction criminelle , c'est
l'audition des témoins , au moment même où le crime vient
d'être commis , où il vient d'être dénoncé à la justice. Après
que tous les témoins ont été entendus , un rapport est fait
à la chambre des mises en accusation , qui décide s'il y a
lieu ou non à renvoyer le prévenu , soit devant les tribunaux
correctionnels, soit devant la cour d'assises. S'il s'agit de
délits ou de simples contraventions de la compétence des
tribunaux de simple police ou de police correctionnelle, les
témoins sont seulement soumis au serment de dire la vé-
rité, rien que la vérité, et l'on ne doit recevoir la dé-
position ni des ascendants ni des descendants de la per-
sonne prévenue, ni de ses frères et sœurs ou alliés au pareil
degré, ni de la femme contre le mari, ni du mari contre
la femme. Devant les assises, où il s'agit du jugement des
crimes , les formes sont plus sévères : le serment qu'on
exige des témoins a quelque chose de plus grave et
de plus imposant ; ils doivent prêter serment , à peine de
nullité, de parler sans haine et sans crainte, dédire
toute la vérité, rien que la vérité. Ne doivent point être
reçues les dépositions : 1° du père , de la mère , de
l'aïeul , de l'aïeule, ou de tout autre ascendant de l'accusé ou
de l'un des coaccusés présents et soumis au même débat;
2° des fils , fille , petit-fils , petite-fille , ou de tout autre des-
cendant ; 3° des frères et sœurs ; 4° des alliés aux mêmes
degrés ; 5° du mari ou de la femme , même après le divorce
prononcé; 6° des dénonciateurs dont la dénonciation est
récompensée pécuniairement par la loi ; laais si l'une de
ces personnes avait été entendue sans opposition , il n'y au-
rait pas nullité de la procédure. Il est de principe devant
toutes les juridictions que les témoins doivent déposer ora-
lement, sans qu'il leur soit permis d'aider leur mémoire par
des notes écrites. Ils doivent en outre être entendus séparé-
ment l'un de l'autre , et toutes les dépositions des témoins,
tant à charge qu'à décharge, peuvent être discutées; c'est
sur elles que s'établit le débat. Une indemnité était due et
devait être payée aux témoins qui sont enlevés à leurs af-
faires pour déposer en justice, et qui peuvent toujours être
forcés à comparaître , sous peine d'amende et par voie de
contrainte par corps ; c'est l'objet des derniers articles des
tarifs qui concernent ht axe des témoins.
TEMOIGNAGE (Faux). Voyez Faux Témoignacb.
TEMOIN (Doctwtasie). Voyez Essais.
493
TEMPE (Vallée de). Cette contrée, si célèbre par ses
sites ravissants etque les poêles de l'antiquité ont chantée sur
tous lestons, est située en Thessalie, entre le mont Olympe
et le mont Ossa , là où le Pénée roule ses eaux à travers ces
deux montagnes, sur une étendue d'environ deux myria-
mètres et une largeur variant de 30 à 700 mètres. C'est sur-
tout à son extrémité, là où le Pénée traverse la montagne,
que l'Olympe et l'Ossa se rapprochent. Mais un peu plus
loin la vallée s'élargit à l'est et à l'ouest, de sorte que le
fleuve peut désormais en suivre mollement les sinueux con-
tours. Au voisinage de la mer, les rochers se rapprochent
de nouveau pour former une fondrière sauvage et d'un accès
difficile : puis bientôt la vallée s'élargit encore une fois, et
permet alors à l'œil d'embrasser la ravissante contrée dési-
gnée sous le nom de Piérie.
A part ces avantages pittoresques , la vallée de Tempe
avait encore celui de constituer l'un des défilés les plus im-
portants de la Grèce septentrionale et ime position straté-
gique facile à défendre avec une poignée d'hommes seule-
ment.
TEMPERA. On appelle ainsi, à bien dire, dans la lan-
gue des peintres, tout liquide avec lequel l'artiste mélange
ses couleurs sèches, afin de pouvoir les appliquer au moyen
du pinceau. Mais dans une acception plus restreinte et plus
usitée, on entend par là l'espèce de peinture qui fut en usage
pendant presque tout le moyen âge, et qui consistait à mê-
ler les couleurs avec du jaune d'œuf épaissi et de la colle
faite de rognures de parchemin bouilli ( peinture en dé-
trempe). L'éclat qu'offrent quelques tableaux peints a
tempera provient vraisemblablement d'une cire qu'on fai-
sait dissoudre dans une huile éthérée, et dont on se servait
comme d'une espèce de vernis. Avec ces moyens l'ancienne
école de Cologne a produit un beau coloris, quelquefois
ardent. C'est la peinture à l'huile, inventée ou du moins
notablement perfectionnée par Van Eyck, qui seule, vers la
fin du quinzième siècle, put insensiblement remplacer la mé-
thode a tempera dans les différentes écoles allemandes.
En Italie, la peinture a tempera se maintint un peu plus
longtemps, jusqu'à ce que la peinture à l'huile devint d'un
usage général et même exclusif ; ce qui arriva pour les ta-
bleaux de chevalet dès l'an 1500.
TEMPÉRAMENT (Musique). C'est la manière de
modifier les sons, de telle sorte qu'au moyen d'une légère
altération dans la juste proportion des intervalles on puisse
employer les mêmes cordes pour former divers intervalles
el moduler en différents tons, sans déplaire à l'oreille. Par
cette opération, on simplifie l'échelle en diminuant le nom-
bre des sons nécessaires. Sans le tempérament, au lieu de
douze sons seulement que contient l'octave, il en faudrait
plus de soixante pour moduler tous les tons. Sur l'orgue ,
sur le clavecin, sur tout autre instrument à clavier, il n'y a
et il ne peut guère y avoir d'intervalle parfaitement d'ac-
cord que la seule octave. Quoique la règle du tempérament,
d'une grande importance pour Vaccordage des instruments
à cordes, soit connue depuis longtemps, il n'en est pas de
même du principe sur lequel elle est établie; et à cet
égard nous devons renvoyer aux traités spéciaux.
TEMPÉRAMENT (Physiologie). On a impropre-
ment donné ce nom aux prédominances originelles ou
acquises que l'homme présente dans quelques parties impor-
tantes de son organisation et dans ses penchants. Les doc-
trines qui montrent les causes et les rapports de ces dispo-
sitions naturelles ne sont pas uniformes. Les anciens avaient
cru voir dans le corps humain quatre humeurs primitives,
qui parleur mélange formaient toutes les autres, et par
leur dominance respective constituaient autant de tempé-
raments. Le sang, la bile, la limphe, et enfin ïatrabile,
ou bile noire, dont on a reconnu depuis la non-existence,
ont donc joué un rôle important dans la formation des
types fondamentaux admis par les anciens. Les modernes,
en suivant les mêmes vues , ont senti l'insuffisance de cette
dftctriûe; il» ont accordé une influence aux organes qui
494
TEMPÉRAMENT
contiennent ou qui sécrètent ces humeurs : ainsi , la pré-
pondérance du cœur, des vaisseaux, l'abondance du sang,
ont formé les caractères organiques des sanguins; le déve-
loppement du foie et l'activité de la bile ont été considérés
comme la cause de l'énergie, des dispositions intellectuelles
et morales des bilieux; l'apathie des lymphatiques a été
attribuée à la dominance des vaisseaux et des tissus où cir-
cule la lymphe ainsi qu'à l'abondance de cette humeur;
enfin , les mélancoliques doivent leur penchant à la tris-
tesse et à la méditation à de prétendus embarras de la veine-
porte, à des spasmes morbides des plexus solaires. Les
modernes ont ajouté deux tempéraments à ceux dont les
anciens ont tracé les caractères : le système nerveux et l'ap-
pareil musculaire ont formé deux types nouveaux par leur
prédominance ou leur activité. Mais cette classification est
évidemment incomplète. Une foule d'hommes, restant en
dehors de ces classifications, n'auraient pas de tempérament,
dans l'acceptiou vicieuse donnée à ce mot; car chez eux
aucun appareil ne paraît prédominer d'une manière remar-
quable. Le nom ridicule de tempérament tempéré a été
donné à cette disposition organique.
La prédominance du système nerveux , celle du système
sanguin ou du système cellulaire forment en réalité les trois
types fondamentaux, dont les autres tempéraments ne sont
que des nuances intermédiaires. Cependant, ces nuances
méritent d'être mentionnées et d'être décrites. En les étu-
diant j'ai été amené à reconnaître les attributs caractéris-
tiques de DIX tempéraments, à savoir :
1° Tempérament nerveux. Le système nerveux est le
moteur des organes et le régulateur de leurs fonctions ; c'est
l'homme intérieur, c'est l'animal même caché sous des en-
veloppes organisées : sans son action, la vie s'éteint et les
autres appareils ne forment plus que des masses inertes.
Le tempérament nerveux proprement dit résulte donc du
développement ou de l'activité considérable du système
nerveux. Le développement ou la prédominance de l'appa-
reil du mouvement est caractérisé par une énergie consi-
dérable de la force motrice : elle donne aux hommes qui
en sont doués la faculté de se livrer à des travaux corpo-
rels soutenus et à tous les exercices du corps. S'ils sont
moins forts que les athlètes, ils sont plus souples, plus
agiles , ils peuvent plus facilement résister à ces travaux et
aux fatigues de la guerre. Le courage est souvent un don
que la nature leur accorde ; souvent aussi ils sont doués
d'une imagination vive, ardente, et de passions véhémentes.
Tantôt ils s'offrent à nos yeux avec les caractères extérieurs
du tempérament sanguin; d'autres fois ils se présentent
avec les cheveux noirs, la figure expressive, et la couleur un
peu jaunâtre de la peau , attributs du prétendu tempéra-
ment bilieux; quelques-uns enfin peuvent revêtir les formes
trompeuses des lymphatiques, des cellulaires ou des adi-
peux. La prédominance de l'appareil nerveux des sensations
s'observe plus particulièrement dans les grandes villes
et chez les peuples civilisés. La culture des lettres , des
beaux-arts , tend sans cesse à exciter cet appareil , à exalter
la sensibilité physique et morale. Une sensibilité exquise
est donc le caractère le plus remarquable des personnes
nerveuses , quelles que soient les formes qu'elles présentent.
2" Tempérament sanguin. Après le système nerveux,
l'appareil sanguin joue le plus grand rôle dans l'économie
animale. Tous les auteurs ont considéré le type fondamen •
tal qui résulte de cet appareil comme la condition physique
la plus favorable à la santé et au bonheur; mais les tableaux,
qu'ils ont embellis, ne sont pas toujours conformes aux
réalités de l'expérience, et n'offrent que d'agréables fictions.
La santé résulte de l'équilibre qui doit exister entre les
solides et les liquides organiques, et la prédominance du
système sanguin indique déjà une tendance à la rupture de
cet équilibre.
Le sanguin peut être d'une taille grande , moyenne ou
petite; il peut avoir les clieveux châtains , les sourcils noirs
ou de toute autre couleur ; il peut être gros, maigre ou avoir
un embonpoint médiocre : toutes ces formes extérieures
sont trompeuses. L'homme dont la constitution n'est pas
accidentellement sanguine a la poitrine large, le teint habi-
tuellement coloré , les veines saillantes , lorsqu'il n'est pas
surchargé d'embonpoint ; les mouvements du cœur sont éner-
giques, le pouls est souvent fort et développé ; il est parfois
sujet aux hémorrhagies , aux étourdissements , aux pesan-
teurs de tête, et a souvent besoin d'émissions sanguines.
Mais souvent les apparences extérieures attribuées aux san-
guins cachent la faiblesse radicale du tempérament lympha-
tique. Un teint fleuri, des yeux vifs et bruns , une peau sou-
ple et molle , des cheveux blonds , châtains ou noirs , se
rencontrent avec une constitution débile et anémique. Ces
attributs extérieurs sont donc trompeurs, et les plus graves
accidents pourront résulter d'évacuations sanguines intem-
pestives tentées chez les jeunes personnes douées d'une sem-
blable constitution.
La prédominance du système sanguin se présente souvent
sous les formes extérieures attribuées aux tempéraments
adipeux et bilieux des anciens. Des hommes au teint pâle
et jaunâtre, ayant la poitrine large , le pouls habituellement
fort et développé , ont des dispositions pléthoriques évi-
dentes ; ils supportent facilement la saignée , les exercices
et les travaux corporels. La saillie des veines sous-cutanées,
le développement des muscles et du système nerveux , les
formes abruptes du système osseux , caractérisent cette dis-
position organique, qui a reçu le nom de tempérament bi-
lieux ou de bilioso-sanguin. C'est surtout dans l'âge
adulte que le système vasculaire acquiert une prépondérance
remarquable sur les autres appareils; c'est à cet âge que se
manifestent les accidents souvent dangereux de la pléthore
ou de la polyhémie. L'observation nous montre qu'une
foule d'hommes très-sanguins et très-robustes ne peuvent
franchir l'âge mûr pour arriver à la vieillesse : c'est entre
quarante et cinquante ans que l'apoplexie et les morts subites
augmentent de fréquence; c'est donc aussi à cette époque de
la vie qu'il faut diminuei,par le régime, par l'exercice actif
et les saignées générales, ces tendances funestes de la nature.
3° Tempérament cellulaire. Le tissu aréolaire ou cel-
lulaire renferme le tissu graisseux , et peut être considéré
comme l'élément primordial ou fondamental des organes ;
il forme la gangue qui environne les viscères, les enve-
loppes particulières des muscles, desnerfset des vaisseaux,
et une couche plus ou moins épaisse au-dessous de la peau ,
dont il forme le corps muqueux ; il constitue enfin les
membranes séreuses , en acquérant plus de densité, et la
substance spongieuse des villôsités des membranes muqueu-
ses. Cependant, ce tissu, si on en excepte l'absorption et
l'exhalation , ne joue qu'un rôle passif dans l'économie :
lorsqu'il prédomine , et que les systèmes nerveux et sanguin
sont faiblement développés , la constitution de l'homme ac-
quiert alors un caractère très-remarquable de faiblesse et
d'inertie. Cette disposition organique diffère de la constitu-
tion lymphatique, bien que ces deux états s'unissent par des
nuances intermédiaires ; mais dans le premier les tissus sont
secs, pour ainsi dire, tandis que dans le second ils sont imbibés
d'eau ou defluide séreux. On observe surtout l'un àla campa-
gne, dans des pays salubres, chez des individus qui s'épuisent
par des travaux corporels, par des sueurs abondantes, et qui
ne peuvent réparer ces pertes par une nourriture substan-
tielle; l'autre, au contraire, se rencontre dans les climats hu-
mides, parmi les hommes qui vivent dans les paya maréca-
geux, au milieu d'une atmosphère chargée de vapeurs ou
saturée d'humidité. Les causes débilitantes , les mauvais
aliments, la privation de la lumière , de l'air libre , les tra-
vaux excessifs, font prédominer la trame organique, en
affaiblissant le système nerveux et en épuisant l'appareil
sanguin. Cette disposition organique est héréditaire ou
acquise; elle s'observe surtout chez les villageois et les
artisans pauvres, les tisserands, les tailleurs , les cordon-
niers, les séminaristes, les religieux, les prisonniers, «t
les ouvriers qui travaillent dans les mines.
TEMPERAMENT
495
4" Tempérament lymphatique. Cette disposition orga-
nique peut être considérée comme une nuance prononcée
ou une variété du tempérament cellulaire. Cependant, la
complexion lymphatique est spécialement caractérisée par
la pléthore séreuse oulapolylymphie; elle s'observe surtout
dans les pays marécageux , sur les plages couvertes d'eau
une partie de l'année , dans les contrées où s'élèvent d'im-
menses forêts, où la putréfaction des substances végétales
est favorisée par l'humidité habituelle du sol. La pâleur de
la face, la blancheur de la peau , de l'embonpoint, des ha-
bitudes uniformes, de la lenteur dans les mouvements, peu
de vivacité dans les sensations , des passions modérées ,
l'inaptitude à supporter des travaux pénibles et de longues
privations , tels sont les principaux, caractères physiques et
moraux des individus comme des peuples qui vivent dans
les contrées où règne une humidité constante. La constitu-
tion affaiblie offre une précoce dégradation et une vieillesse
prématurée. Le scorbut, l'engorgement des viscères, les
fièvres automnales, les plus rebelles, les fièvres putrides, les
plus graves , la carie et la chute des dents montrent que
les causes ambiantes ont altéré profondément les liquides
vivants et la constitution de l'homme.
5° Tempérament adipeux. L'ohésité ou l'accumulation
considérable de la graisse dans le tissu cellulaire , autour
de quelques viscères , dans certaines membranes , constitue
un type organique remarquable. Chez l'homme adulte , d'un
embonpoint ordinaire, la graisse entre pour un vingtième
environ dans le poids du corps; mais elle forme parfois la
moitié, et même les quatre cinquièmes de ce poids. L'obé-
sité rend l'homme lourd , inhabile au travail , et devient sou-
vent un pesant fardeau ; sa respiration est gênée par le
moindre mouvement ; une sueur abondante est le résultat
d'un exercice modéré. Monter avec vitesse ou courir sur un
sol inégal sont des actions dilficiles et souvent impossibles :
l'oppression , un sentiment de malaise et de lassitude arrê-
tent prompteraent les personnes ainsi constituées. On ne
doit point placer au nombre des lymphatiques ceux dont
"embonpoint modéré est le résultat du développement du
système sangum et de l'activité générale de la nutrition. Les
personnes ainsi constituées présentent souvent beaucoup
d'énergie physique et morale, des passions vives et indomp-
tables. C'est donc une erreur de croire avec Halle et beau-
coup de physiologistes modernes que la maigreur et la sé-
cheresse delà fibre décèlent l'activité de l'intelligence et des
passions ; que des cheveux nous et un teint pâle annoncent
un caractère altier, irascible et dominateur. J'ai souvent
trouvé ce caractère, attribué au prétendu tempérament
bilieux, chez des hommes ou des femmes ayant beaucoup
d'embonpoint , et que des physiologistes inattentifs eussent
placés parmi les lymphatiques. Le plus grand homme des
temps modernes, Napoléon, a offert à deux époques de sa
vie, dans sa jeunesse et dans l'âge adulte, ces deux états
opposés ; mais on n'a point remarqué que son embonpoint
ait rien ôté à la puissance de sa volonté , à l'activité de ses
passions et à la fécondité de son génie.
6° Tempérament scléreux (du grec dxXyipôç, dur, sec).
Le développement considérable du tissu osseux et de ses
annexes, ou une haute stature, constitue cette prédomi-
nance : elle est donc caractérisée par une taille svelte et
élancée, des articulations prononcées et des muscles grêles.
Le plus ordinairement les individus qui offrent cette struc-
ture ont des mouvements lents et peu gracieux , annonçant
la nonchalance et la faiblesse; ils ont une propension au
repos et peu d'aptitude aux travaux corporels ; plusieurs
même montrent une inertie qu'il est difficile de vaincre,
soit par l'émulation , soit par la crainte des châtiments. Cette
langueur pliysiqiie et morale leur est sans doute commune
avec les lymphatiques ; mais il est facile de voir qu'elle n'est
pas l'effet de la même cause. Le développement exagéré du
système osseux jette souvent les autres appareils dans la
débilité : une élongation trop rapide peut môme devenir fu-
neste, en épuisant le système nerveux et en jetant les autres
organes dans l'atonie. Telle paraît avoir été la cause de la
mort du fils de Napoléon. Quelquefois cette croissance
rapide semble être déterminée par des maladies graves. Il
est des hommes , comme des animaux , qui conservent toute
leur vie cette disposition physique , et qui la transmettent
par voie de génération. On n'observe pas chez eux cette ac-
tivité remarquable , cette propension invincible au mouve-
ment, cet excès de vitalité qui caractérisent en général
les individus d'une petite taille. La supernutrition exerce
évidemment chez les géants une action spoliatrice aux
dépens du système nerveux ; elle maintient ces êtres dans
cet état d'imperfection qui caractérise la seconde période
de l'enfance , et qui précède la puberté. Cependant la pré-
pondérance du système scléreux n'exclut pas nécessairement
celle du système nerveux et sanguin; la règle que je pose
présente donc des exceptions. On voit des hommes grands
et maigres dont l'énergie physique et morale est très-pro-
noncée, et qui sont aptes aux exercices et aux travaux cor-
porels.
1" Tempérament musculaire. Ce n'est le plus souvent
que dans l'âge viril , à une époque déjà éloignée de la pu-
berté, que les muscles acquièrent delà force, se dessinent
d'une manière remarquable et effacent , par des contours
gracieux , les formes abruptes du tempérament scléreux.
Dans ce changement, il est facile de constater que l'accrois-
sement de l'appareil musculaire ne s'opère que par suite du
développement du système sanguin et des poumons. Les
alhlètes se distinguent donc par tous les attributs des tempé-
raments musculaire et sanguin. Leurs traits sont fortement
prononcés, leur cou est court, leur poitrine large et carrée;
leurs membres sont volumineux et énergiques, leurs arti-
culations saillantes , leurs mains larges ; leur peau est sou-
vent brune et couverte de poils, leur voix est forte et re-
tentissante. Une semblable disposition peut se transmettre
par voie de génération ; mais l'exercice, la gymnastique et
une nourriture animale sont indispensables à son parfait
développement.
On a pensé que les facultés sensitives et les forces motri-
ces sont toujours en raison inverse l'une de l'autre , que les
athlètes comme les hommes chargés d'embonpoint ont une
sensibilité obtuse, que leurs facultés intellectuelles et leurs
qualités morales sont peu développées. Un physiologiste
moderne a même avancé, en parlant du tempérament mus-
culaire , que la tête des athlètes est très-petite : Cabanis
leur refuse l'énergie vitale dont sont doués les sanguins ; il
dit avoir remarqué qu'ils supportent difficilementles saignées
abondantes : l'expérience ne confirme point ces assertions.
Les hommes dont l'énergie musculaire est considérable con-
servent beaucoup de sensibilité lorsqu'ils ne l'ont point
épuisée par le travail ou par les excès ; leur intelligence et
leurs qualités morales se développent, comme celles des
autres hommes , par l'influence de. l'éducation. Ce que l'on a
dit sous ce rapport des athlètes s'applique à tous les indivi-
dus entièrement livrés à des travaux corporels. Qui ne sait
que l'on trouve des sots et des gens d'esprit sous toutes les
formes?
8° Tempérament gastrolimique ow famélique (du grec
yauT^^Pjestomac, etXtjioç, faim).
L'influence que l'estomac exerce sur l'économie peut être
envisagée sous un double rapport : dans l'état de santé et
dans cette disposition morbide à laquelle on a donné le
nom de tempérament mélancolique. Dans l'état de santé,
on trouve des individus qui sont habituellement tourmentés
par le sentiment de la faim; ils dévorent et ils digèrent faci-
lement une-très grande quantité d'aliments : beaucoup
d'hommes ne sont remarquables que par le besoin impérieux
et souvent renouvelé qu'ils éprouvent ; on trouve cette dis-
position famélique chez des individus occupés à des travaux
corporels : il n'est pas rare d'en rencontrer qui digèrent
cinq ou six livres de pain avec d'autres aliments sans pou-
voir assouvir leur faim. Souvent l'inertie de leurs forces mus-
culaires, leur apathie, contrastent avec l'activité de leur
TEMPÉRAMENT
496
estomac. On trouve dans la classe des personnes qui sont
dans l'aisance , comme dans la classe pauvre, des individus
qu'une seule idée préoccupe, qu'une seule passion dirige,
«t qui se livrent sans réserve à leur appétit. Cependant ,
il faut tenir compte chez les premiers de celte énergie
factice développée par les préparations culinaires. Ici la
nature n'est pas toujours consultée, et la sensualité conduit
à des excès qui abrègent la durée de la vie. Ce n'est pas
parmi les V i t e 1 1 i u s et les A^p i c i u s que l'on trouve les
centenaires.
Si la doctrine des anciens était fondée sur la véritable
observation , si la bile jouait dans l'économie le rôle qu'ils
lui attribuaient , on devrait rencontrer la disposition
famélique chez les individus revêtant les formes du prétendu
tempérament bilieux. Mais on voit une foule de personnes
au teint jaunâtre, aux traitsexpressifs, aux formes abruptes,
aux yeux et aux cheveux noirs, se distinguer par leur fru-
galité et la douceur de leur caractère. Les peuples méridio-
naux, qui présentent ces dispositions physiques, sont d'une
grande sobriété; les peuples du Nord et ceux des climats
tempérés ont un teint vermeil, la peau blanche, les cheveux
«hàtains, rouges ou de toute autre couleur; et cependant
ils digèrent chaque jour une grande quantité d'aliments. On
a pris pour une cause ce qui n'est qu'une coïncidence fré-
quente; et à une époque où la physiologie était dans l'en-
fance on a attribué à la bile des phénomènes que l'on doit
rapporter à l'excitation des centres nerveux par l'action
directe de cette cause ambiante. Les physiologistes mo-
dernes devraient donc cesser de reproduire les erreurs des
anciens; ils ne devraient plus faire jouer au foie et à la bile
nn rôle imaginaire.
Le tempérament famélique ou gastrolimique s'observe
4'une manière fort remarquable dans une classe d'hommes
nommés polijphages.
Qui ne connaît les aventures gastronomiques de Milon
de Crotone? Il était aussi célèbre par la puissance de son
estomac que par la force de ses muscles. De nos jours, on a
connu des polyphages non moins avides. Bijou , Jacques de
Falaise et Tarare nous donnent la mesure des forces, heureu-
sement peu communes , que peuvent acquérir les organes
gastriques. On sait que ce dernier pouvait dévorer des
chiens, des chats vivants, de grosses couleuvres, avec une
avidité effrayante : ces essais ne pouvaient le rassasier ; et
après avoir excité son appétit par ces friandises, on l'a vu
engloutir un dîner préparé pour quinze ouvriers allemands.
On le surprit dans un hospice buvant le sang des malades
que l'on venait de saigner, et dévorant des cadavres. Les
individus en proie à cette faim canine sont dégradés et se
rapprochent des animaux carnas.<;iers ; ils sont grossiers,
stupides, parfois dangereux, et leur vie est abrégée par
leurs nombreux excès.
9° Tempérament gastropalhique ou mélancolique (du
grec YaaTifip, estomac, etT;à6o;, souffrance). U peut se déve-
lopper chez des individus ayant des formes les plus oppo-
sées. L'état de civilisation tend à accroître le nombre des
mélancoliques; cette disposition , presque toujours acquise,
résulte le plus ordinairement des soucis, des contrariétés
et des revers de la fortune ; cependant , on trouve aussi
cette disposition au milieu des jouissances qu'elle procure.
Elle est sans doute parfois le résultat de l'imperfection de
l'organisation , d'un défaut d'harmonie entre les diverses
parties du système sensible; mais la cause la plus com-
mune du penchant à la mélancolie est due à une irritation
habituelle de l'estomac et des plexus nerveux qui l'animent,
lors même que le cerveau a reçu les premières impressions.
11 s'établit alors entre ces deux centres nerveux des relations
plus intimes constituant une deutopatliie ou une affection
à double siège, qui mérite plutôt le nom, de mélancolie
gastrique que celui de tempérament. Les nuances de celte
affection nerveuse sont en général légères et sans gravité,
puisqu'elle n'a point été classée parmi les lésions de ces
organes. Elle est caractérisée par des inquiétudes vagues,
un sentiment de malaise, un état de tristesse et de décou-
ragement , le dégoût de la vie , ou 'par des illusions et des
espérances chimériques. L'estomac est d'une sensibilité exa-
gérée; les digestions sont souvent difficiles , acom])agnée3
de malaise et de flatuosités; des battements artériels, des
spasmes, l'oppression , et parfois de la douleur, se font re-
marquer à fa région épigastrique. L'automne et l'hiver, les
temps froids et humides , les écarts dans le régime , aug-
mentent ordinairement ces accidents , ainsi que toutes lest
causes morales qui déterminent la tristesse.
Les travaux de l'intelligence , les luttes incessantes que
l'homme est obligé de soutenir dans la société , exercent
une influence profonde sur le système nerveux, et dispo-
sent à la mélancolie. On a remarqué depuis longtemps
qu'elle choisit de préférence des victimes parmi les hommes
livrés aux travaux du cabinet, parmi les poètes et les ar-
tistes les plus distingués. Cette remarque n'a pointéchappé
au génie observateur des anciens; Aristote assure que de
son temps tous les grands hommes étaient mélancoliques.
Des savants , qui se sont rendus immortels par de grands
travaux, et parmi lesqnels on peut citer Virgile, le Tasse,
Pascal, J.-J. Rousseau, Gilbert, Malpighi, Zimmermann ,
ont été mélancoliques. Que d'illustres malheureux pour-
raient trouver place dans cette catégorie ! Les voyages, les
courses fréquentes , à cheval , en voiture , mais surtout à
pied, les jeux exerçant les forces musculaires, l'éloigné-
ment des lieux qui rappellent de pénibles souvenirs , tels
sont les moyens de combattre la névropathie à laquelle on
a donné le nom de tempérament.
10° Tempérament erotique (du grec êpo;, amour). Une
foule de faits montrent qu'il existe dans les deux sexes une
prédominance organique de l'appareil de la génération,
caractérisant ce que l'on appelle un tempérament. La plu-
part des auteurs ont considéré la tendance irrésistible des
deux sexes l'un pour l'autre soit comme une maladie ner-
veuse , soit comme un signe de dépravation ; ils n'ont pas
vu la source des excès de l'amour physique dans les dis-
positions organiques d'un tempérament spécial , différant
de ceux dont la nomenclature est connue. Il est cependant
facile de montrer que dans la plupart des cas la nature
est le premier séducteur. Cette organisation particulière se
rencontre dans les deux sexes ; on l'observe dans la soli-
tude des cloîtres comme au milieu de la vie la plus agitée.
On trouve dans la société des personnes qui sont dirigées
despotiquement par les besoins physiques , et pour les-
quelles l'amour moral est chose frivole : il en est d'autres,
et les femmes surtout , dont cette dernière passion remplit
la vie entière; aimer pour elles est le seul bonheur, cesser
d'aimer, comme elles le disent , c'est cesser de vivre. Ce-
pendant, quelques femmes sont froides et indifférentes;
elles présentent, comme l'homme, les contrastes d'une
froideur absolue et d'une ardeur que l'abus même des plai-
sirs est impuissant à éteindre. L'histoire nous fait connaître
la vie et les mœurs de quelques femmes qui doivent leur
célébrité à leurs excès. Dans ce nombre on cite la sœur de
Clodius, l'infâme Lesbia; Julie, fille d'Auguste ; Messaline ,
femme de l'empereur Claude; Agrippine, mère de Néron';
Faustine, épouse de l'empereur Marc Aurèle; la princesse
Eusébie, femme de l'empereur Constantin ; Lucrèce Borgia-;
Marguerite de Bourgogne , que Louis le Hutin fit étrangler
dans un château près des Andelys. Dans les temps mo-
dernes , on trouve aussi des femmes qui se rendirent célèbres
autant par leurs galanteries que par leurs excès, et dont
toute la vie ne fut qu'une suite d'aventures amoureuses.
Telles furent Marion de Lorme et Ninon de Lenclos. Parmi
les hommes , on peut citer, au premier rang , César Bor-
gia et son père, si honteusement célèbre sous le nom
d'Alexandre YI. Tel était le tempérament de l'Arétin, de
Piron , de François I", de Mirabeau , de Kleber, et de tant
d'autres encore. Les hommes qui jouissent d'une organisa-
tion opposée ne sont pas rares ; on compte dans ce nombre
Charles XII, Bayle, Pitt et l'immortel Newton. L'étude des
TEMPEUAME.NT —
sciences abstraites , les exercices du corps , !'éi(iignement
des causes qui exaltent l'imagination et les passions, telles
que la lecture des romans , les spectacles et les réunions
où les grâces et la beauté exercent leur empire; enfin, une
union Lien assortie , sont les moyens de prévenir, sauf
quelques cas prévus , les excès et les désordres auxquels je
viens de fai>e allusion. D' Fourcault.
TEMPÉRANCE (du verbe latin temperare, adou-
cir). Ce mot exprime l'idée de la modération appliquée à la
satisfaction de nos appétits sensuels et moraux ; il est à peu
près synonyme du mot sobriété. La tempérance suggère
cependant moins de réserve que ce dernier dans la recher-
che des excitations diverses qui sont des besoins pour
l'homme. Cette expression est principalement employée pour
désigner un usage modéré des aliments , et surtout des bois-
sons alcooliques. Ainsi comprise, la tempérance fut consi-
dérée dès la nuit des temps comme le moyen le plus pro-
pre à assurer le bonheur de l'homme , en lui procurant la
santé , le premier des biens. Aussi les Grecs, la personnifiant
sous le nom de Sophrosyne, la signalaient-ilscomme la gar-
dienne de la sagesse. Les chrétiens en ont fait une vertu
cardinale. L'expérience a constaté de siècle en siècle les
avantages de la modération en toutes choses; mais est-elle
pour notre génération un principe de conduite , et s'efforce-
t-on , par l'habitude , d'en doter notre espèce dès la pre-
mière enfance? Hélas , non. L'intempérance est restée un
vice inhérent à notre nature. C'est un mal que de tous
temps les moralistes ont vainement cherché à combattre.
Toutefois, nous devons reconnaître que les progrès de la
civilisation oni améhore les mœurs contemporaines sous le
rapport de l'abus des liqueurs spiritueuses. Qu'on se re-
porte à l'époque appelée le bon vieux temps , quand on
faisait journellement quatre repas; nous y voyons nos an-
cêtres presque toujours à table , le verre à la main , et chan-
tant des hymnes à Bacchus. Nous voyons en outre le culte
de la dive bouteille se manifester dans tous les marchés par
les conditions Axiè?, pour-boire et po^-de-vJM. Aujourd'hui,
surtout en France, les mœurs de cabaret ne se trouvent
plus dans les classes supérieure et moyenne. Là les chan-
sons bachiques sont réputées de mauvaise compagnie. Le
caveau, que plusieurs d'entre nous ont pu connaître , est le
dernier écho qui les ait répétées parmi les enfants d'Apollon.
Le souper, jadis si gai , est abandonné , et avec lui s'est
tarie une source abondante d'intempérance. Les pour-boire
et les pots-de-vin sont rejetés dans les basses classes ; ils
sont ennoblis dans les autres sous les noms d^épinr/les , de
gratifications , de cadeaux de chancellerie , qui ne re-
présentent plus à l'imagination des verres couronnés d'un
rouge bord , mais des fascicules de billets de banque, an-
nonçant une destination plus élevée. Charbonnier.
TEMPÉRANCE (Sociétés de). C'est le nom qu'on a
donné à des associations dont les membres prennent solen-
nellement entre eux l'engagement de ne pas s'adonner aux
boissons spiritueuses et surtout de s'abstenir, soit complè-
tement, soit jusqu'à un certain degré, de l'usage de l'eau-
de-vie. A la vue des maux engendrés par l'ivrognerie dans
beaucoup de pays, surtout dans ceux du Nord , depuis que
des procédés plus économiques dans la fabrication de l'al-
cool ont eu pour résultat d'en accroître considérablement
la consommation, des hommes d'État et des philanthropes
ont songé à combattre de leur mieux ce fléau. Si dans
quelques pays , en Suède par exemple , des lois pénales ont
été rendues contre les individus trouvés en état d'ivresse ,
dans d'autres on a cherché à combattre la consommation
immodérée de l'eau-de-viepar la création de sociétés de tetn-
p^ancc (renouvelées, soit dit en passant, de confréries créées
dans le même but en Allemagne au seizième siècle). Les as-
sociations de ce genre fondées aux États-Unis et en Angle-
terre, où le célèbre père Mathewena surtout été l'apôtre,
ont eu incontestablement les plus utiles résultats. Aux États-
Unis, l'ivrognerie , l'abus des spiritueux , ont fait depuis un
quart de siècle d'incalculables ravages ; aussi dans quel-
WCT. DE U CONTERS. — T. XYl.
TEMPELUTURE 497
ques États ne s'est-on pas contenté de l'action lente et tout*,
morale des sociétés de tempérance , et la législation parti-
culière est-elle Intervenue pour couper, comme on dit, le
mal dans sa racine. C'est ainsi que la législation de l'État
du Maine a interdit complètement la vente des boissons spi-
ritueuses. Là tous les cabarets ont été fermés; tout débit
de vin ou eau-de-vie entraîne amende ; et dans le pays de
la liberté personnelle illimitée tout individu trouvé ivre
est arrêté et renfermé pendant un temps plus ou moins long
dans le plus prochain pénitencier , avec une cruche d'eau
et une Bible comme exhortation à résipiscence. Il est vrai
que le diable n'y perd rien , dit-on , et que le trafic illicite,
la circulation clandestine des boissons alcooliques s'y sont
organisées sur une grande échelle. L'initiative prise à cet
égard par la législature de l'État du Maine n'en est pas
moins d'im bon exemple ; car il n'y a pas de pays où chacun
ne convienne que sous ce rapport il y a quelque chose à
faire. L'important était de commencer et d'entrer hardi-
ment dans la voie des réformes. Honneur donc à la législa-
ture du Maine, quand bien même elle n'atteindrait pas le
but qu'elle a eu en vue. Dans l'État de New-York , où le
mal avait pris des proportions non moins alarmantes, et
réclamait des mesures aussi énergiques , puisque que le
nombre des débits de liqueurs dans la seule ville de New-
York était arrivé au chiffre de sept mille, on a adopté en 1855
la loi du Maine ( Maine liquor law) , en la corrigeant tou-
tefois dans ce qu'elle a de trop absolu. En Angleterre , les
sociétés de tempérance ont fait à la même époque de Vagita-
tion pour que le parlement songeât à légiférer sur cette ma-
tière; mais jusqu'à présent la loi n'a rien tenté pour les se-
conder dans leurs efforts {voyez Teetotallers ).
TEMPÉRATURE (du latin temperare, modérer).
La température d'un corps à un moment donné est la
quantité de calorique qui y est alors sewsiô^e (c'est-à-
dire dont le thermomètre accuse la présence ). Suivant
que cette quantité augmente ou diminue, on dit que la
température s'élève ou s'abaisse.
La température moyenne, ou simplement la tempéra-
ture d''an pur , dans un lieu déterminé , est la moyenne
des températures observées en ce lieu à des intervalles de
temps égaux , par exemple d'heure en heure, ûe même on
comprend ce que signifient la température moyenne d'une
saison , celle d'une année , ou de tout autre laps de temps.
La température d'un lieu est la moyenne de la température
annuelle , conclue des résultats d'un grand nombre d'an-
nées : à Paris, elle est de lo°,8. Dans tous les cas, les ob-
servations sont toujours faites sur la température de l'air , et
non sur celle du sol. On sait que celle-ci devient à une
certaine profondeur indépendante des influences extérieures
( voyez Chaleur terrestre). Il est loin d'en être ainsi pour
la température de la superficie, qui se trouve soumise à
de nombreuses causes de variations , dont les principales
sont la latitude du lieu, son altitude, la direction
des vent s, la proximité ou l'éloignement des mers, la
forme des terrains environnants , etc. C'est ce que les direc-
tions des lignes isothermes, isothères et isochimènes, fi-
gurent d'une manière beaucoup plus exacte que l'ancienne di-
vision de la terre en cl i mats. On reconnaît par l'examen
de ces lignes que les causes perturbatrices que nous venons
de signaler influent assez notablement sur la température de
l'air à la surface du globe pour que le décroissementde cette
température en allant de l'équateur aux pôles soit loin de
suivre régulièrement l'augmentation de la latitude. Ainsi,
par exemple , bien que le Canada soit sous le parallèle de
l'Allemagne, le climat y est rigoureux comme celui de la
Suède; c'est que le terrain inculte y reste couvert de maré-
cages et de forêts qui accroissent la froidure des rudes hi-
vers de cette contrée. Ainsi encore, il est constaté que les
côtes occidentales de la France sont , à latitude égale ,
plus favorisées que les côtes orientales de la Chine ; nous
devons cet avantage à la prédominance du vent d'ouest dans
toute cette zone, vent qui nous apporte la fraîcheur de la
33
408 TEMPÉRATURE — TEMPLE
mer en été , la chaleur en hiver, tandis qu'il produit en Chine
l'effet directement opposé.
La température de l'hémisphère austral est inférieure à
celle de l'hémisphère boréal , sans qu'on puisse , dans l'état
actuel de nos connaissances, en indiquer la cause. La cli-
matologie présente bien d'autres points obscurs. Ses lois
attendent , pour être formulées , que l'on ait recueilli un
nombre suffisant de données. On sait déjà que les limites
des températures moyennes observées sous diverses latitudes
sont 31° au dessus de zéro en Abyssinie, et 18%7 au-
dessous de zéro à l'ile Melville. La plus haute température
constatée à la surface du globe a été de 47'',4 à Esné , en
Egypte ; la plus basse , de — 56°,? à Fort-Reliance, au nord
de l'Amérique ; ce qui donne une différence de 104", 1 entre
ces points extrêmes. On ne connaît pas la température des
pôles terrestres, inaccessibles aux navigateurs; mais on
sait que les pôles du froid ne coïncident pas avec les pôles
géographiques ; dans notre hémisphère , ces deux points
sont distants d'environ 20°.
La chaleur offre beaucoup moins de variations à la sur-
face des grands amas d'eau qu'à celle de la terre ; de plus,
elle présente un phénomène tout à fait opposé : la tempéra-
ture baisse à mesure que l'on descend vers le fond des
mers. Sous la zone torride, la température de la surface de
la mer est de 26 à 27". A de grandes profondeurs , elle n'est
plus, comme dans les zones tempérées, que de 2°, 5 à 3°,5.
On explique cette basse température des couches inférieures
par l'existence de courants sous-marins qui portent, vers
l'équateur l'eau froide des mers polaires.
L'influence des climats sur tous les êtres organisés , vé-
gétaux et animaux, est un fait incontestable, dont notre col-
laborateur Virey exprimait ainsi la loi : Expansion sous la
chaleur, contraction sous l'empire de la froidure. « Il y
a toutefois, ajoutait-il, des modifications à cette loi gé-
nérale , par l'innuence tout opposée de la sécheresse et de
riiumidité. Ainsi, l'on peut établir que le froid rigoureux
des régions polaires tend à resserrer tous les corps , empê-
cher le complet et libre développement des végétaux, ra-
bougris, comme les saules, les bouleaux , les chênes et une
feule d'autres espèces réduites à l'état de buisson, et même
chez les races d'hommes , Lapons , Samoïèdes , Esquimaux;
mais il n'en est point ainsi des animaux marins de ces ré-
gions , puisqu'on y voit grandir les colossales baleines, les
phoques et les slellères monstrueux, les ours blancs, etc.,
qui conservent avec l'humidité, sous leur épaisse fourrure ,
une chaleur considérable au milieu des glaces , et suppor-
tent tontes les rigueurs des hivers. Au contraire, sous les
brûlants climats des tropiques , la richesse de la végétation
s'épanouit en fleurs et en feuillciges magnifiques comme en
fruits abondants. Parmi les animaux , les éléphants , les
rhinocéros, les girafes et les chameaux , étalent leurs larges
croupes ; les autruches , les crocodiles , les énormes ser-
pents, et jusqu'à des insectes , papillons , coléoptères d'une
grande taille, signalent cette vigueur delà croissance favo-
risée par la chaleur : toutefois , c'est aussi dans les sables
arides que naissent des herbes sèches , épineuses , velues ,
rampantes, et qu'une foule d'animaux ont besoin de se dé-
rober à la brûlante ardeur du soleil , qui durcit et restreint
leurs organes. » E. Merlieux.
TEMPESTA {Il Cavalière) , c'est-à-dire le Chevalier
Tempête, surnom du célèbre peintre de marine hollandais
Peter Molïn ( appelé aussi Peter Millier, ou de Mulieri-
bus ) , et sous lequel il est plus connu que sous son nom de fa-
mille. Il existe à son sujet des données très-condradictoires,
notamment sur la dernière partie de sa vie. Né à Harlem ,
en 1637 , c'est surtout à Rome qu'il fit sa réputation ; aussi
Fiorillo le comprend-il parmi les peintres de l'école ro-
maine. Accusé d'avoir fait assassiner sa femme, il mourut
eu prison à Milan , en 1701. Ses tableaux représentant des
tempêtes portent le cachet de la force et de la nature , et
lui oDt fait bien plus de réputation que ses autres paysages.
11 ne faut pas le confondre avec Antonio Tehpesta,
peintre et graveur plus ancien, de Florence, né en 1550,
mort en 1630, dont les principales planches représentent
des batailles et des chasses.
TEMPÊTE. Voyez Orage.
TEMPLE ( du latin templum') , édifice consacré au
culte et dans lequel se réunissent les fidèles pour rendre
hommage à la divinité qu'ils adorent. Leur origine date de
l'organisation des premières sociétés; les hommes n'en
connurent d'abord d'autres que les montagnes ou les
forêts qu'ils habitaient. Ils s'y assemblaient pour adresser
leurs vœux et leurs prières; les chefs de famille, les
anciens de chaque localité, étaient leurs seuls prêtres.
Ce ne fut qu'à une époque plus avancée qu'ils aban-
donnèrent les bois et les collines : la nécessité de pou-
voir en toute saison et chaque jour se livrer à leurs pieuses
habitudes leur inspira l'idée d'environner de murailles et de
garantir des intempéries les lieux de leurs réunions ; et ce-
pendant l'usage de se réunir en pleine campagne et de prier
en plein air s'est en certains cas conservé dans toutes les
religions. Le christianisme a ses processions des Rogations ,
celles de l'octave de la Fête-Dieu et des reliques dans les
temps de sécheresse excessive et dans d'autres cas extraor-
dinaires.
Suivant la tradition la plus générale, les premiers tem-
ples auraient été construits en Egypte. Cet usage aurait
été ensuite imité par les Assyriens, les Phéniciens , les Sy-
riens , et aurait passé de là en Grèce et à Rotne. La super-
stition créa de nouveaux dieux. La pohtique, sous le voile
de la piété, multiplia les temples et les corporations reli-
gieuses richement dotées, et fit éleverjdes temples magni-
fiques. Chaque culte eut ses miracles et ses prodiges : le
paganisme transformait ses héros en demi-dieux , qui comp-
tèrent aussi leurs temples et leurs prêtres. Rome montrait
ses temples à la Victoire , à la Fortune , à la Concorde. Tout
alors était dieu , excepté Dieu lui-même. Les temples de
Delphes , d'Éphèse , ceux de Minerve à Athènes, de Jupi-
ter Capitolin à Rome , étaient célèbres par leurs vastes di-
mensions et les chefs-d'œuvre de l'art dont ils étaient dé-
corés. Les anciens peuples regardaient les temples comme
le séjour de la divinité même , comme un lieu sacré , où elle
daignait se communiquer aux hommes. Tout coupable, tout
débiteur qui s'était réfugié dans leur enceinte, échappait à
la justice humaine, à l'autorité des lois. L'enceinte des
temples était dans leur opinion un asile inviolable.
Chez quelques peuples, toute l'énergie, tout l'art national
se concentra dans la construction d'un temple unique, aux
proportions les plus grandioses. Les Hébreux , par exemple,
adorateurs d'un Dieu unique, mais pas encore assez pénétrés
de l'idée de son omnipotence, crurent qu'il ne pouvait y
avoir qu'un seul lieu propre au culte de ce Dieu, et firent par
conséquent de leur temple de Jérusalem le centre de leur
système religieux , tout comme celui de leur nationalité.
Ce futleroiSalomon qui construisit leur premier temple,
sur le mont Moriah, avec l'assistance d'architectes phéniciens.
C'était un édifice rectangulaire, en pierre, de 60 coudées de
long , de 20 coudées de large et de 30 coudées de haut, en-
touré sous trois de ses faces de salles latérales, qui, super-
posées , formaient trois étages et servaient à la garde des
trésors et des ustensiles du culte. La face de devant était
ornée d'un porche large de 10 coudées, supporté par deux
colonnes d'airain, appelées Jachin et Boas, c'est-à-dire
la Constance et la Force. L'intérieur était partagé en deux
salles : l'une, celle du fond, longue de 20 coudées , et ap-
pelée le Saint des saints, contenait l'arche d'alliance, et
était séparée de la salle de devant, appelée /e Saint, par une
cloison de 40 coudées. Là se trouvaient les chandeliers d'or,
la table aux pains de proposition et l'autel aux sacrifices. Ces
deux salles étaient décorées de boiseries en bois précieux. Le
grand-prêtre seul pouvait pénétrer dans leSaJn^deisoiwfs, et
il n'y avait que les prêtres consacrés au service du temple qui
eussent le droit d'entrer dans ïe Saint. Tout au tour de l'édifice
régnait un parvis , au milieu duquel fumait l'autel d'airain
TEMPLE
499
eu l'autel des holocaustes, et où se trouvait le bassin îles purifi-
cations.Des galeries fermées par des portes d'airain séparaient
<e parvis intérieur d'une cour extérieure destinée au peuple,
<^t qui était ceinte par une épaisse muraille. En remplacement
'le ce premier temple, qui fut détruit par les Assyriens, les
tribus juives, au retour de la captivité de Cabylone, sous
Séroubabel , construisirent un second temple , ayant la même
forme, mais ne présentant pas la même magnilicence.
Ilérodc le Grand le rebâtit, dans des proportions bien
plus grandioses , et l'entoura d'avant-cours qui s'élevaient
en formes de terrasses. Celle du bas, qui avait 500 coudées
carrées, étaitentourée sur trois de ses côtés de deux, etsur Je
(]uatrième côté , celui du midi, de trois rangées de colonnes,
'ît s'appelait l'avant-cour des païens, parce qu'il était
permis aux hommes de toutes les nations d'y entrer. Une
haute muraille la séparait de l'avant-cour des femmes ,
tiituée.plus haut et ayant 135 coudées carrées, où les femmes
juives se réunissaient pour faire leurs actes de dévotion.
De là on pénétrait, en montant quinze marches , dans la
grande avant-cour du temple, entourée également de colon-
nades, longue de 11 coudées et large de 135, séparée
comme avant-cour des hommes par une grille de la cour
intérieure, réservée aux prêtres. C'est au milieu de cette
«iernière cour que s'élevait le temple , construit en marbre
blanc , orné de riches dorures, long et haut de 100 coudées,
large de 60 , avec un porche de 100 coudées de large et trois
étages de salles latérales , comme d.-^ns le premier temple.
Les salles destinées à contenir les ustensiles et les divers
approvisionnements nécessaires pour la célébration du
culte occupaient le premier étage. Quand ce temple eut
été détruit par Titus, en l'an 70 de notre ère, il n'en fut plus
jamais reconstruit d'autres.
En France , on appelle temples les édiûces où les protes-
tants se réunissent pour entendre le prêche, pour faire la
cène et pratiquer les autres cérémonies de ,leur culte; et on
réserve la qualification d'églises pour les édifices consacrés
ail culte de la majorité , c'est-à-dire au culte catholique. Cet
usage ne laisse pas que d'indisposer quelques zélés calvi-
nistes et luthériens, qui veulent y voir une preuve de plus
de l'esprit d'intolérance et d'usurpation du catholicisme.
Ils se gardent donc bien d'employer jamais une dénomi-
nation qui semblerait impliquer, à leurs propres yeux , la
reconnaissance de la suprématie de l'Église romaine.
TEMPLE ( Le ) , nom du quatorzième quartier de l'an-
cien Paris, ainsi appelé parce que c'est là qu'était situé le
i)alais appartenant à l'ordre des Tem pi iers. Établis à
Paris, selon les uns en 1148, selon les autres en 1211, les
Templiers agrandirent considérablement leur maison. En
1 190 Philippe-Auguste, avant de partir pour la croisade, ht
son testament et ordonna qu'on dépuseï ait au Templece qu'il
possédait de plus précieux; ce qui indique que le Temple
était déjà considéré comme une forteresse respectable. Au
treizième siècle, l'enclos du Temple, comprenant tout l'es-
pace qui s'étend depuis le faubourg du Temple jusqu'à la
rue de la Verrerie, s'était considérablement accru, et s'ap-
pelait Ville-Neuve du JewjpZe. Lorsqu'en 1234 Henri III,
roi d'Angleterre, traversa Paris pour retourner dans son
royaume, il aima mieux habiter le Temple qu'aller loger au
palais de la Cité, que saint Louis lui avait offert.
En 1279 Philippe III confirma aux chevaliers de l'ordre
du Temple leurs droits de justice basse, moyenne et haute
sur toutes les terres et maisons qu'ils possédaient au delà
des murs de la nouvelle enceinte de Paris, c'est-a-dire de-
puis la porte du Temple jusqu'à la rue Barbette. Quant aux
terres enfermées dans les murs de la ville, le roi ne leur
laissa que la justice foncière ou basse. Le monastère de ces
religieux occupait un grand terrain enfermé de hautes mu -
railleî à créneaux, fortifiées d'espace en espace par des
tours. La plus grosse de ces tours, tlanqiiée de quatre
tourelles, fut bàlie par le frère Hubeit, qui mourut, en
1122 : ce fut dans cette graivie tour qu'on eufcripa l'infor-
tuné Louis XYI.
Après la destruction de l'ordre par Philippe le Bel, les
biens des Templiers furent attribués en partie aux cheva-
liers de Saint- Jean-de-Jérusalem, nommés depuis ordre de
Malte, qui firent du Temple la maison provinciale du grand-
prieuré de France. Ce grand enclos était rempli par l'église,
par la grosse tour et par des maisons, dont plusieurs avec
des jardins. Les plus petites se louaient à des marchands et
à des artisans, qui y jouissaient du droit de franchise. L'é-
glise, d'une lorme gothique, était bâtie, disait-on, sur le
modèle de celle de Saint-Jean-de-Jérusalera. Jacques de
Souvré, grand-prieur de France, en 1720, fit faire des
agrandissements considérables aux bâtiments de cette maison ;
il fit abattre les murailles crénelées et les tours de l'enclos ,
embellit les jardins, les rendit publics, et construisit un vaste
hôtel au-devant du vieux manoir. Son successeur fut Phi-
lippe de Vendôme , prince du sang, célèbre par ses exploits
au siège de Candie et à la prise de Namur. Ce prince voulut
surpasser la splendeur du Palais-Royal ; et les soupers du
du Temple, chantés par l'abbé de Chaulieu , réunirent
toute la société galante de la régence. Le grand-prieuré
passa ensuite de Philippe de Vendôme au prince de Conti,
qui en 1765 recueillit dans le Temple J.-J. Rousseau persé-
cuté , les lettres de cachet ne pouvant pénétrer dans cette
enceinte privilégiée.
Le Temple en effet a été jusqu'à la révolution le dernier
lieu d'asile de Paris, et les débiteurs s'y réfugiaienten foule;
aussi tous les bâtiments de l'enclos se louaient-ils infiniment
plus cher que les maisons de la ville et étaient-ils pour le grand-
prieuré d'un revenu de 60,000 livres. Les huissiers et les
gardes du commerce se tenaient continuellement aux aguets
devant la porte , et le dimanche était le seul jour où les
réfugiés pussent sortir de l'enceinte sans crainte d'être
inquiétés. Le duc d'Angoulôme fut le dernier titulaire du
grand-prieuré, et le comte d'Artois, son père, donna encore
au Temple quelques fêtes galantes. Après la journée du 10
août 1792, Louis XVI fut enfermé dans la tour du Temple
avec sa famille.
Dès lors le Temple devint prison d'État. Pendant les
tristes années qui précédèrent le consulat, la tour vit suc-
cessivement dans ses murs le comte de Montlosicr, l'a-
miral anglais Sydney Smith, Toussaint Louverture, etc., etc.
Pichegru y fut enfermé avec Moreau , Cadoudal et les frères
Polignac; il s'y étrangla, le 6 avril 1804. Le premier consul,
visitant le Temple, avait dit : « Il y a trop de souvenirs
dans cette prison , je la ferai abattre. » La tour fut en
effet démolie en 18U , et ce qui restait du palais du grand-
prieur, d'abord converti en caserne, fut ensuite disposé et
embelli pour recevoir le ministère des cultes. Les événements
de 1S14 firent changer la destination du Temple ; il devint
l'un des quartiers généraux des armées alliées, et en 1815
ses jardins furent occupés par la cavalerie prussienne. En
1810 Louis XVIII donna l'hôtel du Temple à une prin-
cesse de la maison de Condé, ancienne abhesse de Remire-
moîil , qui s'y enferma avec les bénédictines du Saint-Sa-
crement. C'est à cette abbesse que l'on doit la chapelle qui,
fondée en 1823 , s'ouvrait sur la rue du Temple, avec un
portique sur lequel on lisait ces deux mots latins: Venite
adoremus. En 1848 les bénédictines abandonnèrent le
palais du Temple; l'élat-major de l'artillerie de la garde na-
tionale y fut alors installé. Un square gracieusement dessiné,
et pour lequel on a utilisé quelques arbres de l'ancien jardin
des bénédictines, a remplacé tout récemment l'ancien pa-
lais , qui a été démoli, ainsi que ses dépendances. C'a été un
véritable bienfait pour ce quartier populeux que la créalion
d'iui jardin public, qu'on ne peut manquer d'agrandir encore
lorsciue la translation à quelque extrémité de la ville du mar-
ché adjacent mettra à la disposition de l'édilité parisienne
un emplacement deux fois plus considérable.
Ce marché , appelé le Temple, parce qu'il a été établi
aussi sur les terrains de l'ancien Temple, sert d'abri à une
foule de fripiers et de revendeurs. C'est là qu'où va acheter
à bas prix des toilettes d'occasion , grâce auxquelles dUi
32.
àOO
TEMPLE — TEMPLIERS
et celles qui s'en affublent se croient transforn)és en lions
et lionnes ; jamais vous ne parviendrez à persuader à ces
victimes de misère et vanité que cliacua en les voyant
passer devine tout de suite que c'est du Temple que provient
leur défroque.
TEMPLE (Ordre du). Voyez Templiers.
TEMPLE (Sir William), écrivain politique et diplo-
mate anglais, célèbre à bon droit, naquit en 162S, à Londres,
et descendait d'une brandie cadette de la famille Temple,
établie en Irlande, etdont la branche aînée s'éteignit en 1743,
en même temps que ses grandes propriétés passaient à la fa-
mille Grenville. Il n'entra dans les affaires qu'après la res-
tauration des Stuarts , en 1660. A cette époque il devint
membre de la convention irlandaise, où il se distingua par le
libéralisme de ses opinions et par son opposition à Tinfro-
duction d'un impôt de capitation {poil bill). En 1662 le
comté de Carlow l'envoya au parlement irlandais; et l'année
suivante il fut désigné par cette assemblée pour faire partie
d'une commission spéciale en permanence auprès du roi. Il
s'établit alors à Londres avec sa famille. Lorsqu'en 1667 les
Pays-Bas se trouvèrent menacés par les Français , il fut
chargé d'aller conclure à La Haye, avec la Hollande, un
traité qui , par suite de l'accession de la Suède , reçut la
dénomination de traité de la triple alliance. Il se rendit •
delà, avec le litre d'envoyé extraordinaire , à Aix-la-Cha-
pelle, où il réussit à amener la conclusion de la paix signée,
le 2 mai 1668, entre la France et l'Espagne. Ces succès di-
plomatiques le mirent en grand renom , et Charles II le
nomma son ambassadeur près des états généraux. Mais en
1669, ayant reçu de sa cour, vendue aux intérêts de
Louis XIV, l'ordre d'amener une rupture entre la Hollande
et l'Angleterre, il se retira des affaires, et alla s'établir dans
son domaine de Sheen, près Richmond , où il composa
ses Observations on the United Provinces of the Ne-
therlandseluae partie de ses Essaijs. Rappelé aux affaires
en 1672, il se rendit, en 1674, en qualité d'ambassadeur à La
Haye , où il posa les bases de la paix qui fut enfin siguée
deux ans plus tard, en 1676, à Nimègue, et il y conclut le
mariage du prince d'Orange avec la princesse Marie. Pour
mettre un terme au mécontentement général , Temple con-
seillait au roi de créer un conseil d'État, composé de trente
membres, choisis parmi les chefs de l'administration elles
principaux personnages parlementaires. Quand, le 10 jan-
vier 168Î, Charles II prit le parti de dissoudre le parlement.
Temple, opposé à cette mesure, donna sa démission. Mé-
content de tous les partis, il se retira alors pour toujours
dans ses terres, où il ne s'occupa plus que d'agriculture.
Bientôt il devint si étranger au mouvement politique , qu'il
n'eut pas le moindre pressentiment de la révolution de 1688.
Guillaume III essaya vainement de le déterminer à rentrer
aux affaires. William Temple mourut en 1698. Sea Œuvres
ont paru en deux volumes (Londres, 1750 et 1814). Swift a
publié ses Mémoires (2 vol., 1709) et ses Lettres (2 vol.).
TEMPLE-BAR. Voyez Londres.
TEMPLIEKS, Templarii. Ainsi s'appelaient les mem-
bres d'un ordre religieux et militaire qui, comme l'ordre
de Saint-Jean-de-Jéru sal em et l'ordre Teuton ique,
devait son origine aux croisades , mais qui finit tragiquement
dès le quatorzième siècle, victime des plus terribles accusa-
tions.
Quelques compagnons d'armes de Godefroi de Bouillon,
restés à Jérusalem au service de la Terre Sainte, Hugues de
Payensel Godefroi de Saint-Omer, formèrent, en 1 1 18, avec
sept autres chevaliers français, une confrérie ayant pour but
de protéger contre les attaques des Sarrasins les pèlerins qui
venaient visiter les lieux saints. La confrérie adopta la
règle des chanoines réguliers, et, en présence du patriarche
de Jérusalem , fit vœu de chasteté, d'obédience et de pau-
vreté. D'abord les frères vécurent dans une grande pénurie ;
mais Baudoin II céda ensuite à ces moines guerriers une
partie de son palais , situé tout près de l'église du Saint-
Sépulcre, qu'on appelait le Temple parce qu'on prétendait
qu'il avait été construit sur l'emplacement même de l'âQ-
cien temple de Salomon. C'est de ce nom de leur première
habitation que les membres de l'ordre furent appelés Tem-
pliers, et leurs maisons d'ordre reçurent également le
nom de temples, par exemple à Paris. Le pape Hono-
rius H confirma l'ordre en 1127, au concile de Tours, et
lui donna ses premiers statuts , composés de la règle de
Saint-Benoît et des préceptes de saint Bernard de Clair-
veaux , qui prit avec le plus grand zèle les intérêts de cette
nouvelle milice monacale. Le but primitif île l'ordre fut de
la sorte élargi, attendu que les Templiers, soumis à a disci-
pline canonique et au régime monacal, durent désormais
consacrer leur vie à combattre les infidèles pour la défense
du saint-sépulcre. Mais le vœu de pauvreté était incompa-
tible avec une pareille mission, et les chevaliers ne tardèrent
pas à recevoir pour prix de leurs services les présents et les
legs les plus considérables, tant en Palestine qu'eu Europe.
La richesse de l'ordre et son renom de bravoure engen-
drèrent parmi ses membres l'orgueil et l'avidité. Dans la
lutte qui éclata entre l'empereur Frédéric I"^ et le pape
Alexandre 111, les Templiers ayant épousé chaudement les
intérêts de ce dernier, obtinrent en 1162 un bref qui les-
exemptait de toute juridiction ecclésiastique et qui les pla-
çait sous l'obédience immédiate du sainl-siége. Plus tard ,
d'autres brefs leur firent remise de toutes espèces d'impôts et
leur accordèrent le droit de prélever des dîmes. La discipline
de l'ordre se trouva ainsi profondément ébranlée, en même
temps que ses tendances devenaient toutes temporelles. En
Europe, les Templiers se montrèrent les défenseurs zélés de
l'autorité pontificale; mais en Palestine leurs intrigues et
leur attitude équivoque à l'égard des Sarrasins furent au
nombre des principales causes de la décadence de la puissance
chrétienne. En revanche, l'ordre ne tarda point à surpasser
tous les autres en puissance et eu richesse. C'est vers le mi-
lieu du treizième siècle qu'il atteignit l'apogée de ses pros-
pérités. Propriétaire deprèsde 9,000 commanderies, de biens
immenses, surtout en France , et de gros revenus, il faisait
des affaires d'argent à l'instar des banquiers; et par ses ri-
chesses, de même que par cette circonstance qu'il comptait
dans ses rangs la fleur de la noblesse européenne, il exer-
çait une influence considérable sur les alfaires publiques.
En outre, la puissance et la considération dont jouissaient
les Templiers déterminaient souvent des personnages de
distinction des deux sexes à s'y affilier, soit à titre de dona-
teurs, soit comme oblats. Au moyen de ces affiliés, qui
d'ordinaire lui léguaient leurs biens , l'ordre en vint à do-
miner toutes les classes de la société. Les Templiers n'étaient
astreints à aucune espèce de noviciat. Ils avaient pour chct
leur grand-mailre , qui jouissait du rang de prince et qui
donnait ses ordres au nom de Dieu lui-même. Après lui
venaient les grands-prieurs , (\u\ gouvernaient les provin-
ces, puis les baillis et les prieurs ou commandeurs , car
ces termes étaient synonymes. Il y avait en outre d'autres
grands dignitaires, tels que le senecAa/, qui au besoin sup-
pléait le grand-maître; le maréchal, qui commandait aux
chefs d'armée; le maître trésorier, chargé de toute l'ad-
ministration financière supérieure; le drapier, dans les
attributions duquel rentrait tout ce qui était relatif à la con-
fection des vêtements; et le lurcopolier, qui commandait la
cavalerie légère, ou les écuyers, les turcopoles. Quoique
vers la fin du douzième siècle les grands-maîtres exerças-
sent une autorité très-despotique, toute la constitution de
l'ordre n'en était pas moins essentiellement aristocratique.
L'autorité suprême résidait dans le chapitre général de
Z'orrfre , composé de tous les chefs de l'ordre et de quelques
simples chevaliers appelés à en faire partie; mais dans les cir-
constances et les temps ordinaires ce chapitre général était
suppléé par le chapitre de Jérusalem. En outre, chaque
grande maison de l'ordre, de laquelle relevaient les maisons
moindres, traitait de ses projires affaires dans un chapitre
particulier. Tous les membres de l'ordre portaient comme
symbole de chasteté une ceinture de fil de lin ; les ecclé-
TEMP
s-astiques portaient un vêtement blanc, et les servîtes un ,
vêtement noir ou gris. Chaque clievalier avait trois clievaux
et un écuyer, et portait dessus son armure un manteau de
toile de lin blanche, orné de la croix rouge à huit pointes,
symbole de l'engagement qu'il avait pris de verser son sang
pour la défense de l'Église. Il est facile de penser que , par
suite de l'affaiblissement de la discipline et de l'oubli des
règles primitives de l'ordre , toutes ces résidences occupées
par une noblesse riche et organisée, qui comptait dans ses
rangs les hommes les plus habiles et les plus éclairés de
cette époque, avaient dû devenir le théâtre du luxe et du
bien vivre. Les jouissances déhcates, les vins exquis, les
femmes, la musique, les fêtes, étaient à l'ordre du jour dans
les maisons des Templiers, tandis que leurs chapitres étaient
en proie aux haines individuelles et aux cabales.
L'occident, Paris surtout, était depuis longtemps devenu
le centre de l'ordre, lorsque la puissance chrétienne s'écroula
en Syrie, et cela en grande partie par la faute des Templiers.
De Jérusalem le grand-maître alla d'abord ( 1291 ) s'établir à
Sidon et à Tortosa, puis dans l'Ile de Chypre, où il fixa
sa résidence à Lemisso. Les Templiers ne continuèrent que
très-mollement à combattre les infidèles. Maintenant ce à
quoi ils visaient surtout, c'était de fonder un État séculier
de nature aristocratique et sacerdotale , d'abord dans l'iie de
Chypre, puis, quand ils eurent échoué là, en France. C'est
alors que leur perte fut résolue. Le roi de France Philippe
le Bel, qui était jaloux de leurs richesses et qui les convoi-
tait, à qui leur puissance inspirait des défiances, et qui ne
pouvait pas leur pardonner le zèle dont en toutes occasions
ils faisaient preuve pour les intérêts du saint-siége, songea
à anéantir cette redoutable ligue nobiliaire. Après avoir
fait élire pape à Avignon Clément V, qui se trouvait
complètement sous sa dépendance, il s'occupa de mettre
ses plans à exécution. D'abord, on I30;>, il tâcha de dé-
terminer le grand-maître Jacques-Bernard de Molay, qu'il
avait invité à lui rendre visite en France , à prendre part à
une nouvelle croisade et par la même occasion à consentir
à la fusion de l'ordre avec celui des chevaliers de Saint-Jean-
de-Jérusalem ou Hospitaliers. Ses ouvertures ayant été re-
poussées, il n'hésita plus à entrer ouvertement en lutte
contre l'ordre. En 1307, vraisemblablement à l'instigation du
roi, des dénonciateurs se présentèrent, qui élevèrent contre
l'ordre les plus effroyables accusations, telles que celles
de se livrer à l'idolâtrie, de renier Jésus-Christ et de s'a-
bandonner à des excès contre nature. Tandis que Molay
cherchait à justifier l'ordre de ces imputations auprès du
pape , le roi faisait arrêter, le même jour ( 13 octobre 1307),
sous l'inculpation d'hérésie tous les Templiers qui se trou-
vaient en France. Peu de temps après, Clément V en fit
autant par une bulle en date du 22 novembre, qui ordon-
nait l'arrestation des Templiers dans tous les autres pays.
Mais tandis que le pape entendait procéder avec lenteur
et une visible indulgence pour les Templiers, le roi confis-
quait leurs biens, créait une juridiction spéciale en matière
d'hérésie, et à l'aide d'horribles tortures obtenait des aveux
confirmant les accusations élevées contre l'ordre. Le pape
essaya de diriger l'enquête avec mansuétude, à l'aide de
commissaires ecclésiastiques ; et ces commissaires, sans le-
courir à l'emploi de la torture, obtinrent aussi des Templiers
beaucoup d'aveux compromettants, encore bien que la plus
grande partie des accusés opposassent les dénégations les
plus formelles aux faits mis à leur charge, ou en réalité
n'eussent rien à dire qui fût de nature à nuire à l'ordre.
Avant que l'enquête ordonnée par le pape fût terminée, Phi-
lippe fit brûler à petit feu, le 12 mai 1310, cinquante-quatre
TennpliersàParis, et neufautres dans diverses localités, pour
avoir d'abord fait des aveux qu'ils avaient ensuite rétractés
et pour avoir essayé de présenter la défense de l'ordre. Cette
tragique exécution interrompit brusquement les travaux
des commissaires du sainl^siége. Dès lors aucun Templier ne
▼ouliit plus faire d'aveux , et partout , en Allemagne notam- t
ment, se manifestèrent des sentiments de compassion pour \
LIERS SOI
eux et de blâme pour leurs persécuteurs. Ce fut seulement
le .3 novembre 1310, et après avoir reçu les protestationt
les plus rassurantes , que les commissaires du pape recom-
mencèrent l'enquête, qui fut enfin terminée le 26 mai 1311.
Les actes des instructions faites dans les autres pays arri-
vèrent aussi successivement. En Angleterre , en Ecosse et en
Irlande on avait, il est vrai, incarcéré aussi les Templier»,
mais au total ils y furent traités avec beaucoup de modéra-
tion. On se montra encore moins sévère à leur égard en
Italie (à l'exception du royaume de Naples), en Espagne et
en Portugal, où l'ordre avait rendu de grands services contre
les Maures, mais surtout en Allemagne.
Les écrivains du moyen âge soutiennent l'innocence des
Templiers et attribuent sa chute à la rapacité de Philippe
le Bel et du pape. Au dix-huitième siècle ce furent les francs-
maçons et les partisans des lumières qui essayèrent de les
défendre; mais de nos jours l'étude des actes de la procé-
dure a permis de connaître plus à fond l'organisation inté-
rieure de l'ordre, et a complètement modifié l'opinion. Il de-
meure avéré que le pape fit procéder à l'enquête avec une
modération extrême et avec autant d'impartialité que d'in-
dulgence ; que la culpabilité des Templiers, d'après les idées
alors régnantes, était flagrante, et que le jugement rendu
par le pape fut encore empreint de beaucoup de mansué-
tude. Les trahisons de l'ordre en Palestine, ses crimes, son
avidité et son ambition, la vie de débauches d'un grand
nombre de ses membres , l'oubli complet du but de son ins-
titution dans lequel il était tombé, sont des faits prouvés par
une étude approfondie de l'histoire des croisades. Tout cela
eût bien [)u justifier la réforme de l'ordre, mais non sa destruc-
tion. Or, il résulte des actes de la procédure que des opinions
déistes et panthéistes avaient fini par pénétrer dans les prin-
cipes professés par les Templiers en matièrede religion. La
négation du Chi ist, l'adoration d'une idole à laquelle le peuple
donnait le nom de Bap home t, la connexion avec certaines
idées gnostiques rapportées d'Orient, et un grossier culte des
sens, tel qu'il en existe dans quelques religions païennes
de ces contrées, semblent avoir été des accusations fondées.
Mais il n'est pas invraisemblable qu'il y avait dans l'ordre des
membres initiés et des membres qui ne l'étaient pas, ce qui
explique la contradiction existant entre les graves aveux des
uns et les protestations de complète innocence des autres.
Au mois d'octobre 1311, le pape convoqua à Vienne un con-
cile où l'on fit de toute la procédure l'objet de longues dé-
libérations. Mais ce ne fut que lorsque le roi Philippe le Bel
se fut rendu en personne à ce concile, en février 1312, que le
fi.iiio Clément V prononça, le 3 avril suivant, la suppression
(le l'ordre, sous peined'excommunication, comme coupable
(le crimes honteux qu'il fallait passer sous silence. Clément V
ajoutait, il est vrai, qu'il ren(lait cette sentence moins d'à-
|)rès les actes de la procédure qu'en vertu de ses pleins pou-
voirs pontificaux ; mais c'était là évidemment un biais adopté
par (^gard pour l'Église et afin de cacher l'énormité du scandale,
car c'est seulement de nos jours que les actes de la procé-
dure ont été rendus publics. La bulle portait absolution en
faveur des Templiers qui devaient être répartis dans d'au-
tres couvents, et décidait que les biens de l'ordre seraient
donnés aux chevaliers de Saint-Jean-de-Jériisalem pour être
par ceux-ci employés au service de l'Église. Philippe le Bel
n'en fit pas moins encore brûler à petit feu à Paris, le 19 mars
1414, le grand-maître, Jacques de Molay, et le grand-prieur
de Normandie, Hugues de Peraido, parce qu'ils avaient
rétracté leurs aveux et protesté avec persévérance contre la
légalité de toute la procédure. Philippe le Bel mourut
peu après cette sanglante tragédie, et Clément V ne tarda
pas à le suivre dans la tombe. Il n'y eut qu'une faible partie
des biens de l'ordre qui passèrent aux chevaliers de
Saint-Jean-de-Jérusalem , et encore durent-ils en payer la
valeur. Les princes gardèrent pour eux bon nombre de ces
biens, notamment en France, sous prétexte de pourvoir
à l'entretien des Templiers sécularisés. D'ailleurs, en vola
qui put. Eu Allemagne la suppression de l'ordre n'eut liey
502
TEMPLIERS
que successivement, et non sans peine , parce que pe»
sonne ne connaissait les faits imputés aux Templiers
qui en beaucoup d'endroits défendirent même leurs pro»
priétés les armes à la main. En Espagne et en Portugal ,
l'ordre fut transformé, en 1319, en un ordre de cour,
l'ordre du Christ, qui existe encore aujourdhui, mais
dans lequel durent aussitôt s'effacer toutes traces de l'ancien
esprit des Templiers. Quant aux Templiers mêmes, dont le
nombre, à l'origine de la procédure, s'élevait , dit-on , à
20,000, il n'y en eut qu'une très-pelite partie qu'on renferma
dans des prisons pour le restant de leurs jours, ou bien
qu'on entretint dans d'autres monastères. Beaucoup en-
trèrent dans l'oidre de Saint-Jean-de-Jérusalera ; la plupart
rentrèrent dans le monde.
Il est possible que quelques éléments de cet ordre si puis-
sant aient continué de subsister, mais il n'en existe pas la
moindre trace quelque peu authentique. Les rapports de la
franc-maçonneri e- avec l'ordre du Temple sont de pure
invention. Les jésuites cherchèrent, il est vrai, à introduire
dans la maçonnerie , dont il commença d'être question vers
la fin du dix-septième siècle, \e templisme , et bon nombre
de mOraerieset de tours de passe-passe s'y rapportant, afin
de pouvoir diriger ainsi cette association dans un but ca-
tholique et sacerdotal. Leur collège de Clermont , à Paris ,
devint le centre d'action de ce système, qui pénétra insensi-
blement dans les loges de tous les autres pays. Ce ne fut
qu'en 1782, dans une réunion des francs-maçons les plus
importants de l'Allemagne, qui eut lieu à VViesbaden, sous
la présidence du duc Ferdinand de Brunswick, qu'on parvint
à s'en débarrasser et à restituer à la maçonnerie son carac-
tère essentiellement protestant.
[Voici la rude esquisse que saint Bernard nous donne de
la figure du Templier : « Cheveux tondus, poil hérissé, souillé
de poussière; noir de fer, noir de hâle et de soleil... Ils
aiment les chevaux ardents et rapides, mais non parés,
bigarrés, caparaçonnés... Ce qui charme dans cette foule,
dans ce torrent qui coule à la Terre Sainte, c'est que "vous
n'y voyez que des scélérats et des impies. Christ d'un ennemi
se fait un champion; du persécuteur Saiil il fait un saint
Paul... » Puis, dans un éloquent itinéraire, il conduit les
guerriers pénitents de Bethléem au Calvaire, de Nazareth
au saint-sépulcre.
La grande affaire du moyen âge fut la guerre sainte, la
croisade ; l'idéal de la croisade semblait réalisé dans l'ordre
du Temple. Associés aux Hospitaliers dans la défense des
saints lieux, les Templiers en différaient en ce que la guerre
était plus particulièrement le but de leur institution. Les
uns et les autres rendaient les pins grands services. En ba-
taille, les deux ordres fournissaient alternativement l'avant-
garde et l'arrière-garde. Les Templiers formaient l'avant-
garde à Mansourah.
On avait cru avec raison ne pouvoir jamais faire assez
pour un ordre si dévoué et si utile. Les privilèges les plus
magnifiques leur furent accordés. Chacun désirait naturelle-
ment participer à de tels privilèges. Innocent III lui-même
voulut être affilié à l'ordre ; Philippe le Bel le demanda en
■vain.
Mais quand cet ordre n'eût pas eu ces grands et magni-
fiques privilèges, on s'y serait présenté en foule. Le Temple
avait pour les imaginations un attrait de mystère et de va-
gue terreur. Les réceptions avaient lieu dans les églises de
l'ordre, la nuit, et portes fermées. Les membres inférieurs
en étaient exclus. La forme de réception était empruntée
aux rites dramatiques et bizarres, aux mystères dont l'É-
glise antique ne craignait pas d'entourer les choses saintes.
Le récipiendaire était présenté d'abord comme un pécheui-,
im mauvais chrétien, un renégat. Il reniait, ii l'exemple de
saint Pierre ; le reniement, dans cette pantomime , s'expri-
mait par un acte : il crachait sur la croix. L'ordre se char-
geait de réhabiliter ce renégat, de l'élever d'autant plus haut
que sa chute était plus profonde. Ainsi , dans la jféte des
foU, l'homme offrait l'hommage même de son imbécillité,
de son infamie , à l'Église , qui devait le régénérer. Ces co-
médies sacrées , chaque jour moins comprises, étaient de
plus en plus dangereuses , plus capables de scandaliser un
âge prosaïque, qui ne voyait que la lettre et perdait le sens
du symbole. Elles avaient ici un autre danger. L'orgueil du
Temple po\ivait laisser dans ces formes une équivoque im-
pie. Le récipiendiaire pouvait croire qu'au delà du christia»
nisme vulgaire, l'ordre allait lui révéler une religion plus
haute , lui ouvrir un sanctuaire derrière le sanctuaire. Ce
nom du Temple n'était pas sacré pour les seuls chrétiens.
S'il exprimait pour eux le saint sépulcre, il rappelait aux
jin'fs, aux musulmans, le temple de Salomon. L'idée du
Temple, plus haute et plus générale que celle môme de
l'Église, planait en quelque sorte par-dessus toute religion.
L'Église datait, et le Temple ne datait pas. Même après la
ruine des Templiers, le Temple subsiste, au moins comme
tradition , dans les enseignements d'une foule de sociétés
secrètes, jusqu'aux rose-croix, jusqu'aux francs-maçons.
L'Église est la maison du Christ , le Temple celle du Saint-
Esprit. Les gnostiques prenaient pour leur grande fête non
pas Noël ou Pâques, mais la Pentecôte, le jour où l'Esprit
descendit. Jusqu'à quel point ces vieilles sectes subsistèrent-
elles au moyen âge? Les Templiers y furent-ils affiliés? De
telles questions, malgré les ingénieuses conjectures des mo-
dernes, resteront toujours obscures, dans l'insuffisance des
monuments.
Je ne voudrais pas m'associer aux persécuteurs de ce
grand ordre. L'ennemi des Templiers les a lavés sans le
vouloir ; les tortures par lesquelles il leur ar racha de hon-
teux aveux semblent une présomption d'innocence. On est
tenté de ne pas croire des malheureux qui s'accusent dans
les gênes. S'il y eut des souillures, on est tenté de ne plus
les voir, effacées qu'elles furent dans la flamme de bûchers.
H subsiste cependant de graves aveux , obtenus hors de la
question et des tortures. Les points mêmes qui ne furent
pas prouvés n'en sont pas moins vraisemblables pour qui
connaît la nature humaine, pour qui considère sérieusement
la situation de l'ordre dans ses derniers temps.
Il était naturel que le relâchement s'introduisît parmi des
moinesguerriers, des cadets de la noblesse, qui couraient les
aventures loin de la chrétienté, souvent loin des yeux de leurs
chefs, entre les périls d'une guerre à mort et les tentations
d'un climat brûlant, d'un pays d'esclaves, de la luxurieuse
Syrie. L'orgueil et l'honneur les soutinrent tant qu'il y eut
espoir pour la Terre Sainte. Enfin , ils perdirent Jérusalem ,
puis Saint-Jean-d'Acre. Soldats délaissés, sentinelles perdues,
faut-il s'étonner si au soir de cette bataille de deux siècles
les bras leur tombèrent ? La chute est grave après les grands
efforts. L'âme montée si haut dans l'héroïsme et la sain-
teté tombe bien lourde en terre... Malade et aigrie, elle
se plonge dans le mal avec une faim sauvage, comme pour
se venger d'avoir cru. Telle paraît avoir été la chute du
Temple. Tout ce qu'il y avait eu de saint en l'ordre devint
péché et .souillure. Après avoir tendu de l'homme à Dieu , il
tourna de Dieu à la bête. Les pieuses agapes , les fraternités
héroïques, couvrirent de sales amours de moines. Ils ca-
chèrent l'infamie en .s'y mettant plus avant; et l'orgueil y
trouvait encore son compte. Ce peuple éternel, sans fa
mille ni génération charnelle, recruté par l'élection et l'es-
prit, faisait montre de son mépris pour la femme, se suffi-
sant à lui-même et n'aimant rien hors de soi. Comme ils se
passaient de femmes, ils se passaient aussi de prêtres,
péchant et se confessant entre eux. Et ils se passèrent
de Dieu encore. Ils essayèrent des superstitions orientales,
de la magie sarrasine. D'abord symbolique , le reniement
devint réel ; ils abjurèrent un Dieu qui ne donnait pas la
victoire; ils le traitèrent comme un allié infidèle, qui les
trahissait, l'outragèrent , crachèrent sur la croix. Leur vrai
dieu, ce semble, devint l'ordre même. Ils adorèrent le
Temple et les Templiers leurs chefs , comme Ten\ples vi-
vants. Ils symbolisèrent par les cérémonies les plus sales et
les plus repoussantes le dévouement aveugle, l'abandon
TEMl'LlERS
eomplet de la volonté. L'ordre , se serrant ainsi , tomba dans
une farouche religion de soi-même, dans im satanique
égoïsme. Ce qu'il y a de souverainement diabolique dans le
diable, c'est de s'adorer.
Voilà, dira-t-on, des conjectures. Mais elles ressortent trop
naturellement d'un grand nombre d'aveux obtenus sans
avoir recours à la torture , particulièrement en Angleterre.
Que tel ait été d'ailleurs le caractère général de l'ordre ,
que les statuts soient devenus expressément honteux et im- i
pies, c'est ce que je suis loin d'affirmer. De telles ciioses ne '•
s'écrivent pas. La corruption entre dans un ordre par conni-
vence mutuelle et tacite. Les formes subsistent, changeant
de sens et perverties par une mauvaise interprétation que
personne n'avoue tout haut. M'ais quand même ces infamies,
ces impiétés, auraient été universelles dans l'ordre, elles I
n'auraient pas sudi pour entraîner sa destruction. Le clergé
les aurait couvertes et étouffées , comme tant d'autres dé-
sordres ecclésiastiques. La cause de la ruine du Temple,
c'est qu'il était trop riche et trop puissant.
Philippe le Bel en voulait aux Templiers de n'avoir sous-
crit l'appel contre Bonif ace qu'avec réserve, sub proies-
tationtbus. l\s avaient refusé d'admettre le roi dans l'ordre.
Ils l'avaient refusé et ils l'avaient servi, double humi-
liation. Il leur devait de l'argent; le Temple était une sorte
de banque, comme l'ont été souvent les temples de l'anti-
quité. La tentation était forte pour le roi. Sa victoire de
Mons-en-Puelle l'avait ruiné. Déjà contraint de rendre la
Guienne, il l'avait été encore de lâcher la Flandre flamande.
Sa détresse pécuniaire était extrême, et pourtant il lui fal-
lut révoquer un impôt contre lequel la Normandie s'était
soulevée. Le peuple était déjà si ému qu'on défendit les ras-
semblements de plus de cinq personnes. Le roi ne pouvait
sortir de cette situation désespérée que par quelque grande
confiscation. Or, les juifs ayant été chassés, le coup ne pou-
vait frapper que sur les prêtres ou sur les nobles , ou bien
sur un ordre qui appartenait aux uns ou aux autres , mais
qui par cela même, n'appartenant exclusivement ni à ceux-
ci ni àceux-là, ne serait défendu par personne. Loin d'être
défendus , les Templiers furent plutôt attaqués par leurs dé-
fenseurs naturels. Les moines les poursuivirent. Les nobles,
les plus grands seigneurs de France , donnèrent par écrit
leur adhésion au procès.
Le coup ne fut pas imprévu , comme on l'a dit. Les Tem-
pliers eurent le temps de le voir venir. Mais l'orgueil les
perdit; ils crurent toujours qu'on n'oserait. Le roi hésitait
en effet. Il avait d'abord essayé des moyens ind'rects. Par
exemple, il avait demandé à être admis daus l'ordre. S'il y
eût réussi, il se serait probablement fait grand-maître,
comme fit Ferdinand le Catholique pour les ordres mili-
taires d'Espagne. Il aurait appliqué les biens du Temple à
son usage, et l'ordre eût été conservé.
Depuis la perte de la Terre Sainte , et même antérieure-
ment , on avait fait entendre aux Templiers qu'il serait
urgent de les réunir aux Hospitaliers. Réuni à un ordre
plus docile, le Temple eût présenté peu de résistance aux
rois. Ils ne voulurent point entendre à cela.
Pendant que ;ies Templiers résistaient si fièrement à
toute concession , les mauvais bruits allaient se fortifiant.
Eux-mêmes y contribuaient. Un chevalier disait à Raoul de
Presles, l'un des hommes les plus graves du temps, «que
dans le chapitre général de l'ordre il y avait une chose si
secrète, que si, pour son malheur, quelqu'un la voyait,
fût-ce le roi de France , nulle crainte de tourment n'em-
pêcherait ceux du chapitre de le tuer, selon leur pouvoir >-.
Un Templier nouvellement reçu avait protesté contre la
• forme de réception devant l'official de Paris. Un autre s'en
était confessé à un cordelier, qui lui donna pour pénitence
déjeuner tî)usles vendredis, un an durant, sans chemise.
Un autre enfin, qui était de la maison du pape, « lui avait
ingénument confessé tout le mal qu'il avait reconnu en
son ordre, en présence d'un cardinal son cousin, qui écri-
vit à l'instant cette déposition. » On faisait en même temps
503
courir des bruits sinistres sur les prisons terribles où les
chefs de l'ordre plongeaient les membres récalcitrants. Le
peuple accueillait avidement ces bruits; il trouvait les
Templiers trop riches et peu généreux. Un des griefs por-
tés contre cette opulente corporation , c'est « que les au-
mônes ne s'y faisaient pas comme il convenait ».
Les choses étaient mûres. Le roi appela à Paris le
grand-maître et les chefs ; il les caressa , les combla , les
endormit. Ils vinrent se faire prendre au filet, comme les
protestants à la Saint-Barthélémy.
Le Temple de Paris était le centre de cet ordre célèbre.
Les chapitres généraux s'y tenaient. De cette maison dé-
pendaient toutes les provinces de l'ordre : Portugal, Cas-
tille et Léon, Aragon, Majorque, Allemagne , Italie, Pouille
et Sicile, Angleterre et Irlande. Dans le Nord, l'ordre Teu-
tonique était sorti du Temple, comme en Espagne d'autres
ordres militaires se formèrent de ses débris. L'immense
majorité des Templiers étaient français , particulièrement
les grands-maîtres. A Paris , l'enceinte du Temple com-
prenait tout le grand quartier, triste et mal peuplé, qui en
a conservé le nom. C'était un tiers du Paris d'alors. A
l'ombredu Temple, et sous sa puissante protection, vivaient
une foule de serviteurs, de familiers, d'affiliés, et aussi de
gens condamnés; les maisons de l'ordre avaient droit d'a-
sile. Philippe le Bel lui-même en avait profité, en 1306 ,
lorsqu'il était poursuivi par le peuple soulevé. Il restait
encore à l'époque de la révolution un monument de cette
ingratitude royale, la grosse tour à quatre tourelles, bâtie
en 1222. Elle servit de prison à Louis XVI.
Au moment où Philippe le Bel les proscrivit , il venait
d'augmenter leurs privilèges. Il avait prié le grand -maître
d'être parrain d'un de ses enfants. Le 12 octobre Jacques
Molay, désigné par lui avec trois autres grands person-
nages, avait tenu le poêle à l'enterrement de la belle-sœur
de Philippe. Le 13 il fut arrêté avec les cent quarante
templiers qui étaient à Paris. Le même jour soixante le
furent à Beaucaire , puis une foule d'autres par toute la
F"rance. On s'assura de l'assentiment du peuple et de l'u-
nivers ifé. Le jour même de l'arrestation les bourgeois fu-
rent appelés par paroisses et par confréries au jardin du
roi, daus la Cilé ; des moines y prêchèrent. On peut juger
de la violence de ces prédications populaires par celle de
la lettre royale qui courut par toute la France, et qui se
terminait par l'indication sommaire des accusations : re-
niement , trahison de la chrétienté au profit des infidèles,
initiation dégoûtante, prostitution mutuelle; enfin, le comble
de l'horreur, cracher sur la croix !
Tout cela avait été dénoncé par des Templiers. Deux che-
valiers , un Gascon et un Italien , en prison pour leurs
méfaits, avaient, disait-on, révélé tous les secrets de l'ordre.
Ce qui frappait le plus l'imagination ; c'étaient les bruits
étranges qui couraient sur une idole qu'auraient adorée
les Templiers. Les rapports variaient. Selon les uns, c'é-
tait une tête barbue , d'autres disaient une tête àtrois faces.
Elle avait', disait-on encore , des yeux étincelants ; selon
quelques-uns , c'était un crâne d'homme. Quelques-uns y
suhslituaient un chat.
Quoi qu'il en fût de ces bruits, Philippe le Bel n'avait
pas perdu de temps. Le jour même de l'arrestation , il
vint de sa personne s'établir au Temple avec son trésor et
son trésor des chartes , avec une armée de gens de loi ,
pour instrumenter, inventorier. Cette belle saisie l'avait fait
riche tout d'un coup.
L'étonnement et l'effroi du pape furent au comble quana
il apprit que le roi se passait de lui dans la poursuite d'un
ordre qui ne pouvait être jugé que par le saint-siége. La
colère lui fit oublier sa servilité ordinaire , sa position pré-
caire et dépendante au milieu des États du roi. 11 suspendit
les pouvoirs des juges ordinaires, archevêques et évoques,,
ceux même des inquisiteurs. La réponse du roi est rude.
Il écrit au pape que Dieu déteste les tièdes, que ces len-
teurs sont une sorte de connivence avec les crimes des ac-
504
TEMPLIERS
cusés, que le pape devrait plutôt exciter les évoques. Phi-
tippe laissa d'ailleurs croire au pape qu'il allait lui remettre
les prisonniers entre les mains; il se cliargeait seulement
de garder les biens , pour les appliquer au service de la
Terre Sainte (25 décembre 1307). Son but était d'obtenir
que le pape rendit aux évêques et aux inquisiteurs leurs
-pouvoirs, qu'il avait suspendus. Le pape y consentit en ef-
fet, se réservant seulement le jugement des cbefs de l'ordre.
Cette molle procédure ne pouvait satisfaire le roi. Si la cliose
eût été traînée ainsi à petit bruit, et pardonnée, comme au
■confessionnal , il n'y avait pas moyen de garder les biens.
Aussi , pendant que le pape s'imaginait tout tenir dans ses
mains, le roi faisait instrumenter à Paris par son confes-
seur, inquisiteur général de France. On obtint sur-le-champ
cent quarante aveux par les tortures ; le fer et le leu y
furent employés. Ces aveux une fois divulgués , le pape ne
pouvait plus arranger la cbose.
Le pape avait rendu (5 juillet 1308) aux juges ordi-
naires, archevêques et évêques , leurs pouvoirs un instant
supendus. Le 1" août encore il écrivait qu'on pouvait
suivre le droit commun , et le 12 il remettait l'affaire à
une commission. Les commissaires devaient instruire le
procès dans la province de Sens, à Paris, évêclié dépen-
dant de Sens. D'autres commissaires étaient nommés pour
en faire autant dans les autres parties de l'Europe : pour
l'Angleterre, l'archevêque de Cantorbéry ; pour l'Allema-
gne, ceux de Mayence , de Cologne et de Trêves. Le
jugement devait être prononcé d'alors en deux ans dans
un concile général , hors dé France , à Vienne , en Dau-
phiné , sur terre d'Empire. La commission , composée prin-
-cipalement d'évêques , était présidée par Gilles d'Aiscelin,
archevêque de Narbonne, homme doux et faible, degrandes
lettres et de peu de cœur. Le roi et le pape , chacun de leur
côté, croyaient cet homme tout à eux. Le pape crut calmer
plus sûrement encore le mécontentement de Philippe en
adjoignant à la commission le confesseur du roi , moine
dominicain et grand-inquisiteur de France , celui qui avait
commencé le procès avec tant de violence et d'audace.
Chaque jour la commission assistait à une messe, et puis
siégeait. Un huissier criait à la porte de la salle : « Si
quelqu'un veut défendre l'ordre de la milice du Temple, il
n'a qu'à se présenter. «C'est une chose admirable qu'au mi-
lieu de ces violences, et dans un tel péril, il se soit trouvé
un certain nombre de chevaliers pour soutenir l'innocence
de l'ordre ; mais ce courage fut rare. La plupart étaient sous
l'impression d'une profonde teneur. La perte des Templiers
était partout poursuivie avec acharnement dans les conciles
-provinciaux; neuf chevaliers venaient encore d'être brûlés
à Senlis. Les interrogatoires avaient lieu sous la terreur des
exécutions. Le procès était étouffé daus les llammes... La
commission continua ses séances jusqu'au 11 juin 1311. Le
«résultat de ses travaux est consigné dans un registre qui
finit par ces paroles : « Pour surcroît de précaution, nous
avons déposé ladite procédure , rédigée par les notaires en
acte authentique , dans le trésor de Notre-Dame de Paris,
pour n'être exhibée à personne que sur lettres spéciales de
Votre Sainteté. « Dans tous les Étals de la chrétienté , on
supprima l'ordre, comme inutile ou dangereux. Les rois
prirent les biens ou les donnèrent aux autres ordres. Mais
les individus furent ménagés. Le traitement le plus sévère
qu'ils éprouvèrent fut d'être emprisonnés dans des monas-
tères , souvent dans leurs propres couvents. C'est l'unique
peine à laquelle on condamna en Angleterre les chefs de
l'ordre qui s'obstinaient à nier. Les Templiers furent con-
damnés en Lombardie et en Toscane , justifiés à Ravenne
et à Bologne. En Castille, on les jugea innocents. Ceux d'A-
ragon , qui avaient des places fortes , s'y jetèrent et firent ré-
sistance, principalement dans leur fameux fort de Monçon.
Le roi d'Aragon emporta ces forts , et ils n'en furent pas
plus maltraités. On créa l'ordrede Monteza, où ils entrèrent en
ioule. En Portugal, ils recrutèrent les ordres d'Avis et du
-€hrist. Ce n'était pas dans l'Espagne, en face des Maures,
sur la terre classique delà croisade, qu'on pot vait songei
à proscrire les vieux défenseurs de la chrétienté. La con-
duite des autres princes à l'égard des Templiers faisait la
satire de Philippe le Bel.
Il faut avouer que ce procès n'était pas de ceiix qu'on
peut juger. Il embrassait l'Europe entière; les dépositions
étaient par milliers, les pièces innombrables ; les procédnres
avaient différé dans les différents États. La seule chose
certaine, c'est que l'ordre était désormais inutile et, de
plus, dangereux. Quelque peu honorable* qu'aient été ses
secrets motifs, le pape agit sensément. Il déclare, dans sa
bulle explicative', que les informations ne sont pas assez
sûres, qu'il n'a pas le droit de juger, mais que l'ordre est
suspect: Ordinem valde suspectiim. Clément XIV n'agit
pas autrement à l'égard des jésuites. Restait une triste par-
tie de la succession du Temple , la plus embarrassante. Je
parle des prisonniers que le roi gardait à Paris, particuliè-
rement du grand-maltre. Écoutons sur ce tragique événe-
ment, le récit de l'historien anonyme , du continuateur de
Guillaume deNangis : « Le grand-maltre du ci-devant ordre
du Temple et trois autres Templiers, le visitateur de
France, les maîtres de Normandie et d'Aquitaine, sur les-
quels le pape s'était réservé de prononcer définitivement ,
comparurent par-devant l'archevêque de Sens , et une as-
semblée d'autres prélats et docteurs en droit divin et en
droit canon, convoqués spécialement dans ce buta Paris
sur l'ordre du pape , par l'évêque d'Albano et deux autres
cardinaux légats. Comme les quatre susdits avouaient les
crimes dont ils étaient chargés , publiquement et solennel-
lement et qu'ils persévéraient dans cet aveu et paraissaient
vouloir y persévérer jusqu'à la fin, après mûre dé-
libération du conseil , sur la place du parvis de Notre-
Dame, le lundi après la Saint-Grégoire, ils furent condam-
nés à être emprisonnés pour toujours et murés. Mais
comme les cardinaux croyaient avoir mis fin à l'affaire ,
voilà que tout à coup, sans qu'on pût s'y attendre, deux des
condamnés, le maître d'outre-mer et le maître de Norman-
die, se défendant opiniâtrement contre le cardinal qui ve-
nait de parler contre l'archevêque de Sens, en reviennent
à renier leur confession et tous leurs aveux précédents ,
sans garder de mesure, au grand étonnement de tous. Les
cardinaux les remirent au prévôt de Paris, qui se trouvait
présent, pour les garder uniquement jusqu'à ce qu'ils en
eussent plus pleinement délibéré le lendemain. Mais dès
que le bruit en vint aux oreilles du roi, qui était alors dans
son palais royal , ayant communiqué avec les siens , sans
appeler les clercs , par un avis prudent , vers le soir du
même jour, il les fit brûler tous deux sur le même bûcher,
dans une petite île de la Seine, entre le Jardin royal et
l'église des frères ermites de Saint- Augustin. Us parurent
soutenir les llammes avec tant de (ermeté et de résolution
que la constance de leur mort et leurs dénégations finales
frappèrent la multitude d'admiration et de stupeur. Les
deux autres furent enfermés comme le portait leur sen-
tence. 1)
Cette exécution à l'insu des juges fut évidemment un
assassinat. Le roi dédaigna ici toute apparence de droit, et
n'employa que la force. Il n'avait pas même ici l'excuse du
danger, la raison d'État, celle du saluspopuli, qu'il inscrivait
sur ses monnaies. Non, il considéra la dénégation du grand-
maître comme un outrage personnel , une insulte à la
royauté, tant compromise dans cette affaire. Il le frappe
sans doute comme reum Ixsx majestatis.
Maintenant, comment expliquer les variations du grand-
maître et sa dénégation finale ? Ne semble-t-il pas que ,
par fidélité chevaleresque, par orgueil militaire, il ait cou-
vert à tout prix l'honneur de l'ordre ; que la superbe du
Temple se soit réveillée au dernier moment ; que le vieux
chevalier laissé sur la brèche comme dernier défenseur ait
voulu , au péril de son âme , rendre à jamais impossible
le jugement de l'avenir sur cette obscure question?
On peut dire aussi que les crimes reprochés à l'ordre
TEMPLIERS — TEMPOREL
505
Paient particuliers à telle province du Temple, à telle mai-
son; que l'ordre en était innocent, que JacquesMolay, après
avoir avoué comme homme et par humilité, put nier comme
grand-maître.
Mais il y a autre chose à dire. Le chef principal de l'ac-
cusation, le reniement, reposait sur une équivoque. Ils
pouvaient avouer qu'ils eussent renié et soutenir qu'ils n'é-
taient point apostats. Ce reniement , plusieurs le décla-
rèrent, était symbolique; c'était une imitation du renie-
ment de saint Pierre , une de ces pieuses comédies dont
l'Église antique entourait les actes les plus sérieux de la re-
ligion, mais dont la tradition commençait à se perdre au
quatorzième siècle. Que cette cérémonie ait été quelquefois
accomplie avec une légèreté coupable, ou même avec une
dérision impie, c'était le crime de quelques-uns, et non la
règle de l'ordre. Cette accusation est pourtant ce qui perdit
le Temple. Ce ne fut pas l'infamie des mœurs : elle n'était
pas générale ; autrement , comment supposer que des Tem-
pliers auraient fait entrer dans l'ordre leurs proches pa-
rents ? Ne faisons pas une telle injure à la nature humaine !
Ce ne fut pas l'hérésie, les doctrines gnostiques : vraisembla-
blement les chevaliers s'occupaient peu de dogme. La vraie
cause de leur ruine , celle qui mit tout le peuple contre
eux , qui ne leur laissa pas un défenseur parmi tant de
familles nobles auxquelles ils appartenaient, ce fut celte
monstrueuse accusation d'avoir renié et craché sur la croix.
Cette accusation est justement celle qui fut avouée du plus
grand nombre. Ils semblaient par cette apostasie apparente
promettre obéissance à l'ordre contre la religion même,
dont l'ordre se disait le défenseur.
MiCHELET, de l'Institut. ]
Le nouvel ordre du Temple existant en France, et qui
prétend rattacher son origine à Jacques Molay, provient
tout bonnement de la loge maçonnique des jésuites du collège
de Clermont. En novembre 1754, beaucoup de membres dis-
tingués de cette loge s'associèrent à l'effet de continuer
réellement l'ancien ordre des Templiers. La conservation de
l'esprit de la chevaierie et la profession d'un déisme éclairé
ayant ses racines dans la philosophie de l'époque, tels furent
les points principaux qu'eut en vue la nouvelle association.
Les personnages les plus distingués de la cour et de la no-
blesse française s'affilièrent à cet ordre aristocratique, dont
les membres s'affublèrent d'oripeaux dispendieux. A la mort
du grand-maître Bourbon-Conti , en 1779, ce fut le duc de
Cossé-Brissac qui lui succéda dans cette dignité. Celui-ci
mourut en 1792. A la révolution, le nouvel ordre du Temple
disparut comme association noble. Ce fut seulement vers la
fin du Directoire que ses débris se réunirent de nouveau, et
qu'on cliercha adonnera l'association une tendance politique.
Après la fondation de l'empire, les nouveaux Templiers con-
çurent de vastes espérances, et élurent pour grand-maître
le médecin Fabré de Palaprat, homme assez induentet ap-
partenant à une bonne famille, qui revêtit de la meilleure
foi du monde cette dignité pendant plus de trente années.
Le régime impérial ne mit aucun obstacle à cette innoncente
résurrection de l'ordre du Temple, et en 1808 le jour an-
niversaire de la mort de Jacques Molay fut célébré en grande
pompe à Paris. Mais alors les plus ridicules dissensions in-
testines éclatèrent au sein de l'ordre; les généraux d'Af,ie,
d'Afrique et d'Amérique se révoltèrent contre le grand-maî-
tre , et la publication d'un nouveau livre de statu ts , en 1 8 1 1 ,
mit seule fin à ces discordes. Sous la Restauration , les ten-
dances libérales que montrèrent les nouveaux Templiers
mirent leur ordre en suspicion auprès du pouvoir, de sorte
que la police , à l'instigation des jésuites , arrêta à diverses
reprises le grand-maître. Afin de ramener l'ordre à son but
primitif, la guerre contre les infidèles, on songea à faire
l'acquisition de quelque îlot dans l'Archipel. Les Templiers
se rattachèrent aussi aux divers comités philhellènes qui sur-
girent lors de l'insurrection grecque; et il y en eut même
qui se rendirent en Grèce pour verser leur sang dans la
guerre contre les Turcs. Après la révolution de Juillet,
les nouveaux Templiers essayèrent d'appeler sur eux l'atten-
tion publique; ils admirent dans leur ordre le fameux abbé
Chatel, qui y officia quelque temps en qualité de primat
des Gaules ; mais ensuite ils l'en expulsèrent. En i833 le
saint-siége fit des démarches auprès du gouvernement fran-
çais à l'effet d'obtenir que des poursuites fussent dirigées
contre ces sectaires; mais Louis-Philippe, mû par la même
politique qui le portait à tolérer les mômeries des saint-
simoniens, laissa faire, et cette même année les nou-
veaux Templiers louèrent dans la Cour des Miracles un
vaste emplacement q^iii avait été occupé par un bastringue,
et le consacrèrent en grande pompe à la célébration de leur
culte, ridicule parodie du culte catholique. C'est le soir
qu'on y disait la messe en chapitre, en présence du grand-
maître, affublé d'un costume élincelant de similor et de
strass, d'une cinquantaine de bourgeois déguisés en Tem-
pliers, exactement vêtus comme ceux qu'on peut voir
à la Comédie-Française dans la tragédie de Ray nouard,
et de trois ou quatre cents chevaliers, qui soit mo-
destie, soit économie , se contentaient de porter pour tous
insignes de leur dignité, sur leur gilet de piqué blanc un
grand cordon blanc à liserés rouges auquel pendait la croix
à huit pointes, et sur leur habit noir une plaque argentée,
en forme de crachat. Il y eut de nombreuses réceptions de
chevaliers , et l'ordre admit même dans ses rangs un cer-
tain nombre de dames. Après huit ou dix représentations
de ce genre, il fallut pourtant fermer le Temple, faute de
pouvoir en payer le loyer; et depuis lors les Templiers, ré-
duits à n'être qu'une vulgaire association maçonnique, n'ont
plus fait parler d'eux, que nous sachions.
Les nouveaux Templiers s'étaient engagés à publier les
actes et documents établissant d'une manière authentique
leur filiation en ligne directe de l'ordre supprimé au com-
mencement du quatorzième siècle; mais ils ont toujours
oubliéde le faire. Outreun certain nombre d'ustensiles à l'u-
sage de leur culte, qu'ils prétendent être des reliques véné-
rables de l'ancien ordre, ils possèdent denx manuscrits, le
Leviticon et un exemplaire particulier de l'Évangile de saint
Jean, regardés par eux comme la base et la source d'une
doctrine secrète. Dans son Histoire des Sectes religieuses,
l'abbé Grégoire a établi que ce Leviticon est un composé de
doctrines panthéistes et de principes communs à tous les
esprits forts. Quant au prétendu manuscrit original de l'É-
vangile, ce n'est qu'une version grecque, qui a subi de nom-
breuses mutilations à une époque encore peu éloignée de la
nôtre. Consultez Dupuy, Histoire de la Condamnation
des Templiers (Paris, 1654), le premier ouvrage qui ait
été composé d'après les actes authentiques de la procédure.
Les jésuites en firent racheter la plupart des exemplaires, et
en publièrent ensuite diverses éditions mutilées. Havemann
a écrit en allemand une Histoire de la Destruction de l'Or-
dre des Templiers (Stuttgard, 1847).
TEMPORAL, du latin tempora, tempes : ce qui ap-
partient aux tempes. On appelle ainsi, en raison de sa si-
tuation , un os placé de chaque côté de la tête. Il est joint à
l'os coronal par la suture écailleiise; aussi est-il appelé,
en cet endroit, os écailleux. La partie inférieure est jointe
à l'os occipital et au sphénoïde. Il tient à ce dernier, comme
aussi aux os de la mâchoire supérieure , par le moyen de
certaines apophyses, et porte en cet endroit le nom d'05
pierreux. Quoique dans les adultes il ne soit composé que
d'une seule pièce , il en forme trois différentes chez les en-
fants. On distingue encore, en termes d'anatomie, Vartère
temporal, la /osse temporale, le muscle temporal, le
nerf temporal , épilhètes toujours tirées du rapport de la
partie avec les tempes.
TEMPOREL, temporalia bona. On appelle ainsi tous
les revenus en argent ou en nature attachés à l'exercice de
certaines fonctions ecclésiastiques. Il se dit aussi de la puis-
sance temporelle, par opposition à celle de l'Église : Les rois,
quant au temporel, sont indépendants de la puissance 8{)i-
rituelle , mais ne le furent pas toujours.
506
TKMPS — TENANTS
TEMPS. Quoique la notion du temps soil une des plus
familières , quoiqu'elle revienne sans cesse dans nos dis-
cours, rien n'est cependant plus difficile à définir. « Le
temps, dit saint Augustin, a trois modes : le présent, le
passé, et l'avenir. Or le passé , c'est ce qui n'est plus , et l'a-
venir ce qui n'est pas encore ; le présent seul parait avoir
un être positif. Mais qu'est-ce que le présent? est-ce un
siècle , une année , un jour, une heure .' Une heure , en effet,
c'est déjà un espace de temps qui se décompose en parties,
les unes passées, qui ne sont plus , les autres futures, qui ne
sont pas encore. Comment saisir, comment définir cette por-
tion indivisible qui constitue le présent? Chose singulière,
le présent seul existe effectivement , et à peine est-il qu'il
n'est déjà plus. Resserré entre deux néants, celui du passé
et celui de l'avenir, il n'est qu'un être fugitif et insaisissable.
...On dit que le temps c'est le mouvement des sphères
célestes. Eh , sans doute : ce mouvement nous aide à diviser
et à mesurer le temps, mais il ne le constitue pas. Que les
astres cessent leur mouvement , pourvu que l'humble roue
du potier continue le sien, elle me donnera l'idée du temps.
...Dira-ton que le temps, c'est en général le mouve-
ment des corps? Mais le mouvement des corps se fait dans
le temps ; il ne constitue pas le temps, il le suppose (voyez
Espace). C'est à l'aide du temps que je mesure le mouve-
ment des corps, que je l'appelle lent ou rapide, égal ou
inégal. J'ai donc une mesure du temps indépendante du mou-
vement corporel. ...Pour comprendre le temps et sa me-
sure, il faut se dégager des impressions confuses des sens; il
faut rentrer au fond de la conscience. C'est en toi-même,
ômon esprit, que je mesure le temps;.. .et ce que je mesure
à proprement parler, c'est l'impression que les choses font
en toi, lorsqu'elles sont présentes, et qui y subsiste après
qu'elles sont passoes.C'est celte impression même qui m'est en-
core présente, que je mesure, et non pas ce qui l'a produite
et qui est déjà passé. Voilà donc ce que je mesure quand je
mesure le temps; c'est cela même, et c'est cela seul, ou il
n'est point vrai que je mesure le temps. »
De cette fine et ingénieuse analyse , où , comme le re-
marque M. E. Saisset, saint Augustin devance et égale les
recherches les plus profondes de la psychologie moderne,
il résulte que si le temps n'est pas le mouvement des corps
en général, ni plus généralement encore le changement des
choses créées, le temps toutefois suppose le ciiangement.
Ce n'est point sans doute par les sens extérieurs que nous
acquérons la notion du temps, mais par le sens intime, et
c'est l'esprit, le moi, qui est pour nous le modèle primitif
de la chose qui dure; mais l'esprit, tout supérieur qu'il est
au corps, l'esprit est chose créée, chose changeante. Il s'é-
coule sans cesse; du présent qui passe et s'engloutit dans le
passé, il va vers un avenir qui bientôt s'effacera à son tour.
Tandis que l'éternité est l'attribut incommunicable de
Dieu, le temps se montre comme la loi de toutes les créa-
tures; l'éternité est immuable et simple, le temps est mobile
et divisible.
En considérant le temps sous un point de vue purement
physique, on conçoit que les hommes ont éprouvé de bonne
heure le besoin de le mesurer, c'est-à-dire de le diviser en
années, en mois , en jours , en heures , etc. Le Solei l et la
Lune ont été choisis comme les meilleurs régulateurs du
temps. Il faut distinguer toutefois le temps qui nous est dé-
signé parle mouvement du Soleil , et que l'on nomme temps
irai, d'avec celui qui s'écoule unilormément, ou temps
moyen [voj/es Temps (Équation du)]. Le temps moyen est
dit temps civil ou temps astronomique , suivant que l'on
divise les heures en deux séries de 12 chacune, ainsi que
cela a lieu dans les usages civils, ou qu'on les compte de 0 à
24, comme le font généralement les astronomes. Enfin, le
temps sidéralest celui qui se compose de j o u r s sidéraux .
TEMPS (Escrime). L'art de faire les armes emploie
ce mot dans diverses acceptions. Le temps d'arrêt est un
coup simple, qui arrive en plein corps sur un homme qui
marche; celui-ci ne pare pas, parce qu'il ne peut faire deux
choses à la fois. Le coup de temps consiste à toucher en
rendant la main telle qu'elle se trouve dans la parade par op-
position. Le coup sur le temps se porte au moment où
l'adversaire quitte l'épée; ce coup est mauvais : on s'enferre,
on fait le coup par coup. P. E. Barké.
TEMPS (Grammaire). On appelle ainsi les diverses
manières de conjuguer un verbe en chaque mode : il y a
les temps présent, imparfait, passé, etc.
TEMPS (Musique). Voyez Mesure (Musique).
TEMPS (Équation du). On nomme ainsi la différence
entre l'heure vraie et l'heure moyenne d'un lieu. La mar-
che uniforme des chronomètres les destine à marquer le
temps moyen, tandis que le temps vrai est la mesure de
mouvements astronomiques continuellement variables. La
différence qui en résulte peut dépasser 16 minutes. Or, dans
une foule de circontances, par exemple dans ks observa-
tions nautiques destinées à déterminer la latitude et la
longitude, on conçoit combien il importe de pouvoir re-
venir du temps vrai (le seul que puisse donner l'observa-
tion astronomique) au temps moyen. C'est ce que l'équa-
tion du temps permet de faire. A cet effet, on la calcule
d'avance pour le midi vrai de chaque jour de l'année sous
le premier méridien, et on la joint aux tables que pu-
blient les diverses éphémérides astronomiques. Portr ob-
tenir l'équation du temps à une époque intermédiaire à
celles que donnent les tables, on emploie une mélhode d'in-
terpolation très-simple , qui consiste à regarder la va-
riation de cette quantité comme proportionnelle à la varia-
tion du temps pour des intervalles moindres que 24 heures.
L'équation du temps est tantôt positive , tantôt négative;
elle est nulle à quatre époques de l'année , deux fois au
printemps , une fois en été et l'autre fois en hiver.
E. Merliecx.
TEMPS CRITIQUE. Voyez Crise.
TÉi\ ACITÉ ( Physique ). Voyez Dureté.
TENAILLE (Fortification). On appelle ainsi un ou-
•«rage à angle saillant situé en avant du rave lin. Il y a
plus d'avantage à faire le ravelin plus grand, que d'établir
des tenailles, qui, ne présentant pas de protection absolue,
fournissent à l'ennemi la place et l'espace nécessaires pour
établir des batteries de brèche , et augmentent les frais de
construction en raison de l'extension donnée aux travaux de
maçonnerie.
On appelle tenaillons des ouvrages de même nature,
mais de proportions moindres, élevés des deux côtés du
ravelin , et auxquels on donne aussi le nom de lunettes.
La tenaille située en avant du bastion s'appelle contre-
garde ou couvre-face. Dans le système de fortification à te-
nailles, les bastions manquent complètement, et le rem-
part ne consiste qu'en angles saillants et rentrants. On
élève souvent plusieurs ouvrages de cette nature à la suite
1 les uns des autres , et quelquefois les extrémités de deux te-
nailles voisines sont reliées l'une à l'autre. Ce système a
surtout été appliqué par les Hollandais Landsberg , Virgin
et autres. Montalembert le porta à une perfection toute par-
ticulière; et de nos jours Carnot, après en avoir mûrement
pesé les avantages et les inconvénients , en a fait la base de
son svstètïiô.
TENANCIER ou TENANT. C'était avant 1789 le pos-
sesseur d'un héritage, considéré relativement à la qualité
de sa tenure , c'est-à-dire à l'origine et aux conditions de
l'existence de cet héritage dans l'ordre féodal. Cette expres-
sion, qui n'appartenait jadis qu'au droit féodal, est sans
application dans le droit français actuel.
TENANTS et SUPPORTS (Blason). On appelle ainsi
des ornements extérieurs qu'offrent un grand nombre d'é-
cus. Leur nom indique suffisamment leur disposition. Le»
tenants sont des figures humaines, comme génies, anges,
Maures , sauvages , chevaliers , femmes , etc. Les supports
sont les animaux. On classe parmi les supports les sirènes ,
tritons, satyres, centaures, etc., parce que ces êtres fabu-
leux ne sont , à proprement parler, que des animaux. L'o-
TENANTS — TENCm
507
rigine des tenants et supports vient , dit-on , des anciens
tournois ; on prétend que les ciievaliers y faisaient porter
leurs armes par des valets déguisés en Maures , sauvages ,
dieux de la fable. , lions, ours, aigles , etc. Les tenants et
supports ne paraissent sur les sceaux qu'à partir de la fin
du treizième siècle. Us sont même assez rares jusqu'au rai-
lieu du quatorzième. Laîné.
TÉi\ARE (Le). Voyez Coiuntue, Matapan (Cap) et
TyCNARUM.
TENCIIV (Pierre GUÉRIN de), né le 22 août 1679,
était fils d'un président à mortier du parlement de Grenoble.
Le crédit d'une sœur, femme d'un esprit supérieur {voyez
l'article ci-après), le fit sortir, sous la régence, des rangs
inférieurs du clergé. Cette sœur, tendrement attachée à son
frère, était maîtresse de l'abbé Dubois, auquel elle le re-
commanda. Law commençait alors à engouer la France de
son fameux système ; mais pour la réalisation de ses plans
financiers il avait besoin du titre de contrôleur général ,
qu'il ne pouvait obtenir sans être naturalisé , et pour se
faire naturaliser il (allait se faire catholique. L'abbé de
Tencin parut à Dubois l'homme qu'il fallait pour être l'a-
pôtre de cette conversion. En conséquence, il instruisit
Law, il le convertit , il le confessa , et reçut avec solennité
l'abjuration de l'hérétique , à Melun, le 17 septembre 1719.
Law, en récompense, lui donna les moyens de s'enrichir,
par ragiotafi;e, sur les actions du Mississipi, et il en fit un
des piliers de la rue Quincampoix.
A cette époque Dubois intriguait à Rome pour se faire
nommer cardinal ; il trouva dans l'abbé de Tencin les qua-
lités nécessaires pour en faire un agent de son ambition. Sur
ces entrefaites, le pape Clément XI étant venu à moniir,
Tencin fut nommé conclaviste du cardinal de Bissy, qui s'é-
tait rendu à Rome pour l'élection du nouveau pape. Aidé du
jésuite Lalfiteau , évêque de Sisteron , qui négociait aussi
dans l'intérêt de Dubois, il n'épargna ni l'argent ni les autres
moyens de séduction. 11 offrit au cardinal de Conli de lui
procurer la tiare par l'appui du parti français, s'il voulait
s'engager par écrit à donner, après son exaltation , le cha-
peau à Dubois. Le marché fait et signé, Tencin intrigua si
efficacement, queConti fut élu pape, le 8 mai 1721. Après
les cérémonies de l'exaltation , Tencin somma InnocentXlII
de tenir sa parole. Le pape, qui s'était laissé arracher ce mal-
heureux écrit dans une vapeur d'ambition , répondit qu'il se
reprocherait éternellement d'avoir aspiré au pontificat par
une espèce de simonie, mais qu'il n'aggraverait pas sa faute
par la prostitution du cardinalat à un sujet si indigne. L'abbé
de Tencin, surpris de ces scrupules, menaça de rendre le
billet public. Le saint-père, effrayé, crut qu'il valait encore
mieux épargner ce scandale à l'Église que de s'opiniàtrer à
refuser un chapeau , dont l'avilissement n'était pas sans
exemple, et il nomma, le IG juillet 1721, Dubois cardinal,
pour anéantir le fatal billet. Mais il n'était pas au bout de
ses peines. Tencin résolut de tirer parti de la circonstance
pour se faire lui-même cardinal; il en fit impudemment la
proposition au pape, et il déclara qu'il ne rendrait le billet
qu'à cette condition. Le saint-père ne put s'y résoudre; il
en tomba malade, et depuis ne fit que languir. Une noire
mélancolie, causée par le dépit et le remords, conduisit à
la fin InnocentXlII au tombeau. Les prétentions de Tencin
furent ainsi ajournées. A son retour en France, le duc de
Bourbon , alors premier ministre, le dédommagea par l'ar-
chevêché d'Embrun (6 mai 1724). 11 passa par la suite à
l'archevêché de Lyon. Enfin , en 1739, il fut promu au car-
dinalat, sur la nomination du prétendant. Il avait su s'insi-
nuer dans les bonnes grâces du cardinal deFleury, qui le fit
entrer au comité du conseil d'État des affaires étrangères.
Le 8 juin 1744, le cardinal de Tencin signa , comme mi-
nistre d'État, le traité d'alliance conclu à Versailles entre la
France et la Prusse. Le 8 mai 1751 il reçut sa démission
de ministre d'état. Alors âgé de soixante-douze ans, il se re-
tira dans son archevêché de Lyon , où il mourut , le 2 mars
1758, à près de quatre-vingts ans. Artaud.
TENCIN (CLAUDME-AtEKANDRiNE GUÉRIN DE ), sœuf
du précédent, naquit à Grenoble, en 1681. Destinée par sa
famille à la vie religieuse, pour laquelle elle n'avait nul
penchant, elle passa plusieurs années chez les bernardines
de Montlleury , près de Grenoble. Elle attira bientôt la meil-
leure compagnie de Grenoble à son couvent. Cependant, à
peine eut-elle prononcé ses vœux, qu'elle protesta contre la
contrainte qu'elle avait subie ; et son directeur fut l'instru-
ment aveugle qu'elle employa pour les rompre. Celait un
bon ecclésiastique, fort borné, qui devint amoureux d'elle
sans s'en douter. Elle profita de son ascendant sur lui , ea
tira les éclaircissements nécessaires, et réussit à passer de
son cloître dans un chapitre de Neuville , près de Lyon , en
qualité de chanoinesse. Enfin, elle vint à Paris, qui offrait
un champ plus vaste à ses talents pour l'intrigue, et elle
obtint sa sécularisation, vers 1714. On a dit que le régent
fut son amant quelques jours; mais elle se pressa trop d'ar-
river à ses fins; et il s'en dégoûta promptement, Dubois,
charmé de son esprit, en fit sa maîtresse, et la mit à la
tête d'une maison qui devint le rendez-vous de la plus bril-
lante compagnie. Elle aimait passionnément son frère , dont
l'avancement devint presque l'unique objet de toutes ses
intrigues. Elle eut deux enfants de Villion, colonel d'un ré-
giment irlandais; et de Destouches, surnommé Canon,
commissaire provincial d'artillerie, elle eut D'Alembert,
qui fut, comme on sait , recueilli par la femme d'un vitrier.
Quand , par la suite , il fut devenu célèbre , on prétend que
sa mère voulut le reconnaître; mais il s'y refusa, en disant
que sa véritable mère était celle qui l'avait élevé. Parmi ses
nombreux amants , on cite d'^Argenson , Bolingbroke , le ma-
réchal d'Uxelles , le maréchal de Médavid, etc.. La Fresnais,
conseiller au grand conseil , un de ceux qu'elle domina le
plus longtemps, se tua ou fut tué chez elle d'un coup de
pistolet, le 6 avril 1726 : elle avait alors quarante-cinq
ans. La Fresnais , dans son testament, peignait M™* de
Tencin sous les couleurs les plus noires at les plus odieuses,
et il témoignait la crainte de périr quelque jour de sa main.
Il l'accusa de l'avoir ruiné, après lui avoir fait mettre tout
son bien sous son nom. Elle fut mise au Châtelet le 11 avril,
et le lendemain à la Bastille. Le 3 juillet, elle fut acquittée
de l'accusation, et sortit de prison.
Ici commence une nouvelle existence pour M^'^de Tencin :
à une jeunesse tumultueuse et désordonnée succède une
vieillesse paisible. Dès lors elle se livra à l'étude et au goût
de la littérature. Son salon devint le centre de la plus
brillante société de Paris. Les savants, les gens de lettres,
s'y rendaient en foule; les seigneurs les plus aimables,
tous les étrangers de distinction, briguaient l'honneur d'y
être admis : c'était une véritable école de bon goat. C'était
là que se préparaient les élections de l'Académie. M""" de
Tencin eut le mérite de bien choisir ses amis et de se les
attacher. Fontenelle etMontesquieu étaient les mem-
bres les plus assidus de son cercle. Le cardinal Prosper
Larabertini était en correspondance avec elle ; devenu pape,
sous le nom de Benoît XIV , il lui envoya son portrait. Elle
donnait deux dîners par semaine , où elle réunissait les
hommes d'esprit , qu'elle appelait plaisamment ses bétes ou
sa ménagerie. Elle aimait à protéger les gens de lettres dans
le besoin ; on prétend même que chaque année , à l'époque
des étrenues, elle donnait à quelques-uns d'entre eux deux
aunes de velours pour se faire taire des culottes. On cite
d'elle une foule de mots pleins de finesse. Elle se mit à écrire
des romans, qui se distinguent par la justesse d'observation
et par la délicatesse du style. Dans les Malheurs de VA-
mour, ou crut qu'elle avait retracé sa propre histoire. Le
Comte de Comming es est ua digne pendant à La Princesse
de Clèves. On a prétendu que Pont de Veyie etd'Ar-
gental,ses neveux, avaient travaillé à ses ouvrages; mais
quelle est la femme de talent à qui la jalousie du monde
n'ait pas voulu donner un teinturier?
M""' de Tencin mourut à Paris, le 4 décembre 1749, re-
grettée de ce monde spirituel dont elle était le lien et te
508
centre. Son salon , qui avait hérité de celui de la marquise
de Lambert , railles gens de lettres en contact habituel
avec les classes supérieures , et devint par là un des foyers
àd cet esprit de société auquel le dix-huitième siècle a dû
une partie de sa gloire et de sa puissance. M°* Geoffrin
fréquentait le cercle de M"^ deïencin sur la fin de sa vie.
Celle-ci , qui pénétrait le motif de ses visites , disait à ses
amis : « Savez-vous ce que la Geoffrin vient faire ici ? Elle
vient voir ce qu'elle pourra recueillir de mon inventaire. »
En effet , le salon de M^^ Geoffrin hérita du salon de
M"^ de Tencin. Artacd.
TEi\ÇOIV. Voijez Tensons.
TË.\DER. Voijez Locomotive.
TEXDOiV. Voyez. Muscle.
TE\DOIV D'ACHILLE, tendon large et fort, qui
sert à étendre le pied et qui vient du milieu de la jambe
au talon. Il est ainsi dénommé parce qu'Achille fut blessé
à ce tendon pendant le siège de Troie, et est formé par l'union
intime des tendons de deux muscles différents , l'un appelé
les jumeaux et l'autre le solaire. Un homme blessé au
tendon d'.\chille ne peut se tenir debout {voyez Pied,
Pied-Bot et Ténotomie).
TEIVDRESSE. Il y a entre la tendresse et la sensi-
bilité celte différence, que la première a sa source dans
le cœur, et que la seconde tient aux sens et à l'imagination.
La tendresse est un sentiment profond et durable, la sensi-
bilité n'est souvent qu'une impression passagère, quoique
vive. La tendresse ne se manifeste pas toujours au dehors;
la sensibilité se déclare par des signes extérieurs. La ten-
dresse est concentrée dans un seul objet ; la .sensibilité est
plus générale. On peut être sensible aux bienfaits, aux in-
jures, à la reconnaissance, aux louanges, à l'amitié même,
sans avoir le cœur tendre, c'est-à-dire capable d'un atta-
chement vif et durable pour quelqu'un. Au contraire, on
peut avoir le cœur tendre sans être sensible à ce qui vient
d'autre part que de ce qu'on aime ; et même aimer ten-
drement sans manifester à ce qu'on aime beaucoup de sen-
sibilité e\téneure. D'Alembeut.
TÉKÈBRES. Les ténèbres , dit l'abbé Girard .semblent
signilier quelque chose de réel et d'opposé à la lumière.
L'obscurité est une pure privation de clarté. La nuit est
ia cessaliondu jour, c'est à-dire le temps où le soleil n'éclaire
pas. On dit des ténèbres qu'elles sont épaisses, de Vob-
scurité qu'eWe est grande, de la nuit qu'elle est sombre
On marche dans les ténèbres , à Vobscurité et pendant la
nuit.
On appelle Ténèbres de la Passion l'obscurcissement ou
les ténèbres qui, au rapport des évangélistes , arrivèrent à
la mort de Jésus-Christ depuis la sixième heure ( midi )
jusqu'à la neuvième.
En termes de liturgie catholique les ténèbres sont les
matines qui commencent l'oflice des fériés majeures de la
semaine sainte. Les leçons des ténèbres sont les lamenta-
tions de Jérémie sur les malheurs de Jérusalem, qu'on
chante d'un ton plaintif.
TÉIXÈBRES DU CX^XDX {Météorologie). Voyez
Broie.
TÉNÉBREUX. Voyez Obscur.
TÉ.\ÉDOS, petite Ile montagneuse mais fertile de la
côte de la ïroade, au nord-ouest d'Alexandria, avec un
temple d'Apollon, fut ainsi appelée du vieux roi Ténès,
qui suivant la tradition y avait conduit une colonie et qu'on
y adorait comme dieu. Le siège de Troie l'avait surtout ren-
due célèbre, parce que c'est là que les Grecs avaient caché
leur flotte , confirmant ainsi les Troyens dans l'opinion
qu'ils avaient renoncé à leurs projets hostiles. Plus tard, elle
appartint alternativement aux Perses , aux Grecs et aux
Romains; et en 1322 elle finit par passer sous la domina-
tion des Turcs, qui la comprirent dans le sandjhak de Bi-
gha, dans le Z);esajr d'Asie, et qui la désignent encore au-
jourd'hui sous son ancien nom de Ténédos, ou sous celui de
Bogdja Adassi. Elle était célèbre dans l'antiquité par ses
TENCIN — TÉNÊRIFFE
j poteries, de même que par ses vignobles; et de nos jours
encore elle est le centre d'un commerce important de vin
muscat. Sur une population de 6 à 7,000 habitants, dont
moitié Turcs et moitié Grecs , un tiers environ habitent le
chef-lieu , Ténédos ou Tinedo, appelé en turc Bogdja, port
de mer, situé à l'extrémité nord-est de l'île et défendu par
une citadelle, siège d'un évêque grec et d'un aga turc, et
centre d'un commfirce assez actif. Comme clef de l'entrée de
l'Hellespont ou détroit des Dardanelles situé à 2 myria-
mètres de là, Ténédos a été fortifiée dans ces derniers temps
par les Turcs et mise dans un bon état de défense. En 1656
les Vénitiens, après avoir anéanti la Hotte turque, s'en em-
parèrent; mais ils l'évacuèrent dès l'année suivante, après la
mort de leur amiral Mocenigo. Le 21 mars 1807 les Russes
aux ordres de Siniavin y battirent les Turcs commandés
p<ir Séid-Ali-Pacha ; et le 10 novembre 1822 les Ipsariotes
Canaris et Cyriacos y remportaient une victoire sur le ca-
poudan-pacha.
Au nord-est de Ténédos se trouve la baie de Vasika ou
Besika, où, au début du conflit russo-turc de 1855, les
flottes anglaise et française mouillèrent jusqu'à ce qu'elles
reçussent l'ordre de franchir les Dardanelles et d'aller pro-
téger Consfantinople.
TEINERAIVI (PiETRo), sculpteur italien distingué, na-
tif de Torano, près de Caviare, fréquenta d'abord l'atelier de
Ca nova à Rome, puis devint l'élève deTliorwaldsen;
et depuis la mort de ce grand artiste il n'a point de rivaux
en Italie. Ses ouvrages, aussi nombreux que divers, com-
prennent les sujets chrétiens aussi bien que les mythes an-
ciens. Une de ses premières œuvres, datant de 1819, est une
Psyché tenant à la main la boite de Pandore; elle orne le
palais Lenzoni, à Florence. Vient ensuite un groupe repré-
sentant Psyché et Vemts, puis une Venus couchée à qui
l'amour arrache une épine du pied ; et un Jeiine Faune
jouant de la flûte. Le modèle d'un Christ sur la croix, de
grandeur naturelle, exécuté en argent pour l'église San-Ste-
fano de Florence, n'obtint pas moins de succès. Tenerani
seconda aussi son maître Thorwaldsen dans l'exécution de
plusieurs ouvrages, notamment dans celle du monument du
duc de Leuchtenberg pour l'église Saint-Michel de Munich.
Outre un tombeau que les habitants de Sienne érigèrent en
1830 à leur gouverneur Giulio Blanchi, il exécuta ensuite
diverses statues colossales de saints pour des églises d'Italie.
En 1841 il acheva le modèle de la statue colossale du roi
Ferdinnnd II de Naples , exposée à Messine, et qui fut fon-
due à Munich. Il composa un projet semblable d'une statue
de Bolivar pour la Colombie. Parmi les ouvrages dus au
ciseau de cet artiste qui brillent le plus par la noblesse du
style et la vérité de l'expression, on cite encore un grand
bas-relief en marbre exécuté en 1842 pour la chapelle Tor-
lonia à Snint-Jean-de-Latran et représentant une Descente
de Croix, et un tombeau à Santa-Maria sopra Minerva
à Rome , où est représenté l'ange du jugement dernier. A
ces divers travaux il faut encore ajouter une foule de trus-
tes, parmi lesquels nous nous bornerons à mentionner ceux
de Thorwaldsen et de Pie IX. Tenerani est professeur de
sculpture à l'Académie de Saint-Luc.
TÉi\ÉRIFFE,appelée par Pline TN'î't-arm, la plus grande,
lapins riche et la plus peuplée des îles Canaries apparte-
nant à l'Espagne , compte sur une superficie de 29 myriara.
carrés une population de 80 à 90,000 habitants, pour la
plupart Espagnols ou Normands d'origine, la population pri-
mitive, lesGiianches, étant depuis longtemps éteinte. Elle
est montagneuse, couverte dans toutes les directions de vas-
tes cratères éteints, de montagnes coniques, de masses ba-
saltiques et de torrents de lave. Le climat en est tempéré et
salubre. Elle prod uit en abondance des dattiers et des cocotiers,
des dragoniers, des cactus, des grains, des fruits, du co-
ton, de la canne à sucre et surtout du vin, dont on exporte
chaque année de 8 à 9,000 pipes. Au centre de l'île s'élève
le volcan du Pico de Teydé, haut de 3,819 mètres, qui à
sa base est couvert de plantations de châtaignier» et Ue pâ-
TÉNÉRIFFE — TENIERS
60»
turages, mais un peu plus haut seulomeut de pierre ponce
et de cendres volcaniques ; ce qui en rend l'ascension très-
difficile. De ses crevasses il s'échappe parfois de la fumée ,
mais il n'y a pas eu de grande éruption depuis l'année 1704.
La dernière éruption de pierres est celle qui eut lieu en 1 798.
Du haut de cette montagne (le Pic de Ténéri/fe), célèbre
point de repère pour les navigateurs, qui le découvrent à une
distance de 16 à 17 myriamètres, on aperçoit non-seulement
toute cette magnifique lie , mais encore le reste des îles
Canaries, la mer dans une étendue immense, et môme la
côte d'Afrique avec ses épaisses forêts, parce qu'à cette lati-
tude l'atmosphère est bien plus transparente que sous la
nôtre.
Le chef-lieu de l'Ile de Ténériffe, siège du gouvernement,
est la ville de Santa-Cruz, avec 8,500 habitants, deux forts
et un excellent port, sur la côte orientale, où s'arrêtent
surtout les bâtiments à la destination des Grandes-Indes ,
pour y faire de l'eau et y prendre des vivres frais. Laguna
ou Cliristoval de Laguna , ancienne capitale de l'île, avec
environ 9,400 habitants, siège d'un évéché, d'un chapitre,
et d'un tribunal de commerce, est bâtie à une plus grande
élévation au-dessus du niveau de la mer; aussi le climat
en est-il plus froid. En 1744 on y avait fondé une univer-
sité, qui fut réorganisée en 1825, puis supprimée en 1830,
par ordre de Ferdinand "VIL 11 faut encore mentionner
Guiamar , dans le voisinage de laquelle on trouve de
belle pierre ponce et des tombeaux de Guanches momi-
fiés, avec 4,000 habitants et un grand commerce de vins;
et Orotava, dans une belle vallée fermée à l'est par les mon-
tagnes appelées Pedrogil, La Florida et La Resbala, avec
6,800 habitants. A quatre kilomètres environ on trouve le
port A' Orotava, sur une rade ouverte, défendue par quel-
ques fortifications, avec 3,800 habitants, qui jouissait autre-
fois d'une grande prospérité par son commerce avec l'Eu-
rope et l'Amérique, et où se trouvait un intéressant jardin
botanique dans lequel on ne cultive plus aujourd'hui que des
choux ; enfin, les bourgs de Chasna ou Vdlajlor, à une élé-
vation de 1,306 mètres, près de sources minérales fréquentées,
GiArico, avec 1875 habitations creusées dans letufvolca-
niquC;
TÉNESME (du grec ■n)veff[x.6;, colique) On appelle
ainsi, en médecine, une envie fréquente, pour ne pas dire
continuelle, mais inutile , d'aller à la selle , sans rendre tout
au plus qu'une petite quantité de matière visqueuse, muci-
lagiacuse, sanguinolente ou purulente. Le téncsme accom-
pagne souvent la dyssenterie, la diarrhée, les hémorrhoïdes
et la pierre. Il est ainsi appelé parce que dans cette maladie
on sent une continuelle tension au fondement.
TENEZ, petite et sale ville du Dahra, dans la province
d'Algei , à 150 kilomètres à l'ouest d'Aller, sur les contins
de la province d'Oran, située sur les bords de la mer. Elle
est couverte à l'est par le cap du même nom, qui est élevé
en des endroits jusqu'à 640 mètres et très-avancé dans la
mer. Près de là l'oued Tniss {Carlcnnus Jluvius) se
jette dans la mer. On compte maintenant à Tenez 1684
habitants, dont 161 indigènes. Aux environs existent de ri-
ches mines de cuivre. 11 s'y fait un grand commerce de
grains.
Tenez, l'ancienne Cartenna Colonia des Romains, si
l'on en juge par les ruines assez considérables qui existent au
sud de la ville, fut la capitale d'un petit royaume jusqu'à la
conquête qu'en fit Barbe-Rousse, en 1509 ou 1510. Détruite
alors , Tenez ne se releva plus. La ville, assise sur un pla-
teau à dix minutes de chemin du rivage , comptait sous la
dommation turque 200 à 250 maisons , dont tous les habi-
tants étaient Kabyles. Elle n'avait ni mur d'enceinte ni for-
teresse. On y voyait quatre petites mosquées, dont une avec
minaret. Le port de Tenez est ime rade très-large , abritée
seulement des vents d'est par le cap de Tenez, l'ancien
Apollinis promontorium , et ouverte aux vents du nord et
xle l'ouest. 11 est très-dangereux d'v passer lanuil à l'ancre.
X£i\IA. Voyez TvEnia.
TÉNIAII, mot arabe qui veut dire col de montagne,
et qui a servi surtout à désigner un combat livré dans le
passage du Mouzaïa. Voyez Mouzaïa.
TÉNIERS (David), dit le vieux, parce que l'un de
ses fils porta le môme prénom que lui , surnommé aussi II
Bassano , parce qu'il excellait à imiter à s'y méprendre
Giacopo da Ponte, di t /e 2? a s 5 a 7i, était né à Anvers, en 1 582.
11 fut élève de Rubens, et commença par faire de grands
tableaux ; mais la nature ne l'avait pas créé pour le genre
historique. 11 part pour Rome, où il veut terminer ses
études, y trouve un Allemand nommé Elzheimer, qui ne
fait que de petits ouvrages recherchés des amateurs, et
dès lors il ne fait plus aussi que des tableaux de chevalet.
Après dix ans d'absence, il revicntà Anvers, et ne s'occupe
plus qu'à représenter la nature flamande dans toute sa naï-
veté : des réunions de buveurs et de fumeurs, des char-
latans , des kermesses ou fêtes de villages, des intérieurs
de ménages rustiques, tels sont les sujets auxquels il con-
sacre son pinceau , et qu'il reproduit avec autant de talent
que de fidélité. Téniers le vieux mourutdans sa ville natale^
en 1649, laissant deux fils, David et Abraham, tous deux
peintres, tous deux ses élèves, mais dont le premier seul
eut du talent.
TÉNIERS (DAvm), dit le jeune, né à Anvers, en 1610,
fut un homme vraiment extraordinaire : on dit qu'il reçut
des leçons de Bauvver, d'Elzheimer, qui avait été l'ami et
le condisciple de son père, et même de Rubens. Copiant
avec une merveilleuse habileté tout ce qui s'offrait à lui ,
il était tour à tour Bassan , Tintoret, et surtout Rubens. At-
taché à l'archiduc Léopold , qui le combla de bienfaits, iî
copia en petit tous les tableaux delà galerie de ce prince,
et c'est d'après ces copies que cette collection fut gravée et
publiée à Anvers, de 1658 à 1684 , en 245 planches , et plus
tard à Paris, en 1755, in-folio. Dans sa jeunesse , il lui
arriva, comme à Lantara, de payer sa dépense avec son
pinceau. 11 était dans une auberge de village ; s'étant aperçu
qu'il n'avait pas d'argent, il fit approcher un aveugle qui
jouait de la flûte, le peignit rapidement, et vendit ce ta-
bleau trois ducats à un voyageur anglais qui s'était arrêté
dans la même auberge pour changer de chevaux.
Téniers sentit heureusement de bonne heure la nécessité
d'être autre chose qu'un habile copiste ; quoiqu'il fût l'objet
de l'empressement de tout ce qu'il y avait de plus considé-
rable dans sa ville natale, il la quitta pour se retirer dans
un village, entre Malines et Anvers, afin d'étudier la nature ;
mais cette retraite champêtre fut bientôt le rendez-vous de
toute la noblesse du pays , car celui de tous les peintres fla-
mands dont les ouvrages sont inspirés par les classes les
plus populaires fut aussi celui qui vécut dans les plus hautes
classes de la société. L'archiduc Léopold l'avait fait gentil-
homme de sa chambre; la reine Christine lui donna son
portrait avec une chaîne d'or; le prince don Juan d'Au-
triche voulut être son élève; enfin, le rc-I d'Espagne, le
prince d'Orange et plusieurs autres grands seigneurs l'hono-
rèrent d'une protection éclairée et généreuse. Il mourut
à Bruxelles , en 1694 ; il s'était marié et avait eu plusieurs
enfants. Téniers le jeune avait une extrême rapidité d'exé-
cution : il a fait un grand nombre de petits tableaux, qu'il
appelait ses après-souper, parce que c'était le soir, et comme
par délassement, qu'il les exécutait. Une grande vérité
d'observation , une touche spirituelle et fine . une couleur
bien dégradée, telles sont les qualités qui distinguent son
talent et qui donnent encore un grand prix à ses ouvrages;
mais ce sont presque toujours des sujets puisés dans la na-
ture commune , et c'est ce qui explique pourquoi Louis XIV,
qui aimait tout ce qui était pompeux, élevé, noble, s'é-
cria, en voyant les tableaux de ce maître que l'on avait mis
dans ses petits appartements : qu'on enlève ces magots.
Notre musée du Louvre possède un assez grand nombre
de tableaux de Téniers le jeune , et il n'est pas de gale-
ries ni même de cabinets un peu importants où l'on n'en
trouve.
510
TEMEllS — TEiNNYSON
11 est quefquefois difficile de distinguer les ouvrages du
père de ceux du fils. P.-A. Coupin.
TEMET-EL-IIAAD , chef-lieu d'un cercle militaire
et il'un bureau arabe de la province d'Alger, arrondissement
de Blidah, à 190 kilomètres d'Alger et 60 kilomètres de
Milianah. On y trouve des eaux minérales ferrugineuses.
TE\'\AIVTITE. Voyez Cuivre.
TEi\i\ESSÉE, l'un des États-Unis de l'Amérique du
Nord , situé entre le Kentucky et la Virginie au nord, la Ca-
roline du Nord à l'est, la Géorgie, l'Alahama et le Missis-
sipi au sud , et le fleuve le Mississipi qui forme sa frontière
à l'ouest du côté de l'Arkansas et du Missouri, comptait en
1850 sur une superficie de 1,506 myriam. carrés 1,002,625
habitants (173,415 de plus qu'en 1840), dont 756,8i3
blancs, 6,271 hommes de couleur libres et 239,401 esclaves
(56,405 de plus qu'en 1840). La surface de cette contrée
forme au point de vue orographique trois divisions. Sur ses
limites orientales elle est traversée par deux chaînes des
monts Alleghanys, qui portent ici le nom de Kiltatinny ,
€t dont quelques pics dépassent de 96C mètres leur base,
déjà située à 623 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Le
mont CumôerZanrf traverse presque la inoilié de l'État dans
la direction du nord-est, avec une largeur variant de 54 à
60 kilomètres, mais ne forme guère qu'un plateau monta-
gneux n'ayant jamais plus de 623 mètres d'allilude. Il par-
tage l'État en Tennessee oriental ti Tennessee occidental.
La formation calcaire y domine , et on y rencontre une foule
de grandes et profondes cavernes. Le système hydrogra-
phique de l'État est éminemment favorable au commerce et
à l'industrie. Le Mississipi côtoyé ses limites sur une étendue
de 25 njyriamètres. 11 reçoit directement le tribut de l'Obion,
du Forked-Deer et du Laosahotchée , ou rivière du Loup, et
par l'Oliio, celui du Tennessee et du Cumberland. Le Ten-
nessee prend sa source dans la Caroline du Nord , traverse
le Tennessee oriental dans la direction du sud-ouest; puis,
après avoir décrit au sud un arc à travers les États d'Ala-
bama et de Mississipi, revient traverser le Tennessee occi-
dental, dans la direction du nord, pour aller se jeter dans le
Kentucky. Son parcours est de 152 myriamètres, dont la
moitié est navigable , et dont 42 myriamètres sont suscep-
tibles d'être parcourus par des bateaux à vapeur (jusqu'à
Florence, dans l'Alahama); et il reçoit dans l'Étaf de Ten-
nessee l'Holston, le Clincli , le French-Broad et l'Hiwassée.
La source et l'embouchure du Cumberland se trouvent, il
est vrai, dans l'État de Kentucky; sur les 91 myriamètres
de son parcours total , il y en a 38 qui appartiennent à l'État
de Tennessee, et jusqu'à Nashville il n'offre aucun obstacle
à la navigation à vapeur. Le climat du Tennessee est aussi
tempéré qu'agréable, et, sauf quelques contrées basses, où
l'on rencontre des eaux stagnantes, il est très-salubre. Le
sol est généralement d'une grande fertilité, surtout dans le
Tennessee occidental. Dans les parties accidentées de l'État
existent encore un grand nombre de forêts , où, à l'est, les
conifères ont une grande importance, à cause du braiet de
la térébenthine qu'ils fournissent, de môme qu'à l'ouest les
trahies à sucre.Sauf une couche de houille bitumineuse, d'une
étendue de 140 à 2 lO myriamètres, l'État de Tennessee n'est
pas riche en^iinéraux. On y trouve bien du fer, du cuivre,
du plomb et même un.peu d'or; mais l'exploitation en est in-
signifiante. La principale occupation de la population, c'est
l'agriculture, de même que la culture des plantations y
prend plus d'extension à mesure que le nombre des esclaves
augmente. Les produits principaux sont le mais, le coton,
le froment et le tabac. Le commerce, l'industrie manu-
facturière et l'exploitation des mines y sont sans impor-
tance en comparaison des développements pris par l'agri-
culture. Sous le rapport religieux , les méthodistes , les
anabaptistes et les presbytériens forment la majorité. L'Étal
compte aujourd'hui onze élabli.ssements d'instruction su-
périeure, dont les plus importants sont l'université de
Nashville et l'université de Cumberiand, établie à Lebanon,
Cette dernière comprend une école de médecine et une école
de droit. Des écoles intermédiaires existent dans la plu-
part des centres de population. En revanche, l'instruction
populaire n'a pas été jusqu'à présent l'objet d'une bien
grande sollicitude. L'État de Tennessee ne possède encore ni
canaux ni système de chemins de fer, bien qu'en 1853 on y
comptâtdéjà 29 myriamètres de voies ferrées livrées à la cir-
culation. En 1852 11 y existait vingt-trois banques , roulant
sur un capital de 8,405,197 dollars.
Le territoire du Tennessee dépendait autrefois de la Ca-
roline du Nord ; mais ce fut en 1757 que des colons blancs
vinrent pour la première fois s'y établir, et ils eurent à sou-
tenir de longues et sanglantes luttes contre les Indiens. En
1790 la Caroline du Nord céda ce territoire au gouverne-
ment fédéral ; et en 1796 le Tennessee fut admis dans l'U-
nion comme État indépendant. La constitution actuelle est
celle qu'il reçut alors, mais qui fut révisée en 1834. L'assem-
blée législative se compose de soixante quinze représentants
et de vingt-cinq sénateurs, les uns et les autres élus pour
deux ans, de même que le gouverneur, qui reçoit un traite-
ment de 2,000 dollars. L'État est divisé en districts de l'est,
du centre et de l'ouest, comprenant ensemble soixante dix-
neuf comtés.
Le chcf-heu est Nasuville , sur la rive gauche du Cum-
berland , au point où il cesse d'être navigable pour des bâ-
timents à vajteur, et au centre d'un réseau de voies ferrées
encore à l'état de projet. La situation en est des plus favo-
rables pour le commerce. On y remarque plusieurs beaux
édifices, tels que l'hôtel de ville, le palais de justice, la
prison, l'université, fondée en 1806, la maison d'aliénés, etc.
On y compte douze églises, trois banques et un grand nom-
bre de bateaux à vapeur. Cette ville, dont la population
en 1850 était de 10,800 habitants (dont 1,500 Allemands)
est le siège d'un évêqiie catholique.
Knoxville, sur l'Hulston, compte 5,500 habitants;
Memphis , bâtie en terrasse sur le bord du Mississipi et
situi^e à l'embouchure de la rivière du Loup , en comptait
en 1853 13,000. Reliée à la Nouvelle-Orléans par un service
régulier de bateaux à vapeur, cette place est l'entrepôt des
produits du Tennessee occidental; et la création toute ré-
cente de chantiers de construction pour la marine de l'Union
a ajouté à son importance, qui va toujours croissant.
TENA'VSOiV' (Ali'ked), l'un des plus remarquables
poêles lyriques anglais des temps modernes, fils d'un
ecclésiastique du Lincoinshire, est né vers 1810. En 1830 il
publia une collection de poésies, que la critiiiue accueillit
de la manière la plus défavorable. Une nouvelle collection,
intitulée Poems chiejlij lyrical {IS32), ne fut pas mieux
reçue, et cet insuccès complet détermina, dit-on, le jeune
poète à racheter tous les exemplaires encore invendus de ses
œuvres pour les livrer aux flammes. Il resta alors plusieurs
années sans rien communiquer au public de ce qu'il écrivait.
La critique dont les vers d'Alfred Tennyson avaient été l'objet
ne manquait pas de fondement, et cependant elle était in-
uste. On peut reprocher à cet écrivain de la recherche dans
ses images et dans son style, de l'indécision dans la manière
dont il peint ses personnages et ses caractères ; mais ilfaut
savoir reconnaître la richesse de son imagination , la beauté
de sa versification, l'originalité de ses conceptions et de son
faire; toutes qualités qui se trouvent dans ses premières
publications, lesquelles contiennent aussi quelques-uns de
ses meilleurs poèmes. Après un long silence, ce ne fut
qu'en 1843 qu'il osa de nouveau affronter la loupe elle
scalpel de la critique et publier une nouvelle édition de ses
poèmes, considérablement augmentée et contenant , entre
autres productions nouvelles, Locksley Hall. Le succès
en fut franc et dt'ciJé , et la critique leur fut cette fois
aussi favorable qu'elle avait jadis été sévère; aussi ont-ils
eu depuis les honneurs de nombreuses éditions (9* édi-
tion, 1853). Depuis lors Alfred Tennyson est devenu le
poète favori du public anglais, qui se montre aussi aveugle
sur ses défauts qu'il lelait autrefois sur ses qualités. Il a en-
suite donné The Princcss, a Medley ( 1 849 ) • /« memoriam
TEJNINYSON
511
( 1851 ), espèce d'élégie sur la morl d'un ami, le (ils de l'iiisto-
rien Hallam , où l'on trouve quelques passages d'une exquise
sensibilité, mais au total production un peu monotone ; et
Mand (1856), poëme. A/and est le diminutif de Made-
leine. La donnée en est des plus simples. Ce sont les pages
détachées d'un journal. Un jeune homme, dont le père, après
avoir été miné, s'est tué; qui, rendu misanthrope parle
malheur, rencontre la fille de l'auteur de sa ruine et en de-
vient amoureux ; qui se prend de querelle avec le frère de
son amante , et le tue ; qui perd alors la raison , et qui lors-
qu'il est guéri de sa folie trouve son amante morte, et enfin
se console par la déclaration de guerre à la Russie; voilà la
donnée bizarre de cette production, qui n'a pas laissé que
d'obtenir un grand succès.
La reine Victoria, grande admiratrice d'Alfred Tennyson,
l'a nommé, en nbi, poëlelauréat, en remplacement de
Wordsworth. A ce titre Tennyson a publié une ode sur la
mort du duc de Wellington, et une autre sur la grande
charge de cavalerie , à la bataille de Balaclava , en Crimée;
deux productions malheureusement médiocres.
[Alfred Tennyson est un homme qui, sorti des rangs de
l'école utilitaire, porté sur le pavois de la Revue de Wes-
minster, élevé parmi les disciples de Bentham, a rêvé que
la philosophie benlhamile, avec ses axiomes, ses corollaires,
ses dogmes, son style oraculaire et abstrait, ne l'empêcherait
pas d'être poëte. Sans imiter Wordsworth ouCrabbe,
il a fait vibrer des cordes nouvelles. H a ébranlé les intelli-
gences ; il a exercé son influence sur un temps absorbé par
les émotions politiques. Son talent est devenu un sujet de
dispute et de critique ardente. Il est peut-être l'expression
la plus subtile de celte analyse des passions transformées en
poésie, de ce casuitisme de la morale et de l'observation, de
cette métaphysique rêveuse cherchant le drame dans les re-
coins de l'ûme , enfin de la vie poétique telle que la com-
prennent les nations du Nord. C'est le raffinement de l'^co/e
des lacs, Wordsworth dépassé quelquefois en niaiserie pa-
thétique, Heats et Shelley vaincus en idéalisme douloureux ;
la réaction de la pensée la plus froidement pénétrante sur les
situations de la vie les plus passionnées et les plus chaudes ;
quelque chose de varié , de grand , de profond , mais d'inoui
poiu- nos mœurs et nos intelligences du Midi. Presque en-
tièrement étranger à la poésie de surface, à la poésie spectre,
à la poésie de couleur et de bruit, Tennyson est assurément
un des écrivains les plus intimes qui aient jamais existé.
Dans les profondeurs où il se plonge, il ne trouve pas tou-
jours sa route : je ne sais quelle vapeur obscurcit les mille
formes fugitives qui passent, qui voltigent et qui fuient à
ses yeux, Cependant, il est plus net et plus ferme dans ses
conceptions que Shelley et que Wordsworth. Le système
panthéiste de Shelley a jeté autour de ses créations un voile
nuageux, qui les rend insaisissables comme des songes. L'ef-
foit de Wordsworth pour reproduire en vers naïfs des sen-
sations d'une ténuité imperceptible touche à la puérilité.
Tennyson se comprend mieux lui-même : c'est le |ioëte de
rana\yse, mais de l'analyse rigoureuse; l'homme de l'obser-
vatioîi psychologique. Transformé en strophes et en ballades,
il pénètre avec joie dans les détours des caractères, dans
les nuances des idées, dans les ramifications de l'être moral
et social; il s'y enfonce, il y vit avec délices; il s'associe,
en les analysant, à des modes d'existence divers. La folie de
son talent est de chercher des transmigrations impossibles.
• Il voudrait vivre de la vie des sy rênes, des anges, des dé-
mons, des lions dans leurs cavernes et des monstres de la
mer dans leurs grottes. Sa poésie est un avatar perpétuel,
comme disent les Hindous , un désir intense de plonger et
de s'enfoncer dans les différents êtres, dans les divers modes
d'existence qui peuplent l'univers. Il est fou , il touche au
ridicule quand il se i&iiléviathan , baleine , singe des bois,
et je ne sais quoi encore; mais , je le répète , c'est le délire
d'un très-remarquable talent.
Élève d'une école sévère, celle de Bentham, il veut se
rendre compte de tout; et son travail est détaillé, vigou-
reux, approlondi, alors même qu'il se trompe et ne réussit
pas , alors même qu'il se livre à votre risée. Souvent aussi
il est sublime. Un jour il descend dans l'àme d'un de ces
hommes incrédules qui voudraient croire, attachés à quel-
ques idées religieuses par les souvenirs de l'enfance et
l'élan de l'âme , mais dont l'esprit orgueilleux de son doute
se maintient dans ce doute ; emportés vers une croyance
bienfaisante par une sensibilité qu'ils ne peuvent dominer,
et repoussés loin d'elle par un scepticisme qu'ils ne peuvent
vaincre; gens malades de la maladie de ce temps, et sus-
pendus comme le siècle entre deux maîtres ennemis. C'est
une très-belle élude. Avec quelle douleur le demi-chrétien
s'écrie : Je voudrais croire ! Sa vieille mère qui prie, son en-
fant qui dort sous la croix du berceau, le tombeau chrétien
près duquel il s'arrête, le pénètrent de douleur. Dans quelques
strophes réside toute la misère de nos jours. A ce remarquable
tableau , Tennyson a donné un titre baroque et significatif.
« Confessions supposées d'un esprit de second ordre et
scnsitif, qui cherche en vain Vanité. » Rien ne caractérise
mieux que ce titre l'étrange génie du poëte. Avec tous ses
défauts, c'est un poète, un homme rare, le poëte de la pensée
qui se replie sur la passion pour l'étreindre, la forcer à
s'expliquer et savoir tous ses secrets; le poëte du sentiment
réfléchi, s'interrogeant loi-même et creusant, avec une habi-
leté pleine d'angoisses, les plus intimes de ses replis: c'esï
un peintre qui s'identifie admirablement aux nuances des
mœurs et aux souvenirs de la féerie et de l'histoire.
De même que Wordsworth avait extrait sa poésie des tri-
vialités de la vie rustique, Alfred Tennyson et Ebenezer
Elliott ont transformé l'économie politique en satires, et les
théories de Bentham en odes. Bentham, génie singulier et
systématique, d'ime compréhension subtile et d'une vaste
portée, adonné une forme complète et une réalité scientifique
à celte théorie de l'utilité du 7noi, de l'égoisrae, émanation
de la philosophie du dix-huitième siècle ; théorie résumée
dans le magnifique mensonge de cet axiome : Leplus grand
bonheur du plus grand nombre. Le bonheur! Donnez
donc ce que vous n'avez pas! Le bonheur! Rendrez-vous
heureux le plus pauvre! du pain, des vêtements, des riches-
ses: il acceptera sans doute; mais ses vices le priveront
demain de ces richesses. Qui vous dira que le désir d'être
heureux et le regret de ne pas l'être ne s'accroîtront pas en
proportion des acquisitions nouvelles? Philosophes, qui,
confondez toujours la sensation avec l'âme , et le malheur
de l'humanité avec les affres de la faim , votre système
est plus vide que celui de Berkeley, qui faisait du corps un
fantôme ! Aussi le mouvement des années a-t-il déjà emporté
le système de Bentham, législateur, comme Saint-Simon,
d'une société matérialiste. Avec ce système a disparu la Revue
de Westminster, fondée pour le propager. Je ne dirai point
par quelles subtilités raffinées on a prouvé que l'école bea-
tliamiste devait avoir son Homère , et que le plus grand
bonheur du plus grand nombre exigeait l'avènement d'un
poëte spécial , professant de nouveaux dogmes esthétiques,
Alfred Tennyson fut ce poëte. On remarqua surtout dans
les essais de Vutilitaire une volonté constante de métaphy-
sique abstruse, un désir d'exprimer l'essence i)lii!osophique
des choses, un besoin de créer l'inspiration par la réflexion,
au préjudice de la sensibilité, de l'imagination et de la per-
sonnalité. Le mètre de Tennyson, d'ailleurs vigoureux et
hardi, se mouvait tristement sous ses chaînes; le méca-
nisme de la versification , laborieusement savante , aggra-
vait la gêne imposée par une philosophie de convention. La
muse du Nord a peine à se défendre de cette usurpation de
la pensée rentrant en elle et se repliant sur elle. Ainsi s'é-
teignent les grands flambeaux dont la poésie s'éclaire ; ainsi
disparaissent, sous un voile de subtiles inventions, la clarté
et la chaleur. Cowley, dont on rit maintenant, n'a pas fait
autre chose'; la nature, l'homme, les vassions, la partie
vivante et principale de la poésie , reculent au fond de la
scène, abandonnée à un système qui prétend les reproduire
et qui les dissimule. Les ingénieux et poétiques symboles
512
TENINYSON — TENUE
de s penser, homme supérieur, n'ont pointobtenu de popu-
larité en Europe ; elle n'a pas écouté le murmure harmonieux
de ces belles strophes si chères à l'oreille britannique. En
vain Tennyson , pour atténuer ce défaut, a cherché la préci-
sion matérielle de la forme et l'éclat outré de la couleur :
c'était corriger un vice par un vice. Philarète Chasles].
TÉNOR, terme de musique emprunté de l'italien tenore,
et qui s'applique à l'espèce de voix d'homme qu'on désignait
autrefois sous le nom de taille. Le ténor a la même étendue
que le soprano ou dessus , voix ordinaire des femmes et
des enfants ; mais il se trouve naturellement une octave
plus bas. La voix connue en France sous la dénomina-
tion de haute-contre n'est autre qu'un ténor qui possède
à l'aigu une ou deux notes de plus que les ténors ordinaires.
Ce genre de voix , qui est d'une utiUté incontestable dans
les compositions écrites pour êtie exécutées exclusivement
par des voix d'hommes, a toutefois le désavantage de n'offrir
dans les cordes un peu au-dessous du médium que des
sons d'une faiblesse extrême , et qui sont à peine apprécia-
bles. Le ténor-bas, ou baryton, au contraire, a de la
sonorité dans les cordes inférieures , mais peu d'étendue
dans la partie supérieure.
Ténor se dit aussi du chanteur qui possède une voix du
genre de celle qui vient d'être définie.
Charles Becheu.
TÉNOTOMIE (du grecTÉvwv, tendon, et TOfivi, action
de couper), opération du ten d o n. On désigne sous ce nom
une opération chirurgicale qui a souvent été pratiquée avec
succès dans ces derniers temps, et qui consiste à couper les
tendons de muscles raccourcis à la suite d'un état morbide ,
à l'effet de donner plus de force aux antagonistes , et au
moyen d'un traitement convenable, de ramener et de main-
tenir dans la situation qui lui est propre le membre que
le raccourcissement des muscles a placé dans une posi-
tion anormale et vicieuse. Il suit de ce que nous venons
de dire que cette opération se rattache le plus souvent aux
cas d'orthopédie. Delpech, le premier, donna des
bases rationnelles et scientifiques à cette opération. Après ,
Stromeyer, professeur de chirurgie à Fribourg, fut celui
qui fit de celte opération l'objet des études les plus complètes
et les plus approfondies ; ses observations le conduisirent
même à la proposer comme remède contre le strabisme. Les
applications heureuses qu'il en fit au traitement de diverses
affections contribuèrent à rendre la ténotomie de plus en plus
générale; et Die f f enbacli finit par l'appliquer, suivant
les indications de Stromeyer, à la guérison du strabisme;
opération si souvent répétée depuis et presque toujours
avec le plus complet succès. Les procédés à employer dif-
fèrent à l'infini , suivant la position des tendons qu'il faut
couper, comme aussi suivant la constitution physique du
malade, la durée de la maladie et beaucoup d'autres cir-
constances encore dont il faut savoir tenir compte, quand
il s'agit de faire l'opération.
TEi\REC, genre d' in sec ti v ores , de la famille des
Érinacéides, originaire de Madagascar, et qu'on rencontre
aussi aux îles de France et Mascareigne, qui par l'extérieur
ressejnblent beaucoup aux hérissons. Leur corps est aussi
couvert de piquants ; mais ils n'ont pas, comme eux, la fa-
culté de se rouler complètement en boule. Ce sont des ani-
maux nocturnes, vivant dans des terriers et tombant à
l'époque des grandes chaleurs dans un état d'engourdisse-
ment analogue à l'hibernation de beaucoup de mammifères
du même ordre.
TENSIOIX. Ce mot indique l'état de ce qui est tendu ,
par exemple d'un fil ou d'une corde fortement tirée en
sens contraires par deux bouts; il est l'opposé de l'état
de relâchement, et ne peut guère s'appliquer qu'à des
parties molles ou susceptibles d'une grande flexibilité. Le
plus on moins grand degré d'acuité des sons rendus par des
cordes tendues , métalliques ou autres , dépend de leur degré
de tension , degré qui détermine celui des vibrations dans
un temps donné.
On nomme figurémcnt tension d'esprit la fixité ou la
concentration des facultés pensantes sur une même idée on
un même ordre d'idées. Cet état peut être poussé au point
d'amener l'insensibilité complète de l'individu sur tout le
reste; comme il advint d'un géomètre qui se brûla profon-
dément la jambe sans s'en apercevoir, ou du grand Archi-
mède qui ne s'aperçut pas du fracas de l'assaut à la suite
duquel Syracuse tomba au pouvoir de l'ennemi.
TENSONS ou TENÇONS. appelées aussi jeux partis ,
questions relatives à l'amour, aux devoirs de la chevalerie
aux prescriptions de la morale, etc., que les vieux poètes
français , les troubadours surtout, s'adressaient pour les ré-
soudre, soit en vers, soit en prose. Cet usage amena la créa-
tion des cours d'amour. Le plus souvent les juges
étaient des femmes d'esprit ; mais quelquefois aussi des ar-
bitres étaient choisis par les poètes, qui faisaient ainsi assaut
d'esprit , et chargés de rendre des arrêts définitifs sur les ma-
tières mises en discussion. Le plus ordinairement deux
interlocuteurs défendaient à tour de rôle leur opinion dans
des couplets de même mesure et en rimes semblables. S'il
y avait plus de deux interlocuteurs, la tenson prenait le
nom de tournoyement ou tournoy pourindiquer que chacun
prenait la parole à son tour sur la question mise en discus-
sion. On a de Martial d'Auvergne un recueil de ces décisions
galantes, sous le titre de Arresta Amorum. A l'instar des
cours d'amour de la Provence , la Picardie eut ses plaids
et gieux sous formel , dont le but et l'origine étaient les
mêmes {voyez Ménestrel).
TENTACULE, appendice quelquefois appelé corne
mobile, non articulé et très-diversement conformé, dont
différents animaux sont pourvus , et qu'ils tendent en avant ,.
soit pour saisir leur proie, soit enfin pour se défendre. Les
mollusques, les zoophy tes et plusieurs poissons portent des
tentacules. Les cornes des hmaçons sont scientifiquement
des tentacules.
TENTACULIFÈRES. Voyez Céphalopodes.
TENTE (dn latin tentorium'J, espèce de pavillon, de
tabernacle ou de logement portatif fait ordinairement de
toilede coutil, etc., et qu'on dresse en pleine campagne, pour
se mettre à l'abri des intempéries de l'air. Les Hébreux ,
dans le désert, logèrent pendant quarante ans sous des tentes;
et de nos jours encore la plus grande partie des populations
arabes et tatares ne connaissent pas d'autre habitation.
Quoique l'usage des tentes à la guerre datât d'une haute
antiquité , et que les Romains l'aient toujours pratiqué, il
avait cependant fini par se perdre en Europe; et c'est seule-
ment à l'époque des longues guerres du règne de Louis XIV,
oiil'on tint sur pied des armées dans toutes les saisons , que
les troupes françaises reprirent l'habitude de se servir de
tentes. Auparavant, les armées, étant bien moins nom-
breuses, s'abritaient dans les villages situés sur leur route ; et
il en résultait souvent des fractionnements extrêmes, qui
avaient de graves inconvénients. Dans les sièges ou les camps
à demeure les troupes se construisaient des baraques en paille.
La rapidité des marches et des mouvements, qui fut le ca-
ractère distinctif des guerres de la révolution et de l'empire,
ne permettait pas à une armée de traîner avec elle le lourd
attirai! de bagages nécessaire pour contenir les tentes de cam-
pement. Alors s'introduisit l'usage du bivouac : et aujour-
d'hui on ne voit plus de tentes que dans les camps de ma-
nœuvre. L'ancienne tente française appelée canonnière ,
pouvait contenir huit fantassins ou quatre cavaliers ; la tente
du modèle actuel peut contenir quinze fantassins , ou huit
cavaliers.
TENTE DïJ CERVELET. Voyez Dure-Mère.
TENUE se dit en général des manières et de la toilette
de quelqu'un : Avoir une bonne tenue, c'est être bien mis,
sans trop de recherche , et avoir dans le monde des façons
aisées , libres, décentes , etc. Cette locution s'applique par-
fois, mais plus rarement, à l'état moral de l'individu, et
l'on dit ainsi de celui qui change légèrement d'avis, à pro-
pos de tout ou de rien , qu'il n'a point de ternie.
TENUE — TERBURG
513
La tenue militaire doit également s'entendre de l'uni-
forme ou de la toilette du soldat et de l'allure qu'il a sous
les armes: Lsl tenue d'hiver, \si tenue d'été, \a grande,
l& petite tenue, etc.
Tenue se dit aussi du temps durant lequel se tiennent
certaines assemblées : La ie7iue des chambres, des assises.
Tenue se dit en marine de la qualité du fond d'un mouil-
lage : elle est bonne quand l'ancre y mord bien.
TENUE DES LIVR ES. Fo//e- Comptabilité et Livres
DE Commerce.
TÉOCALLl , c'est-à-dire maison de Dieu. C'est le
nom qu'au Mexique les Aztèques donnaient à leurs temples,
espèce d'autels gigantesques qui s'élevaient généralement
sous la forme de pyramides à quatre faces fort exactement
tournées vers les quatre points cardinaux, et au sommet des-
quels on ménageait une plate-forme plus ou moins grande.
Ordinairement ces pyramides se composent de larges assises
disposées en terrasses les unes au-dessus des autres. On arrive
à la plaie-forme supérieure, où se trouvent des constructions
plus ou moins grandes, telles que chapelle, temple, etc., par
des escaliers larges mais roides , ménagés sur un ou plusieurs
côtés. Quelquefois, mais plus rarement, ces escaliers sont
disposés en zig-zag de manière à conduire d'une assise à
l'autre (par exemple à la pyramide de Téopantépec). La
plupart de ces téocallis étaient entourés de grandes cours
contenant les logements des prêtres et les autres locaux
nécessaires aux besoins du culte. Il subsiste encore de nos
jours bon nombre de monuuients de ce genre, quoique
singulièrementilégradéseten ruines. A l'arrivéedes Espagnols
au Mexique , il en existait dans presque toutes les localités ;
la capitale seule en comptait plus de 2,000, dont sept à iiiiit
dans les proportions les plus grandiases. Un grand nombre
dataient déjà de l'époque de la domination des Toltèques
(c'est-à-dire du septième au huitième siècle). On cite sur-
tout les pyramides qui se trouvent aux environs de S;m-Juan
de Téolibuacan , dont l'une ( TunaUouh Ylzaqual) mesure
215 mètres à sa basa et a 57 mètres d'élévation. La pyramide
de Choluta, qui s'élève en quatre terrasses , a 450 mètres à
sa base et 55 mètres 33 cenlimèires de haut.
TÉPLltZ. Voyez Toeplitz.
TEPT^RES. Voyez Finnois.
TÉRATOLOGIE (du grec tépa;, Tî'paTo;, monstre , et
XÔYo;, discours ), partie de la science qui s'occupede l'étude
des monstres; partie de la physiologie qui traite des di-
verses anomalies et monstruosités de l'organisation , notam-
ment dans le règne animal.
Dans la classilication le plus généralement adoptée , on
partage les monstres en trois divisions principales : les
monstres par excès, c'est-à-dire qui présentent plus de
[larties que les individus à l'état normal ; les monstres ;;ar
défaut , qui en présentent moins ; et enfin ceux où il y a
quelque changement dans la structure ou quelque anoma-
lie dans la situation des parties. On connaît les beaux tra-
vaux de MM. Geoffroy Saint-Hilaiie sur la tératologie.
On a aussi donné le nom de tératologie à l'étude des
choses extraordinaires, prodigieuses, merveilleuses, ra-
contées de -siècle en siècle, et qui semblent le produit de
l'ima.gination. M. Berger de Xivrey a réuni en un volume
les traditions tératologiques.
TÉRATOSCOPIE (du grec iéç>a;, prodige, elay-onéu) ,
j'observe), divination par l'examen des prodiges, comme
accouchements monstiueux , pluies de pierres, visions
effrayantes, etc.
TERRHJM, nom d'un corps simple appartenant à la
classe des métaux, qu'on rencontre uni à l'oxygène dans ce
qu'on apelle l'yttria ou terre d''Ytter, qui se trouve dans le
minéral nommé ytlerïte.Leierhinm n'est pas connu à l'état
pur; son oxyde paraît être blanc. Ses sels ont une couleur
ronye d'améthyste.
TERBURG (Gérard) naquit en 1608 , à Zwoll, dans
la province d'Over-Yssel, où sa famille, très-ancienne,
jouissait d'un certain crédit. Son père était peintre , et avait
DjCT. DF. I a CoxVFRS. — T. XVi.
même fait dans sa jeunesse un voyage d'artiste en Italie.
Ce fut àson école que Gérard apprit les éléments du dessin ;
puis il alla se perfectionner dans une ville où les beaux-
arts florissaient à cette époque, à Harlem, sous un maître
dont les biographes ne nous ont pas transmis le nom. Jl est à
croire que ses premiers essais furent bien accueillis ; car sa
réputation était déjà faite en Flandre et en Hollande avant
qu'il n'entreprît ses premiers voyages en Allemagne et en
Italie. Toutefois, on ne retrouve guère dans les compo-
sitions dites rfesapremjère moHière, et qui n'ont été con-
servées qu'en très-petit nombre, le style qu'il adopta plus
tard. L'existence que mena Terburg fut des plus heureuses
etdes plusbrillantes. Ses parents, quiélaient de riches bour-
geois , le mirent à même de tenu' un rang honorable , en
attendant que sa profession put devenir lucrative. En 1648,
de retour dans son pays, il se rendit, en compagnie de plu-
sieurs gentilshommes qui voulaient faire un certain étalage
de magnificence, au congrès de Munster, où devait être si-
gné le traité de paix générale qui porte ce nom. Présenté
aux ambassadeurs, il lit d'abord les portraits de quelques-uns
«l'entre eux, et devint bientôt, quand son talent fut connu,
l'objet d'une foule de prévenances; tous l'engagèrent à
peindre un tableau représentant au complet une séance du
congrès. Terburg céda volontiers à leur désir, et se mit à
l'œuvre. 11 s'attacha surtout à peindre très-ressemblants
tous les membres de la conférence, et il réussit dans son en-
treprise avec un rare bonheur. Cette composition, qui a été
supérieurement gravée par Zuydernoëf, est regardée comme
le chef-d'œuvre de Terburg. L'ambassadeur d'Espagne, le
comte de Pignoranda, le décida , par des offres très-avanta-
geuses, à le suivre à Madrid. Terburg eut l'honneur de pein-
dre le portrait du roi , qui le créa chevalier et lui assigna
une pension très-considérable. Pendant son séjour à Madrid
ou à l'Escurial, notre peintre lit nombre de portraits. Comme
il était aimable, spirituel et beau, sa compagnie fut recher-
chée par les femmes de qualité, qui le prirent sous leur
patronage. Il ne tarda pas à lier avec quelques-unes d'entre
elles des intrigue^ amoureuses, qui faillirent lui coûter cher.
Un mari jaloux le poursuivit de sa vengeance, et il se vit
forcé de quitter l'Espagne d'une manière un peu soudaine. Il
se rendit à Londres, où ses talents eurent les mêmes succès
qu'à Madrid. Mais il ne séjourna que peu de temps dans
cette grande ville, et voulut visiter la France, où il trouva
de nouvelles occasions d'acquérir delà gloire et d'augmenter
sa fortune. Enfin , las de la vie active qu'il menait , Terburg
alla s'établir à Deventer, où il épousa une de ses parentes.
Sa réputation de grand artiste et d'honnête homme, sa for-
tune considérable, dont il savait faire un emploi généreux,
le firent nommer bourgmestie de la ville. Il mourut à De-
venter, en 168t , âgé de soixante-treize ans. Son corps fut
transporté à Zwoll.
Terburg étudiait beaucoup la nature. Sa touche est pré-
cieuse et très-fine. Ou ne saurait porter plus loin que ce
peintre l'intelligence du clair-obscur; son dessin est rond,
peut-être un peu lom-d, et son pinceau a quelquefois le
même défaut. Il avait un talent unique pour peindre des
étoffes, et particulièrement le satin. Sa couleur est bonne
et transparente; il n'a pas toujours été heureux dans le choix
de ses modèles de femmes , qu'il co[)iait trop au naturel.
Decamps n'a mentionné dans son catalogue qu'un petit
nombre des ouvrages de Terburg. Le Musée du Louvre en
possède quatre: un Militaire of faut de l'argent à une
/(?mme ( excellent tableau, où brillent les plus belles qualités
du maître); la Leçon de Musique; une Musicienne; un
Conseil de Magistrats. On voit au Musée de Dresde une
Dame yêtue de blanc, et debout devant un lit; une Dame
assise jouant du luth, et un cavalier qui l'écoiUe. La Ga-
lerie de Diisseldorf possède la Nativité de Jésus-Christ
et un Jeune homme cherchant les puces d'un chien. On
connaît encore de Terburg L'Instruction paternelle,
La Visite du Médecin, im Intérieur, où sont représentées
trois femmes, etc. Le Congrès de Munster, qui eût si bieu
3^
514
trouvé sa place dans le Mus(^e liistoriqiie de Versailles, et
deux intérieurs deTerburg, se voyaient autrefois dans la
riche collection de l'Elysée Bourbon, où se trouvaient
réunies tant de belles peintures flamandes. En avril 1837,
cette précieuse galerie fut vendue, au grand regret de tous
les amis des arts ; et le comte Demidoff acheta le Congrès
de Munster au prix de 45,500 francs. Les dessins de Ter-
burg sont très-rares. Van Somer, Théodore Mathan, Zuy-
derhœf, B. Bary, Wille, ont gravé d'après ce maître.
Antoine Fillioux.
TERCEIR A. ( Le duc de), comte de Villajlor, maréchal
et pair de Portugal, né vers 1790, entra fort jeune au ser-
vice, parvint dans les guerres contre Napoléon au grade
d'officier d'état-inajor, et passa, en 1826, colonel, puis bri-
gadier. Après avoir prêté serment de fidélité, en 1826, à la
charte de dom Pedro, il reconnut sa fille en qualité de reine
de Portugal. Nommé général major par la régente, il battit
le marquis deChaves, partisan de dom Miguel, l'expulsa du
Portugal, et fut alors nommé général en chef. Mais quand
dom Miguel prit la régence au nom de sa nièce, il ne voulut
reconnaître au duc de Terceira d'autre grade que celui de
brigadier ; et la populace, soudoyée par le parti réactionnaire,
fit entendre contre lui des menaces telles, que le 14 mars
1828 il jugea prudent de se réfugier à bord d'un bâtiment
de guerre anglais en station dans le Tage. La tentative qu'il
fit au mois de juin de la même année pour appuyer un mou-
vement fait à Oporto par le parti constitutionnel échoua.
Il dut s'en retourner à Londres ; mais dès le mois de juin
1829 il venait se mettre à la tête des constitutionnels dans
l'Ile de Terceira; et alors, d'accord avec Palmella, il
déploya une infatigable activité dans les intérêts de Donna
Maria. En juin 1832 dom Pedro, ayant pris lui-môme le
commandement de l'expédition qui partit de Terceira pour
Oporto , lui confia la direction de celle qu'on tenta simul-
tanément dans les Algarves, et lui conféra le titre de duc
de Terceira. Débarqué à Cavellas avec 4,000 hommes , il
marcha sur Lisbonne, qui tomba en son pouvoir. Des con-
flits avec d'autres généraux le déterminèrent à donner sa
démission ; mais dès le mois de mars 1834 dom Pedro le
nommait commandant supérieur d'Oporto. il marcha de là
à la rencontre de dom Miguel , opéra sa jonction avec le
corps auxiliaire espagnol aux ordres du général Rodil, battit
i'ennemi le IG mai à Asseiceira, près de Thomar, et occupa
Santarem le 19. Ensuite de quoi, une capitulation, conclue
le 26 mai 183^ , à Evora , mit fin à la domination de dom
Miguel en Portugal. Depuis, le duc de Terceira a constam-
ment joué un rôle éminent en politique. Partisan zélé de la
charte donnée aux Portugais par dom Pedro, il fut placé en
1836 à la tête du ministère; mais renversé par les démo-
crates, il fit, à deux reprises, d'inutiles tentatives pour
opérer une contre-révolution. Ce ne fut qu'en 1842, après
le rétablissement de la charte, qu'il fut de nouveau nommé
premier ministre, mais sans réussir à se maintenir au pou-
voir. Son administration servit de planche à celle de Cabrai,
qu'il contribua à renverser, en 1840, à l'aide d'une coalition
avec les autres mécontents. Mais l'insurrection ayant pris une
direction démocratique, il se mit à la disposition de la reine; et
envoyé par cette princesse à Oporto pour tâcher d'y rétablir
le bon ordre, il fut fait prisonnier parles insurgés. Rendu
à la libellé par suite de la compression de ce mouvement, il
fit partie avec Saldanha d'un cabinet remplacé bientôt par
une administration ayant à sa tête Cabrai. Terceira ne prit
pas directement part à l'insurrection tentée par Saldanha
vn février 1851 pour renverser Cabrai; et il ne fut question
de lui que lorsque la reine , cédant à la pression exercée
sur elle par les insurgés, lui offrit, mai-; inutilement, de com-
poser un cabinet dont il aurait eu la présidence.
TERCEIRE, Terceira, l'une des îles Açores, avec
lesquelles d'ailleurs elle présente à tous égards les rapports de
conformité les plus complets. Sa superficie est de 73 kilo-
mètres carrés, et sa population de 40,000 âmes. Entourée
presque de tous côtés par des rochers de lave . elle n'est
TERBURG — TÉRÉBENTHINE
accessible que par un très-petit nombre de points, totis dé-
fendus par des fortifications. Comme les autres Açores , eik
est de nature volcanique; et en 1761 il s'y forma à l'inté-
rieur le volcan de Bagacena-Pic , qui aujourd'hui encore
continue à projeter de la fumée et des gaz. Depuis celte
époque aussi l'île est sujette à de fréquents tremblements de
terre. Le sol en est très-fertile. Les plateaux présentent de
magnifiques pâturages et nourrissent une belle race de bêtes
à cornes. Sa production en blé, maïs et vin est assez con-
sidérable. Ce dernier article constitue, avec les bois de cons-
truction et l'orseille, les principaux objets d'exportation. Le
chef-lieu de l'île est Angra, ville de 18,000 habitants, avec
un bon port, de nombreuses églises et un fort, siège du
gouverneur et de l'évêque des Açores. L'île de Terceire est
célèbre dans l'histoire par sa fidélité envers ses souverains.
Le roi d'Espagne Philippe II, qui s'était emparé du Portugal
dès i;)80, ne put la soumettre qu'en 1583. De nos jours,
dans la lutte qui éclata entre donna Maria et dom Miguel,
pour la couronne de Portugal, elle resta fidèle à cette prin-
cesse; aussi Villaflor (voyez Terceir\) vint-il, en 1829, y
constituer une régence au nom delà jeune reine, et c'est-là
qu'en 1832 dom Pedro réunit les forces militaires à l'aide
desquelles il put mettre fin à l'usurpation de son frère.
TERÇEROIV. l'o//es Nègre.
TEREBENTHINE , suc particulier, résineux , d'une
consistance demi-fluide, qui découle de quelques arbres de
la famille des conifères. On en connaît une foule de variétés.
Le procédé pour les obtenir consi.ste toujours à pratiquer
des incisions à l'arbre , depuis la racine jusqu'au .sommet,
et à laisser couler la résine spontanément. Entre les téré-
benthines les plus estimées figure celle de Chio, laquelle
découle d'un arbre qui croît abondamment dans les îles de
l'Archipel. Assez rare , puisque chaque arbre n'en donne
que de 8 à 10 onces, elle est très-épaisse, d'une couleur ci-
trine-verdâtre, d'une odeur agréable, analogue à celle du
fenouil , d'une saveur parfumée, privée de toute amertume
et d'àcreté , et rappelant un peu la saveur du mastic.
La térébenthine du Canada est incolore, transparente ,
demi-liquide , d'une odeur très-suave. Les Anglais la vendent
sous le nom de baumede La Mekke ou de Gilead , et quand
elle est un peu moins transparente, sous celui de baume
du Canada.
Une autre variété très-remarquable et très-estimée dans
le commerce , la térébenthine de Venise , est celle qui pro-
vient du mélèze , grand arbre croissant sur les montagnes
Alpines du midi de la France, de la Suisse et de l'Italie.
Elle paraît se rapprocher beaucoup des variétés [)récédentes ;
elle s'en distingue seulement par une odeur aiomatique
plus agréable, une transparence plus grande; et elle est beau-
coup moins chargée d'huile volatile.
La térébenthine de Strasbourg est produite par les
grands sapins des Vosges, de l'Allemagne et du Nord. Elle
suinte de i'écorce des jeunes arbres, sur lesquels elle forme
des utricules que les paysans crèvent avec un cornet de
ferblanc : ces paysans portent la matière résineuse enfermée
dans une bouteille suspendue à leur côté. Cette térébenthine
est très-estimée; elle a une odeur de citron très-agréable,
et qui la fait appeler quelquefois térébenthine au citron.
Nous citerons encore la térébenthine de Bordeaux,
laquelle découle du pinus maritima , très-abondant dans
les environs de Bordeaux et de Bayonne , la poix blanche,
ou poix de Bourgogne, etc. ( voyez Poix).
La térébenthine fournit aux arts divers produits; nous
citerons Yessence de térébenthine, si utile dans la pein-
ture en bâtiments, qui s'obtient par la distillation, et que
dans ce'; deiniers temps on a proposé d'employer dans le
traitement du choléra pour en frictionner les malades ; le
galipot, la colophane , la résine jaune ou poix-
résine, obtenue parle mélange avec l'eau de la colophane
en fusion ; l'/mj/e de raze, que l'on obtient par la distilla-
tion du galipot; la poix noire, produite par la combustion
des filtres de paille et des éclats àe bois provenant des ea-
TÉRÉBENTHINE
tailles faites aux arbres; Y huile de poix ou pisselœon, pré-
parée dans la même opération, mais se séparant de la poix
noire par sa lluidilé ; le g oudron , le brai gras ou poix
bâtarde , très-employé dans les constructions navales ; enfin,
le noir de fumée , produit par l'incinération des térében-
thine, galipot, et résine des pins et sapins, puis condensé
dans une chambre disposée à cet effet. C. Favrot.
TÉRKBRA^TS. Voyez Hyménoptères.
TERÉBRATULE (dulatin tercbratus,\)eTcé) , genre
de mollusques bracliyopodes, à coquille inéqiiivalve , régu-
lière et symétrique , subtrigone. L'animal, ovale , oblong
ou snborbiculaire, plus ou moins épais , a les lobes du man-
teau très-minces et garnis au bord de cils peu nombreux et
très-courts. Ce genre comprend quelques espèces vivantes
et un nombre bien plus considérable de fossiles des terrains
anciens et secondaires. Ces fossiles avaient d'abord reçu le
nom vulgaire de poulette , ou coq et poule, à cause des
espèces plissées et ailées , telles que la terebratida alata
du terrain de craie.
TEREK ( Le) , l'un des cours d'eau du Caucase et en
particulier du gouvernement russe de Stawropol ou Cis-
Caucasie les plus importants par leur étendue, leur largeur
et leur profondeur, prend sa source dans le mont Tscerk ,
à peu de distance du Kasbecl< , haut de 5,170 mètres, et de
VAragwy, qui coule vers le sud en Géorgie. Après avoir
couié dans une profonde et étroite vallée du plateau et tra-
versé la Kabarda , il atteint le pays de plaines à lékatcrino-
grod, se dirige alors à l'est par Mosdok et Naour , puis
au nord-est par Kisljar, et, après un parcours de 47 myria-
inètres, vient se jeter dans la mer Caspienne. A partir de
Kisljar, où il se partage en trois bras, il forme un grand
delta marécageux , mais riche en pâturages, habité par des
nomades Tatares ou Kalmouks, qui y trouvent de précieux
herbages pour leurs troupeaux. Le Terek n'est navigable
sur aucun point de son parcours , étant trop rapide dans sa
partie supérieure et trop ensablé dans sa partie inférieure.
C'est entre le Terek et la Kouma qu'est située la Steppe de
Terek, contrée au sol ingrat et imprégné de sel et n'offrant
que la végétation la plus pauvre.
On appelle ligne ou 7-oute du Terek une suite de petits
forts construits par les Russes contre les Tscherkesses , les
Tschetschenzes et autres montagnards, le long du Terek en
amont depuis Mosdok jusqu'au défdé de Dariel, principal
passage du Caucase central , d'où l'on redescend au sud par
la route de Tiflis en Géorgie. Les plus importants de ces forts
sont Grégoriopol et surtout W ladïkaukus , avec de belles
casernes , un grand hôpital et de vastes jardins potagers.
TÉRENCE (PuBLius TEREiNTIUS AFER), poète dra-
matique latin, né vers l'an 192 ou 193 avant J.-C, en
Afrique, et, selon toute apparence , à Cartilage. Il appar-
tenait à une famille libre, mais peu connue ; on ne sait pas le
nom qu'il a porté avant d'être affranchi de l'esclavage où
il avait eu le malheur de tomber. Les circonstances de
cette infortune ne sont pas non plus très-connues. Un fait
constant , c'est qu'il était esclave du sénateur Terentius
Lucanus, qui distingua ses talents, le fit élever avec grand
soin, l'alfranchit de très-bonne heure, et lui donna son
nom. Térence ne tarda i)as à obtenir par ses productions
poétiques une réputation brillante , qui lui valut l'amitié de
quelques personnages illustres. Cependant, Térence ne man-
quait pas de détracteurs , dont le plus acharné s'appelait La-
nuvius ou LaviniuR. Il eut, à ce qu'il paraît, la faiblesse
de s'affliger de cette malveillance. Poursuivi par des invec-
tives calomnieuses , et réduit, si l'on en croit Porcins, à
une indigence extrême, il sortit de Rome et disparut. D'au-
tres supposent qu'il avait amassé une petite fortune, et
qu'il la porta en Grèce ou en Asie , où il se promettait de
vivre en paix. En allant , ou , selon Coscinius , en revenant
en Italie, il perdit, à ce qu'on assure, cent huit pièces de
théâtre, qu'il avait traduites , extraites ou imitées de Mé-
nandre. Quelques-uns racontent qu'il périt lui-même dans
ce naufrage, d'autres qu'il mourut à Stymphale ou Leu-
TERENCE ;,i5
cade en Arcadie, succombant au chagrin d'avoir perdu,
avec son bagage embarqué d'avance, les plus chères pro-
ductions de son art. Suétone place sa mort sous le consulat
de Fnlvius Nobilior, cent cinquante-neuf ans avant notre
ère; et saint Jérôme, à l'an 3 de la 155® olympiade, qui
répondrait à l'année 158 av. J.-C. Il n'avait pas encore
trente-cinq ans acccomplis.
Térence est auteur de six comédies, qui sont comptées
parmi les chefs-d'œuvre de lalittérature latine. V AndriennCf
qui passe pour sa première pièce , fut jouée sous le consulat
deMarcellus etdeSulpitius, l'an de Rome 588, 166 av. J.-C.
Comme Térence en convient lui-même dans son prolo-
gue , il a mis à contribution pour la composition de cette
pièce deux ouvrages de Ménandre, VAndrienne et la Pé-
rintienne. Peut-être résulte-t-il de ce double emprunt une
intrigue un peu trop compliquée : mais la pureté et l'élé-
gance du style, la justesse des maximes et les observations
morales qu'elle renferme la font regarder comme une de
ses meilleures pièces. 2° VHécyre ou La Belle-Mère, pa-
rut l'an 165. Le sujet, emprunté d'un drame grec d'Apol-
lodore, est le plus intéressant que Térence ait traité; mais
la froideur de l'exécution et l'absence de force comique ont
fait douter longtemps du succès de cette pièce. Les acteurs
ne purent achever la première représentation : le peuple
alla regarder les danseurs de corde. Il abandonna pareille-
ment la seconde pour contempler un combat de gladiateurs.
Une troisième épreuve , différée probablement de plusieurs
mois, fut plus heureuse. 3" V H eautontijnorumenos , ou
l'homme qui se punit lui-même, fut représenté pour la
première fois l'an 133 av. J. C. Le sujet de cette pièce avait
été puisé dans iMénandre ; mais Térence en avait compliqué
l'intrigue, comme d'ailleurs il l'annonce dans le prologue.
C'est un père qui a forcé son fils de quitter une courtisane,
puis qui , désespéré du départ de ce jeune honime, se retire
à la campagne , et s'y condamme aux plus rudes travaux;
qui ensuite , quand son fils est de retour, flatte ses passions
et encourage sps désordres. Le succès de cette pièce fut
complet: on y trouve quelque chose de plus vif, de plus
naturel que dans les autres , beaucoup de traits remar-
quables, parmi lesquels on remarque surtout celui qui ex-
cita de si vives acclamations, et qui a été souvent cité de-
puis-. i/onio sum, humani nihil a me alienum piito.
C'est peut-être l'ouvrage de Térence qui , quoique emprunté
aux Grecs, se rapproche le plus des mœurs romaines.
4° Phormion fut représenté en l'an 161. C'est un parasite,
qui, de concert avec des Videts , escroque de l'argent à
des vieillards crédules pour servir les amours de leurs fils.
De pareils stratagèmes se retrouvent dans Les Fourberies de
Scnpin , où l'on peut distinguer jusqu'à sept scènes que
Molière a empruntées à l'auteur latin. Cette comédie at-
tache par la variété des caractères , elle présente un ta-
bleau vaste et rempli avec art, et quoique l'intérêt ne se
.soutienne pas jusqu'à la fin du cinquième acte , elle atteste
d'une manière sensible le progrès de son talent. 5° L'Ei
nuqtœ, représenté quelques mois après, obtint encore pins
de succès. 11 fut joué deux fois en un seul jour, et repro-
duit avant la fin de l'année. Le poète y gagna huit mille
pièces d'argent {octo millia nummum). Jamais une co-
médie' n'avait été vendue si cher. Perse et Horace y ont
puisé quelques morceaux de satire; de son côté, Térence
devait à Ménandre le premier fonds de toute cette comédie.
On y admire surtout la simplicité du sujet, la force et la
combinaison des ressorts, la nouveauté des nœuds, la vé-
rité des caractères, la pureté des expressions et la délica-
tesse des pensées. 6° Les Adelphes , qui furent joués en
l'an cent soixante-un, avant la mort de Térence , fiuent
sa dernière pièce. Le sujet en était pris de Ménandre ou de
Diophile. La pièce, dans tous les cas, est originairement
grecque, et c'est dans ce drame que Térence, Grec plutôt
que Romain , atteint ce haut degré de perfection de style qui
le distingue ; c'est aussi celui qui remplit le mieux le but
de la comédie : peindre les mœurs pour les corriger.
S3.
BîB TEHENCE
On a prétendu que Térence devait à Scipion Émilien
et à Leiius la meilleure partie de ses ouvrages , ou même
qu'il ne faisait que leur prêter son nom. On a argué d'un
texte de Térence lui-même dans son prologue des Adel-
phes. On a pris ses paroles pour un aveu positif des em-
prunts qui avaient enrichi le poète : nous n'y voyons,
nous , que la modestie qui sied au talent.
Ce qu'on admire surtout chez Térence , c'est la pureté de
son goût , la délicatesse de son langage , la décence de ses
dialogues, la simplicité de ses sujets, la sagesse de sa
morale, la douceur des sentiments qu'il exprime et qu'il
fait passer dans l'âme du spectateur, et surtout son habileté
à peindre et à conserver jusqu'au bout les caractères des
personnages. Mais nous cherchons vainement chez Térence
l'expression de la société romaine. Jamais il ne peint les Ro-
mains ; toutes ses pièces sont grecques, ses sujets sont tirés
et presque traduits du grec d'Apollodore, de Diophile, et sur-
tout de Ménandre. Ses personnages sont grecs ; il ne se permet
pas même une allusion aux mœurs romaines; il parle grec en
latin : jusqu'à son esprit , tout est grec. P 1 a u t e , antérieur
à Térence, nous semble bien supérieur à lui comme expres-
sion de la société romaine : nous chercherions vainement dans
Térence cette verve comique, cette énergie, cette variété de
caractères et d'intrigues , cette originalité qui distinguent les
chefs-d'œuvre de Piaule : L'Amphitryon, Les Ménechmes,
VAulularia, la Mostellaria. Sans doute on aimerait à
trouver chez ce dernier plus d élévation dans les caractères,
moins de bouffonneries, de grossièreté et de licence; sans
doute il n'a pas la pureté d'élocution de Térence : mais
on est souvent forcé d'admirer la dextérité avec laquelle
il sait nuancer une langue peu cultivée encore et le parti
qu'il sait en tirer, les expressions vives et les tours éner-
giques dont il l'enrichit. Malgré ses défauts , et peut-être
même un peu à cause de ses défauts, Plaute l'emporte
donc sur Térence comme expression des mœurs romaines.
Peu d'auteurs classiques ont été plus souvent copiés au
moyen âge. La Bibliotlièque impériale en possède plus de
vingt manuscrits complets ou incomplets , parmi lesquels
on en trouve d'antérieurs à l'an 900. Un grand nombre d'é-
ditions et de traductions ont aussi été faites des œuvres de
ce poète. Nous nous bornerons à indiquer les meilleures ;
nous citerons en fait d'éditions celle de VVesterhovius et
celle de Deux-Ponts , et en fait de traductions celles de
M™^ Dacier et de Lemonnier. Philarète Chasles.
TEREiMTIUS, nom d'une famille de Rome, d'origine
plébéienne. 11 n'apparaît que rarement dans les fastes de
la magistrature, et c'est en l'an 380 av. J.-C. qu'il eu est
pour la première fois question, à propos de Caius Teren-
tms, tribun militaire consulaire.
Nous citerons encore Caius Terentius Varro , fils d'un
boucher, qui comme avocat se concilia la faveur de la mul-
titude, parvint ainsi aux honneurs de la questure, de l'édi-
lité, puis, en l'an 218, à ceux de la préture; et qui, après
avoir chaudement appuyé la loi proposée par le tribun Meti-
lius à l'effet de faire accorder au maître de la cavalerie
Minucius des pouvoirs égaux, à ceux du dictateur Fabius
Cunctator , lut élu consul en l'an 2l(j, avec Lucius jEmilius
Paulus. Il fut cause de la perte de la bataille de Garnies,
où il prit la fuite pour se réfugier à Venusia. A son retour à
Rome, le sénat le remercia pourtant solennellement de n'a-
voir pas désespéré du salut de la république après la perte
de la bataille ; et dans le cours de la seconde guerre Punique
on lui confia divers autres commandements, avec des jiou-
voirs de proconsul ou de propréteur. En l'an 202 il fut au
nombre des ambassadeurs députés auprès de Philippe de
Macédoine, et en 200 de ceux qiï'on envoya à Carthage.
Trois écrivains du nom de Terentius ont marqué dans
l'histoire de la httérature latine, à savoir : le poète dra-
matique Terentius Afer {voyez Térence) ; le savant Mar-
cus Terentius Varro ( yoyes Varron), de Réate; enfin,
le poëte épique et satirique Publius Terentius Varro,
né l'an 82 av. J.C., et surnommé Atacinus , du lieu
- TERME
de sa naissance , Atax , bourg de la Gaule Narbonnaise.
TERGIDUCTEUR. Voyez Décurion.
TERME (du latin terminus , fin, extrémité, borne).
Ce mot s'applique à tout ce qui est susceptible d'être me-
suré ou qui peut avoir une fin. Dans une acception toute
différente , il désigne des idées que l'on compare entre elles,
ou plutôt les mots qui servent à les rendre : Les termes dé
votre comparaison sont inexacts.
En géométrie , les termes d'un rapport , d'une proportion
ou d'une progression, sont les quantités, comparées entre
elles , dont ces choses se composent.
Les termes d'un polynôme, en algèbre, sont les quan-
tités, séparées par différents signes, qui établissent leur mode
de rapport entre elles.
En logique, les termes d'un syllogisme sont les diverses
propositions principales qui entrent comme éléments dans
cette forme de discours. C'est dans un sens à peu près ana-
logue que terme est pris parfois pour synonyme de diction,
de mot : Terme barbare, emphatique, équivoque; En termes
précis; Choisir mal ses termes, etc. (voyez Mot),
Termes, au pluriel, dé.signe aussi l'état d'une affaire,
la position de quelqu'un à l'égard d'un autre : Cette affaire
est en bons termes, etc.
Le même mot s'emploie sans particule pour indiquer l'é-
poque naturelle à laquelle une femme doit accoucher (voyez
Foetus) ou une femelle mettre bas : Accoucher à terme,
avant terme. Il sert aussi, dans les usages civils, à dési-
gner un temps préfix de payement : Les loyers des maisons
non garnies se payent, à Paris, aux quatre termes accou-
tumés. Par extension, ce mot s'emploie dans ce cas non-
seulement pour désigner le quart de l'année, mais aussi la
valeur du loyer durant ces trois mois : Devoir deux termes,
qui s'élèvent ensemble à cinquante écus.
Le mot terme , en matière de droit civil, est la limitation
précise d'un temps donné pour faire une chose : Le prêteur
ne peut pas demander la cho.ie prêtée avant le terme con-
venu ; ce qu'on rend encore par cette locution vulgaire ;
Qui a tet^me ne doit rien. Ce qu'on nomme tenne de ri-
gueur est celui passé lequel il n'y a plus de délai à espérer.
On appelle aussi termes les bornes qui servent à marquer
une place quelconque pour indiquer les limites d'un ter-
rain , ou dans toute autre vue. C'est de celte dernière ac-
ception qu'est venue cette locution : Il e.st planté là comme
un terme, par laquelle on désigne quelqu'un qui re.^te long,
temps quelque part, debout et immobile. Les termes mil-
liaires des anciens , que Plaute nonuiie aussi lares viales ,
semblent avoir eu à peu près le même usage; ils servaient
à marquer les stades ou les distances des chemins. On voit
encore à Rome, au bout du pont Fabricius , deux de ces
termes ayant chacun quatre têtes , ce qui a fait appeler ce
pont ponte quatro Capi. L'architecture moderne fait un
grand usage, comme objet de décoration, de diverses es-
pèces de termes (voyez Gaine).
TERRE (Bain de). Voyez Bain.
TERME (Le dieu) était déjà honoré dans la Grèce,
sous le nom de Dicôrion, lorsque Numa, voulant, vers
l'an 714 avant notre ère, éviter la discorde entre les pro-
priétaires, le présenta aux Romains comme un dieu protec-
teur de la division des terres et comme le vengeur des
usurpations. Il ordonna qu'il serait planté des bornes dans
les champs pour distinguer les domaines de chacun , et il .
déclara que la tête de celui qui pousserait la témérité jusqu'à
les enlever ou les déplacer serait vouée aux dieux infernaux,
et qu'on pourrait le tuer impunément sans craindre d'être
livré à la justice.
Ce dieu fut d'abord représenté sous la figure d'une gros,se
pierre carrée ou d'un cube; dans la suite, on éleva la pierre
en façon de borne, on lui donna une tête humaine, mais
sans bras et sans pieds, pour exprimer qu'elle ne pouvait
être déplacée sous aucun prétexte. Numa institua en l'hon-
neur de Terme \QsJétes Ter min a les.
Ch" Alexandre Lemoii».
TERMINALES — TERNAUX
517
TERMINALES ( Fêtes ), instituées par Numa en l'hon-
neur du dieu Terme. Elles se célébraient non-seulement
dans le temple de ce dieu , mais encore sur les bornes des
champs, que l'on parait de Heurs, et sur les grands che-
mins. Pendant longtemps on se borna à lui offrir des liba-
tions de lait et de vin , avec des fruits et des gâteaux de
farine nouvelle; et il était défendu de lui sacrifier rien qui
eût reçu la vie; mais pins tard on lui immola, soit une
truie, soit un agneau. Ces (êtes étaient toujours accompa-
gnées de danses et de festins. Ch"'' Alexandre Lenoib.
TERMIIVISME. Ce mot est souvent employé comme
synonyme de déterminisme. A partir du dix-septième
siècle on s'en servit pour désigner la doctrine de certains
théologiens, qui enseignaient que Dieu a assigné aux hommes
pour s'amender et faire pénitence un certain terme au delà
duquel ils perdent tous droits à sa mansuétude et au bon-
heur éternel.
TERMIIVOLOGIE. Ce mot désigne l'ensemble des
expressions particulières à une science ou bien à un art.
De quelque utilité que puisse être en généra! aux sciences ,
aux arts et à l'industrie , une terminologie spéciale , afin que
ceux qui les pratiquent puissent toujours se faire comprendre
en pende mots, on ne saurait s'empOcher de reconnaître qu'à
force de la modifier sans cesse et de l'augmenter, on arrive
à en faire quelque chose de fort pénible et de fort ennuyeux
pour les profanes.
TERMITES, genre d'insectes de l'ordre des névrop-
lères , qui, sous !e nom vulgaire de fourmis blanches,
exercent de grands ravages dans tous les pays chauds. En
voici les caractères : Une tête grosse, portant sur son sommet
trois ocelles , et en avant, des antennes courtes et monilifor-
mes; desailes parcouruer-par des nervureslongitudinales, mais
n'ayant que des nervures transversales rudimentaires; des
tarses composés de quatre articles, etc. On n'en a encore
guère décrit que vingt-cinq à trente espèces ; mais comme
ce sont des insectes d'une grande fragilité, d'une conservation
difficile, nos collections ne renferment vraisemblablement
qu'une très-petite partie des espèces répandues dans les diffé-
rentes contrées. Les termites ont de tous temps attiré l'atten
tion des naturalistes et des voyageurs par leurs mœurs, leur
singulière industrie et les vastes habitations qu'ils parviennent
à se construire. Par leurs habitudes sociales, ils ressemblent
beaucoup aux fourmis; et c'est aussi celte circonstance
qui les a généralement fait désigner sous la dénomination
(i^ fourmis blanches, lis se nourrissent de bois, de fruits,
de végétaux , et encore de matières animales desséchées.
Les naturalistes ont pu constater cinq formes de cette
espèce de névroptères, à savoir : les mâles et les femelles,
pourvus d'ailes et chargés de reproduire l'espèce; les sol-
dais, individus neutres, remarquables par la grosseur et
l'allongement de leur tête et par le grand développement
de leurs mandibules, le corps plus robuste que les mâles
et les femelles. Dépourvus d'ailes , les soldats sont consi-
dérés comme les gardiens et les défenseurs des habitations
communes. Ils sont ordinairement postés contre les parois
internes de la surface extérieure du nid, de manière à
paraître les premiers dès que l'on fait une brèche à leur
domicile, et de pincer les agresseurs avec leurs fortes man-
dibules. Les ouvrières sont regardées par la plupart des
entomologistes comme étant simplement des larves; assez
semblables aux mâles et aux femelles, pourvues d'ailes,
elles ont le corps mou , sont privées d'yeux et d'ocelles et
de taille inférieure à celle des soldats. Enfin, les individus
signalés par Latreille comme appartenant àl'étatde nymphe
ressemblent complètement aux larves ou ouvrières, mais
présentent des rudiments d'ailes. Les larves et les nymphes
paraissent chargées de toutes les fonctions attribuées aux
neutres ou ouvrières dans les sociétés d'hyménoptères,
comme celles des abeilles, des fourmis, etc. Un fait remar-
quable, c'est que ces insectes redoutent infiniment la lumière;
aussi ne travaillent-ils jamais à découvert. Les uns éta-
blissent leur demeure sous la première couche d'humus, où
ils creusent de larges galeries dans toutes les directions,
ou bien encore dans de vieux troncs d'arbres ou sous les
boiseries des habitations. Les autres se construisent avec de
la poussière de bois et d'argile , qui leur sert à confectionner
un mastic des plus solides, des demeures affectant la forme
de tourelles, et recouvertes par une toiture solide. Dans
l'ouest de l'Afrique et dans la Nouvelle-Hollande, ces nids de
termites, toujours soigneusement clos de toutes parts et sans
issue apparente, atteignent une élévation telle, et sont or-
dinairement réunis en si grand nombre , qu'on les prendrait
pour des huttes de sauvages et des villages d'aborigènes.
Ces monticules, intérieurement distribués en innombrables
galeries, renferment chacim des millions d'individus.
Les larves , au corps mou, blanchâtre et d'un aspect re-
poussant , sont véritablement celles qui commettent les d>^-
vastations qu'on reproche à l'espèce tout entière. Les ravages
qu'elles pratiquent dans les colonies dépassent tout calcul.
A la Martinique et à la Jamaïqiie on les a vues anéantir
complètement des récoltes de sucre , et dans les Grandes-
Indes miner et détruire de vastes édifices. Ces insectes sont
pour ainsi dire imlestructibles. En répandant de la chaux
vive sur les débris de leurs nids, on parvient bien à en dé-
truire quelques-uns ; mais ce n'est pas un remède certain.
D'après les expériences de M. deQnatrefages , on obtinudrait
un meilleur résultat par des dégagemeuls de chlore et d'acide
sulfureux.
11 règne encore beaucoup d'obscurité sur la manière dont
se progagent les termites. La femelle, quand elle est pleine,
acquiert quinze fois le volume du mâle, et produit, dit-on,
en vingt-quatre heures jusqu'à 80,000 œufs. Disons encore,
en terminant , que ce lléau n'est pas particulier aux contrées
chaudes. A l'ouest de la France, dans le département de la
Charcnte-Inférieiue notamment, on rencontre en abondance
le termite lucifuge ( termes hicifugum ), espèce de petite
taille , mais qui ne laisse pas que d'être très-redoutable. Elle
occasionne en effet les plus grands ravages à Saintes, à La
Rochelle, à Rochefort, etc.; et ce qu'il y a de plus dange-
reux dans les dévastations commises par ces insectes, c'est
que jamais on ne s'en aperçoit à l'extérieur. Des maisons ,
des bâtiments entiers ont été minés par eux jusque dans
leurs fondations. Ils ménagent toujours la superficie, creusant
à l'intérieur et le sillonnant de galeries dans tous les sens.
De la .sorte, le bois vient à se rompre sans que rien ait pu
le faire prévoir, rien au dehors n'ayant décelé la présence
de ces insectes destructeurs. A La Rochelle, l'hôtel de la
préfecture ayant été envahi par eux, ils détruisirent une
partie des archives , et pour conserver l'autre il fallut la
renfermer dans des boîtes de zinc.
TERMOIXDE. Voyez Dendermondc
TERNAIRE (Nombre). Voyez Décalogue.
TERNAIRE (Système), système de numération
ayant pour base le nombre trois, et se contentant de trois
chiffres.
TERNATE. Voyez Moluques.
TERNAUX (Guillaume-Louis, baron), l'une des gloi-
res de l'industrie française, naquit en 1763, à Sedan , d'une
riche famille de commerçants. A peine sorti de l'enfance, il
fut appelé à diriger la maison de son père, et s'acquitta de
cette tâche avec autant de prudence que d'habileté. Parti-
san du mouvement émancipateur de 1789, il ne croyait pas
la monarchie incompatible avec la liberté, se compromit
pour la delénse du trône en 1792 , et jugea en conséquence
prudent de passer à l'étranger en 1793. Sous le Directoire il
rentra en France, et se fixa alors à Paris ; doué d'une rare ac-
tivité, il créa un grand nombre de manufactures des produits
les plus variés, mais plus particulièrement des manufactures
de tissus. Il vota courageusement contre le consulat à vie et
contre l'empire, redoubla d'efforts et d'énergie pour triom-
pher des obstacles que les incessantes guerres de ce temps-là
mettaient au développement régulier de l'industrie, et fonda
des maisons à Naples,àCadix, à Livourne.à Géneset à Saint-
Pétersbourg. Comme tout le commerce en général, il accueillit
618
TEUNAUX
avec joie la Restauration, et pendant les cent jours il se re-
lira en Belgique. Le gouvernement royal , appréciant ses
connaissances spéciales, s'aida de ses conseils sur diverses
questions importantes relatives à l'industrie, et récompensa
par le titre deôaron les nombreux services dontlui étaitrede-
vableriuilustrie française. Enl8l8 le deuxième arrondisse-
ment de Paris le choisit pour député, malgré les efforts de l'op-
position libérale, qui favorisait la candidature de Benjamin
Constant. Mais à la chambre il fit preuve de tant d'in-
dépemlance, qu'en 1823 le ministère combattit sa réélection.
En 1827 il fut pourtant réélu, et vota alors avec le centre
gauche. Signataire de l'adresse des 22t, il se rallia à la dynas-
tie nouvelle intronisée parla révolution de Juillet, qui porta
de graves atteintes à sa fortune par les perturbations pro-
fondes qu'elle causa dans tout le monde industriel. Ternaux
supporta avec une noble résignation les revers qui venaient
ainsi le frapper à la fin de sa carrière, et mourut en 1833,
avec la consolation d'avoir du moins pu faire honneur à tous
ses engagements. Napoléon , dans une tournée départemen-
tale, ayant eu occasion de visiter diverses manufactures de
Ternaux , l'avait décoré de la croix de la Légion d'Hon-
neur; plus tard, il le créa officier de cet ordre,
TERiXE , adjectif dérivé du latin terrenlre , rendre
semblable à de la terre , et qui sert à caractériser ce qui
n'a que peu ou point d'éclat.
TERIVE, substantif dérivé du latin ^e.", trois fois , et
qui désigne dans les loteries une réunion de trois nombres
ne devant produire de gain qu'à la condition qu'ils sortiront
tous trois au même tirage. Le terne sec se compose de trois
numéros qu'on prend sans jouer sur les trois extraits ni sur
les trois ambes que forment ces trois numéros. On appelle
terne déterminé ce\ai où le joueur a déterminé d'avance
l'ordre dans lequel devront sortir les trois numéros dont il
a fait choix. A la défunte loterie royale de France, \e terne
sec se payait 270 fois, et le terne déterminé 4500 fois la
mise.
Les botanistes nomment ternes ou ternées des parties
qui se trouvent ensemble au nombre de trois sur un sup-
port commun, comme, par exemple, la feuille de trèfle
TERI\EFFKA, nom d'une boisson fermentée et vi-
neuse, qu'on fabrique au sud de la Russie, dans le gouver-
nement (ï'Iekalérinoslaf.
TERA'ES (Les), nom d'un quartier de la commune de
Neuilly, dont il se trouve d'ailleurs profondément séparé
aujourd'hui parla ligne des fortifications, louchant à la bar-
rière de l'Étoile et à la barrière du Roule, contenant plus de
12,000 habitants , et que nous serions tenté d'appeler l'un
des nombreux faubourgs que Paris a vu se créer à ses
portes depuis un demi-siècle.
On a hasardé beaucoup u'étymologies au sujet de ce
nom de Ternes, qu'on trouve quelquefois écrit Thèmes
et même Thermes. Celle qui présente le plus de vraisem-
blance le fait dériver du latin externa. « Un manuscrit
latin derévôché de Paris, ou plutôt du chapitre de Saint-Ho-
noré, patron et présentateur de Villiers-la-Garenne (1412),
dit M. l'abbé Bellanger, auteur d'une très-curieuse ISotice
historique sur les Ternes (t^aris, 1849), porte ces mots :
Villa externa prope Rotulum, qu'il traduit presque immé-
diatement î la ferme externe prés le Roulle. Les régis-,
très suivants disent tout simplement : L'Esterne , près le
Roulle. Nous inclinerions à penser que les Ternes sont une
corruption de ce mot L'Esterne, Villa externa, ferme ex-
térieure , éloignée , hors de l'enceinte. »
TERjXI, ville épiscopale de l'Ombrie, dans la déléga-
tion de Spolette (États de l'Église), située au centre de la
fertile vallée de Nera, heu de naissance de Tacite. C'était
une colonie des Latins , lesquels lui avaient donné le nom
(Vlnteramna, à cause de sa situation entre les deux bras de
la Nera. On voit encore aujourd'hui à Terni l'ouvrage de
Marcus Curius Dentatus, qui, en l'an 270 av. J.-C, fit
percer une montagne de marbre pour dessécher des marais
et procurer de l'écoulement aux eaux du Yelino. En 1596,
TERRA F]RMA
le pape Clément VTII fit rouvrir et agrandir, sous la diiac-
tion de Fontana, l'ancien canal creusé par Curius.
La ville de Terni, riche en antiquités, compte environ
9,000 habitants, dont le commerce des huiles et des vins
constitue la principale ressource.
TERPANDRE, lyrique grec, qui florissait vers l'an 65C
av. J.-C, était né à Antissa, ou suivant d'autres à Méthymna
dans l'île de Lesbos. Appelé à Sparte, à cause de la ré-
ponse faite par l'oracle consulté sur ce qu'il y avait à faire
pour mettre un terme aux troubles intérieurs, il entreprit
d'y jouer le rôle d'un autre Orphée. 11 contribua aussi beau-
coup aux progrès et aux perfectionnements de la musique
en ajoutant trois nouvelles cordes à la lyre, qui jusque
alors n'en avait eu que quatre. Outre les proœmies et au-
tres genres de poésies dont on lui attribue l'invention , on
lui prête encore celle des s colles, bien qu'elles existas-
sent déjà longtemps avant lui; mais il est probable que le
premier il les revêtit de mélodies pour les chants de table.
Ses mélodies , désignées sous le nom générique de Les-
biennes, servirent longtemps encore après de modèles aux
générations suivantes. Dans ses Delectus Poesis Grasco-
rtim (Gœttingue, 1839), Schneidewin a commenté et ex-
pliqué les quelques fragments des poésies de Terpandre qui
sont parvenus jusqu'à nous.
TERPSICHORE, l'une des neuf Mu ses; elle est
particulièrement celle de la danse, parce qu'elle présidait à
ces beaux chœurs des tragiques grecs qui s'exécutaient et
par le chant, et par la voix des instruments, et par un dou-
ble mouvement de droite à gauche sur la scène; elle fut
de plus regardée comme la Muse de la poésie lyrique. En
effet, c'est une lyre à la main qu'elle est représentée dans
les peintures d'Herculanum. Elle a même, dans une de ces
images antiques, le front ceint d'un diadème.
TERRACtNE, ville frontière des États de l'Église, sur
la voie Appienne, fut fondée par les Yolsques, sous le nom
à'Anxur. On y voit encore les restes pittoresques d'un châ-
teau fort construit par Théodoric , roi des Osirogofhs , et
une citadelle dont la construction remonte au moyen âge.
Cette ville, siège d'un évêché, possède un bon port et une
population de 8,000 âmes. Le voisinage des marais Pontins
ne contribue pas peu à y vicier l'air, quoique les grands tra-
vaux exécutés sous le pontificat de Pie "VI aient singulière-
ment assaini celte contrée, et que Terracine y ait beaucoup
gagné. La cathédrale, pour laquelle Canova exécuta son
dernier ouvrage, une statue de La Piété, a été construite
sur les ruines d'un temple de Jupiter, dont il existe encore
aujourd'hui de nombreuses traces.
TERRA COTTA. Voyez Terre Cuite.
TERRA Dî LAVORO, Terre de Labour,' province
du royaume de Nafiles , bornée au sud par les provinces de
Naples (Napoli) et de Principalo Cileriore , à l'est par
celles de Principalo Ulteriore et de Molise , au nord par
l'Abruzze Citérieure et l'Abruzze Intérieure, au nord-
ouest par les États de l'Église, et à l'ouest par la mer Tyr-
rhénienne. Elle comprend la partie septentrionale de l'an-
cienne Campanie et l'extrémité sud-est du Latium, et, y
compris l'ilc de Ponza, qui en dépend, comptait en 1851
752,000 habitants sur une superficie de 75 myriam. carrés.
C'est avec la province de Kapoli la partie la plus fertile et
la mieux cultivée de tout le royaume. Elle répond à la Cam-
pania Félix des anciens , et est divisée en cinq arrondisse-
ments : Caserte, Gaète, Nota, Sora (ainsi nommés du
nom de leurs chefs-lieux respectifs), et Fredemonte, situé
au pied de la montagne. Elle a pour capitale Ca pou e. On
y trouve en outre les villes d'^yen-a, Fondi, San-Germano,
avec la célèbre abbaye du mont Cas.>in,qui l'avoisine; plus,
Arpino, Maddaloni, Teano, et connue enclave Ponte-Corvo,
dépendant avec son territoire des États de l'Église.
TERRA FÎRMA, Terre Ferme , par opposition aux
îles, dénomination sous laquelle on comprend plus particu-
lièrement deux contrées très-différentes. On désigna d'abord
sous le nom de Terra Firma ou de II Dominio Fcneto ,
TERRA FIRMA — TERRAY
toutes les contrées situées sur la terre ferme de l'Italie qui
reconnaissaient la domination de la République de Venise ,
à savoir le duché de Venise, la Lombardie vénitienne, la
Marche deTrévise, le duché de Frioul et l'islrie. On ap-
pela ensuite Terra Firma ou Terre Ferme (en espagnol
Tierra Firme ) la grande contrée de l'Amérique méridionale
qui confine à la Mar del Aord , au Pérou , au pays des
Amazones, à la Mar del Sud et au détroit de Panama;
contrée connue aussi sous le nom de Noiivelle-Castille de
l^ Amérique du Sud. Les Espagnols y possédaient la Nou-
velle-Andalousie ou Paria, Venezuela, Rio de la Hacha,
Sainte-Marthe, Carthagène, U Tierra Fi?me proprement
dite, le Popayan et la Nouvelle-Grenade. Plus tard, ils y
ajoutèrent encore la part de la Guyane qui leur fut attribuée.
Dans une acception plus restreinte, on désigne par Tierra
Firme le détroit qui s'étend jusqu'à Panama, entre le goUe
deDarien, sur la mer du Nord, et la baie de Panama, sur la
mer du Sud.
TERRAGE. Voyez Champart.
TERRAIN. Voyez Géologie.
TERRA MERITA. Voyez Curcuma.
TERRAQUÉ ( de terra, terre, etaqua, eau), composé
de terre et d'eau. Ce mot n'est guère d'usage que dans cette
expression : Le globe terraqué.
TERRASSE, TERRASSEMENT. On nomme terrasse
toute couverture d'un bâtiment qui est en plate-forme et
fout ouvrage ou élévation en terre faite de main d'homme,
dans un but quelconque, et ordinairement épaulée par de
la maçonnerie. La terrasse , à quelque usage qu'on la des-
tine, rentre dans les attributs de l'art de bâtir. Dans les
pays montueux , où l'inégalité du sol fait presque tous les
frais du travail , la construction en est facile. Les plus belles
terrasses des environs de Paris sont celles de Meudon et de
Saint-Germain-en-Laye, d'où l'on jouit d'un coup d'œil éga-
lement vaste et ravissant.
On nomme contre-terrasse une terrasse bâtie au-dessus
d'uneautre, pour quelque raccordement de terrain ou élé-
vation de parterre.
Les sculpteurs appellent terrasse cette partie de 'la
plinthe d'une statue où pose la figure.
On nomaie terrassement et l'action d'élever ime terrasse
et celle d'aplanir et de relever un terrain ; les ouvriers
chargés de ces travaux portent le nom de terrassiers.
TERRAY (L'abbé Joseph-Marie) , contrôleur général
des finances de France, né à Boen, petite ville du Forez,
au mois de décembre 17 15 , d'une famille sans fortune , dut
son éducation et son avancement à un oncle, premier mé-
decin de la duchesse d'Orléans, mère du régent. Reçu
conseiller clerc au parlement, en 1736 , Terray se fit dis-
tinguer par sa capacité pour les affaires et par une vie con-
forme à la gravité de .son caractère ecclésiasticjue. En 1753,
il partagea l'exil de ses confrères à Chàlons. L'opulent
héritage de son oncle, qu'il recueillit à son retour à Pari.s,
changea ses mœurs avec sa fortune. Livré désormais à des
pensées d'ambition , il sut se pousser à la cour, et obtint la
bienveillance de M™'' de Pompadour, en abandonnant
les intérêts de .sa compagnie. La riche abbaye de Molesme
fut sa récompen.se ( 1764). Terray depuis qu'il se sentait
riche et protégé avait secoué le joug des convenances ec-
clésiastiques pour devenir un libertin cynique. A dater de
1764 il aflicha la publicité de ses liaisons en chargeant ses
maîtresses de faire les honneurs de sa maison. La pre-
mière en date fut la dame de Clercy, jolie solliciteuse dont
il avait sauvé le mari, lieutenant de maréchaussée, impliqué
dans une affaire criminelle. Elle fut supplantée par la ba-
ronne de La Garde, qui, lorsque plus tard Terray fut de-
venu contrôleur général des finances, vendait publiquement
les faveurs de ce ministre; et il partageait avec elle,
quand la chose en valait la peine. Ce qui surtout le rendit
agréable à Louis XV, ce fut la part qu'il eut aux opérations
qui préparèrent et suivirent le fameux arrêt du conseil de
1764 permettant l'exportation des blés à l'étranger, sous
519
prétexte de hausser le prix des propriétés territoriales , mais
en effet pour doubler le produit des vingtièmes et pour
ouvrir la porte au plus odieux monopole, administré dé-
sormais par une .société de capitalistes privilégiés; et l'on
sait que Louis XV lui-même n'était pas étranger à ces
infâmes spéculations sur la subsistance de son peuple.
Terray, à la laveur de toutes ces manœuvres sur les blés ,
porta sa fortune à 150,000 livres de rente. A l'avéne.ment
de Maynon d'Ynvau, il affecta d'être mécontent, et piêla sa
plume à ses confrères pour rédiger les remontrances du par-
lement sur les édits bursaux , enregistrés en lit de justice au
mois de janvier 17C9. Ces remontrances, qui étaient un
ciief d'œuvre (le clarté et de logique, procurèrent à leur
auteur une popularité de quelques mois, et indispo.sèrent
fortement contre lui le duc de Choiseul , principal ministre ;
mais Terray s'était fait une position politique tellement
forte, que, le 21 décembre 1769, il parvint au contrôle
général , but constant de son ambition. Là fut l'écueil de
sa popularité. Cependant, il faut reconnaître que si son admi-
nistration fut immorale, tortionnaire et asservie aux prodi-
galités de la cour, il y déploya de grands talents. Si de
l'ensemble de l'administration de Terray nous descendons
aux détails, combien ce ministre ne nous paraîtra-t-il pas
odieux ! D'abord, liii-mênie ne prenait aucun souci de dé-
guiser tout ce qu'il pouvait y avoir d'impopulaire dans ses
mesures ; et son langage était encore plus dur que ses actes.
On pardonnerait à Terray de s'être borné , dans la détresse
où se trouvait le trésor, à voler, comme on disait de lui,
de Vargent au nom du roi ; mais il volait pour son propre
compte, et se faisait donner des pots-de-vin exorbitants.
Ainsi , au renouvellement du bail des fermes, il exigea trois
cent mille livres, et cent pistoles par chaque million. Pa-
reillesomme ayant été perçue par lui pour le bail des poudres,
le roi en fut très-mécontent. Terray , informé de l'orage qui
gronde .sur .sa têle, va porter sur-le-champ les cent mille
écus à la comtesse Duba rry , en lui disant que dans toute
cette affaire il n'avait eu qu'elle en vue; et une extorsion
si criante ne fit qu'affermir le crédit de l'adroit ministre.
Il avait doublé la pension de cette favorite , et les bons
qu'elle se permettait de faire sur ^e trésor royal étaient
acquittés comme ceux du roi. Enfin, les spéculations sur
les grains continuaient : le contrôleur général ainsi que
Louis XV y faisaient de grands profits; et V Almanach de
1773 apprit à la France que le sieur Mirlavaud était tré-
sorier des grains pour le compte du roi. L'abbé Terray
faisait construire un magnifique hôlel rue Notre-Dame-
des-Champs ; dans ses moments de loisir, il se plaisait à
suivre les travaux des ouvriers, et les plaisants disaient :
« Allons voir l'abbé Terray sur l'écliafaud. «
Terray mérite d'être mis , avec Richelieu, Soubise, La
Vrillière, Jarente, etc., au nombre des hommes de cour ou
d'église qui sous le règne de Louis XV ont le plus con-
tribué à dégrader la monarchie, en affichant le vice triom-
phant au pied du trône. On ne sait pas au juste la part qu'il
prit a l'abolition des parlements : il laissa faire M au pou ,
et se tint politiquement dan^ l'ombre. Cependant, sa for-
tune était au comble; il avait reçu le cordon bleu; il venait
de joindre aux nombreux bénéfices qu'il possédait déjà
l'abbaye de Throarn,d'un revenu de 50,000 liv. Lorsqu'il
fut nommé intendant des bâtiments ( 1774) , bien qu'il ne
soit resté que peu de mois dans cette place , qui donnait
la direction des beaux-arts , il y fit beaucoup de bien : il
remit en vigueur l'usage d'envoyer des élèves pensionnaires
à Rome, et il eut l'heureuse idée de consacrera l'exposi-
tion des tableaux et des sculptures du roi la galerie du
Louvre.
La mort de Louis XV amena la chute de Terray. Le
vertueux Louis XVI pouvait-il garder un ministre non
moins impopulaire comme homme public que déconsidéré
comme homme privé? L'abbé Terray, après quelques mois
d'exil dans sa terre de Lamotte-Tilly , revint à Paris spé-
culer de nouveau sur les grains et rédiger des pamphlets
520
TKRRAY
anonymes cou Ire son successeur. Il mourut le 18 février
1778. Charles Do Rozom.
TERRE) la vaste masse ou planète que nous habi-
tons. En ce qui touche sa configuralion, disons qu'elle ap-
paraît tout d'abord à l'observateur dont les yeux peuvent
iibiement se porter dans toutes les directions comme une
surface plane et circulaire , sur les extrémités de laquelle
parait reposer la voûte céleste. Aussi dans l'opinion des
philosophes grecs de l'école de Thaïes, la Terre était un
corps plat et nageant sur l'eau; Anaximandre la re-
gardait comme cylindrique. Mais des faits nombreux ,
tels que l'impossibilité d'apercevoir aune certaine distance
les objets peu élevés, la disparition des montagnes les plus
liantes à mesure qu'on s'en éloigne, etc., contredirent
bientôt cette idée étroite, tirée uniquement de la première
apparence; et dès l'antiquité il se rencontra des hommes
( Eudoxus fut peut-être le premier, et après lui vint Aristote)
qui pressentirent la configuration spliériquede la terre, la
seule qui puisse donner une raison satisfaisante des différents
phénomènes qu'où y observe. C'est en effet la seule qui
puisse expliquer comment elle parait circulaire à quelque
point qu'on essaye de se placer, et comment le champ s'é-
largit à mesure qu'on prend son point de vue plus haut;
comment il se fait encore que l'on découvre de loin les ex-
trémités et les sommets des tours, des montagnes, des
navires , etc., avant d'en apercevoir la base ou les parties
inférieures. Il existe d'ailleurs bien d'autres preuves de
cette forme sphériquede la Terre, par exemple l'apparition
successive d'un grand nombre d'étoiles jusque alors invi-
sibles, à mesure qu'en partant des pôles on se rapproche
de l'équateur ; l'ombre arrondie que la Terre projette sur la
Lune aussitôt que celle-ci se trouve éclipsée par notre pla-
nète; la différence des heures auxquelles on observe sur
différents points de la Terre des phénomènes célestes si-
multanés; enfin, et surtout, les voyages autour du monde,
devenus si communs à partir de l'an 1519.
Il n'est cependant pas, rigoureusement parlant, exact de
dire que la Terre est une sphère; elle est plutôt déprimée et
aplatie à ses deux extrémités opposées, comme le prouvent
d'une part les calculs-faits pour mesurer les degrés de lati-
tude, et de l'autre les observations du pendule. Les pre-
miers nous apprennent que les degrés du méridien ou de
latitude ne sont pas partout d'égale longueur sur la Terre,
ainsi que ce devrait être le cas si la Terre était une sphère
exacte, mais quMls vont en augmentant depuis l'équateur
jusqu'aux pôles; d'où l'on est autorisé à inférer qu'il y a
aplatissement vers les pôles. Les observations faites avec le
pendule enseignent qu'un pendule d'une longueur donnée
n'oscille pas également sur tous les points du globe; et il
a été démontré par des expériences faites avec cet instrument
que la Terre était non pas sphérique.raais bien sphéroidale,
c'est-à-dire aplatie vers les extrémités de son axe, et que
le plus petit diamètre est au plus grand diamètre , ou bien
le diamètre polaire est au diamètre équatorial, comme 304
est à 305 ( la différence est donc de 20,908 mètres, le demi-
diamètre à l'équateur étant 6,376,851 mètres, et le demi-axe
de 6,355,943 mètres).
Copernic le premier émit l'hypothèse que le Soleil
occupe le centre de notre système, et que la Terre ainsi
que les autres planètes se meuvent autour de lui ; hypothèse
généralement reconnue aujourd'hui comme une irréfragable
certitude, et de l'exactitude de laquelle on ne saurait dou-
ter un seul instant. La Terre effectue sa révolution autour
du Soleil dans un espace d'environ 365 jours 1/4, que nous
désignons sous le nom d'année (solaire). La voie que
suit la Terre est une ellipse, à l'un des foyers de laquelle
est placé le Soleil. Il s'ensuit que la Terre n'est pointa toutes
les époques de l'année à une égale distance du Soleil. L'é-
poque oii elle s'en trouve le plus rapprochée ( périhélie ),
est le commenrement de l'année, par conséquent où l'hé-
misphère septentrional est plongé dans l'hiver, et l'époque
où elle en est le plus éloignée ( aphélie) est vers le nnlieu
- TERRE
de l'année , quand l'été est venu pour cet iiéraisphère. Ce-
pendant , la différence entre la plus grande et la moindre
distance est relativement trop peu importante pour exer-
cer une influence appréciable sur la chaleur que nous re-
cevons du Soleil ; et la différence des saisons provient d'une
tout autre cause. La moindre distance du Soleil à la Terre
est de 152,000,000 kilomètres ; la plus grande , de plus de
157,000,000; la moyenne (qui est égale à la moitié du grand
axe de l'orbite de la Terre), de 155,000,000 kilomètres. Il
s'ensuit que le centre de la Terre franchit à peu près
48 kilomètres par seconde , vitesse énorme ; car un boulet
de canon ne franchit guère plus de 750 mètres par seconde.
Indépendamment de ce mouvement annuel autour du
Soleil, la Terre a encore un second mouvement diurne,
ce mouvement de rotation sur son axe dont il a déjà été
question , attendu qu'elle tourne en 24 heures une fois sur
son axe de l'ouest à l'est. La conséquence de cette révolu-
tion est le lever et le coucher apparent du Soleil et des
étoiles. L'existence de ce mouvement de rotation, jointe
à l'aplatissement de la Terre aux pôles, a conduit les géo-
logues à remarquer qu'il n'y a qu'un corps élastique sus-
ceptible de prendre par un mouvement de rotation la forme
sphéroidale; il a donc fallu que la Terre fût élastique à son
origine ; car c'est à son origine que son mouvement de ro-
tation lui a été imprimé. De là ils ont conclu q\ie la Terre a
été dans un état de fluidité incandescente à son origine, et
que cette masse fluide put alors acquérir cette forme sphé-
roidale qu'une masse solide jusqu'au centre ne pourrait
jamais acquérir. Peu à peu , par l'effet du refroidissement
résultant du rayonnement , la surface extérieure de la
terre commença à se solidifier, et continua à se refroidir,
de sorte que cette pellicule ou écorce se forme encore de
nos jours, en s'augmenlant à l'intérieur. C'est là l'écorce
primitive , ou primordiale, constituant par la diversité des
roches qui la composent quelques terrains , dont la dégra-
dation a formé plus tard et successivement le sol de trans-
port ou secondaire, qui n'entre que pour une très-faible
quantité dans la composition de l'écorce terrestre. Les an-
ciens philosophes, qui croyaient la Terre solide jusqu'au
centre, n'avaient aucune idée de cette écorce , à laquelle le
calcul attribue une épaisseur de 110 kilomètres environ
(voyez Chalf.cr terrestre).
L'axe de la Terre fait avec ia normale à l'écl iptique un
angle de 23° 28' ; de là la différence des saisons, la diffé-
rence climatérique des diverses parties de la superficie ter-
restre et l'inégahté des jours et des nuits, concordant avec
les saisons de l'année, les jours et les nuits n'étant égaux
pendant toute l'année que sous l'éq u a leu r, tandis que
pour tous les autres points de la Terre ils ne sont égaux
qu'aux deux jours de l'année où le Soleil semble traverser
l'équateur, ce qui arrive le 21 mars et le 23 septembre.
A partir du 21 mars le Soleil s'éloigne de l'équateur vers
le nord jusqu'à ce qu'il parvienne le 21 juin à une distance
au nord de 23" 28' ; après quoi il se rapproche de l'é-
quateur jusqu'au 23 septembre. A partir de ce jour-là il
s'éloigne de l'équateur vers le sud , jusqu'à ce qu'il attei-
gne le 21 décembre une distance de 23'^ 28'; après quoi
il retourne encore vers l'équateur, jusqu'à ce qu'il atteigne
de nouveau le 21 mars. Le 21 juin est le jour le plus long
de l'année pour l'hémisphère septentrional, et le plus court
pourl'hémisphère méridional. Au contraire,le 21 décembre,
jour le plus long pourl'hémisphère méridional , est le plus
court pour l'hémisphère septentrional. Mentionnons encore
ici que la vitesse de rotation, qui va visiblement toujours
en croissant à partir des pôles ou des extrémités de l'axe
de la Terre jusqu'aux contrées de l'équateur qui en sont
également éloignées, et qui doit atteindre là son point ex-
trême , est à peu près égale sous l'équateur à la vitesse
d'un boulet.
Dans les mythes antiques, la Terre, la plus ancienne di-
vinité après le Chaos, eut du ciel plusieurs enfants, entre
autres l'Océan , les Cyclopes, les Titans, Hypérion, laphet,
TERRE — TERRE-NEUVE
Tétbys, Saturne, Phœbé, Thémis. Les anciens rappelaient
encore Cybèle, Rliéa, Vesta, Cérès, la Bonne -Déesse ,
Proserpine. On la représentait avec plusieurs mamelles , le
front couronné de tours , un sceptre d'une main , une clef
de l'autre, un livre à ses pieds.
TERREAU, terre produite par la décomposition de
végétaux et d'animaux de toutes espèces. Dans l'usage gé-
néral on désigne plus particulièrement sous ce nom l'espèce
de terre noii Atre , légère , substantielle et provenant des
couches des jardins, que recherchent de préférence les
horticulteurs. Ils s'en servent pour garnir leurs couches,
afin de hâter la végétation des plantes et des légumes. Toutes
sortes dherbages amoncelés et réduits en détritus forment
un excellent terreau.
TERRE (Tremblements de). Foyes Tremblemknts de
Terre.
TERRE À FOULON. Voyez Argile.
TERRE BOL A IRE. Voyez Bol,
TERRE CUITE, Terra co«a. C'est le nom générique
sous lequel on désigne une classe très-nombreuse d'antiques
débris en argile, auxquels tout récemment seulement on a
donné l'attention qu'ils méritaient. L'histoire mythique de
l'art chez les Grecs mentionne les noms de Dibutades ,
de RhiTcos et de Theodos comme ceux de maîtres ayant
excellé à manier l'argile, sans d'ailleurs nous apprendre si
leurs travaux étaient cuits ou bien seulement séchés au
soleil. Il est déjà question dans l'Iliade de la roue à potier;
et l'imdes poèmes attribués à Homère fait mention du four
à cuire. Là où la matière première se présentait abondante
et facile à manier, par exemple à Corinthe, à Égine , à Sa-
mos , à Athènes , le niétier du potier s'éleva de bonne heure
à la hauteur d'un art; et aux Panathénées, fêtes qui se cé-
lébraient à Athènes , le prix consistait uniquement en une
cruche à huile en terre cuite. De bonne heure l'art .chez
les Grecs sut orner et embellir les produits les plus simples
de l'industrie; ainsi les habitants de Samos, en mêlant à
621
l'argile des matières colorantes, excellaient à donner de
la grâce et du charme aux objets de l'usage le plus vul-
gaire et le plus journalier. Les découvertes récemment faites
dans quelques anciennes villes d'Étrurie ont encore fourni
des renseignements plus instructifs et plus précis sur les
débuts de l'art plastique. On y a retrouvé des vases à reliefs
et à figures qui semblent appartenir aux incunables de l'art,
et qui démontrent que l'emploi des couleurs dans les tra-
vaux de ce genre fut un grand progrès. Il est probable que
les vasef à relief et à une seule couleur, sont les plus
anciens. Les vases des Voisques ont considérablement con-
tribué à mieux faire connaître l'ancienne plastique ; et sous
la dénomination de vases de Samos et de Thi'riclée ils
constituaient déjà un des luxes de l'antiquité. La Toscane
et Rome nous offrent un bien plus grand nombre de rondes-
bosses et de reliefs en terre cuite. Ces travaux, qui généra-
lement ne furent pas très-considérables , quoique l'antiquité
employât la terre cuite pour les frises de ses temples et les
bas-reliefs de ses frontons, témoignent de l'hat)ilelé à la-
quelle on était parvenu dans les officineefigulinœ, si nom-
breuses à Rome et dans toute l'Italie. Ce n'est que depuis
la publication de l'ouvrage du comte deC ay 1 us qu'on s'est
occupé avec ardeur en Italie du soin de recueillir des débris
en terre cuite. Charles Townley forma sur les lieux mêmes
une collection qui plus tard est venue enrichir le British
Muséum. S éioux d'A g in court légua la sienne à la bi-
bliothèque du Vatican. Consultez : Bassillievi Volsci in
terra cotta ( in-folio, Rome , 1785 ) ; Description of the
Collection ofancient Terracottas in theBritish Muséum
(Londres, 1810, in-folio); et Séroux d'Agincourt, Recueil
de Fragments de Sculpture antique en terre cuite ( in 4°,
Paris, 1814),
Des recherches plus complètes, faites surtout à l'égard
ues vases, ont démontré la multiplicité des usages ditté-
rents pour lesquels les anciens employaient la terre cuite.
On distingue les ouvrages séchés uniquement à l'air, ceux
qui ont été cuits tout simplement, puis ceux qui ont été
cuits avec des couleurs étendues mais non fixées les ou-
vrages plus finis avec des couleurs cuites, ceux où les cou-
leurs sont mi-partie fixes et mi-partie peintes et enfin
comme travaux de prix, ceux qui sont en outre plus où
moins richement dorés, les uns et les autres d'ailleurs, en ce
qui est de la masse , de la finesse la plus variée. Il est pos-
sible que beaucoup de vases qui sont parvenus jusqu'à nous
n'aient servi que de modèles et de jets.
A partir du seizième siècle la terre cuite fut de nouveau
la matière première em[)loyée par de nombreux artistes.
BernarddePalissyse rendit alors célèbre à bon droit
par ses figures et par ses vases. On exécuta en Italie des
bustes et autres ouvrages analogues, tous en terre cuite.
Négligée encore une fois dans les deux derniers siècles , la
terre cuite a été de nouveau employée dans ces derniers
temps pour de nombreux ouvrages d'art, notamment pour
les chefs-d'œuvre de ce genre qui ornent les galeries de
Paris et de Sèvres, et surtout pour des ornements arclii-
tectoniques. Il devient possible de la sorte de les établir à
très-bon marché, en même temps qu'on en rend l'usage
accessible aux contrées où la pierre manque complélemen't,
par exemple au nord de l'Allemagne, où dès le moyen âge
on possédait déjà une riche ornementation en briques cuites.
Berlin est peut-être aujourd'hui la ville où l'on fasse l'usage
le plus étendu d'ornements architectoniques en terre cuite;
cependant, il a été démontré dans ces derniers temps que des
ornements en zinc fondus en creux reviennent encore à
bien meilleur marché que des ornements en terre cuite.
TERRE DE CHIO. Voyez Cmo.
TERRE DE FEU. Voyez Feu (Terre de).
TERRE DE AOEL. Voyrz Natal.
TERRE DE PIPE. Voyez Faïence.
TERRE DE SIEIVIVE. Voyez Ocre.
TERRE DE STROATIANE. Voyez Strontiane.
TERRE DE VAN DIEMEN. Voyez Van Diemfn
(Terre de).
TERRE DE VÉRONE. Voyez Clorite.
TERRE DES ÉTATS. Voyez Le Maire (Détroit de).
TERRE D'OMBRE ou TERRE FINE DE TURQUIE.
Voyez Ociu:.
TERRE DU CAP. Vo>jez Bonne Espérance (Cap de).
TERRE DU JAPON. Vojjez Japon (Terre du) et
Cachou.
TERRE FERME. Fo?/e:: Continent et'TERRA Ferma.
TERRE FERME (Bois de). Probablement produit par
une variété de cxsalpinia, il nous arrive de la Terre-
Ferme, république de Colombie. C'est un bois dur, pesant,
compacte, noueux et tortueux, à fibres longitudinales et
souvent entrelacées, jaime doré à l'intérieur, avec des
cercles concentriques d'un jaune rougeâfre plus serré*, plus
larges, plus foncés en couleur à mesure qu'ils diminuent de
diamètre en s'approchant du centre. Il nous vient en bûches
coupées à la hache, et sert à l'arrimace des vaisseaux.
TERRE FRANÇAISE-roye:: Louis-Philippe (Terre)
TERRE GLAISE. Voyez Glaise,
TERRE-NEUVE, Aew-Foundland, île de la côte
nord-est de l'Amérique, dans l'océan Atlantique, et appar-
tenant aux Anglais. Sa superficie totale est d'environ 960
myriamètres carrés; et avec Aniicosti, les îles Madeleine
et quelques autres encore qui l'avoisinent, elle constitue
un gouvernement particulier de l'Amérique Anglaise, d'une
superficie totale 1,21.5 myriam. carrrés. Découverte parGiov.
Caboto et par son fils Sébastien, ce ne fut qu'en 1583 que
l'Angleterre en prit possession. On prétend cependant que
les Normands y avaient formé des établissements dès le
onzième siècle. Des F'iançais étant venus également s'y
établir à partir de la fin du seizième siècle, il en résulta
entre les deux nations de continuelles querelles, auxquelles
la paix d'Ut redit, qui céda complètement l'Ile aux Anglais,
ne put mettre un terme , parce que les Français s'étaient
réservé le droit de prendre part à la productive pêche de
TERP»E-NEUVE -^ TEREES ANTARCTIQUES
la morue depuis l'île de Bonavista jusqu'au cap Rich, et à
cet effet d'y élever des constructions et des magasins. En
vertu de la paix de Paris de 1783 , qui appela les Américains
du Nord à participer aussi à ce droit de pêclie, les Fran-
çais avaient encore obtenu de plus grands avantages sous
ce rapport; mais pendant les guerres de la révolution la
pêche retomba entièrement aux mains du commerce anglais.
Cependant, au rétablissement de la paix générale, les droits
réservés par le traité de 1783 aux Français et aux Améri-
cains leur ont été restitués.
Les côtes de Terre-Neuve sont d'une conformation très-
irréguiière, et écbancrées surtout à l'est et au sud par
un grand nombre de baies. Sauf la côte occidentale, qui
est moins accidentée, elles s'élèvent aussi partout à pic au-
dessus de la mer. A l'intérieur, le pays est partout montueux,
quoique sans élévation bien considérable. Ce n'est qu'un
désert encore assez peu connu et contenant un grand
nombre de lacs, de rivières et de marais. Le climat,
beaucoup ptus froid et plus inconstant que celui des con-
trées de l'Europe occidentale situées sous la même latitude,
passe néanmoins pour être d'une grande salubrité. Un ca-
ractère distinctif de l'île de Terre-Neuve , c'est l'épaisseur
et la fréquence des brouillards qui y régnent sur la côte
méridionale et orientale : circonstance qu'on peut attribuer,
de même que la douceur relative de Tbiver, à l'inlluence du
gui fstream. Ou ne trouve guère de terre arable qu'au
voisinage de quelques baies; aussi l'agriculture et l'élève du
bétail y sont-elles sans importance. La culture se borne à la
pouuiie de terre et à un peu d'avoine et d'orge. On tire sur-
tout des États-Uuis le blé, la farine et les autres vivres, et
d'Angleterre le* objets manufacturés. Dans ces derniers
temps, le gouvernement a beaucoup encouragé l'agricullure
par des créations de sociétés d'agriculture, afin de rendre
l'île indépendante de l'importation étrangère pour sa con-
sommation en blé. L'intérieur de l'île présente encore d'im-
menses forêts de pins , de mélèzes et de bouleaux.
En fait d'animaux terrestres, il faut mentionner le ca-
ribou, ou renne d'Amérique, qui vit en troupeaux dans l'in-
térieur de l'île et constitue la principale nourriture des In-
diens Mie-Mac ; le castor, qui devient de plus en plus
rare, les renards, les loups et les ours.
Le chien de Terre-Neuve est connu par sa vigueur, sa
docilité et sa fidélité. On le nourrit généralement de poisson
salé. Il est très-vorace, mais ne laisse pas, comme les indi-
gènes, de pouvoir supporter la faim pendant longtemps. La
race pure en est très-rare. Les chiens de ce nom qu'on trouve
en Europe son généralement le produit de croisements avec
des chiens d'attache anglais.
Les poissons des côtes de Terre-Neuve ont bien plus
d'importance que ses animaux domestiques , notamment
la cabillaud, principale ressource de la population, et dont
la pêche constitue la grande occupation. Les pêcheries
de Terre-Neuve sont depuis longtemps célèbres ; elles n'ont
rien perdu de leur ancienne importance et sont toujours
les plus considérables de la terre. La région la plus produc-
tive sous ce rapport est ce qu'on appelle le grand Banc
de Terre-Neuve , situé à l'est et au sud-est de l'île, d'une
longueur de 81 myriamètres, avec une largeur de 30 rny-
riamètres sur quelques points et une protondeur variant
entre 25 et 95 brasses, il y a en outre un faux banc ou
bauc extérieur, ainsi qu'une série de bancs de moindre
superficie, et s'élendant au sud vers la Nouvelle-Ecosse,
Un brouillard per|)étuel règne sur ces bancs. La fréquence
des montagnes de glace qu'y apporte le courant des côtes
de Labrador rend ces brouillards très-dangereux pour la
navigation. Les meilleurs quartiers de pèche sont situés
entre le 42^ et le 46" de latitude septentrionale; aussi les
principaux établissements se trouvent-ils dans la partie
sud-e>;tde l'île. La population fixe de Teire-Neuve est très-
dispersée sur les côtes. Elle est d'origine moitié française
et fuoitié anglaise. La côte septentrionale est très-iidiospita-
Iwre et à peu près inhabitée. Les iiabitants primitifs de
l'ile, les Indiens rouges , paraissent avoir été complètement
exterminés; l'émigration des Indiens de la tribu des
Mie-Mac eut lieu postérieurement. La population blanche
passe pour honnête et laborieu.se, mais elle est d'une igno-
rance absolue, dit-on, et beaucoup trop adonnée à la bois-
son. Les catholiques forment la majorité , et sont placés
sous l'autorité spirituelle de l'évêque titulaire de Saint-
John et d'un vicaire à Harbour-Grace. Parmi les protes-
tants, les presbytériens sont les plus nombreux. On a cher-
ché dans ces derniers temps à faire quelque chose pour
l'instruction populaire, et des écoles secondaires ( classical
académies } ont aussi été fondées dans les trois villes les
plus considérables.
Terre-Neuve n'obtint de constitution représentative qu'en
1832: elle consacrait à peu près le suffrage universel ; mais
elle eut des résultats si déplorables pour la colonie, qu'il
fallut bientôt la changer contre une autre, qui restreignait
notablement la capacité électorale ainsi que les attributions
de l'assemblée législative. Aujourd'hui à la tête de l'admi-
nistration se trouve le gouverneur, investi en même temps
du commandement en chef des troupes de terre de la co-
lonie. Il lui est adjoint un conseil (council) réunissant les
fonctions législatives et executives. Le house of assembly se
compose de quinze députés élus par les neuf districts électo-
raux de l'île. Ses sessions n'ont lieu que tous les quatre ans.
La capitale, Saint-John, bâtie sur la côte orientale de la
presqu'île d'Avalon, en face du grand banc de Terre-Neuve,
située dès lors de la manière la plus avantageuse pour la
pêche, avec un port franc contenant près de 200 navires et
qui , au moyen de fortes batteries et des deux forts de
Townshend et de William , forme aussi un port militaire,
est le siège du gouvernement et le grand centre du com-
merce de l'île. On y voit une très-belle cathédrale catho-
lique et beaucoup d'autres églises , mais petites et cons-
truites en bois , ainsi qu'un hôpital. Elle offre au total
plutôt l'aspect d'une station de pêcheurs que celui d'une
capitale, et compte en hiver jusqu'à 18,000 habitants.
Harbour-Grace, s\xï la côte occidentale de la baie de la
Conception, avec 6,000 habitants, est mieux bâti. Trinity-
Harbour, bâti au nord, sur la baie de la Trinité, possède
un excellent port. Placentia, sur la côte sud-ouest d'A-
valon, autrefois chef-lii^u très-fortifié des établissements
français, n'est plus aujourd'hui qu'un village, mais avec
une excellent port. L'île d'Anticosti, dépendance du gou-
vernement de Terre-Neuve , n'a pas un seul port et n'est
habitée que par quelques familles.
Sur la côte méridionale de Terre-Neuve , en avant de la
baie de Fortuna, se trouvent les trois petites îles appar-
tenant à la France, Le Grand- Miquelon, Le Petit-Mique-
lon, ou Langlade , et Saint- Pierre, ensemble d'une su-
perficie de 45 kilomètres carrés, avec une population de
4,000 âmes. C'est à Saint-Pierre que réside le gouverneur.
La France y entretient d'ordinaire une compagnie de sol-
dats , mais les traités lui interdisent la faculté d'y élever
la moindre fortification ; d'ailleurs, ces îlots n'ont d'impor-
tance que comme station de pêche.
TERRE SAINTE, partie de l'Asie, ainsi dénommée
par excellence pour avoir été sanctifiée par la naissance et
la mort de notre Sauveur. Foyes Judée et Palestine.
TERRES ANTARCTIQUES. On désigne sous ce
nom les pays, îles et côtes de la mer du Sud situés au-delà
ou près du cercle polaire du Sud ou a nt arctique. Il est
maintenant avéré qu'il y a là un grand continent se pro-
longeant le plus généralement dans la direction du cercle
polaire. Bien qu'on ne le connaisse pas encore dans tout son
ensemble, les quelques parties qu'on a pu en examiner et
les recherches dont elles ont été l'objet prouvent surabon-
damment l'existence de ce continent austral ou méridional.
L'extrémité septentrionale en est formée par une presqu'île
située au sud-est de l'Amérique méridionale, s'étendant au
nord avec la Terre de La Trinité ou de Palmer (décou-
verte en 1821 par Powell et Palmer) presque jusqu'au 62°
TERRES ANTARCTIQUES — TERRORISME
de latitude méridionale, et portant le nom de Terre de
Graham, au sud de ce point, dans la latitude du cercle po-
laire. Elle parait se continuer, à l'est d'une profonde
écliancrure, dans la Terre Louis- Philippe et \à Terre Join-
ville, découvertes en 1838 par Dumont d'Urville, et est
séparée du groupe d'îles de la Nouvelle-Ecosse par le dé-
troit de Brandfields. L'aspect extérieur de cette contrée est
celui d'un pays nu, hérissé de rochers, le plus généralement
d'origine volcanique, avec des montagnes fort élevées, sans
végétation d'aucune espèce, et couvertes de neiges éternelles.
Elle est d'ailleurs tellement entourée de glaces, qu'il est
bien difticile, pour ne pas dire impossible, d'en relever toutes
les côtes avec quelque exactitude. Au sud-ouest de ce con-
tinent on trouve, par 70° de latitude méridionale, les iles
cV Alexandre, situées entre le 57" et le 69''4:i' de longitude
occidentale, et les îles Pelers, situées entre le C9° 57' et le
72° de longitude occidentale, découvertes en 1821 par Bel-
lingshausen , mais qu'en tous cas on ne saurait considérer
comme la continuation sud-ouest des côtes de la péninsule
ci-dessus mentionnée, et qui par conséquent font partie du
continent austral. Plus loin, à l'ouest, il existe encore une
lacune dans la connaissance que nous possédons de la côte
du continent austral , le<iuel vraisemblablement se retire
ici trop vers le sud pour ([ue les navigateurs aient pu jus-
qu'à ce jour y parvenir. Ce n'est que par 160" de longitude
occidentale que la côte du continent redevient visible; de là
elle s'étend toujours à peu près dans la direction du cercle
polaire jusqu'au 255" lie longitude occidentale, et a reçu ici
la dénomination commune de Terre de Wilkes. Les prin-
cipaux navigateurs qui ont contribué à reconnaître ces côtes
sont Dumont d'Urville et sir James Clark Ross. Le pre-
mier découvrit en 1840, enlre le 66° et le 67° de latitude
méridionale elles 200" et 206° de longitude occidentale,
une grande terre, à latiuelle il donna le nom de Terre d'A-
dclie; le second suivit en is4I et 1842, à l'est de cette terre,
pendant plus de 100 myriamèlres, une côte à laquelle il
injposa le nom de Terre de Victoria, et sur laquelle, enlre
le 193" de longitude occidentale et le 77" de latitude mé-
ridionale, il découvrit un volcan haut de 3,806 mètres, qu'il
nomma VErebus, de même qu'un autre volcan éleinl, de
3,400 mètres d'altitude, qu'il nomma Terror. Plus à l'ouest
de la terre de Wilkes , entre le 280'' et le 300° de longitude
ouest et le 67° de latitude sud, on rencontre la Terre de
Kemps et la Terre d'Enderby, découvertes en 1831 par
Biscoé, lesquelles font vraisemblablement aussi toutes deux
partie du continent austral. Ces différentes terres ressem-
blent, au point de vue physique, à la terre de La Trinité ci-
dessus décrite. I^lusieurs autres îles, indéiiendamment du
continent austral, font également partie des Terres Antarc-
tiques. Les plus considérables sont : 1° celle que Laroche
découvrit en 1675, que Cook visita au dix-huitième siècle,
la Géorgie méridionale, de 14 myriamèlres de long sur l
à 2 de large, île constamment couverte de neiges , presque
complètement dépourvue de végétation, riclic en oiseaux et
en vivipares marins, mais sans mammifères terrestres;
2° plus loin, ; au sud-est de la précédente, la Terre de
Sandwich, découverte en 1775 par Cook, visitée en 1819
par Bellingshausen, entre le 10° de longitude ouest et les
58, 60" de latitude sud, consistant en cinq grandes et plu-
sieurs petites îles, les unes et les autres dépourvues de toutes
espèces de végétations, couvertes de neiges éternelles et
presque constamment enveloppées de brouillards; 3° enfin,
les Orcades viéridionales ou lies Powell, visitées en 1822
parWeddel et situées entre 60 et 61" de latitude sud et 44 et
46° de longitude occidentale, elle Nouveau-Shetland
du Sud, groupe d'îles reconnu dès 1599 par le Hollandais
Dirk Gerritz, visité en 1819 par Smith, qui répond complè-
tement sous le rapportde la conformation physique à la Terre
de Sandwich. Toutes ces iles sont inhabitées, de môme que
le continent situé plus au sud encore.
TERRES ARCTIQUES (du grec 'A pxto;. Ourse,
constellation située au nord). On appelle ainsi les terres les
plus voisines du pôle nord, et par suite de la Grande Ourse,
parexemple le Groenland elles autres terres situéesau nord
du continent américain, autour des détroits de Hudsonetde
Davis, de la baie de Baflin, de même que le Spitzherg, la
Nouvelle-Zemble et la Nouvelle-Irlande, qui se trouvent au
nord de l'Ancien-Monde.
TERRES AUSTRALES. Voyez Terres Antarc-
TIQCF.S.
TERRES CUITES. Foj/es Poterie.
TERRE SÎGÎLLÉE. Foj/es Lemnos.
TERREUR. Voyez Ciuinte, Douleur morale etPEur.,
TERREUR (Régime de la). Voyez Terrorisme.
TERREUR PANIQUE. Voyez Crainte et Pan.
TERRIER, de terrarium, mot de la basse latinité. On
appelle ainsi , eu termes de chasse, le trou, la cavité creusés
dans la terre où se retirent certains animaux , conune le la-
pin, le lièvre, le renard et le blaireau. Le chien terrier
est un chien dressé à pénétrer dans ces refuges souterrains
et à en expulser les habitants.
En termes de droit fiodal, en entendait par terrier un
registre contenant le dénombrement des individus qui rele-
vaient d'une seigneurie, et les détails des droits, cens et
rentes y appartenant. La chambre des comptes comprenait
autrefois une chambre des terriers.
TERRORISME ou RÉGIME de LA TERREUR. Une
des hontes, un des scandales de notre époque , d'ailleurs si
féconde en ce genre, c'a été la réhabilitation du .sanglant ré-
gime de la terreur, systématiqnemententreprise de nos jours
par des sophistes, dans l'espoir de se faire un nom en se
bûchant ainsi, aux yeux des masses, sur les échasses de
l'exagération; c'a été surtout l'indillérence, pour ne pas
dire la tolérance universelle, avec laquelle ont été accueillis
ces efforts de quelques cerveaux malades, ou plutôt de quel-
ques orgueils féroces, pour mentira la conscience humaine et
dénatuier les notions du juste et de l'injuste. L'artifice auque'f
ils ont eu le plus généralement recours à cet effet a consisté
à représenter le régime de la terreur comme une crise /a-
(ale, inévitable, \ivo\oquee \)iiY\e& fautes de ceux-là même
qui en lurent les victimes, mais au total salutaire, et à
laquelle la France fut redevable de la conservation de sa na-
tionalité. Les massacres de septembre se transforment
sous la plume de ces avocats de la guillotine, et cessent d'être
l'œuvre de cannibales ivres de sang et d'eau-dc-vie ; ce
n'est plus qu'ion hai'di défi jeté à VEurope absolutiste!
Cette bi/.arre définition d'un des crimes les plus horribles
qui souillent l'histoire de l'humanité est même passée au-
jourd'hui à l'état de lieu commun, de vérité incontestée et
incontestable. « Le sang qui a coulé était-il donc si pur? «
demande-t-on aux masses stu pides. « Et puis, qu'est-ce en dé-
« linitivequela viede quelques individus, en comparaison de
« la liberté et de l'indépendance de toute une nation? Ces
« terribles sacrifices ont efj'rayé l'Europe et la coalition.
» La liberté a été sauvée ce jour-là. Amnistions donc
Il les bourreaux , hommes aux convictions sincères , éner-
« giques , qui se sont dévoués pour nous sauver. Montons
« au Capitule, et remercions les dieux ! » La loi des sus-
pects, la guillotine en permanence, les mitraillades, les
noyades, les confiscatiuns et les spoliations, qu'est-ce que
tout cela? De simples épisodes, essentiellement transitoires
dans le (/ranrf et «?n/?osa7i < d rame révolutionnaire. On accorde
bien qu'il eût été à souhaiter que la liberté pût être sauvée
autrement; maison n'admet pas le moindre doute à l'endroit
du patriotisme aussi sincère qw^éclairé et désintéressé
des hommes qui acceptèrent la terrible responsabilité de
crimes auxquels on ne trouverait d'analogues que dans
l'histoire de nos guerres de religion. Qui n'aperçoit d'ici
qu'il ne serait pas difficile à des sophistes catholiques de
justifier par des arguments identiques les massacres de la
Sainl-Barthélemy ? Comment s'étonner dès lors qu'en en-
tendant les apologistes des hommes de 1793 mettre impu-
nément en circulation, dès la fin de la Restauration, ces
insolents mensonges sur le véritable caractère du régime ne
é24
TERRORISME — TERTULLIEN
la terreur, le spectre sanglant de la Ligue se soit soulevé
de son tombeau et ait, lui aussi, essayé de se réhabiliter
aux yeux des masses, en leur présentant les massacres de
l'affreuse journée du 24 août 1572 comme des rigueurs sa-
lutaires, grAce auxquelles la France avait conservé \a pu-
reté de sa foi et surtout son tinité religieuse P
A qui apprendrons-nous que le régime de la terreur com-
mença en France le lendemain de la chute du trône, au lo
août 1792, et qu'il se prolongea jusqu'à la journée du 9
t lierm idor (27 juillet 1794)? Disons cependant que cer-
tains casiiistes ne veulent faire dater le commencement de la
terreur que de la chute des girondins , que de la terrible
journée du 31 mai 1793, qui envoya à l'échafaud ces pâles
représentants de la bourgeoisie, impuissante à diriger un
mouvement que le peuple seul pouvait faire triompher.
Inutile d'ajouter que si Louis XIV disait : VEtat, c'est moi !
le démagogue alliime toujours que le vrai, le seul peuple
c'est lui. Pour les faits, nous renverrons aux articles Comité
BE Salut public. Convention, Danton, Robespierre, Sep-
tembre (Massacres de) , etc., etc.
TERROU (Feu) . Voijez Grisou (Feu ).
TERTIAIRES. Voyez Mendiants (Ordres).
TERTIAIRES( Formations). On appelle ainsi, en géo-
logie, toutes les formations liquides qui sont plus récentes que
la formation de la craie et plus anciennes que les formations
diluviales. Ce mot tertiaire a pour but de désigner la dif-
férence existant entre les formations primaires et secon-
daires ; mais ces derniers termes étant devenus presque inusi-
tés, on a adopté pour les remplacer l'expression déformation
molasse, proposée par Bronn.
TERTRE. Voyez Montagne.
TERTULLIAS. On appelle ainsi en Espagne et dans
l'Amérique du Sud une soirée consacrée au jeu et à la danse
{voyez MADRm, t. xii, p. 565). En fait de rafraîchissements,
on n'y oITre le plus souvent aux invités qu'un verre d'eau
à la glace ou bien de limonade.
TERTULLIEIV ( Quintus Septimus Florens TER-
TULIANUS), mis avec justice au rang des plus énergiques
défenseurs de la foi chrétienne, mais devenu sur la fin de
sa vie un triste objet de scandale pour toute la chrétienté ,
naquit à Carthage, vers l'an 160. Dès son enfance il per-
dit son père, l'un des centeniers de la milice africaine. Car-
tilage, encore debout , conservait quelques restes de splen-
deur ; ses écoles, modelées sur celles d'Athènes, offraient des
ressources précieuses à l'émulation. Le jeune Terlullien ,
d'ailleurs aidé par de rares dispositions naturelles , s'y livra
avec succès à l'éloquence, y puisa l'intelligence parfaite de
tous les systèmes de philosophie, une connaissance appro-
fondie de l'histoire, et un savoir du droit tel, qu'on a cru,
mais sans fondement, qu'il avait exercé la profession de ju-
risconsulte. Élevé dans la religion païenne, dont la morale
sensuelle et les fictions licencieuses révoltaient l'austérité de
son caractère , il l'abandonna pour embrasser le christia-
nisme , et sa ferveur s'accroissantde jour en jour, il résolut
de se vouer aux autels : il fut prêtre, saint Jérôme l'assure,
mais on n'est d'accord ni sur le lieu ni sur l'époque où il
reçut la prêtrise. Marié, mais sans enfants , il adressa alors
deux livres à sa femme pour lui signifier leur éternelle sé-
paration, commandée parles immuables lois de l'Église.
C'est ainsi qu'agirent à toutes les époques du christianisme ,
dès leur admission au sacerdoce, les hommes mariés aupa-
ravant , et chez lesquels les adversaires du célibat des prê-
tres pensent, bien à tort, trouver des précédents pour
étayer leur système.
Les chrétiens respiraient à peine de leurs souffrances,
lorsque Plotien, ministre de l'empereur Se v ère, fit revivre
contre eux les cruelles proscriptions de Néron et de ses suc-
cesseurs. Dans cette calamité, rintré|)ide TertuUien ne man-
qua point à ses frères ; il vint à leur secours, armé de son
Apologétique, admirable chef-d'œuvre d'éloquence et monu-
ment plus admirable encore d'un généreux courage : il la
présenta au sénat et à Ploffen lui-même, rendant sou séjour
à Rome, l'excès du luxe, le débordement des jouissances
profanes qui frappèrent ses yeux , provoquèrent son indi-
gnation , comme l'âpreté de son humeur lui aliéna les Ro
mains et jusqu'au clergé de cette capitale du monde chré-
tien. Il revint à Carthage , oij , dans la fougue de sa colère,
il adopta l'hérésie de Montan. Toutefois, Baronius attribue
cette déplorable chute au chagrin qu'éprouva TertuUien de
se voir préférer pour le siège papal Victor, né comme lui
dans l'Afrique; d'autres la trouvent dans son dépit de n'a-
voir pu obtenir l'évôché de Carthage ; saint Jérôme en voit
le motif dans le ressentiment de TertuUien contre le clergé
romain ; enfin , Tillemont pense qu'il faut l'expliquer par
ce désir qu'avait le Père latin de satisfaire sa sévérité na-
turelle. Du reste , tout le monde s'accorde à dire qu'il y fut
entraîné par un nommé Procule, homme de hautes vertus
sans doute, mais égaré par son ambition d'atteindre à des
perfections que ne comporte point l'humaine faiblesse. A
son début dans le schisme, TertuUien se déchaîne avec toute
la violence du naturel africain contre ces chrétiens qu'il
avait si vigoureusement soutenus de son génie et desa magna-
nimité. Non content de les invectiver, il insulte à plusieurs
de leurs croyances, et dans l'excès de son égarement,
pour se séparer de plus loin d'avec des frères naguère si
chers à son cœur, il se jette dans des absurdités à peine
croyables. Déplorons les égarements d'un des plus grands
hommes du christianisme; déplorons-les avec d'autant
plus d'amertume qu'ils sont plus outrageants pour notre
foi, et que de nos jours encore nous avons eu la douleur
de voir un autre beau génie en renouveler le scandale dans
des circonstances à peu près semblables. Chacun devine que
c'est du malheureux LaMennais que nous voulons parler.
Après son éloignement de l'Église, Terlullien quitta ses
habits de prêtre pour revêtir le pallium, manteau des
anciens philosophes grecs ; ce costume lui attira de la part
des Carthaginois des railleries piquantes, qu'il repoussa dan?
un badinage spirituel, mais écrit dans un style où l'on ne
retrouve plus son habituelle gravité. Convenons cefiendant
que, malgré ses nouvelles erreurs, il n'hésita jamais à
prendre les armes contre les hérétiques de son temps : les
combats qu'il soutint contre les marcionites, les valenti-
niens, les gnostiques et les cainites furent glorieux, et les
services que dans ces circonstances il rendit à l'unité lui
seront comptés par toutes les générations chrétiennes. Il
finit par s'éloigner des monlanistes, mais avec le dessein de
se faire le chef d'une nouvelle croyance. A son appel am-
bitieux répondirent quelques partisans , en petit membre,
qui s'appelèrent tertullianistes , secte toute petite, de
courte haleine, tout à fait éphémère, qui exhala son der-
nier souffle durant i'épiscopat du grand évoque d'Hippone.
TertuUien prolongea sa vie jusqu'en 2i5, et , comme Dupin
l'observe avec de cuisants regrets, il mourut hors de l'É-
glise. Les qualités du style de TertuUien sont la précision,
la rapidité , la force , l'énergie. Il est précis, mais sa préci-
sion est telle qu'il en devient obscur; rapide, mais s'em-
portanthors de son sujet; fort , mais jusqu'à l'exagération-
énergique, mais aboutissant à l'âpreté. Vincent de Lérins le
proclame supérieur à tous les Pères latins ; saint Cyprien
l'appelle toujours le maître; et Bossuet , qui lui doit tant
de traits sublimes, emploie à le célébrer toute la magnifi
cence de son style. Au contraire , Lactance lui reproche sa
diction ténébreuse , et Malebranche ne voit en lui qu'un
visionnaire qui affecte l'obscurité comme une des prin-
cipales règles desa rhétorique. M. de Chateaubriand a
su résumer en deux mots ses défauts et ses qualités ; il
nomme TertuUien le Bossuet de V Afrique. On comprend
que le génie actif de ce Père a dû produire un grand nom-
bre d'ouvrages. Tous ceux qu'il avait écrits en grec ont été
perdus avec quelques œuvres latines. Ceux de ses traités qui
nous restent ont été réunis et publiés comme œuvres com-
plètes, en 1521 (Bâle) par Rlienanus, à Paris (1634) par
Rigault, et tout récemment dan-. \a Bibliotheca Pûtrum La-
tinoriim <le Léopold (4 vol., Leii>/,ig, 1841). E. Lavigne.
TERUEL — TESSIN
525
TERUEL, province d'Espagne, formée de rexlrémité
sud du royaume d'Aragon, compte sur une superficie de lO.!
myriain. carrés 250,000 iiabitanlset a pour chef-lieu Teruel,
\ille bâtie au confluent du Guadalaviar ou Turia et du Uio
Alhambra, sur un rocher dernier prolongement des montagnes
du nord de Valence, et entourt^e de quelques ouvrages de
défense. Siège d'évêché, Teruel a une citadelle, une belle
cathédrale, sept églises, plusieurs couvents, un aqueduc de
construction romaine, et 7,3G5 habitants, dont l'industrie
consiste dans la fabrication des draps et des toiles, des chaus-
sures, des poteries, des cordages, etc., la teinturerie et la
mégisserie. On trouve tout près de là des eaux minérales en
renom, d'une température de 20 à 21° Réaumur.
TESCHEN, principauté médiate de la Silésie autri-
chienne, avec plus de 100,000 habitants, dont très-peu
parlent allemand, et la grande majorité la langue dite po-
laque d'eau. Elle forme la plus grande partie de l'ancien
cercle de Teschen, qui avec la principauté de Bielitz et les
seigneuries de [-"reystadt, de Friedeck ,de Deutsclie-Leutlien ,
d'Oderberg, de Reichwaldau et de Roy comptait 215,000
iiabitants sur 24 myriamôtres carrés, mais qui a été dissous
en 1849 et réparti entre les trois capitaineries de cercle de
Teschen (13 myriamètres carrés , et 76,378 liab.), de Bielitz
et de Friedeck. A l'origine Teschen appartenait aux ducs
de la haute Silésie, dont l'un, Casimir II, se soumit en 1298
au roi de Bohême. La ligne mule des ducs de Teschen étant
venue à s'éteindre en 1625, la principauté resta comprise
au nombre des domaines de la couronne de Bohême jus-
qu'à ce que l'empereur Charles VI en accorda, en 1722, l'in-
vestiture au duc de Lorraine, Léopol(l-Josc()h Charles, le-
quel eut pour successeur, en 1729, son fils, François-Etienne,
devenu ensuite empereur. Le juiuce de Saxe, Albert, marié
h la fdie de l'empereur François r*^, le posséda à partir de
1766, sous le titre de duc de Saxe-Teschen ; et à sa mort,
arrivée en 1822, cehn-ci le légua à l'archiduc Charles, qui le
transmit à son fils aîné, Albert.
Le chef-lieu, Teschen, en slave Tiessin, sur la rive
droite del'Alsa et au pied du versant septentrional des Bes-
kides, autrefois ville de cercle, aujourd'hui siège d'un tri-
bunal de première instance et de diverses autorités admi-
nistratives, possède un collège catholique et un collège
protestant, un théâtre, cinq églises catholiques, une église
prolestante, construite en vertu des stipulations de la paix
d'Altranslœdt.en 1707,diversétablissements de bienfaisance,
et 7,500 habitants, dont l'indusliie consiste dans la fabrica-
tion des draps, de la toile, des cuirs, des armes à feu,
du rosoglio, etc.
Cette ville est célèbre dans l'histoire par la paix qui
sy conclut, le 13 mai 1779, entre Marie-Thérèse et Frédé-
ric II, et qui mit fin à la guerre de la succession
de Bavière. Aux termes de ce traité, la ligne de Deux-
Ponts-Birkenfeld , qui provenait d'un mariage morgana-
lique, fut déclarée apte à succéder en Bavière, à l'evlinclion
(le la ligne aînée de Deux-l'onts-Birkenléld. L'Autriche re-
connut la libre dévolution des principautés de Franconie
à la Prusse d'après le droit de primogéniture. Le duc de Meck-
lembourg, conmie indemnité d'imi; expectative accordée
à sa maison, en 1502, par l'empereur Maximilien sur le
landgraviat de Leuchtenberg, obtint \ti pririlegium de non
appellando. L'électeur palatin entra en possession de tout
ce qui avait jusque alors constitué l'élcctorat de Bavière, et
obtint en outre Rlindellieim , mais dut céder Vlnnvicrtel
(28 myriam. carrés) à l'Autriclie. Comme indemnité pour
ses prétentions d'hérédité allodiale, la Saxe reçut six mil-
lions de florins, avec les droits de souveraineté sur les
comtes de Schœnburg, qui jusque alors avaient relevé
de la couronne de Bohême. L'Empire confirma cette
paix en 1780, et la France ainsi que la Russie la garan-
tirent.
TESSERE. C'est le nom sous lequel on désigne une
espèce de médailles anciennes qui n'eurent jamais cours
comme monnaies. C'étaient des marques ou des jetons des-
tinés'aux jeux, aux cérémonies ou à quelque autre usaî;e,
soit public, soit privé.
TESSIN ( Le) , Kun des Cantons suisses , admis dans la
Confédération seulement en 1803. Il lire son nom du Tessin
( Ticino), rivière qui prend sa source dans le mont Saint-Go-
thard, traverse le lac Majeur, forme ensuite la ligne de dé-
marcation entre le royaume lombardo- vénitien et la Sardaigne,
et se jette dans le Pô au-dessous de Pavie. Le Canton, com-
posé de huit petits pays, qui au moyen âge faisaient partie
delà Lombardie, et plus tard appartinrent aux ducs de
Milan, passa sous la domination des Suisses à la suite de
luttes sanglantes, qui se prolongèrent de 1466 à 1512 ; et les
Suisses le firent administrer par des baillis sous le nom
de bailliages d' Ennetbourg . Pendant trois cents ans les
belles contrées au milieu desquelles s'élève le Saint-Gothard
furent traitées en pays conquis; et il n'y a que la vallée de
Livin, placée pendant longtemps sous la souveraineté du
Canton d'Uri , qui eût obtenu des droits de commune et
une administration à peu près indépendante. En 1798 ce
fut le Canton de Bâie qui le premier renonça à ses droits de
.souveraineté sur ces contrées; et son exemple ne tarda
point à être imité par celui de Lucerne. Une partie de la
population profita de l'occasion pour se rendre complè-
tement indépendante. Sous l'empire de la constitution hel-
vétique, qui d'ailleurs ne jeta nulle part ici de vivaces ra-
cines, ces contrées formèrent les deux cantons de Bellinz et
de Lugano ; et sous la médiation de 1 803, elles furent réunies
sous le nom de Canton du Tessin en un seul Canton indé-
pendant, qu'on incorpora à la Confédération, il contient sur
environ 38 myriamètres carrés une population de 117,760
habitants, qui, à l'exception des 380 liabilants allemands
du village de Bosco (Gurin), au voisinage du haut Valais,
parlent tous la langue italienne; sauf une cinquantaine de
protestants, ils appartiennent à l'Église catholique, et
sont placés partie sous l'autorité de l'évêqiie de Côme,
partie sous celle de l'archevêque de Milan. La restauration
introduisit dans ce Canton une constitution aristocratique et
une administration démoralisée, à la tête de laquelle fut
d'abord placé Maggi, puis le fameux Quadri. Môme avant
la révolution de Juillet une réforme de la constitution avait
eu lieu «lans le sens démocratique modéré; et ce mouve-
ment avait produit la constitution du 4 juillet 1830. Mais
le parti corrompu, qui avait jusque alors tenu le pouvoir,
parvint à garder la direction des affaires sous l'empire de
cette constitution nouvelle, jusqu'à ce qu'enfin, en 1839,
une autre révolution y porta des hommes nouveaux, sous
l'administration desquels ce Canton, si longtemps négligé, vit
s'opérer quelques changements utiles, notamment pour ce
qui concerne l'instruction primaire, qui était demeurée
dans le plus déplorable abandon. Quant à la constitution
môme, elle ne subit point de modifications essentielles; car
une révision qu'en entreprit en 1843 le grand conseil, et par
laquelle l'éligibilité des ecclésiastiques au grand conseil était
l'objet de diverses restrictions, fut rejetée [lar la majorité du
peuple.
Le pouvoir législatif a à sa tête un grand conseil , auquel
chacun des trente-huit cercles envoie trois représentants;
le pouvoir exécutif suprême se compose d'un conseil d'État
de neuf membres nommés par le grand conseil. Le siège
des diverses autorités alterne tous les six ans entre les villes
de Lugano (5,172 hab.), Locarno (2,676 hab.) et Beliin-
zona (1,926 hab.). Pour exercer les droits politiques d'é-
lection, il faut être âgé de vingt-cinq ans et payer un cens de
200 fr. Un projet de loi accepté par le grand conseil et ayant
pour objet d'étendre la capacité électorale indistinctement
à tous les citoyens âgés de vingt ans, fut rejeté par le peuple.
Sous une administration pendant longtemps ignorante et
incapable, le sol, malgré sa fécondité , n'a pas reçu partout
la culture dont il est susceptible. Il se peut que la manie des
émigrations dans les pays voisins ait beaucoup contribué à
ce résultat, manie qui tous lesansprivele canton d'environ
10 à 12,000 travailleurs. A quoi il tant encore ajouter l'exis-
s 2 fi
TESSIN — TESTAMErSÏ
tencede onze couvents d'hommes, contenant 145 moines, et
de neuf couvents de femmes avec 193 religieuses, possédant
ensemble une fortune de plus de 5,200,000 livres; un clergé
extrêmement nombreux, résidant tant dans les couvents
qu'au dehors, et dont une bonne partie se livre à des occu-
pations qui ne sont rien moins qu'ecclésiastiques; enfin, une
i'oule d'avocats, d'hommes de lois, de notaires,etc., qui achè-
vent de dévorer le plus pur de la subsistance des popula-
tions. Un clergé ignorant et opiniâtre, et qui exerça toujours
une grande induence, persiste d'ailleurs à mettre obstacle à
l'exécution des réformes salutaires prescrites par la loi de
1852 dans l'organisation de l'instruction publique. Toutes
proportions gardé^'s, le Tessin est de tous les Cantons suisses
celui qui compte le moins d'habitants lettrés, bien qu'il ait
produit bon nombre d'artistes distingués.
Le sol va en s'abaissant d'une manière assez abrupte
depuis le mont Saint-Gothard (2,66G mètres au-dessus du
niveau de la mer) jusqu'au lac de Lugano (276 met. au-
dessus de la mer, avec 166 m. de protondeur), et se compose
presque entièrement de montagnes primitives. On élève
beaucoup de bétail, et on fabrique d'excellent fromage dans
la région des montagnes; dans la région inférieure, on cul-
tive la vigne, la soie (18,000 Uilogr, par an) et toutes es-
pèces de Iruits; et, outre du bois et du poisson, on exporte
du marbre, des tresses de paille et des pierres de lave. Les
deux arrondissements de Lugano et de Meudrisco, au sud
du Moute-Cenere, jouissent tout à fait du même climat que
la Lombardie, et nourrissent près de 48,000 habitants sur
37 kilomètres carrés. On y remarque la délicieuse vallée
de Maggio et le beau lac de Lugano, plus les magnifiques
environs des villes de Lugano , Locarno et Bellinzoua ; cette
dernièreest la clef de la vallée, que défendent trois châteaux
forts et divers ouvrages de fortification qu'on a tout récem-
ment augmentés. Citons encore la magnifique route qu'on
a dans ces derniers temps construite sur le mont Saint-
Gothard, à travers l'intéressante vallée de Livin, etc.
TEST (du latin testa). En histoire naturelle, on appelle
ainsi une enveloppe solide et calcaire qui protège le corps
mou d'un très-grand nombre d'animaux invertébrés, comme
les mollusques à coquilles, qui en ont reçu le nom de tes-
tacés , et les crustacés. On désigne aussi sous le nom de
test la carapace des tortues et la cuirasse des pangolins,
des tatous, des crocodiles et de certains poissons.
En botanique, le test est une pellicule, ordinaire-
ment lisse et écailleuse, qui revêt la surface extérieure de la
graine.
TEST (Acte et Serment du). On appelle ainsi, du mot
anglais test, épreuve on examen, une loi qu'en 1673 le
parlement anglais arracha à Charles H à l'effet d'empêcher
les catholiques de se glisser dans les fonctions publiques.
Aux termes de cette loi, tout fonctionnaire public, civil ou
militaire, était tenu de prêter, indépendamment du serment
i\& suprématie et des différents serments qui s'y ratta-
chaient, un serment particulier, et de déclarer par écrit
qu'il ne croyait pas à l'explication du mystère de la trans-
substantiation donnée par l'Église catholique romaine , à
savoir que le vin et le pain dans l'eucharistie représentent
le véritable corps de Jésus-Christ. Quoique avec la suite des
temps les autres lois rendues contre les catholiques fussent
tombées en désuétude, le serment du test subsistait tou-
jours, de sorte que les catholiques se voyaient toujours ex-
clus des fonctions publiques, et notamment des deux cham-
bres du parlement. Les efforts de plus en plus énergiques
faits depuis l'union de l'Irlande et de l'Angleterre (1800)
par le parti libéral en faveur de l'émancipation catholique
eurent donc principalement pour objet l'abolition de ce ser-
ment. Une proposition faite à cet effet, en 1828, par lord John
Russcll fut adoptée par la chambre basse, mais annulée
par les divers amendements qu'elle subit dans la chambre
haute. Toutefois le ministère tory dirigé par Wellington et
Peel ayant enfin compris la nécessité de l'émancipation,
un acte du parlement, en date du 13 avril 1829, supprima le
serment du test, et ne maintint qu'une déclaration contre \a
puissance temporelle du pape.
TESTAMEI\T (du latin testamentum , dérivé de^fis-
talio mentis, attestation de la volonté). Des esprits chez
lesquds les notions du droit sont encore peu développées
ont de la peine à comprendre qu'un homme puisse ordonner
même au delà de sa vie ce qu'il adviendra après sa mort de
ce qui lui appartient. Aussi voyons-nous dès les temps les
plus reculés les peuples non-seulement restreindre les testa-
ments sous le rapport du droit de hbrement disposer de ce
qu'on laissera en mourant, mais encore les assujettir à des for-
malités indiquant qu'une disposition de cette nature ne peut
avoir lieu que du consentement de la commune et être va-
lablement faite que sous son autorité. A Rome, ce droit était
attribué par la loi des Douze Tables à chaque père de famille ;
mais la plus ancienne forme des testaments voulait qu'on
fît connaître ses dernières volontés, soit dans l'assemblée du
peuple, convoquée à cet effet, soit dans la réunion de ceux
qui partaient pour la guerre (in procinctu). De même, on
n'accordait chez les Germains le droit de disposer de son
bien qu'à l'homme libre et encore valide; et ce droit ne pou-
vait être exerc(î que dans l'assemblée du peuple. Il est tou-
jours demeuré quelques-unes des anciennes restrictions de
ce droit, indépendamment de celles qui proviennent pu gé-
néral de l'incapacité de faire valablement un acte de dernière
volonté. C'est ainsi qu'à Rome les étrangers n'avaient pas
la capacité de tester; et il en fut de même en France jusqu'à
la révolution, en vertu du droit d'aubaine, de môme que
parmi les serfs en Allemagne, où l'homme libre lui-même
ne pouvait pas disposer de ses biens héréditaires. Ces res-
trictions ont toujours été en diminuant dans nos temps mo-
dernes; et elles ne subsistent plus de l'autre côté du Rhin
au profit des enfants et descendants , des parents et grands
parents , etc., qu'en ce sens qu'on ne saurait les dépouiller
de la totalité de la succession. Mais tout homme sain d'esprit,
qui n'a point été déclaré dissipateur par arrêt de justice, et
qui est en état de faire connaître sa volonté d'une manière
précise, peut en règle générale disposer comme bon lui semble
par testament de ce qui lui appartient.
Dans le droit romain la doctrine des testaments et de leur
contenu se rattachait de la manière la plus intime aux plus
anciennes bases de la vie publique ainsi qu'à la religion
(par les sacra privata). C'est là pourquoi cette doctrine
pénétrait si profondément tout le système et était astreinte
à de si nombreuses formalités; c'est ainsi, par exemple,
qu'un testament devait toujours comprendre la totalité de
la succession ; clause qui a été supprimée dans les législations
modernes, en Prusse, en Autriche, en Saxe, etc. Au reste,
malgré toutes ces formalités et difficultés, le droit romain
n'en est pas moins devenu à cet égard le droit commun en
Europe, et a même pénétré en Angleterre, où il est encore
aujourd'hui en vigueur avec quelques modifications, par
exemple relativement à la forme des testaments. En Alle-
magne aussi le droit romain est toujours le droit commun,
là où il n'a pas été remplacé par des statuts locaux et des
lois particulières au pays. Seulement, aux termes de la cons-
titution de l'empereur Frédéric II, les étrangers ont aussi la
capacité de tester et de succéder. La forme des testaments
faits conformément à la loi romaine porte toujours le ca-
ractère de son origine. Elle a pour base la transmission pu-
blique et solennelle de toute la fortune, acte en vertu duquel
un autre est mis comme héritier en jouissance de tous les
droits et obligations du testateur. Ceci doit avoir lieu en pré-
sence de sept témoins expressément mandés à cet effet et dans
un acte non interrompu. Le testateur déclare en leur présence
ses volontés, soit oralement, soit en leur présentant un do-
cument écrit de sa propre main, ou auquel il a apposé sa
signature et qu'il leur déclare être son testament, qui doit
alors être signé par tous les témoins, puis scellé. Quand il
s'agit du testament d'un aveugle, la présence d'un huitième
témoin est nécessaire, de même que lorsque le testateur ne
sait pas écrire; mais alors seulement qu'il s'agit d'un lesta-
ment écrit. Voilà pour les formalités extérieures , dont l'ab-
sence rend un testament de nul effet. Quand aux formalités
intérieures , il faut que le testateur institue un héritier et
notamment les héritiers nécessaires, à savoir les enfants,
petits -enfants, etc., et faute de ceux-ci les ascendants. En
cas d'exhérédation, la mention de l'exliérédation doit être
formelle. Un testament est nul s'il n'y est fait aucune mention
de riiéiitier nécessaire, ou bien si son exhérédalion est con-
traire à la loi ; la survenance d'un héritier nécessaire équi-
vaut à la mise à néant du testament.
La loi française définit le testament un acte par lequel le
ieslateur dispose, pour le temps où il n'existera plus, de tout
ou partie de ses biens, et qu'il peut révoquer. l'ar la do-
nation entre vifs, le donateur se dépouille irrévocablement
de la chose donnée, en faveur du donataire, ([uien devient à
l'instant même propriétaire exclusif et irrévocable. Mais le
testament n'est qu'un acte conditionnel , qui ne donne à per-
sonne des droits actuels , en sorte qu'il n'a aucune force
légale tant que la condition à laquelle son exécution est sub-
ordonnée ne s'est point accomplie. La loi actuelle recon-
naît en principe trois espèces de testaments : le testament
olographe, le testament authentique ou public et le
testament mi/stique ; elle admet en outre le testament mi-
litaire, le testament maritime, le testament /ait en
temps de peste et le testament fait à l'étranger ; mais ces
derniers ne sont autorisés que comme des exceptions né-
cessaires.
Le testament olographe est le plus simple dans sa forme;
il suffit qu'il soit écrit en entier, daté et signé de la main
du testateur ; il n'est assujetti à aucune autre formalité. Tout
acte qui est écrit en entier de la main du testateur, qui est
est daté et signé par lui, et qui renferme disposition de tout
ou partie de ses biens pour le temps où il ne sera plus, est
tin testament valable. Mais il est indispensable que cette
dernière condition soit bien formellement exprimée dans
l'acte. C'est pourquoi il est toujours prudent d'intituler
l'acte delà suscription : Ceci est mon testament, et de dé-
teruiiner que son exécution est subordonnée au décès du
testateur; par exemple : Je donne et lègue, ^institue un
tel mon héritier pour telle et telle portion, ou mon légataire
de tel ou tel objet, pour en jouir en toute propriété (ou en
usufruit seulement) à partir du jour de mon décès. Le
testament olographe ne portant rien qu'une signature privée,
ne pouvait pas former par lui-même un titre exécutoire; la
loi veut qu'il soit avant tout présente au tribunal de pre-
mière instance de l'arrondissement dans lequel la succes-
sion est ouverte. Ce testament sera ouvert, s'il est cacheté;
le président dressera procès-verbal de la présentation , de
l'ouverture et de l'état du testament, dont il ordonnera le
(iépôt entre les mains du notaire par lui commis; et le lé-
gataire universel lui-même, dans le cas où il serait saisi de
plein droit de la totalité de la succession, est tenu de se
faire envoyer en possession par une ordonnance du pré-
sident.
Le testament authentique, ou par acte public, est
celui qui est reçu par deux notaires en présence de deux
témoins , ou par un notaire en présence de quatre témoins.
Toutes les formalités pour cet acte étant exigées à peine
de nullité, il suffit de les rappeler textuellement. Si le testa-
ment est reçu par deux notaires, il leur est dicté par le tes-
tateur, et il doit être écrit par l'un de ces notaires, tel qu'il
est dicté ; s'il n'y a qu'un notaire, il doit également être dicté
par le testateur et écrit par ce notaire. Dans l'un et l'autre
cas, il doit en être donné lecture au testateur en présence
des témoins. 11 est fait du tout mention expresse. Ce testa-
ment doit être signé par le testateur. S'il déclare qu'il ne sait
ou ne peut signer, il sera fait dans l'acte mention expresse
de sa déclaration ainsi que de la cause qui l'empêche de
signer. Le testament devia être signé par les témoins, et
néanmoins dans les campagnes il suffira qu'un des deux
témoins signe si le testament est reçu par deux notaires,
et que deux des quatre témoins signent s'ils est reçu par un
TESTAMENT 527
notaire. Ne pourront être pris pour témoins du testament
par acte public ni les légataires, à quelque titre qu'ils soient,
ni leurs parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclusi-
vement, ni les clercs des notaires par lesquels les actes
seront reçus. Ces sortes de testaments étant reçus par des
officiers publics forment des titres exécutoires, qu'il n'est
nul besoin de faire vérifier en justice. Ainsi le légataire
universel, lorsqu'il n'y a pas lieu à réserve légale,
non-seulement est saisi de plein droit de la succession,
mais encore peut se mettre immédiatement en possession
des biens : la nécessité de demander la délivrance ne lui
est pas imposée.
La testament mystique ou secret tient à la fois du testa-
ment olographe et du testament authentique. C'est celui qui,
après avoir été signé par le testateur, soit qu'il l'ait écrit
lui-même ou fait écrire par un autre, est présenté par lui,
clos et cacheté, à un notaire assisté de six témoins ayant les
qualités requises, auxquels il déclare que le papier qu'il pré-
sente contient son testament écrit et signé de lui, on écrit
par un autre et signé de lui. Le notaire dresse l'acte de
suscription sur ce papier ou sur celui qui lui sert d'enveloppe
et le signe avec le testateur et les témoins. Si le testateur ne
pouvait signer par un empêchement survenu depuis la si-
gnature du testament, il en est fait mention sans qu'il soit
nécessaire d'augmenter le nombre des témoins; mais s'il ne
savait pas signer, ou s'il n'avait pu le faire lorsque ses dis-
positions ont été écrites, il est appelé à l'acte de suscription
un témoin de plus, qui le signe avec les autres , et il est fait
mention de la cause pour laquelle ce témoin a été appelé.
Il est interdit aux individus ne sachant ou ne pouvant pas
lire de faire un testament mystique. Celui qui est privé de
la parole, mais qui sait écrire, peut le faire, pourvu qu'il soit
entièrement écrit , daté et signé de sa main , et qu'en présen-
tant au notaire et aux témoins le papier qui le renferme , il
écrive au haut de l'acte de suscription que ce papier con-
tient son testament. Après la mort du testateur, le testament
mystique est ouvert par le président du tribunal du lieu de
l'ouverture de la succession en présence de ceux des no-
taires et des témoins qui ont signé l'acte de suscription , ou
ceux dûment appelés. Il en est fait la description et or-
donné le dépôt de la même manière que pour le testament
olographe, et il est dressé procès-verbal du tout. Leiégataire
universel institué par un testament mystique est aussi tenu
de demander l'envoi en possession.
Les testaments militaires, les testaments faits en temps
de peste, les testaments maritimes , sont soumis à des for-
malités particulières, dont nous ne pouvons pas donner ici
le détail. Ces actes n'ont qu'une existence temporaire; ils
périssent avec les circonstances qui les ont fait naître , et
ne sont valables qu'autant que le testateur est mort dans
ces circonstances ou dans un laps de temps donné après
leur consommation.
A l'égard des testaments qui sont faits en pays étranger,
on suit la règle ordinaire. Cependant, le testament olo-
graphe , n'exigeant l'intervention d'aucun officier public ,
est toujours valable en quelque lieu qu'il soit fait, alors
môme qu'il ne serait pas reconnu par la législation parti-
culière en vigueur dans le lieu où il aurait été écrit, daté
et signé. Mais il ne peut être exécuté en France qu'après
avoir été enregistré au bureau du dernier domicile connu
du testateur en France , et à celui de la situation des im-
meubles. Voyez Quotité Disponible , Institution d'Héri-
TiEn, Legs, Exécuteur testamentaire, Réserve légale.
Révocation , Substitution, Partage, Contrat de Mariage
et Succession. Sous le titre de Choix de Testaments an-
ciens et modernes (2 vol., Paris, 1829), Peignot a publié
une intéressante collection de testaments célèbres.
On appelle testament politique tel ou tel écrit attribué
3 tel ou tel homme d'État , contenant les vues, les projets,
les motifs qui ont dirigé ou qu'on suppose avoir dirigé leur
conduite : Testament politique de Richelieu , de Colbert.
du cardinal Alberoni.
528
TESTAMENT — TESTRICES
L'Ancien Testament est l'ensemble des livres saints qui
ont précédé la naissance de Jésos-Clirist , et le Nouveau
Testament l'ensemble de ceux qui sont postérieurs à cet
événement, lis se disent aussi l'un et l'autre de l'alliance
de Dieu avec les hommes.
TESTAMENTAIRE (Exécuteur). Fo^/ei Exécuteur
TESTAMENTAIRE,
TESTAMENTAIRE ( Peine ). Voyez Clause.
TESTE (Jean-Baptiste), ministre des travaux pu-
blics sous le règne de Louis-Pliilippe, fameux par la con-
damnation qui le frappa en 1847 pour (ait de corruption
et Aeconcussion, était né le 20oclobie 1790, à Bagnols. Fils
d'un notaire, il vint faire son droit à Paris, et à partir de
1809 s'établit comme avocat à Nîme-;, où il se fil bientôt
une grande réputation. Au retour de l'ile d'Elbe , Napoléon
lui confia les fonctions de directeur de la police à I-yon;
et à la seconde restauration il dut se réfugier en Belgique.
Il s'établit alors comme avocat à Liège; mais à la suite de
la défense d'un journal. Le Mercure surveillant, traûml
en justice à l'instigation des gouvernements russe et au-
trichien , il se vit expulser du pays. Vingt-deux mois après,
il lui fut cependant permis de revenir prendre sa place au
barreau de Liège. Apres la révolution de Juillet, Teste
rentra en France, et se fixa à Paris, où il obtint de grands
succès comme avocat. Élu membre de la chambre des dé-
putés, il s'y fit remarquer par l'habileté avec laquelle il prit
en toutes occasions la défense de la dynastie nouvelle. Dans
la session de 1838, il se rattacha à la fameuse coalition qui
amena la chute du ministère Mole, et dans le cabinet qui se
forma le 13 mai 1839 il accepta le portefeuille de la justice.
L'administration nouvelle fut renversée à la suite de la pié-
sentation d'un projet de dotation en faveur de M. le duc
de JNeraours, et au mois de janvier 1840 Teste dut se retirer
avec tous ses collègues devant un vote hostile de la cham-
bre. Comme il avait perdu sa lucrative clientèle, Louis-
Philippe, pourl'en dédommager, lui confia le portefeuille des
travaux publics dans le cabinet qui .se forma en octobre 1840
sous la présidence du maréchal Soult; mais il ne le con-
serva que jusqu'en décembre 1843, et hit alors nommé pré-
sident à la cour de cassation et pair de France. Au mois de
mai 1847, dans un procès intenté devant le tribunal civil
(le la Seine par un nommé Parmentier, directeur des mines
de sel de Gouhenaus, contre divers membres de la société
dont il était le gérant, auxquels il réclamait la restitution
d'un certain nombre d'actions , il fut publié divers mémoires
contenant des fragments de lettres écrites par le général
Despans-Cubières. De cette correspondance, non désavouée
par le général , il résultait que pour obtenir la concession
de l'exploitation des mines de Gouhenans le général Cubières
s'était concerté avec le sieur Parmentier pour acheter à
prix d'argent l'appui du ministre des travaux publics Teste,
que ce marché criminel avait été conclu en 1842, et qu'il
avait reçu son exécution. Parmentier soutenait que la cor-
ruption n'avait été ni essayée ni pratiquée, que le général
Cubières, à l'aide de cette correspondance frauduleuse, où il
lui disait qu'il fallait que la société lit des sacrifices pour ob-
tenir la concession, parce que le gouvernement était entre
des mains avides et corrompues, avait seulement voulu
s'emparer de valeurs considérables au préjudice de ses as-
sociés. Les journaux donnèrent une immense publicité à
ces révélations. Elles produisirent une surprise profonde
et douloureuse. Les chambres s'en énmrent; le gouverne-
ment s'empressa d'annoncer que la justice allait être saisie.
Une ordonnance royale déféra bientôt ce grave procès à la
cours des pairs. En conséquence, le 8 juillet 1847 le géné-
ral Despans-Cubières, ancien ministre de la guerre dans
l'administration du t" mars. Teste , Parmentier et le sieur
Pellapra, ancien receveur général, qui avait servi d'intermé-
diaire entre ses coaccusés et l'ancien ministre des travaux
publics, étaient traduits devant cette haute juridiction sous
l'inculpation de corruption, et Cubières ainsi que Pellapra
tous celle d'escroquerie.
La veille. Teste s'était démis de ses fonctions publiques,
pour ne pas les apporter, disait-il, sur le banc des accusés.
Pellapra, qui avait écrit à ses défenseurs que son grand
âge et sa sanlé ne lui permettaient pas d'affronter les au-
diences de la cour, avait pris la fuite. Dans les premiers
interrogatoires, Parmentier soutint son dire; il ne croyait
pas que le ministre eût reçu d'argent. Le général Cubières
n'affirmait pas que Teste eîit en effet reçu quelque chose;
mais il déclarait que Pellapra s'était chargé de remettre
100,000 fr. au ministre. Teste nia d'abord. Il dit qu'il voyait
bien que ces messieurs avaient joué sur son nom, mais
qu'aucime proposition de corruption ne lui avait été faite. Il
prétendit être sorti du ministère aussi pauvre qu'il y était
entré. Marrast, rédacteur du National, fit parvenir à la
cour des extraits de lettres dont il avait pris copie chez un
avocat de Cubières. Il en résultait que Cubières, bien loin
de s'être approprié quelque valeur, était au contraire vic-
time de la rapacité de ses co-accusés et avait payé des som-
mes qu'il ne devait pas. Le général reconnut l'exactitude
de ces copies de lettres. Ainsi, ou Teste avait reçu le prix
de la corruption , ou Pellapra s'était approprié l'argent qu'il
avait demandé à la société de Gouhenans pour l'oblention
de la concession. Madame Pellapra fit alors parvenir à la
cour des fragments de livres et de papiers qui prouvaient
que Teste avait bien reçu la somme réclamée par Pellapra
à Cubières, et le témoignage d'un agent de change vint con-
firmer les opérations faites par Pellapra pour le compte de
Teste, afin de transformer les valeurs de la société en argent,
puis une grande partie de l'argent en bons du trésor. Ac-
cablé par ce témoignage , Teste essaya d'échapper par le
suicide à une condanmation. Il se tira un coup de pistolet
au cœur et ne se fit qu'une contusion. Le lendemain il re-
fusa de venir à l'audience, et avoua dans une lettre au pré-
sident la seule faiblesse qu'il eût, disait-il , à .se reprocher.
Dès lors le procès était terminé. M. Delangle, procureur
général , soutint l'accusation contre tous les accusés. La
question d'escroquerieétait écartée. Enfin, le 17 juillet 1847,
la cour rendit un arrêt qui condamnait Teste à trois années
d'emprisonnement, à la dégradation civique, à la confisca-
tion, en faveur des hospices de la ville de Paris, d'une
somme de 94,000 francs, prix de la corruption, et à 94,000
francs d'amende. Le général Cubières, acquitté de l'accu-
sation d'escroquerie, lut condamné à la dégradation civique
et à 10,000 francs d'amende, ainsi que Parmentier. Pel-
lapra comparut en personne, quelques jours après, devant
la cour, qui le condamna également à 10,000 francs d'a-
mende et à la dégradation civique.
Pendant que la cour des pairs jugeait ce procès, l'oppo-
sition plantait le drapeau de la réforme au banquet du Châ-
teau Rouge. Ce bruit de corruption dans les sommités de la
société gouvernementale réunissait en effet toutes les nuan-
ces de l'opposition sur le même terrain. On espérait re-
trouver l'honnêteté en élargissant le cadre électoral. On
voyait effectivement à quel tripotage les intérêts matériels
dont le gouvernement disposait pouvaient donner lieu. Le
procès Teste et l'horrible affaire Praslin, qui survint au
même moment, exercèrent une grande influence sur le dé-
veloppement de la révolution de février 1848.
En 1850, à la demande de sa famille. Teste obtint d'être
placé dans une maison de santé, et une remise de 60,000
francs lui fut faite sur l'amende à laquelle il avait été con-
damné. Il mourut le 26 avril 1852.
TESTE DE BUCH (LA), chef-lieu de canton du dé-
partement de la Gironde, arrondissement de Bordeaux,
sur la rive méridionale du bassin d'Arcachon, avec un port
de cabotage et 3,877 habitants. Cette ville, reliée par un che-
min de fer à Bordeaux, qu'elle alimente de poisson de mer,
est le centre d'une importante fabrication de térébenthine
et de résine. On y trouve des bains de mer très-fréquentés
pendant la saison, et on y pèche d'excellentes huîtres.
TESTES. Voyez Cérébral (Système).
TESTRICES. Voyez Cotte de Mailles.
TESTUDO — TÊTES RONDES
TESTIJDO. Voyez Cithare,
TÊT (Histoire naturelle). Foye; Tesî.
TÉTANOS (du grec Tetvwje tends), maladie du sys-
lèine nerveux, caractérisée par la conlraction, la rigidité, la
tension permanente d'une partie ou de la totalité de l'appareil
musculaire. Lorsque la contraction est bornée aux muscles
de la mâchoire inférieure, le tétanos prend le nom de tris-
imts; on l'appeWe opisthoimios lorsqu'il détermine la cour-
bure du tronc en arrière ; emphrosthotonos lorsque la cour-
bure a lieu en avant; pleurosthotonos lorsqu'elle a lieu sur
un côté : dans le tétanos général, la totalité du corps est
maintenue droite et inflexible comme une statue. Cette re-
doutable maladie reconnaît des causes très-variées. Les deux
sexes y sont également sujets; elle est quelquefois déter-
minée par de vives impressions morales, par les fatigues
prolongées, l'impression d'un froid intense ou d'une cha-
leur extrême, mais particulièrement par les brusques va-
riations de température. La cause la plus manifestedu tétanos
réside dans les blessures, notamment dans celles qui sont
très-douloureuses, tant à cause de la nature de l'instrument
qu'en raison de la texture nerveuse des parties affectées :
c'est ainsi que les piqûres, les dilacérations, les brûlures
intéressant les doigts des pieds ou des mains, sont celles
qui menacent le plus du tétanos. Selon qu'il se développe
sous l'impression de causes générales ou à la suite d'une
blessure, le tétanos a reçu le nom de spontané ou de trau-
matique : ce dernier est généralement considéré comme
plus grave que l'autie.
Celte affection est quelquefois précédée de phénomènes
précurseurs, tels que du malaise, de la roideur dans les
membres, des douleurs insolites dans la blessure, etc.;
mais le plus souvent elle débute instantanément, parla
roideur des mâchoires, qui ne peuvent plus être écartées,
et demeurent plus ou moins serrées l'une sur l'autre; puis
la rigidité musculaire s'étend à la nuque, au dos, aux mem-
bres. La physionomie offre un aspect particulier, qui a reçu
le nom <]e faciès tétanique : les yeux sont fixes, comme
enfoncés dans les orbites, le front est tendu, les angles des
lèvres tirés en dehors, les joues contractées, etc.; la res-
piration est difficile, convulsive : cette gêne peut aller jus-
qu'à l'asphyxie; l'abdomen est tendu comme une planche.
Au milieu de ce désordre général , l'intelligence reste libre,
si ce n'est dans les derniers moments, où il survient sou-
ventdu délire; desdouleurs vives et passagères se fontsentir
dans les parties contractées, surtout à l'occasion des im-
pressions accidentelles suscitées au malade par la vive lu-
mière, les courants d'air, les mouvements <)u'on lui im-
prime, etc.
La durée de celte affection est illimitée, et varie de quel-
ques jours à quelques semaines. Lorsque la guérison doit
avoir lieu , les muscles recouvrent peu à peu leursoujilesse,
et les diverses fonctions leurrhythme normal; mais dans la
plupart des cas le malade succombe à l'as|)hyxie, à une
inflammation cérébrale , à l'épuisement ou à (juelque com-
plication grave : aussi le pronostic est-il des plus fâcheux.
L'histoire des nombreux traitements prescrits contre le té-
tanos révèle assez l'impuissance et l'incertitude de l'art dans
la plupart des cas. Ainsi, l'on a vanté les sudorifiques,
l'ammoniaque, les bains chauds, les bains froids, les alca-
lins, les acides minéraux, le musc, le camphre, la
térébenthine, les anthelmintiques , etc., etc. Le meilleur
remède, selon nous, après l'emploi rationnel des saignées,
est l'opium à forte dose. Dans le tétanos traumatique , la
plaie réclame des soins particuliers, basés principalement
sur des pansements doux et méthodiques. On a conseillé la
section des nerfs intéressés par la plaie et même l'amputa-
tion, lorsqu'elle est praticable; moyens bien précaires,
lorsque la maladie est confirmée. Mais c'en est assez sur le
traitement d'une maladie qui réclame toujours les secours
du médecin , et dont nous n'avons pu donner ici qu'une
idée sommaire. Forget.
TETARD. Voyez Crapaud.
DICT. DE LA CONVER8. — T. XVI.
529
TÊTE , la partie du corps des animaux çertébrés qui
renferme le cerveau et les organes des sens. Elle tient au
reste du corps par le cou, et elle occupe chez l'homme
la partie supérieure de son corps, tandis que chez les ani-
maux en général elle est placée à leur partie antérieure.
Dans la tête on considère le cerveaa, qui en e.«t l'organe
principal, le crâne, qui le contient, les enveloppes exté-
rieures, telles que les muscles, les téguments, les che-
veux, etc., et la face. La forme de la tête cSiez l'homme
ressemble à une sphère aplatie s upérieu rendent , inférieure-
ment et par les i étés; mais cette forme varie à l'inlini, non-
seuleinentenlre les différentes races dont se composée l'espèce
humaine, comme entre le nègre du Sénégal et la race cau-
casienne, mais aussi parmi les individus de la même race.
Cela dépend en général du développement difîérent des
diverses parties du cerveau, puisque c'est lui qui donne la
forme au crâne, et il en résulte dès lors des têtes pointues,
carrées, rondes, aplaties, etc. Il y a des maladies qui contri-
buent souvent à déformer la tète : les principales sont l' h y-
drocéphale , le r a cbitisme et la sy f. hil is. La (orme
de la tô;e varie en outre continuellement avec l'âge. Que
l'on compare la tète d'un enfant nouveau-né avec ceiie d'un
homme dans la décrépitude, ou bien que l'on observe les
portraits du même individu pris dans l'entance, dans l'âge
mûr et dans la vieillesse , et Ion verra la dilférence 1 Mais
ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que la manifestation
des facultés, des sentiments et des penchanls suit la même
marche que le développement et l'alfaisseuient cérébral. Les
physionomistes se sont de tous temps attachés spécialement
à observer la tête pour reconnaître dans l'homme les signes
ou l'expression de ses qualités morales et intellectuelles,
et tous s'accordent à due que la meilleure lorrae est la
grande, avec développement des parties antérieures et pos-
térieures, et un peu de dépression sur les côtés.
Les têtes des animaux, selon leurs différentes formes,, pea-
vent nous faire connaître leurs instincts, leurs penchants et
leur degré d'intelligence. Citons seulement quelques faits. Les
animaux carnassiers, parexeinple, mammifères ou oiseaux,
ont la tête très-large sur les côtés; tels sont le renard, le
loup, le tigre, le hibou, l'aigle, etc.; les herbivores ou fru-
givores, au contraire, l'ont rétrécie, comme le mouton,
l'âne, le cheval , l'oie, la poule d'Inde, etc. Les animaux
les plus intelligents et les |)lus dociles ont la tête boudtée
à la région du Iront : un cheval qui aura le crâne enfoncé
à la hauteur des yeux sera mt chant et difficile à dresser;
celui qui aura les oreilles très-rapprochées sera timide et
ombrageux. Les chiens les plus intelligents, ceux que l'on
peut dresser pour une inlinité de choses, ont constamment
le hont bombé ; aussi les caniches et les épagneuls sont-ils
ceux dont on se sert le plus généralement pour foules es-
pèces de jeux. Parmi les singes , les plus dociles et le^, plus
adroits sont ceux qui ont un front élevé; ceux, au con-
traire, dont le front est aplati, sont méchants et ne peu-
vent ^ètre dressés à rien. Fossati.
TÈTE ( Mal de). Voyez Céphalalgie.
TÊTE (Voix de). Voyez Faucet.
TÊTE DE CARDÈRE. Voyez Chardon a Follon.
TETE DE COLOJ\i\E. ^oyez Front (Art mili-
taire).
TÉTERNE. Voyez Fuseau.
TÊTES ROiXDES. Dans l'histoire des guerres civiles
d'Angleterre, les dénominations de cavaliers et de têtes
rondes reviennent fréquemment; et quand elles en dispa-
raissent, c'est pour être remplacées par celles de tories et
de vj h i g s. Les cavaliers, c'étaient les partisans du prm-
cipe d'autorité , les soutiens de la cause royale , les hommes
sur qui s'appuyait Charles l" , et plus tard encore Charles II,
son fils. Têtes rondes était un sobriquet donné par les ca-
valiers aux parlementaires, aux partisans du principe de
la souveraineté populaire. On en avait d'abord affublé les
Écossais rebelles, quand ils avaient dicté en vainqueurs les
conditions de l'armistice de Rippon ; et il avait pour ori-
3-4
530
{•ine l'aspect bizarre qu'offrait leur tête, généralement rasée
(Je fort près. Il demeura dès lors affecté pendant près d'un
demi-siècle aux ennemis de la cause royale.
TÉÏHYS, fille d'Uranos et de Gœa, l'une des Tifanides,
était l'épouse d'Océanos, la mère des Océanides et des dieux
qui présidaient aux fleuves, et l'institutrice de Héra, qui
lui amena Rliéa.
TÉTOUAN, ville de la province de Fez, dans l'em-
pire deMaroc, sur le Martil,à peu de distance deCeuta,
dans une fertile contrée , avec 12 à 15,000 habitants, de
nombreuses mosquées et un mauvais port, mais centre d'un
commerce des plus actifs avec l'Espagne, la France et l'I-
talie. C'était jadis la résidence des consuls européens.
TÉTRACORDE ( du grec xé-rpa, quatre, et xopô^ »
corde), l-es Grecs appelaient ainsi, ou encore diatessaron,
une échelle de quatre tons. En effet, les anciens divisaient
leur système musical en tcUracordes au lieu d'octaves ,
comme il est d'usage de le faire dans la musique moderne.
Mais à l'origine les tétracordes n'étaient que diatoni(iues; par
la suite ils devinrent aussi chromatiques et enharmoniques.
TETRA DRACHMES. Voyez Drachme.
TETRADYJ\ AMIE ( dcTéxpa pour -réTrapa, quatre , et
ôOvafAK;, puissance), quinzième classe du sysième sexuel de
Jiinné {voyez Botanique), caractéri.^ée par six étamines,
dont quatre sont plus longues que les deux autres. Linné di-
visait cette classe en deux ordres : téiradynamie sUiqueuse
et tétradynamie si/icw/eMse. Les cruciières nous offrent
l'exemple dejplantes tétradynames.
TÉTRAÈDRE (du grec térpa pour TÉxtapa , quatre,
et èôpa, base). Ou appelle ainsi, en géométrie, un solide
à quatre laces , par conséquent le plus simple de tous les
polyèdres, comme le triangl e est le plus simple de
tous les polygones : c'est une pyramide triangulaire. Le
tétraèdre régulier est celui dont les quatre faces sont des
triangles équilatéraux.
TËTRAGOiVE ( de TÉtpa pour TtTiapa , quatre, et
ywvîa, angle), synonyme inusité de quadrilatère.
TÉTRAGONIE, genre de la famille des portulacées,
composé de plantes herbacées ou sous-frutescentes , ayant
pour caractères : Feuilles charnues, planes, alternes ou op-
posées; fleurs apétales ; de une à cinq étamines ; drupe re-
vêtu par un tube calicinal adhérent, dont les angles lui for-
ment des cornes ou des ailes longitudinales. Ce genre ren-
ferme une quinzaine d'espèces, qui croissent dans les Hes de
l'hémisphère austral. On trouve à la Nouvelle-Zélande et au
Japon \3l tétragonic étalée (tetragonia expunsa, Alton),
que Cook a signalée comme un excellent antiscoi butique.
On la cultive dans nos jardins potagers, où elle porte vul-
gairement le nom d'épinarrf de la Nouvelle-Zélande.
Elle peut en effet remplacer l'é pinard; sa culture est
même plus avantageuse.
TETRALOGIE ( du grec tétpa, quatre, et Xôyoç , dis-
cours). On appelait ainsi chez les Grecs la réunion et la
représentation de trois tragédies, ou d'une trilogie tra-
gique, et d'une pièce satirique ou bouffonne, que les poètes
tragiques , à Athènes , faisaient exécuter à l'occasion des
fêtes de Bacchus pour disputer le prix de poésie. A l'ori-
gine il y avait connexion intime entre les quatre pièces; et
la pièce satirique ou bouffonne avait pour but en partie d'é-
gayer les spectateurs attristés par la représentation des trois
tragédies, et en partie de conserver à la tragédie elle-même
le caractère satirique qu'elle avait eu à l'origine. Ainsi ,
dans Eschyle, le poète tragique qui réussit le mieux'
en ce genre, VAgamemnon, LesCoéphores, Les Euménides
et la pièce satirique Protée, qui en faisait partie, mais que
nous ne possédons plus, formaient une tétralogie complète,
appelée Orestiade, parce que le mythe d'OresIe constituait le
fond même de la composition. Ce qui prouve d'ailleurs -que
ce genre de repré.sentations était le plus en usage, c'est que
ce fut Sophocle qui le premier dans les joules poétiques
essaya d'opposer tragédie à tragédie , sans entreprendre de
complètes tétralogies , comme lorsqu'il disputa le prix de
TÊTES RONDES — TETRICtS
la tragédie avec Eschyle, Euripide, Cliairilus, Arislée ot
plusieurs autres poètes. Cependant, on ne suivit pas tou-
jours sous d'autres rapports le même ordre; car Euripide
composa quatre tragédies , dont la dernière avait un heu-
reux dénoùment et tenait lieu de la pièce bouffonne. D'a-
près ce précédent , on partagea même de bonne heure le»
dialogues de Platon en tétralogies , en raison de ce qu'ils
ont de dramatique dans la forme , pour en classer les ma-
tières dans un certain ordre philosophique, par exemple
VEutyphron, V Apologie, le Criton et le Phédon. C'est ce
que fit notamment Thrasyllos, platonicien du siècle d'Au-
guste; et d'autres , après lui, en usèrent de même.
TÉTRAMÈRES. Voyez Coléoptères.
TÉTRAMÈTRE (du grec TÉxpa , quatre , et (j.£T:pov ,
mesure). C'est, en termes de prosodie , un vers composé de
quatre pieds, et qu'on ne trouve guère employé que dans
Téreuce ou dans les poètes comiques. On distingue le létra-
mètre catalectique {tetrameter catalecticus) , auquel
manque la dernière syllable , du tétramètre acatalectique
( tetrameter acataleclicus) , c'est-à-dire complet.
TÉTRAIXDRIE (de tÉxpa, pour xÉTTapa, quatre, et
àvvîp, àvôpô;, homme, mâle), quatrième classe du système
sexuel de Linné (voyez Botanique), composée des plantes à
fleurs hermaphrodites, pourvues de quatre élamines égales ,
et se subdivisant en trois ordres : la tétrandrie-monogyme
(s câbleuse, aspérule,elc. ), \d,tétrandrie-digynie (cus-
cute, etc.) , et la tétrandrie-tétragynie.
TÉTRAPÉTALE. Voyez Pétale.
TÉTRAPHALANGARCHIE. Voyez Phalange.
TETRA PLES ( Les ). Voyez Hexaples et Oricène.
TÉTRAPJVEUNOMES. Voyez Arachnides.
TÉTRAPODE ( de grec réxpa, quatre , et itoù;, ;x68o;,
pied), animal à quatre pieds , quadrupède.
TETRAPOLE (du grec xsxpa, quatre, et ttôXiç ,
ville), nom donné dans l'antiquité à quelques provinces, parce
qu'elles contenaient quatre villes, ou bien à quelques villes,
comme Antioche, parce qu'elles étaient divisées en quatre
quartiers formant pour ainsi dire autant de villes distinctes.
TÉTRAPOLE-DORIENNE (La). Voyez Doride.
TÉTRARCHIE, TÉTRARQUE. Voyez Ethnarque et
Phalange.
TETRAS. Voyez Coq de Bruyère et Gelinotte.
TETRICUS (Caius Pesuvius), né dans une famille de
sénateurs, fut gouverneur de l'Aquitaine sous Valérien et
sous Gai lien. 11 n'est pas certain qu'il ait toujours été fidèle
à ce dernier, et qu'il n'ait pas embrassé le parti de Posthume
lorsque celui-ci futentièrement maître des Gaules. Posthu-
me ayant été tué en 267 de notre ère, Marcus Aurelius Pia-
vonius Victorinus, associé d'abord au pouvoir souverain
par Posthume, régna seul. Fils de la célèbre Victoria ou
"Victorina, à laquelle les légions de la Gaule avaient donné
les titres d^auguste et de mère des armées, il fut poignardé
à Cologne dès la même année. Il donna en mourant le titre
de césar à son (ils, qui fut assassiné quelques jours après.
Marins fut presque aussitôt proclamé empereur par les lé-
gions. Les historiens assurent que le troisième joui de son
règne il fut égorgé par l'un de ses soldats. Victoria ou Vic-
torina, qui avait conservé une grande autorité sur les
troupes, leur désigna pour chef Caius Pesuvius Tetricus.
Il avait gouverné successivement plusieurs provinces des
Gaules, et il était alors président ou préfet des deux Aqui-
taines. Son fils fut déclaré césar, puis auguste, l! était
ab.sent lors de son élection. Il prit solennellement la pourpre
à Bordeaux; la Gaule entière le reconnut, et il paraît qu'il
régna aussi sur une partie de l'Espagne et sur quelques
provinces de l'Angleterre. Claude II fut trop occupé à com-
battre d'abord Aureolus, puis les Goths, qui se précipi-
tèrent sur rillyrie , la Tlirace et la Macédoine, pour songer
à troubler Tetricus dans la possession de l'em/Jirerfes Gaules.
On a même cru qu'il y avait eu une sorte d'alliance ou de
communauté de pouvoir entre ces empereurs. Claude mourut
à Sirmium. en Pannonie, l'an 270 de J.-C. Quintillus,son
TETRICUS — TEUTONIQUE
frèrp , d'abord proclamé empereur par quelques légions, les
vit bientôt passer du côté d'A u r é 1 i e n , aussi sal ué empereur
par des légions, et se donna la mort. Tetrlcus, qui avait
associé son fils à la puissance impériale, régna encore
quelque temps dans les Gaules. Mais l'indiscipline s'intro-
duisit dans ses troupes , et, forcé d'être toujours en ganle
pour déjouer les conjurations tramées contre lui, ce prince
éprouva un vif désir de résigner la puissance entre les mains
d'Aurélien et de revenir jouir en Italie des délices de la
vie privée. Aurélien reçut avec joie les propositions de Te-
tricus à ce sujet. Mais pour réussir, il fallait feindre; il
fallait surtout livrer à Aurélien les plus méchants de ceux
qui s'opposaient à lui. Tetricus fit revenir d'Espagne le
nommé Faustinus, homme turbulent, auquel on attribuait les
troubles excités dans celte province; el ce factieux fut mis
à la tête des troupes gauloises les plus portées à la sédition.
Aurélien entra dans les Gaules ; Tetricus marcha à sa ren-
contre. Les deux armées se rencontrèrent dans les plaines
de Cliàlons. La victoire aurait peut être été longtemps in-
certaine si dès le commencement de l'action Tetricus et
son (ils, et quelques-uns de leurs plus dévoués partisans,
ne s'étaient laissé envelopper par un délacJiement de l'année
d'Aurélien , et n'avaient pris le chemin du camp ennemi.
Alors, privée de tout appui, l'aile commandée par Faus-
tinus fut taillée en pièces : le reste de l'armée passa du côté
du vainqueur, et par ce seul événement la Gaule entière,
une portion de l'Angleterre et l'Espagne, furent, après treize
années de séparation, réunies à l'empire romain. Aurélien
abusa de ses succès en faisant paraître dans son triomphe
Tetricus et son fils. Cette action fut désapprouvée par le
sénat , et dans la suite Aurélien répara autant qu'il le put
cette injure en traitant Tetricus avec la plus haute consi-
dération, en l'appelant quelquefois empereur et souvent son
collègue. Il lui confia même le gouvernement de laLucanie,
en lui disant qu'il y avait plus d'honneur à commander
dans une portion de l'Italie qu'à régner au delà des monts.
11 paraît que cet ancien empereur, toujours respecté par le
sénat et par le peuple, survécut à Aurélien. A sa mort,
arrivée, à ce que l'on croit, sous le règne de MarcusClau-
dius Tacitus, il fut mis au rang des dieux.
Cli'^'' Alexandre du Mège.
TETTE-CHÈVRE. Voyez Engoulevent.
TETZEL. Voyez Tezel.
TEUCllOS ou TEUCER, fils du Scamandre et de la
nymphe Idœa , fut le premier roi de la Troade , dont les
habitants prirent de lui le nom de Teucriens. Quand Dar-
danus arriva de Saniollnace auprès de lui, il lui donna en
mariage sa fille Bateïa ou Arisbée, et le désigna pour son
successeur. Suivant une autre version , Dardanus était ori-
ginaire de la Troade, et Scamandre ainsi que Teucros vin-
rent de Crète .s'établir dans cette contrée.
TEUCROS, fils de Télamon et d'Hésione, frère consan-
guin d'Ajax , était le plus habile archer de l'armée grecque
devant Ilion. Quand il en revint, sans avoir vengé son frère
ni rapporté ses restes mortels, Télamon ne lui permit pas
de débarquer. Force lui fut donc d'aller chercher une nou-
velle patrie, et il la trouva à Cypros (Chypre), que Bélos
lui abandonna. _^I1 y fonda alors une nouvelle Salamine.
TEUTATÈS ou TEUT, dieu suprême des Gaulois.
Voyez DiiuiDEset Pluton.
TEl]T0Bl]1\GERW ALUfTeutoburgiensisSaltus.
C'est ainsi que, dans ses Annales, Tacite désigne la con-
trée montagneuse et boisée située à peu de distance du
cours supérieur de l'Ems et de la Li p p e , oii, l'an 9 de notre
ère, Arminiiis (Jlermann) anéantit les légions romaines
aux ordres de Varus. Les renseignements donnés par Tacite
et par Dion Cassius sont trop vagues pour qu'on puisse
préciser d'une mimière certaine l'endroit où la bataille s'en-
gagea , et cependant c'est là une question qui a occupé bon
nombre d'érudits allemands.
TEUTOIVIQUE (Ordre), Deutscher Orden ou Deu-
tsche RUter. C'est le nom que prit le troisième ordre de
531
chevalerie chrétienne fondé à l'époque des croisades. Déjà
vers l'an 1128 un Allemand qui habitait Jérusalem, touché
de la profonde misère à laquelle étaient en proie tant de
pèlerins allemands laissés sans secours, avait fondé à leur
usage un hôpital avec une chapelle , en même temps que
d'autres Allemands s'étaient joints à lui pour soigner et
garder leurs malades. En 1190, à l'époque du siège de Saiut-
Jean-d'Acre, quelques bourgeois de Bremen et de Lubeck
qui étaient partis pour la Terre Sainte, sous la conduite du
comte Adolphe de Holstein, s'entendirent avec les frères de
l'Hôpital pour fonder, à l'instar de l'ordre de Saint-Jean-de-
Jérusalem et de celui desTemp l iers, un ordre de che-
valerie dans le double but de soigner et de traiter les pèlerins
malades et de défendre la Terre Sainte contre les infidèles.
Ce plan reçut l'approbation du duc Frédéric de Souab'e,
qui résolut aussitôt de fonder cet ordre, auquel le pape
Clément III et l'empereur Henri VI donnaient leur approba-
tion dès la môme année. Saint- Jean-d'Acre, quand elle fut
tombée au pouvoir des chrétiens , fut la première résidence
de l'ordre, qui obtint du saint-siége les mêmes prérogatives
que les Templiers et les Chevaliers de l'ordre de Saint-Jean-
de-Jérusalem. La règle de l'oidre voulait que ses membres
portassent un manteau blanc avec une croix noire, et qu'ils
prissent la dénomination de Frères de l'Hôpital des Alle-
mands. On ne pouvait y admettre que des individus Alle-
mands de naissance, de race libre et noble. Conformément
à son double but, l'ordre comprenait deux classes de mem-
bres , les chevaliers et les frères de la miséricorde ,
auxquels on adjoignit, environ trente ans plus tard, de?
prêtres chargés des cérémonies du culte. Ce ne fut que plus
tard, vers l'an 1221, qu'à l'instar des Frères servants
d^artnes des deux autres ordres, on adjoignit à l'ordre Teu-
tonique ce qu'on appela des demi-frères, choisis dans des
familles roturières, et qui étaient autorisés à continiier
jusqu'à un certain point de vivre comme ils avaient fait
jusque alors.
Le premier grand-maître de l'ordre Teutonique fut un
chevalier des contrées du Rhin appelé Henri Walpot de
Bassenheim. Sous lui et sous ses deux successeurs, Otlion
Kerpenet Hermann Barth, l'ordre, il est vrai, se consolida;
mais il ne devint réellement puissant et infiuent que sous
son quatrième grand-maitre, Hermann de Salza. Celui-ci,
honoré de laconfiance du pape et de l'empereur Frédéric II,
qui lui accorda pour lui et ses successeurs le titre de prince
de V Empire, réussit à entourer l'ordre d'une grande consi-
dération et à tellement accroître ses revenus et ses pos-
sessions, que celles-ci ne tardèrent pas à s'étendre dans
toute l'Allemagne, jusqu'en Hongrie, en Italie et en Sicile. Ce
fut aussi à Salza que le duc Conrad de .Masovie s'adressa
pour être secouru dans sa lutte contre les Prussiens ido-
lâtres. A la solliciialiou du pape, et après avoir obtenu la ga-
rantie d'une certaine étendue de territoire, celui de Kulm,
pour en faire à l'avenir le siège de l'ordre , Salza envoya au
duc le capitaine Hermann Balk avec un certain nond)re de
chevaliers et d'écuyers, qui en 1230 commencèrent la lutte la
plus sanglante contre les habitants aborigènes de la Prusse.
Cette lutte se termina en 1283 par la soumission et la cou-
version des Prussiens. Dès l'an 1237 l'ordre Teutonique
s'était confondu avec celui des chevaliers Porte-glaive. En
1284 l'ordre commença contre les Lithuaniens une guerre
qui dura plus d'un siècle. Les graiids-maitres les plus cé-
lèbres dans cet intervalle furent Meinhard de Querfurt, à
qui, entre autres bienfaits, le pays de Prusse est redevable
de l'endiguement de la Visliile et de la Hogat, Siegfried de
Fruchlwangen , qui eu 130y transféra le siège de l'ordre à
Marienburg, et Weinrich de Kniprode, celui de tous dont
le règne fut le plus long et le plus [irospère ( 13.^1-1382) , et
(pii vainquit les Lithuaniens en 1370 à la bataille de Rndau.
U attira à sa cour des savants de l'Allemagne, qu'il chargea
de donner de l'instruction aux frères de l'ordre, et il fonda
dans chaque village de soixante feux une école ainsi que
des écoles savantes à Marienburg età Kœnigsberg. Il créa eu
34.
A33
outre une cour de justice, célèbre au loin par la sagesse de
ses décisions , el protégea le commerce et l'industrie. C'est
sous son gouvernement et sous celui de son successeur que
l'ordre atteignit l'apogée de sa puissance. Ses possessions
s'étendaient alors depuis l'Oder jusqu'au golfe de Finlande,
et on évaluait ses revenus à 800,000 marcs. Le commen-
cement de la décadence de l'ordre suivit bientôt cette
brillante époque; et elle fut encore accélérée par la bataille
de Tannenberg (1410), livrée contre les Polonais, dans la-
quelle l'ordre Teutoniqne perdit 40,000 liommes, mais sur-
tout par la débauche et les prolusions auxquelles se livrèrent
les clievalinrs , ainsi que [)ar les discordes intestines qui
frelatèrent parmi eux. La noblesse et les villes du pays profi-
lèrent de l'alf.u'bli.vsement de l'ordre pour se soustraire à sa
domination, qui devenait de plus en plus op|)ressive, et pour
se placer sous la protection du roi !e Pologne Casimir IL
Il en résulta une guerre dévastitrice de treize ans (1454-
1466 ) ; et elle se termina de telle sorte que par la paix signée
à Nassau le grand-maître Lotiis d'iùlicbsbausen fut obligé
(le céder la Pru>se occidentale à la Pologne et de reconnaître
sa souveraineté. A partir de cette époque , dans l'espoir de
Ironver dans des alliances de famille des secours contrôla
Pologne, les chevaliers de l'ordre Teuto liqne n'élutent plus
[lour grands-maîtres fjue des princes allemands. C'est ainsi
que fut élu, en 1511, Albert de lîrandenburg, qui , après
une guerre malheureuse souleiuie contre le roi de Pologne
Sigismond , transforma, en 1525, la Prusse, jusque alors
province appartenant à l'ordre, en un duché feudataire de
la couronne île Pologne et héréditaire dans sa famille. A
partir de 1527 le grand-maître résida à Mergentheim , en
Souabe , et fut un prince ecclésiastique de l'Empire. Quant
aux onze bailliages ou provinces de l'ordre , dont le plus con-
sidérable était Mergentheim (avec 32,000 babitanls sur 7
myriam. carrés), ils présentaient une superficie totale de
28 myriamètres avec ime population de 88,000 habitants, et
étaient divisés en commanderies; mais ils é4aient dispersés
dans divers pays.
La paix signée k Presbourg, en 1805, adjugea à l'em-
pereur d'Autriche les titres, droits et revenus de grand-
maître de l'ordre ïeutonique. Par la paix conclue à Ratis-
bonne, Napoléon les enleva à ce prince; et alors les reve-
nus et les biens de l'ordre furent attribués aux différents
souverains dans les États desquels ils étaient situés. Néan-
moins, aujourd'hui encore l'arcliiduc Maximilien d'Autriche
(né en 1782) continue à prendre en Autriche le titre de
giand-maître de l'ordre Teutonique , qui lui fut conféré
par l'empereur en 1835, à la mort de l'archiduc Antoine.
TEUrONSf Teutones ou Teutoni, peuple germain, que
les plus anciens historiens mentionnent toujours en môme
temps que les Cimbres, que Pline dit être la principale
tribu des Inggevons, et qui paraît avoir habité la contrée
qu'on ai>i)elle aujourd'hui le Holstein, à peu près vers l'en-
droit ou l'on trouve maintenant les Dithmarses , que Jacob
Grimm considère conmie étant leurs descendants. Suivant
Pline, Pythéas aurait déjà mentionné ce peuple au troisième
siècle avant J C, comme habitant la côte d'Ambre. Les
Teutons a|iparaissent pour la jireuiière fois dans l'histoire
unis aux Cimbres, vers l'an 113 av. J.-C, à propos d'une
formidable expédition qu'ils avaient entreprise au sud et
pendant laquelle ils s'avancèrent jusqu'en Styrie, où ils
battirent le consul romain Carbon près de Noreja dans les
Alpes. Après s'être renforcés des Ambrons Celtes et des Ti-
gurins Helvétiens, les deux peuples se dirigèrent vers la
Gaule Transalpine, dévastèrent cette contrée pendant plu-
sieurs années et battirentà diverses reprises les armées ro-
maines. Enfin , en l'an 102 , pénétrant en deux bandes à tra-
vers la province romaine, ils se dirigèrent vers l'Italie, mais
turent battus et presque complètement exterminés par Ma-
rins : les Teutons elles Ambrons, à Aqux-Sextiœ (Aix en
Provence); et les Cimbres, dans la plaine de Raudi (près
de Vérone ou de Verceil). Le roi des Teutons hii-mémc,
Teutobochus ou Teutobodus, qui d'abord était parvenu à s'é-
TEUTONIQUE — TEXAS
cbapper avec une poignée d'hommeiî, fait prisonnier dans sa
fuite par les Séquaniens, fut livré par eux au vainqueur, dont
il contribua à orner le triomphe. Mais les Romains conser-
vèrent pendant longtemps l'impression la plus vive de ces
bandes redoutables, qui inspiraient autant d'effroi par leur
foule innombrable que par leur taille gigantesque , li«r exté-
rieur et leur bravoure, et dont l'invasion parut être le dan-
ger le plus grave auquel Rome eût encore été exposée. A
une époque postérieure, Pomponius Mêla , Pline et Ptolémée
font aussi mention parmi les peuples de la Germanie de Teu-
tons établis à demeures fixes dans une contrée basse, ma-
récageuse, exposée à de grandes inondations, et située aa
nord et au nord-est de l'Elbe inférieur, probablement les
descendants de ceux qui n'avaient pas pris part à la grande
expédition dont nous venons déparier.
TEVIOTDALE. Voyez Roxburch.
TEVVKESBURY. Voyez Gloucester.
TEXAS ou TEJAS ( Le) , le plus grand et le moins peu-
plé des États-Unis de l'Amérique du Nord, dont il forme
l'extrémité sud-ouest, est situé entre le 26" et le 36° 30' de
latitude septentrionale, et borné à l'est par la Louisiane et
l'Arkansas, au nord par le Territoire de Nebraska et le Ter-
ritoire indien, à l'ouest par le Territoire du nouveau Mexi-
que et l'État mexicain de Chihuaha, au sud par le reste du
Mexique, où le Rio Grande del Norte forme sa limite, et par
le golfe du Mexique. Le sol de cet État, qui rien que par
les cessions faites en 1848 par le Mexique a été augmenté
de près de 1,800 myriam. carrés, et dont la superficie totale
est évaluée à 7,840 myriamètres carrés, présente au point
de vue physique trois zones bien distinctes, à savoir :
r le pays des côtes, terrain d'alluvion, dont la largeur varie
entre 5 et 16 myriamètres, riche en eaux, mais non pas
marécageux , parsemé de bois le long des fleuves , et offrant
de riches plaines propres à la culture du riz, du coton et
de la canne à sucre, avec des prairies où il règne en géné-
ral beaucoup d'humidité au printemps. Sur les bords de l'O-
céan, il est entouré par une ceinture d'îles et de promon-
toires renfermant des lagunes marécageuses, ainsi que par
de nombreux bancs de sable. Aussi n'y trouve-t-on pas de
bons ports. 2" Vient ensuite le pays des collines , qui s'é-
lève ondideusement derrière la zone des côtes avec une lar-
geur variant entre 22 et 30 myriamètres, en comprenant la
plus belle partie du Texas cultivé, où de fertiles savanes
alternent avec quelques forêts , avec de nombreux cours
d'eau qui y entretiennent la verdure d'un parc; tandis que
la contrée située entre Nueces et le Rio Grande manque
d'eau et n'est qu'un désert. 3° Enfin, les hautes terres, pla-
teau qu'arrivent à former les collines en s'élevant toujours
davantage, et qui, comme continuation orientale du grand
plateau du Nouveau-Mexique, forme la partie intérieure et
septentrionale de l'État, sans offrir de chaîne considérable,
d'ailleurs généralement bien arrosé, riche en métaux et en
forêts de chênes, de pins et de cèdres, qui alternent avec
des vallées dont le sol plantureux est susceptible de recevoir
la plus belle culture et de produire toutes les plantes pro-
pres à l'Europe, mais où l'on rencontre aussi (par exemple
entreleRiodeINorteetle Rio Pecos)quelquesdistricts d'une
aridité extrême, où ne croissent que des cactées et des ar-
témisiées. Le Texas comprend un grand nombre de cours
d'eau, en partie considérables et navigables. Le plus impor-
tant est le Rio Grande del Norte, sur la frontière occiden-
tale et méridionale, qui y reçoit le Rio Pecos ou Puercos.
Il faut encore citer le Rio Nueces, d'un parcours de 60
myriamètres , qui se jette dans la baie de Corpus-Cbrisli,
et, comme le San- Antonio, n'est navigable sur une très-pe-
tite partie de son parcours ; le Colorado , le Brazos de
Bios, le Trinidad, la Sabine, le Neches, la rivière Rouge
ou le Red River, qui forme sa limite au nord et se jette
dans le Mississipi, mais appartient en grande partie au ter-
ritoire de la Louisiane; enfin , le Canadian Colorado, qui
traverse l'extrémité septentrionale du Texas et se jette dans
l'Arkansas.
TEXAS — TEZEL
533
Snr 1ns côtes , comme dans toutes les coiilrées que bai-
gne le goKe du Mexique, le climat est chaud, humide et
malsain. La région moyenne jouit d'une température plus
modérée et plus salubre. Le climat des hautes terres, au
contraire, est âpre, et n'en convient par conséquent que
mieux à la constitution physique des Européens. Les prin-
cipaux produits de celle contrée sont le mais, le coton,
le tabac et le riz. Plusieurs plantes tropicales, telles que la
canne à sucre et l'indigo, réussissent en outre dans les bas-
ses terres. Les principaux produits du règne animal, comme
dans toutes les contrées à savanes de l'Amérique du Nord,
coiisisleuf, indé|)endammcnt des animaux sauvages particu-
liers au Texas, eu chevaux et bêtes à cornes. Le règne mi-
néral fournit en abondance du fer, de la houille, du cuivre,
du plomb, de l'argent, du sable aurifère dans le Colorado,
ainsi que du salpêtre et du sel. En 1850 le Texas, non com-
pris les Indiens, comptait 212,592 habitants, dont 331 hom-
mes de couleur libres et 58,161 esclaves. En 1851 le chiffre
de la population était déjà de 230,000 âmes, dont 00,000
esclaves ; et elle est en voie de progression constante, à cause
du mouvement d'immigration qui y prend des proportions
de plus en plus fortes. 11 ne reste plus qu'une très- faible
partie de la population espagnole. Parmi les tribus in-
diennes qui vivent indépendantes dans l'intérieur du pays,
la plus nombreuse et la plus redoutable est celle des Co-
manches.
Di;puis 1845 le Texas est un des États formant l'Union
Américaine du Nord; et en ce qui touche la division du
territoire, l'administration et la constitution politique, il est
complètement assimilé aux autres États. En 1854 on y comp-
tait 68 comtés. L'assemblée législative, qui se réunit tous les
deux ans, se compose de vingt-et-un représentants élus pour
quatre ans et de soixante-six élus pour deux ans. Le gouver-
neur, élu tous les deux ans, reçoit un traitement de 2,000 dol-
lars. Le Texas envoie au congrès deux sénateurs et deux re-
présentants. L'État possède encore d'énormes quantités du
meilleur terrain, situé dans la partie la plus salubredu pays et
susceptible de donner les plus riches produits et de nourrir
plusieurs millions d'hommes. Eu 1850 on évaluait la par-
tie du sol mise en culture à 639,137 acres ( environ ,33
myriamètres carrés), et celle qui est encore en friche à
14,454,669 acres. La valeur de l'une et l'autre était estimée
à 16,398,747 dollars.
Le mouvement de plus en plus prononcé d'immigration
et la fertilité extraordinaire du sol permettent de prévoir
que le Texas ne tardera pas à être l'un des plus importants
États de l'Union. Aussi bien, en tout ce qui touche la civi-
lisation , l'état de cette contrée , on peut le dire, est encore
primitif et provisoire, attendu que tout y est en voie d'en-
ianlement, et qu'on y manque encore d'une toute de ressources
que procurerait une civilisation plus avancée. Comme dans
toute l'Amérique du Nord , l'agriculture est la grande affaire
de la population , dont les principaux articles d'exportation
sont le coton et le sucre. A l'intérieur, le commerce porte
encore tout à fait le cachet du simple commerce d'échange.
Le chef-lieu politique est Aitstin ou Sah-Felipe de Aus-
tin, sur la rive gauche du Colorado, à 30 myriamètres de son
embouchure, avec 4,000 habitants. Mais la ville la plus im-
portante et le grand centre comniercial, c'est Galveston,
où l'on compte aujourd'hui de 7 à 8,000 habitants. Il faut
après cela mentionner Houston, sur le Buffalo, ancien chef-
lieu de l'État, avec 4,000 habitants ; San-Anlonio-de-Bexar,
sur l'Antonio, vieille ville espagnole, dont la population s'é-
levait jadis à 10,000 âmes, et qui n'en a pas conservé le
quart.
Tout ce pays dépendait autrefois du Mexique, où il faisait
partie de la province de Tamaulipas. En 1816 des émi-
grés français, fuyant la domination des Bourbons, vinrent
y fonder la colonie du Champ -d'Asile; mais ils en furent
expulsas en 1818 par les troupes espagnoles. A peu de
tenips de là, le Texas fut formellement reconnu faire partie
intégrante du Mexique, daus le traité intervenu pour la
cession dos Florides entre l'Espagne et les Etats-Unis
Mais pendant la guerre civile qui désola ensuite le Mexi-
que, il vint s'y établir un grand nombre d'aventuriers
et de véritables colons venus des États-Unis. Un colonel
américain du nom d'Austin y fonda, en 1823, la ville de
San-Felipe-de- Austin ; et peu à peu , par suite du mouve-
ment toujours plus prononcé de l'éminration européenne
d'immenses parties de territoire y furent défrichées et mises
eu culture. Dès cette époque l'Union Américaine ne faisait
aucun mystère du [)rojel, bien arrêté de sa part, de s'emparer
de ce pays ; et , en raison de l'état déplorable où se trouvait
le Mexique la réalisation lui eu eût été très-facile, si l'Angle-
terre n'était pas venue y mettre obstacle. Dès 1834 le gou-
vernement du Mexique commença la lutte en s'elforçant de
mettre un terme aux usurpations des colons Angio- Améri-
cains. Ceux-ci endécembrel835sedéclarèrentindépendants,
sous le commandement d'Houston. L'année d'après ils se
constituèrent en république particulière, et commencèrent
contre le Mexique une guerre pour laquelle les États-Unis
leur accordèrent l'appui matériel et moral le plus eflicace. Us
la conduisirent avec tant de succès, que l'expédition entre-
prise contre eux en avril 1830 par les Mexicains, aux ordre*
de San t a-Anna, se termina par la déroute compiete qu'es-
suyèrent ceux-ci dans les plaines de Jacinto. Cette victoire
affranchit complètement et pour toujours le nouvel État de la
domination du Mexique. Dès 1837 les États-Unis avaient re-
connu son indépendance. Cet exemple fut suivi en 1839 par
la France, en i840 parles Pays-Bas, et en 1841 par l'Angle-
terre. Malgré tous les obstacles que l'Angleterre s'efforça
d'y mettre , le nouvel État se réunit en 1845 aux États-Unis.
Le bill qui sanctionna le traité conclu à cet effet entre les
deux |>ays, reçut l'approbation de la chambre des représen-
tants le 25 janvier, et celle du sénat le 1'^'' mars. Le gou-
vernement mexicain offrit de reconnaître lui-même l'indé-
pendance du Texas, à la condition qu'il ne pourrait jamais
faire partie de l'Union Américaine. Le Texas rejeta cette
profiosition, et conclut définitivement son traité d'accession
aux États-Unis. La guerre qui éclata ensuite entre le Mexique
et les États-Unis, à propos d'une question de limitation
de frontières, se termina par la paix signée le 2 février 1848
àGuadelupe-Hidalgo. En vertu de ce traité, le Mexique a dû
renoncer définitivement à toutes prétentions sur le Texas
et abandonner même celles qu'il avait toujours conservées
à la propriété du territoire situé entre le Rio Grande del
Norte et le Nueces.
TEXEL, petite île de la mer du Noid, dépendant du
royaume des Pays-Bas, d'environ un myriamètre de longueur,
et séparée de l'extrémité de la Hollande septentrionale par
le Mars Diep, n'est guère qu'un vaste banc de sable, où
viennent niciier d'énormes quantités d'oiseaux de mer. Aussi
donne-t-on le nom A'Eievland ( terre aux œufs) à sa partie
septentrionale. La population totale de l'île est de 6,000 ha-
bitants, dont l'industrie principale consiste dans l'élève des
moutons, et qui fabriquent avec du lait de brebis un fromage
estimé des gourmets et célèbre sous le nom à& fromage
de Texel. Us s'occupent en outre de la culture du tabac,
et plus particulièrement de pêche, de navigation et de cons-
truction de navires.
L'île de Texel, située à l'entrée du Zuiderzée qu'elle do-
mine, est importante pour la navigation par la grande et
sûre rade qu'elle offre, à l'est. C'est là que se réunissaient
autrefois les flottes de navires hollandais destinés à la na-
vigation des Grandes Indes ; et sous le nom de Texel on
n'entend le plus souvent que cette rade même.
TEXTURE. Voyez Contexture.
TEZEL ( Jean ) , dont le nom véritable était Liez on
Diezel, a laissé un nom fameux en Allemagne par l'impu-
deur avec laquelle il exerça au seizième siècle le scandaleux
trafic des indulgences. Né à Leipzig, il était entré en 1489
dans le couvent de Saint-Paul de cette ville, appartenant
aux dominicains. Plus tard il fut autorisé par ses su|K;rieurs
à prêcher. En 1502 il reçut du saint-siége mission d'opérer la
534 TEZEL —
vente des indulgences , et il se livra dès lors pendant quinze
ans à ce productif commerce, employant partout les moyens
les plus honteux pour tromper le peuple. Ses mœurs et
toute sa conduite étaient si indécentes, qu'à Inspruck il
faillit, pour cause d'adultère, être cousu dans un sac avec
sa (omplice et jeté à l'eau. Rendu à la liberté sur les ins-
tances pressantes de l'archevêque Albert de Mayence, il
obtint du pape Léon X remise de tous ses péchés, et fut
môme, à peu de temps de là, institué commissaire aposto-
lique , puis nommé par l'archevêque de Mayence inquisitor
hêereticx pmvitatis. Il apporta alors plus d'impudeur que
jamais dans le trafic des indulgences, et le continua sans
obstacle jusqu'en 1517 , moment oîi parut Luther. En 1518
Jean Tezel revint au couvent de Saint- Paul de Leipzig,
où il mourut, de la peste, peu de temps après le Colloque qui
eut lieu dans cette ville en août 1519.
THABOR ( Mont). Voyez ïabor.
THACKERAY (William Marepeace ), célèbre hu-
moriste anglais, (ils d'un employé supérieur delà Compagnie
des Indes, est né en 1811, à Calcutta. Envoyé en Angleterre
pour y recevoir son éducation , il acquit ainsi par expérience
personnelle sur le système scolaire en vigueur de l'autre côté
du détroit des notions qu'il utilisa plus tard pour son conte
de Noël, Doctor Btrch and liis young friends. Il passa
ensuite quelques semestres à l'université de Cambridge;
mais il la quitta à la mort de son père, sans prendre ses
degrés, et se rendit à Londres, où il se livra à toutes les
distractions de la vie fashionable. Le petit héritage paternel
y eut bientôt passé , et alors il lui fallut songer à se laire un
f;agne-pain. En 1834 il se rendit donc à Paris avec l'inten-
tion de s'y livrer à l'étude de la peinture; art pour lequel il
se croyait une vocation décidée. Il reconnut son erreur
après avoir passé quelque temps dans l'atelier d'un peintre
français. Toutefois, il resta à Paris, où il cpousa une belle
Irlandaise; et il débuta alors dans la liltéralure connue re-
porter pour le Conslitutional, journal fondé par son beau-
père. L'entreprise ne réussit pas, et dut bientôt être abandon-
née; mais Thackeray y avait du moins gagné de s'être fait
connaître dans la presse de Londres. Revenu en Angleterre,
il se mit en rapport avec le F/'flser'A Magazine ;et les Yelow
plusli Papers, ainsi que les Snob Papers, qu'il lit paraître
dans ce recueil, signalèrent au public un talent d'humoriste
qui par sa finesse rappelait celui de Swift et par sa gaieté
celui de Fielding. Il tburnit aussi au Punch un grand
nombre d'articles pétillants d'esprit. En 1840 il publia ses
comptes-rendusdela situation de Paris sous le titre de Paris
Sketch-Book, que suivirent, en 1842, Vlrish Sketch-
.eoo/i:, orné d'illustrations dessinées par lui-même; et en
184b les Aotes of a Journey from Cornhill to Grand
Cairo. Tous ces différents ouvrages, ainsi que d'autres
nouvelles et esquisses , comme The great Hoggarlhy-dia-
moud, ili" Perkin's Bail, Our Street, qui parurent
d'abord dans les journaux, furent publiés sous le pseudonyme
de Michael Angelo Titmarsh. C'est seulement en 1847
qu'il livra son nom à la publicité , en l'attachant à Vanity
Pair, ouvrage qui le signala à l'étranger comme l'un des
meilleurs peintres de mœurs de notre époque. On en trouve
déjà les gernies dans .ses précédents ouvrages, mais plus
développés ici et parvenus à leur entière maturité. Vanity
Fairef,t un tableau des mœurs et des usages de l'Angleterre
dessiné avec autant de vigueur que de vérité, quoique les
effets de lumière y soient parfois trop vivement accusés, et
où le monde est représenté tel qu'il est, c'est-à-dire la partie
éeo'.sle, sans cœur, pharisienne, hypocrite de la société. Un
pendant à cet ouvrage , c'est Pendcnnis { 1850 ), qui traite
le même sujet, et pour lequel Thackeray a puisé dans ses
souvenirs personnels. Un roman historique, Esmond (1852),
obtint moins de succès, non pas tant à cause de la faiblesse
de l'intrigue, que parce que , en dépit de ses visibles efforts
pour parvenir à la fidélité historique, il manque de vérité
intime. Toutefois, on y retrouve encore de temps à autre la
plume habile et le talent vigoureux de l'auteur. Il a été
THALES
beaucoup plus lieiueux dans quelques esquisses moindres,
telles que le roman burlesque Rebecca et /<owe«a (1849)
et la nouvelle gigantesque The Kichleburies on the Rhine
(1850). Dans l'automne de 1852, Thackeray entreprit une
excursion aux États-Unis pour y faire sur les principaux
poètes anglais les leçons publiques qu'il avait déjà faites dans
les grandes villes d'Angleterre, et qui ont ensuite été
imprimées sous le titre de The english Humorists of the
eighteenth Centiiry (Londres, )853). Depuis, il a encore
publié en livraisons mensuelles The Newcomes, roman.
Les œuvres de Thackeray ont été traduites dans la plupart
des langues de l'Europe.
TH AER ( Albeut ) , célèbre agronome allemand , naquit
en 1752, à Celle en Hanovre, et publia en 1774 une Intro-
duction à la Connaissance de l'Agriculture anglaise
(.3* édition, Hanovre, 1836). En 1799 11 commença la pu-
blication des Annales de l'Agriculture de la Basse-Saxe
(3 vol., 1798-1804). Depuis longtemps il aspirait à être placé
à la tête d'un grand établissement agricole. Le roi de Prusse
se chargea d'accomplir ce vœu en mettant à sa disposition
un domaine de 400 journaux de terre, que Thaer échangea
bientôt contre celui de Mœglin,où, en 1807, il fonda une
école pratique d'agriculture. C'est à cette époque qu'il com-
posa son grand ouvrage , Principes de l' Agriculture ra-
tionnelle (4 vol., Berlin, 1809-1810), qui a été traduit
dans presque toutes les langues de l'Europe. Lors de la ré-
organisation administrative de la Prusse, en 1807, Thaer
fut nommé conseiller d'Élat, et prit en cette qualité une
part importante à la rédaction des lois agraires qui eurent
pour objet de régulariser la situation des paysans prussiens.
En 1810 il fut nommé professeur d'agriculture à l'université
de Berlin. En 1S24 l'établissement de Mœglin fut érigé en
École royale d'Agriculture. Thaer mourut le 26 octobre
1828. Son grand mérite, c'est d'avoir appliqué les sciences
naturelles à l'agriculture pratique , d'avoir créé le calcul
relatif aux frais et aux bénéfices de la production , d'avoir
développé les idées de produit brut et de produit net , d'a-
voir introduit la méthode des cultures alternantes; enfin,
d'avoir donné une grande extension à la culture de la pomme
de terre.
ÏHAGS. Voyez Thocgs.
THAÏ. Foye- Siam.
THAÏ-OUAN. Voyez Formose.
THAÏS, célèbre/iéiîairegrecquejOriginaired'Athènes,
réussit à captiver Alexandre le Grand, qu'elle accompagna
dans son expédition d'Asie. Là, pour venger les cruautés
que Xerxès avait autrefois commises à l'égard de la ville de
ses pères, elle détermina le héros macédonien, dans une
partie de débauche dont la scène était à Persépolis, à
incendier l'antique palais des rois perses. Après la mort
d'Alexandre, elle épousa le roi d'Egypte Ptolémée Lagus,
à qui elle donna deux fils et une fille, Irène, devenue en-
suite la femme du roi Eimostus de Soles.
THALASSIOPHYTES (de ôâXaaaa, mer, et çjtôv,
plante). Lamouroux nommait ainsi les végétaux que d'au-
tres ont appelés hy drop hy tes.
THALEHRE1\BREITSTEI]V. Voyez. Ehrenbreit-
STEIN.
THALER. On appelle ainsi en Allemagne toute mon-
naie d'argent pesant plus d'une demi -once. L'origine de ce
nom \ienl da Joachimsihal, en Bohême, c'est-à-dire de
l'endroit où l'on frappa pour la première fois de ces grandes
pièces de monnaie, nonnnéesd'abord Joachimsthaler (so»s
entendu Munze [c'est-à-dire ??tonn«ie de Joachimsthal\).
On suppiima par la suite le Joachims pour les monnaies
Irappées au môme titre dans d'autres contrées. Nous tra-
duisons très-arbitrairement en français ce mot thaler par
le mot écu^
TH ALÈS, l'un des plus anciens philosophes grecs , le
fondateur de l'école d'Ionie ou physique, naquit àMilet,
vers l'an 640 av. J.-C. , d'une famille originaire de Phéni-
cie. Il se consacra exclusivement à des recherches spécu-
lalives, sans beaucoup se soucier des affaires publiques,
et daus les dernières années de sa vie entreprit, dit-on , plu-
sieurs voyages en Ëj;ypte, où il mesura la hauteur dos py-
ramides et fut admis à l'enseijinement secret des prêtres.
Tout ce qu'on sait de sa vie politique, c'est qu'il conseilla
aux Ioniens de se garantir contre les progrès menaçants de
la puissance des Perses, en créant entre eux une confédé-
ration, avec un conseil commun siégeant à Tliéos, où l'on
aurait traité de tous les intérêts de la nation; et que comme
Crésus recherchait l'alliance des Milésiens contre Cyrus, il
les en dissuada; ce qui fut cause que Cyrus, vainqueur,
épargna leur ville. H imprima une direction précise à l'os-
prit de recherche pliiioso|)liique en enseignant qu'il existe
un principe base de toutes choses. Ce principe, il crut le
trouver dans l'eau , qu'il se représentait peut-être comme
nn liquide à l'état de chaos, d'où tout provient, où tout
naît et où tout (init par revenir. Outre ce principe maté-
riel, admettait-il encore un autre piincipe créateur plus
élevé, sous le nom de Dieu ou d'àme du monde? C'est ce
qu'il serait difficile de dire, à cause de ce qu'il y a de con-
tradictoire dans le témoignage des écrivains de l'antiiiuité,
encore bien que plusieurs Pères de l'Église lui attribuent
positivement des opinions déistes. En effet, pendant plu-
sieurs siècles ses doctrines ne se transmirent que par la
tradition orale, jusqu'à ce que des philosophes postérieurs,
Aristote notamment, songeassent à les recueillir. Ce lut,
par exemple, le cas pour un grand nombre d'excellents
jrnoHifs ou sentences qu'on lui attribue, tels que le fa-
meux rvwOi aiau-cov {Connais-loi toi-même), que Socrato
et Platon appliquèrent ensuite si iieureusement, et qui lui
assurent une place honorable parmi les sept sages. Voici
quelques-uns des plus remarquables : Dieu est le plus an-
cien (les êtres : Dieu est sans fin et sims commencement.
La plus belle chose, c'est le monde, puis que Dieu l'a fait; la
plus grande, l'espace, puisqu'il contient tout; la plus
prompte, l'esprît , car il parcourt l'univers entier; la plus
forte, la nécessité, puisqu'elle vient à bout de tout; la plus
sage, le temps, puisqu'il n'y a rien qu'il ne découvre; la
plus commune, l'espérance, car elle demeure à ceux qui
n'ont nulle autre chose; la plus praticable, la vertu, car
elle rend toutes les autres choses utiles en en usant bien; la
plus dommageable, le vice, car là où il est, il perd et gâte
tout; la plus facile, ce qui est selon la nature, car les hommes
se lassent quelquefois des voluptés même. «Interrogé si
un homme qui fait mal est vu des dieux : « Celui-là même,
répondit-il, qui songe au mal ne saurait leur cacher sa
mauvaise pensée. » Il règne d'ailleurs beaucoup d'incerti-
tude dans les renseignements qu'on possède au sujet de
l'étendue de ses connaissances en astronomie et en mathé-
matiques. On admet généralement que c'est lui qui fixa
la durée de l'année à 365 jours, et qu'il prédit aux Ioniens
la survenance d'une éclipse. Ceci impliquerait une connais-
sance assez étendue du système du monde; mais il est pro-
bable que cette prédiction avait pour base, non ses propres
calculs et supputations , mais une communication antérieure
que lui avaient faite les prêtres d'Égyple. Un fait bien re-
marquable néanmoins, c'est que l'école fondée par Thaïes
commençait à ne considérer les astres que comme de sim-
ples corps, et non pas comme des êtres divins, suivant
l'opinion popidaire. Les principaux disciples de Thaïes
furent Anaximandre et Phérécyde. Consultez Ritter, His-
toire, de la Philosophie ionienne (Berlin, 1821).
TH ALIE , Thaleia , dont le nom veut àire. fleurie, est
une des neuf M uses. Plus tard, elle fut considérée comme
celle qui présidait spécialement à la comédie et aux festins.
Les corybantes provenaient de son union avec Apollon. Dans
les mylhologies modernes , elle est la protectrice du théâtre
en général.
Une autre Thalie faisait partie des Grâces.
THALIE {Astronomie ), p lan è te télescopique, décou-
verte par M. Hind, le 15 décembre 1852. Sa distance
moyenne au Soleil est représentée par 2,626 , en prenant
THALES — THAZA 535
celle de la Terre pour unité. La durée de sa révolution si-
dérale est de 1,554 jours. Son orbite, dont l'excentricité ef4
égale à 0,236, a une inclinaison de 10° 13' 59".
E. Merlieux.
TÏIALMUD. Voyez Talmud.
THALWEG ( //(/rfroi/rop/iie ), mot allemand signifiant
au propre chemin de la vallée, et dont on se sert pour dé-
signer le courant des fleuves et rivières. Voyez Bassin.
THAM Ail, Cananéenne, qui épousa d'abord Her, fils
aîné de Juda, puis Onan, son second (ils; et tous deux
moururent de mort subite. Suivant la promesse de son
beau-père, elle aurait encore dû épouser Séila, le troisième
des fils de Juda ; mais celui-ci rehisa de tenir sa promesse,
parce qu'il redoutait pour son dernier euCaiit le sort fatal de
ses deux aînés. Thamar s'habilla alors en courtisane, et alla
attendre sur la grande route Juda, avec lequel elle eut un
conunerce furtil, duquel naquirent deux jumeaux. Phares
et Zara.
TÎIAMASP lîOULI-KIlAiV. Voyez Nadir.
THAJ\'E (en anglo-saxon </îe^?2), traduit ordinairement
en latin par le mot ministcr. Ainsi s'appelaient à l'époque
de la domination anglo-saxonne les feudataires formant la
suite (gesida, comilatus) d'un prince, à qui plus tard,
lorsque, par suite des développements pris par le système
féodal, les princes eurent obtenu le droit de conférer des char-
ges qtd précédemment ne s'obtenaient que par de libres élec-
tions du peuple, ceux-ci confièrent les fonctions les plus
diverses, telles que celles A'ealdorman, de duc, de comte,
de juge et même d'évêque. Le mot thane ne désignait pas
d'ailleurs en Angleterre même de rang spécial. Ce ne fut
qu'après la conquête des Normands que l'expression thanes
du roi parut être synonyme de celle de barons, tan lis que
les thanes inférieurs et moins inlluenls eui eut une position
correspondant à celle de la landed gentry actuelle. Après
le règne de fleuri II, il n'est plus fait mention en Angle-
terre que bien rarement de thanes; en Ecosse, au contraire,
ce fut là jusqu'au quinzième siècle un titre très-élevé, qui
correspondait à |)eu près à celui û'earl en Angleterre, qu'on
finit par lui sid)slituer.
TIIAPSAQUE, aujourd'hui apiielée Déir, célèbre et
antique ville commerciale de la Patmyrène, en Asie, sur la
rive occidentale de l'Euphrate , fleuve dont elle formait l'un
des points de passade ordinaire. C'est là que Darius et
Alexandre le franchirent successivement. Un autre souvenir
important qui se rattache à cette ville, c'est qu'Érastos-
Ihène la choisit pour résidence quand il entreprit de me-
surer un degré du méridien, et qu'il en fit le centre de ses
opérations. Par la suite, Séleucus Nlcator lui imposa le
nom à'Amphipolis.
TIIARAA'D, petite ville de Saxe, sur la Weiseritz, à
14 kilomètres de Dresde, avec laquelle elle est reliée par un
chemin de fer, ne compte guère que 2,000 habitants, mais
est célèbre par son école royale d'agriculture et de sylvi-
culture, dont la réputation est européenne. Les élèves en sont
au nombre île soixante-dix à quatre-vingts.
TIIASSÎLO. Voyez Tassilon.
THAU I Étang de ) Voyez Hérault (Département de 1').
TIIAUAÎ ATURGE ( du grec Oaûi^a, merveille, et Ipvov,
ouvrage, faiseur de miracles). Les catholiques ont ainsi dé-
nommé plusieurs saints dont ils honorent la mémoire et qui
sont célèbres par le nombre et l'éclat de leurs miracles.
Celui au nom duquel on ajoute plus particulièrement cette
épithète, pour le distinguer de quelques homonymes qui ont
également laissé un nom dans l'Eglise, est saint Grégoire
disciple d'Origène et dernier évêque de Césarée.
THAUT ou THEUT. Voyez Thoth.
THAZA, ville d'Afrique , construite une première fois
par Djafar-ben-Abdalah, en l'an 974 de l'hégire, réédifiée sur
les ordres d'Abd-el-Kader, en 1838, parEuibarek, son kha-
lifah, et détruite par les Français, en 1841. Située à 148 ki-
lomètres sud-est de Miliana, sur la montagne de Matmata,
une des plus élevées de la chaîne du Grand-Atlas, au cenUfl
536
THAZA - THE
de la tribu des Behelel, qui , s'étant révoltée contre l'émir,
fut ruinée par lui. Tliara comprenait un fort d'environ
40 mètres de long, sur 15 de large, avec des murailles
d'un mètre d'épaisseur, un four et un moulin à eau , et
une trentaine de cabanes. L'émir avait, dit-on, dépensé
400,000 fr. à l'édification de Thaza. C'était sa principale
place dans le sud ; il y avait ses dépôts, et après la prise de
Miliana, il y avait transporté toutes ses ressources. Six ou
sept pièces d'artillerie qui étaient à Médéali avaient été trans-
férées à Tliaza. Le 26 mai 1841, une colonne expéditionnaire
connnandée par le général Baraguay-d'jlliers, qui venait
de détruire Bogliar, après avoir parcouru la lisière du désert
d'Angad, arriva à Tliaza. Cette ville avait été abandonnée
par les Arabes, qui y avaient mis le feu; les établissements
iwspitaliers, les moulins, la manutention, étaient consumés;
mais le fort était encore debout tout entier et presque in-
tact. En deux jours la piocbe et la mine détruisirent com-
|)létement les belles voûtes , les beaux magasins du fort et
le fort lui-même; et de la ville de Tbaza il ne resta plus,
après cette expédition , qu'une masse de pierres se confon-
dant avec les rochers environnants. L. Louvet.
THÉ ( Thea,L.),nom d'un arbuste de la famille des tern-
strœmiacces, tribu des cameliiées. Les caractères de ce genre
sont : calice à cinq folioles, corolle à cinq pétales; étamines
en très-grand nombre, anthères incombantes, ovaire tri-
loculaire, appliqué sur un disque jaune et surmonté d'un
style simple; capsule loculicide, graines nucamenteuses.
L'espèce type, l'arbre à thé de la Chine [tliea sinensïs),
abandonné à lui-même, atteint une élévation de 7 Ji 10
mètres ; mais à l'état de culture il ne dépasse pas 2 mè-
tres ; il a de nombreuses branches , des feuilles alternes,
persistantes, d'un beau vert en dessus , d'un vert pâle en
dessous, ovales, dentées, assez semblables à celles des ca-
niellias ; fleurs blanches axillaires , paraissant en automne;
fruits capsulaires, verts, à trois loges, et trois graines
rondes, s'ouvrant en trois valves. Les feuilles de cet arbuste
donnent le thé , qui avec le sucre et le calé constitue l'un
des articles les plus importants du commerce du monde.
Par une culture de plusieurs siècles on est parvenu dans
son pays originaire à en produire de nombreuses sortes, qui
se présentent généralement avec tant de constance, qu'on a
admis l'existence de plusieurs espèces, notamment celles du
thea viridis, du iliea Bohia et du thca slricta. De ces es-
pèces la première est celle qui a les fleurs les plus longues,
et la dernière les plus courtes. Toutefois, il est démontré que
les différences existant entre les espèces de thés proviennent
surtout de la diversité des méthodes suivies dans leur pré-
paration, et de la différence des époques où a lieu la ré-
colte des feuilles. La multiplication de l'arbuste à thé a lieu
par semis, et sa culture sans engrais sur on sol maigre,
mais cependant pas trop sec ; les terrains les plus favorables
sont les coteaux exposés au soleil. L'arbuste ne produit de
récolle qu'à la troisième année ; mais il n'a pas encore
alors atteint toute sa croissance. Vers sa septième année il
a la hauteur d'un homme; mais son feuillage est alors dur et
peu fourni. C'est pourquoi on le coupe de pied, et alors il
pousse de nouveaux rejetons. Cette opération se répète tous
les sept ans pendant trente ou quarante ans , temps le plus
long <ie la durée de l'arbuste.
La culture du thé, que les Chinois appellent dans la langue
des mandarins tscha,el dans le dialecte de Fokien tia(d'oii
le nom européen de tea, thee, thé), lut introduite de
Corée en Chine, vers le quatrième siècle de notre ère, et
de là se répandit aa Japon au neuvième siècle. On peut
voir à l'article Darma l'origine que les Bouddhistes donnent
à cet arbuste. Dès le sixième siècle l'usage du thé comme
boisson était devenu général en Chine. Quoique l'arbuste à
thé soit anjourd'hui indigène en Chine, la culture en est
presque exclusivement bornée aux contrées de cet empire
situées entre le 35° et le 24° de latitude septentrionale, et
le 113° et le 120* de longitude orientale; et c'est de là seu-
lement que prorient tout le thé qu'on trouve dans le com-
merce. Le thé est en outre cnltivé pour la consommatioo
locale dans quelques provinces plus méridionales et plus éle-
vées de la Chine, de même qu'en Cochinchine et au Japon.
On peut considérer le thé comme un produit particulier à la
ïone sous-tropicale, bien qu'il soit cultivable encore plus
près de l'équateur. Les Européens ont essayé de l'in-
troduire au Bengale, à Ceyian, à Java, au Cap, à Sainte-
Hélène et dans les environs de Rio-Janeiro au Brésil. L'ar-
buste, cultivé déjà comme plante de jardin au sud de l'Eu-
rope, a parfaitement réussi dans ces divers pays; mais «es
feuilles ont beaucoup perdu de leur arôme. Ce n'est que dans
le royaume d'Assam, où les Anglais ont aussi trouvé l'arbuste
à thé à l'état sauvage et ont apporté un soin extrême à sa
culture, que l'on a obtenu tout récemment des résultats
complètement satisfaisants.
La récolte des feuilles se fait de deux à quatre fois par
an : dans ce dernier cas les époques sont la fin de février,
la fin d'avril , la {m de mai et la fin d'août. Lorsqu'on ne
fait que deux récoltes, les époques sont le printemps et
l'automne. La première récolte est toujours la meilleure;
les feuilles de la dernière sont de qualité inférieure. La pro-
duction annuelle d'un pied d'arbuste à thé est d'environ un
kilogramme. Le thé noir s'obtient en faisant sécher et griller
les feuilles au feu; le thé vert , en les soumettant à l'action
de la vapeur et en les séchant simplement. On communique
souvent frauduleusement au thé vert destiné à l'exportation
une leinie plus foncée à l'aide d'un mélange composé d'une
matière végétale jaune-orange et d'indigo, l'ourle commerce
les Chinois distinguent de sept à huit qualités et trente-six
(suivant d'au très cinquante-sept) espèces de thé;maisla plupart
de ces espèces, et les meilleures précisément , restent dans le
pa.ys. Les étrangers ne reçoivent que les qualités moyennes, et
souvent mélangées de feuilles de camellias et autres. En fait
de thés verts, les meilleures sortes sont le ffyson, Haysan
ou Heijawen, le thé perlé, la poudre à canon et le Tchou-
long ; et en fait de thés noirs, le Douy , le Souchong, le
Pekko ou Pekao et le Soiichay. La qualité la plus fine, le
thé impérial ou fleur de thé , ne vient pas dans le com-
merce; on le prépare avec les feuilles les plus jeunes, les
plus délicates, couvertes de poils blancs. Parmi les thés
noirs il faut placer en première ligne le thé de caravanes
russes, pour lequel on ne peut employer que les meilleures
feuilles, attendu que de mauvaises feuilles ne pourraient
pas supporter les frais immenses du transport (6,500 werstes)
par terre de Kiachta à Pétersbourg. Les feuilles de thé plus
vieilles , plus grossières et les pédicules des qualités de thés
supérieures, mêlées au sérum du sang de bœuf et de mouton,
et dont on fait des gâteaux épais et carrés, forment ce qu'on
appelle le thé brique, qui est devenu un véritable besoin
pour les nomades de l'Asie centrale (les Mongols et les Bou-
rètes), et môme plus loin encore en Sibérie jusqu'à Astra-
clian, et qui est d'un usage si général que ces tablettes de
thé sont partout reçues aujourd'hui en Mongol ie et en Daourie
comme une espèce de monnaie. Le thé brique, appelé par
les Russes kirpitschnoï-tschaï , arrive à ces populations
de la Chine même, où cette préparation n'est nullement en
usage. Le thé brique ne sert pas seulement pour boisson,
on l'emploie aussi comme aliment.
L'usage de l'inCusion du thé est aussi ancien en Chine
que sa culture. Les Européens ne le connurent que fort tard,
et pour la première fois vers le milieu du dix-septième
siècle, par les soins de la Compagnie hollandaise des Indes
orientales. La première caisse de thé arriva en Angleterre
en 1066; mais l'usage n'en devint général dans ce pays
que vers le milieu du dix-huitième siècle. Comme pour le
café , ce qui contribua surtout à le propager, ce furent les
vertus médicales qu'on lui attribua. L'ouvrage de Bontekoe,
Korte Verhandeiing van't meschenteven ( Amsterdam .
1684) n'y contribua pas peu. Dès le dix-septième Molinari
(1072), Àlbinus(1684), Pechlin (1684), Blankaart (1686),
Blegua (1697), et beaucoup d'autres encore avaient écrit
sur la plante et sur la boisson, qui avait même inspiré ào*
pof mes grecs et latins ( par exemple à Francius et à Herre-
cben ). Il s'en faut de beaucoup cependant que loin de son
pays originel l'usage du thé comme boisson se soit répandu
amant que celui du café. Tandis que le café est devenu
d'un usage général sous tous les climats , le thé n'a acquis
droit de bourgeoisie que chez les peuples qui habitent en
dehors des tropiques; et encore la consommation du thé
n'a-t-elle pris de l'importance sous cette zone que dans la
région des côtes. Le thé n'est devenu une véritable boisson
nationale que chez les Hollandais et les Anglais, qui l'ont
aussi importé dans leurs colonies de l'Amérique du Nord ,
des Indes orientales , du Cap et de l'Australie. Après cela
la consommation du thé n'a plus guère d'importance que
dans la Scandinavie, et sur quelques côtes de l'Europe cen-
trale. Dans les contrées intérieures , cet usage n'a pu s'é-
tablir que dans les villes et les couches supérieures de la
population. Il y a quelques années la fashion,k Saint-Pé-
tersbourg, tenta d'introduire l'usage de fumer du thé en
guise de tabac; et pendant quelque temps les débitants de
tabac de cette capitale vendirent dt;s cigarettes de thé.
L'importation du thé n'a lieu par terre, et par l'intermé-
diaire de la Russie, que pour une très-pelite partie. Far mer,
le commerce du thé est presque exclusivement aux mains
des Anglais et des Américains. La valeur des thés importés
aux Étals-Unis du 30 juin 1850 au 30 juin 1851 avait été
estimée à 4,684,657 dollars. En 1852 l'importation des
thés en Angleterre s'était élevée à 71,400,460 liv. st., dont
6,902,433 liv. st. payées pour droits d'entrée; et il en avait
été consommé dans le pays môme pour 53,905,112 liv. st. Il
s'en falsifie en outre d'immenses quantités avec les feuilles
du prunellier, elles leuilies du stachylarpheta Jamaicensis
(de la famille des verbenacées ).
Quoique le thé pris modérément facilite la digestion et
soit un excellent tonique en voyage, dans des temps som-
bres, humides, froids, après de grandes fatigues , il ra-
lentit la digestion quand on en prend trop souvent, aug-
mente la sensibilité des nerfs, et de môme que l'usage im-
modéré du café, détermine un grand nombre de cachexies.
C'est surtout le thé vert qui nuit alors , peut-ôtre bien parce
que la manière dont on le sèche lui laisse plus de ses par-
ties essentielles qu'au thé noir. L'analyse chimique a signalé
parmi les substances auxquelles le thé doit sa nature et ses
effets, du tanin, une huile volatile (qui possède au plus
haut degré le goût du thé), de la cire, de la résine , de la
gomrne, une matière extraclive, des substances azotées
analogues à l'albumine , quelques sels, et un principe par-
ticulier, qui a reçu le nom de théine, et dont les proportions
varientdel,27 à 1,50 pour 100, suivant les qualités. C'est à la
théine qu'il faut surtout attribuer les effets fortifiants et ex-
citants du thé. Le thé sec en contient environ 6 pour 100
de son poids. Le thé vert contient 1 pour 100 d'huile vola-
tile , le thé noir seulement l|2 pour 100. L'inlusion de thé
préparée à la manière ordinaire ne contient qu'une partie
des substances contenues dans les feuilles de thé. Suivant
Miilder, l'eau bouillante en enlève au thé noir de 29 à 38
pour 100, et au thé vert de 34 à 46 pour 100. L'infusion
contient en général l'huile volatile et la théine unies à l'acide
tannique ; plus, de la gomme et d'autres parties extractives.
THÉAKI ou TIAKI. Voyez Ioniennes (lies) et
Ithaquf.
THÉATIIVS, ordre de clercs réguliers fondé en 1524,
par Jean-Pierre Caraffa , évoque de Théate, ouChieti, dans
le royaume de Naples, puis archevêque de Brandisi, tout en
conservant son premier évôché, et finalement pape, sous
le nom de Paul IV. L'évoque de Théate , qui eut le pri-
vilège de donner à ces religieux le nom deson siège épisco-
pal , avait obtenu pour sa fondation de puissants se-
cours de trois personnages fort considérables : Gaétan de
Thieni , né à Vicence, canonisé depuis sa mort sous l'in-
vocation de saint Gaétan ; Paul Consigliari et Ooniface Colle,
DDbles Milanais. Les premières constitutions des théatins ,
ouvrage de Caraffa, homme d'une excessive austérité,
THÉ — THÉÂTRE 637
n'obtinrent qu'après bien des débats l'approbation de Clé-
ment VII ; dans la suite , ayant subi plusieurs adoucissantes
modifications, elles furent pleinement ratifiées par Clé-
ment VIII, dans l'année 1608. hts, théatins prirent pour
costume une soutane, un manteau noir et des bas blancs,
vêtement ordinaire des ecclésiastiques dans le temps que
parut cet ordre. Indépendamment de leurs soins pour
édifier le clergé, ils s'étaient imposé la multiple tâche d'ins-
truire la jeunesse, d'assister les malades, de combattre les
erreurs de la foi, de faire revivre par leur exemple l'es-
prit de désintéressement et de ferveur, l'étude de la reli-
gion et le respect envers les choses saintes : ces devoirs ,
ils les remplirent toujours avec autant de zèle que de cou-
rage. Aussi l'ordre des théatins a-t-il donné à l'Église un
grand nombre d'évêques , plusieurs cardinaux, et beaucoup
de personnages non moins recommandables par leurs talents
que par leur sainteté. Dès le second siècle de leur institut
ils eurent des missionnaires dans l'Arménie, la Mingrélie ,
la Géorgie, l'Arabie et la Perse; dans les îles de Bornéo,
de Sumatra et plusieurs autres. Le cardinal Mazarin, dont,
malgré leur modestie, ils avaient attiré l'attention , les fit
venir en France, en 1644, et leur acheta la maison qu'ils
possédaient vis-à-vis les galeries du Louvre. Il leur légua
par son testament une somme de 300,000 fr. pour bâtir
leur église , dont Anne d'Autriche posa la première pierre.
On y voyait quelques beaux tableaux , entre autres, sur
le maître autel, une piscine de Restant, et dans la nef
un Saint Antoine de Padoue; une Cène du Titien figurait
dans le réfectoire. Dans une des chapelles de l'église était
enterré l'auteur d'Ésope à la cour et du Mercure Ga-
lant,\e[>oèle comique Bon rsau 1 1. Le couvent des Théa-
tins fut supprimé en 1790; leur église, devenue tour à
tour salle de spectacle, de bals, <le fêtes, de café , a fini
par être démolie , et sur son emplacement on a bâti quel-
ques maisons particulières. Rien ne reste donc plus pour
nous rappeler les Théatins : de leur habitation pas la
moindre trace , cl le bord de la Seine qui porta longtemps
le nom do ces bons , humbles et pieux moines , nous
l'appelons aujourd'iuii gwai Voltaire! Cet ordre ne possé-
dait en France que le couvent de Paris ; mais à l'étranger
il s'était assez étendu : il avait quatre provinces en Italie,
une en Allemagne et une en Espagne; deux maisons en
Pologne, une en Portugal, et une autre à Goa.
E. LWIGNE.
THEATRE (du grec ee'atpov, dérivé de ôcàoiJLat, je re-
garde). Ainsi s'appelait chez les anciens la partie d'une salle
de spectacle où étaient assis les spectateurs, ou encore l'é-
difice même, mais jamais la scène. En Grèce les salles de
spectacle étaient après les temples les principaux édifices,
parce que le spectacle ne constituait pas seulement un di-
vertissement, mais encore faisait partie du culte. Toutes les
grandes villes grecques et romaines avaient leur théâtre.
D'abord il fut en bois ; quelquefois môme il ne consistait
qu'en planches soutenues par des tréteaux, et ce ne fut que
plus tard qu'on construisit des théâtres en pierre. Le pro-
totype et le modèle de tous les théâtres en pierre fut le
théâtredeBacchus, à Athènes, bâti du temps de Thémistocle,
au pied de l'Acropole. Il offrait la vue de la mer, et on y
avait utilisé une partie du rocher pour la scène. Il pouvait
contenir 30,000 spectateurs, et servait également de lieu de
réunion pour des assemblées du peu[)le, etc. La plupart des
théâtres grecs étaient vraisemblablement à ciel découvert;
du moins celui de Bacchus à Athènes, dont nous venons de
parler, l'était-il , puisque les Athéniens n'y allaient qu'avec
de grands manteaux pour se garantir du froid ou du soleil,
et que le spectacle était interrompu s'il survenait un orage.
Cependant le théâtre de Régillus , situé près du temple de
Thésée, avait un toit magnifique, avec une charpente de
cèdre.
Les Romains, eux aussi, n'eurent pendant longtemps pour
leurs représentations scéniques que des théâtres en bois ,
où les spectateurs étaient obligés de se tenir debout. Mar-
638
THEATRE
eus ^miliiis Lepidiis (mort l'an 13 av. J.C. ) fut le premier
qui construisit une salle de spectacle avec des sièges pour
les spectateurs. Bientôt après, Scanrus et Cnrion construi-
sirent des théâtres remarquables par leurs vastes proportions
et par leur inagnitlcence, mais qui étaient également en bois,
et qui se démontaient après la célébration des jeux. Le théâ-
tre de Marcus ^Emilius Scaurus, contemporain de Cicéron et
de César, était d'une magnificence extrême, et si grand, qu'il
pouvait contenir 80,000 spectateurs. Le théâtre de Curion
était mobile et pouvait setransformer en amphithéâtre.
C'est Pompée qui fit bâtir le premier théâtre en pierre qu'il
y ait eu à Rome; le palais Orsini en occupe de nos jours
l'emplacement. Construit d'après le modèle du théâtre de Mi-
lylène, il ne fut terminé que sous Caligula, et pouvait conte-
nir 40,000 spectateurs. Après la construction du théâtre de
Pompée, il s'éleva à Rome et dans d'autres villes de l'em-
pire un grand nombre de théâtres permanents et en pierre.
Dès lors aussi on revêtit la scène de marbre et on l'entoura
de colonnes de marbre; on alla même jusqu'à en dorer, par
ordre de Néron, le pourtour ainsi que tout ce qui se rappor-
tait à la scène. Dans les théâtres romains, qui étaient sans
toiture, on ménageait derrière la scène un portique pour
servir d'abri aux spectateurs en cas de mauvais temps. C'est
aussi ce qu'on avait fait pour le thi^âtre de Pompée, qui ren-
fermait une grande place régulièrement garnie d'arbres et
oinée de fontaines jaillissantes et de statues. Dès avant cette
époque, peu de temps après la première guerre Punique, l'u-
sage de tendre une toile au-dessus du théâtre pour garantir
les spectateurs contre la pluie et le soleil, avait été intro-
duit delà Campanie à Rome par Quintus Catulus. Ces toiles
étaient ordinairement teintes en pourpre ou autres cou-
leurs vives. Plus tard on employa à cet usage les étoffes les
plus tines et les plus précieuses. jNéron y fit même servir
une tapisserie ornée d'or et au milieu de laquelle son por-
trait se trouvait brodé. Pour diminuer la chaleur on avait
recours à des moyens tout aussi dispendieux. Pompée est
le premier qui fit asperger d'eau les couloirs et les escaliers
conduisant aux gradins. Plus tard on se servit à cet effet
d'un mélange d'eau et de vin dans lequel on faisait infuser
le meilleur safran de Sicile, afin de répandre une odeur plus
agréable. On dirigeait ce mélange dans des tuyaux disposés
à cet effet dans les murailles du théâtre, et de là au moyen
d'une pompe foulante jusqu'aux gradins supérieurs.
On construisait les théâtres, surtout en Grèce, autant que
possible sur le flanc d'une colline ou d'une montagne, afin
de pouvoir plus facilement y superposer les uns aux autres
les gradins destinés aux spectateurs. C'était le cas, par exem-
ple, dans les théâtres d'Athènes et deTaor m ina. Quand
l'emplacement était uni, il y avait nécessité de donner pour
base aux gradins des sous-constructions fort élevées. La
forme de l'édifice était un hémicycle dont les deux extrémi-
tés étaient reliées par un bâtiment transversal. Tout le théâtre
se composait de trois parties principales : 1° l'espace réservé
aux spectateurs et disposé en hémicycle; 2° l'orchestre, es-
pace également semi-circulaire , situé entre les gradins des
spectateurs et la scène; 3° la scène, avec le bâtiment trans-
versal. A cet égard les théâtres grecs et romains se ressem-
blaient dans les détails essentiels, tandis qu'ils différaient
sous d'autres rapports. Entre les rangées de gradins super-
posés en hiMiiicycle, circulaient de larges couloirs (diazo-
niata), auxquels on arrivait du dehors par des portes. Des
escaliers conduisaient entre les rangées de gradins dans
toutes les parties de la salle. A la rangée inférieure de gra-
dins située derrière l'orchestre {proc.dria) se trouvaient
les places les plusdistinguées, celles ou s'asseyaient les criti-
ques, les généraux, les hauts fonctionnaires publics. Dans
les théâtres romains, par exemple dans celui de Pompée, les
consuls et les vestales prenaient place des deux côtés de
lespace réservé aux spectateurs, près de la scène, sur des
gradins élevés, auxquels on arrivait par des couloirs parti-
culiers. Les rangées de gradins les plus élevées (es(ata)
répondaient aux dernières galeries ùc nos théâtres. A la scène
se rattachait l'orchestre, qui se partageait en conisfra
et en tymêlé, échafaudage en planches et surélevé (et non
pas un autel). Le tymélé était destiné aux chœurs et aux
joueurs de llûte, qui arrivaient à l'orchestre par deux pas-
sages particuliers ménagés entre la scène et l'espace réservé,
aux spectateurs. A l'orchestre touchait le bâtiment trans-'
versai (dromos), qui contenait le />rosce/î»<?/i et Vlujposce-
nium, muraille ornée de statues qui supportait le logeion
(appelé dans les théâtres romains pulpitum), élevé au-
dessus de l'orchestre , et où se mouvaient les acteurs. Der-
rière le logeion se trouvait la scène, grande muraille ornée
de colonnes, de statues, de peintures, faisant face aux gradins
des spectateurs. Au milieu était une grande porte, avec deux
petites de chaque côté. A ces portes étaient adaptées des ma-
chines triangulaires, tournant sur pivot et montrant aux
spectateurs une décoration , soit tragique, soit comique,
soitsaiiriiç'îifi, suivant l'œuvre représentée. Derrière la scène
était le postscenium, où les acteurs se préparaient avant
d'entrer en scène. Au machinisme delà scène appartenaient,
surtout dans les théâtres grecs : 1° la machine proprement
dite, destinée à faire paraître au milieu des airs les dieux
et les héros qui intervenaient dans les tragédies ; 2" le theo-
logeion, sur la scène, servant à montrer les dieux dans l'O-
lympe; 3" la grue qui enlevait un personnage de dessus
la scène à vue d'œil ; 4° les cordes qui soutenaient les dieux
et les héros dans les airs. D'autres machines étaient aussi
placées sous la scène.
Les vastes proportions des théâtres anciens rendaient né-
cessaire de consacrer une attention toute particulière à l'ob-
servation des règles de l'acoustique. Dans les ruines du
théâtre de Tauromcnium ou Taormina on admire encore
aujourd'hui les effets presque merveilleux de l'écho. Pour en
augmenter d'ailleurs encore la puissance, on plaçait sous les
gradins des vaisseaux répercuteurs du son, des bassins d'ai-
rain. Indépendamment de ceux que nous venons dénommer,
les principaux théâtres de l'antiquité étaient ceux de Ségesla ,
de Syracuse et de Catane en Sicile. Les théâtres de Sparte,
d'Épidaure et de Mégalopohs étaient, dit-on, les plus ma-
gnifiques de la Grèce. A Rome les principaux théâtres, outre
le théâtre de Pompée , étaient celui de Balbus et celui de
Marcellus, qui pouvait contenir 22,000 spectateurs.
Chez les Grecs, de même que chez les Romains, les représen-
tations théâtrales n'étaient pas permanentes comme elles le
sont chez nous, et n'avaient lieu qu'à l'occasion de fêles et de
solennités publiques. C'est l'État qui les ordonnait, et elles
étaient placées sous la surveillance d'un fonctionnaire public.
En Grèce, c'est l'archonte éponyme qui y présidait, et lui
seul pouvait donner l'autorisation nécessaire pour les repré-
sentations. C'est l'État qui fournissait les acteurs, dont trois
étaient accordés au sort à chaque poète. Le chœur, qui dans
la tragédie se composait de quinze personnes et dans la co-
médie de vingt-quatre, était fourni, costumé et nourri pendant
les exercices par un citoyen. C'était là la liturgie directe de la
chorégie, charge que l'État imposait à un citoyen appartenant
à la classe des plus imposés. Ce citoyen devait fournir en
outre les costumes. On évaluait les frais d'une telle solen-
nité à 2 talents 1|2 ( 15 à 18,000 fr. de notre monnaie). C'é-
tait une affaire d'honneur pour tout citoyen de contribuer
autant que possible à l'éclat de cette fête. Ce n'est pas un
seul drame , mais plusieurs qu'on y représentait, et le nom-
bre s'en élevait quelquefois jusqu'à vingt, de sorte que les
représentations duraient depuis le point du jour jusqu'à la
nuit tombante. Les drames étaient jugés dans la tragédie
par dix, et dans la comédie par cinq critiques à la nomina-
tion de l'archonte. C'est d'après leur décision qu'on distri-
buait les prix, au nombre de trois, et consistant en sommes
d'argent importantes. La décision rendue par les juges n'em-
pêchait ( *pen lant pas les spectateurs d'exprimer leur pro-
pre opinion. C'est l'État qui construisait les théâtres. Le
fermier du théâtre était tenu de l'entretenir en bon état,
ainsi que toutes ses dépendances, par conséquent aussi les
décorations; et il se couvrait de ses frais avec le ^AdoriJrr?.^,
THÉÂTRE — THÉ
droit perçu à l'entrée. Ce droit était de deux oboles (5 centi-
mes) ; cl à partir de Périclès ce fut le trésor public qui se
ciiargea d'en faire les frais pour les citoyens indigents. Chez
les Romains, ce furent les puissants et les riches, par exem-
ple Lépide et Pompée, plus tard les empereurs , qui cons-
truisirent les théâtres et qui donnèrent des représentations
tliéàtrales, et toujours à leurs propres frais.
Une saurait être question ici des cirques, des hippo-
dromes ni des nomachies, monuments tout à fait dif-
férents des théâtres, et pour l'emploi et pour la construction.
Il serait fort difficile de déterminer d'une manière précise
l'époque de la construction des premiers théâtres en Eu-
rope pendant le moyen âge. Les m y s t è re s, qui furent les
premiers essais dramatiques, se représentaient sur des écha-
faudages dressés dans les places ou dans de vastes salles.
Cène fut que dans le seizième siècle que des architectes
italiens édifièrent des théâtres fixes. Il en existe encore
aujourd'hui deux : l'un, le Théàtre-Farnèse à Parme, qui
pouvait contenir 4,500 personnes; l'autre, celui deYicence,
construit par Palladio, est une imitation exacte des théâtres
antiques dans une dimension fort rétrécie. Mais la dispo-
sition de ces théâtres ne pouvait plus convenir aux usages
modernes. On remplaça bientôt les gradins par des rangs
de loges ou des balcons , et la scène devint plus profonde,
afin de faire jouer les machines et produire des effets pit-
toresques. Dans le dix-septième siècle, toutes les villes
d'Italie voulurent avoir leur théâtre fixe. Ils furent tous cons-
truits à peu près sur le même plan que nous avons con-
servé jusqu'à présent. Le théâtre moderne exige une scène
pour les acteurs et une salle pour les spectateurs, disposée
de manière à ce qu'on puisse voir la scène de tous les points,
un orchestre y un foyer ou promenoir, de vastes escaliers
et vestibules.
En France {voyez Tuéatue Français) ce ne fut guère que
dans le dix-septième siècle que l'on construisit des théâtres
durables. Un des premiers et des plus importants fut le
théâtre de l'Opéra, construit au Palais-Royal, par le cardi-
nal Richelieu, et ouvert le 14 mars 1C39, pour la représen-
tation de Mirame, représentation qui lui coûta 300,000
écus, y compris la construction de la salle; mais alors cette
salle n'était pas publique , et elle ne le devint que lorsqu'elle
fut concédée, en 1661, par Louis XIV à Molière, pour
ensuite être cédée à LuUi , qui y fonda l'Opéra. Aux Tui-
leries, Louis XIV fit construire par l'architecte italien Gas-
pard Vigarani une salle qui était regardée à cette époque
comme la plus grande de l'Europe, après celle de Parme.
Elle occupait toute la largeur de l'aile du pavillon Marsan ,
d'un mur à l'autre. La scène , depuis le rideau jusqu'au
mur de refend du pavillon Marsan , avait 44 mètres de
profondeur. L'ouverture de la scène était de 10 mètres 66
centimètres, et la hauteur de tl mètres 33 centimètres. Le
dessus, pour la retraite des décorations, était de 12 mètres
33 centimètres, et le dessous de 5 mètres. La partie livrée
aux spectateurs avait dans œuvre 16 mètres 33 centimètres
de largeur, sur 31 de profondeur. La hauteur du parterre à
la voûte était de 16 mètres 33 centimètres. L'ordre d'ar-
chitecture était composite.
Les dispositions du théâtre moderne ont été suivies, à
peu de différences près, par toutes les nations européennes.
Cependant l'emploi des balcons paraît appartenir aux popu-
lations du Nord, et les loges fermées à celle du midi. Les
Italiens ne connaissent pas ces longues galeries, qui, sans
aucune interruption, font dans nos théâtres le tour de la salle,
en avant des loges. En Espagne, encore à la fin du siècle
dernier, les salles étaient carrées -. au-dessous des trois rangs
de loges était un amphithéâtre, où se plaçaient les femmes.
Dans toute la façade du fond étaient des galeries grillées,
réservées aux moines, et le parterre était disposé en gra-
dins, avec un espace libre au milieu , qui répondait à l'or-
chestre antique. On compte maintenant parmi les plus
grands théâtres la salle Saint-Charles à Napies, le théâtre
de la Scala à Milan , la Fenice à Venise , et l'Opéra de Pa-
ATRE FRANÇAIS 639
ris. Il y avait autrefois à Moscou une salle d'Opéra, cons-
truite par l'impératrice Elisabeth, qui pouvait contenir
cinq mille spectateurs. Le Théâtre du Prince impérial,
qu'il est en ce moment question de construire, à Paris, sur
le boulevard Sébastopol, en contiendra 4,J00.
Jusqu'à présent parmi les théâtres modernes il n'en
est pas un qui remplisse parfaitement les conditions exigées
dans de semblables monuments : il nous serait donc diffi-
cile de citer, comme chez les anciens, un modMe à suivre.
En effet peut-être ne pourra-t-on réunir jamais dans un es-
pace clos, couvert et presque toujours exigu, tout ce qui
semble nécessaire dans un théâtre ; car, sans parler de l'im-
portance de l'emplacement à choisir pour cette sorte d'édi-
fice, il faut des abords faciles et bien disposés, des por-
tiques pour attendre à couvert l'ouverture de la salle ; un
grand vestibule recevant directement des escaliers qui per-
mettent de remplir ou d'évacuer la salle en un instant ; un
foyer propre à contenir la moitié des spectateurs , des cou-
loirs assez larges pour la circulation, des loges et des gale-
ries d'oii l'on puisse voir la scène jusqu'au fond; que tout
cela soit coordonné de manière à rendre distinctes la voix
de l'acteur; une scène profonde, des loges séparées et com-
modes pour les acteurs, des magasins et un local pour l'ad-
ministration. Voilà tout ce que nous exigeons dans nos
théâtres, et ce qui n'a pu jamais être réuni d'une manière
tout à fait satisfaisante.
THEATRE DES DÉLASSEMENTS COMI-
QUES. Voïjez Saoui (Théâtre de Madame).
THEATRE FRANÇAIS ou COMÉDIE FRANÇAISE.
Quelques écrivains ont cru pouvoir faire remonter les pre-
miers essais dramatiques en France jusqu'au commencement
du onzième siècle , en s'appuyant sur ce que saint Louis
avait renouvelé les ordonnances de son aïeul Philippe-Au-
guste qui chassaient du royaume les jongleurs et méné-
triers, que Constance de Provence, femme de Robert, y avait
introduits, vers 1009. Cependant, il faut véritablement arriver
jusqu'au règne de CharlesV, dit le Sage, pour trouver des
traces certaines de représentation scénique. Sous Charles VI
\es confrères de la passion obtinrent un privilège, et
s'associèrent aux enfants san s souci pourjouerpubli-
quement des mystères , farces , soties , etc. Je ne parlerai
pas du théâtre de Saint-Maur, ouvert en 1398, fermé
presque immédiatement, par ordonnance du prévôt de Pa-
ris, le 3 juin de la môme année, ouvert de nouveau, par
lettres patentes du 4 décembre 1402, hors la porte Saint-
Denys, sous le nom de Théâtre de la Trinité, confirmé
par François 1'"' en 1518, et fermé définitivement par ar-
rêt du parlement, en 1547, les jeux représentés par des
confréries religieuses sur ces différents théâtres ne portant
que les noms de mystères et de moralités. Mais les con'
frères de la Trinité avaient gagné de l'argent : ils ache-
tèrent une masure dépendant de l'ancien hôtel de Bourgogne,
situé rue Saint-François, aujourd'hui rue Française, au
coin de la rue Mauconseil : ils y firent construire un théâtre
de 17 toises de long sur lO de large, autorisé par arrêt du
parlement du 19 novembre 1548, à condition de n'y jouer
que des ^'xécts profanes, dont les sujets fussent licites et
honnêtes, et avec défenses expresses d'y représenter aucun
mystère sacré. Le privilège qui fut accordé aux confrères
delà TriMifé interdisait l'établissement de toutes espèces de
jeux et de représentations dans la ville, faubourgs et banlieue,
à tous autres que sous leur nom et à leur profit. Des let-
tres patentes de Henri II, du mois de mars 1559, et de Char-
les IX, de novembre 1569, confirmèrent l'arrêt du parlement.
Les confrères de la Trinité , qui [)ortaient l'habit religieux,
sentirent l'inconvenance de monter sur un théâtre profane.
Ils louèrent successivement leur hôtel à des troupes fran-
çaises et italiennes, en se réservant deux loges grillées, où
les conjrères assistaient au spectacle. Dans cette salle , dite
V Hôtel de Bourgogne, furent jouées les pièces de Je-
délie, de Grevin, de G a r n i e r, de H a r d y , de H o t r o u ,
de Cornai lie, de tous les poètes enfin de cette ^ éppqivç.
540
THEATRE FRAINCAIS
Vers 1600 s'éleva, dans une maison nommée V Hôtel
d'Argent, rue de la Poterie, près l'hôtel de ville, un théâtre
formé peut-être d'un démembrement de la troupe de l'Hô-
tel de Bourgogne , car ces deux théâtres, faute de pièces ou
de spectateurs, furent de nouveau réunis en 1619 à l'Hô-
tel de Bourgogne. Puis ils se séparèrent encore pour jouer
chacun de son côté la comédie de Mélite, première pièce
de Corneille, qui obtint un assez grand succès pour entre-
tenir les deux théâtres. La position éloignée du centre de
Paris de ce théâtre de l'Hôtel d'Argent, dit du Marais,
dans un temps surtout où les rues ttaient boueuses, mal
éclairées et infestées de (ilous, avait nui d'abord à la |)ros-
périlé de ce théâtre. Le talent des acteurs composant la
troupe du Marais finit toutefois par y attirer l'élite des
pièces alors en vogue , et le public surmonta la diflicuité
de ses abords.
La troupe du Marais, indépendante enfin de l'Hôtel de
Bourgogne, mais toujours tributaire des confrères de la
Trinité , moyennant un écu tournois par représentation ,
changea de local et s'établit dans un jeu de paume de la Vieille
rue du Temple : ce ne fut que par suite d'un arrêt du con-
seil , du 7 novembre 1629, que les comédiens français furent
affranchis du privilège que les confrères avaient acquis sur
eux.
La troupe du Marais subsista jusqu'à la mort de Molière
(février 1673); ses meilleurs acteurs entrèrent à l'Hôtel
de Bourgogne; les autres s'établirent dans un jeu de paume
ayant issue sur les fossés de INesle, aujourd'hui rue iMa/.a-
rine, en face de la rue Guénégaud, conjointement avec les
acteurs que Molière avait rassemblés dans la salle du Pa-
lais-Royal sous le nom de troupe de Monsieur. Cette nou-
velle réunion prit le titre de troupe du roi, et lit sa repré-
sentation d'ouverture le 9 juillet 1673. Elle subsista, séparée de
la troupede l'Hôtel de Bourgogne, jusqu'au 21 octobre 1680 ,
que Louis XIV les réunit tontes deux sur le théâtre Guéné-
gaud, pour donner l'Hôtel de Bourgogne aux comécMens
italiens. Le théâtre du Palais-Royal avait été concédé à Lulli,
qui y fonda l'Opéra.
Huit années après celte réunion des deux théâtres, les
comédiens français quittèrent la salle Guénégaud, achetè-
rent le jeu de paume de l'Étoile, rue des Fossés-Saint-Ger-
main-des-Prés, et y firent construire , par l'architecte d'Or-
bay, une salle de spectacle, qui leur coûta 200,000 francs,
oii nos pères se rappellent les avoir vus , et qu'ils abandon-
nèrent en 1770 pour s'établir au théâtre dit des Machines,
palais des Tuileries, jusqu'au 9 avril 1782, époque où fut
ouverte la salle élevée par Peyre et de Wailly, qui porte au-
jourd'hui le nom ù'Odéon.
Indépendamment de l'Hôtel de Bourgogne , du théâtre du
Marais et du théâtre de Monsieur, au Palais-Royal, il s'é-
tailélevé, en 1061 , un quatrième théâtre français, rue des
Quatre-Vents , faubourg Saint-Germain , sous le nom de
Théâtre de Mademoiselle (de Montpensier ), fondé par un
iiuleur-acteur, nommé Darimon, qui y représentait ses ou-
vrages. Ce théâtre ne fut ouvertque peu de temps; le double
talent de Darimon n'était pas de nature à lutter avec celui de
Molière; mais enlin, quatre théâtres français, dont aucun,
il est vrai, n'était ouvert tous les jours, existaient donc à
Paris à cette époque, sans compter les troupes italienne et
espagnole, qui alternaient sur les dilfférents théâtres de
Paris, et qui n'y faisaient que des espèces d'apparitions. Peut-
être n'est-il pas inutile de faire remarquer que l'établisse-
ment d'un théâtre n'était pas alors aussi coûteux qu'aujour-
d'hui. Les jeux de paume, multipliés parce qu'ils étaiejnt
en vogue , étaient à peu de frais transformés en théâtres :
une estrade élevée à l'une de leurs extrémités, formait le
théâtre proprement dit, sur lequel deux ou trois châssis de
chaque côté, comme coulisses, représentaient tant bien que
mal le lieu de la scène ; presque toujours le changement de
décoration se bornait à la toile de fond. Une galerie, élevée
sur les parties latérales du jeu de paume, formait les loges,
et il n'y avait que les spectahurs placés dans la galerie de
l'extrémité opposée au théâtre qui vissent les acteurs en
face ; le parterre occupait tout l'espace qui s'étendait au-
dessous de ces galeries : on y était delwut sur les dalles en
pierre qui pavent ordinairement les jeux de paume : les places
les plus recherchées par les élégants étaient sur des ban-
quettes rangées le long des coulisses sous le théâtre , de
sorte que les acteurs ne pouvaient y entrer que par le fond
et jouaient dans l'intervalle réservé entre ces banquettes au
milieu de la scène.
A la première représentation des Précieuses ridicules,
en 1 659 , le prix du parterre fut porté à vingt sous , c'est-à-
dire au double du prix que l'on payait ordinairement. En
1667 on payait quinze sous au parterre du Palais-Royal,
où l'on jouait les pièces de Molière , etc. :
Un clerc pour quinze sous, sans craindre le liola,
Peut aller au parterre allaqucr Altila.
Ln 1716 le prix de chaque place sur les banquettes du
théàtreet aux premières de face fut porté à quatre livres, les
loges (le côté à quarante sous et le parterre à vingt sous. Ces
prix, assez élevés pour l'époque, ne permettaient la fré-
quentation habituelle du théâtre qu'à une seule classe de la
société.
Les registres de la troupe de Molière, conservés dans les
archives delà Comédie-Française, nous font connaître qu'en
1603 les recettes du mois de juin .s'élevèrent par jour à
l,24l livres seize sous, terme moyen : or, le mois de juin
peut se considérer lui-même comme terme moyen de l'année
entre les représentations d'hiver et les représentations d'été,
toujoius moins nombreuses. Les frais journaliers de ce
même mois ne s'élevaient pas à 100 francs. Les parts com-
plètes, pour les acteurs qui y avaient droit, montaient à
3,500 livres environ par an : elles étaient distribuées cha-
que soir sur la lecelte. Lorsque la troupe était mandée chez
le roi ou chez les princes, il était accordé une subvention
aux comédiens. Le registre précipité fait foi qu'un séjour du
29 septembre au 8 octobre 1663 à Chantilly leur fut payé
1,800 livres par le prince de Condé, et que du 16 octobre
au 24 du môme mois un voyage à Versailles leur valut
3,300 livres. Ils étaient en outre défrayés de toutes espèces
de dépenses personnelle de transport, nourriture et logement.
Deux années après l'installation des Comédiens Français à
leur nouvelle salle du faubourg Saint-Germain, Le Mariage
de Figaro, de Beaumarchais , y attira la foule près de deux
autres années. La révolution de 1789, en préoccupant les
esprits, mit fin à sa prospérité. Le 3 septembre 1793 tous
les acteurs furent arrêtés en masse, pour me servir de l'ex-
pression consacrée, et l'abandon presque total de cette belle
salle date de cette époque. Déjà, depuis 1791 , il y avait eu
scission dans leur société; plusieurs de leurs camarades
s'étaient réunis à Monvcl , leur ancien camarade, dans un
nouveau théâtre rue de Richelieu, qui bientôt prit le nom
de Théâtre de la République. Les Comédiens Français en
sortant des cachots de la terreur jouèrent quelque temps
au Théâtre Feydeau, conjointement avec la troupe d'opéra
comique. Enfin, le gouvernement du Dire(;toire parvint, par
les soins de Mahérault, son commissaire, à rassembler rue
de Richelieu ces débris épars de l'ancienne société pour en
former une seule, sous le nom consacré de Comédie-Fran-
çaise, en y joignant la petite troupe, compo.séeen partie de
ces divers démembrements, que M"' Rau co u rt avait
montée à la nouvelle salle de la rue de Louvois.
Les acteurs de te dernier théâtre, devenus incomplets
par la rentrée au Théâtre- Français de plusieurs de leurs
camarades , se virent forcés d'abandonner le genre tragique;
ils s'associèrent Picard, auteur et acteur , et retournèrent
pour peu de temps à la salle du faubourg Saint-Germain,
qui prit alors , je crois , le nom grec d'Odéon , et dont le
premier incendie les dispersa de nouveau, jusqu'à leur retour,
sous la direction de Picard, au théâtre delà rue de Louvois,
qui devint alors Second-Thédtre-Frauçais , et plus lard
Théâtre de V Impératrice , pour ensuite, vers 1808, itj-
THÉÂTRE FRANÇAIS —
tonrnor à l'Odéon , reconstruit en attendant encore ixn in-
c.fUilie ( 1818). Ce Second-Tliéàtre-Français, qui monta une
troupe tragique, a continué sous diverses directions jusqu'à
nos jours. ViollktLe Duc.
THÉÂTRE-ITALIEN , à Paris. Nous comprendrons
sous ce litre deux établisseuients bien distincts : 1° celui
que nos pères étaient dans l'habitude de désigner sous le
nom de Comédie- Italienne; 1° le spectacle rhantant,
appelé aujourd'hui Théâtre- Italien , mais qui avant de
porter ce nom à Paris y fut désigné pendant plus d'un demi-
siècle sous ceux de Théâtre de Monsieur el(\^ Opéra Bu)J'a
ou de Boitjfes'.
J'ai dit à l'article Bodubon {Théâtre du Petit-) qu'ften-
ri m , en «577, y fit venir la première troupe de comédiens
italiens. Cinq autres troupes, en 1584, 1588, 1600, 1640
et 1645 , ne tirent, pour ainsi dire, que se montrer à Paris.
En 1653 il en arriva une dernière, qui , presque toujours sé-
dentaire, passa en 1600 de l'hôtel du Petit-Bourbon au
Palais-Royal , où elle alternait avec la troupe française de
Molière. En 1680 les comédiens italiens lurent mis en pos-
session à^V Hôtel de Bourgogne: ils placèrent, en 1687,
sur le rideau de leur théâtre cette devise de S an te u 1 : Cas-
tigat ridendo mores , fort peu convenable alors à un théâtre
dont le but unique était d'amuser, et non de corriger les
iriœurs. Les représentations y eurent lieu jusqu'au 4 mai
1697, que, par ordre du roi, le théâtre fut fermé et les
comédiens renvoyés, sans qu'on ait su les véritables motifs
de cette mesure rigoureuse. Les mômes personnages repa-
raissaient dans presque toutes les pièces italiennes : c'était
Arlequin, Scapin , Beltrame, Scaramouche , Tartaglia,
Polichinelle, Trivelin, Mezzetin et Pierrot, tous zanni,
ou valets comiques , niais, intrigants ou fripons; Pantalon,
vieillard simple et crédule; le docteur, bavard et pédant;
le capitan et le Giangurgolo , fanfarons et poltrons; deux
amoureux, qui portaient toujours les noms des acteurs qui
en étaient chargés : Horatio et Virginie, Valerio et Ottavio,
Cintio et Leandro; deux amoureuses , qui étaient toujours
aussi Aîtrelia, Eularia, puis Isabelle, et enfin deux
soubrettes, Diamantineel Marinette,i)ms Colombine et
Spinette.
Les acteurs les plus remarquables de l'ancienne Comédie-
Italienne , de 1645 à 1697 , furent Brigitte Blanchi (Aurélia),
auteur de plusieurs ouvrages et d'une jolie comédie dédiée
à la reine mère; Locatelli ( Trivelin et Arlequin ); Fiorelli
(Scaramouche), qui eut l'honneur de poiter, d'amuser et
de (aire rire le dauphin (Louis XIV , âgé de deux on trois
ans) et de recevoir dans ses mains et sur ses habits les
témoignages de satisfaction de l'auguste enfant; Tiiri (Pan-
talon); LoUi ( doc^ewr ); Ursule Corië&e, ( Eularia), qui
prétendait descendre du conquérant du Mexique , et qui
épousa Domi ni queBiancolelli( le célèbre ytr/eçMtn ) ; Ro-
magnesi ( Cintio) , auteur de plusieurs pièces et de poésies
estimées; Patricia Adami ( Diamant ine); Angelo Constan-
tini (Scapin et Arlequin ) ; deux lilles de Dominique ( Isa-
belle et Colombine) ; Évariste Gherardi ( Arleqtiin) , à qui
l'on doit un recueil en six volumes des meilleures pièces
françaises composées pour l'ancien Théàlre-Italien par Louis
Biancolelli, Lenoble, Regnard , Dufresny , Lamotte, etc.
En 1716 le duc d'Orléans rétablit la Comédie-Italienne,
et, en attendant la restauration de la salle de l'Hôtel de
Bourgogne, il permit aux nouveaux acteurs de jouer au
Palais-Royal. Ils débutèrent le 18 mai, au nom de Dieu,
de la Vierge Marie, de saint François de Paule et des
âmes du purgatoire. La recette dépassa 4,000 francs,
quoique les places fussent moitié moins chères qu'aujour-
d'hui : cette troupe, formée par Louis Riccoboni, qui
joua les premiers amoureux sous le nom de Lelio,et qui
est auteur de quelques pièces de théâtre et de divers ou-
vrages sur l'art dramatique et les spectacles, comptait en
talents distingués : sa femme, Hélène Balletti, première
amoureuse ( Flaminia ) , femme d'esprit et de mérite ; son
beau frère, Joseph Balletti, deuxième amoureux (J/ario);
THEATRE-ITALÎEN 541
Rose Bennozi , épouse du précédent , deuxième amoureuse
(Silvia) , qui joua ces rôles avec succès pendant quarante-
deux ans, rareté dont M"' Mars offrit de nos jours un
second exemjile ; Varlequin Thomas Vizentini ou Tho-
massin ; il y avait aussi un pantalon, un docteur, un scapin,
un scara)7wuche et une soubrette. L'année suivante, elle
recruta Dominique Biancolelli fils (Pierrot et Trivelin). Mais
comme on ne jouait sur ce théâtre que des pièces et des
canevas italiens, le public commençait à s'en dégortter,
lorsqu'en 1718 il y fut ramené par le Por^ à l'Anglais,
comédie d'A u t r e a u , la première comédie toute française
qu'on y ait représentée, et dont le succès encouragea l'au-
teur, ainsi que Riccoboni père et lils, leurs camarades ,
Dominique et Romagnesi , et Gueulette, Legrand , Marivaux,
Saint-Foix, Boissy, d'Allalnval, Delisle, Moi-
sy ,ete., à donner un grand nombre de comédies françaises et
de parodies, qui entremêlées de vaudevilles, de divertissements
et de ballets , varièrent agréablement le répertoire des pièces
italiennes. Les comédiens déjà se régissaient en société. En
1723 , après la mort du régent, ils avaient substitué au titre
de Comédiens de S. A. R. celui de Comédiens du Roi,
quoiqu'il ne leur allouât que 15,000 fr. par an.
La Comédie-Italienne avait un rival redoutable dans VO-
péra-Comique, éldh\\ à la foire Saint-Germain depuis le
commencement du siècle. Vainement, de concert avec
l'Académie royale de Musique et la Conjédie-Française, elle
lui avait suscité toutes sortes de chicanes et d'entraves :
nouveau Prothée, V Opéra-Comique prenait toutes les for-
mes, employait tous les expédients pour résister à ses en-
nemis privilégiés. Enlln, en janvier 176'2,on réunit les
deux spectacles; mais la fusion fut opérée dans la salle de
la Comédie-Italienne, rue Mauconseil.
Avant la réunion des deux spectacles , la révolution mu-
sicale , retardée à l'Opéra par la résistance et les intrigues
des lullistes et des ramisles, avait commencé à la Comé-
die-Italienne par La Serva padrona, musique de Petgolèse,
jouée en 1746, dans sa langue naturelle, puis en 1754,
avec des paroles françaises, et par deux autres intermèdes
italiens , Le JVfaf^re de Musique et La Bohémienne, en
1755. Elle s'était propagée à l'Opéra-Comique, en 1753,
par Les Troqueurs , de Vadé , musique de Dauvergne,
qui avait tâché d'imiter la manière italienne; en 1757, par
Le Peintre amoureux de son modèle, premier ouvrage
du compositeur italien Duni, et par quelques-uns de ceux
de Philidor etdeMonsigny, auxquels il avait ouvert la
route. Après la réunion, la révolution fit des progrès plus
rapides, par les talents et la fécondité des mêmes composi-
teurs, auxquelsse joignit, en 1769, Grétry (le Molière de
la musique). Les pièces en vaudevilles furent alors négli-
gées ainsi que l'ancien répertoire italien, et les comédies
françaises à ariettes ou sans musique obtinrent la faveur
exclusive du public. La Comédie-Italienne possédait l'ex-
cellent acteur et chanteur Caillot, Colalto ( Pantalon ) ,
Ciavarelli (Scapin), Lejcune, M*"^ Bagnioli, M"^ Desglands,
et plusieurs de ceux que nous avons cités. L'Opéra-Comique
avait amené dans la nouvelle société : M"* Deschamps
( depuis M™" Bérard ) , C I a i r v a 1 ( le 3/o/é de la Comédie-Ita-
lienne), La Ruette, qui a donné son nom à l'emploi des
baillis et des Cassandre. Les aequisitions plus récentes
consistèrent principalement en acteurs et en chanteurs fran-
çais. Ainsi, l'on vit débuter successivement M"*Villetle,
qui épousa La Ruette, Trial et M"* Mandeville, sa femme;
M™^ Billioni, Nainville, Michu, les deuxsœursColombeet
Adeline Riggieri, M"* Lefèbre, qui a tant ajouté à l'illu.stra-
1 ion théâtrale de D u ga z o n , son mari ; la bonne M""" G o n-
thier, etc. Ces nouvelles recrues, destinées à jouer et h
chanter dans les pièces françaises, rendant désormais inu-
tiles les comédiens italiens de naissance, dont plusieurs
étaient morts sans avoir été remplacés, on congédia ceux
qui restaient, en avril 1780, et on ne conserva que l'ex-
cellent Carlin et Camerani, qui abandonna la toque et le
manteau de Scapin pour devenir semainier perpétuel un
542 THËATRE-ITALIEN —
la nouvelle administration en société. Alors commença l'ère
la plus brillante de la Gomédie-llalienne, qui avait retenu
son ancien nom. On y vit arriver Carline, si bonne dans les
soubrettes et les travestissements ; M""= Verteuil , Granger,
quela jalousiedeMoléavaitempêclié d'être reçu au Théâtre-
Français. L'ancien répertoire français, déjà augmenté par
les ouvrages deFavart,deSedaine, etc., s'accrut encore
decf^uxde Mon vel , de Marsoll ier, deMercier, de La
Chabeaussière, de F lo ri an, de Desforges, etc. ; des vau-
devilles, remisa la mode par Pii s et Bar ré, Radet, etc.; des
opéras de Martini, Cliampein, Dezaides , et surtout deDa-
layrac. De nouveaux chefs-d'œuvre de Grétry vinrent encore
l'enrichir. Mais l'incendie de l'Opéra, près du Palais-Royal,
ayant fait craindre un malheur plus grand dans le quartier
étroit et populeux où était située la salle de l'Hôtel de Bour-
gogne, on accepta l'offre du duc de Choiseul, et sur le
terrain qu'il céda (ut construit , par l'architecte Heurtier,
le théâtre l'avart, qui adonné à une partie du boulevard le
nom d'//a/ien, quoiqu'on n'ait pas voulu y placer sa façade.
Sonouverlure eut lieu le 18 avril 1783, et sa prospérité
alla toujours croissant, jusqu'à l'époque de la révolution de
1780 : là débutèrent l'infatigable Chenard , qui pendant
quarante ans a chanté avec succès les premières basses -
tailles en tous genres; M"^ Regnault (qui depuis épousa
le poète d'Avrigny ) , à la voix si fraîche , si pure et si
flexible; M"" Saint-Aubin , au jeu si vrai, si expressif, si
gracieux , si varié , si universel , car elle excellait dans la
comédie et dans le drame , comme dans l'opéra comique ;
Solié, bon comédien , agréable compositeur, qui , le premier
à ce théâtre sut adapter la méthode italienne au chant
français; Elleviou,qui depuis, comme acteur et comme
chanteur, fut un des principaux soutiens de ce théâtre. Là
furent joués les premiers opéras de Berton, de Jadin, de
K r eu t z e r, de M é 11 u 1 ; les premiers ouvrages deDejaure, de
Fié vée, etc. Aucun spectacle n'offrait un ensemble plus
parfait. Mais la jalousie et la discorde se mirent entre les
sociétaires, au moment où ils auraient eu le plus besoin
d'être unis. Lorsqu'en 1787 on fit venir à Paris un opéra
buffa, il fut question de le mettre à la Comédie-Italienne,
où il aurait joué trois fois la semaine, et alterné avec les
acteurs qui ne jouaient que des comédies françaises. Ce
théâtre aurait alors un peu mieux justifié son litre. Cette
idée ne fut cependant réalisée qu'au Théâtre de Monsieur
{ooijez Fevdeau), où dès 1789 on représentait des co-
médies et des opéras français et italiens. Le nouveau spec-
tacle offrait une rivalité redoutable à la Comédie-Italienne,
qui s'obstinait ridiculement à conserver ce nom. Plus tard,
la liberté, l'indépendance, l'abolition des privilèges, firent
éclore une foule de théâtres dans Paris. Les comédiens ita-
liens chantants voulurent seuls soutenir la concurrence mu-
sicale contre le Théâtre de Monsieur, Ils expulsèrent , en
1790, leurs camarades, qui ne jouaient que ledrameet la
comédie, et ceux-ci allèrent s'établir au Théâtre du Marais,
dontCourcelles, l'un d'eux, fut le directeur. Les acteurs
restés au Théâtre Favart suppléèrent à leur départ en jouant
dans la comédie, le drame et l'opéra comique; mais comme
ils avaient également renoncé au vaudeville, Rosières,
celui d'entre eux qui réussissait le mieux dans ce genre,
se concerta avec Piis et Barré pour fonder le Théâtre du
Vaudeville, rue de Chartres. Enfin, après le 10 août 1792,
ils prirent le titre A' Opéra-Comique national de la rue
Favart, lorsque le départ des bouffons italiens leur per-
mettait de garder plus raisonnablement un nom auquel ils
avaient tenu si longtemps. \\. Addiffret.
La révolution de 1793 couvrit la voix des chanteurs ita-
liens. Sous le consulat, on reprit à petit bruit to>ites les
habitudes du passé. Vopéra buffa ressuscita en s'alliant au
théâtre de Picard, d'abord salle Louvois, puis à l'Odéon.
C'est là que madame Barilli fit entendre sa voix d'une fraî-
cheur et d'une pureté inaltérables. Auprès d'elle se grou-
paient le beau ténor Crivelli, Porto, à la basse-taille mor-
dante, Tacbinardi, à la taille de nain, mais à la voix en-
THÉATRES DE SOCIÉTÉ
chanteresse. La Restauration nous amena madame Cata-
lan i , la cantatrice des congrès, voix surprenante par son
timbre argentin et ses vibrations éclatantes, mais toujours
la même qu'on l'avait entendue la première fois. De plus,
son orgueil insatiable ne pouvait souffrir aucune rivalité.
Chargée de la direction du théâtre, elle s'ëlitoura des mé-
diocrités les plus pâles, et finit par le désorganiser complè-
tement. Il y eut lacune pour les amateurs à^opéra bu/fa
depuis le milieu de 1818 jusqu'au printemps de 1819. Alors
le gouvernement mit ce théâtre sous la même direction que
le grand Opéra.
Là commença une nouvelle révolution musicale, que
nous voyons aujourd'hui sur son déclin, tant les révolutions
vont vite au dix-neuvième siècle! Longtemps quelques chefs
d'ceuvre de C i marosa, de Paisiell o , de G uglielm i.
Il Matrimonio segreto, La Moiinara, Les Horaces, un
ou deux opéras de Mozart, avaient suffi aussi aux jouis-
sances desdilettanti. Un peu plus tard l'école intermédiaire
de Fioravanti, Generali (le maître de Rossini), Mayeret
Paër, avait agréablement varié les plaisirs du public. En
1819 la renommée d'un jeune compositeur, dont les chants
enivraient toute l'Italie, ayant percé jusqu'à la rue de Ri-
chelieu , il lallut bien donner aux amateurs un échantillon
de la nouvelle musique, ne fût-ce que pour essayer leur
goût. On se rappelle encore l'espèce d'hésitation avec la-
quelle les habitués de la petite salle Louvois accueillirent
la première représentation de II Barbiere de Rossini .
C'étaient des effets tout nouveaux ; les vieux classiques
étaient déroutés avec ce rhythme saillant, vif et pressé,
avec cette profusion de crescendo, ce style rapide, haché,
capricieux, semant les idées sans en développer aucune;
mais lorsqu'au lieu de madame Ronzi-Debegnis, ce fut
madame Ma invie 11 e-Fodor qui prêta au rôle de Rosine
le charme de sa voix veloutée , flatteuse et pénétrante ,
alors l'effet fut magique; il n'y eut plus d'opposition pos-
sible. La même cantatrice inaugura le triomphe de La Gazza
ladra. Madame P as t a, avec son jeu admirable et sa voix
expressive, quoiqu'un peu voilée, nous révéla les beautés
û'Otello, de Tancrède. L'organe agile et brillant de made-
moiselle Mombelli fit valoir La Cenerentola et La Donna
del Lago. Enfin, deux jeunes cantatrices continuèrent cette
vogue : l'une, mademoiselle S on ta g, unique par sa voix
pure et légère, d'une finesse et d'une flexibilité prodigieuses;
l'autre , madame .M a 1 i b ra n , douée de grandes facultés ,
inégale, exagérée et surprenant l'admiration au milieu de ses
écarts parfois sublimes.
Le règne musical de Rossini se consolida en France et
par toute l'Europe comme en Italie. Le fécond maestro vint
lui-même à Paris surveiller la mise en scène de ses ou-
vrages ; il en composa ou en arrangea pour l'Opéra Fran-
çais ; la réforme s'étendit jusqu'aux chanteurs , et l'on put
croire un moment que Vurlo francese allait disparaître de
nos théâtres. Longtemps les opéras de Rossini défrayèrent
presque exclusivement notre répertoire lyrique, à part
quelques essais de ses imitateurs Mercadan te, Pacini,
D 0 n izetti et d'un jeune rival, plus heureux que les autres,
l'auteur de La Straniera, du Pirate, de Korma, B e 1 1 in i,
qui certes n'a pas toute la vigueur et l'exubérance de Ros-
sini , mais possède peut-être un style plus simple et plus
périodique, des idées habilement développées et une expres-
sion toujours juste. Aktald.
THÉÂTRES DE SOCIÉTÉ. Au siècle dernier comme
aujourd'hui, un des ridicules de la société parisienne fut de
vouloir s'amuser à jouer la comédie dans les salons. On a été
plus loin, et certains amateurs ont poussé Vamour de l'art
jusqu'à construire de véritables salles de spectacle dans leurs
hôtels, et à faire ainsi concurrence aux théâtres payants;
car, une fois les salles construites, on tient toujours à les
remplir et à ne pas jouer devant les banquettes; et néces-
sairement alors la société y devient des plus mêlées. M"' de
M ontesson , il faut le reconnaître, était à cet égard plus
scrupuleuse qu'on ne l'est auiourd'bui Pour la peinture d«
ce travers de notre époque , nous renverrons le lecteur à
l'article Castellane ( Hôtel ).
THÉBAÏDE. C'est d'abord le territoire de Tlièhe s,
puis un nom donné à l'Egypte supérieure d'après sa capitale,
et qu'Hérodote emploie déjà dans ce sens. Suivant Strabon,
laThébaïde contenaitdix nomes, ou provinces, et s'étendait
au noid jusqu'au Térot copte, le Darout-el-Sclieris actuel.
C'est de là qu'est dérivé le canal Bahr-Youssouf, conduit dans
le Fayoum, et qui dans toute son étendue appartient à l'E-
gypte centrale. Au sud, les limites de la Tbébaide sont aussi
celles de l'Egypte ; et Hérodote parle de Syène, située tout à
son extrémité méridionale, comme d'une ville appartenant
à la Tbébaide.
THÉBAINE ou THÉBÉENNE (Légion). Voyez Saiïnt
MAUIilCF..
THÈBES, nom de plusieurs villes de l'antiquité, dont
la plus célèbre était la capitale de la Haute Egypte. Le nom
est d'origine égyptienne, et se prononce dans les inscriptions
hiéroglypbiques Ap, ou avec l'adjectil' féminin Tap, d'où on
a fait Thébé et Thèbe.s. Le pluriel n'est pas non plus rare
en biéroglyplies; mais alors le nom se prononce Nup. La
véritable signification du mot Ap rtait celle d'un certain
petit sanctuaire d'Ammon, comme il en existiiit beaucoup à
Tiièbes. Outre son nom populaire de Tap, la ville , comme
la plupart des grandes villes d'Egypte, avait encore un se-
cond nom saint, provenant du dieu local particulier, Am-
mon. On l'appelait la ville iVAmmon ; aussi les Grecs pour
la désigner employaient-ils un second nom, Dïospolis, mais
dont Hérodote ne se sert pourtant pas encore. Dans l'An-
cien Testament Tbèbes est appelée No et I\'o-Ammon (Nou-
Amoun ). Ce nom paraît devoir être dérivé du mot non
de l'ancienne langue égyptienne , signifiant ville , qui a
disparu dans la langue copte, mais qui était la dénomination
ordinaire dans la langue biéroglypbique.^ et la suppression
de l'addition Ammon pourrait bien dater de l'époque où
Thèbes était la capitale de tout le pays , Yurbs d'Egypte.
C'est ce qui expliquerait comment saint Jérôme et d'autres
encore après lui ont pu traduire No par Alexandrie. Dio-
dore rapporte une tradition suivant laquelle Tbèbes aurait
été fondée par Osiris, qui l'aurait appelée d'après Isis. Les
savants modernes en ont bien à tort conclu que Tbèbes
avait été fondée à une époque antérieure aux temps bisto-
riques. Diodore à sans doute confondu ici Tbèbes avec
This, viile de la Haute Egypte, qui fut la plus ancienne
résidence des rois d'Egypte et à laquelle seule peut s'appli-
quer cette tradition , ses dieux locaux étant Osiris et Isis.
Sur les monuments Tbèbes est à peine nommée avant la
onzième dynastie de Mauétbon ( environ deux mille cinq
cents ans av. J.-C. ), de même qu'Ammon, son dieu local,
et n'était peut-étrejusque alors qu'une ville «le |)rovince très-
peu importante. Les dynasties antérieures résidaient géné-
raleifteiit à Mempiiis , ville de la Basse Egypte. La on-
zième soumit de nouveau la Haute Egypte à la Basse Egypte,
et établit sa résidence à Tbèbes. Les plus anciens tom-
beaux de rois dans les rocbes des vallées de la Libye ap-
partiennent à cette dynastie. Les grands Pbaraons de la
douzième dynastie gouvernaient déjà de Tbèbes tout le
royaume. On bâtit alors le grand temple d'Ammon sur la
rive orientale du Nil. Pendant la domination des Hiksos,
qui suivit cette douzième dynastie, la splendeur de Tbèbes
riéchut beaucoup, quoiqu'elle fût encore le siège d'une
dynastie de la Haute Egypte-, mais peut-être pas indépen-
dante. Après l'expulsion de Hiksos, la ville d'Ammon re-
devint la capitale de toute l'Egypte , et Ammon lui-même
fut érigé en roi des dieux du pays. Les dynasties tbébaines,
depuis la dix-septième jusqu'à la vingtième, qui régnèrent
du dix-septième au douzième siècle av. J.-C, portèrent
Tbèbes à l'apogée de sa splendeur. La plupart de ses ma-
gnifiques temples et de ses tombeaux creusés dans le roc
vif appartiennent à cette époque. Les dynasties de la Basse
Egypte parvinrent au trône avec la vingt-etunième dy-
•lastie. Thèbes fut peu à peu éclip.sée par Mempbis. La cou-
THÉATRES DE SOCIETE — THÈBES 548
quête de l'Egypte par les Perses aux ordres de Cambyse
eut pour .suites de grandes dévastations à Tbèbes. La dy-
nastie grecque jugea politique de remplacer la capitale des
anciens piinraons de la Haute Egypte par une ville grecque
de fonilation nouvelle. Ptolémée Lagus t^"" enleva à Tbèbes
une grande partie de son antique importance en fondant
Ptolémaïs, de môme qu'en fondant Alexandrii^ Alexandre
avait ruiné Mempbis. Strabon mentionne déjà Ptolémaïs
comme la plus grande ville de la T li ébaîd e, et pour la
grandeur et l'étendue la compare à Mempbis. De première
ville du royaume qu'elle était autrefois, Tbèbes arriva à ne
plus en être que la quatrième. Son ancienne enceinte n'é-
tait plus remplie, et elle s'était divisée en plusieurs locali-
tés, que Strabon mentionne déjà. Toutefois, la ville du temple
demeura intacte. Germanicus , noble caractère et esprit
éclairé, qui la Mh'xtaantiquilatiscognoscendsecausa, admi-
ra encore les magna vestigia velerum Thebarum, et se fit
expliquer par les prêtres les inscriptions biéroglypbiques qui
sur les murailles' du gnmd temple témoignaient de la splen-
deur et de la prospérité de l'ancienne ville. Il est encore
question d'agrandissements et de restaurations des temples
de Tbèbes , tant à l'époque grecque qu'à l'époque romaine,
jusque sous le règne d'Antonin. Sous la domination arabe
quatre villes distinctes se formèrent sur l'emplacement de
l'ancienne Tbèbes : Karnak et Louqsor sur la rive droite,
Medinet-Habou et Gournab sur la rive gaucbe. A Karnak on
voit encore les admirables riunes de l'ancien tenqde, qui avait
666 mètres de long , et dont le célèbre liypo.style contenait
134 colonnes, dont quelques-unes avaientjusqu'à 22 mètres
d'élévation. Aunedemi-beureen amont du fleuve se trouve
le temple deLouq.sor, construit vers l'an 1,500 av. J.-C, par
Aménopbislll. Sur la rive libyenne du iNil, le long des limi-
tes du désert, se trouvent les ruines d'une longue suite de ma-
gnifiques édifices, parmi lesquels on remarque surtout le tem-
ple de Gournab, construit par Sétbos l", au quinzième .siècle
av. J.-C, le temple construit par Ramsès II, au quatorzième
siècle av. J.-C, et que Diodore décrit déjà en le désignant
comme le temple-tombeau du roi Osymandyas, celui de
Ramsès lit datant du douzième siècle av. J.-C, ainsi
qu'un temple de la reine INoumt-Amen et de son frère
Tboutmosis III, sculpté en grande partie dans le roc li-
byen. Plus loin, dans une verte vallée, se trouvent les deux
colosses de M e m non, appelés par les Arabes Schama et
Thama ou les idoles (sanamât), dont celui qui est situé
au nord est connu sous le nom de statue vocale ou sonore. Ils
formaient jadis les gardiens d'un temple qui a disparu, et
représentaient le roi Aménopbis III, qui avait construit ou
agrandi ce temple. Dans les montagnes de Libye situées
tout près de là se trouvent les vallées dans les rocbers des-
quelles sont taillés les tombeaux des rois des dix-buitième,
dix-neuvième et vingtième dynasties, appelés parles Arabes
Bab ou Biban-el-Molouq (les Portes des Rois). Dans une
vallée située au sud , derrière Médinet-Habou, se trouvent
les tombeaux d'une foule de princesses des dix-neuvième
et vingtième dynasties, de celles que Diodore désigne sous
le nom de Pallacides de Zeus (Mninon). La ville de
Tbèbes proprement dite était située sur la rive droite du
Nil, tout autour de la ville-temple de Karnak. Mais les rui-
nes en gisent aujourd'liui enfouies , sauf une partie au nord
du grand temple, sous le sol de la vallée, qui cbaque année
s'élève davantage. Le surnom bomérique de ville aux
cent portes ( Hekatompylos ) avait bien plutôt trait, si
tant est que cela puisse faire question, à la prodigieuse
quantité de hauts pylônes de temple qu'aux portes de la
ville. Les Grecs donnaient le nom de Memnonia à la partie
occidentale de Tbèbes, à cause de la longue suite de tem-
ples magnifiques qui se succédaient le long de la mon-
tagne de Libye, et qui étaient destinés au culte de leurs
royaux cousti ucteurs après leur mort.
Wilkinson a publié un grand plan de la plaine de Tdêbes,
relevé avec le plus grand .soin. On en trouve "i autre sur
une échelle réduite, mais rectifiée, dan^ l'ouvrage de l'ex
544 THÈBES —
pi^dition prussienne en Kgypte, qui contient (également des
plans particuliers de chacun des différents temples.
TIIKBES, appelée aujourd'liiii Thiva , capitale de la
Déotie et l'une des villes les |>lus importantes de la Grèce an-
tique, patrie dePindare,d'Épaminondasetde l'é-
lopidas, fut fondée, suivant la tradition, vers l'an 1500 av.
J.-C., dans une plaine onduleuse, sur les rives de l'Isniène,
par Cadmus, qui y construisit d'abord une citadelle appe-
lée Cadinea , et autour de laquelle s'éleva peu à peu la
ville, qui était défendue par sept tours. Les pierres du
mur qui lai servait d'enceinte se joignirent d'elles-mêmes
aux accords harmonieux de la lyre d'Amphion. En s'agran-
dissant la ville s'orna d'une foule de temples et d'édifices pu-
blics remarquables par le luxe de leur architecture, et aussi
de statues : ses environs étaient délicieux. Sa plus ancienne
forme de gouvernement fut la forme monarchique; à celte
obscure époque se rattache le sort tragique des premières fa-
milles souverainesqui jouent un sii^randrôle dans la poésie
grecque, notamment de la famille d' Œdipe, ainsi que le
récit de la lutte des sept- ch e fs ( vers l'an 1225 av. J.-C. )
et de l'expédition des Épigones. A l'époque de la guerre
de Troie, Tlièbes gisait encore en ruines ; et elle ne fut re-
construite parles Béotiens que soixante ans après. A l'époque
des guerres des Perses, pendant lesquelles Thèbes et pres-
que toute la Béotie prirent ouvertement parti pour les
envahisseurs, ce pays obéissait à une oppressive oligarchie,
qui se maintint encore pendant la guerre du Péloponnèse.
Plus tard, la constitution participa tout à la fois de l'aristocra-
tie et delà démocratie. Dans cette dernière guerre les Thé-
bains rendirent des services essentiels aux Spartiates; et
ils n'obtinrent pas moins de succès dans les luîtes qui
eurent encore lieu entre Athènes et. Sparte, où celle-ci se
mêla d'ailleurs arrogamment de ses affaires intérieures. Ce-
pendant le Spartiate Phœbidas finit, en l'an 383 av. J.-C,
par s'emparerdelacidalelle de Carfmen, d'accord avec le che(
du parti aristocratique, Léonliadès. Plusieurs démocrates lu-
rent tués, d'autres se réfugièrent à Athènes ; dans le nombre
se trouvait Pélopid as, ce courageux jeune homme; et une
poignée de conjurés sauvèrent alors Tlièhes, en massacrant
les aristocrates (an 378 av. J.-C.) et en chassant de Cadmea la
garnison Spartiate, avec l'aide des Athéniens. Vers cette
époque, Thèbes, en réduisant les autres villes de la Béotie à
une espèce de dépendance, parvint à jouer en Grèce un
rôle aussi important que Sparte et Athènes; mais elle ne
conserva sa prééminence que tant qu'elle eut à sa tête Pélo-
pidas et Épaminondas, citoyens aussi remarquables par
leurs talents que par leur patriotisme et leur valeur (voyez
Béotie). Les Thébains ayant repoussé la pacification géné-
rale de la Grèce proposée dans ses propres intérêts par le
roi de Perse , afin de ne pas se trouver abandonnés aux
vengeances de Sparte, le Spartiate Cléombrote entreprit, à
la tête d'une nombreuse armée, de délivrer les Béotiens du
joug de Thèbes ; mais il fut vaincu par Épaminondas, en
l'an 371 av. J.-C, à la bataille de Le u êtres. Cette glo-
rieuse victoire valut aux Thébains beaucoup de nouveaux
alliés, notamment \e^ habitants du Péloponnèse; et Sparte
sentit alors la prépondérance de Thèbes , qui commença à
devenir un sujet d'inquiétude pour Athènes. Il en résulta
entre ces deux villes une alliance créée par le sentiment du
péril commun, (pii mit momentanément obstacle aux pro-
grès ullérieurs d'Épaminondas dans le Péloponnèse, quoique
Pélopidas à la même époque ajoutât à la considération des
armes thébaines, en Thessalie , en intervenant contre l'op-
pression du tyran Alexandre de Phères, et en Macédoine
en protégeant l'héritier légitime du trône. Cependant, les
Arcadiens avaient fini par s'affranchir complètement de la
domination de Tiièbes et par dominer eux-mêmes dans le
Péloponnèse. Épaminondas se décida donc à envahir cette
contrée ; et aussitôt les Spartiates de marcher à sa rencontre.
La sanglante bataille de Mantinée décida enfin, en l'an
362 av. J.-C, de la prééminence des deux nations en pré-
setice. Les Thébains j remportèrent la victoire ; mais le grand
THELLUSSON
1 Épaminondas y perdit la vii. De cette époque oate la déçjj-
! dence de Thèbes, comme celle de tous les autres grands Etais»
de la Grèce. Les progrès accélérée de la corruption des
; mœurs y contribuèrent beaucoup ; et le roi de Macédoine P h i-
^ li ppe II sut habilement tirer parti de cet affaissement gé-
I néral pour la réussite de ses plans ambitieux. Au lieu de
j réunir leurs forces en présencedu danger commun, les Grecs
I s'affaiblirentencore en se combattant les uns les autres pen-
i dant dix ans, à partir de l'an 356, dans la guerre dite Sacrée
j ou de la Phocide, où les Thébains prirent parti contre les
Phocéens; [)uis, quand ils eurent été vaincus par ceux-ci,
ils invoquèrent le secours du roi Philippe. Ils ne tardèrent
pas à s'apercevoir qu'un plus grand péril encore les menaçait
de ce coté, et ils s'allièrent en conséquence avec les Atiié-
niens et d'autres États grecs; mais la journée de Chéro-
née fut, en l'an 338 av. J.-C, le tombeau de leur indépen-
dance. Les Thébains , qui durent alors recevoir une garni-
son macédonienne dans leurs murs, s'étant révoltés à la
mort de Philippe contre son successeur Alexandre, et
ayiMit essayé d'expulser les Macédoniens de la citadelle, le
nouveau roi accourut, et prit d'assaut leur ville, qu'il dé-
truisit. 6,000 Thébains furent tués et 30,000 vendus comme
esclaves. Le vainqueur n'épargna que les temples et la mai-
son de Pindare. Vingt ans plus tard, Cassandre et les Athé-
niens entreprirent, il est vrai, de reconstruire Thèbes; mais
dans la guerre des Romains contre Mithridate, l'appui qu'elle
donna au roi de Pont fut encore sévèrement châtié. Dès
lors ce ne fut plus qu'un bourg sans importance; et au
deuxième siècle de notre ère il ne restait plus la moindre
trace de la ville basse. Leake, dans ses Travels in Nor-
thern Greece (Londres, 1835) a donné une description
exacte, avec plan, des ruines de l'ancienne ville.
THÉ DU MEXIQUE. Voyez Ansérine.
THÉ OU PARAGUAY, THÉ DES APALACHES.
Voyez Houx.
THEIIME, alcaloïde, qui cristallise en longues aiguilles,
soyeuses, blanches, perdant à lOCdeuxéquivalents d'eau. Il
est amer, fusible à 177" et suhlimable à .384°. C'est une
substance identique à celle qui dans le calé a reçu le nom
de caféin e.
THÉISME. Voyez Déisme.
THEISS(La) , en hongrois Tisza, en slave Tisa, le
plus grand afiluent du Danube et après lui le cours d'eau le
plus important de la Hongrie, en môme temps que le plus
poissonneux qu'il y ait en Europe, prend sa source dans le
comilat de Marmaros , près des frontières de la Gallicie,
dans les Karpathes, et se jette dans le Danube, au-dessous
de Titel. La distance directe entre sa source et son embou-
chure est de 44 myriamètres, mais en tenant compte des
nombreuses sinuosités qu'elle décrit elle est de 110 myriamè-
tres. Son bassin, qui comprend la moitié orientale de la Hon-
grie, le Banatet toute la Transylvanie, sauf son exirémité
sud-est, comprend une superficie de 1,862 myriamètres car-
rés; sa largeur moyenne varie entre 180 et 300 mètres. Elle
reçoit le tribut des eaux de la Bodrog, prè-s de Tokay, de
la Hernod , au-dessous de Tokay , de la Zagyva près de
Szolnok, du Szamos près d'Olesva, du Kœrœs près de
Csongrad, de la Maros près de Szegedin, et de la Bega
près de Titel. Tant qu'elle coule au milieu des mon-
tagnes, ses eaux sont d'une limpidité et d'une rapidild
extrêmes ; elles deviennent bourbeuses et lentes, quand elles
ont atteint le pays de plaines. D'énormes travaux entrepris
dans ces derniers temps pour régulariser son cours ont fait
disparaître et ont transformé en terrains arables une bonne
partie des marais qui avaient pour origine, dans bipartie
inférieure de son cours , les fréquentes inondations, et qui y
formaient des foyers de pestilence.
THELLUSStHV (Pierue-Isaac), riche négociant de
Londres, qui par son singulier testament a tant fait parh.r
de lui , descendait d'une famille protestante française, qui à
l'époque des persécutions religieuses émigra à Genève, où
elle acquit des richesses et de la considération. Il était l'un
THELLUSSON — THÉMISTOCLE
545
des plus jeunes fils Alsaac Tiiellusson , lequel avait passé
la plus grande partie de sa vie à la cour de Versailles en
qualité de résident genevois. A sa mort, arrivée en 1797, il
laissait une veuve et trois fils, qui tous du vivant même de
leur père avaient fait des fortunes considérables, soit dans
les affaires , soit par des mariages. Aux termes de son tes-
tament, sa veuve et ses trois fils n'héritèrent que d'une faible
part de sa fortune. La plus forte partie de l'héritage, d'une
importance totale de 700,000 liv. st. (17,500,000 fr. ),
dont 100,000 liv. st. (2,500,000 fr.) en fonds publics,
fut confiée à l'administration d'exécuteurs testamentaires ,
tenus d'ajouter chaque année au capital les intérêts qu'il
aurait produits, et ce jusqu'à la mort des trois fils du testa-
teur, de leurs enfants et de ceux qui leur naîtraient encore
dans les neuf mois qui suivraient l'ouverture du testament.
En un mot , la succession du défunt ne devait s'ouvrir qu'a-
près la mort de ses fils et petits-fils, dès lors au profit seule-
ment de ses arrière-petits-enfants. A ce moment le capital
accumulé devait être divisé en trois parts, et chacune de ces
parts être attribuée aux représentants des trois branches ; si
l'une des branches venait à s'éteindre auparavant, le capital ne
devait plus êti e divisé qu'en deux parts. Si une seule branche
subsistait encore, à elle la totalité de l'héritage pour, à son
défaut, revenir à l'État, qui devait le consacrer à l'amor-
tissement de la dette publique. A la mort de Pierre- IsaacThel-
lusson , l'aîné et le plus jeune de ses fils avaient chacun deux
fils. Son fils cadet était sans enfant , et n'a pas eu de postérité.
Le plus jeune eut en outre, dans les neuf mois qui suivirent
la mort de son père, deux fils jumeaux. Comme un espace
de soixante à soixante-dix ans devait s'écouler avant que
ces neuf individus, fils et petits-fils du testateur, pussent être
moits, il y avait chance que le capital primitif de 700,000
liv. st. s'élevât au moment du partage à la somme d'au
moins dix-neuj millions sterling (375 millions de fr.).
On pouvait même admettre que la liquidation de la succes-
sion fût encore retardée d'une dixaine d'années, s'il restait à
ce moment un seul arrière-petit-fils du testateur et qu'il fût
mineur; cas auquel le capital total s'élèverait alors à trente-
deux millions sterling {hidl cents millions de francs).
Lord Rendiesham, fils aîné du testateur, chercha à faire
infirmer l'acte des dernières volontés de son père en raison
des clauses étranges et inaccoutumées qu''il contenait. Mais
lord Ellenborough, alors chancelier, maintint la validité du
testament, et la cour du Banc du roi n'admit pas qu'il y
eût lieu d'en appeler au parlement, attendu qu'il n'existait
aucun texte de loi contraire aux dispositions testamentaires
de Pierre-Isaac Thellusson. Le parlement respecta la sen-
tence rendue par les juges ;' mais en 1805 il fut fait une loi
prohibant désormais toute accumulation d'intérêts compo-
sés au delà d'une période de vingt-un ans.
THEME (du grec 6é[ia, position), matière d'un discours,
d'une dissertation. En musique, on appelle ainsi le motif
qui sert de base à un morceau.
THÈME DE NATIVITÉ. Voyez Horoscope.
THÉMIS, fille d'Uranoset de Gaea, épouse de Jupiter,
dont elle eut les Heures et trois adorables sœurs, l'Équité,
la Justice et la Paix. Elle est la déesse de l'ordre légitime,
la protectrice du droit, la justice personnifiée. Elle habitait
l'Olympe, où elle était chargée de convoquer l'assemblée des
dieux et de présider à leur table. Elle parait en outre comme
la déesse de la divination, et à ce titre elle était après Gsea ,
mais avant Apollon, la protectrice de l'oracle de Delphes.
On l'adorait en plusieurs endroits. Comme déesse de la jus-
tice; les modernes la représentent un bandeau sur les yeux,
tenant d'une main une balance et de l'autre un glaive.
THEMIS(4sirono?/iJe), planète télescopique décou-
verte par M. de Gasparis, le 6 avril 1853. Sa distance
moyenne au Soleil est représentée par 3,142, en prenant
celle de la Terre pour unité. La durée de sa révolution sidé-
rale est de 2034 jours. Son orbite, dont l'excentricité est
égale à 0,123, a une inclinaison de 0" 49' 26".
E. Merlieux.
WCT. DE LA CONTER 8. -- T. XVI.
THÉMISOIV, célèbre médecin grec, conleroporain
d'Auguste, et qui habitait Laodicée. Élève d'Asclépiade, il
fonda la secte des méthodiques, opposée à celle des empi-
riques. ^
THÉMISTOCLE, l'un des plus grands capitaines et
des plus célèbres généraux qu'ait eus la Grèce, naquit à
Athènes, l'an 514 av.-J.-C. Naturellement ambitieux et avide
de gloire, il montra de bonne heure une passion des plus
vives pour les affaires publiques ; et en profitant habilement
des circonstances , de même qu'en faisant d'immenses dé-
penses, il réussit à attirer sur lui l'attention de la foule et
à se créer un parti. Tout retentissait alors de l'éclat de la ba-
taille de Marathon (an 490 av. J.-C). Chacun connaît le
mot de Thémistocle, qui était inquiet et sombre depuis la
nouvelle de cette victoire, qui avait sauvé sa patrie. « Les tro-
phées de Miltiade m'empêchent de dormir! » Quoi qu'il en
soit, son coup d'oeil dès lors fut plus juste que celui de
ses concitoyens. Tous regardaient cette victoire comme la
fin de la guerre contre les barbares. Thémistocle, qui entre-
voyait de grandes choses dans l'avenir et des services non
moins glorieux qu'il pourrait, lui aussi, rendre à sa patrie,
détrompa les Athéniens, et ne leur permit pas de s'endormir
dans une sécurité qui leur aurait été fatale. Après la mort de
Miltiade, il se trouva avec Aristide, si célèbre par son
équité, l'arbitre des destinées d'Athènes. En prenant parti
pour le peuple, il chercha alors à atteindre le but de toute
son ambition et à gouverner seul sa patrie. Il fit donc appli-
quer la peine de l'ostracisme à Aristide, alors encore
l'un des coryphées du parti aristocratique , en propageant
activement lui-même des rumeurs calomnieuses qui re-
présentaient son rival comme songeant à exclure le peuple
des fonctions judiciaires. En même temps ce fut lui qui fit
rendre par l'assemblée du peuple une décision en vertu de
laquelle le produit des mines d'argent de Laurion devait être
employé à la construction d'une flotte; interprétant ainsi
une réponse de l'oracle qui conseillait aux Athéniens de
chercher leurs moyens de défense derrière des murailles de
bois , parce qu'avec sa sagacité naturelle il voyait bien
qu'en raison de la prépondérance que ses forces de terre
assuraient à Sparte, \\ n'y avait de puissance et même de salât
possibles pour Athènes que dans la création d'une marine.
A l'approche de l'immense armée perse, aux ordres de
Xerxès l", qui tentait encore une fois de conquérir la Grèce,
Thémistocle s'efforça vainement de déterminer tous les. peu-
ples de la Grèce à unir leurs forces pour repousser l'inva-
sion des barbares ; Sparte avec la confédération du Pélopon-
nèse , et Athènes avec Thespie et Platée tinrent seules tête
à l'ennemi commun. Après l'héroïque dévouement de la
poignée de Spartiates et de Platéens qui se firent tuer jus-
qu'au dernier en défendant le passage des The r m opyles,
l'armée des Perses se dirigea vers l'Attique sans plus ren-
contrer d'obstacles sur sa route, et incendia Athènes, que
Thémistocle avait conseillé à ses concitoyens d'abandonner.
Pendant ce temps-là , la flotte combinée des Grecs, à la suite
de deux engagements livrés à Artémisium et restés indécis,
s'était retirée à Salamis ; et Thémistocle, qui déjà n'avait pu
qu'à prix d'or déterminer le Spartiate Eurybiades, le véri-
table général en chef, à persister dans la lutte, contraignit ,
en recourant à la ruse, les Péloponnésiens à livrer de nou-
veau une bataille navale, dont le résultat fut la brillante
victoire remportée dans les eaux de Salamis, le 23 sep-
tembre de l'an 480 av. J.-C; victoire qui délivra la Grèce
du joug des Perses et porta la gloire de Thémistocle à son
apogée. Dès lors son nom ne fut plus seulement célèbre dans
sa ville natale, mais dans tous les autres États de la Grèce,
surtout lorsque la rupture du pont jeté sur l'Hellespont eut
contraint Xerxès à s'en retourner en Asie. Athènes fut alors
reconstruite, sous la direction de Thémistocle, dans de plus
larges proportions; et malgré la jalousie qu'inspirait à Sparte
l'accroissement de sa rivale, elle fut promptement entourée de
fortifications, et son port le Pirée achevé (voyez Athènes),
A partir de ce moment un antagonisme visible se manifesta
3â
546
entre les Etats aristocratiques et les Etats démocratiques de
la Grèce ; et c'est Athènes qui représente l'élément démocra-
tique et en défend les intérêts. Il ne laissait pourtant pas
que d'y subsister toujours un parti aristocratique, qui réussit
à faire considérer la puissance extraordinaire exercée par
Thémistocle comme un danger pour la constitution, et enfin,
en l'an 473, aidé par les intrigues secrètes des Spartiates, à
faire appliquer à ce grand citoyen la peine de l'ostracisme.
Thémistocle se réfugia d'abord à Argos ; puis, soupçonné d'a-
voir pris part aux coupables intelligences nouées par Pau-
sanias avec les Perses , il se retira à Corcy re , et ensuite chez
Adraète, roi des Molosses. La haine des Spartiates l'ayant
encore poursuivi dans cet asile, Thémistocle se retira au-
près d'Artaxèrxès 1", qui lui assigna pour vivre le revécu
des impôts de trois villes, Magnésie, Myus et Lampsaque.
C'est là aussi qu'il mourut, empoisonné peut-être, mais sans
avoir jamais rien entrepris contre sa patrie.
■ THÉIVARD ( Louis-Jacques , baron ) , né à Nogent-sur-
Seine, le 4 mai 1774, vint de bonne heure à Paris, où il se
consacra à létude de la chimie ; et dès l'âge de vingt ans il
obtenait une place de répétiteur du cours de chimie à l'É-
cole Polytechnique. Ses vastes connaissances, son infatigable
ardeur pour le travail lui méritèrent de bonne heure la
chaire de chimie au Collège de France et celles de l'École
Polytechnique et de la Faculté des Sciences. Charles X,à son
avènement au trône, lui conféra le titre de baron. Dès 1810
l'Académie des Sciences l'avait admis dans son sein. Envoyé
en 1827 à la chambre des députés, il y vota l'adresse
des 221 , et ne fut cependant point réélu aux élections de
1831. Le nouveau gouvernement créé à la suite de la révo-
lution de Juillet l'avait tout aussitôt appelé à faire partie du
conseil royal d'instruction publique, et en 1833 il le créa
pair de France. En 1837 Thénard se démit volontaire-
ment de sa chaire à l'École Polytechnique, et en 1840 de celle
delà Faculté des Lettres. Il est mort en 1857. La plupart
de ses beaux travaux relatifs à la science, qui lui doit une
partie notable de ses progrès, ont été publiés conjointement
avec ceux de Gay.-Lussac sous le titre de : Recherches phy-
sico-chimiques ( 2 vol., Paris, 1816). Les recueils spéciaux,
tels que le Jotirnal de Physique, les Mémoires de V Aca-
démie des Sciences, les Annales de Physique et de Chimie,
les Annales de Chimie, le Journal de V École Polytechni-
que, le Bulletin des Sciences de la Société Philomatique,
contiennent de lui un grand nombre de savantes dissertations,
On a aussi de lui un Traité de Chimie, qui ne formait à
l'origine ( 1813-1816) que 4 volumes, et dont la septième
et dernière édition, publiée en 1836, se compose de 5 forts
volumes in-8°.^
THÉOBROME (du grec Geôç, dieu, et ppw[JLa, mets,
aliment_), nom donné par Linné au cacaoyer.
THEOCRATIE, gouvernement où Dieu est regardé
comme l'unique souverain et où les lois sont considérées
comme des ordres émanés de lui. Les prêtres, chargés
d'annoncer et d'expliquer les ordres de Dieu, y sont les re-
présentants du souverain invisible, qui peut d'ailleurs con-
férer aussi cette mission à d'autres élus.
Cette forme de gouvernement suppose chez le peuple où
elle exitte un état d'innocence et une grande simplicité de
mœurs; aussi ne la rencontre-t-on que chez quelques peu-
ples de l'antiquité. La plus célèbre constitution théocratiquo
est celle que Moïse donna aux Hébreux. Cette théocratie
dura jusqu'à Saùl : alors l'État devint monarchique. Athènes
eut une théocratie passagère : pendant que les enfants de
Codrus se disputaient le pouvoir, le peuple abolit la royauté,
et déclara Jupiter seul roi du pays. Le gouvernement des
Incas au Pérou était théocratique.
THÉOCRITE, Simichide, ou petit-fds de Simichus, le
plus célèbre des poètes bucoliques de l'antiquité, qui flo-
rissait vers l'an 277 av. J.-C, naquit à Syracuse, dans un
rang obscur ; son père se nommait Proxagoras et sa mère
Philine. 11 reçut des leçons de Philétas de Cos, soit dans
celte île, soit à Alexandrie, où ce poète élégiaquo avait eu
THÉMISTOCLE - THÉOCRITE
pour élève Ptolémée Philadeiphe. Théocritc conJuiaaît les
troupeaux de son père sur les montagnes, ou i) composa ses
idylles, en face de la nature, qu'il a peinte avec des cou-
leurs si vives et si vraies. Il reçut des bienfaits de Hiéron
le jeune, courageux défenseur de la Sicile contre les Cartha-
ginois , l'ami et le protecteur des arts. Appelé en Egypte par
Ptolémée, prince guerrier, et le fondateur de la bibliothèque
d'Alexandrie , il fut regardé comme le premier des sept
poètes qui composaient la fameuse P léiade, dans laquelle
on distinguait Aratus et Lycophron. Nous ne savons rien de
positif sur l'époque, sur le lieu, sur le genre de sa mort.
On peut conjecturer qu'elle arriva vers l'année où Marcellus,
après s'être emparé de Syracuse, si longtemps défendue par
le savant Archùnède , tomba dans un piège que lui tendit
Annibal.
Les modernes se sont accordés avec l'antiquité pour célé-
brer Théocrite comme le modèle de la poésie bucolique ; et
cependant nous n'avons de lui que sept pièces vraiment
pastorales. Elles ont souvent un grand charme de naïveté ;
mais il ne faudrait pas croire, sur la foi d'une opinion géné-
ralement répandue , que la naïveté soit la qualité première
et presque exclusive de ce grand poète. On sent que ses
vers ont été travaillés avec le même soin que ceux de Vir-
gile, et qu'il parle comme lui, en quelque sorte, une nou-
velle langue qu'il a faite. Ses bergers ont quelquefois des
mœurs révoltantes, quelquefois un langage commun pour
le fond et la forme, mais qui ne manque jamais d'harmonie.
Le judicieux Virgile a beaucoup corrigé ces défauts , mais
il n'aurait jamais dû les reproduire. La huitième idylle du
poète grec, dans laquelle deux jeunes bergers disputent le
prix du chant, respire une grâce, un naturel, un charme,
qui font regretter que Théocrite n'ait pas plus souvent donné
ce caractère à ses bucoliques, dont Quintilien a dit avec beau-
coup trop d'indulgence qu'on y trouvait des traces de gros-
sièreté. L'amour, en général, inspire bien Théocrite. Son
idylle du Cyclope, dont Fonlenelle se moquait, parce qu'il
n'avait pas compris tout l'intérêt attaché à un être jeune et
sensible, qu'une malheureuse difformité empêche d'obtenir
un juste retour à la passion qu'il ressent, exprime dès le dé-
but avec une admirable vérité les tourments d'un cœur
malade et blessé d'amour . il s'en faut bien que le début
de l'Alexis de Virgile approche de la beauté de celui de
Théocrite. Dans le reste de la pièce, ce dernier poète, quoi-
que plus paré qu'Homère, est bien plus simple et plus naïf
que le poète de Mantoue.
L'amour éclate encore avec toute sa violence, mais avec
l'accent d'un mortel désespoir,, dans une idylle intitulée :
L'Amour malheureux, pièce que La Fontaine a gâtée par
une imitation, où l'on trouve pourtant des vers heureux.
L'idylle d''Hylas est un autre tableau de l'amour : quelques
traits y respirent la passion la plus vive; mais il semble que
le poète ait voulu respecter Hercule, en jetant sur cette pein-
ture un voile do pudeur qui permet de prendre ici l'amour
pour l'amitié ardente d'un héros qui veille avec une sollici-
tude paternelle sur son jeune compagnon , qui chéi it ce qu'il
forme pour la gloire. Dans celte même pièce , l'enlèvement
d'Hylas par des Naïades, surprises de sa beauté virginale, et
tout à coup saisies d'un délire d'amour, est un tableau
achevé. Théocrite a peu de pièces aussi parfaites dans son
recueil. Cependant, les connaisseurs attachent encore un
plus haut prix à l'idylle des Syracusains , espèce de mime
qui commence par une comédie des plus piquantes, et nous
conduit avec beaucoup d'art à un hymne du genre le plus
élevé, et brillant des plus riches couleurs de la poésie , en
l'honneur d'Adonis , adoré comme l'époux de Vénus et l'un
des dieux de l'Egypte.
La seizième idylle, intitulée Les Grâces ou Hiéron , est
un modèle du talent de prendre tous les tons sans dispa-
rate et sans altérer ni la couleur générale ni l'harmonie du
sujet. Théocrite, en parlant de l'immortalité que les Muses
donnent aux héros qu'elles chantent, s'élève jusqu'à la poé-
sie lyrique, et redescend sans effort à des détails pleiiis de
THÉOCRITE — THÉODORA
simplicité, de naïveté même. Cette pièce, consacrée à Hié-
ron , roi de Syracuse, contient un magnifique éloge d'Ho-
mère. En la lisant, on s'afflige de voir que Théocrite a été
poursuivi par la misère , ainsi que le sublime auteur de 17-
liade.
Dans la dix-septième idylle, c'est encore l'éloge d'un grand
roi, de Ptolémée Philadelphe; mais en traitant le même
sujet Théocrite sait trouver d'autres formes et des couleurs
nouvelles. Cette idylle, dans laquelle le portrait de Bérénice
est un modèle de grâce et de poésie, offre un singulier rap-
port avec Napoléon ; on y trouve même des choses qui
s'appliquent parfaitement à la naissance du roi de Rome.
J'ai été averti de cette ressemblance par les applaudissements
d'un nombreux auditoire , touché de tout ce qui rappelle la
gloire de ce grand capitaine.
A cette pompe, à cette magnificence, succède un chant
nuptial en l'honneur d'Hélène et de Ménélas ; le début de
cette pièce , si élégante et si simple, offrirait à un peintre
habile le sujet d'un tableau où de jeunes vierges , se tenant
toutes par la main, rappelleraient les Heures qui précèdent
le char d'Apollon au lever du jour.
Les Deux Pêcheurs, si mal appréciés par Fontenelle,
qui avait trop d'esprit pour goûter le naïf et le simple, sont
une fable allégorique digne de La Fontaine pour le bon sens,
le charme des détails et l'illusion de la scène.
Théocrite est un élève d'Homère , qui égale souvent son
maître ; il est de beaucoup supérieur à Virgile pour la poésie
pastorale ; il se montre à la fois plus riche et plus simple, et
surtout plus varié dans ses peintures : voilà de beaux titres
de gloire. \\ a encore un autre droit à nos éloges; c'est en
l'étudiant avec soin , en l'imitant avec bonheur, que Virgile
a trouvé le secret de la nouvelle langue poétique qu'il vint
donner aux Romains, en polissant la rudesse de celle de Lu-
crèce, que l'on pourrait comparer à une belle statue dont la
tête et le buste auraient tous les caractères d'un travail
achevé, tandis que le reste aurait à peine été dégrossi par
le ciseau. P.-F. TiSSOT, He l'Académie Française.
THÉODEBERT I", roi d'Austrasie, fils de Thierry I",
était déjà illustre par ses victoires sur les Danois et les Vi-
sigoths , lorsqu'il succéda à son père, en l'an 534. Ce prince,
aussi habile politique que grand guerrier, accueillit tour à
tour les ambassadeurs que lui envoyèrent l'empereur Justi-
nien et Théodat, roi des Ostrogoths, pour qu'il s'intéressât
à leur querelle ( 535 ). Il les laissa s'affaiblir, puis les attaqua
et les défit successivement, et revint dans les Gaules avec un
immense butin. Ses généraux reparurent en Italie en b'iQ,
passèrent en Sicile, et imposèrent aux Ostrogoths une paix
avantageuse à l'Austrasie. Dans le même temps, Théodebert,
piqué de voir Justinien prendre le surnom de Francisque ,
comme s'il eût vaincu les Francs, prit d'abord, à l'exemplede
Clovis, son aïeul, le titre à'miguste. Mais ce prince belli-
queux n'était pas d'un caractère à se payer d'une telle satis-
faction. Il méditait la conquête de la Thraceet de Constan-
tinople, et avait entraîné dans ses intérêts les Gépides, les
Lombards et plusieurs autres peuples, impatients de secouer
le joug de Justinien, lorsqu'à la chasse, poursuivant un tau-
reau sauvage, il fut renversé de cheval par une branche
d'arbre, et blessé mortellement dans sa chute (548).
THEODEBERT H, roi d'Austrasie , fils de Chikle-
bert 11 , n'avait que dix ans lorsqu'il lui succéda au trône
d'Austrasie, en 596, sous la régence de son aïeule Brunehaut,
qu'il chassa ensuite, en 599, par le conseil des grands de
son royaume. L'année suivante, lui et Tiiierry II, son frère,
roi d'Orléans et de Bourgogne, taillèrent en pièces, à deux
lieues de Moret, l'armée de Clotaire II , roi de Soissons , fils
deChilpéric et de Frédégonde, qui n'échappa qu'à travers
l'épaisse forêt d'Arelaune (Fontainebleau). Bientôt il entra
en lutte contre son frère Thierry, qui deux fois vainqueur,
à Toul et à Tolbiac, le fit prisonnier et le livra à Brunehaut.
Cette implacable aïeule lui fit couper les cheveux en signe
de dégradation, et peu de temps après le fit périr, à l'âge de
Tingt-sept ans. Un trait de ce prince prouve qu'il eût été
&47
digne d'un meilleur sort, si ses grandes qualités n'eussent
pas été ternies par la duplicité de son caractère et la barbarie
des mœurs de son siècle. Didier, évêque de Verdun, lui
rapportait une somme considérable qu'il avait prêtée aux
habitants de cette ville, dans des temps calamiteux. « Nous
sommes tropiieureux, dit Théodebert au prélat, en refusant
de reprendre l'argent qu'on lui offrait, vous de m'avoir pro-
curé l'occasion de faire du bien, et moi de ne l'avoir pas laissée
échapper. « Quels qu'aient été les défauts de ce prince, sans
doute exagérés par les flatteurs de la branche cadette de
Neustrie, de tels sentiments feront toujours honneur à sa
mémoire. ^ _
THÉODICÉE (du grec 0eôç, Dieu, et Sîxri, justice), jus-
tice de Dieu. On appelle ainsi tout essai tenté pour défendre
la foi en la Providence et dans le gouvernement du monde
par Dieu contre les objections qui semblent résulter contre
la bonté et la justice divines de l'existence du mal physique
et du mal moral. La chose est plus ancienne que le mot,
qui n'a été ni bien fait ni bien choisi, puisqu'il désigne au
propre une. justification ou une défense de Dieu. Déjà Pla-
ton, saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, Campanella, etc.,
avaient essayé de démontrer comment le mal moral peut se
concilier avec la sainteté et la justice de l'Être suprême. Le
mot théodicée n'entra dans la circulation qu'après que Leib-
nitz eut été déterminé par les objections sceptiques de Bayle
à écrire sous ce titre son traité Sur la bonté de Dieu, la
liberté humaine et l'origine du mal. Leibnitz ne s'y est
pas proposé de nier l'existence du mal physique et du mal
moral, mais de les représenter comme une conséquence né-
cessaire, inévitable, et même comme l'expression de ce qu'il
y a de borné dans l'être créé. Il fait voir que le monde n'est
pas absolu, mais relatif, c'est-à-dire qu'il est encore le meil-
leur des mondes possibles parmi ceux que Dieu eût pu créer
(voyez Optimisme). Tout essai de théodicée n'a pas seule-
ment d'intimes rapports avec la théologie, mais il ea
présuppose encore précisément l'existence. Consultez l'abbé
Gabriel, curé de Saint-Merry, Principes généraux d'une
Théodicée pratique ( 1 vol., Paris, 1856).
THÉODOLITE (du grec Ôeâu , observer, et SoXîxo;"
longueur), instrument tout à la fois d'astronomie et de ma >
thématiques , qui est une modification du cercle azimu-
toZ, et qu'on emploie dans les opérations d'arpentage pour
prendre les hauteurs, les angles, les distances, etc. La cons-
truction en varie beaucoup, chacun s'efforçant de le simplifier
pour en généraliser et en faciliter l'usage. Le plus ordinai-
rement, il consiste en un cercle horizontal en cuivre, tour-
nant sur un axe solide vertical, et en un second cercle ver-
tical superposé à celui-ci , pourvu d'un télescope et pouvant
tourner avec lui autour d'un axe horizontal. Ce dernier re-
pose sur deux colonnes verticales solidement attachées aux
rais du cercle horizontal et pouvant tourner avec lui. Au
moyen de ce double mouvement on peut diriger le téles-
cope sur tous les points de l'horizon comme au-dessus. Le
cercle horizontal, comme le plus important des deux, est
toujours construit avec le plus grand soin. Ou c'est un simple
cercle, sur la surface duquel on peut mouvoir une alidade
pourvue à son extrémité d'un vernier, et fixée à son centre;
ou bien il consiste en deux cercles concentriques, dont celui
qui se trouve à l'intérieur supporte le télescope et le cercle
vertical ou de hauteur. Ce dernier est encore double dans
des instruments plus perfectionnés et auxquels on donne en
raison de cela la qualification d'universels. Mais quand un
théodolite à cercles simples est bien construit, il est complè-
tement suffisant pour toutes les opérations de la géodéfeie,
de la physique et de l'optique.
THÉODORA (L'impératrice), femmedeJustinien,
est restée fameuse dans l'histoire par ses débordenaents.
Elle avait d'abord été danseuse et courtisane.
THÉODORA, dame romaine, fille d'une Théodora,
parente d'Adalbert II, marquis de Tuscie , était femme du
consul Gratien, et a laissé, elle aussi, un nom fameux par sa
beauté, son esprit d'intrigue, ses débauches et ses crimes. EU©
35.
b48
THÉODORA — THÉODORIC LE GRAND
était si puissante à Rome, vers l'an 908, qu'elle occupait
le château saint-Ange et faisait élire pape qui bon lui sein-
»)lait. L'un de ses amants, Jean, obtint d'abord par sa pro-
tection l'évêché de Cologne, puis l'arclievéché de Ravenne,
et enfin la tiare sous le nom de Jean X. Elle était sœur
de M a r 0 z i a , qui ne lui cédait ni en beauté ni en lubri-
cité.
THEODORE. Deux papes de ce nom ont occupé la
chaire de Saint-Pierre.
THÉODORE I" succéda à Jean IV, en 641 , et fut le
soixanle-quinzième de la nomenclature. Fils de Théodore,
patriarche de Jérusalem, et Grec de nation, il montra par ses
Tertus qu'il avait été élevé dans une maison religieuse. La
publication deVEchtèse d'Hémilius dans les églises d'Orient
affligeait encore le clergé de Rome. Théodore écrivit à Paul,
patriarche de Constantinople, pour l'exciter à poursuivre
les partisans de cet édit, et surtout son prédécesseur Pyr-
rhus. La démission de ce patriarche ne suffisait point au
pape. Mais Paul favorisait lui-même les monothélites ; et
l'abbé Maxime, célèbre docteur de ce temps , fit plus par
son éloquence que le pape par ses lettres. Pyrrhus, entraîné
par les raisons du docteur, abjura le monothélisme et l'ech-
tèse , et vint se faire absoudre de ses erreurs par Théodore
lui-même. Les évêques d'Afrique prolestèrent en même
temps de leur zèie pour la foi du saint-siége, et sollicitèrent
la déposition du patriarche Paul. Ce prélat , harcelé de
toutes parts, se hâta d'envoyer à Rome l'explication de ce
qu'il entendait par l'unique volonté dans Jésus-Christ. Cette
explication, qui embrouillait un peu plus la querelle, déplut
à Théodore; et, dans l'espoir de mettre un terme à celte
dispute, le patriarche de Constantinople fit publier par l'em-
pereur Constant un nouvel édit, appelé le Type ou le For-
mulaire, dans lequel il ordonna de s'en tenir aux Saintes
Écritures, aux cinq conciles œcuméniques, aux maximes
des Pères , sans en rien ôter ou ajouter ; de se remettre,
enfin , dans l'état où l'on était avant que ces questions
fussent soulevées. Mais ce n'était pas là ce que désiraient les
ergoteurs. Chacun des deux partis voulait seul avoir rai-
son, et le Type donnait tort ou raison à tout le monde.
Pyrrhus était d'ailleurs revenu sur sa rétractation , et le
pape avait été forcé de l'excommunier ; il paraît même que
Théodore condamna le nouvel édit , puisqu'on le vit peu
de temps après lancer l'anathème contre ce môme Paul qui
l'avait rédigé. Mais le patriarche brava les fureurs du pape,
et les lui rendit en renversant l'autel que le pape avait à
Constantinople dans le palais de Placidie, et en faisant pu-
blier une sentence d'exil contre ses légats et ses partisans.
Théodore n'eut pas le temps de répliquer au patriarche : la
mort l'enleva aux fidèles le 14 mai 649, après un ponti-
ficat de huit années.
THÉODORE II, cent dix-huitième pape,succcéda à Romain,
en l'an 900 , et ne tint le siège que vingt jours , pendant
lesquels il se fit remarquer par sa sobriété , par la régula-
rité de ses mœurs , par sa libéralité envers les pauvres.
Comme son prédécesseur, il témoigna une juste indignation
contre les persécuteurs de la mémoire du pape For-
niose: il rétablit sur leur siège les prélats que ces per-
sécuteurs en avaient bannis, et travailla, autant qu'il le
put, à la réunion des deux partis.
VlENNET, de l'Acadcmie Française.
THÉODORE I", roi de la Corse. Voyez SiEvmv
(Théodore, baron de).
THÉODORE DE MOPSUESTE, docteur de l'É-
glise, né en Syrie, fut disciple de Libanius, puis moine.
Saint JeanChrysoslome le détermina à abondonner son mo-
nastère, où il revint ensuite. Plus tard il fut nommé diacre
à Antioche, et en dernier lieu à Mopsueste, oîi il mourut,
en 429. C'était un des théologiens les plus savants de son
temps. Il partagea les opinions de Pelage, et pa.sse pour le
fondateur du pélagianisme et du nestorianisme ; aussi fut-il
condamné comme hérétique au cinquième concile œcuméni-
que, tenu à Constantinople en 533. Il n'existe que quelque
fragments de ses œuvres exégétiques. Angelo Mai a public
son commentaire sur les douze petits Prophètes dans la
Scriptorum veterum nova Collectio {Rome, 1827).
THEODORET, père de l'Église et l'un des principaux
docteurs de l'école d'Antioclw, se forma sous l'influence
d'une mère pieuse et dans un couvent voisin d'Antioche.
Évêque de Cyrus, sur l'Euphrate, à partir de l'an 420, il dé-
fendit l'opinion de l'Église de Syrie de l'existence de deux
natures dans le Christ lors des querelles du nestorianisme et
de l'eutychianisme. Les intrigues de Dioscure le firent , il est
vrai , déposer de son siège par ce qu'on appela le synode de
brigands; mais plus tard le concile de Chalcédoine proclama
sou orthodoxie. Il mourut en 457 ou 458. Parmi ses ouvra-
ges, dont Sirmond et Garnier ont donné une édition ( Paris,
1642 et 1684, 5 vol.), il faut surtout mentionner les com-
mentaires sur l'Ancien Testament et sur les Épîtres de saint
Paul , son Histoire ecclésiastique, comprenant l'intervalle
de 322 à 429 , et Éranistes, ouvrage de controverse écrit
contre Cyrille.
THÉODORIC LE GRAND, roi des Ostrogoths, fils
de Théodémir, né en l'an 455, fut envoyé très-jeune encore
à Constantinople, où il demeura onze ans comme otage
pour la paix que l'empereur de Byzance Léon T' avait con-
clue avec les Goths. Peu de temps après son retour, il en-
vahit l'empire de Byzance avec son père. Là ils obtinrent,
pour s'y fixer avec leur peuple, sur lequel Théodoric régna
après la mort de Théodémir {voyez Goths), une partie de
la Mésie. L'empereur Zenon , qui voyait en lui un voisin
dangereux, et Frédéric, prince des Rugiens, qui était venu
chercher un asile auprès de lui , l'engagèrent vivement à
aller attaquer Odoacre en Italie; or, une semblable expé-
dition souriait trop à ses goûts belliqueux pour qu'il ne s'em-
pressât pas de l'entreprendre. Il partit donc avec son peuple
et avec les Rugiens , dans l'automne de 488, repoussa les
Gépides, qui tentaient de lui barrer le passage à Sirmium , et
dès la même année il battait une première fois Odoacre sur
les bords de l'Isonzo, près d'Aquilée, puis une seconde fois ,
sous les murs de Vérone. Odoacre se réfugia à Ravenne.
Alors Théodoric s'empara de Pavie et de Milan, où au com-
mencement de 490 Tufa, l'un des généraux d'Odoacre, se
livra à lui. Celui-ci s'étant ensuite enfui auprès d'Odoacre,
Théodoric, qui avait concentré ses forces à Pavie, vit à ce
moment les Visigoths venir à son secours. Au mois d'août
de la même année 490 Odoacre fut battu pour la troisième
fbis, sur les bords de l'Adda, puis assiégé dans Ravenne, où
il obtint, en février 493, une capitulation honorable, que
Théodoric viola traîtreusement en le faisant massacrer avec
tous les siens. Théodoric s'intitula alors roi d'Italie, et s'em-
para aussi de la Sicile. L'empereur Anastase, dont il feignit
de reconnaître la souveraineté, lui confirma le titre qu'il
avait pris; mais son royaume comprenait en outre la Rhétie,
le Noricum et la Pannonie. Il les gouverna avec habileté, et
les agrandit encore, en l'an 507, de la Provence, prix de la
protection qu'il accorda à Amalric, fils de son gendre
Alaric IF, roi des Visigoths , tué en combattant le Frank
Chlodwig, et pendant la minorité duquel il administra
aussi le royaume des Visigoths. Cette expédition contre les
Franks, dirigée par son lieutenant Iba, qui, après avoir
déhvré Arles, les contraignit à faire la paix avec les Visi-
goths; la soumission de Gésalic, frère consanguin d'A mai-
rie, qui s'était révolté contre lui, et une expédition contre
les hordes pillardes des Bulgares, furent les seules grandes
entreprises militaires qui interrompirent la paix du règne de
Théodoric; paix que contribuèrent à entretenir l'habileté
personnelle de ce prince , la considération dont il jouissait
parmi les peuples germains, et ses relations de proche pa-
renté avec leurs principales races royales. Il avait épousé en
secondes noces la sœur de Chlodwig. Il maria avec Thra-
samund , roi des Vandales , sa propre sœur, Amalafriède ,
dont le fils, Théodat, devint plus tard roi des Ostrogoths,
et dont une fille d'un premier lit, Amalaberge, épousa Her-
manfried , roi de la Thuringe. De ses propres filles , l'une
THÉODORIC LE GRAND — THÉOGNIS
549
épousa le roi des Visigoths, Alaric II , et l'autre un prince
bourguignon. L'Italie vit renaître sa prospérité sous sa do-
mination ; il favorisa l'agriculture , l'industrie et les arts , et
accorda une protection toute particulière à la science et à
la civilisation romaines. Lors de son séjour à Rome, où il
avait fait célébrer des jeux du cirque, distribuer gratuite-
ment des grains et pris un ancien nom d'empereur, celui de
Flavius, il avait confirmé à la population tous ses antiques
privilèges. Sa sollicitude comprit en outre la conservation
des monuments dans cette ville et dans d'autres encore; il
en fit même construire de nouveaux , notamment à Ra-
venne. 11 confia au Romain Liberius radministration de la
Provence, et prit Cassiodore pour conseiller et pour
ministre. Mais en conservant les antiques formes romaines
de gouvernement en usage en Italie et en négligeant de fon-
der un État complètement nouveau , de même qu'en laissant
subsister un antagonisme irrémédiable entre Gotlis et Ro-
mains, il prépara l'affaiblissement du royaume des Goths.
Peu detemps après sa mort, Justinien réussissait à se rendre
maître de toute l'Italie, puissamment secondé à cet effet par
la population romaine , restée toujours de beaucoup supé-
rieure en nombre aux Goths. On estime à environ 900,000
le nombre des hommes en état de porter les armes que
ïhéodoric avait amenés avec lui en Italie; et peut-être ce
calcul est-il encore exagéré. Il leur avait accordé en toute
propriété un tiers du sol. Ils formaient l'armée, et avaient
conservé l'organisation militaire des Goths. Cette organisa-
tion militaire, leur langue, leurs mœurs et la religion arienne,
avaient établi de profondes barrières entre eux et les Romains
catholiques qui, comme privati, constituaient l'ordre de la
bourgeoisie. La constitution politique de l'État était demeu-
rée toute romaine, et placée aux mains des Romains. Il n'y
a pas jusqu'aux prescriptions contenues dans VEdictum
Theoderici, notamment en matières criminelles, comme aussi
relativement aux rapports judiciaires entre les Goths et les
Romains, qui n'eussent pour base le droit romain ; sauf
que les gouverneurs goths des provinces (co?Mi<ps), les comtes
goths, l'emportaient en considération sur les recteurs romains
préposés aux Romains. Théodoric ne se départit de la man-
suétude qui a rendu son nom célèbre que dans les derniers
temps de son règne, lorsque le sénateur Albinus, accusé
d'avoir noué de coupables intelligences avec l'empereur d'O-
rient Justin, et le noble B o è c e , qui le défendit, ainsi que son
beau-père Symmaque, périrent, en l'an 525, victimes delà
colère du roi. Théodoric mourut à quelque temps de là, à
Ravenne, le 18 mai 526, avant qu'éclatassent dans ses États
les longues et sanglantes querelles entre les ariens et les
catholiques" Il ne laissa pas de fils , et eut pour héritier
Athalaric, le fils mineur de sa troisième fille, Amalasuinthe,
et d'Eutarich, seigneur gotli.
Il y a encore eu deux rois visigoths de ce nom :
TnÉODOiuc l" (419-451 ), mort dans la bataille livrée
contre Attila dans les Champs Catalauniques ; et son fils
Théodoric II (453-466).
Théodoric, roi des Franks d'Auslrasie, fils de Chlodwig,
détruisit, vers l'an 530, le royaume de la Thuringe.
THLODOSE F"" , surnommé le Grand, empereur ro-
main (379-395), né en 345, à Cauca, dans l'Espagne Tarra-
conaise. Son père, Théodose, avait parfaitement administré
la Bretagne sous Valentinien l". Ensuite, en l'an 373, il
avait fait rentrer dans le devoir en Afrique le prince Firmus,
qui , avec l'aide des donatistes , s'était emparé d'une partie
de cette province romaine. Mais sous Gratien, en 376,
victime d'une odieuse cabale, il avait été condamné à mort
et exécuté à Carthage. Théodose était déjà-chargé d'un com-
mandement important, quand eurent lieu la disgrâce et l'in-
juste exécution de son père. Craignant alors pour lui-même ,
il se démit de son commandement, et se retira dans son pays
natal, au sein d'une retraite profonde. Les troubles et l'agita-
tion de l'empire purent seuls l'arracher à sa solitude. Les
barbares venaient de détruire une armée romaine et de
tuer un empereur. Dans cette extrémité, de grands talents
et une grande fermeté pouvaient seuls sauver l'empire :
Gratien y associa Théodose , et lui laissa le gouvernement
de l'Orient. Celui-ci vengea sur les Goths la mort de Va-
lens , et tous les barbares furent pour un temps tenus en
crainte (379). La fermeté de son caractère et sa vigilance
remirent l'ordre dans les affaires, et rendirent à l'empire
sa considération au dehors; la terreur qu'inspiraient les
barbares se dissipa, et le calme se serait complètement
rétabli sans les mouvements qui se firent dans les Gaules.
Maxime, un nouveau compétiteur, s'éleva e«i Bretagne :
Gratien, abandonné de ses troupes, fut immolé à ce re-
belle, et Tliéodose, à qui l'état de ses affaires ne permet-
tait pas de poursuivre Maxime, se vit contraint de faire la
paix avec lui. Mais Maxime ayant remué , Théodose saisit
cette occasion : il marche contre lui , le défait et le laisse
tuer par ses soldats (388). Théodose se vit alors maître de
tout l'empire; le repos n'en fut plus troublé que par la ré-
volte d'Eugène , vaincu et tué en 394, et ce prince régna
heureux et absolu jusqu'à sa mort, arrivée en 395.
Théodose, à qui l'histoire a donné le nom de Grand,
avait peut-être toutes les qualités nécessaires pour gouverner
l'empire dans le moment critique où il en fut chargé. Il
était éclairé, prudent, ferme, vigilant, tel qu'on l'eût aimé
s'il se fût moins souvent livré aux emportements de sa co-
lère et si son zèle aveugle pour la foi ortliodoxe ne l'eût
pas entraîné à des actes que l'histoire ne saurait trop blâmer.
Les persécutions qu'il exerça contre les ariens et les païens
occasionnèrent d'épouvantables désordres.
THÉODOSE II, dit le jeune, fils d'Aicadius, fut élevé
sur le trône de l'empire d'Orient en 408. Son père en mou-
rant le mit, dit-on, sous la tutelle du roi de Perse, ne sa-
chant à qui le confier parmi ses sujets. Mais In sœur du
jeune empereur, Pul chérie, se crut et se trouva capable de
gouverner. Elle se saisit du pouvoir et de la tutelle de son
frère, et par sa prudence l'empire de Tliéodose se sou-
tint. Quant à lui , il passait son temps en exercices de dé-
votion, ou bien à chasser, ou encore à exercer son habileté
à écrire , qui le fit surnommer Kalligraphos. Il mourut en
450. Il avait épousé en 421, la belle et savante mais am-
bitieuse Athénaïs , appelée dès lors Eudoxic , fille du phi-
losophe athénien Léontius. En 440 la jalousie de Pulcliérie
le détermina à la répudier, et depuis lors elle habita Jérusalem
jusqu'en 460, époque de sa mort. Le code qui porte son
nom,ie Code Théodosïen , collection de constitutions im-
périales depuis Constantin , promulgué sous son règne
comme loi de l'empire en l'an 438, et publié la même année
en occident sous Valentinien III, a fait la seule renommée
de ce prince.
THÉODOSE III. Anastase avait été élu empereur à
Constantinople (714). L'armée, mécontente de cette élec-
tion, contraignit Théodose, un de ses généraux, à prendre la
pourpre. Anastase, vaincu , fut jeté dans un monastère. Mais
le nouvel empereur ne régna pas longtemps. Un autre
compétiteur parut : c'était Léon III l'Isaurien, préftt d'O-
rient. Il ne voulut pas reconnaître Théodose , qui résigna
sans répugnance l'empire (718). Il se retira à Éphèse, où
il mena une vie ascétique, plus convenable à son humeur.
Le peuple de cette ville conserva longtemps le souvenir des
miracles qu'il passaitpour avoir faits. Tliéodose voulut qu'on
inscrivît sur son tombeau ce seul mot : Santé; mot sublime,
qui exprime la confiance d'une âme religieuse dans un avenir
dont la conscience de ses vertus lui assurait l'existence.
A. Oc.
TIIÉODOSIA. Voyez, Kaffa.
THÉODOSIEiX (Code). Voyez Tuéodose IL
THÉODOTION. Voyez Alogiens.
TIlÉOGiMS, le plus important des gnomiques grecs,
qui norissait entre l'année 560 et l'année 470 av. J.-C,
était né à Mégare, et en fut expulsé, comme adhérent
de l'aristocratie, quand le parti démocratique l'emporta
dans cette ville. Il vécut alternativement pendant la durée
de son exil à Sparte, à Thèbes et en Sicile; et c'est alors^
550
THEOGNIS — THÉOLOGIE
dit-on , qu'il composa en vers élégiaques ses sentences et
ses règles morales, ouvrage dont nous possédons encore
aujourd'hui la plus grande partie. Ces compositions poéti-
ques, dont les tendances aristocratiques s'expliquent facile-
ment par les traverses qui marquèrent la vie de l'auteur,
appartiennent aux plus précieux débris de l'ancienne poésie
gnomique (du grec, yvôiXY), sentence); mais elles offrent
beaucoup de difficultés au point de vue de la critique et de
l'ordre logique dans lequel il convient de les classer. Quel-
ques-uns s'autorisent de leur forme et de leur contenu pour
les ranger au nombre des compositions élégiaques propre-
ment dites ; ils estiment que ce qui en existe ne se compose
que de sentences détachées de ses différents poëraes, et
n'ayant^entre elles aucun rapport systématique.
THEOGOiVlE ( du grec ©eoç. Dieu et ^ôvoç , race ,
génération). Pris dans son acception la plus générale, ce
mot s'applique à tout système imaginé par les païens pour
expliquer la naissance ou l'origine des dieux. Ces idées ayant
généralement revêtu la forme poétique et servi de sujet à
différents poèmes , le mot théogonie implique en même
temps une forme poétique donnée aux différents systèmes.
Musée est regardé comme le premier poète grec qui ait
composé une théogonie ; mais son ouvrage n'est pas parvenu
jusqu'à nous. Les Théogonies d'Orphée et de divers autres
poètes encore ont également péri. Nous ne possédons plus
que celle d^ Hésiode.
THÉOLOGAL, mot dérivé de théologie. C'est un
titre que dans les cathédrales et quelques collégiales on
donne à un chanoine chargé de prêcher à certains jours et
de faire des leçons de théologie aux jeunes clercs.
THÉOLOGALES (Vertus). Elles sont au nombre de
trois, à savoir la foi, V espérance et [à charité,el on
les appelle ainsi parce qu'elles ont principalement Dieu pour
objet.
THÉOLOGIE, THÉOLOGIEN (du grec Osoç, Dieu,
et Xôyo;, discours). La théologie est, suivant l'énergie du
terme, la science de Dieu. Les langues humaines n'ont
peut-être jamais forgé un mot plus plein et plus clair, ni
caractérisé plus nettement un cercle d'éludés plus étendu. A
proprement parler, Dieu étant l'origine et le but de toutes
choses, la vérité suprême, l'unique vérité, la science de
Dieu doit être la science des sciences, la clef de voCife
de l'édifice des connaissances humaines, qui les domine
toutes, et sans laquelle rien n'existerait qu'à l'état de maté-
riaux épars et d'informes débris. Elle doit être immense
comme Dieu, elle doit être simple comme lui, elle doit
s'étendre au delà de l'universalité des choses créées, et
se replier jusqu'à contenir dans le cœur docile du plus
humble croyant.
On comprend que nous voulons seulement ici nous oc-
cuper de la théologie chrétienne, et par ce mot nous enten-
dons la théologie catholique. Les théologies grecque et la-
tine ont été pour la foule des nomenclatures sans base et
.sans liens, au fond desquelles de rares initiés se réservaient
le droit d'entrevoir un secret obscur, l'unité de Dieu; lu-
mière insulfisante, que les plus hauts génies de l'antiquité
s'épuisèrent à suivre dans les ténèbres où la rayonnante
crèche de Bethléem devait seule apporter le jour. Dieu se
laissait pressentir, mais ne voulait se révéler que par la ré-
demption. L'ensemble des doctrines religieuses des autres
peuples rentre pour nous dans la même catégorie de vaines
curiosités historiques ; et ce qu'on appelle la théologie pro-
testante n'est pas plus une science qu'elle n'est une théo-
logie, puisqu'elle repose sur deux principes essentiellement
contradictoires , dont les sectaires les plus fervents n'ont
jamais pu tirer que des problèmes semblables à ceux qui
laissaient dans le doute Socrate et Cicéron. Or, comment
qualifier une science qui , devant être la solution de toutes
les autres, manque elle-même de. solution? Nous mettons
de côté la théologie judaïque, devenue, jusqu'à l'époque
de l'accomplissement de la loi, partie intégrante de la
IbiSologie chrétienne, et dont l'étemelle attente forme.
depuis la venue de Jésus-Christ un des miracles que la foi
catholique compte au nombre de ses irrésistibles arguments.
Bergier définit la théologie ; « La connaissance de Dieu et
des choses divines qui nous a été donnée par Jésus-Christ, par
ses apôtres , par les prophètes et par les autres personnages
que Dieu a cliargés de nous enseigner. C'est donc, ajoute-
t-il, une science qui fondée sur les vérités révélées en tire
des conclusions sur Dieu, sur sa naissance, sur ses attributs,
sur ses veloutés et ses desseins , et sur tout ce qui a rapport
à Dieu. » D'où il suit que la théologie réunit dans sa ma-
nière de procéder l'usage de la raison à la certitude de la
révélation , et qu'elle est fondée en partie sur les lumières
de la foi, en partie sur celles de la nature ou de la philo-
sophie.
On voit tout de suite quel champ immense, et s'accrois-
sant toujours, est ouvert aux théologiens. Toute vérité
(c'est le triste partage de l'homme) paraît d'abord obscure
et suscite la discussion. S'il faut révéler Dieu à l'ignorant, il
faut le démontrer'à l'orgueilleux ou à l'impie. Il faut établir
la foi ; il laut la faire triompher, il faut la maintenir intacte
et pure. Dans cette tâche , bien des connaissances sont
nécessaires , bien des écueils sont à éviter. Il ne suffit pas
de savoir, il est essentiel de croire, et sans la pratique
la croyance est un vain mot. Pour défendre la cause céleste,
la conviction est le plus nécessaire des talents. Un bras
mercenaire porterait mal et peu de temps ces armes sa-
crées. Les bons théologiens ont été des hommes vertueux ;
les grands théologiens sont des saints.
La théologie a suivi les progrès du christianisme; elle
s'est fortifiée de ses luttes constantes et de .ses revers pas-
sagers, agrandie de ses triomphes, augmentée des siècles
qu'il a franchis; les hérésies, les sciences, les événements
ont élargi son domaine : forcée de combattre partout, et par-
tout victorieuse, elle a fait comme ces conquérants qui com-
posent leurs immenses armées de l'élite des peuples qu'ils ont
vaincus. Attaquée successivement par la philosophie, parles
lettres, par les sciences positives, elle a montré aux phi-
losophes une sagesse supérieure à toutes leurs inventions;
aux lettrés, des écrivains plus convaincus, plus inépuisables,
des orateurs plus dévoués et plus éloquents; aux savants,
des certitudes plus anciennes et aussi claires que leurs axio-
mes les mieux établis.
On a condamné , on condamne encore l'invasion . disons
mieux , les conquêtes de la théologie dans toutes les bran-
ches du savoir humain. Des critiques, auxquels il est diffi-
cile de supposer une bonne foi bien éclairée, voudraient
qu'on s'en tînt, suivant l'expression protestante, à la pure
parole de Dieu. Ils oublient que les inventeurs de cette
théorie et leurs disciples se sont, plus qu'on ne l'avait ja-
mais fait avant eux , livrés à la fureur des interprétations ;
mais ces interprétations contradictoires, nées des caprices de
l'orgueil , de l'ignorance ou de la folie , professées par des
hommes qui ne reconnaissent d'autre guide qu'eux-mêmes,
d'antre limite que la fatigue de leur délire , d'autre tribunal
qua leur volonté, ont à l'infini multiplié les sectes, dénaturé
le christianisme que la théologie catholique a laissé pur, nous
dirons pourquoi , et précipité quiconque s'y est abandonné dans
les labyrinthes éternels du doute ou dans le noir abime de i
l'irréligion déclarée. La théologie exploite toutes les connais- >
sances humaines , parce qu'il n'est pas une de ces con-
naissances qui puisse être autre chose qu'une route pour
arriver à la vérité , qui est Dieu , et surtout parce que l'or-
gueil, écueil ordinaire du savoir, a presque toujours tenté
de faire un argument contre Dieu des choses qui prouvent
Dieu. Beaucoup de science, on lésait, ramène ceux qu un
peu de science avait éloignés, ramène, car l'âme est natu-
rellement croyante, et, comme l'a dit si éloquemraeut un père
de l'Église, « l'homme naît chrétien ». Ainsi, ramener l'homme
aux conditions sublimes de sa nature , rachetée par le sang
du Christ et purifiée par le baptême , en satisfaisant à la fuis
son esprit et son cœur, en le guidant sur les routes dou-
teuses de la vie; en fortifiant, en complétant la loi naturel lk>
THÉOLOGIE — THEOPHILE DE VIAU
55'f
écrite au fond de son âme ; en l'éclairant au milieu des em-
bûches de la passion de l'intérêt , de l'orgueil, de la curiosité j
en le prémunissant contre les sopliismes queTespritdu mal
multiplie sous toutes les formes devant chacun de ses pas;
en l'avertissant des vieilles erreurs qui renaissent sous un
autre nom, en lui signalant les erreurs nouvelles, ordinai-
rement parées à leur naissance du vernis séducteur de la
piété; connaître Dieu, enfin, dans tout ce que les liomme-s
peuvent pénétrer de sa splendeur, de ses miracles, de sa
justice et de sa bonté; le révéler à qui l'ignore, le rappeler
à qui l'oublie , le faire entendre au sourd , le faire voir à l'a-
veugle , le faire toucher à l'incrédule , tel est le but de la
théologie. Or, pour atteindre ce but, le plus élevé que puisse
se proposer une créature, force est bien d'aller saisir l'homme
partout où il peut s'égarer de lui-même, force est bien de
combattre en tous lieux ces agents de perdition dont les
œuvres impies hérissent la terre comme autant de forteresses
d'où ils sollicitent les* âmes à la rébellion. Là , c'est le so-
phisme philosophique, qui nie Dieu ou la loi , et il faut em-
ployer les armes de la dialectique pour le terrasser. Là, c'est
le mensonge érudit qui dénature un texte, fausse l'histoire,
cherche dans la Bible un mot douteux qu'il interprète à sa
fantaisie , suppose dans les actes des conciles un canon dont
il tire des conséquences sans frem ; fouille l'amas des rêveries
païennes pour y trouver l'origine des dogmes révélés, et vient
ensuite avec ses prétendues découvertes battre en brèche
l'édifice de la foi. Il faut comme lui sonder la nuit des siècles
éteints, les interroger do nouveau, les remuer plus profon-
dément, et du sein de leur poussière faire surgir la vérité
qu'on avait cru y ensevelir à jamais, Ici, c'est la fausse
science assise sur la matière , et proclamant bien haut quel-
que résultat brutal qu'elle ne comprend pas. 11 faut parcourir
cette route nouvelle, franchir la dernière borne posée, et
contraindre la science à reconnaître qu'il n'y a point de
preuve contre l'existence de Dieu dans les œuvres de Dieu.
Voici maintenant la feinte austérité, le rigorisme men-
teur, la raison trompeuse des réformateurs; voici ceux qui
veulent amoindrir le devoir et ceux qui veulent l'outrer. H
faut s'opposer à l'exagération des uns, à la mollesse des autres,
et, de la même main qui démasque le fourbe, contenir l'en-
thousiaste sincère , mais déréglé. Et ce n'est pas tout : qui
pourrait énumérer les ruses, les ressources, les pièges des en-
tants du mal? Le soldat dévoué , après toute une vie passée
à les combattre, ne sait pas le nombre de ses ennemis qui se
présentent chaque jour sous des déguisements nouveaux ; il
ne faut pas quitter le champ de bataille : l'ennemi est tou-
jours voisin, il attaque toujours ; il ne faut jamais le mépriser,
si méprisable qu'il soit réellement. Eh quoi ! l'homme ne
se laisse-t-il pas prendre? La plus inepte des erreurs a
perdu des milliers d âmes. Cependant, toutes les erreurs en-
semble n'exposeraient qu'une seule âme en tout un siècle,
que ce serait encore une obligation sacrée de la poursuivre
infatigablement : celte âme est d'un prix inestimable devant
Dieu; Dieu l'a rachetée au prix de son sang.
On conçoit que pour suffire à cette œuvre éternelle la
science et la foi sont indispensables, on conçoit aussi qu'il
faut encore quelque chose de plus. Malgré la science et la
foi , l'esprit le plus sûr peut se fourvoyer dans la carrière
incommensurable qu'ouvrent de telles méditations; cela est
arrivé à des génies d'une puissance presque surhumaine.
Les uns ont cru que l'infini se ternunait où s'arrêtait leur
vol fatigué ; les autres sont tombés dans des subtilités et des
raffinements inintelligibles, insensés. Mais ce qui fait qu'en
dépit de ces écueils où sont venus échouer tour à tour
Origène, Tertullien, Bossuet lui-même et tant d'au-
tres, le christianisme est resté pur ; ce qui fait que la théologie
catholique est une science certaine en ses décisions (voyez Ca-
tholicisme), c'est qu'au-dessus du champ, pour ainsi dire sans
limite, livré à ses recherches, plane un tribunal devant lequel
toute erreur s'anéantit, une autorité dont les arrêts promul-
gués par une bouche mortelle, puisque la terre doit les enten-
dre, sont néanmoins prononcés par le Saint-Esprit. Cetteau-
torité, c'est VinfaiUibilitc papale. La théologie parlant de ce
principe, aussi sur qu'aucun des axiomes scientifiques, que
dieu est vérité, et aboutissant à V infaillibilité en matières
de dogme du chef visible de l'Église, est une chaîne dont les
deux extrémités se joignent dans le ciel. Et quelle que soit
son étendue, l'homme, avec ce double secours, peut sans
s'égarer en parcourir un à un tous les anneaux; et s'il s'é-
gare, le monde en sera toujours averti-, et toujours cette
chaîne divine, qui relie la créature au Créateur, restera en-
tière, intacte; rien ne pourra la briser, rien ne pourra la
flétrir : elle n'a pas été forgée de main d'homme. Mais celte
chaîne, dira-t-on, c'est la religion. Eh! la théologie paut-
elle être autre chose? Avons-nous besoin maintenant de
relever un reproche vulgaire , communément adressé à la
science dont nous parlons, celui d'avoir entravé les déve-
loppements des autres sciences? Qui ne comprend qu'il y
a là, comme dans la plupart des assertions du philosophisme
comme dans tous les lieux communs de l'irréligion, une contre-
vérité, c'est-à-dire le contraire précisément de ce qu'an
affirme si haut? Les études théologiques, bien loin de nuire
aux sciences humaines, ont été, par la seule force du prin-
cipe sur lequel elles reposent et du but où elles tendent,
l'agent le plus actif, nous pourrions peut-être dire l'uni-
que agent des progrès de l'esprit humain ; elles n'ont pas
entravé les sciences , elles les ont redressées , elles ont tout
découvert dans l'ordre moral ; elles ont donné au plus grand
nombre des connaissances positives ou une solution qui les
éclaire, ou une application qui les ennobblit. Quiconque a
reçu dans sa vie l'aide d'une vérité nous entendra. Il faut lire
les Pères de l'Église pour comprendre tout ce que le raison-
nement peut faire éclater de lueurs sublimes. On attaque le
mystère de l'immaculée conception de Jésus ; saint Augus-
tin s'écrie: « Si un Dieu devait naître, il ne pouvait naître
que d'une vierge; si une vierge pouvait enfanter, eUe ne de-
vait enfanter qu'un Dieu. » Maintenant, évertuez-vous, ergo-
teurs subtils, et tâchez de reconstruire tous les misérables
mensonges que cet éclat de foudre a pulvérisés. Où est la
leçon, où sont les certitudes de l'histoire pour celui qui
ne l'étudié pas au point de vue de la religion ? Que prouvent
toutes les sciences pour celui à qui elles ne prouvent pas
Dieu?
Encore une fois, la solution manque. Tout édifice du sa-
voir, du savoir au-dessus duquel on n'a pu placer une vérité
théologique, ressemble à ces ruines précoces que forment
les monmnents inachevés. Louis Veuillot.
THÉOLOGIE (Faculté de). Voyez Facultés ( Ensei-
gnement).
THÉON, malhématicien et astronome, quiflorissait à
Alexandrie au quatrième siècle de notre ère. Père de la cé-
lèbre Hypathie,il s'acquit une grande réputation en cal-
culant À en observant une éclipse de Soleil dont il donna une
description (en 365), de même que par ses commentaires
sur les œuvres d'Aratus, d'Euclide et de Ptolémée. Ces com-
mentaires sont parvenus jusqu'à nous. Halma a donné (Pa-
ris, 1821 ) une édition avec traduction française des œuvres
complètes de Théon.
THKOPASCHYTES. Voyez Eltychès.
THEOPHANIE. Voyez Epiphanie.
TIIÉOPIIILANTHROPES (du grecOcô;, Dieu,
çt),o;, ami, et âv6pw7To<;, homme), qui aime Dieu et les
hommes ; mot forgé pour désigner une ridicule secte reli-
gieuse, ou plutôt philosophique, qui apparut en France en
1796, sous le Directoire, fit de nombreux prosélytes parmi
les individus attachés à la nouvelle forme de gouvernement
que la France venait de se donner, obtint l'autorisation
de célébrer son culte dans diverses églises de Paris et des
départements , et fut supprimée par le gouvernement con-
sulaire, le 4 octobre 1801 {voyez La Réveillère-Lé-
PAUX). _
THÉOPHILE DE VIAU, plus généralement connu
et désigné sous son seul prénom de Théophile, né en 1590,
à Boussères-Sainle-Radegonde, village de l'Agenais, mort à
£52
THÉOPHILE DE VIAU — THÉOPOMPE
Paris, L'A 1626, s'est fait connaître par quelques poésies où
l'on remarque une imagination brillante et féconde, de l'Iiar-
monie et de l'esprit , mais qui manquent trop souvent de
goût, et dans lesquelles trop souvent aussi les sentiments
de la pudeur et de l'honnêteté sont ouvertement blessés.
Venu à Paris à l'âge de vingt ans , il n'avait point tardé à
y lier avec Balzac une amitié des plus intimes et qui
donna même lien à quelques médisances ; mais à la suite
d'un voyage en Hollande, les deux inséparables se brouil-
lèrent, et on a lieu de croire que tous les torts n'étaient pas
du côté de Théophile. Quelques vers satiriques et d'heu-
reuses saillies le mirent bientôt en grande faveur parmi les
jeunes seigneurs de la cour ; mais il avait l'esprit trop mor-
dant pour ne pas se faire en même temps de mortels enne-
mis. On l'accusa d'athéisme et d'immoralité. Ce qu'on sa-
vait de ses mœurs, et quelques-unes de ses productions
poétiques, remarquables par une verve obscène et impie ,
justifiaient jusqu'à un certain point ces graves accusations.
D'ailleurs, il était calviniste. C'en fut assez [^<ur qu'on l'exilât.
Théophile passa alors en Angleterre, afin de donner à l'orage
qu'il avait soulevé le temps de s'apaiser. Une pièce de vers
adroitement tournée qu'il adressa de Londres à Louis XIII
lui valut son rappel et môme une pension du roi par-dessus
le naarché ; aussi , pour se mettre en règle', Théophile ab-
jnra-t-il alors avec ostentation la religion de ses pères ,
mais sans changer pour cela de conduite ni de manière de
voir. Un recueil d'obscénités, intitulé Ze Parnasse des vers
satiriques (1622), à la publication duquel il avait pris
une grande part, si même il n'en était pas le seul auteur, le
rendit encore une fois l'objet de poursuites criminelles. 11
eut le bon esprit de s'y dérober par la fuite ; et le parle-
ment condamna le contumax , en 1623, à être brûlé vif,
comme coupable du crime de lèse-majesté divine et hu-
maine. La sentence, rendue par l'influence des jésuites, de-
meura quelque temps sans effet. Théophile , condamné à
mort, trouva asile dans le château de Chantilly, apparte-
nant alors au duc de Montmorency ; et Louis XIII, qui esti-
mait que dans cette occasion ses gens de justice avaient été
un peu trop loin, lui continua même, comme si rien n'eût
été, la pension qu'il lui avait accordée. Cependant, les enne-
mis acharnés que s'était attirés Théophile parvinrent à le faire
arrêter. Il subit alors une captivité de dix-huit mois, au bout
desquels, grâce à la protection de M. de iMontmorency, sa
condamnation fut commuée en un simple bannissement de
Paris. Il put cependant y rentrer bientôt, toujours grâce au
crédit de son prolecteurj; mais à peu de temps de là il suc-
combait à une maladie dont il avait contracté le germe
dans sa prison. Les Œuvres de Théophile furent im-
primées de son vivant, en deux parties (1621). Une troisième
partie parut en 1620, à Rouen, par les soins de Scudéry.
THÉOPilRASTEjl'un des philosophes et des sa-
vants qui ont le plus honoré l'antiquité grecque , naquit à
Érèse, ville de Lesbos, le 5 du moishécatombéon, deuxième
année de la 102^ olympiade , 371 av. J.-C. ; il était fils
d'un foulon, dont on ignore le véritable nom. Son premier
maître fut un rhéteur obscur, qui habitait la même ville que
lui. Jeune encore, Théophraste se rendit à Athènes, et sui-
vit assidûment l'école de Platon , d'où il passa dans celle
d'Aristote, après la mort du célèbre auteur du Phédon. Ce
nouveau maître ne tarda pas à remarquer les hautes (acui-
tés de son disciple ; on prétend même, quoique celte asser-
tion ait été vivement combattue par un critique distingué,
que dans dans l'intimté il l'appela ci'abord Euphraste ( par-
leur agréable), et que plus tard , dans son enthousiasme, il
lui. décerna, en présence de l'école, le nom de Théophraste
(homme au langage divin).
Lorsque Aristote, accusé d'impiété par Eurymédon, prêtre
de Cérès, sortit d'Athènes pour éviter le sort de Socrate, il
abandonna son école à Théophraste, et lui confia ses écrits ;
c'est par Théophraste en effet que nous sont parvenus les
ouvrages du chef des péripatéticiens. Le [)hilosophe de Les-
bos eut au Lycée un tel succès, que dans un temps oii
les places publiques et les théâtres étaient déserts, où les
malheurs d'Athènes avaient presque dépeuplé cette cité, il
comptait plus de deux mille auditeurs. Cette prodigieuse
affluence excita la jalousie des rhéteurs , qui l'accusèrent
de vouloir usurper une induence souveraine sur les desti-
nées de la Grèce. Théophraste fournissait à cette accusation
un prétexte assez plausible dans l'extension politique qu'il
avait donnée à son enseignement. Dénoncé à l'archonte-roi,
il comparut devant l'Aréopage, et déroula devant ses juges,
avec une si chaleureuse éloquence , sa morale et ses doc-
trines, qu'il fut unanimement absous ; et il eut la gloire de
réclamer et d'obtenir le pardon de son dénonciateur.
Après la mort de Démétrius de Phalère , son élève , qui
gouverna pendant dix ans la république , Théophraste vit
ses persécuteurs redoubler d'audace et obtenir une loi qui
interdisait, sous des peines sévères, l'enseignement philoso-
phique; les rhéteurs seuls curent le privilège de tenir leurs
écoles ouvertes. Mais un an après , cette loi ridicule et
barbare fut solennellement abrogée par le peuple, qui
condamna son auteur à une amende considérable. Les
philosophes rentrèrent alors dans Athènes , et Théophraste
vint reprendre dans les jardins du Lycée le cours de ses
leçons. Il y vécut en paix, et mourut, à un âge très-avancé,
dans la troisième année de la 123* olympiade. Il avait
confié, par son testament, la direction du Lycée àStraton
deLampsaque.
La morale de Théophraste était celle d'Aristote et de Pla-
ton ; seulement, il lui donnait un caractère plus pratique que
ces deux philosophes. Il faisait de l'amour de son pays
une des principales sources de ses inspirations. Comme
Aristote, il s'était appliqué à l'étude des sciences , et il pos-
sédait en histoire naturelle des connaissances étendues et
profondes. Les sciences exactes , morales et politiques lui
étaient aussi familières que les sciences naturelles et spécu-
latives, et il laissa sur chacune d'elles des traités dont le
nombre, selon DiogèneLaerce, pouvait s'élever à deux-cent-
vingt. La perte de tant de travaux importants, tout au moins
pour l'histoire de l'esprit humain, est immense. Les fragments
les plus considérables qui nous en restent sont V Histoire des
Plantes, le Traité des Causes de la Végétation, et le livre
des Caractères, qui a été traduit dans toutes les langues, et
qui a si heureusement ins|)iré notre La Bruyère. Le livre
des Caractères est la dernière production de Théophraste,
et encore ne possédons-nous qu'un très-petit nombre de
chapitres del'ouvrage complet. Ces chapitres , que les rhap-
sodes ont dû fréquemment altérer, sont cependant remar-
quables par la verve, l'élégance, le talent d'observation, et
la finesse des i)eusées. Toutefois, pour en apprécier saine-
ment le mérite, il fjut se reporter à l'époque à laquelle
vivait l'auteur, époque de guerres, de désastres, de calami-
tés , oîi la république athénienne était dévorée par l'étran-
ger et les factions , où par conséquent des vices et des
desordres inconnus généralement dans les temps de paix
apparaissaient à la surface de la société comuie une écume
soulevée par la tourmente politique. Cette seule observa-
tion suffira pour guider le lecteur dans le parallèle de Théo-
phraste et de La Bruyère, en tenant compte toutefois des
autres considérations de temps, de pays, de religion et de
civilisation, qui ont dû produire nécessairement des dis-
semblances profondes dans le génie de ces deux moralistes,
p. -F. TiSSOT, de l'Académie Française.
THÉOPHRASTE PARACELSE. Voye:- Para-
CELSE DE HOHENHEIM.
THÉOPHYLACTE, dit Simocatta, historien grec,
auteur d'une Histoire du règne de Vempereur Maurice
(582 à 602) , était né en Egypte, et remplit diverses charges
importantes à la cour du prince dont il s'est lait le bio-
graphe.,
THEOPxXEUSTIE ( du grec «eôç, Dieu, et uvéw, je
souffle). Voyez Inspiration ( Théologie).
THÉOPOMPE, célèbre historien grec , natif de Chios
et disciple d'Isocrate, vivait au quatrième av. J.-C, sous le
THÉOPOMPE - THÉOSOPHIE
£fiS
règne de Philippe de Macédoine , et composa en douze
livres, sous le titre d'//e/ie«!ca, une suiteàTliucydide allant
jusqu'à la bataille navale de Cnide, puis, sous le titre de
Philippica, une histoire générale de son siècle en cinquante-
huit livres. Millier les a fait entrer dans ses Historicorum
Grxcorum Fragmenta (Paris, 1841).
Il ne faut pas confondre l'historien Théopompe avec le
poète comique du même nom , Athénien qui florissait à l'é-
poque d'Aristophane et auteur d'un grand nombre de co-
médies. On en connaît encore une vingtaine, les unes seu-
lement par leur titre, les antres par quelques fragments que
Meinecke a insérés dans ses Fragmenta Poetarum comi-
corum Grœcorum.
THÉORBE, en italien tiorba , instrument à cordes
dont on se servit jusqu'au milieu du siècle dernier aussi
bien pour la musique d'église qu'à l'Opéra pour l'exécution
de la basse générale, et qui comme instrument solo faisait
encore les délices des dames de la cour de Louis XIV. Le
théorbe était une espèce de luth, et n'en différait que par
un manche plus grand et par des notes plus basses. Sui-
vant Arteaga, cet instrument aurait eu pour inventeur un
Italien du nom de Bardella , contemporain de Galilée.
THÉORÈME (du grec ôewpeïv, contempler). Ce mot,
qui n'est guère usité que dans les sciences positives, dé-
signe une vérité qui doit être rendue évidente au moyen
d'une démonstration. L'expression théorème entraîne donc
toujours implicitement l'idée de profeZéme, en ce sens
que la proposition qui le constitue suppose une solution an-
térieure , mais qu'il s'agit de renouveler pour donner au
t4iéorème toute l'évidence de la vérité mathématique : ainsi,
quand on demande quelle est la valeur de la surface
d'aune sphère, on pose un problème; et quand on dit,
comme proposition qui peut être géométriquement démon-
trée, que la valeur de la surface d'une sphère est
q.ualre fois celle d'un de ses grands cercles , on pose un
théorème qu'il s'agit de rendre évident parla série de rai-
sonnements qu'on a[t\}e\\e. démonstration. On nomme
corollaire toute proposition exprimant une conséquence qui
découle de la démonstration d'uu théorème : ainsi, quand on
dit qu'un angle droit est toujours la moitié de la va-
leur ou de la sonune des trois angles d^un triangle
rcctiligjie quelconque , on pose un corollaire découlant de
ce théorème que la valeur des angles d'un triangle rec-
titigne ^quelconque est égale à deux droits.
THÉORIE ( du grec ôstopia, dérivé de Oewpeîv, contem
pler). Ce mot, dans son acception littérale, veut dire con-
templation, méditation; mais on s'en servit de.bonne heure
pour désigner d'ahord l'étude mtellectuelle et la notion de ce
qui ne saurait être l'objet d'une perception sensible , puis
la science en général, la notion scientifique. La notion de la
théorie se détermine d'une manière plus exacte par l'opposi-
tion existant entre l'expérience ( empirie ) d'une part et la
pratique de l'autre. Dans le premier cas , toute théorie a
pour but de faire percevoir par l'intelligence les causes, les lois
et les rapports de ce que l'expérience signale aux yeux dans
les détails; c'est une tentative de faire comprendre la diver-
sité des faits signalés par l'expérience, au moyen de lois et de
principes généraux qu'indique l'intelligence et non la sen-
sation. C'est en ce sens qu'il est question en physique
de théories de la lumière, de l'électricité, de la chaleur; en
astronomie, d'une théorie du ciel; en physiologie, d'une
^Aeoriede la nutrition, de la circulation du sang; en psycho-
logie, de la théorie de la sensibilité et de la pensée, du désir
et de la volonté; par là on veut dire que la diversité de cer-
tains faits physiques, astronomiques, physiologiques ou
psychologiques s'explique et devient intelligible certaines
présuppositions étant admises. Toutes les sciences empiri-
ques, dès qu'elles commencent à réfléchir sur les causes e(
les rapports des phénomènes , s'efforcent de construire des
théories satisJaisantes. Très-souvent la possibilité de trouver
la pensée fondamentale d'une tiiéorie dépend de l'habileté de
U peiiséeet de l'abondance d'heureuses combinaisons; mais
jusqu'à présent il est bien rarement arrivé de trouver dans
les données mêmes des </jc'onesnécessairementsatisfaisantes.
Là où ce n'est pas le cas, la théorie demeure plus ou moins
à VéiAi à'hy p ot h es e, que de nouvelles expériences peu-
vent détruire, quelque peu qu'un tel résultat soit d'ailleurs à
redouter pour certaines théories, par exemple en astronomie
depuis la venue de Copernic, de Kepler et de Newton. La
pensée fondamentale sur laquelle repose une théorie en est
\t principe. Elle-même consiste à prouver que les con-
séquences, qui pour la pensée se déduisent du principe,
sont d'accord avec les phénomènes réels qu'on a sous les
yeux; aussi la comparaison avec l'expérience est- elle la
pierre de touche de toute théorie. Dans les sciences, les
théories sont plus ou moins positives ou certaines, suivant
ce qu'on appelle le degré de certitude de ces mêmes scien
ces. Les théories astronomiques actuelles peuvent se con-
sidérer comme l'expression du véritable système de lois
qui régissent le monde planétaire, et ceci ressort, entre
mille autres preuves, de la concordance parfaite entre les
phénomènes calculés et observés. La plupart des théories
physiques actuelles, et môme celles de la chimie, offrent
aussi tout le degré de certitude désirable ; mais il n'en est
pas de môme de celles de beaucoup d'autres sciences, en-
tre lesquelles la médecine tient le premier rang. Jamais on
n'explique une chose de plus de manières que lorsqu'elle
est tout à fait inexplicable, et c'est là ce qui nous a sans
doute valu en physiologie et en médecine celte innom-
brable quantité de théories plus ou moins absurdes, parlés-
quelles les médecins de tous les temps, qui en sont encore
à la définition d'une fièvre, ont prétendu et prétendent ex-
pliquer les phénomènes de la vie dans l'état n>aladif ou dans
l'état normal.
Par opposition à pratique, le mot théorie désigne-
ensuite la simple notion, sans qu'il y ait dessein de l'appli-
quer à certains buts. C'est pourquoi on appelle praticien
non-seulement celui qui unit l'habileté de l'application à
la simple notion théorique, mais encore souvent celui
qui sans posséder cette dernière a appris, rien que par l'ex-
périence et l'exercice, à atteindre certains buts. Les condition*
de l'application d'une théorie à certains buts étant aussi
diverses que compliquées, on dit souvent qu'une chose est
vraie en théorie, mais fausse en pratique ; mais c'est là
une proposition inexacte. Une théorie n'est pas nécessaire-
ment fausse tant qu'elle ne s'accorde pas avec la pratique :
seulement, elle est incomplète. Très-souvent même il ne lui
manque que certaines conditions extérieures , desquelles dé-
pend son applicabilité.
THÉORIE (Art militaire). C'est l'action de dévelop-
per par l'étude les principes de la tactique, des manœuvres
et des exercices ordinaires ; c'est la partie spéculative d'une
science où l'on s'attache plutôt à la démonstration qu'à la
pratique. Chaque arme a sa tactique, sa théorie particu-
lière.
L'école faite aux officiers et aux sous-officiers par le« chef»
de bataillon et les adjudants majors sur les manœuvres,
le maniement des armes, le service des places et les règle-
ments militaires, s'appelle théorie. C'est une espèce d'en-
seignement mutuel, qui sert à graver dans l'esprit des élè-
ves les principes qu'ils sont appelés à appliquer dans Voccsl-
s\on. La théorie commence l'instruction des officiers et des
sous-officiers; \à pratique achève leur éducation militaire.
On fait aussi dans les régiments une théorie pour l'into •
nation. Celle-ci rend uniforme le ton du commandement,
et corrige ce qu'il y a de vicieux dans la voix. Sicard.
THÉOSOPHIE , THÉOSOPHES (du grec Geô;, Dieu
et uoçtâ, sagesse, connaissance). D'après son étymologie,
le mot f/jéosopftie désigne la notion contemplative de Dieu et
des choses divines. Aussi l'a-t-on appliqué , au lieu du mot
théologie, aux doctrines des rêveurs enthousiastes qui
dans leurs recherches sur Dieu dépassèrent les limites de la
raison agissant méthodiquement, et qui, entraînés par la vi-
vacité de leurs sentiments et de leurs besoins religieux, cru-
554
THEOSOPHIE —
rent avoir appris directement par une illumination supé-
rieure , et comme ils disaient eux-mêmes, par une réunion
mystique avec Dieu, quelle est la véritable essence de
Dieu, en quoi consiste l'action de sa volonté, puis qui en fi-
rent part à d'autres, La réunion avec Dieu étant la condition
de cette illumination supérieure, les doctrines théosophiques
se rencontrent fréquemment non-seulement dans les reli-
gions de l'Asie orientale, mais encore dans les systèmes phi-
losophiques qui introduisirent la pensée fondamentale du
panthéisme dans l'élément fantastique d'un enthousiasme
religieux. En ce sens, les doctrines des néo- platoniciens étaient
de la théosophie. Parmi les théosophes les plus remarqua-
bles des temps modernes, il faut citer Jacques Bœhme,
Valentin Weigel , Swedenborg et Saint-Martin.
THÉOT ou THÉOS (Catherine) naquit en 1725, aux
environs d'Avranches, en Basse-Normandie, et vint tort
jeune chercher fortune à Paris. Elle entra d'abord chez Bo-
chard de Sarou, conseiller au parlement, où elle demeura
quelque temps comme femme de charge; mais son maître,
mécontent de la tendance réelle ou affectée qu'elle montrait
dès lors pour les idées mystiques, la congédia. Elle s'était
liée avec quelques autres femmes d'un esprit aussi déréglé
que le sien, entre autres avec une certaine Suzanne La-
brousse ; et toutes déjà à cette époque rêvaient à Vémanci-
pation de la femme (voyez Femme libre ). Catherine Théot
alla se loger dans un endroit retiré du faubourg Saint-Mar-
ceau, où elle tint des espèces de clubs dans lesquels, se di-
sant honorée de visions et de révélations célestes, elle se
déclarait destinée par Dieu à régénérer le genre humain.
Elle faisait déjà presque secte dans ce faubourg , lorsque la
police la fit arrêter et renfermer aux Madelonnettes, d'où
elle ne sortit qu'en 1789. Elle renoua alors connaissance
avec Suzanne Labrousse, qui ayant repris son ancien mé-
tier de prophétesse et d'inspirée , venait d'être présentée et
recommandée à l'Assemblée nationale par le député, ex-char-
treux, domGerle, et qui, s'élant sauvée plus tard à Rome,
de crainte d'être arrêtée à Paris, alla mourir au château
Saint-Ange , où le pape l'avait fait enfermer. L'issue funeste
de cette mission rehgieuse rendit Catherine Théot circons-
pecte ; elle résolut de cacher sa vie, au moins pour quelque
temps. Elle était donc entièrement oubliée, ainsi que dom
Gerle, lorsque, peu de temps avant queRobespierre n'ins-
tituât sa fête de l'Être suprême, il vint à circuler mystérieu-
sement dans Paris un bruit bizarre. On disait que dans un
mauvais galetas du quartier de l'Estrapade d'étranges oracles
se forgeaient , et qu'on y annonçait, sous les auspices d'une
vieille sibylle édentée, le retour prochain de l'âge d'or, l'ap-
parition d'une Jérusalem nouvelle, l'avènement d'un nou-
veau Messie, la seconde incarnation du Verbe de Dieu et la
naissance de l'Agneau divin qui effacerait les péchés du
monde. Les deux principaux acteurs de cette farce mystique
étaient dom Gerle et Catherine Théot. 11 est évident qu'elle
avait un but politique. Dans les papiers trouvés chez Cathe-
rine lors de son arrestation, Robespierre est nominativement
désigné comme le Messie qu'elle doit enfanter spirituelle-
ment. Les cérémonies étaient dignes de la bizarrerie des
dogmes. A son lever, la Mère de Dieu (c'est le nom sous
lequel les initiés adoraient la prophétesse) apparaissait, pu-
rifiée d'une ablution lustrale, le visage à demi couvert d'un
voile blanc. Elle se plaçait à une table sur laquelle était une
estampe allégorique de ses mystères : à sa droite une Dible,
dont une jeune fille, appelée Véclaii'euse, faisait lecture.
Cette éclaireuse, très-jolie, nommée Ambl'ar, récitait, sur
un ton de psalmodie , des passages de la Bible. Elle élait
vêtue de blanc comme les vestales, le visage couvert d'un
voile transparent; on la destinait à remplacer, par une sub-
stitution adroite, la vieille Catherine Théot, qui après sa
mort devait ressusciter pleine de grâce ; et pour succéder
à Amblar, on tenait toute prête une autre jeune fille, nom-
mée Rose, fraîche et lielle comme la tleur dont elle portait
le nom. Les cérémonies de l'initiation étaient dignes de
cette mise en scène.
THERAPEUTIQUE
Le 27 prairial , Vadier lut à la tribune de la Convention
un rapport extrêmement curieux , fabriqué , dit-on , par
Barrère , sur les mystères de la mère de Dieu ; rapport
dans lequel on avait substitué à son véritable n*m Théot
celui de Théos (en grec, dieu, divinité). 11 concluait à
l'arrestation de Catherine Théot, de dom Gerle et de tous
les initiés. Ces conclusions furent adoptées ; et tout k trou-
peau d'enfants de la Mère de Dieu fut écroué dans di-
verses prisons. Dom Gerle se vit enfermé à Port-Libre,
d'où il sortit après le 9 thermidor, et Catherine Théot à la
Conciergerie, où elle mourut, après cinq semaines de dé-
tention^, âgée de soixante-dix ans. Georges Duval.
THÈQUE.^Foyes Champignon. -
THÉRAMÈA^Ë, général et démagogue athénien , en
même temps qu'orateui de quelque talent, est demeuré un
personnage historique «les plus énigmatiques. Il prit d'ail-
leurs part aux affaires dans un temps (413 à 404 av. J,-C.)
où il faut avouer que ce n'était pas chose facile que d'in-
diquer à ses concitoyens la meilleure marche à suivre. Son
iniluence se manifesta dans trois circonstances très-diffé-
rentes. On le voit d'abord prendre une part active aux
agitations dont Samos fut le foyer, et qui de là gagnèrent
Athènes, où elles eurent bientôt ébranlé l'État. Théramène
s'y mit alors au service de l'oligarchie, et favorisa rétablis-
sement du conseil des quatre cen^s,qui usurpa tous les
droits de l'assemblée du peuple, encore bien qu'en sa qua-
lité de membre de ce conseil il ait ensuite tâché d'amener
une réconciliation avec le peuple. Puis, l'armée athénienne
qui se trouvait à bord de la flotte devant Samos s'étant,
d'après les conseils de Thrasybule, déclarée en faveur
de la démocratie et ayant rappelé Alcibiade, Théra-
mène, déjà mécontent, passa au parti populaire; mais ses
actes furent ensuite loin de répondre à ses paroles. Malgré
ce rôle équivoque, il n'en jouit pas moins d'un grand crédit
lors du rétablissement du gouvernement démocratique, et
fut même appelé à d'importantes fonctions. C'est ainsi que
les Athéniens le désignèrent pour prendre part anx négo-
ciations qui mirent fin à la guerre du Péloponnèse. Dans
l'accomplissement de cette mission , il trompa de la manière
la plus révoltante la confiance de ses concitoyens, en ac-
ceptant pour sa patrie des conditions de paix déshonorantes.
Trente citoyens, choisis parmi les quatre cents auxquels
le pouvoir avait été précédemment enlevé, furent alors
chargés de donner à Athènes une nouvelle constitution et
investis de l'autorité suprême pour toute la durée de leur
mandat. L'histoire les désigne sous le nom des trente ty-
rans. A cette occasion, Théramène figura pour la dernière
fois dans un rôle important; et il fut alors désigné pour
faire partie de cette commission des Trente. Bientôt, des
forces lacédémoniennes étant venus occuper la ville, il vit
ses collègues s'abondonner à toutes les fureurs de l'arbi-
traire et du despotisme, et essaya de s'opposer au terro-
risme en insistant dans le conseil des Trente sur le respect
dû aux lois de l'humanilé. Mais par cette conduite il
excita les soupçons et la haine du défiant Critias. Con-
damné , l'an 403 av. J.-C, à boire la ciguë dans son cachot,
il vida d'un trait la coupe fatale jusqu'à la dernière goutte,
en s'écriant . »ec une gaieté peut-être affectée : « Au beau
Criliasî » Lt. 'le qu'il joua dans la politique fut des plus
équivoques , et en flottant toujours indécis entre les divers
partis , suivant son intérêt , il mérita le sobrib\iet de Co-
thurne (chaussure allant à tous pieds), que lui avaient
donné les portefaix d'Athènes, à cause de sa facilité à changer
d'opinion et de parti.
TIIKllAI*EUTES(dugrec es'pa-eûw, je sers, jeprends
soin). Voyez Essémf.ns.
TIIÉI\APEL'TIQUE(du grec Ôspans-jw, je prends
.soin, je remédie). C'est une partie des sciences médicales
qui a pour objet le traitement des maladies. L'expression la-
tine therapia est employée aujourd'hui dans le même
sens en Allemagne. La thérapeutique ainsi comprise est le
but final des études di médecin : c'est l'application de
THÉRAPEUTIQUE — THERMES
toutes les notions qu'il a dû acquérir sur les conditions de
la vie, sur les causes qui la modifient favorablement ou défa-
vorablement, etc.; notions dont l'étendue est immense, puis-
qu'elles comportent la plus grande partiedes sciences natu-
relles. On dit aussi l'art thérapeutique pour l'art de guérir.
THÉRÈSE (Marie) . Voyez Ma.iue-Thérèse.
THÉRÈSE DE JÉSUS ( Sainte) , célèbre écrivain espa-
gnole, naquit en 1515, à Avila, en Vieille-Castille, d'une
famille noble. Dès l'âge de vingt ans elle prit le voile cliez
les carmélites de sa ville natale, où elle passa vingt-sept ans
de sa vie et où elle se distingua tellement par sa piété qu'elle
fut élue pour ramener l'ordre à la sévérité de sa règle primi-
tive. Elle présida alors encore pendant vingt ans , modèle
du renoncement à soi-même et du dévouement, aux nom-
breux couvents réformés de l'ordre des carmélites déchaus-
sées, et mourut au couvent d'Alba de Liste, en Vieille-Cas-
tille, le 4 octobre 1582.
Quelque soit le jugement qu'on porte de la direction don-
née à sa vie par sainte Thérèse, il faut reconnaître que
c'était une femme douée de facultés extrêmement remar-
quables, d'un esprit profond, d'une imagination des plus
vives et qui se dévoua avec toute l'énergie dont était doué
son caractère, fortement trempé, à ce qu'elle croyait être le
but suprême de l'homme sur cette teiTe. Dans une série d'ou-
vrages de dévotion, de visions mystiques, de dissertations as-
cétiques et de lettres dogmatiques, dans la peinture de sa
vie intime, elle a exposé les extases et les luttes de son cœur ;
mais elle l'a fait avec tant d'élévation, avec une si vive
imagination, une éloquence si entraînante, que, ne fût-
ce que comme poète et comme styliste, on la rangera tou-
jours parmi les femmes les plus remarquables de tous les
temps. Elle a laissé cinq ouvrages : Discurso o relacion de
su vida ( t5C2), qu'elle n'écrivit que malgré elle, et seule-
ment d'après l'ordre de son confesseur ; El Camino de la
Fer/eccion , composé un an plus tard pour la direction des
religieuses du couvent dont elle était supérieure, et qui (ut im-
primé de son vivant même ; £/ Libro de las Fundaciones ,
rapport sur les couvents qu'elle avait fondés; El Castillo
interior, o los Morados , écrit en 1577, le plus célèbre de
ses ouvrages mystiques, où elle expose comment l'âme peut
s'élever par degrés jusqu'au septième siècle , jusqu'à la céleste
demeure de son fiancé, le Christ; S. Conceptos de anior
de Bios , dont il n'existe que quelques fragments, conservés
dans une copie faite par une religieuse, l'auteur ayant brûlé
Je manuscrit original pour se conformer à l'ordre de son con-
fesseur. Les manuscrits originaux des œuvres de sainte
Thérèse furent déposés par ordre de Philippe II à la biblio-
thèque de l'Escurial. Us furent imprimés pour la première
fois à Salamanque (1587), puis à Bruxelles (1610), à Ma-
drid ( 1627 ) , à Anvers (1630) , et maintes fois encore. Ochoa
en a donné un choix, sous le titre de Tesoro de las Obras
misticas o reiigiosas de santa Teresa de Jésus, etc.
(Paris , 1847 ). On a aussi d'elle des lettres écrites à diverses
personnes, et imprimées successivement à Saragosse(1618),
à Madrid (1630), à Bruxelles (1673), et àBarcelone (1724).
Les œuvres de sainte Thérèse ont été traduites dabs toutes
les langues de l'Europe.
THÉRIAQUE ( Pharmacie), des mots grecs ôrip, bête
féroce ou venimeuse, et àxÉofiat, je guéris, soit parce que la
thériaque était regardée comme eflicace contre la morsure des
bêtes venimeuses, soit parce que la chair de vipère en serait la
base. Cependant, quelques érudits en font honneur à Andro-
maque de Crète, médecin de Néron, qui la décrit dans un
poëme que Galien nous a conservé dans son ouvrage De
Antidotis. Uentre dans sa composition soixante-dix drogues,
dontquelques-unessonttoutà fait inefficaces et dont d'autres
se combattent et s'annulent réciproquement. Ce remède a
conservé son renom jusqu'à une époque assez récente, et
il n'y a pas longtemps encore que les pharmaciens de Venise,
de Hollande , de France et d'autres pays procédaient à la
composition de la thériaque avec une certaine solennité et
en pré.sence d'individus préposés par l'autorité.
555
THERMiE, ville de Sicile, assez importante dans l'anti-
qnilé, appelée aujourd'hui Termini , fut fondée par les Car-
thaginois après la destruction û'Himerx, et dans son voi-
sinage. Les eaux thermales qui lui avaient valu son nom
y attirèrent de tous temps un grand nombre de baigneurs.
THERMALES (Sources). Voyez Eaux minérales.
THERMES (du grec ûepiioç , chaud ) . Ce mot désigne
au propre des sources d'eau chaude , des bains chauds. Lors-
qu'à Rome aux anciens bains, et chauds (balnea), d'une
construct'on fort simple, qui à ce qu'il semble étaient des
entreprises particulières, on substitua des établissements
publics, de proportions plus grandioses, on employa le nom
de thermes pour désigner ces créations nouvelles. Bientôt
on réunit dans leur enceinte dévastes salles destinées à ser-
vir de bibliothèque, adonner des concerts, ou bien con-
sacrées aux jeux et exercices du corps, puis on y ajouta des
promenades; et dans ces diverses dispositions l'architecture
ne tarda point à déployer tout le luxe dont elle est suscep-
tible. A Rome, ce futAgrippa, sous lerègne d'Auguste, quile
premier créa dans le Champ de Mars des bains de ce genre,
et où le peuple était admis gratuitement. Néron parait être
celui qui le premier réunit le gymnase aux thermes; et à
partir de cette époque on bâtit toujours les thermes d'après
un plan plus vaste, en y joignant toutes les parties d'un gym-
nase. A l'exemple de Néron, Titus fit élever des thermes à
côté de son amphithéâtre, et de pareilles constructions
furent aussi exécutées par les ordres de Domitien et de
Trajan. Adrien rétablit ceux d'Agrippa ; Commode, Sep-
time Sévère et Caracalla en firent également bâtir. Ceux
de ce dernier surtout, construits à Rome, se faisaient re-
marquer par leur étendue; mais ce fut Héliogabale q.ui les
termina. Des portiques ajoutés aux thermes de Caracalla
par Alexandre Sévère, et ceux qu'il fit construire près des
bains de Néron , firent donner à l'ensemble de ces édifices le
nom de thermes Alexandrins. Enfin, les derniers qui fu-
rent construits sont dus à la munificence d'Aurélien et de
Dioclétien , qui surpassèrent dans le luxe des décorations
tous ceux de leurs prédécesseurs. Les auteurs anciens ne
nous ayant laissé aucune description de thermes, il serait
difficile de s'en faire une idée bien exacte et de connaître
tous les détails des constructions. Sous ce rapport , les efforts
de Palladio , Serlio et autres pour les rétablù: sur les ruines
de ceux qui restaient à Rome , ont presque été sans succès.
Les dessins que les artistes en ont levés diffèrent souvent
considérablement, selon les idées que chacun d'eux s'était
faites de ce genre de constructions, et quelques-uns mêmese
sont permis d'ajouter dans leurs dessins des choses qui ne se
sontjamais trouvées dans les ruines. Les plus complets étaient
composés de six pièces : 1° Vapodyterium des Grecs, spo-
liatorium des Romains, où l'on se déshabillait: les gardes
nommés capsarii avaient soin des habits ; 2° le loutron des
Grecs , frigidarium des Romains , où l'on prenait les bains
froids; 3° \e tepidarium , lieu tempéré, qui prévenait le
danger du passage trop subit d'un endroit très-chaud à un
autre qui était très-froid ; 4° la sudatio ou laconicum, cel-
lule ronde, surmontée d'une coupole, qui tirait son s.econd
nom de celui du poêle qui réchauffait et qui venait de la
Laconie; 5° le balneum ou bain d'eau chaude : une galerie
appelée schola, régnait tout autour; la piscine ou bassin,
était au milieu, quelquefois aussi des baignoires, labra, sô-
Ica , alvei , étaient enchâssées dans le pavé ; 6° Veleothe-
sum ou onctuarium : on y conservait les huiles et parfums
dont on se servait au sortir des bains, comme avant d'y en-
trer; 1° Vhypocaustum, ou fourneau souterrain , distribuait
la chaleur partout ou elle était nécessaire et à divers degrés.
Champollion-Figeac.
THERMES (Palais des), à Paris. On en attribue à
tort la construction à Julien. Dulaure avoulu qu'il fûtl'ou-
vrage de Constance Chlore , père de Constantin et aïeul de
Julien. Alexandre Lenoir, notre savant collaborateur, en rap-
portait la construction au temps de Tibère, c'est à-dire
vers l'an 35 ou 36 de notre ère. C'est le plus important des
556
THERMES — THERMIDOR
monuments construits par les Romains sur le sol parisien.
Julien y fut proclamé empereur, en 360. Valens et Valenti-
nien habitèrent ce palais pendant l'hiver de 365 ; et trois
des lois contenues dans le Code Théodosien sont datées
du palais des Thermes. Plus tard, cette résidence fut occupée
par les rois franks de la première race. Le poète Fortu-
nat nous apprend que le roi Childebert traversait le jardin
des Thermes pour se rendre à l'église Saint-Germain-des-Prés,
qu'il venait de fonder. Du reste, tous les documents qu'on a
recueillis sur cette période prouvent que les dépendances des
Thermes s'avançaient alors, au midi, jusqu'à l'emplacement
maintenant occupé par laSorbonne, et que du côté du nord
elles atteignaient les rives de la Seine. Habité parles prin-
cesses Gisla et Rotrude, (illes deCharlemagnc, tandis que
leur père résidait à Aix-la-Chapelle, le palais des Thermes
fut ensuite abandonné par Louis le Débonnaire , après la mort
de l'empereur; et on croit qu'Ai eu in y établit alors un
atelier de manuscrits et de miniatures. Quoi qu'il en soit, en
1180, les poésies de Jean de Hauteville nous décrivent en-
core les Thermes de la façon la plus pompeuse , domus
aula regum « dont les deux ailes , en se déployant , semblent
« embrasser la montagne dont les cimes s'élèvent jusqu'aux
« nues et les fondements atteignent l'empire des morts ». En
1218 Simon de Poissy avait la jouissance du palais; et Phi-
lippe-Auguste, après avoir détruit une partie de l'édilice
pour tracer l'enceinte de Paris , donna ce qui en restait à
Henri, son chambellan. En 1243 Raoul de Meulanl possédait
cette portion des Thermes, qui fut ensuite acquise par Robert
de Courtenay. L'évèque de Bayeux en devint après cela le
propriétaire, et c'est de lui que l'acheta Pierre de Chalus, abbé
de Cl un y, en 1360. Il lit élever les premières constructions
du gracieux hôtel qui de nos jours a été transformé en musée
d'antiquités nationales. On ne conserva de l'ancien édilice que
la vaste salle voûtée , large de 1 1 mètres 50 centim. , et lon-
gue de plus de 20 mètres , qui paraît avoir servi dans l'ori-
gine à une salle de bain. Les arêtes des arcades s'appuient
sur des consoles qui représentent la poupe d'un vaisseau;
et sur une de ces consoles on croit reconnaître la trace de
quelques sculptures représentant des figures humaines. A
cette époque, c'est-à-dire vers la fin du quatorzième siècle,
lorsqu'on bâtit la rue de La Harpe , les restes des Thermes
furent éloignés de la voie publique et servirent de dépen-
dances à des propriétés particulières bordant cette rue. En
1750, la grande salle des Thermes avait été convertie en han-
gar qui servait de remise à un loueur de fiacres. Plus tard ,
celte salle devint un magasin loué à un tonnelier, qui l'em-
plit de futailles vides. En 1790 l'ordre de Cluny, comme tous
les autres ordres religieux de France , ayant été dépouillé de
ses propriétés , les Thermes furent cédés à l'hospice de Cha-
renton. En 1819 on démolit les maisons qui sur la rue de
La Harpe masquaient l'édifice, et une grille en fer fut établie
sur la voie publique pour dégager la façade de ces magnifi-
ques ruines, derniers vestiges qui attestent encore aujour-
d'hui la grandeur passée de l'antique Lutèce. Le percement
du boulevard de Sébastopol à travers toute cette partie du
vieux Paris a eu pour résultat d'achever de les isoler com-
plètement.
THERMIDOR (du grec eeptj.0;, chaud). Ainsi s'appe-
lait dans le calendrier de la république française le onzième
mois de l'année. Il durait du 19 juillet au 18 août du calen-
drier grégorien.
THERMIDOR (Journée du 9) an n {11 juillet 1794),
Tune des plus mémorables journées de la révolution fran-
çaise, qui vit finir le règne abominable deRobespierreet
de sa clique. La veille, Robespierre était encore monté à
la tribune de la Convention et y avait prononcé un discours
dans lequel il s'élevait en termes vagues et pourtant me-
naçants contre les scélérats, les brigands, qui prétendaient
faire dévier la révolution de ses voies naturelles et légitimes
pour la noyer dans le sang. Le soir même il se rendit aux
Jacobins, et y donna une seconde lecture de son discours à
la Convention. Cette lecture terminée, « Ce que vous venez
d'entendre, dit-il, est mon testament de mort : je l'ai vu
aujourd'hui, la ligue des me'cAan^5 est tellement forte que je
ne peux pas espérer de lui échapper. Je succombe sans re-
gret ; je vous laisse ma mémoire, elle vous sera chère et vous
la défendrez. » Et comme ses amis s'écriaient en tumulte
que l'heure d'un second 31 mai avait sonné : « Séparez,
ajouta-t-il, les méchants des hommes faibles ; délivrez la
Convention des scélérats qui l'oppriment ; rendez-lui le sér-
Tice qu'elle attend de vous comme au 31 mai et au 2 juin.
Marchez, sauvez encore la liberté ! Si malgré tous ces efforts
il faut succomber, eh bien mes amis, vous me verrez boire
la ciguë avec calme! » Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois
étaient dans le club; ils en furent chassés au milieu des in-
jures et des menaces. Malgré cela , le 9 au matin , Robes-
pierre était encore dans une sécurité parfaite; et, comme
d'ordinaire, il se rendit à la Convention. CoUot d'Herbois oc-
cupait le fauteuil ; et Saint-Just était à la tribune. A peine
a-t-il commencé le quatrième alinéa de son discours, qu'il
est vivement interrompu par Tallie n ; à Tallien succèdent
Billaud-Varennes, qui reproche à Robespierre d'avoir fait
emprisonner un comité révolutionnaire et d'avoir voulu sau-
ver Danton ; Vadier, qui l'accuse d'avoir essayé la même ten-
tative en faveur de Chabot , et d'avoir tourné en ridicule la
conspiration de Catherine Théot; puis Cambon. Pendant
que les hébertistes accusent Robespierre d'avoir été danto-
niste, ce dernier parti l'accuse d'avoir été hébertiste. En vain
Robespierre s'élance à la tribune, des cris : A bas le tyran!
éclatent de toutes parts. Alors, s'adressant à tous les côtés
de l'assemblée : C'est à vous, hommes purs que je m'adresse,
et non pas aux brigands... (Violente interruption). Pour
la dernière fois, président d'assassins, je te demande la
parole! dit-il à Collot-d'Herbois, qui s'empresse de céder
le lauleuil à Thuriot. Tout à coup, une voix, celle de Lou-
chet, se fait entendre, demandant le décret d'arrestation contre
Robespierre ; et les applaudissements, d'abord isolés, devien-
nent unanimes. « Je suis aussi coupable que mon frère,
dit Robespierre jeune ; je partage ses vertus, je veux partager
son sort. Je demande aussi le décret d'arrestation contre
moi!.. M Quelques membres paraissent émus; mais la ma-
jorité accepte ce vote généreux, et tous les membres debout
font retentir la salle des cris de vive la liberté! vive la
république ! « Je ne veux point partager l'opprobre de ce
décret, moi! je demande aussi mon arrestation, » s'écrie
Le Bas. (Adopté.) Sur la proposition de Loseau, les proscrits
descendent à la barre, et l'assemblée applaudit à plusieurs
reprises. Enfin, après un discours emphatique de Collot, la
séance est suspendue.
Robespierre fut d'abord conduit à la prison du Luxera-
bourg, son frère à Saint-Lazare, Couthon à la Bourbe, Le Bas
à la maison de justice du département, Saint-Just aux
Écossais. Ils furent successivement délivrés par des membres
du conseil général et portés en triomphe à l'hôtel de ville.
Là , Saint-Just et Le Bas [tressèrent Robespierre de profiter
des offres des canonniers de Paris et de marcher sur la
Convention, dont il serait facile de triompher. Robespierre
hésita , alléguant qu'il ne voulait point donner l'exemple
d'un nouveau Cromwell. A ce moment le décret de la mise
hors la loi parvint à l'hôtel de ville, et son effet fut immédiat.
La foule qui garnissait la place de Grève s'écoule à l'ins-
tant même. Henriot entre effaré dans le conseil, en annon-
çant que tout est perdu. Saisi violemment au corps par Cof-
tinhal, qui lui reproche d'être la cause de tout ce qui arrive,
il est précipité par une fenêtre et tombe dans un égout, d'où il
n'est relevé que pour être conduit à l'échafaud. Le Bas, à qui
des amis ont fait passer deux pistolets, saisit l'une de ses
armes , et présente l'autre à Robespierre, qui l'étreint avec
ivresse : mais lecoup mal dirigé ne lui ôte pas la vie; la main
de Le Bas est plus sûre. Robespierre jeune s'élance par une
croisée et se roule sur la pointe des baïonnettes; Couthon et
Saint-Just restent immobiles. Dans l'après-midi du 10, le
sang des chefs jacobins et.de vingt-et-un de leurs acolytes
rougissait la place de la Révolution.
THERMITES — THERMOMÈTRE
557
THERMITES. Foye; Termites.
THERMO-ÉLECTRICITÉ, électricité produite
par la cl) a leur. On sait depuis longtemps que la tour-
maline et quelques autres cristaux naturels acquièrent des
propriétés électriques lorsqu'on élève leur température. En
1781, Seebeck, professeur à Berlin, montra qu'en formant
un circuit de métaux différents et en chauffant l'une des
soudures , le mouvement du calorique donne naissance à
des courants électriques. Dans son expérience, Seebeck
avait employé l'antimoine et le bismuth. Mais Volta avait
déjà remarqué qu'une lame d'argent, inégalement chauffée à
ses deux extrémités, jouit de la même propriété. M. Bec-
querel a constaté depuis que pour qu'un courant thermo-
électrique puisse se manifester dans un circuit formé d'un
seul fil métallique, il suffit, par exemple, de tordre ce fil
plusieurs fois sur lui-même en un de ses points, et que par
conséquent ce courant ne dépend que de l'inégale propaga-
tion du calorique dans le circuit. La théorie de M. Becquerel
confirmerait l'hypothèse de Nobili, qui attribue le magné-
tisme terrestre à la différence d'action de la chaleur sur les
substances dont se compose l'écorce du globe.
Œrstedt, Fourier et Nobili ont construit des piles
thermo-éleclriques qui, combinées par Melloni avec le
galvanomètre, ont donné naissance au thermo-multi-
plicateur, l'appareil thermométrique le plus sensible que
l'on connaisse, car il accuse l'effet produit par la chaleur
de la main à un mètre de distance.
THERMOMÈTRE (de OeptAoç, chaud , et ^hçm , me-
sure), instrument propre à mesurer la température des
corps. L'invention des thermomètres date de la fin du sei-
zième siècle : M. Libri l'attribne à Galilée; Borelli etMal-
pighi,à Santorio Santorius, médecin dePadoue; Boerhaave
et Muschenbroek à Cornélius Drebbel. Quoi qu'il en soit
de l'inventeur, tous les thermomètres reposent sur la pro-
priété dont jouissent les corps de se dilater par la chaleur et
de se contracter par le froid.
Le thermomètre à mercure se compose d'un réservoir
de verre soudé à un tube capillaire de môme matière. Après
s'être assuré que le tube est bien cylindrique, on remplit de
mercure le petit appareil, en usant de toutes les précautions
indiquées dans les cours de physique; puis on fait chauffer
le réservoir jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une certaine quan-
tité de mercure, d'autant plus petite que l'on destine l'instru-
ment à mesurer des températures plus élevées; ensuite on
ferme à la lampe l'extrémité du tube. 11 ne reste plus qu'à
graduer l'instrument ; pour cela, on le plonge successivement
dans de la glace fondante et dans de la vapeur d'eau en ébul-
Ution, en ayant soin de marquer à chacune de ces deux
immersions le point où s'arrête la colonne de mercure; le
premier de ces points est le zéro du thermomètre ; au se-
cond on écrit 100, et l'on divise l'intervalle des deux points
fixes en 100 parties égales, ou degrés. On porte des di-
visions éi;ales à celles-ci tant au-dessus de 100 qu'au-des-
sous de zéro.
Cette graduation, due à Celsius, est celle du thermo-
mètre centigrade, que la France a adopté en même temps
que le systèmedécimal. Avant la révolution, on se servait
de l'échelle de R éaumur, encore en usage dans le midi de
l'Allemagne , en Russie , en Espagne , dans quelques parties
de l'Italie et dans l'Amérique méridionale; elle ne diffère
de la précédente qu'en ce que la distance des deux points
fixes est divisée en 80 parties égales au lieu de 100 ; d'où il
résulte que 4' Réaumur équivalent à 5" centigrades ; par
conséquent pour convertir un nombre quelconque de de-
grés Réaumur en degrés centigrades , il suffit d'ajouter à ce
nombre le quart de sa valeur. Une autre échelle, que con-
servent l'Angleterre, la Hollande et l'Amérique du Nord, est
celle de Fahrenheit. Ce dernier prit pour zéro le froid
que l'on avait éprouvé à Danlzigdans l'hiver de 1709; en
divisant l'échelle eu 212 parties égales, la température de
la glace fondante se trouva exprimée par 32°, de sorte que
ISO" Fahrenheit = 100» centigrades, ou bien 9" Fahrenheit
= 5° centigrades : pour convertir des degrés Fahrenheit
en centigrades, il faut donc d'abord retrancher 32, puis
prendre les f du reste.
Ces diverses échelles ont chacune leurs inconvénients. La
nôtre a l'avantage de rentrer dans le système décimal ; les
degrés ont une étendue convenable , mais on lui reproche
cette position du zéro, qui oblige à compter des degrés af-
fectés du signe moins, que l'on nomme en langage vulgaire
des degrés de froid , comme s'il existait une limite tran-
chée entre le chaud et le froid. Pour éviter l'emploi des
nombres négatifs de degrés, cause d'erreurs fréquentes dans
les observations météorologiques, M. Walferdin a proposé
d'abaisser de 40 degrés le zéro de notre thermomètre cen-
tigrade. Le zéro du nouveau thermomètre correspondrait
au point de congélation du mercure, et, en prolongeant
l'échelle jusqu'à 400°, on arriverait au point d'ébullition de
ce liquide (360° centigrades). Le thermomètre tétracen-
tigrade est déjà en usage à l'observatoire météorologique
de Versailles.
C'est Fahrenheit qui employa le premier le mercure à la
confection des thermomètres. Précédemment on se servait
d'alcool coloré en rouge avec de l'orseille. On fait encore des
thermomètres à alcool; mais la dilatation des liquides
étant d'autant moins régulière qu'ils sont plus voisins de
leur point d'ébullition, l'alcool, qui bout à 78°, se dilate
très-irrégulièrement au-dessus de zéro; la graduation de ce
thermomètre doit donc se faire à l'aide d'un thermomètre à
mercure servant d'élalon. Le thermomètre à alcool est
surtout employé pour mesurer les températures très-basses,
parce que ce liquide ne se congèle pas par les plus grands
froids connus, même à 100° au-dessous de zéro, ainsi que
l'a constaté Thilorier, en dirigeant un jet d'acide carbo-
nique liquide sur le réservoir d'un thermomètre à alcool.
Les liquides ne sont pas seuls propres à constituer des
thermomètres. Par exemple, le thermomètre à an* est
fondé sur la dilatation de l'air. Il se compose d'un réservoir
de verre auquel est soudé un long tube capillaire ouvert à
son extrémité. Le réservoir étant rempli d'air parfaitement
sec, on fait passer dans le tube un index d'acide sulfurique
coloré en rouge ; puis on gradue l'instrument en comparant
la marche de l'index à celle d'un thermomètre à mercure.
Le thermomètre différentiel de Leslie est un thermo-
mètre à air disposé de manière à faire connaître la diffé-
rence de température de deux lieux voisins.
Le thermomètre métallique de Breguet, fondé sur l'iné-
gale dilatabilité des métaux , est formé de trois lames super-
posées de platine, d'or et d'argent. Soudées ensemble dans
toute leur longueur, elles sont ensuite passées au laminoir
de manière à ne former qu'un ruban métallique très-mince.
On contourne ce ruban en hélice; puis, ayant fixé l'extrémité
supérieure à un support , on suspend à l'autre extrémité
une aiguille horizontale, dont la pointe se meut sur un ca-
dran gradué. L'argent formant la face intérieure de l'hélice,
lorsque la température s'élève , comme il se dilate plus que
le platine et l'or, l'hélice se déroule, et l'aiguille tourne
dans un certain sens. L'effet contraire a lieu lorsque la tem-
pérature baisse.
Pour mesurer de très-hautes températures , là où les gaz
et les liquides éprouveraient une trop grande expansion , on
emploie également certains thermomètres solides , plus con-
nus sous le nom de ptjromètres.
Il nous reste à parler des thermomètres a maxima et a
minima. Ces instruments permettent de mesurer les tem-
pératures des fonds des puits, des lacs, des mers, etc.
Avant leur invention, on ne pouvait connaître que la tem-
pérature du dernier milieu qu'avait traversé le thermomètre :
en vain les lieux profonds où ce thermomètre plongeait au-
raient marqué 30 ou 40 degrés de chaleur, linstrument
ramené à l'extérieur en prenait peu à peu la température,
et il reparaissait marquant 15 ou 10 degrés, sans pouvoir
dénoncer par aucun caractère à quel degré extrême il était
précédemment monté. A la vérité, on avait inventé des
5^8
THERMOMÈTRE — THÉROIGNE
thermomètres à flotteur, dans lesquels un morceau de liège
se montrait à sec, isolé du mercure ou de l'alcool, vers
l'endroit où l'ascension du fluide avait dû s'arrêter; mais
il suffisait du moindre choc pour rendre infidèles de tels ins-
truments, tandis que dans le thermomètre a maxïma de
M, Walferdin le tube, étroit et court, se terminant à son
extrémité supérieure par une ampoule à col étranglé , et ce
tube se comblant bientôt à une température peu élevée,
toute la chaleur qui dépasse ce degré où le tube est plein a
nécessairement pour effet de faire déverser ou dégorger le
mercure dans l'ampoule complémentaire du tube. Ensuite,
la colonne fluide et mobile a beau abaisser son niveau , la
portion de mercure qui s'est d'abord épanchée attestera que
les limites du tube ont été franchies; et comme on peut
faire rentrer dans le tube tout le mercure qui en était sorti,
il est facile de voir de combien de degrés l'expérience a dé-
passé à son point extrême le nombre des degrés naturelle-
ment inscrits sur le tube entier.
THERMO-MULTIPLICATEUR. Voyez Thermo-
électricité.
THERMOPYLES (Les), célèbre défilé de la Thessa-
lie, compris aujourd'hui dans le département de la Locride
et de la Phocide (Grèce), et qui est formé d'un côté parla côte
marécageuse et entrecoupée de divers petits cours d'eau du
goifedeMaleaouZéitoun,et de fautre parle prolongement du
mont Œta. Il fut ainsi appelé des sources chaudes {thermx)
qui se trouvent dans ses environs, et de l'étroite entrée ou
porte par laquelle on y arrive. Ce défilé, qui en certains
endroits n'a guère plus de huit mètres de largeur, passait
déjà dans l'antiquité pour l'un des points stratégiques les
plus importants, parce qu'il était la principale entrée de Thes-
salie en Grèce. 11 est surtout fameux par la mort héroïque
de Léonidaset de ses Spartiates (6 juillet 480 av. J.-C.),
plus tard par la déroute que les consuls romains Glabrio et
Marcus Porcius Cato (191 av. J.-C. ) firent essuyer à An-
tioclius le Grand, et de nos jours par plusieurs engagements
livrés pendant les guerres de l'indépendance. Consultez
Gordon , ^ccoM«^ of iwo Visits to the Anopaca or ihe
Highlands above Thermopylae (Athènes, 1838).
THERMOSCOPE (de eepiiôç, chaud, et cthottew, je
vois), synonyme de thermomètre. L'instrument connu
sous le nom de thermoscope de Rumford , est un thermo-
mètre différentiel, qui diffère peu de celui de Leslie.
THERXES (Les). Voyez Ternes (Les).
TUÉROI(ii\E DE MÉRICOURT. Cette femme, qui
s'est acquis une si horrible célébrité pendant les jours né-
fastes de la révolution, naquit vers 1760 , aux enviions de
Liège , dans une famille de paysans aises. Son inconduite
notoire la força de déserter le village natal, et, peu scrupu-
leuse sur le choix des moyens, elle prit bientôt place parmi
les malheureuses dont parle Suétone , quœ qtiœstum cor-
poribus suis faciunt. Mais celte bruyante existence flétrit
plus de femmes qu'elle n'en enrichit; Ihéroigne l'éprouva.
Descendue à un état voisin de la misère par la disparition
successive de ses adorateurs , le hasard la mit en relation
avec le baron Clootz,ce Prussien qui devaitdevenir fameux
souslenomd'^nacAar52S Clootz et s'adjuger le sobriquet
adorateur du genre humain. Anacharsis et Théroigne par-
tirent pour Paris. Là, elle chercha à se lier avec les
coryphées de la révolution. Après Barnave, elle estima Mi-
rabeau ; après Mirabeau , Pétion ; après Pétion , Camille
Desmoulins, puis Danton, puis l'huissier Maillard , avec
lequel elle fit ses premières armes, le 5 octobre 1789, où
elle conduisit à Versailles, vêtue en moderne Penthésilée,
Xti amazones delà place de Grève et du Port au Blé. Après
s'être distinguée à l'attaque du château , elle guida les as-
saillants jusque dans les appartements de la reine, et excita
de toutes ses forces la populace à faire feu sur la famille
royale, au moment où elle parut sur le balcon de la cour
de marbre. Déjà , la veille , elle avait trempé ses mains dans
le sang.des infortunés gardes du corps Lahutte, Miomandre
et Varicourt; elle aida ensuite l'homme à la longue barbe
à couper leurs têtes et à les planter sur des piques. Pendant
le trajet de Louis XVI et de sa famille de Versailles à Paris,
elle se tint constamment à l'une des portières de la voiture
du roi , et ne cessa de vomir contre lui et les siens les injures
les plus dégoûtantes. A la suite de cette journée elle établit
chez elle , rue de Tournon , une sorte de club où se réunis-
saient tous les meneurs révolutionnaires de l'époque , entre
autres Danton, Camille, Fabre, Vincent , Momoro et Ron-
sin. Cependant son sabre demeurait oisif, et l'occasion ne
s'était plus présentée de donner carrière à sa valeur pa-
triotique, lorsque l'affaire du Champ de Mars (17 juillet
i79l ) la fit de nouveau reparaître sur la scène. Elle com-
battit bravement dans les rangs du faubourg Saint-Antoine,
contre Bailiy, La Fayette et le drapeau rouge de la muni-
cipalité. A peu de temps de là elle entreprit une tournée de
propagande dans les Pays-Bas autrichiens, et fut arrêtée près
de Liège, d'où on la conduisit à Vienne. On l'y retint prison-
nière huit à neuf mois ; mais on se fatigua de lui fournir
prétexte de se poser en victime. Un beau matin, des agents
de police l'emballèrent dans une voiture et la conduisirent
sans désemparer jusqu'à la frontière de France. Arrivés là,
ils la lâchèrent. De retour à Paris vers la fin de mai , elle
parut à la journée du 20 juin en tête des brigands qui en-
vahirent les appartements du roi , et poussa à l'une des
roues du canon que le peuple hissa jusque dans la salle où
le monarque paraissait la tète souillée du bonnet rouge. Au
10 août , Suleau , l'un des rédacteurs des Actes des Apôtres^
qui pendant plus d'un an avait dans ce journal déversé le
ridicule à (lots sur la personne de Théroigne de Méricourt
en lui prêtant encore moitié plus d'amants qu'elle n'en avait,
est arrêté et conduit au corps de garde des Feuillants. Il
apprend alors/wrcHS quid femina possit. Théroigne , qui
ne le connaissait pas de vue , ne l'a pas plus tôt entendu
nommer, qu'elle s'apprête à lui porter un premier coup de
sabre. Suleau, doué d'autant de vigueur que d'adresse,
s'en empare; il se débat comme un lion , il frappe, il se fait
jour ; et peut-être allait-il se sauver, quand il se voit saisi et
désarmé par le président de la section. Théroigne, à qui l'on
vient de rendre son sabre, le lui plonge alors à plusieurs re-
prises dans la poitrine : le malheureux Suleau tombe sur
l'affût d'un canon à moitié expirant, et la furie l'achève en
lui sciant la gorge; puis elle lui coupe la tête, et la plante
au bout d'une pique, en criant : Victoire! Cela fait, elle
foule aux pieds le tronc, essuie la lame de son sabre, le
remet dans le fourreau et vole à d'autres exploits.
Vinrent les journées de septembre, et Théroigne
égorgea à l'Abbaye, aux Carmes, à la Conciergerie, à la
Force, partout. Il paraît démontré qu'elle travaillait alors
dans l'intérêt du duc d'Orléans, Égalité, et qu'elle s'était
rattachée à la faction de Brissot. Aussi lui arriva-t-il un
jour, en plein jardin des Tuileries, d'être fouettée devant
fous dans un rassemblement qui s'était formé autour d'elle,
parce qu'on l'avait signalée comme ennemie de la répu-
blique- On sait que quelque chose d'analogue était déjà
advenu à la non moins fameuse Olympe de Gouge c. Soit
qu'elle jugeât sa mission remplie , soit que les meneurs
n'eussent plus besoin d'elle, Théroigne disparut alors de la
scène politique ; et ce n'est qu'au bout d'un certain temps
que nous la retrouvons enfermée comme folle à l'hospice
de la Salpétrière. C'est dans cet asile de la misère et dé
toutes les infirmités humaines qu'elle a vécu jusqu'en 1817',
en proie à une démence dont les fréquents paroxysmes
étaient horribles. Un élève interne me la montra un jour à
travers la grille de l'enclos réservé aux folles furieuses; je
la vis grattant avec ses ongles les ruisseaux, et en retirant
des immondices qu'elle dévorait avec avidité ; il m'assura
que fréquemment il lui arrivait de dévorer également des
lambeaux de chair toute saignante et toute crue.
Des aristocrates ont osé écrire que Théroigne était petite,
chétive , laide. Calomnies ! Elle avait près de cinq pieds ,
et la taille encore fine en 1789. Je ne vous affirmerai point
qu'elle ressemblait précisément à \d^Vénus de Médias; mai»
THÉROIGINE — ÏHESSALIE
S59
elleaTait un rainois chiffonné, un air mutin, qui lui allaient à
merveille, et un de ces nez retroussés qui changent la face
des empires. Georges Duval.
THERPSICHORE,Fo!/e3 Terpsichore.
THERSITE, personnage aussi laid qu'importun, dont
Homère a fait un des interlocuteurs les plus', bavards de son
Iliade. Le poète , dans l'opinion de quelques commenta-
teurs , n'a recherché qu'un contraste. Parmi ses héros , il
fait apparaître un homme qui parle à tout propos , et
hors de propos, qui donne cours à son intempérance de
langue lorsque tous les Grecs sont assis pour écouter Ulysse
dans le plus grand silence ; enfin, Thersite se croit l'égal ,
le supérieur de tout le monde. Déjà dans l'antiquité son
nom était synonyntie d'impudence et de lâcheté , d'emporte-
ment, de brusquerie, d'audace. On pense que le personnage
de Thersite était un portrait contemporain, et qu'Homère
exerçait une vengeance. Ulysse l'appelle le plus vil de tous
les Grecs qui ont marché sous les ordres d'Agamemnon ; il
lui reproche ses continuelles invectives contre ses chefs ,
ses lâches instigations pour l'abandon du siège. Suivant la
tradition, Achille le tua parce qu'il l'avait calomnié et pour
avoir arraché les yeux à la belle Penthési lée, reine
des Amazones, à qui dans le combat Achille avait fait
mordre la poussière. On rapporte qu'au lieu d'une voix
mâle, Thersite avait le fausset d'un enfant ou d'une femme,
mais il maniait à merveille le sarcasme et l'ironie.
De Golbéry.
THESAURUS POETICUS. Voyez Gradus ad Par-
NASSUM.
THÉSÉE, (ils d'Egée et d'^Ethra, l'un des plus
grands héros de l'époque fabuleuse de la Grèce , fut élevé
chez son grand-père Pithie, et revint ensuite à Athènes.
Déjà dans ce voyage il eut occasion de soutenir maints
combats , dans lesquels il tua successivement Périphite ,
Sciron, Cercyon , Procruste et d'autres encore. A son ar-
rivée à Athènes, il faillit être empoisonné à l'instigation de
Médée, sa belle-mère ; mais par bonheur Egée reconnut en-
core assez à temps en lui son fils. Thésée chassa aussitôt Mé-
dée et les fils de Pallas ; et en tuant le minotaure il délivra
le pays d'un taureau furieux qui désolait les plaines de Ma-
rathon. , ainsi que du tribut qu'Athènes devait chaque an-
née payer à Minos , roi de Crète. Dans cette entreprise
il fut secondé par Ariadne, qui lui donna un fil à l'aide
«'uquel il put retrouver son chemin dans le 1 a by r i n t h e.
En même temps pourtant l'ingrat abandonna dans l'île de
Naxos celle qui lui avait sauvé la vie. De retour à Athènes,
il trouva son père mort ; et c'est lui qui par un oubli funeste
était l'auteur de sa mort. En partant pour la Crète, il avait
promis, s'il revenait vainqueur, d'arborer des voiles blanches
en remplacement des voiles noires que son vaisseau déployait
au départ en signe de deuil. Dans la joie de son triomphe, il
avait oublié le signal convenu. Egée, qui l'attendait sur le
rivage, apercevant les voiles funèbres , et croyant son (ils
perdu, s'était précipité dans la mer. En possession du trône
paternel, Thésée se rendit non moins célèbre par la sagesse
de ses institutions qu'il l'était déjà par ses hauts faits. Il
groupa les habitants épars de l'Attique dans les murs d'une
ville, Athènes, et institua le,?, Panathénées ainsi que les
(«eux isthmiques. Mais bientôt il abdiqua, et partit pour de
nouvelles entreprises. En compagnie d'Hercule, il alla com-
battre les Amazones, dont -il obtint la reine Antiopc ou
Hippolyte pour prix de la victoire, et l'épousa. Il prit
ensuite part à l'expédition des A r g o n a u t e s et à la chasse
du sanglier de Caly don. Il est souvent question aussi de
sou amitié pour Pi rithoiis, qu'il aida à expulser les Cen-
taures. Il descendit encore avec lui aux enfers pour y en-
lever Perséphone. Mais ils échouèrent dans cette tentative,
et restèrent détenus tous deux dans le monde souterrain ,
jusqu'à ce que Hercule vint les en délivrer. Revenu
alors à Athènes , Thésée trouva le peuple soulevé contre
lui. Il se réfuta en conséquence à Scyros, auprès du roi
Lycomèdes, qui le fit traîtreusement jeter dans la mer, où il
trouva la mort. Il avait épousé dans les dernières années de
sa vie Phèdre. Par la suite, Théséeoblint à Athènes le culte
qt 'on rendaitauxhéros.Surles monuments de l'art antique,
la figure de Thésée offre beaucoup de ressemblance avec
celle d'Hercule ; seulement , sa stature est moins ramassée
et sa chevelure moins crépue. Il est ordinairement vêtu
d'une peau de lion , et porte aussi une massue. On lui
donne de même quelquefois la chlamyde et le pétase, à
la manière des Éphèbes de l'Attique.
THESMOPHORIES.Les Grecs nommaient ainsi une
antique et mystérieuse fête qui se célébrait dans la der-
nière moitié d'octobre, pendant deux jours à Halimus en
Attique, et pendant trois jours à Athènes , dans un temple
à ce particulièrement destiné et où ne figuraient que des
femmes mariées. Elleavaitété instituée en l'honneur de Dé-
mêler Thesmophore, c'est-à-dire Cér es législatrice , en
tant que par l'introduction de l'agriculture chez les hommes
elle avait fondé la société civile et posé la base des unions
légitimes. Cette solennité, de laquelle les hommes étaient
exclus sons les peines les plus sévères, consistait princi-
palement en une procession de femmes qui se rendaient à
Halimus, d'où elles revenaient à Athènes; et chacun des
trois jours avait un caractère particulier. Le plus solennel
de tous était consacré au jeûne. L'idée première de cette
fête, dont Hérodote attribue l'introduction parmi les femmes
pélasges aux filles de Danaûs , se retrouve en Orient, où
les mystères de l'Isis des Égyptiens offrent avec elle une
frappante analogie. A l'instar des Grecs , les Romains eu-
rent aussi leurs ludi céréales ou leurs cerealia. L'une des
comédies d'Aristophane a pour sujet : Les femmes à la
fête des Thesmophories. /.
THESIUOTHÈTE (de U<!^àz, loi, et tî8£|xi, établir)^
nom commun à six magistrats d'Athènes, qu'on élisait
tous les ans pour être les surveillants et les gardiens des
lois.
THESPIADESjl'un des surnoms des Muses.
THESPIS, né dans un bourg voisin d'Athènes, vivait
vers l'an 540 av. J.-C, à l'époque de Solonet de Pisistrate,
et passe ordinairement pour l'inventeur de la tragédie,
parce qu'il mêla aux chants dithyrambiques des chœurs ,
dans les fêtes de Bacchus , un interlocuteur distinct des
chœurs, et qui représentait successivement plusieurs rôles
dans la même pièce. De cette action, appelée f/rame ou épi-
sodé, et qui n'était qu'un accessoire, Eschy lefit ensuite le
principal. Au reste, du temps de Platon et d'Aristote iln'exis-
taitplus aucune pièce de Thespis; et il est même vraisena-
blable qu'il n'en écrivit jamais. Il n'est rien moins que
prouvé, comme le veut la tradition, vraisemblablement
par suite d'une confusion entre la comédie et la tragédie ,
qu'il ait représenté ses pièces du haut d'un chariot, et
qu'il ait traîné avec lui une espèce de scène portative ; quoi-
que l'expression de chariot de Thespis, employée pour la
première fois par Horace , et devenue depuis proverbiale,
se soit conservée jusqu'à nos jours. Son successeur et le
plus célèbre de ses élèves fut Ph ryn ichus.
THESSALIE, contrée du nord de l'ancienne Grèce,
qui était bornée à l'est par le golfe de Tbermae , et séparée au
sud par le mont Œta de la Béotie, à l'ouest par lePinde
de l'Épire, au nord par l'Olympe de la Macédoine. Les
anciens la subdivisaient en plusieurs districts , Besticcotis,
Pelasgiotis, Magnesia, Thessaliotis, Phihiotis, Perrhx-
Ma, Dolopia , Aniania ou Œtxa et Malts. Ses principales
montagnes étaient l'Olympe, le Pinde, l'CEta , l'Ossa et le
Pélion ; et parmi ses fleuves on citait le Pénée, l'Achéloùs ,
l'Apidanus , le Sperchius et l'Enipeus. Dans le grand nombre
de ses villes et points fortifiés , dont nous ne connaissons
guère que les noms , il faut mentionner comme historique-
ment remarquables, et généralement importants par les
ruines qui en subsistent encore : Pharsale, Larisse,
Héraciée, Gomphi (aujourd'hui les ruines de Skumbos),
Trioca (aujourd'hui Trikkala), Oloosson (aujourd'hui Elas-\
sona), Gonnos [Lykostomo), Gyrton (avec les ruines dei
560
Tatari), Pagasse (avec de nombreuses ruines de tours,
d'un aqueduc et d'un lliéâtre), Cranon (aujourd'hui Pa-
léo-Larissa), lolcos ( avec des ruines dans l'église d'i"-
piskopi }, Lanna ( aujourd'hui Zituni ), Hypata ( i\eopatra),
appelée aussi Hypati (en turc Patrajik), avec de célèbres
sources sulfureuses, Pherœ, Thèbes ouThebae, importante
place de commerce , avec des ruines imposantes près du
Paleocastro d'Ak-Ketjel, et le petit port de mer Ptiléon,
aujourd'hui Ftelio, où débarqua le roi Antiochus de Syrie.
Le sol de cette province est partout d'une grande fertilité.
Les plaines et les riches pâturages y alternent avec des
régions montagneuses, offrant une foule d'endroits roman-
tiques, notamment la magnifique vallée de T e m pé ; et déjà
dans l'antiquité on y cultivait en abondance les céréales,
la vigne et l'olivier. En raison du grand nombre de plantes
médicinales qu'on y trouve, la tradition y établissait le centre
de l'art magique de l'ancienne Grèce, surtout quand Médée
y eut rapporté de la Colchide ses recettes secrètes. Aussi les
poètes en faisaient-ils d'ordinaire le théâtre de leurs en-
chantements, et l'épilhète de thessalienne équivalait-elle
à celle de magicienne. Plus tard même la magie de Thessalie
joua un grand rôle à Rome. Les habitants de ce pays
ne passaient pas seulement pour exceller à combattre à
cheval , mais encore à dompter les animaux sauvages; et là
comme en Espagne on célébrait à certaines époques de
l'année des jeux publics consistant en combats d'animaux
et appelés Thaurocathapsia. Les anciennes monnaies des
Tilles de la Thessalie rappellent toutes ces circonstances.
Les plus anciens habitants se composaient de tribus pé-
lasgiques, qui avaient subjugué et réduit eu esclavage les
populations aborigènes, lesquelles sous le nom de Pénestes
formaient une classe analogue à celle des Ilotes à Sparte.
Les grandes villes furent pendant longtemps des républiques
aristocratiques, auxquelles les populations voisines payaient
tribut , quoique la fable mentionne d'antiques familles de
princes , comme Phérès et Admète à Pherae. Une riche no-
blesse était à la tête de ces républiques, et c'est seulement
dans les temps de danger qu'on élisait un chef commun ,
une espèce de dictateur, tels qu'Aleuas à Larisse et Scopas
à Cranon, dont l'hérédité ne s'établit pas sans de vives luttes
de partis. Jason de Pherœ fut le premier qui, en l'an 376 av.
J.-C., essaya de faire de la Thessalie une seule souveraineté
ou ?j/rannie; mais il lut assassiné, comme Alexandre, son suc-
cesseur. Le changement de règne suivant ayant encore pro-
voqué des scènes sanglantes, les Aleuades invoquèrent le se-
cours du roi de Macédoine PhiUppe, qui s'empara aussitôt du
pays, et fit de ses différents dynastes autant de vassaux
de la Macédoine. Après la bataille de Cynocéphale, les
Romains ayant pris possession de la Thessalie, les habitants ,
aux termes de la paix conclue en l'an 196 av. J.-C, récupé-
rèrent quelques-unes de leurs antiques libertés, et notamment
celle d'élire eux-mêmes leurs stratèges ;mAii ils perdirent
bientôt cette ombre d'indépendance, en punition de l'attitude
équivoque qu'ils gardèrent pendant la guerre contre Persée.
Sous les empereurs, laThessalie fut réunie à la Macédoine,
jusqu'à ce que Constantin en fit une province particulière,
dépendant de la préfecture â'illijricum. Elle passa ensuite
sous la domination des empereurs deByzance, puis au
commencement du treizième siècle sous celle des empereurs
latins, quoique pendant cette époque quelques dynastes
particuliers s'y soient encore maintenus. En 1460 elle tomba
au pouvoir des Turcs ; et aujourd'hui encore la Thessalie
fait partie de la Turquie d'Europe. Consultez Leake, Tra-
vels in northern Greece (3 vol., Londres, 1835).
THESSALONIQUE, ville de Macédoine, déjà im-
portante dans l'antiquité, sur le golfe de Thermae, s'appe-
lait autrefois comme colonie grecque Therma , et ne reçut
le nom de Thessalcnique que sous la domination macé-
donienne. Ce fut le roi Cassandre qui le lui donna, en l'hon-
neur de son épouse, Thessaloni/iê, fille de Philippe. Les
Romains, après la conquête de la Macédoine, en l'an 148
ftT. J.-C.,ea firent la capitale, d'abord de la crovmce appelée
THESSALIE — THEUX
Macedonia Prima, et plus tard de toute la Grèce et de
rillyrie. A cette époque elle acquit de grandes richesses et
beaucoup d'importance, comme centre du commerce entre
l'Europe et l'Asie. Aujourd'hui encore , après être tombée
au pouvoir des Turcs, en 1430, c'est, sous le nom de Sa i o-
nich j, une place commerciale d'une grande importance. En
l'an 58 av. J.-C, Cicéron y passa quelque temps en exil.
Consultez Tafel , Historia Thessalonicx (Tubingue, 1835)
et De Thessalonica ejusque agro (Berlin, 1839).
THETIS, fille de Nérée et de Doris, l'une des Néréides,
fut mariée contre son gré par les dieux à un simple mortel,
appelé Pétée. Les dieux redoutaient en effet de l'épouser,
à cause d'un oracle qui avait prédit qu'elle mettrait au
monde un fils qui serait plus grand que son père. Ils as-
sistèrent d'ailleurs tous aux noces, qui furent célébrées sur
le mont Pélion. Elle eut pour fils Achille, dont la destinée
lui causa de cruels chagrins. Suivant une tradition posté-
rieure, elle aurait voulu rendre ce fils immortel; mais elle
en aurait été empêchée par son époux , après avoir déjà fait
perdre la vie à plusieurs de ses enfants en employant à leur
égard les procédés propres à leur assurer l'immortalité.
Enflammée de courroux , elle abandonna Pelée, et alla re-
joindre ses sœurs dans les ondes de la mer. Mais du fond
de cette retraite elle prenait encore une vive part au sort de
son fils Achille.
11 ne faut pas confondre cette nymphe avecTéthys,
fille d'Uranus et de la Terre, épouse de l'Océan.
THETIS {Astronomie) , planète télescopique décou-
verte par M. Luther, le 17 avril 1852. Sa distance moyenne
au Soleil est représentée par 2,473, en prenant celle de la
Terre pour unité. La durée de sa révolution sidérale est de
1420 jours. Son orbite, dont l'excentricité est égale à 0,127,
a une inclinaison de 5" 35' 28". E. Merlieux
THÉURGIE(de0£6;,Dieu., et êpyov, ouvrage). On ap-
pelle ainsi une prétendue science consistant à se mettre en
rapports plus intimes, au moyen de certaines pratiques et
cérémonies, avec les dieux et les es-prits, qu'on déter-
mine ainsi à produire des effets surnaturels {voyez Magie).
Elle provient des Chaldéens et des Perses, chez qui les
Mages en faisaient leur principale occupation. Les Égyp-
tiens, eux aussi, se flattaient d'y être très- versés; et de
même que ceux-là en attribuaient l'invention à Zoroastre,
ceux-ciluidonnaient pour créateur H erra èsTrismégis te.
Parmi les philosophes, cette prétendue science joua long-
temps un grand rôle dans l'école des néoplatoniciens; Jam-
blique et Proclus notamment s'en montrèrent fort infatués.
On en retrouve également des traces nombreuses dans les
superstitions du moyen âge. Consultez à ce sujet : Salverte,
Des Sciences occultes, ou essais sur la magie, les prodiges
et les miracles (2 vol., Paris, 1829).
THEUX DE MEYLAND ( Barthélémy-Théodore ,
comte de), né en 1794, au château de Schabrock , d'une
famille noble du duché de Limbourg, étudia le droit à Liège,
et demeura jusqu'à la révolution de septembre 1830 com-
plètement étranger aux affaires publiques. Nommé alors
membre du congrès, il y vola contre la candidature du duc
de Nemours, et s'efforça d'assurer l'indépendance de la Bel-
gique, tout aussi bien à l'égard de la France que vis-à-vis
des autres puissances de l'Europe. Après la dissolution du
congrès, il fut élu en 1831 membre de la chambre des
représentants , à laquelle il n'a pas cessé d'appartenir de-
puis; et en décembre suivant il fut nommé ministre de
l'intérieur, fonctions dans l'exercice desquelles il lui fut
donné de contribuer tout particulièrement à la création du
système général des chemins de fer de son pays. Un an
après, les rapports de la Belgique avec l'étranger le déter-
minaient à donner sa démission ; mais dès 1834 il était ap-
pelé à constituer un autre cabinet. La nouvelle administra-
lion put à bon droit être considérée comme l'expression
exacte des vœux et des besoins de l'opinion catholique; et
dès lors M. de Theux en est demeuré la personnification ,
tant au pouvoir que dans la chambre. Dans ce nouveau
THEUX — THIBAUT
SBt
cabinet il se chargea du portefeuille de l'intérieur; mais
plus tard il prit celui des affaires étrangères. L'administra-
tion présidée par lui fut renversée en 1840, et le roi le créa
alors comte en même temps que ministre sans portefeuille.
En 1846 il se forma encore une fois un cabinet catholique,
que renversèrent les élections franchement libérales d'août
1847. Depuis cette époque M. de Theux n'a plus joué
d'autre rôle que celui de chef de l'opposition catholique.
THÉVENIN DE SAINT-LÉGER. Voyez Fous de Cour.
THIAKI ou TÉAKL Voyez Ithaque.
THIBAUDEAU (Antoine-Claire, comte), né le
23 mars 17C5, à Poitiers, y exerçait la profession d'avocat
lorsque son père , avocat comme lui , fut élu en 1789 par la
sénéchaussée du Poitou député du tiers aux états géné-
raux. Il le suivit à Versailles, et, après les scènes des 5 et
6 octobre, s'en revint à Poitiers, où il fonda une société
populaire à l'effet d'inculquer aux masses les principes au
nom desquels s'effectuait la grande rénovation sociale dont
il avait cliaudement épousé la cause et les intérêts. Bientôt
ses concitoyens l'élurent en qualité de syndic de leur com-
mune, puis, en 1792, ils le désignèrent pour l'un de leurs
mandataires à la Convention nationale. Thibaudeau alla s'y
asseoir sur les bancs de la montagne, vota la mort du roi et
le rejet de tout sursis comme de tout appel au peuple. Au
mois de mai 1793, la Convention l'envoya en mission ex-
traordinaire dans les départements de l'ouest; accusé de
tiédeur dans l'exercice de ses pouvoirs proconsulaires, il
fut rappelé après la chute du parti de la Gironde. Dès lors
Thibaudeau, se séparant des hommes de la terreur, usa de
ce qui lui restait d'influence comme montagnard et comme
régicide pour arracher à la guillotine son propre père et
plusieurs de ses parents, jetés dans les cachots comme sus-
pects de fédéralisme. Là se borna du reste l'opposition de
Thibaudeau , qui put bien en secret faire des vœux pour la
chule de Robespierre , mais qui se garda de les manifester à
la tribune. Quoique n'ayant en rien contribué à la révolution
qui venait de rendre à la Convention la liberté de ses votes,
ilexerçaàla suite du 9 thermidor une grande influence dans
cette assemblée; il y provoqua le rappel des débris de la
Gironde que le bourreau avait pu épargner, la restitution des
biens des proscrits, et contribua à faire rapporter diverses
lois de sang. Après les journées du 1*"" prairial et du 13 ven-
démiaire, il fut appelé à faire partie du comité de salut
public. En cette qualité, il contribua au vote ainsi (ju'à la
mise en vigueur de la constitution de l'an m. La part im-
portanle qu'il avait prise à l'enfantement de cette consti-
tution avait entouré son nom d'une grande popularité;
aussi lors des élections pour le Conseil des Cinq Cents fut-
il élu simultanément par trente-deux départements. Ses ef-
forts pour dépouiller les lois du caractère révolutionnaire
que leur avaient imprimé les circonstances ne tardèrent
pas à le faire soupçonner de seconder la réaction royaliste,
et à la suite du 18 fructidor son nom fut inscrit un moment
sur les listes de proscription; mais quelques amis politiques
parvinrent à l'en faire effacer, et il resta membre du Conseil
des Cinq Cents. Après la révolution du 18 brumaire, Bo-
naparte s'empressa de l'appeler au conseil d'État. L'empire
fit de lui un préfet de la Gironde et un comte de l'empire.
Plus tard , il fut envoyé comme préfet dans le département
des Bouches-du-Rhône.
La Restauration devait naturellement le faire rentrer dans
la vie privée. Mais dans les cent jours Napoléon lui ren-
dit d'abord son siège au conseil d'État , puis le nomma com-
missaire impérial dans le département de la Côte-d'Or et
ensuite membre de sa chambre des pairs. Compris après
la seconde restauration , en sa qualité de régicide, dans le
décret du 24 juillet 1815, il dut quitter la France. Après
s'être d'abord réfugié en Suisse, il alla s'établir à Prague, où
il fonda une maison de commerce, dans laquelle il fut se-
condé par son fils comme associé. En 1823 il obtint l'autori-
sation de rentrer en France, et vécut alors dans la retraite.
A la suite des événements du 2 décembre 1851 , Louis Na-
DlCr. DE LA CONVERS. — T. XTI.
poléon le créa sénateur. Il est mort en 1854. On a de lui
des Mémoires sur la Convention et le Directoire (2 vol.,
1825), des Mémoires sur le Consulat et sur V Empire
(10 vol. 1835) et une Histoire générale de Napoléon
(5 vol., Paris, 1827-1828).
THIBAUT, comte palatin de Ciiampagne et de Brie,
roi de Navarre, quatrième ou sixième du nom, selon la
manière qu'on voudra adopter pour supputer les comtes de
Blois et de Champagne , ses ancêtres, fut d'abord sur-
nommé le Posthume , parce qu'il vint au monde après la
mort de son père, Thibaut III (ou V ). Plus tard , la flatterie
lui donna le surnom de grand; mais la postérité lui a seu-
lement conservé celui de chansonnier, que lui valut de la
part de ses contemporains son talent pour la poésie.
Né l'an 1201, il fut élevé sous la tutelle de sa m^re,
Blanche, fdie de Sanche le Sage, roi de Navarre, laquelle
gouverna la Champagne et la Brie. Appartenant , par fon
fief de Champagne et de Brie , à la France du nord , et à
celle du midi par sa famille maternelle, Thibaut ie Pos-
thume acquit de bonne heure les habitules gracieuses et
poétiques de la Provence; ses vers offrent l'empreinte du
génie des deux langues et de ces deux populations, alors si
distinctes. Sa mère , Blanche de Navarre , tint d'une main
ferme et habile les rênes du gouvernement de Champagne
et de Brie; et, ce qui ne fait pas moins l'éloge de cette prin-
cesse que de son fils, Thibaut, devenu majeur, lui laissa
partager avec lui le pouvoir. Une foule d'actes et de chartes
portent le nom de cette princesse , même avant celui de
son fils. Au reste, la même chose avait lieu en France entre
Blanche de Castille et Louis IX. Dans l'administration de
ses fiefs héréditaires, Thibaut nous apparaît comme un sei-
gneur prodigue , par conséquent besogneux d'argent , et prêt
à élargir les hbertés de ses communes, pout-vu qu'elles
fournissent à ses dépenses. D'autres actes prouvent que
Thibaut, aussi dévot que galant, fut un zélé bienfaiteur
de monastères. Il enrichit surtout de ses dons les chapitres
de Vitry et de Saint-Quiriace de Provins et l'hôtel-Dieu de
la môme ville. Il y fonda aussi le couvent des Cordeliers.
Le bon cuens (comte) r/a&aM5, comme on l'appelait de
son temps , avait les mœurs fort douces , et était digne par
son caractère d'être le chef de l'industrieuse et bonne po-
pulation champenoise. Il est vrai qu'il était fort mal vu
des seigneurs , et qu'ils le traitaient comme un marchand
lui-même; témoin l'insulte brutale du fromage mou que
Robert d'Artois ( frère de Louis IX ) lui fit jeter au visage.
Thibaut était redevable d'un traitement si peu courtois à la
versatilité de sa politique, et surtout à l'éclat maladroit
qu'il donnait comme trouvère à sa passion romanesque
pour la reine mère, Blanche de Castille. Cette passion
fut-elle vraie ou supposée? Par respect pour l'étiquette ou
pour l'Église, qui a canonisé Blanche, il y aurait tout au-
tant de naïveté à rompre des lances pour l'immaculée chas-
teté de Blanche que de sottise à se livrer au malin plaisir
de décider contre sa vertu une question aussi délicate. Peut-
être ne fut-elle que coquette ; et à cet égard Bossuet , en
se fondant sur le récit des Chroniques de Saint- Denys, a
déjà dit « qu'aussi belle que chaste , elle se servit adroite-
ment de la passion de Thibaut « pour le retirer de la ligue
des seigneurs. Un pareil aveu est déjà beaucoup dans une
bouche aussi grave. La Chronique de Saint-Denys recule,
l'origine des amours de Thibaut etde Blanche à 1235, chose
peu vraisemblable, puisque Blanche avait alors quarante-
cinq ans. Quant à Thibaut, à trente ans comme à qua-
rente-cinq , il paraît avoir été beaucoup plus disposé à bien
dire qu'à beaucoup entreprendre , et avec un pareil adora-
teur le rôle de coquette seulement n'a pas dû être bien
difficile à la reine Blanche. Il était beau et bien fait, mais-
d'un embonpoint excessif. Lui-même, dans un jeu parti
(chanson dialoguée ou t en son), avoue qu'ilaime mieux voiç
sa maîtresse sans la posséder que la posséder sans la voir^
De tous ces témoignages concluons que les amours de Thi-r-
baut pour Blanche ont été fort publiques, et que les hislo-
36
562
THIBAUT — THIBET
riens ne les ont point inventées , comme l'ont répété tant
d'écrivains flatteurs. Ce prince ne fut pas un guerrier bien
distingué. Aussi prompt à prendre les armes qu'à les dé-
poser, on le voit toujours battu; et il faut ou que le roi
contre lequel il s'est armé lui pardonne, ou que Louis IX
intervienne en sa faveur pour le soustraire à la vengeance
des barons. Une levée de boucliers qu'il fit en 1234 contre
Louis IX lui fit perdre Bray-sur-Seine et Montereau-Faut-
Yonne , que ce monarque lui restitua quelque temps après :
car à la cour de son fils Blanche de Castille fut cons-
tamment la protectrice de Thibaut. Il ne fut pas plus heu-
reux lorsqu'il alla guerroyer en Terre Sainte, l'an 124o. Le
13 septembre, il fut surpris , défait près d'Ascalon , et son
frère fait prisonnier. Il put moyennant rançon faire tomber
ses fers, revint la même année; «et c'étaitôtre heureux, » dit
Voltaire , « car alors les chrétiens perdirent la Palestine ».
La dévotion de Thibaut était fervente , et , comme tous
ses contemporains , lui qui était pitoyable pour les mar-
chands et le petit peuple , il croyait faire chose agréable
à Dieu en brûlant les hérétiques. La doctrine des Albigeois
avait pénétré dans la Champagne et dans la Brie, par le
commerce que faisaient dans le temps des foires les mar-
chands de Toulouse et de tout le Languedoc* Les villes de
Troyes et de Provins n'en furent point exemptes. Thibaut
fit faire la recherche de ces hérétiques, et les livra aux mains
des inquisiteurs. On en fit une célèbre exécution le 13 mai
1239, à Montrimert , sur le mont Aimé, près de Vertus, en
présence du comte, de plusieurs barons, évoques, abbés,
prieurs et autres ecclésiastiques, et d'une foule de peuple.
On y brûla le nnîme jour quatre-vingt-trois hérétiques, ad
trhimphum sanctse Ecclesix, dit la chroniquel d'Albéric.
La couronne ae Navarre était tombée en partage à Thi-
baut par la mort du père de sa femme , en 1234. Ce fut en
Navarre qu'il mourut , le 8 juillet 1253. Il fut inhumé dans
la cathédrale de Pampelune, et son cœur déposé dans l'église
des Cordeliers de Provins. Son amour pour Blanche ne l'a-
vait pas empêché d'épouser trois femmes : Gertrude de Dags-
boiirg, comtesse de Metz; Agnès de Bcaujeu , et Marguerite
de Bourbon l'Archambault. Il eut de la seconde une fille, et
de la dernière cinq enfants, dont l'aîné, Thibaut V, lui succéda.
On montre encore partout en Champagne des édifices
auxquels se rattache le nom de ce roi troubadour. Il avait
à Aï un palais dont il ne reste aujourd'hui que de grandes
chambres nues , sans aucun vestige de splendeur, si ce
n'est un grossier bas-relief représentant saint Sébastien
percé d'une flêci)e et quelques vitraux peints. Poète et
chansonnier, Thibaut appelait autour de lui les arts pour
les protéger. Mais ses poésies, voilà son principal titre de
gloire. On en possède plusieurs manuscrits, dont quelques-
uns enrichis de vignettes. L'une d'elles représente ce poète
couronné, ayant à côté de lui une dame également cou-
ronnée. Certains manuscrits portent la musique des chan-
sons de Thibaut , composée par lui-même. Plusieurs pas-
sages de ses poésies donnent la plus haute idée de ses
lumières et de sa tolérance , bien que parfois les actes du
prince aient contrasté avec les idées libérales du poète. Par
exemple, il blâme avec indignation la croisade des Albigeois,
qu'il avait suivie. Les vers présentent déjà la forme fran-
çaise avec sa netteté piquante et naïve. Les expressions ont
une grâce qui n'a pas tout à fait vieilli. Enfin, la princi-
pale règle de notre poésie, le mélange alternatif des rimes
masculines et féminines, s'y fait déjà sentir. Les poésies
de Thibaut ont été publiées au milieu du siècle dernier par
Lévesque de La Ravalière, éditeur d'une érudition médiocre,
et surtout rempli de préjugés. Charles Du Rozoir.
THIBET ou TIBET, contrée du fond de l'Asie, dépen-
dant de l'empire de la Chine, située entre les monts Hima-
laya au sud et au sud-ouest, les monts Kouenlun ou Koulkoung
au nord et la région alpestre de la Chine à l'est, d'une super-
ficie d'environ 21,700 myriamètres carrés, forme la terrasse
la plus élevée et la plus méridionale de toute l'Asie septen-
trionale. Quoiqu'on puisse la considérer comme un plateau ,
cette terrasse ne saurait cependant passer pour une plaine.
Elle est traversée au contraire par diverses ramifications éle-
vées, ou masses isolées de montagnes , et parcourue par des
vallées profondément encaissées, qui lui donnent dans la plus
grande partie de son étendue le caractère d'une contrée al-
pestre. La montagne dont il a déjà été fait mention, et qui
lui sert de limites au nord, forme une continuation de l'I^n-
doukouh de 235 myriamètres de développement , s'étend en
droite ligne à l'est, et se confond avec la région alpestre de
la Chine. De sa partie occidentale , appelée le Thsungling,
se détache une seconde chaîne , les monts Karakoroum ,
Gangdisri et Dzang , qui s'étend parallèlement à l'Hima-
laya, d'abord au sud-est , puis à l'est. Tout ce plateau se
trouve ainsi partagé en une grande moitié septentrionale,
et une moindre moitié méridionale. La partie septentrionale
est presque complètement inconnue. A l'est elle appartient à
la région alpestre de Tangout ou bien à celle des Mongoles
du Khoukhou-Noor, c'est-à-dire de la mer Bleue. Mais à
l'ouest elle forme le territoire des Khor-Katschi ou Katschi-
Mongoles, avec ses nombreux lacs de steppes. La partie mé-
ridionale , qui porte exclusivement le nom de Thibet , se
compose également de deux principales divisions ou vallées,
qui s'étendent depuis les lacs saints, le Manasa-Sarawara
et le Rawana- Hrada ou Raikas-Tal , au voisinage delà co-
lossale montagne de Kaïlasa , haute de 8,000 mètres, à l'est
et au nord-est , ici avec la grande vallée de l'Indus , comme
Grand-Thibet oxxh^Aâk eiPetit-Thibet on Baltistan, là
comme Thibel oriental ou Thibet proprement dit, avec la
vallée de Dzangbo-Tsiou. . ,;,!;,!'{■
Par une confusion faite entre les plateaux et les pics, on a
souvent exagéré autrefois l'élévation de la crête de l'Asie
centrale en général et du Thibet en particulier. Suivant les
calculs d'Alexandre de Humboldt, sa hauteur moyenne dans
le Thihet oriental est à peine de 3,600 mètres. Elle atteint
son point extrême d'altitude aux environs des lacs saints ,
lesquels sont situés à 3,690 mètres et 3,770 mètres au-dessus
du niveau de la mer (suivant les anciennes données, en-
viron 5,330 mètres). Des montagnes formant le rebord mé-
ridional et oriental du Thibet longent les fleuves les plus
considérables du sud et du sud-est de l'Asie. C'est là que
prend sa source l'Indus et au voisinage du lac de Manasa
le Dzangbo-Tsiou, le principal cours d'eau du Thihet orienta}^
que quelques-uns croient n'être autre que l'Irawaddy , et que
d'autres , avec beaucoup plus de vraisemblance , prennent
pour le cours supérieur du Brahmapoutra ; en outre, plu-
sieurs fleuves de l'Inde en deçà du Gange, comme le Thgtr j
luaya ou Salwen, le Cambodje ou May-Kauny ; et encore^ !
dans les monts Kouenloun, le Yang-tsé-Kiang, le plus grand
cours d'eau de la Chine.
Le climat du Thibet a un caractère tout continental, et
par conséquent est excessif. A un été chaud et court suc-
cède un hiver long et rigoureux; et c'est seulement dans les
vallées profondes que le froid de l'hiver est moins rigoureux
et dure moins longtemps. Il règne en outre une sécheresse
sans pareille. On n'y connaît en effet presque pas d'autre hu- ;
midité que la neige, qui ne tombe que pendant les six ou sept
mois d'hiver; et encore est-elle alors assez rare. Des espèces
de mousses spongieuses, qui s'emplissent d'humidité à la fonte
des neiges , suppléent jusqu'à un certain point l'absence de
système d'irrigation et de forêts protectrices, en mettant
obstacle à la complète dessiccation du sol. Les contrastes
entre les saisons y sont naturellement très-tranchés. A
un hiver des plus rigoureux succède presque aussitôt un
été des plus chauds. De violentes tempêtes accompagnent
souvent les transitions d'une saison à l'autre. D'ailleurs,
l'air est salubre ; et les maladies épidémiques qui affli-
gent le sud de l'Asie y sont inconnues. Le sol n'est fer-
tile que dans les vallées; et sur les plateaux dénudés il est
généralement d'une stérilité extrême. Ces conditions phy-
siques du Thibet y ont exercé une influence toute particu-
lière sur le règne végétal comme sur le règne animal. L'agri-
culture , pratiquée partout où le sol le permet, ne produit pas
THIBET — THIERRY
593
cepenJant assez pouT les besoins des populations. La culture
des fruits et de la vigne donne de plus riches produits dans les
vallées. On y cultive aussi le riz , et on recueille de la rhu-
barbe dans les montagnes. En fait d'animaux, il faut surtout
mentionner la chèvre et le mouton de montagnes, utilisés ici
comme bêtes de somme et célèbres surtout par la finesse de
leur laine , dont on se sert dans le Kaschmir pour confectionner
des châles. De même, les bêtes à cornes, les chevaux, les
porcs et les chiens appartiennent à des races particulières ,
toutes avec des poils longs, qui les garantissent contre les
rigueurs de l'hiver, et propres comme les chèvres et les mou-
tons à gravir les montagnes. Le jak ou bullle grognant et le
musc se rencontrent surtout au Thibet. Le règne minéral
oftre des métaux de toutes espèces , et surtout de l'or, des
diamants, du cristal de roche, du sel et du borax.
Les habitants, dont on évalue le nombre à six millions ,
appartiennent à la race de la haute Asie, dans laquelle ils
constituent une famille partipulière , qui outre le Thibet
possède encore le Boutân , le Sifàn , contrée où le Hoang-Ho
prend sa source, ainsi que les terrasses supérieures des neu-
ves de l'Inde en deçà du Gange. Les Thibétains , qui sont
tous bouddhistes, vivent les uns dans des habitations fixes,
où ils s'occupent d'agriculture et surtout de l'élève du bé-
tail, et exercent différents métiers, notamment la fabrication
des tissus en laine et des objets métalliques; les autres sont
restés nomades; et, comme les Mongoles, habitent des tentes
de feutre. Le commerce qui s'y fait avec la haute Asie, l'Inde
et la Chine, ne manque pas non plus d'importance. Compa-
rativement aux autres peuples de la haute Asie, la culture
scientifique est fort avancée au Thibet, et est l'objet de soins
tout particuliers dans les nombreux couvents bouddhistes du
pays (voyez Thibétaines [langue et littérature]). Les habi-
tants, race vigoureuse, sont à bon droit renommés pour leur
loyauté et leur hospitalité ; toutefois, on remarque que le trop
grand nombre d'individus des deux sexes appartenant soit au
clergé soit aux ordres religieux exerce une influence fâcheuse
snr la moralité publique. D'ailleurs, l'état social et moral des
populations offre beaucoup d'analogie avec celui des Chinois.
Ce que nous disons là s'applique surtout au Thibet oriental ;
dans le Ladak et dans le Baltistan , il est résulté des diffé-
rences assez tranchées de l'état d'indépendance où ces deux
contrées se trouvent à l'égard de la Chine, de même que de
la religion mahométane. Le Thibet oriental, qui comprend
ta partie de beaucoup la plus grande du Thibet méridional,
ou Thibet proprement dit, et auquel on donne dès lors à
meilleur titre qu'au Ladak le nom de Grand Thibet, est le
grand domaine héréditaire du clergé lamaïte et de son chef,
le dalaï-lama. Des querelles scliismatiques l'ont fait passer
sous la souveraineté chinoise, de sorte qu'aujourd'hui le
dalaï-lama est un vassal dépendant et tributaire de la Chine,
dont l'autorité temporelle est surveillée et limitée par des
gouverneurs chinois et des garnisons chinoises. Les Chinois
divisent le pays, appelé par les indigènes Bod, en Tsien-
Dzang, ou Thibet citérieur, avec les provinces de Kham et
de Wei, et en Haou-Dzang, ou Thibet ultérieur, avec les
provinces de Dzang et de Ngari ou Hngari. La capitale et le
centre de la civilisation du pays, L'Hassa ou Lassa, est
située dans la province de 'Wei, sur le Tsang-Tsiou , à en-
viron cinq myriamètres de sa jonction avec le Dzangbo-
ïsiou, à 3,000 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans
une plaine fertile et bien arrosée, entourée de montagnes et de
collines, et appelée par les Chinois le royaume des délices.
On y compte 25,000 habitants, et dans le nombre beaucoup
d'ouvriers habiles et d'artistes. On y voit le grand et magni-
fique temple de Bouddha {voyez Lama), une foule d'autres
temples, de couvents et de palais, et de grandes imprimeries,
où on se sert de caractères en bois. Cette ville est aussi le
centre d'un actif commerce de foires et d'un grand commerce
de earavanes. Consultez le père Hue , prêtre missionnaire
de la congrégation de Saint-Lazare, Souvenirs d'un Voyage
dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les an-
nées lft44, 1845 et 1846 ( 2 vol. in-8% Paris, 1850).
TilIBETAIIMES (Langue et littérature). La langue
thibélaine fait partie des langues monosyllabiques de l'Asie
septentrionale , dans lesquelles chaque syllabe, qui demeure
intérieurement inflexible, forme une idée complète. Les
substantifs et les verbes y sont séparés par des préfixes et des
suffixes. La langue est dure et surchargée de consonnes, mais
qu'on adoucit beaucoup dans le discours ordinaire. L'écri-
ture thibélaine est uno antique forme de l'écriture devana-
gari des Hindous. Les Chinois ont appris aux Thibétains
à se servir de l'impression xylographique. On est redevable
des premières notions exactes sur la langue thibélaine an
savant Hongrois Alexandre Csoma, qui donna une Gram-
maire e.i un Dictionnaire {2 vol., Calcutta, 1835). Après
lui, Schmidt publia ^d^Grammaire ( Pétersbourg, 1839) et
son Dictionnaire ( Pétersbourg, 1841 ).
La littérature thibélaine est essentiellement religieuse , et
ne se compose que de traductions d'originaux sanscrits. En
effet, depuis qu'au septième siècle de notre ère on convertit
les Thibétains au bouddhisme, on déploya un grand zèle
pour traduire dans la langue du pays tous les ouvrages de
ce parti religieux. Ces diverses traductions, avec un petit
nombre d'ouvrages originaux , forment deux collections ,
dont la première, intitulée Bkahhgyur, c'est-à-dire Traduc-
tions des Commandements de Bouddha, forme 100 volu-
mes in-folio, et a été imprimée de 1728 à 1746, dans le mo-
nastère de Snar-Thang. Elle est divisée en sept parties, traitant
de la discipline des cloîtres, de métaphysique et de théologie
mystique. On y trouve aussi des légendes et des histoires
morales. Nos savants d'Europe en ont traduit quelques
morceaux , par exemple la dissertation métaphysique inti-
tulée Vadschra-Tschedika (en allemand, texte thibétaio
en regard, par Schmidt; Pétersbourg, 1837), la biogra-
phie de Bouddha, intitulée Bgya-ther-rol-pa (en français,
avec le texte thibétain, par Foucaux; 2 vol., Paris, 1846),
et la collection de légendes et de nouvelles Dsans-btun
(en allemand, avec texte thibétain, par Schmidt; Péters-
bourg, 1843). La seconde collection est intitulée Bstan-
hgyur , c'est-à-dire Traductions de Préceptes, et forme
225 volumes dans l'édition de Snar-Thang. Divisée en trois
parties, cette collection contient des hymnes, des rituels, des
liturgies, une grammaire et un dictionnaire sanscrits, et
traite de 'la philosophie, de la théologie, de la rhétorique, de
la poétique, de l'astrologie, de la médecine, de la morale,
des arts mécaniques, etc. Dans lesAsiatic Besearckes (t. 20)
Csoma a donné un aperçu général du contenu de l'une et
l'autre collection. Consultez aussi Burnouf , Introduction
à l'Histoire du Bouddhisme indien (Paris, 1844). Outre
cette littérature sacrée , les Thibétains possèdent une riche
littérature pTofane, notamment des ouvrages historiques,
des chansons, des chants, des fables et des contes.
THIÉRACHE (La). Voyez Picardie.
THIERRY ou THÉODORIC, corruption du nom r^wd-
Vih dans la langue des Franks : tel est le nom de quatre
princes issus de Clovis , qui ont régné sur une partie de la
Gaule franke.
THIERRY P-" ou l'ancien, fils aîné de Clovis, était
né d'une concubine avant le mariage de son père avec Clo-
tilde(508). Alamort de son père.il pouvait avoir vingt-cinq
ans ; l'armée des Franks voulut que l'héritage de Clovis fût
partagé également entre ses quatre fils. Thierry, outre les pro-
vinces d'au-delà du Rhin , eut Metz et les villes situées entre
le Rhin et la Meuse, puis Reims, Châlons-sur-Marne, Troyes;
dans l'Aquitaine première, Clermont, Rhodez, Cahors,
Albi, avec Uzès dans la Gaule Narbonnaise. L'an 515, il
envoya son fils Théodebert contre les Danois, qui étaient
venus fondre sur les Gaules ; le jeune prince tailla en pièces
ces barbares, et tua leur chef. Au règne de Thierry I*"" on
peut rapporter aussi la soumission des Bavarois, qui des
sources de l'Elbe s'étaient transportés au midi du Danube.
La conquête du royaume des Thuringiens, qui occupaient le
centre de la Germanie, entre les Bavarois elles Saxons,
est le grand événement du règne de Thierry 1'=''. Après avoir
36.
564
THIERRY
aidé Hermaiifioi à dépouiller son frère Baldéric de la partie
de la Tluiringe qu'il possédait (521), le roi d'Austrasie se
vit frustré de la part qui lui avait été promise dans celle
conquête injuste. Pendant quelques années il dissimula son
ressentiment; à la fin, secondé par son frère Clotaire, il entre
en Tliuringe, remporte deux victoires, et soumet tout le pays
ennemi (528). Hermanfroi était en fuite, Thierry l'invite à
une conférence, le comble d'égards et de présents; puis,
l'ayant mené à Tolbiac, le fait précipiter du haut des rem-
parts (530). Ainsi se forma l'empire nouveau qui fut en-
suite connu sous le nom de France orientale, et qui
comprenait la plus grande partie de la Germanie. Thierry ,
pour retenir ses soldats sous ses étendards , entreprit une
expédition en Auvergne, province alors la plus florissante
et l'une des plus civilisées de la Gaule, et où ses troupes
se gorgèrent de butin. 11 les mena ensuite en Champagne,
contre un prince de race mérovingienne, nommé Mondéric,
qui se disait roi à VégaldesJilsdeClovis, et qu'il lit périr par
une de ces trahisons qui lui étaient habituelles. Habilement
servi par son fils ïhéodebert, il recouvra alors (533) le
Rouergue, le Gévaudan, le Velay et l'Albigeois, que les Vi-
sigoths avaient envahis. Thierry mourut l'an 534, laissant à
.son fils Théodebert la plus puissante des trois monarchies
entre lesquelles la Gaule était partagée depuis la mort de
Clodomir, roi d'Orléans, c'est-à-dire depuis l'an 524.
THlERliY U, second fils de Childebert, roi d'Austrasie,
succéda à son père l'an 596 ; il avait alors neuf ans , et War-
nachaire, maire du palais de Bourgogne, gouverna d'abord
sous le nom de ce roi enfant. VVarnachaire étant mort,
les leudes lui donnèrent pour successeur le Frank Berthoalde
(599). A ce moment B runehaut, chassée du royaume
d'Austrasie, que gouvernait Théodebert H, son petit-fils, se
réfugia auprès de Thierry 11, et exerça sur lui la plus funeste
influence. Dès ce moment Thierry 11 se plongea dans la
débauche, et toute son occupation lut de s'entourer de con-
cubines. L'an 600 , Thierry H et son frère Théodebert
avaient remporté une grande victoire à Dormeiiles , sur leur
cousin Clotaire 11, qu'ils privèrent d'une partie de ses pro-
vinces. Deux ans après , les deux frères subjuguèrent les
Gascons; mais bientôt des prétentions réciproques sur l'Al-
sace, qui avait élé annexée à la Bourgogne, les armèrent
l'un contre l'autre. Cette guerre , qu'attisait Brunehaut, se
termina par les sanglantes batailles de Toul et de Tolbiac,
où Thierry II vainquit Théodebert (612). Le roi d'Austrasie
fut amené prisonnier à son frère , qui le fit mettre à mort,
ainsi que ses deux fils. Thierry 11 ne réunit pas longtemps
sur sa tête les couronnes d'Austrasie et de Bourgogne. Il
se disposait à marcher de nouveau contre Clotaire 11, lors-
qu'il mourut subitement, à Metz. On accusa son aïeule Bru-
nehaut de l'avoir fait empoisonner. En vain cette princesse
voulut faire reconnaître en Austrasie Sigebert, un des qua-
tre (Ils que laissait Thierry II. Ces enfants furent égorgés
ou cachés à tous les regards; et l'heureux Clotaire II,
après la victoire de Châlons-sur-Marne, recueillit tout l'hé-
ritage de Thierry II.
THIERRY 111, troisième fils de Clovis II, fut élevé par
le maire du palais Ébroïn au trône de Neustrie et de Bour-
gogne à la mort de Clotaire III , son frère aîné (670). Il
était âgé de quinze ans. Les leudes bourguignons, qui n'a-
vaient pas été consultés, se révoltèrent : la Neustrie fut en-
vahie, et l'impuissant Thierry renfermé dans le monastère
de Saint-Denys, où il avait été élevé. Bientôt une nouvelle
révolution le rappelle au trône (673), et son maire du
palais , Ébroïn , est vainqueur des Auslrasiens à Leucofao
(680). Mais le triomphe de la Neustrie n'est pas de longue
durée : Thierry 111 et ses Neustriens sont battus à Testry
par le maire austrasien Pépin d'Héristal, qui s'imposa à lui
pour ministre et ne lui laissa que les insignes de la royauté.
Thierry m, vrai roi fainéant, mourut l'an 691 , après avoir
porté le nom de roi pendant vingt-et-un ans.
THIERRY IV, dit de Chelles,f\h de Dagobert III, fut.
Tan 720, à la mort du roi Chilperic Daniel, tiré du menas-
[ tère de Chelles par le duc d'Austrasie , Charles Martel ,
j et élevé à la royauté de Neustrie. 11 n'avait que sept ans , et
j porta la couronne jusqu'en737, époque à laquelle il mourut,
au mois d'avril. Charles Martel alors n'osa point saisir la
couronne : il se contenta de laisser le trône vacant pour ac-
I coutumer les peuples à se passer d'un roi et leur taire
j oublier Ja race de Clovis. Charles Du Rozom.
1 THIERRY ( Jacques-Nicola.s-Augustin), historien con-
temporain, populaire à bon droit, né le 10 mai 1795, à Blois,
entra dès 1811 à l'École Normale, d'où deux ans après il
lut envoyé comme professeur dans un lycée de départe-
ment. L'année suivante, âgé de dix-neuf ans seulement, il
j abandonna la carrière universitaire, et, séduit par les idées
i et les principes de S a in t-S i m o n, devint son collaborateur.
I C'est lui qui fut désormais chargé de mettre du style et de
I l'orthographe aux différentes élucubrations du père du so-
I ci a lis m e. Avec une sincérité à laquelle ne nous ont pas-
t accoutumés nos faiseurs du jour, Saint-Simon reconnaissait
j lui-même la part qui revenait à son jeune ami dans ses Ira-
[ vaux, en inscrivant loyalement son nom, encore inconnu ,
' à la suite du sien, au frontispice de plusieurs brochures qu'il
publia à cette époque , entre autres sur le titre de l'une
• d'elles ( L'industrie littéraire et scientifique), où le nom
d'Augustin Thierry est même suivi de la qualification de
fils adoptif de Saint-Simon. Mais notre jeune écrivain ne
devait pas tarder à s'apercevoir qu'il avait été dupe des
déclamations d'un sophiste, et à reconnaître tout ce qu'il
y avait de faux, d'exagéré et de vide dans des idées qui
avaient bien pu le séduire à dix-neuf ans , mais contre les-
quelles se révoltait à vingt-deux ans son jugement, devenu
plus rassis. Dès 1817 il s'était donc séparé d'un maître dont
le système n'avait d'ailleurs pas pris encore à cette époque
l'ampleur et les développements qu'il en vint à lui donner
cinq ou six ans plus lard. Aussi jamais Augustin Thierry
n'a-t-il été compris dans ce qu'on a appelé depuis Vécole
saint-simonienne. En 1819 il devint l'un des collabora-
teurs du Censeur Européen, puis du Courrier Français.
Les lecteurs sérieux de cette feuille remarquèrent avec un
vif intérêt, en 1820, une série de dix Lettres sur Vhistoire
de France, où des vues neuves et profondes sur les origines
nationales étaient développées avec une grande netteté^
'exposition. De 1820 à 1824, Augustin Thierry resta étranger
à la polémique de la presse pour s'occuper dans le silence du
cabinet du grand et beau travail qui devait le classer au pre-
mier rang des historiens modernes, de son Histoire de la
Conquête de l'Angleterre par les Normands (4 vol., 1 825) et
de&es Lettres sur l'Histoire (1827). Onaditavec raison que
dans ces ouvrages on trouvait la patience et l'érudition d'un
bénédictin réunies à la brillante imagination d'un poète. Le
succès en fut grand, et il ne fait qu'aller se consolidant tou-
jours devantage. Mais les prodigieux travaux de recherches
qu'il avait dû faire pour en réunir les matériaux avaient suc-
cessivement affaibli la vue d'Augustin Thierry, qui dès 1825
était frappé d'une cécité complète. Grâce au dévouement
de quelques amis, il put cependant continuer ses travaux;
et plus que jamais l'étude fut alors sa grande consolation au
milieu des rudes épreuves qui vinrent successivement ic
frapper, et dont la plus poignante fut sans contredit la perte
de sa femme, née Julie de Quérengal, qu'il avait épousée,
à Luxeuil, en 1831 , que son admirable dévouement à sa
personne et à sa gloire recommandait plus encore qu'un
talent littéraire très-remarquable, et que la mort lui ravit
en 1844.
Au mois de mai 1830, l'Académie desinscriptionset Belles-
Lettres s'était associé Augustin Thierry. En 1840 il publia ses
Récits des temps mérovingiens, précédés de considéra-
tions sur Vhistoire de France, avec une préface où il
donne de curieux détaills sur l'histoire de ses travaux. li
mourut le 22 mai 1856.
Son frère, Amédée Thierky, avait, comme lui, suivi la
carrière de l'enseignement. En 1819 M. de Talleyrand
l'appela à présider à l'éducation de ses petits-neveux. Plus
THIERRY — THIERS
6S5
tard , le gouverne ment de juillet lui confia diverses préfec-
tures importantes. Il est aujourd'liui conseiller d'État. On
a de lui un Résumé de V Histoire de Guyenne (Paris,
1826) et une Histoire des Gaulois et de la Gaule sous
la domination romaine (6 vol., 1828); œuvre remarqua-
ble, qui a obtenu plusieurs éditions et qui a ouvert à son
suteur les portes de l'Académie des Sciences morales et
politiques.
THIERRY (Succession). Il ne sapasse guère d'année
où ne s'agitent soit à Paris , soit dans un des déparlements
ayant fait partie de la Lorraine ,des contestations au sujetde
cette succession fort problématique. La base de ces inter-
minables procès est le testament de Jean Thierry , reçu par
Santonida , notaire à Corfou, le 10 février 1654. A la suite
d'un long préambule , où il se qualifie Français de nation ,
fameux marchand et grand négociant sur mer, le testateur
raconte que son nom est Jean et son surnom Thierry ; qu'il a
été baptisé dans la paroisse de Château-Thierry , en Champa-
gne ; que sa famille est originaire de Lorraine, qu'elle se divisa
en trois branches, dont l'une se trouve à Bàle, en Suisse,
et la dernière en Champagne, où il est né ; qu'il quitta son
pays à l'âge de quatorze ans; que, voulant chercher fortune,
il vint en Italie , où il se loua comme garçon à l'auberge
de la Tour, dans la ville de Brescia , État de Venise ; qu'un
marchand étranger , nommé Athany Tipaldy, lui proposa
de voyager; que bientôt ce riche marchand le prit en ami-
tié; et comme il n'avait point de parents, étant fils naturel
de la maison Tipaldy de Napoli-de-Romanie, dont les deux
branches sont éteintes, ledit sieur Athany, étant vieux et
accablé d'inlirmités, lui laissa toute sa succession, tant sur
mer que sur terre. Ses biens consistaient en trois vaisseaux
marchands et 800,000 écus vénitiens , dits à la croix ,
placés sur la banque de Venise , appelée la Zena ; et
qu'il dépend de lui de les retirer quand bon lui semblera ,
comme cela résulte du testament de son bienfaiteur. Agé de
soixante-quinze ans, Jean Thierry ajoute qu'il veut se reti-
rer dans la ville capitale du duché de Venise pour y vivre et
mourir par la grâce de Dieu. Le testateur est en effet décédé à
Venise , en 1676. Un inventaire joint à l'acte constate , in-
dépendammentdes 800,000 écus à la croix, l'existencede va-
leurs d'une importance que l'on peut qualifier de fabuleuse.
On y énumère trois maisons près du palais du doge, estimées
1,800,000 fr.; deux maisons à Corfou, près l'église Saint-
Sébastien , valant 800,000 fr.; une maison de campagne sur
le canal de Mompadon, évaluée 200,000 fr.; un sac de qua-
tre pieds de long sur autant de large , plein de lingots d'or,
estimé 1,200,000 fr. (D'après les dimensions indiquées, la
valeur excéderait 30 millions). Plus , 80,000 ducats d'ar-
gent ( 400,000 fr. ) ; 50,000 louis d'or en rente sur
l'hôtel de ville de Paris (1,200,000 fr.); six barils de
poudre d'or (1,960,000 fr. ); six carrosses et calèches qui
sont dans l'ile de Corfou ( 9,000 fr. ) ; deux cassettes rem-
plies de vases d'argent pesant chacune 200 livres (400,000
fr. );six cassettes remplies de chandeliers d'argent, pe-
sant chacune 300 livres ( 1 ,800,000 fr. ) ; deux sacs de pierres
précieuses (4,500,000 fr. ) ; trois bâtiments neufs chargés de
pie?vespr^cje!<5e5( 40,589,000 fr. ); meubles dediverses na-
tures (6,000,000 fr. ) ; en tout, 60, 178,000 fr. Le testateur dé-
signe ensuite comme héritiers de cette fortune colossale ses
plus proches parents , et nomme un sieur Mora exécuteur
testamentaire.
11 faut croire qu'il y avait quelque chose de réel dans ces
immenses trésors , laissés par un simple ex-garçon d'auberge.
-Mora s'étant laissé enlever ses papiers par trois aventu-
riers nommés Burgevin , Ruelle et Censier, ceux-ci fabri-
quèrent, au nom d'un sieur Dupuis , un brevet de donation
par le roi des biens de la succession tombée en déshérence.
Munis de ces pièces, nos trois fripons se rendirent à Venise,
où ils transigèrent avec les détenteurs des objets les plus
importants de l'héritage, moyennant 1,240,000 fr. Un of-
ficier de la marine française , un sieur Guyot de Verta-
mont , se croyant , par sa femme , héritier de Jean Thierry ,
vint en 1686 prendre des renseignements à Venise. A son
arrivée, les trois faussaires prirent la fuite, mais toute la
succession n'avait pas encore disparu. Les 800,000 écus à
la croix , qui représenteraient aujourd'hui une créance de
41 millions , s'ils ontjamais été déposés à la banque de Venise,
n'en ont jamais été retirés. Des oppositions ont été formées
au nom d'une nuée de collatéraux qui ont surgi de tous les
points de la France , principalement de la Lorraine , du
duché de Bar, de Château-Thierry, et même de Bâle, en
Suisse. Le gouvernement lombardo-vénilien , qui a succédé
à la banque de Venise en actif eten passif, voilctiaque année
se multiplier les oppositions et les demandes eu déclaration
affirmative. La chancellerie autrichienne a beau répondre, soit
extra-judiciairement jSoit par la voie des journaux , qu'il ne
reste pas plus de traces d'un dépôt fait à la banque de Venise
que des trois navires chargés de pierreries, des caisses ren-
fermant des chandeliers diargent et des rentes sur l'hôtel de
ville de Paris , les réclamants ne se découragent pas. Comme
on a opposé aux premiers prétendants , à titre de fm de
non recevoir, le défaut de justification de leur qualité, ils
supposent que cette difficulté levée, il faudra, bon gré mal
gré, que le gouvernement autrichien s'explique et compte avec
les ayant-droit. Nous renvoyons à la collection de la Ga-
zette des Tribunaux ceux qui désireraient se tenir au
courant de ces innombrables procès. Nous prévenons seu-
lement les intéressés qu'il ne s'agit en général dans ces cau-
ses que de comptes d'administration et de frais de gestion
réclamés par les mandataires des soi-disant intéressés.
On ne combat plus pro lucro caplando, mais pi-o damno
vitando. Breton.
THIERS (Louis-Adolphe), célèbre historien national
et homme d'État français, est né à Marseille, eu 1797.. Son
père, pauvre serrurier , fit tous les sacrifices en son pouvoir
pour développer par une bonne éducation les rares dispo-
sitions qu'il annonçait dès son enfance, et, grâce à la pro-
tection d'un parent éloigné mais assez bien posé , obtint
pour lui une bourse au lycée de sa ville natale. En 1815 le
jeune Thiers alla suivre les cours de la faculté de droit
d'Aix, où il eut pour condisciple M. Mignet, avec qui il se
lia d'une amitié que ni le temps ni les événements n'ont pu
altérer. Tout en faisant son droit , M. Thiers ne laissait pas
que de s'occuper d'histoire et de littérature ; et l'Académie
d'Aix ayant mis au concours V Éloge de Vauvenargues ,
il concourut. Son travail fut remarqué; et s'il n'obtint pas
le prix , c'est que la majorité de l'Académie le trouva en-
taché de libéralisme. Le concours fut donc remis à l'année
suivante. Que fit alors M. Thiers? Il adressa encore une fois
son travail à l'Académie; mais en même temps elle reçut
de Paris un autre éloge de notre célèbre moraliste, qui fut
couronné tout d'une voix. M. Thiers pour son premier travail
n'obtint que l'accessit; mais chacundevineque lorsqu'il y eut
chose définitivement jugée, et qu'il ne resta plus qu'à con-
naître le nom de l'heureux vainqueur , il se trouva que ce
n'était autre que M. Thiers à qui l'Académie, plaisamment
mystifiée , décernait les honneurs du prix et de l'accessit.
Ses études juridiques terminées, M. Thiers vint chercher for-
tune à Paris. Admis au nombre des rédacteurs du Consti-
tutionnel, les articles qu'il fournit à ce journal firent sensa-
tion ; et ses succès dans la presse militante lui eurent bientôt
fait une position honorable et indépendante. Les salons les
plus distingués lui furent ouverts, et il devint l'un des com-
mensaux du duc de La Rochefoucauld-Liancourt, de Laf-
fitte,du baron Louis, du comte de Flahaut , de M. de
Talleyrand. Lors de l'avènement du ministère Polignac,
M. Thiers, jugeant l'allure du Constitutionnel trop timide,
résolut de créer à l'opposition un organe plus hardi ; et le
1" janvier 1830 il faisait paraître le premier numéro du
National , journal fondé par lui en société avec le libraire
Sautelet et Armand Carrel. Son Histoire de la Révolu-
tion , livre dans lequel il réhabilitait des hommes et des
choses dont le gouvernement de la Restauration était l'im-
placable ennemi , avait obtenu un immense et légitime suct
566
THIERS
eès et avait fait de lui une des notabilités incontestées du
parti libérai. La publication du National eut donc toute
l'importance d'un événement, politique. M. Thiers y déve-
loppa son célèbre principe « Le roi règne, et ne gouverne
pas , M qui posait nettement la question entre la monarchie
absolue, que voulait rétablir Charles X, et la monarchie
constitutionnelle, contre laquelle la dynastie légitime n'avait
pas cessé de conspirer après l'avoir accordée à la France.
Le 26 juillet au matin, quand parut le numéro du Moni-
teur contenant les fatales ordonnances du 25, dans lesquelles
la royauté jetait le gant au pays , c'est dans les bureaux
du National que se réunirent tous les journalistes de l'op-
position. Le danger était grand , l'incertitude extrême. Quel
parti prendre? Comment organiser la résistance? L'opinion
générale était que chacun protestât d'après les inspirations
de son courage. M. Thiers combattit cet avis. « Les arti-
cles plus ou moins violents , dit-il , ne sont rien dans la
circonstance. Il faut un acte, un acte commun dans le-
quel soit exprimé nettement le refus d'obéir, et qui donne
aux citoyens l'exemple de la résistance. » La proposition fut
acceptée. M. Thiers, M. deRémusatet M. Cauchois-Lemaire,
rédigèrent la protestation. « Cela fait, reste à la signer, dit
M. Thiers. » Mettre des .signatures au bas d'un tel acte, c'était
y mettre des têtes. Elles y furent mises! Le lendemain la
protestation parut dans tous les journaux de l'opposition. On
sait le reste. A l'immense rapidité avec laquelle marchait
l'insurrection , à l'adhésion presque universelle qu'elle ren-
contrait, on pouvait dire, comme M. de La Rochefoucauld
en 89 : 11 Ce n'est pas une émeute, c'est une révolution. »
Le combat fini, restait à décider ce qu'on ferait de la vic-
toire. Le peuple semblait avoir condamné pour le moins la
royauté de Charles X. Mais dans les délibérations tenues
par les hommes politiques on hésitait beaucoup à passer
d'une dynastie à une autre. Le siège du conseil était à l'hô-
tel Lalfitle. Là , le général Sébastian!, Béranger, M. Thiers ,
M. Mignet, appuyaient et affermissaient la résolution de Laf-
fitte, qui voulait le duc d'Orléans. M. Thiers n'avait pas
perdu de temps pour faire prévaloir ce vœu dans le pu-
blic. Il avait lancé par le National , faisait circuler dans
tout Paris , une proclamation en faveur du duc d'Orléans.
La presse était déjà presque tout entière acquise à cette
idée. La réunion des députés éprouvait encore une grande
incertitude; et pendant ce temps- là un tout autre mouve-
ment d'opinion régnait à l'hôtel de ville; là on avait la
pensée de déclarer la France en république. Au milieu de
ces dispositions si contraires, dans le temps où il y avait pour
ainsi dire deux gouvernements à la fois, l'un à l'hôtel de
ville, l'autre à l'hôtel Laffitte, l'un pour la république, l'autre
hésitant entre deux dynasties. M, de Se mon vil le se pré-
sentait tour à tour près de l'un et de l'autre de ces deux
pouvoirs pour négocier au nom de Charles X. A l'hôtel de
ville, La Fayette lui répondait ce mot péremptoire :
Il est trop tard ! A l'hôtel Laffitte , malgré la résolution
bien arrêtée de Laffitte , du général Sébastian! et de quel-
ques autres, un grand nombre de députés se montraient
encore disposés à traiter avec le plénipotentiaire de Char-
les X. M. Thiers réussit à les rallier à l'idée de la royauté
du duc d'Orléans. Il se chargea d'aller lui-même à Neuilly
interroger ce prince sur ses dispositions. M. Thiers ne
put pas voir le duc d'Orléans ; mais il lui fut déclaré que
dans le cas où le duc d'Orléans ne pourrait se rendre à
Paris, une partie de sa famille s'y rendrait. M. Thiers vint
porter cette réponse. Les députés qui s'étaient, duns cet in-
tervalle, transportés de l'hôtel Laffitte au palais Bourbon,
hésitaient encore , tant on voyait de témérité dans cette ré-
solution de déposer un roi et d'en créer un autre ! et
probablement la réunion n'aurait pas eu l'énergie de pren-
dre cette résolution extrême : il fallut qu'on imaginât un
moyen terme. Ce fut M. de Rémusatquien eut l'idée; il
proposa de nommer M. le duc d'Orléans itew^enan^ général
du royaume. Cette transaction f(jt acceptée. Restait une
difficulté à vaincre. On savait l'opinion qui dominait à l'iid-
tel de ville. Quel accueil y recevrait la résolution des dé-
putés? La lieutenance générale était un acheminement à
Ja monarchie ; qu'en dirait le parti républicain ? M. de Ré-
musat fut député par la réunion auprès de La Fayette pour
le décider en faveur du duc d'Orléans. Il y réussit; et dé»
qu'on fut assuré de l'adhésion de La Fayette, on proclama
le lieutenant général. Le duc d'Orléans fut instruit de sa
nomination par une députation de la chambre, et il se rendit
le soir même à Paris.
Après le 9 août, M. Thiers devait nécessairement entrer
dans les affaires. Il y avait conquis sa place. On le fit entrer
au conseil d'État, et il fut attaché à la section qui comprend
le service des finances. M. Thiers y montra une aptitude
extrême, au point que le baron Louis, forcé de quitter
le ministère , désigna au roi M. Thiers comme l'homme
le plus capable de lui succéder et de diriger cette vaste
administration. Malgré les instances de Louis-Philippe ,
M. Thiers n'accepta que le poste de sous-secrétaire d'État;
et ce fut Laffitte qui prit le portefeuille des finances. A quel-
que temps de là , les électeurs d'Aix l'envoyèrent à la
chambre, où il ne tarda pas à se faire une grande réputa-
tion de tribune. A la retraite de Laffitte , M. Thiers resta
au ministère , et garda encore sa place sous l'administra-
tion de Casimir Périer. L'ancien rédacteur du National
avait complètement déserté le parti révolutionnaire; il était
devenu l'un des plus habiles défenseurs du ministère essen-
tiellement conservateur de Casimir Périer; et à la mort de
cet homme d'État , il fut appelé à faire partie , comme mi-
nistre de l'intérieur, du cabinet qui se constitua le 11 oc-
tobre 1832. La compression de l'insurrection de la Vendée,
où la duchesse de Ber ry avait tenté d'allumer la guerre ci-
vile, et l'expédition de Belgique, qui pouvait amener une con-
Hagration générale en Europe , et qui se lit sans que l'Eu-
rope absolutiste osât bouger, sont les deux faits principaux
qui signalèrent le passage de ce cabinet aux affaires. Par
suite d'un léger dissentiment avec ses collègues, M. Thiers
abandonna dès le mois de décembre 1832 le portefeuille
ae l'intérieur pour prendre celui du commerce et dès tra-
vaux publics. La crise industrielle et commerciale , suite
inévitable de la commotion révolutionnaire, durait encore ;
beaucoup de bras étaient inoccupés, beaucoup de familles
d'ouvriers sans pain. M. Thiers conçut la pensée d'une
grande loi de travaux publics. Il demanda cent millions
;i la chambre pour terminer un très-grand nombre de
travaux interrompus. Il y en avait de toutes sortes, des mo-
numents , des canaux, des routes , des éclairages de côte ,
toutes choses commencées depuis des années , et qui
semblaient destinées à demeurer inachevées. Cette im-
portante loi fut votée. Elle devait donner de l'ouvrage
et du pain à toute une population de travailleurs. Dans
cette même année, le ministère du 11 octobre inau-
gura la statue de Napoléon sur la colonne et décida l'achè-
vement de l'arc de triomphe de l'Étoile; deux mesurés
qui donnaient satisfaction aux idées bonapartistes, les quelle.*
continuaient de dominer dans les masses. En 1834 les
partis hostiles à la royauté du 9 août recommencèrent à
agir, et voulurent faire une dernière tentative. 'Vaincus une
première fois à Paris, ils changèrent le théâtre de la guerre.
Ils se réfugièrent à Lyon, où ils avaient été une fois vain-
queurs. La loi contre les associations, présentée par le gou-
vernement et votée par les chambres, excita dans ces partis
une irritation violente. Ils crurent qu'ils devaient profiter
d'une organisation qu'on allait briser, et tenter un effort
désespéré. L'orage se formait à Lyon.
Cependant, les embarras nés du passé ou de la situation
pré.sente se multipliaient autour du ministère, qui reconnut
la nécessité de se reconstituer. Un nouveau cabinet se
forma donc le 4 avril 1834, et M. Thiers y prit le porte-
feuille de l'intérieur.
Les courriers partis de Lyon annonçaient que l'événement
ne tarderait pas à éclater. Le jour même où le cabinet fut
reconstitué on reçut la nouvelle que le gouvernement allait
THIERS
567
être attaqué. Une vaste conspiration couvrait la France de-
puis Marseille jusqu'à Besançon. Quand les provinces se
seraient mises en état d'insurrection, un coup décisif devait
avoir lîeu à Paris.
M- Tliiers prit alors les mesures les plus énergiques. 11
requit du ministre de la guerre l'envoi de forces considé-
rables à Lyon. Il enjoignit au préfet de Lyon de prévenir
l'autorité militaire qu'elle eftt à prendre toutes ses disposi-
tions pour un combat. Pendant plusieurs jours, le générai
commandant à Lyon fit tous ses préparatifs en prévision
d'une attaque; il détermina même le lieu de son quartier
général. M. ïliiers donna l'ordre à l'autorité militaire de
se laisser attaquer, et, bien que le plan des insurgés fût
connu, de ne pas prendre l'offensive. Le combat com-
mença , comme M. Thiers l'avait prévu , par une attaque
des Insurgés. Il dura huit jours, avec des alternatives di-
verses. L'anxiété du gouvernement était inexprimable.
M. Thiers était prêt à partir pour Lyon avec un des princes.
Il allait se mettre en route, quand arriva la nouvelle que le
faubourg de La Guillotière s'était rendu.
La tentative projetée à Paris eut lieu. M. Thiers, instruit
par l'expérience, pensa que la moindre hésitation de sa part
pourrait donner aux insurgés le temps de se réunir en plus
grand nombre, et que le résultat serait de rendre la bataille
plus longue et d'augmenter l'effusion du sang. Tout le
quartier où s'étaient retranchés les insurgés fut immédiate-
ment enveloppé. A deux heures du matin , le quartier de
l'hôtel de ville était évacué. On s'attendait cependant à
une nouvelle attaque. En effet, à quatre ou cinq heures du
matin, un régiment de la division Lascours ayant été sur-
pris, plusieurs officiers furent tués, frappés par des balles
parties dune maison voisine. Les soldats envahirent la
maison, et ce fut alors qu'eurent lieu les déplorables évé-
nements de la 1 ue Transnonain.
La bataille gagnée, le ministère pensa que le gouverne-
ment devait tirer une justice éclatante de la violation des
lois , pour qu'il ne fût pas dit qu'il ne savait vaincre que
par la force. Deux avis y furent ouverts : le premier, de
traduire les accusés devant les cours d'assises ; le second, de
saisir la cour des pairs d'un grand procès , afin d'assurer
l'uniformité de la jurisprudence pour les cas identiques
qui s'étaient produits dans des localités diverses. M. Thiers
combattit vivement cette dernière opinion. Lui et M. Pas-
quier furent seuls de leur avis dans le conseil. Le procès
eut lieu devant la cour des pairs; il ne put effectivement
s'exécuter que quinze mois après , et il résulta de cette
fausse marche des conséquences déplorables.
La dissolution de la chambre élective fut alors prononcée,
et les élections nouvelles donnèrent au gouvernement une
majorité équivoque, qui vota sans discussion une adresse,
interprétée en sens contraire par le cabinet et l'opposition ;
après quoi , la chambre fut prorogée.
Dans l'intervalle de la session, une scission éclata au sein
du ministère. Le maréchal Soult se retira , et le maréchal
Gérard prit la présidence et le portefeuille de la guerre. Le
maréchal Gérard, qui voulait tout à la fois accomplir une
pensée généreuse et couper court aux difficultés du procès
d'avril, réclama l'amnistie. Le conseil discuta la question,
et se décida contre elle. M. Thiers, qui s'était opposé à ce
qu'on engageât le procès devant la cour des pairs, fut d'a-
vis qu'on ne pouvait pas interrompre le cours de la justice.
Le conseil pensa que la politique ne devait pas encore flé-
chir. Le maréchal Gérard persista à exiger l'amnistie , et,
ne croyant pas pouvoir l'obtenir, il se retira. On fit alors le
ministère qui dura trois jours. Ce ministère s'étant retiré,
un nouveau cabinet, dans lequel M. Thiers prit encore le
portefeuille de l'intérieur , se reconstitua sous la présidence
du maréchal Mortier. Il se présenta à la chambre. L'a-
dresse votée sans discussion avait été rudement com-
mentée dans l'entr'acte parlementaire. Le débat se trouva
n'avoir été qu'ajourné. Il fut introduit par des interpel-
laiions, suivies d'un ordre du jour motivé. Le ministère
eut une majorité d'environ 70 voix. Cependant les difficultés
parlementaires se multipliaient. La pi ésidence du conseil
était évidemment dans de trop faibles mains. La question du
traité relatif aux indemnités américaines allait reparaître ;
le ministère avait besoin de se modifier. M. Mortier se re-
tira ; M. le duc de Broglie fut porté à la présidence du con-
seil et au département des affaires étrangères. Après un
de ces éclatants duels oratoires qui avaient lieu souvent
alors entre M. Berryer et M. Thiers , après une longue et
laborieuse discussion, le traité fut adopté par la chambre.
Le procès d'avril entamé faisait naitre les plus orageux
incidents; la cour des pairs était près de céder aux difficul-
tés renaissantes de cette gigantesque entreprise. M. Thiers,
comme ministre de l'intérieur , était sans cesse en proie aux
anxiétés que lui inspirait la révélation de complots tramés
contre la vie du roi ; on lui en avait dénoncé cinq en quel-
ques jours , entre autres celui qu'on a appelé le complot de
Neuilly. Arrivent les fêtes de Juillet; il monte à cheval pour
accompagner le roi à la revue de la garde nationale ; il se
trouvait à côté du maréchal Mortier, au moment où ce brave
maréchal tomba baigné dans son sang, mortellement frappé,
avec trente autres citoyens, par la machine infernale de.
Fie sch i. Les jours précédents on avait bien averti M. Thiers
de se défier des maisons , mais l'opinion publique se soule-
vait contre l'arbitraire des visites domiciliaires; néanmoins,
beaucoup de maisons avaient été visitées. L'effet de cette
journée fut effrayant ; la stupeur et l'indignation régnaient
partout ; les hommes dévoués à la politique du gouvernement
étaientdans uneexaspération inexprimable; il y avait le prin-
cipe d'une réaction affreuse dans le sentiment général. Les
députés furent rappelés à Paris. Dans un supplément de ses-
sion , qui dura à peu près un mois , on fit les lois de sep-
tembre; on donna une loi de procédure à la chambre des
pairs. M. Thiers soutint toutes ces mesures rigoureuses ,
mais nécessaires.
Au retour de la chambre , la question du remboursement
de la rente prit une importance politique considérable.
M. Humann en caressait depuis longtemps le projet. M. Thiers
en admettait volontiers le principe , mais il en trouvait alors
l'application prématurée. L'opposition s'en empara pour en
faire une question du moment. M. Humann se retira :
M. Gouin fit de la conversion l'objet d'une proposition qui
fut adoptée par les chambres malgré les efforts du minis-
tère pour en faire voter le rejet. Le ministère du 11 octobre
fut donc renversé. La majorité, qu'on appelait le tiers partie
et qui a pris le nom de centre gauche, faisait de grands ef-
forts pour rompre le ministère du 1 1 octobre et lui substi-
tuer un cabinet pris dans la nuance pure du centre gauche
C'était pour réaliser cette combinaison qu'on avait essayé le
ministère des trois jours : une tentative analogue avait encore
eu lieu au 13 mars 1835, et ce n'avait été qu'après l'insuccès
des négociations faites dans ce but que M. le duc de Broglie
était rentré dans le cabinet. La pensée d'un ministère pris dans
le centre gauche fut activement poursuivie par toutes les plus
hautes influencesde la chambre. M. Thiers résista longtemps,
décidé qu'il étaith quitter les affaires. Cependant, il se décida
à terminer une crise ministérielle qui se prolongeait outre
mesure. Il accepta les affaires étrangères et la présidence
du conseil. Le ministère du 22 février finit la session avec
éclat. En même temps, M. Thiers, quoique plébéien, avait
parfaitement réussi auprès du corps diplomatique. Il mettait
dans ses rapports avec les ambassadeurs de la fermeté au
fond , mais une parfaite bonne grâce dans les formes. 11 né-
gocia le mariage du duc d'Orléans, qui était convenu lors-
qu'il sortit du pouvoir. Malgré ses succès à la chambre et
au dehors, il entrevoyait une prochaine rupture avec la
politique des cours du Nord sur la questiond'Espagne, rendue
grave par les succès de don Carlos. M. Thiers ne demandait
pas l'intervention. Il s'était arrêté à un système de coopéra-
tion. La légion étrangère offrait un cadre excellent; il s'a-
gissait de la recruter. Les enrôlements volontaires affluaient.
' Au moment de l'exécution, survinrent les événements dfr
468
THIERS
la Granja. Louis-Pliilippe vit dans ces événements un mot f
pour se désister. M. Xliiers soutint qu'ils pouvaient être une
raison de différer l'envoi des secours; mais il ne put faire
prévaloir son avis , et donna sa démission ; tous ses collè-
gues, un seul excepté, le suivirent dans sa retraite.
Tandis que M. Mole, expression de la volonté personnelle
du roi et de sa politique, constituait une administration
nouvelle, M. Tliiers entreprit un voyage en Italie, à l'eflet
d'y recueillir les matériaux d'une histoire de Florence qu'il
avait depuis longtemps le projet d'écrire ; projet que d'au-
tres occupations l'ont empêché de réaliser jusqu'à ce jour.
Mais à partir de 1838 il entra décidément dans l'opposi-
tion contre le ministère iMoié, et par suite contre Louis- IMii-
lippe lui-même , puisque ce cabinet , nous le répétons, n'é-
tait que l'expression de la pensée intime de ce prince. Mais
ici M. ïhiers mettait en pratique sa fameuse maxime « Le
roi règne, et ne gouverne pas. » Il eut donc une grande paît
à la formation de la coalition. Cependant, même après le
succès de la coalition, en 1839, il ne recueillit pas le fruit
de sa taclique constitutionnelle, et Louis-Philippe ne l'ap-
pela point à faire partie de la nouvelle administration qui
se forma alors sous la présidence du maréchal Soult. C'est
seulement quand le cabinet Soult se fut trouvé en minorité
à propos de la question de la dotation de M. le duc de
Nemours, à qui Louis-Philippe voulait à toute force faire
constituer un apanage de 500,000 fr. de revenus, que le
roi dut céder ; et dans le cabinet du l^'' mars 1840 M. Thiers
prit le portefeuille des affaires étrangères. A ce moment sur-
girent des complications de plus en plus graves dans les rap-
ports de l'Egypte avec la Porte. La question d'Orient avait
été très-mal entamée par l'administration précédente. On
avait laissé l'Angleterre se rapprocher du cabinet de Pé-
tersbourg ; et la publication du traité du 15 juillet 1840,
conclu sans la participation et à l'insu de la France entre
les cabinets de Londres , de Pétersbourg , de Berlin et de
Vienne pour régler le différend turco-égyptien, fut une
délaite morale qu'essuya M. Thiers. Il prit alors, il est vrai,
yne attitude menaçante, et profita de la circonstance pour
faire entourer Paris de forlitications, ainsi qu'il en avait
déjà manifesté le projet en 1832 lors de son premier minis-
tère. Il fit en outre appel aux souvenirs de l'empire en déci-
dant la translation des restes de Napoléon de Sainte-Hélène
à Paris; mais en même temps avait lieu l'échaufiourée de
Boulogne, perfide traquenard où vint se faire prendre
une ambition impatiente, odieusement vendue à ceux
qu'elle gênait par des hommes qui avaient l'air d'être ses
complices. Tandis que les puissances signataires du traité
du 15 juillet entreprenaient l'expédition de Syrie pour en
assurer l'exécution , M. Thiers leur adressait au nom de
la France un ultimatum, et parlait déjà de la possibilité de
rendre à la France ses frontières du Rhin. Mais Louis-Phi-
lippe rappela à Toulon la flotte de la Méditerranée; le ca-
binet n'obtint qu'à grand'peine les crédits extraordinaires
nécessaires pour de nouveaux armements; et le 21 octobre
M. Thiers et ses collègues donnaient leur démission, par suite
d'un dissentiment sur la question d'une convocation des
cliambres, que Louis-Philippe jugeait inopportune.
M. Thiers, rentré dans la vie privée , revint à ses études
historiques, l'une des passions de sa vie; et une société de
spéculateurs se forma , qui lui acheta au prix de 500,000 fr.
une Histoire du Consulat et de VEmpire en dix volumes
(on sait que l'auteur s'est vu forcé d'en faire près du
double), comme suite à son Histoire de la Révolution,
Il alla alors parcourir l'Allemagne et l'Italie , alin de visiter
les champs de bataille dont il se proposait de donner la des-
cription dans l'ouvrage qu'il voulait consacrer à la glo-
rilicalion de Napoléon. A partir de ce moment M. Thiers fit
partie de l'opposition de toutes nuances contre laquelle se
roidit si fatalement l'administration de M.Guizot. Il s'assura
d'ailleurs alors , au moyen d'un versement de 100,000 fr.
dans la combinaison financière qui fit passer aux mains
du docteur Véron l'autocratie du Constitutionnel, l'appui
THlOiN VILLE •
particulier de ce journal, redevenu influent grâce aux 25,000
abonnés que lui avait valus la publication du Juif Errant,
interminable feuilleton d'Eugène Sue; il en dirigea même
la polémique, en dictant chaque soir à un commis poli-
tique Varticle de tête qui paraissait le lendemain. L'opposi-
tion du Constitutionnel fut toute personnelle à M. Gui-
zot,sans pourtant que M. Thiers, qui eu tenait les fils, pût
recouvrer sa popularité, à jamais perdue dans les masses,
par suite du rôle qu'il avait joué depuis 1830. Resté d'abord
inaperçu après la révolution de Février, il acquit de nou-
veau en juin 1S48 une haute importance comme l'un des
chefs naturels de ce grandparti de l'ordre , dont les folies
elles excès des démocrates et des socialistes provoquèrent
la formation, et dans lequel entrèrent des éléments de tous les
anciens partis. Élu membre de l'Assemblée nationale cons-
tituante et de l'Assemblée législative qui lui succéda, il fut
l'un des meneurs du parti monarchique qui chercha à y lutter
tout à la fois contre le parti de la Montagne et le parti toujours
grossissant de Louis-Napoléon, dont vainement il combattitla
candidature à la présidence de la république. Il est très- vrai-
semblable que M. Thiers travaillait alors au rappel du comte
de Paris el à l'établissement d'une régence, qu'on aurait con-
fiée soit à la duchesse d' O r 1 é a n s , soit à M. le prince de
J 0 i n V i 1 1 e. Un voyage qu'il fit à Londres dans le courant de
l'été de 1851 prête beaucoup d'autorité à ces conjectures.
Comme en toutes occasions il s'était montré parmi les
adversaires les plus passionnés du président de la républi-
que, il fut à la suite du coup d'État du 2 décembre
1851 compris au nombre des hommes que le nouveau
gouvernement crut devoir d'abord arrêter, puis momen-
tanément éloigner du pays. Après avoir passé à l'étran-
ger l'année 1852 , M. Thiers obtint à la suite de la procla-
mation de l'empire l'autorisation de rentrer en France ; mais
il a toujours repoussé jusqu'à ce jour les avances flagrantes
que lui a faites le pouvoir, persistant à rester dans un iso-
lement qui ne lui ôte rien de son importance personnelle.
Les derniers volumes de son Histoire du Consulat et de
l'Empire offrent maintes contradictions avec les jugements
qu'il émettait dans les premiers sur les actes et la politique de
Napoléon; et on peut dire que depuis le rétablissement de
l'empire en France le grand homme a visiblement perdu dans
ses sympathies et son estime. M. Thiers est membre de
l'Académie Française depuis 1836.
THIERSCH ( Frédéric-Guillaume ), professeur de
littérature ancienne à l'université de Munich, est né en 1784,
près de Freiburg sur l'Unstrut , et, ses études universitaires
terminées, entra dans l'instruction publique. En 1812 ilfonda
à Munich un institut de philologie, qu'on réunit plus tard à
l'université de cette ville. En 1813 il prit une part active au
mouvement qui rendît à l'Allemagne son indépendance na-
tionale ; et ensuite il ne témoigna pas d'un zèle moindre pour
la délivrance de la Grèce. On a de lui une Grammaire
Grecque, et principalement du dialecte homérique (3*'édit.,
Leipzig, 1836); une édition de Pindare ( Leipzig, 1820), et
de nombreux ouvrages relatifs à l'état de l'instruction pu-
blique en Bavière.
THÏETMAR. Voye:, Dietmar.
THIMEUAIS (Le). Voyez Perche.
THI1\G. Voyez Djng.
TIIIONVILLE, appelé par les Allemands Z»iedenAoi;en,
chef-lieu d'arrondissement du département de là Mo s elle,
dans une belle et fertile contrée, sur la rive gauche de la
Moselle , qu'on y traverse sur un beau pont en pierre con-
duisant au fort construit sur la rive droite, avec 8,650 ha-
bitants ( parlant pour la plupart un patois fortement mélangé
d'allemand et s'occupantde fabrication de bas, de chapeaux
et d'articles de quincaillerie ), quatre églises, un collège et une
société d'agriculture. L'édifice le plus remarquable est
l'église paroissiale, achevée en 1760. Cette ville, place forte
de troisième classe, mais dont les lorlifications ont un grand
développement et demandent 7 à 8,000 hommes pour leur
défense, dépendait autrefois du duché de Luxembourg,
THIONVILLE — THOMAS A KEMPIS
et était déjà célèbre à une époque bien reculée, puisque
Pépin d'Héristal y tint sa cour et que Gharlemagne y con-
voqua une diète de l'Empire en l'an 806. Prise à diverses
époques parles Français, elle fut définitivement cédée à la
France par la paix des Pyrénées. Assiégée en 1705 par les
alliés, elle fut alors couverte par Villars. En 1792 les Autri-
chiens, secondés par un corps d'émigrés, vinrent tout aussi
inutilement l'assiéger. Elle est reliée depuis 1854 à Metz
par un chem^in de fer.
THISBÉ. roj^es Pyrame.
THLASPÏ, genre de la famille des crucifères. Les plantes
qui le forment sont des herbes annuelles ou vivaces, qui ha-
bitent presque uniquement les parties moyennes de l'Europe
et do l'Asie. Leurs feuilles, glabres et souvent un peu glauques,
sont entières ou dentelées , les radicales pétiolées, les cauli-
naires embrassantes. Leurs fleurs, blanches, ont un calice à
quatre cépales égaux à leur base, des filets sans dents ni
appendices.
Une des espèces les plus communes de cette famille est
la plante désignée vulgairement sous les noms de bourse à
pasteur, bourse à berger ou boursetle, dont la silicule
est semblable à une boucse, ce qui la distingue de toutes
ses congénères. Cette plante, que Cisalpin nomme capsella,
abonde aux environs de Paris. On l'appelle aussi tabouret
et mallette.
THOGRA ou TOUGRA , nom du monogramme du sul-
tan, enroulement de plusieurs lignes artistement entrelacées,
qui se trouve sur tous les documents ainsi que sur l'estam-
pille de la plupart des monnaies turques. Il contient, dit-on, les
insignes impériaux et le nom du sultan. Voyez Hattichérif.
THOMAR (Comte de). Voyez Coste-Cabral.
THOMAS (Saint), l'un des douze apôtres de Jésus-
Christ, vraisemblablement natif de Galilée, est surnommé
JJidyme, que l'on a traduit par le Jumeau, parce que, dit-on,
il eut une sœur jumelle appelée Lysia. L'interprétation qui
veut que ce surnom signifie l'irrésolu parait plus juste ; en
effet, comme Pierre, Thomas paya le tribut de l'infirmité
humaine, sinon en reniant par trois fois son divin maître, du
moins en donnant des marques d'une grande incrédulité au
sujet de sa résirrection. Suivant Eusèbe, il se serait aussi
appelé Judas, ef aurait été prêcher l'Évangile chez les Parthes.
Chrysostome le fait aller en Abyssinie et en Ethiopie, tandis
qu'au rapport de saint Grégoire de Naziance, de saint Am-
broise et de saint Jérôme, il serait allé porter la parole de
Jésus- Christ dans les Indes. Les chrétiens de Syrie (chré-
tiens de saint Thomas) le considèrent comme le fondateur
de leur Église, le font mourir de la mort des martyrs, et pré-
tendent posséder son corps, tandis que Rufin et Sozomène af-
firment qu'il fut apporté à Édesse. Les chrétiens persans,
qui vers l'an 780 se déclarèrent disciples de l'apôtre saint
Thomas, font partie de ces chrétiens de l'Inde. Il est extrê-
mement vraisemblable que la donnée qui fait de lui le mis-
sionnaire des Indes est d'origine manichéenne; et Théodoret
n'hésite point à regarder le Thomas qui s'en alla aux Indes
comme un disciple de Manès.
On attribue à l'apôtre saint Thomas un Evangelicum In-
fantix Christi (appelé aussi en conséquence Evangelicum
secundum Thomam), qui a pour but de combler les lacunes
que présente l'histoire évangélique dans l'époque comprise
entre l'enfance et l'avènement de Jésus-Christ, mais qui
de tous temps passa pour apocryphe. Consultez Thila, Acta
Thomêe Apostoli {Le\pz\g, 1823).
L'Église romaine célèbre la fête de saint Thomas le 21 dé-
cembre , et l'Église grecque le premier jour férié de l'année
ecclésiastique commençant à Pâques , et appelé en consé-
quence djniancAe rfesai«< Thomas. Les peintres et les
sculpteurs représentent saint Thomas avec une équerre et
une règle à la main, ou encore avec un cordeau, parce qu'il
aurait bâti pour le roi indien Gondohar ou Gondofar un pa-
lais (demeure céleste).
THOMAS«(Chrétiens de saint). Foî/es Nestoriens.
' THOMAS (Antoine -Léonard) naquit à Clermont-Fer-
'569
rand, le l" octobre 1732. Après avoir fait de brillantes
études à Paris, il entra chez un procureur ; mais son goût
pour les lettres le porta bientôt à abandonner cette direc-
tion pour une place de professeur de sixième au collège
de Beauvais , où déjà l'un de ses frères l'avait précédé. Ces
humbles fonctions lui laissèrent le temps de pousser plus
avant ses premières études, et de travailler à quelques ou-
vrages de littérature qui le firent distinguer. Son Éloge du
maréchal de Saxe lui valut le prix en 1759, et ceux de
d'Aguesseau , de Duguay-Trouin, de Sully, de Descartes
ainsi que son Épître au Peuple et son Ode sur le Temps
semblèrent lui assurer pendant les années suivantes le
monopole des couronnes académiques. L'innovation à la-
quelle on devait les concours, l'espèce de vie qu'ils rendi-
rent au corps académique, privé depuis longtemps de toute
initiative un peu remarquable, ne contribuèrent pas médio-
crement à en assurer le succès. On trouve dans ces pre-
miers panégyriques, plus que dans tous les autres, les
défauts particuliers au talent de Thomas ; les idées fausses
ou stériles cachées sous un luxe de phrases parasites, une
profondeur affectée , qui n'est qu'une pauvreté pompeuse
un style sentencieux, redondant, qui veut être majestueux
et qui n'est que guindé, enfin, ce style que Voltaire appelait
méchamment du gali-Thomas au lieu de galimatias. Tous
les Éloges de Thomas ne justifient pas heureusement la
plaisanterie de Voltaire; ceux de Descartes, du dauphin
et surtout celui de Marc Aurèle, l'ont placé parmi les bons
prosateurs du dix-huitième siècle : il y a môme dans ce
dernier quelque chose de plus à louer qu'un style bien sou-
tenu, exempt d'enflure et d'affectation; on y doit recon-
naître certains traits vigoureux empreints d'une véritable
éloquence , et qui atteignent presque le sublime. V Essai
sur les Éloges de Thomas prouve combien il avait étudié
la matière à fond : les préceptes qu'il y développe sont bien
tracés , et c'est sans conteste le meilleur ouvrage que nous
ayons sur ce genre d'amplification, qu'on doit regarder aujour-
d'hui comme un exercice de style. Son Essai sur les
Femmes laisse plus à désirer. Thomas s'exerça aussi , mais
avec moins de succès, dans la poésie. On doit remarquer
cependant son Ode sur le Temps, couronnée en 1762, et
qui renferme de fort beaux vers. Thomas mourut le 17 sep-
tembre 1785, à Oulins, château de l'archevêque de Lyon.
Étranger à toutes les coteries qui divisèrent les gens de
lettres au dix-huitième siècle , homme de bien , citoyen gé-
néreux , il ne compta jamais que des ennemis littéraires ,
et ceux-là même se sont tous accordés à louer sinou les
inspirations de son esprit, du moins celles de son cœur.
JONCIÈRES.
THOMAS A KEMPIS, ainsi appelé du nom de son
lieu de naissance, Kempen ou Kampen, dans l'archevêché
de Cologne (et suivant d'autres dans l'Over-Yssel ) , mais
dont le nom véritable était Hamerken {M'alleolus, maillet),
naquit en 1380, et fut envoyé en 1392 à l'école des frères de
la Vie commune, à Deventer, où il eut pour maîtres Gérard
Grote et Florentins Radewins. En 1407 il entra dans le cou-
vent d'augustins d'Agnetemberg,- prèsZwoll, fondé par cette
corporation. En 1423 il fut ordonné prêtre, puis nommé
sous-prieur, et mourut supérieur de cette même maison,
le 24 juillet 1471. Distingué par sa rare piété et sa profonde
humilité , il rendit de grands services comme maître et ins-
tituteur d'une nombreuse jeunesse. Parmi ses disciples, aux
mains de qui il n'hésitait pas à mettre les classiques latins
au lieu des misérables ouvrages en usage alors dans les
écoles, et qu'il engagea à entreprendre le voyage d'Italie, où
les études classiques recommençaient à fleurir, on cite des
hommes de premier mérite , tels que Rodolphe Lange, le
comte Maurice de Spiegelberg, R. Agricola, Alexandre Hé-
gius, L. Dringenberg et Antonius Liber. Ses ouvrages, tous
écrits en latin , se composent d'une Chronique d'Agnetem-
berg, d'une Biographie de Gérard Grote et de dix de ses
disciples, de sermons, d'hymnes, de soliloques, de dis-
sertations religieuses et des quatre livres de V Imitation
570
THOMAS A KEMPIS — THOMAS
de Jésus- Christ, qui a propagé la gloire de son nom dans
tous les pays de la terre. La première édition de ses œuvres
complètes ne porte d'indication ni de lieu ni de date (elle
fut vraisemblablement imprimée en 1474 à Ulrecht, chez
Nicolas Kitelaer et Gerhard de Leempt); la meilleure (mais
elle n'est pas complète ) est celle que donna le jésuite So-
malius (Anvers, 1607 ; et souvent réimprimée depuis ). La
dernière est celle de 1728 ou 1750.
THOMAS D'AQUIN (Saint) descendait de l'ancienne
famille des comtes d'Aquiuo , dans le pays de Napies , et
naquit en 1224, au château de Roccasicca, situé à peu de
distance du couvent du mont Cassin;et c'est dans ce pieux
asile des sciences qu'il fit ses premières études , sous les yeux
de son gouverneur. Il les compléta plus tard à Napies. Dans
cette ville , que toutes les vanités mondaines rendaient un
séjour dangereux pour la jeunesse des écoles, Thomas d'A-
quino se recueillit en lui-même et se fortifia par la médita-
tion. Frappé des calamités qu'attiraient sur l'Italie les in-
terminables querelles du pape et de l'empereur, le jeune
étudiant fit de sérieuses réflexions sur le néant de toutes
choses. Insensiblement s'opéra chez lui ce détachement
de tout intérêt vulgaire , qui devait plus tard lui permettre
de jeter un vaste coup d'œil sur les intérêts de la chrétienté.
L'éclat dont brillait à cette époque l'enseignement de
l'ordre de Saint-Dominiqu» ne pouvait manquer d'influer sur
Ja détermination de Thomas d'Aquino. L'humilité dont il
faisait profession lui fit trouver plus d'un point de contact
avec les dominicains de Napies, qu'il fréquentait , et auxquels
il finit par se lier étroitement , édifié qu'il était de l'austérité
des frères prêcheurs. Aussi , malgré les obstacles qu'oppo-
sait à ses penchants le gouverneur que lui avait donné son
père, il céda, en 1243, à la conformité de vues et de sen-
timents qui le rapprochait de cet ordre, et reçut des mains
du supérieur l'habit de Saint-Dominique. Ici commence pour
Thomas d'Aquino une série de persécutions et d'épreuves
cruelles , qui ne sont pas son titre le moins beau à l'estime
de ceux qui envisagent de près cette grande renommée. A
peine sa famille fut-elle instruite de ce qui venait de se
passer, que sa mère, la comtesse Theodora, dans l'espoir
de déterminer son fils à changer de résolution et à rester
dans le monde, se rendit sur-le-champ à Napies. Thomas,
voulant éviter une résistance toujours pénible à la piété
filiale, s'enfuit vers Rome , où il se réfugia chez les religieux
de Sainte-Sabine. Il ne put toutefois y séjourner longtemps.
La comtesse l'ayant suivi à Rome, les moines de ce
monastère comprirent qu'il leur serait impossible de lutter
contre le crédit dont elle jouissait, et décidèrent le jeune
novice à partir pour Paris. La comtesse Theodora en
informa aussitôt ses deux autres fils, Landulpheet Rinaido,
qui commandaient en Toscane pour l'empereur, et qui
firent arrêter leur frère près d'Aquapendite. Le jeune novice
de l'ordre de Saint-Dominique fut alors reconduit sous
bonne garde au château de Roccasicca. Là tout fut mis en
œuvre pour le faire changer de détermination , les prières ,
les caresses , les larmes. On ne craignit pas même d'exposer
sa jeunesse à la plus dangereuse des séductions. Une cour-
tisane belle et joyeuse fut amenée dans la chambre du jeune
religieux ; elle mit tout en usage pour corrompre son inno-
cence. Mais lui, ne pouvant ni fuir ni éviter la vue d'un
objet qui ne cessait de le poursuivre, arma sa main d'un
tison enQammé , et força ainsi cette malheureuse à se re-
tirer précipitamment.
Au bout d'une année, les supérieurs de l'ordre de Saint-
Dominique crurent devoir s'adresser au pape et à l'empereur
pour qu'il fût mis un terme aux rigueurs exercées contre
leur novice. Thomas fut en conséquence rendu aux domi-
nicains de Napies , et le pape Innocent IV l'ayant examiné
lui-même confirma sa profession.
Enlevé pour toujours aux obsessions de sa famille, Thomas
d'Aquino fut , en 1244 , envoyé à Cologne pour étudier sous
Albert le Grand la philosophie et la théologie. Ce qui
mérite d'être remarqué, c'est que la modestie et le recueil-
lement extrême de Thomas d'Aquino le firent regarder tout
d'abord par ses condisciples comme un esprit assez mé-
diocre. Ils lui décernèrent le sobriquet de bœuf muet.
Mais à la suite d'un examen que Thomas , âgé de dix-neuf
ans , venait de soutenir au milieu des témoignages d'admi-
ration d'un nombreux auditoire, le maître s'écria avec un
accent prophétique : « Nous l'appelons le bœuf muet, mai»
il poussera dans la doctrine un tel mugissement que le monde
en retentira. » Ce fut vers ce même temps que Thomas d'A-
quino composa son Traité de la Morale d'Aristote.
Témoins de ses étonnants progrès , les Pères du chapitre
général tenu à Cologne en 1245 décidèrent que le maître
et l'élève iraient à Paris, le premier pour prendre le degré
de docteur et remplir l'une des deux chaires que l'ordre de
Saint-Dominique occupait dans cette université, l'autre pour
y continuer ses études de théologie dans le collège de Saint-
Jacques , maison soumise à la règle des frères prêcheurs.
Dès 124S Thomas achevait ses études, et le chapitre gé-
néral de l'ordre , en désignant Albert pour remplir la pre-
mière chaire dans l'école de Cologne, décidait que son élève
l'accompagnerait pour le suppléer dans son enseignement.
Lorsque, quatre ans plus tard, Thomas revint à Paris pour
y professer et y prendre ses degrés , il avait déjà donné à
l'Allemagne la plus haute idée de son génie, « et, dit un
ancien auteur, égalé les mérites d'Albert le Grand ».
Ce fut à Thomas que son ordre confia , en 1256 , le soin
de défendre devant le pape Alexandre IV les ordres men-
diants , attaqués par Guillaume de Saint-Amour, dans son
livre intitulé: Les Périls des derniers Temps; et en 1257,
c'est-à-dire après avoir retardé de deux ans sa réception,
par suite des différends qui divisaient les docteurs séculiers
et les réguliers, l'université de Paris conféra enfin le titre
de docteur à Thomas d'Aquino. Pendant son professorat à
Paris il entretint des relations suivies avec saint Louis, traita
les diverses questions Sur l'âme, Sur la puissance de
Dieu, etc., qui composent le huitième tome de ses œuvres,
et publia la Somme de la Foi catholique, contre les Gentils.
En 1261 le pape Urbain IV l'appela en Italie pour enseigner
la philosophie à Rome, à Pise, à Bologne, Plus tard, son
ordre le nomma définiteur de la province de Rome. En
dernier lieu il habita le couvent des Dominicains à
Napies; et dans cette ville on le vit refuser la dignité d'ar-
chevêque, afin de pouvoir continuer à vivre uniquement pour
ses études et ses travaux. Grégoire X ayant convoqué le
second concile général de Lyon pour le 1"^ mai 1274,
Thomas d'Aquino , qui était regardé comme l'oracle de son
siècle , reçut un bref du pape qui l'invitait à s'y rendre et
à y apporter le traité qu'il avait autrefois composé contre
les erreurs des Grecs. Il obéit, et se mit en route ; mais la
mort le surprit, le 7 mars, dans l'abbaye de Fossanuova,
où il s'était arrêté, près deTerracine, avant d'avoir encore
quitté le territoire de Napies. Quelques-uns prétendirent
qu'il avait été empoisonné à l'instigation de Charles 1'^'' de
Sicile, qui ne se promettait rien de bon du témoignage que
Thomas porterait sans doute de lui au concile de Lyon.
Les disciples de Thomas d'Aquino lui avaient décerné les
surnoms de Docteur universel {Doctor universalis) , de
Docteur angélique {Doctor angelicus) , de second saint
Augustin. Dans un chapitre général de l'ordre des Domi-
nicains tenu à Paris peu de temps après sa mort, il fut
décidé qu'il y aurait désormais obligation pour les membres
de l'ordre de défendre ses doctrines envers et contre tous. Ce
furent , dit-on , les récits faits par ces religieux de miracles
opérés par l'intercession de Thomas d'Aquino , qui détermi-
nèrent, en 1323, le pape Jean XXII à le ranger au nombre
des saints. La restitution du corps et du chef de sainlTho-
mas aux Dominicains de Toulouse eut lieu sous le pontificat
d'Urbain V, en 1369.
Comme le plus grand nombre des scoiastiques, Thomas
d'Aquino ne savait ni le grec ni l'hébreu , et ne possédait
même pas des connaissances historiques suffisantes. En re-
vanche ^ dans ses principaux ouvrages, notamment dans am
THOMAS — THOMSON
Commentaires sur les quatre livres de Sentences de Pierre
L oni bard et dans sa Sum7na r/jeo^jia;, productions aux-
quelles se rattachent ses Quxstiones disputatae et quodli-
betales et ses Opuscula Theologica, il fait preuve d'une
rare vigueur de dialectique. Lorsqu'on lit avec attention
ses écrits , on est frappé de la parfaite conformité de vues
qui existe entre sa doctrine et celle d'Augustin. On dirait ,
à voir ces travaux renfermés souvent dans un même cadre,
ces vérités successivement développées et mises en thèses,
que le religieux de Saint-Dominique ne fait que continuer
et compléter l'évêque d'Hippone. L'on s'explique aisément
après cela que les écrivains ecclésiastiques aient établi une
sorte de parallèle entre ces deux hommes, si distingués tous
deux par la puissance de leur esprit , par de grands travaux
et par d'éminents services rendus à la catholicité. Comme
saint Augustin , le Docteur angélique réduit tous les de-
voirs du chrétien à l'amour de Dieu : la charité, tel est,
suivant lui, l'esprit de la nouvelle loi. La Summa Théologies
était dès le seizième siècle en une telle estime dans l'Église,
qu'au concile de Trente elle fut placée sur une table à côté
de la Bible, comme le plus sûr commentaire du texte sacré.
Les ouvrages de saint Thomas d'Aquin , dont l'édition
la plus estimée remonte à 1570 et comprend dix-sept vo-
lumes in-fol., sont : 1° un commentaire philosophique sur
presque tous les livres d'Aristote; 2° des œuvres théolo-
giques comprenant la Somme de la Foi catholique, contre
les Gentils, traité en quatre livres, et qui paraît avoir le
même objet que la Cité de Dieu ; 3° ses Commentaires sur
les quatre livres de Sentences de Pierre Lombard ; 4° la
Somme de Théologie, restée inachevée et que dut complé-
ter un de ses disciples , le célèbre Pierre d'Auvergne: œuvre
immense, contenant plus de trois mille articles, qui a été
commentée par le cardinal Cajetan , qui est à proprement
parler le catéchisme de la foi catholii|ue, et dont il existe
deux traductions françaises, l'une par Maraudé et l'autre
par Hauteville ; 5° un commentaire fort estimé sur l'Écriture
Sainte; plusieurs traités ou opuscules, parmi lesquels on
distingue particulièrement une réfutation des erreurs d'A-
verrhoès, et le traité, souvent cÀié,i\x Gouvernement des
Princes. Quatorze papes n'ont pas fait difliculté de placer
saint Thomas d'Aquin à côté des docteurs de l'Église les plus
éminents, saint Grégoire, saint Ambroise, saint Augustin
et saint Jérôme. Il existe une vie du Docteur angélique
fort estimée, publiée en 1737, par le père Turoy, de l'ordre
des Dominicains.
En s'enorgueil lissant d'avoir produit saint Thomas d'A-
quin , l'ordre de Saint-Dominique excita au plus haut degré
la jalousie des franciscains : et dès le commencement du
quatorzième siècle un membre de l'ordre de Saint-François,
Duns ScotjSe posait en adversaire déclaré des principes
et de la philosophie préconisés par l'ordre rival. Ainsi naquit
l'école des scotistes, lesquels dès lors eurent pour adver-
saires les thomistes, dominicains pour la plupart, parti-
sans et défenseurs des doctrines de saint Thomas. En phi-
losophie les thomistes se rapprochaient des doctrines du
nominalisme, bien qu'ils considérassent la forme abs-
traite comme l'essence des choses. Ils partageaient toutes les
idées de saint Augustin sur la grâce , et combattaient l'im-
maculée conception de la vierge Marie. Les scotistes, au
contraire, tenaient pour le ré al is me, se rapprochaient des
idées plus modérées du semi-pélagianisrae, et soutenaient
l'immaculéeconception;
THOMAS DE CANTORBÉRY (Saint). Voyez
Décret (Thomas).
THOMAS DIDYME. VoyezTaouxa (Saint).
THOMASSIN (Thomas- Antoine VIZENTINI , dit), né
en 1682 , à Vicence , faisait partie de la troupe qui vint , en
1716, d'au delà des monts jouer à Paris sur le Théâtre-
Italien, dont le régent avait ordonné la réouverture. Cet
acteur donna une physionomie particulière au personnage
d'arlequin dans une foule de comédies nouvelles écrites, ainsi
que dans les pièces improvisées de l'ancien répertoire , et il
571
mérita constamment l'affection du public par son naturel,
sa grâce et sa sensibilité. A sa mort , arrivée en 1 739 , son
fds et quelques autres débutants essayèrent vainement de le
remplacer. Cet honneur était réservé au célèbre Oariin.
THOMIES. Voyez Aiuchkides.
THOMISTES, théologiens qui font profession de par-
tager sur la grâce et la prédestination les doctrines de
saint Thomas d'Aquin, par opposition aux scotistes
(voyez SCOLASTIQUES).
THOMPSON. Voyez Thomson.
THOMSON (James), l'un des plus célèbres poètes di-
dactiques anglais , naquit à Ednam , dans le &:>mté de Rox-
burgh (Ecosse), et était fils d'un ministre presbytérien.
Dès son enfance il annonça pour la poésie des dispositions
que développa son séjour à l'université d'Edimbourg. A la
mort de son père , il se rendit à Londres, où Mallet, l'un de
ses condisciples, lui fit obtenir une place de précepteur, et
où en 1726 il publia d'abord son poëme descTÎplif L'Biver,
qui dès la même année obtint les honneurs de plusieurs
éditions et que suivirent en 1728 L'Été, en 1729 Le Prin-
temps et en 1730 L'Automne. Dès celte même année 1730
paraissait une édition de ces quatre poèmes , réunis sous
le titre commun de Les Saisons.
[Les critiques ne purent s'empêcher de remarquer dan?
rou\Tage du vague, de l'emphase, le luxe des ornements,
la profusion des couleurs ; mais Thomson possède à un haut
degré ce qui constitue le poète , l'inspiration. Éminemment
original dans les pensées et le style, ses descriptions of-
frent le double mérite de la magnificence et de l'exactitude.
On sent, à sa manière delà peindre, qu'il aime la campagne
et qu'il est rempli d'elle. Sublimes, touchants ou gracieux ,
les épisodes semés dans sou ouvrage ont des rapports intimes
avec le sujet. Une pudeur, une innocence trop rares chez les
anciens , donnent au tableau de Musidore surprise au bain
par son amant un charme inexprimable. Le même poëte
a porté le sublime, le pathétique et la terreur au plus haut
point dans les imposantes scènes de l'hiver des contrées
hyperboréennes. On ne peut s'empêcher de frissonner aux
récits de Thomson, qui lui-même se montre touché d'une
pitié si profonde pour l'homme égaré au milieu d'un océan
de neiges et de glaces. Un dernier mérite recommande les
Saisons de Thomson. Toutes les grandes renommées de la
vertu et de la liberté antiques , tous les héros de l'Angle-
terre reçoivent du poëte un tribut <îe respect et d'enthou-
siasme. Il éprouve des ravissements à mêler les gloires d'au-
trefois à la gloire de sa patrie.
P. F. TiSSOT, de rAcadémie Française. ]
Le succès qu'obtint le poëme des Saisons mit Thomson
en relations avec les hommes les plus distingués de son
temps , notamment avec Pope , qui lui fit faire d'heureuses
corrections à son œuvre. En 1731 Thomson fut chargé d'ac-
compagner en France , en Suisse et en Italie , en qualité de
Mentor , le fils aîné de sir John Talbot , devenu plus tard
lord chancelier. Au retour de ce voyage, il publia le poëme
La Liberté ; et la protection de sir John Talbot lui fit obtenir
une profitable sinécure, qu'il perdit à la mort de son pro-
tecteur, parce qu'il négligea de faire les démarches néces-
saires pour se la faire continuer. Le prince de Galles l'eu dé-
dommagea en lui accordant une pension de 100 liv. st.; et
plus tard il obtint encore une place d'inspecteur aux An»
tilles ; sinécure qui lui valait 300 liv. st. par an , mais dont
il ne jouit pas longtemps, car il mourut le 27 août 1748.
Outre le poëme desSaM0?i5, on a de Thomson cinq tragé-
dies , dont les meilleures sont Sophonisbe et Tancrede et
Sigisnmnda ; mais dans toutes on reconnaît trop le poëte
didactique. Une petite pièce, Alfred, qu'il écrivit en so-
ciété avec Mallet, est Importante, parce que c'est là que
parut pour la première fois la célèbre chanson nationale
Rule Britannia; maison ignore qui, de Thomson ou
de Mallet, en est l'auteur. Après Les Saisons le meilleur ou-
vrage de Thomson est Le Château de l'Indolence, poëme
allégorique à la manière de S penser.
£73
THOMSON — THORINIU.M
TH0MS01\ (Thomas), célèbre chimiste anglais, naquit
en 1773 , à Crieff, en Ecosse , étudia à Glasgow et à Edim-
bourg sous BlacK, et prit part dès 1796 à la publication d'un
supplément à V Encyclopaedia- Britannica, auquel il fournit
une série d'articles relatifs à la physique, à la chimie, à la
minéralogie et à la métallurgie. Il s'occupa aussi beaucoup
d'essais pratiques, contribua au perfectionnement du chalu-
meau, et découvrit plusieurs minéraux simples et composés.
Sa réputation a surtout pour bases son System ofChemistry
( 4 vol., 1802; 7* édit., 183 1 ), et son Outline of the Sciences
•ofHeatand Electricity (nouv. édit., 1840). Il fit ensuite pa.
raîtredes Eléments of Chemistry (Edimbourg, 1810) , un
Attempt to establish thefirst principles of -chemistry
by experiment ( 2 vol., Londres , 1825 ) et sa Chemistry oj
organic Bodies (2 vol., 1728).
En 1813 Thomson vint s'établira Londres, où il publia
les Annals of Philosophy, recueil qui fusionna en 1822 avec
le Philosophical Magazine. En 1817 il fut appelé à Glasgow
pour y occuper la chaire de chimie, et il la remplissait en-
v/>re peu de temps avant sa mort. On a outre de lui une His-
tory of Chemistry (2 vol., 1831 ) et des Outlines of Mine-
ralogy and Geology (2 vol., 1836). Il est mort le 2 août
1852, à Kilmure, dans le comté d'Argyle.
Le système chimique de Thomson a l'ampleur et la popu-
larité pratique qui plaisent tant aux Anglais ; mais d'un au-
tre côté il est beaucoup trop incomplet et souvent fort inexact.
D'ailleurs, la discussion qui s'établit entre Thomson et Ber-
zelius au sujet de l'opinion émise par le premier que tous
les équivalents des éléments doivent être considérés comme
<les multiples de l'élément de l'hydrogène n'eut pas préci-
sément pour résultat de montrer les talents d'analyse de
Thomson sous un jour très-favorable.
THOIV, genre de poissons voisins des maquereaux,
dont ils se distinguent par la disposition des écailles, qui for-
ment autour du thorax une espèce de corselet se partageant
postérieurement en plusieurs points. Déplus, les deux dor-
sales sont contiguës ; les fausses nageoires sont en nombre'
plus considérable que chez les maquereaux ; enfin, les thons
offrent de chaque côté une carène cartilagineuse entre les
petites crêtes latérales de la queue.
Parmi les espèces connues de cegenre, les unes sontpro-
pres à la Méditerranée, comme le thon commun, le thon à
pectorales courtes, etc., tandis que d'autres (\es boni tes,
les gumono, etc. ) se trouvent dans l'Atlantique, dans l'o-
céan Pacifique et dans la mer des Indes.
Le thon commun ( thynnus vulgaris , Cuv. ) est le type
du genre. Son corps a la forme d'un fuseau aplati, c'est-à-
dire qu'il est plus épais aux deux tiers de sa longueur, et
qu'il s'amincit vers la tête et plus encore vers la queue. Sa
tête est petite et se termine en pointe émoussée ; sa bouche,
large, garnie de petites dents pointues; ses yeux, grands;
son dos, gris d'acier; son ventre, argentin, l'un et l'autre
couverts d'écaillés minces, qui se détachent aisément; ses
nageoires, bleuâtres, jaunes, grises et noires. Le thon a
ordinairement de O^jôS à 1 mètre de long ; on en pècho
quelquefois de plus de 2'",50. Pennant en cite du poids de
230 kilogrammes , et Cetli de 500 et au delà. Il nage avec la
plus grande rapidité, et suit volontiers les vaisseaux, au-
tant pour jouir , selon Commerson , de l'ombre qu'ils répan-
dent que pour profiter des restes de la cuisine qu'on jette à
la mer. Il se nourrit de poissons , principalement de ceux
qui vivent en troupes, comme les maquereaux et les ha-
rengs. Les thons passent une partie de l'année dans les eaux
profondes; mais à certaines époques ils se rapprochent des
côtes de la Méditerranée, qu'ils longent en légions innombra-
bles. On les pèche principalement sur les rives de France,
d'Italie, de Corse et de Sardaigne. Les procédés varient
dans chaque localité , mais ils peuvent se réduire à deux, la
ihonaire et la madrague ; ce sont des parcs ou enceintes
de filets diversement disposés. On en trouve la description
dans le lYailédes Pèches de Duhamel et dans l'Histoire
naturelle de la Sardaigne de.Cetti.
Si la pêche du thon procure de grands bénéfices à quel-
ques-unes de nos villes maritimes, elle en donne encore de
plus considérables à la Sardaigne, où elle est évaluée an-
nuellement à 45,000 têtes. La chair du thon est blanche,
savoureuse, très-saine. Dans l'antiquité, elle était recher-
chée pour les tables les plus délicates. Les Romains esti-
maient surtout la tête et le dessous du ventre. Ce sont en-
core aujourd'hui les parties les plus recherchées. Cette chair
varie en qualité; elle est molle ou tendre, ressemble au
veau ou au beuf , suivant la partie du corps où on la coupe.
On mange le thon frais ou mariné. Les moyens qu'on em-
ploie pour le saler sont à peu près les mêmes que ceux en
usage pour la morue; lorsqu'on veut le mariner, après l'a-
voir retiré de la saumure, on le met dans de petits barils,
ou des vases de terre, que l'on achève de remplir d'huile.
En pressant les thons pour les saler, on en fait sortir une
huile qui est employée par les corroyeurs. C'est principa-
lement en Italie, en Espagne, en Turquie, qu'on vend le
thon salé ; en France on n'en consomme guère que du frais
et du mariné.
THONY. Voyez Fous de Cour.
THOR, le dieu du tonnerre dans la mythologie Scandi-
nave, était fils d'Odin et de la Terre (Jxrd). Son épouse
était Sif. Son palais, que supportaient 540 colonnes, s'ap-
pelait Thrudwanger. C'est là qu'il recueillait tous les
guerriers morts sur les champs de bataille. "Le bruit du
tonnerre était produit par celui du roulement de son chariot
attelé de béliers. Il avait la barbe rousse et la vigueur delà
jeunes.se. C'était le plus fort d'entre tous les dieux et d'entre
tous les hommes. Aus.<;i les dieux , quand ils se trouvaient
en péril, invoquaient-ils souvent son appui. Parla suite,
le nom de Thor fut corrompu. Les Saxons l'adoraient sous
celui de Thunar ( en haut allemand Donar). Torden , si re-
douté des Lapons comme dieu courroucé, et qui dans sa
colère brisait des fragments de rocher , déracinait des ar-
bres et tuait des hommes et des animaux , est évidemment
le Thor des Scandinaves ; on en peut dire autant du Tora
deTschouwasches et du Tarom des Ostjseks et desWogoules.
Thor était incontestablement de tous les A se s celui qui
comptait le plus grand nombre d'adorateurs. Suivant Adam
de Brème, il occupait dans le temple d'Upsal la place d'hon-
neur, entre Odin et Frikko. En Norvège , Thor était le dieu
national, et là, comme en Islande, c'était presque exclusi-
vement à lui seul qu'on élevait des temples. Comme la force
impétueuse est le caractère saillant de Thor, c'es^t sur lui
que s'est fixé l'élément plaisant et bouffon de la superstition
Scandinave. C'est ainsi qu'il est souvent représenté comme
le jouet des géants , qui l'aveuglent par leurs charmes ma-
giques. Mais cela ne l'empêche toujours pas de montrer sa
force prodigieuse, et son terrible marteau finit toujours par
lui donner raison de ses adversaires. Le nom de ce dieu
est resté celui du jeudi dans toutes les langues du Nord.
THORACIQIJE (Conduit ). Voyez Canal.
THOR.\X(du grec ôwpaS, poitrine). Voyez Corcelet
et Steuncm.
THORINE, terre alcaline découverte par Berzelius
dans la thorite. C'est une substance blanche, pulvéru-
lente, insipide, inodore, infusible; on la prépare en trai-
tant la thorite par l'acide chlorbydrique, et en précipitant
la dissolution par un a 1 c a l i . La thorine, ou ox y de de t h o-
rinium, est la terre la plus pesante , car sa densité est
94. • Elle est caractérisée, dit M. Delafosse, par la pro-
priété que possède son sulfate d'être précipité par l'ébul-
lition , et de se redissoudre totalement dans l'eau froide;
ce qui la distingue de tous les oxydes connus jusqu'à ce
jour. »
THORIIVIUM ou THORIUM, métal extrait de la tho-
rine par Berzelius, en 1828. Le thorinium est gris, pul-
vérulent; il acquiert par le frottement un éclat métallique
semblable à celui du plomb. Il brûle au-dessus de la tem-
pérature rouge , avec une lumière très-vive, et se convertïî
en oxyde de thorinium.
THORITE — THORWALDSEN
57»^
THORITE. Esmark a «lonné ce nom à nn minéral qu'il
a trouvé dans une syénite de l'Ile de Lacven , près de
Brevig, en Norvège. La thorite est noire, brillante ; son
aspect rappelle celui de l'obsidienne ou de la gado-
1 i nite; sa poussière est d'un brun foncé ; sa densité est 4,7.
Celte substance contient 57 pour 100 de t h cri ne, com-
binée avec de la silice et de l'eau,
TIIORN, ville et place forte de l'arrondissement de
Marienwerder, province de Prusse , sur la rive droite de la
Vistnle, se compose de la ville neuve et de la vieille ville ,
séparées par des murs avec fossés , et compte 13,000 habi-
tants. On y trouve deux temples évangéliques , trois églises
catholiques , une chapelle luthérienne et une chapelle ré-
formée. Du gymnase dépendent une riche bibliothèque et
un beau jardin botanique. Dans l'église Saint-Jean on voit
un monument élevé à la mémoirede Copernic. Thorn,
centre d'un commerce de grains et de bois fort actif, est cé-
lèbre pour la fabrication des pains d'épice, des savons et des
toiles peintes. Elle fut fondée en l'an 1231, par les chevaliers
de l'ordre Teuionique , afin de tenir en respect la contrée
et les populations environnantes; et dès 1271 elle était
garnie de formidables tours. En 1454 force lui fut de se
rendre au roi de Pologne Casimir, et ce ne fut qu'en 1793
qu'elle revint au pouvoir de la Prusse avec Dantzig. La
paix de Tilsitt l'adjugea au duché de Varsovie; mais l'acte
du congrès de Vienne la rendit à la Prusse.
ïln 1645 eut lieu à Thorn, à la demande du roi de Po-
logne Ladislas IV et sous la présidence d'Ossolinski , le
Colloquium charïtativum ayant pour but la réconciliation
des catholiques et des dissidents , et auquel prirent part di-
vers théologiens polonais et allemands, mais qui n'eut d'autre
résultat que d'ajouter encore à l'exaspération des esprits.
Des discussions que les jésuites de Thorn eurent , le
16 juillet 1724, avec les élèves du gymnase protestant à l'oc-
casion d'une procession amenèrent dans celte ville de
grands troubles, à la suite desquels la populace protestante
commit des excès, que le gouvernement polonais punit avec
une rigueur extrême. Le bourgmestre Rœsneret septautres
bourgeois considérables eurent la tête tranchée, le 7 décem-
bre 1724, et leurs biens furent confisqués. Les garants de
la paix d'Oliva, notamment le roi de Prusse , interposèrent
inutilement leur médiation à l'effet de protéger les protes-
tants de cette ville contre les vengeances du parti catholique,
TtIORI\HILL (James ), né en 1 676, dans le comté de Dor-
set, se trouva orphelin de bonne heure et obligé de songer à
se faire un état. D'abord élève d'un peintre médiocre, il per-
fectionna par le travail et l'observation les dispositions qu'il
avait reçues de la nature pour l'art dans lequel il ne tarda
pas à se faire un nom. Protégé par la reine Anne, qui le
nomma son premier peintre et le créa baronet , il vit les
commandes afduer dans son atelier, s'enrichit et devint même
membre de la chambre'des communes. Il traitait également
bien l'histoire, le portrait, l'allégorieet l'architecture. C'est
lui qui exécuta toutes les peintures qui ornent le dôme de
l'église Saint-Paul de Londres. On voit aussi de ses toiles à
l'hôpital de Greenwich.U mourut en 1734 ; il avait voyagé
en France et en Allemagne, mais n'était jamais allé en Italie.
THORPE (Benjamin), connu par ses importants tra-
vaux sur la langue anglo-saxonne, traduisit d'abord en an-
glais la grammaire anglo-saxonne de Rask , puis publia une
suite de bonnes éditions d'ouvrages anglo-saxon s. C'est
ainsi qu'il a fait paraître en 1835 la paraphrase métrique de
la Bible de Cadmon, avec traduction et notes; en 1834 , les
Analecta Anglo-Saxonica (2*édit., 1845), recueil précieux
de pièces légères de la littérature anglo-saxonne, et qui a
beaucoup contribué aux progrès de l'étude de cette littéra-
ture. On a en outre de lui The anglo-saxon version o/the
Story of Apollonius {Londres , 1834); Libri Psalmorum
versio antiqua latina, cum paraphrasi anglo-saxonica
(183ii); divers poèmes et ouvrages anglo-saxons en prose,
d'après les manuscrits de Verceil, de Bologne et d'Epinal ( 1 837; i
ce recueil n'a point été mis dans le commerce ) ; la grande col- i
lection Ancient Laws and institutes of England {'\n-iol ,
1840), publiée aux frais de la Société des Antiquaires; le pré-
cieux Codex Exoniensis{\M2). Enfin, il a édité aux frais
der^(/nc Society la collection d'ouvrages de piété faite en
anglo-saxon par le célèbre évêque Alfric (2 vol., 1847); et
il a publié un aperçu critique des traditions populaires de
la Scandinavie, du nord de l'Allemagne et des Pays-Bas.
Le gouvernement pour seconder ce savant dans ses travaux
lui a accordé une pension de 150 liv. st.
THORSHAVIV. Voyez Fjer Œrne.
THORWALDSEN (Albert-Barthélémy), célèbre
sculpteur, né en mer, le 19 novembre 1770, entre l'Islande
et Copenhague. Son père. Islandais de naissance, était em-
ployé dans les chantiers de la marine royale et chargé de
sculpter les figures en bois qui ornent la proue des navires;
sa mère était la fille d'un pasteur de campagne jutlandais.
Comme tous les enfants des employés des chantiers de la
marine royale, le jeune Thorwaldsen fut élevé aux (rais du
roi. Son enfance n'annonça guère le grand génie qui était
en germe chez lui. D'abord il seconda son père dans
ses travaux , et à l'âge de onze ans il fut admis à suivre
les cours de l'École des Beaux-Arts ; mais c'est seulement
six années après qu'il commença à exciter l'attention des
professeurs. A dix-sept ans il obtint la petite médaille d'ar-
gent, deux ans plus tard la grande , et dès lors le peintre
d'histoire Abildgaard se fit son protecteur. En 1791 Thor-
waldsen obtenait la petite médaille d'or, en 1793 la grande;
et ces succès lui valurent la protection toute spéciale dur
comte de Reventlau. En 1796 il voulut se rendre à Rome;
mais le mauvais état de .sa santé ne lui permettant pas de
choisir la voie de terre, il prit passage à bord d'un navire de
guerre en partance pour la Méditerranée. Ce ne fut qu'après
dix mois de traversée, qu'il atteignit enfin le but de son
voyage. Il avait des lettres de recommandations pour le
danois Zoega, établi depuis longtemps à Rome, qui lui donna
d'excellents conseils , mais avec qui il rompit plus tard.
Cano va et le peintre Carstens habitaient aussi Rome à
cette époque. Les travaux de ce dernier produisirent une
vive impression sur Tliorwaldsen , et lui firent comprendre
la beauté idéale de la plastique antique. Vers la fin de son
séjour à Rome, fixé à trois ans, Thorwaldsen, espérant pou-
voir, avant son retour en Danemark , donner une preuve de
ses progrès par un Jason enlevant la toison d'or, se mit
à l'œuvre avec ardeur. Jason fut exécuté de grandeur na-
turelle, mais ne fut pas remarqué; aussi l'artiste, dépité, brisa-
t-il son modèle. Il entreprit de le refaire de grandeur colos-
sale, dans un style large et pur. Canova, cette fois, loua
hautement son travail, qui pourtant faillit avoir le sort du
précédent. Toutefois, il fut décidé que le modèle resterait à
Rome, en attendant qu'une occasion se présentât de le ramener
en Danemark ; et Thorwaldsen se disposa alors à s'en re-
tourner à Copenhague en compagnie avec le sculpteur Ha-
gemann, de Berlin. Le départ se trouva différé d'un jour,
par suite de difficultés faites pour son passe-port au com-
pagnon de voyage de notre artiste. Or, précisément ce jour-
là le hasard amena dans son atelier le riche Anglais Thomas
Hope, qui désirait voir le Jason. Hope sut apprécier cette
œuvre, et demanda à Thorwaldsen combien coûterait son
exécution en marbre. Le sculpteur répondit qu'il se conten-
terait de 600 sequins; mais l'amateur lui en promit aus-
sitôt 800, et lui fournit en outre le marbre nécessaire pour
qu'il pût se mettre à l'œuvre sans désemparer. Ce Jason est
encore aujourd'hui à Londres. Il n'en existe à Copenhague
qu'une épreuve en plâtre, d'après une copie en bronze et ré-
duite, appartenant au roi. Désormais, la fortune de Thor-
waldsen était faite. Les commandes lui arrivèrent de tous
côtés, et l'artiste déploya une activité sans égale pour les
exécuter. Il resta d'ailleurs constamment dans des rapports
d'amitié avec Canova, qui avait su apprécier son talent, et sur
qui pourtant il l'emportait au point de vue plastique. Quel-
ques années plus tard, Thorwaldsen composa le modèle de
son Triomphe d'Alexandre, commandé par Napoléon, qui
574
THORWALDSEN — THOU
îe destinait à orner le palais de son fils , le roi de Rome. La
réputation de ce travail se répandit dans toute l'Europe , et
plus tard le roi de Danemark en commanda à Thorwaldsen
l'exécution en marbre pour Je palais de Cliristiansborg à
Copenhague. En 1815 parut le plus populaire de tous les
ouvrages de Thorwaldsen, le bas-relief de Priam et Achille.
L'artiste se trouva ensuite en proie à un accès de profond
découragment. Mais trois mois après il créait le même
jour le beau bas-relief La Nuit et son pendant Le Jour.
Pendant les années suivantes, il développa encore une acti-
vité extrême. Ainsi, il exécuta d'a'bord pour la ville de Lu-
cerne le monument en l'honneur des soldats suisses morts
au 10 août 1792 en défendant le château des Tuileries, et
choisit à cet effet le sujet allégorique du Lion mourant de
ses blessures. Quand il l'eut achevé, en 1819, il entreprit
un voyage en Danemark, où on l'accueillit avec la haute
distinction due à son mérite. Les premiers ouvrages qu'il y
exécuta furent les bustes du roi et de la reine. La commis-
sion chargée de présider à la reconstruction de l'église
Notre-Dame de Copenhague lui en confia la décoration
plastique, et le roi lui conféra le titre de conseiller d'État.
Un an après Thorwaldsen quittait le Danemark pour s'en
retourner à Rome, et à cette occasion il visitait Berlin,
Dresde, Breslau, Varsovie, où il fut chargé du monument
du prince Poniatowski ainsi que de celui de Copernic, et
où il fit le portrait de l'empereur Alexandre ; Cracovie, où
il se chargea du monument du général Potocki ; Troppau , où
il entreprit le monument destiné au prince Schwarzen-
berg, et enfin Vienne. Son séjour dans cette capitale ne fut
que de trois semaines, parce que la nouvelle d'un grave ac-
cident arrivé à son atelier le décida à s'en retourner en
toute hâte à Rome. On se fera une idée de l'ardeur qu'il
apporta au travail en apprenant que sept années lui suf-
firent pour terminer les modèles de tous les ouvrages dont
il s'était chargé pendant sa tournée, et dix ans pour les
exécuter en marbre. A la liste sommaire que nous en avons
donnée il faut encore ajouter le monument dont il fut char-
gé, quoique protestant, pour le pape Pie VII. En 1838 il se
rendit de nouveau à Copenhague , où il était question de
fonder un musée spécial pour la collection de ses œuvres;
et, sauf un court séjour qu'il revint faire à Rome, le reste
ae sa vie s'écoula depuis dans sa patrie , où l'on savait ap-
précier ce grand artiste. Il mourut subitement, le 24 mars
1844. Ses derniers grands ouvrages furent les statues de
Gutenberg (à Mayence), de Schiller (à Stuttgard), et la
fitatue équestre et de grandeur colossale de l'électeur Maxi-
milieu ler^ à Munich. C'est dans la représentation des figures
idéales et mythologiques qu'il l'emporte sur tous les artistes
ses contemporains; il est moins heureux dans le domaine de
l'individualité et de ce qui la caractérise, comme le prouvent
ses statues de Gutenberg et de Schiller, œuvres de premier
ordre cependant.
Thorwaldsen n'avait jamais été marié, et sauf une fille na-
turelle, il n'avait pas de parents. Aussi institua-t-ilen quelque
sorte l'État pour héritier, en lui léguant tous ses modèles, à
la condition qu'on les déposerait dans le musée spécial dont
il avait déjà été question, et dont l'inauguration a effective-
ment eu lieu en 1846. Holst a publié sous le titre de Musée
Thorwaldsen (Copenhague, 1851), et en 120 planches litho-
graphiées, le recueil complet des œuvres deThorwaldsen, d'a-
près l'ordre qu'elles occupent dans le musée qui porte son nom.
THOTH , dieu égyptien que les Grecs comparaient à
leur Hermès. Il est d'ordinaire représenté avec une tête d'i-
bis, et son nom est écrit symboliquement sur un support au
moyen de l'ibis qui lui est consacré. A l'origine , Thoth ne
faisait pas partie de la première dynastie des dieux ; mais
il était le chef de la seconde. Comme dieu de la Lune, il
présidait aux sphères inférieures ; de même que Ra, le dieu
du Soleil , chef de la première dynastie de dieux, présidait
aux sphères supérieures.Toutefois, dans les monuments grecs
de l'époque postérieure il est aussi admis parfois dans la
première classe de dieux, aux lieu et olace de Set-Typhon.
Thoth est aussi représenté sur les monuments comme le
plus savant d'entre les dieux. Il est le dieu de la science et
de l'art, le divin auteur des ouvrages sacrés des Égyptiens
connus sous le nomàt Livres hermétiques, notamment des
quarante-deux livres canoniques dont Clément d'Alexandrie
indique le contenu. Dans les inscriptions hiéroglyphiques il
est appelé «le maître des bibliothèques ». Un surnom que lui
donnent fréquemment les hiéroglyphes, c'est celui de deux
fois grand. C'est seulement dans les inscriptions d'une
époque plus récentequ'il porte celui de r/i^mé^is/o.ç (trois
fois grand ) , sous lequel les mystiques grecs en font fré-
quemment mention dans les premiers siècles de l'ère chré-
tienne ; et comme révélation de la sagesse primitive, il était
extrêmement honoré (voyez Hermès Trismégiste).
THOU (Jacques-Auguste de), célèbre historien, appar-
tenant à une famille fort ancienne et honorablement connue
dans la magistrature et dans le clergé, naquit à Paris , en
1553. Nourri dans les principes, formé par les exemples de
son père, président au parlement de Paris, il était déjà
président à mortier au parlement, lorsque, en 1586 , après
lesbarricades,il s'empressa de quitter la capi taie, où do-
minait la faction des Guise, poursuivre le roi Henri m, qui
lui confia diverses missions en Allemagne et à Venise. A
l'avènement de Henri IV, de Thou embrassa avec zèle la
cause de ce monarque , par lequel il fut aussi employé à
diverses négociations importantes. Ainsi on le voit au nombre
des commissaires catholiques à la conférence de Surène en
1593, puis, en 1600, à celle qui eut lieu àFontainebleau entre
le cardinal Du Perron et Duplessis-Mornay. A la mort de
Jacques Amyot, il avaitété nommé grand-maître de la bi-
bliothèque du roi, et personne par son érudition n'était plus
digne de remplacer le traducteur de Plutarque. Pendant la
régence de Marie de Médicis , il fut un des trois directeurs
généraux des finances. :,,j
De Thou mourut en 1617, à l'âge de soixante-quatre ans^
après avoir rempli tous les devoirs du citoyen et du magistrat;
mais c'est surtout comme historien que son nom est immor-
tel. Nourri de la lecture des anciens, savant en théologie, en
jurisprudence, en politique, et, ce qui vaut mieux, connais-
saut par lui-même les affaires d'État et les hommes poli-
tiques , il a écrit en latin une histoire de son temps en
138 livres : elle embrasse soixante deux années, depuis 1545
jusqu'en 1607. Son style est serré, noble, élégant; malheu-
reusement il l'a surchargé d'une infinité de titres et de
noms modernes, qu'il a rendus barbares et inintelligibles,
sous prétexte de les latiniser; c'est pourquoi il a fallu
joindre à son histoire un vocabulaire sous le titre de Clavis
Historiée Thuanas, où ces noms sont traduits en français.
On a encore reproché à de Thou des discours et des ha-
rangues supposés, à la manière des anciens, des digres-
sions fréquentes , des excursions sans intérêt et sans cri-
tique sur des peuples totalement étrangers au mouvement
de la politique européenne, des éloges fort étendus de per •
sonnages sans importance historique; enfin, il a abaissé son
génie jusqu'à rapporter sérieusement et avec foi des prédic-
tions, des présages. Mais ce qu'on ne saurait trop louer
dans son livre, c'est l'étendue des connaissances et des re-
cherches, c'est la clarté, la sagacité avec laquelle les événe^
ments les plus compliqués s'y trouvent retracés. Admirons
surtout dans le président de Thou cette haute impartialité
qui fait de l'histoire une magistrature, et la plus vénérable
de toutes. Le véridique de Thou, telle est la qualification
que lui ont donnée depuis deux siècles tous les écrivains
qui n'étaient point aveuglés par le fanatisme. H a parlé des
crimes et des excès auxquels ont pris part des prélats et
des papes contemporains avec une telle franchise , que les
ultramon tains, ne pouvant autrement infirmer son témoi-
gnage , ont eu la maladresse de jeter des doutes sur sa ca^ ,
tliolicité. Il est cependant avéré que de Thou , qui avait été
élevé pour la prêtrise, a vécu en bon catholique , et il est
mort en soumettant ses écrits à l'Église.
La première partie de l'histoire de de Thou fut rendue
THOU — THOURET
575
jniblique par son auteur en 1604. Elle fut bientôt répandue
dans toute l'Europe , où l'usage de la langue latine était
encore si répandu. Ce livre était précédé d'une épître
dédicatoire à Henri IV, morceau plein d'éloquence, où la
louange empruntait le langage de la vérité. Après cinq
éditions successives , de Thou voulut, en 1616, en donner
une autre, plus complète : il mourut dans le cours de l'im-
pression. Son testament chargeait ses savants amis Dupuy
et Nie. Rigault d'en publier une septième, plus étendue :
ils accomplirent ce vœu en 1620. L'abbé Desfontaines,
aidé de plusieurs collaborateurs, donna, en 1739, une tra-
duction de VHistoi7-e universelle de de Thou, en 16 vol.
in-4°. Cette traduction est d'un style lâche et diffus , et
donneainsi une trèsfausseidée du style de l'auteur, qui, par
sa gravité et sa noble concision, pourrait être réclamé par
les Latins eux-mêmes. Cette version offre en outre de
nombreux contre-sens. Il existe un abrégé de l'histoire de de
Thou en 10 vol. in-1 2, par Raymond de Saint- Albine (1755).
Cet historien n'est plus consulté que par les savants qui
s'occupent d'histoire ; mais il est fort peu lu , même dans
ses traductions. Ceux qui ont regretté qu'il n'ait pas écrit
son histoire en français n'ont pas réfléchi qu'alors notre
langue était à peine formée. Théodore de Bèze,d'Aubi-
gné, Duplessis-Mornay , ces contemporains de de Thou,
qui ont donné en français des histoires de leur temps, les-
quelles ne sont assurément pas sans mérite, môme sous le
rapport de la diction, ne sont guère plus lus que lui.
Charles Du Rozom.
THOU (François- Auguste de), fils aîné du précédent,
naquit en 1C07 ; très-jeune encore, il fut nommé grand-
maître de la Bibliothèque du Roi , et se fit aimer des sa-
vants par son esprit , sa douceur, et par cette profonde
érudition qui était héréditaire dans sa famille. Voulant
quitter la robe pour l'administration, il sollicita une inten-
dance d'armée; le refus du cardinal de Richelieu le jeta
dans le parti de l'opposition. Il prit l'épée , et, s'attachant
à la cour sans emploi , il devint l'ami et le confident de
Cinq-Mars. Nous renverrons aux articles consacrés
dans ce Dictionnaire à ce favori de Louis XIII, à Laubau-
DEMOST et au cardinal de Richelieu, pour les détails de la
conspiration dont l'infortuné de Thou fut à la fois le con-
fident, le désapprobateur et la victime. On a dit que Riche-
lieu, ministre, avait été charmé de se venger sur François-
Auguste de Thou de ce que le père de celui-ci avait dit,
dans son histoire , à l'année 1560, d'un des grands-oncles
du cardinal, qu'il s'était souillé de tous les genres d'excès et
de débauches. « De Thou le père a mis mon nom dans son
histoire, dit Richelieu, je mettrai le fils dans la mienne. »
THOUARS. Foyes SÈVRES (Département des Deux-).
THOUARS (Les ducs de). Voyez. La Trémoille.
THOUGS et mieux THAGS. On appelleainsi les brigands
répandus depuis plusieurs siècles dans toute l'Inde, exerçant
leur métier de père eu fils , et formant une espèce de con-
frérie qui a ses usages sacrés et dont les affreuses pratiques
constituent tout un système. Comme ils ne se défont de leurs
Tictiines qu'en les étranglant, on les appelle aussi Phansi-
gars, de phansi, lacet. Les précautions extrêmes dont ils
s'entourent empêchèrent longtemps de les découvrir, d'au-
tant plus qu'ils se font une loi de ne jamais s'attaquer à des
Européens. C'est seulement en 1831 que le gouverneur gé-
néral de l'Inde, lord William Bentink, prit des mesures éner-
giques contre les thougs, et dès le mois d'octobre 1835
quinze cent soixante-deux individus avaient été condamnés
comme thougs. Le gouvernement fit rédiger à l'usage des
fonctionnaires de l'ordre judiciaire l'ouvrage intitulé Ra-
maseiana, or a vocabulary of the peculiar language
used by the Thugs (Calcutta, 1836), qui contient de pré-
cieux renseignements sur la vie et les habitudes des thougs.
Des Hindous de toutes castes et des mahométans de toutes
les sectes en font partie. Ils parlent l'hindoustani, et ils don-
nent le nom de ramasi à leurs locutions particulières. Chez
oux, ils pratiquent l'agriculture et exercent des métiers. Dans
leurs expéditions , ils sont dirigés par un chef (Dschema-
dar). Quand ils se préparent à quelque expédition, ils com-
mencent par consacrer une hache comme une espèce de
palladium sacré. Diverses cérémonies président déjà à la
confection de cet instrument. Ce palladium , une fois qu'il a
été consacré suivant les formalités voulues , est confié à un
homme prudent et courageux entre tous. Mais avant de
pouvoir commencer l'expédition , il faut consulter les pré-
sages ; car un thug n'entreprendra jamais rien s'ils ne lui
sont pas favorables. C'est la besogne des dévins, qui déci-
dent aussi de la direction que doit suivre l'expédition.
Quand elle est nombreuse, les thougs voyagent par petits
détachements en suivant des routes parallèles , comme fe-
raient des voyageurs ordinaires ; et presque tous prennent le
costume de pèlerins , de marchands ou encore de soldats ,
selon qu'ils croient qu'il leur sera plus facile d'inspirer de la
confiance. Ils ont partout des espions pour leur donner des
renseignements sur les voyageurs, leurs habitudes, la
durée et la direction de leur voyage, et surtout ce qu'ils em-
portent avec eux. Us se lient alors avec le voyageur; puis en
route, à un signal donné par le chef, on lui passe tout à
coup encheminantle lacet autour du cou, et le malheureux
tombe sans vie à terre. S'il y a plusieurs voyageurs en-
semble, ils sont tous étranglés en même temps. Le cadavre
de la victime est aussitôt enterré. Le partage du butin prouve
que la manière d'agir des thougs n'est pas du brigandage
ordinaire, mais constitue tout un système religieux. On com-
mence en effet par mettre de côté la part afférant aux veuves
et aux orphelins, puis celle des frais du culte. Ce n'est qu'a-
près cela que le partage a lieu entre les intéressés. On em-
ploie pour se défaire du butin autant de précautions que pour
l'acquérir. La vente ne s'en opère qu'à des distances fort
éloignées de l'endroit où a eu lieu l'assassinat. Les thougs
observent entre eux une certaine hiérarchie. Le thoug com-
mence par êtred'abord d'espion, ildevientensuiteensevelis-
seur des morts, puis scAamsia, teneur de bras, et enfin
barthote, étrangleur. Après chaque assassinat les thougs
participent à une espèce de sacrement. On trouve les pre-
mières traces de l'existence des thougs sous les empereurs
mahométans de Delhi, au douzième siècle. Eux-mêmes
prétendent que toutes leurs pratiques se trouvent déjà repré-
sentées sur les antiques monuments d'Ellora, et ils ratta-
chent leur origine aux principaux mythes de leur nation. Les
pratiques religieuses qui accompagnent l'exercice de son exé-
crable métier donneraient à penser que le thoug considère
l'homme qu'il dévoue à la mort du môme point de vue que
le prêtre de la divinité l'animal qu'il lui immole en sacrifice.
THOUIJX (André), né le 10 février 1747, au Jardin des
Plantes de Paris, où son père remplissait les fonctions de
jardinier en chef, devenues en quelque sorte héréditaires
dans cette famille, éveilla très-jeune encore l'attention de
Buffon et de Jussieu. Il n'avait que dix-sept ans lorsqu'il
eut le malheur de perdre son père : aussi les ministres, en
raison de son extrême jeunesse, hésitaient-ils à lui confier
l'emploi devenu vacant ; mais Buffon et Jussieu se portèrent
garants deleur jeune protégé, qui ensuite justifia pleinement
sous tous les rapports leur confiance. En 1793 ilfut appelé
à occuper la chaire de culture créée près le Muséum d'His-
toire naturelle. Les divers articles de VEncyclopédie mé-
thodique et du Nouveau Dictionnaire d' Histoire-naturelle
de Déterville, relatifs à l'horticulture, sont de lui. Jusqu'à
sa mort, arrivée le 27 octobre 1823 , il conserva l'innocence
et la simplicité de mœurs que son ami J.-J. Rousseau admi-
rait tant en lui.
THOURET (Jacques-Guillaume) , membre de l'Assem-
blée constituante, naquit en 1746, à Pont-l'Évèque , et était
depuis plus de vingt-cinq ans l'une des notabilités du bar-
reau de Rouen, lorsqu'en 1789, les électeurs de cette ville
le nommèrent leur représentant aux états généraux. Il
combattit la proposition qui y fut faite de prendre la quali-
fication Assemblée nationale, et n'en obtint pas moins de
ses collègues les honneurs de la présidence. Avec Mirabeau
5T6
THOURET — THRASYBULE
II fut l'un des défenseurs du droit de veto, que la constitution
qu'on discutait devait accorder au pouvoir royal. C'est sur
son rapport que fut adoptée la nouvelle division du terri-
toire de la France en départements. L'Assemblée lui confia
spécialement la mission d'organiser le nouvel ordre judi-
ciaire qu'il s'agissait de substituer aux anciens parlements.
La France lui doit en outre l'institution du jury en matières
criminelles et la création des justices de paix. Il est peu de
grandes discussions où Thouret n'ait pris la parole. C'estainsi
qu'il combattit la proposition de déclarer les membres de l'As-
semblée nonrééligibles; et la sagesse de son opinion, qui ne
prévalut malheureusement pas, ne tarda point à être démon-
trée par les événements. Il venait d'être pour la quatrième
fois appelé aux lionneurs de la présidence, lorsqu'il fit la
clôture de la longue session de l'Assemblée constituante,
après avoir reçu du roi leserment d'être fidèle à la constitution.
Il fut alors nommé président du tribunal de cassation ; deux
ans après, sous le règne de la terreur, il fut incarcéré
comme suspoct àHricivismeet détenu pendant plusieurs mois
au Luxembourg, C'est là qu'il composa, d'après Dubos et
Mably et pour l'instruction de son fils, un Abrégé des Révo-
lutions de Vancien gouvernement français, qui (ut imprimé
en 1800. Malgré les gages nombreux et éclatants qu'il avait
donnés à la révolution , Thouret ne sortit de prison que pour
monter sur l'échafaud (22 avril 1794).
THRACE. On nommait ainsi dans l'antiquité la plus
reculée toute la contrée du nord située an delà de la Ma-
cédoine, et on se la représentait comme un pays monta-
gneux et riche en fer. Plus tard on restreignit cette appella-
tion à la contrée située au-dessus et à l'est de la Macé-
doine , bornée à l'est par la mer Noire , au sud par la mer
Egée et la Propontide, et s'étendant au nord jusqu'au mont
Hœmus. C'était un pays riche en métaux et même assez fer-
tile dans quelques parties; aussi les chevaux et les cavaliers
de la Thrace rivalisaient-ils avec ceux de la Thessalie.
Indépendamment du mont Haemus {voyez Balran), il faut
menlionner l'une de ses ramifications , le mont Rhodope
(appelé aujourd'hui Despote- Dag h), et le Pangaeus (au-
jourd'hui Castagnatz), célèbre par ses mines d'or et d'ar-
gent, et parmi ses cours d'eau l'Hebrus (aujourd'hui Ma-
rizza). Les villes les plus remarquables étaient Adéra,
Sestossur l'Hellespont (aujourd'hui Jafowa), iEgos-Potamos,
Périnthe , appelée plus tard Héraclée et aujourd'hui Erekli,
mais surtout Byzance, puis au temps de la domination
romaine Andrinople, Trajanopolis etPhiloppopolis (aujour-
d'hui P/îi^ippo^oZi). La Thrace méridionale passait aussi pour
la patrie de la musique et du chant, comme en témoigne
la tradition d'Orphée. Parmi les habitants, outre les Thraccs
proprement dits , qui de bonne heure arrivèrent à un cer-
tain degré de civilisation , il y avait diverses peuplades gros-
sières et belliqueuses , notamment les Triballes à l'ouest ,
dans la S e r b i e actuelle et une partie delà Bulgarie; sur la
côte, les Gètes, au nord les Mysiens et sur le mont Hebrus
les Odryses. Darius subjugua quelques-unes de ces peupla-
des; et plus tard d'autres furent transportées en Asie. Quand,
à la suite de la déroute essuyée en Grèce par Xerxès , qui
en envahissant la Grèce avait passé une grande revue de
son armée dans les plaines de Doriscus en Thrace , les Per-
ses évacuèrent cette contrée, le royaume des Odryses s'y
constitua , et en vint bientôt à s'étendre jusqu'à Ylster ou
Danube et à son aflluent l'Œscus (aujourd'hui Isker) ; tan-
dis que le royaume des Bessiens, dans le mont Rhodope,
ainsi que les tribus habitant à l'ouest les bords du Stry-
mon et du Nestus, et toute la côte méridionale, furent
réunis dès le règne de Philippe l" à la Macédoine. Même
après la mort d'Alexandre, la Thrace, où régnait Lysima-
que, ne se composait que du territoire des côtes, tandis
qu'à l'intérieur les Odryses se maintenaient indépendants ;
et c'est après avoir passagèrement appartenu aux Gaulois
arrivés de l'ouest, dont le royaume, appelé Thulaon Tylis,
situé sur les rives du bas Danube, et qui dura de l'an 275 à l'an
3SiQ ./iY.,J.tC', comprenait tout le pays situé au sud du
mont Haemus, que cette contrée fut alors désignée de pré-
férence sous ce nom de Thrace. Quand les Romains eurent
conquis la Macédoine, ils ne pouvaient manquer d'avoir
bientôt à se défendre contre les populations Ihraces. Ce fut
seulement vers l'an 80 que la Thrace se trouva domptée par
eux; mais elle conserva encore plus d'un siècle un semblant
d'indépendance. Sa soumission absolue ne date que de l'an 26
de notre ère , et ce ne fut que sous le règne de Vespasien
qu'elle fut formellement organisée en province. Par la suite,
la Thrace partagea les destinées de la Grèce , et elle fut sub-
juguée au quatorzième et au quinzième siècle par les Turcs,
qui la possèdent depuis lors sous le nom de Rum-Ili ou
Roumélie.
Les anciens donnaient le nomde 5o5p A ore de Thrace
au détroit de Constantinople, et celui de Chersonnèse de
Thrace ou tout simplement àaC her sonnés e k\?L pres-
qu'île de la Thrace qui s'étend au sud-ouest entre la Propon-
tide, l'Hellespont et le golfe Mêlas, c'est-à-dire la mer ac-
tuelle de Marmara, le détroit des Dardanelles et le golfe de
Saros , aussi appelé du nom d'une îlot qui s'y trouve au
fond et d'un fleuve qui y a son embouchure. Dans celte di-
rection, sa longueur est d'environ 120 kilomètres; et sa lar-
geur, qui près de l'isthme n'est guère de plus de 7 kilomètres,
va dans d'autres endroits jusqu'à 20 kilomètres. C'est ce
qu'on appelle aujourd'hui la presç'jt'î/e des Dardanelles ,
ou encore la presqu^le de Romaine ou de Gallipoli , et
en turc Aktsché-Owassi.
Gallipoli, en turc Gelibolu ou Galiboli, est un port
avec citadelle sur le détroit des Dardanelles, siège de sand-
jack et d'évêché, avec 20,000 habitants, un commerce con-
sidérable, de riches bazars et de célèbres fabriques de maro-
quin. On l'appelait dans l'antiquité Callipolis, et c'était une
des nombreuses colonies grecques dont la Chersonnèse était
alors couverte. L'Athénien Milliade, contemporain de Pisis-
trate , pour se faire une place de sûreté contre les caprices
de la multitude, toujours jalouse de ce qui s'élève au-dessus
d'elle , s'empara de la presqu'île après en avoir chassé les
Thraces, et la défendit au moyen d'un mur construit sur
l'isthme. Elle passa ensuite sous la domination du fils de son
frère, le Miltiade vainqueur de Marathon. Après l'expul-
sion des Perses, qui s'en étaient emparés, elle appartint à
Athènes. Alcibiade l'habitait au temps delà bataille d'Jîgos-
Potamos. Plus tard , en l'an 397 , le spartiale Dercyllidas
construisit aussi sur l'isthme une muraille appelée Makron-
tichos, c'est-à-dire long mur, ou encore Hexamilon. La
ville de Gallipoli fut la première ville d'Europe . dont les
Turcs parvinrent à se rendre maîtres, en l'an 1357. Le 19
septembre de l'année précédente, ils étaient pour la première
fois débarqués à Tzympé , petite place fortifiée située à en-
viron 5 kilomètres de la ville et appelée aujourd'hui Dsche-
menlik ou Tschini. Vers la mi-juin de l'année 1853, les
flottes combinées de France et d'Angleterre, abandonnant la
baie de Besika {voyez Tenedos), vinrent mouiller devant
Gallipoli. Le débarquement des troupes auxiliaires mises à
la disposition du sultan contre les Russes s'y effectua dans"
le courant du printemps et de l'été de 1854. Elles y établi-
rent un camp, et eurent bientôt donné à la ville une tout au-
tre physionomie. Elles la fortifièrent, notamment par la cons-
truction de trois forts nouveaux , et barrèrent également
l'isthme par un retranchement allant d'une rive de là mer à
l'autre.
THRASYBULE, général athénien, aussi distingué par
son patriotisme que par son désintéressement, rendit à sa
patrie le signalé service de renverser, en l'an 401 av. J.-C,
le gouvernement des trente tyrans, régime déterrent im-
posé à Athènes par les Spartiates à la suite de la malheu-
reuse issue de la guerre du Péloponnèse. Un grand nombre
d'Athéniens, fuyant l'oppression sanguinaire sous laquelle
gémissait leur patrie , étaient allés demander asile aux Thé-
bains. Un millier de ces réfugiés, partis de Thèbes sous la
conduite de Thrasybule, s'emparèrent d'abord de Phylé,
place située sur la frontière de l'Attique, et bientôt du Pirée,
THRASYBULE — THUN
577
où les trente tyrans essuyèrent une défaite complète, à la
suite de laquelle force fut à la plupart de se réfugier à Eleu-
sis. Dix oligarques, soutenus par Lysandre, furent char-
gés de rétablir à Athènes le gouvernement despotique. Mais
le roi de Sparte Pausanias , appelé aussi à faire partie de
l'expédition, jaloux de la gloire de Lysandre, négocia avec
Thrasybule, le réconcilia avec les Spartiates, et conclut la
paix entre les deux républiques. On supprima alors les
Trente et les Dix; et à une démocratie effrénée on substi-
tua le régime des lois de Solon, modifiées conformément à
l'esprit du temps. Mais en dépit des efforts de Thrasybule
pour rendre à sa pairie son ancienne prospérité, les nou-
velles institutions n'y furent que des formes sans vie. Plus
tard Thrasybule seconda les Thébains dans leur lutte contre
les Spartiates, et força Pausanias à conclure une trêve,
puis à évacuer la Béotie. Il fut tué, en l'an 390 av. J.-C,
par les habitants d'Aspendus, révoltés, dans une guerre
contre Rhodes, à la suite de plusieurs conquêtes.
THRASYMEIVE. Foye- Trasimène.
THRIDACE. Voyez Tridace.
THUCYDIDE, le plus grand de tous les historiens de
la Grèce, naquit à Athènes, en l'an 474 av. J.-C. Par sou
père, Ciorus, il descendait de Miltiade et de Cimon. Il se
maria, en Thrace, à une femme qui n'est point nommée,
mais qui lui apporta en dot des mines d'or, et dont il eut
un fils appelé Timothée. Le futur historien avait quinze ans
lorsque, assistant aux jeux olympiques, il versa des larmes
d'admiration à la lecture de plusieurs fragments des écrits
d'Hérodote. Quoiqu'il eût reçu dans sa jeunesse des leçons
d'éloquence de l'orateur Antiphon, nous ne voyons pas qu'il
se soit produit au barreau ni sur la place publique .• c'est
l'opinion de Cicéron. Les honneurs d'un commandement
militaire semblent lui avoir été déférés, puisque lui-même
raconte que, possédant et exploitant des mines d'or en
Thrace (ce qui le rendait l'un des plus riches citoyens du
eontinent), il reçut à Thaos , au début de la guerre du Pé-
loponnèse dont il devait devenir l'historien, l'ordre de cou-
rir au secours d'Amphipolis, menacée par le général lacé-
démonien Brasidas. Il ne réussit pas à la sauver, et ce
non-succès lui valut l'exil : sa conduite, dans celte circons-
tance délicate , n'a jamais pu être bien appréciée. Les uns
l'ont accusé de lenteur et d'indifférence , les autres sontallés
jusqu'à parler de vénalité; mais les Athéniens ont prouvé
plus d'une fois qu'un échec était un crime à leurs yeux.
Condamnée l'exil, Thucydide demeura vingt ans absent de
sa patrie. Il se relira d'abord dans l'Ile d'Égiae, oii la ca-
lomnie ne cessa pas de le poursuivre. Marceliin prétend
qu'il y prêtait son argent à de très-gros intérêts, et que
par ce moyen, peu honorable, il grossit considérablement
ses capitaux. TImcydide habita assez longtemps chez les
Lacédémoniens; et, soit que son esprit rigide ressentît une
sorte de sympathie pour ce peuple encore imprégné de
l'austérité de Lycurgue , soit que le ressentiment de l'exil
ait influé sur le langage de l'historien, il faut bien recon-
uaitre chez lui une tendance habituelle à parler des Lacé-
démoniens avec estime et réserve , à relever au contraire
les commérages de Vagora et les intrigues d'Athènes avec
une grave et sévère amertume.
Du reste, Thucydide employa tous les moyens pour com-
poser une œuvre solide et authentique. Dès le principe de
ces dissensions qui divisèrent la Grèce eu deux camps, il
sentit l'importance de la lutte, conçut le projet de l'étudier,
de la suivre dans sa marche , et d'en tracer un tableau vé-
ridique. Peines, argent, voyages, rien ne lui coûta : les
loisirs de l'exil furent employés à chercher la vérité et à
décrire sous l'inlluence directe de lumières puisées à toutes
les sources , et au sein des deux partis. Il ne paraît pas
avoir divisé lui-même son histoire par livres, et cette di-
vision n'a pas toujours été la même. Diodore de Sicile la
suppose en huit livres , et observe qu'on en compte quelque-
fois neuf; d'autres ont porté ce nombre à treize. Thucydide
.se contenta de diviser les années de cette guerre en deux
DICT. DE LA CONVERS. — T. XVI.
saisons: l'été (à partir de l'équinoxe d'hiver à celui d'av-
tomne) et l'hiver (à partir de l'équinoxed'automne jusqu'au
retour de l'autre), et de consigner ces espèces d'annales ou
mémoires historiques dans leur ordre naturel La rédaction
de son livre parait dater de l'an 43 1 ; mais il n'a [)as achevé
l'histoire de< vingt-sept années de cette guerre, quoique,
dans son cinquième livre, il déclare avoir traité l'ensemble
de la guerre du Péloponnèse : c'est que la mort a surpris
l'écrivain avant qu'il eût mis la dernière main a sun œuvre.
Quelques anciens, Diogène de Laerle entre autres, affir-
ment qu'après la mort lie 'Ihucydide, arrivée en 471, ce
fut Xénophon qui fut l'éditeur de ses œuvres. Ce qui pa-
raît certain, c'est que Thucydide n'avait pas écrit au delà
du huitième livre, idée (acile à admettre en considérant la
faiblesse de ce huitième livre , et que Xénophon s'établit son
continuateur.
Thucydide, après son retour d'exil, fit sans doute d'A-
thènes en Thrace un court voyage. Revenu dans sa patrie,
il périt assassiné, l'an 422 av. J.-C. Thucydide, en donnant
à l'histoire une physionomie nouvelle, conçut aussi l'idée
d'y introduire les harangues, évidemment composées en
partie de l'esprit des paroles proférées par les personnages,
et en grande partie aussi du développement des pensées
que l'écrivain puisait dans sts propres inductions, dans son
imagination, pour faire ressortir la politique de ses person-
nages, compléter le tableau et mettre plus à jour la série
des événements. Ce système de harangues a été imité par
Tite Live et Tacite , qui n'ont pas procédé autrement. Pour
l'ordinaire , ces discours sont trop dans le style propre de
l'auteur, et décèlent un esprit qui s'évertue à faire jaillir
d'une situation politique tous les sentiments et toutes les
pensées qu'elle doit inspirer. Ce sont des pièces d'éloquence
presque toujours travaillées avec un soin particulier; elles
dramatisent le récit; et si l'on a remarqué qu'en général
l'histoire chez les anciens est plus descriptive et chez les
modernes plus raisonneuse, les premiers se dédomma-
geaient de la simplicité de leur narration parle luxe étudié
des harangues qu'ils y introduisaient. Si Périclès avait vécu
assez longtemps pour lire l'histoire de Thucydide, il est
probable qu'il n'eût pas retrouvé textuellement l'oraison
funèbre qu'il avait prononcée en l'honneur des guerriers
morts dans les combats; mais il aurait su un gré infini à
Thucydide d'avoir ainsi compris et complité sa pensée, f^e
discours d'Archidamus , ime foule d'autres, sont des chefs-
d'œuvre de dialectique et d'éloquence. La description de la
peste d'Athènes est un morceau où le génie d'Hippocrate et
celui d'un grand moraliste semblent se concentrer.
F. Gail.
THUGS. Voyez Tuougs.
THULÉ. Les anciens désignaient sous ce nom général
l'extrémité septentrionale de ce qu'ils connaissaient de l'Eu-
rope. D'abord ils y rattachèrent une foule de récits fabu-
leux ; mais plus tard ils essayèrent à diverses é|»oques d'en
déterminer d'une manière plus précise la situation géogra-
phique. La plupart des auteurs croient que par la ils dési-
gnaient Matnland , la plus grande des îles Shetland ; d'au-
tres pensent que l'antique Thulé était soit l'islatde, soit la
Norvège.
THUMMIM. Voyez Pontife, tome xiv, p. 750.
THtiiX, ville du Canton de Berne (Suisse), sit iée à peu
dedistance de l'endroit où l'Aar s'échappe du lac de Thun,a
l'entrée de l'Oberland bernois, dans une ravissante contrée,
avec 3,380 habitants et quelques édifices remarquables. La
vue qu'on y découvre du cimetière est surtout délicieuse.
C'est à Thun que se trouve l'école militaire de la Confé'dé-
ration.
LeZac de 7^Mn, appelé autrefois lacWendel, situé à 582
mètres au-dessus du niveau de la mer, et parcouru par de
nombreux bateaux à vapeur, est relié par l'Aar au lac de
Brienz , qui n'en est éloigné que d'une heure de marche. Il
a environ 2 myriamètres de long dans la direction du sud-
est au nord-est , trois kilomètres de large, et jusqu'à 240
578 THUN —
mètres de profondeur. Son principal affluent au sud-est est la
Siminen reunie à la Kander. La navigation y est importante.
Rien de gracieux conaine les rives du lac, surtout du côté
de Tliun, où elles sont couronnées par une suite non inter-
rompue de maisons de campagne et de villages; et les ma-
jestueuses montagnes de l'Oberland et du Valais bornent au
loin l'horizon.
TIIURGOVIE, en allemand Thnrgau , Canton du
nord-est de la Suisse, situé près du lac de Constance et du
Rhin, et traversé en grande partie parla Thur, compte sur
une superficie de It myriam. carr. une population de 88,908
habitants, parlant allemand, dont 21,920 catholiques, et le
reste réformés. Au moyen âge on comprenait sous ce nom de
Thiirgau toute la partie nord-est de la Suisse située à l'est de
l'Argovie et au nord de la Rliétie, ef qui pendant long-
temps (ut administrée pour l'empereur par les ducs de
ZEeliringen. A l'extincfion de celte lamille, plusieurs seigneurs
se pailagèrent la contrée. La maison de Habsbourg, entre
autres, possédait la plus grande partie du Canton actuel de
Thurgovie; mais elle la perdit dans ses guerres contre les
Confédérés , qui à partir de 1460 possédèrent ce pays en toute
propriété et le fueut administrer par des baillis. En revanche,
l'Autriche s'empara de la capitale du T/iwgau, Cons-
tance, jusque alors ville libre impériale , et l'incorpora à
ses autres possessions allemandes. Après 'a dissolution de
l'ancienne Confédération, en 1798, on forma avec les bail-
liages du Tfmryau l'un des dix-huit Cantons de la répu-
blique Helvétique. Lors de la mise en vigueur de la constitu-
tion de 1803, le Thnrgau ovi Thurgovie obtint les droits de
Canton indépendant. La constitution démocratique et repré-
sentative du 14 avril 1831 fut révisée en 1837, puis en IS48.
A la tête de la puissance législative se trouve placé un grand
conseil, élu dans trente-deux assemblées de cercle (à raison
d'un député par deux cent vingt citoyens actifs). Les
projets de loi votés par le grand conseil restent soimiis
pendant un délai de quarante jours au veto du peuple. Le
ponvoirexécutif est confié à un petit conseil de sept membres
élus par le grand conseil. Les fmances du Canton .sont dans
un état florissant. Une banque hypothécaire y a été créée en
1851, avec droit pour les emprunteurs de se libérer par
à-comptes partiels. On y a aussi beaucoup fait pour l'ins-
truction publique, notamment par la création d'une nou-
velle école de Canton.
Le territoire de Thurgovie, qui va en s'inclinant insen-
siblement vers le lac Constance et vers le Rhin , est un des
plus agréables et des plus fertiles de la Confédération. Tout
ce pays n'est pour ainsi dire qu'un immense jardin fruitier,
interrompu quelquefois par des habitations, des bois et des
vignobles , et animé souvent par de beaux points de vue sur
le lac. Le climat est tempéré, la vigne réussit presque par-
tout Le vin, les fruits secs, l'avoine, les bestiaux et les toiles
constituent les principaux articles d'exportation. Le Can-
ton de Thurgovie commence à devenir montagneux dès son
extrême frontière, près de Toggenburg; et là sa crête la plus
haute, \epicd'Hœrnli, s'élève à 7j3 mètres au-dessus du lac
Constance, ou 1173 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Frauenfeld, avec 3,444 habitants, est le siège du gouver-
nement. Il faut encore visiter l'abbaye des bénédictins de
Fisc/ringen, avec une église remarquable; les ruines d'Alt-
Toggenbnry , célèbres par la comtesse Ida de Toggenbur"
qui fit un jour précipiter son mari du haut des murailles de
ce manoir ; et surtout les délicieuses rives du lac Cons'ance
et du lac Inférieur, toutes couvertes de villages, de mai-
sons de campagne et de châteaux, séjour favori d'une foule
d'étrangers désireux de prolonger leur séjour eu Suisse.
THURIIVGE, Thuringen, nom que porte encore au-
jourd'hui la contrée de la haute Saxe située entre la Werra,
laSaale, le Harz et le T huringerwald. Le territoire
des anciens Thuringiens , dont il est pour la première fois
fait mention au cinquième siècle par Vegelius Renafus, qui
Tantfe leurs chevaux, s'étendait plus loin. Ces Thuringiens
étaient très-vraisemblablement les descendants des anciens
THUFiOdZ
Hermundures. 'V^ers le milieu du cinquième siècle, ils fij^u-
rent au nombre des auxiliaires d'Attila. On n'a d'ailleurs que
des renseignements très-bornés et très-vagues sur riiistoire
de cette nation. Grégoire de Tours mentionne un roi des
Thuringiens appelé Rasinus, dont l'épouse nommée Rasina,
se réfugia auprès du roi frankChildériceteut deluiChlodurg.
! Un intervalle de près de cinq cents ans s'écoule ensuite sans
offrir autre chose qu'une continuelle succession de luttes in-
testines ou bien de guerres contre les Slaves. En 982, sous les
empereurs Othon V et Othon II, il est question de margraves
de Thuringe, Gunfher et ensuite son fils Eckard. Ce dernier
visait à la dignité de duc , lorsqu'il périt assassiné, en 1002.
Le comteGuillaume 1^'' de Weimar se trouva alors le prince
le plus puissant de la Thuringe; et à sa demande l'empereur
Henri II, élu après la mort d'Othon II, consentit à faire
remise aux Thuringiens du tiibut annuel de 500 porcs que
depuis leur conquête par le roi Théodoric V ils avaient été
obligés de livrer pour le service des cuisines impériales.
Lors de l'extinction de la maison impériale de Saxe, les liens
qui rattachaient la Thuringe à l'empereur s'affaiblirent de
plus en plus. En 1 130, l'empereur Lothaire donna le titre de
layidgrave de Thuringe à Louis, fils de Louis le Sauteur,
mort en 112S à l'abbaye de Reinhardbrunn, où il avait pris
l'habit de moine. Sa descendance s'éteignit en i'an 1247, et
la Thuringe passa alors sous la domination de Henri l'Il-
lustre, de la maison de Wettin, à qui l'empereur Fré-
déric II en avait accordé cinq ans auparavant l'hérédité
éventuelle. Les descendants de Henri l'Illustre en conser-
vèrent la possession jusqu'en 1482, époque où eut lieu la di-
vision de la maison de Wettin en deux branches, la branche
albertine et la branche ernestine, qui depuis lors ont formé
les deux lignes de la maison de Saxe.
THURINGERWALD, forêt de Thuringe, mon-
tagne considérable et très-boisée de l'Allemagne centrale,
située au sud-est à\x F ichtely ebirg e, dont elle forme le
prolongement. Une route praticable aux voitures, dite le
Rennstelg , se prolonge sur toute l'étendue de la crête de
cette montagne jusqu'à la Saale , en ne touchant qu'un
petit nombre de lieux habités, et forme l'antique délimita-
tion de la Franconie et de la Thuringe. Ses points culmi-
nants sont le Schneekopf, haut de 1,036 mètres; le Grand
Beerberg , haut de 1,047 mè:{ves;V Inselberg^ haut de982
ii.ètres, qu'on découvre de presque tous les points delà
Thuiingo, et le Finsterberg , haut de 978 mètres. Le
point habité le plus élevé (961 mètres) est le Viehhaus
( chalet aux bestiaux ) , sur le Schmucke. Les versants de
cette montagne offrent les vallées les plus pittoresques et
les plus riches. L'industrie des métaux, l'exploitation des
bois et l'éducation du bétail forment l'industrie principale
des habitants de la Forêt de Thuringe. Le fer est le métal
qu'on y rencontre en plus d'abondance; les roches les
plus communes sont le granit, le porphyre et les schistes
argileux. Quelques-uns des torrents du Thuringerwald rou-
lent du sable aurifère. Un grand nombre de cours d'eau de
l'Allemagne centrale y prennent leur source, notamment
la Géra, la Wipper, l'Ilm, la Schwarza, la Loquiz, la
Rodach, l'Haslach,ritz, laWerra, etc. Le Thuringei'wald
est partagé entre les ducs de Weimar, de Meiningen, de
Cobourg-Gotha, la Prusse, les princes de Schwartzbourg
et de Reuss , et l'électeur de Hesse. Au moyen âge, des
Slaves venus de la Bohême et du Voigtiand s'étaient établis
dans la partie orientale du Thuringerwald, et lui avaient
imposé le nom de Loibe ou Leibe.
TI1UUI\GIENS, habitants delà Thuringe.
THCRI\ Ui\D TAXIS. Voyez Tour et Taxis.
THUROCZ, le plus petit comitatde la Hongrie, dans
le district de Presbourg, compte, sur une superficie d'envi-
ron f4 myriam. carrés, une population de 40,752 habitants.
C'est une contrée onduleuse, entourée de tous côtés par le
mont Fatsa et d'autres ramifications des Karpathes , fertile,
avec un climat froid mais sain. Elle a pour chef-lieu Szent-
Marton,m slave Svaty Martin, bourg de 1,200 habitants,
THUROCZ — TIBERE
£79
sur laThnrocz, avec «ne église catholique et une église |
protestante, une synagogue et un bel hôtel du comitat. j
THUSNELDA, épouse d'Arininius ou Hermann, :
prince des Chérusques.
THUYA, genre d'arbres de la famille des conifères, i
Quoique tous les tiiuyas soient exotiques, ils sont aujour- ,
d'Iiui si bien accliuiatés en Europe qu'on les y traite comme
des plantes indigènes. Ils sont reconnaissables à leur port
pyramidal, à leurs ramules grêles, distiques, aplatis, re-
couverts de très-petites feuilles imbriquées et persistantes.
Le thuya du Canada {thuya occïdentaiïs, L.), ori-
ginaire du Canada , et dont le premier échantillon intro-
duit en Europe fut offert à François 1", peut s'élever jus-
qu'à une hauteur de seize mètres, mais ne croît qu'avec
une extrême lenteur et se plait surtout dans les endroits
humides et marécageux. Comme l'if, il prend toutes les con-
tiguratious qu'on veut lui donner. Ce qui le rend toujours
précieux, c'est la faculté de résister longtemps à la décom-
position et à la pourriture; aussi l'emploie-t-on habituelle-
ment à conlectiouner les pieux, et les barres des clôtures
provisoires qu'on établit autour des propriétés. On le nomme
vulgairement arbre de vie.
Le thuya de la Chine ( thuya orientalis, L.) possède à
peu près les mêmes qualités que l'espèce précédente. Il est
très-propre à faire des palissades et des clôtures, et doué
d'une grande force de végétation , quoique dans nos climats
il ne s'élève guère à plus de six ou se|)t mètres.
TH Y ADES ( deôudcç, furieux), surnom desBacchan-
tes, parce que dans les orgies elles s'agitaient comme des lu-
rieuses. Voyez MÉNADES.
THYESTE, Hls de Pélops et d'Hippodamie, et
frère d'Atrée {voyez Égisthe).
THYM, genre de plantes de la didynamie gymnosperme
et de la famille des labiées. On en compte plus de vingt es-
pèces. Nous n'en mentionnerons ici que trois, à cause de
leur importance.
Le thym serpolet ( thymus serplllum, L. ) , ou seulement
serpolet , croit en Europe, dans les terrains secs, sur les
montagnes, garde toujours sa verdure et llpurit dans la plus
grande partie de l'été; ses tiges sont ligneuses, rameuses,
plus ou moins velues, rampantes. Ou remarque surtout une
de ses variétés qu'on appelle à odeur de citron. Cette plante
forme de charmants gazons, d'une odeur très suave. Elle a
les mêmes propriétés économiques et médicinales que le
thym commun. Les brebis le recherchent beaucoup.
La thym commun ou cultivé {thymus vulgaris, L.)
aies tiges droites, rameuses, un peu velues et de quinze
à vingt centimètres de hauteur; les feuilles opposées, ovales,
pétiolées, recourbées, d'un vert cendré, les fleurs rou-
geâtres ou blanchâtres, verticillées. Il en existe plusieurs
variétés , entre autres une à feuilles larges et une à
feuilles panachées. Le thym commim se cultive dans les
jardins à raison de son agréable odeur et de l'élégance de
ses touffes, qui fleurissent la plus grande partie de l'été.
On le plante en bordures, qu'on tond tous les ans après la
fleur, comme le buis. Il se plaît bien dans un terrain maigre,
léger et chaud, et se reproiluit par graines, qu'on sème au
levant, plus ordinairement au commencement du prin-
temps. Ses calices surtout contiennent une huile essen-
tielle, jaune, très-odorante et chargée de camphre, qu'on
fait entrer dans les parfums, qu'on emploie pour l'assaison-
nement des mets et dans la médecine comme stomachique
et carminative. Les abeilles se plaisent à en exprimer les
sucs.
Le thym annuel {thymus ascinos, L.), vulgairement a^)-
çdé petit basilic sauvage, a les racines annuelles; ce qui
lui a fait donner le nom d^annuel. Ses tiges sont grêles,
en partie couchées ; ses feuilles, opposées , ovales , pointues,
dentées et velues ; ses fleurs sont rougeâtres et reunies cinq
et six ensemble dans les aisselles des feuilles supérieures.
11 croit dans les terrains sablonneux et fleurit au milieu de
l'été. Aucun animai ib-raestique ne l'aime. Il a du reste les
mêmes propriétés que les précédents , et atteint une élé-
vation d'environ seize centimètres. P. Gacbert.
TH YMÊLE. Voyez Ouguestre.
THYMUS. Voyez Gl.4NDE.
THYROÏDE (Cartilage). Foj/es Larynx.
THYROÏDE (Glande). Voyez Glande.
THYRSE (du grec eûpiTo; ), javelot ou bâton entouré
de pampre et de lierre , dont les Bacch antes étaient ar-
mées à l'imitation de Bacch us.
TIARE. C'est le nom qu'Hérodote donne à la coiffure
des rois perses; mais aujourd'hui cette dénomination est
spécialement affectée à la triple couronne du pape. Elle
consiste en une mitre élevée , entourée de trois couronnes
superposées {AWe®nmn). Ces couronnes sont ornées de
pierres précieuses et surmontées d'un globe portant une
croix avec des pendants en diamant de chaque côté. A
l'origine, les papes portaient une simple mitre, comme les
autres évêques. On prétend que ce fut Clovis ou même
Constantin le Grand qui fit présent au pape «l'une couronne
d'or, et que celui-ci l'ajouta à sa tiare; mais c'est là une
assertion qui n'est rien moins que prouvée. Suivant les uns,
les papes portaient une simple couronne dès le neuvième
siècle; suivant d'autres, ce fut Alexandre III, mort en
118t, qui le premier ajouta une couronne à la mitre, en signe
de souveraineté. On dit encore que Boniface VIII, mort en
1303, ajouta la deuxième couronne, en signe de la puissance
des papes en matières ecclésiastiques et temporelles, et Clé-
ment V, mort en 1314 , la troisième , pour exprimer le pou-
voir des papes sur l'Église soulfrante, militante et triom-
phante, ou dans les cieux, sur la terre et dans les enfers.
D'après une autre version , les trois couronnes se rapportent
aux trois parties du monde alors connues.
TIARET, chef-lieu de cercle de la province d'Oran,
à 220 kilomètres d'Oran, et t20 kilomètres d'Oran, avec en-
viron 300 habitants.
TIBBAR, poudre d'or servant de monnaie sur la côte
d'Afrique.
TIBBOS (Les), et mieux Tébous, voisins orientaux
des Touariks, et, quoique de race tout à fait différente,
formant la population primitive du Sahara. Ils habitent
la partie orientale du désert, au nord jusqu'à l'oasis de
Koufarah ou de Kebabo; à l'ouest, jusqu'aux frontières
du I^ezzan; au sud , jusqu'à Wadaï dans le Soudan. On
ignore quelle est la délimitation précise de leur territoire
à l'est. Quoique n'appartenant pas à la race nègre, ils
forment cependant eu grandes masses le peuple noir de
l'Afrique le plus avancé vers le nord. C'est une belle race
d'hommes, gaie, spirituelle, à la peau noir foncé, noire
même comme du charbon, et luisante, les uns avec le nez
aquilin, les autres avec le nez retroussé ou bien aplati,,
mais jamais large, des traits agréables, des cheveux cré-
pus et une taille svelte. Leurs voisins les appellent les oiseaux,
à cause de leur extrême mobilité; toutefois, on ne fait pas
l'éloge de leur caractère, et on les représente comme déliants,
cauteleux et fourbes. Leur langue est à peu près inconnue.
TIBÈRE (TIBERIUS Claudius Nero), empereur ro-
main (de l'an 14 à l'an 37 de notre ère), né l'an 42 av. J.-C,
était le fils aîné de Livia Drusilla, issu de son premier ma-
riage avec Tiberius Nero, grand- pontife, duquel elle eut
encore Nero Claudius Drusus, en l'an 38 av. J.-C, époque
où sa beauté fixa l'attention du triumvir Octave, et où son
complaisant mari s'empressa d'user du droit de divorce,
pour fiancer lui-môme sa femme au nouveau maître de
I^ome. Tibère fut élevé avec soin , par un précepteur grec,
sous les yeux d'Octave, qui lui montrait une affection pa-
ternelle. A dix-neuf ans, il fut élevé à la questure. Bientôt
il fit contre les Cantabres, en qualité de tribun militaire,
son apprentissage du métier de la guerre. Appelé ensuite à
commander en chef les légions d'Orient, il restaura Tigrane
sur le trône d'Arménie , et reçut du roi des Parthes humi-
liés les aigles romaines tombées aux mains de cette nation
lors de la défaite de Crassus. Pendant un an il gouverna
37.
580
TIBERE — TIBIA
la partie des Gaules dite la Chevelue, et soumit les Rhètes
et les Vin(l<?liciens dans les Alpes. Eu l'an 13 av. J.-C. il
revêtil pour la première fois le consulat; Livie, qui dès lors
s'elforçait de lui frayer les voies du trône, obtint d'Auguste
qu'il le delenninât à divorcer d'avec sa t'euune, St-piania
Agrippina , (ille d'un premier mariage d'Agrippa, et d'épou-
ser la veuve de celui-ci, Julie, fille de l'empereur. En l'an
12 et en l'an 11 av. J.-C , il fut chargé de réprimer la révolte
des Pannoniens et des Dalmafes. En l'an 8 , où il succéda
en Germanie au commandement exercé par son frère Dru-
sus, qui vint alors à mourir, il transféra les Sicambres sur
le territoire romain. En l'an 6 il oblint la puissance tribuni-
lienne pour cinq ans. Cependant , de l'union d'Agrippa et
de Julie étaient restés deux fils , Caius et Liicius César, à
qui il faut ajouter un troisième, dont e:le était enceinte à
la mort d'Agrippa, et qui reçut le nom d'Agrippa Posthume.
L'affection d'Auguste, leur grand-père, s'était portée sur
les deux premiers, et il les avait adoptés. Soit mécontente-
ment de voir ces deux césars, grandis, se placer chaque
jour davantage entie son beau-père et lui, soit répugnance
pour sa femme Julie, dont les débauches étaient devenues
la fable de Rome, et qui, fille d'Auguste , ne pouvait être
aisément répudiée , ou , ce qui est plus probable , par suite
d'une disgrâce, on le vit tout à coup s'éloigner de Rome
pour vivre en simple particulier dans l'île de Rhodes, s'oc-
cupant de littérature et vivant dans un couunerce intime
avecThrasylhis, célèbre comme philosophe et mathématicien,
et au.ssi comme astrologue. Cet exil se prolongea huit ans ,
pendant lesquels Livie dut se contenter de détruire les
soupçons ombrageux d'Auguste; enlin, elle obtint le retour
du disgracié, qui en l'an 2 av. J.-C. eut la permission de
revenir à Rome La mort de Caïus et, peu après, celle de
Lucius changèrent la position deTibère. Auguste, qui cher-
chait de tous côtés des appuis et des héritiers de son pou-
voir, fut obligé de reporter les yeux sur lui ; il l'adopta
en même temps qu'Agrippa Posthume , ce dernier des fils
que Julie avait eus d'Agrippa. Tibère, revêtu de nouveau
de la puissance iribunitienne, reparut à la tête des légions.
Pendant plusieurs années il déploya de grands talents mili-
taires contre les Germains ainsi qu'eu Pannonie et en Dal-
matie, et releva la réputation des armes romaines, que la
défaite de Varus avait gravement compromise. Après avoir
reçu les honneurs du triomphe, il se rendait en lllyrie,
lorsqu'un courrier vint lui apprendre qu'Auguste était mou-
rant, dans la petite ville de iNole. il y accourut en toute hâle,
et assista aux derniers moments de son beau père. Des me-
.sures furent prises pour retarder la nouvelle de sa mort,
et le jeune Agrippa Posthume, déjà relégué loin de la cour
par les intrigues de Livie, tomba sous le fer d'un centurion ,
dont Tibère eut toutefois l'hypocrisie de condaumer le zèle.
Le sénat, convoqué par Tibère, en .sa qualité de tribun,
reçut lecture du testament d'Auguste, qui dans ce document
n'agissait et ne pouvait agir, d'après la constitution , qu'en
simple particulier et disposait des deux tiers de sa fortune
en faveur de Tibère , mais non de l'empire. Une comédie
fut alors jouée, et le pouvoir d'Auguste offert avec suppli-
cation par le sénat à Tibère, qui déjà s'était mis eu pos-
session du palais, de l.i garde et du trésor (an 14 de J.-C).
11 était âgé de cinquante-six ans. De redoutables soulève-
ments de légions en Germanie et en Pannonie furent étouffés
par Germanicus et par Drusus, qui à cet ellet durent re-
courir à l'emploi des moyens les plus rigoureux. Tacite,
dans les six premiers livres de ses Annales, a admirable-
ment raconté le règne de Tibère. Quoique dès son avène-
ment au trône Tibère eût eu recours à l'emploi de moyens
violents et tyranniques , les premières années de son règne
ne laissèrent pas que d'être une période où il se montra
encore juste et clément. Il ne leva coinplétement le masque
que lorsqu'il devint jaloux delà popularité etde la réputation
de son neveu Germanicus, fils de ce frère Drusus qu'il avait
iadis remplacé dans le commandement en Germanie. Ger-
manicus , envoyé lui-même dans cette contrée par Auguste,
s'y était fait adorer des légions. Tibère s'empressa de le
rappeler et de l'envoyer à la tête des légions d'Orient apaiseï
quelques troubles en Syrie. Ce fut là que, après une heu-
reuse pacification de tous les désordres, il périt empoisonné,
à l'instigation de Cneius Pison , gouverneur de Syrie, et
de sa femme Plancine. Pison, traduit devant le sénat, fut
trouvé mort dans sa prison. La mémoire de Tibère est restée
chargée du double crime d'avoir provoqué l'empoisonnement
de Germanicus et de s'être ensuite débarrassé du complice.
Séjan, préfet du prétoire, parvint à gagner la confiance
de Tibère. Pendant les huit années de sa domination (de
l'an 23 à l'an 31 de J.-C. ), non content de se rendre redou-
table en cantonnant les troupes dans des baraques près de
la ville ( ce que l'on appella Castra Pnetoriana , Camp des
Prétoriens), et de persuader à Tibère de quitter Rome pour
toujours et de se retirer à Caprée,où il se trouverait plus
en sîireté, et où il pourrait avec plus de liberté se livrer
malgré son âge avancé à .son goût pour les plus crapuleuses
débauches, il chercha à s'ouvrir à lui-môme le chemin du
trône par des infamies, des crimes sans nombre, et par
les persécutions qu'il fit éprouver à la famille de Germani-
cus. En l'an 31 la méfiance de Tibère fut enfin éveillée, et
le tyran donna ordre de mettre à mort non-seulement
son perfide ministre , mais même tout ce qui pouvait
être soupçonné avoir entretenu avec lui la moindre
relation. La noble Agrippine, vouvede Germanicus, éprouva
le môme sort deux ans plus tard , avec deux de ses fils.
Enfin, en l'an 37 , Tibère tomba malade pendant une tour-
née qu'il faisait en Campanie , sous prétexte de vouloir
revenir à Rome. On le crut mort, tandis qu'il n'était qu'en
défaillance, et on .s'empressa de proclamer empereur Ca-
1 igula, son arrière-petit-neveu, le compagnon de ses in-
fâmes débauches et qu'il avait désigné lui-même pour son
successeur en l'adoptant. Puis, la nouvelle s'étant répandue
qu'il avait repris connaissance, Macron , successeur de Séjan
le fit étouffer dans son lit, le 16 mars. Tibère était devenu,
dans sa vieillesse, chauve, courbé, maigre et sec. Son vi-
sage, couvert d'emplâtres, à cause des ulcères qui le ron-
geaient, le rendait hideux, et ce fut la , selon Suétone, une
des raisons qui l'obligèrent à quitter Rome. Caligula eut
bientôt dissipé le trésor que son père adoptif était parvenu
à amasser grâce à sa rigide économie ainsi qu'à l'ordre qu'il
avait établi dans l'administration des finances, trésor qui, dit-
on, ne s'élevai'i pas à mjins de 400 millions de notre mon-
naie.
TIBERIADE, ville jadis importante et célèbre de la
province lie Ga lilée, en Palestine, sur la rive méridionale
du lac de Genézarelb, appelé aussi à cause de cela lac de
Tibériade, fondée dans la première moitié du premier
siècle de notre ère, par Hérode Agrippa, en l'honneur de
Tibère. Lorsque Vespasien vint en Palestine comprimer la
révolte des Juifs, Tibériade ne tarda pas à être prise et
en partie saccagée par les Romains. Après la ruine de Jé-
rusalem , elle se releva peu à peu ; et après la chute de
l'empire romain elle fut pendant plusieurs siècles le siège
d'une célèbre académie juive. A l'époque des croisades, elle
acquit une importance foute particulière, car on la consi-
dérait comme le plus solide boulevart des croisés; et au
commencement du douzième siècle, Tancrède y fonda
une principauté indépendante. Mais le 4 juillet 1187 les
chrétiens lurent complètement mis en déroute sous les
ir.urs de Tibériade par Saladin ; et ce désastre eut pour
conséquence le sac de cette ville, aujourd'hui encore en
ruines, de même qu'il fut un coup décisif porté à la puissance
des chrétiens en Orient.
TIBET. VoTjez TmBET.
TIBIA, mot latin, qui signifie yZw/e, et qui est employé
par les analomistes pour désigner le plus volumineux des
os de la jambe, probablement parce que les anciens se sont
servis de cet os, pris chez les animaux, pour faire des
llùtes. C'est un os long, irrégulier et triangulaire, qui s'ar-
ticule avec le fémur, le péroné et l'astragale. 11 se déve-
loppe par trois points d'ossification, ua pour le corps et
un pour chaque extrémité.
TIBRE» il Tevere, appelé par les Romains Tiberis ,
fleuve petit et pourtant le plus important et le plus célèbre
défoule la péninsule italique , prend sa source dans la Tos-
cane orientale, à environ 5 kilomètres au nord de l'ieve-San-
Stefano, dans le mont I*'nma-Cajo, sur la crête de l'Apen-
nin. Dans son parcours , toujours dirigé au sud , il traverse
une petite partie delà Toscane, devant IJorgo-San-Sepolcro;
et après cela il coule jusqu'à son emboucliure dans les
États de l'Église, traversant d'abord l'Ombrie, où il passe
entre Pérouse et Assise, puis recevant à Orvieto la Chiana
et la Paglia. Il se détourne ensuite dans de pittoresques
contrées, où il segrossitde laNera, et à 21 kilomètres au-
dessus de Rome il entre à Torica dans la basse et ondu-
\euse Campagna dl Roma,oii il devient navigable et reçoit
le tribut des eaux de VAnio ou Teverone, puis il traverse
Rome. C'est là qu'il devient navigable pour bateaux à va-
peur ; et à 25 kilomètres de Rome , non loin d'Ostia , le
port de l'ancienne Rome, il se jette dans la Méditerranée,
au milieu d'une contrée marécageuse, où il forme dnux bras,
qui constituent l'Ile Sainte {Isola Sacra), dont l'un, celui
du sud , appelé FJMwara, n'offre que peu d'eau et est tout
ensablé, tandis que l'autre, le fi«micino, situé au nord,
est navigable. Le parcours total du Tibre est de 24 iny-
riaraètres, et en tenant compte de ses nombreuses sinuo-
sités , de 35 niyiiamètres- Son bassin est de 244 myria-
mètres. En entrant à Rome, il a 64 mètres de large; au
pont Saint-Ange, il n'en a plus que 50, et plus loin, eu aval,
seulement 33. Sa profondeur est d'un mètre 33 centimètres.
Son volume d'eau est peu important , et dépend beaucoup
des saisons. Ce fleuve doit toute sa réputation aux
poètes romains, car la vérité est que ses eaux sont
bourbeuses ; aussi les poissons qu'il nourrit sont-ils de
mauvais goût et malsains. On a toujours supposé qu'il
contenait un grand nombre d'antiquités , et celte opinion
s'est basée sur les fréquentes inondations auxquelles il
était autrefois sujet. On a même prétendu que le pape Gré-
goire le Grand avait poussé le zèle religieux jusqu'à faire
jeter dans le Tibre une foule de statues et de monuments
de l'antiquité. Dans sa dissertation intitulée Aovelle del
Tevere (Rome, 1819), Fea a contredit toutes ces assertions ;
et les recherches les plus récentes ont confirmé la vérité de
son opinion. Consultez Rasi, Sul Tevere (Rome, 1827).
TIBULLE(Ai.EiusTiBULLUS). L'antiquité ne nous a
rien laissé de positif sur la naissance de Tibulle. On sait
seulement qu'il appartenait à la famille Albia, famille an-
cienne, de l'ordre équeslre. La nature lui avait prodigué ses
dons : la beauté de la figure , la force de la santé , la no-
blesse des sentiments, un cœur tendre, également (ait pour
Tamour et l'amitié; enfin, les inspirations d'un talent na-
turel , plein de charme et d'abandon. Tout annonce qu'il
avait reçu la plus brillante éducation , et qu'il avait ensuite
cultivé par l'étude et le travail les heureuses dispositions
de son esprit. Les siens lui avaient laissé d'assez grandes
richesses , qu'il ne conserva pas : il en avait joui en homme
plein d'élégance dans ses mœurs et de délicatesse dans ses
goûts; il les perdit , non par des prodigalités, mais , suivant
toute apparence , par une suite des spoliations politiques
d'Octave, qui donnait à ses vétérans les dépouilles de ses
ennemis. Comme Virgile, Tibulle se vit dépossédé de l'hé-
ritage de ses pères ; il se plaint de cette violence en plusieurs
endroits de ses élégies. Sans être d'une humeur belliqueuse
ni possédé de l'amour de la gloire des armes, car, au con-
traire, il a souvent exprimé son horreur pour la guerre, il
accompagna l'illustre Messala dans les Gaules , |>iil part à
la réduction de l'Aquitaine, et mérita des récompenses mi-
litaires. Après cette expédition. Messala étant passé en Asie,
Tibulle s'embarqua avec lui. Une maladie arrêta le poète
et *e contraignit de se séparer de son général. Retenu à Cor-
cyrc, comme Virgile l'avait été à Athènes dans son voyage
«Tec Auguste, Tibulle craignit d'être mis à la douloureuse
TIBIA — TIBUR 581
épreuve de mourir loin de sa patrie , et s'empressa d'y re-
venir. Mais Virgi le ne tarda point à rendre le dernier soupir
sous le beau climat de Naples, qui ne put ranimer son poêle ;
Tibulle, au contraire, vit sa santé se rétabin, et reparut à
Rome, où il ne cessa de cultiver l'amitié de Messala. Cet ami
de Tibulle était un homme (^minent sous tous les rapports.
I En qualité d'orateur il disputait la palme de l'éloquence à
! Cicéron lui-même. Il cultiva les muses, et fut le protecteur
detousles hommes de génie. Il passait sessoirécs à converser
philosophiquement avec Horace. A table, il se plaçait entre
Tibulle et Délie; il encourageait le talent poétique d'Ovi d e.
Horace, malgré l'indépendance de .son hiuneur, n'en
portait pas moins le joug léger d'Augu.ste, et faisait sa cour à
Mécène. Le bon Tibulle parait avoir con.servé toute sa liberté,
même en présence du maître du monde et du ministre fas-
cinateur qui s'était chargé de l'emploi difficile et délicat
d'as.souplir les caractères, d'enchaîner les esprits et de con-
quérir les cieurs. L'amitié la plus tendre unissait Horace et
Tibulle ; Horace consolait Tibulle des chagrins de l'amour,
et lui soumet lait .ses écrits comme à un juge plein de goût
et de candeur. Quand on connaît bien Virgile et Tibulle ,
on s étonne, on s'afllige presque de ne trouver aucune trace
de rapports d'intimité entre ces deux favoris des Muses.
Frères par le cœur, Virgile et Tibidle semblaient l'être
encore par le caractère de leur talent. Quel charme l'ami-
tié, la conformité des goûts , la fraternité du talent eût ré-
pandu sur ces deux poêles, jumeaux en quelque sorte ! On ne
voit dans Tibulle aucune trace de l'élude assidue de la
poésie des Grecs, si familière à Virgile et à Horace; c'est
encore là un tait qui mérite d'être remarqué. Comme tous
les poètes du cœur, Tibulle aimait la campagne. Content des
débris qui restaient de sa fortune, il préféra au tumulte de
Rome la .solitude paisible de Pediim, petite contrée du La-
tiunj , entre Preneste et Tibur. C'est là sans doute qu'il re-
cevait son cher Horace , qu'ils faisaient ensenïble<ragréables
excursions , et qu'ils lais.saient couler mollement les heures
en parlant de poésie, comme de tels hommes savaient en
parier, ou bien en buvant avec le falerne, dans leurs cou-
pes couronnées de fleurs, l'oubli des inquiétudes de la vie.
On ne sait pas si Tibulle exhala le dernier soupir dans la
délicieuse retraite qui le rapprochait d'Horace. Pourquoi
n'avons-nous pas sur la mort de Tibulle un chant d'Horace
aussi piu' et plus tendre encore que ses regrets sur la mort
de Quintilius ! Ovi<le du moins a su payer à Tibulle la dette
des muses dans une élégie qui fait autant d'honneur à son
âme qu'à son talent. Properce est brûlant et passionné,
Tibulle simple, tendre et mélancolique. Il a toujours l'a-
Kiour dans le cœur, quelques larmes dans les yeux , et sur
le front un léger voile de tristesse, semblable à ce nuage
que Virgile répand autour du jeune Marcellus, soit qu'il
adore Délie ou Némésis. A-til sujet de soupçonner sa mal
tresse, les plaintes que sa douleur exhale sont les plus tou-
chantes du monde. Quelquefois il est tenté de metti'e par la
mort un terme aux chagrins de .son cœur; mais la crédule
espérance le rattache <i la vie en lui disant : « Attends : de-
main tu seras plus heureux. » Et il retombe sous l'empire
de la magicienne qui le ravit et le désespère tour à tour.
Tibulle .se plaît à célébrer les plaisirs de la campagne ; il
mêle, ainsi qu'Horace, la pensée de la mort à ses chants
de volupté; il .se plaît, comme on vient de le voir, à pré-
voir son heure suprême, à devancer les larmes qu'elle doit
faire couler, et .semble désirer le repos de la tombe, au lieu
de demander à la philosophie riante d'Épicure des forces ou
des consolations contre la loi cruelle qui n'accorde à l'homme
qu'un moment sur la terre. Du reste , insoucieux de la
gloire, ami du repos, enchanté de n'être rien dans sa propre
maison, il vit pour l'amour, les muses et la divine amitié.
P. -F. TissOT, de l'Acadéiuie Française.
TIBUR, aujourd'hui Tivoli, à 28 kilomètres à l'est
de Rome, dans le Latiura , sur la rive gauche de l'Anio (au-
jourd'hui le Teverone ), et d'où la Via Valeria conduisait
à Rome , était une antique cité, fondée par les Sicules. Elle
582
TIBUR — TIERS
était puissante comme ville latine, et possédait un territoire
fort étendu, sur lequel étaient situées diverses bourgailes
im|iortantes. Les Romains ne se l'assujettirent qu'en l'an
338, sous le consulat de Lucius Carnillus. La situation dé-
licieuse de Tibur, célébrée déjà par les anciens poètes, dé-
termina de bonne heure de riches patriciens à s'y faire
construire des maisons de campagne. Il ne reste plus que
de faibles vestiges de celle de Mécène. On reconnaît plus
facilement ceux de la villa d'Adrien. Plusieurs des temples
qu'on voyait à Tibur se sont encore assez bien conservés
jusqu'à nos jours, par exemple ceux d'Hercule, de Vesta ,
de la sibylle Tiburline, et le temple rond appelé aujourd'hui
Deltn Tosse.
TIC, sorte de mouvement ronvulsif auquel quelques per-
sonnes sont sujettes. Par extension, ce mot se dit de cer-
taines habitudes plus ou moins ridicules que l'on a con-
tractées sans s'en apercevoir.
TKÎ DOULOUREUX. Voyez Névralgie.
TICHO-BRAHÉ. Voyez Tycho-Bkahé.
TICIMO. Fo?/e;TESsiN
TIECK (LuDwiG), né à Berlin, le 31 mai 1773, opéra,
d'accord avec les deux frères Sch legel , dans le domaine
de l'art et de la poésie une révolution dont on retrouve
encore la trace dan'; les productions de la littérature
contemporaine. A Halle, à Grettingue et à Erlangen, il se
livra avec ardeur à l'étude ap()rofou(lie de la poésie des an-
ciens et des modernes ; el il entrevit dès cette époque le
parti que la poésie et l'art pourraient tirer du moyen âge,
de la chevalerie et du catholicisme romantique. Ses pro-
ductions s imprégnèrent de ces idées, et offrirent, sous le
rapport delà forme et de l'expression , un frappant contraste
avec celles de l'école qui avait dominé jusque alors. H dé-
buta comme romancier par William Lowell ( Berlin, 1795) ,
ouvrage où la pensée de l'auteur Hotte encore vague et in-
décise. Son Peter Lebereclil, ou histoire sans aventures
(1796) et ses Contes populaires de Peter Leberecht{2
Toi , 1797 ) réussirent autant par la puissance d'iinaginatioa
et la naïveté de sentiments dont il y fait preuve que par l'es-
prit mordant qu'il y a jeté à pleines mains. Il épousa alors à
Hambourg la lille du pasteur Alherti. Les différents ouvrages
qu'il (it ensuite paraître, tels que Barbe-Bleue et le Chat-
Botté, montrèrent le talent tout particulier qu'il possédait
pour la critique liltéraire La publication de ses Voyages
de Slernblad ouvrit une phase nouvelle dans sa vie litté-
raire, en faisant voir combien était profonde chez lui la
passion du beau. A cet égard , on ne peut méconnaître
l'influence qu'exerçait sur lui l'idée catholique. Il y a tout
lieu de croire en effet qu'à quelque temps de là il se con-
vertit au catholicisme; mais plus tard ses idées religieuses
se modilierentencore.il déserta donc alors l'Église catho-
lique, et mit tout en œuvre pour qu'on oubliàlce singulier
épisode de sa vie, où le lecteur sensé trouvera cependant la
clé des nombreuses contradiclions qu'on trouve dans les
ouvrages d'un écrivain qui a elfleure tous les systèmes. En
1801 il donna du Don Quixote de Cervantes une traduc-
tion qui fit oubliertoiites les précédentes ( :}• édition, 1831 ).
Son Zerbino, ou voyage à la recherche du bon goût
(1799 — 1800), est une continuation de son Chal-Botté,
un cadre conmiode qui lui sert à développer ses idées parti-
culières sur l'esthétique générale. En 1801 et 1802 il alla
résider à Dresde, où il publia en société avec Guillaume
Schlegel un Almanach des Muses, qui lui lit beaucoup
d'ennemis , mais encore plus d'amis , surtout parmi la jeu-
nesse. En 1804 parut son roman L'empereur Octavien , resté
le meilleur de ses ouvrages. Un voyage qu'il fit en Angleterre
en 1S17 lui fournit l'occasion <le se livrer à une étude toute
particulière de la littérature anglaise, et il conçut alors pour
Shakespeare et son génie une admiration tenant de la pas-
sion. D'accord avec Guillaume Schlegel, il entreprit la tra-
duction (les (Kuvres du grand poète.
A partir de 1820, il s'opéra encore une modification pro-
ionde dans la direction des idées et Ju talent de Ludwig
Tieck. Ses romans, au lieu de l'élément merveilleux %l
fantastique dont il avait peut-être abusé dans ses premières
productions, eurent désormais pour base le terrain de l'his-
toire et l'observation du monde réel. Parmi les nombreuses
productions qui se rattachent h cette troisième phase de sa
vie littéraire, nous citerons de préférence La Mort du Poète
et La Révolte des Cévennes. Mais Le Jeune Menuisier
(Berlin, 1836) et surtout son dernier roman, Victoria Acco-
rombona (Breslau , 1841), sont restés bien inférieurs à ses
précédents ouvrages. Cette Victoria Accorombona est une
espèce de Corinne, dans le portrait de laquelle on reconnaît
visiblement que l'auteur s'est inspiré des paradoxes de
Georges Sand contre le mariage et la famille.
Le roi de Prusse actuel , en montant sur le trône , .s'em-
pressa d'attirer à Berlin un littérateur dont les ouvrages ont
exercé une grande et incontestable influence sur la direction
des idées des générations contemporaines. Il lui accorda
une pension, et le chargea d'éclairer de ses conseils la direc-
tion du théâtre de Berlin. ïieck mourut dans celte capitale ,
le 28 avril 1853, âgé de quatre-vingts ans.
TIEN-TE , Vertu céleste. Tel est le surnom hono-
rifique d'un Chinois qui se donnait pour un descendant de
la dynastie nationale des Ming, exterminée par la dynastie
étrangère ou mandchoue. A partir de 1850 il dirigea dans
la province de Koiiang-si le soulèvement national contre la
domination de l'étranger; et le rétablissement de la dynastie
des Ming fut d'abord le mot d'ordre des insurgés chinois.
Il parait toutefois que ce Tien-té n'a jamais été autre chose
qu'un instrument aux mains du véritable chef de l'insur-
rection , Hong-Tsiou Tsien. On a prétendu même qu'il n'a
jamais existé, et que c'était un myshe. Quoi qu'il en ait été ,
un individu designé à tort ou à raison comme jouant le rôle
de Tien-té y le descendant prétendu ou véritable des Ming,
fut fait prisonnier le 7 avril 1852, dans un engagement entre
les insurgés et les troupes impériales, puis conduit àPéking
et exécuté dans cette capitale, le 15 juin suivant, comme
coupable du crime de lèse-majesté. Depuis il n'a plus été
question du rétablissement de la dynastie des Ming. Hong-
Tsiou-Tsien , disciple du missionnaire américain Roberts ,
se posa même alors en frère de Jésus-Chrit et comme le
fondateur d'un nouvel ordre de choses politique et religieux
dans l'Empire du Milieu.
TIERCE. Voyez Heures Canoniales.
Tierce a difléreutes autres acceptions. Au jeu de piquet
il se dit de trois cartes d'une même couleur qui se suivent :
Tierce majeure, au roi, à la dame, etc. En termes d'es-
crime, c'est la position du poignet tourné en dedans,
dans une situation horizontale et au-dessus du bras de l'ad-
versaire, en laissant son épee à droite : Dégager en tierce,
parer en tierce, se fendre en tierce, porter une tierce. En
imprimerie, c'est la dernière épreuve que le proie con-
fère avec la pn-cédente, pour être sûr que toutes les cor-
rections sont faites. En mathématiques et en astronomie ,
c'est la soixantième partie d'une seconde, comme la seconde
est la soixantième partie d'une minute.
Fièvre tierce, fièvre périodique qui revient de trois jours
l'un , et par conséquent le troisième jour.
TIERCE {Musique). Voyez Intervalle.
TIERCÉ {Blason). Voyez Écu.
TIERCE LAIME. Voyez Laine.
Tl'i'^RCELET. Voyez Ehervier et Faucon.
TIERCELIIXS ou PÉNITENTS DU TIERS ORDRE.
C'est ainsi qu'on désignait dans quelques provinces les reli-
gieux du tiers ordre de Saint- François, dont la principale
maison à Paris était située dans la partie du faubourg Saint-
Antoine qu'on appelle Picpus.
TIERCE OPPOSITIOIV. Voijez Opposition.
TIERS, une des parties d'un tout qui est ou que l'on
conçoit divisé en trois parties égaies. Tieis se dit aussi des
personnes : Il ne faut point de tiers dans certaines affaires;
En cas de contestation , les sommes en litige seront déposées
entre les mnins d'un tiers. Le tiers détenteur est celui (^jà
est actuellement possesseur d'un bien sur lequel une per-
sonne autre que celle dont il le lient a une hypothèque à
exercer, un droit à réclamer ; le tiers saisi, celui entre les
mains duquel on a fait une saisie-arrêt, une opposition. Le
tiers opposant est celui au noiuduquel on fait jne tierce
opposition. Le tiers et le quart se dit familièrement de
toutes sortes de personnes indifféremment et sans choix :
Médire du tiers et du quart. Voyez Quart.
TIERS CONSOLIDÉ. Voyez GR\^D-LIVRE (Dette
publique). ^
TIERS ETAT. On appelait ainsi avant la révolution
de 1789 la partie de la nation française qui n'était compiisc
ni dans le clergé, ni dans la noblesse, et qui formait les
dix-neuf vingtièmes de la population.
[Jusqu'à l'iiurope moderne, jiis(|u'à notre France, rien
de semblable à l'histoire du tiers état ne frappe les regards.
Nulle part vous ne rencontrerez une classe de la société
qui, partant de très-bas, faible, méprisée, presque imper-
ceptibleà son origine, s'élève par un mouvementcontinu et un
travail sans relâche, se fortifie d'époque en épo(]Me, envahit,
absorbe successivement tout ce qui l'entoure, pouvoir, ri-
chesse, lumières , influence , change la nature de la société,
la nature de son gouvernement, et devient enfin tellement
dominante qu'on puisse dire qu'elle est le pays même. Non-
seulement ce fait est grand , ce fait est nouveau , mais il est
éminemment français , essentiellement national. Il y a eu
des co mm u nés dans toute l'Eiuope , et môme les com-
munes de France ne sont pas celles qin , en tant que com-
munes , sous ce nom et au moyen âge ont joué le plus
grand rôle et tenu la plus grande place dans l'histoire. Les
communes italiennes ont enfcinté des républiques glorieuses ;
les communes allemandes sont devenues des cites libres ,
.souveraines, qui ont eu leur histoire particulière et ont
exercé beaucoup d'influence dans l'histoire générale de l'Al-
lemagne; les communes d'Angleterre se sont alliées à une
portion de l'aristocralie féodale, ont formé avec elle l'une
des chambres, la chambre prépondérante du parlement
britannique , et ont ainsi joué de bonne heure un rôle puis-
sant dans l'histoire de leur pays. Il s'en faut bien que les
communes françaises dans le moyen âge et sous ce nom
se soient élevées à cette importance politique, à ce rang
historique. Et pourtant, c'est en France que la population
des communes, la bourgeoisie, s'est développée le (ilus
complètement, et a (iui par acquérir dans la société la pré-
pondérance la plus décidée. Il y a eu des communes dans
toute l'Europe ; il n'y a eu vraiment de tiers état qu'en
France.
ÎN''oublions pas cette distinction : ie mot tiers état est
évidemment plus étendu, plus compréliensif que celui de
commune ; beaucoup de situations sociales, d'individus, qui
ne sont point compris dans le mot commune, sont compris
dans celui de tiers état : les ofliciers du roi, par exempli',
les légistes, cette pépinière d'où sont sorties presque toutes
les magistratures de France , appartiennent à la classe du
tiers état, y ont été très-longtemps incorporés , et ne s'en
sont séparés que dans les siècles très-voisins du nôtre ,
tandis qu'on ne peut les ranger dans les communes. De
plus, la distinction a été souvent méconnue, et il en est
résulté des erreurs graves. Quelques historiens ont vu sur-
tout dans le tiers état la portion dérivée des officiers du roi,
des légistes, des diverses magistratures; et ils ont dit que
le tiers état avait toujours été étroitement lié à la con-
ronne , qu'il en avait toujours soutenu le pouvoir, parlagé
la fortune , que leurs progrès avaient toujours été parallèles
et simultanés. D'autres, au contraire , ont considéré presque
exclusivement le tiers état dans les communes proprement
dites, dans ces bourgs, dans ces villes formés par voie
d'insurrection contre les seigneurs. Ceux-là ont affirmé que
le tiers état avait toujours revendiqui'; toiiles les libertés
nationales; qu'il avait toujours clé en lutte non-seulement
contre l'aristocratie féodale, mais contre le pouvoir royal.
Selon qu'on a ainsi donné au mot tiers état telle ou telle
TIERS — TIERS ORDRE 583
étendue , on en a déduit sur son véritable caractère et sur
le rôle qu'il a joué dans notre histoire des conséquences
absolument différentes, et toutes également incomplètes,
également erronées. Enfin, celle distinction explique seiile
un fait évident dans notre histoire. De l'aveu de tous, les
coinmunes proprement dites, ces villes indépendantes, à
moitié souveraines, nommant leurs ofliciers, ayant presque
droit de paix et de guerre , souvent même battant monnaie
ces villes ont perdu peu à peu leurs privilèges , leur gran-
deur, leur existence communale ; et en même tem|)s le
tiers eYfl^ se développait, acquérait plus de richesse, jouait
de jour en jour un plus grand rôle dans l'État. Il fallait donc
bien qu'il puisât la vie et la force à d'autres sources qu'à
celle des communes.
Si le sort de la bourgeoisie de France eût dépendu des
libertés comumnales, nous la verrions à cette même
époque faible et en décadence. Mais il en était tout autre-
ment. Le tiers état prit naissance et s'alimenta à des
sources fort diverse-. Pemlant ()ue l'une tarissait, les autres
demeuraient abondantes et fécondes, indépendamment des
communes pioprement dites, il y avait beaucoup de villes
qui, sans jouir d'une véritable existence communale,
avaient cependant des privilèges, des franchises , et sous
l'administration des officiers du roi croissaient en t>opu-
lation et en richesse. Ces villes ne participèrent point,
vers la fin du treizième siècle . à la décadence des communes.
On y vit naîlie ret esprit qui a joué im si grand rôle dans
notre histoire, cet esprit peu ambitieux , peu entreprenant,
tinude même , et n'abordant guère la pensée d'une résistance
définitive et violente, mais hannéte, ami de l'ordre, persé-
vérant, altaché à ses droits el assez habile à les taire tôt
ou tard reconnaître et respecter. C'est surtout dans les
villes administrées au nom du roi et par ses prévôts que
s'est développé cet esprit, qui a été longtemps le caractère
dominant de la bourgeoisie française, il ne faut pas croire
que faute de véritable indépendance communale toute
sécurité intérieure manquât à ces villes. La royauté se res-
souvenait de la peine qu'elle avait eue à ressaisir les débris
épars de l'ancienne souveraineté imiiériale. Aussi tenait-elle
soigneusement la main sur ses prévôts, ses sergents , ses
officiers de tous genres, pour que leur puissance ne s'accrût
pas au point de lui devenir redoutable. Les administrateurs
pour le roi dans les villes étaient donc assez bien survediéset
contenus. A cette époque d'ailleurs commençait à se former
le parlement et tout notre système judiciaire. Les questions
relatives à l'administration des villes, les contestations
entre les prévôts et les bourgeois, étaient poriées devant le
parlement de Paris , et jugées là avec plus d'indépendance
et d'équité qu'elles ne l'auraient été par tout autre pouvoir.
Une certaine impaitialitéest inhi rente au pouvoir judiciaire;
aussi les vides obtenaient-elles souvent en parlement jus-
tice contre les ofliciers du roi et maintien de leurs fran-
chises.
Le tiers état puisait aussi dans une autre source, qui a
puissament concouru à sa formation. Ces juges, ces baillis,
ces prévôts, ces sénéchaux, tous ces officiers du roi ou des
grands suzerains, tous ces agents du pouvoir central dans
l'ordre civil , devinrent bientôt ime classe nombreuse et
puissante. Or, la plupart d'entre eux étaient des bourgeois;
et leur nombre, leiu' pouvoir, tournaient au profit dé la
bourgeoisie, lui dormaient de jom- en jour plus d'importance
et d'extension. C'est peut-être là de loutes les origines du
tiers état celle qui a le plus contribué à lui faire concpiérir
la prépondérance sociale. Au moment où la bomgeoisie
française perdait dans les communes une partie de ses li-
bertés, à ce même moment, par la main des parlements,
des prévôts , des juges et des administrateurs de tous
genres, elle envahissait une large part du pouvoir.
F. Guizoï', (le l'Académie Française.
Voyez, pour rinstoirt' du tiers état, Constituante (As-
semblée) et États gé.néraux.
TIERS ORDRE. Foj/esMESDi.^NTS (Ordres).
TIERS ORDRE DE SAINT .FRANÇOIS — TIGRANE
584
TIERS ORDRE DE SAINT-FRANÇOIS. Voyez.
Fra>cisca!>s et François d'AssiSE.
TIERS i*AHTI. C'est le nom que sous le règne de
Lo(iis-Pliiii(.|»e on donna dans la chambre élective à une
fraction .lu centre qui n'appartenait pas positivement à l'op-
position, mais qui cependant uemeurait indépendante de la
Dolitique des ministères doclrinaires. Peut-être cette frac-
tion de la représentation nationale ne savait-elle pas bien
elle-même ce qu'elle voulait, car elle était essentiellement
hostile aux tendances de la gauche et de l'extrême gauche.
Elle ne représentait en réalité que l'opinion de cette classe
de la bourgeoisie qui eiU voulu que le gouvernement s'ef-
<'()r(,àt de faire diversion aux aspirations révolutionnaires
existant dans les masses, en donnant un développement de
plus en plus grand à tout ce qui le rattachait aux intérêts
matériels du pays. Le besoin de modération dans le pou-
voir, le danger d<i le voir abuser de son triomphe, tels furent
en outre les seutiments qui, en 1834, contribuèrent à la lor-
mation do tiers parti, lequelcomptait parmi ses coryphées
MM. Dupin, Etienne, Bérenger, Passy, Teste, de Calmon et
Feli\ Real Sous la Re.stduralion ou avait vu également se
former un tiers parti- Qu'était-ce en effet que ce groupe
d'hommes sincères , à la fois royalistes et patriotes , qui se
détai lièrent l'un après l'autre de la majorité compacte de
M. de Villèle? Les Hyde de Neuville, les Gautier, les de
pres^ac, les Dciaiot, les Agier , lorsqu'ils reculaient devant
la loi du %ucrilege, eu ia loi d'amour, ou le rétablissement
du droit d''(ilne.-ie , que faisaient- ils autre chose si non
obéir à un sentin^.eut naturel de modération qui les portait
à résister au g'^uvernement pour le préserver de ses propres
excès ? Lorsqu'ils votaient ainsi avec l'opposition sans
adopter pourtant ses principes, ne formaient-ils pas un tiers
parti?
Un système politique poussé à outrance provoquera
toujours à la longue une réaction en sens contraire. Mais
un caractère inhérent aux tiers partis , c'est le manque
de décision ; et voilà ce qui dans les temps de crise donne
toujours sur eux un avantage marqué à leurs adversaires.
TIERS-POINT. Voyez Lime. On donne aussi ce nom,
en architecture , au point de section qui est au sommet
d'un triangle équilatéral, ou à la courbure des voûtes go-
thiques, composée de deux arcs de cercle.
TIFLIS (en géorgien Tphilis Kalaki, c'est-a-dire ville
chaude), chef-lieu de la Géorgie ou Grusie, et depuis dé-
cembre 1846celui du gouvernement du môme nom (Russie)
qui forme les cercles de Tillis, de Gori, de Telaf, de Signach,
d'ielisawetpol, de Naschitschevan, d'Érivan et d'Alexan-
dropol, et dont la superlicie est de 107 1 myramètres carrés.
C'est la ville la plus importante de toute la Transcaucasie.
Située dans une belle et onduleuse contrée, emlcllie encore
par les vignobles et les plantations de tontes espèces qui lui
donnent l'asuect d'un jardin, à 366 mètres audessus du niveau
de l'Océan, Me est entourée de murailles, de tours, de forts ,
et protégée par une citadelle. Elle se compose de la vieille
ville, lie la ville neuve, de la ville des bains ou de la mon-
tagne, et de quelques faubourgs consistant en huttes déterre.
Dans la vill- neuve, on trouve de larges rues, de grandes
placer, de belles maisons, plusieurs édifices importants, tels
que le palais du gouvernement, l'hôtel de l'état-major, le
gyumase, etc., de même que d'élégants marchés ou
bazars, contenant plus de mille boutiques, des caravansé-
rails, trois ponts, etc. Par sa physionomie moitié européenne
et moitié asiatique , Tiflis est une des villes de l'Orient les
plus belles et les plus originales. Depuis que dans ces der-
nie's temps les routes à travers le Caucase, notamment
celle qui conduit au nord du défilé de Dariel et la route du
Terek qui se relie à celle de Tiflis, .sont devenues plus sûres,
Tillisen est venue à être le grand entrepôt du commerce entre
la Ciscaucasie et la Transcaucasie, de même qu'entre
l'Europe et l'Asie. Sa population dépasse aujourd'imi 50,000
habitants , dont plus de moitié de race arménienne; le reste
se compose de Géorgiens, de Tatares, de Russes et de Juifs j
à quoi il faut encore ajouter un grand nombre d'étrangers,
notamment d'Allemands , qui depuis longtemps ont fondé
des colonies dans la valée du Kour, voisine de Tiflis, à
Alexandersdorf, à Neu-Tiflis, à Élisabeththal et à Katharien-
feld. Tiflis est le siège des autorités supérieures du gouver-
nement , d'un état-major, d'un patriarche et d'un métropo-
litain géorgiens , d'un archevêque arménien et d'un évêque
russe. On y compte 42 églises , dont 23 arméniennes , 15
grecques, ? catholiques et 2 tatares. En fait d'écoles, on re-
marque le gymnase noble et les écoles pour les classes éclai-
rées. Tillis possède en outre quelques couvents, un jar-
din botanique, une bibliothèque et un cabinet d'histoire
naturelle. Ses plus importants établissements industriels
sont ses manufactures d'étoffes de laine, de colon, de
soieries, ses raftineres de sel. On y trouve aussi des fabri-
ques de tapis, des tanneries, beaucoup de cordonniers, d'or-
fèvres et de joailliers, d'arquebusiers, de fabricants d'armes
blanches, etc. Ses sources sulfureuses chaudes attirent de-
puis quelque temps beaucoup de baigneurs.
TIGE, partie d'un végétal qui soutient les branches et
les feuilles. La tige des plantes monocotylédones prend
plus particulièrement le nom de slipe. Le bas de celle des
arbres s'appelle tronc. La tige des graminées, creuse en gé-
néral, porte le nom de chaume.
La tige est ou ligneuse ou herbacée.
Coupée longitudinalement, la tige ligneuse est formée
de couches concentriques superposées. Elle représente en
quelque sorte une suite d'étuis ou de cônes très-allongés ,
emboîtés les uns dans les autres, et augmentant d'étendue
à mesure qu'ils s'éloignent du centre de la tige. Coupée
transversalement, elle présente des espèces de cercles
ou de zones concentriques composées des parties suivantes :
1° à l'extérieur, Vécorce; 1° les couches ligneuses, distin-
guées en externes, qu'on nomme aubier ou faux bois,
et en internes, ou bois, qu'on nomme duramen ; 3° le
centre du bois, qui est occupé par la moelle, à laquelle la
partie la plus intérieure du bois forme une espèce d'enve-
loppe, nommée étui médullaire ; 4'' enfin, de ta moelle par-
tent les lignes divergeant du centre à la circonférence, qui
traversent toute l'épaisseur des couches ligneuses , et qu'on
nomme les rayons médullaires.
La tige des dicotylédonées herbacées se compose de l'é-
corce, du corps ligneux et de la moelle. L'organisation des
faisceaux ligneux est la même que dans les liges ligneuses.
La tige des monocotylédonées est composée de faisceaux li-
gneux ou fibres vasculaires , éparses au milieu d'un tissu
utriculaire qui forme sa masse, sans apparence de couches
emboîtées. L'écorce y existe également, quoique moins
distincte que dans les dicotylédonées. Les fougères ont des
tiges tantôt herbacées , tantôt ligneuses.
TIGINO. Voyez Bender.
TIGRANE. Ce nom a été commun à plusieurs rois de
la Grande-Arménie. Le plus célèbre de tous fut Tigraiie II,
dit le Grand, qui, l'an 89 av. J.-C, seconda Mithridate.son
beau-père, dans sa lutte contre les Romains. En 71 Mithri-
date , vivement pre«sé par L u c u 1 1 u s , vint se réfugier
auprès de lui. Irrite par le langage hautain que lui tintClo-
dius, envoyé par Lucullus, Tigrane refusa la paix qu'on lui
ofirait à la condition de livrer Mithridate. Mais battu, le
6 octobre 69, à Tigranocerta, ville qu'il avait fondée en deçà
de l'Euphrate , dans la contrée montagneuse qu'on appelle
de nos jours le Kourdistan, il ne se déroba à la poursuite de
Lucullus que parce qu'une révolte éclata parmi les troupes
de celui-ci. Quand Pompée vint prendre la direction de
cette guerre, il trouva Tigrane, qui avait déjà tué deux
de ses fils, en guerre ouverte contre le troisième, qui s'ap-
pelait Tigrane comme lui. Assiégé dans la forteresse d'Ar-
taxala, Tigrane dut se rendre prisonnier à Pompée, qui lui
laissa la possession de la Grande-Arménie, en donnant la
Petite-Arménie à Déjotare. Il emmena en outre prisonnier
à Rome le jeune Tigrane , qui avait essayé de s'opposer ?
ces arrangements. Tigrane II mourut en l'an 60.
TIGRE — riLLOTSON
58S
TIGRE (/élis tigris), animal du cernée h at, de
même taille que le lion , mais plus mince, plus bas sui
jambes, à tête plus petite et plus arrondie, à queue très-
longue, atteignant le sol. Son corps est d'un jaune vif en
dessus d'un blanc pur en dessous avec des bandes trans-
versales noires, qui descendent du dos vers le ventre et au-
tour des cuisses : la queue est couverte d'anneaux allerna-
livement noirs et jaunes; le bout est noir. La femelle
ressemble au mâle. Cet animal ne se rencontre que dans
les Indes orientales, dans la presqu'île du Gange, le
Tonquin, le royaume deSiam, la Cochinchine, les îles
de la Sonde et à Sumatra, Sa force prodigieuse , jointe
à sa férocité, en fait la terreur de ces pays; et comme il
est assez commun dans certains cantons , il exerce sou-
vent d'horribles ravages sur les troupeaux et môme sur les
hommes. Excepté l'éiépliant, aucun animal ne peut lui
résister. Il emporte un bœuf dans sa gueule , et l'éventre
d'un coup de griffe. Il est regardé comme le plus cruel
des quadrupèdes. On a même cru long-temps qu'il était
impossible de l'apprivoiser ; mais le fait est qu'il s'ap-
privoise comme le lion ; que lorsqu'on le tient en cap-
tivité, il reconnaît bien ceux qui le nourrissent, et qu'il
se familiarise facilement avec eux. Il aime à recevoir les
caresses de ceux qu'il connaît , et il y répond comme fait
notre chat, en voulant son dos et en faisant entendre ce
murmure particulier que tout le monde connaît. Sou rugis-
sement est à peu près semblable à celui du lion. Lorsqu'il
menace, il jette un cri bref et fort; lorsqu'au contraire il
s'approche de quelqu'un avec un sentiment paisible, il fait
entendre un soulllemeut qui ressemble un peu au bruit que
l'on lait en éternuant.
Pour faire la chasse aux tigres, on se met à l'affût dans
une fosse près des emlroits oii ils viennent boire, ou bien on
s'avance dans une charrette traînée par deux boeufs, et dès
qu'on aperçoit l'animal , on l'ajuste au front de manière à
l'abattre du premier coup; car s'il n'est par tué roide, il
s'élance sur le chasseur el le met en pièces. On s'empare
encore des tigies et on les détruit soit au moyen de diffé-
rents pièges, soit en plaçant près d'un animal attaché un
vase plein d'eau saturée d'arsenic. Souvent aussi on les at-
taque avec un grand appareil de guerre. Des corps de gens
armés les enveloppent et emploient contre eux toutes sortes
d'armes ; d'au 1res fois, on se sert pour cette espèce de guerre
d'éléphants dressés, qui , appuyés par des hommes et des
chiens, saisis.senl le tigre de leur trompe, l'enlèvent et l'écra-
sent ensuite sous leurs pieds. Demezil.
TIGRL, royaume de l' Aby ssinie.
TIGRE ou TIGRIS, lleuve de la Turquie d'Asie, et après
l'Euphrate le plus grand qu'on trouve dans cette partie de
l'Empire Ottoman. Leurs deux sources sont voisines, et si-
tuées dans le versant méridional de la chaîne arménienne du
Taurus, au nord de Diarbekr. Le Tigris arrose le Kourdistan
dans toute sa largeur , franchit la chaîne du Taurus à en-
viron 15 myriamètres de Mossoul, puis traverse la plaine
de l'antique Assyrie, qu'il sépare de la Mésopotamie, se rap-
proche au voisinage de Bagdad de l'Euphrate, dont il ne
se trouve plus guère alors qu'à 18 kilomètres (point où
ces deux cours d'eau étaient autrefois reliés par un canal ) ,
puis coule parallèlement à lui pendant une étendue d'environ
15 myriamètres en formant les limites de la Babylonie,
et enlin confond ses eaux à Korneh avec celles de l'Eu-
plirate , pour ne plus former désormais qu'un même lleuve,
appelle Cath-el-Ara, et qui se jette 21 kilomètres plus
loin, sous forme de delta, dans le golfe Persique.
Le Tigris , grossi par un grand nombre d'affluents prove-
nant du Kourdistan, du mont Thyareg qu'habitent des chré-
tiens ncstoriens, et, plus au sud, des montagnes qui bordent
la Perse, offre un volume d'eau très-considérable, et de-
vient déjà navigable à Mossoul. Comme l'Euphrate, au-
quel il se rattache par plusieurs canaux , il est sujet à des
débordements annuels. Ses rives, autrefois le siège d'une
nombreuse population , sont aujourd'hui désertes, et, sauf
•j Diarbekr, Mossoui et Bagdad , habitées presque uniquement
par des hordes nomades.
TIGRE DESCH.\SSEURS. Voyez Guépard.
TIGRE POLTUOA', TIGRE ROUGE. Voyez Covgvkk.
TILRO URG, ville manufacturière de la province du Bra-
bant septentrional (Pays-Bas), à 2 kilomètres de la rive
gauche de la Ley, à 4 kilomètres au sud-ouest de Bois<l«-Duc
et à presque é^ale distance au sud-est de Bréda , bâtie au
milieu d'une vaste lande, n'a obtenu les droits de ville
qu'en 1808, compte plus de 14,000 habitants et possède
desrandes manufactures de drap qui occupent 6,000 ouvriers.
TILLEMOIXT (Sébastien LE NAIN de ) naquit le
30 novembre 1637, à Paris, d'un père maître des requêtes au
parlement. Élevé chez les jansénistes de Port-Royal, il
conmiença de bonne heure à réunir les matériaux qui de-
vaient lui servir plus tard pour écrire les différents ou-
vrages fondement de sa réputation. Après un long séjour à
Beauvais, où il vécut dans un profond isolement et lOul en-
tier à l'étude , il revint, en 1670, à Paris, et y continua ses
travaux. Après avoir longtemps hésité à entrer dans le
ordres, il céda enfin aux instances d'isaac deSacy, qui voulait
lui léguer la direction spirituelle de Port-Royal. La prê-
trise lui (ut conférée en 1676, et il alla alors se fixer au
milieu de ses amis, dans leur monastère. Chassé de celle
retraite en 1679, avec les autres pieux solitaires qui l'ha-
bitaient, il .se retira dans le petit domaine de Tillemont,
qu'il possédait, et qui était situé entre Montreuil et Vincennes.
Deux ans plus tard, en 1081, il alla visiter en Hollande son
illustre amiArnauld et les autres réfugiés. Il mourut
en 1698, et fut enterré dans l'église de Port-Ro>al des
Champs.
«, Sans parler de la part importante que Le Nain de Tilloi
raont prit aux différents écrits d'Arnauld, d'Hermant, etc.,
on a de lui des Mémoires pour servir à Chisloire ecclé-
siastique des six premiers siècles de l'Église, en 16 vo-
lumes in-4"; ouvrage gigantesque, inépuisable trésor d'é-
rudition intelligente et patiente, demeuré son principal titre
de gloire. C'est cependant moins une histoire qu'une col-
lection de matériaux historiques, comme le litre même l'in-
dique suffisamment. L'histoire du sixième siècle de notre
ère n'y est d ailleurs pa.s complète. L'auteur en était arrivé
à l'an 513 , quand la mort vint le surprendre. En 1690 il
avait commencé une Histoire des Empereurs et des autres
princes qui ont régné durant les six premiers siècles de
V Église. Le Nain de Tillemont n'eut pas non plus le temps
de terminer cet ouvrage, quidevait compléter le premier.
TILLES. Voyez Ecoutilles.
TILLEUL (dci latin tilia). Ce genre présente plusieurs
espèces el variétés, toutes utiles et agréables, qui sont: 1° le
TILLEUL coMMDS ( tHio europxa) , arbre d'un accroissement
rapide, qui parvient à une grande élévation, et l'un des plus
employéscomme arbre d'alignement, surtout pour les pro-
menades et les places publiques ; 2° le tilleul a larges
rEUiLLES {tilia platyphyllas), dont les feuilles sont plus
grandes et plus épaisses que celles du précédent, dont il
égale la hauteur et qu'il surpasse par la rapidité de son ac-
croissement; 3° le TILLEUL d'Amérique ( tilia americana),
grand comme celui d'Europe , et comme lui propre aux
plantations d'alignement ; 4° le tilleul argenté ( tilia ar-
gentea), dont les feuilles blanches font le plus bel effet.
Tous les tilleuls servent également à former des avenues
et des quinconces. Ils ne sont pas moins remarquables
par la beauté , la forme et la grâce de leur feuillage que
par l'odeur douce et suave de leurs Heurs, dont on con-
naît le fréquent et utile emploi en médecine. Avec l'écorce
de cet arbre on fait des tissus, des cordages , et surtout des
» cordes à puits. C. Tollard aîné.
TILLOTSON (JouN), célèbre prédicateur anglais, né
en 1630, à Sowerley, près d'Halifax, fut élevé par son père
dans les principes sévères du calvinisme. Pendant son séjour
à Cambridge, la lecture de l'ouvrage de Chilingworth, ife-
ii^iono/^^cPro^es/an^s, modifia ses opinions et le déter*
686
TILLOTSON
mina à embrasser les doctrines de l'Eglise anglicane. Or-
donné ministre de l'Évangile . il excita bientôt l'attention
publique par ses sermons, surtout lorsqu'il eut été attaché
à l'église Saint-Laurent de Londres. Adversaire ardent du
catbolicisme , Tillotson ne reçut aucun avancement sous
les règnes de Charles II et de Jacques II; mais, en 1691,
Guillaume III l'appela à l'archevêché de Canterbury. Il
mourut trois ans après, en 1694, ne laissant à sa veuve
d'autre fortune que la propriété de ses sermons , qu'un
libraire de Londres lui acheta tout aussitôt 2,500 gui-
nées. Aujourd'hui encore ils sont en grande estime. Mais
son orthodoxie protestante fut maintes lois révoquée en
doute par ses contemporains. Son sermon sur l'éternité
des peines de l'enfer, notamment, lui avait (ait beaucoup
d'ennemis. Quant à son style, il unit en général la simpli-
cité à la vigueur, quoique le plus souvent il pèche par trop
de négligence et de redondance.
TILLOTTE. Voyez Bkoye.
TILLY (Jean-Tzrrklas, comte de), l'un des plus grands
capitaines du dix-septième siècle, naquit en 1559, au châ-
teau de Tilly, en Brabant. Élevé par les jésuites, qui lui inspi-
rèrent leurs idées fanatiques, il fit l'apprentissage de l'art de
la guerre dans les Pays-Bas, sous les ordres du duc d'Alhe, de
Requesens.de don Juan d'Autriche et d'Alexandre Farnèse :
il alla ensuite servir sous les ordres du duc de Lorraine Mer-
cœur, en Hongrie, contre les Turcs. Dans cette guerre, il
parvint au grade de général d'artillerie. En 1609 le duc
Maximilien de Bavière l'engagea à son service, et le nomma
feld-maréchal, en lui confiant le soin de réorganiser son
armée. Choisi dès le début de la guerre de trente ans
pour général en chef de l'armée des princes catholiques, il
remporta le 8 novembre 1620, sous les murs de Prague,
une victoire décisive. Dans la suite de cette guerre, il sépara
par une marche habile les armées de Mansfeld et du mar-
grave de Bade, battit celui-ci à Wimpfen sur leNeckar, ex-
pulsa, en 1622, du Palatiiiat le duc Christian de Brunswick,
qu'il battit encore le 22 juillet de la même année à Hœclist,
et au mois d'août 1623 à Sladioo, dans le pays de Munster,
dans un combat qui dura trois journées consécutives. Créé
comte de l'Empire, il lut appelé à prendre le commande-
ment en chef de l'armée envoyée à la rencontre du roi de
Danemark, Chrétien IV, sur lequel il remporta une victoire
complète, le 17 août 1626, à Lutter. D'après les consiils
de Wallenstein, son ennemi secret, il entreprit de faire une
diversion au moyen d'une pointe tentée contre la Hollande ,
et abandonna à son rival le soin de poursuivre ce prince.
Mais plus tard il revint sur ses pas, puis, manœuvrant de
concert avec Wallenstein, il contraignit le roi de Danemark
à signer la honteuse paix de Lubeck. L'année suivante, Wal-
lenstein ayant dû ré'signer le commandement en chef des
troupes impi'riales, Tilly en fut nommé généralissime, (-.'opé-
ration la plus importante qu'il entreprit alors fut le siège de
Magdebourg, place qu'il prit d'assaut, le 10 mars 1631. Les
cruautés et les atrocités inouïes que Tilly laissa commettre
dans cette occasion par les Croates d'Isolany et par les Wal-
lons de Pappenheim, font dans l'histoire de sa vie une tache
dont n'ont pu laver .sa mémoire la partialité la plus aveugle
non plus que les sophismes de certains écrivains catholi-
ques de notre époque. Le 14, Tilly lit son entrée solennelle
dans cette ville à moitié réduite en cendres. Il alla entendre
célébrer un Te Deum à la cathédrale, et écrivit à l'empe-
reur : « Depuis la prise de Troie et la destruction de Jéru-
salem, on n'avait encore jamais vu de victoire comme celle-
là ! » Cependant , à partir du sac de Magdebourg l'étoile de
Tilly s'alfaiblil, pour linir par s'éclipser. Gu s t a v e-A d ol p h e
vint à sa rencontre en Saxe, et le battit complètement le
7 septembre 1631, à Breitenfeid,à peu de distance de Leipzig.
Appelé en Fiavière par l'électeur Maximilien pour défendre
ses Étals héréditaires, il ne put empêcher Gustave de fran-
chir le Lecli, eleul en cette occasion la cuisse fracassée par un
boulet de canon. Il mourut à quelques jours de là, des suites
de cette blessure, le 30 avril 1630, à Ingolstadt.
— TILSITT
Tilly, qui avait gagné trente-six batailles, était d'une pe-
tite taille et d'une grande maigreur. Son visage, aux traits an-
guleux et vivement accusés, avec le nez d'une dimension peu
commune et de grands yeux saillants sous d'épais sourcils
gris, exprimait la dureté de son caractère de fer. Sobre et con-
tinent, haïssant le luxe et la représentation , il n'accepta ja-
mais les présents en argent que l'empereur voulut lui faire,
et ne laissa à sa mort qu'une très-minime fortune. Il avait
pous.sé le désintéressement jusqu'à reluser la principauté de
Kalendherg, que l'empereur voulait lui donner. Partisan et
défenseur zélé du catholicisme , jamais il ne laissa passer
un jour de sa vie sans entendre célébrer la messe ni sans ré-
citer toutes les prières ordonnées par l'Église , conservant
jusqu'au milieu des camps les moeurs monacales de sa pre-
mière jeunesse. Gustave-Adolphe , en raison de son exacti-
tude et de sa grossièreté, l'avait surnommé le vieux caporal.
TILSITT, ville de l'arrondissement de Gumbinneu ,
dans la province de Prusse, sur le Niémen, près de l'endroit
où cette rivière prend le nom de Memel, et- qu'on y passe
sur un pont de bateaux de plus de 3,000 mètres de long,
dans une fertile contrée, compte 16,000 habitanls. La ville,
))armi les éditices de laquelle on remarque le château et
l'hôtel de ville , a des rues larges et unaspt^ct agréable. Elle
possède quatre églises , un gymnase, et une école civile su-
périeiue. Outre un commerce important d'expédition pour
la Russie, il s'y fait beaucoup d'affaires en bois, grains,
beurre, produits russes, etc. ; et on y trouve de grandes
usines ayant la vapeur pour moteur et consacrées à la fa-
brication du papier, du sucre, de l'huile, etc.
Tilsitt restera à jamais célèbre par la paix qui y fut si-
gnée les 7 et 9 juillet 1809. La bataille de Friediand, livrée
le 14 juin par ordre exprès de l'emi)ereur Alexandre, s'était
terminée par une déroule complète, qui avait enlevé à la
Prusse ses dernières espérances. Cinq jours après cette mé-
morable journée. Napoléon y avait transporté son quartier
général. A peine y fut-il établi, que l'empereur Alexandre
fit proposer un armistice, que Napoléon accepta. Il fui signé
le 21 , sans qu'il y fût mention de la Prusse, que la Russie
semblait abandonner à la discrétion du vainqueur. Comme
les deux parties avaient chacune leurs motifs pour désirer la
cessation,toutaumoinsmomentanée,deshoslililés, un rappro-
chement s'opéra bientôt entre les deux monarques; et le 25
juin eut lieu sur le Niémen la fameuse entrevue de Tilsitt,
entre Napoléon et Alexandre. Un bateau avait été disposé de
telle manière que les deux empereurs y entrèrent chacun par
une porte opposée, à un signal convenu, pour qu'aucun des
deux ne pût déiluire une supériorité quelconque d'un mal-
entendu ou d'une .surprise. Les deux portes laissèrent voir
un moment les grands étals-majors français et russe,
groupés sur les chaloupes qui avaient apporté les deux ar-
bitres de l'Europe; et les portes s'étant fermées, les deux
empereurs, demeurés seuls, firent assaut de courtoisie et
de cordialité. Le roi de Prusse n'assista qu'à la seconde en-
trevue , qui eut lieu le lendemain ; et les trois souverains
prirent dès ce moment leur quartier général dans la ville
de Tilsitt, neutralisée à cet effet. Napoléon vit arriver avec
peine la belle reine de Prusse; mais sa résolution n'en fut
pas môme ébranlée. 11 sut résister aux larmes, aux suppli-
cations, et mêler, avec une grâce parfaite, les prévenan-
ces de la plus respectueuse galanterie à l'imperturbable té-
nacité de ses combinaisons politiques. Pendant ce temps
le prince de Talleyrand traitait avec les princes Kourakin et
Labanoff, ainsi qu'avec les comtes de Goltz etKalkreuth,
ministres de Frédéric-Guillaume, pour la pacification du
continent et pour les changements topographiques qu'il con-
venait au vainqueur d'y opérer.
Il n'y eut à Tilsitt d'autre arbitre que la volonté de Na-
poléon, et voici les bases de la paix qu'il dicta :
1° Les parties enlevées en 1793 et 1795 à la Pologne, et
devenues alors une province prussienne, étaient détachées
de la Prusse pour constituer un nouvel État sous le nom
de duché de Varsovie.
TILSITT •
2° Dantzig, avec un territoire de 2 myriamètres alen-
tour, devait l'ornier une république, placée sous la protection
de la Prusse et de la Saxe.
3° Le roi de Saxe, créé duc de Varsovie, devait obtenir
une route militaire, conduisant à son nouvel État à travers
la Silésie.
4° Les ducs de Mecklembourg, d'Oidembourg et de Co-
bourgdevaient être remis en possession de ceux de leurs Etats
occupés par les armées françaises, mais les deux premiers
sous la condition desoullrir une f;ai-nison française dans leurs
porl^ jusqu'à la paix maritime, pour laquelle Alexandre fai-
sait agréer sa médiation à Napoléon. En revanche, l'empereur
Alexandre devait reconnaître les frères de Napoléon, Jérôme
comme roi de Westphalie, Joseph comme roi de Naples.
5° Le royaume de Westphalie devait être formé avec les
provinces enlevées à la Prusse sur la rive gauche de l'Elbe
et avec quelques autres pays conquis, tels que le duché de
Brunswick et la Hesse Électorale.
6° L'empereur Alexandre devait céder la seigneurie de
Jever à la Hollande, et s'engager :
1° A retirer ses troupes de la Moldavie et de la Valachie
et à conclure, sous la médiation de Napoléon, la paix avec la
Porte-Ottomane. En revanche, la province de Eyalistock
(144 myriam. carrés et 184,000 habitants), autre débris
de la Pologne, que la Prusse possédait depuis le partage de
1795, lui était enlevée pour être donnée à son principal
allié , à ce même tsar qui avait pris les armes pour rétablir
la Prusse sur les bords du Rhin. Napoléon lui donnait un
lambeau du royaume prussien pour le rendfe complice des
spoliations dont était victime Frédéric- Guillaume. En outre,
les Russes s'engageaient à évacuer les bouches du Cattaro.
Par un article secret, la Russie s'engageait à unir ses efforts
à ceux de la France pour contraindre l'Angleterre à res-
pecter le pavillon des neutres dans le système du blocus
continental. Le tsar acceptait même la mission d'y contrain-
dre les cours de Copenhague, de Stockholm et de Lisbonne.
Ce traité fut signé le 7 juillet 1807; et le 9 le roi de
Prusse , par un traité pai ticulier avec le conquérant de sa
monarchie, souscrivit à toutes les conditions qui luifurent im-
posées. Ainsi, il abandonna à Napoléon les différentes pro-
vinces polonaises dont il a été fait mention plus haut, toutes
les provinces de la monarchie prussienne situées entre
l'Elbe et le Rhin ; à la Saxe, le cercle de Kottbus ; et il s'en-
gagea à fermer ses ports aux navires de l'Angleterre. Le roi
adressa de nobles et douloureux adieux aux populations
qu'on séparait ainsi de son sceptre. Il fut en outre convenu
entre le comte de Kalkreuth et Berthier, prince de Neuf-
châlel, que le territoire prussien serait évacué le 1'^'' octobre
suivant si à cette <'poque les immenses frais de la guerre
avaient été remboursés, ou bien si la Prusse fournissait
pour leur payementdes garanties jugées suffisantes. La Prusse
demeurait donc livrée après comme avant à l'arbitraire des
commissaires français; elle ne s'en délivra un an plus tard
que par le payement d'une somme ronde de 120 millions de
francs. Jusqu'en I8l3, d'ailleurs, elle resta constamment me-
nacée par les garnisons françaises, qui contiimèrent d'occu-
per ses trois forteresses sur l'Oder, Glogau , Kustrin et Stet-
tin, de môme que par l'altitude du duché de Varsovie, de
la Saxe et de la Westphalie à son égard.
Le roi de Suède, qui avait conduit rme armée dans la
Poméranie, et à qui l'Angleterre envoyait un renfort de
20,000 hommes, fut réduit à luir à travers la Baltique,
laissant la ville de Slralsund et l'île de Rugen aux mains
du maréchal Brune. Les deux empereurs ne quittèrent
Tilsitt qu'après avoir ratifié ce traité; et les témoins de ces
grandes scènes affirment que le tsar en paraissait aussi heu-
reux que Napoléon lui-même. Il assistait chaque jour aux
parades et aux exercices de l'armée f ançaise. Cinq ans après ,
cette amitié s'était effacée : et le magnifique édifi.e politique
élevé par Napoléon, ces nouveaux rois, ces nouvelles mo-
narchies, ces confédérations, toute cette gloire élevée si
vilcetsi haut, tout avait péri dans les désastres de la Bé-
TliMBRE
58?
résina et de Leipzig; il n'en resta qu'une carte topogra-
phique et un tombeau sur une île de l'Océan.
Les articles secrets de la paix de Tilsitt furent publiés
en Angleterre , peu de temps après l'entrée de Ca n n i ng au
ministère, dans une brodiure de Lewis Goldsmith. On y
voit que la Russie devait s'emparer de la Turquie d'Europe ;
qu'un prince de la dynastie napoléonienne devait être élevé
sur les tj'ônes d'Espagne et de Portugal ; que la puissance
temporelle du pape devait être abolie; que la France pren-
drait possession des États Barbaresques ; que Malte et l'E-
gypte devaient être restitués à la France; que la Russie s'en-
gageait à aider à reprendre Gibraltar; qu'à l'avenir la Médi-
terranée ne devaitêtre plus ouvertequ'aux navires de la Rus-
sie, de la France , de l'Espagne et de l'Italie ; enfin, que si le
Danemark mettait sa flotte à la disposition de la coalition
contre l'Angleterre, il en devait être dédommagé par la cession
des villes hanséatiques.
TIMBALE. Foye; Gobelet.
TIMBALE (mot dérivé du persan ou de l'arabe, et
qu'on écrivait anciennementTïMBALE),instrmnent militaire
plus particulièrement en usage dans la cavalerie. C'est unt
espèce de tambourin formé de deux vaisseaux d'airain, ronds
par dessous, et recouverts d'un cuir tendu qu'on fait résonner
avec des baguettes : on l'assujettit sur le cou du cheval au
moyen de fortes courroies en cuir. Ce mot ne s'emploie qu'au
pluriel ; on dit une paire de timbales, battre des timbales.
Cet instrument, qui paraît être originaire de l'Inde, a été in-
troduit en Europe par les Sarrasins. Toutefois, il ne paraît pas
que les Français en aient fait usage avant le commencement
du règne de Louis XIV. Les timbales furent supprimées sous
le règne de Louis XVI; cependant, plusieurs régiments de
cavalerie légère en avaient encore sous le premier empire
et la restauration. Les timbales servent en outre , dans les
orchestres de nos théâtres, à accompagner des symphonies
des ouvertures et autres morceaux de musique à grand eifét.
TIMBOUKTOU. Fo.yeô Tombouktou.
TIMBRE (du latin tympanum), cloche sans battant en
dedans et frappé en dehors par un marteau. Par extension
timbre se dit quelquefois du son même que rend letiudjre : Ce
timbre est trop éclatant; et ligurément, du retentissement
de la voix : Cette voix a du timbre. Chaque instrument a
son timbre particulier, qui n'est pas celui des autres, et
l'orgue seul a une vingtaine de jeux, tous de timbre diffé-
rent. En ce sens, le timbre est avec le ton et la force une
des trois qualités distinctives du son.
On a employé par analogie ce mot en blason, pour dé-
signer ce qui se met sur l'écu, comme bonnets, mortiers
casques, etc. , à cause de la ressemblance de ces objets avec
le timbre d'une horloge. De là celte expression armes tim-
brées, ce qui veut dire armes dont l'écu porte un timbre, est
marqué d'un timbre.
Timbre s'est dit ensuite de toute espèce de marque im-
primée qui fixe l'usage du papier sur lequel elle est ap-
posée et à laquelle sont attachés certains droits. Chez nous
la contribution du timbre est établie sur tous les papiers
destinés aux actes civils et judiciaires , ainsi qu'aux écri-
tures qui peuvent être produites en justice et y faire foi.
Cet impôt est plus ancien et plus généralement répandu
que celui de l'enregistre ment : il existait sous Justinien.
Dans nos temps modernes, ce sont les Hollandais, dit-on ,
qui, au commencement du seizième siècle, rétablirent
l'usage du timbre comme source de profits pour le trésoi
public.
Il existe entre les droits de timbre et ceux A' enregistre-
ment celle différence, que les premiers constituent un impôt
pur et simple, qui doit être supporté par tous, et que les
seconds sont tout à la fois le salaire perçu ep échange
d'un service public et un impôt. L'enregistrement est en
outre, dans de nombreuses circonstances, facultatif; le
timbre, au contraire, est toujours forcé dès que la pièce
peut faire titre.
Le timbre sç divise en deux natures distinctes : letimlrs
688 TIMBRE
de dimension , dont le prix est en raison de la grandeur de
la feuille employée, et le timbre ptoportionnel , dont le
prix est calculé d'après les somme et valeurs auxquelles
il est destiné. Les timbres pour le droit établi sur la dimen-
sion sont gravés pour être appliqués en noir; ceux pour le
droit gradué en raison des sommes sont gravés pour être
frappés à sec. Chaque timbre porte son prix. Il y a encore
\eti7nbre extraordinaire : c'est celui qui s'applique sur les
papiers présentés par les particuliers eux-mêmes aux pré-
posés chargés de la perception , ou sur les actes venant des
colonies et de l'étranger. Tous les actes, extraits, copies et
expéditions, soit publics, soit privés, devant ou pouvant
faire titre , ou être produits pour obligation , décharge, jus-
tilication, demande ou défense, de même que tous les livres,
registres ou minutes de lettres qui sont de nature à être
produits en justice et dans le cas d'y faire foi, ainsi que les
extraits, copies et expéditions qui en sont délivrés , sont
assujettis au timbre de dimension. Il en est de même des
actes passés aux colonies ou dans les pays étrangers dont
il est fait usage en France. Tous les effets de commerce,
tels que billets à ordre ou au porteur; les rescriptions,
mandais , mandements , ordonnances , lettrés de change ,
les titres d'actions émises par les sociétés commerciales, etc. ,
ainsi que les obligations sous seing privé, sont assujettis au
droit de timbre proportionnel à raison des sommes et
valeurs.
Tous les avis , annonces et affiches concernant les parti-
culiers sont assujettis au timbre en raison de leur dimen-
sion ; mais ce timbre est d'une quotité de beaucoup inférieure
à celle qui est tixée pour les actes. Toutefois, sont exce[>tés
les adresses contenant la simple indication de domicile ou
avis de changement, les bulletins du cours des changes , les
annonces et prospectus de journaux s'occiipant exclusi\e-
ment de sciences et d'art , les billets de faire part de ma-
riage, naissance et décès, etc. Il n'y a pas longtemps en-
core que la musique gravée était assujettie à un droit de
timbre ; et il faut convenir qu'en cela le fisc ne se montrait
guère libéral. Les journaux et écrits périodiques consacrés
À la politique sont soumis à un droit de timbre. 11 en
est de même des ouvrages oii il est question de matières
politiques, et qui se composent de moins de cinq feuilles
. d'impression. Le timbre des livres de commerce a été sup-
primé par l'art. 4 de la loi du 20 juillet 1837. Cet impôt a
été remplacé par trois centimes additionnels au principal de
la contribution des patentes.
11 faut encore mentionner, comme frappés de la contri-
bution du timbre : 1° ks passeports , dont le prix est fixé
à ^intérieur à 2 fr., et à Yctranger à 10 fr.; 2° les ports
d'armes de chasse, dont le prix est de 15 fr.
L'impôt du timl)re a été l'objet dun grand nombre de lois;
mais la principale, et celle qui peut être considérée comme
organique, est la loi du 13 brumaire an vu, par laquelle sont
réglées les obligations des citoyens et des officiers publics, et
qui fixe les amendes pour contraventions aux dispositions de
la loi.
En France Y administrât ion du timbre fait partie de la
direction générale des domaines et de l'enregistrement, l'une
des nombreuses subdivisions du ministère des finances; et
sous tous les régimes elle semble s'être attachée à être tra-
cassière entre toutes.
TIMBRE-POSTE. On appelle ainsi une estampille
vendue par l'administration des postes et que l'expéditeur
d'une lettre appose sur l'enveloppe, à côté de l'adresse, afin
qu'elle parvienne franche de port au destinataire. Le taux des
timbres-poste varie suivant le poids des correspondances
qu'ils ont pour but d'alfranchir. On attribue généralement
aux Anglais l'invention de ce moyen si simple et si com-
mode d'affranchir les lettres , en usage aujourd'hui dans
tous les pays civilisés ; et en effet c'est en Angleterre qu'il
fut pour la première fois appliqué, en 1839. L'honneur en
revient cependant à un suédois, M. de Treflenberg, qui
dès 1823, dans la session de la diète suédoise, adressait
- TIMES
à l'ordre de la noblesse une proposition tendant à ce que
l'État fût autorisé à émettre du papier timbré spécialement
destiné à servir d'enveloppes aux lettres, qui se trouveraient
ainsi affranchies; innovation de laquelle devait résulter,
suivant l'auteur de la proposition, une grande commodité,
et pour l'administration des postes et pour les expéditeurs
de correspondances. Quoique vivement appuyée, la proposi-
tion de M. de Treffenberg lut rejetée par la diète à une
forte majorité ; mais l'idée, aussi simple qu'ingénieuse, qu'il
avait émise ne fut pas perdue, et les Anglais surent en faire
leur profit.
TIMÉE DE LOCRES, ville de la basse Italie, philo-
sophe pythagoricien, qui florissait au cinquième siècle av.
J.-C, revêtit parmi ses concitoyens les plus hautes magis-
tratures. Platon , qui avait assisté à ses leçons, déroba son
nom à l'oubli en le donnant pour titre à l'un de ses dia-
logues. Il y a déjà longtemps, du reste, que la critique a si-
gnalé comme apocryphe l'ouvrage Sur Came du Monde,
écrit dans le dialecte dorien , existant encore aujourd'hui
sous le nom de Timée , et où l'on remarque une analogie
frappante avec le dialogue de Platon qui porte le même
titre.
TIMES (r^e), c'est-à-dire Les Temps, le plus important
organe de la presse quotidienne à Londres, fut fondé le
13 janvier 1783, par l'imprimeur W aller, sous le titre de
London daily universal Rerjister, mais parut sous son
titre actuel à partir de janvier 1786. Cette feuille, dont les
proportions sont aujourd'hui gigantesques , n'avait dans
l'origine qu'un format de 33 centimètres de haut sur 15 de
larue. En feuilletant les numéros de l'ancienne collection, on
trouve une preuve frappante de plus de l'immense dévelop-
pement pris de nos jours par les relations de peuple à peuple
et de la rapidité avec laquelle ont lieu leurs communica-
tions. Ainsi, en 1789, une nouvelle partie du Brandebourg
le 16 avril ne paraissait dans le Times que le 30 du même
mois; une correspondance expédiée de Varsovie le 19 avril
n'était publiée que dans le numéro du 4 mai , et ce môme
numéro contenait des nouvelles de Constantinople du 22
mars. Les correspondances du Levant ne paraissaient donc
qu'à six semaines de date dans un journal qui en 1856, en
pleine guerre d'Orient, se plaignait amèrement de ce que les
nouvelles de Crimée mettaient six jours à arriver à Londres.
Le Times n'eut d'abord qu'un succès médiocre, et fut bien
moins goûté par le public que d'autres journaux, tels que
le Courier et le Morning Chronicle; il en fut autrement
quand la direction en eut passé, à partir de 1803, entre les
mains de John Waller fils, qui la conserva jusqu'à sa mort,
arrivée en 1847. Celui ci résolut de rendre son journal
indépendant du gouvernement aussi bien que des partis,
et d'en faire le véritable représentant de l'opinion. Du mo-
ment où il renonçait à avoir avec l'administration les
moindres relations, soit directes soit indirectes, et qu'il s'af-
franchissait ainsi de ses intluences patentes ou occultes,
l'éditeur devait s'attendre à être l'objet de mille tracas-
series, et elles ne lui manquèrent pas non plus. C'est ainsi,
par exemple, qu'il ne fut point autorisé à se servir pour
l'expédition de ses dépêches des paquebots frétés pour le
compte du gouvernement. Que fit-il alors? Il organisa
un service de dépêches à lui ; il eut ses propres courriers ,
il fréta des paquebots; et tout cela lut fait avec tant d'intel-
ligence, que maintes fois il arriva au rédacteur d'un simple
journal ayant sa boutique dans le Strand d'être et plus
promplement et plus sûrement informé sur les faits de la
politique extérieure que le gouvernement lui-même. Aussi
le public prit-il l'habitude de lire le Times pour avoir les
nouvelles les plus fraîches; et l'intelligent propriétaire
ne recula devant aucun sacrifice pour conserver celte 5pé-
cuUité&i rendre à cet égard toute concurrence impossible.
Walter donna aussi un soin tout particulier au compte rendu
des séances du parlement. A cet effet il attacha à la rédaction
de sa leuille les sténographes les plus habiles; et ce fut lui
qui introduisit dans la presse de Londres l'usage de cou-
TIMES -
«ntrer un leading article, un article de tête, à un résumé
et en même temps à une appréciation politique de la séance,
dont les débats étaient rapportés in extenso dans une antre
partie de la feuille; compte-rendu sommaire, à l'usage des
lecteurs qui n'avaient pas le temps de dévorer les quinze
ou vingt colonnes consacrées au récit des débats parlemen-
taires de la veille. En même temps Walter attachait à la ré-
daction du Times les publicistes les plus forts , qui y obte-
naient pour leur travail une rétribution de beaucoup plus
élevée que celle qu'eût pu leur offrir toute autre feuille. Le
rédacteur en chef fut d'abord l'énergique et original Stod-
dard, puis Thomas Barnes, l'un des savants les plus dis-
tingués de l'Angleterre, mort en 1841, et ensuite Lawson.
C'est aujourd'hui M. John Delane. Parmi les principaux
collaborateurs, on cite lord Brouglwm, et surtout le capi-
taine Sterling, écrivain dont les débuts dans le Times
remontent à 1830, auteur d'articles brillants, surnommés
les coups de foudre du Times, et qui souvent eurent dans
le monde politique un retentissement prodigieux.
C'est aussi à Walter que revient l'honneur d'avoir le pre-
mier employé la vapeur comme moieur pour le tirage d'un
journal. Le premier essai en fut fait le 29 novembre 1814.
Les premières presses à vapeur ne tiraient que 12 à 1,300
exemplaires à l'heure. Celle dont on.se.sertaujourd'iini peut
au besoin tirer 12,000 exemplaires à l'heure; en ce moment
on en construit même une qui , dit-on, tirera 25,000 exem-
plaires à l'heure. Le tirage du Times, (\ni en 1836 n'était
encore que de 10,000 exemplaires, dépas.se aujourd'hui
40,000 exemplaires. Ce journal occupe constamment et pour
lui seul deux fabriques de papier, et paje annuellement à
l'État, pour la taxe du papier et des annonces, ainsi que pour
le timbre, 95,000 liv. st., c'est-à-dire 2 millions 375,000 fr.
Ses presses à vapeur consomment journellement 20 quintaux
de cliarbon. Il est obligé d'acheter chaque année six tonnes,
c'est -à-dire 1 20 quintaux , de caractères neufs, et 1 1 6 ouvriers
sont constamment occupés dans l'atelier de la composition. Le
nombre des compositeurs permet de juger de celui de toutes
les personnes employées à la confection matérielle de la feuille.
11 est de plus de 1,000. Depuis le chitfonnier qui recueille
la matière première du papier dans les rues les plus dégoû-
tantes, jusqu'à l'homme d'Etat qui écrit l'article de fond, que
de degrés divers, que d'activité!
Une feuille comme le Times ne peut naître et subsister
qu'en Angleterre, dans un pays dont l'influence s'exerce sur
toutes les parties du monde ; dans un pays où règne la liberté
illinMtéede la presse, et où toutes les entreprises commerciales
se fondent d'habitude sur des bases colossales. Le Tiuies tait
connaître à ses lecteurs les événements des coins du monde
les plus reculés , mais le Times est lu aussi dans tous les
coins du monde.
Les collaborateurs du Times reçoivent de magnifiques
honoraires. Les rédacteurs ordinaires ont un traitement tixe
de 500 liv. st. (12,500 fr.) et ont droit à une pension de re-
traite après dix ans de service. Un certain nombre de ré-
dacteurs ne fournissent pas d'articles tous les jours; et ce-
pendant ils jouissent d'un traitement de 150 liv. sterl.
(3,750 fr. ) par an, sous la seule obligation de faire chaque
jour acte de présence dans les bureaux du Times et d'être
constamment à la disposition de la direction. Il arrive par-
fois que la nuit ils reçoivent l'ordre de partir immédiate-
ment pour une ville plus ou moins éloignée et où, à un
moment donné , la direction croit nécessaire d'avoir un
correspondant. Ces missions sont toujours largement rétri-
buées. Personne ne connaît les auteurs des articles de fond.
On sait seulement qu'ils occupent des positions importantes
et qu'ils reçoivent des sommes considérables. On garde par-
faitement ces secrets littéraires en Angleterre , témoin les
lettres deJunius, dont, malgré toutes les recherches faites
depuis bientôt cent ans, l'auteur est toujours inconnu.
Quand on jette les yeux sur un numérodu Times, l'énorme
quantité d'annonces qu'on y aperçoit explique bien vite
turament une entreprise particulière peut supporter des
TIMON 589
frais généraux aussi immenses et produire encore à son
propriétaire des revenus princiers. H faut savoir aussi que
la publicité du Times est une publicité loyale, et n'a rien
de commun avec celle que les grands journaux de Paris
continuent à vendre si cher à leurs dupes. Comme eux le
Times ne débite pas sous des noms supposés du chocolat,
du savon, du vinaigre de toilette, des pâtes pour le rhume
des remèdes infaillibles contre certaines maladies, des ar-
ticles de modes, des gravures, des livres, etc., etc. L'abus
auquel nous faisons allusion disparaîtrait de nos journaux
si, conformément au bon sens et à la justice, chaque an-
nonce était chez nous comme en Angleterre frappée d'un
droit proportionnel au profit du trésor public.
Le propriétaire actuel du Times est John Walter, troisième
dunom, petit fds du fondateur, etdepuisl847 membre de la
chambre basse, où il représente la ville de Nottingham.
TIMIDITÉ. C'est la crainte du blâme. Elle vient sou-
vent du peu de connaissance qu'on a des usages du monde.
Quoiqu'elle ait l'amour-propre pour principe, elle est ce-
pendant toujours la marque de la modestie, et suppose la
connaissance de nos dotants. La timidité fait souvent un sot
d'un homme de mérite, en lui ôtant la présence d'esprit et
la confiance nécessaires dans le commerce du monde. Il y
a une timidité Aimable, qui vient de la crainte de déplaire;
c'est la tille de la décence. Il y a une timidité slupide, na-
turelle à un sot embarrassé de savoir que dire.
TIMOLÉON, célèbre capitaine de l'antiquité, natif de
Corinthe, avait au plus haut degré l'amour de sa patrie, dont
il défendit l'indépendance en diverses circonstances contre
l>lusieurs tyrans, soit indigènes, soit étrangers. Il lit mettre à
mort son propre frère, Timophane, qui avait voulu s'empa-
rer de la puissance souveraine. Le chagrin qu'il en éprouva
le força à s'exiler volontairement, et il ne revint qu'au bout
de quelques années à Corinthe, quand les Syracusains invo-
quèrent l'assistance des Corinthiens contre la tyrannie de
Denys le jeune. Timoléon fut alors envoyé en Sicile (vers
l'an 345 av. J.-C. ) à la tête de nombreuses forces de terre
et de mer. Non-seulement il réussit à renverser Denys, qai
fut réduit à aller demander asile aux Corinthiens eux-mê-
mes, mais encore, par la victoire qu'il remporta sur les Car-
thaginois (en 342 av. J.-C , ) sur les rives du Crimissus, il
les contraignit à évacuer la Sicile. Timoléon rendit alors
aux Syracusains leur indépendance, et refusa la puissance
souveraine qu'ils lui offraient, pour vivre dans la retraite. Il
mourut à Syracuse, en l'an 337. Sa vie a été écrite par Plu-
tarque et par Cornélius Nepos.
TIM01\,surnommé le Misanthrope,nsi(]u\tpe\) delemps
avant la guerre du Péloponnèse, dans un petit bourg de
l'Attique. Les malheurs de sa patrie et l'ingratitude de ses
amis, qui l'abandonnèrent lorsqu'il eut dissipé avec eux son
patrimoine en folles prodigalités, lui inspirèrent, dit-on,
cette haine pour le genre humain dont il se vanta pendant
toute sa vie avec le cjnisme de Diogène. « Je hais les uns,
disait-il, parce qu'ils sont méchants, et les autres parce qu'ils
ne haïssent pas assez les méchants. » Le jeune Alcibiade
seul trouvait grâce aux yeux de Timon, et cela, disait le mi-
santhrope, parce qu'il prévoyait les malheurs qu'il cause-
rait un jour à sa patrie. Aussi Aristophane le représente-t-il
comme un homme entouré d'une impénétrable haie d'épines,
haï de chacun , et tenu pour la progéniture des Furies. Plus
tard Lucien l'a pris pour sujet d'un de ses plus spirituels
dialogues , que nous possédons encore sous le titre de Ti-
mon. C'est là que Sliakespeare a pris le caractère de son
Timon d'Athènes.
A qui apprendrons-nous que Timon est le pseudonyme
adopté par M deCormenin dans sa lutte haineuse contre
Louis-Philippe?
TIMON LE PHLIASIEN ou LE SCEPTIQUE, appelé
aussi le Syllograpfie, naquit à Phlios, bourg de l'Attique,
vers l'an 272 av. J.-C, et se consacra d'abord à l'art de la
danse. Plus tard il étudia la philosophie, pour laquelle il
prit surtout des leçons de Stilpon à Mégare et de Pyrrhon
590
TIMON
en ÉliJe- Comme beaucoup d'autres sceptiques, il joignit
aussi il cette éîode cslle de la médecine. D'Élide il se ren-
dit à Chalcédomp, pour y enseigner la philosophie et l'élo-
quence, et de la à Alhènes, où il mourut, dans un âge
avancé. Parmi ses ouvrages, écrits les uns en vers et les
autres en prose, dont quelques fragments sont parvenus jus-
qu'à nous, on distingue surtout un poëuie didactique, phi-
losophique et satirique, composé de trois livres, sous le titre
de 6'(//es (c'est le nom que les Grecs donnaient à une espèce
de f oëme très-mordant), qui a été l'objet de savants tra-
vaux de la part d'Lckermann, de Wœlke et de Paul.
TIMON.XERIE, ÏIMONNIERS. Ou appelle (iinon-
nerie, à bord des navires, l'espace situé sur le gaillard d'ar-
rière, où est placé l'habitacle contenant les boussoles ; et
timonuïers les hommes de l'équipage à qui on contie à tour
de rôle le soin de diriger le timon.
ÏIMORjla pliisimportante des petites îles de la Sonde ,
dans la merdes Indes, d'une superlicie de 400 myriam. car-
rés , est en partie fertile et en partie stérile. Sou sol est hé-
rissé de hautes montagnes, mais ne présente pas de volcans.
On trouve de l'or dans quelques-unes de ses rivières, mais
elle n'ollre pas la luxuriante végétation que le voyageur de-
vrait s'attendre à rencontrer par le 13" parallèle, et qu'on
peut même remarquer dans sa partie septentrionale. Pau-
vre en mammifères, elle est en revanche assez bien peuplée
d'oiseaux. Le règne minéral présente, près de L)illy, d'Ade
etdeMantoto, îles mines d'or el de cuivre (ort abondantes
aujomd'hui. Le règne végétal fournit du beau bois de sandal,
le teck, le bambou, le bananier, le cocotier, le latanier, dont
les feuilles servent a fabriquer les voiles des prahans , le
tamarinier, l'attier, le bois de ro.se, le coton, le tabac, l'in-
digo , le caféyer, la canne à sucre, etc. Le tré/jcing ou t7'i-
;>«)( ^ constitue un important objet d'exportation. Les ha-
bitants, an nombre d'environ HOO.UOO, se composent de
Chinois, de Portugais, de Papous et de Malais. Ces der-
niers, qui constituent la grande majorité, professent le ma-
bométisiut pratiquent la polygamie et se tatouent. Il y a
environ 1U5 myriam. carrés du territoire qiri sont demeurés
indépendants, sous l'autorité de radjahs indigènes.
La partie sud-ouest, comprenant ime superlicie d'environ
140 myriamètres cariés, a()partient aux Hollaniiais. Leur
gonvernemenlde Timor, qriicoirrprend aussi diverses autres
petites îles de la Sonde, a 730 myriam. carrés de superficie
et une populalion de 1,057,800 haliilants.
La côte nord-est, soit 140 myriam. carrés, appartient de-
puis longtemps aux Portugais, avec plusieurs arrtres petites
factoreries. Dilly, portdemer, est la résidence de leur gouver-
neur Il y a même encore une petite ville habitée par des mu-
làtresportrigais complètement noirs. Les Portugais évaluent
la superli(ie totale de \?>ur gouverneme)U de Timor à 442
myriam carrés, et sa population à 918,300 habitants.
TIAÎOTHÉE, compagnon de l'apôtre saint Paul, était
originaire de la Lycaonie, et fut préparé par sa mère, ICu-
nice, qui avait quitté le judaïsme porrr le christianisme, à re-
cevoir plus tard les enseignements de l'apôtre. Ordonné
prêtre par saint Paul, Timothée parcourrrt, soit en sa com-
pagnie, soit envoyé par lui en mission, la Macédoine et la
Grèce. Suivant la tradition, il fut le premier évèipie d'É-
phè>e, etsoulfrit le martyre , sous le règne de Domitien.
TIMOTHY-GRASS. Voyez Fléole.
TIMOUU , c'est-à-(lire,/'cr, appelé au.ssi Timoiir-Bcg ou
Tiiiioiir-Lcng , c'est-à-dire Tiinorrr le boiteux, |)arce qu'il
boitait, et vulgairement Tainerlan, célèbre conquérant asia-
ticpie, naquit vers l'an 133C. Il prélenlait descendre de
Djinghi/.-K ha n ; suivant d'autres, il était le fils d'un
berger ou encore d'un chef mongole. Quand la dynastie de
Djagataï tomba en décadence. Timoirr s'empar-ade l'arrtoiité
suprême, lit deSamar kande le siège île son nouvel empire,
conquit successivement la Perse, toute l'Asie centrale de-
puis la muraille de la Cliine jusqu'à Moscou, et en 1398
tfut rilindoustan deimis l'Indus jusqti'à l'embouchure du
Gange. Le carnage et la dévastation sij^nalèr ent en tous lieux
TINIO
son passage, en même temps que ses victoires rendaient son
nom fameux au loin. Aussi plusieurs petits princes turcs
que le sultan Bajazetl*"^ avait subjugués invoquèrent-ils
son gpprii. En conséquence, a|irès avoir dévasté Bagdad,
incendié Damas et enlevé la Syrie aux Mamelouks, Timouv
envahit les États de Bajazet dans l'Asie Mineure à la tête
d'une armée formidable. La bataille qui se livra le 20 juillet
1407 dans les plaines d'Ancyria (aujourd'hui Angora), en
Anatolie, fut décisive. L'armée de Bajazet fut complètement
battue, et le sultan lui-même tomba au pouvoir du vain-
queur. Timoiir le fit transporter dans une litière grillée;
c'est cette circonstance qui a donné naissance au conte sui-
vant lequel Bajazet aurait été enfermé dans une cage de fer.
Timour moirrut au milieu des préparatifs qu'il faisait pour
une expédition en Chine, en 1405. Un de ses descendants,
Babour, fit de 1498 à 1519 la conquête de l'Hindoustan,
et devint le fondaterrr de l'empire du Grand-Mogol.
Quoique sauvage et cruel au plus haut degré , Timour n'en
fut pas luoins un homme extraordinaire. Il ne se distingua
|)as seulement par ses qualités guerrières et son habileté , il
savait encore apprécier les sciences; et lui-même avait ac-
qiris qrrelques notions scientifiques , ainsi que cela ressort
de plusieurs de ses institutions. Consultez Langlès, Insti-
tuts politiqtiex et militaires de Tamerlan (Paris, 1787).
TINCTORIALES ( Matières). On range sous cette dé-
nomination les bois qu'emploie la teinture, leurs ex-
traits , le ta nni n , etc.
TINCIIEBRAY. Voyez Orne (Département de i').
TLXDAL (Matthëw), jurisconsrdte anglais, qui s'est
fait un nom parmi les adversaires de la religion révélée, na-
quit en 1657, à Bear-Ferrers, dans le comté de Devon. Après
avoir fait ses éludes à Oxford, il embrassa la religion ca-
tholiqrre lorsque les conversions devinrent une affaire de
mode sous le règne éphémère de Jacqrres II; et ce prince,
à qui il rendit des services de plus d'un genre, l'en récom-
pensa par une pension de 200 liv. st. Tindal , à l'effet de con-
server sa pension, abjura le catholicisme dés que fut venu le
règne de Gnillanme , et parvint à capter la faveur de ce mo-
narque de même que celle de ses successeurs. Il ne s'atta-
qua d'abord qu'au clergé, dont il voulait abolir les divers
privilèges. Plus tard il leva complètement le masque, prit
le christianisme lui-même à partie, et s'efforça de démoi''.rer
l'inutilité de la révélation divine. L'ouvrage qu'il composa
sur ce sujet : Chnslianify as old as tlie création , or the
gospel a republication of t/ie religion qf nature ( Lon-
dres, 1730), a souvent été réimprimé; mais l'évêque de Lon-
dres, le D' Gibson, parvint à erupêcher qu'on n'en fît paraître
la seconde partie Un livre publié en 1750 comme seconde
partie de cet ouvrage est apocryphe. Les œuvres de Mat-
Ihew Tindal sont encore aujourd'hui en grande estime
pai-mi les déi.stes anglais. Tindal mourut à Oxford, en 1733,
doyen deyl/Z Soûls Collège.
TliVGITANE. Voyez Ma.i;rit.\nie, Numidie et Tanger.
TIMKAL. Voyez Bor*x.
TINOS, l'imedes C y cl a des. Voyez Tenos.
TINTEMENT D'OREILLES. Foy .-Bourdonnement.
TINTO [liio), fleuve de la pi-ovince de Huelva (Espagne),
dépendant de l'ancien royaume de Séville, prend sa source
daiîs la partie la plus sauvage de la Sierra-Morena occiden-
tale, traverse le bassin d'Aracena, contrée pittoresqueet bien
cultivée, qui tir-e son nom d'une jolie petite ville de 2,500 ha-
bitants qir'on y trouve, coule ensuite au sud, et vient se jeter
dans une baie de l'océan Atlantique, à peu de distance du
port autrefois célèbre de Mogner, dans les environs de
Huelva. Dans la partie supérieure de la vallée se trouvent de
célèbres mines de cuivre, appartenant à la couronne. Il doit
ce nom de RioTinto à ses eaux jaunâtres et cuivreu.ses, qui
jouissent de la propriété de teindre en jaune et de pétrifier
tout ce qu'on y dépose. Aussi aucune espèce de poisson n'y
peut-elle exister, et les plantes mêmes se dessèchent-elles sur
ses rives.
Tinto ou vino tinta est le nom d'une espèce particulière
TINTO — TIPPOU-SAIB
591
de vignes du midi de l'Espagne, mûrissant de lionne lienro,
et dont les raisins donnent un vin sucré, très-cpais et d'un
rouge foncé , qu'on emploie souvent pour donner de la
couleur à d'autres sortes. On vante surtout le (into de Ali-
cante, le tinto de Rota des environs de Séville et le
tinto de las montanas de la Catalogne.
TIJXTORET (Le), Il Tintoretlo, peintre d'histoire,
dont les véritables noms étaient Giacomo Robusti , né à Ve-
nise, en 1512, était le fils d'un teinturier, d'où le surnom sous
lequel il est généralement connu. D'abord élève du Ti-
tien , il ne tarda pas à se brouiller avec lui, et déserta son
atelier, pour ne suivre désormais d'autre guide que lui-même.
D'ailleurs, loin de méconnaître le mérite du grand peintre
dont il avait un instant pris les leçons, il se mit, au con-
traire, à l'étudier avec ardeur, joignant à cette étude celle
des sculptures de Michel-Ange, dont il put se procurer des
plâtres, ou encore l étude des oeuvres de l'antiquité. Quand
il s'arrachait à son isolement, c'était pour se joindre, sans
demander aucun salaire, à des peintres ouvriers dont il
partageait tous les travaux. Son but était d'acquérir ainsi
une grande liberté demain; et il s'estimait heureux lorsque
des peintres célèbres, teisque le Schiavone , par exemple,
dont il aimait beaucoup le coloris , voulaient bien l'accepter
pour aide. Parvenu à la connaissance complète de- son art,
il fallait trouver l'occasion de l'employer; ce qui n'était pas
chose facile, car à cette époque Venise possédait un grand
nombre de peintres habiles, qui obstruaient toutes les ave-
nues. Pour vaincre cet obstacle le ïintoret ne trouva
rien de mieux que d'offrir d'abord ses services sous la seule
restitution de ses dépenses matérielles. Doué d'une (écon-
dité vraiment incroyable, et d'une rapidité d'exécution qui
secondait à merveille la vivacité de son imaf^ination , le
Tintoret exécuta un nombre de tableaux dont la nomencla-
ture seule, dégagée de toute appréciation, serait extrême-
ment longue. A cette époque , le sénat de Venise sentit
la nécessité de faire remplacer dans le palais ducal toutes
les anciennes peintures dont il était orné; notre peintre
fut chargé d'exécuter une partie de ces nouvelles pein-
tures. L'exécution rapide ,/ougueîise môme, ainsi que les
Italiens la qualifient, du Tintoret, présentait un écueil
qu'il ne sut pas éviter; il finit par ne plus étudier suffisam-
ment ses ouvrages, et dès lors il perdit l'estime des
connaisseurs : il y a donc une grande diflérence entre les
premières productions de ce pemtre et celles de sa seconde
époque. Au reste, de même que ce n'est (ju'à Anvers que
Ton peut bien juger Rubens, ce n'est qu'à Venise, où tous
les monuments publics sont ornés de ses peintures, que l'on
peut apprécier le talent du Tintoret. On y admire entre au-
tres un Jugement dernier, une Sainte Agnès, un Saint
Rocli, une Adoration du veau d'or, un Crucifiement , et
dans le palais des doges son célèbre Paradis, page colossale
de 10 mètres de hauteur et de 24 mètres de longueur. Outre
ses tableaux, le nombre de portraits qu'il a exécutes est
vraiment incroyable. Nous signalerons plus particulièrement
celui d'Henri 111, qu'il peignit à son passage ta Venise.
Tintoret mourut en 1594, âgé de quatre-vingt-deux ans;
il avait eu deux e.n\'Ani& , Marietta et Dominique. Mariettn,
à qui son père avait fait étudier la peintuic, et qui excellait
également dans la musique, se consacra presque exclusive-
ment au portrait, genre dans lequel elle eut un talent très-
distingué. Ij 'empereur Maximilien, le roi d'Espagne, l'ar-
chiduc Ferdinand, voulurent l'attirer près d'eux; mais son
père, qui l'aimait éperdument, ne voulut jamais s'en .sépa-
rer. Marietta mourut jeune, et le Tintoret fut, pendant le
reste de sa vie , inconsolable de cette perte. Dominique,
comme sa sœur, se livra surtout au portrait; il a cependant
fait un assez grand nombre d'autres ouvrages; mais dans
les deux genres il est resté inférieur à son pèie.
P. -A. CoupiN.
TIPPERA.RY, comté delà province de Munster (Ir-
lande) , d'une superficie de 52 myriam. carrés, dont onze
en marais et landes. C'est l'un des comtés les mieux culti-
vés de l'Irlande ; mais l'élève du bétail a de fous temps cons-
titué sa plus grande source de richesse. On y trouve quel-
ques filatures, des fabriques de drap, de cotonnades et d'é-
toffés de laine , et des distilleries de wisky. Ses mines de
cuivre, de plomb et de houille sont peu productives. Le com-
merce y est favorisé par le Shannon et par le Suir, qui sejette
dans la baie de Waterfoi'd , ainsi que par le chemin de fer
de Dublin à Limerick, qui traverse tout le comté. En 1841 la
population était de 435,544 habitants; en 1851 elle n'était
plus que de .525,829 ; ce qui accuse une diminution de 25
p. 100. Le comté de Tipperary appartient presque torrt en-
tier au comte d'Orrnoiid; il est divisé en 10 baronnies et
186 paroisses. Son chef-lieu, Casiiel, sur la rive orientale du
Suir, avec un embranchement srrr le chemin de fer princi()al,
est le siège d'un archevêché de l'Église anglicane. On y compte
7,000 habitants. Les autres localités irripoitantes sont C'ion-
me/, sur le Suir, avec 15,000 liabitants; Currick-on-Suir,
avec 9,000 habitants , toutes deux centres d'un coiTiiiierce
fort actif, avec diverses manufactures; Tipperary, bourg de
7,000 habitants, et Thurless, auti e bourg, dont la population
est aussi forte.
TIPPOO-SAÏIEB. Voyez Tiip!U-Saïb.
TIPPOU-SAÏBouTlt^POO-SAHE15, sultan de Mysore,
l'un dus fils de H y der-Al I, né eu l75l , succéda à .son
père, le 10 déceurbre 1782. Obéissant aux volontés pater-
nelles, il avait jrrié anx Anglais une haine implacable. Il
continua donc à leur faire la guerre jus<iu'à ce ipie la paix
coirchieà Mangleloie, le 11 mai's 1784, y mit fin sans trop
de désavantage pour hri. Mais ayantattaqué, en 1787, lerad-
jah (le Tr'avanc.ore , allié de l'Angltterre, les Anglais con-
tractèrent avec les Mahrattes et le soubah de Dekkan une
allijiiice offensive etdélensive dirigée contre lui, et dès 1790
et 1791 ils s'étaient emparés du diverses jjlaces fortes du
Mysoie. En 1792 lord Cornwallis et Abercrombie pénétré-
reirt jusqu'à Serirrgapatam, et assiégèrent Tippou-Saïh dans
sa capitale. Ce prirrce fut alors réduit à implorer la paix, qui
fut ccjuuhre le 24 lévrier 1792, à des conditions fort humi-
liantes pour hri. Il dut payer aux coalisés une indemnité de
guerre de 33 millions de roupies et leur abandonner pi'ès
de la moitié de ses États. Mais ces revers ne firent qu'exas-
pérer encore davantage .sa haine. Il s'efforça d'exciter di-
vers souverains de l'Inde contre ses irréconciliables enne-
mis, corichrt en secret un traité d'alliance avec la France, et
fit de formidables armements. Ces pr-éparatils ayant coïn-
cide! avec l'invasion de l'Egypte par Bonaparte, parurent
airx Anglais de natur'e à compromutti'e au plus haut degré
la sécurité de leurs possessions dans l'Inde. Enconséqrrerice,
Ïippou-Saïb fut sommé d'avoir à cesser imim di/'tement ses
armements et à renvoyer les officiers français enti'és à son
service. .Sur son refus d'obéir, lu gouvernement anglais lui
déclara la guerre, le 22 février 1799 Deux armées envahi-
rent en môme temps le Mysore, l'une à l'est de Bombay,
sous lus ordres dir général Sfuart, el l'autre à l'ouest, sous
les ordres du gérréral Hairis; et elles battirent , dans deirx
rencontres, les troupes du sultan, qui, de sa personne, dut
alors se réfugier à Seringapatam. Mais cette ville fut prise
d'assaut, le 4 mai, par l'armée aux ordres de Marris Le sul-
tan périt sur les remparts, au milierr de la mêlée. Par poli-
tique, les Anglais partagèrent le royaume de Mysore avec
leurs alliés , les Mahrattes et le sorrbah de Dekkan. Us as-
signèrent pour .séjour à la famille de Tippou-Saïb, composée
de treize fils, d'un grand nombre du filles, de ses femmes
et autres parents du sexe féminin, la forteresse de Vellore
dans lu Karnalik , avec une pension annuelle de 720,000
roupies.
Tipiiou-Saïb frrt lui-même la cause de ses désastres. Il
avait repoussé loin de lui ses anciens ministres et ses vieux
officiers, ne s'enloiirant qrre de fiatteurs. il se fiait aussi
beaucorrp trop arrx pi'omesses des agents fiançais. Mais à
part ces illusionsde la passion, on doit reconnaître qu'il avait
un génie remarquable et comme la nature n'en produit que
bien rarement. Il embrassait d'un coup d'œil les questions
£92
administratives ou militaires les plus diverses, se montrant
aussi bon administrateur que politique habile et rusé. La
guerre et les combats étaient les sujets favoris de ses médi-
tations. Sa précieuse bibliothèque et son tigre automate font
aujourd'hui partie du musée de la Compagnie des Indes
orientales, à Londres.
TIPULE, genre d'insectes diptères. Les tipules, de même
que les cousins, ont le corps étroit et allongé, avec les
pattes longues et grêles ; mais elles ne sont nullement of-
fensives. On en rencontre dan* presque tous les pays; elles
sont surtout communes dans les prés des régions tempérées,
en France et en Allemagne.
TIR. La théorie du tir des armes à feu forme l'objet de
labalistique. Cette science , aidée de l'expérimentation,
permet de déterminer les meilleures conditions de tir d'une
arme donnée.
Le projectile lancé par nne arme quelconque est soumis à
l'action de la pesanteur; d'où il résulte qu'au lieu de se
mouvoir en ligne droite, il décrit une courbe nommée tra-
jectoire. Cette courbe serait tout entière au-dessous de la
ligne de mire si celle-ci était parallèle à l'axe du centre;
mais le renfort de métal qui présente le tonnerre de la plu-
part des armes fait que la ligne de mire naturelle (c'est-k'
dire celle qui passe par les points les plus élevés de la cu-
lasse et de la bouche du canon) coupe l'axe à une petite dis-
tance delà pièce, et un peu plus loin la trajectoire. Jusqu'au
buten blanc, cette courbe est au-dessus de la ligne de
mire. Ceci explique pourquoi on se sert de hausses mobiles
pour viser les points jilus rapprochés ou plus éloignés que
le but en blanc. Des tables ont été calculées pour détermi-
ner ces hausses suivant les différentes ai mes et les diverses
distances auxquelles elles sont employées.
TIRABOSCIil (GiROLAMo), littérateur italien, né en
1731, à Bergame , embrassa de bonne heure l'état ecclé-
siastique. Après avoir rempli les fonctions de professeur dans
divers petits collèges de Milan et de Novare, il fut nommé
à la chaire de rhétorique du collège de la Brera , à Milan, et se
fit alors un nom, aussi bien comme écrivain que comme pro-
fesseur. Plus tard il devint bibliothécaire du duc François III
de Modène. Il utilisa alors les nombreux matériaux qu'une
telle place mettait à.sa disposition pour écrire sa célèbre Storia
délia Letteratura italiana (13 vol., Modène, 1772-1782),
ouvrage non moins remarquable sous lerapportde l'érudition
que sous celui de l'exactitude, qnicompremi l'histoire litté-
raire de l'Italie depuis l'origine de la civilisation dans la Pé-
ninsule jusqu'en 1700. On est étonné de la masse énorme
de documents qu'il y a réunie , de môme que de leur impor-
tante valeui. ïiraboschi mourut à Modène, en 1794.
TIRAGE AU SORT. Voyez Sokt.
TIRAILLEUR, fantassin détaché d'une compagnie ou
d'un peloton et qui fait usage de ses armes isolément; d'où
résultent pour lui des mouvements plus libres, un meilleur
maniement de son fusil , et ce qui lui permet de piotiter des
moindres accidents de terrain pour s'abriter ; avantage que
perd l'infanterie quand elle combat en masses régulières.
Un autre avantage qu'on a avecles tirailleurs, c'est de pou-
voir occuper une grande étendue de terrain avec un petit
nombre d'hommes, ménager les masses, les réserver pour
les coups décisifs sans les ex poseï d'abord à de grandes pertes,
engager ou interrompre à volonté un combat, et profiter
des accidents du terrain , tant pour l'attaque que pour la dé-
fense , sans mettre tout de suite en ligne des forces consi-
dérables. Les tirailleurs se placent de qnatre à dix pas de dis-
tance, suivant les indications du moment, ou constituent par
sections des groupes de feu, ou bien encor forment ce qu'on
appelle des tirailleurs en grandes bandes. Leurs mouve-
ments ont lieu d'après des signaux donnés par le clairon.
Le feu une fois engagé, les tirailleurs doivent se soutenir
mutuellement, de telle sorte que l'un ne décharge son arme
que lorsque son voisin a fini de charger la sienne. Us ont
besoin d'être solidement soutenus, aussi bien au centre que
«ur les ailes. Comme ils ne sauraient résister au choc de la
TIPPOU-SAÏB — TIRÉSIAS
cavalerie, non plus qu'à l'attaque à la baïonnette des masses
d'infanterie, ils doivent être exercés à former eux aussi, par
de rapides mouvements de concentration, des groupes ca-
pables de se défendre à la baïonnette.
[ Le tirailleur est un enfant de nos guerres de la révolu-
tion. Son nom était inconnu à nos ancêtres. Rarement
ils avaient recours à son intervention , et ils rap|>elaient
chasseur à pied. Les grenadiers de Louis XIV, d'abord
nommés enfants perdus, étaient en réalité des tirail-
leurs : tel était ensuite le rôle de l'infanterie légère, qui
faisait partie des légions employées dans les guerres
de Louis XV. La tactique de Frédéric II, sa manière de
combattre, en manœuvrant continuellement sous un seul
commandement, en n'abandonnant jamais le soldat à
lui-même, n'étaient pas de nature à encourager la guerre
de tirailleurs, puisque alors c'était à qui imiterait les
Prussiens. Frédéric, cependant, avait des carabiniers à
pied; mais après ses grandes campagnes il en réduisit
le nombre, et renonça presqu'à l'emploi de la carabine.
L'Autriche avait ses célèbres Tyroliens. Dans la guerre
d'Amérique, c'étaient les compagnies de chasseurs des ré-
giments d'infanterie française qui servaient comme tirail-
leurs. Quand la Ruerre éclata en 1792, quand la Fiance se
leva, chacun des combattants voulut être une troupe à lui
seul. Le temps manquait pour discipliner une telle ardeur ;
le combat isolé devint de mode; les masses n'eurent plus
qu'une destination, l'emploi de la baïonnette. Cette ma-
nière de guerroyer déconcerta le froid aplomb des Allemands;
c'était merveilleux dans une armée insurrectionnelle, où
chaque soldat se croyait capitaine, et où le rôle des chefs
consistait presque à laisser faire. Sur ces entrefaites , l'en-
thousiasme qui avait gagné les Wallons, les Belges, les
Liégeois, prépara la levée des bataillons nombreux qu'ils
allaient fournir; ceux-là prirent le nom de tirailleurs. Il
y eut eu 1793 jusqu'à trente corps connus sous cette dé-
nomination : ces soldats de Hollande et des Pay.s-Bas étaient
la plupart armés de carabines. En même temps se for-
maient en France des nuées de compagnies de volontaires,
appelées chasseurs , Jrancs tiretirs , bons tireurs, qui
se modelèrent sur nos légions belges et hollandaises , et en
mirent à la mode le costume et l'armement. Le refroidi.sse-
ment de l'enthousiasme, l'expérience de la guerre, for-
cèrent les généraux à en revenir à la guerre de manœuvres.
Le mot /jrai//ewr continua à être pratiqué, mais cessa
d'être une désignation de troupe. En 1811 il fut créé des
régiments de tirailleurs, qui , progressivement , s'éle-
vèrent jusqu'à vingt, et appartinrent à l'arme des grenadiers
à pied, comme les régiments de llanqueurs dépendirent de
l'arme des chasseurs à pied. Le licenciement de l'armée de
ta Loire enveloppa tous ces cadres dans une destruction
commune. Depuis que le rétablissement de la paix a per-
mis aux divers gouvernements de se livrer à une révision
des règles de tactique et à un examen des usages dont
l'expérience avait démontré l'utilité ou l'imperfection, le
mot tirailleur, qui n'avait été jusque là qu'on î'îrme de
nomenclatuie, de description, d'usage, est devenu tech-
niquement légal. Quantité d'écrits ont embrassé des ques-
tions à peine eflleurées jusque là. Les puissances étrangères
ont reconnu des tirailleurs à cheval : en France le mi-
nistère de la guerre achargé pendant la Restauration des com-
missions d'officiers généraux de poser des bases d'une tac-
tique de tirailleurs. L'ordonnance du 4 mars 1831 a la
première posé des règles à cet égard. G^' Bardin.]
TIRAi\NAS, sorte d'airs populaires espagnols du
genre des boléros et des seguidillas.
TIRASSE, espèce de filet. Voyez Caille.
TIRE (Blason), synonyme de rangée.
TIRE-LARIGOT(Boireà). Voyez Boike.
TIRÉSIAS, lils d'Évère et de la nymphe Chariclo,
issu de la race du Spartiate Udœus, était un célèbre devin
tliébain, mais fut Irappé de cécité dès sa jeunesse. Ce
malheur lui fut infligé en punition de ce qu'il avait commu-
TIRÉSIAS -
niriiié aux hommes des choses que les dieux voulaient qu'ils
ignorassent toujours, ou bien, dit-on encore, parce qu'il
lui arriva un jour d'entrevoir Minerve toute nue. Sa mère
supplia la déesse de lui rendre la vue; mais comme cela
était impossible à Minerve , elle le doua du don de com-
prendre le langage des oiseaux , et lui fit en outre présent
d'un bâton à l'aide duquel il pouvait marcher tout comme
un homme ayant l'usage de ses yeux. Lors de l'expédition
des Épigones contre Thèbes , il fut emmené par eux comme
prisonnier, mais il mourut en route , près de la fontaine de
Tilphuse.
TIREUR DE CARTES. Voyez Cartomancie.
TIREUR D'OR ET D'ARGEI^T, ouvrier qui tire
l'or et l'argent, qui fait passer de force ces métaux à tra-
vers lesperhiis ou trous ronds et polis de plusieurs espèces
de filières qui vont toujours en diminuant de grosseur, et
qui les réduit par ce moyen en filets très-longs et très-déliés
que l'on nomme fil d^or ou d'argent ou encore or, argent
tiré. Cette industrie se confond ordinairement avec celle du
batteur d'or {voyez Tréfilerie).
TIRLEMONT, en flamand Thienen, ville de la pro-
vince de Brabant (Belgique), sur la grande Geete, station
du chemin de fer de LiégeàLouvain, dans une fertile con-
trée, a six couvents d'hommes et huit couvents de femmes,
une fabrique de machines à vapeur, une maison d'aliénés et
11,000 habitants, qui fabriquent de la bure en grand re-
nom, des articles de sellerie, des étoffes de laine, et font
un grand commerce en grains et laine. On y remarque sur-
tout l'église Saint-Germain, monument qui remonte aux pre-
miers temps de l'architecture chrétienne, vraisemblablement
auneuvièmesiècle, avecun beau tableau d'autel par Waffers.
Tirlemont, dans la guerre de la succession d'Espagne, fut
pris, en l705, par Mariborough; et dans la guerre de la
révolution les Français, commandés par Dumouriez, y
battirent les Autrichiens, le 16 mars 1793; mais deux
jours après ceux-ci prenaient leur revanche, à l'alfaire
de Neerwinde.
TIROIR (Ordre en). Voyez Déploiement en Colonne.
TIROIR ( Pièces à) ou pièces à travestissements. Sous
cette dénomination, passablement élastique, on désigne de
petites compositions dramatiques, tenant tout autant de la
farce que de la comédie , composées d'une succession de
scènes épisodiques qui toutes ont pour but d'agir d'une
certaine manière sur un personnage toujours en scène et
autour duquel se déroule l'action de plusieurs personnages
sous divers travestissements. La mystification est le fond
ordinaire de ces sortes d'ouvrages, pour lesquels le piquant
et la gaieté sont des conditions essentielles de succès ( voyez
Comédie).
[Molière, qui est le précepteur universel, a composé
aussi de ces pièces à tiroir, comme on les appelle , par
exemple La Critique de L'École des Femmfis, la perfection
du genre. Il n'y a pas là l'ombre d'incidents ni d'action :
ce sont des personnages qui vont et viennent , et, se trou-
vant réunis, se mettent à causer entre eux de cette fameuse
École des Femmes qui met en rumeur la ville et la cour.
Les uns la détendent, les autres l'attaquent; c'est une con-
versation et une dispute : comme il n'y a réellement pas de
sujet, il ne peut y avoir ni péripétie, ni dénouement, si ce
n'est d'aller se mettre à table et de souper, comme le dit
plaisamment et ingénieusement Dorante. Mais quelle vérité
et quel relief dans les caractères! Quelle abondance de
traits exquis dans les ridicules, d'admirable logique dans
le raisonnement , de verve et de solidité dan.s le style 1
Comme la précieuse Climène se distingue bien de la rail-
leuse et spirituelle Élise ; Dorante , l'homme de bon sens et
de savoir, du sot et de l'ignorant marquis ; l'envieux Ly-
sidas , de la douce et bienveillante Uranie ! C'est là le grand
art : faire voir des hommes et mettre en saillie les idées et
les caractères. Mais à quel poëte comique Dieu at il ac-
cordé ce don de saisir la vérité humaine sur nature , et de
U faire agir et parler dans la fiction ? Combien sont-ils
OICT. DE LA CONVEHS. — T. XVl.
TISSERAND 593
qu'on pourrait nommer après l'auteur du Misanthrope?
Comme modèle du genre épisodique , Molière a encore Les
Fâcheux, une autre peinture d'originaux superlatifs, que
l'illustre philosophe complète par ce trait charmant de sa
dédicace à Louis XIV : « Sire, j'ajoute une scène à la
comédie; et c'est une espèce de fâcheux assez insupportable
qu'un homme qui dédie un livre. Votre Majesté en sait des
nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est
pas d'aujourd'hui qu'elle se voit en butte à la furie des
épitres dédicatoires. » Hippolyle Rolle.]
TIROL. Voyez Tyrol.
TIROiV, affranchi deCicéron, qu'en raison de son ins-
truction et de son esprit le grand orateur traitait tout à
fait en ami et qu'il consultait souvent sur ses ouvrages. Ce
Tiron était le sténographe chargé de recueillir ses improvisa-
tions. Il survécut à son patron, et publia une édition nouvelle
de ses discours, ainsi qu'une collection de ses discours. Le
procédé tachygraphique qu'il avait perfectionné reçut le
nom de notes tironiennes, notée tir onianx.
TIROMIEIMVES (Notes). Voye-^ Notes.
TIRSO DE MOLINA, pseudonyme sous lequel a
écrit Gabriel Tel lez.
TISAKE (du greciTTto-aavri, orge mondé ou pilé). Ce
nom désigne une liste noiiibreuse de boissons médicamen-
teuses, dont l'eau est le véhicule. La plus ancienne formule
de ces préparations nous vient des Grecs : c'est une décoc-
tion d'orge écrasé et fermenté, une sorte de petite bière. De
là le mot /ïsawe ou p<wa»e, synonyme en grec d'orge
pilé. Cette formule antique est abandonnée depuis longteinps,
mais à tort, parce qu'elle plaît plus au goût que la plupart
des tisanes usitées maintenant : elle désaltère et nourrit
tout à la fois. L'infusion et la décoction sont les
moyens employés pour préparer les tisanes. Ces boissons
diffèrent beaucoup entre elles sous le rapport des substances
soumises à l'action de l'eau chaude. Les unes sont appelées
tisanes tempérantes et humectantes : de ce genre sont la
décoction de racine de chiendent, de réglisse, et celle de
graine de lin. Les infusions de fleurs de guimauve, de
mauve, de bouillon blanc, sont convenables dans les
rhumes. Des fleurs de tussilage communiquent à ces bois-
sons une saveur agréable, et on les édulcore aisément
avec le sirop de gomme arabique. On ajoute communément
à ces fleurs, AM^s, pectorales , des fleurs de violettes; il ne
peut en résulter un grand inconvénient. Les Heurs de tilleul,
de sureau et de bourrache servent à composer les tisanes
sudorifiques. On prépare des tisanes dites dépuraUve.s ,
antiscorbutiques, avec diverses plantes, des crucifères,
en majeure partie. On préparait aiitrelois beaucoup de ti-
sanes purgatives , xa^xs on en fait aujourd'hui fort peu
d'usage. D' Charbonnier.
TISIO (Benvenuto). Foyes Garofalo.
TISIPHOi\E, l'une des Furies.
TISSAGE, action de faire de la toile ou d'autres étoffes,
en croisant ou entrelaçant les fils dont elles doivent être
composées. On tisse de la toile, du d rap, du lin, delà
lai ne, du co ton, de la soie.
TISSAPHERNE, général du roi de Perse Artaxerxès
Mnémon et sous-gouverneur de llonie, remporta, l'an 404
av. J.-C, sur Cyrus , frère puîné de sou maître, la mé-
morable victoire de Cu nax a. Artaxerxès, reconnaissant,
non-seulement lui donna sa fille en mariage , mais encore
lui confia l'autorité absolue qu'avait eue son frère. Plus tard,
ayant voulu châtier les Ioniens, en raison de l'appui qu'ils
avaient prêté à Cyrus, ceux-ci furent sCiîourus par les La-
cédémoniens. Leur roi Agésilas défit complètement en Lydie
Tissapherne, qui fut alors dépouillé de ses dignités, et qui
périt assassiné en Phrygie, par ordre de Parysatis, mère
d' Artaxerxès et de Cyrus.
TISSERAND, terme générique par lequel on désigne
les divers ouvriers des industries dont la navette constitne
l'outil ou l'instrument principal , que la matière uremièrtj
soit la laine, le fil ou le coton.
38
594
TISSOT — TISSUS
TiSSOT (Pierre-François) , professeur de poésie latine
au Collège de France, membre de l'Académie Française , l'rm
des collaborateurs les plus actifs du Dictionnaire de la Con-
versation, mort à Paris, le 7 avril 1854, à TSge de qualre-
Tingt-six ans, étaitnéà Versailles, le lOmai 1768,c'est-k-dire
dans un temps qui semble séparé de nous par des abîmes,
sous le ministère deM.deCboiseul. Sa jeunesse dut lesfortes
étude? qui firent plus tard tout l'intérêt de sa vie aux vinj^t
dernières années de la monarcbie française , les plus belles
de notre histoire. Alors éclate la révolution Irançaise. Elle
éclate presque aussitôt furieuse et insensée. Façonné à l'é-
cole des témérités et des incertitudes du dix-buitième siècle,
le jeune étudiant se jette dans l'ère nouvelle avec l'ardeur
de ses vingt ans. Il y avait en lui naturellement , dans les
matières où le goût n'était pas intéressé , quelque chose
d'excessif dans l'expression et pour ainsi dire de déclama-
toire dans les sentiments , qui tenait à l'époque, et que de-
vait aisément séduire cette sorte de déclamation universelle,
composée des programmes de liberté, de philantiu-opie,
d'égalité indéfinie qui étaient partout. ïissot ne voulait
rieu moins que le Contrat social dans toute sa vérité.
Des utopies de sa pensée il passa tout à coup au spectacle
des massacres de Versailles, des holocaustes de la place
Louis XV et de la barrière du Trône , des suicides gran-
dioses et sauvages de son beau- frère Go u j on et des autres
accusés de prairial. Puis la tourmente s'apaise autour de
lui ; elle s'apaise dans l'inévitable dénoûment de l'anarchie :
le pouvoir absolu. Le gouvernement du 18 brumaire se
saisit de cette âme troublée, de cette imagination surprise
et désorientée. Il recueille le beau-frère du montagnard in-
trépide dans je ne sais laquelle de ses plus obscures admi-
nistrations. Là se réveillent en lui , pour ne plus s'endormir
que dans le tombeau , l'amour vrai des lettres et un vif
s(»ntiment de poésie, qui avaient sommeillé jusque alors,
étouffés dans la mêlée des factions et des catastrophes de
la terreur. Par un contraste étrange, c'est avec le Cygne
de Mantoue que le poète nouveau va se mesurer. C'est aux
Églogues de Virgile qu'il demande l'emploi de ses forces
oisives, le repos de ses mécomptes, la détente de ses pas-
sions. La traduction des Bucoliques , dans tous les temps,
aurait frappé comme un double modèle de l'art des vers et
de l'art de la traduction. Elle restera le principal monument
de Tissot. Elle est l'un des |)roduits les plus estimables
de cette école savante et disciplinée qu'on appelle la litté-
rature de Vempire; école mémorable et méritoire plus
qu'on ne l'a dit, car elle était innocente de ses entraves; et
bien qu'on ne lui compte pas les deux plus beaux génies du
temps, précisément parce qu'ils luttèrent pour rester eux-
mêmes, elle compte en foule les travaux durables; elle eut
l'honneur de restituer aux Français l'habitude des choses
de l'esprit , de rétablir les saines doctrines littéraires, quel-
quefois même les vraies doctrines morales.
Disons-le à l'honneur des lettres : le plus sincère appré-
ciateur du traducteur des Églogues, ce fut le traducteur
glorieux des Géorgiques. L'abbé Del i Ile s'éprit d'admira-
tion et de tendresse envers son hardi rival. Il le voulut pour
suppléant, pour successeur bientôt, dans sa chaire de
poésie latine au Collège de France. Tant de noblesse dans
les actions allait bien à celui qui en avait tant montré dans
les sentiments, quand il lançait à la terreur étonnée celle
maguitique protestation :
Tremblez , tyrans , tous êtes immortels !
Ajoutons avec bonheur que Tissot comprit la vertu de cette
adoption , et la justifia autant qu'il était en lui. Sa reconnais-
sance eut dans ses écrits la vivacité d'un culte, et le cours
entier de sa longue vie l'a trouvé fidèle à cette religion de
sa jeunesse. Toujours il déclara que le titre de successeur
de Delille était à ses yeux le premier de tous.
Le cours de poésie latine a été l'œuvre principale de la
carrière de Tissot. Sa parole y captiva quarante-cinq ans
entiers un nombreux auditoire. Le bon et vaste travail des
Études comparées sur F/r$f</e perpétua eu quelque sorte
et fera durer son enseignement , tant que les classes éclai-
rées, pour leur bien et pour leur gloire, aimeront à puiser,
sous les ausiiices du savoir et du goût, aux sources vives
de l'antiquité. Le recueil des Leçons et Modèles de Litté-
rature française, qui parut plus tard, complète bien cet
ordre de travaux ; ils sont le vrai fondement de la légitime
renommée de l'auteur.
Une foule de publications s'ajoutèrent , sans repos , à ces
œuvres essentielles. Durant la'première période de la mo-
narcbie constitutionnelle, Tissot fit partie de ces actives as-
sociations de La Minerve et du Constitutionnel , qui exer-
cèrent sur les esprits une inlluence décisive , par l'union
des lettres , dans ce qu'elles avaient de plus populaire, de
plus ingénieux , quelquefois même de plus délicat , avec la
politique. Le talent alors s'employait surtout à recueillir, à
mettre en lumière , à célébrer, sous toutes les formes, les
souvenirs de la révolution , moins les crimes , et de l'empire,
moins les revers, dans l'intérêt, pensait-on, de laliberté!
Une justice est due à Tissot : le gouvernement de 1830
coii.stitiié ne le compta point parmi ses obstacles. Il ne
fut pas de ceux qui compromirent les conquêtes accom-
plies, en nes'y arrêtant pas. Il marqua cette disposition,
fruit d'une expérience si longue, dans tous les produits de
sa plume, et je puis dire de ses veilles. U écrivait plus
que jamais ; il a écrit jusqu'à son dernier jour. La popula-
rité de son nom , grande longtemps , avait contribué, avec
le mérite réel de ses ouvrages, à lui ouvrir en 1833 les
portes de l'Académie; elle contribuait plus encore à faire
réclamer de lui de toutes parts des notices , des préfaces ,
des articles de revues ou de journaux , dans lesquels se dé-
pensait sa réelle valeur. Une Histoire de la Révolution
française\M\\. place à travers cette foule de publirations,
trop incomplètes et trop rapides. Dans toutes, on peut re-
marquer un esprit sur lequel la leçon des événements n'avait
pas passé en vain. C'est quelque chose, dans un temps où
le gouvernement le plus libre qui fut jamais devait s'écrouler
sous les agressions et au nom de la liberté.
N.-.\. DE SalVaNDY, de l'Académie Française.
TISSU CAVERNEUX ou SPONGIEUX. VoijelE^KC-
TIl.E.
TISSU DIPLOÏQUE. Voyez Diploé.
TISSUS. On comprend sous cette dénomination, nous
dit l'Académie, certains petits ouvrages tissus au métier, et
par extension des étoffes tlssues. L'industrie des tissus est
une des branches les plus importantes de l'industrie fran-
çaise; elle comprend la fabrication des tissus de coton, de
laine et de soie. Les principaux tissus de coton sont les
calicots, les madapolanis , les percales, les croisés, les
coutils et sa^ms pour pantalons et literies, les mousselines
de toutes espèces , les jaconas, les batistes d'Ecosse, les
brillantes, les cravates et mouchoirs de poche, le linge
de table, les piqués, les bazins, les gazes de toutes espè-
ces, les organdis, les nansouks, les étoffes dites rouen-
neries , les percalines pour doublures, les cretonnes de
coton, etc. Les tissus de /a««e comprennent les draps, les
mérinos, les thibétaines, les napolitaines, les châles, etc.
Les tissus desoie portent le nom générique de soieries.
Tissu se dit figurément d'un ouvrage d'esprit, et quel-
quefois du discours ordinaire; etilsignilie alors orrfre, suite,
enchaînement : Le tisszi de ce style est plein , serré; Ce
plaidoyer n'est qu'un tissu de mensonges. Ce mot s'appli-
que à peu près dans le même sens aux actions de la vie
humaine : Sa vie fut un tissu de grandes et belles actions.
TISSUS ( Anatomie et Physiologie). Par analogie, le
mot tissu est employé en anatomie pour désigni^r des sub-
stances de natures diverses qui forment les différents organes
de l'homme et des animaux, d'un entrelacement de fibres,
d'une certaine liaison ou combinaison des parties élémen-
taires.
Le corps des animaux est composé de solides et de liqui-
des. Les solides constituent ce qu'on appelle les tissus or-
TISSUS — TITE-LIVE
596
gnn'iques. On en distingue cinq principaux : 1° le tissii
cellulaire; 2° ie tissu musculaire; 3° le tissu
fibreux, qui diffère du tissu musculaire par ses caractères
cin'miques et physiques, et surtout en ce qu'il n'est pas con-
tractile {voxjez CoNTRACTiLiTÉ) : il fonne les tendons,
]es aponévroses ttt [es ligaments; 4° le tissu os-
seux ( voyez Os ) , de consistance pierreuse, formé de géla-
tine et (le phosphate de chaux, préseutant quelquefois une
disposition celluleuse, et quelquefois aussi compacte que
l'ivoire; 5° le tissu nerveux {voyez Nerfs ), siège de la fa-
culté de sentir, substance molle et ordinairement blanchâtre,
qui constitue l'encéphale et les nerfs. Quelque variés que
semblent ces tissus , leur analogie est si grande que lors-
qu'on les examine au microscope, ils paraissent les uns et les
autres formés de petits globules réunis en chapelet et ne
différant que par leur disposition.
TISSUS CUTAI\ÉS. Voyez Cutané.
TISSUS ÉLÉMEINT AIRES. Voyez Élément.
TISSUS ÉLASTIQUES. Fo!/es Élastiques (Tissus,
Corps).
TISSUS IMPERMÉABLES. On appelle ainsi les
différentes étoffes que l'eau ne peut traverser ni dissoudre,
quand on a la précaution de les imprégner de certaines sub-
stances propres à produire de tels effets, et qui dans le com-
merce sont vulgairement appelées toiles cirées ou taffetas
gommés, encore bien qu'il n'entre dans leur fabrication ni
cire ni gomme. Les toiles cirées, suivant leur degré de finesse
et les matières premières qui entrent dans leur préparation,
servent à faire des emballages ou des couvertures de han-
gars, etc., soit encore des tapis. Les taffetas gommés
servent à faire des manteaux , des blouses, des tabliers, des
serre-tête pour baigneurs, des chaussons, des couvertures
pour sièges de voiture, lustres, instruments de musique, etc.
Les qualités les plus fines sont employées pour écrans et
pour stores transparents, remplaçant avec avantage les ri-
deaux, et dont l'usage est beaucoup plus général à l'étran-
ger que chez nous, où on ne les emploie guère encore que
pour les magasins et les boutiques. Les taffetas gommés
sont employés aussi avec avantage parla médecine dans tous
les cas oii il s'agit de surexciter la chaleur intérieure du
corps et d'empêcher qu'elle ne se déperde. On enveloppe la
partie malade de flanelle qu'on recouvre de taffetas gommé.
L'huile de lin rendue siccative par l'oxyde de plomb, If
caoutchouc dissous dans l'huile de lin ou dans l'huile
essentielle de charbon de terre, la gélatine dissoute d'abord
à chaud, puis rendue insoluble par une infusion de 1;m ou
de noix de galle, l'eau de savon décomposée par l'alun, les
goudrons végétauxet minéraux, entrent dans des proportions
plus ou moins fortes dans la fabrication des divers tissus
imperméables, suivant les usages auxquels on les destine et
qui varient à l'infini.
Les tissus imperméables en caoutchouc, dont l'usage est
devenu si général dans ces dernières années, sont une im-
portation anglaise. On les fabrique avec une pâte de caout-
chouc dissous dans de l'huile essentielle de charbon de terre
qii'on étend entre deux étoffes auxquelles, par l'action des
cylindres , on fait ensuite contracter une adhérence parfaite.
TISSUS. MÉTALLIQUES. Voyez Toiles Métalli-
ques.
TITANE ou MÉNAKANITE , substance métallique dé-
couverte dès 1781 par lAnglais Gregor, dans les mines de
Menachan ( Cornouailles), mais qui ne fut soumise à une
analyse exactequ'en 1801, par WoUaston. Elle est de forme
cristalline brillante , d'un rouge cuivré, très-dure, rayant
même l'agate, extrêmement peu fusible et indissoluble dans
tous les acides, à l'exception d'un mélange d'acide phtor-
hydrique et d'acide azotique.
TITANS. C'est de ce nom que les mythes grecs appel-
lent le? fils d'Uranus (le ciel) et de Ghê (la terre). Après
ces deux divinités , matières écloses du Chaos, lesquelles
enserrent toute la création , les Titans, nés de leur amou-
reuse et récente alliance , personnifient et les éléments et
les phénomènes physiques dont ils sont devenus le merveil-
leux théâtre. En effet, dans le nombre de ces Titans sont
Hypérion (le soleil), l'Océan, C/ironos (le temps), lihéa
(la nature vivifiée), P/iéW (la lune), Téthys (la mer
calme ), Brontès, Stéropès, Argès, trois Cyclopes, forgerons
des foudres célestes; Briarée, un des trois Hécatonchires
ou Centimanes, images des grandes montagnes volcani(iues
à plusieurs chaînes. Puis du sang d'Uranus , mutilé par Sa-
turne (le temps), son propre fils, naquirent les Géants,
et avec eux Aphrodite, l'amour physique, que les Latins
nommèrent Vénus. Après la nullité virile d'Uranus, son
premier époux, la Terre s'unit à Pontos , l'universel amas
d'eau salée nommée mer. Des descendants de Ghé et d'U-
ranus vinrent au jour Vesta{\e feu), Cérès (la vertu nour-
ricière de l'humus), Junon (l'air), Hadès ou Pluton (les
ténèbres internes du globe), Neptune (la mer soumise à
des lois), Jupiter (le régulateur de l'univers); puis les
trois mille Océanides, toutes anses, rades et golfes de l'O-
céan, leur père. Enfin, de la descendance de Ghê et de Pon-
tos sortirent, entre autres rejetons, la charmante Iris, à
l'écharpe aux sept couleurs, arc admirable des cieux, et l'a-
boyante Scylla, horrible écueil.
Saturne reçut de sa mère une faux d'acier, avec laquelle
il mutila Uranus sur le sein même de sa perfide épouse, la
Terre; puis il s'empara du royaume de l'univers. Trans-
porté de rage, Uranus enveloppa tous ses enfants dans sa
vengeance : il les précipita dans le ténébreux Tartarc. Ces
dieux géants brisent leurs chaînes, font la guerre à Saturne ;
et ils allaient le détrôner, lorsque Jupiter, son fils, les fou-
droie avec la nouvelle arme des Cyclopes, Titans eux-
mêmes, mais dans son parti, et les plonge à jamais dans la
nuit ténébreuse , d'où ils n'étaient un moment sortis que
pour épouvanter la Terre, leur propre mère.
Denne-Bakon.
TITE, disciple de saint P a u 1, paieu de naissance, était
originaire suivant les uns de Corinthe, et suivant les autres
d'Antioche. Instruit par saint Paul, il l'accompagna à Jé-
rusalem, puis fut envoyé par lui en Macédoine. De retour
à Corinthe, il y prit une part activée la fondation de la com-
mune chrétienne. Il alla aussi porter la parole de l'Évangile
en Crète et en Dalmatie. La tradition de l'Église fait de lui
le premier évêque de Crète.
TITE-LIVE (Titus LIVIUS), vécut sous l'empire
d'Auguste. On ignore les particularités de sa vie ; on sait seu-
lement qu'il naquit à Padoue, d'une famille qui avait donné
des consuls à la république. Il passa la plus grande partie
de sa vie dans le silence de la retraite et des douceurs de
la philosophie. Quelques dialogues qu'il avait composés sur
des questions de morale, et qu'il dédia à Auguste, Je firent
connaître à Rome et à la cour, où il fut appelé par l'empe-
reur. Ce fut là qu'il entreprit l'histoire du peuple romain,
encouragé par le maître de l'empire, qui admirait son génie,
et qui ne manqua aucune occasion de lui témoigner sa fa-
veur, quoique le courageux historien eût conservé l'indé-
pendance de ses opinions , qu'il ne dissimulât pas sa prédi-
lection pour les restes du parti de Pompée , et qu'il osât
même vanter la résolution des meurtriers de César. Après
la mort d'Auguste, Tite-Live retourna à Padoue, où il fut
reçu avec honneur par ses concitoyens. 11 continua à vivre
rtans une retraite modeste ; et après avoir mis fin à des
travaux qui avaient absorbé toutes ses pensées, il mourut,
l'an de Rome 771, la quatrième année du règne de Tibère,
la même année et selon quelques auteurs le même jour
que le poète Ovide.
Le sujet de Tite-Live, c'est l'histoire entière de la répubU-
que romaine. Admirable sujet! suite de drames liés les uns
aux autres ! spectacle unique dans les fastes du monde ! Au
début une sorte de miracle; delà gloire et des crimes, des
victoires et des meurtres, un génie de domination qui se
révèle même à de chétifs commencements; puis ce génie
grandit; il passe par des formes diverses , par la royauté
d'abord , ensuite par la démocratie , enfin par le sénat ; ei
3S
i9G
TITE-LIVE — TITIEN
là il se développe et s'étend sur toute la terre. Les vertus ,
les vices , les combats, les rivalités , les guerres d'anarcliie ,
les guerres de vengeance , les conquêtes , tout est marqué
d'un caractère singulier, qui ressemble à une sorte de pré-
destination mystérieuse. Mais, à ne la voir que sous son aspect
littéraire bu poétique , on comprend que pour raconter une
histoire si merveilleuse il fallait un génie d'écrivain qui en
égalât la grandeur. Tite-Live a été cet écrivain. Doué d'une
imagination vive et brillante , d'un esprit fécond , d'un talent
de raconter admirable , il possède aussi ce calme de sagesse,
ces vertus paisibles, cette douce pliilosopliie, cette probité
sévère , qui mettent l'Iiistoi ien au-dessus des passions hu-
maines. Quelque chose de religieux respire .sous sa plume,
et à l'expansion naive de ses pensées on découvre d'a-
vance la profonde véracité de son témoignage. On a loi dans
l'imparlialité de .ses histoires avant de se livrer à l'émotion
de ses drames. Quelques critiques lui ont aulrefoi.-» reproché
un esprit faible et superstitieux; c'est, disent-ils , qu'il ad-
met dans ses récits <les fables absurdes et des prodiges ri-
dicules. Titel.ive a répondu d'avance dans l'exorde de son
ouvragi'. Il ne raconte ces tables et ces prodigesque comme
des traditions petprtuées chez un peuple qui aimait à en-
tourer son origine d'une obscurité merveilleuse. Un autre
reproche fait à Tiie Live, c'est de (aire trop parler ses hé-
ros; mais s'il est constant que les formes républicaines
appelaient à chaque instant les citoyens à la tribune dans
le forum, au sénat ou dans lescam|)s, au moins l'histo-
rien n'est pas tombé dans im défaut de vraisemhlame. Peut-
être leur a-t-il prêté la pompe de son style et l'éclat de son
éloquence; mais est-ce un malheur? Considérées en elles-
mêmes, ces harangues sont de petits chefs-d'œuvre; tontes
les lois de l'art y sont observées. Puis elles se lient admira-
blement à la narration pour l'éclairer. Jamais Tite-Live ne
fait un discours pour étaler son éloquence. Lorsqu'un héros
parle , c'est que la suite de l'action l'oblige h parler, et ce
qu'il dit n'est jamais autre chose que celte action même
continuée; en sorte que cette variété si pittoresque dans
le récit lui donne à la fois plus de mouvement et plus de
clarté.
Le style de Tite-Live est pur, simple , élégant. Sa qualité
propre semble être l'abondance, mais une abondance sans
profusion ; tout dans ses histoires est sacrifié à la clarté
et à l'ordre. Les événements, liés entre eux par un art ad-
mirable , sont racontés avec des détails dont le choix ex-
cite un vif intérêt, et cet intérêt s'accroît par la vivacité de l'ex-
pression, par la variété des pensées et des tours et par l'har-
monie soutenue de la plirase. Je lis dansQuintilien un mot
d'Asinius Pollion , quire|)rochaità Tite-Live, malgré son ad-
mirable éloquence, d'avoir conservé dans son style ;e ne sais
quoi qui sentait le terroir de Padoue , el Quintilien re-
marque à ce propos que l'écrivain doit être soigneux de
n'employer que des tours de phrase, des mots môme qui
sentent le nourrisson de Rome. Ces différences , aperçues
par des critiques délicats, dans les temps où la langue était
encore vivante, ne peuvent pas môme être entrevues aujour-
d'hui; car elles tiennent quelquefois à un seul mot, aune
tournure imperceptiblement modiliée, aune locution, ré-
gulière peut-être , mais propre à la naïveté de la province
et distincte des raffinements de la ville.
Combien nous devons déplorer le malheur des temps ,
qui a privé la postérité d'une grande partie de cette ma-
gnifique histoire qui embrassait tant de hauts faits, tant de
révolutions, tant de guerres civiles ou étrangères, et qui s'arrête
précisément à l'époque la plus féconde et la plus turbulente
de la république. Toutefois, l'ouvrage de Tite-Live, tel qu'il
nous est parvenu, est encore cité comme le plus beau modèle
de composition historique. En i820 un cri partit de Rome,
annonçant que M. N i e b u h r , docte écrivain de l'Allemagne,
avait découvert , dans les poudres de la bibliothèque du
Vatican, des fragments qui peut-être donnaient l'espérance
de voir compléter cette grande histoire mutilée de la vieille
république. La découverte se borna par malheur à quelques
pages du xci" livre. Elles furent publiées avec d'autres
fragments de Cicéron et de Sénèque, également retrouvés,
et le public gagna de plus quelques notices du savant alle-
mand , dignes de prendre place par leur élégance entre
ces fragments d'antiquité pure et classique. Mais l'admira-
tion de la postérité semble devoir rester circonscrite aux
Décades, telles qu'elles ont échappé à la barbarie.
Laurentie.
TITHYMALE. Voyez Euphorbe.
TITl , nom d'une espèce de singe. Voyez Sagoi in.
TITICACA (Lac de), ou Laguna de Chucinto,\e
plus élevé des grands lacs, situé dans la partie nord-ouest
du haut Pérou , entouré par les colossales Cordillères oc-
cidentales et orientales, à 'é,039 mètres au-dessus du niveau
de la mer, couvre un espace d'environ 168 myriamètres
carrés, s'étendant du nord-ouest au sud-ouest, et dont la
moitié dépend du Pérou et l'autre de la Bolivie. Sa profon-
deur est en certains endroits de 224 mètres; et il est pro-
bable qu'elle est encore plus considérable au centre. Il ren-
ferme un grand nombre d'îles, dont la plus remarquabla
est celle qui porte le nom de Tilicaca et appartient à la
Bolivie. Il est aujourd'hui parcouru par un grand nombre de
bateaux à vapeur. Quoique situées à une élévation égale à
celle où les Alpes sont couvertes de neiges éternelles, les
rives du lac de Titicaca sont parfaitement cultivées et cou-
vertes de villes, de villages et d'habitations. On y trouve au»si
de nombreuses ruines de monuments péruviens et de tom-
beaux provenant d'un peuple qui a dû être de beaucoup an-
térieur à l'époque de Mango-Capac. Consultez Pentland, The
Laguna de Tilicaca and tlie Valteys qf Yucay, Collao
and Dusaguedera in Peru and Bolivia (Londres, 1848).
riTIEN VERCELL1, l'un des plus grands peintres
qu'ait produits l'Italie, naquit à Capo del Cadore, dans le
Frioul , en 1477. 11 eut d'abord pour maître Giovanni Bel-
lini , qu'on regarde comme le fondateur de l'école véni-
tienne, et qui le premier dans sa patrie peignit à l'huile,
secret qu'il avait dérobé en 1430 à Antoine de Messine , le-
quel le tenait de Jean Van E y c k . Titien passa ensuite à l'é-
cole deGiorgione, où il perfectionna son coloris, au point
que son nouveau maître, jaloux de son talent, le congédia.
Il se fit d'abord connaître dans le portrait , genre où il
excellait. Sa réputation s'élant prodigieusement accrue, tous
les souverains de l'Europe voulurent avoir leurs traits re-
produits par lui. Il ne borna pas ses travaux aux portraits,
il peignit le genre historique d'une manière plus remarqua-
ble encore. Son génie est toujours grand et noble; ses com-
positions vives, animées, soumises aux formesde la nature;
ses attitudes simples, peut-être trop calquées sur les usages
vénitiens; ses airs de tête pleins de charme, de grâce et
d'expression. Comme coloriste, il occupe le premier rang.
Sa touche est vigoureuse , fine, séduisante. Jamais peintre
n'a produit des carnations aussi belles et aussi fraîches ;
il avait une manière de passer et de fondre ses couleurs l'une
dans l'autre au point de leur donner l'apparence de la peau ;
jamais on ne s'aperçoit du travail de la main; J'en citerai
pour exemple sa Danaé , sa Vénus couchée, et un frag-
ment qui représente une de ses maîtresses , chef-d'œuvre
dans l'art du clair-obscur et dans l'entente parfaite des
demi-tons. Rubens est un grand coloriste sans doute, mais
ses tons posés les uns à côté des autres laissent pénétrer la
combinaison d'un système : les tons gris accompagnent tou-
jours les ombres transparentes; la lumière colorante se place
ensuite ; puis les rouges couvrent les clairs. Chez le Titien ,
au contraire , point de ton apparent, les carnations sont si
bien fondues, qu'elles s'offrent aussi difficiles à imiter quel*
modèle vivant lui-même. Si , enfin , à toutes les beautés de
.ses tableaux d'histoire vous ajoutez la vérité et l'expres-
sion du geste , l'élégance et la richesse des draperies, vous
aurez une idée des grands ouvrages qu'il peignit à Venise
pour sa patrie , et des tableaux de chevalet (\a'ii fit pour les
souverains de l'Europe, qui les recherchaient avidement.
Deux de ses plus magnifiques peintures sont le Martyre de
TITIEN — TITRES
59T
$aint Pierre, que nous avons vu au Louvre sous le règne
de Napoléon T^et le Couronnement d'épines, tableau con-
servé au même musée, et dans lequel éclate toute la vigueur,
toute la magie de son pinceau. Là nous remarquons encore
Les Pèlerins d'Emmaûs , œuvre d'une finesse de coloris
extraordinaire et d'un savant clair-obscur ; la blancheur
ménagée de la nappe, qui couvre la table sur laquelle
Jésus prend son repas avec les trois apôtres est admirable.
La gravure de cette peinture, par Masson , quia fait un
chef-d'œuvre de chalcographie en imitant parfaitement la
nappe, est connue sous titre de la Nappe de Masson ; les
belles épreuves en sont recherchées et se payent fort cher.
Le clair-obscur est la base du coloris, mais il n'est pas le
coloris lui-même. Titien et Corrége sont les deux maîtres
qui ont le mieux entendu celte branche de leur art. J'ai
observé que pour arriver à rendre la magie que produit un
corps dont une partie se trouve éclairée et l'autre dans
l'ombre , Titien peignait d'abord les ombres des carnations
fortement, à l'égal des parties lumineuses, et que lors-
qu'elles étaient bien sèches, il passait dessus un glacis ,
composé de couleurs légères et transparentes, qui laissassent
apercevoir la première couche.
De retour à Venise , après cinq ans de séjour en Alle-
magne, Titien y exécuta plusieurs tableaux d'une manière
tout opposée à celle qu'il avait suivie jusque là; fait que
Michel-Ange confirme dans ses Narrations. Il ne fondait
plus ses teintes ; ses couleurs étaient vierges et sans mé-
lange ; aussi se sont-elles conservées fraîches et dans tout
leur éclat. Plusieurs sujets de cette seconde manière déco-
raient la galerie d'Orléans; de ce nombre, je citerai Diane
surprise au bain par Actcon, L'Éducation de l'Amour, La
Maîtresse favorite du Titien, probablement la belle Vio-
lante, dont il était éperdument amoureux. On y voyait en-
core, appartenant à celte manière de peindre, le tableau
connu sous le nom de Cassette du Titien , représentant
une jeune fille qui porte une cassette sur sa tôte; et Persée
et Andromède. Notre musée du Louvre possède un grand
nombre de tableaux de ce laborieux artiste, qui peignait
encore à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans. A ceux dont j'ai
parlé j'ajouterai Tarquin et Lucrèce, Persée et Andro-
mède, un Saint Jérôme à genoux dans une ijrotte, une
Sainte Catherine, appelée la Vierge au lapin, parce
qu'on y voit ce petit quadrupède; Le Concile de Trente,
peinture d'un faire simple et d'un coloris fin , produisant
l'illusion la plus complète; enfin, Jupiter Satyre, amou-
reux d'Antiope, figuré dans un vaste paysage. Ce tableau,
jadis magnifique, a sous la main de maladroits restaura-
teurs cessé d'être un Titien. La galerie d'Orléans formée
par le régent, lui devait trente du ses tableaux, plus ma-
gnifiques les uns que les autres. A ceux dont il a été fait
mention comme chefs-d'œuvre de coloris il faut ajouter la
Vénus Anadyomène , figurée sortant de la mer et pressant
ses longs cheveux; cette peinture, d'une rare beauté, est
plus connue sous le nom de Vénus à la coquille , à cause
d'une coquille qui tlotlesur la mer. Elle a été prodigieuse-
ment répétée par les peintres de son temps et par les mo-
dernes , ainsi qu'une Vénus couchée , qu'il peignit à Venise.
Titien, après avoir reproduit les traits des souverains de
France, d'Angleterre, d'Allemagne et d'Espagne, peignit
ceux de Charles Quint pour la troisième fois, et l'empereur
lui dit à celte occasion : « C'est pour la troisième fois, Ti-
tien, que vous me donnez l'immortalité. » Il le combla
d'honneurs, le fit chevalier, comte palatin, et lui assigna
une pension considérable.
Après tant de travaux, l'immortel Vercelli devait laisser
de grands biens à sa mort. Suivant les historiens, son fils,
Horace Vercelli , qui peignait si bien le portrait , que l'on a
souvent confondu les siens avec ceux de son père , passait
pour avoir hérité d'une fortune considérable. • Une santé
robuste, qu'il conserva jusqu'à l'ûge de quatre-vingt-dix-
neuf ans, sema de fleurs tous les instants de la vie de Ti-
ttoo. Ce grand âge a fait dire à Voltaire « que Dieu avait
donné à Titien nn à-compte sur son immortalité. Il mourut
à Venise, de la peste, en-1576.
Ch^"^ Alexandre Lenoir.
TITRE. On désigne par là le degré de lin de l'or et de
l'argent. Aulrefois on ex|)rimait le titre des monnaies et des
bijoux en or par carats et fractions de carat. Vingt-quatre
carats étaient le titre de l'or fin. Le titre de l'argent s'expri-
maiten dénie rs. Douze deniers étaient le titre de l'argent
fin. Le carat se divisait en trente-deux parties , le denier
en vingt-quatre grains. Maintenant on exprime le titre des
monnaies et des bijoux d'or et d'argent en millièmes. Mille
millièmes sont le titre de l'or comme de l'argent fins. L'or
est considéré comme Jin lorsqu'il ne contient pas plus de
cinq millièmes d'alliage, et l'argent lorsqu'il ne contientpas
plus de vingt millièmes d'alliage. En France, le titre légal
des monnaies est de 900 millièmes, avec 100 millièmes
d'alliage, et une tolérance, soit en dessus, soit en dessous,
de 2 millièmes sur l'or et de 3 millièmes sur l'argent. Le
titre des anciennes monnaies d'or et d'argent était de 917 mil-
lièmes. La vaisselle et les ouvrages d'or ont au premier
titre 920 millièmes; au deuxième titre, 840; au troisième
titre, 750. L'argenterie de France, vaisselle, médailles et
jetons au premier titre doit avoir 950 millièmes ; l'argenterie
au deuxième titre a 800 millièmes.
On entend aussi par titre l'inscription placée en tête d'un
ouvrage, et contenant l'indication du sujet qui y est
traité.
En termes de jurisprudence, un titre est un acte cons-
tatant une propriété, un droit , une jouissance.
TITRES. Ce mot est le plus souvent employé pour dé-
signer les qualifications qu'on donne à certains individus en
raison de la position qu'ils occupent dans les rapports de la
vie sociale; hochets dont la vanité des hommes fera tou-
jours un puissant ressort de gouvernement, même en ré-
publique, forme sociale sous l'empire de laquelle on attache
par exemple tout autant d'importance à la qualification de
représentant du peuple, de commissaire extraordi-
naire, etc., que sous la forme monarchique on peut en
mettre à celle de comte ou de baron , et dont les intéressés
tirent autant de vanité que les nobles de leurs titres féo-
daux. 11 est juste toutefois de reconnaître qu'il n'est pas sur
la terre de pays où la manie des titres soit plus incurable que
chez nos voisins d'ouIre-Rhin. La moindre fonction confère
en Allemagne à celui qui en est revêtu les titres les plu.s
étourdissants ; et comme, en dépit des efforts de la comédie,
de la satire et de la caricature pour faire justice desstupides
prétentions auxquelles ces titres servent de base, c'estàqui
pourra s'en affubler, les gouvernements les vendent à beaux
deniers comptants et trouvent toujours des preneurs pour
une marchandise qui peut bien, comme toute autre, subir
des baisses de prix , mais qui n'en conserve pas moins une
valeur intrinsèque.
Les Espagnols n'ont pas moins peut-être que les Alle-
mands la manie des titres pompeux. Charles Quint ayant
rempli de tous les siens la première page d'une lettre qu'il
adressait à François \", ce prince, dans .sa réponse, se
qualifia tout simplement de roi de France, bourgeois de
Paris et seigneur de Vanves et Gentilly. Zamet le financier,
interrogé par un notaire sur les titres qu'il voulait prendre
dans un contrat , répondit : « Mettez seigneur de dix-sept
cent mille écus ! »
Pour l'origine des titres féodaux ou nobiliaires , nous ren-
verrons aux diftérents articles y relatifs. Sous le gouverne-
ment parlementaire l'usurpation de ces titres n'était justi-
ciable que du ridicule. Une loi récente a remis en vigueur les
pénalités rigoureuses édictées autrefois contre ce genre de
délit si commun. Malheur à ceux dont les parchemins ont
été brûlés en 1789 ! il y va aujourd'hui pour eux de deux
années de prison et d'amendes plus ou moins fortes s'ils no
sont pas en mesure de produire à la réquisition du premier
procureur impérial venu les titres authentiques qui les auto-
risent à prendre la qualification de comte ou de bafon.
598
TITTERY — TIVOLî
TITTERY. Les Turcs désignaient sous le nom de pro-
vince de Tittery la partie de la régence d'Alger qui élait
soumise à l'adininistration du bey résidant à Médéah. Ce
territoire avait pour limites au nord la première chaino
de l'Atlas, depuis la coupure de l'Oued-bou-Roumi pour
pénétrer dans la plaine de la Mitidja jusqu'au Djébel-Dira ;
au sud, la seconde chaîne de l'Atlas-, qui sépare le Tell du
Sahra; à î'ouest, le cours du Chélif, au point où il quitte
le nom de Neliar-Onassel ; à l'est, la vallée qui sépare le
Djébel-Dira des monts Ouennoiiglia. Les principales villes
étaient Hamza, M'diana et Médéah. Ce territoire, plus
large vers l'ouest que vers l'est, n'est pas très-étendu, et
la province de Tittery était la moins considérable des trois
beyliks de l'ancienne régence. Sa proximité d'Alger lui avait
fait subir sans ménagements le régime d'apanages et de
juridictions exceptionnelles que les grands dignitaires du
divan misaient créer à leur profit dans toutes les parties du
pays. Plusieurs tribus habitant ce territoire obéissaient à
différents cliefs de la régence. L'administration y était plus
compacte; et il en est résulté pour la population un esprit
d'unité et de solidarité beaucoup plus sensible que dans
les autres provinces.
En 1830 le bey de Tittery , Mustapha-bou-Mezrag , s'em-
pressa de reconnaître notre autorité ; mais, se croyant à
l'abri derrière l'Atlas , il brava bientôt notre puissance.
Après le traité conclu en 1834 entre la France et l'émir
Abd-el-Kader, celui-ci étendit sa puissance jusque sur la
province de Tittery. 11 nomma des khalifats à Miliana et à
Médéah. Le traité de la Tafna donna à l'émir la libre
administration de cette province, qu'il organisa et à laquelle
il donna encore plus d'unité. Après la levée de boucliers
de l'émir, la France dut s'emparer définitivement de cette
province, et, à la suite de plusieurs campagnes, elle fut
entièrement soumise en 1842. L. Louvet.
TITUS FLAVIUS VliSPASIANUS, empereur romain
(79-81 de notre ère), (ils aîné de Vespasien , né l'an 40
de J.-C. et élevé à la cour de Néron avec Britannicus, dont
il fut l'ami intime, se distingua de bonne heure par ses talents
littéraires, comme avocat habile, de même que comme mi-
litaire expérimenté, en qualité de tribun, en Germanie et en
Bretagne. Lorsqu'en l'an 67 son père fut envoyé en Syrie
pour compiimer la révolte des Juifs, Titus l'y accompagna;
et deux ans après, Yespasien ayant quitté la Palestine pour
aller à Rome s'emparer de la dignité impériale, ce fut à
Titus qu'il confia le soin de continuer cette guerre. La gloire
de s'emparer de Jérusalem était réservée à Titus : il s'en
rendit maître, après ce long et fameux siège oii presque
toute la nation juive s'éteignit dans un horrible carnage. 11
lui avait fallu tant d'énergie et de courage pour vaincre la
sublimité du désespoir des assiégés, que Vespasien en avait
conçu quelque ombrage.Déjà en effet on se servait à Rome
du cadavre de l'empereur régnant comme d'un degré poui s'é-
lever au trône. Les ennemis de Titus s'efforçaient donc d'ins-
pirer des craintes à un père trop soupçonneux, lorsque le fds,
plein de prudence et de soumission, vint déposer à ses pieds
tout le mérite de la victoire. Vespasien lui accorda les hon-
'leurs du triomi)he, le nomma préfet du prétoire et même se
l'associa à l'empire. En cette qualité on vit Titus se livrer à
la débauche et commettre toutes sortes d'actes arbitraires;
aussi quand, en l'an 79, la mort de son- père l'appela à
ceindre la couronne impériale, les Romains redoutèrent-ils
d'avoir en lui un second Néron. Mais en se séparant alors
de sa maîtresse Bérénice, (ille du prince des Juifs, avec la-
quelle le peuple le voyait avec regret avoir commerce, il
prouva qu'il savait faire à ses devoirs d'empereur le sacrifice
de ses passions. Deux actes d'une haute politique signalèrent
le commencement de son règne : il confirma toutes les gra-
tifications et les privilèges accordés au |)euple par les antres
empereurs; et, aflichHut la haine la plus profonde pour la
calomnie et les délateurs, il voulut que tous les accusateurs
de profession fussent condamnés à être fustigés dans la place
publique, à être de là traînés devant les théâtres, vendus
comme esclaves, et relégués dans des îles désertes. 11 se
fit le continuateur de ce qu'il y avait eu de beau sous le règne
précédent : les anciens édifices furent réparés, de nouveaux
s'élevèrent, et après la dédicace du fameux ampliitliéâtre
bâti par son père, on vit s'achever avec une étonnante ra-
pidité les bains qui l'avoisinaient. Le peuple voulait au
moins conserver une ombre de pouvoir; il tenait à ce que
celui qui le gouvernait ne se considérât jamais que comme
un citoyen pris dans son sein. Titus le comprit, et des-
cendit parfois de son trône pour consulter la multitude
sur les fêtes qu'il lui préparait, et se mêler à ses plaisirs :
c'est ce qu'il fit par exemple à propos du combat naval de
l'ancienne naumachie et de ce magnifique spectacle où cinq
mille bêtes sauvages furent livrées aux divertissements du
peuple romain. On le disait passionné pour le bien, et les
paroles flu'il laissait tomber avec une admirable naïveté,
recueillies avec soin, tendaient à confirmer l'opinion reçue :
« Mes amis, j'ai perdu un jour, » disait-il, en se rappelant
que dans la journée qui venait de s'écouler il n'avait trouvé
aucune occasion d'obliger quelqu'un. Dès lors l'enthou-
siasme de la foule lui décerna le magnifique surnom
A''amour et délices du genre humain. Témoignant une
indicible horreur pour ceux qui, même avec de justes
sujets de vengeance, se souillaient du sang de leurs frères,
il assurait qu'il aimerait mieux mourir que de causer la
mort (l'un homme. S'il écoutait les accusations intentées
contre un citoyen dont il avait à se plaindre, il le faisait du
moins avec prudence, se mettant en garde contre la pré-
vention. A cette époque, des malheurs vinrent affliger le
peuple romain, et offrir à Titus l'occasion de recueillir pu-
bliquemenl et de consoler les victimes de ces affreuses ca-
lamités : le Vésuve vomit des torrents de lave enflammée,
qui consumèrent la plupart des villes de la Campanie;
Rome se trouva presque enveloppée dans un immense in-
cendie, et la peste y devint si meurtrière, qu'on y compta
jusqu'à mille morts par jour. Tilus sembla vivement touché
de tant d'infortunes, et agit en piince généreux : son palais
fut dépouillé d'une grande partie du luxe inutile qui le re-
vêtait, et avec le produit de ces ornements pompeux on
éleva des édifices publics et l'on donna de l'ouvrage au
peuple. Vespasien aussi avait fait bâtir des monuments,
quand il avait senti que la mort allait le saisir, et il avaifdit
avec une gaieté forcée: « Je crois que je vais bientôt de-
venir dieu. » Tilus, lui, vit avec plus de tristesse les ap-
proches de son apothéose. Torturé par une fièvre violente
dans cette villa du territoire des Sabins où était mort son
père, il levait ses yeux languissants au ciel, et se plaignait
de mourir dans un âge si peu avancé : c'élait le 13 sep-
tembre de Tan 81 :il avait quarante-et-un ans. Domitien,
auquel l'empereur avait déjà pardonné un projet de soulève-
ment des légions, vint en aide à la maladie, et, sous pré-
texte de le ralraîchir, il fit plonger le moribond dans un
bain de neige, où il expira. Ainsi Domitien payait un bien-
fait; ainsi il préludait par un fratricide à son règne infâme.
Théodore Le Moine.
TFVOLI, le Tihxir At& anciens, sur le versant méri-
dional du mont des Sabins, à environ 24 kilomètres de
Rome et à 215 mètres au-dessus du niveau de la Méditer-
ranée, était célèbre aux temps de la république et de l'em-
pire par ses nombreuses maisons de campagne ainsi que
par la fraîcheur de son atmosphère; et aujourd'hui encore
sa situation ravissante et ses sites si pittoresques y attirent
un nombreux concours de visiteurs. Au pied de Tivoli
coule l'Anio, après avoir formé près de la ville plusieurs
magnifiques cascades. L'effet delà plus grande d'entre elles
a encore été embelli, eu 1834, par suite du percement du
montCattillo, qu'on dut entreprendre pour préserver la ville
des débordements du fleuve dont elle avait eu maintes fois
à souffrir, notaumient en 1826. En fait d'anciennes villas ^
les ruines de celle de Mécène et les débris imposants de celle
d'Adrien, qui était située au pied de la montagne, sont les
plus remarquables. Parmi les villas modernes , la villa
TIVOLI -
(TEsfe jouit d'une ri^putation européenne. Le temple de
Vesta, celui des Sibjlleset ce qu'on appelle le temple de la
Toux ténioit;nerit encore de l'ancienne importance de celle
•ville, aujourd'hui siège d'évêclié, avec 0,000 habitants et une
très-ancienne cathédrale. On y compte vingt-quatre églises
et chapelles. Elle est généralement assez mal bâtie , mais
elle possède un beau marché.
TIVOLI, nom d'un jardin public de Paris qui a com-
plètement disparu depuis une trentaine d'années et sur l'em-
placement duquel s'élève aujourd'hui toute une ville nou-
velle, dont l'une des rues a gardé le nom de l'établissement
où, sous l'empire et pendant les premières années de la res-
tauration, la population parisienne venait les dimanches et
jours de fête se livrer au plaisir de la danse. A l'origine,
le prix d'entrée n'était que de 75 centimes, et chaque con-
tredanse se payait en sus 20 centimes. Plus tard , la vogue
de l'établissement permit de porter le prix d'entrée à 3 et à 5
francs; et alors des divertissements de toutes espèces, une
foire permanente, de riches illuminations, des concerts
et des feux d'artifices permirent de comparer sans trop
de désavantage le Tivoli de Paris au Wauxhall de
Londres.
De Tivoli dépendit aussi pendant quelque temps une vaste
maison de santé où l'on pouvait prendre toutes es|)èces de
bains d'eaux minérales artificielles, et dont les pension-
naires avaient la jouissance du jardin ainsi que des fêtes
qui s'y donnaient. Cet établissement thermal subsiste en-
core aujourd'hui , et est même demeuré ce que la capitale
offre de mieux sous ce rapport.
TJACA. Voijez Jaquiek.
TJAI-REBOi\. Voyez Chéribon
TLASCALA, c'est-a-dire paijs du pain, de l'abon-
dance, Territoire indien et Territoire de la République du
Mexique, dans l'État de Puebla, est placé sous l'autorité
immédiate du congrès et administré par un cacique et
quatre alcades d'origine indienne. Sa population est d'envi-
ron 70,000 'âmes; et on y compte une ville, 110 villages
et 139 hameaux formant 22 paroisses. Ces Indiens se dis-
tinguent entre tous par une taille élevée et bien prise , par
leur vivacité et leur courage. Ils vivent des produits nom-
breux de leur fertile sol , et conlectionnent quelques poteries
ainsi que de grossières étof les de laine et de coton. Le chef-lieu,
Tlascala, à 35 kilomètres au nord de Puebla, sur les bords
du Rio-del-Papagallo, qui se jette dans la mer du Sud, est
bien déchu de son antique importance, et ne compte plus
que 4,000 habitants. Les rues en sont régulières. On y re-
marque la cathédrale, l'hôtel de ville, l'aneien palais épis-
copal et quelques autres édifices d'assez bon style, ainsi que
le plus ancien couvent de moines de l'ordre de Saint-Fran-
çois qu'il y ait au Mexique; et dans les environs, quelques
restes de l'ancienne architecture et de la fortification des
Mexicains. Avant l'arrivée des Espagnols, Tlascala formait
une république oligarchique. Ce fut l'un des premiers États
qui se prononcèrent pour Cortez, et elle com[)tait alors
100,000 familles, dont 20,000 dans la capitale. Cortez lui
laissa une espèce d'indépendance, sous la souveraineté de
l'Espagne, à qui elle payait tribut. Ses caciques relevaient
directement du vice-roi de la Nouvelle-Espagne; et l'entrée
de son territoire était interdite aux Européens. Après la ré-
volution mexicaine, comme TLiscala n'était pas assez peuplé
pour constituer imÉInt, on en forma un Territoire, auquel
on conserva ses anciennes imnuuiités.
TLEIVICEI\ouTREMECEN,villed'Algérie,provinced'0-
ran, à environ 80 kilomètres sud-ouest d'Oran, chef-lieu de
Jacinquièmedivision militaire et d'un district, dans une plaine
inclinée et onduleuse, qui se rattache au Djébel-Tierné. Tlem-
ccn est abrité au sud par cette montagne et le Haniff, élevés
de plus de 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, d'où
la vue s'étend jusqu'à Oran. A deux lieues, dans la même di-
rection, on gravit la grande chaîne, d'où l'on découvre le
désert, q\n n'est qu'à deux journées de marche. L'obstacle
que ces montagnes opposent au vent du sud et l'évation de
TLEMCEN
&99
la plaine où se trouve Tlemcen diminuent la chaleur dn
climat. I^'hiver, le froid y est piquant; il y tombe de la neige,
et le tiiermomèlre descend jusqu'à 4° au-dessous de 0. L'été,
les chaleurs sont moins fortes que la latitude ne semble l'an-
noncer. Ce qui reste de l'ancienne enceinte de Tlemcen at-
teste une grande étendue. Elle est de plus de cinq kilomè-
tres. L'enceinte nouvelle, plus petite, emhras.se à peine le
tiers de l'espace renfermé par l'ancienne. Elle est en pisé ,
flanquée de tours, souvent interrompue, sans fossés, et ter-
rassée sur les faces est et ouest. La ville est mal percée ; les
rues étroites sont souvent couvertes de treilles et rafraicliies
par de nombreuses fontaines. Les maisons n'ont qu'un étage,
et sont presque toujours couvertes en terrasse. Quelques-
unes, comme à Alger, communiquent par des voûtes jetées
d'un côté de rue à l'autre. On bâtit en briques, en moellons,
en pisé. On compte un assez grand nombre de mosquées
dans cette ville; la plupart sont très-petites. La principah;
est au centre de la ville : c'est le plus grand édifice qu'elle
renferme. Le minaret en est assez remarquable. En face,
au nord de la grande mosquée, on voit la Caselia, bazar
percé de plusieurs doubles rangées de boutiques, et presque
exclusivement réservé au marche des baiks. Les larges cré-
neaux qui couronnent la haute nmraille de cet édifice annon-
cent qu'il eut autrefois une autre destination. La citadelle de
Tlemcen, nommée le Mechouar, est placée au sud de la
ville, qu'elle touche, mais sur laquelle elle n'a qu'une ac-
tion imparfaite et qu'elle voit peu; elle est de Ibrme rec-
tangulaire, d'environ 460 mètres sur V80; ses longues faces
sont parallèles à la montagne et dirigées de l'est a l'ouest. i.a
population de Tlemcen est aujourd'hui de 13,699 habitants,
dont 11,299 indigènes. Celte ville est le centre d'une pro-
duction et d'un commerce importants d'Iiuile d'olive, de
céréales, de farines et de bestiaux; c'est un grand marché
indigène pour le trafic avec le Maroc. Les jardins qui en-
tourentcette ville, situéeà peu de distance du Maroc et voisine
du désert, produisent <les figues, des jujubes, des raisins
que l'on fait sécher; on y recueille aii.ssi des pêches, des ce-
rises, des amandes; c'est un lieu obligé d'entiepôt pour les
caravanes venant de Fez, qui y apportent du coton, des épi-
ceries , des soieries, des babouches, des maroquins, des
armes, des draps, etc. Le désert fournit des plumes d'au-
truche, des laines, de l'ivoire et quelques autres objets. Le
port de Harchgoun, distant de quaiaute-huit kilomètres,
peut aussi lui fournir les marchandises de l'Europe. Quatre
routes partent de Tlemcen : deux vont à Alger, en passant
l'une à Oran, l'autre à Mascara, une autre va à Harchgoun ,
et la quatrième conduit à Fez.
Tlemcen faisait autrefois partie de la Mauritanie césa-
rienne. Les Romains s'y établirent et la nommèrent Tre-
mis ou Treuiici colnnia. On y trouve encore des traces de
leur séjour. Les Maures en firent plus tard la capitale d'un
royaume, qui comprenait, outre Tlemcen, les villes de Né-
droma, Djidjelli, Marsalquivir, Oran, Mazagran, Arzew,
Mostaganem, etc. Cette ville pa.s.sa ensuite sous la domina-
tion des Zéirites, vers 980, puis .sous celle des Almoravides
et des Almohades. En 1248 Yaginourezen hen-Zian y fonda
la dynastie des Zianides ou Benizians, qui prirent le titre
de khalifes. Soumis au Maroc de 1312 à 1336', Tlemcen re-
conqiwtpromptement son indépendance, et la conserva jus-
qti'au seizième siècle. En 1515 celte vil'e fut prise par
Aroudj Barbe-Rousse , qui en fut chassé par les Espagnols en
1518. Elle fut soumise en 1543 par les Turcs, qui la réu-
nirent en 1560 à la régence d'Alger.
Après l'occupation d'Alger par les Français, les autres
villes delà régence tombèrent dans l'anarchie. Les Maures
ou Hadars occupèrent Tlemcen ; les Koulouglis se réfu-
gièrent dans le Mechouar. Après la mort de son père, Abd-
el-Kader se fit proclamer, à Tlemcen, bey de la province. Par
le traité de la Tafna.la France lui céda formellemenî
Tlemcen; mais après la reprise des hostilités, en 18,4ï,
Tlemcen se soumit à nos armes, et bientôt nos troupes y entré-
rent pour n'en plus sortir, quoique la guerre continuât tou-
600
TLEMCEN —
jours autour de cette place jusqu'à la capture d'Abd-el-Kader.
L. LOUVET.
TMESE ( du grec Tjjiîiffi;, division ), terme de gram-
maire, signifiant division d'un mut en deux.
TOAST. Ce mol, qu'on prononce tôste , nous vient des
Anglais, qui l'ont eux-mêmes formé du latin tostus (parti-
cipe de torrere, rôtir, faire rôtir ), par allusion à une tranche
de pain que beaucoup d'entre eux ont l'habitude de mettre
dans le vin qui leur sert à boire des santés. Le nom de la
partie est ainsi devenu celui du tout. Le toast désigne non-
seulement l'action de porter une santé à table, mais encore
les sentiments relatifs à quelqu'un ou à quelque chose qu'on
exprime à cette occasion dans des discours plus ou moins
étendus. Les toasts étaient d'usage chez les Grecs et les Ro-
mains. C'est te qu'à iiome on appelait grseco more bibere,
boire à la mode grecque, ou encore ad numerum bibere,
boire un certain nomlirede fois. A la longue les toasts sont
devenus essentiellement politiques.
TOBAGO. Voyez Tabago.
TOBIE, Juif de la tribu de Nephtali qui pendant l'exil
habitait iNiniveet s'était enrichi sous le règne de Salmanas-
sar, comme fournisseur de la cour; il perdit sa place, et sa
fortune sous Sanhérib, parce qu'il avait donné la sépulture
à des Juifs suppliciés. Revenu à Ninive après la mort de
Sanhérib, il perdit la vue; mais il fut guéri avec du fiel de
poisson, que son hls avait rapporté d'un voyage entrepris
en Médie, sous la conduite de l'ange Gabriel. Tel est le récit
du l.ivre de Tobie, qui fait partie des apocryphes de l'Ancien
Testament, et dont la base historique a souvent été mise en
doute.
TOBOLSK, gouvernement de la Sibérie occidentale
(Russie Asiatique). Il comprend avec la ci-devant province
d'Omsk, qui a été incorporée en 1838, une superficie de
1,863 myriam. carrés, est divisé en onze cercles, et compte
de 8 à 900,000 habitants russes (dont un grand nombre de
bannis), tatares, boukhares, tnrco-tatares, (innoisetsamoyè-
des. Au sud et au sud-ouest le climat est chaud et agréable
en été, mais la partie septentrionale, qui est de beaucoup la
plus grande, souffre en hiver d'un froid excessif; et même
pendant l'élé, dont la brièveté est extrême, pour peu que
lèvent souffle du nord, l'air y est d'un (roid piquant. Les par-
ties du sud et du sud-ouest sont d'une grande fertilité, et
produisent en abondance des céréales et du chanvre. De
liches prairies, des steppes verdoyantes y favorisent l'é-
lève du gros bétail , des chevaux et des moulons. On y ren-
contre môme par-ci par-là des chameaux. Le gibier et les
poissons y abondent, et les pelleteries constituent un des
principaux produits de celle contrée. La plupart des tribus
que nous avons mentionnées acquittent leur obrok (impôt)
avec un ceilain nombre de peaux de zibelines, de martres
et de renards. Les parties septentrionales de ce gouverne-
ment, couvertes généralement d'épaisses forêts maréca-
geuses, ou bien composées de tundras,?.e refusent à toute
culture, mais sont d'une richesse extrême en animaux à
fourrure. Le renne est le seul animal qui serve aux Sa-
moyèdes et aux Ostjaeks pour leurs transports à travers ces
déserts. Le principal cours d'eau est l'Obi , qui traverse le
gouvernement dans toute sa longueur et a pour tributaires
une multitude de grandes et de petites rivières. Ses prin-
cipaux aflluents sont, sur sa rive gauche, l'Irtysch, qui re-
çoit le ïobol et l'ischim, la Soswa, et sur sa rive droite le
Ket. En fait de grands lacs on y trouve, au sud l'Abiscli-
Kan, de 18 myriamètres carrés, et le Soumy ou Tschebakly,
de 57 myriamètres carrés. La principale montagne est la
crête septentrionale de l'Oural , qui à partir de la source
de la Soswa forme la limite du gouvernement de Tobolsk
du coté du gouvernement d'Archangel (Russie d'Europe).
Le chef-lieu du gouvernement, Tobolsk, au coniluent du
Tobol dans l'Irtysch, à 312 myriamètres de Saint-Péters-
bourg, à 36 mètres au-dessus du niveau de la mer Glaciale ,
est divisé en ville haute et ville basse. La première, sur
la rive dfoite de l'Irtysch, est bâtie sur ime colline; la ville
TOCQUEVJLLE
I basse est plus grande, mais sujette aux fréquentes inondations
de l'Irtysch. Cette ville a 25,000 habitants, vingt-trois église»,
dont la cathédrale grecque, deux couvents, un gymnase, une
école militaire et plusieurs autres établissements d'instruction
publique, un séminaire théologique et un séminaire normal,
plusieurs imprimeries et un théâtre. Elle est le siège du gou ver»
neur général de la Sibérie occidentale, du gouverneur civilde
Tobolsk, de l'archevêque de Tobolsk etde Sibérie, etc. C'est
aussi le principal dépôt du corps d'artillerie réparti sur les
frontières de la Sibérie occidentale. Les Russes forment le
quart de la population. Un autre quart se compose de Ta-
tares. On y trouve aussi beaucoup d'Allemands, qui ont une
église luthérienne, et un grand faubourg n'a d'autres habi-
tants que des Boukhares. Les bannis qui résident à Tobolsk
appartiennent généralement aux classes instruites, et jouis-
sent dans l'intérieur de la ville d'une complète liberté. II y
a peu d'activité manufacturière à Tobolsk; en revanche, le
commerce, surtout le commerce d'expédition, y a beaucoup
d'importance. Celte ville est en outre le grand entrepôt de
toutes les fourrures reçues pour le compte de la couronne,
et ses négociants entretiennent de continuelles relations avec
le reste de la Sibérie, avec Moscou et Nijni-Novgorod, avec
les Kalmoucks et les Boukhares qui y envoient des cara-
vanes. Tobolsk fut fondé en 1587.
La ville la plus populeuse et la plus importante après
Tobolsk est 0ms A , autrefois chef-lieu de la province du
même nom , à 42 myriamètres au sud-est de Tobolsk , sur
l'Irtysch et l'Om, avec une grande fabrique de drap appar-
tenant à la couronne, plusieurs écoles et 12,000 habitants,
qui font un commerce considérable avec l'intérieur de l'Asie.
Il faut encore mentionner Tjoumen, surlaToura, au sud-
ouest de Tobolsk, la première ville fondée par les Russes
en Sibérie ( 1586) et la plus industrieuse de toute la contrée,
avec 10,000 habitants et plus de cent fabriques de cuirs,
de savon , de tapis de laine, etc.
Les principaux lieux de bannissement après Tobolsk sont
les villes de Pelijm, sur la Tawda, et surtout Bercsoff sur
l'Obi, dans une âpre contrée, par 65° de latitude nord, où
l'on envoie la plus grande partie des condamnés politiques.
TOC (Jeu du) , appelé en Allemagne et en Italie tocca-
degli (ce qui veut dire : touches-les) , en espagnol tocca-
tille, en grande vogue au seizième siècle, et qui aujourd'hui
est presque oublié. Il tire son nom de ce que le seul but des
joueurs est de toucher et de battre leur adversaire, ou de ga-
gner une partie double ou simple par un jan ou un plain. On
le joue, en plusieurstrous, dont il dépend des joueurs de fixer
le nombre, avec un trictrac garni de quinze dames de chaque
couleur, de deux dés et de deux lichets pour marquer les
t7-oiis ou les parties. On y place les dames de même qu'au
trictrac : il faut également y nommer le plus gros nombre
des dés le premier.
TOCAT-MOU-KHAN. Voyez Djinghiz-Khanides.
TOCCATEGLI. Vojjez Toc (Jeu du).
TOCQUEVILLE (Henri-Alexis de), membre de l'Aca-
démie Française et de l'Académie des Sciences morales, né en
1 805, entra d'abord dans la magistrature , et fut nommé juge
d'instruction en 1826, puis juge suppléant en 1830. Envoyé
en 1831 en Amérique pour y étudier le système des prisons,
il publia à son retour en Europe l'ouvrage intitulé La Dé-
mocratie en Amérique (2 vol., Paris, 1834), qui obtint un
immense succès, fut couronné en 1835 par l'Académie, et
lui ouvrit les portes de l'Institut. Élu en Jf39 député à
Valognes, il prit place à la chambre sur les bans de l'op-
position, et y prononça plusieurs discours, au mérite des-
quels tous les partis rendirent hommage. Nommé, après la
révolution de 1848, par le département de la Manche député
à l'Assemblée nationale et à l'Assemblée législative , il y
vota avec la majorité contre toutes les propositions ultra-
démocratiques , et dans le cabinet du 2 juin 1849 il accepta
le portefeuille des affaires étrangères. Depuis le coup d'État
du 2 décembre 1851 il vit à l'écart , étranger aux affaire»
publiques.
TOCSIN .- TŒPLITZ
601
TOCSIN. Sonner le tocsin, c'est mettre en branle les
cloches d'une ou de plusieurs églises , à l'effet de prévenir
les populations voisines que quelque grave danger les me-
nace. D'habitude on sonne le tocsin dans les campagnes
toutes les fois qu'un incendie se déclare quelque part. C'est
appeler les paysans d'alentour à venir en aide aux incen-
diés et à leur rendre des bons offices que demain peut-être
il leur faudra réclamer à leur tour. Dans les guerres civiles,
nous le savons de nos jours par une cruelle expérience , le
tocsin joue toujours un grand rôle; et nous ne croyons pas
qu'il existe de langue humaine capable de convenablement
exprimer la sombre horreur que répandait sur tout Paris
lors des néfastes journées de juin t848 le glas funèbre
des cloches mises en branle parles insurgés là où ilsétaient
les plus forts, se mêlant dans les airs au bruit de la fusillade
ainsi qu'au grondement du canon. En effet, sur tous les
points de la grande cité qu'ils occupaient, les insurgés
transformaient les églises en ambulances et en lançaient
toutes les cloches à pleines volées pour appeler aux armes
les frères et amis.
tODTLEBEIV (François-Edouard), dont le nom a
acquis une si glorieuse célébrité par la défense de Sébas-
topol, est né le 20 mai 1818, à Mittau, enCouilande, où
son père occupait une position honorable dans le commerce.
Celui-ci ayant transporté le siège de ses affaires à Riga , y
amena son (ils, qui reçut son éducation première dans les
écoles de cette ville. Plus tard, il fut admis à l'école des
ingénieurs de Saint-Pétersbourg. Au moment où éclata la
guerre d'Orient (1854), il était capitaine en second dans le
corps des régiments de campagne , et eut d'abord occasion
de se distinguer sous les ordres du général Scliikler dans la
campagne du Danube. De là, on l'envoya en Crimée. Quand
les armées alliées y débarquèrent, on reconnut la nécessité
de fortifier la ville du côté de la terre, où elle était jusque
alors demeurée ouverte. Mais le temps pressait, et on hési-
tait sur l'emploi des moyens et du système de défense à
adopter. Quoique simple capitaine, Todtleben proposa un
plan dont le prince Menschikoff reconnut aussitôt les avan-
tages; et celui-ci le chargea en conséquence d'en diriger
l'exécution. Ce qu'il fit alors appartient à l'histoire de ce
siège mémorable. D'une ville ouverte il réussit à faire, sous
le feu de l'ennemi , une forteresse redoutable, qui résista pen-
dant près d'une année aux efforts gigantesques des armées
alliées. Ses services ne se bornèrent pas à élever des ou-
vrages de défense; il prit encore une part des plus actives à
la lutte, et vers la fin du siège il reçut au pied une blessure
grave par suite de laquelle il dut être emporté hors de la
place assiégée. Les récompenses accordées par le gouverne-
ment russe à l'habile ingénieur, resté jusijue alors obscur
et inconnu , furent proportionnées à son mérite et à l'éclat
de ses services. En moins d'une année il parcourut successi-
vement les grades de capitaine , de lieutenant-colonel , de
général -major, puis d'adjudant général. Entre autres distinc-
tions il reçut en outre la décoration de troisième classe de
l'ordre de Saint-Georges , qui ne s'accorde que pour des
actions d'éclat et sur la proposition du chapitre de l'ordre.
Rarement un simple général de brigade a reçu cette haute
distinction. Chose peut-être sans exemple, un avancement
si rapide n'a pas d'ailleurs provoqué la moindre jalousie, et
a été, au contraire , salué par les acclamations unanimes de
l'armée, comme dû et décerné au vrai mérite, au génie.
Les alliés ont été les premiers à rendre au talent du général
Todtleben l'hommage de leur admiration.
TCaCKELY ou TŒKŒLY (Emmerich, comte de),
patriote et héros hongrois, né en 1656, au château de Kas-
mark, en Hongrie , était le fils d'un gentilhomme protestant,
qui, après le supplice du comte Zrinyi et d'autres gentils-
nommés hongrois qui avaient pris part à une conspiration
contre l'Autriche , se mit à la tête des mécontents. Peu de
temps après la mort de son père, que le général autrichien
Heyster vint assiéger comme rebelle dans son manoir, et
qui .nourut de maladie pendant le siège, Emmerich , alors
âgé seulement de quinze ans , se réfugia auprès du prince
de Transylvanie , dont il se fit tant aimer par son courage
et toute sa conduite, que celui-ci lui confia le commande-
ment d'un corps d'armée qu'il envoyait au secours des mé-
contents hongrois. Élu général en chef en 1678, il envahit
la haute Hongrie, à la tête de forces considérables, s'empara
de diverses places fortes, ravagea la Moravie , et, appuyé
par la France et la Turquie, pénétra jusque dans la haute
Autriche. Malgré les efforts faits par l'empereur à la diète
d'Œdembourg, en 1681, pour donner satisfaction à quelques-
uns des griefs des mécontents, Ta-kely continua la lutte. H
se plaça sous la protection du sultan Mahomet IV, qui, en
1682, le reconnut en qualité de roi de Hongrie. A peu de
temps de là, la forteresse de Munkàcz tomba en son pou-
voir, et alors il repoussa de nouveau les conditions de paix
que lui offrait l'Autriche. En août 1682 il s'empara de
Kaschau , où il se fit reconnaître comme roi par une diète
convoquée à cet effet. Lorsque la guerre éclata l'année sui-
vante entre la I^rte et l'Autriche, il marcha sur Vienne avec
les Turcs, qui , après la déroute qu'ils essuyèrent le 12 sep-
tembre 1683, l'accusèrent d'avoir été la cause de leur dé-
sastre. Tcekely , prompt à prendre un parti, accourut de sa
personne à Andrinople , et démontra si bien son innocence
au sultan, que celui-ci fit trancher la tête au grand-vizir.
Quoique les Impériaux eussent envahi victorieusement la
Hongrie, Tœkely continua la lutte avec quelques fidèles;
mais le 17 août 1684 il fut surpris dans son camp, et ne
s'enfuit qu'avec peine. ILinvoqua alors l'appui des Turcs;
mais il fut traîtreusement fait prisonnier par le pacha de
Petervvardein, qui l'envoya au sultan. Comme on ne pou-
vait lui rien reprocher, on le remit en liberté; mais pen-
dant sa captivité l'armée des mécontents s'était disper-
sée ; et à son retour en Hongrie , il lui fut impossible de
rien entreprendre. De nouvelles défiances qu'il inspira aux
Turcs les portèrent à le faire encore une fois prisonnier,
pour lui rendre bientôt après la liberté. Apprenant la red-
dition de Munkàcz, et cp.ie sa famille avait été conduite à
Vienne, Tœkely réunit une petite armée, mais fut surpris
et battu par les Autrichiens à Grosswardein. En 1690, la
Porte l'ayant de nouveau nommé prinre de Transylvanie, il
envahit le pays, battit le général autrichien Heusler et le fit
même prisonnier; mais il se vit bientôt forcé de se réfugier
en Valachie. Pareille cho.se lui arriva encore en 1691, à la
suite d'une défaite que le prince Auguste de Hanovre lui
fit essuyer près de Térès. Après la déroule de Salankenem
(19 août 1091), où il commandait la cavalerie turque, il
faillit être égorgé par la populace de Belgrade. Après avoir
pris part à toutes les autres luttes des Turcs contre la Porte,
il se rendit à Constantinople en 1695 avec sa famille, qui
avait été échangée contre le général Heusler. Le sultan lui
fit don de divers domaines, et lui accorda le titre de^/i?jce
de Widdin. Il mourut en 1705, dans un domaine qu'il
pos.sédaitprès de Nicomédie, en Asie Mineure.
TOEPLITZ ou TEPLITZ, l'un des établissements
thermaux les plus fréquentés de l'Europe, est situé dans
le cercle de Leitmeritz( royaume de Bohême) , sur la grande
route de Dresde à Prague, à 56 kilomètres de la première
de ces villes et à 84 de la seconde, à 225 mètres au-dessus
du niveau de la mer, dans une grande vallée, bornée à
l'ouest et au nord par V Erzgebirge , et à l'est et au sud
par le Mittelgebïrge. Le chemin de fer de Dresde à Prague
passe à 10 kilomètres de là , et , [lour s'y rendre , on le quitte
à la station d'Aussîg. Tœplitz est une jolie ville, de 4,000 ha-
bitants, qui reçoit chaque année plus de 4,000 baigneurs
et bâtie au centre d'une contrée ravissante. Aussi ce séjour
thermal est-il un des plus agréai)les qu'on connaisse ; les
choses nécessaires y abondent, celles qui ne sont que cu-
rieuses s'y rencontrent de même avec profusion. On compte
là jusqu'à sept sources', la plupart, très-célèbres et très-fré-
quentoes. Ces eaux , qui surgissent d'un porphyre rouge,
dont l'origine ignée est évidente, furent découvertes en
762, par des mineius de Ciiemnitz; d'autres disent par i«
602
TOEPLITZ — TOILE
chevalier Kolustug, lequel fit édifier tout jrès de là un
r.hâteau qu'on surnomma la Seplanlièze. Telle aurait été,
selon quelques historiens, la première origine de la ville
deTœplitz, qui dépendait naguère d'une seigneurie, pro-
priété des princes Clary, mais devenue indi^pendante depuis
la suppression générale des juridictions patrimoniales. Les
grands étahlissements de bains, celui des hommes (le
Herrenbad), et celui des femmes (le Frauenbad) , furent
bâtis en 1580. D'autres, tels que les bains chauds, les
bains tièdes et les bains frais, sont beaucoup plus mo-
dernes. Le jardin de la maison du prince renferme de plus
une buvette, une source vantée contre les maux d'yeux,
et une autre pour les bains généraux : la ville elle-même
ne contient pas moins de trente-trois bassins différents pour
les baigneurs sains ou malades. On raconte qu'en novembre
1755, le jour du tremblement de terre de Lisbonne, toutes
les sources de ïreplitz cessèrent de couler durant sept ou huit
minutes; après quoi, environ une demi-heure plus tard, leur
abondance fut telle, que la ville se vit menacée d'une inon-
dation générale. On remarqua aussi avec effroi que l'eau
minérale était d'un rouge de sang.
Au voisinage de Tœplitz on rencontre le village de Schœ-
nau , dans lequel coulent trois belles sources minérales :
1° la soïtrce de Pierre , ou le Steinbad ; 2° la source des
Serpents, ouïe Schiangenbad; 3" lasource deSoufre, ou le
Schwefelbad. On trouve en outre dans ce lieu de vastes
casernes pour la garnison bohème, des hôpitaux pour les
militaires et pour les indigents , etc. La garnison change
tous les mois, afin sans doute d'inspirer plus de sécurité
aux pères de famille, et peut-être aussi pour que l'armée
ne se familiarise point avec la vie molle et voluptueuse de
Tœplitz.
La température des sources de Tœplitz est de 48 à 52° R.
Au rapport du docteur Hufeland, qui en vante les ver-
tus, toutes ces sources sont à la fois ferrugineuses-acidulés,
alcalines-gazeuses et salines-purgatives. Elles renferment du
sulfate et du muriate de soude (sels de Carlsbad et de cui-
sine), des carbonates de soude et de chaux, de l'oxyde de
fer, de l'acide carbonique à l'état gazeux , et de la silice. Il
est certain qu'elles ont une sorte d'analogie avec celles de
Cari sbad, situées quelques lieues en deçà : comme celles-
ci, elles sont en même temps purgatives et toniques ; on les
emploie dans les mêmes occurrences, contre des maux sem-
Dlables; on en boit, on s'y baigne, on en reçoit les va-
peurs, etc. Ces eaux sont transparentes, verdàtres, légèrement
salées , mais sans odeur. Les sources de Tœplitz pourraient
fournir dans l'espace de vingt-quatre heures , au-delà de
400,000 litres d'eau minérale.
On compte en Allemagne plusieurs autres Tœplitz, dont
on faitdériver le nom duslave Tepla (c'est-à-dire eau chaude).
Tous ces lieux doivent leur nom à des eaux thermales : rte-
7j/î;s(48°R.), près Postyan, danslecomitat deNeutra; Tœ-
j9/i<s (45° R.), en Croatie ;rcBp/i<z( 29" P..), euCarinthie;
et Tœplitz ( 14° R.) , en Moravie. Isidore Boukdon.
TOEPFFER (Rodolphe), écrivain auquel le vent de
la popularité sourit un instant, né à Genève, en 1799, et
mort dans la même ville, le 8 juin 1846, était fils d'un
peintre de mérite, qui aurait désiré lui voir suivre la même
carrière; mais une ophthalmie grave, dont il ne fut même
jamais bien guéri, le força à y renoncer. Il se consa-
cra en conséquence à l'instruction publique, dirigea pen-
dant longtemps un pensionnat, et fut nommé en 1832
professeur à l'académie de Genève. Tœpffer s'était dédom-
magé du mieux qu'il avait pu de l'impossibilité de manier la
brosse, résultant pour lui de la faiblesse de ses yeux, en de-
mandant au crayon la traduction de ses pensées. Des esquisses
piquantes, confinées d'abord à un cercle familier, ne tar-
dèrent pas à obtenir auprès du public un grand et légitime
succès ; et sous le titre de Traité du Lavis à Vencre de
eAJne, il exprima sur tous les arts en gênerai des considé-
rations pleines de finesse et de délicatesse. On a réuni de
lui , sous le titre de Nouvelles genevoises, quelques récits
gracieux. On lui doit aussi un roman intitulé : Eosa et Ger*
truda et les Voyages en zig-zag , publication qui obimt
un grand succès , favorisée surtout par le goiit du public pour
les illustralions. Or, dans ces Voyages en zig-zag A
décrit les excursions qu'il faisait avec ses écoliers dans les
Alpes, et combine habilement le dessin et le récit.
TOGE, toga , vêtement ample , fait le plus ordinaire-
ment de laine blanche, sans manches et sans plis, qui
enveloppait tout le corps jusqu'aux pieds , qu'on mettait
pardessus la tu ni que. C'était là un vêtement si essen-
tiellement particulier aux Romains , qu'on les désignait par
l'expression de togati, ou encore de gens togata. Les ci-
toyens romains pouvaient seuls le porter; il était interdit
aux étrangers et aux bannis. Ainsi, quand le droit de cité
fut accordé aux habitants de la Gaule Cisalpine, elle reçut
le nom de Gallia togata, par opposition au reste de la
contrée, désigné sous celui de Gallia braccata. La toge
variait de longueur, de couleur et d'ornements suivant les
conditions, le sexe et l'âge. La forme en était semi- circu-
laire , sans pourtant former un segment de cercle parfait.
Rejetée sur l'épaule gauche, elle passait sous le bras droit,
qu'elle laissait libre, et formait, par-devant une poche,
sinus, où se serraient les divers petits objets que les Ro-
mains avaient habitude de porter sur eux. Elle était fermée
par une couture depuis le bas jusqu'à la poitrine. Les riches
en portaient de plus amples et les pauvres de plus étroites.
Les accusés cherchaient à exciter la pitié en portant une
toge courte et sale [toga sordida). Ceux qui se mettaient
sur les rangs pour solliciter un emploi s'efforçaient d'attirer
l'attention en ayant soin de revêtir une toge d'un blanc
éclatant [toga candida), expression de laquelle on avait
fait pour les désigner celle de candidati, que nous avons
traduite par candidat. La toge prétexte, toga prsetexta,
bordée d'une bande de pourpre, était portée par les magis-
trats et par les prêtres ainsi que par les jeunes garçons
jusqu'à l'âge de dix-sept ans; époque où, admis à servir
dans l'armée et à prendre part aux assemblées populaires,
ils revêtaient , comme habit des adultes, la toge ordinaire
[toga viriiis). Les triomphateurs portaient une toge bro-
dée d'or et de pourpre ( toga picta ), à l'instar des anciens
rois.
TOHU-BOHU. Voyez Chaos.
TOI. Voyez Moi.
TOILE (du latin tela), sorte de tissu ordinairement de
fils de lin, de chanvre ou de coton , entrelacés sur le métier
avecla navette. Dans l'usage, le nom de toile s'applique plus
particulièrement aux tissus de lin et de chanvre ; et on ré-
serve celui de tissu de coton aux produits dont cette ma-
tière est la base. L'art de faire la toile, qui a fait chez nous
tant de progrès , paraît d'une origine très-ancienne , car on
a trouvé un grand nombre de produits divers de cet art à
Saint-Germain-des-Prés, dans des tombeaux du dixième
siècle; et les anciens Gaulois, au rapport de Pline , sem-
blent avoir excellé dans ce genre d'industrie. C'est d'ail-
leurs aux Sidoniens et aux Phéniciens que remonte l'in-
vention de la toile de lin ; car ce n'est guère que deux siècles
avant les croisades qu'on a fabriqué les premières toiles de
chanvre, dont l'usage ne s'est généralisé qu'à partir du
douzième siècle. On fait aussi des toiles de crin, d'amiante,
et des toiles métalliques.
La toile de chanvre est un tissu très-fort, dont les qua-
lités varient à l'infini, puisqu'il en est qu'on emploie pour
emballages et d'autres pour chemises. Ces dernières sont
fabriquées avec ce qu'on appelle le brin supérieur <\i\ chan vre^
préparé et épuré. Avec le brin ordinaire, on confectionne
des toiles qui flattent moins l'œil, mais tout aussi bonnes.
Ce sont celles qu'on emploie pour chemises , draps, panta-
lons, serviettes, etc. Avec des étonpes de chanvre, on ta-
brique des toiles grossières i)our emballages, sacs, bâches,
torchons, etc. Les départements delà Sarthe, de l'Orne, de
rille-et-Vilaine , de Maine-et-Loire, de l'Isère, du Puy-de-
D<ime , du Bas-Rhin, de la Moselle , des Vosges , de l'Aisne ,
TOILE - TOT LES PEINTES
608
de la Somme, etc., sont en France les principaux lieux de
la fabrication des toiles de clianvre. A l'étranger, on en fa-
brique aussi en Italie, en Sicile en Egypte, etc.
La toile de Un présente, elle aussi, des sortes très-diver-
ses. Les principales sont les toiles de lin proprement dites,
fabriquées avec le cœur du lin, c'est-à-dire avec du lin pei-
gné, épuré et en fwiesses très-diverses; et les toiles d'é-
toupe, fabriquées avec l'étoupe ou résidu du peignage. 11 y
a encore les toiles rfemWm, c'est-à-dire chaîne lin et trame
étoupe. Le Finistère, les Côtes-du-Nord, l'IIe-et-Villaine, la
Mayenne, l'Orne, le Calvados, la Sartlie, la Sonnne, l'Oise,
leNord sont les départements où l'on fabrique le plus de toiles
de lin. Les toiles fabri(iuéesdans l'Oise, aux environs de Beaii-
vais, peuvent rivaliser avec les plus beaux produits de la
Hollande, et sont désignées dans le commerce sous le nom de
mi-Hollande. Les toiles connues sous le nom àe cretonnes
(ainsi appelées du nom d'un fabricant de Lisieux; on ignore l'é-
poqueoù il vivait), fabriquées aux environs de Lisieux, sont
d'une qualité supérieure. A l'étranger on fabrique des toiles
de lin, surlouten Belgique, enHollande,enSuisse, en Prusse,
en Silésie, en Westphalie, en Hanovre, en Bavière, en Saxe,
en Russie, en Angleterre, en Ecosse et en Irlande. Les plus
fines sont celles de Belgique, de Westphalie et d'Irlande.
Gay-Lussac a donné le moyen de faire des toiles dites
incombîistibles, en les imprégnant simplement de phosphate
d'ammoniaque, découverte qui peut être précieuse pour les
théâtres. D'autres corps, tels que le sulfate de potasse, par
exemple, jouissent également de la propriété d'empêcher
rinflanimation des tissus qui en sont imprégnés.
Le mot toile, employé seul, désigne le rideau qui cache
la scène dans un théâtre.
Le même mot au pluriel se dit, enfermes de chasse,
des pièces de toile avec lesquelles on fait une enceinte en
forme dépare pour y prendre des sangliers, ou de grands
fijets destinés à prendre des cerfs, des chevreuils, etc.
TOILE A VOILE, forte toile en fils de chanvre supé-
rieur, éprouvé pour sa force et sa résistance. Elle se fabrique en
fil simple, ou en deux et trois fils retordus ensemble. Celui-ci
donne le degré de fermeté et de consistance nécessaire pour
l'usage auquel on la destine. Les marins en comptent plu-
sieurs espèces, dont les principales sont : la toile à six
fils, la toile à quatre fils, la mélie double, la mélie sim-
ple , la toile de doublage et la toile à prélat.
TOILE CIREE. Foyes Tissus imperméables.
TOILES DE BRETAGNE. On désigne ainsi dans le
commerce une excellente espèce de toiles blanchies, dont ori-
ginairement la fabrication était une industrie particulière à
la Bretagne , mais qu'on a ensuite imitée partout où l'on
fabriq.ue de la toile, et plus particulièrement à Saint-Quen-
tin. Les toiles fabriquées à l'instar de celles de Bretagne sur
différents points de rAllemagne, par exemple en Silésie, en
Bohême, en Saxe et en Liisace, et vendues sous cette dé-
nomination, n'ont pas la qualité des toiles de France, mais
ontsouvent plus d'apparence. Les toiles façon Bretagne qu'on
fabrique en Angleterre sont encore inférieures à celles d'Al-
lemagne. Les toiles de Bretagne et façon Bretagne trouvent
surtout d'importants débouchés en Espagne et en Amérique,
oii on les emploie pour chemises, draps de lit et linge de
table.
TOI LES MÉTALLIQUES. On appelle ainsi des tissus
fabriqués avec des fils métalliques, soit de laiton, de fer,
d'or ou d'argent. On les emploie à une foule d'usages, par
exemple dans les fabriques de papier, dans les brasseries,
dans la fabrication des cribles, des grilles, des tamis et des
blutoirs. Le prix en varie suivant la matière et la finesse du
tissu. Il en est qui ne se vendent que de 2 fr. à 18 fr. le
mètre, et d'autres de 6 fr. à 60 fr. le mètre carré. Les fabri-
ques de Laigle fournissent des quantités considérables de fils
inétalliques destinés à la fabrication des toiles métalliques.
TOILES PEINTES. On comprend sous'cette dénomi-
nation générique tous les tissus de coton sur lesquels sont
rajjportés différents dessins coloriés. C'est de l'Inde que nous
vient cette industrie; et comme à l'origine les couleurs s'ap-
pliquaient sur les tissus au moyen de pinceaux, c'est de cet
usage qu'est venu le nom de toiles peintes, expression ini-
propreaujourd'hui, puisqu'on emploie de tout autres procé-
dés de fabrication. Dans le commerce, on se sert encore du
nom d'indiennes, qui rappelle le pays à qui on est redc-
vabl" ;!e la première fahrication de ces sortes de tissus. Le
mot luuennerie, dont on se servit d'abord pour dé.signer le
tissus de coton teint en fil qui se fabriquaient à Rouen, s'ap-
plique aussi aux indiennes communes , devenues l'une des
l)Tanches les plus importantes de l'industrie ro\iennaise.
C'est. seulement au commencement du dix-hu'iliéme siècle
que l'industrie des toiles peintes s'introduisit en Europe ; et
les premiers lieux de fabrication furent: en Allemagne, Augs-
bourg ; en Suisse, Genève, Nenfcliatel et Bàle ; en Angleterre,
Londres. Mais pendant longtemps les toiles peintes de
l'Inde conservèrent une grande supériorité sur les produits si-
milaires fabriqués en Europe. Lasub-stitution de l'impression
au moyen d'une planche en bois au pùjcefli<^«g'e transforma,
vers la fin du siècle dernier, cette industrie, à qui elle donna
une importance qui va toujours croissant et une perfection
qu'il semble difficile de dépasser dé.sormais. Mulhouse en est
aujourd'hui It grand centre en France. Cette industrie n'y date
pourtant que de 1746. L'Alsace compte d'ailleurs sur différents
autres points de son territoire un grand nombre de fabriques
de toiles peintes. Pendant longtemps on employa en France
pour la fabrication des toiles peintes des tissus fabriqués
dans l'Inde; mais vers 1810 le perfectionnement subi par la
fabrication de nos tissus de coton permit à nos fabricants
de toiles peintes de n'employer désormais que des tissus
français. L'impression des tissus de coton s'exécute mainte-
nant à main d'homme sur une table, par des machines à
planches plates, au moyen de rouleaux de cuivre gravés, et
par la perrotine (machine appelée ainsi du nom de l'inven-
teur), qui offre sur les moyens ordinaires des avantages ana-
logues à ceux que les presses mécaniques à la vapeur offrent
dans la typographie sur les presses a bras.
[La fixation des couleurs devant avoir lieu au moyen de
mordants, il faut que ceux-ci soient appliqués sur les seuls
points de l'étoffe qui doivent recevoir des teintes : pour cela,
on se sert d'un sel d'alumine incristallisable, l'acétate, dont
la dissolution est susceptible de s'épaissir en la mêlant avec
de la gomme ou de l'amidon torréfié. Le tissu étendu et
bien fixé sur une table, on pose à la surface une planche en
bois, sur laquelle on a produit en relief, par le moyen de
tiges en fil de cuivre, tous les dessins voulus, et que l'on a
imprégnée de couleurs épaisses; puis, par un chocprodui
avec un marteau en bois , on force la matière colorante à
adhérer au tissu : des pointes très-fines, placées au coin de
la planche, servent de repères |)our placer successivement
la planche sur toute l'étendue. Si l'on doit avoir diverses
couleurs, on porte successivement aussi les mordants con-
venables, et on passe au bain de teinture : tous les points
mordancés prennent de la couleur, les autres se teignent à
peine, et la légère couleur qui s'y est développée disparaît
par une lessive de savon, l'exposition sur pré, on quelque-
fois une légère dissolution de chlore ou de chlornic. Quand
le mordant a été mélangé avec diverses substances , les points
qu'occupent chacune d'elles développent des teintes particu-
lières. On obtient quelquefois des dessins en blanc sur un
fond coloré uniformément, en appliquant sur les points où
l'on veut avoir du blanc de l'acide oxalique épaissi , qui dé-
truit la couleur, ou en y faisant arriver des chlorures;
quelquefois aussi on réserve des points en y appliquant ua
mélange de terre de pipe et de sulfate de cuivre, qui em-
pêche la couleur de se fixer. .\u lieu de planches que l'on
porte successivement sur toute la surface du tissu , on se
sert souvent maintenant de machines formées par la lé'î-
nion de plusieurs cylindres qui, chargés de couleur ou de
mordant par des brosses disposées à cet effet, déposent ces
couleurs ou ces mordants sur le'tissuqui vient toucher leur
Furface. H. Gaultier be Claubry.J
604
TOISE — TOLÈDE
TOISE. Dans notre ancien système de mesures, la toise
était l'unité linéaire : elle se divisait en 6 pieds , le pied en
12 pouces, le pouce en 12 lignes, la ligne en 19. points.
Elle valait près de deux mètres, plus exactement 1"", 49904.
TOISÉ. On appelle ainsi l'art de calculer les dimensions
des ouvrages d'arcliitecliire civile et militaire, c'est-à-dire
les surfaces et les solidités de ces ouvrages. Ainsi la pre-
mière partie de cet art est la multiplication , et la seconde
les règles qu'il (aut suivre pour toiser les différentes parties
de l'édilice suivant les figures de ces parties.
TOISON, peau de mouton avec sa laine , ou bien laine
tondue, mais adhérant encore complètement, telle qu'elle
était sur la peau.
TOISOiX D'OR. Dans les traditions grecques , la toi-
son d'or rapportée de la Colchide par Jason , qui à cet effet
y entreprit une expédition en compagnie avec les Argo-
nautes, est surtout célèbre.
L'ordre de la Toison d'Or, l'un des ordres de chevalerie
les plus anciens et les plus considérés au moyen âge, fut
fondé le 10 janvier 1430, à Bruges, par le duc Philippe de
Bourgogne, veuf de Michellede France, (iile de Charles VI et
de Bonne d'Artois, h l'occasion de son mariage en troisièmes
noces avec Isabelle, (ille du roi de Portugal Jean T"^. La
défense de l'Église, (et était le but de Tordre. Le duc Phi-
lippe s'en déclara grand-maître, et décida que cette dignité
passerait à ses héritiers. Dès la seconde anni^e de la fon-
dation de l'ordre, en 1431, il augmenta de sept nouveaux
membres le nombre des chevaliers, qui primitivement avait
été fixé à vingt-quatre. L'empereur Charles Quint l'aug-
menta encore de vingt autres. Ce prince décida aussi que
la chaîne, insigne de l'ordre, ne se porterait qu'à certains
jours solennels , et que les jours ordinaires la déf oration de
la Toison d'Or se porterait suspendue à un simple ruban de
soie ronge. Le costume primitif des chevaliers de l'ordre fut
aussi modifié à cette occasion , et le dernier chapitre de
l'ordre se tint à Gand, en 1559. Quand, à la mort de Char-
les Quint, les possessions de la maison de Bourgogne pas-
.sèrent à la ligne espagnole de la maison d'Autriche , ce furent
les rois d'Espagne qui remplirent les (onctions de grand-
maître de l'ordre de la l'oison d'Or. Mais Charles III (de-
venu eçisuite, comme empereur d'Allemagne, Charles VI)
ayant obtenu en 1715, après la guerre de la succession d'Es-
pagne, la souveraineté des Pays-Bas, maintint contre la cour
d'Espagne son droit à conserver ce titre. La question resta
indécise ; de .sorte qu'il y a maintenant deux ordres de la
Toison d'Or, l'un en Autriclie et l'autre en Espagne. Au-
jourd'hui la chaîne de l'ordre est la décoration exclusive du
grand-maltre; les chevaliers ne portent que l'insigne de la
Toison d'Or, suspendu au cou à un ruban rouge.
Le 15 août 1809 Napoléon fondait à Schipubrunn un ordre
des trois Toisons d'Or ; mais il n'en lut jamais autrement
question.
TOIT, TOITURE (dérivédu latin tectum ,ïdH(iQtegere,
couvrir). Voyez Comble.
TOIT À PORC. Voyez Cochon.
TOKAY, bourg de 5,700 habitants, dans le comitat
deZeini)lin (haute Hongrie), sur la rive droite de la Theiss,
à l'endroit où elle reçoit le tribut du Bodroge, avec un tri-
bunal de première instance, une école du degré supérieur
et un etitrepôt pour la vente des sels de Marmaros. A partir
de Tokay s'étend au nord et au nord-est le groupe des
montagnes de Tokay, appelées aussi H e g y a 1 1 y a, d'origine
volcanique, offrant les formes les plus accidentées, la plus
riche végétation , et couvertes surtout de vignobles qui pro-
duisent le célèbre vin de Tokay, dont on distingue trente-
quatre sortes portant toutes le même nom. La montagne
de Tokay, proprement dite , sur le tlanc orienfai de laquelle
est situé le bourg de Tokay, est couverte de vignes jus-
qu'à une élévation de 80 mètres; mais c'est seulement
le mamelon isolé appelé Mezes-Mali (miel ii(piide), qui
donno la première qualité de vin de Tokay. Voyez Hongrie
( Vins de ).
Les premiers plants de vigne furent introduits à Tokay
au treizième siècle par des colons italiens attirés par le roi
Bêla IV. La plus grande partie de ces vignobles sont des
propriétés domaniales ; les plus grands propriétaires sont
le prince Bretzenheim et la famille Szirmay. Le vin de Tokay
doit sa juste célébrité aux soins extrêmes dont il est l'objet
de la part des producteurs , à l'attention minutieuse qu'ils
apportent à bien assortir les grappes et à ne faire la ven-
dange que lorsque le raisin est parfaitement mftr. Dans les
bonnes années, on récolte à Tokay environ 60,000 eifuer
de vin. Les vendanges de l'Hegyallya sont une véritable fête
nationale pour la Hongrie; cependant, le centre n'en est pas
à Tokay même , mais à Màd ou Maùd , autre gros bourg ,
où l'on compte 5,800 habitants , servant de lieu de réu-
nion à la noblesse et de bourse aux négociants en vins.
Non loin de là on trouve encore le bourg de Tallya, tout
aussi peuplé, célèbre par sa foire, qui se tient en automne,
et où il se vend d'énormes quantités de futailles. Le 22 et
le 31 janvier 1849 des engagements d'une vivacité extrême
eurent heu aux environs de Tallya entre les Impériaux com-
mandés par le général Scblick et les insurgés.
TOKHARISTÂN. Voyez Hindoukouh.
TOLBIAC, en allemand Zn/picA, ville des Vbiens,
dans la Gaule Belgique, est célèbre par la victoire que
Clovis et Sigebert y remportèrent en l'an 409 sur les Ale-
mans. Barbares contre barbares, avec même amour de ra-
pine, mômes habitudes guerrières, même valeur, la bataille
dura longtemps, et longtemps le sang versé de part et d'autre
parut d'un poids égal au dieu qui décide les victoires. Enfin,
une blessure qui arracha Sigebert au fort de l'action donna
de l'avantage aux Alemans. Clovis vit chanceler ses soldats
et sa fortune , et soudain , abandonnant ses dieux,, qui pa-
raissaient l'abandonner : « Christ, s'écria-t-il en se jetant
à genoux. Dieu de Clotilde, j'invoque avec foi ton secours,
fais-moi triompher de ces ennemis , et je croirai en toi ; je me
ferai baptiser en ton nom ! » Les Autrasiens répèlent le ser-
ment de leur chef, et voici qu'aussitôt les Franks retour-
nent au combat. Le nom du Christ délend ses nouveaux dé-
fenseurs , et les Alemans sont vaincus.
TOLE, fer en feuilles, plaque d'épaisseur uniforme et de
surface lisse. On en distingue de deux sortes : la tôle forte,
ou fer noir, employée pour la confection des chaudières à
vapeur, et qui exige une certaine épaisseur, et la tôle à fer
blanc, qui est au contraire très-mince, comme les tuyaux
de poêle. Entre ces deux extrêmes il y a une foule de tôles
intermédiaires. La tôle forte se fabriquait autrefois au mar-
teau sur une table d'enclume un peu bombée au milieu.
C'est encore ainsi qu'on obtient la tôle dans quelques usines.
L'usagedu lammoir a beaucoup simplifié cette fabrication. Les
barres de fer sont présentées rouges au travail du laminoir,
qui leur fait subir les mômes préparations que le martinet ,
mais qui les amène bien plus promptement à l'état de feuilles.
La tôle mince, dont on peut faire ensuite le fer blanc au
moyen de l'étamage, se fabrique aussi maintenant au lami-
noir. L'art de vernir la iô\e et àe l'emboutir (la rendre
convexe d'un côté et concave de l'autre) fut découvert en
France, ^en 17GI.
TOLÈDE, Toletum, chef-lieu de la province du même
nom, dans le royaume de la Nouvelle-Castille ( 184 myriam.
carrés et 290,000 habitants) , est bâtie sur le versant d'une
montagne baignée par le Tage, qui .antciîre 'a ville de
trois côtés. Elle est protégée par de fortes murailles; les rues
en sont étroites et montueuses , les maisons généralement
petites et de chétive apparence. A l'époque de la domination
des Gotbs en Espagne, Tolède était leur capitale ; cependant,
elle eut beaucoup plus d'importance sous la domination des
Maures, car elle fut alors le foyer de la civilisation et de la
science arabes; et cette période fut celle où elle atteignit
l'apogée de sa prospérité. Les chrétiens s'en rendirent
maîtres en l'année 1085. Au qiialor/.ième siècle, on y comp-
tait encore plus de 200,000 habitants; mais aujourd'hui sa
population ne s'élève pas au delà de 16,000 âmes. Le nou-
TOLÈDE — TOLPACHE
veau château (yi/Aasaj-). construit sur le plateau delà
montagne, au seizième siècle, par Charles 1", en remplace-
ment d'un vieux château bâti au troisième siècle par Al-
phonse X, fut détruit à l'époque de la guerre de la suc-
cession d'Espagne, puis reconstruit, et sert aujourd'hui d'hô-
pital et de fabrique de soie. Il existe en outre à Tolède
plusieurs autres fabriques de soieet une manufacture royale
de lames d'épée, dont les produits sont justement célèbres.
L'archevêque de Tolède prend le titre de primat des Espa-
gnes, et ses revenus s'élevaient jadis à 300,000 ducats. L'u-
niversité de cette ville date de l'an 1499. Il y a à Tolède une
école militaire; parmi ses vingt-six églises, on remarque sa
belle cathédrale gothique, où l'on trouve une belle collection
de tableaux et une bibliothèque contenant plus de sept
cents manuscrits précieux, parmi lesquels on remarque les
ouvrages de la plupart des grands écrivains de l'antiquité,
des traductions des auteurs arabes et les œuvres d'un grand
nombre de pères de l'Église. Il est à espérer que lorsque des
philologues exercés examineront ces richesses littéraires, ils
y découvriont des ouvrages qu'on croit aujourd'hui à jamais
perdus. Non loin de Tolède il existe encore des débris d'ar-
chitecture romaine.
TOLENTINO, ville de la délégation de Macerata (États
de l'Église), sur la route d'Ancône à Rome , sur les bords
du Chiente et le versant oriental de l'Apennin, dans une
magnifique et fertile contrée ; les maisons en sont d'une ar-
chitecture vieille et tenues fort salem«nt : on y compte
4,000 habitants. C'est V&n\l\i\\\&Tolentïnum , dans le Pice-
num. Tolentino restera célèbre dans l'histoire par la paix
qui y hit signée, le 19 février 1797, entre le pape et la républi-
que française. Aux termes de ce traité, le pape consentait à
abandonner à la France Avignon et lecomtat Venaissin, ainsi
que Bologne, Ferrare et toute la Romagne. Le 2 mai 1815
il s'y livra entre les troupes autrichiennes et l'armée de Mu-
rat un engagement qui coOta à celui-ci le trône de Naples.
TOLERANCE. On appelle tolérance civile la dispo-
sition de la loi qui , n'entrant dans aucune appréciation in-
time de telle ou telle doctrine religieuse en particulier,
laisse la plus entière liberté à la conscience de chacun, et
assure à tous les citoyens d'un État une protection égale
dans l'exercice du culte qui les a reçus à leur naissance ou
qu'ils ont embrassé librement. Malgré les lumières dont
notre siècle a droit de se vanter, il n'y a guère en Europe
que la France où la tolérance civile existe avec quelque
étendue. En Allemagne, le calvinisme ne s'est fait luie place
à côté du luthéranisme qu'à la suite de la guerre de trente ans.
En Angleterre, la réforme sanglante opérée par Henri VIII
s'est montrée et se montre encore intolérante jusqu'à la per-
sécution. Knox, Calvin et la plupart des premiers réfor-
mateurs ont été aussi intolérants que l'Église catholique,
contre l'intolérance de laquelle ils s'élevaient avec fanatisme.
La tolérance, telle que nous l'entendons aujourd'hui, n'est
donc pas im résultat de la réforme du seizième siècle. C'est
la philosophie du dix-huitième qui a le droit de la revendi-
quer comme l'un des principaux résultats produits par elle.
Il est vrai que les adversaires de la philosophie pourraient
reporter avec raison la gloire d'un si grand bienfait au
christianisme lui-même, dans lequel le principe de la cha-
rité universelle avait établi une vérité de beaucoup supé-
rieure à la tolérance telle que nous la comprenons aujour-
d'hui ; mais il est nécessaire d'avouer que ce principe,
singulièrement méconnu pendant plusieurs siècles, a été
repris pai" la philosophie et transformé, par les efforts et la
persévérance de la raison humaine , en celui de la tolérance
civile. La tolérance civile a été et est encore attaquée par
les hommes, en trop grand nombre, qui considèrent la re-
ligion comme un moyen d'ordre et de discipline dans la so-
ciété. Ils craignent que la diversité de croyances ne produise
dans l'État des factions, une dangereuse anarchie , ou , par
suite, une tnneste indifférence. Mais, on ne saurait trop le
répéter, la religion n'a d'autre but qu'elle-même, parce
qu'elle est le plus élevé qui puisse être proposé à l'homme.
«05
Sans doute là où elle règne régnent avec elle la paix , le
justice et toutes les vertus qui sont la source du princif)«
supérieur qu'elle contient. Néanmoins, elle porte plus loin ; et
si elle inspire à l'homme ici-bas l'amour de la vertu, c'est
beaucoup moins dans l'intérêt d'un ordre de choses infime
et périssable que pour élever son moral , purifier son in-
telligence et son cœur, le préparer enfin à ses destinées fu-
tures et éternelles. Tout autre rôle est indigne d'elle, et doit
être considéré comme une profanation.
Les partisans de l'intolérance religieuse, battus sur le
terrain de l'ordre politique et civil , se sont retranchés dans
l'intolérance théologique. Selon eux, l'intolérance théolo-
gique ne serait autre chose que le sentiment créé en nous
par la conviction qui nous attache aune doctrine religieuse.
Demander à un homme de tolérer théologiquement les
doctrines dissidentes ou contraires , ce serait à leurs yeux
lui demander d'effacer en lui toute croyance. Mais il s'en
faut beaucoup que la question doive être présentée de
cette manière. Lorsque, après avoir mis la tolérance civile à
l'abri de toute attaque, on réclame, comme complément des
conquêtes de l'intelligence humaine sur ce point, la tolérance
théologique, on ne prétend affaiblir les croyances de per-
sonne. On comprend seulement que l'homme , averti à
chaque pas de la faiblesse de son intelligence, de 1 influence
qu'exercent sur elle les passions, l'éducation et les intérêts,
doit, tout en conservant ses convictions, être disposé à ex-
cuser les erreurs des autres et à les juger avec la réserve
convenable à celui qui s'avoue sujet à l'errenr, et qui dans
maintes occasions a fait la triste expérience des limites de sa
pensée. De cette manière, la charité, premier précepte du
christianisme, ne se trouve blessée en rien par la dissidence
des opinions religieuses, et chaque homme, ne voyant dans
les autres, quelle que soit d'ailleurs la différence des idées,
que des frères que la Providence recommande à son amour,
attend de la miséricorde céleste et de lumières nouvelles
leur retour à ce qu'il regarde comme la vérité. La tolé'
rance civile et la tolérance théologique sont donc deux
corrélalil's rigoureusement nécessaires l'un à l'autre ; et
comme l'intolérance théologique a amené dans les siècles
passés l'intolérance civile, c'est de nos jours à la tolérance
tliéologique à consolider et à développer les heureux effets
de la tolérance civile. H. Bouchitté.
TOLLEIVOIV {Archéologie militaire), machine avec
laquelle des assiégeants portaient sur les remparts de la ville
quatre ou cinq soldats plus ou moins, soit pour repousser les
assiégés, soit pour inspecter ce qui se passait dans la place.
C'était une bascule ordinaire, portant à l'une de sesextrémités
une sorte de caisse ou de panier dans lequel se plaçaient les
soldats ; d'autres soldats tiraient des cordes attachées à
l'autre extrémité, et la poutre, s'inclinant de leur côté, por-
tait le panier sur la muraille.
TOLIVA, comitat du district d'Œdembourg (Hongrie),
compte, sur une superficie de 46 myriamètres carrés, 205,705
habitants. Le Danube y forme plusieurs lies et, surtout au
sud, beaucoup de marais. On a obvié à ses débordements au
moyen de digues élevées à grands frais. A l'ouest, le pays est
montagneux, partout ailleurs il est tout à fait plat. Le sol,
d'une grande fertilité, produit en abondance des vins exquis,
de superbes fruits, d'excellent tabac, de la garance et du
safran. Il ne manque pas de forêts. De riches pâturages fa-
vorisent l'élève du bétail. La grande majorité des habitants
est de race magyare et professe la religion catholique. L'in-
dustrie est moins leur fait que l'agriculture. Ce comitat est
divisé en cinq arrondissements : Szekszar, Duna-Faeldvar,
Hœgyesz, Bourjhad et Domhovar; il a pour chef-lieu
Szekszard ou Sexard, sur la Sarwitz, ville de 10,500 habi-
tants, et aux environs de laquelle on récolte l'excellent via
rouge de Szekszard.
TOLOSADE LASNAVAS (Bataille de), 16 juillet 1212,
Voyez Alphonse VIII de Castille.
TOLPACHE ou TALPACHE, nom qu'on donnait autre
fois aux fantassins hongrois.
60G
TOLSTOÏ — TOMBOUKTOU
TOLSTOÏ (Les;, la famille la plus nombreuse qui existe
en Russie, et qui fait remonter sa noblesse jusqu'au quinzième
siècle. Le premier comte de ce nom fut le boyard moscovite
Pierre Tolstoï, lequel, après avoir d'abord été l'un des plus
zélés partisans de la granrle-princesse Sopbie, devint
ensuite l'admirateur passionné du tsar Pierre le Grand. Aussi
ce prince le nomma-t-il son ambassadeur à Constantinople,
en 1702 ; et en 1711 il fut renfermé par ordre du sultan au
château des Sepl-Tours, par suite de la déclaration de guerre
lancée contre la Russie. Rendu à la liberté, Tolstoi accom-
pagna son maître dans son voyage en Europe, et à Naples
il détermina le jeune et malheureux tsaréwitsch Alexis à re-
venir en Russie. Pierre, en récompense, le nomma prési-
dent du conseil de commerce; et en 1724 il lui conféra le
titre de comte ; mais sous Pierre II, (ils du malheureux
Alexis, il tomba en complète disgrâce. 11 fut alors dépouillé
de toutes ses charges et dignités, voire même de son titre de
comte, et renfermé au couvent de Solowezk , où il mourut,
peu de temps après. C'est seulement en 1760, sons le règne
d'Élisabelh, que l'inlluencede sa famille parvint à faire rendre
à ses héritiers le titre de comte.
Feodor Petrovntsch, comte Tolstoï, célèbre sculpteur
et médailleur, né en 1783, àPétersbourg, servit d'abord dans
l'armée, et remplit pendant quelque temps les fonctions d'aide
de camp auprès de l'amiral Tschitschagolf. Mais, entraîné par
une vocation irrésistible, il résolut ensuite de se consacrer
exclusivement à la culture de l'art. 11 s'est formé à peu près
tout seul, par l'étude attentive des modèles grecs et italiens,
tant à l'école des beaux-arts à Pétersbourg que plus tard
dans un voyage en Italie. Parmi ses oeuvres il faut surtout
mentionner les dessins pour la grande porte de l'église du
Christ à ^foscou, quatre bas-reliels d'après des sujets de
l'Odyssée, une statue de Morphée, une série d'illustrations
pour la Duschenka de Bogdanowitscli, et des médailles com-
mémoratives de la guerre de 1812, de la guerre de Hongrie
en 18i9, etc. C'est l'exposition universelle de Lomlres de
1851 qui a fait connaître ses ouvrages à l'Europe occiden-
tale. Yice-président de l'Académie des Beaux-Arts de Pé-
tersbourg depuis 1828, il a rendu des services essentiels
comme professeur de sculpture attaché à cette instilnlion.
En 1844 il fut élevé à la dignité de comte par l'empereur
Nicolas.
Parmi les membres de cette famille qui n'ont pas le titre
â& comte, on remarque P»'?Te Tolstoï, lieutenant général
et aide de camp <ie l'empereur, qui a maintes lois rempli des
missions diplomatiques, et qui en 1854 lut chargé de con-
duire une division d'infanterie dans le Caucase.
TOLTÈQUES,en espagnol Tollecas, nom d'un [leuple
qui, d'<ipres les rapports fabuleux des Aztèq ues, éuiigra
vers le quatrième ou le cinqidème siècle de notre ère d'un
pays situé plus au nord et appelé Huchuettapalkin dans
YAnahuac, où il fonda, vers le milieu du septième siècle, la
ville de Tullan on jr«/a, dont il lit le point central d'un État
bien organisé, qu'il agrandit ensuite par ses conquêtes. Les
débris de sa civilisation portent en général le caractère
aztèque ; et aujourd'hui encore on attribue conununément
aux Toltèques les plus grands et les mieux conservés d'entre
les monuments qui existant dans l'Analiuac. C'est après
quatre siècles d'existence que le royaume des Toltèques était
parvenu à son plus haut degré de prospérité. Dès lors com-
mença sa décadence; et enfin, vers le milieu du onzième
siècle, le pays se trouva presque complètement dépeuplé
à la suite de plusieurs années de sécheresse qui amenèrent
la famine et des maladies épidémiques. Ceux qui survécu-
rent allèrent s'établir partie ailleurs et partie chez lesChi-
chirneks, qui un siècle plus lard transmirent aux Aztèques
l'héritage de la civilisation toltèque.
TOLU ( IJaume de ), appelé aussi baume de Carthagène
ou de saint Thomas, substance que l'on retire d'un grand
arbre de la famille des légumineuses, qui abonde aux en-
virons de Tolu, village voisin de Carthagène (Nouvelle-Gre-
nade), et que Richard appelle myrospermum tohùfcrum.
W s'extrait de l'arbre par desintrisions pratiquées à l'écorce,
et d'où il découle. Il est solide, sec et cassant, d'une couleur
fauve clair, demi-transparenle; son odeur suave rappelle
celle du citron ; sa saveur est douce et agréable. 11 se dis-
sout dans l'éther et dans l'alcool. Jeté sur des charbons ar-
dents, il brûle en répandant une fumée blanche d'une odeur
aromatique. On l'administre en tablettes et en sirop dans
les affections catarrhales pour faciliter l'expectoration et
calmer la toux.
TOLUCA, l'ancien Toloccan, chef-lieu et siège du gou-
vernement de l'État particulier de Mexico, dont on a cepen-
dant séparé depuis 1850 la partie méridionale, sous le nom de
Guerrero, pour en former un État indépendant, avec Chil-
panzingo pour chef-lieu. La villede Toluca est située à 42 ki-
lomètres au sud-ouest de la ville fédérale de Mexico, à la-
quelle la relie une belle route , sur un plateau qui prend
son nom, à 2,466 mètres d'élévation au-dessus du niveau de
la mer, au pied d'une montagne à base de porphyre appelée
San-Miguel de TtirucaitlalpiUo , à quelques heures de
marclie au nord-est du ISevado de Toluca (altitude
4,744 mètres), volcan éteint, dont le sommet, couvert de
neige, porte un lac-cratère d'environ 7 kilomètres de circuit.
Toluca est une ville bien construite, annonçant l'aisance
de ses habitants, qui sont au nombre de 12,000. On y trouve
d'importantes fabriques de savon et de bougies. C'est aus.si
le centre d'un grand commerce de viande de porc salé, de
boudins, de saucissons et de jambons, renommés dans tout
le Mexique.
TOMAHAWK. C'est ainsi que les Indiens de l'Amé-
rique du Nord appellent leur hache d'armes, qu'ils consi-
dèrent aussi comme le symbole de la guerre. De là cette
expression figurée, enfouir le tomahawk, dont ils se servent
pour dire : observer la paix.
TOMATE , espèce de sol an é e originaire de la côte
<le Guinée et vulgairement appelée pomme d'amour. Le
fruit de la tomate, quant il est arrivé à son point de matu-
rité, est d'un beau rouge, et contient une pulpe fine, légère
et très-succulente, d'un goût aigrelet relevé, fort agréable
lorsqu'on le met dans le bouillon.
TOMBACK, alliage métallique, appelé aussi similorow
ùr de l\lunheim, de couleur jaune tirant sur le rouge, et dont
on attribue l'invention première aux Siamois. Ils emploient à
cet effet le meilleur cuivre de la Chine, et y mêlent de l'or. Ils
estiment plus le tomback que l'or. Le tomback fabriqué en
Europe est un alliage composé de cuivre et de zinc, dans la
proportion de 12 parties pour l'im et de 472 pour l'autre.
On l'emploie surtout pour articles de bronze doré ou verni.
TOMBE, TOMBEAU. Ces mots ne sont pas synonymes ;
le premier désigne en effet un tombeau ne s'élevant pas
au-dessus de terre , et consistant en une grande table de
pierre, de marbre, de cuivre, dont on couvre une sépulture,
et le second une élévation au-dessus de terre ou un petit
monument, une petite construction où on enferme un mort.
Tombeau, au ligure, signilie quelquefois mort, fin, destruc-
tion : Je vous serai fidèle jusqu'au tombeau {voyez Mau-
SOLÉK, Sépulcre).
TOMBEREAU. Voyez Charrette.
TOMBOUKTOU ou TEMBOUKTOU , antique et cé-
lèbre ville commerçante située dans la partie occidentale
du bas Soudan ou Afrique centrale, jadis capitale d'empires
puissants , se trouve aujourd'hui placée , après avoir fré-
quemment changé de maîtres, sous la domination nominale
des Fellatahs {voyez Foulahs), à qui les Arabes font con-
trepoids et auxquels notamment un chéick des Touariks
appelé El-Bakay oppose sa domination morale et religieuse.
Suivant le D"^ Barth, elle est située entre le 18° 3' 30" et
le 18 4' 5" de latitude septentrionale, et par 15° 55 de lon-
gitude orientale, à l'extrémité méridionale du désert de Sa-
hara, dans une contrée aride et déserte, où l'unique chemin
conduisant à Kabara ou Kabra , port et entrepôt si-
tuée à 10 kilomètres au sud, sur un bras du Niger, est
tout couvert de mimeuses guttifères et d'autres broussailles
TOMBOUKTOU
de mAme espèce, et bordé par quelques cliauips de millet
et quelques melonnières. Elle forme un triangle, dont l'extré-
mité septentrionale est ornée de la principale mosquée, ap-
tique et massif édilàce, appelé djama-sanbove , tandis que
les deux autres mosquées remarquables, la grande et celle
de Saint -Jean-Baptiste, sont situées dans le quartier sud-
ouest. Les habitations sont construites en briques sèches,
et le plus souvent se trouvent très-rapprochées les unes des
autres. Quelques-unes ont assez bon air. On voit aussi beau-
coup de huttes légères en nattes. Les nègres Souia y for-
ment la plus grande partie de la population, dont on évalue
le nombre à 20,000 habitants. Il s'y trouve eu outre des
Arabes des races les plus diverses, des Fellahs en quantité,
des Touariks avec leurs esclaves , ainsi que des Nègres de
TOMSK
607
Bambarra rt des Nègres Mandingos. Le marché est extrê-
mement fréquenté, plus petit pourtant que celui de Kano
dans l'Haoussa, mais bien fourni en marchandises de prix.
ïombouktou fut fondée en 1213 par Mansa-Suléiman ,
roi des Nègres Sousous, tribu des Mandingos, pour être la
capitale de ce pays, depuis longtemps soumis à l'islamisme;
et elle parvint bientôt aune grande importance par son renom
de sainteté, de même que par sa position , éminemment favo-
rable au commerce, au nord du principal fleuve du Soudan,
entre les parties orientale et occidentale de son cours, qui
sont navigables près de la frontière des régions , si peu-
plées, du sud et de celles du nord, où fleurit le commerce
de caravanes. Celle ville fut visitée en 1353 et 1510 par les
célèbres voyageurs Ebn-Batula et Léon l'Africain. Le pre-
mier en parle comme d'une ville provinciale du royaume
de Mali ou Méli, et en même temps comme de l'une des
princii)ales résidences des docteurs du Koran ; le second la
présente comme la capitale d'un autre royaume de Nègres
encore plus puissant, et comme une florissante ville com-
merciale. En 1573 il était encore question de l'importance du
commerce de ïombouktou , qui cent ans plus tard était en
complète décadence. C'est seulement sous la souveraineté du
sultan Muley-Ismael de Maroc ( 1672-1727 ), qui s'empara de'
cette importante étape, que le commerce y prit un nouvel es-
sor, mais pour déchoir de nouveau avec l'affaiblissement de
la puissance marocaine; de sorte queTombouktou elle-même
retomba dans l'oubli. En 1803 elle devint une ville provinciale
du puissant royaume de Bambarra ;et en 18)0 elle tomba au
pouvoir des Fellatahs, qui à leur tour ont été subjugués dans
ces derniers temps par lessouverainsdu Bornou, situé àfest,
et qui n'y possèdent plus , en conséquence, que fort peu
d'autorité. Par suite des rapports démesurément exagérés
faits sur l'importance de son commerce, Tombouktou a
été de nos jours le but d'expéditions entreprises par
plusieurs voyageurs européens. L'Anglais Mungo-Park
n'atteignit en 1805 que son port, Kubra, et c'est seule-
ment vingt-et-un ans plus tard, en 1826, qu un autre Anglais,
La in g, parvint à Tombouktou. Comme il périt assassiné ,
les reusoigneuients qu'il avait recueillis furent perdus. En
182S un jeune Français, René Caillé, séjourna du 20 avril
au 3 mai à Tombouktou, et les renseignements qu'il donna
sur cette ville firent revenir de la fausse idée qu'on s'en
était faite. En 1 853 l'Allemand Barth y arriva encore, le 7 sep-
tembre. C'est le premier Européen qui eût pris la route de
l'est.
TOiVn ou TOMIS , et encore Totnes , ville de la Mésie
inléricnre, sur le Pont-Euxin, aujourd'hui Tomiswar, sur la
côtede Bulgarie, était célèbre dans l'antiquité parce que c'est
Jà que Médée, au dire de la tradition, avait assassiné son
frère Absyrle, de même que par l'exil d'Ovide, qui y
mourut.
TOMM ASEO ( NicoLO ) , littérateur itahen , connu
par la part qu'il prit à la révolution de 1848, est né en
1803, à Sebenico en Dalmatie, et fut pendant plusieurs an-
nées l'un (les collaborateurs les plus actifs de VAntoloyia,
journal littéraire publié à Florence. Obligé, en 1833, de se
réfugier en France à la suite des événements politiques
dont la i)éninsule venait d'être le théâtre, il y passa plusieurs
I années. Après un assez long séjour en Corse, l'amnistie ac-
cordée parle gouvernement autrichien en 1838 lui rouvrit
les portes de la Lombardie, et il alla alors se fixer à Venise.
Vers la fin de 1847, quand commença le mouvement ita-
lien, il répandit avec M a ni n une pétition à l'empereur, où
on réclamait de ce prince un peu plus de liberté pour l'I-
talie centrale. Tous deux furent pour ce fait arrêtés le 18
janvier 1848, puisdélivrés de vive force par le peuple dans
la journée du i7 mars suivant. Le 22 Tommaseo était élu
membredu gouvernement provisoire. Quand cegouvernement
se démit de ses pouvoirs, ù cause de la réunion delà Lombar-
die avec le Piémont, Tommaseo se tint momentanément à
l'écart; mais à la suite de la révolution du 11 août 1848 il
fut remis avec Manin à la tête du gouvernement révolu-
tionnaire, en qualité de ministre des cultes et de l'instruc-
tion publique. A deux reprises il se rendit alors fort inutile-
ment à Pari^ , à l'effet d'y solliciter l'appui de la France
pour la république de Venise. La première fois, c'était sous
le ministère de M. B a s t i d e ; et la seconde, au début de la
présidence de Louis-Napoléon. Opposé déjà au système de
terreur organisé par Manin , il s'éloigna de plus en plus de
son collègue : ce qui lui fit perdre toute influence sur les
affaires. Lors delà capitulation de Venise, en 1849, il fut au
nombre des quarante individus qui durent quitter la ville
avant l'entrée îles Autrichiens. Il habite depuis lors Corfou.
Tommaseo est un des écrivains italiens contemporains les plus
laborieux et les plus féconds. Ses opinions, rigoureusement
catholiques, s'accordent avec les idées du patriotisme et du
libéralisme le plus dignement compris. Ses plus importants
ouvrages sont -.Délia Educazione (3* édit., 1836) ; Nuovi
Scn^^j (4 vol., Venise , 1840-41), où l'auteur traite' des
questions de philosophie et d'esthétique, etsesS^wf/i criiici
(2 vol., 1843). Son Nuovo Dizionarïo dei Sinonhni délia
Lingua Jlaiiana. (Florence, 1832; nouvelle édition,
1339-40) est un ouvrage remarquable par l'érudition, la
sagacité et la critique dont il y fait preuve. Son Commen-
taire sur le Dante (Venise, 1837 ) est important, par les
renvois qu'il y fait aux textes de la Bible et des Pères de
l'Église, et par des gloses souvent fort heureuses, mal-
gré leur laconisme. Il a publié les Lettere di Pasguale de
Paoli (Florence, 184G), avec une curieuse notice sur la
vie de Paoli. Son II Duca d'Atene ( Paris , 1836) est une
œuvre historique qui se rapproche beaucoup trop du roman,
et où il emploie des couleurs trop sombres. Sa collec-
tion de Chants populaires toscans, corses, dalmates et
grecs, avec notes historiques (4 vol., Venise, 1839), est
un trésor de poésie. Le style de cet écrivain est agréable,
mais pas toujours exempt de recherche.
TOMSK, gouvernement de la Sibérie occidentale
(Russie), ayant autrefois fait partie du gouvernement de
Tobolsk, qui l'avoisine et dont il a été séparé eu 1822, puis
réuni en 1838 à la plus grande partie de la province
d'Omsk, qui avait été jusque alors indépendante. Sa superficie
est de 20,794 myriam. carrés; il forme huit cercles, et compte
environ un million d'habitants. La large zone de la région
montagneuse et métallifère de l'Altaï en occupe la partie
sud-ouest. Au sud on trouve les ramifications d'une chaîne
de montagnes venant delà Chine, VAla-Taou et le Tarbn-
gatai, ou mont des Marmottes, haut de 3,280 mètres. Tout
le reste du pays est plat. Le principal cours d'eau est l'Obi,
dont les affluents sont sur la rive droite la Beja, le Tom, le
Tschyloum , et le Ket , et sur la rive gauche l'Irtysch, qui
traverse la grande steppe du même nom. On trouve dans
ce gouvernement un grand nombre de lacs, pour la plupart
salés , entre autres le lac Tschani (74 myriam. carrés;, le
lac Soîim?/ ou Tscheblnki, qui pénètre pour une partie dans le
territoire du gouvernement de Tobolsk (57 myriam. carrés),
au sud du territoire d'Omsk, une partie du grand lac Bal-
laschou Terighiz ( 130 myiram. car. ), \e\acd^Alaf,foiigoul
(42 myriam. carrés), au milieu duquel se trouve le volcan
d'Aral-Tubé, etle lacd*^/a/iOMi(31 myriam. car.) Cegouver-
nement présente de grandes étendues de territoire remarqua-
608
TOMSK — TONGA
bles par leur fertilité. La culture des céréales, l'élève du
bétail et l'apiculture ne laissent pas que d'y avoir une cer-
taine importance ; les forêts produisent du cliarbon, de la
poix et du goudron. Ce pays constitue en outre le principal
arrondissement de mines delà Sibérie occidentale, et four-
nit du plomb , de l'argent , du cuivre, de la houille, des dia-
mants , du jaspe, etc. La population se compose, partie de
colons russes, partie de bannis russes et polonais obligés de
travailler dans les mines, et qui à l'expiration de leur
peine s'établissent ici de même que les Kosaks congédiés,
enfin partie de tribus appartenant à l'ancienne Sibérie, ta-
tares pour la plupart et vivant à l'état nomade.
Le chef-lieu du gouvernement est Tomsk, sur le Tom, qui
à peu de distance de là se jette'dans l'Obi , aux environs de
gisements aurifères, à 108 mètres au-dessus du niveau de
la mer Glaciale, entouré de remparts et de fossés, et par sa
position la première ville de la Sibérie. Elle fut fondée en
1604, et est le siège du gouverneur civil ainsi que du com-
mandant général des différents cantonnements de troupes
établies dans les mines de l'Altaï et d'un évêque grec. On y
comptesixéglisesgrecques,uneéglise catholique et uneéglise
luthérienne, une mosquée, un gymnase et diverses autres
écoles, quelques autres beaux édifices appartenant à la cou-
ronne , et 12,000 habitants. Elle est le centre d'un commerce
miportant de fourrures, de cuirs et de céréales, favorisé par
sa situation sur la grande roule de Tobolsk à Krasnojarsk ,
Irkoutsk et Kiaclita. 11 faut ensuite citer les chefs-lieux de
cercle Kolywan, et Barnaoul ?>\xv l'Obi, avec 12,000
habitants et une école de mineurs, un jardin botanique , et
un grand nombre de hauts fourneaux. A peu de distance on
trouve à Kuznezk sur le Tom (2,500 hab. ) d'importantes
mines d'argent et plusieurs lavages d'or, de même qu'à
Zmenogorsk,(m ville des Serpents (4,000 habitants), située
au milieu de montagnes d'une richesse extrême en filons ar-
gentifères.
TON. Ce mot a en musique plusieurs significations. 11 est
d'abord dans certains cas synonyme du mot son , mais il
désigne plus particulièrement un intervalle de l'échelle dia-
tonique composé de deux sons. Ainsi , de ut à ré il y a im
ton. H sert encore à caractériser la note qui détermine l'é-
tendue et le genre de l'échelle diatonique. Ainsi , le ton ma-
jeur est celui dans lequel la gamme contient un demi-ton de
la troisième à la quatrième note , et le ton mineur est celui
dans lequel ce demi-ton se trouve placé de la seconde à la
troisième note. On dit le ion de ré pour désigner l'échelle
diatonique correspondant à la note ré, etc.
On appelle tons relatifs ceux dont la gamme présente
del'ariinité avec le ton principal. On attribue aux tons des
caractères particuliers, qui varient l'expression musicale et
ses edets. Ainsi , le ton de /a mineur est lugubre; les tons
de reetmi majeurs sont propres à exprimer des sentiments
nobles ou belliqueux. En un mot, chaque ton à un carac-
tère particulier. Cependant, il n'est pas rare de voir trans-
poser à l'orchestre différents morceaux pour céder aux exi-
gences des chanteurs et des cantatrices. C'est un abus qu'on
ne saurait trop blùmer. F. Danjou.
Ton sert à caractériser, par extension toutes les inilexions
du discours humain. C'est dans ce sens qu'on dit prendre
un ton suppliant, un ton demaitre, etc. Celte acception
a donné lieu à plusieurs locutions familières, telles que
prendre un ton, pour dire affecter une sorte de supériorité;
parler du bon ton ou d'w?t bon ton à quelqu'un , c'est-à-
dire de manière à le persuader ou à l'intimider, à lui im-
poser; changer de ton, c'est changer de conduite, de ma-
nières , de langage ; faiie baisser le ton à quelqu'un , c'est
lui faire perdre l'air de supériorité qu'il se donne.
On nomme bon ton le langage , les manières du monde
poli, élégant, et, par opposé, viauvais ton les manières
triviales et communes : c'est dans ce sens qu'on dit le ton
de la ville, de la cour, du collège, des halles, etc.
Ton se dit aussi en lillérature du caractère , du genre ,
du style des ouvrages : ton oratoire, pathétique, piaisaut.
En termes de peinture, ?on exprime la nature des teintes,
leurs différents degrés de force ou d'éclat : ton clair , toti
obscur, un ton qui lire sur le rouge, sur le jaune , etc.
Ton désigne en médecine l'état ferme et élastique des par-
ties , étal qui leur est naturel dans les conditions d'une
bonne santé ; il est l'opposé d'atonie, qui indique un état de
faiblesse, de relâchement, de mollesse ; c'est de l'acception
propre au mot ton , en médecine, que s'est formée dans la
même science celle du mot tonique, pour désigner les
remèdes par lesquels on suppose qu'on peut rendre à l'esto-
mac le ton qu'il a perdu.
TOJVADILLAS, TONADILLES. On appelle ainsi , en
Espagne, des chansons bouffonnes ou satiriques que le peuple
affectionne particulièrement, et dont la mesure et le mou-
vement varient plusieurs fois pendant la durée de la chan-
son. Dans ces derniers temps, la tonadilla est devenue
une espèce de scène qu'on a transportée sur le théâtre.
TOMDAGE, TONDEUSE. Voijez Drap.
TOrVDEURS. Voyez Aventuriers.
TONGA (Iles) ou Iles des Amis, archipel dépendant
de l'Australie, consistant en 32 grandes et plus de 150 pe-
tites îles, situé entre le 17" et le 22° de latitude méridionale
et par 200 à 204° de longitude orientale, et formant plusieurs
groupes isolés. Il fut découvert pour la première fois, en
partie du moins, par le Hollandais Tasman, puis nommé
lies des Amis par Cook, qui le visita en 1773 et 1777, à
cause de l'accueil hospitalier que lui firent les habitants.
Ces lies sont généralement basses; il n'y en a qu'une petite
partie de montagneuses et d'origine volcanique, mais presque
toutes sont entourées de dangereux bancs de corail. Il pa-
raît qu'il y à Tufoa un volcan en continuelle activité , et
une montagne conique encore plus élevée à Koa. L'a plus
grande de ces îles est Waivaou, mais la plus importante est
Tonga ou Tongatabou. Les îles Habai ou Hapaï forment
un groupe particulier, dont dépendent Foa, Lifouka et
autres. Le climat est d'une douceur extrême et des plus
salubres, la végétation magnifique, et l'eau douce y abonde
partout. Le sol est d'une g raude fertifité et produit des yams,
des pisangs, du sagou , des palmiers à cocos, de la canne
à sucre , l'arbre à pain , tous objet d'une culture régulière.
Les porcs, les poules, les pigeons, les poissons, les tor-
tues constituent la nourriture ordinaire des habitants, dont
on évalue le nombre à 200,000, qui sont de taillemoyenue et
bienporportionnée, avec un teint brun cuivré, et se distin-
guent de la plupart des autres populations de la mer du Sud
par leurs mœurs douces et hospitalières, leur loyauté, leur
propreté et leur dextérité manuelle. Ils ontle caractère gai et
essentiellement sociable, aiment la danse et la musique,
pour lesquelles ils montrent de grandes dispositions. Leurs
femmes , dit-on , sont remarquablement belles et aimables.
A l'origine, leur constitution était aristocratique , et elle de-
meura telle jusqu'en 1847, époque où s'établit parmi eux
un souverain absolu appelé Georges, qui réside à Lifouka.
De lui dépendent les autres chefs , qui le représentent dans
le reste de l'archipel. Ces insulaires ont une religion naturelle,
avec des prêtres, des fêtes, etc. Ils adorent plusieurs dieux,
auxquels ils offrent des sacrifices consistant eu produits du
sol. Les sacrifices humains se bornent à immoler un en-
fant, lorsqu'un chef tombe malade et qu'on n'a pas réussi à
le guérir en lui coupant un doigt, ou en recourant à d'autres
nratiques non moins bizarres. Ceci ne s'applique toutefois
qu'à la partie encore païenne de la population. Depuis 1820
des missionnaires anglais (wesleyens) ont entrepris d'y ré-
pandre laconnaissancedel'Évangile, et ils y ont réussi surtout
depuis l'avéneujent de ce roi Georges, qu'on représente comme
un homme intelligent. Des missionnaires catholiques et fran-
çais sont \enues d'ailleurs dans ces derniers temps y faire
avec succès concurrence aux wesleyens; aussi la plus
grande.animosité règne-t-elle entre les deux Églises. Ces lies
n'ont pas encore beaucoup d'importance commerciale. Port-
y^c/M^e, dansl'ile de Wawaou, est le meilleur port, et est iré-
quenté surtout par les baleiniers anglais et américains.
TONGOUSES"'— TONNERRE
6G9
TONGOUSES (Les), peuplade mongole, dépendant
peur la plus grande partie de te Chine, où elle habite ce qu'on
appelle la Tongousie ou Pays d'Amour , sur les deux rives
de l'Amour. Il n'y eu a qu'une faible partie, qui se nomme
AwenU ou Boie, c'est-à-dire hommes, qui appartienne à
la Sibérie russe. Leur nombre total s'élève à peine à 50,000
âmes. Les Chinois donnent aux Tongouses le nom AnSsolon,
c'est-à-dire archers, et aux Osijaeks celui de Rellem, c'est-
à-dire bariolés. Dans ces derniers temps ils se sont mêlés
avec les Ostjseks, les Samoycdes, et les Jakoutes , mènent la
vie nomade, sont très-paciliques, et divisés, suivant les ani-
maux qu'ils traînent avec eux , en Tongouses à chevaux,
Tongouses à rennes, et Tongouses à chiens, et aussi en
Tongovses de steppes. Les Russes distinguent parmi eux
une multitude de peuplades , qui souvent ne se composent
pas de plus de dix familles. Les Tongouses qui habitent les
rives de l'océan Oriental sont appelés Lamoutes, mais ne
sont pas au nombre de plus de 2 a 3,000 âmes. Presque tous
les Tongouses sont encore idolâtres, quoique les Russes
aient maintes fois tenté de les convertir. La plupart pro-
fessent le culte de Lama , de même que les Bourètes, qui
autrefois les dominaient.
TOiXIQUË {Mxisiqiie). On appelle ainsi la corde prin-
cipale sur laquelle le Ion est établi. Tous les airs finissent
communément par cette note, surtout à la basse. C'est
l'espèce de tierce que porte la tonique qui détermine le
mode. La ^niç'zte a cette propriété, que l'accord n'appar-
tient rigoureusement qu'à elle seule. Quand on frappe cet
accord sur une autre note, ou quelque dissonnance est sous-
entendue, ou celte note devient tonique pour le moment.
TONIQUES {Thérapeutique), remèdes qui ont pour
effet de rétablir l'élasficilé détruite des libres de l'estomac et
des intestins ainsi que du corps entier, d'accélérer le mou-
vement du sang, d'accroître les forces musculaires et la
chaleur animale. Suivant les diverses indications qu'ils
peuvent remplir, ils reçoivent les noms de fortifiants,
astringents , slyptiques , corroborants , etc. Ils appar-
tiennent presque exclusivement aux substances organiques,
surtout aux végétaux doués d'une saveur amère et astrin-
gente, dans lesquels domine le tannin, l'acide galiique et
ce qu'on appelle extr actif. Les alcalis végétaux, entre
autres la quinine, jouissent à un haut degré de la propriété
tonique. De toutes les productions minérales, le fer est
celle dont les vertus sont sous ce rapport connues depuis
le plus longtemps. L'emploi des toniques en médecine de-
mande certains ménagements; mais l'école de Broussais
avait été trop loin en les proscrivant dans toutes les circons-
tances. On est revenu depuis à de plus justes idées,
,TO!\K.\(Fève). Voyez FèveTonra.
TOAÎKIN ou TONG-KIiNG , l'une des trois grandes di-
visions administratives delaCochinchin e, d'une superfi-
cie de 1,800 myriam. carrés, avec une population évalui^e à
4,000,000 d'habitants, dont 300,000 sont chrétiens. Cette con-
tT.ée, située entre le 19° 30' et le 23° de latitude septentrionale,
est bornée au nord par les provinces chinoises de Yun-nan,
de Kouang-si et de Kouang-ton; à l'est, par le golfe de
Tonkin; au sud, par la Cochinchine proprement dite; à
l'ouest, par le Laos. C'est un pays bas et plat dans la plus
grande partie de son étendue, et où on ne rencomie de
montagnes qu'à l'est. Le climat en est salubre, quoique les
chaleurs y soient excessives. Le sol est très-fertile, et ren-
ferme eu outre beaucoup de métaux utiles et précieux. Les
principaux produits sont le riz , la soie et le coton , qui
donnent lieu à d'importantes exportations. Le chef-lieu est
Kescho, ville de 100,000 habitants , bâtie sur les rives du
lleuve Tonkin, que peuvent remonter des bâtiments de
200 tonneaux seulement , parce que l'embouchure en est
obstruée par les sables.
TONNAGE. Par ce mot on entend la capacité d'un
navire, le nombre ôetonneaux qu'il peut contenir. Il est
dérivé du mot tonne, emprunté lui-même à la langue alle-
mande, unité de convention qui sert à évaluer, par le jau-
DICT. DE LA C01NVEP.S. — T. XVI.
geage, la capacité du' navire. Une loi de l'an h porte qr.B
le tonnage (les bâtiments français sera établi comme suit :
ajouter la longueur du pont, prise de tête en tête, del'é-
trave à l'élambot , déduire la moite , multiplier le reste par
la plus grande largeur du navire au maître bau , multiplier
encore le produit parla hauteur de la cale et de l'entrepont,
et diviser par 94. Si le bâtiment n'a qu'un pont, prendre
la plus grande longueur du bâtiment, multiplier par la plus
grande largeur du navire au maître bau et le produit par
la plus grande hauteur, puis diviser par 94. » Cette mé-
thode, en donnant à nos bâtiments un tonnage plus fort qu'ils
n'auraient en employant la méthode anglaise ou améri-
caine, les assujettit dès lors à un droit plus élevé que les
vaisseaux de ces nations dans les ports où on s'en rapporte
au jaugeage légal.
Par droits de tonnage on entend différents droits de
navigation perçus dans les ports, et basés sur cette évalua-
tion de la capacité des navires et non sur les marchandises
composant leur chargement.
TONNE, mesure en usage dans la plupart des pays du
nord de l'Europe , mais qui varie beaucoup comme capa-
cité. Dans une partie de la basse Allemagne et en Dane-
mark, la tonne est une unité servant à mesurer les grains,
et dans ce dernier pays elle équivaut à un mètre et demi
cube. En Danemark , on calcule les produits d'une terre en
tonnes de blé , et par tonne de blé on entend l'étendue de
terrain qui peut être ensemencée avec trois tonnes de blé,
d'orge et d'avoine. Par tonne d'or on entend en Allemagne
une somme de 100,000 thalers, et en Hollande de 100,000
florins.
T:ON?iF,A.l] (Marine et technologie). L'ancien tonneau
de mer français répondait, comme mesure de pesanteur, à
detix milliers , poids de marc, et comme mesure de capa-
cité ou de jaugeage, à 42 pieds cubes. Un arrêté du 18 bru-
maire an IX , en fixant le poids du tonneau de mer à
1,000 kilogr. ne l'a considéré que comme mesure de pe-
santeur.
En technologie on entend par tonneau un vaisseau de
bois relié de cerceaux avec de l'osier, et propre à conte-
nir soit des liquides, soit des marchandises. Tels sont les
tonnes, les cuves, cuviers, muids, futailles, barils, etc.
Au rapport de Pline, ce furent des paysans des Alpes qui
inventèrent et substituèrent aux grands vaisseaux de terre
cuite les futailles ou tonneaux composés de planches ras-
semblées et réunies en forme de cylindre creux par le
moyen de cerceaux. Diogène Laerce dit que l'inventeur
des futailles s'appelait Pseusippe. Quoi qu'il en soit, l'in-
vention des vases de ce genre remonte à une hante anti-
quité. Ainsi, dans la collection de pierres gravées de Stoscli
on voit sur un jaspe rouge un tonneau de bois avec une
espèce de bonfeille.
TONNEINS. Votjez Lot-et-Garonne.
TONNELET. Voyez Braconnière et Faltes.
TONNELIER, artisan qui fait, relie et vend des ton-
neaux , c'est-à-dire toutes sortes de vaisseaux de bois reliés
de cerceaux avec de l'osier, et propres à contenir des liquides
ou des marchandises. Les matières qu'il emploie sont : les
planches de chêne et de sapin pour les grandes cuves et
cuviers; le merrain , pour les futailles; les cerceaux, qui
d'ordinaire sont faits en châtaignier, en frêne ou en bou-
leau ; enfin, l'osier, pour lier et arrêter les cerceaux.
TONNERRE, bruit éclatant causé par l'explosion des
nuées électriques et accompagné d'éclairs. Le tonnerre
lorsqu'il éclate n'est pas sans utilité; il rafraîchit l'atmos-
phère , et semble rétablir l'équilibre dans la nature ; il purge
l'air d'une infinité d'exhalaisons nuisibles; et plusieurs ma-
lades semblent effectivement aller mieux quand l'orage a
cessé. Mais le mal trop communément se mêle à ce bien : les
vers à soie périssent, les liquides fermentent ; d'autres cessent
de fermenter, comme le vin et la bière; d'autres se cor-
rompent, comme le lait; les hommes, les animaux domes-
tiques en sont trop souvent les victimes. Cette action délé»
39
610
TONNERRE — TONTINES
tère peut s'exercer de trois manières : ou par des lésions
directes des tissus, ou par commotion, ou par suffocation.
Les lésions de tissus consistent en perforations, qui ont lieu
le plus souvent à la tête, avec perte de la matière cérébrale,
comme si elle avait été traversée d'un fer rouge. Du reste ,
rien de plus singulier, tant sur les animaux que sur les corps
inorganiques, que la route suivie par la foudre. Dans la
commotion, on ne remarque aucune trace de lésion ; l'homme
ou l'animal frappé , soit partiellement , soit à uiorl , perd
tout sentiment et tombe sans avoir rien vu , rien entendu ,
sans avoir eu le temps d'avoir peur. Celui qui ne l'a été
que légèrement se relève tout étonné , et regarde autour
de lui ceux qui ne se relèvent pas. La commotion est mor-
telle quand elle frappe la tète ou le tronc , elle est moins
dangereuse lorsqu'elle atteint un membre. Dans la suffoca-
tion , dont les symptômes sont le corps roide, les doigts et
les orteils contractés, le visage violet et enflé, on peut en-
core espérer, et l'on doit se bâter d'administrer tous les se-
cours en usage , tels qu'insufflation pulmonaire , frictions ,
chaleur, stimulants internes et externes, la saignée môme
quelquefois , surtout celle de la veine jugulaire.
Au figuré, on dit d'un homme dont la voix est très-forte,
très- éclatante : c'est un tonnerre, une voix à& tonnerre.
Ce fut un coup de ^nnerre pour lui , désigne un événe-
ment imprévu et fatal qui a frappé quelqu'un. Poétique-
ment, le séjour, la région du tonnerre, c'est le ciel , la ré-
gion supérieure de l'atmosphère; le maître du tonnerre,
Jupiter ; l'oiseau qui porte le tonnerre , l'aigle.
Technologiquement, le ^onHe/re est cette partie du fusil,
delà carabine, du pistolet, où l'on dépose la charge: les
armes dont le tonnerre n'est pas renforcé, sont sujettes à
crever.
TONNERRE, chef-lieu d'arrondissement, dans le dé-
partement de l'Yonne, avec 4,511 habitants, est une an-
cienne et jolie petite ville, qui eut ses comtes i)articuliers
depuis le huitième siècle jusqu'au seizième, époque où ce
comté passa par mariage dans la famille de Clermont, dont
l'une des branches encore existantes porte le nom de Cler-
mont-Tonnerre. Situéeà 36 kilomètres aunordestd'Auxerre,
cette ville est une station du chemin de Paris à Lyon. Il
s'y fait un grand commerce de vins , notamment de vins
mousseux , de pierres dites de Tonnerre , de pierres li-
thographiques. On y trouve des fabriques de lainages, de
ciment romain , des distilleries de betteraves, etc.
TOiV'OTECHME. On appelle ainsi l'art do noter sur
des cylindres les morceaux qui forment le répertoiie des or-
gues de Barbarie ou des tabatières et pendules à musique.
F. Danjou.
TONQUrV. Voyez ToNKiN.
TOI\SURE. L'Académie définit ainsi ce mot : couronne
que l'on fait sur la tête aux clercs , sous-diacres , diacres ,
prêtres, etc., en leur coupant une partie des cheveux.
Comme tant d'autres , cette définition n'est ni e\actc ni
complète, attendu que la tonsure n'a pas toujours la forme
d'une couronne, et que dans certains ordres les religieux
ont la tête tout à fait rasée. Déjà dans l'antiquité, un crâne
chauve était considéré comme l'un des signes honorifiques
et dislinctifsde la caste sacerdotale. Mai> il n'en fut pourtant
pas ainsi parmi les premiers confesseurs de la foicîirétienne,
qui pour se distinguer des prêtres païens, dont la tête était
rasée, portèrent leurs cheveux coupés de fort près, comme
faisaient les laïcs. Les pénitents se faisant par espiit d'hu-
milité entièrement raser la tête , les moines imitèrent celte
pratique jusqu'au sixième siècle. Ce n'est guère qu'à cette
époque que les prêtres chrétiens firent à leur tour comme
les moines, ot coupèrent une partie de leurs clieveux du
derrière de la tête , rasant cette place en forme orbiculaire.
On distingua pendant longtemps deux espèces de ton-
sures : l'une dite de Vapôtre saint Paul, qui allait d'une
oreille à l'autre sur le devant de la tète, en usage dans l'É-
glise grecque et dans les Églises de Bretagne et d'Irlande;
l'autre dite de Vapôtre samt Pierre, partielle et circulaire,
en usage dans l'Eglise romaine et dans les Églises qui en
dépendaient. C'est le quatrième synode, tenu à Tolède ec
l'an 633, qui rendit la tonsure obligatoire pour tous les ec-
clésiasti-ques, aux différents degrés de la hiérarchie, comme
signe distinctif et caractéristique de leur état.
La tonsure se confère avant les ordres ; c'est une simple
préparation aux ordres, et pour ainsi dire un signe de la
prise de l'habit ecclésiastique.
TONTI ( LoRENZo), né à Naples, vers 1630, vint cher-
cher fortune en France sous le ministère du cardinal Ma-
zarin , qui l'accueillit favorablement, à cause de sa qualité
d'Italien d'abord, ensuite parce que noire aventurier lui pré-
senta pour enrichir le trésor royal un plan qu'il jugea bon et
praticable. Ce plan consistait à créer des associations mu-
tuelles d'assurances sur la vie, appelées depuis lors et d'a-
près M ton tin es. Elles devaient être au profit de l'État,
entrepreneur de la société viagère et garant du payement
des arrérages , puisqu'à la mort du dernier actionnaire les
rentes s'éteignaient, et que l'État bénéficiait du capital primi-
tivement versé. La pensée de Lorenzo Tonti était de fournir
ainsi à l'État le moyen de contracter plus aisément des em-
prunts, en offrant aux prêteurs l'appât de bénéfices considé-
rables. C'était uneespèce de loterie, où la mortalité jouait au
profit des survivants le rôle du tirage au sort dans les loteries
ordinaires. Le cardinal fut si charmé de l'idée de Tonti,
qu'il lui accorda une pension de 6,000 livres. Toutefois, cette
pension ne fut payée que pendant quelque temps; et Tonti,
incarcéré à la Bastifle de 1669 à 1776, fut réduit à une telle
misère, lui qui avait voulu enrichir l'État, les rentiers, et
lui-même par-dessus le marché, bien entendu, qu'il dut sol-
liciter de Colbert des secours pour sa fille, qui était chargée
du reste de sa famille (dix-neuf personnes), et lui demander
le linge et les habits indispensables pour vêtir lui et ses deux
fils détenus avec lui. On ne trouve d'ailleurs absolument rien
dans les mémoires de l'époque sur les motifs qui avaient pu
déterminer l'arrestation de Tonti et sa longue détention ;
tout ce qu'on sait, c'est qu'il mourut obscurément, vers 1695,
plus pauvre, plus malheureux que lorsqu'il était arrivé en
Fiance.
TONTINES. On appelle ainsi , du nom de Lorenzo
Tonti, leur inventeur, des associations créées pour l'établis-
sement d'un capital qu'on convertit ensuite en rentes viagères.
Il augmente successivement dans la proportion des décès des
associés. La première association de ce genre, désignée sous
le nom de tontine royale, fut fondée sous le ministère du
cardinal Mazarin, et autorisée parédit de Louis XIV en date
de novembre 1653. EUeétait divisée en dix classes de 102,500
livres chacune, et montant en totalité à 1,025,000 livres.
Chaque souscripteur recevait l'intérêt de sa mise, qui était
de 300 livres au denier vingt. Les classes étaient reportées
de sept en sept ans, depuis la naissance jusqu'à l'âge de
soixante-dix ans et au-dessus. A la mort de chaque sous-
cripteur le revenu devait accroître la part des survivants ,
jusqu'au dernier, après quoi la rente était éteinte au
profit de l'État. Ce premier édit n'eut pas de suites ; et les
lettres patentes ne furent point enregistrées. Tonti ne se
laissa pas rebuter par ce mauvais succès ; il modifia son
projet. Son association devait cette fois être composée de
50,000 billets formant un fonds de 1,200,000 livres, dont
une moitié devait être employée en lots dedififérentes valeurs,
et l'autre moitié à la construction d'un pont de pierre et d'une
pompe devant les Tuileries , où il n'y avait alors qu'un pont
de bois. Celle tontine fut établie en 1656, et ouverte à l'hô-
tel de ville l'année suivante ; mais elle ne réussit pas mieux
que la première. La création d'une tontine ecclésiastique
fut encore tentée par Tonti. Il la proposa pour acquitter les
dettes du clergé. Mais le clergé , tout en admirant celte
combinaison, comme très-belle et très-ingénieuse , refusa
de s'y associer. Après cela, on fut longtemps sans s'occuper
de Tonti et de ses combinaisons ; mais les énormes dépenses
occasionnées par la guerre qui suivit la ligue d'Augsbourg
engagèrent Louis XIV à clicrciier des moyens de se procu-
TONTINES — TOPOGRAPHIE
611
rer de l'argent. Dans ce but, il lut établi par l'édit de no-
vembre 1689 une tontine de 1,400,000 liv. <ie rentes via-
gères sur l'Iiôtel de ville de Paris. Il y avait quatorze classes,
composées chacune de 100,000 livres de rente. Les rentiers
étaient divisés, dans chaque classe, en raison de leur âge.
Ainsi, la première se composait des enfants jusqu'à cinq ans
accomplis ; la deuxième, de cinq à dix, et ainsi de suite : la
dernière classe, des assurés de soixante-cinq à soixante-
dix ans et au-dessus. Les actions, ou parts, étaient de
300 fr. chacune, et l'intérêt était proportionné à la classe
où étaient placés les rentiers en raison de leur âge. Le der-
nier survivant de chaque classe héritait du revenu entier du
capital de sa classe. A sa mort, ce capital faisait retour à
l'État. Pour attirer les rentiers , les arrérages des rentes
furent déclarés insaisissables.
Bien que toutes les classes n'eussent pas été remplies, ces
deux tontines fonctionnèrent avec quelque succès. En 1726
toutes les actions de la treizième classe de la première ton-
tine et de la quatorzième delà seconde étant tombées sur la
tête de la veuve d'un pauvre chirurgien, cette sociétaire, qui
n'avait mis dans ces deux tontines qu'un capital de 300 livres,
eut un revenu de 73,500livres. Elle n'en jouit d'ailleurs pas
longtemps: moins d'un an après être devenue propriétaire de
cette grande fortune viagère, elle mourut âgée de quatre-
vingt-seize ans.
Plusieurs fois l'État eut recours à ce mode onéreux d'em-
prunt pour se procurer de l'argent, par exemple en 1733 et
1734, sous l'administr^ition du cardinal Fleury.
En 1791 on institua sous le nom de Caisse Lafar'je ou
Caisse de prévoyance et de bien/aisance, une nouvelle ton-
tine. C'est le plus grand essai qu'on aitencore tenté en France
du système des associations sur la vie. Les mises étaient de
90 fr., et plus de 60 millions furent engagés dans cette opé-
ration, dont malheureusement les bases avaient été très-mal
calculées. Pour que la Caisse de prévoyance et de bien-
faisance tînt ses promesses ( 3,000 f. de rente à chaque ac-
tionnaire) , il aurait fallu qu'à l'expiration d'une période de
douze ans il n'y eût plus que 10 survivants sur 100, ce qui
était impossible, à moins d'une mortalité extraordinaire et
telle que n'en apportent pas à leur suite les épidémies les plus
meurtrières. Si les calculs de mortalité qui servaient de base
à l'opération avaient été exacts, il n'aurait plus dû y avoir
un seul homme sur la teiTe en l'an 2612, c'est-à-dire 822 ans
après la création de la tontine. On peut dès lors se faire une
idée des cruels mécomptes qui en résultèrent pour la plu-
part des actionnaires, qui avaient rêvé la fortune acquise à
bon marché et sans peine et qui , par suite des catastrophes
financières de l'époque et aussi de criantes dilapidations
commises en outre par des administrations malhonnêtes,
ne touchèrent même pas l'intérêt de leur mise. Voyez La-
FARGE (Caisse).
TOPAGE, TOPER, termes de compagnonnage
(voyez Devoir [Compagnons du]).
TOPAZE. La topaze est une substance vitreuse, cris-
tallisant dans le système prismatique, rectangulaire, droit,
et clivable suivant un plan perpendiculaire à l'axe de cris-
tallisation. Infusibie au chalumeau, la topaze n'est attaqua-
ble que par la fusion avec la potasse caustique. Elle raye le
quartz hyalin, est facilement électrisable et conserve long-
temps son électricité. Tels sont les principaux caractères
physiques d'un groupe de pierres précieuses , qui toutes se
composent essentiellement de silice, d'alumine et d'acide
fluorique, dans des proportions relatives variables et encore
mal déterminées. En général, la topaze tapisse les fentes
des roches cristallines; quelquefois elle forme de petites
veines ; rarement elle est disséminée. Elle se rencontre dans
les granits, les grès, les micaschistes, les schistes argileux ,
et quelquefois aussi dans les filons métallifères qui traver-
sent ces différentes roches , surtout dans les filons d'étain.
La topaze est employée dans la joaillerie, mais on n'estime
guère que les variétés qui sont naturellement jaune pur,
]«ane orangé ou rouge hyacinthe. Les bijoutiers distinguent
surtout : 1° les topazes du Brésil, qui renferment la topaze
orangée, recherchée pour sa belle teinte jaune ; la topaze
jonquille, d'un jaune safran (l'hyacinthe orientale); la
topaze rose pourpre (le rubis du Brésil) ; la topaze rose,
d'un violet pâle; 2" les topazes de Saxe , qui sont en gé-
néral d'un jaune paille languissant ; 3° les topazes de Sibérie,
parmi lesquelles on n'estime guère que la topaze aiguë-
marine, remarquable par sa belle teinte bleuâtre.
Les anciens appelaient topaze une pierre verle qui se trou-
vait communément dans une île de la mer Rouge qui porte
le même nom; cette pierre n'oflre aucune analogie avec
celle que les minéralogistes désignent aujourd'hui sous ce
nom. Làtopaze orientale des lapidaires est un corindon-
télésie. Belfield-Lefèvre.
TOP-HANA, nom d'un quartier de C onst anti-
no p 1 e.
TOPINAMBOUR. Voyez Hélianthe.
TOPIiXO-LEliRUN (François-Jean RAPxisrE), pein-
tre d'histoire d'un talent médiocre, né en 1769, à Marseille,
devint à Rome l'élève de David, et plus tard prit une part
active aux événements de la révolution. A la journée du 13
vendémiaire il se déclara pour la Convention ; mais l'année
suivante il se trouva compromis dans la conspiration de
Babœuf. Remis eu liberté, il alla en Suisse chargé d'une
mission secrète. A son retour en France, en 1797, il se signala
parmi les plus exaltés jacobins du club du Manège. Impli-
qué dans la conspiration contre la vie du premier consul,
qui échoua le 10 octobre 1800, il fut condamné à mort et
exécuté en 1801.
TOPIQUE (du grec Tonixiî ) , art de trouver des argu-
ments. Les rhéteurs et les grammairiens grecs et latins ap-
pelaient ainsi l'exposition systématique de certaines idées,
de certaines propositions générales servant de guide pour
trouver et choisir des arguments convenables dans tous les
cas où il s'agit de porter la conviction dans les esprits. Ces
lieux communs ou idées générales recevaient des Grecs le
nom de topos , et des Romains celui de locus communis.
L'art de la topique consiste donc à trouver et à développer,
à propos de tout sujet, les idées générales qui se rapportent
à son essence. Les Grecs traitèrent par la suite ces matières
avec beaucoup de soin ; chez les Romains, Cicéron composa
ses Topica et quelques autres écrits relatifs à la rhétorique ,
surtout dans ses rapports avec l'éloquence du Forum. Plus
tard, surtout à partir du treizième siècle, on voulut que le
domaine de la topique s'étendit jusqu'à marquer les limites
de l'esprit humain; on y chercha l'explication de certains
problèmes ; mais le plus souvent ces tendances dégénérè-
rent en vains jeux d'esprit , comme ce fut le cas pour Ray-
mond Lulle, Giordano Bruno, elc. De nos jours, on a
tout à fait renoncé à vouloir faire de cet art une science par-
ticulière, parce qu'il est insuffisant pour suppléer à l'esprit
philosophique. Au reste, la topique dont nous venons de
parler reçoit la dénomination de topique oratoire, pour la
distinguer de la topique grammaticale , qui traite de la
place particulière à assigner aux mots et aux phrases.
Enfin, dans un acception théologico-dogmatique, les mots
topique ou topologie désignent la théorie des principes que
doit suivre un théologien pour choisir et traiter les argu-
ments qu'il emprunte au texte de la Bible.
TOPIQUES ( Remèdes), du grec tôtio;, lieu. On appelle
ainsi, en médecine, les médicaments qui s'appliquent à
l'extérieur, comme les cataplasmes, les frictions, les emplâ-
tres , les caustiques , les ventouses , etc.
TOPOGRAPHIE (de tôxo;, lieu, et ypa-fu», je dé-
cris). Ce mot désigne ou un art ou son produit : l'art est
l'application des méthodes géométriques au tracé de la carte
d'un lieu, et cette carte porte aussi le nom de topogra-
phie du lieu qu'elle représente; elle est la réduction à
une échelle donnée de la projection horizontale de l'espace
à faire connaître avec tout ce qu'il renferme. On y réunit
plus ou moins de détails, suivant l'usage qu'on doit en faire.
S'agit-il, par exemple, de tracer une route ou un canal, il
3g.
fil 2 TOPOGRAPHIE — TORENO
suffira que la carte donne le relief du terrain ; mais comme
il faut y appliquer la mesure, !e travail d'un nivellement
sera joint à celui jjar lequel on détermine les distances et
les situations. Pour diriger desopcralions militaires, la con-
naissance du (iguré du terrain est encore indispensable;
mais il nei'est plus de mesurer les hauteurs avec précision,
et le nivellement peut être omis. D'autres détails sont ré-
clamés, et en grand nombre, car il importe de trouver
indiqué sur la carte tout ce qui peut seconder ou contrarier
les opérations que l'on médite; on indiquera donc soigneu-
sement les bois, les habitations, les clôtures, etc., et même
les diverses cultures. Un cadastre destiné à la répartition de
i'impôt territorial considère le sol sous un autre aspect, et
les cartes topographiques construites uniquement pour
cet emploi seraient inutiles à l'ingénieur et à l'homme de
guerre.
Les moyens de représenter le relief du terrain sur les cartes
topographiques ne sont pas encore universellement ré-
pandus ; c'est une application du dessirt linéaire dont on est
redevable aux ingénieurs français. La représentation serait
aussi exacte qu'il est possible de la faire, si l'on traçait sur
le terrain des sections horizontales équid'istantcs , et assez
rapprochées les unes des autres à partir du point culminant;
les contours de ces sections, projetés sur la carte, indique
raient par leur rapprochement les pentes rapides; ils s'éloi-
gneraient à mesure que l'inclinaison s'adoucirait , et les es-
paces horizontaux seraient laissés en blanc : mais on a
rarement le loisir d'exécuter des levers de terrain avec des
soins aussi minutieux; lorsqu'il faut aller plus vite, et à
plus forte raison dans les levers à vue, tels que ceux des
reconnaissances militaires , des explorations que peut faire
un voyageur dans un pays inconnu, l'inclinaison plus ou
moins forte du terrain est exprimée par des lignes de plus
grande pente , qui ne sont autre chose que les trajectoires
des sections horizontales. Après quelque exercice, l'œil s'ac-
coutume à juger la direction de ces lignes, que le crayon
trace plus larges ou plus rapprochées à mesure que l'incli-
naison est plus roide. Si , au contraire, la surface du ter-
rain se rapproche davanlage de la situation horizontale, les
lignes ou hachures deviennent plus étroites etmoins visibles,
et par conséquent elles s'arrêtent aux espaces horizontaux.
A l'aide de la géométrie descriptive, dont il est à désirer
que la connaissance et les applications s'étendent de plus
en plus, ou comprend sans peine tout ce que les lignes de
plus grande pente expriment sur une carte topographique.
On doit pourtant faire à ce moyeu de représentation le re-
prociie d'être insuffisant dans certains cas pour distinguer
un relief d'un creux de même forme et de mêmes dimen-
sions; mais les circonstances qui rendraient cette confusion
possible sont si rares, qu'on ne peut citer aucune partie du
monde où l'on soit exposé à les rencontrer, si ce n'est dans
les déserts de l'Afrique. Ce n'est pas pour ces lieux qu'il peut
être question de topographie. Ferky.
TORCliE, bâton rond, plus ou moins gros, de 10 à
33 centimètres, de bois léger et combustible, comme l'aune
ou le tilleul, entouré par l'un des bouts de six mèchesappelées
bras ou lumignons, couvertes de cire'ordinaireuient blanche,
et qui étant allumés produisent un elfet un peu lugubre.
On se sert de torches dans quelques cérémonies de l'Église,
notamment aux processions du Saint-Sacrement et aux
enterrements.
On appelle aussi torche un flambeau grossier fait de ré-
sine.
TORCIiE-POT. Voyez Sitelle.
TORCHIS ou BAUCHE, espèce de mortier fait avec
de la terre franche corroyée avec de la paille ou du foin
haché, dont on se sert dans les constructions rurales , soit
pour lier les pierres d'un mur, soil pour boucher les vides
entre les chevrons qui forment toute la carcasse d'une
maison ; mais il est difficile d'imaginer une sorte de ma-
çonnerie plus défeetueir-e. La paille ou ie foin occupant un
plus grand espace au momepl où on lesgàchi". »vec la terre,
celle-ci , en séchant, prend de la retraite, se gerce, et par
conséquent n'occupe plus le même espace qu'auparavant;
dès lors les pierres sont mal jointes. Ce mortier, qui ne sau-
rait se cristalliser et prendre une forme solide semblable à
celle du plâtre ou du mortier fait avec de la chaux , subit
d'ailleurs les impressions de l'atmosphère. Deux autres
causes encore , savoir la gelée et la formation du sel de nitre,
concourent promplement à sa dégradation. Il faut donc lui
préférer le pisé.
TORCOL, genre d'oiseaux de- la famille des pics (pi-
cidées), ordre des grimpeurs. Le nom de cet oiseau vient
de la singulière faculté qu'il a de tourner la tête de manière k
avoir le cou comme tordu. Lorsque quelque chose vient
l'irriter, son premier mouvement est brusque et se mani-
feste par un déploiement considérable de la queue. Son œil
reste fixe et largement ouvert, les paupières immobiles, les
plumes du cou fortement appliquées l'une sur l'autre, celles
du dessus de la tête hérissées, et le corps en avant. Dans
cette attitude, on le voit, par un mouvement lent, presque
imperceptible, porter son cou en avant jusqu'à ce qu'il ait
acquis un degré de tension et en même temps de torsion
considérable, puis le détendre par un mouvement subit , en
poussant un petit sifflement assez semblable à celui que
fait entendre une couleuvre, et en épanouissant la queue.
Toujours un torcol que l'on abat, quelque mutilé qu'on le
suppose , agite convulsivement sa tête et son cou ; fait dont
les naturalistes n'ont pu jusque ici nous donner d'explication
suffisante. Peu d'oiseaux de nos climats vivent si solitaires ;
il émigré seul et vivrait seul toute l'année si l'acte de la
reproduction ne l'appelait auprès de sa femelle, dont la
ponte est de six à huit œufs, d'un blanc d'ivoire.
TORDESILLAS. Voyez Herrera.
TORE, moulure ronde, dont la grosseur varie à l'infini,
et qui fait ordinairement partie des bases de colonnes.
Quand le tore est gros, on l'appelle tore inférieur; lorsqu'il
est petit, on le nomme tore supérieur. Les ouvriers nom-
ment plus généralement cette espèce de moulure bourdin,
rond, bozel ou bâton.
TOREADOR, au pluriel Toreadores. VoyezTwREKnx
(Combats de).
TORENO (Don José Maria Queypo de Llano Ruiz de
Saravia, comte de), homme d'État espagnol, né en 1786, à
Oviedo, en Asturie, d'une vieille et noble famille. II prit
en 1803 une part des plus actives à l'insurrection de .«es
compatriotes contre les Français, et se fit dès lors remar-
quer par les talents qu'il déploya , tant comme négociateur
d'un traité conclu entre l'Espagne et l'Angleterre, que comme
député aux cortès dans les sessions de 1810 et 1812. En
I8i4, au retour de Ferdinand VII en Espagne , il fut obligé
^de se réfugier en France, et la révolution de 1820 seule lui
rouvrit les portes de sa patrie , où jusqu'en 1823 il joua un
rôle important dans le sein des cortès. Quand le pouvoir
absolu eut été rétabli une seconde fois en Espagne, Toreno
dut de nouveau se réfugier à Paris, où il se livra avec beau-
coup de bonheur à de nombreuses spéculations d'agiotage,
en même temps que ses idées politiques se modifiaient con-
sidérablement sous l'in/luence des idées françaises. L'am-
nistie partielle de 1832 lui ayant permis de rentrer dans sa
patrie, il s'y montra l'un des champions de la politique de
juste-milieu du gouvernement français. Il ne tarda pas non
plus à y acquérir une grande importance politique, et fut
appelé en 1834 à prendre le portefeuille des finances. En
1835 il passa au ministère des affaires étrangères, avec la
présidence du conseil. Lors des troubles qui éclatèrent à
peu de temps de là, il opina pour l'emploi des mesures les
plus énergiques, et réussit à étouffer l'insurrection dont Ma-
drid fut le théâtre au mois d'août. Mais la politique réaction-
naire qu'il adopta alors provoqua dans les provinces de
nouveaux troubles, qui, joints aux intrigues de M e n d i z a -
bal, amenèrent sa chute dès la même année. La révoluliou
dont un an plus tard le châtean de la Granja fut le théâtre
rejeta pour un moment complètement sur l'arrière-plan la
TORENO — TORLONIA
G13
parti modéré, dont le comte de Toieno était l'un des cliefs ;
mais dès l'année suivante il réussissait à faire prévaloir
les idées de transaction. Élu encore une fois membre de la
chambre des procuradores dans la session des cortès de 1 840,
il s'y montra de nouveau moderado décidé. Après la défaite
du parti modéré, il revint se fixer à Paris, où jusqu'au
Kioment de sa mort, arrivé le 16 septembre 1843, il resta
l'un des agents les plus actifs de l'intrigue qui devait mettre
un terme au pouvoir d'Espartcro. On a de lui un livre pré-
cieux , intitulé : Historia del Levanlamiento , Guerra y
Eevolucion de Espana ( 5 volumes, Madrid, 1835). Homme
d'esprit et détalent, orateur ingénieux et mordant , quoique
peu persuasif, administrateur éclairé, linancier habile, le
comte de Toreno avait une déplorable réputation, sans doute
parce que le sens moral lui faisait complètement défaut. Il
laissait en mourant une fortune évaluée à plusieurs millions,
mais à laquelle le bruit public assignait une origine peu
licite et avouable.
TOREUTIQUE (du grec -ropeOw, tourner). Ou n'est
pas encore bien d'accord sur le sens vrai de ce mot, par
lequel on entend généralement l'art de sculpter ou graver
des figures en relief sur le bois, l'ivoire, la pierre, le
marbre et toutes matières dures. Winckelmann en limite
cependant la signification aux œuvres d'art en argent ou en
airain. Eschenburg et Heyne l'emploient pour désigner l'art
du fondeur. Cette définition parait être la seule exacte,
parce que le mot toreutique ne s'appliquait primitivement
chez les Grecs qu'à des œuvres d'art obtenues par la fonte
et au moyen de moules et de formes , et non pas aux œuvres
produites par la sculpture ou par la gravine. Quelques au-
teurs l'ont cependant employé pour désigner des figures en
relief sur des vases de terre ou de verre, ou encore sur
des pierres taillées. Les Grecs d'une époque postérieure,
comme Pausanias , l'appliquèrent même à tout ouvrage en
ronde-bosse; mais Pline ne s'en sert que pour désigner l'art
de couler en bronze. Enfin, le mot tore^itique est encore
employé pour désigner le travail qui consiste à donner avec
le ciseau le fini à une statue qui vient d'être fondue.
TORF.^US (TuoRMona), savant islandais du dix-sep-
tiè«ne siècle, né en 1 640, à Engœ, en Islande, fut chargé en I GGO
par le roi de Danemark, Frédéric 111 , de traduire les do-
cuments historiques et politiques les plus importants de
l'Islande; et en 1662 ce prince l'envoya en Islande pour y
recueillir des manuscrits. Un meurtre involontaire le con-
traignit de renoncer, en 16G7 , à ses fonctions d'antiquaire
royal ; et ce ne fut qu'en 1682 qu'on le replaça avec le litre
d'historiographe de Norvège. Il mourut en 1719; vers la fin
de sa vie, ses facultés intellectuelles s'étaient quelque peu
dérangées. Son grand mérite est d'avoir débrouillé le chaos
de la chronologie du Nord à l'aide des renseignements fournis
par la littérature islandaise. Parmi ses ouvrages, il faut
surtout mentionnerses Séries Dynastarumet Rcgum Danix
(1702); son Trifoliuin Bistoricum (1707); son Histoiia
Rerum Norvegaru7n{ 17 li), et ses Aotœ postcriores in
Seriem Regum Danix (1711 et 1777).
TOllG AU , place forte de l'arrondissement de Merse-
bourg (Saxe prussienne), est bâtie sur l'Elbe, qu'on y tra-
verse sur un pont assis sur quinze piliers en fer et terminé
en 1838. La population, non compris la garnison, est de
7,100 habitants. Les manufactures de drap et les brasseries
de Torgau avaient autrefois une grande célébrité. Aujour-
d'hui la teinturerie, le tissage de la laine, la construction des
bateaux et chalands , le commerce des grains , des bois , de
la chaux, etc., constituent les principales ressources des
habitants. C'est à Torgau que Luther et ses adhérents rédi-
gèrent, en 1530, les célèbres Articles dits de Torgau, de-
venus plus tard la base de la Confession d^Augsbourg.
TORGOTES. Voyez Kalmoucks.
TOUICELLI. Voyez Torricelli.
TORIES et WHIGS, noms sous lesquels on désigne les
deux partis qui depuis le règne de Charles II se disputent
en Angleterre l'exercice du pouvoir. A l'origine, c'étaient là
des sobriquets que les partisans de la cour et ceux de l'op-
position se donnaient réciproquement ; mais on ne les em-
ploya pas avant 1680. Le parti populaire prétendait que les
courlisans, accusés à la fois de rapines et d'un secret pen-
chant pour l'Eglise catholique, ressemblaient aux brigands
papistes qui du temiis de Charles 1'^'', et sous prétexte de
faire triompher le royalisme, dévastaient l'Irlande, et
auxquels on avait donné le nom de tories (dérivé, dit-on
de Tar, a ry, c'es(-à-dire en patois irlandais :Viens 6 roi!).
Le parti de la cour, de soncôlé, comparait ses adversaires
aux dévots paysans d'Ecosse, qu'on avait alors alfublés du
sobriquet de whigs. Les uns veulent que ce nom vienne de
ivhig , petite bière ou petit lait , boissons favorites des sobres
paysans; d'autres le font dériver de tvhigam , instrument
dont les paysans se servaient pour conduire leurs bestiaux.
Ce qu'il y a de certain, c'est que dans la guerre contre
Charles I'''" les paysans écossais employaient cet instrument
en guise d'arme, ce qui leur valut le surnom de Whigaino-
rcs (Consultez Rapin, Dissertation sur les Whigs et les
Tories [La Haye, 1717]). A la suite de la révolution
de 1688, et surtout après l'avènement au trône de la maison
de Hanovre, \es whigs parvinrent à exercer une prépondé-
rance marquée, parcequeleurs adversaires restaient attachés
à la famille exilée, et étaienten outre suspects de tendances
catholiques. Mais quandies tories, renonçant à défendre le
principe d'une légitimité devenue uneimpossîbilité politique,
se rapprochèrent de la dynastie nouvelle et firent cause com-
nume avec elle pour la défense de la prérogative royale, ils
redevinrent bientôt le parti de la cour ; et pendant le long
règne de Georges III le pouvoir fut presque constamment
entre leurs mains. Les vhigs, au contraire, se trouvèrent
de plus en plus rejetés dans l'opposition , et afin de dé-
truire la prépondérance que leurs adversaires exerçaient
dans la chambre basse , ils se firent les avocats de la ré-
forme parlementaire, qu'ils réussirent enfin à faire voter en
1 832. A cet effet, cependant, il avait fallu faire intervenir dans
l'arène politique un troisième parti, quijusque alors n'avait
point existé ou du moins n'avait été compté pour rien, et
dont l'apparition modifia complètement la i)Osition des vieux
partis : le parti populaire. Les ^nes,plus particulièrement
menacés par ce parti nouveau, se réorganisèrent alors sous
la dénomination de conservateurs , en se recrutant de quel-
ques éléments tvhigs; mais la défection de Peel les désor-
ganisa encore une fois et les divisa même en deux camps en-
nemis. Les whigs se maintinrent encore pendant quelque
temps au pouvoir, moins par leur propre force que grâce à
l'appui des radicaux , jusqu'à ce que le ministère Russell, qui
s'était constitué dans leurs rangs en 1852, finit par succomber
à sa propre faiblesse. Alors se forma un ministère de coa-
lition, mélange de tories, de tvhigs et de radicaux. Il
est exact de dire que les anciennes limites qui séparaient
autrefois les partis sont maintenant effacées , et que les
mots whigs et tories n'ont plus aujourd'hui qu'une signi-
fication historique. L'antagonisme politique dont ils furent
pendant longtemps l'expression subsistera sans doute tou-
jours; mais il faudra inventer de nouveaux termes pour le
caractériser.
TORLONIA (Les), famille de princes romains qui a
pour souche le banquier Giovanni Tokloma, né en 1754, à
Sienne, dans la classe la plus infime, et mort à Rome ,
le 25 février 1829 , avec le titre de duc de B^acciano. On
raconte qu'il avait d'abord été domestique de place à Rome,
cicérone, et qu'il se tenait d'habitude sur la Piazza di
Spagna, attendant la pratique et vivant des paoli qu'il
gagnait en montrant le Colysée aux Anglais, on en leur ser-
vant tant bien que mal d'interprète. A force de zèle et de
probité , il parvint à se faire une espèce de réputation dans
son genre parmi les voyageurs, qui se le recommandaient les
uns aux autres. C'est ainsi qu'il se trouva mis en rapport avec
BassevJlIe, agent envoyé à Rome pour travailler l'esprit
des masses dans un sens révolutionnaire , et qui attacha à
son entreprise le cicérone de la Piazza di Spagna. On sait
614
TORLONIA — TOROINTO
que les menées de Basseville n'aboutirent qu'à provoquer
une émeute au milieu de laquelle il fut assassiné par la po-
pulace. Le cicérone disparut à ce moment pour quelque
temps; mais on le voit plus lard, riche d'économies où il
y avait bien par-ci par-là quelques assignats français, reste de
ceux que Basseville avait mis à sa disposition pour agir sur
les basses classes de la population romaine , épouser la veuve
d'un sellier dont la dot, assez ronde, ajoute à sa petite for-
tune, quitter alors \aPiazza diSpagnaet ouviir une petite
boutique. C'est de là que notre ancien domestico di piaz-
za partit pour devenir en peu de temps un négociant de pre-
mier ordre, grâce à son intelligence, à la sûreté de son coup
d'oeil, à son esprit entreprenant , et un peu aussi aux suites
de la révolution française. Les États de l'Église étaient
alors inondés d'assignats frappés de dépréciation ; Giovanni
Torlonia spécula en grand sur la réhabilitation de ces va-
leurs. 11 opéra vite et bien , et ce fut dans sa propre maison
qu'on finit même parétablir l'imprimerie de laquelle sortaient
ces si commodes assignats romains, auxquels on avait rfbnné
cours forcé. Une de ses opérations les plus heureuses, ce
fut un emprunt garanti par les diamants de Notre-Dame de
Lorette , sur lesquels le général Miolis avait mis la main lors
de l'occupation des Marches. De grandes affaires de banque,
des fermages considérables, par exemple les fermes des alu-
nières de Tolfa, et l'exploitation d'avantages équivalante
des privilèges, lui mirent en mains des capitaux importants.
Comme à la suite des bouleversements politiques la plupart
des grandes familles romaines étaient tombées dans la dé-
tresse, Torlonia put en outre spéculer sur l'acquisition et
la revente de leurs propriétés ; et de la sorte sa fortune s'ac-
crut encore. Il reçut la grandesse d'Espagne, et, ayant acheté
à beaux deniers comptants la propriété des Odescalchi-
Bracciauo, il obtint du pape le titre de duc de Bracciano.
Plus tard, M™^ Laetitia Bonaparte, le roi Louis, Lucien
Bonaparte et le cardinal Fescli, de même que Charles IV
d'Espagne et son favori Godoi, mirent en dépôt chez lui
d'énormes capitaux ; or notre homme savait trop bien la
manière de s'en servir pour n'y pas gagner encore gros. Il
ne faut donc pas s'étonner d'apprendre que Torlonia ait
marié ses filles à des princes romains de la plus haute
volée. De ses trois fils, l'ainé, le duc Marino Tor-
lonia, né à Rome, le 6 septembre 1796, fut l'héritier du
duché de Bracciano, qu'il revendit plus tard à la famille
Odescalchi; le cadet, le prince Carlo Torloma, né le 18
décembre 1798, commandeur de l'ordre de Saint-Jean-de-
Jérusalem, continua les affaires du père, en société avec son
frère puîné Alessandro,Qé le F'' juin 1800. Ce dernier ac-
crut encore démesurément l'immense fortune laissée à sa
mort par leur père, en affermant pendant longues années la
régie des sels et des tabacs tant à Rome qu'à Naples, de
même que par des emprunts souscrits dans des conditions
favorables et une foule d'autres grandes affaires; et dès lors
son unique embarras fut de trouver des placements pour ses
capitaux, soit en fonds de terre soit dans des opérations in-
dustrielles. Aujourd'hui encore il achète tout c« qui se met
en vente dans les États de l'Église; c'est ainsi qu'aux envi-
rons de Rome toutes les ri ^^«5, toutes les terres productives
lui appartiennent. Il a dépensé plus d'un million de scudi
romains rien qu'à embellir le palais qu'il possède en face du
Palazzo di Venezia, ainsi que sa villa, située en avant de
la Porta Pia. Toutefois , le meilleur goût n'a pas toujours
présidé à ces embellissements. 4/e55andro Torlonia possède
une foule de chefs-d'œuvre de l'art; mais le public n'obtient
que très-difficilement la permission de les contempler. Les
artistes l'accusent aussi de ne pas savoir récompenser géné-
reusement le mérite et de rester au contraire toujours mar-
chand en traitant avec eux. On le dit pourtant charitable, et
on cite de lui beaucoup de bonnes œuvres et d'actions utiles.
Dans le nombre il faut mentionner le dessèchement du lac
Fucino, opération dont presque toutes les actions sont de-
meurées entre ses mains, et qui si elle se termine heureu-
sement, comme tout l'annonce, mettra à sa disposition plu-
sieurs myriamètres carrés du plus riche terrain. Par contre,
il a refusé son concours à la création des chemins de fer de
l'État Romain. Il a épousé Thérèse, princesse Colonna-
Doria (née le 22 février 1824), et par suite de ce mariage
il a ajouté à ses armoiries une colonne, comme armes
parlantes. Cette union étant restée stérile, la plus grande
partie de la colossale fortune d'Alessandro devra revenir
aux fils de son frère aîné Marino. Celui-ci se fait remar-
quer par l'élévation de ses sentiments, par une bienveil-
lance sans égale et par une franchise devenue proverbiale.
A l'époque des troubles de 1848, le parti du mouvement
chercha à se servir de son nom. S'il fut assez heureux ou
assez adroit pour ne pas se compromettre , il ne put du
moins échapper à la satire, qui l'a affublé du sobriquet de
Ciceruacchio des princes Romains. De ses deux fils,
Julio Torlonia , duc de Poli, né le 12 avril 1824, et Gio-
vanni Torlonia, né le 21 février 1831, celui-ci mourut le
1^'' janvier 1848, du chagrin que lui causaient les attaques
dont son père était l'objet de la part des démagogues, et
qui ne laissaient pas que d'exercer une certaine influence sur
l'esprit du pape Pie IX. Ses obsèques furent un véritable
triomphe posthnne décerné à la mémoire d'un homme de bien.
TOÎIMEINTA, armes offensives des anciens et des
peuples du moyen âge, et qui étaient pour eux ce que nous
appelons Y artillerie; les plus remarquables étaient le bé-
lier, la catapulte et la batiste.
TORN ADO. C'est le nom par lequel on désigne de vio-
lentes et soudaines bourrasques de vents s'élevanten même
temps dans toutes les directions ; phénomène qu'on a lieu de
remarquer souvent sur les côtes de Guinée, aussi bien en
mer que sur terre. Le tornado paraît tenir beaucoup de la
nature de l'ouragan et peut-être aussi de la trombe; mais les
effets en sont encore plus violents. Il se manifeste toujours
de la manière la plus soudaine. Un certain nombre de nuages
s'amoncèlent, une rafale de vent en sort et vient s'abattre
sur la terre en tourbillonnant sur elle-même et sur un dia-
mètre de plusieurs centaines de mètres, pour poursuivre sa
marche pendant un ou deux kilomètres. La rapidité de sa
chute la fait rebondir de terre ; et c'est dans ce mouvement
qu'elle renverse tout ce qu'elle rencontre sur son passage.
Ce phénomène est toujours accompagné d'une vapeur
aqueuse ou de pluie qui marque par des traces humides ia
voie qu'il décrit,
TORI\ÉO, ville de la grande-principauté de Finlande
(Russie), est située à l'extrémité septentrionale du golfe
de Bothnie, à l'embouchure du fleuve du même nom , qui
prend sa source dans la province suédoise de Norrbotten.
Elle occupe une île au milieu de ce fleuve, et compte envi-
ron 800 habitants. C'est la ville la plus septentrionale des
contrées riveraines de la Baltique et le grand entrepôt de
ces pays incultes et peu peuplés. Aussi y fait-on un com-
merce assez considérable en bois, goudron, poissons,
rennes, pelleteries, tabac, boissons spiritueuses , etc. Le
climat en est comparativement, et eu égard à la haute
latitude où la ville est bâtie, beaucoup moins rude qu'on ne
devrait s'y attendre. Au mois de juin, le soleil n'y quitte
presque point l'horizon ; par contre, dans les jours les plus
courts de l'hiver, la nuit y est continuelle.
Cette ville fut fondée en 1620, par ordre du gouvernement.
Sa position n'a cependant pas suffi pour là mettre à l'abri
des ravages de la guerre. Les Russes s'en emparèrent ea
1715 et une seconde fois le 23 mars 1809. Le traité de Fré-
déricsham ( 20 novembre 18f0) l'a adjugée à la Russie, avec
toute la Finlande orientale,
TORO, ville très-ancienne d'Espagne, dans le royaume
de Léon, province de Zamora,à 53 kilomètres au nord-est
de Salamanque , sur la rive droite du Duero, avec environ
11,000 habitants, et des fabriques de lainages, de cuirs et
de toiles.
TORON, \oyez Corhe.
TORONTO, appelé jusque dans ces derniers temps
York , chef-lieu du Canada occidental ou supérieur, sur
TORONTO — TORSE
615
^;« côte occidentale du lac Ontario, à l'cmboucliure de la
j)8tite rivière appelée Don , et dans la partie septentrionale
d'un excellent port formé par une étroite presqu'île qui se
termine par le cap fortilié de Gibraltar Point, n'était en-
core en 1794, lorsqu'on résolut d'y construire un clief-lieu,
qu'un endroit désert et boisé. Six ans plus tard c'était déjà
une ville importante, où l'on compte déjà près de 30,000
habitants, et qui est maintenant l'une des plus belles villes
de TAmérique du Nord. Elle est régulièrement mais mas-
sivement construite , et possède plusieurs très-beaux édifices,
entre autres le nouveau collège ou l'université, l'ancienne
chambre du parlement, le palais du gouvernement, la maison
des aliénés, la banque et différentes casernes. Parmi les trente-
et-une églises ou chapelles qu'on y compte, la plus grande
est l'église Saint-Georges , appartenant aux épiscopaux. To-
ronto est le siège du gouvernement, de la cour de justice
supérieure de la province, et d'un évêché catholique. Indé-
pendamment d'une université dotée de 226,000 acres de terres
domaniales, Toronto possède un grand nombre d'établisse-
ments d'instruction publique, ainsi qu'un hôpital bien dirigé,
diverses institutions de bienfaisance, et un bureau d'é-
migration très-utile à la province. Cette ville doit ses ra-
pides développements et ses richesses à son heureuse posi-
tion pour le commerce, de même qu'aux progrès faits par
la colonisation dans les districts occidentaux du Canada su-
périeur, dont les produits y arrivent pour trouver des ac-
quéreurs.
TORPILLE (Torpédo, D.), genre de poissons qui
offrent beaucoup d'analogie avecles raies, et qu'on rencontre
dans presque toutes les mers. Comme les raies, les torpilles
ont le corps arrondi et plat ; mais elles en diffèrent surtout
en ce que leur ceinture humérale loge dans une grande
échancrure un appareil remarquable, où réside la puissance
électrique qui a rendu ce poisson si célèbre, et qui cause
un engourdissement plus ou moins grand aux personnes qui
îe touchent. Cet appareil est composé de petits tubes mem-
braneux , serrés les uns contre les autres, disposés sur deux
pians, l'un supérieur, l'autre intérieur. Ces membranes
fibreuses forment par leur réunion une sorte de gâteau d'a-
beilles, dont les adhérences sont tellement marquées à la
face intérieure du disque, qu'on aperçoit à l'extérieur, sans
recourir à la dissection, leuis cellules hexagonales. Ces
tubes sont divisés par des diaphragmes horizontaux en pe-
tites cellules remplies de mucosités : tout cet appareil est
animé par des nerfs de la dix-huitième paire. Si l'action de
la torpille offre beaucoup de similitude avec le fluide élec-
trique, l'engourdissement qu'elle cause n'en diffère pas
moins de celui qui résulte de l'action de la bouteille de Leyde.
L'animal peut aussi conserver à volonté toute la charge de
sa batterie ou la lancer contre l'ennemi qu'il veut abattre.
Sur nos côtes, c'est surtout près de La Rochelle et de
l'île de Ré ou dans la Méditerranée qu'on rencontre la tor-
pille. On dit qu'une des plus redoutables espèces est celle
du cap de Donne-Espérance. Les torpilles se vendent en
abondance sur les n)archés d'Italie, pays où leur chair,
quoique mollasse et comme muqueuse, a beaucoup d'ama-
teurs. Mais généralement on en rejette l'appareil électrique,
conmie une nourriture malsaine.
TORQUATUS, nom de famille de la gens Manlia.
Voyez Manlius.
TORQUEMADA (Thomas de), inquisiteur général
espagnol. Foygs Inquisition.
TORRE (Marquis délia), peintre distingué. Voyez
CRESCE^iZI.
TORRE CHICA (Raie de). Voyez Sim Ferrucu.
TORRÉFACTION (du latin torrere, rôtir, et/acio ,
;« fais), combustion lente ou plutôt léger grillage qu'on fait
éprouver à diverses substances , telles que le cacao , le
café, etc., afin d'en isoler une portion d'huile ou de résine
qu'elles contiennent.
TORRENT (du latin torrens, impétueux, précipité,
hfiilant), courant d'eau très-rapide, qui descend des mon-
tagnes, et provenant ordinairement soit de la fonte des
neiges, soit d'une pluie d'orage. Le torrent diffère du fleuve
en ce qu'il ne coule que par intervalles, tandis que le cours
du fleuve n'est jamais interrompu.
TORRES VEDRAS (Lignes de). Voyez Lisbonne.
TORRICELLI (Evangelista), célèbre philosophe et
mathématicien, inventeur du barom être, naquit en 1608,
à Faenza,età l'âge de dix-huit ans vint à Rome, où il se
livra avec ardeur à l'étude des mathématiques, sous la di-
rection de Benedefto Castelli. La lecture attentive des œuvres
de Galilée sur le mouvement l'engagea à composer son
Trattato del Moto (1642), où il exposa ses idées particu-
lières sur ce sujet. 11 communiqua sa dissertation à Galilée,
qui l'engagea aussitôt à venir le voir; mais Galilée mourut
à quelque temps de là. Torricelli se disposait donc à revenir
à Rome, quand le grand-duc Ferdinand l'appela à Florence
pour y occuper la chaire de philosophie et de mathématiques;
et il continua avec ardeur ses travaux dans cette ville. Il
mourut en 1647. Ses Opéra Geometrica (Florence, 1644)
exposent ses inventions et découvertes propres , entre les-
quelles figure en première ligne celle du baromètre, dont
l'idée lui vint en 1643. Les microscopes qu'il fabriqua
étaient déjà d'une grande perfection , et il possédait en outre
une grande habileté dans la fabrication des lentilles pour les
télescopes.
TORRIDE(Zone), du latin ^rrere, brûler, c'est-à-
dire zone brûlante. Voyez Zones.
TORRIJOS (Jose-Maria) , né àMadrid, le 2 mars 1791,
n'avait pas encore vingt ans à l'époque de l'invasion fran-
çaise, lorsqu'il reçut, .comme lieutenant-colonel, le com-
mandement supérieur de l'avant-garde de l'armée de Cata-
logne , et en 1812 celui d'un régiment. Dans la guerre de
l'indépendance, il se distingua en maintes occasions, et fut
promu au grade de général de brigade peu de temps après
la bataille de Viltoria. Appelé au commandement en second
de l'armée envoyée en Colombie sous les ordres de Morillo,
il donna sa démission , et entra alors dans une conspiration
qui fut découverte en 1817 , et qui lui valut une captivité de
plusieurs années dans les cachots de l'inquisition. Rendu à
la liberté par la révolution de 1820, il fut appelé au com-
mandement de la Biscaye, et au commencement de 1 823 il fut
nommé ministre de la guerre. Compris à la fin de cette
même année 1823 dans la capitulation de Cadix, que Ferdi-
nand YII refusa de reconnaître, il se réfugia d'abord en
France, et plus tard en Angleterre, où il demeura jusqu'au
moment où la révolution de Juillet vint réveiller ses espé-
rances et celles de ses amis. Il se rendit alors à Gibraltar,
d'où il tenta, à diverses reprises , mais sans succès, de pé-
nétrer en Espagne dans le courant de 1831. Trompé par
de faux rapports, il débarqua le l^"' décembre 1831, aux
environs de Malaga, à la tête d'une centaine d'hommes;
mais il s'y vit bientôt cerné par les troupes royales, et fait
prisonnier. Conduit à Madrid, il y fut fusillé, le 11 décem-
bre, avec vingt-quatre de ses compagnons d'infortune.
TORSE (de ritalien torso, trognon ) , mot de, la langue
technique des beaux-arts, qui sert à désigner en sculpture
cette partie du corps humain qu'on appelle encore le tronc.
On donne aussi le nom de torse à des statues antiques,
mutilées, dont les membres et la tête sont brisés; tel est,
entre autres, cet admirable fragment d'une statue antique
d'Hercule, dite le Torse du Belvédère, qui faisait partie du
musée Napoléon. Il y resta jusqu'à l'époque de l'invasion
étrangère, en 1815. On est fondé à. croire que ce chef-d'œu-
vre de la statuaire, dans un état de mutilation complète ,
et privé de la tète, des jambes et des bras, représentait
Hercule en repos , et alors qu'il était devenu un dieu im-
mortel sur le mont Œta. On a pu remarquer que l'artiste
n'a cherché à faire ressortir aucune veine sur le corps du
héros , qui n'est pourtant pas représenté avec des formes
juvéniles, et dont les muscles, fortement prononcés,
paraissent peu se concilier avec cette rondeur, cette
fermeté pure des contours que les anciens employaient quand
61G
TORSE — TORTUE
ils supprimaient l'apparence des veines. "Wincitelmann pense,
et avec raison sans doute, que le sculpteur a eu l'intention
ae faire sentir qu'il voulait représenter Hercule dans son
apothéose, ayant subi une transformation divine. Sur lo
rocher qui sert de base à cette sculpture, exécutée en mar-
bre du mont Pentélique , on lit une inscription grecque qui
nous révèle le nom de l'hahile statuaire qui en fut l'auteur.
En voici la traduction : Apollonius , fils de Nestor, Athé-
nien , la faisait. Ce précieux fragment fut, dit-on , trouvé
à Rome, vers la fui du quinzième siècle, dans des fouilles
qu'on exécuta aux environs du Théâtre de Pompée ,
aujourd'hui Campo rf« Fiore, et on suppose que c'est du
temps de Pompée que l'artiste athénien , nommé Apollonius,
sculpta ce beau marbre. Winckelmann pense, au contraire,
qu'il doit dater de l'époque d'Alexandre. Le pape Jules II
l'avait fait placer dans les jardins du Vatican, avec V Apol-
lon Pythien et le groupe du Laocoon. 11 a servi aux études
des Michel-An^e, des Piaphael , des Jules Romain , des Car-
raclie, des Poussin et des Pugel. Michel- Ange, devenu
aveugle, se faisait conduire devant le torse du Relvédèrc,
et pendant des heures entières il palpait le suave moilrlf,
.'es formes cadencées et souples de ce beau corps de marbra
La plupart des statuaires s'accordent à dire , comme les ar-
chéologues, qu'il n'existe pas de sculpture antique exéculéo
dans un plus grand style. Antoine Filuoux.
TORSION (Balance de). Voyez Balance de Torsion.
TORSTENSOIV (LÉONAno), comte d'Ortala, aprèsBa-
ner le plus habile d'entre les généraux suédois qui prirent
part à la guerre de trente ans, naquit en 1G03, à Forstena,
et entra à l'âge de dix-huit ans dans les pages du roi. En
1630 il suivit Gustave- Adolphe en Allemagne, en qualité de
capitaine d'une des compagnies des gardes du corps de ce
prince, sous les ordres duquel d'abord , puis sous ceux de
Baner, il fil toutes les campagnes de l'armée suédoise, en
s'élevant de grade en grade jusqu'au conunandant en chef
d'un corps d'armée. En 1639 il revint en Suède, et y fut
nommé membre du sénat. A la mort de Baner, en I6il , il
fut appelé à prendre le commandement en chef de l'armée
d'Allemagne. Il y trouva les affaires de la Suède dans la plus
fâcheuse position, car elle avait à ce moment perdu l'appui
de la plupart de ses alliés ; mais il réussit à recruter de nou-
velles troupes, à se procurer de l'argent et à être en état
d'aller bientôt après transporter le théâtre de la guerre
dans les États héréditaires de l'empereur. Il remporta suc-
cessivement les victoires deSchweidenitz (1642) et de Brei
tenfeld. En décembre 1C43 il abandonna h l'improviste la
Silésie pour se porter, par une marche rapide, sur le Hol-
stein, où, à l'exception des places fortes de Gluckstadt et de
Krempe.il s'empara de la presque totalité du pays, laissé
sans dtfense par le Danemark, qui avait pris parti pour
l'empereur contre la Suède et n'avait point prévu une si
soudaine attacpje. Le dessein de Torstenson était de profiter
des glaces (lour pénétrer dans les lies de l'archipel Danois ;
mais un hiver d'une douceur peu commune l'empêcha de
le réaliser. Gallas, général des Impériaux, se lança à la
poursuite des Suédois, et espéra les affamer en les acculant
en Schleswig et en Jutland. Mais Torstenson, par une
marche habile , réussit à rentrer en Allemagne. Poursuivi
de près par Gallas, il le trompa dans une série de marches
et contremarches ; et , à la suite d'une foule de petits com-
bats partiels, il l'affaiblit tellement, que le général au-
tricbieu dut regagner la Bohôiiic avec les débris de son
armée. La campagne audacieuse de Torstenson contribua
beaucoup à la conclusion du traité de paix de Brœrasebrœ,
signé le 23 août 1045 , entre le Danemark et la Suède,
et qui fut si avantageux à cette dernière puissance. Peu de
temps après la déroute de Gallas, Torstenson envahit la
Bohème, dans le dessein d'opérer sa jonction avec Rakoczy,
prince de Transylvanie, qui venait de déclarer la guerre à
l'Autriche, mais conclut à quelque temps de là sa paix avec
l'empereur. Tourmenté de douleurs arthritiques, Torstenson
était souvent réduit à se faire transporter en litière au ir^ilieu
des batailles. Cette maladie le contraignit à'déposer son cowi-
mandement et à se retirer en Suède, où C h r i s t i n e lui con-
féra le titre de comte et le nomma successivement gouver-
neur de diverses provinces. Il mourut à Stockholm, le 7 avril
1651.
TORT, ce qui est opposé à la justice et àla raison. Cemot
signifie aussi lésion, dommage, qu'on souffre ou qu'on fait
souffrir à autrui, et dont réparation est due. Voyez Dommage.
TORTICOLIS (corruption des mots latins tortuni col-
lum, cou tordu), affection rhumatismale siégeant sur les
muscles de la nuque et sur ceux de l'un des côtés du cou, et
qui force à pencher sa tête d'un côté. Voyez Rhumatisme.
TORTOIVE, chef-lieu de la province du même nom
(84 kilom. carrés, et 59,000 habitants), dans l'intendance
générale d'Alexandrie (royaume de Sardaigne), sur la Scrivia,
dans une contrée malsaine, siège d'un évêché, est entourée
de vieilles murailles flanquées de tours. On y compte sept
églises, treize couvents, un séminaire, et 9,000 habitants,
dont la fabrication des soieries, des chapeaux et des cuirs
constitue la principale industrie. Indépendamment de la ca-
thédrale, les vovageurs vont y visiter les ruines d'un châ-
teau qu'habita jadis Frédéric Barbe-Rousse. Tortone, ap-
pelée autrefois Antilia on Dertone, se distingua avec Milan
par l'opiniâtre résistance qu'elle opposa aux empereurs d'Al-
lemagne. Frédéric Barbe-Rousse s'en empara, après soixante-
deux jours de siège , et la détruisit de fond en comble ; mais
les Milanais la reconstruisirent. Dans la guerre de la succes-
sion d'Espagne et dans les guerres de 1733 à 1735, elle fut
prise diverses fois. En 1796 elle tomba au pouvoir des Fran-
çais, et les Autrichiens la reprirent en 1799 ; mais la bataille
de Marengo la rendit aux Français, et c'est seulement en 1814
qu'elle fut replacée sous la domination de la Sardaigne.
TORTOSE, vieille ville fortifiée de la province de Tar-
ragone, en Catalogne, sur l'Èbre, à quelques kilomètres de
son embouchure dans la Méditerranée, avec un port et un
château fort, appelé Zuda, construit sur un mamelon es-
carpé, est le siège d'un évêché et compte une population
de 15,000 âmes, dont l'industrie principale consiste dans la
fabrication des savons, des papiers et des porcelaines. On
trouve à peu de distance de la ville actuelle les ruines de
Dortosa, ancien municipe au temps des Romains, ainsi
que différentes carrières de marbre et d'alun. En 18101e ma-
réchal Sucheten fit le siège, et ne s'en rendit maître qu'après
une opiniâtre résistance. Le 18 avril 1814, la convention
conclue entre Wellington et le maréchal Soulten amena l'é-
vacuation par la garnison que les Français y avaient laissée.
TORTUE. Ce reptile forme dans l'ordre des chélo-
niens, qu'il constitue tout entier, un grand genre qu'on a
subdivisé en cinq groupes ou sous-genres , savoir : les tor-
tues de terre (tortues proprement dites), les tortues d''eau
douce ou émydes , les tortues de mer ou chélonées, les
tortues à gîieule ou chélides , et les tortues molles oa
Irionyx. Comme on a présenté au mot Cuéi.oniens un ta-
bleau général de l'organisation de ces vertébrés , il ne nous
reste ici qu'à décrire les attributs caractéristiques de chacun
de ces groupes, leurs moeurs, l'utilité qu'on en retire.
Les tortues de terre se reconnaissent à la forme bombée
de leur forte carapace, sous laquelle elles peuvent retirer
complètement leurs pattes, leur tête , et même leur queue;
à la conformation de leurs jambes, terminées en une espèce
de moignon, dont les doigts, très-courts, sont armés de cinq
ongles en avant, de quatre en arrière. Cet animaux n'ont
guère d'autre instinct que celui de leur conservation. La
lenteur de leur marche est proverbiale. Originaires des
pays chauds, ils tombent pendant nos hivers d'iîurope dans
un engourdissement léthargique. On les retient quelquefois
dans les jardins , où ils sont utiles en détruisant beaucoup
d'insectes et de vers. Leur chair est bonne à manger , et seit
à faire des bouillons préconisés pour les estomacs délicate..
L'espèce la plus commune en Europe est la tortue grecque
(testudo graca) qui habite le littoral de la Méditerranée;
tlle atteint rarement trente centimètres de long. Ses écailles.
TORTUE — TOSCANE
617
granulées au centre, striées au bord , sont taclietées de noir
et de jaune par grandes marbrures. Elle se creuse un trou
pour y passer l'iiiver, et y pond de quatre à cinq œufs, sem-
blables à ceux des pigeons. La tortue géométrique est ainsi
nommée de sa carapace noire, sillonnée de lignes jaunes,
convergeant régulièrement vers un disque de même couleur.
La tortue des Indes , d'un bnm foncé, se fait remarquer
par sa grande taille, qui dépasse quelquefois un mètre de
longueur.
Les tortues d'eau douce ou cmydes ont la carapace
moins bombée que les précédentes. Leurs doigts, palmés,
plus larges et plus longs , dénotent leur vie aquatique. Se-
lon qu'elles se rapproclient davantage par leur conformation
des tortues de terre ou des tortues marines, elles vivent soit
dans les lieux marécageux , soit dans les eaux courantes.
Un cou long et flexible, des narines percées à l'extrémité
d'un museau mobile, et qu'elles peuvent fermer à volonté,
leur permettent de respirer hors de l'eau. Les émydes se
nourrissent principalement de vers, de poissons, de mollus-
ques ; leurs habitudes ne diffèrent pas, sous les autres rap-
ports, de celles des tortues terrestres. Elles habitent aussi
les contrées chaudes ou tempérées, et particulièrement l'Amé-
rique. Leurs espèces sont très-nombreuses ; l'une des plus
répandues est la tortue d'eau douce d'Europe , ({lù atteint
jusqu'à plus de trois mètres de long, et dont la carapace,
noirâtre, est semée de points jaunâtres, disposés en rayons.
Sa chair est bonne à manger. Les tortues à boite ont le
plastron divisé en deux battants par une articulation mobile,
et peuvent fermer entièrement leur carapace, quand leur tête
et leurs membres y sont retirés.
Les tortues de mer ou chélonées , les plus grandes de
toules , se reconnaissent à l'aplatissement de leur carapace,
à la longueur de leurs pieds, élargis en nageoires et ne
pouvant rentrer sous le bouclier. Elles vivent en troupes
nombreuses dans la mer, qu'elles ne quittent que pour sa-
tisfaire aux besoins de la reproduction et pondre, dans un
trou qu'elles ont creusé au milieu de la grève, leurs œufs,
gros comme ceux de l'oie, recouverts d'une membrane molle
et très-nombreux. Ces œufs , qu'elles ont pris la précaution
d'abriter sous le sable, éclosent à la chaleur du soleil ; et il
en sort, au bout de trois semaines, une foule de petites
tortues qui courent se jeter à la mer. Bien qu'elles nagent
très-bien, les chélonées s'éloignent peu des côtes, où on
les voit paître des plantes marines ou poursuivre des mol-
jusques, dentelles savent très-bien , à l'aide de leur bec,
briser la coquille. Comme les autres tortues, elles ne peu-
vent respirer qu'en s'élevant , d'intervalle en intervalle , à
la surface de l'eau. On guette, pour s'en emparer, le mo-
ment où elles côtoient par troupes les bords de la mer pour y
faire leur ponte ; alors on leur tend un grand filet de corde ,
ou.', quand cela est possible , on les retourne pour les assom-
mer. Quelquefois on les harponne en mer, comme des cé-
tacés, quand elles viennent sur l'eau pour y respirer ou
qu'elles flottent endormies à sa surface. Une des plus grandes
espèces de ce sous-genre est la tortue franche, dont la
carapace, verdâtre, n'a pas moins de 2'",30 à 2"', 60 de long,
et qui pèse jusqu'à 350 ou 400 kilogrammes. Sa chair et ses
œufa, qu'elle pond en très-grand nombre, sont agréables à
manger. Elles côtoient en grandes troupes les îles de l'océan
Indien. Une espèce plus intéressante encore, c'est le care t,
dont la carapace fournit la véritable écaille employée en
tabletterie, etc.
Les chélides ou tortues à gueule sont des espèces dont
la bouche, fendue en travers comme celle de certains ba-
traciens, n'est point armée du bec de corne propre à tous
les autres chéloniens.
Enfin, les trionyx, tortues à trois ongles , ou tortues
molles, n'ontpoint d'écaillés, mais seulementun peau molle
pour enveloppe à leurcarapace et à leur plastron. Elles vivent
dans l'eau douce. Saucerotte.
TORTUES (Iles aux), roj/e- Galapagos.
TORTURE, tourment que l'on taisait autrefois subir,
avant et après sa condamnation , à un accusé , pour le for-
cer à avouer son crime et ses complices. « C'est, dit La
Bruyère , une invention sûre pour sauver un coupable ro-
buste. » L'expérience a confirmé son opinion. La loi qui
ordonnait de faire prêter serment à un accusé de dire la
vérité, c'est-à-dire de s'accuser lui-môme s'il était coupable,
n'était qu'absurde ; celle qui ordonnait de lui faire subir des
tourments plus cruels que le supplice même était atroce.
Cette loi a existé longtemps chez tous les peuples civilisés ,
elle était observée même parles juridictions ecclésiastiques;
seulement, elle ne devait pas aller jusqu'à l'effusion du sang :
et cependant, le juge qui l'ordonnait, le bourreau qui l'ap-
pliquait, le patient qui la subissait, étaient tous chrétiens!
Les législateurs, anciens et modernes, ont emprunté cet usage
barbare à la législation romaine. Les modes de torture va-
riaient suivant les localités {voyez Slpplices). La nomencla-
ture des divers modes de torture est inunense; leur combi-
naison variée inspire plus d'horreur que d'étonnement. On
ne peut concevoir qu'en France, à la fin du dix-septième
siècle, les magistrats les plus diitingués, appelés à reviser, à
améliorer les anciennes ordonnances en matière criminelle,
aient froidementdiscuté dans leurs moindres détails les divers
genres de torture et en aient consacré l'application dans
les codes qui reçurent la sanction de Louis XIV et devinrent
alors lois de l'État (Ordonnance de 1070).
Toutes les assemblées électorales de 1788 furent una-
nimes sur l'abolition de la torture, déjà si énergiquement
réprouvée par Beccaria , Servan et tous les philosophes du
dix-liuilième siècle, et qu'il était réservé à l'Assemblée
constituante de laire enfin disparaître de notre législation
criminelle. Dufey (de l'Vjnne).
TORY, TORYSME. Voyez ToniEs et Wmr.s.
TOSCAN (Ordre), ainsi nommé parce que d'anciens
peuples de Lydie étant venus habiter la Toscane y bâti-
rent ainsi leurs premiers temples. C'est le plus simple et le
plus solide des cinq ordres d'architecture : Ordre toscan ,
colonne toscane, soubassement toscan. On appelle archi-
tecture toscane celle qui est essentiellement composée d'ar-
cades et de bossages.
TOSCANE, grand-duché de l'Italie centrale, qui dans
l'antiquité porta successivement les noms de Tyrrhénie ,
d'É trurie et de Tuscie, auxquels était d'ailleurs atlaché
un sens plus étendu. Après la cluite de l'empire romain en
Occident (476 après J.-C. ) , la contrée située entre la Macra
et le Tibre appartint tour à tour aux Ostrogoths , aux Grecs
et enfin aux Lombards. Après la chute de Didier, en l'an
774 , la Tuscie passa comme fief et duché lombard sous la
souveraineté franke, et demeura soumise à des ducs et à
des marquis jusqu'au douzième siècle. Ensuite, après là
mort de la célèbre comtesse Mathilde, arrivée en 1113, les
traces de la souveraineté féodale s'effacèrent insensiblement;
et les villes parvinrent peu à peu à jouir d'une grande in-
dépendance. Toutefois , il n'y en eut jamais que quatre véri-
tablement importantes : Pise, Florence, Sienne et
Lucqu es. LalutledelaLombardie contre les Hohenstaufen
exerça aussi une haute influence sur la Toscane. Au com-
mencement du treizième siècle, l'établissement des podestats
donna un caractère plus tranché aux formes municipales de
Florence , qui peu à peu arriva à dominer toute cette con-
trée. Alors commencèrent entre les Buondelmonti et les
Uberti les troubles civils dont le résultat fut de diviser l'Italie
entière en guelfes et en gibelins. Ces derniers, après la mort
du roi Manfred (1266), eurent complètement le dessous.
Après quoi, il s'établit, en 1293, un régime de corporations
tendant de plus en plus à la démocratie ; et l'ancienne no-
blesse fut tout à fait annulée par la révolution de 1343.
Après de nombreuses alternatives de tyrannie et de souve-
raineté populaire, il se constitua une oligarchie, d'abord sous
l'aristocratique famille des Albizzi (à partir de 1382 ), et en-
suite, depuis 1434, sous les M éd ici s, qui n'étaient à l'origine
que de riches marchands. A cette époqxe, source de beau-
coup de bien et de beaucoup de mal pour la plus grande partie
6t8
TOSCANE
de la Toscane, Sienne iut réunie à l'ancien territoire flo-
rentin à partir de 1555; et Alexandre Médicis fut élevé
(1531) par l'empereur Charles Quint à la dignité de duc de
Florence. Ensuite, en 1569, Cosme de Médicis fut créé
grand-duc de Toscane. Les premiers grands-ducs de Médicis,
Cosme I*', François et Ferdinand II, rendirent encore de
grands services au pays , dont ils maintinrent le commerce
et l'industrie, quoiqu'il ne restât plus que l'ombre de l'an-
cienne prospérité ; et en même temps ils réussirent à conserver
une certaine indépendance politique.Maisàparlirde Cosme II
( 1609) la décadence devint visible à tous égards, et dès lors
les Médicis ne vécurent plus que sur la gloire de leurs ancê-
tres. Les sciences seules jetèrent encore quelque éclat; quant
aux arts, leurs beauxjours étaient passés. Le traitéde laqua-
druple alliance, signé à Londres en 17 18, reconnut que la Tos-
cane constituait un fief mâle de l'Empire d'Allemagne, et
décida que les droits d'hérédité éventuels y appartiendraient
à une branche cadette de la maison d'Espagne. Mais en vertu
de la paix de Vienne de 1725 et de celle de 1735 , après le
décès du dernier Médicis, Jean-Gaston, qui mourut en
1737, sans laisser d'héritiers, la Toscane échut au duc Fran-
çois-Élienne de Lorraine, qui épousa Marie- T h érè se et
devint empereur d'Allemagne, sous le nom de François I".
A sa mort ( 1765) , son fils l'archiduc Léopold, devenu plus
tard empereur d'Allemagne, sous le nom de Léopold 11,
fut reconnu en qualité de grand-duc, et continua de gou-
verner la Toscane jusqu'à la mort de l'empereur Joseph.
C'est au règne mémorable de ce prince que le pays doit en
grande partie le retour de son antique prospérité. A Léo-
pold succéda, en 1790, son fils cadet, Ferdinand III,
à qui, en 1799, Bonaparte enleva la Toscane pour l'adjuger,
sous le nom de royaume d'Étmrie, à l'Infant Louis de
Parme; et en 1807 elle fut déclarée province française. Après
la chute de Napoléon, Ferdinand, alors grand-duc de Wurfz-
bourg, recouvra son héritage, auquel on réunit la petite
principauté dePiombino et l'ile d'Elbe. Sous ce souverain
■ei l'administration éclairée de son intelligent ministre, le
comte Fossombroni , la situation du pays s'améliora infini-
ment ; et la Toscane ne se ressentit en rien des troubles qui
agitèrent d'autres contrées de l'Italie. Son fils, Léopold II, qui
lui succéda en 1S25, suivit les mêmes errements, de sorte
que sous son règne la Toscane passa pour le pays le plus
heureux de la péninsule. Toutefois, après la mort des deux
ministres Fossombroni (1844) et Corsini (1845), les bons rap-
ports qui avaient jusque alors existé entre la population et le
pouvoir commencèrent à se troubler. Une tentative que fit
le nouveau ministère pour préparer les voies au retour des
Jésuites , à qui l'accès du pays avait été interdit , en fondant
à Pise un établissement d'instruction placé sous la direction
des sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, plusieurs arrp-«t^"ns
et expulsions du territoire ordonnées pour des motifs poli-
tiques , et diverses autres mesures encore, provoquèrent du
mécontentement dans les classes éclairées; mécontentement
que l'action d'une presse occulte , les désastres d'un trem-
blement de terre en 1846, de mauvaises récoltes et le ren-
chérissement qui en fut la suite , propagèrent aussi dans le
peuple. Les réformes du pape Pie IX, qu'on salua en Tos-
cane avec le plus vif enthousiasme, arrachèrent bientôt au
gouvernement des concessions libérales. Le 7 mai 1847 parut
une loi de la presse bien plus douce que celle jusque alors
en vigueur; et le 30 du môme mois les notables du pays
étaient convoqués à l'effet de délibérer sur un projet de
«forme administrative des communes. Le 21 juillet suivant,
dans un motu proprio, le grand-duc déclara de nouveau
que son intention était de donner de son mieux satisfaction
aux désirs de son peuple. La peine de mort fut abolie. Le 24
août une consulte d'État fut instituée, en même temps qu'un
nouveau ministère des grâces et de la justice était créé et
qu'on plaçait à sa tête le populaire Bartolini ; enfin, le 4 sep-
tembre, l'étahlisscmentd'unegarde nationale fut concédé. Ces
divers changements furent suivis, le 12 septembre, de grandes
réjouissances publiques ayant pour but d'exprimer la recon-
naissance du peuple, et le lendemain le grand-duc accordait la
réforme de la législation, de l'instruction publique et de l'or-
ganisation mu iiicipale. En outre, une loi de la presse encore plus
libérale fut rendue: plusieurs changements furent aussi effec-
tués dans le personnel de la haute administration, et à la suite
d'unedémonstration qui eut lieu à Florence contre les sbirres
et la police secrète on supprima ces deux moyens de gou-
I vernement. Mais dès le mois d'octobre 1847 l'abdication du
j duc Charles de Lucques préparait au gouvecnement de nou-
veaux embarras. L'acte du congrès de Vienne du 9 juillet
1815 et le traité de paix du 10 juillet 1817 avaient décidé
qu'en cas de retour de Parme aux Bourbons régnant à
Lucques, le grand-duc de Toscane recevrait le duché de
Lucques, et céderait au duc deModène les arrondissements
toscans de Fivizzano , de Pietra-Santa et de Borga , les ar-
rondissements lucquois de Castiglioneet de Gallicano, ainsi
que les arrondissements de Minucciano et de Montegnoso,
contigus au duché de Massa. Aux termes d'une modification
de ces conventions intervenue par le traité signé à Florence
le 28 novembre 1844,1a Toscane devait, il est vrai, conserver
Pietra-Santa, Borga et Seravczza , mais céder Fivizzano à
Modène et Pontremoli au futur possesseur de Parme. Le
cas prévu se trouva réalisé par l'acte d'abdication du duc
Charles. La prise de possession du duché de Lucques par la
Toscane eut lieu le 11 octobre. Mais à Fivizzano la popula-
tion protesta les armes à la main contre sa séparation d'avec
la Toscane, de sorte que les troupes modénaises, accueillies
à coups de fusil, durent rebrousser chemin. Ce ne fut que le
4 décembre suivant que ce territoire fut enfin cédé au duc
de Modène. Par suite de la mort de l'archiduchesse Marie-
L oui se de Parme (8 décembre 1847), la Lunigiana tos-
cane (Pontremoli avec Bangone, Filatierra, Grospoli et Lu-
suoli) furent aussi cédés au duché de Parme, au mois de
janvier 1848 en vertu du nouveau traité de 1844.
Les événements de 1848 eurent pour résultat de transfor-
mer le mouvement réformateur de la Toscane en une révo-
lution. Les troubles qui éclatèrent à Livourne furent, il est
vrai, encore comprimés par l'énergique intervention du pré-
sident du conseil Bidolfi , qui le 10 janvier fit arrêter Gue-
razzi et plusieurs de ses acolytes; mais le gouvernement
ne s'en vit pas moins contraint de céder à la pression de
l'opinion populaire. Dès le 17 février le grand-duc procla-
mait une constitution libérale portant la date du 15 février.
Les différents territoires récemment séparés du grand-du-
ché saisirent cette occasion pour se rattacher à la Toscane :
Fivizzano dès le 27 mar^s, Massa, Carrara, la Lunigiana et
Garfagnana le 8 mai. Un décret du gouvernement légalisa
ces faits, sans avoir égard à une protestation du duc de Modène,
Le 21 mai parut encore une nouvelle loi sur la presse; le
5 juin on créait des ministères des cultes et de l'instruction
publique : le 26 juin avait lieu l'ouverture des chambres.
Mais tout cela ne satisfit point le parti révolutionnaire, dont
les menées jetèrent le pays dans une confusion extrême.
Une émeute faite aux cris de guerre à V Autriche!
amena la chute du ministère Ridolfi. Le nouveau mi-
nistère, présidé par Capponi, adopta, sur la proposition de-;
chambres, des mesures plus sévères ; mais dans une insur-
rection commencée à Livourne le 25 août et à la tête de
laquelle se plaça Guerazzi,qui pendant ce temps-là avait été
élu député, la troupe, à la suite d'un vif combat de rues ,
refusa de se battre plus longtemps, puis passa aux insur-
gés. Alors une commission instituée à Livourne et présidée
par Guerazzi entra en pourparlers avec le grand-duc sur
les conditions d'une amnistie. Le grand-duc céda encore; et
à partir du 8 septembre Guerazzi fut adjoint avec deux au-
tres hommes de son bord, à titre de commission gouverne-
mentale, au conseil municipal de Livourne. Une démonstra-
tion populaire, qui eut lieu le 13 octobre dans la capitale,
à Florence, en l'honneur de Livourne, fut suivie de lare-
traite du ministère Capponi, qui dans le courant de sep-
tembre s'était vu contraint de recourir à un emprunt forcé
de quatre millions de lire; et le grand-duc résolut enfin de
TOSCANE
619
»e confier au parti démocratique. Le nouveau ministère, dans
lequel le populaire professeur et gouverneur intérimaire
de Livourne Montanelii eut la présidence et les affaires
étrangères, Guerazzi l'intérieur, et Mazzoni la justice, fit
le 3 novembre la clôture de la session de la première
chambre ou sénat, prononça la dissolution de la chambre
des députés, qui lui semblait trop modérée, et fixa le 20 no-
vembre pour procéder à l'élection de nouveaux députés.
Les élections de Florence se firent complètement à l'avan-
tage du parti démocratique, mais non pas sans donner lieu
à des désordres assez graves. Lors de l'ouverture de la nou-
velle chambre, qui eut lieu le 10 janvier 1849, legrand-dnc
.se prononça pour la continuation de la guerre contre l'Au-
triche et pour la réunion d'une grande assemblée nationale
italienne. Le 22 janvier il sanctionnait aussi la loi votée par
les chambres relativement à l'élection des députés. Mais
une menace d'excommunication que lui adressa le pape ins-
pira au grand -duc de tels scrupules de conscience, que,
révoquant sa sanction, il quitta Florence le 1*^"" février et se
rendit à Gaète le 22. Dès le 8 février la chambre des dépu-
tés constituait un gouvernement provisoire, composé de Gue-
razzi, de Montanelii et de Mazzoni ( à qui on adjoignit plus
tard Zannetta), nommait un nouveau ministère et convo-
quait pour le 15 mars une assemblée représentative unique,
composée de cent-vingt membres. Plus tard , cependant,
le club populaire proclama la république à Florence; et tout
aussitôtdes négociations furent entamées pour en opérer la
réunion avec la République Romaine. L'assemblée nationale
de la Toscane, ouverte le 25 mars, confia le 27 à Guerazzi le
pouvoir exécutif sous forme de dictature ; mais l'impuis-
sance du dictateur ne tarda point à se manifester. L Assem-
blée nationale ne lui accorda pas sans peine un emprunt de
deux millions de lire , de même que sa propre prorogation
jusqu'au 15 avril. Les volontaires de Livourne accourus pour
défendre Guerazzi furent chassés le 11 avril par les Flo-
rentins. Le lendemain on abattait les arbres de la liberté;
on rétablissait partout les armoiries du grand-duc, et on
désarmait la garde municipale , dévouée à la république. Les
troupes et les gardes nationales qu'on avait fait venir des
environs se déclarèrent aussi en'faveur du grand-duc, et
le conseil municipal, auquel on adjoignit cinq bourgeois
notables, prit provisoirement l'exercice du pouvoir au nom
de ce prince. De ce nombre étaient Capponi , Serristori et
Torligiani. En même temps on incarcérait dans les prisons
du Palazzo-Vecchio Guerazzi avec ses ministres et toute
sa clique. C'est ainsi qu'on en finit avec la république, avec
l'assemblée nationale, avec les clubs et avec la garde mu-
nicipale; et la contre-révolution se propagea également dans
le reste du pays sans effusion de sang. Ce mouvement tout
spontané, par lequel la population florentine se débarrassa
d'un pouvoir révolutionnaire violemment imposé , et pro-
clama le rappel du souverain, en même temps que le ré-
tablissement de la constitution qu'il n'avait pas donnée, est
un des plus remarquables épisodes de l'histoire de celte
année 1849, si féconde en contre-révolutions. La munici-
palité florentine se trouvait le seul pouvoir constitué dont
l'origine ne fût pas révolutionnaire. Elle accepta la tâche
de seconder et de régulariser l'élan public, gouverna le
pays pendant vingt-quatre jours, et reçut les remercîments
du grand-duc, qui n'en prononça pas moins sa dissolution.
Livourne, rendez- vous et centre d'action de tous les adver-
saires d'une restauration, opposa seule quelque résistance.
Le 17 avril une assemblée populaire, tenue en plein air, y
institua sous le nom de comité de sûreté, une espèce de
gouvernement provisoire. Mais le 1*' mai le grand-duc
nomma de Gaète le général major Serritori son commissaire
extraordinaire; et le 24 mai il institua un nouveau ministère,
sous la présidence de Baldassaroni. Dès le 1 1 mai , après
une résistance de deux jours, Livourne avait été occupée
par les Autrichiens aux ordres du général d'Aspre. Le 25
mai les Autrichiens entrèrent à Florence, après avoir laissé
une garnison à Livourne. La ville de Pise fut désarmée; et
comme dès le mois d'avril toute la Lunigiana avait été oc-
cupée au nom du duc de Modène par des troupes autri-
chiennes , la tranquillité se rétablit prompffement en Tos-
cane. A son retour le grand-duc y fut reçu avec enthousiasme
par les populations. Il fut alors créé un nouveau corps de
gendarmerie, en même temps que l'administration commu-
nale était réglée par une loi provisoire et qu'on publiait une
large amnistie de laquelle n'étaient exclus que quatre-vingt-
un individus des plus compromis dans les événements de la
révolution. Les libéraux mêmes, qui le 17 février 1850 célébrè-
rent l'anniversaire de la constitution, prirent confiance dans
l'avenir; mais ils perdirent bientôt leurs illusions. Le réta-
blissement de la constitution renversée par les républicains
n'eut point lieu, et les Autrichiens demeurèrent dans le pays.
Le 22 avril il intervint même une convention militaire aux
termes de laquelle un corps de 10,000 Autrichiens devait
continuer à occuper jusqu'à nouvel ordre le grand-duché,
qui devrait pourvoira son entretien. Pendant ce même prin-
temps le grand-duc alla faire un assez long séjour à Vienne;
ce qui donna lieu à des bruits de projets d'abdication de
sa i)art. Tandis que le mécontentement toujours croissant
de l'opinion publique amenait quelques explosions sur cer-
tains points, le gouvernement, surtout à partir de t851,
suivait avec toujours plus d'énergie les voies de la réaction :
c'est ainsi que les arrestations et les bannissements se multi-
plièrent, que les journaux organes de l'opposition furent
supprimés, que les individus compromis dans les affaires
de Livourne furent déférés à des conseils de guerre, qu'un
concordat ratifié le 19 mai diminua les libertés et les im-
munités de l'Église, qu'on supprima la garde nationale, et
qu'on modifia complètement l'organisation des universités
de Pise et de Sienne. Le 13 octobre le ministère de la guerre
fut supprimé, en même temps qu'on rétablissaitle com-
mandement général, aboli en 1848 et confié maintenant au
lieutenant-colonel autrichien Ferrari de Grado. Un décret
en date du 8 mai 1851 abolit définitivement la constitu-
tion du 15 février 1849 et prononça le complet rétablis-
sement de l'autorité souveraine. Le 5 juillet suivant pa-
rut une nouvelle loi organique de l'instruction publique;
le 22, rétablissement du conseil d'État; le 16 novembre,
rétablissement de la peine de mort. En même temps, le
gouvernement étendait son système de persécution au do-
maine de la conscience et dirigeait d'odieuses poursuites
contre les moindres traces de protestantisme. Le procès di-
rigé contre les époux Madiai notamment eut du relentisse-
mont dans toute l'Europe, et produisit partout la plus pé-
nible impression. Enfin, vers le milieu de l'année 1853
commença devant le tribunal d'État de Florence le procès
de haute trahison intenté à Guerazzi, qui se termina au bout
de deux ans par une condamnation à quinze années d'e tra-
vaux forcés prononcée contre cet accusé. Montanelii,
Mazzoni, Franchini et autres furent condamnés par contu-
mace aux travaux forcés à perpétuité. L'ex-ministre de la
justice Romanelli fut acquitté. Toutefois, le grand-duc com-
mua ces diverses condamnations en un exil à perpétuité.
Le grand-duché de Toscane, gouverné depuis 1765 par
une branche cadette de la maison d'Autriche, contient, de-
puis sa réunion avec Lucques et après les cessions de ter-
ritoire faites au duché de Modène, 282 myriam. carrés,
dont 5 pour les îles d'Elbe, de Palmajola, de Cerboli,
de Pianosa, Formiche , deGrosseto , Montechristo , Giglio ,
Giorgone et Giannutri. En avril 1854 , la population s'é-
levait à 1,8 15,686 habitants, dont environ 13,000 non catho-
liques (sur ce chiffre on comptait près de 9,000 juifs, résidant
pour la plupart à Livourne). Le pays est aujourd'hui divisé
en cinq départements (compartimenti) ou préfectures: Flo-
rence, comprenant 67 communes ; Lucques, 13; Pise, 38;
Sienne, 39 ; Arezzo , 42 ; Pistoja, 22; Grosseto, 22 ; avec
les deux gouvernements de Livourne, formant une com-
mune, et l'île d'Elbe quatre. A la tête de chacun des premiers
est placé un préfet et à la tête des seconds un gouverneur civil
et miHtaire. La capitale est Florence. avecll5,675 habi-
620
TOSCANE
tants ; et la ville commerciale la plus importante, L i v o u r n e.
L'Église dominante est TÉglise catholique romaine, avec
quatre archevôchés: Florence, Pise, Sienne et Lucques, dix-
sept évêclics, plus de deux cent trente couvents, et un nom-
bre considérable d'ecclésiastiques séculiers et réguliers. La
constitution du 15 février 1S49 ayant été supprimée de nou-
veau, le 8 mai 1852, le souverain est investi du pouvoir
absolu comme avant 1848. A la tête de l'administration est
placé un ministère d'État , avec sept départements ministé-
riels : finances , intérieur, affaires étrangères, instruction
publique , guerre , justice et culte. Il y a en outre un conseil
d'État , qui en est séparé, et un cabinet intime du grand-
duc. A l'administration supérieure de la justice appartien-
nent la cour de cassation , la cour des comptes et les deux
cours de justice de Florence et de Lucques. En ce qui est
des finances, le budget de 1854 évaluait les recettes à
35,307,400 lire ; et à ce propos il faut remarquer que l'im-
pôt pèse presque exclusivement sur les propriétaires fonciers.
Les dépenses étaient évaluées à 37,037,300 /ire, non com-
pris les frais de l'occupation autrichienne. L'année suivante
il y avait amélioration sensible , car le budget de 1855
évaluait la recette à 37,608,400 lire, et la dépense à
37.546,700 lii'e ; il se soldait donc par un excédant de re-
celte de 61,700 /ire. La dette publique, y compris celle qui
a été contractée pour la construction de chemins de fer,
s'élevait à 22,385,500 fr. En 1850 le montant du papier-
monnaie et des billets de banque en circulation était de
7,500,000 fr. En 1853 l'armée était forte de 15,376 hommes ;
la marine militaire se composait de 10 bâtiments armés
de 150 canons. Il y a trois ordres de chevalerie ; l'ordre
de Saint-Étienne, fondé en 1562, renouvelé en 1817 ; l'ordre
de Saint-Joseph, fondé àXS'urtzbourg en 1807 ; l'ordre mi-
litaire de la croix Blanche, fondé en 1814.
La Toscane est un pays que la nature semble s'être plu
à combler de tous ses trésors. Dans ce délicieux climat,
l'hiver est si doux qu'il est rare de trouver des maisons
pourvues de cheminées. L'air y est d'une grande salubrité ,
excepté dans les maremmes , plaines basses, maréca-
geuses et presque désertes , surtout aux environs de Sienne ;
cependant , on peut espérer, grâce au dessèchement du lac
de Castigiione entrepris en 1329 et presque entièrement
terminé aujourd'hui, que ces maremmes, aujourd'hui si
malsaines et si désertes , se couvriront un jour d'une po-
pulation au.ssi nombreuse que celle qu'elles nourrissaient
jadis: en effet, c'est là que s'élevaient la ville de Sa/wrnia,
si florissante au temps des Étrusques, et plusieurs autres
cités ses rivales. Les vents appelés sirocco et libeccio ,
qui soufflent périodiquement dans ces contrées , ne laissent
pas que d'être très-insalubres. Les Apennins étendent en
Toscane leurs ramifications dans plusieurs directions :
les plaines sont couvertes d'oliviers, de citronniers, d'o-
rangers, d'abricotiers, de vignes; et des forêts de châ-
taigniers couronnent les montagnes, dans lesquelles on
remarque quelques traces volcaniques. La Toscane est sil-
lonnée de rivières , dont les plus considérables sont: le Ser-
chio, l'Arno , la Cecina , la Corina, la Pecora, l'Ombrone,
l'Albegna, le Fiore et le Tibre; toutefois, la seule navigable,
et encore sur une très-faible étendue, est l'Arno. Des canaux
ont été creusés dans toutes les directions, et portent partout
la vie et l'abondance : on trouve des eaux minérales et
thermales , principalement aux environs de Pise et de
Sienne. Les productions du règne animal consistent en
cuivre, marbre, albâtre, plomb, mercure : l'île d'Elbe
est célèbre pour ses mines de fer. Les montagnes sont
formées de granité, de chaux , de plâtre, de grès et de tuf :
on y rencontre des cavernes et des grottes d'où s'exha-
lent des vapeurs sulfureuses et méphitiques. Le sol four-
nit au cultivateur des blés et des vins d'excellente qua-
lité : celui de Montepulciano est renommé. Le bois y est
commun. On y élèvede bons chevaux, des bestiaux de toutes
espèces; on y trouve en abondance des buffles, des bé-
casses, des ortolans, des perdrix , etc., mais peu de gros
. TOTILA
gibier. Les habitants de la Toscane sont d'une taille avan-
tageuse , et remarquables entre tous les autres Italiens par
leur douceur, leur politesse, leur franchise et leur droiture:
les femmes y 'sont très-belles, et y reçoivent, en général,
une excellente éducation. C'est en Toscane qu'on parle le
plus purement la langue italienne; mais un accent guttu-
ral très-prononcé la fait paraître beaucoup moins agréable
aux personnes qui ont habité Rome, oii la prononciation
est d'une douceur remarquable : de là est venu le proverbe
italien si connu : La lingua toscana in bocca romana.
L'agriculture y a fait de grands progrès, auxquels contri-
bue surtout VAcademia dei GeorgofiU. On se livre en
Toscane avec un rare succès à l'éducation des vers à
soie, mais l'exploitation des mines y est négligée. L'indus-
trie et le commerce , surtout celui de transit par Livourne
avec le Levant , sont florissants ; on y compte de nom-
breuses fabriques de soieries et papeteries ; les velours de
Florence, les fleurs artificielles et les chapeaux de paille
qu'on y confectionne , sont justement renommés. Dans les
beaux siècles de la littérature et des arts , la Toscane vit
naître des hommes tels que le Dante, Pétrarque, Galilée,
Machiavel , Giotto , Cimabué , Léonard de Vinci , Michel-
Ange, etc. Les universités de Pise, de Florence et de Sienne
sont pourvues de nombreuses collections scientifiques et
artistiques.
TOSCHI ( Paolo ) , l'un des plus célèbres graveurs des
temps modernes, né à Parme , en 1788, vint à Paris en 1809,
où il se consacra à la gravure, sous la direction de Be r v ic.
Le Hollandais Hoortemann l'initia plus particulièrement
aux secrets de la gravure à l'eau forte et à ceux de la
manière noire. Ses relations avec les plus célèbres gra-
veurs de son siècle lui permirent de s'approprier les avan-
tages particuliers à chaque école, sans se rattacher ex-
clusivement à l'une plutôt qu'à l'autre. Chargé de graver
le beau tableau de Gérard , V Entrée de Henri IV à Pa-
ris, il resta en France jusqu'en 1819, et revint alors dans
sa ville natale , où il fonda une école particulière de gra-
vure. Peu de temps après, il fut nommé directeur de l'A-
cadémie des Beaux-Arts de Parme. Parmi les travaux les
plus remarquables de ce maître, il faut encore citer sa
gravure de Vénus et Adonis, d'après l'Albane, et sa grande
planche de Lo Spasimo di Sicilia , d'après le tableau de
Raphaël , qui est à Madrid ; enfin, sa Descente de croix
d'après Volterra, et sa Mndona délia Scadella d'après le
Corrése. Il mourut le 30 juillet 1854.
TOSIIM ( Santi ). Foyer Fi ESOLE.
TOTILA, roi des Ostrogoths, surnommé Baduella,
était duc de Frioulen 541 , pendant les règnes d'Hildibald
et d'Eraric. Les victoires de Bélisaire avaient réduit la n>o-
narcnie des Ostrqgoîhs aux pays situés entre les Alpes et le
Pô, et des querelles intestines l'ébranlaienl tous les jours
davantage. Totila, neveu d'Hildibald, prédécesseur d'Eraric,
craignant d'être massacré comme son oncle, était en négo-
ciations avec les Grecs lorsque l'assassinat d'Eraric lui donna
le trône , sur la fin de l'année 54 1 . Les Goths avaient été si
affaiblis par leurs défaites précédentes qu'à peine ils pou-
vaient défendre le reste de leurs villes contre les efforts
des Grecs. Totila, plus habile et plus heureux, parvint,
avec une armée de 5,000 Goths, à battre les Grecs près de
Faenza. Après cette victoire , il entra en Toscane , vain-
quit une armée supérieure en nombre , et s'adjoignit les
soldats mercenaires qui la composaient. Alors , chef d'une
armée assez considérable, il s'avança dans le cœur de l'Italie.
Bénévent, Cumes et Naples, après un assez long siège, cé-
dèrent successivement à la force de ses armes. La modération
et la clémence du vainqueur , qui contrastaient avec l'ava-
rice et la cruauté des Grecs, lui attirèrent l'affection des
Italiens , et lui donnèrent de nombreux partisans. En 545
Bélisaire , rappelé du fond de la Perse par Justinien , vint en
Italie essayer de rétablir les affaires ; mais son armée était
si faible qu'il ne put défendre Spolète, Assise, Pérouse, Plai-
sance et Rome même, qui furent prises sous ses yeux. A la
TOTILA — TOUCHER
63 3
demande du gt^néral grec , Tctila respecta les monuments
qui faisaient la gloire de l'antique capitale de l'empire, qu'il
voulait d'abord détruire, dans la crainte que les Grecs ne s'y
fortifiassent. Bélisaire rentra dans Rome dès que le roi des
Ostrogotlis l'eut quittée, et s'y mit en état de soutenir un
long siège; mais rappelé en 548 par Justinien pour aller
combattre les progrès des Perses, il abandonna encore une
fois Rome aux armes deTotila. Celui-ci, ne pouvant obtenir
Ja paix de l'empereur d'Orient, ravagea la Sicile, et expulsa
presque totalement les Grecs de l'Italie. Enfin, Narsès , en-
voyé par Justinien, parut en Iliyrie avec des forces supé-
rieures (551). Il vint clierclier Totila à Tagina, dans les
Apennins, et lui livra bataille. Les Ostrogotlis furent battus ;
Totila, blessé, mourut au bout de quelques jours ( 552 ), et sa
mort mit fin à la domination des Ostroguths en Italie.
TOTTLEBEiX. Voyez Todtlede.n.
TOU AGE, action de toiter une embarcation, c'est-à-
dire de la tirer et de la faire avancer au moyen d'une baus-
sière ou d'un cordage appelé toue , qui est aitaclié par un
bout à un point fixe, pour la clianger de position.
TOUAKIKS ou TOUAREGS (Les) , peuple de la race
berbère, et comme tel différant des Ti bbos, fixés à l'est, qui
habite les oasis du désert de Saliara situées entre les
grandes routes commerciales de Marzouk, dans le Fezzan, à
Tombouktou,etdeTonat àKasclina, dansl'Haoussa, État du
Soudan, au nord jusqu'à la frontière sud-est du Maroc, au
sud jusqu'au Niger, et en outre diverses colonies en dehors
de ce territoire, par exemple les oasis de Siwah, et d'Ouds-
diilla. C'est une race d'hommes bien découplée, belle même,
avec une physionomie presque européenne. Leur caractère
est vif, gai, belliqueux, quelquefois rusé et astucieux. Par
leur courage à la guerre ils l'emportent sur tous leurs voi-
sins, et font defréquentes irruptions sur leurs territoires pour
pourvoir d'esclaves les marchés de Tripoli. Ils bloquent cons-
tamment beaucoup de villes nègres, et même de temps à
autre Tomboucklou, qui parait leur payer tribut. Toutefois,
il y a une partie de ce peuple qui réside à demeure fixe
dans les oasis, où elle fait un peu de commerce et se livre
à l'élève du bétail et à l'agriculture. D'autres Touariks font
métier d'accompagner les caravanes comme protecteurs et
loueurs de chameaux. La langue des Touariks, le targhia,
est un pur berbère, ne différant de la langue des Kabyles
de l'Algt'rie que par la prononciation. Us possèdent de-
puis les temps les plus reculés une écriture à eux, mais
au sujet de laquelle on n'a des renseignements que depuis
peu, \cjifinay ,dont sont couverts une foule de rochers et
de monuments architectoniques dans le nord de l'Afrique,
^vec l'ancienne écriture hiéroglyphique des Égyptiens, c'est
la seule écriture originale qu'on ait encore trouvée chez un
peuple d'Afrique. En ce qui est de la religion , les Touariks
professent l'islamisme. Leurs centres d'habitation les plus
impoitaiits sont le grand groupe d'oasis de Totidt , où se
trouve la ville de Timimam, avec 10,000 habitants; l'oasis
de Ger.sdf, et le pays d'^d/nr ou Asbh, avec les bourgs de
Tin-TeUoust alâ'Aghadez, place de commerce autrefois
très-importante.
TOUCAÎV, genre delà famille des rhamphaslidées ,
ordre des grimpeurs, caractérisé par un bec plus long que
la tôte, très-iirand, très-épais, dentelé sur le bord de ses
mandibules, arqué vers le bout; une langue étroite, aussi
longue que le bec, et garnie de chaque côté de barbes ran-
gées comme celles d'une plume; des tarses robustes, scutel-
lés ; des ongles forts, faiciformes ; des ailes concaves; une
queue médiocre, égale. C'est un oiseau particulier à l'Amé-
rique du Sud , et son plumage est peint de vives couleurs.
Ses plumes servaient autrefois à confectionner des broderies
et des espèces de tapis; les sauvages les emploient encore
pour faire des manteaux. Son vol est lourd et pénible ; ce-
pendant, il s'élève à la cime des plus grands arbres , où il
aime à se percher. Rarement il se pose à terre ; alors il
sautille obliquement, d'assez mauvaise grâce, et les jambes
tT^écartées. il pousse des cris rauques et perçants, et
niche dans les creux d'arbre, où sa ponte est de deux œufs.
Son bec, si gros et si disproportionné avec le reste de son
corps, semblerait devoir être pour l'animal un organe plus
embarrassant qu'avantageux; cependant, il s'en sert avec la
plus grande dextérité.
TOUCHE se dit, en fermes de docimasie, de l'opéra-
tion par laquelle on essaye le titre de l'or et de l'argent sur
la pierre dite pjerre de touche [voijez Essai).
En musique, on appelle to<cAe5 les divisions d'un clavier
ou du manche d'un luth ou de tout autre instrument sur le-
quel en appliquant les doigts on tire des sons différents
pour faire des accords.
Enfermes de peinture, touche signifie, généralement
parlant, le maniement du pinceau et des couleurg; mais
c'est plus particulièrement une manière de désigner dans
les arts du dessin et de la peinture certains accidents,
certaines circonstances de l'apparence visible des corps,
accidents et circonstances occasionnés par leur nature ,
par leurs positions et leurs mouvements. La touche n'est
nullement arbitraire , et elle n'est pas absolument du ressort
de ce qu'on appelle le goût. C'est à la fois un signe imitatif,
tiré de la nature, et un signe communicatif delà manière
dont l'artiste a vu et senti en faisant son imitation. C'est un
effet instantané de l'impression que ressent le peintre ou
le dessinateur, et elle devient susceptible des variétés de
l'imagination. Ainsi elle sera légère, délicate, ferme,
hardie, ficre, moelleuse, solide ou spirituelle. On donne
les touches en portant une couleur vierge , d'une manière
franche, sur la partie destinée à la recevoir. Dans les en-
droits les plus saillants, la brosse hardie placera une couleur
épaisse; dans ceux qui le sont moins, le pinceau écrasé
laissera une couleur plate et nettement fondue. Dans
les tournants, ainsi que dans les ombres, les touches
doivent être peu fréquentes et peu sensibles; elles ne sont
le plus souvent qu'un trait de pinceau spirituellement
lâché pour ranimer un contour, ou pour caractériser
une finesse d'une manière presque imperceptible. Tout
objet qu'on suppose être vu à une certaine distance doit
être rendu d'une manière plus indécise, à cause de l'in-
terposition de l'air ambiant , que ceux qui sont proches de
nous. Les cheveux, par exemple, ne peuvent pas alors être
distingués aussi parfaitement , ni paraître divisés par par-
ties, comme ils le sont dans la nature; il faut donc que le
peintre les leprésente en masse , et cette masse doit se
faire d'une certaine manière qui dépend du style et du choix.
On ne doit donner aucune touche qu'en suivant la direc-
tion des lignes qui forment les figures. Elle doit être hori-
zontale ou perpendiculaire lorsqu'on peint des corps plats
qui sont en face de l'œil; diagonale et allant au point de
distance, quand l'objet est placé dans cette position ; et ten-
dante au point de vue , quand les lignes de ce corps y abou-
tissent. Lorsque les corps sont circulaires, les touches du
pinceau doivent suivre la direction du cercle en perspec-
tive, selon les diverses hauteurs qui sont relatives à celle
de la ligne d'horizon. Mii.lin , de l'Institut.
TOUCHE (Pierre de). Voyez Pierre de Touche.
TOUCHER ou TACT, l'un des cinq sens de l'homme.
Voyez Tact.
Dans l'art des accouchements, on appelle ^oMcAer l'exa-
men de l'état de la matrice, de la situation du fœtus et de
tout ce qui est contenu dans l'utérus.
Enfermes de peinture, le toucher n'est paa la même
chose que la touche. Lorsqu'on dit : Ce peintre touche
parfaitement bien les chairs, les étoffes , le paysage, les
arbres, les terrains, les plantes, les eaux, les accessoires,
on entend parler de sa manière physique d'appliquer la cou-
leur qui doit représenter ces objets. Le toucher, qui est
alors la manière d'appliquer la couleur, devient donc un
moyen de désigner les objets, différent du trait et de la
couleur prise en elle-même. La peinture n'est pas une com-
plète imitation feinte; elle n'imite pas le relief, elle feint
seulement de l'imiter; différente en cela de la sculpture, qui.
622
TOUCHER — TOULA
abstraction faite de la couleur, imite d'une manière pal-
pable les formes des objets de ses représentations. C'est
donc le plus souvent de l'art de feindre la représentation
des objets par tous les secours de l'industrie que les ar-
tistes s'occupent, et c'est en suivant cette route vraiment li-
bérale, c'est-à-dire libre et ingénieuse , qu'ils parviennent
au grand mérite de leur art. Dès lors ils peindront avec
sentiment, et leurs ouvrages se rapprocheront autant qu'il
est possible de la nature. Les muscles de l'homme seront
touchés suivant les formes ; et en faisant toujours aller le
pinceau de l'attachement du muscle à son insertion, il
faut le pousser dans le plan du tableau ou l'attirer à soi ;
enfin, modeler toutes les formes delà ligure , pour exprimer
avec sentiment tous les raccourcis et tous les effets qu'elle
présente. Millin, de l'instiiut.
TOUCHET (Marie), fille d'un apothicaire d'Orléans,
née en 1549, était douée, suivant Le Laboureur, d'une in-
comparable beauté , qui justifiait l'anagramme de Je charme
tout, trouvée dans sou nom par un galant courtisan. Devenue,
on ne sait trop comment, la maîtresse de C h a r 1 e s IX , elle
fut l'unique objet des affections de ce roi, dont elle eut deux
lils , l'un mort en bas âge, l'autre connu plus tard sous le
nom de duc d'Angoulôme. A la mort de Charles IX, Marie
Toucliet continua de vivre à la cour; plus tard, elle épousa
Balzac d'Entragues, gouverneur d'Orléans, dont elle eut
deux filles. Celies-ci, non moins belles que leur mère, s'au-
torisèrent de son exemple pour s'abandonner à de tendres
faiblesses. L'une fut la maîtresse de Henri IV, qui la créa
marquise de Verneuil ; l'autre vécut longtemps en concu-
binage avec Bassompierre. Marie Touchet mourut vers
1020.
TOUGOURT ou TUGGURT , ville d'Algérie , située à
environ 900 kilomètres au sud-est de Biscarah, à l'extré-
mité de la province de Constantine, sur la lisière du Sa-
hara, bâtie au milieu d'une plaine, et contenant de cinq à
six cents maisons. La population, forte de 10 à 12,000
âmes, est de sang mêlé. On n'y trouve qu'une soixantaine
de familles blanches, dont, selon la tradition, les ancêtres
étaient juifs. Elles sont maintenant musulmanes. La famille
qui jusqu'en 1834 régna à Tougourt était également de
couleur blanche ; fait qui s'explique par son origine arabe.
Tougourt est entourée d'un mur d'enceinte en maçonnerie
et d'un fossé plein d'eau, de 15 mètres de largeur sur
2 de profondeur, que les sources du jardin de la ville
alimentent constamment. La ville a deux portes, l'une à
l'est et l'autre à l'ouest, toutes deux garnies en fer et s'ou-
vrant en face d'un pont-Ievis jeté sur le fossé de défense et
qu'on relève à volonté. La ville entière est, du reste, assez
mal bâtie. Les maisons du peuple sont basses et construites
en briques, de sable et de terre ; celles des riches sont éga-
lement en briques, mais en briques faites d'une piètre
crayeuse qu'on trouve dans la plaine , et qui , cuites avec
du plâtre dont les carrières sont aux environs de la ville,
offrent une assez boone résistance. Les jardins dont Tou-
gourt est entourée s'étendent sur un sol abondamment ar-
rosé, presque marécageux, et sont d'une fertilité remar-
quable; mais cette cause même de l'active végétation, qui
fait !a richesse de la ville , y développe à certaines époques
de l'année , au milieu du printemps, au milieu de l'été et au
commencement de l'automne , des fièvres très-dangereuses
pour les indigènes et mortelles pour les étrangers. Tout le
pays , de Biscarah à Tougourt , est alors si malsain , que
peu de voyageurs osent s'y hasarder. Les habitautsde Tou-
gourt, comme les Rouaghras, sont jardiniers plutôt qu'a-
griculteurs : les terres labourables leur manquent; ils ne
récoltent donc que très-peu de céréales. Leurs vergers sonf
plantés de figuiers, de grenadiers, d abricotiers, de pêchers
et surtout de dattiers. On y cultive la garance en telle quan-
tité qu'il n'est pas rare de voir un seul individu en récolter
cent charges de mule*. On y cultive encore des melons,
des citrouilles, des concombres, des oignons, de l'ail, des
choux , des navets, du poivre rouge, du millet, du blé de
Turquie , du coton et une plante qui s'appelle tékérouri ;
c'est le hachisch. Tougourt et sa circonscription obéis-
saient jusqu'en 1854 à un chef qui prenait le titre de chéick
et que les Arabes appelaient généralement le sultan. Il
gouvernail avec l'aide d'un djemâa, ou conseil, présidé par
son kalifah. Le pouvoir était héréditaire. Le sultan de Tou-
gourt jouissait de tous les privilèges de l'absolutisme le pins
complet : il demeurait dans la casbah, espèce de château
fort attenant aux murailles de la ville. Pour arriver jusqu'à
la cour intérieure de ce que nous appellerons son palais ,
il fallait franchir des portes , à chacune desquelles veillaient
deux nègres armés. Les haines entre les membres de la
famille régnante, et par suite les révolutions de palais,
étaient fréquentes à Tougourt. On se ferait difficilement une
idée de l'anarchie qui en pareille circonstance déchirait
la ville, si nous ne la retrouvions pas dans l'histoire des
villes musulmanes de l'Asie et dans celle de Constantinople.
Ce sont alors des massacres sans fin, jusqu'à ce que le
parti vainqueur ait imposé son sultan et s'en soit remis aux
bourreaux pour assurer sa victoire : les moyens sont tou-
jours affreusement extrêmes : les traîtres, c'est-à-dire les
vaincus, sont écorchés , crucifiés, ou, par grâce, pendus.
Les beys de Constantine n'ayant qu'une.action très-indirecte
sur un point aussi éloigné, les contributions que leur payaient
les sultans de Tougourt n'ont jamais été bien régulières;
elles variaient selon que le vassal redoutait plus ou moins
son suzerain. Toutes les tribus du désert de Sahara vien-
nent s'approvisionner à Tougourt, par achat ou par échange,
de fusils, de pistolets, de sabres, de châchyas (calottes
rouges), de mouchoirs, débourses, de quincaillerie, de
verroterie, de lin, de calicot, d'indiennes, de papier, de
miroirs, de coutellerie, de cardes pour la laine, de len-
tilles, de blé, d'huile en quantité, d'épiceries, de sucre,
de café, dont les riches usent seuls, de pipes, d'écritojres , de
soie, de bijoux de femme, de sellerie, d'étriers, etc., tout
cela venant de Tunis ; de tabac venant de Souf , de hachisch,
de chaussures et de dattes en quantité incalculable. Dès 1846
le sultan de Tougourt s'était reconnu notre vassal comme
il l'était jadis des beys de Constantine. Vers la fin de l'année
1854 , dans les derniers jours de novembre, le gouverneur
général de l'Algérie ordonnait l'occupation de Tougourt.
Depuis la prise de Laghouat et l'occupation d'Ouaryla , cette
place était devenue le dernier boulevard de la résistance
opiniâtre que les agitateurs de ces contrées organisaient
contre notre domination ; elle servait d'entrepôt au com-
merce , pour ainsi dire interlope , qui se faisait soit avec
l'intérieur de l'Afrique, soit avec la régence de Tunis ou
l'empire de Maroc. L'occupation de Tougourt devenait des
lors indispensable. Le 5 décembre, à la suite de plusieurs
brillants combats, le colonel Devaux entrait dans cette place,
que le sultan avait abandonnée dès le 2. La prise de posses-
sion de cette place par nos troupes complétait la conquête
du Sahara.
TOUGRA. Voyez Hattichérif.
TOULA, gouvernement de la Russie d'Europe, d'une
superficie de 380 myriam. carrés, avec 1,230,000 habitants,
faisait autrefois partie du gouvernement de Moscou, et ne
fut constitué en gouvernement particulier qu'en 1777. Le
sol en est médiocrement fertile; mais l'industrie des habi-
tants sait si bien en tirer parti, que le gouvernement de
Toula est considéré aujourd'hui comme l'un des plus riches
de l'empire en grains. On y récolteaussi beaucoup de chanvre.
On y trouve d'excellents pâturages; mais le bois y manque,
et les forêts qu'on y rencontre suffisent à peine à ses nom-
breuses fabriques et usines. Le gibier, notamment le gibier
à plumes, y est fort abondant. Il en est de même du poisson,
qu'on trouve en quantités énormes dans les eaux du lac
Iwanof, où le Don prend sa source, dans celles (Ju Don, de
roka et de l'Oupa. Le règne minérarfournit également d'a-
bondants produits ; on y trouve de l'argile, de la chaux , du
plâtre, beaucoup de 1er, etc.; aussi l'industrie minière y
est-elle beaucoup plus florissante encore que l'industrie agri-
TOULA — TOULON
C2S
eole. On vante la richesse des mines de fer voisines du clief-
lieu, qui non-seulement alimentent les nombreux liants
fourneaux de la province , mais qui fournissent encore la
plus grande partie de leurs matières premières aux gou-
vernements industriels limitrophes , notamment à celui de
Kalouga.
La ville la plus industrieusede ce gouvernement est Toula,
son chef-lieu, sur l'Oupa, avec 35,000 habitants', siège
d'évêché, résidence du gouverneur civil et militaire, et où
l'on trouve trente églises et couvents, une école militaire,
huit autres établissements d'instruction publique, un musée
industriel , un théâtre , etc. C'est aussi l'une des plus grandes
et des plus belles villes de tout l'empire. On y compte
soixante-cinq grandes manufactures. La plus importante de
toutes est la manufacture d'armes, fondée en 1712 par Pierre
le Grand. Elle occupe six mille ouvriers (ce qui avec leurs
familles donne un chiffre de 20,000 individus). Les objets de
fer et d'acier connus sous le nom d'articles de Toula , tels
que tabatières de Toula, etc., proviennent des nombreuses
manufactures situées soit dans la ville, soit dans le gouver-
nement, et jouissent d'un grand renom même à l'étranger.
En fait d'autres usines , nous mentionnerons des fonderies
de suif, des fabriques de savon et de bougies. Des prison-
niers de guerre internés dans ce gouvernement à la suite
des événements de 1812 y établirent aussi d'importantes
fabriques de couleurs, de parfumeries , d'articles de modes,
de meubles et d'étoffes de laine. Des prisonniers hollandais
y donnèrent à la même époque de grands développements à
l'industrie horticole. On recherche d'une manière toute par-
ticulière, à Saint-Pétersbourg et à Moscou, les rossignols
de Toula. On les prend dans les forêts qui avoisinent le
chef-lieu , et on les vend souvent à des prix fort élevés.
TOUL, ville de France, chef-lieu d'arrondissement du
déparlement de la Meurtiie, à 310 kilomètres au nord-est
de Paris, située dans une plaine fertile, supérieurement cul-
tivée et environnée de côtes plantées de vignes. La Moselle ,
qui n'est pas encore navigable sur ce point, coule au pied
des remparts de ïoul, entourée de fortifications construites
sous le règne de Louis XIV. Toul possède un tribunal de pre-
mière instance, un collège; on y compte 6,659 habitants. C'est
une station du chemin de fer de Paris à Strasbourg , et une
place de guerre de troisième classe, avec de belles casernes,
un magasin de poudre, une manutention des vivres, une jolie
place plantée d'arbres. En 1814 elle fut prise par l'ennemi;
plus heureuse en 1815, Toul soutint un blocus rigoureux, et
les étrangers n'y pénétrèrent point. Les seuls édifices remar-
quables sont : la cathédrale , très-beau monument gothique
du quinzième siècle, l'évêché renfermant aujourd'hui la
sous-préfecture et la mairie. Près de cette ville il existe une
importante manufacture de faïence, et à Toul même des
distilleries d'eau-de-vie , des fabriques de coton , des ateliers
de broderies en fil de coton, et des imprimeries qui versent
leurs produits au dehors.
Toul est une des plus anciennes villes de France. Lors de
l'invasion des Gaules par les Piomains elle était connue sous
le nom de Tulla Leucorum. Elle fit partie de l'empire
frank jusqije vers l'an 921 , sous Charles III, dit le Simple,
qui la céda à l'empereur d'Allemagne, Henri l'Oiseleur.
Celui-ci lui accorda les privilèges de ville impériale. Elle en
jouit jusqu'en 1552, époque à laquelle elle se mit sous la
protection de Henri II, roi de France, qui la réunit à ses
États. Elle fut confirmée dans la nationalité française par le
traité de Westphalie. Toul a tu une grande importance .<ous
les rapports ecclésiastiques. Elle fut le siège d'un antique
évêché suffragant de Trêves. Le premier titulaire en fut
samt Mansuet, dont les successeurs prenaient le titre de
comtes de Toul, princes du Saint-Empire. Cet évêché fut
pendant longtemps le plus étendu qu'il y eût en France,
quand, en 1777 et 1778, il fut démembre pour former les
évêchés de Toul, Nancy et Saint-Dizier.
TOULLIER (Charles-Bonavemxt.e-Makie), célèbre
juiifeconsullc, naquit à Dol, enBretagne, dans l'année 1752. Il
se livra avec passion à l'étude de la jurisprudence; et il n'a-
vait pas encore atteint sa vingt-septième année qu'il était
agrégea la faculté de droit de Rennes. Il passa ensuite quel-
ques années aux universités d'Oxford et de Cambridge pour
étudier la législation de l'Angleterre ; de retour en France
sous la république, il fut nommé administrateur de district
et juge au tribunal d'Ille-et-Vilaine. 11 embrassa ensuite la
profession d'avocat. Lors de la réorganisation des écoles, en
1803, il lut nommé professeur de droit civil à Rennes, et
devint peu après doyen de la faculté. En 1815 la Restauration
lui enleva ce titre honorifique, qui lui fut rendu depuis. Toui-
ller commença dès 1811 la publication d'un grand ouvrage
qui résumait ses cours : Le Droit civil français suivant
l'ordre du Code, ouvrage qu'il n'eut malheureusement pas
le temps.de terminer, et qui a été achevé par M. J.-B. Du-
vergier. Ce traité est le meilleur commentaire qui ait été
fait sur le Code Civil; il a mérité à son auteur le nom de
Pothïcr moderne. Touiller mourut en 1835.
TOULON, ville de France, chef-lieu d'arrondissement
du département du Var, sur la Méditerranée, à 60 kilomètres
au sud-est de Marseille , à 860 kilomètres au sud-est de
Paris. Située au fond d'un grand golfe, elle s'élève gracieu-
sement en amphithéâtre du côté du nord , où ses remparts
s'étendent jusqu'au pied d'une chaîne de hautes montagnes
courant de l'est à l'ouest, et dont les masses, aujourd'hui
arides et pelées, étaient autrefois ombragées de belles et ma-
gnifiques forêts.
L'origine de Toulon est incertaine; mais c'est une ville
très-ancienne. Plusieurs fois détruite et plusieurs fois réé-
difiée, l'on suppute qu'elle a été ruinée et rebâtie jusqu'à sept
fois avant J.-C, et neuf fois depuis le commencement du
deuxième siècle jusqu'à l'année 1225. A chaque rétablisse-
ment de la ville il y avait un changement dans la position.
Les habitants cherchaient sans cesse un lieu où ils fussent
mieux garantis. Ils choisirent enfin les marais qui s'éten-
daient au fond du golfe vers le nord-esl ; c'est l'endroit où
existe le vieux quartier de la ville actuelle. Là , au moyen de
pilotis et d'Ilots naturels, ils s'établirent au milieu de ces
marécages. La ville de Toulon fut une des premières en Pro-
vence à embrasser la foi chrétienne. Dès le cinquième siè-
cle elle est gouvernée spirituellement par l'évêque Honoré,
qui souscrivit la lettre synodique adressée à saint Léon en
451 par les évêques des Gaules. Trente ans plus tard, saint
Gratien y subit courageusement le martyre.
Le voisinage des Sarrasins tenait sans cesse ses habitants
dans les transes. Dans une descente qu'ils firent au dixième
siècle, Toulon fut complètement ruiné. En 1178 et en 1196,
il éprouva le même sort, et les habitants qui échappèrent au
massacre subirent l'esclavage. Malgré ses désastres , la cité
serepeupla, mais lentement. Toulon connut aussi la peste.
Jusqu'en 1721 il éprouva neuf fois les envahissemenls de
ce terrible fléau. La protection des princes de la première et
de la seconde maison d'Anjou fut très-favorable à ses dé-
veloppements. Sous les rois de France, son commerce eut
plus d'extension. Louis XII y fit commencer à l'embouchure
du goulet, sur la rive nord, une grosse tour, que Fran-
çois 1*' acheva. Une forteresse fut construite aussi dans l'Ile
de PorqueyroUe, afin d'éloigner les pirates, qui contra-
riaient le commerce. D'autres fortifications s'élevèrent vers
le même temps, soit aux alentours de la ville, soit sur le
rivage. En peu d'années Toulon acquit tant d'importance,
qu'André Doria , général delà flotte de Charles Quint,
considérait la possession de cette place comme l'avantage
le plus signalé que l'empereur eût pu retirer de son expédition
contre la Provence. Toutefois , l'augmentation de population
et les fortifications de Toulon datent surtout de Henri IV. Ce
prince, en 1594 , en agrandit l'enceinte, fit élever les cour-
tines des bastions Sainte-Catherine et Saint-Vincent, celles
de> portes , et les murailles de la Darse-Vieille. Louis XIV
vint ensuite , qui lui donna encore plus d'extension, il fit
reculer les murs de l'arsenal, érigea plusieurs édifices, et
ne négligea rien pour son embellissement. C'est scus son
624
TOULO?î — TOULOUSE
règne que l'on ajouta à la ville un nouveau quartier, élégant
et bien construit. Avant la révolution de 1789 Toulon était
une ville épiscopale. Sa position en a fait le chef-lieu d'une
préfecture maritime. L'arsenal qu'elle possède est peut-être
le plus beau de France. On évalue «a surface à 353, 141 mètres
carrés. Près de 4,000 ouvriers y sont occupés journellement,
Un certain nombre degalériens participent aussi aux travaux.
Entretoutesles choses dignes de remarque dans l'arsenal , la
corderie, la voilerie.la salle d'armes, le magasin général,
le musée et le bassin construit par l'ingénieur Grognard, pour
le radoub des vaisseaux , méritent particulièrement l'atten-
tion. Sa corderie , ouvrage du célèbre Vauban , n'a pas
moins de 373 mètres 33 cent, de long sur 21 mètres 33 cen-
timètres environ de large. Elle est surmontée d'un étage,
où l'on prépare le chanvre et les filasses qui servent aux
câbles que l'on fabrique au rez-de-chaussée.
Deux sièges mémorables ont différemment illustré la
ville de Toulon : le premier, entrepris en 1707 par le duc de
Savoie , qui y perdit i4,000 hommes en vingt-six jours sans
pouvoir la réduire, et le second entrepris par les armées de la
république en 1793, où Bonapartecommença ses premières
armes. Les fortifications de la ville reçurent de ces deux
circonstances de notables améliorations. Depuis la conquête
de l'Algérie, elles ont été encore augmentées. Toulon est
devenu le point central des communications avec l'Afrique.
C'est de là que partent les troupes et les passagers pour
notre nouvelle colonie. Aussi la rade et le port sont-ils tou-
jours encombrés de bâtiments et de pavillons de toutes les
nations. Celte aflluence d'étrangers a produit une augmen-
tation de population considérable. Afin de pouvoir loger les
habitants, qui se multiplient tous les jours, on est obligé
d'exhausser les maisons et de bâtir des faubourgs. Deux
centres de population, déjà d'une certaine étendue , ont été
construits, l'un sur la route de La Valette, l'autre sur la
route d'Ollioulles. Le premier, fort bien bâti , s'agrandit in-
cessament ; le second , appelé Navarin , sale, mal construit,
composé de misérables cahutes , sert de refuge aux Génois
et aux pauvres ouvriers que la cherté des loyers a chassés
de la ville. Entouré d'un double rempart et d'un fossé large
et profond, défendu à l'est, au nord et à l'ouest par des
montagnes et des collines couvertes de redoutes, Toulon se
trouve garanti au sud par la mer, où s'étend majestueuse-
ment devant son port, de l'est à l'ouest, une des plus belles
et des plus sûres rades du monde. Parmi les fortifications
modernes, qui rendent son entrée infranchissable, la cita-
delle de La Malgue est la plus remarquable, et par la solidité
de sa construction , et par son étendue. C'est sur les col-
lines qui entourent la citadelle que des vignes délicieuses
produisent le meilleur vin de toute la Provence , connu sous
le nom de vin de La Malgue. Sur la presqu'île de Saint-
Mandrier, qui forme avec le golfe de la Seyne un des côtés
de la rade, on voit la croix des Signaux, le tombeau du
général Lalouche, un magnifique hôpital maritime, et un
peu plus loin, du côté de la Seyne , le lazaret. Parmi les
améliorations et les agrandissements de Toulon , nous ne
devons pas oublier les constructions qui ont réuni récemment
la ville au fort La Malgue, ni le rempart solide qui enceint le
vaste arsenal du Moiirillon . Toa\on ne possède ni antiquités
ni monuments extraordinaires. Cependant, on peut y re-
marquer l'hôpital de la marine, le Champ de bataille , belle
place carrée entourée d'un double rang de grands arbres ,
où se trouve l'hôtel de la préfecture maritime , et vis-à-vis,
une magnifique façade formant autrefois un seul corps de
bâtiment occupé par les jésuites. L'hôtel deville offre .sous
son balcon deux cariatides colossales de Puget. Des rues,
dont plusieurs sont bien percées , larges et aérées , un cours
planté d'arbres et faisant suiteà une superbe rue bordée de
vigoureux platanes qui garantissent les passants des rayons
du soleil, des places pittoresques, un port animé, des fon-
taines nombreuses, qui coulent jour et nuit dans des bassins
spacieux et distribuent dans tous les quartiers une eau
claire et courante, font de Toulon un séjour agréable et sain.
La ville possède plusieurs églises : la plus curieuse et la plus
ancienne est la calliédrale. La population est de 47,075 ha-
bitants. Placée entre l'Italie et l'Espagne, voisine de la
Corse, séparée seulement d'Alger par une distance d'environ
800 kilom., la ville de Toulon est l'arsenal et la forteresse de
la Méditerranée. Louis de Toijureil.
TOULOUIVIDES, nom d'une dynastie arabe qui régna
à Damas , en Syrie , au neuvième siècle.
TOULOUSE, ville de France, chef-lieu du départe-
ment de la Haute-G aronne. Toulouse existait déjà avant
l'époque de Bellovèseet Sigovèse, cinq cent quatre-vingt-onze
ans avant l'ère chrétienne. Les Volkes Tectosages, habitants
de Tolosa, prirent part aux expéditions militaires des deux
chefs, s'établirent en Germanie et en Pannonie, où César
constate leur existence cinq siècles plus tard , passèrent en
Grèce, puis en Asie Mineure, où ils fondèrent un nouvel État,
la Galatie. Quand l'invasion des Cimb'res jeta l'épouvante
dans les Gaules, Tolosa appela à son secours une garnison
romaine; mais un parti sympathisait avec les barbares,
et leur ouvrit les portes de la ville. Le consul Quintus Ser-
vilius Cépion vengea Piome en livrant la perfidecitéau pillage.
Quelque temps après les Toulousains ayant pris les armes
contre Marins furent vaincus , et la ville fut réunie à la
province romaine, ou à la Narbonnaise. Sous les empereurs
Tolosa reçut le titre de Palladienne, que répètent en son
honneur les poètes latins , parce que la culture des lettres
et des arts y était en honneur. Au commencement du cin-
quième siècle, elle fut préservée delà fureur des Vandales par
saint Exupère. Elle avait dès le troisième siècle embrassé
la religion catholique, qui lui avait été apportée parsaintSatur-
nin, son premierévêque, lequel y scella de son sang les vérités
évangéliques. Tolosa devint la capitale du royaume des Vi-
sigoths. Après la bataille de Vougléelle reconnut la loi de
Clovis : elle devint ensuite la propriété de Contran, roi de
Bourgogne, puis passa à Childebert, roi d'Austrasie, et de lui
à Thierry , roi de Bourgogne, son fils. Dagobert, forcé de
reconnaître les droits de Charibert , son frère , lui céda
cette ville et presque toutes les provinces situées au midi de
la Loire. Tolosa devint alors, pour la seconde fois depuis
la chute de l'empire d'Occident, capitale d'un royaume puis-
sant , mais éphémère, auquel succéda la domination de ducs
qu'on a longtemps crus issus de ce prince, sur la foi d'un
document faux. Les Sarrasins, commandés par l'émir El-
Samah, vinrent faire le siège de Toulouse, en l'an 721. Le
duc Eudes, accourant au secours de sa capitale, attaqua
les Sarrasins , les vainquit et tua l'émir. 11 défendit aussi
l'indépendance du midi contre Charles Martel et la nouvelle
invasion des Franks de Waifre, et Tolosa se soumit à Pépin
le Bref; l'assassinat du duc termina la lutte. Charlemagne
lui rendit le titre de capitale , en rétablissant pour Louis
le Pieux ou le Débonnaire, son fils, le *oyaume d'Aqui-
taine. Plusieurs rois du sang de Charlemagne se succédèrent
sur ce trône. Ciiarles le Chauve l'assiégea trois fois, et ne
la prit que lors de la dernière attaque. Les Normands vin-
rent ensuite y porter le ravage. Enfin, ses comtes bénifi-
ciaires , ayant, comme tant d'autres gouverneurs, usurpé le
pouvoir souverain , Toidouse, leur capitale, acquit de nou-
veau une haute importance. Mais la gloire et la prospé-
rité de Toulouse disparurent bientôt dans les horreurs d'une
guerre religieuse. Une partie des habitants adopta les opi-
nions des a 1 h i g e o i s , et partagea leur sort. Lorsque Tou-
louse fit retour à la couronne , en 1271 , elle se consola de
n'être plus ca| itale d'un État puissant, en cherchant dans
la culture des sciences et des lettres un titre plus honora-
ble peut-être. Elle voulut reconquérir cette glorieuse épi-
thète de Palladienne, que les Romains lui avaient donnée.
Son université, fondée en 1229, et la seconde de France,
jetait dès le treizième siècle un grand éclat. Ses poètes,
en langue romane, avaient été célèbres pendant la longue
durée de la dynastie de Toulouse; et , bien que proscrits
avec file , ils eurent des successeurs. En 1323 la très-gaie
compagnie des Sept Troubadours de Toulouse', assemblé*
TOULOUSE
ti&
dans !e verger de son consistoire ou palais , au pied d'un
laurier, écrivit, le mardi après la Toussaint, une lettre
circulaire , dans laquelle elle invita tous les poètes à se réu-
nir à elle le premier mai de l'année suivante , promettant
de donner une violette d'or à celui qui présenterait la meil-
leure pièce de vers. En effet, le 1" mai 1324 une foule
d'écrivains se présenta pour disputer cette noble récom-
pense, qui fut décernée à Arnaud Vidal : et les capitouls
ou magistrats municipaux déterminèrent qu'à l'avenir le
prix serait payé aux frais de la ville. En 1356 la gaie
compagnie des Sept Troubadours envoya las leys d^amors
ou la Poétique dans toutes les villes du midi de la France
et de l'Espagne. Rien n'est plus glorieux que cette institu-
tion littéraire , comme rien n'est plus touchant que le style
naïf de ses fondateurs.
On était alors au temps des ravages des Anglais dans le
Languedoc. Toulouse, démantelée, obtint la permission de
relever ses remparts. Ses longs faubourgs, où l'ennemi aurait
pu se loger , furent détruits. Le palais et le verger des trou-
badours furent sacrifiés de même pour le salut commun, et
ceux-ci furent reçus dans l'hôlcl de ville, que les vieilles
chartes nomment le Palais commun. Ce fut dans le siècle
suivant que le parlement de Toulouse, réuni une fois à celui
de Paris , fut fixé dans Toulouse. Ce fut aussi dans le qua-
torzième siècle que l'ancien évêclié de cette ville fut érigé
en archevêché. Toulouse était reconnue solennellement
comme la capitale de la province du Languedoc, et elle
devint encore puissante , non plus cette fois par la force des
armes , mais par de fortes études , par la célébrité de son
parlement, dont le ressort embrassait plus d'un tiers du
royaume, et aussi par ses antiques jeux poétiques, et par
son université, qui au seizième siècle comptait dix mille
étudiants, attirés par la science profonde des professeurs.
Beaucoup d'habitants de cette ville et un grand nombre d'é-
tudiants embrassèrent la religion réformée. Il en résulta des
séditions. Plus tard , la Ligue domina dans Toulouse, et le
premier président Duranti et l'avocat général Daflis, de-
meurés fidèles à Henri III, même après l'assassinat des
princes lorrains, furent eux-mêmes égorgés par quelques
misérables fanatiques. Les discordes entre les royalistes et
les ligueurs continuèrent, et la paix ne fut entièrement
rendue à Toulouse que par l'édit de Folembray, en 1.596.
Alors commença une nouvelle ère de prospérité pour cette
ville; et, malgré les ravages causés dans les campagnes
voisines par les troupes protestantes sorties de Castres et de
Montauban, la culture des lettres, qui n'avait jamais été
abandonnée, reprit un plus grand éclat. Depuis la fin du
quinzième siècle, les luttes poétiques instituées par les
Sept Troubadours avaient reçu une constitution nouvelle.
Une fille noble et riche , qui nous a laissé des vers délicieux,
Clémence Isaure, combla de riches dons la ville de Tou-
louse, pour qu'elle célébrât chaque année les jeux floraux.
La mort cruel le d u duc de Montmorency, et son sang rou-
gissant le Capitule de Toulouse, où il avait déployé toute
la magnificence d'un souverain, attristèrent longtemps la ville,
qui prit ensuite une certaine part aux troubles de la Fronde.
Toulouse paya son tribut à la terreur et aux excès de la ré-
volution. Une insurrection royaliste, qui y éclata en l'an vu,
fut étouffée dans lesang. Pendantce temps la trente-deuxième
demi-brigade, formée de Toulousains, s'illustrait alors sur tous
les champs de bataille de l'Italie et de l'Egypte. L'histoire de
Toulouse s'arrête aux derniersjours de l'empire. Une bataille
sanglante, livrée, le 10 avril 1814, sous les murs de cette ville
{voyez l'article suivant), illustra la valeur française, qui ne
céda qu'au nombre une petite partie des positions qu'elle dé-
fendit avec un courageinvincible. Aujourd'hui, bien que cette
grande cité soit toujours une position militaire importante ,
un centre de résistance d'un haut intérêt, on n'y aperçoit
plus, au premier aspect, rien qui rappelle son histoire mi-
litaire : ses portes pittoresques sont tombées, ses remparts
ont été abattus, sa surface bâtie s'est accrue; mais cepen-
dant son bel arsenal de construction est toujours l'un des
DIOT. DE Li CONVEMt — T. XTl*
plus remarquables de l'empire ; sa poudrerie, sa fonderie,
sont toujours des établissements précieux pour la défense de
l'État, et son école d'artillerie est une source d'instruction
pour les officiers de cette arme. Il y a à Toulouse un lycée,
une faculté des sciences, encore incomplète, une facnlti', de
droit, une école secondaire de médecine et une faculté des
lettres. De quatre bibliothèques publiques que possédait au-
treiois Toulouse, elle n'en a plus que deux, celle dite du
Clergé et celle de la ville. Le Jardin des Plantes, vaste et
beau, a été créé par l'auteur de la Flore des Pyrénées,
Picot de La Peyrouse. Toulouse possède encore un obser-
vatoire, une école vétérinaire, une école des sciences et des
arts, une école pour l'instruction des sourds-muets, plusieurs
associations littéraires et savantes, l'Académie des J eux
floraux, l'Académie des Sciences, inscriptions et belles-
lettres, la Société de Médecine, chirurgie et pharmacie, la
Société d'Agriculture, la Société Archéologique. Tous ces
corps académiques distribuent chaque année des prix, pu-
blient des recueils ou des mémoires, et excitent un mouve-
ment scientifique , littéraire et artistique, qui de Toulouse,
considérée toujours comme la capitale du midi, s'étend
dans la Guienne, le Languedoc et la Provence. La ville pos-
sède un musée de tableaux, qui renferme beaucoup d'ouvrages
des plus grands maîtres , et un musée d'antiquités, qui n'a
été ouvert qu'en 1817. Dans son ouvrage sur la sculpture
ancienne et moderne, M. le comte de Clarac a dit que ce
musée prenait immédiatement rang après celui du
Louvre. Il s'enrichit journellement, par les soins actifs et
par la générosité de la Société archéologique. Placée sous
un beau ciel, sur une terre féconde, au milieu de l'isthme
pyrénéen, en face et à une petite distance des montagnes
qui nous séparent de la péninsule Hispanique, et à une dis-
tance presque égale des deux mers, peuplée par un peuple
actif et spirituel, Toulouse semble appelée à occuper une
place importante parmi les grandes villes de la France. Sa
basilique de Saint-Saturnin est l'un des plus beaux restes de
l'architecture byzantine. Sa population , sans y comprendre
sa garnison et les étudiants venus en grand nombre dans
ses murs, s'élève à plus de 92,0u0 âmes. Le chemin de fer
de Bordeaux à Cette portera prochainement Toulouse au plus
haut point de prospérité commerciale et industrielle ; mais
la ville n'oubliera pas sans doute ses antiques illustrations,
et conservera toujours avec respect dans son vieux Capi-
tule cette inscription , gravée sur l'une de ses portes , et qui
indique l'asile de la justice, des lettres et des arts :
nie Tiiemis dat jura civibus ,
Apollo flores camaenis ,
Minerva palmas artibus.
Cli*'' Alexandre du Mèce.
TOULOUSE (Les comtes de), ancienne familledecomles
souverains, dont l'autorité s'étendait jadis sur la contrée et
la ville du même nom. Ils avaient été institués par Charles
le Chauve, en 849, simplement bénéficiaires; mais avec la
révolution féodale ils se transmirent héréditairement, dans
la même famille, le pouvoir souverain pendant quatre cents
années. Leur puissance n'était guère inoins grande que celle
des rois, et la valeur, la piété, les talents, les distinguèrent
durant cette longue période. L'un d'entre eux, Raimondde
Saint-Gilles, se rendit célèbre dans la première croisade; et
l'histoire prouve qu'il refusa la couronne de Jérusalem, que
lui offraient ses compagnons, après la délivrance du saint
tombeau. Bertrand , son premier fils , fonda la dynastie des
comtes de Tripoli de Syrie. Le frère de ce dernier, ^Z/o?Jse
Jourdain, continua dans Toulouse la postérité des comtes.
Il eut pour successeur/îaimonrf V, qui fut, dit un historien ,
supérieur à tous les comtes , et l'égal des plus puissants rois.
Les hérésies desvaiidois, des henriciens et des albigeois, qui
commencèrent sous son règne, se développèrent violemment
sous Raiviond VI, sou fils et son successeur. Il n'embrassa
point les dogmes de ces sectaires , mais il leur accorda une
grande libellé. Des croisades auxquelles il dut prendre part
40
626
TOULOUSE — TOUR
d'aboril , et qui ilr.ns la suite le forcèrent à aller cl>ercher
au loin le lepos, ravagèrent le Languedoc et le Conituinges,
Le redoutable Monil'ort usurpa le trône comtal, et ce ne fut
qu'à la mort de ce ciief des croisés que Raimond recouvra
ses vastes domaines. Mais l'Église, qui l'avait exliérédé, ne
lui accorda point le pardon; il ne reçut point les honneurs
de la sépulture, et l'on montrait encore à Toulouse il y a
cinquante ans ses ossements épars frappés par l'anatlième.
En vain son fils, Raimond Vil, voulut, par des alliances
avec l'étranger, se soustraire à la suzeraineté des rois de
France; il dut subir le joug que la politique de Blanche de
Castille voulait lui imposer, et vivant, jeune encore, il
dut céder, en quelque sorte, ses États à son gendre, Alfonse,
frère de Louis JX. A la mort de celui-ci , le roi Philippe 111
réunit alors dolinitiveraent le comté de Toulouse à la cou-
ronne (Consultez CdiM, Histoire des Comtes de Toulouse
[Toulouse, 1623]).
Louis-Alexandre de Bourbon, fils naturel de Louis XïV
et de M""* de Montespan, naquit le 6 juin 1678, et reçut
le titre à& comte de Toulouse. Dès l'âge de cinq ans il fut
créé amiral. Eu 1C90 il accompagna le roi son père dans
sa campagne de Flandre , et fit preuve de courage à diverses
reprises. Lorsque éclata la guerre de la succession d'Espagne,
il commanda une escadre pendant plusieurs années. En 1704
il sortit du port de Toulon avec une flotte de quarante voiles,
«t alla à la rencontre de l'amiral anglais Rooke, qu'il atteignit
à la hauteur de Malaga , et à qui il livra, le 24 août , une
bataille sanglante, à la suite de laquelle les deux adversaires
s'attribuèrent réciproquement la victoire. Après cette action
d'éclat, le comte de Toulouse se renferma dans la vie privée
et dans la cullure des sciences et des lettres. Peu de temps
avant sa mort, Louis XIV le légitima, lui et son frère, le
duc du Maine, et les déclara aptes à succéder à la couronne.
Quand le testament du roi eut été cassé par le parlement,
le comte de Toulouse, qui d'ailleurs était demeuré étranger
à toute intrigue , conserva seul son rang exceptionnel sa vie
<Jurant. En 1723 le comte de Toulouse épousa la veuve du
marquis deGondrin, Marie-Sophie-Victoire de Noailles, de
laquelle il eut le duc de Penthièvre. Après la mort du
cardinal Fleury, Louis XV le prit pour premier ministre;
mais le comte de Toulouse ne possédait point la capacité né-
cessaire pour une semblable position. H mourut à Ram-
bouillet, le 1" décembre 1737,
TOULOUSE (Bataille de). Lorsque le maréchal S o u 1 1
fut forcé (le se replier devant Wellington en 1814, il se di-
rigea sur Toulouse, dans l'espoir d'y être rejoint par le ma-
réchal Suchet. 11 mit cette ville à l'abri d'un coup de main
en faisant entourer les faubourgs d'ouvrages de campagne,
appuyés sur deux fortes redoutes et défendus par un camp
retranché. L'ennemi parut dans la journée du 6 avril; le 10 à
sept heures du matin, le combat s'engagea sur toute la
ligne. Vingt mille Français résistèrent toute une journée à
cent mille Anglo-Espagnols; le soir une des cinq redoutes
qui bordaient le front de la ligne était seule au pouvoir de
Wellington ; mais notre droite avait été tournée; le maréchal
Soult profita de la nuit pour se retirer sur Castelnaudary.
TOUXGUSES. V'02/es ToNCousES.
TOUPIE (Malacologie). Ce nom a été donné par
Adanson à des mollusques du genre turbo de Linné, que
Férussac a rangés depuis dans le genre littorine. Il est aussi
quelquefois employé comme synonyme de troque (en
latin trochvs, toupie).
TOUR (Architecture et fortification [du latin
iurris^^) , sorte de bâtiment élevé, rond ou carré, dont on
fortifia dès l'antiquité la plus reculée les murailles des villes,
des châteaux. La nécessité de protéger les longues lignes de
murailles porta à construire à leurs angles des parties sail-
lantes , rondes ou carrées , reliées aux murailles ou bien qui
en étaient détachées. Les vieux manoirs de la féodalité
étaient aussi flanqués de tours , qui en faisaient l'ornement
et dont la principale utilité était peut-être de découvrir au
loin la coatrée environnante. Les parties basses de ces cons-
tructions servaient de prisons ou de magasins. Au moyen
âge les tours isolées, espèces de blockhaus . comme par
exemple les martellos, étaient fort en usage pour la défense
d'un défilé ou d'une position de ce genre, où elles servaient
tout à la fois de point de défense et d'observation. De nos
jours on a beaucoup vanté l'utilité des tours à la Monta-
lembert. Successivement modifiées, puis remplacées par
les tours maximiliennes, elles constituent aujour-
d'hui un système particulier de défense.
Autrefois on se servait aussi de tours pour l'attaque des
places ; il en est fait menlion dans les guerres des Espagnols
contre les Maures, et même dans les guerres des Romains.
Elles avaient cela d'utile qu'elles permettaient de dominer
les remparts ennemis, de voir ce qui s'y passait, et en même
temps de protéger les assaillants. On les construisait alors
en bois ; c'est ce qu'on appelait des chats.
Lorsque la victoire du christianisme fut complète et qu'il
couvrit l'Europe de ses églises, les tours, symboles de
l'aspiration de l'âme vers les cieox, devinrent un des or-
nements de ces édifices , et on y plaça les cloches dont
le tintement devait appeler les fidèles à la prière. Plus une
église était grande et magnifique, et plus on déployait de
luxe et d'efforts pour la construction de sa tour, qu'il s'a-
gissait d'élever à la plus grande hauteur possible et en
même temps d'orner avec une richesse architectonique
extrême. La tour ancienne la plus haute qu'on connaisse
est celle de la cathédrale de Strasbourg (142 mètres);
viennent ensuite la tour Saint-Étienne , à Vienne (136 m,
33 c. ) , la coupole de Saint-Pierre de Rome ( 137 m. 33 c, ) ;
la tour Saint-Martin à Landshut ( 125 m,); la tour de la
calhcdrale, à Fribourg (120 m.); celle de Magdebourg
( 110 m.), etc. Il faut encore citer, moins pour leur éléva-
tion que pour l'extrême richesse de leur ornementation,
généralement dans le goût du moyen âge, les tours de Co-
logne , de Ratisbonne, de iNuremberg , de Passau , de Mu-
nich, de Magdebourg, d'Amsterdam, d'Anvers, de Bruxelles,
de Venise , de Milan, etc.
TOUR (Mécanique). Voyez Trevil.
TOUR ( Technologie ) , machine-outil employée dans
un grand nombre d'arts manuels et dont l'invention re-
monte à une haute antiquité. C'est un des instruments de
travail que les hommes aient perfectionnés de meilleure
heure. Les grands tours, dont la matière principale est le
bois , et dont on se sert pour de gros ouvrages , sont mus à
l'aide d'une roue tournée par un ou deux hommes. Si les
ouvrages sont plus délicats , on se contente d'une machine
que le pied de l'ouvrier fait tourner. Les tours en fer sont
beaucoup plus petits. Les trois principales espèces de tours
que l'on emploie aujourd'hui sont : le tour en pointe, le
tour en l'air et le tour vertical.
Le premier des trois , le plus simple et aussi le plus an-
cien , se compose d'un établi qu'on appelle banc, consistant
en deux barres ou jumelles de bois carrées, que suppor-
tent deux pieds en arcs-boutants. Entre les jumelles est
ménagé un espacement dont la grandeur varie suivant celle
du tour qu'il est destiné à recevoir. Ce sont deux billes de
bois carrées, dites poupées, terminées par deux pointes
en fer. L'objet qu'on se propose de tourner, suspendu entre
ces deux pointes, tourne sur lui-même avec une grande
rapidité. Le tourneur applique contre cet objet un outil
tranchant , dont la forme varie , et qui lui enlève en copeaux
les parties qu'il touche. Le mouvement de rotation est com-
muniqué par le tourneur à l'aide d'une courroie qu'il met
en jeu du pied droit au moyen d'une pédale qui se relève
après la pression que le pied lui a fait subir.
Le tour en l'air, appelé aussi tour à bidet , a cet avan-
tage sur celui que nous venons de décrire sommairement
qu'il permet de donner plus de fini au travail, parcequ'à l'aide
du support à chaise consistant en trois parties bien dis-
tinctes, la semelle, la chaise et la calef il peut recevoir
toutes les positions nécessaires.
Le tour vertical est employé pour agir sur tes matières
TOUR — TOUR A PORTRAIT
627
qui offrent peu de résistance , comme la pâte ou la terre
humectée, pour poteries fines ou grossières. Il a pour prin-
cipe une roue mue par ie pied de l'ouvrier, qui de sa main
présenta l'objet à travailler à l'action de la roue. Les tail-
leurs de verres et de cristaux emploient un outil construit
d'après le même système.
Les mécaniciens modernes , ayant à construire avec la
plus grande précision des machines puissantes , ont in-
venté divers appareils pour donner promptement aux pièces
qui entrent dans la composition de ces machines toute la
régularité possible. Du nombre de ces appareils est le tour
dit cylindrique. Il ne diffère pas du reste extraordinaire-
ment du tour à pointes. Son banc se compose de deux ju-
melles ordinairement en fonte de fer, parfaitement dressées,
sur lesquelles coule un chariot (porte-outil), comme dans
une coulisse. La ligne que parcourt l'oulil en allant d'une
pointe du tour à l'autre est, autant que possible, parallèle
à l'axe du cylindre ébauché, qui.tourne ces pointes , et qu'il
s'agit de rectifier. Une vis , une crémaillère , mise en mou-
vement par un système d'engrenages , fait aller et venir le
chariot ainsi que l'oulil. On fait avancer celui-ci d'une cer-
taine quantité , quand il a parcouru toute la longueur du
cylindre , afin d'enlever une nouvelle couche de matière.
Ce qui fait la grande différence existant entre le tour et
les autres machines-outils, c'est qu'au lieu de se mouvoir
pour travailler la matière, c'est elle au contraire qui se meut
sur le tranchant ou la pointe qui lui est opposée. A l'aide
du tour, les bois les plus durs et sur lesquels le fer et l'acier
trouvent à peine prise , comme le buis , le gayac , l'érable ,
se dégrossissent, s'arrondissent, s'ornent de filets, de gorges,
de cannelures , et deviennent sous le ciseau du tourneur
boîte, balustre, support, colonne, couvercle, en un mot
tout ce qu'il veut. A l'article Boule nous avons déjà décrit
la manière dont il procède pour tourner une sphère exacte.
Il ne faudrait pas moins d'un volume pour décrire tous les
perfectionnements, toutes les inventions dont l'art du tour-
neur a été l'objet , fous les outils qu'il emploie en outre pour
créer cette (ouïe d'ouvrages délicats connus sous la dé-
nomination générique à'articles de Paris. Tout objet de
forme ronde sortant des mains de l'homme peut en effet
être obtenu à l'aide du tour. Les plus immenses colonnes,
les pièces d'artillerie les plus énormes, les mécanismes
les plus délicats de l'horlogerie, tous les engrenages, toutes
les machines rotatoires se fabriquent à l'aide du tour : et on
est môme parvenu de nos jours à faire ainsi des statues ,
des portraits, des bas-reliefs et jusqu'à des gravures. Phi-
dias , dit-on, employait déjà le tour pour donner au bois et
à l'ivoire les formes qui lui plaisaient. Dans tous les
temps on a vu l'agréable exercice du tour passer des artistes
aux personnages les plus distingués , désennuyer les soli-
taires et amuser les princes mômes. Ale'candre le Grand ,
Artaxerxe et l'empereur Rodolphe II trouvaient beaucoup
de plaisir à tourner; et c'était là aussi une des distraclions
/avorites de Luther.
TOUR (L'Abbé de La), pseudonyme de M""' deCbar-
r i è r e.
TOUR AILLE. Vouez Bière.
TOURAINE, ancienne province de France , qui a
servi à former le département actuel d'Indre-et-Loire.
Elle était bornée au nord par l'Orléanais, à l'est par le
Berry, au midi par le Poitou, à l'ouest par l'Anjou et le
Maine. Sa longueur était de 100 kilomètres, et sa largeur
de 88. On la divisait en deux parties, la haute Touraine et
la basse Touraine , séparées par la Loire , qui traversait la
province dans sa partie centrale. Le Cher, l'Indre et !a
Vienne parcouraient aussi la Touraine méridionale. Il y avait
et il y a peu de contrées en France plus favorisées de la na-
ture sons le rapport de la position, du climat et de la fertilité.
De belles et vastes plaines , des coteaux couverts de vi-
gnobles, des collines revêtues de vastes forêts , de riches
vallées, une multitude de châteaux qui en embellissent les
aspects» un climat d'une douceur et d'une égalité remarqua-
bles, tout justifie le nom de jardin de la France, que lui
avaient donné nos pères. Cette heureuse situation n'a pas
été sans influence sur le moral de la population. Les Tou-
rangeaux sont toujours les Turones imbelles de Tacite , et
cette race douce et tranquille , qui se laisse nonchalamment
aller aux rêveuses inspirations de ses belles campagnes , est
encore telle que l'a dépeinte le Tasse dans la Jérusa-
lem. « Quoique tout couverts d'un acier brillant, dit-il,
ils craignent le travail et la fatigue ; cette contrée molle ,
riante et délicieuse , ne produit que des hommes qui lui res-
semblent...» La Touraine, le pays des Turonii de Ptolé-
mée, fut placée dans la troisième Lyonnaise par Honorius.
De la domination des Romains elle passa sous celle des
Yisigoths, des Franks , et fut gouvernée par des comtes par-
ticuliers , qui, d'amovibles qu'ils étaient d'abord, se rendi-
rent héréditaires à condition de réversibilité à la couronne
à défaut d'hoirs mâles. Geoffroy Martel , comte d'Anjou ,
s'en empara en 1044 , sous prétexte qu'elle avait fait partie
des domaines de .ses prédécesseurs , et la transmit à ses des-
cendants, comtes d'Anjou et rois d'Angleterre. Mais Philippe-
Auguste en pi-it possession en 120î^ , comme des autres fiefs
confisqués sur Jean sans Terre. Jean l" l'érigea en duché-
pairie (1336) en faveur de Philippe, son fils, depuis duc
de Bourgogne. Elle a été ensuite donnée plusieurs fois en
apanage aux fils de France , et réunie enfin à la couronne
après la mort de François duc d'Alençon , frère du roi
Henri III. Sa capitale était To ur s.
Oscar Mac Cartuy.
TOURAN. On appelle ainsi depuis un temps immémo-
rial, et par opposition à l'Iran, toute la grande et plate
contrée située au nord de ce plateau , aussi bien les vastes
plaines de la mer Caspienne et du lac Aral ou celles de
rOxuset du laxarte (ou Djihon [Amou] et Sihon [ Sir] )
qui se jettent dans le lac Aral , que les contrées des mon-
tagnes de l'est. Aujourd'hui encore, dans cette acception,
Tourân est synonyme de Turkcstan; cependant, on réserve
d'ordinaire ce nom à la vaste plaine qui forme la partie occi-
dentale du Turkestan , de même qu'à la steppe des Kirghis
qui , sans en être séparée par aucime barrière natu-
relle, est bornée au nord par la Sibérie , les monts Oural et
le cours de l'Oural, et qui occupe une superficie d'environ
21,700 myriam. carrés. La superficie totale du Tourân se
trouve donc de 44,000 myriam. carrés (c'est-à-dire plus
du tiers de l'Europe ). Toute la vallée du Tourân est un vaste
bassin que les eaux de la mer ont dû couvrir autrefois.
Dans les anciennes traditions persanes le Tourân, opposé
à l'Iran, pays dOrmuzd ou de la lumière, représente le
pays d'Ahriraane ou des Ténèbres , dont les populatious en-
vahissent souvent Iran en y portant le fer et le feu ; de même
qu'aujourd'hui les hordes dévastatrices des Turkomans
continuent à désoler le plateau de la Perse.
TOUR A PORTRAIT, machine au moyen de laquelle
on reproduit avec la plus grande facilité un bas-relief, une
médaille par exemple, soit sur meta! , soit sur ivoire ou sur
toute autre substance convenable. A cet effet, une pointe
émoussée est entraînée successivement, par un mouvement
très-lent et en spirale, sur tous les points du bas-relief
à copier ; un ressort ou un poids la force à pénétrer suc-
cessivement dans toutes les cavités qu'elle rencontre. Une
pointe coupante , adaptée à la môme pièce de la machine ,
est obligée de suivre tous les mouvements de la première;
mais elle peut aussi à volonté reproduire ces mouvements
sur une échelle ou plus grande ou plus petite. La matière à
tailler est placée devant cette pointe coupante , de sorte que
lorsque la pointe émoussée s'enfonce dans une cavité de l'o-
riginal , la pointe coupante creuse la copie de la môme ma-
nière, et quand la pointe émoussée est sur une saillie, la
pointe coupante entame la matière moins profondément. En
réduisant les dimensions de la copie , on réduit d'autant les
défauts de l'original , et la copie d'un grand original à peine
ébauché prend toutes les apparences d'une pièce presque
achevée. Quelques tours à portrait sont disposés de manière
40.
628
TOUR A PORTRAIT — TOUR DE LONDRES
a donner bosse pour creux , et creux pour bosse , de sorle
qu(j par leur moyen une niéclaille peut donner un cachet. En
appliquant la pointe émoussée sur le visage, on pourrait de
même avec cet instrument obtenir une copie sur une matière
appropriJ'e.
TOURBE , TOURBIÈRE. Les eaux stagnantes donnent
naissance à une grande quantité de végétaux herbacés,
d'une texture lâche et spongieuse, qui, s'accumulanl
chaque année au fond des marais, Unissent à la lon-
gue par subir une décomposition particulière , de laquelle
résulte un combustible noir, cliarbonneux , connu sous le
nom de fourbe. Ce dépôt varie selon la nature des végé-
taux qui ont concouru à sa formation et l'époque de son
origine. Très-souvent les plantes et les arbres que l'on y
remarque sont à peine décomposés; mais dans la plu-
part des cas ils ne forment qu'une masse brune , compacte
et homogène, qui se gerce par la dessiccation. La tourbe
se rencontre presque toujours dans le fond des vallées , les
anciens marais et les plaines basses facilement submergées :
les régions du Nord facilitent beaucoup plus sa formation
qtie celles du Midi, probablement parce que la chaleur
hâte beaucoup trop la décomposition des plantes, et que
leur carbone se transforme très-vite en acide carbonique.
On distingue quatre es[ièces principales de tourbes :
l" celle des gazons, pleine de racines non décomposées;
2° ceWe desmarais, dans unétatde décomposition plus avan-
cée; 3" celle dite de poix : celle-ci est noire, offrant encore
quelque indice de plantes; et 4° la tourbe bourbeuse, dans
laquelle on ne reconnaît plus aucune trace de végétal.
La tourbe répand en brûlant une fumée ahondanfe, et
d'une odeur désagréable; afin d'obvier à ces inconvénients,
et pour favoriser son application aux usages domestiques
et industriels , on la transforme en charbon dans de grands
fours en maçonnerie. Lorsqu'elle est réduite aux deux tiers
de son poids par la calcination, elle possède un pouvoir ca-
lorirKjucqui est à celui du bois brut : : 59 : 37 ; si la cal-
cination est poussée jusqu'à réduction de la moitié, le pou-
voir calorifuiue est à peu près doidile de celui du bois; dans
tous les cas , le charbon qui en provient est très-friable et
d'une densité moyenne. Quelques tourbes , celle de la vallée
de la Bar, par exemple , dont les cendres renferment 40
pour 100 de chaux, conviennent parfaitement à la fusion
des minerais de fer.
Dans la vallée de la Somme , la tourbe constitue un dépôt
continu très-éteudu; près d'Abbeville , il a plus de dix
mètres de puissance. Plusieurs départements de la France,
mais plus particulièrement ceux du Nord et du Pas-de-Ca-
lais, renferment des carrières de tourbe; il en existe égale-
ment en Angleterre et en Irlande.
Les tourbières ne peuvent être exploitées que par les pro-
priétaires du sol où elles se trouvent , ou du moins avec
leur consentement. En cela , elles diffèrent des carrières
proprement dites, dont l'exploitation n'estsoumise à aucune
autorisation préalable; il suffit que les carriers se conforment
aux règlements de police. Avant de se livrer à l'extraction
de la tourbe, les propriétaires doivent être nantis d'une au-
torisation ; ils doivent également se conformer aux règle-
ments d'administration publique. Ces dispositions ont fait
assimiler les tourbières aux minières. Tournai..
TOURBILLON, mouvement circulaire que l'eau ou
l'air prennent en certaines circonstances. Un fleuve qui
coule rapidement venant à rencontrer une masse de rochers
qui lui fait faire brusquement un coude éprouve dans cette
sinuosité des remous qui impriment à l'eau un mouvement
de rotation qui se manifeste à la surface. Cet effet a lieu
d'une manière bien plus frappante dans certains parages
maritimes. Le plus fameux tourbillon est celui du Mal-
strom, sur les côtes de la Norvège. On peut encore citer ,
près des îles Feroé, le Slambœmœneh, ceux du golfe de
Bothnie, du détroit de Long-Island, etc. Dans l'antiquité
le tourbillon de Charybdc et de Scylla, dans le détroit de
Sicile, était très redouté des navigateurs. 11 en était de
même du tourbillon de Clialcidie,'dans le détroit d'Europe
qui sépare l'île d'Euhée de la Béotie et de l'Attique. Un
phénomène bien remarquable de ce dernier, c'est le prompt
retour de la marée, qui après les pleines lunes revient de
onze à quatorze fois dans une journée et met l'eau dans une
telle agitation, qu'il en résulte un violent tourbillon qui
engloutit tout ce qui en approche et ne le rejette que long-
temps après.
Les tourbillons de vent sont des mouvements de fer-
mentation qui s'opèrent dans l'atmosphère par la réaction
des fluides gazeux qui s'échappent quelquefois du sein de
la terre, et dont le mélange avec des fluides atmosphériques
produit en grand les mômes effets qu'on remarque dans les
expériences chimiques.
TOURBILLONS (Système des). Voyez Descartes.
TOURCOING ou TURCOING, chef-lieu de canton
du département du Nord, avec près de 30,000 habitants, à
13 kilomètres de Lille, sur le chemin de fer de Lille à Mous-
cron, est le centre d'une importante fabrication d'étoffes de
laine pour pantalons. On y trouve une chambre consulta-
tive des arts et manufactures, un collège communal, un
hôtel de ville, un hospice et un grand nombre de filatures
et de manufactures. Un diplôme de l'an 1146 est le premier
document authentique qui fasse mention de cette ville; ce
qui n'empêche pas Jacques de Guise de nous affirmer gra-
vement qu'elle fut fondée, comme son nom l'indique de
reste , dit-il, par Tai quiu le Superbe et ses fils, après leur ex-
pulsion de Rome.
TOUR D'ADRESSE, TOUR DE FORCE. Par la pre-
mière de ces expressions on désigne généralement ces tours
de prestidigitation et d'escamotage, ces tours de passe-passe,,
de gobelet, de gibecière, qui constituent l'art des Cornus, des
Comte, des Robert Houdin. Ceux-ci ont depuis longtemps
abandonné les vulgaires tours de cartes aux escamoteurs-
qui donnent des exhibitions de leur savoir-faire sur les pla-
ces publiques et dans les foires; quant à eux, c'est le plus
ordinairement avec des expériences de chimie et de phy-
sique qu'ils charment aujourd'hui la foule, parce qu'ils ont
soin de donner à leurs exhibitions l'attrait du merveilleux
et de l'extraordinaire.
Le tour de force est une action qui exige beaucoup de
force; les exercices des bateleurs, sauteurs, danseurs de
corde, lutteurs, etc., constituent d'habitude autant de tours
de force.
TOUR-D'AUVERGNE. VoijezL\ Tour d'Auvergne.
TOUR DE BABEL (La). Voyez Babel.
TOUR DE LONDRES (La), Tower, célèbre forte-
resse située à l'est de la Cité, sur les bords de la Tamise, près
du Londonbridge, est entourée de fossés et d'ouvrages de
toutes espèces, et forme un grand quadrilatère avec une tour
carrée à chaque angle. La tradition en attribue la construc-
tion première aux Romains. Ce qu'il y a de certain , c'est
qu'en l'an 1078 Guillaume le Conquérant construisit sur ce
même emplacement un château fort aujourd'hui encore
en bon état, qui forme la partie la plus ancienne de la cita-
delle, et que l'on nomme la Tour Blanche (W/iite Tower).
Par la suite des temps, on y a successivement ajouté lej di-
verses constructions et les ouvrages de défense maintenant
existants. Guillaume III, entre autres, y fit opérer de nota-
bles agrandissements. La tour de Londres joue un rôle d'une
haute importance dans l'histoire d'Angleterre, et les sou-
venirs qui s'y rattachent sont ordinairement de la nature la
plus sombre. A l'origine elle servait de demeure aux rois;
mais Henri VIII cessa le premier d'en faire son séjour-
Jusqu'à Jacques II , l'usage subsista qu'avant la cérémonie
de leur couronnement les rois se tinssent renfermés à la
Tour, ou tout au moins qu'ils y convoquassent une cour
plénière. De temps iuunémorial, et surtout à partir du règne
de Henri YllI , la citadelle servit de prison d'État pour de
grands personnages ; aussi ces murailles ont-elles été témoins
des plus atroces forfaits. Henri VI, Georges duc de Cla-
rence, Edouard V et son frère Richard, duc d'York, fu-
TOUR DE LONDRES — TOURFAN
629
ronf secrètement ns-assinés dnns la Tour de Lonrlres, Anne
vie Boleyn et Catlierine Howard, les deux femmes de
Henri VIII , furent décapitées devant la cliapelle de la Tour.
Jeanne Grayetune foule d'hommes d'État distingués,
dont les derniers furent, en 1746, les lords Kilmarnock Yal-
merino et Lovât, ne quittèrent les cachots de la Tour que
pour monter sur l'échafaud. Une petite hauteur située au
nord de l'édifice, et désignée sous le nom de Tower-hill,
était le lieu ordinaire d'exécution pour les condamnés po-
litiques. L'entrée principale de la Tourconsiste enunedouhie
porte, située sur le côté ouest de la forteresse, dont les rem-
parts sont garnis de soixante pièces de canon. Cette artil-
lerie sert pour les salves qu'il est d'usage de tirer dans tou-
tes les grandes solennités. Le commandement en chef de la
forteresse est confié à un connétable spécial, et jusqu'en 1852,
le duc de Wellington fut revêtu de ces fonctions. Les prin-
cipaux édifices compris dans l'enceinte sont la vieille tour
ou la Tour Blanche, l'église Saint-Pierre, la vieille chapelle
construite par Edouard P"^, les bâtiments de la direction
générale de l'arlilleiie, les archives de l'État, où l'on con-
serve les documents (recorcfs) les plus importants de l'his-
toire d'Angleterre, les joyaux de la couronne, enfin les ma-
gasins d'armes et la caserne servant à la garnison, composée
xi'infanterie de ligne et de milices. De nombreux employés
et surveillants, de même que le gouverneur, logent aussi
■dans l'intérieur. Le 31 octobre 1841 un formidable incen-
die réduisit en cendres les bâtiments contenant les appro-
visionnements en armes. 280,000 fusils se trouvaient là ad-
mirablement rangés dans deux grandes galeries, de même
qu'un certain nombre de pièces de gros calibre. On ne par-
vint à en sauver qu'une très- faible partie. Une autre galerie,
!a salle cVarmes , contenant de nombreux trophées des vic-
toires remportées sur les différents points du globe par les
armées anglaises , ainsi qu'une remarquable collection d'ar-
mures antiques, ne fut pas davantage respectée par les flam-
mes. Le vi^tcin- français n'apercevait pas là sans émotion
une cinquantaine de cuirasses françaises ramassées sur le
champ de bataille de Waterloo ; mais en remarquant que fou-
tes étaient horriblement criblées de balles, et par devant, de
douces larmes d'admiration venaientinvolonlairement mouil-
ler ses paupières. Les ravages de cet incendie auraient été
bien autrement terribles encore, si on n'était pas parvenu à
préserver des flammes un bâtiment annexe contenant 200 ba-
lils de poudre, les archives et les joyaux de la couronne.
TOUR DE POUCELAINE (La). Cette tour. Tune
des m.erveilles de laChine, construite dans une vaste plaine
voisine de la ville de A' an k in g, est octogone, à neuf étages
voûtés, incrustée de marbre en dedans , et revêtue de por-
celaine en dehors, d'où la dénomination sous laquelle elle
€st célèbre. A chaque étage est une galerie, et tontes sont
couveites de toits verts soutenus par des soliveaux dorés,
d'où pendent de petites cloches de cuivre, qui, agitées par
le vent, rendent un son fort agréable. La pointe est sur-
montée d'une pomme de pin qu'on dit être d'or massif. Tout
y est travaillé avec tant d'art, qu'on ne peut distinguer ni
les soudures, ni les liaisons des pièces de porcelaine, et que
l'émail et le plomb dont elle est couverte à différenis en-
droits, glacés de vert, de rouge et de jaune, la font pa-
raître tout enrichie d'or, d'éuieraudes et de rubis. Voilà
plus de huit cents ans qu'existe ce singulier monument , et
le temps ne l'a presque point endommagé.
.. TOUR DE REINS. Vo>jez Entorse.
' TOUR ET TAXIS (Famille de La), ancienhe maison
allemande {Thurn und Taxis), originaire du Milanais où
elle portait le nom de Torre e Tassis. Martin /«'" délia
Torre, seigneur de Valsassina , accompagna l'empereur
Conrad F"" à la croisade, et mourut en 1 147, prisonnier des
Sarrasins. A partir de l'an 1259, huit dclla Torre furent l'un
après l'aufie seigneurs de Milan, jusqu'à Guido le Riche, qui
périt en 1312, dans les luttes contre les Visconti. Ses lils
kéritèrentde ses propriétés allodiales. Le plus jeune, Lamo-
rai /"• , s'établit ea 1313 sur le territoire de Bergame, et prit
le nom de Del lasso, transformé plus tard en celui de de
Tassis, d'une montitgnedite Tasso, qui lui appartenait. Sou
arrière-petit-fils, lîoger /*" de La Tour et Taxis , passa en
Allemagne , où il fonda la richesse et la célébrité de sa mai-
son en établissant un service de postes dans le Tyrol. De
cette province, l'institution étendit peu à peu, en vertu de
privilèges spéciaux , ses rouages et ses relations dans tous
les différents États composant l'Empire d'Allemagne. Léo-
pold r"^ accorda au comte Eugène- François de L\ Tour et
Taxis le titre de prince de l'Empire. En 1744 le petit-fils de
celui-ci , Alexandre- Ferdinand y obtint l'érection de son
fief impérial de la direction générale héréditaire des postes
de l'Empire en fief souverain impérial , avec siège et voix
délibérative dans la diète de l'Empire. En sa qualité de com-
missaire principal impérial près la diète de l'Empire sié-
geant à Ralisbonne , le prince de La Tour et Taxis y résida
jusqu'à la dissolution de l'Empire; et de larges indemnités
territoriales lui furent accordées pour prix du rachat des
privilèges que lui faisait perdre cette révolution. Aujourd'hui
les domaines de la maison de La Tour et Taxis , dispersés
dans diverses parties de l'Allemagne, sont d'un revenu an-
nuel de plus de 800,000 florins. Le chef actuel de cette fa-
mille est le prince Maximilien, né en 1802.
TOURFÂIV ou TURKESTAN ORIEiNTAL, appelé aussi
Djagataï oriental, haute Tatarie, quelquefois aussi, mais
à tort, haute ou petite Boukharie. Il comprend le plateau
séparé du Tbibet au sud par le Kuen-lun , du TurUestan
occidental à l'ouest par le Bolor-Tagh , de la Dsongarie au
nord par la Mur-Taghou Thian-Schan (Montagnes célestes),
et à l'est il en vient à se confondre avec le grand désert
de Gobi. Sur une superficie de 14,315 mjriam. carrés, on
présume qu'il contient une population d'environ 1,500,000
âmes. Les Chinois, à qui ce pays obéit depuis 1755, époque
où ils subjuguèrent les Dsongares, le nomment Thian Schan-
A'«H- io?<, c'est-à-diregouvernement au sud du Thiau-Sclian,
par opposition au Thian-Schan-Pelou,%ou\ernemenl d'ili,
c'est-à-dire de Dsongarie, situé au nord de cette montagne,
et formant tous deux le pays de l'ouest , avec deux millions
d'habitants répartis sur une surface de 19,C00 myriam. car-
rés. Enfermé de trois côtés par de puissantes montagnes,
dont les plus remarquables sont le Thian-Schan, nppelé dans
sa partie la plus élevée Bogdo-Oola, avec ses pics couverts
de neiges éternelles, ses volcans et ses solfatares, et le Bo-
lor-Tagh , versant occidental du plateau de l'Asie centrale,
avec le plateau de Pamir, où le Djihon ( Oxus) sort du lac
de Sir-i-Koul, situé à 4,888 mètres au-dessus du niveau de
l'Océan, l'intérieur du Tourfàn forme un plateau d'une élé-
vation moyenne de 700 mètres, bassin du Tarim, cours d'eau
provenant de la réunion du Kaschgar, du Yarkiang et du Kho-
lan qui coule à l'est, et après un parcours d'environ 190 my-
riamètres va se perdre dans le lac de Lop, situéau milieu d'im-
menses plaines marécageuses. La plaine du Tarim, dont le bas-
sin estévalué à 77,000 myriam. carrés, a environ 30 myriam.
de large et 133 de long; elle tient de la nature du désert et dans
sa plus grande partie est impropre à la culture et même à
l'élève du bétail. En revanche, dans les districts de mon-
tagnes, le sol est fertile et bien cultivé. Le climat permet d'y
cultiver la plupart des céréales et des arbres fruitiers parti-
culiers à l'Europe méridionale. Tous les animaux domestiques
s'y trouvent en abondance. Dans les montagnes et les marais,
on rencontre des ours, des loups, des léopards, des chacals,
des loups-cerviers, des cerfs. L'or, le cuivre et te fer sont
moins exploités que le salpêtre, le sel ammoniac, le soufre
et l'asbeste. Sauf les Mongoles nomades elles Chinois ou
Mandchoux qui habitent les villes comme fonctionnaires pu-
blics ou bien y tiennent garnison , les l'.<jbitants sont des
mahométans d'origine persane , des tribus turques, des Ous-
becks et des Ouigoures. Ce gouvernement est divisé en huit
provinces, nommées d'après leurs chefs-lieux . Au nord du Ta-
rim, sur la grande route de caravanes conduisant de Péking
a travers le désert jusqu'aux frontières occidentales de l'em-
pire, on trouve Kaschagar, siège d'un gouverneur cbinois.
630 TOURFÀN — TOURNEBROCHE
capitale de tout le pays, avec 80,000 habitants, une industrie
florissante et un commerce important ; plus loin, à l'est, Ocuts-
chi, place forte ; iifoow , centre de réunion pour les cara-
vanes, ville de fabriques et de garnison, avec 30,000 habi-
tants; Koutsché, au sud du volcan de Pesclian , avec 10,000
habitants, et une exploitation de mines de mercure, de ci-
nabre, de sel ammoniac et de soufre; Kharaschar ou Ha-
raschar, Tourfân ou Botschéou , c'est-à-dire ville de feu ,
au sud du volcan d'Hotscliéou, et de ses riches gisements de
sel ammoniac; If ami ou Khamil, dans une contrée déli-
cieuse, oasis d'une richesse extraordinaire et célèbre surtout
par ses vignes et ses melons, première station des caravanes
venant de l'est. Au sud on trouve Karkande, où convergent
plusieurs importantes routes de commerce, avec 70,000 habi-
tants; un bazar d'une richesse extrême , et un grand com-
merce, surtout en tissus de laine; Khotan ou Ilitschi, sur
la route conduisant au Thibet, avec 100,000 habitants, ville
manufacturière et commerçante. Le royaume du Khotan ,
dont il était déjà question 300 ans av. J.-C, était d'origine
hindoue. On y parlait sanscrit, et le bouddhisme y régna
longtemps avant de s'introduire au Thibet. Au moyen âge,
c'est là que les Turcs Ouigoures avaient établi le centre de
leur domination.
TOURILLONS, parties rondes et saillantes placées à
chaquecôté d'une pièce de canon (i;oy. Canon, t. iv, p. 309).
En termes de mécanique, on appelle tourillons des cy-
lindres en 1er servant u'essieu ou de pivot.
TOURISTES, voyageurs qui racontent au public leurs
excursions et pérégrinations, moins pour instruire que pour
amuser, et dans les récits desquels l'imagination joue toujours
un grand rôle. De tous temps, il n'y eut point en Angleterre
d'homme comme il faut sans la consécration d'im voyage
tait sur le continent; et la facilité des communications, en
accroissant le nombre des voyageurs qui entreprenaient la
tournée de rigueur, fit aussi se multiplier les ouvrages de
ce genre. Ces sortes de productions appartiennent à ce qu'on
appelle la liUérature facile ; car on ne demande à un tou-
riste ni profondeur dans les vues ni même exactitude dans
les faits. Tout ce qu'on exige de lui, c'est qu'il amuse, c'est
qu'il soit original, s'il est possible, dans ses observations
et ses critiques de mœurs. Les pays qui servent de but aux
explorations des touristes sont, eux aus,^i, une affaire de
mode. Autrefois, la France, la Suisse et l'Italie étaient le
thème liabituel des touristes. Plus tard , ils se sont rejetés
sur la Scandinavie, l'Espagne et le Portugal. Puis, les sujets
d'observation s'y épuisant maintenant également, les tou-
ristes , en désespoir de cause, se sont mis à exploiter l'O-
rient, les Indes et l'Amérique. Le Sentimental Journcij
through France and Italy de Sterne est demeuré le modèle
du touriste fautaisiete.
TOURKESTAN (Le). Voyez Tcrrestan.
TOURIÎ.MxVA'TCHAÏ (Paix de). Ce traité , conclu le
22 février 1828, entre la Perse el la Russie, consacra l'a-
bandon par la Perse des provinces d'Érivan et de Nakliit-
chevan en faveur de la Russie , qui obtint en outre une in-
demrJt^ de 20 raillions pour les frais de la guerre heureuse
qu'elle venait de faire. Il établit une nouvelle ligne de démar-
cation entre les deux États, et régla les bases de la navigation
de la mer Caspienne, où la Russie seule est autorisée à entre-
tenir des bâtiments de guerre. Abbas-Mirza fut en outre,
aux termes de ce traité, reconnu par la Russie en qualité
d'héritier de Feth- Ali-Shah. Tourkmantchaï est un petit vil-
lage de l'Arménie persane, situé à peu de distance deTauris.
TOURMALINE , substance minérale qu'on rencontre
au Groenland, en Suisse, en Saxe, en Mora\ie, en Sibérie,
en Suède, en Espagne, au Brésil et dans file de Ceyian,
. dans les terrains de cristallisation, où on la trouve dans les
granités, les gneiss, les micaschistes, les roches talqucuses,
la dolomieet la pegmatite.etqui se compose en général de
30 à 40 parties de silice, de 35 à 45 d'alumine, et de quan-
tités variables de lilhine, de potasse, de fer, de manganèse
8t d'acide borique. La tourmaline est depuis longtemps cé-
lèbre par ses propriétés électriques, que le frottement et 1&
chaleur développent facilement; il est assez remarquable
cependant qu'elles disparaissent dès que la chaleur devient
excessive. Plus la tourmaline est transparente, et plus ses
propriétés électriques sont prononcées. Elle joue également
un rôle important en optique, à cause du phénomène de la
polarisation delà lumière. Il arrive souvent qu'on
la taille et qu'on la polisse pour la porter à l'instar d'un
joyau; mais comme généralement elle est peu transparente,
elle n'est pas très-estimée. Ses variétés de formes et de cou-
leurs sont nombreuses. Ainsi il y a des tourmalines noires,
vertes, rouges, violacées, indigo, bleues , jaunes et bru-
nâtres. Les espèces vertes du Brésil sont connues sous le
nom d'émeraudes du Brésil. Les rouges et les violacées, qui
proviennent de Sibérie et de Ceyian , sont très-recherchées
par les joailliers et bijoutiers, et désignées sous le nom de
sibérites.
TOURMENT, grande, violente douleur corporelle. Au
figuré, une grande peine d'esprit: Les tourmentsA& la jalou-
sie, del'ambition. Voyez Dolleur, Peine, Supplice, Torture,
TOURxMENTIN ou TRINQUETTE. Voyez Foc.
TOURNAGE, action de tourner au tour. C'est aussi
l'une des opérations de la fonte des canons.
TOURNAY ( en flamand Doornik) , ville de Belgique,
province du Hainaut, sur les deux rives de l'Escaut , siège
d'évêché, a sept faubourgs, de belles rues, de beaux quais,
un grand nombre d'églises , parmi lesquelles on remarquer
la cathédrale, bel édifice qu'on prétend avoir été cons-
truit par le roi des Franks Childéric , orné de belles pein-
tures par Jordaens, Rubens, Gallait, etc., et qui est sur-
monté de cinq tours; plus les églises Saint-Quintin et Saint-
Jacques. On y trouve aussi un athénée ( collège) , une école
de peinture, une bibliothèque publique contenant 30,000 vo-
lumes et 208 manuscrits, un séminaire, cinq hôpitaux et
une maison d'aliénés. Les habitants , au nombre de 32,000,
fabriquent des étoffes de laine, des articles de bonneterie,
des tapis, de la toile, des rubans, des savons et des chan-
delles. Ces divers produits , joints aux carrières de pierre et
de chaux qui se trouvent dans le voisinage , et aux céréales ,
donnent lieu à un commerce assez important.
Tournay, l'ancien Tornacum ou Turris Ncrviorum des
Romains , fut au cinquième et au sixième siècle le siège de
la royauté mérovingienne. Ensuite elle appartint à la France;
mais la paix signée à Madrid en 1525 la réunit aux Pays-
Bas espagnols. En 1581 elle fut héroïquement défendue par
la princesse d'Épinoy (Marie de Lalaing) contre le duc
de Parme. Prise en 1C67 par Louis XIV, à la suite d'un long
siège, elle demeura à la France en vertu des stipulations de
la paix d'Aix-la-Chapelle, et fut alors fortifiée avec soin par
Yauban. En 1709 les Impériaux aux ordres du prince Eugène
et de Marlborough s'en rendirent pourtant maîtres; la
paix d'Utrecht la restitua en 1713 aux Pays-Bas, et elle fut
occupée par les Hollandais comme l'une des huit places dites
barrières. Après l'annulation du traité des barrières en
1781, par l'empereur Joseph , les fortifications de Tournay
liirent rasées. En 1792 les Français s'en emparèrent, et la
réunirent à la France avec le restant du Hainaut. En
l'an vui , Tournay devint le chef-lieu d'une sous-préfecture
du département de Jcmmapes; et ce ne fut qu'après avoir
été rendue aux Pays-Bas, aux fermes de la première paix de
Paris, qu'on l'entoura de nouveau d'ouvrages de défense
formidables, élevés en grande partie avec l'argent provenant
de la contribution de guerre imposée à la France par la coa-
lition victorieuse.
Dans les premières guerres de la révolution les environs
de Tournay furent le théâtre d'engagements des plus vifs entre
les troupes autrichiennes et anglaises et l'armée française ; le
plus important fut celui du 19 mai 1794, dans lequel Pichegru
fit essuyer une déroute complète au duc d'York.
TOURNEBROCHE. Cette machine consiste , comme
on sait, en de simples engrenages animés par un poids ou
un ressort comme les horloges , dont elle diffère par le mo-
TOURNEBROCHE — TOURNESOL EN DRAPEAUX
63t
«îéraleur, qui est un volant au lieu d'un balancier ou d'un
pendule. L arbre du volant est taillé en vis , d»8 laquelle
engrènent les dents de la dernière roue . On a adopté ce
système de préférence à tout autre par la raison que chaque
dent de la roue fait faire un tour entier au volant ; cependant ,
comme ce dernier tourne fort vite, on est souvent obligé
de remonter plusieurs fois le tournebroclie avant que la
pièce soit rôtie. Un autre inconvénient de ce système , c'est
d'exiger un poids considérable pour vaincre le frottement
qui a lieu entre les dents de la dernière roue et la vis du
volant ; pour se soustraire à ces désagréments , on a imaginé
des tournebroches à vent, c'est-à-dire qui sont mus parle
courant ascendant dair qui s'établit dans le tuyau de la
cheminée quand on fait du feu dans le foyer. Dans ces sor-
tes de machines , le volant reçoit le mouvement et le trans-
met au rouage. Teyssèdre.
TOURNÉE, instrument d'agriculture. Voyez Ilotx.
TOURIVEFORT (Joseph PITTOM de), néàAix, en
Provence, le 5 juin 1656 , fut un des grands réformateurs
de la botanique. Fils de Pierre Pilton, écuyer, seigneur
de Tournefort, il fut élevé dans sa ville natale , au collège des
jésuites , et montra de bonne heure un amour passionné pour
la science qui devait faire le fondement de sa réputation.
Son père le destinait à l'Église, mais sa vocation l'emporta.
Ses progrès en chimie et en médecine furent très-rapides.
A la mort de son père , en 1677, il profita de sa hberté pour
parcourir les montagnes du Dauphïné et de la Savoie, d'où
il rapporta un riche herbier. « Tournefort, dit Fontenelie ,
était d'un tempérament vif, laborieux , robuste ; un grand
fonds de gaieté naturelle le soutenait dans le travail, et son
corps aussi bien que son esprit semblaient faits pour la
science qu'il cultivait avec tant de succès. » L'infatigable
botaniste, après avoir herborisé deux ans dans le Langue-
doc, poursuivit ses explorations dans les Pyrénées et la Ca-
talogne. De retour à Aix, en 1681, avec une abondante
récolte, il commença à procéder à la classification de ses
plantes. Appelé à Paris par Fagon, alors médecin de
la cour, il fut placé, en qualité de professeur de botanique,
au Jardin royal, fondé par Louis XIII; mais cet emploi
lui laissant des intervalles de loisir, il en profita pour re-
tourner en Espagne, et visiter l'Andalousie et le Portugal.
Plus tard , ses recherches le conduisirent en Angleterre et
en Hollande, où il fut accueilli avec distinction par les sa-
vants les plus recommandables. Reçu à l'Académie des
Sciences, en 1691, il lit paraître, trois ans après, ses Élé-
ments de Botanique, et développa dans cet ouvrage l'idée
que Magnol de Montpellier n'avait fait que formuler en 1G89.
Ce premier début d'une méthode naturelle, c'est-à-dire d'une
classification des plantes d'après leurs rapports les plus in-
times, commença à fixer l'attention des botanistes sur les
caractères d'affinité qu'on observe dans certains groupes.
Cette méthode suffit aux études botaniques tant que le ca-
talogue des 10,146 plantes qui s'y trouvaient distribuées ne
s'augmenta point par de nouvelles découvertes, et qu'une
analyse plus approfondie n'y vint pas apporter des réformes
salutaires. Les débats qui s'élevèrent entre Ray et Tourne-
fort sur la nouvelle méthode en accréditèrent encore plus les
principes. Tournefort ne se fit recevoir docteur en méde-
cine, à la faculté de Paris, qu'en 169S; il avait alors qua-
rante-deux ans , et publia pour sa thèse YHistoire des plan-
tes qui naissent aux environs de Paris, avec leur usage
dans la médecine. Cet ouvrage est partagé en six herbori-
sations. Bernard de Jussieu en publia en 1725 une se-
conde édition, enrichie de notes (2 v. in-12).
Ce fut vers le commencement de l'année 1700 que , sur la
proposition de l'Académie des Sciences, et par l'organe de
M. de Ponlchartrain , Louis XIV chargea Tournefort de par-
courir le Levant. Aubriet, peintre distingué, et Gundelshei-
mer, médecin allemand fort instruit, l'accompagnèrent dans
celte grande exploration. Notre voyageur visita l'ile de Can-
die, l'Archipel, Constantinople , les côtes méridionales delà
mer Noire, l'Arménie turque et persane, la Géorgie, le
mont Ararat, et revint par l'Asie Mineure, qu'il traversa p?r
Tocat, Angora, Pruse, Smyrne et Éphèse. Sa relation fut
imprimée au Louvre, en deux volumes in-4''; le second ne
parut qu'après sa mort, en 1717.
Tournefort, à son retour, fut nommé professeur de mé-
decine au Collège de France, tout en conservant son em-
ploi au Jardin royal. Parmi le grand nombre de plante»
qu'il avait rapportées de son voyage, 1,356 nouvelles es-
pèces vinrent se ranger dans les 673 genres de sa méthode
de classification , augmentés de 25 nouveaux, qu'il fut obligé
de créer, sans toutefois accroître le nombre des classes. Il
publia à cet effet, en 1703, son Corollarium Institutionum
Rei Herbarix. Malgré tant de travaux, Tournefort conser-
vait toute son énergie, et aurait pu avancer encore les pro-
grès de la science, lorsqu'un accident imprévu vint l'enlever
à ses admirateurs. Atteint par une voiture dans une rue de
la capitale, il languit cinq ou six mois, et mourut le 28 no-
vembre 1708. Il légua son superbe cabinet d'histoire natu-
relle au roi et sa belle bibliothèque à son ami l'abbé Bignon.
L'herbier de Tournefort fait partie aujourd'hui des collec-
tions de la galerie botanique , où il est religieusement con-
servé. S. Bertiielot.
TOURIXELLE (La), nom d'une chambre du parle-
ment de Paris, qui jugeait les procès criminels portés par
appel au parlement. Ses membres étaient pris dans la grand'
cliambre et dans les chambres des enquêtes, savoir : les
cinq derniers présidents à mortier et dix conseillers de la
grand'chambre pendant six mois , et deux conseillers de
chacune des enquêtes pendant trois mois. Celte chambre
était ainsi nommée , soit parce que des présidents à mortier
et des conseillers de la grand'chambre et des enquêtes y
faisaient tour à tour le service, soit parce qu'elle siégeait
dans la tourelle ou tournelle du Palais. La Tournelle in-
terrompait ses audiences le 27 octobre, pour les reprendre
le 12 novembre de chaque année. A. Boullée.
TOURMEAIIiXE ( Le Père), savant jésuite, né à Rennes",
en 1661, d'une des meilleures familles do la Bretagne, fut
pendant longtemps l'un des rédacteurs du Journal de Tré-
voux et le bibliothécaire de la maison professe de son ordre
à Paris. A une érudition des plus vastes il joignait une
grande vivacité d'imagination. Tout d'ailleurs était de son
ressort : théologie, belles-lettres , archéologie sacrée et pro-
fane, critique, éloquence, poésie même; aussi était-il l'un
des oracles de sa compagnie. Il mourut en 1739.
TOURNESOL. C'est le nom qu'on donne en chimie à
une matière colorante très-solubie dans l'eau et de l'alcool ,
et servant à préparer une teinture usitée dans toutes les expé-
riences de chimie pour reconnaître l'état acide ou alcalin di;
corps que l'on étudie. Tous les acides font passer au rouge
la teinture de tournesol; les alcalis la ramènent au blanc.
Cette substance se trouve dans le commerce sous deux états
dilléreuts : en pains, ou petits cubes, et en drapeaux
{voyez Tournesol en drapeaux). Le tournesol en pains
s'obtient de certains lichens, par exemple le lichen roccella
et le lichen fusi/ormis , qu'on pulvérise, qu'on met dans
une cuve avec de la potasse, et qu'on arrose avec de l'u-
rine qui détermine une fermentation. On ajoute toujours de
nouvelles quantités d'urine, jusqu'à ce que la matière passe
au rouge, puis au bleu. On lui donne alors de la consis-
tance en la pétrissant , puis on la moule et on la fait sécher.
Pendant la fermentation , il y a eu dégagement d'ammo-
niaque, et c'est à ce qu'il paraît à la présence de cet alcali
que le tournesol doit sa couleur bleue, car son principe colo-
rant est rouge.
TOURNESOL DES JARDINS. Voyez Hélianthe.
TOURNESOL EN DRAPEAUX. On appelle ainsi
une préparation chimique qui se fait à Grand-Gallargues-
bourg de 2,000 âmes, situé dans le département du Gard,
à 20 kilomètres de Nîmes, sur la rivière du Vidourle. Peu
d'industries sont aussi mystérieuses. Ceux qui l'exploitent
n'en connaissent point la destination; ceux qui en profilent
en ignorent la préparation, et ceux qui l'ont décrite n'en ont
632 TOURNESOL EN DRAPEAUX
donné que de fausses indications. Placé sur les lieux, j'en
ai suivi toutes les opérations avec une exactitude scrupu-
leuse , et si le lecteur veut oublier que mes détails sont
arides, dégoûtants même, je lui promets de l'initier aux
secrets de celte fabrication toute spéciale.
La plante d'où l'on extrait le suc colorant est appelée vul-
gairement maurelle , mais en botanique elle a été appelée
heliotropiummimts par Dioscoride et Matliiole , helio-
tropium tricocum par Taverna , heliotropium minus tri-
coctim par Clu&ias, heliotropium vulgare par Lobel, et
croion tinctorium par Linné, La fabrication du tournesol
commence dans le mois d'août, et se prolonge jusqu'à la fin
de septembre. C'est par un temps bien sec que la maurelle
est coupée sur la plante. On la transporte ensuite dans des
moulins à liuile. D'abord on place sous la meule une mou-
ture pesant 25 kilogrammes ; pendant vingt minutes la meule
écrase la plante et la réduit en pâle; l'odeur qui s'en
exhale alors est pénétrante , et je la comparerai volontiers
à celle delà carolte râpée. Ainsi broyée, la maurelle est
TOURNOI
placée dans des cabas sous le pressoir, et tandis quecelui-
ei joue , le suc, à 1;» deinte foncée tirant sur le noir, est reçu
dans ime vaste cornue. Le tourteau est de nouveau émietté,
imbibé avec huit kilogrammes d'urine humaine, et dere-
chef soumis à l'action du pressoir. Cette plante produit en
suc la moitié de son poids, et permet à ce dernier d'être mé-
langé avec deux tiers d'urine humaine. Mais dans quel but
fait-on un lel mélange? A cette question les fabricants ré-
pondront que le sel renfermé dans l'urine est un mordant
propre à fixer la liqueur colorante, et les négociants vous
diront que c'est afin d'obtenir une plus grande quantité de
marchandise, et que ce n'est qu'une véritable frelaterie.
La mouture une fois terminée, le maurellier se rend en
toute hâte à l'étendage , car s'il n'apportait qu'un retard de
deux heures, le principe colorant disparaltraiL Dans
un baquet peu profond, on lave avec soin de grands lam-
beaux de toile avec le suc du croion tinctorium qui n'est
pas mélangé d'urine. Ce savonnage d'un nouveau genre dure
jusqu'à ce que les chiffons soient partout également iiwbibés.
On suspend ceux-ci à l'étendage ; cette opération réclame
un temps vif, qui sèche rapidement les lambeaux exposés
au soleil; car si le suc n'était pas cristallisé par la chaleur,
il ne pourrait se fixer dans les larges mailles du tissu. Le
lendemain , les chiffons qui ont subi cette première opéra-
tion sont apportés à l'aluminadou. On donne ce nom à
une couche de fumier de cheval. Pour obtenir un bon alu-
minadou, on choisit du fumier bien salure d'excréments
de cheval et qui est parvenu à une grande fermentation.
On en fait une couche de 3.'} centimètres d'épaisseur, recou-
verte d'un peu de paille fraîche ; ensuite on étend les chif-
fons en les plaçant l'un sur l'autre et en ayant soin de les
recouvrir d'un drap de lit et d'une légère couche de fumier.
Les chilfons ne restent qu'une heure dans cet état. De temps
à autre , le fabricant examine à quel point l'opération est
parvenue, car pour peu qu'il laissât trop longtemps ses
chiffons exposés à la vapeur du fumier, aussitôt une couleur
jaunâtre se manifesferait et tout serait à recommencer ;
aussi se tient-il sur ses gardes , et lorsqu'il s'aperçoit que
la teinte bleue est devenue très-foncée et que les chiffons
sont mouillés , il les retire avec empressement.
Les chiffons retirés de V aluminadou qui n'ont été trempés
préalablement que dans le suc pur du cro/on tinctorium,
sont de nouveau imbibés du suc mêlé d'urine; une dernière
fois ils sont alors exposés à l'étendage.
On ignorait autrefois l'emploi que les Hollandais faisaient
du tournesol ; on croyait qu'ils s'en servaient pour le colo-
riage des confitures et du papier bleu ; d'autres prétendaient
qu'il était employé au même usage en Allemagne et en
Angleterre. Or, on sait aujourd'hui qu'il n'est employé qu'à
colorer les croûtes rouges du fromage de Hollande.
11 se présente relativement à la fabrication du tournesol
une foule de questions historiques que l'on serait curieux
de résoudre. Pourquoi les Gallargois exploitent-ils seuls cette
industrie? Depuis combien d'années en ont-ils le monopole?
Comment ont-ils pu établir dans ce but des relations com-
merciales avec une contrée aussi éloignée que la Hollande?
Les registres de la commune de Gallargues sont muets à
cet égard. En vain j'ai interrogé les naturalistes et les bo-
tanistes les plus anciens; j'ai consulté Mathiole, Dale-
champ , Clusius , et jusqu'à Pline le naturaliste ; ils se con-
tentent d'attribuer au tournesol ou maurelle des qualités
médicales qu'on lui conteste aujourd'hui. Lobel, Penna, au-
teurs associés qui écrivaient en 1540 , sont un peu plus ex-
plicites. Après avoirdécrit la plante qu'ils appellent helio-
tropium vutgare, tournesol Gallorum, ils s'expriment
en ces termes, page 101 « Les graines sont d'un vert
tombant sur le noir, et donnent aux étoffes et au papier
une couleur verte qui bientôt se change en bleu et en pour-
pre. Avec un grand profit elle est ramassée parles paysans
de Lunel , de Maseilhargues et des autres contrées de la
Gaule Narbonnaise où croissent les oliviers ; là, on la cueille
en grande quantité et en maturité au mois de septembre ,
et on la vend aux teinturiers et à certains chirurgiens qui
emploient le suc de cette plante dans la composition des
remèdes. Les lambeaux d'étoffes qui se vendent dans les
boutiques pour donner une belle couleur de pourpre au vin,
aux gelées, et à d'autres fabrications, passent pour être
saturés du suc de cette plante mélangé avec du vin. »
L'époque où la culture régulière de la maurelle a été in-
troduite à Gallargues est du reste encore toute récente.
C'est en 1830, à Carpentras, département de Vaucluse,
que les premiers essais furent tentés avec succès; et à
dater de ce moment la maurelle a été ensemencée dans les
champs. Auparavant les fabricants allaient la cueillir dans
les environs de Gallargues, là où elle croissait spontané-
ment; mais la plupart poussaient plus loin leurs recherches.
Les uns exploitaient les Basses-Cévennes, d'autres allaient
dans le Roussillon ; un plus grand nombre s'établissaient
dans la Provence. J.-P. Hugue, pasteur.
TOURIXEUR, artisan qui confectionne des objets au
tour. Foye; Tour, (Technologie).
TOURIXl ou TOURNIOLE, noms vulgaires d'une espèce
de mal d'aventure. Voyez Panaris.
TOUR^^IQUET, tornaculum, instrument de chi-
rurgie à l'aide duquel on comprime les vaisseaux sanguins
d'un membre en y suspendant pendant quelque temps la
circulation, afin de rendre plus faciles certaines opérations,
uolamment les amputations.
TOURA'ISou TOURNOIEMENT, maladie particulière
aux moutons. C'est l'un des symptômes les plus ordinaires
et les plus fâcheux dans les troupeaux. On distingue le
tournis qui est l'effet d'un vertige, et pour lequel il faut
saigner, du tournis qui provient d'une hy datide logée dans
le cerveau , et auquel on remédie en perçant le crâne, ou
en le brûlant extérieurement par un fer chaud qui tue, dit-
on, l'hôte fâcheux renfermé dans le cerveau. Une autre es-
-pèce de tournis provient d'un œstre, insecte dyptère qui
s'insinue dans les sinus frontaux pour y déposer des œufs
qui deviennent des larves privées d'organes manducateurs,
vivant par intus-susception sur le tissu muqueux, auquel
l'animal s'attache par deux crochets , de manière qu'il ne
peut tomber, quoique le museau du malade soit tourné
vers la terre. La mère de ces insectes, lorsqu'elle voltige
dans les champs, porte la frayeur dans tout un troupeau : il
.s'agite et cherche à s'en défendre , en cachant le museau en
terre ou dans la laine. On parvient à guérir ou à soulager la
bote par des injections dans le nez d'une infusion mondifiante
ou d'une huile empyreumatique.
C" Français de Nantes.
TOURIVOI. « 11 y avait cette différence entre les
joutes et les tournois, dit Caseneuve, qu'aux joutes on
combattait seul à seul , et qu'aux tournois on se battait par
escadrons. » Caseneuve, Ménage et Le Ducl'.at dérivent ce
mot du latin barbare tornare, torneamentum, parce que
ces courses se faisaient en tournant et retournant. Cette opi-
TOURNOI — TOURS
633
oion cependant est conobaltue par Yollaire : « Quelques-
uns, dit-il, prétendent que c'est de la ville de Tours que
les tournois tirèrent leur nom, car on ne tournait pas dans
ces jeux comme dans les courses de chars cliez les Grecs
et les Romains ; mais il est plus probable que tournoi vient
d'épée tournante, ensis tornenticus, sabre sans pointe,
parce qu'il n'était pas permis dans ces jeux de frapper
avec une autre pointe que celle de la lance. Les armes dont
on faisait usage étaient ordinairement des bâtons ou des
cannes ; des lances sans fer ou à fer rabattu, des épées sans
tranchant, qu'on nommait pour cela courtoises ou gra-
cieuses ; quelquefois cependant on se servait de lances à fer
émoulu, de haches et de toutes les armes de bataille: celles-ci
s'appelaient armes à outrance. »
On ne saurait guère assigner l'époque certaine de l'origine
des tournois; il est à présumer qu'ils commencèrent peu
après l'établissement des harbares dans les Gaules et l'Italie.
En 870 les entants de Louis le Débonnaire signalèrent
leur réconciliation par une de ces joutes solennelles, qu'on
appela depuis tournois, parce que, dit Nithard, exutraque
parte aller in allenonveloci cursu ruebant. L'ejiipereur
Henri l'Oiseleur, pour célébrer son couronnement, en 920,
donna une de ces fêtes militaires; on y combattit à cheval.
L'usage s'en perpétua en France, en Angleterre, chez les Es-
pagnols et chez les Maures. »
Les lois écrites par Geoffroi de Preuilly pour la célé-
bration de ces jeux furent renouvelées dans la suite par
René d'Anjou, roi de Sicile et de Jérusalem. Tout s'y faisait
en l'honneur des dames : selon les lois du bon roi P.ené, elles
visitaient elles-mêmes les armes , distribuaient ks prix , et
si quelque chevalier ou écuyer avait mal parlé de quelqu'une
d'elles, les autres tournoyants le battaient de leur épée,
jusqu'à ce que les dames criassent merci. L'usage des tour-
nois se conserva longtemps dans toute l'Europe. Un des plus
solennels lut celui de Boulogne-sur-Mer, en 1309, au ma-
riage d'Isabelle de France avec Edouard H, roi d'Angleterre.
Edouard III en (it célébrer deux très-beaux à Londres.
Le nombre continua à en être fort grand jusqu'à la mort du
roi de France Henri II, tué dans un tournoi au palais des
Tournelles, en 1559. Cet accident semblait devoir les abo-
lir pour toujours ; cependant, telles étaient la force de l'ha-
bitude et la vie désœuvrée des grands, qu'on en célébra un
autre un an après à Orléans, dont le prince Henri de Bour-
bon-Montpensier fut encore la victime. Ces combats ces-
sèrent alors totalement : les jeux que l'on continua depuis ne
furent que des carrousels. L'abolition des tournois date
donc de l'année 1560, et avec cet usage périt l'ancien esprit
de la chevalerie, qui ne reparut plus que dans les romans.
TOURNOIS (.l/onnaie). C'est de Tours, où cette mon-
naie fut fabriquée pour la première fois, qu'elle prit son
nom. La livre tournois était petite et bordée de lle^irs de
lis. Il y avait des livres tournois, des sous tournois , des
petits tournois, des doubles tournois, que l'on distinguait
en tournois blancs ou d'argent, et en tournois noirs ou de
billon. Avant l'établissement du nouveau système moné-
taire de France, le tournois n'était plus depuis longtemps
qu'une désignation de somme de compte opposée à celle
qu'on nommait /)arjs;5 , laquelle était plus lorle d'un quart.
Quatre-vingts francs valent quatre-vingt-une livres tour-
nois.
TOUR\OI\ , chef-lieu d'arrondissement du département
del'Ardèche, sur la rive droite du Rhône, à 55 kilo-
mètres de Privas, siège d'un tribunal de première instance,
avec 4,638 habitants, un commerce important de vins fins
du Rhône , une chambre consultative d'agriculture, des fi-
latures de soie et des tanneries.
TOURKON (François de), cardinal et ministre sous le
règne de François V% descendait d'une famille nobleet consi-
dérée, et naquit en 1489, àTournon (Ardèche). Il était déjà
archevêque d'Embrun à vingt-huit ans. Après le désastre de
Pavie, il fut du nombre de ceux que la reine mère envoya
négocier à Madrid la mise en liberté de François i", devenu
le prisonnier de Charles Quint; et il s'acquitta de cette mis-
sion de telle sorte que le roi, pour lui en témoigner sa sa-
tisfaction, demanda pour lui le chapeau. 11 le promut en
outre à l'archevêché de Bourges. Adversaire décidé de la
réformalion, le cardinal échoua dans ses efforts pour pré-
venir la séparation de Henri VI II d'avec l'Église romaine.
En revanche, il réussit à détacher les princes italiens el le
pape Clément VIII de l'alliance de l'empereur, et, confor-
mément à cette politique .il fit épouser au fils aîné de Fran-
çois F"^, devenu plus tard roi sous le nom de Henri II,
Catherine de Médicis. Quand, en 1536, Charles
Quint envahit la Provence, le cardinal fut nommé lieute-
nant général du maréchal de Montmorency. Dans la triste
position où se trouvait le trésor, il n'hésita pas alors à faire
servir sa propre fortune à l'entretien des troupes, prit des en-
gagements personnels pour des sommes importantes , et dé-
termina les négociants de Lyon à mettre des ressources con-
sidérables à la disposition de l'État. En 1538 le cardinal de
Tournon conclut avec l'empereur la trêve de Nice, dont la
durée était fixée à dix années. Au rétablissement de la paix,
le roi le prit pour principal ministre. Tous ses efforts ten-
dirent dès lors à cicatriser les plaies du pays, et surtout à
rétablir le bon ordre dans les finances. Rien ne manquerait
à sa gloire s'il ne l'avait pas souillée par les cruautés aux.
quelles il eut recours pour extirper à tout prix le protestan-
tisme du royaume. A l'avènement de Henri II au trône, les
Guise lui firent enlever la direction des affaires, et colo-
rèrent sa disgrâce par l'ambassade de Rome , où il cona-
battit avec succès rinlluence de l'empereur, et où sous ce
rapport du moins il lui tut encore donné de rendre de pré-
cieux services à son pays. A son retour, en 1555 , il trouva
Diane de Poitiers maîtresse absolue des destinées de la
France, et il dut alors se confiner dans son archevêché de
Lyon, qui venait de lui être tout récemment conféré. L'an-
née suivante il employa tous les moyens en son pouvoir
pour empêcher le renouvellement des hostilités avec l'empe-
reur; mais il échoua contre l'inHuence toute-puissante des
Guise. Malgré cela, il accepta encore une fois l'ambassade
de Rome, où il resta môme après la fatale issue de la ba-
taille de Saint-Quentin ; et peu s'en fallut qu'il ne fût
alors élu pape après la mort de Paul IV.
Le cardinal ne revint en France qu'après l'avéncment de
François II ; mais la jalouse défiance des Guise le tint à
l'écart. Sous le règne de Charles IX il jouit de plus d'in-
fluence à la cour, mais il ne s'en servit que pour assurer la
réussite de son projet favori, l'extirpation complète du pro-
testantisme. H joua un grand rôle dans l'assemblée des
états généraux qui se réunit en 1500 à Orléans, présida
l'année d'ensuite le céMihv^ colloque de Pois s y ,cl mourut
le 21 avril 1562, à Saint-Gerraain-en-Laye. Les jésuites hé-
ritèrent de son immense fortune.
TOURS f ville de France , chef-lieu du département
d'I ndre-et-L o ire, siège d'un évêché, de tribunaux de pre-
mière instance et de commerce, d'une chambre de commerce,
d'un conseil de prud'hommes, etc. C'est une station du che-
min de fer d'Orléans à Nantes et de Paris à Bordeaux. Une
longue avenue, un pont majestueux, précédé et suivi de deux
jolies places, une rue majestueuse qui traverse la ville dans
toute sa largeur, voilà l'entrée de Tours du côté de Paris ; en-
trée encore embellie par une vue magnifique Mais il ne
faut pas aller plus loin , on n'y trouverait que désenchante-
ment et tristesse. Cette rue, si élégante et si gaie, voile
toute une gothique cité, coupée de rues étroites et sales,
la cité de Grégo i re, le chroniqueur deClovis et desa race.
Cependant, il est juste dédire que de généreux efforts ont
été tentés pour .la rajeunir. La situation de Tours rappelle le
temps de la force brutale, où fleuves et montagnes suffi-
saient à peine pour garantir de l'attaque sans cesse renais-
sante d'un indomptable voisin. D'un côté c'est la Loire,
le neuve aux belles eaux ; de l'autre une rivière non moins
large, le Cher, qui s'unit à lui à quelque distance; puis
ua courant qui va de l'un à l'autre en fermant la ville d'ua
634
TOURS — TOURTERELLE
troisième côté. Le pont de la Loire , sans contredit l'un des
plus beaux de l'Europe, est construit dans le goût de celui
de Neuiily , sur lequel il l'emporte de beaucoup par sa lon-
gueur; il est supporté par quinze arches de 25 mètres d'ou-
verture. Sur la place qui lui succède du côté de la ville
s'élèvent deux édifices , l'iiôtel de ville et le Musée départe-
mental de peinture; à droite et à gauche, deux promenades
délicieuses, parallèles à la Loire. Des deux ponts qui tra-
versent le Cher, l'un a dix-septarches. Vers cette rivière, sur
la gauche de la porte et de l'avenue de Bordeaux , s'étend
le Mail, autre promenade, fort agréable. Les principaux édi-
fices de Tours sont la cathédrale, ou l'église Saint-Gra-
tien , monument gothique , dont la façade est décorée de
deux tours hautes de 82 mètres, le palais épiscopal, l'un
des plus remarquables bâtiments modernes delà ville; ce-
lui de la préfecture, que l'on peut mettre sur la môme
ligne; l'église Saint-Martin, une des plus vastes de France ;
l'hôtel de ville, le musée , la bourse , le palais de justice, la
prison , les casernes , le couvent des Jacobins, la fontaine
de la place du Grand -Marché, et les deux tours de l'an-
cienne abbaye dites de l'Horloge et de Charlemagne. Les
casernes occupent l'emplacement du vieux château, celui où
fut enfermé Charles de Lorraine, duc de Guise (fils aîné
d'Henri, dit le i?aio/ré), qui parvint à s'en échapper en 1591,
après y avoir gémi trois ans. Tours possède une société
d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres, une société
maternelle, et une société musicale, un cabinet d'histoire na-
turelle, de minéralogie et d'antiquités, un jardin botanique,
une salle de spectacle, un muséum de peinture, riciiede plus
de deux cents toiles des écoles anciennes et modernes; une
bibliothèque de 32,000 volumes, où l'on voit , indépendam-
ment de diverses Bibles curieuses, toutes les polyglottes, et un
Évangile manuscrit en lettres d'or, sur lequel les rois de
France prêtaientsermentcommeabbés de Saint-Martin. C'est
à Louis XI que Tours dut son ancienne prospérité et ses célè-
bres fabriques de soieries. A sa voix, des ouvriers habiles ac-
coururent d'Italie et de Grèce ; les environs de la ville se cou-
vrirent de mûriers; un commerce lucratif porta la vie dans
la contrée. Durant le règne des Valois, maigre les guerres
et les troubles, cette industrie ne déchut pas. Sous le mi-
nistère de Richelieu, on comptait à Tours seulement plus de
soixante raille ouvriers en soieries. Mais Lyon giandissait ;
puis vint cette fatale révocation de l'éditdeNantes, qui tua l'in-
dustrie française , et Tours ne fut bientôt plus que l'ombre
de lui-même. Aujourd'hui cette branche de commerce, qui
rapportait encore au dix-septième siècle dix millions, compte
à peine quelques fabriques de gros de Tours et d'autres étoiles
peu recherchées. Il y en a aussi quelques-unes de drap , de
tapis , de passementerie, de poterie bronzée et autres, de
cordes de boyau, de couvertures , d'ouate. On y voit une
filature de coton, une raffinerie de salpêtre, des tanneries,
des lavoirs de laine. Le commerce consiste en grains, vin,
eaude-vie, vinaigre, pruneaux renommés, dont beaucoup
viennent de Saiimur, amandes et autres fruits secs , amidon,
laine , cuirs, etc. C'est l'entrepôt des chanvres recueillis
dans le département.
Tours a été formé de deux villes successives, de la gau-
loise, que les Romains nommèrent Cœsarodunum ou Civi-
tas Turonum, et de MartmopoUs, appelée ensuite Chd-
teaunciij, qui s'éleva autour du tombeau de saint-Martin.
Celle-ci esta l'ouest de la rue Royale, l'autre à l'est, près
de la cathédrale. Pris par les Visigoths, puis par cîovis,
Tours appartint successivement aux rois de Neustrie et
d'Auslrasie, aux comtes de Blois, aux Plantagenets, comtes
d'Anjou et rois d'Angleterre, dont un, Henri III, la rendit
à saint Louis. Les états généraux y furent assemblés en
1470 , 1484 et 1506. Henri III y tninsféra le parlement en
1589. Un siècle auparavant, Louis XI avait établi sa rési-
dence au château du Plessis, près de Tours, où il mourut
et dans lequel avait été enfermé le cardinal de La Caliie. Il
étaitàunkilomètredela ville; on n'en voit plusque quelques
ruines. La beauté du pays, la douceur de son climat, l'é-
conomie avec laquelle on peut y vivre, y attirent de nom-
breux étrangers ; beaucoup d'Anglais surtout viennent s'y
fixer. On visite dans le voisinage des grottes curieuses, appe-
lées les Gouttières, fameuses par leurs concrétions calcaires;
On y compte 33,204 habitants. Tours est à 232 kilomètres
au sud-ouest de Paris. Oscar Mac Carthy.
TOURS MAXIMILIENNES. On appelle ainsi, d'a-
près leur inventeur, l'archiduc d'Autriche. Maximilien de
Modène, général d'artillerie au service impérial et grand-
maître de l'ordre Teutonique, né le 14 juillet 1782, des ou-
vrages murés et isolés, organisés pour la défense, et qui
furent employés pour la première fois au siège de Linz. La
tour se compose d'un rez-de-chaussée surmonté de deux
étages et d'une plate-forme , dont tous les plafonds sont
voûtés et à l'abri de la bombe, le tout haut de 11 mètres.
La plate-forme est munie d'un parapet circulaire de 25 à
35 mètres de diamètre, et les pièces de gros calibre qui y
sont placées sont montées de manière à ce qu'on puisse en
diriger dix à la fois sur le même point. Les deux étages
sont également disposés pour recevoir du canon, l'étage supé-
ieur notamment pour recevoir des mortiers. L'étage infé-
rieur est réservé pour loger la garnison , forte de 150 hom-
mes. Les munitions el les provisions sont placées au rez-de-
chaussée, où il se trouve également un puits. La tour est
entourée excentriquement d'un fossé dont la largeur est à
la gorge de quatre mètres et de seize à l'extrémité supé-
rieure. Le parapet élevé en avant du fossé s'élève presqu'à
la hauteur de la plate-forme. On évalue à 100,000 fr. les frais
de construction d'une four jnaximilienne.
TOURTEAU, nom d'une espèce de crabe.
TOURTEAU (Btoon). FoyesBESANT.
TOURTEAUX. On appelle ainsi les marcs provenant
des graines et des fruits oléagineux dont on a exprimé l'huile»
Ils forment un engrais des plus puissants.
TOURTERELLE. Les tourterelles forment une des
subdivisions du genre colombe. Elles ont pour caracté-
ristique : Bec mince, renfié; narines simples; tarses longs,
grêles , nus , garnis de lentilles en avant ; ailes longues, sub-
aiguës; queue moyenne, légèrement arrondie ou presque
rectiligne; formes élancées, sveltes, allongées.
La tourterelle proprement dite ( columba tttrtur, L. )
a la tête et la nuque d'un cendré vineux ; le devant du cou,
la poitrine et le haut du ventre sont d'un vineux clair; le
dos est d'un brun cendré ; l'abdomen et les couvertures in-
férieures de la queue sont d'un bleu pur; les côtés du cou
offrent un croissant composé de plumes noires terminées de
blanc. Celte espèce habite toute l'Europe; mais elle est plus
abondante dans le midi que dans le nord ; on la trouve aussi
en Afrique et en Asie.
La tourterelle d'Egypte (columba Mgyptiaca, Lath.)
a la têle et le cou d'un rose vineux, la poitrine roussâtre ,
variée de lignes noires simulant des mailles, le dos brun
mélangé de roussâtre, le ventre vineux, les couvertures
inférieures de la queue d'un blanc pur. Elle habite l'Egypte,
l'Asie Mineure, et s'avance jusqu'en Grèce.
La tourterelle rieuse (columba risoria, L.) a tout le
plumage blanc, avoc un collier noir. On la trouve dans
plusieurs parties de l'Asie méridionale, de l'Afrique et de
l'Europe. C'est elle qu'on élève chez nous en cage sous 1&
nom de tourterelle de Barbarie.
La tourterelle bruyante (columba strepitans, Spix)
a le front, les joues et les parties inférieures blanches, lé-
gèrement bordées de rose sur la poitrine; les petites cou-
vertures des ailes sont striées en long de noir olivâtre;
les grandes sont blanches, frangées de brun ; les papties su-
périeures sont cendrées. Elle habite le Brésil.
On connaît encore plus de vingt espèces de tourterelles ,
propres aux contrées méiidionales de l'ancien et du nou-
veau continent. C'est à tort qu'on a souvent cité ces oiseaux
comme des modèles de fidélité : un mâle recherche sans
scrupule plusieurs femelles, et les femelles ne craignent pas
de faire plus d'un heureux.
TOURVILLÉ — TOUSEZ
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TOUK VILLE (ANNE-HILA.RION de COTENTIN), né en
1642, à Tourville (Manche), mort à Paris, le 2S mai 1701 ,
entra dans la marine à l'âge de dix-liuit ans, et ses pre-
mières années annoncèrent à l'ordre de Malte un de ses plus
illustres chevaliers, à l'Europe un de ses plus grands hom-
mes de mer. Il fut six ans dans ses caravanes la terreur
des Turcs et desBarbaresques; vers la fin de l'année 1666, il
revint en France. Ses exploits avaient fait grand bruit à la
cour; le roi l'accueillit fort gracieusement, et quelques jours
après il était nommé capitaine de vaisseau. Ce fut en cetle
qualité qu'il se diistingua lors de l'expédition de Candie sous
les ordres du duc de Beaufort, et surtout dans la guerre
de 1671, où les forces maritimes des Provinces-Unies eu-
rent à lutter contre les flottes réunies de la France et de
l'Angleterre , l'une aux ordres du comte d'Estrées et l'autre
aux ordres du ducçl'york. Il prit une part non moins glo-
rieuse aux événements de la campagne suivante. Dans celle
de 1675 il servit sous les ordres du chevalier de Valhctte
d'abord et ensuite sous ceux de Duquesne. Le chevalier de
Tourville contribua puissamment au succès de la bataille
d'Angousta. Les flottes de France, d'Espagne et de Hol-
lande se rencontrèrent le 21 avril 1675, à midi, par le tra-
vers du golfe de Catane. Elles engagèrent le combat avec
tant de valeur que la plupart des vaisseaux furent de part
et d'autre endommagés. Duquesne, apprenant la mort du
commandant de l'avant-garde, envoie Tourville avec deux
vaisseaux pour la soutenir. Ruyter attaque le chevalier,
qui soutient avec fermeté ce premier choc et l'attaque à son
tour. L'amiral s'expose pour encourager les siens par son
exemple; il a le devant du pied gauche emporté par un éclat,
et les os de la jambe droite brisés ; il tombe, se fait en tom-
bant une légère blessure à la tête, et continue à donner ses
ordres avec le même sang-froid. La flotte hollandaise, aban-
donnée par les Espagnols, se retire à l'entrée de la nuit.
Ruyter mourut de ses blessures huit jours après, le 29 aviil,
à Syracuse.
Le 31 mai, la flotte de France, sous les ordves du ma-
réchal duc de Vivonne, découvrit près de Palerme la flotte
ennemie. Tourville, qui commandait un détachement de
neuf vaisseaux, attaqua l'avant-garde des alliés, mit le feu
à trois de leurs vaisseaux , et brûla dans le port le vice-
amiral d'Espagne, le contre-amiral de Hollande, et sept au-
tres bâtiments qui étaient échoués l'un sur l'autre. Les Fran-
çais évacuèrent la Sicile , et la paix fut signée à Nimègue
le 10 août 1678 entre la France et la Hollande, et Je 17 sep-
tembre avec TEspagne.
En janvier 1682 Tourville fut nommé lieutenant géné-
ral des armées navales. Vers la lin du mois d'août et les
premiers jours de septembre, sous les ordres de l'amiral
Duquesne, il alla bombarder la ville d'Alger; au mois d'a-
vril 1684 , la ville de Gênes; au mois de mai de la môme
année, une seconde fois Alger; et sous les ordres du maré-
chal d'Estrées, Tripoli au mois de juin 1685.
En 1689 le chevalier de Tourville fut nommé vice-
amiral de la flotte de la Méditerranée. « Le roi Jacques,
comme disait larchevêque de Reims, frère deLouvois, venait
de quitter trois royaumes pour une messe , » et Louis XIV
faisait des efforts extraordinaires pour le rétablir sur son
trône. Tourville fut chargé de la mission délicate et périlleuse
de réunir la flotte de la .Méditerranée à celle de l'Océan, que
commandait le comte de Château-Regnault, pour aller opé-
rer sur les côtes d'Irlande une démonstration en faveur du
roi détrôné. Le 20 juillet 1690 les deux amiraux rencontrè-
rent les flottes anglaise et hollandaise, fortes de 112 voi-
les, dans les eauxde l'îlede Wight. On se battit depuis neuf
heures du matin jusqu'à cinq heures du soir. Les Anglais ne
soutinrent le feu que trois heures. La plupart des vaisseaux
hollandais furent criblés et démâtés, les deux tiers de leurs
équipages tués ou bessés, mis hors de combat ou faits pri-
sonniers. Ils perdirent quinze gros vaisseaux ; le reste alla
se cacher entre les bancs de la Hollande ou vers la Tamise.
La flotte de Tourville se lança alors à la poursuite des An-
glais , et dans la baie de Teignmouth leur détniisrt douze
vaisseaux et un grand nombre de transports. L'année suivante
( 1 09 1 ) Tourville fut choisi pour commander la flotte de l'Océan.
Il tint la Manche libre, prit, avec trois vaisseaux de guerre
qui les escortaient, onze bâtiments marchands qui allaient
en Amérique, et favorisa la descente en Irlande des troupes
que Louis XIV envoyait a» roi Jacques. Mais ces secours
furent inutiles ; le roi Jacques perdit son royaume, et fut
obligé de revenir en France. Les flottes ennemies rentrèrent
dans leurs ports. Tourville ramena l'armée navale à Brest,
et revint à la cour.
Le cabinet de Versailles fit un nouvel effort ( 16&2) pour
changer la fortune des Stuarts. Les troupes étaient rassem-
blées entre Cherbourg et La Hogue : plus de trois cents bâ-
timents de transport étaient prêts à Brest; Tourville, avec
quarante-quatre grands vaisseaux , '.es attendait sur les cô-
tes de la Normandie , et d'Estrées arrivait de Toulon avec
l'escadre de la Méditerranée. Mais elle fut dispersée par une
tempête violente, et ne put opérer sa jonction. Tourville
aperçut au large, le 29 mai , à sept heures du matin ,
l'armée navale des alliés : elle était forte de quatre-vingt-
huit grands vaisseaux ; mais une brume épaisse ne permet-
tait pas d'en reconnaître le nombre. Il assembla le conseil
de guerre, et montra l'ordre qu'il avait reçu d'attaquer les
ennemis, quand même ils auraient des forces supérieures.
A dix heures, on vit un feu terrible sur toute la ligne, mais
surtout dans le corps de bataille; chaque vaisseau de l'es-
cadre avait affaire à deux ou trois de ceux des ennemis. A
sept heures du soir, plusieurs de nos vaisseaux qui étaient
mouillés eurent à soutenir, tant d'un bord que de l'autre,
le feu de quarante ou cinquante vaisseaux de l'armée na-
vale des alliés ; Tourville n'en perdit aucun. Il n'en fut pas
de même les jours suivants; quatorze grands vaisseaux
échouèrent sur la côte et furent brûlés par les ennemis.
« Cette défaite, dit Voltaire, a rendu Tourville plus célè-
bre que ses victoires. »
L'année suivante le roi nomma Tourville maréchal de
France (27 mars 1093), et lui donna le commandement de
l'armée navale qui devait partir de Brest. La flotte appa-
reilla le 26 mai , et se trouva le 1*'' juin à la hauteur de
Lisbonne. Le 28 du môme mois le maréchal de Tour-
ville découvrit la grande flotte marchande ennemie desti-
née pour Cadix, les côtes d'Italie et les Échelles du Levant.
Elle était escortée de vingt-sept vaisseaux de ligne, dont
le moindre était de cinquante canons. L'armée fit un cercle
d'une circonférence très-étendue dans laquelle on prit ou
brûla ceux qui furent enveloppés; les navires ennemis
étaient au milieu du demi-cercle, à quinze lieues delà terre
dont ils s'approchaient; à toute heure on en voyait sauter,
tantôt sur lacôte, tantôt en pleine mer. Vingt-sept bâtiments
furent pris, entre autres deux vaisseaux de guerre, et qua-
rante-cinq furent brûlés. Les pertes essuyées en cette occa-
sion par les Anglais et les Hollandais furent immenses. En
1694 Tourville eut le commandement de l'escadre destinée
à protéger les opérations des troupes du maréchal de Noail-
Ics en Catalogne. De 1695 à 1698 il exerça le commandement
supérieur sur les côtes du midi de la France. Au début de la
guerre de la succession d'Espagne, il fut naturellement dé-
signé pour le commandement des forces navales dans la
Méditerranée; mais il mourut le 28 mai 1701. Il avait quitté
l'ordre 3t la croix de Malte pour se marier ( 1690) avec la
marquise de La Popelinière , veuve très-riche , fille d'un
fermier général. Il n'avait point ces formes rudes que la
mer donne souvent à c«ux qui la parcourent; ses mœurs
étaient douces, ses manières distinguées. Les officiers l'ai-
maient comme un père et le regardaient comme un modèle ;
il inspirait aux soldats le même dévouement qu'il montraii
pour eux.
TOUSCIIY-KHAN. Voyez Djinghiz-Khanides.
TOUSEZ (ALcmE), artiste dramatique contemporain.
Fils d'un poôlier-fumiste, Alcide Tousez était né en avrii
1806. Son frère ahié, Léonard, tenait l'emploi des jeunes
636
TOUSEZ — TOWIANSKI
premiers au Thécifre des Variétés ; sa belle-sœur jouait au
Ïhi'àtre-Français. Alcide lui aussi voulut être coméilien ,
mais sans trop savoir d'abord à quel genre se vouer. En 1825
Seveste le fit débuter sur l'un des théâtres de la banlieue
dont il avait le privilège, dans le rôle deNérestan de Zaïre,
et pendant un an Tousez y remplit décemment les rôles de
jeune premier de tragédie. Mais notre artiste voulait être
applaudi; il renonça doncà doublerle Théâtre-Français, et se
prit à reproduire Brunet.VernetetOdry. Dece mo-
ment il devint le roi de la banlieue, et pendant huit ans il
fit les délices des habitués des théâtres exlra-muros. En
voyant ce nez grotesque, comiquement pointu, cette voix
comiquement éraillée, ce regard niaisement langoureux,
ce port de tète bouffon, ces jambes burlesques, cette allure
balourde, on se mit à rire. On ne se demanda pas s'il sa-
vait composer un rôle , s'il avait de la finesse, de la verve;
on ne remarqua pas que sa manière dédire était monotone,
son masque imraohile ; on ne se fâcha point de ce qu'il chan-
tait d'une façon désastreuse; on le trouva désopilant ; le
procès était gagné. Vers 18.33, le bruit de la renommée
d'Aicide s'en vint jusqu'au théâtre du Palais-Royal. M. Dor-
meuil , le directeur, voulut savoir à quoi s'en tenir sur le
talent de ce comédien qui, disait-on, jouait au théâtre du
Mont-Parnasse les rôles d'Arnal, d'Odry, de Vernet, les
jouait avec succès, et avait le rare mérite de ne copier per-
sonne. M. Dormeuii vit Alcide, et se prit à rire. L'engage-
ment fut signé. A quelques semaines de là, le G avril 1833,
Alcide débutait dans Maclou du ralet de ferme, et le pu-
blic l'accueillait avec bienveillance. Depuis ce jour chaque
apparition d'Aicide dans un personnage nouveau fut la con-
tinuation de son premier succès. Nous n'énumérerons pas
ici les cent quarante rôles qu'a joués Alcide pendant les dix-
sept années qu'il a passées au théâtre Montansier. Alcide,
si exhilarant à la scène, était en réalité d'un caractère es-
sentiellement mélancolique. Il appartenait à cette classe
d'acteurs qui semblent s'être imposé le devoir de réhabi-
liter aux yeux du monde la race des comédiens, que les
préjugi^s d'une autre époque représentaient comme une
agrégation d'hommes sans mœurs et sans conduite. Après
six mois de souffrances inouïes et quinze heures d'une ago-
nie affreuse, Alcide Tousez mourut, le 23 octobre 1850,
à l'âge de quarante-quatre ans.
TOUSSAINT, fête de tous les saints, l'une des quatre
grandes fêtes maintenues par le concordat. Le pape Boni-
face lY ayant ohlenu en 607 de l'empereur Phocas le Pan-
théon , qu'on nomme aujourd'hui ISotre-Dame-des- Mar-
tyrs ou de la Rotonde, à cause de sa forme en demi-globe,
le dédia à la Vierge et à tous les martyrs ; et c'est de celte
dédicace qu'est venue la fête de la Toussaint ou de tous
les saints, qu'on célèbre le 1" novemb'-e, et qui était au-
paravant un jour de jeune. En 83G ou S37, Grégoire IV
étant venu en France, Louis le Débonnaire ordonna la cé-
lébration de la Toussaint dans toute la Gaule et la Germanie.
Les Grecs célèbrent la Toussaint le dimanche après la Pen-
tecôte.
TOUSSAINT (Anna-Luize-Geutrude), connue par
la publication de quelques bons romans écrits en langue
hollandaise, née le 16 septembre 1812, à Alkmaar, débuta
en 1837 par le roman Almagro ,%\\Wi bientôt après du roman
De Graaf van Devons/lire, et en ISiO de De Engelsche
in Rom. Le succès qu'obtinrent ces deux ouvrages auprès
des compatriotes de l'auteur fut encore dépassé par Het huis
Sauernesse (1841 ; T édit. 1851), roman historique dont
le sujet est emprunté au temps de la Réformation, qui a été
traduit dans diverses langues étrangères et a obtenu une ré-
putation européenne , que n'ont pu (jue consacrer davantage
Jes romans Leyccster en Nederland, De vrouwen van hei
Leyces(er''sche Tijdperk , et Gedeon Florensz ( ensemble
9 vol., 1851 , 1854). C'est à l'histoire de la Hollande que Ger-
trude Toussaint a emprunté le sujet de tous ses ouvrages, qui
portent éminemment le cachet du génie hollandais. Douée
d'une imagination des plus vives, elle a pu avec la plus
étonnante facilité se figurer toutes les circonstances de temps
et de lieu et ranimer les siècles passés par le soufde de la
naïveté la plus fraîche. A cet avantage elle unit en outre le
tact historique le plus sûr, qui lui permet de voir juste au
milieu des événements et des caractères les plus confus. Tous
ses ouvrages portent l'empreinte d'une pieuse pensée chré-
tienne; et la fidélité historique qu'elle apporte dans les
moindres détails ne laisse pas que de leur donner une
certaine valeur même à ce point de vue. En 1845 la ville
d'Alkmaar lui conféra par une délibération expresse le droit
de bourgeoisie. C'est seulementen 1851 que Gertrude Tous-
saint s'est décidée à se marier et à épouser le peintre Bos-
boom, de La Haye.
TOUSSAINT LOUVERTURE. Voyez Louverture
(Toussaint).
TOUTE-BONNE. Voyez Ansérine.
TOUTE-ËPICE. Voyez Myrte, Nigelle et Piment.
TOUTENAG, TOUTENAGUE ou TOUTENAQUE.
Voyez Packfong.
tOUTE-SAÏNE. Voyez Millepertuis,
TOUTES TABLES (Jeu de). Voyez Back-Gam-
MON.
TOUX (en latin iussis), bruit occasionné par un ou
plusieurs mouvements d'expiration brusques et forcés. Ce
bruit, qui résulte des vibrations de l'air à travers la glotte
(ouverture du larynx) , peut affecter une origine et des ca-
ractères très- variés. Dépendant le plus souvent d'une affec-
tion des organes respiratoires, la toux peut résulter de cer-
taines lésions d'organes différents de ceux-ci. Dans le pre-
mier cas on dit que la toux est idiopathique,' el dans le
second elle est considérée comme sympathique. Ainsi l'on
admet une toux des dents, du pharynx, du larynx , des
bronches , du poumon , de la plèvre , suivant qu'elle résulte
d'une maladie siégeant dans ces divers organes. On admet,
en outre, une toux gastrique, cardiaque , nerveuse, dépen-
dant d'une maladie de l'estomac, du cœur, des nerfs, etc.
Quanta sou riiythme, la toux est rare ou fréquente; on
donne le nom de quinte à une succession d'efforts de toux
répétés, rapprochés , et dont les crises sont séparées par des
intervalles plus ou moins longs. Quant à son timbre, la
toux est aiguë, rauque, sibilante, sourde, caverneuse,
sèche, humide ou muqueuse, etc. La toux est un signe
précieux pour la détermination de certaines maladies : c'est
ainsi qu'elle constitue un des caractères les plus expressifs
du croup et de \acoqueluche; c'est un dessymp'.ômes
essentiels dalai bronchite (rhume ), delà pne u monte
(lluxion de poitrine), dtt\3L pleur ésie,d&\aL pht hisie;
elle accompagne souvent la dentition chez les enfants. C'est
elle qui la première ordinairement éveille l'attention du
malade ou du médecin surl'élat des organes respiratoires;
beaucoup de graves maladies résultent de foitx négligées. La
toux n'est donc par elle-même qu'un symptôme et non pas
une maladie ; mais ce symptôme peut aggraver la maladie de
laquelle il dépend , et mérite par cela même la plus sérieuse
attention.
Le traitement de la toux , on le conçoit maintenant, doit
donc varier selon la nature de la maladie de laquelle elle
dépend; néanmoins, la toux réclame quelquefois par elle-
même des moyens directs puisés généralement parmi les
adoucissants et les calmants. Dans tous les cas, le choix et
l'application de ces moyens appartiennent à l'homme de l'art,
qui seul peut prévenir les pratiques dangereuses el les er-
reurs funestes qui peuvent résulter de l'emploi des drogues
préconisées par les charlatans , pour lesquels la toux est une
mine d'exploitation féconde. Forcet.
TOWIANSKI , mystique polonais, qui fit une certaine
sensation à Paris, de 1841 à 1845, par ses idées de réforme
religieuse, est né vers 1800, en Lilhuanie, où son père était
propriétaire. Dans son enfance, il fut aveugle pendant plu-
sieurs années; et il est possible que cet état de cécité, joint
à une imagination des plus vives, ait développé chez lui les
premiers germes du mysticisme dont il devait faire profession
TOWIANSKI — TRADITION
637
plus lard. De 1808 à 1824 Towianski résida à Wilna. dont
l'université jetait alors le plus vil" éclat. On y cullivait toutes
les brandies du savoir humain , et la jeunesse qui en Iré-
quentait les cours (Towianski en acompte ensuite la plus
grande partie au nombre de ses adhérents), en se perdant
dans l'idéal, fournit de nouveaux éléments aux tendances
qui entraînaient Towianski vers le monde imaginaire.
Après avoir recouvré la vue d'une façon où l'on vit l'inter-
vention d'un miracle, il fut attaciié pendant quelque temps
comme notaire à un tribunal de cercle, et se maria. Dès celte
époque il parlait de révélations qui lui avaient été faites,
d'entretiens qu'il avait eus avec les esprits , avec des saints
et avec la mère de Dieu. Bientôt il prétendit être l'apôtre
saint Pierre, et sa femme sainte Philomèle. L'ancienne doc-
trine de la transmigration des âmes parait avoir été la base
de ces hallucinations. Le gouvernement, en raison de l'in-
convenance de ses propos et de sa conduite, le lit alors en-
fermer dans un hôpital. Mais comme c'était là un fou tran-
quille, on linit par lui rendre la liberté; et il alla alors vivre
dans son domaine. Il ne prit aucune part à l'insurrection
de 1830 , à laquelle il prédit une issue funeste; et après
la répression de la révolution il vécut pendant quelque
temps à Saint-Pétersbourg. Plus tard il alla voyager à l'é-
tranger, et séjourna d'abord à Posen, où il se donna pour un
envoyé de Dieu et chercha à faire des prosélytes à sa doc-
trine. Il eut même à celte occasion de fréquents entretiens
avec l'archevêque Dunin. Reconnaissant l'inutilité de ses
efforts pour se faire considérer comme un envoyé de Dieu,
il alla s'établir à Dresde , où il ne réussit pas davantage au-
près de ses compatriotes, puis à Bruxelles, pour y convertir
le dévot général Skrzynecki. C'est pour lui qu'il composa
sa Keslada, espèce de sermon ou d'homélie où il expose les
bases de sa doctrine. Mais Skrzynecki, lui aussi, refusa de
croire à sa mission divine. En désespoir de cause, Towianski
s'en vint alors à Paris pour voir s'il serait plus heureux avec
l'émigration polonaise, dans le sein de laquelle il comptait
beaucoup d'hommes avec lesquels il s'était lié à Wilna,
entre autres Mickiewicz. Celui-ci se déclara hautement
l'un des croyants de Towianski, siwtout après la guérison
de sa femme atteinte d'aliénation mentale. Mickiewicz,
professeur de littérature slave au Collège de France,
prêcha dans sa chaire la doctrine de Towianski, laquelle avait
pour but une transformation complète de l'humanité, non
pas seulement par une réforme de l'ordre de choses actuel,
mais encore par l'élévation de l'humanité à un état perma-
nent d'extase, seul moyen de comprendre et de réaliser les
idées de lumière, de vérité et de charité. Cette doctrine reçut
le nom de Messianisme , et Mickiewicz , non content de la
prêcher dans sa chaire, la développa encore dans un ouvrage
intitulé L'Église officielle et le Messianisme (2 vol.,
Paris, 1842). Après avoir produit dans de petits cercles d'é-
migrés polonais une impression des plus vives et pour ainsi
dire magique, Towianski en \inl, en 1842, à se proclamer
lui-même , en pleine église Noire-Dame, à l'issue du service
divin , le Messie de V humanité et plus particulièrement
de la Pologne, en annonçant le prochain rétablissement
de la patrie commune comme nation indépendante. Les plus
ardents d'entre les partisans de Towianski tinrent alors
sous sa présidence et sous celle de Mickiewicz des assemblées
régulières, qui donnèrent lieu aux rumeurs les plus étranges.
Ces menées, jointes à une prétendue prophétie relative à la
mort du duc d'Orléans, décidèrent le gouvernement à
expulser Towianski du sol français. Notre mystique se rendit
alors à Bruxelles, puis en Suisse, et de là à Rome. Expulsé
également de la capitale du monde chrétien à cause de ses
intrigues mystiques , il se retira en Suisse, où il vit aujour-
d'hui dans un grand isolement. L'émigration polonai.se re-
vint peu à peu de son engouement pour Towianski, et la
secte qu'il était parvenu à constituer a disparu.
TOXICOLOGIE(desdeuxmotsgrecsToïix6v, poison, et
XÔYoç, discours), science qui traite des poisons {voyez Em-
poisonnement et Poison).
TOXICOPHAGES (du grec toÇi/Ôv, poison, et
çayEiv, manger), mangeurs de poison. On s'habitue à tout,
même au poison. Mi thridate en offre un exemple célèbre.
TRABANS. Voyez Hallebardieus.
TRABUCAIRES, nom d'une espèce particulière de
bandits qui infestèrent surtout la Catalogne aux temps des
guerres civiles provoquées par don Carlos.
TRACHÉE. On donne ce nom, en histoire naturelle,
à de petits insectes et à des plantes formés d'un tube extrê-
mement délicat dans lequel se trouvent un ou plusieurs lilg
enroulés en spirale serrée, et servant à leur respiration.
TRACHÉE-ARTÈRE, canal cylindroïde, libro-
carlilagineux et membraneux , aplati en arrière, situé sur la
ligne médiane, au-devant de la colonne vertébrale, depuis
la partie inférieure du larynx jusqu'au niveau de la troisième
vertèbre dorsale. Arrivée à ce point, la trachée se divise en
deux branches, qui s'écartent l'une de l'autre en formant un
angle presque droit pour pénétrer dans les poumons, sous le
nom de b r 0 n c 11 e s. La trachée-arlère, ou porte- vent destiné
à conduire l'air pendant la respiration, est composée d'an-
neaux cartilagineux , incomplets en arrière , placés les uns
au-dessus des autres et liés ensemble par une membrane
fdireuse. L'intérieur de ce canal est tapissé pai' une mem-
brane muqueuse, présentant sur toute sa surface un grand
nombre de follicules muqueux. Sa partie postérieure est
formée par des fibres musculaires peu prononcées. Enfin ,
les vaisseaux qui alimentent ce conduit viennent des thyroï-
diens supérieurs et inférieurs, et ses nerfs lui sont fournis
par le pneumo-gastrique et par les ganglions cervicaux.
D"" CoLOMBAT (de l'Isère).
TRACÉ LO-OCCIPiTAL. Voyez Digastrioue.
TRACHÉOTOMIE (du grecTpaxeïa, trachée-artère,
et T£|xvEÎv, couper), incision faite à la trachée-artère.
TRACHOMA (du grecTpa^uç , ûpre, rude). On appelle
ainsi, en chirurgie, une espèce de dartre des paupières,
consistant en une certaine âpreté ou rudesse de la partie
interne des paupières, avec rougeur et démangeaison.
TRACHYTE, roche ignée qui abonde au Monl-Dore,
où elle atteint 1816™, qui a dû commencer à paraître à la
même époque que le basalte, cl qui a été surtout commune
aux dernières périodes de la formation du globe; ce qui
n'empêche pas qu'il ne s'en produise encore tous les jours.
C'est une pâte pétrosiliceuse compacte, d'aspect terne et
mat, enveloppant des cristaux de feldspath vitreux, de
texture quelquefois poreuse , âpre au toucher.
TRACA\ Voyez Destutt de Tkacv.
TRADlTIOi\. C'est, en termes de droit, l'action de
livrer une chose à quelqu'un , de l'installer en jouissance
d'un droit, de lui faire abandon d'une propriété. Autrefois,
en général, la tradition était nécessaire dans les conven-
tions pour transférer la propriété. C'est par elle que se con-
sommait la vente; et tant qu'elle n'était pas effectuée, le
vendeur était encore en droit de vendre et de transmettre
valablement à un autre l'objet déjà vendu. D'autres principes
sont aujourd'hui suivis sur cette matière. L'article 1138 du
Code Civil établit que l'obligation de livrer une chose est
parfaite par le seul consentement des parties. Il n'y a
d'exception qu'à l'égard des choses mobilières, dont la pro-
priété appartient à celui des deux acquéreurs qui le premier
en est mis en possession, pourvu toutefois qu'il soit de
bonne foi. La tradition des choses mobilières s'effectue |)ar
la remise réelle ou parla remise des clefs des bâtiments qui
les contiennent , ou même par le seul consentement des par-
lies , si le transport ne peut pas s'en faire au moment de la
vente, ou si l'acheteur les avait déjà en son pouvoir à un
autre litre. Quant aux droits incorporels , la tradition s'en
fait ou par la remise des titres, ou par l'usage que l'acqué-
reur en fait du consentement du vendeur.
On appelle tradition, dans le langage philosophique,
toute espèce de récit transmis oralement de génération en gé-
nération , ou le Mode même de transmission. On sait qu'a-
vant l'invention .de l'écriture , la tradition orale était le
'6S8
TRADITION — TRAFALGAR
.seul moyen de conserver le souvenir d'un événement, et
<juc c'est la source à laquelle puisèrent les premiers histo-
riens. Toutes les nations ont conservé les souvenirs de leur
existence antérieure à l'origine de leur littérature dans des
traditions d'autant plus enveloppées de mythes et d'obscu-
rités qu'elles remontent plus haut dans les âges. De toutes
les sources de l'histoire , la tradition est donc l'une des plus
incertaines , quoique chez les peuples encore peu avancés
en civilisation on la trouve constamment entourée d'un ca-
ractère sacré et ainsi protégée jusqu'à un certain point contre
les altérations et les falsifications. En revanche, elle fournit
à la poésie les plus précieux éléments et explique la signili-
cation réelle des rites que les diverses religions de l'antiquité
empruntèrent aux temps primitifs de l'histoire des peuples.
Par tradition l'Église catholique entend la parole non
écrite de Dieu , c'est-à-dire les enseignements de Jésus-
Chirist et des apôtres transmis oralement et conservés dans
l'Église, avec l'assistance du Saint-Esprit, parles évêques,
qui se les transmettent fidèlement les uns aux autres. Les
Pères de l'Église en sont regardés comme la source princi-
pale. Les protestants n'ont point rejeté absolument la tra-
dition et ont au contraire conservé plusieurs des usages
qu'elle consacre, par exemple le baptême des enfants, la
communion, la célébration des grandes fêtes; mais ils se re-
fusèrent à admettre que ce que l'Église catholique considère
comme la ^radj^jo/iflpos/o/iyaesoit le fondementd'une vérité
religieuse quand elle n'est pas confirmée par quelque pas-
sage formel de l'Évangile. L'Église catholique, au contraire,
attribue à la tradition une autorité divine, et en fait dès lors
nne des bases de ses dogmes; et en cela elle n'est que
conséquente, puisqu'elle enseigne que l'Église, représentée
par les conciles , les Pères et les papes , a constamment été
inspirée par le Saint-Esprit comme le furent les Apôtres. Les
protestants ont d'ailleurs assez mauvaise grâce à mettre
l'Écriture au-dessus de la tradition, puisque force leur est
bien de convenir que les réformateurs du seizième siècle ont
basé leur croyance à l'authenticité des livres bibliques sur
le témoignage traditionnel de l'Église pendant les cinq
premiers siècles de l'ère chrétienne.
TRADUCIANISME (Doctrine du). Voyez Péché
Originel et Préexistence.
TRADUCTIOIV (du latin traducere , Um&mMre) ,
version, translation d'un ouvrage dans une langue différente
de celle où il a été écrit. Il y eut des traductions du mo-
ment où se trouvèrent en rapports deux littératures, dont
l'une offrait des œuvres écrites que par un motif quelcon-
que il paraissaildésirable d'introduire dans l'autre. Les Grecs
à l'époque oii florissait leur littérature, qui était presque
entièrement originale , eurent peu d'occasions de traduire,
d'une part parce qu'ils étaient réellement supérieurs à leurs
voisins dans tout ce qui était science et art, ou du moins
parce qu'ils croyaient l'être, et de l'autre parce qu'il y avait
•chez eux une telle force de création, qu'ils n'accueillaient
absolument rien d'étranger, et qu'ils avaient l'habitude,
lorsque cela leur arrivait par hasard, de le transformer com-
plètement. Ce fut seulement lorsque leur propre énergie
diminua, et généralement encore fort fard, qu'ils traduisi-
rent quelques ouvrages des langues scientifiques, par exem-
ple du phénicien l'histoiredeSanchonia thon,et du latin
plusieurs ouvrages, tels que celui d'Eutrope, les Com-
mentaires de César sur la guerre des Gaules, etc. Les Ro-
mains, au contraire, qui eurent les Grecs pour instituteurs
dans les arts et les sciences, formèrent leur littérature tout
d'abord et plus tard encore d'après celle des Grecs, de sorte
que les traductions et les imitations d'ouvrages grecs cons-
tituèrent une partie principale de la littérature romaine,
même au siècle d'Auguste. Mais comme il n'y avait pas de
Romain un peu instruit qui ne possédât assez bien la langue
grecque pouF pouvoir lire lui-même et comprendre les ori-
ginaux grecs, les traducteurs ne s'attachaient pas seulement
à reproduire dans la littérature nationale les ouvrages dont
ÎÎ8 s'occupaient , mais encore à atteindre à la perfection et à
la beauté de formes des originaux, et à prouver, -par orgueil
national, que la langue latine valait la langue grecque. On
continua donc encore assez tard sous les empereurs à
traduire du grec des poètes et des orateurs , et on recom-
mandait même ces traductions comme exercices de style ;
aussi ne reproduisait-on pas toujours les paroles de l'original
avec une fidélité littérale. Les Romains traduisirent très-peu
de chose des littératures autres que la littérature grecque,
et encore n'était-ce alors que pour la valeur intrinsèque des
ouvrages. Dans la plupart des traductions des peuples de
l'Orient on ne se préoccupe guère non plus que du contenu
même des ouvrages , sans songer à leur forme. C'est ainsi
que les Chinois , les Thibétains et les Mongoles ont traduit
du sanscrit un grand nombre de livres bouddhistes, les
Persans dès les temps les plus reculés des ouvrages re-
ligieux du zend en pehiewi, et à partir du neuvième siècle
divers ouvrages hindous et grecs en néo-persan. Au
deuxième siècle commencent les traductions syriaques du
grec, puis au quatrième siècle les traductions arméniennes
du syriaque et du grec. C'est aussi du quatrième siècle que
datent dans la littérature éthiopienne les nombreuses tra-
ductions d'apocryphes grecs; puis au huitième siècle ap-î
paraissent les traductions arabes de l'ancien persan , dd
syriaque et du grec, traductions encouragées surtout par
Harounal-Raschid. Beaucoup de ces traductions sont d'une
haute valeur pour la science , tantôt parce qu'elles facilitent
l'intelligence des originaux composés dans des langues plus ou
moins connues, tantôt parce qu'elles suppléent des originaux
aujourd'hui complètement perdus. C'est ainsi qu'une traduc-
tion arménienne nous a conservé la Chronique d'Etisèbe,
une traduction éthiopienne le Livre d'Enoch, une traduction
arabe la seconde moitié des Sections coniques d'Apollonius
de Perge. Ce furent même des traductions arabes qui au
moyen âge firent connaître à l'Espagne toute la philosophie
d'Aristote. Au moyen âge le latin fut pendant plusieurs siècles
la langue savante et religieuse commune à toute l'Europe
romaine et germaine. On n'y eut dès lors besoin que d'un
petit nombre de traductions, et encore la plupart d'entre
elles se rattachèrent-elles par quelque côté au latin. On
traduisit un certain nombre d'ouvrages en latin, no-
tamment de l'arabe et de l'hébreu , mais bien moins du latin
dans les langues nationales , notamment en allemand et en
anglo-saxon. Les traductions de cette dernière espèce , genre
de travail dans lequel se distinguèrent surtout les moines
de Saint-Gall, ont une importance toute particulière comme
sources pour étudier les anciennes langues germaniques.
Mais aussitôt que les littératures des diverses langues ro-
manes et germaniques commencèrent, au douzième et au
treizième siècle, à prendre de plus riches développements,
les traductions devinrent plus fréquentes et embrassèrent
un plus grand nombre de sujets. On traduisit alors avec
ardeur, non-seulement du latin, mais encore d'une langue
nationale dans une autre, tantôt en suivant fidèlement les
originaux , tantôt en se bornant à une imitation plus
ou moins libre." Dès le quatorzième siècle on commença
en Italie et en France à traduire des classiques grecs, tant
en latin que dans la langue nationale. Les traductions en
langue nationale furent surtout nombreuses en France,
où l'excellente traduction de Plutarque par Amyota con-
servé jusqu'à nos jours une réputation méritée. Au sei-
zième siècle, tous les classiques grecs et latins furent
traduits dans les diverses langues de l'Europe; et celles-ci se
sont successivement enrichies depuis cette époque de toutes
les productions remarquables, en quelque genre que ce fût,
qui paraissaient chez une nation voisine. Ces emprunts réci-
proques ne sauraient être trop recommandés; ils contri-
buent à propager les notions et les idées utiles, et renver-
sent à la longue les barrières que la politique voudrait
maintenir entre des nations faites pour se comprendre, s'es-
timer et s'aimer.
TRAFALGAR, cap de la province de Sévillc (Espa-
gne), dans l'Atlantique, entre le détroit de Gibraltar et
ÏRAFALGAR — TRAGÉDIE
639
Cadix , est surtout célèbre par la bataille navale qui se livra
dans ses eaux le 22 octobre 1805. Dans le courant de l'été,
la aolle française, forte de vingt-quatre vaisseaux de ligne
et partie de Toulon sous les ordres de l'amiral Villeneuve ,
avait rallié dans les eaux de Cadix la flotte espagnole, com-
mandée par l'amiral Gravina, et avait fait voile pour les In-
des occidentales. Nelson, qui avait été lancé à sa poursuite
avec une flotte plus forte de près du double, l'y chercha vai-
nement, parce qu'elle était repartie pour l'Europe; et il l'y
suivit. Le 22 juillet, l'amiral Calder, avec uneflotte de quinze
vaisseaux de ligne, avait rencontré la flotte française et es-
pagnole à lahauteur de La Corogne, et lui avait livré une ba-
taille demeurée indécise, parce qu'un épais brouillard vint
séparer les combattants. Toutefois, deux des vaisseaux espa-
gnols étaient tombés au pouvoir des Anglais. La flotte fran-
çaise et espagnole entra dans le port de La Corogne, où elle
trouva des renforts qui portèrent son effectif à trente-quatre
vaisseaux de ligne; et Calder jugea prudent de s'éloigner. Pen-
dant que ceci se passait, Nelson, qui était aussi allé chercher
des renforts en Angleterre, parut devant Cadix, où les flottes
alliées étaient à l'ancre. Voulant les amener à accepter une
bataille, il manœuvra comme si son intention avait été de
s'éloigner; et son stratagème lui réussit. Le 19 octobre les
deux flottes combinées quittèrent Cadix ; et le 21, Nelson
les rencontra à la hauteur du cap Trafalgar. Dès le 4 octo-
bre il avait communiqué son plan de bataille aux différents of-
ficiers placés sous ses ordres. Sa flotte, devingt-septvaisseaux,
marcha en deux colonnes sur la flotte française st espagnole,
qui comptait trente-trois vaisseaux de ligne, formant une ligne
«le bataille d'environ deux kilomètres, et qui à l'approche des
Anglais se rangea en demi-cercle. Mais Nelson, qui avait
l'avantage du vent, commandait d'ailleurs à des équipages
plus expérimentés. Il rompit la ligne ennemie sur deux
points. Les vaisseaux se trouvèrent à portée de pistolet ;
plusieurs 'furent pris à l'abordage; d'autres sombrèrent sous
voile. La bataille ne dura que trois heures. Gravina, l'ami-
ral espagnol, mourut de ses blessures. Dix-neuf bâtiments,
dont un vaisseau de 130 canons et un autre de 120, tombè-
rent au pouvoir des Anglais. L'amiral français, Villeneuve,
fut fait prisonnier, de môme que le vice-amiral espagnol
Alava et le contre-amiral Cisneros. Ce fut le dernier et le
plus glorieux des triomphes de Nelson. Un matelot du
vaisseau la San^a-Trinidad le reconnut à ses décorations
et le visa en pleine poitrine. La balle traversa la plaque delà
Jarretière qui ornait sa poitrine. L'amiral Collingwood le
remplaça dans le commandement en chef. Quatre des vais-
seaux delà flotte française parvinrent à se sauver et se dirigè-
rent vers Le Ferrol , où le 4 novembre suivant ils furent pris
par l'amiral Stracban. Il ne restait plus que dix vaisseaux
de toute cette immense flotte, dont la construction avait
coûté six années d'efforts et de travaux.
TRAFIC (de la basse latinité traficium, mot formé
lui-môme de irans, au-delà, et/acere, faire) désigne
plus spécialement le commerce éloigné, le commerce
avec l'étranger. C'est proprement le transport d'une mar-
chandise d'un lieu dans un autre ; il s'entend également de
l'action du vendeur qui se met entre le propriétaire et je
consommateur pour transporter de l'un à l'autre une mar-
chandise ou un objet de jouissance. Les banquiers, par
exemple, trafiquent Ae. l'argent, des papiers, des valeurs
commerciales, h&mol trafic appliqué dans le sens figuré aux
choses morales est toujours pris en mauvaise part et comme
inspiration, préoccupation de petits intérêts, de basse in-
dustrie ou devenante : on fait des ^ro/?C5 d'amitié, de bien-
faits, de louanges, d'amour, de complaisance , c'est-à-dire
que l'on vend toutes ces choses, qui devraient toujours se
donner. « On trafique de l'amour et de la vertu (a dit
La Biujère); tout esta vendre parmi les bommes. »
Edme HÉREAU.
TRAGEDIE ( du grec xpaYo;, bouc, et wôt] , chant),
littéralement chant dti bouc, parce que chez les Grecs le
Orix de ce poème fut d'abord un bouc. C'est le nom qu'on
donne à la création la plus élevée de l'art dramatique, à
l'imitation d'une action grande et vraisemblable, qui se passe
parmi des personnages célèbres. On prétend qu'Icarius,
qui le premier cultiva la vigne en Grèce, aux environs
d'Athènes, trouvant un jour un bouc qui mangeait ses
raisins , le lia et le donna à ses ouvriers , qui , parés de
pampre, dansèrent autour en chantant. Ce divertissement
devint en usage pendant les vendanges; le bouc fut sacrifié
annuellement à Bacchus , et les hymnes que les prêtres de
ce dieu lui adressaient par la suite furent appelés tragodos ,
chants sur le bouc. Un certain Épigène, natif de Sicyone,
imagina de donner une nouvelle forme à ce chant mono-
tone et peu varié; il mit Baccbus en scène et le fit dia-
loguer. The spi s s'empara de celte forme nouvelle; il com-
posa des pièces pour la représentation desquelles il se faisait,
traîner de bourgade en bourgade sur une sorte d'échafaud,
roulant, du haut duquel, barbouillé de lie, couronné de,
lierre et de vigne , il déclamait ses ouvrages avec quelques
compagnons. Ce spectacle plut : bientôt, les aventures de
Bacchus épuisées , Tliespis traita des sujets étrangers à ce
dieu. Solon réprimanda ce poète de celte innovation, et
Diogène Laerce nous apprend qu'il lui fut défendu de com-
poser de nouvelles tragédies. Thespis vivait en la soixante-
et-unième olympiade. Il parait que cette défense fut d'abord
rigoureusement observée; mais vers la soixante-septième-
olympiade on se relâcha de cette sévérité, puisque Phryni;
chus, Athénien, inventeur du vers tétramètre, composa, selon
Suidas, neuf tragédies, dont il ne nous restequeles titres. Il in-
troduisit le premier sur le théâtre les personnages de femmes.
Alcée, autre poète athénien delà même époque, composa
aussi des tragédies; et il tenait, selon plusieurs historiens, le
premier rang parmi les tragiques de son temps, quoique moins
fécond que Cbœrilus,auteurdecent cinquante tragédies, dont
treize furent couronnées. On prétend que ce fut ce dernier qui
fit décorer la scène et prendre aux acteurs le costume propre
à leur rôle. La danse , qui faisait partie de la gymnastique,
et qui était introduite dans toutes les cérémonies religieuses,
le fut par conséquent dans la tragédie. La tragédie, qui
dans le principe n'était qu'un chaut en l'honneur de Bac-
chus, ne perdit Jamais entièrement la trace de cette origine,
rappelée au moins par le chœur, qui fut conservé. La mu-
sique faisait donc partie essentielle de la tragédie, et sous
Thespis le chœur fut interrompu par un interlocuteur;
elle atteignit bientôt à un plus haut point de perfection. Le
dialogue en devint la partie importante, de secondaire qu'il
était, et le chœur ne fut plus qu'un accessoire, mais tou-
jours intéressé dans l'action; lorsque les personnages
principaux cessent d'agir, le chœur s'entretient de ce qui
vient de se passer, de ce qu'il en doit craindre ou espérer.
Il remplissait enfin tout le temps pendant lequel les acteurs
n'occupaient point la scène, et les accompagnait quelquefois
dans leurs plaintes et leurs regrets; raison fondée s>ir l'intérêt
que peut prendre le peuple au malheur de son roi. Les autres
avantages du chœur étaient de varier le spectacle par le charme
de la musique. La danse avait celui d'en augmenter la
pompe et d'y ajouter cette solennité propre aux cérémonies
religieuses. Eschyle, Sophocle et Euripide, dont les
ouvrages nous sont parvenus en partie, nous prouvent le
degré d'intérêt auquel ce genre de composition était par-
venu chez les Grecs. Eschyle fut le premier des auteurs dra-
matiques grecs venus jusqu'à nous qui donna à la tragédie la
forme adoptée par ses successeurs , et que nous-mêmes
avons tenté d'imiter. Plus ancien que ses rivaux, les pro-
ductions de son génie conservent aussi un caractère plus
simple, plus grave, plus héroïque enfin. Sophocle apporta-
sur la scène plus de régularité , de noblesse et de décence;
il tire son intérêt delà pitié plutôt que de la terreur. Euri-
pide ne se renferma pas strictement dans la carrière tracée
par ses prédécesseurs; il hasarda quelques excursions, et
agrandit le domaine tragique. La passion sous sa plume
est plus désordonnée ; son allure est moins digne , et le
pathétique qu'il affectionne est puisé dans les événements
C40
TRAGEDIE — TRAIN
de la vie commune , de préférence à ceux que fournissent
riiisloire ou la mythologie. Ce ne fut que lorsque la tra-
gédie prit une forme régulière , c'est-à-dire sous Eschyle et
vers la soixante-dixième olympiade, que l'usage de la re-
présenter avec des masques sur le visage des acteurs s'é-
tablit généralement. Les masques employés pour les repré-
sentations scéniques étaient des espèces de casques qui
renfermaient toute la tête, et qui, outre les traits de la
figure, représentaient encore la barbe, les cheveux , les
oreilles et jusqu'aux ornements que les femmes employaient
dans leur coiffure. L'habitude de nos petites salles de
théâtre, qui nous permettent de jouir du jeu de la physio-
nomie de nos acteurs, nous laisse difficilement comprendre
l'avantage de ces sortes de masques; mais si nous réflé-
chissons que leurs théâtres étaient d'immenses cirques sans
toiture, où quelques spectateurs étaient éloignés de
plus de deux cents pieds du lie» delà scène, nous recon-
naîtrons que les inconvénients que nous attribuons au
masque devaient disparaître. Il faut ajouter que la concavité
de ce masque servait à augmenter le volume de la voix de
l'acteur; que ce masque cachait le visage de celui qui rem-
plissait un rôle de femme, car le théâtre des anciens était
interdit à ce sexe; enfin, que le masque aidait à faire re-
connaître le héros dont la physionomie avait un type connu
et à agrandir sa taille sans rompre les proportions élevées
que donnaient à l'acteur ses brodequins exhaussés et l'am-
pleur de ses vêtements. Cet usage enfin, adopté par le
peuple le plus sensible à la beauté , ne devait pas être si
absurde, puisque les Romains s'y conformèrent, et que ce
n'est que de nos jours qu'il a été abandonné à l'Opéra, où
il avait été importé d'Italie par le cardinal Richelieu.
La tragédie prit naissance à Rome longtemps après la
comédie. Le peuple romain n'était pas né poétique , et ce
ne fut que par imitation que la comédie régulière, la tragé-
die , et même la danse noble el dramatique se naturalisèrent
dans le Latium. Aussi les Romains ne parvinrent-ils pas à
donner à leur tragédie une physionomie nationale; tous
les sujets qu'ils traitèrent furent grecs et, dans les tragé-
dies qui nous restent de Se nèq ue l'emphase et le pathos
remplacent la noblesse des sentiments exprimés avec tant
de charme et de poésie par les tragiques grecs. Pour l'his-
toire de la tragédie moderne nous renverrons le lecteur aux
articles consacrés, dans ce dictionnaire aux théâtres français,
anglais , italien , allemand , espagnol , etc.
TRAHISON , HAUTE TRAHISON ( Droit criminel ).
La trahison consiste en général dans l'intelligence ou la
coopération coupable d'un individuavec les ennemisde l'État.
Dans tous les temps et chez tous les peuples , les traîtres ,
o.bjet de mépris pour leurs concitoyens, ont été livrés sans
pitié à toute la rigueur des lois. Aujourd'hui encore la peine
le plus fréquemment appliquée au crime de trahison est
partout la peine capitale , surtout lorsqu'il est commis en
temps de guerre déclarée, et même dans ces circonstances
critiques où la fidélité des citoyens à leur patrie est non seu-
lement un devoir, mais encore un besoin plus impérieux
que jamais pour l'État.
Dans notre législation , pour avoir une idée exacte et pré-
cise de tous les fails qui constituent la trahison devant
Vennemi , comme crime militaire , il faut se reporter aux
lois du 21 brumaire an v et du 21 prairial an vi , qui pro-
noncent, ainsi que le décret du 16 mai 1793, la peine de
mort contre tout militaire ou individu attaché à l'armée
convaincu de ce crime, quel que soit d'ailleurs son état ou
son grade. La législation sur celle matière est complétée
par les articles 75 et suivants du Code Pénal, qui embras-
sent dans leur ensemble la généralité des cas de trahison
imputables à tout ciloyen non militaire.
Quant au crime de haute trahison, il n'est point spécia-
lement et nominativement désigné ni défini dans le Code
Pénal. La Charte de 1830 déffère à la cour des pairs la con-
naissance « des crimes de haute trahison et des attentats
è la sûreté de l'État , qui seront définis par la loi « . Ces
derniers mots semblaient indiquer qu'une loi spéciale sf-
rait rendue comme complément nécessaire et de cet article
28 et des dispositions du Code Pénal relatives à la matière.
Mais les deux seules lois qui s'en soient occupées , celles du
10 avril 1834 et du 9 septembre 1835 , ne concernaient que
les crimes et délits commis par les associations ou par la
presse.
La constitution de 1791 déférait les crimes de lèse-na-
tion , ou crimes d'État, au jugement d'une haute cour na-
tionale. Cette même juridiction reçut ensuite de la cons-
titution de l'an m le nom de haute cour de justice , puis
d'un sénatus-consulte de l'an xii celui de haute cour impé-
riale ; la Restauration l'abolit implicitement par les articles
33 , 34 et 35 de la charte de 1814 , constituant en la cham-
bre des pairs un tribunal , soit pour juger ses membres ,
soit pour juger les ministres, soit pour prononcer sur les
crimes de haute trahison et attentats à la sûreté de l'État.
La révolution de 1830 maintint cette juridiction supérieure
et sans appel , sans toutefois régler sa compétence.
Pour préciser le sens et la portée des mots trahison et
haute trahison , en l'absence de lois spéciales , nous som-
mes obligés de les considérer comme des termes généraux
applicables aux attentats commis par des fonctionnaires
publicsou desimpies particuliers contre ]3iSÛreté extérieure
ou intérieure de l'État et contre la constitution , crimes
prévus et punis par le Code Pénal (livre lit, titre l"). Les
crimes contre la sûreté extérieure comprennent le port
d'armes contre la France , les machinations , manœuvres ,
intelligences et correspondances coupables avec les ennemis
de l'État , les communications de plans , le recel d'espions
ou de soldats ennemis , et généralement toutes les actions
hostiles non autorisées par le gouvernement , el qui ont été
de nature à provoquer, soit une déclaration de guerre , soit
des représailles. Les crimes contre la sûreté intérieure
embrassent les attentats et les complots contre l'empereur
et les membres delà famille impériale, les actes tendant à
troubler l'État par la guerre civile , l'emploi illégal de la
force armée, la dévastation et le pillage publics, hescrimes
contre la constitution sont ceux qui ont eu pour objet d'en-
traver le libre exercice des droits civiques par l'emploi de
la violence, des menaces ou delà corruption, d'attenter à
la liberté individuelle, de concerter des mesures contraires
aux lois, etc. Le Code Pénal , dans ces différentes cas , se-
lon leur gravité, selon l'intention plus ou moins criminelle
des individus , prononce des peines plus ou moins rigou-
reuses , depuis la peine de mort jusqu'à celle du simple
emprisonnement. La connaissance de ces divers attentats ,
crimes ou délits , attribuée sous le régime parlementaire à
la cour des pairs, appartient aujourd'hui aux cours d'assises.
De ce qui précède nous devons donc conclure que dans l'état
actuel de la législation les crimes de trahison ou de haute
trahison (sauf les cas prévus par les lois militaires) peuvent
s'identifier avec les complots et attentats soit contre la sû-
reté intérieure ou extérieure de l'État, soit contre la constitu-
tion , et doivent être punis des peines édictées par le Code
Pénal de 1810.
TR AILLE. Voyez Pont-Yolant.
TRAIN. Les acceptions de ce mot sont nombreuses. Il se
dit des chevaux et des autres bêtes de trait : Le train de ce
cheval est doux; il va bon train. Au figuré, mener quel-
qu'un bon train c'est ne le point ménager dans une af-
faire, l'obliger à faire ce qu'on veut. Train se dit encore
d'une suite de valets , de chevaux, etc. : Réformer le train de
sa maison. Il signifie, par extension, bruit, tapage, vacarme,
comme en font d'ordinaire les gens ivres ou grossiers. Il
se prend aussi pour genre de vie : Mener un train de vie
réglé. Être en train déjouer, de rire, de courir, etc.,
c'est être disposé ou occupé à faire tout cela. Le boute-
en-train dans la langue du peuple est celui qui excite les
autres à la joie.
On donne aujourd'hui le nom de trains aux convois de
marchandises ou de voyageurs sur les chemins de fer dont
les diverses aJniinîslralioils organisent de temps à autre en
laveur du public ce qu'on appelle des trains de plaisir;
■voyages à prix réduits entre un point et un autre. Ainsi ,
aux environs de Paris pendant l'été nous avons tous les di-
manches des trains de plaisir pour Fontainebleau , pour
Compiègne, et de temps à autre pour quelque port de mer.
TRAIN (Art Militaire). Ce que les anciens récits et
les \ieux auteurs militaires appelaient équipages et char-
roi a pris un nom particulier, et s'est appelé train à
partir du consulat. Jusque là cet ensemble de personnel et
de matériel n'avait point appartenu aux institutions perma-
nentes de l'armée ; on se contentait de rassembler brus-
quement, au hasard, bêtes de trait et gt-ns d'équipage,
tantôt de vive force, tantôt en vertu de marchés transi-
toires , onéreux , rarement observés avec fidélité. Ce sont
les Prussiens (car en mille cas on est bien forcé deciter l'ar-
mée de Frédéric II) qui nous ont donné la première pen-
sée du train d'artillerie. Ce monarque tirait de ses ca-
nonniers mêmes les conducteurs des chevaux attelés aux
pièces et à leurs caissons. Quand la guerre de la révolution
éclata, aucun système de transport méthodique d'artillerie
n'existait encore ; la guerre semblait ne devoirêtreque dé-
fensive : on pensait que la toute-puissance des réquisitions
suffirait à tout : quand elle eut été reconnue insuffisante, la
ressource ruineuse des entreprises n'aboutit qu'à un ser-
vice mal fait. Bonaparte, général en Italie, avait eu occa-
sion de le reconnaître. Devenu général de l'arméed'Égypte,
il se vit dans la nécessité d'adopter une marche tout autre :
il y était obligé par l'éloignement de la métropole, par la
forme d'un gouvernement à part. Dans cette position excep-
tionnelle, l'arlillerie française fut donc forcée d'organiser
elle-même ses moyens de transport et de charroi, comme
elle était forcée de pourvoir à tous ses autres besoins. Une
des premières pensées de Bonaparte devenu consul fut de
porter remède au misérable état de choses qu'il retrouvait
en France ; et un règlement de brumaire donna , en l'an vm,
naissance au train d'artillerie. Chaque régiment eut,
vers le milieu de la même année , son train , sous les or-
dres d'un capitaine ad hoc. Le train , primitivement formé
de trente-huit bataillons, lutlicenciéen germinal de l'an ix, et
remis sur pied en messidor, au nombre de huit bataillons.
C'est à partir de cette dernière époque qu'il faut regarder
le train d'artillerie comme une institution permanente ,
devenue le modèle du train des équipages et du train du
génie. Vers la (indu règne de Bonaparte, l'ensemble des
trains s'éleva jusqu'à l'effrayante proportion de 30,000
liommes. Depuis la restauration, le train a été reconstitué
sur un pied nouveau : les bataillons sont devenus des esca-
drons; les officiers et sous-officiers, en nombre jusque là
très-restreint , et d'un ordre très-infime, ont été plus nom-
breux et d'un rang plus élevé: il en est résulté des frotte-
ments, des difpcultés, des débats de toutes natures ; ce qui a
fait germer la résolution d'une réorganisation nouvelle
G"' Baruin.
TRAIN DE BOIS. Voyez Flottage des Bois.
TRAINEAU , sorte de voiture que l'on traîneau lieu
de la mettre sur des roues et de la faire rouler sur la voie
qu'elle doit parcourir. Le transport effectué sur ces voitures
se nomme traînage ; mais il n'est praticable que sur des
routes assez glissantes pour que l'on soit dispensé de di-
minuer la résistance causée par le frottement. Les glaces
assez unies et les neiges consolidées par la pression possè-
dent éminemment cette propriété ; en sorte que durant
les longs et rigoureux hivers des hautes latitudes les traî-
neaux sont les seules voitures mises en mouvement par les
habitants de ces contrées , et ils suffisent à tout, même aux
fantaisies du luxe. Tous les fardeaux y sont traînés ;\es
autres moyens de transport ont cessé jusqu'à la fin du traî-
nage , peu de temps avant la fonte des neiges et des glaces.
Outre ces voies naturelles que les traîneaux peuvent sil-
lonner dans tontes les directions, il y en a d'artificielles,
«|ue l'on construit en certains lieux pour des transports qui
WCT. DE LA CONVEBS. — T. XVI.
TRAIN — TRAITANTS R41
seraient impraticables ou dangereux pour des chars. Telle
est, par exemple , l'exploitation des forêts sur les pentes es-
carpées des montagnes. Après avoir tracé sur le terrain la
ligne que le transport devra suivre, on dispose, peipt>ndi-
culairement à cette ligne, des bûches bien droites, éloignées
Tune de l'autre de cinq à six décimètres au plus , et plus rap-
prochées à mesure que la pente est plus roide ; on les attache
fortement sur la terre, et c'est sur cette longue échelle que
le traîneau glissera avec sa charge. Le conducteur est en
avant, non pour tirer le fardeau, mais pour modérer la vi-
tesse de sa descente et le maintenir sur la voie dont il ten-
drait à s'écarter dans les tournants. A mesure que les bois
de la partie la plus élevée sont descendus de cetle ma-
nière , on charge sur le traîneau les bûches qui formaient
la partie du chemin devenue inutile ; et lorsque l'exploita-
tion est terminée, ce chemin a disparu.
Il est assez vraisemblable que les traîneaux furent les pre-
mières voitures dont on se servit pour rendre les transport."
moins pénibles: l'addition de» roues fut un immense perfec-
tionnement, et fit abandonner presque partout la première
forme de cet essai de l'art du charron, excepté dans quel-
ques casetquelqueslieux. Mais dans les contrées du Nord, où
la neige et les glaces couvrent la terre et les eaux durant !a
moitié de l'année , ou plus longtemps encore , les traîneaux fu-
rent conservés comme équipages d'hiver, et les services qu'ils
rendaient les ont fait approcher graduellement de la perfection
qu'ils peuvent atteindre suivant leur destination. Si on les
considère seulement comme moyens de transport, l'art
n'avait presque rien à faire ; et la première conception de
cette sorte de voitures ne pouvait différer essentiellement
de la forme qu'on lui donne artuellement. Mais si les con-
ditions d'utilité peuvent être satisfaites si promptement et
à si peu de frais, celles de l'élcganceet de la comiriodilé sont
plus exigeantes , et ont imposé plus de recherches et de
soins ; l'art y a pourvu. Dans les grandes capitales du Nord,
on voit des traîneaux dont un peintre adopterait la forme
pour représenter le char aérien d'une divinité de l'Olympe.
Mais d'autres objets dissipent l'illusion poétique, et ramè-
nent la pensée vers des réalités beaucoup moins agréables.
Les neiges sur lesquelles le char glisse avec tant d'aisance
avertissent qu'on est sous l'empire de l'hiver; et si des
femmes d'une beauté remarquable viennent se placer sur
cet équipage, bien digne de les porter, d'épaisses fourrures
les enveloppent, vêtement qui ne fut jamais celui des
grâces, et sous lequel toutes les formes disparaissent. Quant
aux attelages , ils sont un des ornements des courses en traî-
neau ; l'opulence fastueuse met jusqu'à six chevaux à ces voi-
tures, si légères que deux chiens kamtchadales suffiraient
pour les faire mouvoir presque aussi rapidement. En La-
ponie on attelle des rennes aux traîneaux ; et à l'est de
notre continent les chiens remplacent les chevaux et les
rennes. Les neiges ne sont pas toujours également favora-
bles aux voyages en traîneau. Un froid extrême et prolongé
les réduit en poussière, et la charge de quelques quintaux
suffit alors pour que la voilure s'enfonce et ne puisse
avancer que difficilement. Si, au contraire, le thermomètre
n'est abaissé que de quelques degrés au-dessous de la
glace , les neiges, trop molles, ne sont plus a.ssez glissantes.
Le terme supérieur de la température la plus favorable
pour ce mode de transport est à peu près de dix degrés
centigrades au-dessous de zéro , et le terme inférieur appro-
che de la congélation du mercure.
Traîneau est aussi le nom d'un filet dont on se sert pour
la chasse aux cailles. Ferry.
TRAINE-BUISSON. Voyez Fauvette.
TRAITANTS. C'est le nom qu'on donnait autrefois aux
individus qui se chargeaient du recouvrement de l'impôt , à
certaines conditions réglées par un traité passé avec l'État.
C'était là une très-profitable industrie , et dans laquelle iî
se faisait des fortunes scandaleuses ; aussi cette dénomina-
tion se prenait toujours en mauvaise part. Voyez Fermiers
GÉNÉRAUX et Receveurs généraux.
41
CJ2
TRAITE — TRAITE DES NÈGRES
TRAITE. Ce mot signifie au propre l'étendue de clie-
min qu'un voyageur fait d'un lieu à un autre sans s'arrêter :
Aller tout d'une traite. Il se dit aussi du commerce des
banquiers, et quelquefois des lettres de change elles-mêmes :
Faites traite sur moi. Mais dans l'acception la plus ordi-
naire le mot traite désigne le commerce d'écliange qui se
fait sur les côtes d'Afrique, trafic dont la vente des nègres
est le plus souvent la base ( voyez Traite des Nègkes ).
Malgré les efforts faits de nos jours par tous les gouver-
nements pour détruire cet odieux commerce , il est avéré
qu'il n'a point discontinué et que tous les jours des navires
chargés de nègres arrivent dans les ports de ceux des Etats
de l'Union Américaine où l'esclavage des nègres subsiste en-
core, à la honte de cette république modèle. Les navires le
plus généralement employés à cet effet sont des goélettes d'un
tonnage moyen , ne coulant pas au delà de 5 à 7,000 dollars
(de 23 à 35,000 fr. ) et destinés à ne faire qu'un voyage et à
être coulés ou jetés à la côte aussitôt après avoir déchargé
leur cargaison de chair humaine. Les spéculateurs ont établi
leur calcul de telle sorte, qu'il suffit que sur quatre navires
employés à ce trafic il y en ait un qui arrive à bon port pour
réaliser un beau profit. En effet, pris sur la côte d'Afrique,
Je nègre coûte de 10 à 40 dollars (de 50 à 200 fr.); rendu
.sur le marché américain, il se revend facilement de 300 à
800 dollars (de 1,500 à 4,000 fi. ). Ainsi une cargaison de
500 nègres coûtant, à 30 dollars par tète, 15,000 dollars
donneau spéculateur un produit de 170 à 180,000 dollars,
tous frais payés.
TRAITE (Droits de). On désignait ainsi autrefois cer-
tains droits prélevés sur les marchandises qui sortaient du
royaume ou qui y entraient ou môme qui passaient seulement
d'une province dan.s une autre.
TRAITE (Marchandises de). Foyes Maiichandises.
TRAITE, ouvrage, dissertation où Ton traite de quel-
que art, de quelque science particulière : Traité de botani-
que, traité de minéralogie. Ce mot désigne aussi une con-
vention faite entre eux par des particuliers , ou encore par
des particuliers avecrÉtat,
hb?, traités de paix, d'aiZiance, etc., sont des conven-
tions internationales, qui jouent un grand rôle dans l'histoire
des sociétés humaines. Tous ceux auxquels se rattachent
des souvenirs historiques importants sont dans ce diction-
naire l'objet d'articles spéciaux à leur ordre alphabétique.
TRAITÉ DE COMMERCE. Dans la règle commune ,
toutes les nations devraient échanger librement entre elles
leurs produits respectifs, suivant leurs besoins et leurs con-
venances, moyennant quelques taxes légères pour les ser-
vices publics. Si cette liberté des échanges constituait le droit
commun des nations, tout traité, toute convention commer-
ciale entre deux pays seraient sans objet. C'est le sy.stème
des restrictions et des prohibitions qui a donné naissance à
cette diplomatie du commerce. On a recherché des réduc-
tions , des exemptions de taxes pour certaines marchandises,
sous condition de réciprocité pour d'autres denrées. On
s'est ménagé , par des conventions spéciales , des privilèges
pour extraire d'un pays certains produits et pour lui en ven-
dre d'autres. La Grande-Bretagne a exploité en grand cette
industrie, par le traité de /V^</i m en avec le Portugal et par
celui à&V Assiento avec l'Espagne. Par l'un elle s'engageait
à consommer des vins dont elle fixait les prix , et s'ouvrait un
débouché assuré pour les productions de ses fabriques ; par
rautrp,elle s'attribuait l'odieux monopole de l'approvision-
nement des colonies espagnoles en esclaves. On dispute en-
core sur les avantages qui résultèrent pour les deux nations,
anglaise et française , du traité de commerce qu'elles con-
clurent en 1786. Le résultat le plus étonnant serait certai-
nement que l'Angleterre y eût perdu. L'inutilité des traités
de ce genre est maintenant assez généralement reconnue.
Mais ce qui certes n'est pas inutile, c'est que des nations
qui éprouvent pour un certain nombre de denrées le tort
que leur causent les prohibitions et les surtaxes s'entendent
entre elles, non par des traités de commerce, mais pour
supprimer ou modifier par des actes législatifs les taxes de
douane, qui nuisent à leur industrie et à leur trafic. Le con-
cours pour d'heureuses réformes tend aujourd'hui à s'étabhr
entre les nations française, anglaise et belge. Mais l'esprit du
monopole y oppose des obstacles qui ne seront pas aisément
surmontés. Quant au système de douanes que la Prusse s'ef-
force d'étendre comme un réseau sur toute l'Allemagne, c'est
à la fois une mesure politique et une combinaison de res-
trictions et de prohibitions opposées à l'industrie du reste
de l'Europe {voyez Zollveuein). Aubert de Vitry.
TRAITE DES NÈGRES ou DES NOIRS. Dès le
temps des Phéniciens, et même auparavant, les nègres ont
été achetés, réduits en esclavage et chargés des travaux les
plus pénibles : les anciens Égyptiens avaient des eunuques
noirs à leur service, comme les Assyriens et les Perses; Tyr
et Sidon trafiquaient de ces esclaves; les Carthaginois les
employaient dans le commerce, à l'exploitation des mines.
Ha n non nous apprend dans son Périple que les nègres
étaient, dans ces époques reculées, ce qu'ils sont encore
aujourd'hui , de misérables peuplades végétant sous leurs
cabanes, trouvant difficilement leur nourriture avec quel-
ques bestiaux, cultivant à peine quelques champs de mil,
et soumises à de petits despotes. Les conquêtes des Grecs,
celles des Piomains , en Afrique, rapportèrent des esclaves
en Europe. Les Éthiopiens, ou nègres, furent fréquents à
Rome et à Gonstantinople au temps du Bas-Empire. Les
invasions des Maures et des Arabes, les irruptions des Sar-
rasins, disséminèrent en tous les lieux de la domination mu-
sulmane les peuples noirs de l'Ethiopie. Dès la fin du qua-
torzième siècle, les navires portugais rapportèrent aux îles
Canaries des esclaves nègres pour la culture des terres. En
1481 les Portugais bâtirent un fort sur la côte d'Afrique,
et vers 1520 Alonzo-Gonzalès fit l'un des premiers ce com-
merce de sang humain, qui a subsisté jusqu'à nos jours.
Dès 1 508 les premiers esclaves nègres furent transportés à
Saint-Domingue par les Espagnols ; en 1510 le roi d'Espa-
gne, Ferdinand le Catholique, envoya le premier, pour son
compte , des nègres au Pérou , peu après sa conquête. On
attribue à Barthélémy de las Casas, illustre défenseur des
Américains, le conseil d'employer les nègres à leur place
pour des travaux pénibles. L'évêque Grégoire a tenté de
laver de ce reproche l'évêque de Chiapa. Quoi qu'il en soit,
la traite fut légalement autorisée en Espagne d'abord, sous
Charles Quint en 1517, et approuvée par le pontificat de
Léon X, puis sous le règne d'Elisabeth en Angleterre, et
sous Louis XUI en France. Tous ces princes l'adoptèrent,
sous le prétexte que les noirs n'étant pas chrétiens, ils ne
pouvaient pas prétendre à la liberté d'hommes. Les Génois,
entre autres , se livrèrent aussi avec ardeur à ce commerce
pour les autres nations par un trafic interlope.
Les Européens faisaient la traite des nègres en Afrique , au
nord et au sud de la ligne équatoriale. On remarquait que
les Mandingos étaient les meilleurs , c'est-à-dire les plus
dociles ; les Eboès, ou Ibos, les plus stupides et timides. La
Côte-d'Or fournissait les plus forts esclaves, et en plus
grande quantité. Dans le canal de Mozambique, on a fait
aussi la traite des Macquois, des Monjavas, des Sofalas.et
autres tribus. Enfin, on obtient encore beaucoup d'esclaves
du nord de l'Afrique par le Fezzan et leBournou, mais ils
arrivent exténués de longs voyages en caravanes à travers
les déserts. Les Wangaréens ne sont pas estimés autant que
les esclaves de Haouassa, plus industrieux et moins stupides.
Plusieurs autres contrées donnaient des nègres de qualités
diverses, et distingués par un tatouage ou des déformations
et modes imprimées sur leur peau selon les pays. Au Congo,
des pères ont vendu leurs enfants; ailleurs, des nègres re-
çoivent comme monnaie le petit coquillage dit cauri ( cy-
prœa moneta ) , péché aux îles Maldives ; sur d'autres côtes,
on préfère les pagnes; outre ces objets, les rois, les chefs
de chaque contrée, se font donner des présents, et les cour-
tiers d'esclaves, les comptoirs européens, exigent des droits
! ou rétributions qui augmentent le prix des nègres : un bel
TRAITE DES NÈGRES — TRAJAN
ejclave de cinq pieds cinq pouces revenait sur la crtte de
Guinée à 600 francs. Les jeunes femmes coûtaient 400
francs. Chaque année la traite enlevait à l'Afrique environ
100,000 individus. Saint-Domingue en recevait 25,000. Que
l'on se représente des compagnies de négriers débarquant
avec des armes , des ferrements ou des chaînes , et quelques
marchandises pour la traite, sur les côles de la Gambie, à
Gorée, à Sierra-Leone, et autres stations. L'on avance par
caravanes chez des peuples simples , qui ouvrent leurs caba-
nes hospitalières à ces étrangers. Ceux-ci ont excité les pe-
tits rois ou chefs de tribu à des guerres pour faire des pri-
sonniers et les livrer à la traite. C'est dans la nuit que se font
à l'improvisle les expéditions contre les nègres. On enivre les
malheureux captifs, on les enchaîne; on surprend des en-
fants , on séduit des négresses , on attire les individus écar-
tés et sans défiance par des présents légers de verroterie ; on
pille de petits hameaux, trop faibles pour résister ; on enlève
tantôt une mère pour attirer son fils, et tantôt le fils pour
avoir sa mère. On pénètre ainsi jusqu'à 1,200 milles dans
les terres. On attache les captifs à une chaîne; on leur saisit
le cou dans une fourche, dont la queue longue et pesante les
empêche de fuir. Ces bandes, semblables à celles des galériens,
.sontramenéesdedeux àtrois cents lieues de l'intérieur, à tra-
vers d'atfreux déserts, eu portant l'eau , la farine, les graines
ou racines nécessaires pour subsister. Si quelques femmes on
enfants ne peuvent suivre, on les abandonne au désert, et
ceux qui parcourent les mêmes lieux y ont trouvé leurs ca-
davres desséchés, rongés par les bêtes sauvages. Arrivés
sur la côte , ces malheureux y sont entassés par bandes ou
chaînes dans les vaisseaux négriers, jetés à fond de cale,
chacun sur des cadres si étroits qu'il leur est impossible de
se retourner avec leurs ferrements; ils n'occupent que le
même espace qu'ils auraient dans leur tombeau, et ne respi-
rent d'air qu'autant qu'il le faut pour prolonger leur doulou-
reuse vie, car on en a accumulé jusqu'à quinze cents sur un
seul bâtiment. Qu'on juge de la vapeur épaisse de transpira-
tion et d'odeur infecte qui s'exhale de tant de corps échauffés
dans l'air mépliitique et empesté des soutes de ces navires,
surtout pendant la nuit et lorsqu'on ferme les écoutiiles.
Aussi ces infortunés hurlent de toutes parts qu'ils étouffent ;
les femmes tombent en défaillance, et il périt beaucoup
d'individus faute d'air, outre le chagrin, la terreur et la
nourriture grossière de fèves, de mil ou d'ignames qu'on
leur distribue , ainsi que l'eau , avec parcimonie. Telle est
l'effrayante mortalité causée par l'entassement de tant de
corps exhalant une sueur fétide, par des déjections empes-
tées, par l'aspect des mourants, à fond de cale, respirant
leur pourriture, que les médecins n'ont pas hésité à re-
connaître dans ces causes l'origine du typhps nautique et de
la fièvre jaune, dont la malignité dévaste les populations,
et fait si chèrement payer aux blancs leur atrocité. Par-
venus aux colonies , les nègres étaient examinés , marchan-
dés comme un bétail ; on regardait leur langue , leur bouche,
leurs parties naturelles, pour s'assurer de leur santé, de leur
force. On les faisait courir, sauter, lever des fardeaux ; les
négresses nues étaient considérées dans le plus grand détail;
leur jeunesse, leurs charmes, étaient mis à l'enchère. On a
remarqué que plus les peuples sont libres, comme les Amé-
ricains, les Anglais, plus leurs nègres étaient maltraités, tan-
dis que les peuples assujettis au despotisme, comme l'é-
taient les Espagnols , traitaient plus doucement leurs es-
claves.
De tous temps les sages de diverses nations répudièrent
cet asservissement de la race humaine, et le législateur des
chrétiens appela tous les hommes les enfants égaux d'un
même père. Il faut convenir aussi que le christianisme dès
son origine eut surtout la gloire d'affaiblir l'esclavage dans
l'empire romain, ou le monde civilisé, bien que l'empereur
Adrien en eût déjà modéré les rigueurs. Toutefois, les vieux
Romains croyaient voir dans cette nouvelle religion, em-
brassée en foule par les esclaves, qu'elle appelait à un sort
meilleur par l'Évangile (la bonne nouvelle), le déchaîne-
643
ment de l'anarchie. Ce ne fut donc point le système féodal
qui commença l'affranchissement des serfs blancs , comme
on l'a dit, mais l'Église. Le pape Alexandre III déclara que
la nature n'avait pas créé d'esclaves. L'esclavage subsista
pourtant durant tout le moyçn âge, malgré plusieurs édits
d'affranchissement portés par Constantin, Justinien et Théo-
dose, et quoique les barons chrétiens partant pour la con-
quête de la Terre-Sainte aient concédé la liberté à prix d'ar-
gent à beaucoup de leurs serfs, ou que les personnes pieuses
à l'article de la mort en aient affranchi pro amore Dei et
mercede animœ. Mais il était dans les destinées que la race
blanche sortît peu à peu de ses fers, tandis que l'antique
anathème prononcé sur la tête des descendants de Cham les
menaçait d'un esclavage éternel.
Les quakers censurèrent les premiers dès 1727 la traite
des nègres, et les premiers la proscrivirent en 1774 dans
la Pennsylvanie par les plus honorables motifs du christia-
nisme. Ce fut une grande victoire de la religion sur l'intérêt
privé. Cette abolition du commerce des nègres ne fut obte-
nue qu'en 1807 et 1808 dans le parlement britannique, et
consacrée par la France en 1815. Elle avait eu lieu de fait
pendant nos révolutions , ainsi que l'émancipation des noirs
dans les colonies.
Les nègres soustraits par les croisières anglaises aux bâ-
timents négriers sont réunis sur la côte de Guinée dans la
colonie de Libéria, et forcés d'acquitter par leurs travaux
la rançon de leur affranchissement ou les frais de leur libé-
ration. Ces nègres rendus à la liberté , souvent ne trouvant
à vivre nulle part loin de leur pays, préfèrent rester dans
la dépendance. J.-J. Viiiey.
TRAITEUR. Voyez Cuisinier et Restaukateuh.
TRAJAN ( M ARGUS Ulpius TRAJANUS ), le premier em-
pereur romain ( de l'an 98 à l'an 117 après J.-C. ) qui ne fût
pas Italien de naissance, était né en l'an 52 de notre ère,
à Italica, près de Séville, en Espagne. De bonne heui-e il
avait été initié au métier des armes en accompagnant son
père, sous le règne de Vespasien, dans une expédition contre
les Parthes , puis sur les bords du Rhin. Sous Domitien il
avait revêtu la préture : en 91 il avait obtenu le consulat et
en 97 il commandait les légions stationnées sur le Bas-Rhin,
quand Nerva l'adopta et l'associa à l'empire. Les prétoriens
révoltés rentrèrent aussitôt dans le devoir. Des habitudes bel-
liqueuses, un caractère affable, loyal et ferme, joint à un ex-
térieur imposant lui avaient déjà concilié l'affection de l'armée
et du peuple : il la conserva pendant tout son règne, qui
commença en l'an 98 , à la mort de Nerva, et qui fit voir en
lui l'un des plus excellents princes qu'ait eus Rome , bien
digne à tous égards du surnom d'Optimics (très-bon) que le
sénat lui décerna en l'an 1 14. Plus tard, au nombre des vœux
qu'on apportait au pied du trône d'un nouvel empereur se
trouvait celui-ci: Sois plus heureux qu'Auguste et meilleur que
Trajan! vœu qui fut bien rarement exaucé. Des lois sévères
et surtout l'abolition des peines portées contre les crimes de
lèse-majesté mirent un terme aux délations qui sous le règne
deDomitien avaient répandu sur Rome une si sombre tristesse.
L'empereur témoignait en toute circonstance du respect le |)lus
profond pour la loi ; il apportait le soin le plus scrupuleux dans
le choix des fonctionnaires publics, et s'efforçait de consti-
tuer une administration soucieuse du bien-être général. C'est
ainsi qu'on fonda de nouvelles villes , qu'on creusa de nou-
veaux canaux , qu'on construisit de nouveaux ponts et que
l'empire .se couvrit de nouvelles routes militaires. On res-
taura d'antiques voies, telles que la Via ylppirt, passant à
travers les Marais Pontins, qu'il fit en partie dessécher ; on
établit des ports , et on fonda diverses institutions de bien-
faisance. Les sciences et les arts trouvèrent aussi un pro-
tecteur généreux dans Trajan , quoique lui-même ne fût pas
lettré. C'est sous son règne que vécurent Juvénalet Mar-
tial: Tacite et Pline le jeune, qui célébra sa gloire dans
son i'ant'g'2/ng'Me,etqui, gouverneur de la Bithynie, entretint
avec lui une correspondance suivie, formant aujourd'hui le
10^ livre de ses Lettres, étaient au nombre de ses amis. A
41.
r,u
TRAJAN — TRANCHEE
Rome, le grand arcliitecfe Apollodore de Damas construisit
par son ordre le plus vaste et le plus magnifique des fora im-
périaux, appelé d'après lui Forum Trajani, avec sa statue
équestre au centre. Le même artiste fut cliaigé de construire
labibliotiièque Ulpienne, la basilique Ulinenne, grecque et la-
tine, fondée par l'empereur, et en l'an 1 14 de l'éreclion d'une
colonne de 40 mètres d'élévation, ornée à l'extérieur de bas-
reliefs représentant des hauts faits de la guerre des Daces et
Tenfermant un escalier intérieur au moyen duquel on peut
monter jusqu'à son sommet. Cette colonne, bien connue sous
le nom de colonne Trajane , et qui au lieu de la statue de
l'empereur porte aujourd'hui celle de saint Pierre, s'élève au
milieu des ruines du Forum de Trajan, qui a été en partie
déblayé. Tout près est situé le grand temple qu'Adrien lui lit
élever, etdans l'intérieur duquel se trouve son propre tombeau.
Bon et affable, Trajan remplaça à sa cour la rigoureuse éti-
quette qui avait été en vigueur sous Néron et Domitien par la
simplicité et le sans-gêne qu'avaient tant aimés Vespasien et
Titus ; et tout citoyen qui avait quelque réclamation à lui pré-
senter obtenait facilement accès auprès de lui. Ce ne fut pas
uniquement un vain amour de la gloire militaire ( à ce*,
égard il était aussi bien partagé qu'il pouvait le désirer) qui
en l'an 101 et en l'an 104 le porta à faire la guerre à Décébale
et à envahir la Dacie en l'an 105. Les irruptions et les bri-
gandages des Daces avaient démontré la nécessite de mettre
les provinces méridionales de l'empire à l'abri de leurs
dévastations ; et Trajan n'était pas bouune à payer à des
barbares le tribut que Domitien leur avait consenti. Ses
victoires, qui en l'an 106 transformèrent la Dacie en
province, où il établit de nombreux colons romains , et
dont l'ancienne capitale , Sarmizegethusa, reçut comme
colonie le nom ^i'Ulpia 7ro;a?Ja, furent célébrées à son re-
tour à Rome par des fêtes d'une magnificence inouïe. Par
contre, la guerre qu'il entreprit à peu de temps de là
contre les Partbes était inutile et fut désastreuse. C'est bien
moins le désir de rétablir l'inlluence romaine en Arménie
que l'amour de la gloire et des conquêtes qui la lui avait
fait entreprendre. L'Arménie l'ut réduite en province ro-
maine ;les peuplades qui habitaient entre la mer Noire et la
mer Caspienne .se soumirent ; et Trajan ne combattit pas avec
moins de succès en Mésopotamie. En l'an 114 il se rendit
de nouveau en Orient. Cette fois il s'empara de Séleucie
sur le Tigris, et de Ctésiphon , capitale des Partbes, où il
fit proclamer roi un prétendant à la couronne. 11 réduisit
aussi l'Assyrie en province romaine, et pénétra jusqu'au
golfe persique. Mais en même temps il eut à réprimer des
révoltes des Juifs , qui sous son règne ne furent pas moins
persécutés que les chrétiens , et à faire rentrer dans le de-
voir des pays précédemment subjugués, tels qu'Kmesse.
Trajan tomba malade dans une expédition contre l'Arabie,
dont son lieutenant Cornélius Palma avait déjà conquis toute
la moitié septentrionale. Il se rendit en Cilicie, où il mourut,
àSélinonte, le 11 août 117, avant d'avoir pu .s'embarquer
pour l'Italie. Il eut pour successeur Adrien, qui renonça
à la plus grande partie des conquêtes faites par lui en
Orient.
TRAJA\ (Rempart de). On appelle ainsi une ligne de
fortifications située dans la Uobroudscba, et consistant en
une double et même sur certains points en une triple rangée
de remparts de terre construits par les Romains en Mésie.
Elle s'étend depuis Czernawoda ou Tscliernawoda (en slave
eau noire) h 56 kilomètres à l'est jusqu'à Kostendje(la
Constanlïana des anciens) sur la mer Noire. En avant des
remparts, qui ont encore de 2 mètres 66 à 3 mètres 33 cen-
timètres, et même sur beaucoup de points 6 mètres de hau-
teur, s'étend une étroite vallée qui dans sa moitié occiden-
tale, où elle est remplie par des marais et par la longue suite
de lacs appelés Karasou (en turc eau noire ) qui se déchar-
gent dans le Danube, forme comme un fossé naturel de
place forte. Des études réceuunent faites sur le terrain ont
démontré que c'est à tort «ju'on avait cru jusque alors que le
Danube, «jui du reste, à quchpies kilomètres au-dessous de
Tschernawoda, aux environs de la place forte appelée Ras-
sowa, change tout à coup de direction, et de l'est coule au
nord, avait autrefois coulé dans cette vallée. Le projet da
l'utiliser pour établir un canal allant de Tschernawoda à
Kostendje à l'effet d'abréger la navigation et de tourner les
obstacles qu'elle rencontre à l'embouchure de la Sulina, est
sans doute très- praticable; mais la canalisation entraînerait
des dépenses beaucoup trop considérables. De même que
dans les autres guerres précédentes entre les Russes et les
Turcs, le Rempart de Trajan joua un grand rôle dans le
conflit russo-turc de 1854, lorsqu'au printemps l'armée
russe envahit la Dobroudscha. Après avoir rasé les retran-
chements de Tschernawoda, Mustapba-Pacha évacua cette
localité, et les Russes l'occupèrent le 7 avril; mais Mus-
tapha-Pacha les battit le 10 à Kostelli, et le 20 et le 22 avril
à Tschernawoda.
TRAJECTOIRE (du latin trajicere, traverser). On
appelle ainsi, dans les hautes mathématiques, toute courbe
coupant perpendiculairement, ou sous un angle donné , une
suite de courbes du même genre dont l'origine est la même,
ou bien qui sont réunies parallèlement. Jacques Bernoully
donna le nom de trajectoire réciproque à une courbe dé-
crite sur un axe, dont la propriété est telle, que si on la
place dans une situation opposée et qu'on la fasse glisser
parallèlement à elle-même , elle coupe toujours la première
position.
En ynécanique , on entend \>Sir trajectoire la courbe dé-
crite par un corps amené par une pesanteur quelconque et
jeté suivant une direction donnée et avec une vitesse donnée,
soit dans le vide, soit dans un milieu résistant. Le premier,
Galilée démontra que dans le vide et dans la supposition
d'une pesanteur uniforme , toujours dirigée suivant des li-
gnes parallèles, la trajectoire des corps pesants était une
parabole.
En astronomie, on appelle trajectoire dhine comète la
route qu'elle décrit ou son orbite. Hevelius supposait que
cette voie était à peu près une droite ligne; Halley prétend
que c'est une ellipse très-excentrique, ajoutant qu'il est sou-
vent possible delà calculer en supposant que c'est une pa-
rabole. Newton, dans ses Principia, enseigne la méthode à
suivre pour déterminer la trajectoire d'une comète.
TRALFE. Voyez Kerry.
TRAME ( Technologie), du latin trama, fait de irons,
au delà, et meare, couler, se glisser. Dans l'art du tissage,
on appelle ainsi un fil passé ou conduit par hnavet teenl^^:
les fds de la chaîne, lesquels sont tendus sur le métier
pour faire de la toile, de la serge, du drap, etc. La trame
n'est pas toujours de même fil que la chaîne; il y a des étof-
fes dont la chaîne est de fd et la trame de soie; il y a de la
toile de lin et coton , de laine et coton , etc.
Ce mot s'emploie aussi au figuré, et lire ses applications de
la fable allégorique des Parques.
TRAMOMTAi\E, Tramontana. C'est le nom que les
Italiens donnent au vent du nord parce qu'il leur arrive
par dessus les Alpes (trans montes). Le même motif leur
fait donner le nom (\e. Stella tramontana à l'étoile polaire
ou du Nord. De là l'expression perdre la tramontane, qui
veut dire perdre la véritable direction, parce que les navi-
gateurs prennent l'étoile du nord pour se diriger.
TRANCHÉ ( l?toson ). Voyez tcv.
TRANCHÉE, ouverture, excavation, longue, plus ou
moins profonde , pratiquée dans la terre , afin d'asseoir les
fondations d'un mur, de placer des conduits pour les eaux ,
de planter des arbres.
En termes à! art militaire, c'est le fossé qu'on creuse pour
se mettre à couvert du feu en approchant d'une place qu'on
assiège, et dont les terres, jetées du côté de la place, for-
ment un parapet : Cette ville a tenu tant de jouis de tran-
chée ouverte; Les assiégés firent une sortie et comblèrent la
tranchée, nettoyèrent la tranchée, c'est-à-dire chassèrent
ou tuèrent tous ceux qui étaient dans la tranchée. Ce mol
s'applique également à l'espèce de double rempart qu'on fai;
TRANCHEE — TRANSFERT
64&
avec des (oscines, des gabions, des sacs remplis de laine
ou de terre, quand le terrain est de rociie ou dillicile à
creuser (voyez SmcE [Art militaire]).
TRANCHEES (Pa^Ao/ojie), douleurs très-aiguës, qui
accompagnent quelques indammations et névroses abdomi-
nales.
TRANGLES ( Blason ). Voyez Bukelle et Fasce.
TRANQUEBAR, ville anglaise, avec un fort appelé
Dausborg, sur la côte de Coromandcl, dans l'ancien royaume
de ïanjorc (Indes orientales), bâtie sur l'un des bras for-
mant rembouchure du Kawery, fut fondée en 1620 par les
Danois, sur un terriloire que leur céda le rajali de Tanjore.
Avec son territoire elle compte environ 20,000 babitanls. On
y trouve un assez bon port, des fabriques de coton, des raf-
fineries de sel , et il s'y fait un commerce assez actif. Jus-
(ju'en 1845 elle fut le chef-lieu des établissements danois
dans les Indes orientales; mais à cette époque le roi de
t>flnemark la vendit à la Compagnie anglaise des Indes. En
170(1 le roi de Danemark y avait établi un établissement de
missions prolestantes, qui subsiste encore et possède une
Jftiprimerie des presses de laquelle sortent un grand nombre
d'ouvrages écrits dans la langue du pays, le tamotili.
TRANQUILLITÉ, situation exempte de trouble et d'a-
gitation. On a la tranquillité (M soi-même, dit l'abbé Girard,
la paix avec les autres, le calme après l'agitation. Les gens
inquiets n'ont point de tranquillité ôa^ns leur intérieur; les
querelleurs ne sont guère en paix avec leurs voisins; plus la
|)assion a été orageuse, plus on goûte le calme après l'agi-
tation. Le maintien de la tranquillité publique est un des
grands devoirs des gouvernements.
TRANSACTION (du latin transigere, iin'w, ache\er,
passer outre). En termes de pratique, c'est l'action de
mettre (in à un différend. Le Code Civil définit la transac-
tion un contrat par lequel les parties terminent une contesta-
tion née ou préviennent une contestation à naître (art. 2044);
et il exige formellement que ce contrat soit rédigé par écrit.
Les parties sont libres de le rédiger soit dans la forme au-
thentique, soit sous seing privé. Les transactions ont entre
les parties l'autorité de la chose souverainement jugée :
elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit
non plus que pour cause de lésion. Mais l'erreur de calcul
qui y serait intervenue doit être réparée. Il y a lieu à resci-
sion toutes les fois qu'il y a erreur dans la personne ou bien
sur l'objet de la contestation, ainsi qu'en cas de dol ou de vio-
lence, ou bien lorsqu'elles ont été faites sur un litre nul, à
moins qu'on n'y ait traité de la nullité même du titre, ou dans
l'ignorance d'un titre tenu caché par l'une des parties.
Pour transiger il faut avoir la capacité de disposer des
objets dont il y est fait mention. Le tuteur ne peut transiger
au nom de son pupille sans une autorisation du conseil de
famille dûment homologuée par le tribunal civil.
TRANSCAUCASIE. Voij. Caucvsr (Gouvernem. du).
TRANSCENDANT, TRANSCEiNDANTAL (du latin
transcendere , passer outre, monter au delà : élevé, su-
blime). Ces deux mots sont des expressions particulières au
langage de la philosophie , et qui d'après leur étymologie
désignent ce qui dépasse certaines limites, à commencer
par celles de l'expérience. En ce sens, toute théorie métaphy-
sique et spéculative est ^ranscenrfaH^e, puisqu'en raison
même de sa nature elle s'élève au-dessus des limites de
l'expérience. Toutefois Kant a donné à ces mots une si-
gnification spéciale. Il a appelé transccndantale toute no-
tion qui n'a pas seulement pour but les objets mêmes , mais
la manière de parvenir à les connaître , quand cela est pos-
sible, a priori. Par les mots esthétique transcendantale,
logique transcendantale, il entend donc les recherches
relatives aux conditions de nos notions sensibles et ration-
nelles. Dans sa pensée, l'expression de pAi^osopAie trans-
cendentale répond complètement à celle de philosophie
critique ; aussi a-t-il été d'usage à une certaine époque de
désigner sous le nom de transcendantalisme toute la dira;-
tion de l'école fondée par Kant.
Dans le langage des mathématiques, le terme de trans-
cendant a été introduit par Leibiiilz pour désigner toutes
les opérations du calcul qui ne rentrent pas dans celles de
l'algèbre. On appelle en conséquence (rancendantes les
opérations avec des logarithmes, avec des fonctions tri-
gonométriques , etc. On appelle fonctions et équations
transcendantes celles qui présupposent des opinations
transcendantes , et courbes transcendantes celles qui sont
déterminées par des opérations transcendantes, telles, par
exemple, que la spirale logarithmique.
TRANSCENDANTALIS.\1E. Voyez Transcendant.
TRANSCRIPTION (du latin transcnbere, écrire
une seconde fois). Eu ierinan de pratique et de commerce,
c'est l'action d'écrire une seconde lois. Je transporter sur un
autre papier, sur un autre livre, un article, un compte;
d'insérer dans un acte un autre acte, un jugement, un arrêt.
En termes de droit, c'est le report intégral d'un acte trans-
latif delà propriété d'immeubles sur un registre du bureau
des hypothèques de l'arrondissement où sont situés ces im-
meubles. La loi qui avait pris des mesures sévères pour
assurer la publicité des hypothèques n'en avait pris aucune
pour assurer la publicité des actes translatifs de la propriété.
Il en était résulté de graves abus. Un propriétaire pouvait
vendre et se taire payer plusieurs fois le même immeuble;
il pouvait hypothéquer un immeuble qu'il avait déjà vendu.
L'acquéreur de bonne foi, malgré la régularité de son titre,
même après avoir pajé son prix, n'était jamais sûr de ne pas
être évincé au bout de plusieurs années par un acquéreur
précédent , qui ne s'était pas fait connaître. La fraude était
surtout facile quand le itropriétaire, après avoir aliéné la pro-
priété, conservait l'usufruit et la possession de l'immeuble et
restait ainsi propriétaire apparent, bien qu'il eût cessé de
l'être en effet. Les prêteurs sur hypothèques étaient exposés
aux mêmes surprises ; malgré toute leur prudence, ils pou-
vaient se voir frustrés par des aliénations (ailes la veille et
qu'ils n'avaient aucune raison de soupçonner. Une loi rendue
en 1854 a remédié à cet étut de choses. Elle a fait pour l'éta-
blissement delà propriété ce que le Code Civil avait déjà fait
pour la constitution des hypothèques : elle exige la trans-
cription de tous les actes translatifs de la propriété. Le contrat
de vente continue d'être parfait entre les parties, par le seulef-
fet de leur consentement ( art. 1583 du Code Civil ) ; mais il
n'a plus d'effet à l'égard des tiers qu'après là transcription.
La loi dont nous parlons, à la différence de la loi de bru-
maire qui n'exigeait la transcription que pour les actes trans-
latifs de biens immobiliers et de droits susceptibles d'hypo-
thèques, assujettit à celte formalité les actes translatifs de
biens immobiliers non susceptibles d'hypothèques, tels que
l'antich rèse, la concession d'une servitude, l'usage,
l'habitation. Elle y soumet également les baux dont la durée
est supérieure à dix-huit ans et les quittances antici-
pées de trois années de loyer ou de fermages. Le vendeur
d'un immeuble auquel était encore dû le prix de la vente
en totalité ou en i)aitie avait deux garanties : il pouvait ou
poursuivre la vente de l'immeuble, et se faire payer par pri-
vilège sur le prix de l'adjudication, ou bien demander la
résolution de son contrat et rentrer dans la propriété de
l'immeuble. Cette action résolutoire ne peut plus ôlre exer-
cée au préjudice des tiers après l'extinction ou la déchéance
du privilège. Pour savoir si elle existe encore, il suffit de
s'assurer si le privilège est inscrit, formalité pour l'accom-
plissement de laquelle un délai de quarante-cinq jours est
accordé au vendeur.
TRANSFERT ( du latin transferre, transporter ). Ce
mot s'applique plus spécialement à la rente et au transport
des rentes sur l'État et des litres des compagnies. La loi du
14 avril 1819 a ordonné l'ouverture dans chaque départe-
ment d'un livre auxiliairedu grand-livre de la dette publique
tenu par le receveur général. Il est fait remise à chaque
rentier d'un extrait de son inscription sur le grand-livre ;
cet extrait porte les noms et prénoms du propriétaire , la
somme de rente qui lui est due , le numéro de la série dont
Û4v
die luit partie, l'époque de jouissance, le numéro du trans-
fert et celui du journal. Cet extrait d'iuscription fait le titre
du créancier. En cas de perte ou de vol constaté, l'inscrip-
tion est effacée, et le créancier inscrit sous un nouveau nu-
méro. Le transfert d'une inscription de rente s'opère par
une déclaration sur des registres tenus à cet effet ; cette dé-
claration doit être signée par le propriétaire de la rente ou
par un fondé de procuration spéciale, assisté d'un agent de
cnange qui certifie l'individualité du vendeur, la vérité de sa
signature et celle des pièces produites , et qui en demeure
garant pendant cinq ans après sa déclaration de transfert.
TRAIXSFIGURATIOIV. Ce mot est employé pour
désigner l'aspect glorieux dans lequel le Christ se montra
tout à coup sur le mont Tliabor à trois de ses disciples ,
Pierre , Jacques et Jean. On lit dans S. Luc , c. 9, S. Mat-
thieu, c. 17 , et S. Marc, c. 9, que Jésus s'élant mis en
prière sur une montagne haute et écartée, où il avait con-
duit ses trois disciples, son visage leur parut tout à coup
resplendissant comme le soleil, et ses vêtements d'une
blancheur éblouissante. Moïse et Élie apparurent à ses côtés
et s'entretinrent avec lui. Ils étaient plongés tous trois dans
une nuée lumineuse, d'où sortit une voix qui lit entendre
ces mots : « Voilà mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes
complaisances ; écoutez-le. « Les tiois disciples étant tom-
bés la face contre terre , Jésus les releva, les rassura, et
leur défendit de publier ce miracle avant sa résurrection.
La fêle de la Transfiguration est très-ancienne dans l'É-
glise. Quelques écrivains ne la font pourtant remonter qu'en
1457, au pape C'aiixtellI, parce qu'il en ordonna la célé-
bration avec un office particulier et les mêmes indulgences
que pour la fête du saint-sacrement.
TRANSFUSION DU SANG. Voyez Sang (Transfu-
sion du).
TRANSIT (Commerce de), du latin transire, passer.
On appelle ainsi le commerce dont les opérations ont pour
but spécial de transporter les produits étrangers dans un
autre pays. Il a pris en France dans ces dernières années
une importance toute particulière. La Sardaigne , la Suisse,
la Belgique et l'Angleterre sont les principales puissances
dont les produits traversent ainsi notre territoire. Les points
d'entrée les plus importants sont -. Strasbourg, Marseille, Le
Havre, Rayonne, Lauterbourg et Saint-Louis; et les points
de sortie : Huningue, Saint-Louis, Bellegarde, Les Ver-
rières de Jeux, Le Havre, Calais, Chapareillan, Marseille,
SaintJean-Pied -de-Port.
Par acquit de transit on entend un certificat délivré aux
marchands, voituriers ou aux autres par la douane pour cer-
taines marchandises, autorisées dès lors à passer sans être
visitées, ou sans payer de droits, à la charge par les proprié-
taires ou voituriers de ces marchandises de rapporter dans
un délai fixé, et sous caution préalablement fournie, un cer-
tificat constatant qu'au bureau d'arrivée elles ont été trou-
vées en nombre, poids, quantité et qualité conformes aux
indications consignées sur l'acquit.
. TRANSITION (du latin transire, passer). On appelle
ainsi, en termes de rhétorique, la liaison d'un sujet à un
autre dans le même discours. Ce qui rend les transitions
chose si difficile pour la plupart des écrivains, c'est qu'ils
n'ont pas assez médité leurs sujets pour en connaître tout
l'enchaînement. Dans les bons auteurs, tout se suit naturel-
lement; et quand ils ont dit siu un clief tout ce qu'il y avait
à dire, ils passent à un autre simplement sans recourir à ces
artifices qui ne prouvent que la petitesse de l'esprit, ou tout
au moins un auteur oisif.
TRANSLUCIDES (Corps). Fo//fi; Diaphanéité.
TRANSMIGRATION DES ÂMES. Voyez MÉ-
TEMPSVCHOSE.
TRANSMUTATION (du latin irans, au delà, et
mutare, clianger ), action de changer ime chose en une autre.
J^e secret de la transmutation des métaux fut longtemps
le rêve dont les alchimistes poursuivirent la réalisation. Hs
espéraient parvenir à changer le métal le plus vil, ou le plus
TRAIN SFERT — TRANSPORT
imparfait, en métal le plus précieux, ou le plus pûr/ai#
par exemple le plomb en or ; et il n'y a pas bien longtemps
encore qu'ils croyaient fermement à la possibilité d'arriver à
de tels résultats (voyez Pierre philosophale).
En termes de géométrie , transmutation se dit de la ré-
duction ou du changement d'une figure où d'un corps en un
autre de même aire ou de même solidité, mais d'une forme
différente, comme d'un triangle en un carré, d'une pyramide
en un parallélipède, etc.
TRANSOXANE. Voyez Bo«kharie et Sogdiane.
TRANSPADANE (Répubhque). Voyez Cisalpine
(République).
TRANSPARENCE. Voyez Diaphanéité.
TRANSPARENT. En peinture, ce mot se dit des cou-
leurs qui étant couchées sur d'autres laissent apercevoir
ces dernières, comme ferait un verre coloré , et qui par là
sont propres à être employées en glacis. U s'applique aux
couleurs naturelles et artificielles. Quand il est question des
premières, il sert à distingner les couleurs lourdes et ter-
restres de celles qui sont .légères et aériennes. Ainsi la
laque,\es stils de grains sont des couleurs transparentes'
les ocres, les bruns rouges ne le sont pas. S'il s'agit de cou-
leurs artificielles, le mot transparent ne peut s'appliquer
qu'à des couleurs fines, légères, laissant voir les premières
teintes placées par le peintre sous les glacis. Les pro-
ductions des écoles vénitienne et flamande montrent tout le
charme de la transparencedes teintes dans l'art de colorier.
Les décorateurs appellent transparent une peinture
exécutée sur toile fine enduite d'huile, ouencore sur papier
serpente, et dont on fait ressortir d'une manière toute par-
ticulière les couleurs en la plaçant devant une vive lumière
convenablement disposée. Les, transparents sont surtout en
usage au théâtre, et pour les illuminations dans les réjouis-
sances publiques.
TRANSPIRATION ( du latin trans, au delà, et spiro,
je respire). C'est l'exhalation composée de substances di-
verses qui s'opère habituellement à la surface de la peau ,
à l'état de fluide aériformeou de vapeur. On nomme trans-
piration insensible celle qui a lieu plus ou moins à chaque
instant, et sans apparence. On nomme transjnration sen-
sible celle qui paraît, sous la forme de sueur. On
distingue aussi la transpiration cutanée , laquelle a lieu
par l'intermédiaire de la peau, et la transpiration pulmo-
naire, laquelle se fait par les poumons, et dont la matière
s'échappe au moment de l'expiration. Il est dangereux d'ar-
rêter ou de suspendre la transpiration. On l'excite au moyen
de l'exercice, de frictions et de sudorifiques. Les animaux
sont soumis à des exhalations analogues.
Une exhalation semblable a lieu à la surface des végétaux ;
les feuilles en sont surtout les organes. j
TRANSPLANTATION (du latin transplantare),
action de planter des arbres dans un lieu différent de celui
où ils étaient auparavant. C'est là une opération d'horti-
culture qui ne réussit bien qu'autant qu'on la fait par les
temps de gelée. Avant la gelée, on a soin de pratiquer des
tranchées autour de l'arbre qu'il s'agit de transplanter,
et de préparer les trous qui doivent les recevoir. La gelée ve»
nue, et lorsqu'elle a suffisamment durci le sol, on soulève
l'arbre à l'aide de leviers, sans rompre la motte de terre ratta-
chée à ses racines , et on le porte à l'endroit dont on a fait
choix. Au dégel, on remplit les trous de nouvelle terre et on
garnit les racines. Cette opération ne laisse d'ailleurs pas que
d'être difficile, et le succès ne la couronne pas toujours.
La transplantation prend le nom de repiquage quand il
s'agit de végétaux herbacés ou de jeunes plants d'arbres,
qu'on pique le plus souvent en terre en les y introduisant à
l'aide d'un piquet, d'un p/anMr ou tout simplement du
doigt. Quand au contraire elle a pour objet un jeune ou un
grand arbre, elle s'appelle plutôt plantation.
TRANSPORT (du latin iransportare , porter une
chose d'un lieu dans un autre). Ce terme est plus particu-
lièrement employé pour désigner un acte par lequel on cède
TRANSPORT — TRANSYLVANIE
647
à un liers une créance ou tout autre droit incorporel. Celui
qui fait le transport est appelé cédant ; le cessionnaire est
celui au profit duquel a lieu l'acte, qui peut être fait soit
sous la forme authentique, soit sous seing privé. Il pourrait
même être fait verbalement ; mais la forme authentique est
préférable , attendu qu'elle permet au cessionnaire de faire
substituer son nom sur le registre des inscriptions hypo-
thécaires, à celui du cédant et, au besoin, de procéder à la
saisie immobilière.
En termes de marine, on appelle bâtiments de f7-ans-
port les navires uniquement destinés à transporter des vi-
vres , des troupes , des munitions , etc., pour les services
publics , et qui d'ordinaire naviguent à la suite et sous la
protection d'ime flotte ou d'une escadre.
En termes de commerce, on entend ]Mii' moyens de trans-
port le service des canaux, ou bien celui des diligences et
des roulages, auquel il faut ajouter maintenant celui des
chemins de fer. La facilité, la rapidité et le bas prix des
moyens de transport constituent l'im des cléments les plus
puissants de la richesse d'une nation.
TRAI\SP01\TATI01\, pénalité particulière à l'Angle-
terre et analogue à celle qui dans nos codes a reçu le nom
de déportation.
TRANSPOSER, TRANSPOSITION. C'est en 7nu-
siqiie opérer un changement par lequel un air ou une pièce
sont portés d'un ton à un autre. Quand il s'agit d'un air,
il faut en élever ou en abaisser la tonique et toutes les no-
tes d'un ou plusieurs degrés, selon le ton qu'on a choisi,
puis armer la clef comme l'exige l'analogie de ce nouveau
ton. Il faut de la part d'un symphoniste une grande attention
pour exécuter dans un ton ce qui est noté dans un autre. En
effet, les notes placées sous ses yeux ont beau lui servir de
guide, ses doigts doivent en faire résonner de tout autres.
Par exemple , il lui faudra souvent faire des dièses là où
sont indiqués des bémols , et vice versa.
En algèbre on appelle transposition l'opération qu'on
fait en transposant, dans une équation, un terme d'un côté
à l'autre. Il n'en résulte aucun cliangement dans cette équa-
tion si en transposant les termes d'un membre dans l'autre
on a soin de leur donner des signes contraires.
Par transposition les grammairiens entendent tout ren-
versement de l'ordre naturel ou ordinaire des mots. En ty-
pographie c'est le placement d'une phrase avant une autre,
et aussi de lignes ou de mots placés, par inadvertance, là
où le sens et l'ordre logique les repoussent également.
TRANSSUBSTANTIATION, changement d'une
substance en une autre. Ce mot ne s'applique qu'au chan-
gement miraculeux de la substance du pain et du vin en la
substance du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'Eu -
charisf ie. C'est un des articles de la foi catholique {voyez
Communion ).
TRANSTAMARE (Henri DE), roy. Henri II de Castille.
TRANSSEPT (du latin transseptum, au propre haie
croisée, transversale). On appelle ainsi, en termes d'ar-
chitecture, la partie de tout édifice qui le croise , qui y
la trace figure d'une croix. Ainsi, dans nos églises catho-
liques on distingue : le porche, emplacement ménagé à
l'entrée de l'édiMce, afin qu'il ne donne pas immédiatement
sur la voie publique ; lia nef , la partie la plus vaste, dans
laquelle se rassemblent les fidèles pour assister aux céré-
monies du culte; les bas -côtés , espèces de galeries qui en-
tourent la nef, dont ils ont pour but de faciliter l'accès de
tous les côtés, et le long desquels se trouvent ordinairement
de petites chapelles , chacune avec un petit autel particu-
lier; le franssept , qui croise l'édifice, et aux deux extré-
mités duquel sont ordinairement ménagés des portes de
dégagement, toutes les fois que l'emplacement le permet;
enfin, le chcetir, endroit où les ministres du culte célèbrent
les cérémonies religieuses, le plus ordinairement élevé de
quelques degrés au-dessus du niveau de la nef , afin que le
peuple réuni dans celle-ci puisse de tous les points en suivre
les défaits.
Dans ces derniers temps il a beaucoup été question de la
hardiesse du transsept Au palais de cristal, construit pour
l'exposition universelle de Londres.
TRANSSUDATION (du latin trans, au travers, sm-
dare, suer, et agere, faire), action de faire passer au tra-
vers des pores de certaines matières un liquide quelconque,
qui en s'évaporant ainsi perd une notable partie de son ca-
lorique {voyez Alcarazas).
TRANSVERSALE. On appelle ainsi en géométrie
toute ligne droite ou courbe tombant obliquement ou per-
pendicidairement sur d'autres lignes droites ou courbes. La
théorie des transversales a occupé de nos jours divers ma-
thématiciens français, entre autres l'illustre Carnot.
On donne en général le nom de lignes transversales aux
lignes obliques qu'on emploie sur l'échelle réduite et sur
les instruments de goniométrie d'ancienne construction pour
indiquer de petites parties aliquotes.
TRANSYLVANIE, Transsylvania , Tpsuile des Etats
héréditaires hongrois de l'empereur d'Autriche qui avait
autrefois le titre de grande-principauté, celui des domaines
de la couronne {Kronland) qui est situé le plus à l'est. Ce
nom lui vient de ce qu'à l'ouest, où elle confine à la Hongrie,
cette province est entourée de grandes forêts, et de ce que
relativement aux habitants de la Hongrie elle se trouve ainsi
située an delà des forêts. Son nom hongrois Erdély (en
valaque Ardjal) signifie aussi pays de forêts. Le nom al-
lemand est Siebenbiirgen , qui veut dire .sept châteaux. Il
lui fut imposé par les colons allemands qui vinrent s'y établir,
en 114.3, des contrées du Bas-Rhin, mais vraisenr>blablement
moins en souvenir de leur ancienne patrie, \e Siebengebirge,
ou de sept châteaux construits par les sept chefs des Hon-
grois lors de leur premier établissement dans le pays des Kar-
pathes, qu'à cause des sept villes entourées de murs qu'on y
trouve encore, et qui vraisemblablement furent fondées par
des Allemands, à savoir Hermannstadt, Klausenburg, Kton-
sladt, Bistritz,]Mediasch, Mùhibach et Schœsburg.
La Transylvanie faisait autrefois partie de la Dacie. A
partir du cinquième siècle , elle fut successivement conquise
par divers peuples. Le roi de Hongrie Etienne l" s'en rendit
maître en 1004, et en fit une province hongroise, administrée
par des voïvodes ou gouverneurs. Après une longue guerre
soutenue contre le prince qui lui disputait la couronne de
Hongrie, et qui fut ensuite l'empereur Ferdinand I*', le
voivode Jean Zapolya finit par se faire attribuer, en 153.5, la
Transylvanie à titre de principauté souveraine. 11 avait été
soutenu dans cette lutte par les Turcs, qui dès lors se mêlèrent
beaucoup des affaires de la Transylvanie et prirent parti pour
les princes issus des maisons de Zapolya et de Bathori contre
les souverains hongrois de la maison d'Autriche. Parmi les
princes suivants, Bethlen Gabor et Georges Rakoczy furent
de redoutables ennemis pour la maison d'Autriche. En 1687
Léopold F'" soumit complètement la Transylvanie, et par
la paix de Carlovicz, signée en 1699, la Porte reconnut
la souveraineté de la maison d'Autriche sur ce pays, qui con-
serva néanmoins ses propres princes. La maison princière
étant venue à s'éteindre en 1713, en la personne de Michel
Apafi II, la Transylvanie fut complètement incorporée à la
Hongrie. En 1765 Marie-Thérèse l'érigea en grande-princi-
pauté. A l'époque des troubles de 1848, un parti hongrois
opéra passagèrement la réunion de la Transylvanie avec la
Hongrie. Mais à la suite de la marche révolutionnaire des
choses en Hongrie, la Transylvanie, surtout la population
allemande et valaque, s'opposa énergiquement à toute réunion,
et fut en conséquence l'objet de cruelles dévastations de la
part de l'armée insurrectionnelle, en 1849. La Transylvanit;
fut aussi le théâtre de luttes sanglantes entre le général
Bem , commandant l'armée des insurgés, et les troupes
auxiliaires russes, qui pénétrèrent d'abord par là dans les
États autrichiens. La constitution de l'empire, en date du 4
mars 1849, a complètement séparé la Transylvanie de la
Hongrie, l'a mise au nombre des domaines particuliers et
indépendants de la couronne, et lui a restitué les parties Uc
648
TRANSYLVANIE — TRAPEZE
territoire (les corriitats de Kraszna, de Szobroli central et de
Zarand.avec le district de Kœvar) qui enavaieul été distraites
en 1835 et incorporées à la Hongrie. La Frontière Militaire
de Transylvanie (73 myriain. carrés) fut supprimée en 1851,
et une administration civile remplaça ses deux Districts de
Régiment.
La Transylvanie, dans sa composition actuelle, confine au
nord à la Hongrie, à l'est à la Bukowine et à la Moldavie,
au sud à la Valachie, à l'ouestaux Frontières Militaires, au
banat deTemes et à la Hongrie. Sa superficie est de 772 ray-
riaraètres carrés, et d'après le recensement de 1850 elle
avait une population de 2,073,737 habitants , répartie en
25 villes, 65 bourgs à marché et 2,084 villages. Entourée à
l'est et au sud de hautes montagnes, continuation des Car-
patbes de la Hongrie et de la Gallicie, et traversée à l'intérieur
par une suite de montagnes qui l'enveloppent aussi des autres
côtés, c'est une forteresse naturelle. On n'y rencontre guère
de plaines que le long des rivières, mais en revanche les
vallées y sont aussi belles que nombreuses. L'aspect général
du pays est des plus pilloresques qu'on puisse imaginer.
Le climat en est sain et tempéré, et sauf les régions mon-
tagneuses, la végétation la plus luxuriante s'y déploie partout.
Les principaux cours d'eau sont presque tous situés au centre
du pays. L'Ait ou Aluta se dirige au sud vers la Valachie, où
elle se jette dans le Danube ; la Maros coule à l'ouest, et la
Szamos au nord vers la Hongrie, où elle se jette dans la
Theiss. Ces trois rivières sont navigables. La Biatricz et
plusieurs autres petits cours d'eau gagnent soit la Bu-
kowine, soit la Moldavie, pour se jeter dans le Sereth. Le
pays est d'une remarquable fertilité; mais il s'en laut qu'il
soit encoreaussi cultivé qu'il pourrait l'être. Dans les années
favorables le vin qu'on y récoite est d'une excellente qualité.
Les amandiers et les châtaigniers y réussissent bien , mais on
ne les cultive que dans un petit nombre de localités. On ré-
colte du froment, du seigle, de l'orge, de l'avoine, mais surtout
du mais, toutes sortes de légumes, du tabac, un peu de safran
et de garance , de chanvre et de lin. La culture des fruits
donned'inunenses quantités d'abricots, de pêches, de prunes,
de pommes, de poires, de noix. Les immenses forêts, qui
occupent une superficie de 1,925,645 journaux de terre,
composées sur les frontières d'arbres à feuilles aciculaires,
mais à l'intérieur généralement d'essence de chêne, sont
d'une haute importance. On y trouve beaucoup de gibier,
des ours, des loups, des renards, des sangliers et jusqu'à des
ures ou taureaux sauvages, des cerfs, des chevreuils, des
daims et des chamois dans les parties montagneuses et dé-
sertes. Le pays abonde aussi en riches pâturages; et l'élève
du bétail donne surtout beaucoup de bœufs, qu'on exporte
sous le nom de bœufs de Hongrie. Les chevaux de Transyl-
vanie sont une grande et belle race, plus vigoureuse que celle
delà Hongrie; et il s'en fait chaque année d'importantes
exportations. En fait de produits du règne minéral, il faut
surtout citer l'or, plus abondant que l'argent, et celui-ci
plus abondant que le cuivre. Toutefois, il n'y a encore qu'un
très-petit nombre de mines d'or en exploitation régulière.
La plus importante de toutes, telle de Szekeremb, près de
Karisbourg , donne chaque année de 3 à 4,000 marcs d'or.
On trouve en outre du mercure, du fer, du plomb, de l'an-
timoine, du soufre, de l'ar.senic, du vitriol, de l'alun, du
marbre , des pierres fines et mi-fines , de la craie , de la gra-
|)liite et de la terre à porcelaine. La tourbe ainsi que la
bouille ne manquent pas non plus ; mais on n'en tire guère
parti, en rai-son de l'abondance de combustible qu'offre le
pays, couvert partout d'immenses forêts. Les riches mines
de sel de Transylvanie font partie de te banc puissant qui
commence en Valachie et se termine à Wielicza et à Bochnia,
dans la Gallicie septentrionale. La plus grande partie du sel
qu'on tire des salines de Thorda, de Kolosch, deDeschaken,
de Vizalen, etc., s'exporte en Hongrie et dans le Banat.
Les habitants de la Transylvanie sont un mélange de plu-
sieurs nationalités. En 1850 la population totale se divisait
en 1,226,901 Valaques ou Roumains, 354,294 Hongrois,
180,92 Szeklers, 175,658 Saxons , 16,538 Allemands non
Saxons, 98 Autrichiens, 78,902 Bohémiens, 1 5,570 juifs , 7,600
Arméniens, 3,743 Slaves, et 771 individus de nationalités di-
verses. Les Valaques, les Hongrois, les Szeklers et les Saxons
forment la grande masse de la population. Les Valaques, les ha-
bitants les plus anciens et les premiers maîtres du pays, sont
répartis dans toute la Transylvanie. Les Hongrois firent la
conquête du pays au onzième siècle. Les Szeklers sont, dit-on,
les débris de l'empire des Huns qui se sont conservés sans mé-
lange dans des montagnes isolées. Les Saxons furent intro-
duits des bords du Rhin en 1143 par le roi Geysa II dans le
pays pour le mettre en culture et pour le défendre , et obtin-
rent des privilèges particuliers, notamment en vertu du cé-
lèbre édit d'André II, en date de 1224. Suivant la population
qui y dominait, on divisait autrefois la Transylvanie : 1° en
pays des Hongrois ou des Magyares, situé à l'ouest et au
centre, comprenant les-^du territoire total, partagé en onze
comitats et deux districts ( depuis 1835 en huit comitats et
un district) ; 2° en pays des Sieklers, comprenant la partie
montagneuse du sud-est et quelques petits arrondissemenlo
au centre, soit \e?,— du territoire total, plus peuplé que
l'autre et divisé en cinq sièges ou arrondissements judiciai-
res ; 3° en pays des Saxons , au sud et au nord , formant à
peuprès le -; du territoire total , divisé en neuf sièges et
deux districts , le plus peuplé et le mieux cultivé des trois.
Les Saxons sont les habitants les plus laborieux et les plus
éclairés du pays. Leurs villages et leurs maisons sont par-
tout construits de même; partout y apparaissent l'aisance et
la simplicité de mœurs. Leur langue écrite est le haut alle-
mand ; mais leur langue parlée se rapproche beaucoup du
plat allemand. Partout où ils habitent, la vigne et les ar-
bres fruitiers sont l'objet d'une culture spéciale. Ce sont
eux qui possèdent la plupart des fabriques et usines, et
c'est aussi dans leur pays que se trouvent situées la capi-
tale delà province. Hermannstadt, et Kronstadt, [&
plus grande et la plus importante ville de fabrique et de
commerce du pays. En 1850 la population se îrépartissait
comme suit sous le rapport religieux : 219,612 catholiques
romains, 648,243 catholiques grecs, 637,873 grecs non unis,
198,807 luthériens, 295,723 réformés, 46,008 unitaires ,
15,568 juifs. Près des deux tiers des Szeklers, beaucoup de
Hongrois et d'Allemands appartiennent à la religion catho-
lique romaine; tous les Valaques, les Bohémiens et les
Grecs, à la religion grecque; tous les Saxons, beaucoup d'Al-
lemands, environ 15,000 Hongrois à la religion luthérienne;
un tiers des Szeklers et une partie des Hongrois à la reli-
gion réformée; un septième des Szeklers et quelques Hon-
grois sont unitaires. L'industrie manufacturière est peu
avancée , et se trouve en grande partie concentrée dans la
partie saxonne de la population, à qui le pays doit aussi sa mise
en culture. Le commerce de transit avec la Turquie a beau-
coup d'importance. Les principales villes de commerce sont
Hermannstadt, Kronstadt, Bistricz et Szamos-Ujvar. A la
division politique dont il a été fait mention plus haut, on en
a depuis 1849 substitué une d'après laquelle la Transylvanie
forme aujourd'hui cinq cercles : Hermannstadt, subdivisé
en six capitaineries, Karlsburg en dix, Klausenbnrgensi\,
Dèes en sept, et Maros Vasarhely en sept. On peut dire que
le cercle d'Hermannstadt renferme l'ancien pays des Saxons
avec quelques additions , celui de Vazarbely le pays des
Szeklers , et les autres cercles le pays des Hongrois. Con-
sultez Paget, Hungary and Transsylvania (Londres, 1839).
TRAPAr^I, chef-lieu de l'intendance du même nom,
en Sicile , bâti sur une presqu'île , au pied du Monte-Giu-
liano(rEryx des anciens), est entouré de fortifications et
pourvu d'un beau et vaste port, protégé par le fort Co/om-
bara. On y compte environ 25,000 habitants, qui exploitent
des salines importantes et diverses fabriques considérables.
La population se livre en outre avec succès à la pêche du
corail et du thon.
TRAPÈZE , quadrilatère dont deux côtés seulement
sont parallèles. Ces deux côtés reçoivent le nom de baseA
TRAPÈZE - TRAVAIL
du Irapèze, et leur dislance en est la hauteur. La surface
du Irapèze est égale au produit de sa hauteur par la demi-
somme de ses bases.
Les anatomistes nomment trapèze un muscle placé à la
partie postérieure du cou et de l'épaule , et dont la forme
est à peu près celle de la figure de quatre côtés dont nous
parlons. Us donnent aussi ce nom au premier os de la se-
conde rangée du c a r p e , laquelle contient , outre le trapèze,
trois autres petits os, qui sont : le trapézoïde, le grand os
et l'unciforme.
Les géomètres nomment trapézoïde le quadrilatère dont
aucuns des côtés ne sont parallèles.
TRAPP, roche agrégée, d'apparence homogène, qui
paraît être un mélange intime de pyroxène et d'eurite. Son
nom, d'origine suédoise, lui vient de la forme de ses massifs,
qui ressemble extérieurement à une sorte d'escalier. Le
irapp forme des filons et des amas ordinairement divisés
|)ar un très-grand nombre de fissures. On le rencontre isolé
ou intercalé dans des terrains sédimentaires. La couleur du
trappest ordinairement le vert foncé, le noir verdàtre ou
bleuâtre; mais on confond sous le même nom une foule
d'autres roches de couleur foncée.
TRAPPE (Ordre de La), TRAPPISTES. Il n'est peut-
être |)as d'ordre religieux dont l'appréciation ait donné car-
rière à des idées plus divergentes. Interrogez les uns -. les
trappistes sont de grands criminels, venant chercher dans
ce terrible asile le châtiment ou la rémission de leurs fautes.
Consultez leurs défenseurs, au contraire , et vous ne verrez
en ces hommes que des martyrs dévoués au salut de l'hu-
manité. Il y a peut-être exagération dans l'une et l'autre
thèse.
Ce fut en 1140, sous le pontificat d'Innocent II et sous
Je règne de Louis VU, que fut (ondée, par Rotrou, comte
du Perche, la fameuse abbaye de la Trappe, sur les confins
de la Normandie , à quatre lieues de Mortagne , vers le nord.
Huit ans s'étaient à peine écoulés, que l'approche d'une
armée anglaise forçait les religieux à abandonner leur re-
traite. A la cessation des hostilités, ils reprirent les exercices
de leur règle. Mais la fréquentation du monde avait relâché
leur ferveur. Dès 1526 la Trappe avait des abbés commen-
dataires. Kn I6fi2 l'abbé Armand Jean Le Bouthilier de
Rancé entreprit d'y faire refleurir les premières coutumes,
et l'année suivante vit l'abbaye embrasser l'étroite obser-
vance de Citeaux, qui depuis s'y est maintenue sans interrup-
tion. La prière et le silence sont les deux premières lois de
l'ordre. Toutes les actions du trappiste do\\ent\e ramener
aux souvenirs de la destruction , de l'éternité , de la brièveté
de la vie, de la fragilité des choses humaines. L'exi.stence de
ces religieux est des plus austères; ils ne se nourrissent que
de légumes cuits à l'eau, et couchent sur la paille. A leurs
regards s'offrent sans cesse les images de la mort, qu'ils
semblent appeler de tous leurs vœux. Lors de la suppression
des couvents en France , les trappistes s'étaient réhigiés dans
le canton de Fribourg , en Suisse, et y avaient (orme un
monastère, qui fut fermé par ordre supérieur en 1811. Des
religieux revenus en France, en 1817, se réunirent, au nombre
de cinquante-neuf, dans l'ancienne abbaye de La Meilleraie
(Loire-Intérieure); et en 1822 il existait déjà seize couvents
de trappistes en France. L'ordre prit une nouvelle extension
lorsque le frère Géra m b fut appelé à le diriger. Une
ordonnance royale, endatedu 16 juin 1828, prescrivitia fer-
meture des dilférents couvents de Ira ppistes ; mais cette mesure
ne fut jamais mise à exécution, et l'ordre avait enf.ore fondé
de nouvelles maisons quand éclata la révolution de Juillet.
Le nouveau gouvernement en lit alors lérmer quelques-unes ;
nvaisen 1834 une bulle pontificale consolida l'ordre en France,
sous le nom de Congrégation des religieux cisterciens de
Notre-Dame de La Trappe; et depuis le nombre de ses cou-
vents d'hommes et de femmes a toujours été en augmentant.
En 1844 l'ordre obtenait l'autorisation de fonder une colonie
en Algérie. Il a créé une maison en Angleterre, et possède
plusieurs colonies en Amérique. En 1851 le diocèse de Sens
649
a vu se créer à Pierrequivire, près d'Avallon, une maison
de Trappistes prêcheurs, ainsi nommés parce qu'il leur est
permis d'enfreindre la règle de l'ordre relative au silence ,
et qui servent d'auxiliaires aux missions.
TRAQUENARD. Voyez Entrepas.
TRAQUET, genre de la famille des dentirostres de
Cuvier, caractérisé par un bec plus large que haut à la base,
très-fendu , presque droit ; des tarses minces , allongés , com-
primés, des ailes longues ou moyennes, une queue de médiocre
longueur. Toutes les espèces connues appartiennent à l'an-
cien continent. La vivacité et la défiance de ces oiseaux
sont extrêmes ; aussi est-il difficile de les aborder. On les
voit se porter sans cesse de tertre en tertre , de buisson en
buisson, et toujours se percher sur les points les plus cul-
minants. Ils établissent leur nid à terre, sous une pierre,
une motte, dans un tas de bois ou de fagots. Ils ne se nour-
rissent pas uniquement d'insectes, et mangent aussi les
baies de divers arbustes. On a remarqué qu'ils avaient une
profonde antipathie pour les chouettes, etque le cri seul de
ces oiseaux suffisait pour les mettre en émoi.
TRASTÉVÉRINS. On désigne ainsi les habitants
d'une portion de la rive droite du Tibre, à Rome, formant
deux quartiers, Rio7n Borgo (où sont situés Saint-Pierre
et le Vatican ) et Trastevere. Ce sont en général les quar-
tiers habités par la classe nécessiteuse. Une grande partie
de cette population prétend descendre des anciens Romains ;
avantage que leur disputent les montigianiens, ou habi-
tants des quartiers montueux de la ville. Quoi qu'il en soit,
ils ont une physionomie des plus caractéristiques; il n'y a
pas jusqu'à leur costume qui ne présente quelque chose
d'extrêmement pittoresque, et que Barthélémy Pinelli a
reproduit avec beaucou]» de bonheur dans une nombreuse
série de sujets gravés. C'est surtout à l'époque du carnaval,
et au mois d'octobre , qu'on les dislingue du reste de la po-
pulation romaine. Ils ont en toutes occasions fait preuve du
plus vif attachement pour le saint-siége. Dans l'antiquité,
c'est là que logeaient les soldats de marine de la (lotte de
Ravenne. Il y existe encore un grand nombre de tours qui
datent de cette époque. L'église la plus considérable est la
basilique de Santa-Maria. Sur les rives du fleuve s'élève
l'immense hôpital de Saint-Michel, avec la prison pour fem-
mes y attenante. Le mont Janicule forme la limite du Tras-
tevere.
TRASYBULE. Voyez Thrasybule.
TRASYMÈNE ou TRASIMKNE ( Lac), appelé de nos
jours Lago di Perugia, est célèbre dans l'histoire par la
déroute qu'Annibal y fit essuyer aux Romains pendant la
seconde guerre punique, dans l'été de l'an 2(7 av. J.-C.
Le général cartiiaginois avait devancé sur la route de Rome
le consul C.iius Flaminius, parti de Cortone avec son
armée pour se mettre à sa poursuite, et il l'y attendit dans
une forte position qu'il choisit au sud de ce lac. Les Ro-
mains arrivèrent en colonnes de marche sur l'ennemi , dont
un épais brouillard leur dérobait la vue, et qui alors les
attaqua par derrière et sur le fiane. Quinze mille Romains
restèrent sur le carreau. Le consul Flaminius fut du
nombre des morts. Tel était l'acharnement des combattants,
qu'ils ne prirent point garde à une violente secousse de
tremblement de terre qui se fit sentir au milieu de la ba-
taille. Un grand nombre de Romains acculés au bord du
lac y trouvèrent la mort en essayant de le traverser à la
nage. Six mille réussirent bien à se frayer un passage à
travers l'ennemi; mais force leur fut de mettre bas les ar-
mes dès le lendemain. Les débris de l'armée de Flaminius
se dispersèrent alors dans tous les sens, au nombre d'envi-
ron 10,000 hommes.
TRAVAIL, action suivie, dirigée vers un but. Le tra-
vail est productif lorsqu'il confère à une chose quelconque
un degré àhitilité, d'où résulte pour cette chose une valeur
échangeable , ou im accroissement de valeur échangeable
égale ou supérieure à la valeur du travail employé. Le travail
est encore prodMci j/ lorsqu'il en résulte un service qui aune
660
TRAVAIL — TREBIA
valeur échangeable, quoique son service soit consommé en
même temps que rendu. Il est improductif lorsqu'il n'en
résulte aucune valeur. Les travaux productifs sont de trois
espèces : ceux du savant, ceux de Ventrepreneur d'indus-
trie, ceux de Vouvrier. J.-B. S\y.
C'est par le travail que, d'après la loi naturelle, l'homme
se procure sa subsistance et tout ce qui est nécessaire à son
bien-être. C'est aussi par le travail qu'il paye sa dette à la
société; car celui qui n'a pas besoin de travailler pour
vivre y est obligé, pour remphr le premier des devoirs sociaux.
Tout homme oisif est un fripon, a dit J.-J. Rousseau. Il est
certain du moins que tout homme oisif est bientôt corrupteur
et corrompu. Celui qui possède sans travail jouit déjà d'un
assez beau privilège, d'un privilège immense, puisqu'il peut
choisir à son gré ses occupations, et qu'il est libre de les quitter
et de les reprendre à volonté. Maître de servir ses sembla-
bles suivant son incHnation et ses facultés, il n'en est que
plus étroitement lié par les obligations que la société lui im-
pose, en retour de la magnifique prérogative dont elle lui
garantit la jouissance. Tout individu né riche, et qui s'arroge
le droit de rester oisif n'est qu'un fardeau, et presque tou-
jours un fléau pour son pays et pour l'humanité.
AUBERT DE YlTRY.
Sous le nom àe^ droit au travail les agi',ateurs de 1848
lancèrent une de ces thèses vides, mais sonores, à l'aide
desquelles , en temps de révolution , on parvient aisément
à remuer les masses. Ils inscrivirent cette formule sur leurs
bannières, et prétendirent la faire inscrire dans la constitu-
tion nouvelle que la France était appelée à se donner. Mais
comme application de leurs théories ils ne surent imaginer
que la création à&?,atelî ers nationaux, dans lesquels ils
groupèrent à Paris, comme on doit se le rappeler, près de
quarante mille travailleurs , à qui précisément ils ne don-
nèrent rien à faire.
inorganisation du travail fut encore une de ces utopies
qu'on préconisa alors comme devant assurer l'extinction de
la misère parmi les hommes. OrVé g alité des salaires
devait être la base de la réforme industrielle et économique
qui assurerait l'équitable répartition des produits du travail
entre tous ceux qui y prendraient part. L'organisation du
travail est allée rejoindre le droit au travail, dans les cata-
combes de l'oubli.
TRAVAIVCORE ou TRAVANKORE , État de l'Inde
vassal de la puissance britannique et gouverné par un
radjah, situé à l'extrémité sud-ouest de la péninsule, et
comprenant une superficie d'environ 130 myriam. carrés,
avec une population de 1,500,000 âmes. Dans ce nombre sont
compris 70,000 chrétiens de Saint-Tho mas, répartis
en cinquante-cinq paroisses. On y compte aussi un millier
de protestants et une centaine de catholiques; mais la
grande majorité est hindoue. lia pour capitale Trivanderam;
la ville la plus considérable après celle-là est Travancore.
Le radjah actuel s'appelle Rain. Il entretient une armée de
15,000 hommes, el jouit d'un revenu de neuf à dix millions.
Ce pays est placé sous la protection de l'Angleterre depuis
1795. '
TRAVAUX FORCÉS. Le Code Pénal les classe au
nombre des peines afflictives et infamantes. On emploie les
hommes qui y sont condamnés aux travaux les plus rudes
de l'État; ils traînent un boulet ou marchent attachés deux
à deux : les femmes et les filles sont enfermées dans une
maison de force {voyez Bagne, Fop.ça.t, Galère, Galérien).
Les travaux forcés sont k perpétuité ou à temps. Les pre-
miersemportent la mort civile; ceux qui y sont condamnés
ne subissent plus la flétrissure en place publique. La durée
des seconds est de cinq ans au moins et de vingt au plus.
Les condamnés sont attachés au carcan pendant une heure
avant d'aller subir leur peine. Une loi de 1854 a décidé
que ce serait à l'avenir dans des établissements créés par
l'empereur, sur le territoire d'une ou de plusieurs colonies
françaises autres que V Algérie, que cette peine serait subie
par ceux qui l'auraient encourue. Tout individu condamné à
moins de huit ans de travaux'forcés est tenu , à l'expiration
de sa peine , de résider dans la colonie pendant un temps
égal à sa condamnation. Si la peine est de huit années , il
est tenu d'y résider tout le reste de sa vie. Le gouverne-
ment peut accorder aux condamnés qui se conduisent bien
l'exercice, dans la colonie, des droits civils ou de quelques-
uns de ces droits dont ils sont privés par leur état d'inter-
diction légale. Des concessions provisoires ou définitives de
terrains peuvent être faites aux individus qui ont subi leur
peine et qui restent dans la colonie.
TRAVAUX PUBLICS. Cette peine est infligée aux
militaires coupables du crime de désertion , selon les cir-
constances dont il a été accompagné. Les condamnés sont
employés à des travaux militaires ou civils. Un règlement dé-
termine leur costume, l'ordre des travaux, la répartition du
salaire et la peine à encourir dans le cas d'évasion.
TRAVEMUiMDE, petite ville de 1,500 habitants, à
l'embouchure de la Trave dans la Baltique , sur le terri-
toire de la ville anséalique de L u b e ck , dont elle est éloi-
gnée d'environ 14 kilomètres, est surtout célèbre par ses
bains de mer. La création de l'établissement primitif re-
monte à l'année 1800; et depuis il a successivement été
l'objet d'accroissements et d'embellissements. Une contrée
jadis aride et déserte est aujourd'hui métamorphosée en
un charmant parc anglais ; aussi, indépendamment d'environ
mille baigneurs, un grand nombre d'étrangers viennent-ils
chaque année s'y établir pour passer la belle saison.
TRAVERSE. Voyez Malheur.
TRAVOT (Jean-Pierre, baron), né àPoligny (Jura),
en 1767, entré dans les rangs de l'armée comme simple
soldat en 1792, parvint de grade en grade à celui dégénérai
de division, et commandait une division à la bataille de
Toulouse, en 1814. L'année suivante, pendant les cent jours,
Napoléon l'appela au commandement supérieur des dépar-
tements de l'ouest, oij il comprima l'insurrection vendéenne.
Traduit pour ce fait eu 1816 devant un conseil de guerre,
il fut condamné à mort. Louis XVllI commua, il est
vrai , cette peine en une détention au château de Ham, d'où
le malheureux général sortit deux ans plus tard; mais les
émotions cruelles qu'il avait subies avaient altéré sa
raison, et il n'en recouvra plus l'usage jusqu'à sa mort,
arrivée en 183G, à Montmartre, dans une maison d'aliénés.
TREBELLÏUS POLLIO, un des auteurs de l'Histoire
Auguste , vivait sous Dioctétien. Parmi les biographies
d'empereurs qu'il avait écrites , nous avons encore celles
des Valérien , des Gallien, des trente tyrans et de Claude II.
TREBIA ou TRÉBIE (La), impétueux affluent du Pô,
d'un parcours total de 9 myriamètres, qui prend sa source
au nord-est de Gênes, dans l'Apennin, qui traverse le terri-
toire sarde et celui deParme, passe à l'ouest devant Plaisance,
et se jette dans le Pô par divers petits bras, est surtout
célèbre parcequece fut sur ses rives, en décembre de ran2IS
av. J.-C, après l'engagement de cavalerie qui avait eu lieu
sur le Ticinus (Tessin), qu'Annibal livra aux Romains sa
première bataille rangée. Campé avec 20,000 hommes sur
la rive droite delà Trebia, il désirait une bataille. L'armée ro-
maine, fortede 30,000 hommes par la jonction des consuls Pu-
blius Scipionet Tiberius Sempronius , occupait la rive gauche.
Annibal eut l'art d'exalter la confiance de Sempronius en lui
abandonnant la victoire dans diverses escarmouches sans
importance; et comme il avait réussi à lui couper la route
de Rome, pivot de ses opérations, et à le faire souffrir du
manque de vivres, il ne lui fut pas difficile de l'amener à
accepter une bataille générale , contrairement à l'avis de
Scipion, alors encore souffrant des suites de blessures. Les
Romains passèrent à gué , au milieu d'une violente chute de
neige, la rivière, dont les eaux avaient subi une crue consi-
dérable. Mais comme ils étaient harassés de fatigue, ils ne
purent , quelque brave résistance qu'ils fissent , tenir devant
l'ennemi, surtout devant sa cavalerie, qui les prenait ea
flanc et par derrière. Leur déroute fut complète et signalée
par des pertes énormes. Cependant, environ 10,000 hommes
TREBIA — TRÉGUIER
KC rallièrent encore à Placentia, où Annibal,en faveur de
qui les Iiisubrcs venaient de se déclarer, n'osa pas les atta-
quer. Ils s'y embarquèrent sur le Pô, et opérèrent en bon
ordre à Ariminium leur jonction avec Flaniinius.
Les bords de laTrebia furent encore, les 17, 18, 19 et 20
juin 1799, le théâtre d'une bataille célèbre entre l'armée
austro-russe conmiandée par Souvaroff et les Français aux
ordres de Macdonald. Malgré l'iiéroïque barvoure dont ils y
firent preuve , ceux-ci eurent le dessous.
TRÉBISONDE ou ÏRÉIilZONDE, en turc Tarabo-
san , éyalet turc dans la partie du nord-est de l'Asie Mi-
neure , qui a sur la mer Noire un développement de côtes
de 52 myrianiètres, dont la superficie est de 460 myriam.
carrés avec environ 250,000 habitants , et dont la partie
orientale porte le nom de Lasistdn ( voyez Lazes ).
Le chef-lieu, Trébisonde , est situé dans ce qu'on appe-
lait autrefois le Pontus Cappadocius , sur les bords de la
mer Noire, entre deux énormes rochers. Le cii cuit de cette
ville est très- étendu , parce qu'elle renferme nu grand
nombre de jardms. On y compte de nouveau environ 00,000
habitants, ou suivant d'autres données seulement 40,000
( en 1835 le chiffre de la population ne dépassait pas vingt
mille âmes). On y trouve une citadelle construite sur le roc,
un vieux château fort, de nombreuses mosquées, plusieurs
médrcssés , dix églises grecques, de grands bazars, un
chantier de construction, des fonderies et des laminoirs de
cuivre, des teintureries , etc. Elle est le centre d'une pèche
importante et d'un commerce considérable. Son excellent
port et son heureuse situation géographique en font le
grand entrepôt du commerce de ITùirope avec l'Arménie,
la Perse et toute l'Asie centrale jusqu'aux frontières del'lnde
et de la Chine. Depuis 183G il y existe un service de ba-
teaux à vapeur pour Constanlinople et les bouches du Da-
nube,deméme que des caravanes régulières la mettent en
communication avec Erzeroum, Tauriset la Syrie. Près de la
ville on trouve les ruines d'un temple datant du règne d'Adrien.
Trébisonde , colonie grecque (ondée par les habitants de
Sinope, était déjà dans l'antiquité une localité assez im-
portante ; mais elle le devint encore bien davantage au moyen
âge, époque oti elle donna son nom à un petit empire,
appelle Vcinpire de Trébisonde. Par suite des dissensions
intestines qui régnaient au sein de la famille impériale de
Constantinople, les croisés {Français et Vénitiens) s'étant vus
forcésd'assiéger cette capitale, finirent par s'en rendre maîtres,
enl'an 1204, et en chassèrent alors la famille régnante, dont
un membre, nommé Alexis, s'en alla fonder un petit État
en Asie et s'établit à Trébisonde, où il avait précédemment
rempli les fonctions de gouverneur. Ses successeurs prirent
le titre A'' empereur s, et continuèrent à porter le nom de
la famille des Comnènes. L'empire de Trébisonde succomba
enfin sous les forces supérieures des Turcs. David Comnène,
le dernier empereur de Trébisonde, fut assiégé dans sa
capitale, en 1141, par Mahomet II, et, ne recevant aucun
secours étranger, fut contraint de se rendre au vainqueur, qui
incorpora le pays à l'empire turc, et fit mourir, en 1462,
à Andrinople, son prisonnier ainsi que toute sa famille.
TREBtJCH ET, petite cage, qui .sert à attraper des
oiseaux. La partie supérieure en est couverte et arrêtée si
délicatement , que pour peu qu'on y touche le ressort se
lâche et se ferme, en sorte que l'oiseau qui le fait lâcher en
entrant dans cette cage afin d'y prendre du grain , qu'on y a
liais pour amorce , se trouve prisonnier et ne peut plus en
sortir.
THÉCHEUR. Voyez Blason.
TRÉFILERIE. On appelle ainsi l'art de former des
Els avec les métaux ; cependant, le nom de trèfileur n'est
guère donné qu'à l'ouvrier occupé à tirer en fil le fer, l'acier
et le laiton; celui qui réduit en fil l'or et l'argent s'ap-
pelle tireur oafileur d'or et d'' argent. Les opérations de
ces deux sortes d'arts sont pourtant à peu près les mêmes.
V.n effet , c'est toujours en faisant passer la tige métallique
dans les trous coniques d'une filière qu'on parvient à
651
I l'aminrir, et à en former des fils de la grosseur voulue, par
suite du passage successif dans des trous de plus en plus
petits. Pour cela , on diminue à \a lime ou autrement le
bout de la tige raétalliqu'e , jusqu'à ce qu'il passe par le
trou de la filière; une tenaille le saisit alors, et un moteur
quelconque, en tirant celle-ci, force la tige à passer tout
entière par le trou de la filière , dont elle prend le calibre.
On sait quelle étonnante ténuité peuvent prendre les métaux
en passant par la filière. Chaque métal exige dans l'opéra-
tion de la tréfilerie des soins spéciaux. Ainsi le fer doit
être de choix et recuit de temps en temps sans se trou-
ver au contact de l'air, où il s'oxyderait. L'acier doit être
recuit plus souvent encore, dans une marmite herméti-
quement fermée et remplie de poussière de charbon qui
l'empêche de se désaciérer. Il faut également faire re-
cuire le laiton en l'étirant. Pour l'or et l'argent, où frotte
le lingot avec de la cire, afin qu'il glisse mieux dans la filière.
Lorsqu'on veut avoir des fils d'argent ou de cuivre dorés,
on dore préalablement le lingot.
Les machines servant à dégrossir les lingots de métaux
précieux s'appellent argues. On les fait ensuite passer par
des filières plus fines (voyez Fils métalliques).
TREFLE ( trifoiimn, L. ), genre de plantes de la dia-
delphie-décandrie et de la famille des légumineuses, dont
il y a près de quatre-vingts espèces : la moitié appartient
au solde la F'rance. Tous les trèfles ont les feuilles alter-
nes, composées de trois folioles, et les fleurs disposées
en tête ou en épi.
Le trèfle des prés mérite , par l'importance de son
fourrage et par l'avantage qu'il a de contribuer merveil-
leusement à l'assolement des terres légères , qu'on s'oc-
cupe exclusivement de sa culture et de ses usages. Malgré
cette double importance, il paraît qu'il n'y a pas plus
de deux siècles qu'on le cultive pour fourrage. Ce trèfle
réussit mieux sur les terres fraîches et légères que par-
tout ailleurs : ses racines étant pivotantes, il lui faut
une terre qui ait du Ibnd. Les terres calcaires ne lui
conviennent nullement. Généralement , on se contente de
deux labours pour semer le trèlle , et môme souvent d'un
seul, afin d'éviter la dépense. Semez plus au moins épais,
suivant les terrains : le mois de mars est l'époque favorable.
Ne mêlez pas le trèfle avec d'autres fourrages, mais bien
avec l'orge et l'avoine , même avec le seigle et le froment.
Un .sarclage est souvent utile, souvent indispensable aux
terres semées en trèfle; l'époque est la fin d'aviil ou le com-
mencement de mai. Quand, aux approches de l'hiver, il
garnit déjà le terrain , n'ayez pas l'imprudence de le fau-
cher malgré sa belle apparence. La seconde année , le trèfle
est en plein rapport; on peut le couper alors deux , trois,
quatre , et même cinq fois. Employez au printemps le plâtre,
et pendant les chaleurs de l'été les irrigations : un léger
marnage entre les coupes produit quelquefois des résultats
très-heureux. Donné vert ou sec aux bestiaux, c'est une
excellente nourriture. Considéré sous un autre point de
vue plus important, il contribue à l'amélioration des terres.
C'est une des meilleures plantes qu'on puisse employer
comme préparation à la culture du blé et des autres céréales.
P. Gaubert.
TREFLE, l'une des quatre couleurs des cartes ( voyez
Cartes a jouer); c'est aussi le nom d'un ornement d'ar-
ciiitecture, imité de la feuille de trèfle. En termes de bla-
son, c'est la figure du trèfle posé sur un écu aux extrémités
d'unecroix. On dit une croix tréjlce et cantonnée de trèjle.
TRÈFLE DES JARDIMIERS. Voyez Cïtise.
TREGUIER, autrefois siège d'un évêché qui bon an
mal an valait trente mille hvres de rente à son titulaire,
aujourd'hui simple chef-lieu de canton de l'arrondissement
de Lannion ( Côtes-du-Nord) , à huit kilomètres de la mer,
sur les bords d'une petite rivière appelée le Tréguier, compte
.■],021 habitants et possède un port de commerce fréquenté
par un grand nombre de pêcheurs et par des caboteurs
jaugeant de 300 à 400 tonneaux.
TRÉHOUART
652
TREHOUART (N...) vice-amiral, est né à Epiniac
^ Ille-et- Vilaine), le 27 avril 1798. Destiné par sa famille au
service de mer, il fut admis dès 1812 à l'école spéciale de
Toulon, d'où il sortit en 1815 pour s'embarquer en qualité
d'aspirant sur la goélette VÉmulation. Élève de première
classe en 1817, enseigne de vaisseau en 1821 , lieutenant de
vaisseau en 1829, capitaine de corvette en 1837, capitaine
de vaisseau en 1343, contre-amiral en 1846, il fut promu
\ice-amiral en 1851. Une des pages les plus glorieuses
de sa vie maritime est l'attaque, en 1845, des batteries et
du barrage au Rinçon d'ohligado , dans le fleuve du
Parana ; attaque par laquelle il se tira d'une situation des
plus difficiles. En 1855 1e vice-amiral Tréhouart, qui avait
déjà commandé en chef l'escadre de la Méditerranée en 1849
et 1850, fut appelé de nouveau à en prendre le commande-
ment.
TREILHARD (Jean-Baptiste, comte), l'un des mem-
bres du Directoire dont la constitution de l'an m gratilia
la France, était né en 1742, à Brives. Fils d'avocat, il vint
faite son droit à Paris, y fut reçu avocat au parlement, et
en 1789 lut l'un des hommes sur qui les électeurs de la ca-
pitale jetèrent les yeux pour les représenter aux étals géné-
raux, transformés bientôt en Assemblée nationale. La session
de la Constituante terminée, il fut nommé président de la cour
criminelle des départements de la Seine et de l'Oise. En
1792 la commune de Paris l'élut pour son représentant à la
Convention , oii il vint siéger avec Sieyès sur les bancs de la
plaine ou du marais , c'est-à-dire parmi les hommes qu'ef-
frayait la violence toujours plus grande du mouvement révo-
lutionnaire. Lors du procès de Louis XVI , il vota la mort,
mais avec sursis. Au mois d'avril 1793 on l'appela à laire
partie du comité de salut public, puis on l'envoya en mission
dans les départements de l'ouest, notamment dans la Gi-
ronde. Incarcéré par les fédéralistes de Bordeaux après les
événements des 31 mai et 3 juin , et rappelé bientôt après à
Paris comme véhémentement suspect de modérantisme aux
yeux des hommes de la terreur, il ne rentra qu'après le 9
thermidor au comité de salul public, dont il devint alors le
rapporteur ordinaire. Lors de l'établissement du Directoire, il
entra au Conseil des Cinq Cents, dontil fut nommé président,
et où il se montra l'adversaire acharné des royalistes. Quand,
le 20 mai i797,sonmand.->tlégislatifvintàexpirer,on le nomma
président d'une des sections de la cour de cassation. A peu de
temps de la il fut au nombre des négociateurs chargés de
s'aboucher à Lille avec les plénipotentiaires anglais pour
traiter de la paix. Nommé ensuite ministre plénipotentiaire à
Naples, il eut ordre d'aller assister au congrès deRastadt,
n'y lit qu'un très-court séjour, et échappa ainsi à la fin tra-
gique <le ses collègues. Au mois de mai 17i)8,il fut élu membre
du Directoire ; mais il ne conserva ces fondions que jusqu'en
juin 1799, et lors du coup d'État du 18 brumaire il se rattacha
au général Bonaparte. Quand celui-ci devint premier con-
sul, il l'appela à la présidence de la cour d'appel de Paris,
et le nomma en même temps conseiller d'État. Treilhard
fit alors preuve d'une admiration si vive et d'un dévouement
.si complet pour Napoléon, que, devenu empereur, celui-ci
lui octroya le titre de co7nte de Vempire en même temps qu'il
le nommait président de la section de législation du conseil
d'Étal, lin celte qualité Treilhard prit une part importante
aux travaux qui eurent pour résultat la publication et la mise
en vigueur de nos ditférents codes. En 1810 il reçut mission
de présenter devant le corps législatif la défense du nouveau
Code Pénal, dont il était l'un des principaux auteurs; mais il
n'en eut pas le temps, car il mourut le l*^"" décembre de la
même année.
Son (ils, Achille Libéral Theiuiard, né en 1785, entra
en 1806 au conseil d'État en qualité d'auditeur, et de 1808 à
1814 fut préfet de divers départements. Sous la Restauration
il fit partie de l'opposition constitutionnelle la plus avancée.
Ce fut lui qui, le 27 juillet 1830, présida dans les bureaux
An National \dL réunion où fut rédigée la fameuse protestation
de la presse parisienne contre les ordonnances. Après la ré-
TREMRLEMENT DE TERRE
volulion des trois jours, il fut nommé préfet de la Seine-lB«
férieure. Lors du procès des ministres, il fut un instant pré»
fet de police à Paris, puis il rentra alors dans la vie privée.
TREILLE (For<i:^ca«on). Voyez Galekie.
TREILLIS. Votiez Collage (des papiers de tenture).
TREKSCHUYTES (du verbe hollandais trekken,
tirer). On appelle ainsi en Hollande une espèce particulière
de barques pontées, en usage sur les canaux, dont la lon-
gueur varie de 12 à 18 mètres et la largeur de 2 à 4 mètres,
tirées par des chevaux , partant à heures fixes et servant à
conduire des voyageurs d'un point à un autre.
TRÉMA (du grec Tpri(xa, trou). On appelle ainsi une
voyelle accentuée de deux points qui avertissent que cette
voyelle forme à elle seule une syllabe et ne doit pas s'unir
avec une autre. On dit que l'e est tréma dans poète, Vi dans
païen, etc.
TRÉMAIL on HALIER, espèce de filet. Voyez Caille.
TREMBLANTS {Géologie). Voyez Bedouzes.
TREMBLE, espèce de peuplier (popiilus tremula)
dont les feuilles tremblent au moindre vent, par suite de la
ténuité et de la longueur des pétioles qui les portent.
TREMBLEMENT DE TERRE, mouvement brus-
que imprimé par des agents intérieurs à quelque portion de
la couche superficielle de la terre. La puissance de ces
agents est quelquefois assez grande pour déplacer des masses
énormes, former des exhaussements, creuser des abîmes;
avec moins de violence, le sol reste en place, il n'est
qu'ébranlé, secoué : mais ces commotions suffisent pour ren-
verser les édifices, couvrir un pays de ruines, sous les-
quelles une partie de la population reste ensevelie. Les
tremblements de terre sont le plus terrible des phénomènes
que notre planète met sous nos yeux ; l'imagination s'en ef-
fraye d'autant plus qu'il lui est impossible d'en saisir l'en-
semble, de s'en faire un tableau qui rassemble tous les ob-
jets à représenter. Ce qu'elle peut apercevoir à la fois n'est
qu'un point dans celte immensité qu'il lui est interdit de
parcourir, car tout s'y accomplit en même temps, et ce
temps est très-court. Quelques signes précurseurs de ces
catastrophes échappent à nos observations, mais l'instinct
des animaux est dans ce cas plus clairvoyant: on les voit
alors saisis d'une frayeur soudaine; ils fuient vers les lieux
découverts, et les hommes sont avertis par ces mouvements ,
trop peu remarqués, qu'il est temps de sortir des maisons,
d'abandonner les cités.
Le tremblement de terre le mieux connu , parce qu'en
raison de sa grande étendue il attira l'attention des savants
de toute l'Europe, est le désastre de Lisbonne en 1755. Deux
siècles auparavant, cette ville avait été presque détruite par
la même cause, et ce ne fut qu'après de longues hésitations
qu'on la reconstruisit au même lieu. On croyait alors qu'en
la transportant ailleurs on la préserverait d'une nouvelle ca-
tastrophe; celte prévision paraîtrait justifiée par l'événement
du siècle dernier si toutes les côtes du Portugal n'avaient
été remuées aussi fortement que le sol de la capitale. A peu
près dans le même temps, le littoral du Chili et du Pérou
éprouvait des commotions aussi fortes, et Lima n'était pas
mieux traitée que Lisbonne; presque toutes les îles semées
dans le golfe du Mexique étaient ébranlées ; les eaux de la
mer transmettaient jusqu'à leur surface l'agitation du fond,
et les vaisseaux la ressentaient en naviguant entre les deux
continents. L'Europe entière éprouvait cet ébranlement,
dont l'étendue ne put être assignée avec exactitude , faule
de témoins attentifs et de curieux pour les interroger. Il est
probable que l'Afrique y eut aussi quelque part, et que les
contrées asiatiques .situées aux limites de l'Europe ne furent
pas tout à fait immobiles. Remarquons dès à présent que
les côtes sont secouées avec plus de violence que l'intérieur
des terres, et que les hautes montagnes opposent à ces
mouvements une résistance qui paraît invincible , si ce n'est
dans les régions volcanisées.
Le tremblement de terre qui bouleversa la Calabre est
aussi un événement du dix-huitième siècle. Son étendue lut
TREMBLEMENT DE TERRE — TRENCK
653
tiès-limiléô, en comparaison de l'espace immense qu'une
seule commotion avait remué trente ans auparavant; mais
les circonstances et les suites de ce désastre furent décrites
avec soin et constatées par des témoignages dignes de foi.
On y vit que les côtes et les plaines basses avaient été plus
maltraitées que les lieux plus élevés, et qu'au lieu de fuir
vers la mer, comme le tirent quelques populations mal avi-
sées, il fallait chercher un refuge dans les montagnes. Les
habitants d'un village s'étaient entassés sur le haut promon-
toire de Sylla ; la mer adjacente, soulevée par une secousse,
franchit l'escarpement, et entraîna tout ce qu'elle trouva sur
la roche. La Sicile souffrit beaucoup moins que la Calabre ;
et dans cette tourmente , plus terrible que les ouragans dans
toute leur (ureur, l'Etna protégea l'ile, qui est en grande partie
son ouvrage. Des passages ouverts pour le dégagement
des gaz et des vapeurs, une masse que les fluides compri-
més ne peuvent plus soulever, voilà des garanties contre
l'action des feux souterrains et des auxiliaiicsqui sont aussi
leur ouvrage. Dans les contrées de l'Amérique les plus ex-
posées aux tremblements de terre , on les ressent beaucoup
moins et plus rarement au voisinage des volcans.
Le dix-neuvième siècle ne sera peut-être pas moins cé-
lèbre que le précédent dans les annales géologiques, en raison
des tremblements de terre que l'on y citera. Celui dont
l'Espagne fut le théâtre peut y être omis ; il ne put être ob-
servé avec l'attention que les faits scientifiques exigent. Mais
on a déjà pu constater que les tremblements de terre sont
aussi fréquents en Amérique que les orages en Europe, et
cette fréquence môme donne quelque crédit à l'opinion de
M. de Humboldt, qui regarde les volcans, si nombreux
dans le Nouveau Monde, comme la cause de ces effrayants
phénomènes. C'est la seule contrée du globe oij l'on ait res-
senti en moins de cinq années jusqu'à douze cents tremble-
ments de terre. Ces commotions sont surtoutterribles vers la
côte occidentale. Sans lappeler les tremblements de terre qui
ont porté la ruine et la désolation à la Martinique et à la Gua-
deloupe, et pour ne parler que du continent américain, on
en a vu abîmer des villes entières , telles que Valdivia , en
1837, La Conception , en 1835, Valparaiso, quelques années
auparavant; crevasser la terre à des profondeurs elfrayantes,
faire tinlcr des cloches, briser les chaînes des navires
amarrés , tarir d'anciennes sources et en (aire jaillir de nou-
velles, donner subitement à beaucoup d'eaux une odeur
sulfureuse, déplacer des mers jusqu'à submerger des villes,
dont ensuite les édifices étaient emportés par les vagues.
Souvent aussi après de telles commotions la mer se trouve
élevée de plusieurs mètres en de certains parages, pendant
qu'un peu plus loin des rochers, jusque alors invisibles, sont
mis à découvert d'une manière soudaine.
11 paraîtrait que quelques tremblements de terre, ainsi que
la plupart des trombes, sont des phénomènes en partie
électriques. Celui de la Martinique, en particulier, présenta
quelques singularités, que l'électricité seule rend explicables.
C'est ainsi que la grille en fer d'un hôpital , scellée solide-
ment et posée depuis quelques mois , fut violemment arra-
chée de ses supports et lancée à distance, au lieu de tomber
sur place comme les maisons (1839). Toutefois, cène sont
pas les volcans qui manquent dans celte colonie : l'île en-
tière est iK)ur ainsi dire jonchée de laves, comme au reste
tout l'archipel des Antilles, depuis La Trinidad jusqu'à Cuba.
Cependant, la cause la plus fréquente des tremblements
de terre semble être l'existence du feu central que les géo-
logues s'accordent à reconnaître. On conçoit comment se
forment des gaz dont l'énorme tension finit par rompre
l'écorce terrestre en certaines lignes de moindre résistance.
On s'est aussi demandé s'il n'existerait pas quelque rapport
entre la fréquence des tremblements de terre et les phases
de notre satellite. Si notre globe n'a de solide qu'une écorce
comparativement très-mince, la masse intérieure, dépourvue
de solidité, doit tendre à céder, comme la masse superfi-
cielle des eaux marines, aux forces attractives exercées par
]e Soleil et la Lune, et elle doit éprouver une tendance à se
gonfler dans les directions des deux astres; mais cette sorte
de marée intérieure doit rencontrer dans la rigidité de l'é-
corce soliik une résistance qui est pour celte dernière une
cause de rupture el de secousses. L'intensité de cette cause
varie, comme celle des marées de l'Océan, avec la position
relative du Soleil et de la Lune. Si donc l'état de mollesse
de l'intérieur du globe joue un rôle parmi les causes des
tremblements de terre, son influence peut se trahir par une
certaine dépendance entre l'apparition du phénomène et les
circonstances qui modifient l'action de la Lune. Partant de
ces données, M. Alexis Perrey a exécuté un travail de sta-
tistique consistant à rapporter très-respectivement à leurs
jours de lunaison tous les petits tremblements de terre notés
depuis le commencement du siècle. Rapprochant ensuite
les jours ainsi pointés qui avaient le même numéro d'ordre,
l'auteur a vu que les tremblements de terre avaient été gé-
néralement plus fréquents aux syzygies qu'aux quadratures,
c'est-à-dire aux époques de pleine et de nouvelle Lune qu'à
celles du premier el du dernier quartier. Les mêmes faits
ont encore été manipules de diverses manières. On les a
soumis à d'autres modes de supputation, et l'allure du chiffre
a reparu toujours la môme. Déjà donc il devenait très-pro-
bable que l'influence astronomique avait sa part bien mar-
quée dans les causes déterminantes qui donnent le signal
des tremblements de terre. Mais afin de saisir entre les deux
ordres de faits des relations plus intimes encore, M. Per-
rey a voulu rapporter les tremblements de terre aux époques
du périgée et môme aux heures du passage de la lune au
méridien. Celte fois encore les chiffres, dociles à l'idée pré-
conçue, ont montré la fréquence du [ibénomène en rapport
avec les circonstances favorables à l'influence lunaire.
TREMBLEURS. Voyez Quakers.
TREAICEN. Koyes Tlemcen.
TUÉMOILLE (La). Foî/es La Trémoille.
TRÉMOLITE. Voijez Amphibole.
TRÉMOLO. Ce mot italien désigne en musique le
tremblement ou la suspension la plus douce de la voix,
qu'on imite aussi sur les instruments , par exemple sur les
instruments à cordes , en appuyant à diverses reprises le
doigt sur la corde, et de même sur la couche du clavier. Il
désigne par conséquent aussi un trait sur l'orgue produisant
union cadencé appelé tremblanl, mais bien moins en
usage aujourd'hui qu'autrefois ( voyez Cadence et Trille).
TRÉMOUILLE ( Famille La). Voyez La Trémoille.
TREMPE, opération des plus simples, et cependant
des plus délicates, qui en donnant à l'acier de la dureté
et de l'élasticité le rend propre à une foule d'usages auxquels
il ne pouvait servir auparavant, mais en même temps
qui le rend cassant et lui ôte par conséquent une grande
partie de sa malléabilité et de sa ductilité. Elle consiste à
faire passer subitement le métal d'une température élevée,
où il a acquis une couleur rouge , à la température d'un
fluide dans lequel on le plonge. On se sert à cet eftét d'eau
froide ou de mercure, d'acides, d'huiles et encore de di-
verses compositions qui jouissaient autrefois d'une bien plus
grande vogue qu'aujourd'hui. L'appréciation du moment où
le métal est arrivé au juste degré de chaleur nécessaire
exige autant d'habileté que d'habitude. Si la chaleur n'est
pas suffisante, l'acier ne se trempe pas; si elle est trop in-
tense, l'acier reste mou, cassant. Pour que l'acier perde le»
qualités que la trempe lui a données et reprenne son état
naturel , il suffit , après l'avoir fait rougir, de le laisser re-
froidir lentement à l'air. Mais après avoir été détrempé.
il est susceptible d'être retrempé plusieurs fois. Que s'il perd
ainsi de son carbone, on lui en rend parlacé7«e?i tation.
L'eau est le liquide le plus généralement employé, et qui
convient le mieux pour le refroidissement des pièces qu'on
veut tremper; mais à cet égard certaines eaux sont l'objet
des préférences des praticiens.
TRE\CIÎ(FRANçois,baront;onder), colonel de pandours
au service d'Autriche, fameux par sa froide cruauté, naquit
en 1714, à Reggio, en Calabre. Quoique son père, lieutenant»
654
TRENCK ^ TRENTE
coionei au service d'Aulriclie , fût sujet prussien et protes-
tant, il fut élevé à Odembourg, chez les jésuites. Dès l'âge
de dix-sept ans il entra au service autricliien; mais il dut
bientôt le quitter, à cause de sa vie crapuleuse et des mau-
vaises affaires de tous genres qu'elle lui attirait. Quand la
guerre éclata en 1737 contre les Turcs, il proposa d'orga-
niser à ses frais un corps depandours; et son offre ayant
été repoussée, il entra au service de Russie. Condamné à
mort pour voies de fait contre son colonel , il réussit à s'é-
chapper. En 1740, lorsque éclata la guerre de la succession
d'Autriche, Marie-Tiiérèse lui accorda l'autorisation d'orga-
niser un corps de Pandours. Trenck , à la tête de cette bande
de gens de sac et de corde, formait toujours l'avanl-garde,
massacrant impitoyablement tout ce qu'il rencontrait , pil-
lant et incendiant les habitations et commettant toutes sortes
d'atrocités. La Bavière eut plus particulièrement à souffrir
de ses brigandages et de ses dévastations. Les atroces cruautés
qu'il commettait en tous lieux excitèrent une horreur telle
que le gouvernement autrichien finit par se décider à lui
faire intenter un procès, qui se termina par une condauma-
tion à un emprisonnement à vie au Spielber g , où il
mourut, en 1749. Trenck était un fort bel homme, doué d'une
force incroyable, et endurci à la douleur, 11 parlait sept
langues différentes avec une égale facilité, et possédait une
solide instruction militaire; mais, heureusement pour l'Iiu-
lîianité, on vit rarement d'être aussi profondément mécliant.
TRENCK (Fkédéiuc, baron wo?i der), cousin du pré-
cédent, né à Ivœnigsberg, en \11<}>, semble, parla singula-
rité de ses aventures , appartenir plutôt au roman qu'à l'his-
toire. C'est le La tude de la I^russe ; mais la cause de leur
captivité ne fut pas la même. Trenck aima comme le Tasse,
et fut aussi malheureux. Il n'avait que seize ans quand il
parutà la cour. Il était bien fait, sa figure était agréable, et
Frédéric II le plaça comme cadet dans ses gardes. Le jeune
favori eut un avancement rapide ; en 1744 il était déjà officier
d'ordonnance de iMcdéric , et il parvint même à se faire
aimer de la princesse Amélie, sœur du roi. Cette intrigue
lie resta pas longtemps secrète. Une punition éclatante eût
été funeste à l'honneur de la princesse. Malgré son vif res-
sentiment , Frédéric comprit que la véritable cause de la
disgrâce de son favori devait rester incertaine. Un cousin
de Trenck servait dans l'armée autrichienne. On supposa
une correspondance politique entre les deux cousins : Trenck
fut arrêté, conduit à la citadelle de Glatz et soumis dans
cette prison d'iitat au régime le plus rigoureux. Diverses
tentatives faites pour récupérer sa liberté ne lui valurent
qu'une aggravation de peine. Mais en 1747 il fut plus heureux,
et la princesse fut soupçonnée d'avoir été pour quelque
chose dans le succès de cette nouvelle tentative d'évasion.
Trenck -se réfugia alors à Vienne, où il fut assez mal accueilli
par son cousin, qui à ce moment était déjà en prison. Tou-
tefois, il obtint le grade de capitaine dans l'armée autn-
chienne. A quelque temps de là , il alla faire un assez long
séjour à Moscou, vraisemblablement chargé de quelque
mission secrète. Au retour, il résolut de passer par Dantzig,
à l'effet de toucher la part qui lui revenait dans l'héritage
de sa mère. Le gouvernement prussien, qui en fut instruit,
ne se gêna pas pour faire arrêter notre imprudent voyageur,
malgré son titre de capitaine autrichien; et Frédéric II
donna l'ordre de le renfermer à la citadelle de Magdebourg,
dans un cachot que l'on montre encore aujourd'hui. Diverses
tentatives d'évasion ne lui valurent encore qu'une aggravation
de souffrance. On lui mit aux mains, aux pieds et au corps
une chaîne de fer de 34 kilogrammes, et dont on augmenta
encore le poids au début de la guerre de sept ans. 11 ne fut
gracié et remis en liberté qu'en 1763. Il séjourna alors
.successivement à Prague, à Vienne, à Mannheim, hS\m
et dans diverses autres villes; mais partout il se fit des
ennemis et s'attira de mauvaises affaires par la trop grande
liljerté de ses propos , ne se gênant d'ailleurs pas davantage
dans les outrages qu'il composait et faisait imprimer. Aussi
perdit-il à ce jeu-là la plus grande partie de sa fortune,
qu'il avait eu beaucoup de peine à se faire restituer. A son
avènement au trône, Frédéric-Guillaume II lui lit rendre les
biens qu'il possédait en Prusse, et qui étaient demeurés sous
séquestre. Au début de la révolution son caractère inquiet
l'amena à Paris, où en 1794, le 25 juillet, deux jours avant
le grand événement qui mit fin au règne de Robespierre ,
ii fut guilloUné , comme agent de Pitt et Cobourg.
TRÉMIÈRE (Rose). Voyez Ghma-jve.
TREi\lTZ , l'un de ces danseurs intrépides qui au
lendemain du règne de la terreur s'efforçaient d'oublier
les malheurs du temps en se livrant au plaisir de la danse
en toutes occasions et sous tous les prétextes. Il fut, dit-on,
l'un des organisateurs du fameux bal des victimes, où on
n'était admis qu'en prouvant qu'on avait eu l'un de ses pro-
ches guillotiné sur la place de la Révolution. Son nom est
demeuré à l'une des figures de cette éternelle contredanse
qui règne si despotiquement dans tous nos salons depuis plus
de soixante ans.
TRENTE, Trenlo, en latin Tridentum, chef-lieu du
cercle du même nom ou du Tyrol welche (78 myriam.
carrés, et 318,658 habitants), la plus grande et autrefois
la plus peuplée des villes du Tyrol, est située sur la rive
gauche de l'Adige, qui y est navigable et qu'on y passe sur
un pont de bois, dans une fertile et pittoresque vallée en-
tourée de hautes montagnes calcaires. Elle est le siège de
diverses autorités civiles et judiciaires et d'un évêque dont
le diocèse comprend tout le Tyrol. On y compte 10,000 ha-
bitants, dont la langue et les habitudes sont déjà tout ita-
liennes, et dont la fabrication des étoffes de soie, -la culture
des vignes et un important commerce de transit constituent
les principales ressources. On y trouve de grandes raffineries
de sucre, une fabrique impériale de tabac, une fabrique de
cartes à jouer, des tanneries et des teintureries, des distille-
ries d'eau-de-vie et d'esprit-de-vin, un séminaire, un lycée,
un gymnase, deux écoles élémentaires, une école de dessin
et une école de musique, trois couvents de franciscains, de
capucins et de sœurs de la miséricorde, un hospice d'orphe-
lins, une école de sages-femmes , une maison de travail pour
les pauvres , un hôpital , et divers autres établissements de
bienfaisance. Aux environs, on exploite des carrières de mar-
bre et de plâtre.
La ville frappe les voyageurs parle style tout italien de son
architecture. Parmi les places publiques on remarque surtout
la Piazza Grande, avec une belle fontaine en marbre
rouge surmontée de la statue colossale de Neptune armé de
son trident (symbole du nom de la ville). En fait d'édifices
pubfics,il faut surtout mentionner, parmi les treize églises,
la cathédrale, majestueux édifice tout en marbre, dont la cons-
truction, couunencée au dixième siècle, ne fut achevée qu'au
seizième, avec un maître autel en marbre d'Afrique, repro-
duisant le maître autel de Saint-Pierre de Rome, et construit par
suite d'un vœu fait par la commune lors du siège delà ville,
en 1705, par Vendôme, l'église de Sainte-Marie-Majeure,
avec une chaire en marbre de Carrare, et un grand tableau
à l'huile par Morelo représentant les quatre docteurs de l'É-
glise, ornée des portraits de tous les pères du fameux con-
cile de Trente qui y tint ses réunions, et construite aussi
tout en marbre rouge; et l'église délia Annunziata, dont
la haute coupole est supportée par quatre énormes colonnes
de marbre rose d'un seul morceau. Mentionnons encore le
théâtre, édifice dans le goût moderne, et qui peut contenir
1,400 spectateurs, et l'hôtel de ville. En fait d'habitations
particulières, on remarque le palais du cardinal Clesius, au-
trefois résidence des princes-évêques, et dont la façade est
ornée de magnifiques fresques, le palais du feld-maréchal
Gallas (aujourd'hui propriété de la famille Zauibelli) et ce-
lui des comtes Torlago-Tabarelli, construit tout en marbre
rouge par Bramante d'Urbino.
TRENTE (Concile de). Convoqué à la demande de
Charles Quint, ce concile avait été fixé par le pape Paul III
au l""" novembre 1542; mais par suite d'une nouvelle guerre
qui surgit alors avec la France, l'ouverture n'en put avoir lieu
que le 13 décembre 1545. Les princes et les peuples en at-
tendaient le redressement d'antiques abus existant dans l'É-
glise; réforme qui réfuterait les reproches des protestants et
amènerait une réconciliation générale. Mais lesaint-siége, qui
n'avait consenti à la convocation du concile que coumie con-
traint et forcé, prévint un tel résultat, tant par la manière
dont furent préparées les délibérations que parle mode de
volation, qui eut lieu à la majorité des voix, et non par na-
tions, comme cala s'était pratiqué au concile de Constance,
et surtout par la direction que le cardinal del Monte, qui
présidait l'assemblée, sut donner aux délibérations. Dans la
seconde et la troisième séance, tenues les 7 janvier et 4 fé-
vrier 1546, on se borna à donner lecture des règles de vie
que les Pères du concile devaient observer, d'exhortations.;»
extirper l'hérésie, et enfin du symbole de Nicée. Ce ne fut
que dans la quatrième séance, tenue le 8 avril et à laquelle
assistèrent cinq archevêques et quarante-huit évèques, qu'on
arrêta deux décrets concernant les livres dits apocryphes,
qui furent admis dans le canon de l'Écriture Sainte, la t ra-
d i t i 0 n dont l'autorité, comme base de la religion révélée, fut
reconnue égale à celle de la Bible, et enfin la traduction la-
tine de la Bibleconnue sous le nom de Viilgate, qui fut déclarée
authentique, en même temps qu'on reconnaissait à l'Église
seuleledroit de l'interpréter. Ces décrets, de même que ceux
qui furent rendus dans les trois séances suivantes, tenues le
17 juin 1546, le 13 janvier, etle 3 mars 1547, relativement aux
doctrines du péché originel, de la justification et des sept
sacrements, que n'avait encore confirmées aucune décision
de l'Église, montrèrent que le pape et ses légats se propo-
saient d'établir une ligne de démarcation bien tranchée entre
le catholicisme et les principes des protestants. A chacun
de ces décrets furent ajoutés des anathèmes lancés contre
ceux qui adopteraient une autre croyance. Les légats du
saint-siége, qui se défiaient autant de l'empereur que de l'as-
semblée, prirent prétexte d'une maladie épidémiquequi venait
de se déclarer à Trente pour faire décider , dans la huitième
séance, tenue le 11 mars 1547, la translation du concile
à Bologne ; ensuite de quoi tous les évêques italiens quit-
tèrent immédiatement Trente. Le blâme solennel jeté par
l'empereur sur cette démarche décida dix-huit évêques de
ses États à demeurer à Trente. A Bologne, où se réunirent
six archevêques, trente-deux évêques et quatre généraux
d'ordre, les légats se contentèrent, dans les neuvième et
dixième séances, tenues les 21 juin et 2 août, de rendre de
nouveaux décrets de prorogation. Mais l'empereur ayant
persisté à refuser de reconnaître l'assemblée de Bologne, et
les évêques qui la composaient s'en étant éloignés l'un après
l'autre, le pape Paul III, par une bulle en date du 17 sep-
tembre 1549, prononça la suspension du concile. Après la
mort de ce souverain pontife, le cardinal légat del Monle
fut élu pape, le 8 février 1550, sous le nom à& Jules III,
et à la demande formelle de l'enqiereur ordonna la trans-
lation du concile à Trente. Son légat, le cardinal Marcellus
Crescentius, en fit la réouverture dans une onzième séance,
tenue le i"' mai 1551. Malgré l'absence d'un grand nombre
de théologiens, et quoique dans la douzième séance la France,
par l'interméiiiaire de son envoyé, Jacques Amyot, eût so-
lennellement protesté contre la prolongation du concile, les
Pères se remirent à l'œuvre. Les jésuites Laynez etSalme-
ron , arrivés à Trente avec le titre de théologiens pon-
tificaux, exercèrent une décisive influence sur les décrets,
aussi laconiques que concluants, rendus alors relativement à
la communion, à la pénitence et à l'extrême-onction. Le pre-
mier, composé de onze canons, lut rendu le 11 octobre, dans
la treizième séance; les deux derniers, composés de dix-
neuf canons, furent rendus le 15 novembre, dans la qua-
torzième séance ; et on y ajouta postérieurement deux dé-
crets de réforme sur la juridiction des évêques. Ces décrets
auraient déjà rendu bien difficile une réconciliation avec
les protestants, que l'empereur avait fait représenter dans
le eoncile par des ambassadeurs des princes et des villes qu'il
avait vaincus ; et l'empereur dut lui-même s'opposer à la
TRENTE 655
publication de quelques-uns de ces décrets, qui met-
taient obstacle à une fusion des deux Églises. Il obtint
môme qu'on suspendît les réunions du concile jusqu'à l'arri-
vée de divers autres théologiens protestants. En effet, des
théologiens du Wurtemberg et del'Oherland arrivèrent alors
à Trente avec des saufs-conduits impériaux, tandis que
des théologiens saxons, Mélanchthon à leur tête, étaient
en route pour s'y rendre; mais la campagne inopinée en.
Ireprise par l'électeur Maurice de Saxe et les victoires rem-
portées par les protestants modifièrent complètement la si-
tuation. En conséquence , dans la seizième séance, tenue le
28 avril 1552, le concile décida qu'il suspendait ses réunions
pendant deux ans. Ce fut seulement en 1560 et 1561 que
le pape Pie IV adressa de nouvelles convocations pour la
continuation du concile général. Bien que les protestants
n'en eussent tenu aucun compte et que la France eût même
exprimé le désir de voir convoquer un nouveau concile,
plus libre des influences qui pesaient sur celui-ci, le concile
deTrentese rouvrit dans une dix-septième séance, tenue le 18
janvier 1562, sous la présidence du prince Hercule Gonza-
guede Mantoue. Les décrets rendus dans cette séance n'eu-
rent trait qu'aux règles de conduite à observer par les Pèreà
et au privilège des légats de pouvoir seuls présenter des propo-
sitions. Dans la dix-huitième séance, tenue le 26 février, on
ne rendit qu'un seul décret, relatif à la composition d'un in-
dex des livres défendus ; dans la dix-neuvième séance, tenue
le 4 mai, et dans la vingtième, tenue le 14 juin, on résolut de
surseoir à la publication des nouveaux décrets. Cette inaction
était un moyen employé par la cour de Rome afin de lasser les
résistances. En effet, ce n'étaient pas seulement la France,
mais l'empereur et l'électeur de Bavière qui insistaient de nou-
veau pourque des réformes fussent opérées dans l'Église, pour
que les laïcs fussent autorisés à communier sous les deux
espèces, pour qu'on abolit le célibat ecclésiastique, qu'on
supprimât l'interdiction de manger certains aliments, enfin
pour qu'on déclarât que la dignité et les droits des évê-
ques viennent de Dieu, et non du pape. Mais, grâce à leur
majorité, les évêques italiens réussirent toujours à faire
échouer les diverses propositions présentées dans ce but et
à amener des décisions conformes aux vues de la cour de
Rome. C'est ainsi que les décrets relatifs à la communion
et à la célébration de la messe furent rendus dans les vingt-
et-unième et vingt-deuxième séances, tenues le 16 juillet et
le 17 septembre. Au nombre des prélats qui assistèrent à ces
séances avec les envoyés des puissances catholiques et les
prélats présents, il faut ajouter le cardinal de Lorraine, ar-
rivé le 13 novembre à Trente avec quatorze évêques, trois
abbés et dix-huit théologiens français. Il en résulta non-seu-
lement un notable surcroît de force pour l'opposition,
mais une proposition formelle de réformes sur trente-quatre
points faite au concile au nom de la France, propositions
qui durent fort scandaliser le parti de la cour de Rome.
Dans cette conjoncture , les légats ne virent d'autre
moyen de se tirer d'embarras que de renvoyer la pro-
chaine séance d'un mois à un autre. Le loyal Gonza-
gue mourut sur ces entrefaites, le 2 mars 1563. Le con-
cile fut alors alternativement présidé par deux nouveaux
légats, Moroni et Slavageri, qui réussirent à amuser les
Pères par de vaines formalités et aussi par des querelles
de théologiens , de sorte qu'on finit par comprendre à la
cour de l'empereur comme à celle du roi de France qu'il
n'y avait à espérer de ce concile ni réforme de l'Église
ni conciliation avec les protestants. En outre, le car-
dinal de Lorraine se laissa séduire par les secrètes promesses
que lui fit la cour de Rome; et avec quelque vivacité que
les évêques allemands, espagnols et français eussent insisté
jusque alors sur le maintien de leurs privilèges et de leurs
droits, ils finirent par cédera l'ennui et au découragement
et acceptèrent de guerre lasse un projet de décret relatif à
l'ordination et à la hiérarchie complètement conformes aux
vues du saint-siége; décret qui fut publiquement confirmé,
avec huit canons, dans la vingt- troisième séance, tenue le 15
C56
TRENTE — TRENTE ANS
Juillet 15C3. Dans la vingt-quatrième séance, tenue le 11
novembre suivant, ou vota avec la même condescendance
le décret relatif au sacrement du mariage, avec huit canons,
par lequel le mariageest interdit aux prêtres. Dans la vingt-
cinquième et dans la vingt-sixième et dernière séance, tenues
les 3 et 4 décembre, on adopta les décrets relatifs au purga-
toire, à l'adoration des saints, au culte des reliques et des
images, aux vœux monastiques, aux indulgences, au jeûne,
à l'abstinence de certains aliments et à l'index des livres dé-
fendus, dont la composition de même que la rédaction d'un
catéchisme et d'un bréviaire furent confiées au pape. Les dé-
crets de réformes rendus dans les cinq dernières séances ont
trait à la suppression de quelques abus existant dans la col-
lation ainsi que l'administration des charges et des bénéfices
ecclésiastiques. Ce qu'ils renferment de plus utile, c'est
l'injonction de fonder des séminaires pour l'éducation du
clergé et de soumettre à une épreuve ceux qui se présentent
à l'ordination. A la fin de la dernière séance, le cardinal de
Lorraine s'écria : <• Anathèine à tous les hérétiques ! » et les
voûtes de la cathédrale retentirent des mots : Anathème !
anathème 1 répétés aussitôt par tous les assistants.
Ainsi se termina le concile de Trente, dont les décrets, si-
gnés par deux cent cinquante-cinq prélats, consonmièrent la
séparation des protestants d'avec l'Église romaine, et qui ont
aux yeux des catholiques l'autorité d'unlivresymbolique. Le
pape les confirma le 26 janvier 15G4. Us furent admis sans
réserve en Italie, en Portugal et en Pologne, et sous cer-
taines restrictions, relatives aux lois de l'État, dans les pos-
sessions de la couronne d'Espagne. En France , en Al-
lemagne et en Hongrie, au contraire, ils rencontrèrent une
résistance qui se calma peu à peu en ce qui est des dogmes,
mais qui subsista quant à ceux de ces décrets relatifs aux
réformes inconciliables avec les lois de chaque pays, encore
bien que partout on ait profité des améliorations réelles in-
troduites dans l'Église par les décisions de ce concile. En 1 588
le pape Sixte Quint établit une congrégation spéciale de
cardinaux, chargée d'élucider et d'interpréter les décrets du
concile de Trente. L'édition la plus récente des Canones
et Décréta œcumeniciCoricilii Tridentini est l'édition sté-
réotypée qui en a été faite à Leipzig, en 1842.
COMBAT DES TRENTE. Brembro, chef anglais,
occupait la place de Ploérmel. Beaumanoir, chevalier
breton, se défendait dans le château de Josselin. La cam-
pagne se passait en escarmouches qui n'aboutissaient qu'à
quelques paysans massacrés , à quelques champs dé-
vastés. Beaumanoir, sous la foi d'un sauf-conduit, alla
trouver l'Anglais. « 11 est indigne, lui-dit-il, de deux nobles
seigneurs de faire si mauvaise guerre. Si vous voulez ame-
ner avec vous vingt-neuf chevaliers, je vous attendrai
avec le môme nombre, et là on verra qui du Breton ou de
l'Anglaisa la plus belle amie. » Le cartel fut accepté, et ce
fut à moitié chemin de Ploérmel à Josselin, au pied du
chêne de Mi-Voie, que les deux partis se rencontrèrent
(27 mars 1351, quatrième dimanche de carême). Toute la
noblesse des environs assistait à ce formidable tournoi , où
combattait l'élite des deux armées. Beaumanoir parut à la
tête de neuf chevaliers et vingt-et-un écuyers, savoir : le sire
de Tinteniac, Gui de Rochel'ort, Yves Charruel , Robin
Roguenel, Huon de Saint-Yvon, Caro de Bodegat, Olivier
Arrel, Geolfroy du Bois et Jean Rousselet, Guillaume de
Montauban , Alain de Tinteniac , Tristan de Pistivien , Alain
de Kerenrais, Olivier de Kerenrais son oncle, Louis Goyon,
Geoffroy de La'.Roche, Guyon de Pontblanc, Geoffroy de Beau-
corps, Maurice du Parc, Jean de Sérent, les deux Fonlenay,
Geoffroy Poulard , Maurice et Geslin de Tronguidy, Guil-
laume de La Lande, Olivier de Monleville, Guillaume de
La Marche et Geoffroy Mellon. Brembro ne put trouver dans
sa garnison assez d'Anglais sur lesquels il pût compter
dans une action qui intéressait à un si haut point la gloire
de sa nation. Il amena seulement vingt Anglais ; les dix
autres combattants étaient Allemands ou Bretons. Les An-
glais eurent l'avantage au commencement : trois cheva-
valiers français furent faits prisonniers. Mais bientôt un
coup de lance ayant renversé Brembro de son cheval , le
désordre se mit dans son parti. Ce fut vers le milieu du com-
bat qiieBeaumanoir, blessé, demanda à boire : « Beaumanoir,
lui cria l'Anglais Geoffroy Dubois, bois de ton sang, ta soif
se passera. «Rien n'était encore décidé, quand le sire de
Montauban , chevalier breton , qui , au dire de quelques
chroniques, était le seul qui fût à cheval, vint prendre les
Anglais en flanc, et en renversa sept d'un seul choc. Les
Bretons pénétrèrent par cette ouverture, et achevèrent de
tailler en pièces ce qui restait de chevaliers anglais. La
gloire de cette journée se répandit promptement, et long-
temps après , lorsqu'on voulait parler d'un grand combat,
on citait toujours celui des Trente. Mais il ne décida rien
pour les affaires des deux prétendants à la possession du
duché de Bretagne: oe succès d'orgueil national necompensa
pas la perte de la bataille de Mauron, où périrent le comte
de La Marche, le maréchal de Nesle , le vicomte de Rohan ,
et le brave Tinteniac. Lacretelle, de l'Acad. Franc.
TRENTE ANS (Guerre de). L'histoire désigné sous
cette dénouunation la série de commotions intérieures, de
guerres civiles et d'interventions de l'étranger dont l'Alle-
magne fut le théâtre de 1618 à 1648 , et qui furent pour
elle la cause de calamités de toutes espèces. La paix de
religion de 1555 n'avait pas rétabli l'union dans l'Église ,
et avait laissé subsister tous les anciens ferments de dis-
corde. Les catholiques et les protestants avaient également
de justes griefs à faire valoir les uns contre les autres, elles
puissances étrangères se mêlaient à leurs débats. Si la cour
de Rome et celle de Madrid soutenaient énergiquement les
catholiques , en revanche la Hollande , l'Angleterre et la
P"rance offraient leur appui aux protestants. A la suite des
conversions forcées entreprises et opérées par les catholiques,
un certain nombre de princes protestants, avec l'électeur
palatin Frédéric IV à leur tête, formèrent, le 4 mai 1608, au
couvent d'Ahausen, dans le pays d'Ansbach, une union à la-
quelle les princes catholiques opposèrent l'année suivante,
sous la présidence du ducMaximilien de Bavière, une sainte
ligue conclue à Munich, le 18 juillet 1609. La querelle re-
lative à la succession du duché de Juliers faillit dès lors
mettre les armes à la main aux deux partis en présence;
et l'assassinat dont périt victime Henri IV empêcha seul ce
prince, qui s'était mis en rapi)ort avec Vunion , de donner
suite aux grands projets qu'il avait conçus pour humilier la
maison de Habsbourg. Pendant ce temps-là la Bohême,
dont les deux tiers de la population étaient protestants,
avait profité des discordes qui régnaient dans la maison impé-
riale, entre Rodolphe II et Mathias, pour se faire concéder,
par la lettre de majesté en date du 11 juillet , que Matthias
à son avènement au trône s'était vu contraint de publier,
l'exercice à peu près complet de la liberté de conscience.
Les protestants avaient obtenu le droit de fonder partout
des églises et des écoles. Ils en avaient usé dans deux pe-
tites villes, Klostergrab et Braunau, où en vertud'ordres éma-
nant de l'empereur on démolit ou on ferma les unes et les
autres. Aux réclamations élevées contre ces actes de violence,
il ne fut fait que des réponses hautaines et négatives. Le
bruit se répandit que l'empereur n'en savait pas un mot,
et qu'elles avaient été faites en son nom et sous l'induence
de l'archevêque de Prague. En conséquence, comme des
conseillers impériaux se trouvaient reunis le 23 mai 1618
au château de Prague, des députés des États protestants,
ayant à leur tête le comte de Thurn, péuétrèrent en armes
dans la salle des délibérations, et sommèrent ces conseillers
impériaux d'avoir à déclarer s'ils étaient pour quelque chose
dans la rédaction des réponses en question. La querelle
alla toujours en s'échauffant, et prit bientôt un tel carac-
tère , que les députes se saisirent de deux conseillers impé-
ria\ix , qui leur étaient plus particulièrement odieux, appelés
Martinitz et Slawata, ainsi que du secrélaire Fabricius, et
les jetèrent tous trois par les fenêtres, d'une hauteur de
plus de vingt mètres , dans les fossés du château.
TRENTE ANS
G57
Ici commence ie premier cliapltre de l'histoire de la
guerre de trente ans, la guerre de Bohême. Les Bohèmes
prirent les armes, confièrent le commandement de leur ar-
mée au comte de Thurn , et mirent un instant en péril la
puissance de la maison de Habsbourg , secondés qu'ils fu-
rent par les princes protestants de Yunion ainsi que par
les protestants de la Silésie et de la Moravie. Les négociations
entamées par l'empereur Matthias n'aboutirent point ; et sa
mort (20 mars 1619) acheva de rendre toute conciliation
impossible. Son héritier et successeur , l'archiduc Ferdi-
nand de Styrie, était notoirement dominé par des induences
jésuitiques, et n'excitait pas moins d'antipathies en.\utriche
même, où le protestantisme commençait à devenir aussi puis-
sant qu'en Bohême. De l'élection à l'empire, qui devait avoir
lieu en août à Francfort, dépendait le sort de la maison
de Habsbourg. Ferdinand réussit à se faire élire, malgré les
efforts tentés par les princes de ihinion pour lui opposer un
concurrent. A quelques jours de là on apprit que les Bohè-
mes, après avoir formellement déposé Ferdinand , avaient
proclamé empereur l'électeur palatin Frédéric V, et que
celui-ci, comptant sur l'appui des membres de Vunion et sur
celui de son beau-père, le roid'Angleterre, Jacques 1*', avait
accepté le titre d'empereur. Jacques F"' ne fit rien pour son
gendre, et en présence du danger qui les menaçait les mem-
bres de Vunion se décidèrent, sous la médiation fran-
çaise, à faire leur paix avec la ligue ( 3 juillet 1620). En sa
qualité de calviniste et d'étranger, Frédéric V trouva peu de
sympathie en Bohême; et le seul allié zélé qu'il eût, Bethlen
Gabor de Transylvanie, qui d'accord avec Thurn devait
menacer Vienne, ne fit rien. Ferdinand avait invoqué le se-
cours de son ami et parent M a x i m i 1 i e n de Bavière, homme
doué de facultés supérieures et partageant se» idées religieu-
se);, qui eut bientôt organisé l'armée de la ligue, et qui après
s'être assuré de l'alliance de l'électeur de Saxe , lit mettre
l'électeur palatin au ban de l'Empire. Par le traité du 3 juillet
Vunion s'était lié les bras ; le duc Maximilien en profita pour
entrer dans la haute Autriche à la tête de 30,000 hommes et
contraindre les états à reconnaître Ferdinand, en même
temps que l'électeur de Saxe occupait la Lusace et qu'une ar-
mée espagnole envahissait le Palalinat. La décisive bataille
livrée sur le Weissen-Berg (8 novembre 1020), près de
Prague, mit fin au règne éphémère de Frédéric , qui s'enfuit
en Hollande, tandis que la Bohêmeétaitcontraintede se sou-
mettre à un vainqueur irrité. Les supplices et les confiscations
y furent alors à l'ordre du jour. On abolit la liberté de cons-
cience. Ferdinand déchira de sa propre main (1627) l'original
de la lettre de majesté, puis on expulsa du pays d'abord les
réformés, et ensuite les luthériens. On estime que30,000 des
plus industrieuses familles et plus de 200 maisons nobles de
iaB.ohême abandonnèrent alors leur patrie pouraller s'établir
en Prusse, en Saxe, en Hollande et en Suisse. La même réac-
tion eut lieu dans les États héréditaires de Ferdinand ; et dans
la haute Autriche, notamment, des flots de sang coulèrent
pour restituer au catholicisme sa suprématie.
La guerre de Bohême était terminée : c'est le Palatinat qui
devint alors le théâtre de la lutte. Vunion, après avoir
abandonné l'électeur palatin, s'était dissoute (1621); mais
le chef de partisans Ernest de Mansfeldt, quittant la
Bohême et se frayant passage à travers le Palatinat, chercha
à transporter le théâtre de la guerre en Alsace. Le duc de
Brunswiclf et le margrave de Bade-Durlach prirent fait et
cause pour l'électeur palatin, qui reparut dans ses États et
réussit même à battre à Wiesloch l'armée de la ligue aux
ordres de T i 1 1 y ( avril 1622 ). Malgré des échecs éprouvés
ensuite par le margrave à Wunfen et par le duc à Haechst ,
il s'en fallait que la cause de l'électeur palatin lût perdue.
Mais , cédant aux obsessions de son beau-père , il aima
mieux entrer dans de fallacieuses négociations avec Ferdi-
nand que de continuer à employer la force des armes;
et en 1622 on le vit abandonner son armée et ses États hé-
réditaires. Tilly occupa alors toutes les places du Palatinat;
et dans une diète tenue à Ratisbonne ( 1 623) Frédéric fut
DiCr. DE LA CONVERS. — T. XVI.
déclaré, malgré le Brandebourg et la Saxe, déchu oe sa
dignité d'électeur , dont le duc Maximilien de Bavière lut
investi en son lieu et place.
Le triomphe de la ligue était donc complet, et il ne dé-
pendait plus que d'elle maintenant d'en user pour conclure
une paix solide. Mais les violences et les actes arbitraires
qu'on se permit à l'égard des vaincus , soumis à toutes les
calamités qu'entraîne im régime de soldatesque, rendirent
un tel résultat im[)ossible. De fréquentes mais inutiles ten-
tatives eurent encore lieu de la part des émigrés réfugiés
en Angleterre et en Hollande en faveur de l'électeur palatin.
Mais alors le belliqueux roi de Danemark, Christian IV, se
décida à mettre à profit les circonstances et surtout le mé-
contentement général qui ré;;nait dans la basse Saxe pour
recommencer la lutte au profit de son ambition particu-
lière. Ainsi commença la période danoise de la guerre de
trente ans.
En 1625 les prolestants déférèrent la direction supérieure
de la guerre au roi Christian IV de Danemark, à qui l'An-
gleterre fournit des subsides et la Hollande des troupes
auxiliaires. Mansfeldt, lui aussi, vint se placer sous ses ordres.
Pendant ce temps-là l'empereur, pour se rendre indépen-
dant de la ligue, avait organisé une armée à lui, forte de
40,000 hommes , dont il confia le commandement en chef à
Wallenstein, lequel se mit en marche vers le nord de
l'.Allemagne. Mansfeldt, qui chercha à lui barrer le passage,
fut battu à Dessau (25 avril 1026 ) ; et en tentant, d'accord
avec le duc Jean-Ernest de Saxe-Weimar, une trouée à
travers la Silésie, la Moravie et la Hongrie, il chercha à
s'y, faire suivre par Wallenstein , qui dut effectivement se
lancer à sa poursuite , mais sans réussir à l'atteindre. Ce ne
fut qu'après la mort de Mansfeldt (30 novembre) et celle
de Jean-Ernest (4 décembre) que Wallenstein put, à travers
la Silésie et en essuyant de grandes pertes, regagner le nord
de l'Allemagne, où pendant ce temps-là Tilly avait complè-
tement battu ( 17 août 1626) le roi de Danemark à Lutter
et s'était rendu maître de tout le cercle de la basse Saxe.
Après une autre victoire, remportée sur le margrave de Bade
par Tilly, les deux généraux catholiques s'entendirent pour
que Tilly se dirigeât à l'ouest, où les Hollandais menaçaient
Brunswick, tandis que Wallenstein s'emparait du Mecklem-
bourg et s'avançait jusqu'en Jutland. Créé alors par l'em-
pereur duc de Mecklembourg, Wallenstein alla assiéger
Straisund (mai à juillet 1628), sans pouvoir s'en rendre
maître. Enfin , le 12 mai 1629 , il signa la paix avec le
roi de Danemark ; paix dans laquelle il ne fut question ni
des intérêts religieux ni des |)rinces alliés. Christian IV
récupéra ses États , sous la condition de ne plus se mêler à
l'avenir des affaires de l'Allemagne. La période danoise
de la guerre de trente ans était terminée , après avoir duré
quatre ans.
Ferdinand se trouvait alors à l'apogée de sa puissance.
Par la création de l'armée de Wallenstein, il s'était remlu
indépendant de la ligue et des secours de la Bavière. Il profita
encore de cette paix pour donner plus que jamais cours au
système de réaction. Le (\ mars 1629 il rendit son fameux
édit de restitution, qui enlevait aux protestants toutes les
anciennes propriétés ecclésiastiques dont ils se trouvaient en
possession aux termes de la paix de Passau, et qui les restituait
au clergé catholique, en même temps qu'il excluait les ré-
formés de la paix de religion et qu'il autorisait ies princes
catholiques de l'Empire à retenir de vive force leurs sujets
dans leur foi religieuse. Cet édit fut exécuté par la force
des armes dans un grand nombre de villes impériales ; et les
princes protestants en vinrent à craindre qu'on ne prétendit
aussi l'appliquer à leurs États. C'est au moment où la
ligxie et même la Bavière exprimaient des défiances à l'occa-
sion de l'accroissement continuel de l'armée impériale,
et des actes de violence que se permettait Wallenstein, que
l'empereur n'hésitait point à se créer par là de nouveaux
embarras. Ces défiances et lés habiles intrigues de la poh'
tique de Richelieu à la diète de Ratisbonne (16.30) provoque-
43
658
rent de la part tle la Ugtie la demande de l'éloignement de
WaJIenstein et de la diminution de l'armée impériale.
C'est au milieu des difficultés qu'il s'était créées par son
édit de restitution, et lorsque Ferdinand venait d'être
obligé, pour donner satisfaction à \a ligue, de diminuer l'ef-
fectif de son armée, que G u s t a v e- A d o I p h e, roi de Suède,
débarqua avec 15,000 hommes dans l'île d'Usedom (du
24 juin au 4 juillet 1630). Menacé môme en Suède par
l'extension de la puissance impériale jusqu'aux rives
de la Baltinie et par le triomphe du catholicisme, le roi
de Suède s'était décidé à intervenir en Allemagne en faveur
du protestantisme, en courant en outre la chance de se
créer dans ce pays une puissance que la Suède seule ne
pouvait pas lui donner. Devant lui les garnisons impériales
évacuent les diverses villes qu'<'lles occupent. Il rétablit en
possession de ses États le duc de Mecklembourg. que Ferdi-
nand avait mis au ban de l'Empire. La ville de Ma^debourg,
le landgrave Guillaume de Hesse-Cassel et le duc de Saxe
Weimar prennent fait etcause pour lui. Le Brandebourg et la
Saxe essayent de se dispenser de se soustraire à son alliance.
Gustave-Adolphe envahit le Brandebourg, bat Tilly, et force
l'électeur de Biandebourg à lui livrer Spandau et l'électeur
de Saxe à lui livrer Wittemberg. Déjà par le traité de Baerwald
(janvier 1631) il avait fait alliance avec la France. Cette
puissance s'engageait à lui fournir des subsides sansqu'il l'ad-
mît à la direction des affaires de l'Allemagne. Sa position
toutefois était encore si peu assurée qu'il n'osa pas aller au
secours de Magdebourg, assiégée par Tilly ei Pap penheim,
qui eurent le temps de la prendre d'assaut et de la brûler
(20 mai 1631). Mais les éiecteiu's de Brandeiwurg et de
Saxe accédèrent enfin à l'alliance suédoise; et alors les ar-
mées combinées marchèrent contre Tilly , qui, renforcé par
le comte de Furstemberg, général des Impériaux, avait pris
position à Breitenfeld , près de Leipzig. Gustave-Adolphe
y remporta ( 17 septembre 1631 ) sur Tilly une brillante
victoire, dans laquelle l'armée de la ligue et celle de l'élec-
teur de Bavière furent à peu près anéanties. Il .se porta
ensuite par la Thuringe et la Franconie sur le sud de l'Al-
lemagne, tandis que l'armée de l'électeur de Saxe, com-
mandée parle général Arnim, entreprenait la contpiéte de la
Bohème. Gustave-Adolphe s'empara de Wurtzbourg et de
Mayence. Il força le passage du Lech, où Tilly fut mortel-
lement blessé (avril 1632), délivra Augsbourg, et le 7 mai
il fit son entrée dans Munich avec l'électeur palatin Fré-
déric V. Ferdinand sévit alors réduit à implorer l'assistance
de Wallenstein et à le remettie à la tète de ses troupes avec
des pouvoirs illimités. Wallenstein eut bientôt réorganisé
une armée, avec laquelle il ev puisa les Saxons de la Bohème ;
puis, après s'être renforcé des débris de l'armée de l'électeur
de Bavière, il marcha sur Nuremberg, où le roi de Suède
avait établi un camp retranché. Les deux armées s'y ob-
servèrent mutuellement pendant trois mois, sans rien en-
treprendre l'une contre l'autre. Alors Wallenstein prit le
parti de marcher sur la Saxe, où le roi de Suède le suivit
aussitôt. Les deux armées s'y rencontrèrent ( 16 novembre
1632) dans les plaines de Lutzen, où Gustave-Adolphe et
Pappenheim moururent tous deux de la mort des héros.
Bernard de Saxe-Weimar resta maitre du champ de bataille ,
tl Wallenstein battit en retrait; sur la Bohême.
La mort de Gustave-Adolphe changea complètement les
choses. Oxenstierna fut mis par la diète de Suède à la tète
des affaires en Allemagne; et tandis que Gustave Adolphe,
évidemment pour s'y ciéer une souveraineté indépendante,
avait constamment éloigné l'intervention française , l'Alle-
magne se trouva maintenant en proie à l'ambition de quel-
ques chefs et de quelques aventuriersen môme temps qu'aux
intrigues de la Suède et de la France. Par le traité de Heil-
hronii Oxenstierna rattacha les cercles de Franconie, delà
Souabe et du Rhin à la cause suédoise. Les ducs Bernard
de Saxe-Weimar et Georges de Brunswick - Lunebourg
se partagèrent le commandement des armées. Bernard ,
après avoir pris possession de laorinciuauté de Franconie,
TRENTE ANS
dont il avait obtenu l'investiture , marcha sur la Bavfêre
et sur Ratisbonne, tandis que le duc de Brunswick guer-
royait dans la basse Allemagne. De son côté , Wallenstein ,
malgré les injonctions formelles qu'il recevait de Vienne ,
mettait beaucoup de mollesse dans la conduite des opé-
rations militaires. Après avoir déjà entamé avec ses adver-
saires des négociations, tout au moins équivoques , me-
nacé de destitution à Vienne, il se décida à entier avec la
France et la Saxe dans des pourparlers dont le but n'est
plus douteux aujourd'hui ; alors l'empereur le dépouilla de
son commandement et le tit assassiner (25 février 1634), à
Egra, avant qu'il eût eu le temps de rien tenter de décisif.
Pendant qu'Arnim envahissait la Silésie, puis réuni avec Ba-
ner envahissait la Bohême, Bernard de Saxe-Weimar perdait
son temps en expéditions insignifiantes, tantôt en Franconie,
tantôt en Souabe, de sorte que l'armée impériale se rappro-
chait du Danube, reprenait Ratisbonne et faisait essuyer
(6 septembre 1634) à Nordlingen une déroute complète à ce
prince Bernard de Saxe-Weimar et au général suédois H o r n.
A la suite de cette victoire, les Autrichiens ayant pu de
nouveau se répandre dans toute l'Allemagne et se livrer aux
plus horribles dévastations dans la Hesse, l'électeur de
Saxe, craignant les mêmes calamités pour ses États, et
d'ailleurs assez mal disposé pour les Suédois, conclut en
163.S sa paix particulière avec l'empereur, à Prague; elle
Brandebourg ne tarda pas à en faire autant. La France ,
qui ne pouvait être indifférente au triomphe de la politique
de l'empereur, se vit donc contrainte de s'allier ouvertement
avec la Suède, qui était menacée de succomber dans la lutte :
et alors commença la période française et suédoise de la
gatrredc trente ans.
Baner, qui commandait l'unique armée restant à la
Suède , dut d'abord battre en retraite devant les Saxons,
qui lui étaient supérieurs en force; mais plus tard il les
battit à Dœmitz (22 octobre 1635) ; puis, renforcé par Tors-
tenson,il pénétra dans la marche de Brandebourg, s'em-
para de Havelberg et menaça Berlin. L'électeur de Saxe
étant accouru au secours de l'électeur de Brandebourg,
Baner pour punir l'électeur de sa défection se jeta sur la
Saxe, qu'il livra aux plus effroyables dévastations. L'année
suivante (6 octobre 1636), il battit complètement à Witt-
stock, dans le Brandebourg, les Saxons unis aux Impériaux
du général Hatzfeldt, puis il délivra la Hesse de la présence
des Autrichiens, et rentra dans la Saxe, où il continua ses
dévastations et s'empara de Torgau et d'Erfuil. Obligé de
battre en retraite devant les forces supérieures de Gallas,
il se retira en Poméranie ; puis, quand les maladies et la fa-
mine eurent affaibli l'armée de son adversaire, il reprit
l'offensive, et repoussa Gallas jusqu'en Bohême. Pendant ce
temps-là Bernard de Saxe-Weimar, rais par le traité de
Saint-Germain-en-Laye à la tête de l'armée française, avait
enfin ouvert la campagne, en 1636 , en expulsant Gallas et
le duc de Lorraine de l'Alsace; et il se disposait k aller re-
joindre Baner en Bohême, quand il périt (8 juillef 1639)
d'une manière aussi inattendue que mystérieuse. Très-satis-
faite d'être débarrassée de lui, la France sut habilement se
mettre en possession des conquêtes de ce prince et s'assurer
du concours de son armée. La Suède, mécontente de voir la
France se faire ainsi la part du lion, se disposait déjà à trai-
ter de la paix avec l'empereur Ferdinand 111, qui avait suc-
cédé à son père en 1637, quand Richelieu réussit à lui faire
adopter une autre politique. La guerre reprit donc de plus
belle. Baner fut d'abord rejeté de Bohême en Saxe et en
Thuringe par le nouveau généralissime autrichien , l'archi-
duc Léopold-Guillaume, à qui ou avait adjoint Piccoloniini
comme conseil; mais là son armée se renforça par sa jonc-
tion avec l'armée française aux ordres de Longueville et
avec les troupes auxiliaires de Brunswick et de la Hesse.
La diète de l'Empire s'était réunie, suivant l'usage, à Ra-
tisbonne, et l'empereur se proposait d'y aviser avec les
États catholiques de l'Empire aux moyens de continuer la
guerre avec plus de régularité. Tout à coup, au milieu de
TRENTE ANS — TRENTSCHIN
Janvier 1641, Baner, après s'être réuni avec le inaréciialde
(Uiébriant, arriva à l'improviste sous les murs de Ratis-
twnne , qu'il faillit prendre d'assaut. Il se retirait par la
Bohême en Saxe, quand ii mourut (20 mai 1641), à Hal-
berstadt, des suites de ses excès. Torstenson lui suc-
céda dans le commandement en chef, et quoique paralysé
des pieds et des mains , n'apporta pas moins de rapidité
dans tous ses mouvements que ses prédécesseurs. Ainsi
on le voit battre les Impériaux à Breitenfeld, le 2 novembre
1642 , s'emparer de Leipzig et marcher sur la Moravie pour
aller menacer l'empereur dans Vienne même; puis se
poiter tout à coup par marches forcées en Holstein et en
Schleswig, où il force le roi de Danemark, maintenant
l'allié de l'empereur et l'ennemi de la Suède , à se réfugier
dans ses îles; après quoi , Wrangell contraint Christian IV
(1646) à accepter une paix humiliante. Par des marches
ha'iiilcs il échappe à Gallas, qui était venu au secours du
roi de Danemark et qui menaçait de le bloquer avec l'assis-
tance des Danois; il l'accule même dans un pays où la di-
sette et la maladie déciment son armée et l'obligent à
battre en retraite sur la Bohême. Alors il bat de nouveau à
Jankoff les Impériaux aux ordres de Hatzleldtet de Gœtz;
puis avec Rakoczy , prince de Transylvanie, il menace
Vienne. L'empereur n'échappa cette fois à sa ruine que
grâce à la retraite de Rakoczy et à l'insuccès du siège de
Brunn, entrepris par Tortenson , qui se retira en Saxe , et
que bientôt après le mauvais état de sa santé contraignit
à abandonner son commandement à Wrangell.
Les Français n'avaient pas d'abord été aussi heureux.
Guébriant, à la tête de l'armée de Bernard de Saxe- Weimar,
battit, il est vrai, les Impériaux à Kempen ( 1642 ) ; mais
cette victoire n'avait pas eu de résultats. Dans l'été de
1643 il avait vainement essayé de pénétrer dans le Wur-
temberg. Ce n'est qu'après avoir été renforcé par le corps
aux ordres du duc d'Enghien, qu'il avait envahi de nou-
veau ce pays; mais il fut blessé mortellement à la prise de
Rottweil. La bataille de Tuttlingen (24 novembre 1643)
rendit aux Impériaux leur supériorité dans le sud-ouest de
l'Allemagne. Les efforts tentés l'année suivante par le duc
d'Enghien et par Turenne n'aboutirent point en définitive
à grand'chose. Mercy non-seulement lésista aux Français,
mais même leur fit essuyer des pertes importantes. La ba-
taille d'Allersheim, près de Nordlingen, où Mercy fut tué
(3 août 1645), changea la face des choses. Dès lors il y avait
impossibilité d'empêcher les Français et les Suédois d'en-
vahir la Bavière : c'est aussi ce que leurs armées firent dans
l'été de 1646, et par les effroyables dévastations qu'elles
commirent en Bavière elles contraignirent l'électeur de
Bavière à abandonner la cause de l'empereur et à signer
l'armistice d'Ulm (14 mars 1647). Wrangell envahit alors
de nouveau la Bohême , tandis que Turenne obligeait
l'électeur de Mayence et le duc de Hesse-Darmstadt à signer
un armistice. L'électeur de Bavière reprit encore une fois
les armes en faveur de l'empereur; mais Turenne, qui
unit ses forces à celles de Wrangell, battit les Impériaux',
puis les Bavarois. La Bavière se trouva encore une fois en
proie à toutes les horreurs de la guerre. En môme temps
le général suédois Kœnigsmark était rentré en Bohème; par
une attaque nocturne il s'était emparé de la partie neuve de
Prague , et il était à la veille de se rendre maître de la
vieille ville , quand on reçut la nouvelle que la paix de
West phalie 3i\ail enfinété signée àMunsteret à Osna-
hruck. Par un singulier hasard , la guerre de trente ans
finissait donc à l'endroit même où elle avait commencé.
Elle avait ruiné et dévasté l'Allemagne. Par exemple, le
chiffre de la population de la Bohême, de trois millions
d'âmes, se trouvait réduit à 780,000. Dans le Palatinat du
Rhin, la contrée de l'Allemagne qui, il est vrai, avait le plus
souffert, il ne restait plus que la cinquantième partie des
nabilants qu'on y comptait en 1618. En Saxe il avait péri,
rien qu'en deux années, plus de,900,000 individus. Augsbourg,
au lieu de 80,000 habitants, n'en avait plus que 18,000.
Dans la seule année 1646 , plus de cent villages avaient été
brûlés en Bavière. Dans la Hesse, dix-sept villes, quarante-sept
châteaux et quatre cents villages avaient été complètement
dévastés. Dans la basse Saxe, qui cependant avait comparati-
vement moins souffert, beaucoupde villes, comme Gœttingue,
avaient perdu la moitié de leur population ; et à Nordheim on
comptait plus de trois cents maisons restées sans habitants.
L'agriculture, l'industrie et le commerce étaient anéantis ; les
mœurs s'étaient corrompues. La paix de Westphalie replaça,
il est vrai, les trois confessions chrétiennes sur le pied de
l'égalité : mais elle consomma l'impuissance politique de l'Al-
lemagne, réduite dès lors à ne plus être qu'un État fédératif
au sein duquel des puissances étrangères (la Suède, par
exemple) exerçaient même une prépondérante influence.
Consultez Schiller, Histoire de la Guerre de trente ans.
TREI\TE-ET-QUARAI\TE ou TREiNTE-UN , jeu
de hasard qui un peu avant 1789 avait succédé au pharaon
et au biribi. Dans les derniers temps de son bail, la ferme
des jeux l'exploitait concurremment avec la roulette. Il
est très-probable que malgré les prohibitions de la loi on
joue encore le trente-et-quarante dans certaines réunions
clandestines. En effet, le peu d'appareil qu'il exige permet, en
cas de visite inopinée d'un commissaire de police , d'y
substituer tout à coup le vingt-et-un ou tout autre jeu dit
de commerce. Le trente-et-()uaranle se taille avec six jeux
de cartes entiers mêlés ensemble, et présentant par consé-
quent en tout trois cent douze cartes. Sur le tapis autour
duquel sont assis les joueurs on a placé deux cartons, l'un
noir, l'autre rouge. En effet, à la différence de la roulette,
bien plus féconde en combinaisons, le trente-et-quarante
n'offre que deux chances , la rouge ou la noire. Les pontes
risquent sur l'un des cartons une somme dont le minimum
et le maximum sont déterminés. L'emploi de banquier peut
être réglé par le sort et à lourde rôle, comme au vingt-eî-un,
mais le plus souvent il est exercé par le maître de la mai-
son ou par un fermier qui lui rend compte des profits.
Le banquier taille d'abord pour la noire. Tenant les six
jeux de la main gauche, il découvre avec la main droite un
certain nombre de cartes, qu'il pose l'une après l'autre
au milieu de la table jusqu'à ce qu'elles aient dépassé le
nombre trente, sans jamais aller au delà de quarante. L'as
ne compte jamais que pour un point , les figures pour dix
et les basses cartes pour les points qui y sont marqués. La
même opération a lieu ensuite pour la rouge. Le point le
plus favorable esttrente-et-un, et ensuite celui qui en appro-
che davantage. Si la couleur rouge, par exemple, obtient le
nombre inférieur, le banquier double la mise des joueurs
sur le carton rouge, tandis que ses croupiers enlèvent avec
leurs râteaux tout l'or et l'argent déposé sur le carton noir.
En cas d'égalité de points, il y a refait; le coup est nul, et
l'on recommence à chances égales, à moins que le refait ne
soit de trente-et-un. Dans ce cas, comme dans celui du zéro
et du double zéro de la roulette, la moitié des sommes ris-
quées parles joueurs est acquise au banquier. Ces sommes
sont dites en prison. Au coup suivant, le banquier ne court
le risque d'aucune perte, les joueurs qui ont mis sur la cou-
leur gagnante retirent sim^tlement leur enjeu. Ce profit cer-
tain du banquier, dans le temps où l'on comptait par livres
tournois, était évalué à six sous deux deniers par louis.
Ainsi, sur une somme totale de 78,000 francs apportée par
les pontes mille francs environ se trouvaient à coup sûr
dévolus au banquier.
TREIVTE MILLE HOMMES (L'abbé). Voyez Ciu-
COViE (Arbre de ).
TREIVTE TYRANS (Les). Voyez Grèce (t. X, p. 516)
et Lysvmdre.
TRElXTOlV. Voyez New-Jersey.
TRE\TSCHIIV,en hongrois Trencsenny, chef-lieu du
du comitat même nom, en Hongrie, bâti sur la rive-gauche
delaWaag, compte 3,600 habitants, et possède un collège
de piaristes , un sous-gymnase slovaque, et une vieille église
paroissiale où l'on remarque le tombeau de la famille Ules-
-5?.
660
TRENTSCHIN — TRÉSOR
liazy. Près de la ville se trouve un château, l'un des plus
anciens, des plus vastes et des plus forts de la Hongrie, avec
lin puits de plus de 200 mètres de profondeur, creusé par
des prisonniers turcs dans le roc vif. La ville c^t surtout cé-
lèbre par les eaux minérales auxquelles elle donne son nom,
qui sont cependant situées à près de 15 kilomètres à l'est,
dans le village de Teplicz, et qui sont visitées chaque année
par plus de deux mille baigneurs. Ces eaux, que les Romains
connaissaient, mais qui depuis étaient tombées en oubli,
furent remises en usage à partir du seizième siècle. Après
avoir appartenu depuis l'année 1594 aux comtes lUesbazy,
elles sont devenues de nos jours la propriété du baron Sina.
Toutes ces sources sont sulfureuses; leur température
varie de 28° à 32° Réaumur. L'eau en est limpide, incolore,
transparente, d'un goût fade, d'une odeur de soufre très-
prononcée; et elle est reçue dans sept établissements diffé-
rents àl'usaçi; des baigneurs. La goutte, les rhumatismes,
les paralysies, les douleurs de bas-venlre, et surtout les
hémorrlioides, les éruptions cutanées chroniques et les en-
gorgements sont les principales maladies dans lesquelles
on reconimande l'usage des eaux de Trentschin.
TRÉPAIV (du latin trepamim , tarière), instrument de
chirurgie, appelé aussi tréphine, dont la construction varie
beaucoup, mais dont la forme essentielle est celle d'une scie
circulaire, et au moyen duquel on perfore les os, plus spé-
cialement ceux du crâne, dans le but de donner issue à des
liquides épanchés et de remplir diverses indications théra-
peutiques, dont il est question dans l'article qui suit.
TRÉPAIXATIOIX , opération de chirurgie qui se pra-
tique au moyen du trépan, dans le but soit de donner issue
aux épanchements de sang ou de pus à l'intérieur du crâne,
soit de relever ou d'extraire certaines portions d'os enfoncées
dans les fractures de cette cavité. Après avou' découvert les
os du crâne au moyen d'une incision cruciale ou en formede T,
et enlevé le périoste, on fait agir sur l'os mis à nu une scie
circulaire dite couronne de trépan au moyen d'un arbie qui
lui imprime un mouvement de rotation; et l'on détache
ainsi une rondelle osseuse d'un diamètre plus ou moins con-
sidérable, qui met à découvert le cerveau et ses enveloppes.
On multiplie quelquefois les couronnes, lorsqu'il est besoin
pour relever des fragments de pouvoir prendre un point
d'appui à l'inlérieur du crâne.
Les hommes de l'art ne sont pas encore d'accord sur la
question à& i^vow &\\a trépanation, opération dont le nom
seul effraye l'imagination , est ou n'est pas utile et néces-
saire et par conséquent doit ou ne doit pas être pratiquée.
Il paraît toutefois que c'est bien moins l'opération elle-même
qui doit effrayer, car elle n'est pas fort douloureuse, que l'état
qui la fait juger utile ou nécessaire. L'opération ne réussit
que lorsque le cerveau ou ses membranes ne deviennent
pas le siège d'une inflammation considérable ; ce qui malheu-
reusement est le plus ordinairement le cas. La mort, qui sur-
vient alors le plus souvent, doit donc être attribuée moins à
l'opération elle-même qu'à ses suites ( inflammation, extra-
vasation du sang, suppuration et destruction de la pulpe cé-
rébrale). Pour prévenir autant que possible cette fâcheuse
complication, on soumet le mala(fe à une diète sévère et au
traitement antiphlogistique le plus rigoureux.
On a quelquefois appliqué le trépan à la poitrine, sur le
sternum et .sur les côtes, sur le rachis, sur les os du bassin,
sur ceux des membres, sur le sinus maxillaire, et sur diffé-
rentes autres parties, soit pour évacuer des épanchements,
soit pour détruire des parties ni'crosées.
, W CoLOMBAT, de l'Isère.
TREPANG. Voyez Holotui;kie,
TUÉPAS. Voyez Mort.
TRÉPASSÉS (Fête des). Voyez Morts (Fête des;.
TRÉPORT(Le). Votjez Seine-Inférielre.
TRÉS-CHRÉTlEN (Roi). Voijez Chrétien (Roi
1res- ;.
TRE-SETÏE ou TROIS-SEPT (jeu de). Comme le
V' ht si, le tre-setleù lieu entre quatre joueurs associés deux
à deux. Les partenaires sont en face l'un de l'autre. On se
sert d'un jeu entier réduit à quarante cartes par l'exclusion
des huit, des neuf et des dix. Le trois est la carte la plus
forte, et le quatre la plus faible. Leur supériorité relative
est dans l'ordre suivant : le trois, le deux , l'as, le roi, la
dame , le valet, le sept, le six, le cinq, le quatre. Il n'y a
point d'atout ni de talon. Les quarante cartes sont parta-
gées entre les quatre joueurs, qui en reçoivent chacun dix
en trois fois. Dès que la première carte est jouée , on compte,
comme au piquet et à l'i m péri a le, les points d'annonce.
La réunion du trois, du deux et de l'as d'une même couleur
s'appelle napolitaine , et vaut trois points. Il faut montrer
et marquer la napolitaine dans l'ordre de sa place, et avant
d'avoir découvert sa première carte. Si la napolitaine est
accompagnée de cartes qui la suivent immédiatement, telles
que le roi, la dame, le valet, le sept, etc., on les montre
également en comptant un point pour chacune des cartes qui
composent la séquence. Trois trois , trois deux, ou trois as,
font marquer trois points; trois sept , ou ^re-5eWe , comptent
pour quatre points; trois rois, trois dames, trois valets,
trois six ou trois cinq , ne valent qu'un seid point. Les points
de jeu se comptent à chaque levée. Troistigures, de quelque
couleur qu'elles soient , valent un point ; les trois et les deux
comptent comme les figures , et se mêlent avec elles;
chacun des as compte pour un point. La totalité des caries
donnedix points et deux figures. La dernière levée fait mar-
quer un point. La partie se gagne par le nombre 21, résul-
tant de la combinaison des points d'annonce et des points
de jeu, et on la paye une fiche. Si les associés .sont parvenus
au nombre de 21 avant que leurs adversaires aient marqué 11,
la partie est payée doulDle. Breton.
TRÉSOR. On entend généralement parce mot un amas
d'or, d'argent ou d'autres choses précieuses mises en réserve.
Le Code Civil, lui aussi , s'en est occupé; et il entend par
trésor toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne
ne peut justifier de sa propriété, et qui est découverte par le
pur effet du hasard. La propriété en pareil cas appartient à
celui qui a fait la découverte dans son propre fonds : si elle
a été faite par un tiers dans le fonds d'autrui,la propriété
résultant de l'occupation se divise par égales portions entre
le propriétaire du fonds et celui qui a lait la découverte. Il
est bon de remarquer à ce propos que par trésor la loi
n'entend pas seulement de l'or, de l'argent ou des effets
précieux , mais bien toute chose quelconque ; que des ou-
vriers qui en creusant ou en démolissant trouvent par ha-
sard un trésor ont droit h la moitié, mais qu'il n'en serait
pas de même s'ils avaient été appelés précisément pour
faire la recherche d'un trésor soupçonné; le hasard dans
cette circonstance n'existerait pas en leur faveur.
Le mot trésor se dit aussi du lieu même où le trésor est
renfermé, et particulièrement, dans certaines églises , aussi
bien du lieu où l'on garde les reliques ou les ornements sa-
cerdotaux que de ces reliques ou ornements mêmes. Trésor
se disait encore autrefois du lieu où l'on gardait les archives,
les titres d'une seigneurie, d'une communauté: Le trésor
des chartes de l'abbaye de Saint-Denys.
Au figuré, trésor sert à désigner tout ce qui estd'une ex-
cellence, d'une utilité supérieures : Un véritable ami est un
trésor; Les trésors de l'étude. C'est par allusion à ce der-
nier sens qu'on a donné le nom de trésor à certains grands
ouvrages d'érudition , tels que le Trésor de la Langue Grec-
que, de Henri Estienne.
TRÉSOR, TRÉSORERIE {Finances). Autrefois la sa-
gesse (les gouvernements en matière de finances consistait à
avoir une réserve en numéraire ou en lingots , ce qu'en lan-
gage ordinaire on appelait un trésor. Le père du grand Fré-
déric avait ainsi entassé beaucoup d'argent. Pendant nos
guerres de la révolution, nos généraux , dans leur maiclie
rapide, surprirent plusieurs princes qui n'avaient pu encore
mettre leurs trésorscn lieu de sûreté, et on a dit que l'em-
pereur Napoléon avait eu jusqu'à quatre cent millions en
écusou en lingots dans les caves des Tuileries. Mais ce qui
TRÉSOR — TRESSAIS
661
jusqu'à ce jour était acie de prudence serait aujourd'hui inu-
tile ou môme funeste. L'organisation récente , mais générale
en Europe, d'une ricliesse mobilière, représentée par des
titres de rente et par des actions et autres valeurs de crédit,
a remplacé pour toutes les fortunes privées , y compris celles
des rois, les réserves métalliques, pourvu qu'on choisisse
avec discernement dans ce déluge de papiers; c'est à la
fois et plus commode et plus sûr. Quant aux États, leur
meilleure réserve est celle qui reste dans la poche des ci-
toyens , et qu'ils peuvent appeler à eux en cas de besoin, soit
par l'impôt, soit plus encore par le crédit. Napoléon, avec
ses quatre cent millions d'écus au\ Tuileries, n'a pu tenir
tête à l'Angleterre, qui manquait de numéraire, qui se ser- l
vait exclusivement de billets de banque , c'est-à-dire de pa- '
pier-monnaie. C'est que les citoyens de la Grande-Bretagne
étaient industrieux et riches, qu'ils pouvaient supporter de ,
forts impôts, et prêtera leur gouvernement des sommes |
énormes. L'Angleterre a emprunté seize milliards pour lutter
contre la révolution française et pour abattre Napoléon; et
c'est seulement à l'aide de ces ressources financières qu'elle
a ou triompher du colosse et de nous. A égalité de richesses,
nous eussions été victorieux.
Aji lieu d'accumuler du numéraire , un gouvernement sage
doit désormais éviter d'en avoir au delà de ses besoins cou-
rants. Aujourd'hui , les iiommes éclairés l'ont un reproche à
l'administration française d'avoir près de deux cents millions
entassés dans les caves de la Banque. Et l'administration
elle-même, au lieu de se faire un mérite de cette accumu-
lation de métaux précieux, s'excuse d'avoir ainsi enfoui un
caiiital énorme, et assure qu'elle cherche les moyens de
rendre à la circulation cette valeur qui gît improductive
entre ses mains. La question d'un trésor public , tel qu'on
le comprenait autrefois, est donc actuellement vidée.
Celle de la trésorerie, c'est-à-dire du mode de conserva-
tion et de mouvement des fonds qui appartiennent à l'État,
est encore à résoudre pour beaucoup de bons esprits.
Elle a d'ailleurs beaucoup d'importance, car elle se lie étroi-
tement à la question de l'organisation du crédit.
11 y a {\&y\\ systèmes de trésorerie qui peuvent être recom-
, mandés à des titres diflérenls, et qui s'harmonisent ciiacun
avec un type particulier de génie national. L'un est celui de
la France, l'autre appartient à l'Angleterre. Ils fonctionnent,
le premier par un corps de receveurs généraux que la cen-
tralisation administrative relie, anime, met en mouvement
et tient en échec ; le second , par une puissante institution
telle que la banque d'Angleterre, solidement assise siu- les
points principaux du territoire, et entre les mains de (pii se
centralise le produit de l'impôt. Le système français offre
de précieux avantages. Là où, comme en France, les ins-
titutions de créd.it existent à peine, et où l'adnjinistration
générale est et doit rester parfaitement centralisée, parce que
la centralisation est dans notre sang , il est le seul possible.
Notre régime financier a réellement été porté à un degré de
perfection tel, que l'on conçoit que des gouvernements étran-
gers s'efforcent de l'imiter. Il est d'une économie remar-
quable; car les frais du service de trésorerie s'élèvent en
France à moins d'un quart pour cent.
Notre service de trésorerie, depuis qu'il a été réorganisé
par le comte Mollien et remanié sous la Restauration,
n'est pas seulement économique , il est admirablement
coordonné ; il embrasse directement ou indirectement tous
les revenus et toutes les dépenses de l'État , des déparle-
ments et des communes ; tandis qu'en Angleterre chaque
administration spéciale a son caissier, qui perçoit et débourse
sans autre contrôle que celui de cette administration elle-
même, contrôle dont encordes formes sont défectueuses.
11 n'existe ni en Angleterre ni ailleurs rien de comparable
.sous le rapport de la régularité à cette vaste administration
qui chez nous s'étend sans solution de continuité du per-
cepteur au receveur général et au trésor, du trésor aux
payeurs et aux derniers agents comptables des services pu-
blics , et dont tous les fils aboutissent à la c o u r d e s c o lu p.
tes. Nulle part la comptabilité n'est aussi rigoureuse, aussi
fidèlement apurée. En France , enfin , les intérêts de l'État
sont en parfaite sécurité, ne fût-ce que parce que nos rece-
veurs généraux , en outre de leur cautionnement , dont l»
masse s'élève à une trentaine de millions, sont ordinaire-
ment en avance avec le trésor d'une somme égale.
Pendant que le système français brille par cet avantage
tout administratif de l'ordre , de l'unité , de l'économie pour
l'État, le système anglais se recommande parce mérite tout
commercial que les fonds de l'État ne sont jamais dormants,
qu'ils .-ervent toujours à appuyer et à vivifier les opérations
de l'industrie et du commerce, parce qu'ils sont toujours
entre les mains des agents de grandes institutions financières^
dont la destination est précisément de fournir au commerce
des capitaux ou de coordonner le mouvement des capitaux
des commerçants. Et cette circulation incessante, ce mou-
vement perpétuel des fonds de l'État s'accomplit sans péril
pour les contribuables , puisque ces puissantes institutions,
que l'on considère comme aussi solides que des colonnes
de granit, répondent envers l'État de tous les fonds qu'elles
touchent. Mais en Angleterre le service de la trésorerie
manque d'unité ; la comptabilité publique n'embrasse que
le produit net des impôts , et non pas le produit brut. Un
grand nombre de dépenses sont acquittées par des voies
contournées , et il y a loin du moment où les fonds de l'é-
chiquier sortent des coffres de la banque d'Angleterre , qui
fait l'office de caissier général, à celui où ils parviennent au
destinataire. Par cela seul que le service de la trésorerie
anglaise est compliqué et embrouillé, on peut attester, les
yeux fermés, qu'il est dispendieux. En matière de finances,
il. n'y a économie que là où y a clarté et ordre.
Michel CUEVALIER, de l'Institut.
TRÉSOR (Bons du). Voije.-^ Bons du Trésor.
TRÉSOR DES CHARTES. Voxjez Chartes.
TRESSAiX (Louis-ÉLisARETH DE LAVERGNE , comie
de), naquit en 1/05, au Mans, chez son grand-oncle, évoque
de cette ville. Admis, |iar le crédit de sa famille , à par-
tager les études et les amusements du jeune roi Louis XV,
il dut quitter la cour et Paris à dix-huit ans pour faire ses
premières campagnes. Il alla ensuite visiter Rome et une
partie de l'Italie. De retour en France, il reprit sa place dans
l'armée, se distingua à Fontenoy, et fut nommé maréchal
de camp. Appelé en Lorraine en 1750 par le roi Stanislas
pour remplir les fonctions de grand-maréchal de son palais,
ïressan fut un des ornements de cette spirituelle cour de
Lunéville, où se trouvaient avec lui Voltaire, M'"* du Châ-
telet , Saint-Lambert , le jeune chevalier de Bouiflers, etc.
L'Académie de Nancy lui dut, à cette époque, sa fonda-
tion. Le comte de Tressan était déjà membre de l'Académie
des Sciences de Paris et de la Société royale de Londres. U
avait mérité cet honneur par un Traité sur l'Électricité,
le premier qui eût été publié sur cette importante décou-
verte. Mais en littérature il n'était encore connu que par
des chansons, aussi malignes que jolies, et de très-mordan-
tes épigrauunes, qui refroidirent la bienveillauce de LouisXV
pour leur auteur.
Tiessan passa plusieurs années dans une terre en Cham-
pagne, s'y occupant de l'éducation de ses enfants. Il revint
ensuite habiter Paris, et plus tard une jolie maison de
campagne à Franconville, dans la vallée de Montmorency.
Ce fut là qu'il composa, pour la Bibliothèque des Romans,
ces charmants extraits de nos vieux romans de chevalerie,
où il embellit si bien ses originaux , surtout dans la déli-
cieuse chronique du Petit Jehan de Saintré. Là aussi, âgé
de soixante-treize ans et tourmenté de la goutte , il fit en
moins de dix mois la meilleure traduction que nous eussions
encore du Roland Furieux, malgré un certain nombre d'in-
corrections et d'infidélités. L'Académie Française l'appela en
1781 à siéger dans son sein. Un accident avança sa fin;
il mourut le 31 octobre 1783. On a publié en 1823 une belle
édition de ses Œuvres complètes , avec tme notice par
Campeuon. Ourry.
G 62
TRESTAILLONS
TREVISE
ÏRESTAILLONS. Sous ce nom , qui n'était suivant
toute apparence qu'un sobriquet , est den)euré fameux dans
l'Iiistoire contemporaine l'un des chefs de bande qui en
1815, à l'époque de la seconde restauration, organisèrent
dans nos départements du midi ce qu'on a justement appelé
la terreur blanche,
TREUIL. Le treuilon ^owr est une machinesimple,
dont les pièces principales sont un cylindre autour duquel
s'enroule la corde attachée au corps à déplacer, et une roue
snr la circonférence de laquelle on fait agir la puissance
motrice. Le cylindre et la roue ne forment pour ainsi dire
qn'iHi seul corps ; c'est une sorte de 1 évier à bras inégaux,
dont le rayon du cylindre (orme le bras le plus court et
celui de la roue le plus long. Aussi, le rapport entre \Apuis-
sance et la résistance est-il le même dans cette machine que
dans le levier , et peut-on toujours remplacer la roue par un
bras de levier ordinaire, comme cela se voit dans les chèvres
placées au-dessus de nos édifices en construction , pour
éleverdes masses considérables de matériaux. Le treuil prend
autant de noms différents dans les arts industriels que sa
forme est susceptible d'y recevoirde modifications diverses :
c'est le cabestan , la chè vr e, le vireveau, le tournevire;
mais c'est toujours, au fond, le levier approprié aux diffé-
rents besoins des arts mécaniques. Lorsqu'on donne des
dents au cylindre et à la roue du treuil tel que nous l'avons
défini , on peut faire agir la puissance sur la résistance par
l'intermédiaire de plusieurs treuils agissant eux-mêmes les
uns sur les autres. On a alors un système de roues dentées,
dont la puissance devient susceptible d'être portée aussi haut
qu'on voudra. F. Passot.
TREVE, mot aussi ancien que la langue française, puis-
qu'on en retrouve l'usage dès l'année 1020 ; il venait, suivant
Caseneuve, du saxon treiv, signifiant foi, parce qu'il donnait
idée d'im acte de bonne foi, de l'exécution d'une promesse,
de l'accqmplissement d'un serment. Il était devenu français
par la filière du latin barbare, qui en avait fait trega, treuca,
treuga , pris dans le sens d'armistice , de suspension d'ar-
mes, de souffrance. l"*endant tout le temps des guerres
privées, dont les trêves étaient les intervalles, ces repos
se sont toujours compliqués d'une idée de mysticité; de là
vient qu'on disait trêve de Dieu, paix de Dieu, parce
que les cessations momentanées d'hostilités étaient toujours
consenties au milieu de cérémonies ecclésiastiques , ou en
vertu de serments sur l'Évangile. Depuis l'abolition des guer-
res privées, depuis que le sacerdoce s'est moins immiscé dans
les choses de la guerre, les trêves n'ont plus été qu'un ac-
cord verbal, ou un traité souscrit entre des chefs de troupes
ennemies , soit à la suite d'une action sanglante, pour enterrer
les morts et emmener les blessés, soit pour donner quelque
repos aux troupes pendant une saison rigoureuse.
G^'Bardin.
TREVE DE DIEU. Voyez Paix de Dieu.
TREVES, en allemand Tîier, et en latin Augitsta
Trevirorum , autrefois chef-lieu de l'archevêclié et électoral
ecclésiastique du même nom , aujourd'hui chef-lieu d'un
arrondissement de la province prussiennedu Rhin,estsitué
dans une charmante vallée formée par deux rangées de mon-
tagnes couvertes de vignobles, sur la rive droite de la Mo-
selle, qu'on y passe sur un vieux pont de pierre de 230
mètres de long et de 8 de large. Cette ville est très-éten-
due, parce qu'elle renferme un grand nombre de vastes
jardins ; les rues en sont étroites et irrégulières. Le nombre
des habitants est de 17,388, et y compris les faubourgs de
22,290, tous catholiques , à l'exception de 1,269 protestants,
de ômennonites et de 388 juifs. Parmi les édifices publics,
on remarque la cathédrale, de forme irrégulière et dont la
partie centrale date de l'époque de Constantin, qui renferme
une foule de beaux autels et tombeaux, de précieux usfen-
siles à l'usage du culte et de magnifiques missels , de reliques
en grande vénération, entre autres la sainte tun i q u e , et une
des plus grandes cloches qu'il y ait en Allemagne : l'église
Notre-Dame, la plus belle église de Trêves, terminée en 1243,
i l'un des plus magnifiques monuments de l'ancienne archi-
tecture allemande; la Porte- Neuve, avec un bas-relief du
'•■ douzième siècle ; l'ancien palais électoral , le couvent des
rédemptoristes avec une belle église de style byzantin , le
I nouveau-théâtre. En fait de monuments romains il faut sur-
I tout citer, après le vieux pont sur la Moselle, ce qu'on
appelle la Porte Romaine (ou Porta Nigra),éA\fict d'une
construction toute particulière (de 38 mètres de long, sur
22 de large et 23 de haut), qui vraisemblablement était une
porte de ville , mais qui faisait aussi partie du système de
fortifications, qu'on transforma au moyen âge en une église
placée sous l'invocation de saint Siméon , que sous la domi-
nation française on débarrassa de tontes les constructions
modernes qu'on y avait ajoutées, et que le roi de Prusse
actuel a fait complètement restaurer; les bains romains, dont
une partie seulement a été remise en lumière, et qui vrai-
semblablement étaient un palais impérial ; un amphithéâtre
datant de l'époque de Trajan , mais dont il n'y a non plus
qu'une partie de déblayée , etc.
L'université fondée à Trêves en 1472 a été supprimée en
1797. Aujourd'hui la ville possède un gymnase, un sémi-
naire catholique, une bibliothèque de 96,000 volumes, ren-
fermant de précieux manuscrits , entre autres le Codex au-
reus, une école des arts et métiers, un hôpital, une maison
d'aliénés et une école d'accouchement. Elle est reliée à
Metz et à Coblentz par des services réguliers de bateaux à
vapeur.
Trêves tire son nom d'une peuplade celte, les Treviri,
qui habitait cette contrée. Les Romains en firent une de
leurs principales places d'armes contre les Germains , et plu-
sieurs empereurs y fixèrent leur résidence. Sous les rois
franks , à qui elle fut livrée par trahison , elle continua d'être
une ville importante. Elle fit ensuite partie du royaume
d'Austrasie. Le traité de Verdun l'adjugea en 843 à la Lor-
raine. Eu 870 elle appartint à l'Allemagne , mais pour re-
venir en 895 à la Lorraine; et ce fut l'empereur Henri l*""
qui le premier la réunit définitivement à l'Allemagne. Plus
tard, sous la domination de ses archevêques, elle parvint
à une telle puissance, que ceux-ci jugèrent prudent de trans-
férer leur résidence à Coblentz. Ce ne fut qu'à partir de 1580
qu'ils en furent complètement les maîtres. A partir de 1794
elle appartint à la France et devint alors le chef-lieu du dé-
partement de la Saare. Les traités de 1814 l'ont adjugée à
la Prusse.
L'ancien archevêché et électorat de Trêves, situé dans
ce qu'on appelait autrefois le cercle électoral du Rhin, con-
finait à la principauté de Nassau, à l'archiivêché de Cologne,
au duché de Luxembourg, au duché de Lorraine, au pala-
tinatdii Rhin, au landgraviat de Hesse-Rlieinfels et enfin au
comté de Katzenellnbogen. Il comprenait une superficie
d'environ 105 myriam. carrés avec une population de 280,000
habitants, calholiciues pour la très- grande partie. L'électeur
de Trêves, qui s'intitulait chancelier des Gaules, était
dans l'ordre hiérarchique le second électeur de l'Allemagne,
fj'archevôché de Trêves succéda au septième siècle à un
évêcho qui datait déjà du quatrième siècle. Le dernier élec-
teur de Trêves fut le prince Clément Wenceslas de Saxe. Il
avait été élu en 1768. Au début de la révolution française,
l'éleclorat et notamment la ville de Coblentz devint le lieu
de rassemblement des émigrés royalistes. Dès 1794 Trêves
et Coblentz tombaient au pouvoir des républicains français,
qui en 1799 réunirent tout l'électoral au territoire français.
La paix de Lunéville confirma la sécularisation de l'arche-
vêché et la suppression de l'électorat, moyennant une pen-
sion de 60,000 fr. accordée à l'électeur, qui mourut en 1812,
à Augsbourg.
TREVIGNO. Foyes RoviGNO.
TREVISE, Treviso ou Trevigi, en latin Tarvisium,
clief-lieu de la province du même nom (31 myriam. carrés,
et 290,000 habitants) , dans le pays vénitien, reliée à Ve-
nise par un chemin de fer de 30 myriamètres de long, et si-
tuée sur les bords de la Sile , dans laquelle se jette la Bot
TliEViSE — ÏREZEL
6f;3
teniga, par quatre bras qui traversent la ville , est le siège
(l'un évêché, de diverses autorités politiques et militaires,
d'un tribunal de première instance et d'une chambre de
commerce. Sa population est de 19,000 âmes. On y trouve
un collège, un séminaire, une académie des sciences (i4<e-
neo) et une bibliothèque de 30,000 volumes. L'université,
fondée en 1318, adepuis longtemps été transférée à Padoue.
Les principaux édifices sont la cathédrale, qui datait du
douzième siècle, mais qui a été reconstruite dans ces der-
niers temps , avec de belles peintures du Titien , de Bordonc
et de Véronèse ; l'église Sau-Nicolo , monument gothique ; le
palais de justice; le théâtre et la prison. On y compte un
grand nombre de manufactures de toile et de pa|)ier , de
drap , de soieries ; et elle est le centre d'un commerce assez
actif en grains, bestiaux et produits de l'industrie locale.
Elle est entourée de remparts soutenus par des murailles,
llanqués de treize bastions, et au sud desquels coule la Sile.
Trévise, qui vraisemblablement était im municipium à
l'époque romaine , jana un grand rôle dans les guerres de
Bélisaire contre les Goths, et fut au treizième siècle la rési-
denct> du cruel Ezelino di Romano. Francesco délia Scala
de Vérone, qui s'en rendit maître en 1329, la vendit en 1338
à la république de Venise, qui la revendit en 1381 à Léo-
po!d II d'Autriche. Celui-ci la rétrocéda en 1384 aux Car-
rara de Padoue, après la chute desquels elle revint eu 1388
sous la domination de Venise, dont elle paitagea les des-
tinées jusqu'en 1797, époque où elle fut piisepar les Fran-
çais commandéspar M ortier, que Napoléon créa plustard
duc de Trévise. Elle devint alors le chef-lieu du départe-
ment du Tagliamento.
Le 21 mars 1848 il éclata à Trévise un mouvement in-
siurectionnel à la suite duquel la garnison autrichienne
dut évacuer la ville. Le 11 mai les Piémontais y fuient bat-
tus, et le comte de Nugent bombarda alors la ville, qui tint
bon. Un second bombardement, effectuéle 24 juin, amena la
capitulation de Trévise.
La province de Trévise , appelée autrefois marche de
Trivise, ciiarmant pays, aussi fertile qu'industrieux, est (ii-
visé en huit prétures .-Treviso, Biadène, Castelfranco. Asolo..
Conegliano, Oderzo, La Motta, Ceneda et Serra valle.
TRI^VISE (Duc de). l'oye; Moktieu.
TREVOUX (Mémoires et Dictionnaire de). Trévoux,
aujourd'hui chel-lieu d'arrondissement du département de
l'Ain, avec 2,582 habitants, une station du chemin de fer de
Paris à Lyon, des fabriques d'orlévrerie, des ateliers d'af-
finage et de tirage d'or et d'argent, était autrefois la ca-
pitale de la principauté de Douibes. Celte ville est fort
ancienne. Le nom que lui avaient donné les Romains, Tri-
vullium ou Trivortium et enaore Trivium, indique qu'elle
tirait son nom des trois routes qui s'y croisaient. L'avant-
dernier prince de Bombes, le duc du Maine, fonda en
1695 à Trévoux un vaste établissement typographique, où
bientôt après les jésuites tirent im|»rimer, sous le titre de
Mémoires de Trévoux, un journal scientifique et littéraire
justement célèbre. Il (ut commencé en 1701 par les pères
Catrou et Rouillé , et continué après la suppression de la
Société de Jésus jusqu'en 1767. Il se compose de 265 petits
volumes in- 12. On le trouve diflicilement complet, et les
dernières années surtout sont devenues d'une rareté extrême.
La Société de Jésus confia également, en 1704, aux presses
de cet établissement une nouvelle édition , entièrement re-
fondue, du Dictionnaire de Furetière, qui fut publiée
en trois volumes in-folio , et à laquelle est demeurée dans
l'usage la dénomination de Dictionnaire de Trévoux. Elle
fut réimprimée depuis à cinq reprises différentes, et la der-
nière fois ( 1771) en huit volumes in-folio.
TRÉZEL (Camille-Alphonse) est né à Paris, en 1780.
Son père était négociant. Trézel embrassa de bonne heure
la profession des armes ; il entra dans le corps des ingé-
nieurs géographes. En 1806 il fut envoyé à l'armée française
qui occupait la Prusse et la Pologne occidentale, et y fit la
rude campagne d'hiver de 1806 à 1807, campagne mémo-
rable par la sanglante bataille d'E y) au. Bientôt il reçut
l'ordre de rejoindre en qualité d'aide de camp le général
Gardane, que Napoléon envoyait en ambassade à la cour dé
Perse. Nafioléon n'avait jamais renoncé à l'espoir de porter
un coup mortel à la puissance de l'Angleterre , en l'attaquant
dans les Indes; il recueillait les documents, il provoquait
les recherches et les études propres à seconder le succès
d'une expédition iiu'il se proposait de faire quand les cir-
constances le permettraient. C'était pour aller reconnaître
les vastes contrées qu'il faudrait traverser et sonder les dis-
positions des populations , qu'il avait confié à Gardane la
mission d'explorer ces pays, d'où sont sortis tant de hordes
conquérantes , mais qu'une armée européenne n'a jamais
parcourus depuis Alexandre. Trézel rejoignit son général à
Varsovie , traversa avec lui la Pologne , la Moravie et la
Hongrie jusqu'à la frontière tiuque à Or<ova. Puis ils des-
cendirent le Danube, et arrivèrent à Constantinopie par le
Bosphore de Thrace Ils y fuient reçus par Sehastiani,
ambassadeur de France, qui venait de sauver la capitale de
l'Empire Ottoman de l'audacieuse attaque de l'amiral Duck-
vvortli. Pendant que Gardane s'occupait de former une grande
caravane pour enirer en Perse par la roule de Caramanie,
Trézel, envoyé seul en avant, sous le costume d'un tarlare
delà Porte, partit pour Bagdad. Mais l'iiilluence anglaise
était toute-piiis,sante dans cette ville; il dut renoncer à des-
cendre ()ar le golfe persi(|ue jusqu'aux rives de l'océan In-
dien, et pénétra en Perse avec une petite caravane de sept
hommes par les montagnes de Kirmancha. Après neuf mois
d'exploration périlleuse , Trézel rejoignit son général à Té-
héran , ayant vu foules les lignes de caravanes qui du golfe
persique conduisent par Yezd vers Hérat et Candahar dans
l'Afghanistan et de ces villes sur Peschawer et l'indus. Il
parcourut ensuite quelques provinces intérieures de la Perse
eu a< compaguant le schah dans ses campements d'été , et
suivit au retour le rivage méridional de la mer Caspienne.
Au commencement de 1809 les intrigues de l'Angleterre
obligèrent Gardane et Trézel à quilterla l'erse, et ils revinrent
en France par la Géorgie et les proxlnces méridionales de la
Ru.ssie. Trézel venait d'arriver au quartier général à Vienne,
quand le général Guilleminot le prit pour aide de camp et
remmena enlllyrie. En (8f0il fut nommé capitaine, etfitla
campagne de Catalogne. Il repriten 1812 la route de Moscou,
et combattit, sous les ordres du vice-roi d'Italie, àOstrowno,
Vitepsk, Smolensk, la Moskowa. Il se distingua par son
intelligence et son énergie pendant la terrible retraite, et ne
quitta pas les débris de l'armée de Moscou, qui disputa le
terrain pied à pied de la Vislule à la Saaie. Trézel lit la
campagne de l8f3 comme chef de bataillon et chef de l'état-
major du général Guilleminot. Renfermé dans Mayence avec
le corps du général Morand , il fut alors nommé colonel.
En 1815 il «levint chef d état-major du général Vandamrae
et fut grièvement blessé à la bataille de Fléurus. C'était sa
première blessure. Après Waterloo il fut promu au grade
de général de brigade; mais ce grade ne fut pas reconnu par
la Reslauralion, qui l'employa néanmoins en qualité de colo-
nel à la démarcation des nouvelles limites de la France,
puis au ministère de la guerre. En 1828 Trézel prit part à
l'expédition de Morée comme sous-chef , et bientôt comme
général et chef de l'état-major. Il ne revint en France qu'en
1831. Au mois de décembre de la même année , il fut en-
voyé eu Afrique en qualité de chef d'etat-major du duc de
Rovigo , puis il passa successivement au commandement de
Bone et d'Oran. Il prit part à toutes les opérations militaires
qui eurent lieu dans la province d'Alger dans Jes années
1832 et 1833, à l'expédition de Bougie, où il fut blessé, au
rude combat de Mulay-Ismael, à celui delà Macta, où avec
moins de 3,000 hommes il lutta corps à corp-. iivuc toutes
les forces d'Abd-el-Kader. Dangereusement blessé au pre-
mier siège de Constanline, le général Trézel dirigea Ja se-
conde expédition contre la place, et contribua à sa conquête.
Rentré en France, il défendit le 12 mai 1839 l'hôtel de vdJe
de Paris, et remplit eusuite pendant dix-huit uiuis au minis-
C64
TREZEL — TRIANGULATION
tèie de la guerre l'emploi de directeur du personnel et des
opérations militaires. Inspecteur général d'infanterie, il fut
nommé pair de France en 1846, et en 1847 ministre de la
guerre. Sous la république il fut mis à la retraite.
TRÉZÈIVE, chef-lieu de la Trézénie , au sud-est de l'Ar-
golide (Péloponnèse), appartenait du temps d'Homère à
Diomède. C'est là que naquit Thésée; c'est là que Phè-
d re conçut sa passion incestueuse pour Hippolyte. Après le
départ des Héraclides , celte ville passa de la domination des
Achéens sous celle des Doriens , et parvint à un haut
depré de prospérité, comme le prouve la fondation de la
colonie d'Halicarnasse, en Carie. Elle prit une part active
aux guerres contre les Perses. Dans la guerre de Corintlie
(en 384 av. J.-C.) elle prit parti pour Sparte. A l'époque
macédonienne, elle changea plusieurs fois de maîtres, et
finit par accéder à la ligue achéenne. Au temps de Strabon
elle avait encore une certaine importance; et Pausanias
décrit au deuxième siècle de notre ère les monuments re-
marquables qui s'y trouvaient encore , mais dont il ne sub-
siste plus aujourd'hui que de faibles vestiges. Elle était bâ-
tie sur une colline , à quinze stades du golfe d'Égine, où se
trouvait son port, appelé Kelenderis, sur une baie à laquelle
sa conliguration avait fait donner le nom de Pogon (barbe),
d'où le proverbe « Il faut qu'il aille à Trézène », en parlant
d'un individu imberbe.
TRIADE (Système de la). Voyez Leroux (Pierre).
TRIADITZA. Voyez Sofia.
TRIAGE (Droitde). T'oj/r^ Biens Communaux et Marais.
TRIAIRES, Triarn. Voyez Légion.
TRIAADRSE (de Tpeîç, tpEa, trois, et àvrip, àvôpô;,
homme ou mâle, pour étamine), troisième classe du sys-
tème sexuel de Linné {voyez Botanique), renfermant les
végélaux à fleurs hermaphrodites pourvues de trois éta-
mines libres. On divise cette classe en trois ordres : triun-
drie-monogynie {valériane , crocus, ixia, la plupart des
iridées, etc.); triandrie-digynie {mi grand nombre de
graminées); et triandrie-trigynie.
TRIANGLE. C'est le plus simple de tous les poly-
gones, celui qui n'a que trois côtés. Le triangle éqiiïla-
téral est celui qui a ses trois côtés égaux ; le triangle iso-
cèle n'a que deux côtés égaux; le triangle sculène a ses
trois côtés inégaux. On distingue encore le triangle rec-
tangle , c'est-à-dire celui dont l'un des angles est droit.
Tout polygone pouvant être décomposé en triangles, la
théorie des triangles forme la base de la géométrie plane.
Nous ne ferons que rappeler les propriétés élémentaires de
ces figures.
Dans tout triangle, la somme des angles est égale à deux
angles droits. La surface du triangle a pour mesure le pro-
duit de sa base par la moitié de sa hauteur : on nomme
hauteur la perpendiculaire abaissée d'un des sommets du
triangle sur le côté opposé, qui prend alors le nom de
base; a chaque côté correspond donc une hauteur. Les
trois hauteurs d'un triangle se coupent en un même point.
11 en est de même des trois médianes , lignes qui joignent
chaque sounnet au milieu du côté opposé ; leur point de
rencontre est le centre degravité du triangle 11 en est
de même encore des bissectrices des trois angles , qui se
coupent au centre du cercle inscrit au triangle, et aussi des
perpendiculaires élevées sur les milieux des côtés , qui se
rencontrent au centre du cercle circonscrit.
La surface du triangle peut être exprimée en fonction de
ses trois côtés. Si l'on représente cette surface par S, les
côtés par a, b, c, et le périmètre ( c'est-à-dire a -{• b -\- c)
par 2 p , on a
S= v/p(p — o)(p — 6)(p — c).
Le triangle rectangle offre une propriété remarquable,
dont l'énoncé forme le théorème relatif au carré de l'hy-
poténuse. Les autres triangles donnent lieu au théorème
suivant : Le carré d'un côté est égal à la somme des carrés
des deux autres , augmentée ou diminuée du double rectangle
de l'un de ces derniers côtés et de la projection de l'autre
' sur celui-ci, selon que le premier côté est opposé à un angle
I obtus ou à un angle aigu.
; On nomme triangles sphériques ceux qui sont formés sut
la surface de la sphère par trois arcs de grands cercles.
On divise aussi les triangles sphériques en équilat^raux,
isocèles, scalènes, rectangles. H y a des triangles sphéri-
ques birectangles, et môme trirectangles, car ici la somme
des angles, au lieu d'être constamment égale à deux angles
droits, comme dans les triangles rectilignes , varie entie
I deux et six angles droits. Quant à la somme des côtés,
elle est toujours inférieure à la circonférence d'un grand
cercle. E. Merlieux.
Le triangle a longtemps servi de symbole. Xénocrate com-
parait Dieu au triangle équilatéral, les génies au triangle
isocèle, et l'homme au triangle scalène. Les chrétiens re-
présentèrent aussi la Tri ni té par un triangle, auquel ils ad.
; joignirent ensuite des lignes figurant diversement une croix ;
on voit beaucoup de signes de ce genre sur les médailles
des papes et au frontispice des premiers livres imprimés.
Triangle se dit d'un instrument de musique en acier qui
a la forme de cette figure, et dont on joue en le frappant
intérieurement avec une tringle ou verge de même métal;
cet instrument, qui paraît avoir été connu des anciens, est
usité dans la musique militaire et chez plusieurs peuples
montagnards, notamment parmi les habitants de la Savoie.
Deux constellations, l'une boréale et l'autce australe, por-
tent également, en astronomie, la première le nom àe petit
triangle, la seconde celui de triangle austral. A. Billot.
TRIANGLE ARITHMÉTIQUE. Pascal a donné
ce nom à la (igure suivante, que l'on peut indéfiniment
prolonger :
i 1 1 1 1 t 1
2 3 4 5 6
1 3 6 10 15
4 10 20
1 5 15
1 6
1
Pour la former, on écrit l'unité répétée autant de fois que
l'on veut : on a ainsi la première ligne horizontale. Pour
écrire chacune des lignes suivantes, on ajoute chaque
nombre déjà obtenu à celui qui est immédiatement au-des-
sus , en ayant soin de prendre l'unité pour premier nombre
de chaque ligne et de reculer d'un rang vers la droite.
On obtient ainsi les nombres figur es; par exemple la
seconde ligue renferme les nombres naturels, la troisième
les nombres triangulaires, la quatrième les nombres py-
ramidaux , etc. ; nombres qui se reproduisent également
dans les lignes parallèles à l'hypoténuse du triangle. Les lignes
verticales donnent les coefficients du binôme de Newton.
TRIANGULAIRES ( Nombres). On appelle ainsi la
suite des nombres figurés du second ordre, 1, 3, 6, 10,
15, etc., dont la forme générale est • . Parmi leurs
diverses propriétés , nous n'énoncerons que celle-ci : Si
l'on multiplie les différents nombres de cette suite par 8,
et si l'on augmente chaque produit de l'unité, on aura la
suite des carrés impairs.
TRIANGULATION. On donne ce nom , en géodésie,
aux opérations trigonométriques ayant pour but de lever
le plan d'une étendue quelconque en mesurant les angles
des triangles dont on la suppose couverte. Pour qu'elles
présentent un caractère d'exactitude, il est nécessaire de
commencer par fixer les points principaux de la figure de
la portion de surface terrestre dont on se jiropose de lever
le plan. Ensuite on mesure avec le graphornèlre ou le théo-
dolite, suivant qu'il s'agit de grandes ou de petites distances,
les angles des triangles supposés. Supposons qu'il s'agisse
de mesurer un arc de méridien. Entre deux points dont
les positions sont fixées astronomiquement, on trace une
série de triangles suivant une direction à peu près méri-
dienne : la base du premier doit être rigoureusement me-
TRIANGULATION — TRIBONIEN
6G5
surée et la mesure elle-même rectifiée des variations de
température. On rapporte ces triangles à un plan horizon-
tal et ce plan horizontal lui-même est transporté au ni-
veau des mers , car on conçoit que la circontérence tan-
gente au sommet d'une haute montagne a une grandeur
absolue plus considérable que sa concentrique tangente à la
surface de la mer. On projette les côtés successifs de ces
triangles , trigonométriquement mesurés , suivant la ligne
méridienne , et Ton a en unités linéaires la longueur de
cette partie du méridien dont les observations astronomi-
ques donnent la mesure en degrés et fractions de degré.
Une simple division donne alors la valetir de chacun d'eux.
C'est ainsi que La Condamine et Bouguer déterminèrent ,
sous l'équateur, la longueur du degré du méridien; ils le
trouvèrent de 56,750 toises. Les mesures de ce môme de-
gré faites en Europe ont donné pour la France , terme
moyen, 300 toises de plus, et sous le cercle polaire , 700.
Ainsi se trouve vérifié l'aplatissement de la terre vers les
pôles que la théorie de Newton avait annoncé. Consultez
Puissant , Traité de Géodésie.
TRIAMON. 11 n'est point de résidence royale autour
de laquelle se pressent plus de séduisants souvenirs qu'au-
tour de celle-ci. Trianon, placé à côté de Versailles, semble
destiné à rappeler ce que la grâce est à côté de la majesté.
Ce joli palais est situé dans l'enceinte même du parc de
Versailles , dont il forme en quelque sorte une riche dé-
pendance. Mansard en a tracé les dessins. Ses deux ailes ,
terminées par deux pavillons , sont unies au bâtiment
principal par un péristyle composé de vingt-deux colonnes
d'ordre ionique ; quatorze d'entre elles sont en marbre
rouge ; huit sont formées de marbre vert-Campan. Cette
variété de couleurs donne au monument une physionomie
riche et somptueuse que le ton de la pierre ordinaire n'a
jamais, et qui rappelle les constructions de Rome et d'A-
thènes. Dans son aspect extérieur, Trianon tient à la fois
du temple et de la villa. L'édifice n'a qu'un rez-de chaussée,
à la manière antique ; l'étendue de sa façade est de cent
vingt-huit mètres ; les heureuses proportions en sont rehaus-
sées par l'éclat de pilastres de marbre, placés entre chaque
croisée : les ornements sont aussi d'ordre ionique. Le comble
affecte la forme romaine ; terminé par des balustres , il est
enrichi de vases et de groupes. Les jardins , à la fois vastes
et charmants, ont été replantés , en 1776, sous la direc-
tion de l'architecte Leroy. Louis XV consacra cette demeure
au plaisir. Marie-Antoinette devait devenir pour Trianon
une divinité protectrice et lui rendre une splendeur et une
animation qu'il avait perdues par la mort de ce monarque.
En 1778, la reine désira posséder Trianon. Louis XVI lui
en fit don , en lui disant : « Ces beaux lieux ont toujours
été le séjour des favorites des rois ; ainsi ce doit être le vô-
tre. » La reine répondit qu'elle n'acceptait que le Petit
Trianon, et encore à condition, ajoula-t-elle en souriant,
et probablement avec quelque malicieuse intention, que le
roi n'y viendra que lorsqu'il sera invité.
Le délicieux palais dont Marie-Antoinette prenait ainsi
possession est à l'une des extrémités du parc du grand Tria-
non ; il consiste en un pavillon carré, d'environ 24 mètres sur
chaque face. Il est composé d'un rez-de-chaussée et de deux
étages; les décorations en sont d'ordre corinthien; les co-
lonnes et les pilastres sont cannelés dans toute leur hau-
teur; une balustrade le couronne. Rien n'égale le goût et la
délicatesse des dispositions intérieures; c'est un boudoir
royal, dans lequel on a réuni tout ce que la fantaisie de l'é-
poque la plus coquette a pu imaginer de bizarre et de ra-
vissant. Les jardins forment un contraste frappant avec tout
00 que l'on rencontre à Versailles; ils sont dans le style an-
glais; on y voit les plus charmantes fabriques. Ou y trouve
de belles eaux , une île , au miheu de laquelle s'élève le temple
de l'Amour, un belvédère, de forme octogone, élevé au-dessus
d'une pièce d'eau vaste et irrégulière, des bosquets les plus
frais du monde, un hameau, une grotte dont le caractère
imprévu et sauvage frappe au milieu de la pompe régulière
des lieux qui l'environnent, des collines, des terres culti-
vées, des groupes d'arbres, luie cascade bouillonnante et
un pont d'une hardiesse tout helvétique. C'est le riant ta-
bleau de la nature, avec un désordre et une confusion qui
ajoutent à sa beauté. La reine adopta cet asile, où elle fit
exécuter des embellissements dispendieux. Elle l'appelait
gaiement sa petite maison. C'est là que se réunissait sa so-
ciété intime.
C'est à Trianon qu'eut lieu, en 1784, la fameuse repré-
.sentation du Mariage de Figaro; voici quelle lut la distri-
bution des rôles : Figaro, le comte d'Artois; A(7nuviva ,
le comte de Vaudreuil; la Comtesse, Marie-Antoinette; Bar-
tholo, le duc de Guiche; Bazile, M. de Crussol ; le Page,
M. de Polignac, dernier président du conseil des ministres
de Charles X. Quoi qu'en ail pu dire l'adulation, cette troupe,
à la tête de laquelle figurait la reine de France, jouait roya-
lement mal. La malignité publique prétait bien peu d'inno-
cence à ces plaisirs innocents et réservés. Mais ces méchauls
propos ne purent pas affaiblir l'attachement que la reine
portail à Trianon; seulement les séjours y devinrent plus
rares et moins prolongés. Afin que ce lieu qu'elle aimait tant
ne tombât pas dans la tristesse et la solitude, elle y établit
cinq ou six ménages de cultivateurs et de bergers véritables,
qui l'ont habité jusqu'à sa mort. Mais im nouveau domaine
devait enfin remplacer Trianon dans des affections aussi in-
constantes que celles de la reine; elle acheta le château de
Saint Cloud : cette acquisition fut faite sans que le roi eût été
consulté, même sans qu'illa connût. Le prix de ce domaine
fut payé avec les fonds que le trésor de la couronne lira de
la vente de la propriété royale du Château-Trompette, à Bor-
deaux : ces fonds s'élevaient à six millions.
Napoléon aima peu Trianon; selon lui, le petit château
n'était qu'un sot colifichet ; le grand château était à ses
yeux digne tout au plus de servir de logement au concierge
du palais de Versailles. Cependant, il habita plusieurs fois
celte résidence, dans laquelle il trouvait un peu de calme et
de repos, et pour laquelle les deux impératrices ont succes-
sivement eu un sentiment de prédilection. Le décret qui
établit le fameux système continental est daté de
Trianon, 3 août 1810. Joséphineaimaitày retrouver les sou-
venirs de l'ancienne cour, dont son cœur ne fut jamais
parfaitement détaché ; Marie-Louise se i)laisait à Trianon ,
parce qu'il lui rappelait la douce simplicité des maisons de
plaisance de la cour d'Autriche. Eugène Biuffaut.
TRIBONIEN, Tribonianus, l'un des plus célèbres ju-
risconsultes romains, était né à Side, en Pampliylie. Sa
vaste érudition et ses profondes connaissances en droit lui
valurent la faveur de l'empereur Jus tinien.qui Péleva au\
plus hautes dignités de l'État. Il fut fait successivement ma-
gister officiormn , qusestor sacri palatii et consul. Quoi-
que l'on connaisse peu les circonstances de la vie de Tribo-
nien, on sait qu'il se rendit odieux par ses vices, et qu'il
fallut le renvoyer à la suite d'une sédition populaire; néan-
moins, il sut bientôt ressaisir ses dignités. On prétend que
sa disgrâce eut lieu en 532. Trois ans auparavant , il avait,
par ordre de l'empereur, rédigé et refondu toutes les consti-
tutions impériales depuis Adrien ; et ce travail, dans lequel
il fut assisté par deux autres jurisconsultes, fut promulgué
avec le titre de Codex Justinianeus. Plus tard Justinien
intitula ce livre Constitittionum Codex. Tribonien eut aussi
part à la seconde entreprise , qui était bien plus vaste ; elle
avait un rapport plus direct avecla doctrine. Il s'agissait de
présenter sous forme d'analyse les opinions des anciens
jurisconsultes; il fallait parcourir plus de deux mille volumes.
Tribonien et ses seize collaborateurs y employèrent trois
ans, écartant ce qui était tombé en désuétude, conciliant les
décisions opposées , et formant ainsi un corps complet , mais
épuré, du droit pratique. Le nom de Pundectcs ou de Di-
geste fut donné à cette collection, qui parut en 533, d'où la
conclusion qu'il y a erreur de la part de ceux qui assignent
à l'année précédente la disgrâce de Tribonien; et de. ce mo-
ment toutes les décisions de jurisconsultes qui u'ava/ent
600
TRTBONÏEN — TRIBUN
pas trouvé place dans le Djpes^e perdirent leur autorité; on
défendit de le commenter, et on n'en permit que la simple
traduction en grec. Comme on y avait transcrit des extraits
de l'ancien droit, les monuments antérieurs de cette science
ne furent plus recherchés, et périrent. Du reste, Tribonien
ternit l'éclat de sa réputation par son avarice et par ses lâ-
ches flatteries. On l'a accusé d'avoir été païen , et même
athée, tandis qu'il feignait d'être chrétien; mais il se peut
que ce reproche soit injuste, quoiqu'on l'appuie de quelques
citations du Digeste. Tribonien mourut en l'année 545.
De Golbéry.
TRIBONIOIV. Le manteau des philosophes grecs n'était
pas différent du manteau ordinaire, mais il était usé et ras;
aussi l'appelait-on tribonion, d'un verbe grec qui signifie
usé o\\ râpé. Les philosophes le portaient ainsi par osten-
tation et pour faire parade de leur mépris pour le luxe; il
était de couleur noire ou brune et fort souvent déchiré.
Tel était celui de Dio gène.
TRIBORD, par opposition h bâbord, indique le côté
droit du navire dans le sens delà longueur. Ce rnot vient
de dextribord, bord de droite, dont on a (ait par contrac-
tion stribord, cou)nie on l'écrivait anciennement, et ensuite
tribord. Ces abréviations et ces sortes d'élisions, ou plutôt
d'euphonismes, sont choses communes dans le langage ma-
ritiine, et on s'étonne même que les marins n'aient pas cher-
ché plus généralement à simplifier et à eMp/ïonwer les termes
dont ils se servent. A la mer, tous les commandements de-
vraientêlrebrefset faciles, tant l'exécution doit être prompte,
et tant la promptitude est nécessaire.
Edouard Corbière.
TRIBOULET. Encore un dignitaire de la marotte, .m
fou appointé aux gages, un b o u f f on en titre d'office ( voyez
Fous DE Cour). Triboulet fut de la cour de Louis XII et
de François 1". Ayant dit que si Charles Quint était assez
insensé pour venir en France et se fier à un ennemi qu'il
avait si maltraité, il lui donnerait son bonnet, le roi lui
demanda ce qu'il ferait si l'empereur passait comme s'il
marcliait dans ses propres États. Alors Triboulet répondit :
« Site , en ce cas, je lui reprends mon bonnet, et vous en
fais présent. »
Triboulet était de Blois ou de Foix-lez-Blois. Son nom
signifiait, même avant qu'il le portât, un homme dont la
tête était dérangée. Malgré les bons mots que recueille Dreux
du Radier, il paraît que la sienne n'était pas des mieux ré-
glées. Dernier et Jean Marot le désignent comme un pauvre
hébété, que tourmentaient les pages, les laquais et les en-
fants , ce qui obligea le roi Louis XII à le mettre sons la
protection de Michel Le Yernoy , qu'il lui choisit pour gou-
verneur. C'était, au jugement de Pantagruel, un fol com-
plet emment fol ; et à celui de Bonavenlure des Périers, un
fol à 25 carats, dont les 1i font le tout. Rabelais, fai-
sant blasonner Triboulet par Pantagruel et Panurge, jette
de nouveau dans son livre une de ces longues séries de mots
qu'il affectionnait , et que l'ingénieux historien du Roi de
Bohême et de ses sept châteaux a imitées.
De Reiffenberg.
TRIBRAQUE. Voyez Pied (Prosodie).
TRIBU, du latin tribus, dérivé lui-même de très,
trois. Originairement on appelait ainsi à Rome les trois
grandes fractions de la population provenant de trois peu-
ples différents, à savoir les Latins, les Sabins et vraisem-
hUhlement les Étrusques, que Romulus avait réunis sous
ses lois et qui avaient formé le premier noyau de l'État ro-
main. Ces tribus, qui avaient chacune leur chef particulier
ou tribun, portaient les noms de Ramnes, Tities et Lu-
ceres , et comprenaient dans leurs sous-divisions les trente
curies et les gentes , le peuple des patriciens, investi de
droits politiques Cette division en tribus de races, en gentes,
ou fut complètement supprimée par la nouvelle répartition
en tribus ordonnée par Servius Tulfius, ou ne tarda pas à
tiimher eu désuétude. En effet , afin de réunir en un tout
toiupacte l'ensemble des populations fixées sur le sol ro-
main , les patriciens et les clients , ainsi que le nombre, tou-
jours plus considérable, de la plebs , Servius Tullius eut re-
cours à la division en centuries, qui les réunissait toutes,
et où elles parvinrent dans les comices à l'exercice des
droits politiques les plus étendus , jusque alors attribués
aux seuls patriciens, ainsi qu'à la division en tribus;
organisation dans laquelle le mot tribu, qui implique par
son étymologie un partage en trois , ne reçi<t prlus qu'une
signification générale. Ces tribus établies par Servius Tullius
avaient d'ailleurs pour base le sol même. Il partagea le terri-
toire de lavilleproprement dite, ceint par \& P omœrium,
en quatre tribus urbaines (urbanœ), et vraisemblablement
en vingt-six tribus rustiques (rusticce). Par la suite, en
l'an 507 avant notre ère, P or se un a enleva à Rome une
partie considérable de son territoire; et le nombre des tribus
se trouva alors réduit à vingt. De nouvelles conquêtes l'aug-
mentèrent ensuite successivement jusqu'à l'année 241, où
on en limita le nombre, qui était parvenu à trente-cinq. De-
puis lors toutes les fois qu'il y eut réunion avec l'État d'un
nouveau territoire situé en Italie, de telle sorte que ses
habitants fussent admis dans la cité (civitate), il fut adjoint
à une des anciennes tribus ; et on attribuait ainsi toujours
de nouveaux citoyens ( cives) aux anciennes tribus , attendu
que tout citoyen {civis) devait appartenir à l'une d'elles.
L'opinion de Niebuhr suivant laquelle les tribus ne renfer-
maient à l'origine que des plébéiens ne paraît pas fondée. A
ces détails, ainsi qu'au maintien du bon ordre, présidaient
des magistrats qui plus tard , tout au moins , portèrent le
nom de ciiratores tribuum, et auxquels étaient subordonnés
les administrateurs des petits districts, appelés vici à la ville
etpagi à la campagne. Les membres d'une tribu étaient
appelés tribales. Quand les tribuns du peuple voulaient
réunir la plebs en comices , ils profitaient à cet effet de la
division en tribus ; aussi ces comices prenaient-ils alors le
nom de comitia tributa. Les patriciens et les clients n'y
prirent part que plus tard , après l'établissement de la loi
des Douze Tables. En ce qui touche les votes , ce fut une
dangereuse mesure que celle qu'Appius Claudius, censeur
en l'an 310, fit adopter et en vertu de laquelle la masse du
bas peuple, notamment les affranchis, furent répartis entre
toutes les tribus , de telle sorte qu'ils purent partout exercer
de l'influence sur le résultat final des défibérations. Aussi
pendant la censure suivante , fonction à laquelle apparte-
nait le maintien de l'ordre intérieur des tribus , Fabius, l'an
304, les limila-t-il aux quatre tribus urbaines ( urbanee ),
dans lesquelles on s'efforça toujours de les conserver, et
qui par la suite jouirent de moins de considération que les
tribus rustiques ( rusticse), lesquelles contenaient surtout la
partie fixe , agricole et vigoureuse du peuple romain.
Le peuple, à Athènes, était divisé en dix tribus. Les
douze tribus d'Israël comprenaient tous les Juifs sortis
d'un des douze patriarches (voyez Israélites, Hébreux).
Dans le style de la chaire , la tribu sacrée, la tribu sainte,
se dit quelquefois de l'ordre ecclésiastique , par allusion à
la tribu de Lévi , qui était vouée au culte.
On désigne aussi par ce mot une peuplade, un petit peuple,
relativement à une grande nation dont il fait partie : une
tribu de Germains, de Tatars, de sauvages.
TRIBULE. Voyez Chausse-Trappe.
TRIBUiV, titre de divers magistrats civils ou militaires
chez les Romains. Les premiers qui en furent investis furent
ceux qui présidaient aux tribus. Sous les rois, le tribun
des célères était le commandant de la cavalerie ( tribunus
celerum). Il est en outre question de tribuni œrarii , tri-
buns du trésor, citoyens considérés , pris dans l'ordre des
plébéiens et élus par les tribus , qui à l'origine étaient chargés
du recouvrement de l'impôt (tributum) et de payer aux
soldats leur solde (ses tnilitare). Une loi rendue en l'an
70 av. J.-C. par le consul Aurelius Cotta ( Lex Aurélia)
leur fit partager avec le sénat et l'ordre équestre le droit de
juger. César les supprima, mais Auguste les rétablit. Les
tribuns militaires , au nombre de six dans chaque légion,
ÏBÎBUN
667
dont ils étaient les officiers supérieurs, et qui avec le pre-
mier centurion constituaient le conseil de guerre du général
en clief , commandaient à tour de rôle et deux à la fois la
légion pendant deux mois. A l'origine, ils étaient nommés
par les consuls seuls. En l'an 362 le peuple obtint le droit
d'en élire six, puis en 31 1 celui d'en élire seize, sur le nombre
total de vingt-quatre alors nécessaire pour les quatre légions.
Plus tard , quand le nombre des légions tut augmenté , le
peuple obtint le droit d'en élire vingt-quatre; les antres
étaient nommés par le sénat , aux termes d'une loi rendue
par Rutilius Rufus , d'où leur nom de Rufuli. Les tribuns
militaires investis de la puissance consulaire ( trilnnii mi-
litiim consulari potestate) constituaient la magistrature
suprême de la république établie en l'an 444 av. J.-C, et
à laquelle les plébéiens turent aussi admis. Leur nombre lut
d'abord de trois, |)uis de quatre et enlin de six. Il arrivait
souvent qu'on y substituait des consuls ; et la loi licinienne,
qui permit aux plébéiens d'obtenir le consulat , décida qu'à
l'avenir il ne serait plus élu de tribuns de cette espèce au
lieu de consuls. Sur la (in de rem|)ire un magistrat spécial
(ut chargé de présider aux divertisseinenls publics sous le
titre de tribunus voluptatum ; mais de tous les tribuns
ceux qui jouèrent le rôle le plus important furent les tribuns
du peuple.
Ces magistrats plébéiens (tribimi plebis) furent créés
l'an 260 de la fondation de Rome ( 492 av. J.-C), lorsque
le peuple, lassé de la tyrannie des patriciens et de la bar-
barie des créanciers, qui tous appartenaient à cet ordre , se
retira sur le mont Sacré, à trois milles de Rome. Les plé-
béiens refusèrent de rentrer dans Rome s'il ne leur était per-
mis d'élire parmi eux des tribuns qui les protégeassent.
Sans aucun insigne, n'ayant pour les assister qu'un humble
employé nommé viator (piéton, coureur), les tribuns n'eu-
rent d'abord que des attributions bien modestes. Assis à la
porte du sénat, ils en écoutaient les délibéraliflns, sans pou-
voir y prendre part : ils n'avaient aucune fonction active;
tout leur pouvoir était dans un mot : Veto (je m'oppose).
Avec celle unique parole, dit M. Miclielet, ils arrêtaient
tout. Le tribun n'était que l'organe, la voix négative de la
liberté; mais cette voix était sainte et sacrée. Quiconque
mettait la main sur un tribun était dévoué aux dieux : Sucer
esto ! Armés de cette inviolabilité et du droit imprescriptible
de résistance légale aux sentences de tous les magistrats
les tribuns, créés uniquement pour protéger, ne se bornè-
rent pas longtemps à ce rôle passif. Dès la première année
la loi qui défendait d'interrompre un tribun parlant dans
l'assemblée du peuple, le droit que s'arrogèieut les tribuns
de convoquer les comices par tribus, de faire rendre au peu-
ple desja^fiôisc lies rivaux des sénatus c on su l les,
enfin déjuger les patriciens, attestèrent la ra|ii<litédes progrès
du pouvoir nouveau. Bientôt la loi agraire, consistant à dis-
tribuer au peu|)le les terres conquises , devient entre les
mains des tribuns comme un épouvantait pour les patriciens,
qui ne se lassent pas de la repousser, parce qu'ils y voient
un élément d'égalité entre les deux ordres. Au milieu des
débats qui s'élèvent à ce sujet, le collège des tribuns est
porté à dix membres. Le sénat espère en vain les diviser :
tous jurent de n'avoir en public jamais qu'un seul avis.
Bi-entôt Icilius ac(piiert pour le tribunat le droit de convo-
quer le sénat : ce (ut le destin de Rome que l'oppression pa-
tricienne y fît triompher la liberté. Après l'expulsion des
d écemvi rs , l'autorité tribuniiienneprit un nouvel essor;
les consuls, venant en quelque sorte en aide aux tribuns
(car les plus forts ne manquent jamais d'auxiliaires), cri-
gèrenlles plébiscitesen lois de l'État, et interdirent pour l'a-
venir toute magistrature indépendante de l'appel au peuple
(en 449 av. J. C). Quatre ans après, les tribuns renversent
Is dernière barrière qui sépare les deux ordres, en autori-
sant les mariages entre les membres des familles patriciennes
et ceux des familles plébéiennes; enfin, en demandant, en
outre, la participation des plébéiens au consulat. Ici se place
rinstilntion des tribuns militaires, cum consulari potes-
tate; il en est question au commencement de cet article. C'é»
tait un terme moyen, que l'orgueil patricien aux abois voulait
opposer à ce progrès décisif de l'égalité. Il en fut de ce milieu
comme de tous les autres: il ne fit que reculer la difficulté
pour jeter Rome dans des troubles durant lesquels les tri-
buns du peuple s'a[)posèrent pendant cinq ans à l'élection
de toute magistrature, et restèrent les arbitres de la répu-
blique. Le moment vint enfin où le consulat fut dévolu aux
plébéiens tout comme aux patriciens ; avec cela , grâce aux
tribuns Licinius, Stolon et L. Sextius, le peuple obtint la
diminution des dettes et une nouvelle loi agraire, en vertu
de laquelle il était défendu de posséder au tlelà de 500 ar-
pents de terre (375 av. J.-C). Les tribims n'étaient pas
hommes à s'arrêter; aussi, l'an de Rome 297 (356 av. J.-C)
un plébéien (C. Marcius Rustilus) obtint la dictature ; cinq
ans après il devint censeur; enfin, vingt-deux ans après
le plébéien Publilius Philo fut décoré de la préture ( 337
avant J.-C. ). Les tribuns avaient tout obteim:, il ne leur
restait qu'à conserver; et pour un plébéien le tribunal
devint désormais le premier échelon vers les plus hautes
dignités de la république : enfin , la loi Atinienne ordonna
que ceux qui auraient été tribuns seraient nommés sénateurs,
en l'an de Rome 621 (132 av. J.-C).
Les tribuns entraient en exercice le 10 décembre, vingt
jours avant l'entrée en charge des consuls de l'année sui-
vante. Leur autorité ne pouvait s'étendre au delà d'un mille
des murs de Rome, à moins qu'ils ne tus.sent chargés par le
sénat et le peuple d'une mission spéciale. 11 ne leur était pas
permis de passer les nuits à la campagne ni d'être plus
d'un jour hors de la ville.
Les conquêtes des tribuns avaient rétabli l'équilibre dans
toutes les parties de l'État; et la république fut quelque
temps gouvernée paisiblement et avec modération (placide
modesleque); mais à la faveur des guerres perpétuelles,
qui étendirent la domination de Rome en Espagne , en
Grèce, en Asie , en Alriqiie, l'autorité du .sénat .s'éleva sans
contre-poids au-dessus de tous les pouvoirs de l'État. Le
peuple perdit par désuétude une partie des droits que les
tribuns lui avaient jadis fait obtenir. Tiberius et C. Gra c-
chus (133-122 av. J.-C.) entreprirent courageu.sement
d'améliorer la situation de ces classes infortunées : ils
agirent avec trop de précipitation ; et n'étant pas secondés
par le peuple , ils restèrent seuls exposés à la fureur de
leurs ennemis, et payèrent tous deux de leur sang leur no-
ble erreur. Secondé par le tribim Apuleius Satuininirs, Ma-
riirs fut le vengeur des Gracijues ; mais l'odieux usage qu'il
fit de la victoire ménagea le triomphe deSylla, qui anéantit
rinfiuence tribunilienne en abolissant l'appel au peuple, en
ôlant la puissance législative aux tribuns, pour ne leur lais-
ser que leur droit d'opposition. Enfin, il décréta que les ci-
toyens qui auraient été tribims ne pourraient plus à l'avenir
parvenir- à aucune magistrature. Après la mortde Sylla, cette
loi injuste fut abolie; et déjà, par la force des choses, les
tribus avaient recouvré une partie de lein- autorité, lorsque
Pompée, dans son consulat (an de Rome 683, 70 av.
J.-C ), leur rendit toutes leurs prérogatives. La républicpic
marchait rapidement vers sa décadence :1e désordre, l'a-
narchie, la corruption régnaient dans Rome. Ces tribuns
ne furent plus désormais que des démagogues aux gages du
premier chef de parti. Soutenus par une popidace merce-
naire, ils décidaient tout par la force; ils faisaient et annu-
laient les lois. On sait que les plébéiens seuls pouvaient
être tribuns du peuple. Ce fut à cette époque que le descen-
dant d'Appius Claudius, famille si constamment impopulaire
et toujours si (ière de son impopularité, descendit par adop-
tion dans une maison plébéienne, et obtint le tribunat
pour servir la haine de César et des mauvais citoyens contre
(jicéron. César, devenu maître de la république par la force
des armes, réduisit à un vain titre l'autorité à laquelle il
devait sa puissance , et déposséda à son gré les tribuns de
leur charge. Auguste se fit attribuer par un décret du sénat
la puissance tribunitienne pour la vie. On ne perdit ccpen-
668
TRIBUN
dant point l'usage d'élire des tribuns, quoiqu'ils ne retins-
sent qu'une vaine ombre de leur ancienne puissance. On
croit généralement que Constantin les abolit. Il n'y eut
plus dès lors, soit à Rome, soit à Constantinople , d'autre
tribun que l'officier préposé aux divertissements du peuple,
et qui portait le titre de tribunus voluptatiim. Enfin, au
quatorzième siècle, lorsque Rienzi s'arrogea le gouverne-
ment de Rome, il prit le titre de ^riôwn , toujours cher au
peuple. Charles Du Rozoir.
TRIBUiVAL,TRIBUNAUX.Lemoti!nÔMnaiestlemême
que le mot tribune, qne le Dictionnaire de V Académie
définit : « Lieu élevé d'où les dateurs grecs et romains ha-
ranguaient le peuple. » C'est le lieu élevé d'où le juge rend
Ja justice au peuple, et par extension il s'applique au juge
lui-même et à sa juridiction. Les tribunaux comprennent
aussi toute l'organisation judiciaire d'un État. Ce-
pendant, la dénomination de tribunal est plus spécialement
consacrée pour désigner les juridictions inférieures du pre-
mier degré; pour les autres, on se sert du mot cour. Il
ne s'emploie pas non plus pour la juridiction admini.stra-
tive, qui admet plus volontiers le mot co n s et Z. C'est
également le mot conseil qui est en usage pour désigner
les tribunaux militaires (voyez Co.\seils de Guerre). Le
mot tribunal est donc réservé pour les juridictions infé-
rieures, qui connaissent en premier ressort à charge d'appel ,
ou en dernier ressort, sans appel, des affaires civiles ou
commerciales et des causes de police ou du petit criminel,
car la répression des crimes qui constituent le grand cri-
minel appartient à une juridiction supérieure connue sous
le nom tle C02ir d' as sises. Il ne reste donc comme tribu-
naux proprement dits que les tribunaux de paix ( voyez
Justice de Paix), les tribunaux civils de première in-
stance, les tribunaux de commerce, les tribunaux de
simple police et les tribunaux de police correction-
nelle.
ht?, tribunaux civils de première instance co\\?,i\\\xtn\.
la juridiction établie dans chaque arrondissement communal
pour connaître de toutes les alfaires civiles , à l'exception
de celles qui sont spécialement attribuées à d'autres tribu-
naux. Ils ont ainsi la compétence générale, et ce sont eux
qui connaissent également de toutes les affaires correction-
nelles, la chambre dite correctionnelle n'étant qu'un dé-
membrement du tribunal civil.
Les tribunaux de commerce sont des tribunaux d'excep-
tion institués pour la prompte solution des affaires com-
merciales, lesquelles exigent parfois des notions spéciales
que les juges ordinaires ne peuvent pas avoir {voyez Com-
merce [Tribunaux de]).
Les tribunaux de simple police forment le premier éche-
ion dans l'organisation des tribunaux, criminels, en prenant
ce terme dans son sens le plus large. Ils se composent
d'un seul juge, qui est soit le juge de paix du canton, soit
le maire de la commune , car tous deux exercent à cet
égard la même juridiction. Les contraventions de police qu'ils
sont appelés à réprimer sont énuméroes avec le plus grand
soin dans la dernière partie du Code Pénal, art. 464 à 483.
Les tribunaux de police correctionnelle , que l'on
nomme plus ordinairement tribunaux correctionnels,
ne sont qu'un démembrement du tribunal civil; c'est la
chambre de ce tribunal chargée de prononcer sur les af-
faires du petit criminel. Elle connaît également, par voie
d'appel, des jugements rendus par le tribunal desimpie po-
lice; mais son institution propre a pour objet la répression
des. délits qui entraînent l'application d'une peine excé-
dant cinq jours d'emprisonnement. Ils connaissent en outre
de tous les délits forestiers qui sont poursuivis à la requête
de l'administration. Les jugements qu'ils rendent sur appel
de simple police ne peuvent être altaqués que par le re-
cours en cassation , mais ceux qu'ils rendent en premier
ressort, en matière de police correctionnelle, peuvent être
dénoncés, par voie d'appel, aux cours impériales, qui
ont une chambre con.sacrée à juger ces matières , sous le
TRIBUNAUX
titre de chambre des appels de police correctionnelle.
TRIBUNAL DESMARÉCHAUX DE FRANCE.
Indépendamment de la juridiction spéciale que les maré-
chaux de France exerçaient autrefois , sous la dénomina-
tion de conn établie ou de maréchaussée sur les
gens d'armes ainsi que sur tout ce qui avait directement
ou indirectement trait à la guerre, et plus tard môme
sur certaines classes non militaires, ils avaient un tri-
bunal particulier, qui se tenait chez le plus ancien d'entre
eux, et où ils connais.saient par eux-mêmes, et sans appel,
des différends qui survenaient entre gentilshommes et
autres faisant profession des armes pour raison de point
d'honneur. On ne saurait disconvenir, puisque la manie du
duel paraît incurable chez nous , que l'existence de tribu-
naux de ce genre était utile. Les bretteurs et les spadassins
de profession se trouvaient ainsi bientôt mis à Yindex ; et
l'honneur outragé ne recourait à la terrible extrémité du
duel qu'après que des juges impartiaux et de sang-froid en
avaient reconnu l'indispensable nécessité.
TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE. Voyez Ré-
volutionnaire ( Tribunal ).
TRIBUNAT. En vertu de la constitution de l'an viii,
le tribunat devint une des deux branches du pouvoir légis-
latif ; il était composé de cent membres élus par le sénat,
âgés de vingt-cinq ans au moins, qui devaient être renou-
velés tous les ans, et indéfiniment rééligibles. Ils jouissaient
d'un traitement de 18 fr. par jour. Le Palais-Royal , alors
appelé Pa\ah-Égalité, fut affecté au tribunat. Ses attributions
consistaient à voter ou à rejeter après discussion les projets
do loi que le corps législatif était destiné à voter sans dis-
cussion. Le tribunat entra en fonctions le 1" janvier 1801.
Bien que ce fût plutôt un corps consultatif qu'un corps
politique, le premier consul redouta toujours son opposition.
On y vit briller quelques étincelles de liberté, particulière-
ment dans la discussion du projet de loi relatif à la for-
mation des tribunaux criminels spéciaux dans les départe-
ments, qui ne passa qu'à une majorité de 49 voix contre 40.
Le premier consul révéla ses vues despotiques en se per-
mettant de faire altérer dans son Moniteur officiel les gé-
néreuses opinions de Daunou et de Ginguené. Ce (ut égale-
ment à une faible majorité que le tribunat vota l'institution
toute monarchique de la Légion d'Honneur. Après avoir
volé le consulat à vie pour Bonaparte, les tribuns reçurent
pour récompense le sénatus-cousulte qui réduisait leur
nombre à cinquante membres. Ce fut le tribun Curée qui
fit la première motion pour l'établissement du gouvernement
imj)érial. Cette assemblée, grâce à l'élimination descinqnante,
était veuve de la courageuse éloquence des Daunou, des
Chénie r, des Ginguené et des Benjamin-Constant.
La proposition de Curée fut adoptée aussitôt, et, contre l'u-
sage, signée de tous les membres, à l'exception de Carnot,
qui seul avait osé la combattre. Dès lors le tribunat, comme
le sénat romain sous les empereurs, ne lit plus que courir
au-devant de la servitude. En 1807 ce fut avec des accla-
mations unanimes qu'il reçut le sénatus-consulte qui le sup-
primait. En poussant ces abjectes clameurs, le tribunat se
rendait justice. Ce nom d'une magistrature libre et populaire
attribué à un corps si servile était une injure flagrante à la
liberté. Charles du Rozoir.
TRIBUNAUX DE COMMERCE. Voyez Commerce
(Tribunaux de).
TRIBUNAUX D'EXCEPTION. Voyez Exceptiom (Tri-
bunal d').
TRIBUNAUX DE POLICE CORRECTIONNELLE ou
TRIBUNAUX CORRECTIONNELS. Voyez Police correc-
tionnelle (Tribunal de).
TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE. VoyezTm-
BUNAL, Tribunaux.
TRI BUNAUX DE SIMPLE POLICE. Foj/es Tribunal,
Tribunaux.
TRIBUNAUX ECCLÉSIASTIQUES. Voyez Ecclésias-
tique (Juridiction).
TRIBUNAUX —
TRIBUNAUX MARITIMES. Voijez Maritimes (Tri-
bunaux).
TRI BUlVAUXMILlTAlRES.Foyes Conseil deGuerre.
TRIBUNAUX SECRETS. Foye:; InquisitiolN et Veiimi-
QUE8 (Cours).
TRIBUNE, autre royauté qui a fait son temps! Napo-
léon en 1814, dans un instant de causerie sr7?î5ye/ie avec une
grande dépntation de son corps législatif, définissait le trône
quatre morceaux de bols recouverts de velours; montrant
par là qu'il savait aussi bien que personne à quoi s'en tenir
sur la nature de l'autorité des empereurs et des rois, et qu'il
ne se faisait pas le moins du monde illusion sur la valeur
réelle du fauteuil doré que ses llatteurs déclaraient être le
gage du bonheur et de la prospérité du peuple français.
Apportons la môme franchise dans la définition de la tri-
bune, aujourd'hui muette, et avouons que s'il a été possible
de la condamner au silence, c'est que depuis longtemps elle
n'était plus qu'une estrade où trop de bateleurs politiques
venaient impunément débiter les impertinences les moins
amusantes et les blagues les plus niaises. Le régime cons-
titutionnel , sous les deux branclies de la maison de Bourbon ,
et le régime républicain, furent le règne de la tribune; mais
la tribune a péri précisément à cause de ce qu'elle avait
de faux et d'essentiellement théâtral. A qui apprendrons-
nous en effet que les plus beaux succès qui s'y obtenaient
n'étaient guère que des succès de mnémotechnie, et que s'il
y avait eu lieu de décerner des récompenses aux plus habiles
d'entre les jouteurs qui s'y disputaient les applaudissements
du parterre, tant en dedans qu'au dehors, ç'auraient été
tout au plus des prix de mémoire? Ce?> législateurs si fiers
de leur éloquence, si pleins de leur importance, setaient
d'ailleurs laissé détrôner par \e journal, dont l'iulluence sur
la direction des idées est de nos jours mille fois plus réelle
que celle de la tribune. Comment la tribune n'eût-elle pas
été vaincue par lajoiirnal? Ne dépendait-il pas de celui-ci de
ttiire complètement les paroles sages, utiles, qui pouvaient
par hasard s'y prononcer, de faire comme si elles n'avaient
jamais été dites , ou encore de les défigurer de la manière
la plus perfide? L'orateur a eu d'ailleurs ses jours de gloire et
de puissance. C'était alors qu'on n'était pas familiarisé avec les
ficelles de la tribune, qu'on croyait encore aux grands é'Jats
de voix, aux roulements d'yeux, aux mouvements télégra-
phiques des bras et aux poses de gladiateur ; mais le charme
s'évanouit une fois qu'on sut que le plus graml nombre des
parleurs en apparence les plus prime-sautiers ne faisaient
que réciter à la tribune des discours déjà débités à diverses
reprises devant une psyché afin de bien combiner les effets
mimiques avec les eftets oratoires. Peut-être la tribune exis-
terait-elle encore aujourd'hui, et avec elle le gouvernement
constitutionnel , si quelque député avait eu le courage de
reproduire pour son compte , et la chambre le bon sens
d'adopter, la fameuse Hio/ion du sablier, sauf à porter à
dix minutes au lieu de cinq le temps le plus long accordé
à un orateur pour entretenir l'assemblée.
TRIBUNOLS. Voijez Écriture.
TRIBUNS DU PEUPLE, TRIBUNS MILITAIRES.
Voyez Tribdn.
TRIBUT (du latin tributum), imposition en argent, en
denrées, en bétail, qu'un État, un peuple, paye au souve-
rain , au gouvernement ou au chef d'un autre État , d'un
autre peuple, ou que des sujets payent à leur propre souve-
rain , à leur propre chef, à leur propre gouvernement. Le
tribut est presque toujours imposé par le droit de conquête
ou comme un hommage au plus fort rendu par le plus
faible : il est totijours un signe de soumission à ime autorité
dont on reconnaît la supériorité. Tribut est quelquefois
synonyme de contribution de guerre. Dans les idées ac-
tuelles de la civilisation européenne, le tribut ne saurait
être confondu avec les mots contribution, impôt.
On dit aussi qu'un pays est tributaire d'un autre pour
tel ou tel objet nécessaire à sa consommation ou à ses be-
Boins, quand il ne trouve ces objets ni dans son sein ni dans
TRICLINIUM 669
aucun autre pays. C'est ainsi que l'Angleterre est tributaire
de plusieurs contrées pour le vin, que la France a été trop
longtemps tributaire de l'Amérique pour le sucre , etc.
Chez les Romains lie tribut était souvent ce que sont
chez les nations modernes les contributions, les impôts, les
redevances foncières.
TRIBUTAIRES (Terres). Tous les monuments attes-
tent l'existence de terres tributaires sous les Mérovingiens et
les Carlovingiens. Il ne faut pas entendre par là des terres
qui payaient un impôt public, mais des terres assujetties en-
vers un supérieur à une redevance, à un tribut ou cens , et
dont celui qui les cultivait ne possédait point la pleine et libre
propriété. Quand les Lombards envahirent l'Italie, ils se
contentèrent d'abord d'exiger en denrées le tiers des revenus
du pays, c'est-à-dire de faire passer toutes les propriétés
territoriales dans la condition tributaire. Cette stipulation
primitive et générale ne se retrouve point ailleurs ; mais le
fait dut être partout à peu près le même. Là où s'établit un
chef barbare avec ses compagnons, la plupart des anciens
cultivateurs qui ne furent pas exterminés , ou expulsés, ou
réduits à la servitude domestique , devinrent tributaires.
Les mêmescauses qui tendaient à détruire les a 1 1 eu x ou
aies convertir en bé né fi ces agissaient avec bien plus
d'énergie pour accroître le nombre des terres tributaires.
Comme la puissance publique était hors d'état de protéger
les droits des faibles, ilsvenaient eux-mêmes en abdiquer
volontairement une partie pour assurera ce qui leur restait
quelque protection individuelle. Ils se présentaient devant
leur redoutable voisin , tenant à la main non-seulement un
rameau ou une toufle de gazon , mais les cheveux du devant
de la tête, et lui soumettaient ainsi leur personne et leurs
propiiétés. Enfin, beaucoup de grands propriétaires, indé-
pendamment des concessions qu'ils faisaient, à titre de bé-
néfices, aux hommes qu'ils voulaient s'attacher comme
vassaux , distribuèrent une grande partie de leurs terres à
de simples colons , qui les cultivaient et y vivaient à charge
d'un cens ou dautres servitudes. Cette distribution se iit
sous une multitude de formes et de conditions diverses : les
colons étaient tantôt des hommes libres , tantôt de vérita-
bles serfs, souvent de simples fermiers, souvent des pos-
sesseurs investis d'im droit héréditaire à la culture des
champs qu'ils faisaient valoir. De là cette variété de noms
sous lesquels sont désignées dans les actes anciens les
métairies exploitées à des titres et selon des modes diffé-
rents; de là aussi, en partie du moins, le nombre et l'infinie
diversité des redevances et des droits connus plus tard
sous le nom àa féodaux. Tout donne lieu de croire qu'à la
fin du dixième siècle la plupart des cultivateurs exploitaient
des terres tributaires : indépendamment d'une foule de té-
moignages historiques ou légaux qui l'attestent , la concen-
tration progressive de la propriété foncière ne permet guère
d'en douter. F. GurzOT, de l'Académie Française.
TRICLINIUM. C'était, dans une habitation romaine,
le nom de la salle à manger. Il était dérivé de l'usage où
étaient les Romains de ne placer que trois lits autour d'une
table et de laisser le quatrième côté vide pour le service.
Ces lits mêmes portaient aussi le nom de triclinium , et eu
général trois personnes seulement pouvaient y prendre place.
Les plus grands ne contenaient guère plus de quatre con-
vives , les Romains n'aimant pas être plus de douze à table.
Les nombres impairs de trois, sept et neuf , étaient ceux
qui leur plaisaient le plus. La place ordinaire du maître de
la maison était sur le lit à droite, au bout de la table. De
cet endroit il jugeait d'un coupd'œil l'ensemble du service
et pouvait facilement donner ses ordres aux esclaves. Il ré-
servait au-dessus de lui une place pour un de ses conviés,
et une au-dessous pour sa femme ou quelque parent.
La place d'honneur, dite aussi consulaire , parce que
c'était celle qu'on offrait toujours à un consul quand il ve-
nait manger chez quelque ami, était la dernière sur le lit
du milieu , attendu qu'on y était plus libre, si on avait be-
soin de momentanément quitter la salle à manger ou s'il
6Î0
TRICLINIUM — TRIÊSTE
survenait quelqu'un avec qui on edi à parler d'affaires. Le
lit placé au bout , à droite , venait ensuite; celui du bout à
gauclie était regardé comme moins bonorable.
MiLLiN, de l'iDstitut.
TRICOT. L'art de former des étoffes d'un seul fil, com-
posées de mailles groupées au moyen de simples baguettes
de bois on de métal, ne fut trouvé que vers la tin du quinzième
siècle : ces tissus, généralement plus ou moins épais , lurent
appelés tricots parce qu'ils imitaient une étoffe grossière ,
qui se fabriquait en fils croisés dans le bourg de Tricot ,
département de l'Aisne, sur la route de Paris (voyez, Bas ).
TRICOTEUSES. Voyez Gouges (Olympe de).
TRICTRAC. Ce jeu, connu des Grecs et des Romains,
et universellement adopté par tous les peuples modernes,
tire son nom d'une onomatopée. Le mot trictrac rend
assez bien le bruit que font les deux dés agités dans un
cornet. En anglais on l'appelle back-gammon , en allemand
bretspiel, c'est- à-dire jtwrfe tables, en italien tavoliere ,
en espagnol tablas reaies, et en portugais jogo de tabolas.
Le tablier du trictrac consiste en deux grands compartiments
carrés , séparés par une cloison moins haute que les bords. •
De chaque côté des bords sont douze petits trous garnis
d'ivoire pour marquer le gain de douze points successifs.
Ces points ont été d'abord comptés au milieu du tablier, à j
l'aide de trois jetons. Vingt-quatre flèches de deux couleurs , j
par exemple blanche et verte, sont incrustées sur le fond
noir du tablier : elles sont opposées pointe à pointe. Chaque
joueur a douze dames d'ivoire, d'un blanc éclatant pour J
l'un, d'ébène ou d'ivoire peint, soit en bleu, soit en vert,
pour l'autre. Elles sont d'abord empilées à la gauche du
joueur ; elles descendent une à une ou deux à deux à chaque
coup de dé , et selon des règles tellement combinées , qu'en
obéissant à la loi intlexibledu hasard le joueur trouve en-
core un vaste champ laisse à son libre arbitre. Si , par
exemple , les dés ont amené cinq et six, on a la faculté d'à- ,
battre du bois , c'est-à-diie de placer deux dames sur les ',
flèches correspondant aux numéros 5 et 6, ou d'abattre une
seule dame sur le numéro il, ou enfin d'avancer dans la
même progression une ou deux dames déjà casées. On peut,
dans certains cas, empiéter sur le jeu de son adversaire,
ou , lorsque le jeu est plein , revenir entièrement sur ses
pas : c'est ( e qu'on appelle s'en aller.
Les doublets jouent un grand rôle au trictrac; à l'excep-
tion du double deux, qui est resté innommé, on y a attaché
des dénominations plus ou moins bizarres. Le double as se
nomme beset , le double trois terne, le double quatre carme,
le double cinq quine, le double six sonnex.
Nous ne connaissons point de jeu plus fécond en termes
techniques , les noms de grand jan , de petit jan , de
contre-jan, de jan de retour, de jan de méréas , etc.,
donnés aux coups principaux du trictrac, semblent indiquer
que les lioinains avaient placé ce jeu sous la protection de
Janus , à moins que l'on ne fasse dériver tout simplement
ce mot de janua ou porte , à cause des deux battants dont
se composait le trictrac avant que l'on eût songé à en faire
un meuble qui n'est pas dépourvu d'élégance. Chez les Ro-
mains , le trictrac se jouait avec douze flèches de chaque
côté , et douze dames ; il y avait de plus une diagonale ap-
pelée ligne sacrée {[inea sacra), que les modernes ont
supprimée. Une des expressions les plus usitées au trictrac
est passée dans le style noble : c'est celle d'école, donnée
à toute espèce de faute, et en particulier à l'oubli que fait le
i«ieur de marquer d'avance les points qu'il aurait dû gagner :
c'est alors son adversaire qui les compte. On appelle bre-
douille l'action de gagner successivement plusieurs points
ou plusieurs trous sans que l'antagoniste ait rien compté;
mais ici ne se présente aucune analogie avec l'expression
bredouiller. Un voliune ne suffirait pas pour expliquer
les règles variées du trictrac, les tarifs des coups, et surtout
les innombrables combinaisons que des chances extraordi-
naires révèlent parfois au génie des amateurs. Bbeton.
TRIDACE ou THRIDACE, genre de la famille des com-
posées, formé par Linné pour une plante herbacée, couchée,
hérissée, indigène de l'Amérique tropicale, et dont les
capitules sont solitaires , à disque jaune et rayon pâle.
TRIDACNE, genre de mollusques acéphales, séparé
des hippones par Lamarck. La coquille des tridacnes est
épaisse, très-solide, assez grossière, irrégulière , triangu-
laire , plus ou moins inéquilatérale et placée sur le côté de
l'animal , de manière que son dos correspond au bord libre
des valves ; ce qui le met dans une position renversée re-
lativement à la coquille, partimlarité extrêmement curieuse.
Les tridacnes vivent fixés aux rochers qui bordent les ri-
vages au moyen de leur byssus , dont la force est si grande
qu'on est quelquefois obligé d'employer le marteau et les
ciseaux pour enlever ces animaux. Les tridacnes atteignent
une taille considérable; ce sont les plus grandes coquilles
que l'on connaisse jusqu'à présent. On les emploie souvent
comme bénitiers dans les églises catholiques. On ne connaît
encore qu'un bien petit nombre d'espèces de tridacnes.
Toutes sont marines et habitent les régions intertropicales.
Leur couleur est généralement blanche ou jaunâtre. L'espèce
la plus anciennement connue , et qu'on peut regarder comme
type dn genre, est le Bénitier, qui vient de l'océan Indien.
TRIDENT, sceptre à trois pointes ou fourche à trois
dents, que les anciens donnaient pour symbole ou pour at-
tribut à Neptune. C'était un harpo n , dont on faisait usage
en mer pour piquer les gros poissons, et du même genre que
ceux qui servent encore aujourd'hui à la pêche dans les pa-
rages de l'Archipel.
TRIDI. Voyez Calendrier républicain.
TRIESTE , la plus importante des villes maritimes et
commerçantes de la monarchie autrichienne et, aprèsHa m -
bonrg, de l'Allemagne, port franc, jusqu'en 1849 chef-lieu
du gouvernement de Trieste, dans le royaumed'll ly rie, mais
érigée depuis en ville immédiate de l'empire (d'Autriche),
avec un territoire indépendant d'une superficie d'environ 12
kilomètres carrés (comprenant une ville et vingt-quatre vil-
lages, avec une populationdontle chiffre total en 1853 était de
94,27C habitants). Elle est le siège du gouverneur et du tri-
bunal supérieur pour Trieste et l'istrie , du commandant
supérieur de la marine impériale, d'un évoque, d'un tribu-
nal de première instance , du commandant militaire du lit-
toral, d'un tribunal de commerce et d'un tribunal maritime,
et d'une chambre du commerce et de l'industrie. La ville
est admirablement située , sur deux collines qui se touchent
et entourées d'une verdure perpétuelle, sur un golfe de la
mer Adriatique, auquel elle donne son nom, et reliée à
Vienne par un chemin de fer. C'est une cité ouverte, com-
plètement italienne, divisée en vieille ville, ville neuve
ou Theresienstadt, Josephstadt (quartier de construction
toute récente) et F?'a«sen5i;or5tod. On y compte 31 places
et 217 rues. La vieille ville , située sur le Schlossberg et
protégée par un vieux château fort, a beaucoup de rues
étroites et tortueuses, notamment dans l'ancienne Ju-
denstadt (ville des juifs), mais plusieurs belles places,
entre autres la Piazza Grande et la Place du Théâtre. Les
édifices les plus remarquables de ce quartier sont l'hôtel de
ville et la Grand'Garde, le Bureau de police et la Losanda
Grande ( hôtel et café), la vieille église Saint-Pierre, la cathé-
drale et le monument élevé à la mémoire de l'archéologue
Winckelmann, assassiné dans la Losanda Grande, en 1788,
œuvre de Rosetti ; l'église des jésuites, les églises réformées
et luthériennes ; deux synagogues dans la Judenstadt, le
théâtre pbilodramatique , et la grande salle d'opéra, cons-
truite en 1806, servant en même temps de salle de bal, et
contenant un café et plusieurs boutiques. La ville neuve forme
un carré régulier, s'étend jusqu'aux bords delà mer, est régu-
lièrement construite , comprend plusieurs grandes places
(entre autres la place de la Bourse, ornée de la statue de
l'empereur Léopold \", la place du Pont-Rouge, avec une
belle fontaine, la place Saint- Jean, etc.), de larges rues,
bien pavées , et le grand canal qui avec le Pont-Rouge
TRIESTE —
( Ponte Bosso) offre un magnifique point de vue; une
foule de belles habitations , entre autres le palais Carcioli
itiVhâtel de laville&mleqrm. En fait d'édilices publics, on
y remarque la nouvelle Bourse ou Tergesteum , siège du
Lloyd Autrichien, avec des salons de lecture où l'on
trouve plus de 250 journaux ; la vieille Bourse, qui est moins
fréquentée, mais qui n'en est pas moins un des édifices les
plus remarquables de Trieste, ornée de statues et de colon-
nes, avec une terrasse d'où l'on jouit d'une vue magnifique
sur le port et la mer ; le grand bâtiment de la douane, la poste,
l'église San-Antonio, consacrée en 1849 , et les belles églises
des Grecs d'Orient et d'Illy rie. Dans la Josephstadt règne une
animation extrême , par suite du voisinage de la mer et des
places de débarquement. Le port de Trieste offre aux navi-
gateurs une entrée large et facile, que ne gêne aucune île,
aucun banc de sable, et il est assez profond pour recevoir
les plus grands bâtiments de guerre ; son seul inconvénient
est de ne pasêtre complètement à l'abri des tempêtes. Le bras
droit du port, le Molo vecchiodi Santa-Teresa, passe pour
un chef-d'œuvre d'architecture militaire. En face se trouve
l'établissement de la Quarantaine, avec un petit port parti-
culier. Il y a aussi un port à part , le Mandracliio , pour
les navires d'un faible tonnage, et enfermé par les batteries
de la ville. C'est du port que part le grand canal dont il a été
question plus haut, et qui pénètre dans la ville neuve. Là
viennent en toute sûreté s'amarrer les grands navires
du commerce. 11 faut encore mentionner le Môle neuf,
près du phare, avec une forte batterie ; le nouveau phare,
éclairé au gaz, et l'embarcadère du chemin de fer, dont la
construction fut commencée en 1850. En fait d'antiquités
romaines , nous citerons les débris d'un amphithéâtre, un
aqueduc parfaitement conservé, et une vieille porte de
ville , appelée Arco Ricardo. La population dépasse au-
jourd'hui le chiffre de 80,0.00 âmes. En 1850 on ne comp-
tait encore que 03,931 habitants, et en 1846 que 53,310.11
y a un siècle, en 1758, le nombre n'en était que de 6,424,
et celui des maisons ne s'élevait qu'à 620. L'élément italien, in-
cessamment accru par des immigrations de Lombards et de
Vénitiens, est celui qui domine dans celle population. La
nationalité allemandeest surtout représentée par la garnison,
par les fonctionnaires publics et par une [lartie du com-
merce. On ne saurait d'ailleurs méconnaître des traits orien-
taux et slaves dans la physionomie de Trieste. On y compte
plus de 3,000 juifs , un grand nombre de Grecs, d'Armé-
niens , etc. Il y a à Trieste une foule d'écoles en tous
genres , un observatoire nautique , une bibliothèque pu-
blique, un musée d'antiq uités, appelé Musée Winckelmann,
un établissement zoolique et zoologique, la division lit-
téraire du Lloyd Autrichien , une association pour des
cours de botanique et de physique, le cabinet de la Minerva
avec une bibliothèque, un grand nombre d'hôpitaux et d'é-
tablissements de hienfaisiince , une foule de manulactures
et de fabriques, des corderies, des blanchisseries de cire,
des établissements où l'on confectionne tout ce qu'exige le
service de la marine, des chantiers de construction, etc., etc.
En 1842 il était entré dans le port de Trieste 7,717 navires,
dont 1,625 de long cours, 6,203 caboteurs et 240 vapeurs,
jaugeant ensemble 436,000 tonneaux. En 1852 le nombre
des navires entrés avait été de 13,974 ( dont 785 vapeurs au-
trichiens), jaugeant, ensemble 782,669 tonneaux ; en 1853,
il avait été de 14,077 (dont 920 vapeurs autrichiens) jau-
geant ensemble 851,501 tonneaux. Le commerce maritime
a lieu surtout avec les États italiens, le Levant , notamment
avec Conslantinople , Smyrne , les Principautés Danu-
biennes, la Russie méridionale, la Grèce et l'Egypte, avec
l'Angleterre et l'Amérique , plus particulièrement avec le
Brésil. Le commerce de terre se fait par la voie de Laybach
et de Vienne. Les chiffres suivants donneront une idée de
l'extension qu'ils ont prise l'un et l'autre. A la lin du dix-hui-
tième siècle, la totalité des importations et des exportations
rie Trieste n'était encore que de 400,000 quintaux. En 1770
on évaluait la valeur de ses importations à 600,000 florins.
TRIGLYPHE 671
De 1842 à 1852 la valeur des importations maritimes s'est
élevée de 57,-500,000 florins à 102,000,000 florins. Trieste
n'a vu son commerce prendre un tel développement que
parce qu'en 1719 elle fut érigée en port franc par l'empe-
reur Charles YI , mesure qui l'affranchit d'une foule
d'entraves que les lois de douanes autrichiennes impo-
saient alors aux transactions commerciales, et aussi parce
que son port est d'un accès plus facile pour les gros ua-
vires que celui de Venise. Sa population, mélange de toutes
les nationalités, agglomérée sur ce point par res[irit de
spéculation , se montre d'ailleurs aussi active qu'entrepre-
nante. Toutes les nations de l'Europe , le Brésil , Haïti et
les États-Unis, entretiennent des consuls à Trieste, où l'on
trouve une foule de maisons de commerce, de banquiers ,
de courtiers et de sociétés d'assurance. Mais le plus im-
portant de ses établissements commerciaux est le Lloijd
Autrichien , la plus puissante compagnie de navigation à
vapeur qu'il y ait en Europe, et qui en 1853 s'est créé à son
usage particulier dans la baie de Servola un grand arse-
nal, avec deux chantiers de construction, un dock sec, une
fabrique de machines à vapeur et d'autres grands ateliers.
A la fin de cette même année 1853 le Lloyd Autrichien occu-
pait 58 bateaux à vapeur et à hélice, et 80 barques de remor-
quage, dont 56 en fer et 24 en bois. C'est seulement depuis
un siècle environ que les collines voisines de Trieste, autre-
fois nues et désertes, ont été à grands frais couvertes de terre
végétale rapportée, et transformées de la sorte cli plantations
d'oliviers et de vignes parsemées d'élégantes mai.sons de
campagne. Dans le nombre, on remarque surtout la villa
ISecker , autrefois propriété de Jérôme Bonaparte, et la
villa Bacciochi, devenue plus tard la propriété de la com-
tesse de Lipona, veuve de Murât, morte en (839, et apparte-
nant aujourd'hui à une socélé particulière.
Trieste, dont le nom latin était Tergeste, partagea dans
l'antiquité le sort de l'Istrie. César et Auguste l'entourèrent
de murailles. Au moyen âge , elle changea fréquemment de
maîtres; mais en 1382 elle passa enfin sous la domination
de l'Autriche, qui l'a conservée jusqu'à ce jour, sauf l'inter-
valle de 1797 à 1805, où la ville fut occupée par les Fran-
çais, et la période de 1809 à 1814, où elle lit partie de la
province d'Illyrie dépendant de l'empire français. Lors de
la révolution italienne et hongroise, cette ville fit preuve
d'une grande fidélité à l'Autriche; et ce fut en vain qu'une
escadre piémontaise et napolitaine la tint bloquée de mai à
août 1848. Les localités les plus remarquables du territoire
particulier de Tiieste sont les villages iVOptschina, à un
kilomètre de Trieste, avec une vue de toute beauté sur la
mer et sur la côte; Servola, avec un célèbre parc aux huî-
tres et d'importantes salines; Prosecco, dont le vin était
déjà célèbre dans l'antiquité ; enfin, Lipizza, haras impérial,
qui produit^ d'excellents chevaux d'attelage.
TRIGLÈlXE. F07« Boucles d'Oreilles.
TRIGLES, poissons remarquables par leur fête cui-
rassée, par les différents os de leur crâne et de leur face.
Leur museau est très-obtus, l'ensemble de la télé est d'une
forme cubique, quoique irrégulière. Les nageoires pecto-
rales sont grandes dans toutes les espèces. Dans certaines,
elles le deviennent assez pour donner aux individus la fa-
culté de s'élever en l'air pendant quelques instants et d'exé-
cuter une espèce de vol. Tous ces poissons font enlendri!
sous l'eau, et aussi dans les filets des pêcheurs, un grogne-
ment plus ou moins fort ; ce qui les a fait surnommer
grondins. On leur donne aussi à Paris le nom de rougets,
parce que l'une des espèces qui vient en plus grande abon-
dance sur nos marchés est d'un beau rouge.
TKIGLYPHE (du grec TpîyXvjçioi; , qui a trois rainu-
res). On appelle ainsi , en termes d'architecture, un orne-
ment saillant de la frise de l'ordre dorique où il est placé à
égales distances. Il y a lieu de penser que la frise ne fut
d'abord que l'espace compris entre la corniche et l'archi-
trave. Une partie de cet espace était occupée par les ex-
rémités des poutres transversales , et entre ces bouts de
672
TRIGLYPHE — TRINIDAD
poutres il restait des vides. Vraisemblablement ces extré-
mités de poutres amenèrent l'usage des triglypbes, qui
semblent n'avoir été à l'origine que de petites rainures pris-
matiques destinées à l'écoulement des eaux.
TRIGONE (dexpeï;, trois, et ycovia, angle), qui a
trois angles. Quelques géomètres ont employé ce mot comme
synonyme de triangle.
Les anciens donnaient aussi ce nom à une espèce de lyre,
de forme triangulaire.
On appelait trùjone des signes un instrument dont on se
servait, en gnomonique, pour tracer les arcs des signes.
TRIGOIVELLE ou FEiNU-GRliC ( t hgonella , fenmn
grœcum, L.), plante de la famille des légumineusesde Jussie+i
et de la diadelphie-décandrie de Linné , caractérisée par un
calice campanule , divisé en cinq parties, à peu près égales ;
une corolle irrégulière, papilionacée ; dix étamines réunies
en deux groupes , ou diadelpbes ; légume sessile , courbé
en faulx , aigu et étroit. Les anciens la donnaient comme
nourriture à leurs btstiaux : c'est en effet un très-bon pâ-
turage. En France, la semence, que l'on nomme aussi
sénegré, sénegrain et graine joyeuse , se donne aux che-
vaux, aux bœufsetaux vaches quand on veut les engraisser;
elie est d'une couleur jaunâtre, presque carrée, d'une
odeur assez agréable et qui rappelle celle du mélilot ou du
foin; elle conlient une très grande quantité de mucilage,
qu'elle communique facilement à l'eau et aux corps gras;
réduite en poudre, on en fait des cataplasmes émollients et
résolutifs. Son goût est amer; la décoction passe pour
bonne dans les opiilhalmies.
TRIGONOMÉTRIE ( de TptYcovo; , triangle, et [jls-
Tçov, mesure), branche de la géométrie générale, dont l'ob-
jet principal est la résokition des triangles. Résoudre un
triangle, c'est en calculer toutes les parties , quand on a des
données suffisantes. La géométrie élémentaire apprend, il est
vrai, à construire «n triangle, quand on connaît trois de
ses éléments susceptibles de rendre le problème déterminé;
mais les constructions graphiques ne |)ermettent d'obtenir
qu'un certain degré d'approximation souvent insuflisant
dans les! questions d'astronomie, de navigatipn, etc.; on a
donc dû leur substituer le calcul, qui permet toujours d'at-
teindre le degré de précision dont on a besoin. Aussi la
trigonométrie dut-elle être de bonne heure l'objet des spé-
culations de l'tgypte savante. Cependant, on n'en trouve
les premières traces que chez les Grecs ; Tliéon rapporte
que Hi p parque avait composé un traité en douze livres
sur les cordes des arcs du cercle : cet ouvrage ne nous est
pas parvenu ; mais nous possédons ceux de Théodose et de
Ménélaiis. Du reste, la trigonométrie telle qu'on l'enseigne
dans nos écoles est presque une science toute moderne ,
dont Néperet Euler ont posé les bases.
La diflicullé de faire entrer les angles dans le calcul a
d'abord conduit les géomètres à leur substituer les arcs de
cercle qui leur servent de mesure. Ces arcs furent bientôt
remplacés par leurs cordes, et, enfin, on emploie mainte-
nant les lignes trigonométriques , c'est-à-dire certaines
droites offrant avec les arcs auxquels elles se rapportent
une dépendance mutuelle, et que l'on a nommées sinus,
t angente, sécan te, cosinus, cotangente et cosécante.
Les nombreuses relations qu'offrent ces diverses lignes dé-
rivent toutes de la formule fondamentale :
sin ( a -}- 6 ) = sin a cos b + sin b cos a.
Les propositions générales de la trigonométrie une fois
établies, celte branche de la science se divise en trigono-
métrie rectilignc et trigonométrie sphérique, selon qu'elle
s'applique à la résolution des triangles rectilignes ou à
celle des triangles sphériques. Toutes les propositions de
la trigonométrie rectiligne se déduisent ;de celle-ci : Les
côtés d'un triangle rectiligne sont proportionnels aux sinus
des angles opposés. De même, la trigonométrie sphérique
repose sur ce théorème : Les sinus des côtés d'un triangle
sphérique sont proportionnels aux sinus des angles opposés.
On voit quelles analogies doivent offrir ces deux parties de
la trigonométrie. Nous remarquerons seulement qu'un trl«
angle spbérifiue peut être résolu lorsqu'on connaît ses trois
angles; mais pour déterminer la grandeur linéaire des
côtés, il faut que le rayon de la sphère soit donné.
Les formules de la trigonométrie générale sont riches en
applications aux théories les plus élevées de la science : ci»
tons seulement les théorèmes de M o i v r e , de C ô t e s, etc.,
les développements en séries des fonctions circulaires, eic.
E JVIfri itDX
TRILHÉITES. Voyez. Eut\chès.
TRILITES. Voyez Lichavens.
TRILLE. Voyez Cadence.
TRILOBITES (du grec TpiXo6oc, trilobé, qui a trois
loges ), genre de crustacés fossiles que M. Milne Edwards
range entre les isopodes et les brachiopodes, qui peuplaient
la mer aux époques les plus reculées de l'histoire géolo-
gique, mais qui depuis longtemps ont disparu de la surface
du globe et ne nous sont connus que par leurs débris, dé-
couverts à l'état fossile dans les terrains sédimentaires les
plus anciens.
TRILOGIE (du grec Tpeï;, trois, et Xoyoi;, discours).
C'est le nom que les Grecs donnaient à la réunion de trois
pièces de théâtre que les poètes diamatiques étaient tenus
de pré.senter lorsqu'ils voulaient disputera leurs rivaux le
prix de la tragédie. Les trois pièces composant une ^»i/opie
formaient ensemble un grand drame, dans lequel trois ac-
tions différentes, groupées pour ainsi dire autour des mêmes
personnages, présentaient un tout régulier, soumis aux
lois de la plus sévère unité. C'est au génie d'Eschyle que
nous devons la plus ancienne et la plus dramatique trilogie
que nous connaissions. La terrible fatalité qui poursuit la
race des Atrides en est le sujet, un et complexe tout à la
fois. Agamemnon , Les Choéphores et Les Euménides sont
les trois tragédies dont l'ensemble produit cette vigoureuse
trilogie, l'un des plus beaux monuments du théâtre grec.
Chez les modernes, le Henri VI de Shakspeare, réunion
de trois tragédies distinctes, mais parties composantes d'un
tout unique, est un admirable essai de trilogie. La scène al-
lemande possède aussi une trilogie dans le Walstein de
Schiller, la tragédie la plus nationale qui ait été repré-
sentée en Allemagne. La Melpomène française, qui a d'ail-
leurs à se glorifier de tant de chefs-d'œuvre, n'a pas pro-
duit une seule trilogie. Toutefois, nous avons, dans un genre
mixte et secondaire , un échantillon de trilogie d'une origi-
nalité si piquante, et en possession d'une telle popularité,
qu'on ne saurait le passer .sous silence. Nous voulons parler
de ce drame qui sous la plume du satirique Beaumarchais
devint une peinture comique et triste en même temps des
résultats delà corruption sociale. Le Barbier de Séville,
Le Mariage de Figaro et La mère coupable forment en
effet une trilogie que l'on peut dire sans rivale.
Champagnac.
TRIMALCION (Le Festin de), titre d'un épisode du
Satiriconjie. Pétrone.
TRIMÈRES. Voyez Coléoptères.
TRIMOURTI ouTRIMURTI, latrinité des Indiens.
Foye; Indienne (Religion), t. XI, p. 362.
TRIIMCADOURES. Voyez Péniche.
TRIIV'COMALI ou TRINCONOMALl, ville maritime
fortifiée, sur la côte orientale de l'île de C e y la n , siège d'un
district du même nom, avec un port aussi vaste que sûr,
qui n'a d'autre inconvénient qu'une entrée un peu incom-
mode; aussi les navires jettent-ils plutôt l'ancre dans la
baie de Back. La ville, qui entretient des relations conti-
nuelles avec Mad ras, compte 15,000 habitants. En 1782
les Anglais l'enlevèrent aux Hollandais; mais dès le 30 août
de la même année, elle tombait au pouvoir des Français
commandés par le bailli de Suffren. La bataille livrée le
3 septembre suivant entre les Anglais et les Français resta
indécise. Toutefois, les Anglais reprirent cette ville aux Fran-
çais, en 1795, et l'ont conservée depuis.
TRliXlDAD (Ile de La). Voyez Trinité Hle de La).
TRINITAIRE — TRINITÉ
TiilNlTAIRE (Botanique). Foyez Hépathiqoe ( Bo-
tanique).
TRIIVITAIRES ou FRÈRES DE LA RÉDEMPTION
(Ordre des), fondé en 1198, par Jean de Matlia et Félix de Va-
lois, dans le diocèse de Meaux, etconlirmé par Innocent III
sous le nom d'ordre de La Merci oade la Sainte Trinité,
pour la délivrance des captifs, parce qu'indépendamment de
l'observance de la règle des augustins ils faisaient vœu de re-
cueillir des aumônes pour le rachat des chrétiens prisonniers
des infidèles. Comme ils allaienttoujours à âne, le peuple les
désignait par le sobriquet de/rèires aux ânes (ordo Asino-
rum ). On les appelait aussi quelquefois mathurins, à cause
de leur couvent, situé près d'une chapelle placée sous l'invo-
eation de saint Mathurin. En 1201 il s'établit aussi des cou-
vents de sœurs de la Rédemption ou trinitaires. Les
maisons de cet ordre se répandirent bientôt dans toute l'Eu-
rope. Il fut réformé en 1573, par Julien de Manlonville et
par Claude Alepli. En Espagne, les trinitaires adoptèrent la
coutume d'aller nu-pieds, et lurent en conséquence ap-
pelés trinitaires déchaussés. Les trinitaires tertiaires et
la confrérie du Scapulaire de la Sainte Trinité appartenaient
aussi à cet ordre, qui possède encore aujourd'hui des maisons
en Espagne, en Portugal et en Amérique.
TRINITÉ (du latin trinitas), dans la forme grecque
trias, triade, l'un des mystères de la religion chrétienne et
le complément nécessaire du mystère ds l'Incarnation
(voyes Catholicisme), lequel suppose une division de
personnes dans l'unité de Dieu. Le mot Trinité , ainsi con-
sidéré, désigne le mystère de Dieu même subsistant en trois
personne», le Père, le Fils, le Saint-Esprit, réellement dis-
tinguées les unes des autres , et qui possèdent toutes trois la
même nature numérique et individuelle. C'est un article de
la foi chrétienne qu'il n'y a qu'un seul Dieu , et cette unité
est tout le fondement de la croyance des chrétiens. Mais
cette même foi enseigne que cette unité est féconde, et que
la nature divine, sans blesser l'unité de l'Être Suprême,
se communique par le Père au Fils, et par le Père et le Fils
au Saint-Esprit; fécondité, au reste, qui multiplie les per-
sonnes sans multiplier la nature. Ainsi, le mot Trinité ren-
ferme l'unité de trois personnes diverses, réellement distin-
guées, et l'identité d'une nature indivisible. La Trinité eut une
ternaire de personnes divines, qui ont la même essence, la
raêmenature et la même substance, non-seulement spécilique,
mais encore numérique. La th éologie enseigne quil y a
en Dieu une essence , deux processions , trois personnes.
« Quelques esprits, dit M. Artaud, voulant concilier la ten-
dance mystique avec la tendance rationnelle , ont cherché à
expliquer la Trinité par les seules lumières de la raison.
L'homme ayant été créé à l'image de Dieu , la triple nature de
l'homme actif, intelligent et sensiblea aidé àcomprendre le
Iriplcattributdivindont se compose l'essence divine, savoir :
la puissance, l'inlelhgence et l'amour. D'autres ont prétendu
ramener les trois personnes de la Trinité à la formule sui-
vante: l'infini, lefini,et le rapport du fini à l'infini. A ces di-
verses tentatives noui n'avons qu'un mot à dire. Il n'y a pas
de milieu entre la théologie et la philosophie; toute
transaction entre ces deux puissances est chimérique. Dès
que vous abordez les mystères, il faut vous en tenir à la foi
aveugle , renoncer à l'usage de votre raison , et croire sans
vous rendre compte de votre croyance. Au contraire, du mo-
ment que vous prétendez raisonner, vous êtes justiciable de
la philosophie; vos conceptions doivent être soumises à un
examen sévère , au contrôle de la raison. Si ce que vous
appelez les trois personnes de la Trinité ne sont que les
attributs fondamentaux de Dieu , attributs que l'homme
conçoit en vertu de sa propre nature , la Trinité est chose
toute simple, facile à comprendre , et alors il n'y a plus
de mystère. Mais si vous persistez à faire de ces attributs
autant de personnes réelles , alors nous entrerons dans
le domaine de l'inintelligible ou du mystère ; il ne s'agit
plus de raisonner, il s'agit simplement de croire. »
foutes les querelles qui surgirent au sein l'Église au
DICT. DE LA CONVEUS. — T. Ï\I.
673
sujet de la Trinité se rattachèrent étroitement à la gnose
ou doctrine orientale de l'émanation. Les Pères apostoliques,
Barnabas, Clément Romain, Ignace, Hermas, qui procla-
mèrent la dignité et la perfection suprême du Père, repous-
sèrent l'opinion des ébi onite s {tioijez Nazaréens), sui-
vant laquelle Jésus n'aurait été qu'un homme. Saint Justin
martyr, saint Irénée et les autres docteurs orthodoxes de
l'Église combattirent avec chaleur l'opinion des gnostiques,
qui ne voyaient dans Jésus qu'un éon descendu du pleroma
et devenu visible. Pour maintenir l'unité de Dieu dans le
rapport du Père, du Fils et de l'Esprit, Praxéas , Noétus,
Sabellius, etc., expliquèrent le Fils et l'Esprit, non pas
comme des sujets particuliers, mais seulement comme des
forces et des effets du Père. Mais cette opinion tut combattue
par les docteurs de l'Église, qui, trouvant une différence
entre le Père et le Fils clairement exprimée dans le Nouveau
Testament, employèrent la philoso[)liie platonicienne mêlée
d'idées ^''émanation, telle qu'on l'enseignail à Alexandrie,
pour expliquer le logos de saint Jean, et y attachèrent des
passages de l'Ancien Testamentoù il est question de la force
créatrice de Dieu. On distingua ensuite (le premier qui fit
cette distinction fut Théophile d'Alexandrie, qui le premier
aussi employa le mot trias) le logos intérieur et extérieur ;
et les docteurs de l'Église qui suivirent cette direction en-
seignèrent que le Fils o\i le Logos divin avait existé de toute
éternité en Dieu comme attribut, mais qu'il était provenu
de Dieu avant la création du monde, qu'il avait alors com-
mencé à exister particulièrement et qu'il était moindre que
le Père.
Ils semblent avoir considéré le Saint-Esprit comme un
sujet particulier, et n'exprimèrent que vaguement l'idée
qu'ils s'en faisaient. Or, tandis que saint Irenée distinguait
du Père le Fils ainsi que l'Esprit, les tenant tous deux pour
moindres que le Père tout en proclamant la coéteinité du
Fils avec le Père, et qu'il se prononçait contre les recherches
sur son origine, TertuUien, en contradiction avec les idées
unitaires de Praxias et de ses partisans , soutenait que les
trois personnes (personse) de la Trinité sont bien égales
entre elles en substance , et cependant subordonnées l'une
à l'autre. Saint-Clément d'Alexandrie transporta alors com-
plètement à la personne du Christ les caractères de la doc-
trine platonicienne, enseigna qu'il était égal au Père par son
essence, et lui attribua en même temps l'omniprésence,
sans distinguer bien précisément du logos l'Esprit qu'il
comprenait dans la Trinité chrétienne. De même Origène,
qui introduisit notamment l'expression AUiypostases
({)7toffT(X(ï£t; ) dans la doctrine de la Trinité , pour désigner
les personnes qu'elle contient, enseigna l'égalité d'essence
du Père, du Fils et de l'Esprit, défendit la préexistence du
Fils contre Bérylle de Boslra , lui attribua une pr ocréation
éternelle , fit provenir le Saint-Esprit du Fils et celui-ci du
Père, en soutenant que le Saint-Esprit est subordonné au
Fils. Mais ces doctrines rencontrèrent toujours des contra-
dicteurs, et dans les siècles suivants provoquèrent les plus
violentes querelles ( voyez Ariens et Antitrinitaires ).
Tous les ouvrages dogmatiques des Églises catholique et
protestante s'accordent sur la doctrine de la Trinité telle
qu'elle est exposée d'une manière générale dans le Syn)bole
des Apôtres et dans le Symbole de Nicée, et développée
d'une manière plus explicite dans le Symbole d'Athanase^,
tandis que l'Église grecque n'admet point que le Saint-Es-
prit provienne du Fils. L'orthodoxie rigorrreuse défendii
toujours la conception symboiico-eccléMastique du dogme
qui ne peut être considéré que comme un mystère pur.
Indépendamment des ariens et des antitrinitaires, elle fut
aussi combattue par lest héosoph es, qui tous depuis Va-
lentin Weigel et Jacques Bœhme enseignèrent que la
Trinité avait commencé dans la création du monde et avait
son empreinte et ses symboles dans l'ensemble de la na-
ture. Dans le courant du dix-huitième siècle , l'école de
Leibnilz et de Wolf essaya, à diverses reprises, de dé-
montrer logiquement le dogme de la Trinité ; mais toutes ces
43
674
TRINITE
tentatives n'aboutirent qu'au sabellianisme ou doctrine de
la subordination ; et à la fia du dix-huitième siècle l'école
de Genève, dont Jacques Vernet {Thèses critico-biblicx
de Christi Deitate [Genève, 1777 ]) fait partie, mérita le
reproche de tomber dans le socinianisme et l'arianisme.
TRUVITÉ (Ile de La), en espagnol Trinidad, après la
Jamaïque la plus grande des possessions britanniques
dans les Indes occidentales. C'est aussi la plus grande et
la plus méridionale des Petites-Antilles. Elle est située à
l'embouchure do. lOrénoqtie, du delta duquel elle est séparée
par la Bocca de "Serpente, et en avant du golfe de Paria. Sa
superficie est de '0 myriam. carrés, et par sa configuration
elle forme la continuation extrême du littoral montagneux
de Yene2uela, dont la sépare la Bocca de Dragos. Sur ses
côtes nord et sud t\tè est couverte de montagnes se diri-
geant de l'ouest à l'est et atteignant jusqu'à 1,000 mètres
d'élévation. A l'intérieur, qui est plus plat, elle offre d'é-
paisses forêts, des marais, des volcans de boue et un lac sur
lequel se trouvent des îles flottantes de bitume. Comme elle
est située en dehors de la région des ouragans, si dévasta-
teurs, des Indes occidentales, elle offre aux vaisseaux un sûr
abri. Le climat est celui des Indes occidentales, mais cepen-
dant moins malsain que celui des Antilles du Nord. L'île,
qui est assez bien arrosée, est d'une grande fertilité. Le sucre
en est le principal produit; mais l'on y cultive aussi le café,
le colon, le tabac, le cacao, l'indigo , la cannelle , la muscade ,
les clous de girofle. Les forêts fournissent des cèdres rouges,
excellent bois de construction. On y trouve beaucou» à'
cerfs, de sangliers et de faisans. Les cours d'eau et les bas-
fonds contiennent des caïmans et des serpents, ainsi qu'une
toute d'autres amphibies et insectes. Le nombre des habi-
tants s'élève à 65,000 , qui, à l'exception d'environ 5,000
nègres, sont tous hommes de couleur, nègres ou coulies.
Les blancs sont pour la plupart d'origine espagnole, et la
langue espagnole est aussi celle qui domine dans les rela-
tions sociales. Les habitants d'origine anglaise ne forment
qu'une bien faible minorité. Dans l'intérieur de l'île, il
existe encore, dit-on, quelques débris de l'ancienne race ca-
raïbe, qui partout ailleurs a été complètement exterminée.
La Trinité forme un gouvernement particulier. Elle a
pour chef-lieu Puerto de Espanu ou Port qf Spain , ap-
pelé aussi quelquefois Spanth-Town, ville belle et régulière,
de 10,000 habitants, avec une magnifique église et un port
aussi vaste que sûr, sur la côte occidentale. On trouve aussi
au nord-ouest un excellent port, celui de Chaguaramus,
qui est susceptible de recevoir les plus forts bâtiments
de guerre. L'ancienne capitale de l'île, San-Josè-d'O'
ruria, avec 2,600 habitants, est située dans l'intérieur de
l'Ile. Découverte par Christophe Colomb en 1498, La Tri-
nité fut bientôt colonisée par les Espagnols, qui par la
suite la négligèrent cependant et finirent même par l'aban-
donner. Des fiibusliers s'y établirent dans le courant du dix-
septième siècle, puis des Espagnolsàcôté d'eux. Toutefois, ce
ne fut qu'au dix-huitième siècle que les Espagnols y ten-
tèrent sérieusement de nouveaux essais de colonisation. En
1797 les Anglais s'emparèrent de l'île, et la paix d'Amiena
leur en abandonna la possession. Sous la domination britan-
nique sa prospérité a pris de notables accroissements. Par
suite de l'émancipation des esclaves nègres , dont le nombre
s'élevait en 1838 à 20,657, on put craindre un instant
pour l'avenir des plantations; niais l'immigration de coulies
V3nant de l'Inde a ajouté, à grands frais sans doute, aux
forces productives, qui sont maintenant aussi abondantes
qu'elles ont jamais pu l'être.
TRINQUET. Voyez Paume.
TRIO f morceau de musique vocale ou instrumentale à
trois parties principales ou concertantes. Le trio peut être
accompagné par d'autres parties, peu obligées , sans cesser
d'être trio. On appelle aussi trio la seconde partie d'un
menuet on iVan scherzo de symphonie, après laquelle on
reprend toujours le morceau principal.
Charles Bechem.
TRIOMPHE
TRIOLET, sorte de poésie fort ancienne, consistant
en huit vers , dont le premier, le quatrième et le septième
ne sont que la répétition du même vers, et que, en raison
de son caraclère badin et léger, on emploie le plus ordinai-
rement pour des traits de raillerie et de satire. Cette triple
répétition d'un même vers sur huit est l'étymologie du mot
^no^c^, diminutif de trio.
TRIOMPHALE (Couronne). Voyez Couronne.
TRIOMPHE. C'était l'une des plus grandes .solennités
de l'ancienne Rome et la récompense suprême qu'on accor-
dait aux généraux d'armée victorieux. Cette institution
remontait, dit-on, à Tarquin l'ancien, et tous les détails ei:
étaient étrusques. 11 fallait que le général se présentât sous
les murs de Rome à la tête de son armée, et que de là il
priât le sénat d'avoir à se réunir dans quelque temple situé
en dehors de la ville, ordinairement celui de Bellone, afin
qu'il lui fût po.5sible.de soumettre à son examen ses pré-
tentions aux honneurs du triomphe. En effet, investi de la
puis.sance militaire, il ne lui était pas permis de franchir
la limite proprement dite de la ville sans une autorisation
expresse du peuple; et une fois qu'il avait renoncé à son
commandement, il avait perdu tous droits aux honneurs du
triomphe. On ne les accordait d'ordinaire qu'au général en
chef, pour des victoires remportées sous ses ordres, par lui
ou par ses légats, ayant essentiellement contribué à accroî-
tre la puissance de la république , et à la suite desquelles
il lui avait été possible de s'éloigner d'une province complè-
tement pacifiée. Unefoisque le sénat avait accordé le triom-
phe et avait décidé que les frais en seraient faits par le
trésor public, le peuple, sur la proposition du sénat, accor-
dait légalement pour le jour du triomphe l'autorité suprême
( imperium ) dans la ville au général victorieux. Le cortège
se réunissait au Champ de Mars ; il passait par la Porta
Triumphalis (laquelle n'était point l'une des portes de la
ville, mais .suivant toute apparence un arc de triomphe élevé
au milieu du Champ de Mars), par le cirque Fiaminien,
puis, à l'extrémité occidentale du mont Capitolin par la
Porta Carmentalis. Entré alors dans la ville proprement
dite, il est probable qu'il se rendait par le versant occiden-
tal du mont Palatin au grand cirque, qu'il traversait pour
gagner la Velia, située entre le mont Palatin et le mont
Cœlius, puis, prenant par la Voie Sacrée, il arrivait au
Forum, et de là, en suivant le Clivus Capitolinus, il arri-
vait au Capitole. En tête du cortège marchait d'ordinaire
une troupe de chanteurs et de musiciens ; venaient ensuite
les taureaux d'une entière blancheur destinés au sacrifice,
les différentes choses précieuses enlevées à l'ennemi, les
couronnes d'or envoyées au triomphateur par les Etats pla-
cés sous la dépendance de la république , des inscriptions
et des tableaux retraçant les principaux événements de la
guerre , les prisonniers faits à l'ennemi chargés de chaînes,
les licteurs avec une tunique de pourpre, et leurs faisceaux
ornés de lauriers; des joueurs de flûte et de cithare, enfin
des thurifères. En avant du char marchaient également les
magistrats et le sénat. Ce fut Auguste qui le premier décida
qu'à l'avenir leur place serait à la suite du char. Alors venait
le triomphateur revêtu de la tunica palmata et de la toga
picta, une couronne de laurier sur la tête , une branche
de laurier à la main et tenant de l'autre un sceptre d'ivoire
à l'une des extrémités duquel était sculpté un aigle, le vi-
sage enluminé de minium, suivant l'antique coutume obser-
vée dans les solennités, et portant au cou un amulette
contre l'envie. Il se tenait debout sur un char magnifique-
ment orné et attelé depuis le triomphe de Camille de quatre
chevaux blancs , avec ses filles et ses plus jeunes fils derrière
lui, ainsi qu'un esclave tenant une couronne d'or et chargé de
lui répéter ces mots : « Souviens-toi que tu es homme! »
Venaient ensuite ses fils aînés , ses parents , ses amis , les
légats, le reste de son entourage officiel, les citoyens ro-
mains captifs de l'ennemi qu'il avait délivrés, et qui, de
même que les affranchis, portaient sur la tête le bonnet de
la liberté. A la fin du cortège marchait l'armée victorieuse;
TRIOMPHE — TRIPOLI
675
les soldais, dans leur plus beau costume et couronnés de
lauriers, chantaient des hymnes à la louange de leur géné-
ral, quelquefois aussi, suivant une antique coutume romaine,
des chansons contenant d'amères railleries à son adresse,
et, avec les citoyens spectateurs de cette marche solennelle,
faisaient retentir l'air du cri particulier aux triomphes :
lo irumphe! Arrivé au Capitole, le triomphateur ren-
dait grâces à Jupiter, lui offrait un sacrifice, lui consacrait
sa couronne d'or et une portion du butin qu'on portait au
trésor public, après qu'une autre portion en avait été dis-
tribuée entre les soldats, que le général renvoyait alors dans
leurs foyers. 11 donnait ensuite, ordinairement au Capitole,
un festin, au sortir duquel, le soir, il était reconduit chez
lui à la lueur des torches et au son de la musique. A partir
du règne d'Auguste, les triomphes devinrent beaucoup plus
rares, et ne s'accordèrent plus qu'aux empereurs. Toutefois,
ceux-ci accordaient la solennité du triomphe ou ses insi-
gnes à ceux de leurs généraux qui avaient combattu sons
leurs auspices. On tenait une liste exacte de tous les triom-
phes célébrés ; c'est ce qu'on appelait FasH iriumphales
{voyez Fastes).
L'ovation était un genre de triomphe moindre.
TRIOMPHE (Arc de). Voyez Arcs de Triomphe.
TRIONYX. Voyez Tortue.
TRlPANou TRU^ANG, et encore TRÉPANG. Voyez
HOLOTHUttlES.
TRIPE. On désigne sous ce nom générique les boyaux
des animaux et certaines parties de leurs intestins, lors-
qu'on les a retirés du ventre ou lorsqu'ils en sont sortis par
quelque accident. En ce sens, ce mot s'emploie plus géné-
ralement au pluriel. On appelle tripiers ceux qui font le
commerce des tripes ou issues.
Tripe est aussi le nom d'une étoffe de fil ou de laine ,
travaillée comme le velours. En ce sens on dit ordinaire-
ment, pour éviter toute équivoque, tripe de velours ; et Fu-
retière fait dériver ce mot de l'espagnol ierciopelo , qui
veut dire velours.
TRIPETTE. Voyez Clavaire.
TRIPHYLIE. Voyez Élide.
TRIPLE CANON (Typographie). Voyez Caractère.
TRIPOLI , le plus oriental des États de la Berbérie, est
borné à l'ouest par Tunis, à l'est par le plateau deBarka,
au sud par le désert de Sahara et le royaume de Fezzan , et
au nord parla Méditerranée. Son territoire, qui s'étend sur
les rives de la Méditerranée depuis la petite jusqu'à la grande
Syrte, avec un développement de côtes d'environ 90 my-
riamètres et une profondeur moyenne de 28 myriainètres,
occupe une surface totale de 4,200 myriam. carrés. Sous
les rapports physique et ethnographique , il présente en gé-
néral les mêmes caractères que la Berbérie. Toutefois , il en
diffère en ce qu'à l'ouest il est moins propre à la culture,
serafjproche de la nature du pays de steppes deBilédul-
gé r id , et n'est môme séparé nulle part d'une manière bien
tranchée du désert, qui sur certains points envahit sa sur-
face et s'avance même parfois jusqu'à la mer. Le pays est
aussi montagneux que la partie occidentale de la Berbérie,
car la plaine n'y est plus interrompue que par les derniers
prolongements orientaux de l'Atlas. Le littoral est tout à fait
plat et sablonneux ; et à l'ouest, dans quelques endroits as-
sez bien arrosés, le sol ne manque pas de fertilité; tandis
qu'à l'est du cap Mesurato, près du redoutable golfe de Sidra,
dans la contrée de Sert (Désert), il est d'une extrême sté-
rilité et couvert en grande partie de dunes fort élevées et
séparées les unes des autres par d'innombrables marais sa-
lants. Par suite de sa nature, qui au total tient de celle des
steppes et du désert , on n'y trouve pas un seul fleuve im-
portant. Le climat est assez salubre, très-chaud en été,
surtout lorsque le sa mo u m souille du Sahara. De fortes
pluies représentent l'hiver. Sur la côte il règne en général
un véritable printemps d'Europe, et on n'y a que bien rare-
ment vu de la neige. Sur les plateaux intérieurs, l'hiver a un
tout autre caractère, et se manifeste par des pluies violentes,
accompagnées d'orages et de tempêtes. Les habitants, dont
on évalue le nombre à un million, se composent, comme
dans le reste delà Berbérie, surtout de Maures dans les
villes, de même que d'Arabes bédouins et de Berbères, les
habitants primitifs du pays , dans les campagnes. Tous pro-
fessent l'islamisme; et on trouve en outre un petit nombre
de Turcs dans les postes militaires , quoiqu'ils soient les
maîtres du pays et composent toute sa force armée , plus
des juifs et quelques Européens dans la ville de Tripoli, où
ils jouissent de beaucoup de liberté. Les principales occupa-
tions des habitants sont l'éducation du bétail, à laquelle se
livrentsurtoutlesBedouinsnomades.et le commerce, le com-
merce de caravanes en particulier, qui est l'affaire des Mau-
res. L'agricultuie n'a qu'une minime importance. Les prin-
cipaux produits du pays sont des moutons donnant une laine
magnifique, les chameaux , le gros bétail , les buffles, les
chevaux, les peaux, le froment, les dattes, les fruits de toutes
espèces, la vigne , l'olivier, le caroubier , la garance, le sa-
fran, les fèves de lotus, la cire, le miel, le sel que fournis-
sent en abondance les nombreux lacs et marais situés le
long de la côte, et le soufre provenant des environs du golfe
de Sidra. Les principaux articles du commerce sont des ob-
jets provenant des manufactures de l'Europe qu'on importe
et qu'on écoule dans l'intérieur de l'Afrique, les esclaves,
les plumes d'autruche, l'ivoire, le séné, le maroquin, la
gomme, l'or, apportés par les caravanes venant du Soudan
et du désert. Le pays forme un État vassal delà Porte Otto-
mane, ayant à sa tête un dey, qui depuis 1835 n'est plus
qu'un gouverneur de province. Trifioli constitue en eflet
depuis lors un eyalet de l'Empire Ottoman, et le dey qu'y
institue la Porte a le titre, le rang et la puissance d'un
pacha. Les diverses provinces sont administrées par des
beys à la nomination du dey. Les forces militaires consis-
tent en un certain nombre de petits bâtiments de guerre,
3,000 hommes de milice turque, et la levée extraordinaire
qui en cas de guerre a lieu parmi les indigènes. Les oasis
duFezzan,de Gadames et d'Aoudschilla, ainsi que le pla-
teau de Barka dé[)endenl de l'eyalet de Tripoli.
Le chef-lieu, Tru'OU, appelé par les Turcs Tarabulus,
vraisemblablement l'Œa des anciens, la seule ville impor-
tante du pays, compte de 15 à 20,000 habitants, et est la
résidence du dey. Elle est située sur un port défendu par
des batteries, et sert d'entrepôt au commerceavec l'Eiuope et
avec l'intérieur de l'Afrique. Le commerce y est d'ailleurs
presque exclusivement aux mainsdes juifs. On y remarque les
deux bazars, quelques mosquées et les restes de plusieurs mo-
numents romains. Il en existe de bien plus importants à Leb-
dah ou Lebidah, la Leptis Magna des anciens. On ne peut
mentionner en outre que Mesurâta, petit port fortifié, point
de départ ordinaire des caravanes et centre d'un commerce
assez important aveu le Fezzan et le Soudan , enfin Tads-
chourra, avec 3,000 habitants et une fabrication d'étoffes de
laine , de nattes , etc.
Tripoli formait autrefois la partie orientale du territoire
de Carthage, la Regio Syrtica, à laquelle les Grecs don-
nèrent le nom de Tripolis d'après les trois villes les plus
importantes qu'on y trouvait, Œa, Sabrata et Leptis. Après
la seconde guerre punique, en l'an 201 av. J.-C, les Ro-
mains en firent l'abandon aux rois de Numidie : puis, quand
ils les eurent aussi subjugués, ils la réunirent à la province
romaine d'Afrique, et plus tard sous les empereurs elle
forma une province à part, appelée TripoUtana Provincia.
Jusqu'au milieu du seizième siècle l'histoire ulttrieure de Tri-
poli se confond avec celle de la Berbérie en général. En 1551
cette contrée fut conquise par le pirate turc Dragut, qui com-
mandait sous les ordres du capoudan-pacha Sinan , et qui
en fit une province turque. Dragut y fut le premier institué
en qualité de pacba turc, et ce fut lui qui en organisa l'ad-
ministration. Depuis cette époque Tripoli resta toujours l'un
des foyers de la piraterie au nord de l'Afrique. Quand la
puissance de la Porte Ottomane conmiença à s'affaiblir, une
anarchie despotique de janissaires s'établit à Tripoli cmuma
43.
676
TRIPOLI — TRISECTION
à Alger. Le pacha, qui prenait le titre de dey, ne fut plus
institué par la Porte, mais élu par la soldatesque turque
parmi ses officiers. Il ne fut plus que nominalement le vas-
sal de la Porte, quoiqu'un firman du grand-seigneur con-
firmât toujours son élection et qu'il lui payât même un faible
tribut. Son autorité était complètement despotique, limitée
seulement par les liabitudes de révolte des janissaires ainsi
que par les intrigues de son conseil ou divan, composé des
principaux fonctionnaires et officiers. L'histoire de cet État
ne présente qu'une suite non interrompue de révolJSes, d'as-
sassinats et de supplices sanglants à l'intérieur, ainsi .que
de conflits provoqués à l'extérieur par les habitudes de pi-
raterie de la poimlation. Les expéditions les plus Liiportantes
dontTiipoli fut l'objet sont celles qu'entreprirent les Fran-
çais en 1663 et 1728, toutes deux terminées par des bom-
bardements qui anéantirent presque complètement la villede
Tripoli, sans pouvoir cependant en finir avec ce nid de pi-
rates. Un tel résultat n-'a été obtenu que de nos jours, à la
suite de la décadence complète du système des États Barba-
resques qu'a entraînée la conquête de l'Algérie par les Fran-
çais. Le gouvernement de pirates et de janissaires dura à
Tripoli jusqu'en 1835, époque où par suite de l'état de com-
plète désorganisation intérieure, provoquée par d'incessants
changements de souverain, accompagnés d'atrocités de
toutes espèces , et auxquels les intrigues du consul anglais
Warrington n'étaient pas étrangères, la Poite Ottomane
dut se décider enfin à intervenir pour mettre un terme à
celte sanglante anarchie. Une expédition envoyée de Cons-
tantinople à Tripoli y mit (in à la domination de la famille
Karamanli , dans laquelle on avait toujours choisi les deys
depuis 1714 ; le dey fut fait prisonnier et conduit à Constan-
tinople, en même temps qu'il était remplacé par un pacha,
et que le territoire de Tripoli était érigé en eyalet et réuni
à l'Empire Ottoman. On a vu depuis y éclater encore di-
verses révoltes qui ont amené des changements de pacha ,
par exemple en 1842, où un cbéick arabe , allié à la famille
Karamanli , parvint à soulever toute la population arabe.
Cette insurrection ne put être comprimée que par l'assassi-
nat de ce cbéick et de son frère et qu'à l'aide des plus
sanglantes exécutions. En 1844, par suite des avanies
et des extorsions de tous genres dont ils étaient victimes,
les Berbères des montagnes se révoltèrent de nouveau; et
cette lois encore il (albit recourir à l'emploi des moyens les
plus rigoureux pour les faire rentrer dans le devoir.
TRIPOLI, ville de la Turquie d" Asie , en Syrie, chef-lieu
du paclialik du même nom, est située au pied d'un des em-
branchements du Liban , à 2 kilomètres de la mer. Une petite
rivière, nommée le ISahar-Aba-Ali , dont les bords sont
pittoresqueset dont les eaux forment des cascades, traverse la
ville. I>es rues sont pavées et les maisons assez bien bâties;
mais l'air est peu salubre , a cause des eaux qui crou-
pissent de toutes parts. De nombreuses fontaines , décorées
d'arabesques, sont répandues dans tous les quartiers. On
remarque deux mosquées, un bazar et un khan très-vaste.
Il n'y a pas de port , et la rade n'offre aucune sûreté quand
le vent nord-ouest souffle avec violence. Les croisés qui
s'emparèrent de cette ville en 1108 y brûlèrent une pré-
cieuse bibliothèque. La population est d'environ 16,000 âmes.
TRIPOLI {Minéralogie) , substance généralement lé-
gère, d'une teinte rougeâtre ou d'un rose pâle. Le tripoli
n'est presque que de la si lice pulvérulente. Il forme des
couclies d'un grain très-fin, décomposables en minces
feuillets. On distingue des tripolis d'origines diverses ; les
uns ne sont que des argiles chauffées et torréfiées natu-
rellement par les feux des volcans ou des houillières em-
brasées, ou bien des schistes altérés par la décomposition
spontanée des pyrites qui les accompagnent ; les autres sont
presque exclusivement formés de dépouilles siliceuses d'i n-
fusoi res. A cause de son extrême dureté, le tripoli est
d'un immense usage dans les arts : on l'emploie à polir le
verre, les pierres dures et les métaux, surtout le cuivre et
ses différents alliages , dont il relève singulièrement l'éclat.
Le tripoli s'emploie à l'eau , ou délayé aVeé de Phuilé.
Quelquefois on le mélange avec un tiers de soufre , princi-
palement pour le poli des marbres. Joint au rouge d'An-
gleterre , il donne le plus vif poli aux instruments d'optique.
Le tripoli le plus estimé dans le commerce, où il est connu
sous le nom de tripoli de Venise, vient de l'ile de Corfou;
il est d'un rouge jaunâtre. Le tripoli d'Angleterre est éga-
lement recherché. Dans le Derbyshire, où on l'exploite, il
porte le nom de rottenstone (pierre pourrie) ; sa couleur
est gris de cendre.
Nous trouvons dans Buffon que le tripoli a pris son nom
de la ville de Cerbérie, d'où il nous était apporté dans les
temps reculés. Patrin au contraire pense que le nom de
celte substance vient de Tripoli de Syrie.
TRIPOLITZA. ou TRIPOLIS, chef-lieu du nome
d'Arcadie (Grèce), dans une va.ste et onduleuse plaine, à
700 mètres d'élévation , provient , comme l'indique son nom,
de la réunion de trois villes , peut-être bien Tégée, Manti-
née et Palantium ou Mégalopolis , remplacées , il est vrai,
par d'autres au moyen âge. Depuis la dernière guerre des
Vénitiens contre les Turcs et la paix de Passarowitz (1718),
cette ville était devenue le chef-lieu de toute la M orée et
le siège du more-valessi. Entourée de murailles et de
bastions jusqu'à la guerre de l'indépendance, elle comptait
alors 15,000 habitants. Quand, en 1821, les Grecs la prirent
d'assaut sur les Turcs et les Albanais qui la défendaient,
elle fut presque entièrement réduite en cendres; mais on la
rccon.siruisit tout aussitôt, et dès le 23 avril 1823 le gou-
vernement grec s'y installait. Ibrahim Pacha , qui s'en em-
para le 21 juin 1825, ne l'évacua qu'en 1828, et n'y laissa
qu'un monceau de ruines. Aujourd hui on y compte de nou-
veau près de 8,000 habitants. La contrée environnante,
malgré les horribles dévastations dont elle a été le lliéâtre
dans le cours des siècles, répond sous le rapport de la
beauté et de la fertilité aux descriptions que nous font les
anciens de la beauté et de la richesse des vallées de l'Arca-
die, au centre de laquelle était située la Tripolis antique.
TRIPTOLÈME, fils de Céléus, roi d'Eleusis, et de
Mélanire, ou de l'Océan et de Gœa , ou encore frère cadet
de Céléus, était le favori de Démêler (Cérès), et comme
tel l'inventeur de la charrue et le propagateur de l'agricul-
ture. Suivant Apollodore, Démêler, à la recherche de sa
fille, arriva chez Céléus, et servit de nourrice au frère
puîné de Triptolème, à Démophon. Elle voulut le rendre
immortel, et à cet eflet elle le jeta une nuit dans le feu.
Mais elle fut surprise par Mélanire, et le feu dévora l'en-
fant. En dédommagement, la déesse donna à Triptolème
un char attelé de dragons ailés, avec lequel il se promena
sur toute la terre pour répandre les graines de blé qu'il
avait reçues de Démêler. A son retour, Céléus voulut l'égor-
ger ; mais par ordre de Démêler, il dutlui céder son royaume;
et Triptolème, devenu alors lui-môme roi d'Eleusis, y in-
troduisit en cette qualité le culte de la déesse. Après sa mort,
il fut à Eleusis, comme inventeur de l'agriculture, l'objet
du culte qu'on rendait aux héros. L'art donne à Tripto-
lème la figure d'un jeune héros , et le représente sur un char
attelé de dragons, avec des épis et un sceptre à la main.
TRIRÈME. Voyez Galère.
TRISECTION (du latin très, trois , et seco, je coupe),
action de couper une chose en trois parties. Ce mot est
surtout employé dans le langage de la géométrie pour dé-
signer la division d'un angle en trois parties égales. C'est
l'un des plus anciens et des plus fameux problèmes de cette
science, dont la solution dépasse les forces de la géométrie
d'Euclide ou élémentaire , mais qui peut être généralement
obtenue à l'aide de l'hyperbole. Pappus, le premier, en fit
l'application , tandis que d'autres se servaient de la para-
bole. Nicomède imagina, pour la trisection de l'angle, la
conchoïde. Parmi les mathématiciens modernes , 'Viète ,
Newton, etc., se sont surtout occupés de ce problème,
dont la solution, telle que les anciens la cherchaient,
c'est-à-dire en n'employant que la règle et le compas , a
TRISECTION — TRISTAN L'ERMITE
6T7
61^. vainement demandée depuis deux mille ans, et qui
fous ce rapport peut être comparée à la duplication du cube
et à la quadrature du cercle.
TRISAIÉGISTE. Voyez Hermès Trishégiste.
TUISMÉGISTE ( Typographie). Voyez Caractère.
TRISMUS. Foyes TÉTANOS.
TRISPLANCHNIQUE ( Système ). Voyez Cérébral
(Système) et Svmpatuiqces (Nerfs).
TRISSIIXO (Giovanni-Giorgio), poète et érudit, né à
Vicence, le 4 juillet 1478, d'une famille illustre dès le dou-
zième siècle. D'une santé délicate , sa mère s'oci upa plus du
soin de le conserver que de celui de l'instruire; et à l'âge
de vingt-sept ans il était encore obligé de suivre les leçons
ie Démétrius Chalcondyle, auquel, en reconnaissance
de ses soins, il fil élever un monument. ïrissino joignit à
l'élude des lettres celle des sciences matbématiques et phy-
siques et celle des arts, notamment de l'arcliitectiire, que,
selon plusieurs , il enseigna à Palladio. Ses talents lui avaient
déjà mérité l'estime publique, lorsque, vers 1.515, sa So-
p/ionisbe , la première tragédie régulière et dans le goût
classique qui eût été représentée en Italie , acheva sa ré-
putation. A cette époque la gloire littéraire en procurait
d'autres : le pape Léon X, ce digne entant des Médicis,
chargea le Trissino de missions diplomatiques importantes
auprès de la république de Venise, du roi de Danemark et
de l'empereur Maximilien; plus tard, Clément Yii l'em-
ploya auprès de Charles Quint. Mais ses succès comme
poêle et homme d'Etat furent cruellement compensés par les
amertumes de sa vie privée. Devenu veuf , en 1510, de Gio-
vaiina ïienac , qui ne lui laissa qu'un fils , Giulio , il épousa,
en 1523, Biauca Trissina, sa parente, dont il eut un fils et
une (ille, qui excitèrent la jalousie de son fils aîné : Giulio
revendiqua l'héritage de sa mère, et, quoique prêtre, pour-
snjvit violemment son père lorsqu'en 1540 Bianca mourut, i
Lu perte de sa seconde épouse et du procès que lui avait
intenté son fils aîné plongèrent le Trissino dans une profonde
mélancolie; il accusa ses juges d'iniquité et Giulio d'ingra-
titude, quoiqu'il l'eût déjà déshérité , et se retira à Rome, où
il mourut, en décembre 1550, âgé de soixanle-et-onze ans.
Jl avait reçu de l'empereur Maximilien les titres de cheva-
lier et de comte ainsi que le droit de porter la Toison
d'O r dans ses armes ; mais il ne se décora jamais de cet
ordre.
Les œuvres du Trissino ont été recueillies en deux vo-
lumes, qui ne sont plus guère lus que par ceux qui veulent
faire un cours approfondi delà langue italienne. On trouve
cependant des beautés dans la Sophonisbe , remarquable
par l'innpvation des vers non rimes {vcrsi scioUi), adoptés
depuis par les auteurs dramatiques italiens, et dont on n'avait
pas encore fait usage. Vllalia liberata dà' Gotti (1547-
1548), poème épique, auquel le Trissino travailla plus de
vingt ans, est une œuvre qui flatta plus le patriotisme des
Italiens que leur goût. Trissino laissa aussi les Simillimi
(Ven.ise, I54S), comédie imitée de Plante; des odes imitées
d'Horace , des ballades , des canzoni , des sonnets et plusieurs
autres morceaux de poésies diverses. Parmi ses œuvres en
prose, on distingue les Portraits des plus belles femmes
d'Italie. On lui doit en outre l'édition italienne de l'ouvrage
du Dante, De Vulgari Eloquio (lb2d), dont l'authenticité
fut longtemps révoquée en doute.
La lecture de^ ouvrages du Trissino , nous le répétons ,
est indispensable à ceux qui veulent étudier la littérature
italienne, quoique, malgré la réputation qu'il eut de son
vivant, on ne puisse le mettre qu'au troisième rang des au-
teurs qui ont illustré sou pays. C"e de Bradi.
TRISTAN f héros d'une légende bretonne qui , sans rap-
port avec le cycle des légendes du roi Artus et de sa Ta-
ble ronde, y a cependant été rattachée par plusieurs
poètes du nord de la France au douzième siècle. Les poèmes
français dont elle est le sujet et dont quelques-uns ont été
publiés par M. Francisque Michel (2 vol. , Paris et Londres,
1835), avec des imitations anglo-normandes et grecques,
rendirent au moyen âge la légende de Tristan familière à
la littérature de la plupart des peuples de l'Europe, et l'in-
troduisirent même dans la littérature Scandinave. Le sujet
de la légende est l'amour de Tristan pour la belle Isolde,
(ille d'un roi d'Irlande qu'il est chargé d'aller demander en
mariage pour son oncle, le roi Marke de Cornouailles, et
qu'il ramène dans son pays. Un philtre provoque chez Tris-
tan et Isolde la passion mutuelle la plus violente. Maintes
fois trompé par les deux amants, le roi Marke finit par y
voir clair. Il les laisse s'évader de son palais, et les rencon-
tre ensuite dans la forêt. Il consent cependant à reprendre
Isolde à sa cour; après quoi, Tristan s'en va à la recherche
d'aventures. C'est ainsi qu'il arrive à la Table ronde du roi
Artus, puisa la cour d'un autre roi, dont, en récompense
de ses exploits, il épouse la fille, appelée également Isolde.
Plusieurs fois il cherche à revoir, sous un déguisement, la
première Isolde dans son pays. Il est blessé morlellement
dans une aventure où il était accompagné par les frères de
sa femme. Isolde, qui eût pu le guérir et qu'il envoya cher-
cher, arrive trop tard; et en apercevant son cadavre, elle
aussi meurt. Le bon roi Marke fait déposer leurs deux corps
dans la même tombe. Le philtre (pi'ils avaient pris était si
puissant, qu'une vigne que Marke fit planter sur Tristan et
un rosier qu'il fit placer sur Isolde s'entrelacèrent avec tant
de force que personne ne put depuis les séparer.
TRISTAN D'ACUNHA (Iles) , groupe de l'océan At-
lantique, silué parl3° 4' de long, ouest et 37» 5' de lat. sud,
entre l'Afrique et l'Amérique du Sud, à l'ouest du cap de
Bonne-Espérance, et qui tire son nom du capitaine Tristan
d'Acunha, qui le< découvrit, en 1506. Elles sont au nombre
de trois. La plus grande, désignée plus spécialement sous le
nom de Tristan d'Acunha, possède d'excellentes eaux,
deux ports magnifiques, et abonde en oiseaux, animaux aqua-
tiques, chèvres et poics à l'état sauvage. Les deux autres,
désignées autrefois sous les nomsd'iVe des Rossignols et de
V Inaccessible, sont ajjpelées aujourd'hui Loivell eiilc des
Pintades. Quand , en 1810, le caboteur américain Jonathan
Laud)ert, de Salem, les retrouva, il fit savoir à toutes les
nations du monde, par un manifeste à la date du 4 février
1811 ,et contresigné par son premier ministre, André Millet,
autre matelot américain, qu il se déclarait souverain de ces
lies. Cependant, il les abandonna en 1813.
En 1815, le gouvernement anglais se décida à occuper les
lies Tristan d'Acunha, afin d'en l'aire imposte de surveil-
lance pour l'ile Sainte-Hélène, qu'il donnait comme prison à
Napoléon. Mais la petite garnison qu'on y établit en fut re-
tirée aussitôt après la mort du grand homme, et de toute
la colonie nouvelle un très petit nombre de familles persis-
tèrent seules alors à y demeurer. Elles y ont mis en culture
quelques centaines d'hectares, et continuent d'y vivre sous
l'aulorité patriarcale.
TRISTAN L'ERMITE (Louis), connu sons le nom
àeprévôt Tristan, né en Flandre, dans les premières années
du quinzième siècle, fit avec quelque distinction les guerres
de Charles VII contre les Anglais. En 1451 , lors de la prise
de Fronsac , il fut armé chevalier par Dunois en personne.
Entré plus tard au service de Louis XI, il fut attaché à la
personne de ce prince avec le titre de grand-prévôt de son
hôtel. Ces fonctions, qui dérivaient de celles de grand-sé-
néchai, l'établissaient juge souverain et sans appel de toutes
les causes criminelles et de police qui survenaient à la suite
de la cour. Il les remplit jusqu'à sa mort, arrivée quelques
années seulement avant la mort de son digne maître , lequel
l'appelait familièrement et de bonne amitié son compère.
Tristan l'Ermite fut en effet rimi)lacable ministre de ses
vengeances; ille suivait partout, et le divertissait par les
atroces saillies dont il avait l'art d'assaisonner les plus hor-
ribles exécutions. Cet homme était né bourreau ; il devait
être le ministre et le confident le plus intime de Louis XL
TRISTAN L'ERMITE (François), né en 1601 , au
château de Souliers, dans la Marche, prétendait descendre
du fameux prévôt de Louis XI {voyez l'article précédent).
678
A la suite de diverses aventures, il entra comme page au
service de Gaston d'Orléans, qui le nomma plus tard gentil-
homme ordinaire de sa maison. Admis dans les sociétés lit-
téraires de l'époque , Tristan se livra de bonne heure à son
goût pour la poésie. Sa réputation d'auteur tragique balança
assez longtemps celle de Corneille, et sa pièce de Mariamne,
jouée en 1637, eut même le triste lionneur d'être préférée au
Cid. Cette tragédie , qui pendant cent ans obtint les applau-
dissements du public et dont le sujet tenta le génie de Vol-
taire , ne méritait certes pas l'enthousiasme qu'elle eut le
privilège d'exciter. On raconte que Mondory, célèbre acteur
de cette époque , fit de tels efforts pour représenter le per-
sonnage d'Hérode, qu'il en mourut. Ce succès extraordinaire
dans les fastes du théâtre et si favorable à la réputation du
poëte, ne le fut guère à sa fortune. Jouissant d'un revenu
fort médiocre et de plus joueur passionné, Tristan mena une
existence assez misérable. On a prétendu (les uns disent à
tort ) que Boileau l'avait en vue dans les vers où il peint
Damon.
Passant l'été sans linge et l'hiver sans manteau.
Ce qui reste incontestable , c'est sa pauvreté. Richelieu ,
qui pensionna tant de mauvais écrivains, oublia sur la liste
des bénédces le nom de Tristan , dont la tragédie, à tout
prendre , est remarquable pour l'époque. Peut-être la jalousie
d'auteur et la place que Tristan occupait près de Gaston
furent-elles les causes de cette injustice. Ce qui doit le faire
supposer, c'est que, malgré le succès de sa Mariamne, il ne
fut reçu à l'Académie qu'en 1649, après la mort du cardinal.
Tristan mourut en 1655. Joncières.
TRISTESSE. Cicéron définit la tristesse l'opinion d'un
grand mal présent, et telle que celui qui l'éprouve croit qu'il
est juste et même nécessaire de s'affliger. « Nos jours seront
toujours malheureux, dit-il, si nous ne luttons de toutes
nos forces contre celte passion, que la folie suscite comme
une furie pour nous tourmenter. » Voyez Affliction et Mé-
lancolie.
TRISTRAM SHANDY. Voyez Sterne.
TViVTO'S {Mythologie), (ils de Neptune et d'Amphitrite.
Ce dieu secondaire, symbole, comme ces deux grandes di-
vinités cosniolo^iques, de la nature visible, est l'allégorie de
la mer poissonneuse; car avec la figure et le torse de l'homme,
le reste de son corps se termine en queue de poisson. Des
mythes le font naître de l'Océan et de Télliis, d'autres de
Nérée et de Céléno, ou mieux de Salacie (sel marin). 11 na-
quit bien avant le déluge, puisque Ovide assure que pour
faire retirer les eaux ce dieu sonna de sa conque par l'or-
dre de son père, et que le son en fut si fort qu'elle se fît en-
tendre aux deux extrémités du monde. Cette conque, évasée
comme le pavillon d'un cor, est le principal attribut de Tri-
ton, que l'on appelle le trompette de Neptune. Quand il
est pacifique, il est vêtu d'une robe de pourpre, couleur
fréquente des flots de l'Archipel, son séjour de prédilection.
Une conque cannelée, bizarre, lui sert ordinairement de
véhicule, ou bien un char emporté par des chevaux marins
aux crinières bleues. Sa famille ou espèce, tritons subalter-
nes, avait pour office de dégager les vaisseaux des sables,
des algues et des syrtes ; quelquefois ils étaient assez heu-
reux pour prêter à Vénus leurs épaules, sur la face des
ondes pacifiques; de là cette déesse prenait le surnom de
Trifonia. On donne aussi à ce dieu bizarre les jambes ga-
lopantes , mais seulement antérieures d'un cheval. Sur les an-
tiques d'Herculanum, il est peint une rame à la main.
Rubens, si ingénieux dans les attibuts des êtres mytholo-
giques, représente les Tritons joulflus, au teint animé, au
nez retroussé ou camard, à l'air grotesque ou sauvage, par-
fois soufflant dans leur conque, et tous moitié homme et
moitié poisson. Denne-Baron.
TRITONS (Hisfoire naturelle), genres de reptiles
vulgairement appelés lézards d'eau {voyez Salamandres).
C'est aussi le nom d'un genre de mollusques composé de
gastéropodes peclinibranches, que Linné comprenait dans son
TRISTAN L'ERMITE — TRIVIAL
genre murex ( Rochers ) , mais que Montfort , Lamarck et
après eux tous les naturalistes en ont séparés pour en cons-
tituer un genre particulier. Parmi les espèces les plus com-
munes nous citerons le triton émaillé, vulgairement appelé
conque de triton ou trompette marine, et le triton bai-
gnoire, vulgairement dit rhinocéros ou gueule de lion.
TRITOXYDE. Voyez Nomenclature chimique.
TRITSCHINAPALLÏ, chef-lieu du district du même
nom (105 myriam. carrés) de la province de Karnatik , sur
le Cavery , bâti sur un roc , et considéré comme innprenable
à cause des fortifications qui l'entourent, possède une ci-
tadelle, de belles pagodes, des tours dorées, des mosquées,
une église évangélique ef une station de mission , un palais
et une forte garnison anglaise. Ses habitants , au nombre de
80,000, font un commerce très-actif.
Tritscliinapalli, l'une des principales places d'armes
des Anglais dans ces contrées, était autrefois la capitale
d'une principauté hindoue, dont le radjah prenait le titre de
naïb de Madoura. En 1736 la trahison la livra au nabab
de Karnatik. En 1741 elle fut prise par les Mahrattes, en
1743 par les rnahométaus; de 1751 à 1755 les Français et
leurs alliés l^assiégèrent à diverses reprises, mais toujours les
Anglais la délivrèrent, et ils finirent par en rester les maîtres
ainsi que de toute la province. En face, dans le Cavery,
se trouvent l'île et la ville de Seringham, lieu de pèlerinage
en grand renom parmi les Hindous, à cause de sa pagode.
IRIUiVIVIRAT. t'oj/es Triumvirs.
TRIUMVIRS, Triumviri. C'est le nom qu'on donnait
à Rome aux membres de divers collèges administratifs com-
posés de trois membres, dont les fonctions spéciales étaient
indiquées par une addition de titre. Aux magistrats inférieurs
[magistralus minores) appartenaient les triumviri capi-
tales, institués vers l'an 289 av. J.-C, chargés de procéder
aux arrestations qui pouvaient être nécessaires, de la sur-
veillance des prisons et de l'exécution des condamnations
capitales, ainsi que d'une juridiction sur les questions de
peu d'importance , notamment sur les vols , et encore sur
les crimes commis par les esclaves. Il est probable qu'on
réunît à leurs fonctions les atti^ibutions des triumviri noc-
turni, chargés de la police de la ville pendant la nuit.
Les triumviri monctales présidaient au monnayage. César
porta leur nombre à quatre ; mais Auguste le rétablît à trois.
La ligue que César, Pompée et Crassus formèrent
en l'an 60 av. J.-C. est désignée d'ordinaire sous le nom de
premier triumvirat. Mais ce n'était là qu'une ligue privée,
n'ayant aucun caractère officiel. Il n'en fut pas de même du
second triumvirat, c'est-à-dire de la ligue formée par Oc-
tave, Antoi ne et Lépid e, dans une île du Reno, près
de Bologne, l'an 43 av. J.-C. Quand ils eurent occupé
Rome, une loi rendue sur les propositions du tribun Publius
Titius leur conféra le titre de triumviri reipublicee consti-
tuendœ, et les investit comme magistrats extraordinaires
de la puissance suprême pour l'espace de cinq ans , depuis
le 27 novembre de l'an 43 jusqu'au 3^ décembre de l'an 3S.
A l'expiration de leur pouvoir, ils furent encore prorogés
pour cinq ans, c'est-à-dire jusqu'à l'an 33.
Dans l'histoire de notre révolution on désigne aussi quel-
quefois sous le nom de triumvirat la coalition qui exista
pendant quelque temps entre Marat, Robespierre et
Danton.
TRIVELIIV, nom d'un personnage de l'ancien théâtre
italien.
TRIVIAL (du latin tre.<i, trois , et via, voie). On appe-
lait ainsi, au moyen âge, tout ce qui appartenait svitri-
viuvi. C'est dans ce sens aussi qu'on appelait autrefois
écoles triviales , celles oii l'on préparait les écoliers aux
écoles du degré supérieur. Ce mot, d'après son étymologie ,
serait donc synonyme à' élémentaire. Par la suite, cette si-
gnification se modifia; et ^ax trivial on entendit ce qui est
généralement connu , rebattu , et par extension , commun ,
bas; on dit, par exemple, des vérités triviales.
De trivial, on a fait trivialité.
TRIVIUM
TRIVRIM et QUADRIVIUM, An moyen âge on divi-
sait ruuiveisalité des connaissances liumaines en trivium et
quadrivium. Le trivium comprenait la grammaire, la lo-
gique ou dialectique, et ,1a rhétorique; et par quadrivium
on désignait la réunion de ces quatre sciences ou arts : l'a-
ritlimétique , l'astronomie, la géométrie et la musique.
Exceller également sur le trivium elle quadrivium, c'était
atteindre les dernières limites de l'esprit humain. Lorsque,
vers le milieu du treizième siècle, la langue vulgaire devint
d'un plus grand usage, ou substitua aux termes de trivium
et de quadrivium ceux de clergie ou des sept arts libé-
raux, classés comme suit : astronomie, musique, géo-
métrie, rhétorique, logique, physique et grammaire, sans
qu'on établit entre eux de catégories.
TRIVULCE (Famille de), l'une des plus illustres de
l'Italie , et dont l'époque la plus brillante fut le quinzième et
le seizième siècle.
Gian Giacomo Trivulzio, né en 1441, maréchal de France
sous Louis XII et François I", mourut en 1518, après
avoir figuré avec éclata la bataille de Marignan (1515).
Teodoro Trivulzio , neveu du précédent , comme lui ma-
réchal de France, fut nommé par François F"" gouverneur
de Milan peu de temps après la bataille de Pavie. Plus tard,
ce prince le nomma gouverneur de Gênes, ville qu'il fut
bieutôt forcé d'abandonner à André Doria. 11 mourut en
1531 , gouverneur de Lyon.
Gian- Giacomo- Teodoro Trivulzio, mort en 1656, fut
créé cardinal , puis nommé capitaine général de Sicile et
gouverneur de Lombardie. C'est le seul italien qui ait rempli
de semblables fonctions sous la domination espagnole. Con-
sultez Litta, Famiglie celebri italiane.
Gian-Giacomo Trivulzio, né le 22 juillet 1774, reçut
une éducation distinguée, et fit de l'étude de l'antiquité
classique, puis de celle du Dante et des écrivains de son
siècle , l'occupation favorite de toute sa vie. On a de lui une
édition très-estimée du Convito et de la Vita Nuova du
Dante. Il mourut le 9 mars 1831.
TROADE, petite contrée de l'Asie Mineure, dont
Troie était la capitale. On la prend tantôt pour la Mysie
tout entière, qui formait le royaume de Priam, tantôt pour
une partie de la côte occidentale de cette province; partie
comprise entre la mer Egée, le fleuve Rhodius, le mont Ida
et le golfe d'Adramytte. On l'appela d'abord Dardante.
TROC. Foz/e:; Change,
TROCADERO (Le). Voyez C\oix.
TROCHANTER. Voyez Fémur.
TROCHÉE. C'est ainsi que s'appelle, dans la versifi-
cation grecque et latine, un pied métrique, composé d'une
longue et d'une brève, comme dans les mots turba, foule,
âge, allons. Il tire son étymologiedusubstantifTpoxôr., roue,
parce qu'il semble courir et imprimer au chant un mouve-
ment accéléré ; il est l'opposé de l' ï a m b e , qui s'élance par
bonds.
TROCHILIDES,TR0CHILUS. Voyez Colibri.
TROCHtSQUE. Foj/es Couleur (Beaux-Arts).
TROCHITE. Voijez Encrine.
TROCHOÏDE. Voyez Cycloïde.
TROGLODYTES (du grec tpwYXoSûxai, dérivé de
Tp(î)YXri , caverne, et ôûvw, je pénètre), habitants des ca-
vernes. On appelait ainsi dans l'antiquité les peuplades qui
en diverses contrées d'Asie, ou encore en Ethiopie et en
Egypte, habitaient, dit-on, des cavernes; mais on dési-
gnait plus particulièrement sous la dénomination de Pays
des Troglodytes la côte de l'Abyssinie actuelle, sur la
mer Rouge, à partir de Bérénice, en allant toujours plus loin
vers le sud.
Au temps de l'Église primitive , on appela aussi Troglo-
dytes certains hérétiques qui , repoussés par tous les partis ,
étaient réduits à se réunir dans des cavernes,
TROGLODYTES (Zoologie). Ce nom , choisi par
Geoffroy Saint-Hilaire pour désigner génériquement le
chimpanzé, sert à désigner le premier genre de singes
TROTE
679
de la tribu des pithéciens, dans la classification de M. Isi-
dore Geoffroy Saint-Hilaire. M. Duvernoy a ajouté à ce
genre une nouvelle espèce connue sous le nom de tschego
sur la côte occidentale d'Afrique, d'où elle a été rapportée
par M. Franquet, chirurgien de marine. Si l'on cherche à
classer les singes anthropomorphes, on trouve que c'est le
genre troglodyte qui se rapproche le plus de l'homme.
Les ornithologistes donnent aussi le nom de troglodyte
à un genre d'oiseaux de la famille des dentirostres.
TROGUE-POMPÉE , TROGUS-POMPEIUS , bisto-
rien contemporain d'Auguste, né dans la Gaule Narbonnaise ,
chez les Focon^«,norissait vers l'an 41 av. J.-C. Il composa
une histoire universelle en quarante-quatre livres, qu'il inti-
tula : Historix Philippicxet totius mundi origines et terrse
situs , parce que la principale partie de l'ouvrage était
consacrée à l'histoire de la monarchie de Philippe , d'A-
lexandre et de leurs successeurs, tandis que celle des autres
peuples n'y était traitée qu'accessoirement et comme épi-
sode. L'ouvrage finissait au siècle d'Auguste. Il parait que
le style de Trogue- Pompée , comme celui des autres écri-
vains contemporains de cet empereur, était remarquable par
sa pureté et son élégance. Malheureusement son œuvre est
perdue; il n'en reste que le résumé de Justin, lequel
nous dédommage peu de la disparition de ces grandes an-
nales à laquelle il a peut-être contribué.
TROGULES. Voyez Arachmdes.
TROIE, appelée d'abord 7/io5 ou Ilium, capitale fa-
meuse de la Troade, contrée qui faisait partie de la
Mysie, en Asie Mineure, et qui comprenait le littoral de la
mer Egée s'étendanl du cap Lectum à l'Hellespont, Elle était
bornée au nord par le mont Ida et ses divers embranche-
ments , traversée par le Simoïs et le Scamandre , et dé-
pend aujourd'hui de la province turque de Liva-Karasi. L'é-
tymologie la plus ordinaire fait dériver ce nom de celui du
Tros, qui le premier aurait fondé un royaume en ces lieux.
Cette ville et tout son territoire sont restés célèbres, et
offrent un charme loui particulier de souvenirs, à cause de
l'expédition des Grecs, dont il est pour la première fois fait
mention dans les chants d'Homère, qui l'a ornée de nom-
breux embellissements; expédition connue sous le nom de
guerre de Troie, et qui se termina par la prise et la des-
truction de la ville même de Troie , l'an 1 184 , ou suivant
d'autres l'an 1 127 av. J.-C. Elle fut entreprise pour venger
l'enlèvement d'Hélène par Paris, fils de Pria m, roi
de Troie. Presque tous les princes de la Grèce avec leurs
peuples, tels qu'Agamemnon , Achille, Ulysse, Ménélas,
Nestor, Ajax, etc., y prirent part. Voyant qu'ils ne pou-
vaient arriver à aucun résultat par la force des armes, les
Grecs , suivant en cela les conseils d'Ulysse et de Calchas ,
essayèrent de la ruse, et construisirent un énorme cheval
de bois , désigné dans la tradition sous le nom de cheval
de Troie, et dans les cavités duquel se cachèrent trente
guerriers. Le perfide Sinon fit accroire aux Troyens qu'il
fallait introduire ce cheval dans leur ville comme un présent
du ciel. Quand cela eut été fait, les trente guerriers grecs
traîtreusement cachés dans les flancs du cheval de bois en
sortirent pendant la nuit , allèrent ouvrir les portes de
la ville à leurs frères d'armes , et facilitèrent ainsi la prise
de Troie. On raconte qu'En ée conduisit ensuite en Italie
une partie des habitants de Troie , et qu'il y fit la conquête
du royaume des Latins, peuple dont il opéra la fusion avec
ses Troyens.
Ce sujet, constamment traité et embelli de toutes les ma-
nières pendant l'antiquité, n'en reste pas moins une des
plus belles traditions héroïques; et il se peut que la tra-
dition en ait une base historique, telle, par exemple, que le
départ de colonieséoliennes pour l'Asie. Peut-être bien, pour-
tant, n'y faut-il voir qu'une allégorie. Le principal théâtre
de la lutte entre les Grecs et les Troyens fut la vaste cam-
pagne qui s'étendait du camp des Grecs jusqu'à la ville de
Troie, entre le mont Ida et le cap Sigeum , et appelée
plaine de Troie, qui offrait plusieurs sites remarquables, par
680
TROIE — TROLLOPE
exemple le Monl-aux-Figues, le Tombeau d'Ilios, etc. Dès
l'antiquité la plus reculée les habitants de la contrée envi-
ronnante s'efforcèrent de conserver à ces lieux tout l'intérêt
qui s'y rattachait, les uns par orgueil national, les autres
à l'effet d'en tirer profit. On montrait aux voyageurs les
tombeaux des héros morts pendant la guerre de Troie , d'A-
chille, d'Ajax, de Patrocle, d'Hector, etc. Toutefois, il y
avait déjà du temps de Strabon impossibilité de déter<-
miner d'une manière précise et certaine l'emplacement oc-
cupé autrefois par la ville de Troie. Il n'y a pas jusqu'au
ISouvcl llium, colonie éoliennede beaucoup postérieure et
qui tomba au pouvoir du général romain Fimbria, après un
siège de dix jours , dont tout vestige n'ait également disparu,
ainsi que le rapportent des voyageurs exempts de préju-
gés, quoique (l'ordinaire le village actuel de Boumer-
Baschi passe pour occuper l'emplacement du ISouvel llium.
C'est donc un travail aussi pénible qu'ingrat que de vou-
loir retrouver dans les localités actuelles les descriptions que
nous en ont laissées les anciens. On n'en doit pas moins
signaler avec reconnaissance les eiforts inlatigables tentés
dans ce but depuis la lin du dix-huitième siècle par un
grand nombre de voyageurs, parce qu'ils ont contribué
à expliquer beaucoup de pa^sages restés obscurs dans
les chants d'Homère. Après l'ouvrage du comte de Choi-
seul-Gouflicr et celui de Le Chevalier, on peut encore citer
ceux de Leake , de Prokesch-Osten , de Spohn , de Barker-
Webh, d'Ulrichs et de Forchhammer.
TROIS, du grec Tpeïi;, nombre impair, composé d'un
et deux.
TROIS (Règle de). Foyes Règle.
TROIS CHAPITRES (Les). Le concile de Chalcé-
doine avait en trois articles déclaré orthodoxe l'école de
Théodore de Mopsueste {nvdhnoa lui-même, il est vrai),
de Theodoret et d'Ibasd'Édesse. Justinien crut ramener au
giron de l'Église lesmonophysiles, aux yeux de qui ces trois
hommes étaient des nestoriens, en ne tenant aucun compte
de la décision du concile et en les condamnant , en 544, en
mêmetempsque tous les défenseurs et fauteurs de ces trois
articles ou chapitres du concile de Chalcédoine. L'évêque
de Rome, Vigile , après avoir d'abord souscrit une condamna-
tion écrite des trois chapitres, changea d'avis. Justinien
ayant rendu,en551, un nouvel éditcontreles /rois c/«o/)i;re5,
Vigile excommunia tous ceux qui s'y soumettraient, et refusa
d'assister au cinquième concile œcuménique tenu à Cons-
tantinopie, dans lequel l'édit impérial futapprouvé, en 553.
Emprisonné en punition de sa dé>obéissauce, il se rétracta,
il est vrai, l'annt'e suivante; mais il fallut encore beaucoup
de temps pour que les décrets de ce concile fussent partout
admis en 0(:<;itlent, notamment au nord de l'Afrique.
TROIS ÉVÊCH ES ( Les ). FoyeG ÉvÉcuÉs ( Les Trois ).
TROIS JEUDIS i Semaine des). Fo(/es Jeudi.
TROIS-POi\TS. On appelle ainsi les bâtiments de
guerre delà pius grande dimension, attendu que, indépen-
damment de la carcasse , ils contiennent trois ponts ou étages
garnis de canons. Les trois-ponts sont généralement ar-
més de 104 à 120 canons, et leur équipage varie de 800
hommes a 1,200. Dans ces derniers tem|is , on a aussi cons-
tiuil di8 \a\?,<e!M\ k deux ponts portant lOOcanons.
TROIS-QITARTS, grand levraut près de devenir
bouquin. Voyez Lièvke.
TROIS-QLARTS ou TROCART, instrument dont les
chiiurgiens se servent pour faire des ponctions.
TROIS-SIX. Voyez Esprits.
TROÏTZA , le plus vaste, le plus riche et le plus raa-
gnilique monastère qu'il y ait en Russie, situé dans le gou-
vernement de Moscou, à environ septmyriarnètres de cette
capitale, près du bourg de rroi/sAot , est bâti sur une hau-
teur et entouré de fortes murailles flanquées de tours, de
fossés tt de remparts. H renferme un palais impérial, une
cathédrale, neuf églises et chapelles, un séminaire pour
Je clergé russe, pourvu d'une précieuse bibliothèque, riche
surtout en manuscrits slaves, et dans lequel sont élevés
deux cents étudiants, enfin un hôpital à l'usage des pèlerins
nécessiteux. Ce monastère est en effet un lieu de pèlerinage
en grande vénération parmi les Russes, et plus de cent mille
fidèles viennent souvent dans une même année y faire leurs
dévotionsc H fut fondé vers l'an 1340, et renferme une in-
nombrable quantité d'œuvres d'art et de curiosités. Jusque
dans ces derniers temps tous les tzars et tzarines, les prin-
ces et les boyards venaient en pèlerinage au monastère de
Troïtza , et y laissaient toujours de riches offrandes. Aussi
évaluet-on le trésor de ce monastère à 600 millions de
roubles d'argent. A l'époque où furent confisqués les biens
des couvents, en 1764, il possédait 106,608 serfs.
TROLH^TTA, grande chute d'eau formée par la ri-
vière de Gœtha, en Suède , laquelle prend sa source dans
le lac Wener, et se jette dans la mer, à Gothenbourg. A
environ 14 kilomètres du château de Wener, cette rivière,
large et proionde , se précipite, sur une étendue de près de
deux kilomètres, d'une suite de rochers hauts parfois de plus
de trente mètres , en formant les cataractes les plus gran-
dioses qu'on puisse voir, et en produisant un bruit qui s'en-
tend facilement à deux myriamètres. A l'effet de permettre
aux navires de franchir ces cataractes, une société particu-
lière entreprit en 1793 la construction d'un canal latéral,
qui fut terminé en 1800, et qui coûta 360,000 rixdales. Tout
ce canal , creusé en grande partie dans le granit vif, pré-
sente l'aspect le plus imposant. H a sept mètres trente-trois
centimètres de largeur, deux mètres soixante-six centi-
mètres de profondeur, huit écluses et une différence de ni-
veau de près de quarante mètres. Pour mettre les dimensions
de ce canal en rapport avec celles du canal de Gœtha,
dont la profondeur est de trois mètres trente-trois centimè-
tres et la largeur de seize mètres, on a construit parallèle-
ment le nouveau canal de Trolhxtta,oix l'on compte dix
écluses, et dont l'ouverture a eu lieu en 1844. Ce canal ,
qui met en communication les deux mers , a établi , sur un
parcours d'environ deux cent quarante kilomètres, une na-
vigation intérieure depuis Sœderkœping et la Baltique jus-
qu'à Gothenbourg et au Cattégat, sans que les navires aient
besoin de passer par le Sund ; et chaque année il devient
plu> fréquenté.
TROLLOPE ( Franges), fille d'un vicaire d'Heckfield,
appelé Milton , est née vers 179(>. En 1809 elle épousa l'a-
vocat Trollope, qui mourut en 18.35, et qu'd ne faut pas con-
fondre avec son frère Adolphe Trollope, auteur de plusieurs
descriptions de voyages, telles que : Summer in Britany
(mo) et Summer in western France {{SU ). MistressTrol-
lope débuta en 18S2 par la publication de ses Domestic
ilunners of the Ame.ricans , oh elle a tracé un tableau si
piijuant des vices et des ridicules de la société américaine.
Quatre ans de séjour en Amérique eussent assurément per-
mis à mistress Trollope d'apercevoir et d'apprécier les bons
côtés du caractère national des Américains, s'il n'y avait
pas eu à l'avance chez elle parti pris de partialité. A ce
livre, qui produisit d'ailleurs une vive sensation, succé-
dèrent bientôt d'autres compositions du même genre , telles
que : Paris and the Parisians {i^ZQ)-, Belgium and
western Germany in 1833 ( 1834); Vienna and the Aux-
trians ( 1838 ) ; un second voyage en Belgique ( 1842 ) ; Visit
to Italy (1842) et Travels and Travellers (1846). Dans
tous ces ouvrages , mistress Trollope a fait preuve d'un re-
marquable talent pour la peinture des mœurs et l'observa-
tion du côlé extérieur de la vie , mais demeurant toujours
à la superficie des sujets, sans jamais essayer de les appro-
fondir, d'ailleurs toujours d'une révoltante partialité et ma-
niant le sarcasme et la raillerie avec une amertume qui n'a
rien de féminin.
C'est surtout dans le domaine du roman que mistress Trol-
lope s'est montrée fécond écrivain. Le premier ouvrage de ce
genre qu'elle ait publié, The Refugee in America, témoigne
aussi desaviveantipalhiepourle peuple qu'elle veut peindre.
En 1837 parut JAe Ficaro/IF/ex/îi//, l'unedeses meilleures
productions. SalFirfow£a/7ia&y(1838)estaussiun ouvrage
TROLLOPE — TROMP
681
des plus intéressants, et contient c'excellentes descriptions, i
La suite, The Widowmarried (1840), est moins heureuse.
Son Romance qf Vienna ( 1838) est quelque chose de fort
bizarre. MichaelArmsIrong, or the factory boy ( 1 840), n'est
qu'une (aible imitation de V Oliver Tioistàe. Diciiens. Dans One
Fault, elle a essayé de peindre les suites de l'orgueil et de la
susceptibilité. En 1841 panneni The blue Belles ofEngland
el Charles Chesterfield ; en 1842, The Ward qf Thorpe
Combe; en 1843, Margrave, Jessie Philips el The Lau-
rinytons;en 1844, The scottish Heiress; en 1845, The
attractive Mon ; en 1846, The Robertsons and their ira-
vels ;en 1847, Fathcr Eustace ;en \^bQ,Petticoat Govern-
ment ;en 1851, Second Love; en 1852, UncleW aller; en
1853, The young Heiress; en 1854, Adventvres of a
élever Woman. Quand un écrivain produit des livres avec
une telle fécondité, il est évident que la majeure partie de ses
ouvrages ne sont destinés qu'à servir de pâture aux abonnés
des cabinets de lecture, toujours plus friands de la quantité
que la qualité.
TROMBE, météore aérien et quelquefois aqueux, dont
la violence et l'étendue peuvent causer de grands désastres.
Qu'on se représente une colonne d'air verticale ou peu in-
clinée , atteignant par son extrémité inférieure la surface de
la terre ou de la mer et par le haut un sombre nuage ; qu'on
la voye se mouvant dans l'atmosphère, tantôt avec la vi-
tesse de l'ouragan , et tantôt avec une lenteur qui permet
d'éviter sa rencontre, et tournant en môme temps sur elle-
même avec une prodigieuse rapidité, versant des torrents
d'eau capables d'entraîner les arbres, les terres, les rochers :
telle est une de ces trombes qui laissent sur la terre des
Testiges durables de leur passage et qui sont la terreur des
marins dans les parages équatoriaux , et même au delà des
tropiques. Lorsque des trombes semblables à celles-ci se for-
ment sur la mer, on voit à leur base un autre fait de la raré-
faction de l'air par le mouvement verticulaire: l'eau se tumélie
et s'élève en forme de cône arrondi au sommet. Dans ce
cas, le météore est beaucoup moins redoutable, il ne me-
nace point de faire couler bas le navire en l'inondant, il
ne peut agir que par son choc ; mais c'est encore un danger.
Quelques-unes de ces trombes courent si vite et sont d'un
volume si effrayant qu'il est très-difficile de leur échapper ;
on peut en juger par les tranchées de plusieurs centaines
de mètres delaigeur ouvertes dans de vastes forêts par des
trombes terrestres, qui n'avaient pas même le temps de
mouiller le terrain qu'elles dévastaient. Quant à celles qui
Tont puiser dans un nuage les eaux qu'elles versent sur la
terre ou dans la mer, on peut juger de leur puissance par
celle qui, franchissant en 1813 le sommet du Lomnitz,
l'un des pics de la chaîne des monts Carpathcs, sillonna de
ravins profonds les flancs de cette montagne sur une hau-
teur de 1,800 mètres, entraînant des rochers énormes et
des terres qui ont exhaussé le fond de la vallée par-dessus
les cultures, ensevelies.
Quelques physiciens voient l'origine des trombes dans
l'existence de deux vents opposés qui passent l'un à côté de
l'autre. Beaucoup d'autres , parmi lesquels se trouve Peltier,
reconnaissent à ces météores une cause électrique. Peltier
tire ses preuves de la forme des nuages noirs qui se grou-
pent en pyramides tout en s'abaissant vers la terre, des
corps légers que ces nuages attirent vers eux , des arbres
qui alors se brisent et se tordent sans être déracinés, el
qui sont comme disséqués et clivés en lattes ; il s'autorise
des corps mobiles que les nuages transportent au loin ,
des édilices qu'ils abattent comme par attraction; des
éclairs qui sillonnent fréquemment ces mêmes nuées, des
coups de tonnerre qui succèdent aux éclairs , de l'odeur
soufrée qui alors se fait quelquefois sentir, de même que de
quelques indices de sourde combustion qu'il n'est pas rare
d'observer; enfin, d'un ensemble de caractères qui rap-
pellent ceuv de la foudre. Cette théorie , au reste , n'est pas
seulement spéculative, elle a une grande importance quant
à la réparation des dommages. Les compagnies d'assurances
contre l'incendie se portent garantes contre le feu du ciel et
les effets <ie la foudre tout aussi bien que contre le feu
qu'aurait allumé la main de l'homme. Les éclairs, le feu
du ciel et les autres effets électriques emportent l'idée d'in-
demnité du fait des compagnies; mais le désastre est irré-
médiable et ruineux pour les propriétaires lorsque le vent,
im ouragan ou tornado, en est réputé la cause unique.
C'est dans ce sens qu'ont été jugés les procès concernant les
trombes de Châtenay (1839), de Monville et Malaunay
( 1845 ) : les compagnies d'assurances en ont été déclarées
responsables , l'électricité paraissant être la principale cause
des désastres survenus dans ces localités.
TROMBLON. Voyez Espingolk.
TROMBO[\E. Voyez Trompette.
TROMP (Martin Harpektzoon), l'un des plus illustres
marins qu'ait comptés la Hollande, naquit en 1597, à Briel ,
et entra dès l'âge de huit ans dans la marine. Plus tard il
accompagna l'amiral P. Heijn dans toutes ses campagnes.
En 1639 il fut nommé amiral de Hollande et attaqua aussitôt
à la hauteur de Gravelines une grande flotte espagnole,
dont il détruisit cinq vaisseaux de ligne et quatre fré-
gates. Au mois d'octobre de la même année, il attaqua dans
Fes dunes la formidable flotte espagnole commandée par
Oijuendo, et la victoire complète qu'il remporta rendit son
nom célèbre dans toute l'Europe. Le roi de France lui oc-
troya à cette occasion des lettres de noblesse. Tromp fut
moins heureux dans la guerre qui éclata en 1652 entre la
Hollande et l'Angleterre ; à la suite d'un combat qu'il en-
gagea de nouveau à la hauteur des Dunes avec l'amiral
anglais Blake, force lui fut de battre en retraite. Cet échec
détermina le gouvernement à le remplacer par Ru y ter.
Cependant, on lui rendit son commandement dès la môme
année. En 1653 Tromp et Ruyter livrèrent à la flotte an-
glaise aux ordres des amiraux Monk, Dear et Blake, une
bataille qui dura trois jours, et dans laquelle les amiraux
hollandais furent battus. Désireux de prendre sa revanche,
Tromp attaqua au mois de juin suivant la flotte anglaise à
Newport , mais fut repoussé avec une perte considérable.
Dès qu'il eut réparé ses avaries, il fit voile de conserve
avec Ruyter et à la tête de quatre-vingt-cinq bâtiments de
guerre vers les côtes de la Zéelande, où il rencontra la flotte
anglaise, forte de quatre-vingt-quatorze voiles. Le 6 août
1653, la flotte hollandaise ayant été portée au chiffre de cent-
vingt voiles par l'arrivée de Witt, l'affaire s'engagea entre
Schoveningen et la Meuse. Le premier jour ne décida rien.
Le second jour, Tromp parvint à rompre la ligue de l'en-
nemi; mais bientôt il se vit entouré par les bâtiments de la
flotte anglaise. 11 combattit alors avec l'intrépidité du dé-
sespoir. Atteint d'un coup de mousquet, il tomba en s'é-
criant : « Du courage, camarades ! quant à moi, je meurs
glorieusement ! » Tous les efforts tentés par les divers ca-
pitaines de vaisseau pour ranimer le moral de leurs équi-
pages furent inutiles, une fois qu'on connut la mort de
Tromp ; et un désastre complet mit lin à la bataille ainsi
qu'à la guerre. Les dépouilles mortelles de Tromp furent
déi)osées en grande pompe dans l'église de Délit , oîi on lui
éleva un monument magnifique.
TROMP (Cornélius), fils cadet du précédent, né en
1629, commanda dès l'âge de dix-neuf ans un bâtiment de
guerre chargé de donner la chasse aux pirates d'Afrique.
Deux ans plus tard l'a(nirauté d'Amsterdam lui conféra le
grade de contre-amiral. En lfi65, dans la guerre qui éclata
entre l'Angleterre et les Provinces-Unies , il assista à la
bataille de Solebay, dans laquelle la flolle hollandaise eut
le dessous. Mais, par une adn»irable retraite, Tromp parvint
à ravir aux vainqueurs la plupart des avantages de la vic-
toire. Son courage et son habileté comme homme de mer
permirent à Tromp d'hériter de la gloire et du grand nom
de son père; aussi de Witt, quoique son adversaire pohtique
attendu que Tromp était orangiste, lui maintint-il le com-
mandement de la Hotte jusqu'à l'arrivée de Ruyter. Dans
la bataille de quatre jours qui se livra devant les Dunes,
6^2
TROMP — TROMPETTE
en 1666, Tromp fit preuve d'autant d'intrépidité que d'ha-
bileté. Au mois d'août de la même année, s'ctant engagé
imprudemment à la poursuite d'une Hotte anglaise, il fut sé-
paré du reste de la (lotte hollandaise et ne put porter se-
cours à Ruyter, qui dut se retirer devant l'ennemi. Tromp
réussit, il est vrai, à ramener son escadre en bon état
au Texel; mais sur une plainte déposée par Ruyter, il
perdit son commandement. La guerre ayant éclaté de
nouveau en 1673, guerre où la Hollande dut lutter contre
la France et l'Angleterre , il reprit du service, et se récon-
cilia complètement avec son rival. Quand, en 1C75, au ré-
tablissement de la paix, il alla visiter l'Angleterre, il reçut
dans ce pays l'accueil le plus honorable, et fut même créé
baronet par Charles II. A la mort de Ruyter, il lui suc-
céda dans le grade de lieutenant général amiral des Pro-
vinces-Unies; mais pendant la guerre suivante il accepta
du service en Danemark, et prit une part importante aux
conquêtes faites alors dans le Nord par cette puissance. En
1691 il venait d'être nommé commandant en chef de la
flotte hollandaise, lorsqu'il mourut à Amsterdam, le 29 mai.
On plaça sa dépouille mortelle à côté de celle de son père et
dans le n)ême mausolée.
TROMPE ( Histoire naturelle ). Voyez Éléphant.
TROMPE (Musique). Voyez Trompette.
TROi^IPE (Technologie). Voyez Machines soufflantes.
TROMPE D'EUSTACHE. Voyez Oreille.
TROMPE-L'OEIL. Les peintres désignent ainsi les
tableaux où certains objets sont représentés avec un fini
tel que l'illusion est complète et que l'oeil les prend pour la
réalité. C'est ce que les Italiens appellent des inganni. Qui
ne connaît l'histoire des trompe-Vœil de Zeuxis et de son
confrère Parrhasi us? On raconte que le Bassan avait
peint sur un tableau un livre avec tant de vérité qu'Annibal
Carrache y porta la main pour le prendre. Ce même Carra-
che exécuta un tableau sur lequel était représenté un cheval
dont la vue fit hennir un cheval vivant. Un peintre de l'école
romaine, Jean Rosa, peignit des lièvres qui attirèrent des
chiens. Bernazzano ayant peint un fraisier dans une basse-
cour, les paons se mirent à lebecqueter. JeanContarinofit un
portrait si ressemblant, que des chiens et des chats le prirent
pour leur maître, et s'en vinient le caresser. On cite encore
le buste d'un abbé peint par Charles Coypel, qui découpé et
placé dans une galerie derrière une table, dans un jour
convenable, produisait une illusion telle que diverses per-
sonnes s'avisèrent de le saluer, le prenant réellement pour
l'original, lequel était de leurs intimes. Le talent de Gen-
nari en ce genre était si grand, qu'on lui décerna le surnom
de magicien de V Italie ; cependant Bra mantino est encore ce-
lui de tous les artistes modernes qu'on regarde comme ayant
été le plus habile dans l'art d'exécuter des trompe-l'œil.
TROMPERIE. Voyez Dol.
TROMPETTE, TROMPE, TROMBONNE. Nous avons
réuni dans cet article trois instruments de cuivre qui ap-
partiennent à la même division et qui rendent des sons
modulés par la seule action du souffle et du mouvement
des lèvres, au moyen d'une embouchure concave et sans
le secours des trous dont sont percés tous les autres ins-
truments à vent. Le cor, qui est le quatrième instrument
de cette espèce, a déjà un article spécial dans ce dictionnaire.
La ^roîH/>e, le plus ancien de ces instruments, celui qui
a donné l'idée des autres, est originaire d'Allemagne, où
elle était appelée waldhorn (corne des bois). C'était d'a-
bord une simple corne de bœuf, dont se .servaient les
chasseurs el les bergers. Plus tard, on lui .substitua une
matière plus sonore, mais en conservant à l'instrument sa
forme primitive. Après plusieurs modifications et des per-
fectionnements successifs, il est parvenu, sous le nom de
cor ou trompe de chasse, au point satisfaisant où nous le
voyons aujourd'hui ; car, malgré le peu de justesse et le son
rauque de quelques-unes de ses notes , l'éclat et la force
de sa sonorité le rendent très-propre à l'emploi qu'on en
fait à la chasse.
La trompette est une modification perfectionnée de la
trompe. Elle fut d'abord employé* seulement pour les fan-
fares de la cavalerie; mais de nouvelles améliorations la
firent bientôt admettre dans les orchestres. Elle sonne l'oc-
tave aiguè du cor, et peut, comme lui , changer ses intona-
tions au moyen de tubes additionnels, qui permettent d'allon-
ger le corps principal de l'instrument ; mais elle n'a que des
sons ouverts. Ceux que l'on pourrait obtenir par l'introduc-
tion de la main dans le pavillon sont tellement sourds qu'on
peut à peine les apprécier. Vers le commencement de ce
siècle, un Anglais nommé Halliday eut l'idée d'ajouter des
clés à la trompette ; le résultat de cette tentative fut des plus
satisfaisants, non pas comme perfectionnement, mais comme
invention d'un nouvel instrument sur lequel on peut exé-
cuter toutes espèces d'airs en sons ouverts, et dont le timbre
et la qualité de son ont peu d'analogie avec ceux de la
trompette ordinaire. Cette trompette à clés, appelée par l'in-
venteur bugle-horn, est fort en usage aujourd'hui dans la
musique mihtaire, surtout celle de la cavalerie.
Le trombone est une modification de la trompette ordi-
naire, dont les sons se modulent au moyen d'une pompe à
coulisse qui permet d'allonger le tube sonore dans une pro-
portion telle que l'instrument peut sonner les notes graves
i de la basse. Le trombone , comme disent les musiciens , a
i trois dimensions qui correspondent à trois étendues de son
' différentes: le plus petit, le trombone alto, rend les sons
les plus aigus de cette division d'instruments de cuivre; le
moyen , le trombone ténor, donne les notes du médium ,
et enfin, le plus grand, le trombone basse, sonne les notes
: les plus graves. Cet instrument s'emploie presque tou-
jours en trio, soit à l'orchestre, soit dans la musique mili-
I taire, où il est indispensable. Le son en est très-énergique
dans les forte ; dans les piano, il est d'une expression
étrange et d'un effet qu'il serait impossible de rendre n'im-
porte avec quelle combinaison. Réunis aux autres instru-
ments de cuivre, tels que les trompettes, les cors et les opiiy-
cléides, les trombrones complètent un ensemble dont un
compositeur habile peut tirer des effets de l'expression la
plus sublime. Le trombone, originaire d'Allemagne, comme
son type primitif, fut introduit en France par le célèbre
compositeur Gossec, qui le fit entendre pour la première
fois dans son opéra des Sabines, en 1773.
Charles Béchem.
Trompette s'emploie aussi au figuré. Emboucher la ti'om-
pette, c'est , en poésie, prendre un ton sublime , élevé ; dé-
loger -sans tambour ni trompette, c'est se retirer sans bruit;
être un bon cheval de trompette, c'est ne s'effrayer de rien,
s'émouvoir difficilement.
Comme instrument militaire la trompette remonte à la
plus haute antiquité; elle était en usage dans la cavalerie,
où elle s'est conservée jusqu'à nos jours. Les Hébreux s'en
servaient dans les charges et pour rallier les escadrons ; les
Atiiéniens et les Macédoniens, dans les marches et au mi-
lieu de la mêlée. Les Romains avaient deux sortes de trom-
pettes, les unes droites et les autres courbes ou tortues,
dont l'extrémité était fort évasée. Les premières servaient à
sonner la charge et la retraite, les autres à donner le si-
gnal du combat. Chez nous les trompettes étaient autrefois
garnies d'une draperie ou banderole brodée aux armes de
France, à celles du colonel, ou bien elles portaient les mêmes
ornements que l'étendard du corps.
On donne aussi le nom de trompette au cavalier qui
sonne de cet instrument. Jl y a quatre trompettes par esca-
dron , un brigadier trompette et un trompette major i)ar ré-
giment. Aux avant-po.stcs, un parlementaire ne marche
jamaissans êtrt' accompagné d'un trompette ou d'un tambour.
Par trompette marine on désignait autrefois un instru-
ment depuis longtemps complètement en désuétude, et qui
consistait en une caisse de bois de figure triangulaire offrant
un cône très-allongé, et sur l'une des faces duquel s'éten-
dait une corde de boyau qui se pressait avec le pouce de la
main gauche, tandis que de la droite
on faisait agit
TROMPETTE — TROPE
683
l'archet en tenant l'instrument soit sur l'épaule, soit comme
la coutre-basse. C'est l'analogie des sons produits par cet
instrument avec ceuv d'une trompette qui lui avait fait don-
ner le nom de trompette marine, quoique ce fût une espèce
de monocorde.
TROMPETTE (Château). Voyez Bordeaux.
TROMPETTE DE MÉDUSE. Voyez Narcisse.
TROMPETTE DU JUGEMENT. Voyez Datura.
TROMPETTES (Fôte des ), solennité qui se célébrait
chez les anciens Juifs le premier jour du septième mois de
l'année sainte, qui était le premier mois de l'année civile. Ce
jour était saint entre tous; toute œuvre servile y était in-
terdite ; et au nom de la nation on y offrait un holocauste
solennel, composé d'un veau, de deux béliers et de sept
agneaux de l'année, avec les offrandes de farine et de vin que
l'on avait habitude de Joindre à ces sacrifices. On croit que
cette fôte avait été instituée en commémoration du tonnerre
que l'on avait entendu sur le mont Sinai, lorsque Dieu y
avait donné la loi. Suivant les rabbins, ce serait en mémoire
de la délivrance d'Isaac, à la place duquel Abraham immola
un bélier. Chez les Juifs modernes, la/e7e des trompettes
est l'époque où ils ont coutume de s'adresser mutuellement
des vœux de bonne année. Ils la célèbrent par un festin,
dans le cours duquel on sonne de la trompette à diverses re-
prises.
TRONC (du latin truncus). On appelle ainsi, en 60-
tanique, le corps principal d'une tige branchue ou rami-
fiée. Par analogie, on désigne sous ce nom, en anatomie, le
buste du corps humain, à l'exclusion de la tête, des bras et
des cuisses, et aussi le corps principal d'une artère oud'une
veine, à la différence de ses branches et de ses rameaux.
En ce sens, ce mot s'emploie plus particulièrement pour cer-
taines parties de l'artère et de la veine cave.
Les architectes appellent ^ronc le fût d'une colonne, et
aussi la partie d'un piédestal qui est entre la base et la cor-
niche.
On entend encore par tronc un de ces coffres en bois
qu'il est d'usage de placer dans les églises et destinés à rece-
voir les aumônes des fidèles. On n'en vit en France que vers
la fin du douzième siècle, sous le pontificat d'Innocent III.
Aujourd'hui, on en établit partout où il y a une grande
réunion provoquée dans un but de bienfaisance , quelquefois
même là où la foule n'est attirée que par le plaisir. Certes
c'est une bonne pensée que de rappeler ainsi aux hommes
qui sont dans la joie ceux de leurs semblables qui souffrent.
TRONC ( Géométrie). Nous avons défini ailleurs le tronc
depy r ami de.Le tronc de prisme est le solide que l'on
obtient en coupant un prisme par un plan non parallèle à
ses bases. Sa mesure est égale au produit de l'une de ses
bases par la perpendiculaire abaissée du centre de gravité de
l'autre base sur la première.
TRONCHET (François-Denis), avocat, l'un des dé-
fenseurs de Louis XVI, était né à Paris, en 1726. Destiné
par son pèreàla carrière du barreau, la faiblesse de sa poi-
trine l'empêcha de se livrer à la plaidoirie. Dès lors il dut
se borner à être avocat consultant. Mais dans celte sphère
d'action si restreinte, il ne laissa pas que de se faire une
grande réputation , et en 1789 Paris l'élut pour l'un de ses
députés aux états généraux. Il s'y montra partisan de la
monarchie modérée, mais en môme temps de la réforme
des nombreux abus existants, et combattit énergiquement en
toutes occasions le parti de l'anarciiie. Tel était son renom
de droiture et de probité, qu'en 1792 Louis XVI voulut l'a-
voir pour l'un de ses défenseurs; et Troncbet n'hésita pas
à se rendre aux vœux de l'infortuné monarque. Mais son
plaidoyer, aussi courageux que bien pensé, ne produisit
que peu d'effet, parce que l'orateur insista plutôt sur les
considérations politiques que sur les principes de droit. A
l'époque de la terreur, Tronchet réussit à se faire oublier
par les pourvoyeurs de la guillotine. Après l'établissement
du Directoire, il entra, comme représentant du département
de Seine-et-Oise , au Conseil des Cinq Cents, où il rendit
de grands services en raison de l'étendue de ses connais-
sances comme jurisconsulte. A l'époque du consulat, il fut
créé membre et plus tard président de la cour de cassa-
tion. Bonaparte, qui l'estimait sans l'aimer, lui confia,
ainsi qu'à Bigot de Préameneu, à Maleville et à Portails,
la rédaction du nouveau Code Civil ; tâche dans l'ac-
complissement de laquelle il eut le mérite de faire prévaloir
dans notre nouvelle législation les dispositions de notre
vieux droit français contre les prescriptions du droit ro-
main. En ispi il fut appelé à faire partie du sénat. Il mou-
rut le 10 mars 1806 , et l'empereur le fit enterrer en grande
pompe au Panthéon.
TRONCHIN, ancienne famille française, qui se réfugia
à Genève au seizième siècle, par suite des persécutions reli-
gieuses, et qui a produit plusieurs hommes distingués.
Théodore Tronchin, né à Genève, en 1582, fut professeur
et recteur à l'académie de cette ville et l'ami du duc de
Rohan. Au synode tenu à Dordrecht, en 1618, il se mon-
tra l'adversaire de la doctrine d'Arminius. Il écrivit en
faveur de la réunion des protestants et des réformés,
et mourut en 1G57.
Un autre Théodore Tronchin, né à Genève, en 1709, l'un
des médecins les plus célèbres de sou siècle , mérita bien
de l'humanité par ses efforts pour propager la méthode de
l'inoculation. Il fit .ses études à Cambridge, puis se rendit
en Hollande, où il devint l'un des disciples de Boerhaave.
Après avoir pratiqué pendant quelque temps à Amsterdam,
et avoir été président du conseil médical de cette ville , il
fut appelé à Genève, en 17àO, avec le titre de professeur
honoraire. Sa réputation alla toujours en augmentant; et di-
vers princes étr.mgers s'efforcèrent de le déterminer à en-
trera leur service. Il finit par accepter la place de médecin
ordinairedu duc d'Orléans , et mourut avec ce titre, à Paris,
le 30 novembre 1781. Il consacrait chaque jour deux heures
à donner des consultations aux malades pauvres, et il leur
distribuait, en outre, des secours en argent.
Jean-Robert Tronchin, né h Genève, en 1711, membre
du grand conseil de Genève, dont il prit la défense dans ses
Lettres écrites de la campagne, en réponse auxquelles
Rousseau composa ses Lettres de la montagne, possédait
des connaissances en droit politique d'une rare étendue;
aussi fut-il employé de bonne heure dans diverses négocia-
tions diplomatiques , puis nommé procureur général. A l'é-
poque des troubles de Genève, il se montra l'adversaire
décidé du principe démocratique, donna sa démission de
toutes fonctions publiques, et vécut depuis à la campagne,
où il faisait le plus noble usage de sa grande fortune. Mon-
tesquieu, lord Mansfield, Voltaire et Jean de Mu lier, l'ins-
tituteur de ses enfants , furent au nombre de ses amis. Il
mourut en 1793.
TRONDHIEM. Voyez Drontheim.
TRÙNE, qu'on écrivait autrefois THRONE ( du grec
ôpôvoç), siège élevé sur lequel prennent place les souverains
dans les occasions d'apparat. C'est Napoléon , qui dans un
accèsde brusque franchise , définissait le trône yr^a^re JMor-
ceaxix de bois recouverts de velours.
Au pluriel, trônes est dans la hiérarchie céleste le nom
d'un des neuf chœurs des anges : les anges, les archanges,
les trônes, les dominations, etc., etc.
TRÔNE (Astronomie). Voyez Cassiopée.
TROPE (du grec rpÔTtoç, conversion), figure de mots
par laquelle on fait prendre à un mot une signification qui
n'est pas la sienne, et ainsi appelée parce que quand on
prend un mot dans le sens figuré, on le tourne, pour ainsi
dire, afin de lui faire signifier ce qu'il ne signifie pas dans
le sens propre. Voiles , dans le sens propre , ne signifie
point vaisseau; les voiles ne sont qu'une partie du vais-
seau : cependant, on dira d'une escadre, d'une flotte, qu'elles
se composaient de vingt, de trente voiles, au lieu de vingt,
de trente vaisseaux. Dans le premier cas, il y a une figure,
un trope ; la partie est prise pour le tout. Dans le second, la
pensée se trouve également bien exprimée, mais il n'y a
684
TROPE — TROPICALES
point de figure. C'est un trope célèbre que cette parole adres-
sée par Louis XIV à son pelit-lils le duc d'Anjou partant
pour aller prendre possession du trône d'Espagne : « Mon
iils, il n'y a plus de Pyrénées! » Assurément le grand roi
n'entendait pas dire par là que les Pyrénées avaient été tout à
coup abîmées, anéanties; et personne non plus ne se méprit sur
le sens propre de l'expression figurée qu'il employait pour
donner plus d'ampleur et d'éclat à sa pensée. Les traités
de rhétorique enseignent que les principaux tropes sont la
métonymie, la métaphore et la synecdoche;
quelques-uns y ajoutent môme l'a 1 1 égorie et la person-
nification. Mais on n'est pas encore daccord sur la question
de savoir quels sont ceux des tropes qui appartiennent à la
grammaire, et ceux qui appartiennent à la rhétorique.
TROPHÉE (du grec Tpônatov ). Au propre ce mot si-
gnifie un groupe de drapeaux , de casques, de cuirasses et
d'armures, etc., le plus ordinairement sculpté sur pierre ou
bien en bronze , et servant d'ornementation architectonique
à un monument élevé en commémoration de quelque con-
quête ou de quelque haut fait. A l'origine, ce n'était qu'un
tronc (le chône auquel on appendait les dépouilles ou les
armes des ennemis vaincus. Le trophée se dressa d'abord
immédiatement après la victoire, sur le champ de bataille
même. Plus tard on imagina de faire porter les trophées de-
vant le char du triomphateur (roj/e:; Triomphe ) ; puis, afin
de rendre la gloire de celui-ci plus durable, ou en construisit
en pierre, en marbre ou en toute autre matière solide. Des
Grecs celte coutume passa aux Romains. Le premier dont
leur histoire fasse mention est celui que Caius Flaminius,
en Taunée 530 , fit mettre dans le tem|)le de Jupiter, après
qu'il eut vaincu les Insubriens. Les plus célèbres trophées
élevés à Rome au temps de la répidiliqiie étaient les deux
trophées de Marins. Ils étaient en marbre. Sylla les ren-
versa ; mais, pendant sonédilité. César les releva. Auguste
fit ériger sur les Alpes un trophée à sa gloire. Les colonnes
Trajaue et Antoniue sont de véritables trophées. Indépen-
damment des trophées élevés sur les places publiques , l'u-
sage s'établit plus tard à Rome d'en mettre également dans
les demeures pariiculières, où ils servaient d'ornements aux
portiques ou vestibules.
A l'exemple des anciens, les modernes ont exécuté des
trophées en marbre , en pierre, en bronze , soit de ronde
bosse, soit de bas-relief. Ils se composent de casques , de
lances, d'enseignes ou drapeaux, de tambours ou de canons.
Cependant, en architecture, on emploie plus ordinairement
les trophées imités de l'antique. Onadmet encore en archi-
tecture d'autres espèces de troi)liées, par exemple: \q trophée
de sticnce, formé de livres , de sphères , de globes , d'ins-
truments d'astronomie, de physique et de chimie , etc.; le
trophée de marine, consistant en proues et poupes de na-
vires , ancres, pavillons, éperons de galère, etc.
Dans le langage figuré, on entend par trophées les dra-
peaux , les étendards et les pièces de canon enlevés à l'en-
nemi.
TROPHONIUS, Iils d'Erginus, roi d'Orchomène, en
Béotie, ou, suivant d'autres, d'Apollon, construisit avec son
frère Agamède le premier temple qu'Apollon ait eu à
Delphes, de même que l'édifice où Hyriée , roi d'Hyrie, en
Béotie, renfermait son trésor. Dans Tune des murailles de
ce bâtiment Tropbonius avait disposé une pierre de telle
sorte qu'il lui était facile de l'enlever et de parvenir ainsi
jusqu'au trésor du roi sans fracturer les portes de l'édifice.
Hyriée voyant son trésor diminuer de jour en jour, tendit un
piège aux larrons inconnus. Agamède y fut pris; mais
'f rophoniiis , pour ne point être trahi , lui coupa la tête et
s'enfuit dans une forêt aux environs de Lébadée, où, suivant
la fable, il fut englouti par la terre.
Dans cette forêt, Tropbonius eut plus lard un oracle cé-
lèbre, qui se rendait dans un antre. Celui qui voulait l'in-
terroger devait se glisser à reculons dans cette caverne ,
après avoir été astreint préalablement à accomplir une foule
d'épreuves de nature à lui inspirer une vive terreur .Les
réponses envoyées du fond de l'antre aux questions des vi-
siteurs étaient aussi mystérieuses que bizarres, et considé-
rées comme provenant des enfers , attendu que Tropbonius
faisait partie du monde infernal. Ceux qui pénétraient dans
cet antre conservaient pendant le reste de leur vie une vive
impression de découragement et de tristesse. On n'a plus
les ouvrages que Dicéarque et Plutarque avaient composes
sur l'oracle de Tropbonius. Voyez Nymphée.
TROPHOSPERME. Voyez Péricarpe.
TROPICALES (Maladies). Ce sont celles qui do-
minent plus particulièrement dans les régions tropicales
( voyez l'article ci-après ), et qui proviennent de leurs con-
ditions climatériques. Les modifications qui sous le soleil
des tropiques surviennent dans la constitution physique des
Européens consistent d'abord dans la diminution de plas-
ticité du sang, de laquelle il résulte que les infiammations
y sont plus rares, que les plaies y guérissent plus aisément,
que le pouls s'affaiWit, que les maladies intestinales et les
écoulements muqueux se développent avec plus de faci-
lité. En revanche, sous ces climats la respiration des pou-
mons s'opère avec plus d'aisance , et on perd la disposition
aux catarrhes des voies aériennes ainsi qu'aux maladies
des poumons en général. Les autres influences exercées
par les régions tropicales sur le corps des Européens sont
de faire pâlir et jaunir la peau, d'effacer la rougeur des
joues, d'affaiblir la digestion, d'où résulte l'impossibilité de
supporter des aliments gras , de rendre plus paresseux, de
diminuer le plaisir qu'on trouvait au mouvement de même
que l'intérêt pour toute émption intellectuelle supérieure.
Les maladies qui dès lors se développent le plus ordinaire-
ment sous les tropiques sont la dyssenterie, les vomisse-
ments et la diarrhée, la pléthore abdominale ou l'accumula-
tion du sang dans les intestins , l'hépatite ou inflammalion
du foie, les fièvres bilieuses et les fièvres intermittentes.
TROPICALES ou ÉQUINOXIALES (Régions). On
appelle ainsi les contrées situées entre les deux tropiques.
On y trouve réuni tout ce que le règne végétal et le règne
animal offrent de riche et de grandiose. A une élévation de
4,800 mètres, depuis les buissons de palmiera et de pi-
sangs des rivages de la mer jusqu'aux neiges éternelles, on
rencontre les climats les plus divers se succédant pour ainsi
dire par couches. La température moyenne de l'année ne
subit d'ailleurs presque pas de modification sensible du fait
même de l'élévation. Sous les tropiques , toute montagne a
des particularités à elle propres, et dont la nature varie à
l'infini. Cela est si vrai , qu'un versant de la chaîne des
Andes, au Pérou, haut de 1,000 mètres, présente dans ses
produits plus de diversité qu'une superficie de terrain d'une
étendue quadruple sous la zone tempérée. C'est ce qu'on a
surtout lieu d'observer dans l'espace compris entre le 10° de
latitude méridionale et le 10° de latitude septentrionale.
A mesure qu'on avance davantage vers la zone tempérée, il
y a plus d'incertitude et d'inégalité. Dans les contrées tro-
picales les plus chaudes , la chaleur moyenne est de 27° ,
tandis qu'elle n'est à Rome que de 15", et à Paris de 11°;
or, la diminution de la chaleur subit constamment une pro-
portion telle, que celui qui sous les tropiques parvient à
une élévation de 1,550 mètres de la chaîne des Andes y
passe du climat de Rome à celui de Berlin. La pression
atmosphérique doit naturellement varier beaucoup dans de
telles circonstances. Quelque sèches que soient les couches
d'air sur les montagnes, le sommet en est presque constam-
ment entouré de nuages qui , dans ces hautes et désertes
régions, donnent au règne végétal une brillante et incom-
parable verdure. L'atmosphère des régions tropicales les
plus chaudes, qui reste pourtant pure de tout nuage pendant
plusieurs mois de suite, renferme une telle masse d'eau, que,
malgré une sécheresse qui dure de cinq à six mois, les
plantes peuveut y subsister rien que par l'absorption de
l'humidité contenue dans l'air. Les arbres restent constam-
ment ornés de leur feuillage dans des contrées où, comme
à Cumana, par exemple, il n'y a souvent ni pluie ni ro-
TROPICALES — TROPPAU
6 H.:
cée , pas même de nuages , pendant dix mois de suite. Les
profondes couclies d'air n'y présentent d'ordinaire qu'une
très-faible charge électrique, qui paraît, au contraire, être
réunie avec les nuages. Cette absence d'équilibre provoque
de violents orages, dans les pays de plaines dans l'après-
midi, et dans les vallées des fleuves ordinairement pendant
la nuit. Les orages les plus violents sont ceux qui éclatent
dans les pays de montagnes ; mais ils sont rares à une élé-
vation de plus de 2,000 mètres. Quand on atteint encore
une plus grande hauteur, ils ne sont tout au plus sensibles
que par la chute de la grêle et de la neige.
La couleur bleue de l'atmosphère est sous les tropiques
bien plus foncée qu'à pareille élévation sous les zones tem-
pérées.
Les plus belles nuits d'été en Espagne et en Italie ne
sont point comparai)les à la silencieuse majesté des nuits
tropicales. Près de l'équateur tous les astres brillent d'une
calme lumière planétaire, et c'est à peine si on peut les aper-
cevoir scintiller à l'horizon. Les plus faibles télescopes qu'on
apporte de l'Europe dans les deux Indes semblent y ga-
gner en puissance, tant est grande et constante la transpa-
rence de l'atmosphère tropicale. La pureté en est telle (pi'à
liautenrs égales la linnière du soleil y est bien plus vive
qu'en Europe; aussi y est-on bien moins incommodé par
la chaleur que par l'éclat du jour. Le disque obscur de la
lune, qu'ordinairement on ne peut pas apercevoir dans nos
climats , brille dans les régions tropicales d'une lumière
rougeâtre , comme la pleine lune , alors qu'elle s'élève au-
dessus de l'horizon terrestre.
Dans la région des palmiers et des bananiers, à partir
des bords de la mer jusqu'à une élévation de 1,000 mètres,
on rencontre le mais, le cacao, l'anana, l'oranger, le caféier,
la canne à sucre et l'indigo ; et en outre, les serpents gigan-
tesques, les crocodiles, les sapajous, lésais, les perroquets,
les lions, les jaguars, les tigres, les cerfs, les ours myrméco-
piiages, les mouches vénéneuses, les taons, les araignées et
les fourmis : dans la région des fougères, c'est-à-dire à une
élévation de 1,000 à 2,000 mètres, toutes les espèces de
céréales, le colon , le tapir et le porc-épic ; dans la région
supérieure de l'Einchona , à une hauteur de 2,000 à
3,000 mètres, les plus magnifiques cultures de céréales, le
chat.-tigre, les ours et les grands cerfs ; dans les froides ré-
gions montagneuses , c'est-à-dire à une hauteur de 3,000 à
4,000 mètres , les jielits lions de Pouma, les petits ours à
tête blanche et même plusieurs espèces de colibris; dans
la région des herbacées , c'est-à-dire à une élévation de
4,000 à 5,000 mètres , le chameau, la vigogne, le paca, etc.
TROPIQUE (du grec tpÉiito, je retourne), nom donné
par les astronomes grecs aux deux points les plus reculés que
le Soleil parait atteindre dans sa course autour de la Terre.
Ces deux points étaient indiqués à l'époque où les Égyptiens
établirent leur zod iaque parles constellations du Cancer
etdu Capricorne, qui en sont aujourd'hui éloignées d'une
distance de 30 degrés ; néanmoins, on a conservé à tort les
anciennes dénominations. Le tropique du Cancer c&l celui
du Nord, le tropique du Capricorne est placé au contraire
dans l'hémisphère méridional. L'un et l'autre sont éloignés de
l'équateur de 23» 2S' 30", et entre eux de 46° 57'. Sur les
sphères les deux tropiques sont désignés par deux lignes
comprises au nombre des petits cercles. Toutes les ré-
gions placées entre les tropiques sur le globe terrestre ont
reçu la dénomination de régions tropicales et intertropi-
cales. C'est là le domaine de la nature végétale dans ses plus
grandes manifestations. C'est là que le soleil apparaît dans
toute sa splendeur, et verse sur la terre des torrents d'une
lumière inconnue à nos froides latitudes.
TROPIQUE (Baptême du). Voyez Baptême du Tro-
HQUE.
TROPLOIVG ( Raymond-Théodore), néà Saint-Gaudens,
le 8 octobre 1795 , débuta à l'âge de vingt-quatre ans dans
la magistrature en qualité de substitut du procureur du roi
près le tribunal de première instance d'Alen^u, d'où il passa
en Corse pour remplir les fonctions de procureur du roi à
Sartène, puis celles d'avocat général à Bastia. Il permuta
ensuite pour une place analogue à la cour royale de Nancy,
où , dans une affaire domaniale d'une haute importance, il
se fit remarquer par la clarté et l'habileté savante de sa
discussion. Ce succès lui valut sa nomination à la présidence
d'une des chambres de la cour royale de Nancy, et le déter-
mina à publier ses Commentaires sur leCode Civil, l'un des
meilleurs ouvrages qu'on possède sur la jurisprudence fran-
çaise. Grâce au style agréable dont l'auteur sait parer l'é-
rudition la plus profonde, le lecteur n'a pas le temps de s'a-
percevoir de l'aridité du sujet. Le succès de cet ouvrage fut
tel qu'en 1835 le gouvernement de Louis-Philippe crut de-
voir accorder à M. Troploug un siège à la cour de cassation ;
position qu'il occupait encore au moment où éclata la ré-
volution de Février. La mort du baron Seguier ayant rendu
vacante à la lin de la môme année la première présidence
de la cour d'appel de Paris, le président de la république,
par un décret en date du 22 décembre, appela M. Troplong
à l'occuper. Au mois de juillet 1846, Louis-Philippe avait
nommé M. Troplong membre de sa chambre des pairs ; un
décret de Louis-Napoléon en date du 30 décembre 1852 lui
a déféré la présidencedu sénat. Outre ses Commentaires
sur le Code Civil, on a de M. Troplong divers autres ou-
vrages , tels que De la Souveraineté des Ducs de Lorraine
sur le Barrais (Paris, 18S2); Du Pouvoir de l'État stir
l'Enseignement (Paris, 1844); et une dissertation intitulée
De l'Influence du Christianisme sur le Droit civil des
Romains (1847).
TROPPAU, ancienne principauté siiésienne, située
partie dans le cercle de Troppatuïe la Silésie autrichienne
( 80,000 habitants, avec la ville du même nom pour chef-
lieu), et partie dans le cercle de Leobschutz de l'arron-
dissement d'Oppeln de la Silésie prussienne ( comprenant
avec Hultschin et la partie prussienne de la principauté de
Jaegerndorf appartenant aiiprince Liechtenstein, 12 niyriam.
carrés et 60,000 habitants). La principauté de Troppau
dépendait autrefois de la Moravie : et eu 1613 l'empereur
Matthias l'érigea en fief mâle héréditaire en faveur de Char-
les de Liechtenstein, dans la famille duquel il est resté.
TROPPAU sur VOppa, chef-lieu du duché, autrefois ca-
pitale de toute la haute Silésie, compte 12,276 habitants, non
compris le faubourg de Katliarinendorf, qui y touche et qui
en contient plus de 3,000. C'est une jolie ville, bien bâiie,
avec plusieurs édifices ayant l'apparence de palais , six égli-
ses catholiques, un château, un gymnase supérieur, duquel
dépendent une bibliothèque de 20,000 volumes et un musée
d'antiquités et d'objets d'histoire naturelle fournis par la Si-
lésie , une école de commerce et diverses écoles primaires.
Le commerce et l'industrie y ont pris assez d'importance.
Les articles de fabrication les plus communs sont les
draps , les toiles, le papier et le sucre de betterave. C'est
depuis 1849 que Troppau est la capitale de la Silésie autri-
chienne et le siège de toutes les autorités supérieures.
TROPPAU (Congrès de). A la suite des révolutions opé-
rées par des armées permanentes en Espagne, en Portugal
et surtout à Naples, il se tint à Troppau, du 20 octobre an
20 décembre 1820, un congrès de souverains qui posa le
principe des interventions armées. Il s'agissait pour les gran-
des puissances de se coaliser à l'effet de ne reconnaître au-
cune constitution représentative qui s'éloignerait du système
politique, monarchique et légitime de l'Europe. Dans cette
réunion, l'Angleterre et la France parurent s'eftorcer d'a-
mener une conciliation entre l'Autriche et Naples. Elles es-
sayèrent en conséquence d'établir un système de neutralité
dont l'ambassadeur d'Angleterre, lord Stewart, développa
très- longuement les motifs dans une note. La Grande-Bre-
tagne déclara ne pas vouloir participer aux mesures de vio-
lence qu'il s'agissait de prendre contre Naples ; et la France
mit à son accession à l'alliance contre Naples certaines
conditions qui furent repoussées par l'Autriche, la Russie et
la Prusse. Ces trois dernières putsances s'accordèrent pour
CSG
TROPPAU — TROUBADOURS
ne pas reconnaître la révolution qui avait eu lieu à Naples et
pour y rétablir au besoin par la force l'ordre <le choses qui
y avait été renversé; en outre, elles se garantirent mutuelle-
ment la tranquillité intérieure de leurs Étals respectifs. Par
une note en date du 1*"^ octobre 1820 adressée au nom du roi
(les Deux-Siciles à tous les gouvernements de l'Europe, le
gouvernement napolitain chercha à justifier la nouvelle si-
tuation du royaume ; mais les souverains d'Autriche, de
Russie et de Prusse adressèrent, le 20 novembre, au roi de
Naples des lettres conçues dans des termes identiques et où
ils l'invitaient à se rendre à Laibach pour s'y portennédia-
teur entre son peuple et les États dont la tranquillité inté-
rieure se trouvait mise en péril par la révolution ; en suite
de quoi le roi Ferdinand 1" partit le 13 décembre de Na-
ples pour Laibach du consentement de son parlement. C'est
au congrès de Laibach que se manifestèrent les résultats du
congrès de Troppau. Consultez Bignon, Du Congrès de
Troppau (Paris, 1821).
TROQUE (Malacologie), en grec tpéxo;, disque,
toupie. Linné a créé sous ce nom un genre de mollusques
très-voisin des t u r b o s , dont ils se distinguent par leur forme,
plus régulièrement conique, et par leur bouche, déprimée
et oblique. Lamarck, a séparé de ce genre les cadrans et
les roulettes , que d'autres auteurs continuent à y réunir.
TROT, TROTTER. Foyes Allure et Équitation.
TROTTOIR, chemin élevé, qu'on pratique le long des
rues , des quais et des ponts pour la commodité et la sécil-
rité des piétons. C'est à l'administration éclairée de M. le
comte Chabrol de Volvic , ancien préfet de la Seine, que
la capitale est redevable d'une amélioration si longtemps
réclamée. On dalla d'abord des trottoirs en pierre de Vol-
vic (Puy-de-Dôme); mais les frais qu'entraînait le trans-
port de matériaux pris à une si grande distance de Paris,
et surtout la nature spongieuse de ces pierres, obligè-
rent de renoncer à leur emploi. On les a remplacées par
des granités tirés de nos côtes delà Normandie, taillés sur
place , et qui remontent la Seine en chalands. Généralement
on se borne aujourd'hui à soutenir les bas côtés des trottoirs
par (les pièces de granité, et on les recouvre d'asphalte.
TROUBADOURS. C'est le nom par lequel on désigna
les poètes du midi de la France pendant le moyen âge. 11
vient du mot trobar, qui, en langue romane, signifiait trou-
ver. Les troubadours se servirent de la langue romane comme
d'un admirable instrument, touché par des mains habiles.
Ils la façonnèrent , ils lui donnèrent de la grâce et de la lé-
gèreté, ils la rendirent propre à tous les tons; et avec elle
ils créèrent une littérature toute nationale, qui n'eut point
de modèles, et qui plus tard put en offrir aux autres lan-
gues ou dialectes de l'Europe latine. Bien que les trouba-
dours n'aient pas ignoré l'existence des chefs-d'œuvre de
la littérature romaine et même de ceux de la littérature
grecque, ils ne leur empruntèrent rien. Ils eurent le bon
esprit de créer, pour des sociétés nouvelles , une littérature
nouvelle aussi, qui conserva toujours ses formes natives,
qui eut ses moyens indépendants et distincts et ses cou-
leurs locales ; qui s'inspira des idées religieuses , des mœurs
chevaleresques, des habitudes politiques, du caractère des
peuples méridionaux , et même des préjugés contemporains.
Il y eut dans le genre adopté par eux un caractère remar-
quable d'originalité, qui n'a jamais exclu l'élégance et le
sentiment; et lorsqu'ils ont manié l'arme redoutable de la
satiio, ils ont déployé une grande force. Ils ont su donner
une étonnante énergie à la langue romane, qui ne paraissait
propre qu'à exprimer les pensées intimes du cœur et les plus
doux sentiments. Leurs chants épiques même , outre leur
caractère propre, et qui ne ressemble à aucun autre, prou-
vent que si le midi a produit des héros, il a eu aussi des
poètes pour les chanter.
U est à croire que l'existence des troubadours remonte
aux premiers temps de la formation de la langue romane.
Des hymnes populaires chantés dans les temples et des
stances amoureuses furent sans doute les premières pro-
ductions des troubadours. Vers l'an 1000, ils projetaient
déjà un vif éclat ; mais il ne nous reste presque rien de ces
temps reculés. On trouve la rime en usage dans leurs plus
anciennes productions. L'induence exercée par les trouba-
dours sur les temps où ils vécurent est digne d'être étudiée.
Des souverains presque barbares , des barons , des châte-
lains , des chevaliers , qui ne savaient que se battre , qui
méprisaient tout ce qui ne portait pas le caractère d'une
valeur brutale , furent tout à coup subjugués par la poésie
en langue vulgaire. Accueillis, protégés dans les palais,
dans les châteaux, les troubadours furent comblés de
bienfaits par les princes; et quelquefois cependant ils osè-
rent donner des leçons aux maîtres de la terre et venger
les peuples opprimés. Bientôt ils comptèrent des rivaux et
des émules parmi ces souverains, qui d'abord s'étaient bor-
nés à les protéger. Gwi //a w me, comte de Poitiers , le vail-
lant Richard , Alphonse roi d'Aragon , le dauphin d'Au-
vergne, les comtes de Toulouse et de Provence, Frédéric,
le prince d'Orange, et cet autre roi d'Aragon Pierre III,
auquel l'histoire reproche en partie les intrigues qui ame-
nèrent les vêpres siciliennes, sont comptés parmi les trou-
badours. Les femmes mêmes voulurent s'associer à leur
gloire, et il nous reste de queUjues-unes d'entre elles de dé-
licieuses compositions. Mais si ces poêles surent s'élever
dans la satire, et môme dans l'épopée, à une force remar-
quable et à une assez grande hauteur de talent, ils excellèrent
surtout dans cette partie de la poésie qui ne peint que les sen-
timents doux , affectueux , que les plaisirs ou les peines de
l'amour. L'élégie latine, telle quenous l'avaient laissée Tibulle
et Properce , n'exprima jamais avec plus de naturel , avec
plus de charme, avec plus de bonheur, les différentes nuances
de cette passion.
L'un des plus anciens troubadours connus , le comte
Guillaume IX de Poitiers, non moins célèbre par son talent
que par sa valeur, otfre dans plusieurs de ses productions
des modèles que les poêles qui vinrent après lui durent sans
doute imiter. On y retrouve l'origine de ce genre que Boc-
cace adopta avec tant de succès, ces récits d'aventures pi-
quantes que l'Italie emprunta à notre France du raidi ; genre
qui, sous le titre modeste de Novella (Nouvelles), assura
une réputation solide à ceux qui le cultivèrent.
Les pièces qui nous restent des troubadours nous font
connaître et leurs formes littéraires et leur génie. Si dans
la chanson (canso) ils se rapprochèrent quelquefois de
l'ode grecque et latine , dans les pastorelles de l'églogue
ou de l'idylle antique, et dans l'épîlre des modèles donnés
par Horace, ils surent, en la revêtant de couleurs lyriques,
donner à la satire une marche plus rapide, une véhémence
plus grande que celle que les anciens lui avaient imprimée.
Les ballades, les rondes, sortes de poésies chantées au
milieu d'une danse quelquefois grave, quelquefois volup-
tueuse, furent inventées par les troubadours. On leur doit
aussi les seradas, les aubadas, que l'on entendait répéter
durant le calme des nuits ou vers la naissance du jour. Sous
le nom de planh (plainte), l'élégie ex prima encore, à l'aide
d'une langue et d'une poésie enchanteresses, des sentiments
délicats et vrais. Elle dit les douleurs de l'amour et honora
la mémoire des chevaliers.
Le talent poétique des troubadours a surtout brillé du
plus vif éclat pendant le douzième et le treizième siècle.
Ils donnèrent à la langue romane une juste célébrité. Elle
fut parmi les personnes polies de ce temps-là ce que fut la
langue française durant et après le règne de Louis XIV.
« Rien n'égalait ces poètes, dit l'abbé Millot, qui oublie avec
injustice les ^ r o t{ v è r e 5. Ils inspiraient une sorte d'enthou-
siasme. Chacun s'empressait de les connaître. Il devinrent
les hérauts de la chevalerie et de l'amour. Les écrivains qui
ont l'art et le bonheur de plaire contribuent beaucoup au
sort des langues. »
La langue que l'on parlait à la cour des comtes de Tou-
louse et à celle des comtes de Provence était honorée aussi
à celles des rois de Castille, de Sicile, d'Aragon et des ducs
TROUBADOURS
687
de Ferrare. Les Jîttérateurs étrangers cultivaient l'art des
troubadours, et souvent ils égalèrent leurs modèles. Le
marquis de Malaspina, Lanfranclii, Cigala, Doria, Calvo,
par leurs ouvrages en langue romane ont acquis une répu-
tation étendue. C'est ainsi qu'au midi de la France appar-
tient la gloire d'avoir créé une littérature originale. Les plus
célèbres écrivains de l'Italie empruntèrent à nos compa-
triotes des traits remarquables. Dante fit l'éloge des trouba-
dours. Pétrarque, qui habita longtemps les belles contrées où
ils vécurent, leur a rendu , dans son Triomphe de l'Amour,
un solennel hommage; et il retoucha même quelques-unes
des productions de ces poètes aimables.
Ce ne fut pas seulement dans la poésie légère que les
troubadours montrèrent la variété , la flexibilité de leur
talent, mais encore dans de grandes compositions épiques
ou romanesques. Ainsi la Cansos de San Gili, dont il ne
nous reste plus que quelques fragments, célébrait les ex-
{iloits du comte Raymond de Saint-Gilles en Orient ; ainsi la
Cansos de la crozadn eontr'els Ereges d'Albeges est bien
moins une histoire qu'un poème très-remarquable sur l'in-
vasion des provinces méridionales par les croisés d'outre
Loire. C'est au même rang qu'il (aut placer Gérard de
Hoztssillon , Jaufre, fils de Dovon, et Philomena, qui,
bien qu'écrit en prose, n'en doit pas moins être mis au nom-
bre des créations épiques des écrivains du Languedoc. Parmi
les ouvrages que nous pouvons classer au nombre des ro-
mans, selon l'acception actuelle de ce mot, il faut placer
LaBella Maguelonne, du chanoine Bernard de Treviez, ou-
vrage que Pétrarque ne jugea pas indigne de son attention,
et qu'il corrigea même à l'époque où il habita Montpellier.
Beaucoup d'autres productions de ce genre sont perdues, et
il ne nous reste que le titre de quelques-mies.
La biographie de chacun de nos troubadours offre d'ail-
leurs une ressemblance marquée avec celle de tous les au-
tres. Accueillis dans les cours, dans les châteaux, recevant
des princes, des seigneurs, de belles robes, des armes bril-
lantes, de hauts palefrois, amoureux de toutes les nobles
dames et les chantant le plus souvent sous des noms qui
n'étaient que des épithètes; partageant la prospérité et les
revers des grands leurs protecteurs , fidèles au malheur,
honorant l'infortune, flétrissant le vice et la lâcheté , quoi-
que sans doute ils ne fussent pas tous des modèles de la
plus rigide vertu ni toujours dignes d'être offerts en exem-
ple aux preux : telle est en général l'histoire des trouba-
dours. Des anecdotes , quelquefois suspectes, plus souvent
précieuses pour la connaissance des mœurs du moyen âge,
ont été racontées, dans leur langue même, par Hugues de
Saint-Cirq. Mais si l'on y remarque de nombreux sujets de
vaudevilles, on y trouve aussi tout ce qui doit servir de
hase à une histoire. Tout en blâmant, d'ailleurs, l'extrême
légèreté de quelques-uns de ces poètes, on ne peut se dé-
fendre d'une vfive tristesse en voyant l'infortune qui pesa
sur plusieurs , et même la folie ou la vanité d'un petit
nombre d'entre eux. C'est ce qu'on éprouve surtout en li-
sant la vie de Pierre Vidal, né à Toulouse et l'un des plus
célèbres de ces écrivains, que force est de plaindre d'avoir
poussé sa passion pour la Louve {la Loba) de Pannautier,
au point de s'être déguisé en loup et de s'être fait chasser
par les chiens des pâtres de la montagne noire, jusqu'à la
porte de la châtelaine , qui le reçut, mais sanglant et dé-
chiré. Cent autres faits plus bizarres les uns que les autres
signalèrent la vie de quelques-uns des troubadours.
La destruction du comté de Toulouse influa singulièrement
sur les destinées des troubadours de la langue d'Oc ; ils
n'obtinrent plus la même considération, ils ne jouirent plus
des mêmes avantages; et tandis que leurs émules, en Cata-
logne et à Valence, cultivaient en paix et môme avec profit
l'art des vers et la poésie romane, ceux-ci éprouvaient tous
les désavantages qui peuvent résulter pour des gens de ta-
lent de la substitution d'un pouvoir étranger à un pouvoir
national , d'une langue à une autre. Ils sentirent alors le
besoin de se grouper, de s'associer pour mieux résister.
Telle fut l'origine de la première académie qu'il y ait eu à
Toulouse, de la très-gaie Compagnie des Sept TroubU'
dours de cette ville. Ce fut le mardi après la Toussaint de
cette même année 1323, qu'assis au pied d'un laurier, dans
le verger de leur noble consistoire , au faubourg des Au-
gustines de Toulouse, ils écrivirent la lettre circulaire par
laquelle ils conviaient tous les poètes à venir dans ce même
lieu , le 1" mai suivant, pour y lire leurs vers, promettant
une violette d'or à celui qui apporterait les meilleurs. On
sait qu'en effet, en 1324, il vint dans ce lieu un grand nom-
bre de troubadours , et qu'Armand Vidal, de Castelnau-
dary, remporta le prix. On sait aussi que depuis cette époque
le nom.des troubadours ne fut pas éteint dans Toulouse,
et que chaque année, aux frais de la ville , on donna aux
plus habiles l'églantine , le gauch ou souci , et la violelte.
On ne counaissait pas d'ailleurs à Toulouse d'autre langue
poétique que la langue romane, et c'est seulement vers les
années qui suivirent les bienfaits et la mort de Clémence ,
c'est-à-dire au commencement du seizième siècle, que la
langue française fut admise dans les jeux poétiques , sans
cependant en bannir le roman. En effet, eu 1694, année où
Louis XIV érigea en académie le corps des Jeux Floraux ,
on lut encore dans la séance publique de la distribution des
prix des pièces de vers en langue romane.
Peu satisfaits apparemment du Donatus protnncialis et
des observations grammaticales de Raimond Vidal, les sept
troubadours de Toulouse chargèrent leur chancelier, Guil-
laume de Molinier, du soin de rassembler toutes les règles
de la langue et de la poésie dans un traité spécial; et ce
troubadour s'acquitta de ce soin dans un ouvrage que nous
avons encore et qui porte le titre de Leys d'amors ou Rè-
gles de la poésie. Cetécrit fut envoyé dans diverses provinces
avec Las Flors del gay Saber, qui est un traité de gram-
maire et de philosophie. On y trouve de précieuses indica-
tions sur la langue romane. Cette langue , divisée en plu-
sieurs dialectes, existe encore dans le royaume de Valence,
dans la Catalogne , le Roussillon et tout le midi de laFrance.
Dans plusieurs de nos départements, trobar, trouver, est
encore la même chose que faire des vers. La langue a
sans doute un peu changé , mais elle est encore cultivée
par beaucoui) de poêles; et l'on peut dire qu'il y a encore,
qu'il y eut toujours des troubadours sous le beau ciel du
Languedoc et de la Provence. Plusieurs ont même acquis
de nos jours une réputation européenne; et Jasmin, le
troubadour agenais, se place sur la même ligne que le
grand Arnaud, Sordel et Vidal, ces hommes qui sont la
gloire de l'ancienne et si gracieuse école des poètes du
midi. Ch"' Alexandre duMèce.
Les principaux protecteurs de la poésie des troubadours
furent les comtes de Provence, notamment Raimond Bé-
ranger III (de 1167 à 1181), Alphonse H (de 1196 à 1209),
Raimond Béranger IV (de 1209 à 1245); elles comtes de
Toulouse, notamment Raimond de Saint-Gilles , qui prit la
croix en 1096, Raimond V( de 1148 à 1194) et Raimond Vil
(de 1222 à 1249); Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre,
lui-même troubadour; Éléonore, femme de Louis Vil et de
Henri II d'Angleterre; Ermengarde , vicomtesse de Nar-
bonne; les rois d'Aragon Alphonse II (de 1162 à 1196),
Pierre II (de 1196 à 1213) et Pierre III (de 1276 à 1285);
les rois de Castille Alphonse IX (de 1188 à 1229), et sur-
tout Alphonse X, surnommé le Sage; enlin, parmi les prin-
ces italiens, Boniface, marquis de Montferrat et à partir de
1204 roi de Thessalonique, puis Azzo VII d'Esté (de 1215
à 1265). Ces indications fournissent eu même temps des
renseignements précis sur l'époque ainsi que sur les contrées
où fleurit la poésie des troubadours proprement dite. Elle
se répandit dans tous les pays où dominait la langue d'Oc,
dans ce qu'on appelait plus particulièrement la Provence,
dans le comté de Toulouse, le Poitou, le Dauphiné, en
un mot, dans toutes les provinces de France situées au sud
de la Loire; en Espagne, dans la Catalogne, la province de
Valence et une partie de l'Aragon; enfin, dans lahaute Italie,
688
TROUBADOURS — TROUVÈRES
On peut distinguer trois périodes principales dans l'his-
toire de son développement : la première, qui commence
avec son origine comme poésie populaire, et qui s'étend jus-
qu'au moment oii elle devint un art en même temps qu'elle
devenait poésie de cour, c'est-à-dire de 1090 à 1140; la se-
conde, celle où elle jeta son plus vif éclat, de 1140 à 1250;
enfin, celle de sa décadence , qui s'étend jusqu'à l'année
1290.
Le caractère distinctif de la première de ces périodes,
c'est une tendance consciencieuse à s'élever de la simplicité à
l'art. Celui de la seconde, c'est, d'une part, le suprême
perfectionnement de la chevalerie et de la galanterie idéales,
ainsi que le développement le plus complet de la forme et
de l'art; de l'autre, la position heureuse et honorable des
poêles. Enlin, on peut dire que le caractère de la troisième
période est une tendance de plus en plus grave et didac-
tique, puis la corruption de la forme dégénérant en fadeur
et en afféterie; en même temps que la considération tou-
jours moindre dont sont entourés les troubadours, tant à
cause de la licence de leur vie et de leur vénalité , que par
suite de la barbarie toujours croissante des mœurs. En ef-
fet, la poésie des troubadours proprement dite naquit, fleu-
rit et disparut avec la chevalerie élégante et polie qui en
était l'âme. Voyez Provençales ( Langue et littérature).
Des articles spéciaux ont déjà été consacrés dans ce dic-
tionnaire aux plus célèbres d'entre les troubadours, tels que
Guillaume IX , comte de Poitiers, Guillem de C a b e s-
taing, BernarddeVentadour, BertranddeBorn,
Peire Cardinal etFolquetde Marseille. Nous men-
tionnerons en outre ici Marcabrun (vers 1140-1195), en-
fant trouvé, dont le véritable nom était Pauperdont, et qui
fut recueilli blessé par le troubadour Cercamon. Il se rendit
surtout redoutable par ses poésies satiriques , qui finirent
par lui coûter la vie , le châtelain de Guian l'ayant un jour
assassiné par vengeance. Il est considéré comme ayant réel-
lement inventé le premier la cansos. Jau/re Rudel, prince
de lilaye (de 1140-1170), célèbre également par ses lan-
goureuses poésies et ()ar la passion romanesque qu'il conçut
pour la comtesse de Tripoli, quoiqu'elle lui fût personnel-
lement inconnue, et qu'il ne lui ait été donné de la voir qu'à
l'instant de sa mort. Peire d' Auvergne (de 1152 à 1215),
tils d'un bourgeois du diocèse de Clermont. Il prenait lui-
même le titre de maître des troubadours, et passe effec-
tivement pour l'un des premiers qui ait fait de la poésie des
troubadours un art véritable. Ses productions se distin-
guent toutefois plutôt par l'habileté de la forme que parle
génie poétique. Du reste, il se montre le critique impitoyable
de ses contemporains. Guiraut de Borneil (1175-1220)
était d'assez basse extraction. Si on ne peut le considérer
comme l'un des maîtres de cet art élégant et poli , tout au
moins lit-il preuve du zèle le plus ardent pour la poésie ; et
il y a justice à reconnaître que ses œuvres se distinguent
par leur caractère grave et sérieux. Peire Vidal ( 1175 à
11C5), fds d'un pelletier de Toulouse et incontestablement
doué de remarquables dispositions poétiques, mena une vie
si irrégulière et s'abandonna à tant d'excès et de folies ,
qu'on est en droit de douter qu'il eût conservé sa raison.
C'était la terreur des maris. Ses poésies, et il en composa,
dit-on, une innombrable quantité, portent la trace de son
extravagance , mais souvent aussi celle d'un véritable génie.
Le moine de Moniaudon (de 1180 à 1200), dont le véri-
table nom est demeuré inconnu. Il descendait d'une famille
noble d'Auvergne, devint prieur de l'abbaye de Montaudon,
et n'en mena pas moins la vie libre et indépendante d'un
troubadour nomade; il finit par se fixer à la cour d'Al-
phonse II d'Aragon, cpii le nomma prieur de Villafranca, où
il mourut. 11 fut célèbre et redouté, bien moins à cause de
ses ingénieux chants d'amour qu'en raison de ses satires.
Elles sont pleines de personnalités, particulièrement à l'a-
dresse de ses confrères, libres jusqu'au cynisme, d'une
remarquable causticité, et d'une grande importance pour
Phistoire des mœurs. ArnauU Daniel (de 1180 à 1200),
gentilhomme originaire de Riberac en Périgord , embrassa
d'abord la carrière des sciences , puis se fit troubadour, par
suite de la vive passion que lui inspira une belle dame de
Gascogne. Il brille par la perfection de la forme poétique
et en général par l'originalité et la nouveauté du tour et de
la pensée. Dante et Pétrarque parlent de lui avec les plus
grands éloges. Ce dernier le qualifie de il grande maestro
d'amore. Gaucehn Faidit ( de 1 190 à 1240 ), fils d'un bour-
geois d'Uzerche en Limousin, mena d'abord avec sa femme,
Guillelma Monja, la vie insouciante et débauchée d'un jon-
gleur ; plus tard, il se sépara de sa femme, et s'énamoura de
la comtesse Mariede Ventadour, qui le prit pour troubadour
en titre , chantant avec lui des tenzons , et à laquelle, en
dépit de son humeur hautaine et dédaigneuse, dont il chercha
à se venger par quelques autres liaisons de galanterie, il
demeura jusqu'à sa mort constamment fidèle et dévoué,
composant en son honneur ses plus remarquables vers. liai-
mont de Miraval (de 1190 à 1220), l'un des troubadours
les plus amoureux , encore bien que les femmes, et jusqu'à
la sienne propre, qui était poète aussi, l'aient toutes fort mal-
mené, de telle sorte qu'il en perdit la raison pendant près
de deux années. Il eut aussi le malheur de voir son protec-
teur, le comte Raimond de Toulouse, vaincu par le redou-
table persécuteur des hérétiques, Simon de Montfort, qui
détruisit en outre son château de Miraval. Comme dernier
représentant des troubadours et vraiment digne de ce
nom, il faut encore citer Guiraut Riquier (de 1250 à
1294), natif de Narbonne. Quoiqu'il eût beaucoup de pro-
tecteurs, notamment Alphonse X deCastille, il dut presque
constamment lutter contre la misère ; aussi ses poèmes sont-
ils remplis de plaintes sur l'abrutissement et l'avilissement
dans lequel est tombé le métier de poète. On (leut les con-
sidérer à bon droit comme le chant du cygne de la poésie
des troubadours.
TROU BORGNE (Anatomie). Voyez Ethmoïde.
TUOlICHiMÈIXES. Voyez Turco.mans.
TROU DE liOTAL { Anatomie) , ainsi appelé <!u
nom de l'anatomisle qui l'a découvert. Voyez Coeur.
TROUPI A LE, genre d'oiseaux de la famille des co-
nirostres , ordre des passereaux de G. Cuvier, ainsi nommés
d'après leurs habitudes ou mœurs, qui sont de vivre en
troupes. Ils se nourrissent de graines, de fruits, de pom-
mes tendres, de jeunes feuilles, de larves et de petits in-
sectes et pondent habituellement deux fois dans l'année. Cha-
que ponte est de quatre ou six œufs blancs ou grisâtres , ou
tachetés de roux ou de noir. Toutes les espèces connues de
troîtpiales sont originaires d'Amérique, à l'exception d'une
seule ( la troupiale roux-noir, Less. ), qui est de la Nou-
velle-Zélande. Plusieurs espèces sont susceptibles d'éduca-
tion, jusqu'au point d'imiter la voix articulée de l'homme.
L. Lacrent.
TROUSSE-GALANT. Foyez Choléra.
TROUVAILLE , chose trouvée heureusement. La
rencontre fortuite d'une chose perdue ne constitue de droits
en faveur du premier occupant qu'autant qu'elle n'est ré-
clamée, après les mesures de publicité convenables, par
personne; s'en emparer clandestinement, ou refuser de la
remettre au propriétaire, serait commettre un délit que la
jurisprudence assimile au vol.
TROUVÈRES. C'est le nom des plus anciens poètes
du nord de la France. La langue qu'ils employèrent fut la
langue francique ou théolisque, qui, mélangée d'autres
jargons du nord et du mauvais latin des Gallo-Romains de
nos provinces septentrionales, devint la langue romane
du nord. Nous avons dans Nitard le plus ancien monument
de celte langue. C'est le serment de Louis, roi de Germa-
nie, prêté à Strasbourg, en 842. Les écrivains, ou plutôt les
trouvères, ne manquèrent pas à cette langue ; et dans le
nombre il faut compter ceux qu'on nomme anglo-nor-
mands. Qui n'a lu avec délices les vers de Marie de
France? Qui n'a apprécié le mérite de ces grandes com-
positions objet dès le douzième siècle de l'admiration gé-
TROUVÈRES
nérale ? Qui n'a déjà retrouvé la finesse , la malice de nos
poètes modernes les plus spirituels dans les fabliaux du
douzième siècle?
On ne sait trop en quel temps et en quels lieux les trou-
vères firent entendre les premiers essais de leur poésie. Fon-
terielle veut que c'ait été en Picardie. L'abbé Lebœuf prétend
que les premiers écrits en langue française furent composés
dans les Pays-Bas et en Normandie. La Ravallière a partaj^é
cette opinion. L'abbé de La Rue ne sut d'abord laquelle M
embrasserait à ce sujet. Cultivée dans la Normandie, la Pi-
cardie, l'Artois, la Flandre, la Champagne et une petite par-
tie de l'Armorique , la poésie française, encore imparfaite,
il est vrai, acquit en peu de temps des développements
remarquables. Elleadopta les traditions bretonnes, galliques,
saxonnes, sources abondantes de poésie et d'une poésie
toute originale , qui ne devait , comme celle des ^ro m -
badours , rien à l'imitation des Grecs et des Latins.
Alors les trouvères composèrent les romans du Brut, de
fJorn ou de Hunlaf, de la Taàle ronde, du Saint
Graal, etc., et les Lais bretons que Marie de France a
versifiés d'une manière si naïve et si piquante. Les trozt-
vères établirent les formes littéraires de leurs ouvrages
d'après des règles qu'ils observèrent avec plus ou moins
d'exactitude. On trouve dans leurs ouvrages , rimes comme
ceux des troîibadoîirs , dea rimes plates non entrelacées,
des rimes léonines, des rimes masculines et féminines. Ces
systèmes occupèrent beaucoup les trouvères, mais n'em-
pêchèrent point le développement de leur génie. Ces poètes
brillèrent par une imagination vive et par une tournure d'es-
prit qui les portait à composer tantôt des œuvres naïves,
pleines de grâce et d'abandon , tantôt de longs romans , tels
que ceux de Percival , du Chevalier au lion , de Lan-
celot du lac, àe Guillaume d'Angleterre, que nous de-
vons au célèbre Chrestien de Troyes; VAlexandréade, le
Roman du Roii, celui de Tristan , et une foule de Chan-
sons de Gestes (\\ii sont de véritables épopées. Ils donnèrent
aussi un grand nombre de fabliaux , imités depuis par
Boccace, Rabelais, Molière et La Fontaine; des légendes
en vers et des poëmes saints ; des satires nombreuses, telles
que la Bible- Guiot, la Bible au Seiynor de Berge, La
Complainte de Jérusalem, Le Dit dou Pape, etc. Ils
furent les créateurs de Jeux et de Miracles, qui précédèrent
les Mystères et qui préparèrent les jours brillants du
théâtre français. Comme les troubadours , les trouvères
obtinrent toute la considération des grands , toute l'admi-
ration des peuples. Qui ne sait combien l'on estimait l'une
de leurs œuvres les plus modernes. Le Roman de la Rose, et
de quelle considération jouissaient tous nos poètes français ,
même chez les peuples étrangers? Ils eurent de grands
rapports de talent Avec \e?, troubadours , mais ils s'adon-
nèrent à divers genres de poésie que ces derniers ne firent
qu'entrevoir ou qu'ils ignorèrent. Des deux côtés il y eut
une création toute nationale, tout exempte d'imitation , ce
qui revient à dire que des deux côtés il y eut du génie.
Les associations littéraires, les cours d'amour du
midi , eurent des rivales au nord de la France. Les trouvères
eurent leurs puys et leurs gieux sous formel. Il y eut
des palinods ou exercices littéraires, qui causèrent, vers
la fin du quinzième siècle, une révolution littéraire. On
abandonna entièrement les cours ou piajs d'amour, dont
quelques-uns avaient pris le nom de coicrs de rhétorique.
Parmi les établissements de ce genre , plusieurs furent cé-
lèbres. La Normandie cite avec orgueil ses palinods , ceux
de Caen , de Dieppe et de Rouen, comme la Picardie ceux
de Beauvais et d'Amiens, l'Artois et la Flandre, ceux
d'Arras et deValenciennes. Alexandre du Mège.
Au nord comme au midi de la France , la ligne de dé-
marcation entre \e jongleur tt\e trouvère était aussi
tranchée qu'entre lui et le troubadour. Là aussi on ne
qualifiait de trouvère que le poète, auteur lui-même des
poésies qu'il faisait entendre. Comme le tro2ibadour, le
trouvère dédaignait de s'accompagner d'un instrument , à
DICT. DE LA CONVERS. — T. XVr.
— TROYES cso
l'exception peut-être de la harpe ; et pour y suppléer il se
faisait toujours suivre par un jongleur. Que si en effet bon
nombre de ménestrels et de jongleurs ne se sont pas bornés
à chanter des vers composés par d'autres et s'efforcèrent
de se placer sur la même ligne que les trouvères , ceux-ci
affectaient de les traiter de faux trouvères, troveor bastart,
ou de contrefacteurs de vers, contre rimoieur s. Celte dif-
férence s'établit d'une manière encore plus sensible , et
dans le sens qu'on y attachait en Provence , lorsque les
Français du nord possédèrent une lyrique savante, formée
sur le modèle de celle des troubadours, et quand là aussi
des princes et des rois ne dédaignèrent pas de figurer parmi
les trouvères. Le premier qui en donna l'exemple fut T h i-
baut de Champagne, roi de Navarre. 11 fut bientôt imilé
par Jean de Brienne, par Charles d'Anjou, par Henri lll
deBra'oant, par Pierre de Dreux, comte de Dreux, et
encore par bien d'autres nobles, gentilshommes et chevaliers,
quoique des trouvères appartenant à la classe de la bour-
geoisie ne fussent alors nullement chose rare. Cette poésie
élégante et savante fut surtout cultivée et protégée à la
cour des rois de France et d'Angleterre, des ducs de Bra-
bant, des comtes de Champagne, de Flandre, etc. Les
rois deNaples delà maison d'Anjou la transplantèrent môme
au midi de l'Italie, et autant en lit en Portugal Henri de
Bourgogne. Le nombrede ces poètes de cour s'accrut dès
lors considérablement, car on connaît aujourd'hui les noms
et les ouvrages de plus de cent cinquante trouvères, dont
iecliAtelain de Coucy est demeuré le plus célèbre, peut-
être bien d'ailleurs à cause de ses malheurs. Consultez de
La Rue, Essais historiques sur les Bardes, les Jongleurs
et les Trouvères normands et anglo-normands (3 vol.,
Caen , 1834 ) ; Dinaux , Trouvères, Jongleurs et Ménes-
trels du nord de la France et du midi de la Belgique
(3 vol., Paris, 1837-1843).
TROU VILLE, petit port maritime situé à l'embou-
chure de la Touque, arrondissement de Pont-l'Évôque, dé-
partement du Calvados, n'était encore il y a une vingtaine
d'années qu'un village de 50 à 60 feux. On y compte au-
jourd'hui plus de 4,000 habitants. Il doit ce rapide accrois-
sement à ses bains de mer, que la mode a pris spécialement
sous son patronage Tout le Paris élégant s'y donne rendez-
vous au mois d'août.
TROYES, chef-lieu du dé|iarlement de l'Aube et an-
cienne capitale de la Champagne, bâtie dans une belle
plaine, sur les rives de la Seine, siège d'un évôché, avec une
population d'environ 31,000 habitants, et une slalion du
chemin de fer de Paris à Mulhouse. L'origine de cette ville
remonte à l'époque de la domination des Romains dans les
Gaules. Mais, quoique vieilles, ses rues n'en sont pas muins
assez régulières ; et on y remarque quelques édifices publics
d'un bon style d'architecture , eutre autres plusieurs églises,
dont les vitraux sont d'un grand prix sous le rapport de
l'art. Troyes possède un lycée, un séminaire, une école
de dessin et d'architecture, une société d'agriculture, des
arts et des sciences, et l'une des bibliothèques publiques
les plus considérables qu'on trouve dans nos départements,
car on n'y compte pas moins de 50,000 volumes. Au moyeu
âge, cette ville était beaucoup plus importante qu'aujour-
d'hui, sans doute à cause du rôle politique joué à cette épo-
que par les comtes de Champagne; et sous le règne de
Henri IV elle comprenait encore, dit on, plus de 60,000
habitants. Yers le milieu du dix-septième siècle on y comptait
2,000 métiers de draperie et 1,600 de tisseranderie, 450 mai-
sons de tannerie, corroierie, mégi.sserie, et 200 maîtres tein-
turiers. Sa décadence provient des guerres civiles et de re-
ligion, de la translation de ses foires à Reims et à Lyon, et
surtout de la révocation de l'éditde Nantes. Pendant long-
temps elle eut avec Rouen le monopole de la fabrication
des cartes à jouer et des images gravées sur bois. Elle est
d'ailleurs restée un centre fort actif d'industrie, et elle tient
le premier rang en France pour la fabrication des articles
de bonneterie. On y trouve en outre un grand nombre du
4*
690
TROYES — TRUFFE
fabriques de blanc d'Espagne, de toile, d'étoffes de laine
et de coton, de cuir, de parchemin, de papier, d'amidon, de
vinaigre, etc.
En 1420, Isabeau de Bavière, pendant la démence de
Cliarles VI, y signa le honteux traité qui livra la France au
roi d'Angleterre Henri V. Neuf ans plus tard , Troyes fut
assiégée par Jeanne d'Arc, qui la replaça sous l'autorité de
Charles Vil. Sous le règne de François I", elle fut livrée aux
flammes par une armée de l'empereur Charles Quint. Le
29 avril 1572, Charles IX y signa un traité d'alliance avec la
reine Elisabeth. C'est l'une des villes de France qui eurent
le plus à soufirir des guerres de religion; et c'est dans ses
murs que se constitua l'associalion àiie Sainte Ligne, de-
meurée si fameuse dans notre histoire. Néanmoins, dès que
Henri IV eut abjuré, ïroyes fut une des premières à recon-
naître son autorité.
Dans la campagne de 1814, elle servit de pivot aux opéra-
tions de l'armée autrichienne aux ordres du prince de Schwar-
ïenberg, et fut deux fois prise par les alliés, qui y commirent
beaucoup d'excès.
TROYES (Traité de). Voyez Charles VII.
TROYON ( Constant ), paysagiste célèbre à bon droit,
est né vers 1810. Ses débuts ne remontent pas, que nous
sachions, au-delà de l'année 183G ; et ses premiers tableaux,
disons-le, ne (aisaient guère prévoir une des futures gloires
de l'école contemporaine, l'émule et parfois l'égal des Ruys-
daël et des Cuyp. Pourtant , on remarqua beaucoup au salon
de 1841 une Vue prise en Bretagne.
Mais l'artiste n'avait point encore trouvé sa voie ; l'année
suivante le jury recevait de lui (qui le croirait?) un Pay-
sage historique ( L'ange et Tobie). M. Troyon ne s'était
pas encore allranchi de la routine de l'école ; et son beau
génie, si spontané et si franc, n'avait point tout à fait
enjambé l'ornière académique. Ce fut l'aflaire de quelques
saisons passées dans les champs et dans les forêts. Il reparut
au salon de 1849 dans les rangs ou plutôt au premier rang
des réalistes; et le public salua un maître dans le peintre,
peu connu jusque alors, auquel le livret attribuait une Vxie
dhine futaie de Fontainebleau avec un cerf et une biche
aux écoutes, et les Environs de Sézanne, tableau plus im-
portant, mais qui offrait des oppositions de ton un peu dures.
M. Troyon reçut alors la croix de la Légion d'Honneur; et il
fut promu au grade d'officier à la suite de l'exposition uni-
verselle de 1855. 11 faut reconnaître à M. Troyon une fran-
chise, une largeur et une libre allure de pinceau vraiment
remarquables. Tout en ne cherchant à rendre que l'aspect
réel d'un sile, il arrive, à force de vérité, à rencontrer
l'accent qui charme et qui fait rêver. Il peint les animaux
et le paysage avec une grande science d'effet et une
couleur solide , vraie , harmonieuse , malgré quelques
ombres un peu noirâtres, un peu de lourdeur parfois, et
l'abus de quelques tons verts criards, dont il se corrige tous
les jours. Malheureusement, à force de vouloir modeler
large, il arrive qu'il fait un peu lâché et que son dessin
manque de nerf et de finesse, surtout dans les membres
et les extrémités de ses animaux. M. Troyon est l'artiste le
plus heureux de ce temps-ci : ses confrères proclament sa
supériorité ; et le public, qui s'étonne d'être de cet avis ,
s'arrache ses moindres études en les couvrant d'or.
TRUANDS. La littérature moyen âge, qui a enfanté
tant de livres où toutes les époques sont confondues et tra-
vesties, a remis ce mot en vogue, ainsi que beaucoup
d'autres. H signifie un gueux, un mendiant, un coquin,
un de ces vauriens peints avec verve par l'auteur des
Mauvais Garçons, et surtout par celui de Notre-Dame de
Paris, qui l'un et l'autre avaient peut-être quelque ressou-
venir de VAlsace de l'immortel Waller Scott.
Les rues delà Grande et Petite Truanderie à Paris
étaient iléjà appelées ainsi sous Louis le Jeune, et celte dé-
nomination indique assez quelle classe d'individus les ha-
bitait. Tout ce que la misère avait de hideux et d'avilissant
s'y était retiré. De Reiffeneerg.
TRUREZKOI (Famille), l'une des premières maisons
princières qu'il y ait en Russie, descend d'Olgerd, grand-
prince de Lithuanie, fils de Gedimin le Grand et père du cé-
lèbre Jagellon. Ce nom est dérivé de la ville de Trubtscheswk,
dans le gouvernement de Tschernikof, siège primitif de cette
famille.
Le prince Wassiléi Sergeuntsck Trvme/.roï, né en 1776,
se distingua dans les guerres contre les Turcs et les Français,
fut nommé aide de camp de l'empereur Alexandre F%
passa lieutenant général en 1813, à la suite de la bataille
de Leipzig, et en 1826 général de cavalerie. Chargé en 1830
d'une mission extraordinaire en Angleterre, il fut appelé
à son retour en Russie à siéger au sénat, et mourut en 1841.
Le prince Serg'e'i Trubezkoi , colonel de la garde impé-
riale, fut l'un des chefs de la conspiration de 1825, et devait,
dit-on, être proclamé tsar par les conjurés La peine capitale
à laquelle on le condamna fut commuée par l'empereur en
un exil perpétuel en Sibérie.
Le prince Pierre Trubezkoi se distingua, en 1831, en Po-
logne à la bataille deReclefftscha, et fut nommé successive-
ment gouverneur militaire de Smolensk et d'Orel, puis en
1844 lieutenant général. Il a épousé la fille du feld-ma-
réchal prince Wittgenslein, et habite aujourd'hui Pétersbourg,
comme membre du sénat dirigeant.
TRUC. Voyez Féeries. '
TRUEBA COSIO (Telesfouo de), né à Santander, en
1805, lut, à la suite de la révolution de l'île de Léon, attaché
à la légation espagnole à Paris jusqu'en 1822. A son retour
en Espagne, il y fonda une académie, qui ne tarda pas à
réunir, sous la présidence d'Alberto Lista, la plupart des
jeunes poètes de l'Espagne. A Londres, où force lui fut de
se réfugier après le rétablissement de l'absolutisme dans la
Péninsule, parce qu'il s'était signalé parmi les défenseurs les
plus intrépides du système constitutionnel, il se fit une ré-
putation européenne comme poète dramatique et comme
écrivain habile entre tous à se servir de la langue anglaise.
Ses premières productions furent des romans historiques,
tels que Gomez Arias , The Castillan , Romance of Mis-
tory, Spain, le roman de mœurs The Incogni to Lives oj
Cortes and Pizarro, qui ont obtenu les honneurs de la tra-
duction dans la plupart des langues de l'Europe. Plus tard
il entreprit de travailler pour le théâtre; et ses comédies
The Exqiiisites, The Arrangement, or corne again to mor-
roWyM'^andM" Pringle, The man ofPleasure, obtinrent
les applaudissements universels. Son dernier ouvrage dra-
matique fut The royal Deliquent, drame liistorique. Paris
and London, tableau de mœurs, est celle de ses œuvres
qui porta sa réputation à son apogée. Salvador the Guérilla
est un roman historique, où il se rapproche davantage de
la manière de Fenimore Cooper, tandis que jusque là il
s'était efforcé d'imiter Walter Scott. Comme poète national
espagnol, il s'est fait un nom par ses charmantes comédies :
El Valeta elCasarse con 60,000 duras. Après avoir obtenu
en 1834 l'autorisation de rentrer en Espagne, il ne tarda pas
à être nommé membre de la chambre des procuradores ,
dont il devint secrétaire. Sa santé s'étant affaiblie, il retourna
à Paris, et y mourut, le 4 octobre 1835.
TRUFFA LDllXO et ZACCAGNINO fermèrent la porte
aux bons arlequins en Italie, vers l'an 1680. Comme on
n'en trouva plus qui joignissent les connaissances aux ta-
lents naturels, on fut obligé d'en prendre parmi les saltim-
banques des places publiques. C'est pourquoi ce rôle est tou-
jours resté bas comique en Italie, comme le Hans-Wurst
des Allemands. Il a continué aussi d'être improvisé dans
des scènes triviales. H. Audiffret.
TRUFFE {tuber cibarium, lycoperdon gulosorum),
champignon souterrain, de la famille des tubéracécs. La
truffe se distingue de toutes les autres espèces de champi-
gnons par les petites veines qui traversent sa substance dans
tous les sens et lui donnent un aspect marbré. Elle offre
une masse charnue, irrégulière, dont la grosseur varie depuis
ceile d'une noisette jusqu'à celle du poing, et dont la forme
TRUFFE — TRYPHIODORE
691
est plus ou moins arrondie et chagrinée à la surface. Blanche
ou d'un gris blanc, peu odorante , d'une consistance molle,
et presque sans saveur dans le pren)ier jour de son dt^ve-
loppement, elle se colore, se brunit, et prend de la consis-
tance en s'avançant vers la maturité, qu'elle atteint en no-
vembre et en décembre : c'est alors seulement que ses
principes sapides et aromatiques, convenablement élaborés,
inondent de délices le palais des gourmands. Les truffes
abandonnées à elles-mêmes perdent leur parfum vers la fin
de l'hiver, redeviennent blanciies , se ramollissent et se dis-
solvent. Que de richesses gastronomiques périssent ainsi
ignorées dans les lieux où croissent le cliône et le châtai-
gnier!... A l'époque de la maturité, le parfum de ces tu-
bercules est si fin, si subtil, qu'il s'échappe à travers les
couches de terre qui les recouvrent, et trahit ainsi leur re-
traite : aussi voit-on ordinairement voltiger tout autour des
colonies d'insectes ou de tipules dont la larve se nourrit de
leur substance. Le cerf, le chevreuil, le renard, le san-
glier, en sont très-friands. Les porcs, qui les recherchent
avec non moins d'ardeur, sont assez généralement employés
pour les découvrir. Conduits sur les lieux , ces animaux sont
tellement excités par l'odeur pénétrante qu'elles exhalent,
que le sol serait en un instant bouleversé si l'on ne répri-
mait leur gloutonnerie.
Faire l'histoire des truffes serait entreprendre celle de la
civilisation : civilisation et truffe sont les deux termes in-
dispensables d'une même proposition. Aux beaux jours de
l'empire des césars , elles affinaient à Rome de la Grèce , de
l'Afrique et de la Libye ; elles ne survécurent pas à la chute
de l'empire, croulant sous les coups des barbares. Pendant
les siècles, si longs , qui s'étendent de l'empire romain jus-
qu'à nous , on ne trouve plus vestige de truffes ; mais vers
la fin du dix-huitième siècle, elles reparaissent avec des
temps meilie-urs, et atteignent l'apogée de leur gloire sous le
gouvernement parlementaire , de 1820 à 1848.
Nous avons en France plusieurs espèces de truffes ,
la «ojre, la grise, la violette, efc la truffe à odeur d'ail.
Beaucoup de nos départements récoltent ces variétés. La
chaîne calcaire qui sillonne les déparlements de l'Aube, de
la Haute-Marne, de la Côte-d'Or, fournit la truffe grise.
presque aussi délicate que la truffe blanche à odeur d'ail
du Piémont. La truffe noire est en abondance dans les terres
du Périgord , de l'Angoumois, du Q'.iercy ; elle nous arrive
encore du Gard, de la Drôme, de l'Isère, de Yauciuse,
de l'Hérault, du Tarn, des Pyrénées-Orientales, des mon-
tagnes du Jura, -de l'Ardèche, de la Lozère. Plusieurs forêts
de la Touraine produisent des trufies d'une bonne qualité.
« La truffe, dit Brillât-Savarin, est le diamant de la cui-
sine ; elle réveille des souvenirs erotiques et gourmands chez
le sexe portant robe, et des souvenirs gourmands et ero-
tiques chez le sexe portant barbe. La truffe n'est point
un aphrodisiaque positif ; mais elle peut en certaines oc-
casions rendre les femmes plus tendres et les hommes
plus aimables. » « Que pensez-vous des truffes? deman-
dait Louis XVIIl au docteur Portai; je gage que vous les
défendez à vos malades. — Mais, sire, je les crois un peu
indigestes , et peut-être ne devrait-on en faire usage qu'à
titre d'assaisonnement. —
Les truffes ne sont point ce qu'un vain peuple pense,
réplique à l'instant le roi, d'un ton inspiré. Il dépêchait un
plat de truffes, rit de l'embarras du docteur, et acheva son
œuvre.
Truffière , lieu où l'on récolte les truffes. Les lois de re-
production et de végétation des truffes sont inconnues;
notre ignorance sur ces deux points a rendu vains jusqu'à
ce jour les mille essais tentés pour les reproduire à volonté.
P. Gaubert.
TRUFFE D'EAU. Voyes Macre.
TRUIE, femelle du cochon.
TRUITE. C'est le saumon des eaux douces. La truite
de mer, de taille plus petite que le saumon, s'en distingue
pai de petites taches , en forme de croissant , sur un fond
argenté, et par la couleur jaune de sa chair.
La truite saumonée, tachetée de noir, se tient dans les
lacs élevés, dans les eaux vives des régions montagneuses.
Sa chair rougeâtre est extrêmement délicate.
La truite commune, plus petite que les autres espèces,
tacheti'e de noir et de rouge, habite les ruisseaux limpides.
TRUPHÉMY, nom ou plus vraisemblablement sobri-
quet d'un des chefs de bande qui en juilht et août 1815
tinrent une grande partie du midi de la France sous le
coup d'une véritable terreur blanche, et ne se firent pas
faute de rançonner et môme au besoin d'égorger les individus
qui leur étaient désignés comme bonapartistes.
TRUXILLO ou TRUJILLO, ville de l'Kstremadure,
province de Caceres, sur les limites delà Caslille, est
bâtie sur un rocher autour duquel coule la Magasca, do-
minée par un vieux château fort , datant du temps de la do-
mination des Maures, et surnouimée la ville des cigognes, à
cause du grand nombre de ces oiseaux, qui viennent nicher
sur ses vénérables tours et ses vieilles maisons. On y trouve
six églises, dix couvents, une belle place entourée d'ar-
cades, plusieurs hôpitaux, quelques beaux hôtels, et 6,000
habitants, dont les principales industries sont le tissage des
toiles, le tannage des cuirs et la fabrication de la poterie.
Cette ville a vu naître dans ses murs Pizz a re et plusieurs
autres conquestadorcs. De l'an 711 à Tau 1185 elle appar-
tint aux Maures. Alphonse de Castille s'en empara alors ;
mais les Almohades s'en rendirent de nouveau maîtres, en
1 196 ; et elle demeura au pouvoir des Maures jusqu'en 1230.
TRUXILLO , chef-lieu de la province du même nom de
la république de Venezuela ( Amérique du Sud), située
dans ur>e étroite vallée, fut fondée en 1570, et avant d'être
livrée, en 1678, au pillage par le boucanier Grammont, était,
dit-on, l'une des plus belles et des plus riches villes de
cette partie de l'Amérique. On n'y compte guère aujour-
d'hui que 4,000 habitants, qui font un commerce assez im-
portant avec les beaux, blés que fournit la contrée de Ma-
racaibo, située à peu de distance. Bolivar et Morillo y con-
clurent une suspension d'armes, le 2 novembre 1820.
TRUXILLO, appelée aujourd'hui Libertad, siège d'é-
vêclié et chef-lieu du département formant l'extrémité
se[>tentrionale de la république du Pé rou, est située dans
une plaine sablonneuse du littoral, et entourée de murs flan-
qués de bastions. Les rues en sont droites, mais sales.
On y voit une grande place, une cathédrale et dix autres
églises, un palais épiscopal, plusieurs couvents , un hôtel de
ville , un séminaire et un collège. Le nombre de ses habitants
est de 8,000, et ils font quelque commerce à l'aide du port
de Guanchaco, situé à environ quatre kilomètres. Cette ville,
fondée en 1535, par Pizarre, qui lui donna le nom de l'on-
droitoù il élaitné, a eu à soulïiir de divers tremblements
de terre, et fut un moment, en 1823, le siège du congrès.
TRUXILLO, le port le plus important de la république
centro-américainede Honduras, entourée de fortifications
formidables, bâtie sur la baie du même nom , à l'ouest de'la
côte du nord, fut fondée en 1524, par Las Casas. Elle par-
vint rapidement à un haut degré de prospérité, mais fut prise
et détruite par les Hollandais , en 1643. C'est seulement en
1789 que le gouvernement espagnol s'occupa de remettre
son port en état. Après avoir beaucoup souffert en 1797
pendant le siège que les Anglais vinrent en faire , elle n'a
pas moins pàti dans ces derniers temps des suites de nom-
breux blocus. On y compte environ 4,000 habitants.
TRYQMX. Voyez Tortue.
TRYPHIODORE, poële grec, qu'on suppose avoir
vécu vers la tin du cinquième siècle de notre ère, et Égyptien
de naissance, nous a laissé un petit poërae d'environ 700
vers, la Prise de Troie , surchargé sans doute de métapho-
res, mais, du reste, écrit d'un assez bon style. Ce poème
l'ut retrouvé par le cardinal Bessarion en même temps que
celui de C 0 1 ut h u s. La meilleure édition est celle qu'en a
donnée Wernicke (Leipzig, 1819).
44.
C02
TSAO-TSJEIV. ro(/es Corée.
TSAU ou CZAK, litre qu'on donne au souverain de
la Russie. 11 est emprunté à l'ancienne langue slavonne,
et répond à celui de roi ou d'empereur, en latin cassar, mot
duquel il provient sans doute, quoique certains linguis-
tes le rattachent à la terminaison des noms des anciens
rois d'Assyrie, tels que Phalassar, Nabonassar, Nabo-
polussar. Dès le douzième siècle les annalistes russes
donnent ce titre de tsar au grand-prince Wladimir Mono-
maque (mort en 1125) et à quelques-uns de ses succes-
seurs. En générai ce|)endant les souverains des différentes
provinces russes jusqu'au seizième siècle ne portèrent pas
d'autre titre que celui de grand-prince ( Weliki Knjxs) :
c'est ainsi qu'il y avait des grands-princes de Wladimir, de
Kielf, de Moskwa. Le grand-prince Wassilii Iwanowitscli
prit le premier, en 1505, le titre de samoder.sfiez, répon-
dant au motgrec rzH/ocra/o?-, dont nous avons fait autocrate.
Le (ils de Wassilii , Ivvan II Wassiliéwitscli, dit le Cruel ou
le nrrible, se lit enfin couronner solennellement tsar le
16 janvier 1547; et dès lors les monarques russes prirent
le titre de tsar de Moskwa, puis, après la conquête de la
Petite-Russie et de Smolensk ( 1654 ) , celui de tsar de la
Grande- Russie, de la Russie-Blanche, de la Petite-
Russie (de toutes les Russies). Quoique le mot tsar dans
l'ancienne langue russe eût toujours équivalu à celui (Vem-
pereur et (ùt employé pour désigner aussi bien l'empereur
d'Allemagne que celui de Constantinople ( de là le nom de
Zargrad, ville impériale de Constantinople), Pierre l""^, en
1721, crut à propos de prendre ofliciellement le titre d'empe-
reur ; or, conmie il n'existait pas dans la langue russe de mot
strictement équivalent; on y introduisit le mot lalin impera-
tor, de même que pour désigner rim|)ératrice on se servit de
celai àHmperatriza (imperatrix). Les différentes puissances
de l'Europe refusèrent d'abord de reconnaître le titre d'em-
pereur au souverain de la Russie ; et la Pologne, l'Espagne
et la Turquie ne le lui accordèrent que sous le règne de Ca-
therine II.
L'épouse du tsar était autrefois qualifiée de tsariza, ses
fils et ses (illes de tsaréwitsch et de tsarewna, c'est-a-dire
fdset fille du tsar. Mais après la mort du malheureux Alexis,
fds de Pierre \", ce titre cessa d'être en usage ; et les princes
de la famille impériale ne furent plus qualifiés que de
grands-princes, titre dont on a fait en français (/ran^/5-
ducs. En 1799 l'empereur Paul l^"' introduisit le titre de
césaréwitsch\Mm9,on second (ils, le grand-duc Constantin,
à la mort duquel lempereur Nicolas le fit passer à son lils
aîné, Alexandre, aujourd'hui l'empereur régnant. L'empe-
reur Nicolas donna également le titre de ccsarewna à sa
belle-lille, femme de l'iiéritier présomptif <iu trône, à l'oc-
casion de son mariage.
Les anciens princes de la Grusie (Géorgie) et de l'Imé-
rétie, pays aujourd'hui soumis au sceptre russe, prenaient
aassi le titre de tsar. Le peuple russe continue à qualifier
son empereur de tsar, et plus souvent encore de gossoudar
(hospodar, c'est-à-dire seigneur). Le mot latin imperator
n'a jamais pu prendre racine dans son langage.
TSCHAD,TSAD ou DJAD, c'est-à-dire j/ranrfe eai/,
le plus grand lac du Soudan, appelé aussi par les Arahes
mer du Soudan ou Bahr-ez-Zaldm, c'est-à-dire mer des
Ténèbres, ou encore Dahr-Karha, est situé entre 12" 30' et
14" 20' de latitude septentrionale et 3r-33° de longiluile
orientale, avec une péri|thérie d'environ 28 myriamètres,
déchirée par une innombrable quantité de baies, de sorte
qu'il s'en faut de beaucoup qu'il ait l'étendue que lui don-
naient les derniers voyageurs anglais qui ont visité cette
contrée, et qui l'évaluaient à 480 et même à 560 myriam.
carrés. Ce lac est d'ailleurs extrêmement variable ; dans la
saison des pluies il inonde facilement , surtout à l'ouest et
au sud , ses côtes plates et marécageuses, tandis qu'à d'au-
tres époques il se perd tout à fait et se transforme alors en un
véritable marais. D'après les mesures les plus récemment
prises par Edouard Vogel, sa hauteur absolue n'est que de
TSAO-TSIEN — TSCHENTSCHENZES
266 mètres à 283 mètres , tandis que la hauteur du plateau
qui l'entoure est de 333 à 433 mètres. Sa profondeur
moyenne n'est que de 3 mètres 33 centimètres à 5 mètres.
Son eau est fraîche et claire, en même temps que riche en
poissons. 11 y a dans ce lac une centaine d'îles , couvertes
de forêts et de prairies, habitées par le peuple sauvage,
idolâtre et pirate des Biddumas. Pas un seul cours d'eau,
petit ou grand, ne sort de ce lac , qui au contraire, outre
une innombrable quantité de torrents qui surgissent pendant
la saison des pluies , reçoit pendant l'été le tribut de deux
grandes rivières, le Jeou ou Komadougou, le principal
cours d'eau du pays de Bornou , à l'ouest , et le Schary, ou
T\\\ëreàe Begharny, au sud. Parmi ses affluents périodiques
le plus important est celui du Wad-el-Ghasal, c'est à-dire
de la vallée des gazelles, qui vient s'y jeter à l'est , et qu'on
croyait autrefois se perdre dans le \ac Filtré, situé à quatre
ou cinq jours de marche du lac de Tschad, et plus petit que
celui-ci. Les bords marécageux et boisés du lac de Tschad
sont vivifiés par une indescriptible masse de mosquitos, de
mouches, de fourmis, de termites, de scorpions, de cra-
pauds de 10 à 12 centimètres de diamètre, de caméléons, de
gazelles, d'antilopes, de sangliers, de buffles sauvages, d'é-
léphants , d'hippopotames ; les lions et les léopards s'y ren-
contrent plus rarement. Suivant loiite apparence ce lac est
le même que le lac Niiba, dont Ptolémée fait déjà mention
comme d'un marais sujet à des crues et des inondations pé-
riodiques. Au moyen âge Aboidféda le mentionne sous le
nom de lac Kouar,et comme très-poissonneux. Les Anglais
Claftperton, Denham et Oudney sont les premiers Européens
qui l'aient visité. Mais le premier qui ait navigué dessus à
l'aide d'un bateau {Le Palinerston, construit en 1851, à
Malte, ensuite démonté et transporté à travers tout le dé-
sert, puis remonté sur le bord du lac), (ut l'Allemand
Overweg, qui mourut le 27 septembre 1852, à Kouka, capi-
tale du royaume de Bornou, à environ to kilomètres à l'ouest
du lac. Un autre Allemand, Edouard Vogel, y est encore ar-
rivé, à la fin de 1853.
TSCHAGOS (Iles). Voyez Maldives.
TSCIIAÏKS ou CZAIKS, TSCHAIKISTES. Tschaïk
est un mot turc, synonyme de vaisseau. On l'emploie en
Hongrie pour désigner de petites galères pourvues de voiles
et de rames, dont on fait usage sur le Danube, et qu'on
dirige avec autant de facilité que de rajudité, même con-
tre les courants et les vents. L'Autriche en entretient toute
une flottille armée de canons et de mortiers. Les bâti-
ments qui la composent portent de une à huit pièces de
canon, et les équipages comprennent de deux à trente-
six rameurs. Elle sert à défendre le Danube, la Save et
la Théiss contre les Turcs, et le prince Eugène en tira un
parti très-avanlageux dans ses carapagnes. Les soldats
employas au service des tschaïks sont appelés tschau
kistes {voyez Frontières Militaires) et appartiennent aux
troupes de Frontières. Ils forment un bataillon, fort d'en-
viron 1,300 hommes, et qu'en temps de guerre on porte
à 2,050 , divisés en 10 compagnies et armés de sabres et
de baïonnettes. Le District du bataillon de Tschaïkistes,
qui faisait autrefois partie des Frontières Militaires escla-
vonnes , appartient aujourd'hui au commandement civil et
militaire du Banat, et comprend la pointe triangulaire de
terrain bornée au sud et à l'est par le Dannbe et la Théiss,
qui en cet endroit mêlent leurs eaux, et au nord-ouest par
une partie de ce qu'on appelle le rempart des Romains ,
c'est-à-dire par un rempart en terre vraisemblahlement élevé
à l'époque de la première guerre contre les Turcs, et auquel
la dernière guerre révolutionnaire en 1849 a donné une im-
portance nouvelle. Ce district, sur une supirlicie de 12 my-
riamètres carrés , comptait en 1850 21,835 habitants, pour
la plus grande partie serbes grecs non-unis. Le lieu de dépôt
du bataillon des tschaïkistes est Tetel, bourg de 2,200 ha-
bitants, au confluent des deux cours d'eau , et dont sa situa-
tion fait une place forte toute naturelle.
TSCIlEl\TSCHI':^ZES. Voyez Kissétie.
TSCHEQUES —
TSCHÈQUES. Voyez Czèches.
TSCHÉRÉMISSES (Les), nation (innoise de la
Russie (i'Iiiiiope, qui se désigne elle-même sons le nom de
Mari, c'est-à-dire hommes. Ils habitent pour la plupart la
rive gauche du Volga, dans les gouvernemenis de Nischni-
Nowgorod, de Kasan , d'Orembourg, de Simbirsk et de
Wjœlka, et ressemblent fort, en ce qui est du caractère,
aux Finnois proprement dits; mais ils n'ont ni écriture ni
écoles , et parlent un dialecte assez semblable à celui des
Finnois, quoique mêlé d'un grand nombre de locutions
russes ettatares. (On en a une grammaire, par Wiedemann
[rSeval, 1847]). A l'époque delà domination des Tatars,
ils y étaient soumis et résidaient alors plus au sud , entre le
Volga et le Don. Par la suite , ils passèrent avec le reste des
peuplades (innoises sous la domination russe. Si d'abord ils
conservèrent encore leurs propres khans, ils les perdirent par
la suite en même temps qu'ils renonçaient à la vie nomade,
devenant des pasteurs, des agriculteurs, des pêcheurs et
des chasseurs sédentaires, et se livrant avec un succès fout
particulier à l'éducation des abeilles. Mais de nos jours même
ils n'habitent ni villes ni bourgades murées, et vivent dis-
persés, de préférence au milieu des bois favorisés qu'ils
sont sous ce rapport par l'existence d'immenses forêts vier-
ges sur les bords du Volga. Leurs femmes, et dans k nom-
bre il s'en trouve de fort belles et de très-bien faites, sont
d'une habileté sans pareille dans l'art du tissage et de la tein-
ture; et ce sont elles qui fabriquent tout l'accoutrement des
Tscliérémisses. Quoique cette nation, au total misérable,
assez sale et très-limide, dont on estime le chiffre à 500,000
têtes, se soit rattachée à l'Église grecque dominante, elle a
conservé encore une foule de superstitions païennes.
TSCHERKASK ou NOWOI-TSCHERKASK, chef-lieu
du pays des Kosaks du Don, sur l'un des bras du Don, à huit
myriamètres de son embouchure dans la mer d'Azof, est
situé à environ trois myriamètres du Vieux-Tscherkask , Sta-
roJ-r.sc/ier/£«sA;, ancienne capitaledu pays, que sa situation,
exposée aux inondations du Don et entourée de marécages,
rend fort malsaine , et que les autorités ont dû dès lors aban-
doimcren 1805 pour aller s'établir dans la ville neuve. Tou-
tefois, le commerce, aux mains de Grecs, d'Arméniens et
de Tatars, resta au Vieux-Tscherkask, qui se trouve plus
rapproché de la mer, où l'on compte 15,000 habitants, et
centre d'une pêche et d'une culture de vignes fort impor-
tante. Dans ces derniers temps cependant le commerce de la
ville de Rostoff , située beaucoup plus bas, et déjà dans le
gouvernement d'Iékatérinoslaff , est devenu beaucoup plus
considérable.
TSCHERKESSESouCIRCASSIENS. On entend par
là , dans l'acception la plus large, surtout quand il s'agit de
la guerre des Circassiens contre les Russes , tous les monta-
gnards du Caucase que la Russie n'a pu jusqu'à ce jour réus-
sir à dompter, puis dans un sens plus restreint les habitants
de la partie occidentale du Caucase , territoire auquel en con-
séquen<-.e on donne le nom de Circa^sie ou Tscherkessie.
Mais les Tsclierkesses proprement dits n'habitent que la
partie nord-ouest du Caucase, à l'exception du territoire des
Abchases , leurs voisins méridionaux , soit l'angle situé entre
la mer Noire à l'ouest et le Kouban inférieur au nord. Celte
partie du Caucase, dont les derniers prolongements au nord-
ouest forment les Montagnes Noires {Coraxici Montes),
est moins élevée que la partie centrale de cette immense
montagne , et va toujours en s'abaissant à mesure qu'elle
s'avance davantage vers l'ouest. La montagne, dont la for-
mation est généralement calcaire, est couverte de forêts et
entrecoupée par d'étroites vallées aboutissant soit au Kou-
ban, soit à la mer. Les habitants de ce pays, très inaccessible,
appelés par les Turcs Tsclierkesses (d'où est venu le nom
de Circassiens ) , tandis qu'eux-mêmes se désignent par celui
iXAdighé ou Adhigé, appartiennent avec les Abchases au
sud et les Kabanlius à Testa la race du Caucase occidental ,
et forment une nation de 5 à 600,000 têtes, divisée en quinze
tribus, dont les plus considérables sont les Schapsouches et
TSCHERKESSES
693
les Abadsèches. On ne sait pas encore positivement s'il faut
les regarder comme appartenant sans conteste à la race du
Caucase, ou bien à la race indo-germanique. Leur langue,
qui diffère moins du kabardin que de l'abchase , présente des
difticùltés toutes particulières pour ce qui est du son et de
la prononciation. L'état social de ce peuple est encore ab-
solument le même que lorsqu'il apparut pour la première fois
dans l'histoire. C'est un peuple brigand, guerrier, à qui il
semble bien plus honorable de vivre du brigandage que des
produits d'un travail régulier; et, comme tous les peuples
brigands, les Tsclierkesses conservent la passion de l'indé-
pendance. Leur constitution est républicaine, mais féodale et
aristocratique , car la nation forme cinq classes très-rigou-
reusement distinctes : les chefs ou princes, les nobles, les
hommes du commun libres, les serts, les esclaves. La nais-
sance seule donne droit au titre de prince (pscheh, pschi);
mais pour qu'il soit entouré de considération il faut y ajouter
la gloire militaire D'ailleurs, la puissance de ces princes dé-
pend de l'étendue de leur parenté et du nombre de leurs vas-
saux. Les nobles (work), qui forment en général la suite
d'un prince, constituent la seconde classe de la nation, la-
quelle jouit à peu près d'autant de considération que la pre-
mière. C'est à ces deux classes qu'appartiennent les occupa-
tions de guerre et de brigandage ; aussi les beaux che-
vaux et les belles armes constituent iU leurs (ilus riches
ornements. La classe des hommes du commun libres forme
la grande masse de la nation. Ils possèdent des propriétés
complètement libres, et, sauf la considération, les mômes
droits que la noblesse. La quatrième classe, les serfs,
sont les vassaux des princes et des nobles, dont ils cultivent
les terres et dont ils constituent la force militaire. Toutefois,
leur seigneur n'a pas de droits sur leur corps , car en cer-
tains cas ils peuvent avec leur famille déserter leur maître;
et alors ce n'est qu'après avoir été jugés et condamnés dans
une assemblée du peuple, qu'ils peuvent être vendus comme
esclaves. Dans la vie domestique et sociale, où règne la plus
grande égalité, ces quatre classes ne se distinguent que fort
peu ; et les rapports de dépendance qui existent entre elles
reposent bien moins sur l'autorité de la force que sur d'an-
tiques habitudes et un respect patriarcal. La cinquième classe
se compose d'esclaves, provenant de prisonniers faits à la
guerre. Ils constituent la richesse de leurs maîtres et contri-
buent surtout à accroître leur puissance. Autrefois ils for-
maient le principal article de commerce avec les Turcs. La
religion des T.scherkesses est un mélange de mahométisme,
de christianisme et de paganisme. Us furent plus ou moins
convertis au christianisme dans le cours du onzième et du
douzième siècle; mais les invasions tatares procurèrent aussi
chez eux accès au mahométisme. Cependant, ce n'est que
dans ces derniers temps que l'islamisme a fait des progrès
nolables i)armi eux, et cela parce qu'il donnait à ces po-
pulations, qui manquent surtout d'unité, un point d'action
central ; encore ne peut-on considérer comme de véritables
mahométans que les chefs et les principaux de la nation. Le
peuple professe une religion mélangéede traditions chré-
tiennes et païennes , dans lesquelles la lête de Pâques, le signe
de la croix , des arbres bénits, des sacrifices el des proces-
sions aux flambeaux jouent un grand rôle. Les Tsclierkesses
ignorent encore l'usage de l'écriture ; cependant, il y a chez
eux des chanteurs (kikoa-zoa) , qui sont en grande considé-
ration. Outre l'agriculture et l'élève du bétail, confiées aux
esclaves, aux serfs et aux femmes, ils pratiquent quel<)ues
métiers, qui satisfont à leurs modiques besoins. Quant à
leurs qualités physiques, leur belle conformation est de-
puis longtemps proverbiale ; d'ailleurs, ils sont vigoureux,
adroits et sobres. Leurs qualités morales les plus saillantes
sont le courage, la sagacité, la prudence et l'amour de l'in-
dépendance.
Dès l'antiquité il est question des Tsclierkesses sous le nom
de Syches, comme de pirates déterminés. Mais c'est seule-
ment au moyen âge qu'ils entrent dans l'histoire, à la suite
de la création, au dixième et au treizième siècle, du royaume
694
TSCHERKESSES — TSCHERNITSCHEF
de Géorgie, dont la reine Thamar répandit parmi eux la
connaissance du christianisnae et les soumit à cet État.
Ils s'en séparèrent en 1424, et récupérèrent alors leur in-
dépendance. Pendant ce temps-là ils s'étaient répandus
dans les plaines riveraines de la mer d'Azof et s'étaient
ainsi trouvés en conflit avec lesTatares. En t555 ils se trou-
vèrent en rapport avec le tsar Iwan Wassiliéwitsch, à qui
l'une de leurs tribus fit sa soumission, qui se maria avec !a
fille d'un de leurs princes et qui les secourut contre les Ta-
tars. Les Russes ne tardèrent pomt à s'éloigner, et les luttes
de recommencer aussitôt entre les Tatars et les Tsclier-
kesses , qui eurent le dessous , se virent repousser jusqu'aux
frontières duKouban, et durent consentir à payer tribut aux
Tatars. C'est seulement en 1705 qu'une victoire décisive
affranchit les Tscherkesses de toute influence tatare. Ils s'en
trouvèrent encore autrement indépendants quand la paix de
Koutscliouk-Kaïnardschi (1774) rendit les Russes maîtres
des deuxKabardies, de même qu'après 17Sl,oùonleur rendit
la frontière du Kouban. Cependant, déjà à cette époquf les
populations s'agitaient contre les Russes, et un fanatique re-
ligieux, appelé Schech-Mansouj-, chercha a. les réunir pour
entreprendre une lutte. En 1784, à la suite de leurs pertes ,
les Turcs construisirent sur les bords de la mer Noire
Anapa, devenue dès lors le grand entrepôt du commerce
des Turcs avec les Tscherkesses, qui de là furent cons-
tamment excités par les Turcs contre les Russes. En 1807
les Russes s'emparèrent bien d'Anapà; mais, aux termes de
la paix signée en 1812 à Bucharest, ils la rendirent aux
Turcs. Ceux-ci profitèrent de ce temps-là pour répandre le
raahométisme parmi les Tscherkesses et pour les exciter de
plus en plus contre les Russes. Il en résulta une petite
guerre incessante , et en 1824 diverses tribus prêtèrent même
«serment de fidélité au sultan. Dans le cours de la guerre
russo-turque, en 1829 Anapa tomba encore une fois au
pouvoir des Russes, et la paix d'Andrinople adjugea eu
général à la Russie toutes les possessions turques sur ce
littoral. C'est là-rtessus que la Russie base son droit de
souveraineté sur les montagnards, qui cependant n'avaient
jamais été sous la souveraineté de la Porte, et que celle-
ci dès lors n'avait pu céder. Les généraux russes Pas-
kewitsch, Emanuel et Rosen furent successivement em-
ployés à réduire ces populations, mais sans obtenir de
bien remarquables succès. En 1834 le général Weliaminolf
fut chargé de soumettre ces montagnards en occupant pas
à pas leur territoire; et en même temps le gouvernement
russe déclara leur littoral en état de blocus; mesure qui
amena t-n 1836 un conflit entre la Russie et l'Angleterre,
à l'occasion de la capture par les croiseurs russes du na-
vire anglais le Vixen. Cette guerre, pendant le cours de
laquelle Weliaminott mourut, en 1838, et la Russie changea
à diverses reprises ses généraux, se continua pendant plu-
sieurs années sans produire de résultats réels. En 1837 l'em-
pereur Nicolas et en 1842 le ministre de la guerre Tsclier-
nitschef vinrent en personne visiter tes provinces du Caucase;
et à la suite de cette tournée d'inspection on se décida à
adopter un autre plan d'opération. On renonça aux expé-
ditions dans l'mlérieurdu pays, et on se borna à établir un
blocus rigoureux. Ce système tout défensif ne fit qu'exciter
davantage l'esprit d'entreprise des montagnards; et en 1842
Chamil ou Schemryl, qui avait déjà réussi à armer contre
les Russes les Tschetschenzes de même que d'autres tribus
des montagnes de l'est, détermina les Tscherkesses à re-
prendre l'olfensive, de sorte que depuis cette époque toutes
les populations du Caucase sont plus ou moins en état d'hos-
tilité avec les Russes. Après avoir perdu plusieurs forteresses
de montagnes et diverses provinces, les Russes se virent con-
traints de changer encore une fois de tactique et de repren-
dre l'offensive. Woronzoff fut appelé à prendre lecomman-
flement en chef de l'armée russe et investi d'une puissance
quasi-dictatoriale. Mais malgré une série d'avantages partiels,
remportés dans une suite non interrompue de combats jus-
qu'en 1854, ce général n'obtint pas en définitive des résul-
tats plus réels que ses prédécesseurs. La lutte ainsi engagée
entre la Russie et les nunitagnards du Caucase entra dans
une nouvelle phase lors de l'apparition des flottes anglaise el
françaisedans la mer Noire (1854). Les Turcs donnèrent alors
ouvertement des secours aux Tscherkesses, qui secondèrent
puissamment la pris* et la destruction des forteresses russes
construites sur le littoral de la mer Noire. Au mois d'août
1854 un agent envoyé par Chamil à Constantinople obtenait
de la Porte qu'elle reconnut l'indépendance des Tscherkesses.
TSCHERNAGORZES (Les). Voyez Monténégro.
TSCHERMAIA. Voyez Tcdernaïa.
TSCHERi\lGOF,lgouvernement delà Russie d'Europe
qui forme une partie de la Petite-Russie et fut érigé en gou-
vernement en 1782 , est l'une des provinces de l'empire les
plus fertiles et les plus riches en blé. La douceur de la tem-
pérature permet à tous les arbres à fruit d'y réussir. Borné
au nord par les gouvernements de Mohilef et de Smolensk ,
à l'est par celui d'Orel et par le Koursk , à l'ouest par ceux
de Kief et de Minsk , il présente une superficie d'environ
700myriam. carrés, avec une population de 1,430,000 âmes.
Il a pour chef-lieu TscuERNiGOF, ville de 12,000 habitants,
sur la Desna , l'un des affluents du Dniepr, d'une haute
antiquité, et jadis fortifiée. On y trouve un séminaire, une
imprimerie ecclésiastique, un gymnase, une école des arts et
métiers pour quatre cents élèves , une école pour les nobles
et neuf autres écoles, quatre couvents et dix-huit églises,
dont une superbe cathédrale. Plusieurs foires , extrêmement
fréquentées, y suppléent à l'absence totale de fabriques et de
manufactures locales.
Netschin, ville de 19,000 habitants, sur l'Oster, bien
construite et habitée par un grand nombre de marchands
russes, grecs et arméniens , est le principal centre indus-
triel et commercial de ce gouvernement , et trois foires an-
nuelles tiès-fréquentées contribuent singulièrement à sa
prospérité. Les parfumeries , les confitures et les liqueurs
de Nftschin jouissent en Russie d'une grande réputation.
TSCHERIXITSCHEF (Famille ) , dont le nom s'écrit
aussi Czernlczef, suivant l'orthographe russe. Cette mai-
son , dont les membres portent le titre de princes et de
comtes, et dont la noblesse date de l'année 1628, forme au-
jourd'hui deux branches. Le chef de la branche cadette,
le général Grej/o j?"e Tscheknitschef , fut, en l'année 1742,
redevable de son élévation au titre de comte par l'impéra-
trice Elisabeth , à ses relations intimes avec M"'' RjewsKa,
maîtresse de Pierre 11. Deux de ses fils obtinrent le grade
de feld-inaréchal , à savoir le comte Zacharie Tscheumt-
SCHEF, né en 1705, mort en 1775, ministre de la guerre
sous Catherine II , l'un des généraux les plus distingués
qu'ait eus l'armée russe , et le comte Iwan, ministre de la
marine sous Catherine II et sous Paul F''. Un troisième fils,
le comte Pierre , fut ambassadeur de Russie à la cour de
Frédéric le Granil et ensuite à celle de Louis XV. Le petit-
fils du comte Iwan, le comte Zacharie Tscuermtsciicf,
ayant été exilé en Sibérie , à cause de la part qu'il prit à la
conspiration de 1825, peine qui emporte avec elle la mort
civile , un décret de l'empereur conféra son titre et son
nom à son beau-frère, Iwan Kruglikof , qui désormais prit
le nom de TscnERNixscuEF-KRUGLiKOF.
Le membre le plus important de la branche aînée de cette
famille est le comte Alexandre Tscueiumtschef, né en
1779, général de cavalerie, aide de camp de l'empereur,
président du sénat et du conseil des ministres. Il était
encore fort jeune, et colonel des cosaques de la garde,
lorsqu'il fut chargé en 1811 d'une mission près de Napoléon.
11 paraissait s'occuper beaucoup moins de diplomatie que
de fêtes, de bals et d'intrigues galantes. Six mois après son
départ, il revint avec une nouvelle mission, qu'aucun pré-
texte ne semblait justifier Une note envoyée officieusement
au Journal de TiîmTJire comparait le jeune et sémillant co-
lonel à cet aide de camp du prince Potemkin par qui son
maître envoyait chercher un danseur à Paris, des diavo-
?o;ùà Naples , de la boutargue en Albanie, des melons d'eau
TSCHERNiTSCHEF — TSCHUSAN
695
h ARtrachan,etcles raisins en Crimée. Blessé de cette allusion,
Tschernitschef se plaignit, et Esniénard, l'auteur de Par- .
ticle, fut ostensiblement exilé à Naples. Protégé par la
|)rincesse Borglièse et par tout ce qu'il y avait de jolies
femmes à Paris, Tschernitschef continua de séjourner parmi
nous jusqu'au moment où éclata la rupture entre la France
et la Russie. Lorsqu'il eut quitté l'hôtel Thélusson , où
avaient successivement logé les divers agents de la Russie,
on remarqua la saillie de plusieurs feuillets du parquet dans
son cabinet. En enlevant ces feuillets , on y découvrit toute
une correspondance entretenue par l'imprudent diplomate
avec un nommé Midiel , employé dans les bureaux de la
guerre. L'employé prévaricateur avait en effet communiqué
à l'envoyé russe l'état de situation de la grande armée d'Al-
lemagne, dont la garde impériale faisait partie intégrante.
Arrêté sur le champ, Michel lit les aveux les plus
complets. Un garçon de bureau, sarnommé Mirabeau,
parce qu'il avait le profil du grand orateur, était chargé
de porter de temps en temps chez un relieur un livret ou
cahier général du mouvement des troupes destiné à passer
sous les yeux, de l'empereur. Mirabeau avait ordre <ie ne
point perdre ce livret de vue et d'assister à toutes les opé-
rations de la reliure; mais il se rendait furtivement chez
Michel, qui en moins d'une heure prenait les notes néces-
saires. Michel paya de sa tète ces services criminels rendus
à la Russie. Quant à M. de Tschernitschef , immédiatement
après la découverte des documents accusateurs, ordre fut
transmis par le télégraphe de l'arrêter à la frontière comme
espion; mais il avait déjà franchi le pont de Kehl lorsque
la, dépêche fut communii^uée au préfet de Strasbourg.
Pendantlacampagne de 1812 il commanda une expédition
audacieuse sur les derrières de l'armée française, et délivra
le général Winzigerode, qui avaitétéfait prisonnier. En 1813
il chassa Augereau de Berlin , battit à Halberstadt le gé-
néral wetsphalien Ochs, s'empara de Cassel ; et en 181411
se rendit maître de Soissons. Promu au grade de lieutenant
général, il accompagna l'empereur Alexandre au congrès de
Vienne, et plus tard à ceux d'Aix-la-Chapelle et de Vérone.
Il fut ensuite chargé de diverses missions diplomatiques.
Après avoir beaucoup contribué à réprimer l'insurrection
militaire de 1825, il lut créé comte par l'empereur Nicolas
à l'occasion de son couronnement, puis nommé en 1828
ministre de la guerre et chef de l'état-major de l'empereur.
Sous son administration l'armée russe fut complètement ré-
organisée, et son elfectif porté presqu'au double, on
même temps qu'on faisait disparaître une partie des abus
qui y existaient. Ces services furent récompensés en 1841
par le titre de prince. L'année suivante, l'empereur Nicolas
le chargea de parcourir les diverses provinces du Caucase
et de lui soumettre un plan nouveau pour leur adminis-
tration. En 1848 il fut appelé à la présidence du sénat et
du conseil des ministres; mais en 1852 il se démit du por-
tefeuillede la guerre, à cause de son âge avancé.
TSCHITSCHAGOFF (Pxul-Wassiliéwitsch), (ils
de l'amiral russe du même nom, mort en 1809 après avoir
pendant longtemps commandé en chef la Hotte de la Bai-
ti'(ue, naquit en 1702. Entré dans la marine en 1782, il
assista, sous les ordres de son père, aux batailles de Beval
et de Wiborg, et passa capitaine de vaisseau. En 1790, sous
Vaul l^'', il donna sa démission à l'occasion d'un passe-droit
(jui luiavaitété fait; mais en 1799 il dut reprendre du service
pour commander une escadre chargée d'opérer de conserve
avec. une flotte anglaise sur les côtes de la Hollande. Eu
1802 Alexandre le nomma vice-amiral, et luiconlia la direc-
tion du ministère de la marine, position dans laquelle il
se fit beaucoup d'ennemis par son franc- parler et par la
guerre acharnée qu'il fit aux abus. 11 n'en conserva pas
moins les bonnes grâces de l'empereur, qui en 1807 le,
promut au grade d'amiral. Eu 1812 ce prince l'appela à
prendre le commandement en chef de l'armée du Danube ,
qui était destinée à une expédition dans l'Adriatique. Les
rapides progrès de Napoléon forcèrent le gouvernement
russeà employer toutes ses forces à la défense de son pro-
pre territoire , et Tschilschagoff reçut l'ordre de marcher
sur la Volhynie, afin d'empêcher la jonction des Autri-
chiens avec Napoléon et de couper à celui-ci la retraite de
Moscou. Après avoir rejeté Scliwarzenberg jusque sur le
Boug , Tschitschagoff se dirigea vers la Bérézina , et prit
Minsk d'assaut, le IG novembre; mais il se laissa tromper
par les habiles manœuvres de Napoléon, qui fit franchir
cette rivière à son armée sur un point, tandis que Tschit-
schagoff l'attendait sur tm autre. Sa conduite dans cette
circonstance n'a jamais été bien éclaircie; cependant,
il paraît que la faute vint plutôt de ses subordonnés que
de lui. A quelque temps de là il remit son commandement
à Barclay de Tolly, et se rendit à Pétersbourg, où il de-
manda à l'empereur un congé, qui lui fut accordé pour un
temps illimité. Dès lors il vécut tantôt en France, tantôt
en Angleterre, où il publia un mémoire ( Retreat of Na-
poléon, Londres, 1817) pour détendre sa conduite contre
les accusations dont elle était l'objet de tous les côtés. En
1834 un oukase de l'empereur Nicolas ayant ordonné à
tous les Russes résidant à l'étranger de retourner dans leur
patrie, sous peine de voir confisquer leurs propriétés,
Tschitschagoff vit là une atteinte portée aux droits et aux
privilèges de la noblesse russe, et refusa d'obéir. En con-
séquence , il fut rayé des cadres de la marine russe et dé-
pouillé de sa dignité de membre du sénat. En même temps
tous ses biens furent confisqués ; rude coup pour lui, qui
n'était pas riche. Sans se laisser décourager par cette cruelle
épreuve, il se fit naturaliser en Angleterre, se déclara
délié de tous devoirs de sujet envers l'empereur de Russie,
et continua tranquillement à travailler à la rédaction de ses
mémoires, dont une partie parut dans les journaux anglais.
Il mourut à Paris, le 10 septembre 1849.
TSCHESMÉouDSCHESMÉ, bourg sans importance de
la côte orientale de l'Asie Mineure, vis-à-vis de l'île de
Chios, est célèbre par la bataille navale qu'y livrèrent,
dans la nuit du 6 juillet 1770, les Russes, commandés par
Orlof, Spondof et les Anglais Elpbinstone et Greigh. La
flotte turque s'étant imprudemment engagée la veille dans
la baie étroite et peu profonde de Tschesmé, fut complète-
ment incendiée. Le vaisseau amiral russe sauta d'adieurs
dans ce combat, tout comme celui des Turcs. Le gain de
la victoire fut dû à l'audace de l'Anglais Dugdale, lieute-
nant dans la marine russe, qui conduisit ses brûlots au mi-
lieu de la Hotte ennemie , en attacha lui-même un à un
vaisseau turc, et, quoique horriblement brûlé au visage et à
la main, parvint à se sauver à la nage. En mémoire de celte
victoire, Catherine fit construire à Saint-Pétersbourg un
palais , auquel elle donna le nom de Tschesmé.
TSCHESi\A,TSCHENTSCHENZES. Voyez Kissétie.
TSCHiA'GUYS-KHAJV. Voyez Djinghiz-Khan.
TSCHOUDES. Voyez Finnois.
TSCIIOUSÂM. Voyez Tschusan.
TSCHOUVACHES (Les), peuplade russo-finnoise
appelée par les Tschérémisses Kurkmari , c'est-à-dire
Hommes des montagnes, et Wiedhe par les Mordwins,
qui habite principalement les fondrières dont sont parsemées
tes rives du Volga, dans les gouvernements de Nischni-
Nowgorod , Kasan et Simbirsk, très-nombreuse d'ailleurs
aussi dans les gouvernements de Wjœtka, Orenbourg, Perm
et Tobolsk;car c'est l'une des tribus finnoises les plus con-
sidérables, et aujourd'hui encore elle ne comprend pas
moins d'un demi-million d'âmes.
TSCHUSAi\ ou CHUSAN, lie dépendant de la
Chine, non loin de la côte orientale de cet empire et à peu
de distance de la ville de Ningpo. Comme tout le groupe
dont elle fait partie et auquel elle donne son nom , elle
appartient à la province de Tschékiang. Douée d'un sol
fertile, elle a une superficie d'environ liuit myriamètres
carrés et contient près de 200,000 habitants. Elle a aci)uis
de l'importance dans ces derniers temps , parce que les
Anglais, lors de leur guerre de 1840 contre la Chine, s'en
696 TSCHUSAN
emparèrent; et ils ne la restituèrent aux Chinois qu'en 1846,
après l'entier accomplissement des conditions de la paix
qu'ils avaient imposée au Céleste Empire. Le chef-lieu de
l'île, Tinghaï, est une grande , industrieuse et riche cité ,
bien bâtie et (ortiliée à la chinoise, d'une immense impor-
tance stratégique et commerciale , en raison de sa situalion
à mi-chemin entre Péking et Canton , près de la fertile île
Formose, et à peu de distance de plusieurs villes considé-
Tables du continent chinois, de l'île de Corée et du Japon.
Déjà elle est le rendez-vous des navigateurs et des mar-
chands qui fréqueulent les côtes orientales de la Chine.
TSJGANES, nom sous lequel on désigne dans les Pro-
vinces Danubiennes les Bohémiens, race déshéritée et qui
paraît originaire de l'Hindoustan. Consultez Poissonnier, Les
Esclaves Tsiganes {Pans,, 1855).
TU ou TOI. Voyez Moi.
TUAM. i'oijez Galway.
TUARIKSou TUAREGS. Foyes Touariks.
TUBALCAÏiV, lils de Lamech le bigame et de Sella,
inventa l'art de battre et de forger le fer et de fabriquer
toutes sortes d'ouvrages d'airain. Il semble que le V u 1 cain
des païens a été calqué sur ce patriarche ( voyez Cirètes ).
TUBE , tuyau de plomb , de fer, de verre , etc., par
où l'air et les autres lluides peuvent passer et circuler.
Les bolani.stes appellent tube la partie inférieure d'une
corolle monopétale lorsqu'elle forme ime espèce de tuyau.
En anatomie, on donne le nom de tube à un organe ou
appareil qui a la forme d'un cylindrecreux. Ce nom est syno-
nyme de cah a ^ et de conduit. On dit le tube di-
gestif, \e tube intestinal (voyez Intestin), le tube aérien.
TUBERCULE (du latin tubercidum, diminutif de
titber, truffe ). En médecine, on nomme tubercules des
tumeurs ou productions morbides, qui surviennent dans
tous les tissus organiques, même les plus durs et les plus
compactes. Le tubercule consiste dans une matière jaune,
friable, dépourvue de vaisseaux et de nerfs, qui se dépose
dans les interstices ou bien qui résulte d'une transformation
de la substance propre des organes. Gros quelquefois
comme des grains de riz, les tubercules s'accumulent
souvent en masses amorphes, qui envahissent les parties
vivantes. Ils demeurent pendant un certain temps sans chan-
ger d'aspect ; mais sous l'inlluence d'un mouvement in-
llammatoire, ils se ramollissent du centre à la circonfé-
rence et se fondent en pus, laissant après eux des ulcères
creux ou cavernes. Quelquefois les ulcères se cicatrisent et
la santé se rétablit. Les tubercules apparaissent dans les
scrofziles,]aphthisiepuljnonaire,\ecarrean.
En botanique, tubercule se dit de toute excroissance en
forme de bosse ou de grain de chapelet que l'on rencontre
sur les feuilles, les tiges, les racines, etc. A la surface du
tubercule, on voit v.n nombre plus ou moins considérable
d'yeux reproducteurs ou de gemmes. On arrive ainsi à dis-
tinguer le tubercule du bulbe, entre lesquels quelques bo-
tanistes soutiennent qu'il n'y a point de limites positives.
TUBEREUSE {Polyantlies Tuberosa) , fleurs blan-
ches très-odorantes; deux variétés, l'une à lleurs simples ,
qui n'est cultivée que pour les parfumeurs , l'autre à
fleurs doubles , que tout le monde veut avoir dans les jar-
dins et dans les appartements, et qu'il faut planter sur cou-
che, mais qui fleurit néanmoins toujours plantée en pleine
terre , quand celle-ci est échauffée par la saison. Les tubé-
reuses se multiplient par leurs caïeux.
TUBÉREUSE BLEUE. Voyez Agapanthe.
1* UBERON , nom de l'une des nombreuses familles de
rr.ce plébéienne qui portaient aussi celui d'^lins.
Quintus Mlius Turero, partisan zélé de la philoso[ihie
etoïcienne et ami du stoique grec Panœtius, devint l'adver-
saire politique deTiberius Sempronius Grac.chus, son ancien
ami, et est un des personnages que Cicéron se donne pour
interlocuteurs dans ses livres De liepublica.
Lucius yElius Tureuo, ami de jeunesse de Cicéron, par-
tisan des philosophes de l'Académie, à qui l'inésidème
— TUDOR
dédia ses Méditations pyrrhoniennes , et l'un des meilleurs
annalistes romains, devait, aux termes d'une décision ren-
due par le sénat au début de la guerre civile, prendre l'ad-
ministration de la province d'Afrique ; mais Publius yElius
Varus et son légat Li garius , quoique dévoués au parti
de Pompée, lui eu interdirent l'accès ainsi qu'à son fils
Quintus yElius Tubero. Les deux Tubérons se rendirent
alors au camp de Pompée, et combattirent à la journée de
Pharsale César, qui plus tard leur pardonna et leur ac-
corda diverses faveurs. Sous l'administration de César, en
l'an 46, le fils de Tubéron se porta l'accusateur de Ligar'ius,
dont Cicéron prit la défense. Plus tard, sous le règne
d'Auguste, l'an 2 av. J.-C, il revêtit le consulat.
TUBEROSITÉ. Voyez Humérus.
TUBICOLES. Voyez Annélides et Coquille.
TUBICORl\ES. Voyez Corne.
TUBILLES ou PETITS TUBES. Voyez Clostre.
TUBINGEIV, seconde capitale du royaume de Wur-
temberg, dans le cercle de la Forêt-Noire, à 35 kilomètres
deStuttgard, sur le Neckar, dans une belle et fertile
contrée. C'est une ville ancienne et irrégulière, avec des
rues étroites et en pente. On y trouve environ 10,000 ha-
bitants , trois églises protestantes et une église catholique ,
une université, dont le nombre d'étudiants varie entre 700
et 800, et où on compte 40 professeurs titulaires et 12 agrégés,
un musée, une bibliothèque d'environ 150,000 volumes, un
lycée, un séminaire prolestant, une école industrielle, etc.
TUBITELES. Voyez Arachindes.
TUBI VALVE. Voyez Coquille.
TUBULAIRES( Ponts). Foi/es Pont.
TUBULITES, corps fossiles sur la nature desquels les
naturalistes ne .sont pas encore bien d'accord, leurs diffé-
rents systèmes les rattachant aux trois règnes de la nature.
TUCUMAN, l'un des États occidentaux de la républi-
que Argentine (Amérique du Sud), entre les États de Salta
au nord, de Rioja à l'ouest, de Catamarca et de Santiago
ausud,etlesSavanesà l'est. Le sol, montagneux à l'ouest, en
est plat partout ailleurs, bien arrosé par le Rio Saladoci par
le Rio Dolce avec leurs nombreux allluents. C'est une con-
trée presque tropicale , où la nature se montre avec tout
son luxe , le plus lieau pays peut-être de toute l'Amérique.
Le froment, le maïs, le riz, le tabac, les oranges, les melons,
les bois précieux provenant d'immenses forêts, les chevaux,
les mulets , les uêtes à cornes, les moutons, les chèvres , le
fromage, etc., forment les principaux articles de com-
merce. Malheureusement le pays est peu peuplé, car sur
une surperlicie de près de 1400 myriamètres carrés , "on n'y
compte guère que 140,000 et même, suivant quelques au-
teurs , que 45,000 habitants (sans doute non compris les
Indiens). On y manque aussi d'une communication par eau
avec le Parana, et les cours d'eau de cet État vont se perdre
à ce qu'il paraît dans les sables des déserts situés à l'ouest.
Le chef-lieu, Tucuman , ou San- Miguel de Tucuman ,
situé au milieu d'une immense forêt d'orangers , fut fondé
en 15G4, et compte environ 8,000 habitants. Le 24'septembre
1812 lesindépendantsbattirent les Espagnols sous ses murs;
et le congrès qui s'y ouvrit le 25 mars 1816 y proclama le
9 juillet suivant les Provinces-Unies de la Plata indépen-
dantes de l'Espagne.
TUDELA , la Tutela des Romains, ville de la province
de Pamplona ou de Navarre ( Espagne ), sur la rive gauche
del'Èbie, qu'on y passe sur un beau pont dedix-septarches,
et à l'entrée du canal imjjérial, est le siège d'un évêché.
Les rues en sont généralement laides et éttoites , mais elle
est entourée de belles promenades. Le chilfre de sa popu-
lation est de 7,323 habitants. Aux environs on récolte du
vin qui tient de la nature des vins de Bourgogne.
TUDOR, nom d'une dynastie qui a occupé le trône
d'A ngleterrede 1485 à 1603.Owen-ap-Meriditli-ap-Tudor
est considéré comme en ayant été la souche. Quelques au-
teurs le font descendre des anciens princes souverains du
pays de Galles; mais il est probable que c'était tout simple-
TUDOR — TUGENDBUIND
697
mentun gentilhomme gallois, OK>e?i Tldor épousa, en 1422,
Catherine de France, veuve de HenriV et mèredeHenriVI
d'Angleterre. Celte alliance mit la famille ïudor en relief
à la cour des rois d'Angleterre. Tudor eut de cette prin-
cesse trois fils, Edmond, Jasper tl Owen. Ce dernier,
Owen, embrassa de bonne heure l'état ecclésiastique; Jasper
fut créé comte de Pembroke , et Edmond comte de Ricli-
mond. 11 était tout naturel qu'Owen Tudor et, ses lils,
beaux-frères de Henri VI, prissent parti dans la lutte en-
gagée entre les maisons d'York et de Lancastre {voyez
Plantagenets ) , pour la maison de Lancastre, à laquelle ap-
partenait ce prince. En 1461 Jasper commandait même les
troupes de Marguerite d'Anjou à la bataille de ;>7or<j-
mers-Cross. Owen fut fait prisonnier dans cette alfaire par
les partisans de la maison d'York , et le duc d'York ordonna
aussitôt de lui trancher la tète. Jasper mourut sans postérité.
Quant à Edmond, il épousa Marguerite de Beaulort, héri-
tière de la maison de Lancastre.
De ce mariage naquit un fils, Henri Tudou, comte de
Richmond , qui à la mort de sa mère hérita des pré-
tentions de la maison de Lancastre au trône d'Angleterre,
en rivalité avec la maison d'Y'ork. Henri , qui passa sa
jeunesse en France comme exilé, mettant à profit la situa-
tion où se trouvait son pays , tenta une invasion en Angle-
terre, réussit, et le 22 août 1485, à la bataille de Bosworth,
tua de sa propre main dans la mêlée le roi Richard 111, de
la maison de Lancastre. Sur le champ de bataille même
Henri se proclama roi d'Angleterre. Henri Vil, car c'est
ainsi que Richmond se fit appeler désormais, chercha à
donner plus de force encore à sa cause en épousant Eli-
sabeth, fille aînée d'Edouard IV, de la maison d'York. Aux
yeux du peuple il confondit delà sorte les intérêts des mai-
sons d'York et de Lancastre , et mit ainsi un terme aux
luttes des dtux roses. D'ailleurs, il fit confirmer son élé-
vation au trône par le parlement, et réussit à consolider son
gouvernement par une administration aussi ferme qu'habile
et en forçant une aristocratie hautaine à s'humilier sous le
niveau de la loi commune. De son mariage avec Elisabeth ,
laquelle mpurut'en 1503, Henri Vil eut quatre enfants : Mar-
guerite ïudor, Arthur, prince de Galles , qui épousa Catlie-
rined'Aragon et mourut en 1502, sans laisser de postérité, Hen-
ri Vlll , son successeur sur le trône, et la princesse Marie.
Marie'ÏVDOK, lillecadette de Henri VII, épousa Louis XII,
roi de France. Celui-ci étant mort quelques mois plus tard ,
sa veuve se remaria avec un simple gentilhomme anglais,
Charles Brandon, duc de Suffo Ik. Elle mourut en 1533.
L'infortunée Jeanne Graij était une de ses filles, et
issue de son mariage avec Suflblk. Marguerite Tudou,
fille aînée de Henri VH, épousa Jacques IV d Ecosse, dont
elle eut Jacques V. Elle fut par conséquent l'aïeule, de la
malheureuse Marie S tu art et la bisaïeule de Jac-
ques .VI. D'un second mariage, que Marguerite conclut avec
lecomte Douglas d' Angus , elle eut une lllle , qui porta comme
elle le nom de Marguerite. Cette fille épousa im Sluart , le
comte de Lennox ; union qui donna le jour à Henri Darniey,
épouxde la reine Marie Stuart. Jacques VI, roi d'Ecosse,
était par conséquent , tant du côté de sa mère que de celui
de son père, arrière-petil-fils de la lille de Henri VII.
Henri Vlll , fils et successeur de Henri VII, qui régna
de Pan 1509 à l'an 1547, hérita des facultés énergiques de
son père , mais devint bientôt un despote sanguinaire. Son
fils et successeur, Edouard F/, qui régna de 1.j47 à 1553,
jeune prince d'une constitution débile, cédant aux instances
du duc de Northumherland , fit de nouveau exclure ses
deux s(purs de la succession au trône, et désigna pour lui
succéder sa cousine Jeanne Gray , belle-lille de Northum-
berland. Mais à sa mort, arrivée en 1553, Marie , sa sœur
aînée, réussit bientôt à se débarrasser de son innocente
rivale. Quoique mariée au roi d'Espagne Philippe II , Marie
mourut sans avoir eu d'enfants, en lj58.
La seconde fille de Henri VIII , la reine É lis abet h, lui
succéda. Soit vice de conformation physique, soit encore
vanité ou égoïsme, Elisabeth garda le célibat. A sa mort,
arrivée en IC03 , le descendant de Marguerite Tudor , Jac-
ques IV d'Ecosse, hérita du trône d'Angleterre. Réunissant
alors les deux couronnes sous le nom AtJ acques /«'", il
transplanta la maison royale des Stuarts en Angleterre.
TUE-CÎIIEN. Voyez Colchiquk.
TUF, matière pierreuse, ordinairementde nature calcaire,
poreuse , légère , tendre sans être fragile , propre à la cons-
truction des voiïtes, prenant bien le mortier, et dont la
couleur et la consistance varient selon les parties étrangères
dont elle a été formée. On la trouve attachée autour de
limaçons, d'os et d'animaux fossiles, voire même de sque-
lettes d'éléphant, de débris de poissons, d'oiseaux, de ser-
pents et de lézards.
TUFIÈRE (Le comte de ). Ce nom, donné par Des-
touches au personnage principal de sa comédie Le Glo-
rieux, est devenu proverbial pour désigner un sot qui tire
vanité de sa naissance.
TUGEi\UBUi\D, a^ue de la vertu. Telle fut la dé-
nomination que prit une société de bienfaisance qui se
créa en Prusse peu de temps après la paix de T i 1 s i 1 1 , à
l'effet de soulager les misères causées par la guerre et de
faire revivre dans les populations prussiennes ce sens moral
qui fait la force des nations. Association morale et scien-
tiiique, le Tugendbund n'avait aucune espèce de rapport
avec les sociétés secrètes ; aussi fut il officiellement reconnu
par le gouvernement, qui de temps en temps se faisait adresser
des rapports sur ses actes ainsi que les listes de ceux qui s'y
faisaient affilier. Un ordre de cabinet en confirma môme
l'existence. On n'y avait établi ni degrés hiérarchiques ni si-
gnes mytérieux de reconnaissance. Etait admis à en faire
partie quiconque lors de sa réception s'engageait par écrit
à favoriser de tous ses efforts le but que la société avait en
vue et à être fidèle à la maison de Hohenzollern. En consé-
quence, elle ne se composait que de sujets prussiens. Tout
membre était libre d'assister à ses réunions; mais le comité
s'était réservé le droit d'exclure quiconque serait reconnu
indigne d'en faire partie. Elle n'avait quelque chose de mys-
térieux que dans les derniers articles de ses statuts, demeu-
rés secrets aux termes même de son organisation , et que
dès lors certains membres interprétèrent fort diversement ,
les uns y voyant comme but assigné aux efforts de la
société l'affranchissement de la Prusse du joug français ,
les autres , plus vaguement , le rétablissement de la patrie
commune dans son honneur et <lans son indépemlance.
Le Tugendbund excita tout de suite les défiances des au-
torités françaises, dont tous les efforts ne purent l'empê-
cher cependant de se propager avec une rapidité vraiment
électrique d'une extrémité de la monarchie prussienne à
l'autre et dans toutes les classes de la population. Tou-
tefois, quand la cour de Prusse revint se fixera Berlin,
le cabinet des Tuileries arracha au roi un ordre de cabinet
portant dissolution immédiate de la société et la mise sous
scellés de ses registres. La courte existence du Tugendbund
n'avait pas d'ailleurs été sans laisser de visibles et durables
traces : le véritable patriotisme, la sympathie pour tout on
qu'il y a tie noble et de grand avaient été ainsi propagés dans
toutes les parties du royaiune ; aussi , malgré leur isolement,
les membres n'en entretinrent-ils pas moins parla parole
et par l'action le feu sacré dans lequel les cœurs devaient
se retremper en vue de la lutte prochaine à soutenir pour
la défense de la liberté et de l'indéiiendance nationales. Tant
que subsista le Tugendbund, il fut dirigé par un conseil supé-
rieur, siégeant à Kœnigsberg, composé de six membres élus
chacun pour six mois, mais rééligibles, sous la présidence
tantôt de l'un, tantôt de l'autre , avec un dignitaire qualifié de
grand censeur. Sous la direction de ce conseil supérieur
étaient placés des conseils provinciaux avec une organisation
identique, chargés de la direction et de la surveillance des
associations locales ou de provinces, appelées aussi cham-
bres. Les membres de l'association formant une chambre
locale se subdivisaient en cercles d'action , et s'occupaient
698
TUGENDBUND — TUILERIES
desecourirlesmallieuieux, d'améliorer l'instruction et l'édu-
cation, et en général de toutes les questions qui avaient trait
à la réorganisation de l'armée. Celles-là étaient plus par-
ticulièrement discutées par les officiers affiliés à la société.
Un grand nombre d'idées réalisées plus tard et relatives à
la landwehr et à la landsturm, à leur armement et à leur
équipement, surgirent et furent mûries dans ces réunions.
L'association contribua aussi beaucoup à mettre fin aux
haines et aux collisions entre bourgeois et militaires ; et sous
ce rapport ses efforts n'influèrent pas peu plus tard sur les
brillants succès obtenus par les armes prussiennes dans les
campagnes de 1813 et 1814.
TUGGURT ou TUGURTH. Voyez Tougourt.
TUILE, SOI te de brique faite avec l'argile la plus com-
mune, mêlée d'oxyde de fer, qui la colore , de carbonate de
cliaux, de silice, de houille, etc., qu'on pétrit et qu'on moule
dans une juste épaisseur, qu'on fait ensuite sécher et cuire
dans un four, et dont on se sert |)onr les toitures des mai-
sons. Les couvertures faites en tuiles sont d'une grande soli-
dité; mais elles ont l'inconvénient d'être d'une grande pe-
santeur, de surcharger extrêmement les bâtiments et par suite
d'exiger des dépenses plus considérables en murs de soutè-
nement, qui doivent avoir plus de solidité, et en charpentes,
qui doivent avoir plus d'épaisseur.
TUILERIES (Château et Jardin des), à Paris. En 1342
Pierre des Essarts possédait une maison de plaisance ap-
pelée V hôtel des Tuileries, dans cet endroit qui paraît avoir
été originairement une fabrique de tuiles, si même il ne s'y
trouvait pas plusieurs établissements de ce genre, d'où le
nom de Tuileries resté à cette localité, située en dehors de
l'enceinte de Paris. François 1" acquit celle propriété du
sieur de Villeroy, pour en faire présent à sa mère, la du-
chesse d'Angoulôme, qui ne se plaisait point au palais des
Tournelles. Cette princesse ne tarda point à se dégoiUer de
ce nouveau séjour, et le donna pour en jouir sa vie durant
à Jean Tiercelin, maître d'hôtel du dauphin. Charles JX, en
1564, ayant ordonné la démolition du palais des Tournelles,
Catherine de Médicis voulut en faire construire un autre;
elle choisit la maison des Tuileries, acheta des bâtiments
et des jardins, et fit commencer le palais ainsi que le jardin
par Philibert Delorme et Jean I]ullant,qiii en avaient loiuni
les plans. Les jardins furent environnés d'un mur, a
l'extrémité duquel on fit commencer des fortifications par
un bastion, dont on posa la première pierre le 1 1 juillet 1 M\6.
On ne sait pourquoi Catherine de Médicis, prenant en dé-
goût ce nouveau palais, en suspendit la construction pour
faire bâtir Vhôtel de la Reine, appelé depuis hôtel de Sois-
sons, et sur l'emplacement duquel s'élève aujourd'hui la
halle aux blés.
Le château des Tuileries ne se composait à l'origine que
du pavillou carré du milieu (couronné par un dôme sphérique
couvert en ardoise, dans lequel fut placée la cage d'un escalier
tournant), de deux portiques latéraux, couverts de terrasses
et surmontés d'un étage en mansardes, plus de deux pa-
villons carrés décorés des deux ordres d'architecture alors
à la mode. Henri IV lit ajouter par les architectes Ducer-
ceau et Dupéracaux corps de bâtiments les deux ailes et les
deux vastes pavillons qui viennent à la suite des anciennes
constructions. Il en résulta que la façade, qui n'avait d'abord
que 86 toises de développement, en eut maintenant 168. Les
deux pavillons, dits ^awZ/on de Flore al pavillon Marsan,
qui terminent aujourd'hui cette façade, ne fuient construits
que sous le règne de Louis XIII. Henri IV (it aussi com-
mencer la construction de la galerie bordant la Seine, qui
relie le château des Tuileries au Louvre, et qui ne fut
achevée qu'en 1802, par Napoléon F"". C'est Louis XHI,
assure Dulaure, qui débarrassa enfin la cour du château des
chantiers de bois, fours et autres objets nécessaires à la fa-
brication des tuiles, qui continuaient de rappeler la destina-
tion primitive de cet em|)lacement. Louis XIV, pour mettre
les Tuileries en harmonie avec le Louvre, chargea les ar-
chilecles Levau et d'Orbay d'exhausser les anciennes parties
du château, notamment le pavillon du centre, appelé aujour-
d'hui pavillon de l'horloge , et de transformer le dôme
sphérique dont il était surmoulé en un dôme quadrangulaire
existant encore aujourd'hui. Louis XIV fit aussi continuer
les travaux de construction de la grande galerie qui borde
la Seine. C'est Napoléon qui, en 1808, fit commencer la ga-
lerie qui lui fait face et longe la magnifique rue de Rivoli;
mais il n'eut le temps que de la pousser jusqu'au guichet
voisin de la grille qui sépare la cour des Ttiileries de la
cour du Carrousel. C'est Napoléon qui débarrassa la cour
des Tuileries d'un certain nombre de bâtiments servant de
communs au château, qui fit élever la belle grille a lances
dorées dont nous venons de parler, et construire en mé-
moire de la glorieuse campagne d'Austerlitz le gracieux
arc de triomphe qui décore l'entrée principale de la cour
des Tuileries par la place du Carrousel. Sous la Reslau-
raiion comme sous la monarchie de Juillet la galerie com-
mencée par Napoléon ¥' sur la rue de Rivoli , demeura à
l'état de ruine; de même que la place du Carrousel con-
tinua à être déshonorée par une foule de constructions par-
ticulières et de ruelles habitées par la partie la plus
abjecte de la population parisienne. C'est au neveu du
grand homme, à Napoléon III, qu'était réservée la gloire de
relier enfin les Tuileries au Louvre et d'achever ainsi le
plus vaste et le plus magnifique palais qui existe au monde.
D'immenses travaux de nivellement ont fait disparaître les
inégalités du sol; et des squares gracieux dissimulent habi-
lement par leurs groupes de verdure le défaut de parallé-
lisme existant entre la façade des Tuileries et celle du vieux
Louvre.
Louis XIII est le premier souverain qui ait résidé au
château des Tuileries. Louis XIV n'y fit qu'un court séjour,
et alla s'établir à Saint-Germain, qu'il abandonna ensuite
pour les splendeurs de Versailles. C'est seulement à l'époque
de la minorité de Louis XV que le château des Tuileries re-
devint pour un moment la résidence du souverain. Mais ce
prince alla bientôt se fixer à Versailles ; et alors le château
des Tuileries resta désert jusqu'au jour où Louis XVI, à la
suite des journées d'octobre 1789, se vit forcé d'abandonner
Versailles pour venir s'établir avec sa famille à Paris.
Depuis lors les souvenirs les plus importants de l'histoire
contemporaine se rattachent à cette résidence. Le 10 août
1792 la résidence royale était assaillie par les Sections en
armes; et le roi, obligé de se réiugier avec sa famille
dans le local des séances dé l'Assemblée législative, ne
quitta cet asile temporaire que pour être enfermé dans
le donjon du Temple. En 1793 la Convention nationale vint
s'établir aux Tuileries. Napoléon, devenu premier consul,
habita ensuite ce palais. En 1830 les Tuileries furent de
nouveau attaquées et prises par le peuple (29 juillet). Louis-
Philippe ne vint habiter ce palais qu'à la fin de l'année 1831 ;
et il continua d'y résider jusqu'au 24 février 1848, jour où
le peuple attaqua et prit encore une fois cette demeure royale,
à latpielle les hommes de l'hôtel de ville donnèrent |)our
destination de servir d'hôpital temporaire au petit nombre de
blessés civils qui avaient été faits dans la journée du 24 fé-
vrier. Pendant quelipies jours on put même voir appendus
aux murailles de l'édifice des enseignes ou tableaux annon-
çant au peuple que l'ex-palais des rois allait être transformé
en un hôtel national des Invalides civils. A l'époque des
journées de juin, on établit aux Tuileries quelques ambu-
lances provisoires. L'année suivante, on y fit l'exposition
des œuvres d'art. Depuis 1852 le château des Tuileries est
ledevenu une résidence impériale. Par ordre de l'empereur
Napoléon RI il a été complètement restauré et meublé à
neuf.
C'est Louis XIV qui supprima la rue qui séparait le jardin
des Tuileries du château, et qu'on appelait rue des Tuile-
ries. Cojardin, dont la surface est d'environ 250,000 mètres,
renlérmait une ménagerie, une orangerie, une volière, un
étang, une garenne. En 1665 on chargea Le Nôtre de le re-
dessiner ; et c'est ce célèbre jardinier qui lui donna la forme
TUILERIES — TULLE
099
qu'il a toujours conservée depuis, sauf de légères modifica-
lions dans le tjacé des parterres situés devant le cliàteau.
Les deux terrasses, dites du bord de Veau et des Feuil-
lants, furent élevées par Le Nôtre.
TUILES (Journée des ). Voyez Dauphiné.
TULA. Voijez Toula.
TUI.cz A. ou TULTSCHA, bourg fortifié de la Bouigarie
(Turquie d'Europe) , sur la rive droite du Danube, qui se
divise sur ce point en deux bras, la Sulïnae.\. \e Saint-Geor-
ges, en face de la ville d'ismaïl en Bessarabie, a 5,000 ba-
bitants et un port très-fréquenté , parce que la plupart des
bâtiments qui remontent le Danube s'y arrêtent pour y faire
des vivres et se préparer aux opérations d'allégement néces-
saires pour francliirla Sulina. En 1789 TuUza fut pris d'as-
saut parle contre-amiral russe Baebas, et le 0 juin 1791 !e
prince Repnin y mit en déroute 20,000 Turcs. Le 24 mars
1854 , les Russes, après avoir forcé le passage du Danube,
s'emparèrent de Tulcza ; mais ils l'évacuèrent le 24 juillet sui-
vant, lors de leur retraite de Silislria.
TULIPE. Celle lleurs'appelaitautrefois^Mri^flM, à cause,
dit-on , du turban des Turcs , avec lequel elle a quelque res-
semblance, car elle nous vient de Turquie. Elle lire son
origine de la Syrie , et croit naturellement dans plusieurs
contrées de l'Asie méridionale , ainsi qu'aux environs de ia
mer Noire. Auger Gbislen de B us bec q , ce diplomate fia-
mand qui allait dans l'Orient négocier des traités etcbercber
des manuscrits et des (leurs , passe pour avoir apporté le
premier les tulipes en Europe, avec le lilas, dont Bernardin
de Saint-Pierre veut qu'on ombrage son buste dans l'Elysée
des jardins. Cette fleur devinl bientôt tellement à la mode,
surtout en Hollande, que, s'il faut en croire Munling, il s'y
fit en une année, dans une seule ville, pour plus de dix
millions d'affaires en tulipes. La t ulipom anie fit exlra va-
guer les graves Hollaiiilais, et exerça sur eux sa plus foi le iu-
lliience de 1034 à 1037. L'espèce appelée semper augiistus
était cotée à 2,000 florins; elle était même poussée quel-
quefois plus haut, comme on le voit dans les tarifs du temps.
Harlem est encore renommée par le culte qu'elle rend aux
tulipes, et Delille a consacré quelques vers aux amateurs
frénétiques que comptait jadis cette ville. La tulipe, cette
fleur si fôli'e à Constantinople, et qui étale de si belles cou-
leurs, mais qui est privée de parfums, signifie, dans les
hiéroglyphes tirés du règne végétal , orgueil et ingratitude.
La tulipe était dans l'ancien régime un surnom affecté
aux caporaux et sergents français qui faisaient ce qu'on
nomnïe au bivouac les jo^is cœurs. Fcai/an-la-Tulipe est
encore un personnage fort connu dans nos casernes et nos
corps de garde. De I^EiFFENBiiiic.
TULIPE DU CAP. Voyez Hémmstue.
TULIPES (Fêtes des). Sur le bord de la mer, au-des-
sus d'un rivage hérissé de canons et garni de batteries me-
naçantes , s'élèvent de hautes terrasses et des jardins sus-
pendus, qui occupent une partie de la première enceinte du
sérail. Là, toutes les ressources de l'art et de rindustrie
ont été prodiguées pour rassembler sur le même point les ri-
chesses les plus variées de la nature. Les hauts cyprès, les
jasmins élégants, les citronniers, toujours chargés de fleurs,
étendent leurs racines séculaires dans ces masses de terre
Végétale rapportées à grands frais, et dont la fécondité demeure
inépuisable. Un ombrage inaccessible aux rayons du soleil
peut offrir aux promeneuses un abri contre les plus pesantes
chaleurs du jour et , lorsque vient le soir, contre les brises
humides du Bosphore. Ces jardins , ces terrasses forment
l'enceinte du harem d'été. L'imagination s'est épuisée à
faire de ce lieu un séjour de délices : encore la nature lui
avait-elle épargné la moitié des frais. Il y a une fête dont le
souvenir est toujours bien cher aux habitantes du sérail ,
dont le retour est bien vivement désiré : c'est la/eVe des tu-
lipes. Ordinairement, c'est pour célébrer la naissance d'un
fils du sultan que l'on réserve les joies d'une pareille fête :
aussi est-elle bien précieuse pour les femmes , dont le seul
besoin est de rompre l'uniformité de leurs jouissances. On
connaît l'amour des Turcs pour les roses et les tulipes. L'es-
pace conn'îis entre les cyprès et les orangers du harem d'été
forme un vaste parterre , où sont cultivées les espèces les
plus rares de ces fleurs. Rien de plus délicatement tracé que
ces plates-bandes , rien de plus original que ces arrange-
ments de couleurs brillantes, de nuances bariolées : l'oeil
se perd à suivre les caprices du dessin , comme dans la
tapis de Perse le plus fantasque ou le châle de cache-
mire le plus bizarre. Déjà, longtemps à l'avance, les plates-
bandes ont été renouvelées, les bordures ont été taillées
avec |)lus de soin et de coquetterie que jamais : les lignes
de tulipes et de roses se croisent et se marient sans se con-
fondre, sans rien perdre de leur netteté. Mais le soleil se
cache, et les fraîches couleurs qui se jouaient dans le par-
terre se ternissent et s'évanouissent dans l'ombre. Alors
s'ouvrent les portes du .harem; les lérnraes s'avancent,
joueuses et riantes, au travers des massifs épais qui assom-
brissent la seconde enceinte : bientôt elles se retrouvent
et se réunissent sur la terrasse qui domine le parterre, jus-
qu'au moment où doit commencer le spectacle qui leur est
promis.
Déjà la dernière lueur du soleil a disparu de l'horizon ;
la brise du soir a cessé, et la nature semble dormir. Tout à
coup de grands cris retentissent dans le calme des airs,
mille flambeaux se cherchent et s'agitent. Une troupe d'es-
claves armés de torches odoriférantes s'élance dans les dé-
tours du parterre, et y laisse des traces de feu. Bientôt
chaque fleur .peut se réfléchir dans un miroir placé auprès
d'elle , et lutter d'éclat avec le verre de couleur qui semble
l'animer. Rien de brillant, rien de magique comme cette
illumination soudaine; les rayons (ie lumière s'élèvent de
ia terre au ciel , revêtus des vives nuances d'une fleur ou
de la douce teinte du feuillage. .Tot^nez à ce spectacle les
applaudissements de la foule qui en jouit, le tumulte des
bostandjis qui s'agitent et s'empressent , le bruit des canons
de la rade et des forts, et vous n'aurez qu'une bien faible
idée de ce moment de surprise, qu'il a fallu ménager avec
tant d'art et de msguiilcence. Quelquefois, ravies par l'é-
trangelé du speciacie, étourdies par les jets de clarté, par les
vives lueurs oui se croisent comme des éclairs, les femmes
s'abandonnent à je ne sais quel vertige. Rien ne les ar-
rête alors; elles s'élancent à leur tour dans le parterre flam-
boyant; et, jalouses peut-être de la beauté des fleurs, elles
se plaisent à les arracher, à les jeter au vent. L'œuvre de
destruction s'accomplit au milieu des éclats de la plus folle
gaieté, et cet instant de surexcitation doit laisser dans le
cœur des femmes de longs et joyeux souvenirs. Souvent les
doux loisirs du harem seront remplis par le récit de celte
nuit d'ivresse. Il n'est pas une femme qui n'ait participé au
plaisir de ravager le tapis diapré de tulipes ; il n'en est pas
une qui n'ait à raconter les hauts faits dans celte orgie de
Heurs et qui n'y revienne volontiers pendant les conversa-
tions du soir. ,Jules-A. David.
TULIPIER ( ic'iorfe/irfroji Tulipi/era, L.), genre de
la famille des magnoliacées , sous-ordre des magnoliées.
C'est un grand et bel arbre, particulier aux États-Unis de
l'Amérique du Nord , qui atteint une élévation de 33 mè-
tres et une épaisseur d'un mètre, à feuilles alternes, pétiolées,
tombantes , glabres , palmées à trois lobes , dont le médian
largement tronqué; à grandes et belles fleurs solitaires,
jaune verdàtre, accompagnées de deux bractées, et dont la
forme rappelle celle de la tulipe, d'où le nom français qu'on
a donné à ce genre. Son bois est léger. Son écorce et sa ra-
cine sont amères, très-aromatiques, et regardées comme
toniques et fébrifuges. Aux États-Unis les médecins les ad-
ministrent contre diverses affections et ont même employé
avec succès en place de quinquina la matière extractive
(lériodendrine) qu'elle contient.
TULIPOMAlMt:. Voyez Fleurs (Commerce des).
TULLE, étotfe très-légère et à jour, assez semblable en
apparence aux blondes et aux dentelles, mais qui se fa-
brique sur un métier à bas. Au moyen de mécanismes ingé-
700
TULLE — TUMULUS
nieux qui s'y adaptent, on donne aux mailles de ce réseau
les formes gracieuses et variées qu'imagine l'esprit inven-
tif des fabricants voués à ce genre spécial d'industrie. Ses
produits , à l'usage presque exclusif des personnes du sexe,
pourraient être considérés comme de véritables objets de
luxe , si la modicité de leur prix ne les mettait pas à la
portée des classes les plus modestes de la société. C'est dans
la Grande-Bretagne qu'ont été établies les premières fabri-
ques de tulle; et depuis l'Invention des macliines cette fa-
brication s'y est considérablement accrue. Le prix de celte
marcbandise est tombé de 12â fr. à 60 centimes le yard
carré (0", 836); et le nombre des machines qui n'était en-
core que de 140 en 1815, était de 3,500 en 1856. Longtemps
les Anglais ont été en possession de fournir de tulle l'Europe
entière et même les autres parties du monde. Maintenant
encore celui qui sort de leurs fabriques est réputé de qualité
supérieure à celui de tout autre pays. La perfection de leurs
machines, l'application qu'ils savent en faire, leur ont
donné jusque ici, dans la confection des tulles en particulier,
le grand et double avantage d'y pouvoir employer des (ils à
la Ibis plus égaux , plus torts, et dont la finesse est portée
jusqu'à ses dernières limites, tout en fabriquant à des prix
assez bas pour pouvoir livrer au meilleur marché pos-
sible.
La France n'a pas été la dernière à s'approprier cette in-
dustrie. Plusieurs de nos déparlements manufacturiers
l'exercent aujourd'hui , sinon avec autant de supériorité que
l'Angleterre, du moins avec assez de succès pour qu'il soit
diftiiile, si l'on n'est pas connaisseur, de distinguer la faible
différence qui existe entre l'un et l'autre produit. Les prin-
cipales fabriques françaises sont à Lyon, à Tarare, à Nîmes,
à Paris et à Calais. V. de Moléon.
TULLE, ancienne ville de France, chef-lieu du dépar-
tement de la Co rrèze , résidence d'un évêque suffragant
de Bourges, s'élève au confluent de la Corrèze et de la So-
lane, sur le penchant d'une colline, dont la cime est hérissée
de rochers, et dans un vallon à sa base. L'aspect en est peu
agréable, et la nature rocailleuse du sol y rend toute marche
diflicile. La cathédrale, détruite au neuvième siècle par les
Normands, et réédiliée depuis, n'offre de remarquable que
son clocher. On fabrique à Tulle des cartes à jouer, des
drapeaux , de la clouterie , des lainages communs , de la
chandelle , des cuirs. L'une des principales ressources de
sa population est la manufacture impériale d'armes de
Souillac, établie en 1696, el qui est l'une des plus impor-
tantes de France; elle livre toutes espèces d'armes,
pièces de rechange et outils de guerre. Les forges de Mire-
mont et de Peizac lui fournissent les matières premières ,
et les houillières d'Uzès le combustible. Celte grande usine
occupe presque constamment 2,000 ouvriers. Tulle compte
10,500 habitants. Dans un lieu nommé Tintignac , ha-
meau de la commtme de Navez, situé à peu de distance
de Tulle, on trouve des ruines d'architecture romaine, con-
sistant en débris d'amphithéâtre ou d'arènes.
TULLIA, tille de Servius Tu 1 11 us, sixième roi de
Rome , avait d'abord épousé Aruns , qu'elle fit assassiner
afin de pouvoir épouser Tarquin. Celid-ci ayant voulu
s'emparer du trône de son beau-père , Tullia entra dans la
conspiration qui avait pour but de détrôner Servius Tul-
lius; et quand son père eut été assassiné, cette fille dénatu-
rée lit passer son char sur le cadavre encore lout sanglant
de Servius. La voie publique où t.'était passée cette abomi-
nable action porta depuis lors le nom de via Scelerata. Tul-
lia fut chassée de Rome en même temps que son mari, Tar-
quin le superbe.
TULLIE D'ARAGON. Voyez Ar\gon (Tullied').
TULLUSHOSTILIUS, troisième roi de Rome (673 à
«42 av. J.-C), belliqueux successeur du pacifique Numa,
était de race latine , pelit-fils d'Hostus Hostilius, qui sous
Romulus avait combattu les Sabins. 11 entra en guerre
avec Albe la Longue ; et l'on convint que de l'issue du com-
bat singulier des Horaces et des Curiaces dépendrait le sort
des deux villes. La fortune se prononça en faveur de
Rome, et dès lors Albe lui fut soumise. Bientôt après , le
roi ayant marché contre les Fidénates et les Véiens, les ha-
bitants d'Albe en profitèrent pour essayer de secouer le
joug. Après la victoire vint le châtiment. Tulius Hostilius
fit déchirer par quatre chevaux leur dictateur Mettus Fuffe-
tius, qui les avait excités à se révolter. Il détruisit leur ville,
qui datait déjà de plus de trois cents ans, et en transféra les
iiabitants à Rome, sur le mont Cœlius. Leurs familles no-
bles, entre autres les Julii, les Servilii, les Quinclii, etc.,
furent admises dans l'ordre des patricienset comprises dans
la troisième tribu, celle des Luceres ; le reste forma la pre-
mière race de la plebs. Le sénat aussi , pour qui Tuilus
Hostilius créa la curie hosttlienne nommne d'après lui , et
qui, renouvelée par Sylla, subsista jusqu'à l'an 52 av. J.-C,
fut alors augmenté. La cavalerie el l'infanterie furent égale-
ment accrues de moitié. Tuilus Hostilius fit encore la guerre
avec succès contre les Sabins ; mais celle qu'il soutint contre
les Latins demeura indécise. Suivant la tradition, la négli-
genceapportéeparTullus Hostilius dans certaines cérémonies
religieuses aurait excité le courroux des dieux , qui en pu-
nition auraient envoyé une peste ravager Rome. Le roi ,
dit-on , voulut par un culte mystérieux forcer Jupiter Eli-
ceus à faire connaître par des signes les moyens de l'a-
paiser; el alors le dieu lui lança sa foudre, qui brûla lui et
sa demeure. Anciis Marcius lui succéda. /'
TUMÉFACTION. Voyez Enflure.
TUMEURS (du latin tumor, enflure). Ce mot sert à
spécifier en général des élévations accidentelles et circons-
crites qui se manisfestent soit à l'intérieur, soit à l'extérieur
du corps. Ces anomalies morbides ont entre elles uneanalogie
de forme qui valide jusqu'à un certain point une dénomina-
tion générique; mais elles diffèrent tro|) entre elles, surtout
sous le rapport des causes, pour qu'il n'ait pas fallu les dif-
férencier par des noms spéciaux ou à l'aide d'adjectifs: ainsi,
par exemple, une élévation anormale qui est produite par le
déplacement d'une partie se nomme hernie \ ainsi celles qui
sont formées par des larmes , le sang artériel , des hyda-
tides, de, sont appelées tumeur lacrymale, tumeur ané-
vrismale, tumeur hydatique ; etc. Des notions complètes
sur ce sujet étant incompatibles avec le but et la nature de
notre livre, nous devons les omettre: nous ferons seulement
remarquer que le mot tumeur sert particulièrement à dé-
signer les élévations anormales produites par des accumu-
lations de fluides.
TUMEURS FROIDES. Voyez Scrofules.
TUMULTE (du latin tumriltus) , grand mouvement
accompagné de bruit et de désordre, nous dit TAcadémie.
On va voir qu'en venant jusqu'à nous ce mot a quelque
peu changé d'acception en route. En effet , les Romains
donnaient le nom de tiimultus aux guerres les plus dan-
gereuses , et qui mettaient la république en péril : dans la
révolte des alliés, le danger parut si grand, qu'il fut déclaré
qu'il y avait tumulte.
On publia aussi que la guerre des Gaulois était tumulte ,
tumultus. On dit au figuré le tumulte des passions, c'est-
à-dire le trouble qu'elles excitent dans l'àme.
TUMULUS {Monument druidique). C'est tout sim-
plement une colline factice , formée d'un amas de terre et
de pierres, entourée ou non entourée, tantôt d'un fossé,
tantôt d'un cercle de roches. 11 y en a qui ont jusqu'à
soixante mètres de haut. On peut dire que toutes les parties
du monde en renferment des échantillons, ce qui Ole au
tumulus son caractère exclusivement celtique et le fait
rentrer dans la classe des monuments primitifs communs
à tous les peuples enfants. On en voit en France , en Bel-
gique , en Angleterre , en Ecosse , en Allemagne , en Es-
pagne , en Portugal , en Russie, chez les Hollenlols , chez
les Cafres , en Danemark . en Mésie , en Trace , etc. La
Bible, Hérodote, Clésias, Homère, Virgile, parlent de ces
monuments, de la manière dont on les élevait, et de la desti-
nation qu'on leur donnait.
TUNDRA — TUNIS
701
TUNDRA (en finnois Tuntur, c'est-à-dire steppe de
marais). C'est le nom que les Russes donnent aux plaines
immenses qui en Sibérie, et à l'ouest depuis l'Oural
jusqu'à la mer DIanche et à la Dwina , de môme qu'en Eu-
rope, bordent la mer Glaciale. Ce sont des terrains maré-
cageux, couverts partie d'un feutre épais deinoussesà feuil-
les, et partie d'un tapis desséché et blanc comme neige de
mousses de rennes ; domaine des végétaux cryptogames et
des Samoyèdes, rabougris, désert horrible, habité unique-
ment par des rennes, qui seuls le rendent habitable pour des
hommes, pour des hordes de chasseurs vagabonds , atti-
rés par les animaux marins et à fourrure qu'ils y trouvent
de même que par les cygnes et les oies sauvages qui en été
y arrivent en foule. Mais ces terres polaires ne sont acces-
sibles qu'en hiver ; car alors le sol se compose de couches
horizontales de glace et de terre gelée. Pendant l'été, dont la
durée est très-courte ,' quand la surface des tundras dé-
gèle, ils se transforment au loin en un impénétrable marais.
Cet horrible désert n'occupe cependant pas comme steppe
de mousses et de marais tout le nord de la Sibérie; la plus
grande partie du littoral est recouverte d'une épaisse couche
de neige, qui ne disparait jamais complètement , ce qui fait
qu'elle est bien plus accessible que les tiitidras propre-
ment dits. Consultez Schreuk , Voyage au nord-est de la
Russie d'Europe à travers les tundras des Samoyèdes
(en allemand ; Dorpat, 1848).
TUNGSTATE. Les tungstates, ou wol/rainates,
sont les sels qui résultent de la combinaison de l'acide
tungstique et d'une base. Dans les tungstates neutres,
l'oxygène de la base est le tiers de l'oxygène de l'acide. Le
wolfram es^t untungstate de fer et de manganèse.
TUi\GSTÈME,corps simple, métallique, qu'on extrait
d'un minéral , le tnngstate de chaux , appelé en allemand
tungs/ein, et qu'on rencontre dans le pays de Cornouailles,
en Suède, en Saxe et dans diverses autres parties de l'Al-
lemagne. U est d'un gris d'acier, très-dur, friable et en
même temps l'un des métaux les plus denses. Son poids
spécilique est suivant les uns de 17,6 et suivant les autres de
17,22. U peut se combiner avec un grand nombre de mé-
taux, auxquels il communique de la dureté, sans en altérer
la ductilité. Le tungstène n'a encore été rencontré qu'à l'état
d'acide tungstique, combiné avec la chau x , le fer, le
manganèse et le plomb. On isole le tungstène eu réduisant
l'acide tungstique à une température élevée, au moyen de
''hydrogène ou avec la poussière de charbon.
TUNGSTIQUE (Acide). Cet acide, formé d'un équi-
valent de tungstène et de trois équivalents d'ox y-gène, est
d'un jaune de souire lorsqu'il est pur. Exposé à la lumière
du soleil, il prend une teinte bleue en se convertissant en
un oxyde intermédiaire. Il est insipide, insoluble dans l'eau
et à peu près infusible. Cet acide porte aussi les noms d'a-
cide wolframique, acide de Scheele.
TUIVGUSES. Voyez Tongouses.
TUIXICIERS, genre de mollusques acéphales, formant
avec lesJfVyozoaires le sous embranchement des mol-
luscoides. 'Ou les divise en trois ordres : les biphores , les
ascidies, et les pyrosomes. Les luniciers sont caractérisés
par une bouche à bords simplement lobés, tandis que chez
les tryozoaires l'orifice buccal est entouré d'une couronne
de longs tentacules à bords ciliés. Les tuniciers n'ont ni
bras ni pieds; ils flottent dans la mer, ou vivent lixés sur
des rochers, des fucus ou d'autres corps sous-marins.
TUNICLE. Voye:. Cotte d'Armes.
TUNIQUE, nom d'un vêtement que les femmes et les
hommes |jortaient également a Rome. D'ordinaire , on en
portait deux : l'une pour les hommes, appelée aussi subu-
cula, était pourvue de longues manches, et se portait as-
sujettie autour du corps nu , comme une chemise ; l'autre ,
qui se portait par-dessus la première, et qu'on appelait à
bien dire la tunique, était dépourvue de manches , ser-
rait.plus étroitement la taille, et descendait jusqu'aux ge-
noux. Chez les hommes appartenantà la classe des sénateurs.
elle était ornée d'une large bande de pourpre (latus clavus)
et chez les hommes de l'ordre des chevaliers, de deux
bandes moins larges {angustus clavus), partant l'une et
l'autre du cou et descendant jusqu'au bas du vêtement.
Sur cette première tunique les femmes en portaient une se-
conde, appelée stola. Elle avait des manches, qui couvraient
la moitié de l'avant-bras et n'étaient point cousues. La fente
en était arrêtée extérieurement par des agrafes (fibulœ).
Elle était assujettie au corps au moyen d'une ceinture , de
telle façon qu'elle formait sous la poitrine une poche plissée.
La tunique était un vêtement qu'on portait seulement à
la maison. Quand ils sortaient, les hommes mettaient des-
sus leur toge, et les femmes leur palla. La tunique des
évêques catholiques consiste en un par-dessus richement
orné, de la forme d'un manteau. La ville de Trè ves se flatte
de posséder la tunique de Jésus-Christ, qu'on y expose de
temps à autre à l'adoration des (idèles, et qui alors ne
manque jamais d'attirer dans cette ville un nombre immense
de visiteurs.
De nos jours, la tunique a été substituée dans la plupart
des armées européennes à l'habit d'uniforme, comme vête-
ment particulier des troupes d'infanterie.
TUNIS, État feudatairede la Porte-Ottomane, an nord
de l'Afrique, confine à l'ouest à l'Algérie, au nord et à l'est
à la Méditerranée, au sud à Tripoli et au désert, et comprend
une superficie de 2,590 myriam., carrés. Sous les rapports
physique et ethnographique, il présente les mêmes carac-
tères que le reste de la Berbérie. Son littoral, d'im dévelop-
pement total d'environ 86 myriam., est assez uniforme, gé-
néralement plat, sablonneux et stérile à l'est, au nord formé
par de hautes masses de rochers qiri s'élèvent à pic de la
mer; là comme ici pont vu d'im grand nombre de baies et de
promontoires, dont les plus remarquables sont le Golfe de
Tunis, le cap d'Héracléa etiie Kabès, le Cap Blanco ou Râs-
el-Abid , qui forme l'extrémité septentrionale de l'Afrique ,
et le Ca|) Vadoii ou Ivabudin. L'Atlas forme en partie la li-
mite occidentale du pays, et plusieurs de ses embranche-
ments le traversent dans sa largeur, généralement dans la
direction du nord-est, avec ime élévation variant entre
1,000 et 1,700 mètres et atteignant môme parfois 2,333 mè-
tres. La partie méridionale appartient à la steppe du Bilé-
dulgérid, dans les plus bas fonds de laquelle on trouve
les continuations du lac salé algérien de il/e/?7r, connu sous
le nom de lac de Laoudjah. On n'y connaît pas de lac d'eau
douce, à l'exception de celui de Biserta eu Bensart, sur la
côte septentrionale. Quant aux rivières ou aux ruisseaux,
ils se perdent dans les sables ou se jettent dans la mer, après
un ti'ès-petit parcours. Aucune de ces rivières n'est navig*^
ble. La plus étendue et la plus imporlanle est le MedscheV'
dah (le Bagradas des anciens), qui se jette dans la mer, à
peu de distance de la capitale, et qui fertilise le pays à l'é-
poque des pluies par les vastes amas de limon qu'il laisse sur
les terres qu'il inonde. VOued-el-Milianuh coule parallèle-
ment; et à la frontière occidentale, près de l'ilot de Tabarka,
important par les coraux que contiennent les parages voi-
sins, on trouve l'embouchure de VOued-el-Keber, ou Grand-
Fleuve. Il y a près de la capitale, à Gourbos, à Tozer et à
Ghassa, des sources minérales d'uue température fort élevée.
En raison du climat, qui est extrêmement favorable, et de
la nature du sol , qui est généralement excellent, la végéta-
tion à Tunis est aussi riche que vigoureuse. On y récoite du
froment, de l'orge, du maïs et du millet, toutes espèces de
légumes, des olives , des oranges, des figues, des raisins,
des grenades, des amandes, des dattes et autres fruits en
quantité, et aussi un peu de colon. Les cactus y réussissent
admirablement. Le gros bétail y est fort abondant. On y
élève aussi beaucoup de moutons, donnant une laine extrê-
mement fine et d'autres à qireue grasse, des chevaux excel-
lents ainsi que des dromadaires. En fait de produits du règne
minéral, on y trouve du sel marin, du salpêlre, du mi-
nerai de plomb et du vif argent. La population de Tunis,
généralement d'origine arabe, est évaluée d'un à trois mi!-
702
TUNIS - TUNNEL
lions d'âmes. En tous cas , elle diminue de plus en plus , à
cause de l'état d'insécurité où se trouve le pays. Les tribus
arabes et berbères des montagnes de l'intérieur sont presque
complètement indépendantes. A l'exception des Juifs et
des Européens,qui résident dans le pays pour leur commerce,
toute la population professe l'islamisme. L'état de l'agricul-
ture ne répond pas à l'extrême fertilité du sol. La culture de
l'olivier y a reçu pourtantde grands développements et donne
de riches produits. On pratique la pêche sur une large
échelle dans le lac de Biserta. L'industrie a pris d'assez im-
portants développements , notamment près des côtes. Il en
est de même du commerce , qui s'est surtout concentré dans
les villes de Tunis et de Susa. On exporte de la laine , de
l'huile d'olive, de la cire, du miel, du savon, des peaux,
du safran, des capes rouges, des coraux, des éponges, des
dalles, du froment et de l'orge. On expédie dans l'intérieur
de l'Afrique, par voie de caravanes, des draps, des mousse-
lines , des étoffes de soie , des cuirs , des épices , de la coche-
nille et des armes; et l'on n'en tire plus aujourd'hui que du
séné, des gommes, des plumes d'autruche et de la poudre
d'or. L'importation des objets.manufacturés et des denrées co-
loniales venant des ports du midi de l'Europe est très-consi-
dérable. La souveraineté est exercée par un bey, qui autre-
fois, cojnme vassal de la Porte, gouvernait despotiquemen',
avec l'aide d'une milice turque, pratiquait la piraterie et éîait
sans cesse exposé aux révoltes de ses janissaires. Mais le bey
acUiel est parvenu à s'affranchir à peu près compléleroent
de la suzeraineté de la Porte, et, à l'aide d'officiers français,
s'est créé une armée de Maures et d'Arabes organisée sur le
pied européen. Il s'est en outre efforcé, dans maintes cir-
constances, de prêter appui à la civilisation européenne, jus-
qu'à interdire, en 1842,1e commerce des esclaves et même
jusqu'à supprimer l'esclavage, en 1846. Mais rien n'a été fait
pour l'administration et la sécurité intérieure ainsi que pour
ie développement des abondantes sources intérieures de pros-
périté que possède le pays, parce que la rapacité des fonc-
tionnaires est un obstacle à tous progrès.
La capitale du pays, Tunis, est bâtie en amphithéâtre, à
douze heures de marche de la mer, à rextrémilc d'El-BO'
hira, lagune (lac salé) eommuniquantaveclegolfede Tunis
par le canal de La Goulette ( Goeleta). Elle a une heure de
marche de circuit, un port vaste et bien fortifié et est en-
tourée d'une solide muraille. Les maisons, au nombre d'en-
viron 12,000, sont pour la plupart construites en pierre et
dans le style oriental. En fait d'édifices on remarque plu-
sieurs mosquées, le nouveau palais, la bourse, un aqueduc
qui alimente la ville de bonne eau à boire; quelques bains
publics et écoles, entre autres un collège, protégé par le gou-
vernement français. La population de la ville est évaluée à
150,000 âmes, dont un cinquième de juifs qui pratiquent
diverses industries sur une large échelle , notamment celle
du tissage, et entretiennent un commerce important surtout
avec Marseille, Gènes, l'Egypte, leLevantet l'intérieur de
l'Afrique. La ville de Tunis existait déjà du temps de Car-
tilage ; mais les dévastations auxquelles elle a été exposée
dans le cours des siècles y ont effacé toutes traces d'antiqui-
tés. En revanche, on trouve à peu de distance au nord-ouest
de Tunis les ruines de Carlhage.
Après Tunis il faut encore citer La Goulette (Goeleta),
très-fortifiée, qui domine la rade de Tunis et contient les
chantiers de construction ainsi que les arsenaux du bey ;
Hamman-el-Enf, eaux thermales situées à quatre heures
d« distance de la capitale, avec un château de plaisance du
bey et un grand nombre de maisons de campagne apparte-
nant aux riches Tunisiens; Gâbs ou Kabes , le Tacapa des
anciens , dont les ruines témoignent encore de l'antique im-
portance, avec 25,000 habitants, qui entretiennent un com-
merce considérable; Sfakes ou S/ax, ville maritime, avec
10 ou 20,000 habitants et un grand commerce d'huile, de
fruits secs et d'étoffes de laine; Dairouân ou Dairwan,
après, Tunis la plus importante ville du pays, réputée
par les mahométans sainte à l'égal de La Mekke ou de Mé-
dine, avec une magnifique mosquée et 15,000 habitants,
dont beaucoup de prêtres et de Jurisconsultes, une
fat)rication de safran , d'étoffes de laine et d'ustensiles de
cuivre , et en même temps avec un commerce considéra-
ble; Tôzer ou Touzer, très-grand et très- important centre
de commerce , situé tout au fond du pays , dans le Bilédul-
gérid, riche en plantations d'oliviers et de dattiers, le grand
marché aux dattes de l'Afrique, et en même temps avec
un» forte fabrication de bonnes étoffes de laine. L'Ile Zerbi
ou Djerbi, tout à fait plate et composée d'argile, est par-
fail::ment cultivée et compte 30,000 habitants, les plus
indiîstrieux de tout l'État , avec de grands ateliers de tissage
de iaine. Au nord de Zerbi, et à deux myriamètres à l'est
de Sfax,on trouve les îles Kerkin, avec 6,000 industrieux
babitanls, qui sont en même temps d'habiles marins.
L'histoire de Tunis se confond avec celle de laBerbérie
jusqu'en 1575, époque oii ce pays fut soumis à la suzerai-
neté du sultan. Sinan-Pacha, qui l'incorpora à l'Empire Ot-
toman, lui donna une nouvelle organisation. Le pouvoir fut
pi icé aux mains d'un pacha, d'un divan composé d'officiers
dj la garnison, et des commandants des janissaires. La
i*résidence du divan était à bien dire la propriété des Bo-
louk-Baschis , qui abusaient de ce privilège pour commettre
toutes sortes violences. Une insurrection de la milice mit
fin subitement à leur domination, qui avait duré environ
seize ans. Un dey , avec une puissance très-limitée et placé
tout à fait sous la dépendance du divan et du bey, fut dès
lors placé à la tête du divan. Le bey, institué tout aussitôt
après la conquête par Sinan-Pacha, n'était à l'origine
chargé que du recouvrement du tribut et de l'impôt. Mais
ce fut là précisément ce qui lui donna une prépondérance
marquée sur les autres pouvoirs de la régence, et ce qui
fraya la route à la puissance souveraine des beys, qui réus-
sirentà dominer complètement le divan et à rendre leur puis-
sance héréditaire. Mourad-Bey fut le premier bey qui y réus-
sit. Sa famille régna à Tunis plus d'un siècle, et parvint à
un haut degré de splendeur, en partie par les conquêtes im-
portantes qu'elle fit sur le continent et en partie aussi par
ses grandes opérations maritimes contre les puissances chré-
tiennes. L'histoire de Tunis n'offre guère cependant qu'une
suite de révolutions de palais, de révoltes de janissaires et
d'intrigues de cour. C'est seulement depuis la conquête de
l'Algérie par les Français, en 1830, que l'importance poli-
tique de Tunis est devenue plus grande. Tunis seconda
d'abord Abd-el-Kader ; et il en résulta un conflit entre le
bey et la France. Cette situation changea quand la Porte
eut manifesté l'intention de rattacher plus étroitement
Tunis à sa souveraineté. Le bey Ahmed resserra en consé-
quence son alliance avec la France; en 1846 il vint même
visiter Paris, et secondé par son ministre , le chevalier ita-
lien Buffo , il chercha à européaniser ses États. En 1854 il
consentit, mais vraisemblablement à l'instigation de la
France, à mettre à la disposition du sultan des secours con-
sidérables contre la Russie. Il mourut le 31 mai 1855, des
suites d'une attaque de paralysie, et eut pour successeur
son cousin Mohammed.
TUNJA. Voyez Boyaca.
TUNNEL. Les Anglais appellent ainsi tout passi^ge
souterrain pratiqué à travers une montagne ou sous une
rivière. Dès l'époque la plus reculée on construisit des pas-
sages souterrains de cette espèce. De nos jours on s'en est
servi pour donner passage à des canaux ou à des voies de
fer à travers des montagnes ou des collines. L'ouvrage le
plus hardi en ce genre est le tunnel construit sous la Ta-
mise et qui fait communiquer entre elles les deux rives
du fleuve. Dès le dix-huitième siècle on avait senti le be-
soin d'établir une communication souterraine entre ces
deux rives, au bas du pont de Londres , là où la construc-
tion de nouveaux ponts n'aurait pu qu'entraver la naviga-
tion ; mais toujours jusque dans ces derniers temps on
avait renoncé à cette entreprise , à cause des trop grandes
difficultésqu'elleprésentait.Ce ne fut qu'en 1823 qu'un ancien
TUNNEL —
et zélé actionnaire de l'affaire, J. Wyatt, songea à reprendre |
l'exécution du projet avec l'aide d'un ingénieur français, ap-
pelé sir Marc-Isamhevt Brunel. Une nouvelle société
s'étant formée au mois de février 1824, elle obtint par un
acte du parlement toutes les autorisations nécessaires ; et les
travaux commencèrent sons la direction de l'ingénieur fran-
çais, àenviron deux milles au dessous du pont de Londres. On
les continua pendant plus de dix-huit ans avec la plus grande
constance au milieu d'accidents de toutes espèces qui en-
traînaient souvent de longues imterruptions , parce qu'il y
avait à triompher d'obtacles naturels d'une difficulté toute
particulière. Grâce à la prudence extrême apportée dans
tous les détails de cette gigantesque entreprise, on n'eut
dans tout le cours des travaux à regretter que la mort de
sept personnes à la suite d'accidents, tandis que la construc-
tion du pont de Londres {Londonbridge) n'avait pas coûté
la vie à moins de quarante individus. Tout l'univers civilisé
suivit avec le plus vif intérêt les phases diverses de
cette audacieuse construction, et en considéra à bon droit
l'exéculion comme un des plus grands triomphes de l'art
moderne. Le 13 août 1841, Brunel put pour la première
fois parcourir le tunnel dans tonte son étendue. Les tra-
vaux de construction du mur de soutènement une fois ter-
minés, on livra d'abord au public, le 1*'' août 1842, l'une
des galeries du tunnel. L'autre ne lut livrée à la circulation
que le 25 mars suivant. Aujourd'hui chacun peut tra-
verser, à pied ou en voiture et moyennant une faible rétri-
bution, le tunnel, qui a 1140 pieds anglais de longueur et où la
lumière du gaz supplée à l'absence de celle du jour. La dé-
pense totale de l'entreprise s'est élevée à plus de 600,000liv.
st. ; mais comme spéculation, c'a été en définitive une juau-
vaise affaire. Les frais d'entretien absorbentet.au delà le
produit du péage, et on n'est pas sans inquiétude sur la so-
lidité de la voûte qui supporte une si énorme masse d'eau.
U est maintenant question d'une entreprise encore autre-
ment hardie. Il s'agirait de relier Douvres et Calais , sous
les eaux du détroit de Calais, au moyen d'un tube en forte
lôle pour le passage sous-marin d'un chemin de fer. D'autres
faiseurs de projets ont parlé d'y bâtir un pont au moyen
d'îlots factices créés de distance en distance et qui servi-
raient de culées. Qui vivra verra.
TUPAC-AMARU. Ainsi s'appelait le chef d'une for-
midable insurrection qui éclata en 1780 parmi les Indiens
du Péro u, et qui faillit dès lors faire perdre à l'Espagne la
possession de ces riches contrées. U descendait ou préten-
dait descendre des anciens Incas. Un impôt inique et vexa-
toire, qui servait de prétexte aux exactions et aux persécu-
tions de tous genres que les gouverneurs espagnols de pro-
vince exerçaient contre les malheureux Indiens, fut la
principale cause de ce soulèvement. Tupac-Amaru com-
mença par laire pendre un de ces gouverneurs subalternes,
objet de l'exécration générale. Puis il se mit en marche sur
Cuzco , en annonçant hautemeal l'intention de s'y faire cou-
ronner avec toutes les solennités consacrées par ses an-
cêtres. Un corps de 600 hommes envoyés à la rencontre de
sa bande fut exterminé par les insurgés, qui, devenus
maîtres de la campagne , y promenèrent partout le meur-
tre , le pillage et l'incendie. L'insurrection gagnait donc à
chaque instant du terrain ; mais le gouverneur espagnol de
Cuzco repoussa les insurgés, et Tupac-Amaru se vit obligé
de reculer pour aller reprendre à travers les campagnes
désertes le cours de plus faciles succès. Diverses villes de
l'intérieur furent prises et pillées par les Indiens, entre
autres Oruro et Tapacori , et partout les insurgés signalè-
rent leur passage par les actes de la plus sauvage cruauté.
Les vice-rois de Lima et de Buenos-Ayres mirent enfin sur
pied deux corps d'armée de 15,000 hommes chacun, et
alors les choses changèrent de faee. Le général, de La Valle,
parti de Lima, atteignit l'armée rebelle, forte de 10,000'
hommes et commandée par i'inca en personne; des troupes
régulières et supérieures en nombre devaient facilement
l'emporter sur des masses confuses et indisciplinées. Les
TURBINE 703
Indiens furent donc culbutés dès le premier choc ; et
rinca , réduit à chercher son salut dans la fuite , fut bientôt
après fait prisonnier avec le plus grand nombre de ses
lieutenants. Ceux. qui échappèrent au désastre, entre au-
tres deux parents de l'Inca , continuèrent la lutte avec
une exaltation doublée par le ressentiment de la défaite et
le désir de sauver celui qu'ils regardaient comme leur lé-
gitime souverain. L'arrivée du second corps d'arrnée parti
de Buenos-Ayres put seule mettre un terme à la lutte et
contraindre successivement les différents chefs d'insurgés à
mettre bas les armes. Tupac-Amaru et presque tous les
membres de sa famille expièrent dans d'affreux supplices
le rêve de patriotisme ou d'ambition qui leur avait mis les
armes à la rnain. Voyez Amérique, t. 1*"", page 475.
TUPAÏA. Voyez Cladobate.
TUUAN (Le), \oyez Touran.
TURBAN, en turc dulbend ou iulbonl, coiffure
adoptée par presque tous les peuples d'Orient à l'instar des
Turcs, et que ceux-ci ont abandonnée récemment. C'est
une pièce de toile qui fait quatre fois le tour de la tête en
forme de bonnet. Le turban du sultan était très-épais",
surmonté de trois aigrettes et orné d'une grande quantité
de diamants et d'autres pierres précieuses. Le grand-vizir
ne portait que deux aigrettes sur son turban : les généraux
inférieurs n'en avaient qu'une.
Les turbans des émirs sont verts. Ils doivent cette préro-
gative à leur parenté avec Mahomet et avec Ali.
TURBANE, belle variété du genre cowrp'e. Elle est
très-remarquable par la forme particulière de ses fruits. Leur
partie inférieure , très-large, est légèrement sillonnée ; mais
ces sillons s'arrêtent vers le milieu ; et au-dessus de la con-
traction formée en cet endroit on ne voit plus que quatre
cornes correspondantes aux quatre loges du fruit ; les mou-
chetures sont également interrompues, de manière que , ne
se répondant point, il semble que la moitié supérieure soit
un fruit différent et beaucoup moindre , qu'on aurait pris
plaisirà faire entrer dans legros ; enfin, les deux moitiés sont
séparées par un cordon de petites veines grises, qui se tou-
chent sans intervalle. La coque de ce fruit est solide; la
pulpe est sèche , très-colorée.
TURBINE. On désigne généralement sous le nom de
turbines les roues hydrauliques complètement immergt^es
dans la masse liquide qui les fait mouvoir, et plus spéciale-
ment celles qui tournent autour d'un axe vertical. La déno-
mination est nouvelle , mais la machine ne l'est pas ; et de
temps immémorial on a construit des roues horizontales.
Seulement, de notablesaméliorationsontété apportées à leur
construction par MM. Burdin, Eourneyron, Passot, etc.
Dans la turbine de M. Fourneyron, l'inventeur, au lieu
de mettre, comme aux moulins à cuve, la roue dans un
cylindre, l'a placée en dehors. Pareille à un anneau, elle en-
toure la partie inférieure, en laissant un faible jeu pour
le mouvement; cette partie est murce de cloisons directrices
fines, qui dirigent l'eau sur les aubes courbes de la rone,
dont l'axe traverse le cylindre alimentaire dans un fourneau
placé à son centre. L'effet utile de cette excellente machine
dépasse quelquefois 0,60.
Segner avait proposé, en 1750, une roue dontEuler, par
une fraude paternelle, donna, en 1752, sous le nom de son
fils, une histoire qu'il compléta en 1753. Dans cette roue
l'eau tombe sur une zone annulaire concentrique à l'axe ,
où elle est versée par des tuyaux inclinés , que le savant
géomètre proposa lui-même de remplacer par des directrices
courbes formées par des diaphragmes contigus. C'est à cette
variété que se rapportent la roue proposée par M. Burdin,
et établie en 1826 au moulin de Pont-Gibaud ; celle de
MM. Fontaine-Baron et Kœchlin, et d'autres turbines éta-
blies depuis à Saint-Maur par M. Bourgeois.
On range encore parmi les turbines les roues à réaction,
telles que les volants proposés en 1792 par le docteur
Barker, la roue de notre collaborateur M. Passot; les roues
h palettes planes ou tourbes recevant l'eau sur le contour
704
TURBINE — TURCS
d'une zone intérieure et la rejetant à l'extérieur, comme
celle que M. Manoury d'Éclot établit vers 1804 au moulin
de Montaigu , etc.
Les roues à poires, décrites par Bélidor, qui reçoivent
l'eau dans une enveloppe annulaire lixe ayant la forme d'un
cône tronqué, portent des palettes liéliçoïdes, disposées sur
un noyau conique , et laissent échapper l'eau vers le centre.
La danuïde de M. Manoury d'Éclot est une modification de
ce sylème, et, d'après le rapport fait par Carnet sur cette roue,
l'effet utile s'y élève jusqu'à 75 pour 100 du travail dépensé.
Enfin, il faut citer le roue à aubes courbes , proposée en
1826 par M. Poncelet, laquelle reçoit l'eau au moyen de di-
rectrices sur son contour extérieur et la verse à l'intérieur.
En 1855, M.Girard, ingénieur civil, a construit des tur-
bines sans directrices : l'une d'elles fonctionne à l'usine de
M. Ménier, fabricant de chocolat, à Noisiel
TURBIiVE (ZooZogie), nom d'une famille de mollus-
ques gastéropodes pectinibranches, section de ceux pourvus
d'un appendice membraneux pour l'introduction de l'eau
dans les branchies. Elle renferme les genres paludine,
mêlante, rissoaire, littorine, turritelle , proto , vermet,
siliqunire ,magile, valvée et natice. L. Laurent.
TUUBIIVELLE, genre de mollusques de la famille
des pourpres, de l'ordre des pectinibranihes, section
de ceux pourvus d'un siphon pour il'introduction de l'eau
dans les branchies. Ce genre renferme plusieurs espèces,
qu'on pourrait lacilement confondre, les unes avec les
fuseaux, les autres avec les pyrales, si on ne prenait
soin de les distinguer par les plis de la columelle. On en
connaît de fossiles. L. Laurent.
TURBO, genre de mollusques gastéropodes, établi par
Linné, à coquille conoïde ou sublurriculée, à pourtour non
comprimé, ouverture entière , arrondie, non moiiifiée par
l'avant- dernier tour. Les lurbos sont des animaux marins;
ils vivent sur les rivages , au milieu des rochers battus par
les flots, et à d'assez petites profondeurs. Ce genre renferme
beaucoup d'espèces. Nous citerons le turbo marbré, type
du genre , qui vient de l'océan Indien et dont la coquille
est d'un vert brunâtre plus ou moins foncé , ornée de huit à
dix zones transverses, étroites et régulières, de taches sub-
articulées, blanches et brunes ; ainsi qu'une autre espèce
du même genre connue dans le commerce sous le nom de
veuve perlée , et dans la science sous celui de turbo mor-
doré. Ce dernier appartient aux mers du cap de Bonne-Es-
pérance.
TURBOT ( Rhombus maximus ) , sous genre que Cu-
vier a nommé rhombus , et qui se distingue des pieu ro-
néotes vrais par plusieurs caractères. Les naturalistes
reconnaissent dans ce sous-genre neuf à dix espèces dis-
tinctes. Les turbots ont le corps comprimé, haut vertica-
lement surrhomboidal , non symétrique et très-mince ; ils
ont six rayons aux branchies, deux nageoires pectorales,
point de vessie natatoire; leur bouche n'est point contour-
née, ce qui les distingue des soies; et leurs nageoires anales
et dorsales sont très-longues, ce qui les distingue des plies
et des Jlétaiis.
Le turbot atteint souvent de grandes dimensions; il fré-
quente l'Océan du Nord , la Baltique et la Méditerranée.
Sur les côtes de France, il mesure rarement plus d'un mètre
66 centimètres de long; cependant, Rondeletaffirmeavoir vu
des turbots longs de cinq coudées. La chair du turbot est
blanche, grasse, feuilletée et délicate; et la plupart des
gastronomes, depuis Apicius jusqu'à Grimaud de La Itey-
iiière , ont longuement discuté les diverses préparations cu-
linaires auxquelles cette chair a été soumise. Nous ne pou-
vons que renvoyer à leurs estimables ouvrages.
Les Romains faisaient grand cas du turbot ; mais, non con-
tents d'eu faire un usage culinaire fort étendu, ils y voyaient
encore un puissant a^ent thérapeutique. Appliqué vivant sur
l'bypochondre gauche, le turbot guérissait les maux de rate ;
et le remède était infaillible si, l'opération faite, on avait
soin de reieler le turbot dans la mer (Pline, liv. xxxii.
chap. 32 ). La chair du turbot entrait comme partie consti-
tuante dans un alexipyrétique fort employé; son fiel, dans
un collyre souverain. Enfin , Gallien prescrivait le turbot
dans les convalescences. Belfield-Lefèvre.
TURCOING. Voijez Tourcoing.
TURCOMANS ou TROUCHMÈNES , nom fort peu
précis, et au point de vueelhnographiqueà peu près sans va-
leur, d'une branche très-étendue de la famille des peuples
lurco-tatares. Géograpliiquement parlant, on distingue des
Turcomans Occidentaux , établis en Syrie, en Asie Mineure
et même en Macédoine, et des Turcomans Orientaux, dis-
persés en peuplades plus ou moins fortes et nombreuses sur
les rives orientales, occidentales et méridionales de la mer
Caspienne, dans le Turkestan occidental, le Mazanderan,
le Kliorassan et môme l'Afghanistan. Où ils sont le plus
nombreux, c'est dans les plaines de Touran, dans la partie
occidentale du Turkestan, oij l'immense territoire de
déserts et de steppes qui s'étend entre la rive orientale de
la mer Caspienne, le lac Aral, le Djihon ou Aniou et le
Kliorassan , est nommé d'apiès eux Pays des Turcomans
ou Trouchmènes , de même que l'isthme qui sépare ces
deux lacs porte le nom d'isthme des Trouchmènes ; terri-
toire d'environ 5,600 myriam. carrés, qui se compose pres-
que uniquement d'une steppe, très-chaude en été, très-
froide et couverte de neige en hiver, qui ne reçoit d'eau et
n'est susceptible de végétation que pendant les mois de
printemps et d'automne. H ne s'y troive qu'un petit nombre
d'oasis pourvues d'eau, et dès lor? susceptibles de culture.
D'immenses étendues ne sont qu'un désert. On n'y récolte
que peu de grains; et l'élève du bétail (chameaux, chevaux,
bêtes à cornes, moutons, chèvres) y est de la part de la po-
pulation l'objet de bien plus de soins que l'agriculture. Les
Turcomans ou Trouchmènes vivent pour la plupart à l'état
nomade, et comme les K arakalp acks, qui ont avec
eux beaucoup d'aflinité, sont (!es mahométans sunnites ,
grossiers et adonnés au brigandage, et ne sachant pas même
de nom ce que c'est que la loi. La nature même du sol
qu'elles habitent a rendu les populations du pays des Tur-
comans à peu près indépendantes, quoique le khan deKhi wa
se prétende leur souverain. Divisés en tribus nombreuses et
indépendantes les unes des autres, les Turcomans n'ont ni
princes ni noblesse, et ne reconnaissent d'autres chefs que
les anciens de chaque tribu, dont le pouvoir est d'ailleurs
très-limité. Pasteurs, brigands et guerriers, montés sur des
chevaux, ils parcourent les steppes et les déserts de Touràn
et sont les ennemis les plus dangereux des caravanes île mar-
chands , et les voisins redoutés des Persans, qu'ils haïssent
comme chiites. Dans Visthme des Trouchmènes ils sont
voisins de la petite horde kirghiz placée sous le sceptre rus.se.
TURCS (Les). On apiielle ainsi en général un groupe
de populations qui dans le système ethnographique forment
l'une des trois grandes branches de la famille des peuples
tatares, lesquels à leur tour composent avec la famille
des populations finnoises la race altaïque ou tatare [voyez
Tatares). En ce sens les peuples turcs habitaient primiti-
vement le mont Altaï, d'où ils descendirent dans les con-
trées de steppes situées entre le Thibet , la Sibérie et le lac
Aral, auxquelles on adonné d'après eux le nom de Tur-
kestan et chez les Persans celui de Tourân. De là ils se
répandirent, le plus souvent comme conquérants, au nord-
ouest jusqu'aux monts Oural et à la mer Noire, au nord
jusqu'à la Sibérie (lakoutes), au sud jusqu'à la Perso, à
l'ouest jusqu'aux frontières de l'Allemagne. On comprend
les diverses populations turques , dont on distingue environ
vingt d'après les dialectes, en trois groupes. En font partie
les Tatars de Kasan, d'Orembourgel de Tobolsk , puis les
les Turkomans, les Ouzhecks, les Nog.ïs, les Kisilbasclies,
les Baschkirs , les Koumucks, les Kirghiz, les Koumans et
le-; Osmanlis. Mais c'est plus particulièrement à ces derniers
qu'on réserve la dénomination de Turcs, de même qu'on dé-
signe les contrées qu'ils possèdent sous le nom de Turquie
ou d'Empire Turc (voyez Ottoman [Empire]).
TURCS — TURENNE
Le mol tîirc est en usage dans quelques phrases familières
cl proverbiales: Cet homme est fort comme un Turc, il
IQK
est extrêmement robuste ; C'est tin vrai Turc, il est rude ,
inexorable, sans pitié. Traiter quelqu'un de Turc à More,
le traiter avec rigueur, sans quartier :
Prétcndez-vou3 traiter mon cœur de Turc à More?
a dit Molière.
TURLiXIVE (Henri de LA TOUR D'AUVERGNE, vi
comte de), l'un des plus grands capilaines qu'ait eus la
France, né le 1) septembre 1611, à Sedan, était le fils cadet
du duc Henri de Bouillon , prince de Sedan , et d'Elisabeth
de Nassau. Élevé dans la foi protestante , il montra peu de
dispositions pour l'étude des sciences et des lettres, mais
en revanche un goût des plus vifs pour l'art de guerre.
Après avoir perdu son père en 1623 , il fut envoyé par sa
mère en Hollande, où il se forma au métier des armes sous
la direction de son illustre oncle, le duc Maurice de Nassau.
En 1630 il vint à la cour de France , pour y représenter au
nom de son frère les droits de sa maison relativement à la
souveraineté de Sedan. A cette occasion l'adroit Richelieu
réussit à le faire entrer au service de France, et lui donna
un régiment à la tète duquel il fit la guerre en Lorraine sous
les ordres de La Force. Nommé maréchal de camp en 1634,
il combattit sous La Vallette, débloqua Mayence en 1635, et
rejoignit en 1637 avec un corps auxiliaire l'armée com-
mandée par le duc Bernard de Weimar, sous les ordres de
qui il prit Landrecies, Maubeuge et d'autres places, en 1638
Brisacli, que protégeaient de redoutables retranchements.
En 1639 on l'envoya en Italie, sous les ordres du comte
d'Harcourt. Il battit les Allemands et les Espagnols à Casai,
força en 1640 Turin à capituler, et se distingua à une foule
de sièges pendant les campagnes suivantes. En 1642 Riche-
lieu le chargea de la conquête du Roussillon ; mission dont
il s'acquitta de tous points. Turenne resta étranger à la que-
relle de son frère, qui s'était ligué contre le ministre avec le
comte de S 0 i s s 0 n s. Après la mort de Richelieu et celle de
Louis XIll, en 1644, Turenne reçut le bâton de maréchal
(le France et le commandement en chef en Allemagne. A la
tête de sa petite armée, il franchit le Rhin à Brisach , bat-
tit Ii!3 Bavarois , commandés par Mercy , et opéra alors sa
jonction avec le duc d'Enghien, devenu ensuite le grand
Condé. Tous deux s'emparèrent en peu de temps du Pa-
latinat, de l'élcctorat de Mayence et de tout le littoral du
Rhin depuis Strasbourg jusqu'à Coblentz. Après le départ
de Condé, Turenne aurait voulu empêcher l'ennemi de péné-
trer en ï"ranconie ; mais le mauvais état de sa cavalerie le
décida à prendre des cantonnements; et Mercy prolita de
cette faute pour le battre, le 5 mai 1645, à Mergentheim.
En revanche, trois mois après, Turenne remportait la célèbre
victoire de Nœrdlingen. L'année suivante il opéra , au mois
d'aoflt, sa jonction à Giessen avec les Suédois de Wrangell.
Il battit les Bavarois à Zusmarshausen, et contraignit l'É-
lecteur à signer, le 14 mars 1647, une suspension d'armes.
Il marcha alors sur la Flandre; et par la prise d'un grand
nombre de places il hâta la signature du traité de paix de
Munster, qui mit fin, en 1648, à la guerre de trente ans.
Après le traité de Westplialie, la guerre continuait encore
entre la France et l'Espagne; les troubles civils, consé-
quence presque inévitable des minorités dans les gouverne-
ments absolus , vinrent bientôt s'y joindre. Les princes de
Condé et de Conti , et plusieurs des principaux seigneurs,
se révoltèrent contre la régente. Dans ce nombre était le
duc de Bouillon , frère aîné de Turenne, qu'il entraîna dans
son parti. Mais, abandonné par son armée, il fut obligé de
se sauver presque seul en Hollande. La pacification de Rueii
lui permit de rentrer à la cour. L'année suivante ( 1650 ) ,
les princes se révoltèrent de nouveau, et Turenne , entraîné
par l'influence de son frère et de la duchesse de Longue-
ville, se joignit à eux. Par le traité qu'il conclut avec
l'Espagne , il fut convenu que celte puissance lui fourni-
rait un corps d'armée , à la tête duquel il entrerait en
OICT. DE LA CONVERS. — T, XVI.
France. De nos jours, une rébellion pareille serait à just«
titre flétrie du nom de désertion à l'ennemi; mais alors ,
dans les principes de l'aristocratie féodale, il n'en était pas
ainsi. Il n'y a plus de nation proprement dite ou il n'y a
qu'un maître et des sujets. Turenne, attaquant parla Flan-
dre, prit, de concert avec les Espagnols, Le Càtelet , Guise ,
Rlielel, Châteaii-Ponlhieu et Neufchâlel. Mais ayant été
complètement battu près de Rhetel par le maréchal du
Plessis-Prasiin, il fui rejeté hors de France avec les débris
de ses troupes.
Revenu de son erreur, Turenne chercha, au commen-
cement de 1651 , à engager les Espagnols à faire la paix avec
la France; et au mois de mai, ayant reçu de la cour des
lettres de pardon , il y revint. Vers la fin de cette année, les
princes se révoltèrent une troisième fois; mais Turenne re-
fusa de se joindre à eux , et resta attaché au roi. La cam-
pagne de 1652 fut pénible et glorieuse pour Turenne. A la
iêle d'une armée de moitié moins forte que celle des princes
rebelles, que devait encore doubler la jonction des troupes
du duc de Lorraine , il commença alors avec des alterna-
tives de succès et de revers la lutte contre son rival , le
prince de Condé, qui avait complètement passé aux Espa-
gnols. Après avoir ramemé la cour à Paris, il fit rentrer dans
le devoir les villes les unes après les autres, et il s'était rendu
maître de presque toute la Flandre , lorsque fut signée, en
1659, la paix des Pyrénées, qui valut à la France le Rous-
sillon, l'Alsace et l'Artois. Pendant la guerre Turenne avait
épousé, en 1653, la fille du duc de La Force, seigneur pro-
testant ; mais cette union demeura stérile.
La mort du roi d'Espagne , Philippe IV, ayant ron^pn lo
traité des Pyrénées , Louis XIV recommença la guerre, en
1667, pour faire valoir les droits qu'il prétendait avoir sur
la Belgique. Il se rendit en personne à l'armée de Flandre ,
dont le commandement fut donné à Turenne avec le titre de
maréchal cjénérul. Cette guerre ne dura qu'une campagne,
pendant laquelle l'armée française prit Douai, Oudenarde,
Bergues,Furnes, Armenlières, Courtrai et Lille, et battit les
Espagnols venus au secours de cette dernière place. La paix
d'Aix-la-Chapelle mit fin aux hostilités. En 1668 Turenne,
pour complaire à Louis XIV, se convertit au catholicisme.
Quand la guerre éclata de nouveau en 1672 , Turenne fut
encore une fois investi du commandement en chef de l'ar-
mée. Il marcha à la rencontre des coalisés, que commandait
Mon tecucu li, et les empêchade franchir le Rhin. Dans
la campagne de 1674, il effectua le passage du Rhin à Phi-
lippsbourg , se rendit maître de Sinzeim, et rejeta les Im-
périaux sur le Main. Peu de jours après, le duc de Bour-
nonville ayant rallié à son armée les débris de Caprara , s'a-
vança sur Manheim ; mais il se retiraàl'approchede Turenne.
Ce fut alors que ce dernier, d'après les ordres de Louis XIV,
dévasta le Palestinat et brûla deux villes et vingt-cinq
villages. L'électeur, désespéré , écrivit à Turenne une lettre
de reproches ( 27 juillet), et lui adressa même un cartel. Cet
acte de barbarie gratuite est une tache dont on ne saurait
laver la mémoire de Turenne.
Au mois d'octobre 1674, Bon mon ville reparut à la tête
de 60,000 Autrichiens et Brandebourgeois sur le haut Rhin;
mais il fut battu le 29 décembre à Mulhausen, puis le 5'jan-
vier 1075 à Turckheim. Après ces deux victoires, Turenne
s'en revint à Paris, et pria le roi de le laisser prendre sa
retraite. Mais à l'ouverture de la campagne de 1675 Louis XIV
l'envoya de nouveau sur le haut Rhin, où il aurait à lutter
contre Montecuculi. Celui-ci, qui commandait une armée
supérieure en nombre , avait mission de reprendre l'Alsace.
Turenne campa sous les murs de Strasbourg pour maintenir
celte ville et en conserver le pont. Montecuculi, afin d'en
écarter son adversaire , passa le Rhin à Spire , paraissant
menacer Philippsbourg ; mais Turenne ne prit pas le change
Passant lui-même le Rhin à Ottenheim, il se porta Willstett
sur le Kinlzig, et son adversaire, obligé d'obéir à ce mou-
vement, revint lui-même sur la rive droite. Plus de deux
mois se passèrent en manœuvres réciproques de ces deu\
45
»06
TURENNE — TURGOT
grands cnpitaines , sans que jamais Montccuculi pût parvenir
à son but de surprendre le passage du Rhin. Enfin, le 15 juillet,
Turenne passa la Renchen, coupant, par son mouvement,
te général ennemi, d'Offembourg et du corps détaché de Ca-
prara. Montecuculi , afin de rétablir sa communication avec
Caprara, fut obligé de venir camper derrière Sulzbach ; Tu-
renne l'y suivit. Ce grand capitaine faisait ses dispositions
pour livrer une bataille que Montecuculi était forcé de re-
cevoir, lorsque le 26 juillet, en reconnaissant l'emplacement
d'une batterie établie sur une hauteur voisine du village de
Sasbach, non loin d'Offembourg, un boulet tiré au hasard
l'enleva à la France. Cette perte changea les événements
de la guerre. Montecuculi allait se voir forcé de repasser la
forêt Noire; ce fut au contraire l'armée française qui repassa
le Rhin. Turenne, quoique peu riche, était généreux, et
souvent on le vit venir au secours des officiers et même des
régiments, que les pertes qu'ils avaient faites avaient mis
dans un état de délabrement. Jamais il ne tira vanité de
ces bienfaits ; et pour ménager la délicatesse de ceux qu'il
obligeait, il leur laissait supposer que le secours venait du
roi. Actif, infatigable, plus dur même pour lui qu'il n'était
sévère envers ses subordonnés, les soldats, juges impartiaux
et équitables de leurs chefs, le chérissaient comme un père,
et lui obéissaient plus encore par le double sentiment de
l'attachement et de leur confiance dans ses grands talents
que par devoir. Turenne, avare du sang des troupes, évita
tant qu'il put les batailles; il lit une guerre de marches, de
manœuvres et de positions , qui est la véritable guerre stra-
tégique. Ses campagnes méritent d'être étudiées avec at-
tention. C'était le jugement qu'en portait l'empereur Na-
poléon lui-même. G*' G. de Vacdoncoirt. ]
Louis XIV ordonna que la dépouille mortelle de Turenne
serait ensevelie avec celles des rois dans les caveaux de
Saint-Denis. Lorsque les tombes royales furent saccagées, à
l'époque de la révolution , le squelette de l'illustre maréchal,
qui était parfaitement conservé, lut déposé dans un cabinet
d'antiquités; il y resta jusqu'en 1801, où Napoléon le lit
inhumer sous le dôme des Invalides. Le boulet qui frappa
Turenne se voit dans la bibliothèque de cet établissement.
TURFAM (Le). Voyez Tourfan.
TURGEMEFF (Alexandre), historien russe , né en
1784 , mort à Moscou, en 1845, a bien mérité de la science
par ses recherches sur l'histoire, la diplomatie, la vieille
statistique et l'ancien droit de la Russie; recherches pour
lesquelles il mit à contribution les documents relatifs à la
Russie contenus dans les bibliothèques d'Italie, d'Allemagne,
de France, d'Angleterre et de Danemark, et qui ont été
publiées par la commission archéographique sous le titre de
Historica Russiss Monumenta, ex antiquis ceeterarum
gentium archivis et bihliothecïs deprompta (2 vol.; Pé-
tersbourg, 1842); A^ec un Supplementuin (i&is).
TURGENEFF (Nicolas), frère du précédent, né en 1790,
étudia à Gœltingue, et fut adjoint en 1814 au baron de
Stein en qualité de commissaire russe chargé de l'adminis-
tration provisoire des provinces françaises occupées par les
troupes alliées. A son retour en Russie, il (ut nommé con-
seiller d'État en service ordinaire et adjoint au sous-secré-
taire d'Etat de l'intérieur. En cette qualité il se voua spé-
lialement à l'étude de la question de l'émancipation dès
lerfs, et se trouva ainsi amené à se faire admettre, en 1819,
au nombre des membres de la Ligtte du bien public, fondée
par Trubetzkoï et par Mouravieff. Il fut ainsi com-
promis dans la conspiration qui éclata en 1825, et qui eut
des suites si fatales pour la plupart de ceux qui y avaient
pris part. Heureusement pour lui, il se trouvait alors à l'é-
.tranger, et en fut quitte pour une condamnation à mort par
; contumace. Son frère Alexandre réussit à lui sauver sa for-
tune et à la lui faire passer à Paris, où il n'a pas cessé depuis
lors de résider, et où il a publié l'ouvrage intitulé : La Russie
et les Russes (3 vol.; Paris, 1847).
TURGENEEF (Iwan), l'un des principaux écrivains
russes de notre époque, s'est fait connaître d'abord par deux
poèmes, Parascha (1843) et La Conversation ( 1845), qui
se distinguent par des vers magnifiques et par une grande
richesse de pensées, mais qui dans leur tendance rappel-
lent trop Lemontoff. 11 travailla ensuite à divers journaux
russes, notamment au Sowremennik, dans lequel parurent
successivement ses Mémoires d'un Chasseur, qui ont été
réunis en 1852. Cet ouvrage à un rare mérite de style et
de pensée joint celui d'initier le lecteur à un monde tout
nouveau pour lui, la vie de campagne en Russie. 11 a été
traduiten français , en anglais, en allemand et en hongrois.
TURGOT (Anne-Robert -Jacques), le plus jeune des
trois fils de Michel- Etienne Tlrgot, prévôt des marchands
de la ville de Paris sous Louis XV, né à Paris, le 10 mai
1727, mort d'une attaque de goutte, maladie héréditaire
dans sa famille, le 20 mars 1781, à l'âge de cinquante-quatre
ans. Ses ennemis même ont rendu hommage à ses lumières
ainsi qu'à sa probité et à ses vertus ; et pour être honoré
à l'égal de Sully il ne lui a peut-être manqué que l'appui
qu'il eût trouvé dans le génie et la fermeté d'un second
Henri IV. Son nom est marqué au moins parmi ceux des mi-
nistres qui ont voulu, avec un zèle sincère, avec courage et
désintéressement, la réforme d'abus oppressifs et l'améliora-
tion du sort des peuples. Ses parents l'avaient destiné à
l'état ecclésiastique. Il se livra avec un tel succès aux tra-
vaux qui devaient lui ouvrir cette carrière, qu'en décembre
1749, à l'âge de vingt-deux ans, il fut élu prieur de Sorbonne.
Il eut à prononcer en cette qualité deux discours latins,
dont on a recueilli la version française dans ses œuvres,
l'un sur les Avantages du Christianisme pour l'huma-
nité, l'autre sur les Progrès successifs de l'esprit humain.
C'est dans le second discours que vingt-six ans avant l'évé-
nement il prédit la séparation des colonies américaines d'a-
vec l'Angleterre. Turgot reconnut bientôt qu'il n'était pas
né pour le sacerdoce. Ses amis, les abbés de Cicé, depuis
archevêque de Bordeaux et d'Aix , Loménie de Brienne ,
archevêque de Toulouse et de Sens , de Véry, Bon et Mo-
rellet, le détournèrent vainement de renoncer à cette carrière,
en faisant briller à ses yeux l'espoir de bons évêcbés et
d'excellentes abbayes. « Je ne conçois pas trop comment
vous êtes faits , leur répondait-il , quoique je vous aime.
Quant à moi, il m'est impossible de me vouer toute via
vie à porter un masque sur le visage. »
Il entreprit beaucoup d'ouvrages, esquissa un assez grand
nombre de plans. Le recueil de ses œuvres renferme quel-
ques-unes de ces esquisses et des fragments précieux d'écrits
sur diverses matières , où l'on retrouve beaucoup de vues
reproduites de nos jours et que l'on croit neuves. A dix-
huit ans il avait entrepris un Traité sur l'Existence de
Dieu. Parmi les œuvres de sa jeunesse, il faut citer sa lettre
à Buffon, où il relève ses erreurs sur la Théorie de la Terre;
une excellente lettre adressée par lui , à vingt-deux ans , à
l'abbé de Cicé, où il démontre les inconvénients et la dé-
ception du papier-monnaie; celle qu'il composa, à vingt-trois
ans , pour réfuter le système de Berkeley contre l'existence
des corps et celui de Maupertuis sur l'origine des langues.
On lui dut ensuite l'excellente traduction des Pastorales et
des Idylles de Gessner, qui parut sous le nom de Huber,
le maître d'allemand du traducteur, et qui popularisa en
France le nom du chantre de La Mort d'Abel.
Turgol ayant fait connaître et approuver de son père les
motifs de sa répugnance pour l'état ecclésiastique , on le fit
entrer au parlement, d'abord comme substitut du procureur
général, puis comme conseiller. Partisan réfléchi d'un pou-
voir central, capable d'imposer la loi à l'esprit de corps et
aux factions, tout en se proposant dès lors la réforme com-
plète des abus, il se montra, quoique très-jeune, le soutien
de l'autorité royale , qu'il jugeait seule en état de prévenir
un bouleversement complet en opérant elle-même celte ré-
forme appelée par le vœu général. Il concourut alors à ta
rédaction de la fameuse Encyclopédie, entreprise par Di-
derot et D'Alembert, tant que ce recueil fut au moins (oléré
par le pouvoir. Il y fournit, entre autres, trois articles très-
TURGOT — TURIN
707
remarquables , les mots : Existence, Étymologie, Expan-
sibilité. Fidèle à son dévouement raisonné pour l'autorité
royale, et à son antipathie pour les corporations politiques
anti-populaires, il avait fait partie de la chambre royale, sub-
stituée au parlement exilé. Aussi, lors du rappel de ce corps,
ne put-il oblenir la charge du président à mortier, en rem-
placement de son frère. Nommé maître des requêtes au
conseil d'État, il se dévoua aux nouvelles études pratiques .
qui devaient achever de l'instruire pour l'exercice des fonc-
tions de l'administration. Lié avec les chefs de la nouvelle
école, qui travaillaient avec chaleur à se faire de nombreux
adeptes, Quesnay, le marquis de Mirabeau, Vincent de Gour-
nay, Dupont de Nemours, Morellet, il s'efforça de concilier
les doctrines opposées des deux fondateurs de l'école, Ques-
nay et de Gournay. Le premier ne voyait la source des ri-
chesses que dans l'agriculture; le second la signalait surtout
dans l'industrie et le commerce. Turgot s'occupa de mon-
trer le concours et la dépendance réciproque de ces deux
puissances productives. La devise de Gournay, Laissez
faire et laissez passer, fut aussi la sienne. Ce dernier, an-
cien négociant, rempli de zèle et de lumières , avait été
nommé intendant du commerce. Turgot l'accompagna dans
ses tournées, étudiant avec son ami les faits qui appartiennent
à l'économie publique , et dont la connaissance exacte doit
éclairer la marche de l'administration. Nommé lui-même
intendant du Limousin en 1761, il essaya pour le soulage-
ment de ce pays, pauvre et malheureux, les réformes qu'il
voulait appliquer en grand à la France , s'il parvenait un
jour au ministère. Ou a critiqué ses opérations. Ce qui est
certain, c'est que cette contrée, jusque alors souffrante, lui
dut des progrès heureux. La voix publique, dont ses nom-
breux amis ( parmi lesquels il faut compter Voltaire , tou-
jours ardent pour les réformes utiles aux peuples) n'étaient
que les échos , comblait Turgot de bénédictions et l'appe-
lait à un poste plus éminent. Cette voix fut entendue par
un prince animé des meilleures intentions. Louis XVI ou-
vrit son conseil à l'intendant de Limoges. Son principal mi-
nistre, l'égoïste et frivole Maurepas,lui désigna cepen-
dant Turgot. 11 cherchait à se concilier l'opinion publique,
se fiant assez à son habileté dans les ruses de cour pour
écarter au besoin un collègue qui lui ferait ombrage.
Turgot, nommé d'abord ministre de la marine (1774),
obtint bientôt après le contrôle général des finances en rem-
placement de l'abbé Terray; c'était Tarmer de la cognée
qui devait frapper les abus. Point de banqueroute , point
d'emprunts , point d'impôts nouveaux, tel était l'enga-
gement contracté entre le prince et son ministre. De là la
nécessité des économies par la suppression des dépenses
inutiles et par un meilleur système pour l'assiette et le recou-
vrement des contributions. Nous renvoyons aux mémoires
du temps et au Recueil des Œuvres de Turgot pour le
détail des opérations de son trop court ministère. En vain ,
d'accord avec le respectable maréchal Dumuy , s'était-il op-
posé au rappel des parlements , dont il prévoyait la coali-
tion avec les privilégiés et l'opposition à toute mesure utile
au peuple. En conseillant ce rappel , Maurepas , fidèle à son
système, flattait l'opinion des classes favorables à cette
ancienne magistrature. Il se ménageait en même temps un
appui contre Turgot. Cet appui ne lui manqua pas. Qui
le croirait? L'édit qui supprimait dans le royaume la corvée,
si onéreuse aux campagnes , celui qui rendait l'industrie
libre par l'abolition des maîtrises et jurandes, furent re-
poussés par un corps qui se proclamait le tuteur des rois
et le protecteur delà nation. Turgot avait fait ordonner, non
pas, comme on se l'imagine, la libre exportation des grains,
mais la liberté de la circulation et de la vente des blés dans
toute l'étendue du royaume. Des douanes s'opposaient à l'ali-
mentation des provinces les unes par les autres. On ne vou-
lut pas q<ie les contrées favorisées par l'abondance vinssent
au secours des régions moins heureuses. Les nombreux enne-
mis du ministre réformateur excitèrent des émeutes ( 1775).
Une révolte fut simulée, comme s'il se fût agi d'envoyer
tous les grains de la France à l'étranger ; on effraya le roi
et le peuple. Des vagabonds gorgés de vin et de liqueurs
fortes " parcouraient les campagnes autour de Paris et de
Versailles en criant à la famine. A ces machinations Turgot
opposa beaucoup de fermeté, mais commit des fautes, qui
fournissaient contre lui à ses ennemis les armes perfides
du ridicule , ce moyen d'attaque contre le bien et le mal ,
si familier aux Français ; il déploya un appareil de force
inutile et une ostentation de sévérité dans le châtiment de
deux coupables , qui prêtait à la fois au blâme et à la mo-
querie. Dans des lettres à l'abbé Terray, alors ministre,
Turgot avait soutenu la liberté du commerce des grains par
des raisons que confirment des faits nombreux et qui ne
paraissent pas souflrir de réplique. Avouons toutefois que
dans une matière aussi délicate que l'est la subsistance
du peuple, ses préjugés même et ses inquiétudes doivent
être ménagés. Un approvisionnement toujours suffisant
peut d'ailleurs être contrarié par tant de circonstances im-
prévues, telles, par exemple, qu'une guerre ou de coupables
spéculations sur quelques points d'un grand État, lorsque
les communications sont difficiles , qu'il paraîtra toujours
trop hasardeux de livrer entièrement la subsistance du peuple
à toutes les chances du commerce.
Les alarmes suscitées dans l'esprit du roi par l'affaire des
grains lurent bientôt augmentées par une honteuse machina-
tion. On mit sous les yeux de ce prince des lettres fabri-
quées, qui calomniaient son ministre. Louis XYI, qui s'était
plu à répéter ce mot célèbre : « Il n'y a que M. Turgot et moi
qui aimions le peuple, » conçut de la défiance, et se refroidit.
Maurepas porta le dernier coup en accusant le contrôleur
général de n'avoir pas su établir l'équifibre entre les recettes
et les dépenses, comme s'il eût dépendu de lui de hâter les
heureux résultats d'un système dont l'exécution était à peine
commencée. Turgot fut sacrifié , et la demande de sa dé-
mission (mai 1776) suivit de près la retraite de son ami
le vertueux Ma les herbes, qu'il avait eu tant de peine à
décider, lorsqu'il avait réclamé son assistance. Ainsi échoua
le plan des réformes qui eussent sauvé le roi et la nation.
Mais le premier continua de consulter souvent dans sa re-
traite son ancien ministre, dont il connaissait les lumières
et la probitéi Aubert de Vitrt.
TURGOTINES. Voyez Messacekics.
TURIN, en italien Torino, VAugusta Taurinorum des
Romains, capitale des États Sardes et résidence du roi , cLef-
lieu du duclié de Piémont et de la province de Turin ( 37
myriam. carrés, et 650,000 habitants), qui avec Suze etPi-
gnerol forme l'intendance de Turin. La ville , siège d'un ar-
chevêché, de la cour de cassation et diverses autorités su-
périeures civiles et militaires, passe pour la plus régulière
et pour l'une des plus belles et des plus magnifiques cités
de l'Italie. Elle est située sur le Pô , qui y est navigable et y
reçoit les eaux de la Doire-Ripaire ( Doria-Riparia) , dans
une riche et fertile vallée, entourée de collines couvertes de
monastères, de châteaux et de maisons de campagne, et
compte 150,000 habitants, appartenant à une race sensible,
active, énergique et de fort beau sang dans les deux sexes.
On traverse le Pô sur un pont dont la construction date de
la domination française, et la Doire sur un pont bâti par
Mosc en 1850, et consistant en une arche unique de 72 mèti^es
d'envergure. Les anciennes fortifications ont été transfor-
mées en promenades publiques; et on a abattu les murailles
ainsi que les portes , à l'exception de la Porta-Nuota, qui
fait face au midi. Toutefois, la ville est protégée par une
grande citadelle. Les rues, très-régulièrement construites , se
coupent toutes à angles droits, et sont généralement garnies
de trottoirs, souvent même d'arcades de chaque côté. Les
maisons , construites en briques, ont ordinairement trois ou
quatre étages ; et dans le nombre il en est beaucoup qui res-
semblent à des palais. Les plus belles rues sont la rue Nou-
velle {ConiradaNuova) , la rue du Pô et la rue de la Poste.
Cette dernière , qui est presque entièrement garnie de palais,
est la plus animée qu'il y ait à Turin , pour qui elle est un
45.
708 TURIN — TURKESTAN
véritable corso. En fait de places publiques, les plus remar-
quables sont la piazza San-Carlo, carré régulier, entouré
de palais, avec la statue équestre du célèbre duc Emanuel-
Phillibert, le vainqueur de Saint-Quentin, par Maroclietti ; la
place royale {Piazza Reale)ou du château {del Castello);
la place Victor-Emmanuel, peut-être la plus grande de l'Eu-
rope, avec une vue ravissante sur les collines situées de
l'autre côté du Pô, et d'où l'on découvre l'église Notre-
Dame (Gran Madré di Dio), construite parla ville à l'imi-
tation du Panthéon de Rome, en commémoration de la ren-
trée du roi (25 mai 1814). Les quarante autres églises qu'on
compte à Turin , dont quelques-unes d'une grande magnifi-
cence , mais de mauvais goût , sont moins vastes et peu re-
marquables. Celle qui mérite le plus d'être vue, c'est la ca-
thédrale, placée sous l'invocation de san Giovanni, fondée
à l'origine, en l'an 602, par le roi des Lombards Ataulf, re-
construite en 1478, ornée d'une belle façade, avec trois nefs et
\acha\)e\\G di Santo-Stida7-io ou délia Santissima-Sindone ,
chef-d'œuvre du goùtrococole plus bizarre. L'autel de mar-
bre noir placé au milieu porte une châsse carrée garnie de
glaces renfermant la relique du saint Suaire, grande pièce
de toile rousse et assez fine. C'est dans la riche église du
Corpus-Domini que J-J. Rousseau abjura le calvinisme
pour embrasser le catholicisme. L'église des Vaudois, dont
la consécration a eu lieu le 15 décembre 1853 , est un mo-
nument des idées de tolérance qui dominent aujourd'hui.
Parmi les palais il faut citer, moins pour la beauté de leur
architecture que pour l'ampleur de leurs proportions, l'an-
cien ou Palazzo Madama, appelé autrefois del Castello,
construit de 1403 à 1416 pour servir de résidence aux ducs
de Savoie, ressemblant à une forteresse du moyen âge, de
sombre apparence, pourvu d'un observatoire, contenant la
belle galerie royale de tableaux, riche en Raphaels, en Ti-
tiens, en Murillos, en Holbeins, en Rembrandts , en Paul
Potters , etc. (consultez Rob. d'Azeglio, La Galeria di To-
rino illustvata [Turin, 1835 ]), et servant aux réunions du
sénat sarde ou de la première chambre; ensuite le grand
palais Carignan, affecté aujourd'hui aux séances de la se-
conde chambre, en face duquel s'élève le grand et élégant
théâtre Carignan. Il y a en tout six théâtres à Turin , parmi
lesguels ou remarque le Théâtre royal, construit par le
comte Alfieri, d'un st>le noble et grandiose, avec six ran-
gées de loges, destiné à l'opéra et au ballet pendant l'hiver,
l'un des plus beaux théâtres qu'il y ait en Italie. En ce qui
touche les sciences et les lettres, Turin peut montrer des éta-
blissements dont l'influence s'est étendue à tout le Piémont.
L'université, fondée en 1404, par l'empereur Sigismond,
et réorganisée deux siècles plus tard par 'Victor-Amédée ,
est fréquentée par 1,800 à 2,000 étudiants, possède une bi-
bliothèque de 115,000 volumes et très-riche en manuscrits,
un observatoire, une collection d'anliques et un jardin bo-
tanique. Dans le bâtiment de l'Académie royale des Sciences,
fondée en 1759, par le comte Saluzzo, se trouvent le musée
égyptien, l'un des plus riches de l'Europe, une collection
d'antiquités grecques et romaines, et un cabinet des médailles
contenant 30,000 médailles, généralement fort rares. Il y a
en outre à Turin une école militaire, une école de cavalerie,
une école vétérinaire, un si''minaire archiépiscopal , divers
collèges el autres établissements d'instruction publique, une
société d'agriculture, une académie philharmonique avec
une école de chant. On y trouve aussi plusieurs hôpitaux
parfaitement organisés, entre autres le grand hôpital royal
délia Carita, [iour 2,500 malades, plusieurs autres établis-
sements de bienfaisance et fondations pieuses. Les manufac-
tures principales sont des fabriques de soieries , de bijoute-
ries , de porcelaine , d'armes à feu, de gants et autres articles
en cuir, de papier, de tabac, de sucre, etc.
Comme point où viennent converger les principales routes
et les divers chemins de fer de création récente ( parmi lesquels
celui de Gênes a été inauguré le 20 février 1854, celui de Suze
le 23 mai , celui de Novarc le 4 juillet et celui de Coni [^r
Savigliano, à la fin d'octobre ue la même année), Turin
possède un important commerce de transit, que favorise et
augmente encore la navigation à vapeur établie sur le Pô.
Les soies du Piémont constituent le principal article de
commerce. Turin fait aussi de grandes affaires de chasgeet
de banque , et depuis 1849 cette ville a sa propre banque,
succursale de la banque de Gênes.
Quoique pauvre en monuments historiques, Turin est une
ville fort ancienne. EUeétait le chef-lieu des Gaulois Tanrini,
et fut prise par Annibal, en l'an 218 av. J.-C.Sous Auguste
on y établit une colonie romaine, et elle reçut le nom û'Au-
giista Taurinorum.
Son histoire moderne se confond avec celle des guerres
d'Italie , dont sa position l'a presque toujours rendue le pre-
mier théâtre. En 380 elle devint le siège d'un évoque. Elle
passa de la domination des Romains sous celle des Lom-
bards ; alors elle devint la capitale d'un duché, dont deux
titulaires montèrent sur le trône de Lombardie. Les ducs
lombards furent remplacés par les comtes de Charlemagne,
ensuite par des marquis. Charles le Guerrier est le premier
des ducs de Savoie qui y ait fixé sa résidence. Mais elle ne
devint le siège définitif de ses souverains qu'au commen-
cement du siècle suivant, sous le règne de Charles le Bon ,
père d'Emmanuel-Philibert. François l""" la prit sur Charles
Quint, en 1536. En 1640 elle fut attaquée par les Français
alliés à la duchesse régente contre le prince Thomas. Cet
événement offrit une circonstance assez singulière. La cita-
delle se trouvait assiégée par le prince Thomas de Savoie ,
maître delà ville, tandis que le comte d'Harcourt, qui as-
siégeait celle-ci, était assiégé lui-môme dans son camp par
le marquis de Leganez. L'attaque de 1706 est celle où Vic-
tor-Amodée II fit éclater tant de sagesse , d'activité et
d'héroïsme. Les Français la reprirent en 1798, la rendirent
aux Austro-Russes en 1799, et y rentrèrent en 1800; ils
l'ont conservée jusqu'en 1814. Alors elle a été de nouveau
occupée par ses légitimes souverains.
TURIOX. Linné appelait ainsi lebourgeon émis an-
nuellement par la souche des plantes vivaces,et dont le
développement donne naissance à leur tige.
TURKESTAN ou TURKISTAN, c'est-à-dire terre
des Turcs, nommé aussi Djagatai. On appelle ainsi, dans
l'acception la plus large , la T a t a r i e asiatique, parce qu'elle
est soumise à la domination de peuplades turques. Cet im-
mense territoire est partagé par la colossale montagne du
Bolor-Tagh en Turkestan oriental et Turkestan occi-
dental. Le premier est aussi appelé haute Tatarie, Dja-
gatai oriental , et Petite- Boukharie ou To u rfâ n ; et le
second Tatarie indépendante , Djagatai occidental, ou
de l'une de ses parties principales Grande- Boukharie, ou
bien d'ordinaire tout simplement Turkestan , ou encore
Tour an. Ce Turkestan occidental , ou Turkestan dans
l'acception la plus restreinte , situé entre l'empire de la Chine
à l'est, l'Afghanistan et la Perse au sud, la mer Caspienne
à l'ouest et le pays des Kirghiz au nord , comprend dans sa
plus grande partie ouest et nord-ouest la profonde vallée
du Tourân (composée pour la majeure partie de déserts ou
de maigres pacages), et dans sa partie e.st et sud -est lès
montagnes du Turkestan; contrée sauvage, bien arrosée,
parsemée de beaux pâturages et de vallées extrêmement
fertiles, qui s'élève sur les embranchements septentrionaux
de l'hindoukouh , et les ramifications du IJolar-Tagb. L'Ak-
Tagh ou Asferah-Tagh , prolongement occidental du Muz-
Tagh ou Thianschân de l'Asie centrale, la divise en contrée al»
pestre de Ferghana au nord, et en cellequ'on appelle Sogdiane
ou Ouzbékistan au sud. La première renferme les sources du
Sihon ou Sir {laxartes), la seconde les sources du Djihon
ou Amou {Oxus). Ces deux fleuves se déchargent dans le
lac Aral ; tous les autres sont des cours d'eau insignifiants.
Les conditions climatériques en sont tout à fait continen-
tales , avec des contrastes bien tranchés de froids extrêmes
en hiver et de chaleurs accablantes en été. En ce qui est de
la végétation , la plaine, ou domine le caractère des déserts,
offre aussi un contraste frappant avec le pays cultivé, voisin
TURKESTAN —
des principaux cours d'eau et des nombreux canaux d'irri-
gation des districts qui y touclient immédiatement. Le fro-
ment, le riz et, comme fourragepourlesclievauxje sorglioà
sucre sont les céréalesqu'ony cultive. On y récolte en quantité
d'excellents légumes, des melons, des raisins ainsi que des
fruits de toutes espèces ; de la soie , du coton , du lin et
de la sésame. Outre le dromadaire, le cheval et le mouton,
qui constituent les principales richesses des habitants , on y
trouve des ânes , des moutons et des chèvres sauvages, le
kaïg (espèce d'antilope), des sangliers, des lièvres, des
faisans, des perdrix et autres espèces de gibier à plumes,
ainsi que des léopards, des lions, des ours, des renards et
autres animaux sauvages. Le règne minéral fournit du fer,
du cuivre, du plomb, de la poudre d'or, du sel, du jaspe,
des lazulis, des turquoises, des rubis et autres pierres pré-
cieuses. Le Turkestan joua un rôle important dans l'histoire,
comme la contrée centrale ou de passage des expéditions
commerciales , militaires ou d'émigration des Asiatiques; con-
trée dont la plus grande partie dans l'antiquité était bien
cultivée et très-peu[ilée. II comprenait alors la Bactriane,
la Sogdiane et le territoire des Chorasmiens , les provinces
nord-est de l'empire des Perses, après la dissolution duquel
il appartint successivement aux successeurs d'Alexandre,
aux Parthes et aux Néo-Perses. Au sixième siècle il subit
l'irruption des Huns et des Turcs ; au huitième siècle il passa
sous la domination arabe, pendant la durée de laquelle il
porta le noni de Khowarcsm et parvint à un haut degré de
prospérité. Après la décadence du khalifat, il y surgit di-
verses souverainetés turques, qui furent pendant quelque
temps réunies sous la domination orientale des Seldjoucides,
mais qui au douzième siècle durent subir le joug du Mon-
gole Djinghiz-Khan et de ses hordes tatares. A la mort de
ce conquérant, son fils Djagataï, dont plusieurs des khans
encore régnants aujourd'hui font dériver leur origine , eut en
partage le pays de Mawarainahr et tout le Tourfân. Au qua-
torzième siècle Timour établit dans la première de ces
contrées le centre de son immense empire, qui à sa mort
se divisa (et le Turkestan plus particulièrement) en plu-
sieurs petits territoires. Réduit à l'état de désert et de soli-
tude depuis la fin de la domination arabe et surfout depuis
les ravages des hordes de Djinghiz-Khan et de Timour, ce
pays redevint l'arône d'une foule de peujjlades barbares,
nomades et [lillardes, comme il l'avait déjà été dans la plus
haute antiquité {voyez TourÀn), et il en est encore de
même aujourd'hui dans la plus grande partie de son étendue.
Maintenant les populations qui dominent dans le Turkestan
(donlla superficie est évaluéeà 2240 myriani. carrés, et la po-
pulation entre six ou sept millions, ou mieux entre trois ou
quatre millions d'âmes ), ce sont, comme dans le Tourfân, des
"Turcs-UzbeksetOuigoures, qui pour plus grande partie ont
renoncé à la vie nomade qu'ils menaient autrefois, et qui se
gont assimilé lacivilisation supérieure des populations qu'ils
subjuguaient. Ces populations subjuguées, de race persane,
et descendant des anciens Bactriens, sont connues sous le
nom de Tadjicks , de Doukhares , de Sartes et de Gakl-
schis. Elles forment la grande masse des habitants fixes et
sédentaires de toutes ces contrées et en même temps, avec
les Ouzbeks, la classe agricole et plus encore la classe in-
dustrieuse des villes, où elle exerce des métiers (tissage de
la laine et du coton, apprêt des cuirs et fabrication des ar-
ticles d'acier) et fait un commerce étendu. LesTurcomans
forment la troisième partie principale de la population du
Turkestan. Des hordes Kirghiz et des Karakalpacks nomades
errent encore dans le pays ; et on rencontre en outre dans
les villes des juifs, des Arméniens, des Arabes boukbares
et des Tatares Nogais , que s'y sont réfugiés de Russie. Le
Turkestan forme les khanats suivants : 1° Kh iiva, sur le
Djihon inférieur ; 2" le grand khanat de Bo k h a r a , ou la
Grandc-Roukharie dans l'acception la plus restreinte, appelée
aussi Ouzbékistan, ave- les villes de Bokhara et de Sa-
markandc. En font depuis longtemps partie Balkh et
depuis 1842, au nord-est, le khanat de Kokandou Khokand,
TURNHOUT 709
c'est-à-dire la région montagneuse de Ferghana, avec ses
prolongements, la vallée du Sihon central, ses vallées la-
térales et la steppe située au pied de la montagne , pays qui
fut le théâtre des hauts faits de la jeunesse du sultan Baboiir,
d'une étendue totale d'environ deux -millions de myriam.,'
carrés, avecdeux millions d'habitants, et les villesde Khokand
de Khodschend , de Taschkend , de Turkestan ou de Taras
les unes et les autres centres d'une florissante industrieetd'un
important commerce ; 3° Koundous ou Tokharestan, extré-
mité sud-est du Turkestan , contrée où se trouvent situées les
sources du Djihon, d'environ 2,100 myriam. carrés, avec
500,000 habitants, et les villes de Koundous, Khouloum ou
Tasch-Karghiin et Badakschanou Feisabad (Fyzabad), célèbre
parles mines de rubis des environs, et d'autres encore qui
étaient autrefois les résidences de khans particuliers ; 4° Les
petits États montagneux situés au nord du Djihon supérieur
à l'est de Bokhara, au nord de Koundous, à savoir : Kesch ou
Schebr-Sebs, Hissai; Darwas ou Derwas, ensemble d'une
superficie d'environ 1,200 myriam, carrés, avec 200,000 habi-
tants. A l'ouest du Bolor-Tagh on trouveencore le pays de Ka-
rateyin, habité par les Kirghiz montagnards ou Karakirghiz,
bouddhistes pour la plus grande partie.
TURKESTAN OCCIDENTAL. Voyez TolrÀn.
TURKESTAN ORIENTAL. Voyez. Bockharie et
Tl'rfan.
TURKISCH DUBICZA. Voyez Dlbicza.
TURKOMANS. Voyez Turcomans et Arménie.
TURLUPIN, TURLUPINADES. Turlupin fut le nom
adopté pour la farce par Henri Legrand, acteur célèbre du
seizième siècle, qui dans la comédie prenait celui de Bel-
leville. Bon comédien, meilleur farceur, il était monté sur
les planches dès son enfance, en 15S3, et ne les quitta qu'à
sa mort, après cinquante ans de succès. Bel homme, quoi-
qu'un peu roux, bien fait et d'une figure agréable, Henri
Legrand perdait dans ses rôles facétieux une partie de ses
avantages, puisqu'il y jouait sous le masque, comme le fit
plus tard Arlequin, comme le faisait alors Briguette, son
émule; mais la chaleur de son jeu et de son débit, ses co-
miques improvisations, suffisaient pour attirer le public et
le lui rendre cher. Toutefois, dit-on, les connaisseurs lui
auraient désiré un peu plus de naïveté. On assure, du reste,
qu'il était encore hors de la scène un homme de mérite , sur-
tout pour son époque, et que sa conversation était aussi
agréable que spirituelle. Ami et confrère des fameux far-
ceurs Gros-Guillaume et Gaultier-Garguille,
comme eux il n'avait voulu aucune femme dans la troupe;
une seule suffirait, disaient-ils , pour y amener la désunion.
Le fait est qu'ils restèrent constamment unis, etquelamori
de l'un d'eux causa aux deux autres une douleur que leui
amitié poussa à un point bien rare. Gros-Guillaume avait con
trefait sur la scène un grave et rancuneux magistrat, qui le fit
mettre en prison. Il y mourut de saisissement. Turlupin et
Gaultier furent si affectés de cet accident, que tous deux sug-
combèrentà leur tourpeudejoursaprès (1634). Turlupin, qui
avait d'abord fait plus d'une folie pour les femmes, devint
ensuite plus rangé, et se maria deux fois. Sa veuve épousa
Dorgemont, le meilleur comédien de la troupe du Marais.
Le nom burlesque de Turlupin , adopté par Henri Le-
grand, donna naissance à un mot nouveau , celui de turhi-
7>iner quelqu'un, pour exprimer qu'on le raille, qu'on le ba-
foue. Plus tard, l'expression a changé de face, et les pro-
grès de la scène y ayant amené quelque chose de mieux que
des turhipinades , celles-ci n'ont plus servi qu'à désigner
d'insipides bouffonneries. Ourrv.
TURMARQUE. Voyez Chiliarque.
TURNHOUTyvilIe bien bâtie, dans la province d'An-
vers, avec 14,51) habitants, dont l'industrie principale con-
siste dans la fabrication et le commerce du coutil et de la
toile. Elle est célèbre dans l'histoire par la bataille livrée
sous ses murs, le 22 janvier 1597, entre les Hollandais aux
ordres de Maurice d'Orange et les Espagnols commandés
p;»r le comte de Yarax, qui y fut tué, et encore par la vie-
710
loire que les patriotes remportèrent aux mêmes lieux , le
27 octobre 1789, sur les Autrichiens.
TUBPIN, archevêque de Reims, ami et compagnon d'ar-
mes de Charlemagne, témoin oculaire des faits et gestes qu'il
raconte : tels sont les noms et qualifications que se donne
lui-rmême l'auteur d'un ouvrage latin en prose, qui raconte
l'expédition de Charlemagne contre les Sarrasins d'Espagne,
ainsi que les événements qui précédèrent et suivirent im-
médiatement la bataille de Roncevaux. D'autres monu-
ments mentionnent aussi il est vrai un évêqtie Turpin
comme ayant pris part à cette expédition, mais ils lui font
trouver la mort à Roncevaux. L'existence d'un Turpin qui
était effectivement moine bénédictin de l'abbaye de Saint-
Denis, puis qui fut ensuite (de 753 à 800) archevêque de
Reims, et qui assista en cette qualité au concile tenu à Rome
sur la question du culte des images, est un fait historique
démontré. Mais il est impossible que cette chronique pro-
vienne de liù , et tout se réunit pour donner à penser que
c'est là une œuvre du onzième siècle. D'après son contenu
elle repose sur des chants épiques et des traditions carlovin-
giennes encore assez purs; mais dans la manière légendaire
-dont ils y sont traités perce l'intention monacale de les (aire
servir à un but déterminé, lequel est d'encourager et de
pousser à fonder et à doter des églises et des couvents,
comme aussi de recommander les guerres de religion contre
les Sarrasins, et surtout le pèlerinage à Saint-Jacques de
Composteile. Or, comme en l'année 1190 un frère de l'ar-
chevêque de Vienne (devenu plus tard pape sous le nom de
Calixte II) avait obtenu par mariage le comté de Galice
avec sa capitale Saint-Jacques de Composteile ( san lago de
ComposteUa) ; comme c'est de Vienne que la chronique du
faux Turpin a été recommandée au reste de la chrétienté ;
comme ce même archevêque a été surpris dans d'autres oc-
casions en flagrant délit de fabrication de faux documents ;
comme plus lard , en sa qualité de pape , il a lui-même pro-
clamé cette chronique authentique dans une bulle de 1122
(contestée, il est vrai); comme il poursuivit le même but
de politique de famille dans ses actes en qualité de pape et
dans ses sermons en l'honneur de saint Jacques ; enfin,
comme la chronique du pseudo-Turpin se trouve assez sou-
vent suivie dans les manuscrits d'une dissertation de Calixte
gur les miracles de saint Jacques, il paraît assez vraisem-
blable de supposer ou que le pape Calixte II écrivit lui-
même cette chronique lorsqu'il était encore archevêque de
Vienne, peu de temps après l'année 1090, ou bien qu'il prit
une part importante à sa rédaction. Elle acquit bientôt un
grand renom; et elle avait été traduite en français dès l'an
1206, peut-être même auparavant, et utilisée par divers
chroniqueurs, comme dans les CAroHi^wes de SaintDenys,
par le moine Albérich , par Vincentius Bellovacensis, par
Philippe Mouskes , etc. Toutefois, elle n'a exercé qu'une
très-minime influence sur les épopées tirées du cycle des
traditions carlovingiennes, car on n'en trouve de traces cer-
taines ni dans les grands poèmes français ni dans les poèmes
allemands composés à leur imitation, non plus que dans les
poèmes italiens plus anciens, pas même dans la Spagna de
Sostegnodi Zanobi Pulci. Boyardo et l'Arioste l'ont, il est
vrai, connue, mais en ce sens qu'ils s'en servent avec une
raillerie dissimulée, pour lui attribuer la responsabilité des
histoires les plus incroyables. La chronique du pseudo-Tur-
pin n'en demeure pas moins d'une grande importance pour
l'histoire littéraire ; parce que, en dépit de tous les embel-
lissements qu'on y a ajoutés, elle a conservé en sa qualité de
l'une des plus anciennes traditions relatives à Charlemagne
beaucoup de traits et de détails avec plus de pureté que les
poèmes;, qui généralement sont d'une date postérieure. Elle
a été complètement imprimée dans les éditions des Scrip-
<orej de Reuberus ( Hanau , 1619; Francfort, 1726); dans
l'édition de la Chronique de Philippe A/oMsAe5 donnée par
M. de Reiffenberg (2 vol., Bruxelles, 1836) ; et surtout par
Ciampi, De Vifa Caroli Magni et Rolandi Historta J.
Turpino vulço tribxita (Florence, 1822).
TURNHOUT — TURQUES
TURQUES ( Langue , littérature et écriture). La langue
turque appartient à la famille des langues t a t a r e s répandue
dans toute l'Asie centrale , depuis la mer Caspienne jus-
qu'aux frontières de la Chine. La langue turque , que les
conquêtes des Turcs Osmanlis répandirent au loin vers
l'ouest, et qui est encore aujourd'hui dans tout le Levant la
langue dominante du commerce et de la politique, se di-
vise en turc oriental et turc occidental. 1° Le turc oriental
est dur et rude , mais a conservé dans la forme des mots et de
la grammaire beaucoup de son caractère antique et primitif.
Les principaux dialectes en sont -. a. Vouigourique , ou
encore Djagataïque, qui possède une littérature assez riche,
mais encore peu connue. L'écrivain le plus important qui
ait employé ce dialecte est Mir-Ali-Schir, qui florissait vers
le milieu du quinzième siècle, le généreux Mécène des poètes
persans, notamment de Djâmi. Parmi ses nombreux ou-
vrages, consistant laplupart en imitations de Djâmi, ses bio-
graphies de plus de trois cents anciens poètes djagataïques ,
avec des échantillons de leurs œuvres , ont une importance
toute particulière C'est aussi dans cette langue que furent
originairement composées les intéressants Mémoires du
sManBabour. L'ouvrage historique à'A b otilghazi
Jiehadour est d'une haute importance pour l'histoire de
l'Asie orientale. Le monument poétique le plus intéressant
de la langue des Ouigoures consiste dans des chants où se
perpétuent les traditions orales des tribus de Turcomans
nomades, et célébrant les exploits de l'audacieux bandit
Kœrroglou (Spécimens of the popular Poeiry of Persia,
par A. Chodzko [Londres, 1842]. b. Le kaptschak, qu'on
parie dans les gouvernements russes de Kasan et d'Astra-
chan. Les travaux lexicographiques et grammaticaux de Gi-
ganoff sur ce rameau oriental de la langue turque ( Péters-
bourg, 1804) et la grammaire deTrojanski (Kasan , 1824)
sont très-insuffisants, c. La langue des Iakoutes , habitant
les bords de la Lena, au nord de la Sibérie, qui a été l'objet
des travaux de Bœlhlinkh ( Pétersbourg , 1851). 2° La
langue turque occidentale, appelée osmanlie-turque en
raison de la race dominante des Osmanlis, est celle qu'on
désigne généralement dans l'Occident sous le nom de lan-
gue turque. Plus douce et plus mélodieuse que celle de
l'est, elle est en môme temps plus assouplie par les formes
grammaticales. A bien dire , elle ne possède qu'un très-
petit nombre de mots à elle, mais en revanche elle fait un
usage presque illimité de mots arabes et persans ; circons-
tance qui n'a pu qu'influer d'une manière très -fâcheuse sur
l'ensemble de la langue.
En raison de l'importance politique de l'Empire Ottoman,
on s'occupa de bonne heure de l'étude de la langue turque;
aussi toute les grammaires que nous en possédons portent-
elles un peu trop l'empreinte de leur origine (la nécessité de
donner satisfaction à des besoins pratiques), et attend-on
encore sur la structure particulière de la langue un ouvrage
qui témoigne d'un travail plus approfondi et plus scienti-
fique. Les grammaires les plus récentes et les meilleures
sont celles de Jaubeit ( Paris , 1839 ) , de Davids ( Londres ,
1836), de Redhouse( Paris, 1846) et deKasem Beg(Kasan,
1845), où se trouvent également traités les dialectes de
l'est. Parmi les dictionnaires , il faut citer l'excellent travail
de Meninski , le meilleur qui ait paru jusqu'à ce jour; le
Dictionnaire Turc-Français et Français-Turc (Paris,
1835 ) de Kieffer et Blanchi , et le Dictionnaire Français,
Arabe, Persan et Turc, du prince Alexandre Handjeri (2
vol., Moscou, 1840). Le Guide de la Conversation en
français et en turc, par Blanchi (Paris, 1839), est utile
pour se familiariser avec les phrases qui reviennent le plus
ordinairement dans les relations de la vie.
La littérature turque est d'une richesse infinie dans les
différents domaines de la science et de la poésie; cependant,
les productions vraiment originales y sont rares. La plu-
part des œuvres littéraires des Turcs sont des imitations
de modèles arabes ou persans. Dans la masse immense de
livres que nous pourrions citer, nous nous contenterons de
TURQUES -
mentionner très-succinctement les plus importants. Le
Trèfle du Fauconnier, composé de trois ouvrages inédits
sur la fauconnerie, oHre un grand intérêt philologique,
comme l'un des plus anciens monuments littéraires de ce
dialecte. Parmi les innombrables poètes turcs, qui d'ail-
leurs imitent presque toujours des modèles persans , on doit
surtout citer : Mohammed Tsclielebi , qui, dans sa Miiham-
medye (Texte et commentaires, Boulaq, 1840; texte seul,
Kasaa, 1845), a donné une collection complète des légendes
relatives à Mahomet, avec quelques dissertations dogma-
tiques et mystiques , et Làmi, le plus remarquable et le
plus fécond des poètes osmanlis, qui llorissait sous le cé-
lèbre Soliman, et qui mourut en 153t. Outre un grand
nombre d'ouvrages en prose, qui sont en partie des tra-
ductions des œuvres du persan Djâmi , il composa quatre
grands poèmes épiques, dont les sujets sont encore , il est
vrai, empruntés à la tradition persane, mais qui, à l'ex-
ception du dernier, ont été rarement traites, et sont par
conséquent restés à peu près inconnus dans la langue per-
sane; ce sont : Wamik et Afra, Les Sages et Jiamin,
Absal etSelman, et Ferhâd-Nâmeh, qui traite des amours
de Chosrân et de Schirine, sujet maintes fois traité par
les poètes persans. Lâmi est en outre auteur d'un grand
nombre de petits poèmes lyriques et didactiques , par exemple
de la Glorification de la ville de Boursa, .série de poèmes
turcs. Fasli, mort en 1563, auteur d'un poème erotique
allégorique, G^^l u Bullul , c'est-à-dire Rose et Rossignol,
est un poète erotique très-délicat. Parmi les poètes lyriques,
on estime surtout Bâki, mort en 1600. Dans son Histoire
de la Poésie des Osmanlis jusqu'à nos jours, avec des ex-
traits de 2,200 poètes (4 vol., Pesth, 1836), Hammer a
donné un aperçu très-complet des œuvres des poètes turcs ,
des bons comme des mauvais , de ceux qui ont de l'impor-
tance comme de ceux qui n'en ont pas , avec de courtes no-
tices biographiques sur chacun d'eux et une foule d'extraits
de leurs ouvrages.
En fait de romans et de contes , on doit mentionner en
première ligne le Houmayoun-N ameh (au Caire, 1830),
traduction d'une imitation persane des fables de B i d p ai, et
les histoires des quarante vizirs du chéick Sade, traduites de
l'arabe (Contes turcs extraits du romandes Quarante Vi-
str5, publiés par Belletête ; Paris, 1812). Les volumineuses
annales que Saad-ed-Din a commencées avec l'origine de la
dynastie régnante des Osmanlis , et qui ont été continuées
jusqu'à la fin du dix-huitième siècle , sont tout à fait indis-
pensables à qui veut étudier l'histoire de l'Empire Ottoman.
Les auteurs de cet ouvrage sont Saad-ed-Din, jusqu'au
règne de Mourad F'" (édition turque et latine par Kollar,
in-folio ; "Vienne, 1750);Naïma, de l'an 1591 à l'an 1659
{9vol.in-fol.;Constantinople, l734);Reschid,dc 1060 àl721;
Tschelebisade , de 1721 à 1729; Sami, Schakir et Subhi ,
de 1730 à 1743; Issi, de 1744 à 1752; Wasif, de 1759 à
1773. Caiissin de Perceval a publié un extrait de l'ouvrage
de Wasif sous le titre du Précis historique de la Guerre
des Turcs contre les Husses de 1769 à 1774 (Paris, 1822).
Le style de ces différentes histoires est affecté et prétentieux,
orné des métaphores les plus rechercliées et des comparai-
sons les plus étranges.
L'un des historiens turcs qu'on lit le plus souvent est
Hàdji-Khalfa. Dans la géographie, nous devons surtout citer
le dictionnaire géographique du môme Hâdji-Klialfa, et les
voyages d'Évlia-Effendi et Mohammed-Effendi ( Relation
de V Ambassade, etc., publiée par Jaubert, Paris 1841).
L'esquisse de la Doctrine de la Foi par Mohammed Pir-
Ali-el-Berkevy (Conslantinople, 1802) est d'une haute im-
portance pour connaître la dogmatique mahométane, d'après
îes doctrines orthodoxes des sunnites.
Les diverses collections de Fetwas ou décisionsjuridiqucs
sur des questions difficiles de droit, par exemple celles du
cnéick Moustafa - el-Koudousi ( Constantinople , 1822), du
moufli Abd - our - Rhaïra (1827), de Numan - Effendi
(1832), etc., etc., sont d'un grand intérêt pour qui veutétu-
TUSCULUM
711
dier le droit des Turcs, si intimement lié à leur religion, et
aident singulièrement à connaître la vie intime des Orien-
taux. Acette catégorie appartient le hatti-chérif de Gulhané,
qui doit inlluer d'une manière si décisive sur les dévelop-
pements ultérieurs de l'Empire Ottoman.
Dans le domaine de la pliilologie , les Turcs n'ont fait que
peu de recherches sur leur propre langue; en revanche,
ils se sont beaucoup occupés des langues arabe et persane.
On doit une mention toute particulière aux excellenles tra-
ductions turques du dictionnaire arabe de Djauhari par
Wânkuli ( 1803), du non moins célèbre dictionnaire arabe
intitulé A'amoîw, par Asim-Effendi (Constantinople, 1814;
au Caire, 1835), et du dictionnaire persan Bourhân i Kati,
par Achmed-Émin-Effendi (Constantinople, 1799; au Caire,
1830). Le dictionnaire persan-turc Ferheng i schouuri
(2 vol. ; Constantinople, 1742 ) n'a pas moins d'importance
et est fort instructif, en raison des nombreuses citations de
poètes persans qu'il contient. Nous en dirons autant de la
foule de commentaires dont les poètes persans ont été l'objet,
par exemple du commentaire de Soudi sur le Guitstan de
Saadi ( Constantinople, 1833) et sur les poèmes de Hafis
(3 vol., Caire, 1835), de celui d'Ismael Hakki sur le Pend-
Nameh de Férîd-ed-Din-Attar (Constantinople, 1835) et
sur le A/e^newi de Dschelâl-ed-Din-Rùmi (Caire, 1836).
Vécriture turque est celle des Arabes , et les Turcs
l'emploient à la manière légère et délicate des Persans.
Pour les actes diplomatiques , pour les firmanset les autres
documents analogues, on se sert encore de beaucoup d'autres
variétés du simple trait arabe, par exemple du divani, du
sont, etc. Consultez RmdiOgXM, Caractères primitifs des
Turcs, avec les dou!.e genres particuliers d'écriture des
Persans (Vienne, 1834). Jadis les Turcs orientaux ou
Ouigoures employaient une écriture particulière, formée de
l'estranghelo syriaque. Klaproth en donne des échantillons
dans sa dissertation sur les Ouigoures. On trouvera un ta-
bleau complet de la vie intellectuelle des Turcs dans la Let'
teratura turchesa de Toderini (3 vol., Venise, 1787),
Enfin, pour donner une idée des développements extraor-
dinaires que la presse périodique a pris depuis quelques
années en Orient, rappelons qu'au commencement de 1856
il se publiait à Constantinople seulement douze journaux et
quatre revues, les uns et les autres plus ou moins poli-
tiques et littéraires.
TURQUETTE IIERMOLE. Voyez Herniaire {Bota-
nique).
TURQUIE* Voyez Ottoman (Empire).
TURQUIE (Blé (le). Fo«/fi= Maïs.
TURQUOISE. On distingue deux sortes de turquoises,
qui au premier abord offrent une certaine ressemblance ,
mais qui diflèrent essentiellement : la qualification de
pierre précieuse ne convient qu'à la turquoise orientale des
lapidaires, la turquoise occidentale n'étant qu'un fragment
d'ivoire ou d'os fossile coloré par des oxydes métalliques,
et surtout par le cuivre. La turquoise orientale, dite
turquoise de vieille roche , turquoise pierreuse , ou ca-
latte (les anciens Romains la nommaient calais), est
d'un bleu pâle tirant sur le verdâtre. On la trouve en
Perse et en Syrie , dans les terrains d'alluvion. Plus dure
que le verre , elle est rayée par le quartz. On la taille
en cabochon {voyez Lapidaire). Elle est composée d'acide
phosphorique, d'alumine, de chaux et d'oxyde de cuivre.
La turquoise occidentale , turquoise osseuse on odon-
tolithe, se distingue de la précédente en ce qu'elle fait
effervescence avec les acides. De plus, sa couleur pâlit , et
devient d'un bleu grisâtre à la lumière d'une bougie. On
trouve des turquoises osseuses en France dans le départe-
ment du Gers, et en Suisse dans le canton d'Argovie.
TUSCIE, nom ancien delà Toscane. Voy. Étrcrie.
TUSCULUM, antique ville du Latium , située à en-
viron deux myriamètres de Rome. Son dictateur, Octaviu»
Mamilius, était le cousin du roi de RomeTarquin le Superbe,
et donna asile au fugitif lorsque celui-ci fut abandonné par
1\2
TUSCULUM
Porsenna. A l'instigation de Tarquin , commença , en l'an
496, la guerre des Latins contre Rome , qui se termina fa-
vorablement pour les Romains par la victoire qu'ils rem-
portèrent sur les bords du lac Régille. A partir de ce mo-
ment, Tusculura fit alliance avec Rome, qui, en l'an 381 ,
lui accorda le droit de cité. Au moyen âge, une vive hos-
tilité e&ista entre Rome et Tusculum, qui servit de point
l'appui aux partisans de l'empereur, jusqu'à l'année 1191.
A cette époque, le pape Célestin III et l'empereur Henri YI
ayant conclu la paix , cédèrent aux instances des Romains,
et leur permirent de détruire la ville de Tu.sculum de fond
en comble. Cet acte de révoltante barbarie fut tout aussitôt
accompli et accompagné et d'atrocités sans nom. Les ha-
bitants reconstruisirent ensuite, sur le même emplacement,
une ville nouvelle , qu'on appelle aujourd'hui Frascati.
La situation délicieuse de Tusculum et sa proximité de
Rome avaient déterminé un grand nombre de riches Ro-
mains à se faire construire sur le territoire de cette ville
des maisons de plaisance appelées tusculana et subtir-
bana, à cause de leur voisinage de Rome. Le tusculamim
de Cicéron est célèbre entre tous. On voit dans tous les en-
virons de Frascati de nombreuses ruines de maisons de
/laisance de ce genre. Des débris de murailles , un réser-
voir, des pierres tuniulaires et les ruines d'un théâtre té-
moignent encore de la splendeur passée de Tusculum.
TUSSILAGE (de tussis, toux, calmant la toux),
genre de la famille des composées , tribu des astéroïdes, et
réduit par les botanistes modernes au seul tussilage
pas-d^âne, plante qui se distingue par ses capitules multi-
flores, dont le rayon comprend plusieurs rangées de fleu-
rettes ligulées , femelles, à languette très-étroite, tandis
que leur disque est fermé d'un petit nombre de fleurons
tubuleux, mâles. Son espèce type porte les noms vulgaires
de pas-d'âne et de tacomtet. Cette plante est renommée
depuis longtemps comme pectorale et adoucissante. Elle fa-
vorise l'expectoration, d'où est venu son nom générique. On
fait ordinairement usage pour cet objet de ses Heurs séchées;
mais en Allemagne on emploie de préférence ses feuilles.
TUTELLE, TUTEUR (du latin ^ueri, défendre). La
tutelle est la charge imposée à un individu, soit par la loi,
soit par la volonté de l'homme, de prendre soin gratuite-
ment de la personne d'un incapable, d'administrerses biens
et de le représenter dans fous les actes civils. Bien que la
tu-lelle soit fréquemment exercée par les père et mère, il
ne faut pas la confondre avec la puissance paternelle :
la puissance paternelle est un droit, la tutelle est une
charge. La puissance paternelle est instituée en faveur des
père et mère, la tutelle est tout en faveur des enfants. Le
tuteur administre comme mandataire légal ; le père use de
son droit propre, et n'agit qu'en son nom personnel.
Le Code distingue trois sortes de tutelles. Tantôt la loi
désigne directement la personne sur laquelle tombe l'obliga-
tion d'accepter la tutelle, sauf les cas prévus d'exemption
ou d'exclusion : c'est ce qu'on appelle , en droit , tutelle
légitime, légale ou naturelle. Elle appartient de plein
droit au père, à la mère, aux ascendants , et dans certains
cas aux hospices. Tantôt la loi permet au dernier vivant
des père et mèredo désigner le tuteur de leurs enfants : c'est la
tutelle testamentaire. Tantôt, enfin , à défaut de ces deux
tutelles, elle désigne ceux qui doivent nommer un tuteur au
mineur qui en est dépourvu : c'est la tutelle dalive. La
tutelle légitime des père et mère est celle qui après la mort
naturelle ou civile de l'un des époux est attribuée au sur-
vivant. Les droits qu'elle lui confère sont relatifs à la per-
sonne ou aux biens du mineur. A l'égard de la personne ,
le survivant agit en vertu de la puissance paternelle, qui
subsiste jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant.
Quant aux biens , la position du survivant des père et mère
est exactement la môme que celle d'un tuteur ordinaire : il
est soumis aux mêmes charges , il est tenu des mêmes obli-
gations , il peut être exclu ou destitué.
Li tutelle légitime des ascendants est celle qui à défaut
- TUTELLE
de père et mère et de tuteur testamentaire est déférée de
plein droit à l'ascendant mâle le plus proche du mineur.
Enfin, la tutelle des enfants admis dans les hospices est
également considérée comme légitime ou légale, parce que
c'est la loi qui la confère à l'avance , directement, d'une
manière générale et absolue. Elle appartient à l'un des mem-
bres de la commission des hospices, laquelle remplit dans
ce cas l'office de conseil de tutelle.
La tutelle testamentaire est celle qui est déférée par
le dernier mourant des père et mère. On la nomme ainsi
parce qu'elle résulte le plus souvent d'un testament, mais
principalement parce qu'elle ne peut produire d'effet qu'a-
près la mort de celui qui l'a déférée.
La tutelle dative est celle qui est déférée par le conseil
de famille. Lorsque le survivant des père et mère est excusé,
exclu , ou destitué, lorsque le tuteur élu par le deruier mou-
rant se trouve dans l'un de ces cas; enfin, lorsque l'ascen-
dant le plus proche n'exerce pas , par une circonstance
quelconque, la tutelle qui lui est attribuée par la loi , la fa-
mille du mineur assemblée en conseil, sous la présidence
d'un magistrat, ordinairement le juge de paix , est appelée
à faire choix d'un tuteur. Le tuteur ne recevant pas d'ho-
noraires, et les devoirs qui lui sont imposés étant multi-
pliés et délicats, le législateur a pensé que peu de personnes
accepteraient volontairement celte charge; c'est pourquoi,
la société ayant intérêt à ce que les mineurs ne restent
jamais sans défense , il a interdit aux personnes désignées
la faculté de refuser la tutelle. La tutelle est donc une
charge presque publique. Tuteta est munus quasi publi-
cum. Toutefois, la loi devait prévoir les causes d'excuse
et de dispense perpétuelle ou temporaire; ces causes sont
au nombre de six; ce sont: fies fonctions publiques et
le service militaire; 2° la qualité d'étranger à la famille,
lorsqu'il y a dans la distance de quatre myriamètres des
parents ou alliés en état de gérer la tutelle; 3° l'âge
avancé ; 4° les infirmités; 5° le nombre des tutelles ; 6° le
nombre d'enfants. La loi a également déterminé les causes
d'incapacité, d'exclusion et de destitution ; ce sont : 1° l'état
de minorité ; 2° l'interdiction ; 3" le sexe ; 4° l'opposition
d'intérêt ; 5" l'inconduite notoire ; 6° la gestion infidèle ; 7° la
condamnation à une peine afflictive et infamante ; 8° la con-
damnation à une peine correctionnelle contre les individus
coupables d'avoir favorisé la prostitution ou la corruption
des mineurs ; 9", enfin, l'interdiction temporaire de certains
droits civils. Les devoirs du tuteur envers son pupille se
réduisent à deux points : 1° prendre soin de la personne
du mineur , c'est-à-dire pourvoir à son entretien, veiller
sur sa conduite , et lui procurer une éducation convenable,
en rapport avec son état et ses moyens ; 1° administrer ses
biens en bon père de famille , et le représenter dans les actes
civils , tels que les contrats, les procès, etc. Quant à l'ad-
ministration des biens du mineur, il y a des actes que le
tuteur a le droit de faire seul : tels sont ceux de simple ad-
ministration , qui consistent , par exemple, à passer des
baux , à toucher des fermages , à exercer des actions mo-
bilières, etc. 11 en est d'autres pour lesquels il doit ob-
tenir l'autorisation du conseil de famille : telles sont les actions
immobilières, l'acceptation ou le refus d'une succession,
d'une donation, d'un legs. En outre, certains actes sont
soumis à l'homologation préalable du tribunal ; ce sont ceux
qui ont pour objet de transiger, d'emprunter, d'hypothé-
quer ou d'aliéner des immeubles. Enfin , il est formellement
interdit au tuteur d'accepter la cession d'aucun droit contre
son pupille , ou de se rendre adjudicataire de ses biens.
Tout tuteur est comptable de sa gestion lorsqu'elle finit.
Les père et mère ne sont pas exceptés de cette obligation.
Dans toute tutelle, il y a aussi tm subrogé tuteur, dont
les fonctions consistent à veiller aux intérêts du pupille et
à les défendre lorsqu'ils sont en opposition avec ceux du
tuteur. Il est toujours nommé par le conseil de famille, et
peut être dispensé ou révoqué au même titre que le tuteur.
Auguste llussLtN.
TUTENAG — TYLER
713
TUTEiWG. Voyez Packfong.
TUTEUR OFFICIEUX. La tutelle officieuse est
jn contrat de bienfaisance par lequel une personne âgée de
plus de cinquante ans, sans enfants ni descendants légitimes,
s'oblige à élever gratuitement un mineur âgé d'au moins
quinze ans, à administrer sa personne et ses biens, et à le
mettre en état de gagner sa vie. Ce contrat a pour but de
faciliter l'adoption à ceux qui, voulant adopter un mineur,
craignent de mourir avant qu'il ait atteint sa majorité.
TUTTI, en italien tous. Voyez Concertant et Solo.
TUYAU, sorte de tube en fer, en plomb, en cuivre, en
zinc, en bois, enterre cuite, etc. On emploie des tuyaux à
une foule d'usages. Tout le monde connaît les tuyaux de
poêle , généralement en tôle roulée et rivée à la grosseur
voulue. C'est dans des tuyaux de fonte ou de plomb, plus ou
moins gros, que les eaux et le gaz circulent sous terre dans
nos grandes villes. On a imaginé pour le gaz de recouvrir
les tuyaux de plomb d'un enduit bitumineux, qui les empêche
de s'oxyder promplement, en les protégeant contre l'bumi-
dité de la terre, et permet de les rendre plus minces. On les
visse bout à bout.
On nomme tuyaux de conduite ceux qui servent à con-
duire les eaux d'un endroit à un autre, par exemple aux
fontaines. On les fait quelquefois en terre cuite. Dans une
foule d'arts on se sert de tuyaux en fer blanc Dans les la-
boratoires, on préfère des tuyaux de verre, à cause de leur
transparence; mais on les appelle le plus souvent tubes.
TWEEDDiVLE. Voyez Peebles.
TVVER, gouvernement de la Russie d'Europe, de 856
myriam. carrés, faisait autrefois partie du gouvernement
de Nowgorod, et fut érigé en gouvernement particulier en
1775. En ce qui est du spirituel, il dépend de l'évêché de
Twer et de Kaschin. Borné au nord par le gouvernement
de Nowgorod, à l'est par ceux de Jaroslaf et de Wladimir,
au midi par ceux de Moscou et de Smolensk , à l'ouest par
celui de Pskoff, le gouvernement de Twer présente un sol
généralement plat , où l'on ne rencontre que rarement des
élévations de terrain un peu importantes. On y trouve des fo-
rêts assez considérables, et môme d'une vaste étendue dans
quelques cercles, de sorte que les bois à brûler et de construc-
tion (igurent parmi les principaux produits d'exportation de
cette contrée. On en exporte aussi des grains et de bes-
tiaux. Le nombre des habitants s'élèveà 1 ,330,000, dont la plu-
part sont Russes d'origine. On y compte en outre quelques
Finnois appartenant à la tribu de Karélie, professant la re-
ligion grecque, et ayant la plupart adopté la lant;uc russe.
Twer, chef-lieu de ce gouvernement, bâti en l'an 1 182, au
conlluent du Volga, de la Twerza et de la Tmaka, est devenu,
depuis le grand incendiede 1703, une des villes les plus belles
et les plus régulières de la Russie. On y distingue le quarlier
de la forteresse , la ville proprement dite , et le slobode ou
faubourg, qui en est séparé parle Volga. Cette ville possède de
beaux quaissur le Volga, de magnifiques parcs et jardins sur
les bords decelleuve et sur ceux delà Twerza, de larges rues,
plusieurs places régulières , un bazar, un palais impérial, un
séminaire et diverses autres écoles, un bel hôtel du gouverne-
ment, un palais épiscopal, une grande cathédrale, trente-deux
autres églises, de nombreuses fabriques et usines, et 24,000
liahifants, qui subsistent du commerce et de la navigation.
TYCHO-BRAHÉ, astronome illustre, que ses suc-
cesseurs surnommèrent le restaurateur de l'astronomie ,
naquit le 13 décembre 1546, dans la terre de Knadtorp, en
Scanie. Tycho fit de bonnes éludes à Leipzig, et bientôt,
entraîné par son goût pour les sciences physiques , il se li-
vra tout entier à l'astronomie. On conserve à Copenhague
des observations qu'il fit à l'âge de seize ans; mais, ainsi
qu'il le dit lui-même, celles d'Uranienborg sont les seules
qu'on puisse regarder comme certaines et dignes de toute
confiance. Après un court séjour à Copenhague, en 1565,
il retourna en Allemagne, oii vivaient alors les astronomes
Ses plus laborieux , entre autres le landgrave de Hesse. A
Augsbourg se trouvaient des mécaniciens célèbres ; Tycho
y fit faire, en 1570, des instruments d'une construction
plus parfaite, qu'il avait inventés lui-môme, et particulière-
ment un globe céleste, qui, au rapport de Maltebrun, lui
coûta près de 30,000 francs. Après avoir parcouru les ob-
servatoires de la Suisse, il revint dans sa patrie à l'âge de
vingt-neuf ans, et vécut fort retiré. Dans un duel qu'il avait
été obligé d'accepter, on lui avait enlevé une partie du nez,
et cet accident l'éloignait du monde. Des observations qu'il
publia en 1572 sur la fameuse étoile de Cassiopée fixèrent
sur lui l'attention générale , et il fut chargé d'enseigner l'as-
tronomie à Copenhague. Frédéric II lui fil alors présent de
l'île de Hveen, située entre Elseneuret Copenhague, et dont le
château fut transformé en observatoire. En 1597 les enne-
mis qu'il s'était faits à la cour l'obligèrent de s'exiler; il
avait mécontenté la noblesse par un mariage peu conforme
à son rang , et la faculté de médecine par la propagation de
quelques remèdes secrets. Trop faible pour lutter contre
de tels adversaires, il se retira d'abord à Wandsbeck. Ap-
pelé en Bohême par l'empereur Rodolphe II, il résida quelque
temps dans le château deBenatek,et vint mourir à Prague,
le,14 octobre 1001. Outre la découverte de [aLvariation,
dont nous avons restitué aux Arabes du dixième siècle la
détermination première, on doit à Tycho-Brabé celle de Vé-
quation annuelle. Il apporta de grandes améliorations dans
les instruments qui forment le sujet de sou dernier ouvrage
(Astronomie instauratx Mecanica ; 1598), et il introduisit
dan« le calcul astronomique l'effet de la réfractio n , de-
vinée par les anciens ; enfin, il donna les premiers éléments
de la théorie des comètes. On sait que, pour faire concorder
les phénomènes célestes avec la Bible, il supposait la Terre
immobile au centre de l'univers, et faisait tourner autour
d'elle le Soleil et la Lune, tandis que Mercure, Vénus, Mars,
Jupiter et Saturne tournaient autour du soleil. Ce système a
surtout le tort d'être venu après celui de Cop er nie. Les
observations de Tycho-Bralié ont été recueillies par ses
disciples et publiées en 1666; elles avaient servi de base à
toutes les tables astronomiques dressées au commencement
du dix-septième siècle. Kepler, qui en était resté dépo-
sitaire à la mort de son maître, y puisa les éléments des
belles découvertes qui devaient l'immortaliser. Tycho, exilé
d'Uranienborg, ne revit jamais son pays; en vain Chris-
tian IV chercha-t-il à le rappeler en lui promettant un ob-
servatoire (la Tour Ronde de Copenhague) mieux disposé
que celui de Hveen, qui avait été détruit; l'illustre astro-
nome refusa de quitter la Bohême, sa nouvelle patrie, et
Rodolphe II, son protecteur. Sédillot.
TYDÉE, fils d'Œuéus et de Péribœe, ayant commis un
meurtre, se réfugia à Argos, auprès d'Adraste, qui le pu-
rifia de ce crime et lui donna en mariage sa fille Déipyle,
de laquelle il eut Diomède. Il marcha ensuite avec
Adraste contre Thèbes, oîi il fut blessé par Ménalippe.
Comme il gisait à terre, blessé , apparut Athénê, qui vou-
lait le rendre immortel à l'aide d'un remède qu'elle tenait
de Zéus. Pendant ce temps-là Amphiaraus tranchait la tête
à Mclanippe et la rapportait à Tydée, qui la brisa et en dé-
vora la cervelle. A la vue de celte action, Athénê recula
d'horreur, et ne fit point usage de son remède. Tydée
mourut bientôt après, et fut enseveli par Méon.
TYLER (John), président des États-Unis de 1841 à
1S45, est né en 1790 et le fils d'un riche planteur de la
Virginie. 11 étudia le droit, et lut nommé dès 1816 membre
de la chambre des représentants à Washington, où il fit
preuve de talents oratoires. Il fut ensuite élu gouverneur
de la Virginie, fonctions dans l'exercice desquelles il se con-
cilia l'affection générale. En 1827 il fut élu sénateur par la
Virginie; en 1S40 le parti whig l'adopta pour candidat à la
vice-présidence, et sa candidature réussit à une grande majo-
rité, par suite de la popularité de H ar ris on, porté à la
présidence. La mort de celui-ci , arrivée un mois à peiue
après son installation au pouvoir, appela subitement Joha
Tyler à exercer les fonctions présidentielles; cas que la
constitution des États-Unis avait prévu sans doute, mais qui
714
TYLEU — TYPHON
ne s'était pas encore présenté. On ne tarda point à s'a-
{)ercevoir que ses principes politiques différaient quelque
î)eu de ceux de Harrison ; et les espérances conçues par
l« parti wliig se trouvèrent déçues. La création d'une ban-
que nationale rencontra dans John Tyler un adversaire dé-
cidé , de même qu'il combattit la proposition patronée par
les wbigs d'attribuer aux divers États le produit de la vente
des terres appartenant au domaine public , par le motif
qu'il eût fallut couvrir par une augmentation dans les droits
de douanes le déficit qui en serait résulté dans les revenus
de l'Union; ce qui eût été contraire aux intérêts particu-
liers de la Virginie et des autres États agricoles du sud. En
juillet 1841 la loi votée par le congrès pour la création
d'une banque nationale échoua contre le veto de Tyler ; et
il en résulta une surexcitation des plus vives. Le ministère
nommé par Harrison donna sa démission , et le portrait du
président fut publiquement brûlé dans un grand nombre de
localités. Cela n'empêcha pas Tyler de faire maintes fois
encore usage de son droit de veto ; aussi pendant toute
la durée de son administration fut-il en désaccord avec la
représentation nationale, où le parti whig avait alors la
majorité. Tyler fut plus heureux dans sa politique extérieure.
Les difficultés de frontières avec l'Angleterre , qui avaient
pris un caractère si grave qu'on en vint un moment à craindre
une rupture entre les deux pays, furent aplanies en 1842 par
tin traité amiable; et en janvier 1845 les États-Unis, par l'in-
corporation du Texas , acquirent une province importante,
quoique ce fait contînt en germe la guerre qui ni> tarda point à
éclater entre eux et le Mexique. Le 4 mars 1845 Tyler se démit
de ses fonctions présidentielles après avoir vainement tenté de
selesfairecontinuer, etseretira dans un domaine en Virginie.
TYMBALE. Voyez Timbale.
TYMPX^i {Architecture). Voyez Fronton.
TYMPAN (Caisse du ) ou TROU DE FALLOPE. Voyez
Caisse.
TYMPANITE. Ce nom , qu'on donne en médecine à
une enflure du bas- ventre , lui vient de ce que dans cette
affection la peau du ventre est tendue et résonne comme un
tambour lorsqu'on la frappe.
TYNDARE, fils d'Œbalus et de la nymphe Bâtée ou de
Périérès et de Gorgophone , chassé de Sparte par son frère
consanguin Hippocoon, se réfugia en Étolie, auprès du roi
Thestios, dont il épousa la fille nommée Léda. Plus tard, il
revint à Sparte après qu'Hercule eut tué les fils d'Hippocoon.
Léda y mit au monde avec lui Timandre , Clytemnestre et
Castor, et y eut en outre de Jupiter Hélène et Pollux.
Dans Homère, Castor et Pollux sont fils deTyndare et de Léda.
TYiXDARIDES (Les). Voyez Castor et Pollux.
TYPE, TYPIQUE (du grec tûttoî, modèle, figure
originale, dérivé lui-même de -zùkxm, je frappe, parce
qu'en frappant le coup s'imprime et laisse une marque).
On voit , d'ai)rès son étymologie , que le mot type est syn-
onyme d'empreinte faite sur une masse molle et , par exten-
sion, de forme, de figure. A cette dernière acception se
rattache l'idée de modèle, àe figure et de /orme origi-
nales, sui.vantles caractèresessentiels et durables de la chose
qu'on entend désigner. On dira en ce sens le type d'une
espèce d'animaux , d'une maladie , d'un mythe , qu'on re-
trouve diversement modifié chez différentes nations; et par
là on entendra la réunion de tous les traits caractéristiques
communs à ces diverses modifications. Sous sa première
acception , le mot type est fréquemment employé par les
systèmes qui , dans leur apparence sensible , considèrent les
individualités comme des copies de modèles primitifs pré-
existant dans l'intelligence créatrice. Ainsi, les idées de
Platon sont les types des choses physiques. Les néopla-
toniciens transmirent cette opinion aux philosophes du moyen
âge. Il est souvent question chez les scolastiques d^'une
mens archetypa , c'est-à-dire de cette intelligence primitive
et créatrice dans laquelle se trouvent les modèles étemels
dont les choses du monde physique ne portent que l'impar-
faite empreinte. Cette opinion réapparaît fréquemment aussi
dans l'école de la philosophie toute récente de l'Identité
( voyez ScHELLiNc ), avec cette addition que l'élément typique
y est la cause déterminante en même temps que l'explication
du degré immédiatement suprême. En ce sens, chaque
classe d'êtres dans la nature aurait un type à elle propre et
qui la déterminerait, en même temps qu'il se refléterait
dans les classes supérieures. Ce serait ainsi, par exemple,
que dans les ramifications des mousses les plus délicates se
retrouveraient la forme et la structure de végétaux d'une
organisation supérieure.
Le mot type a été proposé par Blainville dans les sciences
naturelles, comme préférable à celui ^''embranchement.
Type en ce sens signifie division ou groupe naturel. Dans
les deux grands règnes de la nature , les espèces sont les pro-
totypes; les genres, les familles, les classes sont des mé-
sotypes , ou types intermédiaires ; enfin , ce qu'on nomme
evibranchement, sous-règne etrègne , constitue les grands
types ou les archétypes de la création.
TYPE (Numismatique). Voyez Médaille.
TYPE IMAGINAIRE. Voyez Imaginaire.
TYPHON ou TYPHO, appelé par les Chinois Tei-foun
( de tel, violent, et/oun, vent) et déjà connu sous ce nom
par l*line. C'est la dénomination sous laquelle on désigne
un vent extrêmement violent et de la nature des trombes,
qu'on a lieu d'observer dans la grande mer des Indes , et
surtout le long des côtes ouest et sud de la Chine, plus
particulièrement pendant les mois d'été , et souvent aussi
en automne. Le marin ne peut s'aider d'aucun signe exté-
rieur de l'atmosphère pour prévoir l'approche de ce phéno-
mène si redouté, que lui indique tout an plus l'abaissement
du mercure dans le baromètre. Heureusement, il est rare
que la fureur de ces ouragans soit de longue durée. Plu-
sieurs années de suite se passent souvent sans qu'on en ob-
serve un seul sur les côtes delà Chine; par contre, on y es-
suie quelquefois deux ou trois tempêtes de ce genre par an.
TY'PHON était dans la mythologie égyptienne un fils
de Seb (Chronos ) et de Hal{Rhéa). Celle- ci mit au monde
le premier et le second jour des cinq exagémènes (les der-
niers jours del'année ) Osiris etHarocris, le troisième Typhon ,
le quatrième et le cinquième Isis et Nephthys. Le nom égyp-
tien de Typhon estSei, ou encore Siiti et Sutech: c'est un
dieu qui dans l'antiquité jouissait d'une grande considéra-
tion. Un animal fantastique, jaune de couleur, avec de longues
oreilles pendantes, est son symbole. A Karnakil est représenté
enseignant au roiThutmosisIII à tirer de l'arc. Les roisSeth
(Séthos, Sétho.sis, dont Hérodote a fait S^i05<m ), de la dix-
neuvième dynastie tenaient de lui leur nom. La ville d'Ombos
était un lieu particulièrement consacré au culte de Set. Plus
tard cependant, après la vingt-et-unième dynastie, ce dieu fut
expulsé; et on effaça de tous les monuments accessibles son
nom et sa configuration. Les causes historiques de cet évé-
nement nous sont restées inconnues. Depuis lors il fut consi-
déré comme le dieu des ennemis de l'Egypte, et la mythologi(>
égyptienne fit constamment de lui le principe du mal. D'abord
dieu étranger, il devint l'archi-ennemi de la sainte doctrine,
le contradicteur d'Osiris, le dieu du désert, de la mer salée,
de la sécheresse, de la chaleur; et il a pour symboles le
méchant crocodile, l'effrayant hippopotame, l'âne têtu.
TYPHON, TYPHAON ou TYPHŒUS, ou encore TY-
PHOS, évidemment proche parent du Typhon égyptien,
est dans la mythologie grecque un monstre représenté
tantôt comme un vent violent et pernicieux , tantôt comme
un géant terrestre d'origine volcanique. Suivant Homère, il
est enchaîné dans le pays des Arimes, que Jupiter fiagelle
à coups d'éclairs. Suivant Hésiode, c'est le plus jeune des fils
du Tartare et de la Terre, ou encore, suivant un hymne ho-
mérique, le fils de Héquira l'a mis seul au monde, pour
narguer Jupiter, qui a seul engendré Athénô. Il a cent tètes
de dragon, des yeux projetant la flamme, des dents noires
et une voix effrayante. Avec Échidna, il a engendré le chien
Orthros, Cerbère, la Chimère et l'hydre deLerne. H fut tué
d'un coup de foudre , après une lutte acharnée , par Zeus, à
TYPHON — TYPOMETRIE
715
qui il disputait la souveraineté de l'univers; et il fut alors
précipité dans le ïartare ou sous le mont Etna.
TYPHUS, affection grave, souvent mortelle, ordinaire-
ment causée par infection miasmatique, et présentant pour
caractère constant un élalàe stupeur ; c'estce qu'on a voulu
désigner par la dénomination grecque donnée à cette ma-
ladie. La cause la plus puissante du typhus est sans con-
tredit l'air qu'on respire dans un local où se trouvent ac-
cumulés un grand nombre d'individus atteints de ce genre
d'affeclion. Viennent ensuite les exhalaisons méphitiques
provenant d'un nombre considérable d'individus malades
ou bien portants renfermés dans un lieu trop restreint
et surtout peu aéré, comme le seraient par exemple des pri-
sons et des hôpitaux encombrés. Nous indiquerons aussi au
nombre des causes fréquentes du typhus la respiration plus
ou moins prolongée des gaz miasmatiques provenant parti-
culièrement de la putréfaction des substances animales. A
toutes ces causes actives du typhus on peut joindre, comme
prédisposition à cette maladie, un régime malsain, la misère,
la malpropreté, les passions tristes, et tout ce qui tend à
diminuer l'énergie physique et morale. C'est en raison des
circonstances variées au milieu desquelles le typhus se déve-
loppe, et aussi de quelques-uns de ses caractères spéciaux,
que tantôt on l'a nommé ^èyre des hôpitaux , fièvre des
prisons, tantôt j^èyre nosocomiale,Jièvrepourprée, d'autres
îois fièvre pétéchiale , fièvre adynamico-ataxique , et
plus communément encore fièvre putride vialigne.
Les symptômes précurseurs de cette maladie se dénotent
par un état d'inquiétude , de malaise , de fatigue et d'abat-
tement. Le sommeil est lourd et pénible ; le malade en s'éveil-
tant éprouve des vertiges et un brisement dans tout le corps.
Bifintôt après l'haleine devient forte, et parfois même fétide;
la langue, d'abord un peu blanchâtre à la base, devient
rouge à la pointe et sur les bords. L'épigastre est serré et dou-
loureux. Le malade éprouve des frissons qui alternent rapide-
ment avec des bouffées de chaleur. La céphalalgie, la soif, les
nausées, les vomissements, la fièvre, et puis enfin le délire ,
ne tardent point à survenir. Ce dernier symptôme présente un
caractère de stupeur, de rêvasserie et de mussitation, qui lui
a fait donner parles auteurs le nom de typhomanie, ou dedé-
lire typhoïde. Après cette première période d'acuité, qui dure
trois ou quatre jours, la maladie prend un caractère plus grave.
La stupeur devient si considérable que tous les sens s'émoiis-
sent. La vue se trouble ; les malades répondent très-lentement,
restent immobiles et constamment couchés sur le dos. 11 se
manifeste en outreune toux sèche, ou bien avec expectoration
de petits crachats visqueux et grisâtres. Les yeux, chassieux
et ternes , semblent rétractés dans l'orbite et dans un état
d'immobilité qui donne à la physionomie un air d'hébétude
toul à fait particulier. Vers le quatrième jour, et parfois plus
f^rd,il se déclare souvent une hémorrhagie nasale, qui sou-
lage momentanément le malade ; toutefois , il est rare qu'elle
modifie d'une manière remarquable la marche de la maladie.
Durant cette seconde période il se développe à la peau de
petites taclies lenticulaires, ordinairement rougeâtres, quel-
quefois d'un rouge foncé. Cette éruption typhoïde, qui est
constante, se manifeste dans les diverses parties du corps,
mais principalement au tronc. Il se déclare parfois aussi des
sudamina, petites tumeurs aplaties, transparentes, d'une
demi-ligne d'étendue , causées par le renflement de l'épi-
derme qjue soulève une gouttelette de sueur. Vers le sixième
ou le septième jour, l'éruption typhoïde se complique de pé-
téchies livides plus ou moins étendues. Dans quelques cir-
constances il se forme des taches gangreneuses. A cette épo-
que il se déclare souvent un gonflement des parotides, et
parfois un engorgement inflammatoire des glandes de l'aine.
Dans quelques cas rares , on voit aussi se former des char-
bons. Les selles , qui dans la première période étaient bi-
lieuses, deviennent brunes, noires, fétides, souvent san-
guinolentes, et presque toujours involontaires. Les urines
sont peu abondantes , d'une couleur foncée et d'une odeur
ammoniacale très-prononcée. Le corps du malade répand.
une odeur nauséabonde, qui dénote une altération profonde
de tout son système organique.
Vers le neuvième ou le dixième jour survient la troisième
période, durant laquelle tous les symptômes que nous avons
précédemment indiqués s'aggravent si la maladie doit se
terminer par la mort, ou bien diininuent progressivement
si le malade doit entrer en voie de guérison. Aussitôt que
la stupeur diminue, le malade semble renaître à la vie; il
s'intéresse à la marche de sa maladie, et reprend peu à peu
le libre exercice de ses sens ainsi que de ses facultés intel-
lectuelles. Les sécrétions redeviennent naturelles , l'appétit
commence à se faire sentir ; et si le typhus a suivi une
marche heureuse et régulière, il peut se faire que le malade
entre en convalescence après le second septénaire , c'est-à-
dire quatorze jours après l'invasion de la maladie. Cette
marche rapide du typhus, qui lui fait ordinairement parcourir
ses trois périodes dans l'espace de deux septénaires, est un
des caractères qui le distinguent de la/ièvre t yphoïde,
dont la durée est presque toujours de vingt-et-un jours. Ces
deux affections , ayant une très-grande analogie , ont été con-
fondues par des auteurs et réunies sous le même nom.
Le typhus règne presque toujours épïdémiquement , et
se déclare surtout durant les grandes calamités publiques,
comme dans les cas de disette ; dans des villes longtemps
assiégées , et où se concentrent toutes les misères possibles ;
dans les cas d'invasion par des armées nombreuses , etc.
C'est dans des circonstances pareilles , et lorsque l'épidémie
sévit avec fureur, que l'on observe des exemples de typhus
qui donnent la mort si promptement qu'on serait porté à
croire que le miasme typhoïde , agissant violemment sur les
centres nerveux , cause à l'instant même une sorte d'as-
phyxie. Ici se présente naturellement la question de la con-
tagion ou de la non-contagion de cette redoutable affection :
nous nous bornerons à dire que le typhus d'Europe , dont
nous venons de tracer le tableau , peut dans certaines con-
ditions données se transmettre par infection miasmatique
et non par simple contact médiat ou immédiat ( voyez Peste).
La convalescence qui suit le typhus est toujours longue ,
pénible , et exige les plus grandes précautions, tant pour le
régime alimentaire qu'au point de vue des imprudences de
tous genres. Un air frais et pur est surtout une condition im-
portante pour en abréger la durée.. D"" L. Lab.vt.
TYPHUS D'AMÉRIQUE ou Ictérode. On a ainsi
désigné Xa fièvre jaune, maladie épidémique , qui se
déclare fréquemment en Amérique, et surtout aux Antilles,
durant les fortes chaleurs.
TYPHUS D'ORIElVT.Onaainsi désigné la pes^ed'O-
rient,k cause de son analogie avec le typhus d'Europe.
TYPOGRAPHIE. Voijez Imprimerie.
TYPOMETRIE (du grec tOtjo;, type, et [xÉTpov, me-
sure). On appelle ainsi l'art de composer et d'imprimer en
caractères mobiles des cartes géographiques, des plans et
des dessins de situation et encore des figures de mathéma-
tiques de tous genres , des profils , des dessins relatifs à l'his-
toire naturelle , tels que des fleurs , des animaux ; enfin, des
caractères symboliques, comme les écritures hiéroglyphique
et chinoise. Cet art fut inventé par H. Raffeisberger, direc-
teur de rétablissement typographique et artistique de Vienne,
lequel en donna un premier échantillon en publiant, en
ISSG-, la carte générale des postes des États Autrichiens, en
quatre feuilles. 11 paraît n'avoir pas eu connaissance dedif.
lérents essais qui avaient précédé les siens. Déjà Schweyn •
heim {voyez Pannartz) avait publié vingt-sept cartes géo-
graphiques de ce genre , dans la Cosmographia Ptolemxi ,
qu'il commença (Rome, 1478 ), mais qui fut achevée par son
successeur, Arnold Buckinck. H est vrai qu'il n'avait point
fait usage de types mobiles , mais de plaques métalliques
sur lesquelles l'écriture était fixée en relief, et les autres
lignes, figures et signes, gravés en creux. Depuis, on aban-
donna les essais faits dans cette voie, et on publia les cartes
et autres ouvrages semblables à l'aide de la gravure sur
cuivre ou encore de la xylographie. Mais en 1770 Haas
716 TYPOMETRIE
de Bàle, fomicuren caractères , reprit les essais abandonnés
au seizième siècle ; depuis cette époque , MM. Firmin Didot à
Paris , Wegener à Berlin, et Bauerkeller à Francfort, ont
suivi la même direction ; mais c'est Raffeisberger qui seul
est arrivé aussi près que possible de la perfection.
La typométrie est appelée à rendre de grands services,
surtout pour l'impression des ouvrages cbinois; travail qui,
en raison de l'énorme quantité de caractères qu'il nécessite,
serait sans cela presque impossible, tant il entraîne de frais.
TYR, l'une des villes les plus célèbres de l'antiquité,
était avec Si don la plus importante et la plus riche place
delà Phén icie , tandis qu'aujourd'hui, sous le nom de Sour,
ce n'est plus qu'un bourg insignifiant de la province de
Syrie, où l'on compte à peine quelques centaines dechélives
maisons. Déjà considérable et florissante vers l'an 1300
av. J.-C, Tyr était riche et puissante par son commerce
et sa navigation, et les arts ainsi que les sciences y jetaient
un vif éclat. L'uu de ses rois, Hiram, était l'ami et l'allié
de S a 1 0 m 0 n , roi des Hébreux. C'est des Tyriens que les
Hébreux apprirent l'architecture et l'art de la navigation.
Les Tyriens eurent le mérite de perfectionner la construc-
tion des navires, d'apprendre à s'orienter la nuit en mer par
la vue des étoiles, et de faire diverses autres importantes
découvertes dans l'art de la navigation. Non-seulement ils
visitèrent toutes les côtes de la Méditerranée , mais encore
ils pénétrèrent dans l'océan Atlantique et allèrent chercher de
l'étain en Bretagne , peut-être bien même de l'ambre dans
la Baltique. Gadès, aujourd'hui Cadix en Espagne, et Car-
tilage en Afrique étaient des colonies tyriennes. La ville de
Tyr, bâtie sur un rocher que la Méditerranée entourait de
tous côtés, et fortifiée déjà par sa situation, contenait dans
ses murs quelques-uns des temples les plus célèbres de
l'antiquité, entre autres celui de l'Hercule Phénicien. Nabu-
cliodonosor s'en rendit maître à la suite d'un siège qui avait
duré treize ans; mais plus tard elle se releva de ses ruines.
Quand Alexandre eut dispersé l'armée de Darius à la bataille
d'Issus, et se fut rendu maîlre de toute la Phénicie ainsi que
de la Syrie et du littoral de la Méditerranée, Tyr, se fiant
dans la force de sa situation, osa résister toute seule à l'au-
dapieux et hardi vainqueur et se refuser à le reconnaître
pour souverain. Alexandre entreprit en conséquence le siège
de Tyr, qui lui résista pendant six mois. Sous la domina-
tion romaine, Tyr obtint encore de nombreuses faveurs, à
cause de son commerce, qui était toujours fort étendu. Plus
tard, elle tomba avec tout le pays d'alentour au pouvoir des
Sarrasins; et à l'époque des croisades ce fut une des places
que les croisés défendirent le plus opiniâtrement. Sous la
domination turque, la décadence de Tyr fut complète; son
port est aujourd'hui ensablé, et son commerce s'est trans-
porté à Beiront.
TYR (Èrede). Foye;ÈRE.
TYR (qu'il faut prononcer Tur) est le nom Scandinave
d'un dieu qui n'appartenait pas seulement à l'ancienne my-
thologie du Nord , mais aussi à la mythologie des Germains,
et qui s'appelait ZîOM ou Zio eu ancien haut allemand , et
Ttv en anglo-saxon. C'était le fils d'Odin et le dieu de la
guerre et de la gloire , idée que le mot même de tyr ex-
prime dans la langue Scandinave; et il faut lui rapporter les
détails donnés par les Romains et les Grecs quand ils nous
parlent de l'existence de Mars ou d'Ares chez les Germains.
Suivant VEdda, ce dieu n'avait qu une main. En effet ,
quand les Ases eurent déterminé le loup Fenrir à se laisser
lier avec le lien Gleipnir, Tyr lui plaça sa main droite daiif
la gueule , en gage de sa prochaine délivrance. Or, les A.s<v
ayant ensuite refusé de lui rendre sa liberté, le loup lui
mordit la main et la détacha jusqu'à la racine, d'où on
l'appela alors V/Jlidhr, c'est-à-dire membre du loup. 11 trouva
la mort dans le crépuscule des dieux, avec «on ami Garmr,
le plus énorme de tous les chiens.
Le nom de ce dieu avait été donné à la lettre de l'alphabet
runnique qui répond à notre T ; et on le retrouve encore
dans les alphabets runnique, anglo-saxon et germain. En
— TYROL
outre , c'est d'après lui qu'est nommé le troisième jour de-
là semaine , le dies martls, en Scandinave ^«/ridopr, en
anglo-saxon tivesday (d'où le mot anglais tiiesday) , en
vieux frison tysdci, en vieil haut-allemand ziwweitoc, au
nord de l'Allemagne tieslac oa diestac {à'o'n le mot aile-,
mand dienstag).. Enfin , il était porté aussi par différents
lieux, notamment par des montagnes et par diverses plantes.
Dans une acception plus générale, et peut être comme
synonyme du mot Dieu , on retrouve encore le mot Tyr
dans les surnoms donnés à Odin , par exemple Sigtyr, c'est-
à-dire dieu de la victoire, et dans ceux donnés à Thor,
comme Reidhartyr, dieu du chariot ou du tonnerre.
TYRAX, TYRANNIE (du grec Tupawoç). On appelait
en général tyran chez les anciens, et surtout 'ùans les États
grecs, tout souverain absolu dont l'autorité n'était limitée
ni par des lois ni par une constitution. Mais on s'en ser-
vait plus particulièrement pour désigner l'homme qui dans
un État autrefois libre s'était emparé du pouvoir suprême
en violant l'ordre existant et la volonté du peuple; de sorte
qu'à l'origine le mot tyrannie désignait moins une maiiière
arbitraire et cruelle de gouverner que l'obtention illégale et
usurpée delà puissance souveraine. Or, comme ce qui avait
été usurpé contre tout droit devait par cela même paraître
oppressif et criminel à un peuple libre, ces deux mots reçu-
rent de bonne heure une signification accessoire odieuse. On
entendit donc par tyran, comme on fait encore aujourd'hui,
un souverain régnant par la violence , un homme cruel ; et
par tyrannie, toute domination arbitraire {voy. Despotisme).
Les anciens y attachaient eux-mêmes un sens moins fâ-
cheux quand ils appliquaient cette dénomination à de bons
princes, par exemple à P i si s t r ate d'Athènes, à G é Ion età
Hiéron de Syracuse ,etàPériandrede Corinthe. Parmi
les hommes que les historiens désignent spécialement sons
le nom des trente tyrans d'Athènes, qui l'an 404 av. J.-C.
furent chargés sous la direction deLysandre de travailler
à un projet de constitution nouvelle, et que Thrasybule
renversa du pouvoir, il ne se trouvait qu'un très-petit nombre
d'individus sanguinaires , tels queCritias; et beaucoup,
tels que Théramène , professaient des sentiments très-
modérés. D'autres, tels qu'Alexandre de Phères, Denys
l'ancien et Denys le jeune, méritèrent l'épithète de
tyrans dans l'acception la plus défavorable de ce mot.
Dans l'histoire romaine, on désigne également sous le nom
de trente tyrans les gouverneurs de province qui profitè-
rent de l'extrême confusion dont tout l'empire fut le théâtre
sous Galien, de l'an 260 à l'an 268 , pour se proclamer em-
pereurs dans leurs gouvernements respectifs , mais qui ne
tardèrent pas à être vaincus.
TYRANIVIQUE (Société). Voy. Compagnies (Grandes).
TYRCOrVINEL (Comtes de). Foye: O'Donnel.
TYRII\THE ou TIRYNTHE, ville d'Argolide,à
peu de distance du golfe d'Argos, au nord-est de Nauplie.
Elle était célèbre par le séjour qu'Hercule y avait fait (d'où
le surnom de Tyrinthïen qu'on lui donne quelquefois ) , et
existait déjà du temps d'Homère. Strabon attribue auxCy-
clopes la construction de sa citadelle. Elle fut détruite par
les habitants d'Argos, et ne subsistait plus du temps de Pline.
TYROL ou TIROL, comté-piincipaulé de l'empire
d'Autriche, qui fait partie de la Confédération Germanique,
et l'une des contrées les plus remarquables de l'Allemagne,
tant à cause des conditions physiques de son sol que du
caractère de ses habitants, confine, y compris le Vorarl-
berg, à la Bavière, au duché de Salzbourg, à la Carinlhie,
au royaume Lombardo-Vénitien et à la Suisse. Sa superficie
est de 366 myriamètres carrés, et sa population d'ehifiron
800,000 habitants, répartis en 22 villes, 2S bourgs à marché
et 1,427 villages. Les cinq sixièmes de cette superficie sont
occupés t>ar des montagnes, et on peut considérer ce pays
comme une continuation de la Suisse. On y trouve des mon-
tagnes non moins élevées , et tout autant de glaciers , d'ava-
lanches de neige, de pierres , et de sable, de cataractes et de
précipices; seulement, ce qui manque au Tyrol, c'est de
TYROL
717
grand nombre de vastes lacs qu'on renconlre en Suisse, et
dont les rives offrent les plus magnifiques points de vue. Les
plus consiilérables qu'il présente, celui d'Achen et celui de
Plau, ont à peine huit kilomètres de long,
La chaîne de montagnes granitiques et calcaires qui par-
court le Tyrol de l'ouest à l'est dans presque toute sa lar-
geur est un prolongement des Alpes Rhétiques. Comme le
Saint-Gotliard en Suisse, le Brenner dans le Tyrol
compose le groupe de montagnes le plus important, sans
cependant en être le plus élevé, car il n'est qu'à 2,120 mètres
au-dessus du- niveau de la mer. Les pics les plus hauts se
trouvent dans la vallée d'Œtz et sur les frontières de l'ouest.
L'Ortelesspitze ou Aiguille d'Orteles est la plus haute mon-
tagne de l'Allemagne, et ne le cède que de peu au Mont-Blanc.
Son sommet est à 4,822 suivant les uns, et suivant d'autres
à 4,938 mètres au-dessus du niveau delà mer. La plupart des
montagnes environnantes sont couvertes de glaces et de
neiges aussi anciennes que la base sur laquelle elles reposent.
Les Alpes et les glaciers delà vallée d'Œtz sont presque aussi
hautes que TOrteles , mais elles sont peu connues. Quoique
les montagnes qui entourent celte vallée cachent leur tôle
dans les nuages, elle est elle-même bien au-dessous du ni-
veau de la mer. Les traces de végétation disparaissent à
mesure qu'on avance dans ces lieux, jusqu'à ce qu'enfin ,
aux environs du grand glacier qui au nord domine l'Inn et
au sud l'Adige, la vie semble tout à fait s'éteindre au mi-
lieu de neiges et de glaces que le soleil n'a jamais fondues,
et qui apparaissent seules à l'œil attristé. Les glaciers tra-
versent le pays , sans solution de continuité , depuis les
sources de l'Adige jusqu'à la vallée de Ziller (Zillerihal).
En quittant le Tyrol pour se jeter à l'est dans le royaume
d'Illyric et dans le Salzbourg, où \e Gross-Glochner s'é-
lève, comme une immense muraille, à une hauteur de 4,600
mètres entre le Tyrol, le Salzbourg et la Carinihie , les
Alpes prolongent leurs ramifications sous les dénominalions
d'Alpes Noriques et Carniqii.es. Ces grandes niasses de
montagnes donnent naissance à beaucoup de fleuves et de
rivières : le Lech, qui a sa source dans le Vorariberg; l'A-
dige, l'Eisak, risar, le Sill, la Drave, la Sarce et la Brenta.
L'Inn, qui arrose aussi le Tyrol , a sa source en Suisse. Le
Rhin ne fait qu'effleurer les limites du cercle de Vorariberg.
Le climat du Tyrol varie beaucoup, suivant les localités.
Ainsi, dans les vallées de la partie septentrionale l'air est
toujouis vif et piquant, même en été, et l'hiver long et ri-
goureux ; tandis que dans les contrées plus méridionales et
dans les vallées des Alpes de Trente les chaleurs sont
quelquefois si accablantes en élô que les iiabitants sont
obligés de rechercher dans cette saison des habitations
moins exposées à l'ardeur du soleil. Comme le pays est
presque tout entier couvert de montagnes et de rochers,
qui ne sont pas susceptibles d'être mis en culture, et que
le sol môme des vallées repose sur une base granitique et
convient mieux pour des pâturages que pour recevoir des
ensemencements, les habitants du Tyrol ne parviennent à
y faire croître le blé qu'avec des peines infinies, et les ré-
coltes ne suffisent jamais aux besoins de la population. Ils
se livrent aussi à la culture du lin et du chanvre, et on re-
cueille beaucoup de tabac dans les districts qui avoisinent
l'Italie. Le vin est la principale production des vallées de
l'Adige, et on en exporte annuellement pour l'Italie trente
mille pièces ; mais il ne peut se conserver longtemps. Les
fruits y sont déhcieux. Les pommes de la vallée de l'Adige
sont expédiées au loin , et on envoie celles de Méran jus-
qu'en Russie. Les citrons forment encore un article assez
important d'exportation. Les fruits les plus délicats, tels que
les grenades, les oranges, les amandes, etc., mûrissent dans
la partie méridionale , et le bois y est commun. Outre l'é-
ducation des bêtes à cornes, des moutons, des chèvres et
des chevaux, celle des vers à soie occupe beaucoup d'ha-
bitants. Le pays d'ailleurs abonde en gibier et en volaille.
Ces hautes montagnes, que l'œil aperçoit de toutes parts,
recèlent dans leurs flancs de l'or, de l'argent, du cuivre, du
plomb , du salpêtre , du sel , de la calamine, qui est fort es-
limée, du marbre, de l'albâtre, de l'ocre, de la houille, des
eaux minérales et thermales. Aussi l'exploitation des mines
occupe-t-elle beaucoup de bras. En fait d'industrie manu-
facturière propre au Tyrol, il faut placer au premier rang la
fabrication des soieries , qui a son siège principal à Rove-
redo et aux environs. Stubay a des ateliers de quincaillerie.
Dans le Pusterthal, le Vintschyau et la vallée de l'Adige,
on se livre surtout à la fabrication des cuirs et des toiles. Il
existe aussi des manufactures de mousseline, de cotonnades,
de drap, de tabac. Les dentelles forment l'industrie de plu-
sieurs localités, et les lapis se confectionnent dans le Pus-
terthal. La sitution du Tyrol entre l'Allemagne et rilalie, et
les avantages d'une magnifique route , à travers les Alpes , et
de plusieurs autres, qui le coupent en différents sens, en
font le pivot de l'activité commerciale entre ces deux pays.
Iiispriick , Botzen , Roveredo , Feldkirch, Trente et Bre-
genlz sont les principaux centres du commerce. L'habitant
du Tyrol se livre avec intelligence au petit négoce et au
colportage, particulièrement à celui des oiseaux et des gra-
vures. Ainsi , trente à quarante mille Tyroliens parcourent
sans cesse les différentes contrées de l'Europe, tâchant
d'amasser un petit pécule avec leurs pacotilles de gravures
enluminées et leurs collections de serins, linottes et bou-
vreuils. Sur le chiffre total de la population, on compte
environ 560,000 Allemands et 300,000 Italiens. Parmi ce
derniers on comprend les Tyroliens qui parlent la langue
romane, et dont le plus grand nombre habitent la vallée de
Grœdner. La religion catholique est la religion dominante.
Le Tyrolien a de la gaieté dans le caractère et de la péné- ,
tration dans l'e.sprit. La bonne foi et la franchise sont em-
preintes sur sa physionomie. Il se distingue par son patrio-
tisme et sa fidélité à la dynastie qui le gouverne. L'habitant
du nord diffère beaucoup de celui du midi. Ce dernier est
plus sobre, plus pieux, moins superstitieux , mais aussi
moins franc que celui des contrées septentrionales. La pas-
sion de la chasse est commune à tous deux .
En ce qui touche l'instruction publique, on y compte plus
de 1,800 écoles primaires, 28 collèges, séminaires ou écoles
secondaires, et une université, à Inspruck. Jusqu'en 1849 le
Tyrol fut représenté par quatre ordres : le clergé, la no-
blesse, la bourgeoisie et les paysans. Une patente impériale en
datedu 24mars 1816 avait confirmé tousses antiques privi-
lèges. Aux termes delà constitution du30décembre 1849, qui
supprimait les distinctions d'ordres, la diète du Tyrol devait
se composer de soixante-douze députés ; mais une nouvelle
patente impériale en date du 31 décembre 1851 supprima
cette constitution avant qu'elle eût commencé à fonctionner,
et assimula le Tyrol pour ce qui est de l'administration in-
térieure au reste des États héréditaires autrichiens. Le Tyrol
et le Vorariberg formaient autrefois sept cercles. Le décret
impérial du 4 août 1849 a divisé le Tyrol proprement dit
en trois cercles, dont le premier comprend le Tyrol alle-
mand du nord, ou la vallée supérieure et la vallée inférieure
de l'Inn, avec la vallée de Wipp; le second, le Tyrol alle-
mand du sud , avec le Pusterthal ; et le troisième, tout le
Tyrol welche, ou les anciens cercles de Trente et de Rove-
redo. Le Vorariberg forme à lui seul un quatrième cercle, à
part. Voici donc quelle est aujourd'hui la division politique
et administrative du Tyrol : 1" cercle (T Inspruck ( 134 my-
riam. carrés, et 318,700 habitants), formant les six capi-
taineries d'Inspruck, Schwafz, Rattenberg, Kitzbuhel, Lan-
deck Imst; 2" cercle de Brixen ( 127 myriara. carrés , avec
220,000 habitants), formant les cinq capitaineries de Brixen,
Botzen, Meran, Brunecken, Lienz; 3° cercle de Trente,
(78 myriam. carrés, avec 318,700 habitants), formant les six
capitaineries de Trente, Borgo, Clés, Cavalese, Roveredo
etTione; 4° cercle de Bregentz ondu Vorariberg (32 my-
riam. carrés, et 103,800 habitants), formant les trois capi-
taineries de Bregentz, de Feldkirch et de Bludenz. Le chef-
heu politique et administratif de tout le Tyrol est Inspruck.
Le Tyrol eut pour habitants primitifs des tribus celtes e\
718
TYROL — TZETZÈS
gauloises , parmi lesquelles celle des Rliétiens ( voyez Riié-
tie) est la plus connue. Les Romains en firent la conquête ,
sous le règne d'Auguste , et y améliorèrent singulièrement l'a-
griculture. La prospérité de ces contrées disparut avec la
puissance romaine. Elles furent successivement dévastées par
les Marcomans, les Alemans,' les Goths, et surtout par les
Huns aux ordres d'Attila. Après la chute complète de l'em-
pire d'Occident, elles appartinrent aux Ostrogotlis. Plus
tard elles passèrent sous la domination des Lombards au
sud , et des Bojoares ( Bavarois ) au nord , puis sous celle
des Franks , qui les divisèrent en g au s, administrés chacun
par un comte particulier. A l'extinction de la maison car-
lovingieiine , ces comtes devinrent les vassaux des ducs
de Bavière', puis réussirent à se rendre héréditaires. Après
la mise au ban de l'Empire du duc de Bavière Henri le Lion ,
l'empereur Frédéric 1" érigea tout le Tyrol en fief impérial
en faveur d'un comte de la maison d'Andech, Berthold H,
qui établit sa résidence à Meran et prit le titre de duc de
Meran. L'un de ses successeurs , appelé Henri , laissa
pour unique héritière une fille, Marguerite, surnommée
Maultasche , qui en 1359 engagea ses possessions dans le
Tyrol à ses cousins les ducs d'Autriche. C'est ainsi que le
Tyrol arriva à faire partie des domaines de la maison d'Au-
triche. En 18051a paix de Presbourg attiibua le Tyrol à la
Bavière. Cinq ans après, en 1809 , Napoléon en détacha toute
la partie méridionale , et la réunit au royaume d'Italie ; ce
qui provoqua contre les Bavarois et les Français une insur-
rection populaire, dont André H o f e r et Speckbacher lurent
les héros. La paix de 1814 rendit le Tyrol à l'Autriche.
TYROMAIVCIE ( du grec tMpô;, fromage, et iJiavTeia,
divination), sorte de divination^ dans laquelle on se ser-
vait de fromage.
TYUOMORPHITE ( du grec Tupôç, fromage, et [io(xp^ ,
forme), pierre figurée qui imite un morceau de fromage.
TYROIVE , comté de la province d'U 1 s te r (Irlande),
avec une superficie de 38 myriam. carrés, dont 9 en
marais et montagnes, dont la plus élevée est le Lengfield,
haut de 966 mètres, et qui se prolonge dans le comté de Do-
negal. Les plus importants d'entre ses nombreux cours
d'eau sont le Foyle, le Moyle et le Derg à l'ouest, et le
Blackwater au sud-est. De belles chaînes de montagnes ,
d'imposantes cataractes et d'autres beautés naturelles y
attirent de nombreux touristes. La partie fertile du pays
donne en général toutes les productions particulières à l'Ir-
lande ; les pommes de terre et l'avoine constituent les prin-
cipaux objets d'alimentation. L'élève du bétail y a moins
d'importance que la culture du sol. Ce comté possède
des.mines de fer et de houille, mais l'industrie y est de-
meurée à un degré très-infime. La population, qui de
1841 à 1851 s'est abaissée de 312,956 habitants à 251,865,
et a subi par conséquent dans cet espace de dix années une
diminution de 19 p. 100, estdansla plus grande indigence.
Le comté est divisé en quatre baronnies et trente-cinq pa-
roisses, dont quatre villes , et a pour chef- lieu Dungannon,
vieil endroit, autrefois résidence de la famille royale irlan-
«jaisedcs O'Neil , avec 5,000 habitants, des mines de houille
et une manufacture de loile. On remarque encore Omagh,
ïvec 3,000 habitants, et Strabane, qui en a 6,000, toutes deux
avec une fabrication et un commerce de toile.
TYROi\IEi\i\ES ( Notes). Voyez Tiron et Notes.
TYRRHÈNES. Voyez Tïrrhémpns.
ÏYRRHÉXIENME (Mer), ou mer de Tuscie, aujour-
d'hui mer de Toscane. Ainsi s'appelait déjà chez les an-
ciens la partie de la Méditerranée qui s'étend depuis les
Alpes Maritimes, c'est-à-dire depuis Gênes, sur la côte sud-
ouest de l'ïtalie, jusqu'à la Sicile. On appelait aussi, comme l
il est encore d'usage aujourd'hui, mer de Ligttrie ou goî/e
de Gênes , la partie de cette mer qui borde la Ligurie. Les
Romains comprenaient ces deux mers sous la dénomination
générale de viare Inferum.
TYRRHÉNIENS, Péioijes Tyrrhéniens. Ainsi s'ap-
pelait une peuplade de race pélasgique, originaire vraisembla-
blement de la Béotie , et qui , en ayant été chassée, vint s'é-
tablir dans l'Attique, où elle travailla à la construction de la
citadelle d'Athènes. Expulsée de nouveau de cet asile, elle
se dispersa pour aller se fixer sur différents points de la
mer Egée , notamment à Lemnos , à Imbros et à Scyros ,
ainsi que sur la côte de Tlirace, où il se livrait à la piraterie.
On attribue aux Pélasges Tyrrhéniens l'invention de la trom-
pette, instrument au nom duquel en conséquence on ajoutait
toujours autrefois l'épithète de tyrrhénienne.
Les Grecs nommaient aussi Tyrrhéniens les Étrusques ,
probablement d'origine pélasgique, qui, arrivés par mer,
s'établirent d'abord au sud , puis finirent par se confondre
avec les Raséniens, venus du Nord , raaisdans lesquels quel-
ques auteurs ne veulent voir qu'une tribu- ayant la même
origine (voyez Étrurie).
TYRTÉE, célèbre poète grec élégiaque, natif d'Aphi-
dnae en Atlique, ou d'Athènes même, et suivant d'autres de
Milet, florissait entre les années 684 et 666 av. J.-C. Sa ré-
putation provient de ce que dans la seconde guerre de Mes-
sénie il enflamma le courage des Spartiates par les chants
de guerre qu'il composa pour eux. Voici dans quelles cir-
constances. Pour se conformer à un oracle, les Lacédémo-
niens, alarmés de la seconde révolte des Messéniens, firent
demander un général aux Athéniens, qui leur envoyèrent
Tyrtée , homme d'habitudes taciturnes , en outre louche et
boiteux, et sur qui il semblait qu'on dût fonder bien peu
d'espérances. Mais Tyrtée, qui était poète en même temps
que militaire consommé, donna des conseils aux chefs la-
cédémoniens, et enflamma l'esprit du soldat par ses chants
guerriers ; de telle sorte que l'issue de la lutte fut des plus
lieureuses pour Sparte. Des critiques modernes ont prétendu
que tout ce récit n'était qu'un conte, ou du moins n'ont
voulu y voir qu'une allégorie. Ce qui paraît avéré, c'est qu'a-
près une longue lutte de dix-huit ans et des alternatives de
victoires et de revers, cette guerre se termina par le triom-
phe des Lacédémoniens , qui déclarèrent être redevables
de leurs succès à Tyrtée , lui décernèrent le droit de cité ,
et décidèrent qu'à l'avenir ses hymnes seraient des chants
nationaux qu'on réciterait en temps de guerre aux troupes
réunies autour de la tente du général. Tyrtée passa la fin de
ses jours à Sparte ; mais on ne sait rien de plus sur sa vie
et sa mort. Les chants de guerre que Tyrtée écrivit pour les
Spartiates formaient cinq livres , étaient écrits en dialecte
dorien, et composés d'anapestes et de spondées , rhythme
excellent pour ce genre de poésie. Il ne nous reste de ces
chants guerriers et des autres poésies de Tyrtée que trois
fragments principaux, conservés, l'un par l'orateur Lycur-
giie , et les deux autres par Stobée. On les trouvera dans
les recueils de Henri Eslienne et de Winterton , ainsi que
dans les Analecla de Brunck , de Gaisford et de BoissO"
nade.
TZAR. Voyez Tsar.
TZETZÈS (JEAN),grammairien grec,né à Constanlinople,
vers 1130, mort vers 1183, se livra à une étude toute par-
ticulière des écrivains grecs, surtout des poètes, des philo-
sophes et des historiens. On a de lui des scolies sur Homère
et sur Hésiode. Mais le plus important de ses ouvrages est
son commentaire sur VAlexandra de Lyco ph ron, travail
auquel prit part également son frère Isaac Tzetzès.
u
U, vingt-et-unième lettre de l'alphabet et la cinquième des '
voyelles. Cette lettre est un dédoublement du vau et du ain
hébreu. Elle est le signe représentatif du son le plus bas
"jue forme l'instrument vocal , et la plus petite ouverture pos-
sible de la bouche suffit pour la prononcer. Chez les Latins,
cette lettre était quelquefois voyelle, quelquefois consonne.
Voyelle , elle représentait le son ou ; consonne , elle repré-
sentait l'articulation semi-labiale faible, dont la forte est F.
Ainsi l'on confondait alors la voyelle U avec la consonne V,
et cet usage s'est longtemps perpétué dans notre écriture.
La prononciation de I'm telle que nous l'avons conservée
nous vient , dit-on , des Gaulois ; tous les autres peuples de
l'Occident la prononçaient et la prononcent encore ou, à
l'instar des anciens Romains.
Vu est presque toujours muet après le q, comme dans
qualité ^querelle, quittance, etc.; il n'y a exception à celte
règle que pour quelques mots provenant du latin, comme
équateur, quadrature, aquatique, etc.
Lorsqu'il ne doit point y avoir liaison entre la lettre u et
une autre voyelle qui la précède, elle doit être couronnée
d'un tréma, c'est-à-dire deux points, comme dans Ésaû,
Satii, que l'on prononce ^-sa-M, Sa-ul : I'm est alors ap-
pelé M tréma. Cdampagnac.
UBERLINGEIV (Lac d' ). Voyez Constance (Laç de).
UBES (SainlO- Voyez, Sétubal.
UDIQU1STE( Docteur). Voyez Docteur.
UBlQUISTESou UBIQUITAIR ES, secte luthérienne.
On sait que Luther admettait essentiellement la présence
réeWedans l'eucharistie, dogme précieux à l'antique
Église. Plus hardis , Zwingle , Calvin et Carlostadt entrepri-
rent de briser cet anneau, jusque alors subsistant, de la pri-
mitive unité. Les sacramentaires (c'est ainsi qu'on nomme
les antagonistes delà présence réelle), pour arriver à leur
but de destruction , alléguaient que selon l'intelligence hu-
maine le même corps ne peut se trouver à la fois dans une
multiplicité de lieux où l'on célèbre la Cène. Les disciples
de Luther, jaloux de conserver un antique dogme par eux
mutilé , répondaient par cet argument, puisé dans les œu-
vres du maître, « que l'humanité de Jésus-Christ étant unie
au Verbe , le corps de Jésus-Christ , inséparable de sa di-
vinité, doit, comme elle, être présent partout (en latin
ubique, d'où leur vint la qualification à'ubiquistes ou ubi-
qmtaires). On voit que les ubiqnistes sortaient de la re-
ligion luthérienne ; mais il ne faut pas croire que tous les
luthériens àleal aàmis ['ubiquité . Mélanchthon, cet ami si
dévoué du chef de la réforme , s'éleva plus énergiquement
contre la nouvelle doctrine qu'on n'aurait dû l'altendre de
son caractère , et s'emporta jusqu'à traiter les ubiquitaires
de nouveaux eutychéens, attribuant, à l'exemple de leurs
prédécesseurs , deux natures à Jésus-Christ. Cependant, I'm-
biquisme eul , comme toutes les nouveautés, sa période
progressive, qu'il dut à ses défenseurs, peu calmes, peu sin-
cères , mais pleins d'audace et d'humeur guerroyante. Ces
hommes, si àpremcntunis pour rompre l'unité catholique,
ne tardèrent pas à se diviser : les uns voulant que l'ubiquité
commençât dès la naissance de Jésus-Christ,.lcs autres qu'elle
n'eût son effet que du jour de l'Ascension du Sauveur. Mais
du moment que ces voix de discorde furent éteintes, le»
ubiquistes, cédant celte fois à l'instinct conservateur qui
nous précipite vers l'unité, revinrent à leurs frères, en con-
fessant que le corps de Jésus- Christ n'est présent avec le
pain que dans la communion, et à l'instant où on la re-
çoit. Dés \oTS Vubiqxdté rentre dans le néant, d'où l'avait
fait sortir l'extrême parti de la réforme. E. Lavigne.
UDINE , chef-lieu de la province du même nom (84
myriam. cariés, et 430,000 habitants), dans le royaume
Lombardo-Vénitien, et autrefois du F r i o u l vénitien , est
située dans une plaine fertile , sur les bords du Roja. Elle
est divisée en ville intérieure et en ville extérieure, séparées
toutes deux par des murailles et des fossés. Les rues en sont
étroites et tortueuses. La place du marché, vaste et spa-
cieuse , est ornée d'une belle colonne commémorative de la
paix de Campo-Formio. Au centre, sur une élévation
qui domine la ville, est situé le château, jadis résidence du
patriarche et ensuite du gouverneur vénitien. Ce qu'il y a
de plus remarquable à voir à Udine, c'est le Campo-Santo,
l'un des plus beaux cimetières qui existent en Europe. La
ville compte environ 24,000 habitants et 12 églises. Elle
est le siège de la délégation et d'un évêché. On y trouve un
lycée, plusieurs écoles du degré supérieur, un séminaire,
une bibliothèque publique, qni a été récemment accrue du
fonds Bartholini, une académie d'agriculture , un théâtre et
un hospice d'orphelins. La culture de la soie est la principale
industrie de la population. Au temps de la domination
française en Italie , Udine était le chef-lieu du département
du Passerino.
Après l'insurrection de Venise en 1848 , Udine fut la pre-
mière ville du ci-devant territoire vénitien à faire cause com-
mune avec les insurgés; et dès le 23 mars elle contraignait
la garnison autrichienne à quitter ses murs. Mais le 23 avril
suivant, après avoir été vivement canonnée, elle était forcée
de faire sa soumission.
UDII\E (Jean d' ), peintre , né à Udine , en 1494 , se
perfectionna sous le Giorgione à Venise , et sous Raphaël à
Rome. Il excellait à peindre les animaux, les fruits, les
fleurs et les ornements ; et c'est aussi le genre dans lequel
l'employait Raphaël. Il ne réussit pas moins bien dans les
ouvrages en stuc ; et on lui attribue la découverte de la
véritable matière que les anciens employaient pour celle
sorte de travail. Il mourut en Rome, en 1564.
UDOMÈTRE (du grec ûSwp, eau, et [ûxçw, mestirc).
Foj/es Pluviomètre.
UFA, chef lieu du gouvernement dOrembourf?
(Russie), sur le versant ouest de l'Oural méridional et au
confluent de l'Ufa et de laBielaja, a été régulièrement re-
construite à la suite de l'incendie qui la détruisit presque
complètement, en 1816. On y voit une bourse de commerce,
un gymnase , deux autres écoles, un grand nombre d'usines,
douze églises et deux couvents. La population est d'environ
17,000 âmes. Cette ville a singulièrement gagné depuis
que les autorités de la province y ont été transférées d'O-
rembourg, qu'elle dépasse déjà en étendue et en population.
Elle est aussi le siège d'un moufti mahométan.
UGOLIN. Voyez Gherardesca.
720
UHLAND — ULCERE
UHLAE^D (Jean-Locis), le pius remarquable des poètes
lynquesque possède anjoiird'liui l'Allemagne, est né à Tu-
bingue, le 9.G avril 1787. Ses premièies poésies parurent
dans l'Almanacli des Muées de Seckendorf (1806 et 1807).
Vers la fin de 1812, il vint s'établir à Stuttgard, où il tra-
vailla pendant quelque temps dans les bureaux du minis-
tère de la justice. Quand en 1815 le roi de Wurtemberg
songea à donner à son pays une nouvelle constitution , et
lorsque commença la lutte entre les droits nouveaux et les
anciens privilèges . Uliland se sentit appelé à faire servir
la poésie à la défense des libertés de son pays. Ses vers ,
pour être recueillis dans des journaux éphémères , n'en
excitèrent pas moins un vif enthousiasme, et exercèrent
bientôt une influence réelle et salutaire sur la direction des
idées. La première collection de ses poèmes parut en 1815.
Dans une édition qu'il en donna ensuite, il comprit égale-
ment ses chants patriotiques ; et chacune de celles qui se
sont succédé depuis (une onzième édition a paru à Stutt-
gard, en 1853) a reçu de notables additions. En 1819 il fut
élu député à l'assemblée des états de Wurtemberg par le
bailliage et l'année d'après par la ville de Tubingue ,
plus tard par celle de Stuttgard. En 1830 on le nomma
professeur agrégé de langue et de littérature allemandes à
l'université de Tubingue ; mais il se démit de ces fonctions
au printemps de 1833, sur le refus que fit le gouvernement
de lui accorder, au moment où s'ouvrit la diète, le congé
nécessaire pour remplir ses devoirs de député. Dans le
sein de celte assemblée, Uhiand figura parmi les membres
les plus distingués de l'opposition constitutionnelle; mais
lors des élections de 1839, il renonça, comme la plupart
de ses amis politiques, à être réélu; et depuis lors il vécut
éloigné des alfaires jusqu'en 1848, où il fut député |>ar l'ar-
rondissement de Tubingue à l'assemblée nationale allemande
convoquée à Francfort, dans laquelle il figura parmi les
membres de la gauche les plus considérés.
Indépendamment de sa remarquable dissertation Sur
Walier von cler Vogelweide (Stuttgard, 1822), on lui est
redevable d'un ouvrage Sitr le mythe Scandinave de Thor
( 1836 ), pour lequel l'auteur a eu soin de puiser aux sources
les plus sûres, et d'une Collection de vieilles Poésies po-
pulaires en haut et en bas-allemand à laquelle la critique
ne peut adresser qu'un reproche : c'est que l'auteur n'ait
pas jusqu'à ce jour tenu la promesse qu'il avait faite au
public de l'enrichir d'un commentaire. La délicatesse, la
vérité , les pensées qui vont au cœur, telles sont les qua-
lités dominantes des œuvres poétiques de cet écrivain, qui
n'excelle pas moins à saisir et à reproduire la nature dans les
détails les plus intimes. Ses Ballades et ses Romances surtout
sont demeurées des productions auxquelles on ne saurait
rien comparer dans la littérature allemande pour l'art de
tracer en peu de mots des caractères et des figures pleines
de vie et de vérité. La pensée et l'action n'y ont en général
pas moins d'importance. Mais ce qui y domine surtout, c'est
une aimable gaieté , c'est le patriotisme le plus généreux,
c'est une admiration réfléchie pour ce qu'il y eut de grand
et de généreux dans les siècles passés, sans que pour cela
le poète se laisse jamais aller à méconnaître les gloires du
temps présent.
UHLANS. Voijez Hulans.
UKASE, loyes Oukase.
UIÎERiMARIÎ. On appelle ainsi la partie de la Marche
de Brandebourg ( Prusse ) (|ui en forme l'extrémité septentrio-
nale sur la rive gauche de l'Oder, et qui confine au sud à
la Mittelmark ( Marche moyenne ), à l'ouest à la Mittelmark
et au grand-duché de Mecklembourg-Strelitz, au nord et à
l'est à la Poméranie et à la Neumark (Nouvelle-Marche).
Elle comprend une superficie de 47myriam. carrés, et forme
aujourd'hui les trois cercles de Prenzlau, deRemplin et d'An-
germunde qui font partie de l'arrondissement de Potsdam.
Elle a pour chef-lieu Prenzlau; les autres villes les plus
importantes sont Templin, Lychen, Slrasburg, Zehdenick,
Neuangermunde , Schwedt et Joachimsthal.
UKRAIIVE. On désigna sous ce nom , en Pologne, de-
puis la prise de Kief par les Lithuaniens en 1320, l'extré-
mité du royaume voisine des Tatars et autres peuplades
nomades. Plus tard, on comprit sous la dénomination
d'Ukraine la vaste et fertile contrée, qu'arrose le Dniepr
central , voisine des établissements des Kosaks , avec ur*
délimitation assez arbitraire. Ce pays, demeuré jusqu'au
règne de Pierre le Grand une perpétuelle cause de discorde
entre la Russie et la Pologne, forme la plus grande partie
de la Petite- Russie; dénomination qui paraît n'être venue
en usage qu'à partir de 1C54, époque où dix régiments
de Kosaks de la rive orientale du Dniepr se soumirent vo-
lontairement au sceptre russe. En vertu du traité signé à
Andrussoff en 1667, et de la paix conclue en t686 à Grzy-
multofsk , les rois de Pologne firent abandon de cette partie
de la Petite-Russie située sur la rive orientale du Dniepr
( ce qu'on appelle V Ukraine russe), tandis que les Kosaks
de la Petite-Russie établis sur la rive occidentale de ce
fleuve (contrée dénommée dès lors Ukraine polonaise),
demeuraient encore provisoirement placés sous l'autorité
des rois de Pologne ; arrangement qui subsista jusqu'en 1793,
époque où le second partage de la Pologne fit également
passer ce territoire sous les lois de la Russie.
L'Ukraine polonaise forme aujourd'hui le gouvernement
russe de Kief; cependant, on en a compris une certaine partie
dans le gouvernement de Podolie. Dans le principe, on
avait partagé l'Ukraine russe en trois gouvernements , ceux
de Nowgorod-Sewerskoï, de Tschernigof et de Kief. En
remplacement du premier, qui ne tarda pas à être sup-
primé, on créa celui de Pultawa.
Le nom d'Ukraine n'est plus aujourd'hui qu'un souve-
nir historique du passé. Il n'y a pas en effet jusqu'au gou-
vernement de V Ukraine Slobode, province située à l'est
du gouvernement de Pultawa et arrosée par le Donetz , où
s'étaient réfugiés , à l'époque de la domination polonaise ,
un grand nombre de Petits-Russes en y fondant des villes
et des bourgs fortifiés (sloboden), qui n'ait reçu la déno-
mination officielle de gouvernement de Charkoff.
ULCÉRATIOIV (du latin ulceratio) , formation d'un
ulcère, travail morbide qui a pour effet la solution de
continuité d'un tissu avec suppuration. l/7céra<ion s'entend
aussi d'un ulcère superficiel.
ULCÈRE (du latin iilcus) , sorte de plaie érosive, plus
ou moins ancienne, toujours entretenue par une cause in-
terne ou un vice local. Deux conditions importantes carac-
térisent donc l'ulcère : la solution de continuité des parties
molles, et le genre de cause qui met obstacle à sa guérison
{voyez, Plaie). On a divisé les ulcères e.n externes ti en
internes, suivant qu'ils sont situés à la surface de la peau
ou à l'intérieur du corps : on les a aussi, divisés, d'après
leurs caractères particuliers et la nature de leur cause, en
ulcères atoniques , scorbutiques , scrofuleux, siphiii-
tiques, dartreux, carcinotnateux , teigneux et pso-
riques. Quoique la peau et les membranes muqueuses soient
les deux tissus où ils se montrent le plus fréquemment ,
on en observe cependant aussi dans le cœur, dans les veines,
dans les artères, dans les articulations , etc. Laennec a
donné \e nom de phthysie îilcéreuse à un genre de maladie
pulmonaire très-fréquent dans notre climat d'Europe.
L'observation a démontré que les ulcères se déclarent de
préférence chez les personnes douées d'une mauvaise cons-
titution , soit héréditaire , soit acquise ; chez les individus
atteints de maladies qui ont vicié leur système organique,
et chez ceux qui habitent des lieux humides et malsains. On
a également constaté que les ulcères aux jambes sont plus
fréquents du côté gauche que du droit, qu'ils se déclarent
de préférence à la cheville, et qu'ils sont surtout ie triste
apanage de la misère et delà malpropreté.
Le traitement des ulcères est naturellement subordonné
à leur siège , et surtout à la nature de leur cause. Il faut
par conséquent , tout en cherchant à provoquer la cicatri-
sation , détruire par des moyens appropriés la cause interne
ULCÈRE — ULM
générale ou locale qui entretient l'ulcération. Le véritable
mode de traitement est celui qui, tout en neutralisant la
cause de l'ulcère , active sa cicatrisation par les moyens les
plus convenables. On doit par conséquent, en outre des
agents spéciaux appropriés à la nature de chaque ulcère,
diminuer l'inflammation si elle est trop vive , exciter la
surface de l'ulcère si elle est pâle et indolore, cautériser
les bourgeons charnus s'ils sont trop exubérants, exercer
une légère compression à l'aide d'une bande légèrement
serrée s'il y a engorgement des tissus. On peut joindre à
ces divers moyens l'emploi des bandelettes agglutinatives ,
si les bords de l'ulcération sont assez dociles pour en opérer
le rapprochement. Les bords calleux de l'ulcère doivent
être excisés, si par leur trop de dureté ils mettent obstacle
à la cicatrisation. L. Labat.
ULEABORG ou KAJANA , le plus septentrional et le
plus vaste cercle ou Ixn de la grande-principauté de Fin-
lande, comprend VOsterbotten septentrional et toute la La-
ponie. Sa superficie, y compris l'île de Karlssœe et de nom-
breux lacs qui à eux seuls occupent 81 niyriam. carrés, est
de 2,128 myriam. carrés; et en 1850 on y comptait 157,010
habitants.
Le chef-lieu, Uleaborg, après Aboet Helsingfors la
ville la plus considérable de la grande-principauté, quoiqu'on
n'y compte que 5,000 habitants, fut fondé en 1603, sur les
bords de l'Ulea , qui se jette dans le golfe de Bothnie, un
peu au-dessous de la ville , en formant une large cataracte ;
circonstance qui en rend la navigation extrêmement difficile.
Un incendie détruisit la plus grande partie de cette ville en
1822; mais elle a été reconstruite depuis, sur un plan bien
meilleur, et on y trouve une église, un collège, une fa-
brique de tabac , un atelier de teinture , plusieurs scieries
et plusieurs moulins à foulon. Après A bo, c'est à Uleaborg
que le commerce a pris les proportions les plus importantes.
Le goudron, la poix, le suif, le beurre , les poissons, no-
tamment les saumons , et les planches constituent les prin-
cipaux articles d'exportation : les importations consistent
en denrées coloniales et articles manufacturés. Il y a à Ulea-
borg des chantiers de construction, un phare, un port en-
sablé en partie, il est vrai, ce qui est cause que les navires
doivent jeter l'ancre à environ trois kilomètres de la ville ,
et des eaux minérales, très-fréquentées. Le l""juin 1854 une
flottille anglaise, aux ordres de l'amiral Plumridge, incendia
à Uleaborg tout ce qui était propriété de l'État. Brahestad,
petit port où l'on compte 1,200 habitants et situé au sud-ouest
d'Uleaborg , avait éprouvé le même sort le 30 mai, et le
dommage causé avait été estimé à 350,000 roubles argent.
ULÉMAS. Voyez Oulémas.
ULULAS, forme grecque, et ULFILA, forme gothique,
du nom du célèbre traducteur de la Bible en langue gothi-
que, qui était né vers l'an 318, parmi les Goths au nord
du Danube, de parents originaires de la Cappadoce, et qui,
vers l'an 348, fut sacré évêque des Goths ariens. En 355
Ulfilasse réfugia en basse Mésie, sur le sol de l'empire romain
d'Orient, avec des Visigoths fuyant la persécution religieuse.
En l'an ?60, il assista à un synode tenu à Constantinople,
y revint en 388, pour défendre les doctrines ariennes de-
vant un concil», et y mourut la même année, honoré
avant comme après sa mort par les siens , par les étrangers
et par l'empereur lui-même, à l'égal d'un second Moïse. Il
composa plusieurs ouvrages originaux et traductions en
grec , en latin et en goth , comme nous l'apprend son dis-
ciple l'évêque Auxeatius de Silistria , à qui nous devons le
peu de renseignements que nous possédons sur sa vie. Mais
de tous ses travaux il n'est parvenu jusqu'à nous qu'une
partie de sa traduction de la Bible , dont d'anciens écrivains
ecclésiastiques grecs , qui vivaient après lui , parlent déjà
avec de grands éloges. Ulfilas prit pour base de sa traduction
de l'Ancien Testament la version des Septante, et pour
celle du Nouveau Testament un autre texte grec, mais qui,
tout en différant de tous les autres manuscrits grecs connus,
6'accofdait sur un grand nombre de points avec les ancien-
DICT. DE LA CONVEES- — T. XVI.
nés traductions latines. Il traduisit fidèlement et conscien-
cieusement, mais non pas servilement, et ne fit nulle part
violence à sa langue, qui d'ailleurs, autant qu'il nous est
possible d'en juger , lui permettait de rester assez étroite-
ment attaché au texte original. De même, il conserva avec
le plus respectueux ménagement tout ce qui dans l'ancien
alphabet runique indigène était admissible, quand en le
fondant avec l'alphabet grec il créa, d'une manière aussi
simple qu'ingénieuse, la nouvelle écriture dont il avait besoin
pour composer son ouvrage. C'est parmi les Visigoths qu'a-
vait été faite sa traduction ; mais les autres tribus de sa na-
tion l'adoptèrent également, et en multiplièrent les exem-
plaires , comme le prouvent les fragments qui s'en sont
conservés et se trouvent aujourd'hui dispersés dans toute
l'Europe, notamment dans les bibliothèques de Milan, de
Wolfenbuttel et d'Upsal ; fragments qui tous proviennent de
manuscrits du cinquième et du sixième siècle, et qu'à cer-
tains indices on reconnaît avoir été écrits et employés en
Italie, ce qui indique une origine ostrogothe; de même que
ceux de ces fragments qui diffèrent le plus des manuscrits
de Milan et de Wolfenbuttel se trouvaient autrefois dans
le monastère de Bobbio, en Lombardie. Parmi ces fragments
manuscrits, qui comprennent de longs passages des Évangiles
ainsi que des Épîtres de saint Paul , et de moindres passages
d'un psaume et des livres d'Esdraset deNéhémie, le plus re-
marquable poufle contenu de même que pour l'état de con-
servation est celui qui est écrit en lettres d'argent sur du par-
chemin teint en pourpre, et qui sous le nom de Codex ar-
genteus fait partie de la bibliothèque de l'université d'Upsal.
La première édition en fut donnée par Franz Junius (Dor-
drecht, 1605). Zahn ajouta à la sieuiie ( Weissenfels, 1805)
les fragments de l'Épître aux Romains découverts par Knittel
dans les palimpsestes de Wolfenbuttel. Angelo Mai et le
comte Castiglioni ont publié en cinq livaisons ( Milan ,
1819-1839) les autres fragments provenant des palimp-
sestes de Milan.
ULLOA ( Don Antonio di ) , l'un des hommes les plus
célèbres de l'Espagne au dix-huitième siècle, né àSéville, en
1716, entra dans la marine, et en 1733 était déjà capitaine
de frégate. L'année suivante il accompagna à Quito la com-
mission envoyée en Amérique à l'effet d'y déterminer la
figure de la Terre; et il y resta jusqu'en 1744. A son retour
en Europe , il fut fait prisonnier de guerre par un bâtiment
anglais et conduit en Angleterre, oîi on le traita avec la plus
grande distinction. Revenu enfin en Espagne, il parcourut une
grande partie du continent, et rentra dans sa patrie, riche
d'observations de tous genres. Il contribua à y favoriser les
progrès de l'industrie manufacturière, acheva la construc-
tion des bassins des ports du Ferrol et de Carthagène , et
réorganisa l'exploitation des mines de mercure d'Almaden
en Espagne et de Guançavellica au Pérou. Eu 1755 il se
rendit de nouveau en Amérique, et fut nommé en 1764 gou-
verneur de la Louisiane , récemment cédée à l'Espagne. Mais
on le rappela dès 1767 dans sa patrie, où on lui confia les
fonctionsde directeur général des affaires maritimes. Il mou-
rut en 1795, dans un domaine qu'il possédait aux portes de
Cadix, On a de lui : Relacion historica del Viagea la Ame-
rica méridional {Màiirid, 1748); Mtïcias americanas
sobre la America méridional y la septentrional-oriental
(Madrid, 1772), où on trouve ses recherches sur la popu-
lation de l'Amérique; enfin, Noticias sécrétas di America
(Londres, l726,in-fol.), contenant les rapports adressés au
gouvernement espagnol , par lui et ses collègues , sur son
premier voyage.
ULLOA ou ULUA (Saint- Jean ou San-Joan d' ). Voyez
Yera Cruz.
ULM, forteresse de la Confédération Germanique et chef-
lieu du cercle du Danube (royaume de Wurtemberg), sur
la rive gauche du Danube, qui y reçoit l'Iller et la Blau,
dans une belle et fertile plaine, compte 20,000 habitants,
non compris la garnison ( en temps de paix, 9,000 hommes,
réduite à. 3,000 par les congés, et pouvant en temps de
46
722
guerre être portée à 20,000 hommes), et 1500 habitants de
JSeu-Vlm, quia remplacé un ancien faubourg {Schweik-
ho/en), situé sur la rive droite du Danube et appartenant
à la Bavière, mais compris dans l'ensemble des fortifications
d'Ulm. Ces fortifications, dont la première pierre fut posée
i« 18 octobre 1844, forment une ceinture de murailles, de
.emparls, de fossés, etc., dont il faut au moins Cinq lieures
pour faire le tour, et en avant de laquelle se trouve en outre
une couronne d'ouvrages avancés. La ville même porte le
type des anciennes villes impériales; elle est étroite, mais
richement construite. Elle est dominée par la cathédrale,
l'un des plus magnifiques monuments de l'ancienne archi-
tecture allemande, et en même temps une des églises les
plus vastes et îes plus élevées de l'Allemagne, avec de su-
perbes peintures sur verre, un orgue immense et un chœur
en bois sculpté par Georges Sœrlin l'aîné. L'église, avec ses
cinq nefs et son chœur, est entièrement terminée; mais son
énorme tour est restée à la moitié de la hauteur projetée. En
fait de constructions modernes, il faut citer le pont du Da-
nube, achevé en 1842, et le pont du chemin de fer, qui a été
livré à là circulation en 1854, ainsi que l'embarcadère du
chemin de fer où convergent trois voies principales; celle
de Stutfgard à Ulm, celle d'Ulm à Friedrichshafen, et celle
d'Augsbourg à Ulm. 11 y a à Ulm un collège, une école
des arts et métiers, et trente écoles primaires. L'industrie
de la population consiste dans la culture des céréales et des
légumes, la préparation de la farine, la fabrication des têtes
de pipe , de l'amadou , des allumettes et des cartes à jouer.
Il y a dans la ville deux grandes blanchisseries de toile et
de nombreuses brasseries. Il s'y fait un important com-
merce de bois, surtout de planches, de produits divers et
d'expédition , que favorise la navigation du Danube.
Ulm était autrefois une ville libre impériale du cercle de
SouaDe , dont elle présidait les assemblées ; et outre la po-
pulation contenue dans ses murs ( à l'époque de sa plus
grande postérité, au quinzième siècle, on y comptait plus
de 60,000 habitants), elle possédait en propre un territoire
de 12 myriam. carrés, avec une population de 38,000 âmes.
Lors des remaniements de territoire qui eurent lieu en Al-
lemagne en 1803, elle passa sous la souveraineté de la Ba-
vière; et en 1810 elle fut adjugée au royaume de Wurtem-
berg. Dans la guerre de 1805, à la suite des victoires rem-
portées le 14 et le 15 octobre à Elchiugen, qui en est peu
éloigné, par l'armée française aux ordres de Napoléon et de
Ney, elle fut prise par capitulation, le 17 octobre, et le gé-
néral autrichien Mack y fut fait prisonnier de guerre avec
les 26,000 hommes qu'il commandait.
ULPHILAS. Voyez Ulfil/vs.
ULPiEN (DoMiTius ULPIAINUS), l'un des plus célèbres
jurisconsultes romains, était né vers l'an 170, à Tyr. Il
fut d'abord, sous le règne de Septime Sévère, assesseur
à Rome d'un des préteurs ; puis Papinien l'admit comme as-
sesseurdansson consJ/iMm. Sous Alexandre Sévère,peutêtre
môme déjà sous les règnes de Caracalla et d'Héliogable,
il fut prxfectus prœtorio ; mais vers l'an 228 il périt égorgé,
à l'instigation d'Epagathus,dans une révolte de prétoriens,
sous les yeux mêmes de l'empereur et de sa mère Mammœa.
Ses nombreux ouvrages, dont les principaux sont intitulés
AdEdictum, en quatre-vingt-trois livres, et /idSa&inM/n, en
cinquante-et-unhvres, ont surtout de l'importance pour nous,
parce qu'un bon tiers des Pandectes en est tiré. Le petit ou-
vrage intitulé : THuliex coi-pore Vlpiani , etdésigné d'ordi-
naire sous le titre de Fragments d'Ulpien, a aussi une grande
importance, et a été publié par Hugo (3* édition; Berlin,
1834) et par Bucking (3^ édition; Bonn, 1845). Endlicher a
aussi publié )m fragment de ses Inslitutes (Vienne, 1845).
ULRICH, duc de Wurtemberg, né en 1487, fils du
comte Henri qui tomba on démence , se trouva possesseur
du duché en 1498, dès iù^e de onze ans. Pour s'assurer
l'appui de l'empereur conlre Kberhard II, qui pouvait lui dis-
puter le duché, il se fiança avec Sabine de Bavière , nièce
de l'emoereur Maximilien 1^% qui déclara Ulrich majeur dès
ULM — TILSTi'R
qu'il eut atteint sa quatorzième année. C'était un je«na
prince d'esprit et de cœur, plein d'énergie , d'ardeur et de
courage; le malheur le rendit plus tard dur, soupçonneux
et défiant. Les premières années de son règne furent très-
prospères , et sa cour devint l'une des plus brillantes de
l'Allemagne. Mais de lourds impôts et de mauvaises récoltes
provoquèrent le mécontentement des populations; et en
1514 éclata la redoutable insurrection du pauvre Conrad,
qu'il ne put étouffer qu'en accordant à son peuple des li-
bertés et des franchises extraordinaires. En l'année 1516 u
égorgea de sa propre main Jean deHutten, qu'il soupçonnait
d'entretenir des relations intimes avec la duchesse. Celle-ci
prit la fuite ; et dès lors Ulrich compta les ducs de Bavière ,
frères de sa femme , au nombre de ses ennemis les plus
acharnés. De plus grands malheurs ne tardèrent point à le
frapper. A là suite d'un démêlé qu'il eut avec les bourgeois
de la ville de Reutiingen, la ligue de Souabe, dont faisait
partie cette ville impériale, et qui avait pour chef le duc de
Bavière, prit les armes contre lui ; et peu de temps après il
se trouva sans États ni sujets (1519). Ulrich invoqua alors
les secours du roi de France , François I^', et du landgrave
de Hesse Philippe le Magnanime ; mais ce ne fut qu'en 1534
que celui-ci put ramener dans ses Étals Ulrich , qui pen-
dant son exil avait embrassé le protestantisme. Il fut d'ail-
leurs obligé de reconnaître tenir son duché de l'Autriche à
titre d'arrière-fief. Ulrich introduisit la réformation dans ses
États; mais il eut bientôt de nouvelles querelles avec l'Au-
triche, et tout faisait prévoir que cette fois son duché allait
être confisqué par les voies juridiques. Déjà donc il avait
pris le parti d'abdiquer en faveur de son fils, à qui l'empereur
n'avait rien à reprocher, lorsqu'il mourut, le 6 novembre
1550.
ULSTER, province formant l'extrémité septentrionale
de l'Irlande, bornée au sud par le Leinster, au sud-ouest
par le Connaught, et partout ailleurs par la mer, notamment
à l'est par la mer d'Irlande et par le canal du Nord. Sa côte,
déchirée par une foule d'échancrures, offre un grand nombre
de baies et d'anses pénétrant profondément dans l'intérieur
des terres et formant comme autour de lacs intérieurs
(loughs), tels que le Carlingfordlough, les baies de Dun-
dr%im, de Strangford et de Belfast ou de Garrickfergus
à l'est, le Foylelough et le Swilhjlough, les baies de Stra-
bagij, de Hhilrog et Sheephaven au nord , le Lochrus-
more et la baie de Donegal à l'ouest. Depuis la baie de
Dundrum jusqu'à celle de Garrickfergus s'étend une suite
d'écueils et de récifs. La partie orientale de la côte sep-
tentrionale, depuis le cap Fair jusqu'à l'embouchure du Ban,
est protégée contre la violence du ressac par la remarquable
formation basaltique si célèbre sous le nom de chaussée
des géants. Le sol de cette province présente une suc-
cession de plaines, de collines et de groupes isolés de mon-
tagnes, généralement situés sur les côtes, mais qu'on ren-
contre aussi dans l'intérieur, où par leur juxta-position, elles
constituent un pays de montagnes. Ainsi, au sud-est, dans la
chaîne granitique des Down ou Mourne-Mountains, le Slieve
Donnard atteint 885 mètres d'élévation; au nord-est, dans
les montagnes d'Antrim , le D'wis 484 mètres, et VAgnew-
IJill 489 mètres; au nord , dans les Monts Carntogher ou
montagnes de Londonderry, le Slieve-Sawell 699 mètres;
au nord-ouest et à l'ouest, dans les montagnes du Donegal,
le Slieve-Snaght 631 mètres , le Mucksish 685 mètres ,
VErigal 769 mètres et le Bluestock 692 mètres; au sud-
ouest, dans les montagnes de Ferraanagh, le Luilcugh 685
mètres; et à l'intérieur, dans les montagnes de Tyrone, le
Longfield 907 mètres , etc. La province contient , outre une
foule de petits lacs , les deux plus grands qu'il y ait en Ir-
lande, le Neagh, qui a 52 kilomètres carrés , et VErne, qui
en a 38. Du premier sort le Ban ou Bann, en se dirigeant au
nord, et du second l'Erne, qui va se jeter dans la baie
de Donegal au nord-ouest; et entre eux le Foyie coule an
nord pour se jeter dans le Lough-Foyle, qui a 26 kilomètres
carrés et est en commimication avec la mer. La province ne
ULSTER — ULYSSE
9 i
manque pas non plus de marais ni de forèls. De cette suc-
cession de plaiines plus ou moins étendues , de collines et
de montagnes ( dont les pics présentent presque toujours des
ruines de vieux manoirs féodaux ), de vallées, de rivières et
de lacs, il résulte que l'Ulster a une physionomie beaucoup
plus agréable que les trois autres provinces de l'Irlande, et
se rapproche bien plus qu'elles du cachet particulier aux
provinces de l'Angleterre. Au lieu de huttes sales et misé-
rables comme dans le reste de l'Irlande , on y rencontre
presque partout de jolies habitations, au milieu de planta-
tions régulières ou bien de champs consacrés à la culture
des céréales ou du chanvre , de même que sur quelques
points une certaine activité manufacturière. Il n'y a que les
parties montagneuses de l'ouest du Donegal, où n'a point
encore pénétré l'activité créatrice des presbytériens émigrés
d'Ecosse, qui fassent exception à cet aspect général du pays.
La superficie totale de l'Ulster est de 276 myriam. carrés.
En 1851 on y comptait encore 2,004,289, iiabitants, c'est-à-
dire 406,436 de moins qu'en 1841; ce qui fait une dimi-
nution de 16 pour 100 pour une période de dix années. L'a-
i,'riculture , et notamment la culture du chanvre, la pêc-he,
la navigation, le tissage et le blanchissage des toiles, le
commerce des toiles, du chanvre, du beurre et des viandes
salées, constituent les principales industries de cette popu-
lation. La province se divise en neuf comtés : Down, An-
trinif Londonderry, Doneg al, Tyrone , Arenag,
Monaghan, Cavan et Fermanag h, qui forment en-
semble 54 baronnies et 332 paroisses. Parmi ses villes les plus
importantes, Belfast avec sa banlieue contient aujourd'hui
environ 100,000 habitants; Londonderry, 14,000; Newry,
dans le comté de Down, 13,400; ArmagI» 33,300; Car rie k-
fergus, dans le comté de Down, 8,500; Enniskillen, dans le
comté de Fennanagh, 6,800 ; Strabane, dans le comté de Ty-
rone, 6,000.
ULTIMATUM. Ce mot, dérivé du latin ultimus (der-
nier), sert dans les relations diplomatiques à désigner une
résolution quelconque , définitive et irrévocable , à laquelle
s'arrête un cabinet au sujet d'une chose en litige entre deux
États. L'acte de signifier un uUlmatum est toujours un
acte îd'intimidation ; c'est intimer un ordre, que devra
suivre le recours à la force , à ce qu'on a nommé Vultima
ratio regitm , s'il n'y est pas fait droit.
ULTRA, mot latin qui veut dire au-delà, et par lequel
on désigne en politique un homme dont les opinions et les
actions , déterminées par l'aveuglement de la passion , dé-
passent la juste mesure qu'indique le bon sens. Dans la
première révolution, les jacobins furieux , qui pour réfor-
mer les abus, détruisaient l'État et la société , étaient des
ultra- révolutionnaires. Quand les alliés eurent restauré la
maison de Bourbon sur son trône, on vit tout aussitôt ap-
paraître des ultra-royalistes , parti fanatique de prêtres et
(le nobles, qui prétendait rétablir la vieille monarchie fran-
çaise avec tous ses abus et ses institutions décrépites. De-
puis lors, le motultra a été attaché successivement au nom
de tous les partis politiques, pour désigner cette mauvaise
QUeiie , composée d'intrigants et d'ambitieux , qui en exa-
gère tous les principes, dans l'espoir d'arriver ainsi au par-
tage des places et des fondions publiques largement rétri-
buées , quand viendra le jour de la victoire pour la cause
dont ils ont l'hahiletédese faire les représentants et comme
l'incarnation. C'est ainsi qu'en France nous avons eu les
ultra-libéraux, puis les ultra-radicaux, les ultra-républi-
cains et. Dieu me pardonne, les xdtr a-bonapartistes. Inu-
tile sans doute d'ajouter qu'il n'y avait pas plus de con-
victions chez les uns que chez les autres.
ULTllAMOA'TAIN, ULTRAMONTANISME (des
mots latins ultra et mons , ultra montein, celui qui de-
meure au delà d'une montagne, par rapport à la personne
<iui parle). C'est à propos des Alpes et par ceux qui de-
meurent en deçà de ces montagnes qu'a été créé le moiul-
iramontain , qui au propre désigne pour nous celui qui
deraeure au delà des Alpes. Jîais dans l'ufage le plus or-
dinaire on l'emploie pour désigner les partisans exagérés de
la puissance du pape. Le fameuxLaMennais fut chez nous
pendant toute la restauration le fougueux représentant de
Vultramontanisme, c'est-à-dire de l'opinion qni prétend
mettre le pouvoir spirituel du pape au-dessus du pouvoir
temporel des princes et des rois. L'Église galliciine a toujours
combattu les maximes uUramontaines et les prétentions
de Vultraiyiontanisrme.
ULUA ou ULLOA. Voyez Ver\-Cruz.
ULVES, genre d'algues , dont on connaît une douzaine
d'espèces, presque toutes cosmopolites, et qui dans quel-
ques pays servent à la nourriture des hommes et des bes-
tiaux. Il est caractérisé comme suit : Fronde verte, mem-
braneuse, p'ane, quelquefois creusée en cornet à la base, à
bords ondulés ou crépus , rarement ou du moins fort briè-
vement stipités, composée d'une ou de deux couches de cel-
lules. Spores réunies par quatre, et nées de l'endochione des
cellules. Zoospores munis de l à 4 cils à leur extrémité
intérieure , et renfermés dans d'autres cellules en nombre
multiple de 4. Les anciens botanistes donnaient ce nom à
toutes les plantes croissant dans les marais.
ULYSSE, en grec Odusseus , fils de Laerte et d'Anti-
ché, fille d'Autolycos, frèrede Climène, époux de P é n é 1 o pe,
père de Télémaqueet roi d'Ithaque, se montra dès sa
jeunesse hardi voyageur et négociateur habile. Dans une
visite à son grand-père Autolycos , il reçut au genou une
blessure dont la cicatrice aida plus tard à le faire recon-
naître par sa nouriice. A Messène, où son père l'avait
envoyé à l'effet de demander satisfaction pour un vol de
moutons commis à Ithaque par des Messéniens , il ren-
contra Iphitos , qui lui lit présent de cet arc fameux que
les poursuivants de Pénélope ne pouvaient réussir à bander.
Agamemnon ne le détermina qu'avec peine à prendre part
à l'expédition contre Troie. Il essaya d'abord d'obtenir à
l'amiable la restitution d'H élène et de ses trésors, et se
rendit à cet effet à Troie, mais inutilement. Suivant une tra-
dition postérieure, ce lut surtout Palamède qui ie con-
traignit à faire partie de l'expédition. Il y prit part alors avec
douze navires, et conduisit les Céphalléniens contre Troie.
11 s'y montra guerrier courageux, mais plus encore espion
rusé et négociateur habile. Il entreprit aussi de réconcilier
Agamemnon avec Achille; et à la mort de celui-ci il se fit
attribuer ses armes par son éloquence : ce qui lui valut la
haine d'Ajax. En outre, il fut un de ceux qui se cachèrent
dans les lianes du fameux cheval de bois , qui n'eut pas
plus tôt été ouvert qu'avec Ménélas il accourut à la de-
meure de D é i p h 0 b e , où il sortit vainqueur d'un rude com-
bat. Après la chute de Troie, il devint encore plus célèbre
par ses dix années de pérégrinations, qu'Homère raconte
en détail dans son Odyssée. Il fit d'abord naufrage à Isma-
ros, ville des Ciconiens, an nord de Lemnos, où il perdit
soixante-douze de ses compagnons. H arriva ensuite chez les
Lotophages, sur les côtes de Libye; puis sur la côte des
Cyclopes (cô!c occidentale de la Sicile ), où P o ly p h ê me
dévora six de ses compagnons et lui préparait le môme
sort, s'il n'avait pas réussi à l'enivrer et s'il n'avait pas
profité de son sommeil pour lui crever son unique œil ;
c'est pourquoi Poséidon, père de Polyphème, le poursuivit
désormais. De là il aborda dans l'île d'Éole ( à l'extrémité sud
delà Sicile), puis chez les Lestrigons, peuple anthropo-
phage (sur la côte nord-ouest de la Sicile), d'où il ne
s'échappa qu'avec un seul de ses vaisseaux. Sa destinée
le conduisit ensuite dans l'île de l'enchanteresse Circé,
qui le laisssa enfin partir et le chargea de descendre dans
l'empire d'Hadès pour y demander à Tirésias comment il
devrait faire pour pouvoir retourner dans sa patrie. Il
obéit , et revint trouver Circé. De là il gagna l'îlo des
Sirènes , puis tomba de Scylla en Charybde, où il per-
dit encore six autres de ses compagnons. Il aborda en-
suite à Trinacria, île d'Hélios , où pendant son sommeil
ses compagnons, affamés, immolèrent des bœufs faisant
partie du troupeau de ce dieu; en punition de quoi Zeus,
40.
124 ULYSSE — UNIFORME
quand ils remirent à la voile , lança sa foudre sur son
iiavire, qui fut brisé , en même temps que tous ses compa-
gnons étaient tués. Ulysse aborda alors seul sur quelques
débris de son navire dans l'île d'Ogygie, où la nymphe Ca-
ly pso lui flt bon accueil et le garda pendant huit ans au-
près d'elle. 11 s'y construisit un radeau à l'aide duquel il
s'échappa. Mais Poséidon envoya alors une tempête , au
milieu de laquelle il fut enlevé par les vagues. Il atteignit
ensuite à la nage le rivage des Phéaciens. C'est là qu'il ren-
contra Nausica a, qui le conduisit à son père Aicinoiis.
Celui-ci, après lui avoir lait bon accueil, le renvoya avec de
riches présents dans sa patrie. Il dormait profondément
dans son navire, lorsque, après une absence de vingt années,
il aborda enfin de nouveau, la nuit, à Ithaque, oij Pénélope
luiétaitdemeurée fidèle, et où revint aussi son (ils Télémaque.
il tua les poursuivants de son épouse, qui s'étaient conduits
avec imprudence. Homère ne raconte au sujet de ce qui
lui advint plus tard que la prédiction de Tirésias , suivant
laquelle une mort douce l'attendait dans un âge avancé.
D'après ime tradition postérieure, il aurait été tué par Télé-
gonos, fils qu'il avait eu de Circé et qui avait fait naufrage
sur la côte d'Ithaque. Homère représente Ulysse comme un
honune habile , fécond en ressources , patient et hardi ; tan-
dis que des poêles postérieurs font de lui le type de la
fausseté , de l'intrigue et de la lâcheté.
UMEA ou WESTERBOTTEN (Bothnie occidentale),
bailliage {lsen)de la Norrlande, ou Suède septentrionale,
qui comprend tout le bassin de l'Umea et du Skelleftea
avec leurs cataractes et leurs flaques d'eau , de même que la
partie supérieure de l'Angermana et du Pitea ; il s'étend de-
puis le golfe de Bothnie jusqu'aux monts Kiœlen et est tra-
versé dans la direction du sud-est p;ir des vallées plus ou
moins larges, couvertes tantôt de forêts, tantôt de rochers
dénudés, cultivées seulement par-ci par-là, mais le plus or-
dinairement occupées par des prairies. La plus grande partie
de ce pays est un désert, avec de nombreux lacs et encore
plus de marais. L'hiver y sévit dans toule sa rigueur; ce-
pendant, l'été permet à quelques céréales d'y mûrir. Des
myriades de cousins y sont un grand fléau pour les hommes
et les bestiaux. Les contrées situées au sud de l'Umea sont
désignées sous le nom d'Asele-Lappmark, et au nord de ce
bailliage sous celui d' Umea-Lappmark. Le pays au sud-
ouest du Pitea est appelé PiteaLnppmark. La popula-
tion est très-clair-semée, car en 1830 on ne comptait que
70,7p8ha.bitantsdans tout ce bailliage, dont la superficie est
de9(ip,et suivant d'autres de 1,036 myriam. carrés. Les prin-
cipaux articles du commerce d'exportation sont le beurre,
le fromage, les fourrures, le fer, les planches et le goudron.
Le chef-lieu, Umea, à peu de distance de l'embouchure de
rUmea dans le détroit de Quarken, la partie la plus étroite
du golfe de Bothnie, dans une jolie vallée, fut fondé en
1C2?, par Gustave-Adolphe , est régulièrement construit ,
ppssède un port peu profond, mais sûr, et environ 1,500 ha-
bitants. En 1809 les Russes, commandés par Barclay de
ToUy, qui avaient traversé le golfe de Bothnie sur la glace et
avaient envahi la Bothnie occidentale , y conclurent avec les
Suédois aux ordres de Cronstedt des conventions en date
du 22 mars et du 26 mai pour l'évacuation du pays. Mais
les Russes ne les exécutèrent qu'à la suite de batailles
livrées le 18, le 19 et le 20 août suivant.
Le fleuve Umea forme à Wœnnaes, un peu au-dessus de
la ville, une cataracte qu'un rocher divise en deux parties.
UMINSKI ( Jean-Népomucène), général polonais, né en
1780, dans le grand-duché de Posen , servit en qualité de
volontaire sous les ordres de Dombrowski et de Kosciuszko,
en 1794. En 1806, quand Napoléon, par l'organe de Dom-
browski , appela la Pologne à prendre les armes pour recon-
quérir son indépendance, Uminski, un des premiers, répon-
dit à cet appel; et fait prisonnier à l'affaire de Discliau, il
fut alors condamné à mort par un conseil de guerre prus-
sien. L'intervention de Napoléon lui sauva la vie. Après la
paix de 1807, 11 entra comme major au 3* régiment de chas-
seurs achevai. Dansla campagne d'Autriche de 1809, il cona-
manda l'avant-garde du général Dombrowski. Promu alors
au grade de colonel, il se distingua, en 1812, à l'affaire de
Mosaisk,et entra le premier à Moscou. Nommé alors général
de brigade, il fut blessé et fait prisonnier à la bataille de
Leipzig. Après la chute de Napoléon , il se retira dans se/»
terres, situées dans le grand-duché de Posen. En 1821 il
fut, avec Leskasinski , le fondateur de l'association patrio-
tique des Faucheurs ( Kossiniery), qui se propagea rapide-
ment dans toute la Pologne. Arrêté pour ce fait, après l'ac-
cession au trône de Nicolas , il fut condamné à six années
de détention dans la citadelle de Glogau. Quand éclata la
révolution de Pologne de 1830, il réussit à s'échapper, et
parvint à gagner Varsovie au péril de sa vie et dans le plus
complet dénûment. 11 arriva inopinément à l'armée pendant
labatailledeWawre, à laquelle il prit part comme simple sol-
dat. Son apparition excita un enthousiasme universel, elle
lendemain il reçut un commandement comme général de di-
vision. A la bataille deGrochow, livrée le 26 février, il battit
le général Diébitsch, et ne se distingua pas moins aux affai-
de Naref, de Dembé, de Liwiec et de KaUiszyn. Après la
chute de la Pologne, proscrit et pendu en effigie à Pose»,
il trouva en France protection et sécurité. On a de lui un
Bécit des Événements militaires de la Bataille d'Ostro-
lenka (Paris, 1832).
UNAU. Vo.yez Bradype.
UNGHIERI (Giovanni ). Voyez Calixte III, antipape.
UNIFORME, semblable, égal , ayant la même forme :
Plaine uniforme , architecture uniforme, \ieuniforme. On
entend par style uniforme celui dont les détails n'ont pas
! de variété, dont le ton , le mouvement, la couleur, sont
1 partout les mêmes. Uniforme, dans le langage militaire, n'est
I devenu substantif que depuis le siècle dernier. La dernière
' éàiHonda Bicliunnuire de l'Académie, publiée en 1835, ne
I classe d'abord ce terme que comme adjectif, puis, se contre-
disant, elle avoue qu'on dit xiniforme \)onvV habit uniforme.
L'usage, qui ne se soumet pas toujours à la loi de la langue,
et qui ordinairement fait lui-même la langue, en a ordonné
autrement. Les règlements militaires français , qui traitent
des objets d'armement et de tenue de l'armée, datent à
peine d'un siècle. Ils qualifient d'habit uniforme ce que le
soldat s'est habitué à appeler Vhabit d'uniforme et , par
abré\iation, Vuni forme. Ces règlements sont intitulés: Rè-
glement sur V habillement, la coiffure, Vcquipement^lés
marques distinciives , l'armement et le harnachement.
Le bon sens du soldat lui a démontré que c'était un titre un
peu long, et il a dit Règlement sur l'uniforme. Le ministre
de la guerre ne s'est décidé qu'en 1815 à parler le langage
de la troupe, et depuis lors l'uniforme est tout autre
chose que ce qu'il avait été jusque là : il ne se borne
plus à indiquer un habit, il exprime l'ensemble de tous
les effets dont la loi trace rénumération,etqu'elle distingue
en effets d'uniforme d'officier, et en effets d'uni forine
d'hommes de troupe. G^' Bari>in.
A la guerre les Lacédémoniens révêtaient des clilauiydes
rouges , couleur qui dissimulait à l'ennemi le sang coulant
des blessures. L'habit militaire des Romains était une espèce
de capote appelée sagum, avec un manteau à capuchon
nommé lacerna. Après avoir longtemps porté le costume
militaire des Romains , les Franks reprirent sous Charle-
magne l'usage du sayon de peau, qu'ils avaient abandonné
au cinquième siècle , et y ajoutèrent le haubert , autre
sayon, en mailles de fer, fait pour être mis sur le premier. Au
retour de la Terre Sainte les croisés français adoptèrent
une espèce de tunique uniforme, appelée saladine. Mais ,
suivant toute apparence , chefs et soldats restaient maîtres
de choisir le vêtement qu'ils voulaient; certains signes de re-
connaissance, une croix, une écharpe, une aiguillette suf-
fisant pour distinguer les différentes nations, alors que le?
armures en fer battu étaient d'usage. C'est seulement sous
Charles VII que la cotte d'armes remplaça le haubert
Elle devint une espèce d'uniforme de guerre, chaque com-
UNIFORME — UNION
mandant faisant adopter la couleur de sa coite aux hommes
sous ses ordres. Mais c'était là un vêtement aussi lourd
qu'incommode, dont on se débarrassa pour adopter le hoqiie-
ton, vêtement plus léger , espèce de mantille, qui bientôt
se transforma en caso^'tie, parce qu'on en fermâtes manclies
et qu'on l'ouvrit sur le devant. En 1533 François I*"^ or-
donna que dans chaque compagnie les soldats porteraient
une manche de leur casaque de la couleur de la livrée de
leur commandant. Sous Henri II la casaque fut supprimée,
et on eut recours alors, pour servir d'uniforme aux troupes,
à l'écharpe qui avait été en usage au temps de saint Louis.
Quoiqu'à la bataille de Saint-Quentin on eût vu un corps
de 7,000 Anglais, tous uniformément vêtus, ce n'est à bien
dire qu'au dix-septième siècle que s'introduisit l'usage d'un
vêtement uniforme pour la troupe. Pendant la guerre de trente
ans on remarqua des régiments suédois habillés de bleu et
de jaune. A cette époque le fantassin portait encore un cas-
que en 1er, appelé 5aZade ou bassinel, un bouclier, une ca-
saque de peau de buffle et un pourpoint en toile rembour-
rée, ou hoqueton, par-dessus lequel on mettait quelquefois
une cotte de mailles. Le costume du cavalier était à peu
près le même. Ce ne fut guère que sous le règne de Louis XIII
que Yuniforme complet s'établit dans l'armée française;
et encore fallut-il bien du temps pour que cet usage se ré-
gularisât. C'est en 1670 seulement que Louis XIV régla
d'une manière définitive tout ce qui avait trait à cette
matière. L'uniforme du soldat d'infanterie était un justau-
corps bleu, à larges basques, descendant jusqu'au jarret et
doublé de rouge, avec un collet et des parements d'une
autre couleur , gilet blanc , culottes blanches, des guêtres
et des souliers ; celui des officiers n'en différait que par la
finesse des étoffes et par plus ou moins de galons d'or et d'ar-
gent, suivant les grades ; car l'introduction de l'épaulette est
de beaucoup postérieure. La coiffure consistait en un petit
chapeau. L'uniforme de la cavalerie différait peu de celui
que nous venons de décrire; seulement, la culotte était de
peau , le chapeau surmonté d'un plumet , et le soldat avait
d'éoormes bottes au lieu de guêtres. Fantassins et cavaliers
avaient sur la poitrine deux bandoulières croisées , l'une
pour le sabre l'autre pour la giberne. Toutes les armées
étrangères adoptèrent des uniformes analogues. Cependant,
jusqu'au règne de Louis XV, officiers et soldats des troupes
de ligne faisaient le service dans les places et passaient la
revue eu habit de ville. Il n'y avait guère que la maison mi-
litaire qui fût en uniforme ; et encore vit-on bien lard les
officiers aux gardes faire leur service en costume de fantai-
sie, en habit bourgeois brodé de toutes couleurs, même en
habit noir s'ils étaient en deuil. L'uniforme donné par Fré-
déric le Grand à l'armée prussienne fut imité par les autres
nations. Les guerres de la révolution amenèrent encore de
profondes modifications dans les uniformes qu'on s'efforça de
rendre aussi simples et aussi commodes que possible. Une des
réformes qui furent le plus difficiles à accomplir, c'est la sup-
pression de la poudre et surtout de la queue, que la garde im-
périale conserva jusque dans les dernières années de l'empire.
UNIFORMITÉ (Acted'). On désignait ainsi autrefois,
en Angleterre, l'une des lois cruelles à l'aide desquelles le
pouvoir prétendait établir dans l'État l'unité de foi et d'É-
glise {voye:, Test [Acte du ];. A l'aide de lois sévères et au
moyen de pleins pouvoirs conférés à une haute commission
(voi/es Chambre étoilée), Elisabeth avait déjà essayé d'ex-
tirper le parti ecclésiastique qui , sous les différents noms
de puritains, de presbytériens et de non-conformis-
tes, osait lutter contre l'Église épiscopale, protégée par l'É-
tat, et contre ses adhérents les confonnistes. Lorsque, sous
Charles T'', éclata la révolution, on abolit et ces lois tyran-
niques et cette haute commission. En 1060, après la mort
de Cromweil, quand on négocia avec Charles II, à Bréda ,
l'un des principaux engagements qu'on lui fit prendre fut
de ne point rétablir les lois pénales portées contre les non-
conformistes. Malgré cela, les intolérants partisans de l'É-
glise épiscopale réussirent, dans la session de 1662 , à faire
725
voter l'acte d'uniformité , Act of Vniformiiy, en haine des
presbytériens. En vertu de cette loi, qui remettait tout sim-
plement en vigueur la législation d'Elisabeth, tout ecclé-
siastique ayant charge d'âmes en Angleterre et dans le pays
de Galles était tenu de remplir ses fonctions conformément
aux prescriptions de TÉgiise épiscopale, telles qu'elles sont
consignées dans le livre de prières pubhques intitulé r/ieBooA
of common Prayer. Contre l'attente des épiscopaux , l'acte
rendu par le parlement ne put pas déterminer un seul ecclé-
siastique presbytérien à embrasser les doctiines de l'Église
épiscopale. Le célèbre acte de tolérance rendu en 1689,
sous Guillaume IH , affranchit seul les non-conformistes de
toutes les pénalités portées contre eux depuis Elisabeth.
Ui\IGEi\TTUS DEI FILIUS. C'est par ces mots que
commence la bulle rendue par le pape Clément XI, en sep-
tembre 1713, à la sollicitation du parti jésuite à la cour de
Louis XIV, et notamment du confesseur de ce prince, le
père Le Tellier, afin de jouer un bon tour aux jansénistes. On
y condamnait cent-et-une propositions extraites de l'ouvrage
du père Quesnel intitulé Réflexions morales, comme
hérétiques, blasphématoires ou tout au moins messéantes,
quoique beaucoup d'entre elles fussent entièrement con-
formes à la Bible et à la doctrine de l'Église. La longue et
violente querelle qui en fut le résultat se confond avec l'his-
toire du j anse ni sme, et fut enfin apaisée par un bref
conciliateur de Benoît XIV, qui satisfit l'un et l'autre parti.
Vint ensuite la suppression de l'ordre des Jésuites , me-
sure qui eut pour résultat de singulièrement affaiblir en
France l'importance de la Constitution Unigenitîis , ainsi
qu'on appelait d'ordinaire la bullede Clément XL Elle avait
été reçue, il est vrai, dans d'autres pays catholiques ; mais
on y avait fait peu attention, attendu qu'elle était à bien dire
seulement à l'adresse des partis religieux en présence en
France. Dans les États autrichiens, où quelques évêques
l'avaient propagée dans leurs diocèses, elle fut supprimée
en 1781 par l'empereur Joseph II, en même temps que la
bulle I n cœna Domini. Aujourd'hui elle n'appartient
plus qu'à l'histoire; car le saint-siége lui-même a cessé de
prétendre en faire un article de foi.
UNILATÊUAL (Contrat). Toyes Bilatéral.
UiXlLOCULAIRE. Voyez Coquille.
UiX'lOiX. Au propre ce mot désigne la jonction de deux
ou de plusieurs choses ensemble. Au figuré, il exprime la
bonne intelligence, la conco rde; et en ce sens on l'a fait
synonyme du mot mariage, dont il est l'emblème.
En termes de droit et en matières de faillite, on ap-
pelle con<m< d'union celui qui est formé entre diverses per-
sonnes qui ont des droits à faire valoir en commun, et qui
se réunisseut pour les exercer ensemble, en nommant des
procurateurs généraux désignés ordinairement sous le nom
de syndics. Bien que du jour même où la faillite est dé-
clarée il y ait nécessairement un contrat d'union formé entre
tous les créanciers par la seule force de la loi, comme les
opérations premières de la laillite tendent à cette conclusion
que le failli doit être, s'il est possible, rétabli dans l'exercice
de ses droits au moyen d'un concordai , on dit , en droit,
que le contrat d'union ne commence rigoureusement à
produire ses effets que lorsqu'il y a certitude acquise que
le concordat ne peut pas être formé. C'est alors que les
créanciers sont véritablement unis pour délibérer en
commun sur la gestion des biens appartenant à la masse.
De nouveaux syndics sont nommés, ou bien les anciens sont
conservés dans leurs pouvoirs à titre nouveau; et ils reçoivent
mission de procéder à la liquidation définitive pour arriver
à la clôture de la faillite, à moins que la majorité des créan-
ciers, se composaut des troisquarts en nombre et en somme,
ne reconnaisse qu'il y a utilité à continuer la gestion des
affaires dans un intérêt commun. Si l'on s'en tient à la li-
quidation, elle doit se terminer par un compte définitif rendu
en présence du failli, ou lui dûment appelé. Cette formalité
remplie, l'union est dissoute de plein droit. Mais la lui exige
que les tribunaux se prononcent alors sur la questiou d^
Î2G
UNION — UNIVERSALISTES
savoir si le failli peut être déclaré excusable; en cas d'af-
firmative, il demeure affranchi de la contrainte par corps ;
en cas de négative, il y demeure soumis. Voyez Failute.
U]\IOi\ {Politique). On appelle ainsi l'association de
plusieurs États à l'effet de former un tout plus grand. Le
caractère d'unions de ce genre peut varier à l'inliui. C'est
ainsi qu'à l'époque de la guerre detrenteanson donna
ce nom à la confédération formée par les États protestants
allemands pour la défense réciproque de leur foi religieuse.
Le but de celle union était temporaire. On désigne souvent
sous le nom d\inion la confédération formée par les diverses
républiques de l'Amérique du Nord, réunies sous un gouver-
nement central. En 1849 la Prusse chercha un moment à
réunir sous son protectorat les différents États de l'Alle-
magne, à l'exception de l'Autriche; et elle se servit à cet
efletdu mot union, plus modeste que celui d'empire.
On désigne sous le nom d'«<?!Jon/)ersortne//e les rapports
existant entre deux pays, qui, bien que politiquement indé-
pendants l'un de l'autre et régis par des conslitutions parlicu-
lières, ont le même souverain. La Suède et la Norvège
sont dans ce cas-là. Une union de ce genre peut cesser, cer-
taines circonstances élaiit données ; par exemple, lorsque les
deux pays ne sont pas régis par la même loi en ce qui est
de riiérédilé du pouvoir souverain et de sa transmission.
Alors, à l'extinction de la ligne régnante, doit avoir lieu la sé-
paralion des deux pays. Tel était le cas du Danemark et
des duchés de Schleswig-Holstein. En Danemark, la fa-
meuse loi du roi avait introduit en 1664 la succession des
femmes , tandis qu'en Schleswig-Holstein les brandies mâ-
les étaient seules aptes à succéder. La force brutale l'a em-
porté et décidé qu'à la mort du roi actuel, Frédéric Vil,
les deux pays continueraient à avoir le même souverain.
UIVIOIV (L'), titre d'un des jomnaux privilégiés qui
paraissent aujourd'hui à Paris. Voyez Quotidie.v.ne (La).
U]X10I\(Éditd'). Voyez Édit.
UMOi\ AMÉRICAIJVE. Voyez États-Unis de l'A-
mérique DU Nord.
UiXISSOÎX. On appelle ainsi, en musique, le rapport de
deux sons absolument semblables entre eux en ce qui est de
la durée, de l'intensité, du degré, etc. L'accord provient,
par conséquent, du nombre égal de vibrations dans un
temps donné. Par conséquent encore, si dans l'espace d'une
seconde, une corde produit cent vibrations et donne le ton
ia, il faut qu'une autre corde, placée dans les mômes con-
ditions de longueur, de grosseur et de tension, produise
dans le même espace de temps le même nombre de vibra-
tions, et par suite donne le ton la. Il résulte de là que
comme ce rapport est ce qu'il y a de plus complet et par
suite de plus satisfaisant pour l'oreille, l'accord est la pre-
mière et la plus parfaite des consonnances.
UIVITAIRES. On appelle ainsi les membres d'une secte
religieuse qui prit naissance à Vicence, dans l'État Vénitien,
vers 1546, et qui a sa source dans les principes de la réfor-
/nation. Selon la doctrine des unitaires, la Trinité, la consub-
staptialité du Verbe, la divinité de Jésus-Christ, e(c., n'é-
taient point des dogmes révélés, mais des opinions émanées
de la philosophie grecque. 11 existait une très-grande analogie
entre ces sectaires et les disciples d' A r i u s ; aussi dès le prin-
cipe les désigna-ton par le nom de nouveaux ariens. Re-
tirés en Pologne, sous la protection de plusieurs puissants
seigneurs, ils ne tardèrent point à y avoir des églises, des
écoles et des synodes, où ils rendirent des décrets contre
les partisans du dogme de la Trinité. Leur métropole était
à Cracovie, où ils érigèrent un collège et une imprimerie.
Toutes les sectes qui s'étaient séparées de l'Église romaine,
attirées dans les États de Sigismond-Auguste par la tolé-
rance de ce prince, formèrent d'abord un seul et même
corps. Mais la division ne tarda pas à se mettre entre elles,
à tel point que, lorsque Fauste Socin arriva en Pologne
pour y répandre sa doctrine, on y comptait trente-deux églises
qui n'avaient guère de commun que de nier que JésusClirist
fut le viai Dieu. Socin entreprit de concilier toutes ces sectes,
en feignant d'abonder dans l'esprit de chacune d'elles en par- ^
ticulier, tandis qu'en réalité il travaillait à les convertir à ses
opinions. Les unitaires, qui formaient le parti dominant parmi
les adversaires de la divinité de JésUs-Christ, l'agrégèrent k
leur secte et se rangèrent à ses principes; ce fut ainsi qu'il
devint le chef de toutes ces églises dissidentes, qui se ré-
unirent sous la dénomination d'église socinïenne. Les
progrès de la nouvelle secte se continuèrent après la mort
de Socin avec beaucoup d'ardeur. Mais enfin les catho-
liques s'étant unis aux protestants pour la persécuter, par-
vinrent à l'expulser de Pologne. A partir de celle époque,
les sociniens se dispersèrent en Transylvanie , en Hongrie ,
en Silésie, dans la Prusseducale, en Hollande, en Moravie et
en Angleterre. Aujourd'hui ils peuplent le Nouveau Monde ,
où leur nombre s'accroît de jour en jour.
Dans les républiques de l'Amérique du Sud , le parti des
unitaires est opposé à celui des fédéralistes. Unitaires
est aussi le nom d'une secte dans le commu nism e.
UJ\ITÉ. Ce mot éveille dans l'esprit l'idée d'isolerneat
et le contraire de pluralité. L'unité, considérée par rap-
port aux nombres abstraits, en est l'élément constitutif, le
terme essentiel à leur formation; considérée par rapport
aux nombres concrets , elle est toujours de même nature
que la quantité à laquelle elle appartient, cl lui sert de com-
paraison. Ainsi, par exemple, si Van dii vingt francs , dix
mètres, l'unité des francs est un franc, l'unité des mètres
un mètre, et chacune de ces unités mesure la quantité dont
elle fait partie. Dans l'un et l'autre cas, c'est le mot un qui
l'exprime.
L'unité emporte encore avec soi l'idée de quelque chose
qui forme un tout complet dans son espèce, comme un
homme, une maison, une forêt. On dit aussi d'un sys-
tème ou d'un poème qu'il manque d't^îj^é*, lorsque toutes les
parties qui le composent ne convergent pas vers une môme
(in et ne forment point un tout harmonique.
Enfin , philosophiquement parlant , on entend par unité
ce qui est simple et unique; et dans ce sens il n'y a que
l'unité de Dieu qui réponde à cette idée.
Viinité , en tant que qualité d'une œuvre d'art en vertu
de laquelle toutes les parties doivent avoir entre elles le
même lapport qu'avec l'idée fondamentale du tout, ne doit
manquer à aucune œuvre d'art. Mais la règle des anciens
relative aux trois unités a donné lieu à beaucoup de mal-
entendus, les critiques français en particulier, outre l'unité
du sujet , aussi nécessaire au drame qu'à toute autre œuvre
d'art , ayant exigé du drame l'unité de temps et de lieu ,
sans réfléchir que si les anciens observaient effectivement
dans leurs drames ces deux espèces d'unité, cela tenait
à l'organisation de leur scène. Mais eux-mêmes ne se con-
formaient pas toujours rigoureusement à cette règle. Dans
Les Euménïdes et dans Ajax , le lieu de la scène change
plusieurs fois; dans Z;C5 Trachinicnnes il faut se représenter
que le voyage par mer de Tbessalie en Euhée a été fait trois
fois; et dans XesSMpp/ian<e5 toute une campagne d'Athènes
contre Thèbes se passe pendant un seul chœur. Aujour-
d'hui l'organisation, bien plus mobile, de la scène permet,
sinon à l'avantage de l'élément plastique , du moins au
profit du développement psychologique des caractères, une
plus grande liberté relativement au temps et au lieu. D'ail-
leurs , convenons que môme chez nos classiques français
l'unité de temps n'est qu'apparente; et si on prétend com-
prendre cette espèce d'unité dans celle qu'on exige de toute
œuvre d'art , la représentation sirr- 'a scène de chapitres
tout entiers de la vie d'un héros paraîtra aussi croyable
qu'une action qui a la prétention de ne pas durer au delà
de la soirée théâtrale où elle est exécutée devant le public.
UI\1TÉ DE FOI. Voyez Église, t. viii, page 405.
UNITÉS (Règle des trois ). Voyez Unité.
UIVITÉ TYPÉALE. Voyez Geoffroy Saint-Hilaike.
Ul\I VALVE. Voyez Coquille.
UNIVERS. Voyez Monde.
UNIVERSALISTES. Voyez Caméroxiess.
DNIVERSAUX — UNIVERSITÉ
727
UKIVERSAUX, UNIVERSELS (P/2i;o5o/)/«ie). Voyez
NOMINALISME Ct RÉALISME.
UNIVERSITE. On donne ce nom à des écoles supé-
rieures où les sciences sont enseignées dans toutes leurs
branches d'une manière à peu près compléle , dans un ordre
systématique, et où se délivrent, à la suite d'examens et
d'épreuves, des titres et grades scientifiques. Le mot latin
universitas , qui apparut pour la première fois au com-
mencement du treizième siècle, désigna à l'origine une
corporation ou confrérie de professeurs et d'étudiants, nrii-
versitas magistrorum et scholarium, qui tantôt se ré-
unissaient sans avoir égard aux barrières de localités et de
nationalités, et tantôt s'efforçaient de s'assimiler aussi com-
plètement que possible des matériaux épars, en se donnant
pour mission d'en constituer une unité ; aussi plus tard en-
tendit-on par là une universitas titerarum , c'est-à dire
l'ensemble de toutes les sciences principales et accessoires.
La dénomination, beaucoup moins prétentieuse, en usage
avant, cela, était celle de studium générale ou simplement
de studmm.
Il exista dès la plus haute antiquité des écoles savantes,
par exemple les écoles sacerdotales de l'Égypfe, de l'Inde ct
des Juifs. Chez les Grecs, celles d'Athènes , et ensuite celles
d'Alexandrie, où la philosophie pratique, comprenant toutes
les branches du savoir humain, constituait l'enseignement
principal, acquirent une grande renommée. Plus tard l'an-
cienne langue grecque, la'grammaire, la poétique, la rhétori-
que et l'histoire furent comprises dans l'enseignement de ces
écoles. Les Romains, pour acquérir une insliuclion plus éten-
due, fréquentèrent eux aussi des écoles de ce genre, notam-
ment celles d'Athènes, de Rhodes et d'Alexandrie; de môme
que par la suite on vit souvent les lettrés grecs qui venaient
s'établir à Rome provoquer la création d'institutions analo-
gues en Italie. Vespasien fut le premier qui accorda des trai-
tements aux maîtres ou professeurs chargés d'enseigner
l'éloquence aux jeunes gens qui se destinaient aux services
publics. Antonin fonda dans les grandes villes de l'empire les
écoles dites impériales ; ti \' Atliemeum créé sous Adrien '
demeura florissant jusque sous les premiers empereurs '
chrétiens. Lors de la chute de l'empire romain, ces établis-
sements tombèrent dans l'oubli ; puis ils se rajeunirent sous
l'influence du christianisme, en prenant il est vrai des formes
tout autres. Il règne néanmoins beaucoup d'obscurité sur
l'origine au moyen âge des universités proprement dites.
Après l'époque de barbarie qui suivit la grande migration
des peuples, Charlemagne fut le premier qui , secondé par
quelques hommes de mérite, tels que l'Anglais Alcuin ,
s'efforça de ranimer la culture des sciences dans son empire
en adjoignant aux couvents et aux cathédrales des écoles
ayant avant tout pour but de préparer des sujets pour les
fonctions ecclésialiques ; mais d'autres jeunes gens pouvaient
aussi y recevoir de l'instruction. Ces écoles monastiques et
ces écoles cathédrales furent pendant plusieurs siècles
les seuls établissements d'instruction supérieure, bien
que quelques sciences seulement y fussent représentées. Peu
à peu parurent en quelques endroits des maîtres qui en-
seignèrent de nouvelles sciences. Le renom de ces professeurs
attira des écoliers studieux; ainsi naquirent les premiers
établissements d'instruction indépendants des écoles mo-
nastiques. L'État et l'Église, à l'origine, firent preuve de
tolérance à cet égard, se contentant d'exercer en général une
surveillance sur la discipline politique et religieuse de ces
nouvelles écoles, et ne reconnurent qu'il était de leur devoir
de contribuer aux progrès de ces établissements par des
subventions en argent, des privilèges et des donations , que
lorsque la foule toujours croissante d'étrangers et la célé-
brité de quelques maîtres éveillèrent la cupidité et l'émula-
tion. On vit s'établir alors deux corporations différant es-
sentiellement l'une de l'autre sous plusieurs rapports, pour
l'enseignement supérieur non limité aux couvents et au
clergé: Vuniversite de Paris pour la théologie, et
Vuniversité de Bologne pour la jurisi)rudence.
Dès le commencement du douzième siècle nous trouvons
à Paris plusieurs raatires distingués faisant des cours de
philosophie, de rhétorique et de théologie. Tous n'étaient
pas prêtres , car le célèbre Abélard lui-même , quand il
ouvrit son école, n'appartenait pas encore à l'ordre ecclé-
siastique. Une foule de jeunes gens accoururent à Paris,
même de l'étranger; et c'est ainsi que se fonda la première
université qu'il y ait eu en Europe {voyez Université de
Paris). Vers le même temps, c'est-à-dire au commencement
du douzième siècle , Bologne se fit aussi remarquer par
l'habileté de ses professeurs en droit romain , à la tête des-
quels figure Irnerius ou Werner; et dès 1158 une charte
de l'empereur Frédéric 1*"^ accordait à cette université une
juridiction indépendante. Le nombre toujours croissant de
professeurs et d'écoliers à Paris et à Bologne rendit néces-
saires pour le maintien de l'ordrci^t de la discipline certaines
divisions qui s'effectuèrent d'une manière différente dans
chacune de ces deux hautes écoles. A Boloi^ne, en effet,
l'élection des professeurs et toute l'organisation de l'ensei-
gnement porta le caractère républicain , tandis qu'à Paris
ce fut l'élément ari.stocratique qui domina. A Bologne les
étudiants, généralement hommes d'un Age mùr, élisaient
dans leur sein le recteur , le conseil ou commission repré-
sentant les écoliers divisés en nations, et le syndic ou fondé
de pouvoirs chargé d'entretenir des rapports avec les univer-
sités étrangères. A Paris, au contraire, dès 1206 l'ensemble
des étudiants se partagea en quatre nations , les Anglo-Al-
lemands, les Picards, les Normands et les Français; et là
tous les droits supérieurs procédèrent des maîtres , parmi
lesquels depuis le milieu du treizième siècle les maîtres en
théologie, réunis à la S or bonne, augmentèrent encore la
considération et l'importance dont jouissait ce corps. C'est
aussi pourquoi on y reconnut de bonne heure, c'est-à-dire
dès le commencement du treizième siècle , différents degrés
de capacité pour l'enseignement, représentés par des titres
académiques : en même temps qu'il s'y formait des cercles,
ou facultés, comprenant l'ensemble des sciences. On ne fut
admis à exercer les fonctions et à prendre le titre de pro-
fesseur qu'après avoir satisfait à certaines épreuves au rai-
li.-.n de certaines solennités. Le premier degré institué fut
c-îui de bachelier, et le second celui de licencié. On qua-
l»r»a de maîtres ( magister ) à Paris et de docteurs à Bo-
los^ne la dignité de ceux qui avaient déjà acquis le premier
degié. Parmi les facultés, celle des sept arts libéraux,
facultas artiiim , celle qu'on appelle aujourd'hui \a faculté
des lettres , est la plus ancienne et la plus importante.
Vinrent ensuite la faculté de théologie , la faculté de droit
et la faculté de médecine. On en fait remonter la création à
l'année 1259, lorsque les ordres mendiants et les prêtres sé-
culiers se réunirent comme prolésseurs de théologie et se
rattachèrent aux nations; exemple qui trouva dès l'année sui-
vante des imitateurs parmi ceux qui enseignaient la méde-
cine et le droit. Ces facultés élisaient dans leur sein des doyens
chargés, ai\tc\Qs, procureur s des nations, dereprésenler l'u-
niversité commecorps. Tous ces arrangements avaient besoin
de la sanction des papes; et l'empereur Frédéric II fut le
premier souverain à l'autorisation duquel on eut recours
pour la création d'une université, à savoir celle de Naples, en
1 229. Les premiers qui enseignèrent dans les universités ne fu-
rent pas payés par l'État ; ils n'avaient pour subsister que les
rétributions volontaires de leurs auditeurs. Les traitements
fixes ne furent institués que beaucoup plus tard, et en gé-
néral pas avant le commencement du seizième siècle. Mai>.
alors on imposa aux professeurs l'obligation de faire des
cours publics et gratuits. L'invention de l'imprimerie opéra
aussi une immense révolution dans la constitution organique
des universités ; par suite de la multiplication indéfinie d'un
certain nombre de livres didactiques , on jugea désormais
moins nécessaire de dicter etdecopier presque mot à mot les
leçons ; et il en résulta la possibilité d'abréger la durée de l'en-
seignement d'une science. L'Allemagne et les pays du nord de
l'Europe furent longtemps sans éprouver le besoin d'imiter,
'23
somme l'Angleterre et l'Espagne, ce qui se passait en France
et en Italie pour l'enseignement des sciences et des lettres.
Jusqu'au quatorzième siècle on s'y contenta des écoles. an-
nexées aux couvents et aux cathédrales, ou bien on se
borna à envoyer soit en France, soit en Italie, ceux qui étaient
curieux d'un enseignement plus complet.
Voici l'ordre de dates dans lequel eut lieu la foudationdes
diversesuniversités de l'Europe, d'après le modèle de celles
de Paris et de Bologne : f'-f"&
Pour la France : 1223, Toulouse; 1284, Montpellier;
vers 1300, Lyon; 1305, Orléans; 1339, Grenoble (trans-
férée à Valence par Louis XI); 1364, Angers; 1365,
Orange; 1431, Poitiers; 1436, Caen; 1460, Nantes; 1469,
Bourges; 1472, Bordeaux; 1548, Reims; 1572, Douai;
1722, Pau; 1769, Nancy. Les unes et les autres disparurent
en 1792, avec la monarchie (voyez Umveiisité impéiuale
DE France). Au lieu de ces dix-sept universités qu'on
comptait en France avant 17S9, nous avons aujourd'hui
huit facultés de théologie (six catholiques : à Paris, Lyon,
Bordeaux, Toulouse, Rouen et Aix; une luthérienne à Stras-
bourg et une calviniste à Montauban ) ; neuf facultés de droit
(Paris, Toulouse, Strasbourg, Rennes, Poitiers, Grenoble,
Dijon, Caen et Aix); trois facultés de médecine {Varis ,
' Montpellier, Strasbourg) ; et des facultés des sciences ainsi
quedes facultés des lettres au chef-lieu d'un certain nombre
d'académies. L'académie de Paris possède toutes les facultés.
Poux V Espagne: 1209, Valence; 1250, Salamanque; 1346,
Valladolid; 1354, Huesca ; 1474, Saragosse ; 1499, Alcala;
1504, Séville; 1531, Grenade; 1531, San- lago; 1533, Baeza ;
1548, Ossuna; 1552, Almagro; 1552, Orihuela; 1565, Es-
tella; 1580, Oviedo; 1596, Barcelone; au dix-huitième
siècle, Girone,Osnia, Cervera, Tolède, Onate, Majoreca, etc.
Pour le Portugal : 1279, Coimbre, la seule université
qui existe aujourd'hui dans ce royaume, l'université de
Lisbonne (fondée en 1290) et celle d'Evora (1578) ayant
été supprimées.
Pour r/^a?ie (où les universités étaient si nombreuses
autrefois) : 1158, Bologne; 1222, Padoue; 1224, Naples;
1307, PéroHse; 1333, Pise; 1361, Pavie; 1380, Sienne;
1394, Palerme; 1405, Turin; i438, Florence; lUo, Ca-
lane; 1482, Parme; 1540, Maurata; 1548, Messine; 1606,
Parme; 1625, Mantoue; 1671, Urbino; 1720, Cagliari ;
1765, Sassari ; 1765, Milan; 1812, Gênes. Dans le nombre
beaucoup ont disparu ou témoignent à peine d'une ombre
de vie scientifique. Les universités situées dans les États
autrichiens et celle de Turin font exception.
Pour VAngteterre, il n'y a jamais eu jusqu'en 1850 que
deux universités, Oxford et Cambridge, qui par toute
leur organisation ont toujours été un appui essentiel pour la
haute église et pour le torysme. Aussi les whigs et l'oppo-
sition libérale, reconnaissant la nécessité de pouvoir oppo-
ser un organe particulier à ces deux engins de l'intolérance
et du privilège, ont-ils créé en 1825, au moyen d'une so-
ciété par actions, V Université libre de Londres, organisée
à peu près sur le modèle de ce qu'en France on appelle des
académies et résultant de la réunion des diverses facultés.
Cette institution a pris une plus grande imporlance par
suite de sa réunion avec la London-University, fondée en
1836 et investie du droit de conférer des grades, sans ac-
ception de croyances religieuses. Dès 1831 le parti de la
haute Eglise opposait à Londres môme, à l'université libre
de Londres , le King's Collège, où l'enseignement a surtout
pour objet la médecine, les sciences naturelles , l'économie
polilique et le commerce.
il y a en Ecosse quatre universités : Saint-Andrew,
fondée en 1412; Glasgow, en 1454; Aberdeen, 1506; et
Edimbourg, 1578. Ces établissements se rapprochent beau-
coup des universités allemandes.
En Irlande l'université de Dublin est organisée complè-
tement sur le modèle des deux universités anglaises. Tout
récemment on a entrepris d'y fonder par souscription une
université essentiellement catholique.
UNIVERSITE
L'a première université fondée en Allemagne fut celle de
Prague, qui date de 1348. Vinrent ensuite (tant en Alle-
magne proprement dite que dans les États autrichiens) :
Vienne, 1365; Cologne, 1385 (supprimée en 1797); Hei-
delberg, 1386; Erfurt, 1392 (supprimée en 1810); Leip-
zig, 1409; Rostock, 1519; Trêves, 1454 (supprimée en 1797);
Greifswalde, r4-56 ; Fribourg , 1456; Ofen, 1463 ( sup-
primée en 1635) ; Ingolstadt, 1472 (supprimée en 1802);
Mayence, 1477 (supprimée en 1798); Tubingen, 1477;
Wittemberg, 1502 (supprimée en 1815); Francfort-sur-
roder, 1506 (supprimée en 1806); Marbourg, 1527 ;Kœ-
nigsberg, 1544; Dillingen, 1554 (supprimée en 1804) ;Iéna,
1558 iHelmstaedt, 1575 (supprimée en 1809); Altdorf, 1576
(supprimée en 1807) ; Wurtzbourg, 1582;Graetz, 1535; Pa-
derborn , 1623 (supprimée en 1810) ; Munster, 1031 (sup-
primée en 1818); Osnabruck, 1632, et supprimée l'année
suivante; Tyrnau , 1635 (supprimée en 1677); Herborn,
1654 (transformée ensuite en séminaire) ; Duisbourg, 1655
(supprimée en 1804) ; Kiel , 1665 ; Inspruck, 1672 (sup-
primée en 1810) et rétablie en 1826; Halle, 1694; Breslau,
1702; Fulda, 1734 (supprimée en 1805); Gœltingen, 1734;
Pestli, 1777; Olmùlz, 1779; Lemberg, 1784; Landshut,
1802 (supprimée en 1826) ; Berlin, 1810; Bonn, 1818; Mu-
nich, 1826. Dans les vingt-huit universités existant en Al-
lemagne et en Suisse on comptait en. 1854 16,401 étudiants
ioimatriculés et 1,791 non immatriculés.
En Sidsse, l'université de Genève fut fondée en 1368;
celle de Bàle, en 1439; celle de Zurich, en 1832, et celle
de Berne , en 1834.
En Belgique, les universités de Liège et de Gand datent
de 1816; celle de Bruxelles de 1834. Celle de Louvain,
fondée dès 1436, a été supprimée en 1830, puis remplacée
en 1834 par l'université que les jésuites avaient fondée à
Malines.
En Hollande, l'université de Leyde date de 1575, celle
de Groningue de 1614, et celle d'Utrechtde 1636. L'univer-
siléde Franeker, fondée en 1535, aété suppriméeen 1816,
en même temps que celle de Hardiwijck, qui datait de 1600.
En Danemark, il n'existe qu'une seule université, celle
de Copenhague, fondée en 1475.
En Suède, on en compte deux : celle d'Qpsal ( 1476 ) et
celle de Lund (1666).
En Aorvège , une université a été créée en 1811 à Chris-
tiania.
En Russie, l'université de Dorpatdate de 1632; celle de
Moscou et deVVilna, de 1803; celle de Kasan et de Char-
kijw, de 1804; celle de Petersbourg, de 1810; celle d'Hel-
singlors de 1827, et on y a transféré l'université d'Abo, fon-
dée en 1640.
En Pologne, l'université de Cracovie, fondée dès l'an
1400, subit de profondes modifications en 1817 et 1833, et
de bien plus profondes encore après la réunion du territoire
de Cracovie à l'Autriche, en 1847. L'école supérieure créée
en 1816 à Varsovie a été supprimée en 1833.
Il y a encore une université à Corfou , dans les iles Io-
niennes, et une autre à Athènes, en Grèce.
Aux États-Unis on comptait en 1851 cent cinquante
collèges ou établissements d'instruction supérieure plus
ou moins organisés sur le modèle des universités anglaises
et allemandes, et conférant des grades. Sur ce nombre, on
en comptait quarante-trois plus particulièrement consacrés à
l'enseignement de la théologie, seize à celui du droit, et
trente-sept à celui de là médecine.
La Nouvelle-Galles du Sud possède depuis 1852 son
université, à Sidney : et il a été un instant question de
créer une université mahométane à Alger.
UNIVERSITÉ DE PARIS et UNIVERSITÉ IMPÉ-
RIALE DE FRANCE. L'université, voulant rattacher son
origine à un nom glorieux, s'est placée sous le patronage
de Charlemagne. L'université se flatte. Il ast bien vrai
que Charlemagne a fondé des écoles sur tous les points de
son vaste empire; mais ces écoles se bornaient à l'enseigne-
TJNIVERSITÉ
729
ment primaire. Pour trouver le véritable berceau de l'uni-
versité de Paris, il faut descendre jusqu'au règne de Phi-
lippe-Auguste. Les Carlovingiens ne firent rien pour les
écoles de Paris, qui demeurèrent dans l'ignorance et l'obs-
curité jusqu'à l'avènement des comtes de Paris. Ce fut sous
les Capétiens qu'elles se développèrent, et au commence-
ment du douzième siècle elles brillèrent d'un éclat qu'elles
durent d'abord àRoscelin età Guillaume deC ha m-
peaux , et que redoublèrent le génie et la prodigieuse re-
nommée d 'A bélard . Ces succès du haut enseignement
préparaient la naissance de l'université, mais elle n'existait
pas encore. Les éléments qui devaient la composer étaient
rassemblés, il fallait seulement les unir. La force des choses
amena cette union. En effet, le nombre des maîtres et des
élèves, la diversité des nations, la variété des études, ré-
clamaient une organisation pour prévenir le désordre et la
confusion.
Vers le milieu du douzième siècle, sous le règne de Louis
le Jeune, on voit les maîtres des écoles de Paris se réunir
eu corporation et reconnaître un chef; en même temps, les
élèves se partagent en nations suivant leur origine : nation
de France, d'Angleterre, de Normandie et de Picardie. Cet
accord des maîtres et ce partage des élèves composent dès
lors un ensemble qui prend le nom ^'université. Une bulle
du pape Célestin III, confirmée par Philippe-Auguste, sous-
trait les écoliers à la juridiction civile, et les met dans le
ressort de la justice ecclésiastique. Les écoles sont placées
sous la surveillance du prévôt de Paris, chargé de veiller
au maintien des droits et privilèges de l'université. Une
querelle survenue entre des écoliers et des bourgeois (1?00)
amena la consécration de ces privilèges. La constitution
régulière de l'université date donc de la seconde moitié du
douzième siècle : elle s'est accom|)liepar la nécessité de dis-
cipliner les nombreux élèves qu'attirait de toutes parts la
renommée des écoles de Paris et sous le patronage éclairé
du saint-siége et de la royauté. Cette organisation amena
des restrictions dans le droit d'enseigner, qui auparavant
n'était soumise aucune règle; ce fut l'origine des grades de
bachelier, de licencié et de docteur, qui devaient être dé-
livrés gratuitement après examen ; mais un abus que l'usage
consacra établit des frais de diplôme qui se sont maintenus
contre les réclamations des étudiants et les décisions des
papes.
La forte organisation de l'université ne prévint ni tous
les désordres intérieurs ni les luttes contre le pouvoir ec-
clésiastique et le pouvoir civil. Pour arrêter et combattre les
empiétements du chancelier de l'église de Paris, l'université
se donna un syndic chargé de veiller au maintien de ses
privilèges. Bientôt après , le pape Grégoire IX arma l'univer-
sité du droit redoutable de suspendre ses leçons, c'est-à-dire
de détourner la jeunesse de ses études et de rendre son oi-
siveté menaçante au repos public. Au reste, les écoliiers,
même aux époques régulières, n'étaient pas des modèles de
pureté morale et de discipline. On leur reproche habituelle-
ment l'effraction, le rapt, la gloutonnerie, la mendicité me-
naçante, qui ressemble terriblement au larcin. Le cardinal
Jacques de Vitry trace des écoliers un portrait qui vraisem-
blablement n'est pas flatté , et qui , pour peu qu'il soit fidèle,
donne une triste idée des étudiants du moyen âge-
En 1229, une querelle violenta entre des écoliers et des
marchands de vin du faubourg Saint-Marcel ayant été suivie
d'une répression ordonnée par la reine Blanche , mère de
saint Louis, répression qui ressembla à une boucherie, l'u-
niversité, pour se faire rendre justice, suspendit ses leçons.
Grégoire IX prit chaudement sa cause, et parvint, par sa
fermeté, à la faire triompher. Ce fut à cette occasion que
le pape investit l'université du droit redoutable que nous
venons d'indiquer. La suspension des cours avait duré deux
ans, et elle amena l'intrusion des ordres mendiants dans
l'enseignement public. Les dominicains mirent à profit la
dispersion des maîtres et des étudiants pour ouvrir des écoles
rivales. L'université prétendit que son privilège était violé par
la concurrence que lui faisaient les disciples de saint Domi-
nique et de saint François. Cette lutte fut longue, et se con-
tinua pendant près de trente ans. Enfin, après plusieurs sus-
pensions, après des interdits lancés de part et d'autre
l'université, abandonnée par son plus puissant auxiliaire, la
papauté, représentée par Alexandre, autrefois religieux men-
diant et fidèle à ses premières affections, l'université reconnut
que les chances de ce jeu terrible contre la royauté et le
saint-siége pouvaient lui devenir mortelles; elle finit donc
par se résigner, et elle constata sa soumission en admettant
au doctorat, en 1357, Bonaventureet T ho mas d'Aquin.
Elle ne pouvait pas mieux inaugurer son retour que par la
reconnaissance du savoir de ces deux grands hommes, dont
le génie a répandu tant d'éclat sur le treizième siècle. La
fondation de l'université deXoulouse, créée pendant la guerre
des Albigeois pour opposer une barrièreaux progrès de l'hé-
résie , fut un nouveau centre d'études théologiques et une
concurrence aux grandes écoles de Paris.
Malgré toutes ces traverses et ces désordres, le Ireizièrae
siècle fut pour l'université une époque d'accroissement et de
fortes éludes. Les fondations de collèges se multiplièrent :
la montagne Sainte Geneviève, depuis sa base jusqu'au
sommet, se couvrit d'établissements nouveaux. Vers 1250
le chapelain de Louis IX, Robert de Sorbon , illustre cham-
penois, fondait la Sorbon ne, qui fut plus tard le siège
de cette faculté de théologie longtemps l'oracle de l'Église ,
et qu'on appela \e concile perpétuel des Gaules. Les écoles
de la faculté des arts étaient concentrées dans la rue du
Foiiare , qui lirait son nom de la paille répandue dans les
classes et sur laquelle s'étendaient les élèves pour écouter
les leçons de leurs maîtres.
La tyrannie de Philippe le Bel n'atteignit pas l'université;
ce prince perfide et violent fut obligé, pour trouver des
auxiliaires contre la papauté et l'ordre des tem pliers ,
de faire des concessions à l'université comme au tiers état;
de même qu'il appela les communes dans les états généraux,
il accorda de nouveaux privilèges à la corporation ensei-
gnante. L'université prêta l'appui de son autorité morale à
l'adversaire de Boni face; elle fut la première à protester
contre l'excommunication lancée par le pape et à se rallier
dans cette lutte au pouvoir royal. Dans le procès des tem-
pliers, elle concourut par son suffrage à la condamnation de
ces illustres victimes, coupables de richesses excessives et
de désordres qu'entraîne le vœu téméraire de chasteté et de
continence.
Les trois fils de Philippe le Bel , appelés successivement
à recueillir l'héritage de leur père, continuèrent de proléger
l'université, de sorte que son crédit à la fin du quatorzième
siècle l'appelait à donner son opinion dans toutes les graves
questions de la politique et de la religion : les rois et les
papes cherchaient un appui dans les décisions de la faculté
de théologie. Ce fut elle qui prononça l'exclusion des femmes
au trône de France, lorsque Philippe le Long supplanta
Jeanne sa nièce, fille de Louis le Hutin, et qui, renou-
velant sa décision, donna plus tard la couronne à Philippe
de Valois.
Les troubles qui agitèrent Paris et la France entière, après
les déroutes de Crécy et de Poitiers, n'entraînèrent pas l'u-
niversité dans les factions. Cette conduite lui concilia la fa-
veur de Charles V, prince ami des lettres et de la paix , qui
lui donna le Ulre de fille aînée des rois. Sa puissance et
sa considération augmentèrent sous le règne de ce sage mo-
narque, qui eut la gloire de fonder le premier dépôt de ma-
nuscrits qui fut le germe de cette bibliothèque succes-
sivement royale, nationale et impériale, dont la- France
s'enorgueillit à juste titre.
La période qui suit, signalée par la démence de Charles VI,
par la guerre étrangère, par le schisme d'Urbain VI et
de Clément VII, qui, eu se prolongeant, porta une si
grave atteinte à l'autorité de l'Église et à la foi des peuples,
par l'assassinat des ducs d'Orléans et de Bourgogne, par
des crimes sans nombre, et, ce qui est plus funeste encore.
780
UNIVEUSlTi-
par 1 apologie de ses crimes ; cette époque néfaste met en
relief la sagesse de l'université, qui chercha toujours à cal-
mer les passions, à cicatriser des plaies saignantes et tou-
jours rouvertes. Pendant la longue durée du schisme , elle
se rallie d'abord à celui des papes dont les droits paraissent
légitimes; plus tard, elle combat de front ropiniàtrelc de
deux rivaux ambitieux, qui refusent de sacrifier au bien de
l'Église une autorité dont l'exercice est précaire et dont les
droits sont équivoques ; enfin, toutes ses démarches ten-
dent à la pacification de la société catholique. Après l'assas-
sinat du duc d'Orléans, ses docteurs combattent la doctrine
régicide ouvertement prêchée par Jean Petit ; et l'illustre
Gerson oppose à ces doctrines impies et factieuses l'auto-
rité de son éloqnence et de sa vertu. L'histoire du quator-
zième siècl« et des premières années du quinzième siècle
nous montre l'université comme le corps le plus considéré
et le plus redoutable de l'État. A l'assemblée des notables
de 1413, ce fut elle qui fut chargée de présenter les remon-
trances de la nation, et qui le lit avec vigueur par la voix
de maître Benoît Gentien, et surtout d'Eustache de Pavilly.
Pendant la lutte des Bourguignons et des Armagnacs, l'u-
niversité fut favorable aux ducs de Bourgogne, dont la cause
était populaire; mais elle désavoua les excès de cette fac-
tion, et travailla sans relâche à procurer la paix publique.
Le concile de Constance jette quelques nuages sur la
gloire de l'université ; on regrette que le chancelier Ger-
son ait pris part à la déposition du pape Jean XXIII, légi-
timement élu. Puisque le schisme avait produit trois papes,
il fallait au moins conserver celui dont les droits étaient
incontestables. Ce qui est plus grave encore , c'est l'achar-
nement que le même docteur porta dans la poursuite de
Jean Huss. Le zèle de la réforme de l'Église ne devait pas
aller jusqu'à punir du feu une hérésie peu considérable ,
dont l'apôtre était d'ailleurs protégé par un sauf-conduit de
l'empereur.
Le triomphe des Anglais amena la décadence des écoles.
L'université n'essaya pas de secouer le joug des étrangers;
elle accueillit Henri V, se montra complaisante à son fils de-
venu roi de France à son tour, et au duc de Bedfort : ce
n'est pas tout, elle combla la mesure en prenant une part
active au procès de l'héroïque Jeanne d'Arc. On voudrait
pouvoir effacer de son histoire c^s pages honteuses. Malgré
sa soumission envers les Anglais, l'université n'en fut pas
traitée plus favorablement , et l'établissement de l'univer-
sité de Caen lui donna une rivale redoutable.
Lorsque Charles Vil eut repris possession de son royaume,
la fille aînée des rois recouvra une partie de sa splendeur
passée, et le cardinal d'Estouteville répara les désordres
intérieurs par de nouveux statuts, sagement combinés. Elle
se réhabilita à l'assemblée du clergé à Bourges, d'où sor-
tit la pragmatique sanction, si favorable aux libertés de
l'Église gallicane , et que la papauté , après l'avoir longtemps
attaquée, détruisit par le concordat de François \" et de
Léon X. Il faut dire aussi que l'université provoqua la pre-
mière, par la voix de Robert Cibolie, un de ses docteurs,
la révision du procès de Jeanne d'Arc et la réhabilitation
de sa mémoire. Le moyen âge avait favorisé exclusivement
l'étude de la théologie : le droit, qui se bornait aux décré-
tales ou au droit canon (car l'étude du droit civil ne fut
autorisée que sous Louis XIV), et la médecine, s'étaient
maintenus ; mais les belles-lettres avaient été singulière-
ment négligées. Le contre-coup de la prise de Constanti-
nople , qui amena en Europe tant d'illustres fugitifs, les fit
renaître dans l'université de Paris. Des cours publics de
grecet de rhétorique furent fondés, et préludèrent à la créa
tion du Collège de France.
Les rapports de l'université et de Louis XI furent sou-
vent hostiles. L'astucieux tyran, ennemi des privilèges de
toutes les corporations, réduisit l'importance politique du
corps enseignant. Le duc de Bretagne avait fondé en 1460
l'université de Nantes ; quatre ans après, Louis XI auto-
ri«a celle de Bourges; de sorte que l'université de Paris,
qui avait déjà des nvales en Languedoc ( université de
Toulouse) et en Normandie (Caen), perdait encore la
Bretagne et le Berry. L'université supprima dans son sein
quelques abus et profanations religieuses, telles que la re-
présentation des mystères et moralités et la scandaleuse
fôte du Roi des Fous. L'interminable querelle des réal'i'stes
et des nominaux s'étant réveillée, Louis XI prit parti
contre ces derniers, séquestra leurs livres et défendit sous
des peines sévères l'exposition de leurs doctrines. Cette dé-
fense fut levée après sept années de rigueurs. Le plus beau
titre de l'université à cette époque est sans contredit
d'avoir accueilli avec empressement l'imprimerie naissante
et d'eu avoir lavoiisé les développements.
L'importance politique de l'université va bientôt s'é-
oSipser dans la splendeur de la royauté. Le règne de
Charles YIII lui rendit sa prospérité et son indépendance ;
les états de 1484, tenus à Tours, sanctionnèrent ses privi-
lèges; de concert avec le parlement, elle s'opposa à la
levée de nouveaux impôts; mais, sans lui garder ranctme de
cette résistance, le roi supprima le droit d'aubaine en fa-
veur des écoliers étrangers. Cette mesure attira du dehors
un giand nombre d'étudiants et de maîtres. Le contact de
l'Italie et de la France donna en même temps une forte im-
pulsion aux études littéraires. Ce mouvement se continua
sous Louis XII. Cependant, ce prince, tout populaire qu'il
était, porta atteinte aux privilèges de l'université et pro-
voqua la résistance de cette compagnie , qui donna alors le
dernier exemple de la cessation des leçons ; mais le pou-
voir royal avait pris une telle extension , qu'il fallut céder.
Désormais l'université cesse d'occuper dans l'État le haut
rang qu'elle devait à la lutte et à la faiblesse des autres
pouvoirs; mais son rôle, ainsi réduit, ne cesse pas d'être
glorieux , car elle demeure toujours le foyer d'où la lumière
se répand sur toutes les classes de la société.
Sous François I'^"' l'université lutta vainement pour le
maintien ûq {a pragmatique sanction . Le concorda>t, con-
clu dans des intérêts purement politiques entre Léon X
et François \", était une grave atteinte aux libertés de
l'Église gallicane. Le parlement et l'université agirent de
concert pour détourner ce coup funeste; mais leur résistance
fut vaincue. L'université vit avec quelque répugnance la
fondation du Collège de France, destiné à propa-
ger l'étude des langues anciennes. Cependant , elle ne tarda
pas à reconnaître ce que cet établissement devait lui ap
porter de considération et d'avantages. De nouvelles épreuves
attendaient l'université : pendant qu'elle défendait vaine-
ment sa propre indépendance et les libertés de l'Église gal-
licane, la r''<<3rme de Luther, pénétrant de l'Allemagne en
France, lui préparait de nouveaux combats. Luther prit pour
arbitre la faculté de théologie , qui condamna ses doc-
trines. Mais en môme temps s'élevait dans l'ombre d'un
collège de l'université le plus puissant auxiliaire du ré-
formateur : c'était Calvin. Le concile de Trente fut réuni
pour combattre l'hérésie, et l'université , oublieuse do se«
anciens efforts et du rôle qu'elle avait joué aux conciles
de Constance et de Bâle , n'y envoya point des députés ;
elle aimait mieux persécuter un de ses plus illustres
membres. R a m u s, et défendre contre lui la philosophie d'A-
ristoteet la prononciation de quisquis et de quanquam;
dispute ridicule, qui a sans doute légué à la langue popu-
laire le double sifflement qui excite la fureur des animaux
querelleurs et la qualification des propos que tiennent les
mauvaises langues.
De plus graves débats occupèrent en même temps l'uni-
versité. L'ordre des Jésuites, à peine constitué, vint s'éta-
blir à Paris , en dépit de l'université et du parlement , et
voulut ouvrir des écoles rivales. En 1557 les jésuites de-
mandèrent à être agrégés à l'université; celle-ci résista,
comme pour les ordres mendiants. Les disciples de Loyola
se pourvurent devant le parlement ; la cause de l'université
fut plaidée avec un talent énergique par l'avocat Pasquier :
la cause fut appointée, c'est-à-dire que les choses demeu-
UNIVERSITÉ
rèrenfdans l'état où le débat les avait prises. Les jésuites
ne furent pas incorporés à l'iiniversilé , mais ils restèrent
maîtres de continuer les leçons publiques qu'ils avaient
commencées.
La réforme et la Société de Jésus furent pendant la se-
conde moitié du seizième siècle l'objet de la iiaine et des
poursuites de l'université. Aux états généraux d'Orléans ,
elle fit voir l'intolérance de son ortbodoxie. Aux états de
Blois, ses députés montrèrent le même esprit. Ce zèle em-
porté devait associer l'université à tous les excès d« la
Ligue. Dans ces temps déplorables , la Sorbonne ne man-
qua jamais à servir les desseins des factieux par ses décrets.
Après le meurtre des Guises , elle délia les peuples du ser-
ment de fidélité. Lorsque le fanatisme, autorisé par ce dé-
cret et exalté par les prédications des docteurs sorboniques,
eut armé les bras de Jacques Clément et frappé le dernier
des Valois, la Sorbonne poursuivit avec le même acliarne-
ment la maison de Bourbon. Henri IV fut déclaré indigne
du trône comme hérétique , et même inhabile à succéder,
fût-il converti, parce que alors il y aurait danger de/ei»:
lise et de perfidie. L'université expia cruellement les
excès de la Sorbonne : la guerre qu'ils avaient fomentée
ruina les éludes et dépeupla les collèges. La Sorbonne et
la Ligue furent vaincues par leurs propres fureurs. Une
transaction s'opéra, et l'entrée de Henri IV à Paris mit un
terme à toutes ces violences. L'université ne ^tarda pas à
faire amende honorable ; les brouillons qui l'avaient domi-
née furent expulsés. A peine relevée de son abaissement,
l'université reprit avec une nouvelle vigueur ses poursuites
contre les jésuites. Toutefois , elle aurait succombé si le
crime de Châtel, élève du collège de Clermont, n'était venu
fort à propos pour motiver cette fois l'expulsion de ses
maîtres. La faculté de théologie condamna les doctrines
ultramonlaines, et, par compensation, elle forma opposition
à l'édit de Nantes , qui consacrait la tolérance religieuse.
Les écoliers , encouragés par les doctrines de leurs chefs ,
se portèrent à des voies de fait contre les protestants. Ces
excès appelèrent une répression qui réduisit les privilèges
de l'université. Le roi permit alors le rétablissement des
jésuites. Quelques années après le retour des jésuites ,
Henri IV fut assassiné, La régente accorda aux rivaux de
l'université le droit d'enseigner, et ils rentrèrest en posses-
sion de leur collège de Clermont.
L'université n'envoya pas de députés aux états généraux
de 1614, les derniers qui furent assemblés sous l'ancienne
monarchie. Les désordres des premières années de la ré-
gence de Marie de Médicis passèrent de la cour dans les
écoles, qui furent l'asile du libertinage et de la paresse.
L'avènement de Richelieu rétablit l'ordre , fortifia les
études en les régularisant , et enleva à l'université les der-
niers restes de son importance politique, A dater de ce mi-
nistre l'université n'a plus d'histoire ; ce n'est plus qu'un
corps soumis aux lois de son organisation et fonctionnant
avec régularité. La faculté de théologie est la seule qui
puisse avoir des annales, encore n'y trouve-t-on que l'af-
faire du jansénisme, commencée par la querelle des
cinq propositions, dont la condamnation du grand Ar-
nauld n'est qu'un épisode, et qui se termine par la bulle
Unigenit us. La condamnation d'ArnanId ayant amené
la retraite de soixante-et-onze docteurs, la Sorbonne perdit
beaucoup de sa considération ; et comme elle fit cause com-
mune avec les jésuites, elle sépara ses intérêts de ceux du
corps dont elle faisait partie. Sous Louis XIV, la Société de
Jésus changea le nom du collège de Clermont en celui de
Louis-te- Grand, qu'il conserva jusqu'à l'époque où elle
(ut renvoyée de France. Son expulsion est le fait des parle-
mentaires et des philosophes plutôt que de l'université, qui
toutefois hérita des bâtiments du collège Louis-le-Grand et
des autres dépouilles de ses adversaires. Ce collège devint
le chef-lieu de l'université , et c'est là que fut élevé cet
homme mystérieux que la conscience flétrit sans hésita-
lion, mais que J'esprit ne juge pas sans trouble, Robes-
7St
pierre, dont le triomphe entraîna l'université dans le
naufrage de toutes les institutions de la monarchie. Ainsi,
l'université réchauffa successivement dans son sein les
plus rudes adversaires de ses doctrines et de sa puissance :
Calvin, Loyola, Robespierre.
La. fille ainée des i-ois de France ne devait pas survivre
à la monarchie ; elle fut entraînée dans le naufrage de
toutes ses institutions. L'Assemblée constituante ne la dé-
truisit pas, mais elle l'ébranla par ses projets de réforme.
Incertaine sur son avenir, l'université vit ses études s'af-
faiblir et ses collèges se dépeupler. D'ailleurs, le désordre
des affaires et l'agitation des esprits précipitèrent la déca-
dence des écoles, et l'obligation du serment à la constitu-
tion civile du clergé acheva de les ruiner en dispersant
les maîtres. Lorsque la Convention s'assembla, tous les
grands établissements d'instruction publique étaient fermés.
Il fallut enfin songer à rouvrir les écoles pour prévenir le
retour de la barbarie. La Convention s'en occupa active-
ment. Son premier soin fut la fondation des écoles nor-
males. Cette grande institution ne dura que six mois, mai.i
elle déposa des germes féconds. La fondation de l'École
Polytechnique honore aussi cette époque. Le Directoire et
le consulat favorisèrent le retour aux études littéraires. Le-
célèbre Fourcroy devint directeur de l'instruction pu-
blique, et prépara l'organisation de Vuniversité impériale
de France, qui porte le caractère de simplicité et de force
qui distingue toutes les conceptions de Napoléon; c'est la
centralisation appHquée à l'enseignement. Dans cette vaste
coopération, quiembrasse tous les degrés de l'enseignement,
chaque partie aboutit à un centre commun. Trois degrés
d'instruction s'échelonnent en s'unissant, et sont surmontés
d'un conseil supérieur et A'' an grand-maître, qui, par l'in-
termédiaire des inspecteurs généraux , a les yeux ouverts
sur toutes les écoles. L'instruction est primaire, secondaire
et supérieure. L'instruction primaire comprend les écoles
où l'on enseigne la lecture, l'écriture et le calcul ; l'instruc-
tion secondaire se compose des collèges communaux et
des lycées; l'enseignement supérieur embrasse les facultés
de théologie, de droit, de médecine, des sciences et des
lettres. La circonscription universitaire se divise en acadé-
mies surveillées par des inspecteurs et administrées par
des recteurs, qui correspondent directement avec le grand-
maître. Une école normale fut établie pour l'instruction des
maîtres et pour garantir la force et l'unité de l'enseigne-
ment. Tout était prévu , on n'avait oublié que la liberté.
Sous l'empire, la direction de l'éducation et de l'instruction
fut appropiiée aux besoins de l'époque. Une discipline mi-
litaire faisait des lycées le séminaire de l'armée.
Le gouvernement de la Restauration essaya de détruire
cette puissante organisation, l'université perdit un instant
son nom. L'administration en fut confiée à une commission
d'instruction publique , qui , sous la présidence de
Ro y er-CoUard, résista aux envahissements du clergé
et donna aux études une impulsion plus littéraire et plus phi-
losophique. En 1821 l'université, qui avait repris son nom
et était devenue Vuniversité royale de France , forma la
partie la plus importante du ministère de l'instruction pu-
blique. A dater de cette époque ju.«,qu'en 1828, l'université
subit l'influence du clergé , qui se manifesta surtout par la
destruction de l'école nomiale, laquelle reparut quelques
années après sous le nom accole préparatoire.
La révolution de Juillet rendit à l'université son indé-
pendance et lui donna dans l'Etat une place plus impor-
tante. Toutefois, elle posa un problème qui devait être ré-
solu par un pouvoir né d'une autre révolution, c'est-à-dire
la conciliation de la liberté d'enseignement avec les droits
de la société, qui ne peut pas abandonner sans garantie à
tous ses membres la faculté d'instruire et d'élever la jeu-
nesse. Au reste , l'existence de l'université, redevenue de-
puis 1S52 université impériale de France, ne nous pa-
raît point menacée par la concurrenee des écoles libres
dans tous les degrés de l'enseignement. Le patronage du;
732 UNIVERSITE
l'État , le talent de ses maîtres , l'unité de ses doctrines,
l'amélioration successive de ses méthodes , l'extension
mesurée des matières de l'enseignement et le privilège de
la collation des grades dans toutes les facultés , sont des
garanties suffisantes de sa force et de sa durée.
GÉRUSEZ.
UNKIAR-ISKELESSY, petit bourg situé sur la côte
asiatique du Bosphore, aux environs de Scutari, et dont le
nom signifie (fcAeZ/e des officiers du grand-seigneur. C'est
là que fut signé, les juillet 1833, entre la Porte Ottomane
et la Russie, un traité secret par lequel la seconde de ces
puissances était autorisée dans certaines éventualités don-
nées à faire entrer des bâtiments de guerre dans le Bos-
phore, alors que les Dardanelles devaient rester fermées
aux bâtiments de guerre des autres puissances. Aux termes de
ce traité, la Russie en jetant une quinzaine de mille hommes
sur la côte de Scutari, put, en 1833, empêcher Ibrahim-
Pacha de marcher sur Constantinople et recueillir les fruits
de la victoire qu'ilavait remportée, en décembre 1832, sur
les troupes du sultan dans les plaines de Konieh. L'Angle-
terre et la France devaient, chacune par des motifs différents,
souhaiter que ce traité secret fût infirmé; aussi lors du
règlement de la question d'Orient , à la suite des événements
de 1840, le traité de Londres du 13 juillet 1841 annula-
t-il expressément les stipulations d'Unkiar-Iskelessy.
UNTERWALD, un des vingt-deux cantons de la Con-
fédération Helvétique, situé presqu'au centre de la Suisse,
contient, sur environ 9 myriamètres carrés, 25,138 habitants
parlant allemand, catholiques et faisant partie de l'évêché de
Coire. Le Kernwald sépare ce territoire en deux grandes
vallées, VObwald et le Nidivald, dont chacune, aussi loin
qu'on peut remonter dans l'histoire, a toujours constitué un
Etat particulier et indépendant. Les constitutions de l'une et
de l'autre sont démocratiques , et diffèrent peu dans leurs
dispositions essentielles. Dans l'Oi'wa/d, aux termes de la
constitution revisée en 1850 , la souveraineté réside dans la
landesgemeinde, oa assemblée de tous les citoyens honnêtes
ayant vingt ans accomplis. Le triple conseil pro\incial
(Landrath), élu par .les communes à raison d'un membre
par 125 âmes, est l'autorité délibérante et législative. Un
conseil composé d'un membre par 250 habitants constitue
dans cette assemblée une espèce de comité. Le pouvoir exé-
cutif est confié à un conseil de gouvernement de douze
membres, sous la présidence d'un landamman, avec un
gouverneur et un trésorier, tous élus par la landesge-
meinde. A la tête de l'ordre judiciaire est placé un tribu-
nal de Canton de treize membres et de sept suppléants, élus
par le triple conseil. Dans le ISidwald, aux termes delà
constitution du l"' avril 1850, les autorités cantonales se
divisent de la même façon en landesgemeinde et nachge-
meinde, en conseil provincial de soixante-et-un membres ,
en conseil de semaine de treize membres présidés par le
landamman , en tribunal cantonal et en conseil d'écoles.
Quoique le sol soit fertile et le climat âpre uniquement
dans le plus petit nombre de localités , on ne s'y livre pas
à la culture des céréales; et toute l'industrie s'y concentre
sur l'exploitation des prairies et pacages, des fruits et des lé-
gumes, et surtout sur l'élève du bétail. Plus de onze mille
vaches paissent dans les montagnes ; et il se fait un com-
merce important en fromages renommés d'Uuterwald ainsi
qu'en bestiaux et en bois.
Dans VObwald ( 13,780 habitants sur 7 myriam. carrés),
on remarque surtout le chef-lieu , Sarnen, à l'extrémité du
lac du même nom, dans une grande et riche vallée , avec
3,402 habitants, un hôtel de ville et une abbaye de bénédic-
tins, célèfcre dans l'histoire moderne de la Suisse par la
ligue, dite de Sarnen, cju'y conclurent divers Cantons con-
servateurs , mais qui fut dissoute, comme contraire à la
constitution fédérale par un décret de la diète fédérale, en date
du 17 août 1833. A peu de distance est situé le romantique
Melchthal, patrie d'Arnold de Melchthal et de Nicolas von
der Fine. Le tombeau de ce dernier se voit à Sachselm.
— UPS AL
Citons encore l'abbaye d'Engelberg, au pied du mont Titlis,
tout entouré de glaciers et situé à 3,523 mètres au-dessus du
niveau de la mer. Le chef-lieu du Nidtoald est Stanz, avec
1,877 habitants , et célèbre par son hôtel de ville.
UPAS (dans la langue des Malais synonyme àe poison),
nom commun à diverses plantes vénéneuses des îles de l'Inde
au delà du Gange et des îles Philippines. Le plus fameux
poison de cette espèce {voyez Strychnine) provient de
l'antschar vénéneux { antiaris toxicaria) , arbre de plus de
trente-trois mètres d'élévation, de la famille des aitocarpées,
qui croît dans les îles de la Sonde et aux Philippines, ainsi
caractérisé : fleurs monoïques ; dans les mâles, réceptacle
discoïde, multinore,écailleux en dessous; dans les femelles,
réceptacle turbiné , uniflore, couvert d'écaillés et croissant
avec le fruit. Point de périanlhe. Ovaire attaché au récep-
tacle. Ovule, analrope, inverse, style biparti. Drupe charnu,
monosperme. Embryon exalbumineux , inverse. Avec le
suc laiteux de cet arbre vénéneux (appelé pohon-upas , à
Java antschar, aux Philippines Ipo), auquel ils mêlent du
poivre noir et du suc de la racine de galanga , les Malais
préparent un poison dont ils enduisent leurs flèches, qui
ressemble à une mélasse épaisse et très-brune, et qui, in-
troduit dans l'économie animale, agit d'abord comme vo-
mitif et purgatif. Son action se porte ensuite sur le cerveau,
en trouble les fonctions et amène rapidement la mort avec
des convulsions tétaniques. Le seul moyen de guérison est
de provoquer des vomissements violents et des sueurs
abondantes. Bien que le suc de cet arbre , quand on l'ap-
plique tout frais sur la peau, agisse à la manière des poi-
sons , il faut reléguer dans l'empire des fables les récits
suivant lesquels il existerait à Java une vallée empoisonnée ,
où les exhalaisons provenant d'un grand nombre d'arbres
vénéneux détruiraient immédiatement toute vie animale et
végétale. Les effets de Vupas tjettek , qu'on prépare éga-
lement avec l'écorce de la racine du vomiquier de Java
{strychnosticnle), arbrisseau grimpant, qui parvient au
sommet des arbres les plus élevés , sont encore autrement
rapides et violents que ceux de l'upas provenant de Yan-
tiaris toxicaria.
UPLAND, contrée de la Suède qui formait autrefois
une province particulière , bornée au nord et à l'est par la
Baltique , au sud par le lac Maelar et la Sudermanie , à l'ouest
par le Westmanland et le Gestricke. Ce territoire, qui
comprend une superficie d'environ 165 myriam. carrés,
forme aujourd'hui les bailliages (Ixne) de Stockholm et
d'U|)sal , outre une petite partie du bailliage de Westeras.
La borne milliaire séparant l'Upland de la Sudermanie se
trouve placée presque au centre de Stockholm , dans la
rue Westerlxng ; du côté du Westmanland, c'est en partie
le fleuve Saga qui forme la délimitation. Le Dalelf, qui
parcourt une partie de cette contrée, leur sert aussi en
partie de limites du côté du Gestrike. L'Upland est situéie
fort peu au-dessus de la mer, généralement plate, et bien
arrosée par des lacs et des rivières. Le sol en est fer-
tile, sans être cultivé partout avec soin. Il produit des
céréales, des légumes, du houblon, des bestiaux, et beau-
coup de fer provenant des mines de Danemora, Œslerby ,
Lœfsta, Forsmark, Sœderfors, etc. Les forêts y sont très-
rares. La côte , séparée des îles d'Aland dans sa partie ia
plus saillante par VAlandshaJf, est protégée contre la mer
et contre les attaques de l'ennemi par les skxres ou ré-
cifs d'Upland. Les rives du lac Maelar et les parties septen-
trionales de l'Upland sont les plus belles localités de cette
contrée, notamment les environs du majestueux Dalelf
avec ses magnifiques cataractes , dont celle d'Elfkarleby
présente une masse d'eau plus con.sidérable que la chute
du Rhin à Schaflhouse. Sur presque tous les points de
l'Upland on rencontre des débris de l'antiquité, des pierres
runniques , des tumuli, etc.
UPSAL, C/p5ato , chef-lieu du bailliage ( lœn) du même
nom ( 68 myriam. carrés, avec 89,400 habitants), à sept mv-
riamètres au nord-ouest de Stockholm, dans une vaste et
UPSAL — URAINUS
733
fertile plaine , la plus grande de toute la Suède cenlraJe ,
sur une petite rivière navigable, appelée Fyrisa, compte
5,000 habitants, non compris les étudiants. Elle est depuis
l'an 1164 le siège d'un archevêché, le seul qu'il y ait en
Suède, et d'un gouverneur, qui habile le vieux château. On
y trouve une école cathédrale , un lycée , une école des arts
et métiers et plusieurs écoles primaires , ainsi qu'une école
normale pour instituteurs primaires.
L'université d'Upsal, fondée en 1476, par l'administrateur
du royaume Sten-Sture, dotée par Gustave II Adolphe, qui
lui légua tous ses biens de famille, reçut de Charles X Gustave
ses statuts, qui sont encore en vigueur. En 1851 le nombre des
étudiants s'élevait à 1,559. La bibliothèque, qui maintenant
occupe un beau bâtiment, compte plus de 100,000 volumes
et 6,000 manuscrits, dont le célèbre manuscrit de la Bible
d'uifila s, connu sous le nom de codex Argendnus. L'uni-
versité possède en outre une collection de 16,000 médailles,
une très-précieuse collection minéralogique, un jardin bo-
tanique avec un musée d'histoire naturelle et une statue
élevée à Linné en 1827 , ainsi qu'un nouvel observatoire.
La cathédrale est un magnilique édifice et la plus grande
église qu'il y ait dans tout le royaume. Construite de l'an
1258 à l'an 1435, et entièrement couverte en cuivre, elle
a 180 aunes (l'aune de Suède vaut 0"' ,593082) de long,
77 de large et 50 de haut, et est placée sur une éminence.
L'extérieur et l'intérieur en sont simples et majestueux ; et
elle contient, outre un grand nombre de tombeaux, parmi
lesquels on remarque surtout ceux de Gustave Wasa , de
Jean III et de Linné, beaucoup de monuments histo-
riques du plus grand prix. 11 y a aussi à Upsal une Société
royale des Sciences et une Société Cosmographique. Dans
ces derniers années la ville s'est beaucoup embellie par la
construction de maisons nouvelles et la création de jar-
dins semblables à des parcs. Depuis un temps immémorial il
s'y tient tous les ans , au commencement du mois.de février,
une grande foire appelée dïstïngen ( corruption de disa-
thing), où les paysans marchands du Norrland apportent
de grandes quantités de beurre, de gibier à plume, de
viande de renne , de lin et de toile.
A trois kilomètres au nord de la ville on trouve le vil-
Ifige de Gamla-Upsala (Yieil-Upsal), autrefois centre du
culte d'Odin et résidence du grand-prétre , qui était en
même temps roi sjiprême , avec un bois sacré et un temple
magnifique, mais dont il ne reste plus de traces. A sept ki-
lomètres environ ou voit les célèbres pierres de Mura ,
où avaient lieu au moyen âge l'élection et le couronnement
des rois de Suède. A 21 kilomètres au sud, sur les bonis
d'une baie du lac Maelar, est situé le village de Sigtuna ,
investi aujourd'hui encore des droits de ville , autrefois
résidence d'Odin et point de départ de sa religion en même
temps que capitale de tout le royaume, mais qui, après
avoir été détruite en 1188 par des pirates finlandais, ne s'est
plus relevée de ses ruines et a été complètement effacée
par Stockholm.
URAIVATE. On nomme uranates les sels qui ré-
sultent de la combinaison du proloxyde d'u rauium avec
ime base.
Le protoxydejoue alors le rôle d'un acide. Les uranates
de potasse ou de soude peuvent s'obtenir en calcinant le
peroxyde d'urane avec les carbonates de ces deux bases.
Ces sels étant peu solubles dans l'eau froide, on peut les
séparer aisément des carbonates alcalins en excès. Les ura-
nates sont tous décomposables par la chaleur; quelques-uns
donnent par la calcination un alliage d'urane et du métal
contenu daijs la base; cet alliage est quelquefois pyropho-
"q'ie. Barreswil.
URANE. Celte substance fut extraite, en 1789, par
Klaproth , d'un minéral appelé pech-blende , dans lequel
elle existe à l'état d'oxyde. La pech-blende contient du
plomb, du fer, du cuivre, duzinc, du cobalt, de l'arsenic,
du soufre, de la silice, et enfin de l'oxyde d'urane. Pour
1 extraction de furane, M. Arfwedson conseille le procédé '
suivant : la pech-blende est réduite en poudre, dissoute
dans l'eau régate , qui laisse inattaquée une pai tie de la gan-
gue; cela fait, on sépare le cuivre, le plomb et l'arsenic
par l'hydrogène sulfuré ; on élimine le fer, qui doit être à
l'état de peroxyde par le carbonate d'ammoniaque en excès,
on fait bouillir la liqueur filtrée jusqu'à ce que l'odeur de
carbonate d'ammoniaque ait disparu; les oxydes de cobalt,
de zinc et d'urane se précipitent ; on traite le mélange par
l'acide clilorhydrique faible, qui dissout les oxydes de co-
balt et de zinc ; l'oxyde d'urane reste pur. On peut le ré-
duire par l'hydrogène sulfuré à la chaleur de la lampe. Ce
procédé d'extraction pourrait être beaucoup simplifié. On
pourrait, sans aucun doute, traiter la pecb-blende comme
le minerai de chrome (chromaie de fer), toutefois après
l'avoir préalablement grillée. On trouve aussi l'urane dans la
johanile, Vuranite et la chalcolite. Foî/es Uranium.
Barreswil.
\]R.\?iW{ Astronomie) , plané tetélescopique décou»
verte par M. Hind,le 22 juillet 1854. Sa distance moyenne
au Soleil est représentée par 2,366, en prenant celle
de la Terre pour unité. La durée de sa révolution sidérale
est de 1329 jours. Son orbite, dont l'excentricité est égale
à 0,126, a une inclinaison de 2° 5' 56". E. Merlieux»
URAIV'IE , fille de Mnémosyne , l'une des neuf Muses ,
était la plus contemplative d'entre elles. Toujours les re-
gards élevés vers le ciel , auquel est emprunté son nom mé-
lodieux {voyez Uranus), elle présidait à l'astronomie et à la
géométrie , qui mesura la distance et le volume des globes
roulant dans l'Empyré*, de la couleur azurée duquel sa robe
était teinte , et dont ses yeux bleus avaient le tendre éclat.
Parfois des sphères sont à ses pieds; souvent, elle tient
un compas, avec lequel elle trace des arcs ou des cercles.
Cette Muse sérieuse ne fut point toujours chaste; elle eut
d'Apollon Linus, et du joyeux Bacclius l'Hymonée. Une cou-
ronne d'étoiles scintille ordinairement autour de sa tête.
Les mythes comptent aussi une Vénus célèbre du nom
.d'Uranie, et une Océanide. Denne-Baron.
URAIVIUM. En 1842 M. Péligot a démontré que l'u-
rane n'est pas un corps simple, comme l'avaient admis
jusque alors tous les chimistes , mais un oxyde d'un ra-
dical métallique qu'il a nommé uranium. Il a fait voir
que l'urane est un composé binaire, qui, dans ses combi-
naisons, se comporte tantôt comme un corps simple,,
tantôt comme un oxyde basique ordinaire. Enfin, il est par-
venu à obtenir l'uranium. Ce métal est très-combuslible;
si l'on chauffe avec précaution un papier sur lequel oa a
placé quelques parcelles d'uranium , celles-ci brûlent avant
que le pa[)ier lui-même roussisse et prenne feu. On en;
connaît cinq oxydes ; le protoxyde d'uranium et l'urane.
URANOLITHES. Voyez Aérolithes.
URANOSCOPIE (du grec oùpavôç, ciel, et axoTiéw^je
regarde), divination par l'inspection du ciel.
URAI\US, dieu primordial, le ciel personnifié, et dont
le nom signifiait, dans l'idiome des Hellènes , la voûte étlié-
rée. La Fable le fait fils d'Érebos et de Gaea, qui lui donna
pour fils les Titans, les Cyclopes et les Hécatonchires ou
Centimanes. Comme il haïssait ses enfants, il les enferma
tout aussitôt après leur naissance dans le Tartare. Gaea, ir-
ritée d'un tel procédé , excita Chronos ( Saturne, le Temps ),
l'un des Titans, à tirer vengeance d'Uranus. Celui-ci mu-
tila SOH père ; et du sang de sa blessure naquirent les
Érinnyes, les Géants et les Nymphes méUques. Vénus ou
Aphrodite naquit de sa virilité, que Chronos avait jetée à
la mer.
URAKUS {Astronomie). Herschel, regardant avec
un télescope de sept pieds les étoiles qui sont vers les pieds
des Gémeaux , aperçut, le 13 mars 1781 , un nouvel astre,
qu'il prit d'abord pour une comète : il la nomma Geor-
gium Sidus ; Sivry voulait qu'on la nommât Cybèle , et
Prospérin Neptune; Bode proposa le nom iïUranus,
adopté généralement aujourd'hui. Uranus est la planète
734 URÂNUS — URBAIN
qui , dans l'ordre des distances au Soleil , vient immédiate
nient après Saturne; sa distance solaire moyenne est
19,18, en prenant celle de la Terre pour unité. La durée de
sa révolution sidérale est de 3068w,82, environ quatre-
vingt-quatre ans. Son diamètre est de 4,34, celui de la
Terre étant 1. Sa masse est ^^^^ de celle du Soleil. La durée
de la rotation d'Uranus n'a pu encore être déterminée,
parce que le disque de cette planète , visible seulement avec
de bons télescopes, est d'un éclat uniforme et ne pré-
sente aucune tache discernable. Quant à son orbite , son
excentricité est 0,0466 , et son inclinaison 0° 46' 28".
Uranus est accompagné de six s a tel li tes , tous décou-
verts par Herscliel. Le second et le quatrième ont été seuls
revus.
[La distance de cette planète au Soleil est de six cent
soixante millions de lieues. Aucune observation n'a pu faire
connaître la durée de son jour, mais on la déduit avec une
grande probabilité du mouvement des satellites de cette pla-
nète comparés à ceux du Jupiter et de Saturne : tout fait
présumer que sa rotation diurne n'est pas moins rapide que
eellc des deux autres astres , et que son jour est tout au plus
de onze à douze de nos heures. Quoique soixante-dix-sept
fois aussi gros que la Terre, Uranus n'a pas plus d'éclat
qu'une étoile de la sixième ou septième grandeur, et n'est
pas toujours visible à l'œil nu. Armé de son grand téles-
cope , Herscliel a découvert six satellites de la nouvelle pla-
nète, déterminé leur distance, la forme de leur orbite, et
calculé la durée de leurs révolutions. Mais deux seulement
de ces petits globes peuvent être aperçus avec les instru-
ments ordinaires ; l'analogie fait présumer aussi que les or-
bites des satellites s'écartent peu du plan de l'équateur de
leur planète; et comme ceux d'Uranus se meuvent perpen-
diculairement au plan de l'orbite de celte même planète, il
en résulterait des phénomènes inconnus dans tout le reste
du système; tous les points de la surface, les deux pôles
compris", verraient une fois chaque année le Soleil à leur
zénith. Mais que peut faire le Soleil à la distance de 660 mil-
lions de lieues .3 Comme son pouvoir éclairant et échauffant
décroît dans le même rapport que l'accroissement du carré
de la distance, Uranus n'aurait en partage que la quatre-
.«entième partie de la lumière et de la chaleur dont nous
jouisssons ici, et ne serait pas mieux traité dans toute son
étendue que le Spitzberg au milieu des rigueurs de ses hivers.
Ferry].
URAS. Voyez Caubonate.
URATE , nom générique des sels formés par la com-
binaison de l'acide urique avec différentes bases (voyez
Ukine),
■ URBAIN. Huit papes de ce nom ont occupé la chaire
de Saint-Pierre de Rome.
URBAIN 1", dix-liuitième évê(Jue de Rome ( 224-230), suc-
céda à Calixte l", et Souffrit le martyre sous Alexandre Sévère
avec un grand nombre de chrétiens. Des critiques très-ortho-
doxes rejettent cette persécution comme impossible sous un
empereur dont la mère était chrétienne. Les annales de Baro-
nius fixent la mort d'Urbain à l'an 233 et son pontificat à six
ans et sept mois. La chronique d'Eusèbelui donne une durée
de neuf années. D'autres, enfin, lui attribuent l'origine du
temporel.
URBALNH.cent soixante-quatrième pape ( 1088-1089), se
nomvadiH Eudes ouOtf on deChdtilton et étaitfils dnseigneur
deLagen, prèsde Châtillon-sur-Marne. Né vers 1042, etd'a-
bord archidiacre de l'église de Reims, le goût de la retraite le
jeta dans le monastère de Cluny, d'où il ne sortit que pour se
rendre à Rome à la prière de Grégoire VII, qui lui donna
)'évéché d'Ostie, et qui l'honora de saplus intime confiance.
Légat en Allemagne, et arrêté par ordre de l'eiriperenr
Henri IV, en 1083, il fut renvoyé à Rome par ce prince;
mais l'intrépide Grégoire lui ayant ordonné de rester en Alle-
magne, il y fulmina l'excommunication lancée contre César
par le pontife. Revenu cependant en ItaHe, à la suite de Henri,
il lut aa moment d'être élu après la mort de Grégoire; mais
il fit éclater son désintéressement en consacrant lui-même
le nouveau pape Victor III, et trois ans après, celui-ci, sen-
tant sa fin prochaine, le jirésenta comme son successeur
aux évoques , qui l'élurent et le consacrèrent dans l'église
de Terracine, le 12 mars 1088. Il déclara sur-le-champ qu'il
entendait marcher snr les traces de Grégoire VII, et se
montra le digne disciple de ce vigoureux pontife, en re-
nouvelant l'excommunication de l'empereur et de l'antipape
Guibert, qui était resté maître de Rome, et l'Allemagne fut
près de leur échapper, pendant qu'ils dominaient en Italie.
Urbain II s'attaqua même au roi de France Philippe !*■■,
qui venait de répudier Berthe pour épouser Bertrude, et le
frappa d'anathème. H fit couronner roi d'Italie, par l'arche-
vêque de Milan, le prince Conrad, fils révolté de l'empereur;
et il s'ensuivit des défections qui forcèrent l'empereur et l'an-
tipape Guibert à se réfugier dans Vérone. Urbain II rentra
dans Rome, célébra la fête de Noël dans la basilique de Saint-
Pierre, et tint à Plaisance un concile où le roi de France Phi-
lippe et l'empereur Alexis Comnène envoyèrent des ambassa-
deurs. Après avoir réglé les affaires de la Lombardie, Urbain II
passa enfin les Alpes, et vint tenir à Clermont le fameux
concile où furent décidées les croisades ( voyez Pierre l'Er-
mite). Le pape ne put achever sa harangue. Tous les assis-
tants en masse s'écrièrent : Dieu le veut ! Dieu le veut !
et cent mille chevaliers ou gens d'armes , escortés de six
cent mille fantassins, prirent la croix des mains du pape
et de ses légats. Urbain II fixa le jour du départ à la fête de
l'Assomption de l'an 1096, et, après avoir tenu de nou-
veaux conciles à Tours , à Primes, fut reconduit à Rome
par un immense concours de pèlerin? sous la bannière
d'Etienne de Blois, de Robert de Normandie et de la com-
tesse Malhilde. Jérusalem fut enlevé d'assaut, le 5 juillet
1099, par les croisés dont il avait béni l'entreprise; mais il
n'eut pas le temps d'apprendre cette heureuse issue de la
croisade : la mort le frappa le 29 du même mois.
URBAINIII,cent soixante-dix-huitième pape (1186-1187),
se nommait Lambert Hubert Crivelli, et était né à Milan.
D'abord archidiacre de Milan, puis de sa ville natale, promu
ensuite au cardinalat, sous le litre de Saint- Laurent, par le
pape Luce III, et pourvu de l'archevêché de Milan par le
même pontife, il lui succéda, en décembre 1185, sous le règne
de Philippe-Auguste et de l'empereur Frédéric Barbe-Rousse.
Il eut de nombreux démêlés avec celui-ci, qui ferma tous
les passages de l'Italie , assembla tous les évêques d'Alle-
magne , et les força d'écrire au pape pour l'engager à ne pas
rompre la paix de l'Église. C'était mal connaître Urbain III.
Dieu seul pouvait l'arrêter dans ses projets d'excommuni-
cation ; et il l'ôta de ce monde, le 19 octobre 1187, avant
qu'il eût lancé ce nouvel anathème. Ce fut dans les derniers
jours de ce pontificat de moins de deux ans qu'arriva la
triste nouvelle de la fatale journée de Tibériade et de la re-
prise du saint sépulcre par Saladin, quatre-vingt-deux ans
après que Godefroi de Bouillon s'en était emparé.
URBAIN IV, cent quatre-vingt-huitième pape (1261-1 264),
succédaà Alexandre IV. Son nom était Jacques- Panialéon.
H était né à Troyes, d'un père cordonnier de son état, qui
l'envoya étudier à Paris. Son savoir et son éloquence rélevè-
rent à l'archidiaconat le Liège, où Innocent IV le prit pour
en faire son chapelain et son légat. Il partit en cette dernière
qualité pour la Pologne, en 1248. Quatre ans après, il était
évèi|uc de Verden et char.;c de la légation de Poméranie.
En 1255 Alexandre IV l'envoya dans la Terre Sainte avM
le titre de patriarche de Jérusalem; et les affaires de son
église l'ayant amené à Viterbe au moment de la mort d'A-
lexandre , les huit cardinaux qui s'y trouvèrent l'élurent
pour succéder à ce pape, le 29 aoirl 1261. Il institua peu
dctemps après la Fête-Dieu. L'usurpateur Mainfroise main-
tenait alors à Naplos, malgré le saint-siége, qui soutenait
le jeune Conradin. Urbain suivit le parti de ses prédéces-
seurs, et s'étaya d'abord de l'alliance de saint Louis de
France pour repousser la médiation intéressée de Jacques ,
roi d'Aragon. Mais la polilitiue changea tout au préjudice de
un BAIN
735
la cour (le Rome. Le fils de Jacques épousa Constance de
Sicile, fille de Mainfroi; et Louis IX accepta pour son fils
Isabelle d'Aragon , qui unit ainsi les deux couronnes dans
un intérêt commun. Urbain IV crut rompre celte alliance
nouvelle en offrant la couronne de Naples au comte d'An-
jou , frère du roi de France. Il éclioua contre la fidélité de
ce monarque, et Mainfroi jeta ses bandes armées sur le pa-
trimoine de saint Pierre. Une croisade prêcliée contre lui
par le pape n'eut que des succès momentanés. Deux préten-
dants se disputaient en même temps l'empire d'Allemagne :
c'étaient Alfonse , roi de Castille , et Richard , comte de
Cornouailles. Un troisième parti se formait en faveur de
Conradin. Urbain IV s'opposa à cette élection. 11 voulait
bien le soutenir à Naples, mais non pas en Allemagne, pour
ne pas y rendre quelque puissance à la maison de Barbe-
Rousse, qui avait causé tant d'embarras au sainl-siége. Il cila
les autres deux compétiteurs à comparaître devant lui le
2 mai 1264 ; mais la mort le surprit au milieu de tous ces
débats, le 2 octobre 1264, à Pérouse, où il s'était fait porter
en litière, après avoir été chassé d'Orvieto par la révolte des
iiabitants.
URBAIN V,deux cent sixième pape (1352-1 370), s'appelait
GMî^/flîime.-ilétaitfilsdeGrimaudou Grimoald, seigneur d
Grisacen Gévaudan. 11 embrassa d'abord l'état monastique
dans le prieuré de Chiriac, au diocèse de Mende. Devenu en-
suite docteur en droit civil et en droit canon, il les enseigna
dans Montpellier et dans Avignon. Ce fut pendant sa légation
de Naples , qu'après un mois de conclave les cardinaux l'é-
lurent à la place d'Innocent VI, le 2S octobre 1362. Les dé-
sordres causés par les Visconti et par les autres tyrans
de l'Italie ayant leur principale source dans le séjour des
papes à Avignon , les supplications des Romains et du poète
Pétrarque le déterminèrent à rentrer avec sa cour dans la
ville de Rome. Il s'embarqua le 19 mai à Marseille, sur
une galère vénitienne, et fit le 9 juin son entrée dans Vi-
terbe. Le peuple de Rome ne put le voir que le 16 octobre.
L'empereur Charles IV le suivit en Italie avec une puis-
sante année, ravagea les terres des Visconti , et fit sacrer
rimpératrice dans l'église de Saint-Pierre. Mais Urbain V ,
las de se transporter de Montefiascone à Viterbe, pour
éviter, disait-il, le mauvais air de Rome, manifesta bientôt
le désir de retourner dans le Comtat. Les Romains es-
sayèrent en vain de le retenir par les fatales prédictions
de sainte Brigitte de Suède. Il remit à la voile pour Mar-
seille, et ue rentra dans Avignon que pour justifier la pro-
phétessc. Attaqué, en octobre 1390, d'une maladie grave,
il mourut le 19 décembre suivant. L'histoire le loue d'a-
voir élevé des palais et des temples, et surtout de n'avoir
pas enrichi ses parents des biens de l'Église, qu'il appelait le
bien des pauvres.
URBAIN VI, deux cent huitième pape ( 1378-1389 ), n'est
séparé du précédent .que par Grégoire XI. Celui-ci avait
aussi reporté le saint-siége d'Avignon à Rome ; mais il y était
mort, et le peuple romain, redoutant l'élection d'un pape
français, s'était assemblé en tumulte autour du palais, où
les cardinaux s'étaient renfermés, au nombre de seize. Un Ita-
lien ou la mort! criait cette populace armée; et les onze
Français qui faisaient partie de ce conclave se hâtèrent de
contenter celte impérieuse et violente insurrection , en nom-
mant Barthélemj de Brigano , qui prit le nom d'' Urbain VI.
C'était un Napolitain, que son savoir et sa réputation d'hu-
milité avaient élevé à l'archevêché de Bari. Mais à peine
eut-il saisi le timon des affaires, que les cardinaux , épou-
vantés de sa fermeté, s'enfuirent sur les terres de Naples.
Malgré l'excommunication du pape qu'ils venaient de faire,
ils ouvrirent à Fondi un nouveau conclave, sous la protec-
tion de la reine Jeajine. Les cardinaux italiens y furent at-
tirés par une ruse ; et les onze Français , proclamant qu'Ur-
bain VI avait promis de se démettre dès que la révolte
serait calmée, élurent le cardinal Robert de Genève, qus
prit à l'instant le nom de Clément VII, et qui fut sur-le-
champ adopté par la France , l'Espagne , la Savoie , la Lor-
raine et l'Ecosse, tandis qu'Urbain était reconnu par le reste
de l'Europe catholique. Telle fut l'origine du grand schisme
d'Occident. Clément réussit à s'échapper de la Pouille , et
fut reçu dans Avignon comme un triomphateur. Jeanne de
Naples s'étant déclarée à son tour pour cet antipape, Ur-
bain VI la déposa , et appela au trône de Sicile Charles de
Duras , cousin du roi de Hongrie. Les Napolitains lui ou-
vrirent les portes de leur capitale. Jeanne implora le secours
de la France et de Louis d'Anjou , qu'elle avait déclaré son
héritier. Mais ce prince , qui se faisait proclamer et recon-
naître dans la Provence , laissa la reine à la merci de ses
ennemis, qui la firent étrangler ou étouffer, le 22 mai 1382.
Louis d'Anjou, pressant sa marche à cette nouvelle, pé-
nétra dans l'Italie à la tête de 60,000 hommes. Le pape
se réfugia près de Charles de Duras; mais il se trouva tout
à coup prisonnier dans Aversa, par l'ordre de ce même
prince, dont la conduite est à peine concevable. La média-
tion des cardinaux rétablit un instant la paix entre les deux
souverains. Mais Urbain prétendit agir en suzerain ; Char-
les de Duras ne voulut point le souffrir, et la mort im-
prévue de Louis d'Anjou l'ayant délivré de son compétiteur,
il ne garda plus de mesures envers le saint-père, qui, en
1385, fit condamner à mortel exécuter six cardinaux, sous
prétexte d'une conspiration ourdie contre lui à l'instigation du
roi Charles. Après s'être échappé de Nocera sous la protection
de Raymond des Ursins, Urbain s'embarqua pour la Sicile,
et passa de là à Gênes, où il arriva le 23 septembre 1385.
Les peuples et les princes, désolés par la guerre civile,
suppliaient les deux prétendants de donner la paix à là chré-
tienté ; et Clément sollicitait l'ouverture d'un concile. Ur-
bain s'y refusa ; il reprit le chemin de Rome, où il entra
dans les premiers jours d'octobre 1387. Il y résista deux
ans à tous les conseils qu'on ne cessait de lui donner
pour mettre fin à ce schisme déplorable, et mourut enfin,
de vieillesse ou de poison, à l'âge de soixante-douze ans,
vers la fin de l'an 1389. L'antipape Clément fatiguait de
ses exactions les peuples de son obédience ; et comme les
Romains avaient donné un successeur à Urbain VI dans
la personne de Boniface IX , Clément continua cette lutte
sanglante, sollicitant ouvertement la paix, et cabalantsour-
dement pour entretenir la discorde- Une attaque d'apoplexie
en délivra le monde, à l'âge de cinquante-deux ans, le 16
septembre 1394. Mais il eut des successeurs qui luttèrent
contre Boniface IX, Innocent VII et Grégoire XII, jusqu'à
l'extinction du schisme par le concile de Pise.
URBAIN VII, deux cent trente-septième pape, se nommait
Jean-Baptiste Castagna, appartenait à la famille génoise de
ce nom, et avait été légat de plusieurs papes en Allemagne et
en Espagne. Il succéda le 15 septembre 1590 à Six te Quint,
après huit jours de conclave. Le peuple accueillit cette élec-
tion avec des acclamations de joie. Les vertus , la charité,
les manières de Castagna lui avaient attiré la vénération et
l'amour des Romains. Mais le ciel ne lui laissa pas le temps
de remplir les espérances de l'Église. Une fièvre ardente
l'enleva-, le douzième jour de son pontificat; et le deuil et le
désespoir succédèrent à ces manifestations de l'allégresse
publique.
URBAIN VIII, deux cent quarante-quatrième pape (1623-
1644), né à Florence, en 1568, s'appelait iV/a^eo, et était delà
famille des Barberini. 11 avait été deux fois nonce auprès du
roi de France Henri IV, quand, on août 1623, il fut élu pour
succéder àGrégoireXV. Une négociation, qui eut des sui-
tes bien funestes, occupa deux ans entiers la cour de Rome.
Il s'agissait d'accorder une dispense à la princesse Henriette.
Marie, sœurde Louis XIII, pour épouser le princede Galles,
qui fut depuis l'infortuné Charles l". Urbain VIII n'accorda
cette dispense qu'à la condition, acceptée par le prince et
par le roi , son père , d'élever les enfants dans la religion
romaine, li profita de cette victoire pour essayer de rame-
ner les Anglais à son obédience ; et l'on sait où ces manœu-
vres conduisirent le malheureux monarque. L'alliance de la
France avec Gustave-Adolphe et les protestants d'AUemaguô
736
causa un violent chagrin à ce pape. Or, comme l'ambition
de la maison d'Autriche le gênait en Italie, il exhorta l'em-
pereur à se servir contre les Suédois des troupes qu'il em-
ployait à ravager la Lombardie et le Manlouan ; el la cour
de Vienne fut si violemment affectée de ce reproche, qu'elle
essaya de provoquer la réunion d'un concile pour y faire
dégrader le pape comme fauteur d'hérétiques. Urbain Yill
refusa toutefois défaire cause commune avec la France dans
la guerre opiniâtre que Richelieu soutenait contre les suc-
cesseurs de Charles Quint. Il s'en tint au rôle de média-
teur, et rappela de Paris le nonce Mazarin, qui penchait
un peu trop vers la politique du ministre de Louis XIII et
qui un peu plus tard, en décembre 1641, obtint le chapeau
de cardinal pour avoir aplani le différend survenu entre
la France et le saint-siége à l'occasion de l'assassinat de
l'écuyer du maréchal d'Estrées, ambassadeur de France à
Rome. La maison de Bragance, élevée sur le trône de
Portugal par une révolution, ne voulut point permettre aux
commissaires du pape d'examiner la validilé de ses titres ;
et cette affaire n'était pas encore vidée quand Urbain VIII
mourut, à l'âge de soixante-dix-huit ans, en juillet 1644.
C'est sous son pontilicat que, par suite de la condamna-
tion du livre de Jansenius, naquit le jansénisme,quilivra
la France pendant un siècle à de fâcheux désordres.
Ce pape mérite d'être loué pour son savoir et son amour
pour les lettres, qu'il cultivait avec distinction. Ses poésies
latines furent imprimées à Paris , en 1623. Ce sont des odes,
des hymnes, des cantiques sur des sujets sacrés, et des
épigramrnes sur quelques illustres de son temps. C'est de
lui que les cardinauj. reçurent les titres à^éminences et
d'éminentissimes et que vient la maxime : Cardinales
xquiparantur regibus. Le domaine de l'Église fut en outre
augmenté par lui du duché d'Urbin , des comtés de Monte-
feltro et de Gubio , et des seigneuries de Pesaro et de Si-
nigaglia, que lui laissa en s'éteignantla maison de La Rovère,
après la mort du duc François-Marie II.
ViENNET, de l'Académie Française.
URBAIXISTES. Voyez Clarisses.
URBAJXITÉ, mot emprunté à la langue latine et dé-
signant non pas seulement la politesse et la civilité
ordinaires, mais les manières distinguées qui annoncent
une bonne éducation et qui consistent tout autant dans les
gestes que dans les expressions, dans un certain ton, une
certaine tenue {voyez Courtoisie). Pour les Romains,
l'urbanité, urbanitas, était celle politesse élégante qui
s'acquérait au moyen de relations nombreuses et élevées
dans la ville par excellence, Rome, Vrbs, et qui donnaient
une empreinte toute particulière aux habitudes sociales,
plus de finesse et de délicatesse à l'esprit , plus de grâce et
de distinction à l'expression de la pensée, laquelle n'avait
plus alors rien de ce que nous appelons le parler provincial
et de ce qu'ils nommaient, eux, lingiia rustica, sermo
rusticus ; le latin ayant fini , avec l'extension de la domi-
nation romaine dans toute la péninsule , par devenir la
langue générale de l'Italie, puis la base sur laquelle se
développèrent plus tard les diverses langues romanes. L'wr-
banité est le contraire de la rusticité, mot par lequel on
désigne la grossièreté ou du moins la rudesse de manières
propre à l'habitant des campagnes.
URBIKO, chef-lieu d'une légation des États-Romains
confondue avec celle de Pesaro, et où l'on compte une
population de 241,700 habitants, répartie sur environ 48
niyriam. carrés. Cette ville est bâtie sur une hauteur, près
de la belle route conduisant en Toscane par la vallée de
Metaurus (la vallée du Tibre). Siège d'un archevêché, on
y compte 12,000 habitants. Elle possède une université,
reconstituée par le pape Léon XII, mais sans importance ,
ainsi que plusieurs collèges et écoles. L'édifice le plus re-
marquable est l'ancien palais ducal, construit vers le mi-
lieu du quinzième siècle par Federigo de Monlefeltro , et
qui- oflre un grand intérêt au point de vue architectural.
Urbiûo eut de bonne heure pour souverains les comtes de
URBAIN — UREE
Monlefeltro , nom d'nn pays montagneux situé à peu de
distance. En 1474 ces comtes furent créés ducs, par lu pape
Sixte IV. A la mort du dernier représentant de cette mai-
son , Tuidubaldo , il eut pour successeur, en 1508, son cou-
sin Francesco-Maria délia Rovera , neveu du pape Jules II.
Laurent de Médicis , neveu du pape Léon X et père de la
reine de France Catherine, porta ensuite pendant quelque
temps le titre de duc d'Urbino. En 1631, à l'extinction de
la maison délia Rovera, justement célèbre en Europe par la
protection aussi généreuse qu'éclairée qu'elle accordait aux
sciences et aux lettres, le pape Urbain VIII réunit, à titre
de fief tombé en déshérence, le duché d'Urbino aux États
de l'Église , dont il n'a pas cessé depuis de faire partie.
URE (Andrew), chimiste distingué, né à Glasgow, en
1778, étudia la médecine à Edimbourg, et, reçu docteur en
1800, s'établit comme médecin praticien dans sa ville natale.
En 1805 il y fut nommé à la chaire d'histoire naturelle et
de chimie dans VAndersonian Institution, et contribua à
la fondation de l'observatoire ouvert en 1808, et où pendant
plusieurs années il se livraà des observations astronomiques.
En 1818 il adressa à la Société Royale de Londres ses New
expérimental Researches on some of the leading doc-
trines of Calorie, suivies en 1822 d'un Memoir on the
ultîmate Analysis of vegetable and animal Substances.
En 1820 il puBlia un dictionnaire de chimie et une tra-
duction du traité de Y Art de la Teinture de Berthollet. En
1829 parut son New System of Geology, où il cherchait à
démontrer que quelques-uns des phénomènes les plus mys-
térieux relatifs à la structure de la Terre et à ses débris or-
ganiques peuvent s'expliquer par la chimie. En 1830 il vint
s'établir à Londres , où il publia entre autres son Diction-
nary of Arts, Manufactures and Mines (1839), regardé
depuis longtemps comme classique en Angleterre, et dont
une édition illustrée en 1600 gravures a été donnée en 1853»
Comme observateur indépendant , son principal mérite con-
siste dans des recherches sur l'élasticité et sur la chaleur
latente des vapeurs de différents liquides, où il a continué
les résultats obtenus par Dalton, et dans l'apphcation de
divers procédés chimiques à l'industrie.
UREDllNÉES, famille de champignons parasites,
le plus généralement très-petits, épars , ou réunis par
groupes, et se présentant sous l'apparence d'amas de pous-
sière diversement colorée. La rouille, la carie, le
charbon, ces maladies qui frappent les végétaux, sont
accompagnés de l'apparition de ces champignons. On a
comparé les urédinées aux entozoaires qui semblent jouer
le même rôle dans le règne animal. Mais l'étude de ces
parasites végétaux est encore moins avancée que celle des
parasites animaux.
URÉE. Cette substance a été découverte dans l' u r i n e, par
Fourcroy et Vauquelin. C'est un cyanate d'ammoniaque. L'u-
rée est incolore, cristallisée en longs prismes éclatants; elle
est inodore, d'une saveur piquante et fraîche, non volatile.
Par l'action de la chaleur, elle fond et se décompose ensuite en
fournissant de l'acide cyanurique et de l'ammoniaque. Très-
soluble dans l'eau et l'alcool , en plus grande quantité à chaud
qu'à froid, l'urée cristallise par le refroidissement. Sa dissolu-
tion alcoolique n'éprouve pas d'altération avec le temps ; mais
sa dissolution aqueuse se transforme en carbonate d'ammo-
niaque. Sous l'influence des acides étendus, et surtout à la
température de l'ébullition,lamêmetransformationalieu:ce
genre d'action explique parfaitement l'altération qu'éprouve
l'urine dans des conditions analogues et son emploi dans
divers arts, qui en est le résultat.
A froid, quelques acides se combinent avec l'urée , et for-
ment des composés très-remarquables , le nitrate, et prin-
cipalement l'oxalale , que l'on obtient très-facilement en ver-
sant ces acides , soit dans une dissolution concentrée d'urée ,
soit dans de l'urine évaporée en sirop, et refroidie avec de
la glace : les cristaux lavés avec de l'eau à 0°, à cause de
leur solubilité à une plus haute température, peuvent être
conservés. Si l'acide nitrique employé dans l'opération ren-
ri^T^.E - URÎE
fermait de l'acide hyponitrique, l'nrée serait décomposée.
Saturés par des bases, ils donnent l'urée, qu'on sépare du
sel, formé par l'alcool très-concentré.
Le nitrate d'urée chauffé se décompose avec une forte dé-
tonation. H. Gaultier deClaubry.
URETÈRE (du grec oùpriepa , dérivé d'ovpov , urine),
nom de deux canaux qui portent l'urine des reins à la vessie.
URÈTRE, canal membraneux, presque cylindrique,
continu au col de la vessie, et prolongé jusqu'à l'extrémité
de la verge, pour servir au passage de l'urine et de la liqueur
séminale.
URÉTROFORME, qui a la forme de l'urètre.
URFÉ( Honoré d'), néà Marseille, en 15fi7, descendait
d'une illustre mfdson de Saxe chassée d'Allemagne par l'em-
pereur Barbc-Rousse , et établie depuis dans le Forez. Il avait
six sœurs et cinq frères, dont le second, grand-écuyer de
Savoie, mourut plus que centenaire. En sa qualité de cadet.
Honoré fut destiné à l'ordre de Malte : son père l'envoya
dans cette Ile après ses études; mais l'éloignement qu'il
avait pour le célibat et la passion qu'il nourrissait depuis son
enfance pour Diane de Châteaumorant , riche et belle héri-
tière de son pays , le tirent bientôt revenir dans sa famille. A
son retour il trouva sa maîtresse mariée à son frère aîné,
Anne d'Urfé. Ce mécompte ne put étouffer son amour : il
le conserva pendant longtemps, sans toutelois chercher à
détourner de ses devoirs celle qui en était l'objet. Au bout
de vingt-deux ans le mariage de Diane fut rompu pour cause
d'impuissance d'Anne, qui embrassa l'état ecclésiastique.
Honoré d'Urfé demanda alors et obtint la main de Diane,
redevenue libre. Cette union ne répondit pas à ce qu'on de-
vait attendre d'une passion aussi longue. Le temps en avait
amorti la force , et d'Urfé en épousant Diane n'avait eu d'au-
tre but que de conserver à sa famille les biens immenses
qu'elle possédait. La stérilité de sa femme , sa malpropreté
(elle s'entourait toujours de grands chiens qui causaient
dans sa chambre et jusque dans son lit une saleté insuppor-
table) , dégoûtèrent bientôt d'Urfé. Il se sépara d'elle, et se
retira en Piémont, où il composa VAstrée. La mort le sur-
prit à viUefranche , en 1625, au milieu de ses occupations
littéraires.
Peu de romans ont obtenu un aussi grand succès que VAs-
trée; proposé longtemps comme modèle, lu et relu à la
cour avec avidité, il obtint les louanges de tous les beaux
esprits, et ouvrit la route à cette foule de romanciers qui
pendant toute la première moitié du dix-septième siècle inon-
dèrent les ruelles de leurs écrits. Mademoiselle deScudéry
professait une admiration sans limites pour cet ouvrage,
dont elle s'est beaucoup inspirée. Le fond de l'intrigue de
l'^s^/ee repose sur des aventures véritables, dont Patru
nous a donné la clef. L'histoire de Diane de Châteaumorant
et les galanteries de Henri IV en ont fourni la meilleure
partie. Outre VAstrée, dont les derniers livres furent com-
posés par Ballhazar Baro , d'Urfé est encore auteur de plu-
sieurs écrits, aujourd'hui inconnus : La Savoisiade, poëme
épique; la Silvanire, ou la morte vivante, fable bocagère,
dédiée à la reine Marie de Médicis , et les Épitres morales.
JOiNCIÈRES.
' URGENCE , URGENT (du latin urgere, presser de près,
poursuivre vivement), qualité de ce qui est pressant, de
ce qui ne souffre pas de délai, de ce qui est urgent, ad-
jectif qui ne s'emploie guère qu'en parlant des choses : les
besoins xirgentsàe l'État; les nécessités urgentes.
En administration, les cas urgents sont d'une haute im-
portance ; car il faut que chaque fonctionnaire soit toujours
prêt à prendre son parti et à assumer sur sa tête toute la
responsabilité de ses actes , lorsque des cas imprévus et
urgents se présentent. Quelques ordonnances se sont appli-
quées à régler à cet ésard ce que devaient faire les divers
fonctionnaires dans certains cas urgents qu'il est permis de
prévoir, comme l'invasion de la peste ou de toute autre ma-
ladie réputée contagieuse et autres événements de même
nature; mais tout ne peut pas être prévu, et il est certain
PirX. DE LA CONVERS. — T. XVI.
737
que dans tous les cas urgents chaque administrateur voit,
en raison des circonstances , s'étendre à la fois le cercle iie
ses fonctions et sa part de responsabilité. Il n'a plus alors
qu'à prendre conseil de sa position personnelle, de l'auto-
rité attachée au titre dont il est revêtu et des circonstances ,
URHAN (N...), célèbre violon contemporain, attaché
à l'orchestre de l'Opéra, balança un moment la réputation
de Paganini, et mourut peu de temps avant la révolution
de Février. Catholique fervent et convaincu, on peut dire
que cet artiste, forcé par son état d'assister aux lascives re-
présentations de notre première scène musicale, fit son pur-
gatoire ici-bas.
URI, l'un des Cantons montagneux de la Suisse, ne
compte guère, sur un territoire d'environ 15 myriam. carrés,
que 14,500 habitants, parlant allemand, catholiques et pro-
visoirement compris dans le diocèse de Coire. Ce Canton se
compose de deux arrondissements, à savoir : Vancien pays
d'Uri, autrefois dépendance de l'évêché de Constance, et
Urseren , avec 1,304 habitants, qui faisait jadis partie de
l'antique Rhétie. La constitution, révisée le 9 mars 1850, en
est purement démocratique. La puissance souveraine appar-
tient à la landesgemeinde , assemblée dont a droit de laire
partie tout citoyen âgé de vingt ans accomplis. Un conseil
de gouvernement, composé de onze membres et présidé par
le /fiHç/a?rtwian , fonctionne comme pouvoir exécutif. La
justice civile est rendue en dernière instance par un tribu-
nal de Canton de onze membres. LaReuss, qui prend sa source
dans le mont Saint-Gotliard, le traverse dans tonte sa Ion
gueur et vase jeter dans le lac des quatre Cantons. Elle forme
une vallée étroite, sauvage, qui ne s'élargit et ne devient
fertile qu'aux environs du lac. Des nombreuses vallées la-
térales qui y débouchent, il n'y en a que très-peu de cul-
tivées. Le Canton est entouré presque de toutes parts de
hautes montagnes , où on se livre avec succès à l'élève du
bétail. Le fromage qu'on y fabrique, surtout celui d'Urse-
ren, est très-renommé. Le pays tire beaucoup de profit du
transit par le Saint-Gothard , chemin le plus court pour se
rendre de l'ouest de l'Allemagne en Italie Sur cette route,
où l'on remarque surtout la délicieuse vallée d' Urseren.
VUnnerloch, le Pont du Diable elles effrayantes Schœl
lenen, on trouve le chel-lieu Altorf, avec la lontaine ii(
Guillaume Tell; Bœzingen, lieu de réunion de la landsge
meine; Burglen, où naquit Guillaume Tell, et la vallt^e de
Schœken, qui l'avoisine, le manoir (.V Atlinghausen , la
terrasse de Guillaume Tell et la prairie de Grûtii.
URIAGE (Saiut-Martin-d'), joli village de 2,450 ha-
bitants, situé à six kilomètres de Grenoble, célèbre par
deux sources d'eau minérale , situées à peu de dislance ,
l'une suKureuse, et l'autre ferrugineuse, qui y attirent tous
les ans dans la belle saison un grand nombre de baigneurs.
L'établissement, parfaitement tenu, offre tout le comfort
désirable. Le salon d'Uriage soutient avantageusement la
comparaison avec celui de Vichy ou ceux des bains d'outre-
Rhin; aussi ydonne-t-on force bals et soirées. Les eaux d'U-
riage contiennent par litre jusqu'à 14 grammes de chaux,
de soude et de magnésie. Elles sont donc excitantes, propres
à agir sur la peau et sur les intestins. Prisesà certaines doses,
elles sont purgatives. On les recommande dans les mala-
dies chroniques de la peau, les dartres de toutes espèces; et
on les emploie avec beaucoup d'avantage dans beaucoup
d'autres affections, contre les rhumatismes, dans les cas de
scrofules, de rachitisme, etc. Comme leur température n'est
que de 27" centigrades, on est obligé de les chauffer pour les
bains et les douciies.
URIE , époux de Bethsabée et l'un des officiers de David.
Celui-ci, qui s'était rendu coupable d'adultère avec Bethsa-
bée, remit à Urie une lettre pour Joab, le géi)éral de son
armée, à qui il recommandait de l'exposer au plus fort de
la mêlée, dans l'espoir qu'il y périrait et qu'il serait ainsi
délivré de ce rival, qui le gênait; et c'est aussi ce qui arriva.
Urie périt au siège de Reblath , victime de l'impudicité de
îa feinoie et de celle de David.
47
738
URIE — URMIA
URIM et THUMMIM. Voyez Pontife, t. xiv, p. 750.
URIIVE) liquide sécrété par les reins, transmis dans la
vessie par les uretères , et expulsé de cet organe par le
canal de l'urètre. Ce fluide excrémentitiel, véritable lessive
du corps, est le produit d'une sorte de dépuration ou de
(iltration que le sang subit dans les deux glandes rénales :
or, comme le sang renferme les éléments de réparation de
tous les organes , il n'est pas surprenant que l'analyse clii-
mique ait démontré dans la composition de l'urine le f/e-
fri<M5 de ces mêmes éléments organiques. Dans l'état normal,
l'urine est d'un jaune citrin, d'une odeur légèrement am-
moniacale, d'une saveur un peu salée, amère et légère-
ment acide. Ces signes caractéristiques sont d'autant plus
maniués que l'urine a séjourné plus longtemps dans la
vessie, tl que les boissons ont été peu abondantes. On dis-
tingue deux sortes d'urines : celle qu'on rend peu de temps
après avoir bu , et celle qui est rendue sept ou huit lieures
après le repas. La première , qu'on appelle urine de bois-
son,eal peu colorée, presque insipide et inodore ; la seconde,
qu'on nounne urine de la digestion , présente des propriétés
toutes contraires. La composition de l'urine varie non-seu-
lement dans les différentes espèces animales, mais encore
dans l'espèce humaine, suivant l'âge, le sexe, le tempé-
rament et les conditions individuelles de santé ou de ma-
ladie.
L'urine humaine éprouve divers changements par le re-
froidissement et le repos. Sa surface se couvre ordinairement
d'une pellicule de couleur variée, crenior urina;, qui est
ordinairement formée de sels urinaires et de mucus. Vers
le centre, l'urine forme une couche opaque, qu'on nomme
nuage si elle se rapproche vers le tiers supérieur, eté)u'o-
rèine si elle descend vers le tiers inférieur. Au fond du
vase l'urine forme une couche ferreuse, qu'on appelle hypo-
stase ou seV/nnewi?. Exposée à l'air et sous l'influence d'une
température chaude, l'urine se décompose et se putréfie
rapidement. En médecine, l'urine est dite crtie lorsqu'elle
est très-claire, et cuite lorsqu'elle présente une couleur
jaune foncé. Les urines épaisses, troubles et jumenteuses
se rapportent à divers états d'irritation, soit de la vessie,
soit des reins ou de tout autre système d'organe malade.
On nomme diurèse l'excrétion abondante de l'urine ; dysurie,
son excrétion difficile; ischurie, l'absence complète d'excré-
tion, et énurésie\asoTiie involontaire de l'urine. On nomme
aussi urodynie la sortie douloureuse de l'urine; diabète,
son excrétion très-abondante et [ilus ou moins sucrée; hé-
maturie , le pissement de sang; urine glaireuse, celle qui
est chargée de mucosités, comme dans le catarrhe vésical ;
pyuru; l'urine purulente , et phosphurie certains cas, très-
curieux, d'excrétion urinaire phosphorescente. La précipita-
tion des sels tenus en suspension ou en dissolution dans
l'urine donne lieu, sous l'influence de certains états nior-
LJdes, à la formation des gravelles et des calculs urinaires.
D' L. Labat.
L'urine est chimiquement caractérisée par la présence
d'un principe immédiat, l'urée. Elle renferme aussi de
l'acide urique et un grand nombre de sels, parmi lesquels
nous nous bornerons à signaler le sel marin, le sel ammoniac
et un plio.sphale double de soude et d'ammoniaque, connu
des anciens alchimistes sous le nom de sel microcosmique,
et dont ils se sont beaucoup occupés. C'est à sa présence
d.ius l'urine qu'a été due la découverte du phosphore
que l'on extrayait autrefois de ce liquide. Le sel marin et le
sel ammoniac offrent seuls des parlicidarités;sous l'innuence
de l'urée , ils échangent leurs formes; le sel marin cristal-
lise en cubes, et le sel ammoniac en octaèdres : dans l'urine
ils offrent les formes inverses.
L'urine est toujours acide dans l'état normal : l'altération
de l'urée et de quelques matières organiques qu'elle ren-
ferme la font passer plus ou moins rapidement ii l'état
ammoniacal ; et dès lors se déposent les sels qu'elle lenfer-
mait en dissolution à la faveur de l'acide, comme les phos-
liliates de chaux et de magnésie, et d'autres qui se forment
probablement par ses altérations, comme le pliosphale
d'ammoniaque et de magnésie. La grande proportion do
phosphates que renferme l'urine explique aussi facilement
l'altération à laquelle ce liquide donne lieu quand il est en
contact avec le fer : une partie de ce métal, s'oxydant par l'in-
fluence de l'air et de l'urine, se transforme peu à peu en
phosphate qui rend cassante la masse entière.
Il n'est personne qui n'ait remarqué l'odeur forte que pré-
sente l'urine quand on a mangé des asperges. Les acides ,
et surtout le vinaigre versé dans le vase destiné à la rece-
voir, diminuent cette odeur, mais sans l'anéantir. La téré-
benthine communique, au contraire, à l'urine une odeur de
violette, et cette action est tellement marquée pour cer-
tains individus, qu'elle se manifeste chez des peintres en
vernissant seulement leurs tableaux. Quelques aliments four-
nissent à l'urine une couleur particulière , telles sont les
betteraves rouges; mais un fait extrêmement remarquable,
c'est que divers sels ingérés dans l'estomac passent dans les
urines, tandis que d'autres ne s'y retrouvent pas.
L'urine s'altérant avec facilité, et fournissant beaucoup
d'ammoniaque, les arts ont tiré parti de celte modification
pour diverses opérations, comme le chamoisage des peaux,
le dégraissage des laines , la préparation d'une couleur con-
nue sous le nom (Vorseille, que l'on obtient en faisant ma-
cérer avec de l'urine diverses espèces de lichens , etc. Dans
presque tous les cas, sinon dans tous, on pourrait rempla-
cer ce liquide infect par une dissolution d'ammoniaque;
mais le prix peu élevé de l'urine, qui ne coûte que la peine
de la recueillir et le transport, fera probablement longtemps
encore employer ce produit naturel.
H. Gaultier de Claubry.
URIQUE (Acide). Cet acide, que renferme l'urinede
l'homme, est pulvérulent, blanc, à peine sapide, très-peu
soluble dans l'eau à froid, un peu plus soluble à chaud, in-
soluble dans l'alcool. Par l'action île la chaleur, il donne de
l'acide cyanhydrique (prussique) et de l'acide cyanurique.
L'acide urique est décomposé par le chlore et l'acide ni-
trique : les produits de cette dernière action sont très-
nombreux.
Les sels d'acide urique sont peu solubles; ceux même de
potasse et de soude ne le deviennent que par un excès de
base ; le sel d'ammoniaque est à peine soluble : ce caractère
explique bien la présence du dernier dans les calculs de
la vessie.
L'acide urique se dépose en grains plus ou moins brillants
dans l'urine après son refroidissement; on peut l'extraire
de ces dépôts par la potasse, et le précipiter ensuite dans
un acide ; mais on peut l'extraire aussi en abondance de
certains calculs vésicaux, des excréments des oiseaux et de
ceux de quelques serpents : dans ces derniers cas, on traite
tous ces produits par l'alcool pour en séparer une grande
quantité de matière étrangère. L'acide urique, combiné à
la soude, donne naissance aux concrétions qui se pro-
duisent aux articulations chez les goutteux.
H. Gaultier de Claubry
URMIA ouURUMIJAH (Lacd'), appelé aussi lac de
Schalis, lac de Maragah et lac de Tauris, lac célèbre delà
province d'Aserbéidjan (Perse), dont le niveau est à 1317
mètres au-dessus du niveau de la mer, situé à l'ouest de Tau-
ris, occupe une superficie de 50myriam. carrés, comprend
six grandes îles et une cinquantaine d'ilôts et de rochers, et
est remarquable par sa richesse en principes salants, de
même que le lac de Wàn , situé au nord-ouest de l'Arménie,
et qui n'en est séparé que par une basse contrée de collines.
Ses eaux contiennent en selle quart de leur poids ; aussi au-
cun poisson ou autre animal n'y peut-il vivre. Sa profondeur
varie entre quatre et quinze mètres. Il est sans issue,
et sert de décharge à un grand nombre de rivières et de
ruisseaux. Sur sa rive occidentale s'élève la ville d'UuMiA
ou Vrumijah, siège d'un gouverneur persan et où on compte
20,000 habitants, dont beaucoup de juifs et encore
plus de chrétiens nestoiiens, qui ont un évoque à eux , un
URMIA — UROUIZA
739
établissement (le missionnaires américains, une école et une
imprimerie. Cet endroit s'appelait dans l'antiquité Tha-
barmaoa Thebarrriâe ; et les Perses l'avaient en grande
vénération, parce que c'est là que la tradition faisait naître
Z oroastre. En l'an 624 de notre ère l'empereur Héraclius
détruisit cette ville, en même temps que son magnifique
temple du feu. Le nom du lac, dans l'antiquité, était Matiane
ou Mantiane, ou encore Kapauta (de l'arménien Kapoit,
bleu). Les Arabes l'appellent Maraguh owMaraghu, du
nom d'une ville de 20,000 habitants située à plusieurs my-
riamètres de sa rive orientale, où l'on trouve des eaux ther-
males et des verreries, et fondée au huitième siècle par le
khalife Merwan. Conquise en l'an 1029 par les Seidjou-
cides, elle devint la résidencede leurs émirs. Détruite en 1221 ,
par Djinghiz-Klian, elle fut reconstruite par l'empereur mon-
gol Houlagou, qui y fixa sa résidence, y fonda une académie
et y créa un observatoire célèbre pour Nasr-ed-Din ïusi.
URNE (du latin urna). On donne assez ordinairement le
nom à'urne à un vase antique. Les anciens les employaient
à divers usages : aux exercices de la divination, à contenir
des liqueurs ou à les mesurer, à renfermer les cendres des
morts , à recevoir les bulletins de suffrages dans les juge-
ments ou aux élections des magistrats, et les noms des
hommes qui devaient combattre ensemble ou les premiers
dans les jeux publics.
Les urnes qui servaient à contenir les cendres des morts,
ow urnes cinéraires, étaient plus ou moins riches, plus
ou moins ornées. Trajan ordonna qu'on mît les siennes
dans une urne d'or, et qu'elle fiH posée sur cette belle co-
lonne que l'on voit encore aujourd'hui à Rome. Il est plus
ordinaire d'en rencontrer en phorphyre, en marbre, ou tout
simplement en terre cuite. Elles sont assez souvent ornées
de bas-reliefs figurant une allégorie ou un trait de la vie
du défunt.
Le nom à'urne se donne encore aux vases sur lesquels les
sculpteurs font appuyer les fleuves qu'ils représentent, et
à ceux dont on décore les corniches des édifices et les jar-
dins. Cil'"' Alexandre Lenoik.
URQUHART (D.vvm), Anglais qui s'est fait un nom
par l'excentricité des opinions qu'il a émises à propos de la
question d'Orient, est né en 180.Ô, à Braclangwell, comté de
Croniarthy , dans le pays de Galles , d'une vieille famille de
jacobites. Encore enfant il voyagea avec sa mère en l'Ls-
pagne, eu Italie, en Allemagne, en France; et de bonne
heure il vint suivre les cours de l'université d'Oxford , où il
se livra à une étude toute spéciale de la géologie, de la miné-
ralogie, de l'économie politique, ainsi que des langues et de
l'histoire de l'Orient. En 1827 il accompagna lord Coclirane
en Grèce, où, en septembre 1827, il assista a la malheureuse
bataille de Salona. Après la paix d'Andrinople, il alla visiter
Constantinople, et il était de retour en Angleterre en 1831. Il
publia les résultats de son voyage sous le titre de Observa-
tions on European Turkey, ouvrage dans lequel il s'at-
tachait à signaler en tout et |)artout les influences russes.
Dans la pensée créatrice du ZoUverein , il montrait la pro-
fonde hostilité du cabinet russe pour riutérèt anglais. C'est
avec cette idép préconçue qu'il résolut de parcourir et d'é-
tudier au point de vue politique et commercial toutes les
contrées soumises à l'influence russe, l'Allemagne, la Tur-
quie, la Perse, l'Asie Mineure. Il se promettait de gagner
la Chine à travers la Tatarie. Arrivé en l«33à Constantinople,
il renonça pourtant à ce projet de grand voyage en Orient ;
et alors , pour se créer une spécialité en politique , il s'as-
simila complètement les mœurs et les idées des Orientaux.
Dès cette même année 1833 il faisait paraître un ouvrage
intitulé : Turkey and its ressources, où il exposait que
l'ignorance seule pouvait considérer la Turquie comme
morte. Il y soutenait que ce pays possède au contraire une
foule de bonnes institutions , dont le réveil et le progrès
auraient bientôt ranimé la vigueur d'un corps politique af-
faibli par l'âge. 11 en concluait que les puissances, et sur-
tout l'Angleterre, dans l'intérêt ue son comiiK-ic, (lovaient
s'unir pour conserver la Turquie et combattre vigoureuse-
ment les projets de la politique russe. Ce livre , de même
que les deux brochures England and Russia et The Sultan
Mahmoud and Mehemed-Ali-Pasha , qu'il fit paraître en
1834, à Constantinople, produisirent partout la sensation la
plus vive ; car il y soulevait le voile qui jusque alors avait
dissimulé la véritable attitude de la Russie dans la question
d'Orient. En 1834 il parcourut les côtes de la Circassie , où,
quoique doué d'un extérieur assez chétif et peu imposant,
il ne laissa pas que d'exercer une grande et réelle influence.
Deretour en Angleterre, il s'attacha d'abord à populariser ses
idées par la voie de la presse. En 1835 lord Palmerston le
nomma secrétaire de légation à Constantinople , en même
temps que celui-ci faisait paraître le Portfolio , mysté-
rieuse publication où on révélait les projets les plus secrets
de la Russie. Urquhart partit enfin au mois de juillet 1836
pour Constantinople; mais il ne tarda pas à y avoir avec
lord Pousonby, naguère .son ami, des démêlés dont on
ignore encore le véritable motif et à la suite desquels il
donna sa démission pour s'en retourner à Londres. La mort
de Guillaume IV, arrivée en 1838, fit complètement cesser
ses rapports avec le gouvernement. A ce moment Urquhart
engagea une polémique des plus vives contre la politique
de lord Palmerston , qu'il accusa de trahir les intérêts an-
glais et d'être de connivence avec la Russie. Dans son ou-
vrage intitulé : Spirit of the East (Londres, 1838), il
chercha de nouveau à mieux faire comprendre la question
d'Orient. Dans d'autres brochures, telles que Exposition
of the A/fairs of central Asia (1840), Exposition of
the botindary Différences between Great- Brituin and the
United-States (Glasgow, 1840), et quelques autres encore
relatives à la question des soufres de Sicile et à l'affaire
de Mac-Leod , il attaqua la politique de lord Palmerston de
la manière la plus aigre. Il en fit autant en 1840, quand les
affaires d'Orient firent redouter une rupture complète avec
la France, et se rendit même à Paris, où il publia eu fran-
çais un ouvrage intitulé : La Crise, ou la France devant
les quatre puissances ( Paris, 1840), qui produisit une
grande seusation. Mais cette polémique , soutenue sur une
ferre étrangère et ennemie, avait quelque chose de blessant
pour le patriotisme anglais ; et malgré tous ses efforts pour
se faire élire à la chambre basse, il ne réussit à y entrer
qu'en 1847. Les révolutions qui ébranlèrent toute l'Europe
à quelque temps de là tirent un moment perdre de vue la
question d'Orient; et Urquhart alla voyager en Espagne et
dans le nord de l'Afrique. En 1852 il ne fut pas réélu ; mais
la tournure que prirent les affaires d'Orient en 1853 lenùtde
nouveau en scène. Dans \e& meetings et dans la presse, il
.soutint que le ministère anglais s'entendait en secret avec
la Russie pour amener la dissolution de l'empire turc; puis,
quand la guerre fut déclarée, il prétendit que ce n'était là
qu'un jeu joué; et dans une adresse aux Circassiens il les
exhorta à se défier de l'Angleterre, dont la politique caute-
leuse avait en vue de les livrer à la Russie. On conçoit
qu'avec de pareils paradoxes il devait perdre tout crédit;
aussi ayant voulu, en juin 1854, disputera lord John Russell
la représentation de Londres, il n'obtint pas une seule voix.
Il a encore publié depuis quelques ouvrages sur les affaires
d'Orient, sans qu'on y ait fait la moindre attention, parce
qu'on le regaide comme un monomane.
URQUiZA (Don Juste José de), directeur de la Répu-
blique Argentine (Amérique du Sud), est né vers 1800,
dans la province d'Entre-Rios. Obscur ^ a ucho, les guerres
interminables dont les États de la Plata furent le théâtre lui
fournirent l'occasion de s'élever jusqu'au grade de général.
En 1836 il commandait en cette qualité une division du
parti fédéraliste du dictateur Rosas dans sa lutte contre
les Unitaires. Nommé gouverneur d'Entre-Rios et placé
sous les ordres du général Oribe, il envahit avec celui-ci
l'Uruguay en 1842, et fut d'abord battu par le général Ri-
bera; mais il finit, en 1845, par lui faire éprouver une dé-
roule toiiijilète, à l'affaire d'India-Muerta. Il resta encore
47.
740 URQUIZA
pendant six ans te partisan et l'allié de Rosas; mais quand,
en 1851, celui-ci s'avisa de jouer encore une fois sa farce
d'habitude et de faire mine de vouloir déposer le pouvoir,
Urquiza le prit au mot. 11 lança un manifeste au nom de
la province d'Entre-Rios, où il était dit qii'on acceptait la
démission du dictateur ; déclaration à laquelle adhéra la
province de Corrientes, voisine de l'Entre-Rios. L'intei-ven-
lion étrangère termina cette crise. A la suite d'un traité
secret préliminaire, conclu le 29 mai 1851 entre Urquiza,
agissant en sa qualité de gouverneur de l'Entre-Rios, et les
gouvernements du Brésil et de l'Uruguay pour combattre
Rosas et expulser Oribe du territoire de l'Uruguay, les trou-
pes des confédérés se réunirent sur les frontières de la
Banda-Oriental, oîi Urquiza arriva à la tête de 4 000 hommes.
L'invasion commença le 20 juillet, et dès le 8 octobre sui-
vant Oribe était contraint de capituler. Alors Urquiza, en
sa qualité de général en chef de l'armée libératrice, forte en
tout de 28,000 hommes avec quarante pièces de canon, se
mit en mouvement contre Rosas lui-même. Il franchit le
Parana, et le 3 février 1852, à Santos-Lugares, aux envi-
rons de Buenos-Ayres, dans ime sanglante affaire, qui dura
huit heures et que décida l'artillerie de l'armée libératrice ,
desservie par des artilleurs allemands qui avaient naguère
fait partie de l'armée nationale des duchés de Schleswig-
Holstein dans leur lutte contre le Danemark, Urquiza battit
si complètement l'armée ennemie aux ordres de Pacheco,
que c'en fut fait du pouvoir de Rosas. Le vainqueur nomma
don Yicente de Lopez président provisoire de la république
de Buenos-Ayres, et convoqua les gouverneurs des provin-
ces à San-Nicolas de les Avroyos à l'effet de donner une
constitution définitive à la République Argentine,, tandis
qu'en qualité de général en chef et de ministre des affaires
étrangères il demeurait en réalité maître du pouvoir. Mais ,
comme fédéraliste et représentant des gauchos, il éi>rouva
bientôt l'opposition des unitaires; et à Buenos-,\yres no-
tamment son autorité ne fut soufferte qu'avec répugnance.
Un décret de la Convention réunie à San-Nicolas l'ayant
nommé au mois de mai directeur provisoire de la confédé-
ration Argentine, il convoqua pour le mois d'août suivant, à
Santa-Fé , un nouveau congrès, chargé de délibérer sur la
constitution définitive à donner à toute la confédération.
Pendant son absence, une insurrection éclata à Buenos-
Ayres, qui se déclara indépendant et élut le 30 octobre Va-
lentin Alsina pour capitaine général. Urquiza n'atUiqua pas
de front cette révolution nouvelle, et se contenta d'attendre
les événements. Pendant que l'assemblée de Santa-Fé con-
tinuait ses travaux, une autre révolution, ayant à sa tête le
colonel Lagos, partisan d'Urquiza, éclatait encore une fois,
dès le i" décembre 1852, à Buenos-Ayres; et le 6 du même
mois elle amenait l'élévation du général don Manuel Pinto
en qualité de capitaine générai. Avec le concours de Lagos,
Urquiza commença alors ouvertement la lutte, et plus tard
il vint mettre le siège devant Buenos-Ayres; mais dans le
courant de juin 1853, au milieu de ses opérations, il sévit
abandonner par son escadie de blocus et bientôt apiès par
une partie de son armée de terre. La guerre cessa de la
sorte, et Buenos-Ayres demeura en dehors de la Confédéra-
tion Argentine. En revanche, le 20 novembre 1853 Ur-
quiza fut acclamé directeur constitutionnel des treize autres
États de la Confédération
Urquiza, en rendant libre la navigation de la Plata, restée
interdite au commerce pendant toute la durée du despotisme
de Rosas, a rendu un service immense non-seulement à la
Confédération Argentine, mais à tous les États situés dans
le bassin de ce fleuve. En vertu d'un traité signé le 15 juil-
let 1852, entre le Paraguay et la République Argentine, lef
deux Etats se sont réciproquement garanti la libre naviga-
tion du Parana et du Paraguay; et par un décret en date
du 31 août 1852 Urquiza a également rendu libre pour
toutes les autres nations étrangères la navigation sur les
deux ri\ières ainsi que sur la Plata.
URSIIVI (Famille). Voyez Orsini.
— URSINS
URSINS (Jean Gaétan des). Voyez Nicolas IlL
URSINS (Jean Jouvenel ou Juvénal des). Voyez Ju-
VÉNAL DES URSINS.
URSINS (Anne Marie de LA TRÉMOILLE, princesse
des). Voici une des physionomies historiques les plus curieuses
des commencements du dix-huitième siècle. Presque toutes
les femmes qui ont atteint la haute position politique de la
princesse des Ursins y sont arrivées par les passions qu'elles
inspirèrent, par la toute-puissance de leurs charmes. Avec
l'esprit et presque le génie d'un premier ministre, on doit
à M™' des Ursins la justice de dire que jamais chez elle les
faiblesses de la femme ne servirent à élever et à consoUder
l'influence politique. Fille de Louis de La Trémoille, qui se
distingua dans les guerres de la Fronde, elle naquit vers
1642, à Noirmoutiers, et en 1659 elle fut mariée à Biaise de
Talleyrand , prince de Chalais. Un duel fameux, qui ht un
grand scandale à la cour de Louis XIV, força le prince de
Chalais à s'expatrier, en 1663. Sa jeune femme le suivit d'a-
bord en Espagne, ensuite en Italie, oii il mourut, au bout
de pende temps. La princesse se trouva alors seule à Rome,
n'ayant pour toute fortune qu'un nom assez illustre ; mais
jeune, et aussi séduisante par les rharmes de sou esprit que
par ceux de sa personne. Tout ce qu'il y avait d'hommes
distingués à Rome s'honorait de son amitié : on dit même
que deux cardinaux, de Bouillon etd'Estrées, eurent
pour elle un sentiment plus tendre, qu'elle nedécouragea chez
aucun des deux; mais les affections du cœur ne dominaient
pas en elle. Elle se préoccupait de tout ce qui arrivait en
Europe, jugeant sainement de la marche qu'il fallait sui-
vre, et « nourrissant, dit Saint-Simon, une de ces ambitions
vastes, fort au-dessus de l'ambition ordinaire des hommes ».
Le cardinal d'Esfrées voulut la faire sortir de la position
précaire oii elle se trouvait. En 1675 il présenta, comme
une bonne fortune, au duc de Bracciano, l'occasion d'épou-
ser une femme jeune encore, célèbre déjà, et réunissant
en elle toutes les séductions. Le duc était prince du Saint-
Empire, appartenait à la célèbre maison degli Orsini (des
Ursins), et possédait une immense fortune. Comme il était
très-vieux déjà, se marier c'était seulement pour lui asso-
cier une femme à ses richesses et aux honneurs que sa no-
blesse lui faisait rendre. L'histoire pendant une période de
vingt-cinq ans ne s'occupe plus de la princesse des Ursins
(car elle avait [iris ce nom ); on sait seulement qu'elle fit
plusieurs voyages en Espagne et en France, et qu'elle fut
admirée et fêtée à Versailles. Au bout de peu d'années elle
se trouva de nouveau veuve.
Ses relations avaient continué avec le cardinal d'Estrées;
elle en noua d'autres avec Porto Carrero, un des principaux
auteurs du testament de Charles II. Quand le nouveau
roi d'Espagne, Philippe Y, dut épouser la princesse de
Savoie ( 1701 ), on chercha dans toute la noblessse des cours
d'Europe à qui on coutierait le poste, si important, de ca-
merera mayor. Une Espagnole aurait trop fait prévaloir les
intérêts de son pays à la cour d'un petit-lils de Louis XIV;
une Française aurait apporté une autre influence, mais tout
aussi inquiétante dans une cour espagnole. La princesse
des Ursins n'appartenait k bien dire à aucune nation. Fran-
çaise d'origine, elle était devenue Italienne par son ma-
riage et un séjour de vingt-cinq ans en Italie. Celte espèce
de mezza termine, sa réputation, et par-dessus tout la
protection immédiate de Porto Carrero, un des ministres les
plu^ actifs de l'Espagne, la firent accepter de tous sans op-
position.
Le pelit-fds de Louis XIV n'avait aucune des qualités de
l'àme inflexible et despotique de son grand-père. D'un ca-
ractère doux et pieux , il se laissait facilement aller aux di-
verses influences qui l'entouraient , pourvu que l'exercice
de ses droits d'époux, qui était une nécessité impérieuse
pour lui, ne fût troublé par rien. La jeune reine, un pen
plusabsolue, mais douce et bonne, se trouva tout naturelle-
ment, par un peu plus d'énergie <ie caractère, dominer en-
tièrement l'esprit du roi. Ce fut donc sur elle que M""' des
URST^^S
741
Ursins dut s'occuper en arrivant d'établir son ascendant.
La nouvelle camerera inayor avait toutes les qualités de
l'amie d'une reine, affable, prévenante, discrète, bonne au
fond; ses manières étaient d'une convenance parfaite; et
indiquées par elle, .les lois de l'étiquette devenaient pres-
que celles du bon goût. La reine l'aima dès qu'elle la con-
nut, et cette amitié ne manqua jamais à la princesse. Sa
domination était douce et pleine de charmes; elle eut liieu-
fôt l'art, tant elle connaissait le caractère de la reine, de
faire passer ses propres volontés pour des inspirations roya-
les. Sa position personnelle était d'ailleurs assez difficile.
Elle était entrée à la cour d'Espagne avec l'engagement for-
mel de faire i)révaloir le parti de la France et di; seivir les
intérêts de Louis XIV. Elle comprit bientôt cependant qu'il
importait à l'honneur de l'Espagne qu'elle se relevât par
elle-même , et qu'elle ne serait jamais si bien servie que
par des Espagnols. Toute sa politique consista donc pendant
longtemps à donner en apparence l'autorité aux agents fran-
çais qui lui étaient imposés par Versailles, et en réalité aux
Espagnols. Mais c'était un terme moyen difficile à maintenir,
comme ils le sont tous.
Au retour d'un voyage dans ses États d'Italie, Philippe V
ramena avec lui le cardinal d'Estrées , un des auteurs de
la foitune de la princesse et celui qui avait été longtemps
à Rome son amant avoué. On sait que la reconnaissance
n'est pas une vertu dans le catéchisme politique. La prin-
cesse ne revit en lui ni l'amant ni le protecteur ; ce ne fut
à ses yeii\ qu'un homme dangereux par l'étendue de .son
ambition , par ses habitudes constantes d'intrigues. Aidée
par un neveu même du cardinal, l'abbé d'Estrées, elle
parvint à le renverser, et obtint qu'il quitterait l'Espagne
( 1703). A peine son oncle l'util parti, que l'abbf' d'Estrées,
craignant d'être sacrifié à son tour, prévint l'ingratitude
de M"""-" des Ursins et se déclara contre elle. M""" des Ur-
sins se livrait avec peu de scrupules à des passions que
.son âge n'excusait plus. Elle était si sûre de son autorité,
que rien ne lui paraissait devoir l'ébranler. Un jour ou
lui apporta une dépêche clandestine que l'abbé d'tstrees,
envoyait à Versailles : « La princesse, y écrivait-il , exerce
sur tout ce qui l'approche une autorité despoti(jue : un seul
homme est excepté, un seul, auquel elle est entièrement
soumise : c'est Boutrot d'Aubigny , son intendant, qui l'a
subjuguée par le cœur et les sens. » Puis à la lin de la lettre ,
l'abbé ajoutait, comme pour atténuer l'effet scandaleux de
ses révélations : « Du reste, on les croit mariés. « M'"* des
Ursins ne se trouva blessée que de ce dernier trait : elle
écrivit en marge, et de sa propre main : Pour mariés,
ïion ! Puis , par une imprudence sans égale , cette lettre
fut envoyée par elle dans la cour dévote et scrupuleuse
d'un roi qui avait passé sous le joug de M"'*" deMaintenon!
11 est aisé de se faire une idée de l'indignation exagérée
à dessein que cette révélation causa à Versailles. Louis XIV
ordonna immédiatement à son petit-fils de renvoyer M""^ des
Ursins. Quelque intimes que fussent les liens qui unissaient
la princesse à la cour d'Espagne, ces ordres si positifs durent
être suivis. Le lieu d'exil désigné était l'Italie; mais M""' des
Ursins mit tout en œuvre pour obtenir la permission d'habiter
Toulouse, où elle pouvait avoir des communications plus
directes avec les deux cours ; elle lui fut accordée. Son in-
fluence politique avait été trop grande en Espagne pour
que son éloignement n'y fît pas un vide immense. On agis-
sait pour elle à Versailles. Au bout d'un an , les portes de
la cour de Louis XIV lui furent ouvertes. On accueillit avec
respect et étonnement cette femme célèbre. Son crédit était
revenu, et elle partit pour l'Espagne avec la protection toute-
puissante du roi de France. Quelques historiens ont laissé
croire que M™e des Ursins était arrivée â Versailles avec
l'intention secrète de supplanter M"" de Maintenon. Cette
conjecture ne nous paraît pas admissible.
Son retour à Madrid fut un triomphe. Dignités, pouvoir
en quelque sorte absolu, tout lui fut rendu.
Elle eut bientôt oecasion de déployer les ressources de
son génie politique. Le duc d'Orléans, envoyé, en 1706,
en Espagne pour commander l'armée française à la place
du maréc^ial de Berwick, conçut le projet, quand Philippe V
«erait réduit aux dernières extrémités, de se faire trans-
mettre tous le? droits du prince, et peut-être de faire placer
?a couronne d'Espagne sur sa propre tête. M"" des Ursins
le pénétra dans toutes ses intentions. Son dévouement pour
sou roi , sa propre ambition froissée, lui fii-eut trouver d'ad-
mirables ressources contre un ennemi si puissant. Le duc
d'Orléans fut obligé de quitter ce théâtre, où son ambition
avait été vaincue par le dévouement inlelligeiil d'une femme.
La monarchie espagnole lui enfui sauvée par la victoire de
Villa-Viciosa ; mais M'"* des Ursins ne s'oubliait pas non
plus. Dans les négociations suivies pour la paix, elle exigeait
qu'on érigeât pour elle une petite souveraineté dans les
Pays-Bas : elle dut abandonner ce projet , à cause des
intrigues qui le combattirent: Louis XIV parla en maître.
La reine d'Espagne mourut subitement , au mois de fé-
vrier 1714. Comme l'inlluence de M™* des Ursins s'étendait
jusque sur le roi, ce coup imprévu ne suffit pas à la ren-
verser. Philippe était bon, laibleet doux; il. s'était habitué
à la société de cette femme, qui lui épargnait la peine de
penser. Mais d'un tempérament impétueux et exigeant, il
lui fallait à tout prix une épouse, car il était trop scrupuleu-
sement religieux pour admettre une femme auprès de lui à
un autre titre. Plusieurs historiens affirment que la prin-
cesse des Ursins essaya de metire à profit ces ardentes dis-
positions, pour voir si la favorite toute- puissante ne ()our-
rait pas s'appeler la reine d'Espagne; les conjectures
seraient peut-être admissibles s'il ne s'agissait pas d'un roi de
trente ans et d'une IVmme plus que septuagénaire. Quoi
qu'il en soit de ces tentatives, M°"^ des Ursins comprit qu'une
compagne légitime élait nécessaire au roi, et elle résolut de
la choisir de telle sorte que son ancien ci édit se maintint sur
une nouvelle reine. C'est ici que commence pour la pre-
mière fois à se montrer dans l'histoire Al beroni. Italien,
il remplissait une mission peu importante à la cour de
Madrid : il parvint à approcher M'"^ des Ui«-iins; il lui vanta
les grâces, la douceur, la docilité d'Elisabeth de Farnèse,
duclicsse de Parme. M'"* des Ursins, Iromjiée par ces faux
renseignements, accepta avec empressement l'idée de ce nou-
veau mariage, qui devait être facilement agréée du roi dans
les dispositions où il se trouvait. La nouvelle reine arriva
à la frontière du royaume : M"'" des Ursins, qui conservait
sa charge de camerera mayor, alla au devant d'elle à IIii-
drague. Elisabeth avait reçu les instructions d'Alberoni : à
tout prix , elle devait, lui avait-il dit, secouer le joug de
M""* des Ursins. Après quelques compliments d'usage,
M"* des Ursins lit à la reine une observation sur les règles
de l'étiquette. La reine s'emporta alors, appela au secours,
et cria tout haut qu'on la débarrassât de cette vieille folle;
comme on hésitait à arrêter la princesse, la reine intima
l'ordre à Numa Zegua, lieutenant des gardes, de faire monter
M""^ des Ursins dans une voiture, de l'escorter avec deux
officiers, et de ne la quitter qu'à Bayonne. Ces ordres lurent
ponctuellement exécutés : le froid était très-vif. La princesse
n'avait sur elle que ses habits de cérémonie ; on ne lui permit
pas de s'arrêter pour en changer, et elle traversa ainsi tout
le royaume, allant à son troisième et dernier exil. Le len-
demain Philippe fut réuni à la reine. Peu de jours après,
M™"' des Ursins reçut une lettre du roi : « Il était désolé,
disait-il, de la tournure que les choses avaient prise, mais il
ne pouvait révoquer rien de ee qui avait été fait. » Il reti-
rait toutes ses places à la princesse, ne lui conservant que
les appointements. M"ie des Ursins se rendit à Versailles ;
l'accueil qu'elle y reçut fut glacé , et tel que les cours savent
le faire à une puissance déchue. Elle essaya de se réfugier
dans les Pays-Bas. Le gouvernement la reçut mal. Elle erra
ainsi dans les principales cours d'Kurope, sans trouver nulle
part d'asile pour sa vieillesse ambitieu.se et inquiète. Enfin,
Rome accueillit de nouveau cette noble proscrite. Jacques
Stuart , le prétendant , vint lui demander des leçons de
742
politique ; et elle fit jusqu'à ses tfernîers moments les hon-
neurs de la maison de ce prince. Le 5 décembre 1722, âgée
de plus de quatre-vingts ans, la princesse des Ursins mourut
à Rome. Lacreteli.E, de l'Académie Française.
URSOIV. Voyez Porc-épic.
URSULE (Sainte), URSULINES. Nous lisons dans le
dernier martyrologe romain ce peu de mots : « Sainte
Ursule et ses compagnes furent tuées par les Huns , pour
la défense de la religion et de leur virginité , et elles acqui-
rent ainsi la gloire du martyre. » Lorsque, en 1156, on
découvrit, à Cologne, «ne douzaine de tombeaux, avec des
inscriptions portant qu'ils renfermaient les restes de sainte
Ursule et de ses compagnes, les écrivains ascétiques, fort
communs à cette époque d'ardente foi, s'évertuèrent à
reconstruire , à l'aide de quelques ossements tombant en
poudre, une histoire dévorée par les siècles. C'est d'abord
un franciscain qui arrache de ces témoins silencieux la gé-
néalogie d'Ursule, fille d'un prince de Bretagne et tenant à
plusieurs maisons souveraines. Viennent ensuite les chroni-
queurs , ambitionnant la gloire de fixer la date du martyre
de notre sainte; mais tandis que l'un place cet événement
dans l'année 384 , son émule, pour plus d'exactitude, le
rapproche jusqu'en 453. Puis arrivent les légendaires avec
la prétention de déterminer le nombre des compagnes
d'Ursule: les uns lui en donnent onze, les autres mille,
d'autres onze mille, nombre adopté par la croyance popu-
laire, et auquel on doit les Onze mille Vierges. Mais Adrien
de Valois et le père Sirmond , très-doctes personnages ,
reconnaissent que les légendaires , simples traducteurs d'un
ancien martyrologe, ont pris le mot Undecimilla, nom propre
de la seule compagne d'Ursule, pour une expression numé-
rique, et réduisent le nombre d'onze mille à la simple unité.
Que si l'histoire de sainte Ursule nous laisse quelques
détails à désirer, nous sommes parfaitement instruits de la
vénération qu'inspira sa mémoire. Son culte, cher depuis
longtemps aux habitants de Cologne, se répandit, au
douzième siècle, par toute la chrétienté ; trois corporations
savantes , la Sorbonne de Paris , l'université de Counbre,
en Portugal, et celle de Vienne, en Autriche, la prirent
pour patronne. D'autre part, de pieuses filles, inspirées par
son nom , abandonnaient ce qui pouvait les attacher au
monde pour se livrer entièrement à l'exercice de la charité
chrétienne. Ce fut en 1537 que la bienheureuse Angèle
Merici, dite de Brescia, parce qu'elle avait fait un long sé-
jour dans cette ville de la Lombardie, institua les Vrsulines.
Filles ou veuves, réunies en congrégation, d'abord libres
de tous vœux, elles s'appliquèrent à l'éducation des jeunes
personnes de leur sexe. Après quelques années d'épreuve,
le pape Paul 111 , édifié de leur zèle, autorisa leur institut
par un bref de 1544. Plus tard, en 1572, Grégoire XllI
érigea la nouvelle congrégation en ordre rt-ligieux, sous la
règle de saint Augustin, et obligea les ursulines à la clôture.
Aux trois vœux ordinaires de religion elles durent en
ajouter un quatrième, celui d'élever gratuitement les jeunes
filles. La première communauté d'ursulines françaises fut
établie à Aix, dans la Provence, en 1594. L'utilité de cet
orilrc le lit multiplier promptement. 11 était <iivisé en onze
provinces; celle de Paris contenait quatorze couvents :
avant 1789 on en comptait près de trois cents dans toute la
France. E. Lavicne.
URSULIIVES DE LOUDUN(Les). Foî/es Grandier
(Urbaui).
URTICAIRE (du latin «n'ica, ortie), éruption cu-
tanée, ainsi nommée à cause de son analogie avec celle que
produit le contact de l'ortie. L'urticaire est caractérisée par
de petites éminences blanches ou rosées, d'une largeur va-
riable, accompagnées de prurit et de chaleur. Elle se déve-
loppe quelquefois sans cause apparente ; mais le plus sou-
vent, c'est à la suite de l'ingestion de certaines substances,
principalement les poissons de mer, les crabes , les mou-
les, etc. Les remèdes les plus efficaces sont les bains froids,
tiè-les ou chauds , selon l'état du sujet.
URSINS — URUGUAY
URURU. Votjez Catharte,
URUGUAY ou URAGUAY, l'un des trois grands cours
d'eau de l'Amérique du Sud dont la réunion forme le Rio
de la Plata, prend sa source dans la Sierra de Santa Ca-
tarina , proMince Rio-Grande-do-Sul (Brésil), et provient
de la jonction du Pilotas et du Xapeco. Il se dirige d'abord
d'un cours rapide vers l'ouest, dans l'intérieur du Brésil,
puis tourne peu à peu au sud, sépare le Brésil et l'État de
l'Uruguay à l'est des Étals de Corrientes et d'Entre-Rios
de la Confédération Argentine, et, après avoir reçu sur sa
rive droite l'Uruguay-Guazu , leGuadalozo, l'Aguapey, le
Mirunai et le Gualiguaiheha, et à sa gauche l'Uruguay-Pita,
riguy , le Piratini , le Camacua , l'Ibicuy , le Cuarey , l'A-
rapay , le Dayman , le Gueguay , et enfin le Rio Negro , le
plus puissant de tous ses affluents , il se jette au nord
de Buenos-Ayres dans le Parana ; après quoi leurs eaux
réunies portent le nom de 7?/o rfe la Piaf a. L'Uruguay, dans
un parcours d'au moins 125 myriamètres, décrit d'innom-
brables détours, forme de nombreuses cataractes, et con-
tient une foule d'Iles. Il est navigable pour de grands bâti-
ments jusqu'à sa première cataracte, située à 42 kilomètres
au-dessus de l'embouchure de l'Ibicuy. Au delà la navi-
gation est encore possible pour de grandes barques jusqu'au
milieu des Campos de Vaccaria , mais très-difficile et
quelquefois môme très-périlleuse, à cause de l'excessive ra-
pidité du courant. Extrêmement poissonneux , l'Uruguay
arrose des contrées d'une rare fertilité.
URUGUAY ou REPUBLICA ORIENTAL DEL URU-
GUAY , république de la ci-devant Amérique espagnole du
Sud, qui comprend une superficie d'environ 3,500 myriam.
carrés, et est bornée au sud par le Rio de la Plata , à l'ouest
par l'Uruguay, deux cours d'eau qui la séparent de la
République Argentine, au nord par le Brésil, et à l'est par
l'océan Atlantique. Cette contrée est généralement plate,
notamment vers la mer; cependant, à une certaine distance
de l'Atlantique, le terrain présente quelques ondulations,
et dans l'intérieur on rencontre une chaîne de petites mon-
tagnes, la Sierra de San-Pablo , qui la traverse du nord
au sud. Sauf quelques parties sablonneuses sur les côtes et
d'espèces de steppes dans l'intérieur, le sol en est fertile et
propre, ici à l'agriculture, là à l'élève des troupeaux. In-
dépendamment des rivières qui lui servent de limites , le
Rio de la Plata, l'Uruguay et l'Ibicuy , lequel sur un point
forme sa frontière septentrionale du côté du Brésil, il est
encore arrosé à l'intérieur par d'autres cours d'eau venant
pour la plupart se jeter dans l'Uruguay et dont le Rio Negro
est le plus considérable. Sur les côtes de l'Atlantique, on
rencontre des lagunes et des lacs dont celui de Mirim est
le plus grand. En ce qui est des conditions physiques et
ethnographiques, cette contrée présente en général à peu
près les mêmes caractères que la République Argentine.
On varie sur le chiffre de sa population , entre 225,000
et 250,000 âmes, les Indiens y compris. Sauf la capitale,
Montevideo , et quelques autres villes, la population
fixe se compose presque uniquement de gauchos, dont
l'élève du bétail constitue la principale occupation , et qui
aujourd'hui , en raison des guerres et des troubles inces-
sants qui désolent ce pays , forment la race prédominante.
Ce sont les indigènes ou Orientales, orgueilleux comme
les Espagnols , hospitaliers et très-aimables dans leur inté-
rieur, maisd'ime arrogance extrême, très-capables, mais fous
du plaisir, n'aimant pas le travail, mais prêts à faire tous les
sacrifices pour conserver leur indépendance, ne cherchant
point les querelles, mais enclins à finir à coups de couteau
toute querelle commencée. La population assez peu nom-
breuse d'Espagnols immigrés diffère peu de caractère avec
eux; dans le nombre on distingue les basques, employés
surtout aux travaux des saladeros (étabhssements où l'on
fait des salaisons) et des estancias (exploitations agricoles).
La plus grande partie du commerce se trouve aux mains de
Français, très-nombreux dans le pays; les Génois et les
Sardes, les plus nombreux après les Français, travaillent
TIRTIGTTAY
743
comme lanchoneros (bateliers et caboteurs); le jardinage
est aux mains d'émigrés des Canaries , les Anglais et les Alle-
mands se livrent au commerce. Les nègres, émancipés depuis
1843, sont chargés des gros travaux ; et 1,500 d'entre eux
forment comme soldats un corps à part. Les aborigènes ,
Indiens Charuas, Minuanes etGîmyanes,ontétéàpeu prùs
exterminés, ou du moins ne sont plus à redouter. Quelques
tribus, comme par exemple les Tapes, sont à moitié civi-
lisées. Par suite des troubles sans cesse renaissants, le pays
et la population, surtout la population agricole des gauchos,
sont encore bien arriérés dans la civilisation. L'éducation du
bétail, surtout des bêtes à cornes et des chevaux, constitue la
principale industrie des habitants, lesquels exportent beau-
coup de cuirs bruts, de graisses, de viandes salées, de crins,
de cornes de bœuf et de laine. Mais l'agriculture, pratiquée
seulement par les émigrés , y est encore dans l'enfance , de
même que l'industrie. On ne rencontre quelques villes d'une
certaine importance que sur la côte ainsi que sur les rives
du Rio de la Plata'et de l'Uruguay. Par sa position, qui
lui permet de dominer l'embouchure du Rio de la Plata,
l'Uruguay a une grande importance commerciale , maritime
et stratégique ; et cette importance ne pourra que s'accroître
encore quand le sol sera mieux cultivé et le pays plus
tranquille. L'organisation politique de cet État a pour base
une constitution très-hbérale, datant de 1 830, mais demeurée
une fiction. Aux termes de cette constitution, un président,
investi du pouvoir exécutif, est à la tête des affaires, pen-
dant qu'un sénat composé de neuf membres et une cham-
bre des députés élus à raison d'un membre par 3,000 habi-
tants , exercent le pouvoir législatif. La puissance judiciaire
est exercée par des juges et des jurés. La liberté de cons-
cience et celle de la presse sont formellement garanties. Le
Code Napoléon a été adopté pour loi civile. On a à peu près
anéanti l'armée permanente, qui a été remplacée par une
garde nationale. Ce qui favorise surtout l'émigration, c'est
que tout étranger est immédiatement admis à l'exercice des
droits civils et politiques. L'État est divisé en neuf déparle-
ments et a pour capitale Montevideo. La ville la plus
importante après celle-là est Maldonado , située à l'ouest ,
entourée de quelques fortifications, avec un bon port, un
commerce assez important , et 5,000 habitants. La tioisièrae
et dernière ville est Colonia del Sacramento , bâtie comme
les autres sur les bords du Rio de la Plata , en face de
Buenos-Ayres , avec un petit port , peu sûr et d'un accès
difficile. A l'embouchure du Rio Negro dans l'Uruguay on
trouve le bourg de Santo- Domingo Soriano, entrepôt des
produits provenant des bords du Rio Negro et du Hencon
de las Gallinas , l'une des parties les plus fertiles de l'État.
Le bourg de Paysandu, sur l'Uruguay, a pris de rapides
développements, à cause de l'importance toujours croissante
de ses relations commerciales avec les contrées baignées
par le haut Uruguay. En 1842 l'importance du commerce
était encore évaluée à environ 80,000,000 de francs. Les
revenus du trésor s'élevaient à 4,585,658 fr., les dépenses
publiques à 2,754,237 fr., et la dette de l'État à 5,887,382 fr.
En 1849 1a totalité des importations et exportations était
tombée à 6,74.'î,000fr.; et dans les années suivantes elle
baissa encore. En 1852, le revenu de l'État était évalué à
2,625,000 fr., et la dette publique à 8,102,500 fr. Le mon-
tant des exportations s'était relevé à près de 34,000,000 de
francs.
L'histoire de l'Uruguay sous la domination espagnole,
époque où ce pays portait le nom de Banda Oriental , est
à peu près celle de toutes les colonies espagnoles de l'Amé-
rique du Sud. A cette époque ce pays était un loyer de con-
trebande ; elle s'y faisait avec une incroyable hardiesse.
Afin de l'anéantir, le gouvernement espagnol prit à son ser-
vice, vers 1800, le plus audacieux des contrebandiers,
Artigas, de Montevideo. Quand, en 1811 , la république
fut proclamée à Buenos-Ayres, Artigas figura parmi les par-
tisans de la junte, et battit les troupes royales. Le colonel
Alvear, chef des insurgés, s'étant emparé de Montevideo,
le 20 juin 1814, Artigas demanda qu'on le nu't en possession
de la ville; demande qui fit éclater une guerre civile, dont
le gouvernement portugais du Brésil profita pour réunir la
Banda Oriental à son territoire. Le 19 janvier 1817 le
général Lecor prit possession de Monlivedeo; mais Artigas
continua la lutte avec le Brésil tout comme avec Buenos-
Ayres, jusqu'à ce qu'enfin, en 1820, il eut été contraint de se
réfugier sur le territoire du Paraguay. Pendant ce temps-là
le gouvernement brésilien avait, en 1821, réuni la Banda
Oriental au Brésil , sous la dénomination de province Cis-
Platine. Mais quand, en 1822, arriva la séparation poli-
tique du Brésil et du Portugal , la garnison portugaise de
Montevideo demeura fidèle à la mère patrie ; et ce ne fut
qu'au mois de décembre 1823 que les troupes brésiliennes
parvinrent à s'emparer de cette place. Alors dom Pedro I''"'
réunit formellement la Cis-Platine à son empire. INIais le gou-
vernement de Buenos-Ayres ne voulut reconnaître le nouvel
empereur qu'à la condition qu'il restituerait Montevideo et la
Banda à la république de la Plata. En conséquence, le 10
décembre 1825, dom Pedro déclara la guerre à Buenos- \yres.
Dans la Banda même le peuple avait protesté contre l'incor-
poration de la province à l'empire du Brésil et s'était placé
sous la protection du gouvernement de Buenos-Ayres. Les co-
lonels Lavalleja et Fructuoso Ribera organisèrent l'insurrec-
tion des gauclios, et un gouvernement provisoire fut établi par
eux à Florida, en juin 1825. L'Angleterre offrit enfin sa mé-
diation, et un traité signé à Rio-Janeiro, le 27 août 1828, et à
Santa-Fé, le 21 octobre suivant, rétablit la paix entre le Brésil
et la Plata. Aux ternus de ce traité, la province <le Montevideo
était reconnue comme État indépendant, libre dès lors de
se donner la constitution (ju'il lui conviendrait d'adopter, sauf
l'approbation de l'Angleterre et du Brésil. Désormais assurée
de son indépendance politique, cette république Cis-Platine
s'occupa d'abord de son organisation intérieure. Un congrès
réuni à Montevideo vota, le 10 .septembre 1829, la constitu-
tion encore aujourd'hui en vigueur, et confia l'administration
provisoire de l'État au général Rondeau, de Buenos-Ayres,
en qualité de président. Cette constitution ayant été ap-
prouvée par les puissances protectrices , l'Angleterre et le
Brésil, le 24 mars 1830, elle reçut les serments de toutes les
autorités sous le nom de constitution de la Republica orien-
tal del Uruguay, en môme temps que le général Fructuoso
Ribera, personnage extrêmement populaire, était élu, aux
termes de la constitution, président pour quatre ans; et en
dépit de maintes conspirations et insurrections, il réussit à se
maintenir en possession du pouvoir. Le 1*'' mars 1835 le
général Manuel Oribe prit la présidence; mais dès le mois
d'octobre 1838 il fut renversé du pouvoir par Ribera, révo-
lution qui fut cause de toutes les luttes ultérieures. D'un
côté se trouvait Ribera , homme astucieux, généreux , or-
gueilleux, s'appuyant sur la population des campagnes, les
gauchos, race à laquelle il appartenait et dont il avait
partagé les combats; de l'autre, Oribe, issu d'une ancienne
famille , représentant des grands propriétaires fonciers
(cstanceros), homme rude, quelquefois terrible, mais d'une
probité éprouvée. Les deux partis avaient chacun leur nom
de guerre; les partisans de Ribera s'appelaient colorados
(les ronges), et ceux d'Oribe, par allusion à leur caractère
comme habitants des villes, blanquillos ( les blancs). Deux
faits importants survinrent en même temps. Les unitaires,
cruellement persécutés à Buenos-Ayres par Rosas, se réfu-
gièrent dans l'Uruguay et offrirent leurs services à Ribera,
qui, en échange, s'engagea à les seconder pour renverser
Rosas; et de même la France, qui avait rompu avec Rosas,
soutenait Montevideo dans sa lutte contre le dictateur. Il en
résulta en premiei- lieu l'hostilité déclarée de Rosas , et en
second lieu une bizarre complication des intérôls des puis-
sances maritimes de l'Europe dans ceux de Montevideo.
Oribe invoqua le secours de Rosas, qui favorisa d'autant
plus ces troubles que la prospérité croissante du commerce
de Montevideo nuisait à Buenos-Ayres. Jl y eut donc guerre
ouverte entre Buenos-Ayres et l'Uruguay à partir de 1839.
744
Depuis le mois demai 1842 Montevideo lut bloqué par mer
pai Oribe, avec le concours de Rosas ; et à partir du 17 fé-
vrier 1843 cette ville se trouva également bloquée par terre
(voyez Plata [Etats-Unis du Rio de la]). Ribera, qui dès le
12 avril 1842 avait conclu un traité d'alliance offensive et
défensive avec les États d'Entre-Rios et de Santa-Fé, qui
s'étaient détachés de l'Union Argentine , battu le 6 novembre
suivant par Oribe et Urqui za à Arroyo-Grande, et à qui
la route de la capitale était maintenant fermée, continua
sur le territoire Argentin la lutte contre le parti fédéraliste
d'Oribe; mais le 27 mars 1845 Urquiza lui fit éprouver une
déroute complète à India-Muerta. Ribera se réfugia alors au
jorésil ; mais dès le mois d'avril 1 846 , à la faveur d'une in-
surrection qui avait éclaté à Montevideo , il débarquait de
nouveau et réussissait à décider l'armée à se déclarer en sa
faveur. Par suite d'une nouvelle déioute, qu'il essuya le 27
janvier 1847 à Salta, il fut obligé d'abandonner le comman-
dement en clief à son ennemi, Pacbeco. Suarez, président
provisoire inslifué depuis 1843, repoussa la médiation of-
ferte par la France et l'Angleterre dans les intérêts du com-
merce de Buenos- Ayres; de sorte que la guerre continua
encore entre les deux républiques, môme après que l'Angle-
terre et la France eurent fait la paix avec Rosas, la pre-
mière en 1849 et la seconde en 1851. Abandonné par la
France, l'Uruguay invoqua l'assistance du Brésil et de
l'Entre-Rios, dont le gouverneur, Urqui/.a, venait d'abandon-
ner le parti de Rosas. Une triple alliance fut conclue entre
ces trois États par un traité préliminaire en date du 29 mai
1851, et l'Uruguay fut alors envahi le 20 juillet par Urquiza
à la tète des troupes d'Entre-Rios et de Corrientes, en même
temps que par un corps brésilien aux ordres du comte
Caxias. Le 29 juillet suivant, Oribe abandonna à la tête de
5,000 hommes son camp de Cerrito; puis lorsque le général
des troupes d'Uruguay, Gazzon, eut opéré sa jonction avec
Urquiza et Caxias, le 25 août, et que le30 du même mois une
escadre brésilienne eut pénétré dans le Parana, il leva le
2 septembre le siège de Montevideo, qui avait duré plus de
huit ans; et privé déjà des secours de Rosas, abandonné
en outre par une partie de son armi'e , il fut battu le 3 oc-
tobre à Las Pitdras. Le 8 octobre Urquiza entra à Monte-
video comme général en chef de l'armée alliée. La bataille
de Santos-Lugares (3 février 1852), qui amena la chute de
Rosas , enleva à Oribe son dernier espoir de revenir à Mon-
tevideo. Cependant, son parti était encore si nombreux, qu'il
réussit dans les élections qui eurent lieu pour donner un
successeur au président Suarez, à faire nomuipr son can-
didat, Juan Giro, qui entra en fonctions le 1'"" *v\ars 1852.
Mais alors des différends éclatèrent entre l'Uruguay et le
Brésil, à propos de l'indemnité réclamée par celui-ci pour
son assistance ; et dans l'intérieur de la ré|uiblique les in-
surrections se succédèrent continuellement. Tandis qu'Oribe
quittait le pays et que Paclieco reprenait le commandement
des troupes, une révolution complète éclata le 94 septembre
1853; révolution qui renversa le président Giro, partisan
d;Oribe,et mit à la tête de l'État un triumvirat, composé des
géni'raux Ribera et Lavalleja et du colonel Flores. Ribera
mourut le 15 janvier 1854; et alors Benancio Flores fut élu, le
1 2 mars, par la chambre président de la république pour jus-
qu'au 1" mars 1856. Par suite de cette révolution le Brésil
s'engagea en même temps à faire entrer dans le pays 4,000
honiiiiesde troupes de pacification, el, en raison du déplo-
rab.eétatdes finances publiques, à faire au gouvernement des
avances mensuelles de fonds. Flores, gaucho presque sans
éducation, et ses ministres, presque aussi incapables, s'ef-
forcèrent de rétablir l'ordre, mais sans y parvenir. Dans
l'été de 1854 parut un décret qui à partir du 1*"^ janvier 1855
ouvrait aux bâtiments de commerce de toutes les nations
tous les cours d'eau navigables de la république.
CRUS ou AUROCHS. Voyez- Boeuf.
URVILLE (Durnontd'). Voyez Dumont d'Urville.
US, terme de droit qui se joint presque toujours à com-
llimes , et signifie les règles , la pratique qu'on est habitué
URUGUAY — USAGF?? f.OCAUX
à suivre en quelques pays , en quelques lieux , touchant
certaines matières ( voyez Coutumes et Usages locaux ) .
USAGE (du vieux mot us), prend différentes acceptions.
C'est tantôt une coutume, une pratique reçue, tantôt l'era»
ploi d'une chose. C'est aussi le droit de se servir personnel-
lement d'une chose dont un autre a la propriété. Ce mot .se
nrend encore dans le sens de consommer, détériorer : on dit
•user des habits, etc. Il s'entend aussi dans le sens de diminuer
l'objet par le frottement : ainsi, User la lame de son poignard
sur la meule; Le pavé use le fer, etc.
Usage, coutume, pratique reçue : « Des usages mépri-
sables, dit Voltaire, ne supposent pas toujours une nation
méprisable. » Rome en avait d'absurdes, et n'en a pas moins
été la maîtresse du monde. Un vieil usage a toujours quel-
que chose de piquant, et souvent quelque chose d'instructif.
C'est pour cela que la tradition frappe d'abord un esprit
éclairé :il la sonde, il la scrute volontiers, et il est rare
qu'il n'en tire pas de nouveaux et justes aperçus. L'Angle-
terre est le pays des usages; ceux qui honorent le plus
l'humanité en politique forment ce qu'on est convenu d'ap-
peler sa constitution, encore bien que cette constitution n'ait
jamais été écrite.
USAGE , USAGER ( Droit). Les jurisconsultes définis-
sent ['usage «■ le droit de prendre sur les fruits d'autruice
que l'on peut consommer pour ses besoins , ou ce qui est
accordé par le titre constitutif. » Les droits d'usage s'éta-
blissent et se perdent de la même manière que l'usufruit,
avec cette différence qu'il n'y a point d'usage établi par la
loi, comme il y a un usufruit. L'usufruit et l'usage, qui
sont des servitudes personnelles, ont ensemble de grands rap-
ports; seulement, minus est in usu qtiam in usufructu.
C'est ordinairement le titre qui établit les droits d'usage et
les règle. Si le titre ne s'explique pas sur l'étendue de ces
droits , ils se règlent ainsi : Vusager, celui à qui l'on a ac-
cordé l'usage des fruits d'un fonds, ne peut en exiger qu'au-
tant qu'il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa fa-
mille ; autrement, l'usage serait un droit d'usufruit, ha famille
de l'usager s'entend des parents à qui il doit des aliments
et de ses descendants. Il peut même exiger des fruits pour
les besoins des enfants qui lui sont survenus depuis la con-
cession du droit d'usage. On pense avec raison que la vo-
lonté du donateur de ce droit a dû naturellement comprendre
les enfants à naître dans le contrat de donation. Il y avait
jadis \es francs usagers, ou ceux qui ne payaient rien ou
presque rien; les gros usagers, ceux qui avaient le droit de
prendre dans la forêt d'autiui un certain nombre de perches
ou d'arpents de bois, etc.; et les menus usagers, qui pour
leurs besoins personnels n'avaient pour tous droits que ce-
lui de pâturage et la liberté de prendre le bois mort et
épars, tombé ou non, et qu'on ai)pelaitla branche de plein-
poing. Quelques-uns de ces usages subsistent encore, sur-
tout dans les pays boisés. Voyez Biens communaux.
Sous la dénomination de déclarations d'usages on a
réuni et déposé aux archives générales de l'empire toutes
les déclarations faites dans le cours du dix-septième siècle
et au commencement du dix-huitième par les diverses com-
munes qui étaient en pos.session de droits d'usage dans
les forêts d'autrui. Louis XIV, ayant besoin d'argent, avait
frappé une contribution sur ces jouissances communales,
en suite desquelles fut établi un rôle général de perception,
La collection de ces divers titres forme un recueil précieu\,
parce qu'ils déterminent, dans une matière qui n'est pas su-
jette à prescription, quels étaient les droits des anciens habi-
tants sur les forêts de leur voisinage.
Pendant la révolution, tous les usagers dans les bois de
l'État furent astreints par diverses lois à faire la déclaration
de leurs droits d'usage, h produire et à déposer leurs titres
afin que vérification en fût faite. Ceux qui ne purent remplir
cette formalité perdirent leurs droits d'tisage.
USAGES LOCAUX. Ils sont obligatoires en certains
cas, surtout dans le silence delà loi. Ainsi, en matières de
location et de congés, c'est l'usage des lieux qui détermine
USAGES LOCAUX — USUFRUIT
74S
Ifis délais: la loi n'en règle aucun (Code Civil, art. 1736).
A Paris, Vîisage est de six semaines pour les logements au-
^^^»^sous de 400 fr. de loyer, et de trois mois pour ceux de
400 fr. et au-dessus.
USAKCE, usage reçu , délai consacré parla loi, selon
l'usage du commerce, pour le payement des lettres de change.
L'usance est de trente jours, qui courent du lendea)ain de
la date de la lettre de change. On dit dans ce sens qu'une
lettre de change est payable à deux ou trois usances, etc.
(Code de Commerce, art. 132).
USBEKS ( Lesl. Voyez Ouzbeks et Khiwa.
USCOQUE ou plutôt USKOK. Ce mot, dans la langue
dalmate, signifie /i^^JAi/" ou transfuge. 11 y aura bientôt
trois siècles qu'un grand nombre d'individus de cette espèce,
retirés à Signa, au fond du golfe de Carnie, et retranchés
derrière de hautes montagnes et d'épaisses forêts, infestaient
l'Adriatique de leurs pirateries et désolaient par leurs bri-
gandages ristrie et la Dalmatie. Longtemps ils bravèrent
tous les efforts tentés pour les détruire et eu purger le lit-
toral. Enlin, au commencement du dix-septième siècle,
l'Autriche les livra aux vengeances de Venise. Mais long-
temps encore après l'extermination de cette race féroce entre
toutes celles qui vivent de brigandage, le nom seul Ahisco-
que resta un épouvantail poui la marine marchande dans
l'Aiiriatique. Sarpi a écrit Tliistoire des Uscoqnes, et lord
IJyron en a fait un poëme, iePiraie. Georges Sand a mis le
même sujet en roman.
USEDOM, île de la Baltique, comprise dans l'arrondis-
sement de Stetlin, province de Poméranie ( Prusse), et voi-
.sine de celle de Wollin, avec laquelle elle forme un (cercle de
8 myriam. carrés, où l'on compte 34,000 habitants. Elle a
pour chef-lieu Swinemunde.
USHER (James), plus connu sous le nom à' Usserius ,
naquit à Dublin, le 4 janvier 1580, d'une ancienne famille
anglaise. Cet homme, l'un des plus savants de son siècle,
après avoir étudié la théologie , se voua à la prédication ,
et, protestant ardent, fut remarqué par Jacques V, qui le
fit successivement professeur à l'université de Dublin, cvêque
de Meath , membre du conseil privé d'Irlande, et archevêque
d'Armagh. Toujoursardent adversaire des catholiques, dans
le conseil il s'opposait toujours à ce qu'on adoptât un seul
acte de tolérance en leur faveur, en même temps qu'il écri-
vait contre eux de nombreux ouvrages, oii il s'efforçait de
prouver que la doctrine des réformés était la même que celle
des premiers chrétiens. Défenseur de la suprématie royale,
il resta tidèle à la cause de Charles F"". Ce fut lui qui as-
sista à ses derniers moments l'infortuné Strafl'ord. Il rendit
le même service à Charles \". Après la mort de son roi ,
Usher se vit dépouillé des revenus de son archevêché, par
suite de la révolte des catholiques d'Irlande. Il mourut en
IGôO, à l'âge de soixante-seize ans. Cromwell , qui pendant
sa vie lui avait rendu de stériles hommages, voulut qu'il
filt enterré à Westminster. Usher ne laissa à sa nombreuse
famille d'autre héritage qu'une bibliothèque de dix mille
vohunes, dont le roide Danemark et le cardinal de Richelieu
offrirent un prix considérable, mais qu'on n'osa faire sortir
du royaume, et qui depuis a passé au collège de Dublin.
Ses ouvrages les plus importants sont les Britannïcarum
Ecclesiarum Antiquitates ( Dublin , 1639) elles Annales
Veleris et Novi Tcstamenti (Londres , 1650).
US11\E ( Technologie ) , fabrique dont le produit est ob-
tenu par l'action des machines plus que par le travail des
ouvriers. Ainsi,un moulin à farine est une usine: on donne le
même nom aux grosses forges, aux hauts four n eau x, etc.,
dont les marteaux, les soufllets, etc., sont mis en mouve-
ment par des machines , quoique le forgeron se charge aussi
d'une importante portion du travail.
USAÉE HUMAINE. Voyez Lichen.
USSEL. Voyez Corrèze.
USSERIUS. Voyez Usuer.
USTENSILE (du latin ustensile , fait du verbe uti, se
servir). Ce mot s'emploie pour désigner toutes sortes de
petits meubles servant au ménage, et principalement de
ceux qui sont à l'usage de la cuisine.
USTENSILE DES GENS DE GUERRE. Voyez Étape.
USTION (du latin M5 <io, fait de urere , brûler), action
de brûler. On appelle ainsi , en termes de chirurgie, une
opération consistant à toucher quelque partie malade avec
le camlè?"? ^stuel , avec le moxa , etc. Voyez Cautérisation
et Combustion.
USTRI]\U]\l,lieu où l'on brûlait les morts chez les Ro-
mains. C'était , à Rome , le Champ de Mars pour les grands
et les riches, et les Esquilles pour le commun du peuple.
Il y en avait aussi de particuliers.
On donnait le même nom à un vase destiné à recevoir les
cendres des corps consumés.
USUCAPION, terme de droit romain, dérivé des mots
usîis , usage, el capere , prendre, qui indique l'action d'ac-
quérir une chose par l'u.sage. C'est la même chose que ce que
nous appelons prescription.
USUFRUIT {Droit). « L'usufruit est le droit de jouir
des choses dont un autre a la propriété, comme le proprié-
taire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance. «
Cette définition est celle du Code Civil (art. .578). L'usutruit
s'établit par la volonté de l'homme ou parla loi, c'est-à-dire
qu'il est conventionnel ou légal. Ce dernier consiste, en
général , dans le droit de jouissance attribué aux père et
mère sur les biens de leurs enfants mineurs, et est intime-
ment lié à la puissancepaternelle. Le droit de l'u-
sufruitier est essentiellement temporaire et personnel à celui
au profit duquel il a été constitué ; en sorte que , à moins de
stipulation expresse, il ne passe point à ses successeurs , et
qu'il se borne à une simple jouissance, qui ne permet pas
à l'usufruitier de disposer de la chose (dont le fonds de-
meure au nu-propriétaire ), de la dénaturer, ni de l'altérer.
L'usufruit peut être établi sur toutes espèces de biens, meu-
bles ou inuneubles, même sur des choses fongibles et sur
des rentes viagères. Il peut l'être par testament, ou faire
l'objet soit d'une donation entre vifs, soit d'une convention.
La loi permet de con.stituer l'usufruit, soit purement et sim-
plement, soit à durée fixe , soit enfin sous une condition
suspensive ou résolutoire. On peut en faire profiter des
communes et des établissements publics , comme de simples
particuliers.
La principale obligation de l'usufruitier, celle d'où déri-
vent la plupart des autres, est de jouir en bon père de
famille {Code Civ., 601 ). A cette obligation vient se joindre
celle de prendre la chose dans l'état où elle se tiouve et
d'en conserver la substance. Il doit également acquitter foules
les charges annuelles de la propriété dont il jouit , telles
qu'impôts et contributions, arrérages de rentes et pensions
alimentaires.
L'usufruitier a le droit de jouir comme le propriétaire,
lui-même , c'est-à-dire de percevoir toutes espèces de fruits,
naturels, civils ou industriels : ce droit s'étend à tous les
produits utiles ou de simple agrément, tels que la chasse ,
la pêche , etc. Toutefois , son mode de jouissance et l'étendue
de ses droits varient suivant la nature des objets; ainsi,
par exemple, si l'usufruit comprend des choses mobiliaires,
qui, sans se consommer tout de suite, se détériorent peu à
peu par l'usage, comme du linge, des meubles meublants, il
n'est obligé de les rendre , à la fin de l'usufruit , que dans
l'étal où elles se trouvent, pourvu qu'elles n'aient pas été
détériorées par sa faute. S'il s'agit de cho&es fongibles ,
l'usufruitier doit en rendre dépareille quantité, qualité et
valeur; s'il s'agit d'animaux, il doit leur conserver leur des-
tination ; de créances ou de rentes , il n'en devient pas
propriétaire, mais il en perçoit les intérêts ou revenus; de
maisons et bâtiments , il a le droit de les habiter ou de les
louer, mais jamais celui de porter atteinte à leur destination
ou à leur distribution; de biens ruraux, tous les fruits
naturels et industriels lui appartiennent, et il jouit, à titre
gratuit ou onéreux, des objets attachés au service du fonds,
tels que bestiaux et ustensiles aratoires ; de bois et forêt».
746
USUFRUIT — USURE
il doit observer l'ordre et !a quotité des coupes conformes
à l'usage constant des propriétaires, et il ne peut-toucliei
aux arbres de haute futaie , si ce n'est pour faire des répa-
rations. Tels sont, à part les exceplions et les détails, les
droits généraux de l'usufruitier. On voit que si l'usufruit
n'était essentiellement temporaire, il se confondrait absolu-
ment avec la propriété. Or, il s'éteint : 1" par la mort natu-
relle ou civile de l'usufruitier; 2° par l'expiration du temps
fixé pour sa durée , ou par l'événement de la condition ré-
solutoire ; 3" par la consolidation, c'est-à-dire par la réunion
en la même personne des droits de propriétaire et d'usufrui-
tier ; 4° par le nou-usage; 5° parla perte totale de la chose;
6" par la renonciation de l'usufruitier; 7° par la résolution
du droit de celui qui l'avait constitué; 8" par l'abus de
jouissance (Code Civil, art. 578 à 624). Auguste Hcsson.
USUM-CASSAJV. Voy. Ac Coinlu.
USURE, usuraria pravitas. « L'intérêt des capitaux
prêtés, mal à propos nommé intérêt de l'argent , s'ap-
pelait auparavant usure (loyer de l'usage, de la jouissance,
usura ) ; et c'était le mot propre , dit Say , puisque l'intérêt
est un prix, un loyer qu'on paye pour avoir la jouissance
d'une valeur. Mais ce mot est devenu odieux ; il ne réveille
plus que l'idée d'un intérêt illégal, exorbitant, et on lui en
a substitué un autre, plus honnête et moins expressif, selon
la coutimie. » D'après notre législation actuelle, il faut en-
tendre par le mot usure tout intérêt qui s'élève an-dessus
de 5 pour 100. Si l'emprunteur est négociant, le prêteur
peut exiger de lui 6 pour 100, au lieu de 5.
Les lois ecclésiastiques, et à plusieurs époques les lois
civiles elles-mêmes, ont proscrit tantôt le prêta intérêt,
tantôt un intérêt dépassant un certain chiffre. Cependant ,
si l'argent prêté ne rapportait point d'intérêt, il est évi-
dent qu'on ne le prêterait point ; si l'argent prêté pour
des entreprises incertaines ne rapportait pas un intérêt
plus fort que l'argent prêté sur de bonnes hypothèques , on
ne prêterait jamais d'argent aux industriels ; s'il était dé-
fendu de retirer des intérêts d'un argent quidoit rentrer à des
échéances fixes, tout argent dont le propriétaire prévoirait
avoir besoin dans un certain temps, sans en avoir un be-
soin actuel , serait perdu pendant cet intervalle pour l'in-
dustrie ; il resterait oisif dans les coffres du propriétaire , qui
n'en a pas besoin , et serait comme anéanti pour celui qui
en aurait un besoin urgent. L'exécution rigoureuse d'une
pareille défense enlèverait donc à la circulation des sommes
immenses, que la confiance de les retrouver au besoin y
fait verser, à l'avantage réciproque des prêteurs et des
emprunteurs, et le vide s'en ferait nécessairement sentir
par le haussement de l'intérêt de l'argent et par la cessation
d'une grande partie des entreprises d'industrie. Mais, dira-
t-on , nous convenons de la nécessité du prêt à intérêt , et
nous l'admettons; ce que nous voulons, c'est que le taux
de l'intérêt ne .soit pas fixé par les industriels, mais par
une loi. Nous répondrons : L'intérêt étant le prix de l'ar-
gent prêté , et l'argent étant une véritable marchandise , le
taux de l'intérêt hausse quand il y a plus d'emprunteurs et
moins de préteurs; il baisse, au contraire, quand il y a
plu-s d'argent offert à prêter qu'il n'en est demandé à em-
prunter. Mais abordons carrément la question. Et d'abord
y a-t-il possibilité de réduire à 5 ou 4 pour 100 l'intérêt de
toute somme prêtée? Tous les économistes soutiennent et
démontrent que c'est chose impossible, et voici comment
ils raisonnent. Lorsqu'un capitaliste place momentanément
ses fonds entre les mains d'une autre personne, il faut qu'il
trouve : 1° dédommagement de leur usage, dont il se prive;
2o certitude parfaite de remboursement. A ne considérer
que le dédommagement seul , il est impossible de le fixer
a priori et pour toujours par une loi: il varie suivant le-
temps et les pays : le capitaliste qui trouve un placement
à 7 a certainement le droit d'exiger, en cas de prêt, la
même somme qu'il recevrait en employant ses fonds sous
une autre forme; il est difficile de concevoir quel motif le
déterminerait à subir une perte , dans le dessein d'obliger
un emprunteur que souvent il ne connaît pas. Mainte-
nant, si l'on examine la question de sécurité du capital,
les impossibilités se multiplient. Le prêt est toujours une
opération chanceuse , en ce que sur cent emprunteurs il
n'y en a pas ordinairement dix qui offrent la certitude ab-
solue de remboursement. Aussi qu'ont fait les banquiers?
Contraints par les circonstances, ils ont inventé la commis-
sion, à l'aide de laquelle ils élèvent indéfiniment l'intérêt
sans sortir des termes de la loi. Il serait plus simple de leur
rendre leur liberté et de ne pas les obliger à couvrir d'un
vernis de fausseté une opération parfaitement loyale en
elle-même.
Non-seulement une loi contre l'usure n'est ni possible ni
utile , mais elle ne profite même pas à ceux pour qui elle a
été faite. Les capitalistes qui redoutent un jugement s'étant
retirés , le marché reste entre les mains de ceux qui ne le re-
doutent pas , et pour lesquels l'énormité du gain est un appât
irrosistible. Les gens déjà flétris, ou ceux qui ne craignent
pas de l'être, les arabes, les corsaires, accourent à la
curée; on voit alors ces prêts monstrueux déférés de temps
à autre aux tribunaux; prêts à 200 ou 300 p. 100 pour six
mois. On voit les fournitures de vieux tableaux et de bou-
chons de liège offerts et acceptés comme argent comptant;
on voit des fils de famille qui , par suite de ces marchés , se
trouvent propriétaires d'im chameau , de 500 parapluies et
de 4,000 souricières. Plus la loi est sévère pour les fournis-
seurs d'argent, plus elle en diminue le nombre; plus, par
conséquent , elle fait la partie belle à ceux qui restent. La
concurrence n'existant plus , ils savent qu'on est forcé de
passer à tout prix par leurs mains; l'étendue des sacri-
fices qu'ils exigent n'a donc plus de mesure que leur cupi-
dité. Déplus , l'intérêt illégal ne peut être atteint par la loi
que lorsqu'il est exigé d'une manière directe; mais rien
n'est plus facile que de l'obtenir indirectement. Les règle-
ments dans ce cas sont complètement frappés d'impuis-
.sance. Si l'usure se trouve entravée lorsqu'elle s'exerce au
moyen d'espèces monnayées , elle est complètement libre .si
on lui donne la forme de marchandises. De tout ceci il faut
conclure que toute entreprise tentée dans le dessein de vio-
lenter les prêteurs n'aura jamais d'autre résultat que d'ag-
graver l'usure. Mais est-ce à dire qu'on ne doive rien tenter
pour réprimer l'usure, et qu'il ne faille rien entreprendre
pour détruire ce fléau? Ce serait une triste pensée. L'usure
peut etdoitétre écrasée , mais il faut la tuer par l'art et non
par des arrêts. Mais comment opérer ce miracle ? Par l'éta-
blissement des banques, répondrons-nous. Les banques,
dans notre organisation sociale actuelle , sont les institu-
tions les plus propres à détruire l'usure , car elles provo-
quent directement et amènent forcément la baisse de l'in-
térêt. On évalue aujourd'hui à trois milliards le numéraire
de la France. L'intérêt de ces trois milliards est de 150
millions. La France paye donc annuellement 150 millions
|)our l'intérêt de son numéraire. Supposons que , d'une ma-
nière quelconque, elle puisse faire toutes ses transactions
commerciales avec deux milliards de numéraire; l'intérêt
annuel dont nous venons de parler se trouverait réduit
d'un tiers. Or, les banques sont un moyen de faire cette
économie , et de la faire même plus forte ; ce qui le prouve ,
c'est qu'en Angleterre on est parvenu , avec un numéraire
bien moins considérable que le notre et avec les banques
publiques, à faire un commerce bien plus étendu, bien
plus grand. Cela s'explique : une banque publique émettant
en billets une somme triple de celle qu'elle possède en
numéraire, peut faire et fait réellement avec 100 fr. ce que
les simples particuliers ne peuvent faire qu'avec 300 fr. Il
est à peine nécessaire d'indiquer que , pouvant opérer sur un
capital trois fois plus grand que celui qui provient de leur
fonds social, elles peuvent réaliser et réalisent en escomp-
tant à 4 p. 100 des bénélices que ne peuvent faire de simple
banquiers escomptant à 8 et même à 10 pour 100. De là
on doit conclure que les ban(|ues publiiiues permettent de
faire avec un ca|>ital trois fois plus d'opérations qu'on ne
USURE — UTAH
74'7
potirvait en faire sans elles avec ce même capital , et
que les services qu'elles rendent peuvent coûter et cou-
lent réellement beaucoup moins que ceux que le commerce
peut attendre des simples banquiers ou des capitalistes or-
dinaires. En résumé , le prêt à intérêt est nécessaire , utile,
moral, et aucune loi ne doit et ne peut le régler; pour
combattre TiWMre d'une manière directe et efficace, il faut
établir des banques publir|ues. En Piusse il était tout der-
nièrement question, au ministère de la justice, de la prépa-
ration d'un projet de loi ayant pour objet la révision des
lois relatives au prêt à intérêt et à la contrainte par
corps. Le mot usure serait complètement effacé du Code
Pénal. L'intérêt de l'argent prêté pourrait être de dix pour
cent; ce qui dépasserait ce taux serait considéré comme
escroquerie et puni en conséquence.
USURIER. Cette qualification injurieuse ne se donne
guère qii'iiux [)rêteurs a la petite semaine, à cause du taux
élevé de l'intérêt qu'ils exigent; à quelques petits spécula-
teurs, qui prêtent sur gages aux petits bourgeois et aux
artisans dans la détresse; enfin, à ces liommes infâmes qui
font le métier de fournir, à des intérêts énormes , aux jeunes
gens dérangés de quoi subvenir à leurs folles dépenses. Ce
n'e.st plus que sur ces trois espèces d'usuriers que tombe la
flétrissure attacliée à ce nom , et eux seuls sont encore quel-
quefois les objets de la sévérité des lois anciennes, qui sub-
sistent contre Pusurc. Ue ces trois sortes d'usuriers, il n'y
a cependant que les derniers qui fassent dans la société un
mal réel.
heu préteurs à la petite semaine fournissent aux agents
d'un commerce indispensable les avances dont ceux-ci ne
peuvent se passer; et si ce secours est mis à un prix très-
haut, ce liaut pri\ est la compensation des risques que court
le capital par l'insolvabilité fréquente des emprunteurs, et
de l'avilissement attaché à cette manière de faire valoir son
argent. Les petits marchands qui empruntent ainsi à la pe-
tite semaine sont bien loin de se plaindre des prêteurs dont
ils ont à tout moment besoin, et qui au fond les mettent
en état de gagner leur vie. A ce propos , n'était la loi sur la
diffamation, nous pourrions vous citer un écrivain religieux
et monarchique , aujourd'hui encore parfaitement vivant,
qui sous la Restauration est parvenu à se faire une honnête
indépendance non pas précisément à défendre le trône et
Vautel contr* ces mécréants de libéraux, mais en prêtant de
l'argent aux revendeurs de légumesetdefruitsqui parcourent
la grande ville en traînant leurs marchandises dans de petites
charrettes, et qui souvent ne pourraient par s'approvision-
ner sur le carreau des halles faute d'avoir les dix ou douze
francs nécessaires pour acheter un lot de choux, de romaines
ou de pommes. Pendant plusieurs années l'écrivain dont la
langue nous démange de vous dire le nom eut le courage de
se trouver tous les matins à quatre heures dans une petite
pièce qu'il avait louéeaufond d'une cour dans l'unedes ruelles
qui aboutissaient au marché à la verdure. C'est là que jus-
qu'à six heures du matin il donnait audience à ses clients.
Il ne prêtait jamais plus de 10 francs, mais à la condi-
tion qu'on lui en rendit quinzehuit jours après. Il n'exigeait
d'ailleurs des emprunteurs aucun écrit, aucun billet; il se
contentait de leur simple parole. Seulement, il leur faisait
jurer sur une grande image de Christ appendue à la muraille
de remplir fidèlement leur engagement.
Les prêteurs sur gage à gros intérêts, les seuls qui prê-
tent véritablement au pauvre pour ses besoins journaliers,
ou bien pour le mettre en état de gagner, ne font point le
même mal que ces anciens usuriers qui conduisaient par
degrés à la misère et à l'esclavage les citoyens pauvres aux-
quels ils avaient procuré des secours funestes. Celui qui
emprunte sur gage emprunte sur un effet dont il lui est ab-
solument possible de se passer. S'il n'est pas en état de ren-
dre le capital et les intérêts , le pis qui puisse lui arriver est
de perdre son gage, et il ne sera pas beaucoup plus malheu-
reux qu'il n'était. Sa pauvreté le soustrait à toute autre pour-
suite; ce n'est guère contre le pauvre qui emprunte pour
vivre que la contrainte par corps peut être exercée. La seule
sûreté vraiment .solide contre un tel homme, c'est le gage,
et le pauvre s'estime heureux de trouver un secours pour le
moment, sans autre danger que de perdre ce gage. Aussi le
peuple a-t-il plutôt de la reconnaissance que de la haine pour
ces petits usuriers qui le secourent dans son besoin , quoi-
qu'ils lui vendent bien cher ce secoure.
Les seuls usuriers qui soient vraiment nuisibles à la so-
ciété sont donc ceux qui font métier de prêter aux jeunes
gens dérangés; mais leur crime n'est pas de prêter à un in-
térêt plus fort que le taux légal, car il faut bien que leurs
profits soient proportionnés à leurs risques. Leur véritable
crime est de facihteret d'encourager les désordres de la jeu-
nesse.
UT, note de musique appelée C par les Allemands. C'est
le premier degré de la gamme de Guy d'Arez/o. Il porte
accord parfait majeur, et s'emploie en harmonie comme
premier degré du ton d'ut majeur, ou troisième degré du
relatif mineur de cette même gamme. Dans la solmisation,
on remplace souvent la syllabe ut par cette autre do, comme
plus douce et |)lus sonore (voije:> Notation).
diarles Bechem.
UTAH ou YUTAH, dans la langue sainte des Mor-
mons Deseret , c'esl-h-dire mouche à miel, l'un des Ter-
ritoires organisés de l'Union Américaine, formé de la partie
nord-est du territoire de la haute Californie, ou ce qu'on ap-
pelait le pays des Indiens libres cédé par le Mexique en
18^8, et admis dans l'Union par un acte du congrès en date
du 13 août 1850. Il est borné à l'est par les Rocluj Moun-
tains (Montagnes Rocheuses) de l'Orégon, à l'ouest et au
sud-ouest par la .Sierra iVe^orfa de Californie, au sml, sous le
37° de latitude septentrionale, par une chaîne de montagnes
encore inconnues du nouveau Mexique. Ce pays forme un
plateau de premier ordre, tout entouré et traversf' aussi par
des montagnes, et occupe une superficie de 5,210 myriam.
carrés. A l'ouest du groupe des Windriver-Mountains ,
masse rocheuse, se détache un embranchement appelé mont
Timpanoge, qui s'étend le long de la rive occidentale du
Green-River, ou source septentrionale du Rio Colorado,
au sud de l'Orégon jusqu'à Utali, où il traverse le territoire
d'abord dans la même direction, puis dans celle du sud-sud-
ouest sous le nom de mont Wahsaich, vraisemblablement
jusqu'à la frontière méridionale, peu élevé au-dessus de sa
base, dont la hauteur varie d'ailleurs entre 1,600 et 2,200
mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Cette chaîne divise
Utah en deux parties bien distinctes : La partie orientale,
qui est la moindre, comprend le bassin du Green-River et
du Rio Grande, qui .se réunissent ici pour former le Rio
Colorado, plateau qui, d'une hauteur moyenne de 1,900
mètres, s'abaisse peu à peu au sud, vraisemblablement par
degrés , en plaines bas.ses , et qui parait ouvert dans cette
direction. La partie occidentale forme un vaste bassin en-
touré de tous les côtés par des montagnes, et auquel Fre-
mont donne le nom de grand bassin du lac Salé. C'est l'un
des plus immenses plateaux delà terre, mais ayant plutôt le
caractère asiatique que le caractère américain. Sa hauteur
moyenne au-dessus du niveau de la mer est de 1,250 à 1,560
mètres; il possède son propre système de lacs el de rivières,
sans aucune communication avec l'Océan. Aride, stérile et
presque inhabité dans sa plus grande partie, il présente en gé-
néral le caractère du désert ; toutefois , il ne manque pas
non plus d'oasis fertiles. Sur le revers oriental du grand bas-
sin du désert, au pied du mont Wahsatch, se trouve le
Great Salt-Lake ou grand lac Salé , découvert dès l'année
1770 par le P. Escalante, qui lui donna le nom de Laguna
Tempanogo , mais qui n'est bien connu que depuis une
quinzaine d'années. C'est le lac le plus considérable du pays.
Il est situé a 1,313 mètres au-dessus du niveau de la mer, a
11 myriamètres de long sur 8 de large, des côtes très-irré-
gulières, mesurant 44 myriamètres, non compris les sinuo-
sités, et renferme un grand nombre d'îles. Ses eaux ne c«n
tiennent pas de poissons ni aucune trace de vie animale à
748
cause de la forte quantité de sel dont elles sont imprégnées.
Par un canal de 5 myriamètres de long, le Jourdain, il re-
çoit au sud les eaux du lac dWtah ou Yuta/i, situé à 31
mètres pins haut, long de 4 myriamètres, avec un circuit de
12 myriamètres, et alimenté par de nombreux torrents de
montagnes, qui tous y amènent des eaux douces; aussi ce
lacabonde-t-ilen truites saumonées, qui constituent la prin-
cipale nourriture des Indiens. Ces deux lacs reçoivent les
eaux d'un territoire de 157 à igOmyriam. carrés, et offrent
à l'est, à la base du mont Wahsatch, une étroite ceinture
de terrain d'alliivion couvert de forêts, de riches prairies et
de cours d'eau sur une étendue de 21 myriamètres du nord
au sud. C'est dans ce pays, où le Jourdain forme une voie
de communication par eau, dans ce qu'on appelle la vallée
des Mormons, que les Mormons se sont établis depuis 1 847 ;
et ils y ont trouvé assez de terres arables pour y fonder un
grand établissement, qui par sa situation comme station in-
termédiaire entre la vallée du Mississipi et l'océan l*aci-
lique, comme étape de repos et de rafraîchissement sur la
ligne de communication avec la Californie et l'Orégon , doit
prendre avant peu une grande importance. Au sud des lacs
que nous venons de nommer, il s'en trouve encore divers
autres , tels que le Nicollet et le Seviers, avec leurs affluents
portant le même nom. On rencontre également sur le revers
occitlental du grand bassin une suite de lacs, parmi lesquels
le lac des Pyramides , de cinq myriamètres de long , entouré
par les montagnes de la Sierra-Nevada , d'une profondeur et
d'une clarté remarquables, est d'une richesse extrême en
truites saumonées d'une taille extraordinaire. Le cours d'eau
le plus important du bassin est le Humboldt- River (appelé
auparavant Ogdcns ou Mary-River). Il prend sa source
dans les Humboldt- River Mounlai7is, s'ûuées à l'oufst du
grand lac Salé et remarquables par la beauté de formes de
leurs contours, par leur sommet, toujours cou vert de neige, par
leurs versants et leurs vallées riches en forêts, en sources et
en prairies ; traverse , comme un étroit chenal surun sol d'allu-
vion , toute la plaine déserte environnante, n'a pas d'affluents
et aboutit au marécageux lac de Humboldt. Le Humboldl-
i?(Derestla route naturelle que doivent suivre tous ceux qui
du grand lac Salé veulent aller en Californie. Ces montagnes,
qui s'échelonnentdans des plaines nues et désertes jusqu'au
voisinage des neiges éternelles, portent des pins , des cèdres ,
des peupliers et d'autres espèces d'arbres, mais très-clair-
semés, présentent un grand nombre d'endroits riches en
herbages, mais sont peu giboyeuses. Le sol le plus fertile
se trouve dans les terrains d'alluvion situés au pied dei'
montagnes. Beaucoup de vallées en sont douées égalemenv',
mais d'autres sont complètement stériles. Les céréales, même
le froment et le mais, y réussissent parfaitement; et il en
est de même du gros bétail et des moutons. Dans les plaines
on rencontre des lièvres et des antilopes, et dans les mon-
tagnes des ours, le cerf à queue noire, le mouton de mon-
tagne. Il s'y trouve aussi en quantité des blaireaux , des be-
lettes, <les rats musqués, des oiseaux nageurs, des poissons
dans toutes les eaux non salées, ainsi qu'une foule de rep-
tiles tout particuliers , de sauterelles pernicieuses , etc. Les
sources d'eaux sulfureuses, salines, etc., chaudes et froides,
sont extrêmement abondantes. Le climat n'est point aussi
froid que l'élévation et la surface montagneuse du sol per-
mettraient de le supposer : il est sain et exempt de fièvres.
Les Indiens- Utah, appelés aussi en anglais Eutaws ou
Yiitahs, peuple nomade extrêmement dispersé et demeuré
au dernier échelon de la civilisation , forment la population
aborigène. Ce n'est pas seulement la population indienne qui
est très-clair-semée; il en est de même du reste de la popu-
lation, de celle des Mormons, qui d'ailleurs .s'accroît rapi-
dement. En 1850 le nombre des Mormons n'était que de
11,380; en 1851 il était de ;'.0,000;en 1852 il atteignait déjà,
dit-on, le chiffre de plus de 40,000 individus, répartis entre
2,^2?. habitations. A la tête de l'adminislration communale
est placé un gouverneur, élu pour quatre ans et recevant un
traitement de 2,500 dollars, dont 1,000 à titre de surin-
UTAH — UTÉRUS
tendant des affaires indiennes. Le corps législatif se com-
pose de deux chambres: celle des sénateurs, au nombre de
treize et élus pour deux ans, et celle des représentants, au
iv&nnbrede vingl-six et élus tous les ans. Le congrès de l'Union
s'est réservé le droit de déposer le gouverneur, et aussi
celui de casser au besoin tous les actes de la législature. Au
congrès, Utah, comme Territoire organisé, est représenté à
la chambre des représentants par un député. Les citoyens
les plus âgés exercent une autorité très-sévère. L'autorité ne
se guide pas d'après les prescriptions de la loi , mais d'après
des révélations divines. Toutefois, en 1853 le gouverne-
ment de l'Union a envoyé à Utah un grand-juge chargé de
mettre de l'ordre dans l'administration de la justice. L'es-
clavage est interdit par la constitution. On a construit des
routes et des ponts, et on a le projet de créer toute une
ligne d'établissements jusqu'aux frontières de la Californie,
afin de s'assurer ainsi une grande route vers la mer.
Le chef-lieu, Great Salt-Lake-City, appelé aussi Mor-
mon-City , Fort-Mormon , la Nouvelle- Jérusalem, la
Nouvelle-Sion et Deseret, dans la Vallée des Mormons,
sur la rive droite du Jourdain, à 15 kilomètres au-dessus
de son embouchure dans le lac Salé, fondé en 1847, est ré-
gulièrement et bien construit, compte déjà plus de 10,000 ha-
bitants, et contient entre autres le temple, l'hôtel de ville,
plusieurs écoles, le magasin des dîmes, la salle scientifique
des Septante, une fabrique de porcelaine, une fabrique de
lainages, plusieurs forges de fer, un atelier de monnayage,
une imprimerie, des brasseries; et aux environs existent
des eaux sulfureuses chaudes très-salutaires. Les autres lo-
calités remarquables sont : Fillmore-City, où a été trans-
féré le gouvernement, qui jusque alors avait siégé à Mormon-
City, et où on a construit un Capitole ; Broivnsville, dans
la même vallée, à 5G kilomètres au nord ; Utah , à 84 kilo-
mètres au sud, et l'établissement situé encore plus au sud
dans la vallée de San-Pa^e. Consultez Frémont, Géographie
cal Meinoir npon flpper-CaZJ/b?-nm ( Washington, 1848);
UTÉRllV, UTÉRINE, frères et sœurs nés de même
mère , mais non de même père. Ce terme s'emploie surtout
en jurisprudence : Lesutérins et les consanguins.
UTÉRINES (Pertes). Foye; Aménorrhée, Hémorra-
gie UTÉRINE et Leucorrhée.
UTÉ RUS, un des organes principaux de l'appareil sexuel
dans les mammifères. Hippocrate a dit, et une foule d'au-
teurs ont répété : Mulier tota propter titerum est id qnod
est. Cet axiome du père de la médecine a soulevé de longues
discussions parmi les pbysiologisles et les médecins, dont
les uns admettent que dans toutes les périodes de la vie
l'économie de la femme est sous l'influence de cet organe,
tandis que d'autres en limitent les attributions aux fonctions
de la maternité. Sans se prononcer exclusivement pour l'un
ou l'autre de ces systèmes, on est obligé d'admettre que
l'utérus est le siège et la source d'une infinité d'impressions
physiologiques et morbides, qui impriment à la constitu-
tion, aux habitudes et aux maladies de la femme, des ca-
ractères que jamais le praticien ne doit perdre de vue.
Existant en quelque sorte à l'état rudimenlaire, plongé
dans ime espèce de sommeil durant l'enfance de la femme,
cet organe ne manifeste guère son influence directe sur la
santé qu'à l'époque de la puberté. Alors il devient le siège
d'une fluxion sanguine, dont l'apparition périodique cons-
titue la menstruation. Celle révolution dans l'économie
est parfois accompagnée d'accidents plus ou moins graves,
connus sous le nom d'aménorrhée, lorsque l'écoulement
sanguin ne s'effectue |)as , de dysménorrhée lorsqu'il est
(iiflicile ou peu abondant. Chez certaines femmes, chaque
période est accompagnée d'accidents douloureux appelés
coliques utérines. Aux difficultés de la menstruation on a
rattaché la cause d'une maladie commune chez les jeunes
filles, et qui a reçu le nom de chlorose ou pâlescou-
Icurs. Il faut distinguer l'aménorrhée de la suppression
men.struelle, qui résulte de l'interruption de l'écoulement
pendant son cours. Lorsque la perte sanguine est excès-
UTÉRUS — UTILITÉS
sive ou trop prolongée , elle constitue la mémrrhagie.
11 est «ne affection bizarre, douloureuse, effrayante dans
ses manifestations, qui peut tourmenter la femme à diverses
époques de sa vie, et dont on a placé le point de départ dans
l'utérus, ce qui lui a fait donner le nom d'hystérie.
Mais c'est surtout comme organe de reproduction que
l'utérus réclame l'attention du praticien : c'est aux modi-
fications dont il est le sitge qu'il faut rapporter les phéno-
mènes généraux et locaux de la grossesse et une grande
partie des accidents qui peuvent accompagner, entraver
la gestation et produire i'avortement. Dans l'acte de
['accouchement ou de làparturition, l'utérus peut être af-
fecté d'inertie, de renversement, de rupture, etc. C'est ici
le lieu de parler de Vhémorrhagie utérine, qui peut avoir
lieu à toutes les périodes de la vie, avant et après, comme
pendant la menstruation, mais surtout pendant et après l'ac-
couchement, etde Vinjlammation utérine, ou métrite, qui
peut aussi se manisfester à toutes lesépoquesdela vie,mais
qui est surtout imminente et grave après la parturition. La
phlébite utérine ou inflammation des veines de l'utérus est
une forme de ce redoutable accident, lequel constitue fré-
quemment le danger de la fièvre puerpérale.
A toutes les époques de la vie, cet organe peut devenir le
siège d'un écoulement habituel de mucus, qui fait fe déses-
poir des femmes et des médecins, sous le nom ilùjlucurs
blanches. Comme phénomène concomitant, et peut-être
comme cause, les flueurs blanches ont des relations assez
étroites avec quelques-unes des maladies précédentes et avec
les suivantes : tels sont V engorgement, ? hypertrophie du
col et du corps de la matrice, les ulcères du museau de
tanche, les végétations granulées ou fongueuses de la même
partie, \es polypes, les corps fibreux de l'utérus, et enfin
le cancer, cette terrible et incurable maladie, quijnoissonne
tant de malheureuses à un âge plus ou moins avancé. Comme
organe complexe dans la structure, l'utérus est sujet à toutes
les dégénérations qui peuvent afiecter les tissus analogues.
Ajoutons qu'il est sujet à des déplacements en hà?, {chute
ou prolapsus), à des inclinaisons eu SiVSint {antéversicn},
en arrière (rétroversion), etc. ïf Fokget.
UTÉRUS (Chute de l'). Foyes Chute, tome V, p. 584.
UTICA, ville de l'État de ?<cvv-York (Amériquedu Nord),
chef-lieu du comté d'Oneida, à 14 myriamètrcs au nord-
ouest d'Alhany, est bâtie dans une plaine aussi belle que
fertile et bien cultivée, sur le Moliawk, le canal Érié et le
canal Chenango, voies de cominnnication par eau qui,
jointes aux voies ferrées qui la relient au lac Érié, à New-
York, à Boston, etc., favorisent extrêmement son commerce .
En 1794 ce n'était encore qu'un village, qui avait remplacé
l'ancien fort Shayler. En 1820 on y complaît 2,912 habitants,
et en 1830 elle obtint les droits de cité. En 1850 le chiffre de
sa population était déjà de 17,563 habitants, avec dix-huit
églises, un collège et deux bibliothèques publiques. Au voi-
sinage se trouve l'hospice d'aliénés de l'État de New-York.
UTILITAIRES. Voyez Communisme et Utilitarisme.
UTILITARISME ou SYSTÈME DE L'UTILITÉ. C'est
le nom qu'on donne à lathéorie morale et politique qui prend
pour base le principe de l'utilité générale du plus grand
nombre possible, en d'autres termes la maxime qu'il faut ré-
pandre la plus grande somme de bonheur possible parmi
le plus grand nombre d'hommes possible. Son fondateur,
Jérémie Bentham, avait surtout en vue de substituer au
droit abstrait un droit composé d'humanité et d'équité, et
d'exposer des principes d'après lesquels toutes les lois pro-
venant soit de l'antique tradition, soit de l'application de
certains principes de droit, et qui avec la suite des temps
ont perdu leur caractère bienfaisant à l'origine pour se
transformer en fléaux , pourraient être supprimées sans dan-
gers ui inconvénients. Le principe de l'avantage commun,
d'après lequel les lois, au lieu d'être des fléaux, doivent être
d&s bienfaits pour toute une nation de même que pour les
individus en particulier, n'a rien de nouveau. Frédéric le
Grand l'avait déjà proclamé dans ses principes de politique.
749
Ce qu'il y a de nouveau dans la théorie de Benll'.am,
c'est l'application rigoureuse et poussée jusqu'à ses plus
extrêmes conséquences qu'il prétend eu faire , non-seule-
ment dans les moindres détails de toute la législation et
de toute l'administration, mais encore à la conduite pri-
vée des individus; de telle sorte que chez lui ce principe po-
litique devient en même temps un principe moral. La théorie
de Bentham a appelé les méditations des penseurs sur des
points de législation d'une extrême importance et jusque
alors négliges à peu près complètement. Mais dans le do-
maine de la morale elle est défectueuse, et contraint sou-
vent de recourir à l'emploi de la violence. Peu de temps
après la révolution de Juillet , les communistes français ac-
commodèrent la théorie de Bentham à leur façon ; et il en
naquit une secte dite des utilitaires, qui publia pendant
quelque temps lui journal intitulé L'Utilitaire.
UTILITE [Économie politique). C'est la faculté qu'ont
les choses de pouvoir servir à l'homme, de quelque manière
que ce soit. La chose la plus inutile et même la plus incom-
mode, comme un manteau de cour, a ce qu'on appelle ici
son utilité, si l'usage dont elle est, quel qu'il soit, sufltt
pour qu'on y attache un prix. Ce prix est la mesure de l'u-
tilité qu'elle a, au jugement des hommes, de la satisfac-
tion qu'ils retirent de sa consommation ; car ils ne cher-
cheraient pas à consommer cette utilité si pour le prix dont
elle est ils pouvaient acquérir une utilité qui leur procurât
plus de satisfaction. L'utilité ainsi entendue est le fonde-
ment de la demande qui est faite des produits, et par
conséquent de leur valeur. Mais cette valeur ne monte pas
au-delà des frais de production ; car au delà de ce taux
il convient à celui qui a besoin d'un produit de le faire, ou
plutôt il n'est jamais réduit à la nécessité de le créer lui-
même , car à ce taux il convient à \o\xi entrepreneur de se
charger de ce soin.
Il y a une utilité médiate et une utilité immédiate.
Celle-ci est celle dont on peut user immédiatement, comme
celie de tous les objets de consommation. L'utilité médiate
est celle des objets qui ont une valeur comme moyen de
procurer un objet d'usage immédiat ; telle est celle d'une
somme d'argent , d'un contrat de rente, d'un effet de com-
merce, d'un fonds productif susceptible de pouvoir être aliéné.
J.-B. S,\Y.
UTILITÉS ( Théâtre ). On appelle ainsi les humbles cl
modestes acteurs dont l'emploi consiste à jouer les bouts de
rôle dédaignés même par les doublures. Dans l'ancien n-
perfoire, on les voyait au dénouaient endosser la robe de
l'indispensable notaire, et présenter la plume pour signer le
contrat dressé dans la forme ordinaire, ou, sous un ha-
bit de livrée , débiter la phrase classique :
C'est une lettre,
Monsieur, qu'entre vos mains on ra'a dit de remettre.
Quelquefois, aujourd'hui surtout, où l'un des moyens ds
nos auteurs , pour donner du mouvement au drame, est
d'en multiplier les personnages, le rôle des utilités prend
un peu plus d'importance. Quelques personnages de pères ,
de créanciers, d'intendants, etc., entrent dans leur domaine.
Ces pauvres utilités sont en effet Uès-utiles ; mais on leur en
sait fort peu de gré, pour prouver sans doute par un exemple
de plus qu'ici-bas l'utile est toujours sacrifié à Tagréaft/e. Il
est une de ces utilités qui , mettant l'amour-propre de côté,
meuble sa mémoire de tous les rôles d'une pièce , afin de
suppléer tel ou tel acteur dans un cas de maladie imprévue
ou de tout autre empêchement. La petite gratification qui lui
est allouée en pareil cas lui parait une suffisante compensa-
tion des murmures , ou pis encore, avec lesquels cette sub-
stitution est presque toujours accueillie.
Du reste, les utilités se consolent de leur modeste posi-
tion en portant leurs regards non au-dessus, mais au-des-
sous d'elles, suivant la maxime du Sage. Si les doubles et
même les triples les regardent du haut de leur supériorité,
à leur tour elles peuvent considérer comme leurs inférieur»
(50
UTILITES — UTRECHT
dans les théâtres lyriques les choristes, dans les autres les
comparses. Ourry.
UTI POSSIDETIS, formule du langage usité par la
diplomatie dans ses protocoles , et empruntée à un des ar-
ticles de la paix de B r ed a. Elle signifie au propre en l'état
où vous possédez, ou tel quel.
UTIQUE, ville fondée par les Phéniciens, sur la côte
septentrionale de l'Afrique, à l'ouest de Carthage, dans
la contrée qu'on ap\)e\a\t ZeiigUane. Agathoclès prit
d'assaut Ulique, qui s'était soustraite à son autorité; mais
elle ne tarda pas à fleurir de nouveau , et elle était l'alliée
de la puissante Carthage. Scipion l'Africain l'ancien l'as-
siégea inutilement. Dans le cours de la troisième guerre pu-
nique elle embrassa le parti des Romains, et après la chute
de Carthage elle devint la capitale et la ville commerciale la
plus importante de la province d'Afrique. A l'époque de la
guerre civile, Caton l'occupa pour le parti de Pompée;
et c'est à cette circonstance qu'il doit ce surnom d'Uticen-
sis, d'Utique, qu'on joint toujours à son nom. Quand, à la
nouvelle de la victoire remportée à Thapsus par César, Ca-
ton eut attenté à ses jours , la ville se hâta de se soumettre
au vainqueur, qui d'ailleurs n'abusa point de sa victoire. Sous
Auguste, elle obtint le droit de cité. On considère les ruines
d'une grande ville située à l'ouest du Mejerdah (le Bagrada
des anciens), au sud de Porto-Fariiia , dans le pays de
Tunis , comme étant celles de l'ancienne Utique.
UTOPIE (du grec eu, bien, et tûtio;, lieu), l'art de
rendre un pays heureux. Par utopie on entend communé-
ment l'un de ces plans créés par l'imagination d'un poète
philosophe pour enseigner aux peuples les institutions les
plus propres à fonder leur bonheur. Ainsi la Cyropédie de
Xéuophon, la République de Platon, sont regardées comme
des utopies. Le chancelier Thomas M or us a donné ce titre
à sa Théorie descriptive d'une législation et d'un gou-
vernement modèles. V Argents àe. 13arclay, YOceana d'Har-
ringtoii , VHistoire des Sévarambes , le tableau des mœurs
de la Bétique et du gouvernement de Salente dans Télé-
maque , de la félicité pastorale dans VArcadie de Bernar-
din de Saint-Pierre, d'une politique appuyée sur la morale,
dans les En/retiens de Piiocion , de Mably, appartiennent
à celle catégorie. VAstrée même, et jusqu'à Y Héloïse et à
l'£^»i;/e, qu'est-ce autre chose que des utopies sur l'amour,
sur l'ordre et le bonheur dans la famille, et sur l'éducation.'
UTR.\QUISTES. Voye-^ Calixtins.
UTRECHT, chef-lieu de la province du môme nom
(Pays-Bas), qui, sur une superlicie d'environ 14 myria-
mètres carrés , comptait en 1853 une population de 165,324
habitants. Celte ville, située dans une contrée agréable, sur
le vieux Rhin, ne compte pas moins de 50,000 habitants,
dont 20,000 catholiques. On y voit queb^ues édifices re-
marquables , entre autres une magnifique caserne d'infan-
terie , et beaucoup d'églises , entre lesquelles il faut sur-
tout mentionner la cathédrale. La population , très-indus-
trieuse , entretient un grand nombre de fabriques de drap et
d'étoffes de laine de tous genres , d'épingles , de cire à ca-
cheter, etc. On y trouve aussi des raffineries de sucre, des
blanchisseries de toile et des raffineries de sel. Utrecht
est le siège d'un évéché et d'une université. Elle possède en
outre un collège, une école des arts et métiers, et diverses
sociétés savantes. L'université fut fondée en 1636, par les
étals de la province. En 1854 on y comptait 500 étudiants.
L'eau d 'Utrecht se transporte par navires à Amsterdam.
Utrecht est sans contredit la plus ancienne ville batave
(Trajectum in/erijw); les Romains lui donnèrent le nom
de Trajectum ad Rhenum , c'est-à-dire passage du Rhin,
et plus tard celui d'Ultrajectum. Au moyen âge les arche-
vêques d'Utrecht étaient des prélats puissants, et jouissaient
d'une grande autorité. Plus tard la ville fit partie de la
Lorraine, puis de l'Empire d'Allemagne; et plusieurs em-
pereurs y résidèrent. C'est dans cette ville que fut signée, le
23 janvier 1579, l'union célèbre {voyez l'article ci-après)
qui fonda l'indépendance des Pays-Bas. Les états généraux
y tinrent aussi leurs assemblées jusqu'en 1583, époque où ils
furent transférés à La Haye.
UTRECHT (Union d'). Don Juan avait cessé de vivre.
Son autorité était passée à Alexandre Farnèse , aussi grand
général que lui, mais plus habile politique. Le duc d'Anjou
et le prince Casimir, ces deux ambitieux aussi dénués de
talents que de ressources , cessaient de rançonner les Pays-
Bas; mais un fléau plus dangereux que des bandes indisci-
plinées les menaçait d'une ruine prochaine. La division s'é-
tait mise dans le parti insurrectionnel, et le prince de Parme
était trop adroit pour n'en point profiter. Ce fut alors que
Guillaume d'Orange sentit la nécessité de rallier les
siens par une confédération plus solide et plus durable que
la pacification de Gand , si souvent violée, et qu'il conçut
Vunion d'Utrecht. Toutefois, pour parvenir à ce résultat
il fut obligé de recourir d'abord à cette dissimulation pro-
fonde et agissante dont il semble avoir légué l'exemple à ses
descendants , et se cacha derrière son frère le comte Jean
de Nassau, gouverneur de la Gtieldre. L'union fut proposée
dans une assemblée des états de Hollande, tenue à Gorcum
au mois de novembre 1578. On se sépara sans rien conclure.
Cependant, les articles de Vnninn furent arrêtés le 6 décembre
suivant, et ratifiés vers les derniers jours de janvier 1579.
Par cet acte solennel, les provinces de Gueldre, de Zut-
phen, de Hollande, Zélande, Frise, Utrecht et des Omme-
landres forment une alliance et une ligue perpétuelle offen-
sive et défensive, ou plutôt un seul État fédératif. C'est cette
transaction que les Provinces-Unies regardaient avec raison
comme le titre constitutif de leur liberté politique , civile et
religieuse, et dont les principes furent encore invoqués par
les rédacteurs de la loi fondamentale du royaume des Pays-
Bas , loi qui n'en régit plus que la moindre moitié.
De Reiffenberg.
UTRECHT (Congrès et paix ou trailé d' ). Cette paix , si-
gnée le 11' avril 1713, mit fin à la guerre de succession
d'Espagne, dans laquelle les puissances belligérantes étaient
d'une part Louis XIV, et de l'autre l'Empire d'Allemagne
et l'Angleterre. Elle fait époque dans l'histoire de l'équi-
libre européen, parce que ce fut elle qui plaça l'Angleterre
au premier rang des grandes puissances*
La guerre de succession avait été conduite avec une
alternative de revers et de succès pour chacune des puis-
sances, et le roi d'Espagne Charles IV venait d'être ap-
pelé à ceindre la couronne impériale. Le cabinet de Saint-
James comprit que dans la résurrection de l'empire de
Charles Quint il y avait plus de dangers pour l'équilibre
européen qu'à laisser un prince de la maison de Bourbon
trôner à Madrid. Il se montra dès lors disposé à rouvrir les
négociations de paix déjà entamées inutilement à diverses
reprises. Tal lard, prisonnier de guerre en Angleterre, eut
mission de faire les premières ouverturesàBolingbroke.
Au mois d'octobre 1711 on était déjà d'accord sur les
bases principales du traité à conclure, et on les signacomme
préliminaires. La reine Anne , obligée par ses traités à ne
négocier que de concert avec ses alliés, les instruisit immé-
diatement de ce qui était sur le tapis. L'empereur ne trou-
vant pas à sa convenance les articles du projet persistaà vou-
loir que la guerre continuât. Mais l'Angleterre déclara qu'elle
conclurait sa paix particuHère si ses alliés refusaient de se
réunir en congrès. Utrecht fut en conséquence désignée
comme la ville où il aurait lieu, et l'ouverture en fut fixée
au 12 janvier 1712. Les négociateurs les plus distingués qui
y prirent part furent le maréchal d'Uxelles et l'abbé de
Polignac pour la France, l'évêque de Bristol pour l'Angle-
terre, le comte de Sinzendorf pour l'empereur, etc., etc.
La France offrait de reconnaître la dynastie de la maison
de Hanovre, de raser les fortifications de Dunkerque, ôe
céder à l'Angleterre les îles de Saint-Christophe, Terre-Neuve
et la baie d'Hudson, sous la rései-ve du droit d'y faire la
pêche de la morue, d'abandonner aux États généraux Ypres,
Knocke, etc., etc., et de conclure avec eux un traité de
commerce sur des bases avantageuses. En échange de ces
UTRECHT — UZÊS
:d
concessions, elle demandait aux alliés la restitution de Douai,
de Bouchain, etc.,s'engageantà obtenir de l'Espagne qu'elle
renonçât à ses possessions en Italie, moyennant la renon-
ciation expresse de la maison de Habsbourg à toutes pré-
tentions sur l'Espagne. Du coté du Rbin, la démarcation
des fronlières devait rester telle qu'elle élaitavant la guerre.
Les électeurs de Cologne et de Bavière devaient être réta-
blis en possession de tous leurs droits; moyennant quoi
la France offrait encore de reconnaître l'électeur de Brande-
bourg comme roi de Prusse et de consentir à ce que ja-
mais les couronnes de France et d'Espagne ne pussent être
réunies sur la même tête. Au nom de l'Empire , l'empereur
exigeait que la France restituât tout ce qu'elle avait suc-
cessivement acquis par les traités de paix de Munster, de
Nimègue et de Ryswijk, de même que les différentes places
fortes dont elle s'était emparée, tant en Espagne qu'en Ita-
lie et dans les Pays-Bas ; enfin, il persistait à vouloir que le
trône d'Espagne fût adjugé à la maison de Habsbourg. L'An-
gleterre demandait la reconnaissance du droit de succession
dans la ligne protestante, l'expulsion du sol français du
prétendant Jacques III, la cession des îles Saint-Cbristo-
plie, etc., la conclusion d'un traité de commerce et une juste
indemnité pour les coalisés.
Les premiers pourparlers n'eurent aucun résultat, et les
négociateurs français trouvèrent même bientôt moyen de les
interrompre, afin de pouvoir de la sorte amener l'Angle-
terre à conclure sa paix à part. Par là on espérait obtenir
des autres coalisés des conditions plus modérées, soit par
la voie des négociations, soit par la fortune des armes. Ef-
fectivement, des négociations se continuèrent dans le plus
grand secret avec l'Angleterre et furent couronnées de suc-
cès. Dès le 19 août les deux puissances étaient respective-
jiient d'accord sur les bases principalesdu traité à interve-
nir. Les États généraux, le Portugal, la Prusse, la Savoie à
laquelle on adjugea la Sicile, et d'autres puissances encore,
accédèrent à ces négociations , de sorte que le 11 avril 1713
la France put signer à Utrecht neuf traités de paix parti-
culiers. Aux termes de son traité, l'Angleterre obtint de la
France tout ce qui a été mentionné ci-dessus, l'Espagne lui
lit en outre cession de Gibraltar et de Minorque en même
temps qu'elle lui concédait le droit de faire le commerce
des nègres avec ses colonies de l'Amérique du Sud et des
lies. Le traité d'Utreciit donna l'empire des mers à l'An-
gleterre. A cet égard le traité de conunorce et de naviga-
tion qu'elle signa le même jour est demeuré un monument
liistorique des plus remarquables; et, cent ans plus tard,
Napoléon ne crut pouvoir mieux faire que d'en invoquer les
principes contre l'Angleterre elle-même. La conclusion du
traité d'Utrecbt apprit à l'Angleterre quelle inlluence pré-
pondérante elle pouvait désormais exercer sur les puis-
sances du continent, et que du moment où elle les aban-
donnait à elles-mêmes toutes étaient obligées de se prêter
à entrer en négociations. Les fortifications de Dunkerque,
pendant si longtemps objet d'effroi pour ses populations,
furent détruites. Enfin, outre la baied'Hudson, l'Angleterre
acquérait une prépondérance décisive dans les Indes occi-
dentales et Gibraltar, cette clef de la Méditerranée.
L'empereur et l'Empire ne liient [»as leur paix à Utrecbt;
ils n'entrèrent dans le concert européen qu'en 1714, à Ras-
tadt et à Baden. Le traité conclu plus tard à Vienne, en
1725, opéra une complète réconciliation entre l'Espagne et
l'Autricbe. Consultez Malion, History of the War qf Suc-
cession in Spain ( Londres, 1832 ).
UTRICULE et UTRICULAIRE (du Ulin utriculus,
diminutif à'uler, outre ). On désigne par le mot utricule
le renflement du labyrinthe membraneux de l'oreille , qui
dans les poissons renferme les concrétions calcaires con-
nues sous les noms de pierres auditives ou à'otolUhes.
f.ft l>olanique, M^ricwie (petite outre) est synonyme de
cellule; et l'on désigne sous ce nom les organes élémen-
taires qui sont des sacs ou cavités à parois propres, qu'il
ne faut pas confondre avec les cavités ou espaces interutri-
culaires.
Les sacs ou cavités utriculaires ont une forme ar-
rondie ou polyédrique. Sous celte forme primordiale, qui
persiste ou se modifie plus tard, le nom A'uthcule ou de
cellule leur est légitimement dû ; mais lorsque les formes
de ces sacs s'allongent de plus en plus , on les appelle
closlres, fibres el vaisseaux. L. Laduent.
UTZSCHNEIDER (Jean d'), financier et industriel
distingué, né eu 1763, à Riedelu (.haute Bavière), entra dans
l'administration bavaroise dès 1784. En 1799 il fut appelé à
occuper une position supérieure au ministère des finances ;
mais ses projets de réforme et d'économie déplurent en haut
lieu, et il perdit sa place en 1804. il fonda alors une grande
tannerie à Munich, puis, en société avec Reichenbach, l'ins-
titut de Mécanique, qui tira \^ Jlmt-glass dont il avait be-
soin de la verrerie de Benediclbeurn, autre usine également
créée par lui. Cet Institut de Mécanique, pour lequel il s'as-
socia en 1809 avecFrauenhcefer,devintensuite V Institut
Optique, qui approvisionna presque toute l'Europe d'instru-
ments astronomiques. Dès 1807 il rentra dans l'administra-
tion, en qualité de directeur général des Salines. En 1811
il fut appelé à diriger la caisse d'amortissement; mais cette
institidion n'ayant pas donné les résultats espérés, il se
dénnt de nouveau de toutes ses fonctions publiques, et fonda
une giande brasserie ainsi qu'une manufacture de drap. Élu
premier bourgmestre de Munich après l'introduction du
gouveinement constitutionnel en Bavière , il fut bientôt après
député de la ville de Munich à la diète. Reconnaissant l'in-
compatibilité de ces deux fonctions , il se démit de celle de
bourgmestre, et s'occupa de nouveau d'affaires d'industrie.
En 1827 il fut appelé à diriger l'école polytechnique centrale
de Munich ; et devenu acquéreur en 1829 du domaine d'Er-
ching près de Munich , il s'y livra à une suite d'intéres-
santes expériences agricoles. Il mourut en 1840.
UZERCHE. Voyez Couri^ize.
UZES. Voyez Cumans.
UZÈS ( Famille d'). Voyez Crussol. Les ducs d'Uzès
siégeaient au parlement immédiatement après les princes du
sang et les pairs ecclésiastiques , mais avant l'archevêque
de Paris, qui , par une singularité remarquable, était admis
comme rfi<cf/e Saint-Cloud [>&xm\ les pairs laïques. L'érec-
tion en duché-pairie d'une terre que cette famille possédait
à Uzès dans le bas Languedoc ne remonte cependant qu'à
1572. C'est l'année même où le parlement donna une sorte
d'approbation aux massacres de la Saint- Barthélémy. L'ins-
titution des ducs de La T rémoille datait .seulement de
1599; la création du duché deSully est de 1606, et celle
du duché de Brissac de 1620.
Lorsque Louis XVIII réorganisa la pairie en 1814 , les an-
ciens ducs et pairs conservèrent le rang que leur donnait
l'institution première. Le duc d'Uzès figura en tête , et ce
fut en cette qualité qu'aux hmérailles de Louis XVIIl il fut
chargé d'une partie importante dans les cérémonies. Tandis
que les ducs de Brissac et de La Trémoille portaient, l'un la
couronne, l'autre le sceptre , le duc d'Uzès, reiuplissantea
l'absence du duc de Bourbon les fonctions de grand-maître
de la maison du roi, prononçait sur le seuil du caveau ces
paroles sacramentelles : « Le roi est mort ! Vive le roi ! »
La duchesse douairière d'Uzès , morte il y a une vingtaine
d'années seulement , avait fondé, dans son superbe hôtel de
la rue Saint-Dominique, un théâtre de société, qui réunissait
comme spectateurs et comme acteurs tout ce que la cour et
la ville offraient de distingué. L'inexpérience des amateurs
novices était guidée par des artistes ayant plus l'habitude
des planches , entre autres par la jeune épouse du vieux
Doyen. ( Voyez Doykn [Théâtre]. )
V , vingt-deuxième lettre de l'alpiiabet et la dix-septième
des consonnes. Cette lettre représente , comme nous l'avons
déjà dit (voyez \J), l'articulation semi-labiale faible, dont la
forte est représentée parla lettre/; aussi ces deux lettres , le
V et le/, se prennent-elles aisément l'une pour l'autre dans
une foule de cas. Neuf devant un nom qui commence par
une voyelle se prononce neuv , et l'on dit 7ieuv arbres
pour neuf arbres. Les adjectifs terminés en /changent le/
en V lorsqu'ils passent au genre féminin : ainsi bref fait
brève, vif fait vive.
Le V est une lettre numérale, qui vaut cinq ; surmontée
d'une ligne horizontale elle signifie cinq mille.
Celles de nos monnaies qui portent la lettre V ont été frap-
DéesàTroyes. Champagnac.
VAAGOE. Voyez Rer-Akne.
VAAST (Saint), et non WAAST, comme on l'écrit quel-
quefois , Vedastus, était, dit-on , des environs de Laon,
Lorsqu'à la bataille de Tolbiac, Clovis eut fait vœu d'eri-
brasser la religion que professait Clotilde sa femme, Yaast,
qui se trouvait alors à Toul , fut chargé d'instruire le chet
frank dans la foi catholique. Ce fut après l'accomplissement
de cette mission importante que saint Rémi l'envoya en
qualité d'évêque chez les Atrebates et les INerviens (diocèse
d'Arras et de Cambrai). 11 mourut vers l'an 540, et reçut la
sépulture hors des murs d'Arras. On célèbre la fôtede saint
Vaast le 6 février. La vie de ce saint évêque, composée ou
plutôt retouchée par Alcuin , précepteur de Charlemagne , a
été publiée parles Bollandistes et par les éditeurs des Acta
SS. lielgii. Le Glay.
VACANCE , état d'une chose qui n'est point remplie
ou occupée. Par vacance d'un siège épiscopal, d'une charge
de magistrature on entend dire que personne en ce moment
n'occupe le siège ou la charge dont on parle.
Ce mot se prend aussi pour la cessation de certains exer-
cices, comme, dans les lycées et les pensionnats, les va-
cances accordées chaque année aux professeurs et aux
élèves. Les membres de la magistrature sont aussi dans
l'usage de prendre chaque année des vacances.
VACATION. Ce mot dans son sens général exprime
l'action de vaquer à une chose, de s'en occuper, et déter-
mine l'espace de temps que les personnes publiques em-
ploient à travaillera quelque affaire. Ainsi, ou compte le
nombre des vacations faites par des juges de paix, des
notaires, des avoués, des huissiers ou des experts, pour
déterminer le montant du salaire qui leur est dû , suivant le
tarif, à tant par vacation. Il est de règle qu'ils ne peuvent
faire plus de deux vacations en un seul jour, et chaque va-
cation doit être au moins de trois heures.
^ Pris dans le sens contraire , le mot vacation emporte
l'idée d'une interruption de travail; il signilie quelquefois,
dit l'Académie, vacance, en parlant de choses.non occupées,
comme un bént^fice en vacation : de là l'application de ce
mot à la suspension des audiences de justice, et ces locutions
diverses : Temps des vacations , Chambre des vacations.
Le terme vacation est alors synonyme absolu de vacance :
le temps des vacations, c'est le temps des vacances.
VACATIONS (Chambre des). On appelle ainsi, dans
les cours et tribunaux, une chambre temporaire institnée
pour prononcer pendant les vacances sur les affaires qui
exigent ime prompte décision , parce que les intérêt» <:««
jiarties souffriraient un préjudice trop grave s'il fallait at-
tendre la rentrée des tribunaux. Les chambres des vaca-
tions ne connaissent que des affaires civiles ; pour les tri-
bunaux criminels, il n'y a ni vacances ni vacations.
VACCIN [vaccinus), matière tirée de certaines pustules
qui se forment au pis des vaches, ou de celles qui sont pro-
duites par la vaccination , et qu'on inocule pour préserver
de la petite vérole.
VACCINATION, action d'innoculer le vaccin.
VACCINE (du latin vacca, vache), maladie propre à
la vache, appelée aussi /jico^e , et à laquelle on donne en
Angleterre le nom de cow-pox. C'est une éruption de pus-
tules qui se développe de préférence sur le pis de la v a c h e ,
et qui est susceptible de se transmettre à l'homme par con-
tagion. Cette aftèction offre la plus grande ressemblance
avec la petite vér oie humaine. Celle-ci est toujours très-
grave et souvent meurtrière, tandis que la vaccine est tout
à fait inoflensive. On l'avait à peine remarquée à cause de
sa bénignité, quand, vers la fin du siècle dernier, elle acquit
une célébrité soudaine, et qui n'a fait que s'accroître. Voici
dans quelles circonstances. La variole décimait les popu-
lations : il semblait même que dans ce siècle ces épidémies
fussent devenues plus fréquentes et plus terribles. La plupart
de ceux qui échappaient à ses coups restaient inlirmes, mu-
tilés , défigurés. La fréquence de la variole , sa malignité
lorsqu'elle sévit comme épidémie, l'opinion que le prin-
cipe de la variole existe naturellement dans notre économie
etcju'on est exposé aux plus grands dangers tant qu'il n'est
pas détruit, avaient inspiré le désir de chercher non pas à
soustraire le genre humain à un mal inévitable , mais à eu
atténuer les désastreux effets. Des personnes s'étaient ima-
giné de hàler ce qui était à leurs yeux mKnécessitéet même
un bien, eu s'exposant volontairement aux chances funestes
delà contagion variolique. Elles avaient choisi pour cela un
temps oii il n'y avait que des cas de variole isolés ou moins
graves, pour la contracter d'individus chez qui l'éruption
était simple et régulière. Ainsi s'était introduite l'inocula-
tion, pratique audacieuse, qui consiste adonner à l'homme
par l'insertion sous la peau du ^irus variolique une variole
artificielle, plus innocente que la variole naturelle, et propre
à l'en préserver. L'inoculation était devenue à la mode ; elle
eut ses violents détracteurs comme ses partisans fanatiques.
On inocula dans toutes les parties de l'Europe, et même en
Amérique, des miHions d'individus. Cette ferveur d'inocula-
tion régnait dans toute sa force, quand la découverte de la
t-accJne apporta un préservatif non moins infaillible, mais
exempt de tout inconvénient. Deux célèbres Anglais avaient
essayé vainement d'inoculer la petite vérole à plusieurs
paysans qui ne l'avaient pas eue; et ceux-ci leur firent con-
naître que cela dépendait de ce qu'ils avaient été vaccinés.
C'était une croyance établie parmi le vulgaire que ceux qui
avaient eu la vaccine n'étaient point sujets à la variole. Ce
fait, reconnu exact, fit du bruit. Cependant, on n'en tint pas
compte d'abord, et peut-être cette importante découverte
serait-elle tombée dans l'oubli si à cette époque un mé-
decin anglais n'eût dirigé ses recherches sur ce grave sujet.
Jenner reçut de France des observations curieuses sur la
picote; d'où il conclut « que cette maladie, absoluujent
VACCIISË —
sans danger, était un préservatif assuré contre la petite
vérole, et vju'il serait peut-être avantageux de l'inoculer à
riiomme. » Ainsi encouragé, Jenner multiplia bientôt ses
expériences, et le résultat répondit parfaitement aux espé-
rances qu'il avait conçues. Dès lors il fut constaté que la
vaccine, en tout semblable au cow-poj; naturel, et acciden-
tellement contractée par contact avec les vacbes, jouissait de
l'heureuse prérogative de préserver sûrement de la petite
vérole; que le principe de l'infection vaccinique résiliait
dans le pus des pustules ; qu'il pouvait se transmettre par
inoculation; que l'éruption qui en résultait, bornée aux
simples piqûres, était bien la vaccine, et qu'enfin en pas-
sant de la sorte cbez l'homme elle possédait une vertu
anti-variolique. Il (ut aussi reconnu qu'il était indifférent
que le virus vaccinal ou v a ce i n lût puisé à sa source pri-
mitive ou sur les boutons humains; que même le fluide con-
tenu dans les pustules, recueilli et misa l'abri de l'air, con-
serve pendant un laps de temps assez long ses propriétés
virulentes. Jenner consigna dans plusieurs écrits le fruit de
ces importantes recherches. Ses ouvrages furent partout ac-
cueillis avec la plus grande faveur, avecenthousiasme même;
ils valurent à leur auteur tout ce que pour un bienfait de
cette nature la reconnaissance des hommes pouvait don-
ner : des richesses, des honneurs, plus que tout cela , des
bénédictions universelles.
Tandis que l'inoculation variolique reproduit exactement
la variole avec ses milliers de boutons, avec tout le cor-
tège effrayant de ses symptômes généraux, et surtout tend
à rendre la conlagion permanente, l'inoculation de la vac-
cine ne s'accompagne pas même de fièvre, ou les exceptions
sont rares; elle ne donne jamais lieu à plus de pustules
qu'on n'a (ait de piqûres. Sa propagation a pour effet inévi-
table et définitif, en diminuant chaque jour les chances
de nouvelles épidémies, d'annihiler lepiincipe d'une maladie
horrible, dont la destruction intéresse à un si haut degré la
santé des hommes. Mais comment la vaccine préserve-
t-elle de la variole? C'est là sans doute un de ces innom-
brables mystères que notre curieuse intelligence ne sondera
jamais.
Depuis quelques années on a exagéré les dangers de la
vaccine; on a remarqué je ne sais quels changements dans
les effets locaux du vaccin, d'où il a fallu conclure que
par des transmissions successives le virus finissait par s'af-
faiblir, et qu'il était urgent de le renouveler à sa première
origine. On a conclu encore qu'au bout d'un temps les im-
pressions produites par la vaccine s'effaçaient et laissaient
les individus exposés sans défense aux atteintes du (léau;
qu'on devait par prudence se soumettre à une seconde et
même à une troisième vaccination. Ces graves questions ont
été portées à l'Académie de Médecine, où elles sont encore
vivement débattues. Le temps nous donnera peut-être le mot
de l'énigme.
Si la vaccine trouve encore de nos jours d'immenses
obstacles en beaucoup de lieux, ce n'est plus que dans l'igno-
rance et les prt'jugés populaires. Quoi qu'il en soit, la vac-
cine restera ce qu'elle est : la plus salutaire des découvertes;
et le nom de son auteur parviendra à la postérité parmi
ceux des bienfaiteurs du genre humain.
D*^ DelasiaUVE , niéderin de l'hospice de Bicêtre.
Une loi adoptée par le parlement, en 1853, a rendu la
pratique de la vaccine obligaloire en Angleterre. Tout enfant
doit être vacciné dans les quatre mois qui suivent sa nais-
sance. Un certificat du médecin doit attester le succès de la
vaccine; en cas de non-succès, elle doit être renouvelée )u.s-
qu'à ce qu'elle ail réussi. Les pères et mères ou tuteurs qui
négligent de taire vacciner leurs enfants ou pupilles sont
passibles d'une amende de 1 à ôliv. st. (25 fr. à 125 fr.).
Dans la plu.part des États allemands la législation a également
rendu la vaccine obligatoire; et il est aujourd'hui constaté
par une expérience de plus d'un demi-siècle que la morta-
lité générale a sensiblement diminué depuis l'introduction
de la pratique de la vaccine.
Dir.T. DE S.\ CONVERS. — T. XVI.
VACHERES 753
VACCIN!I\E (Botanique). Voyez Airelle.
VACJIIE X DIEU ou DÈTE A BON DIEU. Voyez
Coccinelle.
VACHE DE BARBARIE. Voyez Bubale.
VACHE MARL\E. Voyez Dugong et Lamantin.
VACHÈRES, VACHKRIES, VACHES. Une vachère
doit se lever durant l'hiver deux heures avant le jour, et
durant l'été au point du jour. Aussitôt qu'elle est installée
dans son établc, elle doit éponger et bouchonner toutes le.s
vaches, leur laver les yeux, essuyer celles qui ont conservé
sur la peau des traces de poussière onde terre, étriller
celles qui se sont salies durant la nuit sur la litière, passer
un bouchon de paille ftide sur la tête et le cou du taureau,
donner quelques poignées degrains aux veaux, quelques pin-
cées de sel aux génisses, et se rendre enfin dès le matin
agréable et utile à tous les habitants et habitâmes de l'é-
table. Cette race d'animaux est naturellement douce, do-
cile et bonne; elle est même caressante. Il ne s'agit que de
cidtiver de bonne heure ses bonnes qualités et de ne pas
gât-er ses heureuses dispusitions par des accès de colère, par
des mouvements brusques et par de mauvais traitements,
qui les irritent, la vache qui dans rà;;e adulte donne du
pied a été maltraitée quand elle était génisse; l- taureau
qui donne de la corne a enduré lorsqu'il était veau des
injustices dont il garde le souvenir. La bonne vachère l'ait
le bon troupeau. Il faut que l'étahle soit propre, aérée, ba-
layée, parce qu'elle n'est pas seulement le dortoir du bétail,
elle est encore son réfectoire et en quelque sorte son parloir.
Il faut que l'air intérieur y soit maintenu à une température
douce et égale, et plutôt basse qu'élevée; que la litière en
soit enlevée (rois ou quatre fois par semaine. Il faut que
chaque vache ait dans l'étahle un e.space d'environ 1 mètre
;^3 centimètres de large; que la porte d'entrée ait au moins
l mètre (ifi cenlimètres, pour qu'elles ne se bles^e!ll jias en
se précipitant pour y entrer; que l'auge et le râtelier soient
placés au milieu de l'étahle, de manière que deux rangs de
vaches soient en face l'un de l'autre; que cette ange et ce
râtelier soient une fois par semaine [tiissés à l'eau de les-
sive, ensiiile à l'eau froide. 11 est reconnu que la bête perd
son appétit aussitôt qu'elle a llairé une mauvaise odeur.
Dès votre lever, vous devez donner à manger à vos
bêtes avant de songer à manger voiis-inême. Après avoir
fait le service de l'étahle, après que vos bétes ont achevé
leur déjeuner, vous les menez à l'abreuvoir; mais vous ne
devez les conduire aux champs que lorsque la ro.sée est en-
tièrement dissipée. Le tameau doit toujours être en tête du
troupeau ; retenu à l'atlache dans l'étahle , il y devient om-
brageux.
Les génisses sont nubiles à dix-huit mois; mais pour ob-
tenir des élèvçs qui puissent devenir un jour de bonnes
vaches laitières , il ne faut leur donner le taureau qu'à deux
ans; et pour obtenir d'elles de beaux élèves mà'es il faut
qu'elles aient au moins trois ans. C'est à vous qu'appartient
une sage opposition à des entreprises téméraires.
Peu d'animaux, si ce n'est l'ours et le cochon , sont aussi
sensibles à l'harmonie que l'espèce bovine. Aussi choisit-on
les bouviers laboureurs plutôt au talent du chant qu'au mé-
rite du labour. Aussitôt qu'il entonne sa chanson , vou?
voyez le bœuf secouer sa tête sous le joug, se hâter
donner plus d'activité à toutes les parties de son corps
On a vu des taureaux se battant avec violence suspendre
leurs fureurs belliqueuses pour écouter une belle voix, et
ne rompre la trêve que lorsqu'elle cessait de se faire en-
tendre. La femelle du liœuf, plus délicate que lui, doit
être plus sensible encore à l'harmonie. 11 est dont néces-
saire qu'une vachère ait la voix forte et étendue dans les
pays montueux, et (pie .soit en plaine, soit sur la montagne,
elle sache les airs qui plaisent à son troupeau.
La femelle du veau devient, suivant la nature particu-
lière de ses organes digestifs , vache laitière, vache berir-
rière , ou vache fromagère. A l'âge de douze ans , et lors-
qu'elle a fait sept ou huit veaux , elle devient vache dnvai-
4S
754
VACHÈRES — VADÉ
rière. On lui dresse alors une bonne table, on l'engraisse,
et elle se console de la perte de ses jeunes attraits par le
neuve, embonpoint qu'elle acqu art. Pour accélérer la plé-
thore graisseuse, on lui fait plusieurs saignées. Si l'engrais-
sage s'opère avec des g/ains ou des tubercules , sa chair est
ferme et savoureuse; si c'est avec des fourrages verts et des
légumes frais, elle est molle. Un mois avant le vêlement
vous devez cesser de traire votre vache, lui donner des
fourrages de meilleure qualité ; évitez cependant qu'elle ne
prenne trop de nourriture ou de boisson', qu'elle ne se
heurte, qu'elle ne se batte, qu'elle ne coure au pré, à l'é-
table ou à l'abreuvoir avec trop de vitesse , causes les plus
ordinaires de l'avortement. Si l'on veut faire ini élève , il
faut laisser le veau à la mère, lui présenter le pis s'il ne le
trouve pas tout de suite, et le mettre à l'abri des coups de
pied. Si, au contraire, on veut l'engraisser, il faut le faire
disparaître aussitôt qu'il aura été léché, le porter dans une
étable particulière, lui donner la nourriture quatre ou cinq
fois par jour dans les premiers mois, et trois fois par jour
seulement dans les mois suivants, avec le lait de la mère,
en 'j ajoutant successivement de la farine d'orge , de la fé-
cule de pommes de terre, des légumes réduits en pâtée ou
en bouillie.
De toutes les opérations de la vacherie, la traite est
celle qui exige le plus de propreté, de précision et de régu-
laiiié. La héte a son instinct particulier et sa volonté per-
sonnelle; elle refuse son lait à la vachère qui l'a maltraitée,
et elle lui donne du pied ou de la corne quand elle veut la
toucher. Avant de commencer à traire, vous devez vous
laver les mains et le visage dans l'eau fraîche; nettoyer vos
bas, décrotter vos souliers ou quitter vos sabots, et vous
parfumer, s'il est possible, avec les fourrages que la bête
affectionne. Elle se laissera alors approcher avec plaisir et
traire sans répugnance. Vous devez étendre successivement
une main bien douce et bien propre sur les deux trayons
du même côté, et la conduire jusqu'à leurs extrémités
sans désemparer, et en faire autant sur les deux autres
trayons. Vous devez traire deux fois par jour, et toujours
à la même heure.
H existait jadis des races de vaches sur lesquelles les di-
vers climats avaient appliqué des caractères profonds et
particuliers. La civilisation a tellement mêlé les espèces
qu'on ne trouve plus de races pures que dans les régions
éloignées, ou dans quelques cantons que leur structure a
i^oié-;. On recommande beaucoup le croisement des races et
la transhumation des bêtes à cornes ; mais il faut user de
précaution. A petite laitière, petit taureau; à grosse nor-
mande, gros cottentin. Une bourbonnaise croise très-bien
avec un taureau breton; tous deux sont également d'une
faille chétive. Une belle charolaise, qui est ordinairement
blanche, et qui a des cornes presque vertes, s'accouple
tns-bien avec un auvergnat de la Limagne ou avec un gras
maraîchain de Saintonge. Mais si vous unissez une grande
flandrine (laitière par excellence , quoique toujours maigre)
à un taureau des Carnargues, vous aurez des élèves d'une
nature sauvage , d'une chair dure , et ayant le goût de celle
du buffle. Ce qui entretient et perpétue en France les mau-
vaises races de vaches, ce sont les pâtis , ou vaines pâtures,
que possèdent les communes. De pauvres particuliers mè-
nent paître et gardent tous les jours dans ces maigres ter-
rains des vaches étiques, qui se croisent avec des tau-
reaux d'une égale faiblesse; de là naît une postérité pire
encore que ceux auxquels elledoit le jour.
La chaleur et l'infection des étables , la mauvaise qua-
lité de la nourriture , le défaut de pansement, la négligence
et la paresse des vachères, l'ignorance des charlatans qui
courent les campagnes comme vétérinaires, les excès, soit
dans la course, soit dans le travail, le passage brusque d'un
régime à l'autre, et d'un air chaud à un air froid, sont les
causes les plus ordinaires des maladies qui, devenant héré-
ditaires, finissent par abâtardir les races les plus saines et
les pins pur<»s. Outre la météorisation du ventie ou la co-
lique de panse, qui est commune à toutes les bêles rumi-
nantes , les vaches sont sujettes à des vers et à des maladies
inflammatoires. On traite la maladie des vers avec des la-
vements composés d'infusions d'absinthe, de safran , de ta-
naisie, de fougère , et avec des huiles animales empyreu-
matiques. Les maladies inflammatoires , qui sont les plus
communes, dégénèrent ordinairement (quand elles ne sont
pas traitées à temps par des aliments et des boissons ra-
fraîchissantes) en maladies pulmonaires, qui s'annoncent
par une toux profonde et par des écoulements fétides qui
ont lieu par la bouche et les naseaux. Cette maladie, qu'on
nomme la pommelière, attaque surtout les vaches lai-
tières parce que dans cet état elles sont plus sensibles
aux diverses impressions de l'air. Parvenue à un certain
degré, cette maladie est incurable. On frotte à la vérité les
dents, les auges et les râtel'^rs avec de l'ail et du sel; on
prolonge quelquefois par ce moyen la vie des malades,
mais on ne les sauve point. On doit s'attacher d'autant plus
aux remèdes préventifs que les plus habiles vétérinaires n'en
ont pas encore découvert de curatifs.
Cte Français ( de Nantes ).
"VACHES (Ranzdes). Voyez RA^z des Vaches.
VACQUERIE (Jean de La), premier président du par-
lement de Paris , célèbre par son énergique résistance aux
volontés du plus absolu de nos rois, était conseiller pension-
naire de la ville d'Arras , qui appartenait à Marie de Bourgo-
gne, fille de Charles le Téméraire, lorsque Louis XI, en
1476 , résolut de s'emparer de cette place. Le courage avec
lequel La Vacquerie s'opposa aux prétentions du monarque
ne déplut point à Louis XI, qui le manda à Paris, le nomma
en 1479 conseiller au parlement, et premier président en
1481. Le parlement, qui avait déjà déployé une noble in-
dépendance dans l'affaire de la Pragmatique , fut bientôt
invité par le roi à procéder, sous peine de la vie, à l'enre-
gistrement de divers édits en matières de finances, qui pa-
raissaient onéreux pour le peuple. Ce fut à cette occasion que
La Vacquerie fit au roi cette belle réponse : « Sire, nous ve-
nons remettre nos charges entre vos mains et souffrir tout
ce qui vous plaira plutôt que d'offenser nos consciences en
vérifiant les édits que vous nous avez envoyés. » Cet acte
de fermeté courageuse n'encourut point la disgrâce de
Louis XI; car ce roi absolu est l'un de ceux qui ont enduré
avec le plus de résignation les remontrances du parlement
de Paris. La puissance féodale en armes lui paraissait plus
formidable et d'une destruction plus pressante que la paci-
fique opposition d'une cour de justice mal comprise encore
de la nation dont elle commençait à défendre les libertés.
H révoqua, en présence même des magistrats, les édits en
question. Après la mort de ce prince, la comtesse de Beau-
jeu, sa fille aînée, eut l'administration de l'État pendant la
minorité de Charles VllI. Le duc d'Orléans, qui voulait la
dépouiller de la régence, s'adressa vainement à cet effet au
parlement de Paris, dont le premier président lui répondit
en termes où l'esprit d'une juste mesure s'alliait à la liberté
du langage admonitif.
Jean de La Vacquerie mourut en 1497. Il est auteur de
Lettres siir toutes sortes de sujets, ouvrage dont trois édi-
tions ont été publiées, la dernière en 1694.
A. BOLLLÉE.
"VADÉ (Jean-Joseph) , né en 1720, à Ham , en Picardie.
Parmi ces poètes sans nombre qui ont célébré chez nous, et
célébréà outrance, l'amour, le vin, la bonne chère, toutes les
délices fermentées du cabaret, il en est un surtout qui est de-
venu populaire à force de mots grivois, d'esprit bachique,
de pétulance amoureuse; cet homme-là c'est Vadé, le chan-
sonnier, poète quelquefois, par hasard, quand il n'a pas
trop bu. Il appartenait à cette race d'esprits bons enfants
et sans façon vivant de peu et au jour le jour, et ne quit-
tant le cabaret que lorsque la maîtressedu bouchon ne voulait
plus leur faire crédit. Ces gens-là , qu'ils fussent peintres ou
poètes, ou musiciens ou comédiens, vendaient pour rien
leur esprit et leurs chefs-d'œuvre de chaque jour. Les
VA DE — VAGUES
75&
plus heureux , ceux qui faisaient des dettes chez leur blan- j
chisseuse , épousaient leur blanchisseuse pour être blanchis
gratis, quand celle-ci y consentait. Ainsi fit le poëte Du- j
fresny, qui avait pourtant du sang royal dans les veines. I
Le poëte Vadé, le digne ami de Piron, le digne collabora-
teur de Gai let, l'épicier, n'eut pas le bonheur deDufresny ; î
il ne trouva pas une blanchisseuse qui voulût l'épouser, et, |
par ma foi , il s'en passa très-bien , et il s'en consola en im-
provisant toutes sortes de chansons qui sentaient le vin , le
tabac et la chair fraîche. Ce fut lui qui imagina le premier
de soumettre au joug de la rime cette espèce de patois ad-
mirable, tout rempli d'images et de mouvement, d'amour
brutal et ingénu, qui se parle à la halle. Il devint ainsi un
véritable poëte poissard. Son nom passait de cabaret en ca-
baret. A loi'ce d'en entendre parler dans l'antichambre et
dans l'écurie, les duchesses voulurent voir à leur tour ce
poëte crotté, qui plus d'une fois avait dormi sur la paille
de leurs chevaux. Elles trouvèrent notre homme ce qu'il
était en effet : physionomie ouverte et franche, gai sourire,
humeur parfaite, estomac excellent, ne demandant pas
mieux que de faire rire pourvu qu'il en efil sa part; si bien
que le pauvre diable devint, sans le vouloir, une espèce de
bouffon de société dont on payait les saillies par un dîner.
Triste métier, direz-vous; et vous avez raison, le métier est
triste : mais que pouvait donc faiie dans cette malheureiïse
époque un pauvre esprit indépendant, qui ne déclarait pas
la guerre au roi ni au pape, et qui laissait en repos Notre-
Seigneur Jésus-Christ.? Ainsi s'est dépensée à produire
toutes sortes de petits couplets, de petits vaudeville^, de
petits opéras comiques, la courte vie de ce poëte, mort à
trente-sept ans, pour avoir trop bu et tiop chanté. Tel qu'il
est cependant, Vadé avait droit à une place dans cette lon-
gue nomenclature alphabétique oii il arrive comme le bouf-
fon après le triomphe. N'eùt-il fait que la Pipe cassée, et
ses Lettres de la Grenoudlère , n'efil-il rencontré que
vingt beaux vers, ne fût-il que le premier poëte de la halle,
Vadé mériterait encore cet honneur que nous lui faisons.
Allez voir si les chansonniers futurs auront une place dans
le Dictionnaire de la Conversation qui se fera cent ans
après leur mort! Jules Janin.
VADUZ. Voyez Lichtenstein.
VA-ET-VIENT, cordage allongé sur l'eau , et retenu
à ses deux extrémités, au moyen duquel un seul homme
peut aller d'un navire à un autre, ou d'un navire à terre. On
place un va-et-vient dans un canal étroit pour passer d'une
rive à l'autre. Lorsqu'un bâtiment fait naufrage, si l'équi-
page ne peut se sauver dans les embarcations , il cherche à
établir un va-et-vient avec la côte. Le matelot le plus hardi
et en môme temps le meilleur nageur se charge de l'entre-
prise; on lui attache une ligne légère autour du corps, et,
profitant du passage d'une lame , il se jette à l'eau pour ga-
gner la terre : s'il y parvient, il tire la ligne après lui, eu
amène, parle moyen de celle-ci, une seconde plus grosse,
qu'il attache solidement à un rocher ou à un arbre ; l'autre
extrémité, restant fixée à bord, établit un va-el-vient , avec
equel les mauvais nageurs se sauvent facilement.
De Lespinasse.
VAGA ( Perino del ). Voyez Perino del Vaga.
VAGABOJVD, VAGABONDAGE, L'article 270 du Code
Pénal de 1810 quaUfie vagabonds ou gens sans aveu
« ceux qui n'ont ni domicile certain ni moyens de subsistance
et qui n'exercent habituellement ni métier ni profession ». A
Rome les vagabonds étaient l'objet d'une surveillance spé-
ciale delà part des censeurs ; ils étaient condamnés aux mines
ou à d'autres ouvrages pubHcs. Les lois de Solon proscri-
vaient cette classe d'indigents ; en France , la sollicitude du
gouvernement sur les abus de la mendicité et du vagabon-
dage s'est manifestée à toutes les époques par des règlements
multipUés. Ainsi , les établissements de saint Louis, qui
soulageaient les véritables pauvres sur les fonds du roi, dé-
portaient les vagabonds; la déclaration du 22 mai 1586 dé-
fendait expressément aux indigents d'errer et se trans-
porter d'un lieu à un autre; celle du 18 joillet 1724 pu-
nissait les mendiants valides et errants des galères à temps
ou à perpétuité; celle du 3 aor'it 1764, graduant les peines
en raison de l'âge des délinquants , frappait de trois ans de
galères les vagabonds âgés de seize à soixante-dix ans, et
les réduisait à une détention de trois ans dans l'hôpital le plus
voisin pour les vieillards au-dessus de cet âge ainsi que
pour les femmes. En cas de récidive, les mendiants valides
étaient condamnés à neuf ans de galères pour la première
fois, et pour la seconde aux galères perpétuelles : les men-
diants invalides, les femmes et les filles, étaient punis d'une
détention de la même durée. Ces dispositions rigoureuses
furent adoucies par les lois de l'Assemblée constituante, de
l'Assemblée législative et de la Convention, qui se bornèrent
à frapper le vagabondage d'une détention plus ou moins lé-
gère. Un décret impérial du 5 juillet 180S établit dans cha-
que chef-lieu de département un dépôt de mendicité, et
obligea tous les mendiants dépourvus de moyens d'existence
à s'y rendre. L'art. 5 de ce décret, créant entre les men-
diants proprement dits et les vagabonds une distinction
négligée par la plupart des anciennes ordonnances , disposait
qae ha mendiants vagabonds seraient conduits dans les
maisons de détention.
L'ensemble' des prescriptions du Code Pénal de 1810 est
dominé par un remarquable esprit de sévérité. Ainsi , tout
vagabond porteur d'un faux certificat ou d'une fausse feuille
de route est puni du maximxim des peines portées en pareil
cas; le sunple port d'armes ou d'objets servant à commettre
un délit quelconque, ou seulement à pénétrer dans les mai-
sons, est frappé d'im emprisonnement plus ou moins long.
Ces rigueurs sont les conséquences directes de cette
déclaration exprimée dans l'art. 269 du môme Code : Le va-
gabondage est un délit; principe assez contestable en
effet pour qu'on ait senti le besoin de le formuler expressé-
ment, et qu'il aurait été plus rationnel, si le style légal l'eût
permis, de limiter à ces termes : Le vagabondage est une
présomption de délit : car il est difficile d'apercevoir dans
le fait seul d'absence de domicile fixe et de moyens habi-
bituels d'existence des caractères de criminalité suffisants
pour autoriser l'application de la loi pénale.
A. Bocllée.
VAGIiV ( Anatomie[d\i latin vagina, fourreau, gaine ] ).
Voyez Utkhus.
VAGIiVALIS. Voyez Coléoramphe.
VAGIiMIPEIMMES. Voyez Coléoptères.
VAGINULE, oi'gane accessoire des mousses, qu'on
peut considérer comme une sorte de réceptacle de la fleur
femelle. Cet appendice, couvert de pistils avortés et qu'en-
vahissent quelquefois les paraphyses qui l'entourent, n'est
que la base de 1 épigone devenu coiffe.
VAGISSEMENT. Voyez Cri.
VAGUEMESTRE ou WAGUEMESTRE, mot devenu
français dans le cours du dix-huitième siècle : les règlements
sur le service de campagne l'ont emprunté aux usages alle-
mands. On distingue le vaguemestre de corps, et le va-
guemestre d^armée; ce dernier désignait un officier de la
prévôté ou de l'état-major ayant sous ses ordres les valets
et les équipages; il y attachait un ou plusieurs /fl«io«5 d'é-
quipages. Les vagiiemestres de corps étaient des sous-offi-
ciers momentanément chargés de la direction des bagages ,
et exerçant de plus les fonctions de facteurs de la poste
aux lettres. Mais les ordonnances françaises concernant le
service en campagne étaient si défectueusement élaborées
qu'elles ne déterminaient ni l'étendue des devoirs, ni le de-
gré d'autorité, ni le genre de surveillance des vaguemestres,
et que telles d'entre elles reconnaissaient comme premier
sous-officier d'un corps le vaguemestre, tandis que d'autres
déclaraient que ce titre de premier sous-officier était dévolu
à Vadjudant. Ces lacunes, ces irrégularités sont à peu près
les mêmes maintenant encore. G"' Bakhin.
VAGUES (du saxon wœge, dont les Anglais ont fait
wave'", grandes ondes que forme la mer quand elle est for-
48.
liO
VAGUES —
tentent ag'tée par les vents. Les marins leur donnent aussi
le nom lie lames. On reniaïqne que les laines ou vagues sont
d'autant plus longues que la mer a plus d'étemtue. La mer
du Sud les a très-longues , tandis que celles de la mer Noire
sont brusques et courtes. Quant a leur élévation, quelle que
soil en cela rillu^ion, et quoi qu'en disent les poètes, on s'est
assuré qu'elle n'est jamais de plus de 8 à 9 mètres.
VAIGHKS. Voyez Boiidage.
VAILLAiXCE. Voyez Uuavoure, CounAGE, Fermeté,
Yalelr.
VAILLAIVT (François Le). Foyes Levaillant.
VAtLLAi\T (Jean-Baptiste-Philibekt), maréclial de
France et nieud)re île l'Académie des Sciences, est iié à
Diion, le 6 octobre 1790. Sorti de l'iicole Polytecbnique en
1809, il enlra connue sous-lieu lenant dans le corps du génie;
en 1811 il pas.-aa\eclegiade<lelieutenantdans lebataillonde
sapeurs qui tenait alors garnison a Leipzig, puis il lit la cam-
pagne (le Hussie en ()ualité d'aide de camp du général Haxo.
A l'époque des cent jours il prit part au\ travaux de lor-
lification entrepris autour de Paris, et assista aux alïaires lie
Ligny et de Waterloo. Promu en 1816 au grade de capi-
taine du génie, il passa cbetde bataillon en ib2G, et lit en
1830 la campagne d'Alger, où lors du siège du lorl l'Empe-
reur il eut la jaud)e fracassée par un éclat de mitraille.
Nommé alors lieidenani-colonel , il prit part aux deux cam-
pagnes de Lielgique, en 1831 et 1832, et se disiingua parti-
culièrement au siège d'Anvers. A sa rentrée en France d (ut
nommé colonel du génie, et quelque temps api es il obtint
le commandement du second régimeni de cette arme. Après
avoir rempli, en 1837 et 1838, les fonctions de directeur
des forlilications a Alger, il passa général île brigade et
revint à Paris, où il fut nomme coumiandant de l'École Poly-
technique. En 1845 il lut promu au grade de lieutenant gé-
néral et chargé en celte qualité de la direction supérieure
des travaux de fortilication de Paris. Au mois de mai
1849, Louis-Napoléon, élu depuis cmq mois président de
la république, lui contia le commandement des troupes du
génie de l'armée de la Méditerranée; et la part brillante qu'il
prit alors au siège de Rome lui valut le bâton de maréclial de
France. Quand, en 1854, le maréchal Saint-Arnaud fut
appelé au conmiandement de l'armée d'Orient, ce fut le ma-
réchal "Vaillant qui lui siiccéila comme ministre de laguerre.
VAILLAi\T (Jean-1'ov), numismate distingué, né en
1632, a Beauvais, mort en 1726, à Paris, membre de l'Acadé-
mie des Inscriptions, avait d'abord été médecin. Il entreprit
ensuite pour le cabinet des Médailles de la Bibliothèque du
Koi de grands voyages en Gièce, en Italie, en Egypte et en
Asie Mineure, et resta prisonnier pendant quelque temps à
Aliier. Tous ses ouvrages relatiis à l'archéologie et à l'his-
toire sont écrits en latin. iNous mentionnerons, entre autres,
ceux qui ont pour litres : iXumismtila aurea Imperato-
rum, etc , a populis Homanœ dilionis loqiipntilrus {Paris,
1698 ; Amsterdam, 1700) ; Historïa Piolenuzorum, /Egypti
regum (Amsterdam, i70l ); Arsncidarum Fmpermm
(Paris, 1725); SclfucUluram Imperiam (La Haye, 1732).
VAINE PÂTURE. Voyez I'atuke (Vaine).
VAIU ( /</«iO/i),t;ONTRE-VAIR, MÉNU-VAIR. Voijez
Blason et Émaux.
VAIU ( Histoire naturelle). Fo?/es Écureuil.
VAIRÉ {Blason). Voyez Écu.
VAISSEAU, vase, ustensile, de quelque matière que
ce soit, destiné à contenir des liquides : Vaisseau déterre,
de bois, de cui\re, d argent [voyez Vask).
Ce mot désigne en outre les veines , les artères et tous
les petits canaux qui contiennent quelque humeur dans le
corps de l'hoinme ou des animaux. Il se dit quelquefois dans
le môme sens des tubes et tu.yaux de l'intr-rienr des (liantes.
VwVlSSEAU {Marine). Les marins ne donnent ce nom
qu'a un bâtiment de guerre portant au moins 80 canons.
Ils ne parleront jamais de vaisseaux marchands ei diront
navires de commerce. La dénomination de vaisseau de
ligne, employée autrefois pour distinguer les vaisseaux ea-
VALACHIE
pables de combattre en ligne de ceux qui ne l'étaient pas^
pouvant être aujourd'hui appliquée à tous nos vaisseaux ,
est inutile et vicieuse.
Les vaisseaux en France sont classés par rang : ceux du
premier rang sont à trois ponts et à quatre batteries, ils
portent 120 canons; ceux du second ont di-ux ponts et trois
batteries, années de 100 canons. Les vaisseaux du troisième
et du quatrième rang ont aussi deux ponts et trois batte-
ries ; mais ils ne portent les premiers que 90 canons, et
les seconds 80.
Le mot vaisseau s'emploie figurément en plusieurs occa-
.sions. Levaisseazc de l'État, c'est l'État considéré par rap-
port à la manière dont il est ou doit être gouverné. Vaisseau
se dit encore d'une église ou d'une galerie, d'un salon, d'un
bibliothèque et autres grandes pièces d'un bâtiment considé-
rées en dedans.
VAISSEAUX CAPILLAIRES. Voyez Capillaires
( Vaisseaux ).
VAÎSSEAUX LYMPHATIQUES. Vor/ez Lyiupue.
VAéSSELLE de TAREE. Voyez Couvert.
ViVlSSETTE (Uom Joseph) naquit à Gai lac, près
d'Albi, en 1085. commença ses études dans sa ville natale,
et les tirmiiiaà Toulouse, où il fut reçu docteur en théologie
et docteur en droit civil et canonique. Il aurait voidu dès
Icrs entrer dans un cloître; mais l'instant on il devait se
consacrer à Dieu et aux lelties n'était pas encore arrivé.
Son père, procureur généial de l'Albigeois, le lit nommer
son substitut. Joseph Vaisselle obéit. Il exeiça mémt* pen-
dant quelque temps les fonctions qui lui avaient été données
par le roi; mais le temps ae sa majorité étant arrivé, il
quitta le parquet et entra comme novice dans le couvent
des bénédictins de la Daurade, à Toulouse. A peine avait-
il pris l'habit de l'ordre, en 1711, qu'il reçut la nouvelle
de la mort de son père. Alors il lit profession, et deux ans
après, il était appi-lé à l'abbaye de Saint-Germain-des Prés,
où il trouva tous les génies desec«iiis dont il av. ut besoin
pour ses travaux, et devint en peu de temps l'un des mem-
bres les plus savants de l'illustre congrégation deSaint-Maur.
En 1715 il fut chargé avec son compatriote dom Claude de
Vie d'écrire l'histoire de la piovince de Languedoc; ouvrage
immense , aussi savant que judicieux et bien écrit, dont le
premier volume parut en 1730, et le dernier en 1745. C'est
la meilleure histoire de nos provinces, et sous beaucoup de
rapports une des meilleures histoires de France. Dom Vais-
selle en a donné en 1749 un abrégé en six volumes. Sa Géo-
graphie historique, ecclésiastique et civile, immense
ouvrage encore, est toujours consultée avec fruit. Sa Disser-
tation sur L'origine des Français est marquée du sceau de
la plus profonde érudilion et de la plus saine critique. Épuisé
de fatigue, dom Vaissette mourut à Paris, le 10 avril 1750,
à l'âge de soixanle-onze ans, laissant plusieurs travaux im-
parfaits. Son véritable titre de gloire est sans aucun doute
V Histoire générale du Languedoc. Cette bisloire s'arrête
à la mort de Louis Xlll, en 1643. On a pensé qu'en réim-
primant cet ouvrage il fallait le continuer jusqu'en 1830.
L'auteur de cet article a été chargé de ce soin, et a essayé
de compléter ainsi l'un des plus beaux monuments de l'his-
toire de France. Ch" Alexandre du Mège.
VALACHIE ou VLAQUIE, en turc Ak-lflak, la plus
grande des deux princi|iaiités Danubiennes, dont elle forme
la partie occidentale. État vassal de l'Empire O^/omaw,
sur la rive gauche du Danube inférieur, il est borné au nord
par la Transylvanie et la Moldavie, à l'est par \&Dobroud-
se ha, au sud par la Boulgarie, à l'ouest par la Serbie et
la Hongrie. Sa superficie est de 945 myriamèlres carrés. Ce
pays, dont la chaîne méridionale des monts Carpatbes de
Transylvanie lorme l'extrême limite au nord ouest et au
nord , appartient généralement au bassin du Danube infé-
rieur, qui se prolonge au nord en Moldavie et en Bessarabie.
Il résulte de cette conformation physique du sol que c'est
au nord seulement qu'on y rencontre des montagnes. Quel-
ques-unes atteignent une élévation de 2,000 mètres et plus,
et elles forment du côté de la Hongrie et de la Transylvanie
un rempart naturel, accessible uniquement sur cinq points,
en projetant au sud une foule de raiiiKiiations qui s'abais-
sent insensibienient jusqu'au pays de plaines, et présentent
par conséquent les aspects les plus accidentés el les plus ()it-
toresques. D'ailleurs, la plus grande partie de cette province
se compose d'une contrée généralement pi.ite , suivant les
sinuosités décrites dans son cours |>ar le Diinube, et où on
rencontre des marais et des tourbières de plusieurs niyria-
mètres d'étendue. Son [trincipal cours d'eau est le Danube,
qui, déhoucliant à INeu-Orsova du délilé de la Porte de
Fer, entre les montagnes du Banat et celles de la Serbie, dé-
crit un arc à partir de ce point jusciu'à son embouchure, et
sépare ainsi cette province des parties montagneuses de la
Serbie, delà Boulgarie et de la Dobroudscha. Elle est en
outre arrosée par une grande quantité de petites rivières, qui
ont leur source dans la cliainedes monts Carpallies et dans
leurs prolongements au nord, et qui la traversent du sud
au sud-e~t pour venir se jeter dans le Danube. Les plus con-
sidérables sont le Scliyll, l'Aiouta, l'Ardscliiscli , la Jalo-
niitza et le Seretli, dont la source est en Moldavie et qui
forme longtemps la frontière des deux pays. Le climat est
celui des contrées du Danube intérieur, assez semblable à
celui de l'Asie centrale, avec des étés très-chauds relative-
ment à la situation géographique du pays el des hivers
très-rigoureux. D'ailleius, il est sain, à l'exception des par-
lies du sol occupées par des marécages, qui engendrent des
lièvres eudémiipies. Le pays est en outi e sujet à de fréquents
tremblements de terre. Sauf les plateaux les plus élevés
de la (routière septentrionale, le .sol de la Valachie est d'une
grande fertilité, non |>as seulement dans les parties monta-
gneuses, mais encore et surtout dans le pays des plaines, où
l'on trouve une couche d'humus d'une pi ofondeur et d'une
puissanceextraordinaires La Valachie est doncl'unei.'es con-
trées les plus productives de l'Europe, et elle n'aurait à cet
égard rien à désirer si l'été n'y était pas ordinaireuu'ul ac-
compagné de .sécheresses extrêmes, el si elle n'élail pas pé-
riodiquement ravagée p^r le fléau des sauterelles. Ses princi-
paux produits sont le blé, le mais, le millet, le vin, le chanvre;
mais le bois manque sur un grand nombre de points , car il
n'existede forêtsque dans les régions montagneusesdu nord ;
et dans la contrée des plaines on (ait quelquefois plusieurs
mjriamèlres sans rencontrer un seul arbre. Les vastes parties
du sol qui ne sont pas encore mises en culture forment
de riches pâturages, où on élève d'immenses troupeaux de
bêtesà cornes, de moutons el de chevaux. L'éducation des
porcs est aussi une source de produits importants pour les
iiabitants. Après l'élève des bestiaux, la principale industrie
locale est l'éducation d. s abeilles; et les contrées maréca-
geuses fournissent d'énormes quantités de gibier à plumes.
La Valachie est également fort riche en productions miné-
rales; on y trouve notammenl des mines d'or , d'argent, de
cuivre et de sel ; mais les premières ne sont encore que fort
peu exploitées. Les dernières seules sont l'objet de travaux
importants et réguliers.
Les habitants, qu'on appelle Vainques ou Vlaques , et
dont on évalue aujourd'hui le nombre à 2,600,000 âmes,
sont de race romane mélangée. La culture intellectuelle des
Valaques, qui tous professent la religion grecque, est fort
arriérée. La nation est divisée en deux classes, les nobles et
les paysans; car la bourgeoisie valaque est encore trop peu
nombreuse, lorsqu'elle n'est pas demeurée à peu près au
même degré de l'échelle de la civilisation que le paysan',
pour qu'on en doive tenir compte. Les nobles ou boyards
sont partagés en haute noblesse, ou grands boyards, parmi
lesquels sont exclusivement choisis les fonctionnaires pu-
blics , et en petite noblesse ou massiles. La noblesse pos-
sède des privilèges extrêmement étendus. Seule elle est
propriétaire du sol , et elle est en fait maîtresse absolue
des paysans. Quoique certains riches boyaids aient aiqiiis,
par des voyages et par des éducations à l'étranger, ou
encore dan.s des établissements d'éducation fondés en Va-
VAL.4CH1E 7 57
lachie par des étrangers, une certaine teinture «le la civi-
lisation de l'ouest de l'Europe, notamment de la civilisation
française, on doit reconnaître que dans l'intérieur du pays
la grande majorité des individus appartenant à cette classe,
ou encore à la [letile noblesse, surtout à celle qui est pau-
vre, offre le spectacle de la plus profonde ignorance, à
laquelle rien n'est plus commun (|ue de voir unie une grande
dépravation morale. Quiiut aux paysans, quoique le ser-
vage ail été nomimilement aboli , ils sont en proie à l'op-
pression la plus dure de la part des propriétaires du sol, qui
exercent sur eux le pouvoir le plus arbitraire. On ne compte
en effet parmi eux qu'un bien petit nombre de medkhiaches
ou pio|)riétaires fonciers, et la grande majorité se comijo.se
de zarxny sans propriétés, espèces de fermiers, que les
nobles continuent à traiter comme s'ils étaient leurs serfs.
Aussi, quoique la naluie l'ait heureusement doué, quoi-
qu'il appHitienne à une race généralement vigoureuse et
bien faite, quoiqu'il ne manque pas non [ilusd'lieuieuses dis-
positionsintellecluelles, le paysan valaque e^l-il piolbndément
ignorant et deiuoralisé. L'oppression a fait de lui un être
bas, rampant, cauteleux, paresseux el porté cp outre
par la nature de .son tem|téramenl à l'ivrognerie ainsi
qu'à tous lesexcès. Indépendainmentdes Valaques, on trouf-'î
aussi en Valachie un grand nombre de Grecs (dont la langue
est depuis longtemps, avec le français, la langue des classes
instruites), d'.Arméniens et de Juifs, formant ensemble la
partie commerçante de la population ; et en outre, beaucoup
d'Allemanils (dans les villes, où presque tous exercent des
métiers), de Boulgares, de Serbes, enfin de Tsnjanes on
Bohémiens, race (lui inspire le plus profond mépris au reste
de la population, croupissant dans le plus complet ilotisme,
et ipi'on achète el revend incessamment. Voyez Vai.aqces
(Langue el lilléiatiire).
La constitiilion publique (le la Valachie a été réglée par
le statut organique publié en 1829, sous la médiation de l'au-
torité russe, mais qui a subi de nombreuses modilications
en vertu du traité de Balla-Limaii {voyez Moldavie), conclu
le 1''' mai 18^9 entre la Russie et la Porte. Aux termes de
ce statut, la Valachie, de même que la Moldavie, forme
une principauté élective, dépendante et tributaire de la Tur-
quie, pUcée sous la proleclion de la Russie, administrée
par un bospodar, précédemment nommé à vie , mais depuis
18)9 élu pour sept ans et révocable seuleuient pour fait de
crimes, qui doit être grand boyard et Valaque de naissance.
il e.st assisté d'un divan ou conseil d'État composé des
boyaids les plus éminenls , chargé <le déterminer la quotité
de l'iiufiôt et fonctionnant en même temps comme cour su-
prême de justice. Son autorité est limitée p.ir l'as.seinblée
générale, com(tosee des (jiialre évèques grecs de la province,
décent vingt-trois grands boyards, de trente-six,dépntés de
la petite noblesse et de vingt -sept députés des villes ;assem-
b'ée qui Cht suspendue depuis f8i9. Jusqu'en 1849 elle exerça
aiis.si le droit d'élire l'iiospodar; mais l'élection n'était va-
lable qu'autant que l'élu obtenait sa confirmation el son
investiture de la Porte Ottomane et l'approbation de la
Russie.
La province est administrée aujourd'hui par un ministère
à la nomination de l'hospodar; précédemment c'était par
divers hauts fonctionnaires, tels que le grand logolhèle ou
grand-clnncelier, le grand vesliar ou granii trésorier, le
grand spat/iar ou commandant en chef des troujjes , et les
grands dvmrniks ou gouverneurs des différentes subdivi-
sions politiques du territoire. Quoii|u'en apparence l'admi-
nistration .soit .sons beaucoup de rapports org:ini.sée à l'euro-
péenne, au total elle est Irès-dcfectuense et porte le cachet
du desi>olisme. L'hospodar a sous ses ordres une armée , qui
lui sert de garde d'honneur et fait en outre le service des
quarantaines du Damilie.des lignes de douanes et de la
police intérieure, el qui se compose de troupes régulières, de
trabans , de gardes civiles et de frontières. La troupe régu-
lière consiste en un régiment de cavalerie et deux régiments
d'infanterie, formant un effectif de 4, 665 hommes. On compte
758
VALACHI?:
680 trabans de villes, 3,808 trabans de campagne, et
36,000 gardes civiles et de frontières. Le total de la force
armée est donc de 45,15'5 hommes. Les revenus de l'Élat
sont évalués à 1 6,544,755 piastres, et les dépenses à 1 4,493, 1 58
piastres. Les rapports avec la Porte Ottomane ont été réglés
par les stipulations de la paix d'Andrinopie. Elles interdi-
sent au grand-seigneur de posséder aucune place forte sur
la rive gauche du Danube , et aux Turcs de résider dans le
pays. La Valachie n'est tenue à payer à la Porte qu'un tribut
d'un million de piastres. Le grand-seigneur n'a aucun droit
de s'immiscer dans l'administration intérieure» Les Valaques
au contraire peuvent commercer dans toutes les parties de
j'Empire Ottoman, sans y être astreints à aucune taxe extra-
ordinaire. Les établissements d'instruction publique créés
en Valachie sont encore en très-petit nombre. L'Église
grecque est l'Église dominante; les Valaques , de même que
tous les habitants d'origine grecque , boulgare et serbe,
en font partie ( environ 50,000 Hongrois appartiennent à
l'Église catholique romaine). A l'exception du haut clergé,
qui se compose de l'archevêque de Boukarest et de trois
évêques , le clergé présente presque partout l'exemple de la
plus crasse ignorance , d'une grossièreté de mœurs extrême
et du plus stupide fanatisme. L'instruction populaire est
dans le plus déplorable état; on peut même dire que dans
les campagnes elle n'existe pas du tout; et c'est dans les
villes seulementqu'on commence aujourd'hui à faire quelque
chose pour la favoriser. L'instruction des hautes classes est
sans doute plus avancée , grâce aux établissements tant pu-
blics que privés où on peut l'acquérir. Mais comme toute
vie sociale et politique en Valachie, cette instruction n'est
que superficielle; et elle trahit une tendance marquée à se
contenter des apparences. Dans l'état d'infériorité où la culture
intellectuelle reste en Valachie , il est impossible que l'en-
seignement industriel et professionnel fasse des progrès.
L'homme du peuple dans ce pays confectionne lui-même
tous les différents outils et ustensiles dont il a besoin. L'in-
dustrie du forgeron y est généralement entre les mains des
Bohémiens. On ue rencontre d'artisans, et encore de la
classe la plus infime, que dans les grandes villes; et ce sont
presque toujours des étrangers. Tous les produits un peu
délicats de l'industrie se tirent de l'étranger. L'agriculture
et l'élève des bestiaux ne sont guère dans un état plus
prospère; quoiqu'elles constituent presque exclusivement
l'industrie des populations, leurs procédés sont encore aussi
irrationnels que barbares et grossiers. C'est donc uniquement
grâce à l'incroyable fécondité de son sol que la Valachie peut
exporter des quantités si considérables de ses produits, tels
que grains, bestiaux, suifs, sels et cuirs bruts. De même,
le commerce, tant d'exportation que d'importation, pourrait
être bien autrement important qu'il n'est si un bon sys-
tème de voies de communication intérieures venait se re-
lier à la grande voie commerciale du Danube ; mais les
quelques misérables routes qui existent sont laissées dans
l'état le plus déplorable.
Le territoire de cette province est divisé en Grande et
Petite Valachie. La première, qui comprend la contrée située
à l'est de l'Alonta, est subdivisée en basses terres (entre le
Seretliet l'Ardschisch), et hautes terres ( entre l'Ardschiscii
eti'Alouta), et partagée en six districts. La Petite Valachie,
qui comprend la contrée située à l'ouest de l'Alouta , avec
Krajowa pour chef-lieu, est partagée en cinq districts. Bou-
karest est le chef-lieu de la grande Valachie et en même
temps la capitale de foute la province.
La Valachie formait jadis une partie importante de l'an-
cienne D a c i c. A l'époque de la grande migration des peu-
ples, et dans les siècles qui la suivirent, ce pays devint le
rendez-vous général des Goths, des Alains, des Huns, des
Avares, des peuplades slaves, des Boulgares, des Petsché-
nègues, des Koumans et des Magyares. Ces nations y do-
minèrent l'une après l'autre , et toutes ont laissé plus ou
moins de traces dans la population dace romanisée. Sous la
domination des Boulgares , vers la fin du neuvième et le
commencement du dixième siècle, le christianisme se ré-
pandit en Valachie. Au onzième siècle la Valachie faisait
partie de l'empire des K o u m an s. Cette contrée fut ravagée
au treizième siècle par le torrent dévastateur des Mongols ,
lesquels y détruisirent l'empire des Koumans. Après la dis-
parition des Mongols , elle passa sous la domination des
Hongrois; puis en 1290 elle arriva à former un État indé-
pendant, obéissant à ses propres voïvodes, mais toujours
en lutte contre les peuples voisins , notamment contre les
Hongrois, qui revendiquaient sans cesse leur droit de suze-
raineté sur ce pays. Radoul le Noir fut le crémier voïvode
de Valachie. Les institutions organiques du pays étaient
d'origine slave, et la forme de son gouvernement le despo-
tisme pur. Le nom de Wlad IV, surnommé le Bourreau,
voivode à partir de l'année 1456, est même resté proverbial
dans l'histoire, à cause de la férocité dont il ne cessa de
donner des preuves. L'apparition victorieuse des Turcs, qui
après la bataille de Mohacz, en 1526, conquirent complète-
ment la Valachie, mit seule un terme aux sanglantes dissen-
sions intestines provoquées par lesrivahtés de nombreux
compétiteurs se disputant la puissance suprême. Cependant ,
après avoir conquis la Valachie, les vainqueurs lui laissè-
rent sa constitution et ses lois sous l'autorité d'un voïvode
de son choix, en même temps quHIs accordèrent aux ha-
bitants le libre exercice de leur culte et se bornèrent à oc-
cuper militairement leurs différentes places fortes. La lutte
contre les Turcs n'en continua toujours pas moins, parce
que les voïvodes saisissaient toutes les occasions favorables
pour tenter de secouer le joug ottoman. Ces incessantes ten-
tatives d'insurrection n'eurentun terme qu'en 1716, époque
où la Porte décida qu'à l'avenir les voïvodes ne seraient plus
nommés par voie d'élection. Le gouvernement turc institua
alors , sous la dénomination à'hospodars, des princes placés
à son égard dans les liens du vasselage, astreints à lui payer
tribut, choisis dans les grandes familles grecques du Fanar,
et qu'il déposait suivant son bon plaisir. Le premier hospodar
fut Michel M aurocor dato s, qui arriva en Valachie en
1716 et rendit de grands services à ce pays par ses cons-
tants efforts pour y faire progresser la civilisation. Son (ils
Constantin, liospodar à partir de 1735, abolit le servage
des paysans.
Le gouvernement des bospodars était éminemment despo-
tique, et épuisait le pays. Obligés d'envoyer sans cer-se de
riches présents à Constiintinople , indépendamment de irur
ti'ihut annuel, et ne pouvant jamais compter sur la durée
de leur puissance , ils s'appliquaient à s'enrichir le plus
promptement possible sans se soucier des moyens. Les
guerres récentes entre la Turquie et la Russie , qui jiresque
toutes eurent pour théâtre la Moldavie et la Valachie, ne
tardèrent pas à gagner l'esprit des populations de ces pro-
vinces aux intérêts de la Russie; celle-ci ayant à leurs yeux
le grand avantage de professer la même foi religieuse. C'est
ainsi que par les traités de paix de Kaïnardschi , de Jassy,
de Boukarest et d'Akjermann, les Russes réussirent à faire
accorder à ces principautés par la Porte des droits et des
privilèges de plus en plus grands et à acquérir sur elles un
droit de protection. L'insurrection d'Ypsilauti, qui
éclata dans les principautés, et bientôt la résurrection delà
Grèce comme nation indépendante , finirent par amener une
transformation complète de l'état inférieur de la Va-
lachie; la guerre provoquée par ces événements entre la
Porte Ottomane et la Russie ayant eu pour résultat d'a-
grandir et de consolider l'influence de celle-ci sur les prin-
cipautés. Pendai;' les années 1828 et 1829, elles restèrent
en effet placées sous l'administration militaire des Russes.
La paix conclue à Andrinople en 1829 régla les rapports du
pays avec la Porte, et yconsolida plus (jue jamais l'influence
russe; l'administration du général Kisseleff pendant les
années 1829 à 1834 acheva de l'y rendre prédominante. Ce
fut seulement en avril 18.34 qu'aux termes du nouveau
statut organique eut lieu l'élection d'un nouvel hospodar;
etcette dignité fut alors conférée au prince Alexandre Gbika.
VALACHIK
i9
Mais comme le jeu de la Russie consistait à entretenir dans
le pays par ses intrigues une continuelle agitation , aux
menées légales d'une opposition plus ou moins constitution-
nelle succédèrent bientôt des conspirations et des révoltes
de tous genres, à la suite desquelles le prince Gliika finit
par être contraint d'abdiquer, en 1842, pour céder la place
à un hospodar plus disposé à favoriser la politique et les
intérêts russes.
Celui-ci, appelé Georges, Bibesko, fut élu en 1843. Quoi-
qu'il ait eu sans cesse à lutter contre l'opposition des mécon-
tents, et surtout contre le parti russe existant parmi les
boyards, et que tout d'abord il ait rencontré dans l'exercice
de ses fonctions de telles résistances qu'en 1844 la Porte sb
soit vue forcée de lui accorder par un fii man des pouvoirs
plus étendus, afin de venir à bout des boyards, et jusqu'au
droit de dissoudre l'assemblée nationale suivant son bon plai-
sir, on ne saurait disccmvenir qu'au total son administra-
tion fut utile au pays. Il construisit des routes, il diminua
les charges qui pesaient sur les paysans, il mit de l'oidro
dans l'administration des finances , améliora l'état des pri-
sons et fit beaucoup pour consolider la sécurité pnbli(|iie.
En même temps il augmenta l'armée, il créa un corps d'ar-
tillerie, et, par la fondation de divers établissements d'instruc-
tion publique , il s'efforça de rapprocher de plus en plus la
Yalachie de l'état de civilisation oii est parvenu aujourd'hui
le reste de l'Europe. Lors des ravages exercés en 1846 par
une grande épizootie , conune aussi lors du grand incendie
qui éclata à Boukarest en 1847, on le vit prendre les mesures
les plus énergiques et les plus salutaires pour venir au se-
cours de la détresse publique. Quoique la tranquillité pu-
blique n'ait été troublée sur aucun point du pays, la lutte
du parti libéral contre la politique russe du prince ne dis-
continua jamais; et les persécutions dont ce parti devint
l'objet accrurent tellement la fermentation , qu'elle finit
par éclater en 1848. Mais les mouvements qui avaient eu
lieu on Moldavie étaient déjà complètement comprimés, lors-
que la Valachie s'insurgea. Le 22 juin 1848, des masses de
paysans ayant à leur tète un nommé Eltad , et auxquels
s'étaient joints quelques détachements de troupes , parurent
sous les murs de Krajowa et exigèrent du gouverneiw de
cette ville, frère de l'iiospodar, que la constitution fût com-
plètement modifiée dans le sens libéral. La résistance du
gouverneur fut bientôt vaincue, et ses troupes mirent
bas les armes. Une assemblée populaire, tenue à lioidva-
rest le 23 juin, exigea du prince lui-même des concessions
identiques ; et là aussi , la troupe ayant fait cause com-
mune avec le peuple, et un coup de feu ayant été tiré sur
le prince, force lui lut de céder et de souscrire une cons-
titution improvisée. Le nouveau ministère imposé au prince
fut composé d'hommes essentiellement populaires. Mais dès
le lendemain le consul russe Kotzebue lui remettait une
protestation contre les concessions qui venaient d'avoir
lieu; puis il s'éloignait, avec le commissaire russe Duhamel,
arrivé tout récemment pour seconder l'iiospodar. Le soir
même le prince Bibesko déposait ses pouvoirs , et partait
pour Kronstadt en Transylvanie. Le 26 juin un gouverne-
ment provisoire était établi, et celui-ci, après avoir prêté
serment à la nouvelle constitution, le 27 juin, avec tontes
les notabilités, la troupe et la jeunesse, invoquait le se-
cours de la France, de l'Autriche et de la Prusse , pour le
cas où la nouvelle constitution , que le prince démission-
naire avait lui-même jurée, viendrait à être l'objet d'une
attaque quelconque. Une tentative de contrerévolulion,
faite, le 30 juin, par les colonels Obobesko et Salomon,
échoua complètement. La révolution , en faveur de laquelle
s'était prononcée toute la population, la noblesse aussi
bien que l'armée, fut donc regardée comme irrévocablement
consommée. On croyait pouvoir d'autant plus sûrement
compter sur l'appui de la Porte, que le soulèvement avait
évidemment eu lieu contre la P.ussie. Et en effet les disposi-
tions du divan, à Constantinople, parurent d'abord favora-
bles à ce qui venait da se passer; mais l'inïUienee russe ne
» tarda pas à l'emporter. Dès le 31 juillet des troupes turques
entraient en Valachie. Omer-Pacha, à la tête de 23,000 hom-
mes, établit un camp à Giurgewo; Suléiman-Pacha, plé-
nipotentiaire extraordinaire de la Porte, signifiait aux
notables du pays que le nouvel ordre de choses , établi con-
trairement aux droits de souveraineté et aux principes de
gouvernement du sultan, ne pouvait continuer de subsister.
Il en résulta une agitation des plus vives à Boukarest ; mais
Suléiman-Pacha insista pour que le gouvernement provisoire
se retirât et fût remplacé par un« kaïmakamie. En consé-
quence, le gouvernement provisoire se déclara dissous le
4 août, et une commission princière de gouvernement, élue
par le peuple, composée d'Eliad, de Tell et de Nicolas
Gollesko, membres du précédent gouvernement, fut insti-
tuée pour le remplacer. La Porte parut se contenter de ces
arrangements ; mais il n'en fut pas de même de la Russie.
C'est ce que ne tarda pas à prouver le remplacement de
Suléiman-Pacha par Fuad-Effendi, qui se montra beaucouj)
mieux disposé à faire droit aux exigences de Duhamel. Le
22 septembre Duhamel somma le métropolitain d'avoir à
faire sa soumission, et fit savoir que des troupes russes
allaient venir occuper Boukarest. Le 25 septembre il dé-
clara la commission de gouvernement dissoute, établit Cons-
tantin Ivantakuzéne en qualité de seul huimakam, et remit
en vigueur les anciens lèglements organiques. Toutes les
protestations demeurèrent inutiles, aussi bieu queles dépu-
tations des masses envoyées pour invoquer les anciens droits
et capitulations du pays. En vain aussi plus de cinquante
mille individus ayant le droit de voter vinrent de nou-
veau prêter serment à la constitution ; après quoi le Livre
d'Or et le Règlement organique furent anathématisés et
brûlés par le métropolitain, au bruit des cloches lancées à
pleines volées. Dès le 26 septembre des troupes turques
arrivaient sous les murs de Boukarest; et à la suite d'une
lutte acharnée la ville était prise d'assaut et livrée à toutes
les horreurs du pillage. Le lendemain 27 arriva de la Mol-
davie un corps de troupes russes aux. ordres du général
Luders, et l'insurrection de la Valachie se trouva ainsi
complètement réprimée. La plupart des individus compromis
prirent la fuite et se réfugièrent surtout en Transylvanie. De
nombreuses arrestations eurent lieu , et ceux qui en furent
l'objet se virent traduits devant une commission d'enquête
composée de boyards. Le traité de Balta-Liman, conclu le
l'^'^mai 1849, forma la clef de voûtede la contrerévolulion va-
laquo-moldave. L'ancien système fut comolétement restauré
et l'influence russe rétablie. En remplacement de Bibesko,
à qui on ne se soucia pas de rendre ses pouvoirs, le grand
boyard Dimitri Barbo-Stirbey fut élu hospodar, le 16 juin
1849. On publia alors une amnistie relative aux derniers
événements, mais en furent exceptés tons ceux qui s'étaient
opposés à l'entrée des troupes turques à Boukarest et qui
avaient brûlé l'original du Règlement organique.
La Valachie éprouva au total bien plus faiblement que la
Moldavie le contre-coup de la guerre de Hongrie. La ques-
tion principale pour les Principautés, c'était le retrait de
l'armée d'occupation, dont l'entretien était une lourde charge
pour le pays. Au lieu de réduire son armée au chiffre de
19,000 hommes, conformément aux stipulations du traité de
Balta-Liman, la Russie l'avait successivement portée à un
effectif de 40,000 hommes; et ce ne fut que dans le courant
de l'été 1850 qu'elle lui fit subir une légère diminution. L'éva-
cuation complète de la province eut cependant lieu dans le
premier semestre de 1851. Mais le confiit russo-turc qui
éclata en 1853 {voijez Ottoman (Empire] et Russie) eut
pour résultat d'amener une nouvelle entrée des troupes
russes dans la Valachie, le 9 juillet (dès le 2 elles étaient
entrées en Moldavie) ; et dès le mois d'octobre suivant elles
y présentaient un effectif de 75,000 hommes. Les pouvoirs
du gouvernement indigène se trouvèrent complètement an-
nulés devant la volonté absolue du prince Gortschakolf ,
cou.mandant en chef des troupes russes. Quand la Porte
Ottomane eut déclaré la guerre à la Russie, les Principautés
760 VALACHIE
Danubiennes fuient immédiatement fraij('es en provinces
russes; aussi le 27 octobre 1853 le prince Stirbey quiltait-
il Boukaresî et se relirait -il à Vienne. Par un décret en
date du tiG octoltre il avait remis radministration du pays
à un divan pré-idé par le grand-ban Jordan Philippe>lio.
Mais le prince GortscliakofI ii'en tint aucim compte. Il con-
fia le î^ouveinement à l'adjudant générai baron de Buiiberg,
déclara la Valacliie en état de siège, et menaça de (aire
passer par les armes quiconque entretiendrait désormais des
relations ave<; les Turcs, connue ça avait été encore sou-
vent lecasjus(jue là Les troupes valaques furent en outre
incorporées à l'aiinée russe. Le s noveuibie parut un déceet
de l'eiiipereur de Hussie oii il était dit ipie les lio>podars de
Moldavie et de Valadiie s'étaut démis de leurs totn lions,
l'administration sirpérieure de ces deux pioNiuces était dé-
finitivement confiée au baron de Bu<ll)erg, sous le conunan-
dei'ient supéi'ieiir du général en cliel' prince GintscliakoK.
Budherg arriva le 30 novembre a Ja^sy en qualité de com-
missaire extraordinaire et jricnipoientiaire dans les deux
Principarrtcs, et le 8 décembre il si;inifia au conseil d'admi-
nislrat on de la Valacliie que le conseiller d'Élal russe
Kaitsclrinske était nommé son vice-|)résiderrt. Comme llieàtre
delà guerre pendant l'hiver jusqu'à IVlé de l8-i4, la Va-
ladiie fut témoin des sans^laules affaires livrées à Oilenitza,
à Kalafat, etc., en même temps <|u'elle était livrée aux
exactions et aux dévastations de toutes espèces, par suite
des incessanles maiclies et conlre-marclies des troupes
russes a travers le pays, où les disposiiions anlirusses de
la population avaii^it éclaté à maintes reprises. Mais à la
suite de rinsiiccès de i'altaqiie dirigée i outre Kalafat par le
genéial russe Scliilder, le lO avril 1S54, comme l'armée
russe se disposait a liancliir le Danube a l'est et se prépa-
rait à entreprendre le sie;;e de silisliia, elle évacua la petite
Valacliie ou N'alacliie occidentale. Pendant cette retraite Su-
léiman-Paclia battit les Russes a Radowau, le 2 mai, et leur
lit essuyer des pertes considérables. Dès le 7 mai les Turcs
occuiiaient Krajowa; le 30 les Russes étaient de nouveau
attaqués à Karakal par Ismai -Paclia et Skand.r- beg, et
poursuivis jusqu aux bords de l'Alouta. Le général russe
Liprandi abandonna ensuite la position qu'il occupait à
Slatina , ainsi que la ligue au delà de l'Alouta, entre
Rimnik et le Danube. Dès le 3 juin l'Autricbe avait somme
la Russie d'avoir à évacuer les Prini ipaulés. Le 25 juin le
baron Bmlberg notifia olliciellement au\ boyards le pro-
cliain départ de Honkarest des troui)es russes et de toutes les
autorit''s russes. Le 26 juin les Ku^ses, après avoir levé le
siège de Silistria, se retiraient sur \\ rive gauche du Da-
nube; le 31 ils évacuaient Boukaiest, où le prince Cons-
laiitin Kantaku/.éne ()ienait la direction des aflaires comme
président d'un conseil extraordinaire d'admiiiistralion. L'é-
vacuation du reste du territoire de la Valacliie par les
troupes russes eut lien le 21 août; mais en veiln d'un
traité conclu avec la Porte un corps d'armée autrichien en-
tra en Viilachie, et occupa Boiikaiest le 6 septembre. Le
feld-maréchal- lieutenant Coroniiii , comme commandant en
chef des troupes autrichiennes d'occupation , et le com-
missaire luic Deiwisch-Pacba adressèrent alors au prince
Stirbey, qui continuait de résider à Vienne, l'invllation de
revenir en Valacliie; el le 5 octobre suivant reluici taisait
son entrée à Boukaresî. Dès le mois de septembre les Turcs
avaient évacué la Valacliie. Le nouveau ministère nommé
en octobre 1854 par le prince Stirbey se composait en
grande partie de noms populaires. La jiaix conclire à Paris
décide que le règlement déliuitit du soit des Principautés
Danubiennes sera l'objet d'un congrès particulier. La ques-
tion est de savoir si la guerre d'Orienl de 1854 el 1855, si
le traité de Paris du 3(i mars 1856, n'auront en délinilive arra-
ché lesdeux Principaatés Danubiennes aux intbiences russes
que pour les livrer au despotisme brutal et inintelligent des
Turcs ; si le congrès donnera satisfaction au vreu des po-
pulations moldo-valaques, qui récliment la réunion des
deux principautés en un seul État indépendant, ou bien si la
- VALADY
diplomatie persistera à les tenir divisées afin d'annuler ainsi
la nationalité valaque. Consultez Elias Regnault, Histoire po-
litiqne et sociale des Principautés Danubiennes ( Paris,
1855); Thibault Leièvre, Essai sur les Finances de la
Valacliie ( 1855).
VALADY (GoDEFROY IZARN, marquis de), membre
de la Convention nationale, mis hors la loi, et fusillé à
Périgueux,le 14 décembre 1793, par l'ordre du commissaire
conventionnel Roux-Fazillac , à l'âge de vingt-six ans et
demi, était né en 1766, à Villefianclie, en Rouergue
(Aveyron ), et appartenait à l'une des familles nobles et
riciiesdela province. Nommé officier aux gardes françaises,
il en exerçait les fonctions lorsque ce régiment, dont il
était chéri, fut commandé pour la répression des mouve-
ments qui éclatèrent en 1788. Déterminé à ne point servir
d'instrument aux projets de la cour, il donna sa démission.
En 1789, lorsqu'il vit une armée réunie autour de Paris et
l'orage prêt à fondre sur la capitale et sur l'Assemblée na-
tionale, il se rendit aux casernes des gardes françaises,
harangua ses anciens camarades, et leur fit prêter le serment
de détendre la cause populaire. Sur le point d'ôtre arrêté,
il s'échappa et se rendit a Pairrrbteuf, d'où il comjilait passer
en Angleterre, loiscjue la nouvelle de la révolution le rap-
pela à Paris. Il y fut l'un des aides de camp de La Fayette.
Ses liaisons avec Brissot entretenaient sa prédilection pour
les instilutions de l'Union Américaine. Croyant trouver dans
La Fayette riiomme destiné à doter la France de ce régime ,
il s'était voué à le seconder. Trompé dans son espoir,
et entraîné par la fougue du jeune âge, Valady se sépara
de lui. Toirtelois , la chaleur de l'âme et l'ardeur de la plus
brillante imagination s'unissaient chez lui à un es|)rit pé-
nétrant et fin , comme à une haute puissance de réflexion
el de méditation; aussi ne larda-t-il pas, dans la soli-
tude où il était l'entré, et d'où il ob.servait les hommes ,
les intrigues «les partis, la marche des affaires, à se con-
vaincre des obstacles que les vices publics oppo.saient au
triomphede ses doctrines. Les massacres qui suivirent, en
la souillant, la victoire du 10 août 1792, excitant son in-
dignation et sa pitié, le firent désespérer de l'application
de son régime favori à la France. Delà, avant et après
le 10 août, son union avec tous les gens de bien courageux,
à la tête desquels se plaçaient les députés de la Gironde et
leurs amis; non pas (pi'il s'associât à toutes leurs idées, ni
que leurs talents émiiienls d'orateurs ou d'écrivains dissi-
mulassent à ses yeux perçants leur faiblesse comme chefs
de parti et comme hommes d'Éat. Votant avec les girondins
quand il les trouvait fidèles à leurs principes, il se séparait
d'eux, et même avec éclat, dès qu'ils lui semblaient les
violer, comme l'attesta son opposition aux chefs delà Gironde
lors du procès du roi. Ses trois votes motivés, consignés
au Moniteur, resteront comme témoignages d'une âme gé-
néreuse el d'une haute raison. « Louis XVI était votre
adversaire, disait-il à l'assemblée, qui s'érigeait en haute
cour de justice. Vous l'avez attaqué el vaincu. Vous n'avez
pas le droit de le juger. Tous, d'ailleurs, vous avez juré la
conslitiition qui le faisait roi d'une nation libre; ce pacte,
vous l'avez accepté avec ses charges et ses bénéfices. Eh
bien, le crime de haute trahison royale y est prévu el puni
par la déchéance. Supposez le prouvé contre Louis XVI,
n'est il pas déchu du trône? n'a-t-il pas subi sonchàtimenl?
Qu'avez-voiis à faire? Vous ne pouvez que prémunir le
pays contre des tentatives en faveur du roi déchu : la déten-
tion jusqu'à la paix ou l'exil, il n'est pas d'autre alterna-
tive. Prononcez l'exil. La justice et l'humanité vous l'or-
donnent, la politique vous le conseille. En exilant Louis XVI ,
vous jetez la discorde dans le camp ennemi. Le meurtre
d'un roi ouvre l'accès du trône à un successeur. L'échafami
de Charles 1" fut la planche qui y fit monter Charles 11.
Voyez Tarquin chassé de Rome et Jacques II banni d'An-
gleterie : ni eux ni leurs familles n'ont jamais pu rentrer
dans leur pays. Quoi que vous décidiez, commencez p.ir
mettre en liberté l'épouse de Louis et sa (amifle. La réim»
Lliqiie ne fait pas la guerre à des femmes et à des enfants.
Honorez la France en assurant à tous ces exilés , hors de
la patrie, nn traitement digne de la grande nation sur la-
quelle ils ont régné! » En parlant ainsi, le courageux dé-
puté savait qu'il payerait son vote de sa tète. Le lendemain
son nom était inscrit sur les tables de proscription i\ue
dressait Marat. Cela ne l'empêcha pas de faire afficher
dans son département un placard (|ul appelait l'indulgence
nationale sur Louis XVI. Jean-Bon Saint-André le dénonça
formellement à la Convention, et l'accusa d'avoir excité le
peuple à la révolte; mais Barbaroux prit sa défense. Pros-
crit après le 31 mai 1793 , il alla chercher un asile à Péri-
gueux Mais il ne put échapper longtemps aux recherches des
tyrans. Arrêté le 5 décembre 1793 dans les bois voisins de
Périgueux, et conduit devant le commissaire convention-
nel, il ne lui demanda pour toute grâce (pie de périr, comme
ancien oflicier.delamort des braves. Roux-l-'azillac, dans sa
clémence, ne la lui refusa pas, et notre malheureux ami
subit son sort avec un courage digne de sa grande âLue.
Ainsi périt à la lleur de l'âge, victime du fanatisme po-
litique, l'un de ces hommes qin auraient le mieux servi le
pays, en l'honorant par le talent et par de hautes^ vertus.
Ce qui distinguait éminemment Valady , en sa qualité
d'homme, c'était un sentiment vrai et profond de l'égalité
naturelle et de la fraternité évangélique entre tous les hom-
mes ; c'était un désintéressement, une générosité trop rares,
la plus vive compassion, toujours prête à tous les sacrifices,
pour toutes les soulirances, sans distinction de classes. Une
instruction solide et étendue, rare à son âge, une connais-
sance profonde des philo.sophes et des historiens de l'anti-
quité et des temjis modernes, lui avaient tait adopter de
bonne heure une morale a la fois sévère et indulgente. Parmi
ses talents, celui qui le signalait le |ilus éminemment aux
contemporains qui ont pu l'entendre, c'était le prodige et
la magie réelle de sa parole. On ne peut s'en faire l'idée.
Nous avons admiré, comme tant d'autres, les orateurs,
les rhéteurs les plus célèbres pour leur éloquence et la fa-
cilité del improvisation. Aucun n'a été comparable à Valady.
Jamais nous n'avons éprouvé l'enchantement, l'étonnement
qu'il nous causait. C'était réellement un don divin. Jamais
ce()endant il n'improvisa à la tribune. Comme nous lui re-
prochions son silence, il nous dit qu'il ne s'y sentait pas
propre. L'attention au débit, aux gestes, aux convenances
d'une a.ssemblée d'élite tuait ses inspirations et lui enlevait
la meilleure partie de ses facultés. Il s'était essayé à l'As-
semblée des Amis des Noirs, et n'avait pas réussi à son gré.
Il n'était dans la plénitude de sa puissance oratoire qu'en
présence du peuple ou au milieu d'un certain nombre
d'amis. Albert i>e Yitry.
VALAIS (Le) en allemand 11'«//(.s, l'un des Cantons
méridionaux de la Suisse ,coiniite sur un teriitoire de 63
myriamètres carrés 81, 09r> habitants catholiques, placés sous
l'autorité d'un évêque|)arliculier, et 4 63 habitants protestants.
Au bas du Siders la langue française est pailre par près des
deux tiers de la population totale dans un dialecte as.sez
semblable au savoisien, et dans la partie haute de la mon-
tagne on parle un patois allemand présentant beaucoup d'a-
nalogie avec celui de la vallée d'Hazli , d'où vraisemblable-
ment provient la population du haut Valais. Dans la lutte
qui commença de borme heure entre les hauts Valaisans, se-
condés par, leurs voisins allemands, et les bas Valaisans,
soutenus par la Savoie, ces derniers eurent le dessous; et
lorsqire Berne, dans les guerres de Bourgogne (1475), eut
enlevé les basses terres à la Savoie, elles furent traitées en
pays conquis et administrées par des baillis (landvoigtc)
avec le haut "Valais faisant partie de la Suisse. La consti-
tution helvétique inlrodiiite en 179», après une résistance
opiniâtre des hauts Valaisans, attribua des droits égaux aux
deux parties du territoire; mais des 180'2 le Valais fut sé-
paré de la Suisse pour être définitivement incorporé en
1810 à l'empire français. Aussitôt après l'invasion de la
Sui.sse par les troupes coalisées, les hauts Valaisans se son-
YALADY — VALAQUES 761
levèrent contre la domination française ; et la paix de Paris,
restitua, en 1814, le Valais à la Suisse comme Canton de la
Confédération. La constitution du 12 mai 1615 avait at-
tribué au haut Valais la prépondérance dans la confédéra-
tion. Depirisles réformes de constitutions qui eurent lieu en
Suisse en 1831, mais plus parliculièieinenl en 183J, une
lutte des plus vives éclata entre les deux territoires pour le
rr'lablissement de l'cgalité politique, obtenue enfin et con-
sacrée par la constitution du 3 août 1839. Une tentative
faite par les liants Valaisans pour rétablir l'ancienne iné-
galité échoua en 1840, et tout le Canton se soumit alors
à la nouvelle constitution. Mais les meneurs aristocra-
tiques du haut Valais, et surtout les prêtres ainsi que le
parti des jésuites, qui depuis 1814 avaient ouvert des écoles
à Brieg et a Sion, surent exploiter la constitution nouvelle
dans leur intérêt exclusif. Deux partis bien tranchés se for-
mèrent, celui de la jeune Suisse , appartenant au bas Va-
lais, et celui delà vieille Suisse; la guerre civile ne tarda
pas à éclater, et au mois de mai 18441aye««e Suisse éprouva
une déroute complète à Trente. Le résultatde cette victoire du
parti ultramontain fut la constitution du 14 septembi'e 18i4,
qui augmenta la représentation du clergé dans le conseil
cantonnai , qui consacra formellement ses immunités, aban-
donna l'instruction publique au clergé et interdit le culte
prolestant. Le Valais se rattacha plus tard au S onde r-
bund {voyez SurssE). Après ladi.ssolirtiondu Sondcrbund,
le canton reçut le 10 janvier une constitution nouvelle,
conçue dans un esprit libéral. L'initiative en matière de lé-
gislation appartient aujourd'hui au grand conseil , composé
de quatre-vingt-cinq membres. Un conseil d'État, de sept
membres élus par le grand conseil exerce le pouvoirexécutif.
L'autoritéjudiciairesiipi-ême appartient à un tribunal d'appel
composé de onze membres et de srpt sirppléants.
Sous le rapport géographique, tout le Valais ne forme
qu'une granile vallée, arrosée par le Rhône f t ses affinonts
et entourée de hantes montagnes. Dans la plaine elle n'a
qu'une issue fort étroite, à Saint-Maurice. De tous les autres
côtés on ne peut y arriver que par les défilés escarpés des
Alpes, dont le moins élevé est le Simplon (2,057 mètres
au-dessus du niveau de la mer), lequel est aussi le seul
praticable pour les voitures. Les défilés praticables à cheval
sont ceux de Giies et de Grimsel près du glacier du Rome,
de Gemmi près des ci'lèbies bains de Leuk, et du col de
Balme au-dessoirs deChamouny. On construit en ce mo-
ment, d'accord avec la Sardaigne et avec les secours de la
Confédération, une nouvelle roule commerciale à travers le
mont Saint-Bernard. Il faut encore mentionner le défilé si
difficile du mont Cervin, avec le fort Saint-ïhéodul, vrai-
semblablement le point fortifié le plus élevé de la terre, car
il esta 3,427 mètres au-dessus du niveau de la nur, le Rawyl
etleSanetscli. L'éducation du bétail est la principale oc-
cupation des habitants, qui dans ces derniers temps ont aussi
entrepris l'exploitation de diverses urines. La ciriture assez
peu rationnelle de la vigne dans la plaine et le transit du
Simplon leur fournissent aussi quelques ressources. Le
climat offre <les dilférences bien tranchées de froid et de
chaleur extrêmes, suivant la situation des localités; aussi la
richesse du Canton en plantes et en insectes est-elle extra-
ordinaire. La ville de Sion , sitrrée presqu'au centre du
Valais, est le siège du gouvernement et de l'évêché.
VALAQUES ou VLAQUIiS. Ce nom, sous lequel ils
sont connus dans l'ouest de l'Europe, leur vient des Slaves,
qui appellent Wlacli ou Wolok tons les peuples d'origine
roumaine. Quant à eux, ils se désignent eux-mêmes parle
nom de Roumains. Ils habiterrt la moitié méridionale de la
Bukowine, la plus grande partie de la Transylvanie,
l'est de la Hong ri e , ime partie des Front ières Mi I i -
taires, la Bessarabie, quelques localités du gouverne-
ment de Podolie et de Cherson, la Valachie, la
Moldavie, un certain nombre de districts à l'est de la
Serbie ; enfin, une partie d'entre eux, séparés de la grantte
masse de leurs compatriotes, habitent quelques contrées
762 VALAQUES — VAL DE GRÂCE
de la Macédoine, de l'Aibanie et de la Tlies.salie. Une co-
lonie valaque établie en Istrie n'a pas d'importance, car
elle ne compte guère que 1,500 âmes. Le territoire habité
par les Valaques peut donc se diviser en deux parties : la
partie septentrionale et la partie méridionale. La première
est bornée par la Russie , la mer Noire , la Boulgarie , la Ser-
bie et la Hongrie; les Allemands et les Hongrois de la Tran-
sylvanie occupent cependant une partie de ce territoire. On
désigne oi-dinairement sous le nom de Daco-Valaques les
Valaques fixés sur la rive gauche du Danube; ceux qui
habitent au sud, en Turquie, sout appelés Macédono- Va-
laques, ou encore sont désignés par le sobriquet de Kuro-
Valaques ou Zinzares. l\ faut comprendre au nombre
des Daco-Valaques ceux que quelques auteurs qualifient de
Méso-Valaques , c'est-à-dire les Valaques fixés en Serbie.
Les Valaques dépendent de trois États dilïérents : de l'Au-
triche , de la Russie et de la Turquie. Ils professent la reli-
gion grecque ; mais une partie d'entre eux , en Hongrie et
3n Transylvanie, s'est réunie à l'Église romaine. On compte
2n tout huit millions de Valaques, dont trois millions en
Autriche, cinq cent mille en Russie, et quatre millions cinq
cent mille en Turquie. Plus de sept millions appartiennent
i l'Église grecque, et près d'un million à rÉ!:;iise romaine.
VALAQUES (Langue et littérature). La langue va-
laque naquit lorsqu'au commencement du deuxième siècle de
noire ère l'empereur Trajan érigea la Dacie en province
romaine; mesure par suite de laquelle les Daces furent ro-
manisés au moyen de colonies établies dans leur pays. Il y
a donc primitivement deux éléments à distinguer dans le va-
laq.ue : le dace, qu'on suppose avec beaucoup de probabilité
avoir eu de l'affinité avec la langue albanaise , et le romain.
Ce dernier décida au total la forme de la langue, tandis que
l'élément dace n'exerça son influence (|ue dans quelques
parties , telles que la conservation des articles. Le slave, qui
plus tard , notamment au commencement du sixième siècle ,
vint s'ajouter à ces deux éléments, et auquel le valaque
3mprunta une bonne partie de ses mots sans' se les assi-
miler, demeura sans influence sur la formation de la langue
valaque, qui par conséquent est une langue romane, et non
point une langue slave, comme le prétendent quelques au-
teurs. La présence de l'élément slave s'explique d'un côté
par la fusion qui dans un grand nombre de localités s'opéra
entre les Slaves et les Valaques, et d'un autre côté par cette
circonstance que la langue slave resta pendant longtemps
la langue d'église et d'affaires en usage parmi les Valaques.
Les éléments grec, turc, magyare et allemand jouent un
rôle bien moins important dans le valaque. C'est aux Slaves,
notamment aux Boulgares ou Slowènes , et non point aux
Serbes, comme le veulent quelques auteurs, que les Va-
laques empruntèrent aussi leur écriture, qui pour reproduire
les intonations du valaque convient incontestablement
beaucoup mieux que des modifications de l'alphabet latin,
fondées depuis 1677 sur le principe phonétique ou étymo-
logique. Dans ces derniers temps on a en l'idée de fusionner
les deux alphabets. Mais aujourd'hui encore les livres d'église
sont exclusivement imprimés en caractères cyliiriens. Diez
a publié en allemand une très-bonne exposition de la gram-
maire valaque dans sa Grammaire des Langues Romanes
(3 vol., Bonn, 1844). On a des grammaires pratiques par
Alexi (Vienne, 1826), par Eliad (Boidvarest, 1828),
par Clemens (Hermannstadt, 1836), etc., etc., pour ledaco-
valaque ;et par Bojadschi (Vienne, 1813), pourlemacédono-
valaque, dialecte resté sans littérature. Il existe aussi plu-
sieurs dictionnaires pour le daco-valaque : par Bopp ( Klau-
senburg , 1823) ; par Klein et Kolosch (continué par Major
ft terminé après sa mort par d'autres [Ofen, 1825]). Il n'y
a pas encore de dictionnaire macédono-valaipie., Pendant
longtemps la langue appelée slavo-ecclésiastique, ou mieux
l'ancien slowène,dans la forme qu'avec le cours des temps
elle avait prise des Boulgares, fut la langue ecclésiastique
et officielle des Valaques. Tous les livres d'église étaient
écrits en ancien slave et tous les documents rédigés dans
la même langue. L'ancien slave était donc pour les Vala-
ques à peu près ce que le latin est pour les nations de l'Oc-
cident. Seulement , comme il était pauvre sous le rapport
littéraire, il ne valut pas aux populations valaques cette
masse de notions que le latin donna aux Occidentaux. Les
livres ecclésiastiques manuscrits de cette époque sont
encore assez communs; et Georges Wenelin a publié
(Pétersbourg, 1840) une collection de documents qui olfrent
de l'intérêt pour l'histoire des Valaques. Comme les Vala-
ques n'acquéraient la connaissance du slave que par l'u-
sage , et vraisemblablement par la lecture des livres d'église ,
ils s'attachèrent peu, en écrivant, à observer les règles de la
grammaire, et il en résulte que leurs écrits sont assez dif-
ficilesà comprendre. C'est Georges Rakoczy, prince de Tran-
sylvanie, qui donna la première impulsion à la culture de la
langue valaque, en ordonnnant, en 1643, à l'archevêque Simon
Stephan de prêcher la parole de Dieu aux Valaques dans leur
langue. Toutefois, la littérature se borna à la traduction des
nombreux et généralement volumineuxlivres d'église. Quand,
en 1716, les voïvodes indigènes furent remplacés par des
hospodars , le grec devint la langue des classes policées, et le
valaque tut peu cultivé en Moldavie ainsi qu'en Va!achio.
Sous ce rapport les Valaques de Transylvanie donnèrent un
bon exemple à leurs compatriotes, et cultivèrent la langue
nationale avant eux. Enfin, dans ces derniers temps, quand
la Moldavie et la Valachie furent soustraites à rinfiuence
grecque, et que de jeimes Valaques commencèrent à aller
faire leur éducation à l'étranger, les classes élevées s'atta-
chèrent à cultiver la langue française, qui alors se trouva à
l'égard delà langue indigène dans les mônips rapports d'hos-
tilité que l'avaient été le grec et jusqu'au d:^-septième siècle
le slave. Il est évident toutefois qu'en raison de la masse
d'éléments de civilisation qu'elle renferme la langue française
est de beaucoup préférable à celles ([u'elle a supplantées.
D'ailleurs, plusieurs écrivains se sont fait récemment un nom
dans la littérature indigène, par exemple Peter Major, Georges
Schinkay, et Michel Ko.:;alnitschan, comme historiens ;Bobb,
Major, Eliad, comme lexicographes et grammairiens; Alexan-
dri, Alexandresko, Arislia (traducteur de l'Iliade), Assaki,
Beldimaun, Nicolas et Jean Pakaresko, Donitsch, J. EHad,
Mumulean, Negruzzi , Rosetli , etc., comme poètes et traduc-
teurs. H n'a encore été publié qu'un très-petit nombre de
chants populaires valaques. Arthur et Albert ont traduit
en allemand (Stutlgard, 1845) des Contes valaques.
VAL DE GAJVIAS (Marquis de). Foj/es Donoso Cortes.
VAL DE GRÂCE, nom sous lequel est désigné au-
jourd'hui l'un des hôpitaux militaires de Paris. 11 occupe
les bâtiments d'une ancienne abbaye royale de bénédictines ,
située dans le haut de la rue Saint- Jacques et ainsi appelée
parce que cette maison religieuse occupait à l'origine un cou-
vent situé dans une vallée peu distante de Bièvre-le-Châ-
tel. Avec la protection d'Anne d'Autriche, les religieuses
obtinrent, en 1621, l'autorisation de transférer leur couvent
à Paris ; et ce fut la reine elle-même qui, moyennant une
somme de 36,000 livres, fit l'acquisition d'une maison dite
le fief de Valois ou Hôtel du petit Bourbon, dont elle dota
le nouveau couvent qu'elle fondait à Paris. Vingt-quatre
ans plus tard, pour s'acquitter d'un vœu solennel qu'elle
avait fait alors qu'elle semblait irrémissiblement condamnée
âne point donner d'héritier à Louis XIII, en 164 5, elle vint
en grande pompe, avec le jeune roi Louis XIV, son fils, âgé
alors de sept ans, poser la première pierre de l'édifice ac-
tuel, dont Mansard fournit les plans. L'église, transformée au-
jourd'hui depuis longtemps en magasin, avait été richement
décorée par le sculpteur François Anguier. Le dôme, après
ceux des Invalides et du Panthéon le plus élevé qu'il y ait à
Paris, a été peint à l'intérieur par Mignard. Le sujet repré-
senté par l'artiste est le séjour des bienheureux, divisé en
plusieurs hiérarchies. Molière, ami de Mignard, a célébré
ces peintures dans un poème intitulé La Gloire du Val de
Grâce. On vante beaucoup et avec raison le magnifique bal-
daquin qui surmonte le maître autel. Il est supporté par six
VAL DE GRÂCE
colonnes torses de marbre noir d'ordre composite, et dont i
les bases et les chapiteaux sont de bronze doré. ,
VAL DE LA ROCHE. Voijez Ban be La Roche. }
VALDIVIA, l'une des provinces de la république du
Chili (Amérique du Sud), située au sud de cet État et li-
mitée par le territoire des Indiens libres, ou Araucos. Elle
comprend une partie des Cordillères du Chili, qui y atteignent
une hauteur d'environ 2,000 mètres et renferment plusieurs
volcans. La plaine du littoral adossée à cette chaîne est riche-
ment arrosée, couverte de forêts primitives, et offre un sol
qui se prête à la culture de toutes les céréales d'Europe. Les
richesses métalliques de celte province sont encore peu ex-
ploitées. En 1847, sur une superficie d'environ 300 inyriam.
carrés, on n'y comptait que 23,098 habitants. Son chef-lieu,
Valdivia, fondé par les Espagnolsen 1531, est situé sur l'Ar-
règue ou Calle-Calle, qui se jette dans la baie de Valdivia
et forme l'un des ports les plus vastes, les plus beaux et les
plus sûrs de toute la côte occidentale de l'Amérique. Cette
ville est fortifiée, et compte près de 2,000 habitants.
VALDO (Pierre). Toyec Vacdois.
VALÉE (Sylvain-Charles, comte), maréchal de
France, naquit le 17 décembre 1773, à Brienne-le-Château. En
1792 il quitta l'école d'artillerie de Chàlons pour être al-
taché à rarniée du nord. Capitaine en 1795, il se signala
aux affaires de Wurtzbourg, de Maestricht et de Hohenlinden.
Promu au grade de lieutenant-colonel en 1804, il lit la cam-
pagne d'Austerlitz comme inspecteur général du train de
l'artillerie. Nommé colonel en 1807, il fut appelé au grand
quartier général comme sous-chef de l'état-major de l'ar-
lillerie. Après les batailles d'Eylau et de Friedland , Napo-
léon lui confia en 1809 le commandement de l'artillerie du
troisième corps en Espagne. En 1810 il fut nommé général
de brigade, et il passa l'année suivante général de division.
Les campagnes de 1812 et de 1813 dans la Péninsule lui
fournirent de nombreuses occasions de se distinguer; et
quand la fortune des armes contraignit nos troupes à éva-
cuer l'Espagne , il parvint à ramener en France la plus
grande partie de l'immense matériel que nous avions encore
dans ce pays. Reconnaissant d'un tel service. Napoléon le
créa comte de l'empire par un décret daté de Soissons. En
juin 1814, le gouvernement royal appela Valée aux fonctions
d'inspecteur général de l'artillerie. Pendant les cent-jours
Napoléon lui confia le commandement de l'artillerie du cin-
quième corps. Louis XVIII, lors de sa seconde restauration,
ne l'en maintint pas moins dans ses fonctions d'inspecteur
général de son arme. En l8lo, ce fut lui qui présida le
conseil de guerre dans lequel le général Lefèvre-Desnouettes
fut condamné à mort par contumace. Il resta en inactivité
dans les dernières années de la restauration et dans les
premières du règne de Louis-Philippe. Créé pair de France
en 1835, il accompagna, en 1837, le général Dam rémo n t
à Alger, et lors de l'expédition de Constantino il fut
chargé du commandement de l'artillerie. Damrémout ayant
éti" tué le 12 octobre, sous les murs de celte place, ce fut
à lui que levint le commandement en chef de l'armée d'ex-
pédition, et le lendemain il prit Constanline d'assaut. A
son retour à Alger, il y trouva le bâton de maréchal , ré-
compense de ce glorieux fait d'armes ; et à quelques jours
(le là il fut nommé gouverneur général de l'Algérie. Pour
intimider les tribus arabes le maréchal entreprit en octobre
1839, en compagnie du duc d'Orléans, une promenade mi-
litaire de Constantine au défilé des Portes-de-Fer. Pendant
celte expédition, de nombreuses hordes arabes envahirent
la plaine de la Métidjah, massacrant les détachements iso-
lés , détruisant les établissements agricoles et les moissons,
et répandant la terreur dans toute cette partie de la domi-
nation française en Afrique. En novembre Abd-el-Kader lui-
même parut dans la Métidjah, tamiis qu'un de ses lieute-
nants se jetait dans la province d'Oran. C'est à ce moment
seulement que le maréchal Valée lit de sérieux préparatils
de défense. L'hiver s'écoula dans de continuelles escar-
mouches; mais la liille ne commença véritablement qu'an
— VALENCIA 763
printemps suivant. Au nr.ois de mars, un corps de 12,000 hom-
mes se porta sur Cherchell, et en prit possession, tandis
que 26,000 hommes étaient employés à châtier les Harac-
tas. Le 27 avril le maréchal, accompagné des ducs d'Au-
male et d'Orléans, partit de Blidahavec 15,000 hommes,
franchit l'Atlas le 12 mai, et occupa Médéah. Le 20 il re-
passait l'Atlas, et à la fin du même mois il était de retour
à Alger. Les forces mises à la disposition du maréchal
étaient insuffisantes ; il avait d'ailleurs commis la faute de
trop éparpiller ses troupes, qu'il sacrifiait quelquefois par
obstination. L'invasion de la Métidjah par d'innombrables
bandes d'Arabes et de Kabyles, qui en vinrent jusqu'à oser
se montrer sous les murs même d'Alger, empêcha le maré-
chal d'aller en avant. Pour donner satisfaction à l'opinion,
il rouvrit la campagne dans les premiers jours de juin, et
occupa le s Milianah, qu' Abd-el-Kader venait de dévaster.
Tous ses efforts tendirent dès lors à purger le pays des
bandes qui l'infestaient; mais il n'y ré\issit qu'incomplète-
ment. Après la formation du cabinet du 29 octobre 1840, il
fut rappelé du théâtre des opérations militaires, où, au total,
il avait eu assez peu de bonheur, et où il fut remplacé par
le général Bugeaud. Il mourut à Paris, le IG août 184G.
VALEIVÇAY. Voyez Indre (Département de 1').
VALEiXCE, Julta Yalentia, chef-lieu du départe-
ment de la D r ô m e et siège d'évêché, est bâtie sur la rive
gauche du Rhône, qu'on y passe sur un beau pont suspendu.
Les anciennes murailles dont la ville est entourée lui donnent
une apparence extérieure assez triste, qui du reste n'est
pas démentie par la vue de l'intérieur, car Valence est en-
core généralement mal percée et mal bâtie, quoique l'on ait
beaucoup fait depuis quelques années pour l'einhellir. On y
compte 14,154 habitants, et onze églises, parmi lesquelles on
remarque surtout la cathédrale, avec un beau monument par
Canova à la mémoire du pape Pie VI, qui en 1797 et 1798
fut détenu prisonnier dans la citadelle et qui y mourut.
Cette ville possède une société d'agriculture, commerce et
arts; une bibliothèque publique, riche de 15,000 volumes ;
un théâtre, un collège communal, un jardin botanique, un
assez beau palais de justice, des imprimeries sur toile, des
teintureries et des tanneries. L'industrie y est au reste d'une
faible importance. Son commerce consiste en vins fins de
la côte du Rhône et du midi, truffes, eaux-de-vie, fruits,
huiles d'olives et de noix.
Valence a remplacé une ville gauloise, que les Romains
nommèrent Valentia, de la valeur de ses habitants, selon
quelques écrivains; c'était la capitale des Segolaimi, que
Pline appelle Segovellauiii, et la notice de l'enipire Segau-
launi. Elit! portait alors le nom de Julia Valendu, et
était, à ce qu'il parait, d'une assez grande importance. Après
la chute de l'empire romain , elle fut soumise aux Bour-
guignons et ensuite aux Franks mérovingiens. Sous les
Carlovingiens, elle fit partie du royaume de Bourgogne et
d'Arles. Il s'y trouvait autrefois une université que le comte
de Valenlinois Louis II y transféra de Grenoble et d'où
sont sortis plusieurs hommes célèbres , entre autres Cujas.
Plus tard, elle hit remplacée par une école d'artillerie, où
se développa le génie de Napoléon. Ce fut aussi dans cette
ville que siégea la chambre ardente qui condamna le fameux
Mandrin, en 1755.
Valence était la capitale du comté de Valentinois,
qui en 1446 fut incorporé au Dasphiné. Louis XIII, en 1642,
l'érigeaen un duché-pairie, qui avait pour chef-heu Crest,
chef-lieu de canton de l'arrondissement de Die , et en fit don
à Honoré de Grimaldi, prince de Monaco, qui avait reçu
dans sa ville garnison française. Avant 1793 , il apparte-
nait à la famille de Matignon , qui avait hérité des biens de
cette maison.
VALEiXCE, ville d'Espagne. Voyez Valencia.
VALEi\:CLV, VALENCE , royaume dépendant de l'E s-
pagne, d'une surperficie de 252 myriam. carrés, el com-
prenant l'étroite lisière de côtes qui s'élend au sud de la
Catalogne jiis(ju'au royaume de Murcie , borné à l'ouest
■6-1
par la partie méridionale de l'Aragon ainsi que par la Nou-
velle Castille, et formant le versant oriental du plateau de
l'intérieur de l'Kspagne du côté de la Mcdilerranée. Ce
pays se compose donc de la plaine étroite qui longe la Mé-
dilerrance, dont la tôteest ici sablonneuse, basse, pauvre
en lait de ports, mais riche en lagunes , et des ramifications
de montagnes par lesquelles s'abaisse insensiblement la
crête orienlale du plateau de l'Espagne; aussi à l'intérieur
présente t-il tous les caractères d'un pays de montagnes. Le
royaume de Valence est célèbre par la beauté el la douceur
de son climat, ainsi que par sa fertilité, (ju'on n'aperçoit
d'ailleurs (pie là où le sol est suflisannnent arrosé. Les pro-
duits sont en gênerai ceux du midi de l'Espagne. Le pays
produit surtout beaucoup de vins estimés, d'imiled'olive, de
fruits de toutes espèces , de salran , de soude , de clianvre ,
de miel, de kermès, de soie et de sel dans les lagunes;
les dattiers y réussissent même très bien. Les lagunes situées
sur les bords de la mer, surtout <elle d'Albiiléra , abondent
en gibier à plumes et en poissons. Les babitants, dont le
nombre est d'enviion 1,1 10,000, témoignent d'un toit mé-
lange avec le sang maure , jouissent d'un assez mauvais
renom pour leur caractère, mais sont d'ailleurs d'actifs
agriculteurs et industriels. Aussi le royaume de Valence
est-il, après la Catalogne, la province la plus industrieuse
de l'Espagne, et coutient-il de grandes fabriques de soieries,
de cotonnades, de sparterie, de papier et de savon. Sous le
rapport administratif, il est divisé en trois provinces : Va-
lencia, Aticanle et Caslellon de la Plana , dont la pre-
mière compte à elle seule 500,000 habitants.
Au temps de la domination romaine le royaume de Va-
lence taisait partie de la Tarraconensis. Après la cbute du
royaume des Visigotlisen Espagne, il passa sous la domi
nation des Maures, et foruui d'abord une province du
royaume de Cordoue. Mais en l'an 788 le gouverneur Ab-
dallah se rendit indépendant, et depuis lors ce territoire
constitua un des royaumes maures de l'Espagne. Auonzème
siècle , il fut conquis par le Ci d ; mais après la mort de ce
héros il retomba au pouvoir des Arabes, qui le conser-
vèrent jus(pi'en l'an 1238, oiiJayme 1" d'Aragon en fit la
conquête. Ce prince dota le pays d'une organisation judi-
ciaire analogue à celle du royaume d'Aragon, auquel il fut
réuni à partir de 1319, pour ne plus former désormais qu'un
seul et même État.
Vale.nci.v, Valence, le chef-lieu delà province et de
l'ancien royaume, la Valentia Edetanoriim des anciens,
est la ville la plus importante qu'on y trouve. Située <lans
Tune des plus ravissantes parties de la Hiierta (jardin) de
Valencia, sur les rives du Guadalaviar, d;ms une plaine
magnifiquement cultivée, c'est une des villes les plus belles
et les plus considérables de toute la Péninsule. Entourée
de nuirailles et de tours, dont une bonne partie date de l'é-
poque des Sarrasins, et défendue par une petite citadelle,
elle compte dans ses rues étroites , mais bordées de mai.sons
massives et généralement d'une vieille architecture, ainsi
que sur ses neuf places publiques, un granil nombre d'édifices
remarquables et soixante quatorze églises. Nous mentionne-
rons surtout l'antique cathédrale, le palais royal, la bourse et
l'hôpital général. La ville est le siège d'un capitaine général,
des autorités supérieures de la (trovince, d'un archevêque
(depuis 1492) et d'une audiencia reale. En fait d'établis-
sements, elle possède une université, fondée en 1441 , mais
aujourd'hui bien déchue, et une académie des beaux-arts
(voyez t. VIII, p. 315, Écoles ke Peintuue). Les habitants,
au nond)re de 67,300, sont très-industrieux, entretiennent
de grandes fabriques de soieries, de papier et de savon, et
font un commerce assez important , tant par terre que par
mer. Pour le commerce maritime, il se fait au moyen de
la rade, assez peu silie, de Grao, petite ville de 5,000 ha-
bitants , située à environ 5 kilomètres de Valence, à laquelle
elle est reliée par VAlemeda, délicieuse avenue d'orangers ,
de grenadiers et «le |)almiers.
Y>.LKNcr.\ , appelée autrefois Ntieva-Valencia del Rcy ,
VALENCIA — VALE^CIENINES
chef-lieu de la province de Carabobo, dans la république
de Venezuela ( Amérique du Sud ), fondée dès 1 555 , à
environ six myriamètres du port de mer appelle Puerto-
Cabillo, à un kilomètre du magnifique lac de Tacarigua
ou de r«/e»c!a( d'une superficie de 63 kilomètres carrés) ,
entourée de plaines en partie bien cultivées et située d'une
manière Irès-avantageuse pour le commerce entre l'intérieur,
Caraccas et Puerto-Cabello, est une ville bien bâtie, avec
de larges rues, une place d'une grandeur peu commune,
im collège , différentes écoles et 1 0,000 habitants , qui .s'oc-
cupent de commerce et d'agriculture. L'industrie contribue
aussi beaucoup à l'aisance générale de cette population.
VALEIXCI A ( Duc de) , titre conféré par la reine Chris-
tine au général Ma r v ae z.
VAL^:I\CIE^'l\ES, villeet place forte du départe-
ment du Nord, chef-lieu d'im des plus riches arrondi-ssements
qu'il y a'.t en France, bâtie au confluent de l'Escaut et
de la Rhonelle , avec une citadelle construite par V au ba n ,
une station du chemin de fer du Nord , et 20,905 habi-
tants. Elle possède un comptoir de la Banque de Franco,
un théâtre, une bibliothèque, un mu^ée , une école de
peinture, une collection d'antiquités romaines, et im bel hô-
pital. Son oiigine a été l'objet de bien des recherches. Les
uns soutiennent que son nom primitif est Val-des-Sens ou
des Sénonais. Les Sénonais, s'il faut les en croire, venus
pour guerroyer dans la Gaule Belgique, sous la conduite
d'un Brennou Brennus, s'établirent quelque temps dans le
lieu même où s'élève aujourd'hui Valenciennes, et jetèrent
les premiers fondements de cette ville. D'autres lui don-
nent pour nom primitif celui de Vallée-des-Cijgnes , qu'ils
expliquent |»ar le grand nombre de ces oiseaux , au blanc
plumage, (pii peuplaient la vallée avant qu'une ville y pa-
rût. Ces deux opinions dilférenles s'unissent ensuite pour
affirmer que l'empereur Valentinien fortifia et embellit le
Val-de&Sens o\\ la Vallée-des-Cijgnes, qui depuis porta
le nom de son restaurateur. Quoi qu'il en soit, le plus ancien
titre authentifiue qui relate Valenciennes est de 693. Sous
les rois de la seconde race, Valenciennes fut érigée en comté ,
et conserva ses .souverains particuliers jusqu'en 1051 , que
Richilde la porta dans la maison des comtes du Hainanlt,
par son mariage avec Baudouin de Mons, sous la ré.serve
néanmoins que le comté de Valencieimes serait toujours
régi séparément par ses lois, coutumes et franchises. Cette
ville passa successivement dans la maison d'Avesnes, dans
celles de Bavière, de Bourgogne et d'Autriche, par le ma-
riage de Marie de Bourgogne, fille du duc Charles le
Hardi, avec l'archiduc Ma\imilien, qui depuis fut empe-
reur. Marie de Bourgogne mourut en l482 , laissant pour
héritier de ses États un fils nommé Philippe, qui devint
roi d Espagne, et fut père de Charles Quint Le comté de
Valenciennes devint donc province espagnole. En 1656
M. de ïurenne et le maréchal de La Ferté firent le siège
de Valenciennes ; mais ils furent contraints de le lever. En
1677 Louis XIV en fit la conquête, et en arrêta le pillage,
à la condition que les habitants construiraient h leurs frais
unecitadelle sur les plans de Vauban. Dès lors Valenciennes
appartint à la France, et cette conquête fut successivement
confirmée par les traités de Nimègue , en 1678, et d'Utreclif,
en 1713. Aux jours changeants delà révolution (1793), elle
retomba momentanément au pouvoir de l'empereur d'Au-
triche, après un siège à jamais mémorable, qui dura qua-
rante-deux jours. Défendue .seulement par 10,000 hommes
contre plus de 100,000, la ville reçut 160,000 projectiles,
dont 48,000 bombes ; et les assiégeants n'avaient à opposer
que 175 bouches à feu aux 344 canons et mortiers de l'en-
nemi. Mais elle fut reprise l'année suivante par les troupes
de la républi(iue française. A une lieue de cette ville se
voient les ruines de Famars ( Fanum Marfis ) , où les Ro-
mains ont séjourné quelque temps.
Autrefois Valenciennesétait renommée pour ses dentelles.
Aujourd'hui les valenciennes sont encore l'ornement obligé
des toilettes de nos dames; mais dans la ville qui leur
VALENCIENNES — VALENTIN
donua son nom on clierch irait en vain qui les fabrique
705
Le cliarbon de terre, les bois, les batistes, les sucreries,
les fonderies, la construction des machines à vapeur, la
navigation, sont les principaux éli^ments de son commerce.
Sous le rapport des arts et des lettres , Valenciennes peut
encore revendiquer quelque gloire : elle tut la patrie d'An-
toine VVatteau et de Froissart. A. Uubois.
VALEI\CIE!M\ES (Pierre-Henri), peintre de
paysage, né à Toulouse, en 1750, entra dans l'atelier de
Doyen, et s'y fit bientôt remarquer. Cependant , il ne tarda
pas à abandonner l'histoire pour le paysage. L'élude de
la nature en Italie et celle de quelques chels-d'œuvre du
Poussin et de Claude Lorrain , qu'il eut occasion de voir
et de copier à Rome, achevèrent de former son style.
Rentrant en France au moment où Vien se faisait remar-
quer si avantageusement, il contribua à la révolution qui s'o-
pérait dans la peinture, etcréa alors une école de paysagistes
qui a produit quehiues belles toiles, il compta aussi |)armi
ses élèves Prévost, le c<'lèbre inventeur des panoramas.
Valenciennes est auteur d'un Traité de Peispec/ive et de
VArt du Paysage (Paris, 1800; 1' édition, 1820), (lui est
justement estimé. 11 mourut le 16 février 1819. 11 avait
reçu la décoration delà Légion d'Honnem-; mais malgré son
mérite il ne fut pas de l'Institut. Son tableau de Cicéron
découvrant le tombeau d'Archiméde est considéré comme
son chef-d'œuvre; il est placé dans la galerie du Louvre.
DucHESNE aîné.
VALENGIiX. Voyez Keufchatel.
VALE1\S (Flavius), empeieur romain, né près de
Cibalis en Pannonie, l'an 3?8 de notre ère , était hère de
Valentinien 1", qui se l'associa à l'empire, le 28 mars de l'an
364. Valens eut en partage le gouvernement des provinces
de l'Orient, qu'il dut toutelois disputer à Procope, parent
de Julien, qui en l'an 365 profita d'une absence de l'em-
pereur pour prendre la pourpre à Coiistantinople. l'iocope
fut battu en 366 à ïhyalyra, puis à Nicosia, en Asie Mineure.
L'empereur ne pardonna f)oint à sou ennemi malheureux,
et l'ayant pris, il le lit mettre à uiort. L'année suivante Va-
lens eut à souteuir contre Alhanarich, prince des Visigollis,
une guerre qu'un traité termina en 369 Les querelles qu'il
eut avec le roi de Perse, Sapor, au sujet de la possession de
l'Arménie et de l'ibérie, se terminèrent également par un
traité. En l'an 375, l'invasion des Huns ayant détruit, sous
le règne d'Ermanaiich, le royaume des Goths, un grand
nombre de ceux-ci se réfugièrent sur le territoire romain,
et Valens consentit à les laisser s'établir dans la basse Mesie.
Riais la dureté avec laquelle les auloiités romaines |)nicêiiè-
renl à la répartition des terres allouéus aux nouveaux colons
provo(|ua une révolte i)armi ces étrangers, qui alors par-
coururent la Macédoine et la 'flirace en les dévastant, sans
que les généraux de Valens réussissent à les en empocher.
En 378 Valens quitta l'Asie pour mettre lin lui-même à ces
désordres. Sans atlendre larrivéede l'armée que son neveu
l'empereur Gratien devait lui amener d'Occident, il niaicha
à la rencontre des Goths, auxquels il avait cependant laissé
le temps de concentrer leurs forces. Le 9 août 37» une ba-
taille se livra aux environs d'Andriuo()le. Valens y périt dans
la mêlée, et son armée y essuya une déroute complète. Sur le
trône Valens avait lait preuve de négligeuce pour le bien-
être de ses |ieuples en même temps que de rapacité. Le
poids des impôts sous son règne était devenu excessif. Arien
zélé, il avait persécuté cruellement les partisans de la loi or-
thodoxe ainsi que les païens.
VALEI\TIA. Voyez Kekry.
VALEiXTIN, cent-quatrième pape, était filsd'un Romain
nommé Pierre, qui le lit élever dans le palais pontifical de
Latran Pascal i^"^ le nomma sous-diacre et diacre. Eugène 11
ne pouvait s'en séparer. Platine raconte que dès son exlrème
jeunesse Valenlin fuyait le jeu et les plaisirs pour se livrer à
l'étude et à la pratique de la vertu. Archidiacre de la créa-
tion d'Eugène, il lui succéda après quatre jours de vacance,
le 1" septembre 827. Mais le 10 octobre suivant le peuple
l'accompagnait au tombeau en louant sa douceur, son élo-
quence et sa piété. Viennet, de lAcadémie Française.
VALEMTIiV, Ko/eH/în;«, hérésiarque, né au commen-
cement du deuxième siècle, dans un bourg de la basse Égyirte ,
vint de bonne lieureà Alexandrie, s'y rendit foit habile dans
les sciences et les lettres grecques, et étudia surtoul la philo-
sophie de Pvthagore et de Platon , ainsi que les doctrines
orientales. Il entra dans les ordres, aspira aux dignités de
l'Église et brigua Tépiscopat; mais s'elant vu préférer un
rival, il en conçut, dit-on, tant de dépit qu'il résolut dès lors
de se sé|)arer de l'Église. Marchant sur les traces de Basilide,
de Marcion, de Saturnin, de Carpocrate, il devint le chef d'une
de ces sectes que l'on désigne sous le nom de gnosliques
{voyez G.nosticisme), parce que leurs adeptes prétenilaient
découvrir la vérité par un procédé inconnu au vulgaire, et
qu'ils nommaient <;w 0.5e. 11 enseigna un système bizarre ,
assemblage monstrueux d'idéescbréliennes, orientales et phi-
losophiques, et sut, à la faveur d'une imagination hardie et
d'une éloquence vive, se faire un grand nombre de parti-
sans. DÉgyple il pas.sa en Italie, et vint à Rome vers l'an
l40, sous le i)ontilicat d'ilygin, dans le dessein de répandre
ses erreurs. Exclu de rassemblée des lidèles à deux reprises,
il futexcommunié délinitivement vers l'an 143. N'ayant plus
dès lors aucun ménagemenl à garder, il continua avec
plus d'ardeur que jamais à piopager sa doctrine, et y réussit.
Sa secte s'vtendil à la lois en Orient et en Occident, et pé-
nétra jusque dans la Gaule. 11 mourut en l'an I6l. 11 ne nous
est parvenu aucun de ses écrits , mais ses opinions sont assez
connues par le témoignage des Pères de l'Église, qui les ont
exposées et léhitées.
Tous les êtres, selon Valenlin, forment deux grandes
sphères ; l'une est le monde visible, l'autre le monde in-
visible. Dans le monde invisible il faut d'abord distinijuer
un espace immense et eclataiil de lumière, qui n'est au! re chose
que Dieu, mais Dieu plongé dans le repos et non encore
révolé: c'est ce qu'il noiuuie la Plenifade, en grec llXr,-
pto[xa. Du sein de la l'ténitude émanent trente natures «li-
vines, éternelles, qu'il nomme Éons, du grec aîwv (éter-
nité); de ces trente Eo)is , iiuiiize sont mâles, quinze fe-
melles; et combinés deux à deux, ils se sont engendres
graduellement les eus les autres. Les deux plus anciens sont
\e premier l'ère (Propator), que Valenlin nomme aussi le
Profond (Buthos), et la Pensée (Liinuia), (juil nomme
au.ssila Grdce (Charis). Dellivinende ces deux éons sont
nés VEspril (^uuf.) et la Ven/é ( Alellieia),(iui à leur tour
ont par leur commerce engendré le Verbe ou l'Intellect
(Logos) et la Vie (Zoe), d où eiilin sont nés V Homme spi-
rituel et \ Éyiise. Tels sont les huit premiers eons : nojs
ferons grâce de la généalogie des autres, qui ne sont guère
(pie des atlribuls de Dieu ou de l'Iiomme peisonniliés. En
tête des êtres (pii ne sont plus conlemis dans la l'ténitude
(dans le sein de Dieu) est le Désir ou la Passion ( liiilhy-
niesis), en langage oriental Acamoth, issue de la Sagesse,
et qui est à la It) s d'une triple nature, spirituelle, animaie,
et matérielle. Par sa partie animale elle a engendré le Dé-
miurge (Ouvrier secondaire), auquel doivent leur naissance
tous les êtres créés qui composent le monde visible, et qui
seul est l'auteur des imperfections qu'on y remarque.
L'homme visible ou crée participe à la triple nature d'A-
camoth: il doit viser à se dépouiller de la partie matérielle
et animale pour ne conserver que la partie spirituelle; mais
pour y réussir il a besoin d'un médiateur. Jésus-Christ,
ce médiateur, est composé de deux nalut*'^ seulement,
la spirituelle et l'animale. Le Christ n'a soullert que dans
sa partie animale; la partie spirituelle ne pouvait pas être
alteihie par le supplice Dans l'homme, la partie ani-
male seule a besoin d'être rachetée; quant à la nature
spirituelle, elle est tellement incorniplible que,nlôme au
milieu des plus grands excès, elle resterait pure et intacle,
de même que l'or ne peut être taché par la boue. 11 parait
que les disciples de Valenlin abusaient de celte dernière
partie de sa doctrine pour s'abandonner sans scrupule aux
766
VALENT IN
passions les plus honteuses. Dans ce court exposé des doc-
trines gnostiques, on peut déjà reconnaître un amas confus
de doctrines hétérogènes, telles que V Émanation des
Orientaux, le Démiurge de Platon, la Théogonie d'Hé-
siode, etc. Quelque ridicule que puisse nous ))araîlre ce
bizarre assemblage, il ne laissa pas de trouver de très-nom-
breux partisans , et mérita d'être réfuté par plusieurs des
Pères de l'Église, par Tertullien (Contre Valentin) , far
saint Irénée(rfe Hw.resibus) , parOrigène {dePrincipiis),
par saint Clément d'Alexandrie, etc. Bouillet.
VALEJ\TIi\ (Moïse), né à Coulommiers, en 1600, mort
à Rome, en 1632, parsuite de l'imprudence qu'il commit de se
baigner ayant très-chaud, fut l'élève de Simon Vouet, dont il
ne quitta l'atelier que pour entreprendre le voyage d'Italie. A
Rome, le Caravage fut le modèle qu'il chercha à imiter, sans
cependant donner à ses toiles une teinte aussi noire. Protégé
par le cardinal Barberini, il peignit à sa recommandation,
pour l'église Saint- Pierre, le martyre de S. Processe et de
S. Martinius, chef-d'œuvre qui soutient avantageusement la
comparaison avec les plus belles productions des écoles de
peinture rivales de l'école française, et que Napoléon avait
fait placer dans la galerie du Louvre. On le voit aujourd'hui
au Monte Cavallo. Il s'attacha surtout à peindre des con-
certs, des joueurs, des soldats, des Bohémiens et des Ta-
bagies. Ses tableaux sont rares et recherchés. Notre musée
du Louvre en possède onze. On en voit aussi de très-beaux
au palais de l'Ermitage, à Pélersbourg. Valentin a une touche
légère ; sou coloris est vigoureux, ses figures bien disposées;
mais on lui reproche de manquer de correction.
VALENTIIXE DE MILAN était lille de Galeas Yis-
conti, le premier de sa maison qui porta le titre de duc de
Milan, et qui avait épousé, en 1360, Isabelle de Valois,
fille de Jean, roi de France. En 1389 Valentine, âgée de
dix-neuf ans, épousa Louis d'Orléans, frère cadet du roi
de France Charles YI. Transplantée dans une cour où l'in-
trigue et des ambitions coupables se mêlaient à un amour
effréné des plaisirs , sa jeunesse et sa beauté ne purent éviter
tous les pièges et les dangers qui l'entourèrent. La folie du
malheureux roi Charles YI ouvrit bientôt une libre carrière
aux partis qui se disputaient l'autorité. La douceur de Va-
lentine, ses soins assidus, soulageaient les maux du roi,
qui ne trouvait un peu de calme et des intervalles lucides
qu'auprès d'elle. Ce|iendant, la reine Isabeau de Bavière in-
triguait pour établir en France la domination de l'étranger.
Le duc d'Orléans lui-même négligeait son épouse pour en-
tretenir avec Isabeau des liaisons coupables. L'ignorance po-
pulaire attribuait a la magie l'iiilluence que Valentine
exerçait sur l'infortuné Charles YI ; on prétendait qu'ins-
truite en Italie dans l'art des sortilèges, elle s'en servait
pour dominer le roi et pour faire passer le gouvernement
dans les mains du duc d'Orléans, son époux. La mort d'un
de ses entants lut l'occasion de diriger contre elle une ca-
lomnie encore plus atroce. Les partisans du duc de Bour-
gogne firent courir le bruit que ce jeune prince avait par er-
reur pris un poison préi)aré par sa mère pour le dauphin.
Le duc d'Orléans sembla môme donner quelque crédit à
cette accusation , en reléguant Valentine à Neufchàtel. Tou-
tefois, elle reparut bientôt à la cour, rt y reprit auprès du
roi son rôle de consolatrice. La mort funeste de son époux
(le 27 novembre 1407) vint changer sa position. Elle était
alors à Château-Thierry. Aussitôt elle envoie ses en-fants à
Blois, pour les mettre en sûreté contre les coups de ses en-
nemis, puis elle se rend elle-même à Paris pour demander
vengeance. Le faibleCharlesVI.ému par ses larmes, et jaloux
d'ailleurs de venger la mort de son frère, lui promit jus-
tice; mais l'ascendant d'isabeau de Bavière assura l'impu-
nité du crime, et elle eut même le crédit de faire éloigner
Valentine, qui ne survécut pas plus de quatorze mois à la
mort de cet époux, qu'elle avait toujours aimé, malgré ses
torts envers elle. Elleassembla ses enfants autourde son litde
mort, et les exhorta à soutenir la gloire de leur maison, et
surtout à poursuivre la vengeance du meurtre de leur père.
VALENTIiNIEN
Elle mourut à la fin de 1408, âgée de trente-huit ans. Le
noble caractère et les vertus touchantes qu'elle fit paraître
au milieu d'ime cour corrompue et livrée à tous les capri-
ces des passions les plus violentes ont recommandé sa mé-
moire à la postérité. Depuis son veuvage elle avait adopté
une devise que sa touchante naïveté a fait conserver :
Rien ne m'est plus,
Plus ne m'est rien.
Son fils aîné, Charles d'Orléans, est le même qui subit
une longue captivité en Angleterre, après la bataille d'Azin-
court, et qui est connu dans notre histoire littéraire par
un recueil de poésies gracieuses.
Les droits héréditaires de Valentine sur le Milanais ser-
virent de prétexte aux guerres d'Italie entreprises après
elle par Louis XII, son petit-fils , et par François P^
Artaud .
VALENTINIEN I", empereur Romain ( du 26 février
364 au 17 novembre 375), né à Cibalis, en Pannonie, était
destiné à parvenir à l'empire sans intrigue et sans cabale,
uniquement par la renommée de son mérite. Son père, Gra-
tien, après avoir passé par tous les degrés de la milice, de-
vint comte d'Afrique, puis commandant des légions de la
Bretagne. La réputation de son père facilita au jeune Valen-
tinien ses premiers pas dans la carrière militaire. Doué d'une
force et d'une valeur héroïques, il devint un des oificiers
les plus distingués de l'armée impériale. Sous Julien l'A-
postat, son attachement au christianisme lui valut la défa-
veur de ce prince; mais sous Jovien Valentinien fut élevé
au commandement delà seconde compagnie de la garde im-
périale. La mort de ce prince, connue il conduisait son
armée en Bithynie(364 après J.-C), fut suivie d'un interrè-
gne de dix jours, pendant lequel l'armée continua sa marche
jusqu'à Nicée. Là elle s'arrêta pour élire un empereur. Le
choix tomba sur Valentinien, qui se trouvait alors à Ancyre,
où Jovien l'avait envoyé à la tète de quelques troupes. Un
mois après, Valentinien était à Constanlinople, et le 28
mars il associait à l'empire son frère Y al en s, à qui il
donna la préfecture d'Orient et une partie de l'IUyrie sur le
bas Danube. Depuis cette époque l'empire resta partagé. Va-
lentinien 1*=', plus habile, sut contenir avec une égale fer-
meté la turbulence des ariens et autres sectes chrétiennes
ainsi que l'audace des barbares. Son active vigilance s'ap-
pliqua avec succès à l'administration intérieure. A son avè-
nement, il repoussa les sollicitations des évoques qui le
pressaient de régler les disputes en matière de foi ; il per-
mit à tous ses ()euples de suivre telle religion qu'ils juge-
raient convenable, et défendit d'inquiéter personne à ce
sujet. Les ecclésiastiques faisaient un abus scandaleux de
leur influence sur leurs pénitents pour se faire faire des legs
considérables ; Valentinien rendit une loi qui excluait les
prêtres et les moines des successions. Il défendit aux avo-
cats de taxer le prix de leur travail. Il établit aux dépens du
trésor public un médecin dans chacun des quatorze quartiers
de Rome, pour traiter gratuitement les pauvres. Par une loi,
que renouvelèrent depuis Théodose et Arcadius , il appela
les petits-enfants par la fille à la succession du grand-père. Il
exempta de tout impôt les filles et les garçons. Les villes
lui durent l'institution de la magistrature protectrice et gra-
tuite des défenseurs de la cité. Quelque peu lettré qu'il fût,
il établit dans tout l'empire des écoles, dont le régime rap-
pelle celui de nos anciennes universités. Chaste dans sa vie
privée , Valentinien punit sévèrement l'adultère ; habitué à
une vie frugale, il tint une cour sans faste, et fut l'admi-
nistrateur économe du revenu public. Il diminua les impôts
et arrêta les désordres et les vexations des agents du fisc. Sa
taille haute, sa noble prestance, son éloquence facile et na-
turelle (car elle ne devait rien à l'éducation) annonçaient
le maître du monde. La colère et la cruauté ternirent tant
de belles qualités. Une sentence de mort ne coûtait rien à
Valentinien : il la prononçait pour le moindre manquement
à souserviee personnel comme pour les plus grands crimes ;
'}.[ se plaisait même à railler ceux qu'il envoyait à la mort.
Empereur chrélien , il rappelait ainsi les barbaries des plus
féroces empereurs païens; et, chose remarquable, les moi-
nes inscrivaient presque toujours dans la liste des martyrs
ceux dont il faisait répandre le sang dans sa brutale colère.
Les accès de colore étaient chez lui si violents que ce fut en
déblatérant avec fureur contre les ambassadeurs desQuades,
qu'il se rompit un vaisseau de la poitrine et tomba dans
les bras de ses gardes, étouffé par les flots de sang qu'il
vomissait. 11 avait environ cinquante-quatre ans, et cent
jours de plus auraient rempli la douzième année de son
règne.
VALENTINIEN II, second fils du précédent, fut, à la
mort de son père , proclamé empereur par l'armée de Pan-
nonie, tandis que son frère aîné, Gratien, né d'un pre-
mier mariage, et nommé auguste dès son enfance, prenait,
à Trêves, possession de l'empire. Gratien ne voulut point
contester, et abandonna à son jeune frère , âgé de quatre ans
seulement, les préfectures de l'Italie et de i'Ulyrie. L'impé-
ratrice Justine, sa mère, fut déclarée régente. Cette prin-
cesse persécuta les chrétiens. Le tyran Maxime, qui venait
de détrôner Gratien, prit prétexte de cette persécution pour
envahir l'Italie ; mais le grand Théodose mit bientôt un
terme à l'usurpation et à la vie de Maxime (388). Le jeune
Valentinien, sorti de la tutelle sa mère, paraissait prendre
Théodose pour modèle. Il avait terminé une expédition heu-
reuse contre les Frauks par un traité avec leurs princes ,
Marcomir et Suér.on ( 389), lorsqu'il fut assassiné à Vienne,
le 15 mai 392, par le Frank Arbogaste, à qui il avait
confié le commandement de son armée. Il était dans sa
viugt-et-unième année et donnait les plus belles espérances.
Instruit dans le catholicisme, il n'avait pas encore reçu le
baptême. Le grand Théodose vengea sa mort en livrant au
supplice l'usurpateur Eugène , qu'Arbogaste avait élevé à
l'empire , et en forçant ce dernier à se donner la mort (388).
VALEj\TlNIEiN III, lils de Constance, collègue de l'em-
pereur Honorius, et de la sœur de celui-ci, Placidie, avait sept
ans lorsque l'empereur d'Orient Théodose II le fit proclamer
empereur d'Occident par les généraux de ses armées, en l'an
425. Ce fut sa mère qui gouverna en son nom jusqu'à sa
mort, arrivée en 450. Alors ce fut un eunuque qui domina
complètement ce prince efféminé et voluptueux, sous le règne
duquel les Vandales firent la conquête de l'Afrique en 429,
les Saxons s'établirent vers l'an 450 dans la Bretagne, aban-
donnée par les Romains, et Attila pénétra dans la Gaule. Le
roi des Huns fut battu en l'an 452 dans les champs Catalau-
niques par les Goths et par Aétius. Jaloux du guerrier qui avait
sauvé l'empire, Valentinien III l'assassina de sa propre main,
en 454. Si ce meurtre demeura impuni, il n'en l'ut pas de
même d'un autre crime commis par ce prince. Il viola la femme
du sénateur Maxime, et celui-ci s'en vengea en faisant assas-
siner l'empereur au champ de Mars (16 mars 455), sans
rencontrer aucune opposition de la part de sa nombreuse
suite, qui semblait plutôt applaudir à la mort du tyran. Tel
fut le sort du dernier rejeton de la famille de Tbéodose. Il
était âgé de trente-six ans.
VALEKTIJMEIKS, sectaires fameux, qui tiraient leur
nom de l'hérésiarque Valentin, leur chef, lequel vivait
au deuxième siècle. C'était une subdivision de la secte
àas giwstiques , qui, mêlant la philosophie de Pythagore
à celle de Platon, et des rêveries fantasmagoriques aux
fausses interprétations qu'ils donnaient de l'Écriture Sainte,
composèrent un système monstrueux, et qui eut néanmoins
de nombreux partisans. Ils se subdivisèrent bientôt en plu-
sieurs fractions , dont l'une des plus célèbres fut celle des
Valentiniens, dont nous nous occupons. Ceux-ci cherchè-
rent à expliquer l'Évangile par les principes du platonisme:
donnant de la réalité à des idées, ils personnifièrent les Éons ,
dont le nom vient du grec alûv (siècle, éternité). Ils les
distingifèrent de Dieu môme, prétendant qu'il les avait pro-
duits les uns mâles, les autres femelles. Ils les nommaient
Eons ou Éones, et de leur assemblage complet ils formaient
VALEiNTINlEN — VALERE MAXIME 767
le Pleroma (7tXr,pw(j.a), c'est-à-dire la Plénitude, et par ex-
tension la Divinité.
Les Valentiniens disaient que les catholiques étaient des
ignorants, auxquels convenaient le martyre, la continence et
l'humilité : mais eux, savants, eux illuminés, n'avaient
pas besoin de bonnes œuvres , parce qu'ils étaient et justes
par nature, et propriétaires de la grâce, qui ne pouvait leur
être ôtée. Placés au milieu des autres communautés chré-
tiennes et des païens , ils se comparaient modestement à l'or
pur, qui ne se gâte point dans la boue. C'est pourquoi , mé-
prisant les prescriptions de l'Église, ils mangeaient indiffé-
remment des viandes offertes dans les sacrifices, assistaient
aux fêtes du paganisme et même aux combats de gladiateurs.
Plusieurs d'entre eux se livraient aux plus sales voluptés , et
ils se justifiaient à cet égard en disant que comme par leurs
études ils rendaient à l'esprit ce qu'ils devaient à l'esprit,
par leurs plaisirs ils rendaient à la chair ce qu'ils devaient à
la chair.
Pour entrer dans leur secte, on était soumis quelquefois
à une sorte d'initiation. On conduisait les néophytes dans
ime chambre nuptiale, et par de certaines paroles on leur
faisait centracter une sorte de mariage spirituel , imité de
celui des Éons. On les menaitquelquefois vers un amas d'eau,
et on les baptisait au nom de Vinconnu, père de tous, et en
celui qui est descendu , en Jésus, en l'union , la rédemption
et la communauté des puissances. Plusieurs rejetaient le bap-
tême. De la secte des valentiniens, condamnée par l'Église
universelle, on vit sortir d'autres sectes, autant ou plus ex-
travagantes encore : d'abord les caïnites, puis les ophi'
tes, les séthiens ou séthianiens, ainsi nommés de Set h ;
suivant eux, deux anges ayant créé l'un Gain, l'autre Abel,
et celui-ci ayant été tué, la grande vertu, qui était au-dessus
des autres vertus, avait ordonné que Selh fût conçu comme
une pure semence; mais qu'enfin les deux premiers anges
s'étant unis, la grande vertu avait envoyé le déluge pour
détruire la mauvaise génération, qui en était provenue; que
néanmoins il s'en était glissé une partie dans l'arche, et que
c'était de laque la méchanceté des hommes était descendue.
Toutes ces foHes , dont le fondement était dans les opinions
des valentiniens, ont troublé les sociétés chrétiennes pen-
dant quelques années ; mais elles ont disparu de la scène du
monde , et ce n'est que par l'étude des écrits des premiers
Pères de l'Église qu'on parvient à retrouver ces systèmes
étranges et dangereux , que l'on pourrait appeler les satur-
nales delà vie humaine. Alexandre du Mège.
VALENTINOIS (Comtes et ducs de). On appelait
autrefois Valentinois un petit pays compris entre l'Isère, le
Rhône et le comtat Venaissin, ayant pour chef-lieu Va-
lence, et qui fait aujourd'hui partie du départemenl de
la Drôrae. Il est question des comtes de Valentinois dès le
milieu du dixième siècle. Leur race s'éteignit en l'année 1419,
en la personne de Louis II, comte de Valentinois, lequel
institua pour héritier le dauphin Charles, fils du roi
Charles VI; et ce prince, en montant sur le trône, réunit
le comté au domaine de la couronne. Louis XII l'érigea en
duché en faveur de César Borgia, lils du pape Alexandre VI,
qui en jouit jusqu'à sa mort, arrivée en 1507. Le duché fit
alors retour à la couronne; mais quarante ans plus tard,
Henri II l'aliéna encore une fois en faveur de sa maîtresse,
Diane de Poitiers, créée par lui duchesse de Valentinois.
En 1641 Louis XIII le concéda, en toute propriété, aux
princes de Monaco, lesquels le conservèrent jusqu'en 1793.
Le tils aîné du prince de Monaco prend aujourd'hui le titre
de duc de Valentinois. 11 a été question de lui en 1854 à
propos d'une tentative infructueuse qu'il lit alors pour opérer
une contre- révolution à Monaco et y rétablir l'autorité de
son père, Florestan l^r, qui avant de succéder en 1841 à
Honoré V, son frère aîné , avait eu une existence des plus
agitées , et qui s'était vu un instant réduit à accepter une
place de chef des comparses dans l'un de nos petits théâtres
du boulevard.
VALÈRE M\.X\ME.yValenus Maximus, historien
768 VALÈRE MAXIME — VALERIUS
latin, né à Rome, sous Auguste. Une notice biograpliique
placée en tête du livre qu'il nous a laissé nous apprenci
qu'il était issu de la famille Valeria par son père, qu'il des-
cendait de Fabius Maxiuius du côté de sa mère, et que de
là lui venait ce nom mixte de Valeriu^i Maximus; mais rien
ne justifie cette opinion, lin effet, \alère Maxime ne paraît
pas avoir occupé dans l'État un rang convenable à la nais-
sance qu'on lui suppose. Lorsqu'il parle de sa fortune,
ce n'est que comme d'une assez grande aisance, incre-
mentum commodorum : il l'attribue d'ailleurs à l'amitié
de Sextus Pompée, qui lui avait donné accès auprès de
Tibère en qualité d'homme de lettres. Il parait qu'après
avoir fait quelques campagnes en Asie, ou il avait suivi
son protecteur, il revint à Rome, et y vécut paisible-
ment, employant sou loisir à l'étude, et particulièrement
à celle de l'histoire: il considéra celle-ci surtout du côté
des mœurs. Son ouvrage, qui parut vers la lin du rè^ne de
Tibère et qui est dédié à ce prince, sans être toujours parfait
pour l'exactitude ou pour le style, est un cours de morale
composé d'exemples bien choisis et offerts avec beaucoup
d'intérêt. Quant au style, sans avoir toute l'élégance de
celui des grands écrivains de son époque, on y letrouve
cependant une foule de manières de parler qui annoncent
beaucoup de goût. L'ouvrage est divisé en neuf livres ,
l'auteur y traite successivement de la religion, îles mensonges
religieux, des religions étrangères rejetées par les Romains,
des auspices, des présages, des songes, des visions, des céré-
monies et des devoirs du mariage, îles devoirs et des usages
des magistrats , des institutions militaires, des spectacles,
de la vie frugale et innocente des premiers Romains, des
institutions étrangères , de la discipline militaire, du triom-
phe, de la censure, de la majesté personnelle, du naturel,
de la bravoure, de la patience, des hommes nés dans l'obs-
cuiité et devenus illustres par leur mérite, de ceux qui ont
dégénéré de la gloire de leurs pèies, des hommes ilhisti'es qui
se sont permis quelques singularités dans leurs habitudes
exlérieures, de la confiance en soi-même, de la constance,
de la modération, de la reconnaissance, de l'ingratitude, de
l'amour filial , de l'amitié fraternelle, de l'amour de la pa-
trie, etc., etc. Après avgir lu les Œuvres morales de Piu-
targue, on ()eut parcou-ir encore avec|)laisir le livre de Va-
lère Maxjme, qui doit être plact' dans les bibliothèques près
des ouvrages du philosophe de Chéronée.
Ch'"" Alexandre Du Mèce.
VALERIAIVE {Valeriana officlncUis, L. ), lort belle
plante, très-commune dans les bois et les lieux humides,
genre type des valéiianées, et connue vulgairement sous le
nom de valériane sauvage. Sa racine a une odeur forte,
pénétrante, comme camphrée, qui plaît beaucoup aux chats.
Sa saveur est amère, un peu acre. Elle est particulièrement
renommée pour ses bons effets sur le système nerveux dans
l'épilepsie; et commeanlispasiuodiqiie on lait habilueliemcnt
usage de sa poudre, dont l'action est beaucoup plus srjre et
plus marquée que celle de son eau distillée ou de son extrait.
Ses propriétés médicinales sont attribuées à la présence d'un
acide particulier auquel on a donné le nom iVacide valé-
r'ique ou valérianique.Ce^[\.& plante, (pii lleiuit eu été, s'é-
tend depuis les contrées lemiterées jus(ju'au nord. Onze ou
douze espèces appartiennent à la fii^re liançaise, la plupart
avec des propriétés médicinales analogues à celles de la
valeriana ofjiciiialis , mais moins prononcées. On cultive
dans nos jardins comme plante d'agrément la valériane
rouge, «lésignee aussi, sous le nom de barbe de Jupiter, qui
produit des tonlles de Heurs d'un rouge vif, à une seule
élanrne, pt dont la corolle est |)ourvue d'un éperon siibulé.
VALliaiEM (PcBLiLS LiciNiusVALEP.IA.NUS), empe-
reur romain, qui régna de l'an 253 a l'an 260, s'était distin-
gué comme génér-al d'armée, et, sous le régne de l'empereur
Decius, à l'occasion d'un essai tenté pour remettre en honneur
la censure, avait été élu à cette magistrature en raison de sa
haute probité et de la simplicité de ses mœurs. Les légions
cantonnées dans les Gaules l^ayant proclamé empereur, il
appela son fils Gai lien à partager avec lui les soins de Ja
souveraine puissance, et fit preuve sur le trône duzèleleplus
ardent pour la prospérité de l'empire, il ne put toutefois
éviter qu'il nVclafàt à l'intérieur des troubles qui prirent plus
de gravité encore sou'; le règne de son fils et sous les trente
tyrans ; et il échoua également da.ns ses efforts pour repous-
ser les invasions des barbares. Son général Au ré lien lutta
vainement contre les Franks, qui traversèrent toute la Gaule
et parvinrent en Espagne jusqu'à Tarraco; plus heureux,
Gallien battit les Alemans, qui s'étaient avancés jusqu'à Mi-
lan. Maison ne put empêcher la Thiare, la Macédoine, la
Grèce et les îles de l'Archipel d'être dévastées par les Goths.
Valérien, après avoir repris Antioche sur les Perses, se laissa
plus tard battre par eux ; el dans une entrevue qu'il eut, en
l'an 260, avec leur roi Sapor, celui ci le fit prisonnier.
Pendant sa captivité, il subit les mêmes traitements que les
plus vils esclaves : Sapor le traînait à sa suite chargé de
chaînes, mais revêtu de la pourpre impériale; quand Sapor
montait à cheval , Valérien se courbait pour que le l'erse
se servit de son dos comme de monl^ir. Ce ne fut qu'après
plusieurs années que cet infortuné trouva dans la mort la fin
de ses misères. Sapor, qui le fit écon lier, suspendit dans un
temi)lesa peau garnie de paille; et lonjuil recevait des am-
bassadeurs de Rome, il leur montrait cet humiliaut spectacle.
P. Ue Golbéry.
VALÉRIEX' (Mont). Voijez Calvaike.
VALERIUS, nom d'une célèbre famille patricienne de
Rome, qui était d'origine Sabine, et qiri se disait descendre de
Volesiis Valerius, l'un des compagnons de Titus Tatius, roi
des Sahins de Cures, qui après l'enlèvement des Sabines
faillit faire payer cher aux ravisseurs cet acte de brigandage,
et ne suspendit sa vengeance qu'à la co-idition de partager
l'autorité souveraine avec Romulus.
Publius\'\LFAUVS,Vdn l*"^ de la fondation de la républi-
que, 309 ans av. J.C., remplaça le consul Lncius Tnrqui-
nius Collatiiius, revêtit encore le consulat à trois reprises,
en .Î08, 5u7 et 504, et mourut en 503. Ce tut lui qui lit abaisser
devant l'assemblée du peuple les faisceaux consulaires, après
en avoir fait enlever la hache avant même d'arriver à l'en-
ceinte de la ville. Cette reconnaissance de l'autorité souve-
raine du peuple , les lois qu'il fit rendre ( leijes Valerias)
et aux termes desquelles était condamné à la peine de mort
quiconque exercerait une magistrature qu'il ne tiendrait pas
de l'élection poiuilaire, lui méiilèrent le surnom de Pabli-
cula, c'est-à-dire d'ami du peuple. L'amour du peuple et le
respect pour sa puissance souveraine se perpétuèrent parmi
ses descendants.
Marins Valerius, l'un des plus célèbres hommes de guerre
que Rome ail produits, reçut le surnom de Corvus, c'est-
à-dire de Corbeau, parce que, en 34u, pendant la guerre
contre les Gaulois, à l'occasion d'un combat singulier qu'il
avait accepté contre un ennemi d'ujie taille gigantesque, un
oiseau de cette espèce vint se percher sur le cascjne du Gau-
lois, et assura la victoire au Romain en ti'oublant son ad-
versaire par le bruit de ses ailes. Il fut six fos élu consul
el investi à deux reprises de la dictature. Honoré du sur-
nom de Maximus, chéri du peuple et de l'armée, il vécut jus-
qu'à l'âge de cent ans.
Manius Valerius Maximus contra'gn't, à l'époque de la
première guerre punique, où il remplissait les Ibnclions de
consul, le roi <le Syracuse Hiéron II à implorer la paix, et
s'empara de Messana, d'où son surnom de Messala. Il fit
représenter sur un tableau la victoire qu'il avait remportée
sur Hiéron , et plaça ce trophée dans un temple.
Luciits Valerius Flaccus, préteur en l'an 63, aida Cicé-
ron à triompher de la conjuration de Catilina, et, ayant été
accusé de déprédations commises en Asie, fui défendu par
ce grand orateur, en 57, dans une harangue que nous pos-
sédons encore.
La famille des Valerius se perpétua pendant toute la durée
de l'empire; et, à la lin du quatrième siècle de noire ère,
Synunafiue cite encore avec les plus grands éloges le se-
YALERIUS — VALETTE
769
nateiir Valerius Procidtis comme un des Romains les plus
probes et les plus sincères qu'il ait connus.
VALERIUS FLACCUS (Caics) paraît avoir appar-
tenu à l'illustre famille des Va lerius, et naquit à Setia,
ville du Lalium, et selon d'autres, qui s'autorisent de deux
épigrarames de Martial, à Padoue. 11 vécut sous Vespasien,
Titus et Domilien. Si l'on ne trouve nulle part des traces
de sa juste admiration pour les deux premiers de ces princes,
il ne se déshonore point comme Martial par l'éloge du fé-
roce successeur de celui qui a porté seul dans le monde le
titre de délices du genre humain. Valerius fut quindécem-
vir, chargé de la garde des livres sibyllins et de la célébra-
tion des jeux séculaires. On conjecture qu'il fut décoré de
la préture vers l'an 88 de J.-C. Envoyé en Chypre , peut-
être en qualité du gouverneur, il voyagea ensuite en Es-
pagne , et revint à Rome, où il paraît avoir vu le règne de
Trajan. Malgré sa liaison intime avec Quintilien , Martial,
Pline et Juvénal, qui auraient pu nous donner des détails à
cet égard , nous ne pouvons préciser l'époque de sa mort.
A l'exemple d'Apollonius de Rhodes, Valerius a chanté
l'expédition des Argonautes , sujet traité par une foule d'au-
teurs. Son poème, intitulé Argonautka , jouissait d'une
grande réputation à Rome sous Vespasien , et la méritait à
beaucoup d'égards. Malheureusement, il n'est pas achevé ;
une partie du huitième livre manque dans les manuscrits.
Le sujet a de l'importance , puisqu'il consacre un grand évé-
nement, la découverte d'un nouveau monde pour les Grecs et
l'ouverture d'une mer inconnue pour eux. Sous ce rapport,
il a un grand trait de ressemblance avec les Lusiades du
Camoëns ; il rappelle par d'autres côtés la Jérusalem dé-
livrée, le plus intéressant de tous les poèmes épiques con-
nus. Valerius compose bien , son ordonnance ne manque
ni de grandeur ni de régularité. Ses caractères ont du re-
lief. Celui de Jason surtout est habilement tracé ; ce héros
soutient bien mieux qu'Énée le rôle de clief d'une grande
entreprise, et ne descend jamais aux indignes faiblesses
du compagnon d'Hector, tremblant comme une femme
au milieu d'une tempête. Au contraire , Jason et ses hé-
ros sont sublimes de courage au moment de franchir le dé-
troit du Bosphore, et appellent les regards de l'Olympe, dont
le maître leur adresse d'admirables paroles. On ne sau-
rait comparer les amours de Jason et de Médée à la brû-
lante et dramatique peinture de la passion de la veuve de
Sichée; cependant, Valerius a ici deux avantages sur Vir-
gile lui-même. L'an)our, qui est une passion du printemps
de la vie, et qui s'allie si bien avec l'héroïsme dont il échauffe
encore l'enthousiasme, convient bien mieux à la jeunesse
de Jason qu'à la maturité du prudent Énée, a^uel on en-
lève assez mal à propos sa femme Creuse , parce qu'on a
évidemment besoin qu'il soit libre pour pouvoir accepter
l'amour de l'inlortunée Didon. L'aventure d'Hylas, revêtue
d'une nouvelle forme par l'imagination de Valerius, est un
des plus heureux épisodes de l'épopée antique. Il a quelque
chose de la naïveté comme de la grâce de l'idylle grecque,
avec un intérêt plus dramatique.
Les mœurs générales de V Argonautique sont vraies , et
présentent des contrastes heureux entre les mœurs farouches
du Scythe nomade ou du montagnard colcliidien avec celles
des héros de la Grèce. Le mérite de ces oppositions manque
àhVLsLaHenriade, et au contraire il érlate partout dans la
Jérusalem délivrée. CommQ Homère et Virgile, Valerius
savait toutes les choses de son temps, et il a profité de ses
connaissances pour nous donner des descriptions qui sont
pour l'histoire de la géographie, par exemple des peuples
du Caucase, presque aussi intéressantes que le traité de
Tacite Sur les Mœurs des Germains. Tournefort a suivi ,
Valerius à la main , toute la côte d'Asie qu'avaient parcourue
ses Argonautes.
Valerius est un penseur; il semble avoir annoncé Tacite,
qu'il devance , en transportant dans la poésie les beautés
fortes dont l'auteur des Annales allait enrichir la prose.
On a dit que Virgile était le Tite Live et Valerius le Tacite
DICT. DE LA CONVtdS. — T. XTI.
de l'épopée. Ce dernier trait contient un grand éloge , mais
il cache en même temps une censure. En effet, si, comme
Tacite , il a une grande énergie , s'il marque sa pensée d'un
trait profond , s'il renferme beaucoup de sens dans un petit
nombre de paroles, il est trop concis, trop serré, il prive
la poésie de cette abondance dont elle a besoin pourne ja-
mais sentir le travail ; une brièveté extrême ôte à ses vers
cette mélodie qui fait le charme de Virgile.
P. -F. TlSSOT, de l'Aradéraie Francjaise.
VALÉSIEIXS, secte d'hérétiques, qui parut ver» l'an
240, et s'établit en Arabie Pétrée, principalement aux envi-
rons de Philadelphie, l'antique Édom , métropole des Am-
monites, située au delà du Jourdain. Us interdisaient à leurs
disciples l'usage de la viande , et les forçaient à se faire eu-
nuques; on dit même qu'ils imposaient celte mutilation aux
étrangers qui traversaient leur territoire, croyant ainsi leur
procurer le salut éternel. L'évêque de Philadelphie frappa
les Valésiens d'anathème , et toutes les églises d'Orient imi-
tèrent son exemple. Cependant, au quatrième siècle, Ori-
gène ayant , dans l'excès de son zèle , voulu remettre en
usage cette coupable mutilation, le concile de Nicée (395)
publia contre les Origénistes et les Valésiens un canon
qui déclare indigne des fonctions sacerdotales tout eunuque
volontaire. Frappée par le concile de Nicée, l'hérésie valé-
sienne disparut entièrement avec l'origénisme qui l'avait fait
revivre , du moins en ce qui concerne l'exagératiori de la
pureté. É. Lavicne.
VALESIUS. Voyez Valois (Henri de).
VALET, VALETAILLE. Le mot î;aZe<, devenu un terme
de mépris , dérive de varlet, jeune gentilhomme attaché à
la personne d'un grand seigneur ou d'un chevalier. Or,
c'était là jadis un poste aussi honorable qu'ambitionné , car
c'était à peu près celui que de nos jours remplissent les
pages. Plus tard, quand la chevalerie eut disparu , valet ne
désigna plus que des fonctions de domesticité. Bientôt les
vices de cette classe firent de ce mot une injure. On le rem-
plaça dans l'usage habituel par celui de domestique ; et
les individus appartenant à cette classe considéreraient au-
jourd'hui comme une injure d'être traités de valets, et surtout
devaletaille. Cependant, l'expression de valet de cliambre
n'emporte avec elle aucune idée de dédain et est acceptée
sans difficulté par ceux auxquels on l'applique; cela vient
probablement des relations de confiance et d'intimité qu'elle
indique entre le maître et le serviteur. Quant au terme de
valet, il ne s'emploie plus guère , dans son acception mé-
prisante , que métaphoriquement, comme lorsqu'on dit que
tel homme a été le valet de tous les pouvoirs.
Dans nos jeux de cartes , les quatre valets, qui portent
les noms d''Ogier, de La Hire, etc., représentent les varlets
ou écuyers dont nous avons parlé plus haut. En général,
ils ne passent qu'après les rois et les dames. Cependant,
il est quelques jeux, le reversi par exemple, où, sous le nom
de quinola, le valet de cœur devient la carte la plus im-
portante.
VALET ( Art dramatique). Sur notre scène ce mot a été
conservé dans son sens primitif pour désigner tout person-
nage attaché, par une dénomination quelconque, au ser-
vice d'un maître. L'emploi des valets était d'une grande im-
portance dans notre ancien répertoire; car, à l'exemple des
anciens , nos intrigues dramatiques y étaient presque tou-
jours conduites par des domestiques, confidents de leurs
patrons et chargés d'avoir pour eux de l'esprit et de la
ruse. Aussi les Scapin, les Frontin, les Labranche, les La-
fleur, étaient-ils les véritables notabilités de la comédie. Ils
trouvèrent de brillants interprètes dans des acteurs cités
encore au premier rang de nos talents dramatiques, tels que
lesPrévi lle.lesDuga zon,lesDazincou rt, etc., etc.
A notre époque , dominée en tout par le positif, et qui de-
mande au théâtre même des mœurs plus vraies , les rôles
de valet ont presque disparu de la scène française, ou du
moins n'y figjrent plus sur le premier plan. Oubkt.
VALETTE ( La). Voyez Lavalette.
4»
7Î0
VALEUR — VALLISKERIA
VALEUR ( Economie politique). C'est ce qu'une chose
vaut, c'est la quantité d'autres choses évaluables qu'on peut
obtenir en échange d'elle. On sent que l'échange, ou la fa-
culté de pouvoir être échangé, est nécessaire pour déter-
miner la valeur d'une chose. La valeur que le possesseur
tout seul attacherait à sa chose serait arbitraire; il faut
qu'elle soit contradictoirement débattue avec une autre per-
sonne ayant un intérêt opposé : cette autre personne est
celle qui a besoin de la chose , et qui est obligée , pour l'a-
voir, de faire un sacrifice quelconque. La valeur de chaque
chose est le résultat de l'évaluation contradictoire faite
entre celui qui en a besoin ou qui la demande, et celui qui
la produit ou qui l'offre. Ses deux fondements sont donc :
1° Vutilité, qui détermine la demande qu'on en fait ; 1° les
frais de sa production, qui bornent l'étendue de celte de-
mande, car on cesse de demander ce qui coûte trop de
frais de production. Lorsque son utilité n'olève pas sa va-
leur au niveau de ses frais de production , la chose ne vaut
pas ce qu'elle coûte.
La valeur des choses appréciée en monnaie est ce qu'on
nomme leur prix.
Le mot valeur se prend quelquefois au pluriel , pour la
chose ou les choses évaluables dont on peut disposer, mais
en faisant abstraction de la chose, et en ne considérant que
sa valeur. C'est ainsi qu'on dit : Il a déposé des valeurs
pour gage de sa dette. Quand on prêle un capital, ce
sont toujours des valeurs qu'on prête, et non tel ou tel
produit; car s'il a été prêté en écus, ce ne sont pas les
mêmes écus qu'on restitue. Si le capital a été prête en
marchandises, comme lorsqu'on vend à crédit, ce ne sont
pas les mêmes marchandises qu'on rend , mais d'autres
marchandises, ou des écus pour la même valeur.
Le même mot s'entend aussi des signes représentatifs de
choses évaluables, des titres au moyen desquels on peut se les
procurer. On a des valeurs en portefeuille, quand on y a
des lettres de change, des billets de banque, des contrats
de rentes, etc. J.-15. Say.
Va\LEUR ( Morale), sentiment qui naît de l'amour de
la gloire , du désir de s'illustrer, en bravant des périls cer-
tains, en les recherchant même. Ce n'est pas une passion bru-
tale, qui ne peut se satisfaire que dans le carnage : ce n'est
point du sang que la valeur demande, c'est de l'honneur,
de la renommée. Celui qu'elle a vaincu lui devient d'autant plus
cher qu'elle a trouvé plus de difficultés à le vaincre. La va-
leur était divinisée chez les anciens -. die animait nos vieux
chevaliers ; elle fut considérée par eux comme la source de
toute noblesse, de toute courtoisie. Chez les Romains, et
dans le sens que lui donne Cicéron , le mot virtus , qui est
synonyme du mot valeur en français, signifie d'abord la
vertu, cette précieuse qualité qui est la perfection de l'âme,
et dans laquelle on aime à s'envelopper ( involvere sua vir-
tu te), et ensuite h valeur éprouvée dans la guerre comme
dans la paix. C'est, suivant Horace, l'équivalentduco u r ag e.
VALGUS, VALGI. Voyez Déviation et Pied-bot.
VALIDÉ (Sultane). Voyez Sultane.
\/ALIN (P.ené-Joseph) , jurisconsulte distingué , naquit
en 1C95, àLa Rochelle, et mourut dans sa ville natale, en 1765.
Longtemps simple avocat, il fut plus tard appelé à remplir
les fonctions de procureur du roi, de l'amirauté et de l'hôtel
de ville , à La Rochelle. On a de lui un Commentaire sur
la Coutumede La Rochelle (1768) et un Traité des Prises
( 1762) , qui fait encore aujourd'hui autorité en matières de
droit maritime.
VALLA (Laurent), l'un des restaurateurs de la litté-
rature classique au quinzième siècle, né à Rome, en 1407 ou
1415, enseigna les belles-lettres dans plusieurs granties villes
d'Italie, notamment à Pavie et à Rome, où il obtint la place
de secrétaire pontifical et un canonicat à Saint-Jean-de-La-
tran. Il mourut en 1457, et suivant d'autres en 1465. Ceux
de ses ouvrages qui obtinrent le plus de succès furent ses
traductions latinesd'Hérodoleetde Thucydide, qu'on estime
encore aujourd'hui, et mximis&s, Elegantix Latini Scrmo-
nis (Rome, 1471), riche collection de formules de style
latin élégant, qui ont longtemps servi de manuel aux écrivains
qui employaient la langue latine. Mais ses Annotationes in
Novum Testamentum, que publia Érasme, lui valurent
une accusation d'hétérodoxie; et sa dissertation De Dona-
tione Constantini Magni , où il prouvait que la prétendue
donation de Constance n'est qu'un mensonge historique,
souleva contre lui de telles tempêtes qu'il crut prudent de
se rétracter. Il existe une édition de ses œuvres complètes
(Bâie, 1583, in-fol. ).
VALLADOLID, chef-lieu de la province d'Espagne
du même nom ( 107 myriam. carrés et 210,000 habitants),
dans l'ancien royaume de Léon, dans une belle plaine, à
l'embouchure de l'Esgueva dans la Pisuerga, siège d'évê-
ché, avec 20,400 habitants, un grand nombre de belles
églises, une université fondée en 1346, des écoles de ma-
thématiques et de dessin , et une académie des sciences et
des beaux-arts. Les rues en sont généralement tortueuses.
En fait d'édifices publics, on remarque surtout la cathédrale,
restée inachevée jusqu'à ce jour, un vieux palais habité au-
trefois par les rois deCastille; et parmi les places publiques
il faut citer la Plazza Major et le vaste Campo Grande ,
entouré de 400 colonnes de granit et pilastres. La ville,
jadis résidence des rois de Castille et d'Espagne à cause de
sou agréable situation, jusqu'à ce que Charles Quint adopta
Madrid, comptait autrefois 11,000 maisons et plus de
100,000 habitants. L'industrie se borne à la fabrication du
drap, des soieries, des étoffes lamées d'argent, de la
faïence et des cuirs. C'est à Valladolid que naquirent Phi-
lippe II et Anne d'Autriche et que mourut Christophe Co-
lomb.
VALLACiE. Voyez Clairvaux et Champagne.
VALLAIRE (Couronne). Voyez Couronne.
VALLE (PibTRo Della) , l'un des meilleurs auteurs de
voyages du dix-septième siècle, né à Rome, en 1586,
s'embarqua pour l'Orient en 1614, visita successivement la
Turquie, l'Egypte, l'Arabie, la Perse, l'Inde, et séjourna
onze années dans ces diverses contrées, dont il apprit à con-
naître les langues , les mœurs et les populations. A Bag-
dad, il épousa une belle Géorgienne, Setti Maani, que la
mort ne tarda pas à lui enlever. Ce malheur le décida à re-
venir dans ses foyers. En 1626 il arriva d'Orient à Rome,
avec une suite nombreuse, et y épousa en secondes noces
une des anciennes domestiques de sa première femme.
Géorgienne comme elle. Il vécut dans la capitale du monde
chrétien entouré de la considération générale, s'occupant de
la culture des sciences et des arts, de la musique surtout,
qu'il connaissait à fond , et consacrant ses loisirs à écrire le
récit de ses voyages (4 vol., Rome, 1650 ). Cet ouvrage
témoigne de l'érudition de l'auteur, qui, du reste, n'est pas
exempt de crédulité et sacrifie quelquefois aussi à la manie
de raconter des choses merveilleuses. Il mourut à Rome,
en 1652.
VALLIÈRE (M"* de La). Voyez La Vallière.
VALLISiVERIA, genre de plantes de la famille des
hydiochai idées, ainsi nommé en l'honneur de Vallisneri ,
médecin de Padoue , et formé par Micheli pour des plantes
herbacées vivaces, acaules et stolonifères, à feuilles linéaires-
rubanées, qu'on rencontre au fond des eaux douces dans
les zones les plus chaudes des deux hémisphères. Les fleurs
de ces végétaux sont dioiques, les mâles très-petites, réunies
en grand nombre dans une spathe translucide, qui s'ouvre
en trois valves inégales, et que termine une hampe très-
courte. La vallisneria spiralis L. est surtout célèbre par
la bizarrerie de son mode de fécondation. Quand arrive le
moment de cet acte important, la spathe des (leurs mâles
s'ouvre, et celles-ci, se détachant de leur petit support, vien-
nent flotter librement à la surface de l'eau. Jusque là les
fleurs femelles étaient restées au fond , retenues par ieui'
hampe, qui formait une spirale atours serrés; mais on ce
moment ce ressort semble se détendre, la spirale écarte les
circonvolutions, et la fleur arrive ainsi jusqu'à la surface du
VALLISNERIA — VALOGINES
T7I
liquide, dont elle suit les ondulations. Agitée de la sorte dans
un étroit espace, elles rencontrent les fleurs mâles , qui ré-
pandent sur elles leur pollen. L'hymen accompli, les Heurs
mâles se flétrissent et meurent : la fleur femelle fécondée est
ramenée au fond des eaux par la spirale de nouveau roulée
sur elle-même. C'est là qu'elle mûrit ses semences dans le
lieu où elle a pris naissance. Elle se multiplie en si grande
quantité, qu'elle intercepte souvent la navigation dans
quelques rivières d'Italie. Dans le canal du Midi il en est
de même; et tous les ans de nombreux ouvriers sont oc-
cupés à la couper sous l'eau au moyen de faux très-longue-
ment emmanchées. On jette ses feuilles sur les bords ; elles
s'y décomposent, et fournissent l'année suivante un excel-
lent engrais.
VALLOMBREUSE. Voyez Valombrosa.
VALMIKl, l'Homère de l'Inde, n'est connu , ainsi que
le poète grec, que par ses œuvres. La tradition nationale, mais
fabuleuse, ne lui attribue néanmoins que le Ràmdyana
(ro^es Indienne [Littérature]). Valmiki est représenté
dans les prolégomènes ou l'introduction du Râmâyayia
comme un des mounis ou solitaires inspirés , qui étaient
en commerce avec les dieux. Exalté par le récit que leur
messager Naruda, génie de la musique et de la poésie, ve-
nait de lui faire des qualités surnaturelles et des actions
éclatantes de Râmà , il résolut de composer d'après cette
esquisse un grand ouvrage pour perpétuer la gloire de ce
héros. Un jour qu'il se promenait sur les bords fleuris du
Tamasâ , en méditant sur ce poème , il aperçoit deux cygnes
éclatants de blancheur, et tandis qu'il admire la grâce de
leurs mouvements voluptueux , le mâle tombe à ses pieds,
percé par la flèche d'un chasseur. « Être dégradé, s'écrie le
brahmane dans son indignation , puisses-tu ne jamais par-
venir à l'élévation, toi, qui viens de tuer ce cygne au mo-
ment où il était ivre d'amour ! » Puis , répétant plusieurs
fois cette imprécation , et frappé d'y trouver une cadence
toute nouvelle, il dit à l'un de ses disciples : « Que cette
période, composée de quatre portions régulières, égales par
le nombre des syllabes, et qui m'a été inspirée par la dou-
leur, reçoive le nom de sloka. -> Cependant , Bralima, qui
avait écouté avec ravissement les sons mélodieux et mesurés
de l'imprécation de Valmiki, apparaît au saint personnage,
et lui ordonne de composer son RdmàyanaAàns\Q rhythme
qu'il vient d'inventer.
Telle est , suivant les Indiens , l'origine de leur poésie et
du sloka, distique dont chaque vers est composé de seize
syllabes, coupé au milieu par une césure. Le Râmâyana,
dont Carey et Marshmam ont donné une traduction anglaise,
contient pas moins de \ingt-quatre mille slokas, distribués
en sept livres, et subdivisés en un grand nombre de cha-
pitres ou sections. H. Audiffuet.
VALMOI\T DE BOMARE ( Jacques-Curistophe ),
célèbre naturaliste, naquit à Rouen, en 1731. Son père,
avocat au parlement de Normandie , le destinait au barreau ;
il désapprouva son goût pour l'histoire naturelle, et lui re-
fusa tous les secours qui pouvaient faciliter ses études scien-
tifiques. Mais Valmont de Bomare, entraîné par sa vocation,
surmonta tous les obstacles. D'abord simple élève de phar-
macie, puis modeste pharmacien, il obtint , giâce à la pro-
tection de Voyer d'Argenson, alors ministre de la guerre,
de voyager aux frais du gouvernement. 11 consacra plusieurs
années à visiter les principaux cabinets de l'Europe et à ex-
plorer les mines; il pénétra jusque dans la Laponie , et re-
vint à Paris en 1756, avec des matériaux précieux pour le
grand ouvrage qu'il méditait. Ses leçons d'histoire naturelle,
qu'il commença aussitôt et continua jusqu'en 1788, ont
fait époque dans les annales de la science. Outre son Diction-
naire d'Histoire naturelle, son Traité de Minéralogie
et ses écrits sur les volcans, il a publié plusieurs Mémoires
importants sur les pyrites, la cristallisation, le raffinage
du camphre et du borax , etc. A l'époque de la révolu-
tion, Valmont de Bomare faillit partager le sort de son ami
l'infortuné Lavoisier. Quand l'ordre se rétablit, il obtint
une place de professeur à l'école centrale de la rue Saint-
Antoine; élu ensuite membre associé de l'Institut , il fut
placé au lycée Charlemagne en qualité de censeur des études.
Il mourut en 1807, M. Hazard-Mirault, dans une excellente
notice sur ce naturaliste célèbre, a dit : « Il était doué d'une
imagination féconde, d'un génie d'observation et d'une
justesse de raisonnement qui le mettaient à l'abri de l'en-
thousiasme et de la prévention; il soumettait chaque sys-
tème à une analyse toujours impartiale , lumineuse et pro-
fonde; il joignait à une physionomie sur laquelle se peignait
une belle âme occupée de grandes pensées une éloquenca
sans pédantisme. » S. Berthelot.
VALMY (Bataille, ou plutôt canonnade de). Cette
affaire d'avant-garde ouvrit la brillante série des triomphes
que les armées françaises, dans leur lutte héroïque pour la
défense de l'indépendance nationale, devaient remporter
sur les coalisés ; et elle eut en outre pour résultat d'arrêter
court la pointe audacieuse que les Prussiens, enhardis par
la prise de Longwy et de Verdun, s'étaient décidés à tenter
sur Paris. Dumoiuiez , ne se sentant point suffisamment en
forces, battait lentement en retraite devant l'ennemi com-
mandé par le duc de Brunswick. Sa position devenait d'ins-
tant en instant plus critique. Kellermann, qui commandait
l'armée du Rhin, forte d'environ 22,000 hommes, voyant
le danger que faisait courir à son collègue la manœuvre
exécutée par Brunswick, résolut d'accourir à son secours;
et quittant les environs de Metz , il arriva au moment où
Dumonriez prenait position à Sainte-Meneliould , après avoir
fait couronner par ses troupes les hauteurs qui dominent
cette ville. Kellermann s'établit à Dampierre-sur-Auve, et
occupa les hauteurs de Valmy , village de l'arrondissement
de Sainte-Meneliould. Le 20 septembre 1792, au matin, la
canonnade s'engagea de part et d'autre, et dura jusqu'à dix
heures, sans mouvement de troupes. A ce moment quel-
ques obus lancés par l'ennemi firent sauter dans nos rangs
deux caissons de munitions. Cette explosion jeta du dé-
sordre et de la confusion sur ce point des lignes françaises.
Déjà l'infanterie pliait. Kellermann , mettant pied à terre ,
court à la tête des colonnes, et les électrise en leur ordonnant
de ne point tirer et de recevoir à la baïonnette les Prussiens,
qui déjà se flattaient de les culbuter. A l'approche de l'en-
nemi , il met son chapeau au bout de son épée, et s'écrie :
« Camarades, vive la nation! Allons vaincre pour elle! »
Ce cri est répété aussitôt sur toute la ligne, et nos troupes,
dont l'enthousiasme est à son comble, se précipitent sur
les colonnes prussiennes, foudroyées en même temps par
notre artillerie. L'ennemi, qui ne s'attendait pas à être si
bien reçu , s'arrêta surpris ; et bientôt, renonçant à son mou-
vement d'attaque, il alla reprendre ses positions. C'était là
moins une bataille qu'une escarmouche. Mais la victoire
était restée aux Français, et l'effet moral produit sur l'esprit
des masses par ce premier triomphe des armées républicaines
fut immense. Tout l'honneur de l'affaire de Valmy reve-
nait, comme on voit, à Kellermann. Quand il créa une
noblesse. Napoléon s'en souvint; et en nommant duc de
Valmy le général qui le premier avait remporté une vic-
toire avec des phalanges républicaines et contribué à re-
pousser l'invasion étrangère , il ne fit qu'acquitter une dette
nationale.
Louis-Philippe , alors duc de Chartres , et que son père ,
Égalité , avait placé en qualité d'aide de camp auprès de
Dumouriez , assista à la canonnade de Valmy. En 1830 il
exploita fort habilement le souvenir de cette journée , dont
le nom revenait incessamment sur ses lèvres avec celui de
la bataille de Jcm ma pes.
VALMY (Le duc de). Voyez Kellermann.
"VALOGINES, chef-lieu d'arrondissement du départe-
ment delà Manche, sur le Merderet, jolie ville , qu'on pré-
sume bâtie sur l'emplacement d'une ville gauloise appelée
Àlona, le Crocionatum des Romains, et dans le voisinage
de laquelle se trouvent beaucoup d'antiquités romaines. Sa
population est de 5,268 habitants. Elle possède une biblio-
49.
172
VALOGNES — VALOIS
thèquede 15,000 volumes, un tribunal de première instance,
un collège communal, un séminaire diocésain, et une cham-
bre consultative d'agriculture. Elle était autrefois fortifiée ;
mais Mazarin fit démolir ses fortifications. Il s'y fait un com-
merce assez important en beurre, lin, fil, toile, plumes d'oie,
cire, miel, poissons et coquillages pour Paris, volailles et
gibier. On exporte aussi beaucoup d'oeufs , pour Jersey et
Guernesey.
VALOIS, ancienne province de France qui porta d'a-
bord le titre de com lé, qui fut ensuite érigée en duclié
et dont le nom passa à une branche collatérale des Capétiens,
la maison de Valois, qui occupa le trône de France de 1328 à
1589. Cette contrée, bornée au nord par le Soissonnais, au
midi par la Brie, au levant parla Champagne, au couchant
par le Beauvaisis, désignée souvent sous le nom de comté
de Crépij , du nom de son chef-Ueu , fait aujourd'hui partie
du département de l'Oise. Les plus anciens auteurs l'appe-
laient i'ajMS Vadensis (nom dérivé de Vadum, aujour-
d'hui Ver, village situé entre Villers-Cotterets et Crespy ) ,
et non pas Vallensis. Ainsi il faudrait dire Vadois au lieu
de Valois ; mais cette dernière dénomination a reçu la sanc-
tion du temps, et la tradition populaire a consacré comme
une vérité l'erreur de quelque copiste.
VALOIS (Famille de). Les anciens comtes de Valois ap-
partenaient à une branche cadette de la maison de Verman-
dois. L'héritière de cette maison épousa Hugues , fils de
Henri I^' de France, et lui apporta en mariage le Valois
et le Vermandois. De celte union naquirent les Vermandois
capétiens, qui s'éteignirent à la sixième génération. Philippe-
Auguste réunit alors les biens et les litres de la maison de
Vermandois à la couronne, et en conséquence il déclara en
1215 que le comté de Valois en faisait aussi désormais partie.
En 1285 le roi Philippe le Hardi donna en apanage à son
fils cadet Charles le comté de Valois, auquel il ajouta les
comtés d'Alençon , de Perche, du Maine et d'Anjou ( voyez
Charles de Valois). Ce prince laissa en mourant (1325)
plusieurs filles, qui toutes conclurent d'illustres alliances,
et deux fils, dont l'aîné, Philippe, devint roi de France et
porta le nom de Philippe VI. Le plus jeune, Charles,
comte d'Alençon, mort en 1346, fonda la ligne d'A-
lençon Aq la maison de Valois, laquelle s'éteignit en 1525
avec le connt'table Charles, premier prince du sang, mort
du chagrin d'avoir manqué de courage à la bataille de Pavie.
Les trois fils de Philippe le Bel , Louis X, Philippe V
et Charles VI, étant morts sans laisser d'héritiers mâles,
le fils aîné de Charles de Valois , Philippe VI, monta
sur le trône de France comme plus proche héritier mâle,
de la ligne directe des Capétiens, qui venait de s'éteindre.
Cette élévation de la maison de Valois au trône de France
servit de prétexte aux longues et sanglantes guerres que les
rois d'Angleterre firent à la France. Edouard III d'Angle-
terre , par sa mère petit-fils de Philippe le Bel , interprétant
en sa faveur les lois qui régissaient en France l'ordre de
succession, prit le titre de roi de France, quêtons ses
successeurs, jusqu'à Georges III, de la maison de Ha-
novre, continuèrent à s'arroger. Philippe VI, de son pre-
mier mariage, avec Jeanne de Bourgogne , laissa deux fils ,
Jean II, dit le Bon , son successeur, et Phihppe, né en
1336, créé comte de Valois et duc d'Orléans , mais mort
sans laisser de descendance légitime, en 1375.
Jean le Bon monta sur le trône à la mort de son père ,
arrivée en 1350. Forcé de continuer la guerre contre les
Anglais, il fut battu et fait prisonnière la bataille de Poi-
tiers (19 septembre 1356) par le Prince Noir, fils d'E-
douard III. Le dauphin Charles gouverna le royaume en
l'absence de son père, au milieu de troubles continuels,
et Jean resta prisonnier à Londres pendant quatre ans ;
il ne recouvra la liberté qu'en accédant aux dures condi-
tions du traité de Brétigny. Dans l'espoir d'obtenir quel-
ques adoucissements à ces conditions , Jean se rendit vo-
lontairement en 1363, à Londres, où il toniba malade et
mourut, le 8 avril 1364. De sa première femme, Bonne de
I Luxembourg, sœur de l'empereur Charles IV, il laiss;^
{ quatre filles et quatre fils : Charles V, qui lui succéda
! sur le trône ; Louis , duc d'Anjou , fondateur de la dernière
I maison d'Anjou, éteinte en 1481; Jean, duc de Berry,
[ dont la descendance s'éteignit déjà en la personne de son
! fils Jean, comte de Montpensier; Philippe le Hardi
j {voyez, t. XIV, p. 481), duc de Bourgogne, fondateur de
I la nouvelle ligne de Bourgogne.
i Charles V, fils aîné et successeur de Jean le Bon, l'un
' des princes les plus énergiques de sa race, mourut en 1380,
et de son mariage avec Jeanne de Bourgogne laissa deux
j fils, Charles VI , qui lui succéda sur le trône, et le
I prince Louis , créé duc d'Orléans , qui reçut en apanage,
j avec les biens attachés à ce titre, les comtés d'Angoulême et
de Valois, et en faveur de qui le comté de Valois fut érigé
! en duché-pairie, en 1406 {voyez, t. xiv, p. 7, Orléans
I [Louis V , duc d']). Outre deux fils naturels, le comte
1 Philippe de Vertus , décapité en 1444 , et le comte Jean de
Du no is, fondateur de la maison de Dunois et Longue-
vil le, il laissait de son mariage avec Valentinede Mi-
lan deux fils légitimes. L'aîné, Charles, fait prisonnier à la ba-
taille d'Azincourt, subi t une captivité de vingt-cinq ans, et
mourut en 1 465. De son mariage avec Marie de Clè ves , Charles
d'Orléans laissa un fils , Louis , duc de Valois et d'Orléans ,
qui monta plus tard sur le trône de France , prit le nom
de Louis XII et réunit ainsi à la couronne les duchés de
Valois et d'Orléans. Plus tard, le duché de Valois fut encore
donné à plusieurs reprises en apanage à des princes de la
maison de Valois , puis à des princes de la maison d'Orléans,
mais toujours joint au duché d'Orléans. La famille d'Orléans,
appelée au trône en 1830, ne perdit ce titre de duc de Valois
qu'à la révolution de 1789 ; mais en 1814 elle recouvra tous
les biens qui y étaient attachés. Le fils cadet de Louis 1" ,
duc d'Orléans, et de Valentine de Milan, Jean, comte
d'Angoulême , resta pendant trente-deux ans comme otage
en Angleterre, et mourut en 1467. De son mariage avec Mar-
guerite de Bohan , naquit /eG?i , comte d'Angoulême, qui
épousa la célèbre Louise de Savoie; il mourut en 1495,
laissant un fils, qui plus tard fut le roi de France Fran-
çois I", et une fille, la célèbre Marguerite de Va-
lois.
Les successeurs directs de Charles V furent son fils
Charles VI (1380), Charles VII, Louis XI et Char-
les VIII, qui mourut en 1498, sans laisser d'enfants de son
mariageavec AnnedeBretagne.La couronne échut alors
au chef de la maison de Valois-Orléans, comme représentant
la branche cadette de la maison de Valois, Louis, duc de
Valois etd'Orléans, qui fut le roi Lou isXII. Luiaussi mourut
sans laisser d'enfants mâles; et ses droits au trône passèrent
à François , duc d'Angoulême , premier prince du sang,
arrière-petil-fils de Louis l" duc d'Orléans, par qui il des-
cendait de Charles V, petit-fils de Jean comte d'Angou-
lême , et fils de Charles d'Angoulême et de Louise de Sa ■
voie. C'est notre roi François \". Celui-ci eut pour
successeur son fils Henri II , mort en laissant quatre fils,
dont trois portèrent la couronne : François II, mort en
1500, sans laisser d'enfants de son mariageavec Marie-
Stuart d'Éeosse; Charles IX, mort sans laisser de
descendance mâle de sa femme Elisabeth d'Autriche;
Henri III, d'abord élu roi de Pologne, mort assassiné en
1589, sans laisser d'enfant mâle de sa femme, Louise de Lor-
raine-Meicœur. Le quatrième fils de Henri II, François-
Hercule, duc d'Alençon, était mort en 1584, sans laisser
de postérité. Henri II avait eu en outre plusieurs enfants
naturels : Henri, grand-prieur et amiral de France, tué en
1586; Diane, mariée à un Montmorency; Henri àe Valois
deSaint-Bemy, duquel descendait la comtesse Lamothe, si
fameuse par le rôle qu'elle joua dans l'affaire du collier .
Avec Henri HI s'éteignit la famille de Valois , qui avait
régné sur la t rance pendant deux-cent-soixante-et-un ans,
et la couronne passa alors au chef de la maison de Bour-
bon, comme représentant la descendance de Louis IX. Les
VALOIS — VALTELI^E
778
Courtenay , les Guise, les Clermont, prétendaient
descendre, de mâle en mâle, de Robert le Fort, tige des
rois de la troisième race. Ils auraient pu disputer la succes-
sion du dernier des Valois à la brandie de Bourbon. Heu-
reusement pour la France , déjà épuisée par une longue
guerre civile, qui avait absorbé deux générations , aucun
prétendant ne se mit à la tête d'un parti. Les Courtenay et
les Guise se contentèrent du titre et des honneurs de princes
du sang, lis s'adressèrent au roi, à son conseil, mais leur
cause n'a jamais été jugée. La brandie de Clermont prit son
rang de prince sans en solliciter l'autorisation , et le garda
sans éprouver le moindre obstacle.
Charles IX , de son commerce avec Marie Touchet , avait
laissé un bâtard , le comte Charles d'Auvergne, duc d'An-
goulême, qui se rendit fameux par ses intrigues sous
Henri IV, et qui mourut en 1650. Sa petite-fdle, qui avait
épousé Louis de Guise-Lorraine, mourut en 1600. Douze
ans plus tard la descendance légitime de la maison de
Longueville , issue de Dunois, fils naturel de Louis I»""
d'Orléans , s'éteignit en 1672. La descendance illégitime des
Valois se trouva donc complètement éteinte à cette époque,
c'est-à-dire quatre-vingt-quatre ans après la mort de leur
dernier représentant légitime.
VALOIS (Henbi de), savant qui a bien mérité de la
littérature classique , naquit à Paris, en 1603 , et fut d'abord
avocat au parlement. Mais il renonça plus lard au barreau
pour se consacrer exclusivementaux belles-lettres età l'his-
toire. Nommé historiographe du roi en 1660 , il mourut
en 1676. 11 se fitconnaîtreen publiant d'abord sous le titre de
PolybUExcerpiaiPàth, 1634-1648) les extraits de Polybe
faits parConstantin Porpliyrogénète , d'après une copie que
Peyresc avait reçue de Grèce. Il donna ensuite des éditions
d'Ammien Marcelin ( Paris, 1636), de VHistoria Ecclesias-
tica d'Eusèbe (Paris, 1659), et des œuvres d'Harpocralion
(Leyde, 1683), qui sont fort estimées.
VALOIS (Adrien de), frère cadet du précédent, né en
1607, mort en 1698, avec le titre à'' historiographe dxi roi,
suivit la mêmecarrière que Henri ; mais ses travaux sont plus
importants pour l'étude de l'histoire de France. Moins érudit
que son frère aîné dans la langue grecque, il écrivait avec
une égale facilité en latin. On a de lui plusieurs ouvrages
historiques remarquables par leur exactitude , par les pro-
fondes recherches dont ils témoignent et par leur élégante
latinité, entre autres : Notitia Galliarûm ordine alpha-
betico digesta {Paria, i&7b), et Gesta veterum Fran-
€orum{3 vol., Paris, 1646).
VALOMBROSA (Abbaye de). Ce monastère célèbre,
situé à six lieues de Florence, dansuneombreuse vallée, ainsi
que l'indique son nom (vallistimbrosa), fut fondé par Jean
Gualbert ( vers 1038), sous la règle primitive de Saint-Benoît.
Cet ordre peut être considéré comme une ramilication des
Camaldules, autre institut, avec lequel il avait dans l'o-
rigine de notables ressemblances. Les religieux portèrent
d'abord un habit couleur de cendre, d'où ils reçurent et con-
servèrent pendant plusieurs siècles le surnom de moines
gris ; en 1590 ils adoptèrent la couleur tannée, qu'ils chan-
gèrent plus tard contre un costume noir. C'est au seinde cette
société religieuse que prit naissance ('institution àes frères
lais, qu'on nomma aussi convers (conversi), parce qu'ils
entraient dans le cloître pour y mener une vie meilleure que
dans le monde.
VALON (Famille de). Voyez Ambrugeac.
VALPARAISO, chef lieu de la province du même nom
de la république du C h i 1 i ( Amérique du Sud ) , la seconde
ville de cet État, et la ville maritime et commerciale la plus
importante de toute la côte occidentale de l'Amérique méri-
dionale, est situé à l'ouest de Santiago, dans une baie en-
touréede trois côtés par des montagnes de 533 mètres d'éléva-
lion, arides et assez escarpées, qui forme un vaste port ouvert
seulement au nord, d'ailleurs à l'abri de tous les vents et dé-
tendu par plusieurs forts. Les rues en sont tortueuses, irrégu-
lières et escarpées , et les maisons n'ont en général qu'un
étage. On y trouve une grande place, de vastes chantiers de
construction, des magasins publics, et plusieurs édifices
considérables. Le faubourg Almendrale est plus grand et
mieux bâti que la ville proprement dite, et contient de belles
habitations de campagne entourées de jardins. Valparaiso est
le centre du commerce et de l'industrie du Chili , qui tous
deux ont pris dans ces derniers temps le plus vif essor,
surtout le commerce avec l'étranger. La population, qui
en 1812 n'était que de 5,000 âmes, avait atteint en 1830 le
diiffre de 30,000 âmes. En 1850 il était de 50,000 habi-
tants, dont un dixième d'étrangers de toutes les nationalités.
En 1845 il était entré dans le port de Valparaiso 746 navires ,
et en 1851 il en était entre 1530. On évalue la valeur des
importations à 75 millions de francs , et celles des expor-
tations à 60 millions. Un chemin de fer relie aujourd'hui
Valparaiso à Santiago.
VALPURGE (Nuit de), Walpurgisnacht. Voyez
Blocksberg et Wai.pcrga.
VALROMEY (Le), Valtis Roinana, nom d'un ancien
petit pays de France, composé de dix-huit paroisses, qu'on
considérait comme faisant partie du B u gey et qui fut com-
pris avec la Bresse et le pays de Gex dans l'échange fait de
cette province contre le marquisat de Saluées, en 1601,
entre le duc de Savoie et le roi de France. Depuis lors il fit
avec la Bresse partie du gouvernement général militaire de
la Bourgogne.
VALSE ou WALSE, danse d'origine allemande, ou même
russe selon quelques-uns : on prétend qu'elle dérive de la
masourka, avec laquelle elle a plusieurs points de ressem-
blance dans la mesure et le mouvement. Il n'y a guère
qu'une soixantaine d'années qu'on danse la valse à Paris.
Elle s'écrit invariablement dans la mesure à trois temps :
trois quatre ou trois huit. Son mouvement varie de Valle-
gretto à Yallegro et au vivace. Le retour périodique des
temps forts en frappant en détermine le rhythme d'une ma-
nière précise et caractérisée. Renfermée dans ces conditions,,
la valse offre néanmoins au compositeur bien plus de res-
sources et d'intérêt que le quadrille. Dans ce dernier genre
de composition en effet le nombre des mesures est stricte-
ment compté. La repiise de chaque motif est forcée et le
rhythme, resserré dans les mesures à trois quatre et à six
huit, n'offre guère plus de variété que celui de la valse, et
ne permet pas tous les développements que celle-ci com-
porte. Une fois le rhythme et le mouvement de la valse
indiqués, la pensée mélodique peut s'étendre, varier, se
transformer sans autre entrave au gré du compositeur. En
France, on a transformé l'abandon voluptueux, le balance-
ment que les Allemands donnent à cette danse, en un mou-
vement précipité de rotation, qui lui enlève en grande partie
son charme. En Allemagne, où la valse est une danse de pré-
dilection, il n'est guère de compositeurs qui n'en aient écrit.
Haydn et Mozart, Weber et Beethoven n'ont pas dédaigné
d'en composer. Aujourd'hui, les rois de la valse , de l'autre
côté du Rhin, sont Lanner, Strauss, Gungl et Labitzky.
VALTELINE, en italien la Val Tellina, contrée
d'Italie située sur l'Adda supérieure. Dans le sens le plus
étendu, on désigne sous ce nom les trois pays de Chia-
venna (Cleven), de Val Tellina et de Bormio, dont le pre-
mier est situé à l'ouest et le dernier au nord-est de la
Valteline proprement dite. Tous les trois faisaient au moyen
âge partie delà Lombardie, et passèrent ensuite sous la
souveraineté des ducs de Milan, qui en 1512 les cédèrent
aux Grisons, lesquels les administrèrent en terres placées
sous leur obédience. A l'époque de la guerre de trente ans,
la Valteline acquit une certaine importance militaire et po-
litique par les tentatives que fit la maison d'Autriche, qui
régnait alors sur l'Espagne et le Milanais, de se procurer en
s'en emparant une voie de communication plus directe entre
Milan et ses États allemands héréditaires. Mais la France
jugea qu'il était de son intérêt de prendre la défense des Gri-
sons, qui demeurèrent en possession de ce territoire. En
17971a Valteline se souleva contre les Grisons , «t le 8 octobre
774
VALTELINE — VAMPIRES
Bonaparte l'incorpora à la République Cisalpine. A partir de
1804 elle fit partie, sous le nom de département de VAdda,
du royaume d'Italie, puis à partir de 1814 sous celui de
délégation duSondrio, du royaume Lombardo-Vénitien,
compris dans les possessions de la maison d'Autriche. La
province de Sondrio actuelle répond à l'ancienne délégation
de ce nom, et sur une superficie de 42 myriaro. carrés elle
comptait en 1850 une population de 98,530 habitants. Elle
forme les cinq prétures de Sondrio , Tiranna, Cliiavenna,
Morbegno et Bormio. Le chef-lieu, Sondrio , siège d'un tri-
bunal de première instance et d'une chambre de commerce
et d'industrie, situé à peu de distance de l'Adda, sur les deux
rives d'une petite rivière appelée Malero et encaissée entre
de fortes dignes , compte 4,000 habitants et possède une
église d'une assez bonne architecture et ornée de quelques
bons tableaux. Toute cette contrée se frouveentourée par des
montagnes d'une grande élévation, qu'on utilise pour l'élève
du bétail, dont les produits forment avec le miel, le bois,
le vin, la soie, le marbre et le fer, les articles d'exportation
du pays. Les vallées de l'Adda et de la Macra ainsi que leurs
collines sont d'une fertilité extraordinaire, et les vins qu'on
y récolte sont en grand renom. Les parties basses de la Val-
teiine, du côté du lac de Côme, sont considérées comme
malsaines. Les voyageurs admirent les deux belles routes
tracées à travers lé Splugen et le Stilfser Joch; ce sont
les deux voies carrossables les plus hautes qu'il y ait en Eu-
rope. Ils vont aussi visiter les magnifiques chutes d'eau
situées dans la vallée de Saint-Jacques, à environ trois
kilomètres de Cliiavenna, les ruines de la ville de Plurs ,
détruite au mois de septembre 1618 par un ébouiement, ca-
tastrophe qui coula la vie à 2,430 individus; les bains de
Masirco, dans la préturede Morbegno et de Bormio ; le Monte
Leguone et le Pic d'Or/eles, sur les frontières du Tyrol.
VALUTIMA-GORA (Affaire de). Ce fut l'un des
combats les plus vifs livrés pendant la campagne de Russie.
Le 19 août 1812, quatre jours après la prise de Smo-
lensk, le maréclial Ney reçut l'ordre de poursuivre l'ar-
mée russe battant eu retiaite sur Moscou, et dont l'arrière-
garde, forte de 5,000 hommes et aux ordres du général
Korff, marchait en deux colonnes parallèles sur les hauteurs
qui bordent la grande route* Ney atteignit Korff au moment
où il se disposait à effectuer le passage de la Stabna, Le gé-
néral russe fit immédiatement faire halte à sa colonne de
droite, et envoya à sa colonne de gauche l'ordre de prendre
position sur im plateau dominant la petite ville de Vahitina-
Gora. Mais celle-ci n'avait pas encore exécuté son mouve-
ment, que déjà la première était enfoncée et culbutée. Autant
allait lui en advenir à elle-même, quand accourut à son se-
cours Barclay de To II y, qui, au lieu de se retirer sur
Moscou , battait en retraite sur Borodino , en décrivant un
demi-cercle, et qui, informé de la position critique de Korff,
lui envoyait, comme renfort, deux divisions, l'une com-
mandée par le prince de Wurtemberg, l'autre par le général
Karpow. Korff prit alors position derrière la Kalodnia,
mais nos colonnes l'en eurent encore bientôt délogé. Pendant
ce temps-là, Barclay deTolly, qui s'était rapprochédu champ
de bataille , envoyait toujours de nouveaux renforts à son
lieutenant, de sorte que les Russes finirent par avoir en
ligne plus de 30,000 hommes en infanterie et6,000 hommes
de cavalerie. A ce moment la position de Ney eût pu devenir
critique, s'il n'avait reçu des renforts qui lui permirent de
prendre l'offensive pour la troisième fois. Sur tous les points
l'ennemi dut céder à la furia francese, et les Russes con-
tinuèrent alors précipitamment leur mouvement de retraite,
mais non sans avoir laissé sur le terrain plus de 9,000
hommes, tant t'iés que blessés. Notre perte n'avait pas été
au delà de 3,000 hommes hors de combat.
VALVE (Histoire naturelle). En conchyliologie, on
donne ce nom aux pièces dont se compose la coquille des
mollusques. En botanique, les valves sont pareillement
les diverses pièces qni entrent dans la formation des péri-
carpe:» de certains fruits, et qui le plus souvent s'ouvrent
et s'isolent au moment de leur maturité ; si le péricarpe
est formé d'une seule pièce s'ouvrant irrégulièrement, on
le dit évalve, ou sans valves; les follicules des apocynées
sont îtnivalves; les légumes sont bivalves; elc.
VALVEE, genre de mollusques gastéropodes, bran-
cl)i(\s, dont la coquille a beaucoup de rapports avec celle
des palliidines. C'est à Geoffroi, l'auteur du premier traité
des coquilles des environs de Paris, qu'on doit ladécouverte
de la valvée, qu'il nomma nérite porte-plumet , en raison
de ce que cet animal fait sortir à l'extérieur sa branchie ,
qui a en effet la forme d'un petit panache ou plumet. Le
genre valvée ne renferme que des mollusques d'eau douce,
tous d'Europe. L. Laurent.
VALVULE, diminutif de valve. En anatomie com-
parée, on donne ce nom à des organes qui ont l'apparence
d'une cloison de forme très-variable et adaptée aux divers
usages des appareils des animaux , surfont de ceux de la
circulation et de ladigestion. Les valvules iaat l'of-
fice de soupapes, qui permettent le passage des liquides et
des substances molles, mus par des voies ou canaux muscu-
laires, et s'opposent à leur rétrogradation. Les anatomistes
désignent certaines d'entre elles sous des noms spéciaux,
comme la valvule d'Enstache {voyez Coecr), etc.
L. Laurent.
VAMPIRES. C'est généralement de ce nom qu'on gra-
tifie dans nos temps modernes les plus redoutables des re-
venants, de vrais corps de décédés dont le privilège est de
ne point pourrir dans la terre, quelque humide ou quelque
chaude qu'elle soit. Chez eux foute source de vie n'est point
entièrement tarie; ils l'alimentent avec du sang humain,
qu'ils boivent par la succion aux veines des personnes en-
dormies. De préférence, ces mornes et affreux habitants des
cimetières s'attachent au sein de neige d'une jeune fille au
cœur brûlant, d'un adulte dans toute la fraîcheur de la
santé, et surtout aux gens de distinction , aux riches, tou-
jours bien nourris. Pères, mères, fiancées, épouses, en-
fants, frères, sœurs, parents, amis, sont leurs premières
comme leurs plus agréables victimes. A l'heure de minuit le
vampire s'élance de sa fosse, entre dansleur couche, on ne sait
comment; et là, étendu sur elles, à leur insu môme, il se
gorge d'un peu du sang de chacune, et avec tant d'avidité et
de délice, que, de mêmeqii'une sangsue pleine, il le transsude
par tous les pores, en infecte son passage, et met ainsi sur
la trace de sa tombe ou de sa fosse. Alors , quand on peut l'y
surprendre, on lui enfonce vigoureusement un pieu dans
l'estomac, puis on lui tranche la tête, dont la bouche, dé-
mesurément ouverte, pousse un cri horrible; puis l'on jette
tête et cadavre aux flammes. Une fois réduit en cendres ,
lesquelles on a bien soin de renfermer dans sa fosse, le vam-
pire entre dans la commime et silencieuse condition des
morls ordinaires, et à jamais cesse de troubler le repos des
vivants.
Les populations slaves, grecques et roumaines des Prin-
cipautés Danubiennes, la Hongrie, la Grèce, la Pologne,
l'Autriche, la Lorraine, caressent avec complaisance cette
superstition, non moins effrayante que poétique, qui nous
vient de l'Orient. Elle est ressuscitée de la Lililh (/a Nuit)
juive d'Isaïe, que saint Jérôme traduit fort heureusement
par Lamie, et qui mange les enfants nouveau-nés; des
gouls arabes, tous génies malfaisants, qui, comme l'hyène,
ne vivent que des cadavres qu'ils déterrent. Elle est même
ressuscitée des mânes d'Homère, ces ombres si altérées de
sang, et aussi de l'Érictho de Lucain, magicienne qui s'attache
aux corps de ses proches expirants. Mais le vampire sur-
passe en effroi tous ces monstrueux êtres nés du cerveau
troublé des hommes.
Chez le peuple le vampirisme est regardé comme un châ-
timent d'en haut, en expiation de quelque grand forfait. On
n'est guère étonné de voir dom C a 1 m e t croire aux vampires ;
mais on ne peut comprendre la crédulité de Tourne fort,
qui, dans son Voyage du Levant, affirme avoir été témoin
de plusieurs cas de vampirisme. Denne-Baron.
VAMPIRES — VANCOUVER
775
VAMPIRES (ZooZog'îe), espèces de chauves-souris, dont
les habitudes sont de sucer le sang des bestiaux ou des
hommes endormis. La langue du vampire est pourvue, à cet
effet, de papilles cornées très-aiguës, au moyen desquelles il
perce la peau et ouvre les vaisseaux capillaires, qui four-
nissent à la bouche de l'animal suceur le sang dont il se
gorge. L. Laurent.
"VAIV ou WAN, eyalet turc, d'environ 420 myriamètres
carrés, situé dans la partie sud-est de l'Arménie et compris
ordinairement dans le Kourdistan. C'est une contrée très-
montagneuse, renfermant le grand lac de Van (48 my-
riam. carrés de superficie), appelé par les anciens /l/x/iissa
ou Thospitis, et par les Arméniens lac de Tosp. Il est si-
tué à l'ouest du lacd'Urmia, à 1708 mètres au-dessus
du niveau de l'Océan, et, comme celui-ci, remarquable par
la grande quantité de sel dont ses eaux sont imprégnées,
ainsi que par les souvenirs historiques qui se rattachent à
quelques localités avoisinanles.
A environ quatre kilomètres de sa rive sud-est on trouve
ia ville forte de Van, bAtie au milieu d'une contrée cou-
verte de jardins et de maisons de campagne, siège du gou-
verneur général du Kourdistan septentrional, avec 20,000 ,
habitants, qui fabriquent des calicots communs et exploi-
tent des raffineries de sel. Les anciens Arméniens don-
naient à cette ville le nom de Fan Taspaî; les Grecs, ce-
lui de Thospia ou Buana; les Byzantins, celui d'iban; et
les Arméniens actuels l'appellent aussi Schamiramakert ,
c'est-à-dire construction de Sémiramis. On trouve en effet
dans la montagne sur laquelle s'élève la citadelle d'énormes
cavernes et voûtes remplies de débris d'anciens monuments
et d'oeuvres de sculpture, avec <Ies inscriptions en écriture
cunéiforme, qu'on attribuait à la célèbre reine Sémiramis.
Moïsede Chorène les décrivait déjà au cinquième siècle, et en
J827 elles ont encore été explorées par le professeur Schulz,
de Giessen. Tous ces monuments, ainsi que les renseigne-
ments transmis par Moïse de Chorène et diverses traditions
mythiques, prouvent qu'à une époque qui se perd dans la
nuit des temps Van était déjà une ville importante, qui
servit souvent de résidence aux rois d'Assyrie, et plus lard
aux rois de Perse. Elle doit, dit-on, son nom actuel à Van, roi
d'Arménie, qui régnait au quatrième siècle av. J.-C. Elle
fut peuplée dans le premier siècle de notre ère par des Juifs
prisonniers de guerre, qu'y établit le roi Tigrane, puis dé-
truite vers le milieu du quatrième siècle, par le roi de Perse
Sapor. Mais elle parait avoir été plus tard, jusqu'en 1021, la
résidence d'une dynastie arménienne, qui s'était fondée dans
le pays de Wasburagan, nom que porte encore aujourd'hui
le sandjakturc situé au nord du lac. Elle passa ensuite sous
la domination des Byzantins, puis sous celle des Seldjoucides
et des Turcomans. Eu 1387 et 1394 elle fut prise par Ti-
mour, en 1425 par le Turcoman Iksander, en 1533 et 1548
par les Turcs, à qui les Persans la rendirent en vertu d'une
capitulation, et ceux-ci s'en rendirent de nouveau maîtres
pendant quelque temps, en 163G.
Sur la rive nord-est du lac de Van est située la ville
d'Ardsc/iisch , avec des eaux minérales chaudes et des
plantations de noyers , appelée par les anciens Arsisia, au
dixième siècle siège de princes mahométans, placée à partir de
l'an 993 sous l'autorité des empereurs de Byzance, prise en
1071 par les Seldjoucides, et partageant dès lors toutes les
destinées des contrées environnantes. Achlath ou Aklath,
appelée aussi Chelath ou Khelath, et par les Byzantins
Chliath, ville située sur la rive nord-ouest du lac, avec un
château fort, de nombreuses ruines et 10,000 habitants, est
bien autrement célèbre. On prétend qu'elle fut jadis la ré-
sidence d'anciens rois d'Arménie et qu'on y compta jus-
qu'à 200,000 habitants. Au dixième siècle elle obéissait à
des émirs arabes, qui avaientsecoué le joug du khalifat, mais
qui après l'année 1021 paraissent avoir été vassaux des em-
pereurs de Byzance. A partir du douzième siècle elle fut la
capitale de dynasties turcomanes, seldjoucides et autres.
£»fiD, après de nombreux sièges, elle tomba en 1243 au
pouvoir des Mongols; et en 1247 un tremblement de terre
la détruisit. La ville fut encore prise en 1279 et 129?> 'par
les Égyptiens, en 1387 par Timour, en 1548 par les Turcs aux
ordres de Soliman, lequel, en 1562, y fit construire la ci-
tadelle actuelle.
VAIV, VANNERIE. On appelle van un ustensile don
on se sert pour vanner les grains , c'est-à-dire pour le
nettoyer en les débarrassant des débris de paille, de la bal'
et de la poussière qui s'y trouvent mêlés après qu'ils oiï
été battus. Les vans se font en général avec des branche*
d'osier, ou encore de saule, de marsaule, etc., dépouillées
de leur écorce. Leur forme est celle d'un plateau à peu près
ovale, dont le bord postérieur et ceux des côtés sont rele-
vés, un peu arrondis , et courbés en dedans. Sur chacun
des côtés se trouve une anse ou poignée qui sert à tenir
l'instrument lorsqu'on vanne; travail assez pénible, et qui
demande de l'adresse et une certaine habitude.
La vannerie comprend, outre l'art de (aire les vans, ce-
lui de fabriquer les corbeilles, les paniers, les hottes, et en
général tous les ouvrages qui se font avec des brins d'osier
ou avec des branches, desécorces, des lilaments tirés de
l'aubier ou du bois même de certains arbres, qu'on entrelace
ou qu'on assemble de manière à pouvoir recevoir et con-
tenir divers objets. C'est un art fort ancien , que de pieux
solitaires , des Pères du désert ont exercé dans leur retraite
et dont ils liraient leur subsistance. Dans l'arrondissement
de Vervins, la vannerie est une industrie d'une impor-
tance toute particulière, et dont on n'estime pas les pro-
duits à moins de plusieurs centaines de mille francs par an,
VANADIUM, corps métallique découvert en 1830 par
Sefstroem dans un minerai de fer de Taberg (Suède), re-
marquable par une ductilité extraordinaire. Ce métal, d'un
blanc d'argent qui présente de grandes analogies avec le
chrome et le manganèse d'une part, et avec le molybdène
de l'autre, n'est point ductile et se laisse aisément réduira
en une poudre noire. Bon conducteur de l'électricité, il es!
infusiblo au feu de nos fourneaux. Réduit en poudre, il
s'enflamme au-dessus de la chaleur rouge et se change en
oxyde noir. La plus importante combinaison de l'oxyde de
vanadium est Vacide vanadiqiie, qui se présente sous la
forme d'une poudre rougeâtre, semblable à la rouille de
fer. Il est sensiblement soluble dans l'eau, qui se colore en
jaune clair.
VAN BERCHEM. Voyez Berguen (Louis de).
VAN BUREN. /'07/ez Buren (Martin Van).
VANCAPELLEN. Voyez Capellen (Théodore-Fré-
déric Van).
VANCOUVER (Georges), né en 1750, fit son ap-
prenti.ssage dans la marine anglaise sous le célèbre capitaine
C 0 0 k , qu'il accompagna dans son second et son troisième
voyage autour du monde. L'expérience qu'il avait acquise
le fit désigner, en 1790, par l'amirauté d'Angleterre pour
diriger un voyagea la recherche d'un passage entre l'océan
Atlantique et le grand Océan. Le théâtre de cette explora-
tion (levait être la côte nord-ouest de l'Amérique septen-
trionale, depuis le Zd" jusqu'au 60^ degré de latitude.
Vancouver, nommé capitaine de vaisseau, reçut le comman-
dement de la corvette La Découverte, et partit de Falmouth,
le 9 juillet 1791 , suivi du brick Le Chatam commandé par
Broughlon. L'expédition toucha d'abord au cap de Bonne-
Espérance, visita la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande
et vint jeter l'ancre à la Nouvelle-Zélande , dans la baie de
Dusky, En quittant ce mouillage, une tempête sépara La
Découverte de sa conserve ; et elles ne se rejoignirent que le
30 décembre, à Otahiti. Vancouver quitta cet archipel pour
se rapprocher des îles Sandwich, où il mouilla le 14 jan-
vier 1792; puis, cinglant vers le nord, il commença l'ex-
ploration de la côte d'Amérique, qu'il continua cette année
jusqu'au 52" degré 18' de latitude. Après avoir visité le dé-
troit de Jean de Fuca , il revint sur ses pas pour prendre
possession de l'établissement de Noutka cédé par l'Espagne
à l'Angleterre. L'année suivante, en février 1793, il sediri-
TT6
VANCOUVER — VANDALES
f;ea de nouveau vers l'archipel des Sandwich, et le 26 avril
il naviguait encore le long de la côte de l'Aniérique, qu'il
parcourut jusqu'au cap Décision. Revenant ensuite sur
Noutka , il visita les établissements espagnols de la Nou-
velle-Californie.
Le 8 janvier 1794 il atteignit pour la troisième fois
Owahi, reprit de là son exploration de la côte nord-ouest,
découvrit l'île Tcliirikoff, puis pénétrant dans la rivière de
Cook , il s'avança jusqu'au 61' degré 29' de latitude nord,
pour reconnaître toutes les îles, détroits, canaux et
baies de ces parages, jusque alors si peu connus. Dans
cette dernière campagne, il parcourut l'archipel du roi
Georges et du prince de Galles, visita File de l'Amirauté,
et termina ses opérations le 22 août, au port de La Conclu-
sion, dissipant ainsi tous les doutes et écartant les fausses
opinions sur le prétendu passage de Jean de Fuca. Le 12
septembre il reprit le chemin de l'Europe. Le 29 uiai il
doubla le cap Horn, et le 13 septembre 1794 il aborda sur le
côtes d'Irlande. Cette rude exploration avait altéré sa santé;
toutefois, il travailla sans relâche à la rédaction de ses jour-
naux, et mourut dans le comté de Surrey, le 10 mai 1798.
Son frère mit la dernière main à son ouvrage, qui fut publié
sous le litre de : Voyage de Découvertes dans l'océan Paci-
fique du Nord. Sabin Berthelot.
VANCOUVER (Ile). Voyez Nouvelle-Calédonie
(Amérique).
VANDALES (Les), Vandali, peuple germain, dont le
nom désignait suivant toute apparence une association de plu-
sieurs peuplades de la Germanie orientale. L'histoire en fait
pour la première fois mention dans la seconde moitié du
deuxième siècle de notre ère comme compagnons des M a r-
comans et des Quades dans leurs expéditions en Pan-
nonie et dans leur guerre contre Marc Aurèle. A cette épo-
que ils habitaient le versant nord-est du Riesengebirge ,
tandis que le côté nord-ouest de cette montagne était oc-
cupé parles Silings, une de leurs tribus. Dans la seconde
moitié du troisième siècle ils paraissent avoir encore entre-
pris de là des irruptions en Pannonie, sous le règne d'Au-
rélien. Mais bientôt après ils abandonnèrent leur pays, et
.sous le règne de Probus on les voit apparaître sur les rives
du Danube, dans l'ancienne Dacie romaine, avec les G o t h s
et les Gé pi des. Suivant le récit de Jornandès le roi des
Gotlis, Gébérich, extermina sur les bords de la Marosch une
grande partie des Vandales avec leur roi Wisumar, de la
race des Asdings. Le reste demanda à Constantin le Grand
la permission de se fixer dans la Pannonie, où ils demeu-
rèrent tranquilles pendant une soixantaine d'années. Mais
au commencement du cinquième siècle ils se soulevèrent ,
à l'instigation de Stilicon, dit-on, et, sauf un très-petit nom-
bre d'entre eux, désertèrent le pays. Ils se dirigèrent alors à
l'ouest, etavecles Suèvcs et les Alain s en valurent, en l'an
406 la Gaule, sous les ordres de leur roi Godégisil, qui périt
ensuite en combattant les Franks. Ils ne quittèrent ce pays
qu'en l'an 409, après l'avoir horriblement dévasté et après
en avoir été expulsés par Constance, proclamé empereur
par les légions de la Bretagne. Traversant les défilés mal
gardés des Pyrénées, ils pénétrèrent en Espagne, et y com-
mirent leurs dévastations habituelles, jusqu'au moment où,
à la suite de luttes sanglantes soutenues sous les ordres de
leur roi Gundérich, fils de Godégisil , contre les Suèves et
les Goths , ils se fixèrent dans une partie de la Hétique , qui
a conservé d'après eux le nom d'Andalousie ( Vandalitia ).
Le général romain Castinus, d'abord heureux dans les ef-
forts qu'il tenta pour les en chasser, fut vaincu par eux en
l'an 422, grâce à la trahison des auxiliaires visigoths qu'il
comptait dans son armée; et alors ils dévastèrent tout le
sud de l'Espagne, où en 425 ils prirent d'assaut Séville et
Carthagène, étendant leurs ravages jusqu'aux îles Baléares.
Le frère de Gundérich, Gaisérich ou Gensérich, répon-
dant à l'appel de Boniface, gouverneur romain de l'Afrique,
que les cabales d'Aétius et les intrigues dont la cour de l'em-
pereur était le théâtre à Ravenne avaient contraint de lever
l'étendard de la révolte, passa en Afrique avec ses ^«odales,
dont on estime le nombre à 80,000, et auxquels s'étaient
jointes de nombreuses bandes de Goths et d'Alains. Les
hérétiques d'Alrique ( les Donatistes) se rattachèrent anï
Vandales , qui avaient embrassé l'aiianisme et qui ravagè-
rent alors l'Afrique avec la barbarie et la cruauté qui les
distinguaient entre toutes les autres tribus germaines. Bo-
niface , qui eut aussi à en souffrir, se réconcilia avec sa cour.
Les Vandales n'ayant point obtempéré à l'ordre qu'il leur
intima d'avoir à évacuer le sol africain, il marcha contre
eux avecAspar que l'empereur d'Orient avait fait passer en
Afrique à la tête d'une armée. Mais ils furent vaincus tous
les deux et forcés de battre en retraite. La ville fortifiée
d'Hippone (aujourd'hui Bone),où mourut saint Augustin
pendant la durée du siège qu'en vinrent faire les Vandales,
tomba au pouvoir de ces barbares. En 439 Gaisérich rompit
la paix qu'il avait conclue quatre ans auparavant avec Va-
lentinien III , et se rendit maître de Carthage. Aux termes
d'une paix nouvelle, l'empire des Vandales s'étendit alors
sur la côte septentrionale d'Afrique depuis l'Océan jusqu'aux
frontières de Cyrène. Les îles Baléares, une partie de la
Sicile , laSardaigne et la Corse appartenaient également aux
Vandales, dont Gaisérich était parvenu à faire d'intrépides
navigateurs. Appelé par Eudoxie, veuve de Valentinien, qui
voulait se venger de Maxime le meurtrier de son époux,
Gaisérich passa en Italie. Les supplications de l'évêque de
Rome Léon I*^"^ avaient naguère sauvé la ville éternelle des
fureurs d'Attila ; cette fois elles ne purent rien sur Gaisérich,
qui livra Rome au pillage pendant quinze jours consécutifs.
La barbarie avec laquelle dans celte occasion les Vandales
n'épargnèrent pas môme les chefs-d'œuvre de l'art a fait
créer le mot vandalisme pour désigner des attentats de
ce genre (rappelons ici, en passant, que c'est l'abbé Gré-
goire qui, aux plus mauvais jours de la révolution française,
le mit le premier en circulation).
Les Vandales s'en retournèrent alors diargés du plus
riche butin et emmenant avec eux de nombreux prisonniers,
qu'ils traitaient avec la plus grande cruauté; et Eudoxie
ainsi que ses deux filles furent contraintes de les suivre.
Inutilement menacé par les empereurs d'Occident et d'Orient,
Gaisérich mourut en 477. Il eut pour successeur son fils
Hunnérich , qui régna jusqu'en 484 , persécuta cruellement
les catholiques , fit d'inutiles guerres contre des tribus
maures révoltées et désola la Méditerranée par ses pirateries.
A Hunnérich succéda, aux termes du testament de Gaisérich,
et comme l'aîné de la maison, le neveu d'Hunnérich Gun-
tamund (jusqu'en 490), puis à celui-ci son frère Thrasa-
round (jusqu'en 523), qui tous deux firent preuve de mœurs
plus douces et d'habitudes plus humaines, et dont le second
se montra môme le protecteur des sciences et des lettres.
Mais les Vandales, subissant l'influence énervante du climat
et des habitudes voluptueuses qu'ils avaient prises à l'imi-
tation des indigènes, avaient perdu leur énergie primitive.
Ils furent battus par les Maures qui s'étaient révoltés dans
la province de Tripoli ; et pour leur résister Thrasamund ,
qui avait épousé Amalfriède, sœur de Théodo rich , se
vit réduit à demander à son beau -frère le secours d'une ar-
mée d'auxiliaires goths. Hildérich , fils de Hunnérich et de la
fille d'Eudoxie , devint roi des Vandales à la mort de Thrasa-
mund , et se maintint en possession de la couronne contre
Amalfriède, qu'il vainquit et fit prisonnière. Toutefois, sa
prédilection pour les Romains, résultat du long séjour qu'il
avait fait à Constantinople, et les faveurs qu'il accordait
aux catholiques, finirent par exciter le mécontentement
des Vandales; et son cousin Gé limer en profita pour
le renverser du trône, en 530. L'empereur d'Orient Ju s ti-
ni en prit fait et cause pour lui,etirrité des réponses in-
sultantes faites à ses offres de médiation par Gélimer, il
envoya contre^ celui-ci Bélisaireà la tète d'ime armée.
Bélisâire débarqua en Afrique avec 15,000 hommes seu-
lement. Gélimer fit alors égorger Hildérich et ses fils; mais
battu dans sa première rencontre avec l'armée de Bélisâire,
VANDALES — VAN DIEMEN
7TT
il abandonna Carthage, qui fut aussitôt occupée parle vain-
queur, dont la politique consistait à s'attacher les popula-
tions par sa clémence et sa modération. Vaincu une seconde
fois par Bélisaire, Gélimer se réfugia dans une forteresse de la
Numidie, où Bélisaire vint l'assiéger ; et bientôt il s'y vit réduit
par la famine à capituler (en 534 ). Il fut ramené à Constanti-
nople pour servir d'ornement au triomphe de Bélisaire , et
mourut en Asie Mineure, où Justinien lui avait assigné des
domaines pour vivre. La plupart des Vandales avaient aussi
été transportés en Asie, où on les employa à guerroyer contre
les Perses; et le petit nombre d'entre eux qui étaient restés
en Afrique s'y mêlèrent bientôt complètement à la popula-
tion romaine et maure. Consultez Papencordt, Histoire de
la Domination des Vandales en Afrique (en Allemand;
Berlin, 1837).
VANDALISME, \oyez Vandales.
VAJVDAMME (Dominique-Joseph), comte d' Hune-
bourg , l'un des plus brillants généraux de l'empire , était
né le 5 novembre 1771, à Cassel , département du Nord. 11
servit d'abord dans un régiment colonial, et revint en France
au début de la révolution. En 1793 il était déjà général de
brigade à l'armée du Nord. En 1795 il fut attaché à l'ar-
mée de Sambre et Meuse, sous les ordres de J o u r d a n. En
1799 il passa général de division. La campagne de 1805 lui
fournit l'occasion de se distinguer à Austerlitz ; pendant les
campagnes de 1806 et 1807 il fut chargé de soumettre
la Silésie, et une capitulation mit Breslau en son pouvoir.
A l'ouverture de la campagne de Russie , il se brouilla avec
le roi Jérôme , et par suite resta sans commandement. Ce
ne fut qu'au commencement de la campagne de 1813 qu'on
lui confia un corps d'armée en Westplialie et plus tard dans
la Basse-Saxe. Les Allemands lui ont reproché d'avoir dans
l'exercice de ce commandement fait preuve d'une dureté et
d'une inhumanité sans égales, d'avoir fermé les yeux sur
l'indiscipline de ses soldats, d'avoir autorisé les excès de tous
genres auxquels ils se livraient , et surtout d'avoir fait
fusiller deux patriotes allemands. Berger et Fink, à l'égard
desquels le ministère public lui-même s'était contenté de
conclure à l'emprisonnement.
Au mois d'août , pendant que Napoléon faisait ses pré-
paratifs pour la grande bataille de Dresde, il dirigea Van-
darame avecun corps de 30,000 hommes sur la Bohême, avec
ordre d'y prendre en flanc et à revers l'ennemi , à ce moment en
pleine retraite à travers l'Erzgebirge. Mais, par suite de l'inac-
tion dans laquelle demeura l'empereur après la bataille de
Dresde, Vandamme, cerné kKul m, dut mettre bas les armes
avec 10,000 hommes et 80 bouches à feu. Conduit au grand
quartier général des alliés, il s'y vit enlever son épée par
ordre du grand-duc Constantin, qui , dit-on , joignit encore
quelques insultes personnelles à ce procédé si injurieux.
L'empereur Alexandre fit , il est vrai, rendre à Vandamme
son épée, mais donna l'ordre de le transférer au fond du
gouvernement de W'iaetka , sur les confins de la Sibérie. Les
événements de 1814 rouvrirent les portes de la France à
Vandamme, qui resta alors en inactivité. Pendant les cent
Jours, Napoléon le créa pair de France et lui confia le com-
mandement du troisième corps de l'armée aux ordres de
Grouc hy. Ces deux généraux attaquèrent , le 18juin 1815,
à Wavre ,les Prussiens de Thielmann; mais en poursuivant
l'ennemi , ils négligèrent de venir appuyer l'empereur à Wa-
terloo ; faute grave, qui fait peser sur eux une grande partie
de la responsabilité de cet immense désastre. Quand ils
apprirent que Napoléon avait été battu , ils ellectuèrent en
assez bon ordre leur retraite jusque sous les murs de Paris,
avec leur armée, forte encore de 45,000 hommes. La seconde
restauration dépouilla Vandamme de son grade et de ses ti-
tres; et l'ordonnance du 24 juillet le bannit de France. Il
n'obtint l'autorisation d'y rentrer qu'en 18*24. Mis alors en
demi-solde, il se fixa dans sa ville natale, où il mourut, le 15
juillet 1830.
VAN DEN BOSCH. Voyez Bosch (Jérôme de).
VAN DEN VELDE { Les ). Voyez VELDE(Van den ).
VAN DER MEER. Voyez Meer.
VAN DERMElILEN.Foj^e- Meulen (Vander).
VANDERMONDE (N...), mathématicien français,
naquit à Paris, en 1735. La plupart de ses productions sont
é|)arses, sous la forme de mémoires, dans les recueils scien-
tifiques du temps. Mais quoique Vanderraonde n'ait publié
aucun ouvrage de longue haleine, ses travaux sonltrès-es-
timés des géomètres. Les plus remarquables ont pour objet
la résolution des équations , l'élimination et certaines irra-
tionnelles étudiées depuis par Kramp sous le nom de fac-
torielles. En 1771 Vandermonde fut appelé à faire partie de
l'Académie des Sciences. En 1793 il écrivit, en collaboration
avec Mongeet Bert ho 1 let , l'iiiJis aux ouvriers en fer
sur la fabrication de Vacier, que la Convention nationale
leur avait demandé et que l'on trouve dans les Annales
de Chimie. \\ fut ensuite nommé professeur d'économie po-
litique à l'École Normale , et entra à l'Institut dès son or-
ganisation. Mais il ne jouit pas longtemps des honneurs qu'il
avait mérités : il mourut le 1^" janvier 1796.
Vaniiermonde était sincèrement dévoué à la révolution.
Ceci explique peut-être pourquoi son nom n'est guère con-
nu que des géomètres, tandis que celui de Lacépède,
par exemple, a conquis une sorte de popularité.
E. Merlieux.
VANDERNEER. Voyez Nf.er.
VAN DER VELDE. Voyez Velde (Van der).
VAN DERVVERFF. Voyez Werff (Adrien Van).
VAN DE WEYER. Voyez Wever (Sylvain Van de).
VAN DIEIMEN (Terre de), lie de l'Australie, située
entre le 40° et le 44° de latitude méridionale, en avant de
la pointe sud-est de la Nouvelle-Hollande , dont elle n'est
séparée que parle détroit de Bass, découvert en 1798
par Bass et Flinders et dénommé d'après le premier de
ces navigateurs. Sa superficie est de 878 myriam. carrés.
Toute l'île est de nature montagneuse , mais elle a sur le
continent qui l'avoisinc l'avantage qu'on n'y rencontre
point de vallées arides. Les côtes en sont généralement
escarpées , mais offrent un grand nombre de ports et de
baies. La surface en est généralement couverte de pla-
teaux peu élevés , fertiles et riches en prairies , entre les-
quels on rencontre trois montagnes âpres et sauvages, de
médiocre circuit : l'une, située au nord-est, où le Ben-Lo-
7?ionrf atteint une élévation de 1566 mètres; la seconde, à
l'ouest, haute de 1156 mètres; la troisième , au sud-ouest,
avec \eMont-Humboldt, haut de 1733 mètres. Au sud-est,
près de H obart town, s'élève la Montagne delà Table
ou de Wellington, haute de 1321 mètres. En outre, l'île est
arrosée par im grand nombre de cours d'eau et de lacs ; aussi
sou sol, dont la plus grande partie est bonne, est-il très-fertile.
Ses cours d'eau les plus importants, navigables à leurs ex-
trémités, sont le Dcrwent au sud et le Tamar au nord. Le
climat n'est pas aussi chaud que celui de la Nouvelle-Galles
méridionale, de sorte que les fruits du sud n'y réussissent pas;
en revanche, tous les produits de l'Europe centrale y vien-
nent à merveille. La nature physique de l'île ainsi que ses
productions offrent d'ailleurs la plus grande analogie avec
celles du continent austral qui l'avoisine {voyez Australie).
Ou y remarque également l'absence de plantes nutritives
indigènes ; mais les côtes abondent en poissons et en vi-
vipares marins. Les montagnes contiennent beaucoup de
minerai de fer et de cuivre, de houille, de marbre et au-
tres calcaires , d'alun, de cristal et de cornaline. Cette Ile
fui découverte en 1C42, par le Hollandais Tasman , du nom
duquel on l'appelle aujourd'hui Tasmanie, pour la distin-
guer de la Terre de Van Diénien , située sur la côte septen-
trionale de la Nouvelle-Hollande. Tasman lui imposa le
nom de Terre de Van Diemen , en l'honneur de Van Die-
men , alors gouverneur général des Indes orientales hollan-
daises. En 1803 les Anglais y fondèrent une colonie pénale ,
qui prospéra rapidement , surtout par suite de l'immigra-
tion d'un grand nombre de colons libres ; aussi en 1850
ycomptait-ou déjà 71,164 habitants, dont environ 20,000
778
VAN DIEMEN — VANILLE
déportés. Tous ces habitants sont d'origine européenne, at-
tendu que les aborigènes , qui portaient tout à fait le type
des nègres de l'Australie, furent transportés par les Anglais
à l'île Flinders , située à peu de distance, afin qu'ils n'eus-
sent pas avec les criminels déportés des rapports qui au-
raient pu avoir beaucoup d'inconvénients. Jusqu'en 1825 la
Terre de Van Diemen forma un sous-gojverneraent dépen-
dant de S id ne y dans la Kouvelle-Galies du Sud, mais qui
alors fut placé sous la direction immédiate du ministère
des colonies en Angleterre, et qui en 1826, avec les seize
îles voisines, reçut une administration particulière, comme
gouvernement indépendant, de 908 myriam. carrés. En con-
séquence, la colonie est régie d'après les lois anglaises
par les propriétaires fonciers libres. A cet effet il y existe
deux assemblées coloniales , l'une législative et l'autre exe-
cutive. Les principales ressources de la population sont l'a-
griculture et l'élève du bétail, qui, de même que dans la
Nouvelle-Galles du Sud , a surtout les moutons pour objet.
L'industrie au contraire n'a quelque importance que pour la
fabrication de la soude et la préparation des huiles de ba-
leine destinées à l'exportation. En revanche, il s'y fait un grand
commerce en produits du sol , parmi lesquels la laine (igure
au premier rang. De 1833 à 1845 le nombre des moutons
s'était élevé de 569,729 à 1 ,200,000 ; celui des bêtes à cornes ,
•de 75,517 à 85,000 ; celui des chevaux , de 5,483 à 15,000;
le chiffre des exportations , de 157,907 à 422,218 liv. st.,
«t celui des importations, de 471,215 liv. st. à 520,262.
Les revenus publics montaient en 1851 à 152,706 liv. st.,
et les dépenses à 165,864 liv. st. L'ile est divisée en deux
comtés : celui de BucKingham au nord , et celui de Corn-
wall au sud. Tous deux forment ensemble neuf districts de
police. Cependant, la partie occidentale de l'île n'est
comprise dans aucun de ces districts. Outre quelques sta-
tions isolées, situées au nord-ouest de l'île , cette partie
contient le territoire de la Société d'Agriculture de la Terre
de Van Diernen, quisur le plateau de Surrey selivre en grand
à l'élève du bétail.
Le chef-lieu, siège du gouverneur et des diverses auto-
rités coloniales , est H o b a r 1 1 o w n , ville de plus de 20,000
habitants. La seconde ville après celle-là est Launceston,
sur le Tamar, au point extrême de sa navigabilité pour des
navires au long cours, avec 10,000 habitants et un com-
merce important. On peut considérer comme son port de
mer Georgetown, dont la prospérité va toujours croissant,
•et qui compte déjà 3,000 habitants. A l'embouchure rnéiné
du Tamar, on trouve Port Dalrymple. Les plus grandes
d'entre les îles dépendant de ce gouvernement , et situées
pour la plupart dans le détroit de Bass , sont Fournaux
ou Flinders au nord-est (environ 7 myriam. carrés), et
King, au nord-ouest ( 9 myriam. carrés), séparées de la
Terre de Van Diemen , la première par le détroit de Banks ,
€t la seconde par le détroit de Hunier.
VAN DYCK. Voyez Dyck ( Antoine Van).
VAIV ERPEIV. Voyez ERPtNits.
VAN EVERDINGEN. Voyez Evr.iiniNfiEN.
VAN EYCK (Jean et Hubeut). Voyez Evck.
VAN GEER. Voijez Geer.
VAN GOYEN. Voyez Goyen.
VAN IlELMONT. Fof/es Heuiont ( Jean-Baptiste).
VAN HUYSUM. Voyez Huvsum (Jean Van).
VANIERE (Jacques), qui a rempli de son nom et de
sa gloire cette belle moitié de la Société de Jésus qui, sans
aucune pensée d'ambition ou de politique, s'était adonnée
à l'étude, à l'exercice et à l'enseignement des belles-lettres,
naquit le 9 mars 1664, dans le diocèse de Béziers. Son père
était un gentilliomme campagnard, et faisait partie de cette
bonne noblesse de province qui cultivait ses champs l'épée
au côté. Le jeune Vanière apprit de bonne heure toutes les
délices de la vie champêtre, tous les détails infinis qui fé-
condent la terre. Ces premières impressions de la jeunesse
le suivirent au milieu même de ses études. En ce temps-là
l'antinuité homcrioue et virgilienne était comme un sacer-
doce auquel les plus nobles esprits tenaient à honneur de
s'associer. Un digne élève des jésuites ne séparait pas 17-
mitation de Jésus-Christ de V Iliade , les œuvres de Plaute
et de Térence de la Journée du Chrétien. Dans ce double
exercice de la croyance littéraire et de la croyance religieuse,
le jeune Vanière se montra des plus ardents. Il méditait à
la fois le Prxdium rusticum et la prédication catholique.
Il voulait être en même temps un poète et un apôtre. Peu
s'en fallut qu'il n'allât prêcher l'Évangile dans les Indes;
mais déjà la Société de Jésus , qui se connaissait en hommes
supérieurs, avait adopté le père Vanière comme son poète;
elle lui avait fait ces loisirs dont parle Virgile; elle lui
avait donné une chaire de rhétorique, et dans ces douces
occupations , qui lui convenaient si bien , notre poète écri-
vait tour à tour les membres épars de son poëme, disjecti
membrapoetx. Ilchantait lesétangs , les vignes , le potagers
les pigeons ; puis , quand ces chants divers furent com-
posés , à la grande joie de cette société savante qui allait
dans ses jardins répétant ces beaux vers, et portant jus-
qu'aux cicux ce cygne de leur ordre, le père Vanière réunit
ces divers poèmes sous le titre général de Prxdium rus-
ticum. Dans ces vers, de la meilleure école de Santeuil
et du père R a pin, le nombre, l'harmonie, l'intelligence
et l'élégance virgilienne sont poussés à ce point incroyable
que les admirateurs les plus passionnés des Géorgiques
se laissèrent prendre à cette nouveauté. Ce n'est pas que
notre ingénieux poète ait voulu en rien refaire les Géorgi-
ques. A Dieu ne plaise , pour lui et pour nous, qu'il ait eu
la pensée de cet horrible sacrilège; il a voulu seulement
compléter, agrandir, réaliser l'œuvre du poète de Manfoue.
Avec la science la plus persévérante , il nous initie aux
moindres détails de la vie rustique : il vous dira comment
se choisit l'emplacement de la ferme, comment se bâtit la
maison , comment s'élèvent les troupeaux, quels doivent
être les laboureurs; il vous dira encore les divers travaux
de l'année; il parcourra avec vous le potager, la vigne, la
basse-cour, les étangs , la garenne et le parc ; il s'inquiétera
des abeilles, il s'inquiétera des pigeons; et dans tous ces
détails, qui sont vrais, vous reconnaîtrez toujours l'élève de
Virgile à l'élégance de son style , à la modération de sa pensée,
à l'intérêt dont sont remplis les différents épisodes de son
poëme. Aussi , dans celte époque de belle et savante latinité,
le succès du Prxdium rusticum i\iX-'A immense. Quand le
père Vanière s'en vint, deToulouseà Paris, réclamer, au nom
de sa maison, la bibliothèque que lui avait léguée l'archevêque
deNarbonne, tout ce voyage fut unelongue suite d'ovations.
Chacun voulait voir de près l'heureux poète. A Paris une
médaille fut frappée en son honneur. De celte vie heureuse
du père Vanière nous n'avons plus rien à dire. Quand il eut
plaidé sa cause pour sa chère bibliothèque, il revint dans
sa maison de Toulouse , et sa vie se passa à écrire un grand
dictionnaire, à composer de touchantes élégies, à faire des
hymnes pour son église, des épitaphes pour ses amis, d'in-
nocentes épigrammes, toutes remplies d'atlicisme et de bon
goût. Dans cette retraite savante, dont il était l'a me et le
sourire, le père Vanière mourut, le 22 août 1739, à l'âge
de soixante-seize ans. Il est du petit nombre de ces hommes
d'élite dont La Fontaine a cîianté la mort à l'avance quand
il a dit :
C'est le soir d'uu beau jour.
Jules Janin,
VANILLE, genre de plantes monocolylédonées, à
fleurs incomplètes et irrégulières, appartenant à la famille
des orchidées etàla gynandrie-diandrie de Linné. L'espèce
la plus connue, que l'on nomme aussi vanillier, pour ne
pas le confondre avec son fruit, est un arbuste dont les ra-
meaux sarmenteux et flexibles s'élèvent assez haut et s'en-
roulent autour des arbres voisins. Les feuilles , alternes
persistantes , épaisses , un peu coriaces , sont légèrement
ondulées sur les bords. Les fleurs , grandes , purpurines ,
odorantes, sont disposées en bouquets. Le fruit est une
VANILLE — VANLOO
779
capsule en forme de silique , bivalve , pulpeuse intérieure-
ment, et renfermant des graines non arillées. Ce fruit est
la vanille du commerce.
Le vanillier croît spontanément dans le Mexique, la Co-
lombie, le Pérou , la Guiane; il est cultivé dans les Antilies,
au Brésil, etc. Il aflecte surtout les lieux humides et om-
bragés, les bords des sources et des ruisseaux. On dis-
tingue dans le commerce trois espèces de vanille; l'une
d'elles seulement est estimée : c'est la vanille légitime. Elle
est longue de quinze centimètres environ, grosse comme
une plume d'oie , rétrécie aux deux extrémités , et légèrement
arquée ; elle ne doit être ni noirâtre , ni roussâtre , ni
gluante, ni desséchée ; un paquet de cinquante gousses
doit peser de 150 à 250 grammes; la plus pesante est la
meilleure. La vanille est d'un usage presque universel
comme condiment. En thérapeutique , la vanille a reçu les
titres de stomachique, stimulan te, céphalique, tonique, elc.
Il est certain que la vanille exerce une action assez marquée
sur l'économie animale, et que son emploi peut n'être pas
sans inconvénients chez les sujets secs, ardents, irritables,
et chez les personnes disposées aux inflammations , aux
hémorrhagies, aux irritations de la peau ou des voies di-
gestives.
H. Belfield-Lefèvre.
VANILLIER. Foyes Vanille.
VANINI ( LuciLio ou Jules Cés\r [ nom qu'il se donna
plus tard sur le titre de ses ouvrages] ) , libre penseur ita-
lien, de l'école de Pom pon ace , naquit en 1585, à Tau-
rezano ou Taurozano, près de Naples. Après avoir étudié à
Rome et à Padoue, il reçut l'ordre de la prêtrise, mais se
consacra plus tard exclusivement à la culture des sciences
philosophiques. Il séjourna pendant plusieurs années à Pa-
doue , puis s'en alla parcourir une partie de l'Allemagne et
des Pays-Bas, et fit ensuite un séjour d'assez longue durée
à Genève et à Lyon , subsistant en donnant des leçons. Il
quitta Lyon pour aller en Angleterre, où il resta pendant quel-
que temps en prison. Rendu à la liberté, il revint à Lyon, où il
publia son Amphitheatrum xternse Providentiœ (1615),
qui semble, il est vrai, dirigé contre Cardan, mais qui ne
lui en attira pas moins ;"i lui-même le reproche de pousser
à l'athéisme. Son esprit s'était attaqué à une des questions
les plus redoutables pour l'intelligence humaine, celle de
l'existence de Dieu. Or, aux époques où la superstition et
les préjugés sont encore tout-puissants, il est bien dange-
geux d'agiter ces terribles problèmes, parce que l'esprit su-
périeur qui n'adopte pas exactement les solutions admises
par ses devanciers , et dans les mêmes termes qu'eux, pa-
raîtra nier le lait môme dont il cherche adonner une expli-
cation nouvelle. C'est ce qui semble être arrivé à Vanini ,
autant que les témoignages contemporains et la lecture de
ses ouvrages, assez obscurs d'ailleurs, nous permettent d'en
juger. Divers détails de son procès, publiés par ses juges et
par ses ennemis mêmes, paraissent confirmer l'opinion que
nous avançons. C'est ainsi que le P. Garasse, dans sa Doctrine
curieuse, attribue à Vanini un plan prémédité de con-
vertir le monde à l'athéisme avec douze de ses disciples.
Les accusations du P. Garasse sont assez sujettes à caution
pour que nous n'ayons pas besoin d'insister beaucoup sur
l'invraisemblance de celle-ci.
Les attaques et les persécutions de tous genres dont il était
l'objet à Lyon à cause des idées qu'il venait d'émettre dans
son livre, décidèrent Vanini à se rendre à Paris, où il obtint
la place d'aumônier du maréchal de B a s s o m p i e r r e, et où
il publia (lGt6) ses dialogues De admirandis naturx, re-
ginx deeeque mortalium; ouvrage où il s'occupe plutôt de
questions de physique que de questions de philosophie, qui
fut imprimé avec une autQrisation spéciale de la Sorbonne,
qu'il dédia au maréchal, et qui lui valut encore des accusa-
tions d'athéisme. L'année suivante. Il alla s'établir à Toulouse,
où il dogmatisa, tout en enseignant la médecine, la philoso-
phie et la théologie. On prétend qu'ayant été chargé de l'édu-
cation desenfants du premier président du parlement deTou-
Jouse , il donna de l'ombrage au procureur général , qui le
déféra à la cour et poursuivit sa condamnation avec beaucoup
d'acharnement. Il fut arrêté en novembre 1618. Bien que les
ouvrages de Vanini aient été produits au procès, on sait, par
l'aveu des contemporains , que ces livres ont moins con-
tribué à le perdre que les discours impies dont il fut accusé
par un sieur de François, gentilhomme qui faisait profession
de piété, et auquel on accorda une entière croyance. La
procédure dura plusieurs mois, et Vanini fut condamné
à avoir la langue coupée, puis à être pendu et brûlé ; af-
I freuse sentence, qui fut exécutée sur la place de Saint-Étienne
à Toulouse, le 19 février 1619. Cette fin tragique a plus con-
tribué que ses livres à rendre son nom célèbre. Arpe, Bayle
et Voltaire prirent chaudement la défense de sa mémoire
contre ses accusateurs, ses juges et ses bourreaux; tandis
que David Durand, dans son livre intitulé La Vie et les
Sentiments de Lucilio Vanini (Rotterdam, 1717), s'est
efforcé de démontrer que les accusations d'athéisme élevées
contre Vanini étaient parfaitement fondées.
VANITÉ, passion qui a la plus grande analogie avec
l'orgueil, sans qu'on puisse les confondre. Elle a en effet
quelque chose de bas, parce qu'elle s'attache le plus ordinai-
rement à de petits objets, et que bien souvent elle se fait gloire
de choses qui avilissent plutôt l'âme qu'elles ne l'élèvent; et
c'est en quoi elle diffère de l'orgueil, qui a des objets plus no-
bles, quoique son principe soit tout aussi vicieux. L'orgueil,
dit Duclos, est une haute opinion de son propre mérite et de
sa supériorité sur les autres ; la vanité n'est que l'envie d'oc-
cuper les autres de soi et de ses talents. L'orgueilleux in-
sulte aux autres hommes, puisqu'il se met au-dessus d'eux ;
le vain, au contraire, les flatte en quelque sorte, puisqu'il
les regarde comme ses juges et qu'il n'ambitionne que leurs
suffrages. La présomption , vice qui consiste à s'assigner
le premier rang , à se croire capable de triompher des plus
grandes difficultés, est un produit immédiat et intime delà
vanité; la fatuité et Y ostentation n'en sont que des ma-
nifestations. Le fils d'un de nos écrivains dramatiques au-
jourd'hui les plus en renom, connu lui-même par de grands
succès au théâtre, disait un jour de son père qu'il poussait la
Tanilé à un point tel qu'il monterait volontiers derrière
son propre carrosse (s'il en avait un ) pour faire croire qu'il
a un nègre. Vanité, où vas-tu te nicher !
Dans la langue de l'Écriture Sainte, le mot vanité, sui-
vant son étymologie, signifie ce qui n'a rien de solide, la
fausse gloire, le mensonge et les idoles. C'est dans le sens
d'absence de réalité, de solidité, que le Sage s'écrie : Vanité
des vanités , tout n'est que vanité !
VANLOO, famille originaire de L'Écluse, en Flandre,
et qui a donné à la France des peintres d'un haut mérite.
Jacques Vanloo, bon peintre de portraits, séjourna
longtemps à Amsterdam, puis vint s'établir à Paris, où,
après s'être fait naturaliser, il fut reçu à l'Académie, en 1663.
J'ai vu de lui, peu d'années avant la révolution, une femme
nue, en pied, se disposant à entrer dans son lit. Ce tableau,
que je compare, pour la finesse et la fraîcheur, aux belles
pages de Crayer, a été gravé par Porporati. J'ai également
vu de sa main un fort beau portrait de Thomas Corneille.
Il avait amené avec lui un fils, nommé Louis , qui fut aussi
un peintre habile et remporta le premier prix de l'Acadé-
mie; mais ayant eu une affaire d'honneur il fut obligé de
se retirer à'Nice. Dès qu'il put rentrer sans danger en
France, il se fixa à Aix, où il se maria, en 1683; c'est de ce
mariage de Louis que sont nés Jean-Baptiste et Carie.
Jean-Baptiste Vanloo, né à Aix, en 1684, excella dans
l'histoire et le portrait. Élève de son père et de Benedetto
Lutti, il dessinait dans le goût antique; son pinceau est
moelleux , sa touche fondue et spirituelle : il avait em-
prunté aux grands maîtres son coloris et sa manière. Il vint
à Paris en 1719, et fut agrégé en 1723 à l'Académie, dont il
ne devint membre titulaire que neuf ans après , n'ayant pu
trouver jusque alors le temps de faire son morceau de ré-
ception, Diane et Endymion, l'un des plus beaux tableaux
del'Académie. Après avoirenrichi Paris de nombreux et beaui
780
VANLOO — VANNES
ouvrages, il relo'irna à Aix, où il mourut, en 1745. Il eut
pour élèves son ukre Charles-André ,e[ ses neveux Louis-
Michel, premier peintre du roi d'Espagne, et Charles-
Amêdée- Philippe , pei.)tre du roi de Prusse.
Charles-André, plus connu sous le nom de Carie Van-
Loo, naquità Aix, en 1705. Jean -Baptiste, son frère, ayant
été appelé par le duc de Savoie, passa à Turin , et de là à
Rome, où il le conduisit. Là ii le fit entrer chez son ancien
maître, Benedetto Lutli , qui vivait encore. Ce fut dans son
atelier que Carie Vanloo commença ses études de dessin et de
peinture. Revenu à Paris à l'âge de dix-huit ans , il coucou-
rut en 1724 pour le prix de peinture , et fut couronné pour
un tableau représentant Les Habitants de Sodome frappés
d'' aveuglement. Puis il lit à ses frais un nouveau voyage à
Rome, en compagnie de ses neveux, Louis-Michel et Char-
les-Amédée-Philippe. Ayant obtenu des prix à l'Académie
de Saint-Luc, il reçut, par la protection du cardinal de
Polignac, le brevet de pensionnaire du roi à l'Académie.
Il peignit dans celte ville, pour l'église Saint-Isidore, un
magnifique plafond, représentant l'apothéose de ce saint. Il
fit ensuite un Saint François et une Sainte Marthe pour
l'église des Cordeliers de Tarascon. A Turin il peignit, pour
le cabinet du roi de Sardaigne, onze sujets de la Jérusalem
délivrée, dans lesquels il sut unir à l'enthousiasme du grand
poëte la délicatesse et le charme de son pinceau. En l73i
il revint à Paris , et fut reçu l'année suivante à l'Académie.
11 fit .pour sa réception à l'Académie Marsyas écorché par
l'ordre d'Apollon ; l'année suivante il fut nommé professeur.
Au salon de 1763 il exposa un portrait en pied du roi, qui
eut le plus grand succès ; puis le tableau des Grâces enchaî-
nées par Vamour, qui ne fut pas moins goûté de la cour
de Louis XV ; mais les critiques n'ayant point partagé l'avis
des grands seigneurs, on assure qu'il le mit en pièces. Le roi
le nomma son premier peintre après la mort de Charles-An-
toine C oy p el , et le créa chevalier de l'ordre de Saint-Mi-
chel. Il mourut en 1765 , à l'âge de soixante-et-un ans.
Vanloo a dû subir le sort commun à tous les peintres qui
sacrifient la perfection au goût frivole d'une cour légère et
aux caprices de la mode. Son talent a été loué à outrance
de son vivant et contesté jusqu'à l'injustice après sa mort.
Selon les uns , nous n'en pouvons dire assez de bien; sui-
vant les autres, nous en disons beaucoup trop. On ne re-
marque dans ses œuvres aucune partie très-faible ni aucune
de la première force. Entraîné par son extrême facilité et
par ses heureuses dispositions , il composait ses tableaux
avec une certaine aisance et avec une sorte de délicatesse
qui en font tout le charme. 11 était loin de connaître les
moyens d'animer la toile et d'exciter la sensibilité, mais il
excellait dans l'invention des scènes familières, et peignait
ordinairement en ces occasions sa famille : on en a des
exemples dans ses tableaux de La Lecture et de La Con-
versation espagnole, ainsi que dans celui qui représente
Un Pacha faisant peindre sa maîtresse.'* Enfin , il faut le
dire, le premier peintre de la cour fut au nombre des pein-
tres novateurs : il avait de la facilité et de l'intelligence, mais
il manquait d'esprit et de goût. La frivolité de son siècle lui
fit adopter un style plus agréable que sévère , un coloris
plus blafard que solide, un maniement du pinceau plus sé-
duisant que vigoureux. Ch "" Alexandre Lenoir.
VAN MAANEN. Voyez Maanen ( Cornélius-Félix
Van).
VAN MARNIX. Voyez Marnix (Philippe de).
VANJXE. On donne ce nom à de gros vanteaux en bois
de chêne, que l'on hausse ou que l'on baisse dans des cou-
lisses pour lâcher ou retenir les eaux d'une écluse, d'un canal,
d'un étang, de même qu'aux deux cloisons d'ais soutenus
d'une file de pieux dans unbâtardeau.
VANNEAU, genre d'oiseaux de l'ordre des échassiers,
et qui paraît devoir son nom à l'espèce de bruissement
qu'occasionne le mouvementde ses allés, comparé au bruit
d'un van qu'on agite. Comme les pi u viers.avec lesquels
ils ont la plus grande analogie , ce sont des espèces voya-
geuses, renommées pour leur vélocité et très-répandues
dans l'ancien continent , où elles vivent en troupes nom-
breuses, habitant près des fonds humides , qu'elles remuent
pour en déterrer les vers dont elles se nourrissent. C'est au
sein des marais, sur des mottes déterre assez élevées pour
les mettre à l'abri des inondations , que les femelles cons-
truisent leurs nids. Les mâles se livrent souvent des com-
bats acharnés , dont la possession d'une femelle est presque
toujours le motif. Le retour des frimas chasse ces oiseaux
vers des climats plus doux, d'où ils reviennent chaque année,
à l'époque de la ponte.
Nous avons en France deux espèces de vanneaux assez
remarquables : le vanneau huppé ( tringa vanellus, L. ;
vanellus cristatus, Mey), joli oiseau de la taille d'un pi-
geon , d'un beau noir à reflets bronzés , et portant derrière
la tête une huppe longue et déliée. Ses œufs, au nombre
de trois ou quatre par ponte, d'un vert foncé et tachetés
de noir, passent pour délicieux. Les petits en sortent après
vingt jours de ponte. L'autre espèce dont nous voulons
parler est le vanneau pluvier ( tringa squatoria, L. ), connu
aussi sous le nom de vanneau suisse , vanneau gris ou
varié; variétés que des ornithologistes avaient prises à tort
pour des espèces différentes, trompés par la différence du
plumage d'hiver et d'été , et par le plumage de noce, c'est-
à-dire celui que revêt le mâle pendant la saison des amours.
Cette espèce, plus rare que le vanneau huppé , se rapprocl)€
beaucoup des pluviers. Saucerotte.
VANNES, ville de France, chef-lieu du département
du Morb ihan, appelée parles Bretons Guenet (la belle),
située à l'extrémité nord et à 16 kilomètres de l'embou-
chure du golfe du Morbihan , compte 14,466 habitants et
possède un petit port, formé par la réunion de deux petites
rivières qui se jettent dans le golfe du Morbihan près de fa
ville ; mais ce port ne peut recevoir que des navires de 80 à
100 tonneaux. Siège d'évêché , d'un tribunal de première
instance, d'un tribunal de commerce. Vannes possède une
bibliothèque publique de 10,000 volumes , une chambre
consultative d'agriculture, une école d'hydrographie , un bon
collège communal, auquel est annexée une école primaire
supérieure, diverses écoles primaires , parfaitement tenues,
trois hôpitaux, trois casernes , un théâtre , qui servait au-
trefois de salle d'assemblée aux états , une maison de cor-
rection pour les jeunes détenus et une maison de détention
pour femmes. Dans l'antiquité elle s'appelait Dariorigum
ou encore civitas Venetorum, comme capitale des Venètes.
Elle fut pendant quelque temps la résidence des ducs de
Bretagne, qui y habitaient le château. En 1775, à la suite de
troubles graves qui avaient éclaté à Rennes , on y transféra
le parlement de Bretagne, qui continua d'y siéger jusqu'en
1789. Vannes se divise en trois parties : la cité, dont les
édifices sont groupés sur le sommetet le versant méridional
d'une colline, et deux autres quartiers qui s'étendent dans
la vallée. Ici les habitations sont bâties sur pilotis. La ville
proprement dite est entourée d'une ceinture de hautes
murailles , flanquée de tours , qui , pour le temps où elle fut
fondée, en faisaient une place forte assez importante: elle
avait six portes, dont quatre se voient encore avec leurs
voûtes primitives. Son antiquité et les limites qu'on lui avait
imposées expliquent suffisamment pourquoi ses rues sont
étroites , sinueuses et mal bâties. Vannes s'offre de loin
sous un aspect assez pittoresque, qui la ferait juger favora-
blement parles étrangers qui n'en visiteraient pas l'intérieur.
La cathédrale est l'édifice le plus important, quoi^u'à l'ex-
térieur il soit masqué par une ceinture de maisons élevées
sans goût , sans régularité , et môme par d'ignobles échoppes.
L'intérieur est dépourvu de bas côtés. Toutefois, l'ensemble
a de la grandeur et de la majesté. L'église de Saint-Paterne
n'offre rien de monumental. Il n'en est pas de même de la
jolie église du collège, dont le style élégant et gracieux dé-
core la place Napoléon.
Le commerce d'exportation consiste en fer, sel, miel,
cire, suif, beurre , lin , chanvre, grains et farines; et celui
VANNES — VAPEUR
781
d'importation, en résine , liuile, et en ■vin et eau-de-vie
provenant de la Loire-Inférieure , du bassin de la Gironde
et des départements du midi. Les navires de Vannes fré-
quentent les ports français de l'Océan et de la Méditerranée.
Quelques-uns font des voyages sur les côtes d'Espagne et
d'Angleterre. L'industrie n'est 'pas très-étendue : elle con-
siste dans quelques tanneries, une fabrique de cotonnades,
une fabrique de dentelle, plusieurs fabriques de toile et de
bure, une brasserie, une petite fabrique de papiers peints
pour tapisseries , et quelques fabriques d'une étoffe grossière,
presque imperméable, connue sous le nom de di'ap de
Tan ne5, entièrement consommée dans les campagnes des
environs.
VAIWUCCHI. Voyez Sarto (Andréa del).
VAN OORT. Voyez Oort.
VAIV OOSÏ. Voyez Oost.
VAN OSTADE( Adrien). FoyesOsTADE( Adrien Van).
VANOZZA. Foyei AlexaxdreVI (Pape) et Borgia.
VAN PRAET. Voyez Praet (Joseph-Basile-Bernard
Van).
VAN SP^NDONK. Voyez Sp-endonk.
VAN SVVIETEN. Voyez Swieten.
VAN SVVIETEN (Liqueur de). Foyes Chlorure et
Liqueur de Van Swieten.
VANUCCI ( Pietro). Voyez Pérugin ( Le).
VAN V ES ou VANVRES, commune de l'arrondissement
de Sceaux (Seine), à 7 kilomètres de Paris, avec une station
du chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche), est
bâti dans un vallon, et compte 4,4 16 habitants. On y trouve
quelques fabriques, mais l'industrie la plus importante est
le blanchissage. Les princes deCondé possédaient autrefois
à Vanves un château de plaisance entouré d'un parc, dont
l'avant-dernier prince de ce nom fit don au collège de Louis-
le-Grand. 11 est demeuré la propriété de cet établissement,
dont le petit collège y a même été transféré depuis quel-
ques années. Il faut aussi mentionner le bel établissement
d'aliénés tenu par les docteurs Voisins et Falret.
VAPEUR. Il est assez difficile de distinguer nettement
lesvapeursdesgaz. Cependant, nous dirons que l'on entend
plus spécialement par rapewr l'état aéri forme que prennent
sous l'influence du calorique les corps qui , comme l'eau ,
l'alcool , l'élher, sont liquides aux pressions et aux tempé-
ratures ordinaires. Il est aussi des corps solides, comme la
glace, l'arsenic, le camphre, etc., qui donnent immédiate-
ment des vapeurs sans passer par l'état liquide. Le passage
d'un corps à l'état de vapeur prend le nom de vaporisation,
ou d'é V a p 0 r a t i 0 n , selon qu'il a lieu au point d'é b u l-
lition ou au-dessous de ce point. Dans le vide, certains
liquides, que l'on nomme volatils , 'ne vaporisent instantané-
ment, du moins jusqu'à ce que l'espace qui leur est réservé
se trouve saturé.
De toutes les vapeurs, la plus importante pour ses appli-
cations industrielles, c'est la vapeur d'eau, la seule dont nous
nous occuperons ici. Elle est spécifiquement plus légère que
l'air, son poids à volume égal n'étant guère au-dessus des
trois cinquièmes de l'autre. La vapeur d'eau produite par
une chaleur qui ne dépasse pas cent degrés peut être très-
utilement employée, et l'est souvent en effet à des usages
domestiques ou dans l'intérêt de l'industrie. On s'en sert
avec avantage pour chauffer les édifices publics ou particu-
liers, les serres oii l'on élève des plantes exotiques et celles
où l'on cultive des primeurs, les salles où l'on étend du
linge ou des étoffes pour les sécher, etc. Mais dans ces dif-
férents cas c'est la seule chaleur qu'elle transmet qu'on uti-
lise. Lorqu'on veut qu'elle puisse être employée comme
moteur, emploi pour lequel ont élé inventés les appareils in-
génieux, mais très-compliqués, qu'on nomme machines à
vapeur {voyez ci-après ), il est indispensable qu'ellesoit pro-
duite à un degré de chaleur assez élevé pour qu'elle puisse
conserver une force élastique suffisante et atteindre le but
qu'on s'en propose, après avoir consumé une partie de cette
force à vaincre les frottements des appareils qu'elle doit par-
courir, et après en avoir perdu une autre portion parles re-
froidissements que lui font éprouver des causes diverses
avant qu'elle ait atteint le point où elle agit efficacement.
L'emploi de la vapeur comme force motrice a pris une telle
extension, qu'on a dû considérer comme un objet très-im-
portant de rechercher la détermination précise des quantités
de chaleur nécessaires pour donner à la vapeur les diffé-
rents degrés de force dont on peut faire usage dans la pra-
tique. De nombreuses expériences ont été faites à ce sujet
en France, en Angleterre, aux États-Unis et dans d'autres
pays, et les résultats en ont été rendus publics par la plu-
part des physiciens qui les ont obtenus. Les tables qu'ils
ont dressées sont loin de s'accorder toutes entre elles;
les différences qu'elles présentent ont dû faire désirer que
d'autres expériences, sur la précision desquelles on pût
compter, rectifiassent ce que les premières pouvaient con-
tenir d'erroné.
D'après M. Regnault, la température variant de iOO° à
230°, la tension de la vapeur d'eau croît de 1 à 28 atmos-
phères. Les tables qu'il a données font voir que la force
élastique de cette vapeur augmente suivant une loi beaucoup
plus rapide que la température ; mais cette loi est encore
inconnue.
L'emploi de la vapeur, procurant aux établissements
industriels qui l'adoptent une grande économie de temps
et d'argent, devait prendre en peu de temps parmi nous
une grande extension : c'est ce qui est arrivé. Les usines, les
fabriques , les manufactures, tous les ateliers montés sur une
grande échelle, font maintenantusage de la vapeur, soitqu'on
la fasse servir comme moteur mécanique, soit qu'on se
borne à utiliser sa chaleur. L'application qu'on a faite de sa
force motrice à la navigation et au transport des hommes
et des denrées sur les chemins de fer, et même sur les
routes ordinaires, mérite surtout d'être remarquée.
L'établissement des bateaux à vapeur chez tous les
peuples maritimes est une véritable révolution commen-
cée dans la marine : non-seulement ils rendent plus faciles et
plus promptes les communications entre les différents pays,
mais ilt paraissent destinés à devenir les plus puissants
moyens d'attaque et de défense qu'emploieront un jour
les nations qui ont une marine. V. de Moléon.
VAPEUR ( Bains de). Voyez Bain et Fumigation.
VAPEUR (Bateaux, Bâtiments à). Voyez Bateaux a
Vapeur.
VAPEUR ( Cheval). On nomme cheval vapeur l'unité
qui sert à mesurer le travail des machines à vapeur. Cette
unité représente le travail nécessaire pour élever 75 kilo-
grammes à un mètre de hauteur en une seconde. C'est donc
à peu près le double de celui d'un cheval de trait ordinaire.
Seulement, ce dernier n'est pas susceptible d'un travail non
interrompu, comme le cheval vapeur.
Une machine de 20 chevaux , par exemple, est donc celle
qui peut élever 1,500 kilogrammes (20 fois 75) à un mètre
de hauteur en une seconde.
VAPEUR (Machines à). Les études sur la vapeur
d'eau remontent à une assez grande antiquité , puisqu'il y
a bientôt deux mille ans qu'elles conduisirent Héron
d'Alexandrie, dont le nom a conservé sa célébrité, à l'idée
que cette vapeur pouvait être employée comme force motrice ;
idée qui , à la vérité , est restée stérile pendant une longue
suite de siècles, et ne s'est pour*insi dire réalisée que de
nos jours. L'idée d'employer la vapeur comme force mo-
trice se retrouve dans un ouvrage de Salomon de Caus,
imprimé en 1615 : ce n'était alors qu'une espèce de fon-
taine (le compression, où la vapeur, pressant sur la surface
d'un liquide, le forçait à s'élancer par un ajutage. Dans un
autre ouvrage, imprimé à Rome, en 1629, par Giovanni
Branca, la vapeur, en sortant avec impétuosité par un tube
conducteur, frappait immédiatement les ailes d'une roue qui
communiquait le mouvement aux pilons d'un monfin à
poudre. Mais ces premiers essais, aussi bien que ceux du
marquis de Worcester, dePapin, etc., n'étaient encore
762
VAPEUR — VAR
que de peu d'importance ; il fallait de nouvelles combinaisons
pour mettre sur la route des perfectionnements qu'on a en-
suite apportés jusqu'à ce jour aux macliines à vapeur. L'idée
fondamentale de tous ces perfectionnements est attribuée à
l'Anglais Savary ; elle fut ensuite étendue et modifiée par New-
common, puis par le célèbre Watt, auquel on doit les
belles machines qui sont employées maintenant à tant d'u-
sages différents.
On conçoit qu'en introduisant de la vapeur sous le piston
d'une pompe, ce piston sera chassé avec force jusqu'à une
certaine distance, et y sera maintenu tant que la vapeur con-
servera sa force élastique ; mais si la vapeur vient à se con-
denser, il se formera un vide sous le piston , qui dès lors
rentrera dans la pompe en vertu de la pression de l'atmos-
phère, et aussi en vertu de son poids, s'il agit verticalement.
En faisant rentrer de nouveau de la vapeur, les mômes effets
se reproduiront, et on aura ainsi un mouvement de va-et-
vient qu'on pourra transformer en tel autre mouvement qu'on
voudra : telle est la première idée de ces maciiines puis-
santes qui ont amené tant de perfectionnements dans les
arts. On y condensait la vapeur par le moyen d'une injection
d'eau froide au milieu même du tuyau dans lequel elle se
dégageait.
Celte première machine, très-vicieuse, se perfectionna
entre les mains de Watt, qui, par une série d'expériences
combinées avec beaucoup d'art, parvint à reconnaître toutes
les modifications qu'il était nécessaire d'introduire pour
obtenir le maximum d'effet : 1" il fit l'injection d'eau froide
dans un tuyau séparé, placé à côté du corps de pompe, et
communiquant avec lui : par ce moyen, le corps de pompe
se trouve toujours au même degré de chaleur que la va-
peur, dont par conséquent il ne se fait pas de dépense
inutile; 2° il supprima l'aclion de l'atmosphère, et fit arriver
la vapeur alternativement au-dessus et au-dessous du piston ;
3° il disposa des soupapes, des robinets, que la machine
elle-même fait mouvoir, en sorte qu'il n'est besoin d'autre
personne pour la conduire que d'un homme qui l'entretient
de combustible.
Tels sont les perfectionnements principaux introduits par
Watt dans la machine à vapeur. Le gaz élastique se forme
dans une grande chaudière hermétiquement fermée, d'où
elle se rend dans le corps de pompe par un tuyau de com-
munication. Pour que l'élasticité de la vapeur ne devienne
pas trop grande, ce qui pourrait causer la rupture de la
chaudière avec un grand fracas, on place au-dessus de cette
chaudière une soupape qui s'ouvre à une tension déterminée.
Dans les premiers temps, on ne construisait que des ma-
chines où la vapeur n'avait guère plus de force élastique que
l'air atmosphérique ; mais depuis on a imaginé de donner
aux parois de la chaudière ainsi qu à la soupape une ré-
sistance qui permet à la vapeur de prendre une tension de
plusieurs atmosphères. En sorte qu'avec le même combus-
tible, ou au moins très-peu de combustible de plus, on obtient
de la même machine une force infiniment plus grande. Les
machines à haute pression sont aujourd'hui les plus com-
munes.
Quant à leur emploi, les machines à vapeur sonl fixes ou
mobiles. Dans les mines, elles servent à l'élévation des
minerais, à l'épuisement des eaux, à l'aération des galeries.
On les rencontre dans toutes nos usines où l'on veut obtenir
une force considérable avec peu de dépense. Organes mo-
teurs de nos bateaux à vapeur, elles se tranformenten
locomotives sur nos chemins de fer. Comme loco-
rnobiles, elles semblent appelées à faire jouir l'agriculture
des avantages qu'elles procurent depuis longtemps déjà à
l'industrie. F. Passot.
VAPEURS (Pathologie), nom donné vulgairement à
l'hystérie et à l'hypocondrie, à raison sans doute de
la sensation des vapeurs qui chez beaucoup de malades
f^omblent s'élever du ventre ou de quelque autre partie vers
la tête ou le cou.
On prétend que ce fut un certain abbé Ruccelaï, né à Flo-
rence, d'une famille alliée aux Médicis, et fils d'un fameux
partisan sous Louis XIII , qui le premier apporta les va-
petirs en France, ou , pour mieux dire, qui le premier mit
à la mode le mot vapeurs pour désigner ce malaise, ces in-
quiétudes compagnes ordinaires de la mollesse et du désœu-
vrement. Cet abbé , que le maréchal d'Ancre avait introduit
à la cour de France, s'y fit remarquer par son luxe et sa
mollesse : il mourut en 1628.
VAPORISATION. Voyez Évaporation et Vapeur.
VAR, le Varus des anciens, fleuve de Provence, qui
donne son nom au département qu'il traverse. Il prend sa
source au mont Cemelione, au-dessus du village d'En-
treaulnes , dans les Alpes , passe à Annot , et se jette dans
la Méditerranée , entre Nice et Antibes. La plus grande por-
tion de son cours appartient au royaume de Sardaigne , dans
lequel il traverse la partie occidentale de l'intendance géné-
rale de Nice. Dans son parcours , il reçoit la Vaire , l'Este-
ron , la Tinea, le Coromb, laLince et la Vésuvie, petites
rivières qui le grossissent de leurs tributs. Depuis Glandè-
ves il est navigable durant l'espace d'environ 48 kilomètres.
Sa pente est inégale et rapide, ce qui donne à son cours
une vitesse qui en rend le passage difficile et dangereux. Il est
rare que dans les pluies d'hiver ou aux époques de la fonte
des neiges il ne se répande point dans la campagne , où
il occasionne toujours de grands ravages , par la direc-
tion capricieuse qu'il prend dans ses débordements. Peu
profond et fort peu encaissé, il suffit de la moindre crue
pour le faire passer par-dessus ses bords. Dans les grandes
eaux, il roule comme un torrent à travers les terres, se
fraye une route nouvelle et rentre rarement dans le lit qu'il
a quitté. La ville de Glandèves a tellement souffert des dé-
bordements de ce fleuve, qu'elle en est presque détruite.
Le Var est surtout remarquable sous le rapport de la géo-
graphie politique , en ce qu'il a toujours servi de limite
entre la Gaule et l'Italie, ainsi que le constatent Strabon ,
Ptolémée, Pline, Mêla et Lucain. Aujourd'hui sa partie
inférieure trace la frontière entre le Piémont et la FraiM-e,
et sert de démarcation entre ces deux États.
Louis DE TOORREIL.
VAR ( Département du ) , appelé ainsi du fleuve de ce
nom , qui coule dans sa partie orientale et le sépare du
Piémont. Ce département , composé de la partie orientale
de la basse Provence , est borné au nord par le département
des Basses-Alpes et le comté de Nice, à l'estet au sud par la
Méditerranée, et à l'ouest par le département des Bouches-du-
Rhône. Sa surface est de 626,866 hectares , dont 1 18,052 en
terres labourées, 230,713 en bois, 67,657 en vignes, 187,778
en landes et bruyères , et seulement 3,476 en près. Il paye
2,696,456 fr. de contributions directes. Sa population est de
371,820 habitants. Tl est compris dans la neuvième division
militaire et ressortit à la cour impériale, à l'académie et au
diocèse d'Aix. Il est traversé au nord et au nord-est par des
ramifications de la chaîne des Alpes. Les principaux cours
d'eau qui l'arrosent sont : le Var, la Siague , l'Argens, la
Pis, l'Aille et l'Yerdon. Il tient un rang distingué parmi
les départements de second ordre. Sa situation avantageuse,
les accidents variés de son terrain, la diversité de ses pro-
ductions, la beauté de son ciel, surtout aans la partie mé-
ridionale , peuvent lui promettre dans un avenir peu re-
culé une prospérité qui le disputera au: contrées les plus
florissantes. 11 ne faut pour cela que ( issiper l'ignorance
de ses habitants, qui a toujours été 1 obstacle le plus in-
vincible à toutes espèces de progrès. Déjà , depuis quelque
temps, le mouvement semble se communiquer aux prin»
cipales villes, tant du littoral maritime que de l'intérieur.
On l'a divisé en quatre arrondissements , dont les chefs-
lieux sont : D r a g u i g n a n , siège de la préfecture, T o u I o n ,
Brignolles, jolie ville de 5,372 hab., sur la petite rivière de
Carami , et G r a s s e , sièges de sous-préfectures. Cependant ,
Toulon est le chef-lieu d'une préfecture maritime. Il possède
aussi la recette générale, quoique d'ordinaire le siège de cette
administration soit au chel-lieu du département. Les autre»
VAR — VARENINES
78S
▼illes un peu importantes du département sont : Fréjus,
«îége d'unéyécbé; Saint-Tropez, port de commerce;
Saint- Maximien ; Barjols; Antib es, port militaire et place
forte; Cannes, port militaire; La Seyne, port de mer;
Vence; H y ères ai Cuers. On y compte 32 cantons ou jus-
tices de paix, et 210 communes. Il envoie trois députés au
corps législatif. L'inégalité de son sol , qui est coupé de mon-
tagnes et de vallées presque partout , varie les effets de sa
température. Dans les montagnes le climat est froid , âpre,
tandis que la chaleur est quelquefois excessive dans les val-
lées. Cette disposition permet aux habitants du Var de cul-
tiver une foule de plantes et d'arbres à fruits , qui ne vivent
que dans les contrées chaudes , tels que le câprier, le sa-
fran , la canne à sucre , le dattier, l'oranger, qui vient en
pleine terre, le grenadier, l'olivier, le jujubier, le citron-
nier, le caroubier, etc., etc. Il produit aussi d'excellents
marrons , qu'on transporte à Paris sous le nom de mar-
rons de Lyon. On trouve dans les forêts de la partie mé-
ridionale une foule de fruits naturels, dont la plupart
sont d'un goût délicieux : de ce nombre nous citerons l'ar-
bousier et l'azerolier. Le pin , qui est l'arbre le plus com-
mun de ces forêts , produit également une pomme dont les
noyaux sont d'un manger agréable. Les principales pro-
ductions de cette contrée consistent en vins rouge et blanc
muscats, huile, oranges, figues, prunes de B r i g n o 1 1 e s , pista-
ches, etc. Les savons et la parfumerie y forment une bran-
che de commerce considérable. On y extrait du marbre de
diverses couleurs, de la pierre de taille, du granit , de l'al-
bâtre, du porphyre, du plâtre, de la houille et de la pouzzo-
lane. On a reconnu des mines d'or près de la ville d'Hyères
et du village de La Garde-Frcynet , mais très-peu riches.
Ce département a peu de pâturages; aussi produit-il plus de
moutons que de gros bétail. Les récoltes de blé n'y sont
point non plus suffisantes pour les besoins de la population ;
c'est ordinairement en Grèce qu'elle s'approvisionne.
Louis DE TOURREIL.
VARAIRE , genre de plantes de la famille des colchi-
cacées, ayant pour caractères : Corolle petite, à six divi-
sions profondes; six étamines; trois styles courts, surmon-
tant trois ovaires distincts, qui manquent quelquefois, et
auxquels succèdent, lorsqu'ils existent, trois capsules à
deux valves , remplies de graines comprimées , membra-
neuses, attachées par un court pédicelle le long de la
suture intérieure.
Le varaire blanc (veratrum album, L. ), vulgaire-
ment ellébore blanc , a les fleurs d'un blanc verdâtre ,
disposées en une panicule longue et rameuse , munie de
bractées à la base de chaque pédicelle; ses feuilles sont
amples, ovales ou lancéolées, marquées de nombreuses
nervures simples et parallèles.
Le varaire noir ( veratrum nigrum, L. ) diffère du pré-
cédent par la couleur noirâtre de ses fleurs, plus ouvertes,
et par ses pédicelles, pubescents.
Ces deux espèces du genre varaire croissent dans les
contrées tempérées de l'Europe. Elles sont très-dangereuses
pour les animaux domestiques, qui en mangent par mé-
garde; l'ingestion de leurs feuilles, de leurs semences ou
de leurs racines, occasionne de violents vomissements , et
peut même amener la mort.
VARASE (Jacques de), yoj/es Légende.
VARECH. Voyez Algues et Hydroph\tes.
VARÈGUESou VARÉGIENS. Voyez Wak^egiens.
VARENNES (Fuite de). Après avoir vainement essayé
de lutter contre le mouvement rénovateur delà révolution
française , le faible Louis XVI se décida à suivre les con-
seils de ceux de ses amis qui déjà, àdiverses reprises, l'avaient
engagé soit à abandonner son royaume, soit à se retirer
dans quelque place forte sur la garnison de laquelle il crût
pouvoir compter, pour de là faire connaître ses volontés à
l'Assemblée nationale , sans se trouver incessamment sous
la pression d'une multitude aux ordres d'agitateurs obéissant
la plupart à des mobiles différents , mais tous d'accord pour
s'efforcer de renverser la monarchie. Déjà, aux 5 et 6 oc-
tobre 1789, la cour avait voulu mettre ce projet à exé-
cution. On sait qu'à la suite de ces journées , Louis XVI
dut venir s'établira Paris ,(lans le palais délabré des Tuile-
ries; mais il nourrissait toujours en secret le projet de fuir.
Mirabeau, gagné depuis peu aux intérêts de la royauté,
était d'avis que le roi se retirât à Lyon et s'y plaçât sous la
protection de l'armée de Bouille; mais les courtisans
insistaient pour que Louis XVI allât rejoindre sa yîdè/e no-
blesse sur les bords du Rhin. Quand la mort vint frapper
Mirabeau et enlever à la royauté agonisante son dernier
appui , on renonça définitivement à des idées que la popu-
larité de l'éloquent tribun pouvait seule faire réussir; et
ce nouveau malheur ne fit que confirmer davantage l'infor-
tuné monarque dans son intention de fuir. Le retour du
printemps de 1791 sembla une circonstance dont il fallait
savoir profiter. On annonça donc que la famille royale irait
passer la semaine sainte à Saint-Cloud , dans l'isolement
et loin du bruit de la ville , afin de s'y recueillir à l'occa-
sion de l'auguste mystère que cette solennité rappelle cha-
que année aux chrétiens. On avait compté que dans cette
résidence éloignée de deux lieues de Paris le roi et sa fa-
mille seraient l'objet d'une surveillance moins sévère et que
la fuite y serait plus facile. Mais la secrète intention de ce
déplacement de la royale famille n'échappa pas aux me-
neurs du parti révolutionnaire, qui organisèrent une émeute
à l'£flet de s'opposer au départ du roi. Louis XVI , violenté
dans l'exercice , non plus de sa prérogative constitution-
nelle , mais de ses droits naturels, fut réduit à rentrer dans
son palais et à dévorer en secret ce nouvel affront. Le malheu-
reux monarque, dans son ardent désir d'échapper à .ses geô-
liers , descendit jusqu'à feindre une subite conversion aux
idées et aux intérêts de la révolution. Afin de donner le
change aux défiances dont il était l'objet , il sanctionna dif-
férents décrets à l'égard desquels il s'était jusque alors obs-
tiné à faire usage de son droit de veto ; et pendant ce temps-
là il conspirait d'accord avec quelques amis pour assurer
ses moyens d'évasion. Bouille, tenu au courant des pro-
jets du roi, échelonna des troupes depuis Montmédy jus-
qu'à Châlons. Si le roi parvenait à gagner cette ville , il
était sauvé. Lafatalité qui pesa constamment sur Louis XVI
et sa famille déjoua les mesures , assez mal concertées d'ail-
leurs, prises pour assurer leur fuite. Grâce aux déguisements
dont lui et les siens eurent la précaution de s'affubler, ils
purent sans obstacle quitter les Tuileries dans la nuit du 21
juin 1791. M. le comte de Provence (depuis roi sous le
nom de Louis XVIII) , demeuré jusque alors à Paris, avait
voulu suivre son frère. 11 fut convenu que deux berhnes de
vojage se trouveraient à point nommé sur le quai des Tui-
leries. Le roi et la reine , leurs deux enfants et M^e Llisa-
beth prirent place dans la plus grande, que conduisait le
comte de Fersen, déguisé en cocher. Le comte de Pro-
vence se jeta dans la seconde, et arriva .sans encombre à
Bruxelles. La berline du roi prit la route de Châlons , et
jusqu'à Sainte-Menehould tout alla au gré des fugitifs. Mais
dans cette petite ville il y eut quelques retards dans le
changement des chevaux, et Louis XVI commit l'impru-
dence de laisser apercevoir son profil. Le fils du maître de
poste, D rouet, reconnut le roi, et devinant ce qui se
passait , en informa son père en lui recommandant de pro-
longer autant que possible le retard , afin de lai donner le
temps de courir par des chemins de traverse et à franc étrier
jusqu'à Varennes, petite ville située à sept lieues de Ver-
dun, d'y faire appel aux passions populaires, et de réunir
la carde nationale pour s'opposera ce que la famille royale
passât outre. ElfecUvement , la berline du roi en arrivant
à Varennes y trouva la multitude en armes, le pont barri-
cadé et des officiers municipaux exigeant impérieusement
que les vovageurs produisissent leurs passe-ports. LouisXVl
vit qu'il avait été reconnu. Il essaya de haranguer la foule
tumultueuse qui se pressait autour de sa voiture, et de
lui faire comprendre qu'on la trompait sur ses intentions
fSi
VARENNES — VARICELLE
réelles. Aux supplications adressées par la famille royale
pour qu'on lui laissât continuer sa route, la foule et la
garde nationale ne répondirent que par les cris de : A Paris !
à Paris ! On força la voiture à rebrousser chemin ; et
Louis XVI, Marie-Antoinette, Mme Elisabeth durent repren-
dre la route de Paris, poursuivis en tous lieux par les cla-
meurs injurieuses de la populace ameutée, et soigneusement
avertie partoutà l'avance de leur passage. Prévenue de l'ar-
restation du roi, l'assemblée nomma trois de ses membres,
Barnave , Latour-Maubourg et Péthion , comme commissaires
chargés de veiller à la sûreté du chef de l'État , puis passa
froidement à l'ordre du jour.
VARÈSE, jolie ville, située dans la province de Côme
(Lombardie autrichienne), entre le lac de Côme et le lac
Majeur, près du lac de Varèse, surnommée Tempe d'Italia,
à cause de sa ravissante position et de l'air pur qu'on y res-
pire, et entourée d'une foule de magnifiques maisons de
campagne, est le siège d'une prélure. On y trouve un col-
lège, un grand nombre de beaux palais et d'élégantes villas,
un tiiéâtre, une magnanerie célèbre { Bigatteria), créée par
le comte Dandola et regardée comme un établissement mo-
dèle dans toute la Lombardie; sa population était en 1851
de 10,381 habitants, dont la sériciculture, la filature et le
tissage de la soie constituent les principales industries. Tout
près de là est situé Madonnn del Monte, célèbre lieu de
pèlerinage , mais qui attire aujourd'hui bien plus de visi-
teurs à cause de la vue magnifique dont on y jouit sur les
lacs voisins et sur la plaine qui s'étend jusqu'à Milan, qu'à
cause de la miraculeuse image de la Vierge que possède sa
chapelle.
\XJilA.}iLE, {Malhé7natiques). On nomme quantité
variable, ou simplement variable, toute quantité suscep-
tible de passer par différents états de grandeur. Ainsi , dans
l'équation d'une courbe déterminée, par exemple, les let-
tres a; et y, qui représentent habituellement les coordon-
nées courantes, sont dites variables , par opposition aux
coefficients de l'équation, qui reçoivent le nom de cons-
tan tes.
VARIATIOiV. « La variation , dit l'auteur des Sijn-
onymes, consiste à être tantôt d'une façon, tantôt d'une
autre; » c'est dans ce sens qu'on dit : La variation des té-
moins dans leurs xécWs •,hes variations Aq l'Église galhcane;
Les variations atmosphériques , etc.
On donne aussi le nom de variations aux différentes ma-
nières de jouer ou de chanter un air, en y ajoutant des notes
ou des agréments , sans rien changer au thème primitif.
En astronomie , on appelle variation la troisième inéga-
lité de la Lune. C'est l'inégalité qui, sur une orbite supposée
circulaire, a lieu dans les octants, à cause de la force
tangentielle qui accélère ou retarde le mouvement de la Lune.
La découverte de la variation, longtemps attribuée à ïy-
cho-Brahé, appartient à Aboul-Wefa.
En termes de marine, on appelle variation de la bous-
sole , variation de l'aiguille , variation du compas ou dé-
clinaison de l'aiguille, la déviation de l'aiguille aimantée dans
sa direction vers le nord. Sédillot.
VARIATION ( Angle de ) , synonyme d'angle parai-
lactique.
VARIATIONS (Calcul ou Méthode des). Soit y =
F(x) ; supposons que cette relation devienne y = f (x) ; on
nomme variation de y la quantité F (x) —f{x), qui ex-
prime !a différence entre la valeur primitive de y et sa va-
leur après le changement de sa relation avec x. Le calcul
des variations forme donc une branche distincte du calcul
des différences. Son théorème fondamental s'énonce ainsi :
La variation de la différentielle d'une quantité est
égale à la différentielle de la variation de cette quantité.
La méthode des variations a été découverte par La-
grange, à l'occasion du problème des isopérimètres.
Consultez Lacroix , Traité de Calcul différentiel et in-
tégral.
VARIANTES, en latin varix lectiones ou varietas
lectionis. On appelle ainsi les différences de texte existant
dans les manuscrits des œuvres d'un auteur ancien ; dif-
férences provenant tantôt du fait des copistes ignorant
la langue, tantôt d'inadvertances commises en écrivant, ou
d'erreursd'auditionà la dictée, ou encore de corrections mal-
adroites et intempestives. On comprend encore sous cette
dénomination les additions ou les retranchements de mots,
de phrases et même de passages tout entiers, qu'il y ait eu de
la part des copistes négligence ou intention. On appelle
aussi variantes les changements faits par un écrivain à une
œuvre qu'il a déjà publiée, et dont il a occasion de donner
une nouvelle édition. La volumineuse collection des œuvres
de Voltaire en offre de nombreux exemples. Sa Henriade,
ses tragédies , ses poëmes , quelques-uns de ses ouvrages en
prose offrent de nombreuses variantes dans les éditions qui
en ont paru du vivant même de l'auteur, et que Beuchot a
pris soin d'indiquer dans celle à laquelle il a attaché son
nom.
VARICE (du latin varix). Ce mot, qui s'emploie gé-
néralement au pluriel , désigne de« tumeurs permanentes
constituées par le gonflement des veines; affection siégeant
le plus habituellement aux jambes, quelquefois aux cuisses
et aux aines, mais qui peut se manifester en d'autres points
de l'économie : au scrotum, chez l'homme, où elle donne
lieu au varicocèle; au cordon spermatique, où elle reçoit
le nom de cirsocèle; à l'anus, où elle est connue sous le
nom à'hémorrhoïdes. Les varices affectent même quel-
ques organes intérieurs, tels que le col de la vessie; elles
sont dues ordinairement à des obstacles dans la circulation
veineuse : la grossesse les produit chez les femmes; la sta-
tion prolongée que nécessitent certaines professions y pré-
dispose; les figatures exercées sur les membres, telles que
des jarretières trop serrées , peuvent les déterminer, etc. Or-
dinairement indolores, elles peuvent occasionner de l'en-
gourdissement, des picotements, s'accompagner d'infiltra-
tion des membres, s'enflammer, se rompre, et causer de
graves hémorrhagies , ou dégénérer en ttlcères o[)iniâtres ,
qui ont reçu le nom de variqueux. On sait quelle est la
sensation douloureuse qu'occasionnent parfois les hémor-
rhoïdes et les accidents qui peuvent en résulter. On voit par
ce peu de mots que les varices, qui généralement ne cons-
tituent qu'une incommodité peu grave, peuvent cependant
nécessiter dans certains cas les secours de l'art. Les moyens
employés pour les guérir ou palfier leurs inconvénients sont
assez nombreux. Le plus ordinairement, on s'en tient au
traitement palliatif, qui dans quelques circonstances heu-
reuses peut procurer une guérison radicale, et consiste dans
la compression exercée sur les tumeurs variqueuses au
moyen d'un bandage roulé ou d'un bas lacé, dont on peut
favoriser l'action par quelques topiques astringents. Quant
aux accidents plus ou moins graves qui peuvent accompa-
gner les varices , nous ne pouvons en développer ici le trai-
tement, qui réclame toujours l'intervention des gens de
l'art.
On a donné le nom de varice anévrismale à la dilatation
d'une artère dans une certaine étendue, sans rupture de ses
membranes ; et l'on appelle anévrisme variqueux la tumeur
occasionnée par le passage du sang d'une artère dans une
veine, au moyen d'une perforation affectant les parois con-
tiguès des deux vaisseaux.
VARICELLE ou PETITE VÉROLE VOLANTE, ma-
ladie de la peau , qui de même que la va riol e est accom-
pagnée de fièvre et contagieuse, mais qui généralement a
une issue bien plus prompte et plus bénigne. Elle se mani-
feste aussi bien chez les individus vaccinés ou non que chez
ceux qui ont déjà été atteints de la variole. L'éruption est
souvent précédée de frissons, suive de céphalalgie , d'insom-
nie. Vers le second ou le troisième jour les pustules se rem-
plissent d'un fluide séreux, qui nedevient jamais jaune comme
dans la variole. La dessiccation et la desquamation com-
mencent dès le cinquième jour. Le traitement consiste à
soumettre le malade à une diète légère , et à lui prescrire des
VARICELLE — VARILLAS
785
boissons acidulés ; enfin, à lui tenir le ventre libre à l'aide de
doux laxatifs on de lavements émollients.
VARICOCÈLE (du latin varix, varice, veine trop
dilatée, et x^Xr), tumeur) .dilatation variqueuse des veines
du scrotum causée par la stagnation du sang. Voyez Varice.
VARIÉTÉ. Ce mot, dans le sens général, indique moins
la différence qu'il y a entre des objets ou des êtres quel-
ronques que l'on compare, qu'une sorte d'harmonie générale
qui résulte, pour le coup d'œil ou la pensée, de la manière
dont cette différence est établie. Ainsi, la vue d'une scène,
d'un tableau quelconque, peut avoir un caractère de mono-
tonie fade, insipide, c'est-à-dire celui qui est le plus opposé
à la variété , quoique cette scène ou ce tableau soient for-
més de parties dont aucune ne ressemble à une autre, même
dans ses plus petits éléments. Il peut de même ne point y
avoir de variété dans un discours, par exemple, quoique la
même proposition ne s'y retrouve pas deux fois ; tandis qu'au
contraire il est possible de représenter les mêmes idées plu-
sieurs fois dans un même sujet, en leur donnant néanmoins
un grand caractère de variété : tout ceci dépend du talent de
l'écrivain, et résulte d'une allure particulière de la forme et
du fond du sujet, qu'il est plus facile de sentir que de rendre
par des mots. Il y a d'ailleurs entre les mots variété, dis-
semblance, diversité et autres semblables, des analogies et
des différences qu'il serait trop long de dire , et qu'on ne sai-
sit bien qu'avec beaucoup de tact, d'esprit et de jugement.
Variétés au pluriel s'applique à des recueils littéraires ,
contenant des morceaux sur divers sujets : Variétés litté-
raires, philosophiques , etc., pour recueil de divers mor-
ceaux de philosophie, de littérature.
En histoire naturelle, on emploie fréquemment les mots
variété , sous-variété, mais avec un sens encore assez mal
défini. Le règne minéral n'a point, à proprement parler,
de variétés ; toutes les différences entre ses espèces consti-
tuent des produits , soit chimiques , soit cristallographiques,
dissemblables. Quant aux règnes organiques, qui peut dire
nettement ce qui constitue l'espèce, et ce qui ne forme
qu'une simple variété?
VARIÉTÉS (Théâtre des). Une salle de spectacle, si-
tuée au Palais-Royal, sur l'emplacement qu'occupe aujour-
d'hui le Théâtre-Français, avait été construite pour un sieur
Delomel, qui y faisait représenter de petites pièces, jouées
d'abord par des comédiens de bois ou marionnettes, et en-
suite par des enfants qui gesticulaient sur la scène, tandis
que des acteurs parlaient ou chantaient pour eux dans les
coulisses : on appelait ces petits comédiens les Beaujolais.
En 1789, M"*-' Montansier succéda à Delomel : la salle fut
agrandie ou plutôt reconstruite, et reçut le titre de Théâtre
des Variétés, parce qu'on y jouait la comédie, la tragédie
et l'opéra comique. Baptiste cadet, Damas, Caumont,
qui ont laissé un nom sur la scène française, y débutèrent,
et même M"*^ Mars, qui tout entant y jouait de petits
rôles. Toutefois, ce n'est que de l'entrée de Brun et à ce
théâtre que datent et le genre des pièces qui le caractérisent
et son véritable succès, c'est-à-dire vers l'an 1798. Mais
alors la première salle avait été cédée à une portion des Co-
médiens Français réunis sous le nom de Théâtre de la Ré-
publique, et m"* Montansier s'était établie, toujours sous
le même titre de Variétés, dans la salle dite aujourd'hui
Théâtre du Palais-Royal. L'époque, autant que le talent
des acteurs et l'emplacement du théâtre, justifie la vogue
dont il jouit durant de longues années. Tiercelin y partageait
avec Brunet la faveur du public. C'était un type parfait du
vieux peuple de Paris , gouailleur, malin quoique grossier,
ivrogne et vicieux , tour à tour brutal et câlin , plein de force
et de verve dans sa colère comme dans sa gaîté. De jolies
ou de bonnes actrices. M""*' Caroline, Pauline, Barroyer;
des auteurs spirituels et joyeux, Desaugiers, Martin-
ville, Brazier et tant d'autres , concouraient au succès
vraiment mérité de ce théâtre : il fut tel enfin qu'il excita
les réclamations du Théâtre-Français, son voisin, et qu'au
premier janvier 1807, par ordre de l'autorité, les acteurs
J»1CT. DE LA CONVEftS. — T. XVl.
des Variétés durent quitter leui çalledu Paîais-Roya'i , tou-
jours pleine, tandis que celle des Français était vide trois-
jours au moins de la semaine. L'établissement provisoire
de cette troupe au Théâtre de la Cité ne lui fit pas perdre
sa vogue; enfin, elle vint occuper la charmante salle bâtie
par Celerier sur le boulevard Montmartre, où nous la
voyons encore. Potier vint alors compléter la troupe, et par
son talent si vrai , si original , fit pendant longues années la
fortune du Théâtre des Variétés , qui a eu le bon esprit de
rester fidèle au genre qu'il avait primitivement adopt('. Ses
pièces, dont presque toujours les héros sont tirés de la plus
basse classe de la société , sont certainement plus goûtées
ou du moins plus avidement courues par la bonne compa-
gnie que par la populace, sans doute parce que celle-ci ne
trouve rien de nouveau ni de piquant dans une nature qu'elle
a habituellement sous les yeux.
VARIGNOIX (Pierre), célèbre mathématicien français,
néàCaen, en 1654, était fils d'un architecte, et avait d'abord
été destiné à l'état ecclésiastique. Un hasard qui fit tomber
entre ses mains les éléments d'Euclide lui révéla sa véritable
vocation; mais pour la suivre il lui fallut se mettre en op-
position avec ses parents, qui estimaient que la géométrie et
l'algèbre ne pouvaient que nuire à l'étude de la théologie.
Pendant qu'il était encore au collège , Varignon se lia d'une
étroite amitié avec l'abbé de Saint- Pierre, qui partagea ses
travaux. Plus tard l'abbé de Saint-Pierre, pour fournir à
son ami les moyens de poursuivre ses études , lui abandonna •
une rente de 300 livres sur celle de 1,800 dont il était lui-
même propriétaire. Persuadé que les études de Varignon
exigeaient le séjour de Paris, l'abbé détermina son ami à
venir s'établir avec lui dans une paisible demeure à l'extré-
mité du faubourg Saint-Jacques. Dans cette retraite , les deux
amis poursuivirent chacun l'objet spécial de leurs travaux
respectifs. L'abbé étudiait les hommes et leurs mœurs, les
principes de la politique, tandis que Varignon s'enfonçait
dans l'étude des sciences mathématiques. Du Hamel, Du
Verney, de La Hire, venaient souvent visiter les studieux
solitaires. Du Verney consultait Varignon toutes les fois que,
pour mieux apprécier le rôle d'une partie quelconque du
corps humain, il avait besoin de notions exactes et positives
sur les lois de la mécanique; et dans les entretiens de Du
Verney Varignon acquérait les connaissances anatomiques
qui lui étaient indispensables.
U se révéla au public , en 1687, par la publication de son
Projet dhtne Nouvelle Mécanique, dédié à l'Académie des
Sciences. Les idées qu'il émettait à ce sujet étaient en effet
toutes nouvelles. Dans cet ouvrage il démontrait la néces--
site de l'équilibre là où il existe, encore bien qu'on n'en con-
naisse pas exactement la cause. Varignon arriva à cette dé-
couverte par la théorie des mouvements composés , et tout
son livre roule sur ce sujet. Les mathématiciens firent grand
cas de ce traité, qui valut à son auteur une place à l'Aca-
démie des Sciences et une chaire de mathématiques au col-
lège Mazarin.
La théorie des infinitésimaux ne fut pas plus tôt publiée
que Varignon en fit l'objet de l'étude la plus approfondie.
Mais des travaux excessifs finirent par altérer sa santé. En
1705 une grave maladie le mit aux portes du tombeau, et
pendant les trois années qui suivirent il lui fallut s'abstenir
de toute application sérieuse. Depuis il ne put jamais, même,
en observant le régime le plus sévère, regagner la vigueur
dont il était doué avant sa maladie. Il mourut en 1722. Fon
tenelle le dépeint comme un homme du caractère le plus ai-
mable, aussi simple de manières que supérieur par l'intel-
ligence, étranger à tout sentiment d'envie et de jalousie.
Outre le Projet d'une Nouvelle Mécanique (in-4°), on a
de lui : Nouvelles Conjectures sur la Pesanteur ; Nouvelle
Mécanique ou Statique, et une foule de dissertations pu-
bliées séparément.
VARILLAS (Antoine), né à Guéret, en 1624, mourut
à Paris, le 9 juin 1696. Son goût pour l'histoire se manifesta-
dès ses premières études : la charge d'historiographe de
50
786
VARILLAS — VARIOLOiDE
Gaston d'Orléans et plus tard celle d'adjoint à la Bibliothè-
que royale le mirent à même de le satisfaire. Cette der-
nière place, qu'il conserva longtemps, lui fut enlevée par
Colhert, qui l'avait chargé d'un travail important dont il
s'acquitta avec négligence. Il se relira alors dans une com-
mimauté religieuse, et s'occupa à mettre en ordre les nom-
breux documents dont il avait fait provision pour son His-
toire de France. Ses premiers écrits eurent d'abord im
grand succès. Sur sa réputation, les états de Hollande lui
proposèrent d'écrire, moyennant une forte pension , l'histoire
des Provinces-Unies. Mais Varillas refusa par patriotisme ces
offres brillantes, comme il rejeta par conscience celles que
lui fit au nom du clergé l'archevêque de Paris, lorsqu'il en-
treprit son Histoire des Hérésies. Ce dernier ouvrage fut la
ruine de sa réputation : on le critiqua vivement, et on lui
reprocha les inexactitudes, les infidélités et les suppositions !
imaginaires dont il abonde. Ménage disait plaisamment que
V Histoire des Hérésies était pleine d'hérésies. Malgré ces
attaques, malgré le refus des libraires d'imprimer ses ou-
vrages, qu'ils se disputaient quelque temps auparavant, Va-
rillas continua de travailler jusqu'à sa mort avec la même
ardeur. Outre les livres cités plus haut, on a de lui : la Po-
litique de Ferdinand le Catholique; V Histoire de Guil-
laume de Croy ; les Anecdotes de Florence, ou histoire
secrète de la maison de Médicis ; la Politique de la Mai-
son d'Autriche. Le plus grand défaut de ces ouvrages, qu'on
ne lit plus depuis longtemps, c'est l'altération des faits, des
dates et des noms. Varillas s'était fatigué tellement la vue à
ses recherches que le soleil une fois couché il ne pouvait
plus lire : il dictait alors de mémoire à un secrétaire, sans
recourir aux textes originaux pour les citations : de là ces
bévues innombrables, dont ses contemporains firent justice,
malgré un certain talent de narration et une érudition qui
trouvait grâce devant Huet, le savant évêque d'Avranclies.
JONCIÈRES.
VARIiV (Quentin), peintre de mérite de l'ancienne école
française, naquit à Amiens, ou suivant d'autres à Beauvais,
en 1580, mais s'établit ensuite aux Andelys, et fut le premier
maître du Poussin, qui fréquenta son atelier pendant plu-
sieurs années.
VARIl\ASou BARINAS, province de la République de
Venezuela (Amérique du Sud), située entre celles de
Merida, de Truxil!o,de Barquisimeto et de Carobobo au
nord , de Carobobo et de Caracas à l'est, d'Apuré au sud et
de Merida à l'ouest, ne compte qu'environ 1?0,000 habitants
sur une superficie de 790 myriam. carrés. Elle se compose
presque exclusivement de plaines, est arrosée par de nom-
breux cours d'eau, sur les rives desquels s'étendent des con-
trées parfaitement propres à la culture. Cette province est
aussi située très-avantugeusement pour le commerce, parce
que, outre l'Apure, beaucoup d'autres de ses cours d'eau,
par exemple le Portuguesa, le Bocono, le Guanare, le Su-
ripa et le San-Domingo, sont navigables. Sur le nombre
total de la population , 40 pour 100 s'occupent d'agriculture ,
35 p. 100 de l'élève du bétail, et 25 p. 100 de commerce
et d'industrie. Les princi|)aux articles d'exportation sont le
cacao, le café et surtout le tabac, dit tabac de Varinas, qui
«ans doute n'est pas la meilleure qualité qu'on récolte dans
la République de Venezuela, mais qui s'exporte presque ex-
clusivement et trouve de nombreux débouchés à cause de sa
linesse et de sa force.
Le chef-lieu de la province, Varinas, situé dans la plaine
€t au voisinage du San-Domingo , comptait en 1787 environ
12,000 habitants; mais cette ville a tant souffert des suites
de la guerre de l'indépendance, qu'en 1839 sa population était
réduite à 4,000 âmes. Depuis lors, elle s'est relevée, et on
évalue le chiffre de ses habitants à ime dixaine de mille.
VARIOLE ou PETITE VÉROLE, fièvre éruptive,
aiguë et contagieuse, caractérisée par l'existence sur la peau
et les membranes muqueuses de pus^tules qui fournissent
un pus propre à propager l'affection d'un individu chez un
autre. Celte maladie attaque des individus de tous âges,
mais plus particulièrement les enfants; et avant la dé-
couverte de la vaccine il était rare qu'un individu mou-
rût sans en avoir été atteint. Mais une fois qu'on lui avait
payé tribut, il était extraordinairement rare qu'on en fût
atteint une seconde fois. On distingue la variole en bé-
nigne ou discrète, et en maligne ou confluente. Dans la
première les boutons sont séparés les uns des autres , et dans
la seconde ils semblent se confondre. Mais les deux variétés
de la maladie proviennent également soit de la respiration
d'un air chargé des émanations qui s'échappent du corps
des individus qui en sont affectés, soit de l'introduction,
par inoculation, d'une petite quantité de virus variolique. La
maladie présente quatre périodes bien distinctes : celle de la
î\'<i\rii à'invasion , qui dure quatre jours et pendant laquelle
le malade éprouve des maux de tète violents , des nausées
des vomissements et une fièvre plus ou moins intense; celle de
Véruption, où l'on voit successivement paraître à la face,
au tronc, aux bras et aux jambes des taches rouges, res-
semblant à des piqûres de puce. Elles augmentent en nombre
et en étendue pendant les trois ou quatre jours qui suivent
leur première apparition , puis gagnent tout le reste du corps ,
jusqu'à l'intérieur delà bouche etdu nez. Alors les taches sont
surmontées d'une vésicule remplie de liquide, et dont le som-
met aplati offre au centre une forte dépression. Il faut qua-
tre jours de plus pour que commence la période de la sup-
puration , et pour que la sérosité devienne un pus épais et
blanc. A l'expiration de cette période commence celle de la
dessiccation et de la desquamation (chute des croûtes),
où les pustules , converties en croûtes , se dessèchent et tom-
bent en laissant sur la peau, aux endroits qu'elles occupaient,
des taches d'un rouge brun, qui persistent pendant quelque
temps. Quand les pustules sont larges et ne sèchent que len-
tement, certaines ne disparaissent que pour être remplacées
par des trous plus ou moins profonds. Si elles sont petites
et plus nombreuses , et que la suppuration en soit rapide ,
elles ne laissent que peu de traces; mais c'est ce qui arrive
bien rarement. Dans la variole maligne ou confluente, la
fièvre primitive est d'une violence extrême , caractérisée sou-
vent par du délire; elle ne disparaît pas comme dans la ■%&-
v\o\t bénigne ou discrète, éprouve bien quelque légère ré-
mission , mais reste toujours très-intense pendant toute la
durée de la maladie. Chez les enfants il peut survenir des
convulsions qui amènent la mort ou donnent tout au moins à
la maladie un caractère de malignité des plus prononcés. Le
traitement de cette affection est ou préservatif , et consiste
alors soit dans la vaccine soit dans l'inoculation, ou
curatif, cas auquel il doit être purement expectant et se
borner à tenir les malades dans une température douce et
uniiorme, mais dans un air pur et renouvelé fréquemment,
à leur donner des boissons tièdes et mucilagineuses, et à leur
refuser toutes espèces d'aliments tirés du règne animal. Pour
empêcher les pustules de laisser après elles ces cicatrices
que redoulent tant les femmes et avec raison , on a proposé
l'application sur la face au moment où commence l'éruption
des feuilles d'or, de l'onguent mercuriel, d'un emplâtre de
diachylon ; etces différents moyens ontété suivis de résultats
variés. On s'est bien trouvé aussi d'inciser les pustules avec
des ciseaux, et d'en faire soigneusement sortir le pus. Enfin,
on a conseillé encore de les cautériser une à une avec du ni-
trate d'argent; mais ce dernier moyen a trouvé peu de par-
tisans.
On ne trouve rien dans les auteurs grecs et romains sur
cette redoutable maladie; l'Arabe Rhazès, qui vivait au
dixième siècle, est le premier qui en parle : aussi attribue •
t-on aux Arabes sa propagation en Europe, où elle n'a cessé
de faire des ravages depuis le neuvième siècle jusqu'à la
découverte de la vaccine.
VARJOLOÏDE, maladie delapeau, aiguë et fébrile, qui
diffère de la varicelle par le caractère pustuleux des bou-
tons, et de la v a r i 0 1 e par l'irrégularité de sa marche, l'incons-
tance de ses symptômes et l'absence de la fièvre secondaire.
L'éruption a lieu le troisième jour; des boutons, d'abor-
VAKIOLOIDE — VARRON
787
rouges et durs, puis vésiciileux, passent rapidement à l'état
pustuleux. Quand la dessiccation arrive , elle laisse rarement
<les traces. La maladie entière ne dure que hait jours ; et
dans le plus grand nombre de cas elle n'exige que quelques
jours d'alitement. Le traitement est à peu près le même que
celui de la varicelle.
VARIORUM (sous-entendu cum notis [c'est-à-dire,
avec les notes de divers]). C'est le nom sous lequel on dé-
signe certaines éditions des écrivains latins enriclnes de notes
et d'observations par divers commentateurs. Ces éditions,
publiées pour la plupart dans le cours du dix- septième et du
dix-huitième siècle en Hollande, portent d'ordinaire cette
mention même au litre.
VARIUS ( Lucius ) , célèbre poète épique et tragique de
l'époque d'Auguste, ami intime d'Horace et de Virgile, com-
posa une épopée dans laquelle il célébrait les hauts faits
d'Auguste et d'Agi ippa, un autre poème De Morte, dont
vraisemblablement la mort de César était le sujet , et une
tragédie de r%C4<e,que Quintilien égale aux chefs-d'œuvre
de Sophocle et d'Euripide; d'autres attribuent ce Thyeste
à Cassius, l'un des meurtriers de César. Dans tous les cas,
les scoliastes n'ont pu ravir àVariusson beau poème épique
sur les exploits d'Auguste et d'Agrippa, que, dans l'une de
ses odes, Horace a révélé à la postérité. Hélas ! comme pour
se jouer de nous , le temps a épargné le titre , et a jeté le
poème an néant. Nous ne savons de la vie de Varius que
ceci ; Virgile mourant voulait livrer aux flammes son
j^néjcfe; Auguste, qui jetait loué, supplia le poète d'é-
pargner ce chef-d'œuvre, la gloire de Rome. Virgile céda
aux vœux de l'empereur : ce fut Tucca et Varius qu'il char-
gea de faire des corrections à son poème, sous la condition
expresse de n'y faire aucune addition. Ces nobles esprits
s'acquittèrent de ce pieux devoir avec une religion telle, que
nous lisons encore dans cet immortel ouvrage des vers im-
parfaits, ainsi qu'ils tombèrent de la plume du grand poète.
Le sensible Virgile, au lit de la mort, légua à ces deux il-
lustres et futurs correcteurs les deux douzièmes de ses biens ,
qui étaient considérables.
Les quelques fragments des œuvres de Lucius Varius par-
venus jusqu'à nous ont étt- l'objet d'une dissertation cri-
tique , De L. Varii et Cassii Parmensis Vita et Carmini-
bus, par Weicliert (Grimma, 1836). Denne-Baron.
VAULET, VARLETON. Ces mots, dans le langage de
l'ancienne chevalerie, étaient synonymes de page.
VARNA, VOdessos des anciens, principale étape du
commerce de la Boulgarieet de la Valacliie avec Constan-
tinople, est située sur la côte occidentale de la mer Noire,
dans le golfe du môme nom , qui y forme un beau port , et
où vient se déverser le fangeux lac de Dewina, formant la
partie inférieure du fleuve de Varna. Cette ville dépendait
autrefois de l'eyalet de Silistrie, dans la Turquie d'Europe,
mais elle constitue un pachalik particulier depuis 1846, où
des consuls étrangers y furent établis. Elle est défendue par
une citadelle et d'autres ouvrages, et forme un port mili-
taire, avec d'importants chantiers de construction. C'est en
outre le sié^e d'un métropolitain grec, et on y compte plus
de 20,000 habitants. Sa situation , comme le seul bon port
quç la Turquie possède vers le nord de la mer Noire, et le
voisinage des dernières ramifications des monts Balkans,
lui donnent une importance toute particulière au point de
vue de la stratégie; aussi un grand nombre de batailles ont-
elles été livrées sous ses murs. Le 20 novembre 1444 les
Hongrois commandés par Ladislas IV y essuyèrent une
sanglante défaite. En 1610 Varna fut prise par les Kosaks
du Dniepr, qui y délivrèrent trois mille esclaves chrétiens.
Dans la guerre de 1783 elle résista à tous les efforts des
Russes, hicn que du côté de la terre elle ne fût défendue
que par une vieille tour hexagonale et de simples ou-
vrages en terre. Ce n'est que récemment que Varna a été
régulièrement fortifiée , tant par mer que par terre. Dans
la guerre de 1828 entre les Russes et les Turcs, après un
siège dt' trois mois dirigé par Mentschikof f , Woronzoff et
l'amiral Greigli , elle fut rendue en vertu d'une capitulation
signée le 11 octobre par Jussuf-Bey, que le sultan exila
pour cela, et malgré l'opposition du capoudan-pacha, qui
commandait la citadelle. Le premier fut fait prisonnier de
guerre : lesecond obtint des Russes la liberté de se retirer avec
trois cents hommes et tous les honneurs de la guerre. Le gé-
néral russe Roth fut chargé ensuite de défendre la place contre
l'armée d'Hussein- Pacha, parti de Schumla pour reprendre
Varna. En 1844 cette ville souffrit horriblement d'un incen-
die. Quand éclata la guerre de 1853 les ouvrages de défense
de Varna furent notablement augmentés , et au mois de
mai 1854 la ville reçut une garnison française et anglaise
de 20,000 hommes. Le 12 août suivant la moitié de la ville
était détruite par un incendie, que les Grecs furent accusés
d'avoir allumé; et à cette occasion la citadelle, avec les im-
menses approvisionnements qu'elle contenait , courut les
plus grands dangers.
VARNER (N...), vaudevilliste contemporain, connu
par de nombreux succès sur nos scènes secondaires, était
né en 1789. Après de bonnes études faites à Sainte-Barbe,
il entra en 1808 comme simple soldatau 5^ de dragons. Mais
il ne tarda pas à obtenir un emploi dans les bureaux du
ministère de la guerre. En 1812 , dans la campagne de Rus-
sie, il fut adjoint aux commissaires des guerres, entra à
Moscou, cl fut du petit nombre de ceux qui revinrent sains
et saufs de la fatale retraite; mais il se trouva renfermé en-
suite dans Torgau, et partagea toutes les souffrances de la
garnison laissée dans cette place sous les ordres du comte
de Narbonne. Au rétablissement de la paix , il ne put obtenir
sa réintégration sur les contrôles du ministère de la guerre,
et demanda alors des ressources à la littérfiture. En colla-
boration avec Imbert, il publia VArt d'obtenir des places,
ingénieuse critique de mœurs et livre plein d'actualité ,
qui obtint le succès le plus franc; il donna ensuite au
Théâtre des Variétés , toujours en collaboration avec Imbert ,
Le Solliciteur, qui fit courir tout Paris. Dès lors son nom
se trouva associé à celui de M. Scribe sur le titre de la plu-
part des pièces représentées pendant une période de plus de
vingt-cinq ans sur la .scène du Gymnase. La révolution de
1830 lui donna à l'hôtel de ville un emploi de chef de bu-
reau, que la révolution de 1848 lui enleva brutalement. Il
mourut à Paris, le 6 septembre 1854, emportant les regrets
de tous ceux qui l'avaient connu. Ce n'était pas seulement
un homme d'esprit, c'était encore un homme de bien.
VAROLE (Pont de). Voyez Cérébral (Système), t. v,
p. 33, et Vauoli.
VAROLI ( CoNSTANzio ) , habile médecin et chirurgien,
né à Bologne, en 1543, mort en 1574, à Rome, où il fut mé-
decin du pape Grégoire XIII et professeur d'anatomie, dé-
couvrit le premier l'origine des nerfs optiques; et l'on donne
encore aujourd'hui le nom de pont de Varole à cette
éminence du cerveau. Il publia en 1570 une nouvelle ma-
nière de disséquer le cerveau.
VARROiX (Caius Terentius VARRO), fils d'un riche
boucher de Rome , en exerça lui-même quelque temps le
métier sous son père. Mais Varron avait trop de présomp-
tion et des prélenlions trop hautes pour rester longtemps
caché au fond d'une boutique. Ses richesses lui firent croire
qu'il était propre à tout. H se produisit donc au grand
jour du Forum. Là, en flattant la plus vile populace, il
parvint à se faire de nombreux partisans ; et son or ache-
vant de vaincre les résistances , il prétendit aux plus grands
honneurs. 11 avait été successivement édile plébéien, édile
curule, questeur, préteur enfin. 11 ne lui restait plus qu'un
pas pour arriver à la première dignité de la république.
Varron se déclara contre le dictateur Fabius, et il futconsul.
Paul-Émile lui fut donné pour collègue; Annibal était alors
maître d'une grande partie de l'Italie. Rome menacée en-
voya contre cet ennemi redoutable les deux consuls. Au
lieu de hasarder contre les Carthaginois une bataille géné-
rale, Paul-Émile voulait qu'on les harcelât sans cesse, qu'on
leur coupât les vivres, et ou'on les forçât ainsi à se ooa-
:>0.
788 VARRON —
sumer eux-mêmes. Mais son présomptueux collègue avait
besoin de quelque action d'éclat qui pût justilier aux yeux
du peuple les promesses orgueilleuses qu'il lui avait faites
en partant. Il attaqua donc l'ennemi : Paul-Émile le sou-
tint. On connaît le résultat de cette funeste journée de
Cannes: 50,000 Romains y périrent. Paul-Émile s'y
fit tuer ;Varron fuit jusqu'à Vénusie. Mais le sénat, obéis-
sant à une pensée politique, alla solennellement au-devant
de lui , et le remercia de ce qu'il n'avait pas désespéré de
la république. Dès lors son nom disparaît de l'histoire.
VARRON (MarclsTerentiusVARRO), le Romain le
plus savant de son époque, naquit en l'an 11 6 av. J.-C. , à Réate,
dans le pays des Sabins ; aussi lui donne-t-on souvent le sur-
nom de Reatinus. Il suivit d'abord la carrière des armes , et
servit sous Pompée contre les pirates, puis, comme pompéien,
en Espagne contre César. César vainqueur lui pardonna , et
depuis lors Varron vécut dans une retraite qui convenait
mieux à son caractère et à ses goûts que l'agitation de la vie
publique. Cependant, l'obscurité dans laquelle il vivait ne
put le préserver des fureurs d'Antoine : il fut proscrit en
même temps que Cicéron, son ami; mais il eut le bonheur
d'échapper à la mort. Plus tard, Octave le rappela à Rome ,
et lui confia le soin d'arranger la bibliothèque publique fon-
dée par Asinus PoUio. Il mourut l'an 27 av. J-C, à l'âge de
près de quatre-vingt-dix ans.
Varron était lié d'une amitié intime avec Atticus, et sur-
tout avec Cicéron , dont quelques-unes des lettres qui nous
restent lui sont adressées. Celui-ci lui dédia même ses Ques-
tions académiques, et ce fut à Cicéron que Varron dédia
à son tour ses vingt-quatre livres De Lingua Latina. Var-
ron a été un des écrivains les plus féconds qui aient jamais
été. Le nombre de ses écrits ne s'élevait pas, dit-on , à moins
de quatre cent quatre-vint-dix , où il Irailait des diverses
branches de la grammaire, de l'histoire, de la philosophie, de
la physique et de la poésie. Il paraît en effet qu'il n'était
étranger à aucune des connaissances de son temps , et qu'il
avait écrit à peu près sur toutes des traités ex professa. On
l'a appelé le plus savant des Romains; mais presque tous ses
écrits ont été perdus, et il ne nous en reste que des fragments,
à savoir trois livres De Ke Rustica, et des vingt-quatre livres
de son traité De Lingua Latina seulement six (du quatrième
au neuvième), qui se rapportent à l'étymologie ainsi qu'à l'a-
nalogie , et qui ne sont pas d'ailleurs sans lacunes. Henri
Estienne donna des uns et des autres une édition avec des
notes par Scaliger( Paris, 1573 et 1585). Nous ne possédons
que des fragments sans suite des autres ouvrages que Varron
avait composés, par exemple de la satire qu'on a appelée d'a-
près lui Satira Varroniana , au encore, d'après le célèbre
cynique Ménippe, Satira Menippxa. C'est une satire morale,
mêlée de vers et de prose, de grec et de latin, et qu'ont imi-
tée depuis les auteurs français de la satire Ménippée.
Il existe en outre beaucoup de fragments de Varron dans
les œuvres de Saint-Augustin , dont la meilleure édition est
celle qu'en adonnée Francken, Fragmenta Varronis,
gugs inveniuntur in Ubr.is Augustini (Leyde, 1826);
et une série de sentences morales qu'on a toujours aug-
mentée jusque dans ces derniers temps, par suite de trou-
vailles laites dans d'anciens manuscrits. L'a meilleure édi-
tion est celle de Devit, Sententise M. T. Varronis, majori
ex parte ineditse {Pàdoue , 1843).
Il ne faut pas le confondre avec le poète épique Pïiblius
Terentius Varro, surnommé Atacinus parce qu'il était né
dans la Gaule Narbonnaise, près dès bords de l'Atax, et qui
vécut de l'an 82 à l'an 37 av. J.-C. On sait qu'il avait composé
deux grands poèmes épiques, l'un intitulé Argonautica ,
imitation du poëmegrec d'AppoUonius de Rhodes, et l'autre,
De Bello Scquanico, où il célébrait la guerre faite par César
aux Séquaniens. Wernsdorf a publié dans le tome v de
ses Poelx Latini minores les fragments qui existent encore
de ces deux tuitimes.
VARSOVIE, en polonais Wai'szaiva , capitale du
royaume russe de Pologne et du gouvernement du même
VARSOVIE
nom, siège du gouverneur (jénéral ou namieslnik du royaume,
des diverses administrations supérieures civiles et militai-
res, d'un archevé(i Je catholique et de l'archevêque grec non-
uni de la Pologne , sur la rive gauche de la Yistule, qui y est
navigable , et qu'on y traverse sur un pont permanent, qui
a remplacé depuis 1832 l'ancien pont de bateaux, pour ga-
gner Praga, considéré souvent comme le faubourg de
Varsovie. La ville, en y comprenant Praga, a 21 kilomè-
tres de tour; et plus d'un tiers de cette vaste étendue est
occupé par des jardins et emplacements libres, un second
tiers. par des maisons en bois, et un tiers seulement par des
constructions massives. Cependant, les maisons de bois dis-
, paraissent de plus en plus, et Varsovie est déjà l'une des
plus belles villes de l'Europe, avec des édifices magnifiques,
et, des rues imposantes. Elle est divisée en vieille ville,
celle qui est le plus mal construite, et ville neuve, avec
de très-beaux faubourgs , mais bâtis encore en partie en bois.
La ville n'est entourée que de murs et de fossés, mais elle
est complètement dominée et couverte par l'immense cita-
delle d'Alexandre, construite de 1832 à 1835, d'une force
peu commune ( avec un monument à la mémoire de l'empe-
reur Alexandre consistant en un obélisque de 20 mètres
de^haut), et par une forte tête de pont pourvue de tours à
la Montalembert. Varsovie a un champ de Mars et douze
places publiques, dix partes et près de trois cents rues,
vingt-six églises catholiques, une église grecque, une église
réformée, une 'église luthérienne, dix-huit couvents (sup-
primés pour la plupart) et plusieurs synagogues. Le nombre
des habitants, qui en 1820 était de 104,346 et en 1850 de
163,301 (dont 106,000 catholiques, 10,600 protestants, 1,000
grecs [sans compter la garnison] et 40,000 Juifs), n'était
plus en 1852 que de 157,871. Parmi les rues on remarque
la rue du Miel ( Miodawa ) , la rue longue ( Dluga ) , le
Nouveau Monde ( Nowy-Swiat ) , la rue ou faubourg de
Cracovie {Krakowski Przedimast), la rue des électeurs
{Elcctoralna) , les rues du Roi, des Sénateurs, du Maré-
chal, du Kempait inférieur, de Lescino, et au milieu delà
ville les allées d'Uzjadoff , qui rivalisent avec le Praler de
Vienne, et à l'extrémité desquelles se trouve Bagatelle,
immense lieu de divertissement très-fréquenté. Les plus re-
marquables places publiques sont la ptoce de Saxe, avec
un monument en fonte en l'honneur des Polonais demeurés
fidèles à l'empereur le 29 novembre 1830, la ptoce Sigis-
mond , avec la statue en bronze doré du roi Sigismond , sur
une colonne en marbre de Pologne de 8 mèlres 66 centimè-
tres de haut , la place de Marieville, la place du Théâ-
tre. Dans le champ de Mars ou place d'armes, 10,000 hom-
mes peuvent manœuvrer à l'aise. Les églises les plus remar-
quables sont : la cathédrale catholique de Saint-Jean, dans
la vieille vi'Ie, reliée au château royal par des corridors, conte-
nant un beau tableau d'autel par Palma Nova et un étendard
enlevé aux Turcs par Jean III Sobieski ; la cathédrale grec-
que (autrefois église des piaristes ), l'église luthérienne , un
des plus beaux édifices de la ville ; l'église de la Sainte-
Cro'x, dans le Nouveau-Monde, avec une magnifique façade
et de bons tableaux; l'église des capucins, avec le beau
monument en marbrede Jean HT, et l'église de Saint-Alexan-
dre. En fait de palais il faut citer au premier rang le pa-
lais du roi (Zamek), bâti sur une hauteur qui domine la
Vistule , par Sigismond IIÏ , mais qui doit sa magnificence
aux rois Auguste II et Stanislas-Auguste. Il contient de
superbes salles, l'ancienne salle des sénateurs, l'ancienne
salle des députés, ornée de peintures et de sculptures, une
bibliothèque, les archives de Pologne, et touche à un beau
jardin ainsi qu'à la cathédrale. Il faut ensuite mentionner
le palais de Saxe, où résidèrent les deux Auguste ; l'ancien
palais de Bruhl, qu'habitait le grand-duc Constantin; le pa-
lais appartenant autrefois au primat, devenu ensuite le com-
missariat de la guerre; l'ancien palais Krasinski, bâti dans
le style italien, avec un jardin , aujourd'hui palais du gou-
vernement; les palais des quatre anciens ministères, le
palais de justice, la trésorerie, le palais de l'université, aujour-
VARSOVIE
789
■dTîui supprimée, et le palais de l'ancienne Société Philoma-
tique, devant lequel se trouve la statue en pied de Copernic.
A l'extrémité méridionale de la ville est situé le Belvédère,
■château de plaisance qui servit autrefois d'asile au comte
de Provence (Louis XVni), puis de résidence d'été au grand-
duc Constantin, au milieu d'un lac artificiel entouré d'un
beau parc. Il y a en outre plusieurs palais particuliers, cons-
truits dans un style grandiose , tels que les palais PotocUi,
Tarnocoski, Zamoiski, etc. Parmi les édifices publics on
remarque surtout la banque, l'arsenal, avec une belle ma-
chine à vapeur, la première qui ait été montée en Pologne,
la poste, l'hôtel de ville, Marieville, arrangée à l'instar du
palais royal à Paris, contenant la bourse, le bureau de la
douane et plusieurs centaines de boutiques et de magasins, le
grand théâtre ( il y en a en outre deux autres ) , les gr::ndes
casernes et le grand hôpital militaire. Il faut aussi citer les
bains , qui sont extrêmement nombreux , et les établisse-
ments de secours contre l'incendie. En fait de fondations
charitables on remarque surtout le grand hôpital de la ville
sous l'invocation du Sacré-Cœur, l'hospice des orphelins et
les deux établissements d'aliénés. En fait d'établissements
d'instruction publique, "Varsovie possède une école poly-
technique, une école gouvernementale, deux gymnases,
un collège de piaristes,un collège noble catholique, une
académie théologique (autrefois séminaire ecclésiastique
central), une école vétérinaire , une école forestière, une
école des mines, un institut agronomique à Marymont, une
école militaire, un institut de jeunes aveugles , un institut
ophthalmique et un institut de sourds-muets, une école des
beaux-arts, une école de musique et de chant , un institut
pédagogique , quatre écoles de cercle , plusieurs écoles in-
dustrielles élémentaires et du dimanche, et une trentaine
<le pensionnats et d'écoles de jeunes tilles. Parmi les col-
lections scientifiques et d'objets d'art on remarque la belle
galerie de tableaux des comtes Ossolinski et les collections
d'objets d'art que renferme le palais Potocki. L'université,
fondée en 1816 et qui comptait déjà sept cents étudiants,
iut supprimée en 1 832 et la meilleure partie de sa riche biblio-
thèque envoyée à Pétersbourg, tandis que ie cabinet de zoolo-
gie, de minéralogie et de physique, la collection de médailles,
de copies en plâtre, la galerie de tableaux, l'observatoire et le
jardin botanique de cet établissement sont restés à la ville.
Quoique les institutions scientifiques , qui jusqu'à la révoki-
tion brillèrent d'un viféclat, aient beaucoup perdu à la suite des
émigrations et de l'enlèvement de ce qui en faisait les forces
vives, Varsovie est toujours le prin*>ipal foyer des sciences ch
Pologne, de même que le grand centre de l'activité indus-
trielle et commerciale du pays. On y trouve de nombreuses
fabriques en tous genres et dont le nombre va toujours en aug-
mentant; elles fournissent à la consommation des draps, des
casimirs, des étoffes de laine, des tapis, des couvertures, des
soieries, des chapeaux, des bas, des gants, des cotonnades,
des instruments de musique et autres, des meubles, des
articles de joaillerie et de bijouterie, du tabac, des couleurs,
des vernis, des fleurs artificielles, des articles en fer et en
acier, des bronzes, du papier, des toiles cirées , des cuirs,
des chapeaux de paille, de la sparterie, des tapisseries, des
bougies de cire et de stéarine, du sucre de betterave, etc.
Indépendamment des fabriques de drap, il faut surtout
citer douze manufactures de pianos, trente fabriques de
voitures et carrosses , de nombreuses fabriques d'objets de
sellerie, une très-grande fabrique d'articles métalliques
et de machines, des moulins à vapeur, des brasseries , des
distilleries et des fabriques de liqueurs. Il se tient aussi chaque
semaine deux grands marchés au blé, aux bestiaux et aux
chevaux , et tous les ans un grand marché aux laines
et deux foires. Tout cela , joint aux avantages d'une capi-
tale, à la situation de la ville sur la Vistule et au point où
convergent toutes les grandes voies de communication par
terre, fait de Varsovie le centre 4u commerce intérieur, que
favorisent encore la banque, la bourse et divers établisse-
ments de crédit et d'assurances. La banque vient en aide à
l'exploitation des mines et à l'agriculture. Une société d'ac-
tionnaires a créé la navigation à vapeur sur la Vislule. Le
chemin de fer entre Varsovie et Szczakowa relie Varsovie
aux chemins de fer de Cracovie et de la haute Silésie. Un
chemin de fer qui avant peu reliera Varsovie à Pétersbourg
par Bialystock , Grodno, Wilna , Dunabourg et Pskoff, est
en construction ; et la première section en a été ouverte à la
fin de 1853. Les environs immédiats delà ville doivent plus
à l'art qu'à la nature , et contiennent un grand nombre de
lieux de divertissement, de villas, de châteaux de plai-
sance, de jardins et de parcs. A peu de distance de Var-
sovie on trouve le lieu de plaisance Lazienki, dans le parc
duquel ont été construits plusieurs petits palais et le châ-
teau de plaisance impérial de Lazienki, autrefois résidence
d'été du roi Stanislas- Auguste ; le jardin des lapins ou Kro-
lokarnia , avec un parc et une charmante villa contenant
une belle galerie de tableaux ; Mokotoff, avec un vaste
jardin, des étangs et de belles maisons d'été ; et le village
de Wola , avec le champ d'élection , où avait lieu autrefois
en plein air l'élection des rois de Pologne. Plus , à sept
kilomètres de la ville, la petite forêt de Marymont ou Ma-
riemont, avec un palais , de beaux étangs, l'institut agrono-
mique et une fabrique; le village de Walano/f, sur un
bras de la Vistule, avec un château de plaisance dans le
goiU français, que Jean III Sobieski fit construire par des
prisonniers de guerre turcs, avec un parc, une bibliothèque
et une galerie de tableaux ; le village de Bjelany, sur la Vis-
tule, avec un couvent decamaldules, au milieu d'une belle
forêt , très-fréquentée pendant la semaine sainte. Le beau
village de Jablonna, avec parc et château , autrefois pro-
priété du prince Joseph Poniatowski, est aussi situé sur la
Vistule.
Il n'est question de Varsovie dans les chartes qu'en 1224 ;
mais dès 1339 elle était entourée de murailles, et elle servit
presque toujours de résidence aux ducs de Masovie jusqu'à
leur extinction, en 1525. Vers 1550 le roi Sigismond II Au-
guste vint s'y établir, et à partir de 1573 l'élection des rois
de Pologne eut lieu dans la plaine de Wola, qui l'avoisine.
Mais ce ne fut qu'en 1609 que Sigismond en fit formellement
la résidence des rois au lieu de Cracovie, qui n'en demeura
pas moins plus tard la ville des couronnements. Dès lors
c'est à Varsovie que se rattache le souvenir de la plupart
des grands événements de l'histoire de Pologne. Au mois
d'août 1655, Varsovie se rendit à Charles X Gustave de
Suède ; elle fut reprise l'année suivante par le roi Jean-Ca-
simir; mais elle dut encore capituler une seconde fois à la
suite de la défaite que le prince essuya dans la bataille li-
vrée sous ses murs, du 28 au 30 juillet 1656, contre Charles X
et son allié l'électeur Frédéric-Guillaume de Brandebourg.
Sous les électeurs de Saxe rois de Pologne, la ville s'em-
bellit et s'anima beaucoup, grâce aux édifices que ces princes
y firent construire et au luxe de la coar qu'ils y tinrent.
Mais elle souffrit beaucoup de la guerre du Nord, prise et
reprise qu'elle fut alors maintes fois tantôt par les Saxons
et les Polonais , tantôt par les Russes ou les Suédois.
Les Russes l'occupèrent de 1764 à 1773, et encore une fois
en 1793. Lors de l'insurrection qui y éclata les 17 et 18 avril
1794 la garnison russe fut massacrée, et les Prussiens as-
siégèrent inutilement la ville du 9 juillet au 6 septembre de
la même année. Mais après la sanglante prise d'assaut de
Praga par les Russes aux ordres de Souvarof , elle lut forcée
de capituler, le 5 novembre. Le troisième partage de la Po-
logne adjugea Varsovie à la Prusse , qui la garda jusqu'en
1806, où les Français vinrent l'occuper le 28 novembre.
Depuis la paix de Tilsitt, Varsovie fut considérée comme la
capitale du duché auquel elle donna sou nom. Le 8 février
1813 les Russes en prirent possession. La grande révolution
de Pologne commença à Varsovie par l'insurrection du
29 novembre 1830, et se termina par l'assaut de cette ville
le 6 et 7 septembre 1831 , suivi, le 8, d'une capitulation.
Dans ces derniers temps il s'est tenu à diverses reprises
des conférences diplomatiques à Vai'sovie.
'90 VARSOVIE — VASE
Le gourvernement de Varsovie Aclue], formé en 1845 de
la réunion des gouvernements de Varsovie ou de Masovie et
de Kaiiscii, comptait en 1851 sur 468 myriamèlres carrés
1,544,790 habitants.
Le duché de Varsovie fut formé en 1807 avec la partie
de l'ancienne Pologne que la Prusse fut obligée d'aban-
donner aux termes de la paix de Tilsitt , à l'exception de
Bialystock adjugé à la Russie. Ce duché comprenait à Tori-
gine 1,295 myriam. carrés, et 2,200,000 habitants, et était
divisé en six départements : Posen, Kaiiscii, Plock, Varsovie,
Loraza et Bromberg. Mais la paix conclue à Vienne en
1809 y ajouta la Gailicie occidentale, enlevée à l'Autriche,
et dont on constitua les départements de Cracovie, deRa-
dom, de Lublin et de Siedic'e. Le duché comprit alors 1,960
myriam. carrés et 3,780,000 habitants. Napoléon créa duc
de Varsovie\e roi Frédéric-Auguste de Saxe, qui perdit son
duché dès la fin de 1812, à la suite des désastres éprouvés
par les Français en Russie et en Pologne.
VARIJS (PuBLius QuiNCTiLius), Célèbre parla défaite
que lui fitessuyer Arminius (Hermann), appartenait à une
ancienne famille patricienne, avait été consul en l'an 13 av.
J.-C, et en l'an 4 obtint le gouvernement de la Syrie, où il
comprima une révolte des Juifs et s'enrichit. En l'an 6 de
J.-C. il fut transféré de Syrie en Germanie, pour y prendre
le commandement des légions du bas Rhin elle gouverne-
ment du pays entre le Rhin et le Weser, soumis aux Ro-
mains depuis Dru sus, et qu'il eut mission d'organiser en
province romaine. Il s'en acquitta avec peu d'habileté, sans
avoir assez égard au caractère d'un peuple qui n'avait pas
encore eu le temps de se déshabituer de la liberté. Il blessa
et irrita surtout les susceptibilités nationales en tenant rigou-
reusement la main à l'application des formes du droit ro-
main, en introduisant l'usage des peines corporelles, qui
jusque alors avaient été étrangères aux Germains et qui leur
semblaient déshonorantes , enfin en prononçant arbitraire-
ment des condamnations à mort. Les mécontents trouvèrent
un chef dans le Chérusque Hermann. Malgré de nombreux
avertissements, Varus, qui du reste en agissait comme
dans un pays depuis longtemps pacifié, sans tenir ses
troupes concentrées et sans les exercer suffisamment, se
laissa tromper par Hermann, qui l'attira dans l'intérieur du
payg. Il reconnut trop tard le péril qu'il courait, et en bat-
tant en retraite à travers la forêt de Teutoburg , vers
la fin de l'automne de l'an 9, il essuya une effroyable dé-
route, connue dans l'histoire sous le nom de bataille de
Hermann ou de Varus. Voyant que son armée, forte d'en-
viron 50,000 hommes, était irrémissiblem.ent perdue, il se
précipita sur la pointe de son épée, atin de ne pas survivre
à son déshonneur. C'est de la sorte qu'était mort également
son père Sextus Quinctilius Varus, après la perte de la ba-
taille de Philippes, l'an 42 av. J.-C. Les Germains mutilè-
rent le cadavre de Varus. Ils envoyèrent à M a r b o d , comme
trophée de leur victoire, la tête, qu'ils avaient séparée du
tronc; et Marbod, à son tour, l'adressa à Auguste, à Rome.
VARUS, VARI ( Chirurgie). Voyez Déviation et Piro-
BOT.
VAllUS (Pathologie), Voyez Dartre.
VASARI (Giorgio), célèbre par ses ouvrages relatifs à
l'art, naquit en 1512, à Arezzo, dans le grand-duché de
Toscane. Sa famille était depuis longtemps avantageuse-
ment connue dans les arts, et ce fut dans la maison pater-
nelle qu'il étudia les premiers principes du dessin; mais il
eut aussi d'autres maîtres , et reçut des conseils de Michel-
Ange et d'André del Sarto. Il fut tour à tour au service du
cardinal Hippolyfe de Médicis, du pape Clément VII , et des
ducs Alexandre etCôme. A la mort du dernier de ces princes,
il renonça à la vie des cours, et mourut en 1 574, à Florence.
Comme Michel-Ange il fut architecte aussi bien que peintre.
Ses plus célèbres tableaux sont une Sainte Cène, dans la
cathédrale d'Arezzo, et divers autres dans le Palazzo Vec-
chio de Florence , ainsi qu'au Vatican. Ils participent des
défauts de i'éeole de Florence dégénérée. En revanche, ses
Vite de' più excellenti Pittort,Scultori edArchttetti con-
servent toujours une haute importance, à cause des rensei-
gnements biographiques et critiques qu'on y trouve sur les ar-
tistes italiens ses prédécesseurs ou ses contemporains. Un
manuscrit de Ghiberti fut la source à laquelle il puisa pour
les temps anciens. On ne peut s'en rapporter à ses données
que lorsqu'il parle sans passion et comme témoin oculaire;
cependant, si on le compare à certains critiques modernes,
il demeure un modèle de conscience et d'exactitude. Della
Valle, Rumohr et Fœrster ont signalé ses nombreuses er-
reurs. La simplicité et le ton de véracité qui régnent dans
les récits de Vasari offrent le plus grand charme. Son ou-
vrage fut imprimé pour la première fois en 1550, à Florence.
Vasari en fit en 1568 une seconde édition, entièrement re-
fondue, et dont le texte a été reproduit dans toutes les édi-
tions ultérieures. Bottari y ajouta plus tard des notes inté-
ressantes, qui font rechercher l'édition de Rome ( 3 vol-in-4° ,
1759), On a encore de Vasari des Ragionamenti sopra le
invenzioni da lui dipinte in firewse ( Florence , 1588;
Arezzo, 1762).
VASCO DEGAMA. Foj/cs Gama.
VASCOi\S, VASCONGADOS. Voyez Basques.
VASCULAIRE. En anatomie comparée, les organes Dûs-
culaires ou les vaisseaux des animaux supérieurs considérés
dans leur en.semble, dans les individus d'une seule et même
espèce , forment l'appareil du même nom, aussi appelé ap-
pareil de la circulation. C'est l'étude comparée des
appareils vasculaires de chaque espèce dans toute la série
animale qui constitue le système vasculaire.
Ou donne aussi le nom de glandes vasculaires aux divers
organes transitoires ou persistants (corps thyroïde, thymus,
capsules surrénales, rate, corps d'Ocken ou de Wo!f) qui,
comme les glandes secrétoires, font subir des modifications
aa sang , mais qui sont dépourvus de canaux excréteurs.
L. Laurent.
En botanique, on donne le nom de végétaux vasculaires
aux plantes phanérogames ou cotylédonées.
VASE , sorte d'ustensile destinée contenir des liquides
ou divers autres objets.
Le plus ordinairement on emploie aujourd'hui le mot vase
pour désigner les vaisseaux en argile, tantôt sèche et tantôt
cuite, autrefois très-rares, mais dont on rencontre mainte-
nant une énorme quantité dans l'Italie centrale et inférieure
de même qu'en Grèce et dans les îles qui l'avoisinent. Les
principaux endroits où on les trouve sont : dans l'Apulie
et la Lucanie, Ruvo, Bari, Ceglie, Armento, Canosa et
Locri ; dans la Campanie , Nola , Cumes , Paestum, San-Agata
de Goti , Avella et Capoue ; en Étrurie , surtout dans la né-
cropole de Voici, déblayée .seulement depuis 1828, et qui
sous ce rapport est d'une richesse extraordinaire, puis à
Tarquinii, à Cœré et sur le littoral. Ceux qu'on trouve dans
les tombeaux à Chiusi , Pérouse , Arezzo , VoUerra , Viterbe
et à Bomarzos sont d'un travail plus grossier. La découverte
de ces milliers de vases avec des formes, des iusciiptions
et des sujets grecs dans toutes les parties d'une contrée
étrangère à laGrèce, est un des faits les plus frappants qu'offre
toute l'archéologie. Démarate de Corinthe introduisit bien ,
à ce qu'on dit, vers l'an 650 av. J.-C, l'art céramique en
Étrurie; mais on ne peut s'expliquer cette continuation sur
le sol étrusque, notamment pendant le cinquième siècle av.
J.-C, de la pratique d'un art complètement grec, que par
l'existence d'une corporation d'artistes potiers conservant la
tradition grecque, établie vraisemblablement à Voici , et qui
de là approvisionnait toute l'Italie des produits de son in-
dustrie, encore bien que la Grèce, et notamment Corinthe,
en fissent un commerce important. Le quatrième siècle av.
J.-C. est l'époque où l'art céramique jeta le plus vif éclat
en Sicile et en Campanie, supplantées au troisième siècle
par l'Apulie etlaLucanie. On peut espérer que l'exploration
de la Grèce et des diverses colonies grecques de l'Asie nous
vaudra encore sous ce rapport une ample récolte de richesses
nouvelles. Les vases peints en terre cuite [vasafictilia ) ,
VASE — VASSAL
79t
destinés h suppléer la perte de vaisseaux métalliques , et qui
dans l'antiquité donnaient tant d'éclat aux cérémonies et
aux triomphes, sontau nombre des restes les plus intéressants
de ces temps reculés. D'abord les savants ne firent attention
qu'à l'ancienneté des inscriptions qu'on y rencontrait le plus
souvent , ou bien à la beauté des formes et des peintures ;
mais on n'accordait alors de prix qu'aux morceaux bien
conservés. Plus tard on apprit à rétablir les vases brisés ,
et dès lors , comme on apprécia mieux l'importance de ces
vases sous le rapport de la rectification des idées qu'on se
fait de l'antiquité, le moindre fragment eut sa valeur. La
matière de ces vases est en général l'argile fine. Sur les an-
ciens vases , la peinture est appliquée sur un fond clair, jau-
nâtre ou brunâtre, souvent avec addition d'une couleur
violet foncé pour certains sujets ; tandis que sur les vases
d'une époque plus rréente, le fond est noir, et le dessin
de la couleur claire de l'argile , ménagée sur le fond noir.
Un vernis tendre recouvre le tout. Pour ce qui est de leur
signification, on peut poser les principes suivants : Abstrac-
tion faite des lieux où on les fabriquait, on n'a encore ren-
contré de ces vases que dans les grottes tumulaires , soit
placés autour des morts , soit appendus au moyen de clous
de bronze aux parois de ces grottes. Toutefois, ils ne ser-
vaient que bien rarement d'urnes cinéraires; et on peut
supposer que le plus souvent c'étaient des présents qu'on
faisait aux défunts et qu'on plaçait dans leur tombeau. Il ne
paraît pas douteux qu'ils représentaient la croyance en ces
consécrations mystiques à Bacchus, qui précisément étaient
le plus en usage dans les contrées où l'on trouve aujour-
d'hui ces vases en plus grande quantité. C'est ainsi seulement
que peut s'expliquer le grand nombre de ces vases. Que si
l'on n'a pas encore trouvé dans l'Italie centrale de vases de
ce genre datant de l'époque romaine, cette circonstance
tient à ce que le sénat deRome interdit en l'an 185 av. J.-C.
la célébration de ces mystères de Bacchus. Creuzer fait re-
marquer avec beaucoup de justesse que dans le génie de
ces religions mystérieuses, qui attachaient une haute signi-
fication à tous les ustensiles servant au culte des temples ,
ces vases peuvent avoir encore eu beaucoup d'autres buts
Ainsi les uns semblent n'avoir servi qu'à contenir des cosmé-
tiques , tandis qu'il se peut que d'autres aient servi de vais-
seaux destinés à contenir des provisions , des mélanges , etc.
Quant à leur origine, ce sont ou des prix gagnés dans les
luttes , ou des récompenses accordées à des jeunes gens ,
tantôt des cadeaux de noces, plus rarement des urnes ci-
néraires. Leur valeur artistique consiste d'abord dans leurs
formes gracieuses , et bien plus encore dans la beauté des
ornements et des figures exécutés avec beaucoup de légèreté,
mais avec la plus grande sûreté de dessin, où se reflète
toute l'histoire de l'art grec, depuis les plus anciennes
fermes prétendues égyptiennes jusqu'aux formes plus ré-
centes, qui dans leur dégénérescence même conservent tou-
jours un caractère gracieux. On peut aussi présumer que
les figures étaient parfois des imitations d'o?uvres d'art cé-
lèbres. Toutefois , leur explication reste pour nous une
énigme des plus difficiles à deviner, attendu que les débris
de la littérature grecque que nous possédons sont complète-
ment insuffisants pour expliquer toutes les allusions qu'on y
trouve aux jeux satiriques et mimiques célébrés chez les
peuplesd'originedorienne à l'occasion des fêtes et des mys-
tères de Bacchus. Ces vases disparaissent dès que commence
l'époque romaine. Ils sont remplacés parles vases consacrés
plus particulièrement aux usages domestiques , et ornés de
représentations en relief, et qu'on avait déjà commencé à
fabriquer dans quelques anciens ateliers étrusques de céra-
mique. Sans doute les vases romains en relief abondent
encore en sujets mythologiques ; mais sous le rapport de
l'art ils sont de beaucoup inférieurs aux vases grecs,
surtout ceux qui étaient fabriqués dans les provinces. Au-
jourd'hui on imite à s'y méprendre les anciens vases grecs
dans l'Italie inférieure ; et les essais tentés en ce genre à
Berlin ont été aussi fort heureux. On trouve de grandes
collections de vases dans les musées de Paris, de Naplcs,
de Londres, de Berlin, de Vienne et de Pétersbourg. Mil-
lingen, Millin, Laborde, Bœttiger, de'Rossi, Jorco, Gerhard,
Panofl<aet V Inslïtuto diCorrispondenza Archeologica ea
ont publiédes dessins fortexacts. Consultez Dubois-Maison-
neuve. Introduction à Vusage des Vases antiques (Paris ,
1817) ; Hans, Dei Vasi Greci, dei lor forma i dipintura,
e dei nomo e uso loro in générale ( Palerme, 1823). L'ou-
vrage intitulé Storia degli antichi Vasi fittili Aretini
(Arezzo, 1841 ) donne dans les nombreuses planches qu'il
contient l'aperçu le plus complet de leurs formes.
Les principales espèces de vases d'un usage journalier
chez les Grecs et les Romains étaient : Y amphore, vase
très-long et très-étroit , à deux anses ; le rython , qui avait
la forme d'une corne, terminée par une tète d'animal , et
percée par le bout; on nommait acerra le vase contenant
l'encens destiné aux sacrifices. Le prœ/ericulum , d'argent
ou de bronze , avait la forme allongée et une seule anse. Le
canthare était un très-grand vase , large , peu profond,
d'un usage commun; il reposait sur un seul pied, et avait
pour anses deux anneaux mobiles. Le canope, qui servait
à clarifier l'eau du Nil, était à celte fin percé d'une multi-
tude de très-petits trous ; il avait la forme d'une divinité
égyptienne, avec une tête humaine. Lapatère, de diverses
formes, avec ou sans manche, était surtout destinée aux
libations. On nommait enfin simpulum un vase ayant la
forme d'un godet attaché à un grand manche, et servant à
puiser dans de plus grands vases.
Les vases sacrés étaient, anciennement comme aujour-
d'hui , ceux qui servaient aux usages de la religion.
Vase de miséricorde, vase de pureté, ?.e dit, en style
mystique, de cette source de pureté, de miséricorde, qui
est personnifiée dans Dieu , dans la sainte Vierge , ou dans
l'un des êtres que nous plaçons au ciel.
En architecture, vase de chapiteau désigne la mas.scdu
chapiteau corinthien qu'on orne de feuillages, de caulicoles
et de volutes.
VASE DE MARÏOTTE. Voyez Flacon df, M ariotte.
VASQUE. Voyez Coupe.
VASSAL, VASSAUX , VASSELAGE. A partir de l'ori-
ginedelaféodalité au moyen ;i^e,on appela vassal (vasallus,
vassus, miles, fidelis ou/eudatoriiis) celuiqin s'engageaità
l'égard d'un autre (le suzerain) à le servir fidèlement sur-
tout en temps de guerre, moyennant la promes.se que lui fai-
sait celui-ci de sa protection et la concession d'un domaine,
d'une pièce de terre, d'une rente ou d'une fonction, d'où na-
quit dans la période postérieure du système féodal une
véritable propriété d'usage (dotninium utile). A la mort
d'un vassal, bien que l'hérédité des fiefs fût complètement
établie, le fils était tenu d'en faire hommage à son suze-
rain; puis il lui engageait sa foi {voyez Foi et Hommage).
Le serment de fidélité une fois pi été , le suzerain donnait au
vassal l'investiture par des cérémonies symboliques.
Alors seulement le vassal était en possession de son fief;
alors seulement il était devenu en réalité l'homme de son
seigneur; dès ce moment commençait pour lui une double
série d'obligations morales et matérielles , dé devoirs et de
services. Les devoirs du vassal consistaient principalement
dans le service militaire et dans l'assistance à la cour féodale
du suzerain. Il devait garder les secrets de son seigneur,
lui révéler les machinations traméescontre iui, respecter sa
fortune, sa personne, son honneur, lui donner son propre che-
val s'il venait à être désarçonné dans la mêlée , enfin aller
prendre sa place comme otage s'il était fait prisonnier. Souslçs
deux premières races, on distinguâtes grands vassaux des pe-
tits vassaux; les premiers (tJOisire^u) relevaient directement
du roi ; les seconds, vassi dominici, relevaient des vassaux
du roi. En Allemagne, on les appelait va5S2t?H?nedJa^î et vassi
mediati. Par arrière-vassal on entendait celui qui relevait
d'un seigneur, lequel était vassal d'un autre f eigneur suze-
rain.
Le mol vasselage désigne la condition de servitude ou
79»
VASSAL — VATIMESNIL
tout au moins de dépendance dans laquelle le vassal se trou-
vait vis-à-vis de son seigneur. L'histoire du vasselage com-
prendrait nécessairement celle de la France durant un grand
Hombre de siècles , jusqu'à Louis XIV , et même jusqu'en
1789 , pour quelques provinces , comme le Jura. Cette his-
toire serait aussi celle de la plus grande partie de l'Eu-
rope, môme des temps modernes ; et l'on conçoit que nous
HB voulons pas même l'esquisser ici. Il ne pou vait point y avoir
de fiefs, et partant de vasselage (au moins comme il faut en-
tendre ce mot), chez les Germains, puisque chez ce peuple,
suivant César, personne n'avait de terres en propre. Chaque
prince avait néanmoins une troupe de jeunes gens , ses com-
pagnons ou comités ( Tacite ) , qui le suivaient à la guerre.
Depuis Clovis jusqu'à Charles le Chauve, chacun ne fut en
France vassal que de la patrie, n'obéissant qu'à la voix du roi ;
mais depuis Charles le Chauve il s'établit en France un vas-
selage plus humiliant et plus dur, elle sol se peupla de petits
suzerains guerroyant entre eux ou contre la royauté, qu'ils
mirent souvent en péril. Les droits de vasselage qu'ils se
créèrent eux-mêmes sur leurs inférieurs variaient à l'infini.
Chacun sait comment Louis le Gros parvint à rabattre un
peu la fierté de cette multitude de petits suzerains , et à
opérer le commencement de la dislocation de leur système
d'alliance ou de vasselage : ce fut par le droit des comm u •
n e s , qui consistait tout simplement à vendre le droit de se
défendre contre les seigneurs à ceux qui avaient le moyen de
l'acheter. Richelieu opéra enfin plus tard l'anéantissement
presque complet du système de vasselage, qui néanmoins
ne disparut totalement en France qu'à la révolution de 1789.
VASSY ( Massacre de ). Voye:, Charles IX , tome v,
page 246.
VATEL (N... ) , maître d'hôtel du prince de Condé, après
l'avoir été du surintendant Fouquet, se tua un jour de
désespoir, en 1671, à Chantilly, en voyant que la marée
n'arrivait pas et que le poisson de mer brillerait par son
absence à un gala offert par son maître au grand roi, qui
lui faisait l'honneur d'être son hôte pendant vingt -quatre
heures. M™^ de Sévigné, dans une de ses lettres, raconte fort
au long cette tragique aventure, acceptée pour exacte par le
plus grand nombre des chroniqueurs. Quelques-uns cependant
l'attribuent à un désespoir d'amour. Quelle qu'ait été la cause
de ce suicide, il fera sans doute passer à la postérité la plus re-
culée le nom du malheureux qui le commit.
VATICAN (Le), Vaticanus »io«5, colline située origi-
nairement hors (le l'enceinte de Rome , et qui par consé-
quent n'était pas comprise au nombre si fameux des sept
collines. Le Vatican était voisin du mont Janicule, et s'élevait
sur la rive septentrionale du Tibre.
Cette colline fut ainsi appelée, selon AuIu-GcUe et Varron,
à cause des oracles qu'on y rendait ( valkinia), ou, suivant
Festus, parce que les Romains en chassèrent les Étrusques
par le conseil des devins (vahan.) Cette colline était en
horreur aux anciens Romains, à cause du mauvais air qu'on
y respirait. Sans doute ces incommodités naissaient en
grande partie des cadavres qu'on entassait en ce lieu. Caligula
et JN'éron convertirent en jardins une portion du Vatican ,
ce qui avait commencé à l'assainir; mais après l'embra-
sement de Rome, ordonné par ce dernier, plusieurs quar-
tiers ayant été réduits en cendres, les habitants sévirent
obligés de s'entasser dans cette contrée malsaine, afin de
laisser au tyran l'emplacement nécessaire pour construire
un immense palais. Heliogabale fit beaucoup pour la salu-
brité du Vatican en déblayant ce quartier, et surtout en
enlevant toutes les sépultures. U renferme aujourd'hui l'un
des plus beaux quartiers de Rome; c'est là que sont situés
le palais des papes, accompagné de jardins superbes; la
bibliothèque du Vatican et l'église de Saint-Pierre (^•o^/ei
Rome). Quelques-uns croient que Constanlin, après avoir
érigé l'ancienne basilique , y fit construire à côté un vaste
palais pour l'habitation des pontifes , dans l'endroit même
ouest aujourd'hui le palais du Vatican. D'autres attribuent
celte fondation à saint Libère, et quelques-uns à saint Sym-
maque, vers l'an 498. Cet immense édifice , auquel tant de
mains ont travaillé depuis quinze siècles, est moins un pa-
lais qu'un composé de plusieurs palais. Chaque époque y a
laissé ses traces. C'est un vrai labyrinthe, dont même un
artiste exercé aurait peine à lever le plan : il s'y trouve des
parties isolées où se manifeste le génie de Bramante, de
Michel-Ange, de Raphaël, du chevalier Bernini, etc. Le pa-
lais contient 11,000 chambres, dont un certain nombre
sont inhabitées depuis plusieurs siècles. Vingt grandes
cours et plusieurs petites se trouvent entre les divisions des
bâtiments. Il porte encore les traces brutales de l'irruption
des soldats du connétable de Bourbon. Ce n'est pas seule-
ment sous le rapport de la magnificence de l'art que le
Vatican peut sai-sir l'imagination; tout dans ces lieux est
plein de souvenirs historiques. C'est là que, protégée par
Constantin , la papauté grandit et se développa en silence
jusqu'au moment où elle se sentit assez puissante pour re-
muer tout l'Occident, au moyen âge, menacer l'Orient,
disposer des couronnes et déposer les rois. Alors , quelle
n'était pas la puissance des foudres du Vatican, de* ces
bulles d'excommunication que les papes lançaient contre
les monarques! Mais même au moyen âge des princes
osèrent braver ces foudres, entre autres l'empereur Fré-
déric I[ , Alphonse X deCastilleet Philippe le Bel. Dès lors
de siècle en siècle elles (larurent moins menaçantes. Au-
jourd'hui les pontifes tiennent sagement en réserve cette '
arme, jadis si redoutée. Au temps des Innocent et des Gré-
goire, on en usa plus d'une fois pour des intérêts purement
temporels ; aujourd'hui la cour de Rome ne s'en sert plus
que dans là limite la plus étroite des pouvoirs canoniques
de lÉglise. Charles Du Rozoir.
VATJMESXIL (N... LEFEBVRE de), né en 1789, fut
reçu avocat en 1810, et à la fin de son stagese vit appelé aux
fonctions de conseiller auditeur àlacour d'appel de Paris. Au
retour des Bourbons , il fut successivement nommé sub-
stitutdu procureurdu roi et avocat général à Paris. En cette
qualité, il eut souvent à prendre la parole dans des procès
intentés par le pouvoir à la presse ; aussi son nom fut-il long-
tempsen possession d'exciter les sarcasmes des écrivains li-
béraux. Quand P eyronnet arriva en 1822 au ministère
de la justice, il choisit M. de Vatimesnil pour secrétaire gé-
néral ; fonctions dans lesquelles celui-ci , n'ayant plus à m»
nifester ses sentiments par des actes extérieurs, mérita et ob-
tint l'estime générale. L'opinion ne le confondit pas avec
son chef immédiat ; aussi quand il fut nommé avocat gé-
néral à la cour de cassation , cette promotion fut-elle ac-
cueillie par l'approbation la plus unanime. Sous un gou-
vernement constitutionnel ayant pour élément la lutte légale
des partis, il était facile de prévoir que M. de Vatimesnil
était destiné par la nature même de ses talents à jouer quelque
jour un rôle actif en politique. M. de Martignac lui
fit accepter dans le cabinet dont il devenait le chef le por-
tefeuille de l'iastruction publique. M. de Vatimesnil avait
beaucoup à réformer dans une administration où le jésui-
tisme avait hardiment planté son drapeau. Tout en procé-
dant avec une sage lenteur , il n'en opéra pas moins en peu
de temps d'importantes modifications dans cette branche
si essentielle des services publics. Sa sollicitude s'étendit
spécialement sur la classe si intéressante et si méritante des
instituteurs primaires, dont il s'efforça d'améliorer la po-
sition, presque partout au-dessous de l'importance réelle des
services rendus par eux à la société. Il n'eut d'ailleurs le
temps que de faire une faible partie du bien qu'il projetait.
Au mois d'août 1829 Charles X renvoya brutalement ses
conseillers, et les remplaça par une administration ayant à
sa tête M. de Poli g nac. Si M. de Vatimesnil perdait son
portefeuille, il atteignait en revanche l'âge de quarante ans,
que la charte avait prescrit comme condition première d'é-
ligibilité à la chambre élective. Une vacance étant survenue
à quelque temps de là dans la députation de la Corse , il se
mit sur les rangs, et l'emporta sur ses concurrents. Mais
son élection ne fut pas validée par la chambre, qui décida
qu'il n'avait pas encore complètement atteint l'âge fixé par
la ciiarte. La révolution de Juillet affligea profondément un
homme qui avait cru à la possibilité d'allier le gouvernement
représentatif à la monarchie légitime ; et ce ne fut que dans
les dernières années du règne de Louis-Philippe qu'il con-
sentit à rentrer dans la politique, en acceptant un mandat
électoral qui lui fut maintenu sous le régime du suffrage
universel. Depuis le coup d'État du 2 décembre 1851, M. de
Vatimesnil est rentré dans la vie privée.
VATOUT (Jean), né à Viilefrancho, en 1792, fit d'as-
sez bonnes études à Sainte-Barbe , et au sortir du collège
devint secrétaire particulier de Boissy d'Anglas, préfet
de la Charente, avec qui il resta à Angoulême jusqu'en 1314,
époque où son patron fut destitué par le gouvernement
royal. Dans les cent jours , la protection de Boissy d'An-
glas lui valut la sous-préfecture de Libourne. M. De-
cazes, à qui il avait eu alors occasion de rendre quelques
services, s'en ressouvint en 1816, et lui accorda une place
dans son cabinet. Plus tard, il fut nommé sous-préfet à
Semur. Son supérieur immédiat était Stanislas Girardin, pré-
fet de la Côte-d'Or, dont il partagea la disgrâce quand le pou-
voir se jeta dans les bras du parti ultra. Sous-préfet desti-
tué, Vatout fit du journalisme d'opposition ; puis, en 1822,
sur la recommandation de Stanislas Girardin, l'ami intime
du duc d'Orléans, il entra dans la maison de ce prince en
qualité de bibliothécaire. Dans ce rôle modeste, Vatout
réussit à capter la bienveillance de son royal protecteur par
la jovialité de son caractère, qui eut bientôt fait de lui le
loustic en titre du Palais-Royal en même temps qu'une ma-
nière de factotum. De tous temps en effet les bouffons
de cour ont joui d'un grand crédit auprès des princes dont
ils trompaient les ennuis. 11 ne fallait rien moins qu'une
révolution telle que celle de Juillet pour tirer Vatout de
la douce obscurité et du tranquille /ar-nie?j/e que lui as-
surait son espèce de canonicat littéraire. Dès que les De u a;
cent-vingt-et-un eurent appelé Louis-Phihppeau trône,
les moindres individus précédemment attachés à sa maison
devinrent de véritables personnages ; et la plupart trou-
vèrent de complaisants collèges électoraux qui en firent des
législateurs. Dès 1831 une double élection à Ruffec et à
Semur envoyait Vatout siéger à la chambre, où il grossit
la majorité ministérielle. Il fut en outre, pendant toute la
durée du règne de Louis-Philippe, un des/atiewri chargés
de la manipulation des affaires secrètes et de la direction à
donner à l'opinion publique par l'entremise d'une presse
subventionnée, en même temps que de la distribution des
faveurs et des grâces à l'aide desquelles le pouvoir se
flattait de se rendre sympathiques les hommes voués à la
culture des beaux-arts. D'ailleurs , diverses fonctions publi-
ques grassement rétribuées étaient tout aussitôt venues
améliorer sa situation à la cour, demeurée assez modeste
sous le rapport des appointements, et lui permettre de jouer
désormais le rôle brillant qui convenait à un ami du prince.
Aux émoluments attachés à ses places, Vatout excellait
aussi à ajouter de notables profits accessoires qu'il tirait
de ses relations avec les ministres. On peut consulter à
cet égard la Gazette des Tribunaux du 18 juin 1847.
C'était chose si ordinaire en ce temps-là qu'un député, qu'un
homme de l'intimité royale, trafiquant des faveurs du pouvoir,
qu'on ne prit seulement pas garde au scandale du procès au-
quel nous faisons allusion, et qui disparut éclipsé par tant
d'autres affaires, bien plus graves encore. Un beau jour
Vatout s'avisa d'aspirer au trône académique. Il établissait
ses droits à cette distinction sur la publication de différents
ouvrages consacrés à la description des châteaux de l'apanage
d'Orléans, et sur une Histoire de la Conspiration de Cet-
lamare, livre vanté outre toute mesure lors de son ap-
parition par des critiques complaisants. Dès que l'ami de
Louis-Philippe eut fait savoir à l'Académie Française qu'il
bi iguait l'honneur d'être compté parmi ses membres, ce grand
corps httéraire s'empressa d'élire par acclamation, dans
•a séance du 17 janvier 1848, l'auteur de cette fanaeuse
VATIMESNIL — VATTEVILLE 795
chanson du Maire d'Eu, qui avait fait pendant si longtemps
les délices des petits appartements du Palais-Royal et des
Tuileries, et dont nous nous bornerons à citer un seul cou-
plet : il suffira pour en faire apprécier l'atticisme.
Je ne suis poinl fort à mon aise;
Ma mairie est un petit coin ,
Mon trône une petite chaise.
Qui me sert en cas de besoin.
Me» habits ne sentent pas l'ambre;
Mon équipage brille peu.
Mais que m'importe ! Un pot de chambre
Est ce qu'il faut au maire d'Eu.
La révolution de Février ne laissa pas à Vatout le temps
de se faire recevoir en audience solennelle par l'Académie qui
l'avait accueilli dans son sein. Fidèle au malheur, il accom-
pagna du moins Louis-Philippe sur la terre de l'exil ; mais il
mourut à Claremont dès le mois de novembre suivant, suc-
combant à une gangrène des reins occasionnée par la pré-
sence d'un calcul. Il eût été consolant pour le biographe de
pouvoir dire qu'il était mort de chagrin.
VATTEL ( Emmerich de), célèbre publiciste, né en 1714,
àCouret, dans la principauté de Neufchâtel, fils d'un pas-
teur protestant, étudia à Bàle et à Genève et se rendit
plus particulièrement familière la philosophie de Leibnitzet
de Wolf. 'Après avoir attiré l'attention des penseurs par sa
Défense dùsyslème leibnitzien, etc. (Leyde.,1741 ) contre
les attaques dont il venait d'être l'objet de la part de
son compatriote de Crouzas, il se rendit à Berlin, dans
l'espoir d'y obtenir, en sa qualité de sujet prussien, un
emploi dans la diplomatie. Ayant échoué dans ses démar-
ches, il alla en 1743 à Dresde, où, par la protection du
comte de Bruhl, il obtint d'abord une pension et le titre de
conseiller de légation ; puis fut nommé envoyé de l'électeur
de Saxe à Berne.. Ces fonctions lui laissèrent assez de loi-
sir pour composer l'ouvrage qui a illustré sou nom. Droit
des Gens, ou principes de la loi naturelle appliqués à
la conduite et aux affaires des nations et des souverains
(Neufchâtel, 1758), où il défend les principes du progrès
et de la raison contre la politique de l'absolutisme. Pen-
dant son séjour en Suisse il publia aussi des Mélanges de
Littérature , de Morale et de Politique, des Loisirs phi-
losophiques et La Poliergie. Son dernier ouvrage fut ses
Questions de Droit naturel, ou observations sur le traité
du droit de la nature par Wolf. Rappelé à Dresde en 1 758,
il y travailla avec ardeur en qualité de conseiller de léga-
tion dans le cabinet de l'électeur ; mais l'affaiblissement de
sa santé lui fit entreprendre à diverses reprises le voyage de
Suisse dans l'espoir de se remettre. Il mourut pendant une
de ses excursions à Neufchâtel , le 20 décembre 1767.
"VATTEVILLE (L'abbé de), aventurier fameux du dix-
septième siècle, appartenait à une assez bonne famille delà
Franche-Comté. D'abord cliartreux et ordonné prêtre, il jela
un beau jour le froc aux orties, tuant d'un coup de pistolet .sou
prieur, qui tentait de mettre obstacle à ses projets d'évasion.
A deux ou trois journées de là, raconte Saint-Simon, dont
nous copions presque mot à mot le récit, il s'arrête à un
méchant cabaret seul dans la campagne , demande ce qu'il y
a au logis. L'hôte lui répond : « Un gigot et un chapon. —
Bon, dit alors notre défroqué , mettez-les à la broche. »
L'hôte n'ose répliquer, et embroche. Comme ce rôti s'en
allait cuit, arrive un autre homme a cheval, seul aussi,
pour dîner dans ce cabaret. Il ne trouve que ce qu'il voit
prêt à être tiré de la broche. Il demande civilement à Vat-
teville de trouver bon que, puisqu'il n'y a rien dans le logis
que ce qu'il a retenu, il puisse , en payant, dîner avec lui.
Vatteville n'y veut pas consentir : dispute; elle s'échauffe;
bref, le moine en use comme avec son prieur, et tue son homme
d'un coup de pistolet. Après cela , au milieu de l'effroi de
l'hôte et de l'hôtellerie, il se fait servir le gigot et le chapon,
les mange l'un et l'autre jusqu'aux os, paye, remonte à
794
VAÏÏEVILLE ^ VAUBAN
cheval et tire pays. Ne sachant que devenir, il s'en va en
Turquie, se fait circoncire , prend le turban et s'engage dans
la milice. Son reniement l'avance, son esprit et sa valeur
le distinguent ; il devient pacha et l'homme de confiance
en Morée, où les Turcs faisaient la guerre aux Vénitiens.
Se croyant en état de tirer parti de sa situation, il trouva
moyen de faire parler au gouvernement de la république et
de faire son marché avec lui. il promit verbalement de li-
vrer plusieurs places et force secrets des Turcs, moyennant
qu'on lui rapportât, en toutes les meilleures formes, l'absolu-
tion du pape de tous les méfaits de sa vie , de ses meurtres, de
son apostasie , sûreté entière contre les chartreux , et pou-
voir de posséder tous bénéfices quelconques. Les Vénitiens
y- trouvaient trop bien leur compte pour s'y épargner, et le
pape crut l'intérêt de l'Église assez grand à accorder de
bonne grâce toutes les demandes du pacha. Quand Valte-
ville fut bien assuré que toutes les expéditions en étaient ar-
rivées à Venise en la meilleure forme, il prit si bien ses
mesures qu'il exécuta parfaitement tout ce à quoi il s'était
engagé vis-à-vis des Vénitiens. Aussitôt après, il se jeta
dans leur armée , puis sur un de leurs vaisseaux qui le
porta en Italie. Il fut à Rome, où le pape le reçut bien; et
pleinement assuré, il s'en revint en Franche-Comté dans sa
famille. Lors de la première conquête de la Franche-Comté,
on le jugea homme de main et d'intrigue. La reine mère et
les ministres s'en servirent utilement. 11 rendit en effet de
grands services, mais non pour rien, car il avait stipulé
l'archevêché de Besançon ; et en effet, après la seconde con-
quête , il y fut nommé. Toutefois, le pape ne put se ré-
soudre à lui donner les bulles; il se récria au meurtre, à
l'apostasie , à la circoncision. Le roi entra dans les raisons
du pape, et il capitula avec l'abbé de Vatteville, qui se
contenta de l'abbaye de Baumes, la deuxième de la Franche-
Comté, d'une autre bonne en Picardie, et'de divers autres
avantages. Il vécut depuis dans son abbaye de Baumes,
partie dans ses terres, quelquefois à Besançon, rarement
à Paris et à la cour, où il était toujours reçu avec distinc-
tion. Il avait partout beaucoup d'équipages, grande chère,
une belle meute, grande table et bonne compagnie. Il ne
se contraignait pas sur les demoiselles, et vivait non-
seulement en grand seigneur et fort craint et respecté,
mais à l'ancienne mode, tyrannisant fort ses terres, celles
de ses abbayes, et quelquefois ses voisins, surtout chez lui
très-absolu. Il jouait fort bien à l'hombre, et y gagnait si
souvent codille , que le nom d'abbé Godille lui en resta. Il
vécut de la sorte, et toujours dans la même licence et la
même considération, jusqu'à près de quatre-vingt-dix ans.
VAUBAN (SÉBASTiEN-LEPRESTRE de), maréchal de
France, chevalier des ordres du roi , etc., daquit en 1633,
à Saint-Léger de Foucheret, dans le Morvan. Sa famille
était originaire du Nivernais. Elle possédait depuis envi-
ron trois siècles la seigneurie dont elle portait le nom ;
mais le père de l'illustre ingénieur était un cadet ; il s'était
ruiné au service , et mourut avant d'avoir achevé l'éducation
de son fils. A l'âge de dix-sept ans, le jeune Vauban entra dans
le régiment de Condé, dont le colonel était alors, comme
on le sait, dans le parti des Espagnols. Ce fut donc contre
son souverain qu'il fit l'apprentissage de la gucre ; mais il
suivait les drapeaux du grand Condé , et bientôt il fut rendu
à la France. Il s'était déjà fait connaître comme ingénieur.
Le jeune officier sentit que son devoir l'appelait au service de
son souverain ,. et dès l'année suivante il fut employé au
siège de Sainte-Menehould , qu'il avait attaquée et prise peu
de temps auparavant, et dont il fut chargé de réparer les
fortifications. Dans l'espace de quatre ans , il contribue aux
sièges deStenay, de Clermont, de Landrecies, de Condé,
de Saint-Guilain , de Valenciennes , de Montmédy ; de graves
blessures ne ralentissent point son activité. En 1758 il di-
rige les attaques de Gravelines , d'Ypres et d'Oudenarde.
Après la paix des Pyrénées , c'est à la construction de nou-
velles forteresses qu'il est employé. L'art delà fortification
fit alors des progrès auxquels on ne s'attendait point; l'in-
génieur parut avoir élevé la défense au-dessus de l'attaque;
mais lorsque la guerre fut recommencée en 1677, l'offensive
reprit ses avantages toutes les fois qu'elle fut dirigée par
Vauban. Au premier rang des perfectionnements qu'il a mis en
pratique dans les travaux de siège, dit M. de Champrobert,
se place l'invention des parallèles , qui donnent une date
mémorable au siège de Maestricht (1673) , place très-forte,
qui fut réduite à capituler après le treizième jour dé tranchée
ouverte. Les autres procédés qu'il imagina dans la suite , et
qui font également époque, parce qu'ils marquent de vérita-
bles conquêtes de l'art, sont les cavaliers de tranchée, les
sapes, le tira ricochet. Les campagnes qui se rouvrirent
en 1672 procurèrent à notre ingénieur de fréquentes oc-
casions de montrer la précision de son coup d'œil et d'a-
jouter encore aux ressources de son art. La paix de Nimè-
gue suspendit les hostilités jusqu'en 1683; Vimprenable
forteresse de Luxembourg ne put résister à l'habileté de
Vauban. Alors, nouvelle trêve : l'ingénieur militaire se Hvre
à des travaux civils, dirige la construction de l'aqueduc de
Maintenon , perfectionne le canal deRiquet pour la jonction
des deux mers ; ce qui n'empêche point qu'il ne préside à
l'érection de son chef-d'œuvre d'architecture militaire, la
forteresse de Landau. En 1688 il est rappelé dans les camps,
et dirige les sièges de Philipsbourg, de Mannheim et de
Frankendal. L'année suivante, il est chargé de veiller à la
conservation de Dunkerque , de Bergues et d'Ypres. Mais
l'insalubrité du climat le mit à une plus rude épreuve que
les périls de la guerre. A peine guéri , en 1691, il fait , sous
les yeux du roi , les sièges de Mons , de Namur, où la perte
des assiégeants fut beaucoup moindre que celle des assiégés.
Enfin , la paix de Riswijk fit cesser encore une fois l'effu-
sion du sang jusqu'à la guerre de la succession d'Espagne.
En 1699 il fut nommé membre honoraire de l'Académie
des Sciences. Trois ans après il reçut le bâton de maréchal ;
mais ce fut en quelque sorte contre son gré : une fois ma-
réchal, il ne pouvait plus servir sous les ordres d'un gé-
néral , et par suite être chargé de la direction d'un siège.
Prévenu par le roi de sa prochaine promotion, il lui présenta
respectueusement cette objection. Mais le roi tint bon, et le
comprit au nombre des dix maréchaux de France créés par
l'ordonnance du 14 janvier 1703. Les loisirs que lui fit cette
haute position furent employés par lui à la rédaction de ses
Mémoires, ouvrage dont il voulait faire présent au roi,
et qui renfermait le résultat de sa longue expérience dans
l'art qu'il avait exercé avec tant d'éclat. La campagne dé-
sastreuse de 1706 lui rendit cette activité dont il sentait le
besoin; mais il ne put faire accepter ses services en Italie,
la vanité d'un général courtisan s'y opposa. Ce général s'é-
tait vanté de prendre Turin à la Cohorn, et non ' à la
Vauban ; il fut battu, perdit beaucoup de monde et de
munitions, et la campagne fut manquée.
Vauban mourut à Paris, le 13 mars 1707, des suites d'une
fluxion de poitrine.
Si l'on veut voir toute sa vie militaire en abrégé, dit Fon-
tenelle, il a fait travaillera 300 places anciennes, et en a
fait 33 neuves. Il a conduit 53 sièges, dont 30 ont été faits
sous les yeux du roi en personne, ou du duc de Bourgogne,
et les 23 autres sous différents généraux. Il s'est trouvé à
140 actions de vigueur. Jusqu'à Vauban, dit un autre de *
ses apologistes, les procédés de l'attaque dans les sièges
n'étaient que l'art funeste de détruire. D'une part une artille-
rie foudroyant au hasard, pendant qu'à l'abri des remparts
la garnison bravait sans risque ce tonnerre égaré , faisait vo-
ler la mort sur la tête des bourgeois inoffensifs. Les temples,
les maisons s'écroulaient sur leurs habitants écrasés ; et la
réduction d'une place assiégée ne mettait au pouvoir du
vainqueur qu'un horrible monceau de cendres et de cada-
vres. D'autre part, des attaques sans concert et sans plan ,
des troupes dispersées dans des boyaux sans art , toujours
dans l'impuissance de se développer sur un terrain embar-
rassé par des coupures bizarres, des têtes d'attaque isolées et
sans appui, livraient à chaque instant l'assiégeant à la furie
VAUBAN — VAUCLUSE
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d'un assiégé entreprenant et brave. L'art que Vauban a sub-
stitué à ces scènes de carnage ne s'attache plus qu'à l'homme
armé, qui fait résistance : encore pins soigneux de préser-
Ter la troupe qu'il dirige que d'écraser celle qu'il combat,
il fait couler plus de sueurs pour ménager plus de sang.
Vauban ne laissa pas d'héritier de son nom et de sa haute
renommée , mais sa mémoire sera conservée précieusement
par les amis de l'humanité. Son ouvrage sur la Dîme
royale devança beaucoup trop le temps où il parut ; un ré-
publicain ne le désavouerait pas , si l'on en faisait disparaître
les formes de la monarchie. Jamais une logique plus'pres-
sante ne soutint les droits du travail contre les prétentions
de l'oisiveté. Les maux dont l'excessive inégalité des for-
tunes est la cause y sont dévoilés avec prudence et cou-
rage; c'est une œuvre que les temps actuels peuvent re-
vendiquer, et qu'on est surpris de recevoir comme un don
que nous fit un des plus fidèles serviteurs de Louis XIV.
Quant au Traité de V Attaque et de la Défense des Places,
qu'on le laisse tel qu'il est , ne fût-ce que par vénération
pour son auteur. Quels sont donc les hommes qui de temps
en temps osent substituer leurs idées et leurs préceptes à
ce que Vauban savait le mieux? Transmettons cet ouvrage
aux générations successives, aussi longtemps que l'art delà
fortification sera nécessaire; et s'il faut y faire quelques ad-
ditions, qu'elles se présentent sous la forme de supplément
et non comme des rectifications. Ferry.
VAUBLANG (Vincent-Marie VIENNOT, comte de),
était né le 2 mars 1756, à Montargis, et embrassa de bonne
heure la carrière militaire , qu'il abandonna plus tard pour
se retirer dans une propricilé située aux environs deMelun.
En l/Q"? les électeurs de Seine-et-Marne l'envoyaient siéger
à l'Assemblée législative, où il vota avec la droite. Ses opi-
nions ouvertement monarchiques le rendirent bientôt l'objet
de la haine populaire, et faillirent lui coûter la vie. A l'époque
de la terreur, Robespierre le fit ineltre hors la loi ; et ce
ne fut qu'à la suite de la journée du 9 thermidor que le pros-
crit put oser reparaître. Devenu bientôt président d'une des
sections de Paris , il fut l'un des meneurs les plus actifs de
la réaction royaliste aux intrigues de laquelle la journée de
vendémiaire mit un terme. Gravement compromis dans
cette levée de boucliers monarchique , il fut condamné à
mort , mais réussit à se dérober aux vengeances de la Con-
vention. Élu un an après membre du Conseil des Cinq Cents
par le département de Seine-et-Marne, il revint purger sa
contumace, et fut acquitté. Comme député , toute sa con-
duite fut constamment hostile au Directoire et au gouver-
nement républicain. A lasuitede la journée du 18 fructidor,
il se réfugia en Italie ; mais sous le gouvernement consu-
laire il revint encore une fois en France, fut élu, en 1800,
membre du corps législatif, nommé en 1804 préfet de la
Moselle et plus tard comte de l'empire. 11 n'en prit pas moins
parti pour les Bourbons en 1814 et en 1815. Pendant les
cent jours il jugea prudent de se retirer en Prusse. Rentré
en Franceau mois de juillet suivant, à la suite de Louis XVMI,
il fut nommé conseiller d'Étatet préfet des Bouches-du-Rhône.
Il fut ensuite appelé à prendre le portefeuille de. l'intérieur
dans le cabinet présidé par M. de Riclielieu ; mais, instru-
ment entre les mains du parti ultra royaliste, il dut céder
la place à Laine quand le pouvoir se décida à briser la fa-
meuse chambre introuvable. Toutefois, il garda le
litre et les appointements de ministre d'État sans portefeuille
et démembre du conseil privé. En 1820 et en 1824 le dé-
partement du Calvados le nomma de nouveau député, et il
défendit encore dans la chambre élective la politique de la
cour. Il mourut à Paris, en août 1S45.
VAUC ANSON (Jacques de), de l'Académie des Sciences,
célèbre mécanicien, était né à Grenoble, en 1714. Le génie
de la mécanique fut son partage, et on peut dire qu'il n'eut
point d'enfance. Créer de nouveaux instruments, perfec-
tionner ceux dont on faisait usage , multiplier les ressources
des^ arts, telles furent les occupations de toute sa vie. Dès
qu'il eut pu concevoir le mécanisme d'une horloge , il en fit
une en bois, et réussit assez bien . Venu à Paris pour s'y livrer
à l'étude des sciences exactes, dont une connaissance plus
approfondie lui était nécessaire pour étudier utilement la
mécanique, il conçut le projet A'uxiflûleur mécanique , et
vint à bout de l'exécuter. Son automate, qu'il avait logé
dans une statue imitant parfaitement celle qu'on voyait alors
aux Tuileries, jouait de la flûte avec goût, et non comme
une machine. Ce chef-d'œuvre fut exposé à Paris en 1738, et
Vaucanson en expliqua le mécanisme dans un écrit intitulé;
Le Mécanismedu Flûteur automate{VdLn?.,\l'i'6). il ne crai-
gnit pas d'entreprendre ensuite une sorte de création d'ani-
maux artificiels , et ses premiers essais furent des canards,
qui semblaient en effet prendre leur nourriture, l'avaler et la
digérer. Hàtons-nous d'ajouter qu'il fil aussi un emploi plus
digne de son génie. Il avait été nommé inspecteur des ma-
nufactures à Lyon ; il y perfectionna le métier à organsiner et
inventa d'admirables machines pour dévider la soie, pour
former une chaîne sans fin. Mais en exerçant son emploi il
se fit des ennemis parmi les ouvriers de ce grand centre
manufacturier, qui se croyaient seuls capables d'exécuter
certaines étoffes dont le dessin était alors fort à la mode,
et qui tenaient leur travail à un prix excessif. « Vous pré-
tendez, leur dit Vaucanson, que vous seuls pouvez faire ce
dessin; eh bien, je le ferai faire par un àne. » Effective-
ment, la machine fut bientôt prèle, et les ouvriers récalci-
trants se soumirent avant qu'on ne leur fit l'affront d'être
égalés, et peut-être môme surpassés , par ce rival qu'on leur
eût opposé. La machine de Vaucanson est conservée telle
qu'il l'avait fait construire avec une partie du dessin qu'elle
exécutait ; on la voit au Conservatoire des Arts et Métiers,
avec d'autres œuvres de cet ingénieux mécanicien enrichis-
sant aussi cette précieuse collection. Une vie aussi utilement
occupée finit beaucoup tiop tôt. Vaucanson fut enlevé aux
sciences, aux arts, à l'humanité, le 21 novembre 1782. Il légua
sa collection de machines, véritable muséedes arts et métiers,
à la reine, qui voulut en gratifier l'Académie. Les réclama-
tions des intendants du commerce fuient cause que cette
précieuse collection finit par se disperser. Quelques-unes
des pièces les plus curieuses qui la composaient, entre autres
les fameux canards mécaniqties , tombèrent entre les mains
d'un nommé Dumoulin , qui en fit des exhibitions publiques
en Allemagne, et qui finit par les vendre à un certain profes-
seur Bei reis. Le reste fait maintenant partie du Conserva-
toire des Arts et Métiers. Ferry.
VAUCELLES (Trêve de). Elle fut conclue le 5 février
1556, entre le roi de France et Philippe 11, roi d'Espagne,
qui venait de monter sur le trône, par suite de l'abdication
de son père Charles Quint.
"VAUCLUSE, Vallis CZaiwa, village de 460 habitants,
dans une vallée romantique et d'un aspect sauvage, hérissée
de roches plus ou moins déchiquetées, et bordée d'une chaîne
de rochers percés d'antres , à 28 kilomètres d'Avignon , est
célèbre parle séjour qu'y fit Pétrarque, lequel dans se*
sonnets et ses lettres célèbre la beauté de la contrée envi-
ronnante. A un kilomètre environ du village se trouve le
fameuse fontaine de Vaucluse, source de la Sorgue, et
qui mérite une courte description. On traverse un vallon , le
long duquel s'élève une montagne de pierre vive , et l'on
arrive par un sentier pierreux au pied d'un rocher taillé à
pic , où l'on trouve une voûte que son obscurité rend ef-
frayante. On y entre si l'eau est basse , et l'on y voit deux
cavernes , dont la première a plus de 20 mètres de haut à
son ouverture; l'autre peut avoir 30 mètres de largeur et
de profondeur et 7 d'élévation. Vers le milieu de l'antre
paraît, sans jet ni bouillon, dans un bassin ovale irrégulier
d'environ 75 mètres de diamètre, et dont on n'a jamais
trouvé le fond, la source abondante qui forme la Sorgue.
Quand celte source est jdans son état ordinaire, l'eau s'é-
chappe par des conduits souterrains jusqu'à son lit. Mais
après la fonte des neiges, ou après de grandes pluies, elle
se précipite par de nombreuses cascades, avec un bruit ef-
frayant, à travers les rochers, jusqu'à l'endroit où, ne trou-
r96
VAU CLUSE — VAUD
Tant dIus d'obstacles , elle prend un cours paisible et porte
bateau. Les ruines qu'on aperçoit sur les rochers sont celles du
château de l'évêque de Cavaillon, Philippe de Cabassol ,ami
de Pétrarque. Ce poëte habitait dans le village de Vaucluse
une simple maison de paysan, dont on montre encore l'empla-
cement, mais dont il ne reste plus de vestiges. Après un
parcours d'environ 35 kilomètres à travers un pays char-
mant, la Sorgue se jette dans le Rhône, à 7 kilomètres au-
dessous d'Avignon.
VAUCLUSE (Département de). 11 a reçu ce nom de la
belle fontaine que Pétrarque a immortalisée par ses chants.
Sans la spécialité de cette fontaine célèbre ( voyez l'article
qui précède) on aurait donné à ce département le nom du
mont Ventoux , l'une de ses singularités et la plus haute
montagne de France, puisqu'elle s'élève à 2,021 mètres au-
dessus|du niveau de la raer,etque sacimeestcouvertedeneige
neuf mois de l'année. Le département de Vaucluse, créé en
1793 par décret de la Convention nationale, comprend les
pays qui formaient avant 1789 le comlé à' Avignon elcomtat
Venaissin , appartenant alors au pape , l'évêché d'Apt , qui
faisait partie de la Provence, et la principauté d'Orange,
quiavaitété réunie au Dauphiné. 11 est borné au nord et au
nord-est par le département de la Drôme , à l'est par celui
des Basses-Alpes, à l'ouest par le Rhône, qui le sépare du
département du Gard , et au sud par la Durance , qui le dis-
joint de celui des Bouches-du-Rhône. Sa superficie est de
3'55,429 hectares, dont 157,738 en terres labourables , 62,41 1
en forêts, plus de 67,000 en landes et bruyères et 6,20 i en
prairies. Coraprisdans la neuvième division militaire, il res-
sortit à la cour impériale de Nîmes et à l'académie d'Aix,
paye 899,800 fr. d'impôt foncier, envoie deux députés au
corps législatif, et compte 268,429 habitants. Il est divisé en
quatre arrondissements : Avignon, chef-lieu de tout le dé-
partement, et station du chemin de fer de Lyon à la Médi-
terranée; Carpentras, Orange et^p^ sur le Calavon,
ville très-ancienne, avec de beau x restes d'antiquités romaines,
un tribunal de première instance, un commerce assez impor-
tant en faïence, bougie, fruits confits, etc., quatre foires an-
nuelles, et 5,500 habitants. Ces quatre arrrondissemenls for-
ment ensemble 22 cantons et 149 communes. En 13ri5 il s'y tint
un concile. La partie orientale de ce département est élevée
et boisée, et ses plus hantes montagnes, même le Ventoux,
leLeberon ( 1,760 mètres), donnent leurs noms aux forêts
qui les couvrent presque jusqu'au sommet. On y trouve
des mines, des carrières, ainsi que des eaux minérales à
Gigondas, à Vaqueiras, et des eaux sulfureuses à Aurel.
Mais elle est entrecoupée par des riantes et fertiles vallées.
La partie occidentale n'offre qu'une plaine riche et délicieuse,
qu'interrompent quelques jolis coteaux. Outre le Rhône et
la Durance, que joint un canal d'irrigation, un grand nombre
de rivières arrosent et fécondent ce département ; les prin-
cipales sont : l'Auzon , rouvèze , la Meyne, la Nesque, le
Caulon ou Calavon, et la Sorgue, qui sort de ]& fontaine
de Vaucluse, et forme plusieurs branches. Aussi la culture,
extrêmement variée, y produit-elle en abondance tout ce qui
est nécessaire et agréable à la vie : prairies naturelles et ar-
tificielles, que l'on fauche quatre ou cinq fois par an; ce-
' réaies , légumes et fruits de toutes espèces , mûriers pour
les vers à soie , miel, cire, cotonniers herbacés, gomme
de cerisier, amandes, noyaux de pêche et d'abricot, huile
d'olive, trufles, safran, graines de trètle, de luzerne et
potagères , plantes aromatiques , essences de thym , de ser-
polet,de térébenthine, eau-de-vie, eau-forte, vert-de-gris,
acide nitrique, graines et drogues pour la teinture, etc. Ses
coteaux produisent de bons vins, surtout ceux de Château-
Neuf-du-Pape, où se trouvent les clos de la Nerthe et de
Saint-Patrice. A ces productions naturelles , dont la plupart
sont des articles de commerce, il faut joindre les produits
des manufactures : fonderies de fer en gueuses , fonderie de
canons en cuivre , moulins à poudre et à papier, laminage
de plomb, de cuivre pour doubler les vaisseaux; faïence,
filature de laine, de coton, de soie; couvertures de laine ,
toile de lin, étoffes de soie, bougies, tanneries, etc. Le
pays n'est pas riche en bœufs, en chevaux ; mais les mon-
tons, les ânes , les mulets, les cochons, y abondent et y
sont excellents , ainsi que la volaille et le gibier, tant qua-
drupède que volatile. Les rivières sont très • poissonneuses ,
et la Sorgue surtout fournit des truites, des écrevisses et
des anguilles délicieuses. Le poisson de mer n'y est pas
moins commun, soit qu'il remonte le Rhône, comme l'alose
et le saumon, soit qu'il arrive par terre. Mais de tous les
produits de ce département, celui qui est devenu la source
de sa plus grande richesse, c'est la garance, dont la cul-
ture y fut introduite en 1765, par un Persan , nommé Al'
then.
Parmi les localités les plus importantes du département
de Vaucluse il faut mentionner Bédarides, avec 2,840
habitants, terrain fertile en blé, pâturages et mûriers;
Cavaillon, sur la Durance, chef-lieu de canton, avec
7,431 habitants et une station du chemin de fer de Lyon à
la Méditerranée : restes d'antiquités romaines; Liste, ainsi
nommée parce qu'elle est entourée par la Sorgue, avec
6,500 habitants, à 4 kilomètres de la Fontaine de
Vaucluse; Pernes, chef-lieu de canton , 4,000 habitants,
sur la Nesque; Scm/^, 2,760 habitants; Moiirmoiron,
2,579, chefs-lieux de canton ; Bollène, 4,800 habitants;
Valréas ou Vauréas, dans les montagnes, 4,838 ha-
bitants; Vaison, chef-lieu de canton, sur une montagne;
Malaucène, avec 3,320 habitants et un château, sur un
rocher; Beaumes, avec 1,791 habitants; Gorrfes, avec 2,899
hab.; Bonnieux, avec 2,500 hab. ; Cabrières et Mé-
rindol, bourg fameux par le massacre des protestants or-
donné par le parlement de Provence, en 1545; Cadencé, avec
2,652, et Pertuis avec 4,951 liabitants.
VAUCOU LEURS. Fot/es Meuse.
VAUD (Le Pays de), l'un des vingt-deux Cantons de
la Confédération Helvétique, dont la plus grande partie est
bordée par le lac de Genève , compte sur une superficie de
39 (et suivant d'autres de 42) myriam. carrés une popula-
tion de 199,575 habitants parlant français et, à l'exception
de près de 7,000 catholiques et de 400 juifs, appartenant à
l'Église reformée. Ce pays, enlevé en 1536 aux ducs de Sa-
voie par les Bernois , fut jusqu'en 1798 traité par les vain-
queurs en pays conquis et administré pour leur compte par
des baillis. Mais cette année-là les habitants, secondés par
la France, se déclarèrent indépendants, et constituèrent un
État particulier, sous le nom de république du Léman. Ils
furent ensuite incorporés à la République Helvétique; et
sous l'empire de la constitution de la médiation ils cons-
tituèrent un Canton indépendant, qui reprit son ancien
nom de Vaiid, et fait aujourd'hui partie de la Confédération
Helvétique. Depuis lors ce pays a fait de grands progrès
sous plusieurs rapports , mais a subi aussi de nombreuses
vicissitudes politiques. A la suite de l'irritation des esprits
que causa une instruction publiée par le grand conseil à
propos"de la question des jésuites, qui était a'ors à l'ordre
du jour, le gouvernement cantonal fut renversé, en février
1845, par une révolution opérée sans effusion de sang. La
constitution du 25 mai 1831 fut soumise à une révision;
et le 19 juillet suivant le grand conseil ainsi que le peuple
acceptaient la constitution ainsi révisée. C'est une constitu-
tion démocratique représentative,- ayant pour base le droit
électoral et le droit d'éligibilité dans les limites les plus larges;
toutefois, une loi du 6 avril 1851 a quelque peu restreint le
droit d'éligibilité , en décidant qu'un fonctionnaire public
cantonal ne pouvait être en môme temps membre du grand
conseil. Un conseil d'État, élu par le grand conseil, fonctionne
comme pouvoir exécutif ; mais le peuple souverain, assem'olé
dans les communes, a le droit de voter sur toute proposition
que lui soumette grand conseil, soit spontanément, soit à la
demande d'au moins 8,000 citoyens. L'organisation judiciaire
du Canton consiste en un tribunal de première instance, un
tribunal de cassation et un tribunal de révision. En matières
criminelles , c'est un jury constitué à peu près comme l'est
VAUD — VAUDEVILLE
7»7
celui qui existe en France , qui prononce ; et la procédure
orale a lieu en matières civiles.
Le Pays de Vaud offre toutes les beautés naturelles de
la Suisse; à l'ouest, il s'étend sur les pentes du Jura; à
l'est, sur les flancs des hautes Alpes ; au centre, sur le
plateau que traversent les collines du Jorat , et qui descend
d'un côté vers les belles rives du lac Léman , de l'autre vers
les plaines baignées par celui de Neufchâtel. Ici une foule
de vallées pittoresques coupent le pays, qui leur doit sans
doute son nom. Les coteaux de la partie orientale, les bords
du grand lac autour de Lausanne , de Vevey , de Morges ,
sont célèbres par la richesse et la grâce de leurs sites. En
s'avançant vers le Valais, la scène devient plus grandiose
et plus sévère. Aux sommités arrondies succèdent des cimes
pyramidales, hautes de 3,000 à 4,000 mètres, des vallées
profondes , des glaciers effrayants. Les rivières du Canton
se déversent les unes dans la Méditerranée par le Rhône,
les autres dans l'Océan par le Rhin; elles sont du reste peu
importantes. L'Orbe est la principale; elle parcourt une
vallée sauvage du Jura, après êtie sortie du lac des Rousses
en France , et ses eaux , se trouvant arrêtées par une
épaisse muraille de rochers , s'épanchent en une large nappe
nommée le lac de Joux; mais quand elles sont parvenues
à briser cette barrière, elles reparaissent à plus de 200
mètres au-dessous, pour continuer leur route vers le lac de
Neufchâtel. Un canal met l'Orbe en communication avec la
Venoge, affluent du lac de Genève, et fait ainsi communi-
quer les deux bassins. Le climat de tous les cantons du
centre et de ceux que baigne le Léman est assez tempéré
pour que la vigne y soit cultivée avec succès. De Lausanne
à l'entrée du Valais , la chaleur acquiert même le degré d'in-
tensité nécessaire à la maturité de quelques fruits délicats,
tels que la grenade, la figue et l'amande. Les vignobles
constituent l'une des principales richesses agricoles du Can-
ton de Vaud; ils occupent près d'un quart de sa popula-
tion , et quelques-uns de leurs produits sont renommés ,
tels que les vins de la Vaux , d'Yvorue et de la Côte : ce-
lui-ci en vieillissant égale les meilleurs crûs du Rhin. Le
chef-lieu du canton est Lausanne; les autres localités les
plus importantes sont A/orjes, Aubonne, liolle, Nyon,
Yverdun, Granson, Avenche, Payer ne , Moudon et
Vevey.
VAUDEVILLE. Boileau Despréaux, après avoir donné
les règles delà satire dans le deuxième chant de l'/t/Y/Joé-
tique, ajoute :
D'un trait de ce poëme , en bons mots si fertile ,
Le Français, né malin , forma le vaudeville ;
Agréable, indiscret, qui, conduit par le chant,
Pa«e de bouche en bouche et s'accroît en marchant.
Bien avant Boileau, Lafresnaye-Vauquelin , né en 1534,
vante. aussi dans un art poétique :
Les Vaux de Vire
Qui seiftïot le bon temps nous font encore rire...
et il nous en faitainri connaître à la fois l'origine etTélynio-
logie.
Olivier Basse lin composait, vers 1450, des chansons
satiriques qui csururent bientôt tout le Val ou Vau-de-
Vir,e, et qui en s'étendant plus loin en conservèrent le
nom pendant un certain temps, au bout duquel l'étymo-
logie fut oubliée et le nom changé en vaudeville.
Le vaudeville dont parle Boileau n'était donc aulre chose
qu'une chanson satirique, composée sur les individus ou sur
les événements, et rimée sur un air vulgaire et connu. Un
recueil de vaudevilles ( comme il en existe en manuscrit, à
cause de l'obscénité de la plupart d'entre eux) est indispen-
sable à qui veut bien connaître l'histoire, disait Ménage.
L'époque de la Fronde est la plus riche en matériaux de
ce genre, quoiqu'il en ait été composé beaucoup durant les
règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI. Le re-
cueil périodique intitulé Les Actes des Apôtres, publié dans
las premières années de la révolution de 1789, contient les
derniers vaudevilles qu'on ait faits, je crois. On perdit bien-
tôt l'envie et le goût de chanter.
Vaudeville est le nom que l'on donna ensuite aux pièces,
de théâtre dans lesquelles entraient des couplets sur des
airs connus. Les premiers ouvrages de ce genre datent du
commencement du dix-huitième siècle, et furent composés
pour les spectacles forains. Fuselier, d'Orneval , Piron et
Lesage , auteur de Turcaret, senties plus célèbres des
nombreux auteurs de ce théâtre de la Foire. Ces premières
pièces étaient entièrement en couplets , môme le dialogue,
sans aucun mélange de prose. Quand le public eut manifesté
son goût pour ce genre nouveau, dont il ne pouvait plus
jouir dans l'intervalle d'une foire à l'autre , les auteurs firent
représenter leurs pièces à la Comédie-Italienne , sous le titre
d'opéras comiques.
Le vaudeville est aujourd'hui une petite comédie dont le
dialogue en prose est nécessairement entremêlé de couplets
sur des airs déjà connus. Il repousse maintenant peu à peu
les airs populaires dits ;jo?î<5-neM/i, lesquels lui donnaient
dans l'origine une physionomie qui le distinguait essentiel-
lement de y opéra comique, et it adopte peut-être trop
souvent en leur place des airs , des morceaux d'ensemble ,
et jusqu'à des cliœurs empruntés aux opéras français et
môme italiens en faveur. Le vaudeville était autrefois anec-
dotique ou parodiste. Un personnage ou un fait connus suf-
fisaient à l'action du premier ; la parodie s'attachait à faire
ressortir les défauts des ouvrages représentés sur les autres
théâtres, en les ridiculisant, en les tournant en moquerie :-
les scènes en étaient courtes, le dialogue tout de saillies, les
physionomies peintes d'un trait, et le dénouement enjoué.
Les couplets devaient être aiguisés de vrais bons mots fine-
ment épigrammatiqnes. Ce n'est aujourd'hui qu'un véritable
drame , où les sentiments élevés , tendres ou délicats sont
également admis. Quelques rares couplets, de courts mor-
ceaux d'ensemble, rappellent seulement sa première origine. .
VAUDEVILLE (Dîners du), nom d'une société chan-
tante des premières années de ce siècle {voyez Caveau).
VAUDEVILLE (Théâtre du), à Paris. Si le genre
qu'il exploite se rattache au théâtre de la Foire de nos bons
aïeux, l'origine du Théâtre du Vaiidevillene date pas pltt»
loin que de l'année 1792, époque où, entre la rue de Chartres
et la rue Saint-Thomas duLouvre (qui venaient toutes deux
aboutir sur la place du Palais-Royal, et que l'achèvement du.
Louvre a fait disparaître), l'architecte Lenoir construisit,
sur un emplacement précédemment occupé par une salle
de danse appelée Wauxhall d'/iîi;er, ou petit Panthéon ,.
une nouvelle salle de spectacle qu'un incendie détruisit le
18 juillet 1838. Les premiers directeurs de ce théâtre furent
Barré , Monnier, Chambon, Rosières et Piis; et c'est depuis
l'inauguration de leur établissement que le nom de vaude-
• ville fut généralement donné au genre de pièces qui y étaient
jouées. Elles se terminaient toutes rigoureusement par ,un
vaudeville final, encore en usage aujourd'hui et consis-
tant en couplets qui tiennent peu ou point au sujet et
que chaque acteur chanle à son tour à la fin de la pièce,
laquelle était annoncée aussi par un couplet ajouté au vau-
deville final de la pièce qui la précédait ; mais ce couplet
A'annonce, d'usage pour les premières représentations seu-
lement, est aujourd'hui tout à fait tombé en désuétude. Lès
premiers auteurs qui contribuèrent à la fortune du Théâtre
du Vaudeville furent Piis, Barré, Radet, Desfontaines,
les deux Ségur, Prévost d'Iray , etc. Vinrent ensuite Dieu-
lafoy, Gersin, Desaugiers, Moreau, Francis, Rougemont,
Dumersan, Théaulon , Dartois, Dupaty , Merle , de Jouy,
Varner, Dupin , Mélesville, Delestre-Poirson , Carmouche,
Scribe, Brazier, Frédéric de Courcy, Bayard, Saintine, Du-
peuty , etc., etc. Sous l'empire, Piis, Barré et Radet avaient
continué d'être les directeurs du Théâtre du Vaudeville. Des-
augiers leur succéda sous la Restauration. A sa mort, la
direction passa entre les mains de Hérard , puis successive-
ment entre celles de Guerchy, de Bernard-Léon, et en
1830 de M. Etienne Arago. Celui-ci intitula son entreprise
798
Théâtre national du Vaudeville , s'ell'orça autant que
possible de donner un caractère d'opposition et une teinte
de républicanisme aux pièces qu'on y représentait, et,
malgré l'appui de toute la presse opposante , n'en finit pas
moins par faire faillite. Par suite de l'incendie qui en 1838,
comme nous l'avons dit, dévora la salle construite par
Lenoir, la troupe du Vaudeville alla s'établir place de la
Bourse, dans la salle du Théâtre des Nouveautés , qui se
trouvait précisément fermée à ce moment; et c'est là qu'elle
est restée depuis.
VAU-DE-VIRE. Voyez Basseun (Olivier) et Vau-
deville.
VAUDONCOURT (Frédéric-François GUILLAUME
de), un de nos premiers écrivains militaires, naquit le 24
septembre 1772, à Vienne, de parents français, et fit ses
études militaires à Berlin , où son père avait été appelé par
Frédéric 11 pour remplir les fonctions d'examinateur des
élèves du corps de l'artillerie prussienne. Rentré en France
en 1786, le jeune Guillaume était atfacbé au comité de
la guerre quand la révolution éclata. Il s'engagea dans le
l*"" bataillon de volontaires de la Moselle, et fut nommé lieu-
tenant. Un an après il commandait en second le corps
franc de la Moselle levé par son père, et contribuait à la
délivrance de Thionville. Dans les campagnes de 1792 à
1795, il se distingua par sa bravoure et son babileté, et fut
même nommé à vingt-et-un ans général sur ie champ de
bataille; mais, ayant reçu six blessures, il tomba entre les
mains de l'ennemi. De retour en 1795, il apprend que son
corps a été dissous , que son grade n'est point confirmé ; il ne
veut ni aller intriguer à Paris ni se retirer quand la patrie
est en danger ; il accepte les fonctions de capitaine à létat-
major de la division qui bloque Mayence, puis passe à l'armée
d'Italie en qualité d'aide de camp du général son père. Là
il prit part à la brillante campagne de 1796. Bonaparte le
plaça dans l'artillerie, et lui conféra le grade de major. Quel-
ques mois après il prenait la direction du personnel et du
matériel de cette arme. Commandant l'artillerie de la
division Miollis, puis celle d'Antibes, il pénètre, en 1800,
dans Gênes assiégée , et en sort avec une dépêche de Mas-
séna pour le premier consul, qui lenomme colonel, et après
la bataille de Marengo lui confie la direction en chef de l'ar-
tillerie cisalpine. Pendant la campagne d'Austerlitz, direc-
teur général des parcs de l'armée française en Italie, il crée
en trois mois un matériel de deux cents bouches à feu et de
deux équipages de ponts, qui sert à l'armée deMassena et
à la conquête du royaume de Naples. En 1807 Napoléon le
chargea d'une mission politique près des beys de la Bosnie,
du pacha de Scutari et du fameux Ali-Pacha de Janina.
L'année suivante il passa adjudant général; et en 1809 il
obtint un commandement dans le Tyrol en même temps
que le grade de général de brigade. Il prit ensuite part à
la campagne de Russie, sous les ordres du prince Eugène.
Atteint du typhus pendant la retraite, il fut laissé à Wilna et
fait prisonnier par les Russes. Rendu à la liberté par les
événements de 1814, il rentra avec son grade au service de
France, mais fut mis en non-activité. Nommé lieutenant gé-
néral au retour de l'île d'Elbe, il réorganisa la garde na-
tionale de Metz , et devint président de la fédération de la
Moselle. Mis en jugement au retour des Courbons, et con-
damné à mort par contumace , il se rendit en Angleterre,
puis à Munich, où il passa quatre ans auprès du prince
Eugène. Les révolutions de Naples et de Piémont éclatent.
Le général .sait que l'empereur Alexandre interviendra en
faveur du rétablissement du royaume d'Italie si l'on se pro-
nonce pour Eugène. Muni de l'autorisation du prince , il
court à Turin, où il est investi du commandement en chef
de l'armée piémontaise; mais le gouvernement provisoire
perd la tête, et un sauve qui peut dissout l'armée. Le gé-
néral, abandonné, parvient à gagner Gênes, et un bâtiment le
porte en Espagne. L'invasion de 1823 le force encore d'aban-
donner cet asile et de gagner de nouveau l'Angleterre. Rap-
pelé en France par l'amnistie du 28 mai 1825, il est rayé
VAUDEVILLE — VAUGELAS
des contrôles de l'armée active et mis à la réforme. Ce Hit "*
vainement qu'il chercha à recouvrer ses biens, dont ses en- '
fants s'étaient emparés durant sa proscription. La révolution
de Juillet refusa de lui confirmer le grade de général de
division, que l'empereur lui avait conféré pendant les cent
jours, mais l'appela comme maréchal de camp au comman-
dement du Finistère, puis à celui de la Charente. Abreuvé
de dégoûts , il demanda, quoique pauvre, à être mis en non-
activité, et reprit dans la retraite les travaux littéraires qui
avaient fait le charme de son exil. Il est mort en 1842. On
a de lui, entre autres, une Histoire des Campagnes d'An-
nibal en Italie ( Milan, 1812 ) ; des Mémoires pour servir
à l'Histoire de la Guerre entre la France et ta Russie
(Paris, 1815); une Histoire de la Guerre soutenue par
la France en Allemagne en 1813 (Paris, 1819); des Mé'
moires sur la campagne du vice-roi en Italie, en 1813 et
1814 (Munich et Londres, 1817 ); une Histoire des Cam-
pagnes de iSii CM815 en France (Paris, 1826); VHis-
thire politique et militaire du prince Eugène ( Paris,
1827) ; des Me»îoire5 5Mr les îles Ioniennes (Paris, 1827)
et ses propres mémoires , sous le titre de Quinze Années
d'un Proscrit. Il fut en outre le fondateur du Journal
des Connaissances militaires et l'un des collaborateurs
les plus actifs du Dictionnaire de la Conversation.
VAUDOIS, secte qui a fait beaucoup de bruit en France
dans le douzième et le treizième siècle. H n'en est peut-
être aucune dont l'origine ait été plus contestée. Bossuet,
dans son Histoire des Variations , nous apprend que
ces sectaires , nommés aussi pauvres de Lyon, léonistes ,
ensabatés ou insabatés, parce qu'ils portaient des savates
ou des sandales, commencèrent à faire parler d'eux en 1160.
Leur fondateur, Pierre Vaido , avait vu le jour à Vaux , sur
les bords du Rhône. Il s'était établi à Lyon, et avait acquis
par le commerce une fortune considérable. Frappé de Ta
mort subite d'un de ses amis, il résolut de mener une vie
religieuse ,vendit ses biens, en distribua le prix aux pauvres,
et, touché de leur ignorance autant que de leur misère," fit
traduire quelques livres de la Bible, qu'il se chargea de
leur expliquer. Imitant en tous points la conduite des apô-
tres, il s'attribua et reconnut à ses disciples, hommes et
femmes, la mission d'annoncer la parole de Dieu. L'arche-
vêque de Lyon leur ayant Interdit la prédication publique,
ils la continuèrent en secret. Leur doctrine fut condamnée
par, le concile deLatran, en 1179. Valdo, chassé de Lyon,
se réfugia dans les montagnes du Dauphiné et du Piémont,
d'où ses disciples se répandirent dans toute l'Europe. Ils se
multipHèrent surtout en Provence, en Languedoc, dans
les Pays-Bas, en Allemagne, adoptant les mœurs des diffé-
rentes sectes déjà établies. Valdo était un homme instruit .-
on lui doit la première traduction de la Bible en idiome
vaudois. Ses sectaires, détruits dans le reste de l'Europe,
n'existent plus que dans les trois vallées du Piémont, oi""''s
forment une population d'environ 20,000 âmes, possédant
treize églises. Mais c'est seulement par les Jc(ties patentes
du roi Charles-Albert de Sardaigno, en date du 17 février
1848 , qu'ils ont obtenu la complète liberté civile et religieuse
et qu'ils ont été assimilés pour l'exercice des droits civils et
politiques à la population catholique.
VAUGELAS ( Claude FAVRE de ) , d'une ancienne fa-
mille originaire de la Bresse, naquit à Chambdry, en 1585.
Au lien de prendre du service à la cour de Savoie, comme
ses deux frères, qui y occupaient des charges importantes,
il préféra venir en France , où l'appelaient ses goûts litté-
raires. Il s'attacha à Gaston d'Orléans, qai le nomma
gentilhomme ordinaire de sa maison, puis son chambellan.
Lorsque le duc d'Orléans tomba en disgrâce, le cardinal de
Richelieu, pour le punir de son dévouement à ce prince,
lui retira une pension de 2,000 livres. Au bout de quelques
années, cependant, il rentra en faveur auprès du cardinal,
qui rétablit son nom sur la liste des bénéfices. Voici à
quelle occasion. Le cardinal se plaignait souvent de la len-
teur avec laquelle l'Académie travaillait à son Dictionnaire.
VAUGELAS ~ VAUVENARGUES
799
Les académiciens voulant activer la besogne tombèrent d'ac-
cord pour confier la charge principale à Yaugelas. Instruit
par Boisrobert de ces dispositions, le cardinal ne fit au-
cune difficulté de rendre à Vaugelas sa pension. Lorsque
ce dernier alla le remercier : « EU bien , lui dit le cardi-
nal, vous n'oublierez pas dans le dictionnaire le mot pen-
sion. — Non, monseigneur, répondit Vaugelas, et encore
moins celui de reconnaissance. »
Vaugelas s'était fait une réputation parmi ses confrères,
par l'exactitude avec laquelle il suivait toutes les discus-
sions, et le sens et le jugement qu'il y apportait. Toujours
présent aux deux séances hebdomadaires de l'Académie, il
notait soigneusement les difficultés qui s'y débattaient, les
étudiait chez lui avec zèle, et consignait jour par jour le fruit
de ses veilles. C'est ainsi qu'il composa ses Remarques, qui
lui valurent le nom d'oracle de la langue française. Il s'a-
donna aussi à la poésie , et ses vers italiens eurent un grand
succès.
On n'€n peut dire autant de ses vers français , à en
juger par quelques pièces parvenues jusqu'à nous. Sa traduc-
tion de Quinte-Curce tut aussi goûtée presqu'à l'égal de ses
Remarques. Balzac disait, à propos de cette traduction, en
copiant le mot d'un ancien : « L'Alexandre de Quinte-Curce
est invincible, et celui de Vaugelas est inimitable. »
Habitué assidu de l'hôtel Rambouillet , Vaugelas s'était lié
surtout avec Voiture, Faret,Conrart, Chapelain;
et cette amitié dura toute sa vie, bien qu'il se permît quel-
quefois de blâmer leurs ouvrages. Il mourut à l'hôtel de
Soissons, en 1650, d'un abcès à l'estomac. Ses créanciers
saisirent tous ses papiers, et l'Académie pour les obtenir fut
obligée de plaider. Joncières.
VAUGIRARD, commune du département de la Seine,
arrondissement de Sceaux , et dont le territoire n'est séparé,
à l'est, de celui de la grande ville, que par le mur d'enceinte.
Ou y compte 23,500 habitants, et on y trouve un grand nombre
d'usines ei de fabriques, ainsi que divers pensionnats, dont
l'un, situé tout à l'extrémité de la commune , près du terri-
toire d'Issy , et qualifié de collège de l'immaculée conception,
compte plusieurs centaines d'élèves. C'est sans contredit l'un
des plus beaux et des plus vastes établissements d'instruction
publique qu'il y ait en France. Sa dénomination particulière
indique de reste sous quelle direction il est placé.
VAUGOIVDY (Robert de). Voye:^ Robert de Vau-
GONDV.
VAUGUYON (Les La). Foj/es La Vaoguyon.
VAUQUELIN (Louis-Nicolas), chimiste célèbre,
naquit eu 1703, à Saint-André-des-Berteaux (Calvados), et
vint en 1781 étudier à Paris la cbimie et la pharmacie. De
1783 à 1791 il fut le préparateur de. Fourcroy, dont il
devint l'ami. Il venait d'être élu membre de l'Académie des
StieacGs lorsque ce corps illustre fut supprimé par les Van-
dales do la Convention (1793). Il fut alors attaché en qua-
lité de phainvncien en chef à l'hôpital militaire de Melun;
mais un an après» on l'appela à Paris pour y remplir les
fonctions d'inspecteur des mi..oc Les cours de docimasie
qu'il fut chargé de faire à l'École des Mines eurent un tel
succès qu'on le nomma professeur suppléant de chimie
à l'École Polytechnique ; et lors de la création de l'Institut
il fut tout aussitôt compris dans les premières nomina-
tions.
Chargé de remplacer Darcet dans la chaire de chimie du Col-
lège deFraiice, il se démit de ses fonctions d'inspecteur des
mine;, et accepta la direction de l'École de Pharmacie, que le
gouvernement venait de fonder. A la mort de Brongniart, il le
remplaça comme professeur de chimie au Jardin des Plan-
tes;.et quand Fourcroy mourut, en 1811, il obtint sa chaire
de chimie à la faculté de médecine. En 1822 , lors de la réor-
ganisation de l'École de Médecine par Corbière, il fut com-
pris au nombre des professeurs éliminés à titre de libéraux.
Plus tard il fut élu député par le département du Calvados,
et vint s'asseoir à la chambre sur les bancs du centre gauche.
i; mourut à [Dozulé (Calvados), le 14 novembre 1829. On
lui doit la découverte du chrome et celle de la glucyne.
Ses nombreuses analyses minérales, végétales et animales
se trouvent consignées plus particulièrement dans les An-
nales de Chimie ( 1797-1812 ). Des ouvrages de docimasie
plus récents ont lait oublier son Manuel de l'Essayeur
(Paris, 1812).
VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. Voyez Vau-
deville.
VAUQUELll\ITE,chromate vert de plomb et de
cuivre, ainsi nommé en l'honneur du chimiste Vauquelin.
Il accompagne ordinairement les p lo m b s rouges de Sibérie
et du Brésil.
VAUTOUR, genre d'oiseaux de proie, qui se distin-
guent assez facilement des genres voisins par leur tête et
par leur cou, dénués de plumes, par leurs yeux à fleur de tête,
par leur bec allongé, recourbée son extrémité, et dont ils
se servent de préférence à leurs serres. Leurs ailes sont si
longues qu'ils les tiennent à demi déployées en marchant. A
une extrême férocité, à une voracité insatiable, ces oiseaux joi-
gnent la plus stupide lâcheté. Se nourrissant de charognes
plutôt que de proies vivantes, ils découvrent à une prodi-
gieuse hauteur les débris de cadavres, sur lesquels ils fon-
dent en tournoyant , et dont ils .se gorgent au point de ne
pouvoir plus s'élever que difficilement dans les airs. Une
humeur fétide découle alors de leurs narines ; leur jabot
forme une forte saillie au-dessus de la fourchette , et leur
démarche lourde et ignoble complète cet aspect rebutant.
Cependant , comme il n'est si pire chose qui n'ait son utilité
dans l'économie générale du globe , les vautours rendent des
services très-réels dans certains pays , en purgeant le sol de
débris infects qui .porteraient bientôt la corruption dans
l'air des cités.
Quelque rocher inaccessible aux flots et à l'homme est
le lieu qu'ils choisissent presque toujours pour élever leur
aire et déposer le fruit do leurs amours. On trouve des
vautours dans toutes les parties du monde , et principa-
lement dans les grandes chaînes des régions équatoriales.
Les mues auxquelles ils sont sujets produisent de grandes
variations dans leur plumage, et ont occasionné quelque
confusion dans la distinction des espèces. Nous citerons
parmi le» plus remarquables le roi des vautours ( vultur
papa ), de l'Amérique méridionale, ainsi nommé de la beauté
de son plumage, noirâtre dans le premier âge, puis varié
de noir et de fauve, portant une caroncule à crête de cou-
leur vive, gros comme une oie seulement; le conrfo?- ou
grand vautour des Andes ( vultur gryphus), le plus grand
des oiseaux de proie; \evautour fauve (vultur fulvus),
grand comme un cygne ; le vautour brun {vultur cinereus),
encore plus grand, très-répandu dans l'ancien continent , etc.
Slorr et Illiger ont retiré les gypaètes et les cathartes
du grand genre vultur de Linné. Saucerotte.
VAUTOUR DORÉ. Votjez Gypaète.
VAUVENARGUES (Luc de CLAPIERS, marquis
de), issu d'une famille ancienne et noble de la Provence,
naquit à Aix , en 17 15 , et mourut à Paris, en 1747. Sa car-
rière fut courte, et il n'a pas en le temps de mettre la der-
nière main aux ouvrages qui, tout imparfaits qu'ils sont,
feront vivre son nom. Vauvenargues sera toujours cité'à
côté des grands moralistes, des Pascal, des La Roche-
foucauld et des La Bruyère; peut-être les eût-il égalés
comme écrivain et comme penseur si son esprit eût été plus
cultivé et si le temps en eût développé toute la force et
toute l'étendue. Une vie interrompue à trente-deux ans n'a
donné que ses prémices ,et ne permet pas même d'appré-
cier tout ce qu'on a perdu. Son enfance n'eut rien de re-
nmrquable. Il traversa le collège sans y laisser im souvenir
de son passage , et il n'en emporta qu'un savoir 'médiocre.
II entra au service à l'âge de dix-neuf ans , et y passa huit
années de sa vie. Il se distingua dans la campagne de 4742,
pendant la guerre de la succession. Il s'en retira , après la
retraite de Prague , avec une santé détruite, une fortune
délabrée et le grade de capitaine. Il doona sa démissioa.
800
renonçant à la guerre , dans l'espérance que son nom et les
connaissances qu'il avait acquises en droit public lui ouvri-
raient la carrière de la diplomatie. Pour obtenir cette faveur,
il s'adressa d'abord au duc de Biron, sous les ordres du-
quel il avait servi ; mais ce grand seigneur, non content de
lui refuser son patronage ,1e détourna de cette pensée. Vau-
venargues, privéd'uneentremisesur laquelle il avaitcompté
et qui aurait assuré le succès de ses démarches , écrivit
directement au roi et au ministre des atfaires étrangères,
Amelot de La Houssaye. Ses deux lettres restèrent sans ré-
ponse. Vauvenargues, après avoir vainement attendu, écri-
vit de nouveau au ministre , et se plaignit avec une noble
fierté de ce procédé dédaigneux. Cette remontrance ferme
et mesurée lui attira une réponse favorable. Amelollui ré-
pondit qu'il attendait , et qu'il saisirait avec empressement
l'occasion d'employer ses services.
Comptant sur l'effet de cette promesse, Vauvenargues se
retira en Provence , pour se préparer, par de nouvelles
études, à remplir dignement des fonctions diplomatiques.
Mais une maladie cruelle, la petite vérole, qui le dé(i-
gura et lui laissa des infirmités incurables, vint ruiner
les espérances de son avenir. Il n'eut plus dès lors
d'autre perspective ni d'autre consolation que la culture
des lettres. Il voulut recevoir le bajjtême littéraire des
mains de Voltaire, et lui écrivit une lettre dans laquelle
il comparait le système dramatique de Corneille avec ce-
lui de Racine. Voltaire , plus poli que les ministres , avait
l'habitude de répondre, et il le fit de manière à encou-
rager son jeune correspondant. Ce fut le principe de l'a-
mitié du grand poète et du moraliste. Vauvenargues com-
mença alors à recueillir et à élaborer les écrits qu'il avait
composés pour se délasser des fatigues de la guerre. Ces
firagments, réunis et complétés, formèrent l'Introduction
à la Connaissance de l'Esprit humain, qu'il publia en
1746. Cet ouvrage attira l'attention des connaisseurs , mais
il fit peu de sensation. La modestie de l'auteur se contenta
de ce succès ; les suffrages de quelques juges distingués lui
parurent plus précieux que la rumeur populaire; et c'est sans
doute en pensant au plaisir qu'il éprouva qu'il a dit : « Les
feux de l'aurore ne sont pas plus doux que les premiers
regards de la gloire. « Vauvenargues n'en connut point
d'autres, et il n'en jouit pas longtemps; ses souffrances le
conduisirent bientôt à la tombe : mais on se console en
pensant que la sincère admiration de Voltaire avait dû le
rassurer sur l'avenir de son nom. Voltaire lui avait écrit :
« Si jamais je veux faire le portrait du génie le plus naturel,
de l'homme du plus grand goût, de l'àme la plus haute et
la plus simple, je mettrai votre nom au bas. » Vauvenar-
gues est le moraliste préféré des âmes candides , élevées et
sincères. Il se concilie doucement l'affection de ceux qui le
lisent , parce que sa morale n'a rien de violent ni de fa-
rouche, parce qu'elle comprend et qu'elle admet les faiblesses
de notre nature, parce qu'elle ne se mélange ni d'amertuneni
de raillerie. C'est une force modérée et conciliante, qui appuie
et qui relève, une émotion qui réchauffe et qui fortifie , enfin
c'est le cœur sympathique d'un ami dont les conseils ne sont
jamais blessants , parce qu'ils partent d'une affection solide
et désintéressée. Il savait que la vertu ne s'inspire pas par la
violence. Le plus grand éloge qu'on puisse faire des écrits
de Vauvenargues, c'est qu'il est impossible de les lire sans
devenir meilleur. On peut dire la même chose des Essais
de Nicole, mais la lecture n'en est pas aussi facile. On
n'est jamais las de Vauvenargues quand on le quitte ,et on
y revient toujours. La Rochefoucauld nous désole ; Pascal
nous effraye ; il arrive à Nicole de nous assoupir ; Montaigne
nous déconcerte et nous trouble en nous divertissant; Vau-
venargues attache , console , épure et fortifie : c'est un guide
aimable et sûr, c'est un ami. Voltaire , si peu enclin à l'a-
mitié, l'a véritablement aimé; et c'est pour cela que dans
VÉloge des officiers morts dans la guerre de 1741 il a ren-
contré la véritable éloquence en parlant de ce jeune philo-
sophe qui fit tant pour la gloire en si peu d'années, fc'àme
VAUVENARGUES — VÉDA
de Vauvenargues était si naturellement bienveillanfe qu'elle
fut à l'épreuve de toutes les déceptions , etqne, trompé par
la fortune qui lui enlève ses dons, par le monde qui le né-
glige, par la nature, qui l'accable de souffrances, aucun
sentiment de rancune, aucune pensée amère ne trouve accès
dans son cœur. La i)hilosopliie n'a pas suffi pour opérer ce
prodige: Vauvenargues fut chrétien dans un siècle d'incré-
dulité et dans l'intimité des esprits forts.
Les œuvres de Vauvenargues se composent de l'Intro-
duction à la Connaissanee de l'Esprit humain; de Ré-
flexions philosophiques et littéraires ; de Caractères à la
manière de La Bruyère; de Réflexions et de Maximes, qui
paraissent son plus beau titre; Aq Discours sur la gloire,
sur les plaisirs ; d'un Traité sur le libre arbitre ; de àis-
sertations religieuses, et enfin d'un certain nombre de Lettres.
GÉRUZEZ.
VAUXHALL. Ainsi s'appelait au seizième siècle, du
nom de son propriétaire, un village voisin de Londres, au-
jourd'hui confondu avec cette capitale dans le quartier qu'on
nomme Lambeth. On y créa vers le milieu du dix-huitième
siècle un jardin public, devenu tout aussitôt le rendez-vous
du monde fashionable , où le soir il y avait des illumina-
tions , des représentations théâtrales , des concerts , des feux
d'artifice, etc., etc.; et comme des établissements du même
genre ne tardèrent pas à s'ouvrir à Paris et dans d'autres
grandes villes , on leur donna par imitation le nom de
vauxhall. Ce jardin public , qui existe encore aujourd'hui à
Londres, est arrangé avec beaucoup dégoût. Ses longues et
ombreuses allées sont illuminées le soir en verres de couleur
qui produisent un effet féerique. On y trouve des spectacles
d'acrobates, on y entend des concerts, on y danse, etc.
VAYVODE. Voyez Voïvooe.
VEAU, produit de l'accouplement de la vache et du
taureau ( voyez Boeuf et Vache). Veau désigne aussi le cuir
de cet animal, comme dans ces phrases : Reliure de veau,
souliers de veau.
Tuer le veau gras, par allusion à la parabole de l'Enfant
prodigue, se dit de quelque fête ou d'un régal extraordinaire,
par lequel on célèbre le retour d'un parent , d'un ami.
VEAU AQUATIQUE.Foyes Dragonneau.
"VEAU D'OR , idole que les Israélites se firent faire au
pied du mont Sinai , et à laquelle ils rendirent un culte sem-
blable à celui du dieu Apis, culte qu'ils avaient vu pratiquer
en Egypte. Indigné de cette prévarication. Moïse brisa les
tables de la loi, fit fondre et réduire cette idole en poudre,
la fit jeter dans le torrent dont ce peuple buvait les eaux,
arma les lévites, et leur ordonna de mettre à mort les plus
coupables.
Maintenant que par la désignation àevcau d'or nous dé-
signons un riche stupide, les adorateurs du veau d'or sont
ces misérables sans dignité , sans caractère , toujours prête
à baiser la botte du puissant du jour.
VEAU MARIIV. Voyez Phoque.
VÉDA. C'est le nom général sou» '«quel on désigne la
partie la plus ancienne de i» l'tierature sanscrite. Ce mot si-
gnifie sciencp} «ussi les Védas passent-ils aux yeux des In-
diens pour la source de toute science supérieure, attendu que
c'est la divinité elle-même qui les a révélés aux hommes.
Les Védas se composent de prières, d'hymnes et d'invoca-
tions aux dieux du polythéisme plus simple des premiers
temps , de préceptes religieux et moraux , de mythes et de
méditations philosophiques. 11 serait impossible de préciser
l'époque à laquelle appartiennent les divers chants des Védas ;
ce qu'il y a d'incontestable, c'est que le plus grand nombre
existaient déjà au quinzième siècle av. J.-C, bien qu'il .s'y
trouve beaucoup d'additions et d'interpolations postérieures.
Ces chants , qui pendant longtemps ne se transmirent qu'à
l'aide de la tradition orale, furent, dit-on, recueillis par Vyâsa,
nom qui veut dire collecteur, et dans lequel il faut voir
la personnification d'une époque et d'une école critique pos-
térieures. Vyâsa divisa les différents débris de l'ancienne lit-
térature religieuse fin quatre parties : Rig-Véda, Yadschour-
VÉDA
Véâa Sania-Véda et Alharva-Vëda ; il se peut, toutefois,
que ce dernier Véda n'ait été recueilli que plus tard. Chaque
Véda est divisé en deux parties, dont la première comprend
les Montras, c'est-à-dire les prières et les invocations aux
dieux , la plupart en forme rhythmique ; partie qu'on appelle
plus spécialement Sanhitd, c'e&t-k-dire collection. La se-
conde partie contient les Brâhmanas (préceptes sur les cé-
rémonies à observer dans les sacrifices), les mythes, elles
plus anciens essais d'interprétation des mythes, etc. La lan-
gue des Védas diffère sensiblement de celle de l'épopée et de
tous les autres monuments de la littérature sanscrite; elle
a bien plus de liberté dans ses formes , et constitue le \i-
rilable point de comparaison pour la philologie comparée.
Les difficultés lexicographiques et grammaticales de la langue
des Védas, de même que leurs expressions obscures et sou-
vent mutilées , ont de bonne heure provoqué chez les Hin-
dous des commentaires, dont le plus important , parmi les
anciens, est le A«roMA<id'Yaska( publié par Roth, Gœltin-
gue, 1847 ) ; de ceux qui datent d'une époque récente, le
plus complet est le commentaire de Sayana-Atscliârya. Con-
sultez l'ouvrage de Colebrooke Sur les Écritures sacrées
des Indiens. L'extrême difficulté de la langue a longtemps
été un obstacle à ce que les savants qui se livrent à l'élude
du sanscrit s'occupassent des Védas. Aujourd'hui la col-
lection des quatre Védas est presque tout entière imprimée.
Ainsi le Rig-Véda Sanhita a été publié, texte sanscrit et
latin, par Rosen (Londres, 1838); le Rig-Véda, par Langlois
(Paris, 1848)etpar Muller (Londres, 1849); le Yadschour-
Véda, par Weber (Berlin, 1849); le Sama-Véda, par
Benfey ( Leipzig, 1847 ; V Atharva-Véda, par Roth et White-
ney (Berlin, l85.i). Consultez Nève, Études sur les
Hymnes du Rig-Véda (Louvain, 1842); le même. Essai
sur le Mythe des Bibhavas , premier vestige de l'apo-
théose dans le Véda (Paris, 1847); Barthélémy Saint-Hi-
laire, Des Védas (Paris, 1854).
VÉDAMS. Voyez Véda.
VEDETTE, mot que dans leurs expéditions du seizième
siècle les Français ont emprunté à la langue italienne.
Dans cette langue, vedetta, venu du verbe vedere, el ve-
letta, qui était une corruption de l'autre substantif, signi-
fiaient poste d'où l'on voit de loin, guérite, échauguelte. On
a pris comme synonymes poste d'où l'on surveille, d'où l'on
a des vues, et soldat chargé de surveiller; voilà pourquoi
en s'appliquant à un être du sexe masculin le terme est ce-
pendant resté féminin. Même irrégularité se remarque, par
le même raison, dans l'expression sen^ineWe. Lemotvédetle
ou védéte, comme quelques-uns l'écrivent, était, à la manière
italienne, employé par Amyot dans le sens de lieu d'où la vue
plonge; mais en langage soldatesque il ne o'est appliqué
qu'aux militaires surveillants, non au lieu de la surveillance;
et comme au temps où il était adopté la cavalerie était tout
et l'infanterie rien, il a continué d'appartenir aux hommes
de cheval, et signifie spécialement sentinelle à cheval ; car
la cavalerie, quand elle fait le service à pied, emploie en
ce cas des factionnaires comme l'infanterie.
Gai Bardiiv.
VEGA (Garcilaso de La). Voyez Garcilaso de La
Veca.
VEGA (Lope FÉLIX de VEGA CARPIO),le poëte dra-
matique le plus original qu'ail eu l'Espagne, naquit d'une
ancienne et noble famille de Caslille, le 25 novembre 1562, à
Madrid. Dès l'âge de douze ans il éciivit des comédies , et il
reçut sa première éducation dans les écoles de Madrid. La
pauvreté de sa famille le força à prendre du service , et on
présume qu'il prit part à l'expédition contre Tunis du mar-
quis de Sanla-Cruz, en 1573. il perdit ses parents à quelque
temps de là ; mais il trouva les ressources nécessaires pour
continuer ses éludes à l'université d'Alcala, et aussi, à ce
qu'il paraît, pendant quelque temps à Salamanque. Il obtint
le grade de bachelier, et se disposait à entrer dans l'état ec-
clésiastique ; mais une passion amoureuse lui fit brusque-
rmut prendre un autre parti. En 1582 il se fit encore une fois
DICT. DE I,A CONVERS. — T. XVI.
- VEGA m
I militaire; et c'est vraisemblablement de celte époque que
date son poëme La Harmosura de Angelica, la plus heu-
reuse des imitations de l'Aiiosle qui ail été faite, mais qui
ne parut imprimé qu'en 1602. C'est la môme année que fut
publié son roman pastoral Arcadia. En 1588 il fut jeté en
prison, soit par suite de la vengeance d'une maitres.se aban-
donnée, soit par des créanciers ; mais il parvint à s'échap-
per, en compagnie de son ami Claudio Conde, et s'enfuit à
Valence, d'où il gagna Lisbonne ; et là les deux amis prirent
du service à bord de la fameuse Armada que Philippe II
envoyait contre l'Angleterre. De retour en Espagne avec les
débris de celte immense flotte, il se rendit à Madrid. Un duel
malheureux le contraignit encore une fois à prendre la fuite.
11 séjourna alors tantôt en Italie, tantôt à Valence, où la
scène jetait à ce moment un vif éclat. Ce ne lut qu'en 1595
qu'il put revenir à Madrid, où commença pour lui une vie
plus tranquille. Il s'y maria. Sa femme, qu'il aimait tendre-
ment, lui donna trois enfants, et il se fit rapidement au
théâtre de beaux gains et une grande renommée. Mais Lope
de Vega reçut deux coups terribles : il perdit un de ses fils
et sa femme. Le désespoir le porta dans le sein de la reli-
gion, il avait le titre A& familier du saint office , et il se
trouvait sur le premier degré de l'état ecclésiastique ; il prit
les ordres en 161 1, etdevint chapelain et frère de l'ordre de
Saint-François. Toutefois, le froc n'étouffa point son imagi-
nation ; c'est môme à cette époque que commence la partie
la plus brillante de sa vie. Sa gloire comme écrivain drama-
tique parvint alors à son apogée, et Ja nation l'adora. 11 ne
manqua cependant pas d'envieux, parmi lesquels on cite sur-
tout Gongora. En 1618 il fut nommé protonotaire aposto-
lique près l'archevêché de Tolède. Son extrême fécondité ,
au lieu de diminuer, parut augmenter encore. Quand Phi-
lippe IV monta sur le trône, en 1621, il trouva Lope de Vega
en possession d'une autorité absolue sur les comédiens et sur
le public, et il combla le poëte de faveurs. C'est à cette époque
que Lope de Vega écrivit sous le nom de Padocopeo se.s
Soliloquios à Bios ( Entretiens intimes avec Dieu), qui,
bien que d'une nature tout à (ait ascétique, n'obtinrent pas
moins de succès que ses autres ouvrages. En 1627 il publia
La Corona tragica, poëme épique dans lequel il prend la
défense de l'honneur de Marie Sluart, qu'il dédia au pape
Urbain, el qui lui valut de la part du souverain pontife le
titre de chevalier de l'ordre de Sainl-Jean-de-Jérusalem. Il
mourut à Madrid, le 21 août 1636.
Son élève Montalvan consacra à sa mémoire un ouvrage
intitulé Fama posthuma a la vida y muerte de Lope de
F^g'a (Madrid, 1636).
La fécondité de Lope de Vega est demeurée proverbiale ,
étions ses contemporains parlent avec admiration de l'énorme
quantité de ses ouvrages. On a de lui deux poèmes épiques,
La Angeliea et La Jérusalem conquistada ; cinq poèmes
mythologiques : dixe, Andromeda, Philomela, Orfeo
et Proserpina; quatre grands poèmes historiques, Sa)i
Isidro, La Dragontia, La Corona tragica el La Virgen
de la Almudena; un poëme héroï-comique sous le nomd^
Tome de Burguidillos, La Gatomaquia ; divers poëmes
descriptifs et didactiques, tels que La descripcion de la
Tapada, El Laurel de Apollo, La Madalena, El nuevo
Arte de hacer comedias ; ainsi qu'une innombrable quantité
de sonnets, de romances, d'odes , d'élégies , d'épttres, etc. ;
plusieurs ouvrages, partie en vers et partie en prose, et huit
nouvelles en prose, ouvrages tous compris dans le choix
de ses œuvres publié chez Sancha (Madrid, 21 volumes,
1776-1777). Mais ce sont ses comerfjos, dont il ne composa
pas moins de quinze cents sans compter une foule (Vautos ,
de toas et A'entretneses, et dont la plus petite partie seule-
ment a été imprimée, qui ont fait sa gloire.
[ En tête de ses pièces de théâtre , les théologiens lui pro-
diguèrent les approbations et les hommages -. on l'appelait
le phénix de l'Espagne , on accourait de toutes parts pour
le voir. Le roi et le pape l'accablaient de bénéfices et de
titres. Ses revenus étaient arrondis par de grands présents ,
51
802
VEGA — VEGETAL
et ses pièces , véritablement improvisées , lui rapportaient
des sommes considérables : mais Lope étail encore plus
avide qu'il n'était beureux. Comme l'Harpagon de Molière ,
il voulait convaincre ses enfants mêmes de sa pauvreté,
pour prix de ses services littéraires : « Je n'ai , leur dit-il,
qu'une table assez maigre, une maisonnette et un jardinet,
dont la culture est ma seule disfraction. J'ai écrit neuf cents
comédies , douze livres en pi ose et en vers sur divers su-
jets , et tant d'autres ouvrages que ce qui est publié n'éga-
lera jamais ce qui reste à imprimer...,., et j'ai atteint la
vieillesse sans pouvoir vous laisser autre cliose que l'avis
de ne point vous consacrer à la poésie. » Lope de Vega se
désolait aussi des censures littéraires, et il avait de meil-
leures raisons pour cela. Cervantes lui-même lui porta plus
d'un coup; mais tout en reprenant le désordre et le mau-
vais goût du tbéâtrc de Lope , il s'indignait d'être mis au
rang des adversaires du grand poète. Assez d'écrivains
mi.sérables s'acbarnaient contre Lope ; Cervantes ne l'en
trouvait que plus merveilleux , et le proclamait un prodige
de la nature et le maître du tln^àtie espagnol. Si Lope se
voyait maltraite, ce n'était pas fautr d'être obligeant. Dans
son poème d'y?/ Laurel de Apollo (Le Laiiric d'Apollon),
il a donné des éloges à plus de trois cents poètes, dont la
plupart n'ont été nommés que là. I^ope se plaignait encore
d'un autre fléau. Avant d'être imprimées , ses pièces deve-
naient la proie des directeurs de spectacle. Des gens d'une
grande mémoire suivaient la pièce jusqu'à ce qu'il la pos-
sédassent, et allaient ensuite la jouer et la vendre à la
porte de la salie. L'œuvre originale avait mille textes , dont
aucun n'était bon ni même raisonnable , et Lope se lamen-
tait sur les absurdités dont on le gratifiait : à tout prendre ,
les cent mille ducats que Lope avait tirés de son théâtre
auraient pu lui suffire dans un temps et dans un pays
où mourait de faim l'aufeur de Don Quichotte. Lope
était au reste si ridicule qu'il n'y avait plus de quoi le baïr.
11 joignit à son ignoble avarice la manie de se donner des
titres et de la naissance. Son humeur , naturellement calme
et soutenue, devenait bizarre et acariâtre quand on prenait
du tabac devant lui ou que l'on demandait l'âge d'une per-
sonne, lût-ce sans songer à l'épouser. Ces étrangetés étaient
pourtant mêlées d'instincts heureux et vrais, et, par exemple,
Lope ne pouvait souffrir les vieillards qui feignaient leurs che-
veux ni les gens qui parlaient des femmes avec irrévérence.
L'extrême mobilité de cette nature expliquerait un peu le
jeu facile et trop facile de cette imagination. On prétend que
Lope de Vega a composé dix-huit cents pièces de théâtre
toutes en vers, et Ton porte à vingt-et-un millions trois cent
mille le nombre de ses vers imprimés D'après un calcul de
curiosité , Lope aura rempli dans sa vie trente trois mille
deux cent vingt-cinq feuilles de papier, et écrit par jour
neuf cents vers ou lignes de prose. Ses œuvres réunies for-
meraient cinquante gros volumes in-4°, et ce ne serait que
le «luart de ce qu'il a composé. Celte prodigieuse abondance
e>t(|uelquepeu stérile. Lope de Vega écrivait pour beaucoup
de ^ens, comme un grand commerçant qu'il ^tait, et ses
œuvres ne pouvaient ilès lors satisfaire cette imperceptible
unnorité qui est tout pour le véritable artiste. 11 a entassé
les faits, multiplié les impossibilités, remué les sens. Il a été
l'idéal du faiseur, homme d'argent avant tout et après tout
et>.gardant avec un raie bonheur le milieu entre la poésie
et la vie animale, dont l'admiration honore la grossièreté
des masses et rabaisse de nobles esprits , trop attentifs au
succès. A la différence de Calderon, qui concentre sa
chaleur et sa lumière, et vous fait monter de transport
en transport, Lope de Vega vous donne tout d'abord plus
qu'il na véritablement : il se jette dans des intrigues sans
lui ; ses nœud» sont lâches , ses personnages paradent.
Lope e.st romantique dans l'acception de ce mot quand il
en a ime, c'est-à-dire que rien n'est plus errant , plus di-
vers, plus spontanéquela physionomiedece chaos poétique.
Le poète espagnol prodigue lesduels, les intrigues ,lesdégui-
seccents ; ii j mêle des eom bats , des danses , des chants , des
machines, des miracles, de la fantasmagorie. Maljçré l'a-
bus des ressources de l'art ou du métier, Lope de Vega a
un certain charme pour qui le lit sans gêne, comme son
public l'écoutait apparemment. Le soleil d'Espagne luit vé-
ritablement sur cette étrange végétation littéraire. L'amour
y surabonde avec des images terribles, bouffonnes, impo-
santes, empreintes ordinairement d'un reflet plus popula-
cier que national, attendu que dans les calculs irrécusa-
bles de Lope le gros public était le public payant.
PhilarèteCHASLES.]
VÉGECE (Flavius VEGETIUS RENATUS), auteur
latin , qui écrivait de l'an 365 à l'an 390 de l'ère chrétienne ,
et qu'on suppose avoir été chrétien. Il est auteur d'un Epi-
tonte Jnstitutionum Rei Militaris , en cinq livres, qui
n'est guère qu'une compilation tirée d'ouvrages antérieurs.
Pendant cinq siècles on n'a juré que par Végèce; mais de-
puis les savantes critiques du seizième siècle, depuis les com-
mentaires des Stewecliius, des Juste Lipse , la réputation
de Vègèce s'est évanouie, quoiqu'il soit resté d'une lecture
indispensable , puisque aucun autre traité ne peut rem-
placer le sien pour l'éclaircissement des coutumes de l'em-
pire d'Occident et du Bas-Empire. Le laborieux Le Beau
( Mémoires de V Académie) ; le savant Guischardt, aide de
camp de Frédéric; l'infatigable Mézeray, ont démontré jus-
qu'à l'évidence le peu de fond qu'il faut faire sur les as-
.sertions de l'adulateur de Valentinien II. Cetécrivain, dont la
latinité est plate , confond les dates, les usages, les lois ; il se
traîne de plagiat en plagiat, dissimule les sources où iipuise,
se perd en déductions erronées, en conjectures fausses,
et rampe aux pieds du prince régnant : on pourrait croire
que son ouvre indigeste a été le fruit de notes recueillies
dans d'incomplètes archives par des scribes ignares, dont
un flatteur à gages a rapproché ou résumé les traductions.
Cependant, comme Végèce jette quelque lumière sur la
législation en vigueur depuis les constitutions impériales,
comme il reproduit l'esprit des ordonnances d'Auguste, de
Trajan , d'Adrien; comme il fait revivre des opinions que,
dans leurs traités actuellement perdus , Caton l'ancien et
Paterne, Celse et Fronfin avaient professées, son Epitome
Institutionum Rei Militaris n'en est pas moins resté à ja-
mais un livre indispensable dansles bibliothèques militaires.
G^' Bardin.
VEGESACK, petite ville dépendant du territoire de la
ville libre de Brème, sur les bords du Weser, à l'embou-
chure de la Wumine ou Lesum, avec un petit port, de
jolies maisons bâties à la hollandaise , une fonderie de fer et
3,600 habitants, dont la construction des navires, la fabrica-
tion de la L ^re, la distillation des eaux-de-vie de grains et
la navigation constituent les principales industries. C'est aux
environs de Vegesack que su.it situées la plupart des mai-
sons de campagne des riches négociants de Brème.
VÉGÉTAL, VÉGÉTATION. On donne le nom de vé-
gétaux ou plantes à cette grande division des êtres orga-
niques ayant en commun , avec les animaux , la propriété de
se nourrir et de se reproduire, mais dépourvus de la faculté
de sentir et de celle de se mouvoir. L'ensemble des vé-
gélauxrépandussur la surface du globe constitue comme un
grand empireassujetti aux mêmes lois, et que l'on a nommé
le règne végétal.
Le mot végétation exprime l'action de végéter, ou l'en-
semble des actes vitaux par lesquels la plante croît , se
nourrit, se reproduit. Il semblerait au premier coup d'œil
que rien n'est plus facile que de distinguer un animal d'une
plante. Cela est vrai pour les individus élevés dans la série
des êtres , et qui sont poui-vus de tous les organes qui en
caractérisent l'une ou l'autre classe ; mais quand on se rap-
proche du point où se touchent les deux pyramides, on est
souvent fort embarras.sé du rôle que l'on doit faire jouer à
certains individus d'une animalité douteuse ou d'une végé-
tabililé équivoque. Toutefois, sans nous appesantir sur
une question qui appartient à la partie transcendentale de
la science , disons ici que la plante est pour nous l'individu
VKGÉTA[. — VEINE
S<)3
organique qui puise dans le sein de la lerre ou de l'atmos-
phère, au moyen de radicules, de pores ou de suçoirs,
des substances inorganiques , qu'il s'assimile pour les faire
servir à son accroissement, et qui se reproduit, soit par des
graines préalablement fécondées , soit par quelques gemmes,
bourgeonsou bulbilles, détachés de la tige mère. Les éléments
organiques qui entrent dans la composition des végétaux
ont pour base et comme pour trame commune un tissu cel-
lulaire, composé de lamelles transparentes, qui, adossées
de manière à former de petites cellules , constituent \e pa-
renchyme , les vaisseaux quand elles s'enroulent, les
fibres végétales quand elles s'accolent. Leur composition
chimique se fait remarquer par une quantité notable de car-
houe.
Une plante complète onphanérogame offre à considérer
\& racine, s'étendant en sens inverse de la tige, et présentant
une grande variété de formes; la tige, portant les feuilles ,
les Heurs et les fruits; les feuil les , qui sont en quel-
que sorte les poumons de la plante; les bourgeons ,
jeunes pousses non encore développées , et qui sont comme
l'abrégé de la tige qui doit se développer au printemps.
Puis, si des organes de la nutrition nos passons à ceux de
la fécondation , nous trouverons dans Xafleu r, qui les con-
tient tous , le c a ^ t c e et la c 0 r 0 i Z e , ou ses enveloppes exté-
rieures, an centre desquelles s'élèvent les et aminés ,orgA-
nesujâles; \episti /, organe femelle, terminé par l'o va j re,
réceptacle des graines en germe, et qui , en grossissant après
la fécondation , formera le frui t. Ces divers organes ont été
dans ce Dictionnaire l'objet d'articles spéciaux auxquels
nous croyons pouvoir renvoyer nos lecteurs. Ils y trouve-
ront des détails dans lesquels nous ne pourrions entrer ici
sans tomber dans d'inévitables redites.
La partie de l'histoire naturelle qui traite de la connais-
sance des végétaux s'appelle bot aniq u e. Si l'on clierciie à
remonter à la (ormation primitive et à l'établissement suc-
cessif des végétaux sur la terre , on en voit dont l'organisa-
tion compliquée faitsupposer qu'ilsn'ont paru que longtemps
après d'autres, plus simples, et dont les débris auront servi à
former Vhumns végétal àAn& lequel ils enfoncent leurs lon-
gues racines. Les recherches de la géologie sur les/o.ç.s<to
végétaux , qui jusque dans ces derniers temps avaient peu
occupé les naturalistes, nous ont fait voir quelle part
importante avait prise à la formation de certaines couches
terreuses du globe cette végétation primitive. Ainsi telle est,
à n'en pas douter, l'origine de ces immenses amas de
houille et de substances carbonifères enfouies à de grandes
profondeurs.
Si l'on en excepte les sables brûlants des déserts ou la nu-
dité glacée des pôles, on trouve des plantes sous toutes les
latitudes, à toutes les hauteurs, sur toutes les espèces de
terrains, depuis le rocher aride, jusque dans les eaux des mers.
Mais la végétation s'offre sous des aspects bien divers dans les
différentes parties du globe. Entre les tropiques , elle se
montre sous des proportions colossales ; là vous voyez des
lianes acquérir quelquefois plusieurs centaines de mètres de
longueur ; des fleurs dont les enfants se couvrent la tête
comme d'un parasol; des feuilles qui ont plusde deux mètres de
diamètre; là nos herbes sont des arbres, et dans ces magni-
fiques forêts vierges, filles antiques de la nature, que la hache
a jusqu'à présent respectées, vous trouvez ces géants du règne
végétal qui n'ont pas moins de soixante mètres de hauteur,
sur une circonférence de six à dix mètres. Entre cette majes-
tueuse végétation et la végétation triste et rabougrie des régions
circumpolaires estcelledel'Europe, bienmesqninesansdoute
si on la compare au faste des plantes équatoriales, mais qui
rachète son infériorité par les utiles produits qu'elle pro-
digue à notre riche civilisation. Saucerotte,
VEHICULE {Pharmacologie). Voyez Excipient et
Infusion.
VEHME (Sainte) et VEHMIQUES (Cours). Voy. Wehme.
VEIES, l'une des douze villes confédérées de l'antique
Étrurie, à environ 18 kilomètres au nord de Rome, était
déjà puissante quand eut lieu la fondation de celle-ci. Ro-
mulus lit tout de suite la guerre aux Véicns, etTuilus Hosti
lius suivit son exemple. Ancus Marcius leur enleva la rive
droite du Tibre, à partir de Rouie, où il fortifia contre eux
le mont Janicule, jusqu'à son embouchure, oii il fonda Ostia.
Quand Tarquin le Superbe fut chas-é de Rome, les Véiens
prirent fait et cause pour lui contre ses anciens sujets, qui
les battirent, l'an 509 av J.-C, dans une bataille livrée au
voisinage de la forêt d'Arsia, et où périrent Brutus et Aruns
Tarquinius. Une nouvelle guerre éclata entre Rome et Véies,
l'an 485. La paix entre les deux villes dura alors depuis
l'an 474 jusqu'à l'an 438; mais les hostilités recommencèrent
alors, par suite de la défection des habitants de Fidenae, qui,
comme ceux deFalerii, abandonnèrent l'alliance des Romains
pour celle des Véiens. Cincinnatus battit les coalisés sur les
bords de l'Anio, l'an 437, et Servilins, à Nomentùm,
l'an 435. Après une courte paix, les Véiens fuient encore
vaincus, l'an 426, parle consul ,4îmilius Mamercus. A la
suite d'un armistice de vingt ans, une deinièie guerre
s'éleva, en 405, entre Rome et Véies, dont le siège commença
en 403 et fut continué pendant dix années. Ce ne fut qu'en
397, quand les Romains eurent réussi à détourner le lac
d'Albano auquel se rattachait le sort de \'('ies, suiv.iut la ré-
vélation d'un haruspex étrusque , confirmée par l'oracle de
Delphes, que Camille parvint, en 396, à s'emparer de cette
ville. Les Romains avaient eu préalablement soin de s'as-
surer, au moyen de prières et de supplications solennelles,
l'appui de la déesse Juno regina , spécialement adorée à
Véies. Sa statue fut ensuite transportée à Rome, et un
temple |)ai-ticulier, construit sur le nrontAventin, fut consacré
à son culte. Les pri.sonniers véiens hirent vendus comme
esclaves. La ville , qui en 390 offrit un refuge à l'armée
romaine battue sur les lives de l'Allia , tomba en ruines
quand Camille eut dissuadé le perrple d'aller s'y établir à la
suite du grand incendie de Rome par les Gaulois; et les
pierres de ses maisons servirent pour la plupart à la re-
construction de Rome. Ce ne lut que beaucoup plus tard,
et à ce qu'il paraît sous Augrrsfe, qu'on cantonna de nou-
veau des vétérans romains aux lieux ou s'élevait autrefois
Véies.
Denis d'Halicarnasse compare l'étendue de Véies à celle
d'Athènes. Son territoire, Ager Vejentamis,é[a\i vaste et
fertile, mais le vin de Véies jouissait d'une déplorable ré-
putation. C'est tout récemment seulement que l'emplacement
occupé jadis par la ville de Véies a pu être déterminé. La
citadelle s'élevait sur un rocher à la droite de la voie Fla-
minia, sur les rives de la Cremera, cours d'eau formé par
la jonction des deux petites rivières appelées de nos jours
Fosso di Formello et Fosso di due Fossi. La ville était
située en face, sur l'emplacement où se trouve aujourd'hui
hola di Farnese.
VEIIV'E, en latin venu ou phlebs, vaisseau destiné à
rapporter le sang des organes aux cavités droites du cœur
{voyez CrRCULATiON).
Les veines .sont sujettes à plusieurs maladies, dont quel-
ques-unes sont très-israves. La première est leur inflamma-
tion, désignée sous le nom de phlébite : loisqrr'à la suite d'une
saignée malheureuseou d'une opération quelconque une veine
est enflamruée, le pus qui est sécrété à l'intérieur drr vaisseau
est transporté, avec le courant drr sang veineux, dans le
torrent circulatoire et dans l'intimité des tissus, où sa pré-
sence détermine des accidents semblables à ceux de la fièvre
putride, et qui sont le plus souvent suivis de la mort.
Lorsqu'un gros vaisseau veineux est SiH.eu\tii'oblitération,
les parties d'où provient le sang qui traversait ce vaisseau
s'infiltrent de sérosité : telle est la source de beaucoup
d'hydi'opisies.
Les veines peuvent être affectées de dilatation (varice),
A'ulcération, à'hypertrophie ;dains leur intérieurpeuvent se
développer de petites concrétions connues sous le nom île
phlébolifes ;des communications anormales peu vent s'établir
entre elles et les artères contiguës {anévrisme variqueux)^
804
VEINE — VELDE
aciiideiits graves et assez fréquents à la suite des saignées
pratiquées par des mains inliabiles ou imprudentes.
Nous ne pouvons entrer dans les détails relatifs à ces
diverses affections du système veineux : ce qui précède
suffira pour faire sentir que les opérations pratiquées sur
les veines, telles que la saignée, sont plus graves qu'on ne
le pense généralement, et ne doivent pas être abandonnées,
comme on le voit trop souvent, à des mains ignorantes.
FORCF.T.
En ternies de géologie, veine se'dit quelquefois pour fi-
lon. Veine se dit aussi des marques longues et étroites qui
serpentent dans le bois ou dans les pierres : Le lapis a des
veines d'or, le bois de noyer a de très-belles veines.
Tomber sur une bonne veine, profiter de la veine, se
dit pour faire une beureuse rencontre de ce que l'on cliercbe
et profiter de cette circonstance.
Veine poétique, ou simplement veine, se dit du talent de
quelqu'un pour la poésie. Être en veine, c'est setrouver dans
une disposition favorable au travail de la poésie.
VEIi\E CAVE. Voyez Cave (Veine).
VEIiVE NAZARETH. Voyez Boire, t. m, p. 3ôG.
VEINE PORTE, loj/es Porte (Veine).
VELAR. Voyez Alliaire.
VELASQUEZ DE SILVA (Don Diego), célèbre peintre
espagnol, naquit à Séville, en 1509. Après avoir fait
d'excellentes études littéraires et pbilosophiques, il alla
d'abord apprendre la peinture dans l'atelier d'Herrera le
Vieux, alors en grand renom à Séville, puis il devint le disciple
dePaclieco, qui tenait également école à Séville. Là il ne
tarda pas à fixer l'attention du maître, qui prit plaisir à sur-
veiller tous ses progrès et à faciliter le développement de sa
rare intelligence. Plus tard ces deux hommes songèrent à
resserrer encore les liens de leur étroite amitié : Velasquez
devint le gendre dePacbeco. Il se voua d'ailleurs au travail
le plus assidu, et étudia la nature avec une persévérance
admirable. Il s'exerçait aussi à dessiner tous les objets qui
frappaient sa vue; de sorte qu'il parvint à peindre avec une
égale facilité des intérieurs, des paysages, des animaux, des
représentations de la nature morte, des portraits, des coin()0-
sitions d'histoire et de genre. La direction iujprimée à ses
études préliminaires, son habitude de prendre ses modèles
à tout hasard , son ignorance absolue des chefs-d'œuvre de
l'école italienne, son amour pour le genre d'Herrera, qui re-
cherchait surtout la vérité, donnèrent à ses |)remières pro-
ductions un cachet vulgaire; elles rappellent parfois les œuvres
des maîtres flamands; tels sont: Le Porteur d'eau, une
Adoration des Bergers, Des Buveurs, tableaux qu'il peignit
avant de quitter Séville, et qui commencèrent sa réputation.
Mais il lie devait pas longtemps persister dans cette voie
d'imitation toute matérielle. Ses idées se modifièrent à la
vue des peintures italiennes et des travaux de Luis Tristan,
disciple de Dominique Greco, peintre de'l'olède : dès lors sa
résolution fut prise; il partit pour Madrid. Il y arriva en
1622; mais son premier séjour dans cette ville ne fut pas
de longue durée ; sa femme et son beau-père Pacheco, qu'il
avait laissés à Séville, le rappelèrent bientôt. Il ne revint à
Madrid que lorsque, par la protection de don Juan de Fon-
scca, grand dignitaire delà cour de Philippe IV, il eut obtenu
une pension du duc d'Olivarez, premier ministre. Dans sa
reconnaissance, il fit le portrait équestre de son Mécène : le
fond du tableau représente une bataille. Il peignit encore le
cardinal Fonseca, plusieurs grands dignitaires du royaume,
les infants et Philippe IV lui-même, à cheval, et couvert
de son armure. Ce tableau, l'un des chefs-d'œuvre du pin-
ceau de Velasquez, lui valut le titre de premier peintre du
roi et une gratification de trois cents ducats. En 1628 il se
lia avec Rubens, ambassadeur d'Angleterre à Madrid.
L'année suivante, avec les secours de la cour il entreprit le
voyage d'Italie. Il séjourna d'abord quelque temps à Venise,
où il étudia avec une religieuse admiration les œuvresduTin-
toret et du Titien. Mais la guerre de la succession éclata
entre la France et l'Espagne; alors il se vit forcé de quitter
Venise et de partir pour Rome, où il fut parfaitement ac-
cueilli par le pape Urbain VIII. Logé au Vatican, il put
admirer à son aise , et à toute heure, les peintures qui ùrneut
Saint-Pierre de Rome et les salles du palais pontifical. Il
copia au crayon Le Jugement dernier de Michel-Ange et
les Loges de Raphaël. Dans l'espace d'une année, outre cette
prodigieuse quantité d'études, à laquelle il consacrait la ma-
jeure partie de son temps, il fit son portrait, qu'il envoya
au vieux Pacheco, Les Forges de Vulcain, et La Tunique
de Joseph, deux tableaux qui font la gloire de l'école
espagnole.
Philippe IV avait pris Velasquez en si grande affection qu'il
ne voulut pas lui permettre de prolonger son séjour en Italie :
il avait hâte de le revoir. Il lui assigna une époque fixe, à
laquelle il devait reprendre ses fonctions à la cour. Velas-
quez, après être encore allé visitera Naples le célèbre Ri-
beira, revint en grande diligence à Madrid, en 1631. Les ta-
bleaux qu'il peignit dans la suite furent presque exclusive-
ment consacrés à reproduire des laits à la gloire de son sou-
verain et les traits des personnes de sa famille ou des sei-
gneurs de sa cour. Philippe IV, qui se piquait d'être artiste,
passait souvent des heures entières dans l'atelier de Velas-
quez. Voulant doter sa capitale d'une école des beaux-arts,
il chargea son peintre favori de présider à la fondation de cet
établissement. En conséquence, Velasquez entreprit en 1648
un second voyage en Italie pour acheter des statues, des ta-
bleaux , et faire mouler les plus belles productions de la
sculpture antique. Il était de retour à Madrid en 1651. Il
peignit alors tous les membres de la famille royale dans un
seul et même tableau, et réussit si bien dans ce travail que
le roi le créa chevalier, en 1658. Velasquez mourut à Madrid,
le 7 août IG60.
Notre galerie du Louvre ne possède de ce peintre que le
portrait de l'infante doua Marguerite , fille de Philippe IV et
de Marie-Anne d'Autriche, et deux dessins : le Portrait
d'un cardinal et la Mort de saint Joseph. Parmi les ta-
bleaux de sa première manière il y a de lui au palais de
Madrid Le vieux Porteur d'eau (Aguador), qu'on admire
beaucoup. Et parmi les œuvres qu'il exécuta plus tard on
cite ( indépendamment des portraits de divers princes , entre
autres Philippe IV) Les Frères de Joseph , Job , Moïse
qu'on retire du JS'il, Lolh et ses filles, et divers sujets
empruntés à la vie commune , par exemple Les Fileuses,
L'homme ivre. Le Berger espagnol, un Homme à barbe
pointue tenant une lettre à la main (dans la galerie de
Dresde). Antoine Filioux.
VELAY (Le), ancien pays de France, compris jadis
dans le Languedoc, et qui fait aujourd'hui partie du départe-
ment de la Haute-Loire. Il avait au nord le Forez, au
levant le Vivarais , au midi le Gévaudan et au couchant la
haute Auvergne. Le Velay tirait son nom d'un peuple celte
que Ptoléuiée appelle Velauni , Strabon Vellxi et César
Vcllaunii. Ce dernier ajoute qu'ils étaient dans la dé-
pendance des Arvernes. Auguste les renferma dans l'Aqui-
taine. Lorsque cette région fut divisée en deux provinces,
ils firent partie de la première {Aquitania Prima) ; c'était
au quatrième siècle de l'ère chrétienne. Au cinquième siècle
le Velay futenvahi par les Visigolhs ; etdans le sixième, après
la mort d'Alarik, il tomba au pouvoir des Franks. Leduc
Eudes se rendit maître du Velay, mais son petit-fils en fut
dépouillé par Pépin , dont les descendants jouirent de ce
pays jusqu'au règne de Louis d'Outre-mer. Ce roi en investit
Guillaume Tête d'Étoupe , comte de Poitiers et duc d'A-
quitaine. Les successeurs de celui-ci en transformèrent une
partie en fief, et donnèrent l'autre à l'évêque du Puy.
VELCHES. Yoijez VVelcues.
VELDE (Adrien van der ou van den) naquit à Har-
lem, en 1639. Dès son enfance, et sans avoir eu de maître,
il prenait du charbon et chargeait de figures d'hommes et d'a-
nimaux tous les murs de la maison de son père. Placé à l'école
de Wynants, il surpassa bientôt son maître, et devint l'émule
de Paul Potter et de Carie Dujardin. A l'âge de quatorze ans,
van der Velde gravait déjà à reaii-foite des études d'ani-
maux, pièces très-remarquables par la finesse et l'esprit de
la pointe. Fort jeune encore il jouissait en Hollande d'une
grande réputation comme peintre de paysages et d'animaux.
Il se fit aussi connaître conmie peintre d'iiisloire en exécu-
tant Une descente de croix pour l'église cathôlicîue d'Ams-
terdam. Les tableaux de van der Velde sont d'une couleur
excellente; sa toucbe est franche et pleine de finesse; ses
figures sont spirituelles et bien dessinées. Ses chevaux /ses
vaches , ses cîièvres , ses moutons , sont d'une vérité par-
faite; ses ciels brillants, ses arbres d'un feuille délicat. Ses
tableaux sont nombreux et d'un beau fini, ce qui prouve qu'il
avait une grande facilité. Il mourut à trente-trois ans, en 1072.
DucHESNE aine.
Parmi les autres peintres qui ont porté ce nom de van
der ou van den Velde , on cite :
Isaïe VAN DER Velde, né à Leyde, en 1597, connu surtout
par ses tableaux de batailles, d'attaques de brigands, et
dont le frère Jan van der Velde, né à Leyde, en 1599, et
bon paysagiste, se distingua aussi comme graveur.
Wilhelm van der Velde , l'ancien, célèbre peintre de
marine, né à Leyde, en 1610, qui fut au service de Charles II
et de Jacques II d'Angleterre, mourut à Londres, en 1693.
Wilhelm van der Velde le jeune, fils du précédent, né
à Amsterdam, en 1633, fut l'un des plus grands peintres
de marine, peut-être même le plus grand qui ait jamais
existé, quand il s'agit de représenter la mer calme. Après
avoir déjà l)eaucoup travaillé en Hollande , il se rendit en
1677 en Angleterre, à la demande de Charles H, qui lui fit
peindre les plus mémorables batailles livrées par les (lottes
anglaises, et qui lui accorda une pension de 100 liv. sterling.
Il mourut à Londres , en 1707. Ses tableaux et ses dessins
appartiennent aux plus belles productions de l'art.
VELDE (Charles-François VAN der), surnommé le
Waller Scott allemand, naquit à Brcslau, le 17 septembre
1779. Ses parents le destinèrent à la magistrature , et il rem-
plit jusqu'à sa mort, arrivée dans sa ville natale, le 6 avril
1824, des fonctions judiciaires, qui ne l'empêchèrent pas
de se livrer à ses goûts littéraires et de créer sa réputation
de romancier. Ses essais furent peu importants. Il fit d'a-
bord insérer quelques nouvelles dans les journaux , et tra-
vailla aussi pour les théâtres de Breslau, de Vienne, de
Prague et de Magdebourg , où il fit jouer, entre autres
pièces, L' Armée destructrice et Le Théâtre des Amateurs.
Ayant obtenu peu de succès dans ce dernier genre, il ne
publia plus que des romans. Au lieu de dessiner et de dé-
voiler les caractères comme Walter Scott, il choisit les
scènes les plus bizarres de l'histoire, et en tira un parti dra-
matique. Bientôt ses oirvrages devinrent populaires. Doué
d'une rare facilité de style, il fut un des collaborateurs les
plus assidus du Journal du Soir, dont il fit certainement la
réputation. Ses œuvres complètes ont paru à Dresde (der-
nière édition, 27 volumes, 1830). Loève-Veimars a traduit
en français plusieurs ouvrages de cet auteur : Naddock le
Noir, ou le brigand des Pyrénées (1825, 3 vol. in-12);
Walaska,ou lesAmazones de Bohême {iV>ï&,b vol. in-i2);
Les Anabaptistes { 1826,iin-12 ) ; Les Patriciens { 1826, in-
12); /lrîi;ed GJ^Z/p«s^tcnJa( 1826, 2 vol. in-12), fontpartiede
la collection prrbiiée en France sous le titre de Romans his-
toriques de van der Velde. C'est irne imagination prompte
et souple, servie par un style heureux et abondant. H in-
vente bien ; et ses tableaux, colorés à la Rembrandt, saisissent
vivement l'esprit du lecteur. Sous le rapport philosophique,
ses productions ont beaucoup moins de valeirr. Les con-
tours de ses portraits manqrrent de pr-écision; son pinceau,
facile et superficiel , n'a rien de la profonde vigueur et de la
finesse brillante qui ont immortalisé Walter Scott. C'est un
homme de talent qui se lait lire avec plaisir, et dont la pos-
térité conservera le nom plutôt que les œuvres.
Philarète Chasles.
VELIN (du latin ri^eWtna [ sous-entendu pellis], peau
de veau), sorte de parchemin préparé avec des peaux
VELDE — VÉLITES 805
de veau dont l'â^e ne doit pas dépasser six semaines. Plus
l'animal sur lequel la peau aura été prise sera jeune , plus
le vélin aura de blancheur et de finesse. Le plus beau vélin
se fait avec la peau des veaux morts-nés et de ceux qui
proviennent d'une vache tuée pendant qu'elle était pleine.
Les veaux dont le poil est blanc , sans tache d'aucune cou-
leur, fournissent du vélin de qualité supérieure. La prépa-
ration du vélin diffère peu de celle du parchemin ordi-
naire, mais elle exige plus de temps et de soins. Le vélin
est fréquemment employé par les dessinateurs et les pein-
tres. Les premiers ont remarqué que le crayon acquiert de
la force, de la couleur; qrr'il en résulte pour le dessin un
plus grand fini , et que les petits objets y sont beaucoup
mieux rendus que sur la papier. Un inconvénient du vélin,
c'est que l'humidité agissant sur certaines parties plus que
sur d'autres , il en résulte que les unes se contractent , tandis
qire les autres se maintiennent dans leur état primitif. De
là des boursoudures et des inégalités. Cependant, il existe
plus d'un moyen de remédier à cet inconvénient. Commun
aussi bien aux peintres qu'aux dessinateur's , le vélin a pour
les miniaturistes une grande supériorité sur l'ivoire, dont
ils font pourtant un plus fréquent usage. V. de Moléon.
VELIN (Papier). Voyez PArrER vélin.
VELITES. Ce nom était donné chez les Romains à
des troupes légères qu'on pourrait appeler régulières , puis-
qu'elles prenaient rang dans l'organisation des légions. Il
en est pour la première fois question dans l'histoire en l'an 213
av. J.-C, pendant le siège de Capoue. Selon Tite-Live, dans
les fréquentes sorties que faisaient les assiégés, ils avaient
presque toujours l'avantage dans les combats de cavalerie,
quoique leur infanterie ne pût résister à celle des Romains.
Les généraux romains, piqués des échecs réitérés qu'ils es-
suyaient , conçurent la nécessité de chercher un moyen de
rétablir l'équilibre en suppléant à l'infériorité de leur cava-
lerie. Un centurion, nommé Q. Nœvius, proposa alors un
moyen qui fut approuvé et mis en pratique. On choisit dans
les légions les soldats les plus lestes et les plus vigoureux,
qu'on arma d'un bouclier rond (parma), plus petit que
celui des cavaliers, et de sept javelots {hastx velitares)
de quatre pieds de longueur, garnis d'un fer long et aigu. On
les accoutuma à accompagner dans ses mouvements le ca-
valier, auquel chacun d'eux était attaché ; à sauter légère-
ment en croupe, et à descendre de môme au signal donné.
Lorsqu'on les eut suffisamment exercés, on les employa à
la première occasion où la cavalerie des Capouans présenta
le combat. Les cavaliers romains, portant chacun un vélite
en croupe , s'avancèrent au devant de l'ennemi. Arrivés en
présence et à portée des armes demain , les vélites sautèrent
à terre, et se précipitèrent sur la cavalerie ennemie, en lan-
çant leurs traits avec force et adresse ; un assez grand
nombre d'hommes et de chevaux ayant été tués ou blessés
dans cette première charge , le désordre se mit dans la ca-
valerie capouane, qui fut facilement battue. Depuis ce jour
la supériorité resta aux Romains.
Il ne faut cependant pas conclure de là que les vélites
furent les premières troupes légères des Romains. Le mot
velitatio , qui indiquait les escarmouches habituelles de ces
troupes, se trouve dans la langue latine bien avant cette
époque. Dès qrre l'armée était en présence de l'ennemi, les
vélites couvraient en tirailleurs le front et le déploiement de
l'armée, et engageaient le combat. Au signal donné, ils éva-
cuaient le champ de bataille et passaient derrière le front,
probableruent en ligne des triaires. L'emplacement des vé-
lites dans les camps était le long des retranchements dont on
leur confiait la garde, ainsi que celle des postes. Ils (burnis-
saient pour ce service dix postes (excubiœ) de quatre
hommes chacun, pour chaque face du camp. Les vélites
servaient ordinairement, en commun avec la cavalerie,
aux grandes gardes extérieures (5^aiiones), dont chacune
était couverte par un certain nombre de petits postes à pied
et à cheval. L'institution àe> vélites ne dura pas plus long-
temps que l'ordre de bataille par manipules (voyez LÉ«
806
VELITES — VELLY
G!ON ) Lorsque les armées se rangèrent par coliortes, ce qui
eut lieu après Marius , il n'eu est plus fait mention. Alors
les troupes légères des armées romaines , tant à pied qu'a
cheval , ne lurent plus composées que de troupes auxiliai-
res, ou de mercenaires baléares, crélois, tliraces, etc.
Napoléon, quand il créa la garde impériale, attacha
à chacun des régiments de grenadiers et de chasseurs un
bataillon de vélites. En 1805 il créa un régiment de véliles
à cheval et deux autres balaillons de vélites; en 1807 deux
nouveaux bataillons de vélites, l'un à Florence et l'autre à
Turin G"' G. de Vaudoncourt.
VELLA (L'abbé Giuseppe), imposteur littéraire du
dix-huitieme siècle, natif de iMalle, preleudit avoir retrouvé,
dans une mosquée, pendanlses voya^^es eu Orient, un manus-
crit contenant la traduction en langue arabe de plusieurs li-
vres de Tite-Live aujourd'hui perdus, ainsi qu'un grand
nombre de documents remontant a l'époque de Roger, et
d'une haute importance pour l'histoire et le droit à la pos-
session de la Sicile, documents rédiges également en langue
arabe , plus un anneau avec une inscription koulique; et il
réussit de la sorte à se concilier les bonnes grâces du roi
de Naples. Eflectivement, on lit paraître le Codice diplo-
matico diSicUia, texte arabe avec traduction itaUenne (1'^''
vol., 1791 ), et quelques années plus tard le premier
volume de Tite-Live. .Mais les recherches de Hager et de
Tyclisen ne tardèrent pas à démontrer qu'il n'y avait là
qu'une audacieuse mystilication, que l'arabe des deux ou-
vrages n'était pas l'ancienne langue écrite, mais le dialecte
Rorroinpu en usage à Malte, entin que les prétendus livres
lie Tite Live ne contenaient que des extraits insullisants,
empruntés à des sources déjà connues. On assure que
l'abbé Vella mourut en prison; mais il règne encore aujour-
d'hui une grande obscurité sur toute cette affaire.
VELLÉDA ou VELÉDA. Ainsi s'appelait une vierge
de la nation germaine des Bnictères, revêtue d'un caractère
sacerdotal. Ce nom, qui dans la langue des Goths se
prononçait ViUtlia, et qui répondait à celui de vild de la
langue Scandinave , était vraisemblablement un titre hono-
rilique , du genre de ceux qu'on donna à d'autres femmes
inspirées au temps des Germains , et même à des poètes
jusqu'à une époque assez avancée dans le moyen âge. Comme
les Albruna , dont il est question bien avant elle, et la
Gauna ou Gambara qui (igure dans légendes lombardes
d'une époque postérieure, Velléda exerça sur ses com-
patriotes un grand pouvoir ayant pour base des prophéties, et
devint presque l'objet d'un culte. Elle jouissait déjà d'une
haute considération , lorsque éclata contre les Romains l'in-
surrection ayant à sa tête le Batave Ci vi lis : insurrection
à laquelle elle prédit de grands succès. Cette prophétie exerça
une puissante influence sur les incidents de celte lutte. Tout
cequ'on sait du sort ultérieur de Yelléda, c'est qu'elle perdit
tout crédit chez les Bataves quand la chance des armes
devint défavorable à Civilis, et que sous le règne de Ves-
pasien elle se trouvait à Rome, vraisemblablement comme
captive.
VELLEIUS PATERCULUS ( Marcus), /.istorien
romain qui vivait entre lan 20 av. J.-C. et l'an 31 de J.-C.,
descendait d'une famille considérée de la Campanie. Il
entra de bonne heure au service , parcourut ensuite avec
Tibère la Germanie et les contrées riveraines du Danube
en qualité de commandant de la cavalerie , et à son re-
tour à Rome il fut nommé préteur. On a dit que com-
promis dans la conspiration de Séjan il périt en môme
temps que lui; mais les renseignements qu'on possède à
ce sujet sont trop vagues pour qu'on puisse l'allirmer. Dans
son Historia Romana en deux livres, mais qui dès le dé-
but, et dans beaucoup d'autres endroits encore, offre de
nombreuses lacunes, il donne un aperçu général de l'his-
toire de Rome jusqu'à l'an 30 après J.-C, en s'attacliant
particulièremijut aux événements qui eurent le plus d'in-
fluence pour Rome et à la littérature. Son style est ferme
<ît noble, son exposition brille par la grâce, la vivacité et
une couleur riche, quelquefois même poétique; et comme
l'un des plus anciens écrivains de l'âge d'argent de la lan-
gue latine, il olfre un intérêt tout particulier. 11 faut recon-
naître l'altention scrupuleuse avec laquelle il puise aux
sources et les efforts sincères qu'il fait pour discerner la
vérité, quoiqu'on l'ait accusé d'adulation à l'égard deTibère;
défaut qu'excuseraient jusqu'à un certain point les circons-
tances. C'est Beatus Renatus qui le premier fit connaître
l'ouvrage deVelleius Paterculus (Bâle, iô20), d'après un
manuscrit unique existant dans l'abbaye de Murbach en
Alsace, mais dont toute trace a disparu depuis. En 1835
Orelii publia une prétendue copie de ce manuscrit faite à
Bâle , au commencement du seizième siècle, par le savant
Boniface Amerbach. La copie, peut-être défectueuse, du
manuscrit de Murbach par Renatus et la copie dite d'A-
merbach découverte dans ces derniers temps servent de
base à la critique du texte original, qui très-certainement a
été défiguré en maints endroits. La dernière traduction
française de Velleius Paterculus est celle qu'en a donnée
Després , dans la Bibliothèque Latine de Panckoucke.
VELLETRI, ville des États de l'Église, avec une po-
pulation de 10,000 habitants, sur la voie Appienne, est le
chef-lieu d'une légation toujours administrée par l'évêque ,
qui est en même temps cardinal, doyen du sacré collège et
évêque d'Ostie. Ses seuls édifices remarquables sont la ca-
thédrale, le Palazzopubiico et le palais Lancellotti. Fe/î^ra?,
ainsi qu'elle s'appelait dans l'antiquité, était l'une des. villes
les plus importantes des V o I s q u e s , dont le territoire mon-
tagneux commençait là; et après la chute de la confédéra-
tion latine, elle perdit son indépendance. Dans les derniers
temps de l'empire romain, elle eut beaucoup à souffrir des
guerres des Goths et des Lombards. Plus tard elle passa
sous la domination des papes.
En 1744 eut lieu sous ses murs une affaire assez chaude,
dans laquelle le roi Charles III battit les Impériaux, et dont
le résultat fut de décider du sort de Naples au profit de la
maison de Bourbon. En 1849 les républicains romains, com-
mandés par Garibaldi , y battirent les troupes napolitaines.
VELLY ( Paul-François ), né en 1709 , à Trugny , près
de Reims, mort à Paris , en 1759, a pris rang parmi nos
écrivains connus comme le premier en date des trois auteurs
de la volumineuse Histoire de France publiée au dix-
huitième siècle. Sa vie n'offre aucune particularité remar-
quable. Élevé par les jésuites , il avait appartenu à leur
société; l'ayant quittée en 1740., il n'en fut pas moins ap-
pelé, comme professeur, dans leur collège de Louis-le-
Grand, à Paris. Il commença par donner, en 1753 , une
traduction du pamphlet de S w i 1 1 contre le parti qui avait
conclu la paix d'Utrecht, intitulé: LeProcès sans /m, ou
Vliisloirede Jo/in£H^i; traduction que les jésuites vantèrent
fort dans \%w Journal de Trévoux. Velly conçut alors le
grand projet d'une nouvelle histoire de France : les deux
premiers volumes parurent en 1755. Stimulé par le succès,
il en publia cinq autres dans l'espace de quatre ans : il
avait composé les 226 premières pages du huitième voluiiie,
et conduit nos annales jusqu'au règne de Charles IV de
Valois, lorsqu'il fut enlevé par un coup de sang. Son ou-
vrage tut continué par V i 1 1 a r e t et G a r n i e r.
Le succès de la nouvelle Histoire de France s'explique
par le discrédit où étaient tombées les précédentes. A une
époque de mollesse et de frivolité, le véridique Mézeray rebu-
tait par la rudesse et la vétusté, le père Daniel par la diffu-
sion et la pâleur du style: on reprochait à l'un une instruc-
tion beaucoup trop mince , à l'autre une servilité partiale,
qui trahissait trop sa robe; on ne lisait plus guère que
l'Abrégé du président Hénault. Plus habile que ses devan-
ciers, Velly emprunta au goût dominant les idées nouvelles,
autant que le permettaient lacensurede la presse et ses liens
avec la congrégation dont il était l'élève : il s'efforça aussi
de donner à son style de l'élégance et delà rapidité; mais il
s'inquiéta peu de la fidélité de ses tableaux , transportant
sans scrupule les idées et les couleurs modernes dans la
YELLY — VENAL
801
pciuture des premiers siècles de la monarchie ; et à la
lecture de ses deux premiers volumes , comprenant avec
ri.istoire de la dynastie mérovingienne celle du règne de
Charlemagne , il fut trop facile de reconnaître combien son
instruction était légère. Velly s'est fait lire , faute de mieux,
parce qu'il raconte quelquefois avec intérêt , qu'il sait être
clair, et que sa diction ne manque pas d'une certaine élégance,
quoique celte élégance soit trop souvent frelatée. Mainte-
nant que l'on possède sur notre histoire des travaux pré-
cieux, dus à des écrivains renommés de notre temps,
on ne lit plus guère l'ouvrage de Yelly et de ses continua-
teurs. ^ AUBERT DE VlTRY.
VÉLOCIMÈTUE,nom donné à un instrument d'in-
vention récente, et destiné à mesurer le sillage des navires
ainsi que la vitesse des courants d'eau et d'air.
VÉLOCIPÈDES. Voyez Draisiennes.
VELOURS, étoile de soie, de coton, ou même de
coton mêlé à du fil de lin , velue et lustrée d'un côté, quel-
quefois des deux. C'est de l'Inde que sont venus en Europe
les premiers velours de soie, à l'époque où les Romains por-
tèrent leurs armes en Asie et en subjuguèrent une partie.
Mais avec l'usage du velours ils n'apportèrent pas l'art de
le fabriquer. Pendant plusieurs siècles, tout le velours con-
sommé en Europe fut fourni par le conmierce , et arriva
d'Orient. On peut lixer au temps oii les Vénitiens et les
Génois exerçaient le monopole de la navigation avec l'A-
sie l'introduction de cette industrie en Occident. Les pre-
mières fabriques paraissent avoir été établies en Italie. Celles
de Gênes se distinguèrent dès l'origine par la beauté de
leurs produits, et conservent en partie leur ancieime répu-
tation. Mais d'autres pays , l'Allemagne, la Hollande, la
France surtout, se sont approprié cette fabrication, et elle
a été grandement perfectionnée. Aux velours unis, aux-
quels était restreinte la fabrication en Italie, on a ajouté
les velours à façons, ciselés, en dorure, à ornements variés
de mille manières , etc. La ville de Lyon est depuis long-
temps en possession de confectionner en plus grande abon-
dance et mieux que partout ailleurs les velours ornés.
La fabrication du velours est très-compliquée, comme
celle de toutes les étoiles qu'on tisse, qu'on brode et qu'on
embellit par un même travail. Ceux-là peuvent seuls en
avoir une idée bien complète qui ont eu l'occasion de
visiter les manufactures, celles de Lyon particulièrement.
Le velours a deux chaînes ; l'une appelée chaîne de pièce,
forme le bâtis ou le corps de l'étoffe; l'autre, nommé j9oi/,
sert à former le velouté. Les fils de cette dernière chaîne
sont moins nombreux d'un tiers ou d'un quart, mais cha-
que poil est composé de plusieurs brins , dont le nombre
varie de 1 1/2 à 4. On dit que le velours est à 2,3,4 poils,
suivant le nombre de ces poils. On appelle velours plein
celui qui n'a ni figures ni rayures, velours ras celui qui
est figuréou ciselé, c'est-à-dire chargé d'ornements, souvent
à fond d'or ou d'argent ; velours cannelé , celui qui pré-
sente deux raies : l'une en velours plein et l'autre en ve-
lours ras. Les velours de l'Inde sont entièrement confec-
tionnés avec de la soie. Depuis 1740 environ on en fait
beaucoup en Europe avec du fil de coton et avec du coton
mêlé à du fil de lin. Ce sont des étoffes très-solides et très-
durables, mais elles se fanent promptement, et parais-
sent si râpées , si vieilles , quoiqu'elles ne soient nullement
usées, que leur contraste avec le beau velours de soie leur
a fait donner le nom de velours de gueux. Ailleurs , et
particulièrement à Utreclit, on avait déjà imaginé d'em-
ployer pour le tissu le fil de lin ou de chanvre , et pour
le velours la laine ou le poil de chèvre. Cetfe sorte d'é-
toffe, qu'on n'emploie guère que pour meubles , a conservé
la dénomination de velours d'Utrecht. V. de Moléon
VELPE AU ( Alfred-Armand - Louis - Marie ), un des
phis célèbres chirurgiens de ce siècle, est né à Brèches, com-
mune à 30 kilomètres de Tours, le 18 mai 1795. Sans
fortune et sans direction, il apprit à lire presque tout seul
dans un ancien Traité d'Hippiatrique , vade mecuni de
son père, vétérinaire de irillage. Tout jeune encore, il
éprouva un mal de jambe comme Boërhaave, et s'en guérit
lui-même sans conseils, par ses essais personnels. Cette
cure lui valut une sorte de réputation dans la contrée ,
où il était journellement consulté avant tout diplôme Ce-
pendant, vers l'âge de vingt ans, il fit rencontre d'un brave
médecin qui lui dît : « Vous êtes né pour la médecine , que
ne l'apprenez-vous? » Frappé de ce conseil, qu'approuvait
sa mère, il vint en 18i6à l'hôpital de Tours.sans latin et sans
argent, mais avec l'ardente volonté qu'aime à seconder la
Providence. La se Irouvaitdès lors le docteur P. Bretonneau,
qui s'est fait en provim e un nom gloiieux par ses dicou-
vertes et son école. Velpeau fut ci.argé dès le premier jour
du service d'un élève absent , et dès I8i8 il était le pre-
mier élève de tout l'hôpital L'année suivante il partait pour
Paris avec 400 Ir d'é|iarunes, et savait y vivre avec 30 f. par
mois, achetant quelques volumes et mangeant du pain de
munition Après divers concours et leurs succès, il fut reçu
docteur en 1823. L'année suivante, et toujours grâce aux
concours et à ses progrés, il était nommé agrégé en mé-
decine et chirurgien des hôpitaux , et enfin professeur de
clinique à la Faculté. Déjà il avait concouru pour les
chaires de physiologie, d'accouchement, de chirurgie et de
médecine. Montrant pour chacune une égale aptitude, ayant
à la lois tout embrassé. En 1832 il était élu de l'Aca-
démie de médecine, et en 184.J de l'Institut, où il eut
l'honneur de succéder au baron Larrey.
Quel chemin et que d'efforts depuis Brèches I Que serait-
ce donc si dans le peu d'espace qui nous est octroyé il nous
était loisible d'énumérer les inventions et les écrits de
M. Velpeau! Nous ne citerons ici que son grand Traité
d'Ovolugie et sa Médecine opératoire, ouvrage admiré
pour son érudition autant que pour sa sagesse.
Aujourd'hui que le guérisseur de village est devenu le pre-
mier praticien de l'Europe , il nous suffira de résumer ses
titres, motivés tous sur ses mérites. Chirurgien en chef
de l'hôpital de La Charité, professeur de clinique chirurgicale
à la Faculté, officier de la Légion d'Honneur, une des prin-
cipales lumières de l'Académie de Médecine et de l'Acadé-
mie des Sciences, il voit partout prévaloir ses avis et goûter
ses paroles. Il y a peu d'hommes dont l'élévation soit plus
applaudie et moins contestée, tant chacun connaît le prix
et la légitime possession de tout ce qii il a.
Aussi prudent et tout aussi expérimenté que le baron
Boyer (lu premier empire; aussi c<Mèbi"e (pie Dupuytren, il a
pour lui la sympathie de ses confrères, dont Dupuytren,
quelle qu'en fût la cause, s'était attiré l'aversion. Plus
certain que Diipnytren, par l'importance de ses ouvrages,
de la dur(^e d'un renom qu'il a conquis par son génie, il se
voit enfin maître de la fortune , après s'être longtemps
abreuvé airx amertumes du sort. Comme Du p uy tren, le
voilà millionnaire.
Peirt-être a-t-il existé des opérateurs aussi prestes et aussi
habiles que Irri ; il n'en est pas de plus r-éservés et de plus
irréprochables. Sans doute on a connu des professeurs plus
éloquents, mais non de plus écoutés et de plus judicieux. On
l'a vu pousser la critique jusqu'à la sévérité, jamais jirsqu'à
l'injustice. Son amour pour la vérité a pu le faire paraître
inflexible, jamais malveillant et implacable. De toute ma-
nière, sa vie est un exemple et vaut un prêche.
VELTE, ancienne mesure de capacité pour les liquides,
qui contenait six pin tes on trois pots.
Le mot velte désigne aussi irn instrirment servant à jauger
les tonneaux; on nomme velteur celui qui est chargé de
cette opération, qui porte elle-même le nom de veltage.
VE1\AIS0IV, JAMBE DE VENAISON. Voyez Daim.
VENAISSIN (Comtat). Voyez Comtxt.
VÉiXAL, VÉNALITÉDES CHARGES. Par le mot vénal
on entend ce qui se vend, ce qui peut se vendre; vénalité,
qualité de ce qui est vénal. Il ne se dit an propre que des
charges, des emplois qui s'achètent à prix d'argent : Dans
certains pays, les premières dignités de l'État sont vénales.
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Un grand nombre de charges avant 1789 étaient vénales
en France; cet usage datait de loin. Il s'établit sous saint
Louis et son prenaier successeur, Philippe . le Hardi.
D'année en année le nombre des charges vénales augmenta.
François I*'' profita de cet expédient pour amasser de l'or,
et pratiqua tout ouvertement, disent les historiens ,1a d(/-
nalité des charges. Ce n'était au commencement qu'un
prêt ; mais le mot prêt ici ne servait qu'à déguiser une vente
réelle. Le parlement, qui ne pouvait approuver cet abus,
faisait toujours jurer qu'on n'avait acheté sa cliarge ni di-
rectement ni indirectement. Toutefois, on en exceptait ta-
citement le prêt fait au roi pour être pourvu de la charge;
quand le parlement eut reconnu que cette précaution était
inutile , et que le trafic des charges restait publiquement
autorisé , il abolit le serment, en 1597. Henri IV maintint la
vénalité des cliarges ; il la fixa même par l'établissement
d'un droit qu'on appelait \&paulette. Louis XIll en fit
autant, mais déclara que les charges militaires n'étaient point
vénales , et prohiba la vénalité des charges de sa maison.
Sous Louis XIII le surintendant Émery créa des charges de
contrôleur de fagots , àt jurés vendeurs de foin, de con-
seillers crieurs de vin, de conseillers langueijeurs de
porcs. Louis XIV étendit la vénalité même aux charges de
sa maisOTi et aux grades militaires. Alors on acheta un ré-
giment, une compagnie, une lieutenance , une enseigne , un
guidon, une cornette, etc. 11 créa aussi des offices qui confé-
raient la noblesse, elles offrit à la vanité des bourgeois enri-
chis. Louis XV entreprit d'abolir cet abus; et plusieurs édits
publiés par ce roi, en 1771, le firent disparaître des cours
souveraines ; mais ce changement ne fut que momentané.
Louis XVI rétablit dans toute sa vigueur le principe de la
vénalité, qui fut détruite par les lois de 17S9, de 1790 et
de 1793. Sous le gouvernement consulaire et impérial , plu-
sieurs professions dans lesquelles il pouvaitêtre commis des
malversations graves furent soumises à des cautionnements
pour la garantie des intérêts privés , et par compensation
érigées en charges que les titulaires eurent le droit de vendre,
telles que celles des notaires, avoués, commissaires pri-
seurs , greffiers , gardes du commerce, agents de change,
courtiers de commerce, etc.
La valeur v^naZe d'une chose est sa valeur actuelle dans
le commerce, son prix marchand. Vénal se dit, figurément,
de celui qui vend sa conscience, qui ne fait rien que par
un intérêt sordide, que pour de l'argent : Son égoisme l'a
rendu vénal ;\]i\ député vénal, une plume vénale.
VEiXCESLAS. Voijez Wenceslas.
VEi\DAi\GE, récolte de raisins pour en faire du vin.
H se dit aussi du temps où se fait cette récolte : Aller passer
les vendanges à la campagne. On appelait autrefois dans un
grand nombrede localités ftan des vendanges une coutume
en vertu de laquelle l'autorité communale avait le droit de
fixer l'époque de l'ouverture des vendanges, et cela seule-
ment après le rapport d'experts chargés de constater l'état
de maturité des raisins. Celte coutume subsista dans les
vignobles du Bordelais jusqu'au commencement de la révo-
lution ; elle avait cela de bon qu'elle prévenait une cueillette
trop hâtive et surtout le maraudage. Les vendanges sont
une des opérations les plus impoitantes de l'agriculture; en
Champagne, en Bourgogne et aux environs de Bordeaux,
on a soin, surtout si l'année a été peu favorable, de trier le
raisin. De ce choix il résulte deux cuvées successives et au
moins deux sortes de vin; \q premier vin, produit parles
raisins les plus mi!irs, et le second l'in, celui qui est fait
avec des raisins dont la malurité était moins avancée.
he^ vendangeurs sont les ouvriers employés à la ven-
dange. On les divise en coupeurs, flotteurs , chargeurs,
et pressureurs.
l?ToyeT\i\a\kimnn{ adieu , paniers, vendanges sont faites ,
signifie l'affaire est bien ou mal terminée, n'en parlons
plus!
VENDÉE ou VEiNDEE MILITAIRE. Ce n'est que de-
puis la révolution qu'on s'est servi dans un sens absolu du
VÉNAL — VENDÉE
nom de Vendée pour désigner la partie de la France qui en
1793, 1794 et 1795, et plus tard encore en 1815 et 1830, fut
le théâtre delà guerre civile, comprenant outre le départe-
tement même de la Vendée, le département des Deux-Sèvres
et une partie de ceux de la Loire-Inférieure et de Maine-
et-Loire, c'est-à-dire une partie de la Bretagne, de l'Anjou
et une portion considérable du Poitou ; contrée maritime,
d'environ 450 myriam. carrés , avec 246,000 hectares de
marais et 17 myriamètres de côtes inondées par les Ilots
de la mer. Voyez Chouannerie.
VENDÉE (Guerres de la ). Quelle que soit la différence
des sentiments sur les causes des guerres vendéennes, la pos-
térité s'étonnera sans doute que dans un coin presque
ignoré de la France des paysans pauvres et obscurs, qui
gagnaient à la révolution la remise des ferrages et des dî-
mes , insensibles à ces avantages , aient osé seuls se pro-
noncer contre le nouvel ordre de choses. En effet, si f.s
principales villes de l'ouest, telles que Rennes, Nantes,
Angers, L orient, se montrèrent favorables à la cause po-
pulaire , il est vrai de dire que la révolution ne pénétra point
dans les campagnes du Poitou et de la Bretagne ; les lois
mêmes de l'Assemblée nationale n'y lurent exécutées qu'im-
parfaitement. Impuissants contre le premier élan de la ré-
volution, les nobles fuyaient hors des limites françaises;
mais les ecclésiastiques , plus attachés au sol , montraient
une persévérance imperturbable à résister aux novateurs.
La constitution civile du clergé, considérée comme une dé-
sertion de l'antique foi catholique, et le décret du 27 no-
vembre 1790 qui astreignit le clergé à la prestation d'un
serment civique et constitutionnel, provoquèrent la résis-
tance des prêtres, appelés dès lors réfractaires, et l'irrita-
tion des intrus ou assermentés. De part et d'autre, avant
d'en venir aux armes, on discuta beaucoup par la parole et
par la presse. Les premiers symptômes d'une insurrection
se manifestèrent dès 1790 non dans le Poitou, mais en
basse Bretagne, dans le Morbihan. Le sang coula (voyez
Chouannerie), les campagnes se remplirent de terreur; la
tranquillité se rétablit, il est vrai, mais apparente et sombre.
La rive gauche de la Loire éprouva les mômes commotions,
mais sous un aspect moins alarmant. Une insurrection éclata
le 3 mai 1791 à Chàlons, dans le bas Poitou; mais la
garde nationale nantaise y rétablit l'ordre. Palluau , Apre-
mont, Saint-Jean-de-Mont et Machecoul s'agitèrent. Les ré-
volutionnaires en armes parcoururent les paroisses troublées,
et firent de nombreuses arrestations. Nantes même, à l'ins-
tallation de son évêque constitutionnel, ne fut pas à l'abri
d'une secousse.
Bientôt l'évasion de Louis XVI vint causer dans la Vendée
une plus grande commotion. Les gentilshommes du bas
Poitou firent appel à leurs partisans, et se rassemblèrent en
assez grand nombre au château de La Proutière, district des
Sables d'Olonne. La garde nationale de Nantes et les régi-
ments de Rohan, sous les ordres de Du mouriez, auquel
se joignit la garde nationale des districts voisins, marchèrent
contie les insurgés, et le château de La Proutière fut brûlé.
Le département des Deux-Sèvres et une partie de la Bretagne
éprouvèrent les mêmes commotions ; mais la nouvelle de la
prompte arrestation du roi à Varennes fit tout rentrer dans
l'ordre. Cependant, une fermentation sourde nourrissaiM'in-
quiétude , et décida l'Assemblée nationale à envoyer dans la
Vendée et les Deux-Sèvres des commissaires civils chargés
d'y rétablir la tranquillité. Cette mission fut confiée à Gen-
sonné et à Gallois, qui parcoururent les villes et les cam-
pagnes sans prendre aucune mesure décisive, imputant
uniquement, dans leur rapport à l'Assemblée, les troubles
à la prestation du serment ecclésiastique, à l'ascendant et à
la résistance du clergé. Une amnistie rouvrit alors les pri-
sons, sans étouffer les germes de discorde.
La chute du trône au 10 aoô t, la proclamation de la
république , le décret de déportation contre les prêtres in-
sermentés qu'on arracha de leurs foyers sur des dénoncia-
tions sans preuves, et surtout le procès de Louis XVI (jw
VENDÉE
vier 1793 ) étaient autant de faits propres à exciter de plus
en plus l'irritation des populations et à leur faire prendre
en horreur le régime nouveau. Dès lors des préparatifs de
résistance se firent dans toutes les campagnes, où la no-
blesse, toujours populaire , avait conservé son ancienne in-
fluence. 11 s'ourdit en Bretagne et en Vendée une vaste
conspiration, dont l'explosion devait coïncider avec le passage
du Rliin par les armées coalisées. Les Bretons, maîtres de
la rive droite, les Poitevins de la gauche, pouvaient, en
agissant de concert, envahir des villes florissantes, qui se-
raient devenues autant de centres d'action et de résistance.
Alors, des Sables d'Olonne aux rociieis du Calvaldos tout
eûtétéentraîné, tandis que la coalition frapperait de grands
coups à l'extrémité orientale du territoire de la république.
Cette vaste conception fut l'œuvre du marquisdeLaRouai-
rie, qui de 1791 à 1793 déploya d'immenses talents et
un admirable courage à la réaliser. Mais les circonstances,
l'espionnage et la délation l'empèclièient de réussir. Il mou-
rut dans la force de l'âge ( février 1793). Dès le 24 août 1792
huit mille paysans, prenant pour cliel Gabriel Baudry d'Asson,
s'étaient soulevés aux environs de Chàtillon pour la défense
de leur foi religieuse. Armés de bâtons, di; taux, de fourches
et de fusils de chasse, ils envahissent Chàtillon, brûlent les pa-
piers du district, et marchent sur Bressuire. Cette ville allait
succomber lorsque arrivèrent à son secours les gardes natio-
nales de Nantes, de Parlhenay, de Niort, de Saint-Maixent,
de Cholet, d'Angers, etc., qui battirent et dispersèrent les
insurgés, mais souillèrent leur victoire par d'affreux excès.
La Convention , effrayée, envoya en Bretagne, comme com-
missaires, Billaud-Varennes et Sevestre. En moins de trois
semaines , le général révolutionnaire Beysser fit rentrer dans
le devoir toute la rive gauche de la Vilaine , jusqu'aux por-
tes de Nantes. Les campagnes étaient aussitôt désarmées
que soumises, et on les forçait à payer toutes les contribu-
tions arriérées ainsi qu'à fournir leur contingent pour le
recrutement des armées conventionnelles. De cette époque
date en Bretagne l'emploi des mesures révolutionnaires.
Les commissaires de la Convention, préludant au régime de
la terreur, ordonnèrent la démolition des châteaux, l'arres-
tation des prêtres et des nobles. Comme on voulait sévir
contre les fauteurs de l'insurrection, le parti populaire fit
rejeter l'amnistie générale proposée à la Convention ; mais
le tribunal criminel établi à Niort y suppléa. Quelques hom-
mes obcurs furent seuls condamnés à mort, et presque tous
les prévenus, au nombre de trois cents, parmi lesquels fi-
guraient plusieurs gentilshommes , furent acquittés et mis
en liberté.
Bientôt le bruit de l'exécution de Louis XVI retentit dans
le Bocage de la Vendée. Puis les maisons dévalisées , les
châteaux dévastés et livrés aux flammes, les propriétaires
paisibles exposés aux spoliations, les ministres du culte
persécutés, les nobles, jadis riches et puissants, menacés
dans leur liberté individuelle, tout préparait une nouvelle
insurrection; cependant, on était encoreindécis, lorsque ar-
riva un décret de la Convention ordonnant pour le 10 mars
1793 une levée extraordinaire de 300,000 hommes. Ce
même jour 10 mars vit la révolte gagner la presque totalité
du département de la Vendée, partie de Maine-et-Loire,
des Deux-Sèvres et de la Loire-Inférieure. Chaque chau-
mière devient un atelier , et les instruments du labourage,
grossièrement façonnés , se changent en piques et en épées.
Des bâtons ferrés, des fourches, des haches et des fusils de
chasse sont les premières armes des paysans royalistes. Des
faux emmanchées à rebours vont servir de sabres à une ca-
valerie montée sur des chevaux sans selle et conduits par
un licou. Ici s'ouvre le funeste champ de la guerre civile
entre les royalistes et les républicains.
Déjà le tocsin sonnait dans plus de six cents paroisses ,
lorsque le 11 mars, près de trois mille insurgés du district
de Saint-Florent se rendent maîtres du chef-lieu après un
combat, brûlent les papiers et se partagent le butin. Ils al-
laient se séparer, lorsque Jacques Cathelineau, ayant
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sous ses ordres les habitants du Pin et de La Poitevinière ,
s'empare du château de Jallais , défendu par les républi-
cains, et se rend maître du mmionnaire, la première pièce
de canon dont purent s'enorgueillir les paysans royalistes.
Puis il emporte Chemillé, où il trouve trois coulevrines,
des munitions et beaucoup de provisions. Sa troupe gros-
sissait sans cesse ; il comptait déjà plusieurs milliers d'hom-
mes sous son commandement, lorsque Foret et le fameux
Sto ff let se joignirent à lui. Ensemble ils prirent Cholet.
Là les Vendéens trouvèrent des munitions et plusieurs
bouches à feu, entre autres une belle pièce de huit, en
bronze, faisant partie des trois canons que le cardinal de
Richelieu avait donnés jadis à la ville de Saumur : ils la
nommèrent Marie-Jeanne. Émerveillés de son bruit et de
sa beauté, ils la regardèrent depuis comme leur palladium,
et se crurent invincibles sous la protection de son feu.
La conquête de Cholet consterna les républicains et entraîna
la Vendée entière. Alors la guerre changea de face , et l'on
vit d'autres chefs lui donner plus de consistance. D'Elbée
parut parmi les royahsles victorieux; ceux-ci prirent Vi-
hiers, et les républicains se replièrent d'abord sur Doué,
puis sur Saumur.
Les insurgés du district de Saint-Florent avaient pro-
clamé chef le marquis Artus deBonchamp, qui voulut
aussitôt former un corps de troupes régulières ; mais la ra-
pidité des événements ne lui permit pas d'accomplir ce
projet. D'autre part , l'insurrection se développait dans le
centre de la Vendée et aux portes même de Nantes. Dés le
3 mars , un grand nombre de paysans, rassemblés aux
environs des Herbiers, mirent à leur tête Sapinaud de la
Vérie, gentilhomme poitevin, qui battit les garnisons ré-
publicaines de Pouzauges et des Herbiers , et leur enleva
trois pièces de canon. Alors l'insurrection éclate aussi dans
tout le pays de Retz , oii elle prend pour chef Danguy de
Vue, qui mourut à Nantes, sur l'échafaud, après avoir
échoué dans une tentative sur Paimbœuf. La Cathelinière
le remplaça. Un autre rassemblement s'empara du Pelleriu,
sous les ordres de Lucas-Championnière, qui s'attacha en-
suite à Charette et devint l'un des chefs les plus distingués
du bas Poitou.
Le 10 mars les républicains avaient perdu Machecoul.
Dans toute cette contrée, les vengeances excercées contre les
H'publicains furent nombreuses, impitoyables, et le marquis
de La Roche-Saint-André essaya vainement de discipliner
ces bandes aveugles d'insurgés. A la reprise de Pornic, les
républicains se livrèrent à de sanglantes représailles. Dé-
bordé par les siens, menacé par eux d'être fusillé, La Roche-
Saint-André se réfugia dans l'île de Bouin. H fut remplacé
par Charette. Pour premier exploit, ce nouveau chef prit
Pornic, qu'il livra au pillage. La révolte avait gagné le dis-
trict des Sables d'Olonne et plusieurs autres cantons jus-
que là tranquilles.
La basse Vendée et le centre du Bocage s'étaient soule-
vés sans obstacle, et devinrent le foyer de l'insurrection.
Dans l'espace de cinq jours, les Vendéens s'emparèrent de
Saint-Florent, Jallais, Cholet, Vihiers, Machecoul, Léyé,
Palluau, Chantonay,Saint-Fulgent, Les Herbiers, La Roche-
sur- Yon, menaçant Luçon, Les Sables d'Olonne et Nantes
même, dont les avant-postes étaient journellement aux prises
avec les soldais de la Cathelinière , de Lirot et de Guéry.
La terreur planait sur toutes les villes voisinas de la guerre
civile.
Sur la rive droite de la Loire , l'indécision de quelques
chefs eut ce résultat, que les campagnes s'apaisèrent. Mais
la généralité delà Vendée se souleva franchement en faveur
des Bourbons et de la religion catholique. En présence d'un
soulèvement si formidable, la Convention lança, le 19 mars
1793, un décret terrible qui, en suspendant l'institution
des jurés, livrait dans les vingt-quatre heures à l'exécu-
teur, pour être rais à mort, tout homme pris ou arrêté les
armes à la main; il suffisait que le fait, attesté par un seul
témoin, eût été déclaré constant par une commission mili-
VENDÉE
810
taire. Beysser, envoyé par le géuéial Canclaux, coiuniandant i
en chef de l'armée des côtes, reprit Le Port-Saint-Père, i
brûla une partie de Saint-Cyr en Retz, reprit Boiirgneiif,
Pornic, Noirmoutiers, et marcha sur Macliecoul, dont il
s'empara. Après avoir fait désarmer plusieurs paroisses,
Canclaux rentra à Nantes, où les autorités de la Loire-In-
férieure érigèrent un tribunal révolutionnaire pour juger
sans appel les insurgés pris les armes à la main. D'ahard
provisoire, ce tribunal redoutable fut confirnu' par la Con- ,
Tention ; elle déclara en outre que les Nantais avaient bien
mérité de la patrie. Mais que pouvaient des succès partiels
contre la masse des Vendéens? La résistance courageuse de
quelques villes ne rendit les grandes défaites que plus amères ; j
et la déroute du général Marcé, battu le 19 mars par Sa-
pinaud, fut bientôt le signal de plus grands revers.
Les royalistes du haut Anjou éprouvaient le besoin du
repos, il fallait céder, d'ailleurs, au désir que manifes- :
talent les paysans de rentrer momentanément dans leurs
foyers pour y remplir les devoirs que prescrit la religion au i
temps pascal. Toutefois, leurs chefs ne les congédièrent qu'a-
près les avoir ajournés à la semaine de la Quasimodo.
Quelques hommes d'élite formèrent un noyau prêt à agir
au besoin.
Du côté des républicains , tout se préparait à une attaque
générale Berruyer était arrivé à Angers. Des renforts aug-
mentèrent le nombre de ses troupes. Les chefs de l'Anjou se
hâtèrent de rassembler les paysans de leurs districts. D'El-
liée, Stofflet et Catlielineau se distinguèrent à Cholet et à
Chemillé; mais vivement poursuivis, ainsi que Bonchanij)
et Bérard, tous se concentrèrent à Beaupréau, qu'ils lurent
obligés d'évacuer ainsi que Cholet ; ils rétrogradèrent sur
Tiffauges; alors se montra parmi eux Henri de La Roche-
jacquelein, qui releva leur courage. Ce nouveau chef
battit aux Aubiers le républicain Qiietineau, auquel il en-
leva des armes et des munitions. Ce fut à la réunion de Tif-
fauges que les divisions D'Iilbée, Stoldet, Catlielineau et Bé-
rard formèrent alors ce qu'on appela depuis la grande ar-
mée d'Anjou et haut Poitou, mais qui à cette époque ne
s'élevait guère qu'à 18,000 combattants. Elle eut de nou-
veaux succès , et après la journée de Beaupréau elle força
Berruyer à se replier avec sa petite armée sur les Ponts-de-
Cé, pour couvrir Angers. Après un avantages! décisif, les pay-
sans rentrèrent la plupart dans leurs foyers ; mais ils reçu-
rent, le 2G avril , l'ordre de se rendre à Cholet, oii était le
rendez-vous général pour l'expédition projetée dans un con-
seil de guerre contre Bressuire, Argenton et Thouars.
La consternation se répandit à Saumur, à Angers et à
Nantes. Quetineau fut forcé de se réfugier àThouiirs; les
Vendéens entrèrent dans Bressuire et dans Argenton-le-
Château. Trois nouveaux chefs joignirent l'armée royaliste:
c'étaient le marquis <le Donissan, le marquis de Lescure,
son gendre, et Bernard de Marigni. L'armée vendéenne réu-
nie assiégea Thouars , qui fut convenablement défendue
par Quetineau , mais dont les royalistes s'emparèrent.
Grâce à La Rochejaquelein , ils s'y conduisirent avec une
grande modération. Quant à Quetineau , il expia sur l'é-
cliafaud la perte de cette ville. Après quelques succès de
détail, les Vendéens échouèrent une première fois devant
Fontenai; mais la volonté de Catlielineau les ramena une
seconde fois devant celte place, dont enfin ils s'emparèrent
après de brillants faits d'armes. Dans une des précédentes
rencontres , ils s'étaient vu enlever leur canon la Marie-
Jeanne : Foret le leur ramena par un acte de bravoure
extraordinaire.
La victoire de Fontenai, suivie de la prise immédiate de
ce chef-lieu de la Vendée, sembla donner à l'insurrection
une consistance imposante. Niort .se trouvait gravement
compromis. Mais au bruit du danger tous les districts
voisins se levèrent pour défendre la révolution contre les
royalistes; les renforts longtemps demandés parurent enfin,
sous la conduite de Weslcrmann, et la Convention nomma
Biron général en chef de l'armée républicaine. De toutes
paris les partisans de la révolution se hâtaient de voler aa
secours de Niort. Peut-être cependant seraient-ils arrivés
trop lard si les Vendéens eussent marché sur cette ville
le lendemain de la prise de Fontenai. Mais leurs chefs,
réunis en conseil, furent divisés d'opinion. Pendant ces
débats les paysans abandonnèrent l'armée ; de sorte que
vingt-quatre heures après la prise de Fontenai on n'était
déjà plus en nombre pour marcher sur Niort. On délaissa
donc Fontenai pour reporter le quartier général à Cholet.
Après des combats d'un intérêt très-secondaire , les Ven-
déens résolurent d'attaquer Saumur; le succès dépassa
toutes leurs espérances. La ville fut prise de vive force ; le
château capitula. Cette conquête est sans contredit l'exploit
le plus étonnant des Vendéens.
Ce fut à Saumur que Charles Beaurnont, d'Autichamp et
le prince de Talmont rejoignirent les royalistes. Les chefs
s'assemblèrent pour délibérer sur leurs projets ultérieurs.
Les uns voulaient marcher sur Tours , et de là soulever
les deux rives de la Loire ; d'autres étaient d'avis de fortifier
Angers et Saumur, de se porter ensuite sur Niort, et de
battre l'armée de Biron , pour se délivrer de toute inquié-
tude au midi ; quelques-uns enfin opinèrent pour attaquer
Nantes , où ils avaient des intelligences. C'est ce dernier
avis qui prévalut. Sur la proposition de Lescure, Cathehneau
fut proclamé généralissime des armées royalistes. Celles-ci
prirent ensuite Loudun et Chinon , qu'elles ne tardèrent pas
d'ailleurs à abandonner.
La crainte agitait les républicains , des discussions sans
terme troublaient la Convention ; et, au milieu d'une foule
de propositions diverses , le comité de salut public ne put
envoyer aucun secours. L'armée royale marchait sur An-
gers, où les républicains auraient voulu combattre; un con-
seil de guerre décida l'évacuation de la ville. Les commis-
saires conventionnels se montrèrent plus sévères à mesure
que le danger devenait plus pressant.
Toutes les divisions de l'armée royale marchèrent alors sur
Nantes, secondées par les principaux chefs du bas Poitou ;
mais leurs efforts pour s'empaier de cette grande ville fu-
rent inutiles. Cette place dut son salut au sang-froid du
général Canclaux, à l'activité du général Bonvoust , qui di-
rigeait l'artillerie, et au brillant courage de Beysser. C'est de-
vant Nantes que vint échouer la puissance des Vendéens.
Catlielineau mourut à Saint-Florent, le 14 juillet 1793,
des suites de ses blessures. Toute l'armée royale repassa
sur la rive gauche de la Ivoire , et fut momentanément li-
cenciée, en attendant un appel nouveau pour réparer l'é-
chec de Nantes. Canclaux rétablit les communications des
républicains entre Angers et Saumur; la division du gé-
néral Menou était rentrée dès le 30 juin à Saumur, où les
commissaires de la Convention déployèrent une grande sé-
vérité.
Dans le midi de la Vendée , les royalistes ne furent pas
plus heureux, malgré les hésitations du général républicain
Sandoz, qui fut remplacé par Tuncq. Du côté de Niort,
Westermann, pénétrant le premier au cœur de la Vendée,
prit Partlienay , en dépit de Lescure , puis Amaillou , puis
Clisson , où ii brûla le cliàteau de Lescure , et .s'empara de
Bressuire, ainsi que de Châtillon (juillet 1793). Stofflet et
Bouchamp arrivèrent à Cholet au secours de La Roche-
jaquelein et de Lescure. Ensemble ils battirent à leur tour
Westermann, et celui-ci se retira en fugitif de ce territoire,
qu'il perdait en moins de temps qu'il ne l'avait gagné.
Accusé de trahison, il fut acquitté. A Châtillon siégea dès
lors le conseil supérieur de la Vendée, formé après la prise
de Fontenai, mais réellement organisé après celle de Sau-
mur. Presque tous les membres de ce conseil étaient des
hommes dévoués , sans doute, mais dépourvus de talents ;
et la plupart de leurs actes furent impoliliques et intem-
pestifs. Ce fut à Châtillon-sur-Sèvre, vers le 15 juillet
1793 , que les chefs vendéens nommèrent d'Elbée généra-
lissiiiie, en remplacement de Cathehneau. On lui donna
Stolllct pour major général. En établissant une force mili-
taire, les chefs royalistes s'étaient occupés aussi du matériel
comme du personnel de l'armée : elle avait ses commis-
saires, ses trésoriers, des agents intelligents et actifs. Ou
avait lornié des magasins ; on fabriquait de la poudre à
Mortagne et à Beaupréau. Dans leur système d'isolement ,
les chefs de la basse Vendée se concertaient peu avec ceux
de l'Anjou et du haut Poitou ; et même entre eux ils agis-
saient rarement d'accord. Ce qui étonnera davantage, c'est
qu'au milieu de cette fermentation les champs étaient cul-
tivés, et que l'agriculture ne paraissait pas souffrir de l'ab-
.scnce momentanée mais fréquente des Vendéens , qui au
moindre revers, craignant pour leurs femmes et leurs en-
fants, accouraient à leur village prendre leur part du dan-
ger qui menaçait leurs familles, et qui même au milieu des
plus grands succès se sentaient à certains moments rap-
pelés dans leurs foyers par la nécessité d'ensemencer leurs
champs ou défaire leur récolte, et trouvaient toujours alors
des prétextes pour quitter 1 armée , sauf à revenir au pre-
mier signal se ranger sous la bannière de la paroisse.
Les dissensions que le fédéralisme excita au sein même
de la Convention, la scission qu'il amena entre les dépar-
tements, furent favorables aux royalistes de la Vendée et
leur ménagèrent d'utiles diversions. Mais lorsque la Con-
vention eut surmonté toutes les résistances , les opérations
militaires furent reprises avec une ardeur nouvelle.
L'insurrection royaliste avait pris un aspect imposant.
Les plans de Biron ne paraissaient pas propres à amener
une prompte solution. A la suite d'im combat heureux,
Menou occupa Vitiiers, d'où les Vendéens essayèrent d'a-
bord vainement de le chasser; une seconde tentative leur
réussit mieux, et les républicains, en se retirant, livrèrent
Vihiers aux flammes. Les Vendéens ne poursuivirent
point ce snccès. Peu après Biron mourut, sur l'écliafaud.
Rossignol lui fut donné pour siic(tesseur. Les généraux
royalistes n'avaient pas de plan arrêté. Ils résolurent enfin
d'envahir le Poitou méridional, de con)biner cette attaque
avec Charette et les chefs du bas Poitou , et de détourner
l'attention des républicains par des diversions vers Saumur
et les Ponts-de-Cé. Le château des Pouts-de-Cé fut effecti-
vement pris par d'Autichami); mais il fut presque aussitôt
enlevé par les républicains. Le viconte deScépeau\ échoua
du côté de Saumur.
La Convention nationale voulut en finir avec l'insurrec-
tion royaliste. Les bois taillis et les genêts incendiés, les
forêts abattues, les habitations détruites, la récolle coupée
et portée sur les derrières de l'aimée, les bestiaux saisis,
les (emmes et les enfants enlevés et conduits dans l'inté-
rieur, les biens des royalistes confisqués pour indemniser
les révolutionnaires réfugiés, enfin une levée en masse des
habitants des districts environnants , préparée au son du
tocsin depuis l'âge de seize ans jusqu'à soi\ante; telles fu-
rent les dispositions de la loi adoptée contre la Vendée,
sur la proposition de Barrère. Le comité de salut public fit
aussi décréter que les troupes de ligne qui avaient défendu
Mayence seraient transpoitées en poste sur les rives de
la Loire, ainsi que la garnison de Valenciennes. En atten-
dant l'arrivée de ces renforts, le général en chef Rossignol
reçut l'ordre de se tenir sur la défensive.
Tandis que les républicains préparaient une attaque
générale, les chefs royalistes recevaient , près de Chàlillon ,
le chevalier de Tinteniac, agent du gouvernement biilan-
nique, qui, après avoir conféré avec eux, put regagner
Londres sans accidents. Toutes les divisions royalistes se
réunirent pour l'attaque de Luçon. Tuncq , au moment où
elles se présentèrent devant cette place, recevait avis de sa
destitution. Les commissaires de la Convention Goupilleau
et Bourdon ( de l'Oise ) lui enjoignirent néanmoins de
garder son commandement ; il obéit, et il lit éprouver aux
royalistes la plus cruelle défaite qu'ils eussent encore es-
suyée ; elle eut aussi pour résultat de jeter parmi eux de
nouveaux germes de désunion et de découragement.
Du côté de Nantes , la division de La Cathelinière n'a-
VENDEE 811
vait pas eu plus de bonheur ; mais les discordes des géné-
raux républicains , leur insubordination envers le général
en chef et la mésintelligence de celui-ci avec les représen-
tants de la Convention, entravèrent les succès des républi-
cains. Après de misérables discussions, il fut décidé que
l'on attaquerait Mortagne par Nantes, sous les ordres de
Canclaux. Cette expédition commença l'exécution du code
d'extermination voté par la Convention nationale contre
la Vendée. Quelques entreprises partielles des Vendéens ,
dans ce temps-là même , ne furent pas sans succès. Cha-
rette surtout se signalait par des escarmouches aux portes
même de Nantes, lorsque la garni.son de Mayence entra
dans cette ville. Près de Luçon, d'Elhée et les autres chefs
obtenaient sur les républicains un brillant succès.
La plupart des généraux royalistes se trouvant réunis
aux Herbiers , établirent un nouvel ordre dans l'armée,
afin de pouvoir déployer tous leurs moyens de défense.
D'Elbée resta généralissime; mais on divisa la Vendée en-
tière en quatre commandements principaux, donnés à Cha-
rette, à Boncliamp, à La Rochejaquelein et à Lescure.
Royrand eut , de fait , un cinquième commandement. Le
marquis de Donissan fut reconnu gouverneur général de la
Vendée pour Louis XVIll. Son autorité devait s'étendre
sur le conseil supérieur et sur les généraux.
Une levée en masse eut lieu par ordre des commissaires
de la Convention. L'armée de Mayence, réunie à celle des
côtesde Brest, pénétra dans la basse Vendée en deux grandes
divisions. Soixante-dix mille hommes de troupes régulières
formaient l'élite des forces républicaines , et précédaient la
levée en masse. Les royalistes essayèrent de se défendre
dans le pays de Retz ; mais ils ne réussirent pas dans leurs
tentatives. Charette se vit obligé d'abandonner Légé et de
se replier en désordre sur Montaigu , où il fut attaqué dès
le lendemain , et Beysser resta maître de cette place sans
poursuivre les vaincus. En huit jours , l'armée du général
Canclaux, réunie aux Mayençais, avait fait plus que toutes
les années de l'ouest en six mois.
Le danger, pour les royalistes , était tout aussi pressant
du côté de l'Anjou et du haut Poitou , menacés par plu-
sieurs divisions de l'armée des côtes de La Rochelle. Le
toscin sonna de nouveau dans toutes les paroisses ; en
quelques heures trente mille paysans .se réunissent à Chà-
lillon; l'espérance renaît dans tous les cœurs , et l'armée
tile sur Cliolet, où d'Elbée discutait avec les autres chefs le
plan d'opérations On résolut de marcher sans délai vers le
bas Poitou pour repousser l'armée de Mayence, contre
laquelle Charette ne pouvait résister seul. Alors même l'i-
gnorant Sauter re l'Iait honteusement battu à Coron, et
presqu'en même temps le royaliste Diihoux battait sur un
autre point son oncle, gênerai républicain. Maître de Mon-
taigu et de Clisson , Caudaux se dirigea sur Mortagne.
Charette, réuni à l'armée d'Anjou , livra un combat meur-
trier à Kleber, qui , malgré de grandes pertes, se retira en
bon ordre. Canclaux arriva trop tard à son secours. Les
royalistes occupèrent Tiffauges, et les vaincus s'arrêtèrent à
Clisson. Charette reprit Montaigu sur Beysser. A cette nou-
velle, Canclaux rétrograda vers Nantes; son arrière-garde
fut attaquée en route par Bonchamp, qui heureusement ne
put entamer son corps de bataille. Pendant ce temps Cha-
rette mettait en déroute, à Saint-Fulgent , le général Mies-
koiisky. Si les chefs Vendéens eussent agi alors de concert,
ils auraient probablement détruit l'armée de Mayence; ils
se reprochèrent mutuellement plus tard, et avec aigreur,
leur manque d'en.semble. Les Vendéens, suivant leur usage,
allèrent prendre , après ces succès , quelque repos dans
leurs foyers. Chez les républicains , les deux commissions
conventionnelles de Saumur et de Nantes s'imputèrent ré-
ciproquement les derniers désastres, en s'accusant tour à
tour de s'être écartées du plan de campagne.
Les corps d'armée des républicains se disposaient à
rentrer dans la Vendée pour tenter un dernier effort. La
division de Mayence reprit Montaigu et Clisson sans rec-
812 VENDÉE
contrer de résistance; mais les ordres contradictoires
qu'elle reçut la firent crier à la trahison. Des plaintes
furent portées à la Convention. Le comité de salut public
prit de nouvelles mesures pour faire cesser la cause de tant
de revers. Barrère fit approuver la réunion des deux ar-
mées en une seule , sous le nom d'armée de l'Ouest , et la
nomination du général Leclielle au commandement en clief.
Les royalistes cependant se désunissaient. Une sorte
d'antipathie régnait entre les insurgés du bas Poitou et
ceux de la haute Vienne. Cbarette partageait les pré-
ventions de ses soldats, et Lescure lit en vain tous ses ef-
forts pour prévenir les effets d'une dangereuse mésintel-
ligence. Chaque jour celle-ci se manifestait sous les formes
les plus vives et de la manière la plus désastreuse pour
les royalistes. L'armée de Mayence remportait de nou-
veaux succès , lorsque Canclaux fut rappelé ; et bientôt
après on vit arriver le général Leclielle , qui résolut de por-
ter sur Châtillon tous les efforts des deux armées réu-
nies. Westermann ne tarda pas à y entrer triomphant,
et ses troupes s'emparèrent de plusieurs positions voisines.
Deux jours après, Châtillon fut repris par les paysans ; cette
malheureuse place fut, le jour même du retour des Ven-
déens, enlevée de nouveau par Westermann et Clialbos, et
horriblement maltraitée ; puis les républicains l'abandon-
nèrent. Les royalistes venaient de se réunir à Mortagne,
lorsque les armées de Liiçon et de Mayence marchèrent sur
eux, menaçant à la fois Mortagne et Cholet. Le danger était
imminent. Charetle persista dans son système d'isolement
et d'abandon. Mortagne abandonnée fut occupée par les
républicains, qui livrèrent cette place aux (lammes. L'armée
des Vendéens couvrit Cholet, bien résolue à détendre ce
boulevart de la Vendée. Ils combattirent, mais durent cé-
der; Cholet fut perdu pour eux, et la concentration de
toutes les divisions républicaines fut entièrement consom-
mée. A Beaupréau, Bonchamp fit la proposition de se jeter
avec l'armée royale eu Bretagne, et d'y faire diversion en
livrant sur l'ancien théâtre de la guerre une grande bataille.
Le combat eut lieu près de Cholet; il fut acharné : les Ven-
déens furent battus, et Cholet fut encore une fois pillé par
les républicains.
Westermann écrasa de nouveau les Vendéens à Beau-
préau ; mais ne les ayant pas poursuivis sur les bords de la
Loire, il perdit ainsi le fruit de sa victoire. Les Vendéens
passèrent la Loire. C'est à ce moment que Bonchamp mou-
rant sauva les prisonniers républicains que les royalistes
voulaient égorger à Saint-Florent.
Les Vendéens nommèrent alors La Rochejaquelein généra-
lissime. Le conseil , après le passage de la Loire, décida
qu'on marcherait d'abord sur Laval et sur Rennes. Can-
dé, Segré , Château-Gontier , tombèrent au pouvoir des
royalistes. Après un combat où les républicains eurent le
dessous, Laval fut envahi. La confusion régnait à Nantes
comme à Angers. Les Vendéens auraient pu marcher sans
obstacles en Bretagne et jusqu'à Rennes; ils aimèrent mieux
se reposer à Laval. Bientôt W'cstermann arriva près de
cette ville avec les républicains. Dans un combat qui ne
fut que le prélude d'une action plus générale, Westermann
fut forcé de battre en retraite. Cette action générale , qui
duraunjour et une nuit, et où La Rochejaquelein déploya les
talents d'un capitaine expérimenté , fut fatale aux républi-
cains, qui y firent une perte énorme en hommes , en ba-
gages et en argent. Peu de jours après, le général Leclielle
mourut à Nantes, de honte et de douleur. D'Auticliamp
chassa ensuite les républicains de Craon. Le général Ros-
signol, en voulant tout couvrir à la fois, ne put rien sauver.
Les républicains .se divisèrent de nouveau en plusieurs
corps d'armée, qui agirent indépendamment les uns des
autres.
Pour faire face aux nécessités de la lutte , les royalistes
créèrent des bons royaux, commerçables , portant intérêt,
hypothéqués sur le trésor royal, et remboursables à la paix.
L'armée royale, entraînée par un mouvement de Stofdct,
entra dans Mayenne ; là , le prince de Talmont proposa de
marcher sur Saint-Malo. Après une victoire, les royalistes
perdirent quatre jours à Fougères au lieu de marcher sur
Rennes; ils trouvèrent du reste à Fougères une troupe
auxiliaire de paysans. Déjà , depuis Laval, ils avaient recruté
six mille Bretons , et des rassemblements formés aux envi-
rons de Vitré, entre Rennes et Fougères, reçurent le nom
de petite Vendée. Mais l'exemple du Morbihan , de Laval
et de Fougères n'entraîna pas la masse de la Bretagne; et
ces insurrections partielles, bientôt étouffées ou dispersées,
furent perdues pour les Vendéens {voyez Chouannerie).
Ce fut à Fougères que Georges C a d o u d a 1 rejoignit , à la
tête d'une troupe de cent cinquante Morbiliannais, l'armée
royale. Le séjour de Fougères fut marqué aussi par la mort
de Lescure. On se décida à marcher sur Granville.
Le département de la Manche était en effet ouvert aux
royalistes; il n'y avait pour le défendre aucune troupe
de ligne. Avranches fut donc pris par les Vendéens. Après
quelques succès de détail, ils se présentèrent devant Granville.
La défense fut héroïque comme l'attaque. Les Vendéens
durent céder : la désertion se mit parmi eux ; des bandes
entières s'obstinèrent à reprendre le chemin de leur pays;
on essaya de les retenir : elles accusèrent vivement leurs
chefs de trahison et d'abandon. La flotte anglaise n'avait pu
soutenir à temps les Vendéens ; et si elle eût combiné ses
mouvements avec les leurs, Granville aurait peut-être suc-
combé. L'armée catholique, pressée de regagner les bords
de la Loire, et ne voyant de sûreté que là, rallia tous ses
détachements, et se dirigea tout entière sur Pontorson,
abandonnant ses blessés et plusieurs femmes dans les hô-
pitaux d'Avranches , où les républicains les égorgèrent.
Au pont de Couesnon, le général républicain Tribout
essuya une horrible défaite; de Pontorson, les Vendéens
vinrent à Dol, le 19 novembre 1793, sans rencontrer d'ob-
stacles. Aux sanglants combats de Dol, les républicains
furent encore battus; et ils laissèrent Antrain aux royalistes.
Le comité de salut public désigna le général Turreau pour
commander l'armée de l'ouest; mais comme il était alors
en Espagne , Marceau eut le commandement par intérim.
Ce fut sous ses ordres que l'armée porta les coups les plus
décisifs aux royalistes. Ceux-ci étaient de nouveau divisés
par la discorde : ils se mirent en marche vers Laval, puis
sur La Flèche , où ils résolurent d'attaquer Angers sans re-
tard. L'attaque commença le 5 décembre; mais tous les ef-
forts des Vendéens furent inutiles. L'armée royale se re-
porta sur La Flèche par Baugé, toujours harcelée par
Westermann. A La Flèclie une action d'éclat de La Roche-
jaquelein la sauva d'une perte presque certaine; mais le dé-
sordre, la confusion, le découragement ne permirent aux
chefs de s'arrêter à aucun parti salutaire. Du côté des ré-
publicains, c'était aussi le défaut de concert qui nuisait aux
opérations ; et entre eux ils ne se ménageaient pas, car le
conventionnel Philippeau, Westermann et Beysser furent
envoyés à l'échafaud.
Le 10 décembre , les Vendéens se présentèrent devant Le
Mans , et y entrèrent après un combat très-vif soutenu par
la garnison. Toutes les divisions , réunies sous les ordres du
général Marceau , se portèrent sur Le Mans. Le 13 décembre
eut lieu le combat : il fut terrible ; les Vendéens, forcés d'a-
bandonner cette ville , perdirent beaucoup de monde, et se
dispersèrent au hasard sur la route de Laval, tandis que
dans Le Mans les soldats républicains faisaient un épou-
vantable abus de la victoire. Les fuyards furent en grand
nombre massacrés.
La Rochejaquelein, à force de fermeté, parvint à ramener
sur la Loire les tristes débris de l'arjnée vendéenne. Wes-
termann les suivait, il les empêcha de traverser le fleuve;
quelques chefs seuls, entre autres La Rochejaquelein , pu-
rent arriver de l'autre côté. L'armée vendéenne se dispersa
alors peu à peu , malgré les efforts du prince de Talmont.
Sept mille royalistes, sous la conduite de Fleuriot, arri-
vèrent à Savenay , où ils voulurent se retrancher. Là ils
eurent à résister à toute l'armée républicaine, et furent
presque tous égorgés. Cette journée de Savenay eut des
suites si terribles, qu'elle fut pour ainsi dire le coup de
massue qui écrasa la grande Vendée. De 80,000 Vendéens
des deux sexes qui avaient passé la Loire, 3 à 4,000 seule-
ment éciiappèrent aux chances des combats, à la misère,
aux maladies et aux massacres. Les prisonniers, hommes,
femmes et enfants, furent envoyés à Nantes, et c'est alors
(1794) qu'eut lieu la sanglante mission de Carrier, qui les
fit mitrailler en masse ou noyer. Ce fut pendant que ce
monstre se livrait dans cette ville 5 toute sa férocité , que
Charette prit l'île de Noirmoutiers. Il espérait par là pou-
voir établir des communications avec l'Angleterre ; mais
il n'y réussit pas. Au retour de cette expédition, il fut re-
joint par d'Elbée. Grâce à Charette, la basse Vendée se
trouvait dans une attitude imposante; il n'y eut pas sur la
rive gauche de la Loire d'interruption dans les combats.
On redouta bientôt que les Vendéens ne reprissent leurs
forces premières. Le plan formé par le général Turreau pour
les contenir consistait à établir des camps retranchés dans
les principales positions, à intercepter aux Vendéens tout
secours étranger, à les priver de toutes espèces de ressources
en munitions de guerre et de bouche, à couper toutes les
communications avec les insurgés de Bretagne comme avec
les insurgés du Marais , à désarmer toutes les paroisses
voisines du foyer de l'insurrection , et à isoler les insurges
du centre du pays, en occupant fortement les principaux
points de la circonférence ; à enlever de l'intérieur les bes-
tiaux, les grains, et généralement tous les moyens de sub-
sistance; à détruire tout ce qui leur olîrirait un asile et des
ressources ; à éloigner tous les habitants qui , sous prétexte
de neutralité, portaient alternativement la cocarde blanche
et la cocarde tricolore; à diriger contre Charette des opé-
rations hardies; à faire parcourir la haute Vendée dans
tous les sens par douze colonnes, surnommées tout aussitôt
infernales , qui devaient traverser en tous sens le pays
vendéen, et y répandre la terreur par l'incendie, le mas-
sacre et la destruction. La guerre fut sans pitié.
Malgré cette terreur, La Rochejaqueiin s'empara de Che-
millé, et inquiéta en détail les républicains; malheureuse-
ment pour les royalistes , il fut tué. Slofflet se saisit du
commandement en chef, et bientôt entra victorieux dans
Cholet, dont la possession lui valut cdle de tout le
pays qu'avait occupé la grande armée catholique. La Ven-
dée se trouva alors partagée entre trois chefs; le bas Poitou
obéissait à Charette , l'Anjou à Stofllet, et le haut Poitou
à Bernard de Marigni ( 1794). Celui-ci entra dans Mortagne,
ety.exerça quelques vengeances; mais il ne l'occupa qu'un
seul jour, parce qu'elle n'olfraitaucune sûreté. La campagne
d'hiver de 1794 fut le titre le plus solide à la gloire de Cha-
rette. Stofflet, Charette et Bernard de Marigni formèrent un
pacte fédératif , et les armées royalistes se dirigèrent vers
la Loire. Mais alors des discussions s'élevèrent entre les trois
chefs; et, à la suite d'une conférence qu'ils eurent à Jallais,
Charette et Stofdet firent faire le procès à Marigni, et l'en-
voyèrent au supplice.
Le pays insurgé , dont Stofflet et Charette restaient les
maîtres, reçut dans les conférences de Jallais un nouveau
partage. L'armée d'Anjou et du haut Poitou, appelée par les
Vendéens armée du haut paijs, étendit le commandement
de Stofflet depuis la Loire jusqu'à la Sèvre Nantaise. Le
pouvoir de Charette fut reconnu depuis la grande route de
Nantes à La Rochelle jusqu'aux Sables d'Olonne, et depuis
Les Sables d'Olonne jusqu'à Luçon et Sainte-Hermine. Enfin,
la troisième armée, dite rfMcen/re, se trouva renfermée entre
les limites de la Sèvre Nantaise et la grande route de La
Rochelle à Nantes. Couverte par les deux armées de Charette
et de Stofflet, elle se distingua peu, n'agissant guère que
pour les renforcer au besoin. Tous les rassemblements par-
tiels vinrent se fondre dans ces trois grandes divisions.
Stofflet et Charette marchèrent contre les républicains de
Saint- Florent; mais Stofllet empêcha Charette de réussir
VENDÉE 813
dans celte entreprise. Les deux, chefs ne pouvaient s ac-
corder. Jamais d'ailleurs les royalistes n'eussent parcouru
aussi librement le centre de la Vendée, si le général Tur-
reau n'eût pas renfermé son armée dans des camps retran-
chés, répartis sur les hmites du pays vendéen. Turreau fut
rappelé. A cette époque, Tinteniac arriva auprès des chefs
vendéens avec une nouvelle mission du gouvernement an-
glais et du comte d'Artois, qui annonçait sa prochaine arri-
vée. Ensuite, les trois armées royalistes firent une attaque in-
fructueuse contre Challans. Peu après, Charette prit les camps
retranchés de La Rouliière et de Frérigné; mais la division
entre ce chef et Stofflet devenait chaque jour plus proibnde
au moment même où le règne de la terreur cessait à Paris
et dans la Vendée.
La Convention offrit à ce moment la paix aux royalistes.
Les bases en furent discutées, le 15 février 1795, avec
Charette dans la conjérence de La Jaunais. Les Vendéens
s'engagèrent à déposer les armes , à reconnaître la répu-
blique et à s'abstenir désormais de toute hostilité. La ré-
publique, de son côté, leur accordait amnistie pleine et
entière pour le passé, et leur garantissait une équitable in-
demnité pour leurs pertes en même temps que le libre
exercice de leur culte et l'exemption de tout service mi-
litaire. C'est dans ces termes qu'eut enfin lieu la première
pacilicalion entre les républicains et les royalistes.
Mais les deux partis, qui avaient besoin de repos , n'a-
vaient cherché qu'à se tromper mutuellement. Dès le mois
de juin 1795, une flotte anglaise ayant débarqué à Qtii-
beron im corps d'émigrés français, les chefs vendéens re-
prirent courage et songèrent à une nouvelle levée de bou-
cliers. Bientôt Charette, dans un manifeste, déclara encore
une fois la guerre à la république. C'est en Bretagne que
s'établit cette fois le théâtre des opérations militaires. Mais
la désunion qui régna alors plus que jamais parmi les chefs
royalistes , la malheureuse issue de l'ex pédition de Quiberon,
et la sagesse des mesures prises par WocA e, appelé au
commandement en chef des forces républicaines, empê-
chèrent que cette seconde levée de boucliers arrivât jamais
aux proportions qu'avait eues la première (voyez Chouan-
nerie). Lès combats des guerres subséquentes de la Vendée
n'offrirent plus le même caractère ni le môme intérêt que
ceux qui avaient signalé la guerre de 1793 et 1794. Hoche
étendit sur le pays tout entier un redoutable réseau de co-
lonnes mobiles , qui partout dissipaient les commencements
de rassemblement, épargnant le paysan et le simple soldat,
mais sans pitié pour les ofticiers et les chefs.
Déjà Stotllet était mort fusillé depuis quelque temps, lorsque
Charette fut fait prisonnier par le général Travot, au com-
mencement de 1796 -.on connaît sa mort. Le Maine, l'Anjou,
la haute Bretagne, le Morbihan firent quelques mouvements;
mais en 1796 toutes les armées chouannes s'étaient suc-
cessivement vues contraintes de déposer les armes.
A partir de 1794 il n'y eut plus de grande Vendée; mais
cène fut que le traité de pacification conclu par le gouverne-
ment consulaire, en février 1800, qui mit réellement fin aux
troubles de ces contrées. Quoiqu'elles ne formassent que la
quarantième partie du territoire de la France, plus de
150,000 de leurs habitants avaient trouvé la mort sous le
fer et le feu des cohortes républicaines.
Malgré la paix qu'il était parvenu à y rétablir. Napoléon
eut toujours l'œil sur la Vendée, dont les dispositions lui
inspirèrent constamment une sage défiance. Comme c'était
surtout le manque de grandes villes et l'absence de grandes
routes qui avaient facilité l'insurrection de 1793, Napoléon
ordonna en 1808 qu'une ville nouvelle serait construite au
centre de la Vendée sous le nom de Napoléonville, pour
devenir le chef lieu du département; et que de cette ville s'é-
tendrait à travers toute la contrée et jusqu'à la côte un vaste
réseau de routes communales et départementales. Les in-
cessantes guerres de l'empire empêchèrent la réalisation de
ce plan. Dès la fin de 1812 les populations vendéennes se
montrèrent très-récalcitrantes pour le payement de l'impôt,
814
et surtout firent preuve du plus vif empressement à fournir
toutes espèces de secours aux conscrits réfractaires.
Au commencement de 1814, il commençait à être
question d'une nouvelle prise d'armes; mais les événe-
ments qui s'accomplirent à la fin de mars à Paris ren-
dirent inutiles les préparatifs déjà faits sur une assez large
écliclle par quelques anciens ciiefs. Ceux-ci n'eurent tou-
tefois dans les cent jours qu'à donner le signal de l'insur-
rection pour être obéis des populations, qui s'insurgèrent
aux cris de vive le roi. Napoléon comprit tout de suite qu'il
ne fallait point donner à cette insurrection le temps de
grossir. Il chargea le général Lamarque de rétablir
l'ordre et la tranquillité dans ces contrées , et celui-ci s'ac-
quitta de sa mission avec un rare bonheur. Il était par-
venu à pacifier complètement le pays, au moment où le dé-
désastre de Waterloo rétablit encore une lois les princes de
la maison de Bourbon en possession du trône de France.
Après la révolution de Juillet, il y eut de la part de la
noblesse vendéenne une nouvelle levée de boucliers , et cette
fois en laveur du duc de Bordeaux. Au mois d'avril IS32,
la duchesse de Berry traversa toute la France pour se je-
ter en Vendée et s'y placer à la tête des insurgés, qui pro-
clamaient .son fils le seul souverain légitime. L'insurrection
[)rit en effet, grâce à la présence de cette pi incesse, d'as-
sez formidables proportions,* et fut suivie sur quelques points
d'horribles scènes de carnage et de dévastation. Mais les
me-ures énergiques auxquelles eut recours M. Thiers et la
capture de la duchesse de Berry comprimèrent le mouve-
ment ; et quand la grossesse de cette princesse et son accou-
chement dans la citadelle de Blaye furent ciioses avérées ,
l'entlinusiasme des populations bretonnes pour la cause
de la uiouarchie légitime se refroidit singulièrement. Ins-
truit par l'expérience, le gouvernement de Louis-Philippe se
hâta alors d'exécuter le réseau de grandes routes que Napo-
léon avait voulu faire construire en Vendée. Ces travaux
ont complètement transformé ce pays, que rien ne distingue
plus aujourd'hui du reste de la France, et où à l'éiioquede
la révolution de février 1848 pas une voix ne s'est élevée
pour piotester contre la proclamation de la république et
réckuuer en faveur du droit de Henri V à la couronne.
VEA'DEE ( Département de la). Il tire son nom d'une
rivière que forment, dans la partie occidentale du départe-
ment des Deux-Sèvres , trois ruisseaux, et qui arrose le
sud-est du département avant de se jeter dans la Sèvre
Niortaise, à trois kilomètres deMarans, après un parcours
d'environ soixante kilomètres, dont vingt-quatre navigables à
partir en amont de Foutenay-le-Comte. C'est un département
maritime de la région de l'ouest, formé du ci-devant bas
Poitou et d'une partie des Marches de Bretagne. Il est borné
au nord par les départements de la Loire-Inférieure et de
Maine-et-Loire ; à l'est, par celui des Deux-Sèvres; au sud,
par celui de la Charente-Inférieure, et a l'ouest par l'Océan.
L'île Dieu, l'île de Noirmouliers, situées dans l'Océan, et
l'ile de Bouin , qui n'est séparée du continent que par un
étroit bras de mer, en font partie. Sa superficie est de
680,775 hectares, dont près des deux tiers, c'est-à-dire
408,505 hectares en terres labourables, 109,896 en prairies,
29,060 en bois, 8,232 en jardins et vergers, et 65,826 en
landes , pâtis et bruyères. Sa [lopulation est de 389,683 ha-
bitants. Il ressortit à la quinzième division militaire, à la
vingt-quatrième conservation forestière, à la cour impériale
et à l'académie de Poitiers. Il envoie au corps législatif
trois députés, et paye 1,514,072 d'impôt foncier.
Il se divise en trois parties distinctes, le Marais, le
Bocage et la Plaine, noms caractéristiques empruntés à la
nature du pays et aux divers accidents physiques du ter-
rain. Le Marais s'étend principalement le long des côtes ;
le Bocage occupe le centre et le haut pays en s'éloignant
de la mer et de la Loire; la Plaine borde en grande partie
le cours inférieur de ce fleuve. La Plaine est une contrée
découverte et assez fertile. Le principal cours d'eau qui
\'arro.se est la Vendée. Le Bocage, ainsi nommé des bois
VENDEE
qui le couvrent, forme plus de la moitié du département. Eu
général, la terre y est forte et compacte ; mais le sol est varié :
on le trouve en certaines parties argileux, dans d'autres
glaiseux ou sablonneux. Le fond est de granit. Les routes
sont en petit nombre. Les habitations et les propriétés, en-
closes de haies vives fort épaisses, communiquent entre elles
par des chemins étroits, fangeux, profondément encaissés ti
bordés d'arbres touffus. Ces maisons cachées par des haies,
ces chemins semblables et croisés dans tous les sens, font de
ce pays une espèce de labyrinthe dont la défense est facile ,
et où il est impossible à un étranger de se reconnaître et
de se diriger. Le Marais renferme quatre espèces de terri-
toires, différant par leur aspect, leurs propriétés et leur
culture : ce sont les marais salants ; les marais mouillés,
ou recouverts d'eau seulement pendant une partie de l'an-
née; les marais conslamment inondés, ou étangs , et
enfin les marais desséchés. Les marais mouillés sont cou-
verts pendant les grandes eaux de bateaux appelées yoles,
et qui portent les habitants d'un point à un autre. Les ma-
rais desséchés l'ont été au moyen d'un canal de ceinture et
d'une digue, nommée digue des Hollandais, qui a permis
de retenir les eaux supérieures , et de leur assigner un cours ,
en établissant sept canaux principaux, qui pendant les gran-
des eaux servent aux dessèchements, et pendant les séche-
resses aux irrigations. Les digues qui les bordent sont utili-
sées comme chemins; les tertres sont couverts de beaux
villages, et les terres desséchées ont été converties en belles
prairies ou enterres labourables. Les petites chaînes de mon-
t^nes qui se ramifient dans ce département se rattachent aux
prolongements des contre- forts du Cantal. Dans le grand
nombre de rivières et de ruisseaux qui sillonnent le pays, .six
seulement sont navigables; l'Autise , la Vendée, le Lay,
la Vie, la Sèvre Niortaise et la Sèvre Nantaise. Cinq routes
impériales et quelques routes départementales traversent
la contrée, où des routes stratégiques ont également été
ouvertes depuis 1833. La température est très-diverse :
chaude et himiide dans le Marais, humide et fraîche dans
le Bocage , elle n'est complètement saine et sèche que
dans la Plaine. Le pays renferme un assez grand nombre
de sources minérales.
Le déparlement de la Vendée , où l'on compte 50 cantons
et 298 comunines, a pour chef-lieu Napo léon-Ven dée,
et forme trois arrondissements : Napoléon-Vendée, Fo n-
tenay et Les Sables d'Olonne, ville de 6, 133 habitants, sur
une presqu'île ne tenant au continent que du côté de l'est,
avec un petit port, défendu par des batteries et pouvant re-
cevoir des bâtiments de 1 50 à 200 tonneaux. On y trouve
un tribunal civil et un petit séminaire. On y fait la pêche
du gros poisson et des sardines et un commerce de vins
assez important. La conservation des sardines est aussi une
industrie spéciale de la population. Les autres localités
importantes de ce département sont : Les Herbiers (3,365
hab.) ; Mortagne-sur-Sèvre, petite ville sur la Sèvre Nantaise
( 2,238 hab. ) ; Poiré ( 3,838 hab. ) ; Luçon, No ir mobi-
lier s, île ainsi nommée d'une ancienne abbaye de
bénédictins; Tiffauges, incendiée en 1793 et reconstruite
aujourd'hui, avec un château auquel se rattachent des
souvenirs hi.storiques, et qui fut au quinzième siècle
l'un des théâtres des horribles déportements du fameux
Gilles de Retz; Beauvoir-sur- Mer (2,744 hab.), baignée
autrefois par l'Océan et qui s'en trouve aujourd'hui éloignée
de près de quatre kilomètres ; Bazauges ; Vile-Dieu, ou
plutôt/^e-dTew (2,546 hab.), où en 1795 le comte d'Artois
attendit pendant quelque temps l'occasion favorable pour
débarquer en Vendée, puis s'en retourna en Angletei're
comme il était venu , laissant les braves Vendéens se tirer
comme ils pourraient de la lutte qu'ils soutenaient pour la
défense des droits de la maison de Bourbon (2,500 hab.).
L'agriculture est la grande occupation de la population d,iS
campagnes du département de la Vendée , dont l'industrie
manufacturière se borne à la toilerie commune, la tan-
nerie , la fabrication du papier, des chapeaux, etc.
VENDEE —
VENDÉE (Petite ). Voyez Chou\nnerië.
VENDÉMIAIRE, premier mois de l'année ilu c a-
lendrier républicain, ainsi appelé parce qu'il corres-
pondait à la saison des vendanges.
VENDÉMIAIRE ( Journée du 13 ). Cette date, qui
corresponde celle du 5 octobre 1795, rappelle l'un des évé-
nements les plus décisifs de la révoliitioti française. L'anar-
ciiie était partout , et les factions espéraient toute.; que le
moment du triomphe allait sonner pour chacune d'elles.
Mais c'était principalement la réaction monarchique qui
croyait toucher à la réalisation de ses rêves et en tiiiir cette
fois avec le gouvernement républicain. Cependjoit, en dépit
de toutes les intrigues, la commission dila des on re, désignée
par la Convention pour délibérer sur les bases de la nou-
velle constitution à donner à la l-'rance, se déclara à la
presque unanimité favorable au maintien de cette forme
d'institutions ; et des délibérations de cette commission
Bortit la célèbre constitution dite de l'an III. On sait
qu'elle étalilissait sous le nom à^ Directoire un pouvoir
ex(''cutif composé de cinq membres et un pouvoir légis-
latif attribué à deux assemblées délibérantes : le Conseil
des Cinq Cents et le Conseil des Anciens, l'un et l'autre
produits de l'élection populaire. La Convention , comme
tous les pouvoirs expirants, entendait bien d'ailleurs se
perpétuer dans la direction des afl;dres publiques, sous
prétexte que seule elle était apte à consolider les institu-
tions qu'elles avait fondées. A cet effet, portant hardiment
atteinte au principe de la souveraineté du peuple , inscrit
au fronton de l'édilice qu'elle venait de fonder, elle décida,
par voie de disposition additionnelle et transitoire, que les
deux tiers de l'assemblée nouvelle ne pourraient être choisis
que parmi ses propres membres. Elle avait calculé que
c'était ôter aux partis hostiles à la ié|)ublique toute chance
d'v obtenir la majorité; aussi le décret de la Convention
fut-il l'objet des plus violentes attaiiues. Si les sections de
Paris acceptèrent la constitution de l'an III, soimiise par
ses auteurs à la sanction du peuple , elles se révoltèrent
contre un décret qui , au début même de la mise en acti-
vité des institutions nouvelles , violait si proibndément la
souveraineté nationale et l'imiépendance du corps électo-
ral. Dans tous les scrutins ouverts à cette occasion à Paris,
la majorité rejeta donc comme inconstitutionnelles et illé-
gales les dispositions relatives aux élections.
Les meneurs de la Convention comprirent la gravité de
la situation qui leur était faite par cette déclaration fla-
grante d'hostilité, résultant d'un vote solennel émis par la
majorité de la population active de la capitale. Cette si-
tuation était telle qu'en tous lieux on parlait hautement de
s'insurger contre un pouvoir usurpateur et de rétablir par
la force des armes la vérité dans les élections. La Conven-
tion , se sentant dans l'impuissance de résister à l'opinion
publique, généralement soulevée contre elle dans la capi-
tale, lit venir sous les murs de Paris toutes les troupes res-
tées disponibles dans l'intérieur du pays. De leur côté
les sections , c'est-à-dire la majorité de la garde nationale,
résolurent d'en finir avec la Convention et d'expulser ses
membres du local des séances. La .section Lepelletier, com-
posée en général du haut commerce de Paris , se faisait
remarquer entre toutes par l'ardeur de son zèle contre-
révolutionnaire.
Dans ces circonstances, la Convention se déclara en
permanence dans la matinée du 12 vendémiaire (4 octobre),
et chargea le généra^ Me n ou , nommé au commandement
de l'armée intérieure, d'aller opérer le désarmement de la
section Lepelletier qui siégeait dans l'ancien couvent des
Filles Saint-Thomas, vaste emplacement occupé de nos
jours par la Bourse et les rues adjacentes. Menou s'ac-
q-iitta assez mal de sa mission, et, au lieu d'employer la
force, comme le portaient ses instructions, se mit à parle-
menter avec les insurgés, qui se jouèrent de lui. Instruite de
la faute commise par Menou et de l'exaltation de plus en
plus grande que manifestaient les sections, (ières d'avoir vu
VENDETTA sîS
un général jouissant d'un certain renom militaire reculer
devant elles, la Convention lui enleva son commandement,
dont elle investit l'un de ses membres. Barras, qui avait
déjà fait ses preuves d'intrépidité et de sang-froid dans la
journée du 9 1 lier m id or. Barras accepta cette mission sous
la condition de se (aire seconder par un officier général
en qui il aurait confiance. Bonaparte, destitué après le 9
thermidor, malgré sa belle conduite au siège de Toulon ,
était alors sans emploi, et Barras avait eu quelquefois
l'occasion de le rencontrer chez le directeur des opérations
militaires, Aubry. H avait deviné en lui le génie encore
caché sous un maintien modeste, timide même, pour ne
pas dire embarrassé. Il proposa donc à Bonaparle de lui
servir de lieutenant pour l'exécution de la mesure qui lui
était confiée; et Bonaparte accepta. Avec cette rapidité de
coup d'oMl dont il donna depuis tant d'éclatantes preuves,
celui-ci eut bientôt pris ses disposilions. Il n'avait guère
sous ses ordres plus de 8,000 hommes , et les sections en
comptaient au moins 40,000, commandés par les généraux
Danican et buboux. Le lendemain 13, à midi, Bonaparte
avait retranché les Tuileries à l'instar d'un camp. A partir
du Pont-Neuf, toutes les rues conduisant à la Seine étaient
gardées militairement; en même temps, on se mettait en
communication avec le faubourg Saint-Antoine, dont la po-
pulation se prononçait énergiquement en faveur de la Con-
vention contre les sections. Celles-ci engagèrent l'attaque
vers trois heures, au Pont-Neuf, qu'occupait le général
Cartaux à la tête de 400 hommes et de deux pièces de 4.
La colonne d'attaque qui venait sur lui était si forte que
Cartaux crut devoir se replier vers le Louvre, et ce mou-
vement faillit compromettre le résultat de la journée. Les
sections se crurent un instant tellement certaines de la vic-
toire, que Danican envoya un parlementaire sommer la Con-
vention de désarmer. L'assemblée délibérait sur la résolu-
tion à prendre , quand le bruit du canon vint suspendre la
séance. A ce moment suprême, où ils couraient risque
d'être massacrés sur leurs bancs, les législateurs sîarmèrent,
eux aussi , pour tout au moins vendre chèrement leur vie.
Il était cinq heures de l'après-midi , et l'attaque des sec-
tions s'engageait tout à la fois au pont Royal, où les in-
surgés étaient commandés par le comte de Maulevrier, et
du côté de la rueSaint-Honoré, où les sectionnaires avaient
pris position sur les degrés de l'église Saint-Rocb. Bonaparte
les eut bientôt délogés en braquant du canon sur ce point
par la ruelle du Dauphin. S'emparer à son tour de cette
position, puis balayer avec de la mitraille la rue Saint-
Honoré dans toute sa longueur, fut pour lui l'affaire de
quelques instants. Sans perdre de teuips , le jeune général
se porta avec de l'artillerie vers le pont Royal, et, faisant
pointer quatre pièces de canon sur la tète et sur le flanc de
la colonne aux ordres de Maulevrier, il l'eut bientôt réduite
à fuir dans toutes les directions. A six heures la lutte avait
cessé; elle avait coûté de part et d'autre 400 hommes tués
ou hors de combat. La Convention n'abusa point d'une
victoire dont se réjouirent sincèrement tous les amis des
institutions républicaines. Les deux sections les plus com-
promises furent désarmées. Le seul prisonnier qu'on fusilla
fut un certain colonel Lafond , ancien garde du corps , qui
avait secondé Danican et Duhoux.
VENDETTA , YEN DETTE. Ce mot italien , qui ne peut
se traduire que par celui de vengeance, a été employé de-
puis quelque temps pour désigner l'état de guerre privée dans
lequel vivent des individus et quelquefois des familles en-
tières, particulièrement dans le déparlement de l'ile-de-
Corse. On dit : vivre en vendetta, être en vendetta; cela
plaît comme expression nouvelle, qui remplace la phrase
vouloir se venger. Il est vrai que le mot vengeance n'éveille
pas les ujêmes idées que celui de vendetta. La vengeance,
sur le continent, s'entend tout simplement du désir de nuire
à son ennemi , presque toujours avec assez de prudence pour
ne pas s'attirer le châtiment des lois. La vendetta en (lorse
consiste à s'armer contre son ennemi, et à publier qu'on est
816
VENDETTA — VENDOME
dans l'intention de lui ôter la vie. D'ailleurs, certaines lois
s'observent dans la vendetta : il est rare que l'on ne fasse
point avertir son ennemi de la résolution où l'on est de le
tuer (dire assassiner, en ce cas, choquerait): il est rare de
feindre une réconciliation pour mieux assurer les coups que
l'on veut lui porter; il est peut-être sans exemple non-seu-
lement de l'attirer chez soi pour s'en défaire, mais encore
de l'y frapper si le hasard l'y conduisait. Le Corse en ven-
detta ne se soucie que d'une chose au monde , c'est de punir
l'injure qu'il a reçue. Nulle considération ne le fera s'écarter
de ce but; il faut qu'il l'atteigne : tout ce qui mettrait en
question le résultat qu'il se propose lui paraîtrait stupidité.
Les suites de la vetidetta pour celui qui s'en est donné le
plaisir sont l'abandon de sa maison et de sa patrie. Les tri-
bunaux prononcent la peine capitale; le condamné se relire
dans les macchi , et de ces broussailles s'achemine vers la
côte méridionale, d'où il passe en Sardaigne. Trompé par le
son du mot banditi (bannis), on donne très-improprement
le nom de bandits aux contumax corses , qui n'ont rien à
démêler avec les hommes désignés par ce nom sur le conti-
nent, puisque les premiers errent pour échapper à l'écha-
faud et non^potir voler. C"* de Bradi.
VENDÔME (Charles de BOURBON, cardinal de).
Voyez Bourbon (Charles de), tome in, page 563.
VENDÔME ou yen DOMOIS, ancien comté de France,
ainsi appelé de la ville du même nom, située dans le dépar-
tement de Loir-et-Cher (7,930 hab. ), et érigé en duché-
pairie par François \", au profit de Charles de Bourbon.
Quand Henri IV, petit-fils de ce Bourbon, monta sur le
trône, il réunit Vendôme à la couronne, en déclarant expres-
sément que ce duché ne serait plus inféodé. Néanmoins , en
dépit d'un engagement si solennel et de l'opposition du par-
lement, il ne tarda pas à le conférer à l'un de ses fils natu-
rels, devenu ainsi le fondateur de la maison de Vendôme.
VENDÔME (CÉSAR, duc DE), l'aîné des fils de Henri IV,
issu de ses relations avec Gabrielle d'Estrées, naquit en
juin 1594. Tant que le roi n'eut pas d'enfant légitime, il
traita cet entant avec une extrême sollicitude, et eut même
un instant l'idée de le déclarer apte à hériter de la couronne.
H n'avait pas encore quatre ans que déjà on le fiançait à
la fille et héritière du duc de Mercœur, lequel cédait à son
gendre futur son gouvernement de Bretagne. Par la suite,
Vendôme ne justifia point les grandes espérances qu'il avait
fait concevoir comme enfant. Pendant la minorité de son
frère consanguin , Louis XHI , sa cupidité et son ambition le
portèrent à se jeter dans toutes les intrigues et toutes les
conspirations de cour, de sorte qu'il fallut, à diverses re-
prises, le priver de sa liberté. En 1626 il entra dans le com-
plot tramé contre Richelieu par Chalais, et fut en consé-
quence arrêté et jeté à Vincennes, en même temps que son
frère Alexandre , grand-prieur de l'ordre de Malte en France.
Ce frère étant moi l dans celte prison d'État, en 1629, Ven-
dôme implora son i)ardon et sa mise en liberté. H obtint l'un
et l'autre; mais on lui enleva son gouvernement, et il se re-
tira en Hollande. Au bout de quelques années, la cour lui
permit de rentrer en France; cependant, Richelieu le sou-
mit à la plus sévère surveillance, en attendant que l'occasion
se présentât de le perdre. En 1641, deux faux monnayeurs
déclarèrent qne des propositions leur avaient été faites par
Vendôme pour assassiner le tout puissant ministre. Cette ac-
cusation était un mensonge , et avait été suggérée par Ri-
chelieu. Vendôme n'en crut pas moins de la prudence de
se retirer en Angleterre ; et alors, du consentement de
Louis XUI, Richelieu le fit condamnera la peine capitale.
Ce ne lut qu'après la mort de son ennemi , que Vendôme
put rentrer en France; son procès fut révisé, et il en
sortit complètement absous. Après la mort de Louis XIII,
Vendôme jouit d'im grand crédit auprès de la régente Anne
d'Autriche. On prétend qu'il avait connu la participation de
cette princesse au complotde Cinq -Mars, et que jamais
Richelieu n'avait p\i lui arracher ce terrible secret. Mais
plus tard, étant entré dans les complots ourdis contre Ma-
zarin.il fut encore une fois obligé de fuir quand éclatèrent
les troubles de la Fronde. En 1650 Mazarin l'autorisa à
rentrer en France, et chercha alors à le gagner à prix d'ar-
gent aux intérêts de la cour. L'adroit cardinal y réussit, et
depuis Vendôme resta fidèle à sa cause. En 1653 il enleva
Bordeaux aux Frondeurs, et en 1655 il battit, comme grand-
amiral de France , la flotte espagnole devant Barcelone. Il
mourut le 22 octobre 1665 , laissant deux fils , dont le cadet
fut le célèbre duc de Beaufort. Voyez Beaufort ( François
de Vendôme, duc de).
VENDÔME (Louis, duc de), fils aîné de César de Ven-
dôme, naquit en 1612, et porta du vivant de son père la
titre de duc de Mercœur. Il servit, non sans distinction,
dans les guerres de Louis XIII', mais dut quitter l'armée
quand son père se réfugia en Angleterre. Après la mort de
Richelieu , on le nomma , en 1649 , vice-roi de la Catalogne ,
province dont la France venait de faire la conquête. Deux
années plus tard , il épousa Laurc Mancini , nièce de Mazarin ;
mariage bien plus profitable à sa fortune que sa proche pa-
renté avec la famille royale. A la mort de .sa femme, en
1656, il entra dans les ordres, obtint en 1667 le chapeau
de cardinal avec le titre de légat a latere à la cour de France.
C'était, au total, un esprit des plus médiocres. Il mourut à
Aix , en 1669, laissant deux fils.
VENDOME (Louis-Joseph, duc de), fils aîné de Louis
duc de Vendôme, et de Laure Mancini, l'une des nièces du
cardinal Mazarin, naquit en 1654, l'année même du sacre
de Louis XIV. Il porta jusqu'à la mort de son père le titre de
duc de Penthièvre , et débuta dans la carrière militaire sous
les ordres de Turenne , en 1672. Depuis lors il prit part à
toutes les campagnes de l'époque, et en 1693 il contribua
d'une façon notable au succès de la bataille de La Marsaille,
gagnée par Câlinât. Appelé en 1696 au commandement en
chef de l'armée de Catalogne , il entreprit le siège de Bar-
celone, que défendait le prince de Hesse-Darmstadt, battit les
Espagnols venus au secours des assiégés, et contraignit la ville
à capituler, le 10 août 1697 , après cinquante-deux jours de
tranchée ouverte; et cette conquête fut une des causes qui
déterminèrent l'empereur et le roi d'Espagne à signer la paix
de Ryswijk. Au début de la guerre de la succession d'Espagne,
lorsque l'incapable Villeroi eut été fait prisonnier à Crémone,
Vendôme prit le commandement de l'armée d'Italie. Le
15 août 1702 il livra au prince Eugène, à Luzzara, une grande
bataille, dont le résultat demeura indécis; et au printemps
de l'année suivante il marcha sur l'Allemagne à travers le
Tyrol pour opérer sa jonction avec l'électeur de Bavière :
mais les braves TyroHens lui barrèrent le passage, et il ne
put pas aller plus loin que Trente. Dans l'automne de la même
année 1703, il désarma les troupes du duc de Savoie, qui
avait abandonné le parti de la France, s'empara de diverses
places fortes du Piémont, et entreprit le long siège de Turin.
En 1706 il profita de l'absence du prince Eugène, qui était
allé à Vienne, pour attaquer dans le courant d'avril à Cal-
cinato les Impériaux, qu'il rejeta de l'autre côté de l'Adige.
La bataille de Ra m illies, perdue dans les Pays-Bas par
ce même Villeroi que Vendôme avait remplacé si à propos
en Italie, mit Louis XIV dans la nécessité d'appeler ce der-
nier à la défense des frontières septentrionales de la France,
menacées d'une prochaine invasion. Mais la fatalité qui sem-
blait peser alors sur tous les desseins du monarque ne lui
permit pas de prévoir qu'en enlevant à l'armée d'Italie le
généralqui l'avait fait vaincre, cello-ci serait bientôt forcée,
sous la direction du présomptueux et inhabile La Feuillade,
d'abandonner aux alliés le Milanais, le Piémont et la Savoie.
A cette première faute Louis XIV ajouta celle, plus grave
peut-être, de vouloir que le duc de Bourgogne, son petit-
fils, partageât la nouvelle gloire dont il présumait que Ven-
dôme se couvrirait encore. « Il arriva, dit Voltaire, ce qu'on
ne voit que trop souvent ; le grand capitaine ne fut pas
assez écouté, et le conseil du prince balança souvent la rai-
son du général. Il se forma deux partis dans l'armée fran-
çaise* et dans celle des alliés il n'y en avait qu'un, celai
VENDOME — VEiNDUTENA
81T
de la cause commune. Les Français furent mis en déroute à
Ouilenarde : ce n'était pas une grande bataille, mais ce fut
une retraite fatale. De grands revers suivirent cette re-
traite : le conseil du duc de Bourgogne les imputait au duc
de Vendôme; un courtisan dit un jour à ce dernier : « Voilà
ce que c'est que de n'aller jamais à la messe; aussi vous
voyez quelles sont nos disgrâces. — Croyez-vous, mon-
sieur, repartit brusquement Vendôme, que Marlborough y
aille plus que moi? »
Fatigué des contrariétés continuelles qu'il éprouvait,
abreuvé de dégoûts , ayant perdu la confiance du roi , et
objet de la liaine toute particulière de M""' de Maintenon,
Vendôme quitta l'armée de Flandre pour se retirer à son
cbâteau d'Anet , où il espérait trouver auprès d'un petit
nombre d'amis les consolations d'une disgrâce non méritée.
Mais il sortit bientôt de cet exil de la manière la plus hono-
rable pour sa réputation et la plus flatteuse pour son amour-
propre.
Louis XIV avait rappelé les troupes françaises d'Espagne,
afin de défendre ses propres États. Philippe V, dans la situa-
tion presque désespérée où le plaçait l'abandon de son aïeid,
lui écrivit pour réclamer de son ancienne tendresse une
dernière grâce, celle de lui envoyer pour tout secours le
général dont il avait su apprécier les grands talents sur le
champ de bataille de Luzzara. Le conseil de Castille et la
plupart des grands d'Espagne émirent le même vœu. Sur ces
instances, Louis XIV fait venir Vendôme à Versailles; et en
lui communiquant la lettre de Philippe, ainsi que la demande
des grands , il lui annonce que 50,000 écus sont destinés
aux frais de ses équipages; mais le duc, bien instruit de
l'épuisement du trésor royal, refuse celte somme. « Que
Votre Majesté, dit-il, garde son or pour ceux qui ne peu-
vent soutenir l'État sans indemnité pécuniaire, ou qui fei-
gnent de ne le pouvoir pas. J'espère ne rien coûter, même à
l'Espagne. »
11 partit sans retard. Arrivé à Valladolid, les grands dé-
libèrent s'ils lui donneront le pas; il met fin à cette discus-
sion en leur disant : « Messieurs, je ne suis pas venu pour
vous disputer des honneurs, mais pour vous servir; vieux
soldat , je ne veux pas d'autre rang. »
Vendôme seul valut à Philippe une armée. Comme au-
trefois Duguesclin , il vit accourir sous ses ordres une foule
de volontaires. Un esprit d'enthousiasme avait saisi les
peuples de Castille et d'Aragon; et les débris de l'armée
battue à Saragosse, rassemblés sous les murs de Valladolid,
présentèrent en peu de temps une masse formidable, qui
força les vainqueurs à reculer devant elle.
Après avoir ramené le roi à Madrid, au milieu des accla-
mations générales, Vendôme poursuit l'ennemi dans la di
rectiondu Portugal, passe leTage, fait prisonnier à Brihuega
le général Stanhope avec cinq mille Anglais, atteint le gé-
néral autrichien Slaremberg , et lui livre une bataille décisive
dans les champs de Villa-Vlcioxa (9 décembre 1710). A
l'issue de cette journée mémorable, dont Vendôme écrivit
les détails à Louis XIV sur la caisse d'un tambour, Phili[)pe,
accablé des fatigues du combat, éprouvait le besoin de pren-
dre quelque repos : « Je vais, dit Vendôme, faire préparer
à Votre Majesté le plus beau lit sur lequel un souverain
ait jamais couché ; » et il fit étendre sous un arbre les éten-
dards et les drapeaux pris dans la journée. Louis XIV, en
apprenant les heureux changements survenus dans la fortune
de son petit-fils , s'écria : » Et pourtant, il n'y a en Espagne
qu'un seul homme de plus! )> Et il écrivit à Vendôme une
lettre pleine d'e.stime et de gratitude. Un an était à peine
écoulé depuis la victoire de Villa-Viciosa, quand la mort
vint frapper inopinément le généreux appui de Philippe V.
Vendôme termina sa glorieuse carrière à cinquante-huit ans,
dans une petite ville du royaume de Valence; et il eut la
douleur de se voir pillé et abandonné par ses valets avant
ce rendre le dernier soupir. A peine trouva-t-on un drap
pour ensevelir le corps de celui qui venait de sauver l'Es-
p«^ne ; mais il est juste de dire que la cour de Madrid l'ho-
UICT. DE L-\ C0NVER8. — T. XVl.
nora d'un deuil solennel, et le fit transporter au palais-mo-
nastère de l'Escurial , dans le caveau des rois.
Vendôme était d'une taille ordinaire, gros, mais vigou-
reux , alerte ; il avait , dit Saint-Simon , de la noblesse dans
les traits, de la grâce naturelle dans le maintien, beaucoup
d'esprit naturel , une élocution facile, mais peu d'érudition.
Voltaire ajoute : « Doux, bienfaisant, sans faste, ne con-
naissant ni la haine, ni l'envie, ni la vengeance, il n'était
fier qu'avec les princes; il se rendait l'égal de tout le reste. »
L'histoire , qui doit des égards aux vivants et la vérité aux
morts, ne saurait taire que, comme son frère le grand-prieur,
Vendôme se livrait à tous les excès de la débauche. De tous
les gens de lettres qu'il aima, qu'il protégea, et dont il as-
sura le bien-être, Cliaulieu est le seul qui lui ait payé im
tribut de reconnaissance dans ses vers. Le duc avait eu le
dessein de lui faire écrire les mémoires de ses cami>agnes.
Comme il ne laissait pas d'héritiers, le duché de Vendôme
fit retour à la couronne.
VENDÔME ( Philippe de), frère cadet du précédent,
connu comme grand-prieur de l'ordre de Malte en France,
naquit le 23 août 1655. Il entra de bonne heure dans l'or-
dre, prit part aux campagnes de Louis XIV dans les Pays-
Bas et sur le Rhin, et à partir de 1693 servit avec dis-
tinction comme lieutenant général en Italie et en Kspagne.
Tandis que son frère, le duc de Vendôme, s'emparait, pen-
dant l'hiver de 1705, des places fortes du Piémont, il ob-
tenait le commandement supérieur de l'armée française en
Lombardie. Après avoir chassé les Impériaux de Mantoue,
ils les battit, le 31 janvier 1705, à Casliglione. Quand, le 16
août suivant, son frère livra au prince Eugène la sanglante
bataille de Cassano, il n'accourut point à son secours, parce
que ses instructions lui ordonnaient de ne pas faire le moin-
dre mouvement sans un ordre positif. Louis XIV le punit
sévèrement de cette obéissance trop littérale à ses instruc-
tions, qu'on considéra comme une faute grave, et lui en-
leva ses dignités et ses revenus. Vendôme se retira alors à
Rome, où il passa quatre années dans un grand dénûment.
En 1710 il avait obtenu l'agrément du roi pour rentrer en
France par la Suisse; mais il fut arrêté en route, à Coire,
à la suite de l'affaire Massner. Thomas Massner était un ri-
che sénateur de Coire, qui avait chaudement embrassé les
intérêts de la maison dAntriche. Louis XIV s'en vengea
en faisant enlever, au milieu d'une tournée de vacances, son
fils, qui étudiait à Genève, et en faisant détenir ce jeune
homme dans l'une des prisons de son royaimie. Vendôme
n'obtint d'être relâché (lue l'année suivante, et seulement
après avoir promis par écrit d'obtenir la mise en liberté du
jeune Massner. Cependant, celui-ci ne sortit de prison qu'en
1174, et seulement grâce à l'active intervention de l'Autri-
che. A sa rentrée en France, Vendôme fut réintégré dans
le grand-prieuré de l'ordre de Malle, et eut pour résidence
le Temple, à Paris. A partir de ce moment sa vie fut des
plus obscures, et même, s'il faut s'en rapporter aux mé-
moires du temps, des pluscrapuleuses.il avait cependant su
faire de sa maison un centre de réunion pour tous les beaux
esprits et pour tous les écrivains de l'époque, avec lesquels
d'ailleurs il en agissait très-généreusement. C'est dans cette
société du Temple que brillaient les Lafare , les Chaulieu,
les Palaprat, J.-B. Rousseau et une foule d'autres encore.
Vendôme mourut en épicurien, le 24 janvier 1727. Sa race
s'éteignit avec lui.
VENDÔME (Procès de la haute cour de). Voyez
Haute Cour ue Justice.
VENDREDI, sixième jour de la semaine; dans le
langage de l'église, sixième férié , nom que loi ont con-
servé les Portugais en l'appelant sesta feira. L'antiquité
païenne l'avait consacré à Vénus ; c'était le jour de cette
déesse , Veneris dies : de là lui vient sa qualification ac-
tuelle. L'abstinence de la viande est prescrite par l'Église
catholique ce jour-là et le suivant.
VENDREDI SAINT. Voyez Semaine saintp.
VENDUTENA. Voijcz Ponza.
62
818' VÉNÉNEUX *-
VÉIVÉIVEUX (du latin venenum , poison). On donne
cette épitlièle à toutes les espèces de diverses familles du
règne végétal , qui renferment des sucs plus ou moins nui-
sibles à la santé et à la vie des animaux, et qui agissent en
général comme des poisons plus ou moins énergiques (voyez
Venin),
YÉNÉRIDES (Zoologie), groupe de mollusques acé-
phales lamellibranches, qui a pour type le genre venus.
VÉMEllIE (du latin venari, chasser). Ce mot, pris
dans sa plus large acception, comprend l'art de chasser,
qui a fini par devenir une science ayant des mots techni-
ques , dont la plupart ont passé dans le langage figuré ,
l'exercice du droit dédiasse, la législation exception-
nelle qui en garantit les privilèges , et les dispositions pé-
nales contre ceux qui ne se conformeraient pas aux or-
donnances rendues à ce sujet. On appelait autrefois plaisirs
du roi les bois, les forêts réservés aux chasses du monar-
que. François 1" et Henri IV ont considéré les infractions
aux lois qui régissaient la chasse comme des crimes, et
les braconniers en récidive pouvaient être punis de mort.
Leurs ordonnances sur ce sujet sont plus sévères que les
prohibitions portées par les premiers rois , à une époque
voisine de la conquête. L'empereur Frédéric et notre roi
Charles IX ont écrit sur la vénerie , mais plutôt en histo-
riens qu'en législateurs. La vénerie occupait autrefois un
rang important dans la domesticité royale; et i! en est de
même aujourd'hui dans la domesticité impériale. Les équi-
pages, les meutes, tous les officiers, tous les valets employés
à ce service , suivaient le roi dans toutes ses résidences.
VÉIVÉ1\1EI\NE (Maladie). Foî/es Syphilis.
VÉi\ÉHUPE (Zoologie), genre de mollusques acé-
phales lamellibranches dimyaires, rapproché d'une part des
Vénus et de l'autre des pétricoles. Ces animaux sont litho-
phages, percent les pierres et les madrépores, et y creusent
des cavités en rapport avec leur volume et leur forme, d'où
ils ne peuvent plus sortir lorsqu'ils sont adultes. Leur co-
quille^ bivalve esi d'un blanc sale et sans épiderme.
VÉNÈTES (Les), Veneti, nom commun dans l'anti-
quité à trois peuples de race différente. D'abord les Vénètes,
Énètes ou Hénètes, fixés à l'extrémité nord-est de l'Italie,
entre rÉtliésis( Adige) et la mer, les Alpes et l'embouchure
du Padus ( le Pô ), appelé par les Grecs Éridan, chez qui avait
lieu de temps immémorial le commerce de l'ambre jaune, et
qui très-vraisemblablement appartenaientà la race illyrienne,
bien qu'il soit question dans beaucoup d'auteurs grecs de pré-
tendus Énètes originaires de la Paplilagonie, avec qui Anté-
nor serait arrivé dans ces contrées après la prise de Troie et y
aurait fondé Patavïum. Menacés sans cesse par les Gaulois
à l'ouest, par les peuplades rliétiennesau nord, par les Tau-
risques noriques et les Carniens à l'est, ils trouvèrent dans
la domination des Romains, auxquels ils se soumirent sans
combat, peu de temps avant la seconde guerre punique ,
une puissante protection contre ces diiférents ennemis. Leur
fertile territoire, leur industrie et leur commerce continuè-
rent de prospérer jusqu'au cinquième siècle, époque où la
FcHe^ta devint la route par laquelle les Visigoths, les Huns,
les Ostrogoths et les Lombards pénétrèrent tour à tour en
Italie. Sous Auguste, agrandi du territoire des peuplades
rhétiennes qui habitaient le versant méridional desAlpes, où
se trouvaient Fellria ( Feltre) et Belunum (Bellune), il ap-
partenait à la dixième région de l'Italie. Pendant la domina-
tion des Lombards, sous laquelle des Vénètes fondèrentdans
les lagunesunevilleappeléeKene^io (Venise ), ce noms'ap-
pliqua encore aux peuples fixés au delà de l'Adige et du Pô.
Parmi leurs villes, on citait Palavium (Padoue), cité fort
ancienne, fiorissante par son commerce, où naquit Tite-
Live, et qui du temps de Tibère passait pour la seconde
ville de l'Italie; AUinum, à l'embouchure de la l'iave ;
Ateste (Y.i\.Q) , Ficen^ia ( Vicence) , Taz-yisHOM (Trévise),
Aquileia (Aquilée), fondée par des Romains dans la partie
«le la Vénétie dont les Carniens s'étaient emparés. Verona
(Vérone) faisait partie de la Gaule Cisalpine,
VENEZUELA
Le second peuple de ce nom , les Vénètes du bord de
l'Atlantique, dans la partie de la Gaule appelée Armorica,
était une race celte, subjuguée par César.
Enfin , le troisième était les Vénètes ou mieux Vénèdes ,
dont Pline et Tacite parlent comme étant voisins orientaux
des Germains et fixés au delà de la Vistule. Il est pro-
bable que c'était là à l'origine la dénomination commune
donnée par les Germains aux Slaves, dénomination qui se
conserva dans celle de Wendes. Ils habitaient entre les
Germains et les Sarmates à l'ouest, les Peucins ou Bas-
tarnes au sud, les jEstuens et les Finnois au nord ; et, par-
tis des monts Vénédiques ( forêt de Wolchonski ) et du golfe
de Ptolemée ( golfe de Riga ), ils se répandirent au loin dans
la Russie.
VENEUR, chasseur au poil. Ce mot ne s'applique
qu'à ceux qui chassent au cerf, au daim , au chevreuil, au
sanglier et au loup. Ceux qui se bornent à chasser au vol
ne s'appellent que c/irtssewrs.
VENEUR (Grand-). Au treizième siècle, les officiers
de la vénerie du roi de France furent placés sous le com-
mandement d'un chef unique , appelé maître veneur en
1231 , maître de la vénerie en 1344, et grand-veneur en
1414. Au quatorzième siècle cet officier était grand-maître
des forêts, et on l'appelait aussi \(i grand-forestier. C'était
un fonctionnaire considérable, prêtant serment entre les
mains du roi, donnant provisions à ses subordonnés, et dis-
posant de leurs charges quand elles venaient à vaquer. Char-
les VI lui retira la maîtrise des forêts. Néanmoins, les at-
tributions qui lui restèrent sous l'ancienne monarchie, jointes
à l'avantage d'approcher du roi et de recevoir directement
ses ordres en avaient fait un personnage important. Sous
Philippe III , les gages du grand-veneur étaient de 22 sols
par jour; il avait soussesordres six fauconniers, trois veneurs,
quatre varlets de chiens, deux archers et six braconniers.
Cette charge appartint longtemps aux Guise, auxquels suc-
cédèrent lesRohan et les La Rochefoucauld. Leduc dePen-
thièvre l'exerçait sous Louis XVI. Napoléon eut aussi ses offi-
ciers et ses équipages de chasse; son grand-veneur était
Alexandre Bertliier, prince deNeufchâtel et de Wagram. La
vénerie royale, rétablie par Louis XVIII et Charles X, avait
à sa tête le comte Alexandre de Girardin. Les équipages de
chasse et les meutes furent vendus au profit du fisc par
Louis-Philippe. La dignité de grand-veneur a été rétablie
par Napoléon HT.
VENEZUELA, république située au nord de l'Amé-
rique méridionale, et bornée au nord par la mer des Antil-
les, à l'est par l'océan Atlantique et la Guyane anglaise , au
sud par le Brésil, à l'est par la Nouvelle Grenade, comprend
une superficie de 1,555 myriam, carrés. D'après la nature de
son sol elle se compose de deux parties, bien distinctes : le
pays de montagnes, et le pays de plaines. Dans le pays de
montagnes on remarque trois systèmes. Le premier, formé
par deux embranchements des Cordillères orientales de la
Nouvelle-Grenade, qui se séparent à Pamplona. L'embran-
chement qui se dirige au nord se termine dans la pres-
qu'île de Goahiros avec la Sierra de Perija, haute seulement
de 1,000 à 1,300 mètres; l'autre, qui se divise au nord-est,
atteint, sous les noms de Sierra da Merida et de Sierra de
Las Rosas, une bien plus grande élévation, et forme une
masse large et compacte , où , à l'est de Mérida , le Nevada
de Maciichies atteint une élévation de 5,000 mètres envi-
ron. Le second système, celui des montagnes du littoral de
Venezuela, se rattache au premier par la Cerro delAltar;
mais en raison de ses ramifications propres, qui s'écartent du
système des Cordillères et se dirigent de l'ouest à l'est , il
forme en lui-même un système de montagnes particulier, et
renferme les parties du pays les plus belles et les mieux
cultivées. Le troisième système, complètement isolé, est
celui A&Va Sierra Parime, au sud-est, dans la grande pro-
vince de Guyane. Le pays de plaines se compose en partie
des incommensurables prairies appelées Llanos di Orinoco,
complètement dénuées d'arbres, et qui, situées entre les
VENEZUELA
8tg
montagnes de la côte et le mont Parime, depuis l'embou-
chure de l'Orinoco jusqu'au pied des Cordillères de la Nou-
velle-Grenade, en occupant précisément le centre du pays,
s'étendent de l'ouest à l'est , et en partie de la région des
forêts vierges, qui couvrent tout le sud de la république
ainsi qu'une partie de Guyane, et appartenant partiellement
à la grande vallée du Mararîon. Le territoire de Venezuela
est trèsrbien arrosé , en raison des nom-breux cours d'eau
qui prennent leur source dans les montagnes. Le principal
de ces cours d'eau est le gigantesque Orinoco on Oréno-
que, qui traverse avec la plupart de ses affluents le pays
dans toute sa longueur. L'extrémité méridionale de Ve-
nezuela est arrosée par le même cours supérieur du Rio
Negro, qui se jette dans le Maranon, ainsi que par ses
affluents. A l'extrémité nord-est du pays on trouve l'im-
mense lac de Maracaïbo, mesurant 276 myriam. carrés et
communiquant par la voie fluviale du Saco de Maracaïbo
avec le golfe de Maracaïbo, ou golfe de Venezuela, limité
parles presqu'îles de Goabiros et de Paraguana, le plus
grand de toute cette contrée. Sauf la partie rocheuse des
montagnes, le sol de Venezuela est d'une grande ferlilité,
le climat sain et tempéré dans les montagnes , très-cbaud
et malsain dans les plaines et sur le littoral. 11 présente par-
tout les qualités caractéristiques du climat tropical, avec ses
diverses modifications suivant le plus ou moins d'élévation
du sol. Sur le littoral , des tremblements de terre exercent
souvent d'horribles dévastations, comme ce fut surtout le
cas en 1812 et en 1826; et tout récemment encore un de ces
désastres a anéanti la ville de Cumana, le 15 juillet 1853.
Comme dans le reste de l'Amérique tropicale, la nature déve-
loppe à Venezuela une richesse incomparable de produits.
Lecoton, le tabac, le sucre, lecafé, le cacao, la vanille, l'indigo
et diverses drogues importantes constituent les principaux
articles de commerce. Les immenses forêts vierges fournis-
sent les plus magnifiques bois de construction et d'ébénis-
terie ainsi qu'une foule de bois de teinture. Tous les fruits
du Sud, l'anana, le pisang, les palmiers des espèces les
plus variées, le manioc, le riz, le maïs, les céréales de
tous genres réussissent parfaitement dans les parties du
pays les plus différentes. Outre les animaux particuliers à
l'Amérique tropicale , on y rencontre de grands troupeaux
de chevaux et de bœufs à moitié sauvages, dont l'élève ainsi
que celle des mulets, constituent l'une des principales oc-
cupations des habitants, et est pratiquée surtout dans les
llanos. Les principales richesses du règne minéral sont en-
core peu exploitées. Jusqu'à ce jour c'est à l'extraction du
cuivre qu'on s'est le plus attaché. En 1850 on découvrit un
riche gisement aurifère au voisinage d'Upata, dans la province
de Guyane , où on trouve des lavages d'or sur les rives du
Yurnari , l'un des affluents du Cuyuni. Il existe des mines
de houille dans diverses provinces. Le sel et le natron abon-
dent sur divers points de la côte septentrionale. La [lopula-
tion, évaluée en 1851 à 1,356,000 têtes, ne s'élevait suivant
les renseignements fournis pour l'année 1844 qu'à 1,052,000
âmes, dont 298,000 blancs, 480,000 métis de toutes espèces,
48,000 esclaves nègres, 160,000 Indiens ayant adopté
la langue et les mœurs du pays, 14,000 Indiens soumis,
ayant conservé leur langue et leurs mœurs primitives , et
62,000 Indiens indépendants. L'émancipation successive
des esclaves a été depuis longtemps ordonnée par la loi.
Les blancs, à l'exception d'un petit nombre d'étrangers et
de colons, sont d'origine espagnole; et la langue ainsi que
les mœurs espagnoles dominent dans la population avec la
religion catholique. L'agriculture et l'élève du bétail consti-
tuent les principales occupations de la population. Quant
à l'industrie, elle n'a encore pris aucun développement. En
revanche, le commerce y esttrès-important, favorisé qu'il est
par la richesse extraordinaire du pays en produits tropi-
caux de tous genres, par la grande quantité de ports, de
rades et de baies existant sur le littoral , en face des Antilles.
De 1848 à 1849 la valeur totale du commerce, auquel par-
ticipaient les États-Unis de l'Amérique du Nord, l'Angleterre,
le Danemark, laHoilande, les villes hanséatiques, la France
et l'Espagne (dans des proportions analogues à l'ordre que
nous leur assignons ici), s'était élevée à 8,266,975 piastres
(pesos), dont 2,731,535 pour l'importation, et 5,535,000
pour l'exportation; mais auparavant, dans des temps plus
calmes, elle avait été beaucoup plus considérable. Depuis
les troubles et les désordres politiques, les finances se trou-
vent aussi dans la plus déplorable condition, attendu que
le déficit et les impôts ont toujours été en augmentant. Sui-
vant le budget arrêté pour l'exercice commençant le
l" juillet 1852 et se terminant le 30 juin 1853 le produit
des impôts était évalué à 2,705,055 piastres, et la dépense
à 8,248,031 piastres. Le déficit était par conséquent de
5,542,976 piastres. Quant à l'état de l'instruction publique,
on ne comptait dans les écoles en 1850 qu'un élève par
144 habitants. Il existe néanmoins une université jouissant
de revenus indépendants de l'État. En outre , treize collèges
recevaient ensemble 13,000 piastres de subvention de l'État.
Aux termes de la constitution de 1843, un président, élu
pour quatre ans, est placé à la tête de la république; il a
un ministère qui gère les affaires sous ses ordres. Un sénat et
un congrès de représentants exercent la puissance législa-
tive. Chaque province nomme deux sénateurs, et chaque
centre de population de 25,000 âmes un député , dont; les
fonctions durent également quatre ans. En 1850 l'armée se
composait de 2,849 hommes avec 143 officiers; il existe en
outre dans chaque province une réserve de milice nationale.
La marine militaire n'a pas la moindre importance. La
république de Venezuela est divisée en treize provinces :
Caracas, C arabobo, Barqu'isimeto, Coro, Mara-
caïbo, Truxillo, Merida, Varinas, Apure, Bar-
celona, C^imana, Guayanaou Guiana, et Margari ta.
Elle a pour chef-lieu Caracas.
Ceux qui les premiers découvrirent cette contrée don-
nèrent le nom de Venezuela, qui signifie Petite Venise, à un
village indien du littoral , parce qu'à l'instar de Venise il
était construit sur pilotis; et plus tard ce nom devint celui
du pays tout entier. Venezuela est la partie de l'Amérique
espagnole du Sud qui la première (1810) se déclara indé-
pendante de la mère patrie, sous la dénomination de Con/édé-
ration américaine de Venezuela. A la suite de luttes san-
glantes, sous les ordres de Mirandaet deBoli v a r, contre les
Espagnols, ce pays devint à partir de 1821 et demeura
jusqu'en 1831 une partie intégrante de la république fédéra-
tive de C olombie ,(\m à cette époque se divisa définiti-
vement en trois républiques indépendantes : Venezuela, la
Nouvelle Grenade et VEcuador. Les premiers présidents
en furent Jose-Antonio Paez, puis à partir de 1835 Vargas,
en 1839 de nouveau Paez, en 1843 Carlos Soublette. Sous
la présidence de ce dernier, une réforme fut opérée , le 20
avril 1843, dans la constitution du 14 septembre 1830; et
en 1845 l'Espagne reconnut formellement l'indépendance de
la république de Venezuela. Sauf une courte guerre civile
en 1835, la république jouit jusqu'en 1847 de la tranquillité
à l'intérieur, et fit à tous égards de grands progrès, notam-
ment sous l'administration de Paez. Mais en 1846 éclata entre
les blancs et les hommes de couleur une guerre de race,
que Paez, investi de la dictature, réussit, il est vrai, à com-
primer, mais par suite de laquelle Tadeo Monagas fut élu
président, le 23 janvier 1847, par l'influence de Paez. L'ad-
ministration inhabile de ce muveau président excita le mé-
contentement universel ; ilfitdisperser le congrès, en 1848,
par la populace, au milieu de scènes de carnage, et arrêter,
en août 1849, le généreux Paez, qui essayait d'intervenir
dans l'intérêt général. Il le contraignit en outre à quitter le
pays et à se réfugier à New-York. Monagas chercha ensuite
à faire placer à la tête des affaires son frère, José Gregorio
Monagas, qui effectivement , après beaucoup d'hésitations,
se laissa proclamer président, le 30 janvier tS51. Dès le 25
mai suivant éclatait une révolution formelle contre ce qu'on
appelait la dynastie des Monagas. Cumana , qui avait été
le point de départ de ce mouvement , se déclara le 5 juin
830 VENEZUELA
indépendant de Venezuela, ei se prononça en faveur d'un
gouvernement fédéralif. A ce mouvement se rattachèrent les
I>rovinces de Coro, de Maracaibo et de Margarita. Mais
^lâceanx mesures énergiques de Monagas, qu'on disait re-
présenter le parti démocratique et à qui les libéraux vinrent
en aide, l'insurrection des oligarques put être comprimée.
Comme ses fonctions présidentielles expiraient au commen-
cement de 1855, toutes les intrigues furent mises enjeu pour
faire réélire Monagas aux élections qui devaient avoirlieu en
août 1854. On avait compté sur l'appui de plusieurs pro-
Ainces et sur l'inaction du parti vaincu. Mais diverses pro-
vinces se prononcèrent formellement contre Monagas , de
sorte que le pays se trouva en proie à la plus complète anar-
chie. La province de Barquisimeto et une i)arlie de celle
de Merida opérèrent un proniinciamento en faveur de Paez,
exilé. Monagas, qui disposait de forces supérieures, parvint,
il est vrai, à battre les insurgés; mais ses adversaires comp-
taient toujours sur la prochaine arrivée de l^aez, attendu
des États-Unis avec une bande d'aventuriers. Le 20 janvier
1855 eut lieu l'ouverture du congrès de Venezuela. Gregorio
Monagas s'y démit de ses fonctions présidentielles. Le
même jour le congrès fit le dépouillement des votes des
collèges électoraux pour l'élection du nouveau [irésident,
et déclara à l'unanimité que la majorité des suffrages s'était
prononcée pour le général Tadeo Monagas , qui en consé-
quence fut proclamé président. Le même jour le nouveau
président fit son entrée à Caracas. Au commencement de
1858 une révolution nouvelle enleva les fonctions présiden-
tielles à Monagas, qui fut arrêté. Un gouvernement provi-
soire fut établi à Caracas, et son premier soin fut de con-
voquer pour le ly avril de la môme année une convention
nationale chargée de décider du sort de l'ex-président, qu'on
accuse d'avoir soustrait au trésor public une somme de
plus de 80 millions de francs , depuis son arrivée aux af-
faires. C'en estdonclait.au moment où nous imprimons, de
ce qu'on appela la dynastie des Monagas.
VENGEAIXCE, instinct développé par la sensibilité
et prolongé par la mémoire, qui poite l'homme à nuire aux
objets qui l'ont blessé en quelque mîsnière et à les détruire.
11 n'est point de passion déçue qui ne fasse naître le désir
de se venger, et ce désir est si violent qu'il aliène la raison :
on voit des hommes frapper avec fureur la pierre contre la-
quelle ils ont été'.ie heurter. Les peu|)les chez lesquels les
lois pénales sont nulles ou mal observées sont plus vindica-
tifs que les autres. L'inclination naturelle qui nous porte à
repousser l'injure par l'injure, le coup parle coup, n'a pu
être combattue que par une manifestation divine, tant
l'homme imparfait s'irrite de l'imperfection de son sem-
blable, tant la pitié parle à peu de cœurs. Le sentiment de la
vengeance, que l'on appela si longtemps le plaisir des dieux,
n'est con)pris aujourd'hui que par quelques individus forcés
de dissimuler que l'emploi du fer, du leu, du poison, ne
leur répugne point, et non moins obligés à cacher les causes ,
souvent honteuses, presque toujours puériles, qui allument
en eux cette inextinguible soif du mal d'autrui. Mille pas-
sions basses se joignent au désir de la vengeance ; le men-
songe, la trahison, la perfidie, l'escortent. La colère et la
peur précipitent leurs coups; la vengeance médite les siens :
l'amour de la justice réclame tout haut le châtiment d'une
offense, et s'interdit de frapper le coupable; la vengeance
cache son injure, et ses mains doivent être teintes du sang
qui la lave. L'expression de la vengeance enlaidira toujours
une figure, quelque .soit le talent de l'artiste qui la représen-
tera, tandis que la clémence embellit les traits les plus com-
muns. Se venger, c'est faire du mal; pardonner, c'est faire
du bien : se venger, c'est satisfaire à un des besoins de
l'organisation matérielle de l'homme; pardonner, c'est exer-
cer une lacullé intellectuelle qui élève l'âme jusqu'à son au-
teur. Poursuivre la pimition d'im crime en invoquant les
lois, ce n'est point se venger, mais faire régner la justice,
sans laquelle il n'est point de société possible.
C" DE Braui.
— VENIMEUX
VEiyOEUR (Affaire du). Dans le but de prolégcf un
riche convoi arrivant de l'Amérique sous la conserve de
deux vaisseaux de guerre commandés par l'amiral Nielly ,
le comité de salut public fit armera Brest une Hotte de vingt-
six vaisseaux de ligne dont le commandement fut confié à
l'amiral Villaret-Joyeuse ; le représentant du peuple Jean-
Bon-Saint-André montait le vaisseau amiral; les llesCoves
et Flores avaient été désignées comme lieu de rendez-vous.
La (lotte sortait à peine du [lorl de Brest, aux cris de
Vive la république! Mort aux Anglais l qu'elle rencontra
vingt-six vaisseaux de ligne et douze frégates commandés
par l'amiral Howe. A la vue de l'escadre ennemie les équi-
pages français demandent qu'on les mène au combat. Le re-
présentant du peuple, qui avait remarqué l'irrésolution de
l'amiral Villaret, dé,sireux de suivre les instructions qu'il
avait reçues du comité de salut public, ordonne le signal
du branle-bas général. Cette première attaque, commencée
dans la soirée du 29 mai , sé|)ara du reste de l'armée le
vai.sseau Le Révolutionnaire, qui faisait partie de l'arrière-
garde. L'attaque du lendemain, qui eut lieu à dix heures du
matin, fut tout à l'avantage des Français; dans la soirée,
un épais brouillai d étant survenu, mit fin à ce second combat.
Le l^"" juin 179i, à la pointe du jour, le ciel s'étant
éclairci , l'amiral anglais attaqua obliquement , et dirigea
tous ses elforts contre la gauche de la ligne française , qui
ne tarda pas à être accablée. Bientôt la mêlée devint géné-
rale; les actes de la plus grande valeur, les faits les plus
héroïques signalèrent celte mémorable journée. Le vaisseau
anu'ral La Montagne, aux prises avec cinq bâtiments an-
glais, parvint à s'échapper; le vaisseau Ze rfW(;eMr, dé-
semparé, criblé de boulets et prenant l'eau de toutes parts,
donna l'exemple du plus sublime dévouement. Les marins
de l'équipage qui le montait , loin de se rendre au mo-
ment où le vaisseau coulait bas, déchargèrent leur dernière
bordée à l'instant où les canons de la première batterie
étaient parvenus à fleur d'eau. Revenus sur le pont, ils
attachent le pavillon , de peur qu'il ne surnage ; et les
bras levés au ciel, agitant en l'air leurs chapeaux, ils des-
cendent, comme en triomphe, aux cris mille fois répétés
de Vive la république ! vive la liberté! vive la France!
dans l'abîme, qui devient pour eux la plus glorieuse des
sépultures.
VENIMEUX (Animaux). Parmi les animaux verté-
brés, un seul mammifère (l'ornithorhynque), pourvu
de deux ergots canaliculés, dont la piqûre sert à introduire
im fluide sécrété par une glande, a été considéré, quoique
avec doute, comme venimeux. La classe des oiseaux ne ren-
ferme aucune espèce de cette catégorie. Mais dans celle des
reptiles écailleux, les espèces venimeuses de l'ordre des
ophidiens, ou serpents, sont nombreuses. Les piqûres où
morsures des reptiles venimeux inoculent le venin plus ou
moins énergique fourni par des glandes salivaires. Dans le
sons-type des vertébrés amphibiens, les crapauds et les sa-
lamandres, dont la peau sécrète des humeurs épaisses et cré-
meuses, qui empoisonnent les lézards, et (pii causent des vo-
missements ainsi qu'une abondante salivation aux chiens
qui les mordent , ne sont point , cependant , des espèces ve-
nimeuses au même degré que les serpents. Aucune espèce
de poi-ssons ne secrète de venin, quoique leurs piqûres ou leurs
morsures soient souvent très-dangereuses. Mais l'embran-
chement des articulés est riche en espèces venimeuses, assez
généralement connues du vulgaire. Les naturalistes les
distinguent en celles qui inoculent dans les chairs des autres
animaux leur salive venimeuse avec des crochets ou des soies
de leur bouche : tels sont les scolopendres , la tarentule et
toutes les araignées, les cousins et les maringouins; et en
celles dont les aiguillons venimeux sont placés à l'extrémité
caudale de leur corps: ce sont les guêpes, les abeilles, des
scholies et des scorpions. D'autres insectes lancent une li-
queur caustique, (jui chez les uns se met instantanément en
vapeur (Brachinus ou Bombardier), et qui chez cerf ainsgrands
scarabées peut être lancée au visage de ceux qui les agacent.
VENIMEUX — VENISE
821
Quoique les mollusques ne soient point en général venimeux,
on considère lesmoules comme desaliments qui, de même que
la chairde quelques poissons ( daurade, congre, cUipé, elc),
agissent comme des poisons et causent même la mort dans
quelques cas fort rares. Enfin, parmi les zoophytes, les aca-
lèplies (pliysales et méduses), et parmi les polypes les
actinies et même les hydres sont armés d'organes microsco-
piques, connus sous le nom de filaments urticans, dont ils
se servent pour enlacer, engourdir et même tuer les ani-
maux dont ils se nourrissent. L. Laurent.
VEIXI]\ (du latin venenum, poison). On désigne sous ce
nom les sucs des végétaux et les humeurs d'un certain
nombre d'animaux (voyez Venimeux), qui exercent sur
l'économie animale de l'homme et des autres espèces une
action plus ou moins délétère. Les venins ont été avec rai-
son rapprochés des poisons, et compris avec les virus dans
la classe des jioisons septiques ou stvpéfiaiits. Les venins
sont toujours des produits sécrétés par les végétaux cl les
animaux en état de santé. Ils diffèrent des virus en ce que
ceux-ci sont produits par les animaux malades, et qu'étant
inoculés, les individus qui les ont reçus les produisent après
«ne incubation plus ou moins lente et peuvent les trans-
mettre à d'autres {voyez Virus). L. Laubent.
VENISE, FcHe^/a, autrefois république, aujourd'hui ville
autrichienne, chef-lieu de gouvernement.
La partie nord-ouest du golfe de Venise était dès la plus
haute antiquité habitée par les Vénèles ( Veneli), peuple
vraisemblablement d'origine illyrienne, d'après lequel la
contrée reçut le nom de Venetia. 11 n'existait pas du temps
des Romains de ville appelée Venetia: celle-ci ne naquit
que plus tard. En l'an 452 les Huns, aux ordres d'Attila,
envahirent la haute Italie, saccagèrent Aquilée et dévas-
tèrent toute la Vénélie. 11 parait qu'à cette calaniiteuse époque
des fugitifs, abandonnant la terre ferme, se réfugièrent dans
les lagunes et les îles de la mer Adriatique, et y fondèrent
l'État qui devait ensuite devenir la République de Venise.
Cette petite conmiune démocratique était gouvernée par des
tribuns; mais en l'an 697 elle élut son premier d«a;oudoge,
Paoluccio Anafesto ; ce qui n'empêcha pas l'élément démo-
cratique d'y rester encore prédominant. La population s'ac-
crut toujours de plus en plus dans les plus considérables deces
Iles, Rialto {Rivus Altus), Malamoco et Torello; en l'an
809 le siège du gouvernement fut établi dans l'île de Rialto,
celle qui à l'époque de la guerre contre le roi Pépin avait
offert aux habitants le plus de sécurité. Dans cette île de
Rialto s'éleva dès lors insensiblement une ville populeuse,
la Venise actuelle, qui peu à peu devint la plus puissante
des républiques commerçantes, grâce à sa situation, aussi
sûre qu'heureuse, entre l'empire d'Occident et l'empire
d'Orient, et qui finit par dominer dans la mer Adriatique.
Bientôt la ville ne se contenta plus de la possession des iles
et du littoral voisin, et fit des conquêtes môme en Istrie et
en Dalmatie. En l'an 997 les villes de la Dalmatie se pla-
cèrent sous la protection de Venise. En 1032 l'autorité du
doge, jusque alors seul dépositaire du pouvoir exécutil qu'il
recevait de la nation assemblée, dut reconnaître des limites.
Deux conseillers lui furent adjoints, sans lesquels il ne put
prendre aucune détermination; et dans les affaires impor-
tantes il dut en outre appeler à la délibération dix notables
de son choix : c'est ce qu'on appela le conseil des pregadi
(invités). Vers 1170, un conseil de quatre cent quatre-vingts
nobles fut institué, qui se renouvelait chaque année et repré-
sentait les six divisions ou sestiers de la nation. Ce conseil,
qui fut le grand conseil , exerçait conjointement avec le
doge l'autorité souveraine , et seul tous les pouvoirs que les
lois n'attribuaient pas à ce chef de la république. Quelques
années plus tard on enleva au doge la juridiction criminelle
pour la confier à un tribunal nommé la quarantie et com-
posé de juges tirés du grand conseil.
Lors de la ligue de Lombardie contre l'empereur Frédéric
Barbe-Rousse, les Vénitiens équippèrent une flotte, qui battit
celle de l'empereur. Le pape Alexandre III , rapportent les
historiens de Venise, fit présent au doge, pour lui témoigner
sa reconnaissance, d'un anneau, symbole de sa souveraineté
sur la mer Adriatique; c'est ce qui donna naissance à la
singulière solennité consistant faire épouser tous les ans
cette mer au doge, qui y jetait un anneau, afin d'apprendre
au monde, que de même que l'épouse est soumise à son
mari, la mer est soumise au doge.
Les croisades furent la source de bénéfices immenses
pour les villes maritimes de l'Italie, et en particulier pour
Venise, où affluèrent bientôt les richesses de tout l'Orient.
En 117S on adjoignit au doge six conseillers (signorie),
auxquels se réunit dans le cours du trei/ième siècle la
quarantie, qui dans l'origine était un tribunal crimiisel. Le
grand conseil devint pendant ce môme siècle l'autorité la
plus puissante, qui peu à |«u s'attribua le droit de nommer
tous les magistrats. C'est sous l'influence d'une artistocratie
modérée que se formèrent la législation et l'administration.
Les mœurs s'adoucirent et les beaux-arts commencèrent à
fleurir ; et sous le quarante-et-unième doge, Enrico D a n d o -
1 o, la puissance commerciale de Venise parvintà son apogée.
Lors de la croisade entreprise en 1202 par les Vénitiens
avec les Français et d'autres nations, Dandolo, à la tête de
la flotte vénitienne, s'empara de Constantinople. Beaudoin,
comte rie Flandre, fut proclamé empereur d'Orient; mais
Venise se réserva pour sa part les trois huitièmes de la ville
de Constantinople, avec la suzeraineté du Péloponnèse, de
l'île de Candie et de diverses îles de la côte d'Ionie. Pour se
mettre en possession de ces conquêtes, Venise se fia à l'in-
térêt privé de ses plus riches citoyens. Un édit permit à tout
Vénitien de soumellre à ses frais, et pour son propre compte,
les îles de l'Archipel et les villes grecques de la côte, à la
charge seulement de reconnaître les tenir à titre de fiefs de la
république. On vit ainsi les Dandoli, lesViazi,lesSanudi,etc.,
fonder les duchés de Gallipoli et de Naxos , de Tino, de
Céos, le grand -duché de Lemnos, etc. Tout commerçant
industrieux se fit riche, prit ensuite en dehors de la ville des
troupes à sa solde, et devint puissant et conquérant. L'iné-
galité des fortunes enfanta dans les familles enrichies de
nouvelles prétentions aristocratiques. Le conseil des pre-
gadi, ou petit conseil, n'eut qu'une autorité précaire tant
que sa convocation et le choix de ses membres dépendirent
uniquement du chef de l'État. En 1229 il devint partie
indispensable de la constitution : on éleva le nombre de ses
membres à soixante, et leur choix n'appartint plus au doge,
mais au grand conseil. En même temps on créa deux
nouvelles magistratures, les cinq correcteurs du serment
et les trois inquisiteurs du doge défunt. Les première
furent chargés de recevoir pendant chaque interrègne l'espèce
de capitulation que le doge nouveau devait jurer avant d'en-
trer en fonctions. Les autres étaient une imitation d'une
pratique de l'antique Egypte. Ils avaient mission de faire le
procès à la mémoire de chaque doge après sa mort. La jalousie
des familles fit décider que l'élection du doge serait soumise
à des formes compliquées, où le sort fût appelé à neutraliser
la brigue. Comme fiche de consolation donnée à la citadi-
nance, ou classe plébéienne, on créa la charge de grand-chan-
celier, dont on lui abandonna la nomination.
Après le rétablissement de l'empire de Byzance, vainqueur
en l'an 1261 de l'État féodal fondé par les Francs, le com-
merce des Indes orientales abandonna la voie de Constan-
tinople pour prendre celle d'Alexandrie. En même temps les
Génois, qui avaient essentiellement contribué au renverse-
ment de l'empire latin, causèrent un préjudice immense aux
relations de commerce des Vénitiens.
Tant que la citadinance concourait à l'élection des
membres du grand conseil, l'aristocratie ne pouvait se dire
entièrement maîtresse des affaires. Le 10 septembre 1298,
sous le quarante- neuvième doge, Pietro Gradenigo, elle
accomplit l'usurpation la plus inique. Un décret intitulé il
seviar del consejo (la fermeture du conseil) ordonna que les
juges composant ïaquarantie ballotteraient l'un après l'autre
les noms de chaque personne qui pendant les quatre der-
822
VENISE
nières aimées avait été membre au grand conseil, et que
quiconque réunirait douze suffrages sur les quarante serait
reconnu membre du grand conseil. Pour remplir les va-
cances , trois électeurs pris dans le grand conseil durent
proposer des candidats. Or, la 5'7<arfln<ie n'était qu'une éma-
nation du grand conseil et choisie par lui dans sou sein; c'é-
taient en réalité les familles composant le grand conseil cette
année qui confisquaient à leur profit le droit de renouveler
désormais la représentation nationale, en ne laissant aux
autres qu'une faible perspective d'être, en cas de vacance,
agrégées par élection à ces familles régnantes. Bon nombre
de familles puissantes exclues de la sorte du gouverne-
ment, parce que le hasard avait voulu que dans l'année de
l'usurpation aucun de leurs membres ne siégeât au sénat fi-
rent dès lors cause commune avec la citadinance. Après
quelques années, une conspiration s'ourdit, dirigée parBoe-
mond ïiepolo, ayant pour but de tuer le doge Gradenigo,
de dissourire le grand conseil usurpateur, et de le remplacer
par une élection annuelle. Instruite à temps, l'aristocratie
se mit en défense. Les deux partisse livrèrent sur la place
Saint-Marc, le 13 juin 1310, une bataille sanglante, où la
cause plébéienne succomba. Cette conspiration servit de mo-
tif ou de prétexte à l'institution du redoutable conseil des
dix, revêtu d'un pouvoir dictatorial avec le droit de pour-
suivre et punir les délits commis par des nobles, au moyen
d'une procédure secrète et inquisitoriale dans laquelle les
témoins n'étaient pas nommés et encore moins con-
frontés avec l'accusé. Le conseil des dix, soustrait à toute
responsabilité, disposant arbitrairement des finances et des
forces militaires de la république ainsi que de la vie des
citoyens , établit le despotisme le plus absolu , fondé sur un
système de délation et d'espionnage qui ne permettait pas
un instant aux nobles de jouir avec confiance de la vie et
de la Hberté. Le conseil des dix, nommé d'abord pour
deux mois, fut ensuite confirmé pour cinq ans, et devint
permanent.
Jusqu'en 1319 le grand conseil usurpateur se renouvela
pur un simulacre d'électioa ; chaque année la quarantie
confirma de nouveau les membres une fois élus, et pour
remplir les vacances le comité des trois électeurs ne chercha
point de candidats hors des familles usurpatrices. Un décret
ordonna que la quarantie ouvrirait un livre, appelé le livre
d'or, où chaque personne réunissant les nouvelles cbnditions
d'éligibilité serait tenue de se faire inscrire. Bientôt après le
comité des trois électeurs fut supprimé, le renouvellement
périodique du grand conseil aboli; et il fut décrété que
quiconque réunissait les conditions requises pouvait à vingt-
cinq ans se faire inscrire dans le livre d'or et entrait sans
élection dans le grand conseil. Ce fut une pairie héréditaire
et immobilisée dans un certain nombre de familles. Le pou-
voir du doge fut surveillé avec plus de jalousie que jamais.
En J554 le grand conseil autorisa le conseil des dix à
choisir trois de ses membres , dont l'un pouvait être pris
parmi les conseillers du doge, pour exercer, sous le titre
à' inquisiteurs d'État, la surveillance et la justice répres-
sive, jusque alors déléguées au cbefde la république. La juri-
diction de ce tribunal redoutable s'étendit, sans excepter
les membres (lu conseil des dix, sur tous les individus quel-
conques. Il pouvait, s'il était unanime, infliger la mort, soit
p'ublique, soit secrète, et disposer, sans en rendre compte,
des fonds de la caisse du conseil des dix. Chacun de ces
inquisiteurs avait droit d'ordonner des arrestations, sauf à
en référer à ses collègues. Un règlement rédigé par eux statua
qu'il y aurait un suppléant destiné à être appelé dans le cas
où deux des inquisiteurs voudraient juger leur troisième
collègue.
f)ans tout le cours du quatorzième siècle, et jusqu'à la fin
du quinzième, la république de Venise croît de jour en jour
en puissance et ajoute à son territoire. En 1343, par un
traité conclu avec le sultan d'Egypte, elle acquiert une en-
tière liberté de commerce dans les ports de Syrie et d'E-
gypte ainsi que la faculté d'avoir des consuls à Alexandrie
et à Damas; ce qui lui donne des facilités pour s'appropri«r
peu à peu le commerce des Indes et pour s'y maintenir
malgré la république de Gênes, sa rivale et la seule puis-
sance en état de lui disputer la suprématie sur les mers.
En 1388 elle profite des troubles de la Lombardie pour
s'arrondir sur le continent italien, elle enlève Trévise et
toute la marche Trévisane à la puissante maison de Carrara.
En 1420 elle conquiert le Frioul , et avant l'année 1454
elle a démembré successivement du duché de Milan les villes
et territoires deVicence , Bellune , Vérone , Padoue , Brescia ,
Bergame et Crôma. En 1484 elle se fait céder par le duc de
Ferrare Rovigo et .son territoire. En 1496 le roi de Naples
lui abandonne les places de Trani , Otrante , Brindes et Gal-
lipoli. Trois ans après elle vend son alliance à Louis XII,
qui affiche des prétentions sur le Milanais, moyennant la
cession de Crémone et de tout le pays entre l'Oglio , l'Adda
et le Pô. En 1503 lamortdu pape Alexandre VI lui fournit
l'occasion favorable d'enlever à l'État Ecclésiastique plusieurs
villes de la Romagne, entre autres Rimini et Faenza. Tou-
tefois, aucune de ces acquisitions n'égalait en importance
celle de l'île de Chypre, conquise lors des croisades par Ri-
chard Cœur de Lion, etdemeuréele patrimoine d'une longue
suite de rois descendus de Guy de Lusignan , dernier roi de
Jérusalem. En 1460 le possesseur de ce royaume, du nom
de Jacques , inquiété par le sultan d'Egypte , imagine pour se
ménager la protecton de la république d'épouser Catherine
Cornaro , la fille d'un des plus puissants patriciens de Venise.
Pour honorer ce mariage le sénat adopte Catherine et la
déclare fille de Saint-Marc, ou de la république. Jacques
étant mort sans postérité, la reine Catherine fut amenée
à résigner sa couronne aux mains du sénat , qui se fit donner
parle sultan d'Egypte l'investiture de l'île.
La découverte par les Portugais de la nouvelle route aux
Indes , en enlevant à Venise le commerce de ces contrées , fit
tarir la principale source de ses richesses et par suite celle
de la supériorité de ses finances et de sa marine. La ligue de
Cambrai, en 1508, où le pape Jules II, l'empereur Maximi-
lien, Louis XII, Ferdinand le Catholique et plusieurs États
d'Italie se réunirent contre la république , abandonnée à ses
propres ressources, si elle n'amena pas sa ruine, nécessita du
moins de tels efforts de sa part qu'elle tomba dès lors dans
l'épuisement. L'accroissement prodigieux de la puissance
ottomane devait lui être plus fatal encore. Entraînée mal-
gré elle dans la guerre que soutenait contre les Turcs
Charles Quint, elle perdit par le traité de Constantinople
de 1540 quatorze îles de l'Archipel. En 1570 Sélim II lui
enleva l'ile de Chypre, et en 1645 Achtnet Kiouprili, vizir
du sultan Mahomet IV, s'empara de Candie. Les posses-
sions de Morée, perdues une première fois, le furent de
nouveau, et pour toujours , à la paix de Passarowitz, en
1718. Toirtefois, elle défendit avec succès Corfou (où com-
mandait Schulembourg) et laDalmatie. Mais à partir de
cette époque la république de Venise cessa de prendre part
an mouvement des affaires politiques de l'Europe. Elle se
contenta de conserver sa constitution décrépite, et, en ob-
servant la plus stricte neutralité, de se maintenir en posses-
sion d'un territoire qui contenait encore près de trois millions
d'habitants. C'est ainsi qu'elle réussit par un traité conclu
en 1763 avec les puissances barbaresques à leur faire res-
pecter son pavillon, et par d'autres traités conclus, en 1767
et 1769 , avec la cour de Rome à maintenir ses droits de
souveraineté contre les prétentions du saint-siége.
Lorsque, en 1796, Bonaparte, vainqueur des Autrichiens
dans la haute Italie, vint mettre le siège devant Mantoue,
il offrit à la république de Venise, qu'il avait intérêt de mé-
nager, ime alliance avec la république française : il y mettait
pour condition que l'aristocratie vénitienne modifierait la
constitution et la rendrait plus populaire. Cette aristocratie
n'accepta pas , et , n'osant cependant se déclarer en faveur
de l'Autriche, préféra garder la neutralité. L'année suivante,
Bonaparte, qui se fiait peu à cette neutralité, ne s'engagea
dans les gorges du Tyrol pour marcher sur Vienne qu après
VENISE
avoir !aisf-é garnison dans les villes importantes du teiTÏ-
toircvénitien déterre ferme , Vérone , 15ergame, Brescia, etc.
Ses précautions n'étaient point inutiles , car pendant son ab-
sence des troubles violents éclatèrent. Les familles nobles
de ces villes , qu'irritait de|)uis longtemps l'insolence de
l'aristocratie du livre d'or, s'unirent à la bourgeoisie pour
provoquer une révolution dans le sens des principes français.
Le peuple des campagnes, au contraire, travaillé par les moi-
nes, soutint la cause de l'antique de'spotisme, et la soutint
par fies massacres dont furent victimes, surtout à Vérone,
un grand nombre de soldats français. 'Vainqueur des Au-
trichiens , Bonaparte à son retour parla en maître au sénat
de Venise; et de simples menaces suflirent pour renverser
ces tyrans énervés. Le 12 mai 1797 Luigi Manini, dernier
doge de Venise, et le grand conseil abdiquèrent leurs pou-
voirs. Le 16 mai 3,000 Français entraient à Venise, bou-
leversée par sa propre population. L'égalité fut proclamée
parmi lescitoyensde Venise, et \&livred'or fut biûléle '«juin.
823
au pied de l'arbre de la liberté. Un gouvernement provi-
soire de soixante membres remplaça l'ancien grand conseil ;
mais bientôt la république elle-même fut anéantie, après
une durée de quatorze siècles.
Aux termes de la paix de Campo-Formio, toute la partie
du territoire de la ci-devant république de Venise située au
delà de l'Adige fut adjugée à l'Autriciie, et celui d'en deçà
de l'Adige incorporé à la République Cisalpine, devenue en-
suite le royaume d'Italie , auquel on ajouta, en 1805, la
partie du territoire vénitien ai>partenant à l'Aiitriclie et la
Dalmatie, mais sans les îles Ioniennes ou du Levant. Eu-
gène Beauharnais reçut de Napoléon le titre de prince de
Venise, (ii le territoire fut divisé en départements, à savoir :
le département de la mer Adriatique , cbel'-lieu Venise ; le
département de la Brenta , chef lieu Padoue; le départe-
ment du Bacchiglione, chef-lieu Vicence; le département
du Tagliamento, chef-lieu Trévise; le département du Pas-
serino (Frioul), chef-lieu Udine; et le département de l'Is-
trie , chef-lieu Capo-d'Istria. Cependant, à la suite de la
guerre de 1809 ces deux derniers départements fiuent dé-
tachés du royaume d'Italie et incorporés au territoire de
l'empire français en môme temps que les provinces Illy-
riennes.
La paix signée à Paris en 1814 et les actes du congrès
de Vienne en 1815 adjugèrent à l'Autriche Venise et son
territoire, dont on sépara toutefois l'Istrie et quelques îles
du golfe de Quarnero, avec le littoral du gouvernement de
Trieste et de Dalmatie, qu'on réunit au gouvernement de la
Dalmatie ; et depuis lors l'ancien territoire vénitien fait
partie du royaume Lombard o-V é n i t i e n.
Au milieu de ces divers changements de gouvernement
la ville de Venise avait vu constamment décroître ses •■'
cbesses et son commerce; et à mesure que l'ancienne reine
de r^driaf (gwetombaiten décadence, sa rivale, Trieste,
augmentait en importance. Venise ne commença à se relever
un peu que lorsqu'en 1830 elle eut été déclarée port franc; et
les travaux entrepris pour la construction d'un chemin de fer
destiné à la relier Milan permettaient d'espérer qu'elle ne tarde-
rait pas à récupérer une partie de son ancienne activité com-
merciale. Mais alors survinrent les événements de 1 848 {voyez
Italie), et Venise se trouva tout aussitôt entraînée dans leur
tourbillon. A la nouvelle de la lutte dont Milan venait d'être
le théâtre, il éclatai Venise une sanglante insurrection, dans
laquelle le peuple s'empara de l'arsenal, dont il égorgea le
commandant Marinovich. Le commandant de la ville, le
comte de Zichy , entre les mains de qui le gouverneur avait
résigné ses fonctions , dut conclure avec les insurgés une
capitulation en règle , par suite de laquelle les autorités ci-
viles et militaires autrichiennes furent déposées sans coup
férir, en même temps que tous les corps de troupes non
italiens obtenaient le droit d'évacuer la ville et son terri-
toire sans être inquiétés, et que Venise était abandonnéfe
aux insurgés. Au milieu de cette insurrection nn gouverne-
ment provisoire s'était constitué, et le 24 mars eut lieu la
procfamation solennclie d'une république vénitienne ou
république de Saint-Marc, à la tète de laquelle furent pla-
cés Maninet Tommas eo. Vassamblea convoquée par
ce nouveau gouvernement se réunit le 3 juin suivant , et ,
lasse du terrorisme démocratique, elle vota à la presque
unanimité la réunion avec la Sardaigne ; de sorte que Ma-
nin et Tommaseo durent déposer le pouvoir et se virent
remplacés par un nouveau ministère, ayant à sa tête Cas-
telli. La déroute essuyée par l'armée piémontaise dans sa
lutte contre les Autrichiens ne tarda pas à rendie le pou-
voir au parti démocratique. Le 1 1 août il éclata dans la ville
une violente insurrection populaire, (\m eut pour résultats
la chute de Castelli , le départ de la garnison piémontaise
et le rappel de Manin et de Tommaseo à la direction des
affaires. Dès le 13 août unenonvelle«s5a?«i'Zea se réunissait
pour délibérer sur la forme à donner au gouvernement ; et
elle se décida pour la dictature , instituée sous la forme d'un
triumvirat dans lequel Manin eut la direction des affaires
civiles, Cavedalis celle des affaires militaires, et Graziani
celle des affaires maritimes, mais où en réalité Manin absorba
ses collègues et fut le dictateur unique. Dès lors ce fut le
terrorisme le plus complet qui domina, et on continua avec
énergie à résister aux Autrichiens, qui déjà bloquaient la
ville. Au commencement de 1849 Manin se vit contraint de
convoquer une nouvelle assamblea permanente (consti-
tuante et législative), qui se réunit le 15 février, mais qui
demeura sans influence. Le ?> mars un soulèvement popu-
laire renversait la dictature, et établissait un ministère res
ponsable. Mais Manin, élu pour en être le président et
investi de toute la puissance executive , continua d'être
ri\me de l'insurrection, et poussa jusqu'aux dernières extré-
mités la défense de la ville contre les Autrichiens. Après la
nouvelle déroute essuyée à Novare par l'armée piémontaise,
Haynau, commandant du corps établi à Mestre et chargé
du siège de Venise, somma inutilement la ville d'avoir à se
rendre. Manin , malgré les souffrances et les misères de tous
genres auxquelles Venise était en proie, repoussa encor»;
au commencement de mai les propositions de paix de Ba-
detzliy. A la suite d'un effroyable bombardement les as-
siégés durent abandonner, le 20 mai, aux assiégeants, le
premier boulevard de Venise, le fort Malghera. Pour con-
tinuer la défense de la ville, il fallut rompre le beau ponl
des Lagunes , dont on lit môme sauter huit arches. C'est au
milieu du plus effroyable bombardement, tandis que la po-
pulation était en proie à toutes les souffrances que peuvent
entraîner la famine, le choléra, des émeutes et des révoltes ,
lorsque les munitions et les vivres allaient manquer à cette
ville investie de tous côtés, que Manin consentit à entamer
des négociations par suite desquelles Venise capitula à des
conditions très-modérées. Il fut permis aux troupes répu-
blicaines et à tout citoyen qui le voulut de se retirer libre-
ment ; seulement, quarante individus plus particulièrement
compromis dans les événements qui venaient de se passer
durent quitter la ville avant l'entrée des Autrichiens. Une
amnistie générale fut accordée aux simples soldats des
armées de terre et de mer. Le 30 août Radetzky fit son en-
trée dans Venise. La ville perdit son privilège de port franc,
et au commencement de 1850 le commandement supé-
rieur de la marine fut transféré à Trieste. Toutefois, l'ordre
une fois rétabli, le gouvernement autrichien s'occupa des
moyens de rendre à laville un peu de sa prospérité passée. Le
20 juillet 1851 il lui rendit son privilège de port franc ; mais
l'état de siège ne fut levé que le l"^"" mai 1854. Lors de la réor-
ganisation du royaume Lombardo-Vénitien on conserva la di-
vision du gouvernement ou territoire de Venise (305 myriam.
carrés, et environ 2,400,000 habitants) telle qu'elle existait
avant 1848, c'est-à-dire en huit provinces ; seulement, on les
appeh délégatiojis. Ce sont : Fe?325C (34 myriam. carrés,
et plus de 300,000 hab.), Vérone, Bovi go (Polésine) ,
Padoue, Vicence, Trévise, Belhme et Udine
(Frioul). Consultez Daru, Histoire de Venise (Paris,
1819-1821).
S24
VENISE
La ville de Veii.e , [Ikc forte de premier ordre et port
franc , siège du gouverneur du teri itoire vénitien , d'un
commandant de place, d'un patriarche catholique et d'un
archevêque arménien, d'une cour d'appel, d'un tribunal de
comiîjerce et d'un tribunal maritime, etc., est l'une des
villes les plus remarquables de l'Europe. Elle est bâtie sur
soixante-dix grandes îles, dans les lagunes de la mer Adria-
tiq.ue, à cinq milles italiens de la terre ferme, et a environ
huitmi^^es de circuit. Parmi les trois cent soixante-dix ponts
qui relient les îles les unes aux autres, on distingue le magni-
iiqijeponle Rlalto, construit de 1588à 1591, qui, de même
quele pont du chemin de fer construit en 1854, traverse le
canal Grande, le plus grand des cent quarante-neuf canaux
qu'on compte à Venise , divisant la ville en deux parties à
peu près égales, et dont les bords sont entourés de palais.
Les édifices de la ville , dont bon nombre de palais , aujour-
d'hui il est vrai à moite en ruines , et de magniliques églises,
sont généralement bâtis sur pilotis , et leur façade donne le
plus souvent sur les canaux, qui servent de rues, tandis que
dans les rues proprement dites, c'est à peine si trois piétons
peuvent marcher de front. On compte quarante-et-une places
à Venise, mais il n'y a quela place Saint-Marc, tout entourée
d'arcades, qui mérite véritablement ce nom. Sur cette place
s'élève l'église patriarcale ou de S«i«^^/arc, d'un style parti-
culier, réunissant les formes byzantines à celles des basiliques
romaines. La façade se composede cinq grandes arcades en
ligne comme celles d'im pont. Sur le balcon qui règne au
front de cet édifice figurent quatre chevaux de bronze, attri-
bués au célèbre statuaire Lysippe. De Corinthe, dont ils
firent l'ornement dans les siècles antiques , ils passèrent à
Rome sous Néron, accompagnèrent Constantin a Byzance;
et, après la prise de cette ville par les Vénitiens, au trei-
zième siècle, ils suivirent les vainqueurs à Venise. Napoléon
les lit transporter à Paris , oij ils figurèrent sur l'arc de
triomphe du Carrousel. Notre désastre de 1815 les rendit
à l'Autriche, qui les ramena à Venise. L'église, à l'inté-
térieur, e^t tout entière revêtue de mosaïques à fond d'or
exécutées oiiginairement par des artistes byzantins, mais
retouchées et presque entièrement renouvelées depuis. Le
pavé est divisé en compartiments représentent des animaux,
des arbres et des hiéroglyplies en pierres de diflèrentes cou-
leurs. La tradition y fait reposer le corps «le l'évangéliste
saint Marc, qui y aurait été transféré d'Egypte sous le doge
Giustiniano. Cet édifice occupe en entier l'un des petits côtés
de la fameuse place Saint-Marc. Les autres côtés sont for-
més par des galeries à portiques. A l'une des extrémités
de la place sont trois jyiH, ou rnàts élevés, sur lesquels
flottait jadis la bannière de Saint-Marc, étendard glorieux
de la république, remplacé aujourd'hui parle drapeau au-
trichien ; à l'autre se présentent deux colonnes de granit,
dont l'une porte le lion de Saint-Marc , qui a figuré un
instant comme trophée sur notre fontaine des Invalides à
Paris, et l'autre , la statue de saint Théodore, patron de
Venise , couvert d'une armure et monté sur un crocodile.
C'est dans l'ancien palais du doge , édifice aussi remar-
quable par l'ampleur de ses proportions que par la beauté
grave de son architecture , et dont la construction date du
milieu du quatorzième siècle, sous le dogat du malheureux
Marino-Falieri , que réside le gouverneur autrichien. Ce
palais était la demeure du doge, le lieu de réunion des
conseils; et tous les bureaux de l'administration y trou-
vaient place. Les moins importants occupaient l'étage infé-
rieur; les autres s'élevaient par degrés dans l'ordre des
dignités et du pouvoir, jusqu'au dernier étage, où siégeait
le triumvirat des inquisiteurs d'État. Inaccessibles, dans
leur retraite, à toute autre personne qu'aux exécuteurs
de leurs décrets, ils ne voyaient pas môme leurs plus pro-
ches parents durant les quatre mois que chacun d'eux
4tait en fonctions. La fameuse gueule de lion , à la porte
des inquisiteurs, n'existe plus; mais on distingue en-
core l'ouverture dans la muraille. Dépouillée de ses ter-
reurs, a dit un voyageur, M. Siraond, elle a tout sim-
plement l'air d'une des bottes' aux lettres pour la petite
poste de Paris. Il y avait plusieurs autres dépôts sembla-
bles dans les différentes parties de la ville pour la plus
grande commodité des habitants. Les salles de ce palais
sont ornées de peintures du Bassan , de Palma, du Tin-
toret, du Titien, de Paul Véronèse, etc. La magnifique
salle du grand conseil avec ses dépendances renferme
depuis 1812 la célèbre bibliothèque de Saint-Marc et ses
précieux manuscrits. Des réduits préparés dans les greniers
du palais ducal recevaient les criminels d'État : c'était ce
qu'on appelait la Prison des Plombs , parce qu'elle se
trouvait immédiatement sous les feuilles de plomb de la
toiture. Dans ces réduits , dont quelques-uns ne recevaient
pas le moindre rayon de lumière , et ne permettaient pas
même à un homme de taille ordinaire de se tenir debout,
les chaleurs de l'été devenaient meurtrières. D'autres pri-
prisons, appelées pozzi (les puits ), séparées du palais par
un pont, qualifié à juste titre de Pont des Soupirs, étaient
d'horribles cachots souterrains. En face du Palais du doge,
sur ce qu'on appelle la Piazetta, est situé l'ancien bâti-
ment de la bibliothèque, aujourd'hui palais impérial, chef-
d'œuvre de Sansovino. A droite se trouve le magnifique
bâtiment de la Monnaie ( la Zecca), où furent frappés en
1284 les premiers ducats de Venise {zecchini). La place
Saint-Marc est à proprement parler la seule promenade des
Vénitiens et le rendez-vous des étrangers. Varsenal oc-
cupe à lui seul une île de près de 4 kilomètres de tour. Dé-
fendu par de hauts remparts , il a l'apparence d'une cita-
delle. A l'entrée sont deux lions colossaux, chefs-d'œuvre
de la statuaire antique , enlevés d'Athènes et de Corinthe.
Cet arsenal , aujourd'hui silencieux, et qui ne renferme
plus qu'une collection précieuse d'armures du moyen âge ,
compta au temps de la splendeur de la république jusqu'à
16,000 ouvriers travaillant dans son enceinte. Venise, en
effet , eut longtemps une marine militaire de 33° voiles et
26,000 matelots. Outre l'église patriarcale et quatre-vingt
dix-huit autres églises catholiques, il y aà Venise des églises
de srecs-unis, d'arméniens et de protestants. Les plus remar-
quables de ces églises, tant pour leur architecture que pour les
œuvres d'art qu'elles contiennent, sont : Santa-Maria glo-
riosa ai Fart, Santi-Giovanni-e-Paolo , Santa-Maria
delta Saluti, San- Maggiore, Giorgio, etc. Les juifs ont
sept synagogues.
Venise compte un grand nombre d'établissements de
charité, d'hôpitaux , d'hospices et de fondations pieuses.
On y trouve une académie des beaux-arts, avec l'une des
plus riches galeries de tableaux qu'il y ait en Italie ; un ly-
cée avec une bibliothèque, un riche muséum d'histoire na-
turelle avec un jardin botanique, et sept théâtres, parmi
lesquels on distingue surtout celui de La Fenice, recons-
truit en 1836, et qui peut contenir 3,000 spectateurs.
Le nombre des palais, qui se distinguent en général par
l'excellent style de leur architecture , et dont les plus an-
ciens sont construits dans le goût mauresque, est immense.
Mais beaucoup des familles auxquelles ils apiiartenaient
sont aujourd'hui éteintes ou tombées dans la pauvreté.
Parmi les galeries particulières, il y en a plusieurs de très-
importantes, par exemple celle de Manfrin.
La population, qui à l'époque florissante de la république
était de plus de 190,000 âmes, après avoir singulièrement
diminué , est aujourd'hui en progression constante ; et le
chiffre actuel dépasse 125,000 habitants.
Les principaux produits de l'industrie sont les cristau»x ,
les cordages et les voiles, les soieries, les bonnets turcs,
les gants, les articles de bijouterie et les fleurs artificielles.
Il existe des fabriques de glaces, de miroirs, de perles,
de mosaïques, de savon, de bougies, de thériaque, d'esprit
de vin , et des raffineries de sucre. Pour la fabrication des
glaces Venise autrefois ne connaissait pas de rivaux ; au-
jourd'hui elle est surpassée à cet égard par d'autres pay».
Sa fabrication de télescopes , de lunettes et de perles a con-
servé son antique supériorité. Au total, on peut dire que
VENISE — VENT
825
l'industrie manufacturière de Venise est aujourd'hui bien
déchue de ce qu'elle était autrefois , de même que son
commerce, qui en 1421 occupait 3,345 navires avec 36,000
matelots et 16,000 charpentiers. Cependant, Venise est
toujours l'une des plus importantes [)laces de commerce de
l'Adriatique. On y compte trois ports : Chioggia, Lido, pour
de petits navires, et Malamocco. Les Iles Guidecca, San-
Giorgio, Santa-Elena, San-Erasmo, el Lido di Malamocco,
Michèle et Murano, généralement habitées par des artisans
et des ouvriers, sont comme les faubourgs de Venise. On
s'y livre aussi beaucoup à la culture des légumes. Il existe
de nombreux services de bateaux à vapeur pour Trieste
et le Levant. Un chemin de fer passant par Padoue,
Vérone et Brescia , et aboutissant à Milan , facilite singu-
lièrement depuis peu les communications avec la terre
ferme, ainsi que le pont, long de quatre milles, assis sur
deux cent vingt-deux arches, qu'on a construit tout ré-
cemment et qui rattache Venise au continent.
Venise était autrefois une ville ouverte et sans défense,
dont la situation faisait toute la force. Aujourd'lmi de vastes
fortifications la protègent du côté de la terre ; et elle est
occupée par une forte garnison.
VÉNlTIEi\l\E (École). Voyez Écoles de Peinture.
VENLOO ou VENLO, ville forte, dans la province
de Limbourg (royaume des Pays-Bas), sur la rive droite
de la Meuse, à 63 kilomètres au-dessous de Maéstricht , et,
de même que cette ville , n'appartenant pas, comme le reste
du Limbourg, à la Confédération Germanique, compte 6,700
habitants. On y trouve des brasseries . des distilleries , des
tanneries, des fabriques de tabac, des filatures, une manufac-
ture d'aiguilles, etc. ; et elle est le centre d'un commerce et
d'une navigation assez importants. En face de la ville est si-
tuée l'île fortifiée de Wser'l, et sur la rive gauche de la Meuse
le fort Saint-Michel, où on arrive par un pont volant. Assié-
gée par l'empereur Charles Quint, en 1543, Venloo obtint
des conditions très-favorables, désignées dans l'histoire sous
le nom iVaccoi'd de Venloo. Elle fut prise en 1568 par les
Hollandais, puis bientôt après par le duc de Parme; en
1632 par le prince Henri d'Orange, et à quelque temps de là
par le cardinal infant. A partir de ce moment elle appartint à
l'Espagne jusqu'à la paix de Westphalie, qui stipulait qu'elle
serait échangée contre un équivalent , condition qui ne fut
pas exécutée. En 1702 Marlborough l'enleva aux Fran-
çais. La paix concliieàBade en 1714 l'adjugea à l'Autriche;
mais le traité des Barrières de 1715 la rendit aux Hollan-
dais. Le 26 octobre 1794 elle tomba au pouvoir des Fran-
çais, et en 1801 elle fut réunie à la France, La paix de
Paris la restitua en 1814 aux Hollandais, à qui les Belges
l'enlevèrent, le 10 novembre 1830; mais le général Daine
dut l'évacuer le 21 juin 1839, et elle rentra alors sous la do-
mination hollandaise.
VEl\T ( Artillerie ). Voyez Évent.
VENT {Météorologie). Les vents sont des courants qui
.se manifestent dans l'atmosphère suivant des directions et
avec des vitesses très-variables; ce sont les météores
aériens dont l'apparition est la plus fréipiente. Il y a des
ycni?, permanents , d'autres sont périodiques , el les plus
commims, ceux que l'on éprouve partout, sont variables.
l\ est sans doute inutile de prouver que les forces capables
d'ébranler la masse des eaux de la mer et d'y produire les
courants et les marées suffisent à plus forte raison pour
imprimera l'atmosphère des mouvements analogues, d'au-
tant plus que la masse à mouvoir y est extrêmement pe-
tite en comparaison de celle des eaux , et que les obstacles
opposés aux courants et aux marées par les aspérités du fond
des mers sont beaucoup plus difficiles à surmonter que ceux
contre lesquels l'atmosphère vient se heurter dans les divers
mouvements qui lui sont imprimés. En effet, les îles dis-
séminées sur toute la surface des mers sont des montagnes
dont plusieurs surpassent les plus hautes cimes connues sur
les continents; elles s'élèvent au-dessus des flots, au lieu
que les montagnes terrestres restent fort au-dessous de la
surface <le l'atmosphère. Remarquons encore que les
plus grands mouvements atmosphériques sont ceux que
l'on observerait à la surface s'il était possible d'y arriver;
de même que le phénomène des marées , à peine sensible au
fond de la mer à une très-grande profondeur, atteint son
maximum à la surface où nous le mesurons très-commo-
dément. Nous sommes donc à une place tout à fait désa-
vantageuse pour constater par nos observations et not
mesures l'action des causes générales qui mettent l'atmos-
phère en mouvement et produisent les vents réguliers et
périodiques. Mais la théorie appliquée avec succès au sys-
tème du monde et aux faits généraux de notre planète est
solidement établie par l'accord parfait entre les observations
et les résultats du calcul ; on est donc assuré d'arriver à la
vérité en employant pour les recherches sur les mouve-
ments de l'atmosphère les méthodes et les formules dont
on a fait usage pour le calcul des marées. C'est ainsi que
l'on assigne avec certitude l'inlluencedes lunaisons sur les
vents et quelques-unes des variations qu'ils subissent; que
la réunion ou l'opposition entre l'attraction du Soleil et celle
de la Lune est indiquée comme la cause des différences ob-
servées entre ses résultats , etc. On voit aussi que le mou-
vement de rotation de la Terre étant plus rapide que celui
des régions les plus hautes de l'atmosphère, il doit en ré-
sulter un vent dirigé en sens contraire, dont la vitesse se-
rait constante si d'autres impulsions nese combinaient point
avec ce mouvement ; on voit aussi pourquoi ce vent régulier
et constant n'est sensible que dans une région peu éloignée
de l'équateur. L'origine des ven<5 a Z«c('s est connue, et l'on
n'est point surprisde les trouver plus réguliers sur la mer, où
tout est à peu près uniforme, que sur la terre, où le sol, tan-
tôt sec et tantôt mouillé, aride ou couvert de végétaux, etc.,
s'échauffe plus ou moins, fournit ou absorbe des vapeurs, etc.
La cause générale des saisons est aussi reconnue comme
celle des vents périodiques désignés par le nom de mous-
sons. Si le Soleil ne s'écartait point de l'équateur, c'est-à-
dire si l'axe delà Terre était perpendiculaire au plan de son
orbite, l'air constamment dilaté sous la ligne s'y élèverait
vers les régions supérieures, et serait remplacé par de l'air
plus dense refluant des deux hémisphères; il y aurait donc
un vent réguher qui dans l'hémisphère boréal viendrait
du Nord et dans l'hémisphère austral affluerait du Sud :
mais comme leSoleil s'approche alternativement de l'un et
de l'autre pôle, la direction des vents suit aussi ce balance-
ment, en sorte que les moussons changent de direction
d'une saison à l'autre. Ces oscillations deviennent plus ir-
régulières à mesure que l'on s'éloigne des tropiques, et ne
sont plus remarquables dans les régions tempérées.
Les causes des vents particuliers et variables n'échappent
à personne ; les observations les plus ordinaires manifestent
assez les effets de la dilatation de l'air et de la formation
des vapeurs. En voyant le courant qui s'établit dans une
cheminée lorsque l'air y est dilaté par la chaleur, le mou-
vement de bas en haut qui a lieu sur un poêle et qui fait
tourner un serpentin , etc., on est suffisamment averti de
ce (|ui résulterade plus grandes massesd'air mises en mou-
vement par la chaleur. Mais la production des vapeurs agit
d'une manière plus mystérieuse, et quelques-uns de ses
effets échappent le plus souvent aux observations journa-
lière?. Ainsi, par exemple, l'évaporation des eaux d'un ruis-
seau est capable d'ébranler l'atmosphère à plusieurs cen-
taines de mètres d'élévation.
Les vents sont un agent mécanique dont l'industrie a fait
un usage admirable; un vaisseau est peut-être la plus bellî
œuvre de l'homme. Sur terre, l'application du venta
quelques machines est restée imparfaite, et ne sera peut-
être jamais un objet de recherches plus diligentes : on lui
reproche avec raison son irrégularité , son extrême incons-
tance, les difficultés qu'elle oppose à l'art du mécanicien ;
et la concurrence d'autres moteurs plus avantageux à tous
égards la fera peut-être abandonner définitivement. Mais
si on renonçait aux mécanismes mis en mouvement par un
826 VENT —
courant d'air, on ne traiterait pas avec le même dédain celles ^
qui servent à produire un vent plus ou moins rapide : on
s'attachera de plus en plus à perfectionner les wenii ia-
tcurs et les machines soufflantes; l'art de les
construire a déjà mis à profit les lumières qu'il a reçues
des sciences.
La direction du vent se détermine à l'aide de girouettes;
sa vitesse se mesure au moyen de l'a n é m o m è t r e.
FEIiUY.
En termes de marine , on est au vent d'une terre on d'un
navire lorsqu'on reçoit la brise avant celle terre ou ce
navire ; dans le cas contraire , on estsoMs le vent.
VENT (lies du). ro?/e:; Antilles.
VENT (Iles sous le). Foye:; Antilles.
VEiXT {Médecine ) , nom vulgairement donné aux gaz
qui se développent quelquefois dans certains organes, par-
ticulièrement dans le tube digestif, dont ils sont expulsés
parles voies supérieures ou inférieures. Ces vents jouent
un grand rôle dans la médecine populaire : on leur atliibue
beaucoup d'accidents dont ils sont parfaitement innocents;
mais surtout on s'abuse sur leur origine, ce qui conduit à
l'emploi de remèdes souvent dangereux.
Les vents peuvent provenir de deux sources principales :
1" de certaines substances ingérées dans le tube digestif,
où elles subissent une espèce de fermentation qui donne
lieu au développement de gaz : tels sont, dit-on, certains
légumes, tels que les haricots, les choux, les navets;
2° de certaines affections des organes digestifs eux-mêmes,
qui donnent lieu à l'exhalation de ces (jaz. Cette seconde
origine est sans contredit la plus commune , et c'est elle
qu'on perd de vue le plus souvent. Ces afiéctions peuvent
consister dans une irritation, plus fréquente peut-être,
que la débilité ou l'état nerveux qu'on accuse' ordinairement.
Les gaz développés dans l'estomac s'échappent par en
haut; ceux produits dans les intestins prennent leur cours
par en bas ; leur expulsion a lieu avec ou sans bruit. Quand
ils séjournent dans ces cavités, les contractions intestinales
leur communiquent des mouvements accompagnés d'un
bruit de gargouillement désigné sous le nom de borbo-
rygmes. Lam présence occasionne souvent des malaises
ou des douleurs désignées sous les noms de coliques cVcs-
tomac on du bas-ventre. S'ils sont abondants et longtemps
retenus,ils causent le météorismeonXa. tymp anite.
Leur odeur est ordinairement fétide, surtout lorsqu'ils sont
expulsés par le bas, et qu'ils ont séjourné longtemps avec les
matières intestinales. Ceux qui sont rendus par le haut ont
parfois une saveur acide, nauséabonde, hydro-sulfurée.
Ces caractères sont relatifs à la composition des gaz, qui
est très-variable; cependant, ils sont constitués le plus fré-
quemment par de l'iiydrogène sulfuré ou carboné, de l'a-
cide carbonique, de l'azote , etc. 11 ne faut pas confondre
leurs propriétés avec celles des maiières qui les accompa-
gnent.
Dans le traitement à opposer à V habitude venteuse, il
importe d'avoir égard à la nature des causes. Dans les ir-
ritations gastro -intestinales, les adoucissants seront les
meilleurs canninatifs ; chez les individus lymphatiques,
les toniques seront indiqués; chez les personnes nerveuses,
les excitants dits antispasmodiques aurontdes elfets favo-
rables. Les anthelmintiques réussiront chez les individus
affectés de vers intestinaux. Tous ces moyens , bien appli-
qués, seront plus efficaces que les remèdes antigazeitx ou
carminatils, qui s'adressent à l'effet sans détruire la cause :
tels sont les semences d'anis, de fenouil, la vanille, etc.,
et les poudres absorbantes , comme la magnésie. Les pur-
gatifs n'ont souvent qu'un effet momentané , et fréquemment
donnent plus d'activité à la sécrétion gazeuse. Le choix des
aliments importe plus par l'impression que ces aliments
devront exercer sur les voies digestives que par les pro-
priétés venteuses qu'on peut leur attribuer. FoncET.
VEI\T {Mythologie). Les P.héniciens furent les pre-
miers qui divinisèrent ce phénomène de l'atmosphère, dont
VENTE
la cause est encore tant discutée ; ils leur offrirent des sacri»
fices , ainsi que les Perses. Les Grecs imitèrent ce culte ; ils
immolaient aux Vents furieux une brebis noire , et aux
Zéphyrs une brebis blanche. Selon Hésiode , dans sa Théo-
gonie, les Vents ennemis sont fils de géants, de Thyphée
(Tourbillon), d'Astrée et dePersée. Quant à ceux qui sont
favorables aux hommes, au nombre de trois , il les fait en-
fants des dieux : c'est Borée, qui chasse les brouillards in-
fects; c'est Notas , qui féconde la terre de ses abondantes
rosées; c'est Zéphyr, qui la jonche de fleurs. Des mythes
veulent que tous les Vents soient nés du géant Astrée (le
père des astres), ce qui est plus conforme à la physique.
Les anciens Hellènes ne comptèrent d'abord que quatre
vents : Borée (nord). Euros (est). Notes (sud), Zé-
phyros (ouest). Longtemps après un temple octogone à
Athènes , appelé la Tour des Ve nts,en offrit huit sculptés
sur ses pans, parmi lesquels sont représentés avec leurs
attiibutsces quatre derniers, qui souftlent des points car-
dinaux du globe. Au temps d'Alexandre on en comptait
douze; les Latins dans la suite en reconnurent vingt-
quatre. Chaque vent chez les anciens avait un nom par-
ticulier. Homère place la patrie des A'ents dans les Éoliennes
ou Vulcanies , sept îles au nord de la Sicile , où régnait Éole,
leur maître et leur dieu. Les autels dressés à ces légers
démons, selon l'expression charmante de La l'^ontaine,
étaient en grand nombre : on en a trouvé dans les Gaules,
sur les côtes de l'Illyrie, et môme jusqu'en Afrique, auprès
de Constantine. Ce dernier monument est du temps de
Trajan ou d'Adrien. Les poètes, les sculpteurs , les peintres
de l'antiquité ont représenté les Vents doux et pacifiques
avec de belles ailes aux pieds , aux épaules, à la tête; les
traits de ces génies à la fleur de l'âge sont gracieux; sou-
vent une couronne de fleurs variées retient leur chevelure,
tant soitpeu agitée, et leur bouche, amoureusement ouverte,
est, ainsi que leurs joues, mollement arrondie. Les Vents
dévastateurs sont représentés sous des formes terribles : les
Tempêtes, la foudre en main , l'éclair aux yeux, se tien-
nent à leurs côtés ; ils ont des ailes immenses, foutes blanches
de givre ou dtigoultantes de pluie , des faces menaçantes et
boursouflées de vapeurs. Denne-Baron.
VENTADOUR ( Famille de) , branche de la lamilie de
Lé vi s.
VEXTE. Voyez Caubonaki.
VENTE ( Droit ). Le commerce a commencé par des
échanges ;àe là l'origine de la vente. Quand il n'y avait
pas encore de monnaie , ou lorsque l'argent était rare, c'était
par le commerce des choses en nature que les hommes
pourvoyaient à leurs nécessités. Partout où il y a des lois
écrites , la vente est régie par le droit civil. 3Iais en prin-
cipe elle appartient au droit des gens et au droit naturel:
au droit des gens , car elle est pratiquée chez foutes les na-
tions ; au droit naturel, car elle n'est si généralement ré-
pandue que parce qu'elle est un fruit spontané de la nature
sociale de l'homme. Aussi dans notre législation l'étranger
et même le mort civil peuvent-ils vendre et acheter libre-
ment : la faculté dont ils usent alors n'excède en rien la po-
sition particulière dans laquelle ils se trouvent placés par
le droit civil.
Le Code Civil (art. 1582) définit la vente « une conven-
tion par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre
à la payer. « Ainsi , les caractères essentiels qui distinguent
la vente des autres contrats sont clairs et précis; il faut
1" une chose que l'on .s'obligea livrer, 2° un prix que l'ac-
quéreur s'oblige à payer, 3°, enfin, un consentement certain
de part et d'autre. C'est ce (jue les interprètes du droit ro-
main ont résumé par ces mots : res, prelittm, consensus.
Toutes les fois que ces trois conditions ne se réaliseront pas,
il n'y aura pas vente. Ainsi, par exemple, si je donne une
chose pour recevoir une autre chose, ce sera un échange, et
non pas une vente , parce qu'il n'y a pas de prix ; si je trans-
porte la propriété d'une chose moyennant un prix qui n'est
pas sérieux, ce sera une donation, et non pas une vente
VENTE — VENTOUSE
car le but de la vente est de mettre en jeu deux équivalents,
et non pas de faire une libéralité.
La première condition de la vente est que le vendeur s^o-
blige à livrer la chose. Cependant, les jurisconsultes ro-
mains n'admettaient pas que le vendeur fût tenu de rendre
l'aclieteur propriétaire. Suivant eux., il n'était obligé qu'à
faire tradition de l'objet vendu, et à défendre l'acheteur
des troubles qui l'inquiéteraient; mais il ne contractait pas
l'obligation précise de transférer {apropriété à l'acquéreur.
Si donc une personne avait vendu un immeuble dont elle
se croyait à tort propriétaire, l'acheteur n'aurait pas eu le
droit de se plaindre, tant qu'il n'aurait pas été inquiété par
le véritable propriétaire; car la vente n'obligeait pas à in-
vestir de la propriété, mais seulement à transférer tous ses
droits à l'acquéreur et à le garantir en cas d'éviction. Celle
singulière doctrine, contraire, on peut le dire, à toutes les
règles de la raison et de l'équité, passa pourtant tout entière
dans l'ancien droit français, sous les auspices de Dumoulin
et de Potliier ; mais dès le dix-septième siècle elle com-
mença à être répudiée par beaucoup de bons esprits, no-
tamment par le célèbre Grolius; et elle était à peu près
bannie de la jurisprudence lorsque le Code Civil vint sim-
plifier les notions du droit et faire justice de toutes les sub-
tilités des lois romaines. Aujourd'hui donc le contrat de
vente emporte l'obligation de transférer à l'acheteur non
pas seulement l'usage paisible de la chose , mais la propriété
même.
Quant au consentement, condition essentielle de tous les
contrats, il doit, pour être valable, être entièrement libre
et exempt d'erreur , soit sur le prix, soit sur la chose , soit
même sur la matière dont la chose est composée (Code
Civ., 1109 et suiv.). Il y a toutefois des cas exceptionnels :
c'est d'abord celui où l'on peut pour cause d'utilité 'publique
contraindre une personne à vendre son bien : c'est là une
conséquence du droit de souveraineté. On pourrait être
également forcé à vendre un immeuble indivis, dont le
partage serait à peu près impossible. Enfin, l'expropriation
forcée ou saisie immobilière est encore un moyen d'opérer
la vente d'une chose sans le consentement ou malgré le refus
du propriétaire, et au profit de ses créanciers.
Aux termes de l'article 1583 du Code Civil, la vente est
parfaite et la propriété acquise de droit à l'acheteur dès
qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose
n'ait pas encore été livrée ni le prix patjé. Le contrat de
vente peut avoir lieu entre toutes personnes qui n'en sont pas
formellement déclarées incapables par la loi , comme les mi-
neurs elles interdits (Code Civil, 1594); et enfin tout ce
qui est dans le commerce peut être vendu, à moins que des
lois particidières n'en aient prohibé l'aliénation : telles sont
les choses consacrées à des usages publics, comme les che-
mins, les édifices publics, les temples, les fortifications, etc.
(Code Civil, 1598). Quant aux obligations' particulières et
respectives du vendeur et de l'acquéreur, elles sont énu-
mérées dans les articles 1602 et suivants du Code Civil.
A. liuSSON.
VENTE A FONDS PERDU. On nomme ainsi la
vente dont le prix consiste dans une rente viagère, c'est-
à-dire devant s'éteindre à la mort du vendeur.
VEMTE EN DÉTAIL (Droit de). Voyez Boissons
(Impôts sur les).
VENTE JUDICIAIRE. C'est celle qui est faite en
justice, suivant certaines formes déterminées par la loi. Les
ve,nles judiciaires sont forcées ou volontaires. Les pre-
mières ont lieu par suite de saisies immobilières et d'expro-
priations forcées; les secondes ont lieu quand il s'agit de
biens appartenant à des incapables , à des époux mariés
sous le régime dotal , à des absents ou à des condamnés par
contumace. A. Hcsson.
VENTENAT ( Étienne-Pierue) , botaniste , né à Li-
moges, le l^"" mars 1757 , mort à Paris, le 13 août 1808, a
écrit plusieurs ouvrages, dont le plus estimé est son Tableau
du Règne végétal (Paris, 1799, 4 vol. iu-S"). Sa famille
827
l'ayant destiné à la carrière ecclésiastique, il se fit genové-
fain à un âge où il lui était difficile de comprendre l'impor-
tance de celle détermination. Aussi prolita-t-il-de la liberté
que lui rendait la révolution pour se retirer de la congréga-
tion et se marier. Il fut bientôt nommé bibliothécaire en
chef de la bibliothèque du Panthéon et membre do l'Aca-
démie des Sciences. C'est surtout dans la botanique descrip-
tive que Ventenat s'est distingué , ainsi que le témoigne sa
Description des Plantes nouvelles ou peu connues dujar'
din de J. M. Cels (Paris, 1800, 1 vol. in-f.).
VENTILATION {Jurisprudence), action de venti-
ler, c'est-à-dire d'estimer, d'évaluer une ou plusieurs por-
tions d'un tout vendu, non pas quant à la valeur réelle,
mais relativement ou prix total.
VENTILATION, V^iNTILATEUR {Physique). Si
l'air d'un espace limité, comme celui d'une chambre, ne
pouvait se renouveler, les animaux que l'on y placerait pé-
riraient promptement, le feu cesserait d'y brûler et l'at-
mosphère artificielle qui se serait formée deviendrait une
cause de mort pour ceux qui y pénétreraient. La ventilation
a pour objet de renouveler dans un édifice, dans une salle,
l'air soit vicié par des êtres vivants ou par d'autres causes,
soit trop refroidi ou trop échauffé , ou chargé de vapeur
d'eau , et d'y faire entrer de nouvelles quantités d'air pur
et sec, chaud en hiver, frais en été, de manière à assurer à
volonté à ces localités les conditions de la plus complète
salubrité ; elle a encore pour objet d'oi)érer dans des séchoirs
la dessiccation des produits industriels, etc. Les instruments
de ventilation diffèrent selon les circonstances. L'air vicié
peut être expulsé à l'aide d'un appel résultant de l'action de
la chaleur dans une cheminée. Il peut l'être aussi par un ap-
pareil mécanique aspirant ou refoulant, mis en mouvement
par un moteur. Ces appareils reçoivent le nom de ventila-
teîtrs.
On conçoit de quelle importance est l'établissement d'une
bonne ventilation dans les endroits où se trouvent réunis
un grand nombre d'hommes, comme dans les manufac-
tures, les écoles, les théâtres, les prisons, les hôpitaux, etc.
Aussi dès 1715 la ventilation était-elle l'objet des travaux de
Desaguliers, repris plus tard par Haies. Depuis, cette ques-
tion aété étudiée en Angleterre par Davy, Boulton,Watt;
en France, par D'Arcet, MM. Péclet, Combes, etc., et les
grands établissements qu'on construit aujourd'hui chez nous
sont tous pourvus d'ingénieux appareils, qui ne laissent rien
à désirer pour leur ventilation. En appliquant la ventila-
tion aux magnaneries, D'Arcet a apporté une immense
amélioration à l'éducation des vers à soie.
La ventilation est employée aussi pour séparer des
matières légères d'autres plus pesantes, comme dans U
nettoyage du blé, au moyen du tarare, et dans la pulvé-
risation de certaines substances.
VENTOSE, sixième mois de l'année dans le calen-
drier ré p ubii cain.
VENTOUSE, instrument de chirurgie , de forme ar-
rondie, en verre ou en métal, destiné à être appliqué sur
les divers points de la surface du corps, pour y attirer un
afflux de liquides au moyen du vide qu'on détermine par
un moyen quelconque, tantôt au moyen d'un peu d'étoupe
ou de papier, qu'on enflamme dans le réservoir, afin de
raréfier l'air qu'il contient, tantôt en se servant pour cet
objet soit de la llamme d'une bougie, soit d'une lampe à
l'alcool ; très-souvent encore on aspire l'air de la ventouse
au moyen d'une pompe adaptée à une ouverture placée à la
partie supérieure de l'instrument. Lorsque la ventouse a
produit son effet, il suffit pour la détacher d'y faire péné-
trer l'air extérieur, soit en ouvrant le robinet, soit en dé-
j primant la peau près du bord de l'instrument.
On appelle ventouses sèches celles qu'on applique pour
déterminer seulement la rougeur et le gonflement à la peau,
tandis qu'on nomme ventouses scarifiées celles qui , ap-
pliquées sur des mouchetures ou scarifications de la peau ,
procurent une évacuation sanguine plus ou moins abondante.
828
VENTOUSE — VÉNUS
Les ventouses appliquées sur les piqûres des sangsues faci-
litent aussi l'écoulement du sang, et en rendent l'évacuation
plus abondante. On se sert également des ventouses pour
retirer au travers d'une ouverture le pus ou le sang accu-
mulé dans un foyer profond. Les ventouses |)euvent encore
être employées avec avantage pour remplir un grand nombre
d'autres indications, que le médecin peut seul apprécier.
Qu'il nous suffise de dire que dans l'absense des sangsues
les ventouses scarifiées peuvent les remplacer. Les ventouses
scarifiées sont surtout d'une très-grande utilité pour les hô-
pitaux et les malades indigents, à cause du prix élevé des
sangsues. Voi/ez BoELLOuicTRE. D' L. Labat.
VE\TRE (Anatomie). Ce mot, emprunté au latin
venter, prend des acceptions différentes dans le langage
médical comme dans la langue commune. Chez les anciens
médecins il désignait diverses cavités qui se rencontrent
dans le corps humain: ainsi la cavité formée par les os
du crâne, l'intérieur de la tête, était appelée le ventre
S7ipérieur ; ceWe que dessine le thorax ou l'intérieur delà
poitrine était le ventre moyen ; enfin, Yabdomen for-
mait le ventre inférieur ou bas-ventre. Aujourd'hui cette
dernière cavité est la seule qui ait conservé la dénomi-
nation de ventre ainsi comprise. Elle contient les organes
principaux de la digestion et de la sécrétion de l'urine , qui
y sont maintenus dans leur situation naturelle par les re-
plis d'une membrane nommée par les anatomistes péritoine.
Le ventre se divise en plusieurs régions par des lignes
imaginaires, ainsi : 1° une ligne qui partirait de la partie la
plus inlérieure des côtes pour aller au côlé opposé; 2° une
autre qui se dirigerait de la région la plus élevée d'une
hanche à la partie diamétralement opposée. Par ces deux
lignes, le bas-ventre est partagé en trois régions, ou zones :
la supérieure a reçu le nom de région épigastrique ; la
moyenne, de région ombilicale; la troisième ou inférieure,
de région hypogastrique. Dans chacune de ces régions
sont placés des organes importants. Les principaux sont les
suivants : à l'épigastre, l'estomac et l'arc du colon; à l'hy-
pochondre gauche, la rate; à l'hypochondre droit, le foie; à
l'ombilic, l'intestin grêle, qui se compose du duodénum, du
jéjunum et de l'iléum ; à la région lombaire gauche, le co-
lon descendant et le rein gauche; à la région lombaire droite,
le colon ascendant et le rein correspondant ; à l'hypogastre,
le sommet de la vessie ; vers l'aine gauche, l'S iliaque du
colon; à l'aine droite, le cœcum. Une partie si importante
pour les organes qu'elle renferme est pourtant mal défendue
contre les corps extérieurs ; elle n'est pas protégée comme
l'encéphale et la poitrine par le squelette; elle n'est garan-
tie dans sa plus grande étendue que par une cloison char-
nue. Admirons encore sous ce rapport l'ordre naturel, car
il permet à l'art thérapeutique d'agir sur les viscères ab-
dominaux, ce qui serait difficile avec une disposition
contraire et dans une liste de maladies aussi variée qu'é-
tendue.
Le nom ventre, comportant l'idée d'une vaste cavité, a
donné naissance au mot ventricule, qui désigne des ca-
vités moins considérables , telles par exemple que celles
qu'on rencontre dans le cerveau et dans le cœur. L'esto-
mac est m(";me souvent appelé ventricule, par les médecins :
le vulgaire ayant égard à la situation de ce viscère , et
jirenant la partie pour le tout, l'appelle aussi souvent
Yestomac.
Le mot ventre se prend dans une foule d'acceptions
diverses, tant au propre qu'au figuré; il entre notam-
ment dans une multitude de locutions proverbiales. Au
figuré : Se mettre à plat ventre , c'est s'humilier, faire toutes
sortes de soumissions; Courir ventre à terre,c'es{ s'abandon-
ner a toute la vitesse d'un cheval ; Passer, viarcher sur le
ventre à quelqu'un, c'est renverser tous les obstacles, fouler
aux pieds tous ceux qui s'opposent à nos desseins ; on dit
même au propre : Marcher ou passer sur le ventre de
l'ennemi. Relativement aux opérations de l'accouchement ,
le ventre se dit particulièrement de la partie où se forment
et se nourrissent les enfants ; de là ces locutions que le vcn^r*
anoblit, pour exprimer que la mère transmet à ses enfants
la noblesse de sa propre race, encore bien que leur père
ne soit pas noble, parce qu'elle se sera mésalliée en épou-
sant un roturier.
VENTRE (Curateur au). Voyez Curatedr.
VENTRE (Conchyliologie). Voyez Coqdille.
VENTRICULE (Anatomie). On désigne sous ce nom:
1° quelquefois l'estomac des mammifères , ou le deuxième
estomac des oiseaux, qu'on appelle ventricule succenturié
ou jabot glanduleux ; 2° les cavités de l'encéphale ; 3" les
sinus du larynx, et 4° plus fréquemment les deux grandes
poches du cœur, qui reçoivent le sang des oreillettes et le
poussent dans les artères ( voyez Coeur). L. Laurent.
VENTRICULE DU LARYNX. Voyez Larynx.
VENTRILOQUE, VE.NTRILOQUIE. Voyez Engas-
TlilMVSME.
VENTRUS (Les) , sobriquet donné sous le régime par-
lementaire aux membres de la majorité ministérielle qui
siégeaient au centre de l'assemblée. Hôtes habituels des mi-
nistres , on les accusait de se laisser surtout iniluencer
par les dîners auxquels les invitaient Leurs Excellences,
et d'obéir à \e»T ventre ; mot que les loustics de l'opposition
affectaient de faire synonyme de centre.
VENTS ( Rose des). Voyez Rose des Vents.
VENTS (Tour des), l'un des monuments de l'an-
tique Athènes, qui subsiste encore aujourd'hui. Cons-
truite par Andronicus Cyrrhestès, la Tour des Vents a la
forme d'un octaèdre, dont chaque face est ornée d'une sculp-
ture d'un travail précieux et représentant l'un des prin-
cipaux vents. Ce vénérable débris de l'antiquité ne s'est
sans doute si bien conservé que parce qu'il servit long-
temps de mosquée à,un ordre de derviches.
VENTS ALIZES. Voyez Alizés (Vents).
VENTS COULIS. Voyez Coulis.
VENTS D'ÉQUINOXE. Voyez Équinoxe.
VENTS ËTÉSIENS. Voyez Étésiens.
VENUS, la déesse ou l'emblème de la génération , et
conséquemmentde l'amour et du désir, qui sont les prélude.»
de l'acte qui transmet la vie, est représentée nue. Cette divi-
nité primordiale, éclose chez les Phéniciens, était pour eux
le symbole de la reproduction des êtres : ils la nommaient
^s/a7'^é( Déesse des troupeaux). Des lieux hauts, des bo-
cages des Gentils, elle passa dans la Grèce, dans sa civilisation
naissante; et les Hellènes l'appelèrent Aphrodite (la Fille
de l'écume ). Quelque temps après que le culte de cette déesse
fut passé de l'Orient, son berceau, dans l'Asie mineure,
Homère, à l'imaginatiop duquel elle apparut encore dam
toute sa fraîcheur et sa jeunesse,la reproduisit dans son poëme
immortel. Vénus était nue; il lui donna une ceinture qui
recelait la séduction, les ris, les amours, les désirs , les soins
caressants, les brûlants soupirs et les tendres larcins ; or-
nement d'une indicible volupté, tout pudique qu'il semble
être , et auquel avait été loin de penser Hésiode. Seule-
ment , sa Théogonie nous apprend que la déesse Aphrodite
naquit du sang diOuranos (le Ciel), mutilé par Kronos
( leTemps ), son fils. Aussitôt que la déessedes amours sortit
des flots, douée des plus belles formes humaines qu'on eût
encore vues sous les cieux,elle ajouta à son doux nom
d'Aphrodite celui, encore plus mélodieux, à'Anadyornèni
( celle qui paraît tout à coup, et par analogie celle qui sort
de l'onde). Une énorme conque de nacre de perle, polie ea
dedans et toute chatoyante des couleurs de l'aurore, la re-
çut et la porta, selon les Grecs, à Cythère et à la pointe
de Laconie; selon les Phénico-Hellènes , à Cypre. Sous ce
climat voluptueux , dans cette île bocagère, où les soupir$
des amants agitaient chaque feuille , la déesse ouvrit ses
bras de lis au plus beau des princes phéniciens, au jeune
Adonis, ou plutôt Adonaï (seigneur), ou Adon (l'aimable,
le charmant). Elle l'aima éperdument; et quand il expira,
si elle ne mourut pas de douleur, c'est qu'elle était immor-
telle. La rose aui naquit du saug de son amant la cousoiii
VÉNUS — VÉNUS DE MILO
toutefois ; elle doua cette fleur sans rivale de la fraîciieur et
de l'éclat de son teint, delà voluptueuse rondeur de sa gorge,
et l'entr'ouvrant lui sou fila sa céleste haleine : puis elle en
fit ses couronnes , emblèmes des éphémères plaisirs et de
la fragilité de la vie. La sablonneuse Amathonte , la fraîche
Idalie, la molle Paplios se disputèrent dans l'île phénicienne
l'honneur de lui ériger des temples et des autels. La déesse
préféra cette dernière ville. Là étaient son char, les cygnes
et les colombes dont il était attelé. C'est sur ce char élégant
et rapide que les Heures parfumées transportèrent, au sor-
tir de l'onde, Vénus dans l'éblouissant Olympe, ce ciel dont
elle était l'essence fécondante. Jupiter la trouva si belle ,
que, dans son délire, il voulut l'épouser. Mais Junon [Hêré,
l'air personnifié), sa sœur et son épouse, s'y opposait.
Le dieu alors voulut passer du moins pour être, avec Dioné,
une de ses mille amantes, le père de cette créature demi-
céleste, la réunion de toutes les beautés humaines. Vénus
eut pour époux Vffephaistos des Grecs, le Vu le ai n des
Latins, la personnification de l'âme de l'univers, le feu. 11
n'est point de passions humaines dont les sentiments soient
plus variés que ceux de l'amour; il est tour à tour doux ,
furieux , plein de ruse dans ses paroles , harmonieux comme
une lyre, ivre comme une Ménade, et, dans son délire,
se dégradant sans pudeur. Ne voilà-t-il pas Vénus, l'amante
d'Adonis, de Mars, de Mercure, d'Apollon, de Eacchus
et des faibles mortels, d'Anchise et de Butés? Vénus fut la
mère d'enfants charmants , de l'Amour, du Désir, de la Per-
suasion, des Ris, et aussi de l'immonde Priape, du luxu-
rieux Hermaphrodite, bizarrerie de la génération parmi les
hommes. Son culte était un délire. Les colombes et les pas-
sereaux étaient pour elle des offrandes de prédilection. Son
temple le plus ancien était celui de Cythère. L'Asie, l'Afri-
que, l'Europe, lui érigèrent des autels; Golgos, l'Érix en
Sicile, et surtout Cnide , dans l'Asie Mineure, étaient pour
elle dedélicieux séjours. Dans cette dernière ville , sa statue
faisait l'admiration des peuples; elle était due au ciseau
de Praxitèle. Elle apparut tout nue, dit-on, comme au-
trefois au berger Paris, à ce fortuné statuaire , mais sous
les formes dePhryné et de Gratine, célèbres courtisanes de
la Grèce; et l'artiste passionné conçut son chef-d'œuvre.
Jusque ici nous avons parlé de la Vénus génératrice, Vénus
terrestre , Vénus charnelle ; mais les belles âmes et les sa-
ges sont pénétrés de cette foi , qu'il existe au fond du cœur
de l'homme un amour éthéré, pur et impérissable, qui
nous rapproche de la divinité; et ils le symbolisèrent par une
essence céleste, la Vénus-Vranie , \si Jidala-Shamaïni des
gentils, la reine des cieux. Chez les Phéniciens, c'était
l'étoile du soir qui boit voluptueusement les rayons du
soleil, son voisin et son amant, ou la lune si pure, en hé-
breu labana (la blanche), et dans l'Asie Mineure, l'étoile
du matin, Anaïtis. La contemplation, les soupirs vers la
félicité céleste, le recueillement, l'admiration des beautés
de la nature , les extases platoniques, étaient les seules of-
frandes qui fussent agréables à cette chaste déesse.
Denne-Baron.
"VEIVUS, l'une des deux planètes inférieures, placée
entre Mercure et la Terre ; sa distance au Soleil est presque
double de celle de Mercure. Quoiqu'elle soit à 9 millions
de lieues de nous lorsqu'elle en est le moins éloignée, elle
parait quelquefois si brillante qu'on peut la voir en plein
jour. Lalande avait été témoin de ce phénomène en 1750 ,
et Halley démontra qu'il devait se renouveler toutes les
fois que la planète se trouvait à 39" environ du Soleil , 69
jours avant et après sa conjonction. Cependant, à ces épo-
ques de son plus grand éclat on ne peut voir lu totalité de
son disque éclairé. Si le prolongement delà ligne qui passe
par le centre du Soleil et celui de cette planète ( rayon
recteur ) rencontre la Terre , on peut voir passer une tache
noire sur le disque solaire; mais il n'y a point d'éclipsé
parce que la planète ne peut pas même intercepter la lu-
mière de la trois-millième partie de la surface éclairante,
et .que l'éclat du jour n'en est pas sensiblement affaibli.
829
Les passages de Vénus sur le Soleil que l'on peut obser-
ver sur la Terre sont des événements célestes assez rares
et d'une assez haute importance en astronomie pour que les
astronomes n'hésitent pointa se transporter aux régions
lointaines où ils pourront les observer, et pour que les gou-
vernements s'empressent de seconder ces voyages scien-
tifiques. Vers le milieu du siècle dernier, l'Académie des
Sciences de France envoya l'un de ses membres, Chappe
d'Auteroche, à Tobolsk en Sibérie, oii l'un de ces pas-
sages devait être visible assez longtemps pour être observé
avec précision ; et le résultat de ce voyage fit rectifier quel-
ques mesures déduites des observations antécédentes , et par
conséquent les données de quelques calculs astronomiques.
Vénus achève sa révolution autour du Soleil en 225 jours
moins quelques heures. Son orbite est peu différente, quant
à la forme , de celle de la Terre , c'est-à-dire que dans l'une
et l'autre ellipse le grand et le petit axe sont à très-peu
près dans le môme rapport. Le jour de cette planète diffère
aussi très-peu de celui de la Terre ( 23 h. 21m. 8 s. ). A ces
analogies entre Vénus et notre globe il faut ajouter les
hautes montagnes observées dans la première , une atmos-
phère comparable à celle qui nous environne, etc. Cette
ressemblance de deux astres voisins n'est pas la seule que
l'on puisse citer à l'appui de la croyance à \a pluralité des
mondes, si agréablement exposée par Kontenelle. Ferry.
Lorsque Vénus, après sa conjonction inférieure, brille
avant le lever du Soleil, on lui donne le nom de Lucifer;
lorsqu'elle paraît le soir au coucher du Soleil , on l'appelle
Vesper ou étoile du berger: il y a des temps où elle jette
un éclat si vif qu'on la voit en plein jour à la vue simple.
La plus grande latitude de Vénus est d'environ 9 degrés ;
sa distance moyenne au Soleil est de 0,727 ; son dia-
mètre est de 0,97, son volume 0,9, celui de la Terre
étant 1 ; sa masse, par rapport à celle du Soleil , est de
i~^-^y. Cassini , Short et d'autres astronomes avaient cru
lui voir un satellite, mais il a été reconnu que c'était une
illusion d'optique formée par les verres des télescopes el
des lunettes.
Vénus est la seule des planètes dont il soit parlé dans Hé-
siode et dans Homère , comme dans l'Écriture. Démocrite
soupçonnait qu'il y avait plusieurs étoiles errantes , mais
il n'avait pas osé en déterminer le nombre; elles Grecs
ne connaissaient point encore la théorie des cinq planètes,
lorsque Eudoxe la répandit parmi eux, vers l'an 389 av.
J.-C. On prétend que Pylhagore fut le premier à signaler
Vesper et Lucifer, comme étant le môme astre ; mais Favo-
rjnus fait honneur de cette découverte à Parménide, qui
vivait/cinquante ans plus tard. Sédillot.
VEi\US {Zoologie), grand genre de mollusques acé-
phales, lamellibranches dimyaires, de la famille des con-
ques ou conohacés , que MM. de Blainville et Rang dispo-
sent entre le genre crassatelle et le genre vénérupe. Les
venus vivent dans le sable ; plusieurs espèces ont des co-
quilles rares, fort agréables à l'œil, qui sont très-recher-
chées par les collectionneurs. On les trouve dans toutes
les mers. Ces mollusques sont divisés en deux grandes sec-
lions, les cithérées ci les venus proprement dites, et eu
plusieurs groupes secondaires ; le nombre des espèces con-
nues ,_^ tant vivantes que fossiles, est très-considérable.
VÉi\US DE MÉDICIS, aom sous lequel est connu un
des chefs-d'œuvre de la sculpture antique, dont la victoire
avait, au commencement de ce siècle, enrichi notre musée
du Louvre, mais que les événements de 1815 ont rendu
à la collection de Florence.
"VÉNUS DE MILO, nom sous lequel on désigne un«
des plus belles statues qui ornent aujourd'hui la collection du
Louvre, et qui fut achetée en 1834, par l'entremise de Du-
mont d'Urville. On a prétendu qu'elle étaitdue au ciseau de
Praxitèle, et qu'on possédait l'original de la statue de Venu»
que ce célèbre artiste avait faite pour le temple de Cnide :
mais il est plus vraisemblable que c'est celle qu'il avail
faite pour le temple de Cos.
830 VÊPRES —
VÊPRES (de Vesper ou Hesperus , l'étoile de Vénus,
l'étoile du berger ), vieux mot signifiant le soir ou le crépus-
cule, qui dure depuis le coucher du soleil jusqu'à ce qu'il soit
tout à fait nuit.
VÊPRES (Les'3, ainsi nommées du latin vesper (soir),
sont de la plus haute antiquité dans l'Église; elles ont été
instituées pour honorer la mémoire de la sépulture de Jésus-
Christ, ou de sa descente de croix. Cassien rapporte qu'on
y récitait douze psaumes, auxquels ou joignait deux lectures
ou leçons, l'une de l'Ancien et l'autre du Nouveau Tes-
tament ; qu'on entremêlait les psaumes de prières, et qu'on
terminait le dernier par la doxologie. Aujourd'hui les
vêpres se célèbrent l'après-midi, le plus généralement vers
trois heures. Elles se composent de cinq psaumes avec leurs
antiennes, un capitule, une hymne ou une prose, le can-
tique Magnificat, avec une antienne et un oremus. On
dislingue, pour les têtes, les premières vêpres et les se-
condes vêpres. Les premières sont celles qui se chantent la
veille, et les secondes celles qui se disent le jour même de
la fête. Suivant le rit ecclésiastique , les fêtes commencent
aux premières vêpres et se terminent aux secondes.
VÊPRES SICILIENiMES. Voyez Siciliennes (Vê-
pres ).
VER. Voijez Vers ( Zoologie).
VÉRACITÉ. Voyez Vérité.
VERA-CRUZ, l'un des Etals orientaux du Mexique ,
long pays de côtes situé sur le golfe du Mexique, séparé au
nord par le Rio de Tampico de l'Etat de ïamaulipas, et au
sud par le Rio Guascualcoiles États de Tabascoet d'Oaxaca,
borné à l'intérieur parles États de Puebla, de Mexico, de
Queretaro et de San-Luis Potosi, a une superficie de 1,092
niyriamètres carrés, et compte environ 265,000 habitants. A
quelques myriamètres de la steppe sablonneuse de la côte, où
règne constamment une chaleur étouffante, qui présente une
succession de lagunes d'eau douce et d'anses salées, mais rien
que des ancrages d'un accès difficile et très-peu sûrs, commen-
cent les versants escarpésdu plateau du Mexique, où, au milieu
de fondrières profondément encaissées et prenant çàetlà les
/jroportions de vallées , s'élèvent des pics de montagnes at-
leignant et dépassant même la région des neiges, tels que
le piton volcanique d'Eitlaltepetl ou Pic d'Orizaba, haut
de 5,466 mètres, couvert de neiges éternelles , après le
Popocateptl la plus haute montagne de tout le Mexique ,
et la sombre masse de porphyre parsemée de lave et de
pierre ponce du Cofjre de Pérote, ow IS auhcampateptl ,
haute de 4,595 mètres. Parmi les nombreux cours d'eau de
la côte , plusieurs sont à la vérité navigables pendant une
courte étendue pour des navires d'un faible tonnage ; mais
l'accès en est rendu des plus difficiles et quelquefois même
impossible par les barres qui obstruent leur embouchure. 11
existe dans le pays de remarquables sources minérales ,
chaudes et froides. Le climat offre donc, suivant la con-
figuration du sol , les plus grandes différences juxtaposées,
depuis la chaleur des tropiques jusqu'au froid des régions
hyperboréennes. Les régions de plantes et la faune chan-
gent de même , de sorte que l'État de Vera-Cruz présente
tous les produits du Mexique. La population se compose
des éléments ordinaires au Mexique ; cependant, dans les
plaines de la côte, les nègres , les mulâtres et les Zambos
sont en majorité.
Parmi les peuplades indiennes figurent en première
ligne les A z tè.qu e s ; au nord habitent les Totonaques et
au sud les Chontales. Le chef-lieu de l'État est Jalapa ou
Xalupa, dans une situation romantique, au milieu d'une
contrée qui n'est qu'un vaste jardin, à 1433 mètres au-dessus
du niveau de la mer, au pied de la montagne basaltique de
Macultepec , ville bien bâtie, avecl 5,000 habitants, plusieurs
fondations pieuses, diverses écoles, une desplus anciennes
églises du Mexique, un théâtre, des blanchisseries et
des confiseries et renommées, qui à l'époque de la domi-
nation e-pagnole était la grande étape commerciale entre
la ville de La Vera-Cruz et Mexico, et l'endroit où se tenait
VER A SOIE
la foire la plus fréquentée de toute la Nouvelle-Espagne.
Le principal port et la principale place de commeree de
l'État, et peut-être autrefois detout le Mexique, est La Vera-
Cruz ou Villa Nueva de la Vera-Cruz, appelée aussi Vera
Cruz la Eroica, fondée en 1580, par le vice-roi comte do
Monterey, sur l'emplacement où Fernand Co rtezavaitdébar.
que pour la première fois, le 21 avril 1519, et établi son pre-
mier campement. On avait d'abord commencé par fonder la
Villa Rica de la Vera-Cruz (la riche ville de la vraie
Croix ) , dans le port de Chiahuistia ; mais on abandonna
cette localité en 1522, à cause de l'inutilité de son port; et
on fonda alors, plus au sud, une autre ville, appelée ensuite
Filla Antiqua de la Vera-Cruz ou Vera-Cruz la Vieja,
c'est-à-dire la Vieille Vera-Cruz, où est aujourd'hui située la
Antiqua: maison l'abandonna aussi plustard, parce que la
fièvre jaune décimait la population. Toutefois, La Vera-Cruz
actuelle, érigée en ville en 1615, et située à 3? myriamètres
du Mexico, est située dans des conditions tout aussi dé-
favorables à la santé, tout au bord de la mer, dans une
plaine sablonneuse et sans eau. Elle n'a qu'une circon-
férence minime , est entourée de murailles , de remparts
et de quelques forts, et possède sept églises, quatre cou-
vents, un collège d'augustins, trois hôpitaux bien organisés ,
un vaste bâtiment de la douane , un amphithéâtre pour les
combats de taureaux et de coqs, et une petite salle de spec-
tacle. Le port n'est qu'une rade ouverte et peu sûre, qui
peut contenir une trentaine de bâtiments. La Vera-Cruz
compte 8,228 habitants, dont beaucoup de nègres, de mu-
lâtres et de Zambos, de même que de Français, d'Anglais,
d'Allemands, etc., à qui appartiennent la plupart des maisons
de commerce de quelque importance.
Dans une lie située en face du port se trouve le fort de
San- Juan de Ulua ou de Vloa, le point du continent amé-
ricain où les Espagnols se maintinrent le plus longtemps,
c'est-à-dire jusqu'au 18 novembre 1825. 11 coûta à construire
quarante millions de pesos, domine la ville, et passa tou-
jours pour parfaitement fortifié. Cependant , le 27 mars
1838 il tomba après un siège très-court au pouvoir des
Français, dont la flotte était commandée par le contre-amiral
Baudin; et le 29 mars 1847 il fut pris également par les
Américains aux ordres du général Scott. Dans l'une et l'au-
tre .circonstance, la reddition du tort amena celle de la
ville. Depuis le commencement de l'insurrection contre la
domination espagnole .jusque dans ces derniers temps
La Vera-Cruz a toujours été le principal foyer de l'agita-
tion révolutionnaire.
VÉRARD (Antoine) , célèbre imprimeur français. Une
imprimerie avait été établie dès 1470 dans les bâtiments de
la Sorbonne par les soins de trois Suisses, quand , en 1480,
Vérard fonda un établissement analogue d'où sortirent,
jusqu'en 1500, une foule d'ouvrages importants, ornés
surtout d'une énorme quantité de gravures sur bois, et tirés
pour la plupart sur peau de vélin. Ses plus belles impres-
sions sont des romans , ou bien des ouvrages soit histo-
riques , soit populaires, par exemple : Gyron le Courtois
(in-folio, sans date) ; Les Prophécies dé Merlin (in-folio,
1498) ; La Mer des Histoires (sans date); Chroniques de
France (in-folio, 1493).
VER A SOIE, nom vulgaire de la chenille du bom-
byx mari. Cette c h e n i 1 1 e est épaisse , avec la tête petite ;
le premier anneau de son corps est très-renfié , et l'avant-
dernier est muni d'un tubercule quia quelque ressemblance
avec la corne que l'on remarque chez les sphynx. La
chrysalide est enfermée dans un cocon ovale, formé d'un
fil blanc, vert-pomme ou jaune doré, qui constitue la soie.
L'insecte parfait est un lépidoptère d'assez petite taille ; ses
ailes, qui ont à peu près trente milfimètres d'envergure, sont
d'un blanc sale, rosé, tirant un peu sur le jaunâtre, ornées
chez le mâle d'un croissant et de deux bandes transver-
sales brunâtres ; les antennes sont grisâtres.
Le ver à soie est originaire du nord de la Chine. Sa culture
y était déjà connue sous l'un des premiers empereurs chi-
VER A SOIE — VKRBE
83 f
noîs;'niais elle était loin sans doute tlu point où elle est
arrivée dans les magnaneries modernes.
Comme l'indique son nom spécifique, la chenille du bombyx
mort se nourrit de feuilles de mûrier. D'après les travaux
de M. Straus-Durckeim , il faut chercher l'origine de la soie
dans une matière liquide que contiennent deux vaisseaux
très-dcliés qui partent de la tète de la chenille. Chaque
cocon est formé d'un fd continu, ayant environ quinze cents
mètres de longueur.
VER A SOIE (Éducation du ). Les variétés du ver à
soie sont nombreuses, mais nous ne signalerons queles deux
espècesprincipales, à savoir :cellequi produit la soie blanche,
et celle qui produit la soie jaune. Des controverses se sont
élevées sur le mérite relatif, industriellement pariant, de
chacune des deux. La soie blanche est incontestablement
plus belle et plus avantageuse au fabricant , même à un prix
supérieur; mais la soie jaune, dit-on, est plus facile à obte-
nir par la persistance plus grande des vers, et offrirait
quelque dédommagement du côté de la quantité. Les œufs
de vers à soie, que l'on peut comparer à la graine de millet,
et qui de là ont reçu dans la pratique le nom de graine,
sont le résultat de l'accouplement des papillons sortis de la
chrysalide. L'éclosion de l'œuf a lieu par l'influence d'une
température élevée. Au moment de l'année où le mûrier
commence à se couvrir de bourgeons, on place cette graine
dans une atmosphère chauffée successivement à 15, 16, 18,
20 degrés environ. Après y avoir séjourné quatre ou cinq
jours, on en élève la température à 24, et c'est alors qu'a
lieu l'éclosion. Des vers imperceptibles sortent des œufs. Ils
s'attachent aussitôt à la feuille naissante qu'on leur distribue,
quoiqu'ils puissent en cet état vivre fort longtemps sans
nourriture. Une fois attachés à la feuille, on les enlève faci-
lement pour les transporter dans les lieux où va commencer
leur éducation.
Dans les campagnes du midi de la France, l'éclosion des
œu(s renfermés dans une boîte se fait le plus souvent
sous l'inlluence de la ciialeur humaine. Les œufs sont à
proprement parler couvés par les enfants ou les femmes
de ferme, qui à cet effet consentent à garder le lit pendant
plusieurs jours. Une fois éclos, les vers sont transportés
dans l'appartement le plus chaud de la maison, placés
d'abord sur des feuilles de papier, puis, en raison de leur
croissance , transportés sur des claies immobiles ou can-
nisses, formées par des tresses de roseaux. Quel local
choisit-on pour l'éducation? Le grenier à foin, la chambre à
coucher, etc^ le local ou les locaux dont on peut disposer
plus aisément, en un mot tous les coins et recoins de la
ferme. Quelles conditions d'air, d'humidité, d'exposition
a-t-on le soin d'observer? Aucune : on songe- seulement à
établir une grande chaleur dans l'appartement, en y plaçant
mi brasier de charbon ardent, qui répand une odeur as-
phyxiante et chauffe fort irrégulièrement. Comme ce travail
n'est point en général l'objet d'une exploitation industrielle,
et n'est considéré que comme un produit de ferme, les
femmes de la maison, les grossiers paysans chargés des
travaux de la campagne sont aussi chargés de ceux de
l'éducation. Us vont cueillir la feuille des arbres plantés
dans le domaine. La feuille cueillie est entassée sans soiu
dans les parties les plus basses du logis, et quand vient
l'heure des repas des vers, on leur distribue celte feuille
en quantité d'autant plus grande et d'autant plus irrégulière
qu'on leur en donne moins souvent. Ces poignées de feuilles,
souvent accompagnées de leurs tiges, étant ainsi jetées sur
la tête des vers, peuvent leur faire des blessures : c'est le
moindre inconvénient; mais l'entassement des débris, qui
forment bientôt ime épaisse litière, engendrant des miasmes,
devient fréquemment une cause de mortalité. Au bout de
quelques jours, les larves cessent de dévorer la feuille, et
tombent dans un état de sommeil qui annonce leur mue.
Ce sommeil dure au moins vingt-quatre heures; le ver
change do peau, et à son réveil se jette avec une nouvelle
iàvidité sur la feuille qu'on lui distribue de la même manière.
y Le thermomètre est élevé de 17 à 2(î degrés, suivant les
Ages; mais les paysans chargés de régler les propoitionsde
la chaleur et la circulation de l'air n'étant habiles ni en
physique ni en chimie, il arrive fréquemment de grandes
irrégularités de température : l'air est presque toujours vicié
par toutes sortes de miasmes , la'disposition des lieux ne per-
mettant pas d'ailleurs de lutter contre l'excessive chaleur
qui peut venir de l'extérieur, et il survient quelquefois des
touffes, qui , oppos(''es à la fraîcheur des nuits ou à la fatale
influence des courants d'air, font mourir les vers en engen-
drant des maladies telles que la7ïtî<5cardine, dont l'effet
contagieux détruit en peu de jours l'espoir de toute une
récolte.
La grosseur du ver s'accroît tous les jours. Avant qu'il
arrive à la période de la formation de son cocon , il traverse
quatre phases, séparées par les jours de sommeil et de mue.
A la dernière époque, ce serait merveille si de la quantité
totale des vers il en survivait la moitié. Mais les procédés
actuellement mis en usage sont si imparfaits qu'il ne sau-
rait en être autrement. Combien les soins des Chinois sont
différents! combien aussi leurs résultats sont au-dessus des
nôtres!
Au moment où l'on voit le ver cesser de manger, prendre
im corps transparent, se vider de toute substance étrangère
à la partie soyeuse qu'il se dispose à filer, on a liàte d'en-
tourer de branches de bruyère les claies sur lesquelles il a
été élevé. Alors on le voit chercher un appui , jeler une i>re-
mière bave, se saisir d'une branche pour y monter. Arrivé
au sommet, ou du moins en position de se suspendre entre
deux branches, il commence à Hier son cocon, dans lequel il
s'ensevelit pour ne plus paraître à la lumière qu'à l'état de
papillon.
Personne n'ignore la sollicitude avec laquelle les .savants
se sont occupés des perfectionnements de cette précieuse
industrie. Pour ne pas remonter à des temps éloignés, on
sait que les noms de Sauvage, de Dandolo, de D'Arcet, et
surtout de Camille Beauvais, sans parler ici de MM. Héri-
cartdeTbury, Loiseleur-Delongcliamp et Stanislas Julien,
traducteur des traités chinois , doivent une partie de leur
illustration à des travaux tendant à l'amélioration des pro-
cédés d'éducation des vers à soie. Quelque juste que soit
l'hommage à rendre à Dandolo , il n'en est pas moins vrai
qu'aujourd'hui les travaux de M. Camille Beauvais et de
M. Georges Beauvais, son frère, mérilent d'être placés sur
la ligne de ceux qui concourent le plus à la propagation des
bonnes méthodes, en partie importées de la Chine.
VÉRÂTRE. Voije:. VAKAmE.
VÉRATRINE, alcaloïde découvert en 1818 parMeiss-
ner, et qui fut l'année suivante l'objet de travaux parti-
culiers de la part de MM. Pelletier et Caventou. Celte sub-
stance, très-âcre, agit comme un poison actif et comme un
violent sternulatoire.
VERAZZAIVO ( Giovanni ), né à Florence, vers la fin
du quinzième siècle, fut chargé par François F"' d'aller re-
connaître les côtes septentrionales de l'Amérique du Nord ,
et y découvrit la contrée à laquelle on donna d'abord le nom
de Nouvel le- France et qu'on appelle aujourd'hui le Ca-
nada. 11 paraît qu'il s'occupa aussi de la recherche d'un
passage au grandes Indes par le nord-ouest du continent
américain.
VERRE ( Grammaire). Les mots devant former le ta-
bleau de nos pensées, il ne suffit pas qu'ils expriment le
sujet et l'attribut; il est aussi de toute nécessité qu'ils ex-
priment leur réunion , c'est-à-dire l'existence du sujet avec
l'attribut. Le mot qui sert à former cette liaison indispen-
sable du sujet avec l'attribut, c'est le verbe. Le verbe être
pourrait suffire pour exprimer tous les jugements de notre
esprit ; mais il y a un grand nombre d'autres verbes qui ser-
vent à varier et à abréger le discours. Le verbe cli'e ex-
prime seulement l'existence du sujet et sa liaison avec l'at-
tribut ; mais comme il ne détermine pas cet attribut, on
est obligé d'employer un autre mot pour exprimer l'altiibut.
832
VERBE — VERCINGETORIX
« Dans les verbes autres que le verbe être, dit M. de Sacy,
le verbe et l'attribut sont compris dans le même mot. Si je
dis : Auguste joue , le mot Aiiguste exprime le sujet, le
moi joue est un verbe qui renferme en lui-même le sens
du verbe être et de YMnhni jouant. Dans cette phrase :
Dieu voit ce que nous faisons et entend ce que nous di-
sons, les mots voit,Jaisons, entend et disons sont des
verbes qui renferment le sens du verbe être et d'un altri-
but; car c'est la même ciiose que si je disais : Dieu est
voyant ce que nous sommes faisant, et il est entendant ce
que nous sommes disant. Tout mot qui renferme en lui-
même le sens du verbe être et d'un attribut est donc un
verbe. »
On donne le nom de verbes attributifs ou concrets à
ceux qui j'euferment un attribut joint à l'idée de l'existence.
Le verbe être, qui n'exprime que l'idée de l'existence avec
relation à un attribut indéterminé, prend le nom de verbe
substantif ou abstrait ;\[ ne devient attributif que lorsqu'il
est synonyme <ïexister.
On appelle uerfte attributif actif ce\ai qui indique une
action que fait le sujet.
Le verbe attributif passif est celui qui indique une ac-
tion que le sujet ne fait pas , mais qui est faite sur lui par
une autre chose , et que le sujet éprouve malgré lui , ou du
moins sans y concourir. Dans noire langue , le verbe passif
est toujours formé du verbe substantil et d'un autre mot
qui exprime l'attribut; mais il y a des langues , le latin par
exemple, où le verbe passif exprime en un seul mot l'idée
du verbe et celle de l'attribut.
Lorsqu'il arrive que l'attribut compris dans la signification
du verbe n'exprime ni une action faite par le sujet, ni une
action faite sur le sujet, mais une qualité du sujet indé-
pendante de toute action , une simple manière d'être , comme
dans cette proposition : Dieu existe de toute éternité, a\ors
le verbe prend la dénomination de verbe attributif neutre.
Il y a des verbes qui sont absolus , d'autres qui sont re-
latifs : ceux-là sont absolus qui renlermenten eux-mêmes
un sens complet , comme : je travaille, je lis; sont au con-
traire appelés relatifs ceux qui exigent un complément ,
comme : je possède, je regarde. Les mêmes verbes peuvent
être employés tantôt dans un sens absolu , tantôt dans un
sens relatif. Les verbes relatifs gouvernent leurs complé-
ments , ou immédiatement ou médiatement. Ceux qui gou-
vernent leurs compléments immédiatement se nomment
transitifs. Quand ]e dis : Pierre lit le journal, lire est
un verbe transitif. Quand je dis : Je sors de la ville ,
sortir est un verbe intransitif, parce qu'il prend son com-
plément par l'intermédiaire d'une préposition. On appelle
verbe réfléchi celui qui a son sujet pour complément; se
flatter est un verbe réfléchi pour cette raison. Le verbe
rédechi peut prendre une forme particulière , il peut aussi
drendre la forme subjective.
Il arrive fréquemment qu'on emploie pour sujet le pronom
delà troisième personne. C'est ainsi que nous disons, en
français : // tonne, il pleut. Dans ces phrases, il indique
d'une manière vague et indéterminée le sujet , dont l'attribut
est tonnant, pleuvant. C'est donc à tort qu'on a donné à
ces verbes le nom de verbes impersonnels.
Le rnot verbe s'emploie quelquefois comme synonyme
de parole, ton (du latin verbum). Ainsi, l'on dit prover-
bialement d'une personne qui décide avec hauteur, qui
parle avec présomption, qu'elle a le verbe haut.
Chami'acnac.
VERBE (Théologie), seconde personne de la sainte
Tri ni té (voyez Locos).
VERBOÈCIÎHOVEI\ (EucfeNF.), remarquable peintre
d'animaux, néen 1799, àW'arneton, dans la Flandre occiden-
tale , fut l'élève de son père ( né vers 1"70, mort à Bruxel-
les, en 1832 ). 11 fonda surtout sa réputation par son iMar-
ché aux Bestiaiix de Gand, grande toile qu'il exécuta en
1821 avec Rotter l'aîné , et qui obtint un éclatant succès. 11
ffii a été de même de la plupart de ses productions ultérieures,
dont le nombre est déjà très-considérable, car il est doué
d'une grande facilité. 11 habite aujourd'hui Bruxelles , où
son atelier, ouvert depuis 1847, est une des curiosités que
les étrangers ne manquent pas d'aller visiter. Ses tableaux
d'animaux, exécutés parfois sur la plus large échelle et avec
les plus délicieux paysages pour fond, représentent avec une
vérité qui approche de la magie et avec une incomparable
fidélité le caractère et les moeurs des différents animaux.
L'exécution en est extrêmement soignée, et le coloris, sur-
tout pour les formes des animaux, de la plus grande chaleur
et d'une extrême beauté. Peu de toiles ont produit une im-
pression plus vive et plus durable que son Troupeau de
moutons surpris par Vorage. Il orne aujourd'hui le musée
de Leipzig. L'extrême facilité de Verboeckhoven fait recher-
cher ses moindres productions par les riches amateurs belges
et français ; ses gravures au burin sont aussi fort estimées.
Son frère cadet, Louis A^erboecrhoven, passe pour un
excellent peintre de marine. Il habite Malines.
VERCEIL, Vercelli. intendance générale du royaume
de Sardaigne, sur les deux rives du Pô, qui y reçoit la Dora
et la Sesia, d'une superficie de 39 myriam. carrés, avec
372,924 habitants, et formant trois provinces : Vercelli
( \f> myriam. carrés, et 121,800 bab.); Biella ( 12 myriam.
carrés, et 130,690 liab.) et Casale ( Il myriam. carrés , et
120,428 iiabitants), dont les deux premières appartiennent
à la principauté de Piémont et la troisième au duché de
Montferrat. La province de Vercelli forme une fertile plaine
entre le Pô et la Sesia. Le chef-lieu, Vercelli ou Verceil, sur
la route de Turin à Milan, sur les rives de la Sesia et à
l'embouchure du canal de Saulbia, siège d'un archevêque
et de l'intendant général , est bien bâti. On y voit une belle
place, de nombreux couvents, neuf églises, dont une ma-
gnifique cathédrale toute moderne, contenant les ossements
de saint Eusèbe et de saint Amédée, et un manuscrit des
évangiles que les uns disent écrit par saint Eusèbe et d'au-
tres par l'évangéliste saint Marc lui-même. Il faut encore
mentionner parmi les édifices de cette ville dignes d'être
visités la Porte de Milan, un château qui servait de ré-
sidence aux ducs de Savoie avant qu'ils se fixassent à Tu-
rin, deux hôpitaux, à l'un desquels est adjoint un musée et
un jardin botanique, lecollége,leséminairearchiépiscopal
et la maison des orphelins. On compte dans la ville 20,000
habitants , dont l'industrie consiste dans la filature et le com-
merce de la soie , et dans l'exploitation de la fertile contrée
où est bâlieleur ville et qui produit en abondance surtout
du riz, de même que du lin et du chanvre.
Fe?-ce//ce était dans l'antiquité la capitale des Z/iiici, dans
la Gaule cisalpine; plus lard elle devint un municipiuni for-
tifié des P.omains. Dans le bourg de Rotta, situé au sud-est,
et qui s'appelait autrefois Raiida, quelques auteurs croient
reconnaître les Campi Raudii où Marins battit les Cimbres,
l'an 101 av. J.-C. Au moyen âge Verceil eut différents
maîtres, et constitua aussi pendant quelque temps une ré-
publique. Elle ne fut pas alors exempte du fléau des guerres
civiles. Vers le milieu du treizième siècle elle était en proie
à diverses factions. Les chefs de la commune, en recevant
en 1256 l'hommage des comtes de Masin , leur faisaient pro-
mettre de rester tout à fait étrangers aux sociétés de Ver-
ceil, et de donner aide et secours à la commune contre ses
propres concitoyens. Verceil tomba peu de temps après sous
la domination des Visconti , qui la cédèrent en 1427 à Amé-
dée VIII, duc de Savoie. L'université qui y avait été fondée
en 1223 a péri. Le 10 octobre 1495, un traité de paix fut
signé à Verceil entre Charles VIII et Louis Moro de Milan,
En 1038 les Espagnols s'emparèrent de cette ville; mais
ils la restituèrent à la Savoie par le traité des Pyrénées de
1C59. Le 20 juin 1704 les Français la firent capituler, et ils
en rasèrent alors les fortifications. Le 20 juillet 1717 elle
tomba au pouvoir des Espagnols, qui durent l'évacuer la
môme année à la conclusion de la paix.
VERCINGETORIX. chef gaulois, célèbre par sa lutte
opiniâtre contre la domination romaine , appartenait à la na»
VERCINGETORIX
<ion des Arvernes. Il réussit à se faire proclamer roi, mais
non sans avoir d'abord à triompher de quelque opposition.
On savait en elfet que son projet était de recomn\encer la
lutte contre les envahisseurs romains, et, pour cela, de
profiter de l'absence de César, qui était retourné en Italie
après sa première expédition dans les Gaules. Or, cette en-
treprise effrayait bon nombre de chefs gaulois, qui ne se
souciaient pas de s'exposer à voir les légions romaines por-
ter de nouveau le fer et le feu dans leurs contrées. Vercin-
getorix réussit à faire bannir les opposants; et bientôt une
confédération, composée des Sénones, des Parisii, des
Pictones , des Cadurci , des Turones , des Aulerci , des An-
decavi, des Lemovices et des peuples de l'Armorique, le
VERDI
933
reconnut pour généralissime. La force des armes contraignit
alors bon nombre de nations qui hésitaient encore , à faire
cause commune contre l'ennemi commun.
César ne fut pas plus tôt instruit de cette redoutable insur-
rection qu'il s'occupa du soin de l'étouffer. Il n'y réussit
toutefois pas sans peine , parce que les Gaulois se bornaient
à garder la défensive, et s'attachaient à affamer leur ennemi
en dévastant au loin la contrée autour de ses cantonnements.
L'insurrection acquérait toujours plus de gravité , par cela
seul qu'elle n'avait pas été immédiatement comprimée; aussi
vint le moment où César se trouva à la veille d'être réduit
à se réfugier dans la province romaine pour sauver ses lé-
gions. Des renforts que lui amena à propos Labienus réta-
blirent la situation. César, feignant de vouloir se retirer dans
la Germanie, réussit à donner le change à Vercingetorix et à
lui inspirer une confiance telle que celui-ci , abandonnant
la tactique qui lui avait si bien réussi jusque alors, ac-
cepta , sur les confins de la Séquanaise et des Lingons ,
une gnande bataille , qui se transforma bientôt pour lui en
un immense désastre. Forcé de fuir, il se jeta dans Alesia,
et y soutint un siège mémorable. Réduit à capituler, il lan-
guit pendant six années dans un cachot; puis, après avoir
orné le triomphe de César à Rome (an 56 av. J.-C), il fut
étranglé.
VER DE GUINÉE, VER DE MÉDINE. Voyez Pi-
laire.
VERDEIV, duché du royaume de Hanovre, qui fait par-
tie de la landrostei de Stade , situé entre Brème, Lune-
bourg et Hoya, arrosé par le Weser, l'Aller et la Wumme,
compte près de 35,000 habitants sur une superficie de 17
myriamètres carrés. Sauf le pays de Marches voisin de l'Al-
ler, tout le reste de ce territoire ne se compose guère que
de landes.
Verden, son chef-lieu, sur l'Aller, qu'on y passe sur un
pont de 400 pas de long, compte 4,800 habitants , qui vi-
vent de la pêche et de la navigation. On y voit une belle
cathédrale gothique. C'était autrefois un évêché, dont la fon-
dation remontait à Charlemagne. A l'époque de la réforma-
tion l'évêque de Verden était Grégoire de Brunswick , qui
embrassa le protestantisme et protestanlisa aussi son dio-
cèse, sans que son successeur François Guillaume réussît
à le ramener au catholicisme. L'archevêque de Brème prit
ensuite possession de l'évêché de Verden. Mais la paix de
Westphalie l'érigea en duciié, qui fut attribué avec celui de
Brème, à titre de fief héréditaire de l'empire, à la Suède.
En 1709 la Suède le céda au Hanovre, à qui il a fait retour
en 1814 après avoir fait momentanément partie du royaume
de Westphahe.
VERDET, sel de enivre impur et de couleur verdâtre ,
dont la préparation en grand forme une branche impor-
tante de commerce. On le nomme aussi vert-de-gris {voyez
Clivre et Vert DE gris).
VER DE TERRE. Voyez Lombric.
VERDETS. Sous cette dénomination, dérivée de la
couleur de leur uniforme, sont demeurés tristement fameux,
par les excès de toutes espèces auxquels ils se livrèrent,
certains corps francs qui se formèrent dans le midi à la suite
des cent jours , sous l'influence et au service des passions
ultra-royalistes et ultra -catholiques de cette époque calami-
DICT, DE LA CONVEHS. — T. XTI.
teuse de notre histoire. La couleur verte de leur nniforme
avait été choisie parce que c'était celle de la livrée de Mon-
sieur, comte d'Artois , considéré de tous temps comme roya-
liste bien autrement pur que son frère Louis XVIII , véhé-
mentement soupçonné de jacobinisme pour avoir octroyé la
charte de 1814. Les verdets , recrutés dans la he de la po-
pulation , avaient à leur tête quelques-uns de ces aventu-
riers qu'on trouve dans toutes les révolutions, et qui ont
grand soin d'exagérer le principe qui triomphe, dans l'espoir
de se faire ainsi un titre à la reconnaissance des dispen-
sateurs de places et de pensions, de sinécures et surtout de
gratifications.
Ce furent des verdets qui assassinèrent à Toulouse le
commandant Ramel , parce qu'il se refusait à les reconnaître
comme troupe régulière et à leur livrer le mot d'ordre.
VERDI (Gicseppe) est né à Busseto, petit village du
duché de Parme, le 9 octobre 1814. Il grandit dans la li-
mite étroite du champ paternel, éloigné de ces serres chaudes
des conservatoires officiels qui appauvrissent tant de vigou-
reuses natures , où tant de hautes vocations dégénèrent. Il
apprit la musique sous la direction d'un vieux prêtre, son
oncle. H entendait à de longs intervalles l'orchestre assez
médiocre du théâtre de Parme traduire les gaietés fluides de
Ciinarosa, les suaves lamentations de Bellini , et les em-
portements sensuels de Rossini ; puis au lendemain de ces
soirées enchantées, il se revenait à l'orgue de son église, il
essayait des accords, il devinait l'harmonie. La vie de Giu-
seppe Verdi , austère , laborieuse , abondante en œuvres ,
vide d'événements romanesques, intéresse par sa sobriété
même et explique la formation de ce viril génie. M. Scudo
raconte que le disciple du curé de Busseto, à ses meilleurs
moments de triomphe, se répète volontiers à lui-même : /o
sono un païsano (je suis un paysan)! Est-ce un cri de
modestie ou d'orgueil , chez ce rossignol dont la chanson
remplit aujourd'iuii l'univers? On peut dire qu'à force de
dextérité et de patience il a fondu dans son talent les mille
qualités divergentes que réclament désormais les juges de
tous les camps. Il produit vile, et il ne laisse rien au hasard ;
il a la pompe des images, et pourtant il réussit à l'analyse
des passions; il est resté très-italien par le tempérament,
et nul plus que lui n'a le goût cosmopolite ; nul n'a mis avec
plus d'adresse les ressources d'un style composite au service
d'une pensée originale; il est héroïque sans se guinder, et ii
redevient familier sans brusquerie; il a engagé la muse ly-
rique dans les péripéties violentes du drame d'action , et il a
connu les heures de recueillement et de rêverie. Quand ,
vers l'âge de vingt-cinq ans , il entra dans la popularité par
&oxi Nabucco, d'abord représenté à Milan, et qui eut bientôt
fait le tour du monde, malgré la nouveauté hardie d'une ma-
nière où le maître parvenait déjà à concilier les arabesques
de la manière italienne avec les formes arrêtées de l'instru-
mentation allemande, avec les exigences de la mise en scène
française, M. Henri Blaze reprochait à sa musique « de pen-
cher beaucoup trop vers le style fiorito et la méthode rossi-
nienne ». Mais dans ses partitions suivantes, à chacune de
ses épreuves de La Scala, de La Fenice, de La Pergola, de
San-Carlo et de notre Opéra parisien, on l'avn sacrifier da-
vantage le luxe des broderies et resserrer la trame. Possédé
du besoin de parler à la foule dans un langage émouvant et
clair, il a laissé de plus en plus prédominer dans ses opéras
l'élément dramatique. Dans / Lombardi, dans Les Vêpres
siciliennes, dans Ernani, il y a des chœurs à l'unisson
qui rendent les sentiments d'un peuple entier; Luisa Mil-
ler et La Traviata sont des poèmes d'agonie et de lar-
mes ; citons encore le Miserere du Trovatore et le quatuor
du Rigoletto, deux épisodes qui suffiraient à une gloire.
M. Verdi est un èrand artiste de la famille des Shakespeare,
des Corneille et des Schiller. Et voyez ! il aime à lutter avec
ces grands poètes en interprétant leurs plus grandioses
cxéd.i\on% '. Macbeth, Uamlet, Luisa Miller, Jeanne d'Arc!
Il soutient le parallèle avec Byron par Les Deux Foscari,
avec Werner par Attila , avec Victor Hugo par Rigoletto
&3
834 VERDI —
^traduction musicale du drame Le Roi s'amuse), avec Vol-
taire par Alzira. M. Verdi, qui a déjà fait représenter plus
de vingt opéras, est à peine parvenu à l'âge de la maturité.
L'arbre plein de sève nous garde peut-être encore ses plus
beaux fruits.
VERDICT (du latin quod vere dictum est), déclaration
qui doit être répotée comme consacrant la vérité elle-même.
Ce mot , emprunté aux criminalistes anglais , est l'expres-
sion consacrée pour désigner la déclaration du jury, c'est-
à-dire la réponse qu'il fait aux questions qui lui sont sou-
mises lorsqu'il est interrogé sur la culpabilité des prévenus.
Dès qu'il a été rendu dans la forme légale, il ne reste plus
aux juges qu'à faire l'application de la loi au fait tel qu'il a
été qualifié par le jury.
VERDIER. Voyez Gros-Bec.
VERDUN, place forte de deuxième classe et chef-lieu
d'arrondissement, dans le département de la Meuse, sur
là Meuse, avec une forte citadelle et 9,845 habitants. Cette
ville, siège d'un évêché, possède neuf églises (parmi les-
quelles on remarque surtout la cathédrale, où l'on voit un
maître autel de toute beauté), un tribunal civil, un tribunal
de commerce , un séminaire, un collège communal, une so-
ciété d'agriculture, une bibliothèque publique et un théâtre.
On y fabrique beaucoup da cuirs, de liqueurs, de confitures
et de bonbons.
C'est à Verdun que fut signé, le 11 août S43, entre l'em-
pereur Lothaire et ses frères Charles le Chauve et Louis
le Germanique, le célèbre traité relatif au partage de l'em-
pire frank. Le pays de Verdun, ou Verdunois, d'abord
propriété des ducs de Lorraine, qui le faisaient gouverner
par des comtes particuliers , fut vendu par Baudoin , frère
de Godefroy de Bouillon, aux évêques de Verdun, qui
l'inléodèrent à titre de vicomte au comte Didier de Mont-
çon et de Bar,et qui le reprirent plus tard. Pendant ce temps-
là la ville de Verdun , qui avait obtenu de bonne heure les
droits de ville de l'Empire et qui défendit ses libertés avec
acharnement, eut à soutenir d'interminables luttes, par suite
desquelles les habitants finirent par implorer le secours de
la France contre leur évêque. C'est ainsi que Verdun se
trouva placée à partir de 1552 sous les lois de la France, à
qui le traité de Westphalie en confirma formellement la pos-
session avec celle des évêchés de Toul et de Metz. Louis XIV
fit fortifier Verdun par Vauban. Le 4 septembre 1792 le
parti royaliste, qui dominait à Verdun, ouvrit les portes de
la ville aux Prussiens; mais après l'évacuation du territoire
par les coalisés, de nombreuses exécutions capitales jiuni-
rent la ville de cette trahison, à la suite de laquelle le com-
mandant de place s'était brûlé la cervelle de désespoir.
VERGARA. Voyez Bergara.
VERGE D'AAROIV. Voyez Baguette divinatoire.
VERGE DE JACOB. Voyez Asphodèle et Batos de
Jacoe.
VERGE D'OR, nom vulgaire du solidago virga aii-
rea, L., genre de synanlhérées qui croît en abondance dans
les bois taillis et au milieu des prés secs. Ses tiges sont hautes,
un peu rougeâtres, presque glabres; les feuilles ovales ou
lancéolées, plus ou moins larges. Cette plante, qui fleurit
en été , se rencontre même en Laponie. Amère et astrin-
gente, elle a été fort estimée et très-employée autrefois en
médecine comme sudorifique et surtout comme vulnéraire.
De nombreuses espèces de solidagos sont aujourd'hui cul-
tivées dans les jardins comme plantes d'agrément; la plus ré-
pandue est le solidago du Canada, vulgairement dite gerbe
d'or, et remarquable par ses larges inflorescences.
VERGEI\i\ES (Charles GRAVIER, comte de) naquit
à Dijon, le 28 décembre 1719. Il était fils d'un président à
mortier au parlement de cette ville. Son parent, Chavigny,
ambassadeur à Lisbonne, l'introduisit dans la carrière diplo-
matique. En 1746 la guerre fut sur le point d'éclater entre
l'Espagne et le Portugal pour des empiétements de terri-
toire. La conteslalion ayant été soumise à la cour de Ver-
sailles, le marquis d'Arg^nson, ministre des affaires étran-
VERGENNES
gères, demanda au ministre de France il Lisbonne lin
mémoire sur le point de la contestation , qui était obscurci
par de nombreux écrits. Vergennes, que Chavigny chargea
de la réponse, renferma les griefs respectifs en quatre pages ;
et d'Argenson, frappé de la clarté et de la simplicité de
ce travail, écrivit en marge du mémoire ces mots, qui
témoignent sa satisfaction : « J'ai lu avec délices un mémoire
si intéressant , et par lequel j'ai compris , pour la première
fois , qu'il s'agissait de ce dont on ne parlait pas , et qu'il
ne s'agissait pas de ce dont on parlait. » En 1750 Vergennes
fut nommé ministre près l'électeur de Trêves. Le comte
Desalleurs, ambassadeur en Turquie, étant mort le 21 no-
vembre 1754, Vergennes le remplaça comme ministre plé-
nipotentiaire; il arriva à Constantinople en mai 1755. Peu
de temps après il eut le titre d'ambassadeur. Il s'agissait
de conserver auprès de la Porte une înduence que l'Angle-
terre voulut partager depuis, ou plutôt détruire, et Vergen-
nes y réussit : il maintint la neutralité de la Porte pendant la
guerre de sept ans. En 1768 M. de Choiseul, voyant l'as-
cendant toujours croissant de la Russie en Pologne, et de-
vinant les plans de Catherine , écrivit à Vergennes de donner
l'éveil aux Turcs et de les pousser à la guerre contre la
Russie, en leur faisant sentir combien les empiétements de
cette puissance en Pologne seraient funestes à la Porte. Ver-
gennes rencontra de grands obstacles de la part du divan.
Néanmoins, le grand-seigneur après de longues hésitations
déclara la guerre à la Rilssie, le 30 octobre 1768. Mais tandis
que Vergennes mandait par un courrier le succès de sa né-
gociation, un autre courrier, parti de Versailles, croisait le
sien, et lui remettait l'ordre de son rappel, fondé, disait
M. de Choiseul , sur le mauvais effet produit par son mariage
avec la veuve d'un chirurgien de Péra. En arrivant à Ver-
sailles, Vergennes dit à M. de Choiseul : « La guerre a été
déclarée à la Russie, conformément à la volonté du roi, que
j'ai suivie sur tous les points ; mais je rapporte les trois mil-
lions qu'on m'avait envoyés pour cela ; je n'en ai pas eu
besoin. « M. de Choiseul , qui avait l'âme élevée , dut sentir
la noble simplicité de ce peu de mots. Néanmoins, Vergennes
fut traité avec froideur, et il se retira volontairement dans
st's {erres, en Bourgogne , où il demeura deux ans.
Après la disgrâce de Choiseul, Vergennes fut nommé à
l'ambassade de Suède. On l'a accusé de s'être montré coopé-
rateur indécis dans la révolution qui affranchit Gustave III
du joug de l'aristocratie suédoise. Toutefois, il reçut des
témoignages de la satisfaction royale, car il fut nommé
conseiller-d'État d'épée ; et le duc d'Aiguillon , ministre des
affaires étrangères , lui écrivit une lettre de félicitation,
A l'avènement de Louis XVI, il fut appelé au ministère
des affaires étrangères par le comte de Maurepas, vieux
courtisan , jaloux de la faveur, qui le croyait bonhomme ,
et qui cherchait un instrument docile, plus empressé de
servir que de briller. Circonspect, avare de paroles, Ver-
gennes sut se maintenir dans cette position par une extrême
ré.serve. L'événement le plus important de son ministère fut
la guerre d'Amérique et la reconnaissance de l'indépendance
des États-Unis. Ce ne fut pas sans élonnement qu'on vit
alors une vieille monarchie absolue appuyer de son crédit et
de ses soldats une insurrection de républicains ; aussi n'a-t-oi>
pas manqué d'accuser ce ministère d'imprévoyance. La
guerre transatlantique, dit-on, épuisa les finances de la
France , et y mina les idées de subordination ; en sorte que ,
par le déficit qu'elle creusa et par les principes de révolte
qu'elle propagea , elle devint la cause mère de la révolution
française. Mais ces esprits chagrins paraissent oublier le con-
cours de circonstances qui entraîna les résolutions du minis-
tère par une force irrésistible. Le cabinet de Versailles vit
là une occasion d'humilier un empire rival, d'abaisser l'in-
domptable orgueil des Anglais et d'affaiblir leur puissance
colossale : le vieux préjugé de la haine nationale et le désir
secret de venger les affronts de la guerre de sept ans
agissaient dans tous les rangs de la nation. D'après cela,
faut-il s'étonner que le cri de l'opinion îiubliifue ait étouffé
VERGENNES — VERGINIAUD
835
les intérêts de dynastie alors inaperçus. Quoi qu'il en soit,
jamais négociation ne fut menée avec plus d'art. La force se-
condait llliabileté , et Vergennes sut éluder, par une suite
merveilleuse d'échappatoires, les hautaines exigences de la
diplomatie anglaise. Le comte de Stormond demande officiel-
feraent si la France prétend soutenir les rebelles d'Amérique :
Vergennes répond que la France n'a d'autre but que de ren-
dre le commerce libre pour toutes les nations. Son grand
moyen politique était de ne jamais donner une réponse dé-
cisive. M. de La Mothe-Piquet , sortant de la baie de Qui-
beron , fut rencontré par une frégate et une corvette améri-
caines, qui le saluèrent; il y répondit par neuf coups de
canon, honneur qu'on rend au pavillon des républiques.
L'ambassadeur d'Angleterre, instruit de ce salut rendu,
court chez Vergennes, se plaint, demande une explication.
Le rusé ministre répond avec la bonhomie apparente d'un
homme à peine instruit : « C'est peut-être hparoli du salut
que vous avez rendu jadis au pavillon corse , lorsque votre
cour savait que le roi de France traitait ce peuple comme
rebelle. » Le grand trait d'habileté de Vergennes fut d'en-
gager le cabinet de Pétersbourg à bercer celui de Saint-Ja-
mes d'espérances mensongères : il sollicitait ardemment des
secours de la Russie ; elle ne les promit ni ne les refusa , et
joua complètement l'Angleterre , qui , dans l'espoir d'un
secours incertain , se plongeait dans des dépenses réelles.
En vain dira-t-on que Vergennes ne fit que reprendre les
projets du duc de Choiseul : cela même est un grand mérite.
Ce que le bon sens a de mieux à faire , c'est de profiter des
plans du génie. En vain ajouterait-on que sans les fautes
multipliées du ministère anglais jamais les projets de Ver-
gennes n'eussent été conduits à une heureuse fin. Mais n'est-
ce pas le comble de l'habileté que d'élever autour de ses
ennemis les nuages du doute et de l'incertitude, afin de ren-
dre leurs mesures fausses, leur prévoyance nulle et leurs
calculs erronés? Les Anglais ne crurent jamais que la France
prodiguerait les millions , les vaisseaux et les hommes pour
défendre des mutins que la Grande-Bretagne voulait châtier.
Lorsqu'on apprit à Londres que la cour de Versailles avait
reconnu les députés américains comme ministres, ce fut
une surprise et une consternation générales. Enfin , le traité
du 3 septembre 1783 effaça la honte des traités de 1763.
Les démêlés qui s'élevèrent en Allemagne au sujet de la
succession de Bavière furent aussi pour Vergennes
une occasion de montrer son habileté. Il sut, par une mar-
che prudente , contenir l'ambition de Joseph II , garantir les
droits de l'héritier légitime et maintenir la balance germa-
nique dans les négociations de Teschen . qui se terminèrent
par le traité de 1779. Enfin, il arrangea également les diffé-
rends survenus entre l'empereur elles Provinces-Unies, par
le traité signé à Fontainebleau, le 10 novembre 1785. Ver-
gennes mourut le 13 février 1787, laissant une fortune de deux
millions, et la réputation sinon d'un grand homme d'État,
du moins d'un ministre habile ; il suppléait aux vues du génie
par une longue expérience et par un grand savoir-faire. Il
avait des manières graves , et aimait à s'envelopper de formes
diplomatiques; c'est ce qui a pu faire trouver pour le ca-
ractériser le mot de médiocrité imposante. Artaud.
VERGER, lieu clos, planté d'arbres fruitiers en plein
vent. Lequel est préférable de planter des vergers , comme
faisaient nos ancêtres, ou de remplir nos jardins d'espaliers,
de quenouilles , de nains, de pyramides, comme on fait de
nos jours? Les pleins-vents produisent des fruits en plus
grande abondance, mais on a observé qu'ils absorbent beau-
coup de terrain, et ne donnent abondamment du fruit que
de deux ou trois années l'une ; d'un autre côté, on a remar-
qué que cette même espèce d'arbres, soumise aux soins et
aux procédés qu'on leur dispense dans les jardins, rapporte
dès la troisième année, et que le fruit est plus beau et plus
assuré. Malgré ces avantages, il serait à désirer qu'on conser-
vât les vergers, qui présentent, en compensation des incon-
vénients qu'on leur attribue , des avantages incontestables ,
dont les principaux sont leur durée et leur produit sans pres-
que aucune dépense. D'ailleurs, beaucoupd'arbres,telsque le»
cerisiers, les pruniers, etc., n'exigent point les soins du jardi-
nier, et demandent par conséquent à rester en plein vent. Voici
la nature des arbres qu'il convient de placer dans les ver-
gers : 1° les sauvageons ; 2° les francs {franc se dit des
arbres qui produisent du fruit doux sans avoir été greffés,
par opposition au x sauvageons, qui ne portent que des fruits
âpres s'ils ne l'ont pas été). Les uns et les autres doivent l'être.
Les sauvageons ont plus de vigueur, durent plus longtemps,
sont moins délicats sur le choix du terrain que les francs,
qui , à leur tour, l'emportent par la promptitude de leui
maturité et par la grosseur de leur fruit. Les uns préfèrent
les sauvageons , à cause de leur durée et parce qu'ils pen-
sent à en faire jouir leurs enfants ; les autres choisissent
communément des francs, à cause du perfectionnement
des fruits. Quelle que soit l'espèce à laquelle on s'arrête, la
raison indique le terme moyen comme le meilleur : cer-
taines espèces de poires pouvant être greffées plus avanta-
geusement sur sauvageon, d'autres sur franc ou sur cognas-
sier, etc. Ordinairement on place le verger près de la maison,
et on l'entoure de murs, de haies ou de fossés, pour lo
mettre à l'abri des bestiaux et des voleurs. Quelque desti-
nation qu'on donne au sol des vergers, il faut l'entretenir
en bon état de production par des labours et des engrais ,
de loin à loin , tous les cinq ou six ans par exemple. On
peut y établir des prairies artificielles, des cultures de cé-
réales et d'autres plantes. Gaubert.
"VERGETÉ (Blason). Voyez tcv.
VERGETTES (Blason ). Voyez Blason et Pal.
VERGILE ou VIRGILE (Polydore). l'oyes Polydore-
Virgile.
VERGISS MEIN NICHT. Voyez Myosotis.
VERGLAS [Physique). Lorsque la terre a été for-
tement refroidie par une gelée durable, et que tout d'un
coup , la température s'élevant, il tombe pendant quelque
temps une pluie qui n'est pas trop abondante, l'eau qui tou-
che le sol, se trouvant refroidie au point de la congélation,
y forme une couche de glace mince et très-unie sur laquelle
l'homme et les animaux ne peuvent que difficilement mar-
cher; cet effet, que l'on observe plusieurs fois dans les
hivers si la température éprouve beaucoup de variations,
donne toujours lieu à des chutes nombreuses et à des acci-
dents plus ou moins graves , qui en sont la conséquence.
H. Gaultier de Claubry.
VERGNIAUD (Pierre- Victlrnien) naquit à Limo-
ges, en 1758. A la suite de brillantes études faites tant dans
sa ville natale qu'à Paris, au collège du Plessis, il s'établit
avocat à Bordeaux, en 1781 ; elquand la révolution éclata il en
embrassa les doctrines avec l'entliousiasme d'une âme pur»
et la portée d'un vaste esprit. En 1790 on l'appela à (aire
partie de l'administration du département de la Gironde, qui
l'année suivante le choisit pour l'un des députés qu'il en-
I voyait à l'Assemblée législative. Ardemment épris des idées
de liberté, plein de patriotisme et doué d'une éloquence
entraînante, il devint tout de suite l'un des chefs de ce parti
! dumouveraent, auquel appartenaient lesplusdistingués d'en-
i tre ses collègues de la Gironde ; ce qui l'a fait surnommer
I le parti des girondins. Pour protéger la constitution con-
; tre les menées de la fureur révolutionnaire , Vergniaud ,
après la chute du ministère girondin, le 24 mars 1792,
i entra, de même que Brissot etGensonné, par l'inter-
, médiaire du peintre Boze, en rapports avec Louis XVI;
j mais ces négociations n'aboutirent pas , parce que le roi crut
pouvoir mieux se fier au vénal Danton qu'à eux. Dès lors
Vergniaud abandonna le roi à sa destinée, et ne fit rien pour
prévenir la catastrophe du 10 août. Quand ce jour-là le roi
i vint se réfugier au sein de l'Assemblée, Vergniaud, qui occu-
pait le fauteuil, accueillit LouisXVIen l'assurant que l'assem-
; blée défendrait les pouvoirs constitutionnels jusqu'à la mort;
mais quelques jours plus tard il mettait aux voix un projet
de décret qui prononçait la suspension du roi. Le trône une
fois renversé, Vergniaud resta inactif au milieu de l'anarchie
53.
»36
VERGINIAUD — VÉRIFICATION D'ÉCRITURE
toujours croissante, et ne fit qu'un petit nombre de tenta-
tives pour sortir de l'inaction à laquelle il se sentait désor-
mais condamné. Envoyé à la Convention par le département
de la Gironde, il appuya, dans un discours d'une éloquence
admirable, la motion présentée par Salles pour faire soumet-
tre à la sanction du peuple le jugement qui interviendrait
au sujet de Louis XVI. Cette inconséquence de sa part excita
une surprise d'autant plus grande, que sur la question du
sursis il avait voté contre le sursis. Le liasard lit aussi que
c'est lui qui présidait la Convention dans la séance où eut lieu
le dernier vote relatif au sort de Louis XVI, et qui dut en
cette qualité en proclamer le résultat. Après lesuppliceduroi,
Vcrgniaud et ses collègues entrèrent tout aussitôt en lutte
contre Robespierre et sa clique; mais quelque remarqua-
bles talents oratoires dont Vergniaud ait fait alors preuve,
cette lutte se termina par la chute de la Gironde. Quand, le
2 juin 1793 , la Convention lança son décret de proscription
contre les girondins, Vergniaud trouva un asile cliez un ci-
toyen d'Avignon fixé à Paris. Mais deux jours après il en sortit
pour se réfugier ciiez ses jeunes amis, Ducos et Fonfrède,
qui n'avaient point été compris dans le décret de proscrip-
tion. C'est là qu"il fut arrêté dès le lendemain. Du fond
de sa prison, Vergniaud réclama du comité de salut public,
dont il était membre , des poursuites judiciaires contre les
individus qui dans les journées du 31 mai au 2 juin avaient
porté atteinte à l'inviolabilité de la représentation nationale;
mais la Convention répondit par un décret dans lequel elle
déclarait que les chefs de l'insurrection avaient bien mérité
delà patrie. Enfermé dans la prison du Luxembourg, il y
fat longtemps confié à la garde d'un seul gendarme, qui le
laissait souvent sortir seul sur parole; mais il ne lui vint ja-
mais à l'esprit d'en profiter pour essayer de s'évader. Lors
de son procès, qui commença le 24 octobre 1793 devant le
tribunal révolutionnaire, il trahit d'abord un certain abat-
tement; cependant, il retrouva toute son énergie au moment
où la parole lui fut accordée pour présenter sa défense et
celle de ses coaccusés. Mais sa perte et celle de ses amis
étaient choses résolues -. il fut donc condamné à moii. Ver-
gniaud dédaigna d'user d'un poison qu'il portait caché dans
une bague ; et le 31 octobre il fut conduit avec vingt compa-
gnons d'infortune à l'échafaud, où il lut l'avant-dernier à po-
ser sa tête sur le fatal billot. Peut-être la France perdit-elle
ce jour-là le plus grand orateur qu'elle ait jamais produit,
encore bien qu'on puisse reprocher à Vergniaud de tomber
quelquefois dans l'enflure, et da prodiguer jusqu'à l'abus
les allusions aux grands faits de l'histoire ancienne. C'est
Vergniaud qui s'écriait un jour avec un prophétique ac-
cent : n Citoyens ! il est à craindre que la révolution, comme
Saturne, ne dévore successivement tous ses enfants, et
n'engendre enfin le despotisme avec toutes les calamités qui
l'accompagnent! »
VERGOBRET. C'est le titre que portait chez les
Éduens un magistrat annuel élu par les druides, espèce
de dictateur temporaire, placé au-dessus du roi et des ducs,
investi à ce titre du pouvoir suprême et du droit exclusif
de prononcer des condamnations capitales , mais obligé de
ne pas sortir des murs de la cité pendant toute la durée de
sa magistrature.
Jusqu'à la révolution de 17S9, on désigna à Autun le
maire et le premier j\ige sous le nom de vlerg , mot qui
suivant quelques historiens ne serait que la corruption de
celui de vergobret.
VERGUES. Votjez Antenne et Mât.
VERGY (Gabkieu-e be). L'erreur d'une tradition po-
pulaire a consacré ce nom inexactement donné à la dame de
Fayel, et que l'on trouve dans un manuscrit de la Biblio-
thèque impériale intitulé : Le Lai de la chastelaine de
Vergy, qui mori por trop amer son ami. Mais la maison
de Vergy, près de Nuits (Côte-d'Or), qui joue nn rôle impor-
tant dans l'histoire de la Bourgogne , n'est pour rien dans
l'aventure, fort problématique, qu'il rappelle.
Raoul de Coucy, mortellement bles.sé au siège de Saint-
Jean d'Acre, en 119t, chargea son écuyer, avant de rendre
le dernier soupir, de porter .son cœur en France à la dame
de ses pensées, la chastelaine de Fayel. Malheureusement,
l'époux surprit le message, et, à ce que rapporte la tradi-
tion , fit manger à sa femme le cœur de son amant. La
chastelaine se laissa mourir de faim. On sait que de Belloy
a trouvé dans celte horrible aventure le sujet d'une tra-
gédie qui est restée au répertoire, et qu'on joue encore de
temps à autre. Le poète bourguignon Brugnot avait aussi le
projet de composer une tragédie sur ce sujet. C'est lui qui,
en explorant les environs de Saint-Quentin en Vermandois,
où se trouvait le castel du sire de Fayel , constata qu'il
existait jadis une terre appelée le Vergies, qui avait appar-
tenu à la famille de la dame de Fayel. Ce nom de terre pea
célèbre fut, dans la tradition populaire, effacé pour faire
place à celui de l'illuslre maison de Vergy; et les années,
en s'accumulant sur cette erreur, la consacrèrent, en dépit
de l'histoire de Bourgogne, qui ne désigne aucune femme
de ce nom dans la riche lignée de la famille de Vergy.
Jules Pautet.
VERHUEL (Carel-Henkik, comte), mort en 1845,
vice-amiral et pair de France, était né en 1770, à Does-
bourg, dans le pays de Gueldre, et entra d'abord comme
cadet dans la marine hollandaise. Il était lieutenant-colonel
lorsque éclata la révolution de 1795. Mais dévoué à la mai-
son d'Orange , il prit son congé à l'instar d'un grand nombre
de ses collègues, et demeura plusieurs années sans emploi.
Quand la guerre menaça d'éclater de nouveau, en 1803, entre
la France et l'Angleterre, on lui confia le commandement
delà flottille hollandaise réunie au Texel. Lors des prépara-
tifs qui eurent lieu l'année suivante à Boulogne pour une
descente en Angleterre, Napoléon ayant demandé au gou-
vernement hollandais un officier expérimenté pour le mettre
à la tête de la flottille hollandaise qu'il était question de réunir
à Boulogne, le choix de l'autorité se fixa sur le frère aîné de
Verhuel, qui déclina une pareille mission et recommanda
son frère cadet, Henrik, pour la remplir. C'est ainsi que Ver-
huel vint en France avec le litre de contre-amiral, promo-
tion qui fit alors beaucoup de bruit. Avant même d'arriver
à Boulogne avec sa flottille, il eut à soutenir à la hauteur
du cap Guinez un combat des plus vifs avec une partie de
la flotte anglaise; et il s'en tira à son honneur. A son retour
en Hollande, Verhuel se jela dans les intrigues contre le
gouvernement et le Grand-Pensionnaire. En 1806 il fut ap-
pelé à faire partie de la députation envoyée pour implorer
de Napoléon, au nom de la république batave, le maintien
de sa constitution. Mais Verhuel , au nom de la représen-
tation nationale batave, demanda à Napoléon son frère
Louis pour roi; et il s'excusa, en alléguant la nécessité,
d'avoir ainsi interprété son mandat. Le nouveau roi, en mon-
tant sur le trône, le nomma ministre de la marine, maréchal
du royaume et comte de Zevenaar. Plus tard le roi Louis
fit de lui son ministre plénipotentiaire à Paris, où il en-
courut le soupçon d'être plus dévoué à l'empereur qu'à son
roi. Quand la Hollande eut été incorporée à la France, Ver-
huel entra au service français. En 1813 et 1814 il défendit le
Helder, en qualité de vice-amiral, de la manière la plus opi-
niâtre contre ses propres concitoyens, et il ne rendit la place
qu'après l'entrée des alliés dans Paris. A son retour en
France Napoléon le nomma inspecteur général des Côtes-
du-Nord; mais comme il s'était tenu à l'écart pendant les
cent jours, il conserva les faveurs de la Restauration, et fut
môme créé pair en 1819. En 1836 Louis-Philippe l'envoya
pendant quelque temps à Berlin comme ambassadeur.
VÉRIFICATIOM D'ÉCRITURE. Il arrive sou-
vent, dans les contestations judiciaires relatives à des actes
sous seing privé, qu'une des paities désavoue son écriture
ou sa signature , ou bien encore que les héritiers d'un dé-
funt contestent la vérité de sa signature ou de son écriture.
Il n'y a en effet que les actes authentiques qui aient le pri-
vilége de faire foi par eux-mêmes en justice. Dès qu'il y a
dénégation ou refus de reconnaissance de l'écriture , il y a
VÉRIFICATION D'ÉCRITURE — VÉRITÉ
iieii d'en faire la ▼érification ; et il y est toujours procédé
devant les tribunaux de première instance, les tribunaux
de commerce, de même que les juges de paix , n'ayant pas
compétence pour en connaître et étant tenus en ce cas de
surseoir au jugement de la demande principale jusqu'à ce
que l'incident soulevé ait été vidé par qui de droit. Les arti-
cles 1 156 et suivants du Code Civil, 194, 195, 19C, 198, 199,
204, 206, 208 et 210 du Code de Procédure civile règlent
les formalités à observer en cas de vérification d'écriture or-
donnée par justice, opération dont les titres, l'expertise et
l'enquête sont la base. La loi prononce une amende de 150
francs contre celui qui a donné lieu à une vérification d'é-
critures dont le résultat ne lui est pas favorable. Il est en
outre passible de dommages-intérêts, et peut être condamné
au payement du principal ainsi qu'à tous les frais.
VÉRITÉ (Mythologie). Son nom grec est Aléthle;
Pindare la fait fille de Jupiter : c'est avec plus de raison
que des mythes lui donnent Krônos (le Temps) pour père.
En effet, le temps dissipe bien des ténèbres, démasque
souvent le mensonge, et fait luire la vérité dans tout son
éclat. Elle ne fut pas non plus insensible aux charmes de
l'amour; elle eut, on ne sait de quel dieu , la Justice et la
Vertu. Quelques-uns, par une idée bizarre, la placent au
fond d'un puits, où elle se cache, et duquel elle ne sort que
difficilement; il est plus convenable de la supposer habi-
tante de l'Empyrée. Voltaire a dit :
Descends du haut des cieiu , auguste Vérité!
Que l'oreille des rois s'accoutume à t'entendra 1
Dans ce cas, on lui donne des ailes, toute nue qu'elle est.
Le globe terrestre , qu'elle semble quitter, gît sous l'un de
ses pieds ; l'autre est suspendu comme celui de Mercure,
parce qu'elle est prête à s'élancer vers son divin séjour. On
pourrait aussi la représenter une main sur le cœur, avec
une bouche naïve, bien que sérieuse, entr'ouverte comme
pour parler : le miroir antique est son attribut ordinaire.
La Vérité chrétienne tient, le plus souvent d'une main
un Évangile ouvert, et de l'autre , l'index levé , elle montre
le ciel et la croix du Christ élincelante dans les nues.
Denne-Baron.
VÉRITÉ, VÉRACITÉ (Philosophie). A la suite de
beaucoup de méditations qui n'ont pas toujours conduit à
la découvrir , on a donné de ce mot un grand nombre de
définitions; puis on a fini par mettre en doute que l'homme
puisse connaître la vérité , et même qu'il soit capable de
la définir. S'il est douteux que l'intelligence humaine soit
faite pour trouver la vérité , il est du moins certain qu'elle
est faite pour la chercher ; et désormais nous devons au
même degré être persuadés que dans notre condition actuelle
nous ne l'aurons jamais tout entière, et convaincus que
notre développement moral et intellectuel exige que nous
ayons toujours à la chercher. Cherchons-la donc à la fois
avec défiance et avec confiance. De ce qu'on a dû critiquer
toutes les définitions qui en ont été données jusque ici , il
n'en résulte certainement pas que nous ne sachions bien
ce que nous entendons par le mot vérité. En effet , la vé-
rité est la connaissance des choses telles qu'elles sont, et
notre connaissance en est parfaite lorsque nos idées sont
parfaitement conformes aux choses qui en sont l'objet. Cette
définition est simple et à la portée de tout le monde. On en
a donné d'autres. On a dit que la vérité était l'accord de nos
idées avec les idées de Dieu. Cela est incontestable, puisque
les idées de Dieu sont la vérité ; mais cela est complètement
stérile, puisque nous n'avons aucun moyen de vérifier la
chose. On a dit ensuite que la vérité est l'accord de nos
idées les unes avec les autres. Oui, si l'on entend toutes nos
idées, et si nous avons des idées sur tout ; non, s'il ne s'agit
que de quelques-unes de nos idées et si nous n'en avons que
sur quelques questions. On le conçoit, il peut y avoir ac-
cord entre une série d'idées fausses, comme il y a accord
entre une série d'idées vraies ; aussi a-t-on distingué avec
rsison entre la vérité logique, ou l'accord des idées entre
83T
elles, et la vérité métaphysique, ou l'accord des idées avec
les choses. La vérité logique est toujours à la disposition
de notre intelligence; la vérité métaphysique l'est rarement.
Cette dernière, vue complètement, est la vérité absolue,
la vérité suprême; mais elle n'est vue complètement que
de l'intelligence suprême et absolue.
De ce qu'elle n'est vue complètement que d'une seule in-
telligence, on a conclu que ce que les autres intelligences en
voient n'a rien de vrai, ou n'a que peu de vrai. On a été
plus loin. La vérité, a-t-on dit , est en général , ou tout à
fait inaccessible, ou du moins d'un accès didicile à notre
entendement, qui ne saisit jamais, ou presque jamais, que
des apparences. Dès lors ce qu'il y a de plus raisonnable
à faire à l'égard de toutes les idées qu'il nous procure, c'est
d'en mettre en doute la vérité. Cette opinion a été présentée
de trois manières dilïérentes, et a donné lieu à trois sys-
tèmes , dont le premier, le probabilisme, admet non pas,
dit-il , ce qui est vrai, mais ce qui semble vrai, tandis que
le second , le scepticisme, arrive rarement à admettre quel-
que chose, et que le troisième, le pyrrhonisme , déclare
nettement que l'intelligence humaine ne saurait savoir la
vérité sur rien. A ces trois systèmes est opposé le dogma-
tisme , qui affirme au contraire que l'intelligence humaine
5aj^ quelque chose. Or, il faut le dire, si c'est une intelli-
gence suprême qui a présidé à l'ordonnance des choses , et
il serait au moins absurde d'affirmer le contraire , le scep-
ticisme vaut mieux que le pyrrhonisme , le probabilisme,
que le scepticisme, et le dogmatisme, que le probabilisme ;
car il implique que l'intelligence est condamnée en toute
chose ou à l'ignorance , ou aux apparences , ou môme à la
simple vraisemblance.
11 est très-vrai que sur beaucoup de questions nous res-
tons dans l'ignorance (aussi la modestie est-elle une vertu
pour tous les hommes); que pour en résoudre d'autres
nous n'avons que des apparences ( aussi est-ce un devoir
de s'en défier ) ; que sur d'autres encore nous ne nous éle-
vons qu'à la vraisemblance (aussi la tolérance est-elle d'o-
bligation universelle). Mais il est aussi des questions sur
lesquelles nous avons la conscience de la vérité, même sans
parler des vérités de la foi, que nous laissons en dehors de
ce débat. Nous avons évidemment toutes les vérités qui se
rattachent à la certitude de la pensée , de l'existence, de la
personnalité, de l'unité, de l'identité de tous les phéno-
mènes de conscience; et certes c'est là tout un empire
d'idées vraies.
Il est trois choses qui prouvent que nous sommes faits
pour le vrai. Nous avons d'abord l'amour de la vérité ; en-
suite, le moyen de la découvrir et de l'éprouver; enfin, l'obli-
gation de la professer.
Nous avons en effet d'abord Vamour de la vérité. Ne
sommos-nous pas dévorés du désir de l'apprendre et de la
savoir.!" L'âme ne demande-t-elle pas de la nourriture dès
qu'elle le peut, comme le corps a demandé de la nourri-
ture dès qu'il l'a pu? L'amour de la vérité est combattu en
nous par d'autres sentiments, par d'autres passions, il est
vrai. Nous haïssons la vérité qui peut nous humilier et nous
nuire ; nous aimons l'erreur qui nous ménage et qui trompe
les autres à notre bénéfice. Mais, on le voit bien, c'est ici
le vice qui nous fait déroger à nos goûts naturels. Or, le vice
est une altération de nous-mêmes.
Nous avons de plus le moyen de découvrir et d'éprou-
ver la vérité. En etfet, cette passion providentielle que nous
éprouvons pour elle n'est ni stérile ni aveugle : nous som-
mes faits à la fois pour la chercher et pour en approcher.
Toutes nos facultés intellectuelles ont pour but de connaître,
et toutes nos facultés morales et physiques sont au service
de nos facultés intellectuelles. Nos sens, que font-ils si ce
n'est de quérir et de transmettre des faits à l'entendement?
Et tous nos sens , quoiqu'ils appartiennent au corps par
leurs organes, ne sont néanmoins que des moyens de l'àme
pour se mettre en rapport avec le dehors. Nous n'avons
pas, il est vrai , de critérium , de moyen de discernement
838
général et absolu, pour constater la vérité en tontes choses et
la distinguer de l'erreur d'une manière certaine ; mais nous
avons pour cela beaucoup de moyens spéciaux. On le nie.
On dit que nos sens nous trompent ; mais nous pouvons
souvent les contrôler les uns par les autres. On dit qu'ils se
trompent eux-mêmes ; mais nous pouvons presque toujours
perfectionner leur jeu et leur activité. Dans tous les cas ,
nous sommes leurs maîtres, et ils ne sont jamais les nôtres.
Ils n'ont pas de volonté, et la nôtre est souveraine. D'ailleurs,
les sens ne peuvent pas se tromper du tout, puisqu'ils ne
jugent pas. En effet, c'est bien nous qui jugeons et qui af-
firmons une perception, qui lui attribuons la vérité, l'erreur,
l'insuffisance, l'obscurité. Or, chacun de ces caractères at-
teste notre fonction de critiques.
Nous sommes faits pour éprouver la vérité aussi bien
que pour la découvrir. Mais nous sommes faits surtout
pour la professer, pour la dire , pour être véridiques. La
véridicité ou la véracité est à la fois l'obligation et l'habi-
tude d'être vrai ; et nous sommes obligés de respecter le vrai ,
de parler le vrai , par la raison que nous sommes faits pour
le chercher, pour le découvrir. L'ordre moral des empires,
comme l'ordre moral du monde, a pour loi fondamentale
la vérité. Cette loi renversée, il n'est plus, dans l'univers ,
d'ordre ni liumain ni divin. Sans doute il y a mille déroga-
tions à la vérité , soit sociale, soit morale, et ces déroga-
tions, si nombreuses ou si graves qu'elles soient, n'empê-
chent pas un ordre quelconque de subsister. Mais il faut
considérer d'abord que les exceptions prouvent la règle;
ensuite, qu'un ordre quelconque n'est pas un état normal;
enfin, que la plupart des maux qui accablent les individus
et la société proviennent précisément des audacieuses in-
fractions qui se commettent contre la loi de la vérité.
Il en est donc de l'obligation de dire la vérité comme de
cjelie de la chercher ; elle est absolue, elle n'est susceptible
d'aucune modification, d'aucune interruption. Toutefois,
de même qu'il suffit de chercher la vérité avec droiture ,
sans que nous soyons forcés delà trouver, il suffit aussi de
de la professer avec sincérité, sans que nous soyons obligés
de la savoir. On peut être véridique sans dire le vrai, puis-
qu'on peut ignorer le vrai , et qu'il est permis de dire ce
qu'on pense, même quand on est dans l'erreur. 11 est de
plus permis de respecter l'erreur des autres. Cela est même
d'obligation toutes les foisque le mal d'une erreur combattue
serait plus grand que le mal d'une erreur tolérée. Mais
commiiniquer sciemment l'erreur, c'est mentir ; et le men-
songe est à la fois la plus lâche violation de l'ordre moral
du monde et la plus audacieuse dégradation de la dignité
bumaine.
On a dit que l'erreur dite sciemment, mais sans intention
de nuire , n'était pas un mensonge. Il est évident que dans
certains cas l'erreur dite avec l'intention de sauver l'hon-
neur ou la vie est un devoir; car il est non-seulement de
toute justice, il est de toute obligation de donner le change
à un assassin qui vous demande la retraite de sa victime.
Mais de ce qu'il peut être licite et même obligatoire , dans
un cas donné, de substituera la vérité une erreur, il n'en
faut pas tirer cette règle générale, que toute erreur dite à
bonne intention cesse d'être mensonge. On a dit quelque
chose de plus dangereux ; on a dit que toute vérité n'était
pas bonne à dire. Avec cette autre assertion , on se fait une
morale encore plus commode qu'avec la première. En effet,
on s'accorde le bénéfice du silence , non pas toutes les fois
que l'exige un intérêt majeur et sacré , mais un intérêt quel.-
conque. Ce n'est plus seulement l'homme du barreau qui se
fait payer l'art de voiler la vérité, et môme de la nier sciem-
ment devant la justice (délit moral et social , qui dans l'an-
tiquité, c'est-à-dire dans l'enfance de la civilisation , l'eût
fait chasser de l'Egypte avec ignominie ) ; mais c'est l'homme
d'État qui couvre le gaspillage des deniers publics , non plus
sous les stratagèmes de la réticence , mais sous l'art de
grouper les chiffres ; c'est le ministre qui met de côté les
dépêches compromettantes avec une charmante rouerie , et
VÉRITÉ — VERJUS
c'est l'homme de la sacristie qui garde le silence sur un
dépôt , avec les plus dévotes intentions qui puissent s'ima-
giner ! On le voit, de la seule maxime: Toute vérité n'est
pas bonne à dire , maxime livrée aux subtilités de la raison
et aux latitudes delà conscience, il résulte une morale qui
doit inspirer de l'horreur. Elle en eût inspiré non pas à
toute l'antiquité , mais à tous ceux des peuples anciens qui
professaient les principes d'une délicatesse sérieuse. Certes
cette morale n'eût pas étonné Sparte , qui autorisait et qui
enseignait l'art du mensonge; certes, elle n'eût révolté
dans Athènes ni les Thémistocle ni les Alcibiade; mais certes
aussi les Aristide et les Socrate l'eussent rejetée dans leur
patrie , au risque même de déplaire.
Les anciens permettaient non pas le mensonge , mais la
fiction et un peu d'infidélité dans le culte de la vérité , aux
poètes, aux fabulistes, aux voyageurs , aux historiens, aux
narrateurs de tous genres. A cet égard, les mœurs n'ont pas
changé. Il y a eu changement sous un autre rapport. L'anti-
quité tolérait une classe d'ambitieux qui prétendaient plaider
la vérité et le mensonge. Elle méprisait ces plaideurs , les
sophistes, mais elle les tolérait. Nos mœurs se révolteraient
contre un tel degré d'avilissement ; elles ne souffriraient pas
que le même homme soutint le pour et le contre à des époques
différentes de sa vie.
L'antiquité avait généralement pensé que pour enseigner
la vérité et pour la montrer aux hommes il convenait de
la voiler. Elle la voilait de toutes manières , par le mythe ,
le symbole, l'emblème, la tradition et mille cérémonies.
Quand Socrate la montra, non pas sans voile , mais un peu
dévoilée, on le mit à mort. Aristote, qui avait eu l'impru-
dence de dire : Amicus Plato, amicus Socrates , sed magis
arnica verilas , eût partagé le même sort s'il ne se fût
réfugié dans l'île d'Eubée. Eh bien, dans notre siècle, au
contraire, nous voulons la vérité sans voile, et il suffit qu'un
homme prétende la voiler pour qu'il se perde. Second chan-
gement : l'antiquité ne la donnait, même voilée, qu'à cer-
taines classes de la société , qu'aux initiés , qu'aux éprouvés
parmi les initiés ; nous la donnons à tous. Il n'en était pas
ainsi chez nos pères. Pour nous en convaincre , ne remontons
pas jusqu'au moyen âge; prenons ce mot d'un écrivain du
grand siècle de nos pères :
Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
Ce mot a été dit à une époque où il y avait beaucoup d'il-
1 lusions encore, où l'illusion avait encore bien des charmes ;
il a été dit dans un de ces mouvements sublimes où un
penseur s'élève au-dessus de son temps et proclame une vé-
rité qui ravit sa méditation', mais qui étonne ses contempo-
rains. Eh bien , aujourd'hui tout le monde en est à trouver
la vérité seule, non plus aimable seulement, mais tolérable
en tout , en religion, en philosophie, en morale, en poli-
tique. Pour constater en un mot l'immensité de ces deux
changements, nous dirons, en nous résumant, qu'on se
plaignait autrefois de l'intolérance sociale dirigée contre la
vérité, et qu'il n'y a plus aujourd'hui d'intolérance légale
même contre l'erreur.
On le voit, si nos mœurs ne sont pas encore ce qu'elles
devraient être , nos institutions au moins sont belles jusqu'à
l'idéahté.
On a beaucoup écrit sur la vérité; et sans compter les
traités sur l'erreur et le mensonge , on pourrait citer ici un
grand nombre d'ouvrages. Il y a d'excellentes choses dans
le traité De Veritate de Guillaume de Paris, et dans la
Logique de Port-Royal, comme dans d'autres logiques, et
notamment celle de Schulze. On fera bien de consulter aussi
Beattie : Essayon the Nature and Immutability ofTruth,
in opposition io sophistry and scepticism (Edimbourg,
1770). Matteb,
VERJUS, suc acide, qu'on tire des raisins qui ne sont
pas mûrs. Il se dit aussi du raisin qu'on cueille encore vert,
et d'une espèce de raisin qui n'est pas bon à faire du vin ;
raisins aux grains longs et gros et à la peau fort dure. Il
VERJUS — VERMILLON
839
«n existe une espèce qui dans les cantons du nord et du
centre de la France ne parvient jamais qu'à une maturité
imparfaite. Le suc du verjus est d'un grand usage dans
l'économie domestique. On s'en sert en médecine comme
astringent. On appelle enfin verjus les raisins qui se sont
développés sur les ceps après la lloraison des autres , et qui
le plus souvent sont frappés de gelée avant leur maturité.
P. Gaubert.
VER LUISANT, nom vulgaire des insectes du genre
lampyris , de l'ordre des coléoptères pentamères. Ainsi,
malgré ce nom de ver, les vers luisants sont complètement
différents de ces animaux lombricoïdes. Ils ont des élytres
et des antennes qui sont simples , filiformes et pyramidales.
Ils peuvent à volonté cacher leur tête sous un des bords du
corselet, qui présente un grand développement. Leur corps
est allongé et mou , leur bouche est extrêmement pelite ,
leurs yeux sont très-grands et occupent presque toute la
tête. Cependant, cette organisation appartient presque ex-
clusivement au mâle , car la femelle est ordinairement pri-
vée d'ailes, et ressemble assez à un ver. Ces coléoptères ré-
pandent dans l'obscurité une lueur phosphorescente. On a
seulement remarqué qu'il y avait une assez grande diffé-
rence dans l'intensité de la lumière entre la femelle et le
mâle; ce dernier jette une lueur beaucoup moins vive que la
femelle. Aussi en a-t-on conclu que la femelle appelait
ainsi le mâle, et que ce dernier se servait du même moyen
pour annoncer son arrivée.
La longueur des vers luisants femelles est d'environ
27 millimètres sur à peine 6 millimètres de large. Peu dif-
férents des larves, ils ont six jambes ccailleuses ; leur corps
est formé de douze anneaux recouverts d'une espèce d'é-
piderme crnstacé. Ils marchent Irès-lentemenf, sont extrê-
mement craintifs, et se roulent sur eux-mêmes dès qu'on
vient à les toucher ; ils restent alors complètement iuuno-
biles. Ces animaux , carnassiers à l'étal de larve , vivent
surtout de limaçons. Ils se font remarquer le soir, princi-
palement auprès des buissons et des fossés.
Pendant longtemps les naturalistes et les physiologistes
se sont occupés de rechercher les causes de celte phospho-
rescence , mais toutes leurs investigations n'ont abouti
qn'h la découverte des organes dans lesquels réside la pro-
priété lumineuse. Ces organes sont les derniers segments
abdominaux, dont la couleur est jaunâtre. La lumière qu'ils
répandent est d'un blanc verdâtre, et paraît et disparait,
ou se modifie à la volonté de l'insecte : on croit que cette
modification a lieu au moyen d'une membrane interne, dont
l'insecte recouvre l'organe phosphorescent. Cet organe, sé-
paré de l'insecte, continue de jeter le même éclat, mais seu-
lement tant que dure son état de mollesse. Lorsqu'il se dur-
cit, il s'éteint : les gaz ont peu d'action sur lui ; l'eau tiède
le ramollit, et lui rend , s'il n'est pas éteint depuis long-
temps , sa propriété lumineuse , qui cependant finit bien-
tôt par disparaître, et ne reparaît plus. C. Favrot.
VERMANDOIS (Le). On appelait ainsi autrefois une
partie de la Picardie ayant Saint-Quentin pour chef-lieu, et
bornée au nord par le Cambrésis, au midi par le Noyonnais,
à l'est par la Thiérache et à l'ouest par le Santerre, Elle
était ainsi nommée à cause de ses habitants primitifs, les
Veromandui. A la fin de la seconde race , et encore au
commencement de la troisième, les comtes de Yermandois
figurent au nombre des plus puissants vassaux de la cou-
ronne. Us étaient en outre comtes de Troyes, de Meaux et
de Roucy. Au dixième siècle , l'un d'eux osa nommer son
fils, âgé de cinq ans , au siège archiépiscopal de Reims il-
lustré par Hincmar ; et cette nomination dérisoire fut con-
firmée par le saint-siége. Cette maison , qui descendait de
Bernard, fils naturel de Charlemagne et roi d'Italie, s'étei-
gnit au douzième siècle dans sa ligne mâle. Les Saint-Si-
mon, qui ajoutent quelquefois aujourd'hui à leur nom celui
de Vermandois, prétendent descendre par les femmes des
aaciens comtes de Vermandois.
Un fils naturel de Louis XIV et de M"'^ de La Vallièrc
né en 1667, légitimé en 1G69, et mort à Courtray, en 1783,
au retour d'une première campagne, porta le titre de comte
de Vermandois.
VER MARIN. Voyez Lasiproie.
VERMEIL, espèce de vernis , composé de gomme et
de cinabre mêlés et broyés dans de l'essence de térében-
thine. Les ouvrages auxquels ofc veut donner une apparence
et un éclat métalliques sont couverts d'une couche de ver-
nis, qu'on étend soigneusement sur leur surface, et qui ne
doit pas avoir plus d'épaisseur sur un point que sur l'autre.
Les couverts et autres ouvrages d'orfèvrerie en argent qui
ont été dorés au feu avec de l'or amalgamé se distinguent
dans la fabrique par le nom de vermeil doré : Une boite ,
un service en vermeil. V. de Moléox.
VERMEILLE. Voyez Grenat.
VERMEÏ, genre de mollusques céphalidés, gastéro-
podes, de l'ordre des pectinibranches, section de ceux pour-
vus d'un appendice membraneux pour l'introduction de
l'eau dans les branchies , et de la famille des turbines. Le
genre vermet, découvert et institué par Adanson , ne ren-
ferme qu'une seule espèce, bien caractérisée. C'est la même
que Lamarck a appelée vermiculaire. L. Laurent.
VERMEYEN (Jean de), connu aussi sous le nom de
Hans à la longue barbe, célèbre peintre d'histoire, naquit
en 1500, à Beverwijk, près de Harlem. C'était un grand bel
homme , et il portait sa barbe si longue , qu'alors même
qu'il était debout , il était obligé de la relever pour éviter
de marcher dessus. Il accompagna en 1535 Charles Quint,
auprès de qui il était en grande estime, dans son expédition
contre Tunis, et le suivit aussi dans d'autres voyages. Il
mourut à Bruxelles, en 1559. C'est d'après ses dessins que
furent exécutées les magnifiques tapisseries représentant
les exploits et les triomphes de Charles Quint , qu'on con-
serve encore aujourd'hui à Vienne. Il se peignit aussi lui-
même avec sa longue barbe , ainsi qu'une de ses deux fem-
mes ; et dans le fond du tableau on aperçoit la ville de Tunis.
Ses œuvres les plus renommées sont cependant les dix
cartons peints en détrempe et représentant l'expédition de
Charles Quint à Tunis ( 6 mètres 66 cent, de long sur 4 de
haut ), depuis l'embarquement à Barcelone jusqu'au dé-
part de l'armée à Tunis. Ces cartons , importants surtout
sous le rapport de la fidélité historique du dessin, se trouvent
également à Vienne.
VERMICELLE. Il est à peine besoin de décrire ces
longs fils de pâte auxquels leur forme a fait donner par les
Italiens le nom significatif de vermicelU ( petits vers), et
qui figurent sur nos tables comme potages. La semoule, ou
farine de gruau haut moulue, est la base de cette pâte
ainsi que de toutes celles auxquelles le vermicellier ( fabri-
cant (le vermicelle) donne différents noms et différentes
formes. Pour le procédé de fabrication , voyez Macaroni.
VERMICULAIRE. Voyez Vermet.
VERM1CUL.\IRE ( Mouvement). Voyez Péristal-
iique.
VERMICULAIRE BRULANTE. Voyez Joubarbe.
VERMI FORME, qui a la forme d'un ver. Quoique
des animaux vertébrés, des mollusques et des zoophytes
revêtent cette forme, qui n'est qu'une dégradation de la
forme plus parfaite de leur type, on a réservé avec raison
cette épithète pour grouper les animaux articulés autres que
les insectes , les arachnides , les crustacés. Ce sont donc
les myriapodes, les annélides ou chétopodes , les malaco»
podes et les apodes ou vers intestinaux, etc. ( voyez Vers ).
L. Laurent.
VERMIFUGES. Voyez Anthelmintiques.
VERMILLON, nom d'une couleur fort employée dans
la peinture et pour d'autres usages, qu'on tire du cinabre,
minéral rouge, formé par l'union du mercure avec le
soufre et le plomb, ce dernier étant artificiellement
converti par une opération chimique en une poudre d«
couleur ronge , connue dans le commerce et les arts sous
le nom de miniu m. Le vermillon n'est jamais une couleur
840
VERMILLON — VERNET
très-fine , et cependant les peintres s'en servent ponr leurs
grands tableaux, et les dames pour donner à leur teint plus
d'éclat et une fraiclieur plus apparente. Le mercure et le
plomb , qui entrent comme parties nécessaires ou comme
bases dans lacomposition du vermillon, exercent sur la peau
une action toujours fâcheuse.
Le cinabre, dont on lire principalement le vermillon
qui sert à faire le rouge des dames, se trouve tout formé à
l'état minéral dans le sein de la terre. On peut aussi le pro-
duire artificiellement en amalgamant le soufre pur et le mer-
cure; mais dans l'un el l'autre cas, on le fait digérer dans
de l'urine, préparation qui suffirait, si les dames la connais-
saient, pour leur en faire abandonner l'usage.
La Chine et la Hollande ont été longtemps en possession
de fournir bu commerce le vermillon le plus recherché;
mais on en fait maintenant aussi de très-beau en France.
On falsifie ce produit avec du minium, du coicothar, delà
brique pilée, du sang-dragon et du réalgar. On reconnaît la
présence des trois premières substances par la distillation, qui
en sépare le cinabre; la quatrième par l'alcool bouillant,
qui laisse le cinabre seul ; la cinquième par l'odeur d'arsenic
qui se dégage au grillage.
Les anciens connaissaient le vermillon; les dames s'en
servaient pour relever l'éclat de leurs lèvres, et les triom-
phateurs s'en barbouillaient le corps à leur.entrée dans Rome,
iiabitude qui rappelle celle des sauvages de l'Océanie se
bariolant d'ocre jaune et rouge.
VERAilI\E,toute sorte d'insectes malpropres, nuisibles,
incommodes, tels que puces, poux, pu n aises,
VERMO.XT, l'un des États de la Nouvelle-Angleterre
de l'Union Américaine du Nord, borné au nord par le Ca-
nada, à l'est par la rivière Connecticut, qui le sépare du New-
Hampshire, au sud par le Massachusetts, et séparé à l'ouest
en grande partie de l'État de New-York par lelacChamplain,
présente une surface de 337 myriam. carrés, généralement
inégale, à l'exception de la partie qui avoisine le lac Cham-
plain. Les Green-Mountains (Montaj^nes Vertes), la plus
considérable des chaînes qui le traversent et de laquelle il
tire son nom français, le parcourent dans presque toute sa
longueur du sud au nord. Les principales masses d'eau du
pays sont situées à ses extrémités, le Connec^ticut à l'est, et
le lac Champiain à l'ouest. Ce dernier, qui offre plusieurs
bons ports (Burlington, Saint-Albans et Vergennes), appar-
tient pour deux tiers à l'État de Vermont, pour le com-
merce duquel il est d'une haute importance, attendu qu'il
est rehé d'un côté au fleuve Saint-Laurent et de l'autre par
le canal Champiain à l'Hudson. Le climat est sain , mais
l'hiver est très-froid et l'été très-chaud. Le sol du Vermont
convient mieux aux prairies qu'à la culture du blé; aussi
l'élève du bétail s'y fait-elle sur une large échelle. Il y a de
belles ferres à froment le long des bords du lac Champiain :
le mais réussit dans les vallées et dans les parties basses
des cours d'eau. On cultive d'ailleurs généralement l'orge, le
seigle, l'avoine, le froment, les pommes de terre, les pois
et le lin. Les principales essences dans les forêts de l'est des
montagnes sont les bouleaux, les hêtres, les platanes, les
frênes, les ormes et les noyers ; à l'ouest les bois durs et les
arbres à feuilles aciculaires sont mélangés. L'agriculture a
surtout pris de l'extension au sud; les districts les plus vastes
non encore défrichés se trouvent au nord, où le bois consti-
tue le produit principal. Les articles d'exportation les plus
importants sont la potasse, les viandes de bœuf et de porc,
le beurre, le fromage et les bestiaux. De 1840 à 1850 la po-
pulation, de 291,948, s'est élevée à 314,120 habitants, dont
709 hommes de couleur libres. En comparaison de l'agri-
culture, qui exploite déjà 120 myriam. carrés de territoire,
l'industrie manufacturière et le commerce n'ont qu'une im-
portance minime. Les principaux marchés du commerce
sont à l'est de la montagne Hartford et Boston, et à l'ouest
New- York et Montréal. En 1853 il y avait déjà 66 myria-
mètres de chemins de fer en activité dans l'État. Les partis
religieux 'dominants sont les congrégationnalistes , les ana-
baptistes, les méthodistes et les épiscopaux. L'État possède
cinq établissements d'instruction supérieure : l'université de
Vermont, à Burlington, et celle de Norwich, le Middlebury-
CoWegrejetdeux écoles de médecine, plus quarante-huit écoles
moyennes ou académies et deux mille six cents écoles pri-
maires, pour l'amélioration desquelles il a été beaucoup fait
dans ces derniers temps. Les premiers établissements qu'il y
ait eu dans ce pays furent créés par des colons venus du Mas-
sachusetts. De 1741 à 1764 le New-Haropshire et New- York
se disputèrent la possession de ce territoire. En 1764 le par-
lement anglais l'adjugea à New-York, qui en 1790 renonça
à ses droits moyennant une indemnité de 300,000 dollars ; et
en 1791 le Vermontfut admis à faire partie de l'Union comme
Étal indépendant. Sa première constitution date de 1777.
Celle qui est aujourd'hui en vigueur est du 4 janvier 1793;
mais elle a été amendée depuis. C'est ainsi notamment qu'en
1836 un sénat a été ajouté au pouvoir législatif, qui jusque
alors ne s'élait composé que d'une chambre des représen-
tants. Le sénat se compose de trente membres et la chambre
des représentants de deux cent trente, les uns et les autres élus
chaque année. 11 en est de même du gouverneur, qui ne reçoit
qu'un traitement de 750 dollars. L'État envoie au congrès deux
sénateurs et trois représentants. Une institution particu-
lière à cet État, c'est .un conseil de treize censeurs élus par
le peuple tous les sept ans et chargés de rechercher si la
constitution a été observée et si les autorités législatives et
executives ont rempli leurs devoirs. Les finances de l'État
sont dans une situation prospère. Pour l'exercice compris
entre le 1" septembre 1850 et le 31 août 1851, les recettes
s'étaient élevées à 170,914 dollars, et les dépenses à 169,336
dollars. En 1850 l'exportation s'était élevée à 450,906 dol-
lars, et l'importation par navires nationaux à 463,092 dol-
lars. En 1851 il existait trente-et-une banques possédant un
capital de 2,603,112 dollars en espèces et une circulation de
3,377,027 dollars en billets. L'État est divisé en quatorze com-
tés Il a pour chef-lieu ^/oji<pe//ier, ville de 4,1 12 habit., dans
une fertile contrée, tout entourée de montagnes, sur les bords
de l'Onionou Winovski, rivièrequise jette dans le lac Cham-
piain , et sur le chemin de fer central de Vermont. La ville
commerciale la plus importante est Burlington , avec le
meilleur port et la navigation la plus active sur le lac Cham-
piain , reliée à divers chemins de fer et où l'on compte 5,212
habitants. C'est là qu'est située Vuniversité de Vermont y
dont la fondation date de 1791, et qui en 1851 comptait sept
professeurs et cent-sept étudiants. Middlebiiry sur l'Otter-
crieck, ville très-industrieuse, avecdes carrières de marbre et
3,162 habitants, possède le Middlebury-College , fondé en
1800, et où on compte sept professeurs. Vergennes, sur la
môme rivière, la seule cïty de tout l'État, compte 2,500 ha-
bitants et possède d'importants hauts fourneaux , des fabri-
ques de fer, des manufactures de lainages et des tanneries.
Braltleborough, sur le Connecticut, avec 3,000 habitants,
le plus ancien établissement du Vermont, fondé en 17?4,
sous le nom de fort Dummer, a plusieurs fabriques, et con-
tient la maison d'aliénés de l'État. Woodstock, avec 3,315
habit, est le siège du Vermont Medicinal-College, où l'on
compte sept chaires. Bennlngton, sur l'Hoosick , avec
3,429 habit., est célèbre parce qu'il fut témoin de la pre-
mière victoire que les insurgés remportèrent, en 1777, sur les
Anglais.
VERI\ET (Claude- Joseph), célèbre peintre de ma-
rine, né à Avignon, le 14 août 1714, reçut ses premières
leçons de dessin et de perspective de son père, Antoine
Vernet, peintre lui-même , et à l'âge de dix-huit ans par-
tit pour Rome. Le hasard qui lui fit entreprendre ce voyage
par mer décida de la direction de son talent. L'aspect pit-
toresque de la mer dans ses états les plus différents, de-
puis le calme plat jusqu'à l'agitation la plus furieuse, les
scènes aussi variées que piquantes de la vie des ports et
du littoral , le décidèrent à choisir désormais des sujets de
ce genre pour exercer son talent. H ne tarda pas à jouir à
Rome d'une grande considération; cl on vanta surtout
VERNET
les toiles qu'il exécuta pour la maison Borglièse et pour le
palais Rohdanini. Ses relations avec Pergolèse, qui
composa une partie de son Stabat Mater dans l'atelier de
Vernet, avec Soiimène, Panini , Losatelli, et autres ar-
tistes , et le placement avantageux qu'il y trouvait pour
ses tableaux, l'avaient si bien habitué depuis vingt ans
au séjour de l'Italie, qu'il fallut les instances les plus pres-
santes et les offres les plus brillantes du gouvernement
français pour le décider à revenir en France, en 1752. Il
fut reçu l'année suivante à l'Académie de Peinture , et il
exécuta pour Louis XV la série de vues des ports de
France que la gravure de Philippe Le Bas a popularisées.
Ces tableaux, au nombre de quinze, ornent aujourd'hui
le musée de marine , et obtinrent un immense succès à leur
apparition. Ils sont tous exacts : quelques-uns sont pitto-
resques, comme le port de Saint-Malo ; d'autres pleins de
grandeur, comme le port de Brest ; ceux-ci remplis d'ac-
tivité et de vie , comme Marseille et Bordeaux ; ceux-là
d'un aspect triste et sévère, comme La Rochelle et Cher-
bourg. Ils portèrent la réputation du maître à son apogée,
et lui attirèrent une masse de commandes , qu'il put à
peine exécuter malgré la merveilleuse facilité et la puis-
sante invention dont il était doué. Ce qui distingue les pay-
sages et les marines de Joseph Vernet , c'est une compo-
sition noble, originale, souvent même poétique, une
disposition pleine de goût , un dessin parfait, et des effets
de lumière merveilleux. Par contre, le coloris est géné-
ralement lourd , quelquefois froid et faux , et n'a jamais
tette vigueur et cette énergie qui caractérisent les grands
peintres de mariue hollandais. La forme des arbres est sou-
vent trop uniforme et de convention ; le mouvement des
■vogues toujours trop net et trop coquet; la manière, sur-
tout dans les productions de la dernière partie de sa vie ,
tjent trop de la décoration. Enfin , l'artiste n'a pas une
connaissance assez exacte du mode de construction des
diverses espèces de bâtiments. Mais en revanche ja-
mais paysagiste ni peintre de marine n'excella comme lui
à choisir .ses points de vue et à leur donner de l'intérêt
par une action de même que par la façon d'y disposer ses
effets de lumière. Vernet improvisait ses tableaux ; il en
est qu'il fit en deux jours : comment lui reprocher sa fé-
condité quand on trouve si peu de négligence et tant de
belles qualités dans ses compositions, qu'on porte au
nombre de deux cents? Il fut, comme les Flamands , pas-
sionné pour son art au point de braver les plus grands
périls. Les biographes racontent que pendant un de ses
voyages sur mer, le bâtiment sur lequel il se trouvait fut
assailli par une tempête à la hauteur d'Antibes. Un instant
on eut à craindre un naufrage, dont Vernet ne s'effraya
guère : il s'était fait attacher à un mât pour jouir tout à
son aise des effets de la mer houleuse. Horace Vernet a
fait un tableau représentant cette anecdote de la vie d'artiste
de son grand-père. Joseph Vernet mourut à Paris, en 1789.
VERI\ET ( Antoine-CharlesHor.\ce), connu sous le
nom de Carie Vernet , fils du précédent , commença sa
carrière d'artiste sous les plus heureux auspices. Né à
Rordeaux, le 14 août 1768, au plus fort de la renommée
de son père , il eut de bonne heure la main exercée et l'es-
prit cultivé. Son père n'épargna pas les leçons person-
nelles et les maîtres particuliers pour le rendre à la fois
bon peintre et homme instruit. Son éducation achevée,
Carie Vernet partit avec Joseph pour la Suisse. Là le père
initia son fils à tous les mystères de l'art; il lui apprit à
voir, à aimer, à représenter la nature ; il lui fit comprendre
et sentir toutes les magnificences de la terre , la majesté
des montagnes et des lacs, les merveilles de la lumière ;
puis îl le conduisit dans la société des grands poètes , ces
frères en génie des grands peintres. Il le présenta à Voltaire,
à Jean-Jacques Rousseau, àGessner; enfin, il le fil con-
verser avec Lavater, qui lui enseigna sans doute à lire dans
ce livre éternel où le vice se rencontre avec la vertu , où
toutes les passions sont exprimées si vivement, la phyîio-
841
I nomie humaine, A son retour à Paris , Carie Vernet con-
courut pour le grand prix de Rome. A son premier con-
cours, il obtint le second grand prix; deux ans après,
en 1782, sa composition de V Enfant prodigue, traitée
d'une façon tout à la fois naïve et dramatique , lui valut fa
couronne, et il partit pour l'Italie.
A cette époque , toutes les espérances que Carie avait
fait concevoir faillirent avorter. S'étant épris à Paris d'une
demoiselle de Montbar, il s'était cru la force de dompter sa
passion , et l'éloignement, loin de détruire son amour, n'a-
vait fait que l'augmenter. Arrivé à Rome , au lieu de cher-
cher des consolations dans l'étude, il les demanda à ta
religion : il fréquentait les églises plutôt que les ateliers ;
il priait quand il aurait dû travailler; et il rencontra des
fanatiques qui le poussèrent à entrer au couvent. Il fallut
toute l'autorité que son père avait encore sur lui pour le
faire revenir en France , où son confesseur eut le bon es-
prit de lui conseiller de reprendre les pinceaux et de de-
venir peintre célèbre plutôt que moine ignoré. Ce fut alors
que, persuadé par les exhortations de ce bon prêtre et
par les encouragements de son père, il entreprit un grand
ouvrage, le Triomphe de Paul Emile. Dans ce premier
tableau important se trouvent toutes les qualités qui brit-
lèrent depuis dans les compositions successives de Carie :
une sage ordonnance , un dessin correct , un coloris sinon
vif, du moins harmonieux, et surtout un mérite spécial ,
celui de peindre parfaitement les chevaux. Ce dernier mé-
rite, que les détracteurs de Carie Vernet ainsi que de toute
l'école de l'empire sont forcés de lui accorder, n'est pas
aussi mince qu'on peut croire. L'anatomie du cheval est
assez compliquée , les races en sont nombreuses et diver-
sement caractérisées , les mœurs enfin de ce superbe ani-
mal offrent mille particularités qui doivent êtne l'objet de
travaux sérieux pour ceux qui le représentent. Partout
Carie Vernet a su varier les allures , les poses, la tournure
du cheval ; il le peint avec autant de perfection dans l'ac-
tion que dans le repos, au combat qu'à la parade. Sa
réputation de premier i)eintre de chevaux fut faite dès
l'exposition de son Triomphe de Paul Emile. De toutes
parts on lui commanda .soit des chasses , soit des ba-
tailles de cavalerie. Il obtint dès lors une réputation si
universelle et des succès si nombreux, qu'on l'appela au
sein de l'Académie de Peinture. C'était en 1788, une année
après son mariage avec mademoiselle Moreau.
Durant les premières années de la révolution, Carie
Vernet, qui était devenu un homme à la mode, s'aban-
donna quelque peu à la paresse, et négligea l'art pour de
futiles succès de société. Il composa cependant deux ta-
bleaux de grande dimension : La Mort d'Hippolyte et une
CoMr.îe en cAar. Les chevaux dans ces deux ouvrages sont
parfaitement rendus, particulièrement dans Za Mort d'Hip-
polyte, où ils ont brisé leurs rênes, et s'emportent vers
d'affreux rochers ; nous regrettons seulement que l'homnse
ne soit pas aussi beau que ses vainqueurs.
En 1793 une grande douleur vint interrompre la vie, si
heureuse jusque là , de Carie Vernet : il eut le malheur de
voir sa sreur ainée. M™* Chalgrin, femme de l'architecte
qui-composa les dessins de Y Arc de l'Étoile, monter sur
l'échafaud révolutionnaire. Ce terrible événement écarta
pour quelque temps Carie Vernet de la capitale. Il n'y re-
vint guère que vers l'époque du Directoire, et ce ne fut
que sous le consulat que Lucien Bonaparte, ministre
de l'intérieur, le fit travailler pour le gouvernement.
La Bataille de Marengo lui fut alors commandée. Ce
tableau est l'oeuvre capitale de Carie Vernet. L'exécution
est plus soignée, plus pure que dans ses précédents ou-
vrages ; les détails sont pleins d'intérêt sans faire tort à
l'ensemble; enfin, la charge de cavalerie qui décida la
victoire est rendue avec une fougue, une clarté et une per-
fection que seul il pouvait atteindre. En 1808 Le Matin
d'Austerlitz , tableau plein de talent, valut à Carie Vernet
la croix de la Légion d'Honneur.
842
VERNET
Pendant le reste de l'empire et sous la Restauration,
Carie Vernet n'entreprit plus de grandes pages historiques.
Nonchalant par nature , comblé de tous les honneurs que
peut désirer un artiste, homme du monde fort recherché,
à peine trouvait-il le temps et peut-être le courage d'im-
proviser pour chaque exposition quelques tableaux de
genre , tous , il est vrai , remplis d'esprit et de facilité. Son
fils d'ailleurs commençait à devenir célèbre, et il lui laissait
la charge du nom de Vernet et le soin de l'illustrer encore.
C'est du reste ce qui arriva , et Carie Vernet put mourir, le
Il novembre 1836, voyant déjà Horace son fils l'un des pre-
miers peintres de l'école actuelle. Jules-A. David.
"VERNET ( Horace ), l'un des peintres les plus distin-
gués de l'école française moderne, fils du précédent, né
à Paris, le 30 juin 1789, au Louvre, où son père et son
grand-père avaient obtenu des logements , peut être re-
gardé comme l'artiste qui a le plus influé sur la direction
nouvelle prise par la peinture en France depuis la restaui a-
tion, non pas tant comme maître que par l'impression
que ses ouvrages ont produite sur le public et sur les
artistes. Un faible tableau de genre, dont le sujet est em-
prunté à riiistoire de la jeunesse de Louis-Philippe, et deux
tètes idéales de femme par lesquels il débuta , sont encore
conçus tout à fait à la manière de David et de Girodet ;
mais son esprit hardi se sentit bientôt vivement attiré
vers la représentation des grandes batailles, et on peut
présumer que ces sujets contribuèrent à le détourner d'un
goût froid et théâtral et à lui faire adopter un style à lui.
Abandonnant désormais les principes de style et d'imita-
tion de l'antique, qu'il avait suivis jusque alors , c'est à la
réalité qu'il demanda ses inspirations. Une grande profon-
deur d'observation jointe à la faculté de conserver d'une
manière durable dans l'imagination le souvenir des im-
pressions les plus fugitives produites par la nature, au
point de pouvoir ensuite les reproduire toutes pleines de
vie sans avoir besoin de revoir le modèle ; enfin , une fa-
cilité aussi grande à concevoir qu'à exécuter, telles sont
les principales qualités dont il a fait preuve dans les genres
les plus divers et dans quelques-uns desquels il n'a pu
être surpassé par personne. En 1817 il donna sa Bataille
de ToZo5a ( Palais du Luxembourg), et en 1819 le Mas-
sacre des Mumeloucks, où l'artiste trouvait l'occasion de
satisfaire à son goût pour l'instantané et le dramatique.
Au total, cependant, il n'y est pas heureux dans ses lignes;
la lumière et la couleur y sont tro,p éparpillées , il manque
de liberté et de clarté. En le chargeant de peindre des ba-
tailles modernes , Louis-Philippe, alors simple duc d'Or-
léans, amena M. Horace Vernet à adopter une direction
nouvelle et une autre manière. Il peignit d'abord les ba-
tailles de Jemmapes, de Vaimy, de Hanau et de Mont-
rnirail (ces deux dernières en 1822 et 1823); mais des
toiles représentant des épisodes des campagnes des guerres
de Napoléon , qu'il exécuta les années suivantes, obtinrent
encore bien autrement de succès, par exemple : Le Chien
du régiment, Le Cheval du Trompette, Le Soldat de Wa-
terloo, Le Soldat laboureur, cycle d'élégies sur la période
brillante du premier empire. C'est aussi à cette époque
qu'appartient le Mazeppa (1826 ) que la gravure a tant po-
pularisé . La Bataille d'Hastinrjs et un plafond du musée
Charles X représentant le pape Jules H commandant au
Bramante , à Raphaël et à Michel-Ange les grands tra-
vaux de l'église Saint-Pierre et du Vatican , datent de
l'année 1827. Dans cette période M. Horace Vernet porta
aussi aux dernières limites de la perfection l'étude du che-
val ; et l'on a dit avec justesse qu'il y avait quelque chose
4'humain dans l'expression passionnée qu'il savait leur don-
ner. C'est vers ce temps-là ( 1827 ) qu'il fut nommé membre
de l'Académie, et en 1828 il alla remplacer Pierre Guérin
*n qualité de directeur de l'École de Rome. De cette époque
date une phase nouvelle dans la vie artistique de M. Ho-
race Vernet. L'artiste s'affranchit alors complètement des
vieux liens de l'école française. Quelques-unes de ses plus
belles productions, pour ne pas dire ses plus belles , appar»
tiennent à la période de 1830 à 1833 : Une Promenade du
pape, Judith et Holopherne , Combat de brigands avec
des dragons pontificaux, La Confession du brigand, h&
magnifiques portraits de la Vittoria d'Albano et de la Fran-
cesca d'Aricia, l'Arrestation des princes de Condé et de
Conti au Palais-Royal, Raphaël et Michel-Ange au Va-
tican, etc. Divers voyages faits en Afrique par JVL Horace
Vernet lui inspirèrent plusieurs tableaux bibliques, tels que
Rebecca et Éliézer, Agar et Abraham, Juda et Thamar,
Le Bon Samaritain, etc , de même que de délicipjix ta-
bleaux de genre empruntés à la vie orientale, par exemple :
La Prière des Arabes, La Poste dans le désert, La
Chasse au Sanglier dans le Sahara, La Chasse au Lion
dans la Métidja, L'Arabe dans sa tente,, etc., etc. De 1836
à 1848 M. Horace Vernet fut principalement occupé à pein-
dre des batailles pour le Musée historique de Versailles.
Quelques-unes de ces toiles ont des proportions tout à fait
inusitées et sont exécutées avec une admirable habileté, par
exemple les Batailles de Fontenoy, d'iéna et de Wa-
gram, le Siège de la citadelle d'Anvers, VOccupation du
défilé de Mouzaïah, le Combat d'Affroun, quatre^^pjsodes
du siège de Constantine , le Bombardement du fort de
Saint- Jean dWloa, la Prise de la Smala d'Abd-el-Kader,
la Bataille d'isly ; à quoi il faut ajouter la Prise de
Rome en 1852. De tous ces tableaux, c'est dans ceux qui
ont rapport à Constantine que l'artiste a déployé le ta-
lent le plus vrai et le plus original; le maître y apparaît
dans toute sa force. Les tètes , pleines de vie, quoique
constituant autant de portraits, offrent toutes le plus vif
intérêt; la diversité des costumes, la beauté des chevaux,
l'art avec lequel sont composés les groupes , la manière
large avec laquelle sont traitées les masses , l'exécution
soignée des moindres détails , l'effet puissant produit par
l'ensemble, voilà ce qu'on ne saurait trop admirer. En
général on peut dire que les toiles d'Horace Vernet bril-
lent par ce qu'elles ont de frappant , par ce qu'il y a de
vivant dans leurs motifs et leurs caractères, par la sévère
correction du dessin , par la finesse du coloris , par l'éléva-
tion du style et par la profondeur de la conception. M. Ho-
race Vernet est avant tout peintre de genre, mais peintre
de genre à la manière de Paul Véronèse et de Rubens.
S'il n'est pas le plus grand peintre de notre époque, il en
est incontestablement le plus original.
VERNET (N,..) , artiste du théâtre des Variétés, mort
le 8 mai 1848, dans toute la maturité de son talent et l'é-
clat de sa réputation, était né à Paris, en 1790. Il jouait en
1804 dans une petite salle située dans les galeries Vitrées
du Palais-Royal, vis-à-vis ces galeries de bois qu'on appe-
lait la Forét-Noire, où un sieur Harpy dirigeait une troupe
de jeunes comédiens, qu'il alla établir ensuite dans l'em-
placement du jardin des Capucines, où Franconi avait aussi
élevé son cirque. Ces deux théâtres y restèrent jusqu'en 1807,
époque à laquelle fut bâtie la rue Napoléon, qui en 1814
prit le nom de rue de la Paix, qu'elle u gardé. Le théâtre
des Jeunes-Élèves étant fermé , Vernet entra aux Variétés
à peu près à la même époque qu'Odry, vers 1809. Ces
deux acteurs commencèrent par paraître dans les chœurs ,
puis arrivèrent à jouer quelques faibles accessoires. On per-
mettait à Vernet , qui avait une assez jolie figure , de
remplir des rôles d'amoureux insignifiants: mais sa vocation
le portait aux rôles comiques. Je fus le premier à tirer parti
de ses heureuses dispositions, en lui confiant les rôles de Tri-
gaudin dansjte Valet ventriloque, de Griffone dans Une
Matinée d'autre/ois , de L'Olive dans Jean de Passy , de
Fusin dans Les Anglaises pour rire, de Jocrisse fils, où il
fit assaut de naïveté avec Brunet , qui jouait Jocrisse. Il
n'avait que vingt-six ans lorsqu'il joua de la manière la
plus bouffonne Pothonino du Tyran peu délicat , et Cadet
transformé en page, dans le ballet comique de Figaro et
Suzanne. Bientôt après il fit une de ses créations les
plus originales dans le Jean-Jean des Bonnes d'Enfants,
Veinet joua alors quelques rôles de bossus, dans Le
Combat des Montagnes , La Marchande de Goujons, Le
Petit Bossu du Gros- Caillou ; et il diversifia tellement
sa manière , que l'un des bossus ne ressemblait pas à l'au-
tre. Il doubla aussi sans défaveur plusieurs rôles de Bru-
net et de Potier, tâche difficile à remplir quand ces deux
habiles comédiens paraissaient dans la même représenta-
tion. Lorsque Brunet et Potier se furent retirés, il devint
avec Odry le seul appui du répertoire. Ils étaient aussi co-
miques l'un que l'autre dans L'Ours et le Pacha. Ce fut en
1830 et 1831 qu'après avoir joué si comiquement Walter
Scott dans Les Brioches à la mode, et le jardinier Bruno
dans Voltaire chez les Capucins, Vernet fit deux créations
admirables, celle du savetier Maaique, dans M. Cagnard ,
et celle de M™^ Pochet ; dans ce dernier rôle , il poussa la
vérité comique au plus haut degré. Malheureusement , peu
d'années après, Vernet, jeune encore, ressentit des atta-
ques de goutte, et il ne put pas continuer longtemps l'exer-
cice de l'art où il s'était distingué. Il y avait déjà quelque
temps qu'il avait cessé de paraître sur la scène lorsque la
mort vint le frapper. Quoique Vernet ne se soit pas élevé
au-dessus d'une scène secondaire , il y a développé de
grsndes qualités de comédien. Il prit de Brunet l'extrême
naturel et dcTiercelin la caricature ; mais sans jamais l'ou-
trer ni la défigurer par des charges. Vernet respectait le pu-
blic, et ne se permettait aucunede ces bouffonneries outrées
que leur excentricité fait excuser, mais dont le goût fait
justice. C'était le comique de la bonne compagnie; il ne
cherchait pas à faire rire aux dépens de la vérité; il était
populaire sans être trivial , et naïf sans être bête.
DUMERSAN.
VERNEUIL, petite ville de l'arrondissement d'Évreux
( Eure ) , sur l'A vre et sur un bras de l'Iton , au milieu d'une
belle plaine, avec 3,fi97 habitants. Pendant plusieurs siècles
cette ville passa pour une place de guerre fort importante ;
aujourd'hui ses anciens remparts ont fait place à de jolies
promenades. On y remarque le clocher de l'église et la
vieille tour de La Madeleine. Celle ville est le centre d'une
fabrication de poterie dite à^ Armantières , qui est fort es-
timée.
A la mort de Gabrielle d'Estrées, Henri IV prit pour
maîtresse Henriette d'Entragues de Balzac , et la créa mar-
quise de Verneuil. Pour triompher de la vertu de M"e d'En-
tragues, le roi n'eut qu'à lui donner 100,000 écus et à
lui souscrire une promesse de l'épouser au cas où dans
l'année elle lui donnerait un enfant mâle. Sully, malgré
l'état d'épuisement du trésor, fit les 100,000 écus, mais
déchira la promesse de mariage. La marquise de Verneuil
eut de Henri IV un fils, mort en 1682, sans laisser de
postérité, et une fille, qui épousa le duc d'Epernon.
VERNIER ( Pierre) , chapelain à Dornans , en Franche-
Comté, qui vivait vers l'an 1030, est célèbre pour avoir
inventé l'ingénieuse échelle qui porte son nom, mais que
l'on appelle souvent aussi , quoique à tort , Nonius , at-
tendu que l'invention du Portugais Noniusou Nunez en
diffère essentiellement.
Une règle étant divisée en millimètres, par exemple',
supposons quel'on veuille évaluer des dixièmesde millimè-
tres , on adaptera à cette règle un ver nier, c'est-à-dire une ré-
glette d'une longueur de new/ millimètres, divisée en dix
parties égales. De cette disposition il résulte que si l'extré-
mité de la division du vernier coïncide avec l'extrémité de la
règle, la première division du vernier restera d'un dixième
de millimètre en arrière de ha première division de la règle ;
de môme la seconde division du vernier sera distante de
deux dixièmes de millimètre de la seconde division de la
règle, et ainsi de suite. Par conséquent, si l'on veut me-
swer un objet avec cet instrument, on l'appliquera le
long de la règle , et l'on verra d'abord combien il ren-
ferme de millimètres ; faisant glisser ensuite le v«rnier jus-
qu'à ce qu'il s'appuie contre l'objet à mesurer, on n'aura
qu'à chercher quelle est celle de ses divisions qui co'inoide
VERNET — VERON 841
avec une division de la règle, et le numéro d'ordre de
cette division du vernier indiquera combien il faut ajouter
de dixièmes de millimètres à la mesure approximative déjà
obtenue.
On fait aussi des verniers circulaires qui s'adaptent aux
limbes des instruments d'optique, d'astronomie, etc.*
avec ces verniers on peut évaluer les angles avec une er-
reur moindre qu'une demi-seconde.
VERNIS , solution liquide , épaisse et visqueuse de
substances résineuses dans l'alcool, les huiles essen-
tielles, etc., dont se servent les peintres, les doreurs et
beaucoup d'autres ouvriers pour donner du lustre à leur»
travaux ou pour les défendre contre l'action de l'atmos-
phère, de la poussière et «n général de tout ce qui peut
les altérer. Si l'on veut qu'un vernis remplisse ces con-
ditions, il faut qu'il résiste à l'eau (sans quoi son effet ne
serait pas durable) ; qu'il n'altère pas les couleurs sur
lesquelles on a pu l'étendre dans le but de les conserver;
et qu'enfin les résines qui entrent dans sa composition
soient choisies et combinées de manière à ce que la dis-
position à s'écailler que peuvent avoir les unes se trouve
corrigée par une disposition contraire dans les autres. On
connaît sous le nom de laques certains vernis dans la
composition desquels entrent des résines et des gommes
également dissoutes dans quelque huile essentielle, ou
même dans de l'huile ordinaire, mais de qualité supé-
rieure, et propres à être appliquées d'une manière durable
sur les métaux. Pour le vernis dont les potiers font usage
voyez Poterie.
Les vernis dits lucidonïques ne sont qu'une espèce d'e n -
caustique dans lequel la cire, au lieu d'être rendue so-
luble par l'alcaU à grande dose, devient miscible dans l'eau
par l'intermédiaire de la gélatine et de la gomme combinée
à une très-minime dose d'alcool.
Ce mot vernis s'emploie figurément pour indiquer ce qui
peut donner à des actions ou à des choses dont on parle
une couleur plus ou moins favorable : Il y a dans la haute
société un vernis d'élégance , de politesse , qui en couvre et
déguise parfaitement les vices ; La modestie est comme un
vernis qui rehausse toujours l'éclat du talent.
VERNIS (Arbre du). Voyez Aïl\nte et Badanier.
VERNIS DE LA CHINE , VERNIS DU JAPON.
Voyez Aylante.
VERNON, vieille petite ville de l'arrondissement d'É-
vreux ( Eure), sur la rive gauche de la Seine, qu'on y passe
sur un pontde vingt-deux arches , qui la réunitau faubourgde
Vernonet, avec 6,089 habitants et une station du chemin de
fer de Paris à Rouen. Elle possède une assez belle église, un
dépôt d'artillerie avec un atelier de charronnage, et est le
centre d'un assez important commerce de grains pour Paris.
VÉROLE. Foj/ez Syphilis.
VÉROLE (Petite). Foye= Variole.
VÉRON (Louis), le célèbre inventeur de la Pâte
Régnauld , esl né en 1798, à Paris, où son père tenait une
boutique de papeterie, rue du Bac. 11 reçut une bonne édu-
cation , et était déjà assez avancé dans ses études médicales
quand l'empire s'écroula, en 1814. Il se présenta à divers con-
cours de l'Ecole Pratique, où il fut, dit-on, remarqué. Grâce
à un aplomb peu ordinaire, il fut reçu docteuren 1820. A cette
époque le royalisme ardent était de bon ton, de même qu'un
grand appareil de ferveur religieuse; et la congrégation
naissante offrait aux ambitieux toutes les facilités désira-
bles. Le docteur Véron s'enrôla sous sa bannière, et, par
la protection de M i c h a u d , entra bientôt h La Quoti-
dienne, dont il demeura l'un des rédacteurs les plus ac-
tifs jusqu'à l'avènement du ministère Martignac. Les occu-
pations du publiciste se compliquèrent pour lui, en 1822,
des fonctions de professeur de physiologie à la Société des
Bonnes Lettres, qui venait d'être fondée pour faire de la
littérature et de la science monarchiques et religieuses,
en oppositon hVAt hénée. Dans ces soirées de la rue de
Grammont, les philosophes du dix-huitième siècle ouK
844 VÉRON
passé de bien mauvais quarts d'heure. Quels rudes coups
de lance , bone Deus ! Que de gloires mises en capilotade !
Que de grands liommes envoyés aux gémonies! Le docteur
Véron n'eût pas été admis à l'honneur insigne de monter sur
cette estrade pour y débiter sa physiologie à l'usage des
gens du monde, s'il n'avait pas su trouver de nouvelles
formules de mépris et d'exécration pour cette littérature et
cette philosophie méphitiques du dernier siècle, dont les
miasmes pestilentiels nous ont produit l'abominable révolu-
tion de 1789. Son ambition se bornait alors à être nommé
bibliothécaire de la Faculté de Médecine, dont il était ques-
tion de renouveler le personnel tout entier, depuis le
doyen jusqu'aux massiers. La réorganisation annoncée eut
effectivement lieu ; mais lorsqu'il s'agit de procéder au
partage du gâteau , le nom du professeur ambré de la So-
ciété des Bonnes-Lettres fut dédaigneusement jeté au pa-
nier. On en était venu à penser assez judicieusement dans
ce monde-là que pour tenir en bride l'irréligion et la ré-
volution il fallait savoir hardiment séparer le bon grain de
l'ivraie, et à l'occasion sacrifier sans pitié aux exigences
de la situation tous ces coui eurs de ruelles et de sacristies ,
parfumés de galanterie et de dévotion, qui ne pouvaient
être que d'une utilité relative pour le parti, enfin n'admettre
à la curée que des convictions ardentes , unies à une pra-
tique austère de la règle de la Société de Jésus. La place de
bibliothécaire de la Faculté fut en conséquence adjugée à
un homme offrant à cet égard toutes les garanties désira-
bles. Notre professeur amateur se consola de cette ingrate
éviction, en se jetant à corps perdu dans l'industrialisme
médical. Pressentant avec un instinct qui a quelque chose du
génie la toute-puissance de l'annonce et de la réclame,
qui n'étaient pas encore nées en France, il résolut de les
appliquer à l'exploitation des rhumes et des irritations de
poitrine , eu vendant de l'opium sous forme de pâte pecto-
rale. Ainsi naquit, en 1822, la pâte pectorale de Régnauld
aîné. Celui-ci, pharmacien, rue Caumartin, fit tous les frais
de la fabrication matérielle, le docteur se chargea delà publi-
cité à donner au produit , et grâce à ses relations avec la
presse de toutes les couleurs il sut fourrer gratuitement par-
tout des réclames pleines des plus impertinents éloges de sa
pâte pectorale. Le succès dépassa toutes les espérances : ce
fut à qui se bourrerait de la drogue opiacée; les réglisses ,
les jujubes, les gommes, les lichens tombèrent dans le plus
complet avilissement, les plus solides pharmacies de Paris
menacèrent ruine; mais avec leur ridicule spécifique Dia-
foirus et Fleurant gagnèrent de 80 à 100,000 francs par an.
Notre docleur avait d'un seul bond atteint le but de toute
ambition médicale à Paris : il avait un groom , un cabriolet !
Le moyen désormais de refuser quelque chose à un homme
qui éclaboussait les gens avec son véhicule , et qui vous
les tenait en respect avec La Quotidienne , journal des
royalistes mécontents et ambitieux! En 1825 donc, M. S.
de La Rochefoucauld, chargé du département des beaux-
arts au ministère de la maison du roi , imagina de créer
tout exprès pour le docteur Véron une place de médecin
des musées royaux. Dans la pensée du donateur, cette si-
nécure, à laquelle était attaché un misérable traitement de
1,500 francs, ne devait être qu'un acheminement à une la-
veur plus solide , au titre de médecin par quartier de Sa
Majesté. Mais tout à coup , M. de Villèle est renversé et
M. de Martignac lui succède. Alors notre docteur d'ouvrir
les yeux. Il juge tout de suite que sa place n'est plus à La
Quotidienne. Son parti est bientôt pris : il dit froidement
adieu à ses anciens amis politiques, et passe avec armes et
bagages au Messager des Chambres, ]oQTaà\ de la nouvelle
administration. L'écrivain religieux et monarchique de la
veille est désormais un des plus fervents défenseurs du sys-
tème constitutionnel entendu et appliqué à l'anglaise. Puis
M. de Martignac à son tour est renvoyé du ministère, oii Char-
les X le remplace par son favori, M. de Polignac. Le Messager
fait alors cause commune avec les organes de la gauche la plus
avancée ; et comme il est encore peu habitué à parler la langue
de ses nouveaux alliés, il fait rire à ses dépens par la bizarre
excentricité de ses phrases révolutionnaires, dont on attri-
bue la paternité au docteur Véron. Mais la coulisse était mal
renseignée. Depuis quelques mois le docteur s'était décidé
à priver Le Messager de sa prose opiacée .pour se dévouer
exclusivement à la Revue de Paris, recueil hebdoma-
daire qu'il avait fondé avec la commandite à''Aguado.
Ce banquier du gouvernement de Ferdinand VII entendait
grandement les choses. Il avait assuré au rédacteur en chef
de sa Revue un traitement fixe de 12,000 fr. Le cabriolet
de M. Véron était devenu un coupé à deux fringants che-
vaux. Comment une revue ainsi conduite n'eùt-elle pas fait
de bruit? Cependant, sauf quelques rares articles qu'on
relit encore ou qu'on se souvient toujours avec plaisir
d'avoir lus , la Revue de Paris n'obtint qu'un succès de ré-
I clames et d'annonces, coûta plus d'un demi-million à ses
I propriétaires successifs , et n'eut jamais plus de six cents
[ abonnés. Sur ces entrefaites , survient la révolution de
1 Juillet : et la Revue de Paris de passer soudain, avec
j son fondateur, aux vainqueurs. Jamais on ne vit de chan-
1 gement à vue s'opérer avec tant de prestesse. Le nouveau
ministre de l'intérieur pensa sans doute que l'habile
homme qui l'avait exécuté était celui qu'il convenait d'ap-
peler à la direction de l'Opéra ; théâtre précédemment en
régie pour le compte de l'État et que , sous prétexte d'é-
conomie , on se décidait à mettre désormais en entreprise.
Ces dames du corps de ballet ne connaissaient depuis long-
temps que M. Véron et son coupé. Dans l'intimité, elles ne
désignaient même le sémillant docteur que par l'affectueux
sobriquet de Mimi. Elles crurent donc que l'âge d'or était
enfin arrivé pour elles; mais leurs illusions se dissipèrent
bien vite. L'élégant protecteur des arts et des artistes, l'ai-
mable et débonnaire 71/Jmi, disparut bien vite pour faire
place à l'industriel âpre à la curée et entendant tirer tout
le profit possible de sa position. Quoique la subvention ac-
cordée par l'État fût magnifique (1,200,000 fr.), les ap-
pointements subirent de notables réductions à tous les de-
grés de la hiérarchie dansante et chantante. Cette réforme
financière, exécutée avec une rigueur extrême, fut d'ail-
leurs la seule preuve de capacité administrative donnée par
M. Véron pendant ses six ou sept années de règne , et le
hasard seul fit tout le succès de sa gestion. Robert le Dia-
ble, ce chef-d'œuvre de Meyer-Beer, fut refusé obstinément
par le nouveau directeur, qui déclara l'ouvrage détestable
et non viable. Pour le produire, il fallut que Meyer-Beer
fit lui-même les frais de la mise en scène et garantît à
Vimpresario une somme assez ronde comme compensation
pour l'absence de recettes que celui-ci prédisait. Ajoutez
qu'à ce moment les premiers sujets ne se payaient pas
encore des prix fous comme aujourd'hui , que le traitement
du premierténor, de Nourrit, n'était, y compris les feux ,
que de 40,000 francs ; que peu de temps avant l'arrivée de
M. Véron à la direction du théâtre, MarieTaglioni ve-
nait d'y être engagée pour trois ans à raison de 7,000
francs par an, et cessez dès lors de vous étonner de la bril-
lante fortune que l'exploitation de l'Opéra a value à l'ancien
médecin du personnel des musées royaux. Cependant, tout
ici-bas a une fin , la prospérité surtout. Les chambres ro-
gnèrent la subvention , les premiers sujets haussèrent leurs
prfx. M. Véron comprit alors que l'heure d'abdiquer avait
sonné pour lui; en 1838 il se résigna donc à vendre sa
direction à un successeur, qui y mit du sien. Cette abdica-
tion (ut un instant une manière d'événement ; et les Béo-
tiens de la grande ville se montrèrent très-inquiets de sa-
voir ce qu'allait devenir ce Dioclétien de théâtre.
Un beau jour on apprit qu'il venait d'acheter une action
du Constitutionnel, qu'il rentrait dans la politique qui avait
eu ses premières amours , et qu'il aspirait ouvertement à
la députation. Le Constitutionnel n'éUit qu'un marchepied
pour arriver à un ministère; mais le nouveau propriétaire
s'y heurta tout aussitôt contre des prétentions égales pour
le moins aux siennes et basées sur une longue possession.
VÉRON — VÉRONE
Il comprit, mais trop tard, qu'il avait mal placé son ar-
gent; que Le Constitutionnel, tant qu'il conserverait
la nrème organisation , ne serait jamais pour lui l'instrument
qu'il avait pensé : et alors , de dépit, il se relira sous sa tente.
Quand M. Thiers pril la direction des affaires , en 1840,
M. Véron crut le moment opportun pour rentrer en scène. Il
se mit sur les rangs pour la députation,à Landerneaii, dans
un pays situé au bout du monde. Tout alla d'abord au gré
de ses désirs. Les braves électeurs , éblouis par le grand
train, par la voiture à quatre chevaux du candidat qui ve-
nait solliciter leurs suffrages , ne doutaient pas qu'ils n'eus-
sent affaire à un grand seigneur de la meilleure farine , et
étaient déjà disposés à lui donner leurs voix. Mais lors sur-
vient un concurrent, qui , pour démonétiser son rival, souf-
fle en bas breton à l'oreille de nos électeurs que le beau
monsieur arrivé de Paris qu'ils admirent tant est un homme
qui a fait sa fortune à montrer des femmes toutes nues!
L'effet de cette révélation inattendue fut terrible ; et les suf-
frages effarouchés se reportèrent bien vite sur le déloyal
candidat qui n'avait pas craint de se servir de cette étrange
périphrase pour faire comprendre à d'ignorants paysans bre-
tons en quoi pouvait consister l'industrie d'un directeur
d'Opéra.
Éconduit à Landerneau, M. Véron se piqua au jeu, et per-
sista plus que jamais à vouloir devenir homme politique
envers et contre tous. En 1 843 le vieux Constitutionnel ,
arrivé au dernier degré de la décrépitude et réduit à 2,000
abonnés, fut obligé de se mettre en vente. M. Véron, à ce
moment, se montra habile spéculateur en achetant ce ca-
davre, qu'il espérait galvaniser par l'emploi d'un moyen hé-
roïque. Les Mystères de Paris faisaient fureur et avaient
rendu Eugène Sue le romancier à la mode. M. Véron lui
commanda , au prix de cent mille francs, un nouveau
roman intitulé Le Juif Errant. L'énormité de la rétribution
accordée au travail du conteur fut l'événement du jour. On
ne parla que de cela ; et les abonnés , alléchés par le titre
d'un roman acheté cent mille francs avant qu'une seule
ligne en eût été écrite , revinrent en fouie au Constitu-
tionnel pour juger du mérite de cette œuvre extraordinaire.
Amère déception ! serions-nous en droit d'ajouter , si nous
ne craignions d'être accusé d'aller, dans cet a parte, sur les
brisées des romanciers. Le tour était joué. Le roman fut
détestable; mais Le Constitutionnel était remonté en quel-
ques mois de deux mille à trente mille abonnés, et son heu-
reux éditeur, désormais autocrate dans la direction du jour-
nal racheté par lui , se trouvait enfin avoir réalisé le rêve
de toute sa vie , celui de finir par être un personnage poli-
tique. M. Véron continua de mettreson journal àla disposition
de M. Thiers dans la guerre acharnée que cet homme d'É-
tat fit jusqu'en 1848 à M. Guizot. Toutefois, ce dévouement
de M. Véron n'était pas complètement désintéressé, car lors
du rachat du Constitutionnel fait en 1843 M. Thiers était
entré dans cette combinaison pour un versement de cent
mille francs , en stipulant que le journal prendrait le mol
d'ordre de lui.
Après les événements de Février, le CoH5<j^M<2onneZ resta
longtemps encore l'organe officiel de M. Thiers et de ses
amis ; mais quand Louis Bonaparte eut été élu président de
la république, une scission profonde s'opéra entre M. Véron
et son protecteur M. Thiers. L'ambition de cet homme
d'État était alors de restaurer le trône de la maison d'Or-
léans , qu'il a tant contribué pourtant à faire chasser de
France par l'opposition qu'il fit pendant huit années au
gouvernement personnel, représenté par M. Guizot. Pour
y parvenir, il n'est' sortes de roueries auxquelles il n'eut
recours, et au nombre des moyens qu'il employait pour
arriver à ses fins il faut mettre en première ligne une guerre
sourde, mais haineuse et implacable, au gouvernement du
président , dont il voulait à toute force empêcher la réélec-
tion. M. Véron prit la liberté grande de n'être point à cet
égard du même avis que M. Thiers; et après avoir conquis
la liberté de ses mouvements en remboursant à celui-ci ses
845
cent mille francs , il se rangea parmi ses adversaires, en
même temps qu'il se mettait à protéger ouvertement Louis
Bonaparte et à demander la prorogation de ses pouvoirs.
Après le coup d'État du 2 décembre 1851, M. Véron sol-
licita les suffrages des électeurs de l'arrondissement de Sceaux,
qui le nommèrent leur député au corps législatif et qui lui
ont renouvelé leur mandat aux élections de 1857. A la fin de
1852, s'apercevant avec effroi que la clientèle du Constitu-
tionnel baissait, que depuis une année le chiffre des abonnés
avait diminué de dix mille, que dès lors il n'y aurait pas
possibilité de distribuer de dividende aux actionnaires, il
accueillit les propositions que lui fit un banquier, proprié-
taire d'un journal rival, et lui vendit la gérance du Consti-
tutionnel ainsi que la propriété de cette feuille. Dans cette
transaction , qui lui valut force procès scandaleux avec ses
actionnaires, il est de toute équité de reconnaître que
M. Véron sauvegarda très-habilement les intérêts dont la ges-
tion lui était confiée, et qu'il fit acheter les cent-quatre-vingts
actions du Constitutionnel sur le pied de 4,000 fr. chacune,
alors qu'elles ne représentaient pas en réalité une valeur de
plus de 1,000 fr. Ajoutons que la justice, saisie du litige, lui
donna raison sur tous les points d'un débat soulevé moins
à cause de la vente même du journal, qu'en vue du million
qu'avait valu au gérant la cession de ses actions et de
ses droits personnels. Depuis qu'il a renoncé au journalisme,
M. Véron a publié, sous le titre de Mémoires d'un Bour-
geois de Paris, ses souvenirs autobiographiques. Cet article
serait incomplet si nous n'ajoutions qu'officier de la Légion
d'Honneur, il est en outre commandeur des ordres de La
Rose (Brésil), du Christ (Portugal), d'Isabelle la Catho-
lique (Espagne), de Saint-Maurice et Saint-Lazare (Sar-
daigne ) et décoré de l'ordre du Nichan-Iftikar, toutes déco-
rations qui se portent en sautoir.
VÉRONE, Verona, chef-lieu de la province du même nom,
dans le territoire vénitien du royaume Lombarde- Vénitien,
dont elle est la ville la plus iuiportante après Milan et Venise,
auxquelles elle est reliée par des chemins de fer, était dans
l'antiquité une colonie romaine. C'est là que naquirent Ca-
tulle , Cornélius Nepos, Vitruve, Pline l'ancien; et elle
joua un rôle important à l'époque des Gottis et des Lom-
bards, notamment comme résidence du roi des Ostrogoths
Tliéodoric. Elle fut ensuite pendant longtemps la capitale
du territoire des délia Scala, jusqu'au moment où elle passa
sous la souveraineté des ducs de Milan , puis sous celle de
Venise. Vérone est située dans une plaine fertile et divisée
par l'Adige en une partie septentrionale et une partie méri-
dionale, reliées par trois ponts. Parmi plusieurs grandes
places on remarque la Piazza dé' Signori avec l'hôtel de
ville et les statues de divers citoyens distingués, La ville
n'a que des rues généralement étroites et tortueuses ; mais
on y trouve de très-vastes édifices, la plupart d'une belle
architecture. Sa population est de 52,000 habitants. Elle a
cinquante-deux églises, dont une cathédrale et quatorze pa-
roisses. Ses plus remarquables édifices sont San-Zeno, véné-
rable édifice datant du neuvième siècle; Santa- Maria- An-
tica, avec le cimetière adjacent , qui contient les célèbres
mausolées de la famille deila Scala; San-Fermo , SanP
id^Aanasia, l'hôtel de ville et le palais Canossa. Plusieurs
églises contiennent de beaux tableaux. Parmi les portes de
la ville, il en est plusieurs d'exécutées d'après les dessins
de San-Micheli , par exemple la Porta Nuova et la Porta
Stupa, remarquables parleur beauté et leur solidité. Dans
le vieux couvent de franciscains se trouve le tombeau de
Romeo et de Julie, ce couple amoureux que Shakespeare
a immortalisé. Aujourd'hui on voit dans un hangar atte-
nante l'ancien hospice des orphelins ( Orfanotrofio ), devenu
ensuite une caserne , un sarcophage ouvert , de marbre rou-
geàtre,et servant d'auge pour des quadrupèdes, iju'on
nomme sans aucune espèce de fondement le tombeau de
Giuletta. Le prétendu palais des Capuleti sert aujourd'hui
d'auberge pour les routiers. En fait de constructions mo^
dernes on remarque Gran-Guardia , le vaste cimetière, I«
VÉRONE — VÉRO^ÈSE
846
nouveau théâtre, ouvert en 1846, et le grand embarcadère
du chemin de fer, construit en 1850. La ville est en môme
temps une place forte ; el la guerre de 1848 el 1849 en a si
bien démontré l'importance stratégique comme dominant
toule la haute Italie et comme étant en même temps la clef
du Tyrol au sud, que depuis cette époque on a fait de Vérone
l'une des places fortes les plus formidables de la monarchie
autrichienne, Vérone est le quartier général du second com-
mandement en chef pour le royaume Lombardo -Vénitien ,
rillyrie et le Tyrol méridional , le siège dune section de la
cour d'appel , d'un tribunal de première instance , d'une
chambre de commerce et d'industrie, d'un évéché, d'un
commandement de place, etc. La ville possède un lycée,
trois collèges , un séminaire épiscopal , un institut impérial
d'éducation pour les jeunes filles, une école de peinture et
de sculpture, diverses institutions particulières, une société
de commerce et d'industrie, une bibliothèque publique, divers
cabinets de lecture, une galerie de tableaux, la plupart de
maîtres véronais, et plusieurs établissements de bienfaisance.
L'industrie, notamment la fabrication des étoffes de soie, y
est assez importante, et les nombreux ateliers de teinture de
Vérone sont en grand renom. Le commerce, qui se fait avec
l'Italie , l'Allemagne et la Suisse , a sans doute beaucoup
perdu de son importance , mais ne laisse pourtant pas que
d'être encore considérable. Il existe aussi dans la ville et
ses environs un grand nombre d'antiquités romaines, et la
célèbre collection Maffei renferme un trésor d'inscriptions,
de statues, de vases et de bas-reliefs. L'ancien amphithéâtre
romain {Arena ) , qui peut contenir 25,000 spectateurs, est le
mieux conservé de tous les monuments de l'antiquité qu'on
possède en ce genre ; mais il a été, il est vrai, maintes fois
réparé. On s'accorde à dire qu'il date de l'époque impériale.
Il est de forme ovale et construit en marbre. Sa longueur
est de 154 mètres 66 cent., et sa largeur de 122 mètres
33 cent. Il a en outre deux rangées d'arcades superposées. A
l'intérieur il comprend quarante-six rangées de gradins en
marbre rouge disposés circulairement, et ayant trente-deux
issues, aussi bien dans les arcades supérieures que dans les ar-
cades inférieures. La Porta de Borsari et VArco de Leoni
sont encore d'autres édifices datant de l'époque romaine.
Consultez Giambatlisla de Persico, Verona e sua Provincia
(1838); Bourzani,ie Antichita de Verona (Vérone, 1833).
VÉRONE (Congrès de). La réunion du congrès de Vé-
rone, qui dura d'octobre à décembre 1822, eut pour but, de
la part des puissances composant la Sainte-Alliance, de se
mettre d'accord sur les moyens à employer pour mettre la
révolution à la raison, et fut provoquée par les événements
dont la partie sud-est de l'Europe et l'Espagne venaient d'être
le théâtre. Des conférences préparatoires avaient déjà eu
lieu à Vienne , en septembre , entre le« ministres des cinq
grandes puissances. L'empereur Alexandre s'y rendit , ac-
compagné du chancelier de l'empire, comte de Nesselrode.
Le roi de Prusse, les empereurs d'Autriche et de Russie ,
les rois des Deux-Siciles et de Sardaigne, y assistèrent, ainsi
que plusieurs autres princes d'Italie. Là se trouvait réunie
l'élite de la diplomatie européenne : le duc de Wellington,
le duc de Montmorency, le vicomte de Chateaubriand, le
prince de Metternich , le comte Bernstorf, Pozzo di Borgo,
le prince de Hardenberg. Et au milieu de ces illustrations
le riche banquier baron de Rothschild occupait une place
non moins importante. Tout ce qu'on saitde ces conférences,
que le prince de Metternich présidait, et où M. de Gentz te-
nait la plume , c'est que la France y obtint des puissances
continentales l'autorisation qu'elle leur demandait d'envahir
la péninsule afin d'y rétablir par la force un gouvernement
monarchique; tâche dans l'accomplissement de laquelle les
puissances promettaient môme de lui venir en aide s'il était
besoin. L'Angleterre ne prit point une part active à ces
conférences , et conseilla l'emploi de moyens pacifiques.
M. de Villèle, ministre des finances en France, se sépara
sur cette question de son parti, celui des ultra-royalistes,
et présenta contre l'expédition projetée les objections les
plus sérieuses. Son opposition au parti de la guerre rencon-
tra d'autant plus d'adhérents que Mina fit d'abord éprouver
de rudes défaites aux bandes royalistes qui sous le nom
d'armée de la/oi avaient envahi le territoire de la Catalo-
gne. En décembre 1822 la France essaya donc de recourir
d'abord à la voie des négociations pour déterminer l'assem-
blée des cortès à opérer dans leur constitution des modifi-
cations qui la rendissent plus conforme au principe monar-
chique. Quant à la mésintelligence qui divisait la Porte et la
Russie, on résolut dans ces conférences de Vérone de faire
présenter au sultan par lord Strangford, alors ambassadeur
d'Angleterre à Constantinople, un ultimatum, oii serait récla-
mée l'exécution exacte du traité de Bucharestde 1812. On
abandonnait d'ailleurs les Grecs insurgés à leur malheureux
sort, et on refusa d'accueillir leurs députés, débarqués à An-
cône. Le Piémont fut évacué par les troupes autrichiennes,
et on réduisit l'effectif du corps d'occupation deNaples. En-
fin, des mesures furent prises contre les sociétés secrètes,
et on décida que la question espagnole continuerait d'être
l'objet de conférences qui se tiendraient à Paris.
VÉRONE (Terre de). Foj/ez Chlorite.
VÉROIXÈSE ( Paul ), peintre célèbre, dont le véritable
nom était Cagliari, le premier maître de l'école vénitienne,
naquit en 1530, à Vérone, et fut l'élève de son oncle, An-
tonio Badile , peintre de mérite. Le jeune Paul fit des pro-
grès rapides et brillants, sans cependant obtenir dans sa
ville natale toute la considération que méritait son talent.
Le cardinal Gonzaga, qui l'appela à Milan, sut mieux lui
rendre justice; et c'est dans cette ville qu'il donna les pre-
mières preuves de son génie. Plus tard, il s'étahht à Venise,
où une sphère plus brillante s'ouvrit à lui. D'abord il s'ef-
força de marcher sur les traces du Titien et du Tintoret,
puis il parut vouloir les surpasser par une élégance recher-
chée et par une plus riche variété d'ornements. L'église San-
Sebastiano à Venise contient beaucoup de ses ouvrages,
qu'on considère comme les productions les plus considéra-
bles de la première partie de sa carrière. Le complet déve-
loppement de son talent date d'un voyage qu'il fit à Rome
en compagnie de l'ambassadeur vénitien Grimani. L'étude
des nombreux antiques que possède cette capitale du monde
catholique , la vue des peintures de Raphaël et de Mi-
chel-Ange, mûrirent son génie. De retour à Venise, il
exécuta dans le palais du doge , dans divers autres édi-
fices publics, ainsi que dans plusieurs églises e couvents
cette suite de chefs-d'œuvre qui ont immortalisé son nom.
Ses tableaux représentent le côté brillant, enivrant de la
vie , tel que l'offrait alors Venise, parvenue à l'apogée de sa
puissance et de sa prospérité. L'oeil n'y découvre que
des édifices de l'architecture la plus somptueuse, et animés
par des groupes réunis par quelque solennité, que des
' meubles et des ustensiles somptueux, des vêtements de
I moire aux couleurs les plus éclatantes; en même temps
qu'un jour brillant enveloppe le tout, et que des flots de
lumière l'harmonisent. Il faut savoir d'autant mieux
apprécier ces mérites de Paul Véronèse qu'il florissait dans
la seconde moitiii du seizième siècle, c'est-à-dire à' une épo-
que où par une imitation inintelligente de Michel-Ange l'art
italien avait partout dégénéré en une manière superficielle.
Ses principaux chefs-d'œuvre sont les toiles qu'il a consa-
crées à reproduire des scènes où se déploie la plus grande
magnificence , telles que les banquets qu'il a peints d'après
le Nouveau Testament. Il fit plusieurs tableaux de ce genre
pour des réfectoires de couvents vénitiens. Le plus célèbre
est celui qui repré-sente Les Noces de Cana, qui fait au-
jourd'hui partie de la galerie du Louvre. Ce tableau fut
exécuté en 1 563 pour le réfectoire du monastère de Saint-
Georges-Majeur, à Veni.se. Il a 6 mètres 66 cent, de haut sur
10 mètres de large, et contient 130 figures, dont beaucoup
sont des portraits contemporains ; c'est ainsi que l'artiste y
a placé les portraits de don Alphonse d'Avalos, marquis del
Vasto; d'Éléonore d'Autriche, reine de France; de Fran-
çois 1"; de Soliman 1", empereur des Turcs; de Victoire
VERONESE — VERRE
847
Colonna, marquise de Pescaire; de Marie, reine d'Angle-
terre ; enfin, de plusieurs artistes de son temps , entre autres
du Tintoret, du Titien, du vieux Bassano et de son frère Be-
nedetto Cagliari. Les Noces de Cana furent écliangées par
l'empereur d'Autriche contre un tableau de Lebrun. Paul Vé-
ronèse mourut le 19 avril 1588. Son frère, Benedetto Ca-
gliari, et ses deux fils, Gabriello et Carlo Cagliari, firent
aussi de la peinture, mais sans laisser de nom dans l'his-
toire de l'art.
VÉROIXIQUE (Sainte) , pieuse femme qu'on dit être
morte à Rome. D'après une légende qui ne remonte pas au
delà de l'an 1250, elle aurait présenté son suaire à Notre-
Seigneur Jésus-Christ lorsqu'il pliait sous le fardeau de sa
croix, afin qu'il pût s'essuyer le visage. Jésus-Christ l'ac-
cepta, et imprima ses traits divins sur l'étoffe. Telle est l'o-
rigine du divin portrait dont les villes de Jaen , de Milan
et de Rome se disputent le véritable original.
VÉRONIQUE (Botanique) , genre de la famille des
scrophulariacées, tribu des véronicées , de la diandrie-mo-
nogynie dans le système de Linné, qui renferme de nom-
breuses espèces, fort différentes par leur port , et surtout par
la disposition des fleurs. Dans quelques-unes, les fleurs sont
en épis; dans d'autres, elles sont solitaires , tantôt sessiies,
tantôt portées sur un pédoncule; elles offrent aussi une
grande variété de couleurs. Il y a des véroniques vivaces,
d'autres annuelles ; la plupart sont des herbes, et rarement
elles s'élèvent au rang des sous-arbrisseaux. Ces dernières ,
ainsi que les véroniques à épis, sont très-propres à l'orne-
ment dçs jardins.
VÉRONIQUE DES JARDINIERS. Voyez Lycii-
NIDE.
VERRAT. Voyez Cochon.
VERRE. « On donne le nom de verre , dans l'acception
la plus large de ce mot, dit M. Debette, à tout corps trans-
parent, ou du moins translucide, qui est aigu, cassant et
sonore aux températures ordinaires , devient mou et duc-
tile, puis se fond à une température élevée , et dont enfin
la cassure à froid présente un éclat particulier, bien connu
sous le nom d'éclat vitreux, de cassure vitreuse. En indus-
trie , on restreint cette dénomination de verre aux composés
■de silice, de potasse ou de soude, et de chaux ou
d'oxyde de p 1 o m b , seuls ou mélangés, donnant par la fusion
une masse amorphe et transparente, qui ne se dissout ni
dans l'eau, ni dans aucun acide, l'acide fluorhydrique excepté,
lorsque le verre est de bonne qualité. >•
Le verre est une des plus précieuses conquêtes de la civi-
lisation. Indispensable à la physique et à l'astronomie ,
auxquelles il fournit des lentilles et des miroirs, à la
chimie, qui lui emprunte des cornues, des matras, une
foule de vaisseaux inaltérables aux nombreux agents qu'ils
sont destinés à contenir, le verre se présente à nous
dans les usages domestiques sous mille formes diverses : en
vitres, qui laissent pénétrer la lumière dans nos appartements,
tout en nous préservant de la rigueur des saisons froides;
en glaces, qui ornent nos demeures ; en bouteilles, en
carafes, en verres à boire, etc., pour nos tables. Aussi tout
porte-t-il à croire que le verre était connu dès les temps
les plus reculés. Il en est parlé dans les livres de Moïse et
de Job. Aristote demande pourquoi nous voyons au travers
du verre, et pourquoi le verre ne peut se plier. Lucrèce est
le premier poète latin qui parle du verre et de sa transpa-
rence. Pline dit que des marchands de nitre qui traver-
saient la Phénicie s'étant arrêtés sur les bords du fleuve
Bélus pour faire cuire leur viande, mirent, à défaut de pier-
res , des morceaux de nitre pour soutenir leurs vases , et
que ce nitre mêlé avec le sable, ayant été embrasé par le
feu, se fondit et forma une liqueur transparente et claire,
qui se figea , et donna la première idée du verre. On lit éga-
lement dans Pline que Sidon fut la première ville célèbre
par sa verrerie , et qu'on ne commença à faire du verre à
Rome que sous Tibère. Le même historien nous apprend
que sous le rè^ne de Néron on inventa l'art de faire des
vases et des coupes verre blanc transparent. On les tirait de
d'Alexandrie. Le prix en était exorbitant.
Malgré ces passages , de Pauw croit que , de tous les anciens
peuples , les Égyptiens sont les premiers qui aient travaillé
le verre , et que la verrerie de la grande Diospolis , capitale
de la Thébaide , remonte plus haut qu'aucune autre. Ils ex-
cellaient dans cette fabrication, dit-il, leurs coupes repré-
sentant des figures dont l'aspect était changeant. De plus,
ils ciselaient le verre, le travaillaient au tour et savaient le
dorer. Winckelmann pense que nous n'avons pas encore
atteint le degré de perfection de la verrerie antique ; il cite
comme preuves les urnes cinéraires d'Herculanum et de
Pompéia , et l'usage qu'on faisait autrefois de celte ma-
tière pour paver les maisons d'une espèce de mosaïque.
L'art de la verrerie paraît avoir été pendant le moyen âge
cultivé seulement en Italie. L'Allemagne fut la première à
s'affranchir du monopole de Venise; la France resta plus
longtemps sa tributaire. « Ce ne fut, dit M. Bontemps, que
sous le ministère et à l'inspiration du grand Colbert, qu'il
faut souvent citer quand il s'agit du progrès de l'industrie
française, que les miroirs à l'instar de ceux de Venise com-
mencèrent à être fabriqués. Une verrerie fut établie à cet
effet sous son patronage à Tourlaville , près de Cherbourg;
on y fabriqua des glaces, qui eurent un grand succès ; mais
leur dimension était naturellement limitée par la force du
souffleur, qui ne permettait guère d'atteindre au delà de
1 mètre 20 centimètres de superficie; il fallait, pour fabri-
quer de plus grandes glaces avoir la pensée de retirer du
fourneau de fusion une grande masse de verre, tout le
creuset lui-même, pour le verser sur une table de bronze
et l'y répandre d'une épaisseur égale au moyen d'un rouleau
du même métal. Cette conception hardie honore Abraham
Thevart, à qui nous sommes redevables de cette magnifique
industrie. Cet homme de génie sut tellement bien com-
biner tous les détails de ce nouveau procédé , qu'ils sont
encore exécutés aujourd'hui presque identiquement comme
ils le furent dès le principe, en 1688. Cette manufacture,
établie d'abord au faubourg Saint-Antoine, à Paris, fut
transférée peu d'années après à Saint-Gobain , où elle est
devenue la plus considérable de ce genre. »
L'art de tailler les cristaux nous vient de Bohême; il fut
importé en France il y a environ quatre-vingt-dix ans ,
par un nommé Bûcher, qui se fixa à la verrerie de Saint-
Quirin, dont les produits étaient alors plus en usage que le
cristal. Aujourd'hui l'on grave et l'on taille les cristaux avec
plus de promptitude depuis la découverte de l'acide fluorique
trouvé par Scheele, en 1771, perfectionné par Gay-Lussac et
Thénard. Rappelons ici que commercialement on appelle
cristal le verre dans lequel il entre une proportion d'oxyde
de plomb, qui est généralement letiers du poids total, pour le
distinguer du verre ordinaire, dans la composition duquel
il n'entre pas de plomb. D'après cette définition , les
anciens, les Vénitiens, n'ont pas fait de cristal, l'Allemagne
même ne fait que du verre. C'est en Angleterre, vers la fin
du dix-septième siècle, que le cristal fut d'abord fabriqué ; il
ne le fut en France que vers la fin du siècle <lernier, et pen-
dant longtemps même , à cause de l'impureté des matières
employées , notre cristal n'était pas si blanc que le beau
verre de Bohême, qui, composé de quartz, de potasse et de
chaux très-purs , continuait à occuper le premier rang; mais
plus tard notre cristal, grâce à un meilleur choix de plomb
et à des potasses d'une entière pureté, a tellement dépassé le
verre de Bohême qu'il n'y a plus aujourd'hui de comparaison
possible, et que l'activité des verreries d'Allemagne n'a été
maintenue que par des prix auxquels le cristal ne peut
descendre.
VERRE (Peinture sur). Il ne fallait rien moins que le
nouvel élan imprimé aux études archéologiques pour ré-
habiliter un art presque oublié , qui se rattache à notre his-
toire nationale. Né, pour ainsi dire, sous l'influence delà
pensée chrétienne , c'est aux rayons du génie français qu'il
vintéclore, et qu'il grandit bientôt au point d'envelopper
848
VERRE
sous un brillant réseau le sanctuaire de presque toutes nos
cathédrales. C'est là que nous trouvons encore ses nombreux
débris, monuments inappréciables, où le moyen âge se
montre à nous vivant avec toutes ses croyances, ses mœurs,
son histoire et ses hommes. Les témoignages de Grégoire
de Tours et de Fortunat , évoque de Poitiers , attestent l'exis-
tence de vitres dans les églises de Brioude, de Paris, de
Tours, etc., dès les sixième et septième siècles. Le cloître
de Jumièges était vitré en l'an 650, et vers la même épo-
que des verriers français portaient leur art en Angleterre,
tandis que saint Anschaire et saint Rambert, apôtres de la
Suède et du Danemark, en répandaient ailleurs les procédés.
Enfin , au dire de l'historien de Saint-Cénigne de Dijon , il
existait dans cette église une verrière à figures , attribuée
à Charles le Chauve. Quant à nous, les plus anciens mo- j
numents que nous connaissons de cet art si fragile ne re-
montent qu'au commencement du douzième siècle : ce sont
quelques verrières de la nef de la cathédrale d'Angers, fon-
dée de 1125 à 1140 par Hugues de Semblançay. Le même
siècle vit achever les vitres de Saint-Denis par les soins de
l'abbé Suger, qui , dans le livre de son Administration ab-
batiale, en a donné lui-même une description minutieuse.
Ces vitres nous donnent l'idée de ce qu'était alors la pein-
utre sur verre , espèce de mosaïque transparente formée de
morceaux de verre très-petits et c&lorés dans la pâte, il n'y
avait guère alors d'autre peinture que des hachures d'un
brun noirâtre, indiquant les traits du visage et les plis des
vêtements. L'impossibilité de produire de grandes tables de
verre se trahit ici et encore pendant tout le siècle sui-
vant, où pourtant les figures de grande dimension com-
mencèrent à prendre place sur les vitres des églises. Tou-
tefois, les verrières les plus communes au treizième siècle
sent encore les verrières légendaires, formées d'un nombre
plus ou moins grand de cartouches , qui renferment chacun
de petits sujets se rattachant tous à une même légende. Le
fond sur lequel se détachent ces cartouches consiste ordi-
nairement en une espèce d'ornement réticulaire plus ou moins
orné, où le bleu et le rouge dominent; et de riches bor-
dures encadrent le tableau. C'est là ce qu'on peut regarder
comme le type de la première manière de la peinture sur
verre.
Le même genre d'ornements et de tableaux appliqué aux
rosaces d'architecture qui se voient aux portails des églises
gothiques constitue ce qu'on appelle les roses. Celles de
Notte-Dame de Paris, dernier débris de son antique vitre-
rie , présentent un éclat de couleur qui semble avoir em-
prunté tous les feux du prisme. Mais comme harmonie,
comme effet mystique produit par la coloration des vitres,
rien ne peut dépasser la cathédrale de Chartres, dont les
verrières, encore si complètes, semblent un voile irisé jeté
sur le sanctuaire. Après Chartres, la Sainte-Chapelle de
Paris et la cathédrale de Reims sont peut-être les monu-
ments les plus complets de cette époque. Nous devons citer
aussi la cathédrale de Cantorbéry , en Angleterre.
La pieuse munificence de saint Louis et des princes de
son temps, qui avait donné lieu à la fondation d'un si
grand nombre de verrières , paraît s'être refroidie dans le
quatorzième siècle. Incertaine dans sa manière, la peinture
sur verre y cherche Je nouveaux procédés, qu'elle ne peut
encore atteindre, et ses monuments, devenus plus rares,
témoignent de son impuissance. Si les grandes figures d'em-
pereurs, exécutées à Strasbourg par Jean de Kircheim vers
1325, conservent encore toute la richesse d'ornementation
du siècle précédent, il tant l'attribuera l'influence long-
temps prolongée des artistes byzantins, qui retardèrent d'un
siècle au moins dans les provinces rhénanes les transitions
de l'art chrétien.
Enfin , au quinzième siècle la révolution qui s'annon-
çait depuis longtemps dans la manière de peindre le verre
prit tout son développement. Le modelé des figures passa
bientôt dans les draperies et les armures, et les ornements,
mieux travaillés, commencèrent à présenter un fini jusque
alors inconnu. La peinture, lavérilable peinture, dont les
couleurs émailléesaaku font corps avec le verre, s'en-
richit de presque toutes les couleurs delà palette, et dès
lors l'art, émancipé, ne réclame plus que desamins habiles.
Jacques l'Allemand et Albert Durer en Allemagne , Henri
Melein à Bourges , Angrandle-Prince à Beauvais et Ber-
nard Palissy répondent à son appel. Entre ces habiles
mains l'art fait bientôt de rapides progrès , et touche déjà à
sa dernière perfection lorsque commence le seizième siècle.
Alors s'élancent en rivalité les deux plus grands artistes dont
la peinture sur verre puisse se glorifier : Pinaigrier et Jean
Cousin. Pinaigrier, le plus grand coloriste dont le pincean
ait jamais décoré une verrière; Jean Cousin , le Michel-
Ange français, dont le dessin grandiose a fixé sur le verre
des poèmes entiers. Les scènes de l'Apocalypse et le Juge-
ment dernier à Vincennes suffiraient pour consacrer son
immense talent. Et cependant, en vingt églises, à Couches,
à Beauvais, à Rouen, à Bourges, à Auch et à Metz, des
œuvres presque aussi belles témoignent de l'état d'apogée
qu'avait alors atteint la peinture sur verre.
En Italie, à Bologne, Arezzo et Rome, des peintres fran-
çais vont décorer les temples d'admirables verrières, tandis
qu'à Bruxelles, à Gouda en Hollande, à Cologne el à Ra-
tisbonne , des artistes de ces différents pays rivalisent avec
eux.
Les vitres de celte époque sont innombrables. Il n'est pas
de sujets religieux ou de la vie privée, de costumes ou de
mœurs qui ne s'y trouvent traités quelque part, et c'est
sous ce rapport comme une mine inépuisable. Mais , ainsi
qu'il arrive trop souvent , l'excès du bien poussa à la déca-
dence; et les peintres verriers, trop fiers de la richesse de
leur palette, ne tardèrent pas à mépriser l'emploi du verre
coloré dans sa masse ; procédé qui pourtant avait assuré aux
œuvres de leurs devanciers cet éclat de couleur, cette so-
lidité de tons qui ne seront jamais dépassés. Abandonnant
donc ce procédé, ils se livrèrent alors presque exclusivement
à la peinture en apprêt, qu'on peut regarder comme la
troisième manière de la peinture sur verre; et, malgré
l'habileté des artistes, leurs œuvres trahirent bientôt l'in-
suffisance du procédé.
Cette cause d'ailleurs ne fut pas la seule qui détermina au
dix-septième siècle un commencement de décadence. La
grisaille en fut une autre, non moins puissante. Dès le
treizième siècle , l'application d'une couleur blanche, rehaus-
sée de traits noirs et de parties jaunâtres , avait fourni un
mode d'ornementation très-pâle, mais assez harmonieux.
Appliqué aux figures dans le siècle suivant, ce procédé pen-
dant longtemps avait rencontré peu de faveur; mais les succès
obtenus par Cousin et d'autres peintres de son école , qui
avaient eu l'art relever cette peinture par quelques tons
de carnation et par la coloration de quelques accessoires,
donnèrent une nouvelle vogue à ce genre de décoration ,
qui laissait, conformément au goût du jour, plus d'accès à
la lumière extérieure. Tl faut pourtant rendre justice à cer-
tains peintres hollandais et à des artistes français , tels que
les descendants de Pinaigrier, et Jacques de Paroy en Bour-
bonnais, ou la famille des Linck en Alsace, qui par leurs
efforts assidus non moins que par leurs talents , luttèrent
encore contre la décadence. Après eux, la peinture sur
verre semble s'être réfugiée dans les vitraux blasonnés et de
petites dimensions, dits vitraux suisses, dont on voit de nom-
breux débris sur les bords du Rhin, à Constance , à Stein,
à Fribourg, à Bâie, et surtout chez les brocanteurs.
Quant aux artistes français, ils ne savaient plus produire
dans le siècle dernier que de misérables bordures et des
blasons décolorés. L'Angleterre , bien que dans une mau-
vaise voie , se chargea donc seule d'entretenir alors le feu
sacré , comme l'attestent les verrières d'Oxford et quelques
autres , exécutées vers 1790.
Les guerres de l'empire, succédant aux crises terribles d«
nôtres révolution, étaient peu favorables aux recherches
nécessaires pour ressusciter un art perdu. Ce fut pourtant à
VERRE — V ERRUE
649
cette époque que les premiers essais en ce genre furent tentés
à Sèvres , par Dilil et Brongniart.
Une assertion banale , et répétée sans examen , a pu faire
croire à beaucoup de personnes que le secret de la peinture
sur verre était perdu. A ceux qui le croiraient encore, il
sulfirait d'indiquer le traité si complet de VArt de la
Peinture sur Verre, publié au siècle dernier, par P. Le-
viel, peintre verrier. Là se trouvent indiqués non-seulement
toutes les recettes , mais encore tous les procédés que les
anciens artistes se transmettaient de père en fils. D'autres
travaux ont paru depuis peu sur le môme objet ; nous cite-
rons parmi les plus importants ceux de M. Ferdinand de
Lasteyrie.
VERRE DÉVITRIFIE. Voyez Porcelaine de
RÉAUMUR.
VERRERIE, lieu où l'on fabrique le verre. Dans
les anciens édils , on voit souvent les fabricants de bouteilles
qualifiées de gentilshommes verriers, ce qui a pu faire
croire que celte profession anoblissait ceux qui la prati-
quaient. La vérité est que dans beaucoup de verreries c'é-
taient des gentilshommes qui exerçaient cette profession ,
et qu'ils ne souffraient pas que des roturiers travaillassent
avec eux, si ce n'est pour les servir ; mais ils n'étaient pas
nobles parce ç'u'iis étaient verriers; seulement, ils n'avaient
pas dérogé. Des gentilsbommes de Champagne demandè-
rent à Philippe le Bel des lettres de dispense pour exercer
la verrerie , et les verriers des autres provinces en obtin-
rent de semblables des rois ses successeurs; ce qu'ils n'au-
raient pas fait si cet art eût anobli ou s'il eût supposé la
noblesse.
VERRES (Caïus), Issu d'une famille patricienne , avait
été successivement questeur du consul Papirius Carbo ,
qu'il trahit après avoir été complice de ses concussions (l'an
de Rome 670), puis lieutenant et ensuite questeur de Cn.
Dolabellaen Asie, où tous deux commirent les plus criantes
exactions. Il parvint à la préture de Rome l'an 680, et de
là passa au gouvernement de la Sicile l'année suivante. Pen-
dant trois ans il fut prorogé dans ce poste lucratif par le
crédit de ses prolecteurs. Parmi eux on distinguait trois
Metellus, un Scipion et le célèbre Hortensius, consul dé-
signé. Verres leur abandonnait une bonne part de ses vols.
Au surplus, lui-même disait publiquement qu'il avait fait
trois parts des trois années de son gouvernement : une pour
lui, la seconde pour ses avocats , et la troisième pour ses
juges. Verres, il faut bien le reconnaître, n'était guère
pire que la plupart des gouverneurs romains. A cette époque
les grands, livrés à tous les excès du luxe et de la débau-
che, n'allaient gérer les provinces que pour s'enrichir; ils
pillaient les alliés afin d'acheter les suffrages des sénateurs et
des plébéiens. Les opprimés s'adressaient en vain aux tribu-
naux , qui depuis la dictature de Sylla étaient exclusivement
composés de sénateurs. Les juges, souvent aussi coupablesque
les accusés, prostituaient leur ministère d'une manière scan-
daleuse. Cicéron , homme nouveau, comme on disait à Rome,
et qui avait son chemin à faire, du talent avec beaucoup
d'ambition ; Cicéron, qui à ses débuts oratoires avait, pour
se faire connaître, osé choquer la toute-puissance de Sylla,
ne montra pas moins d'ardeur lorsqu'il .s'agit pour lui de
poursuivre Verres. Le rang de l'accusé, l'influence de ses
protecteurs , l'autorité de son défenseur Hoi tensius, qu'on
appelait le roi du barreau, pouvaient sembler d'invincibles
obstacles ; mais , par un bonheur inouï , Hortensius n'osa
pas compromettre sa gloire en se mesurant avec un jeune
émule qui ne songeait rien moins qu'à le ménager; et Ver-
res dès le commencement du procès se condamna lui-
même à l'exil. Aussi ces fameuses Verrines, ou harangues
contre Verres, qui sont au nombre de sept , n'ont-elles pas
été réellement prononcées , à l'exception des deux premières.
Les cinq autres sont des plaidoyers composés dans le cabinet,
des coups d'épée donnés à un cadavre. Les historiens sont
peu d'accord sur le montant des restitutions imposées à
ce grand coupable. Dans son plaidoyer contre Caecilius,
DICT. PE LA CONVERS. — T. XVI.
Cicéron avait fait monter l'estimation des dommages des
Siciliens à cent millions de sesterces ( 12,500,000 fr.). Mais
dans le discours qui forme la première action , les demandes
de l'accusateur n'excèdent pas les quatre cent mille sesterces
montant du vol dont il .se bornait à convaincre Veirès. On
ignore l'usage qui fut fait de la somme exigée de Verres.
Il y a lieu de croire qu'une grande partie fut envoyée en
Sicile. Les frais du procès et les trésors prodigués par lui
afin de corrompre ses juges ne le ruinèrent point, et il
vécut toujours dans la magnificence. Après la mort de
César, il était rentré dans Rome, à la faveur d'une loi qui
rappelait les bannis; mais il fut de nouveau proscrit parles
triumvirs. 11 s'avisa de refuser ses statues et sa vaisselle
de Corinthe à Marc Antoine : on le mit sur les tables fatales;
il fut tué peut-être par les mêmes sicaires qui avaient frappé
l'auteur des Verrines et des Philippiqiœs.
Charles Du Rozoir.
VERRIER, ouvrier qui fait du verre , des ouvrages de
verre. Le métier de verrier ne dérogeait point jadis en
France à la noblesse ; on appelait gentilhomme verrier
celui qui travaillait en verrerie ; c'était un encouragement
donné par nos rois à une industrie toute nouvelle.
VERRIÈRE, VERRINE, verre qui sert à garantir les
châsses, les reliquaires et certains tableaux {voyez Clo-
che).
VERRIUS FLACCUS(Marcus), célèbre grammairien
romain, vivait à Rome au lemps d'Auguste, et s'y distin-
gua tellement oar son érudition et son éloquence qu'Au-
,3usle lui confia l'éducation de ses deux peiits-fils. Il mouruv
dans un âge fort avancé , sous le règne de Tibère. Des dif-
férents ouvrages qu'il avait composés sur l'histoire et sur la
grammaire , nous ne possédons plus aujourd'hui que les
fragments d'un calendrier romain découvert à Préneste, en
1770, sur une tablette de marbre mutilée, et que Foggini
publia ensuite, avec d'autres débris semblables, sous le titre
de Fasti Prxnesiini (Rome, 1779, in-fol.). Du plusimporlant
de ces ouvrages, qui était intitulé De Verborum Significa-
tione, et dont heureusement Festus nous a rapporté un
extrait, il n'existe que de courts fragments qu'il soit possible
de lui attribuer en toute assurance. M. Egger les a com-
pris dans sa Scriptorum latinorum nova Collectio (2 vol.
Paris, 1839).
VERRUE (du latin verrttca). Les verrues sont de
petites excroissances cutanées, dures , rugueuses , mame-
lonn e.s , du nature cpidermoïque et fibreuse, pouvant se
• leclarer sur tous les points de la peau, mais se dévelop-
pant de préférence aux mains et à la figure. Ces tumeurs,
parfois très- nombreuses à la partie extérieure des mains,
ainsi que sur le nez, semblent nu premier aspect n'être
que le résultat del'épaississementde l'épiderme; aussi sont-
elles le plus souvent insensibles, comme de la peau morte.
Toutefois, elles peuvent devenir quelquefois le siège d'une
douleur vive et accompagnée d'inflammation : on en voit même
devenir cancéreuses. Cette dégénérescence n'e.st à craindre
que lorsqu'on a une prédisposition à ce genre de maladie,
surtout dans le cas où l'on tenterait la guérison de ces tu-
meurs par de fréquentes applications irritantes. La douleur
que peuvent occasionner les verrues est en raison directe de
la profondeur de leurs racines, qui traversent quelquefois
toute l'épaisseur de la peau. Elles peuvent aussi devenirdou-
loureuses lorsqu'elles sont placées sur l'articulation ou dans
la jointure des doigts. Les verrues guérissent spontanément
ou par l'application de divers topiques. On a vu l'application
prolongée des cataplasmes émollients en déterminer la chute
et la guérison. Néanmoins , dans le plus grand nombre des
cas, on ne peut les détruire qu'en les attaquant avec cer-
tains liquides acres. Lorsque ces moyens sont insuffisants,
il reste encore la double ressource de l'excision et de la
cautérisation. Les caustiques le plus généralement employés
pour cet objet sont le nitrate d'argent et l'acide nitrique ,
qu'on applique avec précaution sur lo sommet de chaque
verrue. D"" L. Labat.
54
850
VERS
VERS, VERSIFICATION. Une nation est à peine fon-
dée, sa langue est à peine formée, que déjà ses poètes s'ex-
priment en vers, d'une manière autre que le vulgaire, soit
en mesurant leurs phrases, soit en les rimant. D'abord , pro-
bablement, le désir de rendre grâces à la Divinité des bien-
faits de sa création, ensuite la volonté de graver fortement
dans l'esprit les faits de l'histoire ont inspiré à chaque peuple
la poésie lyrique et épique. Quand plus tard on avança dans la
civilisation, on ne se borna pas à chanter les louanges des
ilieux ou à célébrer les hauts faits des liéros. Les poètes, deve-
nus personnels, peignirent leurs propres émotions, leurs sen-
timents d'amour ou de haine; les philosophes expliquèrent
leurs systèmes sous la forme poétique, c'est-à-dire en vers, pour
les rendre populaires ; ensuite, les arts et les sciences furent
professés sous la même forme et par les mêmes causes. De
là naquirent les diverses sortes de poésies, élégiaque, sati-
rique et didactique , et bientôt l'habitude des vers s'éten-
dit jusqu'aux représentations scéniques. C'est, à mon gré,
par une interprétation î"orcée des paroles d'Aristote que l'on
a prétendu et que l'on répète aujourd'hui qu'irl peut y avoir
des poèmes en prose. Aristote dit bien , il est vrai, que
les écrits d'Hérodote mis en vers ne seraient toujours qu'une
histoire, et en ce sens je partage son sentiment; mais il
n'^oute pas que les écrits d'Homère, mis en prose, se-
raient toujours des poèmes ; complément qui manque à sa
phrase pour lui donner l'interprétation adoptée par quelques
commentateurs. Le vers seul ne ronstilue pas une œuvre
poétique, mais toute composition poétique a besoin d'être
ornée du charme de la versification, du rhythme enfin, pour
mériter le nom de poème. Ce ne fut que quand les nations
se corrompirent par excès de civilisation , que le langage
prosaïque usuel ne suffit plus pour rendre des sentiments
hors nature , des pensées recherchées : alors la prose chan-
gea de caractère en employant des formes, des figures, des
alliances de mots réservées jusque là pour les vers; et du
moment qu'on eut une prose poétique, on eut bientôt la
prétention d'avoir des poèmes en prose.
La versification n'est que l'art qui enseigne le mécanisme
du vers. La matière de la versification consiste en syllabes
longues et brèves, et dans les pieds qui composent ces syl-
labes. Sa forme est l'arrangement de ces pieds en vers cor-
rects, nombreux et harmonieux. On peut parfaitement con-
naître les règles relatives à la construction des vers, savoir
les noms, les définitions, les qualités propres à chaque genre
de poésie, sans mériter pour cela le titre de poé ^e, de même
qu'il ne suffit pas pour être éloquent de ne rien ignorer des
préceptes de la rhétorique. Les règles de la versification
grecque et latine sont contenues dans de nombreuses mé-
thodes appelées prosodies; nous ne manquons pas non plus
de méthodes de versification française {voyez Poésie,
Rhythme, Cadence, Métrique). La versification
est une musique à laquelle l'oreille doit s'accoutumer par
une pratique longue et fréquente, avant que d'en reconnaître
le charme et d'en apprécier la mélodie. De ce qu'il existe
des personnes insensibles à la perfection du vers on n'en
saurait conclure que cet art soit futile et vain. Combien
n'est-il pas d'indiviJus jouissant d'ailleurs en apparence
de toutes leurs (acuités qui restent froids aux hymnes de
Hœndel, aux symphonies de Beethoven , etc. ! Cela prouve
seulement qu'il leur manque un sens.
Versificateur, c'est l'homme qui fait des vers. Cette qua-
lification se prend assez ordinairement en mauvaise part. Le
versificateur est celui qui fait le vers facilement et cor-
rectement même, mais qui n'a, dit-on, ni génie ni inven-
tion. Delille est l'un de nosraeilleursfers?j^ca<eM?-i. On peut
être à la fois fort mauvais poète et détestable versificateur,
cela se voit, et c'est alors la pire espèce de tous les écrivains.
ViOLLET LE Duc.
\ERSi Histoire naturelle). Quoique la classe d'ani-
maux qui porte ce nom soit bien différente de celle que les
anciens nommaient ainsi , et que l'on en ait retranché une
grande. partie, les espèces qui la composent sont encore
extrêmement nombreuses. D'abord on avait réservé le nom
de .ver aux lombrics ; puis on le donna à tous les être*
organisés , longs et mous , plus ou moins semblables aux
lombrics. Dans les deux cas, il y avait de l'exagération :
dans le premier parce qu'on avait trop restreint cette dé-
nomination , dans le second parce qu'on l'avait appliquée à
un trop grand nombre d'individus. Le célèbre Linné avait
donné le nom de vers à tous les animaux qui présentaient
cette forme , en exceptant toutefois les larves des insectes.
Lamarck vint ensuite faire une division, et donna pour carac-
tère à cette classe de n'avoir pas de vertèbres, de présenter
un corps allongé, mou, contractile, articulé ou partagé par
des rides transversales plus ou moins distinctes , n'offrant
ni corselet ni pattes articulées, et ne pouvant subir aucune
transformation. On pourrait cependant faire subir à cette
division d'autres subdivisions, fondées sur la forme de quel-
ques-uns de leurs organes ; mais comme ces différences ne
sont point assez tranchées, on s'est contenté de les diviser
en vers extérieurs , qui vivent dans la terre ou dans l'eau,
et en vers i n^e s < in a m x, c'est-à-dire en parasites, qui
vivent dans les intestins, aux dépens de l'animal, qu'ils
tourmentent et font souvent périr. L'illustre Cuvier est
venu , lui aussi , apporter à l'étude de cette classe intéres-
sante une parcelle de son génie. C'est lui qui, par des re-
cherches anatomiques d'une délicatesse extrême,', est par-
venu à démontrer comment ceux de ces animaux qui sont
entièrement privés de poils ou de soies peuvent cependant
marcher, par le moyen des deux extrémités de leur corps
qu'ils appliquent alternativement sur le plan qu'ils veulent
parcourir, comme, par exemple, les sangsues.Les versin-
testinaux présentent également une organisation analogue,
et leur marche est absolument la même ; mais leurs mou-
vements sont plus lents et leurs muscles beaucoup moins
contractiles : en outre, leur tête est souvent armée de cro-
chets, à l'aide desquels ils se cramponnent pour avancer.
C'est encore Cuvier qui a fait connaître les quatre faisceaux
de muscles qui aident les vers munis de poils ou de soies
roides à opérer leurs grands mouvements, les uns en atti-
rant les poils, les autres en les retirant, etc.
L'examen anatomique des nombreuses espèces de cette
classe présente d'immenses difficultés ; le système nerveux
est souvent imperceptible, et c'est ce qui a fait penser aux
naturalistes que le centre de la vie ne réside pas chez ces
animaux uniquement dans le cerveau, mais bien dans tout
le corps ; c'est pour cela que lorsqu'on les a coupés en mor-
ceaux, ils vivent encore, sans que cette division semble
avoir altéré aucunement leur vitalité. Le sens le plus com-
plet chez les vers est le toucher. Quant aux autres , où
en conteste même l'existence, du moins cliez le plus grand
nombre. Dans ces animaux , les organes de la respiration
présentent les variations les plus nombreuses ; les uns se
rapprochent des vertébrés, par des cavités pulmonaires; les
autres ont des branchies, comme les poissons ; d'autres , eu-
fin , respirent par des trachées , qui communiquent aux
tuyaux qui leur servent de poumons. Longtemps on a cru
que le sang des vers était blanc. Aujourd'hui , on sait par-
faitement qu'il est rouge et qu'il circule dans des vaisseaux
ramifiés communiquant avec le cœur. Les organes de la di-
gestion consistent dans un tube droit ou contourné, qui vient
aboutir, d'une part à la bouche , de l'autre à l'anus. Les
vers qui vivent à l'extérieur, c'est-à-dire dans la terre ou
dans l'eau, pondent au printemps. Les vers intestinaux
pondent sans doute à des époques indéterminées , l'uni-
formité de la température du milieu dans lequel ils vivent
devant modifier le moment de leur reproduction. Comme
tous les animaux à sang froid , ils peuvent supporter un
abaissement de température considérable; mais les grandes
chaleurs les fatiguent extraordinairement : aussi se tiennent-
ils toujours à une profondeur qui leur permet d'avoir une
température presque constante. Ils sont également très-
sensibles aux phénomènes électriques , et souvent on en
tronve qu'un orage a fait périr.
VERS — VERSAILLES
851
Parmi ces animaux si rebutants , il y en a dont l'instinct
est aussi développé que celui d'animaux d'une organisation
beaucoup plus parfaite : il en est qui choisissent pour habi-
tation les plantes les plus odoriférantes , les fruits les plus
savoureux ; d'autres qui se font des habits avec de la
soie (voyez Ver a soie ) et des parcelles de matières ter-
reuses ; d'autres, enfin, qui se creusent dans l'intérieur des
végétaux des galeries commodes , parfaitement claires et
aérées. Une particularité fort singulière, c'est que quelques-
uns de ces animaux possèdent la faculté de se reproduire
pour ainsi dire par bourgeons, comme les végétaux, c'est-
à-dire que lorsqu'on les a divisés en plusieurs fragments ,
chacun de ces fragments dans un temps donné présente
l'organisation complète d'un nouvel individu , et c'est sans
doute pour cela qu'on a cru longtemps que chaque partie
coupée renaissait aussitôt ; mais celte reproduction n'est
jamais instantanée , elle paraît ôtre le résultat de l'assimila-
tion de nouveaux lluides nourriciers, qui tendent à dévelop-
per chez l'individu les organes dont on l'a privé par la
section. C. Favrot.
VERSAILLES. Cette ville, située à 19 kilomètres à
l'ouest de Paris, est le chef-lieu du département de Seine-et-
Oise. Elle compte 29,956 habitants. Cité de plaisance plutôt
(jue d'industrie, et longtemps habituée, du reste, à vivre
uniquement des dépenses d'une cour somptueuse et pro-
digue, Versailles n'a que fort peu de commerce et de manu-
factures. Sa fabrique d'armes fines et de fusils de chasse ,
création du comité de salut public, a joui longtemps d'une
grande réputation pour la trempe des aciers, la beauté , la
solidité des canons et le luxe du damasquinage. Elle n'existe
plus. Versailles a un tribunal de première instance et de
commerce, un évêché suffragant de Paris, et qui comprend
les départements de Seine-et-Oise et d'Eure-et-Loir, une bi-
bliothèque publique, un collège et un séminaire. Ses foires
sont de cinq jours, et ont lieu à trois époques différentes ;
!e 1" mai, le 25 août et le 19 octobre. La ville est d'un as-
pect agréable; les rues larges et bien tracées.
L'histoire de Versailles, c'est l'histoire de son château.
Pendant les deux derniers siècles de la monarchie absolue en
France, il n'est aucun événement de quelque importance qui
«'ait eu son origine ou un retentissement profond dans cette
résidence célèbre. Les origines de Versailles sont assez obs-
Gores. On sait cependant que non loin de l'emplacement
où fut construit plus tard le château se trouvait le petit
prieuré de Saint-Julien , dont les chroniques particulières
remontent aux premiers temps de la monarchie capétienne.
Un peu au-dessus du prieuré s'élevait un donjon féodal ,
dont le premier seigneur connu s'appelait Hugo de Vcrsaliis,
et vivait au onzième siècle. En 1570, le manoir de, Ver-
sailles appartenait à Martial deLéoménie, secrétaire d'É-
tat, greffier du conseil et l'une des victimes de la Saint-
Barthélémy. Au commencement du règne de Louis XIII, on
apercevait encore près du donjon un moulin à vent de
construction ancienne, et dans lequel le roi allait coucher
quelquefois quand il ne voulait pas rentrer le soir à Saint-
Germain. Plus tard il fit bàlir à l'ombre de ses ailes un pa-
villon de chasse , dont on a vu longtemps une partie dans
la rue de la Pompe, à l'angle de l'avenue de Saint-Cloud.
Le moulin lui-même ne tarda pas à être abattu, et c'est sur
ses ruines que furent jetés les fondements du château ac-
tuel. Il formait alors un carré parfait, dont chaque côté re-
gardait de face l'un des quatre points cardinaux; les quatre
ailes étaient terminées par des pavillons et entourées d'un
large fossé. Sous le môme règne , la résidence seigneuriale,
qui dominait les nouvelles constructions , fut achetée à
J.-P. de Gondy, oncle du fameux cardinal de Retz, et en-
tièrement rasée. Parmi les événements célèbres dont le
château devint le théâtre à cette époque, nous devons citer
surtout la ;owrn^e des dupes, où Richelieu, un instant
disgracié, conquit sur la faiblesse du roi un irrésistible as-
cendant.
Louis XIV consacra à l'embellissement, ou plutôt à la
reconstruction de Versailles, des sommes dont le chiffre,
vraiment efirayant, est un des principaux griefs de l'histoire
contre ce règne, à la fois si grand et si désastreux. Les fêtes
nombreuses et féeriques qu'il y donna en l'honneur de cha-
cune de ses maîtresses entraînèrent également des dépenses
inouïes. Celle qu'il célébra le mercredi 7 mai 1C64 est con-
nue dans iCS fastes de Versailles sous le nom des plaisirs
de Vile enchantée. Les divertissements durèrent trois jours,
pendant lesquels le château fut transformé en palais d'Al-
cine et les seigneurs en paladins. Le 15 mai 1685, une so-
lennité d'une autre nature appela toute la cour à Versailles;
c'était la réception du doge, forcé de venir baiser la main
qui avait ordonné l'incendie de Gênes. Le bruit de la ma-
gnificence de Versailles était allé jusqu'aux extrémités du
monde exciter la curiosité des monarques indiens; l'un
d'eux, l'empereur de Siam, envoya complimenter Louis XIV.
L'ambassade fut fêtée à Versailles avec un luxe inouï. A
l'époque dont nous parlons la chapelle n'existait point en-
core; en revanche, on admirait à l'angle droit du corps
central du palais la célèbre grotte de Thétis , où était re-
présenté Apollon servi par des nymphes. Lorsque madame
de Maintenon eut asservi le roi aux praliques de sa dévo-
tion austère, la grotte licencieuse disparut, et fit place à la
chapelle actuelle , dont Mansard avait dessiné le plan. Le
grand Trian on devint, sous la fin du règne de Louis XIV,
une dépendance importante du château de Versailles.
Louis XIV devait expier par de cruels chagrins les folles
prodigalités dont son palais de Versailles était l'objet. On
sait qu'après avoir conduit le deuil de toute sa famille ,
il eut la douleur, pendant la guerre de la succession ,
de voir l'ennerni s'approcher à deux journées de Paris.
Dans cette extrémité, on proiwsa au roi d'abandonner Ver-
sailles et de se retirer au château de Chambord sur la
Loire. Louis XIV repoussa ce conseil avec une juste indi-
gnation, et celle inspiration de courage sauva peut-être la
France.
Lorsqu'il eut rendu le dernier soupir, la cour quitta Ver-
sailles à la suite du régent ; mais elle y revint, conduite par
Dubois, qui espérait, en éloignant le régent de Paris, le
débarrasser d'une partie des roués qui l'entouraient. Le
ministre et le maître y moururent tous les deux, dans la
même année.
Louis XV introduisit de bonne heure des changements
caractéristiques dans l'architecture intérieure du palais. Un
instant le palais faillit être reconstruit en entier, pour être
accommodé aux goûts du nouveau maître. Louis XIV avait
logé la monarchie dans Versailles ; Louis XV voulait en
faire un temple au plaisir. Déjà les plans de Gabriel avaient
été agréés et les travaux commencés, quand le défaut d'ar-
gent fit tout ajourner. A la mort de Louis XV le château
devint une seconde fois désert; l'on vit la cour fuir avec un
sentiment d'horreur et d'effroi ce cadavre pestilentiel, dont
les exhalaisons avaient déjà frappé de mort plus de dix
personnes. Les restes du roi, jetés à la hâte dans un carrosse
de chasse, furent conduits la nuit à Saint-Denis.
Louis XVI en entrant à Versailles manifesta le désir
(rcJf'acer du palais les traces du libertinage qui l'avait si
longtemps souillé, et demanda dans ce but à M . Hicque, son
architecte, un plan de restauration, dont il remit l'exécution
à l'année 1790. « Cela verra finir le siècle, disait-il; » mais
c'était le siècle qui devait voir finir à jamais l'influence de
Versailles. En 1788 le roi lient un ht de justice (et ce fut
le dernier} où il force le parlement à enregistrer les ré-
formes dans les mômes lieux où quelques années aupara-
vant Louis XV avait voulu contraindre cette compagnie à
sanctionner les abus. L'année suivante Louis XVI , cédant
aux impérieuses injonctions de l'opinion publique, convoque
les états généraux. Le roi en fit l'ouverture le 4 mai 1789,
dans la vaste salle des Menus. Le 20 juin suivant l'Assem-
blée nationale , chassée de la salle de .ses séances , trouve
un asile dans le jeu de Paume, où elle prêle, entre les mains
de Bailly, le serment célèbre qui décida de l'avenir révolu-
54.
852
VERSAILLES — VERS INTESTINAUX
lionnaire de la France. Le lendemain, le roi tint une séance
mémorable , dans laquelle il voulut annuler toutes les
délibérations déjà prises par le tiers état. Vain effort! un
seul homme se mit en opposition avec la volonté royale,
et cette volonté demeura sans effet, parce que cet homme
était Mirabeau. Toutefois , le maréchal de Broglie s'appro-
che de Versailles avec un corps de 10,000 hommes ; des ré-
{^iments allemands occupent les cours du palais et du parc;
des bruits sinistres se répandent sur les projets de la cour.
Tout à coup, le 14 juillet , on apprend l'insurrection de
Paris, puis la prise de la Bastille ; et quelques heures
après le roi allait implorer l'appui de ce môme tiers état
«lue la veille on avait dévoué peut-être aux vengeances du
pouvoir. Le soir du 16 juillet , Louis XVI arbora dans
Versailles la cocarde nationale , qu'il avait reçue le malin
des mains de Bailly. Malgré ces sévères leçons, le roi laissa
faire ce fatal repas des gardes du corps , qui amena les
journées des 5 et 6 octobre et le départ de la famille
royale pour Paris, destiné à voir Louis , sa sœur Elisabeth
et Marie-Antoinette, périr comme Charles 1" d'Angle-
terre.
Versailles perdait tout par la réforme des dépenses de la
cour et le départ de la famille royale. Cependant , cette
Tille, qu'on aurait pu croire imbue des idées de servitude,
embrassa avec transport la cause de la liberté. Peut-être
aucune des cités de la France n'a vu éclater autant d'en-
thousiasme que Versailles à l'époque de la levée de sep-
tembre 1795. Le seul département de Seine-et-Oise envoya
quatorze bataillons aux frontières.
Versailles ne laissa faire aucune dégradation au palais de
Louis XIV : on entretint les jardins avec le plus grand
soin ; mais les chefs-d'œuvre des arts furent transportés
en partie au Louvre, en partie au Luxembourg. Le Direc-
toire entretint le palais de Versailles ; Napoléon y fit des
dépenses considérables , mais il ne songea jamais à venir
habiter cette résidence royale, où de funestes défiances
l'auraient poursuivi, en l'accusant de se séparer du peuple
de Paris pour méditer quelque jour de réduire la capitale.
La branche aînée des Bourbons jeta plus d'une fois des
regards de regret sur Versailles. LouisXVIIl fut un moment
tenté d'y replacer le siège du gouvernement ; mais sa poli-
tique lui défendit celte témérité. Cette résidence royale ,
véritable épopée de pierre où sont écrits en traits ineffa-
çables les deux derniers siècles de notre histoire, aurait pu
finir par être abandonnée aux ravages du temps ou au van-
dalisme avide de quelque bande noire. Il était réservé
au roi Louis-Philippe de transformer le palais de Louis XIV
en un musée destiné à réunir toutes les gloires françaises
depuis les temps anciens jusqu'à nos jours.
P.-I'\ TiSSOT, de l'Académie Française.
VERSAILLES ( Musée de ). C'est l'œuvré du roi
Louis-Philippe, et cène sera pas un de ses moindres titres
degloire. Ce prince pour mettre le château de Versailles en
état do recevoir cette destination nouvelle eut beaucoup à
entreprendre et à exécuter. On a fait disparaître toutes les
distributions mesquines d'autrefois, tout ce qu'avaient exigé
les arrangements domestiques et les besoins toujours crois-
sants des courtisans commensaux du palais. Des salons nou-
veaux , immenses , ont été construits, rien n'a été épargné;
les lambris, les plafonds, les peintures, ont été restaurés
avec goût.
La collection que renferme le musée de Versailles com-
prend cinq divisions : k& tableaux , \es portraits, les
ùusles et \e& statues, les vieux châteaux et les marines.
Les tableaux ont pour sujets les grandes batailles rem-
portées par les armées françaises, les événements ou Jes
traits les plus remarquables de nos annales, le siècle de
Louis XIV, les règnes de Louis XV et de Louis XVI, la
brillante époque de 1792, les victoires de la république, les
cam[>agnes de Napoléon, lesactions mémorables de l'emiure,
le règne de Louis XVllI, celui de Charles X, la révolution
de 1830, le règne de Louis-Philippe. Il faut ralt^icher à cette
catégorie l'admirable collection de gouaches qui retracent
la campagne d'Italie.
Les portraits présentent la collection de tous les rois de
France, depuis Pharamond jusqu'à Louis-Philippe, de tous
les grands-amiraux, au nombre de soixante-trois, depuis la
chevalier Florent de Varennes jusqu'au duc d'Angoulême
(1270-1830) ; de tous les connétables, au nombre de trente-
neuf , depuis Albéric jusqu'à Lesdiguières (1060-1622); de
tous les maréchaux, au nombre de deux-cent-quatre-vingt-
dix-neuf; depuis Pierre jusqu'à Grouchy (1185-18.31) de tous
nos guerriers célèbres, tels que Dunois , Jean sans Peur,
Bayard , François de Guise, Condé, Dumouriez, Eugène
Beauharnais, etc.
Les bustes et les statues forment également des galeries
de personnages célèbres , depuis les premiers siècles jusqu'à
nos jours. On y a joint les tombeaux des rois et des reines ,
des princes et des princesses de France. La plupart de ces
tombeaux étaient au musée des Petits-Augustins.
Les vieux châteaux forment une collection de vues des
anciens châteaux de la France , avec les personnages dans
le costume du temps. Tout y est d'une grande exactitude,
caries tableaux sont de l'époque.
Les marines représentent quelques-unes de nos grandes
batailles navales.
Pour disposer toutes ces richesses artistiques , on a créé
de grandes subdivisions historiques ; on a adapté à chaque
salle, à chaque galerie, une série de faits et de personnages
rangés par ordre chronologique , aussi complète que le per-
mettait le nombre des tableaux , aussi étendue que le com-
portait la dimension des appartements.
VERS CYSTIQUES. Voyez Hydatide.
VERSEAU (Le), onzième signe du Zodiaque , lire pro-
bablement son nom de la saison des pluies, qui ont lieu
à l'entrée de l'hiver; c'est en effet au mois de janvier que'
le Soleil atteint cette constellation. Elle est composée de
quarante-deux étoiles. On la découvre en suivant une ligne
menée de la Lyre sur le Dauphin, prolongée vers le midi,
à la même distance du Dauphin que celle qui sépare le Dau-
phin de l'Aigle , c'est-à-dire à environ trente degrés. En
allant du Dauphin à Fomalbaut, on traverse dans toute sa-
longueur le signe du Verseau , et l'on passe vers le milieu ,
entre deux étoiles de troisième grandeur, à dix degrés l'unede
l'autre, et les plus remarquables de toute cette constellation.
Le Verseau est appelé tantôt Aquarius , Amphora, Fusor
aqux, tantôt Junonis Astrum , Aristseus , Ganymedes,
Puer iliacus, Jovis cinx dus , Cecrops, Urna, Aqux Ty-
rannus. Quelques poètes ont voulu que ce fût IJeucalion;
d'autres, Cécrops ou Ganymède. Dupuis a cherché l'origine
de cette constellation dans le débordement du Nil.
SÉDILLOT.
VERS ENTRELARDÉS. Voyez Entuelardeb et
Hym>'es Farcies.
VERSET, partie d'un chapitre, d'une section ou d'un
paragraphe divisé en petits articles , ordinairement de deux
à trois lignes, et contenant le plus souvent une proposition
entière, un sens complet. Les livres de l'Écriture Sainte
sont divisés par chapitres , et les chapitres par versets ;
c'est par Robert Estienne et son fils qu'a été faite la dt»-
tinclion des versets du Nouveau Testament.
VERS IIYDATIQUES. Voyez Hydatide.
VERSL\TEST1NAUX. On nomme ainsi la plupart
des vers parasites, quoique les cavités abdominales ne
soient pas les seules dont ils font choix pour leur habitation^
puisqu'on en trouve dans toutes les parties du corps. Nous
ne parlerons ici que de ceux qui appartiennent à l'espèce
humaine. Les plus importants sont ceux qui habitent les
voies alimentaires. Ils s'y propagent quelquefois beaucoup ,
et les accidents auxquels ils donnent lieu ont souvent des
suites fâcheuses. Ceux qu'on a rencontrés jusque ici sont
Vascaride lombricoï(ie,Voxy2ire,ïe tricocéphale et le
txnia. La première espèce vit le plus fréquemment dans
l'homme : on la rencontre dans l'estomac , ro&so[.liage et
VERS INTESTINAUX — VEP.T DE VESSIE
853
!es gros intestins ; quelquefois même elle sort par les fosses
nasales. L'oxyure se trouve dans le gros intestin et dans le
rectum ; plus ordinairement chez les enfants que chez les
adultes. La troisième espèce n'est connue que depuis le dix-
huitième siècle ; elle paraît se rencontrer chez tous les ma-
lades atteints de la fièvre muqueuse et d'autres maladies
graves. On prétend même qu'il se trouve chez tous les indi-
vidus , et que sa petitesse extrême le fait souvent échapper
à l'œil de l'observateur. La quatrième espèce est connue
depuis la plus haute antiquité, sous le nom de ver solitaire.
Une question qui a longtemps occupé les naturalistes les
plus distingués est celle-ci : Les vers inteslinaux viennent-
ils du dehors , et dans ce cas-là subissent-ils une transfor-
mation en rapport avec le milieu dans lequel ils vivent Pou
bien sont-ils le résultat d'un germe dont l'origine est in-
connue, et qui a pris dans les voies alimentaires un déve-
loppement extraordinaire ? La réponse à c«tte question est
très-facile : Non , les vers intestinaux ne viennent pas du
dehors, mais ils sont le produit d'un germe développé. La
différence d'organisation des vers inteslinaux et des lom-
brics Ole toute irrjésolution à cet égard , et les uns et les
autres périssent dès qu'ils sont soustraits à l'action du milieu
dans lequel ils ont coutume de vivre. Quant aux causes qui
amènent ledéveloppement des vers chez les animaux, il ne
faut pas les chercher ailleurs que dans le froid , l'humidité,
une nourriture insalubre et des digestions mal faites. Les
enfants de la classe indigente et même des classes riches en
sont affligés quand leurs repas ne sont pas réglés et qu'on
leur laisse mangerdansla journée des fruits et des aliments
indigestes. De là viennent ces épidémies vermineuses qui
ont quelquefois effrayé les populations. Quelques observa-
teurs ont prétendu que les vers intestinaux perçaient souvent
les membranes qui séparent les diverses parties du corps ;
mais ce fait est faux, et les observations des plus habiles
praticiens ont complètement démontré que la perforation
avait précédé le passage du ver.
Parmi les substances qu'on peut citer comme douées de
propriétés vermifuges, on doit placer au premier rang l'é-
corcede grenadier administrée en décoction. C'est surtout
contre le txnia que l'on a reconnu depuis plus de trente
ans l'efficacité de cette substance. La semeniine, ou extrait
éthéré de semencontra, possède également des propriétés
vermifuges très-remarquables. C. Favrot
VERSION (du latin vertere, tourner), synonyme de
traduction. En termes de collège, la version est un
exercice qui consiste à traduire du lalin ou du grec en fran-
çais.
On entend aussi par version les différences existant entre
des récits relatifs à un même fait.
VERSI SCIOLTI. On nomme ainsi, dans la poésie
italienne, ce que nous appelons des i>er5&Za7ics, c'est-à-dire
des vers non assujettis à la rime. Vltalia liber ata daGoti
du Trissino , quelques poèmes de Sannazar et de Ruceilai et
les comédies de l'Arioste sont les premiers ouvrages que la
littérature italienne ail produits en ce genre.
VERS LÉONIIVS. Voyez Léonin.
VERS MACARONIQUES. Voyez Macaronique
(Poésie).
VERS NUMÉRAUX. On appelle ainsi des vers dont
toutes les lettres numérales marquent le millésime de quel-
que événement. On sait que chez les romains I valait un;
V, cinq ; X, dix; L, cinquante; C, cent; D, cinq cents; et
M, mille. Ces lettres sont en conséquence appelées numé-
rales, et on ne compte qu'elles dans les vers numéraux.
Quand François l*"' fut fait prisonnier à Pavie, on fit ce vers
numéral :
Begia succumbunt pugnacis lilia Galli.
En additionnant les lettres numérales, et en n'oubliant pas
que le.s U sont considérés comme V, on voit que cet événe-
ment appartient à l'année 1525. Jules Sandeai;.
VERS RÉTROGRADES. Voyez Anagramiie.
VERSO. Voliez Foi.io.
VERSO IR. Voyez Cuaiîkue,
VER SOLITAIRE. Voyez Ti:MA.
VERS VÉSICULAIRES. Voyez IIydvtide.
VERT, une des sept couleurs primitives du spectre
solaire. C'est la quatrième en commençant à compter par la
moins réfrangihle , c'esl-à-dire la moins rouge. Il est reconnu
que de toutes les couleurs le vert est celle qui fatigue le
moins la vue et qui la repose le plus agréablement. Aussi la
nature teint-elle en vert les forêts, les prairies, etc. En gé-
néral , toute campagne fertile est verte. On a donc été con-
duit par l'observation à fabriquer à l'usage des personnes
qui ont l'organe de la vue délicat des lunettes dont les
verres , plans ou à peu près , leur font voir tous les objets
en vert.
VERT (Cap). On appelle ainsi un promontoire situé
sur la côte occidentale de l'Afrique, par environ 15° de la-
titude septentrionale , entre l'embouchure de la Gambie et
celle du Sénégal , et formant l'extrémité occidentale de l'A-
frique. Il doit vraisemblablement ce nom aux forêts que
trouva sur cette côte le navigateur portugais dom Fernan-
dez, qui le découvrit en 1445, ou bien à l'énorme quantité
d'herbes marines dont toute celte côte est couverte. Ce cap
a d'ailleurs bien moins d'importance que le groupe d'îles qui
l'avoisinent et auxquelles il donne son nom {voyez Cai'-
VERT[llesdu]).
VERT DE GRIS ou VERDET, combinaison de
l'oxyde de cuivre avec l'acide acétique. On l'obtient en éten-
dant sur un sol carrelé, dans un endroit frais, une couche de
marc de raisin sur laquelle on place des plaques de cuivre
provenant ordinairement du doublage des navires, et il se
forme par l'action qu'exerce sur le cuivre l'acide acétique
contenu dans le marc de raisin. On le trouve dans le com-
merce sous la forme d'une masse d'un bleu verdâtre, con-
tenant souvent des débris et de rafles de raisin. On l'em-
ploie beaucoup en teinture et en peinture. Autrefois , le
vert de-gris se préparait uniquement à Montpellier, d'après
l'opinion où l'on était que les caves de cette ville étaient
seules propres à cette opération. Aujourd'hui on eu fabrique
à Grenoble et ailleurs. 11 ne faut pas confondre ce sel avec
la matière verte qui se forme par l'action lente de l'air hu-
mide sur les vases de cuivre. Cette dernière substance, qu'on
nomme aussi vert-de-fjris,e%l un carbonate de cuivre hy-
draté. Du reste, l'un et i'autie sont de violents poisons.
VERT DE RINMANN, zincale de cobalt.
VERT DE SCIIEELE. Cette couleur, qui oue un
grand rôle dans la fabrication des papiers peints, est un ar-
sénite , qu'on obtient en mêlant ensemble des dissolutions
d'arsénite de potasse et de sulfate de cuivre. Le mode de
préparation et la température ont quelque influence sur sa
coloration. En augmentant la proportion d'acide arsénieux,
la nuance se charge de jaune; en précipitant par un alcali
caustique, la couleur devient très-intense et très-dure après
dessiccation.
VERT DE SCHWEINFURT , VERT DE MELIS,
"VERT DE YlEiNNE, très-belle couleur verte, qui se fabrique
depuis longtemps en Allemagne, et depuis quelques années
seulement en France , en faisant bouillir du vert-de-gris
dissous dans du vinaigre avec de l'acide arsénieux. Il se
précipite une poudre d'un vert sale, qu'on dissout dans
du vinaigre et qu'on fait bouillir. Elle se précipite alors sous
forme d'une poudre grenue, d'un vert extrêmement brillant.
Il y a une trentaine d'années les confiseurs s'étaient mis à em-
ployer cette substance pour colorer des bonbons ; l'éclat de sa
couleur frappait les yeux, mais sa nature la rendait suscep-
tible de produire de graves accidents. L'autorité en a donc,
avec raison, prohibé l'emploi dans celle industrie , même
pour les pastillages qui ne sont pas destinés à être mangés
mais que les enfants portent souvent à leur bouche en jouant
avec.
VERT DE VESSIE, couleur qui se prépare avec le»
baies dubourguépineetde l'alun.
854
VERT D'IRIS — VEBTIGE
VERT ,D'IRIS. Voyez Iris.
VERTÉBRALE (Colonne). Foj^ez CÉRÉBRO-SPINAL
(Système) cIVertèdres.
VERTÈRRES (du verbe latin vertere, qni exprime
l'action détourner). Les parties du squelette ainsi nommées
sont symétriques, et leur réunion forme le racliis ou la co-
lonne épinière, portion importante de la charpente du corps
humain. Ces pièces osseuses, comparables en quelque sorte
à des anneaux, forment entre elles, par des articulations
chez divers animaux, un conduit plus ou moins allongé,
qui renferme et protège puissamment le prolongement du
cerveau , appelé moelle épinière. Cette destination est des
plus importantes , parce que le système nerveux est la con-
dition principale de l'animalité et l'origine de toutes les au-
tres parties. Aussi les vertèbres, qui comportent toujours
la présence d'une tête, mais non pas toujours des membres,
offrent des caractères très-saillants de la perfection animale.
Elles établissent deux classes principales dans l'échelle zoolo-
gique : 1" celle des animaux pourvus d'une colonne verté-
brale, ou vertébrés .• ce .sont les animaux supérieurs , ayant
l'homme à leur tête; 2° ceux qui sont dépourvus de cette
colonne, ou invertébrés , qui sont les inférieurs , tels que les
insectes, les crustacés, etc. La moelle épinière, logée dans
le rachis, fournit des ramifications qui portent le mouvement
et le sentiment dans diverses parties de l'organisme : des
ouvertures pratiquées de droite et de gauche sur les vertè-
bres favorisent leur sortie. Le rachis, qu'on divise en régions
cervicale (correspondant au cou) , rfor5aie (correspondant
au thorax), lombaire (conespondant au ventre) et cau-
dale, présente des variations nombreuses chez les mammi-
fères, les oiseaux , les poissons et les reptiles. Le nombre de
ces os varie depuis IG ou 20 jusqu'à 200 chez des poissons
et 300 chez quelques couleuvres. Cette série d'os est encore
importante sous d'autres rapports : elle sert à supporter ou
à retenir la tête; elle fournit un appui long et solide pour les
parois de la poitrine ainsi que [)our celles de l'abdomen;
elle forme un pivot, mobile en diverses sens, qui soutient
le tronc ; enfin , elle fournit des attaches solides à plusieurs
muscles. Divers vaisseaux sanguins desservent ces os. En
général, les ouvertures, les gouttières, les nerfs, les vais-
seaux qui se rattachent au rachis , sont distingués par l'ad-
jectif vertébral. Ainsi, par exemple, le canal qui loge la
moelle épinière se nomme le canal vertébral.
En voyant les vertèbres accomplir des fonctions aussi im-
portantes, on comprend aisément que les altérations dont
ces os sont passibles doivent être graves. Malheureusement,
ces altérations se présentent en grand nombre; ces os , sur-
tout dans la portion cervicale, peuvent être lésés dans leur
articulation, mode de lésion analogue à l'entorse; c'est un
accident formidable, qui arrive à la suite de chutes ou de
violentes contractions musculaires : il n'est pas rare de le
voir survenir quand on veut enlever des enfants en les sou-
levant par la tête; le moindre mouvement dutorse suffit
dans ces cas pour luxer les vertèbres du cou et entraîner une
mort rapide. Les vertèbres du dos et des lombes ayant des
mouvements beaucoup plus bornés que les précédentes, sont
moins sujettes à se luxer; cependant, on en voit des exem-
ples dans des chutes graves. Ces os peuvent encore se frac-
turer par divers cliocs extérieurs. Les vertèbres s'altèrent
encore par des causes internes : c'est ainsi qu'on voit leur
tissu se ramollir, se carier et se détruire; ces deux causes
réunies produisent fréquemment des difformités , qui résul-
tent de la déviation de la colonne vertébrale. En général ,
toutes ces lésions sont très-graves. Dans le jeune âge on ne
saurait trop favoriser le développement de la colonne verté-
brale par une alimentation suffisante, par l'exposition à la
lumière, à une chaleur modérée, et par l'exercice. Sous ce
dernier rapport , il est dangereux de trop asservir les jeunes
enfants à des études qui les obligent à rester longtemps assis.
On ne saurait trop non plus se défier des corsets. L'usage
de ces moyens contentifs, dont on abuse généralement, est
une des causes principales qui rendent les déviations de la
taille si fréquentes. On peut comprendre aussi combien il
importe de recommander à tous ceux à qui on confie le soin
des enfants de ne jamais les soulever par la tête. Lorsqu'on
voit la colonne vertébrale se dévier, ou seulement ne pas
offrir un point (l'appui solide au tronc, on ne saurait trop
s'empresser de recourir à des secours rationnels.
Charbonnier.
VERTEBRES, c'est-à-dire animaux pourvus àe ver-
tèbres. C'est sous ce nom, très-significatif et généralement
adopté, que Lamarck et G. Cuvier ont groupé les mammi-
fères (mammalia, L.), les oiseaux (aves, L. ), les reptiles
(amphibia, L.) et les poissons (pisces, L.).
VERTEX, mot latin qu'on a transporté dans la langue
française comme synonyme de s t n c jp m ^ , et par lequel on
désigne le sommet ou la partie la plus élevée de la fête.
Dans l'entomologie, le vertcx déf>\gae quelquefois la por-
tion horizontale de la face des insectes qui touche au front,
et qui est située derrière les yeux.
VERTICAL (du latin vertex), adjectif par lequel on
désigne ce qui est perpendiculaire à l'horizon. Une ligne ver'
tien le est donc une ligne perpendiculaire à l'horizon.
On nomme, en astronomie, cercles verticaux ou azimu-
tauXf ou simplement verticaux, des cercles imaginaires
tracés à la surface de la sphère céleste en passant par le
zénith et le nadir, et par conséquent perpendiculaires à l'ho-
rizon. On mesure sur ces cercles les hauteurs angulaires des
corps célestes au-dessus de l'horizon. On nomme distances
zénithales les compléments de ces hauteurs.
VERTICILLE. En botanique, on donne ce nom à l'as-
semblage de plusieurs feuilles ou de plusieurs Heurs
s'attachant circulairement autour d'un même point de la
tige ou d'une de ses divisions. Ces feuilles ou ces (leurs sont
alors dites verticillées.
VERTICILLE (Faux). Voyez Faux Verticille.
VERTIGE (en latin vcrtigo, du verbe vertere, tour-
ner). C'est une aberration cérébrale durant laquelle il sem-
ble que tous les objets tournent et que l'on tourne soi-même.
Cette hallucination, ordinairement passagère, fait souvent
éprouver un tintement d'oreilles et un obscurcissement de la
vue. On peut admettre deux sortes de vertiges, l'un de per-
ception visuelle, et l'autre uniquement appréciable par la
sensation qu'on éprouve d'un mouvement de rotation : ils
sont ordinairement réunis, quoique variant d'intensité. Les
auteurs ont divisé le vertige en simple et en ténébreux.
Dans le premier, on distingue les objets qui tournent, tandis
que dans le second la vue est obscurcie. Le vertige est géné-
ralement de courte durée lorsqu'il a été causé par la vue d'un
objet très-mobile, comme une roue qui tourne rapidement,
ou bien lorsqu'il a été produit par un mouvement rapide de
rotation, comme celui delà valse quand on n'en a pas l'ha-
bitude. 11 en est de même lorsque cette perturbation céré-
brale a été le résultat d'une vive impression morale, comme
la colère, la frayeur, etc. Le vertige causé par l'ivresse ou
l'état de maladie est plus long et d'une gravité toujours en
raison directe de l'intensité de la cause. Quoique l'afdux san-
guin soit constant dans la grande majorité des cas, il en est
cependant quelques-uns où l'on ne saurait l'admettre. Nous
classerons au nombre de ces derniers les vertiges qui sui-
vent la saignée et surtout celle du pied, les vertiges qui ac-
compagnent les maladies d'épuisement, ceux qui sont ac-
compagnés d'une extrême pâleur de la face, etc.
Les causes du vertige sont nombreuses et de nature très-
variée ; elles sont aussi d'une action relative à la constitution
individuelle , à la prédisposition accidentelle, et surtout au
défaut d'habitude de certaines impressions. Il est des per-
sonnes qui ne peuvent plonger leur regard d'un lieu très-élevé
sans éprouver le vertige. Une cravate trop serrée autour du
cou peut provoquer des vertiges; aussi les asphyxies par
strangulation sont-elles constamment accompagnées de cette
aberration cérébrale.
Le vertige simple se manifeste au début d'un grand
nombre de maladies aiguës. Il est aussi très-fréquent durant
les premiers jours de la convalescence, et principalement
au moment où les malades sortent du lit. Le vertige téné-
breux est d'ordinaire l'avant-coureur de l'épilepsie ou de l'a-
poplexie.
Outre les soins spéciaux que peuvent réclamer les diffé-
rentes sortes de vertiges, nous indiquerons, au nombre des
moyens prophylactiques de cette affection , les saignées du
pied , les pédiluves chauds et sinapisés , la cessation de tout
travail intellectuel, un séjour peu prolongé au lit, la pré-
caution de dormir la tête élevée, un régime léger et adoucis-
sant, les pieds habituellement chauds, le bas- ventre libre
et un exercice modéré en plein air. D' L. Labat.
Au figuré, on appelle vertige un acte passager d'erreur,
d'égarement ou de iolie chez une personne dont la raison est
habituellement saine. On dit que Vesprit de vertige s'em-
pare d'un peuple, d'une nation lorsque la même idée sem-
ble diriger tous les hommes et qu'ils se jettent à corps perdu
dans une entreprise hasardeuse ou déraisonnable.
VERTOT D'AUBOEUF (René-Aubert de), his-
toiien d'un style attachant , mais d'une critique faible et
peu sûre , naquit le 25 novembre 1655 , au château de Ben-
netot, dans le pays de Caux. Il embrassa la vie religieuse
malgré l'opposition de sa famille , et fut successivement ca-
pycin sous le nom de frère Zacharie, clianoine régulier de
Prémonlré, malhurin, et membre de l'ordre de Cluny. Enfin,
fatigué de la vie des cloîtres , il vint prendre l'habit ecclé-
siastique à Paris, en 1701. Ces divers changements furent
appelés dans le monde les révolutions de l'abbé de Vertot;
plaisante allusion aux titres de la plupart des ouvrages de
cet écrivain. Les talents de l'abbé de Vertot lui ouvrirent les
portes de l'Académie des Inscriptions en 1705, et lui assu-
rèrent de puissants protecteurs. Secrétaire des commande-
ments de la duchesse d'Orléans Bade-Baden , secrétaire des
langues chez le duc d'Orléans, historiographe de l'ordre de
Malte, jouissant de tous les privilèges de cet ordre, dont il
pouvait porter la décoration et où il obtint une comman-
derie, il aurait eu mauvaise grâce à se plaindre de la for-
tune. Vertot mourut accablé d'infirmités, le 15 juin 1735 ,
laissant une belle renommée d'historien , qui n'a pas con-
servé tout son éclat, et quelques ouvrages qui, malgré leurs
imperfections , passeront à la postérité. Nons ne parlerons
point de ses dissertations enfouies dans les mémoires de l'A-
cadémie des Inscriptions ni de son Traité de la Mouvance
de Bretagne, qui ne mérite point d'être tiré de l'oubli, ni
de son Histoire critique de V Établissement des Bretons
dans les Gaules ; nous n'avons même que peu de chose
à dire de V Histoire des Chevaliers de V Ordre de Malte,
récit souvent romanesque, et dont la diction laisse beaucoup
à désirer sous le rapport delà pureté. Les vrais titres litté-
raires de Vertot sont : V Histoire des Révolutions de Por-
tugal, celle des Révolutions de Suède, enfin l'Histoire
des Révolutions Romaines. C'est dans ces trois ouvrages
qu'on retrouve ce style pittoresque et animé qui donne à
l'histoire une forme si dramatique et si intéressante. Mably
comparait VHistoire des Révolutions de Suède à ce que les
anciens ont produit de plus beau en fait d'histoires. D'au-
tres critiques sont d'un avis contraire à celui de Mably , et
regardent VHistoire des Révolutions Romaines comme le
chef-d'œuvre de Vertot. Il est vrai que dans ce dernier ou-
vrage l'auteur, marchant appuyé sur les anciens, se tient
plus près des faits tels qu'ils nous les ont transmis; il est
vrai aussi qu'il reflète assez ordinairement les beautés qu'of-
frent ses modèles. Toutefois, quoiqu'il les rappelle souvent
par son style pittoresque, élégant et rapide, il leur reste
toujours évidemment inférieur ; et c'est avec raison qu'on
lui a reproché de manquer quelquefois de goût dans le
choix des originaux qu'il peut suivre , et de traduire Dcnys
d'Halicarnasse , alors même qu'il lui serait permis de s'en-
richir des plus beaux morceaux de Tite-Live. En somme ,
Vertot doit être considéré plutôt comme écrivain que comme
historien. S'il plaît, s'il intéresse toujours, il a le désa-
vantage d'être peu instructif. C'est quelque chose d'avoir le
VERTIGE — VERTU ^.55
style qui convient à l'histoire; mais l'histoire n'est plus qu'un
roman lorsqu'elle manque de vérité. Or, on sait que Vertot,
peu scrupuleux sur un point d'ime si grande importance,'
travaillailsouventsurdes mémoires infidèles ; on sait aussi
qu'il recourait quelquefois à son imagination pour embellir
ses récits. Une anecdote fameuse donne la mesure des li-
cences qu'il prenait à cet égard. Ayant reçu des mémoires
très-authentiques et circonstanciés sur le siège de Malte il
n'en fit point usage , et se contenta de dire : « C'est trop
tard, mon siège est (ait. » Champacnac.
VERTS ( Faction des). Voyez Bleus et Verts.
VERTU (Mythologie). La Vérité est sa mère.
Les Romains, qui avaient élevé un temple à la Pudeur,
n'oublièrent pas d'en ériger un à la Vertu qui , dans leur
langue, signifiait aussi cette valeur et cette force la pro-
priété des grandes âmes , et à l'aide desquelles , poignée de
pâtres d'abord, ils devinrent ensuite le peuple-roi. On la re-
présente avec une robe de lin blanche et sans tache, assise-
sur un cube, parce qu'elle est inébranlable aux séductions.
Tantôt elle tient à la main une palme comme nos martyrs,
au nombre desquels les persécutions qu'elle souffre peuvent
la ranger; tantôt elle tient, comme les triomphateurs , une
branche de laurier ou une pique, comme Minerve ( la Sa-
gesse ) ; quelquefois un sceptre, comme le dominateur de la
terre; puis, comme les anges, elle porte des ailes. Une di-
vine allégorie de ce noble sentiment, c'est une flamme py-
ramidale qui monte au ciel. Le spirituel Lucien , le Voltaire
de son siècle, l'a peinte le front affligé, indigné même, pour-
suivie par la Pauvreté, et avec une affection de misanthro-
pie dans les regards et dans tous les traits ; il semble avoir
traduit cet hémistiche d'un fametvx satirique :
flirtas laudatur, et alget.
Vous louez la Vertu,
Et vous la laissez pauvre et de froid se morfondre !
Denne-Baron.
VERTU (Philosophie). Il en est de ce mot comme de
celui de vérité; c'est un de ceux qui jouent le plus grand
rôle dans la pensée , dans le langage , dans toute la vie de
l'homme. Formé du latin virtus, qui vient de vir ( homme),
il se prend quelquefois en français dans le sens de force,
décourage et de valeur digne d'un homme, comme virtus
en latin , comme àpeTT) en grec. Mais il est peu usité dans
ce sens. On l'applique aussi quelquefois aux animaux , aui
plantes, soit pour désigner des qualités estimables, soit pour
exprimer des qualités quelconques. Dans son sens véritable,
consacré, élevé, le mot vertu signifie cette disposition mo-
rale qui nous porte à remplir consciencieusement et cons-
tamment nos devoirs. En elfet, la vertu demande et com-
mande la vie entière de l'homme, toutes ses facultés
morales, toutes ses facultés intellectuelles et toutes ses fa-
cultés physiques ; la vertu , c'est la vérité sous une autre
forme, ou plutôt c'est la vérité appliquée, réalisée, mise
en action. La nature de la vertu est d'abord d'être belle,
d'une beauté absolue, comme la divinité; ensuite d'être
légitime, obligatoire, sacrée, inviolable comme la sainteté
de Dieu. Reconnaître la vertu dans sa beauté et dans sa
légitimité , l'aimer d'une affection tendre et puissante comme
on aime ce qui est beau, et faire ce qu'elle ordonne avec une
fidélité inaltérable , et uniquenient parce qu'on aime à faire
ce qu'elle ordonne, c'est être vertueux. Ce n'est point parce
que la. vertu de mauvais le rend bon , de bon meilleur, de
meilleur pur , de pur saint, de saint parfait, ce n'est point
parce que la perfection le rapproche de Dieu, que l'homme est
vertueux, c'est parce qu'il ne saurait pas ne pas l'être sans
se mentir à lui-même, à son intelligence , à sa conscience,
sans profaner toutes ses facultés intellectuelles et morales,
sans trahir toute sa destinée et violer tout ce qu'elle a de
sacré. On peut faire des choses que la vertu approuve, sans
être vertueux. On n'est vertueux qu'à la condition de pui-
ser à sa source , de partir de sa loi suprême et d'être tou-
jours dans le domaine de cette loi. Quelle est cette loi gé-
856
VERTU — VERTUMNE
nérale, universelle ? Les moralistes, peu d'accord dans la forme,
en ont articulé un grand nombre : «■ Vivre conformément à
la vertu ou mener une vie harmonique (Zenon) ; » « Vou-
loir et ne pas vouloir constamment la même chose (Sé-
nèque); » « Vivre conformément à la raison (Socrateet
d'autres) ; » «Vivre conformément à la nature ( Cléanthe); »
« Suivre le sens moral et les sentiments de bienveillance
qu'il inspire ( Hutcheson et l'école écossaise); » ■< Agir de
telle sorte que la règle de notre volonté puisse être le prin-
cipe de la loi générale (Kant) ; » « Faire pour les autres ce
qu'on voudrait qu'ils lissent pour nous , et ne pas leur faire
ee que nous ne voudrions pas qu'ils nous fissent ( le Livre de
Tobie, VÉvangile ei\A Loi chinoise, V Invariable milieu.
trad. par Abel Remusat, ch. XIII); » « Agir d'une ma-
nière conforme à la volonté de Dieu , telle qu'elle se mani-
feste dans la raison , dans la conscience, dans l'ordre moral
du monde, dans la révélation. » Telles sont les lois su-
prêmes que , suivant la mesure de leurs lumières , ils ont
tracées à la vertu. On peut, avec D r o z et d'autres penseurs,
classer toutes ces lois en cinq catégories, suivant qu'elles
ont pour objet l'amour de soi , le désir d'obéir et de plaire
à la divinité , celui d'être utile aux hommes, celui de se con-
former à l'idée abstraite des lois morales ou celui de se per-
fectionner. Mais on sera toujours amené à reconnaître que
la loi suprême de la vertu ne se trouvent que dans le prin-
cipe et dans la nature de la vertu , et qu'elle n'est autre que
celle-ci : Obéis à la vertu , puisque tu reconnais sa divine
beauté et que tu sens son inviolable légitimité. Au-dessous
de cette loi suprême , qui trace le devoir et qui domine la
science du devoir, ou la morale , se placent une série de lois
spéciales ou de règles, de maximes ou de préceptes {leges
ethicse y ou morales), soit pour certaines vertus générales
qui comprennent toutes les autres , soit chacune des vertus
particulières , soit pour chaque cas particulier où il s'agit
d'exercer une vertu. Les anciens admettaient quatre vertus
cardinales : c'étaient le courage, \a. tempérance, \a jus-
tice et la prudence. Les scolastiques enseignaient trois
vertus théologales : c'étaient la foi , la charité et l'espé-
rance. D'autres distinctions encore plus généralement ad-
mises divisent tous nos devoirs en trois classes : obliga-
tions envers nous-mêmes, envers Dieu, envers les hommes.
Ces classifications ont leurs avantages; mais il ne faut ja-
mais perdre de vue que toutes les vertus sont également
belles et également sacrées; qu'on n' est pas vertueux pour en
exercer une , mais qu'on l'est pour les exercer toutes ; que
toutes se tiennent, et que celui qui en viole ime seule, tut-
elle même la moindre, les viole toutes ensemble. A cet
égard saint Paul et Cicéron sont d'accord.
L'idéal de la vertu , c'est la réunion et la fusion harmo-
nique de toutes les vertus ; c'est ce que la philosophie ap-
pelle la perfection, \aL religion , la sainteté. La philosophie
ne croit pas à la perfection de l'homme, mais elle croit à
la perfectibilité et à l'obligation du perfectionnement de
l'homme, et sous ce rapport Sénèque a dit avec raison :
Virtus eadem in homine acin Deo. La religion ne croit
pas à la sainteté de l'homme, mais elle croit à la possibi-
lité, et enseigne la nécessité de la sanctification. L'une et
l'autre offrent à la vertu chacune un idéal, et à peu de
choses près c'est le même idéal qu'elles lui proposent toutes
deux. Avoir constamment cet idéal en vue et s'appliquer
consciencieusement à s'y conformer, c'est être vertueux.
Pour la connaître, pour aimer, pour pratiquer la vertu,
il faut des facultés absolues , une intelligence sans bornes,
une liberté infinie, une action toute- puissante. La raison
de l'homme est bornée, sa liberté est bornée, son action
est bornée; mais tontes ces facultés lui sont données pour
étudier, pour chérir et pour servir la vertu. La vertu, c'est
sa grande tâche, sa destinée, sa vie intime; et la vertu n'est
pas elle-même si elle n'est pas conçue dans sa perfection ,
dans son idéal : mais quand il s'agit de l'idéal de la vertu,
on doit distinguer avec soin la théorie et la pratique. La
théorie de la vertu n'est pas simplement l'idée de la vertu
absolue, c'est la science du devoir ou des devoirs, ou la mo-
rale naturelle ou philosophique. On a élevé la question de
savoir si la vertu pouvait être enseignée ou avait besoin
de l'être ? C'était demander si l'intelligence et la conscience
de l'homme avaient par elles-mêmes toutes les lumières
désirables ou pourraient en recevoir de plus grandes qu'elles
n'en ont communément, soit parla méditation, soit par l'é-
tude : ce n'était donc pas une question sérieuse. Or, il est
très-vrai que la vertu réclame non-seulementjl'étude et la
méditation , mais encore qu'elle demande la pratique. En gé-
néral, les moralistes et les législateurs se sont plus occupé»
de la pratique que de la théorie. Tel est l'objet des plus belles
institutions de la civilisation ancienne et moderne; car le
culte n'a pas d'autre but, et l'enseignement doit toujours
seconder le but moral du culte. Le culte nous place sans
cesse en face du législateur suprême et devant le juge dont
l'enseignement nous a fait connaître les sublimes exigences.
Mais ni le culte ni l'enseignement ne peuvent suppléer à ces
saintes méditations où le dévouement puise ses hautes et
puissantes inspirations, celles qui triomphent du vice que nous
portons en nous-mêmes et de la séduction que nous prêche
l'exemple. Les anciens ont souvent regardé la vertu comme
un don des dieux , les modernes comme un effet de la grâce
divine. Les uns et les autres ont mêlé de grandes erreurs à
une grande vérité ; la vertu n'est qu'en Dieu, l'homme n'a pu
la voir que dans ce qu'il tenait de Dieu, il ne peut la prati-
quer qu'en se tenant à Dieu, avec le concours de Dieu; mais
ce n'est pas Dieu qui la pratique dans l'homme et sans le
concours de l'homme. A tous les âges de l'humanité, la vertu
s'est modifiée en pratique comme en théorie, suivant les idées
que l'homme s'est faites du concours de Dieu ; et de toutes
les choses qui la modifient, la religion a toujours été la plus
puissante.
Il est, sinon des vertus, au moins des habitudes mo-
rales de con.stitution, de tempérament, de famille, de caste,
de nation. Cependant, si les mœurs et les lois politiques
exercent sur la vertu une action profonde, celle qu'elle reçoit
des institutions religieuses est bien plus puissante encore; et
dans la vie de l'immense majorité des hommes, les obliga-
tions morales ne sont pas autre chose que les obligations de
la religion et du culte. On a parlé de vertus naturelles ou
philosophiques, àe \eTl\is civiles , de \erlus politiques,
de vertus religieuses, et l'on a eu raison de distinguer
tout ce qui se distingue réellement; mais s'il est quelques
vertus naturelles, s'il est dans l'histoire ancienne deux ou
trois peuples qui ont eu des vertus, et s'il en est deux ou
trois qui rivalisent avec eux dans l'histoire moderne, il n'en
est pas moins vrai que la très-grande majorité du genre hu-
main ne connaît que les vertus rehgieuses, et que même
dans le reste les vertus civiles et politiques se modifient
profondément suivant le rôle que joue la religion. On dit
commimément que l'humanité est d'accord sur la morale ,
qu'elle ne dilfère que sur la religion et la politique : rien
n'est plus faux, rien n'est plus impossible. Ce qui est vrai,
c'est que la fraction civilisée du genre humain est générale-
ment d'accord sur les théories de la vertu ; et à voir ces
manuels de morale que les moralistes publient depuis So-
crate jusqu'à nos jours, comme à voir le langage exoté-
Tique que tiennent les législateurs , les hommes d'État et les
politiques, ce serait l'amour le plus pur de laverlu idéalequi
régnerait dans le monde : mais l'histoire de l'humanité nous
révèle des faits bien différents, et nous dit bien mieux ce
qu'il faut penser de l'accord et de la sincérité de ces doctrines
de parade. Matter.
\ERTVS (Géographie). Foj^es Marne.
VERTUGADL\S. Voyez Panier.
VERTUMNE, dieu d'origine étrusque, qui présidait
aux saisons, à l'année qui en est le cycle, dont il était la
peisonnification, et à l'automne. Vertumne partageait ce
doux soin avec la nymphe Pomone, sou inséparable
épouse. Ce dieu, un des ministres de la nature, a pris son
nom du verbe latin vertere, tourner, de la révolution d<*
VERTU M NE — VER VINS
857
l'année dans l'écliptique ; aussi ses fêtes , appelées Vertuin-
nales , se célébraient-elles au mois d'octobre, époque où la
Terre est près d'acliever son orbite autour du Soleil. Plusieurs
prétendent que Vertumne fut un roi ou plutôt un chef des
Étrusques, auxquels il enseigna l'art de greffer les arbres, et
que ces derniers, lorsqu'ils vinrent, Lucumon, Vîbennins
Cœlius à leur tète, secourir Romulus contre les Sabins, éle-
vèrent à leur législateur agricole un temple dans le treizième
quartier de la cité et une statue dans le huitième, appelé
Velabrum. Ce dieu se transformait à son gré ; il est le sym-
bole de la transformation continuelle de l'univers : aussi le
mythe, dont Ovide a fait une de ses plus suaves légendes,
raconte-t-il que c'est à ses changements merveilleux que
Vertumne dut la conquête si difficile de la chaste Pomone.
On le représentait sous une figure un peu rustique, jeune et
riant, agrestement vêtu, et portant pour couronne un tor-
tillon de foin ou d'herbes varices; tenant des fruits de la
main gauche, et de la droite une corne d'abondance ou une
faucille. Les prémices des fleurs et des fruits lui étaient con-
sacrées. DF,NNE-B.\liON.
VEIIULAM( Baron de). Foj/e; Bacon.
VERUS. L'histoire romaine compte deux personnages
de ce nom qui figurent sur la liste des césars.
Le premier, Luchis Jilhis Verus , dont Spartien a écrit
la vie, se nommait dans sa jeunesse Lucius Aurelius Ceionius
Commodus, et ne prit le nom sous lequel nous le désignons
qu'après qu'il eut été adopté par Adrien, l'an 1 35 de noire ère.
Créé d'abord préteur, puis césar, il fut chargé du gouver-
nement de la Pannonie, dans lequel il déploya quelques ta-
lents. L'histoire s'occupe d'ailleurs peu de lui : il mourut su-
bitement à Rome, en janvier 138, avant Adrien, après avoir
été appelé deux années de suile à remplir les fonctions du
consulat.
Le second Verus, fils du précédent, et appelé comme lui,
naquit à Rome, en l'an 130. Il fut adopté, ainsi que Marc
A u r è I e , par T. Antonin, à qui Adrien lui-même avait imposé
avant sa mort cette double adoption. Le jeune Verus, quoi-
qu'il montrât un penchant décidé pour la dissipation et les
plaisirs et peu de goût pour l'étude, n'en fut pas moins nommé
questeur avant l'ûge fixé par les lois et revêtu de la dignité
consulaire durant les années 154 et 161; mais le sénat,
après la mort d'Antonin , ne crut pas devoir l'associer à
l'empire, auquel Marc Aurèle fut seul appelé. Ce dernier, qui
portait la plus vive affection à son frère adoptif, le créa
césar et auguste, se l'associa dans l'exercice du pouvoir
impérial en même temps qu'il l'adopta pour gendre, et lui
confia le commandement d'une expédition contre les Parthes.
Verus, laissant à ses généraux tout le soin de la guerre,
que ceux-ci menèrent à bonne fin , s'abandonna à des excès
sans frein. Il n'en vint pas moins se présenter à Rome pour
recevoir les honneurs d'un triomphe auquel il n'avait aucun
droit, et qui lui valut cependant les surnoms d'iirwiéni^MC,
de MédiquetiA& Parthtque. Jusqu'à sa mort, arrivée en
169, à Altinum, en Venétie, ilne-cessa de se livrer aux plus
folles dissipations et à un luxe qui sous plus d'un rapport
l'assimila aux Héliogabale et aux Caligula. Entre autres
extravagances, il donna un jour, et à douze convives seule-
ment, un repas de six millions de sesterces.
VEUVE. On entend par là , en poésie , une vive repré-
sentation de l'objet dans l'esprit et une émotion du cœur
proportionnée à cet objet; moment heureux , ajoute le che-
valier de Jaucourt, à qui nous empruntons cette définition,
moment heureux pour le génie du poète, où son âme, en-
flammée comme d'un feu divin , se représente avec vivacité
ce qu'il veut peindre et répand sur son tableau cet esprit de
vie qui l'anime et ces traits touchants qui nous séduisent
et nous ravissent.
VERVEINE, genre de la famille des verbenacées, qui
a longtemps partagé avec le célèbre gui des Gaulois la ré-
putation de plante sacrée ; les anciens avaient pour elle une
grande vénération. On l'employait pour purifier les autels
de Jupiter après les sacrifices. Elle était considérée comme
le symbole de l'amitié , et on lui attribuait la vertu de réunir
deux cœurs désunis par la haine. Elle a été chantée par les
poètes; et c'est avec elle que l'on faisait les couronnes dont
on ceignait la tête des hérauts d'armes chargés d'annoncer
la paix ou la guerre ; mais elle est à peine regardée aujour-
d'hui, après avoir été pendant longtemps préconisée comme
fébrifuge et vulnéraire. La verveine paraît en effet douée de
propriétés vulnéraires et résolutives. On en connaît au moins
vingt espèces, presque toutes originaires du Nouveau Monde.
Parmi les principales figure la verveine à frois feuilles et
à tige frute.'^cente , venant du Chili, et maintenant acclimatée
en France, dans nos jardins, qu'elle embaume. La verveine
officinale (verbena ofjiicinalis) , vulgairement appelée AerJe
saerée, a des épis filiformes paniculés et les tiges solitaires :
c'est une plante annuelle, qui se trouve dans toute l'Europe,
sur le bord des chemins et dans le voisinage des villages, où
elle s'élève à environ un mètre. C'était l'e.^pèce vénérée
par les druides. C'est à elle que les gens de la campagne at-
tribuent une multitude de propriétés, la supposant bonne à
toutes les maladies, depuis la goutte jusqu'à la fluxion de
poitrine et à la migraine. C. Favrot.
VERVEUX. Foyes Filet.
VERVIERS, ville de lapiovincede Liège (Belgique),
sur la Vesdre et autrefois dépendance de l'évêché de Liège,
est très-agréablement située, partie au fond d'un charmant
valion et partie sur le flanc d'un coteau vivement accidenté,
et en outre parfaitement construite. On n'y compte pas moins
de 24,900 habitants , et même 27,000 en comprenant la po-
pulation des bourgs d'Hodimont , Francomont , Ensival ,
Limbourg, etc., qui ne font qu'un avec la ville. La grande
industrie de Verviers, c'est la fabrication des draps. Elle ne
livre pas moins de 100,000 pièces annuellement à la consom-
mation, et la valeur en est évaluée à 25,000,000 fr. Ces
produits ont leur écoulement surtout en Italie et aussi en
Allemagne. On lit dans un rapport récent de la chambre
de commerce de Verviers que le capital employé à cette fa-
brication est de plus de 122 millions de francs. On trouve
également à Verviers qtielques grandes usines consacrées à
la fabrication des savons , des eaux-fortes et du vitriol. L'as-
pect habituel de Verviers est des plus mornes ; rien de plus
animé au contraire que ses rues aux heures où l'interrup-
tion du travail dans les manufactures y fait descendre en
même temps une notable partie de la population. Sous ce
rapport la comparaison d'une ruche d'abeilles au moment
où en sort l'essaim d'insectes travailleurs se présente tout
naturellement à l'esprit, et donnera une juste idée de cette
industrieuse cité, station importante du chemin de fer de
Matines à Cologne.
VERVINS (Paix de). Aujourd'hui chef-lieu d'arrondis-
sement du département de l'Aisne et peu|)lée de 2,505 ha-
bitants, Vervins, bâtie sur un ruisseau qu'on appelle le Vil-
pion, est une très-ancienne ville de la ci-devant province de
Picardie, dontlacharte communale remontait à l'année 1248.
Elle est le siège d'un tribunal de première instance, d'un tri-
bunal de commerce, d'une chambre coasultative d'agricul-
ture, et possède un collège communal.
L'événement qui la rend surtout célèbre dans l'histoire,
c'est la paix qui fut signée dans ses murs le 2 mai 1598,
entre les plénipotentiaires de la France et de l'Espagne ,
auxquels vinrent se joindre ceux du duc de Savoie ; paix à
laquelle le traité de Càteau-Cambrésis servit de base. Phi-
lippe ir, fatigué de lutter, non plus pour la réalisation des
rêves de monarchie universelle qu'il avait pu faire autrefois ,
mais pour la défense de ses propres États des Pays-Bas,
maintenant menacés au nord par les révoltés de la Hollande,
et au sud par la France, à laquelle la sage administration
de Sully commençait à rendre une partie de son antique
puissance , consentit à donner la paix à l'Europe. Les parties
contractantes se restituèrent réciproquement les portions de
territoire qu'elles s'étaient enlevées pendant ces longues
guerres mêlées de tant de péripéties. Cette paix contenait les
principes essentiels de droit politique auxquels plus laid le
8â8
VERVINS — VESOUL
traité de Westphalie vint donner une nouvelle consécralion.
Si la France dut abandonner à l'Espagne le comté de Clia-
rolais, enclavé dans la Bourgogne, possession dont elle s'em-
parait d'habitude aussitôt que la guerre éclatait entre elle
et sa rivale, celle-ci dut lui restituer les places de Picardie
qu'elle retenait encore, ainsi que Blavet, place de Bretagne
que lui avait livrée la trahison du duc de Mercœur. Un
échange pareil de restitutions eut lieu avec le duc de Savoie ;
et ou s'en remit à l'arbitrage du pape pour décider sur les
prétentions que le roi de France et le duc d e Savoie élevaient
chacun à la possession du marquisat de Saluées', dont le
duc s'était emparé en 1588.
VÉSALE (André), ^nrfreas Vesalius , Vun des plus
grands anatomistes qui aient jamais existé, naquit à
Bruxelles, en 1514. 11 étudia à Louvainet à Paris, et jouis-
sait déjà d'une grande réputation lorsqu'il arriva, en 1540, à
Bâie, où il séjourna jusqu'en 1544, et fit des cours publics
d'anatomie, de même qu'ensuite à Pavie, à Bologne et à
Pise. La première édition de son grand ouvrage sur l'ana-
tomie, Corporis humani Fabrica, avec planches, parut
à Bâle, en 1543. De cette année date une nouvelle époque
dans riiistoire d'une science dont Vésaie peut être considéré
comme le véritable créateur. Nommé par Charles Quint
son médecin particulier, il accompagna ce prince dans tous
ses voyages; et après son abdication, il passa au service de
son fils Philippe II. Vivant généralement à Madrid , il y^
rencontra de nombreux obstacles à ses travaux anatomiques
dans la jalousie et la superstition, qui lui firent même in-
tenter par l'inquisition un procès auquel on assigna les
causes les plus diverses et les plus romanesques, et dont les"
romanciers n'ont pas manqué non plus de s'emparer pour
les traiter de toutes les façons. Il se termina par une con-
damnation capitale , commuée en un pèlerinage au saint sé-
pulcre. Au retour de la Terre Sainte, le navire sur lequel
.se trouvait Vésaie fit naufrage sur la côte de Zanle, où il
mourut de faim, le 15 octobre 1564. Boerhaave et Albinus
ont publié ses Œuvres complètes (Leyde, 1725).
VÉSIKA. ou BÉSIKA (Baie de). Voyez Ténédos.
VESCE ( vicia sativa, L.), genre de plantes de la dia-
delphie-décandrie et de la famille des légumineuses. Il y en
a un grand nombre d'espèces , dont on peut diviser les plus
intéressantes pour les cultivateurs en deux classes :lavesce
à racines vivaces ou bisannuelles, et la vesce à racines an-
nuelles. Dans la première classe se rangent la vesce à épi ,
ou vesceron, la vesce des buissons, la vesce des haies, la
vesce de Cassubie, la vesce pisiforme, et la vesce bisan-
nuelle, la plus élevée de toutes, ayant les feuilles d'un mètre
33 centimètres de haut ; dans la seconde classe , la vesce
lathyroïde, la vesce à feuilles de \m {vicia Unifolia) , la
vesce jaune (vicia lutea ) , la vesce commune ou cultivée
( vicia sativa ). Cette dernière est presque la seule qui se
cultive; elle est du nombre des plantes fourragères les plus
généralement cultivées en Europe. Le bétail s'en montre
très-friand, et ses graines font une excellente nourriture pour
la volaille de basse-cour. Enfouie en vert, elle constitue
un bon engrais
VÉSICAIVT. Voyez Épispastique.
VESICATOIRE. On désigne ainsi une plaie formée
sur la peau à l'aide d'un emplâtre vésicant , et l'emplâtre
vésicant lui-même. Ce nom provient évidemment de la
nature de la plaie produite, car cette plaie est une vessie ou
une ampoule. Les vésicatoires n'étaient pas connus des an-
ciens, quoiqu'ils aient souvent employé les révulsifs. Arétée
découvrit plus tard la propriété vésieante des cantharides,
et les Arabes en firent un fréquent usage. Les uns attri-
buaient toutes les maladies à un venin que les vésicatoires
avaient la propriété d'enlever ; les autres espéraient par ce
moyen ranimer les propriétés vitales languissantes. De
toutes ces vertus, la seule raisonnablement admise , c'est
celle que possèdent les vésicants , et en particulier les can-
tharides, de déterminer dans l'économie une excitation gé-
nérale , utile dans quelques cas; de là une action révulsive.
énergique et rapide. Ils peuvent aussi , dans la méthode en-
dermique , être employés à faciliter l'absorption des prin-
cipes médicamenteux qu'on veut faire pénétrer par la peau.
On connaît , en médecine , deux sortes de vésicatoires : les
uns nommés volants, les autres permanents. Les premiers
ne doivent déterminer que l'écoulement de la sérosité pro-
duite par l'irritation qu'a opérée l'application de l'emplâtre,
sérosité qu'on fait sécher aussitôt à l'aide d'un pansement
particulier ; les seconds , destinés au contraire à rester plus
ou moins longtemps , doivent être entretenus au moyen de
pommades irritantes , attirant sans relâche les humeurs vers
cette partie : de là le nom de pommades épispastiques
qu'elles portent ordinairement. C. Favrot.
VESICULE (du latin vesicula, diminutif de vesica,
vessie). On désigne sous ce nom, en zootomie, des organes
disposés en forme de poche ou bourse et qui servent de
réservoirs à des liquides sécrétés par des organes glan-
dulaires, qui sont le foie ou glande biliaire et la glande
spermatique. La vésicule biliaire ( voyez Bile ) est aussi
appelée vésicule du fiel , parce que la bile y devient plus
épaisse et plus amère. On nomme vésicules séminales
celles qui sont le réservoir du sperme dans les mammi-
fères. Une vésicule analogue à ces dernières reçoit dans
les animaux articulés le nom de vésicule copulative. La
vésicule dite de pourpre dans les mollusques, d'après les
déterminations de M. Deshaies et les observations de
M. Gratiolet , serait encore un réservoir de fiuide fécon-
dant et par conséquent une vésicule copulative. Mais de
tous les organes qui ont été appelés vésicules en ana-
tomie comparée, celui dont l'étude a été dans ces derniers
temps l'objet de recherches très-importantes en ovologie
est la vésicule dite An germe ou de Purkinje, qui en a fait
la découverte dans les oiseaux {voyez Bl\stocyste). Elle
est contenue dans la vésicule du jaune ou vitélline, qu'on
nomme aussi vésicule ombilicale. Ces dernières vésicules
n'existent que dans l'œuf et pendant la vie embryonnaire.
L. Laurent.
VESOU, nom vulgaire du suc de la canne à sucre.
VESOUL, chef-lieu du département de la Haute-Saône,
s'élève dans un pays pittoresque et riant, magnifique bas-
sin environné de collines assez basses , couvertes de vi-
gnes et dominées par une montagne isolée, d'un bel as-
pect , appelée la Motte-de- Vesoul. Le fond de ce bassin se
déroule en prairies verdoyantes, arrosées par la rivière
tortueuse du Durgeon et par celle de la Font-de-Champ-
Damoy. Ces deux cours d'eau se réunissent au sud-ouest
de la ville , dont ils baignent la partie inférieure et les fau-
bourgs, pour aller se perdre dans la Saône. Vesoul est
assez bien percé et assez bien bâti. Ses principaux édi-
fices sont l'église, dans laquelle on remarque un superbe
maître-autel en marbre et un ancien tombeau qui attire
l'admiration des connaisseurs; puis le palais de justice,
l'hôtel de ville, les casernes de cavalerie, le bâtiment de
la manutention des vivres, les halles , qui, les uns et les
autres , datent du siècle dernier. L'hôtel de la préfecture a
été construit en 1822. Le Cours est une agréable prome-
nade. Cette ville possède un tribunal civil, un tribunal
de commerce, une bibliothèque publique de 21,000 vol.,
une société d'agriculture, sciences et arts, une salle de
spectacle, une pépinière départementale, diverses fabri-
ques de cotonnades, une de paniers en paille, des sucrer
ries indigènes, des tanneries, etc. Il s'y fait un commerce
actif en grains, vin, bétail, fer, fourrages , cuirs. Du reste,
l'industrie n'y est pas d'une haute importance; mais la
fertilité du territoire égale sa beauté. On y recueille des
céréales, des légumes, des fourrages, des fruits de toutes
espèces et une grande quantité de vin. Ces avantages ,
joints à la salubrité de l'air, rendent le séjour de Vesoul
fort agréable. Sa population est de 6,028 habitants. Au
onzième siècle il est question de vicomtes de Vesoul , ce
qui tendrait à faire croire qu'elle avait déjà acquis une
certaine importance. Vers la fin du siècle suivant, c'était
VESOUL — VESPASIEN
85»
one place forte. Elle fut prise en 1360 par les Anglais , en
1369 par les Allemands, en 1478 et 1479 par Georges de
La Trémoille et Charles d'Amboise, généraux de Louis XI ;
envahie et rançonnée par les partisans lorrains en 1595 ,
par le comte de Grancey et le comte de La Suze en 1641 et
1643, et par Turenne en 1644. Les troupes de Louis XIV
ayant occupé la Franche-Comté en 1674, Vesoul se rendit, et
la paix de Nimègue en assura définitivement la possession à
la France. Il ne reste rien de ses anciennes fortifications. La
forteresse qui occupait jadis le sommet de la Motte fut
abattue en 1595, par ordre du général Fuentes, gouverneur
espagnol.
VESPASIEN (Caius Flavius VESPASIANUS) na-
quit l'an de Rome 700 (an 9 de J,-C. ), près de Réate, dans
le pays des Sabins , de parents obscurs et pauvres ; toute
la gloire de son père fut d'être resté probe dans une
place où les hommes honnêtes étaient rares , celle de re-
ceveur des deniers publics. Vespasien fut élevé dans une
humble métairie en Toscane par son aïeule Tertulla ,
femme simple et austère, qui lui fit partager ses goûts , lui
enseigna le travail , et mit dans son cœur des princi[)es
de vertu et d'humanité qui semblaient lui avoir été ins-
pirés par une révélation intérieure de l'Évangile. Nous ne
voulons pas dire que la vie de Vespasien soit un modèle :
il fut avare au fond , quoique magnifique en plusieurs
choses; il vendit la justice, non en ce sens qu'il condam-
nait des innocents , mais qu'il absolvait des coupables. II
se livra sans scrupule à des passions excessives, mais qui
paraissaient modérées après les désordres honteux qui
avaient pu scandaliser Rome. Tout cela est vrai , et nous
n'atténuons aucune de ses faiblesses ou de ses fautes. Mais
enfin il porta sur le trône qu'avaient souillé Tibère,
Caligula, Claude et Néron, quelques-unes de ces
iiumbles vertus de famille qui brillent encore plus dans
un empereur, et un respect profond pour les lois de l'hu-
manité, si indignement outragées avant lui. Vespasien n'as-
pirait qu'à vivre heureux et ignoré dans sa métairie de
Cosa : ce fut sa mère, Vespasia Poila, qui eut de l'ambition
pour lui et qui le détermina à entrer dans la carrière des
emplois publics. 11 vint à Rome, sous le règne de Cali-
gula, et obtint l'édilité grâce au crédit de sou frère, Fla-
vius Sabinus. Cette époque de sa vie fut d'ailleurs peu ho-
norable pour lui , car il épousa alors Domitia, qui avait été
en quelque sorte une courtisane. Titus et Domitien
naquirent de cette union. Sous le règne de Claude, et
par la protection de Narcisse, il eut le commandement
des légions envoyées en Germanie et en Grande-Bretagne.
Trente combats livrés, vingt villes prises, plusieurs rois
bretons faits prisonniers, lui valurent les honneurs du
triomphe. De retour de la Grande-Bretagne, il fut envoyé
comme proconsul en Afrique. Suivant quelques historiens,
son administration y fut cupide et désordonnée ; suivant
Suétone, elle pouvait passer pour un modèle de régularité
et de probité. Il revint à Rome criblé de dettes , et ne ré-
tablit sa fortune que par de viles manœuvres, qui lui firent
donner le surnom de Maquignon. Sa position s'éleva sous
Néron : cependant , il se compromit gravement et risqua
sa tête de la façon la plus étrange. Un jour que Néron
chantait au théâtre de sa voix divine , Vespasien eut le
malheur de s'endormir et d'être vu. Il lui fallut des prodiges
d'intrigue et d'habileté pour se sauver. Pourtant, le même
malheur lui arriva encore quand Néron disputait et gagnait
tous les prix aux jeux de la Grèce ! Vespasien cette fois
eut recours à la fuite. Mais il fallait un général habile et
expérimenté pour punir la révolte des Juifs : Néron avait
compris tout ce que valait Vespasien , et il le nomma au
commandement en chef.
Vespasien était parvenu à soumettre la Judée entière
et à cerner de toutes parts l'antique Jérusalem , quand la
nouvelle de la mort de Néron lui arriva. Sa gloire rem-
plissait toutes les bouches. Les légions de l'Orient voulurent
faire aussi, elles, un empereur, comme les légions de
l'Occident. Vespasien seul entrevoyait si peu celte immense
fortune, qu'il avait envoyé son fils Titus pour faire sa sou-
mission au nouvel empereur. Galba mourut bientôt. Vi-
telliuset Othon se disputaient un trône dont chacun
d'eux était également indigne. Mucien, collègue en Syrie
de Vespasien , avait un crédit immense et s'était ouverte-
ment prononcé pour lui. Quelques Juifs affectaient de voir
en lui ce Messie qu'ils attendaient. On lui attribuait des
miracles auxquels il ajoutait peu de foi lui-même. Les
oracles, les prédictions de toutes sortes l'annonçaient
comme empereur en Egypte, en Chypre et en Grèce. Ces
bruits populaires s'accrurent bientôt, répétés partout. Ves-
pasien cherchait à les étouffer; il résista très-longtemps et
très-courageusement aux sollicitations de tous ses amis. Il
rassembla son armée, lut devant elle la formule du ser-
ment d'obéissance à Yitellius, intimant à chaque soldat
l'ordre de la répéter : tous gardèrent un morne silence.
Ce fut seulement alors qu'il comprit qu'il n'y avait plus
moyen de rester inactif devant une manifestation aussi pu-
blique. Les plans furent arrêtés. Titus devait garder l'O-
rient, Mucien s'avancer avec deux légions pour combattre
celles qui seraient encore fidèles à Vitellius, et Vespasien
se présenter en Italie pour porter les derniers coups à la
puissance de l'empereur dont on lui imposait la place. Ar-
rivé à Alexandrie, il trouva deux légions qui venaient le
reconnaître avec enthousiasme : dès lors il se considéra
comme réellement empereur , et data son avènement de
cette année. Toute pacifique que fût cette révolution ,.
comparée aux autres , elle coûta la vie à quelques hommes
illustres , entre autres à Sabinus , ce frère de Vespasien qur
lui avait fait faire les premiers pas, et qui fut massacré par
des partisans de Vitellius, à qui , en sa qualité de préfet de
Rome, il venait de faire signer un acte d'abdication. Vi-
tellius ne survécut pas longtemps au meurtre du frère de
Vespasien. L'autorité du nouvel empereur fut dès lors re-
connue sans contestation ; mais Vespasien , retenu encore
longtemps par les guerres qu'il voulait terminer, avait à
Rom.e deux indignes représentants de sa puissance : l'un,
Mucien, qui avait généreusement abdiqué en faveur de
Vespasien les droits presque égaux que son influence lui
donnait, mais qui transportait dans l'administration «jui
lui était confiée la cruauté de son âme; l'autre, Domitien,
fils de l'empereur, qui abusait de sa position pour se li-
vrer lâchement à tous les désordres , à toutes les infamies et
pour préluder à un règne de sang. Grâce à ces deux
hommes, on s'apercevait peu à Rome qu'on était délivré
de la domination stupide et sanglante de Claude et de Né-
ron. Le règne des délateurs était revenu ; les intrigants
féroces avaient toutes les places. Heureusement pour Rome,
son empereur revint au bout d'un an ; il avait un autre
fils, qui s'occupait à vaincre avant de civiliser, et qiii s'ap-
pelait Titus 1 Dans le chaos où toutes choses se trouvaient,
il y avait pour Vespasien une tâche difficile à remplir. Le
trésor public était horriblement obéré : l'or des nations
vaincues y fut rapporté par lui, mais il n'employa pas
toujours des moyens aussi légitimes d'enrichir l'État. Il ré-
forma et renouvela presque entièrement le sénat. Il porta
à quatre mille le nombre des familles patriciennes. Sous
les règnes sanglants de ses prédécesseurs , la justice n'a-
vait plus existé que de nom à Rome : toutes les foi»
qu'il ne s'agissait pas d'un riche accusé dont il fallait pro-
noncer la condamnation et confisquer les biens , l'affaire
était sans cesse remise et ne se jugeait jamais; aussi y
avait-il une énorme quantité de procès arriérés. Vespasien
nomma une chambre de justice. Les dépenses de l'empire
étaient accablantes. Ilétabfit une espèce de douane. Il avait
autour de lui une armée d'hommes de finance, qu'il lais-
sait s'enrichir illégalement sous ses yeux : « Ce sont, disait-
il, des éponges qui se remplissent et qu'on presse ensuite ! »
Nous avons déjà dit que sa justice était vénale, c'est-à-
dire que devant son tribunal un coupable pouvait être
sauvé à prix d'argent. Une nécessité impérieuse ne légi-
8G0
time pas ces moyens , mais atténue leur immoralité. Où
s'en allait tout cet or qu'il savait ainsi attirer? Vespasien
était sobre et frugal pour lui-même : il buvait dans la
petite coupe d'argent de son aïeule Tertulla, Il sut faire
partager ses goûts modestes à sa cour. Tout cet or était
sagement distribué. Il établissait des écoles pour la jeu-
nesse, sillonnait l'empire de routes et encourageait les
lettres. Mais par-dessus tout il réparait, il bâtissait des édi-
fices publics à Rome ; et ce Colysée, dont la ville antique
montre encore aujourd'hui avec orgueil les pierres monu-
mentales, c'est à Vespasien qu'elle le doit. Le Capitole,
qui tombait en ruines , ce vieux témoin de l'histoire mer-
veilleuse de la Rome des rois, fut aussi relevé par ses
mains. Les formes républicaines étaient religieusement con-
servées sous un régime impérial. Il se plaisait à lire les
épigrammes , les diatribes qu'on faisait clandestinement
contre lui. Bien plus , il y répondait lui-même. Une secte
pourtant, secrètement rassemblée à Rome, et indigne du
nom de stoïcienne, qu'elle se donnait, lassa seule sa pa-
tience. Il n'y avait pas d'injures, pas de calomnies qu'elle
ne vomit contre lui. Vespasien l'exila de Rome. Un de ses
membres, qui s'affublait du nom de Diogène et qui renou-
velait son cynisme, osa apostropher en plein théâtre l'em-
pereur sur sa liaison avec une courtisane. « Tu fais ce que
tu peux, lui dit Vespasien , pour que je te tue , mais je
ne tue pas un chien qui jappe, je le châtie! » Et il le fit
fustiger. Enfin, un des émules de Diogène, Éras, poussa
l'injure si loin qu'il fut décapité par ordre de l'empereur.
Sa mort et celle d'Helvidius Priscus sont les seuls actes de
rigueur qu'on mentionne sous le règne de Vespasien. Il
opéra la conquête de la Judée, de la Syrie et de la Cilicie,
et leur réunion à l'empire, s'efforçant toujours de civiliser
à mesure qu'il avait conquis. A l'âge de soixante-neuf ans
(l'an 79 de J.-C), il fut atteint d'une maladie qui le mina
longuement.il plaisanta sur son apothéose prochaine. « Je
sens, s'écria-t-il , que je commence à devenir dieu. » Jus-
qu'à son dernier jour il s'occupa des affaires publiques. Au
milieu des convulsions de son agonie , il se leva sur les
bras de ses officiers, et dit ce mot immortel : « Il laut qu'un
empereur meure debout ! »
LaCRETELLE, de l'Académie Française.
VESPER, étoile du soir, étoile du berger, Lucifer,
Vénus. Voyez Hespeuus.
VESPERTILIOiXS. Voyez Chauves Souris.
"VESPETRO , nom d'une espèce de ratafia , auquel
on attribue un grand nombre de propriétés hygiéniques,
et qu'on recommande plus particulièrement comme stoma-
chique et carminatif.
VESPUCE (Améuic), /Imenjro Vespucci , né le 9 mars
1451, à Florence, d'une ancienne famille, fit de bonne heure
de grands progrès dans la physique, l'astronomie et la
géographie, qui constituaient alors à Florence les principaux
objets de l'enseignement, à cause de leurs rapports avec le
commerce. Il se rendit en Espagne pour affaires commer-
ciales, et se trouvait à Séville au moment où Christophe C o-
lomb se disposait à partir pour son second voyage. Le
succès des entreprises de Colomb l'excita à renoncer à
ses affaires et à s'en aller visiter la nouvelle partie de la terre
qu'on venait de découvrir. Le 10 mai 1497 il partit de Ca-
dix, sous les ordres de l'amiral Ojeda, pour son premier
voyage, et après une traversée de trente-sept jours il atteignit
le continent américain. Il reconnut le golfe de Paria et le lit-
toral de Venezuela sur une étendue de plusieurs centaines de
myriamètres ; et après un voyage qui avait duré treize mois
il était de retour en Espagne , où il fut reçu avec distinc-
tion par la cour, qui se trouvait alors à Séville. Il a été démon-
tré que la prétention de Vespuce d'avoir entrepris un second
voyage en Amérique, dont le résultat aurait été la décou-
vorte d'une foule de petites îles , était mal fondée ; et sa
première et sa seconde expédition ne sont qu'un seul et
même voyage. Les brillantes promesses du roi Emmanuel de
Portugal déterminèrent Améric Vespuce à entreprendre en-
VESPASIEN — VESSIE
suite sur des bâtiments portugais deux antres voyages au
nouveau continent; et il partit pour le premier le 10 mai
1501 , et pour le second le 10 mai 1503. Après la mort de
Christophe Colomb, Améric Vespuce rentra au service d'Es-
pagne, en 1506, et visita alors à diverses reprises le Nou-
veau Monde, auquel dès lors on donna son nom. Mais Ves-
puce n'accomplit aucun de ses voyages comme commandant
d'une expédition ; il n'en faisait partie qu'à titre de géographe
et de pilote. Il mourut à Séville, en 1512.
Le roi Emmanuel de Portugal fit suspendre dans la cathé-
drale de Lisbonne les débris du navire Victoria, à bord du-
quel Améric Vespuce avait entrepris son dernier voyage en
Amérique pendant qu'il était au service du Portugal ; et
Florence combla sa famille de distinctions honorifiques.
Toutes les circonstances de la vie de cet homme remar-
quable n'ont pas encore été suffisamment élucidées, et elles
ne laissent pas que de présenter des contradictions. On a
de lui une carte d'Amérique, un journal sur ses quatre
voyages, qui fut imprimé en latin à Paris, en J532 , et des
lettres remplissant 22 feuilles in-4°, qui tout de suite après
sa mort furent imprimées à Florence, chez Giovanni Stefano
di Carbo da Pavia. Tandis que quelques auteurs prétendent
que si Améric Vespuce a eu l'honneur de voir le monde,
nouvellement découvert recevoir son nom, il en fut rede-
vable à son caractère doux, modeste et exempt de toutes pré-
tentions, M. Alexandre de Humboldt, dans ses Recherches
critiques sur le développement historique des connais-
sances géographiques relatives au Nouveau Monde
(3 vol., 1836-1839), nous apprend que c'est de l'Allemagne
que l'Amérique a reçu son nom. Un extrait de l'histoire dé-
taillée des voyages exécutés par Améric Vespuce était par
hasard arrivé en Allemagne. Martin Waldsœmuller, de Fri-
bourg en Brisgau, le traduisit sous le nom à^Ylacomylus
pour un libraire de Saint-Diez en Lorraine. L'ouvrage fut
dévoré, et les éditions s'en succédèrent rapidement : car
c'était le premier livre qui donnât des renseignements sur le
Nouveau Monde. Ce fut Waldsœmuller qui proposa de
donner à ce monde nouveau le nom à' Amérique^ en l'hon-
neur de l'auteur de l'ouvrage qu'il avait traduit. Ce nom se
trouve déjà sur une carte d'une édition de Ptolémée publiée
en 1522, à Metz; tous les savants ne tardèrent pas à l'adop-
ter, de sorte que les Espagnols eux-mêmes durent finir par
faire comme tout le monde. Consultez Blandini, Vita e let-
terediAmerigo Fespîicci ( Florence, 1745); W. Irving, the
Lije and Voyages of Columbus ; et le vicomte de Santarem,
Remarques et recherches historiques sur les prétendues
découvertes d' Améric Vespuce.
VESSE DE LOUP (.Botanique). Voyez Lycoperda-
CÉES.
VESSIE, vesica urinaria des latins, viscère musculo-
membraneux, qui sert de réservoirà l'urine jusqu'au moment
de son expulsion. Cet organe, renfermé dans le petit bas-
sin, est situé derrière la symphise du pubis, en avant du
rectum chez l'homme , au-devant du vagin et de l'utérus
chez la femme. La forme du réservoir rinaire est celle
d'un ovoïde arrondi lors de son état de plénitude, et qui
s'aplatit d'arrière en avant à mesure qu'il désemplit. La
grosse extrémité de la vessie est en bas et un peu en arrière;
le sommet est situé en haut et dans la direction médiane de
la ligne ombilicale. La vessie a été divisée en trois régions,
la portion supérieure qu'on nomme h fond, la moyenne,
qu'on appelle le corps, et l'inférieure, qui porte le nom de
col : en arrière de cette région se trouve la partie la plus
renflée et la plus déclive de l'organe; on l'a nommée, à
cause de cette circonstance, bas- fond de la vessie. Le
sommet de la vessie donne attache à un cordon fibreux, qui
s'insère à l'ombilic et constitue le ligament suspenseur de
la vessie ; il est formé par Vouraque, conduit urinaire exis-
tant seulement chez le fœtus, et qui s'oblitère après la nais-
sance. Eu arrière et en bas de la vessie existent deux replis
péritonéaux, qui s'étendent au rectum chez l'homme et à l'u-
térus chez la femme : on leur a donné le nom de ligaments
VESSIE —
postérieurs. On désigne aussi sous le nom de ligament
an^^newr de la vessie une expansion fibro-celluleuse, qui
assujettit le devant de cet organe à la face postérieure du
pubis. Vue à l'intérieur, la vessie présente inférieureraeut
trois ouvertures, formant un triangle équilalérai, qu'on
nomme trigone vésical. Le sommet de ce triangle est
antérieur et formé par l'ouverture du col-garnie de son
spliincler, qui remplit l'office de portier de la vessie : c'est
là que se trouve aussi la luette véstcale. Les angles de la
base sont formés par les deux uretères, qui conduisent dans
la vessie l'urine sécrétée par les reins (t;o?/. Rkins et Ukine ).
C'est immédiatement en arrière du trigone vésical que se
trouve le bas-fond de la vessie. La prostate, donnant lieu
à l'exhaussement du col vésical , est cause que chez l'homme
le bas-fond est beaucoup plus déprimé que chez la femme.
La capacité du réservoir urinaire est relative à lâge , au
sexe, ainsi qu'à certaines dispositions congénitales ou ac-
quises. La femme a la vessie plus grande que l'homme ;
l'enfant l'a proportionnellement plus étroite et plus longue
que l'adulte. Les personnes qui ont la mauvaise habitude
de laisser longtemps accumuler l'urine dans la vessie ont
cet organe plus ample et moins énergique que ceux qui ont
le soin de satisfaire immédiatement le besoin d'uriner.
Les maladies de la vessie sont nombreuses et générale-
ment très-graves. Hippocrate considérait les plaies de cet
organe comme mortelles : Cui vesica persecta fuerit le-
thaïe est. Les progrès de la chirurgie ont heureusement
fait appel d'un pronostic aussi fâcheux , ainsi que le prou-
vent les succès journaliers de la taille {cystotomie) , les
ponctions de la vessie , pour certains cas de rétention com-
plète d'urine et les diverses opérations qu'on pratique sur
cet organe dans les cas de fistules vésico-vaginales. Au
nombre des maladies de cet organe nous citerons en pre-
mière ligne la cys^i^e et la cystirrhée ; la première est
l'inflammation phlegmoneuse de la vessie, la seconde son
catarrhe chronique; l'une et l'autre sont de nature in-
flammatoire à un degré différent , et nécessitent par con-
séquent un traitement antiphlogistique. Parmi les maladies
qui causent de fréquents ravages dans la vessie, nous signa-
lerons les pierres urinaires, dont la grosseur et la compo-
sition présentent de nombreuses variétés. La li thotriti e
et l'opération de la taille sont les deux moyens de guéri-
son pour cette maladie. Il existe encore un genre de maladie
très-important à connaître , auquel donnent lieu certains
cas d'inflammation chronique du col de la vessie : ce sont
les déperditions nocturnes et diurnes, provoquées et entre-
tenues par l'irritation sympathique qui se transmet aux
vésicules séminales. La fréquence de ces déperditions affai-
blissant l'énergie des orifices excréteurs du fluide sperma-
tique, il finit par s'échapper pendant les efforts qu'on fait pour
uriner ou pour aller à la garde-robe. Cette désastreuse maladie,
qui ruine les constitutions les plus robustes et qui frappe d'i-
nertie les plus heureuses intelligences , peut être facilement
guérie. Dans la première période, il faut combattre l'irillam-
mation locale par les moyens les plus convenables, les bains,
les sangsues au périnée ou môme dans l'intérieur du rectum,
les pilules de camphre et de thridace, etc. Dans la seconde
période, on cautérise légèrement , avec le porte-caustique
urétral chargé de nitrate d'argent, le col de la vessie et
la portion prostatique de l'urètre. L'action du caustique mo-
difie la vitalité morbide de ces tissus, resserre les orifices
des vaisseaux , donne du ton à tout le système et fait cesser
en peu de temps tout ce désordre {voyez Urine).
D'' L. Labat.
On appelle vessie natatoire, ou vésieule aérienne, un
sac membraneux rempU d'air qu'on trouve dans la plupart
des poissons, et qui est destinée les rendre plus ou moins
légers, suivant qu'ils veulent monter ou descendre dans
l'eau.
VESTA, chez les Grecs Hestia , la déesse du foyer
et du feu du foyer, l'une des douze grandes divinités,
était la ûlle de Cronos et de Rhéa, et (nt avalée par son
VESTALES 86 t
père, mais sa mère la sauva ensuite en recourant à la ruse.
C'est une déesse virginale, qui, poursuivie par Apollon
et par Poséidon, fit serment de demeurer vierge. Honorée
comme déesse du foyer domestique, elle était considérée'
avec Déméter comme la créatrice de la civilisation et de la
moralisation. Le foyer de chaque maison lui était consacré,
et on y entretenait continuellement en son honneur du feu,
qui pendant longtemps sans doute tint lieu de son image..
De même que le foyer était le centre sacré de chaque maison,
il y avait dans chaque ville un foyer ou centre sacré où l'on en-
tretenait un feu perpétuel. Vesta est l'une des plus anciennes
divinités du paganisme. On l'honorait à Troie longtemps
avant la ruine de cette ville. Elle figurait parmi les dieux
pénates d'Énée, qui apporta, dit-on , sa statue et son culte
en Italie ; et ce culte y devint si général, que. quiconque
n'aurait pas sacrifié à Vesta aurait passé pour un impie.
Les Grecs l'invoquaient chaque jour avant tous les autre»
dieux. Son culte consistait principalement dans la garde dn
feu qui lui était consacré, dans le soin apporté à ce qu'il no
s'éteignît pas; c'était le premier devoir des vestales. Numa
fit construire à Rome un temple à Vesta. Il avait la forme
d'un globe, pour marquer, dit Plutarque, que le feu, sym-
bolisé par Vesta, est au centre de l'univers. C'était dans ce
temple qu'on entretenait le feu sacré avec tant de super-
stition, qu'il était regardé comme un gage de l'empire du
monde et que le voir s'éteindre passait pour un pronostic mal-
heureux. Lorsque ce malheur arrivait, on ne pouvait le rallu-
merqu'avec celui du ciel, en expo.sant quelque matière con-
bustibleau centre d'im vase concave , qu'on présentait au
soleil. Festus prétend que ce nouveau feu s'obtenait par le
frottement d'un bois propre à cet usage, et que l'on perçait.
Toutefois, sans que le feu sacré s'éteignît on le renouve-
lait chaque année, le 1^'' mars. C'est de là .sans doute qu'est
venu l'usage dans l'Église chrétienne d'allumer le feu nou-
veau vers la même époque.
Le temple de Vesta à Rome était ouvert à tout le monde
durant le jour; mais l'entrée en était interdite aux hommes
pendant la nuit. Ce n'était pas du reste seulement dans les
temples , mais encore à la porte de chaque maison parti-
culière, que l'on conservait le fea sacré de Vesta , d'où est
venu le nom devestibule. Delbark.
\ EST A (Astronomie), petite planète découverte par
01 bers de Brème, le 29 mars 1807 : la durée de sa révo-
lution sidérale est de 1326 jours, et sa distance moyenne
au Soleil est de 2,36 en prenant celle de la Terre pour unité..
Son orbite, inclinée de 7" 8' 25'', a pour excentricité 0,0888
{voyez BoDE[Loi de]).
VESTALES, prêtresses consacrées au service de Vesta.
S'il e.ît vrai que la mère de Romulus et de Rémus était ves-
tale, l'origine de ces prêtresses serait plus ancienne que celle
de Rome. Quand Numa Pompilius bâtit un temple à Vesta,
il établit quatre prêtresses pour le desservir; Tarquin l'an-
cien en ajouta deux autres, et depuis le nombre en resta
toujours fixé à six. On choisissait les vestales depuis l'âge
de six ans jusqu'à celui de dix : elles devaient être d'une
innocence sans tache, sans défaut physique et d'une honnête
famille romaine. C'était ïepontifex maximus qui recevait
les vestales; et quand il ne s'en présentait pas volontaire-
ment pour remplir une place vacante, il choisissait vingt
jeunes filles de l'âge requis , qu'il faisait tirer au sort. Les
vestales étaient obligées de garder leur virginité pendant
trente ans, après lesquels elles pouvaient se marier; mais
elles quittaient alors le service de la déesse. Elles étaient
chargées de faire des vœux, des prières et des sacrifices pour
la prospérité et le salut de l'État, d'entretenir le feu sacré et
de garder le Palladium. Celles qui par négligence, ou autre-
trement, laissaient éteindre le feu étaient punies du fouet
par le souverain pontife, à qui seul appartenait le droit de
les châtier et de les juger avec le collège des pontifes. Une
vestale convaincue d'avoir violé son vœu de virginité était
punie d'un genre de mort particulier, de même que son com-
plice. Celui-ci était fouetté jusqu'à ce qu'il expirât sous les
862
VESTALES — VESTRIS
coups. Pour la vestale , on creusait un caveau où l'on mettait
un petit lit, une lampe allumée, un peu de pain, de l'eau
et del'iiuile, puis on la faisait descendre dans ce caveau ,
qui lui servait de sépulture , et dont on fermait l'entrée. La
consternation était ce jour-là générale dans la ville : tout le
monde prenait le deuil, les boutiques se fermaient, partout
régnait un morne silence, car on croyait l'État menacé de
quelque grand malheur. Mais si les fautes des vestales
étaient rigoureusement punies, elles jouissaient de grands
honneurs et de grandes prérogatives. Le respect qu'on avait
pour ellesétait tel que quand les premiers magistrats, les
consuls mêmes les rencontraient , ils leur cédaient le pas et
faisaient baisser les faisceaux devant elles. Des licteurs les
précédaient pour leur faire ouvrir un passage. Celui qui aurait
osé insulter une vestale élait puni de mort. Entre autres
droits, la loi leur conférait celui de faire grâce à un coupable
qu'on menait au supplice, si par hasard elles le rencontraient
dans leur chemin; mais il fallait qu'elles assurassent que
cette rencontre avait été fortuite. Leurs vêtements étaient
]a prétexte, manteau blanc bordé de pourpre, la tunique de
lin, les bandelettes et le voile. Delbare.
VESTIAIRE (du latin vestis), lieu où l'on garde les
vêtements et les ornements sacerdotaux, les vases sacrés, etc.,
et attenant le plus ordinairement à une église ou à une cha-
pelle. On donne aussi ce nom à l'endroit voisin de la salle
des séances d'un tribunal, d'une assemblée délibérante, etc.,
où l'on conserve les costumes avec lesquels siègent les
membres de cette assemblée, de ce tribunal. Dans l'empire
de Bjzance, vestiaire était le nom d'une dignité. Les fonc-
tions du vestiaire consistaient à prendre soin des habits de
rempereur; elles répondaient à ceiles qu'à la cour de nos
rois on désignait sous le nom de grand-maître de la
^arde-robe.
VESTIBULE, pièce par laquelle on entre dans un pa-
lais ou dans un vaste bâtiment. Le vestibule communique
ordinairement à la cour et au jardin; il donne entrée à l'ap-
partement du rez-de-chaussée, et c'est laque vient aboutir
le principal escalier. Il ne comporte ni riches ornements, ni
meubles, ni glaces , ni tableaux ; seulement, on peut le dé-
corer avec des pilastres, des colonnes d'un ordre simp/e, et
même quelquefois des statues. C'est dans le vestibule que
restent les gens de sei vice qui attendent leur maître.
Les anciens se servaient du mot vestibulum pour dési-
gner une pièce de même nature, où l'on faisait attendre
tout le monde; mais cette pièce, ordinairement attenante
à la maison , n'en faisait pourtant pas partie. On trouve
encore des exemples de telles constructions dans quelques
anciennes églises qui ont un véritable vestibule, auquel on
donne le nom de porche. Doit-on penser, comme Marti-
nius, que ce mot vient de Vestx stabulum, parce que le
devant de la maison était dédié à la déesse V e s t a , ou bien ,
comme Daviler, qu'il vient des mots tJes^is etambulo, parce
que dès le vestibule on commençait à laisser traîner son
vêtement en marchant? Duchesne aîné.
VESTIBULE (Anatomie), c&yHé très-irrégulière de
l'oreille interne ou du labyrinthe, laquelle est placée en avant
des canaux demi-circulaires, en arrière du limaçon, en de-
hors du conduit auditif externe et en dedans du tympan.
Cette cavité offre un grand nombre d'ouvertures, qui sont .
fia fenêtre ovale, que bouche la base de l'étrier; 2" l'ori-
fice de la rampe externe du limaçon; 3° cinq ouvertures
faisant partie des caveaux demi-circulaires; 4° l'orifice de
l'aqueduc du vestibule; 5° enfin, plusieurs petits pertnis,
donnant passage à des vaisseaux et à des filets du nerf auditif!
Une membrane particulière tapisse l'intérieur du vestibule,
qui renferme, outre la lymphe dite de Cotunni, plusieurs
divisions du nerf auditif. Le grand nombre de parties consti-
tuantes qtii entrent dans la formation du vestibule, rendent
très-compliquées les fonctions de cet organe dans le méca-
nisme anatomico-physiologique de l'audition.
VESTIGES, TRACES. Les vestiges sont les restes de
ce qui a été dans un lieu ; les traces sont des marques de
ce qui y a passé. On connaît les vestiges, on suit les
traces. On voit les vestiges d'un vieux château , on recon-
naît les ^j'oces d'un cerf ou d'un sanglier. Vestiges nese dit
qu'au pluriel; trace se dit indifféremment au singulier et au
pluriel.
VESTRIS, et primitivement Vestri, nom italien connu
en France depuis près d'un siècle , et fameux dans l'art culi-
naire, dans les fastes de la tragédie, et surtout dans ceux
de la danse. Il appartient à une famille nombreuse, qui
quitta Florence, vers l'an 1740, à la suite de quelque grand
seigneur ; elle se «composait de six individus : la mère,
deux filles et trois fils. La mère était très-dévote et disait
son chapelet, tandis que ses filles, la belle Teresina et Vio-
lenta, danseuses à l'Opéra , s'occupaient de tout autre chose.
L'aîné des fils, cuisinier, préparait le souper pour sa mère,
pour ses deux frères Angiolo et Gaétan , aussi danseurs à
l'Opéra, et pour ses deux sœurs, qui y amenaient leurs
amants. Malgré la diversité des mœurs, des caractères et
des habitudes , l'amitié la plus tendre unit toujours cette fa-
mille.
Marie-Thérèse- Françoise Vestris, née à Florence, en
172C, débuta en 1748, fut reçue en 1751, et se retira avec
pension, eu 1766.
Angiolo- Marie-Gaspard Vestris, né en 1730, débuta
aussi à l'Opéra, en 1755 , mais il n'y fut pas reçu. Il alla
danser , quelques années après , sur le théâtre de Stuttgard ,
et épousa dans cette ville la maîtresse du duc de 'Wurtem-
berg; il vécut mal avec elle, et revint à Paris, où il parut,
en 1769, sur la scène italienne, dans les rôles d'amoureux,
qu'il continua d'y jouer avec succès jusqu'en 1780 : il fut
alors renvoyé de ce théâtre avec pension , ainsi que la plu-
part des acteurs ses compatriotes. Il donna à l'Opéra, en
1782 , un ballet A' Ariane à Naxos, et mourut en 1809. .
Son frère, Gaétan-Appoline-Balthazar Yest^xs , né en
1729, eut ponr maître dans son art le fameux Dupré, et
débuta , en 1748, à l'Académie royale de Musique : sa figure
était noble, sa taille élégante. Admis en 1749, reçu danseur
seul en 1751, maître des ballets en survivance en 1761, et
compositeur maître de ballets en 1770, il se démit en 1776,
moyennant une pension de 1,500 fr., et resta premier dan-
seur à l'Opéra jusqu'à sa retraite, en 1781, avec une pen-
sion de 4,500 fr., à laquelle le roi en ajouta une de 6,000 fr.,
en 1785. Vestris avait plus d'exécution que d'invention;
ses deux ballets Endymion et Le Nid d'oiseaux sont ou-
bliés depuis longtemps, et celui de Médée et Jason , em-
prunté par lui à Noverre, a été retouché par Gardel. Il avait
eu pour maîtresse Marie Allard, célèbre danseuse dans le
genre comique, retirée de l'Opéra en 1782 et morte en
1802; elle lui donna un fils, Vestris II, longtemps nommé
Vestris Allard, al A\gn& héritier du talent des auteurs de
ses jours. Vestris I^"^ épousa depuis Anne-Frédérique Hey-
nel, née à Bayreuth, en 1752, entrée à l'Opéra en 1768, et
retirée en 1782, la première danseuse de son temps dans le
genre noble, et aussi belle que recommandable par ses qua-
lités morales. Vestris, depuis sa retraite, reparut quatre ou
cinq fois à l'Opéra dans des occasions extraordinaires, no-
tamment en 1800, pour le début de sou petit-fils. ,11 avait
conservé une santé robuste et le goût de la toilette. Il mou-
rut le 23 septembre 1808,àprèsdequatre-vingts ans. Vestris
était fort ignorant, et ne savait, dit-on, ni lire ni écrire ; mais
il {-lait honnête liomrae, fort obligeant, et il fut toujours le
soutien de sa famille. Il perfectionna la danse noble, et pa-
rut le premier sans masque, en 1771 , dans son ballet de
Médée. Quant au surnom de dieu de la danse, donné pré-
cédemment à Dupré, ce fut Vestris le cuisinier qui le renou-
vela, avec sont accent italien, pour son frère le danseur,
et celui-ci l'accepta et le conserva, sans y voir la moindre
apparence d'ironie. En effet, la vanité était le défaut ca-
pital du dieu de la danse; mais il la montrait avec tant de
naturel et d'originalité, qu'elle amusait et ne choquait point.
n 11 n'y a que trois grands hommes en Europe, disait bon-
nement Vestris, le roi de Prousse, moussu de Voltaire et
VESTRIS — VÉSUVIENNES
moi. « En 1779, les acteurs de l'Opéra s'étant insurgés contre
de Visme , leur directeur, Veslris se déclara le Washington
de ce congrès. « Savez-vous à qui vous parlez? lui dit un
jour de Visme. u — « A qui je parle î Au fernaier de mon
talent. »
Né à Paris, dans les coulisses de l'Opéra, en mars 1760,
Marie-Auguste Vestris Allard ou VestrisII, débuta en
septembre 1772 , sous les auspices de son père , qui s'avança
avec lui jusqu'à la rampe , en riche costume de cour et
l'épéeau côté. Après avoir fait au public une superbe allo-
cution sur la sublimité de son art et les nobles espérances
que donnait son auguste rejeton , il se tourna vers le jeune
débutant, et lui dit : « Allons , mon fils, montrez votre ta-
lent, votre père vous regarde! » Moins grand, mais plus vi-
goureusement constitué que son père, Vestris II créa le de-
mi-caractère dans lequel il n'a pas été égalé. Aussi, le grand
Vestris disait-il de lui : « Il resterait touzours en l'air s'il
ne craignait pas d'houmilier ses camarades. » Lorsqu'en
1779 son fils, ayant reiusé de le doubler dans un des bal-
lets dMrmicZe, reçut l'ordre de se rendre au For-l'Évêque :
« Voilà le plus beau zour de votre vie, lui dit le grand Ves-
tris; prenez mon carrosse, et demandez la chambre de mon
ami le roi de Pologne ; ze payerai tout. » Au retour d'un
voyage fructueux à Londres, Auguste ayant refusé itéralive-
ment de danser devant la reine et le comte de Haga (Gus-
tave III, roi de Suède), parce qu'il avait mal au pied. Tordre
d'envoyer le jeune danseur à La Force répandit la consterna-
tion parmi les Vestris : « Hélas ! s'écria douloureusement le
rfjoMdela danse, c'estia première brouillerie de notre maison
avec la famille de Bourbon ! » Vestris fils était premier dan-
seur à l'Opéra depuis 1780, et le fut jusqu'à sa retraite, en
1818.11 reparut en 1835 dans une représentation donnée
au bénéfice de Marie Taglioui, et mérita les applaudissements
du public. Il mourut à Paris, le 5 décembre 1842.
Auguste-Armand Vestris, fils naturel de Vestris II, dé-
buta en mars 1 800, dans un ballet du troisième acte de La Ca-
ravane, Cette représentation , où l'on vit figurer trois géné-
rations de Vestris, annoncée pour un jour où Bonaparte,
premier consul, devait présider une séance de l'Institut, fut
avancée, afin qu'un des trois grands hommes du dix-hui-
tième siècle ne fût pas en concurrence avec le plus grand
homme du dix-neuvième. Le jeune débutant promettait de
soutenir la haute réputation de sa famille; mais, malgré les
succès qu'il obtint encore, il quitta un théâtre où il ne lui
était pas permis de prendre un libre essor, et alla porter
son talent en Italie et dans d'autres parties de l'Europe.
M""^ Vestris (Marie-Rose Gourgault), sœur de l'acteur
Dugazon, naquit à La Rochelle, en 1746, et épousa .4n^îo/o
Vestris, frère de Gaétan. Après avoir longtemps été
chargée des principaux rôles comiques et tragiques sur le
théâtre de Stnltgard, et avoir été la sultane favorite du duc
du Wurtemberg, elle vint à Paris, où elle débuta au Théâtre
Français , dans Tancrède, par le rôle d'Aménaïde, où elle
eut un grand succès ; et quoiqu'elle en eût moins obtenu
dans Ariane, dans Idamé de L'Orphelin de la Chine, etc.,
et dans ceux de la haute comédie , elle fut reçue pour par-
tager, avec m"" Sainval aînée, l'héritage vacant par la re-
traite prématurée de M"* Clairon, son institutrice. En 1778
elle créa le rôle d'Irène, dernière tragédie de Voltaire,
et à la sixième représentation elle récita des vers à la
louange et en présence de l'auteur, dont le buste venait d'être
couronné sur la scène. Bientôt après éclatèrent ses longs
et fameux démêlés avec M"® Sainval, qui, malgré son bon
droit et la supériorité de son talent , fut indignement exclue
du Théâtre-Français. Soutenue dans sa querelle parla cour,
M"" Vestris perdit dès lors la faveur du parterre. On tri-
plait la garde lorsqu'elle jouait, pour empêcher qu'elle ne fût
sifflée. Elle mourut en 1804. De tous les rôles de l'ancien
répertoire , celui de Rodogune était son triomphe.
^ , H. AUDIFFRET.
VESUVE, le seul volcan considérable qu'il y ait sur la
terre ferme d'Europe, s'élève complètement isolé et séparé
863
des Apennins, au milieu du golfe de Naples, à environ 9 ki-
lomètres au sud-est de Naples. Avec son versant sud-ouest
il s'étend jusqu'à la mer. Au nord la vallée Ladro di Ca-
valloet à l'est le Vallone di Mauro le séparent du Monte
Somma, crête très-étroite, formant de ce côté un demi-cercle
beaucoup plus escarpé intérieurement qu'extérieurement, et
dont la cime la plus élevée atteint 12io mètres d'altitude,
tandis que le sommet du Vésuve proprement dit a 12.34
mètres d'élévation. On croit que ces deux masses n'en fai-
saient autrefois qu'une ; que leur séparation a été le résultat
de quelque tremblement de terre, ou bien qu'après qu'un
volcan plus ancien et incomparablement plus grand se sera
consumé et effondré, le volcan actuel, ou le Vésuve pro-
prement dit, se sera formé de cette immense cavité. Le
sommet de ce dernier est une petite plaine, avec deux
pointes, dont celle qui fait face à la mer projette continuel-
lement de la fumée, vomit de temps à autre quelques pro-
duits volcaniques et change de configuration presque à
chaque éruption un peu importante. Les parois latérales de
la montagne sont dénudées, et ce n'est qu'en quelques en-
droits, souvent au milieu de lave brûlante, qu'on y trouve
des vergers et des vignobles. Le bas de la montagne , mal-
gré les éruptions qui se renouvellent constamment, est ex-
trêmement habité et couvert d'arbres fruitiers, et plus par-
ticulièrement de vignes délicieuses, avec les raisins desquelles
on fait le vin capiteux si connu sous le nom de lacrymie
Christi. Le Vésuve a proportionnellement le cône de cendres
le plus élevé, qui est à l'élévation totale de la montagne
comme un est à trois. Il est escarpé , et par conséquent dif-
ficile à gravir. C'est le plus ordinairement par Résina qu'on
yarrive. En 1801 huit Français descendirent pour la pre-
mière fois dans le cratère ; et cette tentative a été fréquem-
ment renouvelée depuis. Les anciens ne connaissaient pas
le Vésuve comme montagne projetant du feu , mais ils le
regardaient comme un volcan éteint, à cause des traces d'an-
cienne activité volcanique qu'il présentait. La première érup-
tion connue eut lieu au mois d'août de l'an 79 de notre ère,
et avec une violence si dévastatrice que toute la contrée en-
vironnante se trouva pendant trois jours et trois nuits obs-
curcie parles pierres et les masses de cendres que projetait
le volcan, et sous lesquelles furent ensevelies les trois villes
d'Herculanum,de Pompeii etdeStabiae. Pline l'an-
cien, qui voulut observer ce phénomène dans un navire,
y périt. Parmi les éruptions ultérieures, les plus violentes
furent celles des années 203, 472, 512, 685, 993, 1036,
1631 , 1730 (où le sommet se haussa sensiblement et prit
sa forme en pain de sucre), 1766, 1779 et 1794. Cette
dernière éruption détruisit presque entièrement le gros
bourg de Torre del Grèce et amena un affaissement sen-
sible de la montagne ( près de 66 mètres), qu'on peut déjà
apercevoir à une certaine distance. Depuis le commen-
cement du dix-neuvième siècle les émotions se sont re-
nouvelées presque chaque année avec plus ou moins de
violence. Depuis le mois d'octobre 1818 jusqu'au mois de
mai 1820 le volcan fut en continuelle activité , et le 11 avril
il se forma un nouveau cratère de 133 mètres de diamètre,
duquel s'élevèrent une nuit deux cônes ayant l'un 23 et
l'autre 17 mètres d'élévation. La pluie de cendres du 24 oc-
tobre 1822 obscurcit la lumière du jour à Naples, et la lave,
haute de quatre mètres, coula jusqu'à la distance d'un mille
d'Italie. Les éruptions de 1833 1834 ( le nombre total des
éruptions connues était alors de soixante-dix-neuf), du
i" avril 1835 et de 1839 furent encore autrement violentes.
Lors de celte dernière éruption , le cratère perdit beaucoup
en périphérie et en profondeur. En 1847 le volcan fut encore
en activité. L'éruption de 1850 exerça d'horribles dévasta-
tions. La dernière est celle de 1855; elle fut suivie de bruits
étranges dans le sein du Vésuve, qui semblaient annoncer
un ébpulement intérieur.
VÉSUVIEMIVE ( Minéralogie). Voyez Idiocrase.
VESUVIËIXKES (Les). A la suite des événements de
février 1848 , un républicain, de la veille, tort bien dans 1«&
864
papiers du citoyen Caussidière, le nouveau préfet de
police, et d'ailleurs grand partisan de l'émancipation de la
/c/n me, imagina d'enrégimenter, sous la dénomination deF^-
suviennes , trois à quatre cents femmes libres ou aspirant
à le devenir, et d'offrir leur concours et leur appui au gou-
vernement provisoire. Celui-ci rendit, en conséquence, du
plus grand sérieux du monde, un arrêté autorisant la for-
mation d'un bataillon de femmes pour défendre la patrie,
si jamais la patrie venait à être menacée par la coalition des
despotes étrangers. Comme la plupart de ces dames étaient
depuis longtemps inscrites sur certains registres de la pré-
fecture de police, l'organisation du bataillon des Vésu-
viennes fut aussi facile que rapide. A un moment où Les
spectacles les plus bizarres, les exhibitions les plus fantas-
tiques , frappaient chaque matin les yeux des curieux , il
n'y eut qu'une voix pour déclarer que les dernières limites
du genre avaient été atteintes dans la grande représentation
donnée au profit de l'idée républicaine par le bataillon des
Vésuviennes s'en allant un beau jour, clairons et musique
en tête , remercier le gouvernement provisoire de la patrio-
tique intelligence dont il avait fait preuve en ordonnant la
formation de ce corps d'un nouveau genre. Les hommes de
l'hôtel de ville comprirent, mais un peu tard , que des pa-
rades de ce genre , bonnes tout au plus chez Franconi , ne
pouvaient que les compromettre; un avis officieux adressé
au citoyen Caussidière eut pour effet de lui faire ordonner
le licenciement des Vésuviennes, dont le nom inspira long-
temps encore la verve des chansonniers et des caricaturistes.
VETEMEIVTS, tout ce qui sert à couvrir le corps , à
l'orner ou bien à le défendre contre les injures de l'air.
Partout les peaux des animaux ont fait les premiers vête-
ments des hommes. Hésiode conseille, à l'approche de la
saison froide , de coudre ensemble des peaux de bouc avec
des nerfs de bœuf pour se garantir de la pluie. L'histoire des
vêtements est en quelque sorte celle de la civilisation ; on
peut dire, en thèse générale, qu'il est toujours avantageux
à la santé de se couvrir chaudement. L'Angleterre est le
pays du monde où l'on compte le plus de phthisiques ; et on
est en droit d'attribuer un tel résultat à la sotte habitude
que les pères et les mères ont dans ce pays de laisser leurs
enfants courir à moitié nus, sous prétexte de les fortifier.
Les marins dans nos climats portent constamment de la
laine sur leur corps ; et un fait constant, c'est qu'on n'observe
presque pas de phthisiques parmi eux. Il n'y a que des
rhumes et des maladies de poitrine à gagner avec des vê-
tements insuffisants.
VÉTÉRANS, Veterani. C'est le nom que l'on don-
nait à Rome aux anciens soldats qui, après avoir achevé leur
temps de service, fixé régulièrement sous la république
pour chaque citoyen à dix campagnes achevai ou vingt à
pied, puis, au temps des empereurs, lorsque Tannée fut de-
Tenue permanente, à seize ans pour les cohortes prétoriennes
et à vingt pour les légions, obtenaient un congé honorable.
On le leur délivrait sur une petite tablette d'airain , dont
quelques-unes sont parvenues jusqu'à nous. Ordinairement
ils recevaient en même temps des récompenses en argent ,
le droit de citoyen lorsqu'ils ne le possédaient pas encore ,
leconnubium pour leur mariage avec une étrangère, l'exemp-
tion des charges civiles , et plus tard les droits honorifiques
de décurion en même temps qu'une certaine étendue de
sol à cultiver. Sylla fut le premier qui assigna à ses vétérans
des villes qui lui avaient été hostiles, en même temps que le
territoire en dépendant, et qui de la sorte fonda les colonies
militaires. Au temps d'Octave dix-huit des plus llorissantes
cités de l'Italie furent ainsi transformées eu colonies mi-
litaires. Les empereurs fondèrent un grand nombre de co-
lonies de ce genre tant en Italie que dans les provinces ,
mais par les voies pacifiques et après avoir préalablement
indemnisé les anciens habitants. La dernière fut établie à
Vérone par Gallien. Dans les temps de crise il arrivait sou-
vent que le*- vétérans fussent rappelés au service {evocati ),
■ 8H bien ils se mettaient spontanément à la disposition de
VÉSUVIENNES — VÉTÉRINAIRE
l'autorité (vohintarii ). Ils constituaient alors le noyau d'une
troupe d'élite autour de la personne de l'empereur. De
nos jours le mot vétéran , emprunté à la langue latine ,
a été employé dans diverses armées pour désigner de vieux
soldats retirés du service ou à moitié invalides.
[Les vétérans français sont tout autre chose que ceux de
Rome consulaire et de Rome impériale : aussi quand il s'est
agi, il y a quelque cinquante ans , de remettre sur pied des
prétoriens (prenant en bonne part ce mot), on leur a donné
le nom anobli et ennobli de rJeMJîsoWa^s, et l'on a laissé celui
de vétéran aux troupiers vieillis. Ce nom de vétéran était
d'ailleurs tout nouveau dans la langue française, ou du
moins dans la loi militaire ; il n'était devenu ofiiciel que de-
puis la création des invalides , et n'avait cessé de signifier
uniquement invalide que depuis la création du médaillon
de vélérance, institué en 1771. Les compagnies détachées
de vétérans, grossies outre mesure, devinrent des demi-
brigades consulaires. Le régime de la Restauration les re-
constitua en compagnies. Ce capiit mortuum de toutes les
armées françaises avait nécessairement réagi sur racception
du nom de vétéran qui lui était donné. Le ministre Gou-
vion Saint-Cyr voulut qu'à la manière de l'armée prusienne,
les hommes libérés , après leur temps accompli de service
forcé, s'appelassent vétérans, c'est-à-dire réserve réenrôlable
au besoin , susceptible pendant un temps donné d'être
convoquée, et composée de soldats tout dressés. C'était
un mécanisme de landwehr, dont on eut la velléité de faire
usage dans la guerre de 1823, mais dont on ne sut tirer aucun
parti , et depuis la polémique répète : Que faut-il appeler
réserve? que faut-il appeler vétérans? G*' Bardîn. ]
On donne dans les collèges et lycées la qualification de
vétéran aux élèves qui doublent leur classe, c'est-à-dire
qui font la même classe deux années de suite : Vétéran
de seconde , de rhétorique.
VÉTÉRINAIRE (Art [du latin veterina , bête de
somme]). Cet art , désigné aussi sous le nom de médecine
vétérinaire, zoologique ou simplement de vétérinaire ,
constitue cette partie essentielle de l'économie rurale qui
a pour objet la conservation des animaux domestiques,
c'est-à-dire l'art de prévenir et de guérir leurs maladies ,
de multiplier et d'améliorer leurs races. La médecine de
l'homme paraît moins complexe et d'une application moins
difficile, puisqu'elle n'a en vue qu'une seule espèce d'êtres
semblables, douée de la faculté de s'exprimer et d'indiquer
le siège de la douleur; tandis qu'il faut souvent deviner ce
que les animaux ressentent. Or, quoique l'absence d'affec-
tions morales , la nature et la régularité du régime sim-
plifient beaucoup les maladies des animaux , et en rendent
les caractères moins variables , on se trouve dans beau-
coup de circonstances fort embarrassé quand il s'agit de
déterminer le siège et la nature de l'altération morbide.
La médecine vétérinaire est aussi ancienne que la méde-
cine de l'homme , avec laquelle elle fut longtemps confon-
due. On ignore quand la branche fut séparée du tronc; on
sait seulement que cette séparation fit tomber la pre-
mière dans un état de stagnation qui dura plusieurs siècles.
L'art vétérinaire, après avoir été longtemps méconnu et dé-
daigné , figure aujourd'hui , grâce aux efforts de quelques
savants modernes, au rang des sciences les plus utiles; et
malgré le peu d'encouragement qu'il a reçu des divers gou-
vernements qui se sont succédé en France depuis un demi-
siècle, les épizooties deviennent de jour en jour et plus rares
et moins meurtrières. Les nombreux vétérinaires sortis des
écoles ont contribué à rendre les habitants des campagnes
moins crédules et moins superstitieux. Cet art était abandon-
né d^ns l'antiquité aux esclaves et au bergerie plus ignorant
de la ferme. Au moyen âge , lorsqu'on commença à protéger
le pied des chevaux parla ferrure, les artisans chargés de
ce soin devinrent les médecins de ces quadrupèdes , et par
suite de tous les autres animaux domestiques : c'est ce que
l'on voit encore de nos jours, quoiqu'il y ait des maré-
chaux et des vétérinaires. Autrefois, en France, ces deux
VETERINAIRE — VETTERAVIE
805
hrandies étaient toujours confondues , et constituaient un
ait qui était rangé parmi les professions mécaniques. En
Espagne , celui qui ferrait les clievaux faisait partie de la
classe des artisans, tandis que celui qui traitait les animaux
malades était rangé dans la noblesse. En Suède, an contraire,
le médecin des animaux était regardé comme infâme par
le peuple. Doit-on dès lors s'étonner que la médecine
vétérinaire soit restée si longtemps dans un état réel d'im-
perfection, surtout quand on pense que la plupart des ou-
vrages écrits surcette matière par les anciensont été perdus?
D'ailleurs, celte perle est-elle bien à déplorer, s'il faut en
juger par ceux qui restent et où se trouvent consignées les
pratiques les plus ridicules et les plus irrationnelles? A une
époque plus rapprochée de nous on rencontre Ruini,Ramazini
et Solleysel , dont les ouvrages fourmillent aussi d'erreurs.
Nous ne parlerons pas de Gaspard Saulnier, Laguéiinière
etGarsault, qui comme écuyers peuvent avoir une cer-
taine réputation , mais qui, copistes de Solleysel , ne méri-
tent aucune conliance comme vétérinaires. Tel était l'état
delà science quand Bourgelat , écuyer fameux, fonda
àLyon, sous le ministère de Bertin, en 1761 , la première
école où l'on enseigna la médecine du cheval. Dès lors la
vétérinaire fut érigée en corps de doctrine. Deux hommes su-
périeurs lui imprimèrent , vers la même époque , une nou-
velle impulsion : Lafosse père, simple maréchal, dont l'é-
ducation avait été négligée, et qui sans maître, par la
réflexion et la persévérance , acquit une réputation méritée ;
et Lafosse llls, qui avait étudié la médecine et la chirurgie
humaines avant de se livrer à la vétérinaire. Tous deux ont
laissé plusieurs ouvrages, encore fort estimés. Ce ne fut que
trois ans après la fondation de l'école de Lyon que celle
d'Alfort fut instituée; il n'en existait alors aucune en Eu-
rope. Bientôt les gouvernements étrangers s'empressèrent
de créer des établissements semblables. Telle a été l'origine
des écoles de Copeniiague, Londres, Madrid, Vienne,
Berlin, Dresde, Prague, Munich, etc. L'école d'Alfort,
depuis son institution , a conservé sur celle de Lyon
une suprématie marquée; l'instruction y est plus étendue,
plus variée. Là on a vu professer tour à tour les Dau-
bent on, les Fourcroy , les Vic-d'Azy r, les Yvart,
les Dulong. A la mort de Bourgelat, arrivée en 1779 , la
direction passa an célèbre Chabert , homme émlnent , sorti
de l'obscurité de la forge, sans aucune instruction théo-
rique, mais doué d'une haute intelligence. Plusieurs autres
vétérinaires se sont lait remarquer à cette époque ; nous ci-
terons Flandrin , Gilbert , qui fut membre du corps légis-
latif, et Huzard , de l'Institut. Depuis , vme foule de capacités
nouvelles ont surgi du sein des écoles ; dans le nombre
figurent Girard, Gohier, Dupuy , et Hurtrel d'Arboval , au-
teur du meilleur dictionnaire de chirurgie et de médecine
vétérinaires qui existe. L'école de Toulouse a été créée dans
les dernières années de la Restauration ; son but principal
est l'étude de la médecine de l'espèce bovine. La direction en
fut confiée à Dupuy, qui avait été chargé de l'organisation.
Signalons en passant quelques vices inhérents à l'organisa-
tion de ces écoles, qu'il n'est pas au pouvoir de ceux qui les
dirigent de faire disparaître , et en tête desquels nous place-
rons l'insullisance du traitement des professeurs (4,000 fr. j^i
Alfort et 3,000 dans les autres écoles). Quant au mode
de nomination, rien de fixe , rien de stable ; tout est laissé à
l'arbitraire : tantôt les places sont données au concours ; tan-
tôt elles dépendent du bon plaisir d'un ministre. Cet état de
choses, qui porte un préjudice notable à la science, éloignera
toujours de nos écoles les grandes célébrités. Les places de
professeurs ne seront recherchées que par les vétérinaires
qui n'ont pu se faire une clientèle, ou par ceux qui, après
avoir obtenu leur diplôme, ne savent où fixer leur résidence.
Tout professeur qui peut troquer sa chaire contre un atelier
de maréchallerie avec clientèle vétérinaire à Paris n'hé-
site pas un instant. Foulon.
VETERIIVAIRE (Médecin), en latin veterinarius ou
velerinarius medicus , appelé aussi tout simplement vé(é-
DICT. DE LA CONVERS. — T. XV.'.
rinaire, et plus improprement artiste vétérinaire. C'est
l'homme qui, après avoir obtenu dans les écoles un brevet
de capacité, se livre à la pratique de la médecine des ani-
maux domestiques. Celui qui se destine à cette carrière doit
y être appelé par des dispositions naturelles , par une voca-
tion bien prononcée ; car l'exercice de cet art est encore
loin de présenter les avantages dont il serait susceptible si
le gouvernement daignait le protéger d'une manière plus
efficace et, il faut bien le dire, si une aveugle supersti-
tion ne régnait pas dans les campagnes , où chaque village
possède son devin, son sorcier, son r ebouteu r. Par suite
de l'absence d'une loi qui assure au vétérinaire comme an
médecin une existence honorable, certaine, des élèves fort
distingués , sortant des écoles pour se fixer dans les dé-
partements , s'empressent d'abandonner une profession
dans laquelle ils ne trouvent ni aisance ni considération.
Ceci s'applique surtout aux vétérinaires militaires, qui n'ont
dans l'armée que le rang de simples sous-officiers ; tandis
que des officiers de santé, souvent beaucoup moins ins-
truits, sont assimilés aux officiers. La médecine vétéri-
naire, nous ne craignons pas de le dire , ne répondra à ce
qu'en attendent l'agriculture, le commerce et l'armée, que
quand le gouvernement , mieux éclairé , aura assimilé
l'exercice de cette profession à celui de la médecine hu-
maine ; quand dans les corps de cavalerie les vétérinaires
ne seront plus confondus avec le maître sellier ou le maître
bottier, et jouiront de tous les privilèges réservés à la classe
des officiers. Foulon.
VÉTIVERT ou VETTIVERT, nom vulgaire de la ra-
cine d'une graminée appelée par les botanistes andropoijon
muricatus , remarquable par son odeur pénétrante, qui la
lait employer pour parfumer le linge et pour préserver les
étoffes de laine de l'atteinte des teignes.
VETO, mot latin qui signifie je défends , et dont on
s'est servi pour désigner le droit conféré par la loi à quel-
qu'un de rendre nulle par ses oppositions unerésolution prise
par nue grande assemblée, et d'en empêcher la mise à exé-
cution. Dans la république romaine tout tribun du peuple
avait le droit de rendre nulle par son veto les décisions
prises par le sénat. Dans l'ancien royaume de Pologne, c'est
en 1652 que la loi consacra pour la première fois comme
un droit imprescriptible le privilège de tout nonce de pou-
voir annuler par sa simple opposition ( ISie pozwalam ,
je ne le permets pas) les résolutions prises par les autres
membres de la diète. Les rois d'Angleterre ont aussi 1?,
prérogative de pouvoir annuler par leur veto les résolutions
prises par l'une ou l'autre chambre du parlement; mais il
est très-rare qu'ils en fassent usage.
La constilution de 1791 n'avait accordé au roi que le
droit de veto suspensif. La formule d'acceptation d'un
décret était ainsi conçue : « Le roi consent et fera exécuter. »
Si, au contraire, il croyait devoir user de son droit constitu-
tionnel et refuser sa sanction, il exprimait ainsi son refus :
« Le roiavisera. »Leroi pouvait exercer sondroitde veto sur
une même mesure à deux reprises ; mais lorsqu'une troi-
sième législature la votait, son droit de veto se trouvait
annulé. La constitution des cortès de 1812 avait admis un
veto suspensif en faveur de la couronne, mais dans les
mêmes conditions que celui que créait la constit'i'ion fran-
çaise de 1791. Le président des États-Unis est aussi investi
du veto suspensif. Dans tous les autres États constitu-
tionnels, le droit de veto accordé à la couronne est au-
jourd'hui nljsolii.
VETTERAVIE, contrée plate et fertile d'Allemagne,
d'une superficie d'environ 11 myriam. carrés, située entre
le Vogelsberg et le mont Taunus, et qui dépend pour sa plus
grande partie du grand-duché de Hesse-Darmstadt, et pour
des portions plus ou moins considérables, de Hesse-Cassel ,
de Hesse-Hom bourg, de Nassau et de Francfort. Elle est ar-
rosée par le Mein, l'Use, la Nidda et le Wetter, qui lui a
donné son nom , et elle produit en abondance des grains et
des fruits de toutes espèces. L'un des auatre collèges de r.-.n«
55
8G6
cienne diète de l'Empire entre lesquels étaient répartis les
comtes et les seigneurs portait la dénomination de collège
des comtes de Vettéravie. Les princes et les comtes de Solms,
d'Isembourg, de Stolberg, etc., en faisaient partie.
VÊTU. Voyez Blason.
VEUGLAIRES. Voyez Canon.
VEUILLOT( Louis), publiciste contemporain, l'avocat
le plus habile du parti uitramontain, est né à Baynes (Loi-
ret), en 1813. Fils d'un tonnelier, il fit lui-même son édu-
cation ; circonstance qui explique beaucoup de cliosesdans
les ouvrages de cet écrivain passionné. A l'âge de dix-huit
ans, on le chargea de la rédaction de V Echo de Rouen, feuille
ministérielle, où il se fit remarquer par le caractère agressif
et cassant de sa polémique. Dans un intervalle de quinze
mois, elle lui attira deux duels, dont il sortit avec honneur.
De Rouen il alla à Périgueux prendre la direction d'une
autre feuille ministérielle, et dans cette ville il lui fallut
encore à diverses reprises répondre l'épée à la main des té-
mérités de sa plume. Au mois de septembre 1836, le minis-
tère qui venait de fonder LaChartede 1830 l'appela à Paris
pour prendre part à la rédaction dé ce nouvel organe gou-
vernemental, dont il devint l'un des collaborateurs les plus
actifs. Après la mort de cette feuille, il travailla quel-
que temps au journal La Paix; puis il entreprit le voyage
de Rome, où les cérémonies de la semaine sainte produi-
sirent sur lui une si vive impression, qu'il revint en France
complètement converti à l'idée religieuse et catholique. Il
publia alors ses Pèlerinages de Suisse, qui ouvrirent une
série d'ouvrages où dominent les idées religieuses et les ten-
dances catholiques. Vers la même époque, il fut nommé
chef de bureau au ministère de l'instruction publique; mois
an Imnt de dix-liuit mois il donna sa démission de cet eu>-
ploi pour être l'un des collaborateurs de L'Univers reli-
gieux. Il en devint bientôt le rédacteur en chef, et sous sa
direction ce journal n'a pas discontinué de dél'endre avec
une énergie peu commune , mais parfois empreinte de fana-
tisme, le principe de la toute-puissance de TÉglise. M. Veuillot
est sans conteste un des journahstes les plus remarquables
de notre époque; on le trouve constamment sur la brèche ,
attaquant avec la plus impitoyable aigreur les idées qui do-
minent aujourd'hui dans la société française; sa polémique
passionnée l'a même misa un moment en conflit avec l'ar-
chevêque de Paris. On a de lui un grand nombre d'ouvrages,
qui tous ont produit une sensation des plus vives, entre au-
tres L'honnête femme, Les libres Penseurs, L'esclave Vin-
dex, pamphlet pétillant d'esprit ; Ze Lendemain de la Vic-
toire, et Corbin et d" Aubecourt , petit roman où il a fait
preuve d'un remarquable talent de style.
VKUILLOT (Kugène), frère aîné du précédent , est l'un
de ses collaborateurs à L'Univers religieux. En 1847, à l'é-
poque de la guerre du Sonderbimd , il fut chargé d'aller
porter en Suisse aux insurgés le montant des quêtes faites
à leur profit dans le parti religieux et montant à plus de
100,000 francs. Plus tard il fut encore chargé d'aller porter
à l'archevêque de Turin la croix d'or offerte à ce prélat avec
le produit d'une autre souscription. Il se rendit ensuite à
Rome, où le pape lui conféra l'ordre de Saint-Sylvestre. 11
est auteur d'une Histoire des Guerres de la Vendée et de
la Bretagne.
VEUVAGE. Dans sa pensée, dans sa destination, le
mariage est perpétuel de sa nature; aussi, lorsque la mort
vient séparer deux époux , il est noble à l'époux trompé dans
sa plus chère espérance de rester fidèle à la mémoire de l'é-
poux qui n'est plus : c'est demeurer dans l'esprit de l'enga-
geiuent. Cette vie d'isolement et d'abnégation laisse à celui
qui sait se l'imposer une liberté qui ne rencontrerait peut-être
plus dans une seconde union de suffisantes compensations.
Il est sage de prévenir d'affligeantes comparaisons et de ne
pas recommencer le voyage quand on n'a plus de force que
pour l'achever. S'il existe des enfants, combien n'est-il pas
prudent de les sauver d'une domination quelquefois hostile
et d'ime concurrence presque toujours enneniio;'
VETTÉRAVIE — VEUVAGE
Le veuvage , pour qui peut s'y maintenir avec dignité ,
donne, dans le temps de l'expérience , la facilité de vaquer
aux soins de la fortune, de la philosophie et de la charité.
C'est un état respectable, qui peut devenir saint, et qui n'est
pas sans consolations : cette mémoire , à laquelle on s'est gé-
néreusement immolé, n'est-elle pas toujours présente? Et
combien les familles ne s'empressent-elles pas de se mon-
trer reconnaissantes envers ceux qui , par une résolution
généreuse, savent en simplifier la composition et les inté-
rêts ?
Il ne serait cependant pas juste d'appliquer ces réflexions
à Joutes les situations. Les secondes unions sont quelquefois
expliquées par l'âge où le veuvage a commencé, et parfois
commandées par l'intérêt même des enfants du premier ma-
riage. Aussi, ne s'agit-il ici que d'une observation générale,
que d'un conseil, et non pas d'un précepte; mais c'est surtout
aux femmes que ce conseil s'adresse. La femme semble per-
dre dans le mariage son individualité pour la confondre
dans celle de l'homme: parle veuvage, l'unité humaine S€
reforme et se constitue; consacrée, d'ailleurs, d'une ma-
nière plus intime au culte de la pudeur, la femme est dans sa
mission quand elle enseigne l'abstention par son exemple.
Ce sentiment qui veut que la femme n'ait pas une autre
destinée que celle de l'homme dont elle est venue compléter
l'existence et peut-être aussi la pensée île prévenir des
crimes ont singulièrement égaré les peuples de l'Inde. Ce
n'est cependant pas par la contrainte, c'est par l'attrait des
récompenses célestes que l'épouse indienne est conviée au
plus douloureux sacrifice. Chez les Germains comme chez
les Indiens, les femmes convolaient rarement en secondes
noces ; chez les Salieus , les mariages des veuves devaient
avoir lieu la nuit : c'étaient, dans notre vieux langage , des
noces réchauffées. Le mariage entre la reine Éléonore et
François 1'"' fut célébré une heure devant le jour.
Sous l'influence du christianisme, le veuvage est entré
d'une manière plus intime dans les habitudes et dans les
mœurs; mais la religion n'a proclamé la supériorité de cet
état qu'en en prescrivant les devoirs et qu'en en signalant
les dangers : « La veuve qui vit dans les délices, dit saint
Paul , est déjà morte elle-même, nam quœ in deliciis est
vivens mortua est (ad ïimoth., cap. V). Ce qui montre
la pensée de l'Église sur cette matière , c'est que l'homme
veuf d'une première union peut entrer dans les ordres sa-
crés, interdits à celui qui se trouve veuf pour la seconde
fois. Le veuvage était tellement favorable dans les pre-
miers temps du christianisme, qu'il était associé, sous cer-
taines conditions , aux fonctions ecclésiastiques. Les veuves
véritables {vidux verœ) , comme les appelle saint Paul,
lorsqu'elles n'avaient connu qu'un seul mariage et qu'elles
avaient atteint soixante ans , formaient dans la première
Église un ordre révéré (1).
Après avoir parlé du veuvage maintenu, il convient d'exa-
miner dans quels cas chez les peuples de l'antiquité le
veuvage devait être abandonné , et comment il pouvait
l'être.
Une circonstance rendait chez les Hébreux le convoi
nécessaire; s'il n'était pas né d'enfant de la première union,
la veuve devait implorer son beau-frère ; s'il refusait de l'en-
tendre, elle devait le citer devant les anciens , qui lui pro-
posaient de se conformer à la loi ; et s'il persistait dans son
refus, la veuve s'approchait de lui , et en présence de tout
le monde elle lui ôtait son soulier et lui crachait au visage,
en lui disant : « C'est ainsi que doit être traité celui qui
ne veut pas rétablir la maison de son frère. » La loi ne se
bornait pas au frère du mari, elle s'appliquait aux parents
les plus éloignés, comme on le voit par l'exemple de Booz ,
(1) « Elles étaient occupées, dit Fleury, à visiter et à soulager
les malades et les prisonniers, à nourrir les pauvres, à recevoir et
à servir les étrangers, à enterrer les morts, et généralement à
toutes les œuvres de charité [Moeuis des Chrétiens). Elles étaient
aussi chargées de l'instruction et de la surveillance des vierges
chrétiennes. •> .
VEUVAGK — VEXIN
qui épouse Rutli au refus d'un parent plus proche. Si la
veuve ne trouvait pas de mari, ou si elle se trouvait, par
son âge, hors d'état d'avoir des enfants, la loi pourvoyait à
sa subsistance.
Chez les Romains non-seulement, comme partout, comme
toujours, les veuves pouvaient passer à de nouveaux époux,
mais elles le devaient si, étant âgées de moins de cinquante
ans, elles voulaient échapper aux peines dont étaient frap-
pés les célibataires.
Les seconds mariages , vivement désirés , prescrits dans
la religion jijive en haine de la stérilité, exigés par les lois
d'Auguste de toutes les veuves qui peuvent être fécondes,
ne pouvaient être célébrés, à Rome du moins, qu'après un
certain délai. Il ne fallait pas laisser planer le plus léger
doute sur l'origine des enfants du second lit.
Dans l'état actuel de nos lois , la femme devenue veuve
ne peut contracter mariage qu'après diK mois révolus de-
puis la dissolution du mariage précédent (Code Civil, article
228 ). Les auteurs ne sont pas d'accord sur les conséquences
que doit entraîner l'infraction de cette règle : il paraît ce-
pendant que, d'après l'opinion accréditée, cette prohibition
est au rang des empêchements prohibitifs, et que son inob-
servation ne donne pas lieu à la nullité du mariage.
Ce serait sortir du sujet même de cet article que d'exposer
les dispositions protectrices du patrimoine des enfants nés
de la première union. Ce qu'il faut en dire ici , c'est que
l'homme ou la femme qui ayant des enfants d'un autre lit
contracte un second mariage ne peut donner à son nouvel
époux qu'une part d'enfant légitime le moins prenant, et
sans que dans aucun cas ces donations puissent excéder
le quart des biens. Ce qui tient davantage à la viduité, c'est
le droit qu'exercent les veuves sous le nom de deuil. La
jurisprudence entend par deuil la somme qui est due à la
veuve par la succession de son mari pour les frais du deuil
qu'elle doit porter. Le deuil que l'on accordait aux veuves,
tant en pays coutumiers qu'en pays de droit écrit , était
d'un usage universel ; mais il n'était réglé par aucune loi.
L'article 1481 du Code Civil a réparé cette omission : aux
termes de cet article, le deuil de la femme est aux frais des
héritiers du mari prédécédé ; la valeur de ce deuil est ré-
glée selon la fortune du mari; il est dû même à la femme
qui renonce à la communauté.
La prohibition de se marier, prononcée comme condition
d'une disposition contractuelle ou à titre de libéralité, ré-
clame une distinction. La condition imposée à un donataire
ou à un légataire de ne pas se marier doit être considérée
comme non écrite; reconnaître à une semblable injonction
la plus légère influence, ce serait compromettre les intérêts
de la liberté et ceux de la population. 11 n'en est pas ainsi
de la défense de passer à de secondes noces, qui, suivant
les arrêts de la cour de cassation , peut être motivée par
d'autres raisons. Il est donc de jurisprudence aujourd'hui
que les conditions qui tendent à défendre le mariage à des
personnes qui n'ont jamais été mariées doivent être rejetées,
et celles favorables à l'état de viduité rigoureusement
maintenues. Hennequin.
\EU\E (Histoire naturelle) , nom que les ornitho-
logistes ont donné à un petit groupe d'oiseaux classés par
Cuvier dans le genre nombreux des fringilles ou gros-
bees, et qui se distinguent des linotes , dont ils sont voi-
sins, par le prolongement de quelques-unes des pennes ou
couvertures supérieures de la queue dans les mâles , et
par leur bec, plus renflé à sa base. Leur taille varie de huit
à trente-trois centimètres, selon les espèces. Les veuves nous
viennent d'Afrique, des Indes, des Philippines; leur nom
est tiré des couleurs sombres de leur plumage. Parmi les
espèces les plus remarquables, nous citerons : la veuve au
collier d'or {fringilla paradisea), qui se distingue par un
large collier d'un jaune d'or foncé, tranchant sur la couleur
noire du plumage; la veuve en feu (fringilla panagensis),
remarquable par une large plaque thoracique d'un rouge
vif, tranchant sur son plumage noir ; et la veuve à quatre
SG7
brins (fringilla regia), dont les rectrices intermédiaires ,
presque dénuées de plumes , sont excessivement allongée*.
Comme dans les autres tribus d'oiseaux , les teintes de la
femelle diffèrent généralement de celles du mâle ; celui-ci a
aussi son plumage de noce, livrée brillante , qu'il échange
une fois l'époque des amours passée pour un vêtement
plus terne. Ces oiseaux ont un joli ramage. Us construisent
leur nid , au dire des voyageurs , avec du coton , et y
pratiquent deux étages ; le mâle est au premier, la femelle
au rez-de-chaussée. Saucerotte.
VEVAY, la seconde ville du Canton de Vaud, à l'em-
bouchure de la Vevaise dans le lac de Genève, est une ville
régulièrement construite, avec des rues larges et droites et
5,201 habitants. On y remarque les églises Saint-Martin et
Sainte-Claire, l'hôpital, l'hôtel de ville et le pont Saint-An-
toine, construit tout en marbre, sur le large lit de la torren-
tueuse Vevaise. La beauté de ses environs attire à Vevaj
un grand nombre d'étrangers.
VEXILLE, VEXILLAIRE. Le vexille était un genre
de drapeau des temps de la corruption de la milice romaine;
c'est le type primordial des drapeaux de l'Occident et du
l'Europe. Jusqu'à l'ère chrétienne les enseignes romain&i
furent des images, des symboles sans draperie ; c'étaient,
depuis l'abandon du manipule ou de la poignée d'herbes at-
tachée à un long bâton , les représentations en relief d'une
louve, d'un aigle, de divers autres emblèmes; ils .se fabri-
quaient soit en bois , soit en airain. Depuis le grand usage
des troupes alliées et delà cavalerie à l'orientale, celles-ci
marchèrent à l'ombre des hampes à draperie qu'on appella
vexillum, veriLla, vélum, vêla: l'enseigne antique eût été
une prérogative que l'orgueil romain eût refusée aux alliés.
Mais quand les armées de Rome et de Byzance ne furent
plus que des armées d'étrangers et d'hommes à cheval , le
vexille fit oublier le manipule. Il y avait vexille d'armée,
vexille de centurie Le premier, depuis l'établissement de
l'empire byzantin, fut en forme de bannière, c'est-à-dire à
hampe croisée : ce furent les modèles primitifs de nos ban-
nières d'église. Les vexilles de centurie n'étaient que des
espèces de fanions à numéros, de même couleur que le nu-
méro peint sur le bouclier. Les vexillaires ont pris de là le
nom qu'ils ont porté , qualification qui revenait à celle de
porte-drapeau; ils étaient en ordre de bataille placés vers
le centre de la centurie, et comme masqués et défendus par
des rangs de soldats nommés antésignaires. Il fut un
temps où il y avait par centurie deux vexillaires, afin que
si l'un venait à manquer, à périr, à être pris-, l'aidre pût
donner encore à la troupe les signes de ralliement. Les
vexillaires , différents en cela de nos porte-enseigne, étaient
un point de ralliement, et non un moyen d'alignement.
G*' Bardin.
"VEXIN. Ce pays, appelé en latin pagiis Vilcassimts,
et dans le roman de Rou le Veulguessin , fut divisé pen-
dant les guerres du moyen âge en Vexin normand et en
Vexin français. Le premier faisait partie de la province de
Normandie, le second de celle de l'Ile-de-France : aujour-
d'hui l'un appartient au département de l'Eure, l'autre au
département de l'Oise , et principalement de Seine-et-Oise.
Gisors était la capitale du Vexin normand, Pontoise du
Vexin français. Ce pays avait titre de comté. Fondé peu
après 750, il devint héréditaire avant 938, et fut réuni à la
couronneen 1082. Pendant cet intervalle, vers 1031, Hen-
ri 1*"^, roi de France, ayant reçu de Robert le Magnifique,
duc de Normandie, une assistance efficace, lui fit don de
cette partie du Vexin qui était qualifiée/rawfois, et dans le-
quel on comptait, entre autres places importantes , Pontoise,
Magny et Chaumont. Drognon , titulaire de ce comté, hésita
d'autant moins à en faire hommage à Robert qu'il avait, en
1025, traité avec le duc Richard II, qui, pour avoir la fa-
culté de se porter en Bourgogne, et ayant à cet effet besoin
de traverser le Vexin français , avait fait au comte don des
terres d'Elbeuf et de Chamboi. Dans le siècle suivant, en 1126,
Louis le Gros donna le Vexin en apanage à Guillaume Cly-
8ii8
ton, fils infortuné de l'infoiiuné Robert II, qui fut tué
en 1128, dans une bataille livrée aux Flamands. Le Vexin
fut à cette époque réuni à la couronne par un acte définitif.
Louis Du Bois.
VEZELAY, petite ville de l'ancien Morvan , aujourd'hui
chef-lieu de canton dans le département de l'Yonne, avec
1,158 habitants, doit son origine à une abbaye fondée au
neuvième siècle, et sécularisée en 1538. C'est à Vézeiay
qu'en 1146, à l'occasion d'un concile provincial qui y était
réuni, un échafaud fut dressé sur la place publique pour
un prêtre qui devait y prêcher la seconde croisade. Saint
Bernard fut l'organisateur de ce grand mouvement des po-
pulations chrétiennes contre les progrès toujours croissants
dumahométisme , qui les menaçaient dans leur foi religieuse
comme dans leur indépendance politique. Louis le Jeune ,
roi de France, parut sur la place publique de Yézelay à côté
de l'austère fondateur de Clairvaux, qui porta le premier la
parole. Après lui, le monarque harangua l'assistance , et
acheva d'enflammer son enthousiasme religieux. Tout ce qui
était jiri'sent prit les armes et la croix {voyez Croisades).
VEZIR ou VIZIR, titre commun dans l'Orient niahomé-
tan li di\ers hauts fonctionnaires , et que portent en parti-
culier les premiers ministres. Chez les Turcs , c'est un titre
honorifique auquel ont droit tous les pachas à trois queues.
Il y a en outre à Constantinople six vizirs dits ins/rs dubanc,
parceqn'ils ont siège au divan. On choisit pour ces fonctions
des hommes versés dans la connaissance du droit, et ayant
déjà rempli d'autres emplois importants. Toutefois, ils n'ont
dans ce conseil d'État que voix consultative, quand le
grand-vizir leur demande leur avis.
Le grand-Vizir, en turc sadri-a-z'hem , chef de toute
l'administration turque , alter ego du sultan , dirige toutes
les délibérations du divan, et décide de tout. Lors de sa no-
mination il reçoit un cachet portant le chiffre du grand-
.seigneur, et qui lui confère de pleins pouvoirs pour com-
mander au nom du sultan , mais qu'il est tenu de porter
constamment sur sa poitrine.
VIABLE se dit de ce qui est né avec le pouvoir de
vivre, et particulièrement d'un enfant dont la conformation
laisse l'espoir que la vie durera en lui. On se sert surtout de
ce mot en médecine légale, dans les cas d'infanticide après
accouchement; le médecin doit alors constater .si l'enfant
était né viable, ou, plus exactement, s'il était venu au
monde vivant. Dans le langage ordinaire, on doit distinguer
entre ces deux expressions, car il ne suffit pas qu'un en-
fant soit né en vie pour être viable , il faut encore que l'état
des organes soiltel qu'ils puissent suffire à la vie prolongée
( t'oj/e; DociMAsiE pulmonaire et Foetus).
VIAGER, ce qui est à vie , ce dont on doit jouir la vie
durant. Celte expression s'applique en quelque sorte exclu-
sivement aux revenus qu'une personne a le droit de perce-
Toir pendant sa vie , mais qui doivent s'éteindre à sa mort
{voyez Rentes viagères).
VIA MALA. Voyez Grisons (Canton des).
VIAN A, ville d'Espagne, dans la province de Navarre,
sur la rive gauche de l'Èbre, en face de Logrono , avec un
vieuxchâteau et 3,500 habitants. C'est de cette ville que les
princes de Navarre prenaient autrefois le titre de princes de
Viane ( voyez Carlos [Don] ). Henri IV le porta d'abord,
avant que la mort de sori père l'eût fait roi de Navarre.
Cette ville s'appelait au moyen àgeMaldia, et elle est cé-
lèbre dans l'histoire par la déroute qu'essuya sous ses murs
le roi Sanche de Castille, en 1067, ainsi que par celle de
César Borgia, le 10 mars 1507, qui fut battu par les troupes
du comte de Lerin , et qui périt dans la mêlée.
VIANDE (du bas latin vivanda,{a\l de vivere, vivre),
chair des animaux terrestres et des oiseaux dont on se
nourrit. On appelle fiarjc/e blanche la chair de volaille,
de veau, etc.; viande noire, celle de lièvre, de bécasse ,
de sanglier, etc. Le bœuf, le mouton , le veau forment la
grosse viande ou viande de boucherie. La viande nour-
rit la chair, dit le proverbe , et en effet on a pu s'assurer
VEXIN — VIBRATIONS
que les ouvriers nourris de vianaeen quannie suinsante pou-
vaient donner, sans plus de fatigue, une plus grande quan-
tité de travail; de là dans ces dernières années une ten-
dance prononcée de l'opinion à obtenir une réduction dans
le prix de la viande de boucherie. Pendant plusieurs années
le gouvernement issu de la révolution de Février a espéré
atteindre ce but en taxant la viande de boucherie; mais re-
connaissant que c'était là un moyen complètement inefficace,
il a aboli le monopole de la boucherie. On ne peut qu'ap-
plaudir à l'adoption de cette mesure, tout en reconnaissant
que jusqu'à ce jour elle n'a pas produit les résultats qu!on
en attendait. C'est seulement des progrès de l'agriculture
qu'on peut espérer la réduction des prix de cet objet de
consommation de |)remière nécessité. Depuis 1700 jusqu'à
nos jours le prix du pain n'a fait que doubler, tandis que le
prix de la viande a quadruplé. Or, tandis que ces produits
agricoles suivaient une progression ascendante, les prix de
tous les produits industriels suivaient une progression tout
à fait contraire ; les draps et toutes les étoffes de laine ont
diminué des deux tiers; tous les tissus de soie et de coton
ont diminué des trois quarts, et beaucoup d'objets de luxe
et d'agrément ont aussi , comme une foule de choses utiles
et de première nécessité, subi une baisse remarquable.
VIANDES (Jus de). Voyez Coulis.
VIATIQUE (du latin viaticum). Au propre, c'est
l'argent foui ni à quelqu'un pour frais de voyage. Dans l'É-
glise catholique, on appelle ainsi le sacrement qu'on admi-
nistre aux mourants pour les disposer au passage de cette
vie dans l'autre {voyez Extrême Onction).
VIBORD. On appelle ainsi, en termes de marine, une
grosse planche posée de champ , qui borde et embrasse le
pont supérieur d'un navire , le tillac, et qui lui sert de pa-
rapet.
VIBORG, le plus petit bailliage delà province de Jut-
land (Danemark), situé entre l'Ile Limfjord et le bailliage
d'Aalborg au nord et au nord-est, le bailliage d'Aarhuus au
sud et au sud-est, et le bailliage de Ribe à l'ouest. Il a
pour chef-lieu Viborg, ville de 3,500 habitants, siège d'é-
vêclip, avec une belle cathédrale.
VIBORG ou VYBORG, cercle ou Ixn de la grande
principauté de Finlande (Russie ), d'une superficie d'environ
550 myriam. carrés, avec 237,000 habitants. Le chef-lieu,
Viborg, situé à 14 myriamètres au nord-ouest de Péters-
bourg , au fond d'une profonde baie du golfe de Finlande,
compte 4,000 habitants et possède un vieux château fort
ainsi qu'un port, où il se fait un commerce assez important
en planches, madriers, potasse et suif. Cette ville, fondée en
1 203, par le Suédois TorUel Korntsen, et autrefois capitale de
la Karélie , fut fréquemment assiégée dans les guerres de la
Suède contre la Russie; et elle est particulièrement célèbre
par la bataille navale qui se livra le 3 juillet 1793 dans le
détroit de Viborg, bataille où le roi de Suède Gustave III,
que Tschitschagof, Kruse et le prince do Nassau étaient
parvenus à entourer, réussit au prix de pertes importantes
à se frayer passage à travers la flotte ennemie.
VIBRATIONS. C'est un terme de physique par lequel
on désigne un mode particulier de mouvement des corps,
dépendant d'une certaine impulsion qui en met en jeu la
force élastique. Les vibrations sont à l'oreille ce que la lu-
mière est aux yeux, puisque ce sont elles qui font naître ou
plutôt qui constituent les sons de toutes natures dont la
membrane du tympan est destinée à percevoir l'impression
dans le mécanisme de l'audition, comme la rétine, dans
celui de la vision, reçoit l'impression des rayons lumineux;
deux phénomènes également indispensables pour nous
mettre en rapport avec ce qui nous entouie. On se fait une
idée juste des vibrations en se représentant une lame ou
tige solidement fixée par un bout sur quelque corps sonore,
et frottée avec un archet, ou écartée de sa position avec la
main : cette lame exécute alors autour de la ligne de di-
rection qu'elle avait dans l'état de repos une série de
mouvements isochrones, qui &on\, àa?, vibrations, et qui de-
V x*-i
viennent sonores dès qu'elles sont assez rapides. La loi de
ces vibrations a été déterminée par Daniel BernouUi , qui
a démontré qu'en donnant successivement à une même lame
diverses longueurs vibrantes , les nombres des vibrations
exécutées dans un même temps sont en raison inverse
des carrés de ces longueurs. Cette loi s'applique aux tiges
cylindriques, prismatiques et aux lames, de quelque sub-
stance qu'elles soient : il faut seulement qu'il y ait dans
toute leur étendue égalité de largeur et d'épaisseur, et ho-
mogénéité de matière. La vérification de ce fait s'obtient
en fixant sur la table d'une caisse sonore des fils de trois
ou quatre millimètres de diamètre coupés au môme bout ,
et dont les longueurs relatives sont comme les nombres :
1, \/i, Vî, Vî, \/!, \/i, \/'i%, \/i : les sons résultants
forment une gamme juste. Il est d'ailleurs inutile défaire
observer que le degré d'acuité des sons dépend du nombre des
vibrations. On a remarqué que la voix humaine pouvait
.s'élever beaucoup au-dessus du la^, etexéculer jusqu'à 3 et
4,000 vibrations par seconde. Les sons les plus aigus qu'on
puisse entendre (comme ceux qui sont produits par le mou-
vement des ailes de certains insectes) résultent au moins de
12 à 15,000 vibrations par seconde. Quand on connaît le
nombre de vibrations qui produisent un son dans un mi-
lieu quelconque, ainsi que la vitesse avec laquelle le son se
propage dans ce milieu, il est facile d'y déterminer la lon-
gueur des ondes sonores. Ainsi , dans l'air, où la vitesse du
son est de 3.37 mètres par seconde, il est clair qu'un son
qui résulterait de 337 vibrations par seconde donnerait des
ondes d'un mètre de longueur, car chaque vibration excite
nne onde, et les 337 ondes qui sont excitées en une seconde
occup.enl précisément 337 mètres de longueur ; d'où l'on voit
qu'en général la longueur de l'onde est le quotient de la
vitesse du son par le nombre des vibrations. Nous ne di-
rons rien, d'ailleurs, ici de ce qu'on a appelé vibrations Ion-
gitadinales, normales, tournantes, etc., non plus que des
divers modes de vibrations dans les liquides, les fluides, et
d'une foule de phénomènes particuliers ou généraux qui
constituent cette partie de la physique, et pour lesquels
nous renvoyons à des traités spéciaux. A. Billot.
VIBRIONS, animaux microscopiques rangés parla plu-
part des auteurs parmi les infusoires. Ce sont de très-
petits corps filiformes, droits ou ondulés, ou en spirale,
continus ou articulés , qui apparaissent par myriades dans
ies infusions fétides, animales ou végétales, ou dans le li-
quide des macérations , ou même dans les produits mor-
bides et liquides de l'organisme. Ces petits corps (dont
l'épaisseur varie de deux à treize dix-millièmes de mil-
limètre) se meuvent quelquefois très-rapidement dans le
liquide où on les rencontre.
VlliRISSES, nom donné 1° aux poils de l'intérieur
des narines de l'homme; 2° aux poils plus ou moins longs
et isolés qui poussent aussi dans les narines et sur plusieurs
points de la face des mammifères, et même à ceux du côté
interne des pieds de devant de quelques espèces; 3° aux
plumes simples ou presque sans barbes et piliformesde plu-
sieurs oiseaux. L. Laurent.
Vie. Voyez Meurtue ( Déparlement de la).
Vie ( Doin Claude oe), religieux de la congrégation de
Saint-Maur, né en 1670, à Sorèze, entra dans le monaftère
delà Daurade, à Toulouse, à l'Age de dix-sept ans, et mourut
subitement à Paris, dans l'abbaye de Saint-Germain-des-
Prés, le 53 janvier 1734. Chargé, avec dom Vaissette,
du soin d'écrire V Histoire de la Province du Languedoc,
il travailla à ce grand ouvrage pendant plusieurs années, et
le second volume avait paru depuis peu de temps lorsqu'il
fut enlevé à ses doctes travaux.
VICAIRE (du latin vicarius), celui qui fait les fonctions
d'un autre, qui alterius vices gerit, au temporel comme au
spirituel. Ce titre se donnait à Rome aux lieutenants du
préfet du prétoire; plus tard, on le donna dans les Gaules à
divers officiers qui faisaient les fonctions d'un autre. L'Église
chrétienne adop'a aussi celte dénomination pour désigner
TIONS — VICE
S69
leiui qu'un prêtre <^-j>nl charge d'âmes s'adjoignait pour
partager avec lui le poids de V'enseignemeut. En descendant
les premiers siècles de l'Église, les vicaires se multiplient; le
chef suprême de l'Église n'est lui-mftme que le vicaire de son
divin fondateur, que le vicaire de Jésus-Christ. Il envoie
ses vicaires apostoliques le remplacer dans les églises
et les provinces éloignées. Ainsi apparaît saint Césaire , ar-
chevêque d'Arles, l'homme au puissant génie, qui domine le
fier Sicambre et lui fait courber la tète. L'évêque et le prélat
eurent leurs grands-vicaires, ou vicaires généraux, qui
multiplièrent le pontife dans son diocèse. Dans la grande
famille chrétienne, le vicaire était un frère dévoué, qui pre-
nait la place de son supérieur non résidant, ou qui l'aidait
dans sa vie pénible et d'abnégation.
VICAIRES DE L'EMPIRE, vicarii ou provisores
Imperii. On en nommait quand l'empereur venait à mourir,
et qu'il ne lui avait pas encore été élu, en qualité de roi des
Romains , de successeur qui pût prendre tout de suite en
mains les rênes du gouvernement. 11 en était de même quand
l'empereur de vait rester longtemps éloigné de l'Empire.comme
aussi pendant sa minorité, ou bien si la maladie venait à l'em-
pêcher de remplir ses fonctions. Les pouvoirs du vicaire
de l'Empire cessaient au moment même où le nouvel em-
pereur avait prêté serment à la capitulation d'élection. A
l'origine, la nomination aux fonctions de vicaire ou adnai-
nistrateur de l'Empire était le plus souvent abandonnée à
l'empereur lui-même; mais la bulle d'or de 1356 reconnaît
elle-même déjà comme une ancienne pratique qu'en matières
judiciaires le vicariat de l'Empire appartenait au rfwc de .Saore
pour les pays du droit saxon, et au palatin du Rhin pour
les terres de Souabe, du Rhin et de Franconie. Tous deux
réglaient en commun tout ce qui avait rapport aux intérêts
communs de l'Empire, aux affaires de diète et à la distri-
bution de la justice ; d'ailleurs, l'un et l'autre, dans l'étendue
de leurs vicariats respectifs, dont une convention en date de
1750 avait déterminé les limites, agissaient avec la plus en-
tière indépendance l'un vis-à-vis de l'autre. Mais il y avait
certains droits inhérents à la personne même de l'empereur
que les vicaires ou administrateurs de l'Empire ne pouvaient
jamais exercer.
Vie AT (Louis-Jean), savant ingénieur français, né à Ne-
vers, en 1786, à qui on doit la connaissance exacte delà nature
et des propriétés des chaux hydrauliques, est un ancien élève
de l'École Polytechnique. Ses travaux , qui remontent à
1812, ont fait faire un progrès immense à l'art des cons-
tructions en ce qui concerne la fabrication des ciments et
des mortiers. La discussion de la chambre des députés qui
en 1846 précéda le vote d'une récompense nationale accordée
à M. Vicat, a établi (]ue les découvertes de cet illustre ingé-
nieur sur la théorie et la pratique des chaux et ciments cal-
caires ont épargné à l'État plus de 1 82 millions sur les frais
de revient des divers travaux publics exécutés de 1818 à
1845. On a de lui des Recherches expérimentales sur les
Chaux de construction , les Bétons et les Mortiers ordi-
naires; sur la fabrication et l'emploi de la chaux hy-
draulique; un Résumé des Connaissances positives ac-
tuelles sur les qualités et le choix des matériaux propres
à la fabrication des Mortiers et Ciments calcaires ; et un
grand nombre de dissertations insérées dans \t?, Annales des
Ponts et Chaussées.
VICE (Mythologie), divinité de la Grèce, et après elle
de l'Italie : on ne sache pas qu'elle y eût ni temple ni autel.
On l'avait avec raison reléguée dans le cœur des pervers et
des infâmes. L'antiquité représenta d'abord ingénieusement
le Vice et ses frères sous la figure des Harpies , femmes-oi-
seaux , monstres immondes, qui souillaient, empoisonnaient
et gâtaient tout ce qu'ils approchaient ou touchaient. Un
homme jeune, laid, rabougri, contrefait, caressant une
hydre, est quelquefois le symbole du Vice ; quelquefois c'est
un adulte aux traits assez beaux, mais dégradés et flétris,
qu'il tâche de cacher avec un masque séduisant, aux linéa-
ments purs, au presque divin sourire, et qu'il tient à la
870
main. Plusieurs le représentent sons i'o"'"it:mt: ue )'i,j.j--
que combattit et tua Hercule, '« »ertu personnifiée par la
force musculaire. Quelques peintres bien inspirés ont donné
pour attribit au Vice des filets, des iiameçons et une si-
rène qui semble chanter à ses pieds. Denne-Bakon.
VICE (Philosophie). Ce mot, formé du latin vitium,
se prend dans des acceptions diverses. Au physique, c'est
un défaut d'organisation , de conformation, de construction
ou de prononciation, c'est-à-dire une chose mal faite, une
difformité, une infirmité. Au moral, c'est : 1" un défaut
de constitution intellectuelle ou morale, c'est-à-dire d'in-
telligence , de conception , de pensée , de raisonnement ,
ou un défaut de sentiment, de purelé, d'élévation , de droi-
ture; 2° un défaut de forme, soit d'éloculion, soit de ré-
daction , soit d'action. Au moral comme au physique , ce
mot, qui s'applique à tant de choses dans un monde où il
y a tant de vices, se dit des animaux et des objets inani-
més comme des hommes. Ainsi l'on parle des vices d'un
acte et des vices d'un cheval , et cela dans le sens moral
comme dans le sens physique. Dans un acte, l'absence d'une
signature nécessaire et la présence d'une rature non ap-
prouvée, choses toutes matérielles, sont des vices tout
aussi bien qu'une convention mal exprimée, une pensée
faussement rendue. Dans un cheval, l'absence d'une dent
ou d'un œil est appelée vice , comme l'absence de docilité
et de soumission. Cependant, ces acceptions si variées du
mot vice nous sont ici toutes étrangères; c'est uniquement
dans son application aux habitudes morales de l'homme , à
tout ce que la vie a de plus intime et de plus élevé que
nous allons l'envisager.
Appliqué aux habitudes morales de l'homme, le mot vice
ne désigne pas seulement un défaut de constitution morale
ou une défectuosité originaire, mais une altération du ca-
ractère primitif de l'âme, une corruption résultant d'une ha-
bitude. De plus, ce n'est pas seulement l'absence d'une qua-
lité morale ni la présence d'un mal accidentel qu'on appelle
Vice, c'est la permanente irrégularité qui s'est introduite
dans nos mœurs , de notre gré et de notre libre acquiesce-
ment. Le vice est un état habituel de dérèglement, un dé-
vouement familier au mal. Cela est clair par soi; cela sera
plus clair par quelques exemples. Ainsi, ce n'est pas une
ivresse qui constitue l'ivrogne , une frayeur la poltronnerie,
une plaisanterie la bouffonnerie ; c'est la répétition d'actes
d'ivrognerie, de poltronnerie et de bouffonnerie qui cons-
titue des vices ou des habitudes vicieuses. Les vices sont
donc des habitudes résultant d'actes ou de penchants dont
la laideur n'est pas sentie, dont la séduction n'est pas com-
battue, dont l'empire est mollement haï, étounliment ac-
cepté, et enfin lâchement, honteusement chéri. Au mot
Vertu , nous avons dit que pour être vertueux il faut con-
nnitrn la vertu dans sa divine beauté, la respecter dans sa
sainte légitimité et la pratiquer dans son immuable inviola-
bilité. Pour être vicieux il suffit de négliger cette triple
obligation. La vertu n'est autre chose que le spiritualisme
dominant lesensualisme; le vice, c'est le sensualisme dominant
le spiritualisme. Dans son origine , le vice est une pensée
fausse, un sentiment mauvais. Par l'acquiescement de la
raison et de la conscience , il devient ensuite une résolution
librement prise , plus un acte une fois consommé , enfin
une série d'actes répétés quoique reconnus comme coupa-
bles devant la conscience et la raison. Le vice est donc une
insurrection continue contre la conscience et la raison. Mais
cette insurrection étant dirigée contre nous mêmes, car la
raison et la conscience c'est nous , le vice est un véritable
suicide, c'est une abdication de notre dignité et une aliéna-
tion de notre liberté. Puis, toute aliénation d'une liberté
étant suivie d'un autre fait , d'une condition de servitude,
le vice est un état d'esclavage. C'est une existence engagée
au mal. On a demandé s''il y a plus de vices ou plus de
vertus. Il a été répondu qu'il y a plus de vices, par la rai-
son qu'il ne peut y avoir qu'une bonne route, mais qu'il en
peut exister beaucoup de mauvaises. La réponse est propor-
VICE
iionnée à la question : la question est oiseuse. Celle de sa-
voir si tous les vices sont également condamnables , ou s'il
y a une différence entre eux, est, au contraire, d'une haute
importance; nous allons le voir.
S'il est très-vrai que tous les vices se tiennent, comme
toutes les vertus, et que la violation sciemment commise
d'un seul devoir est la violation de toute la loi, il n'en est
pas moins vrai que tous les vices n'ont pas le même degré
d'importance. Comme il en est qui s'engendrent les uns les
autres , il est évident que ce sont les vices générateurs qui
sont les plus graves. On a demandé quel était le plus grand
des vices , et quel en était le premier. Le premier, on l'a
souvent dit , est celte absence de volonté et d'activité qu'on
appelle la paresse, et que la sagesse des peuples a depuis^
longtemps qualifiée de 7nère de tous les vices. Le plus grand,
c'est incontestablement cette hypocrisie qu'on a dit si
faussement un hommage à la vertu; ce qui est à tel point
éloigné de toute vérité, qu'on pourrait dire, au contraire
qu'elle en est la parodie. A quelle chose la fourberie peut-
elle être un hommage? L'hypocrisie e.«t à la fois un mauvais
sentiment et une mauvaise pensée : elle est un immense en-
chaînement de tromperies et de mensonges sans fin et sans
retour. Elle est d'autant plus coupable, qu'elle abuse de
facultés plus éminentes. Là e.stla véritable mesure de la
différence des vices. Le vulgaire estime que les plus cou-
pables ce sont les |)lus grossiers. C'est le contraire qui est
vrai. Il en est des vices comme des poisons, ils sont d'autant
plus funestes qu'ils sont plus subtils ; c'est que plus leur
action e>t dissimulée, plus il devient difficile de les combat-
tre. Le vice que l'on décore du nom de médisance, pour
éclaircir cette question par un exemple, est mille fois plus
dangereux que celui qu'on appelle calo7n7iie;et dans
les divers genres de calomnies , c'est évidemment la plus
grossière, la plus audacieuse et la plus ouverte, celle
qui dans les rues emploie le vocabulaire des halles, celle
qui est l'effet d'une passion brutale et qu'il est permis de
repousser au nom de la loi , qui est la moins perfide. Il est
des vices'qui passent pour de simples défauts d'éducation
ou de caractère, et qui sont plus coupables que des crimes.
On dit que la morale a été la même dans tous les âges;
cela est très-vrai , si l'on parle des lois qui de tous temps
ont constitué l'ordre moral du monde; mais cela est de toute
fausseté si l'on parle soit des doctrines des moralistes, soit
des opinions du peuple. Si la morale a varié sans cesse, la
moralité a bien varié davantage. On distingue des vertus
de tempérament , de famille, de caste, de nation; il eu
est de même des vices. Il est des tempéraments qui con-
duisent à l'intempérance en tout. Il est des familles qui se
lèguent ou l'avarice, ou la prodigalité , ou l'ambition , ou le
déshonneur, comme par voie d'héritage. Il est des castes ou
des classses sociales qui se transmettent , comme par voie
de culte , des habitudes d'iiypocrisie , de vanité, de violence
et de despotisme. Pour ce qui est des nations , non-seule-
ment elles ont certains défauts permanents (il en est qui
figurent dans notre histoire depuis Jules César); mais leurs
annales en présentent encore qui sont particuliers à chaque
époque. Il suffit pour le prouver de prononcer, par exemple
pour la France, les noms de Louis XI, de François l*"^, de
Charles IX, de Louis XIV, du régent, de Louis XV; pour
l'Angleterre, ceux de Henri VIII, de Charles II et de Jac-
ques II, qui rappellent d'ailleurs des époques assez rappro-
chées les unes des autres, et des époques où ont régné les
mêmes institutions, la même religion. Mais les métamor-
phoses sont bien plus brusques et plus profondes lorsqu'il
y a eu de plus grands intervalles ou des changements dans
les lois ou dans les croyances. Il est des religions qui ensei-
gnent le vice et des systèmes de gouvernement qui corrom-
pent jusqu'aux vertus , qui les flétrissent dans toutes les
classes de la société. 11 en est d'autres qui combattent le
vice non-seulement sous toutes ses formes, mais dans tou-
tes ses sources. Ce sont évidemment les institutions de ce
dernier genre que doivent choisir les peuples éclairés. Mal-
VICE -
heureusement , les peuples ne choisissent d'ordinaire lei.Te
institutions qu'aux époques où ils sont parvenus à un Ifaut
degré de développement intellectuel , et ces époques sont
communément celles d'une profonde décadence morale.
Voilà pourquoi c'est rarement la moralité que les peuples
éclairés demandent en politique; c'est plutôt la liberté : et
s'il leur fallait opter entre la servitude et la licence , l'anar-
chie et le despotisme, c'est l'anarchie et la licence qu'ils
préféreraient. La liberté ne comporte toutefois ni l'une ni
l'autre. La parfaite liberté, il faut le dire aux nations mo-
dernes qui se montrent encore plus habiles à la corrompre
qu'avides de la conquérir, est incompatible avec le vice, et
en ceci comme en toutes choses elle est la sœur de la
vérité et de la vertu. Matter.
VICE-AMIRAL. Voyez Amiral.
VICENCE , Vicenza, chef-lieu de la province du même
nom (superficie, 36 myriam. carrés; population en 1861,
340,694 habitants), faisant partie du territoire vénitien du
royaume Lombardo-Vénitien, à 11 myriamètres au nord-
ouest de Venise, sur le chemin de fer lombardo-vénitien ,
dans une plaine fertile et bien cultivée, sur les deux rives
du Dacchiglione, cours d'eau navigable , qui y reçoit le
Retrone. Elle est entourée d'une double enceinte de mu-
railles et de fossés, a six portes, sept ponts (dont
quatre sur le Retrone), un vieux château fort, vingt-deux
églises et trente- trois oratoires. Quoique la plupart des
rues soient étroites et tortueuses , la ville possède quelques
places spacieuses et beaucoup d'édifices de formes nobles,
entre antres vingt palais de premier ordre, dont plusieurs
sont l'œuvre des célèbres Palladio etScamozi, qui tous deux
virent le jour à Vicence. Parmi les édifices les plus remar-
quables nous mentionnerons l'hôtel de ville ou Palazzo
délia Ragione , appelé aussi Basilica , sur la Piazza de
Signore, la belle place du marché formant un carré long,
ornée de deux colonnes destinées à rappeler le souvenir des
anciens souverains et d'un clocher haut de 82 mètres et
large seulement de 7, édifice unique en son genre et cons-
truit tout en marbre, qui date suivant toute apparence du
règne de Théodoric le Grand; puis le théâtre Olympique,
sur la Piassa d'/soZa , aujourd'hui en assez mauvais état,
intéressante construction en bois exécutée sur les dessins de
Palladio et dans le goût antique dans les proportions indi-
quées par Vitruve; deux arcs de triomphe , dont l'un
situé à l'entrée d'une belle promenade appelée le Campo
Marzio , l'autre près de la porte Lupia et formant l'entrée
d'un portique, de 168 arcades de long , qui conduit, par
une pente douce pavée en pierres de taille , à la belle et
riche église de \dL Madonna del Monte Bcrico, lieu de
pèlerinage en grand renom, dépendant d'un couvent de ser-
vîtes situé sur le Monte Berico, d'où l'on découvre une des
plus belles vues qu'on puisse imaginer. En fait de palais,
il faut citer le Palazzo délia Dclegazione ou la Loggia de
la préfecture, le Palazzo Chiericati avec un musée d'an-
tiquités, les palais Barbarano, Colleone, Tiene, Valma-
rana, Trissino, Folco, Carcano, et'le nouveau palais épis-
copal. Parmi les églises on remarque la vénérable cathédrale
et l'église des dominicains dans le style gothique du qua-
torzième siècle. Quelques-unes d'entre elles, notamment la
plus belle de toutes, Santa-Corona, contiennent de belles
peintures. La ville, siège delà délégation, d'unévéché, d'un
Iribunalde première instance et d'une chambre de commerce,
possède un lycée , un séminaire, un couvent de dames an-
glaises, l'académie olympique des sciences , des lettres et
des arts, une académie d'agriculture, une bibliothèque
publique de 50,000 volumes, trois théâtres, dont le plus
grand est le teatro filarmonico , un grand hôpital , un hos-
pice d'orphelins et divers autres établissements de bien-
faisance. En 1851 on y comptait 29,728 habitants et diverses
manufactures de soieries , et elle est le centre d'un com-
merce très-actif.
Cette ville , appelée dans l'antiquité Vicentia ou Vicitia,
"aisait partie de la contrée désignée sous le nom de Venitia,
VICHY
871
et était alors sans importance; mais au moyen âge elle fut
Une des premières à accéder à la ligue formée par les villes
lombardes contre l'empereur Frédéric !"■. I/'université qui
s'y créa en 1205, à la suite d'une émigration d'étudiants et de
professeurs de Bologne, ne subsista pas longtemps. L'em-
pereur Henri VII investit de cette ville les délia Scala ; et
cette famille ainsi que d'autres la gouvernèrent jusqu'en
1404, époque où Vicenc* et son territoire se soumirent aux
Vénitiens. L'empereur Maximilien I*"^ s'en rendit maître en
1509; mais il la restitua en 1510 à la république de Venise,
dont elle partagea dès lors la deslinée. En 1848 Vicence se
souleva contre les Autrichiens, et fut occupée par des troupes
pontificales. Le 2.î mai et le 9 juin elle fut canonnée par
les Autrichiens, et Radetzki la força de capituler, le 10 juin,
à la suite d'un engagement des plus vifs livré sur le Monte
Berico aux insurgés et aux troupes pontificales.
VICENCE (Leduc de). Foyes Caulaincourt.
VICENTE (GiL). Voyez Gil Vicente.
VICEI\TE (Jean de), moine de l'ordre de Saint-Do-
minique, qui au treizième siècle exerça une grande inlluence
par ses prédications fanatiques. Il se vantait d'avoir des
entretiens avec Jésus-Christ, avec la Vierge et un grand
nombre de bienheureux; et le peuple de Vicence l'acclama
un jour gouverneur de la ville. Son premier acte d'autorité
en celte qualité fut de faire brûler comme hérétiques une
soixantaine d'individus coupables de ne pas partager l'en-
thousiasme de leurs compatriotes à son égard. Mais les Vi-
centins finirent par reconnaître qu'ils étaient dupes d'un
ambitieux , et le chassèrent de leurs murs.
VICES RÉDUIBITOIRES. Voyez Rédhibitoires
(Cas).
Vie FEZEÏVSAC ou VlC SUR LOSSE. Voyez Fe-
ZENSAC et Gers (Département du).
VICH, ville de fabriques delà province de Barcelone
(Espagne), sur laGuera, dans une fertile contrée, siège
d'évêché, est au total bien construite, et possède une ca-
thédrale et quatre autres églises, beaucoup plus belles. On
y compte 10,667 habitants, plusieurs importantes filatures
de coton et des fabriques de soieries , de rubans et de
gants, il existe dans ses environs des mines de houille et
de cuivre, et on y trouve aussi des améthystes, des topazes
et des cristaux colorés, que montent et vendent les joailliers
de Barcelone. Comme capitale des Ausetani , cette ville
s'appelait du temps des Romains Ausa, et, devenue plus
tard le siège d'un évéché visigotli, on la nomma Ausona.
Au huitième siècle elle fut détruite par les Arabes, puis
reconstruite en l'an 798 par les Franks de la Marche d'Es-
pagne, qui en firent une place forte, autour de laquelle s'é-
leva peu à peu la nouvelle ville, appelée Vicus Ausoniensis
ou Vie d'Osone , qui avec son territoire forma un comté
particulier.
VICHY, petitevilledudéparfement del' Al lier,bàtiesur
les rives de l'Allier, qui la traverse du midi au nord, à 369
kilomètres de Paris, avec 2,910 habitants. Elle occupe en
partie un vaste vallon dont les coteaux , disposés en am-
phithéâtre, offrent aux yeux du voyageur une perspective
agréable-: on découvre de là les montagnes élevées du Forez
et de l'Auvergne. Le côté de la ville où sont les sources
est d'ime architecture moderne : c'est ce qu'on nomme Vi-
chy -les- Bains; on y trouve de beaux hôtels, qui réunissent
toutes les commodités de la vie citadine. L'autre côté de
Vichy est composé de vieilles constructions; les rues en
sont étroites et désagréables. Une belle promenade sépare
ces deux quartiers, si différents l'un de l'autre.
L'édifice thermal, dont la construction remonte à 1787,
est vis-à-vis la promenade; il est entouré d'hôtels élégants.
Les princesses Victoire et Adélaïde, tantes de Louis XVI, en
furent les fondatrices , et la duchesse d'Angoulême les affec-
tionnait. Quatre cours très-vastes, ayant au centre un réser-
voir d'eau douce , sont entourées de cabinets de bain ; on
y arrive par une très-belle galerie ; au-dessus régnent plu-
sieurs salons. On compte à Vichy sept sources, dont voici
S72
les noms et la température -. la Grande Grille., qui a de
32 à 34" Réaum.; le Puils Chomel , 32" ; le Grand Bassin
des Bains , 35"; le Petit Boulet, ou Fontaine des Aca-
cias , 24"" ; la Fontaine de l'Hôpital, ou Gros Boulet , 28° ;
la Soîcrce Lucas, 25°; la Fontaine des Célestins, ou du
Rocher, 17 à 18°. Cette dernière source est placée à l'une
des extrémités de la ville , au bas d'une montagne. Toutes
les eaux de Vichy sont claires et limpides ; cependant, on
voit souvent nager à leur surface , là même où elles sortent
de terre, des vestiges insolubles de carbonate de chaux. Elles
sont sans odeur, encore qu'on ait dit que la source Lucas
sentait le soufre, et elles n'ont qu'un goût de lessive peu mar-
qué. L'eau de la source des Célestins est légèrement aigre-
lette. La grande quantité de gaz acide carbonique que ces
eaux renferment les rend incessamment huileuses et bruyantes
comme l'eau qui va bouillir. M. Longchamp a prouvé qu'elles
ne contiennent absolument, en fait de gaz, que de l'acide
carbonique, sans mélange d'air atmosphérique, ni d'azote,
ni d'oxygène , ni d'hydrogène sulfuré. C'est la fontaine des
Acacias, ou du Petit Boulet, qui contient le plus de gaz
acide carbonique (23 grains par pinte). Après elle, c'est
aux sources Lucas , des Célestins et du Grand Bassin des
Bains que l'on en trouve davantage. Le bicarbonate de soude
n'est dans aucune autre source aussi abondant que dans
celle des Célestins (9G grains par pinte d'eau thermale). La
source Lucas vient ensuite. Le sel dont nous parlons est ,
avec l'acide carbonique , le principe qui prédomine dans
l'eau de Vichy. La plus ferrugineuse de toutes les sources
de Vichy est celle des Acacias : elle en contient environ un
dçmi-grain par pinte d'eau. Quant aux muriate et sulfate
de soude, la quantité en est à peu de chose près la môme
à toutes les sources. Toutefois , c'est la source des Célestins
qui contient le plus de muriate et le moins de sulfate. C'est
aussi cette source qui renferme le plus de silice. Les eaux
de Vichy ont presque toutes une saveur si piquante, que
les bestiaux , lorsqu'une fois ils en ont goûté , dédaignent
et quittent brusquement la rivière où on les a conduits,
pour aller s'abreuver de préférence aux sources minérales. Les
eaux de Vichy sont fondantes et apéritives , ce qui veut
dire qu'elles dissipent les engorgements des organes en ou-
vrant des issues aux humeurs dont le cours s'est ralenti ,
ainsi qu'en renouvelant, après en avoir déterminé l'excrétion,
des sucs trop consistants. On les prescrit dans les engorge-
ments chroniques du foie et de la rate, dans les mrdadies
anciennes de l'estomac, dans les affections hémorrhoïdales,
dansThypochondrieet les flueurs blanches. Elles produisent
aussi de bons effets chez certains malades qui ont une cons-
tipation opiniâtre, de même que dans les coliques liépati-
ques, dans les fièvres intermittentes invétérées, dans les ma-
ladies calculeuses principalement, et contre les accidents
qui signalent si souvent Vdge critique. On les a vivement
prônées contre les péritonites chroniques , pour les suites de
couches, ainsi que dans ce que le peuple a coutume d'ap-
peler dépôt laiteux, lait répandu , etc. En général , l'eau de
Vichy produit peu d'effet sur les scrofules, sur les maladies
de la peau et sur les rhumatismes; elle aggrave souvent
la goutte. Elle est pernicieuse aux tempéraments secs, aux
personnes irritables, aux poitrines délicates, aux malades
nerveux, ainsi qu'à ceux qui sont pléthoriques , ou qui
éprouveraient un mouvement de lièvre ou de l'insonmie;
en un mot , elle est manifestement tonique et irritante. Ni
purgative, ni sudorifique, cette eau ne porte qu'aux urines,
et l'on doit la ranger, en conséquence, parmi les renHides
diurétiques. On commence presque toujours par la source
des Célestins; c'est la plus rafraîchissante, la moins chaude
et la plus agréable au goût. On passe ensuite à la source
de la Grande Grille , puis à celle des Acacias. L'eau de la
Grande Grille est la plus réputée contre les engorgements
des viscères du ventre, contre les obstructions qui ne sont
plus inflammatoires , sans être encore ni cancéreuses ni tu-
berculaires.
Les bains sont ordinairement composés de l'eau du Grand
VICHY - VICO
/ Bassin ou de l'eau de la source de l'Hôpital , que l'on coupe
à parties égales avec l'eau pure et froide de la rivière de
l'Allier. Ce mélange donne un bain d'une température con-
venable, outre qu'il met obstacle au.prompt dégagement de
l'acide carbonique. Ces eaux déterminent quelquefois des
coliques et quelquefois un mouvement de lièvre.
La saison des eaux à Vichy ouvre vers le 15 mai et ferme
le 15 septembre : on n'y séjourne pas moins de trente à qua-
rante jours, et souvent l'effet des eaux ne devient manifeste
que quelques semaines après qu'on a en cessé l'usage. Les
eaux deVichy setransportentaisément sans subir d'altération
notable. M. D'Arcet a extrait de l'eau de Vichy le bicarbo-
nate de soude qui la caractérise et la rend si salutaire, et il
en a composé despaslilles diles de Vichy ou de D^Arcet ,
dont la propriété bien manifeste, surtout chez les femmes,
est de rendre les urines alcalines. Toute personne ayant la
pierre ne doit recourir aux chirurgiens lithotriteurs qu'après
avoir essayé sans résultat des eaux et des pastilles de Vi-
chy, ou de sodawater gazeux. Isidore Bourdon.
VICO (Giovanni Battista), penseur Italien plein d'ori-
ginalité, né entre 1G60 et 1670, était le fils d'un libraire de
Naples. f^nfant , il se brisa dans une chute le côté droit du
crâne, et ne guérit qu'au bout de trois années de souffrances.
Cet accident eut pour résultat de le prédisposer à la mélan-
colie. Il fit d'excellentes études dans sa ville natale, mais
sans pouvoir surm.onter le profond dégoût que lui inspirait
alors la philosophie. Une séance de VAcademia degV In~
furcati à laquelle il assista, et où il se rencontra avec tous
les savants et avec les personnages les plus illustres de la
ville, lui inspira tout à coup l'amour de la célébrité. 11 se
consacra à l'étude de la jurisprudence ; mais sa pauvreté l'o-
bligea à demander des ressources de subsistance à l'instruc-
tion publique, et il se chargea de l'éducation du neveu de
l'évèque d'Ischia, Rocco. Il passa neuf années de sa vie dans
cette situation, où , sans négliger jamais ses devoirs , il trou-
vait encore le moyen de continuer et de perfectionner ses
études. [Il revint alors à Naples, où il comptait de nom-
breux amis, parmi lesquels se trouvaient des princes de
l'Église, qui admiraient son génie et qui le laissaient dans la
misère. On eût voulu qu'il prît les ordres. Il se maria, et
ses enfants firent à la fois le désespoir et le bonheur de sa
vie. C'était, dit l'éditeur italien de ses œuvres, un spectacle
touchant de voir ce philosophe jouer dans sa pauvre maison
avec ses tilles, aux heures qu'il arrachait à d'ennuyeux
devoirs. Professeur de rhétorique à l'université de Naples,
il se voyait réduit à donner chez lui des leçons de langue
latine pour suppléer à la modicité de son traitement (100
scudi). Toutefois, le temps ne lui manquait pas pour ses
propres travaux. Déjà il avait publié à ses frais plusieitrs
mémoires sur des questions philosophiques; et La Science
nouvelle était presque terminée, lorsqu'une chaire de pro-
fesseur de droit vint a vaquer. Vico crut pouvoir l'obtenir, il
avait des titres honorables : « et d'ailleurs, ajoute-t-ii en par-
lant de lui-même à la troisième personne , il s'appuyait sur
les service rendus à l'université , dont il était le membre le
plus ancien; puis, ajoute-t-il encore, les travaux de son es-
prit avaient honoré ses compatriotes, il avait été utile à plu-
sieurset n'avait fait de tort à personne». Titres comme savant,
titres comme honnête homme ! Pauvre Vico! innocente créa-
ture! Et il croyait obtenir du pain , car c'était du pain qu'il
demandait avec des titres aussi vides de sons à l'oreille du
pouvoir! Que ne s'attachait-il à la porte des grands; que ne
se faisait-il serf de leurs petites passions ! Mais travailler,
mais étudier, mais se rendre digne d'une place pour l'ob-
tenir, il s'agit bien de cela vraiment! N'importe! Vico eut
l'audace de se présenter. Son succès ne fut pas disputé; il
entraîna tous les suffrages, et au moment où il attendait sa
nomination un grand personnage vint tristement lui con-
seiller de se retirer, vu que la place était destinée à un autre.
Ce conseil fut reçu comme un ordre, et le pauvre Vico eut
la douleur de voir triompher le plus indigne de ses concur.
rents. Alors le grand homme, sans se plaindre, sans se
décourager, rentre dans la solitude pour y chercher les lois
de cette Proyidence qu'il reconnaît et qu'il bénit jusque
sous les coups dont elle le frappe. Là il achève ce grand
ouvrage qui doit révéler au monde savant une science
nouvelle; là, au milieu de sa famille et de ses livres, il
jouit des délices de l'étude et des espérances de la gloire;
et ses joies sont si pures , ses contemplations si ravissantes,
qu'en épanchant son âme dans l'âme d'un ami, il ne peut
s'empêciier de bénir les disgrâces de la fortune, cet abandon,
cet oubli des hommes qui lui ont fait connaître le vrai boa-
heur. Ainsi, les plaisirs intimes attachés à la recherche de la
vérité compensaient avec usure pour cette âme expansive
les insultes de la fortune et l'oubli des liommes puissants.
Que dis-je? ils ne l'oubliaient pas, les puissants de ce monde ;
tous, au contraire , venaient à la fde sous son humble toit,
non |)0ur y verser l'abondance, mais pour solliciter des
discours, des vers , des inscriptions , des panégyriques,
des épitaphes; pour se faire flatter vivants et morts par celui
dont ils entendaient vanter l'éloquence. Et ce n'étaient pas
de petits hobereaux de province qui venaient ainsi mendier
ses éloges; c'étaient des généraux, des cardinaux, des papes
et des têtes couronnées. Enfin, l'engouement et l'indiscré-
tion des solliciteurs furent portés à un tel excès que les
hymnes et les discours ne suffirent plus , et qu'on exigea de
lui des livres entiers. C'est sous cette influence tyrannique
qu'il écrivit l'histoire du maréchal Antonio Caraffa. Cet ou-
vrage, il est vrai, (ut payé d'un applaudissement général ;
le pape Clément XI , dans un bref adressé à \'ico, le traita
d'immortel ! Mais rien ne fut ajouté à cet éloge. Le mal-
heureux se voyait loué par les papes, fêté par les cardi-
naux, sollicité par les vice-rois, qui en le sollicitant ne
manquaient jamais de lui écrire : Très-illustre seigneur
Vico. Et le résultat de ces beaux titres , c'étaient, pour le
très-illustre seigneur, des infirmités, suite de ses longues
veilles, des compliments et la misère!
Tel fut Vico jusque dans sa vieillesse, époque où la for-
tune, par une amère dérision, daigna lui jeler quelques fa-
veurs. Elle vint pour ainsi dire le surprendre au milieu de
ses infirmités les plus douloureuses , sur les bords de sa
tombe, pour lui donner le titre tV historiographe du roi.
Mais alors ses forces diminuaient tous les jours; il fut qua-
torz(; mois sans parler et sans reconnaître ses propies
enfanls, et ne sortit de cet état q.ue pour remplir ses de-
voirs de chrétien et rendre son âme à Dieu. C'était le 20
janvier 1744. H avait alors soixante- seize ans.
Ses Principi di una Scienza Nuova d'intorno alla com-
mune natiira dclle nazioni (Naples, 1725 ; 7'-'édit., I8t7)
sont demeurés son principal ouvrage. Il faut encore men-
tionner de lui les livres intitulés De antiquissima Italorum
Sapientia (Naples, 1710; traduit en italien par Monti, Milan,
1816), et Be uno universi Juris Principio et fuie vno
(Naples, 1720). Ses Opuscoli raccolti (publiés par Rosa ,
(Naples, 1818) contiennent beaucoup de choses inédites
ainsi que l'autobiographie de 'l'auteur. Une édition de ses
Œuvres complotes a paru en 1835.
Deux idées puissantes absorbèrent la vie scientifique et
philosophique de Vico. 11 voulut : 1° tracer le code des lois
providentielles qui gouvernent le genre humain depuis le
rommencement du monde, et lesdonner pour règles de l'a-
venir ; 2° résoudre le problème tant cherclié du principe de
certitude, c'est-à-dire découvrir le critérium de la vérité.
Ainsi , les études de "Vico comprennent Dieu et l'homme, le
secret des pensées de Dieu dans le gouvernement politique
et moral de l'univers, et la direction à donner aux pensées
des hommes dans l'accomplissement de leurs devoirs.
1° Toute histoire , suivant Vico , se compose de trois épo-
ques : l'âge divin ou l'idolâtrie, l'âge héroïque ou la barbarie,
l'âge humain ou la civilisation ; et ce triple tableau, qu'il
trace à grands traits, devient le cercle étroit dans lequel
il renferme le passé , le présent et l'avenir de l'humanité.
Voilà ce que nous sommes condamnés à recommencer sans
cssse ; voilà le moule dans lequel les nations doivent se pré-
VICO
cipiter élerneliement
873
chaque révolution de la société hu-
maine fera revivre la barbariedes premiers jours du monde;
il y aura toujours sur la terre l'âge de l'idolâtrie, l'âge de la
férocité avant l'âge de la loi. Vico va plus loin ; il soutient
que, lors môme que Dieu multiplierait à l'infini les mondes
dans resi)ace ( hypothèseindubitablement fausse, ajoute-t-il),
la destinée de tous ces mondes nés et à naître serait de suivre
le cours des lois tracées dans la Science nouvelle. Ainsi,
ce beau génie, qui tout à l'heure voulait écrire le code des
lois providentielles, écrit que la Providence n'a peuplé qu'un
monde , n'a créé qu'une terre. Il ose dire que si d'autres
mondes étaient possibles, ils ne pourraient exister que sous
la direction des lois que lui, faible mortel , vient de décou-
vrir. Tout à l'heure il cherchait la pensée de Dieu , à pré-
sent il lui trace des limites. Quel triste résultat d'une aussi
grande conception! Tel est le système de Vico. Il s'est borné
à étudier dans les modifications de l'esprit hun)ain la marche
que devaient suivre les sociétés, en les supposant à l'état
sauvage ou à l'état de barbarie; là s'arrête La Science nou-
velle. On peut, si l'on veut, lui accorder quelques époques
du passé, mais aucun héritage dans l'avenir. En effet , pour
montrer combien sa doctrine est impuissante, il suffit de
constater les progrès de l'humanité sur le globe , et de re-
marquer que dans sa théorie des lois providentielles Vico
n'a tenu aucun compte de la loi de perfectibilité , c'est-à-dire
de l'amélioration graduelle du genre humain. Et qu'on ne
croie pas que cette amélioration soit illusoire; on peut énu-
mérer le nombre de vérités inconnues des temps anciens et
qui sont acquises aux temps modernes : l'amour des hom-
mes, l'abolition des castes, l'abolition de l'esclavage, la sou-
mission des droits du citoyen aux droits de l'humanité , et
la liberté de conscience, toutes vérités repoussées par les
peuples les plus civilisés de l'antiquité et triomphantes au-
jourd'hui. La croyance à un seul Dieu, qui coûta la vie à
Socrate, est devenue la vie religieuse des nations; il n'y a
plus d'idolâtrie que chez les barbares; autrefois elle couvrait
la terre : «Tout était Dieu, excepté Dieu môme! » dit énergi»
queinent Bossuet. Voilà les conquêtes morales qui ont changé
la condition des sociétés et qui rendent le retour de l'âge
divin impossible. Ainsi, la condition morale des peuples
est entièrement changée ; le genre humain s'améliore, et la
masse civilisée est plus parfaite que dans les temps anciens :
je parle des temps les plus beaux et les plus héroïques ; car
dans ces temps d'héroïsme Atliènes ne criait pas à Sparte :
N'égorgez pas les ilotes 1 Rome ne criait pas à Athènes : Ne
vendez pas les esclaves I Platon et Socrate lui-même accep-
taient l'esclavage , et il y a dans la Politique du précepteur
d'Alexandre une page terrible, oii l'esclavage est déclaré
chose juste {Politique d'Aristote, liv. i'"', ch. 2); et cette
page sépare à jamais les temps anciens des teaqis mo-
dernes.
Toutes les études historiques tendent donc à démontrer
l'impossibilité du retour des âges divins et héroïques, à
moins d'un cataclysme qui ne laisserait sur le globe que des
Groënlandais ; d'oii il résulte que La Science nouvelle de
Vico ne renferme pas l'avenir du globe; qu'elle n'est pas le
moule éternel où les peuples doivent prendre leur forme;
que de nouvelles <lestinées nous sont promises, qui deman-
dent une nouvelle science , une science plus digne de l'homme,
plus pleine de foi et d'espérance , une science qui parle a
notre cœur et non à notre mémoire, et qui , loin de con-
damner le genre humain à tourner dans un cercle doulou-
reux de superstitions et de crimes , lui ouvre un avenir bril-
lant d'intelligence et de prospérité. Si donc nous dégageons
de l'œuvre de Vico cette partie erronée de son système, il
ne lui restera plus qu'une idée vraie, que cette magnifique
idée de Bossuet qui place tous les peuples du monde, re-
présentés parla postérité d'Abraham, sous les regards et la
conduite de Dieu. Dès lors le Discours sur Vhistoire uni-
verselle reste debout sur les débris du livre de Vico, et par
droit de génie et par droit d'ancienneté, car le chef-d'œuvre
du nouveau Père de l'Église précéda de quarante-quatre ans
874
le clicf-d'œuvre du professeur italien. A présent, si Ton me
demande de formuler la loi qui dirige les peuples dans leur
marclie éternelle sous les regards de Dieu , je répondrai que
nous ne sommes pas plus avancés aujourd'hui qu'on ne
l'était au temps de Bossuet et de Vico. Seulement, on peut
dire que le caractère de cette loi est la prévoyance et la
bonté. Et qu'on ne vienne pas nous opposer les tableaux
hideux de l'histoire du monde depuis six mille ans , car
nous répondrions précisément par ces six mille ans d'exis-
tence et de progrès. Plus il y a de désordre dans les lois
humaines, plus l'ordre des lois divines apparaît, puisque
nous existons, puisque nous progressons, puisque chaque
siècle en passant nous a dépouillés de quelque barbarie.
Peu importe que la loi divine soit encore inconnue , si
elle se manifeste par des bienfaits et si son but visible est
la conservation du genre humain I
Ce qui importe, c'est que nous sachions qu'elle existe.
Et voilà précisément ce qui fait la gloire de Vico. Sa mis-
sion fut de nous avertir bien plus que de nous instruire ;
mais son avertissement eut quelque chose de sublime, car
il nous appelait aux conseils de la Providence.
2° Recherche de la vérité. Rien de plus triste que la
condition de l'homme. Il ne peut être heureux que par la
V é r i t é , et son sort est de vivre environné de mensonges.
Naître à tel degré de latitude , c'est recevoir d'un petit coin
de terre nos préjugés , nos mœurs , nos opinions , notre
religion; c'est être Chinois , Français, Hottentot. Naître
dans tel ou tel siècle, c'est vivre sous l'idée dominante de
ce siècle. €e n'est pas tout: à ces idées fatales, qui sont
indépendantes de notre volonté , et dont si peu d'hommes
songent à se dépouiller, il faut ajouter l'éducation, cette
seconde naissance, qui refait notre entendement et le
meuble ou le démeuble au gré de nos maîtres et de nos
professeurs. Là notre raison agit , mais offusquée par les
habitudes de l'école, par le chaos de la théologie, par les
systèmes de la science, par les théories philosopliiques
qu'un grand génie nous inipose et qu'un plus grand génie
anéantit; car il y a autant de diversité dans les opinions des
philosophes que danslesmœursdes peuples. Nous passons de
saint Augustin àBossuet,dePlatonà Cicéron,d'Aristoteà De?;-
cartes , déDescartes à Locke, de Locke à Kant , et de Kant à
Fichle, àSchelling,àHegel, sans jamais nous arrêter, forgeant
notre intelligence à toutes ces fournaises, accusant nos pères
d'erreur ou demonsonge, et n'écoutant pas la voix de nos
enfants, qui déjà se préparent à nous accuser à leur tour.
LorsqueMontaigne, le premier parminous, levant latêle
hors de ces ténèbres et regardant au-dessous de lui , vit cet
effroyable chaos de coutumes , d'usages , d'opinions, de re-
ligions , qui se partagent le globe , son âme se troubla , son
imagination s'assombrit , et il proclama en face du monde
la vanité de toutes les sciences et de toutes les pensées hu-
maines; et cependant, ce rare génie avait entrevu le remède à
tantdemaux, et même ill'avait consigné quelques pages plus
loin dans un autre chapitre de son livre, le pins beau peut-être
des. Essais, puisqu'il est resté original après l'^mj/e, qui en
est sorti toutentier. Je veux parler du chapitre 30 De r Insti-
tution rfeç £'n/an^s, dédié à M""^ Diane de Foix. Danscecha-
pitreon lit cette pensée, qui alors passa inaperçue, et qui
plus tard devait servir de texte à Bacon et à Descartes et
Taire révolution dans les écoles : «Il faut tout passer par Testa-
mine, et ne loger rien en nostre tête par autorité et à crédit. »
Qu'on juge de l'étrangeté de celte parole a une époque où
ia parole d'Aristote décidait de tout. Bacon fut le premier
qui s'en saisit. Ba c on, fondant la philosophie comme il avait
fondé les sciences , posait le même principe que Montaigne,
mais avec plus de clarté, plus de développement; il disait :
« Il ne nous reste pins qu'une seule planche de salut, c'est
fje refaire en entier l'entendement humain; c'est d'abolir de
fond en comble les théories et les notions reçues, enfin
l'appliquer ensuite un esprit vierge , et devenu comme une
table rase , à l'étude de chaque chose prise à son commen-
cement. » {Novum Organum). Ces six lignes, publiéesàLon-
VICO
drcs à l'époque où le parlement de Paris « défendait, à peint;
de vie , de tenir ni enseigner aucune maxime contre les au-
teurs anciens et approuvés » ; ces six lignes portaient en
elles une révolution tout entière. Elles furent recueillies par
un jeune officier qui parcourait alors l'Europe, étudiant les
peuples, consultant les philosophes , cherchant partout la
vérité, et s'étonnant de ne rencontrer que l'erreur. 11 les
méditaau milieu des camps; et, après dix-sept ans de mé-
ditation, il en fit la base d'un petit traité de cent pages,
dont le but était de renouveler les écoles et dont la destinée
fut de renouveler le monde. Ce jeune officier, c'était Des-
cartes; ce petit volume, c'est La Méthode, titre modeste
d'une œuvre de génie. C'est Jà que, s'offrant lui-même en
exemple, l'auteur raconte comment, après avoir achevé ses
éludes dans une des écoles les plus célèbres de l'Europe,
puis après avoir étudié dans le monde et dans les armées
les mœurs et les usages des différents peuples, il se trouva
tellement embarrassé de ses doutes, qu'il prit la résolution
d'effacer de sa mémoire tout ce qu'il venait d'apprendre , de
faire table rase, comme le dit Bacon, et de ne rien recevoir
dans son entendement de ce qui ne lui serait présenté que
par l'exemple, la coutume ou l'autorité. « Pour atteindre
la vérité, dit- il , il faut, une fois dans sa vie, se défaire de
toutes les opinions qu'on a reçues , et reconstruire de nou-
veau tout le système de ses connaissances. « Mais comment
le reconstruire? Ici la difficulté est sans bornes : tant qu'il
ne s'agit que d'eflacer l'erreur, tout se passe dans la lumière ;
mais dès qu'il s'agit de reconnaître la vérité , tout redevient
ténèbres. En effet. Descartes a bien trouvé le principe qui
nous délivre du mensonge: mais en confiant à chaque
raison le pouvoir de remeubler l'entendement, en faisant
l'individu juge de toutes choses, il n'a fait que changer de
désordre, il a enfanté le chaos. C'est une chose remarquable
que la réforme philosophique et la réforme religieusese soient
perdues par la même faute : Luther et Descartes n'ont fait
que multiplier l'erreur en appelant la raison individuelle,
sans autre autorité, l'un à l'interprélation des livres saints,
l'autre au jugement des sciences philosophiques.
Ici nous voyons reparaître Yico. Près de cent ans s'étaient
écoulés depuis la publicalion de La Méthode. Descartes ré-
gnait sans contradicteurs, faisant peser sur le monde sa-
vant la tyrannie de ses fortes pensées. Yico fut le premier
qui l'attaqua. « Nous devons beaucoup à Descartes, dit-il;
nous lui devons beaucoup pour avoir soumis la pensée à ia
méthode. C'était un esclavage trop avilissant que de faire
tout reposer sur la parole du maître. Vouloir que le juge-
ment de l'individu règne seul, c'est tomber dans l'excès
opposé. Il Mais Vico ne se contente pas de combattre le sys-
tème déDescartes, il veut le remplacer : au sens individuel
il substitue le sens commun; il proclame infaillible toute
idée, tout principe qui se présente avec l'assentiment du
genre humain. En un mot, il fait delà voix universelle des
peuples le critérium de la vérité ; système brillant , repris
de nos jours par La Me n nais, et que Vico formule ainsi :
« Ce que l'universalité ou la généralité du genre humain
sent être juste doit servir de règle dans la vie sociale. La
sagesse vulgaire de tous les législateurs, la sagesse profonde
des plus célèbres philosophes s'étant accordées pour ad-
mettre ces principes et ce critérium, on doit y trouver les
bornes delà raison humaine, et quiconque veut s'en écarter
doit prendre garde de s'écarter de l'humanité entière, w
Ainsi, Vico croit avoir marqué les bornes de la raison hu-
maine. Voilà une haute prétention ! 11 plante son drapeau
au milieu de la grande assemblée des peuples , et le cri gé-
néral qui sort de cette foule il le proclame la vérité; il dit :
La raison humaine n'ira pas plus loin. Mais pour que la
pensée universelle puisse devenir le critérium de la vérité,
il faut qu'elle n'ait jamais proclamé le mensonge. Ici la
règle ne peut souffrir d'exception; l'exception serait l'erreur,
et l'erreur détruit la règle. Eh quoi ! n'a-t-on pas vu des
temps où l'idolâtrie couvrait le globe? Les sacrifices humains
n'ont-ils pas ensanglanté tous les cultes? L'esclavage et la
VICO — VICTOIRE
875
polygamie ne furent-ils pas consacrés par toutes les nations
delà terre, barbares ou civilisées? Et si l'assentimeut du
genre bumain a proclamé le polytbéisme, s'il a sanctifié à
la fois le massacre, le libertinage et la violation des droits
de riiomme,dirons.nous avec Vico que ce sont là les bornes
de la raison ImmainePTelest cependant le témoignage uni-
versel : simple expression de l'état social, comment pour-
rait-il être l'expression de la vérité et de la raison ? J'ai beau
chercher la vérité dans les masses, je ne la rencontre { quand
je la rencontre ) que dans les individus. Pour que la lumière
jaillisse des ténèbres , il faut que Dieu y allume un soleil ,
pour que la vérité entre chez un peuple, il faut que Dieu
y jette un législateur. La vérité n'est révélée qu'au génie,
et le génie est toujours seul. « Les peuples, dit admirable-
ment Bossuet (Sermon pour la fêle de tous les Saints) ,
ne durent qu'autant qu'il y a des élus à tirer de leur multi-
tude. )> Pensée profonde, que Bossuet n'applique qu'aux
saints , mais qui peut s'appliquer aux philosopiies , aux lé-
gislateurs, à tous les bienfaiteurs de l'Immanilé : le privi-
lège du génie est de tout dire dans une ligne.
Ainsi tombe naturellement , en présence des faits , la
philosophie de/nocra^îgwe du témoignage universel. Ce qui
ne veut pas dire que la philosophie aristocratique du té-
moignage individuel soit beaucoup meilleure. Rien ne doit
rester de ces deux systèmes, car ils donnent à l'autorité
humaine une puissance qu'elle n'a pas. Mais où donc est
la vérité ? Dieu aurait-il environné l'homme de tant d'er-
reurs sans lui fournir un seul moyen de les reconnaître? lui
aurait-il donné une conscience qui redoute le mer^songe,
une raison qui cherche la sagesse , la faculté de [lenser, de
comparer, de vouloir, le tout pour se tromper éternellement?
Non , non! Dieu n'a pas manqué de justice ! 11 a placé la
vérité au point de vue de l'homme , puisqu'il a mis l'homme
en présence de ses ouvrages, et que l'ouvrage exprime tou-
jours la pensée de l'ouvrier. La pensée de Dieu , c'est-à-
dire la vérité, nous est donc révélée par les lois de la
nature ; c'est là que le Créateur a imprimé sa volonté im-
muable , et le livre qui la renferme est universel ; il s'ouvre
sous les yeux du genre humain ! Les mathématiques elles-
mêmes ne sont vraies que parce qu'elles représentent
quelques lois physiques de l'univers. Elles sont la pensée de
Dieu traduitepar des lignes et par des chiffres. Il faudra bien
convenir un jour que les lois morales de l'univers sont
aussi positives que les lois mathématiques, puisqu'elles ont
la même origine! Dieu n'a pas failli à nous les donner, c'est
nous qui avons failli à les étudier et à les comprendre.
Terminons en signalant les traits frappants qui séparent
la science historique des temps modernes. Avant Vico,
l'histoire n'était que le simple récit des faits ; sous l'inlluence
de Vico , la transfiguration s'est opérée : l'histoire est de-
venue prophétique et providentielle; en sorte que, prise
dans son ensemble sur le globe entier, elle nous apparaît
comme une épopée sublime, où chaque peuple accomplit
une pensée de Dieu dans l'intérêt du genre humain.
Louis Aimk-Maktin.
VICOMTE, Vicarius comilis, le représentant, le
lieutenant du comte. Ce titre n'apparaît pour la première
fois dans l'histoire qu'en l'an 819, sous le règne de Louis le
Débonnaire. Le premier à qui on l'appliqua fnt Cixilane , vi-
comte de Narbonne. Jusque alors les lieutenants des comtes
étaient qualifiés de v idames . Quelques vicomtes étaient
nommés directement parle roi dans les principales cités, les
autres étaient choisis par les ducs ou les comtes qui
avaient le commandement des provinces. Les comtes pro-
nonçaient sur les causes majeures ; les délits moins graves
étaient en premier ressort jugés par les vicomtes.
VICOMTE , territoire placé sous l'autorité adminis-
trative d'un vicomte.
VICQ-D'AZ YR (FÉLIX), néà Valognes, en 1748, cultiva
à la fois la médecine , l'histoire naturelle , l'anatoinie et la
yttérature. Comme il avait la parole facile et une véritabie
éloquence , il professa dès l'âge de vingt-cinq ans et ne
tarda pas à faire ombrage à l'École de Médecine, très-jalouse
dès lors de sa prérogative, et exigeant de ses agrégés une
soumission sans réserve. Son indépendance normande
trouva refuge au Jardin du Roi, et un puissant appui dans An-
toine P etit. Celui-ci aurait désiré transmettre àVicq-d'Azyr
la survivance de sa charge , mais la volonté souveraine de
Buffon contraria ce projet : Portai, Gascon flatteur et do-
cile , fut préféré à Vicq-d'Azyr. Repoussé tour à tour par
l'École de Médecine et par Buffon , sans doute parce qu'on
présumait trop bien de son avenir, Dauben ton, puis
Lassone, médecin de Louis XVI, l'accueillirent avec fa-
veur, l'Académie des Sciences et l'Académie Française l'ad-
mirent dans leur sein ; et quand Lassone , en 1776 , eut ob-
tenu la création de la Société royale de Médecine , ce fut
Vicq-d'Azyr qui fut institué le secrétaire perpétuel de ce
corps savant. Les éloges qu'il y prononça forment la plus
belle partie de ses ouvrages. Ses mémoires d'anatomie, ses
articles de V Encyclopédie méthodique, sa théorie de l'ai-
guillon inflammatoire , ses descriptions d'épidémies et
d'épizooties , et même l'in-folio incomplet qu'il a laissé sur
le cerveau, eussent tout au plus fait ranger Vicq-d'Azyr
parmi les savants de deuxième ordre et les médecins plus
spéculatifs que praticiens ; mais ses éloges de Buffon , de
Franklin, etc., l'ont placé au rang des meilleurs écrivains
français ; et c'est à ce titre que les gens de goût et les phi-
losophes lui doivent un souvenir. Les vicissitudes politiques
au milieu desquelles vécut Vicq-d'Azyr nuisirent à son bon-
heur et abrégèrent sa vie; car, médecin de la malheureuse
reine Marie-.4ntoinetfe en 179t , c'est-à-dire à une époque
où il n'existait plus guère qu'une royauté nominale , il se
trouva contraint, quehpies années après, d'assister à la céré-
monie publique où Robespierre fit proclamer l'Être suprême,
et il mourut à quelque temps de là, d'une inflammation de
poitrine, dont l'origine remontait à cette fête bizarre.
Isidore Bourhon.
ViC-SUR-CÈRE ou VlC EN CARCALÈS , bourg de
1,800 habitants, situé à 20 kilomètres d'Aurillac (Cantal),
possède des eaux minérales, acidulés, froides, très-renom-
mées , et qui y attirent un grand nombre de baigneurs dans
les mois d'août et de septembre.
VICTOIRE (La) , déesse appelée Victoria par les Ro-
mains et Ni fié par les Grecs , était, suivant Hésiode, filledu
Styx et de Pallas. De toutes les divinités inférieures des Grecs
ce fut celle à laquelle ils donnèrent l'empreinte la plus indi-
viduelle, tandis que les Victoires romaines ne sont que des
allégories dans le sens général. Nikô est représentée avec
un vêtement long , mais simple , retroussé et léger. Elle tient
à la main des palmes ou des couronnes , ou encore d'autres
trophées. A l'origine , Nikê n'était que l'un des surnoms
d'Atliénê (Minerve), qu'on regardait comme la déesse de la
victoire. Phidias, le premier, symbolisa le don de rendre
vainqueur, qui lui est propre, sous la forme d'une déesse
particulière , qu'il plaça dans la main de ses deux plus cé-
lèbres statues colossales, le Jupiter Olympien et la Pallas
Athenê d'airain. Ainsi s'explique comment les ailes man-
quent aux plus anciennes représentations de Nikè. Ce ne
fut que plus tard , lorsque Nikê fut placée au rang des divi-
nités intérieures , qu'on lui donna desailes. Le sculpteur An-
thermus , qui llorissait à Cbios entre la 50= et la 60*= olym-
piade et qui aimait à orner les sévères figures de dieux de
gracieuses allégories, fut le premier qui s'en avisa.
Nikê fut représentée de mille manières différentes. On la
trouve sur des peintures de vases, sur des lampes, des i)ierres
précieuses, des médailles, sur les peintures murales de Pom-
péi, sur des chars, tenant les guides des vainqueurs, etc.
Dans les jeux sacrés, dans les entrées triomphales, une Nikê
planait d'ordinaire au moyen d'une machine, ou suspendue
au-dessus de la tête du triomphateur. On donnait le nom
de Nicéphore aux héros qui la portaient à la main , et à
Athéné elle-même.
Dans l'acropole d'Athènes, qui avec ses templeset sessta-
hiesiSait le grand centre du culte de Pallas Athénê, s'élevait
876
VICTOIRE — VICTOR
aussi un petit templede raarlire pentliélique , de neuf mètres
de long sur six de large, consacré au culte d'Athénô comme
déesse de la victoire. Sa statue était sans ailes , d'où le nom
de temple de Nikêapleros (sans ailes) donné à cetéd!(ice,
qui était de style ionien, et dont le principal ornement con-
sistait en une frise contenant la représentation en relief de
scènes de bataille entre les Grecs et les Perses. La statue de
la déesse tenait d'une main une grenade el de l'autre un cas-
que. Les restes de ce temple furent mis en lumière en 1825,
à la suite de fouilles faites par Rost.
VICTOIRE (Le duc de la ). Voyez Espartero.
VICTOIRE ( M">e Louise-Thérèse ) , (llle de Louis XV ,
née à Versailles, en 1733, resta constamment pure au
milieu de la cour la plus corrompue de l'Europe, et, comme
sa sœur W^'^ Adélaïde, mérita les respects de tous. Les deux
sœurs ne se décidèrent à quitter la France qu'au commence,
ment de l'année 1791, et elles gagnèrent Rome, non sans
avoir eu à triompher de beaucoup d'obstacles dans un voyage
qui fut une véritable fuite. Le saint-père les accueillit avec
tous les égards dus à leur rang et encore plus à leur haute
vertu. Elles séjournèrent alors dans la capitale du monde chré-
tien jusqu'en 1798; mais alors il leur fallut encore aban-
donner cet asile à l'approche des troupes républicaines et
se réfugier à Naples. Un an après, les deux princesses
étaient de nouveau obligées de fuirdevantl'armée française,
et de s'embarquer pour Trieste. M"'" Victoire mourut dans
cette ville, le 8 juin 1799, six mois seulement avant sa sœur
aînée , M™° Adélaïde. La même tombe réunit dans la ca-
thédrale de Trieste deux sœurs qui ne s'étaient jamais
quiltées et que liait la plus tendre alfection. Louis XVIII
fit rapporter eu France, en 1817, leur dépouille mortelle,
qui repose aujourd'hui dans les caveaux de Sainl-Denis.
VICTOR ( AuRELius ). Voyez Aurelius Victor.
VICTOR ( Saint), issu d'une des premières familles
de Marseille , servait avec distinction dans les armées ro-
maines, lorsque, ayant fait profession du christianisme, il
fut arrêté : c'était une des victimes dévouées à la persécu-
tion de Dioctétien. INi prières ni menaces ne purent ébranler
sa foi; et dans sa constance il alla jusqu'à briser les idoles
devant lesquelles on prétendait le faire incliner. Après avoir
enduré les plus affreuses tortures, il eut la tête tranchée, le
21 juillet 303. Ce fut, dit-on, sur le lieu de son supplice,
à Marseillef que Jean Cassien , célèbre par ses Collations
ou Conférences des Pères du désert, fit bâtir un monas-
tère selon la règle de Saint-Benoît.
L'àhbaye Saint-Victor de Paris , placée sous l'invoca-
tion du héros martyr, était d'une origine beaucoup plus ré-
cente; on en attribue la fondation à Louis VI , qui , dans
unecbarte datée de l'année 1113, établit et dote l'abbaye de
Saint-Victor de Paris. Mais il est avéré que longtemps au-
paravant, et précisément au môme lieu, existait un ora-
toire consacré à saint Victor. Cette circonstance nous por-
terait à croire que Louis Vi ne fut que le bienfaiteur et non
le fondateur de l'abbaye. Guillaume de Cbam peaux,
maître du (ameux A bé lard, et quelques-uns de ses dis-
ciples, s'y retirèrent, y prirent l'habit et embrassèrent la
vie de chanoines réguliers. Bientôt , par les vertus et les ta-
lents du chef, l'abbaye devint tellement célèbre qu'elle
donna naissance à une congrégation dont les membres, aj)-
pelés Victorins, couvrirent toutes les provinces du monde
chrétien. On lit dans le testament de Louis VIII que la
maison de Saint-Victor avait quarante abbayes au beau
royaume de France. Les victorins ont compté dans leurs
rangs un grand nombre d'hommes d'incontestable mérite et
d'édifiante vertu. On cile entre autres Hugues de Saint-
Victor, connu par son Élotje de la Charité ; Pierre Lom-
bard, le maître des sentences, oracle de l'ancienne théo-
logie, mort évêque de Paris; Santeul, l'auteur de tant
d'hymnes admirables , et que la France place au premier
rang de ses poètes latins; Leonius, autre poète latin fort esti-
mé, etc. La halle aux vins occupe aujourd'hai l'ancien em-
placement de l'abbaye de Saint-Victor de Paris. E. Lavignf,.
VICTOR. L'Église a compté trois papes de ce nom,
VICTOR 1" fut, en l'an 194, sous le règne de Perlinax, le
successeur d'Éleutbère , elle quinzième évêque de Rome. Ac-
cusé départager l'iiérésie deThéodote de Byzance, qui niait
la divinité de Jésus-Clirist , il se justifia par l'excommuni-
cation de l'hérésiarque et de ses adhérents. 11 condamna
plus tard celle du Phrygien Praxéas, qui rejetait les trois
personnes en Dieu ; mais il donna lui-même , comme Ter-
tullien, dans les erreurs de l'ennuque Montan. Dans ces
commencements de l'Église , la célébration de la Pâque fut
plus d'une fois un sujet de discorde entre les chrétiens.
Victor r"^ fit à la paix de l'Église le sacrifice de son opinion
particulière sur cette question , et mourut vers l'an 202 ou
203.
VICTOR II,cent cinquante-sixième pape, était proche parent
del'empeieur Henri 111, dit le Noir; il senommaitGebhard,
et occupait l'évèché d'Eicbstœdt à la mort de Léon IX. Les
Romains , qui n'osaient élire un pape sans le consentement
du chef de l'Empire, avaient député le fameux Hildebrand
en Allemagne, pour le prier d'élire celui qu'il croirait le pliis
digne. Mais Hildebrand, dont la pensée unique était d'en-
lever ce privilège à la puissance impériale , profita de la
réunion de quelques évêques à Mayence pour les engager
à faire eux-mêmes cette élection ; et afin de calmer la colère
de l'empereur il dirigea leur choix sur Gebhard, qui était
loin de penser à un si grand honneur. Henri III eut beau
s'y opposer, le diacre Hildebrand enleva le nouveau pape,
le conduisit à Rome , et l'y intronisa , sous le nom de
Victor II, le 13 avril 1053. La mort le surprit le 28 juil-
let 1057 , après un pontificat de deux ans et trois mois.
VICTOR III, cent soixante-troisième pape, fut le suc-
cesseur du fameux Hildebrand ou Grégoire VII. 11 était
de l'illustre famille des princes de Bénévent, et se nom-
mait Daufier dans son enfance. Sa vocation l'avait d'abord
porté vers l'église, malgré la volonté de son père, qui le fian-
ça plus tard malgré lui à une fille noble. Son père ayant été
tué par les Normands, le jeune Daufier, qui atteignait alors
sa vingtième année , s'enfuit du palais de ses ancêtres , et prit
l'habit monastique des mains d'un ermite. Découvert et rame-
né par ses parents , emprisonné pendant un an par sa mère ,
il parvint une seconde fois à. s'échapper, et courut deman-
der un asile et un couvent à son cousin Guimar, prince de
Salerne. Le monastère de La Trinité de Cava fut son refuge.
Mais sa mère, s'étant résignée à ne plus contrarier sa voca-
tion , le pria de revenir dans la principauté de Bénévent, et
lui assigna le monastère de Sainte-Sophie , près de cette ville.
L'abbé Grégoire lui donna le nom de Didier, en le recevant
au nombre de ses moines. QueUiues années après il se crut
tropprèsdu monde,etse réfugia au milieu de l'Adriatique,
dans le couvent de Tremiti, caché dans l'île de Diomède. Son
nouvel abbé, ayant manifesté le désir de lui céder sa place,
Didier s'enfuit encore pour vivre avec des ermites; mais le
pape Léon IX le (orça de revenir à Sainte-Sophie de Bénévent
etlecomblademarquesd'estime. Attiré à Rome par Victor II,
Didier ne put s'accoutumer aux grandeurs de la cour ponti-
ficale, el obtint la permission de se retirer au mont Cassin.
Cependant , l'abbé de ce célèbre monastère étant devenu
pape sous le nom d'ÉtienneX, le décida à accepter sa
succession, que les moines lui avaient déférée. L'empereur
Henri IV le somma vainement d'en venir recevoir l'investi-
ture de ses mains. Disciple d'Hildebrand, il fut inflexible
comme ce pape, et défendit les privilèges du sainl-siége
contre l'empereur et l'antipape Guibert. Cette opiniâtreté
plut à Grégoire VII, qui le fit venir à son lit de mort et le
désigna pour son successeur. Didier, épouvanté, s'enfuit" de
Rome , malgré les prières des cardinaux et des évêques; il
résista une année entière à leurs instances , et il fallot em-
ployer la ruse pour le ramener à Rome et la violence pour
l'y retenir. Le peuple et le clergé le traînèrent pour ainsi
dire dans l'église deSainte-Luce , et le revêtirent à graud'-
peine de la pourpre, le 24 mai 1086, en lui imposant lo
I nom iieViclor II l. Cette violence fut enc/irc inutile ; il s'é»
chappa de Rome , se débarrassa à Terracine de tous les in-
signes du pontificat, et retourna dans son abbaye du mont
Cassin. Surpris une seconde foisàCapoue, où s'assemblait un
concile, il se vit entouré, saisi par les seigneurs, les car-
dinaux et le peuple. Le prince de Capoue et Roger, duc
de Calabre, Rejetèrent à ses pieds, lui représentèrent la
triste situation de l'Italie et du saint-siége, et cette consi-
dération l'emporta enfin sur son opiniâtre modestie. Le
21 mars 1087 il accepta la croix et la pourpre , et reprit
le chemin de Rome, dont l'antipape Guibert s'était emparé.
Rome se trouva dès ce moment partagée entre les deux
pontifes. Le Transtevère, le château Saint-Ange et la basi-
lique obéissaient à Victor, le reste de la ville était à Gui-
bert , qui avait pris le nom de Clément 111 , et qui oKiciait
à Sainte-Marie de la Rotonde. L'église de Saint-Pierre fut
prise et reprise, lavée et purifiée par les deux partis, et de-
meura au pape Victor. Croirait-on qu'au milieu de ces embar-
ras il ait pu songer à envoyer une armée en Afrique? C'est
cependant ce qu'il fit. Cette armée s'empara de la ville de
Méliédia, et délit cent mille Sarrasins. Victor soulevait vn
même temps l'Allemagne et la Hongrie contre l'empeieur,
il renouvelait ses anathèmes contre ce prince et son anti-
pape, et présidait un concile à Bénévent. Ce fut dans cette
assemblée que le surprit la maladie qui devait le conduire
au tombeau. Transporté au mont-Cassin, il désigna pour
son successeur à la tiare Otbon, évêque d'Ostie, fit dresser
son tombeau dans le chœur de l'église, et mourut trois
jours après, le 16 septembre 1087. Ce pape n'a occupé le
saint-siége que quatre mois et sept jours, à partir de son
sacre; mais il faut y ajouter quinze mois et vingt-trois
jours à compter de sa preuiièrc élection.
ViENNET, de l'Acadcmic Française.
VICTOR IV, antipape. Voyez Octayien.
VICÏOU (Claude FliRRIN, dit), maréchal de France,
duc de Bellune, naquit le 7 décembre 1764, à La Marche
(Vosges), et à dix-sept ans entra comme tambour dans
un régiment d'artillerie en garnison à Auxonne. Il venait
d'obtenir son congé , après huit années de service comme
simple soldat, lorsque éclata ta révolution. Trois ans plus
tard, en 1792, il s'engagea dans le bataillon de volontaires
de la Drôme, et ne tarda pas à obtenir le grade de chef de
bataillon. Grièvement blessé, en 179.3, au siège de Toulon,
il en fut récompensé par sa nomination au grade d'adjudant
général. A la fin de cette même année , on l'attacha eu qua-
lité de général de brigade à l'armée des Pyrénées orientales.
En 179C il commanda avec distinction l'avant-garde de
Scherer en Italie. Bonaparte lui confia également les mis-
sions les plus périlleuses. Dans la campagne de 1797, il fut
nommé général de division. Après la paix de Campo-For-
mio, on l'envoya en Vendée, et il fit preuve d'habileté et de
modération dans ce commandement. Bonaparte demanda
inutilement au Directoire de l'adjoindre à l'expédition d'E-
gypte. En 1799 on l'envoya au contraire de nouveau en
Italie, où il battit les Russes sur le Pô et prit part à
presque toutes les affaires importantes de cette campagne.
Après le 18 brumaire, il se rattacha au premier consul, qu'il
suivit en Italie, en 1800. A Marengo, placé à l'avant-garde,
il résista pendant buit heures de suite aux Autrichiens, et
donna ainsi le temps aux différents corps de notre armée
de converger sur le point décisif et d'y opérer leur jonc-
tion. En 1805 on l'envoya à Copenhague en qualité de mi-
nistre plénipotentiaire. L'année suivante, à l'ouverture
de la campagne de Prusse , Victor obtint sa réintégration
sur les cadres de l'armée active , et eut ainsi occasion de
se distinguer de nouveau à léna et à Pultusk. Mais le
14 janvier 1807 il fut fait prisonnier à Arenswald,en Po-
méranie, par Schil I , le célèbre chef de partisans. Echangé
dès le mois suivant contre Blucher, il fit inutilement le siège
deGraudenz. Sa belle conduite à la bataille de Friedland lui
valut, avec le titre de duc de Bellune, le bâton de maré-
chal de France , et après la paix il remplit pendant quel-
que temps les fonctions de gouverneur de Berlin.
VICTOR
En 1808 Napoléon donna an marcclial
877
Victor un com-
mandement en Espagne. Dans U campagne de 1809, à l'af-
faire de Talavera, son étoile pâlit devant celle de Wellington.
L'année suivante il exécuta une marche hardie, qui contrai-
gnit l'armée espagnole à abandonner la forte position qu'elle
occultait à Pena-Perros et qui permit aux troupes françaises
de pi'nétrer en Andalousie. Il investit alors Cadix; mais en
1812 il abandonna le commandement du blocus de cette ville
pour aller prendre part à l'expédition de Russie. Chargé alors
du commandement du neuvième corps, sa belle tenue à la
néfaste journée de la Rérésina facilita le passage de ce fleuve
aux débris de l'armée française. L'année suivante, il com-
mandait le deuxième corps , qui décida de la victoire de
t Dresde. Il prit encore part, avec son corps d'armée, aux
affaires de Wacbau , de Leipzig et de Hanau. Dans la cam-
pagne de 1814, il fut chargé de défendre les Vosges contre
le corps d'armée russe. Forcé de se replier sur la Meuse,
il chassa l'ennemi des positions qu'il avait prises à Saint-
Dizier, le 27 janvier 1814, et quelques jours après emporta
à la baïonnette le village de Brienne. Un court temps de
repos qu'il accorda à ses troupes à Salins, le 17 février, lui
fit négliger d'occuper le pontdeMontereau; faute grave, que
l'empereur lui reprocha dans les termes les plus durs, et
qu'il punit en lui retirant son commandement pour le con-
férer au général Gérard. Placé désormais en sous-ordre, le
maréchal continua de-faire preuve du même zèle pour la dé-
fense du territoire, et figura encore aux aff.dres de Cliamp-
Aubert, de La Ferté, de Nangis et de Ville-le-Roi. Il com-
mandait encore l'avant-garde, le 7 mars, à la bataille de
Craonne, lorsqu'il fut mis bors de combat par une grave
blessure.
A quelques jours de là , l'empire n'existait plus... La mai-
son de Bourbon remontait sur le trône, et l'armée était ap-
pelée à prendre la cocarde blanche. Le maréchal Victor se
distingua entre tous les hommes que Napoléon avait comblés
d'honneurs, de faveurs et de richesses, par l'ingratitude
dont il lit preuve envers le souverain naguère objet de ses
adulations, et par son empressement à offrir ses services
aux Bourbons. Louis XVIII l'en récompensa en hn' confiant
le commandement de la deuxième division militaire. A l'é-
poque des cent jours, le maréchal, se croyant trop compro-
mis vis-à-vis de Napoléon, se décida à suivre le roi à Gand.
f^a seconde restauration devait naturellement lui savoir gré
d'une telle preuve de dévouement. Elle adopta donc complè-
tement ce soldat de fortune, le créa pair de France et le
nomma l'un des quatre majors généraux de la garde royale,
qu'on organisa alors. Le maréchal duc de Bellime fut en
outre appelé à présider la commission chargée d'examiner
la conduite des officiers de l'armée à l'époque des cent jours;
mission inquisitoriale, qu'eût pu accepter un homme de po-
lice , mais non un soldat , et dont le maréchal s'acquilla avec
une rigueur peu faite pour lui mériter les sympathies de
l'opinion. En 1821 il fut appelé à tenir le porleleuille de la
guerre. A l'ouverture delà campagne de 1823 il remit par
intérim ce portefeuille au baron de Damas , et accompagna
le duc d'Angoulême dans la Péninsule en qualité dé major
général. Les honteuses dilapidations auxquelles <ionna lieu
la fourniture des vivres de l'armée expéditionnaire, confiée
au fameux Ouvrard, dilapidations sur lesquelles le maréchal
ferma sciemment les yeux , eurent pour résultat de lui faire
perdre sa position de major général; et au lieu de lui rendre
le ministère de la guern^, la cour, pour avoir l'air de ne pas
le sacrifier aux clameurs de l'opinion publique, lui donna,
comme fiche de consolation , l'ambassade de Vienne. La
cour d'Autriche refusa de l'accueillir en qualité d'ambassa-
deur dans le cas où il prendrait le titre de duc de Bellune,
qu'elle ne pouvait reconnaître, disait-elle, attendu qu'en
le lui conférant Napoléon avait agi comme usurpateur des
possessions autrichiennes en Italie, et n'avait pas récom-
pensé ainsi une action d'éclat par la collation du nom môme
des lieux qui en avaient été le théâtre. Cette question d'éti-
quette fit grand bruit, et les différents organes de l'opinioa
878
VICTOR
VICTOR-EMMANUEL
publique s'emparèrent de l'incident poiir réchauffer dans les
coeurs les souvenirs, alorsencore si puissants, de la gloire de
l'empire. Le maréchal fut obligé de se roidir contre les exigen-
ces du cabinet de Vienne et de maintenir la légilimité de son
droit à porter le titre qu'on lui contestait. Depuis ce désagré-
ment le duc deBellune vecutdansungrandisolement.il rem-
plissait cependant encore ses fonctions de major général de
la garde royale quand éclata la révolution de Juillet. Com-
promis depuis longtemps avec l'opinion, Victor comprit
qu'il n'avait plus désormais d'autre rôle à jouer que celui de
la fidélité quand même à la branche aînée de la njaisonde
Bourbon. Jusqu'à sa mort, arrivée à Paris, le l'"' mars 1841,
il demeura donc l'une des notabililés du parti légitimiste,
aux intrigues duquel son nom se trouve presque conslam- j
ment mêlé dans la première décade du règne de la branche î
cadette de la maison de Bourbon. !
Son fils , Victor-François Perkin , duc de Bellune, né à
Milan, en 1796, se rallia au second empire. Le 9 février 1853
il fut nommé sénateur; mais il mourut le 2 décembre de la
même année.
VICTOR-AMÉDEEI",ducdeSavoie(1630-1637).Les
incertitudes de son père Charles-Emmanuel l" , llottant
entre l'Espagge et la France, lui avaient été funestes; mais
il recouvra la Savoie et une partie du Piémont, qui lui
avaient été enlevées par le duc de Montmorency et le mar-
quis d'Effiat. Il obtint, de plus, dans le Montferrat, Albeet
quelques autres places que la France lui avait assurées par
un traité secret du 31 mars 1631, en échage de Pignerol,
La Pérouse , Angrone et Luzerne , qui restèrent à cette cou-
ronne. Généralissime de l'armée française en Italie, il triom-
pha à Fomavento, à Monbaldone, et mourut subitement à
Verceil, en 1637.
VICTOR-AMÉDÉE H, d'abord duc de Savoie, puis roi
deSardaigue (1675-1730). S'étant déclaré contre la France,
il essuya plusieurs défaites. Catinat le battit à Staffarde et à
Marsaille ; mais, en 1696, il fit sa paix particulière avec
Louis XIV, qui lui rendit toutes ses places et même Pignerol,
que la France gardait depuis soixante-cinq ans. En 1701 il
reconnut le duc d'Anjou pour roi d'Espagne, et conclut le
mariage de Louise-Gabrielle, sa seconde tille, avec ce prince.
Après une succession d'avantages et de pertes, résultats de
sa politique double et tortueuse, il fut reconnu par la France,
lui et ses descendants , pour légitimes héritiers de la cou-
ronne d'Espagne si la postérité de Philippe V venait à man-
quer. L'Espagne, de plus, lui céda le royaume de Sicile,
qu'elle envahit bientôt après, en pleine paix. Le traité delà
quadruple alliance, conclu le 2 août 1728, donna l'île et le
royaume de Sardaigne au duc de Savoie, pour le dédommager
de la Sicile. En 1730 il abdiqua en faveur de son fils Char-
les-Emmanuel , et épousa la comtesse douairière de Saint-
Sébastien, qu'il aimait depuis longtemps. Mais pressé par
cette lénuiie ambitieuse de ressaisir le pouvoir, il fut arrêté
par ordre de son fils, et mourut captif, au château de Mon-
calier, le 31 octobre 1732.
VICTOR-AMÉDÉE III, roi de Sardaigne (1713-1796),
épousa une fille de Philippe V, roi d'Espagne. Une de ses
tilles s'unit au comte de Provence, depuis Louis XVIII. Battu
en 1795 par Scherer, puis par Bonaparte, il se vit forcé de
signer, le 15 mai 1796, la paix humiliante de Paris, qui lui
enlevait une partie de ses États. Il ne survécut que cinq mois
d ce désastre. De Reiffenberc.
VICTOR-EMMANUEL I", roi de Sardaigne, second
fils de Victor-Amédée III, né le 24 juillet 1759, portait,
avant son avènement au trône, le titre de duc d'Aosfe, et
épousa, en 1789, la princesse Thérèse, fille de l'archiduc
Ferdinand. La révolution française trouva en lui un de ses
adversaires les plus décidés; et quand la guerre eut été dé-
clarée en 1792, il prit le commandement de l'armée sarde.
Après avoir repoussé les Français à Gilette, dans le comté de
Nice, il s'empara du défilé de Vial, et s'avança jusqu'à l'em-
bouchure du Var; mais à peu de temps de là il était con-
Irainide se retirer dans les Alpes. Quand, eu 179G, le roi son
père entra en négociations avec Bonaparte , le duc d'Aostn
s'opposa autant qu'il dépendait de lui à la conclusion de la
paix ; puis , lorsqu'elle eut été signée en dépit de ses efforts ,
il se relira au midi de l'Italie. Son père mourut le 16 octobre
1796, et eut pour successeur son fils aîné, Charles-Emma*
nuel IV. Celui-ci ayant abdiqué en 1802 , la couronne passa
au duc d'Aoste , lequel demeura à Cagliari , sous la protec-
tion des Anglais, jusqu'à ce que les événements de 1814 lui
rouvrissent les portes de Turin. La paix signée à Paris cette
même année lui rendit Nice et une partie de la Savoie; le
reste de cette province lui fut restitué par les traités de 1815.
Le congrès de Vienne réunit en outre Gênes à la monarchie
sarde. Les Piémontais s'attendaient alors à voir le gouver-
nement de la dynastie restaurée les faire jouir de toutes les
améliorations auxquelles les avait habitués la domination
de Napoléon. Mais le pouvoir royal abolit l'une après l'autre
toutes les institutions de nature à rappeler que le pays avait
pendant quelque temps été régi par les lois françaises. A
ces fautes vinrent bientôt se joindre d'odieuses persécutions
religieuses contre les vaudois et surtout contre les juifs, à
qui il fut enjoint d'avoir à vendre les propriétés immobi-
lières que sous l'empire de la loi française il leur avait été
permis d'acquérir dans le royaume. La lutte entre les dé-
tenseurs du temps passé et de tous les abus qu'il consacrait
et les partisans des idées nouvelles provoqua la création
de sociétés secrètes ; et le 10 mars 1821 une révolution finit
par éclater en Piémont. Le roi ayant refusé de prêter ser-
ment à la constitution des cortès espagnoles de 1812, pro-
clamée par l'armée, abdiqua la couronne, le 23 mars 1821,
en faveur de son frère Charles-Félix, lequel eut pour suc-
cesseur C har les- Albert , prince appartenant à une
branche collatérale de sa maison , celle de Savoie-Carignan.
Victor-Emmanuel l" mourut le 10 janvier 1834, à Montca-
lieri.
VICTOR-EMMANUEL II, roi de Sardaigne aujourd'hui
régnant, né le 14 mars 1820, est le fils aîné du feu roi
Charles-Albert et de la reine Thérèse, fille de feu le
grand-duc Ferdinand de Toscane. Son père lui fit donner
une éducation très-éclairée ; et comme prince royal il se
tiouva mêlé aux luttes et aux mouvements qui signalèrent
l'année 1848. H fit aux côtés de son père les campagnes
contre les Autrichiens jusqu'au désastre de Novare,à la
suite duquel Charles-Albert se décida à abdiquer en faveur
de sou lils. C'est donc à ce jeune prince que revint la
rude tâche de terminer une guerre malheureuse et décom-
primer à l'intérieur l'action dissolvante des factions. Après
avoir conclu la paix avec TAutriche et réussi à mettre des
bornes aux exigences de l'extrême parti démocratique, il
a donné au monde le bien rare exemple d'un prince restant
fidèle à la constitution donnée par son père et consacrant
toute son activité intellectuelle à assurer le développement
régulier d'institutions fibres dans son royaume. Sachant
résister à la fois aux exigences de l'étranger et aux pré-
tentions du parti réactionnaire et clérical, il a maintenu son
gouvernement dans les voies de la légalité et de la liberté
constitutionnelles. Le passé lui avait laissé des plaies bien
profondes à guérir, dont les moindres n'étaient pas celles
de la dernière guerre; néanmoins, il a pu opérer une série
de réformes utiles et marquées au coin de l'esprit de progrès.
Aussi, tandis que le reste de l'Italie continuait à être en proie
aux lois d'exception, aux conspirations et aux échauffourées
révolutionnaires, la Sardaigne seule offrit l'exemple de
l'union de la liberté et de la légalité. Tous les partis, quelque
différent que puisse être le but qu'ils ont en vue, sont donc
d'accord pour rendre à la personne du roi Victor-Emma-
nuel II l'hommage de respect et d'estime qui lui est dû. En
1854 , lors des terribles ravages que le choléra exerçait à
Gênes, ce prince a donné une preuve nouvelle de la manière
dont il entend le métier de roi en venant alors partager les
dangers de la partie de la population qui était demeurée dans
celte malheureuse ville, et par son exemple rassurer les
peureux en même temps que réveiller le zèle des négligents.
te roi Victor-Emmanuel est marié depuis 1842 avec Adé-
laïde, fille de feu l'arcliiduc Renier. Cinq enfants sont issus
de cette union: la princesse Clotilde,né& le 2 mars 1843;
le prince royal, Bumbert , né le 14 mars 1844 ; le prince
Amédèe, né le 30 mai 1845; le prince Othon-Eugène ,né
le 11 juillet 1846 ; et la princesse Marie, née le 16 octobre
1847.
VICTORIA r^(ALEXANDRiNA), rcinc dc la Grande-Bre-
tagne et d'Irlande depuis 1837, est née le 24 mai 1819.
C'est l'unique enfant du duc de Kent (mort en 1820), qua-
trième fils de Georges 111, et de la princesse Louise-Victoire
de Saxe-Cobourg. A la mort de son oncle le roi Guil-
laume IV, qui n'avait point d'enfants, elle devait hériter de
la couronne par représentation de son père le duc de Kent,
frère de ce prince. La jeune princesse fut donc élevée avec
le plus grand soin dans les sentiments de l'attachement le
plus vif pour la constitution anglaise. Elle fut initiée , sous
la direction de la duchesse de Northumberland , femme
éclairée et partageant tous les principes des vvhigs , aux
sciences sérieuses et positives , dont la coimaissance lui était
indispensable en raison de la position qu'elle devait occuper
un jour, et acquit en outre des notions très-étendues en mu-
sique et eu botanique. Lorsque la mort de son oncle, le roi
Guillaume IV, l'appela à monter sur le trône , le 20 janvier
1837, elle trouva à la direction des affaires une adminis-
tration whig présidée par lord Melbourne, lionmie investi
déjà depuis longtemps de toute sa confiant e. Toutes les
charges de sa cour furent aussitôt conférées à deswhigs;
préférence bien naturelle de sa part, rendue obligatoire
d'ailleurs par tous les précédents, mais qui ne laissa pas que
de lui attirer quelques petites attaques de la part des tories.
Le couronnement de la jeune reine fut célébré le 28 juin
1838, avec une pompe extraordinaire. Des échecs successifs
essuyés par le cabinet dans le parlement contraignirent lord
Melbourne et ses collègues à déposer leur portefeuille. La
reine ne se résigna pas sans de vifs regrets à changer de
conseillers et à charger sir Robert Peel de constituer une
nouvelle administration. Les tories exigèrent de la reine
qu'elle enlevât aux wliigs toutes les charges de sa cour et
qu'elle choisît dans leur parti jusqu'à ses dames d'honneur.
Le cœur de la jeune reine se souleva contre de si impé-
rieuses exigences. D'après le vœu qu'elle en exprima, ses
anciens ministres durent reprendre leurs portefeuilles ; mais
celte conduite valut à la jeune reine et à ses conseillers un
redoublement d'outrages et de menaces de la part des hauts
tories. A ces difficultés intérieures vinrent se joindre la
guerre de l'Afghanistan, celle de la Chine, les complica-
tions de la question d'Orient et les soulèvements tentés par
les chariistes. C'est dans cette situation critique que fut
négocié le nvariage de la reine avec un de ses cousins, le
prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Ce prince ayant été
naturalisé anglais par un acte du parlement,' rendu en jan-
vier 1840, la cérémonie nuptiale fut célébrée le 10 février.
D'une union dont jamais nuage n'est venu troubler la séré-
nité sont nés huit enfants: Victoria (iSiO), Edouard-
Albert, prince de Galles (1841), Alice (1843), Alfred-
Ernest -Édoxiard, duc d'York (1844), Hélène-Victoria
( 1846), 'Louise- Caroline (1848), Arthur-William {\?>hQi),
Léopold (1853). Rappeler ici les principaux événements qui
ont signalé le règne de la reine Victoria serait faire double
emploi avec l'article Grande-Bretagne, auquel lious croyons
par conséquent devoir renvoyer le lecteur. Nous nous bor-
nerons donc à dire de cette princesse que c'est non-seulement
un modèle à présenter à tous les souverains constitution-
nels, mais encore que comme femme, épouse et mère, elle
a droit à tous les respects, à toutes les sympathies.
VICTORIA , nom d'une province récemment organisée
dans la partie de l'Australie désignée sous le nom d''Aus-
traliaFelix,qynai pour chef-lieu la ville de Melbourne,
et qui est redevable de son accroissement merveilleux à la
découverte des mines d'or. Il y a vingt-cinq ans ce n'était
encore qu'un désert où erraient quelques tribus sauvages.
VîCTOR-EMMAiNUEL — VICTORIA «79
De 1835 à 1851 sa population s"'eieva à 95,000 âmes; ses
exportations employaient annuellement 669 bâtiments .jau-
geant 120,000 tonneaux, et son revenu était de 380,000
liv, st. Les mines d'or furent découvertes à la fin de 1851,
et la seule année 1852 porta la population de Victoria à
200,000 âmes, ses expéditions pour l'Angleterre à 1,657 bâti-
ments, jaugeant 408,000 tonneaux, etson revenu à 1,577,000
liv. st. , dont 442,000 provenant des douanes. Les droits acquit-
tés pour la consommation produisirent donc en une seule an-
née un revenu supérieur à tout le revenu colonial de l'année
précédente. En 1851 la valeur des importations avait été de
1,056,000 liv. st. En 1852 elle fut de 4,044,0601. st. ; la valeur
des exportations monta de 1,424,000 hv. st. à 7,452,000 ; et
si l'on tient compte de tout l'or exporté sans être enregistré,
on ne peut évaluer à moins de 300 millions de francs l'impor-
tance des exportations faites par une population de 200,000
âmes; c'est un chiffre égal au cinquième des exportations
de la Grande-Bretagne, et supérieur de 35 pour 100 aux
exportations de Calcutta. Ces progrès inouïs ont été loin de
se ralentir depuis. C'est ainsi que le 27 avril 1853 2,400
émigranls européens débarquèrent à Melbourne en vingt
heures. La population de cette ville était de 21,000 âmes
eu 1852 , elle dépassa 80,000 âmes en 1853 ; la seconde ville
de la province, Geelong, comptait 8,000 âmes en 1851, elle
atteignit le chiffre de 20,000 en 1853. On a calculé que
dans cette année la moyenne des arrivées avait été de
4,000 par semaine; en sorte que la population de la colonie,
qui avait doublé de 1851 à 1852, doubla encore en 1853.
La province était d'aulant moins en état de nourrir cette
niasse d'émigrants, que l'étendue des terres cultivées dimi-
nua sensiblement , une partie des fermiers ayant tout quitté
pour se rendre aux mines. Heureusement, le commerce exté-
rieur, et particulièrement celui des États-Unis, y suppléa.
A la difficulté de se nourrir se joignait celle de se loger; le
nombre des habitants de Melbourne avait quadruplé en
deux ans ; mais le progrès des constructions n'avait pu suivre
celui de la population : les matériaux et les bras manquaient
également. H en résulta qu'à côté de l'ancienne ville cons-
truite en pierre et en bois s'éleva une ville de toile {can-
vastown), formée par les tentes sous lesquelles campaient
les derniers arrivés. A Sydney le prix des loyers avait triplé
de 1851 à 1353, et même quintuplé pour les maisons bien
situées et propres au comujerce. A Melbourne , le progrès
fut plus rapide encore ; des fortunes énormes furent réali-
sées .par la revente des terrains achetés à vil prix dix-huit
mois auparavant , et certains emplacements turent payés à
un taux de beaucoup supérieur au prix des terrains les plus
chers de Paris et de Londres.
VICTORIA (Ordre de). Il a été fondé en 1856, par la
reine Victoria, pour récompenser les services rendus dans
l'armée de terre et dans l'armée de mer. La décoration con-
siste en une croix de Malte en bronze, avec la couronne
royale au centre, et au-dessous cette inscription : A la va-
leur. Cette croix se porte suspendue à un ruban bleu pour
les marins et à un ruban rouge pour l'armée de terre. Elle
ne s'accorde que pour des actions d'éclat, et une pension de
10 liv. st. y est attachée.
VICTORIA (Terre de). Voijet Terres Antarcti-
ques.
VICTORIA [Botanique), genre de la famille des
nymphéacées, tribu des euryalées, créé pour une plante qui
croît dans les grands fleuves de la Guyane et du Brésil
septentrional, l'une des merveilles du règne végétal. On
n'en connaît jusqu'à ce jour qu'une seule espèce, appelée,
en l'honneur de la reine d'Angleterre, Victoria regia par
Lindley, HœnkeetBonpIand, qui l'avaient , dit-on, déjà aper-
çue; et M. Alcide d'Orbigny l'avait observée dès 1827 dans le
i'arana. Elle fut pour la première fois décrite par Bu^ppig ,
qui l'avait observée dans le fleuve des Amazones ; et elle fut
ensuite trouvée par Schomburgket autres dans divers cour.^
d'eau de l'Amérique méridionale. Les feuilles de ce végé-
tal gigantpsqiio , forment dps HisqiiPs orhiculaires , d'un à
8S0
VICTORIA —
deux mètres de diamètre et flottent à la surface de l'eau ,
au-dessus de laquelle s'élèvent de magnifiques fleurs larges
de trois décimètres, blanches, avec le centre purpurin. Elles
ont un calice à tube adhérent, campanule, aiguillonné, à
limbe divisé en quatre lobes, colorés intérieurement ; une
corolle formée de nombreux pétales insérés en plusieurs
rangées sur le lube du calice, dont les extérieurs sont étalés
et très-grands, tandis que les intérieurs sont courbés en
dedans et beaucoup plus petits; de nombreuses étamines
sur plusieurs rangs. Le fruit, presque conique, et de la
grosseur d'une tête d'homme, est ciiarnu, hérissé de pi-
quants et surmonté d'une sorte de godet tronqué à son bord.
Les graines qu'il contient se mangent rôties; c'est pourquoi
les Espagnols leur ont donné le nom de mais del agiia
(maïs d'eau). On est parvenu récemment sur différents
points de l'Europe à faire fleurir la Victoria regia dans des
bassins dont l'eau était artificiellement portée à la tempéra-
ture voulue, notamment en août 1855, dans Vaquarium de
l'exposition universelle et permanente d'horticulture.
VICTORIA (Astronomie), planète télescopique, dé-
couverte par M. Hind, le 13 septembre 1850. Sa distance
moyenne au Soleil est représentée par 2,335, en prenant
celle de la Terre iiour unité. Son excentricité est 0,218. La
duréede sa révolution sidérale est de 1,303 jmus. L'inclinai-
son de son orbite est de 8° 23' 7". E. Merlieux.
VIDA (Makc-Jérôme), poète lalin moderne, naquit à
Crémone, vers 1580. Après avoir obtenu pour prix de ses
talents poétiques diverses dignités ecclésiastiques, il mourut
évêque d'Alhe, dans le d;iclié de Montferrat , le 27 septem-
bre 1560. Il avait été appelé à occuper ce siège en 1532, par
Clément YII. Lors de la prise d'Albe par les Français vain-
queurs des troupes impériales. Vida se signala par une
grande valeur, et contribua beaucoup à arracher cette ville
à ses conquérants. Ce prélat, poète et guerrier, accompagna
les légats du pape au concile de Trente. Ses différentes
productions , toutes remarquables par la pureté et l'élé-
gance du style, ont été recueillies dans l'édition de Fadoue
(1731). Ses poésies, qui sont ce qu'il a composé de plus re-
marquable, parurent a Crémone, en 1550 ; elles furent réim-
primées plusieurs fois , notamment à Oxiord, en 1722. Ou
trouve dans ce recueil : 1° Scacchia ludus (le jeu des
échecs), qui avail paru pour la première fois à Rome, en
1527, et dont nous avons plusieurs traductions; 2" Poeti-
coriim Libri très : c'est un art poétique beaucoup plus
complet que l'épltre d'Horace aux Pisons. Cet ouvrage a
élé traduit par l'ahbé Le Batteux, en 1771 ; puis en vers
français par Barrau , en ISOa , et par Valant, en 1814;
3" Bomblcum Libri If, 1 537 ( les Vers à soie ) ; Crignon en
1786, et Levée en 18i9, firent passer dans notre Inngne
ce petit poème, considéré comme le chef-d'œuvre de Vida;
4" Christiados Libri VI , 1535 : c'est la plus considérable
des compositions du poète; elle a été traduite dans toutes
les langues de l'Europe; en 1826 l'abbé de Latouren donna
une traduction, plus tidèle qu'élégante, mais qui est précédée
d'un fort bon discours sur la vie et les ouvrages de Vida;
5° quelques hymnes sacrées (Bymni de rébus divinis,
1552) complètent le bagage poétique de l'évêque d'Albe,
avec plusieurs églogues, odes, épîtres, épigramnies et élé-
gies. Louis DU Bois.
VIDAME, dans la basse latinité vice dominus. Ce
titre s'appliquait spécialement à l'officier chargé d'exercer
la justice temporelle des évêques. Le vidame était à l'é-
gard des évoques ce que le vicomte était à l'égard du comte.
Les vidâmes lors de l'hérédité des bénéfices changèrent
leurs offices en fiefs relevant del'évêque. Tous les vidâmes
de France relevaient originairement des évêques; il n'y
ivait qu'une seule exception : les vidâmes d'Eneval , sei-
gneurie de Normandie, ne relevaient que du roi. Tous les
vidâmes prenaient leur nom de celui de l'évêché dont ils dé-
pendaient; de là les vidâmes de Reims, de Chartres, du Mans,
de Laon, etc. Les abbayes avaient également leurs vidâmes,
tomme celle de Saint-Denis. On les appelait aussi avoués
VIDANGE
et défenseurs de l'Église. Burcliard le Barbu , tige des Mont-
morency, était vidame et avoué de l'abbaye de Saint-Denis.
VIDANGE. Il y a moins d'un demi-siècle je ne sais
si on eût osé traiter ce sujet dans un ouvrage du genre de
celui-ci. Toujours est-il qu'on ne l'eût abordé qu'avec
embarras, une idée d'ignominie s'attachant à tout ce qui
y avait trait. Il n'en est plus de même aujourd bui. Sans
doute le travail nécessaire à l'enlèvement des matières fé-
cales offre encore des inconvénients qui le font redouter au
milieu de nos habitations, mais il existe des procédés qui
permettent de l'opérer sans qu'on puisse même s'apercevoir
du travail .qu'on effectue. Tout le monde connaît l'odeur
infecte que répand dans nos habitations la vidange d'une
fosse d'aisance, l'action des gaz qui en proviennent sur les
dorures et l'argenterie, et la difficulté de s'y soustraire;
mais on ne sait pas généralement que tous ces incon-
vénients peuvent être évités par des moyens d'une ex-
trême simplicité. Le charbon qui résulte de la décomposi-
tion, par la chaleur, des corps organiques, peut, suivant
l'état de sa surface, absorber une plus ou moins grande pro-
portion de gaz ou de produits odorants provenant de l'al-
tération putride de ces corps , et donner lieu à leur désin-
fection. Des débris d'animaux arrivés à une putréfaction
fort avancée, des matières fécales, peuvent perdre complè-
tement leur odeur dans l'espace de temps strictement néces-
saire à leur mélange avec le charbon , et ce mélange peut
être conservé sans qu'il se manifeste aucune autre odeur
que celle de l'ammoniaque. Pour produire cet effet, le char-
bon doit être terne et divisé ; les charbons brillants n'exer-
cent que peu d'action sur les milieux gazeux. Ternes, ils
en absorbent une proportion qui varie de 1 et 3/4 à 90 fois
leur volrmie. L'état de division du charbon exerce aussi
une très-grande influence sur ce phénomène; et de tous les
charbons celui qui désinfecte au plus haut degré s'obtient
en calcinant dans des vases clos certains mélanges de ma-
tières inertes et de corps organiques, comme les boues des
rues, etc. Il porte le nom de noir animal. Si on introduit
dans une fosse d'aisance une couche de ce noir assez con-
sidérable pour recouvrir entièrement la surface des matiè-
res, et qu'on l'y mêle peu à peu , le résidu se présente tel-
lement désinfecté, qu'on ne soupçonnerait pas la nature
de l'opération qui a eu lieu : les couches désinfectées ayant
été séparées, on opère de même sur les autres : et tout
cela peut être enlevé en plein jour, dans des voitures ou-
vertes , sans qu'on s'en aperçoive plus que du transport
des matériaux de démolitions , si ce n'est une poussière
noire qui se répand dans les escaliers , et qu'on peut encore
éviter en grande partie au moyen de toiles tendues dans
des directions convenables. Cependant, comme dans un
grand nombre de maisons on introduit dans les fosses des
masses considérables de liquides, si l'on devait opérer l'en-
lèvement et l'absorption complète du contenu des fosses
au moyen du noir animalité seulement, le prix de la quan-
tité qu'il faudrait employer serait trop considérable. On en-
lève ordinairement les liquides au moyen de la pompe, pour
n'agir avec le nniranimalisé que sur la partie la plus épaisse.
Mais comme la pompe répand une forte odeur, on n'a fait
disparaître qu'en partie celle que présente habituellement
la vidange.
Les matières extraites des fosses d'aisance servent à
la préparation de \a pondrette : on les abandonne sur
le sol en tas plus ou moins volumineux; la fermentation
se développe et répand au loin une odeur repoussante. Après
un an et plus , après de nombreux mouvements imprimés à
la masse, 30 pour 100 au plus du produit solide sont con-
servés pour servir d'engrais : tout le reste a disparu en répan-
dant une horrible infection. Que l'on compare ce résultat à
celui qui pourrait être obtenu par le noir animalisé.
H. Galltieu i>e Claubry.
En décembre 18.54 M. le préfet de police a publié une
ordonnance concernant la désinfection des matières conte-
nues dans les fosses d'aisance, et par laquelle il est exprès-
VIDANGE — VIDOCQ
sèment di^fendu de procéder à l'extractioa et au transport
des matières susdites avant que la désinfection en ait été
complètement opérée, attendu, dit l'ordonnance en question,
que depuis longtemps on possède les moyens certains , in-
faillibles, prompts et peu coûteux de faire cette opération.
Parmi les moyens auxquels faisait allusion M. le préfet de
police figure en première ligne l'appareil diviseur et désin-
fecteur Krœmer. Une société en commandite au capital de
trois millions de francs s'était constituée dès le mois de
novembre 1853, sous le nom de V Inodore, pour l'exploita-
tion de cet appareil. C'est là un fait que nous ne mention-
nerions pas si à la création de cette société ne se ratta-
chait pas nn souvenir assez singulier. Les fondateurs de
l'entreprise avaient imaginé, pour attirer les actionnaires,
d'abord de leur garantir des avantages exceptionnels et
personnels sur le prix de la vidange, puis le droit do
se rembourser immédiatement du montant de leurs actions
en livres au prix de catalogue pris dans les œuvres des
plus célèbres romanciers contemporains, Balzac, Alex.
Dumas, Eugène Sue, Georges Sand , Victor Hugo, Al-
phonse Karr, Alfred de Musset, Méry, Souvestre, Élie Ber-
thet. Les incrédules qui supposeraient que nous faisons là
une mauvaise plaisanterie pourront consulter à cet égard
les annonces des dilférents journaux de Paris de novembre
1853.
VIDE. Tout le monde sait ce que c'est, par exemple,
qu'une bouteille vide; mais est-ce là le vide des physi-
ciens, le vide absolu; non, car cette bouteille, vide de
vin ou de tout autre liquide, est encore pleine de ce fluide
invisible qu'on nomme air, tandis que le vide absolu sup-
pose l'absence de toute matière. Les anciens repoussaient
généralement l'idée du vide : La nature a horreur du
vide, disaient-ils, et on connaît à ce sujet la réponse attri-
buée à Galilée par quelque clironiiiupur sans doute). Les
cartésiens ont nié l'existence du vide. Newton partageait
l'opinion contraire, et on ne conçoit guère la possibilité
du mouvement dans un espace complètement rempli
de matière. Les preuves de Newton sont tirées des lois du
mouvement, de celles de la chute des corps, delà divisi-
bilité de la matière, etc. Cependant, la machine pneuma-
tique est loin de procurer le vide absolu. Le vide le plus
parfait que l'on connaisseestceluidu baromètre, et encore ce
prétendu vide n'est-il pas rempli d'une matière infiniment
subtile, celle qui constitue l'essence des corps impondé-
rables? Foyes ËTHER.
Quoi qu'il en soit, les physiciens ont pu étudier le vide
relatif de la machine pneumatique et du baromètre. Ils ont
constaté que tous les corps tombent également dans le vide
{voyez Pesanteur). Ils ont établi que h; son cesse de s'y
propager, et que laco mbust i on ne peut y être entretenue.
Les physiologistes ont à leur tour examiné son influence
sur les végétaux et les animaux ; ainsi, il a été reconnu que
la germination , l'accroissement , et même la fûcondation ,
n'avaient pas lieu dans le vide, la présence de l'air étant
absolument nécessaire pour que ces divers phénomènes puis-
sent parcourir leur période liabituelle. Parmi les animaux ,
tous n'éprouvent pas la même influence de l'absence de
l'air : les oiseaux périssent au bout de quelques secondes
lorsqu'on les place dans un vide plus rapproché du vide
parfait que pour les autres animaux , puisqu'ils s'élèvent à
une hauteur considérable où l'air commence à être raréfié :
il y a cependant des insectes qui vivent plusieurs jours dans
le vide; mais il est probable qu'alors toute fonction de la
vie animale est supendue chez eux.
Parmi les nombreuses applications que l'on a faites du
vide, une des plus importantes est sans contredit son emploi
à la conservation des matières végétales ou animales. Les
substances les plus altérables, les fruits, la viande, se gar-
dent indéfiniment dans le vide. L'industrie commence aussi
à tirer parti du vide; ainsi la cuite des sucres se fait
aujourd'hui dans le vide, ce qui permet d'opérer à une tem-
pérature peu élevée, puisque le degré nécessaire à l'ébul-
UICT. DU L\ CONVERS. — T. XTI.
081
lition est intimement lié à la pression atmosphé-
rique.
VIDIMUS, terme latin consacré dans l'ancien usage
pour exprimer un transcrit ou copie de pièce, que l'on fai-
sait pour suppléer l'original, en faisant mention en tête de
ce transcrit que l'on avait vu l'original dont la teneur était
telle que la copie. On appelait ainsi les transcrits ou copies,
parce qu'ils commençaient par ces mots : Vidimus certas
litteras qtiarum ténor sequïtur {voyez Ch\kte).
VIDOCQ (EuGÈNE-FnA^çoIS), fameux aventurier con-
temporain, longtemps chef de la brigade diterfe sûreté, à
Paris, naquit le 25 juillet 1775, à Arras, où son père était
boulanger et jouissait d'une certaine aisance. Un beau jour,
d'après les conseils d'un vaurien de ses camarades, il vola
dans le comptoir paternel une somme de 2,000 francs, avec
laquelle il comptait gagner Ostende et s'embarquer pour
l'Amérique. Mais en route il fut dépouillé de cet argent par
d'autres malfaiteurs pendant un moment d'ivresse. Après
avoir longtemps erré avec une bande de vagabonds , puis
après avoir rempli le rôle de paillasse sur les tréteaux d'un
charlatan ambulant , l'excès de sa misère le détermina à
implorer le pardon de ses parents ; et il revint alors à Arras.
Quand éclata la révolution, il s'engagea; mais il ne tarda
pas à déserter aux Autrichiens. Condamné à recevoir la
bastonnade, il abandonna les rangs ennemis, et vint se ré-
fugier, comme déserteur belge, sous le drapeau français. Il
ne tarda pas à déserter de nouveau, et s'en retourna à Arras,
où il inspira une vive passion à la sœur d'un nommé Che-
valier, l'un des acolytes de Lehon. Il l'épousa; mais con-
vaincu ensuite de l'inlidélilé de sa moitié, il l'abandonna
un beau matin pour s'engager dans le bataillon de volontaires
d'Arras, qui à quelque temps de là s'en alla tenir gar-
nison à Bruxelles. Incorporé ensuite dans ce qu'on appelait
Varmée roulante, ramas de prétendus officiers sans troupes
ni brevet, il parcourut alors, en compagnie de joueurs et
d'escrocs, les principales villes de la Belgique, pm's, d'a-
venture en aventure, s'en vint à Paris, où il commit force
vols et escroqueries. Il était difficile qu'à ce jeu-là il ne se
brouillât pas avec la justice , qui , toute boiteuse qu'elle est,
finit par le prendre et le condamner à huit ans de travaux
forcés pour faux. Après six ans de séjour au bagne de Brest,
séjour qui acheva son éducation et le mit en rapport avec
force malfaiteurs de haut parage, il réussit à s'i vader. Il
rôda alors tantôt dans les départements, tantôt à Paris, ici
colporteur, là courtaud de magasin , et pendant longtemps
travaillant du métier de tailleur, mais toujours en relations
plus ou moins direcles avec des malfaiteurs. Enfin , il se
lassa de cette vie, et se laissa enrégimenter dans la police
de sûreté de la capitale. Le préfet, appréciant les services
que pouvait rendre un tel agent , le plaça, en 1810, à la
tête d'une brigade dite desûreté et composée de condamnés
libérés à qui un séjour plus ou moins long dans les prisons
avait fourni , comme à leur chef, l'occasion de connaître le
personnel des malfaiteurs alors en exercice. Grâce à l'habile
organisation de l*a brigade de sûreté, la police put, dans
le courant d'une seule année, mettre la main sur plus de sept
cents forçats évadés ou en rupture de ban et débarrasser la
capitale de ces hôtes dangereux. Dans ses Mémoires Vidocq
repousse avec indignation le soupçon d'avoir jamais fait de
la police politique. Quoi qu'il en ait pu être, toujours est-
il qu'en 1818 il fut compléh^ment gracié. « Personne, dit de
lui un biographe , dans les fonctions , plus difficiles qu'on ne
pense, d'agent secret , n'avait encore réuni au même degré
la présence d'esprit, l'adresse manuelle, la finesse d'in-
telligence, la force du corps, l'intrépidité, l'activité, l'élocu-
tion facile et triviale qui est l'éloquence du peuple , la faculté
de se grimer, et enfin, pour nous servir de ses expressions,
cet œil qui dindonne le voleur. « Primitivement la brigade de
sûreté ne fut composée que de quatre hommes :ce nombre,
successivement porté à huit, à douze, à dix-huit, arriva en
1824 à vingt-huit. Toutefois, jamais cette partie du service
ne coûta au delà de 50,000 francs. Les appointements de \i^
882 VÎDOCQ
(locq n'étaient que de 5,000 francs par an; mais il avait en
outre ce qu'en termes d'argot administratif on appelle le tour
du bâton, profits illicites et secrets, autrement importants
que les émoluments officiels. La nature de ses fonctions de-
vait naturellement rendre Vidocq le point de mire de bien des
haines. On alla jusqu'à l'accuser de monter des coups, d'or-
ganiser des vols, pour se donner le facile mérite de surprendre
les malfaiteurs sur le fait et prouver ainsi sa vigilance et son
habilelé. Ce sont là de ces accusations plus faciles à avancer
qu'à appuyer de preuves probantes. Quelques habitués des
bagnes essayèrent maintes fois, devant la cour d'assises, de
se poser en victimes de Yidocq, et prétendirent n'avoir fait"
que céder à ses instigations. La justice et le jury ne tinrent
jamais aucun compte de ces allégations. Cependant, vint le
moment où la police trouva que cet agent la compromettait
plus qu'il ne pouvait désormais la servir. En 1825 Vidocq
fut donc remplacé par un individu du nom de Coco-Lacoiir
et d'antécédents à peu près analogues.
Le chef de la brigade de sûreté avait trop fait parler de lui
pour que sa mise à la retraite ne fût pas un événement. Long-
temps donc encore après , on s'occupa dans la presse des
moindres faits et gestes de Vidocq. C'est ainsi qu'on nous
apprit qu'il avait établi, dans une petite propriéb; qu'il
possédait à Saint-Mandé près Vincennes, une fabrique de
papiers gaufrés et de carton, et que, Cincinnatus d'une
Houvelie espèce, il demandait désormais à l'industrie et au
travail des consolations pour ses grandeurs passées. Dans
l'exercice de ses fonctions, Vidocq avait pu amasser une
petite fortune; mais plus tard, dit-on, il la compromit dans
quelques spéculations hasardées. C'est ainsi qu'il perdit
beaucoup d'argent à vouloir (abriquer un papier défiant et
rendant même impossible la coupable industrie des faus-
saires. On prétendit encore, dans le temps, qu'il avait
été le seul bailleur de fonds d'une spéculation sur la braise
des boulangers de Paris, accaparée par un industriel de bas
étage, assez habile pour revendre 200,000 fr. son marché à
des tiers restés inconnus. Ceux-ci avaient cru être en mesure
d'augmenter le prix de la braise de 25 pour 100, parce qu'ils
étaient maîtres des produits de toute la fabrication; mais ils
n'avaient pas calculé qu'en se tassant cette marchandise s'é-
craserait et se réduirait en poussière. De là impossibilité de la
prendre ciiez le producteur pour la transporter et l'emmaga-
siner au loin. Vidocq fut-il ou ne fut-il pas dans cette fameuse
afjaire de la braise ? C'est là une question que nous lais-
serons volontiers à éclaircir aux historiens futurs de la
commandite.
Un fait plus certain, c'est qu'ennuyé de son /or niente,
Vidocq imagina, vers 1836, de fonder à Paris, sous le nom
iie bureau de renseignements, uneesi)ècede contre-police.
La spéculation consistait à fournir au commerce, moyennant
redevance, des renseigneemnts confidentiels sur la conduite
de clients suspects et de surveiller dans l'ombre des opéra-
tions commerciales qui trop souvent ne sont que de l'es-
croquerie pratiquée sur une large édielle. Cette concur-
rence faite à la police officielle blessa les susceptibilités de
celle-ci, qui fit intenter un procès au fondateur du bureau
de renseignements. Un jugement en ordonna la ferme-
ture; Vidocq comprit que la lutte qu'il essayait d'engager
était celle du pot de terre contre le pot de fer. 11 se retira
donc en Belgique, où il est mort, en 1857. On a de lui des
Mémoires (Paris, 4 voL, 1828) dont il a fourni le fond,
mais ([u'une plume plus exercée a brodés assez agréable-
ment. A côté de beaucoup de faits de pure invention , on
y trouve de curieux détails sur quelques-uns des princi-
paux drames judiciaires du temps.
VIE (du latin vita). C'est là une idée qu'il n'est pas
facile de définir, bien que la plupart des hommes croient
parfaitement savoir ce qu'il faut entendre par ce mot. Les
corps que le naturaliste, et en particulier le physiologiste,
aprpelle vivants ou animés se distinguent des corps sans
vie ou inanimés ( notamment des corps morts , c'est-à-dire
•yant été vivants) par les propriétés suivantes de leur con-
— VIE
formation (physique), de leur matière (chimique ) ctd»
leur activité ( dynamique ). 1° Leur forme se compose de
petites cellules rondes, qui se transforment en fibres, con-
duits, pellicules, etc., et peuvent souvent composer (or^
ganisation ) de plus grandes parties du corps d'une struc-
ture particulière (organes). Leur contour extérieur, marqué
ordinairement par des lignes arrondies, et leur construction
intérieure sont tellement constants , que tout individu ré-
pond à peu près exactement à un autre de la même espèce
et du même genre (comme s'il était formé d'après un type
primitif, original). 2° En ce qui est de la nature chimique
de leur matière , les corps vivants se composent principa-
lement de parties essentielles ternaires ou quaternaires (ce
qu'on appelle les radicaux organiques , parmi lesquels
les substances delà nature du blanc d'œuf), qui par elles-
mêmes (en dehors du corps vivant et après sa mort) sont
très-disposées à être décomposées par des influencps exté-
rieures ( notamment celle de l'oxygène de l'atmosphère),
et qui en conséquence , tant qu'elles sont des parties du
corps vivant , résistent à cette destruction au moyen d'un
perpétuel changement de matière ; de telle sorte qu'au
point de vue chimique le procédé de la vie peut 'ître défini
une constante transformation , séparation et formation à
nouveau, au moyen de laquelle la forme et la structure
intérieure de l'individu se maintient ou plutôt renaît conti-
nuellement (rajeunissement). 3° En ce qui est de leur
activité, ce qui distingue les corps vivants, c'est qu'elle
provient d'eux intérieurement sans choc extérieur immédiat
(spontanéité). Ils s'accroissent par la multiplication inté-
rieure et la transformation de leurs parties cellulaires et
autres, comme d'après un type primitif inhérent en eux
(développement). Us produisent d'eux-mêmes par des
bourgeons ou des œufs de nouveaux êtres de leur espèce
(propagation). Dans leur intérieur circulent en perpé-
tuelle agitation des sucs nutritifs (circulation de la sève).
Ils produisent et conservent pour la plupart un certain
degré de température (chaleur naturelle). Us possèdent
généralement la faculté de subir des influences extérieures
et souvent aussi le don de se mouvoir ( d'un lieu à un autre
ou sur le lieu même). Leur existence est limitée à une
certaine durée de temps pendant laquelle ils parcourent
et subissent une transformation successive où de jeunes
ils finissent par devenir vieux (degrés de la vie). Enfin,
ces conditions de vie cessant (mor^, ils succombent à
l'influence destructive des forces générales , physiques et
chimiques (corruption, putréfaction).
En opposition à ces propriétés, l'es corps sans vie dans la
nature se rencontrent intérieurement sans formes (o/îor-
phes), on bien en forme de cristaux (alors le plus géné-
ralement terminés par des surfaces en lignes droites); ce
sont des composés binaires (à raison de deux par deux, ou
bien de 2 -\- 2, etc. ) ; ils succombent aux influences des-
tructrices du monde extérieur (par voie d'efflorescence)
sans se reproduire; ils ne s'accroissent pas par un déve-
loppement continu intérieur, mais tout au plus en appa-
rence, par voie d'adjonction venant de l'extérieur (comme
les chandelles de glace ou les cristaux de glace des car-
reaux de vitre gelés ) ; ils ne se propagent pas par couvée,
germe ou semence ; ils n'ont pas de circulation de sucs nu-
tritifs , point de chaleur propre , point de sensation , point
de mouvement propre produit intérieurement , point de
spontanéité. Toutefois , ces différences n'existent que dans
certaines classes d'êtres vivants ; dans d'autres cas , elles
sont souvent difficiles à démontrer ou à maintenir. L'in-
dépendance des corps vivants en opposition au monde ex-
térieur n'est qu'apparente , car pour exister ils ont besoin
de certaines conditions de vieextéiieures (chaleur, air, eau,
nourriture, etc. ), de même qu'ils n'entrent point en activité
d'eux-mêmes, mais par des excitations venantdu monde exté-
rieur (c/mjwe.ç de la vie ). On peut aussi demander si l'on
ne peut pas attribuer une sorte de vie aux différents mondes.
Il est en outre question de la vie du métal, de la vie du
VIE — VIEILLESSE
883
monde, de la vie de l'hisloire, de la vie de l'humanité,
de la vie politique , de la vie ecclésiastique , etc. ; mais
on comprend facilement que ce ne sont là que des expres-
sions figurées. La vie proprement dite ( à savoir la vie in-
dividuelle ou organique ) apparaît sous trois formes prin-
cipales ou degrés : 1° la vie latente ou en germe, telle
qu'on l'observe dans la graine ou dans l'œuf. Ces corps ,
à moins qu'ils ne soient exposés à des influences extérieures
par trop destructrices, conservent leur forme, leur mixtion
et leur capacité de vie pendant un grand nombre d'années,
à tel point que des grains retirés de momies au bout de
deux mille ans ont encore pu germer. On observe des
états analogues dans l'état de larves ou de chrysalides de
beaucoup d'insectes, dans le sommeil d'hiver de beaucoup
de plantes et d'animaux, dans la mort apparente. 2° La
vie végétative. Elle consiste en croissante nutrition (re-
production), élimination et propagation sans sensation clai-
rement démontrée pour les influences extérieures, et sans
mouvement local. Mais ici se présentent déjà des excep-
tions , telles que les mouvements spontanés de ce qu'on
appelle les sensitives {mitnosa pudica), etc. 3" La vie
animale. Elle consiste en sensation et en mouvement spon-
tané (mouvement de la volonté ), et les procédés de la pen-
sée qui s'y rattachent ( vie de l'âme ) , dont ordinairement
un système nerveux est le support et l'intermédiaire. Il
s'en faut toutefois que nous ayons épuisé l'énuméralion et
la classification des divers phénomènes de la vie et de leurs
procédés particuliers ; le nombre au contraire en est in-
fini. Leur élude est l'objet de la botanique et de l'histoire
naturelle , de l'anatomie et de la physiologie ainsi que
d'un grand nombre de sciences appliquées qui en dérivent.
La doctrine relative aux lois et aux phénomènes de la vie
s'appelle biolog ie.
VIE (Certificat de ). Voye:, Certificat pe Vie.
VIE ( Droit de ) ET DE MORT. Voyez Droit de Vie et
BE Mort.
VIE A BON MARCHÉ. C'est là une des questions
d'économie sociale qui préoccupent aujourd'hui le plus
vivement et à bon droit les gouvernements , car la hausse
constante du prix des objets de première nécessité dans
tous les grands centres de population tend à rendre de
plus en plus pénible le sort des classes laborieuses. Chacun
voit d'où vient le mal , chacun comprend qu'il a sa source
d'une part dans les progrès incessants du luxe et de l'autre
dans l'état stationnaire des salaires , résultat de l'application
de plus en plus générale des machines à la production. Mais
jusqu'à ce jour on n'a encore imaginé d'autre moyen d'at-
ténuer le mal que de multiplier les secours de la charité
publique et privée. C'est là un palliatif, et non un remède.
La solution d» problème reste donc toujours à trouver,
et nous ne craignons pas de dire qu'on la clierchera vaine-
ment tant qu'on ne commencera pas par diminuer le
poids des charges publiques en simplifiant les rouages de
la machine administrative et surtout en réduisant au strict
nécessaire l'effectif des armées permanentes.
VIE COiXTEMPLATIVE. Voye::, Contemplation.
VIE ÉTERNELLE ou VIE FUTURE. La religion
nous enseigne que ce sera pour ceux qui auront observé
les prescriptions de la loi de Dieu une existence sans fin de
félicité parfaite, et pour ceux qui les aiuonl méconnues une
existence sans fin de regrets , de douleurs, de tourments at
d'expiations.
VIE MOYENNE. C'est le nombre d'années qui reste
encore moyennement à vivre à un individu à compter de
l'âge qu'il a atteint. La vie moyenne se calcule en suppo-
sant qu'on fasse un partage égal de tous les âges indiqués
dans les tables de mortalité.
D'après la table de Deparcieux la vie moyenne est de
3;) ans 8 mois à la naissance ; de 46 ans 4 mois à un an ;
de 48 ans 4 mois à 2 ans; de 49 ans 1 mois à 3 ans ;
de 49 ans 4 mois à 4 ans; c'est le maximum. A partir
decet âge la vie moyenne va en décroissant continuellement :
à 10 ans, elle est de 46 ans 11 mois; à 14 ans, de 44 ans
2 mois; à 20 ans, de 40 ans 3 mois; à 30 ans, de 34 ans
1 mois; à 40 ans, de 26 ans 9 mois; à 42 ans, de 26 ans
i mois ; à 50 ans , de 20 ans 5 mois ; à 64 ans , de 14 ans
3 mois; à 70 ans, de 8 ans 8 mois; à 75 ans, de 6 ans
6 mois; à 80 ans, de 4 ans 8 mois; à 83 ans, de 3 ans
10 mois; à 84 ans, de 3 ans 6 mois; à 85 ans, de 3 ans
2 mois; à 87 ans, de 2 ans 8 mois; à 90 ans, de 1 an
9 mois; à 91 ans, de 1 an 6 mois; à 92 ans, de 1 an
3 mois; à 93 ans, de 1 an; à 94 ans, de 6 mois.
VIE PROBABLE. Elle indique le nombre d'années
d'après lequel la possibilité d'exister et celle de ne pas
exister sont les mômes, ou bien le nombre d'années après
lequel les individus d'un même âge se trouvent numéri-
quement réduits à moitié. Cherchons, par exemple, quelle
est la vie probable à 40 ans. Le nombre des vivants , sur
1,286 naissances, est de 657 ; la moitié est de 329. Ce chiffre
correspond, à peu de choses près , au nombre des survi-
vants existants à «gans. Or, comme à cet âge une moitié de
ceux qui avaient 40 ans esl morte, l'autre vivante, il y
a également à parier pour ou contre qu'une personne de
40 ans parviendra à 69. La durée de la vie probable à 40
ans est donc de 29 ans, c'est-à-dire de la différence entre
40 et 69.
La vie probable la naissance est de 42 ans : à 1 an ,
de 53 ; à 2 ans, de 54; à 3 ans, de 55 ans 6 mois. A partir
ainsi, à 4 ans elle est de
de 51 ans ; à 14 ans, de 48 ans
de 4 ans, la vie probable diminue
55 ans 2 mois; à 10 ans,
9 mois; à 20 ans, de 44 ans 2 mois ; à 30 ans, de 30 ans
10 mois ; à 40 ans, de 29 ans ; à 50 ans, de 21 ans ; à 53 ans,
de 18 ans 10 mois; à 60 ans, de 14 ans; à 70 ans, de
7 ans 11 mois ; à 75 ans, de 5 ans 9 mois , à 80 ans, de
4 ans ; à 84 ans, de 2 ans 1 1 mois ; à 87 ans, de 2 ans 4 mois ;
à 90 ans , de 1 an 6
mois;
1 au 3
de 6
mois ; à
mois.
91 ans, de
92 ans, de 1 an ; à 93 ans, de 1 an ; à 94 ans,
VIEILLARD. Voyez Vieillesse.
VIEILLE-CALIFORNIE. Voyez Californie.
VIEILLE-CASTILLE. Votjvz Castille.
VIEILLE CARDE. Foj/es Garde impériale.
VIEILLE-JAUNE, VIEILLE-ROUGE, VIEILLE-
VERTE. Voyez Labre.
VIEILLESSE, dernière période d'une existence limitée.
Tout ce qui est «é s'achemine, par une suite d'accroisse-
meuls,de développements, qui sont quelquefois des transfor-
mations, vers un état de maturité qu'il ne peut dépasser;
une décadence plus ou moins lente conduit jusqu'au dernier
terme, et lorsque cet intervalle est une partie notable de la
vie entière, il prend le nom de vieillesse. Entre les orga-
nisations analogues , la durée totale de la vie parait être
proportionnelle au temps de raccroissemcnt : l'homme a
pu faire ces observations sur les animaux domestiques et
sur quelques-uns de ceux qu'il n'a pas asservis , mais il n'a
pu suivre les habitants des eaux au fond de leur demeure,
comparer entre elles quant à leur durée les époques suc-
cessives de la longue vie de ces espèces. On est assuré que
les poissons vieillissent , aussi bien que l'homme et les ani-
maux terrestres ; mais on ignore en quoi consiste leur vieil-
lesse, quand elle les atteint, à quels caractères on peut la
reconnaître. Dans l'homme et dans les espèces que l'on peut
observer, cette époque de l'âge est manifestée par des signes
d'altération, des formes moins agréables, plus sévères, plus
imposantes, qui commandent le respect, mais n'ont point
ces attraits dont la jeunesse est beaucoup mieux pourvue.
Cependant, en dépit des apparences , les facultés subsistent
quelquefois dans leur entier; il est des vieillesses vigoureu-
ses sur lesquelles les effets ordinaires du temps ne se ré-
vèlent qu'au dehors. La mythologie a revêtu quelques im-
mortels des formes de cette sorte de vieillesse, symbole
d'un long passé, mais sans indications pour l'avenir. Quel-
ques hommes d'une longévité remarquable parurent vieux
aussi tôt que ceux dont la carrière ne s'étend pas aus-^i loin,
et plus de la moitié de leur carrière appartint à la vieillesse.
50.
884 ^ VIEILLESSE
On remarque en général que les anomalies de celle sotte
se présenlent plus souvent parmi les individus qui agirent
beaucoup et pensèrent peu. C'est ainsi qu'au Cliili, contrée
où la vie humaine atteint sa plus grande étendue, l'emploi
de courrier est souvent exercé par des centenaires.
Est-il vrai que la durée de la vie humaine est prodigieu-
sement réduite en comparaison de ce qu'elle fut autrelois ?
C'est une croyance qui nous a été transmise par l'antiquité
la plus reculée; il faut donc la traiter avec les égards que
l'on ne refuse point à ce qui vient d'aussi loin : on ajoute
que cette excessive diminution de l'étendue de noire car-
rière est l'effet ou le châtiment de nos fautes , de notre mau-
vaise conduite. La question se complique , et peut changer
de nature, car il s'agirait de savoir avant tout si nous su-
bissons une peine méritée, ou si tout ce que nous éprouvons ;
est le résultat nécessaire des lois de l'organisation. Ce cas
est le seul accessible au raisonnement et à l'observation ;
mais on ne peut le traiter convenablement qu'avec le secours
de connaissances qui nous manquent et que les générations
futures n'auront qu'après une série de plusieurs siècles d'ob-
servations et de calculs sur la durée moyenne de la vie hu-
maine et sur les causes qui la font varier. Il n'est donc pas en
notre pouvoir de vérifier si le mouvement de la vie s'est ac-
céléré, si l'on francbil maintenant en moins de temps qu'au-
treloas l'inlervalle entre la naissance et la mort , ou si notre
organisation, affaiblie par l'action des causes qui tendent à
l'altérer, a perdu pour toujours sa vigueur primitive, qui
dans quelques individus traversait plus de neuf siècles. Si
un changement aussi considérable n'était qu'im effet de l'ac-
célération du mouvement vital, il resterait à examiner ce
qu'il a fait perdre et quelles compensations il offre en
échange : autre question très-difficile à résoudre. Ici les
méditations du philosoplie doivent éclairer celles du phy-
siologiste ; l'un et l'autre reconnaîtront bientôt que la durée
de l'existence sentie n'est pas mesurée par le tem|is, mais
par le nombre et l'importance des souvenirs : ils remarque-
ront en même temps que la plus longue succession de ces
jouissances qui composent \(t bonheur peut s'écouler pres-
que inaperçue, paraître plus courte qu'une seule année de
souffrances. On ne peut douter qu'en sentant et pensant
plus vite on vivrait plus dans le même espace de temps;
ajoutons qu'on serait en état d'apercevoir des rapports et
même des faits qui nous échappent encore à cause do la
lenteur de nos perceptions. Si nos premiers parents ne vé-
curent aussi'longtemps que parce qu'ils s'acquittèrent len-
tement de toutes les fonctions de la vie , ils ne furent pas
mieux partagés que nous; et dans cette hypothèse, nous
n'aurions aucun motif pour leur porter envie. Mais une telle
opinion est-elle au moins vraisemblable ? Le raisonnement
ne la contredit point : mais ce n'est pas assez, il faudrait
que des témoignages irrécusables déposassent en sa faveur,
et l'histoire n'en fournit point. Au reste , il paraît que depuis
un assez grand nombre de siècles la durée de la vie hu-
maine a peu varié , peu décru , ce qui n'a pas empêché les
poêles d'affirmer qu'elle diminue de jour en jour, et rapide-
ment :
Senwtique prius tarda nécessitas
Letfii corripuit gradum. (Horace.)
Puisque , suivant l'opinion générale, notre carrière est au-
jourd'hui moins étendue qu'elle ne le fut autrelois, il faut
bien en conclure que nous arrivons plus promptement à la
vieillesse, et que le dépérissement qui commence à cette
époque conduit |)lus tôt au terme de la vie. Les naturalis-
tes ont très-bien exposé cette marche rétrograde de l'orga-
nisation ; les philosophes ont entrepris avec moins de suc-
cès de consoler les vieillards, d'adoucir en eux le regret de
ce qui va leur échapper. Il est peut-être impossible de ci-
ter un seul lecteur de Cicéron, de Sénènue, de Montai-
gne, etc., etc., qui ait profité en temps opportun de toutes
ces éloquentes dissertations ; les vieillards qui en ont
gardé quelque souvenir étaient en état d'y suppléer, ils n'en
— VIELLE
avaient aucun besoin. L'inefficacité de ces écrits, inspiré»
par les sentiments les plus dignes d'estime, paraît accuseï
notre nature, et prouver que le langage de la vérité et de la
vertu n'est pas celui que nous écoutons le plus volontiers.
Que peuvent donc produire les plus beaux discours sur la
vieillesse, adressés aux vieillards ? Toute leur substance est
résumée dans ces deux vers de Saint-Évreraond :
Attendant la rigueur de ce commun destin,
Mortel, dime la vie, et n'en crains pas la fin.
Aucun de ces écrits , recommandables d'ailleurs par un€
liante philosophie , n'indique toutes les sources de bonheur
où le vieillard peut puiser autant et même plus que l'homme
entraîné par les passions et les goûts d'un âge moins avancé.
Muni d'une ample provision de souvenirs agréables ou con-
solants, affermi dans toutes ses démarches par le témoi-
gnage d'une conscience pure , il se livre sans réserve aux
impressions délicieuses qu'il reçoit à la fois de la contempla-
tion et de ses pensées d'avenir; il prend à tous les plaisirs
dont il est le témoin une part qui ne diminue celle de per-
sonne , et sa compassion va soulager quelques souffrances.
Sou âme, devenue plus expansive à mesure que l'expérience
des hommes l'a instruite , réunit dans son affection ses pro-
ches, sa nation, la patrie, l'humanité entière, ses contempo-
rains et les générations futures. 11 ne sait plus haïr, mais il
lui reste tant à aimer! La mort viendra le surprendre au mi-
lieu de ses affectueuses méditations. Ln attendant ce der-
nier terme, des travaux paisibles, mais d'une haute impor-
tance, semblent être réservés pour un temps bien court
dans l'intervalle que forme la vie du vieillard : à son en-
trée dans cette nouvelle carrière , il se trouve pourvu de
connaissances isolées dont l'analyse et la coordination peu-
vent faire découvrir quelques vérités morales. Il est bien à
désirer que les hommes accoutumés à penser prévoient
celte époque de leur vie, et rassemblent des matériaux
dont ils feront alors un si bon emploi. 11 est certain que
l'homme à son entrée dans la vieillesse est mieux dis-
posé pour la culture des sciences morales qu'il ne le fut
dans tous les temps antérieurs; mais qu'il se hâte de com-
mencer cette étude avant que les souvenirs ne s'effacent
' et que les facultés intellectuelles n'éprouvent les effets de
l'altération des organes qui leur sont propres. Ces études,
j bien dirigées, rendraient des services dont rien ne peut
tenir lieu ; mais peu d'hommes sont en état de s'y livrer,
et loin que leur nombre puisse augmenter, U décroîtra pro-
bablement ; et quoique la culture des sciences morales ne
soit pas abandonnée, de nouveaux obstacles s'opposeront
aux progrès réels de cet ordre de connaissances. On ne
peut trop le redire , au risque de n'être pas écouté : les pro-
grès réels des sciences morales exigent désormais un en-
semble d'observations et de connaissances qui n'appartient
qu'à l'âge mùr, et de plus le silence des passions, le calme
de l'âme qui caractérisent la vieillesse de l'homme de bien,
de sens et de savoir.
L'antiquité prodigua peut-être à la vieillesse des respects
et un pouvoir qui ne contribuèrent pas toujours aux vertus
et à la félicité publiques et privées : les barbares n'esti-
ment que ce qui est d'une utilité matérielle. Si les anciens
se trompèrent, leur méprise eut au moins une tendance
vertueuse; nos mœurs actuelles n'ont pas cette excuse, et
nous feraient plutôt incliner vers la barbarie.
FEIiUV, à l'âge de quatre-vingt-deux ans.
VIELLE, instrument de musique qui tire son origine
de la lyre des anciens. Les Grecs la nommaient sambtikè,
les Latins sambuca, et nos anciens Français sambuque.
Elle commença à être fort goûtée en France vers" 1085. Ou-
bliée pendant plusieurs siècles, la vielle reprit favour sous
Henri Ill;ct Janolet LaRoseobtinrent encore les applaudis-
sements de la cour de Louis XIV. Fort en vogue vers le mi-
lieu du siècle dernier, cet instrumeiTt est aujourd'hui de nou-
veau entièrement délaissé, et on n'en voit plus guère qu'aux
mains de quelques pauvres enfants de la Savoie qui viennent
VIELLE — VIENNE
886
dan» nos villes solliciter la charité publique. Il est monté de
cordes qui sont mises en vibration au moyen d'une roue en-
duite de colophane. Cette roue correspond à une manivelle
placée extérieurement, et à l'aide de laquelle on peut lui
imprimer les mouvements les plus rapides. Les sons qu'on
tire de la vielle lorsqu'elle est débarrassée d'une espèce
de pédale appelée bourdon ont beaucoup d'analogie avec
ceux du violon dans la partie aiguë. Ils s'obtiennent au moyen
d'un clavier dont les touches, en s'enfonçant, pressent les
cordes contre la roue, qui par le mouvement que lui com-
munique la manivelle fait à peu près l'effet d'un archet.
Charles Béchem.
VIEN (JosEPH-MAniE), peintre d'histoire, né à Mont-
pellier, le 18 juin 1716 , avait été destiné à la carrière du
barreau ; mais sa vocation pour la peinture l'emporta. En
1740 il vint à Paris, et entra dans l'atelier de INatoi rc,
où ses progrès furent rapides. Cinq ans après , il dut le
grand prix de Rome à son tableau représentant La Peste
arrivée sous le roi David ; tableau d'une excellente compo-
sition et d'un faire agréable. C'est en 1746 qu'il se rendit à
Rome. Là les nombreuses copies qu'il fit d'après les maî-
tres, ses études d'après les bas-reliefs et les statues anti-
ques, décidèrent de son goût pour le style sévère. 11 exécuta
neuf tableaux d'église, trois de chevalet et son Ermite en-
dormi , qui est maintenant au musée de Paris. Vien , de
retour à Paris en 1750 , travailla à son tableau de Y Embar-
quement de sainte Marthe, qu'on place au nombre des
ouvrages qui lui firent le plus d'honneur, et qui lui valut
son agrégation à l'Académie de Peinture. Pour son morceau
de réception, il peignit Dédale et /care, œuvre d'une grande
correction. En 1775 il fut nommé directeur de l'École de
France, à Rome. De ce moment il résolut d'opérer une ré-
volution dans le dessin et la peinture, arts dégradés sous
Louis XV par les tableaux frivoles de Boucher, lient le
courage d'enseigner une doctrine nouvelle, dont la sévé-
rité parut barbare aux gens du monde, et même aux pein-
tres, mais qui commença la restauration des arts, si vigoureu-
sement poursuivie par David, son disciple. Celui-ci avait
une grande déférence pour son maître. Parmi les produc-
tions nombreuses de Vien , on remarquequelques sujets tirés
d'Homère; mais son imagination modérée, lente à conce-
voir, ne lui a pas permis toujours de s'élever à la hauteur
du poète grec. Cependant, le bagage de ce laborieux artiste
se compose de près décent quatre-vingts toiles. A la suite de
la révolution, il perdit ses places et ses pensions, et s'occupa
à faire des dessins qui étaient recherchés. Il fut nommé
membre de l'Institutdès sa formation. Bonaparte l'appela, en
1799, au sénat conservateur, dont il devint le doyen d'âge;
il le nomma ensuite comte de l'empire et commandant de
la Légion d'Honneur. Vien ne quitta sa palette qu'à son der-
nier moment. Dans ses beaux jours, son pinceau était bril-
lant, vigoureux; il devint doux et précieux à mesure que
l'artiste avançait en âge. Il mourut le 27 mars 1807, et reçut
les honneurs du Panthéon. Ch*"^ Alexandre Lenoir.
VIENiVE (La), la Vigenna des Romains, affluent delà
rive gauche de la Loire, prend sa source dans le départe-
ment de la Corrèze, sur le plateau de Millevaches, à peu
de distance du mont Odouze, haut de 1 ,600 mètres ; et après
un parcours de 382 kilomètres, pendant lequel elle traverse
quatre départements, dont deux auxquels elle donne son
nom, elle se jette dans la Loire, à Candes, entre Tours
et Angers , et devient navigable à partir de Châtellerault
sur un parcours de 89 kilomètres.
VIENNE ( Département de la), borné au nord par ceux
de la Loire Inférieure et d'Indre-et-Loire, à l'est par celui
de l'Indre, au sud, par ceux de la Haute- Vienne et de la
Charente , à l'ouest , par celui de la Charente. Son étendue
est de 699,083 hectares , dont 413,131 en terres labourables,
80,372 en bois, 42,732 en prés, 28,742 en vignes, et75,167
en landes et bruyères. 11 ressortit à la dix-huitième division
"ulitaire, compte 322,585 habitants, et envoie deux députés
au corps législatif. Les cours d'eau qui l'arrosent aftluent a la
Loire, et tons, à l'exception de la Dive ( arrondissement de
Loudun), sont tributaires de la Vienne, qui traverse le dé-
partement du midi au nord; parmi les plus importants on
cite le Clain, la Gartempe, la Clouère, la Sartlieron et la
Creuse, qui coule sur la frontière nord-est ; c'est, avec la
Vienne, la seule navigable. Le climat est doux, tempéré et
sain , excepté sur les rives marécageuses de la Dive et de
laPalu, où régnent, surtout en antomne, des fièvres pu-
trides assez intenses. Le sol de ce département varie ; plus
riche au nord que dans les autres parties, maigre et grave-
leux à l'est et au sud-est, il est partout entrecoupé de landes
et de bruyères incultes. Ou y recueille cependant plus de cé-
réales qu'il n'en faut pour la consommation. Le produit des
vignobles est évalué à 700,000 hectoMtres de vins hauts en
couleur, et qui se conservent bien malgré leur préparation
peu soignée; ceux des cantons de Loudun et de Trois-Mou-
tierssont cependant estimés. Du reste, les diverses branches
de l'agriculture languissent dans un état arriéré. La culture
se fait encore généralement avec l'araire antique , appelé
arcau. 11 y a peu de prairies artificielles, et les pâturages
naturels ne nourrissent qu'une petite quantité de bétail;
mais l'éducation des abeilles y est importante, et les miels
de la Vienne ont une certaine réputation. On élève aussi
un très-grand nombre de porcs, dont 45,000 environ sont
exportés chaque année pour les côtes de l'ouest. Quant aux
forêts, elles occupent une superficie de 60,000 hectares. En
fait de productions minéralogiques,on exploite du minerai
de fer, de la pierre meulière excellente, de la pierre de taille,
de la pierre à aiguiser; aux environs de Châtellerault, de la
pierre lithographique meilleure que celle de Munich, parce
que son grain est plus fin; une carrière de marbre (arron-
dissement de Civray ). C'est dans les sables de la Vienne
que l'on trouve ces cailloux transparents jadis vendus
sous le nom de diamants de Châtellerault. La Roche-Po-
say ( arrondissement de Châtellerault ) possède une source
d'eau minérale sulfureuse froide, renommée pourlaguérison
des maladies scrofuleuses et dartreuses, des rhumatismes et
des débilités d'estomac. Formé du ci-devant Haut-Poitou ,
ce département est divisé en cinq arrondissements: Poi-
tiers, chef-lieu, siège d'évêché, de cour impériale et d'a-
cadémie; Châtelleraiilt; Civray, station du chemin
de fer de Paris à Bordeaux, avec 2,209 habitants, un
tribimal civil et une chambre consultative d'agriculture;
Loudun, avec 4,462 habitants; et Montmorillon , avec
4,649 habitants. Ces cinq arrondissements sont subdivisés
eu 31 cantons et 301 communes. Le département paye
1, 214, 73i fr. d'impôt foncier. Ses autres localités les plus
remarquables sont Mirebeau (2,426 habit.), aux sources
de la Palu et de la Dive; Lusignan (2,936 hab. ), fameuse
par ses comtes et par son ancien château, bâti, disait-on,
par la fée Mélusine, et qui passait pour la plus forte cita-
delle de France : des promenades en occupent l'emplace-
ment; Charroîix ( 1,829 hab. ), sur la Vienne , et qui avait
autrefois une célèbre et antique abbaye, dont on voit encore
les ruines.
VIENNE (Département de la HAUTE-). Presque en-
tièrement formé du haut Limousin, il est borné au nord par
les départements de la Vienne et de l'Indre, à l'est par celui
de la Creuse, au sud pai ceux de la Corrèze et de la Dordogne ,
à l'ouest par celui de la Charente. Sa population est de
319,787 habitants; sa superficie de 551,733 hectares, dont
213,354 enterres labourables, 38, 858 en vignes, 129,899 en
prés, 38,043 en bois et 93,244 en landes et bruyères. Il est
divisé en quatre arrondissements : Limoges, chef-lieu de
la vingt-et- unième division militaire , siège d'évêché et de
cour impériale; Bellac, ville de 3,536 habitants, sur un
coteau escarpé, baigné par le Vincou, avec un tribunal civil,
une chambre consultative d'agriculture, et une fabrication
assez importante de papier, de toile, de couvertures, de
chapeaux, de sabots et de soufflets ; Rochechouart, ville de
4,256 hab., sur la pente d'une montagne, au bord de la
Graine, avec un tribunal civil , une fabrique de faïence, de«
886
VIENNE
carrières <le kaolin et de pétunsé et une mine d'anti-
moine inexploitée ; Sain t-Yr icix. Ce département , qui
envoie deux députés au corps législatif, paye 915,972 l'r.
d'impôt foncier. Deux chaînes, rameaux des reliefs du Can-
tal, le traversant au nwrd et au midi, montrent quelques
points élevés, tels que le Puy-de-Vieux près de Grammont,
lequel esta 975 mètres au-dessus de l'Océan, elle montJar-
geau , qui en a 950. Ces montagnes , tantôt nues et arides ,
tantôt recouvertes d'une faible végétation ou de bois de
châtaigniers , donnent au paysage une teinte sombre et quel-
quefois un aspect sauvage; mais il est peu de contrées qui
puissent être comparées à celle-ci pour la variété et la
fraîcheur des perspectives. Un grand nombre de petites ri-
vières, affluant presque toutes à la Vienne et à la Gartempe,
les deux principales, une multitude de sources coulent
dans toutes les directions , et 556 étangs sont disséminés sur
la surlace du département. Le sol , reposant presque partout
sur une base granitique, est généralement peu fertile : les
terres les plus productives, dites terres humides, n'occupent
guère que 100,000 hectares. C'est un pays de petite culture,
exploité par parcelles appelées domaines et borderies, où
les anciennes méthodes agronomiques sont encore généra-
lement suivies. La vigne , qui couvrait autrefois de grands
espaces aux environs de Limoges , est actuellement peu
cultivée, et ne donne que des vins très-médiocres. Les es-
sences qui dominent dans les forets sont le chêne , le hêtre
et le châtaignier. Le département de la Haute- Vienne est un
de ceux où les prairies artilicielles ont le plus d'étendue et
sont dans le plus brillant état; l'éducation du gros bétail
destiné à l'approvisionnement de la capitale et celle des
chevaux constituent les richesses de ce pays. Les moutons
y sont aussi fort nombreux ; la race en est petite, et ne
fournit que des laines médiocres. L'habitant élève en outre
des porcs, des chèvres, des abeilles on quantité, des mu-
lets, beaux et vigoureux, que l'on exporte en Espagne. Quant
aux chevaux, ils appartiennent à la race limousine, si renom-
mée. Les montagnes sont riches en minéraux. On exploite à
Vaulry une riche mined'étain, la seule qu'il y ail en France ;
il existe aussi du cuivre, du fer, du plomb, de l'antimoine, .de
la houille, des carrières de marbre gris et de granit. Les
dépôts de kaolin de Saint-Yrieix sont les premiers que l'on
ait exploités dans nos régions , et ils sont encore très-impor-
tants; ils alimentent la manufacture de Sèvres et celles de
Limoges. L'industrie de la Haute-Vienne a particulièrement
pour objet la fabrication de la porcelaine, des draps com-
muns et autres lainages, des toiles, des gants, des liqueurs ,
des poteries, des papiers recherchés, du verre, des tuiles et
des briques, la blanchisserie de la toile et de la cire , la fila-
ture du coton et de la laine : elle s'exerce aussi dans des
forges, des alfineries, des hauts fourneaux (quatre), des
martinets à cuivre , des tréfileries et des clouteries. Les
contrées stériles fournissent à l'émigration annuelle des
milliers d'ouvriers de bâtiment, qui se répandent dans d'au-
tres déparlements, dans celui de la Seine surtout, et qui
reviennent l'hiver au pays avec un petit pécule. Après les
chefs-lieux d'arrondissement, les villes qui méritent d'être
citées sont Saint-Junien, avec près de 6,000 hab., bâtie
enamphilhéâlre, au confluent de la Vienne et de laGelanne :
son église est une des plus belles du Limousin; Saint-
Léonard, avec 6,200 habitants, sur la Vienne, que traverse
un beau pont; Eymoutiers, avec 3,700 habitants, dont
la fondation est attribuée par les légendes à une troupe de
Sarrasins , et qui possède une belle église gothique; enfin. Le
Dorât, jolie petite ville, sur la Sèvre, avec une église re-
marquable et 2,200 habitants.
VIEIMVE, très-ancienne ville de France, jadis célèbre ,
aujourd'hui chef-heu d'arrondissement du département de j
l'Isère, est située au pied d'un coteau et sur la rive
gauche du Rhône, qui y reçoit la petite rivière de Gère. On
y remarque l'église de Saint- Maurice , magnifique bâti-
ment gothique; l'éghse Notre- Dame-de- la-Vie ; un bel arc
de triomphe et plusieurs ruines de monuments romains. La
Maisoncarrée, sur la place Notre-Dame-de-la-Vie, édifice de
20 mètres de long sur 13 de large, est regardée comme un
temple d'Auguste , et servit longtemps à la célébration du
culte chrétien. Le monument qu'on appelé V Aiguille, situé
en avant de la ville et construit en pierre de taille sans
mortier, haut de 13 mètres 33 cenlinièlres, est vraisembla-
blement un tombeau antique. Le musée de la ville contient
un grand nombre d'urnes , d'inscriptions et de médailles
romaines.
Vienna, chef-lieu des Gaulois Allobroges, puis de la Pro-
vincia Viennensis dans la Gaule Narbonnaise, fut au temps
des empereurs romains la rivale de Lyon, sur qui elle l'em-
portait en importance vers la lin du second siècle de l'ère
chrétienne. Au moyen âge elle fut la capitale du premier
et du second royaume de Bourgogne. Plus tard elle forma
un comté souverain que Louis XI réunit au Dauphiné. Elle
fut aussi autrefois le siège d'un archevêché, dont le titulaire
se qualifiait de primat des Gaules. Cet archevêché fut
réuni plus tard avec celui de Lyon. Il se tint de nombreux
conciles à Vienne; le plus célèbre est celui de 1312, dans le-
quel le pape Clément V prononça la suppression de l'ordre
des Templiers.
Aujourd'hui station du chemin de fer de Lyon à la Mé-
diterranée , Vienne compte 18,452 habitants. Elle possède
un tribunal civil, un tribunal de commerce, une chambre
consultative d'agriculture , une chambre consultative des
arts et métiers , un collège communal , et d'importantes
manufactures de drap, cuirs de laine, etc. Il s'y fait un
grand commerce en vins du Rhône, notamment en vins de
la Côte Rôtie et de Condrieux.
VIENNE, en allemand Wien , en latin Vindobona,
l'antique capitale du petit duché d'Autriche , aujourd'hui
capitale de l'empire d'Autriche et résidence de l'empereur,
siège de toutes les autorités administratives supérieures,
est située dans une plaine entourée de collines, au confluent
de la petite rivière de Vienne avec l'un des bras du Da-
nube. En y comprenant ses faubourgs elle a 25 kilomètres
de circuit et compte 431,147 habitants avec la garnison. Elle
se compose delà ville intérieure ou vieille ville, et de trente-
quatre faubourgs , dont elle constitue à peu près le centre.
La ville intérieure, qui forme environ la dixième partie du
tout, est entourée de murailles fortifiées, avec des bastions
faisant saillie et quelques blockhaus de construction toute
récente. Un profond fossé et un glacis, dont la largeur varie
entre 200 et 400 mètres, la séparent des faubourgs. Treize
portes conduisent dans toutes les directions aux faubourgs.
La vieille ville n'est rien moins que régulièrement cons-
truite. On y compte 127 rues et ruelles, 9 grandes et tO pe-
tites places , 1,218 maisons massives, généralement à quatre
étages, et environ 54,000 habitants. Les rues sont bien pa-
vées, propres et éclairées au gaz. Les faubourgs sont cons-
truits avec beaucoup plus de régularité que la ville propre-
ment dite , avec de larges et belles rues, garnies de maisons
généralement à trois étages, parmi lesquelles on remarque
un grand nombre d'hôtels avec jardins , demeures de l'a-
ristocratie autrichienne. Les plus considérables sont les
faubourgs de Wieden, de Leopoldstadt et de laegerzeile,
de Gumpendorf et de Scholtenfeld. Le climat de Vienne
est très-variable, et on y compte à peine quarante jours dans
l'année où il n'y ait pas de vent. Les brusques variations de
la température et la poussière sont des inconvénients dont
la population a beaucoup à souffrir, et qui engendrent force
oplitlialmies et maladiesde poitrine. Les faubourgs situés au
sud et au sud-ouest , au pied du Kahlenherg et du Wiene-
berg, sont les plus salubres.
Vienne possède plusieurs beaux quartiers , de magni-
fiques places publiques , et abonde en édifices remarquables
ainsi qu'en habitations élégantes. Les quartiers les plus ani-
més sont le Kohlenmarht et le Graben ; la place Saint-
Élienne,la Bischofgasse,V Herrengasse, la Rothen-Thurm-
strasse et la Kserntnerstrasse sont aussi très-vivantes. Les
édifices publics et les hôtels de la haute noblesse sont très-
VIENNE
nombreux; mais il 'n'y a guère de remarquables au point de
vue architectural que ceux qui ont été construitA, au siècle
dernier, par Fisclier d'Erlach. En fait de palais il faut citer
en première ligne le Burg , résidence de l'empereur, vieil
édilice, d'une étendue immense, mais d'une construction
irrégulière; le palais de l'archiduc Albert, le palais du mi-
nistère de l'intérieur et de la maison de l'empereur, le pa-
lais du ministère du commerce et de l'industrie, le palais
du prince de Liechtenstein, le palais du gouvernement delà
basse Autriche , le palais de la banque nationale, l'arsenal
avec sa riche collection d'armes , le palais de la nonciature
apostolique, le ministère des finances, la poste, le palais
éiiiscopal, les palais du duc de Saxe-Cohourg, des princes
Schwarzenberg, Lobkowilz, Esterhazy, Kinski, des comtes
Paliavicini, Harrach , etc., les écuries impériales, le palais
impérial du Belvédère, sur le r.ennvveg, autrefois ré^sidence
du prince Eugène de Savoie, l'institut polytechnique, l'hôpital
gi'néral, l'Académie île Médecine, la fabrique impériale de
porcelaine, les casernes, le théâtre sur la Wien et le Carls-
theater dans la Leopoldstadt.
Parmi les églises de la ville, qui est divisée en huit pa-
roisses, on remarque surtout l'église métropolitaine de
Saint-Étienne, l'un des plus beaux monuments de l'ancienne
architecture allemande, commencée eu 1154, terminée an
quatorzième siècle, à l'exception de sa seconde grande
tour, restée inachevée jusqu'à ce jour. L'autre tour, la plus
haute de l'Europe , a 145 mètres d'élévation et renferme
une cloche pesant 402 quintaux et fondue avec des canons
enlevés aux Turcs. L'église des Augustins , paroisse de la
cour, renferme la chapelle où l'on conserve, dans des urnes
d'argent, les cœurs des membres défunts de la famille impé-
riale, et date du quatorzième siècle. Parmi les églises plus
modeiiies.il faut citer celle de Saint-Pierre, bâtie sur le
modèle de Saint-Pierre de Rome , et celle des Capucins ,
contenant le caveau sépulcral des empereurs. Les églises
situées dans les faubourgs sont toutes d'architecture mo-
derne; la plus belle détentes est l'église Saint-Charles-
Borromée , dans le Wieden. Les grecs non-unis possèdent
deux églises; les protestants en ont trois. Les juifs pos-
sèdent une belle synagogue , à la quelle est adjointe une
école.
On compte à Vienne de nombreux établissements scienti-
fiques, et en première ligne l'université, fondée en 1355, par
le duc Rodolphe IV et comprenant quatre facultés. Elle a
été complètement réorganisée en 1849, et possède une riche
bibiiothfc^que, un observatoire, un cabinet de physique, un
muséum d'histoire naturelle, un jardin botanique, etc., etc.
D'ailleurs, Vienne brille par la richesse de ses collections en
tous genres, toutes ouvertes gratuitement au public. Les
principales bibhothèques sont la bibliothèque impériale, riche
de 350,000 volumes et de plus de 20,000 manuscrits ; la bi-
bliothèque particulière de l'empereur, avec une riche collection
de cartes topographiques et de plans , la hibliotliè(iue de
l'Académie Orientale, riche surtout en manuscrits orien-
taux, etc., etc. En fait de collections d'art, il (aut mention-
ner la galerie impériale du Belvédère, contenant plus de
1,700 tableaux, dont un grand nombre de toiles du Titien ,
de Rubens , de Van Dyck , etc. ; la galerie de l'Académie
impériale des Beaux-Arts, la galerie Liechtenstein, la galerie
Esterhazy, riche surtout en productions de l'école espa-
gnole avec des statues de Canova et deThorwaldsen, etc.
Les curieux ne doivent pas manquer d'aller visiter la
chambre du trésor impérial, dans le Burg, où l'on conserve
la couronne et les ornements impériaux de Cbarlemagne ,
les diamants de la couronne, parmi lesquels on en remarque
un du poids de 133 carats; le cabinet des médailles , des
pierres gravées , etc., etc. Les collections impériales d'his-
toire naturelle soutiennent avantageusement la comparai-
son avec les musées les plus riches de l'Europe en ce
genre.
11 y a aussi à Vienne un grand nombre de sociétés savan-
tes, parmi lesquelles l'Académie impériale des Sciences tient
887
le premier rang. Citons ensuite l'Institut Géologique, l'Ins-
titut central de Météorologie et de Magnétisme terrestre , la
Société pour l'Encouragement des Beaux-Arts et diverses
sociétés musicales. Les établissements de bienfaisance y sont
aussi nombreux que bien organisés. Nous nous bornerons
à mentionner l'hôpital général , contenant plus de 2,500 lits,
la maison d'accouchement, l'hospice des orphelins, l'Ins-
titut des sourds-muets, l'Institution des aveugles.
Comme le reste de la monarchie autrichienne , Vienne a
fait depuis une vingtaine d'années de notables progrès dans
l'industrie. Elle est le centre de l'activité commerciale de
l'empire, notamment du commerce avec l'Orient par le Da-
imbe. Les opérations du commerce sont facilitées par fa
bourse, la banque nationale et la caisse d'escompte; par la
navigation sur le Danube, qui prend chaque jour de nou-
veaux développements, et par les différents chemins de fer
qui des cxtrénutés de la monarchie viennent converger
dans la capitale. Vienne est en outre le principal foyer de l'in-
dustrie manufacturière de l'empire, et on y fabrique depuis
les objets de première nécessité jusqu'aux articles de luxe
et de mode.
La population de Vienne est célèbre par son goût pour les
plaisirs. Les bals publics y sont plus nombreux que dans
toute autre capitale de l'Europe , et on y compte cinq
théâtres, dont deux dans la vieille ville le Théâtre na-
tional, l'une des premières scènes de l'Allemagne , consacré
exclusivement à la tragédie, au drame et à la haute comédie,
et le Théâtre de la cour, situé près de la Porte de Carinthie,
consacré à l'opéra et au ballet. Dans les faubourgs on trouve
le Théâtre de la Wien, le Carlstheater et le Théâtre de
la Josephstadl, tous trois consacrés au mélodrame et sur-
tout à la farce. Le printemps est la saison la plus animée à
Vienne; à ce moment la haute noblesse n'est pas encore
partie pour ses terres, et la promenade du Prater o((re un
des coups d'oeil les plus animés qu'on puisse voir. Elle est
située dans une île que forme le Danube, et n'a pas sa pareille
en Allemagne. On trouve en outre aux environs de Vienne une
foule de jardins publics et de lieux de divertissement.
Vienne est une dos plus anciennes villes de l'Allemagne,
et, comme la plupart d'entie elles, provient d'un de cei
camps fortifiés que les romains étaient <ians l'habitude de
construire dans les pays conquis , afin de tenir de là les po-
pulations en respect. La domination des Romains y ces.sa
au cinquième siècle, et Vienne devint alors successivement
la proie des différentes hordes de barbares qui se jetèrent
sur l'Empire Romain. Enfin, au septième siècle, elle tomba
au pouvoir de Cbarlemagne , qui y fonda la .^larche orien-
tale. Les margraves résidaient d'abord à !\lesk; plus tard,
ce fut sur le Kahlenberg. Le margrave Léopold le Saint et
surtoutson fils Henri II Jasomirgott contribuèrent adonner
de l'importance à Vienne , qui sous le duc Léopold VII
obtint une nouvelle charte communale , grâce à laquelle le
commerce et l'industrie y jouirent bientôt d'une grande
prospérité. Le duc Rodolphe IV, mort en 13G5, fonda
l'université et commença la construction de l'église Saiut-
Ëtienne. La ville prospéra encore davantage lorsque, après
la mort de Maximilien, elle rievint, sous Ferdinand et ses
successeurs, la résidence habituelle des empereurs. Dans les
guerres contre les Turcs, Vienne fut assiégée pour la pre-
mière Ibis en 1529, par le sultan Soliman, à la tête de 120,000
hommes, et bravement défendue liepuis le 27 septembre
jusqu'au 15 octobre par le comte Nicolas de Salm, qui ne
disposait que d'une armée de 16,000 homuies et de 5,000
bourgeois armés. Lors du second siège, en 1083, 13,000 sol-
dats et 7,000 bourgeois, aux ordres de Rudiger de Stahren-
berg, se défendirent pendant deux mois contre 200,000 Turcs
commandés par le grand-vizir Kara-Mustapha, jusqu'à ce
que le roi de Pologne, Jean Sobieski , le duc de Lorraine et
l'armée de l'Empire vinssent forcer le grand-vizir à battre
en retraite. Elle avait été tout aussi inutilement assiégée en
1619 par les protestants révoltés contre l'empereur Ferdinand.
La peste la ravagea en 1381, en 1541 , en 1504; et en 1079 elle
888
y enleva 122,090 individus. Dans les guerres contre Napo-
léon, Vienne fut occupée à deux reprises par l'année fran-
çaise, en 1805 et en 1809. Après les scènes sanglantes du
mois d'octobre 1848, cette capitale, malgré la défense dé-
sespérée des insurgés, fut enlevée, le 31 octobre, par l'armée
impériale,
VIENNE (Congrès de). Après la chute de Napoléon,
les alliés, victorieux, durent aviser aux moyens de réédifier
l'échafaudage politique de l'Europe. L'article final de la paix
de Paris, du 30 mai 1814 , stipulait que toutes les puissances
qui avaient pris part à la guerre contre la Frani;e enver-
raient des ambassadeurs à Vienne à l'effet d'y tenir un con-
grès où seraient régularisés les divers trailcs précédents,
en même temps qu'on y compléterait le traité de paix gé-
nérale. En vertu de la paix de Paris , la France avait repris
ses frontières de 1792, et avait dû abandonner aux quatre
grandes puissances signataires de ce traité les résolutions à
prendre à l'égard des territoires qu'elle abandonnait. Elle
consentait en outre à ce que la Hollande, placée sous la
souveraineté de la m;iison d'OraniiC, reçût un notable ac-
croissement de territoire; à ce qu'une confédération indé-
pendante réunît les États allemands ; à ce que la Suisse recou-
vrât son antique constitution ; à ce que l'Angleterre conservât
Malte, et à ce que les parties de l'Italie qui ne seraient pas
placées sous la domination de l'Autriclie formassent autant
d'États indépendants. Les vainqueurs étaient déjà engagés ,
d'ailleurs , les uns vis-à-vis des autres par des stipulations
particulières. C'est ainsi que des traités avaient assuré et ga-
ranti au prince royal de Suède la Norvège comme indemnité
pour la perte de la Finlande. Les traités de Kalisch et Reichen-
bach stipulaient le rétablissement de la Prusse dans ses fron-
tières de 1805. Le traité de Teplitz contenait les mêmes enga-
gements à l'égard de l'Autriclie, et stipulait la dissolution de
la Confédération du Rhin ainsi que la restauration de la mai-
son de Brunswick dans ses possessions. L'Autriche et l'An-
gleterre avaient en outre garanti la possession du royaume
deNaples à Murât, et des traités analogues existaient avec
l'Espagne et le Portugal. Par suite de diflérents voyages que
les monarques eurent à faire , l'ouverture du congrès (ût
renvoyée au 30 septembre 1814. Indépendamment des sou-
verains de Russie, de Prusse , de Bavière et de Wurtemberg
etd'unefouled'autres princes, les diplomates lesplus célèbres
de l'époque assistaienfà ce congrès, qui ne se composait pas
de moins de quatre cent cinquante personnes. Les moindres
principicules allemands et jusqu'aux villes hanséatiques, en
général quiconque en Europe avait quelque chose à perdre
ou à gagner y assistait ou s'y était fait représenter; parmi les
diplomates on remarquait surtout Me lier nich, Nessel-
rode, Castlereagh, Hardenberg, Talleyrandet
Munster. S tein en faisait aussi partie, mais, pour le malheur
de l'Allemagne, sans y avoir la position influente qui lui ap-
partenait. Les plénipotentiaires des quatre grandes puis-
sances alliées , l'Autriche , la Russie , la Prusse, et l'Angle-
terre, coumiencèrent par décider qu'il serait formé pour
les travaux du congrès deux comités., l'un où on s'occuperait
des affaires de l'Aliemague , l'autre où seraient traités les af-
faires européennes, le partage des territoires conquis et les
délimitations de frontières. Ce dernier comité ne devait se
composer que des plénipotentiaires des quatre cours alliées.
Talleyrand eut l'habileté d'annuler cette détermination,
d'exciter la jalousie de l'Autriche et de l'Angleterre contre
la Prusse et la Russie , et de faire décider qu'on constitue-
rait un comité dit des huit, dans lequel on admettrait l'Es-
pagne , le Portugal, la Suède et la France. Le 8 octobre,
le comité ainsi organisé déclara qu'il réglerait seul toutes
les questions jusqu'à ce qu'elles eussent été assez mûries
pour pouvoir être l'objet de négociations directes avec les
parties intéressées. Cette décision, qui équivalait à un acte
de souveraineté, fut défavorablement accueillie par les prin-
ces de second et de troisième rang, qui avaient compté sur
une espèce de parlement européen : on vit dans ce comité
un tribunal arbitrairement constitué, qui imposerait ses déci-
VIENNE
sions aux parties les plus faibles sans doute, m%is, dans
les idées ordinaires du droit des gens , investies d'une indé-
pendance tout aussi complète que les autres. Les princi-
pales questions dont le congrès eut tout aussitôt à s'occuper
étaient celles qui avaient trait au sort de la Saxe et du grand-
duché de Varsovie. L'empereur Alexandre exigeait qu'on
lui abandonnât ce grand-duché pour en former un royaume
de Pologne placé sous le protectorat russe. En opposition à ee
plan, qui semblait indiquer une réunion possible de toutes les
ci-devant provinces polonaises, qui blessait profondément les
intérêts de la Prusse et de l'Autriche, et qui était aussi me-
naçant pour l'Allemagne que pour l'ouest de l'Europe, Cas-
tlereagh proposa l'érection d'un nouveau royaume de Po-
logne, complètement indépendant des trois puissances du
Nord. Talleyrand appuya habilement l'idée mise en avant
par l'Angleterre , et l'Autriche elle-même laissa clairement
entendre qu'elle aimerait mieux faire le sacrifice de ses
provinces polonaises que de voir la Pologne placée sous le
sceptre russe. Cependant, ce rétablissement d'une Pologne
indépendante froissait de si nombreux intérêts, que Castle-
reagh et Metternich en revinrent à l'idée d'un partage du
grand-duché de Varsovie. Dans cette question polonaise,
Alexandre pouvait en toute assurance compter sur l'appui
de la Prusse, car celle-ci avait besoin de la Russie pour
faire prévaloir sa prétention d'incorporer toute la Saxe à
sou territoire. Quoique l'Angleterre et l'Autriche eussent
d'abord donné leur approbation à ce projet de la Prusse ,
elles changèrent d'opinion quand Talleyrand eut fait envi-
sager la question sous un point de vue nouveau. Suivant
lui l'une des principales missions du congrès devait être de
faire prévaloir les droits de la légitimité.
En proclamant ainsi très-haut le principe de la légi-
limité, Talleyrand avait en vue tout aussi bien les intérêts
particuliers de la maison de Bourbon que ceux de la Saxe ,
et réussit à rallier à son opinion non-seulement Metternich
et Castlereagh, mais encore une grande partie des anciens
membres de la Confédération du Rhin. L'Angleterre com-
battit opiniâtrement les projets d'indemnité conçus par la
Prusse; et l'Autriche, qui, par des considérations de famille,
ne souhaitait pas l'anéantissement de la Saxe, qui ne se
souciait d'ailleurs pas de l'arrondissement de la Prusse, non
plus que de l'avoir pour voisine aux approches des défilés
de la Bohême , finit par donner à comprendre qu'elle pour-
rait tout au plus consentir à un partage delà Saxe. L'obs-
tination avec laquelle chacune des parties en présence re-
poussait les prétentions élevées par les autres sembla dès
le mois de décembre 1814 menacer l'Europe d'une nou-
velle conflagration. Toutes les grandes puissances , et jus-
qu'à la France elle-même, armèrent et ordonnèrent d'inquié-
tants mouvements de troupes. Cependant, l'empereur Alexan-
dre déclara que pour éviter une guerre il consentirait à un
partage amiable du grand-duché de. Varsovie. En consé-
quence, les quatre puissances constituèrent à la fin décembre
le comité des affaires de Pologne et de Saxe , dans lequel, à
la demande de Castlereagh, Talleyrand fut aussi admis à
siéger, le 12 janvier 1815. Primitivement Alexandre récla-
mait, outre le duché de Varsovie , les villes de Thorn et de
Cracovie. Dans les délibérations qui se suivirent à partir
du 31 décembre, on convint que pour couvrir les frontières
de la Prusse et celles de l'Autriche, Thorn et Cracovie se-
raient érigées en villes libres. La Russie céda à la Prusse le
grand-duché de Posen , tel qu'il est actuellement constitué,
et l'Autriche récupéra les parties de territoire polonais
qu'elle avait perdues à la paix de 1S09. Alexandre se réserva
en outre de constituer avec les débris du grand-duché de
Varsovie un royaume de Pologne qu'il doterait d'in.stifu-
tions nationales et libérales; projet que Castlereagh surtout
l'engagea à réaliser.
Malgré la tournure favorable de l'affaire de la Pologne ,
la question saxonne menaçait à chaque instant d'amener la
rupture du congrès, riardenberg répétait qu'il était de l'in-
térêt de l'Europe de constituer une Prusse forte et arrondie
VIENi^E
889
par le territoire de la Saxe ; que le roi de Saxe en faisant
caose commune avec la France avait perdu tous ses tlroits
de souveraineté; que la Saxe elle-môme devait souhaiter d'ê-
tre incorporée en entier à la Prusse , et non morcelée. Cet
homme d'État ayant même été jusqu'à faire entendre que,
d'accord avec la Russie, la Prusse saurait bien défendre son
droit, l'Angleterre, la France et l'Aulriclie conclurent se-
crètement, le 3 février 1815, un traité d'alliance défensive,
auquel accédèrent le Hanovre , la Bavière, la Sardaigne et
les Pays-Bas. Chacune des grandes puissances s'engag3ait à
mettre 150,000 hommes sur pied; et déjà on s'occupait d'ar-
rêter le plan des opérations militaires; mais Metternich
réussit à triompher de l'obstination de la Prusse et à la faire
consentir au partage de la Saxe. Hardenberg lui-même
n'exigeait plus maintenant qu'environ le tiers de la popu-
lation saxonne, c'est-à dire 855,305 âmes ; mais il voulait
qu'on y ajoutât tout au moins une grande ville, à savoir
Leipzig, et pour qu'il y renonçât il fallut que la Russie
abandonnât Thorn à la Prusse. Toutefois, la complète solution
des questions saxonne et polonaise ne fut obtenue que plus
tard et sous la pression d'impérieuses circonstances. Le re-
tour de Napoléon de l'Ile d'Elbe fut un moyen puissant de
meltre fin aux discordes intestines du congrès. Aux termes
d'une décision prise par le comité, le 7 mars , Metternich ,
Talleyrand et Wellington, arrivé à Vienne le 14 février pour
y remplacer Casilereagh , allèrent trouver le roi de Saxe à
Presbourg; leitraité de partage en vertu duquel la Prusse
obtint la portion de territoire aujourd'hui appelée duché de
Saxe, avec une partie de la Lusace, ne fut pourtant signé que
le 18 mai 1815. Le Savril la Prusse, la Russie et l'Autriche
conclurent un traité qui érigeait Cracovie en État indé-
pendant, placé sous leur protection ; et le 3 mai elles se ga-
rantirent mutuellement les partages de la Pologne précé-
demment effectués entre elles.
Une fois qu'on se fut mis d'accord sur la Pologne et sur
la Saxe , les délibérations du congrès prirent une tournure
et plus rapide et plus rassurante. Indépendamment de ses
anciennes provinces entre l'Oder et l'ICIhe, du duché de
Posen et d'une partie de la Saxe, la Prusse obtint, à titre
d'indemnité pour la cession de la Frise orientale, d'Hil-
desheim, etc., au Hanovre, d'Anspach et de Baireuth à la
Bavière, du Lauenbourg au Danemark, Clèves, Berg, la
majeure partie de la rive gauche du Rhin jusqu'à la Saar,
ainsi que la Poméranie suédoise. Comparativement à ce
qu'elle possédait en 1805, elle ne gagnait pourtant atout
cela qu'un accroissement de 41,620 âmes, bien faible indem-
nité assurément pour les sacrifices que lui avaient coûtés
la guerre, sans parler de l'extrême morcellement de ses pos-
sessions.
La création du royaume des Pays-Bas, à laquelle pous-
sait activement l'Angleterre, qui s'en fit payer par la ce-îsion
des colonies hollandaises, fut présentée aux puissances al-
lemandes commedevant servir de boulevard contre la France,
comme propre à appuyer la Prusse contre la Russie, bien
qu'il ne s'agit là en réalité que des intérêts de l'Angleterre
et que des doutes sérieux fussent dès lors émis sur les chan-
ces de durée d'un tel arrangement.
Le Danemark fut moins heureux que la maison d'Orange;
il dut céder la Norvège à la Suède, abandonnera la Prusse
la Poméranie suédoise , qu'on lui avait promise connue in-
demnité, et se contenter du Lauenbour-;. Frédéric VI, roi
de Danemark , s'était rendu de sa personne à Vienne pour
y défendre ses intérêts. Au moment oii il prenait congé de
l'empereur François l", celui-ci lui dit qu'il avait gagné
tous les cœurs; à quoi le roi de Danemark répondit, dit-
on , tristement : « et pas une âme ! »
La Suède s'arrondit, il est vrai, par l'adjonction de la
Norvège; mais c'était là une compensation bien insuflisante
pour la perte de la Finlande , et elle perdait en outre l'in-
fluence qu'elle avait jusque alors exercée en Allemagne.
La proposition, assez peu désintéressée d'ailleurs, faite par
l'Angleterre pour arriver à l'abolition de la traite des nègres
et à la destruction des puissances barbaresques, olfre un
satisfaisant contraste avec cet odieux trafic d'âmes qui m
faisait dans le congrès. Les puissances continentales ac-
cueillirent avec empressement ces idées philanthropiques,
qui ne lésaient en rien leurs intérêts particuliers; mais Tal-
leyrand évita de s'engager à cet égard , et l'Espagne, ainsi que
le Portugal, protestèrent formellement contre la proposition
de l'Angleterre, dans laquelle ces puissances virent une menace
à leurs colonies. Le 8 février cette affaire se termina par
une déclaration portant que la suppression de la traite, quel-
que désirable qu'elle fût en principe, restait une question
abandonnée au libre arbitre de chaque puissance. Les pé-
titions adressées par des réfugiés espagnols et portugais à
l'effet d'invoquer la protection du congrès contre les actes de
vengeance et de proscription de leurs gouvernements respec-
tifs furent repoussées, comme rentrant dans la catégorie des
affaires privées. Par contre, une commission spéciale fut ins-
tituée pour rendre une décision sur la discussion pendante
entre les maisons de Rohan et de La Trémouille au sujet
de la propriété du duché de Bouillon.
Le congrès accorda une attention toute particulière aux
affaires de la Suisse. 11 s'agissait d'une part d'assurer l'indé-
pendance de ce pays contre la France, et de l'autre d'y
museler l'esprit démocratique à l'intérieur, en môme temps
que d'empêcher que la Suisse ne pût jamais acquérir plus
d'importance politique qu'elle n'en avait. A cet effet on
chercha à y rétablir autant que possible l'ancienne constitu-
tion, bien autrement favorable à la souveraineté cantonale,
de même que l'ancienne division territoriale de la Confédé*-
ration. En fait de territoire, la Suisse ne perdit que la Val-
feline, ancienne dépendance du canton des Grisons, ainsi
que les vallées de Chiavenna et de Bormio. L'Autriche les
garda comme clefs de l'Allemagne du côté de l'Italie, et les
réunit au Milanais.
La splendide hospitalité de la cour de Vienne, l'habileté
de M. de Metternich et la confiance que l'Autriche inspirait
en général aux différentes puissances, ne contribuèrent pas
peu à faire accorder presque sans difficulté les plus solides
et les plus brillantes indemnités à la maison de Habsbourg. Dès
le mois de mai 18l4, l'Autriche, après s'en être entendue
avec ses alliés , avait pris possession de tout le territoire
situé entre le Pô, le Tessin et le lac Majeur. Un peu plus
tard, on lui concéda tout le littoral de la mer Adriatique, y
compris Raguse. La Bavière dut lui restituer le Tyrol et le
Vorarlberg, Salzbourg et les parties de l'Inn et de l'Haus-
ruckviertel qu'elle avait gagnées à la paix de 1809. Par
le traité dé Teplitz , les puissances n'avaient garanti à l'Au-
triche que ses possessions de 1805; mais après l'indemnité
sa population dépassa encore de 733,476 âmes le chiffre
qu'elle alleignait en 1789. Ajoutez à cela qu'elle exerça dé-
sormais une incontestable prépondérance en Italie, et que
l'acquisition des États Vénitiens lui permit de songer à se
créer une marine militaire dans la Méditerranée. Les lignes
collatérales de la maison de Habsbourg établies en Italie
ne furent pas moins favorablement traitées. Le grand-du-
ché de Toscane, devenu depuis 1765 l'apanage d'une bran-
che cadette de la maison de Habsbourg , fut replacé sous
l'autorité de l'archiduc Ferdinand. Ce prince obtint en
outre la possession de Piombino et plus tard celle de l'Ile
d'Elhe. La Toscane avait été conquise par les Français pen-
dant la campagne de 1709 et érigée en 1801 en royaume
d'Etrurie en faveur du prince héréditaire de Parme, l'infant
Charles-Louis; moyennant quoi, le gouvernement français
s'était emparé en 1802 de Parme, héritage paternel de l'in-
fant. Mais en 1807, aux termes d'un traité conclu avec l'Es-
pagne, Napoléon l'avait enlevé au jeune roi l'Étrurie sans
aucune indemnité. Le plénipotentiaire espagnol Labrador
exigeait donc que le congrès restituât la Toscane à l'infant ;
mais ses prétentions furent repoussées par l'Autriche. L'ar-
chiduc François d'Esté, en sa qualité d'héritier du duc Her-
cule , expulsé autrefois de ses États par la France, recouvra
Modène et ses dépendances, auxquelles le congrès ajouta
890
VIENNE
les fiefs impériaux de Lunigiana. Parme fut assigné à l'é-
pouse de Napoléon , Marie-Louise, avec droit de réversibi-
lité sur la tête de son fils; et les efforts faits par l'Espagne
pourassurer ceduchéà rinfant Cliarles-Louis n'eurent d'au-
tre résultat que de déterminer l'Autriche à offrir à l'infant
Lucques avec une rente de 500,000 francs. Plus tard (en
1817) une décision des puissances ayant enlevé au fils de
Marie-Louise le droit de succéder à sa mère, l'Autriche, la
France et l'Espagne s'accordèrent pour assurer à l'ialant
Charles-Louis , après la mort de l'archiduchesse Marie-
Louise, le droit de succession au duché de Parme ; éven-
lualité qui s'est réalisée depuis {voyez Lucqces, Parme et
Toscane).
Afin de constituer entre la France et l'Italie une forte
puissance intermédiaire, les coalisés avaient décidé en prin-
cipe dès la paix de Paris l'agrandissement du royaume de
Sardaigne. Le premier soin du congrès fut donc de faire de
la successibilité de la descendance masculine une loi com-
mune à toutes les provinces delà monarchie sarde, afin d'em-
pêcher par là que la couronne de Sardaigne pût jamais se
trouver réunie sur la même tête que celle d'Autriche; il
décréta ensuite l'incorporation de l'ancienne république de
Gênes à la Sardaigne. Les Génois élevèrent, bien inutilement il
est vrai, contre cette décision arbitraire et violatrice du prin-
cipe de la légitimité, les réclamations les mieux fondées. Les
intrigues ourdies par Talleyrand pour expulser Murât de
Naples et rétablir Ferdinand IV en possession du trône des
Deux-Siciles échouèrent d'abord, parce que l'Autriche et
l'Angleterre n'y avaient aucun intérêt; elles ne réussirent
que par suite de la levée de boucliers tentée par Murât après
la rentrée de Napoléon en France. L'Autriche n'hésita plus
dès lors à conclure avec Ferdinand IV un traité auquel ac-
cédèrent la Prusse et la Russie. Ses armées refoulèrent les
troupes napolitaines depuis les rives du Pô jusqu'à Naples,
et le 20 mai Mmat était obligé d'abandonner son royaume
en fugitif. Le lendemain , le général Carascosa signait à Ca-
poue avec Ferdinand IV une capitulation en vertu de laquelle
ce prince se mit inunédiatement en possession de Naples,
et celte possession lui fut confirmée par le congrès. La res-
tauration napolitaine eut pour corollaire l'arrangement dé-
finitif des questions relatives aux. États de l'Église. Pie VII
demandait la restitution de tous les biens, droits et pro-
vinces que le saint-siège possédait avant la révolution fran-
çaise. Or, l'Autriche occupait à titre de conquête les légations
romaines de Ferrare, de Bologne et de Ravenne, tandis qu'en
vertu de son traité avec l'Autriche et l'Angleterre Murât re-
tenait les Marches d'Ancône et d'Urbino. Mais cet usurpa-
teur une fois renversé, il fallut bien que Ferdinand IV res-
tituât au saint-siége Ancône et Urbino ; et force fut également
à l'Autriche de lui rendre les trois délégations. Toutefois, elle
s'adjugea, par des considérations purement stratégiques, une
partie du territoire de Ferrare, sur la rive gauche du Pô,
el le droit de tenir garnison à Ferrare et à Commacliio. Les
efforts de Consalvi pour récupérer Avignon et le cointat Ve-
naissin échouèrent complètement, et Louis XVII I lui-même
dut les repousser, par égard pour l'opinion. Le pape ne fut
pas plus heureux quand il chercha à faire restituer à l'Église
catholique d'Allemagne tout ce qu'elle avait perdu depuis
1803. L'ordre de Malte réclama, lui aussi, la restitution de
son ile et de celles de ses propriétés qui avaient été confis-
quées à diverses époques par les ditférents gouvernements.
On songea un in.stant à l'indemniser avec l'île de Corfou ;
mais ce projet resta sans exécution, par suite de la clôture
prématurée du congrès et du renouvellement des hostilités
contre Napoléon.
Quoique le traité du 11 avril 1814 eût garanti à Napoléon
la tranquille possession de l'île d'Elbe , les souverains ita-
liens unissaient leurs efforts à ceux de l'Aulriche, de la
France et de l'Angleterre pour obtenir du congrès la trans-
lation de l'empereur dans une zone plus lointaine. Le Por-
tugal offrait à cet effet l'une des Açores, et l'Angleterre
Sainte-Lucie ou Sainte-Hélène. Seulement, on appréhendait i
que la Russie et la Prusse, qui avaient besoin du lion en-
chaîné comme d'un épouvantail propre à tenir en respect les
autres puissances, n'élevassent la voix en faveur de l'homme
du destin. En conséquence, on renvoya cette question aux
derniers jours du congrès. Mais Napoléon prévint ses enne-
mis {voyez Cent Jours). Dans la soirée du 5 mars 1815 il
y avait à la coin- une grande fête, à laquelle assistait le con-
grès tout entier, lorsque arriva un courrier porteur de la nou-
velle que Napoléon avait quitté l'île d'Elbe. Le 8 un autre
courrier annonça qu'il avait débarqué sur la côte de Pro-
vence. Malgré la consternation dans laquelle cette nouvelle
jeta le congrès, on décida que les déUbérations suivraient
leur cours ordinaire; et Talleyrand ne négligea rien pour dé-
terminer les puissances à se prononcer de nouveau en faveur
des Bourbons. Le 13 mars, sur la proposition de Metternich,
le comité des huit déclara qu'en troublant de nouveau le re-
pos de l'Europe , Napoléon s'était mis en dehors du droit des
gens. Le 25 mars l'Autriche, l'Angleterre, la Russie et la
Prusse conclurent un nouveau traité d'alliance qui remettait
en vigueur les stipulations du traité de Chaumont, et auquel
accédèrent les Bourbons et les autres princes et États de l'Eu-
rope. La Suède seule s'abstint, par le motif que l'Angleterre re-
fusa deiui assurer des su bsides ; et l'Espagne se réserva de faire
la guerre à Napoléon pour son propre compte, parce que le
congrès ne lui avait pas reconnu le rang de grande puissancci
Sous la pression des circonstances, les affaires particu-
lières de l'Allemagne arrivèrent à une solution que sans cela
on n'eiit pu espérer de si tôt. Les questions d'indemnités ,
d'arbitrages et de délimitations des différents États de l'Alle-
magne, du Hanovre qu'on érigea en royaume , de la Bavière,
du Wurtemberg, du grand-duché de Bade, etc., etc., ne
purent toutefois être complètement résolues. On institua donc
à Francfort une commission territoriale, composée de plé-
nipotentiaires autrichiens , prussiens , russes et anglais , qui
ne régla définitivement toutes les difficultés relatives aux
territoires que par le récèsen date du 20 juillet 1819.
Comme une assemblée générale du congrès n'entrait point
dans les projets des grandes puissances , le comité des huit
rédigea l'acte dit j^/jai, ou acte général, en date du 9 juin
1815, dans lequel se trouvaient consignés les résultats des
travaux accomplis par le congrès. Cet acte, formant véri-
tablement une espèce de droit politique européen, destiné
en outre à contenir la complète et mutuelle garantie de tous
les droits et obligations qui s'y trouvaient inscrits, fut signé
par les plénipotentiaires du comité des huit. Ce document
contient aussi , entre autres, la garantie de l'acte constitutif
de la Confédération Germanique avec to.us les engagements
qui y sont pris, la garantie de la constitution et de l'admi-
nistration indépendantes du royaume de Pologne , enfin, la
garantie du territoire , de l'iadépendance et de la neutralité
de l'État de Cracovie. Indépendamment de l'Espagne, qui
témoigna d'une grande irritation, le pape protesta contre cet
acte final, par le motif que les puissance? "'avaient point
complètement fait droit à ses réclamations.
A l'histoire du congrès de Vienne se rattacnent le triom-
phe obtenu par les coalisés dans les plaines de Wa terloo,
et la seconde paix de Paris, en date du 20 novembre 1815, qui
modifia l'acte final en ce sens que, dans l'intérêt de la sûreté
de l'Europe, la France dut subir une nouvelle réduction de
territoire. Enfin, cette paix adjugea en outre à l'Angleterre
le protectorat des îles Ioniennes. Kluber a publié les Actes
du Congrès de Vienne (9 vol., Francfort, 1815-1835) et un
Aperçu des Discussions diplomatiques du Congrès de
Vienne (Francfort, 1816). On a de Flassan une Histoire du
Congrès de Vienne (3 vol., Paris, 1829), écrite au point de
vue le plus apologétique, et où la louange finit par devenir
fastidieuse. Consultez aussi A. de L&gàrde , Fêtes et Sou»
venirs du Congrès de Vienne (Paris, 1843).
VIEîVIVE ( Paix de). On désigne de préférence sous cette
dénomination le traité intervenu, le 14 octobre 1809, à
Schœnbr-unn, entre la France et l'Autriche, à la suite de
la bataille de Wagram et de l'armistice de Znaim. Napoli'on
VIENNE — VIERGE
occupait Vienne. L'empereur François résidait à Komorn.
Les négociations s'ouvrirent le 17 août, à Altenburg en Hon-
grie. Mais en raison du débarquement des Anglais dans l'île
de Walcheren, les Autrichiens cherchèrent à les faire traîner
en longueur. Enfin, le 14 octobre au matin, la paix fut signée
à Vienne par .e duc de Cadore, après que Napoléon, qui
habitait le château de Schœnbrunn , eut consenti à réduire
à 85 millions de francs la contribution de guerre qu'il avait
d'abord lixée à 100 millions. L'Autriche dut en outre aban-
donner : 1" Salzbourg, l'innviertel et près de la moitié de
l'Hausruckviertel, adjugés par Napoléon à la Bavière;
2° Gorilz, leFrioul autrichien , Trieste, la Carniole, le cercle
de Villach en Carinthie, la partie de la Croatie située sur la
rive droite de la Sau et de la Dalmatie, dont Napoléon forma
le gouvernement général de l'Illyrie; 3° la seigneurie de
Kaezun, dans le canton des Grisons; 4° quelques enclaves
bohèmes dans la haute Lusace, telles que Schirgiswal-
de, etc., etc., attribuées au roi de Saxe ; 5° la Gallicie occi-
dentale avec Cracovie et Zamosc, et l'exploitation en com-
mun des salines deWielicza, attribuées au grand-duché de
Varsovie; 6° la partie orientale de l'est de la Gallicie, ad-
jugée à la Russie Ce traité confirma également dans les
États delà Confédération du Rhin la suppression de l'ordre
Teutonique , décrétée à Ratisbonne le 24 avril précédent
par Napoléon; décision qui avait lait passer sous les lois de
la Bavière Mergentbeim, jusque alors possédé par l'archiduc
Antoine, en sa qualité de grand-maître de l'ordre. En résumé,
la paix de Vienne enleva à l'Autriche ses frontières naturelles
au sud et à l'ouest, un territoire de 1,506 myriam. carrés,
une population de 3,600,000 âmes et ses ports de mer.
VIENIXET (Jean-Pons-Guillaume), membre de l'Aca-
démie Française, est né à Béziers (Hérault), en 1777. Des-
tiné d'abord à l'église, la révolution en décida autrement, et
au lieu d'une soutane il revêtit un uniforme. Entr(i fort
jeune comme lieutenant en second dans l'artillerie de marine,
il lut pris sur le vaisseau L'Hercule , après un combat de
nuit des plus sanglants, et passa quelque temps dans les pon-
tons de Plymouth. Bientôt après son échange, on lui de-
manda sur le consulat à vie un vote dont on pouvait par-
faitement se passer. 11 dit non, de même que plus tard il
vota contre l'empire; et le ministre Decrès ne le lui par-
donna jamais. Il n'obtint donc plus d'avancement qu'à l'an-
cienneté. 11 était capitaine lorsqu'il passa avec ce grade ilans
l'armée de terre, en 1813, et lit la campagne de Saxe. Dé-
core après la bataille de Bautzen, il assista encore à celles de
Dresde et de Leipzig, et fut fait prisoimier à cette dernière.
Rentré en Fiance après la restauration, il devint aide
de camp du général de Montélégier, lui-même aide de camp
du duc de Berry ; mais ni l'un ni l'autre ne lui pardonnè-
rent de n'être point allé à Gand. Laissé sans emploi après les
cent jours, il se fit journaliste, et travailla successivement à
VAristarque, au Journal de Paris et au Constitutionnel.
Cependant, Gouvion-Saint-Cyr le releva de l'espèce de dé-
chéance dont il avait été frappé, en l'admettant dans le
corps d'état-major. Chef d'escadron à l'ancienneté, en 1823,
il fut rayé des contrôles en 1827, â l'occasion de la publi-
cation de son Épître aux Chi/Jonniers. La même année
les électeurs de Béziers le nommèrent leur représentant au
palais Bourbon. Il y prit place au centre gauche, et s'associa
alors à toutes les mesures prises par l'opposition constitu-
tionnelle. La révolution de Juillet lui rendit ses épaulettes ; en
1834 il passa lieutenant-colonel, et quelque temps après il
fut mis à la retraite.
Dès l'âge de sept ans il faisait déjà des vers. En 1810
l'Académie des Jeux Floraux couronna de lui une Èpïtre à
Raynouard. En passant par Paris, en 1813, pour s'en aller
en Saxe, il fit recevoir à la Comédie-Française une tragédie de
Clovis. Libre, après la restauration, de se livrer sans con-
trainte à son goilt pour la poésie, il composa alors un poëme
de Parga, dont il donna lecture à l'Athénée, et qui obtint un
grand succès. Vint ensuite Le Siège de Damas, puis Sédini
ou la traite des nègres, et enfin son grand poëme La
891
Philippide, critiqué avec beaucoup de malveillance par les
adeptes de l'école romantique, qu'il avait flagellés dans bon
nombre de ses épîtres , et notamment, en 1824, dans son
Epître adressée aux Muses sur les romantiques. Un volume
de prose et de vers intitulé Promenade philosophique au
Cimetière du Père Lachaise fut mieux accueilli. Ou a aussi
de lui une Histoire des Campagnes de la Révolution dans
le Nord, deux romans, La Tour deMontlhéry et Le Châ-
teau Saint-Ange, un opéra à'Aspasie, une comédie des
Serments, et un grand noînbre A' Épîtres et de Fables. Il
n'y a pas jusqu'au mélodrame qui ne lui ait réussi et le
boulevard du crime et de la vertu se souvient enco're des
larmes, des douleurs et des plaintes éloquentes de Michel
Drémond. En I83t l'Académie Française l'admit dans son
sein, en remplacement de M. de Ségur, et un beau soir, en
1839, comme il rentrait chez lui, raconte-t-il , son portier
courut après lui sur l'escalier pour lui remettre une lettre
dans laquelle on le prévenait que Louis-Philippe venait de le
nommer pair de France. Le gouvernement royal en lui ac-
cordant cette distinction purement honorifique, et à laquelle
comme on sait, n'était attachée aucune espèce de traitement'
ne faisait que l'indemniser delà période sa popularité, qu'il
n'avait pas liésib^ à compromettre pour défendre le trône
élevé eu juillet 1830 contre les attaques du parti républi-
cain. "SI. Viennet, toujours bien accueilli aux Tuileries et
honoré de l'amitié particulière de Louis-Philippe, n'a point
cherché à se rapprocher du pouvoir actuel, et vit depuis
1848 dans une philosophique retraite, égayant de ti'mps à
autre les séances de l'AcadémieTrançaise par la lecture de
quelque pièce de verset le plus souvent de quelque fable;
et maintenant les journaux organes du parti républicain
après l'avoir si longtemps poursuivi, sous le règne de l'élu
des deux -cent- vingt-et-un, de leurs sarcasmes et de leurs
quolibets, savent rendre justice à la piquante originalité et
à la verve toute juvénile dont il fait preuve dans ses compo-
sitions poétiques, de même qu'à la noblesse et à la loyauté
de son caractère comme homme public. « Un esprit amusant
et caustique, dit un critique, une franchise provocante, un
mélange de bourru et d'honnête homme, tels sont les prin-
cipaux caractères du talent et de l'apologue de M. Viennet.
Il a le mérite d'avoir créé un genre : la fable polilique. Ses
animaux sentie plus souvent des électeurs et des éligibles,
des avocats bavards, des courtisans qui se croient des minis-
tres. La vanité et l'intrigue se disputant les emplois, les tri-
buns ambitieux déchirant la patrie, tout le limon déposé par
nos deux révolutions, tous les travers, tous les désordres
politiques et moraux de notre époque, ou plutôt les vieilles
passions humaines sous les vêtements neufs de l'époque
voilà les sujets les plus ordinaires des apologues satiriques et
de la verve honnête de M. Viennet. Poète militant , il fait
beaucoup d'épigrammes, et on en a beaucoup fait contre lui ».
Nos lecteurs savent depuis longtemps qu'il a été l'un des
plus constants et des plus actifs collaborateurs du Diction-
naire de la Conversation.
VIERGE, fille qui a vécu dans une continence parfaite
( voyez Chasteté et CoiNtinence ). Le bréviaire a un office
particulier pour les vierges. H y a dans l'Évangile une belle
parabole des cinq vierges sages et des cinq vierges folles.
L'Église célèbre une fête de sainle Ursule et de ses com-
pagnes, qu'on dit avoir été au nombre de onzemille vierges.
Les poètes appelaient la Justice, ou Thémis,la vierge par ex-
cellence, et Boileau disait de cette déesse :
Vierge , effroi des raéchaDts ^
Qui la baluDce en main règles tous les mortels.
Le christianisme a aussi sa vierge par excellence , vierge
entre toutes les vierges, Marie, la mère du Sauveur. Nes-
torius lui contestait ce dernier titre ; il soutenait qu'elle
n'était que Vhôtesse de Dieu, le Verbe éternel ne pouvant
naître ni sortir du sein d'une vierge; hérésie condamnée au
concile d'Éphèse et renouvelée depuis par d'autres.
892 VIERGE
YIEB.GK (Astronoinie), sixième signe du zodiaque,
comprenant une étoile de la première grandeur qu'on ap-
pelle VÉpi de la Vierge. Les constellations qui paraissent
le soir en élé n'ont pas de caractères aussi marqués que celles
qu'on aperçoit l'hiver ; il est néanmoins assez lacile de les
reconnaître. L'Épi de la Vierge paraît dans le méridien , vers
la fin de mai , à neuf heures du soir ; cette étoile fait à peu
près un triangle équilaléral avec Arcturus et la queue du
Lion, dont elle est éloignée d'environ 35°.
La Fierté, ou Cérès, est aussi nommée his , Érlgone,
la Fortune, Thcmis, etc. Elle préside au\ moissons, ce
que les anciens ont voulu exprimer en lui mettant un épi
dans la main. Skdillot.
VIEllGE (Fils de la). Voyez Fils de l\ Vierge.
VIERGES (Iles des). Voyez Antilles.
VIERGES (Les onze mille). Voyez Ursule (Sainte).
VIERZOJX, jolie et ancienne ville de l'arrondissement
de Bourges ( Cher ) , sur la rive droite de TYèvre, à peu de
dislance de son confluent avec le Cher, station du chemin
de fer du Centre, avec 6,825 habitants et une importante
fabrication de porcelaine. On y trouve des tanneries, des
tuileries et des brasseries, et il s'y fait un grand commerce
de bois.
VIETE (François), célèbre géomètre, naquit à Fon-
tenay-le-Comte (Poitou), en I5i0. Si l'on ne peut dire
qu'il inventa l'algèbre, il faut reconnaître qu'il la trans-
forma com|)létement, en établissant l'usage des lettres pour
représenter aussi bien les quantités connues que les incon-
nues. Dans son livre De Emendatione ^Jiquationum , il ap-
pliqua son invenlion à d'ingénieuses transformations, entre
aulres à celle par laquelle on fait disparaître le second terme
d'une équation algébrique : c'était ouvrir la voie aux
travaux des Descartes, des Newton , des Eu I er, des
J,agrange, etc. Viète fit aussi d'heureuses applications
de l'algèbre à la géométrie; mais il ne connut pas l'emploi
des coordonnées.
On sait peu de chose sur la vie de Viète. Il fut maître
des requêtes et ami du président deThou. A l'époque des
guerres de la Ligue , Henri IV chargea Viète de déchiflrer
des dépêches espagnoles interceptées. Notre malhématicien
posséda bientôt la clef du chiffre ; la cour d'Espagne se
plaignit à I{onie,oii Viète se vit traduit comme «('^rowaH^ et
sorcier; Viète se contenta de rire de ses juges, et il fit bien,
llmourutà Paris, en décembre 1600. La plupart deses écrits,
réunis par F. Scbooten, J. Gaiius et le père ]Mcr senne,
ont été publiés à Leyde , en 1646. Consultez C. Fillon et
F. Rilter, Aolicesur la Vie et les Ouvrages de François
Viète (Nantes, 1850).
VIECTEMPS ( Henri ) , l'un des violons les plus dis-
tingués de notre époque, est né à Verviers, en 1819; et
après avoir, encore tout enfant, entendu jouer de Dériot,
devint son élève. H n'avait pas encore douze ans que son
maître déclarait n'avoir plus rien à lui apprendre et le ren-
dait à son père, qui entreprit alors avec lui de nombreux
vo\agos artistiques. l\ s'est fixé en Russie il n'y a pas
longtemps , après avoir fait une tournée en Amérique.
VIEUX DE LA MO\TAG\E ( Le). Voyez Aladin,
Assassins et Chéick.
VIEUX STYLE. Voyez Année.
VIF-ARGEi\T. Voyez Mercure.
"VIGEVAIV'O, ville de la province de Novarre( royaume
de Sardaigne), sur la rive droite du Tessino , autrefois chef-
lieu de la province du même nom, est le siège d'un évôché.
Son vieux château est aujourd'hui transformé en caserne
de cavalerie. Sa population est de 15,500 habitants. On y
trouve d'importantes manufactures de soieries et diverses
fabriques de chapeaux, de savon et de macaroni. C'est à
Vigevano que naquit François Sforza, le dernier duc de Milan.
VIGIE. A bord des bâtiments on place durant le jour,
au haut des mâts, un homme eu sentinelle, autrement dit
en vigie, pour découvrir à une grande dislance. Le ma-
telot qui veille prend le nom de vigie.
— VIGILE
Vigie se dit aussi des écueils à fleur d'can d'une petite
étendue, placés en mer à certaine dislance des côtes.
VIGIER (Les bains). Vers 1780, un baign-eur appelé
Poif/ievin obtint la permission et le privilège de construire
sur la Seine, au bas de la rue du Bac et en aval du Pont-
Royal, un établissement de bains sur bateau qui attira bien-
tôt la foule. Ce Poitlievin, homme déjà sur le retour, avait
une femme, sinon jeime et jolie, du moins faible et tendre,
et vint à mourir dans les premières années de la révolution.
La médisance et l'envie s'efforcèrent aussitôt de répandre le
bruit que celte mort n'avait pas élé naturelle; et la justice,
mise en demeure par la rumeur publique, dut intenter à sa
veuve un procès dans lequel l'accusation lui adjoignit pour
complice son premier garçon, appelé Vigier, qu'on lui don-
nait pour amant. L'instance se termina par un acquittement,
Vigier ne tarda môme point à épouser M"* veuve Poithevin ,
et, grâce à son activité ainsi qu'à son intelligence, l'établis-
sement des bains Poithevin , désormais placé sous sa direc-
tion, ne perilit rien de sa prospérité première. D'heureuses
spéculations sur les assignats et sur les biens nationaux ran-
gèrent plus tard Vigier parmi les riches capitalistes de
l'époque. Vigier sollicita et obtint de la ville de Paris un
privilège pour trois nouveaux établissements de bains
d'eau chaude à construire sur la Seine. Des plantations d'ar-
bres faites sur les rives du fleuve, près des lieux où sta-
tionnent les bateaux sur lesquels .sont construits ces bains,
qui de loin semblent autant de vaisseaux de ligne rasés, y
ont admirablement prospéré ; et les verdoyants jardins que
l'œil découvre ainsi à différents intervalles de la rivière, font
encore mieux ressortir la belle régularité de celle longue
ligne de quais à laquelle aucune capitale de l'Europe n'a
rien à comparer. Si Poithevin avait attaché son nom à l'é-
tablissement qu'il avait fondé, Vigier, devenu plusieurs fois
millionnaire, loin de rougir de son humble point de départ,
voulut, lui aussi, que son nom restât aux bains dont il
était le créateur et dont la fructueuse exploitation ne laissait
pas que d'accroître encore considérablement chaque jour sa
lortune. Devenu veuf de bonne heure, il ne se remaria point,
et se contenta de mener désormais la vie d'un épicurien,
plus curieux de la quantité et de la diversité que de la
qualité et de la délicatesse de ses plaisirs. Comme on ne
lui connaissait pas d'enfants légitimes, on croyait générale-
ment qu'il réaliserait en mourant un engagement qu'on
lui avait souvent entendu prendre, et que par sou testament
il instituerait l'hôtel-Dieu de Paris son légataire universel.
La surprise lut donc grande lorsqu'on appiit que, frappé
d'une attaque d'apoplexie foudroyante dans son magnifique
château de Grand vaux, près Paris, il avait testé en fa-
veur d'un jeune homme de lui à peu près inconnu, et qui
achevait en ce moment ses études à Sainte-Barbe , mais fils
d'une amie que le hasard fit se rencontrer là juste à propos
pour prodiguer au moribond les soins empressés que récla-
mait son état. Vigier imposait pour toute charge à son hé-
ritier l'obligation de prendre son nom, qu'une savonette à
vilain vous eut d'ailleurs bientôt décrassé. Devenu comte
Vigier, l'heureux légataire épousa, presque au sortir du col-
lège, la fille du maréchal Davout, une des gloires de
l'empire. Sous le règne de Louis-Philippe il a longtemps
fait partie de la chambre élective, où il serait resté ina-
perçu sans l'adhésiou quelque peu bruyanle qu'il affectait
de donner à la politique personnelle du feu roi.
VIGILE, pape, était (ils d'un consul romain nommé
Jean, et dès 531 il faillit être élu par désignation de Boni-
face II, avec le consentement du clergé. Mais un se<ond
concile revint sur celte nouveauté, cassa le décret du pre-
mier, et Boniface II se résigna à le brûler lui-même. Vi-
gile fut donc contraint de lai.sser passer sur le saint-siége les
papes Jean II et Agapet. Mais ayant accompagné ce dernier
à Constanlinople , quand ce vieux pontife s'y rendit, à la
prière du roi Théodat , pour obtenir de Justinien ou la paix
ou une trêve, il y obtint la faveur de ïhéodora. Elu en 538,
du vivant môme de Sylvère, et après cinq jours de déli-
VIGILE — VIGNY
SOS
bérallon, par le clergé, qui voulait éviter les désordres dont
un scliisme pouvait affliger l'Église, il fut mandé à Cons-
tantinople, à propos de l'affaire des trois chapitres,
au sujet de laquelle il fit preuve d'une grande incertitude. 11
mourut à Syracuse, s'en revenant à Rome, en l'an 555.
VIGILES. Voyez Matines.
VIGNE, arbrisseau sarmenteux, originaire de Perse,
de la pentandrie-monogynie, à racines en partie pivotantes
et en partie traçantes , garnies d'un chevelu abondant ; à liges
cylindriques grêles, divisées par des nœuds d'où sortent les
feuilles, les vrilles et les fruits; à feuilles paimi'es, décou-
pées en einq lobes, portées sur de longs pétioles presque
cylindriques, dont l'insertion à la tige offre une disposition
alterne ; à vrilles opposées aux feuilles. Il existe entre les
vrilles et les grappes un rapport d'organisation si grand
qu'on doit les considérer comme; primitivement identiques :
ainsi, vient-on à supprimer les véritables grajipesà l'époque
de leur développement, on voit les vrilles produire des grains
et former des grappes. Lorsque le mouvement de la sève
fait circuler la vie dans le cep de vigne, les boutons grossis-
sent et apparaissent enveloppés de trois ou quatre écailles
coriaces, et protégés immédiatement par uue bourre qui les
garantit des intempéries de l'air : ces boutons portent les feuil-
les et les fruits ; ils sont stériles ou féconds , selon qu'ils pré-
sentent une forme pointue ou arrondie. Les fleurs de la vigne
sont réunies en forme de grappes, et offrent chacune un
calice de cinq dents , cinq pétales peu colorés et caducs,
cinq étamines et un ovaire supérieur. Le fruit, qui est une
baie , renferme cinq semences osseuses au milieu d'un suc
muqueux non coloré , et une matière colorante qui adhère
à la partie interne de la peau.
Culture de la vigne. Dans un sol convenablement dé-
foncé, ou en entier, ou par tranchées , on plante des boutures
ou des crossettes, en imprimant à leur partie inférieure
une légère inflexion ; ou bien on se sert du chevelu mis en
pépinière l'année précédente. L'époque de cette opération est
le commencement de l'hiver; le plant est différemment
espacé, selon l'intention du vigneron. En thèse générale,
plus le climat est chaud , plus les ceps doivent être écartés.
Lorsque le plant a été ainsi disposé selon l'objet qu'on se
propose , selon la nature du sol ou la température du pays,
il suffit, jusqu'à l'hiver suivant , de tenir la Icrre propre
et dégarnie de mauvaises herbes par les façons ; alors on
coupe toules les pousses , excepté une, qu'on destine à servir
de souche et qu'on taille sur un ou deux yeux , suivant sa
force.
Taille de la vigne. Elle a pour objet la multiplication et
le perfectionnement des Iruils. Elle est plus simple que celle
des autres arbres, parce que les fruits, ne venant que sur
les bourgeons de l'année , il suffit pour la bien faire de se
rappeler que les boutons inférieurs sont ceux qui donnent les
fruits. Ainsi, on conserve un ou deux yeux sur les pousses de
l'année précédente, et huit ou dix lorsque, dans l'inten-
tion de se procurer une récolte plus abondante, on ménage
des arcures onsautelles. Les expériences les mieux faites
tendent à prouver que la taille la plus rapprochée de la chute
des feuilles est la meilleure dans tous les pays où l'on n'a pas
à craindre l'influence du froid sur les coursons. Les labours
donnés aux vignes varient selon les pays; elles exigent au
moins un labour profond par an. Les articles Échal.\s, Ac-
colages,Ébourceonsement ont déjà fait connaître plusieurs
des opérations qui se pratiquent dans la culture de la vigne ;
nous n'y reviendrons pas. Les engrais animaux ne convien-
nent pas aux vignes, ils altèrent la qualité du vin; les engrais
abondants ne leur conviennent pas davantage , ils doivent
être répandus uniformément à la surface du champ, et non
entassés au pied de chaque cep, comme on le fait souvent.
Les pluies sont contraires aux vignes: au printemps, elles
amènent uu développement extraordinaire des bourgeons
et des feuilles aux dépens des fruits ; au temps de la fleur,
elles «i-iterminent la coulure; pendant l'accroissement des
grain.s, elles fournissent une sève^ aqueuse, qui empêche le
développement des principes sucrés; enfin, à l'époque de la
maturité, elles retardent fréquemment les vendanges et
pourrissent les raisins. P. Gaubert.
La culture delà vigne en France couvre 2,000,000 d'hec-
tares , dont 450,000 ont été plantés depuis un petit nombre
d'années seulement, et dont la production moyenne est de
40 millions d'hectolitres ayant sur place une valeur d'en-
viron 500 millions de francs. Sur cette quantité un ving-
tième de la production totale, c'est-à-dire près de deux
millions d'hectolitres sont expédiés à l'étranger. La valeur
des futailles fabriquées annuellement est estimée à 80 mil-
lions de francs , et la somme dépensée pour les transports
sur mer, par canaux , chemins de fer et voitures n'est pas
moindre de 30 millions. Le revenu tolal des droits d'octroi
sur les liquides est de 80 millions environ en faveur des com-
munes. Les droits sur l'ensemble des boissons rappor-
tent au trésor 120 millions. Enfin , le mouvement d'affaires
auquel le produit de la vigne donne lieu dépasse de beau-
coup en France la somme énorme d'un milhard.
VIGNE ( Fortification ). Voyez Galekie.
VIGNE (Maladie de la). Voyez Oïdium.
VIGNE BLANCHE. Voyez Brïone.
VIGNE VIERGE, nom vulgaire du C issus quinque-
folia, arbrisseau sarmenteux delà famille des ampélidées,
( vitifères ) , originaire de l'Amérique du Nord , et depuis
longtemps acclimaté en Europe. Il présente des rameaux
sarmenteux , pourvus de vrilles, des feuilles à cinq lolioles
ovales, d'un beau vert luisant, et qui comme celles de la
vigne rougissent en automne. A des fleurs verdàtres peu ap-
parentes succèdent des baies d'un vert noirâtre.
VIGNETTES. Voyez Mini.^tlre.
VIGNOLE (ETIENNE). Voyez La Hire.
VIGNOLE ( Jacques ue ) ou BAROZZIO , célèbre ar-
chitecte italien, né en 1507, à Vignola, dans le pays de Mo-
dène, travailla d'abord à Bologne, à Piacenza, à Assisi et à
Perugia, avant d'être appelé à Rome par le pape Jules II en
qualité d'architecte du saint-siége. Il construisit à Rome l'é-
glise del Gesu , que Gialomo délia Porta termina après sa
mort, arrivée eni573é Après la mort de Michel-Ange (1564),
ce fut lui qu'on chargea de la direction des travaux de l'église
Saint-Pierre. Parmi les ouvrages dont on lui est redevable,
il faut mentionner ses Regole délie cinque Ordine d'Ar-
chittetura (Rome, 1563) et Jiegole dclla Perspcltiva
pratica (1583).
VIGNY (Alfred, comte de) est né le 27 mars 1799,
dans la petite ville de Loches, enTouraine, d'une famille
classée alors parmi le ci-devant nobles, mais qui avait eu
le bon esprit de ne pas émigrer. Élevé à Paris, il avait à
peine quinze ans accomplis, qu'il assistait à la chute de
l'empire. Fils d'un père qui avait servi sous Louis XV et
sous Louis XVI, il fit valoir ce titre pour solliciter son
admission dans les mousquetaires rouges , corps dont les
simples soldats avaient le grade d'officier, mais qiii fut licencié
après les cent jours. Le jeune de Vigny entra alors dans la
garde royale. Son régimentn'ayant point été désigné, en 1823,
pour faire partie de l'expédition d'Espagne, il demanda à
entrer avec son grade dans la ligne. Mais le régiment dans
lequel il fut incorporé resta cantonné dans les Pyrénées pen-
dant toute la durée de la campagne... Ainsi déçu dans son
attente, M. de Vigny s'en consola en épousant , en 1826,
une riche Anglaise, et ne tarda pas à renoncer à la carrière
militaire, oii déjà il était parvenu au grade de capitaine,
pour désormais se livrer tout entier à la culture des lettres
et de la poésie, qui , comme la gloire des armes, avait eu
ses premières amours. L'Académie Française se l'est agrégé
en remplacement d'Éti en ne, en 1845.
[M. de Vigny de tous les poètes de l'école dite rornan-
tique est celui qui a fait le moins de bruit et qui a été peut-
être le plus universellement accepté : cela tient à deux causes
principales. Son vers ne s'éloigne pas beaucoup de l'ancien
vers , il est rarement brisé. Nous laissons en dehors se^
traductions de Shakespeare, qui ont eu peu de retentissementi
894
VIGNY — VILAIN XïV
d'un autre côté , il a presque toujours écrit en prose, et sa
prose est nette, limpide, correcte, sans images amditieuses,
sans tours forcés. M. de Vigny reclierche plutôt la finesse
que l'éclat. Si les ennemis de la nouvelle école ne l'amnis-
tiaient pas entièrement, ils le prenaient rarement à partie;
le péril leur semblait plus urgent d'un autre côté. M. de
Vigny a passé ainsi un peu entre les deux écoles , réclamé
par l'une, il est vrai, mais, soldat servant à volonté et
s'écartant de la mêlée. Ce qui frappe avant tout dans les
neuvres de M. de Vigny, poésie, drame ou roman , c'est qu'il
e'attache à [peindre de préférence les sentiments contenus
ou refoulés sur eux-mêmes : les victimes de l'ordre social ,
les Prométhées rongés par leur âme: Moïse, Dolorïda,
Chatterton le capitaine Renaud, tous les personnages
de M. de Vigny , en un mot , appartiennent au même ordre
de sentiments. Tous se replient sur eux-mêmes, souffrent
et saignent sans se plaindre. Ils subissent la destinée sans
beaucoup cbercher à la combattre. Dans le roman de Cinq-
Mars même , où l'histoire imposait de certaines bornes que
l'auteur ne pouvait francliir , le même caractère se fait
sentir. Louis XIII est une victime résignée, qui accepte la
souffrance. Il se laisse aller au cours des événements sans
essayer de les diriger, sans lutter un instant. La forme
poétique de M. de Vigny est pure et savante , à la fois
limpide et solide. Vinrent ensuite Moïse , Éloa , Dolorida ,
autant de triomphes, autant de chefs-d'œuvre. Moïse, cette
plainte touchante d'un homme rejeté dans la solitude par
sa grandeur, est d'une éloquence sublime; la passion et la
jalousie éclatent dans Dolorida, et font explosion dans un
cri qui résume l'œuvre. Que dire d'^Zoa, cette sœur des anges
que la charité conduit à la chute? La grâce, la force, la
rêverie se trouvent réunies dans cette œuvre , qui demeu-
rera à la fois la pièce la plus étendue et la plus éclatante des
poésies de l'auteur. Cinq-Mars est trop connu pour l'a-
nalyser. L'auteur a emprunté , en la pliant à son usage ,
la forme historique créée par Walter Scott. C'est le premier
roman de ce genre qui en France ait obtenu du succès.
Cependant, l'on peut se demander si les persoimages mis en
scène sont bien conformes à l'histoire ; si le style , au dé-
but surtout , a toute la netteté de l'auteur. Stello , Servi-
tude et grandeur militaire , dans un même cadre, celui
du récit, renferment chacune trois histoires. S^ei/o retrace
les souffrances du poëte, ce paria de l'ordre moral; Servi-
tude, celle du soldat , ce paria de l'ordre social. Comme on
le voit , l'idée génératrice est la même. Elle procède de celle
qui a fait créer Moïse et Dolorida. Dans ces deux nouveaux
volumes , M. de Vigny a fait de grands progrès. Il est maître
de sa plume et commande aux mots. Le style ne s'embar-
rasse pas en périodes traînantes. Peut-être M. de Vigny
n'a-t-il pas évité l'excès contraire et est-il tombé dans un
peu de coquetterie.
Au théâtre, outre ses traductions d^Othello et du Mar-
chand de Fenise, M. de Vigny a donné La Maréchale d'Ancre
et Chatterton. La Maréchale d'Ancre repose sur une belle
idée dramatique , l'expiation; le poëte n'en a pas tiré tout le
parti possible. M. de Vigny possède une belle et pure intel-
ligence , qui s'accommode mieux de la contemplation que
de l'action. La Maréchale d'Ancre a néanmoins dans les
deux derniers actes un effet sombre et puissant. Le drame
de Chatterton est conçu dans le même système que
La Maréchale d'Ancre ; mêmes développements philosophi-
ques. Chatterton est un personnage en quelque .sorte dou-
ble; il souffre, et se regarde souffrir, analysant sa souffrance.
C'est une ftude psychologique raffinée et menée jusqu'aux
plus extrêmes détails. Les esprits sérieux s'y plairont tou-
jours. Il faut louer M. de Vigny d'avoir tenté une manifes-
tation anssi éclatante en faveur des poètes , d'avoir exprimé
les devoirs de la société envers eux, à une époque où les
gouvernements ne pensent guère à encourager les lettres
et où l'on rencontre peu de François l"^ et de Louis XIV.
Philarète Chasles. ]
VIGOGiVE ( Camelus vicugna , Gmel. ) . quadrupède
du genre des 1 a m a s et de la première section des r u m i-
nants. Moins grande que le lama et l'alpaca, la vigogne
habite les points culminants des chaînes montagneuses : sa
forme est plus svelte que celle du lama ; ses jambes sont
plus longues et plus grêles , sa physionomie est plus vive ,
plus sémillante ; sa démarche plus leste et plus capri-
ca«^e; son pelage est d'un brun rougeâtre, tirant sur le
vineux; mais la longue laine qui lui couvre la poitrine, le
ventre et la face interne des cuisses , est blanche. Sa toi-
son est en Amérique l'objet d'un commerce considérable :
notre industrie manufacturière retirerait incontestable-
mentde grands avantages de la naturalisation de ce joli qua-
drupède. BELFrELD-LEFÈVRE.
VIGOUREUX (La). Cette; femme faisait partie de la
monstrueuse association de devins et d'empoisonneurs qui
porta ta mort et l'effroi dans les familles les plus distin-
guées de la cour de Louis XIV. Cette association comptait
deux hommes , Le Sage et Guibourg, tous deux prêtres et
fort habiles dans l'art de composer des poisons; trois fem-
mes, la Voisin, la Bosse et la Vigoureux. Elles avaient
toutes trois commencé par la prostitution, et continuèrent
le même métier en se faisant appareilleuses : elles perver-
tissaient de jeunes fdles qu'elles livraient aux grands sei-
gneurs, distribuaient des philtres amoureux , disaient la
bonne aventure, et se vantaient de découvrir les trésors
et de faire retrouver les choses perdues. Leur liaison avec
Le Sage et Guibourg les conduisit à faire du plus lâche et
du plus atroce des crimes un infâme commerce. Le duc de
Luxembourg, le comte de Cessac, d'autres seigneurs, la
duchesse de Bouillon , la marquise d'Alluye , la comtesse de
Polignac, se virent tous compromis par ces misérables, qui
furent traduits devant la chambre ardente de l'Arsenal et
condamnés au bûcher. Tous subirent leur arrêt. La com-
tesse de Soissons et deux autres dames de la cour partirent
pour l'étranger. La duchesse de Bouillon seule se présenta
devant les juges, et fut acquittée, comme l'avaient été les
seigneurs compromis dans cet épouvantable [irocès. La Vi-
goureux, moins chargée dans l'information que la Voi-
sin, subit le môme sort {voyez Cour des Poisons).
DUFEY ( de l'Yonne).
VIGUERlEjVIGUIER. On désignait par le titre de
viguier, surtout dans midi de la France , le président, le
' chef d'un tribunal nommé viguerie; il y avait un viguier à
Toulouse, un viguier du pays d'Albigeois, etc. Le titre de
viguier n'est autre chose qu'une corruption du latin vicarius.
A Rome, et surtout durant le Bas-Empire, on nommait
?;jcan?. des magistrats qui, sous l'autorité du préfet , étaient
chargés de l'administration de tout un diocèse; mot qui,
comme l'on sait , désignait une étendue de pays contenant
plusieurs métropoles. Après la chute de l'empire, et lors-
que des comtes particuliers furent préposés au gouvernement
de chaque province et même de chaque ville importante, ces
officiers ne pouvant tout faire par eux-mêmes, eurent,
comme les préfets, des lieutenants, des vicarii , qu'en
langue romane on appela viguiers , mot qui est passé dans
la langue française. Quelques auteurs ont confondu les ri-
guiers avec les vicomtes ; mais nous croyons qu'il faut les
distinguer. Presque partout les vicomtes ne se sont occupés
que du gouvernement et du commandement des troupes ,
rendant presque toujours leurs fonctions héréditaires et sou-
veraines , et formant des dynasties qui ont joui légalement,
ou par usurpation, des droits régaliens, tandis que les
viguiers ne furent que des prévôts, des juges , dont les of-
fices ne se transmirent point comme les fiefs et demeurè-
rent toujours électifs. Ch'' Alexandre du Mège.
VILAIIM XIV (Famille). Cette famille belge descend ,
dit-on, d'un bâtard de la maison d'Isengbien , qui avait
nom Grandvilain , et qui lors de l'entrée triomphale de
Louis XIV à Gand fut l'un des députés chargés de présenter
au vainqueur les clefs de la cité. C'était pour la quatorzième
fois de suite que ses concitoyens l'avaient élu membre du
conseil municipal de leur ville. Cette circonstance ft aussi
VILAIN XIV -
l'intention de flatter l'amour-propre du grand roi, lepor-
tèreut à solliciter la faveur d'être autorisé à ajouter dé-
sormais ce chiffre de XIV à son nom ; et on la lui accorda,
par égard siutout pour le prince d'Isengiiien , qui venait
à ce moment-là de (juilter le service d'Espagne pour s'é-
tablir en France. Plus tard , ce Vilain XIV obtint la très-
productive charge héréditaire de collecteur des tailles de
l'arrondissement d'Alost en Flandre, que ses descendants
conservèrent jusqu'à la réunion de la Belgique à la France.
Charles Vilain XIV, né vers 1785, et créé comte par Na-
poléon, fut nommé, en 1815, par le roi Guillaume membre
de la seconde chambre des états généraux. Quand l'opposi-
tion contre ce prince devint nationale, tout.au moins en Bel-
gique , le comte Vilain XIV s'y rattacha, et prit une attitude
de plus en plus hostile à l'égard du gouvernement néerlan-
dais. Dans les premières années qui suivirent la révolution
de septembre 1830, on le vit prendre une part des plus
actives aux affaires publiques. C'est ainsi qu'il fut à diverses
reprises élu vice-président du sénat; et dans cette assem-
blée il vota en faveur de toutes les mesures auxquelles la
Belgique est redevable de la consolidation de son indépen-
dance nationale de même que de la prospérité dont elle jouit.
Son fils, le vicomte C/ia7/es Vilain XIV, né vers 1800,
fut nommé, en 1832, envoyé extraordinaire de Belgique
auprès du saint-siége, et accrédité en même temps auprès
de diverses cours d'Italie. Sa mission, après avoir d'abord
été couronnée d'un plein succès, n'eut pas plus tard tous
les résultats qu'on avait pu s'en promettre, à cause de ses
o|)inions personnelles sur quelques-unes des questions ec-
clésiastiques qui agitaient alors le plus les esprits et de
la manière dont il les exprimait. On le rappela donc beau-
coup plus tôt que ce n'eût été le cas sans cela; et depuis lors
il est resté étranger aux affaires.
VILA.I!\S, Vdlanï. On appelait ainsi, au moyen âge,
les habitants des villages et des bourgs, gens pour la plupart
de basse extraction, laboureurs et fermiers, sujets aux
tailles, redevances et corvées au profit des seigneurs, que
ceux-ci vendaient, échangeaient , se partageaient dans les
successions , et dont ils pouvaient disposer comme de clioses
leur appartenant. I)e siècle en siècle leur condition s'amé-
liora, par suite d'affranchissements parfois gratuits, mais le
plus souvent acquis par eux à beaux deniers comptants.
Votiez Servage.
VJLLA. C'est le nom que les Romains donnaient à leurs
maisons de campagne, et le terrain qui en dépendait por-
tait la dénomination génciique d'amer. Dans les domaines
des riches Romains , appelés suburbana quand ils étaient
situé-s aux environs de Rome, par exemple àTibur, à
Tusculum, etc., la maison d'habitation du maître, cons-
truite à la façon des maisons de ville, etoftrant toutes leurs
commodités , portait le nom de villa urbana. Avec les
progrès toujours croissants du luxe , on arriva à déployer
ime magnificence extrême dans la construction et l'orne-
mentation de ces demeures , dans les jardins et les parcs
qu'on y ajoutait. Les bâtiments d'exploitation, souvent
très-nombreux et très-considerables, où logeait le villicus
(intendant, économe ou fermier) avec les esclaves placés
sous ses ordres (ce qu'on appelait familia) pour la cul-
ture et l'enti'etieu du domaine , comprenant les étables , les
écuries , les magasins d'instruments aratoires, et dont dépen-
daient le poulaillier, lecolombier, ainsi que les jardins spé-
cialement consacrés à la culture des légumes, des arbres
fruitiers et de la vigne, étaient compris sous la dénomina-
tion de villa rustica.' On en distinguait encore, sous le
nom de villa fructuaria , les granges et celliers.
A l'époque des Garlovingiens, on appelait vilLv regia.'
les fermes et domaines royaux où les rois séjournaient fré-
quemment. Comme, en raison delà suite nombreuse que
ces princes emmenaient toujours avec eux , il était néces-
saire que ces domaines continssent des bâtiments considé-
rables, il se peut que notre mot ville n'ait pas d'autre
élymolog'.e.
VILLANUEVA 895
De nos jours encore les Italiens ont conservé le nom et la
chose. Sur tous les points de l'Italie, et notamment aux en-
virons des grandes villes, on rencontre des villas où les
habitants des villes viennent passer la belle sai.son. A côté
de la maison du propriétaire et de son jardin s'élève le
bâtiment habité avec sa famille par le fermier chargé de la
culture des champs et des vignes dépendant du domaine.
Aux environs de Rome, les villas Albani , Bàrberini ,
Borglièse, Corsini, Farnèse, Giraud , Giustiniani, Ludovisi
ou Piombini, Madama, Medici, Miollis (jadis Aklobrandini),
Pamfili-Doria ou Beirespiro, et Spaila, sont surtout célèbres,
à cause des trésors artistiques qu'elle contiennent.
VILLAF LOR. Voyez Terceira (Duc de).
VILLANELLE (de l'italien vilano , paysan). La villa-
nelle était une pièce de poésie à refrains, revenant à de très-
courts intervalles. L'exemple que je vais citer, et que me
fournit Passerai , donnera de sa forme et de son espèce une
idée beaucoup plus exacte que tout ce que j'en pourrais
dire. Du reste, cette villanelle est le chef-d'œuvre du genre:
J'ai perdu ma loiirlerclic
Est-ce point elle que j'oi (j'entends) ?
Je veux aller après elle.
Tu regreUcs ta femelle;
Hélas ! Aussi l'ais-je , moi :
J'ai perdu ma tourterelle.
Si ton amour est fidèle.
De même est ferme ma loi ;
Je veux aller après elle.
Ta plainte se renouvelle :
Toujours plaindre je me doi ,
J'ai perdu ma tourterelle.
En ne vovant jilus la belle.
Plus rien de beau je ne voi :
Je veux aller après elle.
Mort , que tant de fois j'appelle ,
Prends ce qui se donne à toi!
J'ai perdu ma tourterelle ,
Je veux aller après elle.
VioLLET Leduc.
VILLAiMI (Giovanni), célèbre historien, originaire de
Florence, se trouvait à Rome au moment où on y célébra le
jubilé de l'an 1300. Frappé du mérite des excellents ouvrages
qui existaient déjà sur l'histoire de la capitale du monde
chrétien , il résolut d'entreprendre un monument semblable
en l'honneur de sa ville natale. Il conduisit sa chronique de
l'histoire de Florence, dans laquelle il a entremêlé l'histoire
d'une grande partie de l'Italie et même d'autres pays , jus-
qu'à l'année 1348, époque où il mourut, de la peste, après
avoir rempli dans sa patrie diverses fonctions publiques ,
et l'avoir servie également comme soldat. Cette chronique
est d'un prix inestimable , quoiqu'elle contienne bon nombre
de faussetés. Le principe guelfe, dont Villani, avec la grande
majorité de ses concitoyens , était le partisan , donne incon-
testablement à son récit , de même qu'à ses appréciations ,
une couleur particulière, dont il faut savoir tenir compte.
Chez lui la forme est simple et sans art; elle plaît par sa
vigueur et par sa naïveté. Son style est un beau modèle du
Treicenlo.
Son frère, Matteo Villani, ajouta à sa chronique un trei-
zième livre, qui va jusqu'à l'année 1364, époque où il mourut,
également de la peste. Comme Matteo ne raconte que des
faits qui se sont passés de son temps , et parait aussi véri-
dique que son frère , son travail n'est point d'un moindre
prix.
VILLANUEVA (Joaquin-Lorenzo ), né en 1757 , à
Jativa, province de Valence, était prédicateur ordinaire et
premier confesseur du roi , lorsque éclata la révolution de
tSOS, en faveur de laquelle il n'hésita pas à se prononcer
immédiatement. Sa province l'élut député aux cortès extra-
ordinaires de 1810 et suppléant à celles de 1813. Enfermé
dans le couvent de Salceda, en 1814, lors du retour de
Ferdinand VU en Esp.ngne, les événements de 1820 purent
seuls le rendre à la liberté. Élu alors de nouveau député ,
896
VILLANUEVA — VILLARS
il défendit les libertés populaires avecnne courageuse cons-
tance. Le gouvernement l'envoya à Rome négocier avec le
pape au sujet des libertés de l'Église d'Espagne; mais il
échoua dans cette mission. Réfugié en Irlande après la
restauration de 1823, il mourut à Dublin, le 20 mars 1837.
Ses nombreux écrits témoignent d'une érudition aussi pro-
fonde que variée, car i! était tout à la fois théologien, phi-
lologue, antiquaire, poète et homme de style. Il donna une
dernière preuve de ses connaissances en pliilologie et en
archéologie par son ouvrage \ntilyi\é : Ibeniia phœnicea ,
seu Phœnicum in Ibeniia incolatus (Dublin, 1831). Un
choix de ses Poesias escogidas parut à Londres, en 1833.
VILLARET ( Guillaume et Foulques de) furent tous
deux grands-maîtres de l'ordre des Hospitaliers de Saint-
Jean-de-Jérusalem. Le premier succéda à Odon de Pins ,
en 1300, et fut le vingt-troisième grand-maîlre. Depuis quel-
ques années les bospitaliers ainsi que les templiers étaient
passés en Chypre, où Limisso leur avait été assigné pour
retraite. Des contestations fréquentes qui s'élevèrent entre
les bospitaliers et les rois de Chypre décidèrent Guillaume
de Villaretà entreprendre la conquête de l'île de Rhodes,
occupée alors par des Grecs révoltés et des pirates musul-
mans. Il s'y préparait lorsque la mort vint , en 1307 ,
interrompre des projets pour lesquels il s'était assuré l'ap-
probatijon de la France et du pape. Son frère. Foulques de
Villaret, fut son successeur, et mena à (in l'entreprise, en
1313. Le couvent de l'ordre fut transféré dans la nouvelle
conquête, et les hospitaliers furent depuis appelés rhodiens
ou chevaliers de E/iodes. Malgré ses services, Foukpies fut
accusé de ne songer qu'à ses propres intérêts. Les cheva-
liers, indignés de son despotisme et de son luxe, l'obligè-
rent à .se démettre, en Tan 1319, entre les mains du pape,
pour éviter la honte d'une déposition. On lui donna pour
dédommagement le prieuré de Capoue : il préféra d'aller
demeurer en France, auprès de sa sœur, dame deTivan, en
Languedoc, où il mourut, l'an 1327.
VILLARET (Claudk), né à Paris, vers 1715, mort
en février 1766, le second des continuateurs de l'Wi.î/oïre de
France publiée au dix-huitième siècle et commencée par
l'abbé Velly. C'est aux neuf volumes de cette histoire
(tom. VIII à XVII ) , composés par Villaret , qu'est attachée
sa célébrité ; ce sont ceux de toute la collection qui se font
encore lire avec le plus d'intérêt. La jeunesse dissipée de
cet écrivain ne l'avait point préparé aux graves fonctions
de l'historien. Destiné au barreau par ses parents, il avait à
la vérité fait de fort bonnes études; mais un penchant dé-
réglé pour le plaisir l'avait détourné des occupations sé-
rieuses. Sa vie fut longtemps vagabonde : il fut succe.;sive-
ment auteur de petites comédies sans portée, de romans
très-médiocres , et comédien par amour. Cependant, il étudia
son art, et s'y lit un certain renom dans la province , jus-
qu'au moment où , après s'être chargé de la direction d'une
troupe à Liège , il quitta la scène, en 1756. Le premier écrit
qui annonça en lui quelque talent littéraire avec la connais-
sance du théâtre fut sa répon-e à la Lettre sur les Spec-
tacles de J.-J. Rousseau , publiée à Genève, en 1758, sous
le titre de Considérations sur l'Art du Théâtre. Il était
revenu à Paris : ayant obtenu par la protection de ses
amis !'em|)loi de premier commis à la chambre des comptes,
les devoirs de cette place imprimèrent une nouvelle direc-
tion à ses idées. Occupé de mettre en ordre les débris
des archives de ce corps, consumées en partie dans l'in-
cendie de 1738, il prit inlérêt à l'étude de notre histoire
dans ses .sources. Lu s'appliquant à ces recherches, il avait
promptement acquis des connaissances historiciues assez
étendues, et il fut choisi pour continuer l'histoire entreprise
par Velly. Eu six ans , de 1759 à 1766, il en publia les neuf
volumes qui lui appartiennent, et qui conduisent nos an-
nales jusqu'à la neuvième année du règne de Louis XI (1469).
On créa pour lui la place de secrétaire des ducs et pairs.
11 concourut encore, à ce que l'on croit, à d'autres ou-
yrages , tels que le Cours d'Histoire universelle publié par
Luneau de Roisgermain. Il fut l'éditeur des mémoires qu'a-
vait rédigés l'abbé de Vertot ,sur les ambassades de MM. d«
Noailles pendant le seizième siècle. Ces travaux multipliés
achevèrent de miner une santé dérangée par les désordres
de la jeunesse , et une inflammation produite par une bles-
sure qu'il se fit à la suite d'une rétention d'urine, l'enleva
en trois jours. Ce qui fit lire Villaret, c'est qu'à l'exemple
de Voltaire , dans son Essai sur les Mœurs et l'Esprit des
Nations, il s'efforça de faire connaître aux lecteurs les ins-
titutions, les usages, les habitudes nationales, les progrès
des sciences , des arts, des lettres, de la raison publique ; c'est
surtout parce qu'il prend intérêt au bien des peuples, qu'il
témoigne souvent un amour sincère pour la vérité et pour
son pays ; que souvent aussi sa plume trouve des accents
sévères contre le crime et les vices malfaisants. Toutefois ,
ses résumés d'histoire morale, politique et intellectuelle,
annoncent plutôt des vues saines qu'une instruction solide,
et il ne sait i)as toujours secouer le joug des préjugés qui
égarent la raison de l'historien. On a reproché à cet écri-
vain un ton trop souvent déclamatoire et dissertateur;mais
sa narration ne manque fias de verve, quelquefois même
d'éloquence, ni son style d'élégance et de vigueur.
AUBERT DE VlTRY.
VILLARS ( Chakles-Louis-Hector, marquis, puis duo
de) , l'un des plus illustres successeurs de Turenne et de
Condé, naquit à Moulins, en Bourbonnais, le 8 mai 1653,
d'une noble famille, originaire de Lyon. Villars débuta de
bonne heure dans le rude métier de la guerre. En 1672 il
se trouvait au passage du Rhin. L'année suivante, au siège
de Maëstricht , il se lança dans la tranchée parmi quelques
grenadiers , quoiqu'il fût alors cornette de chevau-Iégers.
Louis XIV, témoin de son ardeur belliqueuse, crut devoir
lui rappeler d'un ton sévère qu'il avait défendu aux volon-
taires, et surtout aux officiers de cavalerie, d'aller aux at-
taques sans en avoir l'autorisation. Quelques jours après,
une poignée de gendarmes repoussant l'ennemi avec une in-
trépidité remarquable, le roi demanda qui commandait ces
gendarmes. « C'est Villars, lui répondit-on- — Il .semble,
reprit Louis XIV, que dès qu'on tire en quelque endroit,
ce petit garçon sorte déterre pour s'y trouver. » C'est que
ce petit garçon se sentait appelé au rôle de grand homme.
En effet , il ne tarda pas à mériter les éloges de Turenne et
du grand Condé. Nommé maréchal de camp en 1690, Villars
commença dès cette époque à figurer sur le premier plan.
On le voit contribuer puissamment au succès des combats
de Leuse et de Pfortzheim , en 1691 et 1092; plus tard , en
Italie , il défait complètement un corps de troupes qui vou-
lait l'enlever ; en 1702, par un mouvement habile, il gagne
la bataille de Friedlingen contre les Impériaux et du même
coup le bâton de maréchal do France. L'année suivante
il remporte une victoireà Hoclistœdt, <le concert avec l'élec-
teur de Bavière. A son retour en France, le roi confia
(1707) au maréchal de Villars la pacilication du Languedoc,
où s'agitaient en armes les huguenots révoltés. En moins
d'une année, employant tour à tour l'indulgence et la force,
il eut la consolation et la gloire de pacifier ce pays en rédui-
sant les rebelles. A peine sorti du Languedoc, il est rap-
pelé sur des champs de bataille plus dignes de lui; il vole en
Allemagne , arrête Marlborough victorieux, et bat l'armée
ennemie à Slolhoffen (1707). Puis il pa.sse dans leDauplùné,
et ses savantes manœuvres font échouer tous les desseins
de l'habile prince Eugène. En 1709 Villars se retrouve en
Flandre, en face d'Eugène et de Marlborough réunis; il leur
livre la sanglante bataille de Malplaquet; mais à peine
l'action est-elle engagée qu'il est dangereusement blessé
au genou : il veut néanmoins rester sur le champ de bataille,
et continue adonner desordres; mais la douleur l'emporte,
il tombe sans connai.ssance , et sa retraite personnelle dé-
termine la malheureuse issue de cette journée. Villars avait
été blessé assez grièvement pour se faire administrer le
viatique. On proposa de faire secrètement celle cérémonie
religieuse. « Non , dit le maréchal, puisque l'armée n'a pas
VILLARS — TILLEHARDOUIN
897
pn Toir mourir ViRars en brave , il est bon qu'elle le voie
mourir en chrétien. « Heureusement pour le salut de la
monarchie, le ciel conserva les jours du héros. Il allait
prendre une éclatante revanche et parvenir à l'apogée de
sa réputation militaire. Dès qu'il est guéri de sa blessure, il
reçoit les instructions définitives du roi. Ce prince ne dissi-
mule pas qu'il confie au maréchal les dernières ressources
de l'État, et ne lui en donne pas moins carte blanche pour
livrer bataille s'il se présente une occasion favorable. Jaloux,
de justifier la confiance du monarque, Villars va prendre
le commandement de l'armée , fait d'habiles dispositions ,
et tombe, comme la foudre, sur l'ennemi, retranché dans
une forte position à Dena in sur l'Escaut (24 juillet 1712).
Il se met à la tête des troupes, les entraîne à l'ennemi , em-
porte les redoutes au pas de course, brise les corps hollan-
dais et anglais, les pousse, le mousquet dans les reins, jus-
qu'aux bords de l'Escaut , et vient s'établir vainqueur dans
les retranchements de Denain ; puis , profitant admirable-
ment du désordre des alliés, il passe sur-le-champ l'Escaut,
et, tout en harcelant vigoureusement le prince Eugène, il
délivre Landrecies , et prend , comme en courant , Mar-
chiennes. Douai, Béthune, Bouchain et plusieurs autres
places. Villars venait de sauver le sol delà patrie, l'honneur
national , la monarchie ; voilà ce qui explique la merveil-
leuse renommée du combat de Denain. Comme on l!a re-
marqué, Malplaquet fut une bien autre bataille; et, toute
perdue qu'elle fût, elle fit im honneur bien plus grand à Villars
et à Boufilers. Quoi qu'il en soit, les succès de Villars hâtè-
rent la conclusion d'une paix honorable ; il la signa comme
plénipotentiaire, àRastadt,le 6 mai 1714.
Nommé président du conseil de la guerre, et admis au
conseil de régence après la mort de Louis XIV, il se
montra toujours l'ennemi des intrigants, et tonna plus
d'une fois contre les fortunes scandaleuses usurpées à la
faveur du système deLaw. La guerre s'étant rallumée en
1733, le vainqueur de Denain fut envoyé en Italie en qua-
lité de maréchal général des camps et armées du roi , titre
dont personnen'avait été gratifié depuis T u r e n n e , pour qui
on l'avait créé. A l'âge de quatre-vingt-deux ans, Villars par-
tit pour le Milanais , et prit après douze jours de tranchée
la place de Pizzighettone. Ce fut là sa dernière campagne, et
celte campagne fut glorieuse pour nos armes. Quelques désa-
grériients qu'il eut avec le roi de Sardaignele déterminèrent
à demander son rappel; et en s'en revenant en France, il
tomba malade à Turin , où il mourut, le 17 juin 1734.
Villars mérite d'être compté parmi nos plus hautes ca-
pacités militaires. 11 fut presque le dernier des grands géné-
raux de l'ancienne monarchie; car dans la guerre de
1741 les victoires de la France ne furent remportées que
par des généraux étrangers, et ilnous fallut un Maurice de
Saxe pour gagner des batailles. On reprochait à Villars de
n'avoir point de modestie: il était en effet plein de confiance
en lui-même; mais il faut avouer que cette confiance n'était
nullement présomptueuse , puisqu'elle s'appuyait sur un
mérite réel , éminent. D'une franchise loyale , mais sans mé-
nagement, il s'exprimait en présence de Louis XIV et de son
ministre Louvois avec la même hardiesse qu'on lui voyait
devant l'ennemi. Aussi n'avait-il pas le don de plaire aux
gens de la cour, ce dont il se souciait d'ailleurs fort peu.
Un jour, au moment de partir pour aller se mettre à la tête
de l'armée, il dit au roi, en présence des courtisans : « Sire,
je vais combattre les ennemis de Votre Majesté , et je vous
laisse au milieu des miens. *
On a imprimé en Hollande les mémoires du maréchal de
Villars (3 vol. in-12). Voltaire dit que le premier volume
est entièrement de lui; les deux suivants sont d'une autre
main. On a aussi sa Vie , écrite par lui-même et publiée par
Anquetil (4 vol. in-12); on y trouve les lettres, les souve-
nirs et le journal même de Villars, Champagnac.
. "VILLARS (.L'abbé Montfaucon de), né en 1635 à
Toulouse , vint en 1667 à Paris, où la tournure ingénieuse
«t délicate de son esprit lui eut bientôt procuré l'accès des
DICT. DE LA CONVEBS. — T. XYI.
cercles les plus distingués. En 1670 il fit paraître, sous le
i\Ue. A' Entretiens du comte de Gabalis , un livre écrit du
style le plus attrayant et dans lequel il traitait avec la plus
fine ironie une foule de questions relatives aux rose-croix,
à la magie et aux sciences occultes , toutes billevesées qui
préoccupaient alors vivement les esprits. Mais ses supérieurs
virent de si mauvais œil cette publication, qu'ils lui inter-
dirent la chaire. Il périt victime d'un assassinat, en 1673,
pendant un voyage qu'il était allé faire à Lyon. Longtemps
après sa mort on publia de lui sept nouveaux Entretiens
sur les Sciences secrètes (Paris, 1715), contenant une
spirituelle satire de la philosophie cartésienne.
VILLARS (L'amiral de). Voyez Brancas.
VILLAVICIOSA (JosE de), célèbre poète comique
espagnol, né enl589,àSiguenza, composaà l'âge de vingt-six
ans Za3/o5gMea( la guerre des mouches),quiasuni pour lui
assurer une place honorable sur le Parnasse espagnol. C'est
un poëme héroï-comique dans le genre de la Batrachomyo-
machie, en douze chants et en octaves, qui par sa gaieté ,
sa fine ironie , son style et sa versification élégante, appar-
tient aux plus charmantes créations de ce genre. Villavi-
ciosa, d'abord rapporteur au tribunal de l'inquisition,
mourut en 1658, inquisiteur à Cuença.
VILLEFRANCHE EN LAURAGUAIS, chef-lieu
d'arrondissement de la Haute-Garonne. C'est un petite ville
de 2,390 habitants, .située sur l'Hers, près du canal du
Midi , dans une vaste plaine , et le centre d'un important
commerce en céréales et toiles de chauvre à pour voiles.
VILLEFRANCHE EN ROUERGUE. Voy, Avey-
RON.
VILLEGAS (EsTEVAN Manuel de), célèbre poète es-
pagnol , né en 1595, à Najera, en vieille Castillp, était encore
sur les bancs de l'école quand il traduisit en vers Anacréon
et Horace. Ses œuvres poétiques parurent sous le titre d'^l-
matorias (iNajera, 1617). Il visa à unir la facilité des anciens
à la sensualité des poètes modernes , et s'efforça souvent
d'imiter dans sa langue le rhythme antique. Il n'avait d'autres
ressources pour vivre que les émoluments d'un petit em-
ploi, et mourut en 1669.
VILLEHARDOUIN (Geoffroy de), maréchal de
Champagne et historien du moyen âge , naquit vers l'an
1167, dans un château voisin d'Arcis-sur-Aube. Thibaut,
comte de Champagne , ayant annoncé dans un tournoi où
la noblesse de ses États se trouvait réunie qu'il allait entre-
prendre le voyage de la Terre Sainte, la plupart des sei-
gneurs présents se croisèrent. C'était en 1199 : Geoffroy
de Villeliardouin était du nombre, et fut un des six dépu-
tés chargés d'aller à Venise faire les préparatifs de l'embar-
quement et régler les conditions du départ avec le doge
Henri Dandolo et le grand conseil. La république de Venise
s'engagea, moyennant le payement de 85,000 marcs d'argent,
à fournir des bâtiments de transport pour 4,500 chevaux
et 33,500 hommes. Les croisés devaient être rendus à
Venise le jour de la Saint-Jean de l'année suivante, 1202;
mais à son retour en France, Villeliardouin trouva Thibaut
dangereusement malade , et sa mort laissa bientôt les croisés
sans chef. Sur le refus du duc de Bourgogne et du comte
de Bar de prendre le commandement , Villehardouin pro-
posa de l'offrir au marquis de Montferrat , qui l'accepta.
Les premiers croisés arrivés à Venise apprirent qu'un
grand nombre de ceux qui devaient participer à la croi-
sade prenaient une autre roule. Ceux qui avaient signé
la convention avec les Vénitiens , dans l'impossibilité
dès lors de réunir la somme stipulée, se virent contraints,
pour suppléer à l'argent qui leur manquait, d'entreprendre
pour le compte de Venise une expédition en Dalmatie:
de là ils furent enfin transportés en Orient , où le jeune
Alexis Comnèneles sollicita de rétablir son père Isaac sur
le trône de Constantinople. Alexis , une fois monté sur le
trône, négligea de remplir les conventions qu'il avait con-
tractées avec les Français. Villehardouin fut un de c*ux
que l'on chargea alors de lui faire des remontrances. Il as?
57
898
sista à la prise de Constantiuople. Baudouin , comte de
Flandre, ayant été élu empereur par les croisés , donna à
Villehardouin la charge de maréchal de Remanie. Mais
Baudouin épouva des revers , et finit par tomber entre les
mains des Boulgares. Villehardouin , qui commandait l'ar-
rière-garde, contribua, par ses sages mesures, à sauver les
débris de l'armée. Il continua à servir Henri , successeur
de Baudouin, et finit par se retirer en Thessalie , où il
mourut, vers l'an 1213.
Sa famille a joui longtemps de grands honneurs dans
l'empire grec. Alliée aux empereurs de Constantinople et
aux plus puissants princes de l'Europe , elle posséda en
Orient des [irincipautés importantes: celle d'Achaïe, celle
de Morée, les villes de Corinthe, d'Argos , etc. Aujourd'hui
Villehardouin nous est connu surtout par son Histoire
de la Conquête de Constantinople, qui va de 1198 à
1207. Intéressant parles faits qu'il raconte, et dans les-
quels l'autour même fut témoin et acteur, cet ouvrage a
encore droit à notre attention comme un des plus anciens
monuments de la prose française. Toutefois, il paraît que le
texte en a été remanié plus d'une l'ois par les anciens co-
pistes. L'édition la plus estimée est celle que Du Cange fit
paraître, en 1657, avec un glossaire. Artaud.
VILLÉGIATURE , mot nouveau , emprunté à la lan-
gue italienne, dans laquelle villégiatura s'applique et aux
parties de campagne ayant pour but une visite à une villa,
et au séjour même qu'on va faire à la campagne , pendant
la belle saison , aux environs de quelque grande ville.
VILLÈLE (Joseph, comte de), naquit à Toulouse,
en 1773. Entré de bonne heure dans la marine , il fit une
première campagne en 1791, dans les mers de Saint-Do-
mingue. L'année suivante il accompagna aux Indes orien-
tales l'un de ses parents , M. de Saint-Félix , qui venait
d'être nommé au commandement de la station de Bourbon.
Les principes de la révolution comptaient d'ardents défen-
seurs dans les colonies. M. de Saint-Félix fut bientôt ré-
duit à se cacher; et son jeune parent, Joseph de Villèle
arrêté à son tour, s'honora en refusant de révéler le lieu de
sa retraite. Les navires de l'État composant la station durent
s'éloigner de parages où on pouvait craindre à tout moment
de voir une insurrection victorieuse s'en emparer. Villèle ,
resta pourtant dans l'île , où un riche planteur, M. Desbas-
syns de Richemont , lui accorda d'abord un modeste
emploi sur sa plantation , et plus tard lui donna sa fille
en mariage. Cette alliance fit de Villèie un personnage im-
portant à Bourbon , et le porta tout naturellement au con-
seil colonial. En 180311 réalisa la plus grande partie de sa
fortune pour revenir s'établir en France. 11 y arriva quel-
que temps après la rupture de la paix d'Amiens ; moment
favorable si jamais il en fut pour donner une notable plus-
value' à la cargaison de sucre et de café qu'il amenait avec
lui , et dont il consacra le produit à l'agrandissement du
domaine qu'il possédait aux environs de Toulouse. De-
meuré fidèle au culte de la légitimité, Villèle salua avec
enthousiasme la Restauration ; puis, à propos de la fameuse
déclaration de Saint-Ouen,dans laquelle Louis XVIII po-
sait d'avance les bases de la charte constitutionnelle, il
publia une brochure dans laquelle il professait l'absolutisme
pur et combattait le principe de l'inviolabilité des biens na-
tionaux ainsi que l'égale admissibilité de tous les Français à
tous les emplois publics. L'auteur de ce pamphlet signalait
en outre la difficulté de constituer avec les éléments créés
en France par vingt ans de révolution une pairie assez in-
fluente et une chambre des députés assez docile. Cette pu-
blication passa pourtant inaperçue; et elle n'acquit de
l'importance que lorsque des adversaires politiques l'exhu-
mèrent pour accuser le premier ministre d'un roi constitu-
tionnel d'avoir dès l'origine protesté contre l'octroi de la
charte et réclamé le rétablissement pur et simple de l'ancien
régime. Les faveurs du pouvoir ne vinrent point trouver
Villèle pendant la première année de la Restauration ; mais
après les funérailles de Waterloo il fut nommé maire de sa
VILLEHARDOUIN — VILLELE
I ville natale. Élu quelque temps après député de la Haute-
Garonne, il vint s'asseoir sur les bancs de la chambre
introuvable, oh II se fit une spécialité dans les discus-
sions de finances ; et pendant quatre ans il continua encore
à cumuler son mandat législatif avec les fonctions de
maire de Toulouse. C'est d'ailleurs pendant son adminis-
tration que cette cité fut le théâtre des scènes sanglantes
provoquées, là comme dans le reste du midi, par la réac-
tion royaliste , et que le général Ramel fut assassiné par
\t%verdets. Lachambre introuvable àyml élé dissoute
par la fameuse ordonnance du 5 septembre 1816 , Villèle
fut réélu membre de la nouvelle législature, et devint alors
l'un des meneurs de l'opposition de droite. Chef d'une co-
terie parlementaire habile à se donner les proportions d'un
parti , Villèle réussit , en dépit d'un organe nasillard et d'un
extérieur rien moins qu'avantageux, à exercer sur l'assem-
blée une grande et incontestable influence. L'assassinat du
duc de Berry par Louvel fut exploité avec beaucoup''
d'habileté par le parti ultra-royaliste pour renverser De-
çà ze s, le favori du vieux roi, et pour constituer le double
vote qui donnait à la grande propriété territoriale une pré-
pondérance décisive dans les élections. Ce résultat une fois
obtenu , le parti exigea impérieusement que ses chefs fus-
sent enfin appelés aux affaires; et la couronne se montra
docile à ce vœu. Dans le cabinet qui se constitua alors,'
le ministère des finances échut tout naturellement à Villèle:'
Peyron7ie te\it la justice, Matthieu de Montmorency les
affaires étrangères, Clermont-Tonnerre la marine, Cor'
bière l'intérieur, et le maréchal Victor h guerre. L'his-
toire saura rendre justice à l'intelligence dont Villèle fit
preuve dans la direction particulière du département qui
lui était confié. C'est ainsi qu'il put déclarer à la chambre de
1822 qu'il ne serait plus fait usage de crédits provisoi-
res, et que pour la première fois on vit un ministre en me-
sure de présenter d'avance au pouvoir législatif le budget
de l'année suivante. Craignant qu'une crise politique ne
vînt tarir les sources du crédit en arrêtant l'essor du travail
national, Villèle se prononça avec énergie dans le conseil
contre toute intervention armée en Espagne. En désaccord
avec lui sur cette question , Matthieu de Montmorency donna
sa démission, et fut remplacé par Chateaubriand.
Louis XVIII conféra alors la présidence du conseil à Villèle,
qui à quelque temps de là n'en fut pas moins forcé de céder
aux exigences de son parti et de déclarer la guerre à l'Espa-
gne constitutionnelle. L'expédition entreprise en 1823 par
delà les Pyrénées, si elle fut pour l'armée française l'occasion
de faciles victoires, obéra considérablement le trésor. En re-
vanche, elle accrut outr« toute mesure l'influence du parti
ultra-royaliste , et donna une grande force au cabinet qui
avait osé l'entreprendre. Aux élections qui eurent lieu en
1824, Villèle mit en œuvre toutes les ressources dont
pouvait disposer l'administration à l'effet de s'assurer la
majorité dans les chambres , et y réussit. L'ouverture de
la session eut lieu au mois de mars. Sur 450 membres
dont se composait la chambre élective on ne comptait en
tout que dix-neuf membres appartenant aux différentes
nuances delà gauche. Un tel résultat était trop de nature à
flatter les instincts des hommes alors à la tête des affaires
pour qu'ils ne cherchassent pas à faire en sorte qu'il se per-
pétuât. Cette pensée décida le ministère à présenter aux
chambres un projet substituant la septennalité k la
quinqiiennalité, et cette mesure fut adoptée sans difficulté
par l'une et l'autre assemblée.
Si l'opposition libérale avait été annulée dans la chambre
élective , le ministère eut à s'y défendre contre d'autres
ennemis non moins redoutables. L'opposition de droite,
ayant à sa tête M. de La Bourdonnai s , prit à l'égard
du cabinet l'attitude la plus agressive. Cette opposition de
droite était aux ordres du parti clérical , et exprimait les
vœux des impatients delà cong rég ation. La près.-
sion réelle exercée par les hommes de sacristie , par !a
congrégation , sur la direction des affaires publiques dans le
derniers temps du règne de Louis XVIII et pendant celui
de Charles X est demeurée l'un des grands griefs de la
France contre la maison de Bourbon. Corbière et Peyronnet
étaient les membres du cabinet plus spécialement désignés
comme représentant au pouvoir les intérêts et les vœux
du parti prêtre; mais Villèle fut enveloppé et confondu
dans les mêmes haines, pour n'avoir pas su résister à des
exigences dont il était le premier à reconnaître le caractère
odieux. Avec plus de courage moral, il se fût assuré une
grande place dans l'histoire qui , au lieu de ne voir en lui
qu'un habile homme d'affaires, lui eût sans conteste ac-
cordé le titre à'homme d'Étal. L'administration financière
de Villèle est en effet restée à bon droit l'une des gloires
de la Restauration. Lorsque, grâce à une direction ferme et
habile, les finances se trouvèrent dans un état tel que le
crédit alla chaque jour s'améliorant et se consolidant, lorsque
les titres de la rente non-seulement atteignirent , mais dé-
passèrent le pair, Villèle crut avec raison le moment arrivé
de réduire l'intérêt de la dette publique. La mesure était juste
et bien conçue; elle échoua cependant contre les stupides
déclamations des journaux libéraux , qui , par esprit d'op-
position , crièrent bien vite et bien haut à la banque-
route. Il y aurait eu évidemment spoliation et banque-
route de la part de l'État à réduire le taux de l'intérêt de sa
dette sans en offrir en même temps le remboursement,
non pas au taux d'émission, mais au pair. Or, c'était là
précisément ce que Villèle voulait faire, et il s'était assuré
des ressources nécessaires pour parer à toutes les éventua-
lités que pouvait amener cette utile mesure; mais le projet
de loi, adopté à la chambre des députés, fut repoussé par
la chambre des pairs. L'archevêque de Paris Quel en, en
combattant à ce propos le ministère au Luxembourg et en
défendant les intérêts des petits rentiers de son diocèse,
mérita les éloges du Constitutionnel et du Courrier fran-
çais, et se fil ainsi une éphémère popularité. Convaincu
de la justesse de ses vues, Villèle ne renonça pourtant pas
aies mettre quelque jour à exécution, tout au moins par-
tiellement, et l'occasion ne tarda pas à s'en présenter. En
effet, les progrès incessants du crédit permirent bientôt de
songer adonner satisfaction aux vœux de la conscience pu-
blique en cherchant les moyens d'accorder une équitable
indemnité aux propriétaires dont les biens avaient été con-
fisqués et vendus révolutionnairement à la fin du dernier
siècle. Les libéraux ne manquèrent pas de jeter encore
feu et flammes contre cette réparatrice mesure; quant à
nous , nous appartenons en politique à une école qui en-
seigne que le vol n'est pas plus permis aux gouvernements
qu'aux particuliers, et que la confiscation est le vol le plus
odieux et le plus lâche qui se puisse commettre. Nous
approuvâmes donc alors sans réserve la loi dite àHndem-
nité, qui accorda aux émigrés ou à leurs ayant-droit un
milliard, représenté par trente millions de rente 3 pour
100 émis à cet effet. De cette époque seulement date la
complète assimilation des propriétés dites (ïorigine patri-
moniale et de celles qu'on désignait sous le nom de biens
nationaux. Sous l'empire même, il y avait toujours eu
entre la valeur des unes et des autres une différence de
15 à 20 pour 100. La loi d'indemnité, on peut le dire, fit donc
gagner aussi plus d'un milliard aux détenteurs d'anciens
biens nationaux.
Après avoir rendu justice à l'administration de Villèle,
11 nous faut achever l'histoire du ministère déplorable
dont il n'est devenu la personnification pour les masses
que parce qu'il en fut incontestablement l'individualité la
plus saillante.
Peu de temps avant la mort de Louis XVIII, Villèle avait
vu s'opérer dans la majorité qui l'avait porté aux affaires
une redoutable défection. A propos de son projet de loi sur
les rentes, il avait pu remarquer qu'il n'avait été appuyé
par aucun des hommes du centre droit, habitués à voter
«ous les inspirations de M. A g 1 e r ; espèce de tiers parti
habile à faire, par l'appoint de ses voix, pencher la ba-
VILLÈLE 899
lance du côté indiqué par ses intérêts. Les relations de
Chateaubriand avec cette petite coterie étaient notoires ; et
le ministre des affaires étrangères ne dissimulait pas qu'il
ne partageait aucunement les idées de son collègue des fi-
nances sur l'opportunité de la conversion des rentes. La
chambre des pairs ayant rejeté ce projet de loi, Villèle
attribua cet échec à la sourde hostilité de Chateaubriand,
et il s'en vengea en lui enlevant avec éclat son portefeuille.
Chateaubriand a écrit lui-même qu'il fut alors chassé
comme un laquais ; la brutalité d'un si indigne procédé le
jeta dans l'opposition, et avec lui \e Journal des Débats,
qui commença tout aussitôt contre le ministère, et indi-
rectement contre la dynastie , l'opposition la plus habile et
en même temps la plus dangereuse.
Sur ces entrefaites , Louis XVIII passa de vie à trépas.
La transmission de sa couronne au comte d'Artois, son
frère puîné , qui prit le nom de C h a r I e s X, se fit avec
plus de tranquillité que, près d'un siècle auparavant, la
royauté de Louis XIV n'avait pu passer à son petitrfils.
Deux ou trois actes de bonne politique , par exemple l'abo-
lition de la censure, dont l'honneur revient tout en entier
à Villèle, et plusieurs mots heureux dits à propos par
Charles X donnèrent à ce prince quelques mois de popu-
larité ; mais la faction jésuitique et la camarilla, dont Cor-
bière et Peyronnet étaient les représentants au sein du con-
seil , se crurent assez puissantes pour tout oser afin* de
consolider leur influence. Malheureusement, le ministre des
finances s'absorba dans la direction de son département ;
et, sauf quelques mesures générales dont il prit l'initiative
dans les relations avec les puissances étrangères , il aban-
donna à ses collègues les affaires intérieures. La reconnais-
sance des nouveaux États de l'Amérique du Sud fut l'œuvre
d'une politique éclairée et libérale; elle imprima un redou-
blement d'activité à notre commerce extérieur. La France
reconnut aussi l'indépendance d'Haïti , moyennant une in-
demnité de 150 millions que la république nègre s'engagea h
payer par cinquièmes aux anciens colons de Saint-Domingue.
C'était là une sage et habile mesure, qui achevait de cica-
triser les dernières plaies de la révolution; mais le mauvais
génie de la France conspirait pendant ce temps- là avec la
congrégation pour enlever au pays les plus précieuses con-
quêtes de 1789. Le ministère eut l'audace de proposer aux
chambres un projet de loi qui reconstituait le droit d^aî-
nesse ; et plus tard il essaya de rétablir la censure. Le
premier de ces projets fut rejeté par la chambre des pairs
elle-même; le second , qualifié naïvement par Peyronnet,
dans son exposé des motifs, de loi d'amour (pour la
presse I ), excita une indignation si générale , que force fut
au ministère de le retirer. La nouvelle ne s'en fut pas plus
tôt répandue dans Paris , que la capitale se trouva spon-
tanément illuminée en signe de réjouissance. Résolu de
braver l'opinion, le ministère ordonna pour le 12 avril
1827 une grande revue de la garde nationale qui devait être
passée au Champ de Mars par le roi en personne. On es-
pérait que la bourgeoisie de Paris accueillerait dans ses
rangs le monarque avec non moins de sympathie qu'elle
lui en avait témoigné trois ans auparavant, lors de son avè-
nement au trône; et on comptait sur ses acclamations pour
réduire l'opposition au silence. Quelques compagnies de la
garde nationale mêlèrent à leurs vivats des cris d'à bas
les ministres! qui cependant eussent peut-être passé ina-
perçus si plusieurs légions , obligées, en quittant le Champ
de Mars pour regagner leurs quartiers respectifs, de passer
sous les fenêtres du ministre des finances, n'y avaient pas
répété en défilant ces cris improbateurs. Une ordonnance
publiée le lendemain dans le Moniteur prononça la disso-
lution de la garde nationale. Un fait curieux et authentique,
c'est que Charles X, loin d'avoir entendu les cris d'à bas
les ministres proférés à la revue, était rentré aux Tui-
leries enchanté de sa journée, et convaincu qu'il n'avait
rien perdu de sa popularité. Il ne fallut pas moins
que les assurances de ses ministres pour le détromper.
900
VILLÈLE — VILLEMAIN
La sitnalion devenait trop tendue pour que l'opposition
ne gagnât pas chaque jour des forces nouvelles. Une ma-
jorité bien prononcée avait fini par se former dans la
chambre héréditaire contre le ministère, qui résolut de la
briser au moyen d'une nombreuse fournée de pairs re-
crutés dans les rangs de la majorité de la chambre élec-
tive ; et afin de combler les vides qui en résulteraient
forcément dans les rangs des fidèles trois cents , une or-
nance en appela à des élections nouvelles. La matière élec-
torale avait été tellement travaillée par les agents de l'ad-
ministration, que le ministère ne doutait pas que les col-
Féges ne lui renvoyassent d'autres trois cents. Son espoir
fut complètement déçu, et le résultat général des élec-
tions donna à l'opposition une imposante majorité. A cette
nouvelle, Paris s'illumina encore spontanément comme
il l'avait fait l'année précédente à l'occasion du rejet de
la loi d'amour. Irrité de ces démonstrations , le pouvoir
donna ordre à la force armée de dissiper les rassemblements
compacts , mais du reste inoffensifs , qui s'étaient formés
sur un grand nombre de points de la capitale. La foule
ne se dispersant pas assez vite aux premières sommations
de l'autorité, la troupe eut ordre de tirer; et quelques
décharges de mousqueterie faites dans la rue Saint-Denis
blessèrent ou tuèrent une vingtaine d'individus. Quand
ces détails furent connus le lendemain de la population ,
ils excitèrent une indignation générale. Tout annonçait une
crise redoutable. A ce moment , Viilèle eut le bon esprit
de comprendre que la place n'était plus tenable. Lui et ses
collègues remirent donc leurs démissions entre les mains
de Charles X, qui composa un nouveau ministère, présidé
par Martignac; et celui-ci exigea que ses prédécesseurs
fussent déportés au Luxembourg, afin de n'avoir pas à lutter
contre leur sourde hostilité dans la chambre élective.
Créé pair de France , Viilèle ne paria qu'une seule fois
à la chambre des Pairs, à propos d'un déficit que Roy,
son successeur au département des finances, prétendait éta-
blir dans le règlement définitif du budget de l'exercice pré-
cédent. La session une fois close , il se retira dans ses pro-
priétés aux environs de Toulouse, et ne revint à Paris,
sous le ministère Pol ign ac , que pour faire entendre,
dit-on , quelques conseils de prudence et de modération
dont on ne lui sut nullement gré en haut lieu.
Après la révolution de 1830, Viilèle rentra complètement
-dans la vie privée; et malgré l'habileté avec laquelle pen-
dant dix-huit ans un journaliste prêtre chercha à abriter
dans les colonnes de la Gazette de France son orgueil et
son ambition derrière le nom de son ancien patron, jamais
ce brouillon en soutane (voyez Genoude) ne parvint à ren-
dre Viilèle solidaire des idées essentiellement révolution-
naires prcchées par lui sur la question du suffrage ztni-
versel. Nous ne serons que juste en reconnaissant que
de la part de Viilèle cette renonciation à la vie politique
du jour où la branche aînée de la maison de Bourbon
eut perdu le trône ne tut ni sans convenance ni sans
dignité; et on doit regretter que les hommes qui, dix-huit
années plus tard , firent aussi chasser de France la branche
cadette de cette famille , n'aient pas su se rendre la même
justice en se condamnant désormais comme lui au mu-
tisme. Quand , par son orgueilleuse obstination , on a fait
fermer les portes de la patrie aux petits-fils de Henri IV,
gémir en silence sur ses fautes et sur ses erreurs est la
seule conduite qui convienne à un ancien ministre. Re-
chercher les occasions de parler de soi au pays, de lui pré-
senter l'apologie plus ou mons habile de ses actes , par con-
séquent nourrir l'espoir de revenir encore quelque jour
aux affaires après avoir perdu une partie dont l'enjeu était
une couronne , n'est plus d'un iiomme d'État, mais d'un
intrigant. Viilèle mourut le 13 mars 1854, à Toulouse,
âgé de quatre-vingts ans.
VILLEMAIIV ( Abel-François), célèbre rhéteur con-
temporain, est né à Paris, en 1791, et fit ses études au
lycée impérial (Louis-le-Grand). Ses condisciples se rap-
pellent quel'hommequi devait par la suite recueillir tant de
palmes académiques, se vit, à la fin de ses classes, déshérite
par la chance aveugle du concours général. Néanmoins, ii
n'avait pas encore vingt ans lorsque F onta nés l'appela en
1810 à occuper la chaire de rhétorique au lycée Charle-
magne, en même temps qu'il le chargeait d'une conférence
de belles-lettres à l'École Normale. En 1811 on rétablit l'u-
sage, en vigueur dans l'ancienne université de Paris, de faire
précéder la distribution des prix du concours général par un
discours latin; et c'iest à M. Villemain que le grand-maître
s'adressa pour inaugurer ce retour aux vieilles coutume.s.
L'année suivante, l'Académie Française couronna son Éloge
de Montaigne , resté l'un de ses meilleurs écrits. En 1814
elle décerna encore le prix à son discours Stir les avantages
et les inconvénients de la critique. L'empereur de Russie
et le roi de Prusse voulurent assister à la séance où devait
être proclamée la décision de l'Académie ; et, par une déro-
gation sans exemple à ses usages, l'Académie autorisa le
jeune lauréat à prendre la parole dans son sein pour lire
son discours. M. Villemain fit précéder cette lecture de com-
pliments à l'adresse des souverains étrangers, qu'on lui a sou-
vent reprochés depuis avec beaucoup d'aigreur ; car, malgré
toute l'Iiabileté qu'il y mit, ces compliments froissèrent le
sentiment national. 11 en lut de même d'une brochure qu'il
fit paraître au commencement de 1815 sous le titre de La
France en deuil, ou le 2i janvier. En 1816 l'Académie
Française couronna encore son Éloge de Montesquieu.
M. Decazes, nommé ministre de la police, appela M. Ville-
main aux fonctions de directeur de l'imprimerie et de la
librairie. En 1819 iNI. Villemain fit paraître son Histoire de
Ci'ornwell , qm lui servit de titre pour être élu en 1821
membre de l'Académie Française. Cet ouvrage , malgré son
mérite , n'a obtenu qu'un succès médiocre , et l'on a plaisam-
ment comparé l'auteur à ces savants de Lilliput envoyés par
leur souverain pour examiner le géant Gulliver jeté par la
tempête sur les côtes de l'ile et lui faire un rapport à ce
sujet , mais dont la vue ne peut pas aller au delà de la botte
du monstre. En 1821 M. Villemain se démit de l'emploi qu'il
exerçait au ministère de la police , et ne conserva de ses
fonctions salariées qu'une place de maître des requêtes au
conseil d'État et sa chaire à la Faculté des Lettres. En 1824
le ministère déplorable s'avisa de voir un danger pour la
monarchie dans l'immense concours d'auditeurs qui se pres-
saient autour des chaires de MM. Cousin, Guizot et Vil-
lemain , et suspendit leur enseignement. Les trois célèbres
professeurs ne le reprirent qu'avec plus d'éclat encore en
1827 , lorsque le ministère Martignac eut le bon esprit de
mettre un terme à un interdit que rien ne justifiait et qui
entourait d'une auréole de persécution, par suite de popula-
rité, les hommes qui en étaient l'objet. Les leçons faites à la
Faculté par M. Villemain ont été recueillies et publiées depuis
sous les titres de Co?(rs d'Éloquence (1817 ) etde Cours de
Littérature française (Paris, 1828-1830). Élu en 1829 par
le département de l'Eure à la chambre des députés , M. Vil-
lemain salua avec empressement la révolution de 1830, et
figura parmi hs deux-cent-vingt-etun qui déférèrent
la couronne à Louis-Philippe. En 1832 il fut nommé pair
de France. En 1839 il reçut le portefeuille de l'instruction
publique, que l'avènement du ministère du l*"" mars 1840 lui
fit perdre. Sept mois plus tard, ce ministère était remplacé
par le cabinet du 11 octobre, dans lequel M. Villemain fut
appelé encore une fois à prendre le ministère de l'instruc-
tion publique. Il le conserva jusqu'à la fin de 1844, où,
atteint d'une attaque subite d'aliénation mentale , il se jeta
par la fenêtre. Il fallut de toute nécessité lui donner un rem-
plaçant; et ce fut sur M. de Sa Ivandy que se fixa le choix
du roi. En 1847 M. Villemain recouvra complètement sa
santé, et prononça encore dans la chambre des pairs quelques
discours où il fit preuve de son talent ordinaire. La révo-
lution de Février fut pour lui la source de profonds regrets;
et lors du rétablissement de l'empire, en 1852 , il refusa le
serment , ne conservant en fait de fonctions salariées que
VILLEMAIN - VILLEROY
901
celles de secrétaire perpétuel de l'Académie Française, aux-
quelles il avait été appelé après la mort d'Andrieux.Onsait
qu'avec une générosité qui l'honore, l'empereur Napoléon III
décida que le serment ne serait pas exigé des membres de
l'Institut; corps dans lequel il comptait force adversaires
implacables. Depuis lors M. Villemain a publié : Souvenirs
contemporains d'Histoire et de Littérature (Paris, 1853;
2* édit., 1854), où il fait au régime actuel une petite guerre
d'allusions et d'épigrammes si adroitement dissimulées que
plusieurs organes officiels ont naïvement loué ce livre sans
réserve. On attend toujours son Histoire de Grégoire VII,
qui sera, dit-on, son œuvre capitale. En 1825 il avait fait
paraître un roman historique, Lascaris, ou les Grecs du
quinzième siècle , qui a. obtenu les " honneurs de plusieurs
éditions.
VILLEIVACDon Enrique de ARAGON, marquis de),
célèbre érudit es|)agnol, né en 1384, était allié aux rois d'A-
ragon et de Castilie. Destiné à la carrière des armes, il se
sentit une vocation bien plus grande pour les sciences et les
lettres, et acquit des connaissances si étendues pour son
siècle qu'on l'accusa de magie. En 1412, son oncle, don
Fernando de Honesto, ayant été élu roi d'Aragon, il se ren-
dit auprès de lui à Saragosse, puis à Barcelone, pour as-
sister à son couronnement. A cette occasion , il fit repré-
senter à Saragosse une moralité de sa composition. Ce
drame, écrit en langue castillane, mais imité incontesta-
blement d'une ancienne pièce française, appartient aux pre-
miers essais du théâtre espagnol. Il institua à Barcelone un
consistoire de la gaie science sur le modèle des Jeux Flo-
raux de Toulouse, et composa d'après les Legs d'Amor du
provençal un Arte de Trovar ; circonstances qui prouvent
qu'il était parfaitement au courant de la littérature française
d'alors. A partir de 1414 Viilena, réduit à la condition la
plus triste, se retira avec sa femme dans un petit domaine,
et y vécut désormais tout à l'étude. On a de lui un Art du
Trancheur (i4r<e cisoria, o tratado del arte del cuchillo).
Il réunit une bibliothèque très-considérable pour l'époque,
et mourut, le 15 décembre 1434, à Madrid. Le roi Jean II
ordonna que sa collection de livres serait examinée par
l'évêque Lope de Barientos, son confesseur; et ce prélat
trouva plus commode de la faire brûler que de la lire.
Viliena est considéré comme le créateur de la poésie sa-
vante dans la littérature espagnole, et eut pour disciples le
marquis de Santillana et Juan de Mena.
VILLEiX A (Marquis de). Voyez Pacheco (Juan de).
VILLENEUVE (Arnaud de). Foyez Arnaud de Ville-
neuve.
VILLEIVEUVE ( Pierre-Charles-Jean-Bvptiste-Syl-
vestre), vice-amiral, né en 1763, à Valensoles (Basses-Alpes),
entra dans la marinedès l'âge de quinze ans, et pas.sa capitaine
de vaisseau en 1793. Ilcommandaitl'arrière-garde à la bataille
d' A b ou kir, et parvint à rentrer à Malte avec quatre vais-
seaux. Nommé vice-amiral en 1804, il prit le commandement
de l'escadre de Toulon, avec laquelle il gagna Cadix, où il fut
rallié par la flotte espagnole aux ordres de l'amiral Gravina ;
puis, trompant Nelson sur sa véritable destination, il
gagna la mer des Antilles, où il fit quelques prises impor-
tantes. Un mois après Nelson y arriva également ; mais alors
Villeneuve, au lieu de chercher à le combattre, fit voile vers
la Galice. A peu de distance des îles Açores il rencontra une
escadre anglaise commandée par l'amiral Calder, et aussitôt il
s'engagea entre les deux escadres une bataille dont le ré-
sultat demeura indécis et ne satisfit aucun des deux gou-
vernements ennemis. Si le Moniteur publia une note dé-
favorable à Villeneuve, le gouvernement anglais, de son
côté, pour satisfaire l'opinion publique, fit passer Calder
en jugement. Villeneuve, ne pouvant songer à gagner Brest,
s'était rendu à Cadix , où Nelson ne tarda pas à arriver avec
des forces supérieures. Celui-ci ayant détaché de sa flotte
cinq vaisseaux, Villeneuve, aiguillonné parla note du Moni-
teur, crut l'instant venu de prendre sa revanche ; et alors
«'engagea la funeste bataille deTrafalgar. Villeneuve, dont
le vaisseau avait été complètement démâté, dut amener son
pavillon. Fait prisonnier et conduit en Angleterre, il fut rerais
en liberté l'année suivante; et au lieu devenir à Paris, il
s'arrêta à Rennes, le 17 février 1806. Il voulait savoir, avant
d'affronter les regards de l'empereur, quel accueil lui serait
fait aux Tuileries. La réponse du ministre de la marine
ayant été sévère, on le trouva le 22, dans sa chambre, frappé
de six coups de couteau au cœur. L'enquête judiciaire et
les lettres laissées par Villeneuve ne permettent pas de
douter qu'il avait lui-même mis fin à ses jours.
VILLENEUVE D'AGEN ou SUR LOT , chef-lieu d'ar-
rondissement du département de Lot-et-Garonne, est bâti
non loin de l'ancienne abbaye d'Eysses (Excisum), trans-
formée aujourd'hui en maison de détention, près de laquelle
on a trouvé quelques monuments antiques. C'est une jolie
ville, située dans une belle vallée, et dont la population
s'élève à 12,156 habitants. Le Lot la divise en deux parties
inégales, qui communiquent entre elles par un pont remar-
quable, surtout par son arche principale,rune des plus hardies
qu'on puisse citer entre celles des vieux ponts existant en
France. Il ya à Villeneuve d'Agen un tribunal civil, un tri-
bunal de coramnrce, un collège, unechambreconsultatived'a-
griculture, et il s'y fait un important commerce de prunes.
Appelée autrefois Gajac, cette ville fut complètement dé-
truite dans les guerres qui affligèrent le commencement du
treizième siècle. Reconstruite alors par un frère de saint
Louis, elle prit le nom de Villeneuve. Le duc de Joyeuse
l'assiégea inutilement, en 1591.
VILLEQUIER (Les marquis de). Voyez Aumont.
VILLEROY ou VILLEROI (Famille de). Cette fa-
mille, aujourd'hui éteinte et qui fut anoblie au commence-
ment du seizième siècle, a fourni plusieurs personnages
historiques. Elle descendaitde Pierre Lecendre, prévôt des
marchands de Paris, propriétaire des terres de Villeroy
(en Crie) et d'Alincourt (en Normandie), à qui, dans un
pressant besoin d'argent, François P"^ vendit, en 1522,
moyennant une somme de 50,000 livres comptant , tous
les produits des greffes de la ville et prévôté de Paris.
Nkolas Licgendre de Neufville, sieur de Villeroy , né
en 1542, fut ministre sous les rois Charles IX, Henri III ,
Henri IV et Louis XIII, et mourut à Rouen, en 1617 , lais-
sant , entre autres , les célèbres Mémoires d''État depuis
1567 jusqti'en 1604 (Paris, 1622; avec une continuation
jusqu'en 1620, Paris, 1634). Son petit-fils, Nicolas de Neuf-
ville, marquis et plus tard duc de Villeroy , né en 1597,
se distingua comme militaire, et fui nommé, en 1646, maré-
chal de France en même temps que gouverneur du jeune
Louis XIV. Il obtint en 1663 la pairie avec le titre de duc,
et mourut en 1683.
Son fils, François de Neufville, duc de Villeroy, né
en 1643, fut élevé avec Louis XIV, dont il resta l'un des
favoris. Longtemps le modèle de l'élégance et de la mode,
il voulut goûter de la gloire militaire, et en 1694 il obtint
le bâton de maréchal, quoiqu'il fût resté jusque alors à peu
près inconnu de l'armée. Louis XIV, toujours convaincu de
son mérite, l'envoya en Italie, en 1701, au début de la
guerre de la succession d'Espagne , ordonnant à Catinat
et au duc de Savoie de le reconnaître pour leur chef. Le
1*"" septembre 1701 Villeroy, contrairement à l'avis émis
par Catinat, attaqua le camp du prince Eugène à Chiari ,
et essuya à cette occasion une déroute complète. Il consola
le roi de cet échec en lui promettant une prochaine victoire;
mais dans la nuit du l*^"" février 1702 il fut surpris dans
Crémone parle prince Eugène et fait prisonnier, pour ainsi
dire, dans son lit. Pour le malheur de la France, on le
comprit à peu de temps de là dans un échange de prison-
niers. Les recueils du temps abondent en épigrammes eten
couplets satiriques sur sa mésaventure de Crémone. Ville-
roy sollicita de nouveau le commandement d'une armée, et,
malgré une épreuve si déplorable, Louis XIV eut encore la
faiblesse de céder aux obsessions de son favori. Au commen-
cement de 1706 le duc de Villeroy fut donc appelé au coœ'
902
mandement en chef de l'armée des Pays-Bas, forte de
75,600 hommes. Il eut alors pour adversaire Marlborough,
qui le 23 mai 1706 lui fit essuyer l'immense désastre de R a-
milies. Villeroy y perdit 20,000 hommes, tonte son artil-
lerie et tousses bagages ; quelques heures avaient suffi à l'in-
capacité et à la sotte opiniâtreté de ce général de faveur pour
laisser anéantir la plus belle armée que la France eût à ce
moment. Rien dans la conduite deLouis XIV à l'égard de Vil-
leroy n'indiqua qu'il eût perdu quoi que ce soit de sa confiance.
Tout au contraire, lorsque, en 1715, sur les instances de
M"* de Maintenon , le vieux roi se décida à faire un testa-
ment qui posait des limites et des entraves de toutes espèces
à l'exercice des pouvoirs de la régence dont son neveu ,
M. le duc d'Orléans , devait être investi pendant la minorité
de son petit-fils, il mit le duc de Villeroy dans la confidence
des dispositions de cet important document. L'éhonté cour-
tisan eut la bassesse de trahir, du vivant même de Louis XIV,
'e secret qui lui était confié et d'aller le vendre au duc
d'Orléans, qui, une fois prévenu, put prendre à temps les
mesures nécessaires pour faire annuler un acte par lequel
le grand roi , prétendant en quelque sorte se survivre à lui-
même , dictait encore du fond de sa tombe ses volontés à la
France. Par son testament , Louis XIV nommait en outre
son favori gouverneur du jeune roi. Villeroy, qui bientôt se
brouilla avec le régent , rempUt ses fonctions et invoqua les
prérogatives de sa charge de manière à justifier les horribles
accusations dont M. le duc d'Orléans était l'objet. C'est ainsi,
par exemple, que le maréchal ne souffrit jamais que le
jeune roi mangeât quelque chose sans qu'il n'y eût préala-
blement goûté lui-même. Louis XV n'eut pas plus tôt atteint
sa majorité, que M. d'Orléans se vengea de tant d'insultes en
saisissant la première occasion de se débarrasser dé son en-
nemi. Le 12 août 1722 le maréchal fut tout à coup arrêté par
un exempt des gardes du corps et exilé à Lyon dans son
gouTernement. Depuis lors il ne fit que de rares apparitions
à la cour; et il mourut le 18 juillet 1730. Tous les mémoires
du temps s'accordent à le peindre sous les couleurs les moins
flatteuses et à lui prêter les sentiments les plus bas. C'est lui
qui, traduisant un proverbe italien, disait cyniquement qu'on
devait tenir le pot de chambre aux ministres tant qu'ils
étaient en place, et le leur verser sur la tête quand ils
n'y sont plus.
VILLERS-COTTERETS, petite ville de l'arrondis-
sement de Soissons (département de l'Aisne) , et chef-lieu
de canton , n'a de remarquable que son dépôt de mendicité,
dont l'administration rentre dans les attributions du préfet
de police de Paris. Population, 2,600 habitants.
VILLES. Voyez Communes.
VILLES HAASÉATÏQUES. Voyez Hanse.
VILLES IMPÉRIALES. On appelait ainsi, dans l'em-
pire d'Allemagne , les villes qui relevaient immédiatement
de l'empire, étaient investies des droits de complète sou-
veraineté sur leur territoire, et jouissaient du droit de
siéger et de voler 5 la diète de l'Empire. Les villes acqué-
raient le droit de relever immédiatement de l'Empire tantôt
en se rachetant de leurs seigneurs suzerains , tantôt en vertu
d'un octroi exprès de l'empereur, et quelquefois aussi par
la force, comme cela arriva surtout à l'époque de l'inter-
règne, où elles réussirent ainsi à sedéroberau joug de leurs
suzerains. La paix de Wesiphalie assura et confirma aux
villes qui alors relevaient immédiatement de l'Empire ces
privilèges , avec le droit de siéger et de voler dans les diètes
impériales ainsi que dans les assemblées de cercle. On appe-
lait aussi villes impériales les villes où se tenaient les
diètes de l'Empire.
Le régime intérieur des villes impériales variait à l'infini,
et tenait plus ou moins soit de la forme démocratique, soit
de la forme aristocratique, suivant qu'elles choisissaient leurs
magistrats uniquement parmi les bourgeois, ou bien parmi
les bourgeois et les nobles (patriciens), ou encore parmi
ces derniers seulement. Cependant, il était interdit aux ma-
gistrats de se considérer et d'agir comme les souverains du
VILLEROY — VILLES LIBRES
pays , et la constitution de chaque ville impériale était piacée
sous la garantie et la protection spéciale de l'empereur. Au
dix-huitième siècle on comptait encore quatorze villes im-
périales du banc du Rhin et trente-sept du banc de Souabe.
En vertu de la résolution prise le 25 février 18o3 par la dé-
putation de /'empire, toutes les villes impériales, à l'excep-
tion de Hambourg, d'Augsbourg, de Nuremberg,
de Lubeck, de Brème et de Francfort-sur-le-Mein,
furent placées sous la souveraineté de divers États de l'Em-
pire. La paix de Presbourg (4 mai 1806) enleva à Augs-
bourg les droits de ville libre impériale. La création de la
Confédération du Rhin les enleva également à Francfort et
à Nuremberg. Le 13 décembre 1810 , Napoléon enleva leur
indépendance aux trois villes de Hambourg, Brème et Lu-
beck, qui avaient continué de porter jusque alors le nom de
villes hanséatiques ; mais en 1815 il leur futrendu,et on les
admit à faire parlieà ce titre de la Confédération Germanique
ainsi que Francfort snr-le-Mein.
VILLES LIBRES. Les villes d'Allemagne, dont pour
la plupart l'origine remonte à l'époque des Carlovingiens et
des empereurs delà maison de Saxe, restèrent pendant long-
temps sous la dépendance, souvent fort oppressive, de sei-
gneurs, soit temporels soit spirituels. Le règne de Henri IV
fut la première circonstance qui inspira aux bourgeois de
Worms et de Cologne le courage de s'armer pour devenir li-
bres. Ils offrirent à cette condition leurs services à ce prince
dans sa lutte contre ses feudataires , et il n'eut garde de
ne pas les accepter avec empressement. Le commerce et l'in-
dustrie accrurent successivement la puissance de quelques
autres villes, à qui il arriva .souvent de prendre la défense de
l'empereur contre ses orgueilleux vassaux , et qui , en ré-
compense de ces services, ou encore à prix d'argent , obtin-
rent des privilèges, des franchises et des distinctions de
plus d'un genre. Telle fut, vers le milieu du douzième siècle,
l'origine des ri^es impériales. Au reste, il y eut en
Allemagne, dès les temps les plus reculés, des villes libres
remontant à l'époque de la domination romaine , et qui
n'eurent que fort peu de ressemblance avec les villes impé-
riales, dont l'origine est postérieure. Ce ne fut guère qu'au
commencement du seizième siècle , qu'elles perdirent peu
à peu les plus importants de leurs antiques privilèges, et
même, par suite de l'ignorance de leurs magistrats, jusqu'à
leur titre de villes libres. Leurs principales franchises con-
sistaient dans le droit de s'administrer elles-mêmes avec
une entière indépendance, de ne jamais rendre hommage
ni prêter serment de fidélité à un empereur, de ne jamais
prendre part à une expédition contre Rome (sans avoir
d'ailleurs à s'en racheter à prix d'argent), de ne pas payer
de contributions à l'Empire, de ne point se compter dès
lors parmi les États de l'Empire, en un mot de constituer
des républiques parfaitement indépendantes.
Les villes de Lombardie, devenues riches et puissantes par
le commerce, et encouragées par l'appui des papes , osèrent
à diverses reprises résister aux ordres des empereurs, qui ne
triomphèrent souvent qu'avec peine des mutins; et l'exem-
ple des villes lombardes enhardit les villes de l'Allemagne à
faire comme elles. Au milieu du treizième siècle, deux im-
portantes associations de mutuelle défense naquirent parmi
ces villes, la £f anse et la ligue des villes rhénanes. Les
débris de la Hanse et de l'ancien collège des villes à la diète
de l'Empire, les villes libres de Hambourg, Brème et
Lubeck, furent incorporés en 1810 à l'empire français.
Mais ces trois villes ayant contribué activement en 1813 à
défendre la cause de l'indépendance de l'Allemagne , le con-
grès de Vienne récompensa leur patriotisme en les déclarant
villes libres , ainsi que Francfort-sur-le-Mein , résidence
du prince primat. Elles accédèrent en cette qualité, le 8 juin
1815, à l'acte constilutif de la Confédération Germanique,
obtinrent chacune une voix dans le plénum de la diète et
une voix collective dans le petit conseil. Elles ont depuis
1820 une cour suprême d'appel à Lubeck.
Indépendamment de ces quatre villes d'Allemagne, les
VILLES LIBRES — VILLON
903!
actes du congrès de Vienne déclarèrent également Cracovie
ville libre, sous la protection de la Russie , de l'Autriche
et de la Prusse. On sait qu'à la suite d'une insurrection
tentée en 1846, cette faveur lui a été retirée, et qu'elle a
été alors incorporée au territoire autrichien , par suite d'une
décision des trois cours.
VILLES LIBRES DU PIÉMONT. On qualifia au
moyen âge de villes libres divers grands centres de po-
pulation investis d'une administration communale ayant la
plus grande analogie avec la forme du gouvernement répu-
blicain. C'étaient Turin , Asti, Quiers, Albe, Novare, Ver-
ceil, Alexandrie, Coni, Mondovi, Ivrée, Testone, Savi-
gliano, Casai , Acqui , Pignerol et Rivoli. Onze communes
de la vallée de Macra, dans le marquisat de Saluées, for-
mèrent aussi pendant quelque temps une république fédé-
rative.
VILLETTE (La Grande et la Petite), commune du
département delà Seine, arrondissement de Saint-Denis,
située en dehors de la barrière Saint-Martin , à l'extrémité
du canal de l'Ourcq, sur le vaste bassin de ce nom, avec
une population de 30,270 habitants. On y trouve une foule
<ie manufactures, de fabriques et d'usines de toutes espèces ;
et il s'y fait un commerce considérable en bois, charbon,
houille, etc., arrivant par le canal.
VILLIERS (Georges). Voyez BccKii\CHAM(Duc de).
VILLIERS DE L'ISLE-ADAM (Philippe de), né
en 1464 , et quarante-troisième grand-maître de l'ordre de
Saint-Jean-de-Jérusalem, remplissait en France les fonctions
d'ambassadeur quand il api)rit son élévation à la dignité su-
prême. Instruit des préparatifs que faisait Soliman pour assié-
ger Rhodes, il s'y rendit en toute hâte, et travailla à mettre cette
île en état de défense. L'année suivante, en effet ( 1524), les
Turcs débarquèrent, au nombre de phis de 200,000 hom-
mes. Quoique le grand-maître n'eût avec lui que 600 che-
valiers, 4,000 soldats et quelques habitants qui avaient pris
les armes, il soutint un des plus mémorables sièges dont
l'histoire fasse mention : les musulmans furent toujours re-
poussés dans une multitude d'assauts qu'ils tentèrent coup
sur coup, mais dont chacun coûtait toujours aux chrétiens
d'irréparables pertes. Irrité de l'inutilité de tant d'efforts,
Soliman vint commander lui-même le siège, et le pressa
si vigouceusement, que Villiers, épuisé d'hommes et de
vivres , se vit enfin réduit à capituler : le vainqueur, plein
d'estime pour son brave adversaire, lui accorda les condi-
tions les plus honorables. Le l*^"" janvier 1523 Villiers quitta
Rhodes avec ce qui lui restait de monde. Après avoir long-
temps erré avec cette petite troupe, il trouva enfin un re-
fuge à Vitcrbe, parla protection du pape Clément Vil.
Charles Quint ayant fini par lui céder Malte et les îles voi-
sines, Villiers de risle-Adam alla s'y établir, et mourut en
1534, à l'âge de soixante-dix ans, après avoir réformé les
statuts de l'ordre, et tenté, mais en vain, de calmer les
sanglantes divisions qui avaient éclaté entre les différentes
langues. C'est depuis la cession de Malte faite à Villiers
par Charles Quint que les chevaliers de Saint-Jean-de-Jé-
rusalem prirent le nom de chevaliers de Malte-
VlLLOISOiV (Jean-Baptiste- Gasp AU D'ANSE de ), cé-
lèbre helléniste, né le 5 mars 1753, à Corbeil, près Paris,
fut élevé au collège deBeauvais, et à l'âge de vingt-trois
ans était déjà membre de l'Académie des Inscriptions. En
1778 le gouvernement l'envoya à Venise collationner les
manuscrits de la bibliothèque de Saint-Marc. Pendant son
séjour dans cette ville, il se lia avec le savant Morelli , et
au milieu des richesses littéraires soumises à ses investiga-
tions il trouva les matériaux de ses Anecdota Grasca ( 2
vol., Venise, 1781). A son retour Villoison visita la plupart
des grandes bibliothèques de l'Allemagne. Celle de Weimar
surtout fut de sa part l'objet des travaux les plus conscien-
cieux, qu'il a consignés dans ses Epistolae Vimarienses
(Turin, 1783). En 1785 il accompagna le comte deChoisenl-
GouffieràConstantinople, d'où il alla parcourir pendant trois
ans l'Asie Mineure, la Grèce et les îles de l'Archipel. Quand la
révolution éclata , il se rélugia dans une studieuse et obscure
retraite à Orléans, où il passa les mauvais jours de la ter-
reur. Il fut compris dans l'organisation première df> l'Institut,
et le gouvernement créa en sa faveur une chaire de littéra-
ture grecque au Collège de France. Mais la mort vint le frap-
per inopinément et avant le temps, le 26 avril 1805. iudé-
pendamraent d'un grand nombre de dissertations et de
mémoires insérés dans le recueil de l'Académie des Inscrip-
tions, on a de lui une édition du Lexique d'Apollonius sur
l'Iliade et l'Odyssée (2 vol. 10-4", 1773 ) , et une excellente
édition des Pastorales de Longus (2 vol. in-s", 1788).
VILLON (François), le premier poète français de quel-
que réputation, naquit à Paris, en 1431. Son véritable nom
de famille était Corbueil; et ce nom de Villon, sous lequel
il est connu n'était qu'un sobriquet. Enfant de Paris, Vil-
lon chante sa ville, ses rues, ses carrefours, ses halles, la
vieille cité, leCliâtelet, la fontaine Maubuée, le cimetière et
le charnier des Innocents, où voici des têtes, dit-il, qui au
temps de leur vie s'inclinaient l'une vers l'autre , les
unes maîtres, les autres valets. Les mœurs des mauvais
sujets de Paris, entre autres l'art de vivre aux dépens d'au-
trui et de voler son déjeuner quand on ne peut pas le
payer, art où le pauvre Villon était passé maître , voilà
les sujets que traite notre poète. Moitié par ignorance , moi-
tié par instinct , il secoue l'imitation , et il fait sortir une
première et forte ébauche de poésie nationale du sol même
de la patrie, du centre de celte nationalité dont l'œuvre se
faisait si rapidement sous Louis XI, sans que Villon en eût
connaissance , je le veux bien , mais non sans que cette
puissance agît fortement sur lui à son insu. Né de parents
obscurs et pauvres, François Villon eut tous les goûts du
franc basochien. Le basocbien , espiègle , tapageur, liber-
tin, larron, hanteur de mauvais lieux, détroussant les petits
marchands, poursuivi par les soldats du guet, heureux des
troubles publics, enchanté de la guerre, parce que la po-
lice y est plus relâchée : tel est Villon. Les Repues franches,
dont il n'est pas l'auteur, mais le héros , sont comme
V Iliade grotesque de sa vie de basochien. A l'âge de vingt-
cinq ans , Villon avait été plus d'une fois enfermé au Châ-
telet pour des larcins de rôt ou de pâtisserie. Des fautes
plus graves, un vol plus considérable sans doute , le firent
condamner à être pendu avec cinq de ses compagnons. Vil-
lon, à la veille d'aller à la potence, fait une ballade en nar-
gue de la mort. Il se représente pendu à la potence, lavé
de la pluie , desséché du soleil , poussé çà et là , déjà
cendre et poudre, et il rit de toutes ces marques de sa des-
truction prochaine. Mais ce rire a quelque chose de mé-
lancolique, très-étrange et très-touchant pour l'époque. Ce
n'est pas de la fanfaronade; ce n'est pas le criminel im-
pudent qui le carcan au cou raille ceux qui le regardent.
Villon prie ses frères humains qui vivent après lui de
lui tenir compte de ses faiblesses. Il ne raille plus, il se la-
mente encore moins; nuance de sentiments plus délicate
qu'on ne pouvait l'attendre de la situation et d'un maître
expert en Vart de la pince et du croc, comme l'appelait
assez cruellement Marot tout en lui volant ses idées et
quelquefois ses tours. Villon lègue son corps à notre grand*-
mère la terre, dont les vers, dit-il avec une gaieté triste,
ne trouveront pas grande graisse, tant la faim a fait rude
guerre à ce corps : autre trait du même genre. Villon
n'exploite pas la pitié, il l'obtient sans la demander : on est
tout prêt à rejeter sur tout le monde les vices qui l'ont
amené au pied de la potence. Il y échappa pourtant. Quoi-
que résigné à mourir, comme \ejeune lui plaisait pas ,
dit-il gaiement, il a l'idée d'en appeler, contre l'usage, au
parlement de la sentence du Châtelet. La peine de mort fut
commuée en celle du bannissement, et Villon se retira sur
les marches de Bretagne. De nouveaux larcins, dont il
s'excuse sur sa pauvreté , le remirent entre les mains de la
justice. Il fut arrêté et conduit à la prison de Meung-sur-
Loir, par ordre de l'évêque d'Orléans. Il s'en fallut de la
clémence de Louis XI, qu'il appelle Loysle Bon, que Vil»
904
VILLON — VIN
Ion ne réalisât l'effrayante peinture qu'il avait faite d'un
pendu. Louis XI, dur aux nobles et aux grands, était bon
au petit peuple, par politique plutôt que de cœur, bien en-
tendu; il ne haïssait pas le franc-parler des vilains, qui le
louaient aux dépens des grands; etie prince qui introduisait
l'imprimerie en France pouvait bien mettre quelque prix à
la vie d'un poëte. Villon se faisait déjà vieux. On ne sait
rien de sa vie depuis cet emprisonnement, sinon par un ré-
cit de Rabelais (Pantagruel, liv. iv, cli. 13), où "Villon
fait pis qu'une escroquerie, car c'est une atroce méchanceté.
Mais faut-il s'en rapporter à Rabelais? Ce qui distingue
les poésies de Villon , c'est un mélange de gaieté folle , de
nargue sardonique, d'espièglerie d'esprit, de saillie satirique
et bouffonne et de grâce délicate, de mélancolie toujours
touchante , parce qu'elle ne s'y montre en quelque sorte
que par demi-nuance, et qu'elle n'est jamais attendue. Tout
le monde connaît ses vers si délicats sur les dames du
temps jadis, charmante ballade sur la fragilité de leurs des-
tinées, dont le refrain est si touchant ;
Mais où sont les neiges d'autan (de l'an dernier) ?
Villon est le premier qui se soit affranchi de l'imitation du
Roman de la Rose; Villon est le premier qui sorte de la ga-
lanterie chevaleresque, des abstractions métaphysiques , de
l'érudition confuse et inintelligente, des fades allégories , de
tout le langage bel esprit ; Villon est le premier qui tire sa
poésie de lui-même; Villon est le prerpierqui ait l'expression
vive , originale, française, et qui fasse sortir la poésie na-
tionale de sa vraie source, qui est le peuple.
Désiré Nisard, de l'Académie Française.
VIMEUX (Le). Voyez Ponthieu.
VIMOUTIEKS. Voyez Orne.
VIN. Parmi les boissons fermentées, le vin occupe
le premier rang. Produit delà fermen tation du suc de
raisin, le vin doit ses qualités généreusesà la proportion d'à 1-
coolqu'il renferme et à certain arôme qui varie dans les di-
verses espèces et qu'on nommeleôoMq'we^Rougesou blancs,
suivantia présence ou l'absence de matière colorante, les vins
deviennent «lOMSsewa; lorsqu'on les bouche avant que la fer-
mentation soit accomplie , doux lorsqu'ils contiennent im
excès de matière sucrée , secs lorsque la fermentation est
complète et que le sucre n'est pas en excès. Suivant la na-
ture de la vigne, et plus encore suivant celle des terrains
et l'exposition dans laquelle la vigne se trouve placée , le
raisin fournit des vins de qualités très-différentes. Les vins
très-riches en sucre, et dans lesquels la proportion de fer-
ment s'est trouvée suffisante pour le décomposer en entier,
renferment beaucoup d'alcool , mais sont impotables par
cela même et ne servent qu'à la distillation. Ceux dans les-
quels le sucre est peu abondant , mais s'est trouvé égale-
ment décomposé en entier par le ferment, sont d'une sa-
veur âpre, qui en diminue beaucoup la valeur, et ils se
conservent mal; ceux, enfin , qui renferment avec excès.
du sucre donnent des vins qui restent sucrés après la
fermentation, et sont plus parliculièrement désignés sous le
nom de vins de liqueurs. On ne connaît pas encore la
cause de la variété infinie des saveurs diverses que pré-
sentent les vins, et qui permet de distinguer leur ori-
gine; ce bouquet particulier a été attribué à l'existence
d'un éther que l'on a désigné sous le nom d'êenanthique ,
mais la preuve de ce fait n'est pas encore acquise.
Les grains de raisin renferment à la fois le sucre et le
ferment qui doivent donner naissance à la fermentation, mais
dans un état tel que cette fermentation ne peut se développer
qu'après que l'enveloppe a été déchirée et le suc mis en con-
tact avec l'air. En effet, introduisez des grains de raisin sous
une cloche remplie de mercure, faites-y passer à plusieurs re-
prises un gaz qui enlève de leur surface extérieure l'air qui y
adhère, qui ne renferme pas lui-même d'oxygène libre, et ne
puisse pas altérer la fermentation cormue de l'acide carbonique
ou de l'azote, enfin écrasez les grains au moyen d'ime tige
fle métal ou de verre , et le jus obtenu ne fermentera pas
même à une température de 25" ; mais introduisez une bulle
d'air dans la cloche, la fermentation se développera et tout le
liquide sera transformé en vin.
Le raisin recueilli sans précaution, fùt-il d'excellente na-
ture, peut fournir un vin d'une qualité de beaucoup infé-
rieure à celle qu'il devait donner par le mélange de celui
qui n'est pas complètement mûr avec les portions déjà al-
térées ; mais le choix ne peut être fait le plus habituelle-
ment , à cause de la difficulté d'opérer sur de grandes
masses , et il n'est applicable dans tous les cas qu'à des
raisins de très-bonne qualité. Réunis dans des cuviers en
bois, on les écrase pour en obtenir le jus destiné à la fer-
mentation : ce travail est très-dangereux pour les individus
qui s'y livrent, à cause du gaz carbonique qui se dégage, et
dans l'atmosphère duquel ils se trouvent plongés de ma-
nière à pouvoir être asphyxiés , ce qui n'est pas rare. On
fera disparaître le danger par une ventilation habile-
ment dirigée ou en foulant la vendange au moyen de ma-
chines. Le jus obtenu est abandonné à la fermentation ,
soit avec les rafles, soit après en avoir été séparé au moyen
de la presse. A l'exception d'une variété de raisin nommée
teinturier ou gros noir, qui fournit toujours du vin rouge,
les raisins rouges peuvent donner du vin blanc si on les
fait fermenter après en avoir séparé les pellicules.
Une température de 12 à 18 degrés est la plus conve-
nable dans une fermentation ; trop basse , elle serait insuf-
fisante pour déterminer assez promptement la transforma-
tion du sucre en alcool, et une acidification très-prononcée
en serait la conséquence; trop élevée, elle donnerait lieu à
la perte d'une portion assez considérable d'alcool. Ce pre-
mier inconvénient se présente le plus fréquemment, par
suite de la saison dans laquelle se fait la vendange; aussi
est ce à le combattre qu'on doit s'attacher, il faut donc
clore le local où sont placées les cuves afin que les cou-
rants d'air ne le refroidissent pas , et couvrir les cuves
elles-mêmes pour diminuer le refroidissement du liquide, et
empêcher en même temps que l'accès trop libre de l'air
n'acidifie une portion de la matière et ne diminue la quan-
tité d'alcool. Ainsi, les pellicules du raisin et toutes les ma-
tières solides que renferme le jus sont soulevées par le dé-
gagement de l'acide carbonique, et viennent former à la
surface de la cuve ce qu'on appelle le chapeau de la ven-
itange , superficie qui passe très-facilement à l'aigre par
l'action de l'air. D'autre part, la masse considérable de
gaz carbonique qui se dégage entraîne de l'alcool. En cou-
vrant la cuve , on fait disparaître la plus grande partie de
ces inconvénients.
Le vin obtenu est soutiré et renfermé dans des ton-
neaux , où il subit une nouvelle fermentation lente, pen-
dant laquelle se dépose une grande quantité détartre
plus ou moins coloré , suivant la teinte du jus. Cette fer-
mentation terminée, le vin peut être bu; mais il devient
meilleur après un certain temps, variable suivant sa nature.
On est dans l'usage de donner à certaines variétés de vins
la propriété de mousser : pour cela, on les renferme, afin
qu'ils subissent une fermentation lente, dans des bouteilles
renversées le col en bas. De temps à autre on fait couler
le dépôt qui s'y forme; et on y ajoute presque toujours un
peu de sucre pour déterminer la décomposition de tout le
ferment. Celte préparation donne lieu à la fracture d'un
grand nombre de bouteilles; ce qui augmente de beaucoup
le prix du vin. Il est peu de mauvais vins que l'on ne puisse
améliorer en ajoutant à la cuve une certaine quantité de
sucre. On se sert avec avantage dans ce but de sucre d'a-
midon.
Les vins s'altèrent au delà d'une certaine durée. Les uns
deviennent acides ou passent à l'aigre. Il n'y a pas de re-
mède connu véritablement applicable à cette détérioration.
On peut, il est vrai, ajouter un peu de carbonate de soude
au vin, mais on ne fait que pallier le mal. Les autres pas-
sent à l'amer; on les môle avec des vins forts plus nou-
veaux , ou les passe sur de la lie , on les soutire dans des
VIN — VINCENNES
905
tonneaux qui ont contenu de bon vin, et on les colle. Enfin ,
on combat la maladie connue sous le nom de graisse en y
ajoutant un peu ie tannin. Exposé à l'action de l'air, le
vin passe plus ou moins rapidement à l'aigre , par la trans-
formation de l'alcool en acide acétique. On profite de cette
propriété pour obtenir le vinaigre.
Dans la plupart des pays viticoles, la fabrication des vins
laisse du reste beaucoup à désirer. Plusieurs vignerons
d'outre-Rhin ont eu l'beureuse idée de se réunir pour la
manipulation de leurs vendanges. Ces associations ont une
foule de résultats heureux. Les vins, au lieu d'être mani-
pulés plus ou moins mal par chaque propriétaire isolément,
le sont avec art par des hommes instruits. De là améliora-
tion des produits , qui par suite se placent à des prix éle-
vés. Dans le Wurtemberg , ce n'est pas le jus qu'apporte
chaque associé, mais le raisin en nature. On fixe d'avance
le jour de la cueillette et celui de la livraison des produits;
de sorte que la récolte se fait successivement à mesure que
le raisin mûrit sur pied. Les raisins une lois livrés, leur
poids notés, chaque associé n'a plus qu'à attendre, sans se
déranger, la part proportionnelle qui lui revient de la vente
des produits. Bien mieux , ou lui fait des avances, qui peu-
vent s'élever jusqu'à la moitié du prix de sa livraison. 11
n'y aurait donc que des avantages à ce qu'il fût créé de
pareilles associations dans les communes viticoles de la
Fiance.
Dans les localités où les vins sont frappés d'impôts exces-
sifs (voyez Boissons [Impôts sur les J ), il ne faut pas s'é-
tonner que la fraude ait cherché à réaliser des bénéfices il-
licites. Paris, par exemple, est l'un des eudroits du monde
où il se consomme le plus de vins sophistiqués. Cepen-
dant, c'est une erreur de croire qu'on les fabrique avec une
dissolution de bois de Campéche étendue d'alcool à laquelle
on donne du bouquet à l'aide de moyens artificiels bien
connus. Sans doute des fraudeurs avides se rencontrent de
temps à autre qui en agissent ainsi ( voyez Altération, Fa-
brication); mais ce genre de délit arrive à être de plus
en plus rare , parce que les fraudeurs font preuve de plus
d'adresse tout en se montrant moins avides. Leur in-
dustrie s'est même perfectionnée à ce point , qu'il est
assez difficile de reconnaître avec certitude la moindre
altération dans les vins qu'ils préparent , et que ces vins
qui ont la vogue sont souvent préférés par un grand
nombre de consommateurs aux vins les plus naturels. Les
moyens qu'ils emploient consistent , ainsi que nous l'ap-
prend un excellent travail publié sur cette matière par
M. Lanquetin, à s'approvisionner de vins forts, corsés, et
de goût agréable, quoique communs ; à faire venir ces vins
du vignoble ou à les choisir dans les immenses magasins
de Bercy et de l'entrepôt, parmi ceux qui ont été renforcés
d'alcool soit au moment de leur expédition , soit après; ou
bien on opère soi-même ce vinage, et on le renouvelle au
besoin plusieurs fois. On fait ensuite entier dans Paris ce
vin surchargé d'alcool en ne payant que le droit imposé
sur l&s vins naturels. On l'étend d'eau dans une proportion
qui en réduit la force au degré du vin naturel; puis, enfin,
on le mélange de vins de différents crûs , susceptibles de
se bonifier, de se compléter les uns par les autres. Essayer
d'employer ces moyens de falsification à l'égard des vins
fins , des vins dont le mérite est dans la sève , serait aussi
ruineux qu'insensé. Les vins communs la permettent et la
supportent seuls; et surtout , parmi ceux-ci, les vins ven-
dus à la bouteille. C'est à ce genre de fraude, et presque à
ce seul genre de fraude , qu'est entraînée à Paris une partie
du commerce de détail : toute autre sophisticiition serait
incompatible avec un certain débit. Point de dangers dans
cette fraude pour la santé de l'acheteur; et même, chose qui
surprend d'abord , peu de bénéfices pour le vendeur. Éva-
luer, comme on le fait souvent, son bénéfice à 80 francs
par pièce, c'est outrer l'exagération. La fraude a pour objet
et pour résultat de livrer à la consommation du vin ainsi
mélangé et plus ou moins étendu d'eau à 38 cent, et à
50 cent, la bouteille , 40 et 50 cent, le litre , tandis que du
vin naturel ne saurait guère être vendu moins de 60 et
75 cent, la bouteille, 70 et 80 cent, le Htre. Le fraudeur se
contente, comme on voit, d'un bénéfice égal à celui des mar-
chands les plus délicats; mais son bas prix lui attire pres-
que toute la vente de ses concurrents et multiplie son bé-
néfice. Le voisinage d'un marchand fraudeur entraîne, par
son illicite concurrence, les autres marchands de son quar-
tier, sous peine de rester sans débit, à frauder eux aussi. ïl
serait difficile d'évaluer d'une manière bien précise le ré-
sultat de cette falsification, devenue normale à Paris sur les
vins ordinaires. Quelques économistes ne le portent pas à
moins de 300,000 hectolitres par an ; les calculs les plus
modérés l'évaluent à 150,000 hectolitres.
VINAIGRE, produit de l'acétification du vin ou d'au-
tres liquides alcooliques. Pendant cette acétification il se
dépose une masse molle nommée mère de vi7iaigre, qui fa-
cilite la transformation du vin en le nouveau produit qu'il
s'agit d'obtenir.Selon le procédé ordinaire, on mélange du bon
vinaigre avec du vin, dans des tonneaux qu'on remplit suc-
cessivement avec du même vin , dans lequel on a fait ma-
cérer diverses substances , telle que des copeaux de bois.
Quand l'acétification est complète, on retire une partie du
li(iuide et on la remplace par du vin, et ainsi de suite. En
opérant ainsi , la transformation du vin en vinaigre exige
beaucoup de temps. Un Allemand, Schùztenbach, a le
premier employé un procédé qui procure du vinaigre dans
un temps très-court; il consiste à faire couler sur des co-
peaux de hêtre, primitivement bouillis dans du vinaigre et
renfermés dans des tonneaux au sein desquels on déter-
mine des courants d'air, des vins ou d'autres liqueurs fer-
mentées , qui y parviennent très-divisés , au moyen de
cordes sur la surface desquelles ils coulent, ou de tamis
qu'ils traversent. Déjà, à la première fois , la liqueur sesl
en partie acidifiée, et l'opération ne dure que très-peu de
jours.
C'est à l'acide acétique que le vinaigre doit ses qualités
principales : les corps qui accompagnent cet acide lui
communiquent aussi des propriétés qui font distinguer fa-
cilement les vinaigres de vin , de bière, de cidre , de vins
artificiels. Pour l'usage domestique , le vinaigre de vin est
le meilleur. On a cherché aie remplacer par l'acide acé-
tique, obtenu de la distillation du bois, purifié conve-
nablement; mais la saveur de ce produit est toute différente
de celle du vinaigre. H. Gaultier de Claubry.
VINAIGRE SURAT. Voyez Sureau.
VINAIGRETTE. Voyez Brouette.
VINASSES. Les vins naturels ou artificiels qui ont
servi à la distillation, dans le but de se procurer de
l'alcool, donnent pour résultat des liquides connus sous
le nom de vinasses , lesquels, dans le premier cas .surtout,
fournissent beaucoup de potasse par la calcination. Leur
écoulement sur le sol entraîne de graves inconvénients par
la décomposition qu'ils subissent ; ce sont surtout les vi-
nasses de vins artificiels obtenues de la pomme de terre
qui exhalent à un très-haut degré une odeur désagréable.
H. Gaultier de Claubrï.
VINCENNES, gros bourg du département de la Seine,
situé à 2 kilomètres de la barrière du Trône, avec une po-
pulation de 11,500 habitants, est surtout célèbre par son châ-
teau et le parc qui en dépend. Le château actuel, dont la fon-
dation remonte à Philippe de 'Valois etque les successeurs de
ce prince firent fortifier d'après les principes alors en usage,
forme un carré. Indépendamment d'une haute tour isolée,
située dans la cour, et connue sous le nom de Donjon de Vin-
cennes, il en avait encore neuf autres, qui flanquaient le mur
d'enceinte, et qui, bien que délabrées, existaient encore en
1808 , époque où, le château étant devenu le grand arsenal de
Paris, on jugea nécessaire d'en raser les tours à Pexception
d'une seule. L'archéologue doit déplorer les nécessités qui ont
complètement transformé l'un des plus beaux échantillons
qu'on possédàtd'une forteresse du moyen âge. Jusqu'au règne
906 VINGENNES
de Louis XI le château de Yincennes avait été une résidence
royale ; c'est ce prince qui le transforma en prison d'État, ca-
ractère qu'il a toujours conservé depuis. Les prisonniers dé-
tenus pour motifs peu graves étaient logés dans les chambres
des tours ; mais ceux qu'on considérait comme de grands cri-
minels, et qui devaient supporter la torture, étaient enfermés
dans les cachots souterrains. On voit encore les oubliettes et
la salle de la question. Les salles du rez-de-chaussée ser-
vent maintenant de magasins àl'artillerie; mais celles des éta-
ges supérieurs sont toujours réservées pour les prisonniers
d'État. En face du donjon se trouve la chapelle du château,
magnifique monument d'architecture gothique du seizième
siècle , et l'un des derniers exemples de l'emploi du style
ogival, avec de beaux vitraux d'après les dessins de Jean
Cousin. A droite et à gauche dans la cour du château se
trouvent d'immenses bâtiments, dont la construction fut
commencée par Catherine de Médicis, mais lerminée seule-
ment par Louis XIV, qui les fit orner avec tout le luxe que
comporte une résidence royale. Le pavillon du roi , der-
rière lequel un pont-levis placé sur le fossé conduit au parc,
sert aujourd'hui de caserne; et le bâtiment situé de l'autre
côté du château , oii il y a quelques années le duc de Mont-
pensier, en sa qualité de commandant de l'artillerie, s'était
fait arranger des appartements, est aujourd'hui vide. Der-
rière la chapelle du château se trouvent les ateliers de l'ar-
tillerie, et à gauche la salle d'armes, contenant un im-
mense approvisionnement d'armes de toutes espèces. Dans
ces derniers temps le château a été considérablement agrandi,
par la construction d'un nouveau fort contenant des caser-
nes pour deux régiments d'artillerie, des écuries et des
magasins à poudre. Un immense parc d'artillerie s'y trouve
aussi, toujours prêt à servir. La garnison se compose d'un
et quelquefois de deux régiments d'artillerie, d'un régiment
d'infanterie, d'un bataillon de chasseurs dits de Vincennes,
et de quelques compagnies de sapeurs et de mineurs. Dans
ces derniers temps une école de tir a aussi été créée au
château de Vincennes.
Vincennes , comme la plupart des résidences royales, n'a-
vait été d'abord qu'un rendez-vous de chasse. Son origine
date du règne de Louis VIL Ce prince y fit élever, en 1137,
quelques cabanes pour s'abriter avec sa suite lorsqu'il chas-
sait dans cette partie de ses domaines. Philippe-Auguste
agrandit ce rustique manoir; il lit clore de murailles l'en-
ceinte du bois, et le peuplade bêtes fauves que lui avait
envoyées le roi d'Angleterre. Louis IX , assis à l'ombre d'un
chêne, y rendait la justice à ses sujets. En 1275 Philippe
le Hardi y épousa Marie, fille de Henri III , duc de Brabant.
La reine Jeanne, épouse de Philippe le Bel, héritière du
trône de Navarre, y mourut, en 1305; Louis le Hutin y
termina ses jours, en 1316; et Charles le Bel, son frère, y
ferma les yeux, en 1328. Le modeste manoir fat alors dé-
moli, par ordre de Philippe de Valois , qui jeta les fonde-
ments du château actuel. Le roi Jean agrandit les bâtiments;
il y passa les trois années qu'il resta en France à son retour
d'Angleterre. Charles V, né à Vincennes, en 1337, y bâtit la
sainte Chapelle. L'impudique Isabeau de Bavière ne quittait
que rarement ce château; son faible et malheureux époux
Charles Vly tenait sa cour, quand il en avait une. Charles IX
y mourut, et Bassompierre affirme avoir entendu dire à
Louis XIIl que Charles IX y était mort empoisonné par sa
mère. Henri HI allait souvent s'esbattre à Vincennes avec
ses mignons. Henri IV ne fut maître de la Bastille et de Vin-
cennes que cinq jours après son entrée à Paris. Gabrielle
d'Estrées accoucha à Vincennes d'un fils, qu'Henri IV recon-
nut, et qui reçut le nom de César de Vendôme avec le titre de
grand-prieur de France. Ce prince, auquel le Béarnais des-
tinait le trône de France avant que sa seconde femme,
Marie de Médicis , ne lui eût donné des fils , mourut pri-
sonnier à Vincennes, sous le règne de Louis XHI. Le car-
dinal Mazarin s'y était retiré dans sa dernière maladie ; il y
mourut. Louis XIV se plaisait dans cette résidence. Il y re-
^ut le roi de Danemark et les ambassadeurs du roi de Siam.
— VINCENT
La Gourdes Poisons y tint ses premières séances. La
liste des prisonniers des règnes suivants est immense.
La fabrique de porcelaine de Sèvres avait d'abord été éta-
blie à Vincennes , en 1740 , sous le patronage de madame
de Pompadour. Mirabeau fut détenu trois ans au châteaç
de Vincennes; ce fut là qu'il traduisit Tibulle,et qu'il écrivit
son ouvrage sur les lettres de cadiet ainsi que ses Lettres
à Sophie. Le duc d'Enghien fut fusillé dans les fossés du
château. En 1813 l'empereur rendit à Vincennes son an-
cienne destination; il en fit une place de guerre, dont il
donna le commandement au général Da umesnil, lequel
le conserva jusqu'en 1815; il fut alors remplacé par le mar-
quis de Puivert. La révolution de Juillet l'y 'établit en fonc-
tions. C'est au château de Vincennes que furent conduits
le prince de Polignac et les autres ministres de Charles X
après leur condamnation par la cour des pairs ; et de là on
les transféra au château de Ham. Barbes, Blanqui et autres
émeuliers de haut parage y furent détenus après la révo-
lution de 1848.
VINCENT DE LÉRINS (Saint) parut à la fin du qua-
trième siècle. Sa vie est peu connue , quoique son nom ait
de l'éclat. 11 avait été d'abord jeté dans les honneurs du
monde, puis le goût des études et l'amour des vertus le rame-
nèrent dans la retraite. Il alla se cacher au fond du monas-
tère de Lérins, dans une petite île sur les côtes de Provence.
Il avait fait dans son jeune âge des études graves; il les
rendit plus profondes en les éclairant aux lumières de la foi.
Son livre le plus célèbre, auquel il n'avait pas mis son nom,
a pour titre : Commonitorium Peregrini (Avertissement
du Pèlerin), « petit de format, dit Bellarmin, énorme da
valeur «. C'est de ce livre qu'est sortie la formule philoso-
phique si souvent répétée, et si universellement applicable :
Quod ubique, quodsemper, quod ab omnibus (Le vrai,
c'est ce qui a été transmis partout , toujours et par tout le
monde). Règle catholique admirable, qui bien entendue
est toute la loi de l'esprit humain. On a voulu trouver en
Vincent de Lérins quelque soupçon de nouveautés malson-
nantes; mais il a été justifié par les plus grands apologis-
tes. Vincent de Lérins reste une des renommées intactes
du christianisme. Il mourut sous les règnes de ïhéodose IT
et de Valentinien IIÏ , vers l'an 450. Laurentie.
VINCENT DE PAUL ( Saint ) naquit le 24 avril 1576, à
Ranquines, petit hameau de la paroisse de Pouy, dans le
diocèse de Dax (aujourd'hui département des Landes).
Son père se nommait Jean de Paul , et sa mère Bertrande
de Moras. Ils étaient pauvres, et vivaient du produit de
quelques petits héritages qu'ils cultivaient de leurs mains.
Six enfants partageaient leurs travaux des champs. Vincent,
le troisième, gardait les troupeaux. Comme il donnait des
preuves d'une intelligence digne d'être cultivée , on l'en-
voya étudier à Dax, an couvent des Cordeliers. La vocation
ecclésiastique se déclara. Il fut prêtre en 1600, et quand
il eut reçu tous les grades de théologie , il se rendit à Mar-
seille. S'étant embarqué un jour avec un gentilhomme pour
se rendre à Narbonne , des corsaires turcs capturèrent le na-
vire, et allèrent vendre les passagers sur les côtes de Barba-
rie. Le saint prêtre fut esclave sous trois maîtres différents,
dont le dernier était un Savoisien renégat, qu'il réussit à con-
vertir et avec lequel il réussit à s'évader. En 1608 il fut choisi
pour accompagner à Rome le vice-légat d'Avignon, Pierre
Montorio. Là il connut le cardinal d'Ossat , ambassadeur
d'Henri IV, qui lui donna une mission pour la France, où
en 1610 il fut nommé aumônier de Marguerite de Valois;
trois ans plus tard il se chargea de l'éducation des fils du
comte Emmanuel de Gondi. Ce fut alors qu'il conçut l'idée
des missions religieuses , et il l'exécuta tout en s'occupant
de cette éducation privée si peu faite pour remplir son
âme. Il parcourut les villages de Normandie , prêchant les
pauvres , et versant dans les chaumières la parole de con-
solation et d'amour. Louis XIII apprit de M. de Gondi les
pieux succès de l'apôtre, et nomma Vincent aumônier gé-
néral des galères. D'autre part, François de Sales, l'aimablâ
VINCENT — VINCI
907
saint de cette époque extraordinaire, lui confiait la direction
du premier couvent de la Visitation , fondé récemment par
madame de Chantai. Mais Vincent marchait à son œuvre
de prédilection : il courait à Marseille visiter les galériens.
Il n'y demeura qu'un an. En s'en retournant à Paris,
ii passa par Mâcon, où il étabUt deux confréries de charité ,
l'une d'hommes, l'autre de femmes. De Paris, le saint apôtre
courut à Bordeaux : là aussi ii y avait des galériens à consoler.
Puis, il fonda la congrégation de la Mission, spécialement
« destinée à instruire le peuple de la campagne et à former
au saint ministère ceux à qui le salut de ces mêmes peuples
devait un jour être confié « . L'acte de cette fondation date de
1625. Dès lors la vie de Vincent n'est plus qu'un tissu de bon-
nes œuvres. Nous nous bornerons à rappeler la fondation de
l'hospice des enfants trouvés à Paris, résultat d'un simple
sermon de charité prononcé à Paris. Voici les belles paroles
qu'il adressa aux dames qui l'écoutaient :
« Or sus, Mesdames, la compassion et la charité vous ont
fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez
été leurs mères selon lai grâce, depuis que leurs mères
selon la nature les ont abandonnées. Voyez maintenant
si vous voulez aussi les abandonner pour toujours. Cessez
dès à présent d'être leurs mères pour devenir leurs juges.
Leur vie et leur mort sont entre vos mains. Je m'en vais
prendre les voix et les suffrages. Il est temps de prononcer
leur arrêt , et de savoir si vous ne voulez plus avoir de mi-
séricorde pour eux. Les voilà devant vous. Ils vivront si vous
continuez d'en prendre un soin charitable, et je vous le dé-
clare devant Dieu , ils seront tous morts demain si vous les
délaissez. »
L'effet produit par le pieux orateur l'ut te! que sans sortir
de l'église, à la même heure, au même instant, l'hospice
des enfants trouvés fut fondé et doté de 40,000 livres de
rente. Après la mort de Louis XllI, Anne d'Autriciie appela
Vincent de Paul dans le conseil des affaires ecclésiastiques.
Elle voulait qu'il fût cardinal ; mais il s'effraya de cet hon-
neur, et le refusa. Sur ces entrefaites, les troubles de la
Fronde éclatèrent , et Vincent fut, en sa qualité de membre
du conseil, entraîné dans le parti deMazarin; sa modération
ayant déplu également et aux ministériels et aux frondeurs,
il aima mieux se recueillir dans de nouvelles œuvres de
propagation cliaritable. Mais depuis longtemps la santé
de l'humble prêtre était défaillante. Bientôt ses jambes, at-
teintes de maux affreux , ne purent plus le porter. Alors
sa vie devint un martyre. Ce fut dans ces habitudes de
souffrance que la mort le visita , le 27 septembre 1660.
Déjà l'Église le bénissait comme un bienfaiteur; bientôt on
l'honora comme un saint. Il fut béatiiié par Benoit XIII,
le 12 gtoût 1729, et canonisé par Clément XII, le 16 juin
1737.
VrNCEI\T (Cap Saint-), en portugais Cabo de Sao-
Vicente, le Promontorium Sacrum des anciens. Ainsi
s'appelle la pointe sud-ouest extrême du Portugal et de
toute l'Europe, par 37° 2' 43"' de latitude septentrionale,
languede terre nue et déserte, entourée des deux côtés d'une
ceinture de rochers hauts de plus de 67 mètres et présen-
tant les plus enrayantes anfractuosités, contre lesquelles la
mer vient sans cesse se briser avec fureur. Tout à l'extrémité
du cap se trouve un ancien couvent de capucins , fondé au
quatorzième siècle, et abandonné depuis 1834 ; et à peu de
distance il y a une batterie en ruines. A une quarantaine de
mètres à l'ouest s'élève du fond de la mer un rocher appelé
0 Leixa de Sao Vicente ( l'héritage de saint Vincent ). Faute
de phare, les naufrages sont fréquents dans ces dange-
reux parages, qui sont célèbres aussi dans les annales de la
guerre. Le 16 janvier 1780 la flotte anglaise commandée par
Rodney y battit la flotte espagnole aux ordres de Langara ;
autanten advint, le 14 février 1797, à la flotte commandée par
Cordova ; et l'amiral anglais Jervis , en récompense de sa
victoire, fut créé pair d'Angleterre sous le nom de S a in ^
Vincent. Le 3 juillet 1833 la flotte de dom Miguel y fut
mise en déroute par Napier.
VINCENT ( Ile de Saint- ). Ce fut le 22 jum , jour de
Saint-Vincent, que Colomb découvrit l'île à laquelle il donna
ce nom; elle fait partie des Petites-Antilles, s'élève à envi-
ron 4 myriamètres au sud de Sainte-Lucie, fait partie du
gouvernement de la Barbade, et compte environ 30,000 ha-
bitants sur une superficie de 44 kilomètres. Une haute mon-
tagne la traverse du sud au nord. Très-escarpée à l'ouest,"
elle s'abaisse presque à pic du côté de la mer, mais elle est
entourée de toutes parts de plaines onduleuses , générale-
ment d'une grande fertilité. Le cratère du volcan du Morne
Garou, haut de 1,570 mètres, forme une so//a;are célèbre.
Un second cratère seproduisit, vraisemblablement lors de la
terrible éruption de 1812, qui couvrit de masses volcaniques
l'ile presque tout entière, et jusqu'à des navires qui se trou-
vaient à une assez grande distance en pleine mer. Les pro-
duits de cette île sont les mômes que ceux du reste des An-
tilles. Elle a pour chef-lieu Kingston.
L'île de Saint- Vincent, après avoir été un sujet de vives
contestations entre les Français, qui l'occupèrent du reste
les premiers, et* les Anglais, fut définitivement livrée à ces
derniers par le traité de 1763.
VIA'CI (LÉONAUD de) naquit en 1452, dans le bourg de
Vinci , près de Florence , et était le fils d'un notaire. Doué
des facultés les plus admirables , plein d'énergie et de vo-
lonté, vigoureux de corps, infatigable d'esprit, précoce en
tout, il s'adonna aux diverses études qui peuvent occuper
le génie humain. Les sciences exactes lui furent bientôt fa-
milières. A vingt ans il en savait en arithmétique et en
géométrie autant que ses maîtres, et plus tard il appliqua ces
sciences à la mécanique avec beaucoup d'audace et de suc-
cès. Outre ces connaissances positives, il apprit très-vite à
dessiner, à modeler, à peindre ; et avant trente ans il faisait
faire des progrès à la fois aux sciences et aux arts. Chose
étrange ! après avoir terminé les calculs le^ plus arides, après
avoir combiné des forces motrices pour tailler une montagne,
creuser un canal ou élever un pont, son imagination, loin
de se fatiguera ce travail pénible, trouvait encorede la verve
et de la poésie pour écrire une ode ou peindre une vierge.
Le père de Léonard, Ser Piero, eut le mérite de deviner son
fils. Il ne chercha point à le faire hériter de sa charge , il
ne contraria point ses goûts; bien au contraire, ii le plaça de
bonne heure chez Andréa del Verroccliio, peintre célèbre de
ses amis. Léonard y devint rapidement habile comme peintre,
tout en s'adonnantà la sculpture et à l'architecture. Sa mer-
veilleuse facilité étonnait son maître, et il voulut l'employer
comme aide dans un ouvrage de grande dimension, qui
avait pour sujet le Baptême du Christ. Léonard peignit une
tête d'ange avec une telle perfection que le maître, voyant
un rival redoutable dans son jeune élève, renonça pour tou-
jours à la peinture. Ce succès extraordinaire fit connaître le
Vinci. On lui commanda une vierge, qu'il exécuta si admi-
rablement que l'apparition de cet ouvrage le plaça désor-
mais à la tête des peintres de son temps. Comme il était fort
jeune à l'époque de cet éclatant début, on raconte qu'il se
reposait de son travail sérieux par toutes sortes de compo-
sitions légères : ainsi , il dessina un carton d'après lequel
on devait exécuter en Flandre une portière pour le roi de Por-
tugal. Ce carton représentait le paradis terrestre; le paysage
en était charmant, les fleurs surtout étaient rendues avec un
charme tout particulier. Il peignit aussi sur une rondache
un animal fantastique si terrible et si bien composé, que son
père faillit s'enfuir de peur lorsqu'il aperçut cet animal pour
la première fois. Puis, quand il rencontrait un homme aux
traits caractérisés ou à la tournure singulière et originale, il
le croquait à l'instant, et la collection de ses dessins peut se
comparer à la collection de Cal lot.
En 1493, Léonard, déjà si justement célèbre, vint à Milan,
Au moyen de la musique, art qu'il avait aussi perfectionne,
il fut piésenté au duc Ludovic Sforce, et il inventa pour ce
prince une lyre à vingt-quatre cordes, dont il sut jouer d'une
merveilleuse façon. Pris en amitié par Ludovic, il demeura
à sa cour, et entreprit pour lui différents ouvrages de pein-
908
VINCI — VINTRAS
lure et de scuiplute. Ce fut durant ce séjour à Milan que
Léonard exécuta, pour le couvent des dominicains à Santa-
Afaj'ia-de/Ze- Gracie, son chef-d'œuvre en peinture,sa sublime
fresque de la Cène. Toute l'Europe connaît ce magnifique
tableau, la gravure l'a immortalisé. Chacun a pu applaudir
à la grandeur de la composition , au caractère si bien varié
des têtes, à l'harmonie de l'ensemble, à l'idéal de certaines
parties; et ces différentes qualités suifisent pour rendre cet
ouvrage l'égal des chefs-d'œuvre de Raphaël . Qu'était-ce donc
torsque le temps n'avait rien enlevé à la perfection des détails
et à l'éclat général?
Après la prise de Milan par les Français, Léonard re-
tourna à Florence, où il fit successivement la Vierge,
Sainte Anne et le Christ , tableau plein d'inspiration et de
poésie, et le ravissant portrait de Monalisa, connu sous le
nom de la Jocondc. Ses compatriotes, fiers de sa renommée,
lui commandèrent un grand travail pour une salle de conseil,
reconstruite d'après ses plans ; malheureusement, comme il
s'adonnait alors à l'étude de l'anatomie, il n'eut le temps de
rien peindre avant son départ pour Rome, où il était appelé
par Léon X. A la cour de ce pape, il acheva quelques ta-
bleaux de petite dimension; mais la rencontre qu'il fit de
Michel-Ange , qui le dépassait déjà en conception et en faci-
lité, la rivalité qui exista entre eux fit abandonner au vieux
Léonard toutes ces ébauches, et le décida à quitter Rome pour
la France, Léon X pour François F"^. 11 n'eut point le temps
d'exécuter pour François 1*"^ les différents tableaux qu'il
avait commencés; le chagrin d'être surpassé de son vivant
dans une seule branche de l'art abrégea ses jours ; et il
mourut à Amboise, en 1519. Jules-A. David.
VIIXDAS( corruption de l'anglais windlass), littérale-
ment corde tournante. Voijez Cabestan.
VIIV DE BANANES. Voyez Bananier.
VINDÉLICIE, pays des Vindéliciens , nation germaine
qui vraisemblablement se rattachait à la souche des Celtes.
Divisée en quatre peuplades, les Consuanètes, les Ruci-
nates, les Calénates et les Licates, avec Daniasia , dans les
montagnes, pour place d'armes, elle habitait depuis le Lecli
jusqu'à rinn, et depuis les Alpes bavaroises jusqu'au Da-
nube. La Vindélicie fut subjuguée par Tibère, l'an 15 av.
J.-C. , à l'époque où Drusus soumettait la Rhsetie. Tibère
en enleva une grande partie de la population capable de
porter les armes ; des colons romains vinrent s'établir parmi
ce qui en restait, et des garnisons romaines furent établies
sur divers points du territoire. Le lieu le plus important
de la contrée avait nom Colonia augusta Vindelicormn,
C'est aujourd'hui la ville d'Augsbourg, dont la prospé-
rité se développa de bonne heure.
VIN DE PALMIER. Voyez Cocotier.
VINDICTE PUBLIQUE, terme consacré pour expri-
mer la poursuite et la punition des crimes et délits. En
France, la vindicte publique n'appartient qu'au ministère
public.
VINETTE. Voyez Bec-figue.
VINETTIER. Voyez Berberis.
VINGEON. Voyez Siffleur.
VINGTAIN ( Droit de ). Voyez Ciiampart
VINGT-ET-UN, jeu decartes, dit (fesoci^W ou de com-
merce; il se taille avec un ou plusieurs jeux de cartes mêlés
ensemble entre un nombre indéterminé de personnes. L'em-
ploi de banquier est rempli à tour de rôle par chacun des
joueurs et réglé par le sort. Les figures valent dix ; les autres
caries le point qu'elles indiquent, sauf l'as, qui compte indif-
féremment pour onze ou pour un, suivant l'intérêt du joueur.
Tous les pontes ayant fait leur mise, le banquier donne une
carte à chacun d'eux et à lui-même en commençant par sa
droite, puis une seconde carte à tous. Chacun regarde son
jeu et s'il se trouve un joueur dont les deux cartes forment
le point de vingt-et-un, il abat son jeu et tous en font au-
tant. Le banquier ramasse les enjeux placésdevant les pontes
qui ont un point inférieur au sien et perd avec ceux qui
6ont dans le cas contraire; il fait coup nul lorsqu'il y aéga-
Y lilé. Si, après les deux cartes données, personne n'a vingt-el-
un, le banquier offre une carte à qui la veut et s'en donne une
à lui-môme, s'il le juge à propos; cette troisième carte se
donne à découvert. On compte alors comme dans le cas
précédent; seulement, celui-là crève qui a reçu une troi-
sième carte qui fait dépasser à son jeu le point de vingt-
etun.
VINGTIEME, nom d'une imposition particulière qu'on
prélevait autrefois en France sur le produit des propriétés
foncières.
' VINL AND, c'est-à-dire terre des vignes. Ainsi s'ap-
pelait le principal établissement fondé autrefois par les Nor-
mands au nord de l'Amérique, dans la contrée des États-
Unis désignée aujourd'hui sous le nom de Massachusetts
et de Rliode-Island. Cette terre fut pour la première fois
aperçue par Bjaerne Herjulfson, jeté sur ces côtes par la tem-
pête pendant un voyage qu'il fit, dans l'été de l'an 986,
d'Islande en Groenland , où s'était rendu dès le printemps
son père, Herjuif, avec Erik le Rouge, le premier qui ait essayé
de coloniser ce pays. Bjœrne toutefois ne mit pas pied à
terre; et ce ne fut qu'en l'année 1000 que la nouvelle terre
fut visitée par Leif l'Heureux, l'un des fils d'Erik le Rouge.
Celui-ci y construisit des maisons de bois, appelées
Icifsbudir. Un Allemand, du nom de Tyrker, qui avait ac-
compagné Leif dans ce voyage, y découvrit des ceps de vigne,
art)risseau qu'il connaissait parfaitement pour en avoir beau-
coup vu dans son pays, et dont Leif donna le nom à la terre
nouvelle. Thorwald, frère de Leif, s'y rendit deux ans après,
et dans l'été de 1003 fit entreprendre un voyage de dé-
couvertes le long des côtes méridionales; lui-même périt
l'année suivante, dans un voyage entrepris au Nord, à la suite
d'une querelle avec quelques indigènes. Mais le plus célèbre
d'entre tous ceux qui les premiers découvrirent le continent
américain est Thorfinn Karlsefne, Islandais, dont les plus
anciens ouvrages ramènent la généalogie à des aïeux danois,
norvégiens, suédois, irlandais et écossais, dont quelques-uns
de race royale. En l'année 1006 il visita pour affaires de
commerce le Groenland , et y épousa Gudrid, veuve de
Tliorstein, l'un des fils d'Erik le Rouge, mort l'année pré-
cédente dans un voyage malheureux au Vinland. Au prin-
temps de 1007 il partit avec sa femme et un équipage de
160 hommes, à bard de deux navires, pour le Vinland, où il
résida pendant trois années consécutives, liant des relations
de commerce avec les indigènes, et où, en l'an 1008, sa
femme Gudrid mit au monde un fils, Snorre, devenu la
souche d'une famille jouissant en Islande d'une grande con-
sidération et ayant fourni à ce pays un grand nombre de ses
premiers évêques. Le fils de sa fille, le célèbre évêque
Thorlak Runol/son, fut le premier qui coordonna le droit
ecclésiatique islandais. En l'an 1121, l'évêque du Groenland
Erik se rendit en Vinland, vraisemblablement à l'effet de
maintenir dans la foi chrétienne ceux de ses compatriotes
qui s'y étaient établis.
Dans ses Antiquitates Americanas , Rafn a publié la
collection complète des documents historiques relatifs à
l'Amérique pendant la période de temps antérieure à l'époque
de Christophe Colomb , et il a exposé dans ses recherclies
géographiques les motifs propres à déterminer la situation de
cette contrée.
VINO-SANTO. Foyez Grèce (Vins de).
VINO-TINTO. Voyez Tinto.
VINTIMILLE (M"* de). Voyez Chateauroux (Anne-
Marie de Nesles, duchesse de) et Nesles.
VINTRAS (Pierre-Michei-Eucène), fondateur d'une
secte nouvelle dans le sein du catholicisme, et à laquelle lui
et ses adeptes ont donné la dénomination d'Œuvre de la
Miséricorde. Né à Bayeux, dans les premières années de ce
siècle, il débuta par être domestique de bonne maison, puis
cabaretier, et devint ensuite contre-maîlre dans une fabri-
que de carton, à Tilly-snr-Seules, gros village du Calvados.
Doué d'un caractère astucieux , d'une dissimulation peu
commune, Vintras, après avoir tâté de plusieurs métiers el
Ltr ■^i'*y<^U^i^l^ -•« -5- i-'iyVVV*^ (^ T^î. ÏV^- |^;U.
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VINTRAS — VIOLENCE
909
industries, en vint à reconnaître que de tous les moyens de
vivre agréablement ici-bas, le plus facile et le plus simple
est encore de grouper autour de soi un certain nombre d'im-
béciles, à qui on fait accroire qu'on est un des élus de Dieu
chargé de conduire les hommes vers lui, et de les initier à
de meilleures destinées. S'il avait vécu dans un autre mi-
lieu , il eût probablement suivi une direction humanitaire
et philosophique ; il resta chrétien, car sans cela il n'eût
pas été compris de ceux sur qui il voulait agir. Il affecta
d'abord tous les dehors de la piété la plus fervente; puis, sa
réputation de saint une fois faite, il se posa en élu, auquel
le Seigneur daignait de temps à autre faire des révélations.
La réputation de Vintras se répandit dans toutes les campa-
gnes du diocèse, et son crédit sur l'esprit d'une certaine
catégorie d'hommes animés de sentiments religieux devint
tel , qu'il put bientôt fonder, sous le nom li'Œuvre de la
Miséricorde , une véritable secte, dont il s'institua le pro-
phète et qui compta tout de suite bon nombre d'afliliés. Il
avait eu en effet l'habileté de rattacher son œuvre pieuse
à une intrigue politique, et d'annoncer que le Seigneur lui
avait fait les révélations les plus précises sur l'existence de
Louis XVII ( voyez Dauphins [ Faux] ) , qu'il déclara n'ê-
tre autre que le fameux Naundorff. Toujours le merveil-
leux eut de l'empire sur le vulgaire; et il se trouva une
foule de bonnes gens qui chargèrent Yintras de faire passer
au malheureux (ils de Louis XVI leurs subsides en même
temps que l'assurance de leur lidélité. La police s'en émut;
et en 1842 Vintpas, traduit devant le tribunal de police
correctionnelle de Bayeux, fut condamné à six mois de pri-
son pour escroquerie. Loin d'ouvrir les yeux à ses dupes,
cette condamnation ne fit qu'accroître leur zèle et leur dé-
vouement pour le martyr de la bonne cause. Comme un cer-
tain nombre de prêtres ignorants et fanatiques appartenant
à divers diocèses étaient devenus les propagateurs ardents
de VŒuvre de la Miséricorde et faisaient circuler autant
que possible des brochures et jusqu'à des journaux (Stra-
thanael ; Le Clairon belliqueux de Dieu; La Voix de la
septaine; A la gloire du Père, du Fils et du Saint-Es-
prit, et A la gloire de la Vierge immaculée ), à l'aide
desquels cette secte ridicule répandait des doctrines qu'avec
une intrépidité sans pareille on affirmait être le dernier mot
du catholicisme le plus pur, le clergé, à son tour, prit l'a-
larme ; et les évêques lancèrent force interdits contre les prê-
tres en question. Cependant, les efforts faits par l'autorité ec-
clésiastique et l'autorité civile pour arrêter les progrès de
la secte nouvelle ont été inutiles ; et, tout au contraire, elle
a grandi, suivant l'usage, sous le coup de la persécution.
VIO (Thomas de ). Voyez Cajétan.
VIOL. Ln matière de législation criminelle , le viol est
un acte de violence de la part de l'homme, ayant pour but
de satisfaire une passion charnelle dans des conditions au-
tres que celles du congrès matrimonial. Les Latins définis-
saient le viol vis illata pudicitix, et le désignaient aussi
par la phrase suivante : Stuprum per vim oblatum. Le
mot de viol sans autre dénomination indique toujours
l'attentat brutal fait à la pudeur d'une personne du sexe fé-
minin. Toutefois, le viol n'est point, ainsi que l'indique
son étymologie , le résultat constant d'une action violente,
puisqu'il peut aussi être commis par ruse ou par fraude. Le
crime a lieu dès l'instant que l'acte se consomme sans le
consentement de la personne qui en est la victime. L'aspect
môme de la mort n'a pas suffi dans quelques cas pour
arrêter l'affreuse brutalité de certains monstres à figure hu-
maine. La loi a voulu , dans ses sages prévisions , étendre
la culpabilité du viol et en aggraver la punition lorsqu'il a
été commis sur un enfant au-dessous de quinze ans , soit
qu'il y ait eu violence, menace , ou seulement suggestions
artificieuses pour abuser de sa jeune inexpérience. Le viol
par ruse, fraude ou surprise, étant de sa nature plus facile
à accomplir, doit probablement être plus fréquent que le
viol commis par violence. Les lois, pour prévenir et punir
Todieux crime du viol, ont dû s'armer d'une sévérité dra-
conienne ; aussi voyons-nous qu'à toutes les époques les
châtiments les plus sévères ont été infligés à ceux qui s'en
sont rendus coupables. En Orient, à Athènes, à Rome, et
jusqu'au siècle dernier, la mort était la punition de tout in-
dividu qui attentait violemment à l'honneur d'une femme.
On décapitait, on pendait ou l'on noyait les coupables pour
les cas ordinaires; on brûlait vivants ceux qui avaient com-
mis le crime d'inceste ou attenté à la pudeur d'une religieuse.
La mort, aggravée de circonstances expiatoires , calculées
sur le degré de perversité du crime, telle était la pénalité de
l'ancienne jurisprudence relativement au viol. Parfois même
il y avait peine d'exil pour les personnes qui ne réclamaient
pas justice de cet infâme outrage. Aujourd'hui que la légis-
lation fend à l'abolition progressive de la peine de mort ,
on lui a substitué pour les cas de viol la condamnation aux
travaux forcés. « Quiconque aura commis le crime de viol,
ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, con-
sommé ou tenté avec violence contre les individus de l'Un
ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion. Si le crime a
été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge
de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des
travaux forcés à temps. La peine sera celle des travaux for-
cés à perpétuité si les coupables sont de la classe de ceux
qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont
commis l'attentat. » (Code Pénal, art. 331, 332 et 333).
VIOLE IMusique) , hom d'une famille d'instruments à
cordas et à archet, autrefois fort en usage, et réduite au-
jourd'hui à la viole d'amour et à la viole d'orchestre,
appelée autrement alto ou quinte. Elle était divisée en
plusieurs espèces, qui tiraient leur dénomination de l'étendue
relative et du diapason de chacune d'elles. 11 y avait , en
procédant de l'aigu au grave, les dessus ou par-dessus
de viole, les violes proprement dites , les basses de viole
et les violones. La plus usitée de toutes était la basse de
viole , appelée par les Italiens viola da gamba. Elle était
montée de six et quelquefois de sept cordes , accordées or-
dinairement en accord parfait, et jouait avec les violones
(remplacées aujourd'hui par les contre-basses) la basse
des compositions dont les dessus de viole et les violes
jouaient les parties supérieures. Après l'introduction des
violoncelles dans les orchestres , la basse de viole ne servit
plus que pour le solo, et finit peu après par passer entière-
ment de mode.
La viole d'amour est une autre espèce de l'ancienne
viole, qui, outre les sept cordes dont elle est montée, a
encore sous la louche et sous le chevalet plusieurs cordes
de métal qui vibrent lorsque les autres cordes principales
sont touchées à vide. Les sons de cet instrument , qui ont
beaucoup de douceur et de charme, doivent sans doute aux
vibrations des cordes métalliques celte qualité argentine
qui leur donne quelque analogie avec les sons de l'harmo-
nica. Il est aujourd'hui fort peu en usage , et sans les effets
qu'en a su tirer le célèbre U h ra n , ce grand artiste qui ex-
cellait dans toutes les branches de l'art musical , il serait
aussi complètement oublié que les autres violes anciennes.
Charles Bechem.
VIOLENCE y emploi de la force pour contraindre quel-
qu'un à faire ce à quoi il se refuse (voyez Contrainte), La
violence morale est celle qui agit seulement sur l'ima-
gination par la crainte de voir réaliser des menaces qui sont
faites. Tout contrat étant basé sur le consentement des par-
ties, il n'y aurait plus de contrat si ce consentement n'avait
était donné par l'une d'elles que sous l'empire de la vio-
lence. «Il y a violence, et conséquemment nécessité de
rompre le contrat, ont dit les auteurs du Code Civil , lors-
qu'elle est de nature à faire impression sur une personne
raisonnable , et qu'elle peut lui imprimer la crainte d'ex-
poser sa personne ou sa fortune à un mal considérable et
présent. » On a égard en cette matière à l'âge , au sexe
et à la condition des personnes. La violence morale aurait
dû être mise absolument sur la même ligne que la violence
physique. L'action en rescision ou en nullité a été renfer-
910
VIOLENCE — VIOLONCELLE
niée dans un délai fixé en général à dix ans depuis le jour
où la violence a cessé. Tous les actes , même les partages
et les transaclions, peuvent être rescindés pour cause de
violence. 11 est de principe que les actes de violence ne
peuvent fonder une possession capable d'opérer la prescrip-
tion , et que la possession utile ne commence également que
lorsque la violence a cessé.
VIOLETTE. La nature, variant ses espèces, a dissé-
miné la violette dans toutes les régions du globe : amante
des montagnes , des sombres vallées et des frais gazons, elle
croit dans les Alpes , sur les Pyrénées et dans la plupart
des pays montueux de notre vieille Europe; la Sibérie, les
terres Magellaniques , les monts Alleghanies, les vertes
prairies de la Caroline et de la Pennsylvanie , voient fleurir
leurs espèces particulières ; le Cap de Bonne-Espérance et
les Iles de l'archipel Indien ont aussi les leurs ; on en ren-
contre d'autres encore dans les savanes du Brésil et jusquesur
la crête des Andes . Parmi les cent cinq espèces de violettes
connues , il en est trois qui se sont abondamment propagées
dans l'hémisphère boréal : la viola odorata, qui se distin-
gue de toutes les autres par son odeur pénétrante et suave ;
la viola canina , qui n'exhale aucun parfum , et la viola tri-
color, qu'on désigne communément sous le nom de pensée.
Considérées en masse, sous le rapport de leurs caractères
généraux , les violettes constituent , dans l'ordre naturel de
notre classification moderne, une famille de plantes dis-
tinctes , celle des violariées. Linné les avait rangées dans
la monogamie ou le troisième ordre de sa syngéiiésie , qui
comprenait les fleurs simples dont les anthères étaient ras-
semblées en cylindre. Tournefort les classait après les papilio-
nacées , parmi les polypétales anomales , dont les Heurs éta-
lent leurs ailes comme celles des papillons.
La viola odorata est celle qu'on emploie communément
en médecine : ses fleurs et ses feuilles sont anodines et
émollienles ; sa racine est purgative et émétique ; ses se-
mences sont diurétiques et nauséabondes. En général, la plu-
part des espèces participent plus ou moins de ces propriétés.
Sabin Berthelot.
, VIOLETTE (Bois de). Voyez Palissandre.
VIOLETTE AUX SORCIERS. Voyez Pervenche.
VIOLICIMBALLO , nouvel instrument de musique
inventé par le père Louis Tiparelli , d'Azeglio, et dans le-
quel les cordes du piano-forte, grâce à un mécanisme qui
comprime ou prolonge les sons, donnent des effets analo-
gues à ceux dû violon pour les cordes hautes , de la viole
pour le médium, et du violoncelle pour les basses.
VIOLIER. Voyez Giroflée.
VIOLON, instrument de musique à cordes et à archet.
Le violon est monté de quatre cordes de boyau , dont la
plus grave donne le sol; les trois autres portent ré,la , mi,
par quintes du grave à l'aigu. La corde sol est filée en
laiton. Le diapason du violon est de quatre octaves environ.
On peut l'étendre plus haut encore au moyen des sons har-
moniques ; il commence au troisième sol du piano. La
forme du violon a beaucoup de rapport avec celle de la
lyre, et donne à croire qu'il n'est autre chose qu'une lyre
perfectionnée, qui réunit à la richesse des modulations l'a-
vantage si grand de prolonger les sons, avantage que la lyre
ne possédait point. C'est sous le règne de Charles IX que
le violon fut introduit en France. Il y a près de trois cents
ans que l'on ne change plus rien à sa structure et qu'on
lui conserve cette simplicité qui augmente le prestige de
ses effets. Ses quatre cordes suffisent pour donner six
octaves environ, et pour offrir toutes les ressources qu'exi-
gent le chant et la variété des modulations. Au moyen de
l'archet, qui met les cordes en vibration et qui peut en faire
parler plusieurs à la fois , il réunit le charme de la mélodie
a celui des accords. Son timbre , qui joint la douceur à l'éclat ,
lui donne la prééminence sur tous les autres instruments ; et
par la faculté qu'il a de soutenir, d'enfler et modifier les sons,
de rendre les accents de la passion , comme de suivre tous
les mouvements de l'àme , ii obtient l'honneur de rivaliser
avec la voix humaine. Cet instrument , fait par sa nature
pour régner dans les concerts et pour obéir à tous les élans
du génie , a pris les différents caractères que les grands
maîtres ont voulu lui donner. Simple et mélodieux sous
les doigts de Corelli; harmonieux , touchant et plein de
grâce sous f'archetde Ta rtini; aimable et suave sous celui
de Gaviniès ; noble et grandiose sous celui de Pugnani ; plein
de feu, plein d'audace pathétique , sublime entre les mains de
Viotti, de Rode, de Kreutzer, de Baillot, de Bé.
riot, il s'est élevé encore et dans une progression merveil-
leuse, foudroyante, sous les doigts de Paganini.A tous ces
brillants avantages , on peut ajouter encore la faculté de
multiplier le violon dans les orchestres sans nuire à l'en-
semble, de jouer toute espèce de musique sur cet instru-
ment , de surmonter sans peine de grandes difficultés et de
fournir la carrière la plus longue sans fatigue. Les compo-
siteurs l'ont choisi sur tous les autres pour lui confier l'exé-
cution de leurs ouvrages. La viole, le violoncelle , la contre-
basse , descendent de la même souche , ne forment avec le
violon qu'une seule famille, et donnent des sons homogènes
à des diapasons différents. Au moyen de ces précieux auxi-
liaires, le violon embrasse presque toute l'étendue de l'é-
chelle mélodique. La musique destinée au violon s'écrit sur
la clef de sol. Castil- Blaze.
Pour le rôle -que les violons jouaient dans l'ancienne
musique nous renverrons à l'article Militaire (Musique),
Au figuré, payer les violons c'est payer les frais d'une
chose dont les autres ont eu tout l'honneur, tout le profit ,
tout le plaisir.
Violon, dans une acception toute distincte, se dit d'une
espèce de prison contiguë à un corps de g arde.
VIOLONS (Roi des). Voyez Ménétriers.
VIOLONS (Les grands et les petits). Voyez Lclly.
VIOLONCELLE, de l'italien violoncello; l'Académie
veut que l'on prononce violonchelle.M. Caslil-BIaze a ju-
dicieusement remarqué que c'est une barbarie de langage ,
une imitation puérile de l'italien , et qu'il faut prononcer
violoncelle de la même manière que nacelle. Cet instru-
ment qu'on nomme aussi basse , parce qu'il est la basse du
violon , est monté de quinte en quinte , de quatre cordes :
ut, sol, 7'é, la, sont les notes qu'elles résonnent; et comme
celles du violon, c'est au moyen d'un archet qu'on les met
en vibration. Son diapason naturel est de trois octaves en-
viron. Le premier qui introduisit le violoncelle dans l'or-
chestre de l'Opéra fut un musicien nommé Battistini , de
Florenc ; Lulli vivait encore. Jusque là on ne s'était servi
que de la basse de viole, qui était montée de sept cordes : elle
accompagnait le chant et la musique instrumentale. Francis-
cello, violoncelliste romain, fut le premier qui se rendit célèbre
dans l'exécution des solos; il vivait vers 1725. Berthaud,
néà Valenciennes, au commencement du dix-huitième siècle,
doit être considéré comme le chef de l'école française pour
ce bel instrument. Parmi ses élèves on compte les deux
frères Janson et les deux Du port. L'école allemande se glo-
rifie avec raison de son Bernard Romberg; après lui ont
paru Bobrer et Dotzauer. Les Anglais nomment avec un
juste orgueil leurs virtuoses Crossdill et Lindley. L'école
française, qui dut au P. Tarascon ( lequel vivait au com-
mencement du dix-huitième siècle) l'invention du violon-
celle, est aussi la plus féconde en violoncellistes. Outre les
Berthaud, les deux Duport, les Janson que nous avons
déjà nommés, elle nous adonné les Levasseur, les Bréval,
les Lamare, les Baudiot, les Miintz-Berger, les Norblin , les
Bénazet, les Vasiins , les Franchomme. Batta est aujourd'hui
sur le violoncelle le virtuose par excellence.
Ces basses, ces contre-basses, qui sont dans nos orches-
tres les (oiidements de tout l'édifice musical, ne furent adop-
tées en France qu'avec une grande difficulté, tant on redou-
tait la moindre innovation. Qui croirait qu'en 1757 il n'y
avait qu'une contre-basse à l'Opéra, et que l'on ne s'en servait
que le vendredi, jour de grand spectacle ? Gossec en fit ajouter
une seconde; Philidor en obtint une troisième en ïaveu/
VIOLONCELLE — VIREY
911
de la première représentation A'Ernelinde; successivement
le nombre s'en augmenta, llestinconstestableque c'est à l'in-
vention du violoncelle et de la contre-basse que sont dues la
puissance et les grands effets de nos orchestres. Quant à la
formede cet instrument, elle est si noble , si avantageuse au
bras blanc et à la main d'une vierge ou d'un femme, que les
peintres du moyen âge en ont tiré dans leurs tableaux une
immense ressource. Témoin la fameuse Sainte Cécile, po-
sant son admirable main sur la touche d'une basse de viole;
témoin Paul Véronèse, jouant lui-même de cet instrument
à ses Noces de Cana. Les violoncelles, ainsi que les vio-
lons Stradivarius, sont presque tout plats ; les Amatt sont
bombés et voûtés; leur son est suave, propre à l'accompa-
gnement de la voix, de la harpe , du piano, du quatuor et
du quintette ; le son énergique des Stradivarius est propre
au concerto. Après Stradivarius et Amati, Steiner, pa-
triarche qui vécut cent années dans un petit bourg du Tyrol,
près d'Inspruck , fabriqua des violons et des violoncelles
très-estimés : tous furent faits de sa main. Les amateurs ,
les artistes, les diletianti , savent quand un luthier moderne
les a profanés dans l'intérieur, c'est-à-dire retouchés. Après
Steiner sont venus les Boquay, lesPierray, dont les vernis à
l'huile sont très-recherchés , car la plupart de nos luthiers
vernissent à l'esprit de vin pour plus de célérité.
Denne-Baron.
VIORNE ou OBIER (viburnumopuhts, L. ), arbrisseau
qui croît sur le bord des bois, des rivières, dans les prés
humides, dans les terres marécageuses; on le nomme quel-
quefois stireau d'eau , sureau aquatique. Les fleurs , blan-
ches et odorantes, forment, par leur réunion , de fausses
ombelles. Celles de la circonférence sont plus grandes, irré-
gulières et d'un seul sexe ; celles du centre , plus petites et
hermaphrodites, produisent seules des fruits : ce sont des
baies rouges renfermant une semence osseuse, plate et ar-
rondie en forme de cœur. Les oiseaux sont très-friands de
ces baies, qui mûrissent tard, et qui restent longtemps sur
J'arbre après la chute des feuilles. Cette espèce a produit
une jolie variété , remarquable par la blancheur et par la
forme sphérique de ses fleurs , qui sont toutes stériles et
ramassées en boule : ce qui a fait donner à cette plante le
nom de boule de neige , de pelote de neige; on l'appelle
aussi caillebotle, obier stérile, rose de Gueldres. On la
cultive dans les jardins à cause de sa beauté. Ses fleurs
nombreuses, qui paraissent en mai, mêlées dans les par-
terres et dans les bosquets aux autres fleurs du printemps ,
y produisent le plus brillant effet.
VIORNE ou LAURIER -TIN (viburnuni iimis, L.),
arbrisseau qui s'élève à un peu plus de deux mètres, qui
croît dans les provinces méridionales , dans les lieux pierreux
et couverts, et qui appartient à la famille des capri/oliacées ,
tribu des sambucinées. On cultive cet arbrisseau comme
plante d'ornement ; il est remarquable par ses rameaux,
carrés et souvent rougeâtres; par ses feuilles, persistantes, co-
riaces , lisses, d'un vert foncé en dessus , garnies en dessous
de nervures pubescentes. Les fleurs sont blanches ou un peu
rougeâtres. On le cultive en pleine terre , ou bien on le
rentre dans l'orangerie , et alors il fleurit en hiver. Cette
espèce n'est point employée en médecine.
VlOTTl ( Giovanni Battista), célèbre violoniste, com-
positeur et exécutant, né en 1755, à Fontana, en Piémont,
était violon de la chapelle royale à Turin lorsqu'en 1780
il entreprit son premier voyage à l'étranger. Arrivé à Paris
en 1782, il y produisit une extrêmesensalion, et ne quitta cette
capitale que lorsque éclatèrent les troubles de la révolution.
En 1790 il se rendit à Londres, oîi il n'obtint pas moins de
succès et où quelque temps après il fut nommé chef d'or-
chestre à l'Opéra. Il cumulait la pratique de l'art avec le
commerce , et s'occupait notamment du commerce des vins.
Expulsé de Londres en 1798, en vertu de Valien-bill comme
suspect de menées démagogiques , il se retira à Hambourg,
où il séjourna pendant plusieurs années. En 1819 il fut pen-
dant quelque temps directeur de l'Opéra de Paris; puis il re-
'. I
tourna en Angleterre , où il mourut, à Londres, le 3 mars
1824, âgé de soixante neuf ans. Viotti était doué de la plus
heureuse organisation comme exécutant. La perfection de
son jeu a laissé un souvenir que conservent précieusement
tous ceux qui l'ont entendu. Ses nombreuses compositions
attestent une intelligence supérieure, une imagination d'une
poésie, d'une noblesse de style, d'un charme d'invention
inexprimables. Ses concertos sont d'admirables modèles ,
où les plus riches ressources de l'harmonie viennent aider
au développement des idées et en rehausser la distinction.
Viotli a porté l'école du violon au plus haut degré de per-
fection , et a laissé après lui de nombreux élèves , parmi
lesquels nous citerons Rode d'abord, qui fut à la fois
son ami et son disciple; Baillot, le premier et le plus
habile représentant des plus saines traditions de l'art du
violon ; Robhercets , Labarre , etc. Les œuvres de Viotti
se composent de 29 concertos pour violon , 2 sympho-
nies concertantes , 36 duos , 6 sérénades, 23 trios, parmi
lesquels on remarque surtout les œuvres 16, 17, 18 et 19,
17 quatuors et plusieurs morceaux pour piano et violon.
VIOULTE. Voyez Dent de Chien.
VIPERE, genre de reptiles ophidiens de la famille
des liétérodermes. Il renferme le seul animal venimeux de
la France ; c'est la vipère commune, coluber berus de Linné.
Cet animal cause de très-graves accidents à la suite de sa
morsure. On faisait entrer jadis sa chair dans la thériaque
et dans quelques autres préparations pharmaceutiques.
VIPERE { Astronomie). Voyez Hydre.
VIPÉRINE, genre de plantes de la famille des borra-
ginées, ainsi nommé à cause de ses graines, que l'on com-
pare à la tête d'une vipère. Les vipérines se caractérisent
par une corolle tubulée , très-évasée à son orifice ; le limbe
tronqué obliquement et divisé en cinq lobes inégaux. Parmi
les espèces principales, nous citerons la vipérine commune ,
dont les fleurs sont bleues, quelquefois blanches ou couleur
de chair ; la vipérine violette , dont les fleurs sont plus
grandes et violettes; et la vipérine des Pyrénées , ton-
verte de jolies fleurs, d'un rose mêlé de blanc. La vipérine
commune décore le bord des chemins , les champs , les dé-
combres et les vieux murs. Ses fleurs , qui forment de longs
épis scorpioïdes, sont agréables aux abeilles. Cette plante
a les propriétés de la bourrache.
VIRAGO, mot latin, qui désigne une femme d'une taille
ou d'un courage qui ne sont pas d'ordinaire le propre de son
sexe; aussi ne l'emploie-t-on en français que par dérision
{voyez Virilité).
VIRE. Votjez Blason.
VIRE, autrefois capitale du Bocage , aujourd'hui chef-
lieu d'arrondissement du département du Calvados. C'est
une ancienne et jolie ville , située sur un rocher coupé presque
à pic d'un côté, sur la Vire, et construite presque tout entière
en granit. Les calvinistes la saccagèrent en 1568, et les ha-
bitants ayant embrassé le parti de la Ligue, l'armée royale
lui fit éprouver le même sort en 1590. Les collines qui
l'environnent forment les vaux (vallées) de Vire, qu'Olivier
Basselin a rendus célèbres. On y trouve des papeteries et
de nombreuses manufactures de drap, des moulins à foulon ,
un collège communal, une bibliothèque publique de 10,000
volumes, un tribunal civil, une chambre consultative des
arts et manufactures, unechambre consultative d'agriculture
et 6,735 habitants.
VIRELAI ou VIRELA.Y. Voyez Lai.
VIREMENT DE PARTIES. Voyez Banque.
VIRER DE BORD. En termes de marine , c'est changer
de route en mettant au vent un côté du vaisseau pour
l'autre.
VIRETON. Voyez Flèche.
VIREVEAU {Mécanique). Voyez Treuil.
VIREY (Julien-Joseph) est une des gloires paisibles de
ce siècle , auquel son nom restera durablement attaché par
de nombreux ouvrages et d'activés collaborations. Se à
Hortes, département de la Haute-Marne, à la fin de 177y,
912
VIREY — VIRGILE
il fit ses études classiques à Langres, patrie de Diderot. Sorti
du collège, il entra chez un de ses oncles, pharmacien, et de là
passa aux armées républicaines. Il était sous-aide à l'hôpital
militaire de Strasbourg quand Parmentier, appréciant son
mérite et ses studieuses aptitudes, l'envoya au Val-de-Gràce
de Paris. Là ses études furent universelles , comme le furent
plus tard ses travaux d'écrivain. Rédacteur du Journal de
Pharmacie, tout en s'acquittant avec zèle de ses devoirs
pratiques de pharmacien de l'hôpital , il devint si expert
sur ce qui constitue la matière médicale , que le gouverne-
ment l'a fréquemment consulté avec fruit quant aux médi-
caments exotiques que le commerce introduisait en France.
Avant même qu'il fût reçu médecin et pharmacien en vertu
d'un double diplôme, il composa à lui seul la plupart des
articles généraux du Dictionnaire des Sciences naturelles
de Déterville et du Dictionnaire des Sciences médicales
de Panckoucke. Parmi les nombreux ouvrages dont on lui
est redevable, nous citerons plus particulièrement son His-
toire naturelle du Genre Humain ( 3 vol., 180l ), qui a eu
les honneurs de plusieurs éditions, et son Histoire natu-
relle de la Femme, dont la dernière édition est de 1825.
On a encore de lui : Art de perfectionner V homme (1808,
2 vol.); Philosophie deV Histoire Naturelle (1 vol., 1835);
Histoire des Médicaments, des Aliments et des Poisons
(1 vol., 1820); DelaPhysiologie dans ses rapports avec la
philosophie (Paris, 1814). De 1831 à 1838, il fut membre
de la chambre des députés , où l'avaient envoyé les électeurs
de Bourbonne. Quelques années auparavant , il avait été
présenté par l'Institut et par ses pairs pour la chaire de ma-
tière médicale de l'École de Pharmacie de Paris ; mais
M. Frayssinous, alors ministre de l'instruction publique, lui
rendit le bon office de ne point l'agréer, sous le singulier
prétexte qu'il était trop libéral. Ce savant homme, qu'on
avait trouvé trop libéral pour professer l'histoire naturelle
pharmaceutique, se montra suffisamment conservateur et
ministériel comme député, titre électif qu'il ne conserva que
pendant sept ans , la ville de Bourbonne ne le croyant plus
a§sez opposant. Virey était en réalité un homme bon , simple
et conciliant, qui jamais ne sacrifia à l'ostentation et à la haine.
Son juste amour-propre s'effaçait sans effort , et il aurait
plus volontiers disputé de doctrine que de rang. Toutefois ,
quiconque lui concédait l'orthodoxie des propriétés vitales
et la suprématie organique du système nerveux, l'eût trouvé
de facile composition sur tout le reste, même en abordant
des doctrines plus élevées. Tout le monde a remarqué qu'on
trouve dans ses ouvrages, mais principalement dans ses
articles détachés , des pages vives , chaleureuses et marquées
d'une sorted'enthousia.sme qui ressembleà l'inspiration. C'est
ce qu'on peut appeler l'heure du génie, et qu'il aurait nommé
plus modestement l'influence du café, lui qui accordait à
ce déhcieux breuvage une puissance si grande sur l'intel-
ligence des gens d'esprit. Il mourut subitement étouffé, le
29 mars 1 846, à la fin d'une partie de whist à laquelle avaient
pris part plusieurs de ses meilleurs amis. Le Dictionnaire
de la Conversation perdit en lui un de ses plus utiles col-
laborateurs. Isidore Bourdon.
VIRGILE (PcBLius VIRGILIUS ou VIRGILIUS MARO),
né le quinzième jour d'octobre, l'an de Rome 684(71 av.
J.-C), environ sept ans avant la naissance d'Auguste, et
cinq ans avant celle d'Horace, dans un petit village aujour-
d'hui connu sous le nom de Petiola , autrefois appelé Andes ,
et assez voisin de Mantoue. On ne sait rien de précis sur la
profession du père de Virgile; mais les Églogues mêmes
«errent à prouver qu'il possédait ou qu'il tenait à loyer un
bien de campagne, et que le futur rival d'Homère eut une
ferme pour berceau, des bergers pour compagnons d'enfance,
et les champs pour spectacle. Virgile fil ses premières études
àCrémone. On voudrait savoir quel fut le maître qui cultiva
un si heureux naturel. A seize ans il quitta Crémone pour
Milan, où il prit la robe virile le jour même de la mort de
Lucrèce. Naples, célèbre alors par ses écoles, appela bientôt
Virgile dans son sein. C'est sous le beau ciel de cette ville
enchantée qu'il devint le favori des muses et le disciple de
la philosophie des Grecs, partout empreinte dans ses poèmes-
Il est douteux qu'il soit venu à Rome du temps de César ;
mais tout atteste qu'il se rendit dans cette ville après la ba-
taille de Philippes , et que , présenté à Mécène par PoUion ,
et à Auguste par Mécène, il obtint la restitution de ses biens,
dont il avait été dépouillé par les vétérans auxquels le vain-
queur avait adjugé une partie de l'Italie comme une proie.
La poésie pastorale eut les premières amours de Virgile,
mais il ne parvint pas à égaler Théocrite, son maître et son
modèle. Cependant, les Bucoliques obtinrent un étonnant
succès à Rome. La cour d'Auguste admira dans cet ouvrage
non pas une composition heureuse et des mœurs vraies ,
mais les admirables études de style d'un jeune écrivain,
qui donnait en quelque sorte une nouvelle langue poétique
à son pays. Si, comme on n'en peut douter, Hésiode a inspiré
au poète de Mantoue l'idée de composer des Géorgiques y
nous devons au chantre d'Ascra une grande reconnaissance.
En effet , les Géorgiques sont le plus parfait des ouvrages
de Virgile : elles respirent partout un amour vrai de la cam-
pagne, un vif sentiment des beautés de la nature, un désir
ardent de la paix qui conserve les liommes et fait fleurir
les États. Si dans ce poème le trop faible Virgile s'emporte
jusqu'à diviniser Auguste , il répare ou il expie cette faute
par son courage à réveiller le souvenir des batailles impies
de la Macédoine , à exhumer les ossements des Romains,
qui avaient deux fois engraissé de leur sang les champs de
bataille de la guerre civile. Le poète demande grâce à Au-
guste pour les campagnes désertes , pour l'agriculture sans
honneur. Tous les genres de beautés recommandent cette
belle création, que le poète a su rendre pleine d'intérêt.
Quant au style, on yreconnaît une perfection désespérante
pour tous ceux qui veulent parler la langue des muses. Dans
les Bucoliques , Virgile s'essayait encore; les Géorgiques
nous révèlent un talent mûr, fécond , varié , maître de lui-
même, et parvenu à la plus haute élévation, en même temps
que. plein d'élégance, de souplesse et de charme. Les quatre
épisodes qui terminent chacun des livres du poëme, surtout
la peinture du bonheur de la vie champêtre opposée aux
fureurs de l'ambition et aux ravages de la guerre, la célèbre
description de la peste des animaux, et l'épisode d'Aristée
qui forme tout un petit drame tiré du fond du sujet , sont
des ornements du plus grand prix. Virgile consacra , dit-on,
sept années à son chef-d'œuvre. Il est évident qu'en s'ap-
pliquant à perfectionner les Géorgiques il avait dans la
pensée la création de V Enéide , à laquelle il semble préluder
dans une foule de passages dignes de la muse épique.
VÉnéide n'est pas, comme V Iliade, une grande et
vaste composition, qui repose sur une seule idée, mise en
action par legénie. La fondation d'un nouvel empire en Italie
par le chef des Troyens paraît être le sujet du poëme ; mais,
suivant Fénelon lui-même, Priam et son peuple ne sont
qu'accessoires dans VÉnéide, car le poète a sans cesse
Rome et .Auguste devant les yeux. Il avait d'abord conçu
une très-belle pensée , celle de choisir pour héros de son
poëme le grand et vertueux Hector, et de l'opposer, sous le
nom à'Énée , au sublime Hector d'Homère. Cette pensée ,
qui avait pour but de montrer la Vertu dans tout son jour
et delà proposer à l'admiration des hommes, était digne d'un
homme éclairé parla lumière de la philosophie, mais elle
a péri dans l'exécution ; et , sans cesse préoccupé de Rome
et d'Auguste , Virgile nous montre sans cesse les commen-
cements et les grandeurs de Rome, et divinise Auguste,
dont Énée est l'image. D'un autre côté, Virgile, rempli
d'Homère, a voulu renfermer dans douze chants les qua-
rante-huit chants dont se composent l'Iliade et Y Odyssée,
avec cette singulière circonstance que son héros commence
à errer sur les mers comme Ulysse, et qu'il finit par com-
battre contre Turnus, comme Achille contre Hector. On sent
que Virgile s'était ainsi imposé une tâche impossible à remplir
avec succès. Et d'abord , Rome étant de sa nature beaucoup
plus grande que Troie , il réduit celle-ci à des proportions
VIRGILE — VIRGINIE
913
qui lu! ôtent la grandeur iJéale qu'elle avait reçue d'Homère
et d'un sujet dont la Grèce et l'Asie étaient remplies. Pour
comble d'inconvénient, les plus magnifiques beautés de
VÉnéide se trouvent dans les six premiers chants. Ainsi le
second chant , qui renferme la prise et la ruine de Troie ,
offre un drame complet, que rien ne pourra égaler dans le
reste du poëme. Ainsi, les amours de Didon, dans le qua-
trième, inspirent un intérêt auprès duquel toutes les autres
scènes de VÉnéide pâlissent nécessairement sous ce rap-
port; car rien n'émeut le cœur plus profondément que la
peinture de cette orageuse passion. Enfin , après les magni-
ficences du sixième livre , qui retracent les commencements,
les progrès , la haute fortune de la maîtresse du monde , et
qui reparaissent encore sous de nouvelles couleurs dans le
huitième livre , le génie d'Homère lui-même aurait été im-
puissant à soutenir l'^n^ideà cette hauteur. Voilà de graves
défauts; mais ces défauts, qui rendent la composition de
Virgile si imparfaite , disparaissaient pour les Romains , qui
voyaient dans [''Enéide un poëme national , adopté avec
transport par leur patriotisme et leur orgueil. Un autre
avantage les compense encore : si , le second livre excepté ,
Virgile reste toujours inférieur à Homère toutes les fois
qu'il l'imite ; s'il diminue partout les grandes proportions de
[''Iliade; s'il n'a pu nous rendre dans les voyages d'Ënée
le charme et la naïveté de V Odyssée, qui touchaient le cœur
de Fénelon , du moment où il met Rome sous nos yeux il
s'élève autant au-dessus d'Homère que le peuple romain est
au-dessus du peuple grec et de tous les peuples de la terre.
Dix ans suffirent à peine à Virgile pour composer la
moitié de son Enéide. Pendant le cours du travail, il fut
vivement sollicité par Auguste, qui brûleit d'en entendre
quelque chose. Le poëte se défendait toujours en alléguant
que son poëme n'était encore qu'une ébauche. Vaincu enfin
par les plus pressantes instances , il récita pourtant au prince
le second, le quatrième et le sixième livre, qu'il regardait
avec raison comme les plus dignes des regards de la posté-
rité , sans toutefois que sa modestie osât avouer l'espoir de
l'immortalité de ses admirables créations. Nous ne pouvons
que présumer l'enthousiasme de la cour lettrée d'Auguste
à cette lecture ; mais la tradition nous a conservé le souvenir
de l'effet que produisit l'épisode de la mort du jeune Mar-
cellus sur Octavie, sa mère. Revenue d'un long évanouisse-
ment après avoir entendu le magnifique éloge de son fils ,
elle fit remettre à Virgile dix grands sesterces pour chacun
des vers de cet épisode, qui en a trente-deux. La récom-
pense était magnifique ; mais le suffrage d'Auguste et de son
illustre cortège d'écrivains, les larmes éloquentes d'une mère,
étaient d'un bien autre prix aux yeux de Virgile. Le poëte
acheva son ouvrage en quatre ans ; toutefois , il y reconnais-
sait lui-même des défauts et des imperfections qu'il voulait
faire disparaître. Résolu de les effacer avec le secours d'un
travail sévère et consciencieux, il partitpour Athènes, la patrie
des muses , où il espérait retrouver des inspirations devant
l'image sacrée d'Homère, comme Cicéron avait été y chercher
les inspirations de Démosthène devant la tribune d'où ce
ce grand orateur gouvernait avec un frein le peuple orageux
de Minerve. Ce fut à l'occasion de ce voyage qu'Horace
adressa une ode célèbre au vaisseau qui allait emporter son
ami, ce Virgile, la moitié de son âme , et que Rome ne de-
vait plus revoir. Auguste , revenant de l'Orient, rencontra
Virgile à Athènes, et voulut le ramener avec lui; mais une
grave indisposition surprit le poëte dans la route ; à peine j
put-il arriver à Brindes , où il mourut , après quelques jours j
de maladie , dans la cinquante-deuxième année de son âge. I
Ses restes , transportés , suivant ses désirs , à Naples , où il j
avait mené si longtemps la vie la plus agréable pour un i
poëte, furent déposés sur le chemin de Pouzzole, dans un ]
tombeau sur lequel on lisait son épitaphe, qu'il avait eu le
courage de dicter à l'heure dernière :
Mantua me genuit, Calabri rapuere ; tenet niinc
Parthenope. Ceciui pascua, rura, duces.
DICT.
PE LA CONVKRS. — T. XVI.
Suivant la tradiUon générale , Virgile était d'une taille asse?
élevée, rustique d'apparence, faible de corps, sujet à des
incommodités graves , très-sobre dans l'usage des aliments,
et naturellement sérieux et mélancolique. Il chérissait la
solitude, mais n'en recherchait pas moins la société des
hommes éclairés et vertueux. Virgile semblait n'avoir rien
en propre; .sa bibliothèque était ouverte à tout le monde.
Il jouissait d'une fortune considérable, dont il usait de la
manière la plus libérale envers ses nombreux parents, qui
vécurent tous dans l'aisance, grâce à lui seul. Horace' cé-
lèbre à la fois dans Virgile un poëte sublime et le plus
candide comme le plus excellent des hommes. Malgré la
tendresse de son cœur et son penchant à aimer, Virgile avait
une grande réputation de chasteté; à Naples, on l'appelait
coinmunément la Vierge. Il était si modeste qu'il se réfu-
giait dans les maisons de Rome pour échapper aux regards
de la foule qui se portait sur ses pas , et le montrait au doigt
comme un homme extraordinaire. Un jour quelques-uns de
ses vers, récités sur le théâtre, excitèrent un tel enthousiasme
que le peuple se leva tout entier, et le poëte, présent par
hasard à ce spectacle , reçut les mêmes marques d'honneur
et de respect qu'Auguste lui-même. Virgile a eu pour détrac-
teurs tous les mauvais poètes de son temps et le plus per-
vers des empereurs romains, Cahgula. Il a obtenu l'admira-
tion de Rome et un culte dans le monde. SiUus Italicus,
son imitateur, célébrait tous les ans l'anniversaire d'un
maître qu'il révérait comme un dieu. L'empereur Sévère
appelait Virgile le Platon des poètes, et rendait presque
des honneurs divins à l'image du rival d'Homère, placée
dans l'oratoire des dieux lares, à coté de celle de Cicéron.
Nous po.ssédons plusieurs traduclions de Virgile : celle-
de l'abbé Desfontaines a un certain mérite, mais manque
souvent d'élégance et de fidélité. Si Deguerle ne transfor-
mait pas trop souvent Virgile, son ouvrage serait digne de
beaucoup d'éloges. J'ai donné une traduction en vers des
Bucoliques de Virgile, dont il a été fait quatre éditions.
J'ai aussi publié des Études sur Virgile, qui comprennent,
dans un examen réfléchi, toutes les épopées connues. Malgré
ses défauts, la traduction de VÉnéide par Delille, qui avait
fait un chef-d'œuvre dans la traduction des Géorgiques ^
est un monument que lui seul pouvait élever. En Angle-
terre Dryden , en Italie Annibal Caro, en Allemagne Voss,
ont publié des traductions de Virgile qui jouissent de beau-
coup d'estime. Plus de fidélité , plus de concision , plus de
respect pour l'original , ajouteraient beaucoup de prix aux
deux premiers de ces ouvrages. Quanta Voss, on peut dire
qu'il n'existe pas de commentateur aussi habile, aussi ju-
dicieux d'Homère et de Virgile que ce célèbre écrivain. Sa
traduction est un chef-d'œuvre d'élégance et de fidélité
poétique.
Je n'ai pas cru devoir parler ici du Culex, du Cir'is, et
d'autres petits poèmes attribués à Virgile et insérés dans
la collection Lemaire. Leur authenticité a été contestée par
plusieurs écrivains ^ et je n'y retrouve point les caractères
du style du prince des poètes latins.
P. -F. TiSSOT, de rAcadéraie Fraoçaise.
VIRGILE (Polydore). Foye- Polydore-Virgile.
VIRGINIE, jeune Romaine, fille du plébéien Virginius,
fut tuée par son père , qui voyait sa virginité menacée par
le décem vir Claudius Crassinus.
VIRGINIE, Virg'mia, l'un des États-Unis de l'Amé-
rique du Nord. Ce brillant cavalier que Walter Scott a peint
comme l'un des ornements de la cour d'Elisabeth , Walter
Raieigh , fut aussi un intrépide découvreur, un hardi aven-
turier. En l'honneur de sa belle sou vei aine, il appela Virginia
une vaste étendue des côtes de l'Amérique du Nord , dont
le nom est resté à l'un des États méridionaux de l'Union
Américaine. Il est borné au nord par la Pennsylvanie et le
Maryland , à l'est par l'océan Atlantique, au sud par la Ca-
roline du Nord et le Tennessee, à l'ouest par le Kentucky
et rohio, et embrasse une superficie de 2,020 myriam. car-
rés. La nature en formant le sol de cette contrée l'a di?>
58
914
VIRGINIE
sée en deux parties bien différentes par tous leurs carac-
tères pliysiques : ici un plateau élevé, courouiié par les
chaînes de l'Allegiiany, au climat tempéré , à la végétation
septentrionale , aux verdoyantes pelouses, et dont les per-
spectives sont aussi riches que varices ; là, du pied de ces
hantes terres jusqu'aux rivages de l'Océan , une plaine dé-
clive , arrosée d'innombrables cours d'eau, d'abord peu fer-
tile, alors qu'elle tient encore aux montagnes , puis riche et
féconde, mais en même temps marécageuse et malsaine,
car les eaux y coulent lentement sous un ciel embrasé. Le
tabac, le riz, le froment, sont les richesses de celle zone,
et les arbres de ses forêts sont le cyprès , le cèdre, le syco-
more , tandis que le chêne, le pin , l'érable, le houx , em-
bellissent Its cantons de l'ouest. Les mômes dissemblances
se font reinar(iuer parmi les populations. Ici la race est
élevée, forte, vigoureuse et adonnée au travail; elle n'a
pas eu besoin d'enchaîner le noir Africain au sol qu'elle
exploite. L'habitant des basses terres, au contraire, plus
délicat, indolent, amoureux des plaisirs, grand amateur de
beaux chevaux et de courses, préfère le séjour de la cam-
pagne à celui des cités, et ne vit que par ses esclaves. Au-
tour de lui un demi-million d'hommes enchaînés protestent
hautement contre sa ridicule prétention au républicanisme,
vertu qu'il ne connaît que de nom et par l'exemple de quel-
ques hommes illustres. Le Virginien actuel , ainsi que l'an-
cien colon, est toujours aristocrate et monarchiste; aussi
est-il ossenliellement separatlonïstc : et cependant c'est là
qu'ont apparu \Y a s h i n g t o n et J e f f e r s o n !
La Virginie est après les États de New-York et de Penn-
sylvanie le plus peuplé de la Confédération; on y comptait
en 1790 748,30S habitants , en 1840 1,239,797, en 1850
1 ,421 ,fiO 1 . Sur ce dernier chiffre il se trouvait 895,304 blancs,
53,829 hommes de couleur libres et 472,528 esclaves. La
région haute possède des mines d'or, de fer, de plomb; mais
il n'y a de vraiment important que les mines de houille,
de fer et de sel. On estime l'étendue du banc de houille bi-
tumineuse à G97 myriamètres carrés. Eu 1850 il fut exporté
22,102 tonnes de fer brut; 5,577 tonnes de fonte et 15,328
tonnes de fer forgé, rei)résentant une valeur totale de
2,451,000 dollars et provenant de cent ving!-deux hauts four-
neaux. Pour la production du sel il n'y a que l'État de New-
York qui surpasse la Virginie. Cet État possède aussi de nom-
breuses sources nn'nérales. L'agriculture et l'élève du bétail
constituent les principales ressources de la Virginie ; et la cul-
ture du tabac y a une importance toute particulière. En 1850
la valeur des exportations, consistant surtout en tabac et en
farine, avait été de 3,090,008 dollars, et celle des impor-
tations de 552,923 dollars. La supériorité du chiffre des ex-
portations sur celui des importations indique tout de suite
que la Virginie n'est point un marché important pour le
commerce étranger. Quoique la Virginie soit demeurée de
beaucoup en arrière des États du nord sous le rapport des
voies de communicalion , des capitaux importants ont été
employés dans ces derniers temps à y construire des canaux
et des chemins de fer. En 1850 les premiers avaient déjà
nn développement total de 30 myriamètres ; et au commen-
cement de 1853 on y comptait en activité quinze chemins
de fer ayant une étendue de 95 myriamètres et à peu près
autant en voie de construction. En ce qui touche la religion,
les anabaptistes forment la plus grande partie de la popu-
lation; viennent ensuite les méthodistes , les presbytériens
et les é[)iscopaux. Le nombre des catholiques ne laisse pas
aussi que d'être assez considérable; et <léjà ils ont deux
évoques (un à Richmond, et un autre depuis 1851 à Whu-
ling). On y trouve en outre des imitaires, des universalistes,
des quakers et des jiiils. L'État est comparativement assez
riche en établissements d'instruction supérieure. 11 en comp-
tait en 1850 dix-huit, dont trois consacrés à l'enseignement
de la théologie, deux à celiu du droit, et trois à celui de la
médecine. La Virginia-Unirersiti/, à Cliarlottesville , fon-
dée en 1819, à grands frais, et bien dotée par l'État, est l'ime
des institutions de ce genre les plus considérables qu'il y
; ait aux États-Unis. On y comptait aussi en 1850 3,904 écoles
' primaires. Cependant, l'enseignement primaire y est à tous
égards de beaucoup inférieur à ce qu'il est dans les États du
nord ; infériorité qui tient à l'existence de l'esclavage. La
I loi y interdit de la manière la plus sévère de donner de
l'instruction aux esclaves; et cependant , un fait constant
! c'est qu'un grand nombre de blancs ont appris à lire de leur
nouirice nègre. L'État consacre chaque année un fonds de
plus de 300,000 dollars à l'entretien des établissements d'ins-
truction publique.
La constitution actuelle de la Virginie est l'une des plus
récente des États-Unis. Acceptée le l*"" août 1851, elle fut
mise en activité le 1" décembre suivant. Aux termes de
cette constitution , tout blanc âgé de vingt-et-un ans est
électeur; il doit avoir deux aiinées de résidence dans l'État
et douze mois de résidence dans le comté où il prétend exer-
cer ses droits électoraux. Le pouvoir exécutif est confié à
un gouverneur, élu parle peuple pour quatre ans, et non
rééiigible pour la période suivante. 11 reçoit un traitement
de 5,000 dollars. La puissance législative est exercée par
un sénat et une chambre des représentants. Cette dernière se
compose de cent cinquante membres élus pour deux ans et
sur la base de la population blanche. Le sénat, au contraire,
se compose de cinquante-deux membres élus pour deux ans
sur la base combinée de la population et des impositions,
et se renouvelant chaque année par moitié. L'État envoie
au congrès deux sénateurs et treize représentants. En ce
qui touche les esclaves, la nouvelle constitution décide
que tout esclave émancipé perd sa liberté s'il reste plus
de douze mois dans l'État. L'assemblée législative a le
droit de mettre des bornes à l'émancipation des esclaves,
mais ne saurait les émanciper. Elle peut aussi prendre les
mesures nécessaires afin de débarrasser l'État des nègres
libres, par la voie de l'expulsion ou de toute autre manière.
Si la Virginie est demeurée en arrière des progrès faits
par les États de New-York, de la Pennsylvanie et de l'Ohio,
cela tient à l'esclavage , à l'état de démoralisation qu'il en-
traîne et qui rend la culture stationnaire. Une autre cause
encore de cette infériorité, c'est la culture du tabac, qui
épuise le sol ; d'où il résulte que le travail de l'esclave
devient de moins en moins productif. Comme la culture
des plantations est depuis longtemps en décadence, et que
la culture ratioimelle du sol ne se concilie pas avec l'exis-
tence de l'esclavage, la Virginie en est venue à faire sa
s[)écialité de Vetève de Vesclave; et depuis l'interdiction
de l'introduction d'esclaves venant d'Afrique, c'est elle sur-
tout qui approvisionne d'esclaves les États du sud. Si
ri':tat est en voie de progrès notables depuis une vingtaine
d'années, il en est redevable aux essais heureux faits de l'autre
côté des Montagnes Bleues pour passer du travail des escla-
ves an travail libre.
La Virginie est divisée en quatre régions ou districts
principaux, à savoir la région des basses terres (Tide Wa-
fer Région), le littoral exposé aux effets de la marée, et
d'un développement de 18 à 30 myriamètres ; la région des
collines (Piedmont Région), qui s'étend depuis la pre-
mière jusqu'à la chaîne orientale des monts Alleghanies,
désignée sous le nom de Montagnes Bleues {Blue Ridge),
qui traversent tout l'État dans la direction du nord-est, et
dont l'élévation varie entre 980 et 1,300 mètres; le pays
de montagnes situé au delà des Alleghanies, qui occupent
une vaste portion du territoire de l'État {Greal Valley;)
enfin , la région située au delà des Alleghanies ( Transalle-
ghany Région), formantun plateau d'une superficie inégale
et s'abaissantvers l'Ohio. Ces quatre régions sont subdivi-
si'cs en cent cinquante comtés. Le chef-lieu est R i c h mo n d.
Les autres villes les plus importantes sont ensuite Nor-
folk; Alexandrie, sur le Potomac, qui jusqu'en 1846 avait
fait partie du district fédéral de Colombia, avec un port et
un commerce considérable, n ne académie et 10,000 habi-
tants ; Charlotlesvillc, avec la grande université de Vir-
ginie, mais seulement 2,500 habitants; Petersburghf iiC!
VmGINIE — VIRILITE
915^
TAppomattox , l'une des belles et des plus commerçantes
villes de l'État, avec 12,000 iiabifaiils; et Wheelinrj sur
VObio, la plus importante ville de la Virginie occidentale,
avec 11,400 habitants, un commerce considérable, de gran-
des exploitations de houille et des fabriques de lainages, de
cotonnades, d'articles en fer, de machines, etc. Les princi-
paux cours d'eau, outre l'Oiiio, sur les frontières de l'État
d'Ohio, et le Potomac, sur la frontière du Marjland, sont le
James-River avecrAppomattox,le Rappahannock et le York,
qui sont navigables tous deux sur une grande partie de
leur parcours pour les navires au long cours, et se jetant
tous deux dans la baie de Chesapeak; le Roanocke, qui
coule ensuite dans la Caroline du nord , le grand et le pe-
tit Kanawha, ses deux affluents, et en partie le Monongaliela,
dont les eaux vont grossir l'Ohio.
VIRGINITÉ. Voyez Vierge.
VIRGULE (du latin virgula, diminutif de vlrga, ba-
guette). C'est le nom qu'on donne au signe employé si
fréquemment dans la ponctuation pour séparer les membres
d'une période. Pour la clarté du style , la virgule est peut-
être plus essentielle que le point et les autres signes de la
ponctuation. Quand le sens d'une phrase est complet, la
présence du point est rarement d'une stricte nécessité pour
le faire reconnaître ; mais à l'égard de la virgule on sent
à chaque instant combien elle est indispensable pour l'in-
telligence du sens. Une virgule omise ou mal placée ré-
pand de la confusion dans une phrase , la rend obscure ou
louche, et lui fait quelquefois signifier le contraire de ce
qu'elle avait à exprimer. Le poëte Malherbe doit à une vir-
gule, ajoutée sans malice par un compositeur, celui peut-
être de ses vers qu'on cite le plus souvent. Dans son ode
à du Perrier, le puete, déplorant la mort de la filie de, son
arni, avait dit :
Et Roselte a vécu ce que vivent les roses.
L'ouvrier arrêté sans doute par lélrangeté du nom de Ro-
selle, le sépara en deux par une virgule, et l'on eut ce vers
charmant :
Et Rose, elle a vécu ce que vivent les roses , etc.
Mallierbe n'eut garde de réclamer contre la virgule.
CilAMPAGNAC
VÏRIATIIE, VIRIATnuS,chef lusitanien, qui pendant
dixansfit la guerre aux Romains (de 149 à 139 av. J.-C).
S'il fut pour Rome une guerre interminable , ce fut la guerre
d'Espagne. Ce peuple intrépide pouvait être vaincu cent fois,
jamais subjugué. En vain, pour y parvenir, les généraux
romains eurent-ils recours aux plus odieuses perfidies. Un
LucuUus dans la Celtibérie , un Galba dans la Lusifanie, of-
frirent des terres fertiles aux tribus espagnoles qu'ils ne pou-
vaient vaincre, les y établirent, les dispersèrent ainsi, et
les massacrèrent : Galba sesd en égorgea trente mille ( en
150 av. J.-C). Un homme s'était échappé, qui vengea les
autres. Viriathe était, comme tous les Lusitaniens, un pâtre,
un chasseur, un brigand, vrai type d'un chef de guérillas,
que les Lusitaniens mirent à leur tète. Viriathe ne déploya pas
seulement les talents du guerrier, il fut juste, humain , gé-
néreux. Son premier exploit fut d'attirer Vetilius, par une
fuite simulée ( 149), dans des lieux boisés et coupés de préci-
pices, oà ce préteur, qui affecîait de mépriser son ennemi,
perdit la vie avec la plus grande partie de ses soldats. Plau^
lius, successeur de Vetilius et non moins présomptueux, ne
fut pas plus heureux : battu deux lois, il perdit l'honneur et
conserva la vie. Il en fut de môme des préteurs Claudius
Unimanus et Nigidius. Le préteur C. Lœlius fut plus heu-
reux ; cependant, il fallut envoyer contre ce chef une année
consulaire : elle fut commandée par un fils de Paul Emile,
Q. Fabius ^milianus. Fabius évita d'abord toute action gé-
nérale; ce fut seulement parla guerre de partisan qu'il es-
péra vaincre enfin cet héroïque chef de bandes, et il finit
par sortir vainqueur d'actions plus décisives. Viriathe perdit
des villes, des soldats, mais il ne perdit ni le courage ni l'es-
pérance. Vaincu ensuite par un préteur nommé Quinlius,
il le battit à son tour, et fit déclarer en sa faveur une partie
de la Celtibérie. Malheureux contre Metellus, il répara cet
échec en enfermant dans des défilés le proconsul Fabius
Servilianus. Viriathe pouvait détruire l'armée romaine ;
il aima mieux , dit Aurelius Victor, proposer, vainqueur,
la paix au peuple romain que de la subir vaincu. 11 fut donc
stipulé qu'il y aava'd paix et amitié entre le peuple romain
et Viriathe (en 14 1 av. J.-C. ). Mais Rome la rompit dès l'an-
née suivante. Le sénat confia le département de l'Esnagne
nllérieure au consul Q. Servilius Cœpion, frère de ce même
Servilianus qui avait traité avec Viriathe. A peine Cœpion
fut-il arrivé qu'il recommença les hostilités. Viriathe, trop gé-
néreux pour soupçonner les autres de déloyauté, se trouvait
hors d'état de défense. Il fut obligé de fuir devant l'armée
consulaire; mais Cœpion, le trouvant encore trop redoutable,
résolut de le faire périr en trahison. Il ne parut pas éloigné
de conclure une nouvelle paix : Viriathe lui envoya des am-
bassadeurs. Cœpion les corrompit, et acheta d'eux la mort
de leur général : ils l'assassinèrent dans sa tente pendant la
nuit, au milieu de son sommeil. Le sénat se donna alors le
facile mérite de désapprouver Cœpion; mais la mort de Vi-
riathe laissa sur la foi romaine, bien plus mauvaise que la foi
puni(|ue, une tache indélébile. Charles Du Rozoir.
VîIULES (Voix) , vola viriUa. On appelait ainsi, dans
le collège des princes à la diète de l'Empire, les voix accor-
dées à un ordre par opposition aux voix de curies , ou col-
lectives, des prélats ou des comtes immédiats do l'Empire.
Cette différence existe encore aujourd'hui dans le comité res-
treint(ie la diète germanique, oii les trente-huit membres de
la Confédération n'ont que dix-sept voix, dont onze sont
des voix r/r/Vj;'.? et six des voix de curies.
VIRILITE. Ce terme désigne, dans son sens propre,
l'âge inlermédiaire de l'homme, l'époque de sa vigueur éga-
lenient éloignée des bouillonnements tumultueux de la jeu-
nesse et de la froide lenteur de la vieillesse. L'âge viril selon
quelques auteurs, est le même que celui de la puberté pour
les hommes. Toutefois, il est plus exact d'établir cet âge
de complète vigueur entre trente et cinquante ans, période
durant laquelle le corps et l'esprit se montrent pour l'or-
dinaire dans leur plus florissant état de perfection et exé-
cutent complètement toutes leurs fonctions. C'est pourquoi
le terme de virilité, dérivé de vir, a pour étymologie vis ou
vires , et virere, par comparaison avec ces arbres pleins de
sève et de vigueur, qui poussent avec force, et produisent
abondamment leurs fleurs au prinlemps {in vere, quasi in
virorc). La puissance reproductive est en effet le premier,
le plus irrécusable signe de la virilité, et même sans cette
puissance la virilité n'existerait pas. De à vient la supré-
matie du mâle sur la femelle, par la vigueur du corps, l'an
dace, la générosité du courage. Toutes ces qualités résultent
de 4'élément de virilité, source merveilleuse d'éneigie dans
l'organisme animal. Mille faits évidents l'attestent. Ainsi,
avant l'élaboration des parties destinées à la fécondation le
jeune adolescent paraît timide; ses fibres restent encore dé-
tendues et molles; sa voix est aiguë et faible; son corps n'a
point acquis cette structure carrée et anguleuse, cette am-
pleur du thorax, cette solidité des muscles, cet air mâle et
assuré qui caractérisent un homme. Les eunuque?, ou cas-
trats, demeurent toujours efféminés, humbles, timides, ram-
pants, avec une voix grêle, un naturel pusillanime, qui les
rend incapables de régner, de commander, de combattre
avec audace. Ainsi , les individus énervés par des jouis-
sances anticipées , ou plongés dans l'excès des volupîés,
tombent dans une lâche faiblesse, prennent des habitudes
d'indolence, de honteuse délicatesse, pire que celles des
femmes. Témoins ces élégants Adonis, si poupins, si frêles,
et dont la petite poitrine supporte à peine l'air libre; leur
démarche est flasque, abandonnée, chancelante; il leur
faut tantôt des corsets pour soutenir leur taille débile,
tantôt des restaurants exquis pour raffermir leur estomac
délabré, puis des odeurs d'ambre et de musc ou civette,
58.
916
VIRILITÉ — VISA
pour ranimer leurs nerfs, trop délicats, agacés par des spas-
mes, car ils ont des vapeurs. Le duvet de l'édredon n'est
pas uue couche trop molle pour ces sybarites épuisés,
pâles copies d'un sexe plus masculin qu'eux , puisqu'il y a des
femmes fortes et viriles, des y ira <^ o musclées, au regard
martial, à la trogne animée, portant même parfois barbe
et mouslaclies comme un grenadier ou un sapeur. De telles
liéroïnes élèvent un ton de voix haut et rogue; il en est qui
boivent, fument, jurent, et ne sont nullement déplacées
parmi les hussards, les dragons et les pandours. 11 est à re-,
marquer aussi que ces femmes viriles sont également laides
et stériles : elles ont menti à leur sexe, la plupart, comme
l'ardente Sapho, et nul homme ne trouve en elles les plus
aimables qualités des femmes. Le développement de la vi-
rilité imprime donc à la fibre plus de ton et de densité : à
volume égal, l'homme pèse plus que la femme ; ses os sont
plus compactes , ses tendons plus solides; sa poitrine est plus
large, sa respiration forle et étendue, sa voix plus grave et
retentissante, son pouls plein et plus leut. 11 montre pareil-
lement un cerveau plus am|)le et profond. L'épine dorsale,
ou le rachis, et la moelle épinière, sont plus volumineux aussi
dans le mâle que chez la femelle; il s'ensuit que le système
nerveux cérébro-spinal jouit de plus d'activité et de vigueur
chez l'homme, tandis que le système nerveux trisplanchni-
que, ou grand-sympalhique, paraît prédominer, au contraire,
chez la femme. L'homme, destiné aux actions fortes, à la
défense, au gouvernement de la socicté, avait besoin déplus
de vigueur de tête, de bras, de poitrine, de muscles, que
des êtres débiles formés pour engendrer et nourrir de leurs
entrailles une tendre progéniture. L'homme viril est, géné-
reux, ouvert, franc dans sa noble confiance en ses forces;
il croit tout le monde vrai, naturel comme lui. Constamment
inébranlable dans sa fermeté simple et stoïque, il n'a que
peu d'inquiétude de l'avenir et de crainte de la mort. Sa so-
lidité, à l'épreuve des douleurs du corps et de l'àme, fait
qu'il ne se plaint pas; il ignore la finesse et la ruse, car il
est droit ou tout magnanime. Il n'a point ces petitesses de
l'àme, ces transports mobiles, irritables , qui font plier ser-
vilement ou s'exalter avec arrogance. Comme il sait conqué-
rir et vaincre, ou supporter avec courage, son audace, sa
fierté le rendent supérieur aux obstacles, dédaigneux de
l'intrigue; c'est pourquoi il est grave, et n'a ni cette vivacité
ni cette recherche qu'on appelle esprit. 11 contemple les
choses de haut, tandis que la femme démêle avec une plus
adroite finesse les particularités délicates des divers sujets : il
ne se tend pas pour paraître grand ; mais, assuré de sa force,
il reste naïf, bon, maniable, facile même pour les faibles
et les enfants, autant qu'il se montre intrépide et hautain
avec les puissants, seuls dignes de lutter contre sa valeur.
J.-J. "VlREY.
VIROLE, petit cercle de fer, de cuivre, d'argent ou
de tout autre métal qui serre et entoure le petit bout du
manche d'un couteau, d'une serpette, d'un marteau , d'une
alêne, etc., pour tenir le bois en état, ou pour tout autre
usage.
VïRTCOSE, de l'italien virtuoso, homme ou femme
cultivant les beaux-arts et particulièrement la musique. Il
est d'ailleurs à remarquer que l'idée de virtuose s'attache
plus spécialement chez nous au rôle de chanteur, de musi-
cien ambulant.
VIRUS, mot emprunté du latin, qui signifie poison,
et qu'on emploie en pathologie pour désigner un principe
inconnu dans sa nature, et inaccessible à nos sens, qui est
l'agent de la contagion, et qui paraît être le produit d'une
sécrétion morbide. Le virus est un germe toujours identique
qui se transporte d'un individu à un autre, et qui produit
des maladies essentiellement les mêmes. Ainsi se comportent
la syphilis, la variole, la rage, la morve, etc. Les virus
différent des renins, qui sont des sécrétions naturelles
propres à certaines espèces d'animaux.
VIRUS CADAVÉRIQUE, virus produit par les sub-
stances cadavéreuses, que les anatomistes s'inoculent fré-
quemment en se piquant avec les instruments dont ils se
.servent. Les piqûres de scalpel sont excessivement dange-
reuses et peuvent en quelques jours faire périr le malade
s'il n'a eu soin de laver et de cautériser le point où l'inocu-
lation a été faite.
VIS. La vis n'est autre chose qu'un plan inclinécons-
truit sur la surlace d'un cylindre. La puissance de cette ma-
chine se transmet pour l'ordinaire en la faisant mouvoir
ou plutôt tourner dans un cylindre concave sur la face in-
térieure duquel on a pratiqué une cavité en spirale , corres-
pondant exactement à ce qu'on nomme \e filet de la vis , et
dans laquelle ce filet se meut en faisant continuellement tour-
ner la vis dans le même sens : ce cylindre creux se nomme
écrou ou vis concave. Des lois du plan incliné il résulte
que dans la vis la puissance est à la résistance comme la
hauteur du pas de la vis, c'est-à-dire la quantité dont elle
avance dans l'écrou à chaque révolution est à la circonfé-
rence du cylindre autour duquel le filet est censé enroulé.
Et comme la hauteur du pas d'une vis d'un diamètre dé-
terminé peut être rendue aussi petite qu'on voudra, il sera
toujours possible de lui donner assez peu d'élévation pour
rendre la vis capable de soulever des fardeaux ou de pro-
duire des pressions aussi considérables qu'on voudra avec
une puissance déterminée. Que si l'on fait agir la puissance
sur la machine en l'appliquant à l'extrémité d'un bras de
levier, on en multiplie encore les effets par le rapport de la
longueur du bras à celle du rayon du cylindre.
La forme des filets peut être rectangulaire ou triangulaire.
La vis est surtout destinée à exercer de rudes pressions :
aussi est-ce l'agent de la plupart des presses. Cet appareil
sert aussi dans la f.<brication de la monnaie quand on veut
donner l'empreinte d'un coin à un morceau de métal. La
nécessité de donner une certaine épaisseur au filet pour en
assurer la solidité nuit beaucoup au développement de la
force des vis. M. Gunter a paré à cet inconvénient au moyen
d'un système particulier formé de deux vis dont les filets
peuvent avoir une force et une grandeur quelconques, mais
qui diffèrent légèrement en largeur l'une par rapport à l'au-
tre. Le mode d'action relative des deux vis dans cet ingé-
nieux appareil peut produire une puissance d'action pres-
que illimitée.
Entre les diverses espèces de vis, on remarque surtout
celle qui est dite î;is sans fin, la vis d'Archimède et la vis
micrométrique. La première est un appareil dans lequel une
roue dentée est mise en mouvement par le filet d'une vis
qui est elle-même en révolution toujours dans le même
sens.
La vis d'i4rcMmède , inventée, dit-on, parce fameux
géomètre , et qui sert à élever les eaux , consiste en un
tube ou canal creux, qui tourne autour d'un cylindre incliné
de 45°, de la même manière que le cordon spiral dans la vis
ordinaire : un orifice du canal est plongé dans l'eau; quand
on fait tourner la vis au moyen d'une manivelle ad hoc,
l'eau s'élève dans le tube spiral , et se décharge par l'orifice
supérieur.
On nomme vis micrométrique un appareil destiné à me«
surer de très-petits espaces. On en voit de semblables sur
le limbe des instruments gradués pour des opérations astro-
nomiques [voyez Micromètre).
VISA ( Affaire du ) . A l'époque de la minorité de Louis X'V,
sous la régence du duc d'Orléans, on désigna ainsi une opé-
ration ayant pour but de retirer de la circulation et d'exami-
ner les différents titres de la dette publique, et d'en réduire
l'intérêt. Diverses autres mesures fameuses en finances s'y
rattachèrent , et c'est là ce qu'on comprend en général sous
la dénomination à'affaire du visa. Eu 1715, à la mort de
Louis XIV, la dette publique de France s'élevait à la somme,
énorme pour l'époque, de 3,110,944,000 livres. La plus
grande partie de cette dette consistait en rentes publiques,
pour lesquelles l'État avait à payer un intérêt annuel de
86,009,810 livres. Le reste, à l'état de dette flottante, se
montait à la somme de 710,994,000 livres, obstruait tous
VISA — VISCÈRES
?es canaux du commerce privé , conservait un cours forcé
et subissait en moyenne une dépréciation de 50 pour 100.
On fit d'abord une série d'essais pour, au moyen de réformes,
rétablir les finances, depuis longtemps en proie à une confu-
sion et à un désordre extrêmes, et administrées d'ailleurs
par des fripons; mais en procédant avec maladresse et en
voulant agir avec trop de précipitation, on ne réussit qu'à
agrandir l'abîme. Le duc de Noailles en revint donc bientôt
aux anciens expédients en usage. Au mois de décembre 1717,
en qualité de chef du conseil des finances, il ordonna une
ré/orme du système monétaire. Toutes les espèces d'or et
d'argent en circulation dans le royaume durent être rappor-
tées aux ateliers de la monnaie et provisoirement échangées
«outre des billets au porteur. Le titre et le poids des nou-
velles monnaies en lesquelles ces billets étaient rembour-
sables devaient rester les mêmes ; il n'y avait que l'effigie
du prince qui dût être changée. Maison prenait le louis d'or
au titre de 14 à 16 , et on le remettait en circulation au titre
de 20 ; le procédé était le môme pour les monnaies d'argent.
Noailles avait calculé sur la refonte d'un milliard en es-
pèces, et dès lors sur un bénéfice de 300 millions. Mais on
ne livra guère aux ateliers de la monnaie qu'une somme de
379 millions, dont la refonte et le changement de titre ne
valurent à l'État qu'un bénéfice de 72 millions. Le reste des
monnaies françaises s'écoula par torrents vers l'étranger,
oîi les juifs en entreprirent la refonte , et qu'ils réintrodui-
sirent ensuite dans le royaume avec des bénéfices énormes.
On a calculé que de l'an 814 à l'année 1726 les rois de
France avaient, par l'emploi de mesures spoliatrices de ce
genre, trouvé moyen de s'emparer à soixante-et-onze repri-
ses différentes de tout le capital national. Mais ce fut sous
Je règne de Louis XIV que ces spoliations se pratiquèrent
avec le plus d'impudence.
Pendant que Noailles imaginait d'abaisser le titre des mon-
naies, il opérait sans plus de façons une réduction de la
dette publique en en soumettant les titres au visa. Un édit
ordonna que tous les titres de rente émis par le gouvernement
de Louis XIV seraient soumis à l'examen d'une commission
spéciale présidée par les frères Paris de Montmartel. Cette
commission partagea ces titres, d'après leur origine et la
manière dont ils étaient arrivés entre les mains des déten-
teurs, en cinq catégories : la première subit une réduction
d'un tiers, et la dernière, de quatre cinquièmes. Mais au lieu
àe 7 10 millions de titres, chiffre sur lequel on avait dû comp-
ter, il n'en fut présenté au visa que pour 596 millions, dont
237 millions furent annulés. Il ne resta plus par conséquent
à la charge de l'État que 359 millions, somme qu'on trouva
encore moyen de réduire à 200 millions , en opposant des
compensations à certains détenteurs. Tout en arrivante de
pareils résultats, le régent ne laissa pas que de commettre
ensuite la plus scandaleuse des injustices en cédant aux
réclamations et aux obsessions de certains courtisans et de
certaines grandes dames à qui on restitua 50 millions de
titres annulés ; ce qui porta au chiffre total de 250 millions
la dette laissée à la charge de l'Étaf. Une fois l'opération
terminée, il parut un édit, en date du l" août 1716, qui
ordonnait l'échange des 250 millions de titres réduits contre
des titres nouveaux, qu'on appela billets cl' État, et portant
intérêt à 4 pour 100. Mais on ne paya qu'un seul semestre
de cet intérêt, et ces titres perdirent immédiatement les
deux tiers de leur valeur nominale. Celui qui à l'origine
avait porté au visa un million en titres avait vu réduire sa
fortune à 200,000 livres représentées par des billets d'État,
lesquels ne valurent plus que 63,000 livres. Un grand nom-
bre d'agioteurs , ayant de bons motifs pour redouter les
.suites d'un édit qui les obligeait à faire connaître le chiffre
de leur fortune, et qui, en raison de l'instabilité des sys-
tèmes de finance, avaient compté sur d'heureux hasards,
s'étaient bien gardés de porter leurs titres au visa. Ces an-
ciens titres, dont le montant n'allait pas à moins de 100
millions, furent annulés par un édit. Cependant, la suite dé-
montra que les porteurs avaient calculé juste. Effectivement,
917
deux ans après, lors de la fondation de la fameuse compa-
gnie du Mississipi , l'État accepta ces titres annulés de pair
avec les billets d'État comme comptant et pour l'intégralité
de leur valeur nominale.
Après avoir ainsi réduit la dette flottante, on s'occupa du
soin de diminuer la dette inscrite, dont 24 millions furent
annulés, sans plus de façons, en môme temps qu'on en ré-
duisait l'intérêt. Noailles imagina encore une troisième opé-
ration pour sauver les finances de l'État; ce fut l'érection
d'un tribunal d'exception , appelé chambre de justice, et
ayant mission d'enlever, avec un semblant d'observation des
formalités légales, à ceux qui s'étaient enrichis illégitimement
le fruit de leurs rapines. Une ordonnance rendue par le régent,
à la date du 7 mars 1716, ayant défendu sous peine de mort
aux individus placés dans cette catégorie de s'éloigner soit
de leur domicile, soit de la ville qu'ils habitaient, la terreur
causée par le souvenir des procédures autrefois instruites de-
vant des tribunaux de ce genre fut si grande, que beaucoup de
gens risquèrent leur vie et prirent la fuite. Il y en eut môme
qui se suicidèrent. La chambre de justice, ou , comme la
surnomma le peuple, la chambre ardente, tint ses séances
dans le couventdes Grands-Augustins ; local qui, en raison
des instruments de torture qu'on y trouvait, rappelait les
terreurs de l'inquisition. On créa à l'usage de ces procé-
dures spéciales un code particulier, dont la plupart des dis-
positions avaientlamort pour sanction. Environ cinq mille in-
dividus, la plupart pères de famille, passèrent ainsi en juge-
ment, et furent condamnés à abandonner près de 220 mil-
lions de leur fortune à l'État. D'abord, on ne traqua que les
agioteurs; mais par la suite on abrégea les formalités pro-
tectrices de la propriété des citoyens, et on traduisit devant
la chambre de justice quiconque était dénoncé ou bien pos-
sédait des richesses. Ce tribunal d'exception , après avoir
été d'abord un objet d'effroi pour chacun , finit par tomber
dans l'excès de la corruption et par commettre ainsi des
crimes et des délits bien autrement graves que ceux qu'il
avait mission de réprimer.
Au mois de mars 17l7, le régent fit suspendre les pro-
cédures commencées, accorda une amnistie aux individus
qui en étaient l'objet, et ordonna même la révision de divers
procès depuis longtemps terminés. La chambre de justice
avait coûté 12 millions, et rapporta 72 millions payés pour la
plus grande partie en marchandises. Ces trois expédients
financiers, auxquels le trésor avait eu recours coup sur coup,
n'avaient abouti qu'à démontrer la corruption de la nouvelle
administration , qui se trouva alors bien autrement embar-
rassée encore qu'auparavant, attendu que toute confiance
avait disparu et que le commerce du pays se trouvait
anéanti. C'est alors que le régent , à bout de ressources et
d'expédients, se jeta dans les bras de l'Écossais Law, sous
ladirection duquel l'administration en revintencore à sa vieille
habitude de changer le titre des monnaies, de réduire l'in-
térêt des effets publics, et enfin de rançonner les financiers.
Consultez : Histoire générale et particulière du Visa fait
en France {ik vol., La Haye, 1743).
VISAGE y partie antérieure de la tête de l'homme, com-
prenant le front , les yeux , le nez , les joues , la bouche , le
menton et les oreilles [vorjez Face).
VISAGE ABATTU. Voyez Faciès.
VISCÈRES (du latin viscus, au pluriel viscera, en-
trailles). Ce mot est usité dans le langage médical pour dé-
signer certaines parties de l'organisme , conditions princi-
pales de la vie. Ce sont : le cwur et les poumons , renfermés
dans la poitrine ; l'estomac , les intestins , le foie , la rate ,
le pancréas , les organes génito-urinaires , contenus dans
l'abdomen. Quelques anatomistes comprennent encore le
cerveau dans cette liste. On emploie aussi le mot entrailles
pour désigner l'ensemble des parties que nous venons de
nommer. Les anatomistes distinguent l'étude des viscères
par le mot de splanchnologie, étude qui compose une des
parties les plus importantes de la physiologie. On com-
prendra toute cette importance en se rappelant les fonction»
918
VlSCÈllES — VlSCONTl
qne ces organes remplissent. C'est de rharraonie des fonc-
tions des viscères que dépend la santé, comme la maladie
est le résultat de leur désaccord. Cjiaubonnier.
VISCHNOU. Voyez Indienne (Religion).
VISCOIVTI (du latin vice-comités), nom d'une fa-
mille lombarde célèbre par le rôle qu'elle a joué dans l'his-
toire. Le premier Yisconti dont il soit question d'une manière
authentique est un certain Eripando , mentionné en l'an
1037 à propos des querelles des Milanais avec Conrad H.
Son fils O^^ne devint, en 1075, le vicomte (iJice-comes)
de l'archevêché de Milan; et il est fait mention d'un autre
Ottone, consul à l'époque de Frédéric Barbe-Rousse. Celte
famille acquit plus d'importance lorsque l'Iiéroique ligue
lombarde eut dégénéré en une foule de petites souveraine-
tés, pour la plupart tyranniques ; et la puissance des Vis-
conti se développa encore davantage après la chute d'une
maison rivale, celle des délia Torre ( voyez Tour et Taxis).
Mais c'est surtout l'archevêque de Milan Ottone Visconti ,
mort en 1258, qui la consolida. Son neveu Matteo /c
Visconti hérita d'une partie de son pouvoir. Matteo
lutta d'abord péniblement contre le parti des délia Torre ,
et vécut môme deux ans en exil; mais en 1312 il chassa
Guido délia Torre, et à l'arrivée de l'empereur Henri Vif
en Italie il obtint le titre de gouverneur impérial , qu'il
échangea bientôt contre celui de seigneur de Milan. Il mou-
rut en 1322 , et eut pour successeur son fils aîné, Galcas
Visconti, qui fut attaqué par de puissants ennemis, au
nombre desquels étaient ses propres frères, et que Louis de
Çavière enferma dans le château de Monza. Il mourut peu
jle temps après, à Brescia. Son fils, Azzo Visconti, né en
1292, lui succéda. Aussi brave que bon et bienfaisant, il
fut enlevé à l'amour de son peuple en 1329, et ne laissa pas
de postérité. Son oncle Luchino, fils de Matteo , le rem-
plaça. Celui-ci accrut encore les possessions de la famille,
et fut le premier de ses membres en qui les arts et les scien-
ces trouvèrent un protecteur. Ami de Pétrarque, entretenant
une correspondance suivie avec ce poète , il cultivait lui-
même les muses. Son frère etsuccesseur, Giovanni Visconti,
archevêque de Milan, soumit Gênes et favorisa les arts et les
sciences. Pétrarque trouva aussi en lui un protecteur zélé. A
sa mort, arrivée en 1354, ses trois neveux, Matteo II, Bar-
nabe et Galeas II , lui succédèrent collectivement, Matteo
mourut un an après. Les deux autres frères, braves à la guerre,
s'attirèrent la huine de leurs sujets. Leur vie n'est en effet
qu'une suite non interrompue d'actes arbitraiies ou de
cruautés, que ne saurait faire oublier la généreuse protec-
tion qu'ils accordèrent aux sciences et aux lettres. D'ail-
leurs, ils cherchèrent constamment à se renverser mutuel-
lement. A Galeas II succéda son fils Jean Galeas, qui
réussit à faire prisonnier son oncle Barnabe et à l'enfermer
dans le château de Tre/.zo, et qui porta la puissance de la
famille Visconti à son apogée. Il obtint la dignité de duc
de l'empereur Wenceslas, lequel lui reconnut en outre
bien plus de possessions que n'en avait jamais eu aucun de
ses prédécesseurs. Son autorité s'étendait môme sur les
villes de Pise, Sienne, Pérousc et Bologne; et il aspirait
ouvertement au titre de roi d'Italie, lorsqu'il mourut, em-
poisonné, en 1402. Il avait contribué aux progrès des
sciences et des arts en accueillant à sa cour les hommes
les plus célèbres , en réorganisant l'université de Plaisance,
à laquelle il réunit celle de Pavie, et en fondant une grande
bibliothèque. Son nom se rattache en outre à la construc-
tion de plusieurs monuments, parmi lesquels on remarque
la cathédrale de Milan , la chartreuse de Pavie, et le célèbre
pont de Pavie sur le Tessin.
Jean Galeas laissa trois fils : Giammaria, Filippo Maria
el Gabriel (ce dernier illégitime). Tous trois se partagèrent
le pays; mais leur mésintelligence, leur imprudence et les
fautes de leur jeunesse affaiblirent leur puissance. Dans la
pluplart des villes lombardes, d'influents bourgeois .s'éle-
vèrent au-dessus des autres et s'emparèrent du pouvoir.
De leur côté, les États voisins ne laissèrent échapper au-
cune occasion de s'agrandir aux dépens des Visconti. Ainsi
les Florentins s'emparèrent de Pise, et les Vénitiens de Pa-
vie, de Vicence , de Vérone et de Brescia. Les cruautés de
Giammaria lai attirèrent la haine de ses sujets, et provo-
quèrent une conjuration dont il périt victime, en 1412. Fi-
lippo Maria, qui régna seul encore pendant trente-cinq ans,
subit toutes les vicissitudes de la fortune, reprenant une partie
de ses villes, tandis qu'il perdait les autres. Ses dernières an-
nées furent troublées par ses guerres contre Venise , dont
les troupes arrivèrent souvent jusque sous les murs de Mi-
lan, ravageant tout sur leur passage. C'est de son vivant que
Piccinino , François Sforza , Carmagnola et d'autres encore
firent prendre au système de guerre des condiotticri ses
plus larges développements. Il mourut en 1447 , sans laisser
de postérité mâle. Sa fille naturelle, Bianca, épousa Fran-
çois S f o r z a , l'un des généraux les plus célèbres de l'époque,
et qui réussit par la ruse autant que par la force à se faire
reconnaître en qualité de duc de Milan. Des lignes collaté-
rales de la maison des Visconti existent encore en Lom-
bardie ; mais les Visconti de Rome n'ont pas la même origine.
Consultez Litta, Famiglie celebri Jtaliane; et Verri, Storia
di Milano.
VISCOIXTI (EnNio-QuiRiNio) , le plus célèbre archéo-
logue des temps modernes, appartenait à la famille ro-
maine de ce nom. Il naquit à Rome, le 1®"" novembre 1751.
Élevé par son père, savant distingué, il donna des preuves
précoces de ses talents, et à l'âge de treize ans il traduisit en
vers italiens VHécube d'Euripide. Le pape le nomma sous-
bibliothécaire du Vatican. En 1787 il était conservateur du
Muséum capitolinum. On lui doit, entre autres, le grand ou-
vrage intitulé Monwnenti scritti delmuseo del signorTom-
maso Jenkins, et le Museo Pio-Clementino. Lorsque les
Français , commandés par Berthier , arrivèrent à Rome ,
Visconti fut nommé ministre de l'intérieur par le gouver-
nement provisoire. Au mois de janvier 1798 il devint l'iui
des consuls; mais il renonça bientôt aux affaires publiques
pour reprendre ses savantes recherches. Compromis par le
rôle qu'il avait joué en politique, il quitta Rome en 1799,
et s'embarqua pour IMarseille. Le gouvernement français le
nomma professeur d'archéologie et conservateur du Musée
des antiques et des tableaux du Louvre; et l'Institut lui ou-
vrit ses portes, en 1804. Son œuvre principale, ^Iconogra-
phie grecque (3 voi.,in-4°), dontNapoléon lui avaitfourni
le plan et dont le gouvernement français fit les frais, et son
Iconographie Romaine (3 vol., 1818-1823) sont des tra-
vaux d'une haute portée, sous le double rapport de la science
et de l'art. Visconti mourut à Paris, le 7 février 1818. Dacier
et Quatremère de Quincy ont prononcé son éloge.
Son frère, Aurelio-FiUppo Visconti, à qui on doit la
continuation du Museo Pio-Clementino et la publication
du Museo Chiaramonti, mourut à Rome, le 30 mars 1831.
Un troisième frère, AlexandroyacoiiTi, docteur en mé-
decine, s'est fait connaître par sa description de la Villa
Aldobrandini , par son Journal de Numismatique, et par
plusieurs mémoires. Il mourut à Rome, le 7 janvier 1835.
VISCOiNTI (Lolis-Tullius-Joachim), architecte dis-
tingué et fils du célèbre archéologue, naquit à Rome, en
1791 et accompagna son père en France. Dès l'âge de dix-
sept ans il était admis à l'École des Beaux-Arts de Paris; et
en 1817 il fut chargé de la direction des travaux de cons-
truction du Marché aux Vins. Depuis lors son nom se rat-
tache à la construction de la plupart des édifices élevés
dans la capitale sous la Restauration et sous le gouver-
nement de Louis-Philippe. C'est à lui que revint l'honneur
de fournir les plans pour le monument destiné à recueillir
les restes mortels de Napoléon tous le dôme des Invalides.
L'immense talent dont il fit preuve à cette occasion décida
le président de la république, Louis-Napoléon, à lui con-
fier les travaux de l'achèvement du Louvre et des Tuilerie*.
Jamais entreprise aussi colossale ne fut exécutée avec au-
tant de bonheur ctde rapidité. Toutefois, Visconti n'eut pas lu
consolation devoir son œuvre terminée. Il mourut le 1" de-
VISGONTI — VISITE
919
cembre 1853, mais laissant ses plans et ses dessins si parfai-
tement arrêtés, qu'on n'a eu qu'à les exécuter tels qu'ils
les avait conçus. Il était depuis longtemps membre de l'Ins-
titut et officier de la Légion d'Honneur.
VIS D'AUCHIMÈDE. Voyez V/s.
VISIGOTHS, corruption de l'allemand Westgothen,
Gotlis de l'ouest. Voyez Goths.
VISION. En physique, en physiologie , c'est la fonction
qui nous fait reconnaître la grandeur , la figure , la couleur,
la distance des corps , etc. Tout ce que nous savons sur
la vision, c'est qu'il se forme sur la rétine une image
renversée des objets extérieurs ; mais cette image n'est que
la cause de la sensation. La modification quelconque qu'é-
prouve la rétine se transmet au cerveau par le nerf optique,
et c'est là qu'a réellement lieu la sensation. Cependant, nous
rapportons toujours les objets sur la direction des rayons
qui arrivent à la cornée transparente, et non ceux qui frap-
pent la rétine, quoique ces deux systèmes de rayons aient
atteint des directions différentes; mais cela tient probable-
ment à ce que l'expérience nous a appris à trouver les
corps sur celte première direction.
L'appareil de la vision est composé de trois parties dis-
tinctes : la première modifie la lumière, la seconde re-
çoit l'impression du fluide, la troisième transmet cette im-
pression au cerveau. Lorsque l'œil est dirigé vers un point
lumineux , l'image est rapportée au sommet du cône lumi-
neux incident, et l'appréciation de la distance dépend de
l'angle de ces rayons; mais cette appréciation n'a de jus-
tesse qu'autant que l'angle au sommet du cône est sensible,
c'est-à-dire qu'autant que le point lumineux est voisin de
l'œil. Lorsque les deux yeux sont en même temps fixés sur
le point lumineux, l'estimation de la distance dépend prin-
cipalement de l'angle formé par les deux faisceaux reçus
par les deux pupilles : ou conçoit qu'alors le jugement
porté sur la distance des objets a beaucoup plus de jus-
tesse et s'étend dans de bien plus grandes limites , car il
dépend d'un angle dont la base est la distance des yeux.
Vision s'emploie aussi au figuré. En théologie, la vision
béatifique , la vision intuitive, est celle par laquelle les
saints voient Dieu. Il se dit aussi des choses que Dieu , ou
quelque autre intelligence , parla permission de Dieu, fait
voir en esprit ou par les yeux du corps : Les visions des
prophètes, les visions de saint Antoine.
Vision signifie encore chimère , image vaine , que la peur,
la folie , ou toute autre cause particulière produit dans l'es-
prit; ou bien encore une idée folle, extravagante. L'homme
sujet à ces visions est appelé visionnaire.
VISIONS. On appelle ainsi des chimères de l'ame, qui
sont si vives, qu'elles semblent provenir d'apparitions
véritables. Elles résultent souvent de la surexcitation de
l'imagination ou de relations très-limitées de l'esprit avec le
monde extérieur, de la vie solitaire, et sont la même chose
que les fantômes. On donne le nom de visionnaires aux
individus affectés de cet état morbide. Le nombre s'en est
tellement augmenté de nos jours , que la psychologie a donné
plus d'attention qu'autrefois aux faits de cette nature. D'or-
dinaire , les visionnaires prétendent que leurs visions pro-
viennent de l'influence immédiate d'esprits supérieurs , et
ge modifient suivant la nature de ces influences. En raison de
la vivacité des intuitions sensuelles par laquelle les visions
diffèrent d'autres chimères , on suppose que les nerfs con-
courent à leur production , sans cependant savoir rien de
positif à cet égard. Voyez Apparitions et Esprits.
VISIR ou vizir. Voyez Yézir.
VISITANDINES, ordre de religieuses fondé en 1618,
à Annecy en Savoie , par saint François de Sales et la mère
de Chantai, en commémoration de la visite que la sainte
Vierge rendit à sainte Elisabeth. Ce n'était à l'origine qu'an
refuge pour des veuves et des femmes maladives, qui se
réunissaient à l'effet de visiter, consoler et soulager les
pauvres malades ; elles se bornaient à de simples vœux. Mais
[lar la suite saint François de Sales érigea en ordre monas-
tique cette congrégation, déjà florissante. Toutefois, il affran-
chit les nouvelles religieuses des communes ausiérilés du
cloître, les dispensant des jeûnes rigoureux et des offices
nocturnes. L'ordre des Visitandines fit de rapides progrès ;
et au siècle dernier il comptait 6,000 religieuses, réparties
en 160 couvents; il en existait quatre à Paris seulement.
Deux ouvrages ont popularisé le nom de ces religieuses
parmi les gens du monde : Vert-Vert, poème de Gresset,
et Les Visitandines , opéra de Picard ; mais le premier ne
dépassa jamais les bornes d'une plaisanterie décente. Nous
n'en pouvons pas dire autant du second. E. Lavigne.
VISITATION (Fête de la). L'événement solennel que
cette fête réveille dans nos souvenirs nous est révélé par
saint Luc dans son Évangile, c. i, v. 36. L'ange Gabriel,
en venant annoncer à Marie le mystère de l'Incarnation ,
lui fit savoir que sainte Elisabeth , sa cousine, stérile jus-
que alors, était sur le point d'avoir un fils, le précurseur
du Messie. Marie s'empressa d'aller visiter sa parente, qui
demeurait avec Zacharie, son époux, dans une des villes
de la tribu de Juda. Dès que la modeste Elisabeth eut en-
tendu la voix de cette parente, dont elle pressentait les
hautes destinées, elle sentit tressaillir dans son sein l'enfant
qui devait être le héraut du Rédempteur. En la voyant, elle
s'écria : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le
fruit de vos entrailles est béni. » Marie répondit par le can-
tique pieux que nous appelons Magn ificat, où la mère
d'un Dieu s'humilie jusqu'à s'appeler humble servante et
exalte la toute-puissance du Très-Haut en des termes qu'ont
à peine atteints les anciens prophètes. Quant à l'institution
de la fête, le premier qui l'établit est saint Bonaventure, !e
docteur séraphique , général de l'ordre de Saint-François.
Il la décréta, en 12C3, pour toutes les communautés de son
ordre. Au siècle suivant, le pape Urbain VI étendit cet(e
solennité à toute l'Église. En 1431 le concile de Bàle ht
rendit obligatoire pour toute la catholicité , et en fixa la cé-
lébration au deuxième jour du mois de juillet.
E. Lavicne.
VISITE. C'est l'examen que, à des intervalles plus ou
moins rapprochés, un médecin ou un chirurgien vient faire de
l'état dans lequel se trouve le malade qui a invoqué les se-
cours de son art, afin de prescrire les moyens thérapeu-
tiques qu'il convient d'employer pour combattre le mal, de
môme que les précautions à observer pour hâter le retour
de la santé. Des honoraires sont dus au médecin ainsi qu'au
chirurgien pour chaque visite qu'ils sont appelés à rendre
à leurs clients ; mais le taux en varie nécessairement suivant
la fortune du malade, comme aussi suivant la réputation du
praticien. Une justice à rendre d'ailleurs au corps médical
fout entier, c'est qu'il est sans exemple qu'un médecin aif
apporté moins de zèle, moins de conscience, dans le trai-
tement d'un malade peu fortuné, malheureux même, que
dans celui du client à qui son état de fortune permet de
généreusement rétribuer les soins dont il est l'objet. La loi
n'a donc été que l'interprète de la conscience publique en
rangeant les visites du médecin parmi les dettes privilégiées
d'une succession.
Pour ce qu'on appelle dans les hôpitaux visite du mé-
decin, consultez l'article Clinique.
VISITE (Droit de). C'est le droit qui existe pour les
vaisseaux armés d'une nation de visiter les navires qu'ils
rencontrent, afin de s'assurer de leur nationalité. La loi com-
mune internationale n'admet pas ce droit en temps de paix.
H appartient seulement en temps de guerre à chaque belli-
gérant sur les navires de commerce neutres , à l'effet de re-
chercher si le pavillon de ces navires ne cache pas un en-
nemi déguisé ou s'il ne couvre pas de la contrebande de
guerre. L'Angleteterre, en opposition avec les maximes re-
çues par tous les autres États maritimes, s'est toujours ar-
rogé le droit d'exercer cette visite, au mépris des immunités
et de l'honneur du pavillon militaire, en face même des vais-
seaux de guerre des puissances neutres convoyant leurs
propres navires marchands et réoondant d'eux. On voit au
920
VISITE — VITALIEN
dix-septième, au dix-liuitièrae et aii dix-neuvième siècle ,
les vaisseaux suédois, hollandais ou danoissoulenir les com-
bats les pins inégaux et succomber sons la force plutôt que de
souffrir cette offense. Les Anglais ont toujours prétendu avoir
le droit de saisir non-seulement tout vaisseau portant le pa-
villon d'une nation neutre sans appartenir à cette nation,
mais même tout vaisseau réellement neutre portant des mar-
chandises d'un peuple avec lequel ils sont en guerre, de
même qu'à saisir les marchandises d'un peuple neutre portées
par un vaisseau naviguant sous pavillon ennemi.
Les discussions sur le droit de visite reprirent une cer-
taine imporlance, il y a quelques années, à propos de l'a-
bolition de la traite des nègres. Lorsque l'Angleterre avait
fait un traité à ce sujet avec une puissance, elle s'arrogeait
le droit d'eu visiter tous les navires, au mépris des privilèges
du pavillon militaire de celte nation, pour s'assurer s'ils ne
renfermaient pas d'esclaves. Sous le dernier ministère de
M. Guizot, la France elle-même, voulant rentrer dans le
concert européen après 1840, consentit par l'intermédiaire
de son ambassadeur un traité qui donnait à l'Angleterre le
droit de visiter nos navires sur une vaste étendue de l'O-
céan, pour s'assurer non-seulement de la vérité du pavillon ,
mais encore de la qualité des marchandises. Nous avions
eu pourtant déjà à nous plaindre de vexations assez fortes
pour faire présumer que les Anglais profilaient des traités
antérieurs autant pour connaître les ressources de notre
commerce que pour réprimer la traite des noirs. Lors donc
qu'on apprit en France qu'un pareil traité venait d'être si-
gné, il s'éleva une grande rumeur; et la chambre des dé-
putés vota à la presque unanimité, dans son adresse, en
réponse au discours de la couronne , un paragraphe qui
blâmait d'avance un traité fait dans de telles conditions.
Bien que sous le régime de la charte le droit de conclure des
traités appartînt tout entier à la couronne, le ministère n'osa
pas ralilier le traité signé par l'ambassadeur. Les Anglais
soulevèrent alors la question de savoir si \m gouvernement
pouvait se soustraire aux obligations d'un traité signé; mais
l'opinion publique était toileiuent prononcée en France, qu'il
fallut se soumettre à ses exigences. On négocia donc un nou-
veau traité, en vertu duquel la France dut armer autant de
navires que la Grande-Bretagne pour croiser sur les côtes
d'Afrique; et grâce à cet accommodement elle put échapper,
au prix d'énormes sacrifices, à une inspection aussi vcxa-
toire que préjudiciable à ses intérêts. Les États-Unis sou-
tinrent aussi alors de grandes discussions avec lord Aberdeen
à propos des prétentions de l'Angleterre à exercer le droit
de visite sur les bâtiments américains. Un changement de
ministère dans la Grande-Bretagne mit fin à toutes ces que-
rCiiPs r T oijVft
VISITES DOAIICnJAîRES. Voyez Pek^uisition.
VISITEUR. On appelait ainsi dans les monastères le
religieux qui avait le droit d'inspection sur plusieurs mai-
sons d'un même ordre, et qu'on y envoyait s'assurer si la
discipline régulière y était bien observée.
VIS î\IICRO:MÉTRIQUE. Fof/esVis et micromètre.
VISNAGE. Voyez \mu.
VISOX {Mustela Vison, L. ), espèce de marte , d'un
brun plus on moins foncé, tirant plus ou moins sur le fauve,
avec une tache blanche à l'extrémité de la mâchoire in-
férieure. La queue du vison est noirâtre , et il n'a pas les
pieds palmés. Cette espèce vit dans des terriers qu'elle se
creuse au bord des eaux. On la rencontre au Canada et
dans tout le nord de l'Amérique. Suivant M. Lesson, elle
existerait même dans nos ci-devant provinces de Sain-
tonge et de Poitou.
VIS SOUFFLAIVTE. Voyez IMacuine? soufflantes.
VISTULE,en polonais Wisla, en allemand Weichsel,
en latin Vistula, l'un des fleuves les plus importants de
fa Prusse et le pins important de la Pologne, prend sa
source à l'est de Jablunka, dans la Silésie autrichienne, au
village de Weichsel , et provient de la réunion en cet endroit
de trois ruisseaux (la Yistule blanche, la petite Vistule, et
la Vistule noire [ Riala , Molinka et Czorna ]), qui sourdent
du grand Baranio (1192 mètres), l'un des pics des monts
Karpathes. Après avoir quitté le pays de montagnes, la Vis-
tule passe devant Cracovie , forme ensuite la délimitation
entre la Gallicie et U Pologne jusqu'à l'embouchure du San-
domir. Au-dessous de Zawichost, elle entre complètement
sur le territoire polonais , passe par Varsovie et Modiin ,
puis par Plock et Dobrzyn. Quand elle atteint le territoire
prussien, à 14 kilomètres au-dessus de Thorn, elle a 950 mè-
tres de largeur. Elle passe alors par Kulm, Schwets et Grau-
denz , en formant dans ce parcours un grand nombre d'îles.
Au-dessous de Marienwerder, elle se divise en deux bran-
ches. Celle de l'est, qui est appelée Nogat, se décharge dans
le Frisch-Haff, par vingt embouchures , dont l'une (celle de
l'est) est réunie par le canal de Kraffuhl (construit en 1795)
avecl'Elburg. La branche de l'ouest, qui conserve le nom de
Vistule , après avoir touché Dirschau se divise à son tour,
au point qu'on appelle la têle de Danzig , au-dessous du
village de Kaesemark, et forme alors deux bras : le bras oc-
cidental, appelé Vieille Vistule ou Vistule d'Elbing, qui
après un cours de 20 kilomètres se jette de même dans le
Frisch-Haff, par quatorze embouchures; et le bras occidental, le
plus faible, en même temps qu'il est sujet à s'ensabler, appelé
Nouvelle Vistule ou Vistule de Danzig, d'un parcours
d'environ 32 kilomètres , qui passe devant Danzig et se jette
dans la Baltique près de la forteresse de Weichselmunde.
Toutefois, cette embouchure, appelée Norder/ahrt, n'est
navigable que pour des barques , parce qu'elle est ensablée.
Le véritable port et l'entrée de la Vistule pour Danzig,
c'est un canal appelé Wester/ahrt oa Neu/ahrwasser, que
de grandes écluses, d'un entrelien fort dispendieux, protè-
gent contre l'ensablement. Le cours total de la Vistule est
de 91 myriamètres. Avec les aflluenls qu'elle reçoit, mais
dont la San , le Boug et la Brahe ont seuls de l'importance
pour la navigation, son bassin est d'une étendue totale de
2,485 myriamètres carrés. Elle devient navigable dès Cra-
covie ; mais ce n'est qu'au-dessous de Zawichost qu'elle
peut porter de grandes embarcations. Dans son cours moyen
et inférieur, les îles et les bancs de sable dont elle est par-
semée en rendent la navigation très périlleuse. Elle est
d'ailleurs très-poissonneuse, et a l'avantage pour la Pologne
de lui servir de canal pour l'exportation de ses i»roduits en
grains, bois de construction, etc., qu'on dirige sur Danzig.
Cracovie, en Gallicie; la citadelle d'Alexandre à Varsovie,
et Moiilin, en Pologne ; Thorn, Graudenz, Danzig et Weichsel-
munde, en Prusse, sont les points fortifiés qui dominent
ce fleuve.
VITAL ( Principe), VITALISME, du latin vitalis , fait
de vila, vie, ce qui appartient à la vie, ce qui sert à la
conservation de la vie. Certains physiologistes admettent
xm principe vital , puissance en vertu de laquelle ils sup-
posent que s'exécutent tous les mouvements nécessaires à
la vie. C'est là ce qui leur a fait donner le nom de vita-
listes. Le vitalisme suppose aussi que certains organes
jouissent de propriétés vitales , c'est-à-dire donnant le mou-
vement de la vie. Voyez Bartuez, Brown et Stahl.
VITALITÉ, faculté de vivre. Elle dépend de l'état des
organes dont le jeu doit entretenir les fonctions vitales. Si
la durée extraordinaire de la vie de quelques individus pa-
raît autoriser à porter au delà de cent ans le terme de cette
facullé, l'expérience la plus imiforme semble le restreindre
à l'intervalle de quatre-vingts à quatre-vingt-dix ans. La
question de savoir quelle est l'époque oii commence la vi-
talité, et h quel point de son développement le fœtus jouit de
cette faculté , est traitée au mot Viable.
VITALIEN, soixante-dix-builième pape, succéda à
Eugène I", en 658. Les légats qu'il envoya à Constantinople
pour faire part à l'empereur Constant de son exaltation lui
rapportèrent un énorme livre d'Évangiles tout couvert d'or
et de pierreries. Cinq ans après , en 603, l'empereur vint
le visiter lui-même. L'année suivante, Egbert, roi de Kent,
et Oswi, roi des Northumbres, lui envoyèrent des arabas.
VITALIEN — VITESSE
921
sadeurs , et des vases d'or et d'argent , pour le prier de leur
dire à quel jour de l'année il fallait célébrer la Pâque. Cette
question était alors violemment débattue en Angleterre entre
les évoques; et la famille royale en était divisée. Rome expé-
dia peu de temps après un archevêque de Cantorbéry dans
la personne d'un moine nommé Tliéodore , natif de Tarse en
Cilicie, qui succéda dans la primatie à l'archevêque d'York,
et fit adopter aux Anglais la liturgie latine. Pendant que
l'aulorité du pape s'établissait ainsi aux extrémités de l'Eu-
rope, elle était contestée aux portes de Rome par l'arche-
vêque de Riivenne, Maurus, qui, soutenu par l'exarque,
s'était révolté contre la suprématie du saint-siége. Vitalien
mourut pendant ce conflit, dans les premiers jours de l'an
673, et fut enterré dans la basilique de Saint-Piérre. C'est
à lui qu'on doit l'indroduction des orgues dans les églises.
ViENNET, de l'Acadéiiiie Française.
VITALIENS, secte chrétienne, ainsi nommée de T'i-
talis, établi évêqueà Autiochepar Apollinaire, évêque
de Laodicée en Syrie. Voyez Apollinarisme.
VITALIENS ( Les ), association de pirates qui ravagea
le nord de l'Europe vers la fin du quatorzième siècle. La
reine Marguerite de Danemark ayant battu et fait prison-
nier, à Falkœping, en 1389, le roi de Suède Albert et son
fils Erick , Stockholm et d'autres places fortes demeurèrent
fidèles au roi. Alors ses parents, les ducs de Mecklembourg,
ainsi que les villes de Wismar et de Rostock , traitèrent
avec des aventuriers auxquels ils promirent d'ouvrir leurs
ports,, à la condition qu'ils armeraient en course à leurs
risques et périls contre les trois États du Nord, et qu'ils se
chargeraient de ravitailler Stockholm et les autres places qui
continuaient à tenir pour Albert. Suivant les uns, on donna
le nom de vitaliens à ces bandes parce que dans leurs ex-
péditions elles n'avaient d'autre but que de gagner leur
vie; d'autres les appellent victualiens parce que, disent-ils,
elles étaient chargées de fournir Stockholm de victuailles et
autres approvisionnements. Le succès des expéditions et des
coups de main tentés par les vitaliens contre les Danois
et les Suédois accrurent infiniment leur nombre; mais le
commerce delà Baltique, livré à leurs déprédations, fut
ruiné pour longtemps. Diverses villes formèrent des confédé-
rations pour se défendre mutuellement contre ces pirates. Les
Hambouigeois furent de toutes les nations intéressées à
mettre un terme à ces désordres celle qui y réussit le mieux.
Dans la brillante victoire qu'ils remportèrent en l'an 1402
sur ces redoutables forbans, à la hauteur d'Héligoland , ils
firent prisonniers leurs deux chefs les plus audacieux. Clans
Stortebeker et Wigmann, qui furent décapités à Hambourg.
A partir de 1439, où ils pillèrent et incendièrent encore la
ville de Bergen en Norvège , l'histoire cesse de faire men-
tion des vitaliens.
VITELLIiXE ( Anatoinie comparée), membrane sphé-
roïdale qui contient le jaune de l'œuf, ou vUellus, dans l'in-
térieur duquel se trouve lavésicule du germe {voyez
Blastocyste). Lorsque les œufs sont adventivés et se com-
posent, en outre d'un jaune, d'un blanc, ou albumen, et
d'une coque, la vésicule vitelline est entourée par cet al-
bumen , et elle est maintenue par les deux chalazes qui de
ses deux pôles vont aboutir aux deux extrémités de l'ellip-
soïde formée par la coque. L. Laurent.
VITELLIUS ( AuLus ), empereur romain , en l'an 69
de notre ère, fils de Lucius Yitellius, l'un des tlatteurs et
des favoris de Claude , qui revêtit à diverses reprises le con-
sulat, était né en l'an 15 de J.-C. Il passa sa première en-
lauce dan.<^ l'île de Caprée, au milieu des prostituées de Ti-
bère; par la suite, il sut gagner les faveurs de Caligula en
s'appliquant aux courses de chars, et celles de Claude en
s'adonnant au jeu de dés; il fut encore plus agréable à Né-
ron. Après cela il administra la province d'Afrique à la sa-
tisfaction de tout le monde , mais ne fut pas aussi heureux
dans son intendance des travaux publics. Galba l'envoya
commander la Germanie supérieure, disant qu'il n'y avait
l»€rsonne de moins dangereux que les goinfres. Yitellius fut
donc élevé à ce poste important plutôt par mépris que par
faveur. Le nouveau général se concilia l'armée par l'extrême
familiarité avec laquelle il en usait envers les soldats et même
envers les muletiers. Il n'était pas au camp depuis un mois
que les soldats l'enlevaient de sa tente et le proclamaient em-
pereur. Dès qu'il apprit la mort de Galba, il marcha contre
Othon ; et celui-ci , contre l'avis de ses généraux , hasarda
à Bédriac, près de Crémone, une bataille où les soldats
de Cinna, qui commandait pour Yitellius, remportèrent
une victoire signalée. C'est Yitellius qui, visitant le champ
de bataille après cette affaire , prononça ces borribles pa-
roles, que d'autres monstres ont répétées après lui : « Le
corps d'un ennemi mort sent toujours bon , surtout si c'est
celui d'un compatriote. >• Les vaincus se soumirent, et procla-
mèrent le nouvel empereur. Othon se tua , et rien n'arrêta
plus la marche triomphante de Yitellius. Dès son entrée à
Rome, en le voyant offrir un sacrifice aux mânes de Néron,
on dut s'attendre à ce qu'il méconnaîtrait toutes les lois di-
vines et humaines. Yitellius en effet ne se dirigea jamais
que par les conseils des plus vils histrions , et subit surtout
l'influence d'un affranchi appelé Asiaticus, qui servait à ses
infâmes plaisirs. D'une voracité sans égale, il faisait par jour
trois ou quatre repas; puis, quand il s'était bien repu, il
se faisait vomir, afin de pouvoir recommencer à manger de
plus belle. On cite de lui autant d'actes de férocité que de
débauches : on l'accuse même de n'avoir pas été étranger à
la mort de sa mère. Il régnait depuis huit mois, lorsque les
légions de la Pannonie se soulevèrent, proclamèrent Yes-
p a si en empereur, et envahirent l'Italie sous les ordres
d'Antoine. Après avoir battu l'armée de Yitellius aux envi-
rons de Crémone, elles entrèrent dans Rome même au
temps des saturnales. Yitellius avait tenté d'avoir la vie sauve
en faisant savoir à Flavius Sabinus, frère de Vespasien,
qu'il lui abandonnait l'empire pour prix duquel il se bornait
à demander qu'on lui garantit une somme de cent millions
de sesterces (environ seize millions de francs); mais ses
soldats le contraignirent à revenir sur cette résolution. A
l'arrivée de l'armée de Yespasien , il se cacha dans la loge
du portier du palais : découvert dans cet asile, il fut conduit
au forum au milieu des outrages de la populace ; ensuite , on
le massacra près des Gémonies, et , après avoir traîné par
les rues son cadavre, attaché à un crochet, on le jeta dans le
Tibre. Ainsi mourut Yitellius, à l'âge de cinquante-sept ans.
VITELLUS, mot latin qui signifie >awne de l'œtif et
qui a été employé pour désigner une substance globuleuse,
de nature albumineuse et huileuse, servant à la nourriture
de l'embryon pendant son développement. Le vilellus ou
jaune est renfermé dans une membrane nommée vésicule
vitelline. Voyez Œlf, t. XIII, page 705.
VITELOTTE. Voyez Pomme de Terre.
VITERBE, Vilerbo, chef- lieu de la délégation du
même nom dans les États de l'Église (36 myriam. carrés et
«29,074 habitants), sur la grande route de Florence à Rome.
C'est une ville pittoresquement située au pied d'un volcan
éteint , le Monte Cimino, que couvrent partout de riches fo-
rêts, bien bâtie et surnommée la ville des belles fontaines
et des jolies filles. Siège d'un évêché, elle possède une ca-
thédrale et plusieurs belles églises, divers palais, entre
autres celui qui avoisinela porte de Florence et qui au moyen
âge fut la résidence de plusieurs papes, de belles fontaines
jaillissantes, des antiquités étrusques et des raffineries de
soufre. Sa population est d'environ 19,000 habitants. A peu
de distance de la ville, on trouve les célèbres bains sulfureux
de Yiterbe.
A la délégation de Yiterbe appartiennent Montcfiascone.
célèbre par ses vins, la petite ville de Bolsena , située sur
les bords du grand lac de ce nom, et le bourg de Canino,
où Lucien Bonaparte, prince de Canino, découvrit de si
beaux restes d'antiquités étrusques, plus de deux mille vases
ornés de peintures du plus grand prix, etc.
VITESSE, célérité , grande promptitude : La vitesse
d'un mouvement de la main , d'un cerf, d'un cheval , d'ua
922
VITESSE — VITRE
oiseau , d'un trait d'arbdlèle, d'une balle de fusil, du son, de
la iuiv.ière. En physique, on entend par rt/esse d'un corps
le rapport de l'espace parcouru par ce corps au temps
employé à le parcourir {voyez Mouvement).
VITET (Ludovic) , membre de l'Académie Française,
né à Paris, en 1800, fut reçu en 1819 à l'École Normale, et
prit part en 1824 à la fondation du G/oèe , journal ofliciel
des doctrinaires. Deux ans plus tard, il publia iC5
JBarricades , scènes historiques dramatisées , empruntées à
l'époque des troubles suscités en France par la Ligue,
ayant la prétention d'être plus vraies que l'histoire , et dont
l'auteur fut placé d'emblée au rang non pas de nos pre-
miers conteurs , mais de nos premiers historiens. Le suc-
cès quVblint M. Vitet l'encouragea à donner en 1827 Les
États de Blois et en 1829 La Mort de Henri III , produc-
tions exactement calquées sur ses Barricades , dont elles
reproduisent les défauts comme les qualités. Quand la révo-
lution de 1830 poussa aux affaires les hommes du Globe el
leur coterie, M. Vitet ne fut pas oublié dans le partage du
butin; et M. Guizot créa tout exprès pour lui une sinécure
nouvelle, celle d'inspecteur général des monuments histo-
riques, aux appointements de 8,000 fr. par an. En 1834
M. Vitet l'échangea pourtant contre la place de secrétaire
général du ministère du commerce , grâce à laquelle deux
ans après il put être appelé d'emblée aux fonctions de con-
seiller d'État en service ordinaire, qu'il conserva jusqu'à la
révolution de Février. En 1840 l'Académie Française l'avait
reçu dans son sein , malgré l'extrême légèreté de son ba-
gage littéraire; et le fauteuil académique a été pour lui
comme un tombeau anticipé dans lequel il s'est philosophi-
quement enseveli. Nous ne mentionnerons donc ici que
pour mémoire son Histoire de Dieppe (2 vol., 1833) et
son Histoire du Louvre (1853). En 1849 M. Vitet avait
été élu à l'Assemblée législative par le di'parlemeut de la
Seine-Inférieure ; et il y vota avec le parti dit conservateur.
Le coup d'Etat du 2 décembre 1851 l'a rendu aux dou-
ceurs lie la vie privée.
"VIT! (Archipel). Foj/es Fidji (Iles).
V iTimiLTURE, culture de /a ui^ ne, branche d'agri-
culture qui n'a été sieutitiquemenl constituée que dans ces
derniers temps. Elle comprend les préceptes à suivre pour
planter la vigne dans le sol qui lui convient et dans une
exposition favorable , les soins à lui donner d'après des prin-
cipes scientifiques , la manière d'en traiter le fruit , le raisin ,
à l'effet d'en tirer la plus grande quantité et la meilleure
qualité de vin possible.
VITRE (Carreaux de). Voyez Carreau.
"VITRAUX. Dans ces quelques lignes, complément de
l'article Verre (Peinture sur), nous parlerons des procé-
dés techniques anciens et modernes qui ont été employés
parles pehitres verriers vitriers pour la fabrication des
vitraux. On peut diviser en trois classes les procédés de la
peinture sur verre : la première est \a peinture en verre ,
au moyen de verres teints ou colorés dans la masse aux
verreries; la deuxième est la peinture sur verre blanc ,
avec des couleurs vitrifiables , appliquées au pinceau et
cuites à la moufle ; la troisième est là peinture sur glace
ou eyitre deux glaces , procédé de M. Dihl.
La première manière d'exécuter des vitraux est plutôt
du domaine de la verrerie et de la vitrerie que de la peinture ;
elle consiste à réunir en compartiments plus ou moins
bien ordonnés et mis en plomb des verres de couleurs
teinls dans la masse aux verreries ; le nombre en est assez
borné : ce sont des bleus , des verts , rarement d'une belle
eau, des violets , des jaunes , et enfin le rouge, qu'on n'em-
ployait guère, à cause de son prix élevé. Par ce procédé,
des plus simples, on parvenait à créer des mosaïques d'un
effet éblouissant, mais d'un ton cru, et souvent d'un as-
pect désagréable. La marqueterie en vitres de couleur ne
devrait pas, à la rigueur, être considérée comme un genre
de peinture sur verre; mais le procédé de verres de cou-
leurs, rehaussés d'un noir vitrifiable, accusant des contours
et des ombres, forme la première classe de pointure su?
verre : c'est ainsi que cet art a débuté, au douzième siècle,
et s'est perpétué jusqu'au quinzième.
La seconde manière de peindre des vitraux , qui est à
notre sens celle qui mérite le plus d'être étudiée , offre de
grandes difficultés d'exécution, et demande des études chi-
miques. Les vitraux exécutés en ce genre ne datent guère
que des seizième et dix-septième siècles. Dans ce procédé ,
les plombs sont plus rares , et souvent remplacés par des
montures en fer. Ces peintures étaient appliquées au pin-
ceau sur des tables de verre, avec lesquelles elles s'incor-
poraient au moyen de plusieurs feux de moufle, comme
les peintures en émail sur porcelaine.
La troisième classe de peinture sur verre procède d'un
mélange de la première et de la seconde manière , et pro-
duit dans son application des effets séduisants. C'est dans
cegenre mixte qu'ont été exécutés les plus beaux vitraux
du seizième siècle. Les plombs avec lesquels sont réunis
ces vitraux, loin de nuire à l'effet, servent à donner de la
vigueur aux ombres; souvent même on est obligé d'aug-
menter l'épaisseur du plomb pour dessiner un contour noir
assez large, ou obtenir une ombre portée, riche et profonde.
L'art du vitrier tel qu'il est exercé de nos jours ne res-
semble en rien à ce qu'il était il y a un siècle. Les premiè-
res ouvertures furent très-étroites et vitrées avec de pe-
tites pièces de verre , taillées de préférence en rond : on
les appelait cives ou cibles; elles étaient réunies entre elles
par un mastic ou du plaire : cela se voit encore en Orient. Puis
on remplaça ce moyen de liaison par un autre, plus solide
et moins massif; on imagina d'encadrer chaque pièce de
verre dans des rainures de plomb cannelées des deux côtés.
C'est ce procédé qu'on a suivi depuis pour le montage de
tous les vitraux en verres blancs ou teints. Dans le principe,
on découpait le verre avec une pointe de fer rouge que l'on
promenait sur un premier trait légèrement indiqué par une
pointe d'acier ; on faisait disparaître les imperfections de la
coupe au moyen d'un instrument encore employé aujour-
d'hui, nommé grcsoir ou grugeoir. Les pièces, ainsi tail-
lées selon les découpures d'un carton exécuté de la gran-
deur même du tableau qu'on voulait reproduire en verre,
recevaient la peinture en émail, et, après leur cuisson,
étaient mises en plomb façonné au rabot, et chaque join-
ture des plombs était soudée et contre-soudée. Vers la fin
du seizième siècle , la vitrerie s'enrichit de deux améliora-
tions considérables, par l'usage du diamant et l'emploi de la
machine à laminer le plomb , appelée tire-plomb.
Lorsque les panneaux qui devaient former l'ensemble
d'une croisée étaient terminés, il restait à les assembler et
assujettir, ce qui se faisait facilement dans les fenêtres du_
style ogival. Des barres de fer appelées barloticres , et scel-
lées dans la pierre d'un meneau à l'autre, étaient placées à
chaque division ; ces barres étaient armées de nilles ,
percées de manière à recevoir des clavettes. Les panneaux
étaient retenus latéralement par des rainures pratiquées
dans la pierre , à leur jonction , par les nilles et leurs pe-
tites clavettes; de plus, ils étaient soutenus dans le milieu
par des verges de fer, minces. Aujourd'hui, on remplace
quelquefois cette simple charpente par des armatures en
tôle plus légères , mais aussi moins solides.
Antoine Filuoux.
VITRÉ, chef-lieu d'arrondissement du dép;irtcmcnt
d'Ille-et-Vilaine , ville fort ancienne de l'ancienne Bretagne,
mais dont l'histoire est peu connue. On sait seulement qu'eu
1588 sa population , calviniste pour la plus grande partie,
soutint un siège opinàtre contre le duc de Mercœur. Elle est
agréablement située sur la rive gauche de la Vilaine , et
ceinte de remparts gothiques flanqués de tours. Sa popula-
tion est de 8,493 habitants. On y trouve un tribunal civil, un
collège communal, une bibliothèque pubHque, diverses
fabriques de toile, de bonneterie, de chapeaux feutrés. A peu
de distance de la ville se trouve le château des Rochers ,
célèbre résidence de M""*" de Sévigné.
VITRE CHINOISE — VITTORIA
923
VÎTRE CHIiVOISE (Conchyliologie). Voy. Placune.
VITRIFICATION. Quand plusieurs corps naturelle-
ment opaques se combinent chimiquement , à l'aide de la
fusion , pour former une masse homogène et transparente ,
ce produit peut être caractérisé sous le nom ùa verre, et
l'opération dont il est le résultat est une vitrification. Telle
doit être l'acception générale; mais dans le langage des
arts, on donne assez généralement le nom de vitrifica-
tion an produit de la fusion, à une haute température.,
de certaines proportions de silice avec un alcali fixe, po-
tasse ou soude. Dans ce cas, la silice joue le rôle d'un
acide, on saturant la base alcaline. Aussi pour les chi-
mistes modernes le verre est-il un silicate. Ces silicates
peuvent être doubles, triples , et admettre dans leur com-
position des terres, des oxydes métalliques. Le cristal
de nos fabriques, par exemple, est un silicate de potasse
et de plomb. Pelouzi!: père.
VITRIOL. On désignait ainsi, dans l'ancienne nomen-
clature chimique, les sels composés d'acide s u If ur i q i! e
et d'une base quelconque; maison connaissait plus parti-
culièrement sous ce nom les sulfates de fer, de cuivre et
de zinc. Le sulfate de fer était appelé vitriol martial, vi-
triol d" Angleterre , vitriol vert, o\x couperose verte. Le
sulfate de cuivre se nommait vitriol bleu, couperose
bleue. Enfin, le sulfate de zinc était connu sous les noms de
vitriol blanc, vitriol de Goslard, couperose blanche.
Le vitriol de Salzbourg était le produit de l'évaporalion
d'un mélange de dissolutions de sulfate de fer et de sulfate
de cuivre.
On appelle huile de vitriol l'acide sulfurique du com-
merce; huile, à cause de son aspect; huile de vitriol,
parce qu'on l'extrait du vitriol de fer. Barresvvil.
VITROLLES (Eugène-François-Auguste D'ARNAUD ,
baron de ), né en Provence, en 1774, d'une ancienne famille
du parlement d'Aix, émigra avec ses parents, fit les campa-
gnes de l'armée de Condé et ne rentra en France que sous le
consulat. Dès les premiers mois de 1814, il parvint à se
mettre en rapport avec les souverains coalisés , et contri-
bua, dit-on, cà leur faire prendre la détermination de ne trai-
ter désormais ni avec Napoléon ni avec aucun meudire de sa
famille. Il rejoignit à Nancy le comte d'Artois, qui à son ar-
rivée à Paris le nomma ministre d'État , fonctions dans les-
quelles ij fut ensuite conlirmé par Louis XV'III. Arrêté pendant
les cent jours , le désastre de Watei loo lui valut sa mise en
liberté. Membre delà chambre i ntrou va ble, il y
fit preuve de modération. Cependant, il resta le confident
du comte d'Artois, et comme tel il se trouva en hostilité
avec les ministères quasi-libéraux qui se constituèient à la
suite de l'ordonnance du 5 septembre 1816; aussi en 1818
se vit-il rayé de la liste des ministres d'État. A son avène-
ment au trône, Charles X lui confia l'ambassade de Turin.
La révolution de Juillet le rendit à la vie privée; et il mourut
à Paris, en 1854, âgé de près de quatre-vingts ans. M. de
YitroUes comptait des amis dans tous les partis, et il se les
était faits autant par l'amabilité de son caractère que par
cette haute distinction de manières cachet d'une société qui
disparait, et dont il était un des types les plus achevés.
VITRUVE (Mahcus VrrRUVIUS POLLIO), célèbre
architecte romain, contemporain d'Auguste et de Tibère,
qu'on considère avec raison comme le prince de l'architec-
ture, a composé sur cet art un excellent traité, le seul
livre de ce genre que l'antiquité nous ait légué , et qu'il
dédia à l'empereur Auguste. Cet ouvrage, plein d'érudition
et de connaissances , remonte jusqu'aux principes de l'art;
il en donne l'histoire, et établit les règles à suivre dans la
théorie et dans la pratique. Il se fait surtout remarquer par
la sagesse des conseils qui y sont donnés , et la lecture dé-
montre que son auteur était d'une probité des plus exactes.
Tous les architectes étudient le traité de Yitruve. U a été
traduit en plusieurs langues, et quelques architectes de
mérite y ont ajouté des commentaires. La première édition
qui en fut donnée a été imprimée en latin à Rome, vers I48G.
Perrault eu a donné une édition française ( Paris, 1734 ),
Duchesne atné.
VITRY EN PERTHOIS ou VITRY LE BRÛLÉ ,
jadis ville importante lorsqu'elle était la capitale du Perlhois,
n'est plus aujourd'hui qu'un bourg peu considérable. On
trouvera à l'article Champagne, t. "V, p. 127, le récit de
la catastrophe dont elle fut victime sous le règne de Louis-
le Jeune.
VITRY-LE-FR.-VNÇAIS, chef-lieu d'arrondissement
du département delà Marne, jolie ville, située sur la rive
droite de la Marne, à 206 kilomètres de Paris, surle chemin de
fer de Strasbourg, avec 7, 150 habitants, un tribunal civil, une
chambre consultative d'agriculture, un collège coinmunal,
des fabriques de bonneterie, de chapellerie, de ciment ro-
main, des tanneries et des huileries , etc. François P'",'dont
elle a gardé le nom , la fit construire à quatre kilomètres de
A^itry en Pertliois, brûlé encore une fois l'année d'auparavant
parles troupes de Charles Quint. Entourée de remparts, qui
en font une place de guerre, ses rues sont larges et ses
maisons élégantes , quoique généralement construites ea
bois. Son église est un des premiers monuments qui portent
le caractère de la renaissance.
VITTORIA , chef-lieu de la province d'Alava, dans
le pays des Basques (Espagne), surle versant d'une colline,
au bord de la Zadorra , affinent de l'Èbre, à 28 myriamètres
au nord-est de Madrid , sur la route de France , est le siège
du capitaine général des provinces basques et fortifiée d'a-
près l'ancienne méthode. On y trouve une très-grande place,
entourée de colonnades et de boutiques, et elle est le centre
d'un commerce fort actif en fer, acier, céréales et vins.
Sa population est de 9,553 habitants. Cette ville est
célèbre dans l'histoire par la victoire qu'y remporta, en
1357, le Prince Noir, au profit de Pierre le Cruel, et par
la déroute que Wellington y fit essuyer, le 21 juin 1813, à
l'armée française, commandée par le roi Joseph et J o u r-
dan. Tous les équipages du roi Joseph tombèrent entre
les mains des Anglais. Cent cinquante-et-une pièces de ca-
non , quatre cents voitures et jusqu'à la caisse de l'armée
française furent les trophées de cette victoire. Toutefois, le
général Clanzel étant arrrivé le lendemain à Vittoria avec
deux divisions, l'armée française eut beaucoup moins à
souffrir dans sa retraite de la poursuite de l'ennemi qu'on
devait s'y attendre; et ses débris parvinrent à se rallier au
pied des Pyrénées , où le maréchal Soult les réorganisa.
VITTORIA, ville de l'intendance de Syracuse, en Sicile,
compte 10,000 habitants , et est le centre d'un commerce
actif en bestiaux, miel et cire, soie et riz.
VITTORIA, appelée autrefois Santander, chef-lieu de
l'État de Tamaulipas (Mexique), au voisinage du fieuve
Santander, compte 12,000 habitants.
VITTORIA, chef-lieu de \à pro\\nce à'' Espirilu-Santo
(Brésil), sur la baie du même nom, dans une île, possède
un port défendu par deux forts, et 12,500 habitants, qui
font le cabotage.
VITTORIA (Duc de). Voyez Espartero.
VITTORIA ( Fernandès Guadelupe), général et de
1824 à 1828 président des États-Unis du Mexique, né à
Durango , dans la Nouvelle-Espagne , venait de terminer
ses études quand éclata la révolution coloniale de 1810,
Il prit immédiatement une part des plus actives à une
entreprise qui avait pour but d'affranchir son pays du
joug de l'Espagne; mais ses efforts furent suivis d'une al-
ternative de revers et de succès. Sa tête ayant été mise à
prix par le vice-roi, il dut chercher un asile contre la pros-
cription dans les forêts de Xalapa et s'y tenir caché pendant
trente mois consécutifs, n'ayant longtemps d'autre res-
source pour vivre que des herbes et des insectes. Après
l'expulsion des Espagnols, un Indien découvrit la retraite
du proscrit , qu'on vit alors figurer de nouveau dans les rangs
des détenseurs de la patrie; et pendant la lutte, si longue
et si pénible, soutenue par ses concitoyens pour conquérir
leur indépendance, il réussit à mériter leur confiance comme
€24
VITTORIA — VIVIEN
jamais indigène ne l'avait encore possédée. Longtemps d'ac-
cord avec Iturbide, il se déclara contre lui dès qu'il s'a-
perçut qu'il visait à se faire proclamer empereur du Mexi-
que. Proscrit alors de nouveau , il alla une seconde fois de-
mander un asile aux forêts voisines de Xalapa et de la Vera-
Cruz. Après la chute d'Iturbide, le 20 mars 1823, il fut
réintégré dans son grade de général au service de la répu-
blique. Le 7 novembre 1823, le congrès confia l'exercice du
pouvoir exécutif à une commission composée des généraux
Bravo, Negrite et Vittoria, dont le premier fut proclamé plus
tard dictateur. Une fois la constitution achevée , Vittoria fut
élu, au mois de septembre 1824, président du gouverne-
ment central du nouvel État fédératif. En 1828 il eut pour
successeur à la présidence le ministre de la guerre Manoel
Gomez Pedrazza, clief du parti désigné sous le nom d'Zs'sco-
cesos : et depuis son nom disparaît de l'histoire.
VIVAIVDIÈRE, femme autorisée à suivre un corps
de troupe. La législation n'a commencé à s'en occuper que
depuis le ministère de M. de Choiseul. Le mot vivandière
était jusque là pour ainsi dire ignoré , parce que dans les
anciennes guerres c'étaient des hommes, des entrepre-
neurs non militaires, des brandeviniers , qui s'attachaient
à des régiments et marchaient avec eux. Sans doute des
femmes de soldat ont de tous temps lait métier de vendre
des vivres , mais ce n'était pas une profession avouée , sou-
mise à des règles , comme l'est devenue l'institution des
cantinières et des vivandières. Depuis les guerres de la ré-
volution, les vivandières perdirent en quelque sorte leur
nom, parce que la loi ou les décisions ministérielles ne vou-
laient plus les considérer que comme blanchisseuses : c'est
à ce titre qu'elles avaient brevet, qu'elle portaient médaille, et
qu'elles ont joui de certaines faveurs, telles que le logement
dans les casernes, la fourniture de pain , la fourniture de
fourrages, parce que la possession d'un cheval leur était per-
mise. Depuis la guerre d'Alger, l'institution des vivandières
a pris plus de fixité. Aux haillons, au costume métis des
vieilles femmes de troupe, a succédé un vêtement coquet,
un pantalon rouge, un caraco bleu , un jupon court, un
baril d'uniforme , des bottines , un petit chapeau ciré à la
marinière. G"' Bardin.
VIVARAIS, ancienne province de France comprise
dans le gouvernement du Languedoc. liUe était bornée au
Bord par le Lyonnais, au midi par le diocèse d'Uzès, à l'est
l>ar le Rhône, qui la séparait du Dauphiné, et à l'ouest par le
Vélay et le Dauphiné. Aujourd'hui le Vivarais forme la plus
grande partie du département de l'Ardè c h e. Il tirait son
nom de la ville de Viviers , antique siège d'évêché. Les
habitants aborigènes de ce pays s'appelaient Helvii. Com-
pris d'abord dans la Gaule Narbonnaise, ils furent ensuite
incorporés à la Viennaise. Leur territoire, ravagé tour à tour
par les Vandales et les Sarrasins, puis par les grandes com-
pagnies at les Tuchins,\e. fut encore à l'époque des guerres
de religion , durant la seconde moitié du seizième siècle
et une partie du dix-spplième. Les huguenots y firent de
grands progrès, et soulevèrent les populations en faveur
du prince de Condé. Ce pays fut pacifié pour quelque
temps par le maréchal de Damville ; mais les religionnaires
y causèrent de nouveaux troubles, s'y rendirent maîtres
de plusieurs places, et en firent lune de leurs provinces.
En 1C26 le Vivarais, dominé par eux, refusa de recon-
naître l'édit de pacification ; et il fallut que les ducs de
Montmorency et de Vantadour fissent la guerre aux rebelles.
C'est dans le Vivarais et le Dauphiné que recommencèrent
les troubles religieux sous le règne de Louis XIV : c'est
là que parurent de prétendus prophètes, qui excitèrent
à la révolte un peuple ignorant et fanatique. Ce pays est,
comme on sait, hérissé de montagnes. Là, le système
volcanique, dont on croit reconnaître l'extrémité à Brescou,
sur la côte de la Méditerranée, s'étend jusqu'aux bords
du Rhône. Le mont Mezen, haut de 1,766 mètres et placé
sur les limites du Vivarais, est l'un des points les plus re-
marquables de ce système. Des bouches, des cratères de vol-
cans, apparaissent si;r plusieurs points de ce pays. Le mont
de la Tanargue et la chaîne des monts Couérou , qui le tra-
versent, offrent partout de nombreuses traces de feux sou-
terrains. Des coulées de lave, des colonnades basaltiques , y
montrent encore quelle était l'intensité du foyer d'incendie,
qui étendait assez loin son influence. Lou mount Tartas,
lous Vfernels, l'^ri?enje conservent des noms qui indiquent
l'ancien état de cette contrée.
Ch*"" Alexandre du Mège.
VIVE, poisson de la famille despercoïdes, ayant beau-
coup d'analogie avec les perches. Les fortes épines de leur
opercule et la finesse des pointes de leur première nageoire ,
les rendent redoutables aux pécheurs. Elles vivent dans le
sable. Leur chair est agréable à manger. La vive commune,
qu'on trouve sur nos côtes de la Méditerranée et de l'Océan ,
atteint la taille de 30 à 40 centimètres.
VIVE PÂTURE ( Droit de). Voyez Pâture (Vaine).
VIVERRA. Voyez Civette.
VIVIANE. Voijez Fée.
VIVIANI (ViNCENzo), illustre mathématicien, né à
Florence, en 1622. Disciple de l'immortel Galilée, il vécut
depuis l'âge de dix-sept ans jusqu'à vingt dans l'intimité de
cet homme de génie , qu'il suivit dans la prison à laquelle
l'avait condamné le tribunal de l'inquisition, et où il lui pro-
digua les soins et les marques d'attachement d'un fils. En
1661 Viviani fut nommé premier mathématicien du grand-
duc de Toscane Ferdinand II , et gagna toute la confiance
de ce Mécène. Comme son prédécesseur Torricelli, il
fut membre de VAccademia del Cimenta fondée par Ferdi-
nand II. L'État lui confia la direction des travaux de cons-
truction d'ouvrages d'art propres à prévenir les inonda-
tions du Tibre , travaux dans lesquels il eut poiar collègue
Cassini , et qui durèrent plusieurs années. Ce fut aussi lui
qu'on chargea d'opérer le dessèchement du Val di Chiana.
La réputation de ce savant était si grande en Europe, que
Louis XIV le comprit au nombre des illustrations scientifi-
ques étrangères auxquelles il accorda des pensions. En 1669
il fut élu par l'Académie des Sciences de Paris l'un de ses
associés étrangers. Il avait acquis par ses travaux une for-
tune assez considérable pour pouvoir se faire construire à
Florence une belle habitation, dont il décora la façade du
buste de Galilée en bronze ainsi que de bas-reliefs rappe-
lant les principales découvertes de ce génie extraordinaire.
Viviani mourut le 22 septembre 1703. Deux années aupa-
ravant, il avait fait paraître sa Divinatio in Aristseum
( in-folio, Florence, 1701 ). Dès 1659 il avait publiée sa Dj-
vinatio in qunrtum conicorum ApolloniiPergsei.
VIVIAiV'ÎÏE. La vivianite est le fer phosphaté,
nommé encore bleu martial fossile, ocre bleue, etc.
C'est une substance bleue, d'une éclat vitreux , et quelque-
fois perlé ou métalloïde, transparente ou translucide , tantôt
cristalline et tantôt terreu.se. Elle est composée d'un atome
d'acide phosphorique , de trois atomes d'oxydule de fer et
de six atomes d'eau. Les variétés cristallisées se rencontrent
dans les gîtes métalliques, à Saint-Agnès ( Cornouailles) , à
Bodenmais et à Amberg ( lîavière ), etc. Quant aux variétés
terreuses , elles se trouvent dans une multitude de lieux ,
dans les terrains de sédiment les plus modernes; on les
emploie pour la peinture, soit à l'huile, soit en détrempe.
VIVIEiX DE FOUBERT ( Auguste ), de l'Académie des
Sciences morales et politiques , naquit à Paris, en 1797,
d'un père ancien avocat au parlement, dans une famille à
laquelle appartenait par alliance Brissotde Warville,
et qui comptait encore parmi ses célébrités Du pont (de
l'Eure). Longtemps maître clerc d'avoué, il se fit inscrire
en 1826 au tableau de l'ordre des avocats à Amiens, et , à
titre de petit-neveu de Dupont ( de l'Eure), en relation
par conséquent avec l'extrême gauche et ses journaux , il ne
tarda pas à y acquérir les faciles honneurs de la popularité.
La révolution de Juillet 1830 ne se lut pas plus tôt accom-
plie, qu'il fut appelé par Dupont (de l'Eure), le nouveau
garde des sceaux, aux fonctions de procureur général près
la cour royale d'Amiens. Les modifications qu'on fit subir
alors à la loi électorale lui ayant permis de se mettre sur
les rangs pour la députation dans le ressort même de la cour
à laquelle il était attaché , il ne lui fut pas didicile, grâce à
sa position, de l'emporter sur ses rivaux. Au palais Bour-
bon, le nouveau député se lit remarquer, sinon par son élo-
quence , du moins par une exposition nette et lucide (don
plus heureux dans les assemblées délibérantes que l'élo-
quence vulgaire) et surtout par sa rare entente des af-
faires. Aussi quand, à la suite de l'écliauffourée du 14 fé-
vrier 1831 et du sac de l'archevêché, le gouvernement dut
enlever la préfecture de police des mains incapables de
M. Baude, (ut-ce sur Vivien qu'on jeta les yeux pour ces
difficiles fonctions. Sept mois après, une autre émeute,
provoquée par la réception à Paris de la nouvelle de la
prise de Varsovie, surprenait le préfet de police en flagrant
délit d'imprévoyance. On lui donna en conséquence M. Gis-
quet pour remplaçant; mais, comme fiche de consolation,
Louis-Philippe le nomma membre du conseil d'État. Il s'y
montra laborieux et exact , en même temps qu'il continuait
à se faire remarquer à la chambre élective par l'art avec
lequel il savait allier le dévouement que tout gouvernement
exige de ses salariés avec les taquineries du centre gauche
à l'endroit des ministres de Louis-Philippe, et ses velléités
d'opposition au gouvernement personnel de ce prince. En
1840 M- Thiers appela Vivien à remplir les fonctions de
garde des sceaux dans le cabinet dont il lut le président.
Six mois après, Vivien rentrait avec son chef de lile dans
les rangs de l'opposition de gauche, prévoyant peu sans doute
alors l'un etl'aulre qu'ils allaient bientôt renverser le trône
de Louis-Philippe et expulser de France la famille de leur
bienfaiteur. Ce sacrifice douloureux une fois fait , Vivien
se sépara de M. Thiers pour se vouer sans réserve au
triomphe de l'idée républicaine; la révolution de Février 1848
lui avait en effet conservé sa position de président de sec-
tion du conseil d'Etat, toujours grâce à l'infiuence de Dupont
(de l'Eure). L'ancien ministre de Louis-Philippe, élu membre
de l'Assemblée nationale, prit une part des plus actives à
la discussion et au vote de la constitution de 1848 ; et le gé-
néral Cavaignac, investi de la dictature, lui fit accepter le
portefeuille des travaux publics. L'opinion publique ne lui
tint pourtant pas compte du patriotisme ardent dont il té-
moignait; et elle le lui fit bien comprendre, quand expi-
rèrent les pouvoirs de la constituante , en ne le réélisant
pas, lui, un des parrains de la constitution nouvelle, un
de ceux qui s'étaient donné le plus de peine pour aider à
son enfantement, si laborieux. Maintenu d'ailleurs par l'As-
semblée législative dans sa place de président de section au
conseil d'État, Vivien n'en continua pas moins à donner
chaque jour de nouvelles preuves de son dévouement à la ré-
publique, le seul gouvernement qui suivant lui pût désor-
mais convenir au pays. Partisan zélé du général Cavaignac
et de sa candidature à la présidence pour les élections qui
devaient avoir lieu en 1852, il vit avec douleur le coup d'É-
tat du 2 décembre 1851 lui enlever ses illusions, qu'il re-
gretta, dit-on, bien plusque ses lucratives lonctions au conseil
d'État. Il mourut le 7 juin 1854.
VIVIE\i\E (Sainte). Voyez Bibiane.
VIVÏER, bassin entouré de murs en terre ou en ma-
çonnerie, ordinairement traversé et rempli par de l'eau
courante, et destiné à recevoir du poisson d'eau douce,
qu'on y conserve pour l'usage et les besoins de la cuisine,
et quelquefois aussi pour y multiplier. Des grilles en bois
ou en fer laissent un passage ouvert à l'eau, tandis qu'elles
empêchent le poisson de s'échapper. Dans les temps du
plus grand luxe des Romains, les personnages les plus
éminents attachaient une très-haute importance à leurs
viviers , non pas tant à cause des ressources que fournis-
sait à leur cuisine le poisson qu'ils y tenaient enfermé q.ie
parce qu'il était pour eux un objet de récréation. 11 y deve-
nait si privé, qu'il venait prendre dans la main ce qu'on lui
présentait à manger.
VIVIEN — VŒRŒSMARTHY &2S
VIVIERS, chef-lieu de canton de l'arrondissement do
Privas (Ardèche), autrefois capitale du Vivarais, [)etita
ville de 2,610 habitants, avec une station du chemin de fer
de la Méditerranée , est le siège d'un évêché. Elle souHril
beaucoup à l'époque des guerres de religion, parce qu'elle
embrassa le parti des calvinistes.
VIVIPARES. C'est ainsi qu'on nomme les animaux qui
mettent bas leurs petits vivants, par opposition à ceux qui les
pondent dans des œufs. On distingue deux sortes de vivi-
pares, les vrais et les faux : les premiers, nommés aussi
mammifères, c'est-à-dire porteurs de mamelles, parce
qu'ils sont pourvus des organes de ce nom, allaitent leurs
petits, dont les faux vivipares, dépourvus de mamelles, ne
prennent aucun soin. On nomme aussi vivipares plusieurs
espèces de poissons dont les petits éclosent dans le ventre
de la mère, comme la blennie ovo-vivipare. *
Geoffroy a donné le nom de vivipare à bandes à une co-
quille fiuviatile que Linné avait rangée parmi les hélices.
. Les plantes vivipares sont celles qui au lieu de fleurs
produisent de petits rejetons feuilles.
VIVISECTION, opération consistant à ouvrir le corps
d'un animal vivant dans un but scientifique, le plus ordi-
nairement pour des recherches physiologiques ou cliimiques.
Aujourd'hui on chloroformise les animaux , surtout les
mammilères, avant d'en faire l'objet d'une vivisection.
VIZILLE. Voyez Isère (Département de 1') et Mou-
NiEn.
VIZIR ou VISIR. Voyez Vésir.
VLAARDIIVG. Voyez Célèbes.
VLAQUIE. Voyez Valachie.
VOCABULAIRE, collection des mots les plus usités
d'une langue. De ce qu'un vocabulaire peut être regardé
comme un dictionnaire, il ne s'ensuit pas qu'un dic-
tionnaire puisse recevoir le nom de vocabulaire. Ce der-
nier nom ne s'applique guère qu'aux dictionnaires des mots
d'une langue; tandis que dictionnaire , en général, com-
prend non-seulement les dictionnaires de langues, mais aussi
les dictionnaires historiques, et tous ceux qui se rapportent
aux sciences et aux arts. Champagnac.
VOCA.L, VOCALISATION, VOCALISES. Vocal se dit
de tout ce qui concerne la voix ou le chant des voix : Mu-
sique vocale, qui est composée pour être chantée par des
voix. La vocalisation est l'art de bien gouverner Ja voix
dans les difficultés du chant au moyen d'exercices appelés
vocalises, et qui s'exécutent sur une voyelle.
Vocaliser, c'est solfier sans prononcer le nom des notes
et en modulant les différentes inflexions sans autre articu-
lation que le son d'une voyelle. Ces sortes d'exercices se
font toujouis sur la voyelle A, comme plus sonore et plus
ouverte que les autres. Cliarles Bécuem.
VOCATIF. Voyez Cas.
VOCATIOiV (du latin vocare, appeler). C'est, dans
le sens mystique, ce mouvement, cette voix intérieure par
laquelle Dieu nous invite d'une manière toute spéciale à la
pratique de son culte. C'est aussi une certaine loi providen-
tielle à laquelle nous devons nous conformer : « La véri-
table vocation de l'homme est de se rendre le plus possible
utile à ses semblables. » La vocation d'' Abraham, qui fait
époque dans la chronologie, fut le choix que Dieu fit de ce
patriarche pour être le père des croyants. La grâce que
Dieu fit aux gentils en les appelant à la connaissance de
l'Évangile est qualifiée dans les livres saints de vocation
des gentils.
Vocation désigne, dans un sens plus général, l'inclination
que quelqu'un se sent pour un état plutôt que pour un
autre, les dispositions plus ou moins heureuses dont il est
doué pour la pr.itique de ce même état.
VOERCHESMARTHY ( Michel), l'un des plus remar-
quables poètes qu'ait produits la Hongrie, né en 1800, à
Nyeck, dans le comitat de Stuhlweisserabourg, mort à
Pesth, le 30 novembre 1855. On a de lui différents poèmes
romantiques , des drames , des poèmes épiques et une tra-
926
VCEROESMARTHY — VOIE LACTEE
diiction de Shakespeare. A lYpoqne de la révolution de
1848 il avait été député à l'assemblée nationale; mais il
s'y lit peu remarquer. Emprisonné à'ia restauration, il fut
peu de temps après remis en liberté par le gouvernement
autrichien, et se retira alors à la campagne , prenant avec
lui-même l'engagement de ne plus jamais se servir d'une
plume.
VOEU (du latin votum). C'est, dans le sens le plus gé-
néral, la résolution que l'on forme d'accomplir une chose
qu'on présume devoir être agréable à Dieu. L'usage des
vœux est de la plus haute antiquité, et l'on en retrouve la
trace chez presque toutes les nations. Ils étaient ordinaire-
ment dictés par la religion ou la superstition, et souvent
aussi par le patriotisme.
Les vœiix de religion , institués par saint Basile vers le
milieu du quatrième siècle , étaient ordinairement chez
nous au nombre de trois : vœux de chasteté , de pauvreté
et d'obéissance. hQ vœu simple était celui qu'on ne faisait
pas en face de l'église avec les formalités prescrites par les
canons : ce dernier s'appelait le vœu solennel, et engageait
souvent pour la vie. Undécretdu 15 février 1790 a prononcé
VaboMonà^?, vœux de religion en supprimant les commu-
nautés religieuses. Un autre décret du 18 février 1809 , qui
rétablit des sœurs hospitalières, liraiteà cinq ans laduréede
leurs vœux ; et comme la loi du 24 mai 1825 , qui a légalisé
l'existence de toutes les communautés de femmes , n'a rien
statué sur la durée de leurs vœux , il en faut conclure qu'ils
restent légalement fixés à cinq ans.
Vœu désigne aussi l'olfrande promise par un vœu [voyez
Ex-voto).
Vœu pris pour suffrage n'est guère usité qu'en parlant
de tout un peuple : // a été élu par le vœu de la nation.
Vœu signifie souvent souhait , désir : C'est mon vœu le
plus cher. Dans ce sens , ou l'emploie ordinairement au
pluriel : Se rendre aux vœux de quelqu'un. Ou entend
par vœu de la loi ce que le législateur a voulu presaire
par la disposition légale dont il s'agit.
VOGLER (Georges-Joscé), artiste d'une imagination
élevée et d'un profond génie, excella sur le clavecin, et
plus encore sur l'orgue. C'était , en outre, un compositeur
original, qui malheureusement ne sut pas toujours se dé-
fendre d'un certain degré de pédantisme et d'arnour-propre.
Il était né en 1749, à Wurtzbourg, d'un père marchand de
violons. De bonne heure il révéla ses dispositions musi-
cales, et déjà il se distinguait sur le piano et l'orgue quand
il étudiait dans sa ville natale et à Bamberg. Protégé par
l'électeur Charles-Théodore de Manheim,il alla en 1773 étu-
dier le contre-point à Bologne sous la direction de Marini,
puis à Padoue, où il termina ses études sous la direction
de Yalotti. En 1775 il s'en revint à Manheim, et y obtint la
direction de la chapelle de l'électeur. De 1780 à 1786 on
le voit parcourir l'Allemagne, la France, la Hollande, le
Danemark, la Suède, l'Angleterre et l'Espagne ; et partout il
recueille des applaudissements. Nommé maître de chapelle
à Stockholm , il n'en continua pas moins ses voyages, et à
partir de 1799 séjourna successivement à Copenhague , à
Altona, à Berlin, à Prague, à Vienne et à 3Iunich. Il se
trouvait en 1807 à Francfort-sur-le-Mein, quand le grand-
duc de Hesse-Darmstadt l'invita à venir à sa cour, où il
demeura jusqu'à sa mort, arrivée en 1814. On lui doit l'or-
chestrion , instrument composé de quatre clavecins, égal
en force à un orgue de cinq mètres et reproduisant mi or-
chestre complet. 11 a publié aussi plusieurs ouvrages sur la
musique, et un travail sur le système des chœurs. Parmi
ses élèves on cite Weber et Meycrbeer.
VOIE. Ce mot répond aux mots chemin, rue, passage.
Les seuls cas dans lesquels on s'en serve encore autrement que
dans le sens figuré, c'est quand on l'applique aux chemins
publics ou aux routes militaires des Romains. On dit alors :
voie publique , voie ou voies romaines, voies militaires.
, Les voies romaines étaient en général pavées et construites
avec tant de solidité ou'on en trouve encore des vestises
et môme des parties aujourd'hui praticables en Italie , en
Allemagne, en France, en Espagne, et jusque dans l'Asie
Mineure {voyez Routes).
Voie s'emploie figurément en termes de religion : La
voie du paradis, du ciel, du salut. Jésus-Christ a dit dans
l'Évangile : « Je suis la voie , la vérité et la vie. » La voie
étroite, c'est la voie du salut ; la voie large, c'est le chemin
de la perdition. On entend encore par voies les com-
mandements de Dieu, ses lois : « Seigneur, enseignez-nous
vos voies; « et aussi les moyens dont Dieu se sert pour
conduire les choses humaines :«Les voies de la Providence
sont incompréhensibles. «
En termes d'anatomie , on donne le nom de voies aux
divers appareils formés par la peau interne et disposés
sous forme de canaux, de sacs ou de tubes, dans lesquels
sont introduits l'air et les aliments liquides ou solides
{voies aériennes , alimentaires , aquif ères , cibif ères),
ou desquels sortent les produits des sécrétions diverses
{voies salivaires , biliaires, urinaires et génitales go.
géndo-urinaires).
Voie signifie figurément moyen dont on se sert : « Il ne
faut pas employer de mauvaises voies pour arriver à une
bonne fin. « Il se dit particulièrement, en chimie, de la
manière d'opérer : La voie sècAe est celle qui emploie le feu
sans intermédiaire de liquide; la voie humide, celle qui
emploie les dissolvants ( voyez Essais ).
En jurisprudence , les voies de droit sont le recours
à la justice, suivant les formes légales : La voie de Vappcl;
Voies de fait, synonyme d'acte de violence.
En législation et finances, on entend par voies et moyens
les revenus de tous genres que l'État applique à ses dé-
penses.
Voie signifie aussi charretée ou mesure : Voie de bois,
de pierre, de sable, de plâtre, d'eau, de charbon.
VOIE D'EAU. On appelle ainsi, en termes de marine,
une ouverture faite accidentellement et par laquelle l'eau
entre. A bord des vieux bâtiments, les voies d'eau se dé-
clarent naturellement à travers les bordages pourris : ce
sont les plus dangereuses et les plus difficiles à découvrir.
Les charpentiers du port de Toulon en cherchèrent vaine-
ment ime de cette nature à bord de la goélette V Estafette,
qui rentra pour la faire boucher cinq fois coup sur coup
dans le bassin ; elle en sortit ftiisant toujours de l'eau, et ap-
pareilla peu de temps après ; on ne l'a pas revue depuis.
En 1830, le vaisseau La Couronne s'échoua sur la côte de
Sicile ; il en fut retiré sans malheur apparent, et continua
sa roule; arrivé à Toulon, on le mit au bassin : je laisse à
penser quel fut l'étonnement des charpentiers en aperce-
vant un quartier de rociie gros comme une bombe engagé
dans la membrure du vaisseau. Il avait été sauvé par cet
expédient de la Providence.
FOXMARTIN DE LeSPINASSE.
VOIE LACTÉE ou GALAXIE. On appelle ainsi cette
large bande blanchâtre, irrégulière dans ses contours et légè-
rement fendue vers les bords, qu'on aperçoit dans le ciel,
dans les nuits sereines , lorsque la lune ne répand pas une
trop vive lumière : on la voit toujours s'étendre d'un bord
de l'horizon à l'autre, mais varier de position avec les étoiles
fixes, qu'elle suit dans leur marche. Les habitants de nos
campagnes lui donnent aussi le nom de chemin de Saint-
Jacques. On a longtemps été dans le doute sur la cause de
la blancheur de cette partie du ciel ; mais aujourd'hui les
recherches des astronomes , et surtout celles de Herschel,
ont pîirfaitement démontré qu'elle est due à une multitude
innombrable d'étoiles trop petites pour être distinguées à la
vue simple.
Les Grecs donnaient à cette couronne d'étoiles le nom de
galaxie, du mot Yâ),a (lait), et les astronome modernes l'ont
quelquefois désignée ainsi. Les Romains l'appelaient via
lactca, d'où est venu le nom de voie lactée, qui est le plus
employé de nos jours, dans la langue scientifique comme dans
le lanijage vukaire.
VOIE LACTÉE — VOIROL
Dans sa course à travers le ciel, la voie lactée rencontre
on i^rand nombre de constellations, l'artant de Cassiopéc,
elle traverse Persée, Orion, les Gémeaux, le Grand-Chien ou
Syriiis, le Centaure, la Croix et le Triangle austral; de là
elle continue sa route en passant par le Scorpion, le Sagit-
taire , et , se divisant en deux branches , elle rencontre
l'Aigle , la Cèche, le Cygne, le Serpentaire, Céphée, et re-
vient enfin à Cassiopée , après avoir décrit son cercle
entier.
Comme toutes les apparences célestes , la voie lactée a
servi, dans l'antiquité, de point de départ aux fictions poé-
tiques : suivant Ovide , c'était le chemin du palais de Ju-
piter; d'autres poètes en rapportaient l'origine à l'embrase-
ment causé par Phaéton , ou bien à quelques gouttes de lait
qu'Hercule laissa tomber de sa bouciie lorsque Junon ,
apaisée, vint présenter le sein au fils de sa rivale. Plusieurs
autres en ont fait le séjour de l'âme des liéros.
Sous le point de vue scientifique, les anciens n'avaient sur
!a voie lactée que des présomptions plus ou moins vagues.
Aristote la regardait comme un météore placé dans la
moyenne région ; mais Démocrite , quoique plus ancien ,
avait jugé que cette blancheur céleste devait être produite
par une multitude d'étoiles trop petites pour être aperçues.
L.-L. Valthiek.
"VOIE PUBLIQUE. Voyez Voierie.
VOÏERIE ou VOIRIE. Ce mot a plusieurs acceptions -.
tantôt il signifie voie, chemin , etc. ; tantôt on l'emploie
pour désigner certaines places dans le voisinage des popu-
lations où se fait le dépôt des immondices enlevées dans les
rues ou dans les maisons ; tantôt encore on entend par voie-
rie la police des rues et des chemins. Prise dans cette der-
nière acception la voierie constitue une administration qui
a l'autorité légale de faire des règlements pour l'alignement
d^s rues, l'élévation et la régularité des édifices, le pavage
et la propreté de la voie publique; pour empêcher qu'il
ne se fasse dans l'intérieur des villes ou au dehors des
constructions dangereuses à la sûreté publique; pour for-
cer les propriétaires qui n'auraient pas la volonté de le
faire à réparer leurs maisons quand elles menacent ruine
et que leur chute pourrait occasionner des accidents ; enfin,
pour s'opposer à toute entreprise qui aurait l'inconvénient |
de gêner la voie publique , d'entraver le commerce , d'ex- !
poser la vie ou la santé des citoyens.
On appelle voyers les employés préposés à la police des
chemins dans la campagne et à celle des rues dans les
villes : Architecte, commissaire voyer. V. De Moléox.
VOIES DE COMMUNICATION. Voyez Communi-
c.vTioN ( Voies de).
VOIES ET MOYENS. Voyez Voie.
VOICTLAND, (erra advocatorum. On donna cenom,
à partir du onzième siècle, à celles des possessions immé-
diates des empereurs allemands qu'ils faisaient administrer
par des baillis particuliers. C'était, dans sa plus large accep-
tion , le cercle actuel du Voigtland, qui appartient au
royaume de Saxe, les bailliages de Weidaetde Ziegenruck,
dans le grand-duché de ^Veimar, les possessions actuelles
des princes et des comtes de Keuss, l'ancienne capitainerie
de Hot , aujourd'hui dépendance de la Bavière, et enfin le
bailliage de Ronneburg, qui fait maintenant partie du duché
de Saxe-Altenbourg. Le cercle du Voigtland, dans le
royaume de Saxe, comprenant une population de 101,300
habitants, répartie sur 18 my<-iam. carrés, se compose des
bailliages de Voiglsherg et Plauen et de Pausa. Sons le rap-
port de l'administration, il appartient à la direction du
cercle de Zwickau, et a pour chef-lieu Plauen.
VOILE. C'est une pièce d'étoffe destinée à dérober un
objet quelconque à la vue, tel que les traits du visage, les
parties de l'intérieur d'un édifice. Ainsi, un voile précieux
dérobait la vue de l'Arche aux profanes, dans le Tabernacle
des Juifs. L'usage du voile pour cacher les traits des femmes
est très-ancien. Minerve , dans la Théogonie d'Hésiode,
couvre Pandore d'un beau voile. Pénélope ne se montrait
927
que voilée à ses poursuivants. En Grèce et à Rome, les
jeunes mariées ne sortaient sans voile que trois jours après
leurs noces. Les jeunes filles se parent encore d'un voile le
jour de leur mariage; cet usage est même général dans la
plupart des contrées du Midi. Il est surtout observé par les
religieuses. Prendre le voile est devenu synonyme d'em-
brasser la vie monastique.
Voile s'emploie figurément pour apparence, prétexte,
moyen dont on se sert pour tenir une chose cachée : Se cou-
vrir du voile de la dévotion , jeter un voile sur une affaire.
Il se dit aussi de ce qui nous dérobe la connaissance des
choses : Le voile de l'avenir.
VOILE. Voyez Cuampignons.
V01LE(.1/arîne). On appelle ainsi de largespièces d'une
forte toile destinées à transmettre l'effort du vent au vais-
seau au moyen de leviers qui sont les mâts. On en distingue
de, trois sortes : les voiles carrées, les voiles auriques et
les voiles latines; ces dernières sont triangulaires et aboutis-
sent en pointe par en bas. Ce nom leur vient de ce qu'on
s'en servit d'abord sur les galères du pape. Les voiles , sui-
vant la place qu'elles occupent, se nomment aussi voiles d'a-
vant ou voiles d'arrière. Les premières sont toutes celles
qui ont leur appui sur le beaupré et le mât de misaine, y
compris les voiles d'étai : on les nomme en masse/or^ d'a-
vant. Les autres sont celles qui appuient sur le grand mât
et le mât d'artimon. Foiie signifie aussi vaisseau: Un convoi
de cent voiles, c'est à dire de cent vaisseaux. Faire voile se
dit pour naviguer. Figurément, Mettre toutes voiles dehors
ou au vent, c'est faire tous ses efforts pour réussir ; et donner
à pleines voiles dans quelque chose, c'est y aller de
toutes ses forces , de tout son cœur.
VOILE DU PALAIS. Voyez Palais ( Anatomie).
YOILIEH. i Histoire naturelle). Voyez Istiopuore.
VOIROL (Théophile, baron), lieutenant général,
ex-pair de France , naquit à Tavanne ( canton de Berne ),
le G septembre 1781. Son pays devint français en 1795, et
en 1799 il partit, à la place de son frère aîné, dans le bataillon
auxiliaire du Mont-Terrible. Sous-lieutenant en l'an x, sa
conduite à la bataille d'Austerlitz lui valut le grade de lieu-
tenant; et décoré à la bataille d'Iéna, il fut nommé ca-
pitaine sur le champ de bataille de Pultusk. Il passa ensuite
en Espagne, où il devint chef de bataillon. Blessé et fait pri-
sonnier par les Anglais, il fut échangé, créé major à la
fin de 1812 et envoyé à la grande armée. Il passa colonel
pendant la campagne de 1813. Il se couvrit de gloire à Bar-
sur-Aube, ce qui lui mérita le cordon de commandant de
la Légion d'Honneur; et quelques jours après l'empereur lui
donnait le grade de général de brigade; mais les événements
l'empêchèrent de se voir confirmer dans ce grade. En 1819
il fut appelé au commandement de la légion des Basses-
Pyrénées , et nommé maréchal de camp en 1823. Il fit les
deux campagnes de Belgique en 1831 et 1832; et après le
siège d'Anvers , il fut promu lieutenant général, le 9 janvier
1833. 11 lut ensuite nommé inspecteur général commandant
en chef des troupes de l'Algérie. Le gouvernement de ce
pays étant devenu vacant, l'intérim en lut confié au générai
Voirol , qui signala son commandement par d'utiles et im-
poitauls services. C'est à lui que l'on doit les premières
routes qui aient sillonné une contrée alors presque sauvage,
le dessèchement des marais de la Maison-Carrée et de la
Ferme modèle, ainsi qu'une grande partie des établissements
militaires fondés autour d'Alger. Remplacé par le général
Drouet d'Erlon, il fut appelé à prendre le commandement
de la cinquième division militaire. C'est lui qui commandait
à Strasbourg lorsque le prince Louis-Napoléon vint essayer
de s'emparer de cette ville. Ayant reçu des lettres de grande
naturalisation, il fut élevé à la pairie le 31 janvier 1839; à
quelque temps de là, le préfet du Bas-Rhin ayant rejeté sur
le général une partie des faits qui s'étaient passés à Strasbourg,
le général Voirol fut rappelé. Sa disgrâce fut toutefois de
courte durée, et presque aussitôt on l'appela au comman-
dement de la sixième division militaire, dont le quartier
928
VOIROY — VOITURE
généralest à Besançon. La révolution de Février l'y trouva.
Quelques jours après , il dut céder son commandement au
général Baraguey-d'Hilliers, et le t7 avril le gouvernement
provisoire l'admit à faire valoir ses droits à la retraite.
VOISENON (Claude -Henri de FUSÉE de), membre
del'Académie Française, naquit en 1708, au cliâteau de Yoi-
senon, près de Melun , embrassa l'état ecclésiastique, et à
peine ordonné prêtre fut nommé grand-vicaire de l'évêque
de Boulogne , qui était de ses parents. Plus tard on lui of-
frit l'évèché de Boulogne; mais il le refusa, se contentant
d'une abbaye qui n'exigeait de lui ni résidence ni devoirs
au-dessus de ses forces. Dès lors il se livra sans contrainte
au goût qu'il s'était senti dès son enfance pour la culture
des lettres. Il composa des romans , des comédies, qui fu-
rent jouées avec succès à la Comédie -Italienne, mais surtout
force pièces de vers , poèmes , madrigaux, etc., et jusqu'à
des opéras. Le duc de Choiseul lui fit accorder une pension
de 6,000 fr. pour s'occuper de l'histoire de France ; et afin de
s'acquitter de cette mission il publia ses Fragments histo-
riques. L'Académie Française l'admit dans son sein, en 1753,
plutôt à titre d'homme du monde que comme littérateur,
car à cet égard il faut avouer que son bagage était bien
léger. A la disgrâce du duc de Choiseul il perdit ses pen-
sions ; mais l'abbé Terray les lui fit rendre , et il fut même
nommé ministre plénipotentiaire de Tévêque-prince de Spire
près la cour de France. Bien vu par M""^ de Pompadour, et
ensuite de M""^ du Barry , il portait dans la société , dit La
Harpe , cet extrême emjouement qui trouve à rire et à faire
rire de tout, un ton de galanterie plus à la mode qu'au-
jourd'hui, beaucoup d'insouciance et de gaieté qui en était
la suite , et le talent des quolibets plutôt que celui des bons
EQOts. Avec la figure d'un singe , il semblait en avoir la lé-
gèreté et la malice , et les femmes s'en amusaient comme
d'un homme sans conséquence. Il mourut au château de
'Voisenon, le 22 novembre 1775; et "Voltaire, avec qui il
avait été constamment dans les meilleurs termes, lui fit celte
jolie épilaphe -.
Ici gît ou plutôt frétille
Voisenon, frère de Chaulieu.
A sa muse vive et gentille
Je ne prétends pas dire adieu,
Car je m'en vais au même lieu.
Comme cadet de la famille.
Il existe une édition complète de ses œuvres, en 5 volumes
in-8° (Paris, 1781).
VOISIÎV ( La), fameuse empoisonneuse du dix-septième
siècle , dont les noms véritables étaient Catherine Deshaies,
veuve Monvoisin , mais qui n'est connue que sous le nom
de la Voisin. Elle exerçait à Paris le métier de sage-femme ;
et trouvant qu'il n'était pas assez lucratif pour satisfaire à
ses habitudes de luxe, elle y joignit celui de diseuse de bonne
aventure et surtout d'entremetteuse , et réussit si bien qu'elle
en vint à avoir carrosse. Mais elle finit par se trouver com-
promise dans l'affaire de M""^ de B r i n v i 1 1 i e r s. Accusée
de débiter en secret des poisons, notamment la fameuse
poudre de succession , inventée par l'italien Exili, elle tut
arrêtée et jetée à la Bastille , en 1679, avec quarante autres
individus, parmi lesquels on remarquait la Vigoureux ,
son frère et un prêtre du nom de Lesage. L'affaire , dans la-
quelle se trouvèrent mêlés de grands personnages , tels que
le maréchal de Luxembourg, la duchesse de Bouillon, la
comtesse de Soissons, fut jugée par un tribunal spécial, ins-
titué à l'Arsenal sous le nom de chambre ardente, et se
termina par la condamnation à mort de la Vigoureux, de son
frère, de Lesage et de la "Voisin, qui furent brûlés le 22
3uillet 1680, sur la place de Grève.
VOITURE (Vincent), écrivain peu connu aujourd'hui,
célèbre en son temps, l'une des illustrations de l'hôtel de
Rambouillet, l'un de ceux qui ont concouru à polir le
langage français , en transportant dans les œuvres littéraires
les élégances familières de la bonne société, naquit à Amiens,
en 1598. Son père était marchand de vin ; origine modeste,
dont Voiture eut souvent la faiblesse de rougir, lorsqne,
dans la suite , ses talents l'eurent fait admettre à la cour.
Il s'était lié au collège avec le jeune comte d'Avaux , depuis
surintendant des finances et représentant de la France au
congrès de Munster. Il entra dans le monde sous ses aus-
pices, le remplaça près d'une jolie maîtresse. M™* Saintot,
et composa pour cette belle une lettre galante qu'il fit im-
primer en une nuit. Ce trait le mit à la mode. Ce fut alors
qu'un ami de M""' de Rambouillet, Chaudebonne, ayant
rencontré dans le monde notre jeune homme , s'offrit à le
présenter à l'hôtel de Rambouillet. Voiture y fut accueilli
avec faveur, se fit bien venir de la maîtresse du lieu, fit
même un peu la cour à sa fille Julie (qui depuis épousa
le sévère Montausier ), mais la cour en galant qui veut
amuser plutôt qu'en amant qui aspire à plaire; ce qui n'em-
pêcha pas Montausier de le prendre en aversion et de penser
qu'il s'était opposé à son mariage. Voiture dut aussi à Chau-
debonne la bienveillance de Gaston d'Orléans, frère du
roi; il entra chez ce prince, le suivit dans la guerre qu'il
soutint en 1032 contre la cour, et fut chargé par lui d'une
négociation en Espagne auprès du comte d'Olivarès , dont
il fut singulièrement goûté.
En 1636 Gaston fit sa paix; Voiture revint en France
à sa suite. Richelieu venait de reprendre Corbie aux Es-
pagnols ; Voiture saisit cette occasion de se remettre en
grâce auprès de lui , en célébrant ce fait d'armes dans une
lettre écrite avec éloquence. Dtjà, en 1634, l'Académie
Française, nouvellement instituée, l'avait appelé dans son
sein , malgré son absence et sa disgrâce. Voiture ne paya
pas cette faveur par trop d'exactitude, car il ne vint jamais
à l'Académie qu'une fois , et pour s'y faire condamner sur
une gageure. En revanche, il reprit ses assiduités à l'hôtel
de Rambouillet. Ce fut vers cette époque qu'il publia son
fameux sonnet à Vranie, qui , comparé au sonnet de Ben-
serade sur Job, suscita la fameuse querelle àesjobelins et
des uranistes. On vit la société tout émue par cette grave
querelle : la duchesse de Longueville était à la tête des ura-
nistes, le prince de Conti à la tète des jobelins. On échangea
force arguments, force épigrammes; aujourd'hui les deux
sonnets sont oubliés.
Vers la fin de 1638 Voiture fut envoyé pour annoncer à
lacour de Florence la naissance du dauphinqui fut Louis XIV.
Il poussa jusqu'à Rome, et y fut reçu membre de l'Académie
des Humoristes. De retour, il suivit le roi dans plusieurs
voyages; maître d'hôtel de la reine de Pologne, Marie de
Gonzague, il l'accompagna jusqu'à Péronne à son départ de
France. Richelieu mort, la régente , Aune d'Autriche, con-
tinua de favoriser le poète courtisan. Il eut des pensions ,
tut maître d'hôtel du roi, interprète des ambassadeurs chez
la reine. Le comte d'Avaux, devenu surintendant des fi-
nances, lui donna une place de commis avec 4,000 liv. d'ap-
pointements, à condition de ne rien faire. Avec 16,000 liv.
environ de places ou de revenus, du crédit à la cour et
dans le monde , la familiarilé de la reine et l'intime amitié
de M""" de Rambouillet, chez laquelle il dînait tous les
jours. Voiture eût dû jouir d'une existence tranquille et
douce. Mais la passion du jeu altéra souvent sa fortune,
comme le commerce des femmes avait détruit sa santé. Il
fut presque toujours malade dans les derniers temps de sa
vie. Cela ne l'empêcha pas, à près de cinquante ans, de
tomber amoureux de la seconde fille de M"' de Rambouillet.
Il eut pour elle un duel avec l'intendant de la maison, Cha-
varoche,ce qui lui attira quelques railleries. Enfin, s'étant
purgé durant un accès de goutte, la fièvre le prit, et il mourut,
le 27 mai 1648, après quatre à cinq jours de maladie, à
l'âge de cinquante ans. L'Académie en corps voulut assister
à ses funérailles et porter son deuil. C'est le seul de se»
membres qui ait eu cet honneur.
Comme écrivain. Voiture ne parut rechercher que les
succès de société : il ne fit presque rien imprimer, et ses
écrits n'ont été recueillis qu'après sa mort ; ce qui ne l'em-
pêcha point d'être placé de son vivant au rang des plus
VOITURE —
éûiinents génies. C'est un rang que la postérité ne lui a pas
conservé. 11 serait pourtant injuste de méconnaître en lui
plusieurs parties de talent très-réel. Voiture est plein d'af-
fectation, surtout dans ses premiers écrits; mais il est
ingénieux, souvent délicat, et son langage est d'une pureté
remarquable pour l'époque. Aussi, bien qu'on ne lise plus
guère ses ouvrages , son style a fort peu vieilli. Un choix
sévèrement fait de ses lettres et de ses poésies se lirait peut-
être encore avec plaisir. Finchène, son neveu , si raillé par
Boileau, fut le premier éditeur de ses œuvres, en 1649. De
nos jours M. Ubicini a donné dans la collection Charpentier
une nouvelle édition des Lettres et Poésies de Voiture, en
2 volumes in-18. St-A. BEiiViLi.i'..
VOITURE [Technologie [du latin vecttira,àèr\\é lui-
même de vehere, conduire, porter]). Tout le monde con-
naît l'appareil de ce nom destiné au transport des personnes,
des marchandises ou d'objets quelconques. Les voitures
peuvent être considérées comme des objets d'utilité ou de
luxe ; et dans l'un et l'autre de ces cas la lichesse , le mode
de structure et la forme en varient tellement ainsi que le
nom qu'elles portent, que la seule nomenclature en serait
fort longue : tels sont les tombereaux , les charrettes , les
wagons , les fiacres , les diligences , les berlines , les calèches,
les cabriolets, les tilburys, etc., etc. Les premières voitures
lurent des tonneaux défoncés et de grossiers traîneaux sans
roues; on y adapta ensuite deux roues seulement; les
Phrygiens les premiers en mirent quatre, les Scythes allè-
rent jusqu'à six, mais leurs voitures étaient des espèces de
maisons ambulantes où logeait toute la famille. Les Romains
eurent seize ou dix-sept espèces de voitures, de noni'^ dif-
férents : celle qu'on nommait carpentum était de lix plus
grande richesse, les rois se l'approprièrent; le carruque
(carruca ) et le pilentum étaient des voitures couvertes à
quatre roues, traînées par des mules, et servant aux per-
sonnes de qualité. Ils avaient aussi des calèches et des ca-
briolets à un seul cheval , comme on en voit sur de vieux
monuments ; il en était de même des Grecs. Nos rois de la
première race n'avaient ni chars ni carrosses, et se faisaient
modestement traîner dans une espèce de charrette ou tom-
bereau à quatre roues , qu'on nommait carpenton et que
tiraient quatre bœufs. Ce n'est que depuis peu que les voi-
tures sont devenues si communes et qu'on y a déployé tant
de luxe ; c'est un genre d'industrie qu'on semble avoir dans
ces dernières années poussé au plus haut degré de perfec-
tion. On a essayé aussi de faire des voitures mécaniques
marchant sans les secours des chevaux, des voitures à air
comprimé, enfin des voitures à vapeur, propres à aller les
unes et las autres sur toutes les routes avec une vitesse va-
riant de trois à huit lieues à l'heure, et franchissant rapide-
ment des pentes même très-rapides. IMalheureusement, les
différentes tentatives plus ou moins heureuses faites pour
résoudre ce problème, tant en Angleterre qu'en France,
permettent de douter qu'on parvienne jamais à des résultats
vraiment utiles.
On nomme aussi voiture, par extension, le chargement
de cette dernière , et même le transport de ce chargement
d'un lieu à un autre.
VOITURE (Lettres de). Voyez Voituriers.
VOITURES PUBLIQUES. Les premières qu'on ait
vues à Paris datent de 1661, époque où le duc de Roanez et
les marquis de Souche et de Crénaut obtinrent le privilège
d'en établir, pour se rendre d'un quartier à l'autre et pour
faire des promenades à la campagne. Le prix de la course
fut tarifé à cinq sous par personne, et il y avait défense d'y
admettre des soldats, des laquais et des pages. L'entreprise,
qui ressemblait de tous points à celle de nos omnibus d'au-
jourd'hui, n'obtint pas tout le succès qu'elle méritait, et s'ar-
rêta au bout de quatre ans. Le marquis de Crénaut établit en-
suite des chaises roulantes, des espèces de cabriolets, traînés
par un seul cheval et où deux personnes pouvaient tenir à
l'aise. On ignore ce qu'il advint de cette opération. Vers la
lia (lu môme siècle un nommé Sauvage obtint l'autorisation
UiCT. DE I.A CONVBHS. — T. XVI,
VOIVODE 929
d'établir une enirepri.se de voitures de louage, qu'il installa
dans un local de la rue Saint-Martin désigné sous le nom (V Hô-
tel Saint-Fiacre. De là le nom de/i acres, resté en usage
pour désigner les voitures publiques desservant les différents
quartiers de la grande ville. Les voitures qui stationnent
sur les places payent un droit de 75 fr. pour les liacres, de
100 fr. pour les cabriolets et de 80 fr. pour les voitures de
l'extérieur, dites coî^coms (si tant est qu'il en existe en-
core).
Les voitures publiques servant aux communications de
ville à ville datent également du dix-septième siècle; la
création des chemins de fer les a rendues inutiles sur toutes
les grandes lignes qui traversent le territoire; mais elles
rendront pendant bien longtemps encore de grands services
aux communications de ville à ville dans l'intérieur de cha-
que département. Elle sont soumises à un impôt spécial, qui
fait partie des contributions indirectes, et qui s'élève au
dixième du prix payé pour le transport des voyaseurs et
des marchandises. Toutefois, la perception détaillée de l'im-
pôt peut être remplacée par un abonnement.
VOITURIERS, ceux qui fout profession de transpor-
ter des marchandises, soit par terre, soit par eau. Le trans-
port des marchandises a lieu, soit par rentremise d'un com-
missionnaire qui fait ex|)édier par des voituriers particu-
liers, soit par un voiturier à qui on s'adresse directement.
La garantie à laquelle dans ce cas l'un et l'autre sont
astreints est la même. Les article-i 1782, 178.3, 1784, 1785
et 1786 du Code Civil, 96 à 108 du Code de Commerce,
contiennent les dispositions générales qui dominent toute
la matière et déterminent la responsabilité résultant du cas
de perte ou d'avarie.
La responsabilité du commissionnaire ou du voiturier ré-
sulte surtout de la lettre de voiture, qui constitue entre les
parties un véritable contrat. Elle doit être datée, exprimer la
nature et le poids ou la contenance des objets à trans|)orter,
le délai dans lequel le transport doit être effectué; indiquer
le nom et le domicile du commissionnaire s'il y en a un , le
nom de celui à qui la marchandise est adressée, le nom et
le domicile du voiturier; énoncer le prix de la voiture, l'in-
demnité due pour cause de retard ; être signée par l'expédi-
teur ou le commissionnaire; présenter en marge les marques
et numéros des objets à transporter. Elle ne fait d'ailleurs
qu'énoncer la responsabilité sans la limiter, ainsi que l'ont
décidé divers arrêts de la cour de cassation.
Quand on reçoit des ballots, des caisses ou des marchan-
dises qui à première vue paraissent avoir éprouvé des
avaries , il est bon avant de les ouvrir ou de les déballer
de faire constater les avaries. Il faut à cet effet s'adresser
soit au président du tribunal civil ou de commerce , soit au
juge de paix , pour les requérir de taire vérifier pai experts
l'état de ces ballots ou marchandises. Là où il n'y a ni tri-
bunal civil ou de commerce, ni justice de paix , on doit s'a-
dresser au maire, qui a caractère pour constater l'avarie.
Les voituriers par terre et par eau sont assujettis, pour la
garde et la conservation des choses qui leur sont conliées,
aux mêmes obligations que les aubergistes. Ils sont respon-
sables de la perte et des avaries des choses qui leur sont
confiées, à moins qu'ils ne prouvent qu'il y ait eu cas for-
tuit ou force majeure. Le vol par un voiturier des choses
qui lui étaient conliées à ce titre est puni de la réclusion.
Les voituriers, bateliers ou leurs préposés, qui auront altéré
des vins ou toute autre espèce de liquide ou de marchan-
dise dont le transport leur avait été confié sont punis d'un_
mois à un an de prison , et de la réclusion si l'altération a
eu lieu par le mélange de substances malfaisantes.
VOÏVODE , en polonais ivojewodo , vieux mot slave,
formé de ivoî, guerrier, et de wodit, conduire, et signifiant
par conséquent chef de soldats, d'armée. Dès les temps les
plus anciens les peuples slaves s'en servirent dans ce sens.
Plus tard il devint le titre honorifique du prince souverain
électif, avant l'établissement des monarchies héréditaires.
C'est ainsi que les princes de Valachie et de Moldavie étaient
&9
930
VOIVODE — VOIX
qualifiés autrefois de voïvodes. Ensuite, les empereurs grecs,
avec lesquels à partir de 1434 ils eurent des relations très-
étroites, leur donnèrent le titre de despote , qu'ils finirent
par éclianger contre celui d'hospodar. Voïvode (ut aussi
en Pologne le titre des chefs électifs avant l'établissementde
la dynastie des Piast; et ils étaient au nombre de douze.
Par la suite, ce mot désigna tout à la fois la fonction et la
qualité. C'est ainsi qu'on qualifia de voïvodes les gouver-
neurs des diverses provinces, ou voïvodies, entre lesquelles
le pays était divisé. A l'origine, leurs attributions étaient
exclusivement militaires. Plus tard, les pouvoirs civil et mi-
litaire se trouvèrent réunis dans la même personne; de
sorte qu'on traduisit le mot wojewodo par palatinus. Dès
lors les voïvodes furent chargés de l'administration civile,
de la justice et de la police, et formèrent la première classe
des seigneurs temporels , avec siège au sénat ; ce qui leur
fit aussi donner le nom de sénateurs. En temps de guerre,
quand la noblesse prenait les arnies , c'est le voivode qui
commandait la noblesse de sa voïvodie.
Le nom de voïvodie avait été conservé même dans la Po-
logne russe jusque dans ces derniers temps. Aujourd'hui ce
pays est divisé non plus en voïvodies, mais en gouvernements.
En Turquie, on donne le nom de voïvodes aux collecteurs
de l'impôt.
VOÏVODIE DE SERBIE et BANAT DE TEMES,
dénomination sous laquelle a été constitué en 1849 un ter-
ritoire de la couronne {Kronland) dans la monarchie au-
trichienne. Il s'étend sur les deux rives de la Tlieiss infé-
rieure, qui sépare la Wojwodina proprement dite du Banaf,
et est borné parlaHongrie au nord et à l'ouest, pnr la Tran-
sylvanie à l'est , par les Frontières Militaires au sud-est et
au sud, et par la Slavonie au sud-ouest. Il est composé de
laBacska, ou de l'ancien comitat hongrois de Bacs, des trois
comitats du Banal de Ternes, Temesvar, Toroutal et Krasso
(voyez Banat), et des districts de Ruma et d'iilok en Syr-
mie, qui dépendaient autrefois de la Slavonie. En 1854 il
comprenait sur une superficie de 369 myriam. carrés une
population de 1,426,621 liab., dont 406,784 Slaves, 398,094
Roumains, 340,149 Allemands (dont 16,214 Juifs), 241,594
Magyares, et le reste de races diverses. La plus grande par-
tie de ce territoire, continuation de la plaine centrale de la
Hongrie méridionale, est plate. Le sol en est d'une fécondité
telle, qu'il peut se passer d'engrais En 1848 la population
de cette contrée se montra des plus hostiles au mouvement
magyare, qui tendait essentiellement à l'anéantissement de la
nationalité serbe, et prit les armes pour défendre la monar-
chie autrichienne contre les insurgés hongrois. C'est en
récompense de sa conduite dans ces circonstances critiques
qu'une administration complètement distincte et indèpen-
dantede celle d<^ la Hongrie lui a été accordée par l'empereur,
qui ajoute aujourd'hui à ses titres celui de grand-vowode
de Serbie. Temesvar est le chef-lieu de la voïvodie de
Serbie , laquelle est divisée en cinq cercles, appelés du
nom de leurs chef-lieux respectifs Temesvar, Lugos , Le
Grand Becskerek, Zombor et Neusatz.
VOIX, ipwvYÏ des Grecs, vox des Latins, son animal,
vivant, inarticulé, qui a pour cause matérielle l'air, pour
cause efficiente la glotte, et pour cause déterminante le be-
soin ou l'état de l'âme, auquel son expression actuelle se
rapporte. Chaque animal a une voix qui lui est propre, et
qui est un des caractères distinctifs de l'espèce à laquelle
il appartient : ces grandes différences de la voix dépendent
d'une organisation particulière des parties qui concourent à
sa formation.
La voix varie avec l'âge. Elle est faible et aiguë chez les
enfants , mais elle se renforce plus tard : chez la femme ,
le timbre vocal change beaucoup moins que chez l'homme,
et il conserve presque toujours les caractères de l'enfance.
Les jeunes animaux ont la voi\ plus aiguë que ceux qui ont
terminé leur accroissement. Cette règle est générale ; cepen-
dant, les veaux y font exception. Tous les êtres organisés
chez qui la respiration s'effectue par des poumons font en-
tendre des sons vocaux, puisqu'ils sont pourvus d'une glolla
et d'un larynx. Ces organes offrent dans toutes les classes
des variétés de forme et de structure multipliées. D'après
ce que nous venons de dire, il n'y a que les mammifères,
les oiseaux et les reptiles qui soient pourvus d'un véritable
instrument vocal, et qui puissent, par conséquent, faire
entendre une voix proprement dite, car il suffit pour cela
qu'une certaine quantité d'air, accumulée dans un réceptacle
quelconque, soit chassée avec force et vienne se briser con-
tre les bords d'un orifice plus ou moins étroit et suffisam-
ment contracté. Les poissons, qui respirent par des bran-
chies, ne peuvent, par cette raison, produire aucun son
vocal. On ne doit pas regarder comme une vraie voix les
bruits monotones et insipides que font entendre, pour s'ap-
peler et manifester leurs besoins, quelques insectes, tels
que les cigales, certaines sauterelles et la plupart des mou-
ches,etc.; le bruitque produisent ces animaux ne vient point
de leur bouciie, mais il est le résultat du frottement méca-
nique de certaines membranes élastiques qui sont agitées ra-
pidement. Ces organes sonores sont tantôt les élytres et les
ailes des insectes, tantôt une espèce de partie membraneuse
en forme de tambour, ou , enfin , une sorte de ràclement
produit par les mouvements des cuisses postérieures, à la
manière de l'archet des instruments à cordes.
Le timbre vocal peut être changé et modifié par les ha-
bitudes de certains individus; par exemple, ceux qui se li-
vrent à des professions bruyantes, parce que, obligés de
couvrir en parlant des bruits souvent intenses, ils exercent
davantage leurs organes vocaux. La voix des hommes est
d'autant plus forte que leur larynx est plus développé et que
leur poitrine a plus de capacité. C'est pour celte cause que
le timbre vocal semble beaucoup plus faible lorsque, après
le repas, l'estomac distendu par les aliments diminue la ca-
pacité de la poitrine en refoulant le diaphragme supérieu-
rement.
Aucun son ne va plus directement à l'âme que celui delà
voix humaine ; c'est pour cette raison que les instruments
qui en approchent le plus , comme le cor d'harmonie , le
basson , le hautbois , ont une expression plus touchante et
plus mélancolique , surtout dans les tons mineurs et la mu-
sique triste. Pour une oreille délicate, la voix d'un individu
peut apprendre beaucoup de choses sur son tempérament,
sur son caractère, sur ses qualités morales et sur les dispo-
sitions de son esprit, il est certain que la situation de l'âme
influe d'une manière assez marquée sur l'organe de la voix ,
qui diffère toujours suivant les circonstances. On peut donc
dire avec Grétry, que si l'homme sait se cacher dans ses
discours , il n'a pas encore appris à se cacher dans ses in-
tonations. Lavater a dit avec raison que la voix et le visage
s'associaient le plus souvent. La voix peut aussi souvent
nous instruire de l'état du corps, à cause de ses rapports ad-
mirables avec le système nerveux en général, surtout avec les
parties sexuelles. C'est à cette dernière sympathie qu'il faut
attribuer la mue de la voix, \e/aucet des castrats et le chant
mélodieux des oiseaux dans la saison de leurs amours. Dans
les saisons chaudes, la voix est plus belle et plus aiguë ; pen-
dant l'hiver, elle est au contraire plus grave et plus rauque.
C'est probablement l'influence de la température qui fait qui;
les peuples du Midi ont en général la voix plus belle et phi ;
sonore que les habitants des pays froids. Quoique le goOt
de la musique soit moins prononcé en France que chez les
autres peuples , c'est dans ce pays que l'on trouve le plus
grand nombre de belles voix. Cela tient sans doute au dé-
veloppement de la poitrine, que les Français ont générale-
ment mieux conformée. Les peuples du Midi aiment beau-
coup les voix aiguës ; ceux des pays tempérés préfèrent les
moyennes; enfin, les habitants des régions du Nord sem-
blent donner la préférence aux basses. La différence des cli-
mats influe sur le goût des nations comme sur la douceur
des langues. En Italie, les premiers rôles d'homme, dans
les opéras, sont remplis par des .so/«'aHJ, en France par
des ténors, en Allemagne par des basses.
VOIX "- VOL
93 1
La voix humaine est le plus beau moyen d'exéculioii que
l'art musical possède. Ce sera donc toujours en vain que
les instruments voudront l'imiter; semblables aux esclaves
qui précèdent ou suivent leur maître, ils n'ont été inventés
que pour accompagner et soutenir la voix. Comme chaque
individu se distingue d'un autre par ses traits et ses formes
physiques , de même on peut le distinguer par la nature et
lelimbrede sa voix. Il y a seulement des différences qui sont
communes à plusieurs et qui forment autant d'espèces de
voix , ayant reçu chacune une dénomination particulière.
Pour pousser le système vocal à l'étendue de celui des
grands chanteurs, qui comprend souvent trois octaves, on
est convenu de le diviser en six parties, qui représentent
six e^ipèces de voix ; savoir : 1° le premier dessus, soprano
primo; 2" le second dessus, sopra«o secondo; 3° le con-
tr'alle( haute-contre), contralto; 4^ le ténor; 5° le ba-
ryton ; 6° la basse. Ce n'est donc pas d'après le timbre et
le volume des voix , mais bien d'après leur étendue dans
l'échelle musicale, qu'on désigne leur caractère général.
On distingue encore les voix par beaucoup d'autres diffé-
rences que celles du grave à l'aigu. Ainsi, il y a des voix
fortes, douces, étendues, pleines et justes, comme on en
rencontre qui sont fausses, inégales, rauques, dures, voi-
lées, chevrotanles et saccadées; enfin, on désigne par les
épilhètes de flexibles et légères les voix qui passent sans
transitions brusques du grave à l'aigu, et qui parcourent
avec la même douceur et la môme flexibilité les intervalles
et les modulations qui constituent l'harmonie musicale et
vocalisante. Mais cette voix, par quel mécanisme se forme-
l-elle? C'est ce que nous allons fâcher d'expliquer. D'abord,
l'air que l'inspiration a indroduit dans les poumons est re-
poussé de celle espèce de soufflet dans le larynx , par le
mouvement d'expiration et le jeu des muscles de la poitrine.
C'est là le premier acte nécessaire pour la production de la
voix, puisque c'est pendant le temps de l'expiration que
les sons vocaux sont produits. Il n'y a donc pas dedoute que
la formation des sons vocaux ne soit un phénomène expira-
toire ; si dans quelques cas ils peuvent avoir lieu pendant l'ins-
piration, c'est par un mécanisme insolite, qui agit dans un
ordre inverse de celui qui est naturel. Les travaux des physio-
logistes modernes ne laissent plus aucune incertitude sur
l'organe générateur de la voix, et permettent de répondre
avec assurance que, parmi les parties qui donnent passage
à l'air expiré, c'est le larynx qui forme la voix, et que,
des diverses pièces qui composent celui-ci, c'est la glotte
qui est l'organe essentiellement phonateur. Si cette question
était facile à résoudre, il n'en est pas de mênie de celle des
différents mécanismes de la voix, et qui établit à quel
ordre d'instruments ou doit rapporter l'organe vocal. Aris-
tote, Galien, Fabricio d'Aquapendente, Casserius de Plai-
sance, Dodart, Haller, Ferrein, Ricberand, Cuvier, Dulro-
chet, Magendie, Biot , ont émis des opinions qui se con-
tredisent le plus souvent, en comparant le mécanisme du
larynx à celui des différents instrumentsde musique, comme
s'il n'était pas plus naturel de comparer ces derniers au la-
rynx , qui est le plus ancien et le plus parfait des instru-
ments. Nous pensons, nous, que le larynx ne ressemble qu'à
un larynx, et que l'organe admirable de la voix est un ins-
trument à vent sut generis , inimitable par l'art , et dont
le mécanisme vivant ne peut se comparer à celui d'aucun
autre, parce que les principes de l'organisme animal ne
pourront jamais être communiqués à un instrument méca-
nique , et que l'homme n'aura jamais à sa disposition les
éléments de l'action vitale. Mais, nous dira-t-on, puisque
vous n'admettez pas les théories des autres physiologistes,
quelle explication donnerez-vous de la formation de la
voix? D'abord, nous répondrons que nous n'avons pas la
prétention de donner des explications plus mathématiques
que celles des autres, et nous dirons que la glotte est l'ins-
trument qui produit le son , ou plutôt que c'est l'air chassé
des poumons qui sous l'influence de la volonté, en se bri-
-saut contre les lèvres de la glotte, comme cela a lieu dans
les biseaux dos tuyaux d'orgue, produit des ondulations
sonores, qui sont modifiées par le pharynx, la langue, les
lèvres, les fosses nasales; enfin, par tout l'appareil vocal.
C'est donc l'air qui est le corps vibrant, et dont les ondes
sonores acquièrent plus d'intensité à mesure qu'elles se pro-
longent dans les cavités sus-laryngiennes. Selon nous, on
peut concevoir la formation du son vocal sans avoir besoin
de cordes ou d'anches vibrantes. Le mécanisme de l'instru-
ment vocal , quoique encore couvert d'un voile qu'on ne
soulèvera Jamais qu'imparfaitement , peut être compris
comme nous le concevons, sans avoir besoin de le compa-
rer aux instrumentsde musique; d'ailleurs, ces instruments,
qui n'ont été créés que pour imiter ou soutenir la voix, sont
bien loin d'avoir des sons aussi beaux et aussi mélodieux
et de réunir au même degré de perfection les conditions les
plus favorables à la production des sons , tant sous le rap-
port du timbre que sous celui de l'expression.
Au reste, nous devons convenir que ceux qui feront des
recherches sur cette matière seront rarement d'accord entre
eux , parce que tous les sons vocaux ne sont pas produits
de la même manière. La voix sonore du chant et de la pa-
role, qui dans une vaste enceinte se fait entendre à deux
mille personnes à la fois ; la voix basse, avec laquelle nous
chantons dans un appartement fermé ; enfin , celte voix ai-
guë qui a reçu le nom de faucet, et toutes les autres mo-
difications vocales qui résultent des différents cris , dépen-
dent de mécanismes différents que nous avons cherché à
expliquer dans les articles Cri, Faucet, Engastrimysme,
Glotte, Gazouillement, Larynx, etc., auxquels nous ren-
voyons le lecteur. D"^ Colombat de l'Isère.
Au ligure, élever la voix pour quelqu'un, en faveur de
quelqu'un, contre quelqu'un, c'est parler hautement, ou-
vertement en faveur de quelqu'un ou à son désavantage.
La vieille poésie appelait la Renommée la déesse aux cent
voix.
Voix, en termes de grammaire, signifie le son représenté
par la voyelle : Voix articulée, inarticulée, grave, aiguë,
ou les différentes formes que prennent les verbes, selon
qu'ils sont employés dans des propositions dont le sujet
fait l'action ou la reçoit , est actif ou passif.
Voix se dit encore d'un mouvement intérieur qui nous
porte à faire quelque chose ou nous en détourne : La voix
de la nature, de l'honneur, de la conscience, des passions,
de la raison, du sentiment.
Voix signifie aussi suffrage, opinion, vote : Donner sa
voix, Alleraux voix, Recueillir \e&voix; Foia; consultative.
Voix délibérante. Avoir voix au chapitre, c'est avoir du
crédit dans une compagnie, dans une famille, auprès de
quelque personne considérable.
Voix se prend aussi pour sentiment, jugement, opinion :
La voix publique est pour nous ; Il n'y a qu'une voix sur son
compte; La voix, du peuple est la voix de Dieu, c'est-à-dîre
le sentiment général est ordinairement bien fondé.
VOIX ( Extinction de). Voyez Aphonie.
VOIX DE BASSE. Voyez Basse.
VOIX DÉLIBÉRATIVE, CONSULTATIVE. Voyes
DÉLIBÉHATION.
VOIX DE TÊTE, DE POITRINE. Voyez Faucet.
VOL ( Droit criminel ) , action de celui qui prend furti-
vement OU par force la chose d'autrui pour se l'approprier.
On sait qu'au moyen âge certains seigneurs féodaux,
non contents d'accabler leurs sujets d'exactions de toutes
natures, se livraient encore à de véritables brigandages sur
les personnes et les propriétés. Ces nobles chevaliers, tout
bardés de fer, escortés de leurs satellites , rôdaient par les
grands chemins, et détroussaient les voyageurs, les mar-
chands, sans épargner même les pèlerins ni les religieux.
Ils allaient à la proie, comme on disait. Dans ces expédi-
tions, ils s'équipaient ordinairement à la légère, comme pour
la chasse du vol ou des oiseaux : c'est de l'identité d'équi-
pages employés à cette chasse et à ces expéditions contre
les passants que sont venus nos mots vol et voleur.
f.o
S32
VOL
Dans Ions les temps et chez tous les peuples , le vol à
été sévèrement réprimé; quelques-unes des races germani-
ques qui envahirent l'Europe occidentale au cinquième
siècle le punissaient presque toujours de mort , et notre lé-
gislation pénale elle-même avant la réforme de 1832 pro-
nonçait encore la peine capitale contre le vol accompagné
decinq circonstances aggravantes spécialement déterminées.
Aussi l'histoire n'a-t-elle rien enregistré de plus étrange que
cette particularité de l'éducation des jeunes Spartiates , que
la loi, afin de les habituer à la souplesse et à la ruse, au-
torisait à se glisser furtivement dans les jardins et dans les
salles des repas publics, pour y dérober des aliments, et
qu'elle châtiait sévèrement s'ils étaient découverts au mo-
ment du larcin. Du reste , les lois de la Grèce , comme celles
de Rome , ne présentent aucune autre exception de ce genre ;
et notre législation moderne a emprunté une foule de judi-
cieuses maximes non-seulement au droit civil , mais aussi
au droit criminel des Romains. C'est de la loi des Douze
Tables que nous est venu le caractère d'iraprescriptibilité
attribué aux effets volés.
Le vol , classé par le Code Pénal actuel dans la première
section des crimes et délits contre les propriétés , est puni
de peines graves lorsqu'il a été commis à l'aide de circon-
stances tendant à en faciliter l'exécution et à déjouer la
surveillance ou la résistance, par la ruse, la menace ou la
force : telles sont l'escalade, l'effraction , l'emploi de fausses
clefs, les contusions ou blessures, la qualité d'ouvrier ou de
serviteur à gages, lorsque le vol a été commis par eux au
préjudice de leur maître, l'embuscade sur un grand
chemin, etc. C'est un simple délit lorsqu'il est dégagé de
toutes circonstances aggravantes.
Dans le premier cas , ce sont les cours d'assises qui en
connaissent , et les peines édictées par la loi varient depuis
les travaux forcés à perpétuité jusqu'à la réclusion. Dans le
second cas, la peine, prononcée correctionnellement , est
réduite à l'emprisonnement d'un an à cinq ans et à l'amende
de 16 à 500 francs; mais les juges ont en outre la faculté
d'y joindre l'interdiction des droits civiques et civils et la
surveillance de la haute police pendant un espace de cinq
à dix ans. Enfin, la soustraction même frauduleuse n'est
qualifiée ni crime ni délit, et ne donne lieu qu'à des répa-
rations civiles , lorsqu'elle est faite entre époux ou parents
et alliés en ligne directe.
Aux termes de la loi pénale, deux conditions sont essen-
tielles pour qu'il y ait vol : il faut 1" qu'il y ait eu fraude ,
intention frauduleuse; 2° que l'objet soustrait soit la chose
d'autrui. Par conséquent, la soustraction que le débite^ir
fait du gage qu'il a remis à son créancier, ou de ses effets
môme saisis et placés chez tm gardien , ne constitue pas un
vol; car ces objets n'ont pas cessé de lui appartenir, et il
ne saurait y avoir de vol de sa propre chose. Ce fait môme
était cependant considéré comme un véritable vol par le
droit romain, beaucoup plus rigoureux que le nôtre sur ce
point. Quant à l'exception morale introduite en faveur des
époux et des parents ou alliés en ligne directe ,elle a été tout
entière puisée dans le droit romain. Le législateur, en la
consacrant, a voulu éviter qu'il fût jamais possible de
montrer à un auditoire étonné l'époux accusateur de son
épouse, le père poursuivant son fils, ou même le ministère
public exerçant cette poursuite en leur nom. C'était assez
de réserver à la partie lésée les réparations civiles. Toute-
fois, la jurisprudence, se fondant sur ce principe, qu'en
droit criminel surtout une exception ne peut jamais s'étendre
d'un cas à un autre, a décidé qu'un faux commis par un
fds envers son père , pour parvenir à se procurer une somme
d'argent, était passible de la peine du faux,
Auguste HiJSSON.
\Oh (Bis foire naturelle et mécanique) , nciion par
laquelle les oiseaux et d'autres espèces d'animaux se meu-
vent dans l'air. L'homme, qui a fait tant de conquêtes sur
la nature et a soumis la plupart des éléments à sa puissance,
ji inutilement tenté jusque ici d'imiter pour lui-même le
vol des oiseaux, et ce n'est pas néanmoins faute d'en avoir
mille et mille fois réitéré les essais. Sans emprunter
à la fable, écho de la tradition , ce qu'elle raconte de Dé-
dale et d'Icare, nous rappellerons que le moine Bacon,
il y a de cela bientôt six cents ans , non-seulement croyait
à la possibilité pour l'homme de s'élever, de se soutenir et
de se diriger dans les airs, mais encore affirmait savoir le
moyen de construire une machine dans laquelle un individu
assis pourrait se diriger à travers les airs comme un oiseau.
Il est probable , du reste , que l'appareil dont parle Roger
Bacon avait beaucoup d'analogie avec celui que proposa
quatre cents ans plus tard le jésuite Lana dans son Pro-
domo delV Arte maestra (Brescia, 1650;, à savoir un cer-
tain nombre de globes en cuivre dans lesquels il voulait
faire le vide, et qui, à la fois très-minces et très-spacieux, de-
vaient par leur excès de légèreté spécifique, enlever un homme
placé dans une nacelle. Le bon Père oubliait que la pression
atmosphérique aurait bientôt (ait crever ces globes , ainsi
que le remarque fort judicieusement le docteur Hook en
commentant Roger Bacon. Au dixième siècle, Giambattista
Dante osa s'aventurer dans les airs sur la foi des ailes
qu'il avait fabriquées ; notre homme-oiseau en fut quitte pour
une cuisse cassée.
La difficulté, c'est, après avoir tant bien que mal imité le
mécanisme du vol chez les oiseaux ou les insectes, de se
donner une force d'ascension qui contrebalance le poids
du corps. Or, celle difficulté semble à peu près insoluble.
Quand on réfléchit à la structure particulière du corps de
l'homme; quand on considère sa tête ronde, sa poitrine
plate, large et bombée, la situation de son centre de gra-
vité , la façon dont ses bras sont attachés au torse , tout
son système musculaire qui vent qu'il affecte une position
perpendiculaire, sa pesanteur spécifique, et surtout la struc-
ture particulière de ses poumons, qui s'oppose à ce qu'il
puisse librement respirer pendant l'acte du vol aérien, comme
aussi dans les couches supérieures de l'atmosphère , on en
arrive à conclure que décidément l'homme n'a pas été créé
pour voler dans les airs , et que les tentatives qu'il fait néan-
moins pour y parvenir ne prouvent que l'énormité de son
orgueil.
Quelques esprits curieux du dix-septième siècle ne laissè-
rent pourtant pas que de poursuivre avec ardeur la réali-
sation de cette chimère. Dès 16?7 Hermann Plaider avait
fait paraître à ïubingue un traité spécial intitulé De Arte
Volandi; et en Angleterre, sous le règne de Charles II, bon
nombre de savants s'occupèrent de la meilleure foi du
monde à trouver le moyen de disputer l'empire des airs à
la gent ailée. L'évêque Wiikins doutait si peu du résultat
final des recherches et des travaux dont il rend compte
dans un ouvrage sur celte matière, qu'il y déclare formel-
lement que le temps viendra où il ne sera pas plus étonnant
d'entendre un homme demander ses ailes , au moment de
se mettre en route pour une course ou pour un voyage,
qu'il ne l'est aujourd'hui de l'entendre demander ses bottes*
Au dix-huitième siècle, sous le règne de Louis XV, une
espèce de fou, appelé le marquis de Bacqueville, entreprit
de franchir la Seine avec des ailes de son invention, 11 se
brisa les deux jambes. Peu d'années après, un nommé Des-
forges , chanoine d'Étampes, imagina un système d'ailes
et de gondoles aériennes; le tout, du reste, sans aucun
succès. En 1755 un physicien français, Gallien, proposait
de remplir un vaisseau d'un air spécifiquement plus léger
que l'air atmosphérique. Il se flattait d'agrandir ensuite ce
vaisseau et d'en faire une ville flottante dans l'air. On voit
qu'il touchait à la découverte du principe de l'aérostatique;
mais comme il n'indiquait pas de moyen d'exécution, on ne
fit aucune attention à ses idées. En 1784 Gérard faisait
encore paraître à Paris un Essai sur l'Art du Vol aérien;
l'année suivante , Merwein publiait à Bâle son Art de Voler
à la manière des oiseaux, encore bien que les essais tentés
par lui en 1784, à Giessen , pour joindre la pratique à la
théorie, n'eussent pas mieux réussi que ceux faits à la môme
VOL — VOLCAN
933
époque par Berblinger à Ulm. La découverte de Monfgol-
fier (voyez Ballon ) eut pour résultat d'empêcher quelques
autres songe-creux de continuer à s'occuper du vol aérien ,
relégué bien décidément aujourd'hui parmi les chimères de
l'esprit humain. Cependant, au commencement de notre
siècle , un horloger autrichien, Degen , eut encore le courage
de se précipiter, muni d'une paire d'ailes de son invention,
du haut de la tour de Saint-Élienne , à Vienne. 11 se blessa
grièvement; mais cet accident, loin de le dégriser, ne fit
qu'accroître son zèle et ses illusions. Il espéra qu'en se fai-
sant soutenir par un ballon, ses ailes lui serviraient à le di-
riger. Il vint donc faire de nouvelles expériences à Paris,
en 1812; mais il ne put atteindre son but, parce qu'il était
impossible de donner aux ailes assez de force sans trop
ajouter à leur pesanteur.
Une circonstance curieuse se rattache à la tentative faite
en plein champ de Mais à Paris par ce Degen , pour diriger
de la sorte un ballon. Quand l'expérience eut échoué, la
foule accourue pour assister à ce spectacle moyennant un
franc d'entrée se considéra comme volée, et se rua furieuse
sur tous les appareils de Degen, qu'elle mit en mille mor-
ceaux. Le malheureux aéronaute n'échappa même pas sans
peine au mauvais parti que voulaient lui faire quelques
spectateurs plus enragés que les autres. Napoléon venait
d'entrer à Moscou quand la nouvelle de cette petite émeute
lui parvint. Elle le rendit tout soucieux; il comprit en effet
que le tigre populaire, qu'il croyait avoir muselé pour tou-
jours, ne faisait que sommeiller; quelques semaines plus
tard , après avoir échappé par miracle aux désastres du
passage de la Bérésina, il trouvait sur les bords de Niémen
les dépêches de Paris qui lui apprenaient l'échauffourée de
M ail et et qui lui prouvaient combien son retour en France
était urgent. Faute (Vailes pour traverser la Pologne et
l'Allemagne d'un trait, le grand homme se contenta d'un
humble traîneau, qui pendant trois fois vingt-quatre heures
porta César et sa fortune.
Vol se prend figu rément en poésie pour essor ; Ce poète
à pris un vol hardi. Mesurer son vol à ses forces , c'est ne
pas entreprendre plus qu'on ne peut.
A vol d'oiseau est une locution adverbiale qui signifie en
ligne droite : Il n'y a que vingt lieues de Paris à Rouen
à vol d'oiseau. Un pays, un lieu quelconque vu à vol
d'oiseau est celui qui est vu d'en haut, comme poiurait
le faire un oiseau passant sur ce pays.
A l'article Chapon nous avons expliqué ce que dans notre
ancienne législation on appelait vol du chapon.
. VOLi Blason). Foyes Meubles.
VOLANT ( Mécanique). On appelle ainsi , en général ,
dans les machines, des parties ayant un mouvement très- vif
de rotation. Quant au volant, l'un des appareils les plus
propres à prévenir dans les mouvements des machines les
brusques changements dans la force motrice, qu'on se repré-
sente une grande roue dont la jante est très-massive et dont
les bras n'ont que la force nécessaire pour soutenir la jante.
Par la grandeur de sa masse et par la manière dont elle
est répartie, le moment d'inertie du volant, c'est-à-dire
la somme des produits des_ masses de tous ses points par le
carréde leurdistanceà l'axe derotation, est très considérable.
Or, la vitesse angulaire de rotation communiquée à un corps
par une force motrice est en raison inverse du moment
d'inertie de ce corps. Que la résistance ou la force d'impul-
sion vienne à subir une brusque variation , la vitesse de ro-
tation ne variera pas aussi promptement ; car, en vertu de
la loi de la force d'inertie, le volant, malgré ces varia-
tions, tend à persévérer dans un mouvement de rotation
uniforme. On peut dire que c'est un réservoir emmagasinant
la force motrice lorsqu'elle excède les résistances qu'elle
doit vaincre, tl la restituant lorsque ces résistances devien-
nent inférieures à cette force. On ne doit au reste employer
cet appareil régulateur que dans le cas où soit la force
motrice, soit la résistance , ou encore toutes deux à la fois ,
sont soumises à des intermittences. On le place alors le plus
près possible de la pièce dont le mouvement est variable.
Dans les machines à vapeur, le volant doit avoir un dia-
mètre égal à trois ou quatre fois la course du piston.
'VOLATILISATION, phénomène produit parle pas-
sage d'une substance solide ou liquide à l'état gazeux. Un
grand nombre de corps dans la nature sont susceptibles de
cette transformation à l'aide des moyens calorifiants dont
nous pouvons disposer, les uns avec beaucoup de facilité
et par l'application d'une faible chaleur ; tandis que d'autres
exigent tous les degrés de température entre la plus basse
et la plus extrême. Déjà l'on est parvenu à volatiliser
plusieurs corps qui avaient été regardés pendant longtemps
comme parfaitement fixes. La plupart des métaux, et même
le diamant , ont été volatilisés à l'aide d'appareils conve-
nables. D'après les plus saines analogies, et avec un degré
presque absolu de certitude , nous sommes donc autorisés
à conclure qu'il n'existe pas un seul corps dans la nature
qui ne soit susceptible d'affecter les trois formes de solide,
de fluide liquide, et de fluide aériforme.
Pelouze père.
VOLCAN, ouverture par laquelle sortent des matières
embrasées et des flammes projetées au dehors par des agents
souterrains. Comme ces bouches ignivomes sont pour la
plupart au sommet d'une montagne , on associe à chacune la
masse qui la porte, et le tout est compris dans la dénomina-
tion de volcan. Mais cet exhaussement n'est point nécessaire
ni caractéristique ; il est des volcans dont la bouche est
presque au ni veau du .sol. Plusieurs ont formé eux-mêmes la
montagne que leurs feux couronnent ; telle fut probablement
l'origine de 1' Etna, dont la cime s'élève maintenant à plus
de 3,200 mètres au-dessus de la mer, et qui n'a plus la force
de faire arriver jusqu'à celte hauteur les matières fondues
qui se répandaient autrefois sur ses flancs. En parcourant la
surface de la terre, on voit dans toutes ses paities un assez
grand nombre de bouches actuellement enflammées; un exa-
men plus attentif et plus minutieux fait découvrir une mul-
titude de volcans éteints en des lieux où l'on n'eût point
soupçonné que les feux souterrains eussent jamais exercé
leur action. Ces lieux sont-ils maintenant à l'abri de nou-
velles dévastations parles mêmes fléaux ? Rien ne le ga-
rantit, car les tremblements de terre n'épargnent pas plus
les régions des feux éteints que celles où l'embrasement
continue, et l'on verra tout à l'heure que ces deux causes
de bouleversement ont une origine commune. On nomme
cratère l'ouverture par laquelle sortent les matières lancées
au dehors par un volcan.
L'immense et profonde cavité d'où sortent les flammes du
volcan de Kérovée, dans la plus grande des îles Sandwich ,
gouffre d'environ deux myriamètres de tour, est partagée en
deux parties dans sa profondeur; la première n'est pas inac-
cessible , quoique la descente soit difficile et même dange-
reuse. A une centaine de mètres au-dessous du bord, les visi-
teurs parcourent une plaine peu inclinée, mais raboteuse et
qui résonne sous leurs pas; c'est une couche de laves dur-
cies, ouverte au milieu sur une surface d'environ un kilo-
mètre carré, base supérieure d'un entonfioir de plus de deux
cents mètres de profondeur. Les laves bouillonnent dans le
fond, et des colonnes de feu , de fumée sulfureuse et de cen-
dres s'élèvent fort au-dessus de la montagne, répandant une
lumière qui sert de piiare au navigateur et aux environs
une affreuse stérilité. Ce volcan, actuellement en activité
dans celte île, peut être comparé au Vésuve, en présence
de deux autres monuments des feux souterrains , de deux
montagnes beaucoup plus élevées que l'Etna, et dont l'une
n'a pas moins de 5,000 mètres de hauteur. Ces deux
énormes volcans, éteints depuis un très-grand nombre de
siècles, ont couvert l'ile entière de laves aujourd'hui décom-
posées et de cendres, ainsi que d'autres produits moins al-
térables, pi us ou moins atteints par le feu, etc. L'ile d'Awehii^
dont l'étendue et la forme diffèrent peu de celle de la Sicile,
présente , dans le grand Océan , une série de faits géolo-
giques parfaitement analogues à ceux que l'on observe an
93 4
VOLCAN
delà (In phare de Messine. Les matériauN, qui environnent
les foyers des volcans ne diffèrent point de ceux qui sont
à notre portée; on ne peut douter que la tlarnme qui sort
d'un cratère soit alimentée par des houilles, du soufre ou
des sulfures.
Nous n'avons aucun moyen de mesurer la dislance ver-
ticale entre le niveau des mers et les foyers des volcans. Ce
fut en vain que l'intrépide Spallanzani descendit jus-
qu'au fond du cratère de l'Etna , et que , suspendu au-des-
sus d'un abîme de feux , porté par une couche peu épaisse
de laves exposées à retomber dans le gouffre , il se penchait
pour observer la voie par laquelle tant de matières pier-
reuses liquéfiées avaient passé pour couler de cette hauteur
jusque dans la mer depuis des siècles inconnus à toute la
race humaine : le naturaliste ne put rien voir, et les pierres
qu'il laissait tomber ne lui renvoyaient aucun son. En es-
sayant une application du calcul aux données trop mal dé-
terminées que ce problème peut fournir, en évaluant à peu
près la masse soulevée par le volcan et lui restituant la
forme qu'elle dut avoir dans l'intérieur de la terre , on n'es-
timera pas à moins de douze kilomètres au-dessous de la
surface de la Méditerranée la position de l'agent capable
d'un aussi grand effet. Si le foyer du Vésuve est placé aussi
bas, comme l'aspect des lieux le fait conjecturer, quelle
doit être la force de projection qui élève au-dessus de ce
volcan les immenses gerbes enflammées que l'on y voit quel-
quefois.
On n'entreprendra point d'énumérer les bouches actuel-
lement brûlantes sur toute la terre. Depuis l'Islande jus-
qu'à la Terre de Feu , et sous tous les degrés de longitude ,
on peut citer plusieurs volcans, dont quelques-uns ont l'im-
pétuosité d'une vigoureuse jeunesse, tandis que d'autres
approchent de la caducité. Ceux de l'Amérique ont acquis
une célébrité qu'ils doivent aux savants dont ils ont eu la
visite à différentes époques ; mais V H éclane présente pas
moins de faits dignes d'être observés , quoique le séjour en
Islande n'ait pas autant d'attraits que celui des Cordillères.
Le Geyser, immense jet d'eaux thermales dont la hauteur
est fréquemment au-dessus de cent mètres , prouve que
les feux volcaniques peuvent lancer autre chose que des
laves, des pierres et des cendres. Près du volcan du
Kamtchatka , ce n'est pas un jet d'eau chaude , mais une
rivière qui brave les rigoureux hivers de cette contrée. Les
volcans de l'Asie et de l'Afrique sont moins connus que ceux
des autres parties du monde ; mais leur étude n'ajoutera
probablement point de notions importantes à l'ensemble de
ce que l'on sait déjà.
La liste des volcans éteints serait incomparablement plus
longue que celle des feux encore brûlants; les géologues
qui ont étudié spécialement les terrains volcanisés en France
aftirment que l'on peut compter jusqu'à mille cratères dans
l'ancienne Auvergne, et il faudrait y ajouter ceux de l'Ar-
dèche, de la Haute-Loire, de l'ancienne Provence , etc. Les
bords du Rhin montrent en plusieurs lieux des amas de
produits volcaniques; dans toute l'Europe , les feux souter-
rains ont laissé des traces de leur action prolongée, et
lorsque toute la terre sera devenue le sujet d'un examen
aussi diligent , il sera peut-être plus court de signaler ce
que ces feux ont épargné que ce qu'ils ont atteint. La plu-
part des volcans restent à l'état de repos , lançant tout au
plus de temps à autre quelque peu de fumée ou des espèces
de gaz. Mais la durée de ces temps de repos n'a rien de fixe.
Avant la fameuse éruption du Vésuve qui , en l'an 79 de
notre ère, anéantit Herculanum et Pompéi , les populations
de l'Italie avaient complètement perdu tout souvenir de
l'existence de ce volcan : ce qui suppose une intermittence
d'au moins mille années. Strabon, qui décrit la montagne,
nous la représente comme couverte alors de forêts habitées
par des bêles sauvages , et chaque année aujourd'hui elle a
des éruptions plus ou moins violentes. Voilà au contraire
p'us de deux raille ans qu'aux îles Li pari le Stromboli n'a
cessé d'avoir (Jes éruptions à huit ou di\ minutes d'intervalle.
- VOLGA
Quand un volcan passe de l'état de repos à f;eliii de l'é-
ruption, le phénomène est ordinairement précédé de mu-
gissements intérieurs et d'ébranlements de la nature; de
tremblements de terre imprimés à ses environs immédiats.
Les éruptions sont le plus souvent accompagnées d'orages
violents pendant lesquels les éclairs, les coups de tonnerre
et les torrents de pluie se mêlent aux mugissements de la
montagne et à la colonne de cendre et de fumée.
Les volcans ne sont point répartis d'une manière égale
sur la terre non plus que d'après certaines zones , c'est-à-
dire qu'il n'y a point de rapports entre leur répartition et la
forme de la terre, son axe de rotation et ses zones clima-
tériques. On en connaît sous tous les degrés de latitude où
l'homme a pu jusqu'à présent pénétrer, sous l'équateur
comme au voisinage des pôles, dans l'hémisphère du Nord
comme dans l'hémisphère du Sud. D'où il faut conclure
qu'ils font partie des propriétés générales de l'univers.
En tenant compte des plus petits volcans, on en connaît
déjà plus de mille, fort irrégulièrement répartis à la sur-
face de la terre. On a remarqué cependant que les règles
suivantes existent dans la manière dont ils sont groupés et
répartis. Ils sont plus communs au voisinage des côtes,
dans les îles ou au fond de la mer que dans les continents ;
et parmi les volcans connus , il en est peu qui se trouvent
à plus de vingt myriamètres de distance de la côte; il sont
d'ordinaire groupés dans >me contrée volcanique. Ferry.
VOLCES ARÉCOMIQUES (Les), Volcx Areco-
mici. Les Volcêe étaient un peuple de la Gaule méridionale
divisé en plusieurs nations indépendantes , telles que les
Volcx Arecomici, qui avaient pour capitale Nemausus
(Nîmes), les Volcse Cavari, qui occupaient la rive gauche
du Rhône ; et enfin les Volcx Tectosagi, dont le territoire,
adjacent à celui des Volces Arécomiques, s'étendait sur
une grande partie du Languedoc, et qui avaient pour capi-
tale Tolosx (Toulouse).
VOLGA, appelé par les anciens Rha ou Oaros et en-
core Rhos, en hun Var, en finnois Rau, par les Turco-Ta-
tares Atel, Elel, Idel, ()ar les Slaves Bolga ou Wolga, du
nom des anciens Boulgares, le principal fleuve de la Russie
et en ce qui touche son parcours, qui suivant Stucken-
berg n'est pas de moins de 310 myriamètres, le plus grand
cours d'eau de l'Europe. 11 prend sa source à environ
32 myriamètres du golfe de Finlande et au voisinage de
la Duna, dans le gouvernement de Twer, au milieu d'une
plaine marécageuse de la foret de Wolchonski , près du
village de Wolgino ou Wolclio-Weichowija. Les habitants
donnent à cette source, qui était autrefois un lieu de pèle-
rinage , le nom de Jordan (Jourdain). Après un cours
de 10 myriamètres, le Volga se réunit avec la Selisharowha,
qui sert de décharge au lac Seligero ; il poursuit ensuite
son cours supérieur dans la direction du sud-est pendant
plus de 15 myriamètres en passant par Rslief Wolodo-
miroff, jusqu'à Subzoff, où il atteint la vallée onduleuse
qu'il ne quitte plus pendant 209 myriamètres, dans son cours
moyen long de 228 myriamètres, et qui s'étend jusqu'à Ka-
myschin. Dans ce vaste parcours, le fleuve coule d'abord à
l'est en passant par Twer, Kortschewa, Uglitsch, Rybinsk,
laroslaff, Kostroma, Tschebokfar, et Nishni-Novgorod jus-
qu'à l'embouchure de YOka. Jusque là son coursa été tran-
quille; mais à ce moment il entre avec une inclinaison rapide
dans la profonde vallée de Kasan. Il se détourne alors brus-
quement au sud , et après s'être accru des eaux de la puis-
sante Koma passe par Simbirsk, Stawropol, Saraara,
Sysran, Chwalinsk, et atteint Saratoff. Entre Saratoff et Ka-
myschin, que sépare une distance de 20 myriamètres, il tra-
verse la contrée montagneuse du plateau du sud-ouest, ou
plateau ouralien-karpatlie, qui se rattache à l'Oural dans
l'Obtschéi Syrt. Au delà de Kamyschin, commence le cours
inférieur du Volga, long encore de 65 myriamètres et pen-
dant lequel il ne reçoit le tribut d'aucun affluent, en môme
temps qu'il atteint les steppes asiatiques qui ne le quittent
plus jusqu'à son emboucl'.ure , sauf qu'à la différence de sa
VOLGA — VOLHYNIE
935
rive gauche, où s'étendent d'immenses prairies, sa rive
droite jusqu'à Zaryzin et Sarepta présente des bords escarpés
et quelquefois liants de 60 à 70 mètres. A Sarepta le Volga
se détourne subitement au sud-est, et traverse lentement , en
divisant en plusieurs bras son immense volume d'eau, une
contrée plate et basse. C'est à Zaryzin que commence la
première division importante du fleuve, dont le bras le plus
septentrional prend en cet endroit le nom à'Achtuba ; il forme
alors un labyrinthe d'îles sablonneuses ou marécageuses,
de bas-fonds couverts tantôt d'herbes et tantôt de joncs , et
va se Jeter , à 7 myriamètres au-dessous d'Astrachan, dans la
mer Caspienne, en formant un delta de 20 myriamètres de
large, par plus de huit grandes et plus de soixante embou-
chures accessoires, ensablées pour la plupart, et dont la
pius grande a sept kilomètres de large. Un fait bien remar-
quable, c'est la pente extrêmement faible de ce géant des
fleuves de l'Europe, dont la hauteur absolue est de 275 mè-
tres, et même suivant quelques calculs à peine de 200 mètres.
Son bassin, alimenté par plus de cent affluents, qui y rat-
tachent vingt-quatre gouvernements, comprend une étendue
de 2 1,1 05 myriamètres carrés. Les principaux de ses affluents,
presque tous, comme le Volga lui-même, navigables déjà à
peu de distance de leur source, sont : sur la rive droite, l'Oka,
le principal cours d'eau de la riche vallée moscovite, long de
132 myriamètres, recevant le tribut des eaux de \'Ougra,
de VOupa, de la Moskwa, de la Moksha et de la Kljxsma;
et sur la rive gauche, la Kama ou Petit Volga, la princi-
pale veine des eaux de l'Oural occidental, avec ses grands
affluents la Wiatka, la Tachoussowaja et la Bielaja, dont
la masse d'eau à l'embouchure surpasse même celle du
fleuve principal.
En hiver, tout le fleuve se couvre de glace ; mais en raison
de la diversité des climats qu'il parcourt du 57*^ au 46' de
latitude septentrionale, l'arrivée et la durée de lu saison
des glaces varie beaucoup. Chaque année sans exception
la debûcie est très-forte, et parfois elle cause sur certains
points de grandes dévastations. Les di'hordetneiits du côté
des plaines s'étendent souvent à ime distance de vingt wers-
les. Il en résulte que le lit du fleuve est tiès-mohile. Le
Volga, à bien dire, n'offre pas de rapides (en russe jtioro^i ) ,
mais en revanche une foule de bancs de sable et de bas-
tbnds. Certains bras du fleuve, autrefois artères |)rinci-
pales, sont aujourd'hui remplis de vase ou bien complète-
ment à sec et ne se couvrent d'eau qu'au printemps. Ou
donne à ces bras le nom de woloschki ; taudis qu'on appelle
scLloni ou saivodi soit de petits bras latéraux , soit des
baies on lacs riverains qui s'y rattachent par de petites
embouchures tort étroites et ont une grande importance
comme endroits de débarquement et de sûreté. Le Volga
est navigable depuis l'embouchure de la Selisharowka jus-
qu'à la mer Caspienne , par conséquent sur une étendue de
308 myriamèti'es. Toutefois , ce n'est qu'à 32 myriamètres
plus loin, à partir de Twer, qu'il devient navigable pour de
fortes embarcations et la grande voie commerciale de tout
l'empire. Elle prend les plus larges proportions à 36 myria-
mètres au-dessous de Twer, à Rybinsk , point de partage
des trois grands systèmes de canaux conduisant à Péters-
bpurg, l'un des meilleurs ports d'hiver, qui sont en petit
nombre, sur le Volga. C'est aussi à Rybinsk que commence
la navigation à vapeur, restée d'ailleurs jusqu'à ce jour sans
grande importance. Bien qu'on ait, à bon droit, nommé le
Volga l'artère vitale de tout le commerce intérieur de la
Russie, il n'en porte pas moins dans les dimensions colos-
sales de son système hydrographique le caractère asiatique;
aussi le regarde-t-on comme appartenant à l'Asie. C'est à
bien dire un fleuve de steppes, qui en raison de l'ensable-
ment des bras qui lui servent d'embouchure, n'atteint
que péniblement une mer intérieure asiatique , dont les rives
sont habitées par des barbares sans besoins et pauvres en
productions , et qui demeure sans importance pour le com-
merce extérieur. Les canaux grandioses qui relient le Volga
et son bassin à l'Océan n'en méritent que plus l'attention.
Dans ie nombre on remarque surtout les trois systèmes de
canaux de Wischni-Wolotschok , de Tychwin, et du canal
de Marie, qui le mettent en communication avec Pétersbouig,
tandis que le canal septentrional de Catherine et le canal du
duc de Wurtemberg le relient à la Dwina; de sorte que tous
les pays riverains peuvent entretenir des communications
par eau jusqu'à la Baltique, à la mer Blanche et à la mer
Caspienne. Le canal Japifan, projeté déjà sous le règne de
Pierre le Grand, et qui doit mettre le Volga en commimica-
tion avec le Don et avec la mer Noire , n'a point encore été
exécuté; mais dans ces deriu'ers temps on y a suppléé par
un chemin de fer américain, c'est-à-dire desservi par des
chevaux.
Il n'y a pas de fleuve sur la terre qu'on puisse comparer
au Volga pour sa richesse en poissons, tous excellents à
manger. Aussi les pêcheries du Volga ont-elles une grande
importance, et mettent-elles en mouvement d'immenses ca-
pitaux. Tous les printemps, une quantité extraordinaire des
nombreuses espèces de poissons que contient la mer Cas-
pienne remonte les bras d'embouchure du Volga et plus loin
encore; de sorte que la pêche à cette époque de l'année y
occupe plus de dix mille embarcations. Les poissons qu'on y
rencontre le plus souvent sont l'esturgeon, le glanis, le ster-
let , la sasarte, ou carpe de mer, et le saumon.
VOLGA ( Le Petit ). Voyez Kama.
VOLHYNIE ou VVOLHYNIE , gouvernement de la
Russie occidentale, créé en 1796 avec la voïvodie du même
nom , détachée de la Pologne en 1793 et 1795 en vertu des
deux derniers parlasses, et avec quelques parties de l'ancienne
voïvodie de Kielf. Jusqu'en 1569 les Russes, les Tatares,
les Lithuaniens et les Polonais s'étaient successivement dis-
puté la possession de cette province ; mais à cette époque
elle passa délinitivement sous la domination de la Pologne.
Le gouvernement actuel de Volhynie, qui comprend une su-
perficie de 905 myriam. carrés, est entouré par les gouver-
nements de Grodno, de Minsk, de Kieff et de Podolie d'un
côti', et de l'autre par la Pologne et la Gallicie. La partie
méridionale en est montagneuse et même en partie rocheuse,
attendu que les Carpathes y envoient quelques ramifications;
et la partie septentrionale, remplie de marais et de tour-
bières. Au total, c'est un pays fertile, et même très-riche
en beaucoup d'endroits ; aussi la plupart des céréales, le
froment surtout , y réussissent-elles parfaitement, de même
que le lin et le chanvre. Comme il contient de riches pâtu-
rages , l'élève du bétail y donne des produits importants.
L'apiculture , favorisée par de belles forêts où domine le
tilleul , y est aussi pour le cultivateur une source non moins
féconde de richesses. Le recensement de 1846 donnait à
la Volhynie une population de 1,450,500 habitants, dont la
dixième partie environ était fixée dans les villes. Cette po-
pulation se compose en grande majorité de Rusniaques et
de Juifs (au nombre d'environ 60,000); viennent ensuite
des Grands-Russes, des Bohémiens, des Tatares , des Mol-
daves et des Allemands. La majeure partie de la noblesse
et une certaine partie de la population des villes sont d'o-
rigine polonaise. De toutes les anciennes provinces polo-
naises , la Volhynie est celle où l'industrie a pris les plus
larges développements ; en effet, on n'y compte pas moins
trois cents de fabriques de drap, de cuir, de papier, de verre,
de fer ouvré, etc., etc. Schitomir (en polonais Zitomierz)
en est le chef-lieu. Cette ville, qui compte plus de 20,000 ha-
bitants et qui est le centre d'un commerce fort actif, est
bâtie sur le Titérof, au confluent de la Kamenka. Les autres
villes importantes sont Kremenez, Dubno, Staro-Constan-
tinof et Ostrog, avec des populations variant de 9 à 12,000
âmes , et où ont lieu des foires considérables. Le grand centre
commercial de toute cette contrée est Berditsckef, sur la
frontière du gouvernement de Kieff, où on compte 36,000
habitants, et dont la foire est justement célèbre. La petite
ville de Wladinnr Wolinskij , dont la population ne se
compose que de Juifs, doit encore être mentionnée comme
ayant été autrefois le siège d'une principauté , et parce que
936
VOLHYNIE — VOLNYS
c'est d'elle que dérive le nom de Lodomirie ( Wolodimirie )
qui Usure parmi les titres de l'empereur d'Autriche.
VOLIGE. Voyez Plancue.
VOLITION {Philosophie). Voyez. Activité et Vo-
LONTÉ.
"VOLNAY, joli village d'environ 700 habitants, dans
l'arrondissement de Beaune (Côte-d'or), célèbre à bon droit
par ses vignobles, dont les produits occupent un rang dis-
tingué parmi les vins de Bourgogne désignés sons la déno-
mination générique de vins de Beaune. Les crûs les plus
renommés sont ceux des C ailler ets , de^ Chatnpans, de
La Chapelle et de Chevrey.
VOLNEY (Constantin-François CHASSEBŒUF de),
naquit à Craon, en Anjou, en 1755. Comme ce nom de Chas-
sebœiif avait été pour son père la source d'une foule de
mauvaises plaisanteries, celui-ci donna à son tils le nom de
Boigirais, qui vraisemblablement était celui de quelque
petite métairie, et que le fils échangea encore plus tard contre
celui de Volney, évidemment plus harmonieux. La mort de
sa mère l'ayant mis en possession d'une petite rente , il
vint à l'âge de dix-sept ans à Paris, et y commença l'étude
de la médecine. La physiologie le conduisit à la philoso-
phie, dont il sut allier l'étude avec celle de l'histoire et des
langues orientales. Un héritage de 6,000 francs lui étant échu,
il résolut de l'employer à faire un voyage en Egypte et en
Syrie, et s'embarqua à Marseille en 1783. Pour bien apprendre
l'arabe il s'enferma pendant près d'une année dans un cou-
vent copte, et ne revint à Paris qu'eu 1783, où il fit alors
paraître son excellent Voyage en Syrie et en Egypte ( Paris,
1787; maintes fois réimprimé depuis). Il fit ensuite preuve
d'une rare sagacité dans ses Considérations sztr lu guerre
actuelle des Turcs avec les Russes (Londres, 1788), où
il conseillait à la France de s'emparer de l'Egypte. En 1789
il fut élu membre de l'Assemblée nationale par la sénéchaus-
sée d'Anjou. Rien moins qu'orateur, il ne laissa pas que d'y
exercer une grande iidluence comme l'un des principaux
adeptes de la philosophie de l'époque; et tant que le mouve-
ment rénovateur ne sortit pas des voies de la modération,
il se montra zélé réibruiateur. Il passa les années 1792 et
1793 en Corse, où il eut occasion de coimaître Bonaparte.
Quand celui-ei eut été appelé au commandement de l'armée
d'Italie, Volney dit (\iie pour peu que les circonstances lui
fussent favorables , il y avait en cet homme-là la tête de
César sur les épaules d'Alexandre. Quand commença le
le règne de la terreur, il se prononça vivement contre l'a-
narchie ; en conséquence, il fut arrêté, et ne dut sa mise en
liberté qu'au 9 thermidor. En 1701 il avait fait paraître Les
Ruines, ou méditations sur les révolutions des empires,
ouvrage dont il avait conçu le plan dans ses entretiens avec
Franklin, qu'il avait rencontré chez Helvélius, dont on ne
compte plus les éditions et qui a été traduit dans toutes
les langues. Sa Méditation sur les Ruines de Palmyre est
une des plus belles pages de notre langue. Il y a dans ce mor-
ceau, devenu classique , quelque chose de la manière de
Chateaubriand, quoique les teintes du style soient plus vi-
goureuses, mieux arrêtées et d'un rellet plus net que celles
dont se sert l'auteur des Martyrs. La réputation de ce livre
est fondée autant sur la vive imagination dont Volney y fait
preuve que sur les idées philoso[)luqijes (ju'il y développe.
11 donna ensuite l'ouvrage intitulé La Loi naturelle, ou
catéchisme du citoyen français (Paris, 1793), réim-
primé plus tard sous le titre de Principes physiques de la
Morale. Après la chute de Robespierre, Volney fut nommé
professeur d'histoire à l'École Normale ; et cette institution
ayant été supprimée , il entreprit un voyage aux États-Unis,
qui lui fournit plus tard le sujet de son Tableau du Climat
et du .Sol des États-Unis d'Amérique ( Paris, 1803). Re-
venu en France en 1798, il se rattacha a la révolution du
18 brumaire, et reçut le titre de sénateur. On dit même que
Bonaparte songea un instant à lui pour se le donner comme
collègue au consulat. Quoique dans le sénat Volney fit
partie de cette faible minorité que l'empereur appelait la
faction des idéologues, il se laissa créer comte de l'empire.
La chute de l'empire le trouva sans regrets : lassé du des-
potisme militaire, il accepta franchement la Restauration,
dont le gouvernement lui semblait plus favorable aux progrès
de l'intelligence humaine. Louis XVIII le nomma, en 1814,
pair de France ; et il conserva cette dignité jusqu'à sa mort,
arrivée le 25 avril 1820 . Le comte de Volney, outre les ouvrages
cités plus haut, a laissé un assez grand nombre d'écrits
sur les langues orientales , fort estimés des savants. Il a aussi
légué par son testament à l'Institut ime rente de 1,200 fr.
pour l'établissement d'un prix destiné aux meilleurs mé-
moires sur l'étude et la simplification de ces langues.
VOLNYS (LÉONTiNE FAY, M""). L'existence drama-
tique de cette actrice a commencé pour elle avec la vie elle-
même : fille de comédiens, elle fut dès sa naissance vouée au
théâtre, à ses œuvres et à ses pompes; on peut dire que
Léontine Fay apprit à marcher et à i)arler sur les planches de
la scène. C'était alors une ravissante miniature; dans la grâce
mignonne et délicate de la petite fille on devinait le germe
des attraits et des grâces de la femme. Nous pouvons affir-
mer, d'après nos propres impressions, que Léontine Fay est
le seul enfant dont la vue ne nous ait pas afnigé au théâtre.
Chez Léontine Fay l'attrait de l'enfance n'était point altéré;
seulement, tout ce qui fait chérir cet âge était poussé jus-
qu'à la perfection. M. Scribe, jeune auteur dont la réputa-
tion s'élevait au moment où parut Léontine, fit pour elle
des pièces qui se prêtaient à sa taille avec le plus délicieux
enfantillage : Léontine Fay fut l'enfant gâté de la mode.
On s'est étonné que la jeunesse de l'actrice n'ait pas tenu
les brillantes promesses de son enfance. Jeune actrice, Léon-
tine Fay ne fut pas médiocre, elle était trop heureusement
douée pour cela ; mais elle fut loin de tout ce qu'annonçaient
ses premiers pas. Il faut dire aussi que le public se montra
envers elle trop exigeant : il la jugea bien plus sur ce qu'il
attendait que sur ce qu'elle lui donnait. C'est encore là un
des inconvénients des gloires hâtives.
Léontine Fay , dans la seconde période de son existence
dramatique , se montra comédienne intelligente , sensible ,
passionnée, aux inspirations promptes, soudaines et heu-
reuses; elle possédait de la vigueur, une énergie rapide et
une chaleur dont le feu et l'éclat animaient la scène. Ces
qualités de son talent, on les retrouvait dans sa personne;
ses traits avaient une expression mâle et mobile ; son œil
surmonté d'un sourcil noir et épais , sa bouche au sourire
dédaigneux , sa voix grave et pénétrante , son geste ardent
et impérieux, étaient en harmonie avec le sentiment dra-
matique de sa physionomie. Léontine Fay occupa à la scène
un rang distingué ; le public ne lui refusa ni son admiration
ni son suffrage ; dans presque tous ses rôles , elle était bien
placée, et cependant chacun sentait qu'il lui manquait ce
charme de séduction si puissant dans son enfance.
j^jme voinys commença pour Léontine Fay la troisième
période, celle de la femme. On s'aperçut enfin que les facul-
tés robustes de l'actrice demandaient un genre plus solide
que celui du vaudeville et du petit drame à ariettes;
jVinic volnys entra au Théâtre-Français, et là elle retrouva
de belles soirées et quelques rôles qui lui firent véritable-
ment honneur : celui de Florinde la Juive , dans Don Juan
d'Autriche, fut un triomphe. Tout à coup, une disposition
funeste, que le regard de la critique avait déjà signalée, se
manifesta chez M™* Volnys ; elle tomba dans une affectation
déplorable. Ce mal , qui est pour le talent ce que l'insecte
rongeur est pour un beau fruit, fit de tristes ravages, et
sous l'affectation les belles facultés de M""" Volnys ont suc-
coudié une à une. Une remarque a été faite sur M""* Volnys ;
elle n'a jamais retrouvé sa première grâce, et dans sa mise
même elle a toujours omis cette élégance et ces soins qui
vont si bien à la femme. Occupée d'émouvoir, elle a trop
négligé l'art de plaire. Aujourd'hui , sans être au premier
rang , M*"" Voinys est une actrice au-dessus du vulgaire ;
mais c'est à son enfance qu'elle devra ses meilleurs souve-
nirs. Eugène Briffaclt.
VOLO — VOLSQUES
937
VOLO, GOLO ou GOLOS , ville de la Tliessalie ( Tur-
quie d'Europe), sur les bords du golfe du môme nom,
siège d'un ardievêque grec , possède un cliâteaii fort avec
garnison ainsi qu'un port. Sa population est de 3,000 ha-
bitants , et fait un commerce assez important, Volo est l'an-
tique lolcos , la ville où naquit Jason. Le 11 avril 1854 les
insurgés grecs aux ordres de Grizanis et de Uardelus y fu-
rent mis en déroute par les Turcs.
VOLONTAIRES. Avant 1789, on appelait ainsi dans
l'armée des jeunes gens de bonne famille qui avaient solli-
cité et obtenu l'honneur de faire une campagne ou d'être
attachés à une expédition, uniquement pour la gloire ou
pour s'initier au métier de la guerre, dès lors ne recevant
ni solde ni indemnité, et s'équipant à leurs frais. Les uns
étaient confondus dans les rangs avec les simples soldats ;
quelques autres remplissaient auprès des officiers généraux
les fonctions d'aides de camp. Quand, en 1792, la coalition
étrangère menaça l'indépendance nationale , on vit partout
une foule de volontaires accourir sous les drapeaux pour
prendre part à la défense du sol de la pairie. On forma
ainsi de 1792 à 1802, et sous diverses dénominations, 803
bataillons qui furent successivement incorporés dans les
demi-brigades créées à partir de 1794 ou compris dans
l'enréginientement de l'armée organisée en l'an xii ( 1803).
VOLONTÉ. C'est cette énergie intelligente et con-
sentie avec laquelle l'âme se porte vers le but que lui a
proposé son cœur ou sa raison. La volonté est-elle une
faculté élémentaire , un attribut simple du moi , ou bien
peut-elle s'expliquer par les facultés simples et primitives
de notre nature? Est-elle réductible à des éléments déjà
connus? On a signalé ailleurs comme éléments de la nature
humaine le pouvoir de connaître, ou Tint e 1 ligence ; le
pouvoir d'éprouver du plaisir ou de la peine, c'est-à-dire
la sensibilité; le pouvoir d'agir, de faire effort pour
tendre vers un but, c'est-à-dire l'activité. Or, on voit
sur-le-champ qu'il existe entre l'activité et la volonté une
grande affinité de nature; mais y a-t-il identité? Ou bien,
si ces deux pouvoirs diffèrent l'un de l'autre, eu quoi la
volonté se sépare-t-elle de l'activité? Quel élément nou-
veau y rencontre-t-on qui la différencie du principe actif
considéré comme pouvoir simple et primitif du moi? A
ces questions, voici notre réponse : La volonté est l'activité
éclairée par la conscience d'elle-même, par l'intelligence
de son effort et de son but, acquérant par là un degré
d'énergie qu'elle ne possédait pas au|iaravant, et devenant
non plus un mobile irréfléchi , une impulsion indépendante
de l'homme , mais une force qui se connaît, qui donne son
consentement à ses actes , qui peut à son gré s'arrêter, se
ralentir ou croître d'intensité, une force qui, par cela
qu'elle se connaît, dépend d'elle-même, ne relève que
d'elle-même, et confère ainsi à l'homme, par la puissance
nouvelle dont elle vient de l'investir, l'indépendance et la
liberté. Au moment où l'homme sait qu'il peut, il est libre.
C'est à ce moment qu'il échappe à la nature pour devenir
son maître et son roi (glorieuse royauté sans doute , mais
royauté d'un jour, et, nous devons le dire pour arrêter l'é-
lan de son orgueil , dont tout le privilège consiste à deve-
nir responsable de ses moindres actions devant un juge
suprême ). C'est donc lorsque la conscience intervient pour
répandre sa lumière sur l'activité et ses phénomènes que
l'activité perd son caractère de spontanéité , par lequel elle
débute nécessairement, et devient cette force qui réfléchit,
que nous appelons volonté. Sans la conscience, l'activité
n'est qu'une force comme une autre , force qui appartient à
la nature, n'agit que par la nature, et dont les actes nous
sont aussi étrangers que les mouvements des fleuves ou
des astres sont étrangers à ces corps qui achèvent sans le
vouloir la course qui leur est prescrite dans l'espace. Les
animaux (qui songe à le nier? ) sont doués d'aciivlté, et de
celte activité par laquelle l'homme se meut au début de la
vie. Mais comme les animaux ne se rendent pas compte du
pouvoir dont les a doués la nature , n'en connaissent ni la
valeur, ni la portée, ni le but, les animaux ne veulent
pas ; ils sont simplement actifs. Leur prêter la volonté serait
faire injure à la raison, tout aussi bien qu'au langage. La
différence entre les phénomènes actifs et ceux de la vo-
lonté n'est pas moins tranchée ni moins manifeste, considérée
dans l'homme même. Ainsi, ce qu'on appelle tendance ,
penchant, désir, passion, dans le 7?ioi, n'est autre chose
que le développement de l'activité spontanée. Tous ces phé-
nomènes sont étrangers à la volonté ; la nature seule les
produit. Qu'une lumière vienne à briller au sein de l'obscurité,
nous tournerons nos yeux du côté où elle aura paru, nous
agirons pour considérer ce phénomène inattendu ; mais
notre aciion sera déterminée ici par une impulsion toute
spontanée, et, disons-le, involontaire. D'un autre côté,
que le savant interroge les cieux, qu'il y cherche la pré-
sence d'un astre que ses calculs lui auront annoncé, ici son
action n'est plus spontanée; elle est réfléchie, consentie,
voulue ; en un mot, c'est un acte de volonté.
Les phénomènes de la volonté se nomment, dans le lan
gage philosophique , w/(^«o«s . Une volition est donc un
fait complexe : c'est un phénomène du principe actif, au-
quel vient s'associer un phénomène intellectuel, qui con-
siste dans la conscience que l'homme acquiert de son ac-
tion et dans le consentement qu'il y donne.
J'ai dit aussi que de l'intervention de la conscience
dans les phénomènes de l'activité résulte la liberté pour
I l'homme. En effet, la lumière qui se répand alors sur
sa nature et lui révèle le secret de sa force, soumet en
même temps cette force à son empire. C'est à sa pensée
qu'il appartient de la diriger, de la contenir, de lui donner
l'essor. Cette force est maintenant sa conquête. En la pos-
sédant, il a conquis aussi la liberté. Pourquoi l'animal ne
veut-il pas, n'est-il pas libre? C'est qu'il ne sait pas quil
peut; car il peut assurément plus qu'il n'agit. L'animal
placé au haut d'un précipice ne s'y élancera pas , et n'est
pas libre de s'y élancer. Pourtant, il a en lui la puissance
nécessaire pour opérer les mouvements qui le précipite-
raient dans l'abîme. L'homme, au contraire, sur le bord
du même abîme, .sentira en lui le pouvoir de le fuir ou
de s'y plonger. 11 sera libre de faire les mouvements qui
l'en éloignent ou ceux qui l'y conduisent. Quelle différence
y a-t-il donc entre l'homme et la brute? Tous deux sont
armés de la même puissance, tous deux sont doués de la
faculté locomotive qui leur permet les mêmes mouvements.
L'activité dans ce cas est chez eux identique : mais
c'est que la brute s'ignore elle-même ; c'est qu'elle ne se
rend compte ni de ses facultés , ni de leurs moyens d'ac-
tion, ni de leurs résultats : et voilà pourquoi la brute,
tout active qu'elle est , n'est pas libre. Elle n'a pas d'autres
chaînes que sou ignorance. C'est donc la conscience de ses
facultés qui rend l'homme libre. C'est la pensée qui, en
s'associant au principe actif, l'élève à l'état de principe
volontaire, et le résultat immédiat de cette union c'est la
liberté.
Que dirai-je de l'ascendant qu'un homme exerce sur ses
semblables, et comment expliquer autrement que par
l'influence invisible d'une volonté énergique sur des vo-
lontés plus faibles, cette dépendance morale où se trou-
vent souvent des êtres d'ailleurs aussi intelligents , et qui
ont en eux toutes les ressources nécessaires pour résister
à cette mystérieuse tyrannie? On a dit avec beaucoup de
raison que le pouvoir de l'homme est en proportion de sa
science : il eût fallu ajouter que la réalité et l'efficacité de
la puissance sont dans la force et la constance de la vo-
lonté. C.-M. Paffe.
VOLSQUES, peuple de l'Italie ancienne, qui, .»vpc les
Ombres et les races samnites, formait le rameau ombrosabel-
lien de la femille des peuples italiques habitant, entre les
Ilerniques, les Samnites, les Aurunces et les Latins, les
deux groupes de montagnes appelées encore aujourd'hui
montagne des Volsques, l'un situé au nord du cours moyen
du Liris (/e Garigliano), où se trouvaient les villes de
938 VOLSQUES
Fregellae ( aujourd'hui Arce, près Ceprano ) , Fabraterria,
Sera, Arpinum, lieu de naissance de Marius et de Cicé-
ron , Atina sur le Melpis ( iWe//a), Casinum (Monte-Ca-
sino), Aquinum ou Interramna { Ponte- Corvo); et l'autre,
au sud de la rivière ïrerus ( aujourd'hui Socco ). De cette
montagne, dont la partie la plus élevée porte aujourd'hui
le nom de Monte Cacume, et à l'extrémité septentrionale
de laquelle ( appelée aujourd'hui Monte-fortino ) se
trouvait la ville d'Ecetra, les Voisques s'étendirent, tantôt
au moyen d'alliances et tantôt par la force des armes, sur
une partie du Latium. Aussi, beaucoup d'endroits, tels que
Suessa , Pometia , Antium , Velitrœ et Corioli , figurent
pendant longtemps dans l'histoire romaine comme appar-
tenant aux Voisques. C'est sous le règne de Tarquin le
Superbe que les Romains firent pour la première fois la
guerre aux Voisques. Ils paraissent très-souvent dans les
temps primitifs de la république romaine unis aux Èques;
et à partir de l'an 495 av. J.-C. ils sont pendant longtemps
compris au nombre des ennemis les plus acharnés des Ro-
mains, qu'ils mirent surtout dans un danger extrême, en
l'an 488 av. J.-C., lorsqu'ils eurent Coriolan à leur
lôte. lis ne furent subjugués qu'à l'époque de la guerre des
Latins (en 340), à laquelle ils prirent part, et dans la
-deuxième guerre des Samnites(à partir de 32G), pendant
laquelle diverses villes voisques prirent fait et cause pour
les Samnites. Alors les Romains incorporèrent leur terri-
foire au Latium.
VOLTA ( Alessandro , comte ), l'un des plus célèbres
physiciens qui aient encore existé, naquit à Côme, le 18
février 1745, d'une famille ancienne et considérée. Il y fit
ses études et ne témoigna pas d'abord de moins de dis-
positions pour la poésie que pour les sciences. Deux mé-
moires qu'il publia, en 1769 et eu 1771, sur un nouvel
appareil électrique, furent la base de sa réputation. En
1774 il fut nommé recteur du collège de Côme et profes-
seur de physique, et en 1779 on l'appela à occuper une
chaire à l'université de Pavie. Dès 1777 il avait inventé
\'électrophore constant et Vélectioscope. L'observation
de bulles d'air .«ie dégageant d'eaux stagnantes lui lit faire
d'importantes découvertes sur la nature des gaz. Elles le
conduisirent à inventer le pistolet électrique, Veudiomètre
et la lampe à air inflammable. En 1782 il inventa le
condensateur. A partir de cette époque il appliqua ses
recherches aux grands phénomènes de l'atmosphère , no-
tamment à la natuie de la grêle. Il examina aussi et décri-
vit la nature du feu, à Veileia et à Pietra-Mala. Plus tard,
l'invention de la pile, appelée d'après lui pile voltaïque,
au moyen de laquelle il appliqua à la science la découverte
de Oalvani (yoyes Galvanisme), ajouta encore à sa répu-
tation. En 1777 il avait visité la Suisse et la Savoie. En
178?, il parcourut en compagnie de Scarpa l'Allemagne,
la Hollande, l'Angleterre et la France; à son retour, il in-
troduisit la culture de la pomme de terre en Lombardie.
Après les guerres dévastatrices de la révolution, les nations
jouirent enlin de quelque repos; alors les savants se rap-
prochèrent, et la France put apprécier les découvertes de
Volta, que l'Institut invita à lui faire connaître les résul-
tats (le ses recherches. Ce corps savant le récompensa deses
travaux par la grande médaille d'or, et l'appela plus tard à
prendre rang parmi ses associés étrangers. Napoléon combla
Volta de ses faveurs; il le créa comte, et fit de lui un séna-
teur de son royaume d'Italie. Après la restauration, Volta
fut nommé par l'empereur d'Autriche directeur de la faculté
de philosophie à l'université de Pavie. Il passa les dernières
années de sa vie à Côme , où il mourut, le 5 avril 1827.
VOLTA..( Pistolet de ). Voyez Électricité.
voltaïque (Arc). Voyez Lumière électrique.
VOLTAÏQUE (Batterie et Pile). Voyez Pile Élec-
trique.
VOLTAIRE (François-Marie AROUET de) naquit,
.suivant l'opinion la plus généralement admise, à Châtenay,
près de Sceaux le 20 février 1694. Il était fils de M. Arouet,
— VOLTAIRE
' notaire considéré, puis trésorier de la chambre des comptes,
et de Marguerite d'Aumart. Sa mère joignait, dit-on, à
un esprit enclin à la médisance , de la coquetterie et une
élégance de mœurs alors assez rare dans la bourgeoisie.
Elle était issue d'une famille noble du Poitou ; et c'est d'une
petite propriété à elle appartenant que son fils, en entrant
dans le monde, prit ce nom de FoiiaM-e, qu'il a immortahsé, j
Il vint au monde avec la constitution la plus frêle. On dé- i
sespéra longtemps de l'élever. Il ne fut d'abord qu'ondoyé,
et on ne le présenta au baptême que neuf mois après. Son
parrain, l'abbé de Châteauneuf, ami de la maison Arouet et
l'un des amants de Ninon, était un homme d'esprit et
de goût. Il prit un soin tout particulier de la santé de son
filleul et de sa première éducation. Ce fut avec les fables de
La Fontaine qu'il commença d'exercer sa mémoire. Grâce
aux leçons de cet abbé, Voltaire dès l'enfance fit des vers,
et ne connut aucun frein pour sa pensée. Il fut élevé par
les jésuites, dans leur collège de Louis-le-Grand. Les pères
I Tournemine et Porée cultivèient son goût et formèrent son
esprit. Parmi les sentiments qui lui font le plus d'honneur,
il faut citer la reconnaissance qu'il conserva toute sa vie
pour ses maîtres. Ses lettres au père Porée ne sont pas les
moins intéressantes de sa Corespondance, recueil où se
montrent avec tant de liberté et d'attrait son âme et son es-
prit. Voltaire se faisait aimer de ses condisciples. Tous ceux
qui se fièrent intimement avec lui restèrent fidèles à celte
amitié. Ce génie, à peine adolescent , s'occupait déjà forte-
ment d'études peu familières à cet âge. L'histoire des grands
hommes, les révolutions journalières dans le gouvernement
de l'État, captivaient vivement son attention. Il se plaisait
à en raisonner, à peser dans ses petites balances , comme
le disait le père Porée , les grands intérêts de l'Europe. Des
vers faits par le jeune écolier en l'honneur du dauphin, pour
un vieil officier à qui ils valurent une gratification, firent
répéter à Paris et à Versailles le nom d'Arouet. On en parla
à Ninon avec admiration. Elle voulut le voir. L'abbé de Châ-
teauneuf le lui présenta. La vivacité hardie de son esprit,
ses saillies brillantes, mais surtout son instruction et sa
manière déjuger les querelles du jansénisme, qui occupaient
alors le public, lui firent deviner un grand homme dans cet
enfant. Voulant favoriser la culture de cette belle ictelli-
gence, elle lui légua par son testament deux mille francs
pour avoir des livres.
Pressé par son père de choisir un état, au sortir du col-
lège, à l'âge de seize ans ( 1710), le jeune Arouet, rempli du
feu sacré, déclara ne vouloir être qu'homme de lettres, il con-
sentit cependant à étudier le droit, dont, comme on le pré-
sume bien, il s'occupa fort peu. Son dégoût pour ce genre
d'études lui fit prendre en aversion la carrière du barreau,
que l'on voulait lui faire suivre. Il s'y refusa. Il devint
d'ailleurs bientôt à la mode. On se passionnait pour .son
esprit et pour ses vers. Les grands seigneurs, les beaux es-
prits, l'atliraient à l'envi. Le prince de Confi, le duc et le
grand-prieur (le Vendôme, La Fare, les abbés Courtain,
de Chaulicu, de Châteauneuf, tous hommes éclairés, tous
faisant des vers, se plaisaient à l'avoir pour convive. «Nous
sommes ici tous princes ou tous poètes » , disait-il un jour à
la table du prince de Conti. On l'appelait le familier des
princes. Son père lui ayant fait proposer une charge de con-
seiller au parlement : « Dites à mon père, répondit le jeune
homme, que je ne veux point d'une considération ((ui s'a-
chète. Je saurai m'en faire une qui ne lui coûtera rien. » Le
frère aîné de Voltaire s'était fait janséniste et champion
aveugle de la secte. Contrarié et chagrin, M. Arouet s'é-
criait : « J'ai pour fils deux fous, l'un en prose et l'autre en
vers. »
Excité par le grand succès de Rhadamiste, le chef-
d'œuvre de Créhillon, Voltaire entreprit de lutter contre
Sophocle et Corneille. A dix-sept ans il fit Œdipe, tragédie
sans amour et avec des chœurs. C'était débuter en maître.
Nul depuis Racine n'avait fait parler la muse tragique en
aussi beaux vers. Ce coup d'essai compte parmi les pièces
VOLTAIRE
les mieux écrites de l'auteur. Mais les comédiens ne vou-
laient pas jouer une pièce où il n'y avait pas de rôles pour
Yamoureux et Yamoureuse, et Voltaire se refusa long-
temps à gâter son œuvre. 11 cherclia un dédommagement
- dans la couronne poétique que décernait l'Académie Fran-
çaise, et échoua contre un abbédu Jarri,qui mettait en feu
dans ses vers l'un des pôles du monde. La colère du poète
vaincu lui inspira la satire du Bourbier. Son père, inquiet,
se fâcha; et le marquis de Châteauneuf, ambassadeur en
Hollande, l'emmena comme pajje dans ce pays. Tout en ob- i
servant les mœurs bataves, les institutions, les prodiges du
commerce et de l'industrie, il devint amoureux d'une fille
de M""^ Dunoyer, réfugiée protestante , connue pnr ses in-
trigues et par les libelles dont elle vivait. La liaison enire
les jeunes gens, excitant les plaintes de la mère, fit ren- i
voyer le page à Paris. i
M. Arouet avait obtenu l'autorisation ou de faire enfermer '
son fils, ou de le faire passer dans les colonies. Voltaire, (|ui ;
se tenait caché, écrivit à son père qu'il passerait en Amé-
rique et y vivrait, s'il le voulait, au pain et à l'eau, pourvu
qu'avant son départ il lui fût permis de se jeter à ses ge-
noux. Le père s'attendrit, et pardonna. Mais il fallut que
Voltaire promît d'embrasser un état et d'étudier, en atten-
dant, les formes de la procédure chez un procureur. Ce
que Voltaire apprit chez M* Alain, place Maubert, ce fut
à conduire dans la suite ses affaires. M. Arouet insistait tou-
jours pour que Voltaire prît un état. M. de Caumartin, ami
de M. Arouet, ayant emmené Voltaire à sa campagne de
Saint-Auge, pour qu'il y mûrît le choix qu'il avait à faire,
le jeune candidat, au milieu d'une bibliothèque et des nar-
rations de M. de Caumartin le père sur la vie de Henri IV
et de Sully, oublia complètement .sa promesse. L'enthou-
siasme du vieux narrateur pour ces deux grands hommes
alluma le sien, et lui fit concevoir le projet de La Henriade.
Ce fut à la Bastille qu'il en composa dans sa tête le second
chant, auquel il n'a rien changé depuis. Une pièce satirique
sur l'état de la France après la mort de Louis XIV, qui fi-
nissait par ces vers :
J'ai vu ces maux, et je n'ai pas vingt ans,
l'avait fait jeter dans cette prison, où il resta plus d'un an
sans encre ni papier. Ces vers n'étaient pas mal faits ; un
abbé Régnier en était l'auteur. Mais la réputation poétique
de Voltaire, la conformité de son âge avec celui que la sa-
tire indiquait, et des inimitiés jalouses toujoius prêtes à dé-
noncer un génie naissant, les lui avaient fait attribuer. Il n'en
fallait pas tant pour que le pouvoir se hâtât de sévir. Ses
parents, ses amis, les princes, les grands, avaient beau
solliciter, rien ne fléchissait l'autorité. Voltaire ne fut rendu
à la liberté qu'après l'aveu tardif du véritable auteur de la
satire. Le régent, l'ayant admis à se présenter devant lui-,
et l'accueillant avec faveur -. « Monseigneur, lui dit le poète,
je trouverais fort bon que sa majesté voulût désormais se
charger de ma nourriture; mais je supplie votre altesse de
ne plus se charger de mon logement. » Le prince voulut par
se^ bienfaits le dédommager d'ime détention injuste. Les
grands, qui l'aimaient, se plurent à l'accueillir mieux que
jamais. Le duc de Sully l'attira dans son château, où se
réunissait un cercle nombreux de femmes aimables et
d'hommes distingués par l'esprit et le talent. Le succès
û'Œdipe (1718), que l'auteur s'était enfin déterminé à gâter
par complaisance pour les comédiens, acheva de lui faire
oublier la Bastille. Peu s'en fallut toutefois que les fameuses
Philippïques de La Grange-Chancel ne l'y fissent re-
plonger. Le talent qui éclatait dans ces odes infernales les
lui faisait attribuer. Les mauvaises tragédies de La Grange
étaient pour celui-ci un préjugé d'innocence. Heureusement
pour l'auteur A Œdipe, le régent n'écouta pas la clameur
pubfique, et cependant il exila l'accusé de Paris.
Nous nous sommes plu à signaler quelques traits de l'en-
fance et de la première jeunesse de Voltaire. C'étaient au-
tant d'augures de son génie et de sa destinée. Le public
939
français, peu accoutumé à tant d'audace, avait applaudi a
ces vers à'Œdipe :
Qu'eussé-je été sans lui? Rien que le fils d'un roi...
Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense :
Motre crédulité l'ait toute leur science.
Ces vers, qui révélaient la pensée dominante du poète,
étaient, suivant l'expression de Leibnitz.gros de son avenir.
Déjà l'on pouvait deviner cette hardiesse d'idées, cette
guerre à outrance aux préjugés qu'il jugeait nuisibles, cette
indépendance de la pensée impatiente de tout frein, cette
passion pour tous les genres de gloire littéraire et pour
toutes les lumières qui adoucissent les mœurs, ces alterna-
tives d'enthousiasme et de persécution , qui devaient tantôt
l'enivrer d'encens dans sa patrie, tantôt lui faire fuir le sol
natal hnllant sous ses pas et le retenir dans de longs exils.
On connaît son aventure avec le chevalier de Rohan. On
dînait chez le duc de Sully; une discussion s'éleva. Ce che-
valier, décrié pour son usure et sa poltronnerie, trouve
mauvais que Voltaire ose le contredire. « Quel est, dit-il,
ce jeune hommequi parle si haut.' — Monsieur le chevalier,
répond Voltaire, c'est un homme qui ne traîne pas un grand
nom, mais qui sait honorer celui qu'il porte. » Le chevalier
se lève, et s'en va; les convives applaudissent à Voltaire.
« Nous sommes heureux, lui dit le duc de Sully, si vous
« nous en avez délivrés. >< Et cependant, quand l'indigne
Rohan-Chabot a exercé contre le courageux poêle une lâche
vengeance , en le faisant frapper par des gens aposf es , après
l'avoir attiré dans la rue sous prétexte d'une bonne œuvre
à faire, action à laquelle Voltaire était toujours prêt, le duc
refusa justice à celui qu'il traitait en ami. Un seigneur pou-
vait-il en effet prendre la défense d'un roturier outragé,
tout grand homme qu'il était, contre un misérable de sa
caste? Irrité de cette trahison, le poêle rompit avec le duc
de Sully, et tira de son déni de justice la seule vengeance
qui fût à sa portée. Le nom de Sully fut, quoique à regret,
rayé de l'immortelle Henriade. Mais ii fallait un autre châ-
timent pour l'homme vil qui l'avait fait bassement insulter.
Il prend des leçons d'escrime, et quand il se juge prêt, il
va provoquer son ennemi. Celui-ci accepte le défi, et met
en mouvement toute sa famille pour s'y soustraire. On
montre au duc de Bourbon , alors premier ministre, des vers
piquants de Voltaire adressés à la maîtresse de ce grand-
vizir. Ils éveillent sa jalousie et sa colère. Voltaire est en-
levé, jeté pour la seconde fois à la Bastille. Lorsqu'on l'en
fait sortir au bout de six mois, c'est pour lui ordonner de
sortir de France. Le lâche Rohan-Chabot triomphe de celui
qu'il a outragé. Voltaire, qui avait appris l'anglais dans sa
prison, va cberclier en Angleterre un asile et la liberté. Sou-
vent il sera réduit à les chercher hors de France. Ce fut là
qu'il se lia avec les Anglais célèbres dans la philosophie, les
lettres et les sciences, et qu'il apprit à connaître une litté-
rature alors presque ignorée parmi nous. La cour, le clergé,
les corps privilégiés, la tourbe des intrigants vendus à la
puissance,s'étaient déchaînés dans notre pays contre La Hen-
riade. L'esprit de tolérance et d'humanité qui y brillait à
chaque vers, était dénoncé comme séditieux. Voltaire pu-
blie son poëme à Londres, sous les auspices delà reine. Les
souscripteurs abondent. Il est traduit en anglais, en italien.
Son succès dans toute l'Euiope est immense.
Quel contraste entre ces succès européens, entre la li-
berté de la vie anglaise et les indignités déjà éprouvées par
Voltaire dans son pays! Qu'on juge de l'eflét qu'avaient dû
produire sur cette âme passionnée, sur cet esprit bouillant
d'indépendance, deux emprisonnements iniques, un infâme
outrage puni sur l'offensé comme s'il eût été coupable, les
clameurs de l'envie et de la calomnie, sans qu'il eût encore
rien fait qui pût fournir motif ou seulement prétexte aux
haines et aux persécutions! Qu'on se rappelle que ces ani-
mosités ne cessèrent de le poursuivre ou de le harceler
pendant toute sa longue carrière , et l'on s'étonnera moins
des emportements et des écarts où l'entraînera souvent uo
94a
VOLTAIRE
caractère aussi fougueux et aussi irascible qu'il était géné-
reux.
Voltaire, peu enclin à une vie austère et résignée, avait
senti la nécessité de clierclier dans la richesse la garantie de
son indépendance et le moyen de satisfaire ses goûts bien-
faisants. Cinq mille livres de rente composaient toute la for-
tune qu'il tenait de ses parents avant que l'béritage de
son frère aîné vînt accroître cette fortune. Une rente de
deux mille francs, produit de ses économies, une pension
de la reine Marie Lesczinska, le fruit de l'édition de La Hen-
riade à Londres, lui assurèrent de l'aisance. Le gain con-
sidérable qu'il fit en 1729 à la loterie de Paris le rendit
bientôt ricbe. Des spéculations heureuses sur le commerce
des grains et sur le commerce de Cadix, mais surtout l'in-
térêt que son ami Paris Duvernay lui donna dans les vi-
vres, rélevèrent à une haute opulence. Ce dernier lucre seul
est évalué dans les aiémoires de Wagnierre, son secrétaire,
à sept cent mille francs. Bien loin d'augmenter sa fortune
aux dépens des libraires, comme l'en accusa longtemps
l'envie, toujours âpre à la calomnie, constamment depuis
sa jeunesse il abandonna le produit de ses ouvrages, soit à
des amis ou aux jeunes littérateurs qu'il protégeait, soit aux
éditeurs eux-mêmes. Quoiqu'il eût perdu deux fois ses
fonds, il sut si bien, avec l'aide <le ses amis, réparer les
injures du sort, que dans les dernières années de sa vie
sa fortune s'élevait à cent soixante mille livres de rentes.
Cette aptitude presque incroyable à la surveillance et à la
direction intelligente de ses affaires, au milieu de travaux
si multipliés, d'une nature si opposée à l'esprit de calcul
pour les intérêts de la vie, de tant de traverses, de contre-
temps et de déplacements volontaires ou forcés, n'est pas
le trait de caractère le moins étonnant dans cet homme pro-
digieux.
Nous allons cesser ici de le suivre pas à pas dans sa vie
si agitée et si errante. Bornons-nous à le montrer obligé de
quitter Paris de nouveau et de se cacher en Normandie ,
pour avoir reproché aux Parisiens l'enterrement clandestin
de la célèbre Le Couvreur sur les bords de la Seine ; forcé
ensuite de fuir et de se cacher encore à plusieurs reprises
pour se dérober aux poursuites suscitées contre lui, d'a-
bord par ses Lettres pfiilosopfiiques sur l'Angleterre,
que le parlement fit briiler; ensuite par VÉpitre à Uranie;
enfin, le croira-t-on, parla publication de sa tragédie de La
Mort de César. Celle du malheureux pnëmede La Pucelle,
que des infidélités firent connaître, accrut le zèle des persé-
cuteurs et ses inquiétudes.
Voltaire se retira à Cirey, sur les frontières de la Cham-
pagne, avec M"* du Cliàtelet, dont l'amitié dévouée et cou-
rageuse, les talents et l'esprit philosophique, si rare parmi
les personnes de son sexe, le rendirent durant vingt ans
aussi heureux qu'il pouvait l'être. Alzire lui avait fait re-
trouver la faveur publique. Le Mondain, cette profession de
foi d'un épicuréisme frivole, qu'aucun esprit sérieux ne pou-
vait juger gravement, lui attira une persécution nouvelle.
La faveur de Louis XV et de la cour ( 1740 à 1748) sembla
vouloir pendant quelques années consoler Voltaire de tant
de tribulations et de disgrâces. Les avances du prince royal
de Prusse , devenu bientôt le grand Frédéric II, une corres-
pondance intime avec ce prince, avaient mis le poète en
état de servir son pays près de lui. Il l'avait rapproché du
gouvernement français. Pendant les campagnes glorieuses
pour la France qui amenèrent la paix d'Aix-la-Chapelle,
Voltaire consacra ses talents à célébrer nos succès. Le titre
d'hi.storiographe, celui de gentilhomme de la chambre, l'A-
cadémie Française, furent le prix de son zèle. Mais£n Prin-
cesse de Navarre et Le Temple de la Gloire , composés
par lui pour la cour, ne comjitent point parmi ses titres à
îa renommée.
De nouveaux dégoûts condui-sent Voltaire auprès du roi
Stanislas. Il trouve dans cette cour deux ans de liberté et
de repos avec M"" du Chàtelet; mais la perte prématurée
de cette véritable amie le chasse des lieux qui entretien-
nent sa douleur, et après un séjour à Paris, sollicité vi-
vement par Frédéric , il se rend à Berlin (1750). On connaît
les vicissitudes de cette faveur royale. On sait que Voltaire,
d'abord comblé d'honneurs , de caresses, de témoignages
d'estime et d'amitié, logé au château même, décoré delà
Croix pour le Mérite et gratifié d'une pension de 6,000 tha-
1ers, eut bientôt lieu d'appréhender qu'après avoir pressé
l'orange on ne. jetât l'écorce. Un procès avec un juif, es-
pion du roi et protégé par lui , une querelle littéraire avec
l'orgueilleux et jaloux Mau pe rtuis, amenèrent la rup-
ture (1753). Voltaire obtient la permission d'aller aux eaux
de Plombières. Il se hâte de partir. On lui impute des vers
satiriques et un libelle contrôle roi, qui le fait arrêter et
retenir à Francfort pour lui reprendre une collection de ses
poésies contenant plusieurs satires sur différents princes et
tirées à un très-petit nombre d'exemplaires seulement. Lui,
sa nièce, M™* Denis, et son secrétaire furent traités fort
durement pendant un mois. Une réconciliation eut lieu
plus tard entre les deux puissances. La correspondance fut
renouée. Mais on sait ce que valent ces replâtrages. En vain
Frédéric renouvela-t-il par la suite au grand poète l'offre
d'un asile contre les persécutions; Voltaire, n'était pas
homme à s'y laisser prendre deux fois. « Frédéric, disait-il,
est presque au.ssi puissant et au.ssi malin que le diable. Mais
il est aus.si malheureux que lui : il n'a jamais connu l'a-
mitié. »
Ce fut au retour de cette campagne de Prusse que Vol-
taire s'établit aux Délices, près de Genève, et ensuite à
Ferney , pays de Gex , qu'il ne quitta que pour venir mourir
à Paris, le 30 mai 1778, âgé de près de quatre-vingt-qua-
tre ans.
Il est temps d'essayer l'explication de la conduite de cet
homme extraordinaire, de ses soixante ans de travaux et de
son immense influence sur la société du dix-huitième siè-
cle. Cet examen , nous l'emprunterons presque en entier à
un manuscrit laissé par notre ami Antoine Dingé, homme
de bien , de génie et d'une érudition immense, mort à peu
près inconnu, en 1832. C'est lui qui va parler.
« L'histoire nous offre de nombreux exemples de l'éveil
donné aux ennemis d'une puissance par la flatterie de ses
serviteurs. Nos temps modernes nous en offrent une preuve
bien frappante dans les suites de la malheureuse révocation
de l'édit de Nantes. Tandis que tous , prédicateurs , poètes ,
historiens, moralistes, et jusqu'au sage La Bruyère, ap-
plaudissaient à la révocation comme au triomphe de l'au-
torité sur la rébellion et de la foi sur l'hérésie, il naissait
un homme qui devait, en dénonçant ce grand crime au
genre humain, ébranler l'édifice sacerdotal jusque dans ses
fondements. Cet homme est Voltaire. Il était venu au
monde peu après le fameux édit contre les protestants. Une
foide d'hommes laborieux et utiles avaient porté leur appli-
cation et leur industrie chez les nations rivales, où ils peu-
plaient des villes entières. Le jeune homme interrogea les
plus éclairés de ses concitoyens sur les causes de cette dé-
plorable désertion. Tous en accusaient la persécution. Ln
même temps , les troubles des Cévcnnes lui offraient le ta-
bleau de la dégradation de l'esprit humain par la supersti-
tion. Les sectaires, à qui tout culte public était interdit,
s'assemblaient en secret. Leurs ministres avaient fui, ou
étaient morts dans les supplices , ou languissaient dans les
cachots. Le premier venu exerçait le sacerdoce. Des femmes,
des enfants prêchaient et catéchisaient. Leurs âmes faibles,
aveuglées par la terreur, ou soulevées par le ressentiment,
recevaient toutes les illusions superstitieuses comme autant
de faveurs célestes. Elles eurent des visions ; elles débi-
tèrent des prophéties. Le peuple, abandonné à lui-même,
adopta leurs rêveries, et tomba dans le fanatisme. Au lieu
de le plaindre et de le ramener par l'instruction et la jus-
tice, on continua de le persécuter. Alors il se révolta. Des
ambitieux accoururent pour le commander; bientôt arri-
vèrent avec eux les jours de la vengeance et des crimes
qn'elle ordonne. « Les Cam isards, disait Voltaire, agi-^
VOLTAIRK
94!
« rent en bêtes féroces; mais on leur avait enlevé leurs
« familles et leurs petits, et ils déchirèrent les clias-
» seurs qui couraient après eux. » Enfin, Lous XIV envoya
les Berwick et les Villars pour les exterminer. Villars , plus
humain et plus adroit que son prédécesseur, termina cette
guerre odieuse en traitant avec Cavalier, le chef des
protestants soulevés. En s'attendrissent sur le sort des vic-
times de cette guerre religieuse, conséquence affreuse de la
révocation. Voltaire en rechercha la cause. A l'aspect de
cent mille assassinats commis au nom de Dieu sur les débris
de nos villes incendiées, il frémit d'horreur et de pitié; il
conçut dès lors contre tous les tyrans des consciences
cette haine implacable qui éclata dans tous ses ouvrages
et que l'âge et la contrailictioii convertirent en une véritable
frénésie. Transportons-nous à l'époque où il écrivit sa
Henriade, sous le nom de Poëme de la Ligue (il n'avait
guère plus de vingt ans ) ; apprécions l'influence des que-
relles religieuses sur son génie. Il est aisé de voir dç quels
sentiments son cœur était plein lorsqu'il retraçait avec tant
de force les attentats de la Ligue, cette (action parricide qui
couvrit la France de ruines et de tombeaux. Partout dans
cet ouvrage, que l'on examine le choix du sujet et de la
manière dont il est traité , si l'on ne trouve pas la merveil-
leuse fécondité du génie, du moins on voit briller l'amour
de la patrie, de la justice et de la paix, le respect des lois,
et surtout la haine de l'intolérance et la persécution. La
Henriade est un éloquent plaidoyer contre les hommes
pervers qui oppriment au nom de la religion. Supprimez
quelques vers du chant septième, en contradiction avec
l'esprit général de l'ouvrage, et ce sera aussi un beau traité
de morale en action ; chaque pensée y est pour ainsi dire
un vœu pour le bonheur des hommes et une protestation
contre l'injustice et la tyrannie. Voilà pourquoi ce poëme
à son apparition eut un si grand succès, qui s'est soutenu
depuis, malgré la faiblesse du plan, la froide sécheresse de
l'allégorie, l'incohérence de la plupart des épisodes et la
langueur de l'action. La philosophie tolérante dont il étin-
celle couvre tous ces défauts. L'homme fait aimer l'auteur :
on admire son courage et son amour pour ses semblables;
et l'on félicite le genre humain d'avoir trouvé un défenseur
assez généreux pour reprendre sa cause, depuis si longtemps
abandonnée.
Voltaire avait fait ses premières armes dans Xa Henriade ; il
continua de combattre dans ses meilleures tragédies, comme
dans la plupart <le ses autres ouvrages. Tantôt c'est Alva-
rez , qui, ne respirant qu'indulgence et bonté, confiamne tant
de forfaits politiques commis au nom du Dieu des miséri-
cordes; tantôt c'est Zopire invoquant les vengeances du ciel
contre les imposteurs qui sacritient des victimes humaines
à leur ambition :
Eitermincz , grands dicus , de la Icrre où nous sommes.
Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes !
Là ( Les Guèbres) c'est le soldat Iradan qui pleure sur les
destinées de la jeune Arzame, vouée à la mort par les prê-
tres de Pluton pour n'avoir pas voulu abandonner, contre sa
conscience, le culle de ses pères; ici c'est le roi Teucer
(Les Lois de Minos) qui jure d'arracher aux prêtres de Ju-
piter une autre victime qu'ils étaient près d'égorger. Bien
persuadé que le poison du fanatisme subsiste toujours, quoi-
que moins pénétrant, et qu'il peut encore infecter la terre.
Voltaire s'attache à poursuivre et à démasquer ceux des
membres du sacerdoce qui abusent de leurs fonctions sa-
crées pour colorer leurs injustices et leurs barbaries. Ce qui
étonne , c'est qu'il montra d'abord cette réserve du sage ,
qui craint de blesser le monument en coupant tout au-
tour les ronces qui le cachent. Quelqu'un lui représentait
la religion comme la cause des forfaits qui ont inondé la
terre de sang : « Dites la superstition , répondait-il ;
c'est un serpent qui entoure la religion de ses replis; il
iaut lui écraser la tète, sans blesser celle qu'il infecte et
qu'il dévore. » Il loue, parmi les ministres de la religion,
ceux qui se conduisent en dignes disciples d'un Dieu de
justice, de bienveillance et de paix. Enfin , il se garde bien
de s'élever avec colère contre les malheureux qui ont faussé
leur raison; il se borne à les plaindre, pourvu que leur folie
n'aille pas jusqu'à la persécution et au meurtre. « Quicon-
que, dit-il, n'est coupable que de se tromper mérite com-
passion; quiconque persécute mérite d'être traité comme
une bête féroce. »
Si Voltaire était demeuré dans les limites de cette sagesse
impartiale, il aurait mérité la reconnaissance et les béné-
dictions du genre humain ; mais il les franchit bientôt.
]1 ne doit cependant pas être accusé seul des excès où il
tomba. Ces persécuteurs dont l'intolérance révoltait son âme
avaient commencé entre eux une guerre dont le motif vé-
ritable était de jouir de leur victoire en aggravant la servi-
tude des consciences. Leurs querelles avaient pour pré-
texte quelques-unes de ces subtilités métaphysiques qui
|)artagent un culte en tant de sectes ennemies. Ils s'excom-
muniaient, ils se damnaient les uns les autres, pour la
grâce efficace, versatile ou congrue. Ces scandaleuses dis-
cordes rendaient chaque jour les ouailles moins confiantes
et moins dociles. D'un autre côté, les conversions opérées
à prix d'or ou par les dragonnades , en augmentant la foule
apparente des dévots , n'avaient fait que diminuer le nombre
des vrais fidèles : le sentiment religieux s'affaiblissait dans
les cœurs , et les hypocrites se mulliplaient. Les opulents,
oisifs de la cour et de la ville, formant ce qu'en appelait la
bonne compagnie , avaient affiché la dévotion sous un
prince dévot; mais à peine Louis XIV fut-il mort que,
trouvant plus à leur gré les mœurs de la cour du régent, ils
s'empressèrent de s'y conformer. Ils professèrent à l'envi
cette indifférence religieuse qui gagna le monde lettré et
produisit cette fausse philosophie dont Voltaire éprouva et
ne tarda pas à propager l'influence délétère. Né dans la ri-
chesse , élevé au milieu de la brillante jeunesse de la cour,
admis ensuite dans les cercles les plus recherchés de Paris
et de Versailles, il en adopta la plupart des préjugés et des
maximes. L'excessive liberté qui régnait alors dans les mœurs
et dans les opinions religieuses l'enivra; il prit, avec les
idées de la bonne compagnie de son temps , ses vices polis,
sa morale relâchée et son penchant pour les arts corrup-
teurs, le fasie et le luxe inutile. Accoutumé à caresser l'o-
pulence et le pouvoir, il n'apercevait pas les effets conta-
gieux de la dissolution des mœurs. C'est ce travers de son
esprit qui dans le luxe escorté des arts et des lettres lui
montrait un sur préservatif contre les erreurs supersti-
tieuses. Il oppose donc à ce zèle aveugle qui persécule au
nom de la Divinité cette indifférence, prétendue philoso-
phique, qui avilit, qui efféminé les âmes, qui concentre
toutes les affections dans un secret égoïsme , également
fatal aux mœurs domestiques et à la félicité publique. Il ne
voyait pas que pour sauver la patrie de l'incendie du fa-
natisme il grossissait le torrent qui devait finir par la bou-
leverser.
Quelques pages sublimes , dictées à Voltaire par le génie
même de la vérité, en faveur de l'Lumanilé souffrante, lui
avaient acquis une réputation qui souleva l'envie et la mé-
diocrité. Le succès prodigieux de sa Henriade fut le signal
de la persécution qui fatigua et troubla sa longue carrière.
Chaque ouvrage nouveau qu'il publiait excitait une nouvelle
tempête. Si elle était trop violente, il cédait, et fuyait en
Hollande, en Allemagne, en Angleterre, où il était de-
vancé par sa renommée. Là, au milieu des sectes diverse^
et dans la société des hommes du monde et des gens de
lettres, il fortifiait en même temps ses préjugés en faveur
d'un luxe sans grandeur comme sans ulifité et sa haine
contre les intolérants de toutes les sectes. Il devenait chaque
jours moins timide, moins circonspect; il s'accoutumait à
mettre dans ses écrits la même franchise et la même hardiesse
que dans ses conversations philosophiques. C'est l'époque
où parurent ses Lettres anglaises; ses discours en vers ur
la liberté , la modération et la vertu ; son yoëiae sur la loi
îJ42
VOLTAIRE
naturelle, etc. Ses ennemis obtinrent la suppression des Lettres
anglaises par uu arrêt du conseil du roi. Le parlement les
brûla, des informations furent ordonnées et des lettres de
cachet lancées contre l'auteur. Il fut encore obligé de fuir,
quoique malade de la fièvre et de la dyssenterie. Jésuites et
jansénistes se déchaînèrent à l'envi. On le diffama; on le ca-
lomnia. Pour toute réponse \[àonnà?,onSièclede Louis XIV
et son Aliire, où il offrit le contraste de la morale pure du
christianisme fondé sur la bienveillance universelle et le
pardon des injures , avec les dogmes cruels et l'esprit per-
sécuteur qui le déshonorent en le travestissant.
Tandis que les ennemis de Voltaire décriaient ses ou-
vrages et sa personne; pendant qu'ils employaient à le
rendre odieux l'ascendant qu'ils conservaient comme institu-
teurs de la jeunesse et comme directeurs des consciences dans
les familles bourgeoises et à la cour, la foule des gens du
monde et des gens en place , toujours en guerre sourde
avec le sacerdoce, émoussait les traits que la superstition
et l'hypocrisie décochaient de toutes parts à leur auteur fa-
vori. Celui-ci profita de cette diversion pour s'assurer des
prolecteurs. Il prodigua la louange; il flatta les princes,
leurs maîtresses, leurs ministres , leurs courtisans. Ces adu-
lations servaient de passeport et de cadre à mille tableaux
pathétiques des forfaits commis au nom de Dieu dans tous
les pays et dans tous les siècles. Il encourageait les déposi-
taires de l'autorité à étouffer le monstre du fanatisaie , tou-
jours prêt à les dévorer eux-mêmes. Il écrivait à l'impératrice
Catherine II : « J'aurai bientôt quelque chose à mettre aux
pieds de V. M. I. sur les horreurs de toutes ces disputes
ecclésiastiques: c'est là mon objet, c'est la religion que je
prêche , c'est la tolérance que je veux , et vous êtes à la tête
du synode dans lequel je ne suis qu'im simple moine. »
Les disputes théologiques étaient en effet à ses yeux la
source la plus féconde en malheurs pour l'humanité.
Aussi son Essai sur les Mœurs et l Esprit des Nations
(1756) est-il moins une histoire qu'un long plaidoyer contre
le sacerdoce. Il ne voit partout que celte institution à dé-
noncer et à flétrir, et il croit avoir fait une histoire uni-
verselle. Les lois iniques, les fausses maximes d'État, l'am-
bition des grands , des minisires et des princes , les rivalités
des diverses aristocraties, les fureurs des factions, les abus
privilégiés , lui échappent , ou ne lui paraissent que des
causes très-secondaires de désordre et d'oppression, sur
lesquelles il se tait ou ne fait que glisser, tandis qu'il s'ar-
rête avec complaisance sur les moindres controverses re-
ligieuses, n ne voit dans le sacerdoce qu'un mauvais génie,
qu'il poursuit partout comme l'esprit de ténèbres, comme
l'esprit du mal , unique auteur de ce déluge de misères et
de crimes qui accable la race humaine.
Irrité et non découragé par l'acharnement de ses ennemis,
las d'errer et de craindre, Voltaire crut devoir enfin changer
sa manière de vivre. Il avait placé une partie de sa fortune
dans les fonds étrangers, et il se disposait, en cas qu'il fût
inquiété davantage, à vendre tout ce qu'il possédait en
France « pour aller, disait-il, mépriser ailleurs, et d'un
mépris souverain, les délateurs hypocrites et les impudents
calomniateurs ». Avant de prendre cette résolution comme
sa dernière ressource, il alla s'établir sur les bords du lac
de Genève, entre la France, la Suisse et la Savoie, dans l'en-
ceinte de quatre-vingts lieues de montagnes qui touchent au
ciel. Là il recueillit toutes les forces de son génie, et quoique
sexagénaire, il recommença les hostilités avec une nouvelle
ardeur contre tous les tyrans des consciences. C'était sa
mission, son apostolat. Sa plume n'avait poursuivi d'abord,
dans ses ouvrages avoués, que les fanatiques qui égorgent
et les scélérats qui bénissent leurs poignards. Puis, révolté
de voir des ministres de la religion embrasser leur défense,
il avait combattu ces apologistes du mal. Enfin , l'épouvan-
table catastrophe des Calas et des La barre lui fit perdre
toute retenue. Ces horreurs provoquèrent son déchaînement
contre la religion elle-même, invoquée comme le prétexte
sacré de meurtres juridiques. Sa haine contre les persécu-
teurs avait fini par lui inspirer de l'aversion pour la doc-
trine dont ils abusaient en la faisant servir à légitimer des
vengeances et des supplices. Il écrivait à se^ amis : « Par
quel aveuglement funeste peut-on souffrir encore un monstre
qui depuis quinze cents ans déchire le genre humain et
abrutit quand il ne dévore pas .» Songez, je vous prie, com-
bien la superstition a fait périr de Calas, depuis plus de
quatorze siècles. Est-il possible que ce monstre ait encore
des partisans? Mon horreur pour lui augmente tous les jours,
et je suis affiigé quand je vois des gens qui en parlent avec
tiédeur. Je bais les tièdes, »
Plein de ces idées qui le tourmentent, qui l'absorbent tout
entier, il parodie, il dénonce les livres sacrés du christia-
nisme. Son mot fameux Écrasons l'in/âme ! indique suffi-
samment la préoccupation sous l'empire de laquelle il se
trouve désormais. Il ne se lasse pas de citer les faux mira-
cles, les faux martyrs, les fausses légendes, les fraudes
pieuses, les calomnies, les persécutions, les schismes, les
guerres civiles religieuses , tant de meurtres ordonnés ou
commis au nom d'un Dieu bienfaisant, les échafauds et les
bûchers élevés en Europe , en Asie et en Amérique à la voix
des persécuteurs; les peuples sans défense égorgés au pied
des autels, les rois poignardés et empoisonnés. Il fait voir
la primitive £glise tellement cachée sous les flots du sang
des chrétiens et sous les ossements de leurs morts, qu'on a
peine à la retrouver. Il demande ce que la vertu , la vraie
piété, la paix et la justice ont gagné à tant de distinctions et
de querelles théologiques, à tant de dogmes fondés sur ces
distinctions , et à tant de persécutions fondées sur le dog-
me.' Ces tableaux, ces raisonnements reparaissent dans
ses derniers ouvrages sous mille couleurs différentes. Ce
sont toujours les crimes du fanatisme qu'il retrace; et ce
sujet , à mesure qu'il le renouvelle , reprend sous son pin-
ceau plus de force et de chaleur. Il verse le ridicule, il ex-
cite l'indignation , il fait couler les larmes; il parle tour à
tour à l'esprit, à la raison et au cœur.
Comme tous ces dogmes lui paraissent une source inta-
rissable de discordes, de crimes et de malheurs, il élève
sur tous un scepticisme qu'il semble particulièrement oc-
cupé à nourrir dans l'esprit de ses lecteurs. « Je ne parle
point des impies , disait-il, qui embrassent ouvertement le
système de S p i n o s a ; je parle des honnêtes gens qui n'ont
point de principes fixes sur la nature des choses, qui ne sa-
vent pas ce qui est , mais qui savent très-bien ce qui n'est
pas. Voilà mes philosophes ' » C'est ce scepticisme d'une phi-
losophie sans base et sans foi qui lui avait fait adopter, même
dans ses histoires, même dans ses romans, ce dogme de
la fatalité, triste refuge d'une raison au désespoir qui le dis-
pense d'approfondir la plupart des événements qu'il retrace.
Avec ce dogme commode, on s'affranchit en effet du pre-
mier devoir du moraliste et de l'historien, la recherche
consciencieuse et l'explication des causes qui ont produit
les faits. Comment Voltaire ne lut-il pas épouvanté des af-
freuses conséquences de ce doute cruel , fait pour encou-
rager le crime et pour ôter à la vertu toute son énergie?
Comment , après avoir exposé si souvent et en si beaux vers
les grands principes de la morale naturelle, et montré un
respect si profond pour l'Être des êtres, n'a-t-il pas craint
de combler le désespoir des infortunés , en affaiblis-sant dans
leur âme cette idée si consolante et si douce d'une Provi-
dence qui veille sur eux, voit leurs larmes, compte leurs
.soupirs , et quand ils auront été assez éprouvés, les dédom-
magera par ses récompenses? Cett« idée, fût-elle une erreur
(et elle n'en est pas une) , il suffit que les malheureux y
trouvent un dernier et unique appui , l'humanité un encou-
ragement et res|)érance, pour qu'elle doive être respectée
du vrai philosophe.
On a vu que Voltaire était passé de la haine des persé-
cutions à celle du sacerdoce , et de la haine du sacerdoce à
celle de la religion même. Toujours éloquent, toujours su-
blime quand c'est l'amour du genre humain qui l'inspire ou
la pitié pour les victimes de la superstition et de l'intolé-
VOLTAIRE
94b
raiice , ce n'est plus le même homme lorsqu'il se livre à sa
colère contre les gens de lettres qui l'ont outragé ou seule-
ment critiqué, ou qui ont eu d'autres idées que lui sur le luxe
etsurlesarts; quand il s'abandonneà son adiarnement contre
tout ce qui porte l'habit sacerdotal et à sa hideuse jalousie
contre le divin fondateur du christianisme. Alors il dégrade
son talent , il noie les raisonnements dans des sarcasmes
grossiers; il est moins gai que satirique, moins plaisant que
dur. C'est à son tour un vrai fanatique, un maniaque dont
les bouffonneries scandaleuses se terminent par des accès
de fureur, où il prodigue les qualilications les plus révoltantes
à tous les objets de son mépris et de son aversion. Sur la
fin de sa vie, on le voit poursuivre en désespéré la croyance
au Christ et le Christ lui-même. On avait beau lui repré-
senter que Jésus (ne vît-il en lui qu'un sage rempli, comme
Socrate et Marc Aurèle, d'un saint enthousiasme pour Dieu
et la vertu) mériterait encore toute sa vénération, pour
avoir prêché au peuple le plus superstitieux et le plus igno-
rant de la terre la loi naturelle, la religion du cœur, la
douce fraternité du genre humain , pour avoir scellé sa doc-
trine de son propre sang et donné le plus héroïque exemple
du pardon des injures, en priant |)0ur ses bourreaux dans
les horreurs du plus affreux supplice ; tout entier à l'orgueil
de son incroyable envie, il s'obstinait à repousser ce qu'il
eût dû adorer.
Tels furent les derniers excès de "Voltaire. Sa vie n'avait
été qu'un long combat contre la superstition et contre cette
foule d'hypocrites si peu d'accord sur les dogmes, mais tous
d'accord dans la soif des richesses et de la grandeur. Cette
mission, dont il s'était chargé dès sa tendre jeunesse, il la
remplit avec une constance qui ne se démentit jamais. Son
éducation , dans une cour où tous les liens religieux étaient
relâchés, le rendit de bonne heure indifférent à tous les
cultes. La persécution l'aigrit en l'enlevant aux plaisirs et
à la dissipation qui auraient pu le distraire , et concentra
toutes ses passions dans une seule, qui, finissant par le pos-
séder sans partage , égara sa raison et pervertit ses senti-
ments. Heureux si ses défauts, ses préjugés et ses vices,
restés sans contre-poids , ne l'avaient pas emporté de degré
en degré bien loin au delà du but qu'il s'était d'abord pro-
posé! »
Nous avons bien peu retouché à l'éloquent tableau que
l'on vient de lire, en y ajoutant quelques traits. Quelque
péril qu'il y ait à venir après un peintre de ce mérite, notre
tâche nous appelle. Essayons donc de caractériser rapide-
ment le génie de Voltaire dans ses nombreux ouvrages.
Comme poète dramatique , Voltaire est inférieur à Cor-
neille et à Racine dans l'art de combiner un plan et de
tracer un caractère avec profondeur et vérité. Il n'a ni la
grandeur sublime et naive à la fois du premier, ni sa force
de conception , ni sa verve quelquefois incorrecte, mais tou-
jours féconde en traits pleins d'élévation en même temps
que de naturel et d'énergie; il n'a pas non plus la grâce tou-
chante, le charme et la perfection continue du second. Il
n'est pas même enfin inspiré à un aussi haut degré qneCré-
billon par ce génie de la terreur qui s'empare de nous en
portant l'effroi dans notre âme. Il ne nous frappe pas d'é-
pouvante comme l'auteur d'Atrée, d'Electre et de Ehada-
miste. Mais Voltaire l'emporte sur ces trois anciens maî-
tres de noire scène par le pathétique. Il remue plus pro-
fondément le cœur; il est plus constamment , il est à un
degré plus élevé l'interprèle éloquent des afflictions hu-
maines, le peintre attendrissant du malheur. Quelles scènes
tragiques ont jamais fait verser plus de larmes que les dou-
leurs maternelles de Mérope et d'Idamé, que les combats
de la nature et du fanatisme dans Séide et Palmyre ; que
les accents tendres et passionnés de Zaïre , d'Orosmane ,
d'Aménaïde et de Tancrède? Jamais l'inflexible équité, la
vertu et la bonté ont-elles paru au théâtre sous des traits
plus touchants et plus augustes que ceux d'Alvarez, de Lu-
«ignan et de Zopire? Qui mieux que Voltaire a su trans-
porter sur la scène ces sentiments si chers à tous les hom-
mes , ces belles inspirations de la morale universelle qui
élèvent l'âme et la rendent meilleure? Ne fallait-il pas un
génie rare pour intéresser au langage de la philosophie na-
turelle au milieu de la lutte et du tumulte des passions.
Quel reproche fondé pourrait-on adresser à cet art si habile
à faire pénétrer les plus nobles et les plus purs sentiments
dans les cœurs à l'aide d'émotions tantôt remplies de dou-
ceur et d'attrait, tantôt déchirantes?
La muse de la comédie ne lui fut pas aussi propice. VÉ-
cossaise, VEnfant prodigue, appartiennent plus au genre
du drame bourgeois qu'au genre comique. Ce qui tient à ce
dernier dans ces pièces est plutôt de la caricature ou de la
satire. Dans Nanine, que Ton revoyait toujours avec plaisir
lorsque les rôles principaux étaient bien joués , Voltaire ,
fidèle à la mission qu'il s'était donnée , avait encore voulu
combattre un préjugé, et ce n'était pas le moins tenace.
Ce fut par sa Henriade et par ses belles tragédies que
Voltaire commença d'exercer son ascendant sur la société
contemporaine. Sous l'impulsion de Voltaire , l'amour de
la tolérance et de l'humanité devint là passion du dix-hui-
tième siècle ; l'antipathie de l'époque déclara une guerre à
mort aux préjugés. On se tromperait toutefois si l'on n'at-
tribuait qu'à Voltaire cette révolution morale. Son génie en
fut sans doute le plus puissant mobile ; mais l'âge précédent
l'avait vue naître, et Voltaire lui-même en avait éprouvé
l'influence. Deux hommes surtout, vers la fin du règne de
Louis XIV, avaient préparé une ère nouvelle. Sous les for-
mes séduisantes de la mythologie antique, l'amour du genre
humain , tel que le commande et l'inspire le livre saint des
chrétiens, avait rempli de l'attrait le plus touchant toutes
les pages de ce mannifique traité d'éducation royale où la
phime de l'archevêque de Cambrai empruntait à l'imagina-
tion et à l'invention poétiques tous leurs attraits, pour ensei-
gnerau duc de Bourgogne la plus pure morale avec les devoirs
des princes. Dans ce livre si original et si neuf, quoique tout
empreint du goût et revêtu du costume de l'antiquité, et dans
ses Dialogues des Morts, c'était un sentiment sublime d'hu-
manité que le vénérable F é ne Ion avait voulu graver à ja-
mais au cœur de son élève. Des écrivains appartenant aux
communions proscrites en France , Jurieu , les Basnages ,
Saurin, Leclerc, réfugiés en Hollande, le philosophe Locke
en Angleterre , étaient entrés aussi dans la lice, au nom de
leurs coreligionnaires, pour combattre l'intolérance et la
persécution. Mais en tête de cette ligue brillait par son es-
prit, son immense érudition et la plus habile dialectique, un
homme que la France avait repousse de son i^ein. Cet homme
était Ba y le. Si l'on trouvait son style incorrect et négligé,
il plaisait cependant par une facilité ingénieuse, vive et na-
turelle. Bayle laissait courir sa plume, certain de se faire
lire. Une logique serrée et pressante, une raison que le sen
timent des maux publics rendait quelquefois éloquente, une
ironie maligne et piquante sans aigreur, rappelaient vive-
ment les esprits à cette morale , à celte religion tolérante ,
dont tous commençaient d'éprouver le besoin et l'attrait.
On ne se fait pas aujourd'hui l'idée de la révolution produite
alors dans les intelligences par les nombreux écrits de Bayle,
révolution attestée par les écrivains contemporains. On
oublie combien l'inlluence de cet esprit sceptique sur toutes
les questions de philosophie spéculative, mais ferme dans
ses idées de justice primitive et d'humanité, conserva d'em-
pire au dix-huitième siècle. Pour quiconque a lu Bayle et
Voltaire , il est évident que le poète s'était fait le disciple
du philosophe. Voltaire reçut de l'illustre réfugié l'impul-
sion qu'il communiqua à son siècle : zèle ardent pour le;;
progrès de l'humanité et de la tolérance ; horreur pour la
crédulité aveugle , haïe , poursuivie , comme la cause pre-
mière et le plus redoutable de tous nos maux. Toutefois, le
scepticisme de Voltaire sur les mystères et sur les dogmes
catholiques, manifesté de bonne heure dans la fameuse
Epitre à Uronie ou Le Potir et le Contre, ne s'étendait
pas d'abord au christianisme évangélique. La sublimité de
sa morale parlait au cœur du poète. La religion pure de
944
Jésus lui inspirait une tendre v(5nération. On a vu quelles
autres impressions le précipitèrent dans une liostilité effré-
née contre les croyances clirétieunes. Montrons comment
sous la dictalure de ce puissant génie son siècle se laissa
emporter encore plus loin que lui dans cette déplorable voie.
C'est par les efforts nouveaux de l'art dramatique que se ré-
vèle d'abord l'ascendant de la pensée de Voltaire. Olympie,
Les Giièbres, Les'Scytfies , Les Lots de Minos, donnèrent
naissance à Mélanïe, a La Vestale de Fontenelle,aux Drui-
des de Leblanc, aux Jammabos, à toutes ces prétendues
tragédies dont les auteurs, la plupart étrangers au grand
art de leur maître, si habile à mêler la plus pure morale
au plus touchant langage des passions , oubliaient que le
théâtre n'est ni un temple ni un lycée. L'exemple et les suc-
cès de Voltaire dans U Enfant prodigue, ÎS'anine et L'É-
cossuise, contribuèrent aussi à dénaturer la comédie. Pen-
dant cinquante ans, Le Méchant el La Métromanie ex-
ceptés, la muse comique, s'égarant tantôt dans la métaphy-
sique sentimentale de Marivaux , tantôt dans les sentiers
de l'école larmoyante, fondée par celui que Piron appelait
si plaisamment le révérend père La Chaussée, sembla
avoir perdu sa verve et sa gaieté. A peine en relrouve-t-on
quelques traces dans les meilleures pièces de Destouclies.
Ce fut par les Lettres philosophiques sur l'Angleterre
que Voltaire commença, comme prosateur, cette guerre
aux préjugés, dont ses poëmes avaient donné le signal.
Dans ce premier manifeste du réformateur, il ne se bornait
pas à propager en France la renommée de Bacon, de
Locke, de Newton, de Shakespeare, d'Addison et de Pope;
il s'y faisait en même temps la trompette de ces libres
penseurs, adversaires de toutes les croyances qualifiées
par eux de superstitions. A la tête de ces sceptiques
étrangers figurait ce lord Bolingbroke, célèbre par son
esprit et par ses querelles politiques. C'était auprès de lui
que l'esprit sceptique et l'incrédulité de Voltaire avaient
puisé de nouvelles forces. Le nom de Bolingbroke servit
bientôt à couvrir les attaques du nouveau pyrrhonien contre
la révélation chrétienne.
Une œuvre de bien plus longue haleine , que sa raison
et son goût exquis n'eussent jamais drt cesser de préparer
avec gravité , l'Essai sur les Mœurs et l'Esprit des Na-
tions , ne tarda pas a témoigner de sa constance à poursuivre
ce qu'il jugeait le plus grand des travers et des abus, l'em-
pire de la superstition fondé sur une crédulité aveugle. Aussi
l'intérêt et la vérité historiques sont-ils trop souvent immo-
lés à cette passion dans ce livre, où l'auteur montre d'ail-
leurs un sens si droit, une sagacité si rare, un jugement si
sûr, un amour si sincère pour l'humanité et la justice, toutes
les fois qu'il se dégage du joug de sa préoccupation. Malheu-
reusement, il revient bientôt à l'idée que la philosophie n'est
qu'une lutte acharnée contre le sacerdoce ; et alors le sar-
casme, l'ironie amèreou plaisante, la pasquinade même, souil-
lent cette plume si habile à peindre les faits et les hommes.
En composant cet ouvrage , Voltaire , épouvanté des maux
de la race humaine, avait fait un pas de plus dans la triste
carrière du scepticisme. Il s'était persuadé que le souverain
de la nature se bornait, même pour le genre humain, au soin
de la conservation des espèces, laissant les ind ividus sous l'em-
pire des lois matérielles de production et de destruction. On
eût dit que l'âme sensible de Voltaire, pour échapper au tour-
ment d'une indignation et d'une pitié stériles, avait cherché
un refuge dans ce système désolant du fatalisme, qui ne
prouve que le désespoir de rien expliquer. Une fois lancé
dans cette voie , il y devait faire encore des pas plus rapi-
des. Son poëme sur le Désastre de Lisbonne était déjà une
protestation contre l'ordre providentiel dans le monde. La
réponse si vigoureuse et si éloquente de J.-J. Rousseau ne
fit qu'allumer sa bile. Il écrit alors ce roman de Candide, le
type de presque tous ses autres romans ou contes , et de
tant d'autres écrits de ce genre, composés à l'imitation du
modèle ou dictés par le même esprit. Gais et amusants ,
quand le spirituel auteur ne livre au ridicule que des travers
VOLTAIRE
et des vices , les romans de Voltaire , et surtout son Can-
dide, dégénèrent en satire amère et révoltante quand il ne
craint pas d'insulter par un rire grossier aux misères de la
race humaine et au malheur des victimes de l'oppression.
Candide est le premier de cesfactums contre la Providence
dont l'Europe a été depuis inondée, et qui par bonheur
sont presque tous aussi ennuyeux que leur modèle est quel-
quefois plaisant; mérite, au reste, qui n'est qu'un tort de
plus. C'est à propos de Candide que Thomas, honnête
liomme et vrai philosophe , disait, avec cette emphase qui
lui était assez familière : « Ce Voltaire est un mauvais
génie qui est venu rire d'un rire de démon sur les maux de
l'humanité, et qui a déshonoré l'espèce humaine. »
Les accès de bile et d'humeur, le penchant à une raillerie
sans frein, mais principalement les progrès toujours crois-
sants de son animosifé implacable contre le sacerdoce et le
christianisme , soufflèrent en effet trop souvent à Voltaire
des inspirations d'un mauvais génie. Par quel travers , entre
autres, alla-t-il choisir pour la souiller une héroïne qui
avait sauvé la France, et à qui, comme on l'a dit, la Grèce
et Rome eussent élevé des autels? Tout devait la lui rendre
sacrée : ses vertus, son patriotisme , son dévouement si pur
et si désintéressé, sa gloire, le lâche abandon dont elle fut
la victime, son courage héroïque devant ses bourreaux , sa
pieuse résignation au milieu du plus affreux supplice. Lui-
même avait éprouvé l'admiration qu'inspire un si beau ca-
ractère, la pitié due à tant de malheurs. 11 avait rendu à
Jeanne d'Arc un digne hommage dans son Histoire géné-
rale; et c'est cette héroïne, consacrée par la gloire et par l'in-
fortune, qu'il va chercher pour la salir. Comment donc ex-
pliquer cet inconcevable acharnement contre la mémoire
de ia guerrière d'Orléans , sinon par la haine violente de
l'auteur contre le christianisme? Jeanne d'Arc croyait, et
avait été martyre de sa foi. C'était là tout son crime aux
yeux de Voltaire ; mais ce crime, il le trouvait irrémissible.
Vertu, héroïsme, malheur, rien ne pouvait obtenir grâce
pour la Clorinde française, il fallait qu'elle fût punie de sa
foi parle ridicule et l'outrage, au risque d'un attentat contre
l'honneur et la patrie.
Toutes ces œuvres de Voltaire , VEssai d" Histoire uni-
verselle moderne , Candide , ses autres romans, et cette
épopée que l'on n'ose pas même nommer, mais dont l'his-
toire des mœurs commande cependant de signaler l'exis-
tence trop célèbre, exercèrent sur la société , en France et
en Europe, des influences de natures fort diverses. VEssai
sur V Esprit des Nations ouvrait une carrière nouvelle; car
l'œuvre si originale et si profonde du Napolitain Vico était
restée à peu près inconnue. Esquisser la marche de l'esprit
humain, rechercher et montrer les causes qui en avaient
arrêté , retardé ou accéléré les progrès , c'était créer une
philosophie de Vhistoire. Le génie de Voltaire était le pre-
mier qui lui assignât pour but le tableau du sort des peuples
dans tous les âges. Pour la première fois, on sortait de
l'ornière des récits de combats, des négociations, des que-
relles et des manœuvres, si souvent inutiles ou funestes,
de la politique. L'histoire cessait d'êtreun panégyrique com-
mandé à la flatterie par des hommes puissants ou une sa-
tire inspirée par la haine et l'aveuglement des factions;
service immense rendu par Voltaire , œuvre accomplie avec
toute la supériorité de son esprit et de son talent, toutes
les fois qu'il sait rester fidèle à son noble projet, et qu'il ne
cherche que la vérité, sans se laisser écarter du but. Ceux
des historiens venus après Voltaire qui lui ont eu le plus
d'obligation pour la direction donnée par lui à l'histoire , et
pour les lumières qu'il a su y répandre, sont les historiens
anglais. C'est sa philosophie de l'histoire qui a servi de
guide à Hume , à Robertson , à Gibbon. Aussi le second de
ces écrivains célèbres lui a-til rendu un légitime et digne
hommage.
Nous ne suivrons pas Voltaire dans cette multitude de
productions variées , contes , dissertations , brochures , pam-
phlets, armes détrempe tantôt vigoureuse, tantôt légera,
VOLTAIRE
945
que son esprit souple et intarissable lançait sans cesse contre
les préjugés qu'il trouvait ridicules , contre les alius qui
l'indignaient et contre les erreurs qui révoltaient son âme.
A quoi bon s'appesantir aujourd'hui sur cette foule d'écrits
de toutes les formes dont il harcelait avec une infatigable
persévérance le sacerdoce et la religion? Parmi toutes ces
compositions en prose de la même époque, une seule a pris
rang au nombre de ses œuvres les plus estimées. Toujours
on la relit, ou du moins l'on aime à la consulter. C'est le
Dictionnaire philosophique, meilleur sous sa première
forme, et bien moins mélangé que depuis qu'on l'a rempli,
sous ce litre, d'essais étrangers à l'intention primitive, et
dont l'amalgame n'est pas toujours heureux.
Quand il ne dédaignait pas le rôle de pamphlétaire et d'é-
crivain de brochures. Voltaire n'avait qu'un but: se mettre
à la portée de tout le monde , introduire sa pensée dans
tous les esprits, populariser le mépris et la haine de tout
ce qu'il regardait comme abus. Il s'était constitué le direc-
teur, le régulateur de toutes les intelligences, pour décré-
diferet pour détruire. C'était là son œuvre. Cette œuvre ne
s'accomplit que trop, et bien au delà de sa volonté. La partie
positive de sa foi était tout entière dans son respect pour
la Divinité, dans une pitié active pour le malheur, dans un
zèle ardent pour les progrès de l'esprit humain et pour les
intérêts de l'Iiumanité , toutes les fois que son indignation
et son dédain moqueur pour la sottise ne le portaient pas
à accabler les hommes d'un injurieux mépris. Comment
donc s'étonner de cet incroyable ascendant exercé pendant
soixante ans par Voltaire sur ses contemporains? Parmi
tous ces grands hommes dont la France s'honore, n'est-il
pas l'esprit le plus éminemment français, et notre littéra-
ture n'était-elle pas alors la littérature universelle? Comment
ce caractère si passionné, si mobile, cet esprit si souple, si
flexible, toujours prêt à tout braver en semoquantde tout ,
ce setis si prompt à tout saisir, ce discernement si juste et
souvent si profond , cette raison si habile à se dégager des
grelots de la folie, pour s'élever par moments à de hautes
et graves pensées, n'auraient-ils pas séduit, enivré une na-
tion représentée îivec tant de fidélité et d'éclat, dans ses
qualités comme dans ses défauts, et avec elle la portion
■ éclairée des antres nations que dominaient alors l'esprit
français et les lettres françaises? Aussi voyez avec quel in-
térêt, avec quelle anxiété on attend toutes les feuilles , vers
ou prose, qui doivent arriver des Délices ou de Ferney , avec
quel empressement on les reçoit, avec quelle avidité on les
dévore! Voyez comme les écrits du patriarche passent de
main en main, comme on les commente, comme tous les
esprits s'imbibent goutte à goutte de cette liqueur enivrante
du génie .sans que jamais la foule des amateurs s'inquiète
trop de la qualité et des résultats. Au reste, cette admira-
lion pouvait se justifier jusque dans ses excès par de meil-
leurs titres que les prodiges mPmes d'un inépuisable génie ;
car au milieu de toutes ces feuilles frivoles, en vers et en
prose, arrivaient à Paris et se répandaient dans tous les
coins de la France et de l'Europe des mémoires éloquents,
pleins de courage, de raison et d'énergie où Voltaire plai-
dait la cause des malheureuses victimes que l'erreur, l'igno-
rance ou des passions non moins coupables avaient fait périr
dans les supplices ou menaçaient de sacrifier. Comment
n'eût-on pas respecté , aimé l'ardent- et intrépide défenseur
des Calas, des Sirven, des Monbailly, des Lally, et de tant
d'autres martyrs de la violence et de l'injustice? Voltaire,
au déclin de sa carrière , semblait s'être investi de deux mis-
sions nouvelles. Il avait pris en main la cause des miséra-
bles poursuivis par des tribunaux égarés ; il épousait en
môme temps les intérêts des populations opprimées par un
mauvais système de finances, ou par de vieux abus nés de
mauvaises lois et de mauvaises coutumes enracinées par le
temps. C'était pour cette nombreuse et dernière classe
d'hommes souffrants qu'il sollicitait des réformes auprès des
ministres, qu'il plaidait la cause de quinze mille serfs du
piont Jura et de l'abbaye de Saint-Claude, qu'il écrivait des
DICT DE LA C0NVER8. — T. XVI.
brochures telles que V Homme aux quarante écus, pros-
crit et brûlé, comme tant d'autres écrits, par ordre du
pouvoir. Ces belles et utiles missions spontanées , remplies
avec toute la chaleur et la persévérance qu'apportait dans
chacune de ses entreprises cette âme de feu , lui faisaient
pardonner par beaucoup de gens honnêtes les écarts et les
excès où l'avait entraîné cette autre et première mission de
son plus jeune âge, l'œuvre capitale de sa vie, cet apostolat,
spontané aussi, contre la superstition et le fanatisme , quoi-
qu'il eût dégénéré, sous l'influence des contradictions et des
persécutions, en colère implacable et en guerre acharnée
contre la plus belle et la pUis pure des religions positives,
la seule que l'homme de bien véritablement éclairé recon-
naisse comme marquée du sceau d'une révélation réelle par
la sublime perfection de la morale et de la vie du révélateur.
En résumé, pitié sincère et ardente pour les soufirances
des malheureux, haine vigoureuse contre tous les genres
d'oppression, raison exquise, talent prodigieux appliqués
avec une admirable constance à la défense des opprimés» et
à la propagation des sentiments généreux : voilà les qualités
de Voltaire, voilà .ses litres à une a Imiration reconnaissante!
Hostilités coupables autant qu'insensées contre les croyances
naturelles à l'homme, folles attaques contre les révélations
de la conscience éclairée par la raison en philosophie mo-
rale et religieuse , absurde mépris des mœurs domestiques
manifesté par de trop fréquents outrages à la pudeur et aux
vertus du foyer; en somme, violentes et incessantes at-
teintes portées aux colonnes de l'édifice social : voilà les er-
reurs et les excès dignes de réprobation dans ce génie im-
mense, toutes les fois que ses passions l'égarent. Croire,
comme lui, qu'il suffisait de détruire ce qu'il jugeait nui-
sible tut une erreur pleine de périls. En portant la cognée
dans la forêt des préjugés, il fallait se garder d'abattre les
arbres qui abritent le genre humain sous leur oud)rage et
l'alimentent du suc de leurs fruits. A quoi sert-il de savoir
ce qui n'est pas , si l'on ignore ce qui est et ce qui doit
être? Comment le voyageur suivra-t-il avec sécurité une
route environnée de précipices, s'il lui manque la lumière
qui seule peut le guider? Voltaire a encombré cette route
de ruines. Il a légué à noire temps un travail immense
pour les réparer. Nous nous épuisons en efforts pour re-
construire sur de solides bases l'édifice que sa main puissante
a si fortement aidé à renverser.
Ce que l'on ne sait pas assez, et ce que prouve cependant
l'étude des faits , c'est que dans toutes ses querelles avec
les gens de lettres et les journalistes il ne fut presque ja-
mais l'agresseur, au moins de propos délibéré, etqu'il était
toujours prêt à pardonner l'injure elles torts les plus gra-
ves, pour peu qu'on en marquât du regret. Sa compassion
l'emportait toujours sur son ressentiment. Les longues ini-
mitiés qui mirent aux prises l'auteur de La Henriade avec
les deux hommes par qui le nom de Rousseau est devenu si
célèbre, offrirent au monde lettré un affligeant spectacle.
Voltaire a exprimé ses regrets sur ses querelles avec le
grand poêle lyrique après la mort de celui-ci. Quant au
philosophe de Genève, les partisans exclusifs de son adver-
saire ont voulu mettre tous les torts du côté du premier.
Nous ne pouvons nous-même oublier que La Harpe nous
tint chambré chez ïalma toute une soirée pour nous prouver
que c'était Jean-Jacques Rousseau qui avait persécuté Vol-
taire. Le tort de Jean-Jacques fut d'avoir adressé à son il-
lustre contemporain une déclaration de haine. Il y avait
entre les deux grands hommes incompatibilité d'humeur.
Dans leur querelle , tout l'honneur fut pour Rousseau. Il
souscrivit pour la statue de celui qui avait oublié jusqu'à
son esprit et son talent en composant contre lui La Guerre
de Genève. Jamais Jean-Jacques ne parlait de Voltaire
qu'avec équité et admiration. « Ses premiers mouvements,
disait-il, ont toujours été bons. Peu d'hommes en ont eu
d'aussi beaux. La réflexion seule le rend méchant. » Lors
du triomphe de Voltaire au Théâtre-Français, quelqu'un
croyant faire sa cour à l'adversaire du poète, tournait cette
60
946
VOLTAIRE — VOLVOCIENS
solennité en dérision : « Eh ! qui donc y couronnera-t-on ,
s'écria Rousseau , si ce n'est pas celui qui l'a illustré pendant
soixante ans 1 « Aubert de Vitry.
VOLTEHRA, chef-lieu de sous-préfecture dans la pré-
turede Pise( grand-duché de Toscane), ville de 4,000 habi-
tants , située sur une haute montagne , à la gauche de l'Era ,
siège d'évêché, possède une cathédrale, plusieurs éghses et
couvents , un séminaire, un collège, une citadelle servant de
prison d'État, des restes de murs cy clopéens, une porte antique
dite d'Hercule, et un hôtel de ville contenant une collection
d'antiquités étrusques. Il existe dans le voisinage des car-
rièiesde marbre, de plâtre et d'alhàlre , des salines et des
mines de houille. Cette ville s'appelait mutrdois Volaierrse ;
c'était la plus grande des douze dont se composait la confé-
dération étrusque. Plus tard, elle devint une colonie ro-
maine et obtint les droits de municïpiuin. Dès cette épo-
que on exploitait ses salines et ses carrières d'albâtre.
VOLTERRA (Daniel da). Voye:, Ricciarelli.
VOLTIGE. C'est, en termes de manège, l'acte de
monter légèrement à cheval avec ou sans étriers, que le
cheval reste en place ou qu'il galope, et, <lans cette posi-
tion, d'exécuter divers sauts ou tours de force. Quelques
voltigeurs ont aujourd'hui remplacé les sauts et tnurs de
force par des poses mimées, qui ne manquent pas de grâce.
Le mol voltige, qui est d'origine assez récente, désigne
aussi une sorte de corde lâche sur laquelle des danseurs de
eorde ou funambules dansent ou exécutent des exercices
de parade. Par extension , on appelle ainsi ce genre d'exer-
cice : Être habile dans la voltige.
VOLTIGEUR. Ce mot est du dernier siècle s'il se prend
dans le sens de bateleur, il est de celui-ci s'il se rapporte
*! l'organisation actuelle de l'infanterie française. Ce fut dans
les dernières années du régime républicain que le premier
consul décréta l'institution des compagnies de voltigeurs ;
il ks attacha d'abord à l'infanterie légère, et bientôt après
à l'infanterie de bataille : il y avait dans cette conception
deux pensées, !'une militaire, l'autre politique. Il parvint,
en éveillant l'orgueil des nains, à en faire des rivaux des
grenadiers, et bien souvent des héros : il parvint surtout à
grossir le rendement de la conscription , en en tirant qua-
rante mille hommes de plus. Aujourd'hui les compagnies
de voltigeurs attachées à chaque bataillon sont des compa-
gnies d'élite, destinées à combattre dispersées, «t qu'on
compose des liommes les plus agiles et des meilleurs tireurs.
VOLUBILIS. Foj/es Liseron.
VOLUME (du latin volumen, dérivé de volvere,
rouler, tourner), livre relié ou broché. Les Romains dési-
gnaient ainsi un livre, parce qu'il était composé de plusieurs
feuilles attachées les unes aux autres et roulées autour d'un
bâton appelé cylindrus ; de là leur expression evolvere H-
ôrMW , dérouler un livre, équivalant a celle de lire un livre,
parce que pour le lire il fallait le déroider.
On appelle volume, en termes de physique, la grandeur
de l'espace qu'occupe un corps , abstraction faite de sa forme.
A poids égal , te volume de deux corps est en rapport
inverse de leur épaisseur. En chimie, le rapport du volume
dans lequel se combinent des corps gazeux est d'une
grande importance pour le poids de leur mélange. On ap-
pelle théorie du volxime celle suivant laquelle, dans les
corps gazeux les volumes et les équivalents correspondent
ou du moins sont à l'égard les uns des autres dans des rap-
ports détenninés ; elle est l'opposé de celle qu'on appelle
théorie corpusculaire.
En géométrie on appelle vo/ume tout objet qui a longueur,
largeur et profondeur ou épaisseur. Voyez Capacité et So-
lide.
VOLUPTE. Pour le plus grand nombre il n'y a qu'une
espèce de volupté, celle qui provient de la satisiâction des
sens, et plus particulièrement du penchant qui entraîne un
sexe vers l'autre, penchant auquel est attachée la reproduc-
tion de l'espèce. Ainsi compris le moivolupté est synonyme
de délices. Le penchant trop vif à la satisfaction de ce '
sentiment ne fait pas seulement dominer dans l'homme le
côté faible, et sous ce rapport déjà il est contraire à la rai-
son; mais il a encore pour résultat, par les excès auxquels
il entraine, de détruire le respect de la dignité humaine
chez les autres , et dès lors il devient le plus grand ennemi
de toute société domestique et civile.
Il existe pourtant encore une autre espèce de volupté,
la volupté de l'âme. Celle-là consiste dans la pratique de la
vertu, Aristip|)e le stoïcien et Épicure s'accordent dans la
délinition qu'ils en donnent. C'est, disent-ils , l'égalité de
l'âme, la modestie de la vie, la modération , la justice qui
pèse tout, la prudence qui signale les écueils, la force qui
fait supporter l'excès des maux , et enfin la tempérance qui
les écarte. C'est de celte volupté-là que parle l'Écriture en
disant que les justes seront abreuvés dans un torrent de
voluptés.
La mythologie ne pouvait manquer de s'emparer de ce sen-
timent, le plus répandu dans l'univers, de ce sentiment qui,
dit Lucrèce , en est l'àme et la joie , et de le diviniser. Les
Latins l'appelèrent Volupia. Fille de l'Amour et de Psyché
(de l'âme ) , elle avait à Rome un petit temple ; elle y était
assise sur un trône , ayant les Vertus sous ses pieds. Sur
son autel, auprès de sa statue, était celle de la déesse du
Silence ; en effet, comme la douleur excessive, le vrai plaisir
est presque muet.
Il faut, comiDc :iux tombeaux, du silence aux amours.
Quant à son iconographie, la Volupté est représentée non-
chalamment couchée sur un lit de fleurs , et tenant d'une
main un globe de cristal qui a des ailes ; ces dernières sont
l'emblème des rapides plaisirs , et le premier de la riante
nature qui nous les offre. C'est une belle lèmme, entre la
jeunesse et la maturité, ayant de l'embonpoint, des cheveux
bouclés d'un poli admirable, tombant sur ses épaules demi-
nues et caressant de leurs anneaux parfumés sa gorge qui
soulève doucement une gaze vaporeuse. Son bras a la ron-
deur, la blancheur, la souplesse du cou d'un cygne. Sa main
de neige, dont les doigts sont à leur extrémité colorés d'une
teinte purpurine, effeuille machinalement des lis, des roses
et des narcisses dont le parfum provoque à la langueur,
puis au doux sommeil. Son teint, à la vérité, n'a ni la vie
ni la fraîcheur de celui de l'innocente jeunesse; mais, qu'il
soit naturel ou emprunté, vous diriez comme de celui de
Cyntliie, l'amante du poète Properce :
C'est lu neige mêlée au vermillon du Tage ,
Dans les flots d'un lait pur c'est la rose qui nage.
Il est encore une volupté mystique et rêveuse qui appar-
tient à notre croyance religieuse ( voyez Extase et Contem-
plation). Denne-Baron.
VOLUPTÉ DOLORIFIQUE. Voyez Douleur phy-
sique , tome vu, page 796.
VOLUTE (du latin voluta, lait de voluto, j'entoure),
enroulement en spirale, représentant une écorce d'arbre
tortillée: c'est un des principaux ornements des chapiteaux
ionique, corinthien et composite. Vitruve dit que les vo-
lutes représentent la coiffure des femmes et les boucles de
leurs cheveux. Il y a quatre volutes au chapiteau ionique
ancien, et huit au chapiteau moderne ; il y en a seize au
chapiteau corinthien, savoir, huit angniaires et huit plus pe-
tites qu'on appelle hélices; enfin, il y en a huit au chapi-
teau composite. Les volutes servent aussi d'ornements aux
modillons et au consoles. On leur applique différents noms ,
comme angulaire , arrasée, à tige droite, à l'envers, etc.,
d'après leur situation et les divers contours que les anciens
leur ont donnés.
VOLVOCIENS , famille d'infusoires comprenant, outre
le genre type, le volvox globator (ainsi appelé parce que
les mouvements de ces infusoires ressemblent à ceux du
globe terrestre) , les genres pandorlne , gonium et uro-
glène. L'histoire du développement de ces infusoires n'est
pas suffisamment connue. Il se pourrait même que les trois
VOLVOCIENS — VOPISCUS
947
genres pandorine, goniumet uroglène ,\or&qa'on connaîtra
mieux leur reproduction et l'histoire complète de leur vie ,
ne méritassent plus d'être rapprochés des volvox. Le volvox
globator, c^\ a paru aux premiers micrographes être une
espèce dont tous les individus sont simples , a été considéré
dans ces derniers temps, par MM. Elirenberget F. Dujar-
din, comme une agglomération ou une sorte de polypier
constitué par des individus monadifornies ou amybiformes
placés à la surface d'une membrane homogène, sphéroïde,
remplie d'eau. Nos propres recherches nous ont conduit aux
conclusions qui suivent : 1° L'individualité des voiwa; n'est
point multiple, et thaque volvox est un véritable individu
simple agame > en même temps gemmipare et ovipare. On
n'a point encore réuni un nombre suffisant de faits pour
affirmer ou infirmer leur fissiparité. 2" Le genre volvox,
que nous avons rangé dans la classe des infusoires homo-
gènes ou aplozoaires ciliaires, c'est-à-dire pourvus de cils
vibratiles, ne forme qu'une seule espèce bien connue (le
volvox globutor). Le volvox aureus ( Ehrenberg) n'est ni une
variété du volvox globator, comme l'a cru O.-l''. Muller,
ni une espèce distincte; c'est le volvox globator se repro-
duisant par des œufs. L. L\ukent.
VOLVULUS (Pathologie). Fo//es Ileus et Intestin.
VOLZ ( Hans). Voyez Folz.
VOMI-PURGATIF. Voye-^ Lekoy (Drogue ou Mé-
decine ).
VOMIQUE (Noix), nux vomica. On donne ce nom
aux graines A\x strychnos nux vomica, vulgairement appelé
vomi qui er , l'un des poisons végétaux les plus violents,
mais dont la thérapeutique sait se servir comme d'un moyen
curatif des plus énergiques. La noix vomique contient deux
alcaloïdes très-vénéneux, la. strychnine el la brucine. Elle
agit surtout sur la moelle épinière, provoque par consé-
quent des crampes ( en particulier le tétanos) et des para-
lysies ; mais dans beaucoup de cas elle produit des effets
très-salutaires. On l'emploie à petites doses (notamment la
teinture de la nux vomica) dans les affections de l'esto-
mac et des intestins. Pendant longtemps on n'en avait fait
usage que pour se débarrasser des animaux malfaisants.
. VOMIQUIER, nom vulgaire du strychnos nux vo-
mica , genre de plantes arborescentes de la famille <les lo-
gauiacées, de la pentandrie-monogyniedii système de Linné,
qu'on rencontre sur la côte de Coromandel et dans les forêts
cl« la Cochinchine. Cette espèce n'a ni épines ni vrilles ; ses
feuilles sont ovales, glabres, tantôt aiguës, tantôt obtu-
ses, à trois ou cinq nervures; son fruit est globuleux ,
d'un fauve rougeàtre , à peu près de la grosseur d'une
orange. Les graines qu'il contient sont presque circulaires,
d'un gris verdâtre, luisantes et soyeuses. Leur substance
est très-dure , et ne peut être réduite en poussière qu'au
moyen de la râpe. Leur saveur est très-àcre et très-amère.
Leur action est vénéneuse au plus haut degré; et elles sont
connues depuis longtemps sous le nom lie noix vomique.
VOMISSEMEIXT , expulsion convulsive des matières
liquidas ou solides contenues daoa l'estomac et rejetées par
la bouche. On distingue trois espèces de vomissements :
1" le vomissement idiopathique ou vomissement nerveux
( voyez Gastralgie ), où il y a absence des symptômes pou-
vant déceler l'existence d'un squirrhe , d'un cancer, d'une
gastrite, et présence désignes tendant à faire reconnaître
la prédominance nerveuse ; 2" le vomissement sympathi-
que, dont la source parait être dans une exaltation de la
sensibilité nerveuse ; 3o enfin, le vomissement symptoma-
tique, le plus grave de tous, qui dénote l'existence d'une
lésion matérielle appréciable de l'estomac. Le traitement
du premier exige toutes les ressources antiphlogistiques
(sangsues au creux de l'estomac, cataplasmes à la même
région , boissons délayantes, etc. )• Le vomissement causé
par un obstacle au cours des matières réclame l'emploi des
moyens propres à lever cet obstacle ( bains , lavements laxa-
tifs, etc. ). La diète est naturellement le premier moyen au-
quel il faut recoarir ; elle doit être plus ou moins sévère
suivant le degré, la durée , la nature de ces vomissements,
et surtout suivant les phénomènes locaux et généraux qui
les accompagnent. A cet égard il n'y a que l'homme ot,
l'art qui puisse prononcer.
VOMISSE.\IEi\T DE SANG. Voyez Hématémèse.
VOMISSEAIENT NERVEUX. Voyez Gasthalgie.
VOMITIF. On comprend sous ce nom , dérivé du
latin vomitivus , des substances pharmaceutiques ayant la
propriété de provoquer le vomissement. L'émétique , l'i-
pécacuanha, sont les vomitifs qu'on emploie presque exclu-
sivement, mais il en existe une foule d'autres. Comme c'est
là une médication violente, entourée quelquefois de graves
périls , c'est avec raison qu'il est interdit par tous pays aux
pharmaciens de délivrer des vomitifs, de quelque nature
qu'ils soient , autrement que sur la prescription d'un mé-
decin. Pris mal à propos un vomitif peut facilement ame-
ner la mort, ou toutàu moins entraîner un état de langueur
pour le restant de l'existence. Ceux qui prennent souvent
des vomitifs deviennent ordinairement malades de l'estomac.
VOMITO NEGRO. Voyez Fièvre Ja^ne.
VONDEL (Joost Van den), poète hollandais, né à
Cologne, en 1587, arriva dans son enfance à Amsterdam
avec ses parents, qui étaient anabaptistes, et embrassa en-
suite les aoclriues des Arminiens. Plus tard, il se convertit
au catholicisme, et mourut en 1659. La nature l'avait
comblé de ses dons les plus heureux, et lui servit seule de
maître. A l'âge de trente ans il apprit le latin et le fran-
çais. Ses œuvres , souvent très-incorrectes , se composent
de traductions en vers des psaumes, de passages de "Virgile
et d'Ovide, de satires et de tragédies, et fureat publiées à
Franeker (9 volumes in-4°). Ses meilleures tragédies sont
Palamède, œuvre allégorique dont le sujet est la mort de
Barneveldt, et la Prise d'Amsterdam ou Gysbrecht d'A7n,s-
let ; productions qui, malgré leur incorrection, sont re-
gardées comme les chefs-d'œuvre de la scène hollandaise.
VOPISCUS (Flavius ) , un des auteurs de V Histoire
Auguste, llorissait vers le commencement du quatrième
siècle , sous les règnes de Dioclétien et de Constance
Chlore. Le préfet de Rome Junius Tiberianus paraît avoir
eu pour lui beaucoup d'égards et de considération. On dit
même que ce fut lui qui le porta à écrire l'histoire , en
l'engageant à commencer par la vie d'Auiélien. Vopiscus
s'étant rendu à cette proposition, Tiberianus fit mettre à
sa disposition le journal et l'histoire des guerres de l'em-
pereur Aurélien , que l'on conservait écrits sur de la toile
de lin , à la bibliothèque ulpienne. Cet ouvrage, que Vopis-
cus ne fit paraître que dans un âge avancé , eut beaucoup
ae succès : il est probable que ce succès l'encouragea à
continuer son histoire , en écrivant la vie de l'empereur
Tacite et celle de son frère Florien. Pour écrire la vie de
Probus, il consulta les registres du Portique de porphyre ,
les actes du sénat et du peuple ; et il dédia cet ouvrage à
son ami Celsus. En le terminant, il annonce le projet d'ex-
poser rapidement ce qu'on sait des quatre tyrans Firmus,
Saturnin, Proculus et Bonose; puis il ajoute : « Si nous
vivons , nous parlerons de ses lils. » Cette idée d'une fin
prochaine indique qu'il devait être alors dans un âge
avancé. Les vies de Carus, de Numérien et de Carln termi-
nèrent ses travaux historiques : il s'arrêta à l'époque de
Dioclétien.
Vopiscus passe pour le meilleur des écrivains de l'ffis-
toire Auguste : il se recommande par l'exactitude, la
clarté et la connaissance des faits; mais sa critique est fai-
ble et son talent d'écrivain assez médiocre. Imbu des pré-
jugés de son époque, il ajoute foi aux présages ainsi qu'aux
oracles. Il témoigne une grande admiration pour le thauma-
turge A polloni us de Tyane, et raconte plusieurs des
miracles qui lui sont attribués.
Les vies des empereurs écrites par Vopiscus forment
la continuation de celles de Capitolin , et se trouvent à
leur suite dans les éditions des Uistorix Augustx Scrip-
tores, ARTAun.
60.
948
VORACES — VOSGES
VORACES (Les), nom sous lequel est demeurée fa-
meuse une société secrète organisée à Lyon sous le règne
de Louis-Philippe par le parti républicain, et qui provoqua
dans cette ville la terrible insurrection d'avril 1834. En
dépit de tous ses efforts le gouvernement royal ne parvint
jamais à détruire cette association factieuse , qui , après la
révolution de Février, domina naturellement de plus belle
dans la seconde ville de France. Grâce aux voraces, la
liste démocratique pour les élections à la Constituante de
1848 passa tout entière à Lyon, dont les représentants
allèrent s'asseoir sur la crête de la montagne.
Nous ne voudrions pas affirmer que la société des Vo-
races n'existe plus. En tous cas, nous rappellerons que
c'est en 1848 qu'elle parvint à l'apogée de son in-
fluence. A cette époque des fêtes populaires, des mani-
festations d'hommes et de femmes , l'incendie des métiers,
la saisie du bateau à vapeur Le Vautour y l'ovation du four-
rier Gigeoux, le départ des volontaires savoisiens pour
Chambéry, l'arrestation et la séquestration d'un magistrat,
les pillages d'armes et de munitions, et surtout le projet de
renverser la statue de Louis XIV, jetaient incessamment
l'effroi dans les esprits, paralysaient les affaires et donnaient
aux voraces une importance qui les enivrait. 11 fallut en-
core une fois la guerre civile avec toutes ses horreurs pour
leur faire comprendre que l'ordre social se raflermissait et
que le citoyen Emmanuel Arago ne gouvernait ]tlus
Lyon ; les journées de juin 1849 firent de nouveau couler
bien du sang, et bien des victimes tombèrent dans les
deux partis. Fasse le ciel que Lyon ne soit plus exposée à
de pareilles épreuves !
"VORAGINE (Jacques de Varase, dit de ). Voyez
LÉGENDE dorée
VORARLBERG (Le), ou cercle de Brégenz du
comté de Ty ro I, petite contrée qui faisait autrefois un tout
à part, avec une constitution propre, est borné par le ïyrol,
par la Suisse, par le lac de Constance et parla Bavière. 11
se compose de la seigneurie de Bregenz, avec la petite ville
du même nom pour chef-lieu, de Feldkircli, de Pludenz et
de Hoiienems, et confient sur une superficie d'environ 32
myriamèlres carrés f03,761 habitants, d'origine allemande.
Le sol en est montagneux et arrosé par de petits cours
d'eau. Le Rhin en baiiine la frontière occidentale sur une
étendue de près de trois myriamèlres. C'est là que le Li^ch et
l'iller prennent leur source. Plus d'un tiers de la contrée se
compose de forêts, dont l'exploitation constitue, avec l'é-
lève du bétail, la principale richesse du pays. Les produits
de la culture des céréales ne suffisant pas aux besoins de
la consommation , on y supplée par la pomme de terre, un
y cultive aussi sur une large échelle la vigne et les arbres
fruitiers. La fabrication d'ustensiles en bois, la construc-
tion de bateaux et de maisons en bois ( ces maisons sont
expédiées en Suisse par eau), l'exploitation de quehjues
mines de fer et la navigation occupent fructueusement une
grande partie de la population. Beaucoup d'habitants du
Voraribcrg émigrent chaque année, au printemps, pour aller
travailler en Suisse comme maçons et comme journaliers ,
et s'en reviennent à l'automne dans leurs familles avec le
pécule qu'ils ont amassé. La paix de Presbourg avait ad-
jugé le Vorarlberg avec tout le Tyrol à la Bavière; mais
en 1814 le congrès de Vienne le replaça sous la souve-
raineté de l'Autriche.
VORTICELLE, genre d'infusoir es caractérisés par
un corps porté à l'extréunté d'un pédicule simple ou rameux,
contractile, en spirale. La forme de ce corps est généralement
celle d'une coupe ou d'un entonnoir à bords renversés et
garnis de cils qui, en s'épanouissant, excitent dans le liquide
un tourbillon destiné à amener les aliments vers la bouche,
située dans le bord lui-même. Ce tourbillonnement explique
ce nom de vorticelle (dérivé du latin vortex , tourbillon ).
Les vorticelles se multiplient par divisions spontanées et
par bourgeons. On en connait une quinzaine d'espèces.
VOSGES { en allemand Wasgau ). En quittant la Suisse,
les eaux du Rhin arrosent une belle et large vallée formée
par deux chaînes parallèles, et dirigées l'une et l'autre
dans le sens des méridiens , du sud au nord : à droite , le
Schwarzwald , auquel son aspect sombre et tourmenté a fait
donner le nom de Forêt Noire; à gauche, une ligne de
sommités aux formes arrondies et gracieuses, revêtue.i
d'une fraîche végétation, et que l'on appelle Vosges, du
Vogems Mons des Romains. La partie principale de cette
chaîne, qui a 160 kilomètres de longueur, s'étend en France,
où elle couvre les départements frontières du Hautet du Bas-
Rhin et ceux des Vosges, delà Meurthe, de la Moselle, à
l'intérieur. Au delà du territoire français, elle s'abaisse pro-
gressivement, et, traversant les deux provinces cis-rhénanes
de la Bavière et du grand-duché de Hesse-Darmstadt, va se
terminer vis-à-vis de Mayence. Les orographes ont fait de.s
Vosges le centre d'un système de hauteurs très-étendu, et
qui comprend toutes les élévations de la France septentrio-
nale, au nord de la Loire et du Doubs, et du sud de la Belgique,
De cette manière, lesArdenues, la forêt d'Argonne, le Hunds-
ruk, le Hochwald , le Sonnwald, l'Eifel, petit canton
volcanique fort curieux; le Hoheveen, lande sauvage au
nord de Malmedy ; les monts Faucilles, le plateau de Lan-
gres , la Côte-d'Or ; puis , bien loin de là , en Bretagne , ces
arides montagnes, dites Montagnes noires et Monts Arrée,
n'en .sont que des rameaux. C'est entre Colmar et Luxeuil
que les Vosges atteignent leur plus grande largeur : elle est
de 68 kilomètres ; ailleurs, elle varie de 28 à 40. Le versant
oriental est plus escarpé que l'autre ; les vallées y sont plus
profondes et moins longues qu'à l'ouest, où elles descendent
en s'élargissantvers la Moselle; là ce sont des défilés étroits,
entre de hauts rochers, et d'un accès difficile, surtout vers
le centre. Les Vosges ont tous les caractères des montagnes
secondaires : des pentes douces, des formes arrondies, qui
ont valu à leurs sommités le nom de ballons, et une hau-
teur médiocre, puisque la plus élevée de leurs cimes (le
Guebweiler) ne dépasse pas 1429 mètres. Cependant, leur
constitution les classe parmi les montagnes primordiales.
Le granit en forme la base, et .s'y recouvre de diorile, de
griinstein et de grès rouge. Il y existe des mines d'argent,
de cuivre, de fer, de plomb et de houille; le fer s'y pré-
sente presque toujours sous la forme de grains ( fer granu-
laire), et ce qu'il y a de singulier, c'est que ce phénomène
se répète dans toute cette zone, embrassant le versant nord
du Morvan, de la Côte-d'Or et du plateau de Langres. On
sait de quelle importance, sous le rapport industriel, ce mé-
tal est pour tous ces pays, où il abonde plus qu'en aucune
autre partie de la France. Le bassin de la Seille offre une autre
proauction minéralogique qui, par son abondance, fait
l'une des richesses du département de la Meurthè; c'est
le sel gemme, dont la présence avait été annoncée depuis
longtemps par les sources salines de Château-Salins,
Dieuze, etc. De belles forêts de sapins revêtent les flancs des
Vosges, et le merisier, dont les fruits donnent le kirsch-
wasser, est cultivé sur leur flanc méridional. Quant aux pâ-
turages, ils sont magnifiques , et ajoutent puissamment à la
beauté des paysages, qui sont aussi riches que variés. Au pied
de la montagne des Chaumes, partie la plus sauvage de la
chaîne, de jolies nappes d'eau, les lacs de Gérardmer et de
Longemer, leur prêtent un caractère tout particulier.
La chaîne des Vosges donne naissance à plusieurs rivières
as.sez considérables : la Moselle, la Meurthe, la Sarre, l'Ill.
Strasbourg, Bitche, Phalsbourg, Metz, Mézières, Thionville,
Schelestadt , Wissembourg , Béfort , en gamis.sent les ap-
proches ou les défilés. Cette chaîne est très-importante pour
la France comme défense militaire; c'est un redoutable
rempart, dont le Rhin est le fossé. Oscar Mac Carthy.
VOSGES ( Département des). Il s'étend , entre ceux de
la Haute-Saône et de la Meurthe, au midi et au nord ; ceux du
Haut, du Bas-Rhin et de la Haute-Marne, à l'est et à l'ouest.
Sa superficie est de 587,955 hectares, dont 244,745 en terres
labourables, 129,474 en bois, 76,330 en prés, 4,490 en
vignes et plus de 60,000 en landes, pâtis et bruyères. La po*
VOSGES — VOSS
949
pulation est de 405,707 habitants. Couvert à l'est par le
versaut occidental des Vosges , à l'ouest par les hauteurs
d'entre Meuse et Moselle, traversé dans sa partie méridio-
nale par la chaîne des Faucilles, qui les unit l'une à l'autre
et se continue par le plateau de Langres et la Côte-cTOr,
ce département est généralement montueux. Cependant,
au nord il y a des districts plats ; et comme les reliefs de
l'ouest ne sont comparativement aux Vosges que des col-
lines, on a partagé le pays en montagne et en plaine.
Ce pays est bien arrosé : la Meurthe, la Moselle, la Saône,
y prennent leur source : la Meuse le traverse ; la Coney,
la Vaire, la Madon, la Valogne, etc., s'y jettent dans ces
diverses rivières. Quelques étangs sont dispersés çà et là,
mais plusieurs .lacs embellissent les montagnes du côté de
Gérardmer : l'un d'eux a pris le nom de cet endroit; les
autres, situés à peu de distance, sont celui àe Longeyner, plus
petit, mais plus pittoresque, et celui de Tournemer, qui
offre des sites encore plus romantiques. Ses eaux limpides
sont dominées par d'âpres montagnes chargées de noires
forêts de sapins. L'industrie agricole de U plaine est diffé-
rente de celle de la montagne. Ici, par suite de la richesse
des pâturages, l'éducation du gros bétail en forme la base:
ses principaux produits sontdu beurre et des fromages, parmi
lesquels on cite ceux de Gérardmer et de Vachelin , façon
Gruyère; cette fabrication est évaluée par an à plus de
200,000 kilogrammes. La culture du lin, très-recherché, sa
filature et son tissage, celle du houblon (concentrée dans
le canton de Ramberviller), dont on expédie à Paris chaque
année 1?0,000 kilograuimes, et celle du merisier se parta-
gent le temps du montagnard; il engraisse aussi une grande
quantité de porcs. L'agriculture de là plaine est florissante;
les propriétés y sont très-divisées; les récoltes en grains ne
suffisent pas à la consommation, mais on en exporte beaucoup
d'avoine. On y recueille environ 150 à 200,000 hectolitres
de vin par an ; ceux de Mirecourt et de Rebeuville, près de
Neufchâteau, sont assez recherchés. 11 y a peu de départe-
ments aussi boisés que celui-ci; un cinquième de sa sur-
face est couvert de forêts, composées surtout de pins et de
sapins dans la montagne, de chênes, de hêtres, de charmes,
d'érables, de bouleaux dans la plaine.
Les mines d'argent de Lacroix , si riches au quatorzième
siècle, ont été abandonnées; mais on y exploite de nom-
breuses mines de fer, sourcede grandes fortunes ; des mines de
cuivre, de plomb, de houille; des carrières de marbre, de
granit, de porphyre, de pierres meulières, de grès, d'ar-
doises, et des tourbières. Les sources minérales y jouis-
sent la plupart d'une grande réputation; nous citerons celles
de Plombières, de Bains, âeBussangel de Conirexeville.
L'industrie manufacturière des Vosges est importante , et
s'exerce principalement sur des hauts fourneaux et des forges,
sur des aciéries , des trétileries , des ferblanteries , des tôleries
et des coutelleries , des papeteries , des scieries de planches
et de marbre, d'importantes verreries, des faïenceries et des
ateliers considérables et nombreux pour le tissage des ca-
licots et autres étoffes de coton. La boissellerie et la sabo-
terie sont aussi l'objet d'une grande exportation, ainsi que
les couteaux communs dits couteaux de Saint-Jean des
environs de Bruyères, les clous et pointes dits de Paris de
l'arrondissement de Neufchâteau, la dentelle, les blondes,
les violons et autres instruments de musique que confec-
tionne l'industrieuse population de l'arrondissement de Mi-
recourt. Les ouvrages de fer et d'acier de Plombières peuvent
rivaliser avec ceux d'Angleterre ; la carrosserie et la char-
ronnerie d'Épinal sont renommées. Cette ville possède aussi
one fabrique d'images, gravées sur bois et coloriées, où s'ap-
provisionnent tous les colporteurs qui dans la belle
saison parcourent les bourgs et les villages de France. La
plupart des rivières sont flottables, mais il n'y en a pas de
navigables.
Le département, qui a pour chef-lieu É p i n al , est divisé
en cinq arrondissements : Épinal; Mirecourt, ville de
4,931 habitants, avec une fabrique renommée de dentelle et
application de Bruxelles, d'instruments de musique, d'orguei
d'église , un collège , un tribunal civil , un tribunal de com-
merce et une chambre consultative d'agriculture; Neuf-
château, jolie ville de 3,500 habitants, avec une importante
fabrication de clous; ifemiremon^, jolie ville de 5,103 habit,
au pied des Vosges, sur la rive gauche de la Moselle; on y
trouve des fabriques de bonneterie et de cotonnades, un col-
lège communal, un tribunal civil, etc. ; et Saint-Dié. Ces
cinq arrondissements sont subdivisés en 30 cantons, renfer-
mant 546 communes. Le département des Vosges, qui en-
voie trois députés au corps législatif, ressortit à la cinquième
division militaire (chef-lieu Metz), à la cour impériale et à
l'académie de Nancy ; il y a à Saint-Dié un évêché, suffragant
de Besançon. Les autres localités remarquables sont : Ram-
berviller, sur la Mortagne, ville industrieuse, qui s'agrandit
et s'embellit tous les jours, et où l'on compte 4,647 habit.;
Gér ar dîner (b,MO habit. ) est une collection de hameaux
et d'habitations champêtres de l'aspect le plus romantique,
dispersés dans une vallée sauvage et sur le bord du lac : au
centre s'élève une jolie église; Raon-l' Étape, sur la
Meurthe, centre d'un grand commerce de boi>de construc-
tion, avec 5,640 habitants; Bussang , petite ville de 2,032
habitants, avec des sources d'eaux minérales ferrugino-ga-
zeuses, qu'on recommande dans les maladies de l'tistomac,
les affections du (oie, etc.; Plombières ; Charmes, avec
3,10 habit., sur la Moselle, que traverse un vieux pont très-
hardi : son église gothique a de beaux vitraux ; enfin, Dom-
remy-la-Pucelle, village de 350 habitants, où naquit l'im-
mortelle Jeanne d'Arc. Oscar Mac Carthy»
"VOSS (Jean-Henri), critique et poète allemand, né à
Sommersdorf, près de Wahren, duché de Mecklembourg, le
20 février 1751, se livra dès sa plus tendre jeunesse à
l'étude des classiques. A quinze ans il était déjà très-fort en
grec et en latin ; il avait même quelques notions de l'hébreu,
dont il avait entrepris l'étude seul et sans secours. Sa fa-
mille ayant été ruinée, il fut réduit à accepter une place de
précepteur, afindepouvoirplustard continuer ses études. Sur
le modique traitement qu'il recevait dans le vieux château
où il était confiné, il épargnait à grand'peine de quoi se-
courir son père et de quoi préparer l'accomplis.«ement de
ses projets. Les moments de loisir que lui laissait sa place
étaient consacrés à la musique et à la poésie. Il composa
quelques pièces, qu'il envoya aux éditeurs de VAlmanach
des Muses de Gœtlingue. L'un d'eux lui fit obtenir à Gœt-
tingue l'avantage d'une table gratuite pendant deux ans.
En 1772 Voss y donna des leçons, et suivit gratuitement
les cours de philosophie, d'histoire et de philologie. Le
célèbre Heyne dirigeait alors un établissement dit Séminaire
philologique, destine, comme notre École normale, à fournir
des maîtres pour les écoles publiques du Hanovre. Voss y
fut admis; mais c'est à cette époque que prit naissance une
inimitié déplorable entre Voss et son professeur, inimitié
qui ne cessa qu'à la mort de Heyne. A la même époque, il
s'était formé à Gœttingue une société de jeunes gens parti-
sans de la nouvelle poésie. Le jeune Voss devint bientôt le
principal membre de cette réunion, dont l'histoire littéraire
de l'Allemagne a conservé le souvenir sous le nom des Amis
de Gœtlingue , et où l'on remarquait les deux frères Stol-
berg, Hœlty, Boje, Burger, Miller, Cramer, Leisewitz,
Hahn, etc. En 1775 Voss devint rédacteur en chef de \'Al-
m.anach des Muses , qui fut publié dès lors à Hambourg, et
pour pouvoir se livrer avec plus de liberté à ses travaux il
s'établit à Wandsbeck , près de Hambourg. En 1778, ayant
épousé une sœur de Boje, il fui nomme recteur du collège
d'Otterndorf, en Hanovre. Alors il se consacra tout entier
à la traduction de ï Odyssée, qu'il devait accompagner d'un
commentaire. ïl inséra d'abord dans le Muséum et dans le
Magasin de Gœtlingue deux extraits de ses commentaires.
Heyne, qui dirigeait \e Journal de Gœttingue , donna h
son ancien élève une nouvelle preuve de son inimitié : ii tit
de très-mauvaise grâce l'annonce de l'ouvrage, et provoqua
une querelle assez frivole sur la manière dont ce dernier
950
VOSS — VOTE
écrivait roithographe des noms propres. Des articles pleins
t!e fiel furent publiés de part et d'autre. La querelle s'enve-
nima si bien que la justice fui sur le point d'intervenir. Enfin,
ce fut Voss qui céda., VOdyssée allemande fut publiée en
1780, mais sans commentaires. 11 publia la même année
une traduction complète des Mille, et 7<«e iV(a<5 , d'après
Galiand. Voss quitta Otterndorf pour aller babiter Eutin ,
dans le ducbé d'Oldembourg , avec les mêmes fonctions de
recteur. Après y être resté vingt-trois ans, pendant lesquels
sa vie n'offre rien de remarquable que ses nombreux travaux
littéraires, il fut attiré en 1805 à Heidelberg par le grand-duc
de Bade, qui venait de rétablir l'université de cette ville.
Une pension que lui fit le duc d'Oldembourg, en récompense
de ses longs services à Eutin , ajouta aux avantages de celte
situation. Ce fut à Heidelberg qu'il publia sa traduction des
Géorgiqucs de Virgile, considérée par quelques personnes
comme le cbef-d'œuvre des traductions allemandes. Cette
traduction est accompagnée de savants commentaires , pré-
cieux par la profondeur et la solidité des recbercbes arcbéo-
logiques et philologiques.
Les travaux de Voss sont immenses ; outre ses produc-
tions originales, il donna successivement des traductions
complètes A' Homère ( 1793 ), de Virgile ( 1799 ), A' Horace
( 1806-1 820 ), iV Hésiode et du prélenHn Orphée l'Aroonauff.
(1806); de Théocritc , Bïnn et Moschus ( 1808); de Ti-
hîille et de Ujgdamus (1810), d'Aristophane (1821),
à''Arafus , avec le texte et un commentaire (1824); enfin,
une traduction de morceaux choisis des Métamorphoses
d'Ovide ( 1798 ), et d'un tiers environ du Théâtre de Sha-
kespeare, ce dernier ouvrage en société avec ses deux fils.
Un grand service a été rendu à l'Allemagne par les tra-
ductions de Voss; il l'a familiarisée avec le monde antique,
par la représentation fideie du style et du génie des anciens.
Dans ses traductions se reflètent, reproduits comme dans
un miroir fidèle, la forme métrique, les détails les plus mi-
nutieux d'expression et d'idée, les inversions, et jusqu'aux
moindres traits de l'auteur ancien. C'est un calque. En li-
sant Voss, on s'étonne de la facilité avec laquelle il répète
l'empreinte exacte de la poésie grecque et latine. Voss est
le poète qui a donné à l'hexamètre le plus d'harmonie et de
précision. Ce rhythme , moins monotone que notre alexan-
drin, devient sous la plume de Voss une véritable richesse
qu'on ne saurait trop envier aux Allemands.
Passons maintenant aux poésies originales de Voss , qui
n'ont pas moins contribué à sa réputation que ses nom-
breuses traductions. On cite comme la meilleure de ses com-
positions le charmant poëme de Louise, dont le sujet n'em-
brasse que quelques scènes familières de la vie patriarcale
d'un pasteur de village. Cette idylle a inspiré à Gcethe son
Hermann et Dorothée; dans le prologue de ce joli poëme,
celui-ci invoque l'auteur de Louise, éloge rare et complet.
Les idylles proprement dites que Voss publia, au nombre de
dix-huit, de 1774 à 1800, méritent pour la plupart d'être
considérées comme des modèles. Les sujets sont pris pour
la plupart dans les traditions superstitieuses du pays , comme
dans La Colline du Géant, Le Diable enchanté, etc; d'au-
tres roulent sur la malheureuse condition des serfs et la
joie de ceux qui sont affranchis de cette misérable condition.
Voss a donné lui-même, sous le titre à^ Édition de la der-
nière main , les poésies diverses qu'il avait répandues avec
profusion dans ses Almanachs des Muses et dans différents
journaux. Cette édition porte la date de l'année 1825, et a
été publiée en quatre volumes. Élégies, fables, chansons, épi-
grammes, odes, telles sont les pièces qui composent ce re-
cueil ; elles sont toutes traitées avec le talent qui distinguait
Voss, et plusieurs morceaux lyriques brillent par une grande
vigueur de sentiments et d'idées. Outre deux volumes de
Lettres mythologiques, où il attaque Heyne avec la plus
grande violence, il a publié un grand nombre de dissertations
critiques. Mais le terme de sa laborieuse carrière approchait.
Le 29 mars 18'?.6, il fut frappé d'apoplexie, et mourut à l'ins-
tnnt même, âgé de soixante-quinze ans, Phil.'.rète Chasles.
VOSSIUS (GÉRARD- Jean VOSS, dit), l'un des savants
les plus distingués de son temps, naquit, en 1577, aux envi-
rons de Heidelberg. Il avait à peine vingt-deux ans qu'on
lui confiait la direction du collège de Dordrecht. En 1618
il accepta à Leyde les fonctions de professeur d'éloquence
et de chronologie. Quoiqu'il évitât ordinairement de prendre
part aux querelles théologiques, son Histoire du Pélagia-
nisme, imprimée en 1618, lui suscita des contradicteurs,
ou plutôt des ennemis. Il avait osé y faire une sorte d'apo-
logie des remontrants, disciples d'Arminius. Heureusement,
elle fut mieux accueillie en Angleterre , où elle lui mérita
l'estime du primat Guillaume Laud, la bienveillance de
Charles F'' et un canonicat à Cantorbéry , dont le revenu
annuel était de 100 livres sterling. En 1633 Vossius prit
possession à Amsterdam d'une chaire d'histoire. Il mourut
dans cette ville, le 19 mars 1649. Toutes .ses œuvres ont été
recueillies en six volumes in-folio (Amsterdam, 1701).
VOSSIUS (IsAAc), (ils du précédent, naquit à Leyde, en
1618. Élève de son père, il fit d'excellentes études, et con-
sacra aux lettres sa vie entière. Dès l'âge de vingt-et-un ans
il publia une édition du Périple de Scylax. En 1642 il fit
un voyage à Rome. Quoique jaloux de sa liberté, il se mit
au service de Christine, reine de Suède, qui, après avoir
entretenu une correspondance avec lui et l'avoir chargé de
conimi.ssions bttéraires, finit par l'attirer près d'elle. Il de-
vint son maître de littérature grecque et son bibliothécaire.
Il se brouilla avec Saumaise, qui l'accusait de répandre
contre lui des écrits satiriques; et Christine ajouta tellement
foi à ces accusations qu'au moment où Vossius, qui venait
de faire un voyage en Hollande, rentrait en Suède, il reçut
l'ordre de rebrousser chemin. Malgré cette disgrâce, la reine
recommença bientôt à correspondre avec lui, et plus tard
elle le revit dans les Pays-Bas. De son côté, il continua tou-
jours à parler d'elle avec respect. Une lettre de Colbert
prouve que Vossius recevait en 1662 des gratifications de
Louis XIV. En 1670 il passa en Angleterre, où Charles Illui
accorda un canonicat à "Windsor. C'est là qu'il mourut, le
21 février 1689 , laissant une riche bibliothèque, dont l'uni-
versité de Leyde fit l'acquisition au prix de 36,000 florins. La
cour de Rome avait mis plusieurs de ses ouvrages à l'index.
VOTE (du latin votum), acte par lequel , dans une dé-
libération ou assemblée quelconque , on manifeste sa volonté,
soit verbalement , soit par écrit, ou d'une toute autre ma-
nière. Ce mot sert particulièrement à désigner la manifes-
tation de la volonté dans les assemblées publiques et dans
celles de famille. Le droit de voter découle alors de condi-
tions particulières dans lesquelles doit se trouver celui qui
l'exerce : ainsi , chez nous le droit de voter pour l'élection
des députés au corps législatif, tel qu'il est établi actuelle-
ment, appartient à tous les citoyens ayant atteint l'âge de
la majorité. D'après les dispositions du Code Pénal , articles
42 et 63, le droit de vote ou de suffrage peut , dans des cas
particuliers , être interdit en tout ou en partie par les tri-
bunaux jugeant correctionnellement. Le mot votation, qui
désigne l'action de voter, est peu usité.
L'usage de voter dans les assemblées délibérantes par a^sis
et levé fut introduit pour la première fois dans les états gé-
néraux de 1789. Il s'agissait d'une adresse au roi et du mode
de présentation de cette adresse par une députation. Les avis
étaient très-divisés. La majorité inclinait pour que l'adresse
fût présentée directement au roi par une députation. Mais
devait-on s'adresser au garde des sceaux ou au grand-mattre
des cérémonies pour être informés du jour et de l'heure
où il conviendrait à S. M. de recevoir la députation? Déjà
les députés des communes avaient éprouvé un refus, sous
le prétexte de la maladie du dauphin. Enfin , après de longs
débats , l'assemblée adopta , dans sa séance du 3 juin 1789,
un arrêté par lequel elle décidait que son doyen s'adresse-
rait directement au roi pour le supplier d'indiquer aux re-
présentants des communes le jour et l'heure qu'il voudrait
bien recevoir leur députation et leur adresse. Le doyen
Bailly, pour accélérer la délibération sur cet arrêté, proposa
VOTE —
de se lever four à tonr pour Vadople.r ou le rejeter. Et
presque tout le monde se leva pour l'adopter. Telle est l'o-
rigine de l'épreuve par assis et levé.
Autrefois, à la cliambre des députés, dans le vole sur l'en-
semble des lois , (!liaq\ie votant recevait uue boule blanche
et une boule noire; l'urne du scrutin était placée devant
lui , et il y déposait la boule d'adoption ou de rejet ; il mettait
la boule inutile dans une autre urne servant tout simple-
ment à constater le nombre des votants : les secrétaires
faisaient ensuite le dépouillement des votes, dont le prési-
dent proclamait le résultat. Vingt députés avaient le droit
de demander, sur les questions à l'ordre du jour, le scrutin,
(pii entraînait le même mode d'exprimer les suffrages.
VOTIFS (Tableaux ). Voyez Ex-Voto.
VOUÊDE. Votjez, Pastel.
VOUET (Simon), peintre célèbre de l'école française,
naquit à Paris, en 15S2, vers l'époque où Jean Cousin
mourait, et douze ans avant la naissance de Poussin.
Son |)ère , peinire médiocre, mais amant passionné de la
peinture , inspira ce goilt à son lils et lui donna les pre-
mières leçons de l'art dans lequel il devait excelk'r. Jeune
encore, Simon Voue! eut occasion de voyager en Angleterre
et en Turquie avec plusieurs personnes de qualité , dont il
avait captivé la bienveillance par son esprit et ses bonnes
manières. Au retour de Constanlinople , où il avait peint
de mémoire le portrait du grand-seigneur Acbmel ]", il
passa en Italie. Après avoir séjourné à Gênes , à Venise et à
Florence , il alla se fixer à Rome. Doué d'une imagination
vive, il étudia fort peu la nature, et exécuta la plui)art de
ses tableaux de mémoire et sans le .secours d'aucun modèle
vivant : il a pourtant produit quelques beaux portraits. En
général , on peut regarder ses tableaux d'histoire comme de
grandes esquisses auxquelles il manque la spécialité qui cons-
titue les bons ouvrages. Cependant, les peintures de Vouet
plurent à Louis XIII, qui lui accorda une pension pendant
son séjour en Italie, et le lit venir à Paris en 1627. Ou a
dit que la peinture en France doit à Vouet ce que le tiiéâfre
doit à Corneille. En effet, si nous sommes redevables de la
fondation de l'école française aux profondes études artis-
tiques de Jean Cousin, à l'exécution de ses admirables pein-
tures sur verre , à son magnifique tableau du Jugement
dernier, qu'on voit au Musée, à ses délicieuses sculptures,
il ne faut pas oublier de revendiquer en faveur de Vouet
une école nombreuse d'où sont sortis les plus grands pein-
tres du règne de Louis XIV : Charles Lebrun, Pierre Mi-
gnard, Eustache Le Sueur, Laurent de La Hyre, et beaucoup
d'autres encore. Selon les apparences , Simon Vouet ensei-
gnaitmieuxla peinturequ'il ne la faisait lui-même. Son dessin
est incorrect, souvent hasardé ; son coloris sans harmonie,
parfois dur et tranché, comme dans son tableau de La Pré-
sentation au temple qui est au Musée. 11 visait à l'etlét
en jetant dans .sa peinture de grands éclats de lumière. Per-
sonne en France n'a plus travaillé que lui ; ministres et cour-
tisans, recherchaient avec avidité ses tableaux. Premier
peintre et maître de dessin de Louis XIII, il eut la vogue et
décora grand nombre de plafonds, de galeries, d'apparte-
ments. Simon Vouet mourut à Paris, en 1641, à l'âge de cin-
quante-neuf ans, dans l'appartement que Louis XIU lui avait
donné au Louvre, Ch""^ Alexandre Lenoik.
VOUILLE , village situé sur l'Aurunce , à 16 Kilomè-
tres de Poitiers, et chef-lieu de canton, compte l,ftOO habi-
tants. Pour les différentes batailles livrées sur le territoire
de cette commune , voyez Poitiers.
VOURLA, ville de la Turquie d'Asie, en Anatolie, à
35 kilomètres de Smyme, au fond du golfe de Smyrne, cé-
lèbre par sa baie, et où l'on compte environ 6,000 habitants.
Dans l'anliquité cette ville avait nom Cl a zo mènes.
VOUSSOIR. C'est le nom donné à chacune des pierres
disposées pour former une voûte ; elles sont taillées en forme
de coin tronqué par le bas , et c'est précisément ce retran-
chement qui forme la voûte. Le voussoir du milieu reçoit le
nom de clef de voUte. Dans les grandes archea des ponf s ,
VOYAGES 951
y les voussoHs ont jusqu'à 2 mètres 33 centimètres de hauteur
sur une épais.seur de moins de 33 centimètres. Quelquefois
les voussoirs ont dans le haut une partie anguleuse, qui vient
se raccorder avec les assises de pierres a voisinant la voûte;
on les distingue alors par la qualification de voussoirs à croi-
settes; le voussoir du milieu dans ce cas a une croisetle
de chaque côté. L'architecte doit calculer l'épai.ssenr et le
poids de chaque voussoir; c'est La Hire qui le premier en
1695, a démontré que le calcul, et non le hasard, devait ré-
gler la forme et le poids de chaque voussoir.
DucuESNE aîné.
VOUSSURE , portion de voûte qui sert d'empattement
à un plafond, et en fait la liaison avec la corniche de la
pièce
VOUTE, construction cintrée, formée par l'assem-
blage de plusieurs pierres cunéiformes, c'est-à-dire taillées
en coin, auxquelles on donne le nom de voi<5soir. Toutes
ces pierres s'appuient l'une .sur l'autre, et les deux premières
posent sur les murs perpendiculaires qui, dans ce cas, re-
çoivent le nom de pieds-droits de la voûte. Le propre
poids de ces voussoirs tend à les faire descendre , tandis
que leur forme ne peut le leur permettre, puisque la partie
supérieure, ou extrados, est plus large que la partie infé-
rieure ou intrados. Les voûtes sont employées pour cou-
vrir les galeries souterraines, les égouts, les caves; dans les
grands édifices, et surtout dans les églises, on s'en sert de
préférence aux plafonds. Les dômes ne peuvent être cons-
truits qu'au moyen de voûtes. Les principales divisions des
voûtes sont : 1° la voûte en plein cintre ou en berceau,
qui est celle dont la courbure forme un demi -cercle par-
fait; 2" la voûte surbaissée , qui n'offre (lu'une portion de
cercle plus ou moins considérable, et dont le rayon est
quelquefois si éloigné qu'on sent à peine la courbure , ce
qui lui fait alors donner le nom de voûte plate; 3° la voûte
surmontée, q\}\, au contraire, a plus d'élévation que le demi-
cercle; 4" la voûte ogive, quia été fort employée dans les
constructions improprement nommées gothiques , et qui
est composée de deux portions de cercle, réunies par un
angle au sommet. On appelle voûtes biaise , en limaçon,
rampante , en arc de cloître, à' arête , en calotte, celles
qui, pour différents motifs , s'éloignent de la simplicité de
la voûte en cintre.
Les anciens Égyptiens n'ont pas connu l'art de construire
des voûtes, mais les Grecs, qui probablement en sont les
inventeurs, s'en sont servis dès les temps les plus reculés.
Les Etrusques aussi ont connu l'art de faire des voûtes , et
les Romains sous Taïquin l'ancien ont voûté le grand
cloaque, qui existe encore. Duchësne aine.
Au figuré, on appelle voûte ce qui offre de l'analogie
avec une voûte proprement dite : la voûte d'un souterrain,
d'une caverne, en est la partie supérieure, qui a plus on
mois la forme cintrée ou semi-cylindrique des voûtes de
maçonnerie. Par analogie, on dit une votîte de verdure,
pour désigner l'espèce d'abri formé par des rameaux d'ar-
bres. On ditau.ssi poétiquement roî</e d'azur, voiîte étoilée,
imite céleste, etc., en parlant de l'aspect du ciel.
VOUTE PALATINE. Foz/es Palais (Anatomie).
VOYAGES. On a toujours , et avec raison , considéré
les voyages comme lecomplément de toute bonne éducation
C'était en voyageant que les anciens se formaient; c'était
seulement au relourde leurs longues excursions qu'il deve-
naient législateur sou philosophes. Lycurgue, Solon, Pytha-
gore, Hérodote, avaient visité les contrées étrangères pour en
étudier l'histoire. Les voyages entrepris dans le but de .se
procurer des notions exactes sur les parties du globe qui ne
sont encore qu'imparfaitement connues ou qui ne le sont pas
du tout n'ont pas moins d'utilité; et on les désigne ordinai-
rement .sous le nom de voyages scientifiques. Dans l'anti-
quité, il ne pouvait pas en être entrepris dans le sens que
nous y attachons aujourd'hui ; en revanche, les expéditions
faites alors dans l'intérêt du commerce avaient une haute
importance. A cette catégorie appartiennent les voyages ex^
952
VOYAGES — VOYELLES
cutés par lès Carthaginois, les Pliéniciens et les Grecs. C'est
ainsi que !a tradition rapporte que le roi d'Egypte Nécho fit
entreprendre un voyage tout autour de l'Afrique. 11 faut
aussi mentionner les voyages de Hannon et de Hamilcon, de
Scylax de Caryanda,et de PytUéas de Massiiia, etc. Ces deux
derniers ont donné la description de leurs voyages, Scylax
sous le litre de Périple , devenu par la suite en usage
pour désigner tous les voyages du même genre entrepris
par des navigateurs grecs. On peut considérer comme des
voyages scientifiques ceux qu'entreprirent divers philo-
sophes grecs dans le but d'élargir le cercle de leurs con-
naissances. Une bonne partie des œuvres d'Hérodote est
le fruit de voyages de ce genre. Aristote mit à profit les
expéditions de son élève Alexandre pour se procurer des
renseignements sur les contrées les plus lointaines de l'Asie
et faire faire des observations. Ce que nous possédons au-
jourd'hui de la littérature romaine ne contient pas de des-
cription de voyages proprement dite, car on ne saurait ran-
ger dans cette classe les différents Itineraria parvenus jus-
qu'à nous. Le moyen âge ne nous offre qu'un petit nombre
d'ouvrages de ce génie. C'est à peine si l'on peut donner
ce nom aux récits relatifs aux expéditions des Scandinaves
aux îles Faroë, en Islande et enVinland, ainsi qu'aux expé-
ditions d'Othar et de Wulstan entreprises par ordre du roi
Alfred. En revanche, les littératures arabe et juive du moyen
âge ont à nous montrer un certain nombre de récits de
voyages qui ne manquent pas d'importance. Ainsi les
voyages des Arabes Batula , Ibn-Fohian , Albiruni , Ibn-
Djobair, du juif Benjamin de Tudela, et beaucoup d'autres
encore, sont des sources précieuses à consulter quand on
veut apprendre à connaître l'état de la société au moyen
âge, et même se renseigner sur plusieurs contrées demeu-
rées encore de nos jours d'un accès difficile. Les descrip-
tions (le voyages laites par des prêtres bouddhistes, par
exemple celle de Fahian au quatrième siècle de notre ère,
ont une grande importance pour la connaissance de l'Asie
orientale. Le moyen âge chrétien postérieur, jusqu'au
seizième siècle, nous oflre une foule de récits plus ou moins
longs , à partir surtout des croisades, (pii ont pour auteurs
des pèlerins, et qui sont relatils à la Terre Sainte, alors
objet d'une foule de voyages. Ces récits, pleins desimplicité,
émanent d'esprits pieux, qui racontent fidèlement , naïve-
ment, ce qu'ils ont vu, éprouvé et entendu , et dès lors
méritent toute confiance. Le génie du commerce provoqua
vers la fin du moyen âge, notamment chez les Véni-
tiens, un grand nombre de descriptions de voyages, parmi
lesquelles il faut surtout n)entionner les ouvrages de Marco-
Polo, de Pegalotti et des frères Zeno , sans compter beau-
coup d'autres, encore restés manuscrits. Quelle que lût la
richesse de matériaux fournis à l'histoire des voyages par
ces pèlerinages et les entreprises commerciales, le plus sou-
vent ou ne l'écrivit que pour l'orner de contes faits à plai-
sir. Il y a bien peu de descriptions de voyages datant de ces
siècles-la qui ne portent le cachet d'une époque où l'on ai-
mait les aventures et ceux qui couraient après les aven-
tures. Toutefois, l'invention de l'imprimerie imprima peu à
peu un caractère différent aux récits de voyages, dont le
nombre alla dès lors toujours croissant , surtout lorsque la
découverte de l'Amérique , les expéditions antérieures et
postérieures des Portugais dans les mers de l'Inde , jointes
à la renaissance des sciences, eurent non-seulement propagé
le goût des voyages de découvertes, mais encore ouvert aux
«avants et aux hommes curieux de s'instruire, des sources
nouvelles et incomparablement plus riches. Le grand
nombre de récits de voyages existant déjà au seizième siècle
engagea dès celte époque à en faire diverses collections,
parmi lesquelles nous mentionnerons celles de Huttich et
Grynœus ( 1532), deRamusio ( 1550 ), et d'Hakluyt( 1598).
Les voyages de découvertes proprement dits, y compris les
vovages autour du monde (uoye; Circumnavigation [Voyages
de ] ), qui commencent avec celui de M a g e 1 1 a n, sont à citer
en première ligne, avec les expéditions entreprise^» au nord à
la recherche d'un passage au nord-ouest ( voyez Nord
[ Expéditions au pôle ]). Depuis que la mer du Sud est
complètement ouverte au commerce du monde, les voyages
de circumnavigation ont perdu l'importance qu'ils avaient
autrefois; et il n'y a plus que les deux mers polaires où l'on
puisse espérer aujourd'hui de découvrir encore quelques
terres nouvelles.
Que si dans ces derniers temps les voyages de décou-
vertes presque sans exception n'ont pas eu seulement pour
but la découverte de terres ou de mers restées inconnues ,
mais encore des recherches plus exactes à faire dans l'in-
térêt de la science et du commerce dans celles qu'on con-
naissait déjà, il en a surtout été ainsi depuis que les scien-
ces naturelles sont arrivées à briller d'un si vil éclat et que
l'intérêt inspiré par l'état social et politique des autres
peuples est devenu plus vif. 11 existe aujourd'hui dans la
langue de tous les peuples civilisés d'excellents récits de
voyages scientifiques. A cet égard , c'est l'Angleterre qui
occupe le premier rang; par suite de la domination qu'elle
exerce sur toutes les mers et de ses nombreuses relations
commerciales avec tous les peuples du monde, il y a pour elle
besoin de se procurer le plus possible de notions nouvelles
relatives à l'histoire naturelle, à la géographie et à l'ethno-
graphie. Sous ce rapport , les Américains du Nord possèdent
déjà une littérature fort remarquable. On doit aussi aux
Français de précieux voyages scientifiques, encore bien que
chez eux, comme chez les Italiens et les Espagnols, le ca-
ractère national, en raison de son extrême mobilité, soit peu
propre à de semblables entreprises. Nous citerons toutefois
à ce propos les noms de Gaimard , Bory de Saint- Vincent ,
Freyssinet,Duperrey, Dumontd'Urville, Bérard,
Tessan, Boussingaul t, S. Berthelot , Alexis de Tocque-
ville, Gustave de Beaumont, Blanqui, Lagrenée, .\ubert
Roche , Rocher d'Héricourt , Fontanier , Jacquemont,
Caillé, Brayer, de Horamaire de Hell , Lefèvre , l'Hoste ,
Bore , Alcide d'Orbigny, etc. Sous ce rapport les Allemand»
doivent être classés immédiatement après les Anglais, sur qui
ils l'emportent souvent en ce qui est de l'exactitude et de
la multiplicité des observations. Nous mentionnerons à
l'appui de notre assertion les voyages de Forster, d'Alexan-
dre de Humboldt , de Lichtenstein, du prince Max de Neu-
wied, de Martins , de Pœppig, de Tschudi, de Ruppel, de
Lepsius, etc.
En outre , il a surgi depuis une trentaine d'années toute
une nouvelle littérature de voyages ; nous voulons parler
de ces ouvrages écrits par des hommes et des femmes d'es-
prit, qui y racontent les impressions produites sur eux par
les mœurs, les coutumes de différenls peuples qu'ils sont al-
lés visiter, moins pour s'instruire que pour se distraire;
genre de littératuie auquel se rattachent essentiellement
les voyageurs qu'on désigne sous le nom de touristes.
VOYAGES AU LONG COURS. Voyez Long
Cours.
VOYAGES AUTOUR DU MONDE. Voyez Cir-
cumnavigation ( Voyages de ).
VOYAGEURS DE COMMERCE, individus dont
la profession consiste à parcourir les contrées en faisant,
dans chaque ville où ils s'arrêtent, aux négociants ou aux
particuliers des offres de service au nom d'une et le plus
ordinairement de plusieurs maisons dont ils sont les repré-
sentants. La vie nomade que mène le commis voyageur
contribue sans aucun doute a la déconsidération qui s'at-
tache à une profession dont on ne saurait nier l'utilité pour
le commerce , mais que ceux qui l'exercent ne savent pas
toujours relever dans l'opinion par une régularité de mœurs
et une dignité de tenue et de conduite qui ne pourraient que
faciliter l'accomplissement du mandat dont il sont chargés.
VOYANT. Voyez Jalon.
VOYELLES. On appelle ainsi les lettres d'une
langue qui ont un son par elles-môu.es sans être jointes à
d'autres lettres, comme en français les lettres a, e, », o, m.
Chez les anciens, ces voyelles étaient appelées, esprits, parce
VOYELLES'— VUE
9â3
qu'elles sont l'effet du soufîle , qu'on appelait esprit. Les
voyelles ne sont en effet autre chose que l'air fourni par
l'expiration de la poitrine et modifié par le jeu des lèvres.
Les voyelles ont aussi la propriété de se prononcer de di-
verses manières ; de sorte que chaque son peut former plu-
sieurs mots différents, suivant que ce son aura été prononcé
avec douceur du milieu de la bouche, ou tiré avec force du
fond du gosier, ou terminé par une inflexion nasale, ou
traîné avec lenteur, ou enfin lancé avec rapidité. Les
voyelles s'associent quelquefois deux àdeux pour former un
son (voyez Diphtuoncue). Champagnac.
VOYER. Voyez Voiehie.
VOYER D'ARGENSON. Voyez Argenson.
VOYSIN (Daniel-François), secrétaire d'État de la
guerre et chancelier de France , naquit à Paris , en 1654,
d'une famille dont plusieurs membres avaient occupé di-
verses fonctions dans la magistrature. Admis au parlement
de Paris à vingt ans , en qualité de conseiller, et nommé,
en 1688, intendant du Hainaut, il dut à la liaison fortuite
de sa femme ( M"* Trudaine) avec M"" de Maintenon un
avancement rapide. Il fut appelé, en 1694, au conseil d'É-
tat, puis à l'intendance de Saint-Cyr, et succéda, en 1709,
à Chamillart comme secrétaire d'État de la guerre. Voysin
fit preuve de zèle et d'intégrité dans ce poste important, où
il eut à lutter plus d'une (ois contre les volontés despo-
tiques et absolues de Louis XIV. En 1714 il succéda à
Ponchartrain dans la dignité de chancelier de France,
mais sans renoncer à la direction des affaires de la guerre ,
pour lesquelles il avouait pleinement d'ailleurs son insuffi-
sance. Instrument actif des intrigues de M""" de Maintenon
en faveur des enfants légitimés du roi et de M"" de Mon-
tespan , Voysin avait écrit sous la dictée de Louis XIV lé
testament par lequel ce prince essayait de faire au jeune
duc du Maine une position au-dessus des atteintes du duc
d'Orléans. Ce magistrat assista au lit de justice du 2 sep-
tembre 1715, où fut cassé ce même testament, etnes* main-
tint au ministère qu'à la faveur de cette lâche défection.
Mais son crédit devint insensiblement nul à la cour, et l'on
y agitait sérieusement la question de lui donner un succes-
seur lorsque , le t" février 17l7, il ressentit à souper les
premières atteintes d'une colique dont les accidents s'aggra-
vèrent rapidement. Il expira au bout de deux heures, dans
sa soixante -deuxième année. Quelques écrivains contem-
porains ont assuré que Voysin avait exigé quatre cent mille
livres pour se démettre de la charge de secrétaire d'État de la
guerre. A. Boullée.
VRAI (Le). Voyez Vérité.
VREN. Voyez Wren.
VRIEMDT(De). Voyez Floms.
VRILLES ( Botanique ), filets simples ou rameux, tor-
tillés en spirale, au moyen desquels plusieurs végétaux fai-
bles de tige parviennent à s'accrocher aux corps environ-
nants pour grimper souvent très-haut. Les vrilles naissent
quelques fois à l'aisselle des feuilles, comme dans la passi-
flore ; d'autres fois à l'opposé des feuilles , comme dans la
vigne; ou bien à l'extrémité des feuilles, comme dans les pois;
ou enfin à l'extrémité des stipules, comme dans un smilax.
VRILLETTE (Entomologie). Voyez Horloge de la
Mort.
VRILLIÈRE( Louis PHELYPEAUX, marquis de La),
comte de Saint-Florentin, né en 1672, fils du secrétaire
d'État chargé du département des affaires générales de la
religion réformée, succéda dans cette charge à son père,
mort en 1700 , et obtint en outre , en 1715, le département
de la maison du roi. De tous les ministres du grand roi
que le régent trouva au pouvoir quand il fut appelé à pren-
dre les rênes de l'État, il n'y eut que Phelypeaux de la
Vrillière que ce prince maintint en possession de son em-
ploi; et il continua de le remplir, sous le titre de secrétaire
de la régence. En 1718 il se démit du département de la
maison du roi, et mourut le l^"" septembre 1725. Son fils,
créé duc par Louis XV, hérita de ses charges.
La rue de La Vrillière, à Paris , tire son nom d'un hô-
tel bâti en 1620, par un membre de la famille Phelypeaux,
grand-père du marquis de La Vrillière. Acquis plus tard
par le comte de Toulouse, il était habité au moment oti
éclata la révolution par l'excellent duc de Penthièvre , der-
nier représentant des bâtards légitimés de Louis XIV. II
fait aujourd'hui partie du capital immobilier de la Banque
de Fiance. i
VUE, l'un des cinq s en s de l'homme, celui par lequel
il apprécie ta grandeur, la figure, la couleur, la distance et
la situation des choses (voyez Œil et Vision). C'est de tous
les sens celui qui fournit à l'âme le plus grand nombre d'i-
dées. Les sciences et les arts lui doivent surtout leur ori-
gine et leurs progrès. Ce sens comble les délices du sage,
dont il augmente les connaissances , et celles de l'homme
sensible , qu'il rend heureux en lui faisant lire le bonheur
dans les yeux de ceux auxquels il le procure. Il fait abor-
der les objets que leur petitesse, leur éloignement ou leur
grandeur semblent placer hors de notre portée ; conduit
l'âme jusqu'aux limites de la création , et paraît la lancer
même jusqu'à l'infini. La structure de l'organe qui rend de
si importants services à l'homme , la nature du fluide qui
l'impressionne, le mécanisme de la vision, offrentà l'étude
les phénomènes les plus merveilleux. Nulle part la nature ne
s'est montrée plus prévoyante, plus admirable, et rien ne
démontre autant la toute-puissance de son auteur.
En termes de peinture , on appelle vue la représentation
d'un site faite d'après nature, et on dit dessiner, prendre
des vues, saisir une vue. Ce genre s'applique à une infinité
d'objets : une marine, une chaumière, un terrain irré-
gulier, des rochers , tout cela prend le nom de vue, lors-
que l'étude en est faite sur la nature même.
VUE (Point do). Voyez Perspective.
VUE A VOL D'OISEAU. Voyez Vol d'Oiseau.
VUE (Seconde) ou DEUTÉROSCOPIE , faculté dont
quelques individus prétendent être doués , et grâce à la-
quelle ils disent apercevoir par l'imagination des choses
réelles, très-éloignées et souvent encore dans les futurs con-
tingents. C'est Samuel Johnson qui , dans son Voyage aux
Iles de l'Ouest voisines de l'Ecosse, a le premier recueilli
quelques faits relatifs à ce phénomène. Il nous apprend
que la seconde vue (qu'il a[)pe\\e second sig ht) consiste
en une impression produite soit par l'âme sur l'œil, soit
par l'œil sur l'âme, et au moyen de laquelle des objets éloi-
gnés ou à venir sont connus et vus comme s'ils existaient
présentement. Horst, dans sa Deutéroscopie (Francfort,
1833), et Walter Scott, danssesLe^^prs on Demonology and
Wichcrajt , se sont aussi beaucoup occupés de ces sortes
de visions, au sujet desquelles Carus, dans ses Leçons de
Psyc/io/og'ie (Leipzig, 1831), a développé une théorie ex-
plicative fort étendue. Des faits à l'appui ont été recueillis
en tant d'endroits différents, à des époques si diverses, et
par des observateurs quelquefois si impartiaux et si savants ,
qu'il est assez difficile de les rejeter indistinctement comme
mal fondés. Us offrent d'ailleurs tant d'analogie avec ce qui
est du domaine de ce qu'on appelle magnétisme animal,
avec le monde des rêves, qu'il n'y a pas de raison absolue
pour les révoquer en doute. Or, voici en résumé, dans l'é-
tat actuel de cette science, l'explication qu'on en donne :
L'âme, nous dit-on , comme base première de l'existence
et de l'organisation humaines (suivant le mot d'Aristote :
L'âme est la première réalité d'un corps naturellement
pourvu de membres), est conformément à son essence pre-
mière quelque chose d'inconnu, en affinité complète avec des
idées dont elle n'a pas la conscience et relatives à tout ce
qui existe dans le reste delà nature. Elle n'acquiert la cons-
cience d'elle-même, et par suite la liberté, qu'au moyen de
son activité , résultat du développement de l'organisme si
merveilleux et si parfait de Ihomme, au milieu de réaction»
produites par d'autres essences aussi de nature inconnue;
mais en même temps, par l'accomplissement de sa subjecli-
vité, elle est soustraite à une étroite union avec la vie gé-
354 VUE — V
nérale de la nature. La notion , toute de pressentiment , si
obscure et pourtant si certaine, des objets extérieurs , qui
existe encore à un si liaut degré dans l'âme animale, cesse
dans l'âme humaine qui a la conscience d'elle-même; et dès
qu'elle possède des notions lucides, elle se trouve soustraite
au pressentiment et à ses sensations obscures. Toutefois ,
l'âme la plus parfaite ne saurait conslauunent demeurer
dans cet état de lucidité; elle retombe régulièrement et pé-
riodiquement dans un état où elle cesse jusqu'à un certain
point d'avoir la conscience d'elle-même ( le sommeil j ; et elle
rattache ainsi son existence à celle des créatures terrestres
inférieures. C'est cet état qui peut faire comprendre les
phénomènes de la vie humaine participant h des percep-
tions de la nature des rêves, à des états magnétiques et de
clairvoyance (l'oye:; Magnétisme animal). De même donc que
lorsque plusieurs hommes forment une chaîne, tous reçoi-
vent en même temps la commotion électrique, l'homme dont
la subjectivité, dominée davantage par l'élément inconnu, re-
pose dans un obscur état de rêverie perçoit de la manière
la plus claire des milliers de sensations qui agitent le monde
autour de lui, mais dont il n'a plus la moindre notion lorsqu'il
se réveille et acquiert la conscience de lui-même. Voilà pour-
quoi des hommes, avec une vie intérieure de l'âme qui les
domine à partir de leur naissance , des hommes vivant dans
la solitude sous des climats tristes et sombres , et surtout
des hommes chez qui certaines dispositions morbides se-
crètes assombrissent le centre de la vie nerveuse, tombent
facilement et périodiquement dans des états singuliers, où,
sans précisément dormir, ils perdent la conscience positive
d'eux-mêmes ; tandis que leur sensibilité magnétique s'ac-
croît merveilleusement et leur découvre certains côtés qui
sans cela leur restent clos : de telle sorte que tout à coup ,
sans savoirni comment ni pourquoi, les images d'objets réels
et lointains se présentent à leur âme, qui n'en a d'ordi-
naire que beaucoup plus tard la conscience. Ce sont des
faits de ce genre que les auteurs des livres indiqués plus
haut ont recueillis , et en très-grand nombre. Des disposi-
tions héréditaires peuvent conduire à un état pareil ; mais
le plus ordinairement il tient à des causes accidentelles et
passagères.
VUES ( Droit), ouvertures facilitant plus ou moins les
moyens de regarder hors de l'édifice pour lequel elles ont
été faites. Du droit de se clore résulte nécessairement pour
le propriétaire celui d'empêcher qui que ce soit d'avoir des
vues sur son héritage. Des considérations d'intérêt public
ou de bon voisinage ont seules pu porter atteinte à ce
droit, et donner naissance aux servitudes légales dites
Vfies et jours ; les jours servent seulement à éclairer, à
donner passage à la lumière; et la loi donne à ces ouver-
tures le nom général de fenêtres. Les vues proprement
dites ont pour objet de faciliter ou d'ouvrir l'aspect des
objets extérieurs. Aux termes de l'art. 675 du Code Civil, de
deux voisins l'un ne peut, sans le consentement de l'autre,
pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture ;
en quelque manière que ce soit. L'art. 676, toutefois, autorise
le propriétaire d'un mur non mitoyen, joignant immédiate-
ment l'héritage d'autrui, à pratiquer dans ce mur des jours
ou fenêtres à fer maillé et verre dormant , afin qu'on ne
puisse s'en servir pour jeter quelque chose dans l'héritage
voisin ou pour y. porter un œil curieux. On ne peut les
établir qu'à, vingt-six décimètres au-dessus du plancher
ou sol de la pièce qu'on veut éclairer, s'il s'agit d'un rez-
de-chaussée, et à dix-neuf décimètres pour les étages supé-
rieurs. Ces ouvertures peuvent avoir la hauteur, la largeur
et l'évasement qu'on juge à propos, pourvu qu'on se con-
forme à la distance à partir du sol ou plancher intérieur,
car c'est là ce qui intéresse réellement la sûreté et l'in-
térêt du voisin. Le droit de mitoyenneté entraîne oelui de
faire supprimer les jours et vues de souffrance pour bâtir
contre le mur, à moins qu'il n'existe des réserves ex-
presses pour leur conservation.
VULC AIN, 1 appelé par les Grecs Hephaistos, fils de
ULNERAïRE
Zeus et de Héra, ou suivant une tradition postérieure, de
Héra seulement, était le dieu du feu et des arts qui pour
fabriquer leurs produits ont besoin du feu. Hésiode le fait
(ils de Junon et du Vent. Lor,^qu'elle lui donna le jour, la
dée.sse, honteu.se d'avoir produit un enfant si laid, et boiteux
par-dessus le marché, le précipita dans la mer, afin qu'il
fût éternellement caché par les flots; mais Tliétis et Eury-
nonie lui vinrent en aide : elles le nourrirent, elles rélevè-
rent dans une grotte profonde et reculée , où, désireux de
leur en témoigner sa reconnaissance , le jeune dieu lit pour
elles des bracelets, des agrafes , des boucles , des épingles
destinées à retenir leurs longs cheveux. Il revint ensuite
dans l'Olympe, où, malgré la preuve de désaffection que
lui avait donnée sa mère, il prit un jour sa défense contre
Jupiter lui-même, qui alors le chassa de nouveau du
séjour des dieux. Vulcain cette fois tomba dans l'île de
Lemnos, où il ftit bien accueilli par la population. Plus tard
il lui fut permis de revenir encore une fois dans l'Olympe,
où il habitait une demeure con.struite par lui-même, dans
laquelle se trouvait son atelier. De> traditions postérieures
mentionnent les îles de Lemnos, de Lipara, d'Hiéra et
d'Imbros ainsi que l'Etna comme étant sa demeure et
contenant ses ateliers. Bacchus obtint le rappel de Vulcain
dans l'Olympe, et pour le dédommager de l'affront qu'il
lui avait fait, Jupiter lui donna Vénus en mariage. On
sait combien il fut trahi par elle; et cependant, quand elle
lui demanda des armes pour son fils Énée, Vulcain ne re-
fusa pas le secours de son art à son épouse adultère : il
avait déjà, en se rendant aux prières de Tbétis, fabriqué
dos armes pour Achille. Vulcain eut plusieurs temples à
Rome. Le premier, qui aurait été bâti par Romulus , était
situé hors de la ville. Celui que Tatius lui consacra était
dans la ville même. Là, soit dans le temple, soit dans l'en-
ceinte sacrée qui l'environnait, le peuple s'assemblait pour
les plus importantes affaires de l'État. La place et l'autel
portaient le nom de Vulcanale : on les trouvait, selon
Festus , dans le quartier nommé Sandalarius, au-dessus
du Forum. Les Vulcanalia, fêtes dédiées à Vulcain, du-
raient huit jours ; elles commençaient le 23 août. Ce jour-
là on jetait les victimes dans le feu, où elles devaient être
entièrement consumées. Cli"^"^ Alexandre du Mège.
VULCAAISTES. On appelle ainsi les géologues qui
attribuent la formation de la Terre à l'effet du feu.
VULGATE. de vulgata ( sous-entendu lingua ou
editio) , dans la basse latinité, langue, édition vulgaire,
commune : c'est la version latine des livres saints , telle
qu'elle a été reconnue par le concile de Trente et dont on se
sert dans l'Église catholique. 11 n'est pas douteux que dès
la fin du premier siècle ou au commencement du second
il n'y ait eu en latin une version de l'Ancien et du Nouveau
Testament appelée Itala , mais qui était inexacte et avait
.subi de nombreuses interpolations. Vers l'an 383 saint Jé-
rôme la corrigea , et de 385 à 405 il lit lui-même une nou-
velle traduction latine de l'Ancien Testament, d'après le texte
hébreu original. Plus tard on désigna sous le nom de
vulgata et celte nouvelle traduction latine de l'Ancien Tes-
tament par saint Jérôme et la traduction du Nouveau Tes-
tament corrigée par lui pour les faire servir à l'usage com-
mun et ordinaire. Les réformateurs du seizième siècle la
rejetèrent, prétendant qu'elles contenaient diverses erreurs
et ne rendaient pas toujours le texte original par l'expression
propre. Le concile de Trente décida, le 27 mai 1546 , qu'il
serait permis aux savants d'étudier le texte original, mais
que la Vulgate, approuvée et confirmée par tant de con-
ciles précédents, continuerait à faire foi, et qu'on ne pour-
rait invoquer comme preuves que son texte.
VULNÉRAIRE. Cette expression , dont l'étymologie
vient de vulnus , blessure, s'emploie pour désigner les
médicaments que l'on croit propres au pansement des
plaies. Les anciens attribuaient cette propriété à une foule
de plantes, la plupart inertes, qui, sauf quelques-unes, que
la tradition a conservées , sont complètement rejetées ati-
VULNÉRAIRE — VYASA
jourd'hiii du domaine de la médecine. Parmi les sub-
stances qui ont en le plus de succès comme vulnéraires , se
trouve VarUilis vulneraria, plante de la famille des lé-
gumineuses, que l'on nomme pour cela vulnéraire ; mais
comme on a reconnu que sa réputation était usurpée , on
en a tout à fait abandonné rem|)loi , et c'est à peine si les
gens de la campagne lui accordent encore quelques vertus.
C'est cependant cette plante qui est la base de ce fameux
vulnéraire suisse, dont la réputation est aussi équivoque
que celle des diverses substances dont on a abandonné l'u-
sage. Nous sommes loin de vouloir contester l'efficacité
de quelques médicaments employés encore de nos jours
comme vulnéraires , tels que le baume du commandeur
et une foule d'onguents doués de propriétés reconnues par
l'expérience; mais nous croyons que le meilleur vulnéraire
est le rapprochement des lèvres de la plaie lorsque la bles-
sure n'est pas accompagnée d'accidents qui pourraient
occasionner une liémorrhagie si l'on employait ce moyen
sans avoir préalablement lié les artères ou les veines qui
auraient pu être coupées.
On emploie aussi fréquemment les infusions vulné-
'■aires dans les cas de cliute, ou quand il arrive quelques
accidents qui dépendent de l'âge critique ; mais cet usage
est aussi fâcheux que dans les cas précédents : la saignée
ou les sangsues sont les seuls vulnéraires réellement effi-
caces. G. Favrot.
VULPllV DES PRÉS (Alopecurus pratensis, L. ),
genre de graminée CNtrêmcment commun, qu'on rencontre
partout en fleurs vers la fin du printemps , dans les prés
un peu bas et humides. Cette plante est un excellent pâtu-
rage pour tous les bestiaux, qui la recherchent avec avi-
955
ditî!, surtout les chevaux. On la cultive en Suède , où elle
réussit assez bien. Ses épis sont larges, épais, obtus et
velus. La corolle n'a qu'une seule valve glabre, plus courte
que le calice, portant une arôte très-fine , géniculée, trois
fois plus grande. On connaît en outre le vulpin des champs,
qui s'accommode mieux des terrains un peu secs ; et le vul-
pin géniculé, qui aime les tourbières, les prés inondés.
VULTURNE. Foyes Emus.
VYASA ou VÉDAVYASA, surnom qui veut dire le Corn-
pilaleiir de Védas , et par lequel on désigne l'un de ces
mounis, ou solitaires indous, inspiras des anciens âges, aux-
quels on attribue les productions oe la littérature sans-
crite les plus importantes et datant du quinzième ou du
seizième siècU; avant l'ère chrétienne. C'est lui qui re-
cueillit et mit en ordre les quatre védas. On attribue en-
core à cet Homère indou le Mahabharata , vaste épopée
distribuée en dix-huit pawas ou rapsodies, et ne con-
tenant, dit-on, pas moins de cent mille slokas ou dis-
tiques, dans laquelle le poète chante les infortunes et les
travaux de cinq frères de la famille de Bharata, ses an-
cêtres, chassés de la ville d'Hnstinapour par la jalousie
d'un tyran cruel. Vischnou , sous la forme de Crichna,
vient à leur secours, relève leur moral abattu et prépare le
triomphe de la vertu et du droit sur l'injustice. Le dieu y
révèle à son favori Ardéouna le secret du néant de toutes
choses et les mystères d'une théologie basée sur la connais-
sance de l'unité, seule éternelle, seule réellement existante.
Le texte original en a été publié à Calcutta, en 3 vol. in- 8".
Le récit des événements de la guerre est varié par divers
épisodes, dont l'un est le lihagavad-Gita (chant du sei-
gneur).
■«««««'t
w
W, letlre de l'alpliabet de plusieurs peuples du Nord.
Quoiqu'elle ne soit pas laline, on la voit dans quelques an-
ciennes inscriptions. Mabillon dit que ce ne fut qu'au dou-
zième siècle que les deux vv, jusque alors séparés, furent
confondus en une seule lettre. On a remarqué cependant
que le iv se trouve dans un diplôme de Clovis III, à la fin
du septième siècle. Le v) n'existe ni dans les langues de
l'Europe méridionale , ni dans la langue russe, quoique
beaucoup de nos historiens prodiguent celte lettre dans l'or-
tliograplie des noms russes. Ainsi , au lieu d'écrire Iwan
Soiiivarow, Oczakow, il faut mettre Ivan, Souvarof, Ocza-
Ikof. C'est surtout dans les langues anglaise, allemande, hol-
landaise, que triomphe le w; là il se montre au commence-
ment, au milieu ou à la lin d'une foule de noms propres
ou communs. En anglais, il est consonne et voyelle, et sa
prononciation se modifie suivant les lettres qui le précèdent
ou qui le suivent. Champacnac.
WAAST. Voyez Vaast.
WACE. poète chroniqueur anglo-normand, né à Jersey,
dans le douzième siècle. C'est à tort qu'on lui donne le
prénom de Robert, nm ne se trouve en tète d'aucun des
nombreux manuscrits de ses poèmes : il n'a jamais pris et
reçu d'autre nom que celui de maître Wace. C'est sans
fondement aussi que Du Cange lui départit celui de Matthieu.
Sa naissance remonte entre les années 1112 et 1124; son
père était un des barons qui accompagnèrent Guillaume le
Conquérant en Angleterre et qui combattirent à Hastings.
Il termina en France ses études , qu'il avait commencées en
Normandie, à Caen , où il revint composer la plus grande
partie de ses poëmes-chroniques écrits en langue romane.
En 1160 il dédia ce qu'il avait fini du Roman de Rou à
son roi Henri II, qui lui fit don d'un canonicat à Bayeux.
Wace mourut en Angleterre, entre 1180 et 1184. Des cinq
poèmes dont on le croit auteur, le plus connu , parce qu'il
est le plus utile pour l'histoire, est le Roman de Rou (Rolf
ouRollon) et des ducs de Normandie. La première partie
de ce poème est en vers alexandrins, et doit dater de 1160-
la deuxième, en vers de huit syllabes, n'a dû être terminée
qu'en 1174 au plus tôt. La Chronique ascendante des ducs
de Normandie , en vers alexandrins, paraît avoir été com-
posée en 1174. On ignore la date de V Établissement de
la fête de la Conception de la Vierge , par Guillaume le
Conquérant, autre poème de Wace. Il existe encore de ce
poète une Vie de saint Nicolas, en quinze cents vers de
liuit syllabes, dont Hickesa publié des extraits dans le Thé-
saurus Litteraturœ septentrionalis.
Il y a lieu de croire (|ue le premier poème de Wace est le
Romande Brut, qu'il déclare avoir composé en 1155. C'est
une chronique fabuleuse de rois réels ou prétendus d'An-
gleterre, compo.séeavec des légendes bretonnes que Geoffroy
de Monmouth avait traduites en lalinet amplifiées. Wace mit
tout ce fatras historique en vers romans, comme il fit de-
puis pour ses autres ouvrages. C'est l'histoire du roi Arthur
ou Arthus et des chevaliers de la Table ronde. Le Jîo-
man de Brut a été imprimé pour la première fois, d'après
les manuscrits de la Bibliothèque impériale avec un com-
mentaire et des notes, par M. Le Rojix de Lincy ( Rouen ,
1836-1838, 3 vol. in-8°). Louis Du Bois.
WAGOIX,mot anglais signifiant chariot, que l'éta-
blissement des chemins de fer a fait passer dans notre langue
avec la plus grande partie du voeabulaire spécial en usage
de l'autre côté du détroit dans l'exploitation des voies fer-
rées.
WAGRAM (Bataille de). Après la prise de Vienne,
l'empereur Napoléon avait voulu passer le Danube au-des-
sous de cette villeet compléter les brillants succès qu'il avait
déjà obtenus , en livrant à l'archiduc Charles une bataille
décisive avant que ce dernier eût eu le temps de réorganiser
et de compléter son armée. Le 22 mai 1809, l'armée fran-
çaise, qui avait passé le fleuve à l'ile qui porte le nom de
Lobau , n'était encore qu'à moitié réunie, lorsque la rup-
ture totale du pont, ne permettant plus de continuer les
opérations commencées , Napoléon fut obligé de se conten-
ter de conserver l'île de Lobau et d'attendre la jonction
du corps de Marmont, venant de l'Illyrie , et de l'armée d'I-
talie, commandée par le prince Eugène.
Le repos qui suivit la bataille d'Esslin g avait été utile
à Napoléon pour réorganiser complètement le personnel et
le matériel de son armée , pour rapprocher de lui les corps
les plus éloignés , en un mot , pour compléter toutes ses
dispositions et frapper, dans les plaines du Danube, le
grand coup qu'il méditait. Dès le 30 juin un pont fut jeté
de l'ile de Lobau; le 2 juillet un second pont fut établi à
côté du premier. Les corps de Davout, Wrède et Berna-
dotle, et l'armée d'Italie, étaient à portée d'entrer en ligne,
mais hors de la vue des ennemis. Enfin , dans la nuit du 4
au 5, le passage s'effectua .sur la droite de l'Ile Lobau, vers
Muhlleiten. L'armée française se déploya rapidement dans
la plaine, prolongeant et avançant sa droite. Le plan de la
balaille était d'attaquer et de forcer la gauche de l'ennemi
et de se déployer en conversant par la droite , afin de prendre
en flanc la ligne des positions de l'archiduc Charies, derrière
le Russbach , et de le contraindre à recevoir le combat per-
pendiculairement à la ligne qu'il avait choisie. Mais une
confusion dans les ordres de mouvement donnés par le
major général , qui n'avait pas bien conçu les dispositions
de l'empereur ayant croisé les corps d'Oudinot et de Da-
vout , la ligne de notre armée ne put être complètement
formée qu'à six heures du soir. Alors Masséna, à gauche,
appuyait au Danube, vers Breitenlee; Bernadette était en
face d'AderkIau ; l'armée d'Italie devant Baumersdorf et
Wagram, village à huit kilomètres nord-est de Vienne, qui
adonné son nom à la bataille; Oudinot, vers Groashofen;
Davout à droite, vers Glinzendorf. La réserve, composée
du corps de Marmont , des Bavarois et de la grosse cava-
lerie , était derrière la droite du centre. L'armée autrichienne
avait à sa gauche, vers Neusiedel , les corps de Rosenberg
et de IlohenzoUern ; au centre , autour de Wagram , ceux
de Bellegarde et des grenadiers ; la droite appuyait au Bi-
samberg sous les ordres de Klenau et de Kollowrath. L'ar-
chiduc Charles , trompé sans doute sur les mouvements de
notre armée, qu'il croyait voir déboucher plus à gauche,
WAGRAM — WAHABIS
957
au lieu de nous attaquer le premier, ne se trouva en mesure
de combattre qu'en même temps que nous.
Vers sept tieures du soir, Napoléon , quoique Davont ne
fût pas encore en mesure d'attaquer Neusiedel , donna le
signal du combat. Le corps d'Oudinot fut porté contre
Baumersdorf; l'armée d'Italie dut attaquer vers Wagram.
Ce choc central ne réus.sil pas. Oudinot ne put pas passer
le Russbach ; le prince Eugène, qui n'était pas soutenu sur
sa gauclie , ne put se maintenir contre le centre ennemi
appuyé par la réserve. Les deux corps durent se replier sur
leur point de départ, et il fallut nous disposer à recom-
mencer le lendemain.
Le 0 au matin l'armée française se retrouvait sur le
môme terrain à peu près oii elle s'était déployée la veille.
L'arcliiduc Charles prit l'initiative de l'attaque; à la gauche,
le corps de Rosenberg déboucha sur Glinzendorf , soutenu
de loin par Hohenzollern , qui resia entre Neusiedel et Wa-
gram. Bellegarde s'avança au centre sur Aderklau. A la
droite de l'ennemi, les corps de Kollowrath et de Klenau,
avec les réserves , étaient destinés à forcer Breilenlee et à
pousser notre gauche sur Aspern et les ponts du Danube.
Celte dernière attaque eut d'abord un succès complet. Mas-
sena , hors d'état de résistera la grande supériorité de l'en-
nemi, et découvert sur son flanc droit par la perte d'Ader-
klau.que les Saxons avaient évacué, fut forcé de reculer à
Neuwirtshaus , et même la division Boudet perdit Aspern
et fut repoussée jusqu'au pont. Mais à notre droite Davout
battit Rosenberg et le rejeta sur Neusiedel. Les divisions de
cavalerie sous les ordres des généraux Grouchy, Montbrun
et Sully, attaquèrent en môme temps la cavalerie ennemie
qui couvrait encore Neusiedel , et malgré sa vive résistance
la forcèrent à se replier sur Althof. Neusiedel , vivement at-
taqué, était au moment d'être enlevé. Le système de la
bataille était entièrement changé, et le mouvement que
l'archiduc avait fait faire à la gauche ramenait l'ordre du
combat dans la direction perpendiculaire au Danube, que
Napoléon avait voulu lui donner dès la veille. Le centre de
notre armée , qui n'avait pas encore été en action , se trou-
vait intact et en mesure de décider de la victoire.
Napoléon ordonna alors à Massena, qu'il fit appuyer par
le corps saxon , de se contenter de soutenir et de retarder
les efforts de l'ennemi , et de se tenir en mesure de reprendre
l'offensive. Lui-même, au centre, mit l'armée d'Italie en
mouvement. Le général Macdonald, avec les trois divisions
Lamarque , Broussier et Seras , appuyé par la cavalerie lé-
gère de la garde, celle du général Gérard, la division ba-
varoise de Wrède et l'artillerie de la garde, fut dirigé sur
Aderklau. Le prince Eugène, avec les divisions Pacthod et
Durutte, se tint prêt à attaquer en flanc les troupes de la
gauche de l'ennemi dans leur mouvement de retraite. La
colonne de Macdonald , enfonçant et culbutant les troupes
qu'elle rencontrait , dépassa Aderklau , déboucha entre Wa-
gram et Breilenlee , et arriva à SussenLrunn. Là elle se
trouva en présence de l'élite des troupes de l'ennemi, que
l'archiduc conduisait en personne, et menacée sur ses flancs
par les troupes qu'elle avait enfoncées. Réduite à moins de
3,000 combattants , elle soutint sans s'ébranler le choc de
trois corps ennemis; une charge des cuirassiers de Nan-
souty, l'approche de la jeune garde , du corps de Marmont
et de la division de Wrède , la dégagèrent bientôt.
Pendant ce temps Davout avait emporté Neusiedel , et
un peu après Oudfnot forçait le passage du Russbach et
gagnait les hauteurs de Baumersdorf; les corps ennemis se
retiraient par Wagram. Dans ce moment le prince Eugène
se porta avec ses deux divisions sur les hauteurs de ce vil-
lage ; l'ennemi fut obligé deles quitter pour diriger sa retraite
vers le nord, et Eugène, tournant à gauche, prit la direc-
tion deGerasdorf. A peu près en môme temps Macdonald
emportait Sussenbrunn. L'ennemi chercha à se défendre à
Gerasdorf; mais se voyant près d'être débordé, d'un côté
par les divisions du prince Eugène, et de l'autre par Mas-
sena, qui, ayant repris l'offensive, approchait de Léo-
poldau, il se vit forcé de dépasser encore cette position. La
bataille était perdue sans ressource , et l'archiduc Charles,
ne voulant pas, en s'obstinant encore à combattre, com-
promettre les troupes qui lui restaient, fit continuer la re-
traite dans la direction de la Moravie.
Cette bataille coûta à l'ennemi 3 généraux tués, 10
blessés, "24,000 hommes tués ou blessés, 20,000 prisonniers,
30 canons et quelques drapeaux. Notre perte ne fut guère
moins sensible , car elle fut de 3 généraux tués , 34 blessés
et plus de 20,000 hommes hors de combat.
Gai G. DE VaUDONCOURT.
WAGRAM (Le prince de). Voyez Berthiek.
WAGRIE ou WAIERLAND, contrée du Holstein,
bornée à l'ouest par le Holstein proprement dit et par le
pays de Stormarn, au nord par la Baltique , au sud-est par
la Baltique et parle Mecklembourg ; elle forme la partie
orientale du duché de Holstein.
WAGUEMESTRE. Voyez Vaguemestre.
WAHABIS ou WAHABITES, etencore WECHABITES
(Les), secte musulmane moderne, qui, réformant les doc-
trines et les usages de l'islamisme, les ramena aux préceptes
textuels du Coran et aux décisions traditionnelles de Mahomet,
et qui pour arriver à un tel résultat employa ja force par-
tout où cela lui fut possible. Son fondateur fut un savant
arabe , appelé Abd-el- Wahab , qui naquit vers la fin du dix-
septième siècle, de parents pauvres, dans les environs de
Hillahsur l'Eiiphrate ,ou dansleNedjed , province d'Arabie.
11 se distingua de bonne heure par son esprit et sa mémoire.
Après avoir passé plusieurs années pour s'instruire, à
Ispahan , dans le Khoraçan , puis à Bagdad et à Bassora ,
il revint prêcher sa nouvelle doctrine dans sa patrie , vers
l'an 1735. Reconnu prophète parles uns, repoussé par les
autres, il se vit assiégé dans une forteresse du Dreyeh, par
le chéik d'Al-Ahsa, qu'il força de luir honteusement. La
secte des Wahabis, qui avait pris le nom de son chef, se
progagea dès lors sans bruit et sans obstacles jusqu'à la
mort d'Abd-el-Wahab , arrivée vers l'an 1755. Elle lit des
progrès plus rapides sous .son fils, Chéik-Mohammed. On
le vit, joignant à une éloquence persuasive et aux dehors
d'une austère piété l'audace et le charlatanisme des réfor-
mateurs, parcourir l'Yémen, le Iledjak , l'Irak et la Syrie;
repoussé de La Mecque, de Bagdad , de Bassora, revenir en
Arabie, et y séduire Ibn-Sehoud , prince du Drejeli, qui,
ayant fait embrasser à ses bédouins la nouvelle religion ,
fut reconnu émir suprême des Wahabis. Ces sectaires ne
croyaient pas que lé Coran eût été créé par l'inspiration
divine ou par l'ange Gabriel. Ils regardaient Jésus-Christ,
Mahomet et les prophètes comme des sages aimés du Très-
Haut , et n'adressaient leurs prières qu'à Dieu seul. Plus
tolérants pour les chrétiens et pour les juifs que pour les
mahométans, ils taxaient ceux-ci d'idolâtrie, et s'arrogeaient
le droit de les tuer. Ils proscrivaient les cérémonies et les
décorations funèbres, comme impies, détruisaient les turbés
ou chapelles sépulcrales élevées sur les tombeaux des chéiks
et des imans, réputés saints parmi les musulmans. Ces uni-
taires fanatiques devaient nécessairement devenir des ico-
noclastes furieux. Ils étaient d'ailleurs d'une extrême fru-
galité, ne se nourrissant que de riz, de dattes, de lait , de
pain d'orge et de sauterelles. La pipe leur était interdite, et
ils ne prenaient de café que comme remède digestif. Une
parfaite égalité régnait entre eux ; ils ne connaissaient ni titres
ni distinctions, et, malgré leur obéissance religieuse à leurs
chefs , ils leur pariaient avec la plus grande familiarité. De
tels hommes ne pouvaient manquer de faire de bons et
robustes soldats. Ibn-Sehoud les plia aisément à la disci-
pline militaire; il les arma de lances et de fusils à mèches,
et les prédications de Mohammed exaltèrent leur fanatisme
et leur bravoure. Le siège de la puissance des Wahabis fut
établi à Dreyeh , ville à 12 journées sud-ouest de Bassora, et
l'autorité, partagée entre les deux chefs, l'un spirituel, l'autre
temporel, devint héréditaire dans leurs familles. Plusieurs
tribus, tant errantes que sédentaires, s'y étaient soumise»
958
WAHABIS — WAKOUF
de gré ou de force, lorsque Ibn-Sehoud mourut, laissant
à son filsÂbd-el-Aziz une armée de 100,000 hommes montés
sur 50,000 chameaux.
La Porte Ottomane s'alarma enfin des progrès de ces
sectaires, qui commençaient à s'étendre hors de l'Arabie.
Soliman, pacha de Bagdad, fit marcher contre eux, en 1798,
son kiaya, ou lieutenant, qui les repoussa dans leurs dé-
serts. Mais le prince des Wahabis prit bientôt sa revanche.
Le 29 avril 1801, époque du pèierinaj^e que les musulmans
chyites, ou sectateurs d'Ali, font à Iman-Houçaïn, ville située
dans le pachalik de Bagdad, Abd-el-Aziz, à la tête de
12,000 Wahabis , surprend cette ville , égorge plus de
3,000 pèlerins ou habitants , détruit la mosquée et le tom-
beau de Houçain, et, sans avoir perdu un seul homme,
ramène 200 chameaux chargés d'immenses trésors. Sehoud,
son fils, lui succéda, en 1803 ; il s'empara de Taief , vendit
fort cher au pacha de Damas la permission de conduire à
La Mecque la grande caravane de pèlerins , et, après son dé-
part, y entra lui-même sans résistance. Il détruisit tous les
tombeaux de saints , excepté celui d'Abraham , et pilla tous
les trésors de la Caabali. En 1805 il désigna pour son suc-
cesseur Abd'allah , l'un de ses hls , qui échoua contre Bas-
sora , Zobéir, et surtout contre Mesched-Ali. Sehoud , plus
heureux, malgré la perte de La Mecque, dictait la loi aux
Arabes , aux Hadjis ou pèlerins , et pillait les riches présents
que le grand-seigneur s'obstinait à y envoyer tous les ans.
En 1806 il prit Médine , La Mecque, et Djedda, refusant
l'entrée à la grande caravane, qui, dépouillée et décimée,
fut forcée de retourner à Damas. En juillet 1807 les Wahabis
envahirent et saccagèrent Anah sur l'Euphrate. La crainte
des Wahabis se répandit dans tout l'Orient ; et les An-
glais eux-mêmes, inquiets pour leur commerce, fournirent
en 1809 des secours à l'iman de Mascate contre qui son
frère avait levé l'étendard de la révolte. En 1811 la Porte
chargea Méhémet-Ali, pacha d'Egypte, d'en finir avec la
puissance des Wahabis, qui lui paraissait de plus en plus
devenir un péril pour la puissance ottomane. La première
expédition entreprise contre eux par Méhémet-Ali avec son
second fils Joussouf-Pacha fut d'abord couronnée de
succès ; ensuite, il fut forcé de battre en retraite. Mais
ayant reçu des renforts , il reprit l'offensive, et s'empara de
Médine et de La Mecque. Les Wahabis n'étaient pourtant
pas encore réduits. Les discordes intérieures qui éclatèrent
entre eux à la mort de Sehoud II, arrivée en i814, y con-
tribuèrent plus que la force des armes. Les Wahabis
élurent alors pour chef Abdallah-ben-Sehoud, fils aîné de
Sehoud II. La guerre recommença de plus belle ; et Ibra-
him-Pacha , filsadoptif de Méhémet-Ali, remporta en 1815
une victoire décisive, à Basrali, sur Abdallah-ben-Sehood.
Toutefois, la lutte continua encore jusqu'en 1818, où Ibrahim-
Pacha battit de nouveau les Wahabis et réussit à les ac-
culer dans leur camp retranché, situé à quatre journées de
marche de leur capitale, Dreyeh. Ce camp retranché ayant
été pris d'assaut, le 3 septembre, et Abdallah fait prisonnier,
la capitale se rendit quelques jours après. Abdallah fuma et
' prit le café avec Ibrahim , et obtint la vie sauve pour ses
frères , pour ses fils et ses soldats ; mais il ne put obtenir
un sauf-conduit pour lui-même ni l'assurance que sa capi-
tale ne serait pas rasée. S'abusant sur sa position , il refusa
de fuir, fit ses adieux à sa famille et à ses amis , et fut di-
rigé, sous bonne escorte, avec son secrétaire et son tré-
sorier, sur le Caire, où, après avoir été honorablement
Accueilli par le pacha, il fut embarqué pour Constantinople
avec ses deux compagnons. Arrivés le 16 décembre, ils y
furent promenés chargés de chaînes , puis jetés dans une
prison, où on leur arracha les dents et on les appliqua à la
torture. Le lendemain ils furent amenés devant le sultan
Mahmoud , et, par son ordre, on les décapita sur la place de
Sainte-Sophie. Leurs cadavres, exposés pendant trois jours,
furent ensuite abandonnés à la populace. Méhémet-Ali,
qui avait inutilement demandé la grâce de ce rebelle , sauva
du moins ses fils et ses frères , et leur assura des pensions
aUmentaires. Dreyeh et quelques autres places des Wahabis
furent rasées. Un grand nombre de ces fanatiques périrent
dans les combats ou dans les massacres ; mais leur secte ,
pour être proscrite, n'a pas été anéantie , et on la verra in-
dubitablement reparaître quelque jour sous un autre nom.
Déjà, en 1828, ils s'étaient crus assez forts pour faire de
nouveau la guerre à la Porte ; mais cette tentative d'insurrec-
tion ne leur a pas réussi. H. Audiffret.
WAHLCAPITULATION, dénomination allemande
de ce que nous appelons capitulation d'élection ou
d'Empire.
WAHLSTATT, bourg de la Silésie prussienne , près
de Liegnitz et à 6 kilomètres au sud de la Katzhach , célèbre
par la sanglante bataille que Henri II ou le Pieux, duc de
Silésie, y livra le 9 avril 1241 aux Mongols, et dans laquelle
il perdit la vie. Les Mongols remportèrent la victoire , mais
ils l'achetèrent si chèrement qu'ils ne jugèrent pas prudent
de pousser plus avant leur invasion de l'Allemagne. De tous
les chevaliers qui y combattirent , pas un ne prit la fuite ,
pas un ne tomba vivant entre les mains de l'ennemi : tous
succombèrent sur le champ de bataille; et dans le nombre
on compta trente-quatre membres de la même famille, celle
des Rothkirch.
Ue la nauteur sur laquelle est construit Wahlstatt on dé-
couvre tout le champ de bataille où, le 26/aoùt 1813, Blu-
cher remporta sur Macdonald un avantage déci.sif, à la
suite duquel le roi de Prusse lui conféra le titre de prince
de Wahlstatt.
WAKEFIELD, ville du West-Ridingda comtéd'York,
dans unesituation ravissante,sur le Calder, qu'on traverse sur
un vieux pont en pierre orné d'une chapelle du temps d'E-
douard r' ou d'Edouard III, généralement bien bâtie, avec
une belle église gothique, dont le clocher est d'une hauteur
peu commune. On y trouve un grand nombre de manufac-
tures de drap et de lainages, des fabriques de bas, des
filatures , des ateliers de teinture ; et il s'y fait un grand
commerce en étoffes légères, mousseline de laine, etc.
C'est aussi pour les bestiaux, les grains et la houille, le
grand marché de la contrée voisine, où les usines abondent.
Le canal de Wakefield y amène des bestiaux et des grains
venant plus particulièrement des comtés de Norfolk et de
Lincoln ; aussi les deux rives du Calder sont-elles garnies
d'immenses greniers , dont le nombre va toujours en aug-
mentant. En 1851 la population du district était de 48,964
habitants , et celle de la ville de 22,065^mes.
Cette ville est célèbre par la bataille qui se livra sous ses
murs en 1460, lors des guerres de la Rose rouge et de la
Rose blanche, et par la victoire que le comte de Northum-
berland. commandant l'armée de la reine Marguerite, y
remporta sur le duc d'York, qui y fut tué. Qui n'a pas
lu Le Vicaire de Wakefield de Goldsmith ?
WAKOUF, VAKOUF ou WAKF. On appelle ainsi en
Turquie les biens des mosquées et des fondations pieuses
et plus particulièrement une certaine espèce de propriété
privée qui se rattache aux mosquées et aux fondations. En
dépit de la maxime suivant laquelle le sultan est le véri-
table propriétaire de tous les biens meubles et immeubles,
tandis que le possesseur particulier n'en est que l'usufrui-
tier, les conquérants musulmans à l'origine firent des terres
conquises trois parts , dont l'une était donnée aux vain-
queurs ou bien laissée aux anciens habitants comme pro-
priété particulière, la seconde attribuée au domaine pour l'en-
trelion de la cour ainsi que de ses dignitaires ou pour la fon-
dation de fiefs militaires , et la troisième donnée aux mos-
quées à litre de dotation. Cette dotation constitue une classe
du wakouf à laquelle s'en est insensiblement jointe une se-
conde, provenant de donations et de legs faits aux mosquées
pour l'entretien des fondations pieuses , dont l'administration
s'y rattache (telles que bains, hôpitaux, cuisines économi-
ques , etc.), et, à la différence de la première, désignée sous
le nom de viakouf public. Comme les biens des mosquées
sontexempts de l'impôt, à l'abri de toute confiscation, et
WAKOUF — WALHALLA
959
en général insaisissables, il s'est encore constitué, à la
suite des temps, une troisième espèce de wakoufs , prove-
nant de cessions de leurs propriétés faites aux mosquées et
fondations pieuses par des propriétaires désireux de les
mettre ainsi à l'abri des confiscations et de la rapacité des
fonctionnaires. A cet effet ils payaient à la mosquée de
10 à 15 pour 100 de la valeur de leur propriété, plus une
minime rente annuelle, et conservaient le reste du revenu
comme une espèce de bénéfice, avec le droit de le vendre à
un tiers ou de le transmettre par droit d'héritage. Ces wa-
koufs ^ par la constitution desquels on mettait la propriété à
l'abri des confiscations, accrurent énormément les biens-
fonds des mosquées et fondations pieuses , le droit de suc-
cession en vigueur en Turquie excluant tous les collatéraux
et même les petits-enfants, et n'admettant que le fds à hériter
directement de son père , de sorte que les biens ainsi
cédés sont à la longue arrivés à appartenir en totalité aux
mosquées et fondations pieuses. Il en est résulté qu'elles
possèdent aujourd'hui les trois quarts du sol, sur lesquels
l'État ne peut mettre ni impôts ni charges quelconques.
Aussi le parti de la réforme en Turquie a-t-il maintes fois
annoncé hautement l'intention de supprimer ces wakoufs
de la coutume , ainsi qu'on les appelle , comme constituant
le principal obstacle à l'amélioration des finances.
VVALCHEREI\, l'île la plus importante de la province
de Zélande ( royaume des Pays-Bas), dont elle forme fex-
trémité sud-ouest, longue de 18 kilomètres et située entre
les deux embouchures de l'Escaut et la mer d'Allemagne.
Elle est divisée en quatre parties {uitwateringen) dénom-
mées d'après les quatre points de l'horizon et protégée» contre
l'invasion des flots de la mer par de magnifiques digues d'un
côté, et de l'autre par des dunes et des bancs de sable.
Le sol de l'île de Walcheren, d'une grande fécondité, pro-
duit beaucoup de froment, ainsi que de la garance d'excel-
lente qualité , et ses prairies nourrissent de magnifiques
troupeaux. Les habitants se livrent avec succès à la grande
pêche. Le chef-lieu de l'île est Middeldourg, dont le port
avoisine la forteresse de F^iessin^en (Flessingue).
En 1809 une expédition anglaise , forte de 50,000 hommes,
débarqua dans l'île de Walcheren , détruisit les fortifications
de Flessingue , puis s'en retourna sans pousser plus loin cette
entreprise.
WALDAI, ville du gouvernement de Novgorod (Rus-
sie), au milieu de montagnes auxquelles elle donne son nom,
sur la partie la plus élevée d'un plateau, au voisinage du
Papowa Gara, haut de 266 mètres au-dessus du niveau de
la mer, était uutrefbis fort mal et fort irrégulièrement cons-
truite; mais à la suite de fréquents incendies, elle a pris
un aspect beaucoup plus agréable. Entourée de toutes parts
par de sombres forêts de sapins, bàlie sur les bords d'un
lac qui a près de 10 kilomètres de long sur 7 de large, il
est peu de situations aussi pittoresques que celle de cette
ville, dont la population est de 5,000 âmes. Une espèce de
pâtisserie appelée barashkl, et que, suivant un antique
usage, les jeunes filles de Waldaï viennent en foule offrir à
tous les voyageurs qui passent par la ville , jouit d'une grande
réputation dans tout l'empire; et il en est de même des
cloches de la cathédrale, à cause de leur son, excessivement
clair. Waldaï est située presque au point intermédiaire do
la grande route qui relie entre elles les deux capitales de
l'empire.
WALDAÏ (Monts) ou Forêt de Wolchonski, le Mons
Alaunus des anciens. C'est le plateau intérieur le plus élevé
qu'il y ait en Russie, et H est d'une richesse extrême en
cours d'eau. C'est là en effet que prennent leur source le
Volga, le Dniepr, la Duna et une foule de petites rivières.
Ces montagnes abondent en chaux, grès, ardoise, vitriol,
fer et charbon de terre ; aussi ces productions minérales
sont-elles exploitées sur plusieurs points. Par suite des
défrichements opérés dans ces derniers temps , les forêts
qui couvrent les monts Waldaï ne sont plus en aussi grand
uombre qu'autrefois.
WALDECK, principauté souveraine, située au nord -
ouest de l'Allemagne et qui comprend l'ancien comté de
Waldeck avec le comté de Pyrmont. La population ( non
compris le comté de Pyrmont) est de 53,000 habitants.
On y compte treize villes, et elle a pour capitale A roi s en.
Le prince de Waldeck a une voix dans l'assemblée plé-
nière de la Confédération Germanique ; et dans le petit
conseil il participe à la seizième voix. Les revenus publics,
y compris ceux des domaines et des forêts, s'élè\ent à
368,800 thalers, et la dette à 1,300,000 thalers. La maison
de Waldeck est l'une des plus anciennes familles souve-
raines de l'Allemagne; elle a aujourd'hui pour chef le prince
Georges-Victor, qui en 1853 a épousé la princesse Hélène
de Nassau.
WALDSTEIiX. Voyez Wallenstein.
WALHALLA. Ainsi s'appelle dans la mythologie du
Nord le séjour des héros qui succombent dans les combats.
Ce palais brillant était situé à Gladsheim (séjour de la
joie), et en face s'étendait le délicieux bois appelé Glasur,
dont les arbres portaient des feuilles d'or. Devant le
palais, dont la hauteur était telle qu'on avait de la peine à
en apercevoir le sommet, était suspendu, comme symbole
delà guerre, un loup sur lequel se reposait un aigle. La
grande salle était toute tapissée de boucliers etde hampesde
lance. Elle avait .540 portes, par chacune desquelles pou-
vaient passer à la fois 800 einhcrjer, ou braves qui après
leur mort arrivaient chez Odin , et auxquels elle était des-
tinée. Les princes célèbres , surtout quand ils avaient dé-
vasté beaucoup de pays et porté au loin leur épée ruisse-
lante de sang, étaient reçus à leur entrée dans le Waliialla
par Bragi et Hermode, envoyés par Odin pour leur souhaiter
la bienvenue. La grande salle du palais était ornée en leur
honneur, et tous les héros divins se levaient à leur arri-
vée. Les walky ries leur versaient du vin, que d'ordinaire
on n'offrait qu'à Odin seul. Tous les rois entraient de droit
dans le Wallialla, quand même ils ne mouraient pas sur le
champ de bataille. Les joiesdu Wallialla paraissent d'ailleurs
avoir été réservées seulement aux grands et aux riches.
Comme il était honorable d'arriver au Wallialla avec une
suite nombreuse et de grandes richesses , les compa-
gnons d'armes du chef qui périssaient au milieu des combats
se donnaient volontairement la mort; et on plaçait dans le
tombeau du défunt , indépendauiment de son coursier et
de ses armes, les trésors qu'il avait acquis à la guerre. Cha-
que matin , au chant du coq , les einherjer se livraient
entre eux les plus effroyables combats : à raidi toutes leurs
blessures étaient guéries , et ils se réunissaient pour assister
à un banquet présidé par Odin. Odin lui-même ne prenait
que du vin ; il donnait sa part des mets à Geri et à Ireki ,
deux loups toujours assis à ses côtés. Les einherjer man-
geaient le lard du sanglier Sahrimmer et se rafraîchissaient
avec de la bière et de l'hydromel , qui coidaient en quan-
tité suffisante des pis de la chèvre Jfeidroun ; et les
walkyries qui les servaient à table sous la direction de
Freyj a , leur présentaient les cornes à boire. Quelquefois
Veinherjer clievaiiciiaitjusqu'à son tombeau, où il était reçu
par la walkyrie sa bien-aimée; et là il reposait mollement
dans ses embrasseinenls, jusqu'à ce qu'il s'écriât au point
du jour : « Il est temps de faire avancer le cheval jusqu'au
« pâle perron des nuages. Il faut que je m'en aille à l'ouest,
« vers le point du ciel , avant que le chant du coq réveille
'< les guerriers dans le Wallialla ! » La moitié des héros
tués dans les combats appartenaient à Freyja. Le sanglier
Sahrimmer, dont mangeaient les héros, était accommodé par
le cuisinier i4rt(/A/tmmer dans le chaudron appelé fWAriw-
mer. Sa voulait dire eau , And respiration ou âme, Eld feu.
Hrim , c'est-à-dire frimas , était la matière première de la
création. Les gouttes qui tombaient des intestins du cerf
Eikthyrnir surpendu au-dessus du Wallialla, étaient re-
çues dans le puits Hvergelmer, source de tous les fleuves
de la terre. Il semble par conséquent que les einherjer sont
les étoiles ou les esprits des étoiles, tirant leur uour-
060
WALHALLA — WALLACE
riture des éléments. Walhalla est évidemment ici le ciel.
Le n)i Louis de Bavière a donné le nom de Walhalla à
«n musée créé par lui à Munich, et dans lequel il s'est attaché
à réunir tous les souvenirs glorieux de l'Allemagne, de-
puis les ten^ps les plus reculés jusqu'à nos jours. Les ar-
tistes les plus célèbres de notre époque ont contribué à
J'édification et à l'ornementation de ce monument, l'un des
plus remarquables de la Bavière.
WALK Y RIES, dérivé du Scandinave val, monceau
de morts, et Kjœra, choisir. La fable des walkyries est
la partie la plus poétiquement et la plus effroyablement belle
de la doctrine des Ases (voyez Nord [Mythologie du])
et peut-être de toutes les mythologies. Les walkyries , ap-
pelées aussi vierges des batailles , vierges protectrices ,
lontde charmantesjeunes vierges toutes brillantes d'or, qui
parcourent les airs revêtues d'une armure étincelante, diri-
geant les batailles d'après les ordres d'Odin et répartissant
les chances de mort. Des crinières de leurs coursiers décou-
lent sur la terre de fertilisantes vapeurs. Les pointes de
leurs lances flamboient de lumière , et une scintillant* lueur
annonce leur arrivée sur le champ de bataille. Leur as-
pect enchanteur charme les yeux mourants du héros , et
ce sontellesqui alors le conduisent au VFa/^aZ/ a, où elles
lui présentent la coupe de l'immortalité. Deux walkyries,
Urislet Mist, présentent cette coupe à Odin lui-même.
Elles se distinguent les unes des autres par leur origine. Ou,
à l'instar des nomes, elles descendent tïalfes et d'autres
êtres surhumains ;ou bien ce sontdes filles de princes admises
de leur vivant même au rang des walkyries , et possédant
toutes leurs qualités ; après quoi ces esprits deviennent des
walkyries véritables. Elles chevauchent d'ordinaire trois
par trois, ou six par six, ou encore douze par douze, et pos-
sèdent la faculté de pouvoir se transformer en cygnes. 11 leur
arrive souvent de choisir des héros pour leurs bien-aimés.
C'est ainsi que Swawa, l'amante d'Helgi , renaît à deux
reprises avec lui comme Sigraun et Kara, l'accompagnant
dans les batailles et planant en chantant au-dessus de sa
tête sous forme de cygne. Dans l'ancienne poésie héroïque
du Nord , Brynhild est également une walkyrie. En puni-
tion de ce que, contrairement à la volonté d'Odin, elle
prend part aux batailles des hommes et à leur mort, celui-
ci lui avait enlevé la fonction de walkyrie et la destinait au
mariage. Touchée par l'épine somnifèred'Odin, elle demeura
plongée dans un sommeil magique jusqu'à ce que Sigurd ,
porté sur son généreux coursier à travers les flammes qui
entourent son château , dénoua sa cuirasse et détruisit le
charme. Quiconque parvient à dérober aux walkyries leur
enveloppe de cygne se trouve aussitôt leur maître. C'est
ainsi que trois audacieux héros s'étaient emparés des filles
de rois et walkyries Hladgudr Swanhwit, Herœd Alvitr
et Alrun, lofsqu'elles étaient assises au bord de la mer,
occupées à filer du lin magnifique. Elles resteront en leur
pouvoir pendant sept années ; puis elles reparurent dans les
combatssous forme de walkyries. Quelque aimables qu'elles
apparaissent ici, léchant des walkyries n'en inspire que
plus de terreur quand il retentit dans la JS'jalsaga, alors
que pendant le combat deSiglryg contre la Barbe de Soie et
le roi Brian d'Irlande, assises sur une montagne, elles
tissent le tissu de la bataille.
On confond souvent les walkyries avec les nomes. On
croyait aussi voir des walkyries dans les figures formées par
les nuages. C'est ainsi que le nom //m< signifie lueur sombre,
et Mist ébranlement. Cependant , la plupart des noms de
walkyries se rapportent à la guerre et aux combats.
VVALLACE ( William ) , célèbre guerrier écossais ,
naquit en 1270. Il était le plus jeune fils du chevalier Mal-
com Wallace d'EUerslie, dans le comté de Renfrew, en
Ecosse, et avait à peine dix-neuf ans lorsque, insulté par le
fils de Seiby , gouverneur du fort et du château de Dundee,
il le tua. Ce meurtre l'obligea à prendre la fuite, et l'amena
i se soulever contre les Anglais, qui oppricnaient alors
lE c 0 s s e. demeurée sans roi. Wallace réunit autour de
lui quelques aventuriers que leurs crimes forçaient \
mener une vie errante, se déclara leur chef , et d'une troupe
de brigands forma alors le noyau d'une armée qui fit
trembler l'Angleterre. Wallace, le véritable héros des temps
antiques, était d'une taille athlétique , d'une force hercu-
léenne , d'un courage sans bornes , et d'une patience encore
plus extraordinaire. Il fut presque toujours heureux dans ses
luttes contre les oppresseurs de sa patrie. Connaissant par-
faitement le pays, jamais il ne se laissa surprendre. Était-il
poursuivi par des forces supérieures , sa troupe se disper-
sait à l'instant dans les forêts et dans les montagnes. Le
croyait-on presque seul, il ne tardait pas à reparaître avec
un corps considérable : il tombait à l'improviste sur ses en-
nemis, et répandait partout la terreur. Chaque jour la répu-
tation de Wallace s'accroissait , chaque jour le nombre de
ses partisans augmentait ; tous ceux de ses compatriotes
qu'animait l'amour de la [latrie venaient se ranger sous ses
étendards. Robert Bruce lui-même, Douglas et beaucoup
d'autres grands secondaient en secret ses efforts. En
1298 le roi d'Angleterre Edouard \" fit entrer en Ecosse
une armée aux ordres du comte de Waren. Celui-ci pénétra
jusqu'à Stirling; mais le 11 septembre 1298 il fut complè-
tement battu par Wallace, sur les bords du Forth, et par
suite il se vit contraint d'évacuer l'Ecosse avec le restant
de ses forces. Wallace, déclaré le sauveur de la patrie, fut
nommé administrateur du royaume pendant l'absence de
Jean Baliol, qu'Edouard I" avait fait roi d'Ecosse, qu'il avait
ensuite déposé et qu'il retenait prisonnier. Comme de toutes
parts on accourait se placer sous ses ordres , il résolut de pro-
fiter de cet enthousiasme pour envaiiir l'Angleterre, et
venger ainsi sur elle les maux dont elle avait accablé sa pa-
trie. Après avoir repris la ville de Berwick, le 1" novembre
1298, il pénétra dans les comtés du nord de l'Angleterre,
y mit tout à feu et à sang, poussa ses ravages jusqu'à Dur-
ham , et retourna en Ecosse chargé de dépouilles. Cepen-
dant, Edouard, alors en Flandre, et qui venait de con-
clure un traité avec le roi de France quand la nouvelle de
ces événements lui arriva , se hâta de retourner en Angle-
terre, y rassembla une armée de 80,000 hommes d'infanterie
et de 7,000 cavaliers, et se disposa à entrer en Ecosse. Les
Ecossais étaient d'autant moins en mesure de résister à des
forces si considérables, qu'ils étaient en proie à la discorde.
Les seigneurs trouvaient qu'd était honteux de reconnaître
pour régent et général en chef un simple gentilhomme
tel que Wallace. Celui-ci , pénétrant leurs sentiments et
prévoyant les calamités qui en résulteraient pour le pays ,
résigna librement son autorité, ne conservant que le
commandement d'un corps de ses partisans qui refusaient
de suivre tout autre chef. Le sénéchal d'Ecosse et lord Cum-
myn de Badenock obtinrent la puissance suprême et réu-
nirent aussi autour d'eux un corps de troupes. L'armée
combinée marcha alors sur Falkirk, oii elle lut attaquée
par Edouard, le 12 février 1299. En dépit de toute la bra-
voure dont Wallace fit preuve dans cette affaire , la su-
périorité des archers anglais fit pencher la victoire de leur
côté; les Écossais furent battus, et laissèrent sur le champ
de batatlle environ 50,000 hommes. Wallace, qui montra
dans cette déroute toute la présence d'esprit qui le distin-
guait , conserva intact son petit corps d'armée, et se retira
derrière le Corron, petit fleuve étroit mais profond. Les
provinces du Nord persistèrent dans leur révolte; mais
Wallace, dont les forces avaient considérablement diminué,
n'était plus dangereux pour Edouard. En 1302, les barons
Écossais s'étant encore une fois soulevés contre les An-
glais , Wallace donna de nouvelles preuves de son intré-
pidité ainsi que de son dévouement à la patrie commune,
mais fut mal secondé. Toutefois, il ne cessa pas de combattre
pour la liberté et l'indépendance nationales , même après
la conquête complète qu'Edouard fit de l'Ecosse en 1304.
Irrité de cette résistance opiniâtre , Edouard mit tout en
«jeuvre pour découvrir sa retraite et se rendre maître de sa
personne. Wallace lui échappa quelque temps ; mais eulia
WALLACE — WALLENSTEIN
961
il fut tralii par un de ses amis , le chevalier John Monleith,
auquel il avait confié le lieu de sa retraite , et qui eut l'in-
fanoie de le livrer. Dès qu'Edouard eut Wallace entre les
mains, il ordonna de le conduire à Londres chargé de fers,
où il le fit condamner à mort el décapiter, à Towerhill , le
23 août 1305. Ses membres furent envoyés en diverses villes
d'Ecosse, où on les suspendit au gibet. Mais la gloire de
Wallace a survécu dans les chants consacrés à sa mémoire
par les Écossais.
Le barde écossais Plend-Harry, qui vivait vers le milieu du
quinzième siècle, a célébré la vie et les hauts faits de Wallace
dans un poëme qui est encore fort répandu aujourd'hui.
La meilleure édition est celle qui a paru à Perth, en 1790.
WALLENSTEIN ou plutôt WALDSTEIN (Albert-
Wenceslas-Eusèbe), duc de Friediand, de Mecklembourg et
de Sagan, naquit le 15 septembre 1583, en Bohême, à Her-
manic , manoir appartenant à son père, Wilhelm de Wald-
stein. Sa mère était née baronne de Smirricky de Smirric ,
et, comme son mari, professait les opinions religieuses des
protestants de la Bohême. Dans son enfance Waldstein Iré-
quenta l'école des frères moraves , à Koschumherg. A l'âge
de seize ans nous le trouvons au convictorium des jésuites
d'Olmutz, où, après la mort prématurée de ses père et mère,
l'avait placé son oncle, appelé Albert Slavata; et c'est dans
cette maison qu'il se convertit au catholicisme. H visita ensuite
les universités de Bologne et de Padoue, voyagea en Italie, en
Allemagne , en France , dans les Pays-Bas ; et à son retour
il prit du service en Hongrie, dans l'armée de l'empereur
Rodolphe, commandée par le général Basta. A la paix de
1606 il revint avec le grade de capitaine en Bohême, mais
pour peu de temps. 11 y épousa une veuve déjà âgée de
soixante-dix ans , Lucrèce Nikessin de Landeck , qui à sa
mort, arrivée en 1614 , le laissa possesseur de biens consi-
dérables. Il hérita en outre de quatorze domaines apparte-
nant à son on.cie , de sorte qu'il fut dès lors regardé comme
un des plus riches seigneurs du pays. Après avoir secondé
l'archiduc Ferdinand dans la guerre contre Venise, il fut
créé comte et nommé colonel. Son mariage avec Isabelle-
Catherine, fille du comte deHarrach, lui valut de puissantes
relations à la cour. Au lieu de prendre part à l'insurrection
de la Bohême , il conserva à l'empereur la caisse du pays, et
leva à ses frais un régiment, à la tête duquel il combattit avec
succès contre Thurn et Bethlen Gabor. Lorsque la bataille de
Weisenberg {i&20) eut anéanti les espérances des patriotes
bohèmes, et que ceux qui échappèrent à la hache du bourreau
furent bannis du pays, Waldstein acheta soixante seigneuries,
tant grandes que petites, confisquées par l'empereur, moyen-
nant la somme de 7,290,228 florins. Il fut ensuite élevé
en 1623 par l'empereur, en récompense de ses services et
de sa fidélité, à la dignité de prince de l'Empire, sous le titre
de prince de Friediand. Quoique l'empereur ne lui eût en-
core lait don d'aucun domaine, Waldstein possédait déjà à ce
moment une fortune de trente millions de tlorins en fonds
de terre, qu'il sut accroître constamment par une excellente
administration et en tenant rigoureusement la main à l'ac-
quit de toutes les redevances et corvées. Quand, en 1625, la
ligue de la basse Saxe mit encore une fois l'empereur dans
une situation critique, Waldstein lui offrit de lever ù ses
frais une armée de 40,000 hommes ; et , le 25 juillet 1625 ,
il fut nommé généralissime et feldmaréchal. A la tête de
30,000 hommes il s'empressa alors d'aller rejoindre ïilly
sur les rives du Weser, puis il se dirigea vers les bords de
l'Elbe. Le 25 avril 1626 il remporta au pont près de Dessau
une victoire complète sur le comte de Mansfeld ; et à la
fin de cette même année, celui-ci s'étant dirigé à travers la
Silésie vers la Hongrie pour y opérer sa jonction avec
Bethlen Gabor, Waldstein se lança à sa poursuite à la tête
d'une armée de 50,000 hommes, et fit échouer son pro-
jet. En 1627 l'empereur, qui créa Waldstein duc, le char-
gea de chasser ses ennemis de la Silésie et d'occuper le
Mecklembourg, la Poméranie et le Brandebourg, afin
d'empêcher ces pays protestants de venir eu aide à Chris-
DICT. DE LA CONVERS. — T. XVI.
lian IV, roi de Danemark. Waldstein ayant délivré la Silésie,
l'empereur lui vendit le duché de Sagan moyennant
125,708 florins à valoir sur le remboursement de ses (rais
de guerre. Les ducs Adolphe-Frédéric et Jean-Albert de
Mecklembourg, soupçonnés d'entretenir des relations se-
crètes avec le roi de Danemark, furent mis au ban de
l'Empire et par une patente impériale du 1^"^ février 1628
dépouillés de leur duché, que l'empereur Ferdinand oc-
troya à Waldstein , d'abord seulement à titre de gage pour
le payement de ce qui lui restait encore dû sur ses frais du
guerre, mais bientôt après en toute propriété et eu
vertu d'un contrat de vente régulier. Toutefois , l'ex-
pédition que Waldstein, par suite de cette nouvelle acquisi-
tion , se vit obligé d'entreprendre contre la Poméranie et
Stralsund ne fut point heureuse; et secourue par des troupes
suédoises et danoises, cette ville lui opposa une si vigou-
reuse résistance , qu'après un siège de quatre mois il se vit
contraint de s'éloigner. Cependant, les justes plaintes élevées
contre les déprédations et les violences de tous genres
commises par les bandes à ses ordres acquéraient chaque
jour plus de gravité. Les jalousies dont il était l'objet
parmi les autres princes allemands, qui redoutaient de
lui voir quelque jour employer contre eux-mêmes ses façons
d'agir, empreintes du plus brutal despotisme militaire ,
vinrent alors en aide aux griets des populations; et en 1630
il fut destitué de ses fonctions dégénérai en chef de l'armée
impériale. Waldstein se retira alors dans sa résidence
de Gitschin, où il s'entoura de tout le faste qui est l'attribut
des souverains, attendant que le temps vînt où on aurait
de nouveau besoin de ses services.
Sur ces entrefaites, Gustave-Adolphe débarqua le 24 juin
1630 sur les côtes de la Poméranie, et battit Tilly, le 7 sep-
tembre 1631 , à Breitenfeld, près de Leipzig. L'empereur,
réduit à la dernière extrémité , n'eut plus alors d'autre res-
source que de recourir au duc de Friediand. Après avoir
à diverses reprises repoussé de la manière la plus positive
les propositions qui lui furent faites de Vienne au nom de
l'empereur, Waldstein céda enfin aux instances dont il était
l'objet, et consentit, au commencement de l'année 1632, à
reprendre le commandement de l'armée impériale. Toutèlois,
dans la convention intervenue à cette occasion entre lui et
l'empereur, Waldstein , pour ne pas se trouver une seconde
fois exposé au traitement dont il s'était vu l'objet en 1630,
eut soin de stipuler qu'il lui serait fait une position com-
plètement indépendante. L'empereur lui promit comme ré-
compense ordinaire un domaine impérial héréditaire, et à
titre de récompense extraordinaire le droit de souveraineté
sur les pays qu'il conquerrait en même temps que les
ressources nécessaires pour faire la guerre; enfin, en cas
d'insuccès, le droit de se retirer librement à toute époque
dans celui des États impériaux qu'il choisirait pour y fixer
sa résidence. Après avoir obtenu ces diverses concessions ,
Waldstein se mit enlin à la tête de l'armée impériale, forte
de 40,000 hommes, qui se trouvait alors réunie en Moravie.
11 ouvrit la campagne en reprenant Prague et en chassant
les Saxons de la Bohême. Il se dirigea ensuite vers Nu-
remberg pour délivrer la Bavière des Suédois, qui avaient
pénétré jusqu'à Munich. Il y repoussa une attaque désespé-
rée que Gustave-Adolphe tenta contre son camp retranché,
le 4 septembre 1632, el le contraignit d'abandonner la posi-
tion avantageuse qu'il occupait. A quelque temps d3 là, tandis
que le roi de Suède menaçait de nouveau la Bavière, Wald-
stein avec toutes ses forces envahissait la Saxe; mais sur
les instances de l'électeur, Gustave-Adolphe accourut aussitôt
à son secours, el vint camper à Naumbourg sur la Saale. Le
duc de Friediand, persuadé que son ennemi ne l'inquiéterait
pas pendant l'hiver, délivra des congés à Pappenheim et à
plusieurs régiments; Gustave n'en fut pas plus tôt informé
qu'il s'avança, le 15 novembre, jusqu'à Weissenfels; et le
lendemain il livra cette célèbre bataille de Lutzen, dans
laquelle il perdit la vie tout en gagnant la victoire {voyez
Trente ans [Guerre de]).
6i
962
WALLENSTEIN — WALLER
Quand Waldstein eut réorganisé son armée en Boliême,
il marcha de nouveau contre les Saxons ; Fnais il conclut
avec eux au mois de juin une suspension d'armes , qui ne
devait d'abord durer que quinze jours, et qu'on convint en-
suite de prolonger jusqu'à l'automne. Sauf la surprise d'un
corps suédois à Steinau , au mois d'octobre , il ne se passa
rien d'important jusqu'à l'hiver. Or, pendant tout ce
temps-là Waldstein suivit avec les Saxons et les Suédois
des négociations diplomatiques dont lebut n'est pas bien clair.
Sans attacher grande importance à chacune des paroles qu'il
prononça ou qu'on lui fait prononcer à cette occasion, on
doit croire que son but était uniquement de désunir les al-
liés. Il est incontestable qu'il y avait maintenant tendance
de sa part à vouloir diriger les affaires politiques , encore
bien qu'on ne puisse prouver que ce fût dans des intentions
de traliison. Les négociations entamées n'aboutirent pas, et
pendant ce temps-là un orage se forma contre lui à Vienne.
Il se proposait d'établir ses quartiers d'hiver en Bohême
et en Moravie ; l'empereur, au contraire, aurait voulu qu'il
marchât sur la Bavière, pour protéger ce pays contre le
duc de Sa\e-Weiraar. Les pourparlers qui eurent lieu à
ce sujet n'amenèrent aucun résultat, parce que Waldstein,
invoquant les termes de son traité, alléguait la rigueur de
la saison comme obstacle, et que l'empereur n'avait aucun
moyen de se faire obéir par son tout-puissant général. Ce
prince finit par se contenter de la promesse assez vague de
Waldstein d'envoyer un petit corps de troupes en Bavière,
et sembla ( eu décembre ) avoir oublié ce petit conflit d'au-
torité ; mais il n'y avait de sincérité d'aucun côté. Vers la fin
de l'année Waldstein avait ouvert de nouvelles négociations
avecles Saxons, lesSuédois et les Français ; négociations qui,
sans avoir peut-être pour but une trahison immédiate, pou-
vaient du moins lui assurer l'appui de l'étranger s'il venait à
se brouiller ouvertement avec l'empereur, et qui dans tous
les cas étaient inconciliables avec sa position de général en
chef des armées impériales. Or, pendant ce temps-là les en-
nemis de Waldstein, la Bavière surtout , intriguaient sans
relâche à Vienne pour lui faire enlever son commande-
ment, et provoquer même une sanglante catastrophe s'il
n'y avait pas moyen d'en finir autrement. Une fois qu'on sut
qu'il avait fait signer, le 12 janvier 1634 , aux officiers sous
ses ordres un acte par lequel ils s'engagaient à ne pas l'aban-
donner, son sort fut décidé à Vienne, quoique d'abord
on y payât sa duplicité en même monnaie et qu'on entre-
tînt avec lui une correspondance amicale, afin de ne point
éveiller ses soupçons. Mais le 24 janvier l'empereur signait
une patente qui déclarait le duc en état de rébellion. Son
commandement en chef lui était enlevé, et on le confiait aux
généraux Piccolomini et Gallas, qui eurent ordre de s'emi)arer
du duc de Friedland, mort ou vif. Waldstein, qui depuis
quelque temps sentait le terrain trembler sous ses pieds,
s'efforçait de se justifier auprès de l'empereur et cherchait à
éviter toute démarche officielle de nature à le compromet-
tre ; mais en secret il poussait plus activement que jamais
la conclusion d'un traité avec la Suède et la France. Quand
il se vit cerné et attaqué par Piccolomini et Gallas, et qu'il
dut craindre pour sa sûreté, il prit le parti de se jeter avec un
petit nombre d'hommes dévoués dans Egra, place bien for-
tifiée. Indépendamment de sa femme et de la comtesse
Terzka,iIétaitaccompagnépar les colonels Terzky,Kinskiet
lllo. Le colonel Buttler, irlandais et cathohque, comman-
dait l'escorte, forte de deux cents dragons ; mais Piccolomini et
Gallas s'étaient déjà entendus avec lui. On suppose que l'as-
trologue Seni, qui accompagnait Waldstein partout, était
aussi du complot. A Egra Buttler s'adjoignit deux autres
officiers irlandais, Gordon et Leslie, et il fut décidé que la
prompte exécution aurait lieu dès le 25 février au soir.
Quand Terzky, lllo et Kinski et le capitaine Neumann
eurent été égorgés dans le château , où le commandant Gor-
don les avait priés à un gala de mardi gras, le capitaine
Devereux se chargea de pénétrer avec six dragons dans
une maison particulière, située sur la place du Marché ,
où était descendu Waldstein. Celui-ci était déjà couch4
lorsque les meurtriers y entrèrent. Il se leva précipitamment
puis tomba mortellement frappé d'un coup de pertuisane.
Waldstein était de haute stature, maigre , avec des yeux
vifs et brillants, des cheveux rouges, et un teint maladif
jaune-verdâtre. Ses manières étaient brusques. Il parlait peu,
riait rarement, et dans la conversation gardait toujours
cette réserve fière et cette gravité qui sont le propre d on
esprit sévère et dominateur. Ce n'est que dans ces derniers
temps qu'on a pu se faire une opinion arrêtée sur la cul-
pabilité ou la non-culpabilité de Waldstein. Depuis long-
temps on admet qu'il mourut victime de la haine aveugle
d'ennemis habiles , et on est autorisé à le penser d'un côté
par la conduite de la cour impériale à son égard, de l'autre
par la maladresse avec laquelle on motiva la catastrophe
d'Egra. Fœrster, dans ses Ze«re5 sMr Waldstein (Berlin,
1828), sa Biographie de Waldstein {Voi?,à&m, 1834) et son
Procès de Waldstein (Leipzig, 1844), a cherché à démon-
trer, à l'aide de documents de source autrichienne, la uon-
culpabilité de Waldstein, sans y réussir complètement mal-
gré les renseignements officieusment mis à sa disposition.
Depuis, d'autres écrivains, tels que Arétin, Helbig et Dubik,
en s'appuyant sur des matériaux puisés dans les archives de
Bavière, de Saxe et de Suède, ont publié des ouvrages des-
quels il faudrait conclure qu'effectivement le duc de Fried-
land était innocent , et que ses négociations n'avaient été
que des ruses de guerre. L'héritier direct de Waldstein, le
comte Christian de Waldstein- Wartemberg, a invoqué les
ouvrages de Fœrster pour faire valoir ses droits à la restitu-
tion des biens de son aïeul, illégalement confisqués , mais
sans pouvoir y réussir. Les œuvres dramatiques de Schiller,
Le Camp de Waldstein, Les Piccolomini et La mort de
Waldstein, reposent sur un fond historique. Quelques-
uns des personnages qui y figurent, tels que Thécla et Max,
sont des créations de l'imagination du poète. La fille de
Waldstein s'appelait Marie-Élisabeth.
WALLER (Edmond), poète anglais, né en 1605, à
Coleshill, dans le comté de Warwick, fut élevé à Eton et
à Cambridge. De bonne heure héritier d'une fortune consi-
dérable, il parut à la cour dès l'âge de seize ans , et à dix-
huit ans il entra à la chambre des communes. A ce titre i!
se rattacha d'abord, en 1640, à l'opposition, puis il tourna
peu à peu au parti royaliste, et il entra même dans un com-
plot ayant pour but de le rendre maître de la ville de Lon-
dres. Mais ce complot fut découvert; et pour se sauver Wal-
ler dénonça tous ses complices, dont plusieurs furent punis
de mort. Sa trahison, le payement d'une amende de 10,000
liv. sterl. et un emprisonnement d'une année lui valurent
la vie sauve. Cependant, il dut quitter l'Angleterre; et en
France, où il se retira , il vécut dans un grand dénûment.
Enfin, Cromwell, qui était de ses parents, le rappela, et
Waller devint l'un des habitués de cette nouvelle cour. Ce
fut alors qu'il composa en fort beaux vers le panégyrique de
Cromwell. Celui-ci savait l'apprécier, et après avoir tenu des
discours emphatiques et obscurs avec ses puritains, il ve-
nait se délasser en homme d'esprit avec Waller, qui le loua
avec goût et élévation , sans pouvoir cependant obtenir de
lui aucun emploi salarié. Puis vint la restauration de Char-
les II , qui fournit à Waller la matière d'un nouveau pané-
gyrique, moins bon pourtant que l'autre. Mais le courtisan
s'en tira avec bonheur; car le roi lui ayant reproché de
l'avoir moins bien loué que l'usurpateur, « C'est, répondit-il,
que la poésie réussit toujours mieux dans la fiction que
dans la réalité ». Waller plut encore à cette nouvelle cour,
dont il notait malignement les fautes et dont il prévoyait
les malheurs. Sa poésie, vive, étincelante , gaie , facile,
lui valut une immense popularité. Il a rendu célèbre une
noble dame qu'il voulut épouser, qui le refusa, et qu'il dé-
signe sous le nom de Sacharisse; mais dans les vers qu'il
lui adressa la vanité parle plus que l'amour. Enfin, parvenu
à la vieillesse, il dit que comme le cerf il voulait mourir à
l'endroit d'où il était parti. Uquiltadonc la ville pour la cam-
WALLER — WALPOLE
963
pagne, et mourut dans son domaine de Beaconsfield , le
21 octobre 1687. Il dut regretter de ne pa voir encore
s'accomplir une révolution de plus , de ne pouvoir pas sa-
luer un pouvoir nouveau, sauf à médire ensuite de ses
fautes. Waller est un poète plus estimé que lu en Angleterre ;
mais son caractère est amusant à étudier. Il a élé un de ces
moqueurs qui assistent aux révolutions, et qui tiennent soi-
gneusement note de leurs ridicules pour Tinstruction de la
postérité. Ernest Desclozeabx.
WALLIS (Jean) , mathématicien anglais , né en 1616,
àAstifort, dans le comte de Kent, mort en 1703. Lorsque
la révolution d'Angleterre éclata, Wallis, qui remplissait
à Londres des fonctions ecclésiastiques importantes, se mon-
tra l'un des adversaires les plus ardents des doctrines que
les indépendants cherchaient à répandre dans le pays. Lors-
que ces doctrines eurent triomphé, le gouvernement nouveau
ne l'en appela pas moins à la chaire savilienne de géométrie
de l'université d'Oxford. « C'est là, dit Fourier, que l'habile
mathématicien mit le sceau à sa réputation. Sa correspon-
dance avec les savants les plus célèbres , soit en Angleterre ,
soit sur le continent, ses réponses aux questions de Pascal et
à celles qui furent proposées par l'illustre géomètre français
Fermât, ont marqué depuis longtemps sa place dans l'his-
toire des sciences qui exigent les plus grands efforts de
l'esprit humain ; il a étendu et pour ainsi dire créé de nou-
veau la doctrine des indivisibles deCavalieri; son arithmé-
tique des infinis a précédé et l'on pourrait dire su^éré les
découvertes analytiques de Newton. De tous les précurseurs
de ce grand homme, Wallis est celui dont les inventions
mathématiques étaient le plus nécessaires au calcul des sé-
ries infinies et des fluxions , ou , ce qui est presque la même
chose , à l'analyse différentielle de Leibnitz. « On a reproché
justement au géomètre anglais ses préventions contre Des-
cartes, dont la gloire lui était importune. Charles II le
nomma son chapelain; et Guillaume d'Orange, à son avè-
nement au trône, ne vit en lui que le savant qui honorait
sa patrie par d'immortels travaux. Il fut l'un des premiers
membres de la Société Royale de Londres. Il avait une sa-
gacité merveilleuse pour interpréter les lettres écrites en
chiffres : ce talent avait commencé sa fortune , et lui assura
de nombreux avantages de la part de la maison de Hanovre.
On ne doit pas non plus oublier qu'il fut l'un des créateurs
de l'enseignement des sourds-muets. Sédillot.
WALLIS (Iles), situées par 13° lat. S. et 179° long.
O., dans l'archipel de Tonga ( Polynésie ), que Balbi propose
de réunir dans un groupe nouveau, auquel il donne le nom
d'archipel A'Ooua-Horn, et qu'il compose des îles Ooua,
Var ader s. Cocos, Bonne- Espérance, Horn et Wallis.
Elles furent découvertes en 1667 par le navigateur anglais
Wallis. Chez les habitants de la dernière des îles de ce
groupe existe l'usage barbare de se couper le petit doigt,
qu'on rencontre également chez plusieurs peuplades de
l'Australie. Les missionnaires français se sont établis déjà
depuis longues années aux îles Wallis, et leur zèle y a
conquis un grand nombre d'adeptes à la foi du Christ. Là,
comme partout , leur mission a élé toute de moralisation
et de civilisation. La polygamie notamment y a cessé, à
Pexception de deux chefs. Reconnaissantes des bienfaits
dont elles étaient redevables aux bons étrangers, les po-
pulations des îles Wallis , qu'on évalue à 3,000 âmes envi-
ron, voulurent, il y a quelques années, se placer sous le
protectorat de la France. Mais là encore la politique pusil-
lanime de Louis-Philippe vis-à-vis de l'Angleterre s'opposa
à ce qu'on accueillît ces ouvertures, qui ne tendaient à rien
moins qu'à doter notre pays, dans ces parages lointains,
d'une station aussi importante sous le rapport stratégique
que sous celui des développements de notre commerce et de
notre industrie.
WALLONS, nom donné aux habitants de certaines
provinces de Belgique, comme l'Artois, le Hainaut, Namur,
une partie de la Flandre, le Brabant, le pays de Liège, le
Limbourg et le Luxembourg, où on parle le wallon ou l'an-
cien français, langue que quelques-uns croient dérivée du
gaulois. L'étymologie de ce nom est le vieux mot allemand
wahle, qui signifie étranger, ou, dans un sens plus res-
treint, Gaulois. Les gardes wallones, qui formaient au-
trefois une partie des troupes d'élite de la couronne d'Es-
pagne, étaient ainsi appelées parce que tant que les rois de
Castille restèrent maîtres des Pays-Bas, elles furent recrutées
dans ces contrées. La Hollande avait aussi des troupes por-
tant la même dénomination et provenant de la même ori-
gine. L'Église française réformée porte encore dans certaines
parties des Pays-Bas le nom de waalsche-kerk ou waals-
che-gemeenie, parce que les réformés des Pays-Bas wallons
s'y réfugièrent quand la Hollande fut érigée en république.
WALMER-CASTLE. VoyezDExt.
WALPOLE (Robert), comte d'Oxford , était né le 26
août 1676, à Houghton, comté de Norfolk, dans une de ces
vieilles familles qui remontent à l'invasion saxonne. C'était
le fils d'un membre du parlement , mais le troisième fils. Il
avait donc à faire son chemin par lui<même. La nature lui
avait donné des talents remarquables ; par malheur, il était
indolent. Toutefois , grâce à son précepteur, on le regar-
dait comme un des meilleurs écoliers d'Eton, lorsqu'il
passa de cette pension à l'université de Cambridge. Des-
tiné à l'Église, la mort de ses deux frères vint brusque-
ment changer sa carrière. Lejeune théologien laissa là l'exa-
men des textes sacrés pour les distractions rurales d'un
gentilhomme. Bientôt il épousa la riche fille du lord-maire
de Londres, et entra à la chambre des communes , où il se
rattacha au parti des whigs, alors au pouvoir. Son ha-
bileté et son éloquence lui valurent bientôt la faveur de
Mariborough, qui en 1708 le fit nommer secrétaire d'État de
la guerre et en 1709 trésorier de la marine. On disait la reine
Anne fatignée au même degré du système des whigs et de
l'insatiable rapacité du duc de Mariborough, leur chef, dont
les obsessions étaient encore surpassées par celles de la du-
chesse sa femme. Elle se débarrassa en effet des partisans
de la révolution avec une joie d'enfant et une ingratitude de
reine. Walpole, sorti des affaires avec Mariborough, son
protecteur, et ses autres amis (1711), fut traité le plus sévè-
rement de tous. Il avait le moins outragé la couronne, mais
il avait offensé les tories. Ils l'accusèrent devant la cham-
bre de péculat et de corruption pour avoir reçu la somme
de 500 liv. sterl. et une obligation de pareille somme en
considération de deux contrats de fourrage faits par lui pen-
dant son administration. La chambre, empressée de con-
damner l'ancien secrétaire de la guerre , l'expulsa de son
sein et l'envoya à la Tour. Cela était rigoureux ; mais cela
n'était que juste. En 1714 le bourg de Lynn eut le courage
de porter de nouveau Walpole à la chambre; et celle-ci eut
beau casser l'élection, la bourgade gagnée persévéra dans son
choix. Walpole reprit donc sa place au grand conseil de la
nation. Comme whig et zélé partisan de la maison d'Ha-
novre, il fut nommé à l'avènement de Georges 1" con-
seiller privé et payeur général de l'armée de terre et de mer.
A l'ouverture du nouveau pariement, qui eut lieu en 1715, il
fut appelé à faire partie de la commission d'enquête chargée
d'examiner la conduite du ministère tory, et eut ainsi l'occa-
sion de tirer une cruelle vengeance des affronts qui lui avaient
élé faits. Ox fort etBolingbroke furent condamnés d'au-
tant plus légitimement , aux yeux des communes , que l'un
d'eux (Bolingbroke) avait fui, ainsi que le duc d'Ormond
que l'Ecosse venait de s'insurger au nom de Jacques III ,
et que la situation de la nouvelle dynastie s'était trouvée
plus compromise par cette rébellion. Cependant, les com-
munes finirent par abandonner le procès d'Oxfort, par dépit
contre les pairs. Peu après ce débat , Walpole fut nommé
premier commissaire de la trésorerie, chancelier et sous-tré-
sorier de l'échiquier. Mais à peu de temps de là ses ennemis
l'accusèrent d'avoir cherché à corrompre des membres du
parlement ; et la crainte d'une enquête de même que des
démêlés avec ses collègues sur des questions de finance
le déterminèrent à donner sa démission des fonctions de
61.
964
WALPOLE
conseiller de la couronne, en avril 1717. Mais alors, comme
simple membre du parlement, il proposa à la chambre des
communes un plan grandiose pour réduire de 6 à 5 pour 1 00
l'intérêt de la dette publique , qui atteignait déjà le chiffre
de 47.322,700 liv. sterl. A ce propos il s'éleva entre lui et
le secrétaire d'État Stanhope une lutte personnelle, dans la-
quelle ces deux hommes politiques révélèrent mutuellement,
à la grande surprise de la nation , les actes de corruption et
ies turpitudes dont tous deux s'étaient rendus coupables.
Walpole chercha à se concilier l'opinion en passant à l'oppo-
sition, en insistant sur la réduction des subsides et de l'effectif
de l'armée permanente. Une fois lancé, il combattit le minis-
tère sur toutes les questions. Devenu chef de l'opposition,
ce fut entre lui et les conseillers de Georges une guerre per-
manente ; et telle fut bientôt sa puissance, que la couronne
se vit obligée de comprendre ce qu'il voulait. On lui fit des
avances , et il se montra facile ; on doit même avouer qu'il
tourna trop court. Dès l'an 1720 non-seulement il cessa
tout à coup d'attaquer le ministère , mais il se montra si
complaisant à son égard, que personne ne fut surpris quand
il fut nommé de nouveau payeur général des troupes. Il avait
entraîné ses amis dans sa chute ; il fit accorder à chacun
d'eux des faveurs proportionnées à leur importance. Il avait
fait diminuer l'état des troupes; il le fit augmenter, sans que
les circonstances eussent changé. Cette conduite , dégagée
de toute dignité, irrita profondément l'opinion ; et bientôt
l'avidité avec laquelle Walpole profita de la connaissance des
affaires pour grossir sa fortune par un agiotage vulgaire
et faire celle de ses parents, de ses amis, de ses créatures,
marqua définitivement la place qu'il devait occuper dans le
jugement de la nation. Si la cour se fût respectée, elle l'eût
averti , elle l'eût éloigné. Elle n'y regarda pas de si près avec
un homme aussi utile ; elle le fit, au contraire, premier
commissaire de la trésorerie et chancelier de l'échiquier.
Walpole demeura vingt ans au pouvoir, protégé par
Georges l^' et Georges II , chanté par tous les écrivains qu'il
payait, par le grand Pope lui-même, admiré, envié de
tous les ministres de l'Europe ; mais cette longue et brillante
administration ne fut qu'un démenti continuel donné par le
ministre aux principes qu'avait professés le député pour ar-
river au pouvoir. Il introduisit, il est vrai, la plus grande
économie dans les dépenses , réduisit la dette publique de
sept millions de livres sterling et les intérêts de la dette par
une diminution opérée avec habileté dans un moment favo-
rable et au moyen de manœuvres habiles. Dans l'intérêt
des finances, il dissuada le roi de faire la guerre, secourut
généreusement le commerce et l'industrie, contribua beau-
coup au développement de la prospérité des colonies d'A-
mérique, qu'il se refusa à imposer, et employa des sommes
considérables en travaux publics. Quand, en 1723, le roi alla
visiter ses États du Hanovre , il confia le gouvernement à
Walpole, et voulut lui conférer la pairie , que celui-ci eut
l'habileté de n'accepter que pour son fils. Mais la faveur et
les distinctions sans nombre dont il jouissait à la cour éveil-
lèrent de plus belle la haine et la jalousie de ses adversaires.
On l'accusa de vouloir agrandir le pouvoir royal au détri-
ment des libertés nationales, et de puiser dans le trésor
public les sommes avec lesquelles il s'assurait la majorité
dans la chambre; reproche qui n'était que trop fondé, car
Walpole pratiquait la corruption au grand jour et sans ver-
gogne. Malgré cela, l'adroit Walpole conserva toute la con-
fiance de la dynastie nouvelle; et dans les dernières années
de la vie de Georges I", il se mit aussi au mieux avec l'hé-
ritier de la couronne. A l'avènement de celui-ci au trône ,
en 1727, Walpole garda son portefeuille ; et pendant cinq
ans il continua à exercer toute son influence, employant
même la corruption avec plus d'audace que jamais. Pour
empêcher la contrebande il proposa en 1733 au parlement
un bill connu sous le nom li^ Accise bill, qui indisposa au plus
haut degré les négociants et le petit peuple , et qu'il se vit
Xorcé de retirer. Il s'aliéna également l'opinion du commerce
et des colonies en s'opposant, dans l'intérêt des finances, à
une déclaration de guerre l'Espagne; et quand il lui fallut
enfin céder au vœu général , il apporta tant de lenteur dans
les armements que ses ennemis l'accusèrent de trahison.
En 1738, un certain Sandys, qui le remplaça plus tard au
ministère, l'accusa dans la session parlementaire de corrup-
tion et de trahison , en apportant des preuves écrites à l'ap-
pui de cette accusation. Walpole se défendit avec autant de
sang-froid que d'habileté; mais il aurait eu de la peine à
éviter une condamnation si la cour n'avait pas traîné l'af-
faire en longueur. Le peu de succès de la guerre com-
mencée contre l'Espagne en 1739, puis la guerre contre la
France en 1741, et l'augmentation des charges publiques qui
en fut la suite, achevèrent d'enlever au tout-puissant mi-
nistre ce qui lui restait encore de popularité. A ses ennemis
vinrent se joindre les whigs rigoureux et tous ceux qui ne
croyaient pas que la corruption dût être un moyen de gou-
vernement. Le prince royal lui-même, qui fut plus tard
Georges II!, se jeta dans l'opposition ; et ce fut en vain
que Walpole crut se débarrasser de ses adversaires en leur
faisant des offres d'argent. Menacé de toutes parts , il n'ob-
tint lors de la discussion de l'adresse, dans la session de
1742, qu'une majorité de quatre voix , et dut alors donner sa
démission. Pour le soustraire aux poursuites de la chambre
des communes , le roi le nomma comte d'Oxford et pair. Il
lui acorda en même temps une pension de 4,000 liv. st., et
la chambre n'en ayant pas moins manifesté l'intention de lui
intenter un procès, le parlement fut prorogé* Walpole mou-
rut le 29 mars 1743. Consultez Coxe, Memoirs of the Li/e
and Administration oj sir Robert Walpole.
Walpole avait eu la satisfaction de gouverner ou de régner
vingt ans , et il est peu de ministères plus célèbres que le
sien. Sa famille en reçut la plus haute illustration; mais sa
femme fit élever le seul de ses fils qui se distingua, si-
non dans le mépris de tout ce qu'avait fait son père , du
moins dans le dégoût des affaires publiques qui l'avaient
corrompu et amené à corrompre son pays. Ainsi , chanté
par tous les méprisables écrivains qu'il payait, et envié
par les ambitieux de l'Europe entière , mais brûlé en ef-
figie, déchiré dans les pamphlets de son temps , flétri dans
la postérité, comme il le fut aux yeux de sa famille, voilà
Walpole. Et telle fut bientôt l'ébranlement général des ins-
titutions et des esprits causé par son administration cor-
ruptrice , qu'im an après sa mort le représentant de la bran-
che aînée, le fils de ce prétendant que l'Europe, depuis
longtemps, nourrissait de l'aumône du mépris, avait à tel
point grandi , qu'il put venir hardiment au cœur du pays
disputer, à la tête de la multitude de ses partisans, la cou-
ronne de l'Angleterre à la bataille de CuUoden (1746). Et
ce furent les chances d'un combat , ce ne furent pas les
sympathies nationales qui sauvèrent la dynastie de Ha-
novre. Matter.
WALPOLE ( Horace ) , troisième fils du précédent ,
né en 1717, élevé au collège d'Eton et à l'université de Cam-
bridge , ne se distingua ni dans les affaires où son père le
jeta malgré lui , ni dans les lettres, où il se réfugia pour
éviter les affaires , suivant les goûts que sa mère avait tâ-
ché de lui inspirer; mais le nom de son père, la haute for-
tune que lui fit la tendresse paternelle et la célébrité que
lui procura l'amitié de M"^ Dudeffant, lui ont assuré
une place parmi les renommées du dernier siècle, et par
conséquent une autre dans l'histoire. Son père l'avait fait
nommer inspecteur général des exportations, au sortir de
l'université (1738). Un an après il quitta ce poste pour
trois sinécures; et il avait à peine obtenu cette triple dis-
tinction, accompagnée d'émoluments qu'il toucha jusqu'au
dernier jour de sa vie , qu'il se mit à voyager sur le conti-
nent avec le poète Gray, qui devait être son mentor et
dont il ne tarda pas à se séparer. A son retour, son père le
fit entrer au parlement. Il avait alors besoin non-seulement
d'une voix de plus, mais du dévouement le plus absolu.
C'était en 1741 : il sortait du ministère sous la menace
d'une enquête. Horace combattit avec talent le bill qui fut
WALPOLE — WANDA
965
proposé par l'opposition ; mais la motion fut votée , et ce »
ne fut pas l'éloquence du fils de Walpoie, ce fut celle du
roi Georges II qui fit avorter l'examen de cette fameuse
administration. La position d'Horace Walpoie, dans les af-
faires et la chambre , était fausse ; à chaque instant il se
présentait des questions que le rôle joué par le père rendait
ou pénibles ou délicates pour le fils, et ce dernier, comme
Shaftesbury, chercha dans les lettres un asile contre la
politique , devenue fâcheuse pour lui par des précédents de
famille. Walpoie garda, à la vérité, la place que les bourgs
pourris de son père, Castle-Rising et Kings-Lynn , lui vo-
taient au parlement; mais il écrivit dans toutes 'sortes de
îournaux littéraires, surtout dans Le Muséum et dans Le
Monde. Il publia, sous le titre de ^des Walpolianx{\lb2),
la description de son château d'Houghton , effleura les ques-
tions du jour dans quelques brochures ( Lettre de Xo-Ho
à Lien-Chi), et s'amusa à créer une imprimerie, ainsi qu'à
faire des éditions de luxe ou de livres rares, dans son château
de Strawberry-Hili. En 1765 il vint à Paris, se lier avec
M"* Dudeffant, qui s'éprit pour lui d'une affection presque
passionnée , avec les écrivains les plus célèbres de l'époque,
et surtout avec ces philosophes du dernier siècle, dont il
se plaisait à dire tant de mal dans sa correspondance in-
time avec sa vieille amie. Walpoie, en effet, eut cela de
commun avec d'autres étrangers non moins illustres de
payer en sarcasmes confidentiels les distinctions et les pré-
venances que lui prodiguèrent les hommes de lettres de
Paris. Bientôt ses goûts et ses travaux littéraires le déta-
chèrent entièrement - de sa position politique. En 1768 il
résigna son mandat de député entre les mains du maire de
Kings-Lynn , ce bourg si dévoué à sa famille, et consacra
désormais tout son temps à la composition de ses ouvrages,
à sa correspondance , à l'embellissement de sa résidence de
Strawberry-Hill, et aux douces jouissances de la retraite.
Héritier de la pairie et du titre de comte d'Oxford du chef
de son neveu , il dédaigna ce titre , et laissa vide sa place
au parlement. Il mourut le 2 mars 1797 , léguante mistress
Anne Damer et à lady Waldegrave sa belle résidence, sous
cette condition de l'entretenir en bon état, qui rappelait 'e
testament d'Épicure. Horace Walpoie avait rédigé lui-même
le catalogue de tous les objets de prix que son goût y avait
amassés. Une édition de ses œuvres complètes, commen-
cée par ses ordres en 1768, fut terminée en 1798, et bien
reçue du public anglais. On y distingue les Anecdotes sur
la Peinture, 2 vohmies; les Doutes historiques stcr la
Vie et sur le Bègne de Richard III , morceau d'une cri-
tique très-faible; La Mère mystérieuse, tragédie dont le
sujet est emprunté à une histoire atroce; Le Château
d''Otrante, roman en 4 volumes, etc. Matter.
AVALPURG ou WALPURGIS (Sainte) était sœur
de saint Willibald, et naquit en Angleterre. Elle accom-
pagna son frère en Allemagne à l'effet d'y prêcher la foi du
Christ, et elle y devint, vers l'an 750, supérieure du mo-
nastère de Heidenheim en Franconie. Elle passe pour l'au-
teur d'un récit en latin des voyages de saint Willibald. A sa
mort, arrivée vers l'an 778, elle fut canonisée. Ses reliques
sont conservées précieusement dans l'un des caveaux du
couvent d'Eichstaedt.
Son nom se trouvant placé dans beaucoup de calendriers
allemands sous l'indication du i" mai, on désigne de
l'autre côté du Rhin sous le nom de Nuit de Walpurgis
celle du 30 avril au i" mai , fameuse dans les superstitions
populaires et dans les œuvres romantiques de nos voisins par
une prétendue procession de sorcières que les populations
des campagnes cherchent à empêcher d'avoir lieu, en
agitant des bottes de paille enflammées tenues au bout de
longues perches, de même qu'en tirant des coups de fusil ,
afin de faire peur aux sorcières.
WALSE. Voyez Valse.
"WALSIIVGHAM (Sir Francis), l'un des ministres
de la reine d'Angleterre Elisabeth , était le cadet d'une an-
cienne famille, et naquit en 1536, à Chiselhurst, dans le
comté de Kent. Le secrétaire d'Etat Cécil le chargea de di-
verses missions en France dans l'intérêt du protestantisme.
En 1570 il vint à Paris négocier le mariage d Elisabeth avec
le duc d'Alençon. En 1578 la reine l'envoya dans les Pays-
Bas, où il réussit à faire conclure l'Union d'Utrecht contre
la cour d'Espagne. Trois ans plus tard, en 1581 , sa sou-
veraine lui confia pour la France une troisième mission,
dont le but ostensible était encore la négociation de son ma-
riage avec le duc d'Alençon. Elisabeth, dit-on, désirait vi-
vement celte alliance ; mais Walsingham , d'accord avec
Leicester et divers autres seigneurs anglais, trouva moyen de
l'empêcher. Il joua un rôle important dans le drame par
lequel se termina la vie de l'infortunée Marie Stuart. Ce
fut lui qui découvrit le complot tramé par Babington contre
la vie d'Elisabeth, complot dans lequel il parvint à impliquer
la reine d'Ecosse, depuis longues années prisonnière de son
implacable rivale. D'après les conseils de Walshingham ,
Elisabeth repoussa le projet qu'avait conçu de Leicester de se
débarrasser de Marie Stuart à l'aide du poison , et se décida
à faire comparaître la reine d'Ecosse devant un tribunal, qui la
condamna à mort. Walsingham produisit au procès des let-
tres très-compromettantes pour la malheureuse Marie Stuart,
mais que vraisemblablement il avait fabriquées lui-même.
Après le supplice de Marie Stuart, il fut créé chancelier du
comté de Lancaster. Il mourut le 6 avril 1590, investi de
l'entière confiance d'Elisabeth, mais dans un tel état de
pauvreté que ses amis durent payer les frais de ses funé-
railles. C'est un des hommes qui contribuèrent le plus aux
développements delà puissance maritime de l'Angleterre, en
faisant adopter le plan de coloniser les côtes de l'Amérique
septentrionale. Sir Dudley Diggcs a publié , sous le titre de
The complète Ambassador (Londres, 1655), le recueil de
ses négociations et des dépêches qu'il écrivit pendant son sé-
jour à la cour de France. Boulesteis de la Confie en a donné
une traduction française (Amsterdam, 1701 ). On lui attribue
également, mais sans preuves, les Arcana aulica, ouvrage
qu'on lisait beaucoup autrefois et qui a été souvent réim-
primé.
WALTER von der VOGELWEIDE , le plus important
des poètes allemands du moyen âge, naquit vraisemblable-
ment vers 1165 ou 1170, et mourut à Wurtzbourg, vers
l'an 1235. Ses poëmes et ses sentences témoignent de ri-
ches facultés poétiques, ainsi que d'une grande élévation
de pensées. Il ne choisit pas seulement ses sujets dans les
beautés de la nature, la magnificence de Dieu et de la sainte
Vierge, mais encore dans les grands événements contem-
porains auxquels il lui a été donné de prendre part, no-
tamment dans les luttes violentes du pouvoir temporel et"
du pouvoir spirituel. On a une remarquable appréciation
du génie de ce vieux poète par U h I a n d.
WALTER SCOTT. Voyez Scott ( Walter).
WAMBA ou BAMBA fut élu en 672 roi des Wisi-
goths établis en Espagne, et le premier, dit-on, reçut en
cette qualité l'onction sainte. Après avoir étouffé une in-
surrection en Languedoc, il profita des loisirs que lui fit la
paix pour agrandir et fortifier Séville. Il réussit à empê-
cher les Sarrasins de débarquer en Espagne , et dispersa
leur flotte. Wamba, prince plein de courage et de modéra-
tion , ayant eu à réprimer l'esprit turbulent des nobles et
les prétentions du clergé , succomba dans cette lutte. Il ré-
gnait depuis huit ans environ lorsque Erwig , de complicité
avec l'archevêque de Tolède, lui administra un puissant
narcotique. Pendant le sommeil léthargique qui résulta de •
cette trahison , Wamba fut rasé et revêtu d'un liahit mo-
nastique. Une fois revenu à lui, il se crut déshonoré, inca-
pable de régner désormais, et entra dans un cloître ( en 680)
abandonnant le trône et la suprême puissance à Erwig.
WAN ( Eyalet de ). Voyez Van.
WANDA, suivant la tradition nationale, fille du roi
polonais ou bohème Krak , fondateur de la ville de Craco-
vie, régna, dit-on, sur la Pologne vers l'an 700. On la re-
présente comme une héroïne aussi belle que courageuse.
966
WANDA— WARBURTON
qui observa constamment les lois de la chasteté. Le
prince allemand Rytiger ayant demandé sa main, et sur son
refus ayant déclaré la guerre à la Pologne, elle le battit ;
mais, fidèle à ses vœux, et pour éviter à son pays d'autres
guerres, elle se précipita dans la Vistule.
WANDSBECK, bourg situé dans la partie du duché
de^Holstein qu'on appelle Stormarn, à quatre kilomètres
de Hambourg, avec 3,130 habitants. On y trouve diverses
fabriques d'impressions sur cotonnades, plusieurs blanchis-
series de cire et un beau château seigneurial appartenant
à la famille des comtes Schimmelmann.
WAPPERS ( Gustave , baron ) , peintre belge distingué,
est né à Anvers, en 1803. Son premier grand ouvrage, une
Scène du Siège de Leyde par les Espagnols, excita un en-
thousiasme général. Son Charles 1er disant adieu à ses en-
fants ; son Charles IXpendant la nuit de la Saint-Barthé-
lerny, et son Anne de £oleyn allant au supplice, sont des
oeuvres capitales. On vante à bon droit son beau tableau
d'autel dans l'église Saint-Miche! , à Louvain. On a aussi de
lui beaucoupde tableaux de genre, d'un grand mérite, entre
autres des Jeunes Filles romaines faisant Vaumône à un
mendiant, et Le Départ pour la grande pêche, à Anvers,
tableau commandé par la reine Victoria. Il a été créé baron
«n 1847, par le roi Léopold.
WAR^GIEIXS ou VARÉGINS, peuplade normandede
la mer Baltique, qui par ses pirateries désola longtemps le
commerce de la république de Nowgorod en Russie, et qui
soumit à diverses reprises les populations slaves et finnoises
fixées au nord et au centre de la Russie. Les Waracgiens enle-
vèrent aux Russesles contrées où sont aujourd'hui bâties les
Tilles de Réval, de Saint-Pétersbourg et d'Archangel. Les
Russes se réiugièrent en Finlande et en Karélie, puis se con-
fondirent plus tard complètement avec lesWaraegiens, de sorte
que vers le neuvième siècle les noms de Russes et de Waras-
çiens paraissent être devenus synonymes. A cette époque,
en 862, les chefs de cette nation russe et warœgienne, les
princes Rou ri k, Sineus et Truwor, furent invités par l'É-
tat fédératif de Nowgorod à se mettre à sa tète. Rourik y
ayant consenti, jeta de la sorte les premiers fondements de
l'empire actuel de Russie.
WARBECK ( Perrin , c'est-à-dire Pierrot), prétendu
fils d'Edouard IV, roi d'Angleterre, disputa la couronne à
Henri VIL A en croire les historiens favorables à la maison
de Tudor, il était le fils d'un juif de Tournay, converti au
christianisme, et qui résidait à Londres à l'époque d'E-
douard IV. D'autres font de lui un fils naturel de ce prince.
Il parait d'ailleurs qu'au bout d'un certain nombre d'années,
Perkin Warbeck, encore en bas âge, s'en revint à Tournay
avec son père et sa mère, et que les ayant perdus peu de
temps après, il fut recueilli par un parent qui résidait à
Anvers. Dans cette ville, Perkin, qui était doué d'un exté-
rieur avantageux et offrait une ressemblance frappante avec
Edouard IV, rencontra un agent de la duchesse Margue-
rite de Bourgogne, sœur de ce prince, qui, en haine de la
dynastie de Tudor, le dressa à jouer le rôle de prétendant.
On commença par l'envoyer en Portugal, afin qu'il s'y for-
mât aux belles manières. Puis, quand la guerre éclata
«ntre le roi de France Charles VHI et le roi d'Angleterre
Henri VII, la duchesse de Bourgogne rappela Perkin auprès
d'elle, en 1492, et le reconnut solennellement pour son
neveu , en déclarant que les fils d'Edouard n'avaient point
été égorgés par Richard III, grâce à un ami de leur race qui
les avait soustraits à la vengeance du tyran et avait ensuite
facilité leur évasion. Dès la même année 1492, Perkin War-
beck, qui avait pris le titre de duc d'York , débarquait en
Irlande, où beaucoup de mécontents vinrent se joindre à lui.
En même temps le roi de France l'appelait à sa cour, où il
lui faisait rendre les honneurs dus à l'héritier du trône d'An-
gleterre. Mais à la conclusion de la paix entre la France et
l'Angleterre, Perkin dut se réfugier en Bourgogne, où il re-
çut d'ailleurs tous les honneurs dusà l'héritier de la couronne
d'Angleterre. Le peuple et beaucoup de grands, en Angle-
terre, étaient convaincus de la royale origine de Perkin
"Warbeck. Henri VII, pour en finir avec cette intrigue,
soumit à un interrogatoire sévère et munitieu x les deux meur-
triers des fils d'Edouard, Tyrrel et Dighton, qui vivaient
encore, et rendit public le résultat de cette enquête; mais
comme le prêtre qui seul avait connaissance de l'endroit de
la Tour de Londres où avaient dû être déposés les restes
mortels des deux jeunes princes assassinés, était mort, une
grande incertitude continua à régner sur toute cette affaire.
Pour effrayer les seigneurs anglais qui entretenaient des re-
lations avec Perkin, Henri VII fit intenter des procès de
haute trahison à plusieurs d'entre eux, qui périrent sur l'é-
chafaud. En même temps ce prince envoya en Irlande, où
Perkin comptait un grand nombre de partisans, des forces
considérables. Perkin, comprenant que cet ensemble de me-
sures éloignait le succès possible de sa cause, rassembla un
corps de six cents aventuriers à la tête duquel, en juillet
1495, il se jeta sur la côte de Kent; mais après avoir perdu
une bonne partie de son monde, force lui fut de s'en retour-
ner en Flandre. Il fit ensuite en Irlande une autre tentative,
qui ne réussit pas davantage ; et de là il se rendit en Ecosse,
Particulièrement recommandé au roi d'Ecosse par l'empe-
reur Maximilien l" et par le roi de France Charles VIII,
Perkin Warbeck obtint le meilleur accueil de Jacques IV,
ennemi personnel de Henri VII. Jacques IV lui fit même
épouser la belle Catherine Gordon, fille du comte d'Huntley
et alliée à la famille des Stuarls. En outre il envahit, dans
l'automne de 1495, l'Angleterre avec Perkin; et il renouvela
l'année suivante son expédition. Mais les Écossais n'ayant
trouvé aucun appui en Angleterre, Jacques fut réduit à faire
sa paix avec Henri VII , et Perkin dut s'éloigner d'Ecosse.
Il passa alors avec sa femme et sa suite en Irlande; puis,
profitant d'une insurrection qui avait éclaté dans le comté
de Cornouailles, il débarqua au mois de septembre 1493,
à la tête de 120 hommes sur la c6i& AeWhitesand-Bay, en
Angleterre. Il prit le nom de Richard IV, vit environ 3,000
paysans accourir sous ses drapeaux, et marcha à leur tête
sur Exeter ; mais celte ville lui ferma ses portes. A l'approche
des troupes royales, il battit en retraite sur Taunton, en
annonçant l'intention de s'y défendre jusqu'à la dernière
extrémité. Cependant, il fut des premiers à perdre courage,
et se réfugia nuitamment dans le monastère de Beaulieu, qui,
suivant les coutunjes et les idées du temps, devait être pour
lui un asile inviolable. Henri VII gracia les révoltés, à très-
peu d'exceptions près, et fit prisonnière la femme de Perkin,
qui était enceinte et n'eut qu'à se louer de la manière dont
elle fut traitée. Henri n'osant point violer un asile ecclésias-
tique, entra en négociations avec Perkin Warbeck, qui finit
par consentir à se livrer lui-même. On le promena dans les
rues de Londres , puis on le renferma à la Tour. Au bout
d'un an, Perkin réussit à s'en échapper, et chercha à gagner
la côte de Kent dans l'espoir de s'y embarquer. Mais alors,
poursuivi de près, il demanda et obtint un asile dans le
monastère de Shyne. Le prieur ne consentit à le livrer que
lorsqu'on lui eut garanti la vie de ce malheureux. Après
avoir fait exposer Perkin Warbeck pendant un jour entier
dans la grande cour du château de Westminster, puis sous
la croix de Cheapside, Henri VII le fit jeter dans un étroit
cachot de la Tour. Perkin Warbeck n'en trouva pas moins
encore, mais vraisemblablement à l'instigation de Henri Vil
lui-même, le moyen de se mettre en communication du fond .
de sa prison avec le comte de Warwick, fils du duc de
Clarence, retenu prisonnier en qualité d'héritier légitime du
trône. Les deux prisonniers tramèrent alors de concert un
projet d'évasion ; et Henri VII trouva dans ce complot un
prétexte pour se débarrasser du même coup de deux pré-
tendants. En 1499 il fit périr Perkin Warbeck , sans autre
forme de procès, sur le gibet. Quant à Warwick , en sa qua-
lité de rejeton du sang royal, il eut peu de temps après
l'honneur d'avoir la tête tranchée.
WARBURTON (William), né en 1698, à Newmarck,
comté de Nottingham, embrassa d'abord la carrière du bar-
WARBURTON — WARWICK
967
reau , puis plus tard embrassa l'état ecclésiastique, et de-
vint, eq 1728, recteur dans le comté de Lincoln. Son ouvrage
intitulé : The divine Légation ofMoses demonstrated (Lon-
dres, 1738), produisit une vive sensation. 11 s'efforce d'y dé-
montrer que la croyance en Dieu et la doctrine de la ré-
compense ou de la punition des liommes dans une vie fa-
turc ont été jugées par tous les législateurs indispensables au
maintien des institutions sociales, que seul Moïse fait exception
à cette règle générale, attendu qu'il ne fait nulle part naître
l'attente après la mort d'un jugement de Dieu , et que par
l'unique emploi des récompenses et des châtiments terrestres
il sut forcer sa nation à obéir aux lois qu'il lui imposa au
corn de la Divinité. Les opinions émises dans cet ouvrage
par Warburton , l'entraînèrent dans de vives controverses.
La défense de l'iG'iiai sur V Homme de Pope, que Warburton
entreprit contre les attaques de Crouzas de Genève, amena
entre lui et le poète une amitié durable. Malgré l'éclat de sa
réputation littéraire, Warburton ne parvint que tard aux
hautes dignités ecclésiastiques. En 1754 il fut nommé cha-
pelain du roi et évoque de Glocester. Il mourut le 7 juin 1779.
"WARD(ME(llesde). Foyec Finlande.
WARIMG ( Edouard), savanl mathématicien anglais, né
dans le Shropshire, mort en 1798, n'avait pas encore terminé
de prendre tous ses degrés à l'université lorsque, sur la ré-
putation déjà faite de ses profondes connaissances dans les
sciences mathématiques, il futappelé, en vertu d'une dispensé
spéciale, à occuper la chaire qu'avait illustrée Newton. On
a de lui des Miscellanea critica, un traité Des Propriétés
des Courbes algébriques (1772) et des Meditationes ana-
lyticx (1776).
WARRANTS. Les Anglais nomment ainsi des certifi-
cats de dépôt de marchandises dans les docks ou entrepôts,
et qui se négocient sans qu'il y ait nécessité pour l'acquéreur
de retirer les marchandises qui y sont mentionnées comme
existant dans les docks.
WARRIIVGTOIV, importante ville manufacturière du
comté de Lancastre, sur la Mersey, reliée par un canal à Li-
verpooletà Manchester, compte 23,3G3 habitants. Elle pos-
sède une église remarquable par son antiquité, une école de
commerce et un jardin botanique. On y fabrique de la toile
à voile, des étoffes de laine, des épingles, du verre et des mon-
tres; on y trouve en outre des hauts fourneaux, des raffine-
ries de sucre, des brasseries d'a/e. Ces divers produits, ainsi
que les articles de quincaillerie et les grains, y donnent lieu à
un important mouvement commercial.
"WARTBURG, vieux château situé sur une hauteur,
dans une ravissante contrée, à 3 kilomètres d'Eisenach, et
appartenant au grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, fut
bâti vers l'an 1070, par le comte Louis le Sauteur. Depuislors
jusqu'à la mort du landgrave Balthazar, décédé en 1406, il
fut la résidence de presque tous les landgraves de ïhuringe,
et est demeuré célèbre par les tournois brillants qui s'y
tinrent au treizième siècle, à la cour du landgrave Her-
mann 1^"^ et à celle du margrave Henri l'Illustre, ainsi que
par la lutte littéraire désignée dans l'histoire sous le nom de
guerre de la Wartburg. Frédéric le Mordu et Luther furent
long-temps détenus dans ce château, où l'on montre en-
core la chambre qu'occupa le célèbre réformateur. Le châ-
teau a été récemment restauré. Dans la salle d'armes on voit
un certain nombre d'armures du moyen âge, attribuées,
sans trop de preuves, à divers personnages historiques.
Le 18 octobre 1817, à l'occasion du troisième anniversaire
séculaire de la Réformation, une grande fête y fut donnée
par les membres de la burschenschaft. Plusieurs cen-
taines d'étudiants s'y rendirent et célébrèrent en même temps
l'anniversaire de la bataille de Leipzig par un immense feu
de joie. A cette occasion on brûla solennellement, entre
autres livres empreints de l'esprit rétrograde et antilibéjal,
la Restauration de la Science politique, par Haller, V His-
toire de l'Empire d'Allemagne , par Kotzbue, etc., en tout
vingt-six ouvrages , et, en haine des idées et de la domination
françaises, jusqu'au Code Napoléon, enveloppé dans la
même proscription que le Code de la Gendarmerie de
Kamptz. Cette démonstration puérile n'entraîna d'ailleurs
aucun désordre matériel.
WARTBURG (Guerre de la), Wartbiirgskrieg. On dé-
signe sous ce nom et la lutte animée qui eut lieu, dit-on,
en l'année 1267, à la cour du landgrave Hermann de Thu-
ringe, entre les poètes qui s'y trouvaient, et le poème en
deux parties dans lequel est raconté ce tournois littéraire. Le
sujet du concours était l'éloge des qualités et des vertus des
princes protecteurs particuliers de chacun de ces poêles.
WARWICK, comté situé à peu près au centre de
l'Angleterre , entre les comté d'Oxford, de Gloucester , de
Worcester et de Stafford , d'une superficie d'environ 20 my-
riam. carrés, et dont la population, répartie en 205 parois-
ses, s'élevait en 1851 à 480,120 habitants. Il était jadis cou-
vert d'immenses forêts, et sa partie septentrionale, appelée
Woodland, contient encore de grandes forêts avec de vastes
landes et marais. La partie centrale et une petite partie du
sud, nommées Feldon, sont très-fertiles et abondent en
riches pâturages. L'élève du bétail y aau total plus d'impor-
tance que la culture des céréales ; et ce comté est essentiel-
lement un pays de fabriques, à cause des riches mines de
fer et do houille qu'il contient , ainsi que du voisinage des
mines de Stalford. On doit surtout mentionner les villes de
Birmingham et de Coventry; l'une, centre de la fabri-
cation des articles en fer et en acier, l'autre de la fabrication
des rubans de soie.
Le chef-lieu, WARwiCK,sur une montagne rocheuse et
sur la rive droite de l'A von , au point de jonction de plu-
sieurs canaux , relié par un chemin de fer à Birming-
ham, etc., et qui depuis le grand incendie de 1694 a été
rebâti de la manière la plus régulière, ne se compose que
d'une grande rue, et compte 10,973 habitants, qui fabriquent
surtout des étoffes de laine. Le grand nombre de belles
constructions qu'on y trouve excite d'autant plus la surprise
que la ville est petite ; il faut citer notamment un pont
d'une seule arche, construit en 1810, les églises de Sainte-
Marie et de Saint-Nicolas, l'hôtel de ville, la halle et le palais
de justice. Mais de tous ces édifices le plus remarquable est
sans contredit le château, Warwick-Castle, qui domine la
ville, autrefois place forte fameuse et résidence des comtes
de Warwick.
Parmi les autres localités importantes de ce comté nous
mentionnerons Staff or d sur Avon, où naquit Shakes-
peare; Leaminglon, à peu de distance à l'est du chef-lieu ,
autrefois bourg sans conséquence , mais célèbre depuis bien
longtemps par ses eaux minérales , et qui a pris depuis le
commencemcntde ce siècle un tel accroissement que sa popu-
lation s'élevait déjà en 1851 à 15, 692 habitants ; Kenilworth,
avec les ruines du château de môme nom, devenu célèbre
de nos jours par les romans d'Anne Radcliffe et de Walter
Scott.
WARWICK (Les comtes de). Le titre de comte de
Warwick a été porté par différentes maisons anglaises, et
se rattacha toujours à la possession de Warwick-Castle.
On prétend que ce château, l'un des plus anciens de l'Angle-
terre , était déjà , à l'époque anglo-saxonne , la résidence
d'un comte Guy de Warwick, célèbre dans la tradition hé-
roïque anglaise; mais il fut agrandi par Guillaume le Con-
quérant , qui le donna en fief à son parent le Normand
Henri de Newburgh ou Bellomoni , avec le titre de comte
de Warwick. A l'extinction de cette famille, William Beau-
champ, qui en descendait par les femmes , fut créé comte
de Warwick. Il se distingua par sa valeur dans les guerres
d'Edouard 1*'' contre les Écossais et les Français, et mourut
en 1298. Son successeur, Richard Beauchamp, comte de
Warwick, fut un général célèbre et le favori du roi Henri V.
Peu de temps après l'avènement de ce prince au trône, il
alla assister en qualité d'ambassadeur d'Angleterre au con-
cile de Constance. Sa brillante suite, forte de 800 chevaux ,
et dans laquelle se trouvaient une foule de prêtres, de doc-
teurs et de scribes, produisit en tous lieux la plus rive sen
968
WARWICK — WASA
sation. A son retour, îl accompagna le roi en France, et
prit part à tous les événements de la conquête de ce pays
par les Anglais. A la mort de H enri V , qui le nomma
gouverneur de Henri VI , alors âgé de neuf mois , William
Beauchamp continua sous la régence du duc de Bedford la
guerre contre Charles YII de France, et fit la conquête du
Maine. En 1431 il conduisit le jeune roi à Rouen , où il fit
mourir Jeanne d'Are. Quand Henri VI eut été couronné à
Saint-Denis en qualité de roi de France, au mois de dé-
cembre de cette même année 1431 , il s'en revint à Londres,
et y prit une part importante aux affaires de gouvernement.
En 1437, lorsque la domination des Anglais sur la France
commença à péricliter , on l'y envoya en qualité de régent.
Il se rendit maître de Pontoise et de quelques autres places,
mais sans pouvoir arrêter les succès de Charles VII. Il
mourut à Rouen, le 30 avril 1439. Son fils unique, Henri,
fut créé duc de Warwick en 1444 ; mais il mourut le 11
juin de l'année suivante sans laisser d'enfants , et les titres
ainsi que les biens de sa maison passèrent à la puissante fa-
mille de Neville.
Richard Neville, fils atné du comte de S a 1 i s b u r y , qui
comme époux d'Anne Beauchamp obtint le titre de comte
de Warwick, est célèbre par le rôle qu'il joua dans les guer-
res de la Rose rouge et de la Rose blanche. Ses richesses,
la puissance de sa famille, ses talents militaires, son carac-
tère hardi et ambitieux , firent de lui un chef de parti au
milieu des troubles de son temps, sous le règne de Henri VI.
Quand la guerre de deux Roses éclata, en 1455 , Warwick ,
qui en sa qualité de gouverneur de Calais tranchait du sou-
verain , embrassa le parti du duc d'York et battit les trou-
pes royales à Saint-Albans, le 23 mai. La reine Margue-
rite d' A n j o u donna alors Calais au jeune duc de Somerset;
mais Warwick repoussa son rival , s'empara de sa llolle, et
se rendit plus que jamais formidable à la cour. Au printemps
de 1460 il débarqua dans le comté de Kent à la tête d'un
corps d'armée, battit les troupes royales le 19 juillet sous
les murs de Norlhampton, fit prisonnier Henri VI, et le
contraignit à déclarer le duc d'York héritier du trône. Pen-
dant ce temps-là, Marguerite d'Anjou, qui s'était réfugiée
en Ecosse avec son fils le prince Edouard , réunissait au
nord de l'Angleterre une armée considérable avec laquelle
elle battit le duc d'York à Wakefield , le 31 décembre 1460.
York périt dans la mêlée. Le père de Warwick , le comte
de Salisbury , tomba entre les mains des partisans de la
maison de Lancastre, et fut décapité. Warwick, quittant
Londres, où il gouvernait, marcha à la rencontre de la reine,
et le 15 février 1461 lui livra près de Saint-Albans une ba-
taille que la trahison de quelques seigneurs lui fit perdre.
Malgré cela, il opéra sa jonction avec les troupes du comte
É'Iouard de Mardi, fils aîné du duc d'York , se rendit avec
lui à Londres, et par son autorité autant que par son élo-
quence détermina les habitants de celte capitale à recon-
naître le jeune Edouard IV comme roi à la place de
Henri. Une armée de 60,000 Lancastriens, que la reine Mar-
guerite était parvenue à rassembler, fut exterminée par
Warwick, en 1461 , àTowfon, dans une bataille qui fut une
liorriltle boucherie. Alors Edouard se trouva, il est vrai, en
possession de la couronne, mais sous la dépendance absolue
de Warwick pour ses moindres actions. Le roi ayant osé,
malgré la volonté de son protecteur, épouser Elisabeth Wood-
ville, ce mariage irrita au plus haut degré Warwick, qui
contracta alors une alliance intime avec le roi de France
Louis XL, auquel il alla rendre visite en 1467; et à son re-
tour en Angleterre il donna en mariage sa fille Isabelle au
frère du roi, le duc de Clarence, qui figurait au nombre des
mécontents. Ensuite, il se réconcilia avec Marguerite d'An-
jou, et maria sa seconde fille, Anne, avec le prince Edouard, fils
de cette princesse, en s'engageant à rétablir sur le trône Hen-
ri VI, qui gémissait prisonnier à la Tour, et qu'il avait lui-
même détrôné. Edouard IV, pris au dépourvu, fut obligé de
se réfugier en Bourgogne; et le g octobre 1470 Warwick fit son
entrée à Londres , où il proclama de nouveau Henri VI roi
d'Angleterre, en prenant la régence d'accord avec Clarence»
Mais dès le mois de mars 1471 Edouard débarquait à la tête
de 2,000 hommes près de Ravensburg. Après avoir rallié
autour de lui les nombreux partisans de la maison d'York,
il marcha sur Londres sans éprouver de résistance. Warwick
réussit bien à réunir une armée dans le comté de Leicester;
mais plusieurs lords défectionnèrent , et jusqu'au versatile
Clarence, qui, ne trouvant pas d'avantage personnel à l'é-
lévation de la maison de Lancastre , passa à son frère
Edouard IV à la tête de 12,000 hommes. Méprisant tous
les avis , Warwick n'en osa pas moins , le 14 avril 1471,
livrer dans les plaines de Barnet, à l'armée d'Edouard une
bataille dans laquelle, après des prodiges de valeur, il perdit
la vie avec 16,000 Lancastriens.
Le titre des Warwick passa alors à Edouard , fils du duc
Clarence, issu de son mariage avec Isabelle Neville. Après
l'assassinat de son père , celui-ci fut retenu prisonnier, d'a-
bord par Richard III , puis par Henri VII, qui redoutaient en
lui le dernier rejeton légitime niâle des Plantagenets. Aprte
quinze ans de captivité à la Tour, Warwick finit par s'entendre
avec le prétendant Perkin Warbeck pour tenter une éva-
sion commune. Il est probable que l'instigateur de ce com-
plot n'était autre que Henri VII lui-même, désireux de pou-
voir se débarrasser ainsi de ses deux prisonniers à la fois. A la
suite d'une courte instruction Warbeck fut pendu , et War-
wick décapité à la Tour.
Sous le règne d'Edouard VI le fameux John Budlcy^
devenu plus tard duc de Nortbumberland, obtint Warwick-
Castle, avec le titre de comte de Warioick. Quoiqu'il filt
mort sous une accusation de haute trahison, le titre fut
renouvelé, en 1561, en faveur de son fils, Ambroise Dudiey,
lequel, toutefois, mourut, en 1589, sans laisser d'héritiers.
Robert, lord Rich, fut ensuite créé, en 1618, comte de War-
wick. Le dernier comte issu de cette famille mourut en
1759. Dès 1603 sir Fuike Grevillc, l'ami et le compagnon
d'armes de Sidney, et descendant par les femmes des
anciens Beauchamp , avait obtenu une partie des biens
de cette maison avec Warwick- Castle , puis, en 1621,
avait été créé lord Brook. A sa mort, arrivée le 30 septembre
1628, il eut pour successeur son neveu Robert, dont le des-
cendant, Francis, comte Brook, obtint également, en 1759,
le titre de comte de Warwick.
Le comte actuel de Warwick , Georges Guy Greville,
né le 28 mars 1818, succéda à son père , le 10 août 1853,
dans les biens et les titres de la maison. Il réside à War-
wickCastle, qui, outre son magnifique parc, est célèbre
par la riche collection d'antiques qu'il contient, et où on
remarque surtout le fameux vase de TFarificA, l'un des plus
beaux antiques qu'on connaisse.
WASA , vieux manoir féodal de la province d'UpIand
(Suède) , h trois myriamètres de Stockholm, fut le berceau
de la dynastie de ce nom ( voyez Gustave V), qui s'éteignit
avec Gustave II Ado Iph e et sa fille Christine.
Depuis 1829, le fils de l'ancien roi de Suède, Gus-
tave IV Adolphe, a pris le titre de prince de Wasa. Sa
femme, la princesse Louise de Bade, dont il était séparé,
mourut en 1854. Sa fille unique, Caroline, née le 5 août
1833, a épousé en 1853 Albert, prince royal de Saxe. Le
prince Wasa n'a pas d'héritier mâle.
WASA, chef lieu du gouvernement, ou Isen, du môme
nom (543 rayriam. carrés, avec 257,824 habit.) dans la
grande principauté de Finlande , ville commerciale et port
de mer, bâtie au fond d'une petite baie du golfe de Bothnie.
On y trouve des rues larges et droites, plusieurs places,
dont la belle Place Gustave, un château en ruines, Karls-
holm,des chantiers de construction, et 3,500 babitanls,
qui font un commerce assez important, principalement en
goudron, en poix et en seigle. Les navires d'un fort tonnage
doivent mouiller dans le nouveau port, appelé Smultro-
nœren, l'ancien ne pouvant recevoir que de petits bâti-
ments. Cette ville fut fondée , en 1605 , par le roi Charles IX,
qui lui donna le nom du château berceau de sa famille. Elle
WASA — WASHINGTON
969
lut cédée en 1809, avec le reste de la Finlande, à la Russie.
WASGAU. Voyez Vosges.
WASHINGTON (Georges), le premier président
qu'aient eu les États-Unis de l'Amérique du Nord, naquit le
22 février 1732 , dans le comté de Westmoreland , en Vir-
ginie. Son père, Augustin Washington, dont les ancêtres
étaient venus, en 1657, d'Angleterre s'établir dans l'Amé-
rique du Nord, était un riche planteur, mais mourut de
bonne heure. Georges, le troisième de cinq enfants, fut élevé
par sa mère, femme démérite. Jusqu'à l'âge de quinze ans,
il fréquenta l'école de Williamsburg. Il se livra ensuite avec
ardeur, dans la maison de son père, à l'étude des mathéma-
tiques. N'ayant eu qu'une faible part dans l'héritage paternel,
il .voulait entrer dans la marine anglaise; mais sa mère
parvint à l'en dissuader, et le détermina à embrasser la pro-
fession d'arpenteur. En parcourant, pour l'exercer, les contrées
désertes de la Virginie il fortifia sa constitution physique,
et trouva de nombreuses occasions de faire d'avantageuses
acquisitions de propriétés. En 1751 il obtint le grade de major
dans la milice coloniale. En 1753, lorsque commença la
lutte contre les Français, sur les bords de l'Ohio et au voi-
sinage des lacs du Nord, il accepta auprès du commandant
français du Canada une mission qui demeura infructueuse.
A son retour il fut mis, en qualité de lieutenant-colonel ,
à la tête d'un régiment de milice avec lequel il combattit
les Français et les Indiens sur les bords de l'Ohio. Le dé-
dain avec lequel le gouvernement anglais traitait les officiers
de la milice le porta à quitter le service, en 1754; et il se
retira alors dans le domaine de Mount-Vernoti , dont il
avait hérité de son frère aîné. Mais dès l'année suivante il
s'associait, par patriotisme, comme volontaire, à la malheu-
reuse expédition du général anglais Braddock, auprès du-
quel il remplit les fonctions d'aide de camp. Après cet
événement la province, abandonnée à ses propres forces, le
nomma colonel et commandant en chef des troupes de la
Virginie. Mais avec le millier d'hommes qu'il commandait
Washington échoua dans ses efforls pour arrêter les progrès
des Français. Ce ne fut qu'en 175S qu'il put organiser une
grande expédition contre le fort Duquesne ; quand il y arriva,
l'ennemi s'était déjà décidé à l'évacuer. Le danger une fois
passé , il donna sa démission , se maria avec une jeune
veuve, appelée Maria Cuslis, et vécut alors comme planteur
dans son domaine de Mount-Vernon. Par son travail et son
industrie, il accrut considérablement le produit de ses terres,
et devint l'un des propriétaires les plus riches et les plus
considéiés de sa province. On l'élut à l'assemblée législa-
tive de la Virginie, où il se distingua moins par son élo-
quence que par sa sagacité et sa fermeté. Quand éclatèrent
les différends des colonies avec la mère patrie, Washington
se prononça pour le droit des colonies à s'imposer elles-
mêmes, et ht preuve d'un patriotisme sincère, mais sans
fanatisme. Ses concitoyens le nommèrent député au congrès
général des colonies unies, qui s'ouvrit le 14 septembre
1774, à Philadelphie. Quand les hostilités entre les Améri-
cains et les Anglais eurent éclaté à Lexington , l'assemblée
décréta la création d'une armée permanente, et le 14 juin
1775 elle appela à l'unanimité Washington à en prendre le
le commandement en chef; son caractère modéré , loyal et
irréprochable l'avait fait préférer pour ces fonctions à des
ofliciers plus exercés. Washington ne les accepta que par
patriotisme, en témoignant une grande défiance de sa ca-
pacité , et refusant d'ailleurs tout traitement. Son armée
n'était forte que de 14,000 hommes; elle n'avait ni poudre,
ni baïonnettes , ni ingénieurs , ni canonniers ; le soldai n'é-
tait engagé que pour un an ; le milicien désertait à volonté ,
et chaque acte de répression était traité d'attentat à la li-
berté privée. Par des efforts inouïs Washington parvint ce-
pendant à établir un peu d'ordre et de discipline dans cette
masse confuse ; mais il comprit bientôt l'impossibilité d'une
guerre offensive, et résolut en conséquence de se twrner à
garder la défensive, à surveiller et à contenir l'ennemi. C'est
en restant fidèle à cette tactique , en dépit de toutes les cri-
tiques qu'elle lui valut, qu'il réussit à sauver son pays
{voyez États-Unis). Il fit fortifier les côtes, construire
une flottille, et au mois de mars 1776 il chassa les Anglais de
Boston. Mais à ce moment on annonça la prochaine arrivée
d'une formidable flotte anglaise. Le congrès sentit la néces-
sité d'une mesure décisive, et le 4 juillet 1776 il proclama
l'indépendance des États-Unis de l'Amérique du Nord.
Lorsqu'en août suivant les forces ennemies, portées à un
effectif de 35,000 hommes par l'arrivée de renforts venus de
la métropole , occupèrent New-York , Washington se vit
obligé , après une série d'affaires malheureuses , d'aban-
donner ses positions les unes après les autres et de se retirer
dans les montagnes du Nord. La famine, le froid, la ma-
ladie , le manque de vêtements, lui enlevèrent une partie
de ses forces ; l'autre profita de l'expiration du temps de
service, fixé à une année, pour abandonner les drapeaux. La
cause de l'indépendance semblait désespérée; les traîtres qui
se disaient loyalistes intriguaient dans le congrès et trahis-
saient sur tous lespointsdu territoire. Le congrès quittaPhi-
ladelphie, et se réfugia à Baltimore. Avec les 2,000 hommes
qui lu: restaient, Washington fut contraint de se retirer en plein
hiver derrière la Delaware, où, favorisé par les hésita-
tions du général anglais Howe, il parvint à porter de nou-
veau l'eflectif de son armée à 6,000 hommes. Le congrès
fixa alors la durée du service à trois années , et investit Wa-
shington d'une espèce de dictature qui l'autori>ait à faire des
réquisitions et à introduire dans l'armée une discipline plus
sévère. Le 25 décembre 1776 il tenta une audacieuse atta-
que contre les troupes mercenaires anglo-allemandes étabUes
à Trenton , attaque qui lui réussit; et le 3 janvier 1777 il
battit encore Cornwailis à Princetown. Ces succès et l'ar-
rivée d'un grand nombre d'étrangers célèbres, jaloux de
combattre aux côtésde Washington, de La Fayette, entre
autres, relevèrent la confiance des Américains. Toutefois
Washington ne put suppléer à la faiblesse numérique et au
manque de ressources de son armée. Howe le battit , le 13
septembre, sur les bords de la Brandy wine ; et Washington,
ayant osé l'attaquer le 4 octobre suivant à Gerraantown ,
éprouva encore un autre échec grave.
[Tandis qu'à Saratoga un corps américain contraignait
plus de 6,000 Anglais à capituler, Washington était forcé de
se retirer avec le gros de ses forces dans un camp retranché
établi dans le désert de Valley-Forge, à six heures de
marche de Philadelphie, où se trouvait le quartier général
anglais. Son armée, sans vivres, sans vêtements, sans mé-
dicament*, diminuait à vued'œil par la désertion et la tra-
hison ; et les intrigants qui s'acharnent aux vaincus ne ta-
rissaient pas en déclamations haineuses et jalouses contre
le généralissime. Le général Lee, soupçonné de défection,
fut traduit devant un conseil de guerre. Arnold , déjà con-
damné comme concussionnaire , trahit sa patrie, s'échajipe,
se réunit aux Anglais, et se (ait une triste célébrité par sa
cruauté envers ses compatriotes. Ici commencent les in-
convénients des États lédéralifs. Us naissent à peine, et déjà
ils veulent se soustraire au congrès, à une loi souveraine
et aux charges communes. D'un autre côté, les États de
l'Union éprouvent chacun dans leur sein des divisions in-
testines. Une guerre civile menace de compliquer la guerre
de l'indépendance. La province de Vermont veut former un
État indépendant, et y parvient; les prétentions de l'État de
New-York menacent la république naissante ; une division
de l'armée , enfermée à Charles-Town , se rend aux An-
glais; les troupes de Pennsylvanie se mutinent et menacent
Philadelphie; les troupes de New-Jersey se révoltent; et
Washington, pour arrêter la contagion de l'exemple, fait
fusiller les deux chefs rebelles. Enfin , la France déclare la
guerre à l'Angleterre. Elle fournit des sommes considérables,
des troupes commandées parRuc hambeau, des escadres
sous les ordres des comtes de Grasse et de Barras. Corn-
wailis, renfermé dans York-Town, est contraint de se rendre
avec 8,000 hommes. De ce moment l'armée anglaise fut im-
puissante, et l'Angleterre, attaquée sur les mers de l'Eu»
970
rope, <ie l'Inde et des Antilles, par l'Espagne, la Hollande
et la France, ne put envoyer de renforts. La guerre, com-
mencée en 1775, touchait à son terme, et le 20 janvier 1783
furent s»gnésles préliminaires d'une paix qui reconnut i'in-
dépendance des États-Unis de l'Amérique.
Toutefois , l'armée , mécontente de ce qu'on ne faisait
rien en sa faveur, menaçait de se mutiner ; quelques soldats
marchèrent même sur Philadelphie, et s'emparèrent de la
salle du congrès. Des propositions de coups d'État ayant
pour but la fondation d'une monarchie furent faites à Wa-
shington, qui les repoussa avec indignation. Washington
calma les officiers , et adressa en leur faveur une admirable
lettre à l'assemblée. Le licenciement fut ordonné. Le géné-
ralissime fit ses adieux à une armée qui ne lui répondit que
par des pleurs et des acclamations. En passant à Philadel-
phie, il remit l'état des dépenses, écrit tout entier de sa
main, et dont chaque article était appuyé de pièces justifi-
catives. Les dépenses secrètes de toute la guerre de l'indé-
pendance ne s'élevaient qu'à 1,982 livres sterling. Wa-
shington arrivé à Annapolis, où siégeait le congrès, lui remit
«a commission ; et cette impérissable renommée se retira
avec une modestie naïve dans son domaine de Mount- Ver-
non. La seule récompense qu'il reçut de son pays fut la
franchise du timbre pour sa correspondance. 11 se livra dans
ses foyers aux progrès de l'agriculture, à l'amélioration des
chemins, à l'établissement de la navigation intérieure. Il
fonda deux collèges. Les officiers avaient créé l'ordre héré-
ditaire de Cincinnatus. L'opinion publiquese souleva contre
cette aristocratie naissante. Washington fit abolir l'hérédité.
Le vice des États fédératifs se fit alors sentir de nouveau et
plus fortement. L'égoïsme de chaque État particulier le por-
tait à s'isoler et à revendiquer la souveraineté tout entière.
Washington fit sentir la nécessité d'un pouvoir central ,
unique effort. Une convention s'assembla à Philadelphie en
1787. Washington en fut élu président, sur la désignation
de Franklin, et par un vote unanime. Il réclama le huis-
clos des séances et le secret des débats. La constitution
augmenta le poyvoirdu congrès; le sénat fut nommé pour
six ans ; la chambre des représentants assurait tous les
droits de la démocratie, et un président, nommé pour
quatre ans, chargé du pouvoir exécutif et de toutes les re-
lations à l'extérieur, fut en même temps chef de toutes les
forces de la république. Washington fut porté à la prési-
dence à l'unanimité en 1789, et à l'unanimité réélu pré-
sident en 1793. La révolution française venait d'éclater : le
peuple américain voulait épouser alors activement les inté-
rêts de la république européenne; Washington voulut et
maintint la neutralité. 11 en profita pour conclure à de meil-
leures conditions un traité de commerce avec l'Angleterre,
Les républiques ont et doivent avoir une répugnance om-
brageuse pour toute force qui , sous prétexte de maintenir
l'indépendance nationale, peut se tourner plus tard contre
la liberté politique. Aussi n'est-ce qu'avec peine qu'il obtint
la création d'une marine militaire pour la protection du
commerce américain. De ce moment le grand ouvrage de
Washington était terminé. La république américaine, libre
au dedans, respectée au dehors, ayant pour elle le temps
«t l'espace, n'avait plus rien à demander qu'à la Providence
et à l'avenir. Washington refusa la troisième présidence. Il
«e retira à Mount- Vernon , et se livra de nouveau aux soins
agricoles. La France, qui sous Louis XVI avait si puis-
samment contribué à l'indépendance américaine , menaça,
sous le directeur Barras, la république naissante. Wa-
shington fut chargé d'organiser l'armée qui devait repousser
les attaques du Directoire. Il mourut des suites d'un refroi-
dissement, au milieu de ce conflit avec la France, le 14 dé-
cembre 1799, à Mount- Vernon. Il n'avait point eu d'enfants,
et avait exercé sans accepter aucune espèce de traitement
les diverses fonctions dont son pays l'avait honoré. Par son
testament il affranchit ses esclaves et légua des sommes im-
portantes pour la création de diverses écoles. Le reste de sa
fortune, qui s'élevait à près de trois raillions, passa à un
WASHINGTON
neveu. Sa dépouille mortelle reposa à Mount-Vernon jus-
qu'à ce qu'un décret du congrès en eut ordonné la trans-
lation dans la capitale de l'Union, pour être déposée sou.»
un monument élevé à sa mémoire.
On a comparé Washington aux Timoléons de l'antiquité,
républicains qui brisaient par le fer une tyrannie imposée
par la ruse. Si Washington ne fut pas mieux , il fut autre :
il changea une colonie en métropole; il fit un peuple, il
créa une nation , il transforma la servitude en liberté, et une
province monarchique en république. Là se trou valent de vieux
Anglais, amollis, énervés pas la civilisation de l'Europe,
colons spéculant sur la fortune, ne pouvant vivre que par le
luxe, ne convoitant pas la liberté comme un apanage du
genre humain, voulant l'indépendance comme un instru-
ment de fortune, pour se libérer moins du pouvoir que des
impôts de la métropole. Le Suisse voulut la liberté pour
être libre; l'Américain voulut la liberté pour être riche;
aussi la république qu'il a créée fut aussi vieille à sa nais-
sance que la monarchie qu'il répudiait. Cette république
fiit tout étonnée à sa naissance de ne pas trouver de répu-
blicains et d'être mise au jour par un homme qui lui-même
n'était pas républicain. Je ne crois pas aux républicains ser-
vis par des esclaves. Les fautes de l'Angleterre poussèrent
peu à peu l'Amérique vers la liberté. Avec le ministère de
Fox, l'Amérique fût restée colonie ; avec le ministère dePitt,
elle fut contrainte de briser tous ses liens avec la métropole.
Mais la Providence ménageait aux États-Unis des hommes
admirables pour créer et consolider sa liberté. Ce n'étaient
pas des hommes européens, pleins d'emphase, changeant
l'arène politique en théâtre, transformant la déclamation
en éloquence, voulant d'abord paraître de grands acteurs,
sans prendre, cure de l'action et du dénoùment du drame;
ce n'étaient pas des hommes voulant le succès à tout prix,
indifférents sur les moyens, et de la ruseau bourreau se ser-
vant de tous les instruments; ce n'étaient pas des hommes
d'égoisme et de personnalité, masquant leur intérêt privé et
leur ambition personnelle d'un fard d'intérêt public , tra-
versant la démocratie pour se faire une position aristo-
cratique , et maniant la fortune publique afin qu'il en restât
le plus possible dans leurs mains. Les Américains furent
des hommes religieux , patriotes, d'une si parfaite moralité
que la licence insolente des partis n'eut rien à leur reprocher
ni durant leur vie ni sur leur tombeau. La république doit
naître où se "trouvent les vertus républicaines. Washington
fut un grand homme, et peut-être le plus véritablement grand
homme des temps modernes ; mais, à mon sens, sa plus
éniinente qualité fut la plus simple et la plus difficile dans
les temps où nous vivons : il fut le plus homme de bien
entre les hommes de bien qui fondèrent la liberté américaine.
J.-P. Pages (de l'Ariége)].
WASHINGTON , ville capitale et fédérale des Étals-
Unis, depuis 1800 siège du gouvernement fédéral et du con-
grès, est située sur le promontoire formé par les deux bras
du Potomac, dans le district de Columbia. Lorsqu'on
1790 il s'agit de fonder une capitale commune pour l'U-
nion , les États de Maryland et de Virginie donnèrent à cet
eflèt un territoire situé dans ce qui faisait alors le centre
de la république , d'environ un myriamètre carré, au centre
duquel on construisit la ville qui reçut le nom du héros de
la guerre de l'indépendance. On suivit pour cela un plan
tout particulier, aux proportions aussi régulières que gran-
dioses; mais il s'en faut qu'il ait encore pu être exécuté, et
il a déjà subi au contraire de nombreuses modifications. Le
terrain de la ville contient plusieurs petites hauteurs , dont
deux ont été réservées pour le Capitole et pour la maison
du président. Du Capitole, centre du plan de construction
doivent partir dans toutes les directions de larges avenues;
mais en réalité il n'en existe encore qu'un petit nombre. La
partie principale de la ville se trouve même maintenant
derrière le Capitole, à l'ouest, et présente seule le caractère
d'ime ville; tandis que les autres quartiers ressemblent à
des villages. Les rues se dirigent en droite ligne du nord
WASHINGTON — WATERFORD
971
au snd et de l'est à l'oiwet, en se croisant à angles droits.
Cinq des avenues partent enrayons du Capitule, et il en part
cinq autres de la naaison du président. Dans l'intérieur du
grand territoire de la ville, les maisons sont bâties çà et là,
elles palais se trouvent complètement isolés; de sorte qu'on
peut comparer Washington à un modèle de broderie resté
inachevé. Les édifices publics se distinguent par leur ma-
gnificence; mais il n'y a que ceux pour l'édification des-
quels on a suivi d'anciens modèles qui puissent passer
pour beaux. Le plus imposant et l'un des plus remarquables
de ces édifices est le Capitole , grand et massif palais , de
style grec et surtout corinthien, construit au centre d'un
grand carré, et dans lequel le congrès tient ses séances
depuis 1800. Le 14 août 1814, les Anglais, commandés
par le général Ross , pénétrèrent dans la ville, et dé-
truisirent tous les édifices publics ; mais on lès a recons-
truits depuis la paix avec encore plus de luxe. Le nouveau
Capitole, dont la principale partie fut élevée de 1818 à 1827,
se dislingue par sa classique élégance; et au pied de la
hauteur sur laquelle il est bâti se trouve un beau parc.
Il est situé par 38° 53' 34" de latitude septentrionale, et
59° 21' 52" à l'ouest de l'île de Fer; et c'est d'après la ligne
méridienne qui le traverse que les Américains calculent les
distances géographiques de toutes les autres parties de la
Terre. Construit en granit, l'édifice présente avec ses ailes
un développement de 352 pieds anglais de long; il a 121
pieds de profondeur, et la coupole du pavillon du milieu a
120 pieds de haut. La façade de ce pavillon tournée à l'est,
est ornée d'un portique de vingt-deux colonnes d'ordre corin-
tliien de 28 pieds d'élévation. Outre les salles du congrès et
la bibliothèque, il contient la salle des séances de la cour su-
prême de justice de l'Union, et soixante-dix salles pour divers
comités et employés du congrès. Le 2 décembre 1852 un
incendie éclata dans le Capitole, et dévora une partie de la
bibliothèque. La demeure officielle du président, appelée
ordinairement White-House (la Maison blanche), est située
sur unç élévation pareille à celle du Capitole, mais de
moindre étendue, à environ deux kilomètres au nord-ouest
de cet édifice, au centre d'une place qui a 20 acres de su-
perficie et qui est disposée en forme de parc. C'est un beau
bâtiment, construit en pierre de taille, avec un portique
d'ordre ionique sur sa façade septentrionale, et orné d'une
colonnade circulaire sur celle du midi. Aux quatre angles
de la place se trouvent les bâtiments du ministère des affaires
étrangères, du ministère de la guerre, du ministère de la
marine, et du trésor. Le bâtiment de la direction générale
des postes , en marble blanc et de style antique, passe pour
le plus bel édifice de la ville. Tout près de là est situé le co-
lossal Paient -Office, avec un portique d'un développement
pareil à celui du Parthénon d'Athènes. 11 renferme le ca-
binet d'histoire naturelle et le muséum ethnographique de
l'Institut national, ainsi qu'une remarquable collection de
modèles. On a commencé en 1854 la construction du mo-
nument de Washington, colossal obélisque qui n'aura pas
moins de 200 mètres de hauteur. On remarque ensuite les
nouveaux bâtiments de la trésorerie , la caserne et le loge-
ment du commandant , l'arsenal de la marine , le dépôt de
l'artillerie et les bâtiments de diverses institutions scienti-
fiques. En fait d'édifices communaux propres à la ville , on
ne peut citer que l'hôtel de ville (city-hall). Outre un
grand nombre d'établissements d'instruction secondaire, on
trouve à Washington diverses institutions scientifiques im-
portantes , telles que le Columbian-College des anabap-
tistes , le séminaire catholique dirigé par les jésuites, le Cou-
vent delà Fjsi^aiion, établissement catholique d'instruction
supérieure pour les jeunes personnes; la National Insti-
tution for the promoving of Science; U Smithsonian
Institution; le National Observatory, fondé en 1842, et
enfin la bibliothèque publique du congrès, qui en 1851 ne
contenait déjà pas moins de 55,000 volumes. Il existe aussi
à Washington un grand nombre d'associations de bienfai-
sance. Sous le rapport du commerce et de l'industrie, la ca-
pitale de l'Union est sans importance. Le congrès, qui en
moyenne n'y siège que trois mois de l'année, n'est pas ua
moyen d'attraction assez puissant pour y appeler une nom-
breuse population. La population permanente, ne faisant pas
partie de la classe des fonctionnaires publics, dont le person-
nel est des plus mobiles, était en 1800 de 3,210 habitants,
en 1840 de 23,364, et en 1850 de 40,001 (dont 8,073 hom-
mes de couleur libres et 2,113 esclaves), non compris les
familles des envoyés étrangers, et se compose pour la plu»
grande partie de marchands en détail , d'aubergistes et de
restaurateurs. Au voisinage de Washington on trouve le
beau cimetière du congrès, et les chantiers de construction
de la marine militaire de l'Union, sur l'Anacostia, qu'on y
passe sur un pont de 2,375 pas de long. A 3 kilomètres
au-dessus de Washington, sur la rive gauche du Potomac,
et à l'entrée du canal Chesapeak-Ohio, se trouve Geor-
getown , avec un port, 8,356 habitants, sept églises et au-
tant d'écoles secondaires et supérieures , parmi lesquelles on
remarque le Georgetown-Collège, fondé en 1789, autorisé
depuis 1815 par le congrès à délivrer des grades académi-
ques, et placé sous la direction des jésuites.
Indépendamment de la ville fédérale, il y a aux États-
Unis 22 comtés ou arrondissements, 83 townships ou
territoires de ville, 13 villes et autres localités portant le nom
de Washington.
^VASHliVGTOIV (Iles). Voyez Marquises (Iles).
"WATELET (Louis- Etienne), peintre de paysage, né
à Paris, en 1788 , appartient à la famille du fermier géné-
ral de ce nom , le célèbre amateur du dix-huitième siècle.
Il débula par une médaille de seconde classe au salon de
1810; il en obtint une de première classe à celui de 1819,
et fut décoré de la Légion d'Honneur en 1825. Voilà pour
les récompenses officielles; quant à la valeur intrinsèque,
M. Watelet peut être considéré comme ayant été le précur-
seur de la nouvelle école de paysage. Le premier il rompit
le joug des traditions de l'école , et substitua l'étude naïTe
de la nature au style conventionnel et faux du paysage histo-
rique. Ce sera son plus grand mérite, car ce révolutionnaire
nous semble rococo aujourd'hui ; et ses tableaux, bien frottés,
bien cirés, bien luisants, manquent de vie et de sentiment.
Ses arbres, ses torrents, ses moulins, ses ponts ont l'air
d'une boîte de joujoux fabriqués à Nuremberg. M. Wa-
telet a peint un nombre immense de tableaux ; mais son
chef-d'œuvre est peut-être une Vue de Normandie, qui ap-
partient à M. le docteur Goupil. L'exposition de 1857 nous
a encore montré de M. Watelet une Vue prise dans
le Tyrol près d'Inspruck, ejfet d'orage. Ses meilleurs
élèves sont MM. Jules André, Lapitoet Alexis de Fontenay.
WATERFORD , comté formant l'extrémité orientale
de l'I r 1 a n d e , d'une superficie de 24 myriam. carrés , dont
un quart en montagnes incultes et en marais , avec une po-
pulation qui, du chiffre de 172,971 habitants qu'elle attei-
gnait en 1841, était descendue en 1851 à 135,836. C'est
une contrée très-montagneuse, et dont les montagnes, quoi-
qu'elles ne dépassent guère 833 mètres d'élévation , présen-
tent les aspects les plus divers et les plus pittoresques. Ses
côtes ont peu d'élévation, mais sont généralement bordées de
rochers et de récifs. Dans les vallées , surtout au sud-est, le
sol est fertile et produit beaucoup de froment, d'avoine,
de chanvre et de pommes de terre. C'est là que ce précieux
turbercule a été pour la première fois cultivé en Europe.
L'élève du bétail, favorisée par la richesse des pâturages, y
est d'ailleurs plus importante que l'agriculture. Faute de
bois et de houille, l'exploitation des mines de fer, de cuivre
et autres minéraux que contiennent ses montagnes , n'y a
pas pris tout le développement dont elle serait susceptible.
Les viandes salées , le beurre, le fromage, le lard, sont les
principaux articles d'exportation.
Le chef-lieu , Waterford , sur la rive méridionale du Suir,
à peu de distance de sa réunion avec le Barrow , est un
des meilleurs ports de l'Irlande, aussi favorablement situé
pour le commerce extérieur que pour le commerce inté-
972
WATERFORD — WATERLOO
rieur. Siège d'un évêque catholique et d'un évêque anglican,
cette ville a beaucoup gagné dans ces derniers temps. Le
vaste port de "Waterford , protégé par une petite citadelle ,
est la station des bateaux à vapeur faisant le service avec
Milfordliaven , dans le pays de Galles. Indépendamment
d'un commerce important, dontles céréales, le beurre, le
le suif et la viande de boucherie constituent les principaux
articles, la population, forte de 26,667 habitants, se livre à
la pêche du hareng et de la morue, et envoie chaque année
plus de soixante bâtiments à Terre-Neuve. L'industrie s'y borne
à la fabrication de quelques étoffes de laine , à la filature
du chanvre , à la distillerie des eaux-de-vie de grains et à
la fabrication de quelques articles de quincaillerie et de ver-
roterie. En fait d'édifices publics, on remarque la bourse ,
le palais de justice , la prison du comté et la cathédrale
protestante, un vieux château construit au onzième siècle
par le Danois Réginald , l'un des plus anciens qu'il y ait en
Irlande, l'iiôtel de ville, le théâtre, plusieurs écoles et
quelques églises.
Les autres localités importantes du comté sont Dungar-
van ( 12,382 habitants), sur la baie du même nom, avec
des bains de mer et des pêcheries : Younghall, à l'embou-
chure du Blackwater (9,600 habit.) : et Lismore , sur le
Blackwater , avec une cathédrale , 3,000 habit, et un beau
château, propriété du duc de Devonsliire.
Waier/ord est aussi le nom du chef-lieu du groupe des
Iles Banda.
WATERFORD (Les marquis de). Voyez Beresford.
W ATERL.^NDER , nom d'une secte d'anabap-
tistes.
WATERLOO (Bataille de). La bataille de Ligny
n'avait pas permis à l'empereur Napoléon d'atteindre com-
plètement le but qu'il avait dû se proposer en la livrant. Le
faux mouvement du premier corps d'armée, qui ce jour-là
ne sut être nulle part, empêcha la victoire d'être complète.
L'armée prussienne, qui aurait dû être coupée de celle de
Wellington , fut poussée dans la direction naturelle de ses
mouvements , et sa jonction ne put être que retardée ; il en
résulta que Napoléon se vit dans la nécessité de diviser la
sienne, dont l'aile droite fut chargée de suivre l'armée prus-
sienne dans sa retraite et, dira tout homme qui a fait la
guerre à la tête seulement d'un bataillon , d'en empêcher la
jonction avec les Anglais.
Le 17 juin, vers dix heures du matin , Napoléon ayant dé-
taché le maréchal Grouchy avec deux corps d'infanterie
et deux de cavalerie , pour sui vre B 1 h c h e r , se rendit aux
Quatre-Bras avec le restant des troupes qui avaient com-
battu à Ligny. Là il se fit rejoindre par les deux corps d'armée
que commandait le maréchal Ney, et, vers deux heures
après midi, il continua avec eux son mouvement dans la
direction de Bruxelles. Wellington s'était mis en retraite,
couvert par une simple arrière-garde. 11 n'y eut qu'un en-
gagement un peu sérieux devant Genappe; mais la marche
dans des terres tenaces et détrempées par les pluies fut
lente et |)énible. Vers sept heures du soir, Napoléon arriva
à la maison du roi, en présence des hauteurs du A/o«f-
Sain/-/ean, qu'occupaient des troupes ennemies. Une re-
connaissance laite par les cuirassiers de Milhaud fit bientôt
connaître que l'armée ennemie y était en position. Il était
trop tard pour engager une bataille, et Napoléon fit égale-
ment prendre position à la sienne, en avant de Rossomme,
s'étendant par sa gauche sur la route de Nivelles. Welling-
ton avait invité Bliicher à venir le joindre avec son armée ;
ce dernier, que notre aile droite n'avait pas joint, et qu'elle
serrait si peu, qu'il ne se croyait suivi que par un petit corps,
y ayant consenti , le général anglais se décida à recevoir
la bataille sur le terrain qu'il occupait, et fit sur-le-champ
ses dispositions défensives, qu'il eut le temps d'achever, l'at-
taque du lendemain ayant été retardée de quelques heures.
Son armée, forte de 80,000 hommes, dont 15,000 che-
vaux , couronna les hauteurs qui s'étendent jusque vers
Goumont.
Napoléon , averti pendant la nuit que Grouchy serait k
Wavre à midi, n'avait encore fait aucune disposition de
combat. Il avait plu toute la nuit; et le temps ne s'éclaircit
un peu que vers l-.uit heures. A ce moment, un de ses aides
de camp vint lui dire que l'armée ennemie était en mouve-
ment , ajoutant , peut-être par une jactance do courtisan ,
que l'armée anglaise se retirait. Le premier mouvement de
Napoléon fut de mettre ses troupes en marche; mais , étant
allé reconnaître lui-même, il vit bientôt que l'ennemi ache-
vait de se mettre en bataille. Les armes de nos troupes,
mouillées pendant douze heures de pluie , n'étaient pas
encore séchées et nettoyées ; le soldat était à jeun depuis la
veille. Napoléon se vit forcé de retarder son attaque jusqu'à
onze heures; en même temps, il écrivit à Grouchy ce qui
se passait, et lui enjoignit de se diriger au plus tôt sur Wavre,
afin de se mettre en communication avec le restant de l'ar-
mée. Son plan était de porter son aile droite , par échelons ,
la droite en avant, contre la gauche de l'ennemi , afin de la
doubler et de la rejeter en arrière du Mont-Saint-Jean. Par
là il s'éloignait encore des Prussiens et coupait à Welling-
ton sa ligne de retraite par la forêt de Soigne. L'armée
française, qui comptait 65,000 hommes, dont 16,000 che-
vaux, fut déployée à onze heures, suivant ce plan. A la
droite, le premier corps (16,000 hommes) à droite de la
route de Charleroi, en colonne par divisions, la droite eu
avant , avait pour point de direction l'extrême gauche de
l'ennemi ; la droite était couverte par la division Jacquinot
de cavalerie ( 1,400 chevaux). Derrière la droite du pre-
mier corps était le sixième (7,000 hommes ), prêt à rem-
plir le vide que le mouvement oblique des premiers allait
ouvrir au centre. A gauche, le deuxième corps (15,000
hommes) s'étendait entre les routes de Charleroi et de Ni-
velles, la gauche flanquée par la division de cavalerie Séré
( f,400 chevaux). Les cuirassiers de Milhaud (2,500 che-
vaux ) étaient en réserve derrière le premier corps ; ceux
de Kellermann (2,300 chevaui), derrière le deuxième.
La garde impériale (12, .500 hommes et 4,000 chevaux)
était en réserve à la gauche de Rossomme. La droite de
l'armée était flanquée par la division de cavalerie de Do-
mont ( 1,400 chevaux), poussée au bois de Paris et qu'ap-
puyait celle du général Subervic (1,400 cl)evaux). A onze
lieures et demie l'action s'engagea par la pointe de notre
gauche, où la division Jérôme attaqua le château de Gou-
mont. Ce poste, bien garni de troupes, se défendit avec
vigueur; et le combat s'y soutint longtemps stationnaire.
A droite , le premier corps avait ouvert son feu à midr
et s'était ébranlé ; mais bientôt une circonstance imprévue
vint changer son ordre d'attaque. Un peu après onze
heures. Napoléon avait aperçu à sa droite un corps de
troupes arrivant à la Chapelle-Saint-Lambert, et qu'on avait
cru d'abord être l'avant-garde de Grouchy, mais qu'on ap-
prit vers midi , par un prisonnier, être le corps de Bulow,
que devait suivre l'armée de Bliicher. Obligé alors de dis-
poser du corps de Lobau , pour contenir ce nouvel ennemi,
il ne pouvait plus ouvrir son armée par le centre, en pro-
longeant à droite l'attaque du premier corps. Ce dernier reçut
l'ordre d'intervertir sa disposition en la faisant la gauche en
tête, et la dirigeant sur la Haye-Sainte. Le sixième corps fut
porté derrière Planchenoit, faisant face vers la droite; la
division Subervic fut poussée en avant , et joignit celle de
Domont.
Le changement de direction du premier corps apporta
quelque retard dans son attaque , et eut pour conséquence
l'impossibilité de déployer les colonnes. Ney, à la tête de
celle de gauche, aborda l'aile droite ennemie, un peu avant
deux heures , mais il commit la faute de laisser à gauche la
ferme de la Haye-Sainte , dont il aurait dû se rendre maître
pour se donner un point d'appui. Le choc fut violent, et
le général anglais Licton y perdit la vie. Mais nos troupes fu-
rent contenues, et souffrirent beaucoup. La deuxième colonne
allait entrer en action, lorsque Wellington , profitant de la
faute de Ney, fit déboucher une brigade de dragons par la
WATERLOO — WATT
975
Haye-Sainte etcharger DOS troupes en flanc. Elles plièrent un
instant; mais, se formant rapidement en carrés, elles arrê-
tèrent la charge ennemie. Les dragons, repoussés par l'infan-
terie, se rejetèrent sur l'artillerie, qui avançait péniblement
dans les boues, et en désorganisèrent une quinzaine de pièces.
Mais le général Milhaud ayant lancé au-devant d'eux une bri-
gade de cuirassiers, ils s'arrêtèrent ; et le général Jacquinot
tes ayant attaqués en flanc et à dos, la plus grande partie des
dragons ennemis périt, avec leur chef, le général Ponsomby.
Napoléon ayant alors porté en avant les cuirassiers de
Milhaud et la cavalerie de la garde, ordonna à Ney d'at-
taquer la Haye-Sainte; celte attaque, appuyée par les char-
ges des cuirassiers et de la cavalerie légère de la garde , sur
la division anglaise d'Alton , réussit , et nous restâmes maî-
tres de ce poste. A la gauche, noire artillerie avait in-
cendié le château de Goumont, mais l'ennemi se contint
toujours dans le jardin.
Pendant ce temps le corps de Bulow s'avançait de Saint-
Lambert vers le bois de Paris , et Bliicher dirigeait ceux de
Pirch et de Ziethen vers la gauche de Wellington. C'était
pour l'ennemi un renfort de plus de 80,000 hommes , dont
15,000 chevaux. A quatre heures , deux divisions du corps
de Bulow ayant débouché du bois de Paris avec plus de
4,000 chevaux, s'engagèrent avec les troupes du sixième
corps et les divisions Subervic etDoraont. Il n'y avait presque
plus lieu de croire que Grouchy eût exécuté son mouve-
ment vers Saint- Lambert. Cependant, Napoléon pouvait
encore, lui, avoir l'espoir qu'il arrêterait les corps prus-
siens qui devaient suivre Bulow. Il avait signé à une heure
l'ordre qui enjoignait à Grouchy de se porter sur Saint-Lam-
bert ; ce dernier devait l'avoir reçu à trois heures, et à quatre
heures il pouvait être, par Limalé, sur le flanc de la marche
des Prussiens. Mais ce que Napoléon ignorait, c'est que cet
ordre ne fut expédié qu'à quatre heures , précisément lors-
que Bulow commençait à attaquer notre droite , et qu'il ne
servait plus à rien. La perte de la bataille dut être la con-
séquence inévitable de ce retard. Napoléon dut regretter,
comme il le fit, de n'avoir plus son major général d'Aus-
terlitz et de Wagram {voyez Sovlt).
Napoléon, après avoir commandé au sixième corps de
faire de plus grands efforts pour contenir Bulow, donna à Ney
l'ordre de faire occuper Papelotte et la Haye par la division
Durulte, du premier corps. Peu après, "Wellington ayant fait
porter une division en avant pour reprendre la Haye-Sainte,
Ney fit arriver sur le plateau les cuirassiers de Milhaud et
la cavalerie delà garde, qui firent échouer cette attaque. Na-
poléon voyant cette cavalerie engagée au centre de l'armée
ennemie, la fit soutenir par les cuirassiers de Kellermann,
que suivit, sans ordre, dit-on , la réserve de la garde. Alors
s'alluma sur ce plateau un combat presque sans exemple;
pendant deux heures notre cavalerie parcourut les rangs
ennemis, culbutant ou rompant la plupart des carrés de
l'infanterie anglaise. Tout était en désordre et en confusion
dans le centre de l'armée ennemie, sans qu'il lui fût possible
de se déployer. La division Licton était anéantie, et selon l'a-
veu même des ennemis , vers sept heures du soir, Wellington
ne comptait pas 30,000 hommes dans les rangs de son
armée , lorsque les Prussiens vinrent le dégager.
A six heures, à notre droite, Planchenoit , pris et repris,
était encore resté au pouvoir du sixième corps, appuyé par
la division Duhesme de la garde. A sept heures le corps de
Ziethen débouchait d'Ohain, et un peu plus tard celui de
Pirch vint se déployer entre lui et Bulow. Cette double ar-
rivée ébranla notre cavalerie , qui était encore sur le pla-
teau; Napoléon qui le vit, la fit appuyer par quatre bataillons
de la moyenne garde, qu'il conduisait lui-même ; huit ba-
taillons de la vieille garde devaient s'avancer pour les sou-
tenir, et le deuxième corps reçut l'ordre de se porter par sa
droite sur le plateau. L'arrivée des bataillons de la moyenne
garde ranima le combat ; l'ennemi , après les plus violents
efforts, n'avait pu réussir, au prix d'une perte énorme , à
repousser nos troupes , et il était visible que l'arrivée des
huit bataillons de la vieille garde achèverait d'enfoncer la
ligne anglaise, qui se soutenait à peine. Mais le moment dt
la catastrophe était venu.
A huit heures, la division Durutte, attaquée par les 25,000
hommes de Ziethen, fut chassée de sa position, et sa retraite
en désordre entraîna le restant du premier corps. A la même
heure les corps réunis de Bulow et de Pirch culbutèrent
les 10,000 hommes de Lobau et de Duhesme, trop faibles
pour résistera 50,000 , et l'ennemi , dépassant Planchenoit,
s'avança vers la route de Charleroi. Dès que Napoléon avait
vu la retraite du premier corps , il s'était empressé de porter
sur sa droite les huit bataillons de la vieille garde qui s'y
formèrent en carrés. Mais dans ce moment deux brigades de
cavalerie anglaise , débouchant par la droite de la Haye'»
Sainte , tournaient les carrés en se dirigeant vers notre
extrême droite, dont la retraite se précipitait déjà.
Napoléon porta au-devant de cette cavalerie ses quatre
escadrons de service; ils furent culbutés et lui-môme obligé
de se retirer à Rossomme , où était encore un régiment de
la garde. Les troupes qui étaient rentrées sur le plateau , se
croyant abandonnées, se hâtèrent de le quitter; et dès ce
moment il n'y eut plus de ralliement possible. Svellington
fit alors porter son armée en avant , et sa cavalerie, qui le
précédait, arriva devant le régiment où se trouvait encore
Napoléon , au moment où la cavalerie prussienne , ayant dé-
passé Planchenoit, touchait à la route de Charleroi. Ce fut
alors , dit-on , que le major général ( le maréchal S o u 1 1 )
rendit à l'empereur un service un peu tardif; ce fut celui
de l'empêcher de s'enfermer dans un carré, qui fut bientôt
désorganisé. La perte fut à peu près compensée des deux
côtés : la nôtre s'éleva à 18,000 morts ou blessés et 7,000
prisonniers; les ennemis avouent 24,700 hommes hors de
combat (uoî/es Cent Jodrs). G^i G. de Vaddoncourt.
WATERLOO (Antoine), l'un des peintres les plus
remarquables de l'école hollandaise , célèbre aussi comme
dessinateur et comme graveur, naquit en 1618, à Utrecht,
ou, suivant d'autres , à Amsterdam. Il passa la plus grande
partie de sa vie aux environs d'Utrecht, à Maarsen et à
Breukelen, et mourut pauvre et misérable, en 1662, à l'hô-
pital de Saint-Hiob , près d'Utrecht. Ses paysages sont de
fidèles représentations de la nature. Il peignait les sites tels
qu'ils se présentaient à lui. La lumière, qu'il excelle à faire
briller à travers les arbres et entre les feuilles, la répétition
des arbres dans l'eau , tout cela donne aux sujets qu'il re-
présente dans ses tableaux , dans ses dessins et dans ses
gravures , les charmes de la vérité , qui ne vieillit jamais.
Ses paysages portent essentiellement le cachet d'un ca-
ractère doux et placide- La plupart du temps il représente
la nature dans ses rapports agréables et joyeux avec la
nature humaine , et non pas, comme R u y s d a e I , dans sa
grandiose solitude. Weenix orna souvent les tableaux
de Waterloo de figures et d'animaux. En raison de l'extrême
rareté de ses tableaux, Waterloo est beaucoup plus connu
par ses excellents dessins à la craie et à l'encre de Chine,
et par ses inimitables cent trente-six planches gravées,
les bonnes épreuves surtout ; car les épreuves des plan-
ches qu'il grava plus tard manquent d'esprit et d'harmonie.
WATT ( James ) naquit à Greenock, en 1736. A l'âge de
seize ans, il fut mis en apprentissage chez un fabricant d'ins-
truments de mathématiques ; et à vingt ans il se rendit à
Londres pour y exercer cette profession. Mais le séjour de
la capilale ayant influé sur sa santé, qui parait avoir tou-
jours été assez faible, il revint en Ecosse, et se fixa à Glas-
cow. En 1757 il fut nommé fabricant d'instruments de
physique de l'université. Toutefois, il paraît que jusqu'en
1774 il y vécut de la manière la plus précaire.
Depuis un siècle environ les travaux des mines avaient
pris en Angleterre une immense extension ; mais nn nombre
considérable d'exploitations étaient rendues infructueuses
par les difficultés qu'on éprouvait à se débarrasser des
eaux qui entravaient sans cesse les opérations des mineurs;
Un problème important était donc à résoudre : Découvrit
974
WATT — WATTEAU
un moyen prompt et économique d'élever à une hauteur
considérable une grande quantité d'eau; et les premiers
essais tentés pour employer la vapeur comme force mo-
trice eurent pour but unique la solution de ce problème.
Que si l'on employait beaucoup d'eau pour condenser la
vapeur contenue dans le cylindre, on obtenait à la vé-
rité un vide parfait, et le piston acquérait son summum
de puissance; mais aussi l'on refroidissait nécessairement
le cylindre lui-même, d'où une dépense énorme de combus-
tible. Si, au contraire, l'on n'employait à la condensation de
la vapeur qu'une petite quantité d'eau froide, on ménageait
à la vérité la chaleur du cylindre , mais aussi l'on n'obte-
nait qu'un vide imparfait , et le piston perdait «ne grande
partie de sa puissance. Le premier problème dont Watt eut
à chercher la solution fut donc celui-ci : Découvrir un
moyen de condenser complètement la vapeur dans la
machine atmosphérique de Newcommon , sans refroi-
dir en même temps le cylindre. Et il le résolut par l'in-
vention du condenseur séparé, auquel il ajouta un appa-
reil de pompe rais en mouvement par la machine elle-
même , et qui épuisait d'air et d'eau le condenseur à
mesure que la condensation de la vapeur tendait à y en ac-
cumuler; de sorte que la machine remédiait à son propre
défaut. Jusque ici le piston descendait dans le cylindre en
vertu de la seule pression de l'atmosphère ; mais le contact
de l'air refroidissait le cylindre, et entraînait une perte inu-
tile de calorique. Watt , pour remédier à ce nouveau vice
de construction, inventa un cylindre clos de toutes parts ; et,
introduisant successivement la vapeur au-dessus et au-
dessous du piston, il remplaça la pression de l'atmosphère
par la force élastique de la vapeur, transformant ainsi la
machine atmosphérique de Newcommon en une machine
dans laquelle la vapeur devenait la force motrice unique. Le
résultat immédiat de ces modifications apportées par Watt
à la machine de Newcommon fut une économie de combus-
tible évaluée à 75 pour 100. Cependant, ses inventions se-
raient longtemps demeurées stériles, s'il n'eût rencontré
dans Matthieu Boulton un spéculateur aussi hardi que lui-
même était mécanicien habile. Boulton , on peut le dire ,
possédait le génie de l'industrie autant peut-être que Watt
possédait celui de la mécanique. Il comprit tout de suite la
portée des améliorations apportées par Watt à la construction
des machines à vapeur ; et mit sa fortune entière à la disposition
de l'ingénieur. Des brevets furent obtenus ; des ateliers et des
fonderies furent établis, et 1,250,000 francs dépensés avant
que Boulton songeâtmême à effectuer des rentrées. Enfin, des
machines construites sur le nouveau modèle furent livrées au
public; et alors eut lieu un phénomène indîistriel qui fait
également honneur à l'audace du spéculateur et au génie du
mécanicien. Boulton donna gratuitement sas machines à qui
vouluten prendre. 11 y aplus: ilsechargeadeles faire monter
et de les entretenir à ses frais : pour toute rémunération il
demandais tiers de l'argent économisé sur le combus-
tible, et il chargea Watt de découvrir un moyen certain de
constater cette économie. Alors Watt imagina ce petit ap-
pareil aujourd'hui assez connu sous le nom de compteur.
Les offres de Boullon firent que les machines nouvelles
furent généralement adoptées dans les exploitations des
mines ; mais on ne tarda pas à s'apercevoir que , quoique
données, elle étaient vendues à des prix exorbitants. Ainsi,
une seule compagnie, qui employait trois de ces machines
à l'exploitation d'une mine dans le Cornouailles, trouva de
l'avantage à se Ubérer envers Boulton par une rente annuelle
de 60,000 liv. st.
Jusque ici Watt n'avait créé que la pompe à feu; il res-
tait à créer la machine à vapeur. Et ici commence une
nouvelle série de découvertes dont nous pouvons à peine
indiquer les titres. De la machine à simple action il passa
à la machine à double action. Puis il inventa le célèbre
appareil du mouvement parallèle, qui lui permit de trans-
former le mouvement rigoureusement rectiligne du piston
eu un mouvement de nutation autour d'un axe; et il com-
pléta sa découverte en transformant de nouveau cette mt-
tation en une rotation continue. Enfin , il inventa le vo-
lant, au moyen duquel le mouvement rotatoire devient
uniforme et constant, et le régulateur, au moyen duquel
la machine se modère elle-même et diminue ou augmente
la tension de sa vapeur, suivant que son mouvement aug-
mente ou diminue. ■ -!-'«is)
Ainsi maîtrisée , la vapeur devenait entre les mains de
l'homme une force continue, uniforme, constante, indé-
finiment divisible, et susceptible aussi d'être multipliée à
l'infini. La machine à vapeur était dès lors applicable à
toutes espèces de manufactures. Et bien que dans ces der-
nières années elle ait reçu de nombreux perfectionnements,
qui en ont singulièrement simplifié les éléments et augmenté
la puissance, il n'en est pas moins vrai que toutes les qua-
lités fondamentales de cette machine , ces qualités qui ont
si merveilleusement changé la face du monde industriel ,
qui ont multiplié les relations , anéanti les distances , et
agrandi indéfiniment la puissance créatrice de l'homme ;
il n'en est pas moins vrai, disons-nous , que toutes les
qualités fondamentales de la machine à vapeur sont
dues au génie créateur d'un seul homme ; et cet homme
était un simple ouvrier mécanicien , qui ne possédait ni
rang, ni instruction , ni fortune, ces trois éléments en gé-
néral si nécessaires pour impatroniser dans le monde les
premières découvertes du génie.
James Watt mourut âgé de quatre-vingt-quatre ans , le
25 août 1825, dans un petit domaine qu'il possédait à Heath-
field, près de Birmingham. La reconnaissance nationale lui
a élevé, en 1827, une statue à Birimingham,
Belfield-Lefèvre.
WATTEAU (Antoine), peintre célèbre, né à Va-
lenciennes, en 1684, s'est créé un genre qui lui est particu-
lier et qui n'a été imité par aucun peintre. 11 représentait
habituellement des fêtes champêtres , donnant à ses per-
sonnages un costume de son invention, qui a de l'analogie
avec celui que portaient les Espagnols à l'époque du règne
de Louis XI"V ; et il fut supérieur dans l'art du coloris. Fils
d'un couvreur, il reçut d'abord des leçons d'un mauvais
peintre ; il le quitta pour en suivre un autre, qui excellait
dans les décorations de théâtre. Ce genre lui plut, et , en
1702 , il vint à Paris avec cet artiste, que les directeurs de
l'Opéra avaient mandé. Celui-ci, ayant terminé son travail ,
retourna à Valenciennes, et laissa son jeune disciple à Pa-
ris. Watteau entra chez un peintre du Pont-de Notre-Dame ,
où il faisait des dessus de porte, des devants de cheminée
et des enseignes. Un tableau représentant la Boutique d'un
marchand de peinture commença sa réputation. Tous
les passants s'arrêtaient devant l'enseigne du peintre de
l'Académie de Saint-Luc, dont le garçon de boutique avait
fait un chef-d'œuvre décomposition et de coloris : il a été
parfaitement gravé, et figure dans les œuvres de Watteau.
Notre jeune artiste abandonna la maison de commerce
qu'il avait achalandée par un talent à peine à son aurore;
il entra chez ClaudeGillot.un des maîtres les plus distingués
de l'Académie royale, qui maniait le burin aussi bien que
le pinceau. Chez ce nouveau maître, Watteau se mita re-
tracer des fêtes champêtres, dont les amateurs, et Gillot lui-
même, furent surpris. Ayant fait la connaissance de Claude
Audran, fameux peintre d'ornements, qui logeait au Luxem-
bourg, il peignit les figures de ses tableaux ; mais dominé
par son goût et par son amour excessif du coloris , il se li-
vra à des études sérieuses dans la galerie de Rubens, dont
il était voisin , et d'après les peintures de Van Dyck du
Cabinet du Roi, alors au Luxembourg. Watteau saisit si
bien la manière de ces deux grands peintres, que les tableaux
qu'il produisit d'après cette étude trouvent place à côté des
modèles, qu'il a parfaitement compris. Deux de ces tableaux
furent exposés dans une des salles du Louvre. La Fosse,
professeur et chancelier de l'Académie , les ayant vus , fut
étonné de la perfection du coloris, et demanda à voir l'au-
teur. Il apprit que c'était un jeune homme qui désirait aller
WATTEAU — WAVRE
975
«e perfectionner à Rome , et qui avant de partir voulait
faire un voyage dans son pays. Watteau se présenta à lui :
« Mon anai , lui dit La Fosse, vous ignorez votre talent;
vous en savez plus que nous , et vous pouvez honorer
notre Académie. » Ainsi encouragé par un peintre qui
avait une grande prétention au coloris , et qui la soutenait ,
Watteau fit ses visites, et fut reçu académicien , sur le vu
d'vm tableau charmant, à la composition gracieuse, au des-
sin spirituel, au coloris qui prouvait à quel point il avait
compris celui de Rubens et de Van Dyck ; tableau délicieux,
qu'on voit au Musée, et connu sous le titre de Voyage à
Cythère: il a été très-bien gravé pas Tardieu.
Watteau, épuisé de fatigue et d'étude, mourut de langueur,
en 1721, à Nogent, près Paris, dans la trente-septième année
de son âge. On doit peut-être le regarder comme le premier
coloriste de l'école française. Ch^'' Alexandre LENom.
WATTEVILLE. Voyez Vatteville.
WAT-TYLER, c'est-à-dire Walter le Couvreur.
Ainsi s'appelait le chef d'une formidable insurrection de
paysans qui dévasta l'Angleterre, en 1381, au commence-
ment du règne de Richard II, et qui offre beaucoup de
points de ressemblance avec la guerre des paysans en
Allemagne. L'Angleterre se trouvait alors dans une situation
désespérée. Les oncles du jeune roi gouvernaient sous son
nom, et irritaient chaque jour davantage le peuple par leurs
actes de cruauté et de tyrannie , ainsi que par leurs exac-
tions. En novembre 1380 le parlement se trouva dans la
nécessité de consentir à une nouvelle capitation. Il fut or-
donné que tout indivjdu âgé quinze ans, sans diclinction de
sexe ni de fortune , serait astreint à un impôt personnel
de 12 deniers ou 3 gros. Cette lourde contribution excita
d'autant plus de mécontentement , que le produit en fut af-
fermé à des agioteurs flamands, qui en opérèrent le recou-
vrement avec la rigueur la plus extrême. Au mois de juin
1381 la conduite brutale d'un collecteur de taxes amena
enlin l'explosion de l'indignation populaire. Les collecteurs
de la taxe, en passant par le bourg de Deptford, dans le
comté d'Essex, entrèrent dans la maison de Wat-Tyler, et
exigèrent le payement de la capitation pour sa jeune et belle
fille. La mère assura que l'enfant n'avait pas encore quinze
ans et était par conséquent exempte de la taxe. L'un des
employés prétendit le contraire, et voulut s'assurer de l'âge
de la jeune fille au moyen d'un examen contraire à toutes
les idées de pudeur. A ce moment Wat-Tyler rentrait au
logis. Indigné, il étendit roide mort à ses pieds d'un coup
de marteau le publicain qui avait insulté sa fille. Les
paysans, accourus au bruit qui s'ensuivit, approuvèrent
énergiqueraent l'action de Wat-Tyler ; et bientôt éclatait
parmi eux une révolte qui quelques jours après s'éten-
dait sur tout le comté. Le menu peuple courut également
aux armes dans les comtés de Sussex , de Hereford , de
Surrey, de Suffolk , de Norfolk et de Cambridge. La cour
ne connaissait pas encore tous les détails de ce mouvement
insurrectionnel , que déjà plus de 100,000 paysans , com-
mandés par Wat-Tyler et par le boulanger Jack Straw,
étaient en pleine marche sur Londres, détruisant tous les
châteaux, maltraitant les seigneurs et les fonctionnaires pu-
blics, et vidant toutes les prisons qu'ils rencontraient sur
leur route. Arrivés sous les murs de Londres , ils virent la
cour chercher à entrer en arrangement avec eux ; et les bour-
geois de Londres leur ayant ouvert les portes de leur ville ,
ils s'y livrèrent aux plus effroyables dévastations. Le palais
du duc de Lancaster, les hôtels des seigneurs, les édifices af-
fectés au service de la justice et de l'administration, les actes
du parlement, les actes de procédure, et les registres matri-
cules des collecteurs, furent livrés aux flammes en même
temps qu'on égorgeait un grand nombre de seigneurs, de
membres du haut clergé et de juges , et les étrangers fer-
miers de la nouvelle capitation. Wat-Tyler força même les
gardes du monarque à lui ouvrir la- Tour de Londres, où
la cour s'était réfuj^iée. On s'y saisit de Sudiey , de
Haies , du chef des fermiers de l'impôt et du confesseur
du roi, puis on les égorgea. Le roi, au contraire, ptit s'é-
chapper; et il résolut alors de fout faire pour amener un
compromis. Dans la nuit du 13 au 14 juin, trente scribes
furent employés à multiplier les exemplaires d'une procla-
mation où on promettait aux paysans une amnistie géné-
rale, l'abolition du servage, le droit de vendre et d'acheter
librement dans les villes, et une réduction considérable
dans l'impôt foncier. Quand le lendemain matin les ré-
voltés eurent connaissance de cet acte , ils s'en décla-
rèrent satisfaits , et la plupart s'en retournèrent dans leurs
foyers. Wat-Tyler, à la tête d'un petit nombre d'adhérents,
essaya seul de s'opposer aune conciliation opérée sans lui.
Cependant, le 15 juin, il consentit à avoir un entretien avec
le roi, à Smithfield ;or, à cette occasion il se comporta avec
tant d'arrogance, que les gens de la suite de Richard, indi-
gnés, le massacrèrent sous les yeux de leur maître. Ses ad-
hérents, qui se tenaient à quelque distance, essayèrent bien
un instant de venger leur chef; mais à ce moment arriva
un fort détachement de bourgeois de Londres en armes, à
la vue desquels les paysans se dispersèrent dans tous le*
sens.
Dans le comté de Norfolk, c'était un teinturier du nom-
de John Littestere qui s'était mis à la tète des insurgés, il
prenait le titre de roi des communes, et se faisait servir à
table par des gentilshommes obligés de s'agenouiller devant
lui. L'évoque Spencer de Norwich tailla en pièces une par-
tie de ces révoltés à Northwalsham, et livra les autres au
supplice. Les barons réunirent d'ailleurs leurs vassaux avec
tant de diligence , que le roi se trouva bientôt à la tête
d'une armée de 40,000 hommes, avec laquelle on fit ren-
trer dans le devoir les comtés qui avaient pris part à l'in-
surrection. Indépendamment des chefs, plus de 1,500
paysans périrent dans les plus affreuses tortures. Il parut
ensuite un manifeste royal qui retira toutes les concessions
accordées au moment du péril; et le menu peuple se trouva
désormais en proie à une oppression cent fois plus dure-
encore qu'auparavant.
WAUXHALL. Voyez Vauxhall.
WAVRE, ville de 5,900 habitants, située sur une petite
rivière appelée la Dyle, dans l'arrondissement de Nivelles,
province du Brabanl méridional ( Belgique) , est célèbre par
les combats qui y eurent lieu les 18 et 19 juin 1815 entre
les Français et les Prussiens. Après avoir perdu, le 16 juin,
la bataille de Ligny , Bliicher s'était retiré avec son armée
sur les hauteurs en deçà de Wavre, pendant que Wellington,
à la suite de l'affaire des Quatre- Bras, prenait une forte
position à Mont-Saint-Jean. La jonction des deux armées
était dès lors possible, et Bliicher promit à Wellington de
l'appuyer vigoureusement s'il était attaqué le 18 par Napo-
léon. Dans le cas contraire , tous deux étaient résolus de
prendre l'offensive dansla journée du 19. Cependant, aprè*
la victoire qu'il venait de remporter à Ligny, Napoléon , se
lauçant à la poursuite de Wellington, avait laissé le maréchal
Grouchyavec 34,000 hommes et 100 bouches à feu devant
l'armée prussienne, avec ordre de la rejeter plus loin et
d'empêcher ainsi que Bliicher se réunît à Wellington. Blùcher,
qui était loin de supposer qu'il eût affaire à un ennemi dispo-
sant de forces si considérables , se mit en marche avec toutes
ses troupes sur Saint-Lambert, dans la matinée du 18, confor-
mément à sa promesse, pour aller au secours de Wellington ;
mais il laissa en arrière Tiiielemann avecle troisième corps fort
de 15,000 hommes, en lui donnant l'ordre de conserver la
position de Wavre jusqu'à ce que le résultat de la bataille lui
fut connu, ce qui, en cas de retraite, était d'une haute im-
portance. Dans l'après-midi du 18, vers trois heures, Grou-
chy entreprit sa première attaque sur Wavre. Vandamme,
traversant aussitôt la Dyle, entra dans la petite ville, qui
était tout en feu ; mais il ne tarda pas à être contraint de
l'évacuer. Grouchy ne tenta pas moins vainement de tra-
verser l'extrémité de l'aile droite de Thielemann au moulin
de Bierge. Dès qu'on entendit les premiers coups de canon
de Waterloo, Vandamme, Gérard et Pajol, placés sous
976
WAVRE — WEBSTER
les ordres de Groudiy, le conjurèrent de renoncer à son at-
taque sur Wavre et d'aller porter secours à l'empereur aux
prises avec l'ennemi. Un tel mouvement eût évidemment
empêché la marche de l'armée prussienne et eût exercé une
décisive influence sur le résultat de la bataille de Waterloo.
Mais Grouchy refusa de croire que l'armée prussienne eût
réellement décampé , comme aussi de s'éloigner de la lettre
de ses instructions. Quoiqu'on assure que dans la nuit du
18 au 19 il avait reçu de Napoléon l'ordre de se rapprocher
de l'aile droite de l'armée principale, il n'en accepta pas
moins, dans la matinée du 19 juin, par des motifs restés
inconnus, un nouvel engagement sur les bords de la Dyle.
Thielemann, dont la position était devenue des plus critiques,
et qui savait déjà que les alliés avaient remporté la victoire
à Waterloo , prit une autre position , deux lieues plus loin ,
et même, vers midi, se retira surLouvain, afin d'attirer
Grouchy sur ses pas et de le couper. Mais Grouchy reçut,
lui aussi , à ce moment la nouvelle de la défaite de Napoléon,
et battit alors précipitamment en retraite par Gembloiix
sur Namur. De part et d'autre, on avait perdu à peu près
2,000 hommes sur les bords de la Dyle. Si Napoléon avait su
que Grouchy ramènerait sous les murs de Paris son armée
non entamée, el qui en route s'étart grossie de fuyards qui en
avaient porté l'effectif à 40,000 hommes , il ne se serait pas
tant pressé d'abdiquer et il eût sans doute encore tenté la for-
tune des armes.
' WAVRE, village situéàcinq kilomètres de Varsovie, sur
la route de Pultusk et sur la rive droite de la Vistule, est
célèbre par la bataille qui s'y livra le 19 février 1831 , entre
les Polonais elles Russes. Chlopicki contribua surtout au
gain de la victoire, qui y couronna les armes polonaises,
WEBER (Karl-Maru-Frédéric-Ernest, baron de),
un des plus grands musiciens de notre époque, naquit en
1786, à Eu tin. Il avait apporté en naissant les dispositions
les plus heureuses et la passion la plus déterminée pour les
beaux-arts , principalement pour la peinture et la musique.
Heuschel de Hildburghausen fut son premier maître de
piano, en 1796. C'est à ce savant professeur que Weber dut
son énergie, cette exécution brillante, agile et passionnée
qui l'ont placé au premier rang des pianistes de cette époque.
Le développement extraordinaire et précoce de ces qualités
engagea le père de Weber à lui donner les moyens d'arriver
à la perfection. Il conduisit son fils à Saitzbourg , et le confia
au fameux Michel Haydn , moins connu que son illustre
frère Jos.eph , quoique plus savant. L'austérité des principes
de ce rhéteur musical rebuta le jeune Weber, qui profita
peu de ses instructions. En 1798 il publia son premier ou-
vrage, six fugues à quatre parties : elles sont remarquables
par leur style pur et correct. A la fin de cette année, VVeber
se rendit à Mnnich , où il apprit l'art du chant de Valesi , et
la composition , ainsi que le piano, de Kalcher. C'est à ce
maître qu'il dut en partie ces combinaisons d'instruments
qui charment également par leur hardiesse et leur nouveauté.
Le genre de Weber le porta vers la musique théâtrale. Il
écrivit sous les yeux de son maître un opéra intitulé Le Pou-
voir de l'amour et du vin, et plusieurs autres pièces qu'il
ne trouva pas dignes de son talent; elles furent livrées aux
flammes. Bientôt après, son goût pour la peinture vint le dis-
traire de ses occupations musicales : il voulut rivaliser avec
Sennefelder, et lui disputa Pinvention delà hthographie; il
fit valoir l'artifice de ses procédés, voulut prouver leur supé-
riorité, et alla se fixer avec son père à Freyberg, en Saxe,
où les matériaux qui lui étaient nécessaires se trouvaient
mieux à sa portée. L'ennui d'un travail en quelque sorte
mécanique ne pouvait manquer de fatiguer un esprit de cette
trempe. Le jeune spéculateur abandonna ses pierres et ses
crayons pour reprendre la lyre ; il se remit à l'étude de la
composition avec une ardeur nouvelle. 11 écrivit Sylvana,
opéra, en 1800; il était alors âgé de quatorze ans. Cette
composition fut reçue avec enthousiasme; on l'applaudit à
Vienne, à Prague, à Pétersbourg. Pierre Schmoll, opéra re-
présenté en 1801 , est son coup d'essai dans le style brillant
et vigoureux. Dans ses nombreux voyages , il faisait des col-
lections de livres sur la théorie de la musique. Contrarié
par le peu d'accord qui règne entre les systèmes divers de
leurs auteurs , il donna encore plus de soin à l'étude de l'har-
monie , dans l'intention d'en former un nouveau cours com-
plet, rédigé d'après le système de doctrine que ses lumières
et son expérience lui avaient fait adopter.
Weber se rendit à Vienne en 1803, et termina son édu-
cation musicale sous le célèbre abbé Vogler. Il fut appelé
ensuite à Breslau pour y remplir les fonctions de maître de
chapelle. Le seul ouvrage remarquable qu'il ait écrit pendant
son séjour en Silésie est l'opéra de Rubezahl. En 1806 la
guerre de Prusse l'obligea à quitter Breslau ; il accepta un
engagement que le duc de Wurtemberg lui avait offert. 11
composa alors deux symphonies, plusieurs concertos , dif-
férentes pièces pour instruments à vent , et publia une
édition revue et corrigée de Sylvana, une cantate, Dererste
Ton , quelques ouvertures à grand orchestre , et une grande
quantité de solos ou sonates pour le piano. Abu-Hassan,
opéra en un acte, parut à Darmstadt en 1810. De 1813 à
1816 Weber dirigea l'Opéra à Prague. Il écrivit sa grande
cantate, A'owip/" «ndSieg', production d'un style pompeux
et grandiose, et fut appelé ensuite à Dresde pour y former
un opéra allemand. Der Freyschûtz parut à Berlin en 1822 :
cet ouvrage admirable éleva Weber au rang des premiers
maîtres de l'Allemagne ; le succès en fut brillant et populaire.
Il donna ensuite Euriante, opéra d'une grande beauté ,
mais dont les résultats furent moins heureux. Appelé à Lon-
dres , il y écrivit Obéron , son dernier chef-d'œuvre. On
sait la vogue prodigieuse du Freyschûtz , qui parut sur nos
théâtres avec le titre de Robin des bois.
La santé de Weber avait beaucoup souffert avant son
voyage à Londres ; il était atteint d'une maladie de poitrine,
qui le rendait très-sensible aux variations de l'atmosphère,
si fréquentes en Angleterre au printemps. Il témoignait un
vif désir de revoir sa patrie , et ce sentiment redoubla à
mesure que le moment de sa mort approchait. La faiblesse
de sa santé l'empêchait d'aller dans le monde; mais rien ne
faisait regarder comme prochain le malheur qui le menaçait,
et le soir qui précéda la nuit de sa mort , un de ses amis ,
qui lui avait donné des soins constants , avait soupe avec lui,
et l'avait laissé dans un état qui n'inspirait aucune crainte,
du moins pour le moment. Le 5 juin 1827, on le trouva sans
mouvement dans son lit, la tête appuyée sur sa main. On
s'empressa de lui donner des secours , mais il était trop
tard. Il laissait sa femme et deux enfants, qui ne l'avaient
point accompagné à Londres. Castil-Blaze.
"WEBSTER (Daniel), célèbre homme d'État améri-
cain, naquit le 18 janvier 1782, à Salisbury, dans le New-
Hampshire. Son père avait fait la guerre de l'indépendance,
devint membre de l'assemblée législative du New-Hampshire,
et mourut en 1816. Après avoir terminé ses études, Daniel
Webster s'établit comme avocat à Portsmouth. Sa réputa-
tion grandit en peu de temps , et en 1812 il fut élu membre
de l'assemblée législative du New-Hampshire, où il exerça
une grande inlluence. En 1817 il vint se fixera Boston. En
1820 il fit partie de la commission chargée de la révision
de la constitution particulière de cet État; et peu après le
comté de Suffolk, dans le Massachusetts, le choisissait
pour député à la chambre des représentants. En 1828 fl Je
désigna pour faire partie de la chambre du sénat. Daniel
Webster se fit remarquer au congrès par la chaleur avec
laquelle il prit en mains la cause des Grecs et celle des nou-
velles républiques de l'Amérique méridionale. Quand, en
1828, la question des tarifs fut soulevée dans le congrès, il
la combattit d'abord énergiquement, comme représentant
d'une ville commerciale; mais la mesure une fois adoptée,
il n'hésita pas à en reconnaître la justice. Dans la ques-
tion des banques, il se montra, avec Blay, l'adversaire
du général Jackson, et mérita ainsi la confiance du parti
wliig. Obligé de séjourner à Washington en sa qualité de
membre du congrès, il y exerça avec le plus grand succès
WEBSTER — WEHME
97T
la profession d'avocat près la cour suprême de l'Union.
Lorsque, en 1 84 1 , le général H a r r i s on, représentant du parti
wliig, arriva à la présidence avec l'intention bien arrêtée
de renouveler le privilège de la Banque, il appela Webster
a la tête du ministère en qualité de secrétaire d'État ; et riial-
sçré le décès du général, arrivé un mois après, Webster n'en
conserva pas moins ces fonctions sous l'administration dé-
mocratique modérée de Tyler. En 1842 celui-ci le char-
gea de négocier à Washington, avec lord Ashburton, am-
bassadeur d'Angleterre, le traité relatif à la délimitation des
deux États, ainsi qu'à la suppression de la traite et à l'ex-
tradition des criminels. Quand Tyler quitta le pouvoir,
Webster aurait eu de grandes chances d'être élu président à
sa place, si le parti démocratique n'avait pas fini par l'em-
porter. Cependant, il fut élu de nouveau membre du sénat
en 1845; et en 1850 il fut appelé à remplir encore une fois
les fonctions de secrétaire d'État. 11 mourut, après une courte
maladie, dans son domaine de Marshfield en Massachusetts,
le 24 décembre 1852.
WEBSTÉRITE, sulfate d'alumine hydraté. C'est une
substance terreuse , d'un blanc mat , ressemblant beau-
coup à la craie par son aspect et sa consistance , qu'on
avait d'abord prise pour de l'alumine pure ou de l'argile
pure , quand on la découvrit pour la première fois à Halle
en Saxe. Webster, qui la retrouva sur la côte d'Angleterre,
lui restitua son véritable caractère. Plus tard, on en a trouvé
des variétés près d'Épernay, et à Auleuil près Paris. La
webstérite , qui se rencontre en veines dans l'argile plas-
tique, appartient exclusivement aux terrains tertiaires,
"WEC11A.B1TES. Voyez Wahabites.
WECHEL , honorable famille d'imprimeurs qui exer-
cèrent leur art tout à la fois en Allemagne et en France.
Christian Wechel fonda, vers l'an 15S0, à Paris, une
imprimerie, dont la renommée fut bientôt européenne, et des
presses de laquelle sortirent de nombreuses éditions des
divers classiques grecs , latins , hébreux et français , aussi
remarquables par la correction des textes que par la beauté
de l'exécution matérielle. Persécuté comme partisan de la
Réformation et comme vendant des livres prohibés, il fut
obligé de quitter la France. Il fonda alors à Francfort-sur-
le-Mein une nouvelle imprimerie et une nouvelle maison de
librairie , qui ne tardèrent pas à être aussi florissantes
que ses premiers établissements. Il mourut en 1554.
Son fils André Wechel était resté à Paris; mais il
éprouva bientôt les mêmes persécutions que son [lère , et
dut, comme calviniste, abandonner la France, en 1573, Lui
aussi il fonda, d'abord à Francfort, et plus tard à Hanau,
une importante officine. A sa mort, arrivée en 1581, ses
gendres, Claude Marny et Jean Audry, continuèrent ses
grandes affaires, sous la raison de Imprimerie Wechel.
En 1590 il parut un catalogue des livres sortis de ses
presses.
WEDG WOOD. On appelle ainsi , d'après le nom de
son inventeur, une espèce particulière de poterie anglaise re-
marquable par sa dureté, sa finesse et sa beauté.
Josiah Wedcwood, pauvre potier du comté de Sfalford,
né en t730, inventa, dans les dernières années du dix-hui-
tième siècle, une poterie jaune pâle, d'une grande dureté
et d'un remarquable éclat, et successivement plusieurs au-
tres espèces de faïence , mais qui ne sont pas toutes con-
nues sous son nom. L'immense usine qu'il fonda non loin
de Newcastle, dans le comté de Stafford, finit par devenir
un gros bourg , auquel il donna le nom à'Etruria. Le
çrincipal dépôt des produits de cette industrie se trouve à
Londres.
Wedgood, mort en 1795, avait acquis des connaissances
étendues dans diverses branches des sciences naturelles ; il
inventa également un pyromètre, qui porte son nom , et
dont il fut beaucoup plus question qu'il ne le méritait réel-
lement.
WEEIVIX (Jean -Baptiste ), peintre hollandais , né en
t62l,à Amsterdam, élève d'Abraham Bloemaert et gendre
D!CT. de la CONVERS. — T. XVI.
de Hondecoeter, séjourna pendant quelque temps en Italie,
où il peignit un grand nombre de tableaux pour des sei-
gneurs , et vint ensuite s'établir à Utrecht, où il mourut,
en 1660. Ses petits paysages , ses animaux et ses tableaux
de genre sont exécutés avec beaucoup de soin , mais quel-
que peu uniformes. Ses dessins et les planches gravées par
lui sont devenus d'une rareté extrême.
Son fils, Jean Weenix, né à Amsterdam, en 1644, se fit
une bien plus grande réputation , et ne put d'ailleurs pas
profiter longtemps des enseignements de son père. Prenant
la nature pour guide, il réussit , non pas comme lui dans
tous les genres , mais à atteindre une grande supériorité
comme peintre d'animaux. Il mourut à Amsterdam, en 1719.
Cet artiste a exécuté avec une admirable vérité et un indi-
cible charme de couleur des tableaux représentant la nature
inanimée, des chasses au cerf et au sanglier, et des animaux
morts et vivants.
WEHME ( Sainte) ou COURS WEHMIQUES, redou-
table et mystérieux tribunal, qui existait en Allemagne au
moyen âge et qui est connu aussi dans l'histoire sous la
dénomination de tribunal des francs juges. Les membres
de ce tribunal en attribuaient la création à Charleraagne ,
qui aurait eu en cela pour but de surveiller les Saxons ré-
cemment convertis à la foi chrétienne et d'empêcher par la
force leur retour à l'idolâtrie. Il est plus probable que cette
institution était un débris des tribunaux qui avaient existé
chez les Germains libres, et que, sous l'empire de certaines
circonstances favorables, elle se maintint en Westphalie
(la terrerouge) quand l'Allemagne se divisa en une foule
d'États indépendants. Elle acquit plus d'importance après
la proscription de Henri le Lion ( 1 179 ), sur qui Engern et la
Westphalie furent alors confisquées par l'archevêque de
Cologne, Au milieu de l'anarchique confusion à laquelle l'Alle-
magne se trouva en ce moment en proie, il ne fut pas difficile
à des ti ibunaux de ce genre de s'établir, puisque les empereurs
eux-mêmes avaient souvent recours à eux pour se débar-
rasser d'ennemis dangereux. C'est au quatorzième et au
quinzième siècle qu'ils exercèrent le plus d'inûuence , et à
cette époque ils se répandirent dans toute l'Allemagne. Si
parfois leur action fut salutaire, il ne pouvait manquer
d'arriver qu'ils dégénérassent bientôt et qu'ils servissent le
plus souvent d'instruments à l'égoïsme et à la perversité, il
était donc naturel que beaucoup de voix s'élevassent contre
l'existence d'une pareille institution; aussi, en 1461, plu-
sieurs princes et villes d'Allemagne, auxquels s'adjoignit
la Confédération Suisse , convinrent-ils de créer entre eux
des associations dans lesquelles chacun trouverait la justice
qui lui était due sans avoir besoin de recourir à l'assistance
d'un tribunal secret. Plusieurs princes de l'Empire ayant
sollicité l'octroi de patentes impériales qui les missent à
l'abri des prétentions des tribunaux secrets , les empereurs
se déterminèrent à introduire enfin quelques modifications
dans la constitution de ces tribunaux , qui en étaient venus
jusqu'à les gêner eux-mêmes dans l'exercice de leur puis-
sance impériale. Les membres de la Sainte Wehme étaient
appelés savants ou initiés. Ils devaient être chrétiens, nés
en légitime mariage, mener une vie irréprochable et s'en-
gager par les plus terribles serments à maintenir envers et
contre tous la Sainte Wehme, de même qu'à faire exécuter
ses jugements.
L'exécution consistait toujours dans la pendaison du con-
damné à l'arbre le plus prochain , dans lequel on fichait
un couteau , pour marquer que la victime avait été mise à
mort au nom de la Sainte Wehme. Mais pour assurer le
supplice et pour éviter les abus, il était défendu aux francs
juges d'exécuter une sentence à moins qu'ils ne fussent
au nombre de trois. Quand un jugement était rendu , cent
mille bourreaux invisibles poursuivaient à l'instant le cou-
pable. Aussi le cadavre du malheureux était-il bientôt sus-
pendu aux branches de l'arbre fatal, au bord de la voie pu-
blique, et presque toujours à quelques pas de la potenc«
seigneuriale. Si le proscrit résistait , il était frappé du pol-
6a
978
WEHME — WELCHES
gnard , mais le meurtrier devait laisser dans la plaie l'arme
dont il avait fait usage , et dont la forme consacrée était
parfaitement connue. Le franc juge po\ivait alors s'éloi-
gner d'un pas tranquille , à la rje d'une population silen-
cieuse et glacée d'épouvante. Si l'accusé comparaissait, la
procédure était extrêmement simple. Avouait-il, il s'était
condamné lui-même. La sentence était prononcée sur l'heure
et immédiatement exécutée. Niait-il , il était tenu de se
purger de l'accusation , suivant les prescriptions du droit
germanique; et comme il lui était difficile de trouver des
témoins jurés dans le corps des francs juges, sa condamna-
tion était à peu près certaine. Aussi faisait-il toujours dé-
faut , et la citation finit par tomber en désuétude comme
inutile. Mais d'énergiques réclamations s'élevèrent contre
cet abus, et des lois de l'Empire ordonnèrent de citer exac-
tement Taccusé , quel qu'il fût. Toutefois , malgré la pro-
tection impériale et le respect du nom wehmiquc, les huis-
siers porteurs de citations couraient souvent de grands
dangers dans l'accomplissement de leur mission. Aussi pre-
naient-ils de curieuses précautions pour faire parvenir les
citations aux intimés.
Il nous reste à parler d'une procédure plus terrible , celle
du flagrant délit , selon l'énergique expression du droit
iL-ehmique, quand le coupable était trahi par sa main, son
ceil ou sa bouche , sans aucune différence entre le seigneur
et le vilain. Dans ce cas, si iTo\s francs juges avaient été
témoins du fait ou en avaient entendu l'aveu, c'était leur
droit et leur devoir de pendre immédiatement le coupable
à l'arbre le plus proche ; et cette attribution s'exerçait en
quelque lieu que ce fût, sur la terre rouge (on appelait
ainsi la Westphalie ) comme sur les autres terres de l'Em-
pire. L'on comprend combien ce droit épouvantable prêtait
aux abus, et combien la dispersion des francs juges dans
toute l'Allemagne devenait un daeger pour la société qu'ils
avaient eu d'abord mission de protéger. Au quinzième
siècle, la puissance delà Sainte Wehme fut presque illi-
mitée. Les princes de l'Empire et l'empereur lui-même la
subissaient. Tous les efforts qu'ils firent pour la refouler
dans les limites de la Westphalie furent inutiles. En 1438
la diète générale prit à cet égard une résolution qui échoua
devant la résistance énergique des francs juges , soutenus
par la faveur publique. Leur appui semblait encore néces-
saire pour défendre la faiblesse contre le droit des armes
ou la guerre privée , qui était le droit commun de l'épo-
que. C'est alors que les princes et les cités libres demandèrent
et obtinrent des privilèges pour se soustraire à la juridic-
tion des tribunaux wchmiques. Ces privilèges supposaient
tous que les tribunaux ordinaires feraient bonne justice,
et ne touchaient point, par conséquent, à la juridiction sub-
sidiaire des francs juges. Le plus souvent ceux-ci respec-
taient le privilège impérial, mais il leur arriva souvent aussi
de le transgresser. La citation d'un franc-comte westpha-
lien était plus redoutée que celle de l'empereur lui-même.
Des princes de l'Empire cités à comparaître en personne
obéirent. L'on vit même, en 1470, trois francs-comtes ap-
peler devant leur juridiction l'empereur Frédéric III, son
chancelier et son tribunal aulique, avec cet avertissement
qu'il y allait de leur honneur et de leur vie à venir dé-
fendre leur cause, la justice devant suivre son cours même en
cas de non-comparution. L'empereur ne comparut pas et
dévora cette injure ; mais son fils se chargea de le venger.
Maximilien s'appliqua en effet à améliorer la justice régu-
lière. Les conseils auliques , les chambres impériales et les
cours seigneuriales furent réorganisés d'une manière plus
conforme aux besoins des peuples et aux règles du droit.
Le duel judiciaire fut aboli; les pouvoirs publics, investis
des armes nécessaires pour contraindre leurs justiciables à
l'obéissance, purent désormais remplir leur mission ; l'exis-
tence des tribunaux wchmiquesdevintdès lors sans objet, et ils
périrent par l'endroit même d'où était venu jadis leur puis-
sance. L'œuvre que Maximilien avait commencée d'une main
<errne, Charles Quint acheva ^r l'accomplir avec une iné-
branlable volonté. La fameuse oraonnaiii^e Carohne, d'^
1532, suivant les progrès que la science du droit et l'admi-
nistration de la justice avaient faits en Italie et en France ,
réfbrmala jurisprudence criminelle, aux applaudissements d^
l'Allemagne tout entière ; et les tribunaux wehmiques, rem-
placés dans les diverses contrées de l'Empire par une jus-
tice territoriale émanant de l'empereur, disparurent d'une
société mieux réglée.
WEURGELD, WERIGILD, Widrigeldum. Voye:^
Composition.
WEIMAR, capitale du grand-duché de Saxe- Wei-
mar-Eisenach , l'une des villes les plus remarquables
de l'Allemagne , avec 12,000 habitants , est située dans une
belle vallée, sur l'Ilm, et n'a point de fortifications. Les rues
en sont pour la plupart irrégulières. Le château grand-ducal,
bien situé et décoré à l'intérieur avec le plus grand goût,
embellirait les plus belles capitales. Un magnifique parc
en dépend. La bibliothèque du grand-duc compte plus de
140,000 volumes , outre une riche collection de portraits
d'hommes célèbres. Le théâtre de la cour, longtemps placé
sous la direction de Schiller et de Gœthe , est une des
scènes les plus distinguées de l'Allemagne. En fait d'édifices
publics, on remarque surtout l'hôtel de ville et la banque.
Les curieux vont visiter la maison habitée autrefois par
Lucas Cranach, placedu Marché, la maison de Gœthe sur la
place à laquelle on a donné le nom de cet illustre écrivain,
et la maison de Schiller sur l'esplanade. La ville possède
deux églises protestantes, une église catholique et une cha-
pelle grecque, un gymnase, un séminaire, unie école gratuite
de dessin , un hôpital et divers autres établissements de
bienfaisance. A deux kilomètres de Weimar, on trouve le
château de plaisance du Be/t'édère, résidence d'été du grand-
duc , avec un parc ravissant et de magnifiques serres chau-
des, où l'on cultive les plantes les plus rares.
WEISSHAUPT ( Adam), fondateur de l'ordre des II-
lumin é5, né le 6 février 1748, à Ingolstadt, fit ses études à
l'université de cette ville, où, en 1768, il fut reçu docteur en
droit. Il fut admis en 1762 à y professer comme professeur
suppléant, et y obtint, en 1775 , la chaire de droit naturel et
de droit canon , qui jusque alors avait toujours été confiée
à des ecclésiastiques. Le clergé le trouva mauvais, et ne lui
pardonna pas de se montrer l'adversaire des jésuites, dont il
avait pourtant été l'élève. Ami des lumières, Weisshaupt se
mit en relations avec quelques bons esprits, et chercha à les
gagner à un système qu'il qualifiait de cosmopolitisme.
Comme jurisconsulte, il s'était fait une grande réputation, et
ses cours attiraient constamment un nombreux auditoire. II
en profita pour propager sa doctrine, et son amphithéâtre de-
vint ainsi la pépinière du cosmopolitisme , dans l'intérêt
duquel il fonda l'ordre des Illuminés, devenu ensuite si
fameux. Après avoir perdu sa chaire en 1785, à la suite de
dénonciations dont il fut l'objet, il se rendit à Gotha, où lê
duc, qui goûtait ses doctrines, lui conféra d'abord le titre de
conseiller de légation et plus tard celui de conseiller au-
lique. C'est là qu'il est mort, le 18 novembre 1830. Parmi
ses ouvrages les plus importants, il faut citer son Apolo-
gie des Illuminés (Leipzig, 1786) ; et son Pijthagore, ou
Méditations sur l'art mystérieux du monde et du gou-
vernement ( 1790).
WEIT (Danse de Saint-). Voyez Danse de Saint-Guy.
WELCHES, corruption du mot Graels, est le nom
primitif des Celtes qui ont peuplé la Gaule , le nord de la
péninsule Ibérique et une partie de la grande île Britannique,
entre autres le pays de Galles. On donne à ce nom diverses
origines. Il serait fastidieux de rapporter toutes les opinions
qui ont été émises sur cette étymologie : il suffit de s'en
tenir à ce que Voltaire a dit dans son Dictionnaire philo-
sophique. « Les Gaulois sont presque le seul peuple qui ait
perdu son nom : ce nom était celui de Walchon Wuch;
les Romains substituaient toujours un G au W ; de Welche,
ils firent Galli, Gallia. » Quoi qu'il en soit, le nom de
Welches appartint aux habitante de la Gaule avant la eoa-
WELCHES — WELLINGTON
979
quête romaine, et on le leur donne plutôt que celui de Gau-
!ois quand on veut exprimer la barbarie dans laquelle ils
étaient plongés. De là le mot loelche a passé dans notre lan-
gue pour désigner des hommes ignorants, sans goût, ennemis
de la raison et des lumières. C'est Voltaire qui, en 1749, a
donné cours à cette acception par son fameux pampblet inti-
tulé -^Discours aux Welches par Antoine Vadé, frère de
Guillaume. Le Dictionnaire de V Académie a admis le mot
Velche en l'écrivant par un simple V. Voltaire a employé
aussi le mot welcherie pour indiquer un acte de barbarie.
Lors de la fameuse querelle des gluckistes et des piccinistes,
les partisans de la musique italienne jetèrent à bon droit
l'épithète de TFe^c/îf s aux amateurs encroûtés du vieux chant
français. Charles Du Rozoir.
WELLESLEY, nom d'une famille protestante d'An-
gleterre qui sous le règne de Henri VIII vint s'établir en Ir-
lande, et dont le véritable nom était Cowley. Walter Cowleij
ou Colley était en 1537 tiscal général en Irlande. Son fds,
sir Henri Colley, se distingua dans les guerres de la reine
Elisabeth. C'est de lui que descendait Richard Colley, mem-
bre du parlement, qui en 1728 hérita des biens de la fa-
mille Wesley ou Wellesley, dont il prit le nom. Il fut créé
|)air d'Irlande en 1740, sous le nom de baron Mornington,
«t mourut le 31 janvier 1758. Son fils, Garret Colley, fut
créé en 1760 vicomte Wellesley et comte Mornington. Il
mourut en 1784, laissant cinq fils, qui tous se distinguèrent
dans la vie publique, et dont le troisième fut le célèbre
duc de Wellington.
L'aîné et le plus riche des cinq frères , Richard Colley,
depuis 1797 pair d'Angleterre, marquis de Wellesley en
Irlande depuis 1799 , célèbre comme gouverneur général
des Indes orientales, naquit en 1760, à Dublin, et hérita,
en 1784 , des titres et des biens de son père. A peu de
temps de là il fut envoyé par la ville de Windsor à la cham-
bre basse. Le succès avec lequel il y défendit la politique de
Pitt, et surtout sa haine ardente pour les hommes et les
principes de la révolution française , lui valurent l'amitié
de Georges III, qui le nomma d'abord lord de la trésore-
rie, puis commissaire pour les affaires des Indes orien-
tales, et enfin, on 1797, gouverneur général des possessions
britanniques dans cette partie du monde. Wellesley entra
en fonctions dans les circonstances les plus critiques. Les
Français venaient de s'allier avec Tippoî^-S ai 6, sultan
de Mysore , à l'effet d'attaquer l'Angleterre au sein même
de ses riches colonies de l'Inde. C'est d'Egypte que devait
partir l'expédition projetée. En conséquence, Wellesley ue
fut pas plus tôt arrivé dans les Indes qu'il ordonna la mise
en état de blocus du détroit de Bab-el-Mandeb , et qu'il dé-
clara la guerre à Tippou-Saïb. La chute de Seringapafnam,
prise d'assaut par Harris , eut pour résultat la conquête de
tout le royaume de Mysore. Wellesley continua ensuite la
guerre contre les Mahrattes, et opéra, dans l'espace de
trois mois , la conquête de tout le territoire situé entre le
Gange et Schumna. En ISOl il put même détacher de son
armée une division chargée d'aller appuyer en Egypte les
opérations de l'armée turque contre les Français. Dès 1805,
i^^^ependant , il renonçait spontanément au gouvernement
i^énéral de l'Inde. A son retour en Angleterre, il se vit l'ob-
jet des plus violentes attaques de la part de l'opposition ,
tandis que la majorité ministérielle lui votait des remer-
ctments publics et que la cour lui prodiguait des faveurs de
tous genres. Au commencement de 1809 le roi Georges l'ac-
crédita en qualité d'ambassadeur auprès de la junte centrale
de Séville. A la mort du duc de Portiand, en 1809, il rem-
plaça Canning en qualité de ministre des affaires étran-
'^ères. A la suite d'une divergence d'opinions survenue en
1812 entre lui et ses collègues au sujet des affaires de la Pé-
ninsule, Wellesley donna sa démission. Quoique considéré
comme un des plus fermes champions du parti tory, il n'hé-
sita point a proposer dès la session de 1812 l'abolition des
lois (Texception auxquelles étaient assujettis les catholiques.
Sa motion ne fut repoussée qu'à une seule voix de majo-
rité. Il se déclara de même, en diverses occasions , opposa
au maintien de VHabeas corpus . En décembre 182x
le gouvernement lui confia les fonctions de vice-roi d'Ir-
lande; fonctions dans l'exercice desquelles il s'attira par sa
grande modération la haine des orangistes, qui en vinrent
jusqu'à l'insulter publiquement. En 1828 il donna sa dé-
mission ; mais le ministère de lord Grey, rendant justice à
son administration, l'appela de nouveau en Irlande, en 1833,
avec le titre de lord lieutenant; et il y demeura jusqu'à ce
que les tories revinssent au pouvoir, en décembre 1835.
A ce moment, pliant sous le poids des années , il se retira
dans son domaine de Kingston-House, près Brompton , où
il mourut, le 26 septembre 1842. En 1828 il s'était remarié
en secondes noces avec miss Paterson , riche Américaine ,
mais il ne laissa point d'enfants.
Le titrede comte Mornington avait passé à son frère puî-
né, William Wellesley- Pôle, baron de Maryborough en
Angleterre. Né en 1763, il prit en 1778 ce nom de Pôle,
d'un cousin dont il venait d'hériter. 11 servit d'abord dans la
marine ; plus tard, il fit partie de la chambre des communes
d'Irlande, puis de celle d'Angleterre. En 1811 il était secré-
taire d'État pour l'Irlande ; mais ayant vivement irrité alors le
parti national par des rigueurs intempestives, il fut obligé
de donner sa démission. Depuis, il prit encore aux affaires
publiques une part assez active. Il est mort en 1845.
Son fils, William-Pole-Tylney-Long Wellesley, comte
Mornington , aujourd'hui chef de la famille Wellesley , né
en 1788 , épousa en 1812 miss Tylney-Long, la plus riche
héritière qu'il y eût alors en Angleterre, dont il trouva
moyen de manger toute la fortune en quelques années; et
par suite des dettes immenses qu'il avait contractées, il dut
pendant longtemps habiter le continent. En mai 1847 il at-
tira encore sur lui d'une manière fâcheuse l'attention pu-
blique. Il fallut en effet que la justice intervint alors pour
le contraindre à payer une pension alimentaire à sa seconde
femme, d'avec laquelle il avait divorcé, et qu'il laissait dans
le plus affreux dénûment.
Le quatrième frère , Gérard- Valérien Wellesley , né If
7 décembre 1771, se consacra aux études théologiques, et
fut en dernier lieu évêque de Wearmouth.
Henri Wellesley, le plus jeune des cinq frères, devint
en 1828 lord Co w ley.
WELLESLEY (lie). Foyes Carpentari a.
' WELLINGTOIV (Artuur WELLESLKY, duc de),
prince de Waterloo, troisième fils du comte de Mor-
nington ( voyez Wellesley) , et d'Anna Hill, hlle du vicomte
Dungannon, naquit à Dungan-Castle , le 1" mai 1768, la
même année que Napoléon. Après avoir fait ses études à
Eton , il fut envoyé en France à l'école militaire d'Angers ;
et en 1787 il entra avec le grade d'enseigne dans un régi-
ment d'infanterie anglaise. Plus tard, en 1793, il acheta la
lieutenance-colonelle du 33' régiment , avec lequel il fit
en 1794lacampagne de Hollande. Quand son frère fut nom-
mé, en 1797, gouverneur général des Indes orientales , il l'y
accompagna à la tête de son régiment, se distingua dans la
guerre contre Tippou-Saib, et obtint en récompense le grade
de général major. Il se fit encore plus de titres à la recon-
naissance du gouveraement par sa conduite dans la guerre
des Mahrattes, dont, avec un corps de 12,000 hommes seule-
ment, il anéantit à la bataille d'Assy l'armée, forte de 60,000
combattants. Revenu en Angleterre en 1805, il fut élu par la
ville de Newport membre de la chambre des communes en
1806, et l'année suivante il accompagna le duc de Richmond
en Irlande comme secrétaire. Au moins d'août de la même
année il fit partie de l'expédition de lord Cathcart contre
Copenhague , dont il négocia et discuta la capitulation. Les
services qu'il avait rendus dans cette expédition furent
récompensés par le grade de lieutenant général; et en
1808 il fut envoyé en Portugal avec un corps d'armée. Le
18 août il battit les Français à Rolixa. Néanmoins, il lui
fallut céder le commandement en chef à Dalrymple, qui
conclut avec les Français la capitulation de Cintra, en vertu
62.
980
WELLINGTON
de laquelle ceux-ci évacuèrent le Portugal avec armes et ba-
gages. En avril 1809 Wellington fut appelé à prendre le
commandement en chef de l'armée anglo-porlugaise. Le
11 avril il surprit Soult à Oporto ; ensuite, il pénétra en
Espagne, et livra à l'armée française l'incertaine bataille de
Ta.avera de la Reyna, qui dura deux jours et qu'on
affecta en Angleterre de regarder comme une victoire déci-
sive. Le parlement vota 2,000 liv. st. de pension à Wel-
lington, que le prince régent créa baron Douro de Wel-
lesley et vicomte Wellington de Talavera, et à qui le
gouvernement portugais accorda le titre de marquis de Vi-
mieira. Mais la marche rapide de Soult et de Ney de Sala-
manquesur l'Eslremadure le contraignit bientôt à repasser
leTageet à rentrer eu Portugal. Il battit à la sanglante
bataille de Busaco, livrée le 27 et le 28 septembre, Massena,
qui s'était mis à sa poursuite ; puis, pour couvrir Lisbonne,
il se hâta d'aller se retrancher aux formidables lignes de
Terres - Vedras. Massena n'osa pas les attaquer avant
d'avoir reçu les renforts qu'il attendait de France. Ils
ne vinrent pas , et après avoir passé six mois devant ces
lignes, le maréchal se vit forcé de battre en retraite; ce ne
fut même pas sans difficulté qu'il rentra en Espagne. Mal se-
condé par les faibles gouvernements qui existaient tant en
Portugal qu'en Espagne, le général anglais ne poursuivit
que mollement l'armée française. Mais la délivrance du Por-
tugal valut encore à Wellington des remercîments du parle-
ment ; on lui vota des subsides, et pour perpétuer la renom-
mée de la grande résistance militaire qui avait sauvé le Por-
tugal, on lui décerna le titre de marquis de Torres-Vedras.
A cette époque le gouvernement anglais mullipliait les té-
moignage? de reconnaissance pour ses généraux ; il avait
besoin de féconder le dévouement, et déjà l'Angleterre
voyait dans Wellington un homme qu'on pouvait opposer
à la fortune de Napoléon. On avait essayé d'abord de com-
parer le génie de Nelson au génie de l'empereur; mais
Nelson était mort à Trafalgar. Wellington s'élevait, et sem-
blait propre àjustifier l'ambition du parlement. La lenteur de
la tactique anglaise fut une grande faute , depuis le blocus
d'Almeida jusqu'au siège de Badajoz. La bataille de Fuente
d'Onoro devint une rude leçon de stratégie pour Welhng-
ton. Appuyé sur les forces nationales, celui-ci passa pourtant
une fois encore le Tage pour s'opposer au ravitaillement de
Ciudad-Rodrigo, point central des opérations, et Ciu-
dad-Rodrigo fut emporté d'assaut après onze jours de
tranchée; la fortune ne souriait plus à Napoléon. Massena
avait été rappelé ; Soult se trouvait au sud de l'Espagne, Mar-
raont n'était pas heureux ; Wellington , au contraire , venait
de vaincre les répugnances de la régence de Cadix. Quelques
mois après, la place <le Badajoz tombait au pouvoir de l'ar-
méeanglaise. La fortune n'était décidément plus du cotéde
la France. Après la prise de Badajoz, la régence de Cadix créa
Wellington grand d'Espagne de première classe, duc de Ciu-
dad-Rodrigo, et lui confia le commandement général des ar-
méesespagnoles. De son côté, le parlement lui vota une autre
pension de deux mille liv. st. Maître alors de ses flancs ,
Wellington entra sans hésiter en Castille, avec une grande su-
périorité de moyens , à la face de nos généraux divisés et
d'une cour sans énergie, car Napoléon n'était pas là pour
imposer son immense unité. Ici fut livrée la bataille de Sala-
manque, qui décida du sort delà Péninsule. Wellington vint
à marches forcées sur Valladolid ; tournant à droite, il fit un
mouvement hardi en se portant sur Madrid;Jose|ih Napoléon,
tête si médiocre, (itsa retraite sur Burgos. La guerre d'Es-
pagne était ainsi décidée, et ce fut une grande joie en Angle-
terre. De nouveaux remercîments du parlement furent dé-
cernés à Wellington ; le régent lui conféra le titre de mar-
quis ^eX la chambre des communes vota cent mil.e livres
sterling pour lui former un établissement. Le parlement
agit avec profusion, parce qu'il avait besoin de créer une
existence militaire en opposition avec la fortune merveil-
leuse de Napoléon. Soult, qui avait levé le siège de Cadix
et abandonné l'Andalousie, lit un mouvement si bien com-
biné avec le corps d'armée du général Souham, que la ligne,
de Wellington fut compromise ; il opéra sa retraite avec une
grande précipitation, et Soult reprit l'offensive. Welihiglon
avait oublié sa méthode prudente, et pendant deux jour»
l'armée anglaise fut exposée. Cette nouvelle faute signale
delà part de Wellington plus détalent militaire pour la ré-
sistance que pour l'offensive ; et pendant toutes les campagnes
de la Péninsule, il ne sut jamais positivement tenir le mi-
lieu entre la témérité, qui hasarde la fortune, et la prudence,
qui prévoit toutes les chances d'une mauvaise position. Les
munificences de la nation anglaise à son égard n'en con-
tinuèrent pas moins avec une prodigalité inouïe , et le par-
lement lui vota encore une nouvelle gratification de cent
mille livres sterling. L'Angleterre, pays de subsides et
d'argent , récompensait ses généraux par des ,dons inces-
samment renouvelés.
Pour achever la délivrance delà Péninsule, Wellington
vint à Cadix, en janvier 1813, communiquer en personneavec
la régence. Les jalousies s'affaiblirent, et les armées espa-
gnoles, mises enfin sur un meilleur pied, fureut placées
sous son commandement immédiat. Salué alors du titre de jfe-
néralissime , il développa son plan de campagne à la tête de
l'armée anglo-espagnole-portugaise jusqu'à Vittoria, où se
donna la bataille si fatale à notre armée de la Péninsule, et
où tout fut pris, jusqu'au trésor de Joseph Bonaparte. Les in-
certitudes de Jourdan , l'avidité de quelques-uns de nos gé-
néraux furent en grande partie cause de cet immense désastre;
pour vouloir sauver le trésor, on perdit l'armée. Toute celte
famille qui entourait Napoléon ne comprenait pas sa gloire,
elle ne servait qu'à compromettre ses destinées ; puis le
temps des malheurs arrivait, et rien n'arrête la fatahté.
La journée de Vittoria valut à Wellington le grade élevé, et
rarement accordé en Angleterre, de feld-maréclial. La bataille
de Vittoria lui ouvrit le chemin des Pyrénées. Soult avait
pris le commandementde l'armée française sur la Bidassoa.
Wellington se déploya jusqu'à Rayonne, après avoir emporté
la position de Nivelle. Soult voulut avoir aussi ses lignes de
Torres-Vedras sur la frontière de France; il avait élevé de
redoutables retranchements prèsde Bayonne. Mais Welling-
ton, au lieu de les attaquer de front, les déborda sur sa droite
forçant ainsi son adversaire à les abandonner. Après la ba-
taille d'Orthez (27 lévrier 1814), l'armée française ne put
tenir la route de Bordeaux ; et Wellington poursuivit Soult
jusque sous les murs de Toulouse qui, à la suite dune der-
nière et sanglante affaire, tomba en son pouvoir, lelO avril,.
La prise de Paris par les armées coalisées une fois con-
nue, Wellington signa avec Soult un armistice. Aprèif
une courte visite rendue à Paris aux souverains alliés, .'.
retourna à Madrid, où Ferdinand VII lui confirma toutes
les dignités que la régence de Cadix lui avait accordées y
et en payement de ses traitements arriérés lui fit don du ma-
gnifique domaine de Xérès de la Frontera. Le 5 mai I8l4, le
prince régent d'Angleterre lui accorda le titre de duc de
Wellington et de marquis de Douro. A son arrivé à Lon-
dres, le 23 juin, le parlement lui vota encore 400,000 liv. st..
pour acheter des terres et le reçut en séance solennelle ,
le 1^"^ juillet. Wellington se hâta alors de retourner à Paris
avec le litre d'ambassadeur extraordinaire; et le 1" février
1815 il remplaça Castlereagh au congrès de Vienne. Quand
on apprit le débarquement de Napoléon à Cannes , Wel-
lington signa le traité de Vienne, puis se rendit en Belgique,
où le 6 avril il prit le commandement en chef des troupes
anglaises, hanovriennes , brunswickoises et hollandaises.
Le 18 juin eut lieu la sanglante bataille de Waterloo,
qui pour la seconde fois mit fin à l'empire français. D'ac-
cord avec Blùcher, il marcha alors sur Paris, où il entra le
5 juillet en vertu d'une capitulation. Le parlement d'Angle-
terre lui vota une nouvelle récompense de 200,000 liv. st.;
le roi des Pays-Bas lui accorda le titre de Prince de Wa-
terloo , et les autres souverains l'accablèrent à l'envi de
titres , d'ordres et de présents.
Par le traité du mois de novembre 1815, il était stipulé
WELLINGTON — WELSER
qu'une armée d'occupation resterait en France, et on la
plaça sous le commandement de Wellington ; en même
temps il reçutlegouvernementet l'inspection des forteresses
des Pays-Bas, construites comme autant d'avant-postes cont re
nous. Le duc de Wellington, généralissime, résida habi-
tuellement à Paris. 11 voyait souvent Louis XVIH, et on lui
doit la justice de reconnaître que, nommé arbitre en diverses
circonstances sur les réclamations des alliés contre la
France , il se prononça presque toujours d'une manière fa-
vorable à nos malheurs. Ce fut à cette époque que l'es-
prit de bonapartisme arma contre lui un fanatique, qui lui
tira un coup de pistolet à bout portant dans sa voiture. Il
ne fut point atteint.
Après le départ de l'armée d'occupation et la signature
du traité d'Aix-la-Chapelle, le duc de Wellington quitta la
France; sa carrière militaire était finie, et il commençait en
quelque sorte sa vie politique. En 189.2 il alla représenter
l'Angleterre au congrès de Vérone, où les instructions de
son gouvernement ne loi permirent pas d'accéder à toutes
les résolutions de la Sainte-Alliance. Membre de la chambre
haute , il y vota constamment avec le parti tory ; et si d'a-
bord il sembla vouloir appuyer la politique libérale de Can-
ning , il ne tarda pas à s'en montrer l'adversaire le plus dé-
claré. Après la retraite de Lord Goderich, en 1828, il se chargea
de constituer un cabinet dans lequel il prit le poste de pre-
mier lord de la trésorerie. L'année précédente, par suite de la
mort du duc d'York, il avait été nommé commandant en
chef de toute l'armée de terre. Dans son administration ,
il chercha à donner au gouvernement un caractère militaire;
«ependant, il eut assez de sagacité pour prendre lui-même
l'initiative de l'émancipation des catholiques, en 1829.
L'influence que la révolution de Juillet exerça sur les dis-
positions de l'esprit public en Angleterre et l'avénemenl au
trône de Guillaume IV amenèrent la chute de l'administra-
tion dont Wellington était le chef. Il combattit alors avec
l'opiniâtreté qui formait le fond de son caractè.'-e la réforme
électorale et les autres mesures libérales proposées par le mi-
nistère whig ; et par cette conduite il s'aliéna si complètement
l'opinion , qu'il devint souvent l'objet d'insultes publiques.
Cependant, il exerçait toujours dans la chambre haute une
immense influence, moins comme orateur que par la considé-
ration qui s'attachait sa personne. En 1834 il accepta dans le
ministère Peel le portefeuille des affaires étrangères; mais
dès l'année suivante le cabinet tory était en complète dis-
solution. Les whigs s'étant trouvés de nouveau en minorité
en 1841, W'ellington consentit encore à donner son concours
à l'administration qui se forma sous les auspices de Peel ,
mais sans accepter de porleleuilie. Au grand désappointe-
ment des tories , il se laissa convertir par son collègue
aux doctrines de la liberté commerciale ; et môme sous le
ministère whig, depuis le mois de juin 1846, il conserva
le commandement supérieurde l'armée avec les fonctions de
gouverneur de la Tour, de lord gardien des Cinq- Ports , et
de chancelier de l'université d'Oxford. Étranger maintenant
aux intrigues des partis , il exerçait une iniluence médiatrice ;
et la reine Victoria recourut à ses conseils dans plus d'une
conjoncture délicate. C'est ainsi qu'en février 1851 il put mettre
fin àlacriseministérielle, en déterminant lord John Russellà
prendre de nouveau la direction des affaires. 11 avait donc
reconquis toute son ancienne popularité, lorsqu'il mourut
presque subitement, le 14 septembre 1832, à Walmer-Castle.
Sa dépouille mortelle fut déposée avec une pompe toute
royale, le 18 novembre suivant, dans l'église Saint-Paul de
Londres.
Wellington fut un général pour la défensive, qui sut tou-
jours choisir une bonne position, reçut la bataille et la
donna rarement. Toutes les fois qu'il voulut être hardi, il fut
imprudent; il ne se montra supérieur que pour la résistance.
Napoléon, au contraire, est hardi et magnifique dans l'attaque ;
ses plans sont subitement conçus comme une illumination
soudaine. Les chances diverses les modifient avec l'instinct
de l'aigle ; mais au moindre revers Naooléon est abattu ,
981
sa retraite est presque toujours une fuite : il attaque brillam-
ment , mais il ne sait pas résister; et en cela il personnifiait
le génie militaire des Français depuis Crécy et Azincourt.
Il y eut pourtant deux tristes actes dans ces caractères, et
qui pèseront dans l'histoire. Wellington, qui avait combattu
l'empereur des Français sur le champ de bataille , souffrit
qu'il mourût captif à Sainte-Hélène. Napoléon a jugé trop
étroitement l'habileté et l'art militaire de Wellington ; et ,
comme pour achever une petite jalousie indigne de son génie,
Napoléon fit un legs à l'homme qui avait tenté d'assassiner
son rival !
De son mariage avec miss Catherine Packenham, sœur
du comte Longford, il a laissé deux fils. L'aîné , Arthur-
Richard , né le 3 février 1807 , qui lui a succédé comme
second duc de Wellington , porta d'abord le titre de mar-
quis de Douro , et siégea longtemps dans la chambre des
communes, comme représentant d'Adhorough et ensuite
de Norwich. 11 était colonel dans l'armée anglaise et aide do
camp de son père. En j uin 1 854 il a obtenu le grade de général
major. L'année précédente, sous le ministère Aberdeen, il
avait obtenu le poste de grand-écuyer. Il a épousé Elisabeth
Hay , fille du marquis de Twerdale ; mais cette union est
restée stérile. Son frère cadet, lord Charles Wellesley, né
le 16 janvier 180S , a le grade de colonel, et siège dans la
chambre des communes comme représentant de South-
Hampsliire.
WELSER, célèbre famille patricienne d'Augsbourg, au-
jourd'hui éteinte.
Barthélémy Welsek, conseiller intime de Charles Quint,
possédait une fortune assez considérable pour pouvoir,
de compte à demi avec Fugger, avancer douze tonneaux
d'or à l'empereur. Ce prince, en 1526, lui permit d'ar-
mer trois navires qui firent voile pour l'Amérique, où ils
prirent possession de la province AtCaraccas, que l'em-
pereur lui laissa à titre de garantie de son prêt. Mais, vingt
ans plus tard , les Welser renoncèrent volontairement ;i
cette possession , qui fit alors retour à la couronne d'Es-
pagne. A cette même époque , ils frétèrent aussi , en société
avec des négociants de Nuremberg , un navire qu'ils en-
voyèrent dans les Indes orientales à la recherche de nou-
veaux débouchés commerciaux.
De tous les membres de cette famille , le plus célèbre
fut Philippine Welser, nièce de Barthélémy et fille de son
frère François, née vers 1530. Elle était douée d'une beauté
extraordinaire et avait reçu , sous la sage direction de sa
mère, une excellente éducation. A l'occasion d'une diète
tenue à Augsbourg en 1547, l'archiduc Ferdinand, second
fils du prince qui fut plus tard l'empereur Ferdinand 1"
la vit et en devint éperdument amoureux. La jeune fille ré-
sista courageusement à toutes les instances d'un prince âgé
de dix-neuf ans et plein d'ardeur, lui déclarant que jamais
elle ne consentirait à avoir avec lui d'autres relations que
celles qu'un mariage aurait consacrées. Ce mariage fut ef-
fectivement conclu en 1550, à l'insu du père de l'archiduc
et de l'empereur Charles Quint, son oncle. Quand le père
en fut instruit , il témoigna la plus vive irritation , et pen-
dant longtemps son fils eut défense d'oser paraître devant
lui. Cette mésalliance fit aussi grand bruit à l'étranger.
IMais l'amoureux couple n'en jouit pas moins du plus par-
fait bonheur domestique; et Philippine, par les grâces de
son esprit et par la bonté de son cœur, enchantait tous
ceux qui la voyaient. Ce ne fut qu'au bout de huit années
que le père de l'archiduc se laissa fléchir. Philippine , sous
un déguisement, lui présenta elle-même un supplique; et la
beauté, la grâce parfaite de ses manières, désarmèrent le
prince irrité. Il pardonna à son fils , reconnut ses enfants
pour légitimes, accorda à la mère le titre de margrave de
Burgau ; et à la mort de Philippine, ses deux fils en héri-
tèrent. Cette heureuse union dura trente ans . Philippine mou-
rut à Inspruck, en 1580. L'archiduc, pour honorer la mé-
moire de sa femme, fit frapper une médaille contenant son
portrait avec cftte inscription : Dlvx Philippin*. On
982
WELSER — WERMELAP^D
montre encore aujourd'luii au cbâteau de Schœnbriinn le
portrait de la belle Philippine. Son fils aîné, André, mar-
grave de Burgau , embrassa l'état ecclésiastique,- et mourut
cardinal, en 1600. Son second fils, Charles , qui se distin-
gua dans les guerres de Hongrie et d'Espagne et qui hérita
de son frère, mourut en 1618 , sans laisser de postérité.
WELTHER ( Amer de). Voyez Indigo.
WEIVCESLAS , empereur d'Allemagne ( 1378 à 1400),
fils aîné de Charles II de la maison de Luxembourg, né en 1 36 1 ,
fut couronné roi de Bohême dès l'âge de trois ans, et marié
à dix ans, avec Jeanne, fille du duc Albert r"" de Bavière.
En 1378, à l'âge de dix-sept ans, il succéda à son père
comme empereur d'Allemagne et roi de Bohême. Il prenait
le pouvoir à un moment où jamais la confusion et l'anarchie
n'avaient été plus générales, et il n'était pas de taille à les do-
miner. Reconnaissant l'inutilité de ses efforts, il préféra dès
lors dissiper son temps dans les plaisirs et la volupté, sans
se soucier des luîtes continuelles des princes , des nobles et
des villes : luttes qui couvraient l'Allemagne de ruines. Du
reste, il savait parfailement profiter des événements pour
remplir son trésor: c'est ainsi qu'en 1389, à la demande de
la diète impériale, il annula les dettes contractées par les
princes et par les nobles à l'égard des juifs ; mais pour prix de
celte libération il se fit verser dans sa cassette particulière,
par chaque débiteur, de 15 à 30 pour 100 de la dette ainsi
liquidée. De même, quand, en 1389, la populace de Prague
courut sus aux juifs, accusés d'avoir profané une hostie, et en
massacra trois mille , il confisqua à son profit les biens des
victimes. Devenu odieux à tous ses sujets , il fut l'objet de
divers complots, dont il tira les plus cruelles vengeances.
En même temps que ses continuels embarras d'argent le
déterminaient à vendre , moyennant 100,000 florins, la di-
gnité de duc de Milan à Jean Galeas Yisconli, il se décidait
à faire cause commune avec la France pour amener la fin des
querelles religieuses,, et consentait à la déposition des deux
antipapes, Boniface IX et Benoît XIII. En agissant ainsi il
s'aliéna l'archevêque Jean de Mayence, qui ne l'avait jus-
que'alors soutenu que parce qu'il favorisait Boniface IX.
Les quatre électeurs de Mayence, de Cologne, de Trêves et
du Pâlatinal prirent donc, à Francfort, en 1400, la réso-
lution de le déposer, et élurent à sa place l'électeur palatin
Ruprecht, qui d'ailleurs ne parvint jamais à se faire recon-
naître en cette qualité par tous les États de l'Empire.
Cependant, Wenceslas eut avec ses sujets de Bohème de
nouvelles querelles, dont Sigismond profita pour s'emparer
de la personne de son frère et le retenir prisonnier pendant
dix-neuf mois à Vienne. Boniface IX avait en outre formelle-
ment prononcé la déposition de l'empereur, en 1403. Cette se-
conde captivité n'inspira à Wenceslas ni plus de sagesse ni
plus de prudence, et il gouverna même la Bohême plus ty-
ranniquement que jamais, continuant son genre de vie dé-
réglée, et, en haine du clergé catholique, favorisant et pro-
tégeant en toute occurrence les partisans de Jean Huss. Sigis-
mond ayant été élu empereur après Ruprecht, mort en 1410,
Wenceslas consentit à renoncer, en faveur de son frère, à la
couronne impériale; et dès lors il ne vécut plus que pour
les plaisirs et la chasse. Cependant, sa vie épicurienne fut
encore une fois troublée par la sanglante révolte qui éclata
à Prague, à la suite du supplice de Jean Huss. Il mourut d'a-
poplexie, eu 1419.
WEI\DES (Les), rameau delà grande famille des na-
tions s l a V e s , qui s'établit dès le sixième siècle au nord et à
l'est de TAllemagne , depuis les rives de l'Elbe et le long
de la Baltique jusqu'à la Vislule , et au sud jusqu'en Bo-
hême. Aujourd'hui encore on désigne sous le nom de Wen-
des les débris de populations slaves existant en Lusace, qui
parlent l'ancienne langue des Wendes, dont ils ont conservé
les usages particuliers et les mœurs patriarcales. C'est une
race vigoureuse (aussi dans toutes les provinces voisines
recherche-t-on les nourrices wendes), laborieuse, éclairée et
hospitalière. Le nombre s'en élève à environ 150,000 âmes,
iont 60,000 appartiennent à la Saxe et le reste à la Prusse.
VVENER (Lac), le plus grand lac de la Scandinavie et
aussi de l'Europe après les lacs de Ladoga et d'Onega, est
situé dans la partie occidentale du midi de la Suède, à en-
viron 45 mètres au-dessus delà mer du Nord. 11 a 14 myria-
mètres de long sur 7 de large, et occupe une superficie de 76
myriam. carrés. Sa plus grande profondeur est de 120 mètres.
Il est très-poissonneux et reçoit les eaux de vingt-quatre ri-
vières, dont la plus importante est le Klaraelf. Sur ses côtes
s'élèvent diverses villes importantes, celles de Karistadt et
Christinehamn au nord , de Mariestadt à l'est , de Lidkœ-
ping et de Wenersborg au sud, d'Aal à l'ouest.g
WEI\TVVORTH (Thomas). Voyez Stkxtvokd.
WERCHOTURIE , ville importante de Russie, dans
le gouvernement de Perrn , et l'un des principaux entrepôts
du commerce de la Sibérie, bâtie dans une contrée sau-
vage, sur le plateau de l'Oural et sur les bords de la
Toura, qui prend sa source à quelque distance de là , dans
le mont Blagodàt. On y trouve de riches mines d'or exploi-,
tées avec le plus grand succès depuis 1828, d'importants
hauts fourneaux, deux couvents, cinq églises et 3,000 ha-
bitants. Cette ville est à "O myriamètres du chef-lieu du
gouvernement, et à 280 de Saint-Pétersbourg.
Le cercle de Werchoturie contient un grand nombre de
hauts fourneaux et produit beaucoup d'or et de cuivre.
WERFF ou WERFT (Adrien van der ), célèbre peintre
hollandais d'histoire , de genre et de portrait , naquit de pa-
rents pauvres, en 1659, à Kralingerambacht, près Rot-
terdam. Son père, qui remarqua les dispositions que son
fils annonçait pour le dessin , l'envoya à Rotterdam en ap-
prentissage chez le peintre de portrait Cornélius Picolet.
Adrien van der Werif fréquenta ensuite l'atelier d'Eglon
Hendrik van der Neer, qui se l'attacha comme aide dans
ses voyages. A dix-sept ans, il commença à travailler seul.
L'électeur palatin, qui, dans un voyage en Hollande, avait
eu occasion d'apprécier sa manière , lui commanda beau-
coup de travaux. Il se fixa alors à Rotterdam, et s'y maria,
en 1687, dans un famille considérée. L'électeur palatin lui
commanda, entre autres, son portrait et un Jugement de
Salomon, que van der Werff dut lui apporter lui-même à
Dusseldorf. L'électeur récompensa princièrement l'artiste; il
lui accorda une pension de 4,000 florins, portée plus tard
à 6,000, et l'anoblit lui et sa famille. Adrien van der Werff
mourut en 1722, possesseur d'une fortune considérable. De
tous les peintres de son siècle, il fut celui dont on paya le&
productions le plus cher. Ces prix s'expliquent par cette
circonstance, que, à part tout mérite artistique, ses produc-
tions forment les plus ravissants sujets de cabinet qu'on
puisse voir; ce à quoi contribue .surtout leur exécution, qui
tient delà miniature, avec leur coloris, affecté sans doute,
mais au total harmonieux, et les sujets quelquefois très gais^
qu'il choisit. On ne tenait aucun compte de leur dessin,
souvent très-défectueux , du ton contre nature des chairs,
auxquelles il donne le poli de l'ivoire , du manque de no-
blesse dans sa composition, et de sa manière, toujours
complètement étrangère à la vérité. Adrien van der Werff,
eu égard à son exécution minutieuse, a considérablement
l)roduit. Ce sont les galeries de Munich et de Dresde qui
possèdent ses plus belles toiles. Cet artiste fut également
un aichitecte distingué. Il fournissait à ses amis des pro-
jets de façade pour leurs maisons , et la Bourse de Rotter-
dam fut construite d'après ses plans. Ses dessins, qu'il
exécutait avec un fini non moins achevé que ses tableaux,
sont d'une rareté extrême.
Son frère, Pierre van der Werff, né en 1665, mort
en 1718, fut son élève, mais ne parvint jamais à. l'égaler.
WERMELAND, province de la Suède centrale, célèbre
par sa richesse en fer et en beautés naturelles , confinant
à l'ouest et au nord à la Norvège, au nord-est à la Da-
lécarlie , à l'est à la province de Westmanland , au sud à
celle de Westgothland, au lac Wener et au Dalsland, forme,
sauf une partie dépendant d'/Erebro, le Ixn de Karistadt,
présente une superficie de .235 myriam. carrés, et comptait
WERMELAIND — WESER
033
en 1850 221,885 habitants. C'est seulement sur les bords
du lac Wener que le sol est plat; partout ailleurs il est mon-
tagneux et boisé. Il offre en général de vastes crêtes de
montagnes courant dans la direction du nord au sud , sé-
parées par des vallées étroites, offrant tantôt le carac-
tère sévère et imposant du nord , tantôt un caractère plus
méridional, et animées par une foule de lacs, de rivières et
de cataractes. Parmi les plus belles parties de cette province
ri faut surtout citer celle qu^on appelle Frybsdalen, ou la
Suisse Suédoise , que les voyageurs ne manquent jamais
d'aller visiter, et qui excite toujours leur admiration. Le
Klaraelf , qui arrive du nord, partage ce pays par la moitié,
(orme aux fonderies de Munkifors plusieurs chutes, dont
l'une de dix mètres de haut, et se jette, à Karlstadt, dans le lac
Wener. Le fer est la principale production; aussi y compte-
t-on 300 mines, 300 forges et 80 hauts fourneaux. Il existe
aussi un peu de cuivre et d'aigent, mais pas en assez grande
quantité pour que l'exploitation puisse en être profitable.
Le chef-lieu est Karlstadt, siège d'évêché, avec 4,000 habi-
tants, une belle cathédrale, un collège, un observatoire,
des fabriques de tabac et des foires importantes.
AVERMOUTH. C'est le nom allemand deVabsinthe.
WERNER (Abraham Gottlob), célèbre minéralogiste
tt créateur de la g é o g n o s i e , naquit le 25 septembre 17 50, à
Wehrau , dans la haute Lusace , oii son père était inspec-
teur des forges des comtes de Solms. Entré à l'âge de dix-neuf
ans à l'école des mines de Freiberg, il alla, deux années
plus tard, à Leipzig se perfectionner dans la connaissance
des sciences naturelles ; et dès 1775 il fut nommé professeur
de minéralogie à l'école des mines de Freiberg, fonctions qu'il
continua d'exercer jusqu'à sa mort. Peu d'années après
avoir obtenu sa chaire à l'école des mines de Freiberg,
il séparait l'art du mineur de la minéralogie proprement
dite, de môme qu'il séparait l'oryctognosie , ou la miné-
ralogie, de la géognosie, branche des connaissances hu-
maines à laquelle le premier il donna une forme scientifique,
en 1785. Avant lui on ne connaissait que ce qu'on appelait
ia géologie ou géogénie, ihéoiie ou histoire de la formation
du globe, composée d'une série d'hypothèses. Werner fonda
sa géognosie sur l'observation, et en fit une science com-
plètement expérimentale. Elle a pour base les rapports d'é-
tendue entre les différentes masses dont se compose la surface
terrestre ; la connaissance de leur nature ne vient qu'au se-
cond rang. La clarté et la simplicité de ses explications
ainsi que la solidité de ses inductions inspirèrent à ses dis-
ciples une confiance telle, qu'ils n'admettaient pas le moindre
doute sur les enseignements de leur maître. Suivant Werner,
l'Océan est la véritable source de toute formation terrestre,
et aujourd'hui encore c'est dans l'eau qu'on devrait chercher
la cause de toute formation nouvelle dans le règne minéral.
Il méconnut donc les forces plutoniennes, agissant de bas
en haut; et les volcans encore en activité n'avaient à ses
yeux aucune importance réelle. Il est probable que s'il lui
avait été donné de voir un volcan en ignition, ou même
les volcans éteints existant dans les contrées du Bas-Rhin
et au midi de la France, il n'eût jamais fait dériver d'un
dépôt aquatique l'origine du basalte et des masses analogues.
Mais si bon nombre de ses opinions en géognosie sont
aujourd'hui reconnues pour fausses , la gloire d'avoir créé
cette science ne lui en appartient pas moins. Il mourut à
Dresde, le 30 juin 1817.
Werner a peu écrit. On a cependant de lui, indépen-
damment d'articles et de dissertations publiés dans divers
recueils scientifiques, une Nouvelle Théorie de la forma-
tion des Filons, et un Traité des Caractères extérieurs
des Fossiles. Le premier de ces ouvrages a été traduit en
français par Daubuisson (1803) ; le second par M""' Guyton,
Morveau(1790).
WERIXER (Frédéric-Louis-Zacharie), né le 18 no-
vembre 1768, à Kœnigsberg , entra en 1793 dans l'adminis-
tration, et séjourna longtemps à Varsovie comme expédi-
tionnaire. Dans l'espace de huit années il divorça deux fois
et contracta trois mariages. Appelé à Kœnigsberg par la ma-
ladie de sa mère, il la perdit le 24 février 1804, le même
jour qu'un de ses amis intimes. Cette date fatale est le titre
qu'il donna plus tard au plus célèbre de ses ouvrages drama-
tiques. La mort de sa mère le faisait hériter de 12,000 tlialers,
et il s'en retourna alors avec sa troisième femme à Varsovie,
où il se lia avec Hoffmann, qui mit en musique un poème
religieux auquel il avait donné pour titre : La Croix sur la
Baltique. Le ministre Schrœtter, zélé protecteur de la re-
ligion et de la franc-maçonnerie, lui fit obtenir, en 1805, une
place d'expéditionnaire secret à Berlin. Dans cette capitale,
Zacharie Werner se livra de nouveau à toutes sortes
d'excès, et divorça pour la troisième fois. Bientôt aussi il
renonça au service administratif. C'est à cette époque qu'il
composa pour le théâtre de Berlin son Martin Luther, ou
la consécration de la Jorce, pièce dans laquelle l'his.
toire est traitée au point de vue du mysticisme et du
fantastique. 11 parcourut ensuite différentes parties de l'Ai»
lemagne, et en 1808 il alla en Suisse, où il fit la con-
naissance de M"* de Staël à Interlaken. Après quelques
semaines passées à Paris, il était de retour à Weimar en dé-
cembre de la même année. A peu près vers le même temps,
le grand-duc de Hesse-Darmstadt lui accorda le titre de
conseiller aulique. Il alla ensuite passer encore quatre moi.?
à Coppet, chez M™* de Staël, qui lui fournit les moyens
d'entreprendre le voyage de Rome. Là il embrassa secrète-
ment le catholicisme , le 19 avril 1311, et il commença alors
l'étude de la théologie. En 1814 il fut ordonné prêtre au sé-
minaire d'Aschal'fembourg, et au mois d'août de cette même
année, au moment où s'ouvrit le congrès, il se rendit à
Vienne, où ses sermons attirèrent la foule. De 1816 à 1817
il vécut en Podolie, chez le comte Cliolonievski , qui le
fit nommer chanoine capitulaire de Kaminiec. Peu après ,
à la surprise générale, il abandonna l'ordre des Rédempto-
ristes de Vienne, dans lequel il s'était fait recevoir; mais il
continua à prêcher avec une remarquable vigueur d'esprit
jusqu'à sa mort, arrivée le 18 janvier 1823.
Parmi ses œuvres dramatiques, ses Fils de la Vallée se
distinguent par un plan hardi, par des caractères heu reuse-
ment tracés, parla grandeur des idées et par l'éclat du style,
dans la première partie surtout. La Croix sur la Baltique^
La Consécration de la Force, Attila roi des Huns et
Wanda, reine des Sarmates , malgré leurs nombreuses
beautés, trahissent de plus en plus la tendance de l'auteur au
mysticisme. Son 24 Février est une œuvre de beaucoup su-
périeure au déluge d'imitations qu'elle a provoquées ; on y
trouve une originalité saisissante, une profonde intuition
du cœur humain , une habile concision et une rare puis-
sance du style. Mais c'est surtout dans sa tragédie de Cu-
négonde que l'originalité toute particulière de cet écrivain
s'est librement développée. Sa dernière tragédie, Za Mère
des Machabées (Vienne, 1820), renferme de grandes beautés
de délail ; mais l'auteur les dépare par la rudesse souvent
grossière de son style et par un ton de plaisanterie fort in-
convenant. Ses cantiques spirituels sont ses productions les
plus inférieures.
Malgré tous ces défauts, Zacharie Werner n'en mérite pas
moins le titre de poète. Il excelle à créer et à développer
des caractères , à trouver des situations du plus haut in-
térêt; et l'exposition est toujours chez lui franche et vigou-
reuse , quelquefois même pleine d'originalité. Comme orateur
sacré, il est fort inégal. A côté de raisonnements sévères et
logiques , on le voit souvent se permettre de froids jeux de
mots , des plaisanteries profanes , tout en affectant en môme
temps une fausse humilité. Une édition de ses oeuvres com-
plètes a paru en 14 volumes (Grimma, 1839-1811).
WERSES ou WOTES. Voijez Fiknois,
WERSTE, en russe wersta, nom d'une mesure de dis-
tance en usage en Russie et équivalant à 1,066 mètres "s
centimètres.
"\¥ESER ( Le) , en latin Visurgis , un des grands tleuves
de l'Allemagne, provient de la jonction de la Werra, qui prend
984
WESER — WESTAUSTRALIA
sa source dans \a forêt de Tliuringe, et de la Fulda, qui prend
la sienne dans la basse Franconie. Le Weser, après avoir
parcouru le Hanovre, le Brunswick, le comté de Schauem-
bourg, la province prussienne de ^Vestpllalie, le territoire
de Brome et le dudié d'Oldembourg, se jelte dans la mer du
Nord à l'est du golfe de Jalide. Son cours est d'environ 50 my-
riamètres. Le Diemel , l'Emmer, la Werra, l'Aller, la Hunte,
la Wumme et le Geeste sont ses principaux affluents.
WESLEY (John), fondateur delà secte des métho-
distes, était le fils d'un prêtre anglican auteur de plusieurs
ouvrages, et naquit le ITjuin 1703, à Epworth,dansle comté
de Lincoln. Dès sa plus tendre jeunesse , il s'enthousiasma
pour les œuvres de Tiiomas a Kempiset de Taylor,et se crut
fermement appelé à une mission religieuse particulière.
Après avoir étudié la théologie à Oxford , et avoir été or-
donné diacre en 1725, il s'adonna avec plus d'ardeur que
jamais à l'étude de la Bible et de différents ouvrages ascé-
tiques. En 1729 il fonda avec son frère et quinze étudiants
d'Oxford une association religieuse ayant pour but la re-
cherche des vérités bibliques , le jeûne, la prière, les bonnes
œuvres; et dès cette époque l'usage s'établit de donner à ces
jeunes gens, en raison de leurs tendances à se séparer de
l'Église anglicane, le sobriquet de méthodistes, (lu'ih conser-
vèrent par la suite. En 1735 Wesley passa eu Amérique
avec son (rère, dans le dessein d'y prêcher l'Évangile aux
Indiens. Une fois devenu missionnaire , Wesley renonça à
tous les agréments et à toutes les jouissances de la vie, s'abs-
tenant même de l'usage de la viande et du vin , etcoucliant
sur ladure. Son fanatisme , son intolérance, et la tendance
satirique de son esprit ne laissèrent pourtant pas que de
lui susciter un grand nombre d'ennemis, de sorte que force
lui fut de s'en retourner en Angleterre dès 1738. En 174l il
se sépara de Whitefield, jusque alors son collègue, parce que
celui-ci voulait rendre l'Église métiiodiste complètement in-
dépendante de l'Église anglicane et du pouvoir. Deux ans
plus tard, il rompit également avec les herrnhutes, en se
déclarant hautement partisan du dogme de la prédestina-
tion. Chaque année il visitait les églises des méthodistes
restés fidèles à ses doctrines, et nommés à cause de cela
Wesleyens, et il prêchait dans tous les endroits où il s'arrê-
tait; aussi ne porte-t-on pas à moins de cinquante mille le nom-
bre total de ses sermons. Quoiqu'il approuvât le célibat, il se
maria en 1749; mais il fut si malheureux en ménage, qu'il
dut recourir au divorce. D'une bienfaisance extrême et d'un
désintéressement absolu , il avait cependant le caractère
allier et dominateur ; peut-être est-ce ce défaut qui fit de
lui un chef de secte. 11 mourut le 2 mars 1791. Ses œu-
vres, qui forment plus de cent volumes, ne sont guère
qne d'informes compilations.
WESLEYENS. Voyez Métuodistes et Wesley.
WESSELEiXYl (Nicolas, baron), chef de l'opposition
an Hongrie et en Transylvanie de 1825 à 1840, naquit en
1 794, à Ssibo , domaine situé en Transylvanie et appartenant
à sa famille. Après avoir fait les dernières campagnes contre
Napoléon, il revintdans ses foyers en 1818, et commença
aussitôt à faire de l'opposition contre le gouvernement au-
trichien , qui finit, en 1834, par se voir contraint de céder
^ l'opinion et de convoquer la diète de Transylvanie. Pour
propager les idées de la réforme dans les classes populaires,
il publia une gazette lithograpliiée de la diète de Transyl-
vanie , et (ut un des plus zélés propagateurs de celle que
Kossuth publiait à Pesth. Arrêté pour ce fait avec Kossutli,
en 1837, il fut impliqué dans un procès de haute trahison
et condamné à quatre années d'emprisonnement. L'amnistie
de 1840 le rendit à la liberté ; mais il avait perdu la vue dans
son cachot, et dut désormais renoncer à jouer un rôle émi-
nent en politique. Depuis, il .vécut dans un tranquille
isolement à Ssibo, mais entretenant toujours d'activés rela-
tions avec les membres de l'opposition, qui souvent lui de-
mandaient des conseils.
A la suite des événements de 1848 il revint à Pesth, où
U siégea à la table des Majaiats , mais sans exercer aucune
influence sur la marche .des événements. Il survécut k la
compression de la révolution , et mourut à Pesth dans l'au-
tomne de 1850.
WESSEX,en vieux saxon Westseaxas (c'est-à-dire
Saxe occidentale), l'un des royaumes anglo-saxons d'An-
gleterre, comprenait les comtés actuels de Hamp (aved'lle
de Wight), de Berk, de Wilt, de Dorset, et plus tard,
après la complète soumission des Saxons, ceux de Somerset,
de Devon et de Cornouailles. Ce royaume fut fondé par
Kerdik et son fils Kenrik,qui débarquèrent en 494 et rem-
portèrent en 519 la décisive victoire de Charford. Il avait
pour capitale Witanceaster (Winchester), et , à l'exception
de l'île de Wight et delà côte que lui fait (ace, occupées
par des Jutlandais , il était complètement anglo-saxon. Avec
le temps ce royaume devint si puissant que sous le roi Eg-
bert , en l'an 827 , il absorba tous les autres royaumes créés
dans l'ile (voyez Gran"ue-Bretag:(e).
WEST (Benjamin), peintre célèbre, né en 1738, à
Springfield, en Pennsylvanie, alla enl760 à Rome, et après
un séjour de trois ans en Italie se rendit en Angleterre, où
ses tableaux obtinrent tout de suite un grand succès. 11 se
trouva en relations avec le roi lui-même , circonstance qui
ne fut pas moins profitable à sa fortune qu'aux progrès des
arts en général. West fonda l'Académie royale des Beaux-
Arts, qui fut confirmée en I76a. Georges III prit dès lors
West sous son patronage, tout particulier, et le chargea de
présider aux embellissements à exécuter dans le château de
Windsor, avec un traitement annuel de 1,000 livres sterling,
que l'artiste perdit quand le roi fut frappé d'aliénation men-
tale. Depuis longtemps déjà West s'était retiré de l'Académie
des Beaux-Arts, dont il avait été quelque temps président,
pour prendre une part des plus actives à la création de
la British Institution, fondée en 1805, et qui a tant contri-
bué au progrès des beaux-arts en Angleterre. Il est incontes-
table du reste que Benjamin West mérita plus des arts
par la fondation de ces deux sociétés que par ses propres
ouvrages. Il manquait en effet de cette vigueur d'imagi-
nation et de cet esprit créateur qui font les grands artistes'.
Sans doute il connaissait les règles de l'art; ses composi-
tions et ses groupes sont savamment exécutés , et son dessin
brille même par une grande régularité , mais son coloris est
sans la moindre harmonie. Son ouvrage le plus célèbre
est un portrait du général James Wolf, et sa plus grande
toile un Christ devant Ponce-Pitate. On peut encore citer
de lui La Mort de Aelson. Jésus-Christ guérissant les ma-
lades et les paralytiques dans le temple, La Mort sur un
cheval, etc. Son Roi Lear, qu'il peignit pour la galerie de
Shakespeare, et un Saint Paul, qu'il exécuta pour la chapelle
dn Greenwich, obtinrent incomparablement moins de succès.
Il mourut à Londres, en 1820.
WESTAUSTRALIA,4M.s-^mrJe occidentale, appelée
autrefois colonie de Sioan-River, établissement anglais de
la Nouvelle Hollande, comprenant la partie sud-ouest de ce
continent, entre le 30" et 35° de latitude méridionale,
d'une superficie de 3,157 myriamètres carrés, non compris
l'étendue de côtes qu'on y a tout récemment ajoutée , qui se
prolonge au nord jusqu'à la grande baie de Shark.mais
dont les délimitations pour la colonisation n'onttpoint en-
core été déterminées. La côte occidentale, à l'exception de
la presqu'île de Leeuwin , est entourée d'une chaîne de dunes
qui s'élève jusqu'à 2C0 mètres, d'un vert foncé, assise sur
la formation granitique la plus récente, accom|)agnée du côté
de la mer de lagunes , et du côté de la terre d'un sol propre
à nourrir des moutons. Derrière s'étend une plaine géné-
ralement onduleuse et aride, tantôt couverte de forêts et de
prairies, tantôt entrecoupée par des vallées assez fertiles
et le devenant de plus en plus à mesure qu'on s'enfonce
dans l'intérieur du pays. A une distance de 35 à 50 kilo-
mètres de la mer s'élève abrupteraent la chaîne de Darling
(Darling Range), versant occiden lai de 700 mètres d'élé-
vation d'un plateau du même nom , d'élévation médiocre,
composé de diverses chaînes parallèles de montagnes ayant
WESTAUSTRALIA — WESTMINSTER
985
au total la nature de plateaux , consistant généralement
en granit s'abaissant insensiblement à l'est pour former
vraisemblablement une profonde vallée intérieure, tandis
qu'au sud elles s'avancent jusqu'à la côte méridionale, en
formant tantôt des rivages à pic garnis de rocliers, tantôt
des plaines en pente douce. Un grand nombre de petites
rivières sourdent de ces montagnes, pour se diriger vers
l'une ou l'autre rive. La plus importante est le Swan-River
(rivière des Cygnes) , qui déverse ses eaux au-dessous de
Perth, dans un bassin profond, de la nature des lagunes, et
appelé Melvilleivater, qui communique avec la mer par un
étroit chenal, en face de l'île de Rottenest, et ne présente
qu'une rade peu sûre ( Gnges Roads). Séparée du reste du
haut pays par le Blackwood, qui se jette au sud dans la
baie de Flinders, s'avance profondément dans la mer, la pres-
qu'île de Leeuwin, située entre cette baie et celle des
Géographes, laquelle se trouve au nord de celle-ci. Cette
presqu'île contient un étroit plateau , de môme composition
que le grand , boisé et bien arrosé , dont les crêtes, plates et
composées de pierre calcaire, offrent une surface maréca-
geuse avec un sol argileux, rougeûtre et souvent fertile.
La Wcsiaustralia jouit d'un climat tempéré , et le sol en
est presque partout fertile. Elle est riche en forêts, produit
du bois de sandal , des gommes et une espèce de palmier
<lont la noix est employée dans la fabrication du savon, et
•convient parfaitement à la colonisation. Celle-ci a commencé
directement d'Angleterre, en 1829, et se borna d'abord au
littoral situé entre le Swan-River et le Détroit du roi
Georges ; mais elle eut à lutter contre de grands obstacles.
Aussi de toutes les colonies de l'Australie la Westaustra-
lia est-elle celle qui a pris le moins de développements. En
outre , elle manque de bons ancrages , car à l'exception du
Cockburnsund, situé à 14 kilomètres au sud de l'embouchure
du Swan-River, et encore du King-Georgessund, eWe n'a
pas un seul port sur la côte méridionale. Le nombre des ha-
bitants européens delà colonie (où l'on ne peut pas établir
de condamnés ) était en 1850 de 5,904, et celui des habitants
aborigènes de 1960. Les colons cultivent avec succès les
céréales d'Europe, le chanvre, le tabac, l'olivier et la vigne,
qui produit déjà des vins en renom , élèvent du gros bétail ,
des chevaux, des moutons, des chèvres et des porcs,
font du commerce avec les produits du sol, et tirent un grand
profit de leur pêche. On a découvert dans la colonie des
giseraeiQts houilliers, d'abondantes mines de plomb et de zinc,
et même de l'or en 1854.
La Westaustralia est aujourd'hui divisée en vingt-six
comtés. Les villes et localités les plus importantes sont :
Perth, à l'embouchure du Swan-River dans le Melvillewa-
ter, à 14 kilomètres de son port, appelé free^jia^i^/e et situé
à l'embouchure du Melvillewaier dans la mer , siège du
gouverneur et de l'administration coloniale , ainsi que d'un
évêque catholique, avec la petite ville de Gnilford, située
à l'embouchure de VHelena, le premier établissement des
Anglais dans ces parages; Ausiralind, fondée en 1840,
sur les bords de la baie des Géographes; Augusta, dans
la baie de Flinders et à l'embouchure du Blackwood ;
Albany, sur le King-Georgesstmd, le meilleur port de
toute la colonie, et où la pêche de la baleine a déjà pris
beaucoup d'extension.
WEST-EIXU. Voyez Londres, tome xii, page 410.
WESTERBOTTEN. Voyez.mKK.
WESTERiMAI\3I (François-Joseph), né en 1764, à
Molsheim, en Alsace, était fils d'un procureur, servit quelque
temps dans un régiment de cavalerie, et quand vint la ré-
volution obtint, grâce à l'exaltation de ses opinions poli-
tiques, la place de greffier de la municipalité. Compromis
dans quelques émeutes, la procédure dont il fut l'objet n'eut
l>as de suites ; et il vint alors se fixer dans la capitale, où, à la
tête d'une bande de patriotes marseillais et brestois, il prit
une part importante à la journée du 10 août. 11 en fut ré-
compensé par le grade d'adjudant général, avec lequel il
alla servir à l'armée du nord, sous les ordres de Dumouriez,
qui lui confia le commandement d'une légion, à la tète de
laquelle il se distingua par sa bravoure et son énergie. Cette
légion et son chef furent ensuite envoyés en Vendée, pour y
combattre l'insurrection vendéenne, qui de jour en jour pre-
nait des développements plus menaçants. Les succès qu'il
y obtint furent suivis de revers. Dénoncé à la Convention,
Westermann vint à Paris pour s'y justifier. On connaissait
sa liaison avec Danton ; dès lors sa perte fut résolue par le
parti de Robespierre. Le 5 avril 1794 il fut condamné à mort,
comme celui-ci, et il périt le lendemain 6, sur l'échalaud,
avec Camille Desmoulins, Fabred'Églantine, Héraut de Se-
chelles, Bazire, Philippeaux et Chabot.
WEST-LOTlIIAiV. ro!/e; LiNLiTHCOw.
WESTM ACOTT ( Sir Richard ), l'un des pluscélèbres
sculpteurs qu'ait produits l'Angleterre, né en 1775, à Londres,
OÙ son père s'était fait aussi une grande réputation comme
sculpteur, étudia son art, à partir de 1792, à Rome et à
Paris. A son retour en Angleterre, il se fit d'abord connaître
par une statue d'Addison, exposée en 1806 dans l'abbaye de
Westminster. En 1809 il fut élu membre de l'Académie
royale. Cette même année il exécuta les monuments élevés
dans l'église Saint-Paul à la mémoire de sir Ralph Aber-
cromby et de Collingwood. Après avoir lui-même dirigé les
opérations du moulage et de la fonte de la statue en bronze
du duc de Bedfort pour Russel-Square, puis de la statue
de Nelson pour la ville de Birmingham et de celle de Fox
pour Bloomsbury-Square, il exécuta, en 1822, l'Achille co-
lossal qui se trouve dans H y de- Park, l'une des plus grandes
statues qu'on ait encore fondues. En 1814 il sculpta le mo-
nument de W. Pitt destiné à l'abbaye de Westminster. Parmi
ses autres ouvrages, nous citerons sa statue d'une jeune
paysanne (1819), pour le tombeau de lord Penrhyn, et celle
d'une jeune fille indoue, qui fait partie du monument élevé
à Calcutta à la mémoire d'Alex. Colvin; la statue en bronze
de Georges III, à Liverpool; celle de Canning, élevée en
1832 à peu de distance du palais du Parlement, peut-être
la plus belle production de l'art de la statuaire qu'il y ait
à Londres; enfin, celle du duc d'York, qui, en 1834, a été
placée dans le parc de Saint-James. Westmacott est aussi
l'auteur du grand relief allégorique qui orne le fronton de la
nouvelle bourse de Londres.
Son fils, flic/iard Westmacott, né à Londres, en 1802,
est aussi un sculpteur distingué. On a de lui , outre diverses
statues, telles qu'une Pandore, une Esclave africaine, un
Amour et une Vénus, un grand nombre de bustes, qui l'em-
portent jusqu'à un certain point sur ceux de son père.
Un autre sculpteur du même nom, James Shewood
Westmacott, s'est fait connaître par les remarquables sta-
tuettes d'Alfred le Grand et de Richard Cœur de Lion ,
ainsi que par une tête de sir Robert Peel, d'une ressemblance
frappante.
WESTMEATH , comté de la province de Leinster
(Irlande), d'une superficie de 20 myriam. carrés. Sa popula-
tion, qui en 1841 s'élevait à 141,300 habitants, n'était plus
en 1851 quedel07,510habitants. Son chef-lieu,. Wî<//(ni;rtr,
sur le canal et le chemin de fer du centre, est une ville de
5,000 âmes, où lise fait un grand commerce en laine et en
chevaux. Athlone, sur le Shannon, villede 12,000 habitants,
entretient des fabriques de chapeaux et de dentelle. Le vil-
lage de Kinnagut produit le meilleur fromage de l'Ir-
lande.
WESTMIIXSTER, nom d'un des quartiers de Londres.
WESTMII\STER (Abbaye de) ou Église collégiale
de Saint-Pierre, à Londres, tire .son nom du quartier de
la ville dans lequel elle est située. Elle faisait autrefois
partie d'un monastère dont il subsiste encore quelques restes,
fondé au commencement du septième siècle par Sebert,
roi des West-Saxons, détruit par les Danois, et rebâti en
958 par le roi Edgar. Edouard le Confesseur reconstruisit
entièrement l'église peu de temps avant de mourir. Henri III
la fit démolir, et avec ses successeurs immédiats donna à
l'église sa configuration actuelle. Il n'y a que les deux, belles
986
WESTMI^;STER — WESTPHALIE
tours (s'iiarmonisant du reste assez mal avec le reste de
l'édifice) et l'entrée occidentale, œuvre de Christophe Wren,
qui datent du dix-huitième siècle. Quand il se sépara de la
communion romaine , Henri VIII transforma le monastère
en chapitre collégial ; et plus tard il en fil la cathédrale du
comté de Middlesex. Edouard VI, son successeur, supprima
cet évêciié et rétablit le chapitre. Sous la reine Marie il
redevint monastère ; mais Elisabeth réunit le chapitre col-
légial à un établissement pour l'éducation de la jeunesse.
L'église est construite en forme de croix. Au sud se trouvent
les débris de l'ancien monastère. Si l'extérieur de l'église
est lourd , en revanche l'intérieur, surtout par l'entrée occi-
dentale, produit l'effet imposant d'un chef-d'œuvre de
l'architecture gothique. Toutefois, la vue y est en partie obs-
truée par des cloisons en bois, des grilles et des construc-
tions accessoires. Des piliers d'une grande hardiesse sou-
tiennent la voûte, qui a 33 mètres d'élévatioh. L'église a
92 mètres de long, et 24 mètres de large dans la nef. La
largeur du transept est de 66 mètres 33 centimètres; c'est
dans le magnifique chœur, dont un autel de style grec dé-
truit l'unité, qu'a lieu depuis un temps immémorial le cou-
ronnement des rois d'Angleterre. L'église contient nn grand
nombre de chapelles, entre autres celles d'Edouard le Con-
fesseur, de Henri III et de Henri VII. Cette dernière, où se
trouve le tombeau de ce prince et de sa famille, fut cons-
truite par le Florentin Pietro Torregiano, dans un style d'une
richesse quelque peu exagérée , et a été restaurée à grands
frais de 1809 à 1823. La reine Elisabeth et sa rivale Marie-
Stuart ont des monuments dans diverses autres chapelles.
Dans la partie méridionale du transsept se trouvent les tom-
beaux et les monuments d'un grand nombre de poètes et de
savants : circonstance qui lui a valu le nom de poeVs corner
(le coin des poètes ). Dans la partie méridionale reposent les
hommes distingués qui ont bien mérité du pays. La plupart
des œuvres d'art qui décorent ces sépultures ont peu ou point
de valeur estliétique; dans le nombre il y a cependant quel-
ques beaux ouvrages de Roubillac , Rysbrach , Nollekens ,
Chantrey et Flaxman.
WESTMINSTER-HALL, nom d'un immense édifice
de Londres, situé en face de Vabbaye de Wesminster, con-
tenant les salles des séances des deux chambres du parle-
ment, de même que celles des cours supérieures de justice
de la Grande-Bretagne. C'est Guillaume II, le fils du con-
quérant, qui construisit Westminster -H ail, la plus grande
salle qu'il y ait en Europe, après le théâtre d'Oxford et la
salle du palais de justice de Padoue. Elle a 30 mètres de
haut , 92 mètres de long et 63 mètres 33 centimètres de
large. Son plafond voûté , artistement construit en bois de
noyer, est soutenu par de beaux piliers. Elle fut construite
pour y célébrer des fêtes de cour ; et lors de son couron-
nement Richard II y traita dix raille convives. Depuis très-
longtemps on s'en sert pour de grands procès politiques ou
pour des jugements de pairs. C'est là aussi qu'eut lieu le
jugement de Charles \". Les bâtiments de Westminster-
Bail, outre les salles du parlement, contiennent les locaux
où siègent les quatre hautes cours de justice désignées sous
les noms de Court oj Exchequer, Court of Common Pleas,
Court of Chancery et Court of King's Bench. Le local
de la ciiambre des communes était à l'origine une chapelle
construite par le roi Etienne, et que Henri III affecta aux
communes pour leur servir de lieu de réunion. Le 16 octobre
1834 un incendie détruisit la partie de Westminster- Hall
occupée par le parlement. On résolut en conséquence de cons-
truire \m nouveau local. Le comité nommé pour examiner les
plans qui seraient présentés ayant donné la préférence à
celui de l'architecte Charles Barry, on posa, le 27 avril 1840,
après quelques travaux préliminaires , la première pierre de
Westminster-Palace. Ce magnifique édifice, qui ne tardera
point à être complètement achevé, est de style gothique et
couvre un espace de douze journaMa; de terre, entre la
Tamise et l'abbaye de Westminster. Il a quatre façades,
dont celle qui donne su» la Tamise a 300 mètres de dévelop-
pement, et trois tours principales : la lourde Victoria, baote
de 113 mètres 33 centimètres, qui n'a que 21 mètres 33 centi-
mètres de moins que lacroix surmontant l'église Saint-Paul ; la
tour du centre, haute de 100 mètres; et la tour du clocher y
à l'extrémité septentrionale de l'édifice, haute de 106 mètres
66 centimètres; outre un grand nombre d'autres tours, moins
élevées, qui rompent les lignes d'une vingtaine de toits de
manière à réunir la beauté architecturale à la noblesse de
style. La partie septentrionale du palais est consacrée à la
chambre basse, et la partie méridionale à la chambre haute,
qui y siégea pour la première fois le 15 avril 1847. Les frais
de construction se sont élevés à environ 1,500,000 liv. st.
(37,500,000 fr. ).
WESTMORELAND, comté de la partie nord-ouest
de l'Angleterre, d'une superficie d'environ 25 myriamètres
carrés , dont il n'y a guère que le tiers qui soit susceptible
de culture. C'est une âpre et froide contrée, couverte de
hautes montagnes, qui souvent restent couvertes de neige
jusqu'au commencement de l'été, et renfermant de longues
et étroites vallées ainsi qu'un grand nombre de lacs. Si le
sol ne se prête guère à l'agriculture, en revanche il offre une
foule de beautés naturelles, telles que ses montagnes escar-
péeset ses gracieuxlacs, par exemplecelui de Windermere,
le plus grand qu'il y ait en Angleterre (16 kilomètres de
long sur 2 kilomètres de large), et celui à'Ulleswater, les
riches pâturages de ses vallées et ses magnifiques forêts.
Dans le pays de montagnes on nourrit beaucoup de mou-
tons, et dans les marais beaucoup de porcs, avec lesquels
on fait les célèbres jambons du Westmoreland. On y élève
aussi beaucoup d'oies. Le beurre du Westmoreland , fait
avec le lait d'une race de vaches originaires de l'Ecosse,
est recherché pour l'approvisionnement des navires, parce
qu'il a l'avantage de se conserver très-longtemps. Faute
de houille, l'industrie du comté est à peu près nulle. La
population est de 58,580 habitants. Le chef-lieu du comté
e&tAppleby, ville de 2,700 habitants, bâti sur l'Eden; tan-
disque Kendal, ou pMùt Kirkby en Kendal, sur le chemin
de fer conduisant de Lancaster à Carlisle et en Ecosse,
compte 11,829 habitants, qui fabriquent de grossières étoffes
de laine à l'usage des matelots.
WESTMORELAND (John FANE,' comte de), diplo-
mate anglais , qui jusqu'à la mort de son père ( 1S41 ) porta
le litre de lord Burgersh, est né en 1784. Entré d'abord
dans l'état militaire, il fit les campagnes de Portugal et
d'Espagne sous les ordres de Wellington , dont il épousa
la nièce, en 1811. En 1814 il se trouvait au quartier général
de Schwarzenberg , avec qui il entra à Paris. Promu alors
au grade de colonel, il fut nommé, pendant la tenue du con-
grès de Vienne, ministre d'Angleterre à Florence ; poste qu'il
conserva pendant quinze ans, et qui lui laissa assez de loisirs
pour pouvoir se livrera la culture des beaux-arts, et notam-
ment à celle de la musique. On a de lui un grand nombre de
cantates, de symphonies, de messes, et même deux opéras,
H Torneo et L'Eroe di Lancasiro, qui, il est vrai, trahissent
un peu le dilettante. Il avait organisé dans l'hôtel de la
légation un théâtre d'amateurs, sur lequel il jouait lui-même
avec sa femme ; et sa maison était un rendez-vous pour
les artistes et les savants. Il s'occupa en même temps de
travaux littéraires, et écrivit alors deux ouvrages intitulés,
l'un Opérations of the Allies in Portugal (Louches, 1S18),
et l'autre Opérations of the allied Armics in 1814 ( Lon-
dres 1822 ),qu'ilfit suivre de SoMuenJrs des premières Cam-
pagnes du duc de Wellington. En 1841 il fut nommé am-
bassadeur à Berlin, et en 1851 ambassadeur à Vienne, où
il prit part aux travaux de la conférence ouverte en 1853
au sujet des affaires d'Orient. Lors de la grande promotion
qui eut lieu dans l'armée anglaise, il tut promu au grade de
général.
W^ESTPHALIE (Province de), partie du royaume de
Prusse. Elle tire son nom d'un ancien peuple germain qui
l'habitait autrefois, les Ffl/en, qu'on divisait en Ostfalen
et Westfalen (Falen de l'est et Falen de l'ouest), qui a été
WESTPHALIE
987
constituée telle qu'elle est aujourd'hui par les décisions du
congrès de Vienne, et elle est bornée par les Pays-Bas, le
Hanovre, le Brunswick, la principauté de Lippe-Det-
mold, la Hesse électorale, la principauté de Waldeck,
la Hesse-Darmstadt , le duché de Nassau et la province
prussienne du Rhin. Sa superficie est de 257 myriamètres
carrés, et on y comptait en 1852 1,504,251 habitants. Elle
est divisée en trois arrondissements : Munster, Minden et
Arnsberg. Sa population est entièrement allemande, sans
aucun mélange étranger. En 1852 elle comprenait 835,841
catholiques, 652,801 protestants, 109 raennonites, 15,499
juifs et 1 grec. Le sol appartient presque tout entier aux
paysans et à de petits cultivateurs, parmi lesquels il règne
en général bien plus d'aisance que dans les populations du
nord de la monarchie: Le Weser, l'Ems, la Lippe et la
Ruhr en sont les cours d'eau les plus importants; et en
fait de villes commerçantes et manufacturières, il faut citer
Bielefeld, Iserlohn, Dortmund , Minden, Munster, Hamm,
Arnsberg et Paderborn. Le chemin de fer de Cologne à
Minden traverse en entier la province, quia pour chef-lieu
Munster, siège du commandement général du sixième
corps de l'armée prussienne. Les états provinciaux se com.
posent de 12 princes et seigneurs, de 20 députés de la no-
blesse de six arrondissements, de 20 députés des villes et
de 20 députés des communes. Us se réunissent au chef-lieu.
WESTPHALIE (Traité de paix de ). On désigne ainsi,
et encore sous le nom de Paix de Munster, le traité conclu,
en 1648 , à Munster et à Osnabruck , villes dépendant toutes
deux du cercle de Westphalie. Il mit fin à la guerre de
trente ans, rendit à l'Allemagne son repos, et fonda en
Europe un nouveau système politique. 11 servit en effet de
base à tous les traités postérieurs, jusqu'à la révolution
française. Les conditions préliminaires en avaient déjà été
arrêtées en 1641, à Hambourg. A ce moment l'Allemagne se
trouvait épuisée , et l'Autriche voyait ses États héréditaires
compromis. Aussi l'empereur Ferdinand ni se montrait-il très-
disposé à traiter. Les négociations ne commencèrent vérita-
blement qu'en 1644, et furent suivies à Osnabruck entre les
envoyés de l'empereur, des États de l'empire et de la Suède,
et à Munster entre les plénipotentiaires de l'empereur, de la
France et des autres puissances étrangères , mais de manière
cependant à marcher toujours corollairement, de sorte que
les articles adoptés dans les deux congrès étaient considérés
comme faisant partie du traité définitif etgénéral,etqu'aucune
des parties ne pouvait conclure de traité séparé. Cette divi-
.sion des négociations avait eu lieu, d'une part, afin d'éviter
toute discussion de prééminence entre la France et la Suède,
et del'autre aussi, parce que les Suédois ne voulaient avoir
aucune espèce de rapports avec le nonce du pape, chargé
de jouer le rôle de médiateur.
La France avait pour plénipotentiaires à Munster le duc
de Dunoiset Longueville, d'Avaux et Servien, chargés des
instructions de Mazarin et de Lyonne. Les négociateurs
suédois étaient Oxensljerna , fils du chancelier, et Salvius.
Les plénipotentiaires de l'empereur étaient le comte de Nas-
sau, le comte de Lamberg et les jurisconsultes Volmar et
Cran; cependant , dans les derniers dix-huit mois , le comte
Max. de Trauttmansdorf fut l'âme de toutes les négociations
suivies au nom de l'empereur. L'Espagne était représentée
par Saavedra , Brun , etc. Les états généraux des Provinces-
Unies avaient envoyé huit plénipotentiaires. J.-J. Welstein,
bourgmestre de Bâle, représentait la Confédération Suisse.
Parmi les ambassadeurs accrédités par les princes allemands,
on distinguait surtout l'envoyé de Brunswick , J. Lampa-
dius, et celui de Wurtemberg, J. C. Varnbuhler. L'envoyé
de la république de Venise , Contarino, et l'envoyé du
saint-siége , Fabio Chigi , qui ceignit depuis la tiare sous ie
nom d'Alexandre VIII, intervinrent comme médiateurs.
Adam Adami , envoyé du prince-évêque de Corvey, remplit
ies fonctions d'historiograplie du congrès.
Des questions de prééminence et des discussions relatives
aux titres pris par Ip,« Hiverses partieo contractantes retar-
dèrent longtemps l'ouverture des conférences , pendant la
tenue desquelles les opérations militaires ne discontinuèrent
pas. La dernière affaire de la guerre de trente ans eut pré-
cisément pour théâtre la contrée où elle avait éclaté , c'est-
à-dire les environs de Prague. Le 15 juillet 1648, Kœnigs-
mark s'empara de la partie de celle ville qu'on appelle le
petit côté. Ce succès hâta la fin de ces longues et difficiles
négociations, et la paix fut enfin signée le 24 octobre 1648,.
à .Munster, où s'étaient rendus quelques jours auparavant
les plénipotentiaires d'Osnabruck, dont la besogne s'était
trouvée terminée plus tôt. Le traité reconnut solennellement
la souveraineté et l'indépendancedesdifférentsÉtats de l'Em-
pire , dès lors libres de contracter des alliances entre eux
ou avec des puissances étrangères , mais non contre l'em-
pereur ou l'Empire. A l'avenir, leur assentiment préalable
était déclaré nécessaire pour rendre légales et obligatoires
ies mises au ban de l'Empire, dont jadis les empereurs étaient
si prodigues. La maison Palatine obtint la restitution duPa-
latinat du Rhin ; et on institua en sa faveur un huitième élec-
toral, destiné d'ailleurs à être supprimé, si, comme il ar-
riva en 1777, par suite de l'extinction de la ligne de Bavière,
le Palatinat faisait retour à la Bavière. Les changements
opérés en faveur des protestants depuis la paix de religion
de 1555 furent consolidés par une déclaration portant que
toutes choses devaient rester en l'état où elles se trouvaient
au commencement de l'année 1624, appelée, à cause de
cela , année normale. Le l'^'' janvier de cette année fut
désigné comme le joxir normal pour l'état de possession
des biens sécularisés. Les réformés obtinrent en outre les
mêmes droits que les protestants de la confession d'Augs-
bourg. Les différents souverains s'obligeaient à ne jamais
persécuter ni opprimer leurs sujets dissidents. Plusieurs
i)ailliages ecclésiastiques furent sécularisés et attribués à
divers États de l'Empire à titre d'indemnité. On céda eu
outre l'Alsace à la France. La Suède obtint la Poméranie,
les territoires de Brème, de Verden et de Wismar, ainsi qu'une
somme de cinq millions de thalers. On adjugea au Brande-
bourg les évêchés sécularisés d'Halberstadt, de Minden , de
Kamin et l'expectative de Magdebourg. Le Mecklembourg
obtint pour sa part : 1° les évêchés sécularisés de Schwerin
et de Ratzebourg, en Hanovre; Z'^ alternativement avec \\n
évêque catholique l'évêché d'Osnaoruck et quelques abbayes.
La Hesse-Cassel eut en partage l'abbaye d'Hirschfeld et
une somme de 600, 000 thalers. Les Provmces-Cnies des
Pays-Bas furent reconnues par l'Espagne nation libre et in-
dépendante, en même temps que la Suisse était reconnue ne
relever en rien de l'Empire. La France et la Suisse se por-
tèrent garants du maintien de la paix.
Les réserves solennelles faites par le pape contre ce traité,.
notamment en te qui touchait les pertes éprouvées par le
saint-siége en raison de la sécularisation des divers évêchés
et abbayes , furent considérées comme non avenues. Cepen-
dant, l'exécution complète de toutes les stipulations de la
paix de Westphalie ne laissa pas que derencontrer de nom-
breuses difficultés. La guerre continua même encore pen-
dant quelque temps entre la France et l'Espagne ainsi qu'entre
l'Espagne et le Portugal.
Le temps et les événements ultérieurs ont du reste dé-
montré que , quels qu'aient été les talents diplomatiques et
même les bonnes intentions des négociateurs, le traité de
paix de Westphalie porta un coup fatal à l'unité de l'Al-
lemagne. Il ne fit pas seulement perdre à l'Empire un
territoire de l,.3O0 myriamètres carrés, avec une popula-
tion de 4 millions et demi d'habitants; l'Alsace et la Lor-
raine cessèrent en outre d'en faire partie. En même temps
le grand nombre de souverainetés indépendantes qu'il créa
amena une multiplicité de droits de douanes et une compli-
cation de rouages politiques et administratifs qui ne purent
qu'exercer la plus déplorable infiuence sur le- commerce
général de l'Allemagne, dont le territoire devint dès lors le
théâtre de tous les démêlés que purent avoir entre elles les
puissances de l'Europe, attendu qu'il suffisait pour cela que
988
WESTPHALIE — WETTER
les princes invoquassent le droit de garantie stipulé en fa-
veur de la France. La Bavière et le Brandebourg ainsi que
d'autres maisons souveraines allemandes prirent en outre
alors dans le système politique de l'Europe une place qu'elles
n'avaient point encore occupée; et des puissances étrangères,
la Suède, par exemple, purent désormais intervenir dans le
règlement des affaires intérieures de l'Empire. L'Allemagne
perdit toujours de plus en plus de sa sécurité intérieure et
de sa dignité à l'extérieur, en même temps qu'elle devenait
le grand champ de bataille de l'Europe, qu'elle faisait les
frais de toutes les guerres dont elle était le théâtre, et qu'elle
y perdait le plus pur de son sang. On ne peut môme pas dire
que cette paix ait eu pour résultat de donner des garanties
au protestantisme. Il y perdit, au contraire , la plus grande
partie de ce qu'il avait gagné par la force des armes. Ex-
pulsés des Etats héréditaires de l'Autriche, et dépouillés de
leurs biens, les protestants n'obtinrent point d'indemnité.
En résumé, celle paix fut moins l'œuvre de la politique
allemande que celle de la politique de la France, de la
Suède et de l'Autriche. Les divisions intestines des princes
allemands , l'indifférence de la plupart d'entre eux pour
l'honneur et pour la prospérité de la nation, expliquent cette
prépondérance de l'influence étrangère.
WESTPHALIE ( Royaume de ). Formé de l'un des
dix grands cercles de l'Empire d'Allemagne , il s'étendait
du Rhin au Weser, de la Hesse à la mer du Nord. Parmi
les nombreuses principautés qui s'y trouvaient comprises
figurait le duché de Westphalie , qui avait pour capitale
Arnsberg. Ce royaume éphémère, dont la durée n'a pas
excédé six années (de la fin de 1807 au mois d'octobre 1813),
fut créé par l'épée de Napoléon et mis au monde par le
traité de Tilsitt. La Hesse Électorale en formait le noyau ,
autour duquel se groupaient une partie de l'électoral de
Hanovre , le duché de Brunswick , celui de Magdebourg,
la principauté d'Halberstadt et des portions de la Saxe ainsi
que de l'ancien cercle de Westphalie. L'Elbe le séparait au
nord du royaume de Prusse. 11 était borné à l'orient et au
midi par le grand-duché de Hesse-Darmstadt et le territoire
de Francfort (sur Mein). Sa superficie totale était de 495
myriam. carrés, avec une population de 1,940,343 habitants.
Ce royaume fut donné par Bonaparte au plus jeune de ses
frères, au prince Jérôme, à qui il avait fait épouser la
princesse Catherine, lille du roi de Wurtemberg. Cet État
renfermait dans son sein deux des plus célèbres universités
allemandes , celles de Gœttingue et de Halle , avec trois au-
tres universités établies à Helmstaedl , à Riuteln et à iMar-
bourg.
L'intention du fondateur de ce royaume était d'y introduire
peu à peu le système de la législation et de l'administration
françaises, sans doute pour préparer une fusion dans l'em-
pire français. Il avait placé auprès de son frère, comme
ministre dirigeant, sous le titre de ministre secrétaire d'État
et des affaires étrangères, le célèbre historien Jean de
Mb lier. Mais le jeune roi, prenant son titre et sa mission
au sérieux , voulut s'entourer de ministres investis de sa
-confiance personnelle. Il engagea en conséquence Jean de
MùUer à accepter la direction générale de l'instruction
publique avec le titre de conseiller d'État en échange du
ministère des affaires étrangères, qui fut confié à un ami
du roi , créé par lui comte de Fiirstenstein . Les conseil-
lers d'État français qui avaient rempli les fonctions de ré-
gents du royaume en attendant l'arrivée du roi, les comtes
Siméon, Beugnut et Jollivet, furent chargés des ministères
delà justice et de l'intérieur réunis, des finances et du trésor;
la guerre fut donnée au général Morio. Le conseil d'État
avait été ouvert aux hommes les plus renommés, soit dans
les universités , soit dans les anciennes administrations al-
lemandes.
Le roi de Westphalie , distingué par son esprit et par des
qualités aimables, annonçait des intentions bienveillantes
pour les populations dont le sort lui était confié. Mais les
«xigeuces de l'empereur son frère grevaient la réunion de
départements allemands, masquée en royaume, d'un double
fardeau très-pesant. Il fallait à Napoléon de fortes contribu-
tions en hommes et en argent. Pour s'attacher les pays fé-
dérés, des ménagements eussent été nécessaires. La perpé-
tuité de la guerre et des conquêtes forçait à les pressurer.
La Westphalie avait à supporter à la fois la dépense d'une
armée nombreuse , les versements d'es[)èces au trésor impé-
rial et les frais d'entretien des généraux et des corps français
qui passaient ou séjournaient dans le pays. On conçoit que
ce régime oppressif ne faisait point de partisans à l'alliance
française : on plaignait plus que l'on ne blâmait l'adminis-
tration du prince , condamné à n'être que l'instrument no-
minal d'un joug assez rude ; on s'efforçait de l'adoucir par
des réformes dans les institutions favorables aux peuples;
on appliquait peu à peu les dispositions bienfaisantes des
lois françaises. Le servage des campagnes , fléau qui sévis-
sait encore presque partout dans toute sa rigueur, était mi-
tigé ou aboli. On affranchissait l'industrie. La législation
criminelle, la législation civile, le système et la perception
des impôts, ic sort de la race Israélite, étaient améliorés.
Dans la Hesse surtout l'on n'avait point à regretter le régime
déchu ; et ce qui prouve que l'on trouvait des compensa-
tions heureuses aux abus nouveaux , ce sont les regrets que
l'administration dirig(!e par l'esprit français y laissa. Mal-
gré les charges occasionnées par le passage et le séjour de
nos troupes, c'étaient encore celles dont les indigènes sup-
portaient la présence avec moins de répugnance. Un dicton
populaire signalait cette résignation au moindre mal : « Il
vaudrait mieux , disait-on dans chaque pays allemand , ap-
partenir au diable ou à la France que d'avoir chez soi des
troupes des autres Étals, et surtout de la Prusse. >
On a reproché au jeune roi de Westphalie trop d'ardeur
pour les plaisirs. Ses amis l'excusaient par le besoin de s'é-
tourdir sur les dégoûts et les chagrins qu'il éprouvait. Ne
faisant point de chronique scandaleuse , nous ne dirons de
sa cour ni bien ni mal. Ce que nous devons dire, c'est que
la reine son épouse fut toujours l'objet du respect général ,
et que son attachement pour le prince, dont elle a donné
un témoignage si éclatant, en honorant à jamais sa mémoire,
honore aussi celui qui l'a inspiré. Le délassement pour le-
quel ce prince montrait le plus de goût était le spectacle. Il
avait attiré à Cassel des artistes français, dont les talents
réunis formaient un ensemble très-satisfaisant dans la co-
médie, l'opéra comique ou demi-sérieux et les ballets.
Albert de Yitry , ancien secrétaire général
du ministère de l'intérieur en Westphalie.
Napléon avait imposé à son frère l'obligation d'entretenir
une armée de 30,000 hommes. En 18121e roi Jérôme par-
tit à la tête de cette armée pour la Pologne; mais par suite
d'une mésintelligence survenue entre lui et son frère, il
dut s'en retourner dans ses États, tandis que son armée, con-
fondue avec l'armée française, entrait en Russie et y péris-
sait avec elle dans la désastreuse retraite de Moscou. L'an-
née suivante Jérôme parvint cependant encore à fournir à
son frère un contingent de 12,000 hommes. Mais aux pre-
miers revers que l'armée française éprouva en Silésic, deux
régiments de cavalerie westplialienne passèrent aux Prus-
siens. Dès le 1" octobre 1813, avant la bataille de Leipzig,
Tschernitschef expulsait le roi Jérôme de Cassel et procla-
mait le royaume de Westphalie dissous. A quelque temps
de là, Jérôme, soutenu par des troupes françaises, rentrait
dans sa capitale; mais à la nouvelle du désastre de Leipzig
force lui fut d'abandonner pour toujours le pays sur lequel
il avait régné pendant six ans.
WÉTÉRITE. yoyez Carbonate.
WETTER (Lac). Il est situéà 90 mètres au-dessus du
niveau de la Baltique, dans une des contrées les plus ro-
mantiques de la Suède. Ses eaux , qui en beaucoup d'en-
droits ont 120 mètres de profondeur, et qui sont de la plus
belle couleur verte, présentent un phénomène bien remar-
quable; c'est leur abaissement ou leur élévation, qui suj ■
vient toujours à l'improviste. Elles sont d'ailleurs sujettes
WETTER — WHIST
989
à un mouvement d'ondulation des plus rapides et des plus
violents ; la force en est telle, qu'il lui arrive souvent en
hiver de briser la couche de glace dont est recouverte toute
la surface du lac , laquelle n'a pas moins de douze à quinze
niyriamètres de long sur trois de large. Le lac Wetter se jette
par le torrent du Motala dans le golfe de Bothnie. Un canal
le met en communication, par leslacsWilkenet Botter, avec
le lac Weener, la plus vaste masse d'eau intérieure qu'il
y ait en Suède, et qui communique par le Gœtaelf à\ec le
Kattégat. Wisingsoe est la plus considérable des îles qu'on
y trouve.
"WETTÉRAIIE. Voyez Vettéravie.
"WETTIN (Maison de), ancienne famille souveraine
de Thuringe ou de Saxe, de l'époque la plus ancienne du
moyen âge , et de laquelle descendent les diverses maisons
régnantes actuelles de Saxe. Elle tirait son nom d'un vil-
lage slave du cercle delà Saale, dans le duché de Magdebourg,
à peu de distance duquel se trouvait situé le château de
Winkel , berceau des comtes de Wettin. Comme toutes les
maisons princières d'Allemagne, la maison de Wettin préten-
dait descendre de Witihind, le courageux chef des Saxons
dans leur lutte contre Charlemagne.
WEXFORDjCoratédelaprovincede Leinster (Irlande),
formant l'extrémité sud-est de l'île. Sa superficie est de 29 my-
riam. carrés, et sa population, évaluée en 1841 à 203,033
habitants, était encore en 1851 de 180,170 habitants.
C'est donc l'un des comtés de l'Irlande dont la population a le
moins diminué dans ces derniers temps par suite du mouve-
mentd'émigration. Quoique généralement uni, on y rencontre
quelques montagnes, qui se rattachent à celles des comtés de
Wicklow et de Kilkenny. A son extrémité orientale les Black
S^aics atteignent 812 mètres d'altitude; et c'est dans le groupe
de Tarahill que se trouvait, dit-on , le mont Tcmora, tant
célébré par Ossian. Le sol en est généralement fertile, et le
climat tempéré et d'une grande salubrité ; aussi la longévité
des habitants est-elle proverbiale. Le chef-lieu, Wexfoid,
situé sur la baie du même nom, près de l'embouchure de
la Slaney, compte 13,000 habitants, qui font un commerce im-
portant en céréales, bestiaux et beurre, avec Dublin et Liver-
pool. Les rues en sont généralement étroites. Elle est le siège
de l'évêque protestant de Ferns, qui jouit de revenus énormes
et n'a absolument rien h faire, puisque tous les habitants sont
catholiques. Il existe des services réguliers de bateaux à va-
peur entre Wexford, Dublin et Liverpool.
WEYER (Sylvain Van de), homme d'État belge, est
né en 1802. Après avoir l'ait son droit à Louvain, il s'établit
comme avocat à Bruxelles; mais ayant été, à peu de temps
de là, nommé bibhothécaire de cette ville, conservateur des
archives de Bourgogne et professeur au Muséum, il renonça
à la carrière du barreau pour se consacrer complètement aui
lettres. Quand l'opposition contre le gouvernement néer-
landais en arriva à prendre une attitude plus sérieuse, il se rat-
tacha à ses coryphées, et devmt l'un des principaux rédac-
teurs du Courrier des Pays-Bas, joiirnal de l'opinion la
plus avancée. Le gouvernement, pour l'en punir, le des-
titua, A la suite des événements de septembre 1830 les au-
torités néerlandaises ayant évacué Bruxelles, il fut nommé
membre du gouvernement provisoire. Appelé à faire partie du
congrès national, il vota l'exclusion de la maison d'Orange, et
fut envoyé, dès les premiers jours de novembre 1830, à Lon-
dres par le nouveau gouvernement pour disposer le cabi-
net anglais en faveur de la révolution ; et quand .se forma
la conférence de Londres, il fut accrédité aujirès d'elle, avec
le comte Hippolyte Vilain XIV, en qualité de commissaire.
Nommé ministre des affaires étrangères le 26 février 1831,
par le régent de Belgique, SurletdeChokier, il combattit
surtout l'influence du parti français, et contribua beaucoup
à l'élection du prince Léopold, dont il fut le premier à pro-
poser la candidature. Un fois monté sur le trône de Belgique,
le roi Léopold nomma M. Van de Weyer son envoyé extra-
ordinaire eu Angleterre, fonctions qu'il remplit encore au-
jourd'hui. En 1845, après la chute du cabinet Nothomb, il
fut appelé à prendre le poi tefeuille de l'intérieur dans « e qu'on
appela alors le cabinet mixte , administration qui fut rempla-
cée dès l'année suivante par celle de M. de Theux ; et
M. Van de Weyer alla alors reprendre son poste d'ambassa-
deur à Londres. En 1839, il a épousé l'une des plus riches hé-
ritières de la Grande-Bretagne, lille d'un banquier de Londres.
WEYMER (M"= Georges). Voyez Georges Weymer,
WHIG. Voyez Tory.
WUISKEY, mot qui au propre veut dire eau, et qu'on
emploie en Irlande, dans les montagnes d'Ecosse et dans les
îles Hébrides pour désigner une eau-de-vie provenant de la
distillation de l'orge. Dans l'Amérique du Nord on fabrique
le whiskey avec du froment, du seigle ou du maïs. Il y a en
Ecosse une espèce particulière de whiskey qu'on appelle
rosée de montagne : mountain dew.
WIIIST, jeu de cartes dont le nom est un mot anglais
signifiant chut! ou silence! En effet, à l'exception des pa-
roles sacramentelles, le mutisme le plus complet est de ri-
gueur, puisque les quatre joueurs sont associés deux à deux.
Les partners sont en vis-à-vis , et l'on comprend que le
moindre mot, le moindre signe, échappés même involontai-
rement, pourraient être considérés comme un avis à celui
qui a le même intérêt. Le sort décide des places, et par con-
séquent de l'ami ou des rivaux que chacun doit avoir, à
moins que l'on n'ait besoin d'égaliser les forces en réunis-
sant de chaque côté un joueur exercé et un novice. On se
sert d'un jeu entier de cinquante-deux cartes, qui se distri-
buent en commençant par la gauche au lieu de la droite.
C'est aussi dans cet ordre inverse que se jouent les cartes.
Il n'y a pas de talon. L'atout ou triomphe est fixé par la
dernière carte, que le donneur laisse quelque temps à décou-
vert, et qu'il place dans son jeu après la première levée, et
lorsqu'elle a été suffisamment vue des trois autres personnes.
La partie se joue exactement comme au boston, lorsque
le hasard veut que les deux personnes opposées en vis-à-vis
ont demandé à faire ensemble huit levées. La différence est
qu'au whi.st on ne peut ni passer, ni tirer parti d'un jeu
en apparence mauvais, par l'une de ces combinaisons de-
venues presque innombrables au boston sous les noms de
grande ou petite indépendance, de petite ou de grande mi-
sère, de misère des quatre as, de piccolissimo, etc.
La grande difficulté du whist consisté dans le choix de la
première carte, soit que l'on demande le premier, soit que
l'on réponde à un appel. Le début est souvent décisif; car il
peut avoir le double objet d'éclairer son partner sur le nombre
et la force des triomphes que l'on a en main, et de donner le
change aux adversaires. La mémoire est une qualité bien pré-
cieuse; un bon joueur de whist sait par cœur toutes les cartes
qui sont sorties , atouts ou autres , depuis la première levée
jusqu'à la dernière. L'espèce de routine qui sert de guide au
boston, au reversis et même au piquet,ne su flirait pas au whist,
qui est beaucoup plus compliqué et plus lécond en chances
imprévues, puisqu'on ne peut connaître que par des conjec-
tures plus ou moins incertaines les cartes bonnes ou mau-
vaises que l'associé a reçues en partage, La partie se compte
en dix points, d'après le nombre des tricks (en anglais,
trick signifie ruse ou adresse) ou levées, ou celui des hon-
neurs, qui sont Vas , le roi, la dame, le valet, de même
qu'au boston.
Lorsque les deux partners ont déjà obtenu huit points, celui
qui tient deux honneurs peut appeler, c'est-à-dire demander
à l'autre s'il a le troisième honneur; en cas de réponse affir-
mative, la partie est gagnée sans qu'il soit besoin de l'a-
chever, puisque le point de dix est assuré et qu'il n'est pas
nécessaire d'aller au delà, sauf le cas de Venfilade. Pour
faire un robre , il faut marquer les dix points de rigueur
dans deux parties de suite , ou dans deux parties liées sur
trois.
Outre l'atout, déterminé par la dernière carte que le don-
neur a laissée d'abord à découvert, on convient quelquefois
d'une couleur /ayor»/e. C'est l'atout de la première partie;
et toutes les fois qu'il se reproduit, les points des honneurs
990
WHIST — WIATKÂ
on des tricks se comptent doubles. Si à la favorite on réunit
V enfilade, c'est-à-dire la faculté d'ajouter à une seconde partie
les points de la précédente qui excèdent le nombre dix , on
peut dans certaines circonstances données faire le robre
en un seul coup. Il faut pour cela que les points de la partie
simple réunis à ceux de la partie double égalent ou dépas-
sent vingt.
Les points se marquent avec quatre jetons, que chaque
joueur a devant lui. Un, deux, trois points sont indiqués
par une pareille quantité de jetons sortis du tas. Les quatre
jetons disposés en carré représentent quatre points. Pour
les points supérieurs, jusqu'à neuf inclusivement, on met
un jeton au-dessus ou au-dessous des autres, disposés en
ligne horizontale.
Le jeton hors ligne compte pour trois points au-dessus
de la rangée horizontale, et pour cinq au-dessous. Neuf est
indiqué par la disposition de trois jetons eu ligne diagonale,
le quatrième couvrant celui du milieu.
La partie est simple et ne vaut qu'une fiche lorsque les
adversaires ont fait cinq points au moins. Elle se paye deux
fiches lorsque les adversaires n'ont fait que de un à quatre
points. La partie est triple et se paye trois fiches quand les
adversaires n'ont r ien compté , ni en tricks ni en honneurs.
Il y a en outre deux ou quatre fiches de consolation pour le
robre. Les fiches de consolation sont au nombre de sept ou
de neuf pour le gain successif d'une partie triple et d'une
partie double. Si les deux parties ne sont pas gagnées de
suite, mais seulement deux sur trois, la consolation n'est
plus que de six fiches. Le chelem ou vole consiste dans la
réunion de toutes les levées entre les mêmes partners, et se
paye huit fiches. On convient quelquefois qu'il n'y aura pas
de privilège pour le chelem ; alors les tricks et les honneurs
sont réglés d'après le taux ordinaire.
Deux auteurs anglais, Hoyle et Matihews, ont publié des
traités complets sur le whiçt; on les a traduits, commentés
et amplifiés dans plusieurs écrits français. V Académie uni-
verselle des Jeux en a donné un résumé fort complet ; nous
y renvoyons nos lecteurs. Bf.etOiI.
WHITEBOYS, c'est-à-dire garçonsblancs .Onaç^û\&
ainsi en Irlande les membres d'une des nombreuses associa-
tions qui se chargent d'y venger le peuple de la dure op-
pression que font peser sur lui les propriétaires fonciers et
les prêtres de l'Église anglicane, avec les fonctionnaires pu-
blics et leurs suppôts. Cette association naquit vers 1760,
à une époque oii le gouvernement anglais, après avoir
triomphé de l'insurrection de l'Ecosse, remettait en vigueur
la législation si oppressive qui avait régi autrefois l'Irlande.
Des ouvriers sans pain, des fermiers expulsés de leurs fermes
et d'autres individus susceptibles d'être pressés pour les be-
soins de la marine royale, se liaient par serment, attaquaient
nuitamment les individus qui avaient encouru leur liaine,
les maltraitaient, quelquefois même les assassinaient, et dis-
paraissaient ensuite avec autant de rapidité et de mystère
qu'ils étaient venus. Pour se rendre méconnaissables, les
■whiteboys se noircissaient le visage et portaient par-dessus
leurs vêtements des blouses ou chemises blanches. De là le
nom sous lequel on les désigna.
Indépendamment des whiteboys, on vit aussi paraître,
en 1763, les hearts of oak {ccum^ At chêne) qui dirigeaient
plus particulièrement leurs expéditions contre les individus
chargés d'exiger des populations rurales les lourdes corvées
imposées pour la construction et l'entretien des routes. A
la suite de la guerre d'indépendance des colonies de l'Amé-
rique du Nord, on vit encore se constituer la grande associa-
tion des defenders, qui avait surtout pour but l'affranchisse-
ment de rirlande.
L'extrême rigueur avec laquelle les membres du clergé
anglican exigeaient des catholiques irlandais le payement de
la dîme provoqua enfin, en 1786, la formation de l'asso-
ciation des rightboys , c'est-à-dire garçons du droit. Jus-
qu'à la fondation de l'association pour le rappel par O'Con-
nell, on vil de temps à autre reparaître des associations de
ce genre, mais presque toujours sous la dénomination de
whiteboys. On personnifiait aussi la justice populaire sous
le nom de capitaine Rock ( vraisemblablement à cause de sa
souquenille blanche), et on lui attribuait la direction de ces
exécutions nocturnes. Consultez Moore , Memoirs of the
Life of captain Rock (Londres, 1824).
WHITBREAD (Samuel), membre de la chambre des
communes d'Angleterre , célèbre par le libéralisme de ses
opinions, était le fils d'un des riches brasseurs de Londres,
et naquit dans cette capitale, en 1 7 58. Après des études faites
avec quelque distinction à Eton et à Oxford, il parcourut,
sous la tutelle du célèbre historien Coxe, la France, l'Alle-
magne et la Suisse. A son retour en Angleterre, en 1788,
il épousa la sœur du comte Grey, devenu plus tard ministre.
En 1790, à la suite d'une lutte électorale des plus vives, il
entra à la chambre basse comme représentant du bourg de
Bedford , et s'y signala tout aussitôt parmi les adversaires
de Pitt. Son éloquence n'avait rien de httéraire; mais il
électrisait les cœurs par l'expression énergique de son pa-
triotisme et par la sincérité de ses convictions. Au moment
où la crise révolutionnaire atteignit en France son apogée ,
une bonne partie de l'opposition se raUia au pouvoir ; mais
Whitbread ne déserta pas plus son poste que Fox, con-
tinuant à combattre les idées de guerre ainsi que les me-
sures rigoureuses auxquelles l'administration avait recours
pour lutter contre l'agitation démocratique. 11 défendit l'é-
mancipation catholique, la réforme parlementaire et l'abo-
lition, de l'esclavage dans les colonies. En 1805, la manière
résolue dont il attaqua lord Melville dans le procès qui lui
fut intenté produisit une sensation extrême , même à l'é-
tranger. Quand, en 1806, Fox et Grey composèrent une
administration nouvelle, Whitbread l'appuya sans sacrifier
rien de son indépendance. Dans les sessions suivantes, il
insista sur la nécessité d'aviser aux mesures à prendre pour
améliorer la condition des classes pauvres et laborieuses, et
proposa d'introduire en Angleterre le système des paroisses
qui existe en Ecosse ; mais ses efforts demeurèrent sans ré-
sultat. Partisan de l'indépendance du peuple espagnol, il
appuya la politique adoptée par le gouvernement à, l'égard
de la péninsule; mais plus tard les principes proclamés au
congrès de Vienne trouvèrent en lui un énergique adver-
saire. Persuadé que la sainte-alliance compromettait l'indé-
pendance des peuples, il força, par ses interpellations, les
ministres à repousser toute solidarité avec l'Europe absolu-
tiste. La mise de Napoléon au ban de l'Europe, lors de son
retour de l'île d'Elbe, lui paraissant une monstrueuse immo-
ralité, il déclara que recommencer la guerre pour rétablir
encore une fois les Bourbons sur le trône était attenter aux
droits du peuple français. Des travaux excessifs finirent par
déranger ses facultés intellectuelles. Le 6 juillet 1816, on le
trouva mort dans son lit. L'infortuné s'était coupé la gorge.
WïIITEHALL. Voyez Londres , tome xii , page 410.
WHITEFIELDIEIVS. Voyez Méthodistes.
WIATKA ou WJyETKA, grand gouvernement de la
Russie d'Europe, dépendant du royaume de Kasan, et
présentant une superficie de 1755 myriàm. carrés. Le sol
en est généralement montagneux (attendu que plusieurs
ramifications des monts Ourals se prolongent jusque dans
ce gouvernement), marécageux et argileux, à l'exception
des rives de la Kama, où il est d'une grande fécondité. Ses
immenses marais sont couverts de forêts , appartenant à la
couronne et d'un grand produit. L'exploitation de diverses
mines de fer et de cuivre est encore une autre source de
richesses poirr ce gouvernement. Indépendamment des
Russes, qui constituent la grande majorité de la population,
on y trouvé aussi quelques peuplades tatares, notamment
des Tschérémisses , des Tschouwaches et de Wotjœks.
La population atteint le chiffre de 1,662,800 habitants,
dont 50,000 seulement habitent les villes, au nombre de
treize. Le chef-lieu est Wiatka, appelé autrefois Chlunof,
au confluent de la Wiatka et de la Chlunowiza, siège d'évêché,
avec 9,530 habitants, vingt-trois églises (dont une belle
WIATKA — WIED
991
cathédrale avec un autel d'argent massif), un séminaire et
plusieurs fabriques importantes. Les autres villes les plus
considérables sont ensuite Ssarapoul sur la Kama (5,100
habit. ) et Sïobodskoi. La population de cette dernière est
de près de 6,000 habitants, qui font un commerce des plus
actifs en grains, suif, toile et fourrures avec Archangel,
Tobolsk Nishni-Nowogorod et Moscou. Il s'y tient chaque
année trois foires très- fréquentées.
WIBORG. Voyez Viborg.
WJCKLOW, comté de la province de Lcinster (Ir-
lande), d'une superficie de 25 myriam. carrés, dont un tiers
environ en montagnes non susceptibles de culture et en
marais. C'est un pays très-montagneux et renommé par
ses beautés naturelles, au nord le Kippure atteint 782 mè-
tres d'élévation, au sud le Lugaquilla ou Lugnaguilly^ 883
mètres, et au uord-estlesSM5'arZoa/'(pain de sucre), 627 mè-
tres. Dans le Croghan on trouvait encore au siècle dernier
quelques filons d'or; aujourd'hui il ne contient plus que
du fer, de l'étain, du zinc , du molybdène , du bismuth et
du manganèse, mais pas en assez grande quantité pour
que l'exploitation puisse en être profitable. Le comté de
Wicklow attire une foule de voyageurs, à cause du grand
nombre d'endroits pittoresques et romantiques qu'on y
trouve. On cite surtout la vallée de Dargle-Glen et celle de
Levil's-Glen , toutes deux avec de magnifiques cascades.
Le sol est arrosé par un grand nombre de cours d'eau,
servant de moteurs à une foule d'usines. Le climat est hu-
mide, mais doux et au total assez salubre. L'élève du bétail
y a plus d'importance que l'agriculture. La population,
qui en 1841 était de 126,143 habitants, n'était plus en 1851
que de 99,557 habitants. Le chef-lieu est Wicklow, ville
de 2,500 habitants, située à l'embouchure du Leitrim. Ar-
klow, à l'embouchure de l'Avoca, a plus d'importance. On y
compte 5,000 habitants , et elle est célèbre par la déroute
qu'un faible détachement de troupes anglaises y fit essuyer
en 1798 à plus de 30,000 insurgés irlandais.
WICLEF ou WICLIFFE (John), l'un des précur-
seurs du protestantisme, naquit, en 1324, au village de
Wicliffe, dans le comté d'York. Il fit ses études à Oxford,
et y professa plus tard , se distinguant par une grande sub-
tilité d'esprit et par la hbertéavec laquelle il s'exprimait sur
les moines , les ordres mendiants, le pape et le clergé. Son
auditoire était nombreux. En 1365 il fut nommé directeur
d'un collège fondé par l'archevêque de Cantorbéry; mais
les moines s'y opposèrent. Wiclef en appela au pape, qui se
prononça contre lui. Urbain V ne pardonnait point à Wiclef
d'avoir défendu dans la chaire et par ses écrits la conduite
du roi Edouard III, qui refusait de payer tribut au saint-
siége. Par là Wiclef s'était assuré la. protection de la cour et
surtout celle du duc de Lancastre. En 1474 il fut du nombre
des envoyés que le roi députa à Bruges au nonce du pape
pour tâcher d'aplanir ce différend. A son retour, ce prince
lui accorda la cure de Lutterworth , dans le comté de Lei-
cester, et une prébende dans le chapitre de Wesbury. Wi-
clef se prononça alors ouvertement contre la suprématie du
pape, contre les richesses et les dérèglements du clergé,
contre les vœux monastiques et les ordres mendiants, contre
le célibat des prêtres et beaucoup d'autres institutions de
la reUgion catholique. Il enseignait en outre qu'à la suite des
temps on avait corrompu les doctrines et qu'il fallait prendre
uniquement pour guide l'Écriture. Plus tard, il rejeta la
doctrine de la présence réelle dans l'eucharistie, déclara la
confession inutile , et dénia à des prêtres impies le pouvoir
de diriger les fidèles et d'accomplir les cérémonies religieuses.
La propagation de ces doctrines à l'université d'Oxford, et
peu à peu parmi les populations, agita au plus haut degré
le clergé anglais. En mai 1377 le pape Grégoire XI adressa
aux évêques de Cantorbéry et de Londres une bulle or-
donnant d'arrêter Wiclef et de lui faire subir un interroga-
toire sur dix-huit points de ces doctrines hérétiques. On
n'osa pas, il est vrai, l'arrêter; mais on le cita devant une
commission. Wiclef s'y rendit avec le duc de Lancastre et
lord Percy, et y soutint ses opmions avec autant de savoir
que de courage. Un second interrogatoire , auquel on le
soumit, en 1378, après la mort du roi Edouard, n'aboutit
pas davantage ; et protégé par le duc de Lancastre, Wiclef
continua à prêcher ses doctrines. Quand éclata la redou-
table insurrection ayant pour chef Wat-Tyler, le clergé
eut l'adresse de persuader au roi Richard II que les doctri-
nes de Wiclef en étaient la cause. A la vérité, un prêtre du
nom de John Bull , partisan de Wiclef, avait contribué alors
à soulever le peuple par ses prédications fanatiques ; mais
Wiclef était demeuré aussi étranger à ce mouvement que
Luther le fut plus tard à la guerre des paysans en Alle-
magne. Cependant, une assemblée tenue à Londres en 1382
condamna les doctrines de Wiclef; et alors les évêques con-
traignirent ceux qui les professaient à les abjurer solennel-
lement. Les récalcitrants étaient jetés en prison. Quant à
Wiclef lui-même, on n'osa pas s'attaquer à lui; seulement,
on obtint du roi qu'il lui ordonnât de quitter Oxford et de
se retirer dans sa cure de Lutterworth. C'est là qu'il mourut,
le 29 décembre 1 387 , en célébrant la messe, frappé vraisembla-
blement d'apoplexie. Les nombreux ouvrages de Wiclef sont
conservés à Oxlord, à Cambridge et au British Muscum;
mais il en est peu qui aient été imprimés. Il avait achevé
en 1383 une traduction anglaise de la Bible, d'après le texte
de la 'Vulgate; il n'en a été imprimé que le Nouveau Testa-
ment. Les doctrines de Wiclef ne moururent pas avec lui,
etcontinuèrentàse propager surtout dans les hautes classes ;
mais les masses n'étaient pas encore mûres pour une ré-
forme de l'Église ; et avec le secours du bras séculier le
clergé réussit à exterminer par le fer et le feu les wiclé fîtes,
qu'on flétrit du nom de lollhards. Les opinions de
Wiclef ne se conservèrent que dans un petit nombre de fa-
milles jusqu'à l'époque de la Réformation; mais quelques
étrangers les introduisirent en Allemagne et en Bohême,
où elles inspirèrent à Jean Huss la pensée de réformer l'É-
glise. Consultez Vaughan, Life and opinions of John Wi-
c/e/ (Londres, 1820); Huher, England in the days of
IFic/e/^ (Thetford, 1849).
WICLÉFITES, partisans des doctrines de John Wi-
clef.
WIDDIiV , place forte de la Turquie d'Europe et chef-
lieu de l'eyalet de Silistrie , en Boulgarie, bâtie sur les bords
du Danube, siège d'un pacha et d'un évêque grec, avec
20,000 habitants, pour la plupart Turcs d'origine, des rues
sales, un mauvais bazar et une citadelle de tous temps
fort importante et que tout récemment de nouveaux tra-
vaux ont rendue encore plus formidable. Les heureuses
entreprises tentées par Passwàn Oglou ( 1797-1807, et de-
puis 1853 plusieurs combats entre les Turcs et les Russes,
l'ont rendu célèbre. Le 28 octobre 1853 Omer-Pacha y ou-
vrit les hostilités en franchissant le Danube, en occupant Ka-
lafat, ville de commerce située en Valachie, sur la rive op-
posée, et en la transformant en un rempart inexpugnable, qui
menaçait les Russes sur leur aile droite et les empêcha de
pénétrer en Servie, comme on l'avait craint un moment.
WIED, ancien comté immédiat de l'Empire, qui faisait
partie du cercle de Westphalie. Il appartint dès le onzième
siècle à l'ancienne famille souveraine de Wied, dont il porte
le nom et qui le possède encore aujourd'hui. Vers le milieu
du quinzième siècle , on le partagea en comté supérieur, ou
de Wied- Reinkel, et en comté inférieur, ou de Wied-Neii-
wied. Le premier, contenant une superficie de 28 kilomè-
tres carrés, est situé sur les bords de la Lahn, dans le duché
de Nassau; le second, d'une superficie de 8 myriamètres
carrés, a pour chef-lieu Neuvned. L'un et l'autre furent mé-
diatisés à la suite de la paix de Lunéville , et passèrent
en partie sous la souveraineté du duc de Nassau, et en
partie sous celle du grand-duc de Berg. L'acte du congrès
de Vienne les a placés sous la souveraineté de la Prusse et
de Nassau.
La ligne aînée delà maison de Wied, celle de Wied-
jRe/nAei, s'est éteinte en 1824; et ses possessions se Ikm»-
992 WIED — WIELAND
vèrent alors réunies à celles de la ligne cadette, Wied-Neu-
wied. Le prince actuel, Guillaume Hennann, né le 22 mai
1814 , a épousé en 1842 la princesse Marie de Nassau. Son
oncle, le prince Maximilien de Neuwied, est connu du
monde savant par la publication d'importants voyages dans
différentes contrées de l'Amérique.
WIELAND ( Christophe-M\rtin ), poêle allemand ,
naquit le 5 septembre 1733, à Oberholzheim, village près de
Biberacli , en Souabe. Il dut à son père, ministre protestant,
le commencement de son éducation littéraire : ses progrès
furent rapides dès le début. A douze ans il avait déjà voulu
entreprendre un grand poëme, dont le litre devait être La
Destruction de Jérusaletn, et dont il ne fit que quelques
vers. Wieland avait reçu de la nature un esprit essentiel-
lement mobile. Celui que nous verrons plus tard se distin-
guer par sa gaieté satirique commença par se livrer sans
réserve à une pbilosopbie rêveuse. Il avait quatorze ans
lorsque son père le fit entrer au collège de Klosterberg,
près Magdebourg; c'était alors le centre de ce piétisme
exalté que l'Allemagne commençait à adopter. D'abord
Wieland subit, lui aussi , l'influence delà théosopliie que
Steinmetz, son maître, se plaisait à propager. Mais les dis-
cussions polémiques ne l'occupèrent pas longtemps ; et il
abandonna tous ces théologiens érudits ou subtils, qui ne
lui causaient que de la fatigue , pour l'étude plus attrayante
de Platon et de Xénoplion. Sterne et Addison devinrent
aussi ses auteurs favoris, et lui inspirèrent des réflexions
plus saines et moins exaltées. Jusque là il avait pu sans
trop d'efforts concilier les préceptes moraux de la Grèce
avec ceux du christianisme protestant. Mais le combat al-
lait se livrer terrible dans cette jeune intelligence : Voltaire,
Bayle, le marquis d'Argens, tombèrent entre ses mains.
Comment concilier des systèmes aussi contraires ? Qui de-
vait l'emporter des doctrines matérialistes ou de la foi chré-
tienne? A l'âge de seize ans il sortit de Klosterberg, et alla
passer dix-huit mois à Erfurt', chez un de ses parents ; puis
en 1750 il revint aux lieux de sa naissance. C'est alors qu'un
amour partagé donua le premier essor à sa sensibilité et à son
génie, et influa sur toute son existence. Sophie de Guttermann
habitait Biberach avec sa famille : elle était de deux ans
plus âgée que Wieland ; Wieland la vit, et conçut pour elle
une de ces passions à la fois romanesques et intimes, em-
bellie de tous les prestiges de l'imagination. Le premier
ouvrage de Wieland est dû, nous n'en doutons pas, à
l'exaltation que cette passion entretenait dans cette jeune
âme, d'ailleurs pleine de pensées et de talent. C'est un poëme
didactique, intitulé La Nature des Choses, ou le monde
le plus parfait. Il y représentait la Divinité assise sur son
trône solitaire et immense au centre de la création, ressus-
citant en elle toutes les perfections et toutes les facultés
créatrices : il montrait dans la diversité des choses créées
les nombreux reflets de sa puissance, et prouvait la nécessité
du mal comme contraste du bien; contraste indispen-
sable pour que le bien existe. L'étude approfondie des sys-
tèmes philosophiques de l'antiquité se trahissait à toutes
les pages de ce poëme. Sans doute ce poète de dix-huit
ans, assez hardi pour essayer une lutte avec Lucrèce, ne
produisit qu'une œuvre imparfaite ; mais telle qu'elle est,
son œuvre est encore l'un des plus remarquables phéno-
mènes de la littérature de son époque.
Wieland passa quelques années à Tubingue, où il était
censé se livrer à l'étude des lois , mais oii il consacrait au
contraire tout son temps à l'étud* des divers genres de lit-
térature. L'amour avait donné naissance à son premier ou-
vrage : une grandeur mystique présidait à tout ce poëme;
son talent satirique n'avait pas encore reçu son développe-
ment. Dans les Lettres morales, en vers, adressées à So-
phie, qu'il publia en 1751, l'expression se montre plus libre
et plus franche; il a entrevu le monde, «t on aperçoit déjà
dans cet ouvrage le germe de cette ironie socratique qui
devait être un jour pour son talent d'un secours si puissant.
En 1752 il revint de Tubingue à Bibecach. JSous avons
déjà parlé de la nature mobile de Wieland. A ce moment
il était sous le coup de l'impression produite sur son esprit
par la lecture des œuvres de KIopstock ; de là le sentiment
de piété mystique qu'on remarque dans ses Sensations
d'un Chrétien, et l'espèce de teutonisme assee vague que
lui inspirait le projet de composer un poëme en l'honneur
d'Arminius. Mais c'étaient là des directions trop contraires à
la nature de son esprit , pour qu'il en provint rien de du-
rable. Toutefois, elles le mirent en relations avec le vieux
Bod m e r, qui l'invita à venir passer quelque temps dans la
villa rustique et élégante que ce patriarche de la littérature
allemande possédait près de Zurich, et à occuper près de lui
les fonctions de secrétaire, que KIopstock avait remplies
pendant plusieurs années. Wieland accepta les doctrines
de son maître, corrigea les épreuves de ses ouvrages,
se constitua son défenseur, et publia un volume entier
d'observations sur les beautés du poëme intitulé Noé, au-
jourd'hui tombé dans l'oubli. Devenu l'enfant chéri de cet
écrivain , que sa traduction de Milton a placé au nombre des
poètes distingués de l'Allemagne, Wieland adopta dans
toute leur rigueur les principes d'ascétisme de Bodmer, qui
se combinaient avec la tendresse de son âme et la vivacité
de son imagination ; ses idées superstitieuses , dues à son
séjour à Klosterberg, vinrent encore opérer une nouvelle
transformation dans ses convictions , et lui firent publier,
depuis 1753 jusqu'en 1756, ses Lettres écrites par les
morts aux vivants, son Épreuve d'Abraham, divers
psaumes, des hymnes, etc., tous ouvrages d'une folie pieuse
et austère, qui approche singulièrement du fanatisme. A ces
ouvrages succéda Cynis, poëme des plus médiocres en
l'honneur de Frédéric II, dont il ne fut jamais publié que
les premiers chants. Vinrent ensuite Jane Gray , tragédie
maladroitement imitée de Rowe, et un drame intitulé Clé-
mentine, tiré de Grandisson , qui eurent le même sort que
Cyrus ; puis enfin un roman dramatique, tiré de la Cyropédie,
et qui se distingue de ces faibles essais. Ces divers ouvrages
ne sont pas sans mérite ; ils attestent au conlraire une rare
étendue de connaissances; mais leurs qualités sont obscur-
cies par une myslicité fatigante et une obscurité pour ainsi
dire monacale. Une comi)lète ignorance du monde, une
imagination échauffée, une vanité extrême, l'entraînement
de l'exemple, la mobihté de son esprit l'avaient sans doute
emporté vers ces saintes exagérations. On devait s'attendre
à voir bientôt s'opérer chez lui une de ces révolutions su-
bites de la pensée qui entraînent toutes nos opinions d'un
point extrême à l'extrême opposé ; on ne sera donc pas sur-
pris de voir Wieland passer de l'enthousiasme au scepti-
cisme, delà théosophie à une philosophie épicurienne, qui
approche quelquefois du cynisme. Il avait quitté en l754 la
maison de Bodmer pour surveiller pendant quatre ans l'é-
ducation des fils de deux familles qui habitaient Zurich.
Après être resté deux autres années à Berne, comme pré-
cepteur dans la maison du bailli Sinner, il revint, en 1760, à
Biberach, où il obtint les fonctions de directeur de la chan-
cellerie. Forcé de se livrer aux devoirs de son nouvel em-
ploi, de converser avec les vivants , et de remplacer les spé-
culations théoriques par les calculs de finances et le tracas
des affaires , il se trouva , au bout de peu de temps, et
sans s'en apercevoir, bien loin de ses anciennes rêveries.
Mais ce qui sans contredit eut la plus grande influence
sur ces idées, ce fut un cruel événement pour son cœur, qui
acheva de renverser le brillant édifice de ses chimères. So-
phie, à laquelle les plus saintes promesses l'attachaient, épousa
M. de La Roche, longtemps secrétaire du comte Stadion, mi-
nistre de l'électeur de Mayence. A dater de ce moment cessa
complètement cette exaltation à laquelle Wieland s'était
abandonné, et son ardeur enthousiaste fit place à une froi-
deur ironique et mordante. Sa vie se flétrit, ses douces il-
lusions s'effacent : « Songe enchanteur, dit-il dans une de
ses lettres à Zimmermann , qui n'apparaît qu'une fois pour
ne jamais revenir, et dont ni la richesse, ni les plaisirs, ni
l'étude, ni les honneurs , ni la sagesse même ne peuvect
WIEL
compensi^r la perte. » C'était à son amour idéal pour So-
ptiie qu'il avait dû son exaltation platonique : ce fut peut-
Ctre la déception que cet amour lui (it éprouver qui donna
un nouveau cours aux facultés de son intelligence. Sophie
de La t^oclie , femme de leltres et femme distinguée , ouvrait
sa maison aux gens d'esprit; Wieland y fut admis : il devint
ami, d'amant qu'il avait été. Là il rencontra le comte Sta-
dion , qui se distinguait par un ton de légèreté pliilosoplii-
que et de gaieté de bon goût. Une certaine intimité s'établit
entre eux. Wieland, que son naturel souple portait facile-
ment à l'imitation, ne tarda pas à prendre, malgré lui, un
peu du caractère de ceux qui l'entouraient. Devenu l'un
des babitués de la maison; il reconnut que l'on peut (^tre
lionime de bien sans s'astrei'ndre aux tristes vertus d'un
anachorète. La plus grande liberté d'opinions régnait chez
le comte; Ilume, Sliaftesbury , Voltaire, Montesquieu,
Rousseau, peuplaient sa bibliothèque, et leurs tliéories de-
venaient l'objet de discussions très-fréquentes. Wieland se
trouva donc naturellement familiarisé avec ces écrits , dont
les idées nouvelles , qui commençaient déjà à jeter une si
vive fermentation dans toute l'Europe, vinrent régner sur
les débris de ses systèmes métaphysiques.
En 1762 parut Nadine, conte poétique, qu'il nomme lui-
même une création à la manière de Prior, et auquel succé-
dèrent, en 1744, Les Aventures de don Sylvio Rosalio ,
ou le triomphe de la nature sur le fanatisme, ouvrage
dans lequel il prend le Don Quichotte pour modèle, puis
les Récits comiques et la première partie à'Agathon. Pour
peu qu'on réfléchisse aux événements de la vie de Wieland
et qu'on les compare à ceux dont il a terni son roman d'^-
gathon, on reconnaîtra sans peine qu'Agathon c'est lui-
même. Considéré seulement sous leur point de vue littéraire,
cet ouvrage ainsi que la plupart de ceux publiés par Wie-
land vers la même époque sont dignes d'admiration , par la
variété des sujets qu'ils traitent, la richesse de l'invention
qu'ils supposent et la profondeur d'instruction qu'ils attes-
tent : régions de l'ancienne mythologie, domaines enchan-
tés de la féerie, scènes de la vie athénienne, tableaux delà
société moderne, s'y succèdent avec une rapidité étonnante
et une vérité de couleur qui en égale la variété. Aucun écrivain
moderne ne s'est associé plus heureusement aux idées, aux
doctrines , au ton de conversation en usage |)armi les an-
ciens. Vous diriez que l'auteur a passé de longues journées
sous le Portique ou dans les bosquets d'Académus. La con-
naissance la plus profonde des différentes sectes de la phi-
losophie grecque revêt chez Wieland des formes pleines de
grâce et absolument helléniques. Mais si l'on envisage ses
ouvrages dans leurs rapports avec la morale, on est forcé
d'être plus sévère : il semble adopter les principes d'une
philosophie matérialiste dans leur étendue la plus vaste,
dans leurs conséquences les plus grossières. Ce n'est pas
tout : on a souvent à lui reprocher la lumière de .ses ta-
bleaux et le mauvais goût des allusions qu'il sème dans
ses ouvrages avec une sorte de prédilection complaisante.
Tout ce que Wieland a publié en vers et en prose depuis
cette époque porte le même caractère.
Wieland s'était marié, en 1765, à une femme aimable,
fille d'un marchand d'Augsbourg, pleine de candeur et de
grâces naturelles. Elle fit le bonheur de son mari, qui dans
ses lettres à Gessner et à Zimmermann ne parle d'elle que
dans les termes les plus tendres : « Ce n'est point un bel
esprit féminin ; il ne lui est jamais arrivé de lire une de
mes pages , mais elle est bonne, et je suis heureux. » Quel-
que temps après, il fut nommé professeur de philosophie au
collège d'Erfurt, et il passa trois ans dans cette ville. Il ne
tarda même pas à se repentir d'avoir associé sa vie à celle
d'hommesérudils,maisdépourvusd'élégancedans les mœurs
et de connaissance du monde. Quelques-uns d'entre eux ce-
pendant lui plurent, et lui offrirent des dédommagements
que son amitié reconnut et sut apprécier. Les trois années
passées par Wieland à Erfurt enfantèrent une série d'ou-
vrages spécialement philosoi^liiques et politiques. On n'a
PICT. DE LA CONVERS. — T. XV£.
AND 993
pas assez rendu justice à ces productions , distinguées par
la rectitude du sens, la vivacité de la raillerie, pleines de
finesse et d'aperçus nouveaux. Wieland n'est jamais systé-
matique; il dit la vérité quand il la trouve et comme il la
trouve. C'était alors un temps de réformes dans toutes les
branches de l'administration gouvernementale : Joseph 11
venait de monter sur le trône ; Wieland publia son Miroir
d''Or, utopie ingénieuse et bien écrite Wieland se trompait
comme Joseph II et comme tous les philosophes spécula-
tifs, qui veulent appliquer leurs théories aux gouvernements
et aux hommes tels qu'ils sont. Frappé de la nudadresse
avec laquelle Joseph effectuait .ses réformes favoriles, il
donna une suite au Miroir d'Or. Là se trouve retracé dans
dans un tableau animé le ridicule qui s'attache à une civi-
lisation prématurée ou introduite sans art. Dans cette
suite, comme dans Le Miroir, la verve caustique de Vol-
taire se confond avec l'humeur fantasque de Sterne et une
certaine candeur platonique , rarement alliée h la vivacité
de la satire. Les Fragments de Diogène de Sinope sont
bouffons ; Wieland s'y livre à toute sa verve : en excusant
le cynique, il semble vouloir justifier le ton licencieux et
les mordantes saillies de quekiues-un< de ses écrit'; ; c'est
une galerie de portraits |)leins de feu et d'effet. Ciipidon
accusé et Combabus furent les seules poésies qu'il publia
à cette époque. Cupidon accusé est une sorte d'apologie
des poésies erotiques ; Combnhus pM tm conte fort bizarre,
dont le sujet est comique et licencieux , dont le style est
élevé, grave et touchant, el dan- lequel Wieland a su
éviter, avec un art admirable , io cciicls qu'un pareil sujet
présentait.
Cependant, une perspective heur, use cl nouvelle s'ouvrit
pour Wieland. La duchesse de Saxe-Gotha, Anne-Amélie ,
l'invita à se rendre auprès d'elle à Weimar pour surveiller
l'éducation de ses deux enfants. Cette petite cour d'Alle-
magne commençait à s'environner d'un éclat semblable a
celui dont la maison d'Esté brilla en Italie. La Wieland
trouva des hommes dignes de l'entendre, de l'apprécier :
Seckendorf, Eiusiedcl , Voigt, Bertuch, distingués dans
diverses carrières; le bon Mus.Teus, inventeur de contes
délicieux, naïf et timide comme La Fontaine; Herdei,
doué d'un esprit si varié; Gœthe, génie universel; Schiller,
enfin, si aimable dans son enthousiasme, si ingénu dans sa
sublime rêverie. Wieland y fut aussi attaché à la rédaction
du Mercure. L'énuniéralion des travaux fournis par Wie-
land au Mercure serait dilficile ou impossible; sa plume
féconde traitait tous les sujets : discussions philosophiques,
analyses d'ouvrages de tous les genres, romans, nouvelles,
observations de mœurs, critique générale, essais histo-
riques. Il aimait surtout à choisir dans l'histoire un de ces
mystérieux personnages qui prêtent à toutes les hypothèses
et qui exercent la sagacité du critique. Nicolas Flamel ,
le derviche de Bruse , le voyageur Paul Lucas, Lucien
Balzac, la trop célèbre Faustine, Julie, Aspasie, ont tour
à tour servi de sujet à cette observation fine et profonde, à
cette dissertation physiologique dans laquelle il excellait.
Son chef-d'œuvre en ce geare est le portrait de Peregrinus
Protée, philosophe cynique, dont Lucien parle avec beau-
coup de mépris, et que Wieland représente avec une sin-
gulière vraisemblance comme un enthousiaste à tête faible,
un rêveur voluptueux, et non comme un tartufe sensuel et
égoïste, un charlatan de philosophie, ainsi que l'auteur
ancien se plaît à nous le peindre. UAgathodcrmon, qui
sert de pendant à Peregrimis Protée, offre une théorie
étrange et curieuse de la vie d'Apollonius de Thyane. L'au-
teur explique naturellement les miracles attribués àcethéur-
giste par Philostrate , son biographe. Les Abdéritains , ro-
man qui parut par fragments dans les numéros du Mercure^
est une autre étude psychologique , un autre recueil d'ob-
servations non moins remarquables : c'est la représenta-
tion vivante et comique des petites guerres civiles , et de»
misérables querellesque soulèvent les intérêts d'un clergé in-
trigant et d'une aristocratie ignorante au seind'une petite vi. le»
994
WiELÂND — WIELICZKA
Mais arrivons an plus important des ouvrages de Wieland,
h Obéron ; c'est le couronnement de sa réputation, et tons
les peuples civilisés le connaissent et le relisent. Ce poëmc
singulier repose sur une donnée absurde ; le grotesque et le
merveilleux s'y donnent la main. Il s'agit d'un jeune cheva-
lier de la cour de Charlemagne , chargé d'aller couper la
barbe au khalife en présence de sa cour; des querelles du
roi des fées avec la reine des fées ; d'un cor magique, dont
l'effet bizarie est de faire danser i\ la l'ois tous ceux qui en
écoutent les sons , et d'une coupe non moins miraculeuse,
qui se remplit de vin (juand on la regarde. Tels sont les
premiers éléments de l'une des plus agréables productions
que l'imagination humaine ait créées. Rien de plus in-
cohérent que le sujet, rien de plus complet que l'ensem-
ble. Aux données bizarres que nous avens signalées , si
l'on ajoute une île déserte, un bûcher, et les bouffonne-
ries d'une espèce de Sanclio-Panca , on connaîtra toutes
les parties constitutives de cette épopée tragi -comique.
Toutes les parties de l'action sont empruntées aux romans
de chevalerie, au Décaméron , à Shakspeare, à Chaucer,
aux Contes arabes -. cet assemblage de tant d'éléments
différents, de disparates aussi choquantes, est ramené
par Wieland à un ensemble harmonieux. Tout s'enchaîne:
mouvements dramatiques, tableaux variés, exploits hé-
roïques, magiques incarnations, qui se trouvent, par un
prodige de l'art , former un tout complet , dont on ne pour-
rait retrancher un seul événement sans nuire à l'harmonie
de l'ensemble. Une versification douce et élégante ajoute à
l'enchantement ; et l'aisance parfaite du style , en éloignant
toute idée de prétention poétique et littéraire , donne une
sorte de vraisemblance à cet amas de fictions.
Trente-cinq années de la vie de Wieland .s'étaient ainsi
passées à Weimar; il avait neuf enfants : un voyage en
Suisse avait seul interrompu cette longue suite d'études la-
borieuses. 11 avait revu , à goixanfe-six ans , Je pays où ,
jeune encore , il avait nourri un si fol enthousiasme , suivi
d'une abjuration si funeste. Partout rhos|)italité, la bien-
veillance et l'admiration l'accueillirent. Il passa quelques
mois sur les bords du lac de Zuricli ; et les charmes de la
vie champêtre le séduisirent au point de lui faire quitter
définitivement Weimar. Il acheta, près de Zurich, une pe-
tite maison de campagne nommée Osmnnstxdt, et alla y
vivre avec sa famille. Ce fut là que ce vieillard spirituel, en-
touré de ses enfants et de ses petits-enfants, honoré et vi-
sité par la plupart des bommes marquants de son époque,
écrivit l'un de ses plus importants ouvrages , Aristippe et
ses contemporains. Dans ce livre remarquable , encore
plus que dans Agat/ion, la Grèce se montre vivante avec
ses mœurs, ses idées, ses croyances politiques, ses erreurs,
ses fictions et ses caprices. Ce tableau Jidmirable des sectes
philoso|)liiques de la Grèce venait de paraître quand la
révolution française éclata. Wieland, comme presque tous
les hommes distingués de cette époque , en salua l'aurore;
mais bientôt , effrayé de la carrière sanglante oii elle se
précipitait, il en désavoua les principes, ou du moins
les excès. Odieux par là aux deux partis , il vit les derniers
jours d'une vie si noble et si pure empoisonnés par les
diatribes dont il tut l'objet. D'autres chagrins vinrent en-
core éprouver son courage. Ses récoltes manquèrent, la
foudre embrasa ses granges : il lui fallut quitter la char-
mante retraite ou il avait espéré de finir ses jours; il vit
périr sa femme et la fille de Sophie de La Roche qu'il avait
adoptée. Ces pertes cruelles , qui le laissèrent seul et désolé
dans sa villa (VOsmanstxdt, le décidèrrnt à la vendre. Il re-
vint à Weimar, où il reçut les consolations d'une amitié sin-
cère et d'une bienveillance générale. Mais les orages politi-
ques troublèrent encore la paix de son existence : sa santé
s'affaiblissait ; il descendait rapidement vers la tombe , lors-
que la balaill(!d'Iéna força la duchesse à fuir. Le lendemain
de cette bataille fut terrilde pour les habitants de Weimar;
partout le meurtre, le pillage et l'incendie. Aa milieu de ce
fcumulte, ÏNapoIéon voulut que la maison de Wieland fût
respectée ; une garde fut placée devant elle par l'ordre de
l'empereur. Le lendemain le maréchal Ney vint lui rendre
visite. Il le trouva seul dans une chambre dégarnie de tous
ses meubles, une seule chaise exceptée : on avait pillé la
maison avant que les ordres de l'empereur fussent arrivés.
Plus tard, pendant les conférences d'Erfurt, l'empereur
voulut le voir, et le traita avec les plus grands égards :
« Il avait mis dans sa conversation, dit Wieland, du
charme, de l'abandon; et pourtant, en dépit de lui-môme
et de ce qu'il y avait de flatteur dans cette entrevue, quand
elle fut terminée il me sembla que j'avais causé avec nn
homme de bronze. » Cependant, il approchait du terme
de sa carrière ; Napoléon lui envoya la croix de la Légion
d'Honneur, Alexandre l'ordre de Sainte-Anne; le duc de
Weimar, son élève, lui conservait l'amitié la plus constante
et la plus vraie. Mais au milieu de ces honneurs, et malgré
le repos de sa vie, les maux de son pays attristaient .son
âme : il tomba dans une mélancolie profonde , et on l'en-
tendit réclamer avec autant de courage que de force les
libertés germaniques. La surdité, la perte de la mémoire,
messagers trop certains de la destruction prochaine des or-
ganes, l'attaquèrent en 1812; en janvier 1813 il expira.
Philarète Chasles.
"WIELICZKA, ville du cercle de Podgorz, dans le nou-
veau gouvernement de Cracovie du royaume de Gailicie (Au-
triche ), à 14 kilomètres au sud-est de Cracovie et à 24 kilo-
mètres à l'ouest de Bochnia, est célèbre par ses mines de sel,
découvertes en 1250, par le berger Wielicz, et situées direc-
tement sous la ville, dont le sol se trouve dès lors complète-
ment miné. On compte à Wieliczka plus de 6,000 habitants,
et elle est le siège de l'administration de la saline. Dans sa
plus grande extension et dans la direction de l'ouest à l'est, où
elle se rattache à celle de Bochnia , la masse de sel présente
un développement de 3,160 mètres, et de 1,200 met. dans
la direction du nord au sud, sur une profondeur variable,
mais qui va quelquefois jusqu'à 408 mètres. On arrive à la
mine par huit puits, dont deux sont situés dans la ville
même : celui de Franziszek, avec un escalier tournant de
470 marches, construit en 1744 , sous le règne d'Auguste III,
et celui de Danielowicz, qui n'a guère que 76 mètres, et par
lequel les curieux descendent d'ordinaire visiter l'intérieur
de la mine au moyen d'un appareil de cordages à l'abri de
tout danger. La mine forme trois étages superposés. Un vé-
ritable labyrinthe d'allées, souvent unies entre elles à des
hauteurs considérables par des ponts, se développe à chacun
de ces étages. Dans les nouvelles chambres , on laisse sub-
sister des piliers en sel ; dans les anciennes , la voûte est
soutenue au moyen de charpentes qui se conservent admi-
rablement , attendu que cette mine est exempte de toute
humidité , quoiqu'elle renferme seize étangs, qu'on traverse
le plus souvent en bateaux. Les chambres successivement
pratiquées dans la mine ou servent de magasins , on ont été
comblées à l'aide soit de quartiers de roche, soit de scories
de sel. Celles où l'on peut pénétrer sont encore au nombre
d'environ soixante-dix; et elles ont les dimensions les
plus vastes. Plusieurs ont reçu une décoration architecturale;
on y voit des colonnes , des statues , des lustres , le tout
sculpté dans le sel et d'un effet vraiment féerique quand on
l'illumine à l'occasion d'une cérémonie ou d'une léte quel-
conque. On y voit aussi deux, chapelles, avec autel, statues
de saints, ornements d'autel, etc., le tout sculpté en sel.
Cette saline occupe un personnel de 800 à t,000 ouvriers;
mais ils n'habitent pas la mine. Elle emploie en outre une
centaine de chevaux, qui pour la plupart y vivent en
moyenne une dizaine d'années, sans plus jamais revoir la
lumière du jour, ce qui ne les em|)êche pas de se porter
parfaitement bien, et dont les écuries sont également tail-
lées dans la mine. L'exploitation des mines de Wieliczka
se fait à l'aiàe de la pioche, mais quelquefois aussi à l'aide
de la poudre à canon , eu faisant sauter des quartiers entiers
qu'on brise ensuite. Elles livrent annuellement à la conson>
mation 800,000 quintaux de sel , et le produit net en est
WIELICZKA —
évalué à 6 millions de florins. Elles appartenaient autrefois à
la Pologne. Par suite du partage de la Pologne opéré en 1772,
elles furent attribuées à l'Autriche. La paix de Vienne de
1809 en avait concédé l'exploitation, par moitié, au grand-
duché de Varsovie et à l'empereur d'Autriche. La paix de
Paris les a restituées à l'Autriche.
WIESBADEN, capitale du duché de Nassau, est si-
tuée au pied méridional du monî Taunus , à 115 mètres au-
dessus du niveau de la mer, à 3 niyriamôtres de Mayence
et 8 de Francfort , dans une contrée riche en beautés natu-
relles de toutes espèces et en souvenirs historiques. On y
compte 16,000 habitants. Elle est , dans sa plus grande
partie, bien bâtie et de construction moderne; et ses eaux
minérales, dont la température varie de 32" à 55° Réau-
mur, l'ont rendue l'un des établissements thermaux les plus
fréquentés de l'Europe. Les sources sont très-nombreuses,
et leurs eaux, qui rentrent dans la catégorie des eaux alca-
lines salées, se prennent tant comme boisson que comme
bains. On les recommande contre la goutte, les rhumatismes,
les hémorrhoides , les scrofules, les éruptions cutanées
chroniques, les maladies des organes génitaux, les affec-
tions nerveuses et diverses affections de poitrine. Les
établissements de bains qui existent à Wiesbaden contien-
nent ensemble SM cabinets. Wiesbaden offre aux baigneurs
des distractions de tous genres , notamment un théâtre ; et
les sites ravissants qui l'avoisinent servent tour à tour
de but aux excursions les plus agréables. C'est une des
villes les plus anciennes de l'Allemagne, ainsi que le prou-
vent des passages de Tacite et de Pline qui en font mention,
et les nombreuses ruines qui y ont été découvertes et qui
démontrent que les Romains avaient su utiliser les eaux
thermales de Wiesbaden ( Aqria: Matattiacx) , de même
qu'ils avaient fortifié cette localité , importante au point de
vue stratégique.
WIGHT , île située dans le canal de la Manche , à peu de
distance des côtes d'Angleterre et dépendant du Hampshire,
au sud-ouest de Portsmouth, compte une population de
45,500 âmes, répartie sur une superficie de 44 kilomètres
carrés, et est entourée de tous côtés de rochers de craie, at-
teignant parfois une élévation de 200 mètres, en même
temps que des écueils et des ouvrages fortifiés la mettent
à l'abri de toute attaque. Une rivière appelée Medham ou
Médina la divise en deux parties. Cette île, qui abonde en
sites délicieux, est justement renommée par son air doux et
sain , de même que par la fertilité de son sol , par l'abon-
dance et la beauté de ses fruits, qui l'ont fait surnommer le
jardin de V Angleterre et le grenier des comtés de VOuest.
Des bergeries établies sur une large échelle y produisent une
laine excellente, qui s'expédie toute brute en Angleterre. On
y trouve aussi une grande quantité de lapins et de lièvres : et
ses eaux sont extrêmement poissonneuses. Elle fournit beau-
coup de terre de pipe, de marbre, de pierre de taille, etc.;
et elle comprend quatre villes, dont la plus importante
est Neivport, place bien fortifiée, avec 8,050 habitants, et
centre d'un commerce important en grains et en laines. A
peu de distance de là se trouve le château de Carisbrooke,
aujourd'hui en ruines, où on remarque un puits de quatre-
vingts mètres de profondeur. C'est dans ce château que
Charles I"'' demeura prisonnier pendant treize mois , lors-
qu'il vint se réfugier dans l'île de Wight, en 1646. La rade
de Cowes , où se réunissent d'ordinaire les flottes anglaises
qui stationnent dans le canal, et où viennent mouiller un
nombre immense de bâtiments de commerce, est d'une haute
importance comme point d'ancrage et de refuge. Près de là
se trouve le château d^ Osborne-Bouse , résidence d'été de
la reine Victoria.
WIGTON, WIGHTOWN ou WEST-GALLOWAY,
comté formant l'extrémité occidentale de l'Ecosse méridio-
nale, borné au sud et à l'ouest par la mer, laquelle le sé-
pare de l'Irlande, qui n'en est distante que de 35 kilomètres.
Les baies de Ryan, de Luce et de Wigton lui donnent la
forme d'une presqu'île. Sa superficie est de 17 myriam.
WILBERFORCE 995
carrés , dont le tl«rs est en cuUotfta C'est un pays monta-
gneux, sans présenter cependant de hauteurs bien consi-
dérables. Le Larg a 544 mètres, et le Cairnsmuir 552 mè-
tres d'élévatien. La presqu'île occidentale, appelée liynns
ofGallowaij, se termine au sud par le cap Gailoway et au
nord par le cap Corsewall. On y trouve quelques lacs et de
petites rivières, telles que le Crée, le Bladenoch et le Luce.
Le sol , dont un bon tiers se compose de marais, est fertile
sur ta côte et dans les endroits où pour l'amender on a pro«
fité d'un énorme banc de marne découvert en 1730. L©
climat est tempéré. On cultive l'orge et l'avoine et môme un
peu de froment, mais plus généralement la pomme déterre
et le turneps. D'ailleurs, l'élève du bétail y a bien plus d'im-
portance que l'agriculture. Le bétail de Gailoway est sans
cornes {polled breed), et figure au nombre des meilleures
races de l'Ecosse. Il existe plusieurs variétés de moutons,
dont quelques-unes donnent de la laine d'une grande finesse.
On y trouve de la houille, du cuivre , du plomb , du marbre
et de l'ardoise; mais l'exploitation des mines, de même que
l'industrie en général, y est sans importance. La population
en 1851 était de 43,253 habitants. Le chef-lieu, Wigton ou
Wightown , sur la baie du même nom, est un borough avec
un port et 2,232 habitants. Slranraer, bourg et port sur la
baie deLoch-Ryan, a autrement d'importance. On y compte
5,738 habitants , et il s'y fait un grand commerce en cé-
réales. On y trouve aussi de vastes manufactures de toile
et de cotonnades. La pêche du hareng et surtout celle des
huîtres sont encore au nombre des ressources de la popu-
lation. Portpatrick , petite ville et port, a de l'importance
parce que c'est de là qu'on passe en Irlande. On y trouve
des chantiers de construction , des bains de mer ; et il s'y
fait un grand commerce de bétail et de chevaux.
WILBERFORCE (William), philanthrope anglais,
que ses efforts pour arriver à l'abolition de l'esclavage des
nègres ont rendu célèbre, naquit le 24 août 1759, à HuU.
La mort de son père et de son oncle le fît hériter d'une for-
tune considérable. Élevé à l'université de Cambridge, il s'y
lia avec Pitt ; et nommé membre de la chambre des commu-
nes en 1780, il y prit place parmi les hommes qui déjà son-
geaient à abolir l'esclavage ou tout au moins à ep modérer
les rigueurs. En 1787 il présenta une motion ayant pour but
la suppression de la traite; mais ses efforts n'aboutirent
qu'à un bill prescrivant l'emploi de mesures plus humaines
à l'égard des nègres pendant la traversée. Au début de
notre révolution, dans laquelle il ne voyait qu'un progrès de
l'humanité, il se prononça contre la guerre. L'Assemblée lé-
gislative s'en montra reconnaissante en lui décernant les
droits de citoyen français. Dès 1790 Wilberforce avait de
nouveau présenté sa motion relative à l'abolition de la
traite; ce fut seulement en 1793 qu'il parvint à faire adop-
ter, à une très-faible majorité, le bill qui la prohibait à dater
de l'année 1795; mais la guerre et la situation périlleuse den
colonies forcèrent le pouvoir de surseoir à l'exécution de
cette mesure. Du moment où Bonaparte se fut emparé du
pouvoir en France, Wilberforce soutint le ministère et se
montra même très-violent dans ses attaques contre ses an-
ciens amis de l'opposition. En 1806, quand le ministère
Fox prît l'initiative sur la question de l'abolition de la traite,
Wilberforce apporta à cette grande mesure réparatrice son
concours le plus dévoué; et dans la session de 1807 il eut
la satisfaction de voir le parlement proclamer, h dater du
8 janvier 1808, l'abolition de cet infâme trafic. Cette pre-
mière victoire une fois obtenue, Wilberforce poussa le gou-
vernement anglais à empêcher que la traite ne fût exercée
par d'autres nations. Ce fut à sa demande que lord Castle-
reagh soumit cette question au congrès de Vienne. En 1816
il présenta pour la première fois sa motion relative à l'a-
bolition de l'esclavage même, et appuya Folkstone et Tierney
dans leur lutte contre Yincometax. Quand, en 1823, le
gouvernement prépara l'abolition graduelle de l'esclavage,
Wilberforce déploya un zèle prodigieux pour défendre cette
mesure contre ses nombreux et influents adversaires. 11 ne
63.
996
lui fut toutefois pas donné d'assister à la complète réalisation
de la grande réparation sociale dont il avait en l'idée, car
dès 1826 ses infii mites l'avaient obligé de renoncer à ses
travaux parlementaires. Il mourut le 29juillet 1833, au mo-
ment où lord Stanley préparait le bill en vertu duquel toute
la population noire des colonies anglaises devait être rendue
à la liberté.
Wilberforce, liorame très-religieux et partisan zélé de l'É-
glise anglicane , s'occupait beaucoup de sociétés bibliques,
de missions et de tout ce qui pouvait contribuer à consolider
le cbristianisme. Quatre de ses lils se consacrèrent à l'état
ecclésiastique, et parvinrent à de hautes positions dans l'É-
glise établie. Les trois aînés, William, Henri et Robert, se
sont successivement convertis au catholicisme. Le plus jeune,
Samuel Wilberforce, né en 1805, et devenu évêque d'Ox-
ford, a toujours été véhémentement soupçonné de tendances
catholiques; mais comme il a évité de se compromettre par
trop ouvertement, il a pu conserver sa lucrative position ;
il est même depuis 1847 grand-auniônier de la reine.
WILDBAD ou ^YILDBAD-GASTE1N (Eaux de). Voîjez
Gastein.
WILDGRAVE, titre féodal particulier à l'Allemagne,
qui signifie littéralement comte du gibier, et que prenaient
à une époque très-reculée les membres de diverses petites
dynasties des bords du Rhin, avec ceux de Rheingrave et
de Rang rave.
AVILIIEL!\ISIIOEHE,nom d'un château de plaisance
situé à environ cinq kilomètres de Casse!, et appartenante
l'électeur de Hesse-Cassel , qui y passe généralement la belle
saison. Une magnifique avenue de tilleuls, bordée de maisons
et de jardins, conduit depuis Cassel jusqu'au pied de la hauteur
sur laquelle est bâti ce château , dont la construction date
de 1701. Le parc qui l'entoure est justement célèbre par
ses beautés naturelles, par ses pièces d'eau et par les orne-
ments (le toutes espèces que l'art y a réunis.
VVILIBALD ALEXIS. Voyez H^king.
WILKES (John), puhliciste anglais, était le fds d'un
riche brasseur, et naquit à Londres, le 17 octobre 1727. Il
fit ses études à Leyde, et fut élu en 1754 par la ville d'Ayles-
bury membre de la chamhie des communes, où, sans pos-
séder de grands talents oratoires, il soutint l'administration.
Son genre de vie et les frais de son élection avaient telle-
ment dérangé sa fortune, que lord Temple, son protecteur,
dut lui procurer la place de lieutenant-colonel dans la milice
du comté de Buckingham. A l'avènement de Georges îll
\Vilke3 sollicita un emploi dans la diplomatie; mais il ren-
contra un implacable adversaire dans lord Bute, premier
ministre. Quand lord Temple sortit de l'administration,
Wilkes , peut-être bien à l'instigation de lord Temple , se
vengea des refus de lord Bute en publiant, à partir du mois
de marSs une suite de brochures dans lesquelles la personne
et l'administration de ce ministre étaient l'objet des pins san-
glantes railleries, et qui amenèrent sa retraite en 1763.
Wilkes (il en môme temps paraître, depuis le mois de juin
17G2, le journal intitule Ao>7/i-^;7/oH, dans lequel il atta-
quait plus particulièrement la politique de la cour. Dans son
fameux n" 45, du 23 avril 1763, ayant à apprécier le discours
delà couronne, il s'en prit au roi lui-même. Le secrétaire
d'État Halifax lança contre lui en conséquence un mandat
d'arrestation, qui n'était pas sans exemple, mais qui violait
expressément les dispositions de VUabeas corpus;
mandat qui ne désignait personne en particulier, mais les au-
teurs du libelle en général. Wilkes fut arrêté et interrogé
par deux secrétaires d'État, auxquels, en raison de l'illégalité
de la procédure, il refusa de faire aucune réponse. On l'en-
ferma à la Tour; mais l'opinion publique se prononçant en
sa faveur, on .se vit obligé de le traduire devant les tribu-
naux ordinaires, qui, en considération de l'illégalité de son
arrestation, rac(]uittèrerit complètement. Avec les ressour-
ces que Temple mit à sa disposition, Wilkes intenta un pro-
cès en donunages et intérêts contre les secrétaires d'État et
leurs agents, et il le gagna. L'issue de ce procès fut d'une
WILBERFÔI^CE — WILKES
haute importance pour l'Angleterre; car dès lors V Uubeas
corpus, ce palladium des libertés anglaises, fut considéré
comme une loi essentielle du pays ; et le pouvoir dut renon-
cer à l'emploi de mandats d'amener laissés en blanc. Wilkes
établit alors une presse dans son domicile, et réimprima entre
autres son ISorth-Briton : ce qui provoqua contre lui de
nouvelles poursuites. Il jugea prudent de se retirer en France,
où, à la suite d'un duel , il fut jeté en prison. Remis en li-
berté, il s'en retourna en Angleterre, pour y maintenir son
droit à siéger au parlement. Un duel qu'il eut avec un
membre du parlement, appelé Martin, qui avait vivement
blâmé son journal , et un arrêt de justice qui condamnait le
ISorth-Briton à être brûlé par la main du bourreau , le dé-
terminèrent à se réfugier encore une fois en France. La cham-
bre des communes l'expulsa de son sein, et le gouvernement
le fit en outre condamner une seconde fois en raison d'un
pamphlet des plus cyniques, dont il n'était pas l'auteur,
mais qu'il avait imprimé. Ce fut seulement en 1768, à la
chute du ministère, que Wilkes put rentrer en Angleterre.
Le peuple, qui voyait en lui une victime du despotisme mi-
nistériel, le reçut en triomphe; et un des districts de la ville
de Londres le choisit pour son représentant à la chambre
des conmiunes. Wilkes se présenta volontairement devant
la justice, et obtint d'elle l'annulation des diverses senten-
ces rendues contre lui par contumace; mais un nouveau
procès qu'on lui intenta sous la prévention de publication
de libelles lui attira une condanmation à 1,000 liv. st. d'a-
mende et à vingt-deux mois de prison. Tandis qu'il subissait
sa peine , le même district de Londres qui l'avait déjà élu lui
renouvela son mandat législatif, que le parlement refusa de
regarder comme valable. Pour prévenir le scandale, le gou-
vernement se décida en l7C9à lui opposer un concurrent,
le colonel Luttrell. Celui-ci n'obtint que 296 voix, tandis
que Wilkes en eut 1,249; ce qui n'empêcha pas la chambre
des communes de déclarer que la seule élection valable
était celle de Luttrell , et d'admettre celui - ci à siéger
dans son sein. En outre , Wilkes fut traduit à la barre de
l'assemblée, où, en vertu de la dernière procédure, il vit
renouveler contre lui la déclaration d'expulsion. Cette con-
duite de la chambre des communes, qui violait plusieurs
articles de la constitution, jjrovoqua la plus vive agitation
à Londres et dans le reste du pays. Si, au lieu de se tenir
tranquille dans sa prison, Wilkes avait voulu prêter la main
au peuple, il se serait vu alors à la tête de la plus formida-
ble insurrection. Dès qu'il eut été remis en liberté, en 1770,
le district de T^ondres s'empressa de Yé\\vç.alderman. Dans
ces fonctions il ne tarda pas à avoir occasion de montrer quelle
était sa puissance, en lefusant d'autoriser l'arrestation des
journalistes poursuivis par la chambre pour avoir publié un
compte-rendu de ses séances; arrestation qu'il déclara illégale.
Comme Wilkes , aux termes de la loi, était toujours en fail
membre du parlement, la chambre basse n'osa pas le tra-
duire devant la justice ordinaire comme magistrat coupable
de félonie; et elle se borna à le traduire à sa barre. Wilkes
saisit l'occasion et comparut; mais avant toute réponse de
sa part il exigea qu'on lui reconnût formellement le titre de
membre du parlement. Cette condescendance de la chambre
des communes l'avilit aux yeux de la nation, et jeta la plus
grande confusion dans toute cette affaire. Les hommes les
plus libéraux. Fox par exemple, l'avaient si bien prévu,
qu'ils avaient voté contre la reconnaissance du titre de mem-
bre du parlement réclamé par Wilkes. En 1772 Wilkes fut
élu shérif, et même deux ans après, en 1774, lord maire de
la ville de Londres. Dans l'exercice de ces deux fonctions il
se concilia l'estime générale de ses administrés; de sorte
qu'aux élections nouvelles, qui eurent lieu en 1774,1e gou-
vernement n'osa plus combattre sa candidature. Quand
Rockingham devint premier ministre, en 1778, Wilkes obtint
de la chambre des communes, et à une grande majorité,
qu'elle fît rayer de son journal la décision qui avait validé
l'élection de Luttrell. Cette dernière victoire remportée par
Wilkes produisit une immen.se sensation. On la considéra
WILKES -- WILNA
997
comme un hommage ren lu à la loi et un avertissement aux
ministres persécuteurs. Pour mettre Wilkes à l'abri du be-
soin dans sa vieillesse, la ville de Londres le nomma en 1779
non chambellan ; fonctions grassement rétribuées , et que
Wilkes continua de remplir jusqu'à sa mort, arrivée le 6 dé-
cembre 1797. Quelques-uns lui attribuent la paternité des
fameuses Lettres de Junius.
WILKES (Terre de), ainsi nommée en l'bonneur d'un
lieutenant de la marine des Ëtals-Uuis, qui la découvrit, en
1840. Fo(/e; Antarctique et Tekkes antauctiqces.
WILKIE ( David ), l'un des peintres les plus célèbres
qu'ait produits l'Angleterre, naquit en 17S5, à Cuits, en
Ecosse, dans le comté de Fife, où son père remplissait les
fonctions de pasteur. Sa vocation pour l'art s'élant mani-
festée de bonne heure, ses parents l'envoyèrent à Edimbourg,
où il suivit avec zèle et application les cours de la nouvelle
académie qui venait d'y être fondée pour l'encouragement
et la culture des beaux-arts. Il fit preuve d'un talent si pro-
noncé pour )a reproduction des scènes de la vie réelle, que
ses amis l'encouragèrent à se vouer exclusivement à ce genre
de peinture. A son arrivée à Londres, en 180G, il s'adonna
pendant quelque temps, il est vrai, à la peinture du portrait;
mais la première toile qu'il fournit cette année-là mêmeàTex-
position de l' Académie, Les Politiques de Village, décida de
la direction définitive de son talent. En 1809 il fut nommé
membre honoraire, et en 1811 membre titulaire de l'A-
cadémie. Sir Henry Rœhurn étant venu à mourir, il lui
succéda en qualité de premier peintre du roi pour l'Ecosse.
En 1825 il entreprit un voyage de santé sur le continent ,
passa alors quehiues années en Italie, puis se rendit en Es-
pagne, où il exécuta une série de tableaux représentant des
scènes de la guerre dont la Péninsule avait été le théâtre de
1808à 1814. A la mort de sir Thomas Lawrence, Wilkie
lui succéda comme premier peintre du roi Georges IV ;
titre que lui confirma le roi Guillaume IV. En 1840 Wil-
kie partit pour l'Orient , à l'effet d'y dessiner des vues ;
et au retour de ce voyage, en 1841 , il mourut, à bord du
bâtiment qui le ramenait. Sa statue en marbre orne la Ga-
lerie Nationale de Londres. Indépendamment du tableau
déjà cité, ses ouvrages les plus remarquables sont : La Noce
de Village, La Fête de Village, Colin-Maillard, Le Jour
des Fermages, Le Ménétrier aveugle, L'Ouverture du Tes-
tament (dans la galerie de Leuchtenberg, et l'une des plus
remarquables productions de l'artiste). Les Raccommo-
deurs de Porcelaine, Duncan Gray, Devinez qui je suis.
Le Bedeau de la Paroisse, Les Invalides de Chelsea
lisant dans le .journal la nouvelle de la victoire de
Waterloo , Christophe Colomb , Quatre épisodes de la
guerre d'Espagne, L'Insurgé irlandais , Le premier
conseil d'État tenu par la reine Victoria , L'Écrivain
public de Constantinople , enfin, le Tartare apportant
la nouvelle de la prise de Saint-Jean d'Acre. La toile re-
présentant les Invalides de Chelesea lui avait été com-
mandée par le duc de "Wellington , qui ne fit pas de prix
avec l'artiste, et la paya, sans marchander, les 1200 liv, st.
que celui-ci lui en demanda.
Les tableaux de genre de Wilkie représentent générale-
ment les scènes les plus gaies. On y trouve un nombre con-
sidérable de figures, toutes caractérisées de la manière la
plus variée et concourant cependant à un effet commun.
Sous ce rapport, L' Ouverture du Testament restera tou-
jours classique. Le coloris de Wilkie est vigoureux et soi-
gné, mais son dessin manque parfois de correction.
WILLE (Jean-Georges), graveur célèbre, naquiten 1715,
aux environs de Giessen. En 1736 il vint à Paris, pour se
perfectionner dans son art ; et depuis lors il continua d'ha-
biter cette capitale jusqu'à sa mort, arrivée en 1806. Ce
fut le célèbre peintre de portrait Rigaud qui encouragea
Wille et qui lui procura des travaux , qui le mirent bientôt
en vogue. Parmi ses meilleurs planciies on cite les por-
traits de Maffei , du marquis de Marigny et du comte de
Baint-Florentin. 11 reproduisit aussi avec un rare bouheurdes
tableaux historiques et surtout des tableaux de genre d'a-
près des maîtres hollandais, tels que Terburg, Dow, Mieris,
Netscher, Schalken, Metzu.Tous ses travaux se distinguent
par la beauté du burin , la pureté du dessin, les effets de
clair-obscur et le coloris. Wille , par l'exercice de son ta-
lent, s'était amassé une grande fortune, que la révolution
lui enleva. Napoléon le décora de la Légion d'Honneur ; et
l'Institut l'admit dans son sein. Ses meilleurs élèves furent
Bervic , Muller, Schmutzer, Dunker, Gutenberg et Ingauf.
Les belles épreuves de ses planches sont rares, mais les épreu-
ves avant la lettre le sont encore bien autrement. Consultez
Le Blanc, Le Graveur en taille douce (l"" livraison, Leipzig,
1847).
WILLOUGHBY ( Mont ).Voyez Barbade.
VVILNA, gouvernement de la Russie occidentale, qui
depuis 1843, qu'on en a distrait les cercles septentrionaux
et quelques autres districts pour en constituer le gouvernc-
mentde Kowno, ne comprend plus que la plus grande par-
tie de la Lithuanie proprement dite, avec une superficie de
538 myriam. carrés et une population de 8G3,700 habitants,
Lithuaniens, Polonais , Juifs , Allemands , Tatares et Bohé-
miens. Les propriétaires sont généralement d'origine polo-
naise et les paysans de race lithuanienne. C'est un pays
plat, couvert en partie de marais et d'épaisses forêts , qui
ne s'élève que sur quelques points de 150 à 250 mètres
au-dessus du niveau de la mer, et qui vers la Baltique
s'abaisse toujours de plus en plus. Le climat en est tem-
péré, et l'agriculture assez avancée. Le sol produit en gé-
néral le double de ce qui est nécessaire aux besoins des
habitants, qui indépendamment des céréales, exjtortent
beaucoup de lin, de chanvre , de bois de construction, de
poix, de goudron , de potasse, de miel, de cire, de gibier,
entre autres des élans, et des bestiaux d'une belle race. La
pèche y est sans importance, de même que l'industrie ma-
nufacturière.
Le chef-lieu, Wilna, où en 1849 on comptait 52,285 ha-
bitants (dont un tiers de juifs), est le siège d'un gouverneur
militaire et d'un gouverneur civil, d'un évéque calhofique,
et l'une des plus anciennes villes de ces contrées. Elle est
bâtie sur la Wilia, rivière navigable , dans une position
très-pittoresque. Le Mont de la Croix , qui l'avoisine , est à
156 mètres au-dessus du niveau de la mer. Sur le Mont du
Château on voit les magnifiques ruines de l'ancien château
des Jagellons. Les édifices les plus remarquables sont l'hôtel
de ville, l'arsenal, le palais du gouvernement, les bâtiments
de l'ancienne université et le vieux palais des Radziwill.
.On y compte vingt-cin(i églises catholiques, deux églises
grecques, une église luthérienne et uncéglise réformée, trois
synagogues et une mosquée. Dans le nombre des églises on
distingue surtout la cathédrale , placée sous l'invocation
de saint Stanislas, et où on voit la chapelle en marbre de
saint Casimir, mort en 1460; l'église Saint-Jean , à cause
de l'énormité de ses proportions ; et l'église Saint-Pierre, à
cause de la beauté de son architecture. L'université de
Wilna, fondée en 1576, réorganisée en 1803, a été sup-
primée en 1832, et sa riche bibhothèqne transférée à Saint-
Pétersbourg. L'école de chirurgie et de médecine , par la-
quelle on l'avait remplacée et à laquelle on avait assigné
son jardin botanique, a été également supprimée. Pour en
tenir lieu, K ief a été pourvue d'une faculté de médecine.
Du reste, Wilna possède toujours un grand nombre d'éta-
blissements d'instruction , notamment une académie ecclé-
siastique catholique-romaine, un séminaire grec catholique,
un gymnase, un institut noble avec pension , plus de vingt
écoles de cercle et de ville , y compris ce qu'on appelle
des pensions. L'industrie y a moins d'importance que le
commerce , qui ne peut manquer de prendre encore plus
de développement lors dn prochain achèvement du che-
min de fer de Péter.sbourg à Varsovie, qui la reliera à ces
deux capitales. Il est aussi question d'un projet de chemin
de fer de Varsovie à Moscou , qui passera également sous
ses mars.
998
WILSON — WILT&HIRE
WILSON (John), écrivain et poëte anglais de mérite,
connu aussi sous le pseudonyme de Christophe North ,
naquit en 1788 , à Paisley. Appartenant à une lamille riche,
il eut moins en vue en étudiant de se faire un gagne-pain que
de se livrer à son goût naturel pour les sciences et les let-
tres. A l'université de Glasgow comme à celle d'Oxford, il
se fit remarquer parmi ses condisciples aussi bien par son
ardeur au travail et ses facultés intellectuelles que par son
adresse et son habileté dans tous les exercices du corps; et
il réussit à se faire aimer de tous ceux qui le connais-
saient. Après avoir terminé ses études, il acheta un beau
domaine dans le Cumberland, se maria, se fit construire
une maison à sa guise, composa des vers, et à titre de poëte
entra en relation avec Wordsworth. Mais une banque-
route qui lui enleva la plus grande partie de sa fortune, déjà
fortement ébréchée par la manière splendide dont il avait
vécu jusque alors, le mit dans la nécessité de songer à ga-
gner de l'argent. En 1818 il concourut donc pour la chaire
de philosophie morale, à Edimbourg; il l'obtint, et ne
larda pas à être compté au nombre des professeurs les plus
distingués de l'université. En môme temps il devint l'un des
collaborateurs du Blackwood' s Magazine, auquel il four-
nit un grand nombre d'excellents articles de critique, de
littérature , de philosophie et de politique , et jusqu'à des ro-
mans. On en a publié un choix , sous le titre de The Récréa-
tions of Christopher North (3 vol., Edimbourg, 1842).
Ses poèmes The Isle of Palms ( 1812) et The City of the
Playiie ( 1816) sont un peu monotones , mais contiennent
de magnifiques descriptions. C'est en 1822 qu'il débuta
comme romancier, par la publication d'une collection de
contes tirés de la vie populaire d'Ecosse, Lights and Sha-
dows o/scottish Life, livre charmant et qui obtint le plus
grand succès. Vinrent ensuite, en 1823, The Trials of Mar-
aareth Lindsay , et en 1824 The Foresters. Ce dernier
Duvrage réussit moins que les précédents. Comme rédacteur
^n chef du Blackwoocrs Magazine, il joua aussi un rôle
politique assez important, en défendant la cause du to-
rysme avec beaucoup de verve et d'habileté, mais en même
temps avec beaucoup de passion et une partialité presque
inexplicable chez un homme aussi heureusement doué. En
1852 l'affaiblissement, de plus en plus rapide de sa santé, le
força de renoncer a sa chaire , et il mourut, après de longues
souffrances, le 3 avril 1854, à Edimbourg.
WILSON (Sir Robert-Thomas), général anglais, que
les événements de sa vie et ses ouvrages ont rendu célèbre,
fils du peintre de paysage Benjamin Wilson , naquit à
Londres, en 1777. Destiné à l'état militaire et élevé en con-
séquence, il obtint en 1793 une sous-licutenance dans un ré-
giment de dragons , et alla rejoindre l'armée anglaise dans
les Pays-15as. En 1799 il entra avec le grade de major dans
le régiment levé par le comte de Hompesch, et le suivit en
Egypte, où il fut chargé de la correspondance échangée
entre Abercromby et le commandant en chef des forces
turques. Quand les Français eurent évacué l'Egypte, il s'en
revint en Angleterre, où, par suite du licenciement de son
régiment, il fut rais à demi-solde. Il fit paraître alors un ou-
vrage dans lequel il rendait compte des opérations de l'ar-
méeanglaise en Egypte (2 vol.; 4'^édit., 1802), et qui produisit
une vive sensation, parce qu'il y racontait qu'on avait
empoisonné les pestiférés français à Jalfa. Malgré la réfu-
tation complète de cette assertion, que Bonaparte fit alors
publier, Robert Wilson ne persista pas moins à en mainte-
nir l'exactitude. Dès 1804, dans un autre ouvrage sur la
situation de l'armée anglaise, il s'éleva avec force contre
l'usage de la bastonnade ; opinion qui lui attira beaucoup
d'ennemis. En 1805 il entra dans un régiment en destina-
tion pour le Brésil, et qui en 1806 prit part à la conquête
du cap de Bonne-Espérance. A son retour, il accompagna
le général Hutchinson, envoyé en mission secrète auprès
de l'empereur de Russie , et il demeura attaché à l'armée
russe pondant toute la durée de la guerre contre la France.
Après la conclusion de la paix de Tilsitt, il s'en revint en
Angleterre ; mais à peu de temps de là il repartit chargéd une
nouvelle mission secrète pour la Russie : et pendant toute
la campagne de 1812 il résida au quartier général russa.
JMalgré tant de services , le gouvernement anglais ne se
montra nullement reconnaissant à son égard , à cause de
l'opposition qu'il faisait au cabinet dans l'intérêt de la cause
populaire; et il encourut également plus tard la disgrâce de
l'aristocratie, parce qu'il n'hésita point à rendre justice au
génie de Napoléon après sa chute. Au mois de décembre 1815,
il contribua, avec deux compatriotes, Hutchinson et Bruce, à
l'évasion de Paris et de France deLavalette. Le gouverne-
ment français le traduisit, avec l'autorisation de Wellington,
devant la cour d'assises de la Seine, qui le condamna à trois
mois de prison; et quand, après avoir subi sa peine, il re-
vint à Londres, le prince régent adressa à l'armée anglaise
une proclamation dans laquelle l'action de Robert Wilson
était qualifiée d'««rfzy?ie. Ces misérables taquineries, et d'au-
tres encore que le pouvoir ne lui épargna pas, portèrent
à son comble l'irritation de Robert Wilson , qui publia
alors une foule de brochures où la politique des grandes
puissances dans leur lutte contre Napoléon n'était pas pré-
sentée , à beaucoup près, sous un jour favorable. En 1818
Robert Wilson partit pour l'Amérique méridionale, afin d'y
combattre sous les drapeaux de Bolivar; mais, s'étant
brouillé avec lui , il ne tarda pas à s'en revenir en Angle-
terre, et fut alors élu membre de la chambre des communes
par le bourg de Soutliwark. Le zèle avec lequel il prit en
mains la cause de la reine Caroline, en 1820, dans le fameux
procès de divorce que lui intenta Georges IV, eut pour ré-
sultat de le faire rayer des contrôles de l'armée. Quand, en
1823, une armée française se disposa à aller renverser la
constitution d'Espagne, il mit son épée à la disposition des
cortès, et fut grièvement blessé à La Corogne. Après avoir
tenté vainement de se réfugier en Portugal, il se dirigea
sur Cadix; puis, cette ville prise, il passa à Gibraltar. La
Prusse, l'Autriche et la Russie le rayèrent alors des regis-
tres de leurs différents ordres, dont à l'époque des guerres
de Napoléon elles lui avaient accordé les décorations. C'est
n)ôme seulement comme chevalier de ces divers ordres
étrangers qu'on a toujours, par courtoisie, qualifié en An-
gleterre Robert Wilson de sir , distinction à laquelle ont
seuls droit les baronets du royaume. En 1820 il fut de
nouveau élu membre de la chambre des communes pour
Soulhwark; mais il ne fut point réélu en 1831, parce qu'il
avait combattu le bill de la réforme électorale. A son avè-
nement au trône, Guillaume IV le réintégra sur les ca-
dres de l'armée et lui fit en même temps expédier le brevet
de lieutenant général , pour prendre rang à la date du
27 mai 1825. En 1835 il devint propriétaire du 15" régiment
de hussards. En novembre 1841 il passa général, et en 1842
il fut nommé gouverneur de Gibraltar, poste qu'il remplit
pendant sept années. Il mourut peu de temps après son
retour à Londres, le 9 mai 1849.
WILTSHIRE, par abrévation WILTS, l'un des com-
tés du sud de l'Angleterre, comptait en 1851 240,966 habi-
tants sur une superficie de 45 rnyriaraètres carrés. Les lon-
gues suites de basses montagnes de craie, ou dunes, qui
caractérisent le midi de l'Angleterre se transforment ici en
une vaste et onduleuse plaine, qui bien que n'atteignant pas
plus de 250 à 325 mètres d'élévation au-dessus du niveau de
la mer ne laisse pas que d'avoir un climat assez rude, et
dont les parties planes et nues n'offrent que des pacages
pour les moutons. Le canal de Kennel et Avon , qui traverse
le centre du pays dans la direction de l'ouest, le divise en
Norlhwills elSouthwilts. Dans la partie nord on trouve
de riches pâturages aux environs des sources de l'Avon et
dans le bassin de la Tamise , ainsi que de vastes étendues
de sol propre à la culture et d'une excellente qualité. C'est
dans le Southwiltsque se trouve l'uniforme et triste plaine
de Salisbury , avec l'enigmatique monument de pierre dé-
signé sous le nom (ieStonehenge; mais on y rencontre
aussi quelques parties de sol d'une grande fertilité. L'agri-
WILTSHIRE — WliNDHAM
999
culture, quoiqu'on n'ait guère pu lui consacrer que la cin-
quième partie du sol , y est fort avancée. Cependant , c'est
encore l'élève du bétail , avec ses diverses industries, qui y a
le plus d'importance. Il existe en outre dans ce comté un
grand nombre de manufactures. Diverses rivières navigables,
telles que la Tamise et l'A von, des canaux, des cbemins
de fer, (avorisent le transport des différenls produits, et
notamment des bestiaux à la destination de Londres, de
Batli, etc. Lcclicf-lieu est Sa lis bu r y. Parmi les autres lo-
taliti's importantes, il faut mentionner WiKoi, petite ville de
8,607 babitnnts ; Bradford, Trowbridge (10,157 babitants),
Mulmesburij, Warmtnster, Chippenham, etc.
WhXCHELSEA, bourg du comté de Sussex (An-
gleterre), l'un des Cinq-Ports, compte un millier d'ha-
bitants, et est situé à deux kilomètres de la Mancbe. Cette
localité possédait autrefois un port, centre d'un commerce
important au moyen âge, mais qui est aujourd'buià sec, par
suite du reirait des eaux de la mer.
WliVCHESTER, ville du comté de Hants (Angleterre),
dans la vallée de l'itching et sur le chemin de fer de Lon-
dres à Soutbampton, siège d'évèché et autrefois capitale du
cornté ou de l'Angleterre proprement dite, est une des plus
anciennes et des plus vénérables villes du royaume, mais bien
déchue de son antique grantleur. Appelée Wintanceaster
au temps de la période anglo-saxonne, et provenant du
Caer-Owini des anciens Bretons, elle prit le rang de mé-
tropole, et compta plus tard jusqu'à quatre-vingt-dix églises
et chapelles, tandis qu'elle n'en a plus aujourd'hui que cinq.
Alors centre du commerce de-s laines, ses foires y attiiaicnt
un grand nombre d'étrangers. Elle commença à déchoir lors-
qu'après la conquête des Normands Londres fut devenue la
capitale du royaume, et insensiblement elle cessa d'être le
centre du commerce «les laines. La suppression des couvents
sous Henri VllI et plus tard les calamités de la guerre civile
achevèrent sa décadence. Winchester n'est eucore quelque
chose aujourd'hui que grâce à sa cathédrale , à son collège,
et aussi aux assises qui se tiennent alternalivement dans
cette ville et à Soutbampton. En 1851 on y conq)tait 13,704
babitants. Sa cathédrale est l'œuvre de plusieurs siècles.
Commencée en l'an 963 , elle fut agrandie au onzième siècle
et terminée au commencement du seizième par l'évêque
Fox. Vu du dehors, cet édifice n'a point d'apparence; mais
une fois dans l'intérieur, on reconnaît que c'est une des égli-
ses gothiques les plus vastes et les mieux conseï vées qu'il
y ail en Anglelerre. De vieux vitraux et de magnifiques
grotesques en bois sculpté ornent le chœur, où reposent un
grand nombre de rois anglo-saxons. Le collège , fondé en
1337 , par l'évêque Wykeham rivalise avec les écoles d'E-
ton, de Westminster et d'Harrow , et occupe un superbe
édihce. Il ne reste plus de l'ancien château que la chapelle,
qui sert de salle pour la lenue des assises. Le palais que
Charles 11 avait commencé de s'y faire construire est de-
meuré inachevé. La Table ronde d'Arthur, la croix du
Marché et plusieurs antiquités dans l'hôtel de ville méritent
l'alioiition du vojagfur.
\Vli\CKELMANN ( Jean-Joachim), célèbre anti-
quaire, que l'on peut regarder connue le père de l'archéo-
logie et de l'esthétique au dix-huitième siècle, naquit le 9
décembre 1717, à Stcndal, ville de la vieille Marche de
Brandebourg. 11 était lils unique d'un pauvre cordonnier,
qui se résigna à tous les sacrilices pour lui faire donner sa
première éilucalion, espérant le voir entrer un jour dans
le clergéi Le recteur du collège de sa petite ville vint à son
aide , et mit une bibliothèque à sa disposition. Il lut donc
de bonne heure les classiques, et s'attacha particulièrement
à Homère et à Hérodote. Le jeune Winckelniann se dis-
tinguait par l'amour du travail ; il avait une mémoire des
plus heureuses, et surtout une vive susceptibililé pour sentir
le beau. Cette faculté se développa en lui graduellement
avec rage. Le bon recteur qui le protégeait l'envoya à Ber-
lin pour se livrer à des études plus sérieuses : c'était eu 1733 ;
ii avait alors seize ans. Tout en étudiant, il donnait des le-
çons pour vivre. Au bout d'un an , ii tôt rappelé à Sten-
dal, pour y remplir la place modeste de chef des choristes.
Il passa ainsi quatre ans , sans suivre de i)lan d'études ré-
gulier. H passa deux autres années à l'université de Halle.
Déjà il sentait en lui une vague inquiétude, un vif désir de
voyager, de voir Paris, où il se rendit plus tard à pied. Un
de ses rêves favoris était de visiter Rome, et surtout Olym-
pie. De Halle il alla à Dresde, où il contempla avec ravis-
sement la célèbre galerie de tableaux , une des plus riches
de l'Europe. Après deux ans de séjour à Halle , il accepta
une place de précepteur à Halberstadt, puis celle de maître
d'école dans une autre petite ville. Il avait déjà une vaste
érudition ; il se mit alors à apprendre les langues modernes
et à lire Voltaire. Enfin , le comte de Bunan l'attacha à sa
personne en qualité de bibliothécaire. Retiré dans une belle
habitation près de Dresde, il lut Pausanias ; de magnifiques
gravures lui firent connaître les monuments de l'antiquité,
et il se lia avec le célèbre H ey n e. En 1754 le nonce du
pape à Dresde, M. Archinto, étant allé visiter la biblio-
thèque du comte de Bunan , y vit Winckelmann. Frappé
de l'étendue de ses connaissances sur les arts, il lui dit :
"■ Vous devriez aller à Rome. » Cette phrase décida de sa
destinée ; elle lui révéla sa vocation , et le fit antiquaire. Dès
lors il ne pensa plus qu'à aller en llalie. Pour faciliter ses
relations à Rome, pour [)Ouvoir être présenté au pape, et
visiter à son aise V Apollon du Belvédère, le Laocoon, la
Vénus de Médicis et tous les chefs-d'œuvre de l'antiquité,
on lui conseilla d'abjurer le protestantisme, et il suivit do-
cilement ce conseil. Avant son départ, il publia, en 1756,
ses Réflexions sur Vimi talion des ouvrages grecs dans
la sculpture et la peinture , ouvrage qui eut du succès et
le fit connaître avantageusement. Puis il se rendit à Rome,
où il fut présenté au pape Benoît XIV. Il passa un an à vi-
siter les monuments de tous genres, et se ha particulièrement
avec le peintre Raphaël Mengs, qui discutait avec lui ses
théories sur les beaux-arts. En 1758 il se dirigea sur Na-
{)les, où il reçut un gracieux accueil du comte Firrnian,
alors ministre. Puis il alla à Florence , et revint à Rome,
où il séjourna dans la magnifique villa du cardinal Albani.
En 1762 il visita les ruines d'Herculanum et de Pompéi,
qui offrirent d'inépuisables trésors à son avide curiosité.
L'année suivante , il fut nommé pré.sident des antiquités à
Rome, puis bibliothécaire du Vatican. Ce fut alors qu'il sa
mit à travailler activement à son Histoire de VArt, le plus
célèbre de .ses ouvrages. En 1768 il quitta Rome pour
parcourir l'Allemagne , et reçut les plus grands honneurs à
Vienne et à Munich. Il nourrissait toujours sou projet favori
de voyage en Élide, et de vi.siter Olympie. Pour réahser
ce projet, il s'était rendu à Trieste , d'où il se proposait
d'aller s'embarquer à Ancône. Mais à Trieste il avait fait
la rencontre d'un aventurier, qui, feignant de partager sa
passion pour les arts , avait gagné sa confiance. Ce misé-
rable , dont la cupidité avait été éveillée par la vue d'une
collection de médailles d'or, assassina Winckelmann dans
son auberge. Ce fut ainsi que mourut Winckelmann, eu
juin 1768, à peine âgé de cinquante ans. C'est peut-être
l'homme dont les écrits ont le plus contribué à po[iulariser
l'idée du beau et le goût de l'antiquité. Artaud.
WIIXDHAIVi (William), orateur et homme d'État dis-
tingué, naquit à Londres, le 3 mai 1760. Il pertèctionna, par
des voyages sur le continent, l'éducation qu'il avait reçue à
Oxford , et entra en 1782 à la chambre basse. Dévoué à
la politique des whigs et opposé à la guerre contre les co-
lonies, il vint à son début grossir les rangs d'une opposition
où brillaient déjà tant de talents du premier ordre. Mais
les événements de la révolution française modifièrent com-
plètement ses idées de même que celles d'un grand nombre
de ses amis politiques. Dès la fin de 1792 il était donc
devenu l'adversaire de toute réforme parlementaire; 'et dans
les sessions de 1793 et 1794 il employa toutes les ressources
de son remarquable talent oratoire pour seconder la politique
de Pitt, réprimer les manifestations démocratiques qu»
1000
WINDHAM — WISBY
avaient lieu en Angleterre et réclamer la suspension de VHa-
béas corpus , ce palladium des libertés de son pays. Dans
les luttes violentes qu'd eut à soutenir à propos de ces diffé-
rentes questions, son adversaire le plus redoutable fut Sheri-
dan , naguère lié avec lui de l'amitié la plus intime. Dès le
mois de juillet 1794, Pitt l'en récompensait par un porte-
feuille, celui du département de la guerre. Windliam montra
alors encore plus d'acbarnementque Pitt à attiser le feu de la
guerre civile en France, et ce l'ut lui qui, en 1793, organisa la
fatale expédition de Qwj 6 ero«. Enl797 le cabinet ayant
ouvert des négociations à Lille avec le Directoire, Windliam
déclara qu'il ne consentirait au rétablissement de la paix
que lorsqu'elle aurait pour résultat la restauration des
Bourbons. Quand il lui fut impossible de résister plus long-
temps à ce besoin général de paix dont le parlement lui-
même se faisait l'interprète, il donna sa démission, le 5
février 1801 , en même temps que Pilt et ses autres collè-
gues. En raison des violences et des illégalités nombreuses
que, sous la pression des circonstances, il s'était vu forcé de
commettre, il fut plus particulièrement menacé alors d'une
enquête; mais à force d'éloquence il parvint à la détour-
ner par ce que nos voisins appellent un bitl d'indemnité
et ce que nous appelons, nous, un ordre du jour moticé.
Quand , après la cliule du ministère Addington, qui fut en
grande partie son ouvrage, Pitt revint au timon des alfaires,
Windliam ne fut point appelé à faire partie du nouveau
cabinet. Il conserva donc vis-à-vis de l'administration
nouvelle son attitude opposante. L'administration de l<"ox
etGrenville l'appela en revanche à reprendre le portefeuille
de la guerre, et il opéra alors une réforme fondamentale
dans toute l'organisation de l'armée anglaise. A la mort de
Fox, il sortit du ministère, et combattit sans relàcbe dans
la chambre des communes les mesures proposées par l'ad-
ministration. Cependant, dès 1809 le dépérissement accéléré
de sa santé le contraignit de renoncer aux affaires publi-
ques, et il succomba, le 4 juin 1810, aux suites d'une opéra-
lion ciiirurgicale. C'était une homme d'une grande habileté
et d'un parfait désintéressement ; mais il considérait l'op-
pression et la dégradation des classes inférieures de la so-
ciété comme une néiessite politique.
WIi\'DISCH G RyïTZ (Famille). Celte maison,
d'ancienne noblesse autrichienne, descend d'un (ils cadet du
duc Uhicli de Carinthie, Weriand, qu'on trouve, au on-
zième siècle, propriétaire d'une partie de la Marche des
Wendes , avec la ville et le territoire de Windiscbgraitz
pour seigneurie, et qui en prit le nom. Elle se divisa de
bonne heure, pour former deux lignes , celle de Ruprecht
et celle de Sigismond, qui s'est éteinte depuis. La ligne
aînée acheta, en 1468, le château de Waldslein, et, en 1551
fut élevée au rang des barons sous le nom de Waldsiein
und im Thaï, puis, en 1557, au rang des comtes sous son
ancien nom de Wtndisclujrœtz. Depuis l'an 1585 les deux
lignes possédèrent en commun la charge héréditaire de
grand-écuyer pour la Styrie , et en Hongrie la dignité de
magnat. La ligue aînée obtint ensuite, en 1661, son ad-
mission au banc de Vettéravie des seigneurs de l'Empire ,
et, en 1084, au collège des comtes de Franconie. En 1822
l'empereur Françoise'' accorda le titre de;)/7Hce à tous les
membres de cette maison, qui possède d'ailleurs des terres
considérables en Bohême, en basse Autriche et en Styrie.
Elle professe la religion catholique Son chef actuel, le prince
Alfred Windischgr.kt7 , est né à Bruxelles. 11 entra en
1804 comme lieutenant-colonel dans le régiment des hullans
de Schwarzenberg , et fit avec distinction toutes les cam-
pagnes subséquentes jusqu'à celle de 1814. En 1820 il
passa général major; en 1830 il fut nommé chevalier de la
Toison d'Or, et feld-rnaréchal-lieutenant en 1833. En 1848,
après les événements de mars, il prit le commandement de
la place de Vienne, mais ne tarda pas à aller remplir, sur
sa demande, les mômes fonctions à Prague. Il comprima
avec la plus grande énergie l'insurrection dont cette ville
fiit le théâtre, le 11 mai, et pendant laquelle son épouse,
née princesse de Schwarzenberg, périt atteinte d'un coup
de feu dans son appartement. Quand, au mois d'octobre
suivant, on apprit à Prague la sanglante insurrection qui
venait d'éclater à Vienne , il marcha aussitôt sur cette capi-
tale avec ce qu'il avait de forces disponibles, fut nommé feld-
marécbal et commandant en chef de toutes les troupes à
stationnées hors d'Italie, et fit immédiatement toutes ses dis- *
positions pour l'attaque; de sorte que Vienne, malgré l'ap-
proche de l'armée magyare qui venait à son secours, tomba
au pouvoir de l'armée impériale, à l'exception de ce qu'on
appelle la ville intérieure, qui le 1*'' novembre se trouva J
aussi réduite. Confirmé dans sa position par le nouvel
empereur, François-Joseph \", le feld-niaréchal commença
en décembre suivant ses opérations contre la Hongrie,
occupa successivement Presbourg, Raab , et au commen-
cement de janvier 1849, à la suite de mouvements combinés
avec une grande habileté , Huda-Peslh. Mais par suite de
la supériorité de forces de l'ennemi , et surtout de sa supé-
riorité en cavalerie légère dans un pays tout uni , ses opé-
rations ultérieures sur les bords de la Tlieiss n'eurent pas le
même succès; de sorte qu'il se vit forcé de concentrer son
armée sous les murs de Peslli, pour y attendre les renforts
qu'on lui annonçait de tous les côtés. On lui a vivement re-
proché de s'être par là abstenu d'attaquer Debreczin. Le
12 avril l'empereur l'appela à Olmutz, sous prétexte de le
consulter sur diverses affaires importantes, et le remplaça
dans le commandement supérieur de l'armée par Welden.
Le prince Windiscbgrsctz se retira alors dans ses terres, en
Bohême. On a de lui un ouvrage intitulé La Campagne
d'hiver de 184S à 1849 en Hongrie (Vienne, 1851), qui
jette ime vive lumière sur cette partie de la guerre de
Hongrie.
WINDSOR, bourg du comté de Berks (Angleterre),
avec 9,590 habitants , à 32 kilomètres de Londres, sur la
rive méridionale de la Tamise, qu'on y passe sur un pont
en fer conduisant au village d'Éton, situé sur la rive op-
[)osée, est surtout célèbre par son château royal, et possède
aussi un bel hôtel de ville. Guillaume le Conquérant cons-
truisit le château peu de temps après avoir fait la conquête
de l'Angleterre. Plus tard, Henri l*"" le choisit pour en faire
sa résidence, et le reconstruisit sur un nouveau plan. Char-
les II contribua beaucoup aussi à l'embellissement de ce
château, qui depuis cette époque est devenu le séjour fa-
vori des rois d'Angleterre et leur résidence habituelle d'été,
notamment de Georges III, à qui on y a élevé une statue
colossale. Les appartements en sont décorés avec la plus
grande magnificence et ornés de belles peintures. Ce châ-
teau, véritable demeure princière, est entouré d'un vaste
parc. On vante à bon droit sa terrasse, unique en son genre,
qui a 623 mètres de long et une largeur proportionnée. La
vue qu'on découvre de là sur la Tamise, serpentant au mi-
lieu de la plaine, sur la foule de châteaux, de villas et
de bourgs dont ses rives sont couvertes, enfin sur la forêt de
Windsor, entretenue comme un parc, est ravissante.
WliXTERTllUR, l'une des petites villes les plus jo-
lies et les plus riches de la Suisse, sur les rives de l'Eu-
lach, dans le canton de Zurich, à 450 mètres au-dessus
du niveau de la mer, dans une belle plaine, entourée de
coteaux garnis de vignobles, compte 5,540 habitants. Ses
principaux édifices sont l'hôtel de ville, l'hôpilal et la
grande église, oii l'on remarque un magnificiue buffet d'or-
gues.
WISBY, chef-lieu de l'île de G ottl and, dans la Bal-
tique, voisine de la côte occidentale de la Suède, était au
moyen âge une place de commerce fort importante ; et son
droit maritime, qui datait du treizième siècle, fut longtemps
en vigueur dans tout le nord de l'Europe. Cette ville, qui
compte aujourd'hui 4,600 habitants, est le siège d'un évê-
ché et le centre d'un-commerce fort actif. On y trouve un
collège et force ruines de vastes édifices ainsi que d'ouvrages
en marbre. Les églises, pour la plupart du onzième et du
douzième siècle, sont de beaux monuments de l'architecture
WISBY — WISIGOTHS
tooi
goUiique, notamment l'église du Saint-Esprit, terminée
en 1046, et Notre-Dame, aciievée en 1 190.
WISOARD ( Robert). Voyez Guiscard.
WISCOI\SIi\, l'un des plus jeunes d'entre les États-
Unis de l'Amérique du Nord et dont le développement a été
Je plus rapide, séparé à l'ouest et an siid-ouest deMinesota
et de lowa par le Sainte-Croix et le Mississipi , conlinant
au sud à rillinois, à l'est au lac IMicliigan, au nord-est et
au nord à l'État de Mirhigan et au lac Supérieur, présente
une superficie de 1781 myriam. carrés. Ce vaste territoire,
autrefois habité seulement par des peuplades indiennes et
compris dans l'État deMicliigan, en fut séparé et organisé
comme Territoire particulier dés 1836; mais ce n'est que le
9 février 1847 qu'il a été admis dans l'Union à titre d'État
indépendant. Le niveau du lac Micliigan, qui pénètre pro-
fondément dans son territoire, où il forme la baie Verte,
est à environ 188 mètres au-dessus de celui de l'Océan.
La surlace du sol est partout onduleuse, sans qu'on y
rencontre de grandes élévations et encore moins des mon ■
(agnes. Une remarquable vallée traverse le pays dans la
direction du sud-ouest depuis la baie Verte jusqu'au Missis-
sipi, et forme le lit du Fox-River, du lac de Winnebago
et du cours inférieur du Wisconstn. L'État du Wisconsin
abonde en sources, ruisseaux, rivières et lacs. Le Missis-
sipi , qui y est déjà navigable, reçoit le Sainte-Croix, le Chip-
pcwaij, le Sappah ou Black-River et le Wisconsin, dont
le parcours est de 61 myriamètres, et tous navigables. Le
Kock-River n'appartient que partiellement à cet Étal. Le
Neenah ou Fox-River est relié aujourd'hui au Wisconsin
par un canal qui établit une communication par eau de
65 myriamètres de long entre le lac Michigan et le Missis-
sipi. Le climat du Wisconsin, situé entre le 42'^ 30' et le 47° 5'
de latitude septentrionale, est reconnu pour le plus sain de
tous les États de l'ouest. Les étés, sans offrir des chaleurs
étouffantes , sont par leur durée et leur température propres
à conduire à complète maturité tous les produits de cette
latitude; de rnème, les hivers y sont froids, mais non pas ri-
goureux. Quant aux printemps, leur beauté est proverbiale.
Le Wisconsin ofire partout le sol le plus favorable à l'agri-
culture; et tonte culture propre à cette zone peut y être en-
treprise avec succès. Dès 1850, où il n'y avait encore que
1 ,045,000 acres ( 56 myriam. carrés ), soit la 33" partiedu sol,
de défriché, on produisait d'énormes quantités de blé, de
maïs et d'autres céréales, ainsi que du chanvre, du lin, du
tabac, des fruits et du vin. D'immenses pâturages et prai-
ries donnent les moyens de .s'y livrer à l'élève du bétail. Les
forêts y sont plus étendues encore, et fournissent en abon-
dance des bois de construction et du sucre d'érable. Il y a
aussi abondance de gibier et de poissons de toutes espèces.
La richesse de l'État en métaux n'est pas moins grande.
Les mines de plomb y occupent une surface d'environ 74
myriam. carrés, et dans l'intervalle de 1841 à 1851 ont pro-
duit en moyenne 21 millions de kilogrammes de plomb par
an. Les mines de cuivre, qui appartiennent à la région du
lac Supérieur, ne sont pas moins célèbres. Les gisements
de fer découverts jusqu'à ce jour n'ont qu'une médiocre
étendue. Le Wisconsin est admirablement situé pour le
commerce intérieur. Par les lacs Supérieur, Michigan, Huron
et Ontario, par le Saint-Laurent, par les canaux et les rivières
qui s'y rattaclientdirectement, il se trouve en relations avec
l'est. Des lignes régulières de bateaux à vapeur, indépen-
damment d'une foule de navires à voiles, parcourent en tous
sens le lac Michigan. A l'intérieur, les communications ont
lieu à l'aide de routes pavées ou planchéiées (plank-roade);
et les défrichements, les fondations de villes, les créations
de canaux, de ports, etc., vont rapidement. Par l'aflluence
d'industrieux émigrés, ce pays, qui il y a quelques années
n'était encore qu'un désert, a pris d'immenses développe-
ments; et il en promet encore bien davantage dans un prochain
avenir. Le nombre des habitants s'élevait en 1830 à 3243,
en 1840 à 30,947, en 1845 à 140,000, en 1850 à 3,05,391
(dont environ 100,000 Allemands, 20,000 iSoivégiens et
G2Miommes de couleur libres), en 1853 à plus de 400,000.
C'est au sud, au-delà de la vallée que nous avons signalée
comme formant le lit d'un grand nombre de cours d'eau ,
que cette population se trouve plus particulièrement grou-
pée; et cette partie du sol, par son immense fécondité, offre
le plus vifattrait à l'émigration européenne. Le gouvernement
pourvoit avec libéralité aux besoins de l'instruction publi-
que. En 1850 on y comptait 2 écoles supérieures, 20 écoles
secondaires et 2,350 écoles primaires. A la fin de 1851 le
nombre des élèves fréquentant ces diverses écoles était de
79,869, et les fonds assignés à leur entretien s'élevaient à
765,119 dollars. La constitution donne le droitde suffrageà
tout citoyen âgé de vingt-et-un ans ,k tous les étrangers qui
déclarent vouloirdevenir citoyens américains. à tous les In-
diens civilisés et à tous les métis d'Indiens. La chambre des
représentants, composée de cinquante-quatre membres, le sé-
nat, qui en compte dix-huit, sont élus par moitié tous les ans.
L'État envoie au congrès trois représentants. Les finances
sont en bon état . En 1 85 1 les recettes s'étaient élevées à 1 84 ,036
dollars, elles dépenses à 171,667; ce qui donnait un excédant
de 12,369 dollars. La valeur totale des propriétés personnelles
et mobilières imposables était évaluée à 27,647,260 dollars.
L'État est divisé en trente-trois comtés. La ville la plusimpor*
tante est Milwaukee. Auparavant, le siège du gouverne-
ment était à Madison, ville de 3,000 âmes, située à moitié
chemin entre le lac Michigan et le Mississipi, dans une ma-
gnifique position, et contenant la Wisconsin-Universi/y.
Les autres localités les plus importantes sont Southport
(5,000 habit. ), Sheboygan (3,000 habit.) et Manilouwoc
(1,200 habit.) sur le lac Michigan. Aux environs de Madison,
au centre de la région des mines de plomb et de cuivre, on
trou\e Mineralpoint (7,000 habit.); sur le Rock-Riuer,
Janesville, la ville la plus peuplée de l'intérieur; sur les
bords du Mississipi, à sept kilomètres environ au-dessus de
l'embouchure du Wisconsin, Prairie du Chien, avec 3,000
habitants.
AVISEMAIV (Nicolas), chef de l'Église catholique en
Angleterre et préfet de la congrégation de la Propagande,
est né de parents irlandais, à Séville, le 2 août 1802. Après
avoir terminé ses études au collège des Anglais, à Rome,
il fut ordonné prêtre, et resta quelque temps attaché en qua-
lité de professeur à l'un des séminaires de cette ville. Il
revint en Angleterre en 1835, avec le titre de recteur d'U-
shaw; et par ses sermons et ses discours sur divers sujets
scientifiques il eut bientôt acquis la réputation d'ecclésias-
tique distingué. D'abord coadjuteur du vicaire apostolique
de Londres WaLsh , il lui succéda dans cette dignité après
sa mort. En août 1850 il se rendit de nouveau à Rome , où,
dans un consistoire tenu le 30 septembre suivant, il fut
nommé cardinal du titre de Sainte-Pudentia,en même temps
qu'archevêque de Westminster et primat de l'Église catho-
lique en Angleterre. La nouvelle de cette nomination faite
par le saint-siége, qui fut tout aussitôt considérée comme une
agression de l'Église deRome contre l'Église protestante, pro-
duisit en Angleterre une agitation extrême; et un acte du par-
lement défendit sous les peines les plus sévères de prendre
un titre épiscopal conféré par un potentat étranger ( voyez
Grande-Bretagne); mesure demeurée inefficace, caril était
facile de la tourner. Toutefois, cette collation d'un titre ar-
chiépiscopal faite en Angleterre même au cardinal Wiseman ,
montre bien quels progrès incessants le catholicisme fait en
Angleterre. On a du cardinal Wiseman des discours pronon-
cés dans des réunions publiques àManchesteretà Liverpool ;
On the connection between the arts of design and the arts
of production (Londres, 1854), Twelve Lections on the con-
nection between science and revealed religion (3" édit.,
Londres, 1849), et des Essays on varions subjects ( 1853).
On lui attribue en outre un roman intitulé : Fabiola, or the
church of Cal acombs {Londres, 1855).
WISIGOTHS ou VISIGOTHS. Voyez Goths. La loi des
Wisigoths nedate que du septième siècle de notre ère. Elle
a toute la régularité d'un code, et témoigne de nombreux
1002
WISIGOTflS — WITT
emprunts faits au droit romain. Elle s'est augmentée par la
suite de différentes constitutions émanant de rois de cette
nation.
"WISMAR, ville maritime et commerçante du grand-
duché de Mecklembourg-Scliwerin, sur un petit golfe qui y
forme l'un des meilleurs ports de la Baltique, compte
12,000 iiabitants et est le centre d'un commerce assez actif.
Il y a à VVrsmar un embranchement du chemin de fer du
Mecklenibourg, et il existe entre celte ville et Copenhague
un service régulier de bateaux à vapeur. Malgré sa position
si favorable, il s'en faut que le commerce de Wismar ait
l'importance de celui de Lubeck ou même deRostock. Au-
trefois capitale du i^Ieckleniboiirg et ville hanséatique comme
Rostock, avec de nombreux et importants privilèges, Wis-
mar fut adjugée par la paix de Westpbalie à la Suède , qui
en 1803 la céda au grand-duché deMecklembourg-Schweiin
moyennant la somme de 1,250,000 thalers. La ville avait
été très-fortiliée par les Suédois, et passait pour l'une des
places les plus fortes de l'Allemagne : aussi eut-elle beau-
coup de sièges à souffrir.
\VlSSEr\IBOURG, chef-lieu d'arrondissement du dé-
partement du Bas-Rhin, avec quelquesouvrages fortifiés sans
importance, est situé sur la Lauter, au pied des Vosges,
dans une belle contrée, à 58 kilomètres de Strasbourg, et
compte 4,643 habitants. On y trouve un tribunal civil , une
chambre consultative d'agriculture , des brasseries , des
fabriques d'étoffes de laine et de coton, de cuirs , de pote-
rie , d'articles en zinc et en laiton , et de chapeaux de paille.
WISSEMBOURG ( Lignes de). On désigne sous ce
nom une chaîne de retrancîiemeuts, qui s'étendent dans le
département du Bas-Rhin depuis la petite ville de Wis-
sembour g, sur la rive droite de la Lauter, jusqu'au Rhin,
et qui sont de distance en distance flanqués de redoutes.
Ces retranchements consistent eu parapets garnis de fos-
sés, et furent élevés en 1705, par le maréchal de Villars à l'ef-
fet de défendre l'Alsace. A l'époque des guerres de la révolu-
lion , les lignes de Wissembourg, réputées encore alors pour
très-fortes, mais aujourd'hui négligées et tombées en ruines,
jouèrent un rôle fort important. Après la prise de Mayence
parles Prussiens et les Saxons, le généralautrichien\Vurm-
ser s'empara, dans la nuit du 13 octobre 1793, des lignes
de Wissembourg, manœuvre qui fit tomber en son pouvoir
le camp de l'armée française du Rhin commandée par le
général Beauharnais, avec ses bagages et son artillerie. Si
les coalisés avaient alors agi avec ensemble, l'armée de
Beauharnais était perdue. Mais, le 26 décembre suivant, Pi-
chegru battit les Autrichiens et les Prussiens à Wissembourg,
reprit les fameuses lignes, et contraignit ainsi les coalisés à
se retirer sur le Rhin.
^ WITEKIND ou V Enfant Blanc, le héros des Saxons,
l'infatigable adversaire de Charlemagne , parut vers l'an 772
pour défendre les dieux et Pindépendaiice de la Germanie.
Après diverses alternatives de succès et de revers, Charles
attaque et défait les Saxons à Siegenburg fia ville de la
victoire), et les extermine près des sources de la Lippe.
Pendant que ses compatriotes, convoqués à Paderborn,
reçoivent à genoux la vie et le baptême , Witckind va cher-
cher des vengeurs parmi les Danois ou Normands, et pré-
pare ces terribles incursions qui pendant plus d'un siècle
désolèrent la France. Charles , se croyant maître absolu en
Saxe, porte la guerre au delà des Pyrénées; mais au
moment même oii il essuyait à Roncevaux cet échec tant
célébré par les poètes, il apprend que Witekind, plus au-
dacieux que jamais, a soulevé les peuples qui habitaient
entre le Rhin et le Weser, et dont le christianisme appa-
rent ne pouvait consommer la servitude. Witekind, vaincu,
ne se décourage pas : il triom[ihe à son tour au pied du
mont Sinthal , en 782. Bientôt la présence de Charlemagne
t.'.rrifie les Saxons, que ses lieutenants n'avaient pas eu la
force de réprimer. Lesang coule à grands flots : de nouvelles
révoltes suivent ces cruelles exécutions. Enfin , Charlemagne,
fatigué d'une résistance acharnée, consent à triiter avec le
chef indomptable des Saxons. Witekind , aussi confiant que
brave, se rend auprès de Charles à Attigny-sur-Aisne , et se
fait baptiser en sa présence avec plusieurs guerriers qui
l'accompagnaient. Ce .''ut alors que le roi des Franks lui
conféra le titre de duc de Saxe , qui n'impliquait d'ailleurs
aucun droit de souveraineté sur ce pays. Witekind , fidèle
depuis lors à son suzerain, se fittuer en 807, dans un
combat contre Gérold , duc de Souabe.
De Reiffenbekc.
WITEPSK, gouvernement de Russie ayant pour chef-
lieu la ville du même nom. Il est situé entre la Courlande , la
Livonie elles gouvernements de l'skoff, de Smolonsk , de
de Mohiletf , de Minsk et de W1lna , et comprend une popu-
lation de 789,500 habitants, sur un territoire d'environ
567 myriam. carrés. En 1772 il fut enlevé à la Pologne, en
même temps que le gouvernement de Mohileff, et incor-
poré alors à la Russie. En 1778 on l'érigea en gourverne-
ment particulier, d'abord sous le nom de Polozk, puis sous
celui de Witepsk ; et de 1796 à 1802 il fut désigné avec
celui de Mohileff sous le nom de gouvernement de \a Russie
Blanche. Le sol en est entièrement plat, tantôt argileux,
tantôt sablonneux, et couvert en beaucoup d'endroits de fo-
rêts magnifiques. Il est arrosé par un grand nombre de
lacs, de cours d'eau (entre autres par la Duna) etde ma-
rais ; etles beaux pâturages qu'on y rencontre y ont favorisé
dans ces derniers temps la propagation du bétail de ma-
nière à permettre d'espérer de lui voir prendre avant peu
les développements les plus importants. Toutefois , l'a-
griculture et l'exploitation des forêts constituent encore
la grande ressource des habitants. Ceux-ci , en partie ca-
tholiques et en partie grecs (jadis unis), mais parmi les-
quels se trouvent aussi environ 18,000 juifs, sont, pour ce
qui est de leur nationalité , ou des Polonais , ou des Lettes,
ou des Rusniaks, ou encore des Grands-Russes. On y trouve
aussi quelques Allemands et un petit nombre de Tatares
et de Bohémiens. La noblesse des villes et des campagnes
est exclusivement d'origine polonaise. Le commerce, favo-
risé dans ses relations par le canal de la Bérezina et par la
Duna, consiste en céréales, chanvre, bois de construc-
tion et de nUture, peaux brutes , suifs, cire, miel, laine, etc.,
et est presque entièrement concentré au chef-lieu. Celui-ci ,
entouré de marais, est bâti sur la Duna, entouré de vieilles
fortifications, et possède 30,000 habitants.
\VITii;ii\D. Voyez Witerinu.
WITT (Jean de), grand -pensionna ire de Hollande,
né en 1625, à Dordrecht, était le fils du bourgmestre de
celle ville, Jacques de Witt, renfermé pendant quelque
temps dans un cachot comme adversaire du prince d'Orange
Guillaume II. Le père transmit àsonfilsses principes répu-
blicains et la haine qu'il avait vouée à la maison d'Orange.
J. de Witt entra au service de sa ville natale, et fut un des
députés envoyés par les états de Hollande, en 1652, enZée-
lande pour dissuader cette province de décerner le titre de
capitaine général au prince d'Orange Guillaume III , alors
âgé de deux ans. Le parti de la maison d'Orange voulait que
pendant la guerre contre l'Angleterre on accordât encore
plus de pouvoir à Guillaume III; le parti républicain , avec
Jean de Witt a sa tête, s'efforçait au contraire d'affaiblir de
plus en plus ce pouvoir, afin d'arriver à la suppression com-
plète du stathoudérat. Le traité conclu avec l'Angleterre en
ir.54,dont l'im des articles secrets portait que la maison
d'Orange serait exclue de toutes fonctions publiques , sembla
avoir donné définitivement la suprématie au parti républi-
cain; et Jean de Witt, en sa qualité de grand-pension,
naire , profita de cet intervalle de paix pour cicatriser les
plaies de l'État. Quand Charles H remonta sur le trône
des Stuarts, Witt se rapprocha de la France; et la guerre qui
éclata en 1063 entre les états généraux et l'Angleterre n'en
devint que plus acharnée. L'évêque de Munster, Bernard de
Galen, ayant également pris les armes contre les états gé-
néraux , de Witt se vit contraint par l'opinion publique, qui
lui devenait de plus en plus contraire, à accorder au prince
WITT — WLADIMIR
1003
d'Orange de plus grandes prérogatives et à conclure , en
1667 , la paix avec l' Angleterre. Sa [josition empira encore
lorsque Louis XIV nianilesta plus clairement les projets
qii'i'. avait sur les Pays-Bas espagnols; et le parti orangisle
insista alors plus que jamais pour qu'on rendit au prince
d'Orange tous les droits de ses ancêtres. Cependant, de Witt
réussit à faire séparer les fonctions de stathouder de celles
de capitaine général, ou du moins à faire po.-er en principe
que le prince ne pourrait être investi en Hollande des pou-
voirs decapitaine général. Le succès decette tactique de Jean
de Witt ne lit qu'augmenter le nombre de ses ennemis. Quand,
en 1G72, Louis XIV euvaliit les Pays-I3as, les partisans du
prince d'Orange parvinrent à lui faire déférer le comman-
dement en chef de l'armée. La piemière campagne ayant
eu les suites les plus désastreuses, on en rejeta la res-
poiisai)iiité sur les prétendues trahisons commises par
Jean de Witt; et l'irrésistible courant de l'opinion publique
ayant fait déférer alors les fonctions et la dignité de sta-
thouder au prince d'Orange , Jean de Witt donna sa démis-
sion de grand-pensionnaire. Mais cet acte n'était ])as plus
de nature à donner satisfaction à l'opinion qu'à la haine
du parti orangisle. Cornélius de Witt, frère de Jean, ac-
cusé d'avoir conspiié contre la vie du prince dOrange, fut
arrêté et soumis à la torture; puis, sur son refus opiniâtre
de faire le moindre aveu , on conlisqua ses propriétés. Jean
de W'ilt ayant apjMis (]ue son frère était dispose à parler
dans sa prison , accourut à La Haye ; mais son arrivée dans
celle ville y provoqua une émeute, pendant laquelle la poi)u-
lacc envahit la i)rison, ety massacra, le 20aoùt 1672, lesdcux
frères, accusés bien a tort de trahir leur patrie au profit de
Louis XIV.
'\¥ITTELSBACII, manoir originaire des anciens ducs
de Bavière et des princes palatins, de même que de la fa-
mille royale de Bavière actuelle, était situé [irès d'Aichach
dans ce qu'on appelle aujourd'hui la haute Bavière, il fut
complètement détruit en 1209. Une église et un obélisque
de 17 mètres d'élévation indiquent aujourd'hui l'endroit où
il se trouvait.
AViTTELSBACH (Otto de). Voyez Othon de Wit-
TELSB.VCfl.
WITTEMBERG, ville que le souvenir de Luther et
deMélanchthon rend à jamais célèbre, située dans l'arron-
dissement actuel de la province de Saxe (Prusse) , sur l'Elbe,
qu'on y traverse sur im pont de bois de cent cinquante mè-
tres de long sur quatre de large , compte une population
de 10,730 habitants (y compris la garnison), avec deux
églises, et possède un gymnase, un séminaire, une école
d'accouchement, un hospice d'orphelins et mi château for-
tifié, qui servit longtemps de résidence aux Électeurs , et
dans l'une des tours duquel sont déposées, depuis 1803,
une partie des archives de la Saxe. Wittemberg n'est qu'une
place forte de troisième ordre; mais elle ne laisse pas que
d'avoir une grande importance stratégique, d'abord à cause
de sa situation sur l'Elbe , et ensuite comme servant à
couvrir Berlin. Les principales industries de la population
sont la fabrication des toiles, des draps, des articles de
bonneterie et des cuirs , la distillation des eaux-de-vie et la
brasserie. Les bières de Wittemberg sont connues dans le
commerce sous le nom de kuckuck. Dans l'ancien couvent
des Augustins , servant aujourd'hui de séminaire, on montre
encore la chambre qu'habita Luther, restée toujours dans
le même état. Une inscription indique la maison où demeu-
rait .Mélanchtlion. Sur la place du marciié , en face de la ca-
thédrale, s'élève, sur un bloc de granit pesant 1,200 quin-
taux , le monument en bronze en l'honneur de Luther , par
Schadow. L'iniiversité de W^iltemberg, fondée en 1502 par
l'électeur Frédéric le Sage, et qui possédait des domaines
considérables, entre autres huit villages et un capital de
354,694 thalers, fut réunie en 1825 par le gouvernement
(inissien à l'université de Halle.
WITTGEiXSTEIAI. Votjez Sayn-Wittge.nstein.
WTTi KIJXD. Vorjez W^itekind.
WLADIKA, titre que prend le chef suprême de l'Étal
chez lesMon ténégrins.
WLADIMÏR, gouvernement de la Russie d'Europe',
d'une surperlicie de 603 myriamètres carrés, qui lait partie
de la Grande-Russie. 11 appartient au bassin du Volga , et
est arrosé par l'un de ses principaux affluents , l'Oka, qui y
reçoit les eaux de la Klja3sma. Ce gouvernement, qui com-
prend la majeure partie de l'ancienne grande-principauté
du môme nom, e^t une contrée plate , traversée seulement
par quelques omlulations de terrain, généralement fertile et
très-favorable à l'agriculture ainsi qu'à l'élève du bétail.
Parmi les lacs qu'il renferme on doit surtout citer celui de
Pleschtschejewo ou de Saljeskoi, à cause de ses vastes pro-
portions, celui de Korowjc-Osero, ou lac aux vaches, à cause
de son île flottante, celui de Swjxtoi-Osero, ou lac saint, et
celui dePagan)ioi-Osero,o\x lac impur, ainsi dénommé parce
que les meurtriers du prince de Susdal , André Jurjéwitch ,
l'y précipitèrent, en l'an 1 175, en même temps que sa femme,
complice del'assassinat. En 1839 la population de ce gouverne-
ment était de 1,133,200 habitants, et il renfermait quinze
villes, contenant ensemble 58,S44 habitants. Il a pour chef-
lieu Wladimih, dans lepays de Susdal, ville fondée vers 1150,
pa r Wladimirl 1 Monomaque,et qui lut la résidence des grands-
princes de Russiede 1 157 à 1328. Elle possédait en 1849une
poi)ulationde 13,405 habitants, vingt-huit églises, onze écoles,
et seize usines importantes. Une chaussée terminée en 1840
la relie aujourd'hui avec Moscou et Nischni-Xovgorod. On y
remarque un kremlin (château impérial) d'une haute anti-
quité, mais aujourd'hui en ruines, l'église de Sainle-Marie
et la cathédrale de Saint-Dmitrief, jadis l'orgueil de cette
ancienne ca[)ilale de l'empire russe, qui à l'époque des
Tatares fut à deux reprises (1237 et 1410) complètement
détruite. Les villes le.s plus importantes sont ensuite j)/»/-o?h,
sur l'Oka, avec 9,109 habitants; Susdal; Pisliaki , qui
avec ses environs comi)te plus de 15,000 habitants, qui
fabriquent d'énornies quantités de bas et de gants tricotés;
Iu;nnowo, avec 5,432 liabit., qui appartient au comte Sché-
rémetjelf , etqu'on a surnommé le Manchester de la Russie
parce que les 130 manufactures de cotonnades et de toiles
peintes qu'sn y comiite ainsi que dans ses slobodes, oc»
cupent au delà de 40,000 ouvriers, et fournissent chaque
année à la consommation au-delà d'un million de pièces
d'étoffes représentant une valeur d'au moins huit millions
de roubles d'argent. .Mentionnons aussi Choleij ou Cho-
luiskaja Sloboda, bourg de 1900 habitants, tous peintres,
et qui fabriquent chaque année de quatre à cinq cent mille
images de piété à l'usage des églises de village et des mai-
sons de paysans.
WLADÎMÎPiOu Wolodimer, giànd-^rmcc de Russie,
devint, à la mort de ses deux frères, en 9SI , souverain de
toute la Russie, dont il agrandit le territoire en sounicllant
divers peuples voisins, de .sorte que sous son règne ce
pays s'étendait déjà depuis le Dniepr jusqu'au lac de La-
doga et aux rives de la Duna. Wladimir mérita , par
les sages institutions dont il dota la Russie , le surnom de
Grand, que les peuples reconnaissants lui décernèrent après
sa mort. Le titre de saint lui fut aussi donné parce que,
lors de son mariage avec la princesse grecque Anne Ro-
manolfna , il embrassa le christianisme en même temps que
toute sa cour et une grande partie de sou peuple, demeurés
jusque alors païens comme hu'. A sa mort , arrivée en
1015, il partagea ses États entre ses douze flls, qui de-
vaient régner placés les uns et les autres sous la suzerai-
neté de leur aîné , qualilié de grand-prince. Cette disposi-
tion fut l'origine des nombreuses guerres de famille qui
éclatèrent peu de temps après, et elle eut pour conséquence
le fractionnement de l'empire en diverses principautés
indépendantes , l'invasion des hordes tatares et la ruine
complète de la Russie.
En 1782 rimpératrice Catherine fonda,. pour iionorer la
mémoire de ce prince, Vordre de Saint-Wladimir, qui est
partagé en quatre classes.
1004
WLADISLAW ou WLADISLAS. Yoye:. Jagellon
et Ladislas.
WLIEGER ou WLIEGHER ( Simon de), peintre de ma-
rine, qui llorissait vers le milieu du dix-septième siècle, et
qui lut le maître de Van den Velde le jeune. La date de sa
naissance et celle de sa mort sont inconnues. Il a peint des
paysages animés par des figures et des animaux ; mais
il est plus célèbre par ses marines. Notre musée du Louvre
ne possède de cet artiste qu'ime seule toile, la vue d'un
petit port. Sur le premier i)lan on aperçoit une foule d'em-
barcations de tous genres, et dans le fond une ville avec
de nombreux clochers. Comme la plupart des peintres de
cette époque, Wlieger maniait aussi le burin avec une grande
habileté. On n'a aucun détail sur sa vie ; tout ce qu'on sait
de lui , c'est qu'il habitait Amsterdam , et que lorsque Marie
de Médicis vint dans celle ville, en 1G3S, ce fut lui qui
composa les dessins des différentes fêles offertes à cette
princesse sur l'Y.
AVOBURX-ABBEY, manoir héréditaire de la fa-
mille R ussel I.
WODAIV ou WUOTAN , celui qui pénètre tout , le
Tout-Puissant , être qui diffère peu de nom et de nature
avec Odin, était adoré comme dieu supérieur et suprême,
non-seulement par les Normands , les Saxons et les Lom-
bards, mais encore, à ce qu'on doit croire, par toutes les
anciennes tribus germaines. Il est désigné sous le nom de
Mercure par Tacite, qui le représente comme le dieu su-
prême des Germains , et auquel ceux-ci offraient même
des sacrifices humains à certaines époques de l'année.
WOGOULES. Voyez Finnois.
AVOIWODE, WOIWODIE. Voijez Voïtode.
WOLCHOMSKÏ ( Forêt de). Vofjcz Waldaï.
WOLF (CuKÉTiEN, baron de), l'un des plus célèbres
philoso[ihes de l'Allemagne , et avant Schelling le plus
savant de tous , naquit à Breslau , le 24 janvier lG7i). Fils
d'un boulanger ou d'un brasseur, il reçut au gymnase de sa
ville natale une éducation libérale. Ses goûts le portèrent
aux études mathématiques et philosophiques. La philoso-
phie qu'on enseignait à celte époque dans les écoles d'Alle-
magne était encore celle d'Aristole , telle que l'avaient com-
prise les scolastiques , sauf toutefois les modilications
qu'on y avait apportées depuis Poraponace, La Ramée et
Bacon. Dans cet enseignement , la dialectique jouait le rôle
l)rincipal, et Wolf acquit dans l'art de la dispute une
telle facilité, qu'il put quelquefois embarrasser des maîtres.
Cependant , un enseignement nouveau , ayant pour bases
l'étude interne, ou la psychologie, et l'observation externe,
ou les sciences physiiiues, en un mot les travaux de Des-
cartes, se faisait jour à cette époque en France, en Hol-
lande, en Angleterre , en Allemagne. Wolf les connut, et y
prit goût. Loisqu'en 1C09 il passa du gymnase de Breslan
à l'université d'Iéna, il s'attacha presque exclusivement
à l'élude de la philosophie et des mathématiques. Bientôt
il publia, sur la logique de Tschirnhausen, intitulée La Méde-
cine de l'Ame, un commentaire qui plut à ce philosophe
et qui le porta à recommander le jeune auteur au premier
penseur de l'époque, à Leibnitz-. Les livres de ce grand
homme et la correspondance qui s'établit entre lui et Wolf
achevèrent l'éducation philosophique de ce dernier. Il em-
brassa la doctrine de Leibnitz, elne retint de celle de Des-
cartes que celle méthode mathématique qu'il devait appli-
quer avec tant d'exagération. Dès 1701 il présenta à la
faculté de philosophie de Leipzig , pour obtenir la position
professeur extraordinaire, ime thèse où il cherchait à
WLADISLAW — WOLF
de
établir que, pour bien enseigner la morale, il convenait
d'étendre à celle science la marciie de la démonstration
mathématique. Dès celle époque, chargé du cours, il suivit
la méthode mathématique pour la piiilosophie comme pour
les sciences exactes. Cette nouveauté, jointe à une autre,
le choix delà langue nationale en remplacement du latin,
assura au jeune professeur un succès extraordinaire , et
bientôt, suivant l'usage signalé ailleurs, il lui fut adressé.
1 des universités de Dantzig, de Giessen et de Wismar, une
série de vocations, qu'il déclina pour ne pas quitter Leipzig.
L'an 1706 , l'invasion de la Saxe par les Suédois l'obligea
de s'en éloigner, et l'année suivante il entra dans l'uni-
versité de Halle avec le titre A& premier prof esseur de ma-
thématiques, honneur qu'il devait à l'influence de Leibnitz.
A cette époque, les facultés de philosophie des universités
allemandes embrassaient, comme aujourd'hui, les cours de
nos facultés des lettres et de nos facultés des sciences.
Quoique premier protésseur de mathématiqoes , Wolf en-
seigna aussi et principalement la philosophie. Ses cours eu-
rent le môme succès qu'à Leipzig : et sa renommée, grâce
aux ouvrages qu'il publia en latin comme en allemand, fut
bientôt européenne. On lui adressa de nouvelles vocations
de Wiltemberg , de Leipzig, de Saint-Pétersbourg. Ses
nouveaux refus lui valurent , de la part d'un prince assez
avare pour les lettres, une légère augmentation de traite-
ment et ce vain titre de conseiller de cour auquel aspirent
encore tous les prolesseurs d'Allemagne. Ces faveurs aigui-
sèrent des sentiments de jalousie que son imprudente va-
nité avait singulièrement nourris. C'est dans ces senliments
de jalousie que les biographes de Wolf trouvent commu-
nément l'explication des actes d'intolérance dont il fut quel-
que temps la victime, et qui jetèrent sur sa vie un éclat qui
sans eux lui eût toujours manqué. Lorsque, dans une solen-
nité académique, les professeurs de Halle entendirent leur
collègue à l'université non-seulement faire avec une bizarre
emphase l'éloge de la morale de Confucius , mais déclarer
qu'il en avait adopté les principes, ils crièrent haut au scan-
dale, portèrent devant le public la critique de la doctrine
de Wolf et la dénoncèrent au roi de Prusse. Wolf se défendit
devant le public dans un volume in-S°, devant le roi dans
une lettre au ministre Cocceji , auquel il écrivit que son dis-
cours sur la morale de Conlucius était à tel point orthodoxe
qu'il avait eu l'idée de le (aire imprimer avec l'approbation
du saint-oftice, mais qu'il renonçait à le publier. Ses adver-
saires trouvèrent cette plaisanterie grossière. Ils avaient
raison, et ils demandèrent que le philosophe fût averti. Mais
jamais les réactions ne s'arrêtent à la véritable limite; et
quand l'autorité militaire, en venant à son tour signaler au
princele péril dont Wolf, par sesthéories sur la liberté, me-
naçait les régiments que formaient les géants de la garde,
elle eut l'air de parodier la démarche officielle et les ferventes
prières des chefs de l'Église. Frappé néanmoins de cette
concordance de deux autorités si diverses, Frédéric-Guil-
laume destitua le philosophe par un ordre du cabinet, qui
l'obligeait, sous peine d'un supplice infamant, à sortir de
Halle dans vingt-quatre heures, de la Prussedans quarante-
huit (1723). Wolf, dont l'imprudente vanité avait suscité
toute cette tempête , chassé de Halle d'une manière indigne
de ce siècle, fut appelé à l'université de Marbourg par le
iandgraTe de Hesse-Cassel. A l'étranger, comme en Allema-
gne, on s'empressa de venger un homme, sinon méconnu,
du moins fraité avec rigueur. Les académies de Paris , de
Londres et de Saint-Pétersbourg se l'associèrent , et Pierre
le Grand, dont il refusa de nouveau les propositions, le
nomma vice-président de celle qu'il-venaitde fonder. Ce n'é-
tait pas là im honneur stérile : le tsar de Russie allouait un
traitement d'honneur au philosophe allemand , qui décli-
nait une seconde fois ses avances. Ces distinctions, jointes
aux nombreuses publications de Wolf, éclairèrent le ca-
binet de lîerlin. il déplora sa précipitation, et fit, au bout
de quelques années , ce qu'il aurait dû faire avant de frapper
le professeur ; il chargea une commission de deux ecclésias-
tiques et de deux laïques (Nolle et Jablonsky ) d'examiner
l'affairés de Wolf sous la présidence d'un ministre (Coc-
ceji) ; et, sur l'avis de celte commission, portant que la doc-
trine du philosophe n'offrait de péril ni pour l'État ni pour
l'Église , il fit entendre au banni qu'il lui était loisible de
rentrer dans son pays. Wolf voulait une justice plus com-
plète. Il savait que l'héritier du trône, en tout opposé à
son père, lisait ses livres et appréciait son mérite, et il
WOLF
comptait sans doute sur une réparation plus éclatante. Ill'ob-
tint. Frédéric II, à peine devenu roi, le rappela à Halle,
en le nommant professeur du droit delà nalure et des gens ,
Tic(^liancelier de l'université et conseiller privé. Plus
tard , Wolf fut chancelier et baron : il ne manquait plus
à son triomphe que des succès et des ennemis. Ceux-ci
étaient morts; ceux-là ne se retrouvaient plus. La mé-
thode mathématique avait perdu sa nouveauté et gpgné
d'étranges longueurs. Les étudiants , qui fuient l'ennui ,
fuirent ses cours; et lorsqu'au bout de quatorze ans Wolf
mourut, à Halle , en 1754, l'université perdit le plus grand
philosophe de l'Allemagne et le plus inutile de ses profes-
seurs. JIatter.
"WOLF (Frédéric-Auguste), philologue allemand dont
le nom est dé.sormai.5 inséparable de celui d'Homère, na-
quit àHaynrode, près de Gœttingue, le 9 février 1759, d'un
père chantre-organiste. A dix-neuf ans, le jeune Wolf
alla suivre les cours de l'université de Gœttingue, et suivit
plus ou moins assidûment les leçons de Gatterer, Schloezer,
Michaelis, Meiners et Heyne. Pour pouvoir passer deu\
ans et demi à Gœttingue, il fut obligé de donner des leçons
de grec et d'anglais. A bout de son stage académique , il ob-
tint une place de professeur au gymnase d'Ilfeld. Cette po-
sition était bien modeste , mais elle lui permettait de mûrir
un travail qu'il préparait sur Homère. Avant de livrer cette
composition au public , il donna du Banquet de Platon une
édition annotée, qui lit connaître son nom aux savants d'une
manière si avantageuse, qu'un an après on lui offrit une
chaire à l'université de Halle , avec la direction de l'insti-
tut pédagogique. WoU l'accepta, et par vingt-trois années
d'enseignement jeta sur l'université de Halle un éclat
qu'elle ne connaisssait plus depuis Wolf Je philosophe. Il
corrigea d'abord une simple réimpression d'Homère; il en
prépara ensuite une édition critique, et compulsa dans ce
dessein non-seulement \ti Commentaires d'Eiistathe, les
scoliastes, les lexicographes , les grammairiens, mais en-
core les poètes qui ont imité ou cité Homère. Partout il re-
cueillit les gloses et les variantes, cherchant à remonter,
autant que possible, au texte le plus pur et le plus ancien,
pour faire ensuite , à travers tous les siècles , l'histoire des
altérations qu'avait subies ce texte. Ces travaux conduisirent
le philologue allemand à un système complet sur les textes
liomériques. Tant de variantes, d'interpolations, de suppres-
sions, de répétitions, d'incohérences el de lacunes ne s'ex-
pliquent, dit-il bientôt, que par un fait majeur, celui que
les contemporains d'Homère n'écrivaient pas ; qu'Homère
n'a pas composé ses deux poèmes ; qu'Homère , tel qu'on l'a
fait, n'a pas existé. En effet, ajouta-t-il , pour rencontrer
des écrivains dont la date soit certaine , dont les ouvrages
soient authentiques , écrits eu prose positive , il faut des-
cendre trois siècles après l'époque où l'on lait vivre ce poète.
La seule espèce d'auteurs qu'on rencontre au temps d'Ho-
mère , ce sont des chantres , personnages sacrés qui trans-
mettaient en vers, d'une génération à une autre, les anciennes
traditions de la Grèce; traditions historiques , politiques, reli-
gieuses, mythiques; traditions qu'ils développent et éten-
dent , qu'ils embellissent et relèvent par des épisodes ou
des fragments nouveaux. De là nait peu à peu un cycle épi-
que d'une richesse immense, mais qui s'altère d'âge en âge,
et dont les héritiers, les rhapsodes, se partagent en plusieurs
écoles. La plus célèbre de ces écoles, c'est celle des homéri-
des; et le plus célèbre des homérides, c'est Homère; à moins
qu'Homère ne soit qu'un nom commun, qu'un symbole pour
désigner les homérides. Quoi qu'il en soit, cette famille de
chantres se distingua de toutes les autres en s'atlachant
aux deux plus belles portions de l'héritage sacré, V Iliade et
l'Odyssée, qu'elle conserva, qu'elle perfectionna, dont elle
lit les deux plus magnifiques monuments qui nous restent sur
la civilisation delà Grèce héroïque. Ces monuments, tou-
tefois, appartiennent à des époques et à des contrées diffé-
rentes. Elles manquaient, dans l'origine, de cette unité de
plan et de conception qu'Aristote imposa dejiuis à l'épopée,
1005
et que tous les soins de Lycurgue , de Solon , de Platon , de
Zénodote , d'Aristophane et d'Aristarque n'ont pu lui donner.
Tel fut le nouveau système que Wolf vint tout à coup je-
ter par ses fameux Prolégomènes au milieu de l'Allemagne
etdu monde savant. On le conçoit, un enchaînement d'hypo-
thèses qui renversait , sur la plus grande question de l'an-
tiquité, toutes les idées reçues, dut rencontrer des critiques
animées : l'innovation de Wolf eut aussi des partisans. La
polémique fut générale et ardente: d'un côté, Bœttiger,
Schneider et Herrmann se prononçaient pour ce qu'ils ap-
pelaient une admirable investigation ; d'un autre côté,
Sainte-Croix, Hug, Cesarotli et Wassemberg s'élevaient
contre ce qu'ils disaient un tissu de vaincs hypothèses. En
général l'opinion de "Wolf prévalut en Allemagne , et c'est
une grossière erreur dans ce pays que de parler d'Homère
comme d'un personnage historique. Il est fâcheux que l'au-
teur n'ait pas achevé son ouvrage, et que , dans la seconde
édition de ses fameux Prolégomènes, il n'ait pas conduit
l'histoire des textes homériques au-delà l'époque de Longin.
D'autres travaux l'en détournèrent. Bientôt il vint prouver
que non-seulement les quatre discours déjà contestés à
Cicéron par INIarkland (Post reditum in senatu ; Ad Qui-
rites post reditum; Pro domo sua ; De aruspicum res-
ponsis ) n'étaient pas de cet orateur, mais encore que celui
de tous qui était prôué dans les écoles comme son chef-
d'œuvre, le Pro Marcello, n'était « qu'ime plate et ridicule
imitation de son talent ». Cette autre innovation jeta moins
d'éclat que la première; mais si elle rencontra également
d'illustres suffrages, elle froissa plus d'opinions et excita plus
de colères. Où s'arrêtera, se disait-on, cette singulière insur-
rection de quelques-uns contre la science et le goût de tous?
Wormius, Weiske, Spalding , Jacob et Hug combattirent
pour Cicéron , comme d'autres avaient combattu pour
Homère. On appliqua à "Wolf la peine du talion; et comme
on a prouvé contre Dupuis que l'histoire de Napoléon est
un mythe , ou, contre Strauss, qu'il n'a pas lait sa Vie de
Jésus-Christ, on prouva contre Wolf que les ouvrages qui
paraissaient sous son nom ne pouvaient pas être les siens.
Quand les années françaises entrèrent en Prusse, en 1806,
Wolf se réfugia à Berlin. Ce fut un malheur pour la science.
Ses manuscrils et sa bibliothèque furent dilapidés, et il
n'eut pas le courage de refaire les premiers. Il devait donner
une édition de Platon ; son disciple Heindorf le prévint. Un
instant, ilse trouva dans une position pénible; mais bientôt
le roi de Prusse lui en fit une fort belle. Il l'attacha à la
direction de l'instruction publique, avec le titre de conseiller
d'État, et lui donna une chaire dans l'université de Berlin,
fondée en 1808. Wolf y professa peu, et devant un auditoire
plus distingué que nombreux. L'âge avançait, et le même
zèle n'était plus servi par les mêmes forces. Un voyagedans
le Midi devait les rafraîchir. Wolf prit un congé, etse rendit
en Provence; mais une fluxion de poitrine l'enleva à Mar-
seille, le 8 avril 1824. Il avait soixante-cinq ans.
Matter.
WOLF (Corps de). On désigne ainsi des organes décou-
verts dans les embryons des vertébrés par l'anatomistedont
ils portent le nom. On lésa aussi nommés cor/wd'O^eH, qui
s'en est beaucoup occupé; mais celui de cor/)5 de Wol/apré
valu. Jacobson lésa a\ype\ésreinsprimordiaux,/aux reins,
etRattkérc;;î5 primitifs. Ce sont en effet des organes tran-
sitoires, qui n'existent que pendant la vie embryonnaire, dont
on retrouve cependant des traces ou vestiges à la naissance
et même dans l'âge adulte, et qui, suivant l'opinion de la
plupart des zootomistes qui les ont le plus étudiés, rem-
plissent en effet l'office d'organes sécréteurs d'un liquide
semblable à l'urine , avant que les véritables reins soient
formés et entrent en fonctions. On a aussi cru que les corps
de TFo//" étaient une sorte de gangue organique, en môme
temps très-vasculaire et glandulaire, qui présidait à la
foriuation des glandes rénales et génitales et à celle de leurs
conduits excréteurs, et on aété mêmejusqu'à croire que les
rudiments des organes sexuels mâles et femelles coexistaienl
1006 WOl.F —
dans les corps de Wolf; ce qui servait à expliquer les cas
d'anomalies connues sous les noms ù' hermaphrodisme plus
ou moins complet, qu'on observe dans l'espèce inimaine et
dans les autres classes.de vertébrés, en exceptantles poissons,
qui sont dépouvus de corps de Wolf. L. Laurent.
"WOLFE( James), général anglais, né le 15 janvier 1726,
à Westerliam, dans le comté de Kent, fut destiné dès sa jeu-
nesse à la carrière des armes. Dans la guerre de la succes-
sion d'Autriche, il obtint le grade de général de brigade, et
se distingua, en 1747, à la bataille de Lawfeld. En 1758 il
passa général major, et fut chargé d'un commandement dans
l'Amérique du Nord. Après son arrivée, en juillet 1758, il
contribua à la prise de Louisbourg ainsi qu'à la prise de pos-
session du cap Breton. Tandis que, l'année suivante, le corps
principal de l'armée anglaise, commandé par Amherst,
s'emparait des forts français construits sur les rives des lacs
du Nord, Wolfe se préparait à tenter une attatiuesur la ca-
pitale même du Canada. Au mois de juin, il remonta le Saint-
Laurent avec une flotte redoutable et 8,000 hommes de
troupes de débarquement, puis attaqua Québec à diverses
reprises du côté de l'est, et non sans y éprouver de grandes
pertes. Les préparatifs de défense qu'y avait faits le marquis
de Montcalm, et les obstacles opposés par la nature à son
entreprise, eussent dû lui enlever tout espoir de réussite.
Wolfe ne perdit cependant pas courage. Modifiant son plan,
il se rembarqua, puis s'en vint débarquera l'improviste, le
13 septembre 1759, à l'est de Québec, dans la plaine d'Abra-
ham. Par cette manœuvre hardie Montcalm se vit contraint
d'ahandonnereu toute hâte la position avantageuse qu'il oc-
cupait et d'accepter une bataille qui devait décider du sort
de la ville. La victoire se déclara en faveur des Anglais;
mais Wolfe, atteint de trois coups de feu, dut être trans-
porté hors du champ de bataille. Il paraissait déjà mort,
quand il entendit prononcer à voix basse ces mots : « Ils
fuient '> — « Qui fuit? « reprit bien vite le général, comme
se réveillant tout à coup du sommeil éternel. Quand il apprit
que c'étaient les Français, il expira en disant : « Eh bien,
alors, j.e meurs tranquille. « Peu d'heures après, le général
commandant les forces françaises mourait d'une mort non
moins héroïque que son brave adversaire. Cette bataille est
la plus décisive qui ait janwis été livrée sur le sol améri-
ricain; en effet, à quelques jours de là Québec et bientôt
après tout le Canada tombaient au pouvoir des Anglais.
Une planche gravée par Woolet, d'après un tableau du
peintre américain West, et représentant la mort du général
Wolfe, obtint un immense débit.
WOLFEI\BUTTEL( Principauté de). C'estainsi qu'on
appelait autrefois, dans l'acception la plus étendue, les pos-
sessions de la branche aînée de la maison de Dr uyiswick
ou de Rrunswick-Wolfenbuttel dans le cercle de la basse Saxe,
et, dans un sens plus restreint, l'arrondissement de Wolfen-
buttel-Schcpuingen. On désigne ainsi de nos jours celui des
six cercles du duché de Brunswick qui se compose des bail-
liages de Wolfenbuttel, de Salder, de Schœppenstœdt et de
IIarbourg,et qui comprend une population de 50,000 habi-
tants, répartie sur un territoire d'environ 10 myriamètres
carrés.
La ville de Wolfenbuflel, jusqu'en 1754 résidence des
ducs de Brunswick, est située dans une contrée basse et
marécageuse, sur les deux rives de l'Oker. Elle est le siège
de la cour d'appel commune au duché de Brunswick et aux
principautés de la Lippe et de Waldeck, d'un consistoire et
d'un tribunal civil. On y compte quatre églises et 9,500 ha-
bitants Celte ville, placée au centre du grand réseau de
chemins de fer de l'Allemagne, était autrefois entourée de
fortifications qui ont été transformées en promenades. Le
château, ancienne résidence des ducs, a été converti, d'un
côté, en palais de justice, et de l'autre en théâtre. En face
est situé le bel édifice construit en 1723 par le duc Auguste
Guillaume dans la forme du Panlhéon de Rome, Le rez-de-
chaussée en est occupé par un manège ducal, et la partie
supérieure contient la célèbre bibliothèque de Wolfenbuttel,
WOLSEY
dont Lessing fut longtemps conservateur, et qui ne con-
tient pas moins de 270,000 volumes, de 10,000 manuscrits
et une foule d'éditions princeps, en même temps que 1,400
éditions différentes de la Bible.
WOLFRAM, WOLI-RAMATE, WOLFRAMIQUR
(Acide). Fo?/es TuNCSTATE, Tungstique (Acide).
WOLGA. Voyez Volg.v.
WOLKONSKI. Voyez Wolchonski.
WOLLASTOIV (William), moraliste anglais, né en
1C4<.), fut d'abord professeur à Birmingham, puis vécut à
Londres, où il jouit de la confiance et delà faveur particu-
lières delà reine Charlotte. Son principal ouvrage, Uelïgion
of Nature dclineated (Londres, 172* ; traduction française,
La Haye, 1726), obtintun grand succès. Il rencontra un ad-
versaire dans John Clarke, qui publia une Examination of
the notion of moral good and evil advanced in a late book
inlitled : The Religion of Nature delineated. Wollaston
mourut en 1724.
WOLLASTON (WiLLi.\M Hyde), chimiste et physicien
anglais, né le 6 août 1766, fit ses études à Cambridge, et
s'établit d'abord comme médecin à Bury-Saint-Edmund,
oii il réussit médiocrement. H se rendit ensuite à Londres,
où il sollicita une place vacante à l'hôpital Saint-Georges.
N'ayant pas été heureux dans ses démarches, il renonça à
l'exercice de la médecine et se Hvra avec le plus grand
succès à l'étude de la chimie et de la physique. Il acquit
bientôt une fortune considérable par diverses inventions
d'une haute importance pour les arts et l'industrie, sur-
tout par la découverte qu'il fit du moyen de rendre le platine
malléable, et à sa mort, arrivée le 22 décembre 1828, il
laissa, indépendamment d'un beau domaine dans le comté
de Sussex, un capital de 50,000 liv. sterl. Ses recherches sur
le platine lui firent découvrir dans le minerai du platine deux
nouveaux corps métalliques , le palladium et l'iridium. Il
indiqua aussi un perfectionnement à opérer dans la cons-
truction du microscope, et par l'invention de divers appa-
reils et instrumenls fit faire de nombreux progrès à la théorie
du galvanisme. Il a publié le résultat de ses recherches dans
plusieurs di.ssertations insérées soil dans les Philosophical
lYansactions , soit dans les Annals of Philosophy de
Thompson. Le goniomètre à réflexion, de son invention ,
qui se trouve décrit dans les Philosophical Transactions
( 1809), permet aux cristallographesetauxgéognostes de me-
surer les formes cristalliques au moyen de la réflexion avec
|)lus de précii^ion qu'on ne le pouvait faire auparavant.
WOLLET. Foyes WooLETT.
W^OLOGDA , gouvernement de la Russie d'Europe, de
4,835 myriam. carrés, est arrosé par la Pelschora, le Mésen,
et surtout la Dwina, et comprend aussi au sud un lac con-
sidérable, le Kubinskoje-Osero, qui a 60 kilomètres de long
sur 12 à li de large. Sa partie septentrionale ne comprend
guère que des marais et des sables ; et on ne trouve de terres
susceptibles de culture qu'à l'ouest et au sud , où d'ailleurs
des froids rigoureux nuisent singulièrement aux récoltes.
Aussi l'agriculture n'y produit-elle pas assez de grains pour
suffire à la consommation. En 1846 on comptait dans ce
gouvernement 822,200 habitants. Il a pour chef-lieu la ville
du même nom, avec une population de 13,714 habi-
tants, et centre d'un commerce assez important. La plu-
part des maisons de cette ville sont entourées de jolis jar-
dins. On y trouve un séminaire pour 600 élèves, dix autres
établissements d'instruction publique, cinquante-six églises
grecques et un grand nombre de fabriques.
WOLSEY (Thomas), cardinal archevêque d'York, né
en 1471, à Ipswich, comté de Suflolk, était, selon l'opinion
vulgaire, fils d'un boucher : il est certain que son père était
un bourgeois enrichi, dont on a conservé le testament; et
quand il aurait dû sa fortune à la |)rofession de boucher, ce
fait, auquel les amis et les ennemis du cardinal Wolsey ont
attaché une grande importance, ne nous paraît pas valoir
la peine d'être discuté. Attaché à l'Église avec des talents
précoces, Wolsey devait grossir le nombre de parvenus que
WOLSEY
WORDSWOKTH
1007
n'a cessé de fournir le clergé calliolique , même dans les
siècles où la noblesse était en si grande recommandation.
Chapelain de Henri VII, il mérita la faveur de ce monarque
par la promptitude et l'habileté avec laquelle il comluisit à
une heureuse fin une négociation très-délicate entre son
maître et l'empereur IMaximilien. Son crédit s'accrut encore
sous Henri VITI , dont il arriva à être le favori, et bientôt
après le premier ministre. Si ce prince devint l'arbitre de
rEuro|)e entre François I" et Charles Quint, il dut cet avan-
tage à l'ascendant que savait prendre le cardinal Wolsey sur
toutes les persoimes avec lesquelles il traitait, quels que
fussent leur rang et leur élévation. On vit tour à tour Fran-
çois 1" et Charles Quint faire leur cour au cardinal Wolsey.
il paraît toutefois que dans cette double médiation les
préférences de Wolsey furent pendant longtemps pour
Charles Quint. Wolsey était à la fois le pensionnaire de ces
deux princes et du pape Léon X. Légat du pape dans la
Grande-Bretagne, il aspira au gouvernement de toute l'Église ;
mais à la mort de Léon X, i)uis à celle d'Adrien VI, les intri-
gues delà cour impériale le furent échouer dans sa candida-
ture. Dès ce moment il devint l'ennemi de Charles Quint, et
après la bataille de Pavie il ménagea une alliance entre son
maître et François l*^"". Le faste qu'étalait W'olsey égalait celui
des rois : les principaux emplois de sa maison étaient rem[)lis
par des comtes, des barons, des chevaliers; on y comptait
jusqu'à huit cents officiers. Comment pouvait-il suffire à
tant de dépenses ? Indépendamment de ses pensions et de
ses nombreux bénéfices, le pape lui avait accordé le droit
de créer cinquante chevaliers, cincjuante comtes palatins,
quarante notaires apostoliques, de légitimer les bâtards,
d'accorder toutes les dispenses, de supprimer des monastères.
Comme grand-chancelier d'Angleterre et légat, Wolsey tirait
des émoluments considérables des cours qu'il présidait. Tant
de pouvoir et de grandeurs devaient être suivis d'une longue
disgrâce. Henri VIII l'accusait d'avoir montré peu de zèle
dans la poursuite de son divorce avec Catherine d'Aragon.
Il est certain du moins que Wolsey fut opposé au mariage
de ce prince avec Anne de Boleyn. La nouvelle reine ne le
lui pardonna point. Il fut dépouillé de ses emplois ; son procès
fut même commencé dans la chambre haute, qui rendit
contre lui un bill d'accusation; mais Henri VIII fit rejeter
ce bill par les communes. Les quarante-cinq griefs articulés
contre Wolsey ne prouvaient que la haine de ses ennemis;
W'olsey supporta d'abord sa disgrâce sans dignité; mais à
la fin, relégué dans son diocèse, il fit oublier sa conduite
passée en déployant toutes les vertus épiscopales. Revenu
des chimères de l'ambition , il jouissait en paix de celte douce
retraite, lorsqu'un ordre du roi lui arriva pour être conduit
à la lourde Londres. Surpris en chemin par une dyssenterie,
il s'arrêta à l'abbaye de Leicester, où il mourut, le 29 no-
vembre 1530, dans sa soixantième année.
Charles DuRozom.
AVOLTJyEQUES. Voyez Finnois,
WOLVERHAMPTON, ville d'Angleterre, à 28 Kilo-
mètres de Stafford, comptait en 1851 49,995 babitanis.
L'exploitation des mines de houille et de fer et des carrières
de pierre à chaux qui l'avoisinent y développe nne grande
activité industrielle. Elle est le centre d'une fabrication im-
portante de serrures, de clouterie, de limes, d'articles de
quincaillerie et de taillanderie, de bronzes et de produits cbi-
miques.
WOMBAT. Voi/ez Puascolome.
AVOOLETT ( WiLUAM ) , graveur anglais, né en 1735, à
Maidstone, apportait dans son travail une admirable facilité et
une liberté de burin peu commune, grâce auxquelles il réus-
sissait à donner à ses arbres, à ses rochers et à ses plantes une
diversité et une vérité toutes particulières. Il excelllait aussi
à reproduire l'eau et l'air. Sa plus grande planche est celle
de Jacob et Laban, d'après Claude Lorrain. Celles qu'on
recherche le plus sont sa Mort du général Wolfe (qui se
paye maintenant très-cher ) et sa Bataille de la Botjne, d'a-
près Wut. I! faut encore citer sa Niobé, son Phaélon, son
Céladon et A melia d'après Wilson, et ses Biiines romaines
d'après Claude Lorrain. Dans ses travaux postérieurs, il se
fit aider par ses élèves, Browne, Penney, Ellis, Smith et
J. Vivarès. Il mourut à Londres, en 1785, et tut enterré dans
l'abbaye de Westminster. Son œuvre complète se compose
de 174 planches.
"WOOLF (Appareil de). Cet appareil est fréquemment
employiî dans les laboratoires de chimie pour préparer les
dissolutions aqueuses de certains gaz. Il se compose d'un
matrasdans lequel on place les substances sur lesquelles op
opère; ce matras, qui repose sur un fourneau, est muni d'un
tube de sûreté et d'un tube coudé par lequel il communique
avec une série de flacons à trois tubulures, remplis d'eau
aux trois quarts. Le premier flacon sert à laver le gaz , qui se
rend ensuite dans les autres, où il se dissout. L'appareil de
Woolf e9.t surtout usité dans les préparations de l'ammo-
niaque liquide, de la dissolution aqueuse de chlore, etc.
WOOLWICH, ville du comté de Kent, sur les bords
de la Tamise, avec 25,000 habitants, a une importance
toute particulière, parce qu'elle renferme le plus vaste et le
plus riche arsenal que po.ssède l'Angleterre. Indépendam.-
nient d'immenses casernes , on y trouve tous les établisse-
ments nécessaires au service de l'artillerie, d'immenses ate-
liers pour la fabrication des canons et autres armes à feu,
d'énormes approvisionnements d'armes , de projectiles et de
munitions de toutes espèces, tant pour l'armée de terre que
pour l'armée de mer, et comme on n'en voit nulle part au
monde en aussi prodigieuse quantité. En 1849, par exemplcy
il s'y trouvait 24,000 pièces de canon et plus de quatre mil-
lions de boulets. H y a également à Wooiwich des chantiers
pour la construction des vaisseaux de guerre, des corderies,
des fileries et autres établissements nécessaires au service
de la marine. En teifips de paix même, le nombre des ou-
vriers employés chaque jour à Wooiwich ne s'élève pas à
moins de trois mille à quatre mille. On trouve églalement à
Wooiwich une école d'artillerie contenant quatre-vingts élèves.
WORCESTER, l'un des comtés méridionaux de l'An-
gleterre, d'une superficie de 25 myriam. carrés, et qui avec
le comté de Gloucester forme la plus belle partie de la vallée
de la Severn, justement renommée pour sa fertilité. Au nord,
on trouve de la houille; et les plus riches salines de l'Angle-
terre sont celles de Droitwich. En 1851 la population était
de 258,735 habitants.
Son chef-lieu, Worcester, situé sur la rive orientale de
la Severn, comptait en 1851 27,528 habitants. Cette ville,
siège li'évêché, po.ssède une grande et belle manufacture de
porcelaine et de nombreuses fabriques de gants. La prison
nouvelle, l'hôpital, le théâtre sont avec une cathédrale de
toute beauté et de style gothique les plus remarquables édi-
fices qu'elle contient. Dans cette cathédrale se trouve le mau-
solée d'' Élise Degbij, par Chantrey, et celui de l'évêque
Hough, par Roubillac, après Chantrey le plus grand sculp-
teur qu'ait encore eu l'Angleterre. En 1651 Cr om,well
remporta sous les murs de Worcester nne victoire à jamais
mémorable sur le parti rovaliste.
WORDSWORÏH ("William), l'un des poètes les
pius remarquables qu'ait produits l'Angleterre, naquit le
7 avril 1770, à Cockermouth, dans le Cumberland, reçut sa
première éducation à Hawkeshead dans le Lancashire, et
alla étudier à Cambridge à partir de 1787. Ses parents le
destinaient à l'état ecclésiastique, mais dès cette époque il
s'occupait presque uniquement de poé.sie. En 1793 il débuta
par une épltre en vers, The Evening Walk, et bientôt après
il publia ses Descriptive Sketches, où il retrace une tournée
en France, en Suisse et en Italie, qui lui fit faire la connais-
sance de Coleridge. Ces deux poètes, jusque alors inconnus
l'un à l'autre, se rencontrèrent pour la première fois dans l'été
de 1796; et une complète conformité d'idées et d'opinions
établit bientôt entre eux une étroite amitié. En 1798 ils en-
treprirent, dans la compagnie de la sœur de Wordsworth ,
un voyage en Allemagne, qui ne laissa pas que d'exercer
une grande influence sur leurs idées en matières d'esthétique.
1008
WORDSWORTH — WORONZOFF
Revenu dans son pays en 1803, Wordswortli s'y maria, et
s'établit à Grassmere dans le Westmoreland , et plus tard
oans son domaine de Ryda-Mount, où une lucrative siné-
cure de directeur du timbre, obtenue par la protection de lord
Lonsdale, le mit tout à fait en état de vivre conformément à
ses goûts. En 1798 il avait publié un clioix de Lyric Bal-
lads, auquel il joignit, en 1807. deux volumes de plus. Cet
ouvrage fut d'aliord très-défavorablement accueilli, et avec
raison. En effet, Wordswortli avait la prétention de fonder
une nouvelle poétique, d'après laquelle les sujets les plus
simples et les plus vulgaires seraient précisément ceux qui
conviennent le mieux à la poésie, dont la langue doit ôtre
celle de la vie commune et cbampêtre. Celte tbéorie et l'ap-
plication que le poète en avait faite dans le premier volume
de ses poésies le rendirent l'objet de la risée générale, et li-
rent oublier les beautés qui distinguent quelques-uns de ces
poèmes. Ce ne fut qu'à la longue qu'on s'aperçut qu'il y
avait chez Wordsworth une puissance de description et une
richesse de pensées telles que n'en possédait presque aucun
despoctescontemporains;et peuàpeules œuvres de Words-
worth comptèrent des admirateurs et des défenseurs aussi
ardents qu'elles avaient pu avoir d'abord d'adversaires. Un
tel résultat n'eijt d'ailleurs jamais été possible si le poêle
avait toujours persévéré dans l'application des principes qu'il
avait émis d'abord; mais heureusement il était poète en dépit
de sa théorie. En 1814 parut The Excursion, poème philo-
sophique, le meilleur ouvrage de Wordsworth; en 1815, The
white Doe of Rylston ; en 1819, Peter Bell et The Wag-
goner; en 1820, The river Diiddon , cho'w de sonnets; Vau-
dracour and Julia et Ecclesiasdcal Sketches; en 1822,
Memorials qfa Tour on the continent ei Description ofthe
Lakes in the north of England; en 1835, Yarrow revi-
sited, etc. Ses œuvres complètes, qu'il a bizarrement coor-
données, par exemple: Poèmes ayant rapporta l'enfance,
Poèmes relatifs aux passions, Poèmes fantastiques, Poèmes
de l'imagination, etc., ont été réunies en six volumes
auxquels un septième a été ajouté en 18'»2. Il contient les
œuvres de sa première jeunesse et celles des dernières
années de sa vie. Une nouvelle édition en a paru en 1845,
et une plus complète encore après sa mort {Poetical Works
of Wordsworth , GyolamGH, Londres, 1852 ). En 1842 Words-
worth se démit de sa place en faveur de son fils. L'année sui-
vante le gouvernement lui accorda une pension de 300 liv. st.
et le nomma poète lauréat en remplacement de Southey.
11 mourut, objet du respect de tous, à Rydal , le 23 avril
1850. Wordsworth a exercé une décisive et salutaire in-
lluence sur la poésie anglaise, qui depuis lui s'est appliquée
de nouveau à l'étude de l'homme et de la nature, et qui sous
le rapport de la langue est devenue plus simple et plus na-
turelle. Wordsworth compte un grand nombre d'amis et de
disciples, qu'on comprend sous la dénomination d'école des
lacs, attendu que ses chefs, Wordsworth et Coleridge, habi-
taient les rives des lacs du Cumberlandetdu Westmoreland,
qu'ils ont souvent pris pour sujets de leurs descriptions.
WORMS, autrefois ville libre impériale et siège d'é-
vèché, aujourd'hui ciief-lieu de district dans la Hesse rhé-
nane, sur la rive gauche du Rhin, reliée par un chemin de
fer à Mayence , et dans une contrée fertile, célébrée par les
minnesxnger sous le nom de Wonnegau. Elle ne compte au-
jourd'hui que 9, tOO habitants, dont 5,442 protestants et2, 433
catholiques. Parmi ses édifices on remarque surtout sa ca-
thédrale, belle construction d'architecture gothique, com-
mencée dès le huitième siècle, mais terminée seulement au
douzième. On y trouve quelques manufactures de tabac et
de chicorée. La ville est entourée d'anciennes fortifications.
Des ruines nombreuses, déplorables résultats de la guerre,
attestent son ancienne splendeur. Parmi les vins qu'on ré-
colte aux environs de Worms, les plus estimés sont le katter-
loecker et le luginsland. Worms est une des villes les
plus célèbres et les plus anciennes dont l'histoire d'Alle-
magne fasse mention. Les Romainsy possédèrent une colonie
(t un château fort (Bormitomagus); plus tard elle devint
la résidence de Charlemagne et des Carlovingiens. C'est là
que Charlemagne convoqua la diète qui décréta la guerre
contre les Saxons. Plus tard elle fut la capitale des Gau-
graves et des ducs des Franks. Henri IV et Henri V y tin-
rent plusieurs diètes ; ce dernier l'éleva au rang de ville im-
périale. Ce fut de Worms que Maximilien data la publication
de la paix générale du pays; ce fut là que Luther com-
parut le 18 avril 1521 devant Charles Quint et la diète ger-
manique. Son industrie, son commerce , sa population (qui
du temps des Hohenstaufen montait à 60,000 âmes, et
encore à la fin de la guerre de trente ans à 30,000), avaient
été pour elle une source de richesses et de puissance; mais
plusieurs causes, et en particulier les guerres sanglantes de
1689 entre la France et l'Allemagne, ont amené sa déca-
dence dans les deux derniers siècles. Worms, ainsi que
Spire, fut alors presque entièrement détruite par les Fran-
çais. Depuis, la ville a été rebâtie; mais des jardins occupent'
en grande partie l'emplacement du palais et d'édifices livrés'
aux flammes par l'ordre de Louvois. C'est à Worms que fut
conclu, en 1743, entre la Grande-Bretagne, l'Autriche et la
Sardaigne, un traité d'alliance offensive et défensive connu
dans l'histoire de la diplomatie sous le nom de Traité de
Wortns.
WORMS, petite ile dépendant du gouvernement de
l'Esthonie (Russie), à l'est de l'ile de Dagœ, plate et gé-
néralement peu boisée, avec des rivages extrêmement escar-
pés , et autour de laquelle régnent des courants d'une vio-
lence extrême , qui empêchent souvent pendant des mois
entiers qu'elle puisse avoir la moindre communication avec
les îles qui l'avoisinent, comme Œsel,Dagœ, Runœ, etc., de
même qu'avec la terre ferme de l'Esthonie; aussi sa popu-
lation, suédoise d'origine, s'est-elle jusqu'à ce jour maintenue
pure de tout mélange étranger.
WORMSER JOCH. Voyez Stilfser-Joch.
WORONESCH, le gouvernement le plus méridio-
nal de la Grande -Russie, d'une superficie de 947 myria-
mètres carrés, comprend une partie de l'ancienne principauté
russe deRjaesan,et fut constitué en gouvernement sous
Je règne de Catherine II, en 1799. Le sol en est fertile
et le climat tempéré. En 1846 sa population totale était de
1,657,900 habitants. Grands ou Petits-Russes d'origine, avec
quelques colons allemands. Ses cours d'eau, comme le Don,
le Woronesch, le Donez , etc., ne gèlent pas avant le mois
de décembre, et sont de nouveau libres de toute entrave dès
le mois d'avril. Ce pays abonde en forêts ; aussi les bois à
brûler et les bois de construction forment-ils ses princi-
paux articles d'exportation, avec les céréales, les fruits,
la laine, les chevaux et les bœufs. L'industrie y est encore
fort peu avancée; cependant, on trouve au chef-lieu, Wo-
ronesch, quelques importantes fabriques de savon, de cuir,
de vitriol et de drap. La population de cette ville en 1842
était de 43,800 habitants. Elle est située à peu de distance
de l'embouchure du Woronesch dans le Don , sur un pla-
teau parfaitement cultivé, et occupe une assez vaste sn|)er-
iicie. Elle possède vingt-deux églises, un collège, une école
militaire pour quatre cents cadets, un séminaire, un hospice
des invalides de la marine , etc. Elle est le centre d'un com-
merce (ort actif, favorisé par la navigation du Don ; et il s'y
tient chaque année deux foires importantes. En 1697 Pierre
le Grand y établit un grand chantier pour la construction des
vaisseaux. Woronesch est situé sur la route conduisant au
Caucase.
Les autres localités importantes de ce gouvernement sont
Sandonsk ( 5,100 hab.) sur la Raschifka, Korotojak sur le
Don (7,300 hab. ) et Ostroghosh sur la Sossna ( 5,622 hab. ).
WOROKZOFF (Famille). On prononce Waranzo/f.
Les comtes de Woronzolf forment une des familles les plus
distinguées de la noblesse russe , quoiqu'elle ne date guère
que delà moitié du dix-huitième siècle. Il est impossible on
effet d'y rattacher l'ancienne maison de boyards du môme
nom , qui brilla en Russie aux quinzième et seizième siècles ,
puisqu'il est avéré qu'elle s'éteignit vers l'année 1576.
-WORONZOFF — WOUWERMANS
1009
' Les comtes actuels de Woronzoff descendent de Gabriel
WoROKZOFF, tué en 1678, au siège de Tschirigine, dans la
Petite-Russie. Parmi ses petits-fils, Michel "Woronzoff , né
en 1710 , fut le favori de l'impératrice Elisabeth, qui lui fit
épouser sa cousine , la comtesse Anne Skawronski, nièce de
l'impératrice Catherine 1". Elle le créa , en 1744 , chance-
lier de l'empire, lui confia la direction du ministère des af-
faires étrangères, et le fit nommer la même année comte du
saint-empire, par l'empereur Charles VIL Dans les der-
nières années du règne d'Elisabeth, Woronzoff fut à la tête du
parti suédois , dont le grand-duc Pierre était l'âme ; il par-
vint à renverser le chancelier Bestuscheff, qu'il remplaçadans
ses fonctions ; mais il perdit son influence sous le règne de
Catherine II. Ilmouruten 1767. Sa nièce, Catherine Roma-
noffna WonoNZWF , fut la célèbre princesse Daschkoff , la
confidente de Catherine II, qui, d'accord avec le comte
Panin , forma le plan de l'élever au trône et aida à le mettre
à exécution. D'abord l'amie la plus intime de l'impératrice,
elle devint plus tard son ennemie la plus acharnée, et ne se
distingua pas moins par une hardiesse de pensées bien rare
chez les femmes que par la haute culture de son esprit.
Michel Woronzoff , général d'infanterie et aide de camp
de l'empereur, né à Moscou en 1780 , fut élevé en Angle-
terre, auprès de son père, qui y remplissait les fonctions
d'ambassadeur. Il reçut plus tard diverses missions diplo-
matiques , et se distingua d'une manière toute particulière
dans les campagnes de 1812 à I8l4 contre Napoléon. Par
la suite , il fut nommé gouverneur général d'Odessa , de la
Russie-Neuve et de la Bessarabie. C'est à l'empereur Nicolas
qu'il est redevable de la haute position qu'il occupe dans
l'État. Dès le mois de juin 1826 ce prince le chargea, en
même temps que le marquis de Ribeaupierre , de la direc-
tion des négociations suivies à Akjerraann ; et en 1828, après
la mort de Mentschikoff, ce fut lui qui commanda le siège de
Varna. Le souvenir du bonheur constant qui avait suivi toutes
les opérations du général "Woronzoff pendant celte guerre
détermina l'empereur Nicolas à l'appeler au commandement
en chef de l'armée russe dans le Caucase, où effectivement
il réussit promptement à obtenir les résultats les plus heu-
reux. Le 18 juillet 1845 la principale place d'armes de Cha-
mil , Dargo , tombait en son pouvoir. Néanmoins, il échoua
dans ses efforts pour venir à bout de ce rude adversaire; et
la guerre qui éclata entre la Russie et la Turquie dans le
cours de 1853 ajouta aux difficultés de sa position. Au
mois de mars de l'année suivante, l'affaiblissement de sa
santé le contraignit à solliciter un congé de six mois, qu'il
alla passer à Carlsbad et à Schiangenbad. Il était de retour
en Russie à la fin d'octobre, et il se démit alors de ses
fonctions de commandant en chef du Caucase et de gou-
verneur de la Nouvelle-Russie.
WOSIÎRESENSK, ville du cercle de Swenigrod ,
dans le gouvernement de Moscou , à 5 myriamètresau nord-
ouest de cette capitale , sur les bords de l'Istra , n'a que
1 100 habitants , mais est célèbre par son magnifique mo-
nastère , appelé la Nouvelle Jérusalem , parce qu'il a été
construit d'après le plan de l'église du Saint-Sépulcre à Jé-
rusalem.
WOT JAQUES. Voyez Finnois.
WOTTON ( Sir Henrt ) , diplomate et savant anglais,
contemporain de Jacques I"", naquit en 1568, à Boughton-
Hall , dans le comté de Kent. Après avoir terminé ses études
à Oxford , il consacra neuf années à visiter les principales
universités de France, d'Allemagne et d'Italie. A son retour
en Angleterre , il entra au service du comte d'Essex en qua-
lité de secrétaire. A l'époque du procès de haute trahisoa
intenté àce favori de la reine Elisabeth , il jugea prudent de
s'éloigner, et se rendit à Florence. C'est là qu'il écrivit son
ouvrage intilulé : The State of Christendom , (\m ne fut
publié qu'après sa mort. Il instruisit le roi d'Ecosse,
Jacques VI , d'un complot tramé contre sa vie; et celui-ci ,
en montant sur le trône d'Angleterre, le nomma son ambas-
sadeur à Venise et baronet. Wotton fit preuve de beau-
BICT. DE LA CONVERS. — T. XTI.
coup d'habileté, et fut ensuite chargé de nombreuses
missions près diverses cours d'Italie et d'Allemagne, ainsi
qu'en Hollande. Passant un jour par Augsbourg, un ami
le pria d'inscrire quelques lignes comme souvenir sur un
album ; et il y écrivit ces mots, en forme de plaisanterie:
« Un ambassadeur est un homme loyal qu'on envoie mentir
à l'étranger, dans l'intérêt de son pays. » Ces lignes pas-
sèrent quelques années plus lard sous les yeux de Scioppius,
l'un des ennemis les plus acharnés de Jacques I", et celui-ci
ne manqua pas d'attribuer cette sentence au roi lui-même.
Jacques l'apprit , et crut qu'en effet Wotton avait voulu le
désigner. Malgré tous ses efforts pour expliquer cette saillie,
Wotton perdit dès lors irrémissiblement la faveur du ran»
cuneux monarque. Nommé en 1673 principal du collège
d'Eton , il se consacra désormais exclusivement à la direc-
tion de cet établissement, et mourut à Eton, en 1639. Outre
une grande érudition, il possédait beaucoup d'esprit et
d'imagination. Ses ouvrages, au nombre desquels se trouve
un manuel d'architecture , sont aujourd'hui complètement
oubliés.
WOUWERMAIXS (Philippe) naquit à Harlem , en
1620 , et ce fut dans l'atelier de son père, Paul Wouwer-
mans, médiocre peintre d'histoire , qu'il apprit d'abord à des-
siner la figure. Plus tard , il suivit le penchant naturel qui
le portait à faire du paysage ; et quoique fort jeune , il avait
déjà manié le pinceau et produit quelques essais , lorsqu'il
entra chez Jean Wy n ants , l'un des meilleurs paysagistes
de son temps. Jean Wynants apprit à Wouwerraansà com-
poser avec goût un paysage , à le bien éclairer et à diviser les
plans selon les règles de la perspective et du clair-obscur ; à
rendre les lointains elles ciels, les arbres et les plantes. Wou-
wermans excellait à peindre les figures, et il put utiliser ce'
talent au profit des œuvres de son maître, qui, peu habile dans'
ce genre , avait eu souvent recours à Adrien Van der Veide
ou à Van Ostade pour placcrquelques personnages dans ses
tableaux. Après avoir changé sa méthode, qui était mauvaise,
Wouwermans se fit un genre plein de mouvement , d'élé-
gance et d'originalité. D'un naturel très-actif, il travaillait
avec ardeur et aimait son art avec passion : il dut lui con-
sacrer tous les instants de son existence. On a peine à com-
prendre qu'un homme, mort à l'âge de quarante-huit ans,
ait pu produire un si grand nombre de tableaux , remplis de
détails , pour la plupart d'un grand fini. Sans doute il avait
acquis une pratique rapide , et il y a une espèce de fougue
dans son dessin ; mais sa peinture est soignée et ne porte
aucune trace de négligence ou de précipitation. Chose triste à
penser, Wouwermans, dont les ouvrages représentent au-
jourd'hui une valeur de plusieurs millions, vécut et mourut
dans un état voisin de la misère. Son excellent naturel , dans
la lutte qu'il eut à soutenir contre l'ingratitude de ses con-
temporains, s'aigrit et devint farouche; une mélancolie
sombre et pleine d'amertume le suivait partout ; les excès
de travail, joints aux privations qu'il était forcé de s'im-
poser, contribuèrent à hâter l'époque de sa mort. Wouwer-
mans avait un fils , dont il s'était plu d'abord à cultiver les
dispositions naturelles pour les beaux-arts; mais, par la
suite , il fit passer dans l'âme du jeune homme tout le dé-
couragement qui l'accablait , et il le vit sans regret en-
trer dans un cloître. On raconte même qu'au lit de mort
Wouwermans fit brûler, en présence de son fils , une cas-
sette remplie de ses études et de ses dessins. Ce grand
peintre mourut en 1668, et fut enseveli à Harlem, dans U
ville où il était né.
Quoique supérieur dans sa manière de dessiner et de
grouper les figures, Wouwermans ne traite pas le pay-
sage , les fabriques et les intérieurs en accessoires. Les su-
jets dans lesquels il réussit le mieux sont les chasses , les
haltes, les campements d'armée, les escarmouches de ca-
Valérie, les foires, les courses, etc. Ses chevaux sontd'una
singulière animation et parfaitement étudiés; ses person-
nages, bien drapés, ont une tournure spirituelle, élégante
et fière; ce sont de belles amazones, de suberbes écuy«r»
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au Centre empanaché. Sa couleur est excellente, vive et
bien fondue. Il avait la magie d'adoucir sa touche, de lui
donner du moelleux et de la délicatesse, sans lui faire rien
perdre de sa vigueur et de sa pâte onctueuse. Cette fermeté
sous une précieuse finesse a rendu sa manière très-difficile
à deviner»
Le catalogue des productions de Wouwermans formerait
un volume, et il a peint quantité de figures pour Wynants
et Ru y sd a ël. Notre musée du Louvre possède onze toiles
de ce maître. La plus grande représente un Choc de Cava-
lerie polonaise. Antoine Fillioux,
WOUWOU. Voyez Gibbon.
WRAIVGEL (KarlGustav, comte de) , feld-maréchal
suédois, né en 16(3, au château de Skokloster, était issu
d'une antique et illustre famille. Entré de bonne heure au
service, il apprit le métier des armes à l'école de Gustave-
Adolphe , dans les campagnes que celui-ci fit en Alle-
magne. Après la mort de ce prince , il servit sous les ordres
du duc Bernard de Saxe-Weiraar et sous ceux de Baner.
A la mort de ce dernier, en 1641, Wrangel, en sa qua-
lité de général major, fut de ceux qui durent prendre le com-
mandement de l'armée suédoise dans les circonstanees les
plus critiques , jusqu'à l'arrivée du nouveau général en chef,
Torstenson. Il fit la campagne d'Allemagne sous ses or-
dres, et l'accompagna en 1643 dans sa pointe sur le Hol-
stein. Quand la paix, conclue à Brœmsebrœ le 23 août 1645,
eut mis fin à la guerre entre la Suède et le Danemark , il se
rendit en Allemagne, où, en 1646, à cause de la maladie de
Torstenson , le commandement de l'armée suédoise fut par-
tagé entre lui et Kœnigsmark. Bientôt après , il opéra sa
jonction avec l'armée française aux ordres de Turenne, et
tousdeax contraignirent alors l'électeur de Bavière à accepter
l'armistice signé à Ulm le 14 mars 1647. L'électeur l'ayant
rompu , les coalisés battirent complètement les armées ira-
périale et bavaroise à Zusmarshausen, près d'Augsbourg, le
17 mai 1648. A la suite de cette victoire, Wrangel occupa
toute la Bavière, qu'il traita fort durement jusqu'à ce qu'en-
fin la paix de Westphalie vint mettre un terme aux
entreprises des Suédois contre l'Allemagne.
Wrangel s'en retourna alors en Suède, où il passa quelques
années dans le repos. Quand Charles-Gustave fut monté sur
le trône, il l'accompagna, en 1655, dans sa campagne de
Pologne. Lors de la nouvelle guerre qui ne tarda pas à écla-
ter entre la Suède et le Danemark , il commanda le siège de
la forteresse de Kronborg, qui se rendit à lui, le 6 septembre
1658, après vingt-et-un jours de tranchée; mais il éciioua
dans son entreprise contre Copenhague. Quand, en 1674,
LouisXIV déclara la guerre à l'Empire, la Suède prit fait et
cause pour la France, et fit attaquer à l'improviste, au mois
de novembre, les États de l'électeur de Brandebourg par une
armée de 16,000 hommes aux ordres de Wrangel. Mais,
grâce aux victoires qu'il remporta successivement à Rathenow
et à /'e Ar 6 eiHn, l'électeur força les Suédois d'évacuer
complètement son territoire. Wrangel déposa alors son com-
mandement, et mourut en 1775. En récompense de ses bril-
lants succès dans la guerre de trente ans , il avait été créé
comte en 1645.
WRAIVGELL (Ferdinand, baron de ), vice-amiral
russe, l'un des plus célèbres navigateurs des temps moder-
nes, descend d'une ancienne et noble famille de l'Esthonie,
et naquit vers 1795. Élevé à l'école des cadets de marine
de Pétersbourg ,il obtint, sur la recommandation de K ru -
senstern, le commandement de l'équipage du sioop de
guerre Le Kamschalka, qui en 1817 partit, sous les ordres
du capitaine de vaisseau de première classe Golownine, pour
un voyage de circumnavigation ayant pour but d'une part
d'inspecter les colonies russes de l'Amérique du Nord , et
de l'autre d'entreprendre des travaux hydrographiques dans
la mer de Bering. Le jeune Wrangell y prit la part la plus
active; et c'est au zèle avec lequel, à son retour en Europe,
au mois de septembre 1819, il fit connaître au monde sa-
vant de la Russie les résultats obtenus dans cette expédi-
WOUWERMANS — WRÉDE
lion, qu'il fut redevable d'eire chargé, dès l'année suivante,
d'une autre expédition, qui fait la gloire de sa vie. Les voya-
ges de découvertes entrepris par les Russes dans les mers
septentrionales avaient laissé beaucoup de problèmes
sans solution, beaucoup de relèvements de côtes et de pré-
cisions de lieux incomplets ; c'est ainsi, par exemple, qu'on
ignorait la situation exacte du cap Schéiagine. Ce fut à
Wrangell , alors encore simple lieutenant de la flotte , que
l'on confia la mission de fixer avec exactitude la situation
géographique de ce lieux, et de relever la côte située à l'est
du cap Schéiagine jusqu'au détroit de Bering, le groupe
des îles des Ours , les embouchures de la Kolyma et les
cotes qui s'étendent de là à l'ouest, en même temps que, par
des expéditions sur les glaces de la mer polaire, il s'assu-
rerait s'il existe réellement un grand continent au nord